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Version finale

33e législature, 1re session
(16 décembre 1985 au 8 mars 1988)

Le jeudi 14 mai 1987 - Vol. 29 N° 56

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et d'organismes relativement à l'entente constitutionnelle du lac Meech


Journal des débats

 

(Dix heures dix-neuf minutes)

Le Président (M. Filion): À l'ordre! Est-ce que je pourrais demander aux parlementaires membres de cette commission de regagner leur siège, s'il vous plaît?

Soyez les bienvenus à cette séance du jeudi 14 mai de la commission des institutions. Comme vous le savez, nous avons un horaire fort chargé dans l'exécution de notre mandat qui est effectivement d'entendre les représentations des membres de la commission, mais aussi de personnes et d'organismes relativement à l'entente intervenue le 30 avril 1987 au lac Meech concernant la constitution canadienne.

Je demanderais, sans plus tarder, a notre premier invité, M. Léon Dion, professeur de sciences politiques à l'Université Laval, de prendre place à la table des invités. II y a des modifications. Alors, je demanderai à la secrétaire d'annoncer les remplacements.

La Secrétaire: Les remplacements sont les suivants: M. Boulerice (Saint-Jacques) par Mme Blackburn (Chicoutimi); M. Dauphin (Marquette) par M. Cannon (La Peltrie); M. Kehoe (Chapleau) par Mme Pelchat (Vachon); M. Laporte (Sainte-Marie) par M. Lefebvre (Frontenac); M. Paré (Shefford) par M. Brassard (Lac-Saint-Jean) et M. Vallières (Richmond) par M. Séquin (Montmorency).

Le Président (M. Filion): Est-ce que ça va du côté des remplacements? M. Dion, soyez le bienvenu. Veuillez prendre place à la table des invités. Pendant que notre invité s'installe, je rappellerai qu'une enveloppe de 90 minutes est réservée à M. Dion, les 20 premières minutes étant prévues pour un exposé de sa part et les 70 autres minutes étant divisées à part égale pour des échanges avec les parlementaires des deux côtés de cette table.

M. Dion, soyez le bienvenu. Est-ce que vous êtes prêt à faire part de votre exposé aux membres de cette commission?

M. Dion (Léon): Oui, M. le Président.

Le Président (M. Filion): À vous la parole, M. Dion.

M. Léon Dion M. Dion: M. le Président, M. le ministre, M. le chef de l'Opposition, MM. les autres ministres, s'il y a lieu, MM. les députés, Mmes les députées, il me fait plaisir d'être là. Je vous sers la main symboliquement, à chacun d'entre vous que je connais bien, et je vous remercie également de l'invitation qui m'a été faite par les deux partis de venir présenter devant vous mes opinions sur la constitution et plus particulièrement sur l'entente survenue au lac Meech. Je dois dire que j'ai accepté de préférence l'invitation qui m'a été faite par le Parti libéral, étant donné qu'elle m'est parvenue en premier lieu. Et, deuxièmement, aussi, je suis toujours fédéraliste, bien qu'autonomiste et probablement plus fatigué que jamais, mais fédéraliste, et, au surplus, un peu, peut-être, fatigué de discuter, depuis 25 ans déjà, de ce thème.

Je considère un peu la constitution comme mon cauchemar. Il m'arrive d'en rêver la nuit et j'en ai parfois des sueurs froides. Je suis parfaitement indépendant de l'un et de l'autre des deux partis, et vous le savez bien. Je trouve préférable d'adopter, devant ce texte qui est sous mes yeux, par ailleurs, une attitude positive, c'est-à-dire de discuter de ce texte tel quel, point par point, plutôt que d'en discuter globalement, faisant ressortir les seules objections que j'ai effectivement à l'esprit.

Un autre point que je veux siqnaler, et qui peut aider à faire mieux comprendre mon état d'esprit en venant ici devant vous, c'est que, peut-être le savez-vous, mais j'ai voté oui au référendum, et, si c'était à refaire, je voterais toujours oui. Si nous avions eu à ce moment-là plus de 50 % de oui, il y aurait eu autre chose que le lac Meech. Quoi? Je ne le sais pas. Quelle position aurais-je prise? Je ne le sais pas, mais il n'en reste pas moins que je ne regrette pas le geste que j'ai posé à ce moment-là. Par ailleurs, j'ai refusé d'être membre du comité dit "parapluie", voulant respecter mon autonomie et je me suis simplement permis de faire quelques conférences individuelles et d'écrire un livre sur le sujet.

Un autre point, c'est que je veux signaler que j'aborde cet échange avec vous avec le plus plein réalisme possible, c'est-à-dire que les positions que je vais prendre tiennent compte de la marge de manoeuvre très restreinte que nous a laissée la constitution de 1982 qui fit suite aux

pénibles négociations de 1981. J'accepte cette constitution de 1982 comme point de départ des discussions et des échanges de propos que j'aurai avec vous.

Un dernier point: J'ai entendu des experts débordant d'enthousiasme pour l'entente de principe survenue au lac Meech. J'en ai entendu d'autres qui l'ont quelque peu décriée, mais, puis-je dire, avec beaucoup de retenue. Quant à moi, depuis huit jours que je barbote dans le lac Meech, moi qui ne sais pas nager, franchement, j'ai hâte d'en sortir. J'ai peur non pas de rencontrer le monstre qui peut y être, mais de m'y noyer?

Je voudrais signaler aussi que c'est le philosophe Henri Bergson qui disait qu'un bon ouvrage devait porter à rire, devait compter des passages où le lecteur trouvait le moyen de sourire et de rire. En lisant le document du lac Meech, je pense que vous conviendrez avec moi que nous avons plutôt été plongés sous le point de congélation, parce que le document est extrêmement sévère et je pense que là nous devons dire qu'il convient à ce qu'on entend généralement par un document constitutionnel.

Je dois dire également en toute franchise que j'admire le travail qui a été accompli par le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, M. Rémillard, et ses conseillers et cela, il faut le noter, dans un cadre fort difficile qu'ils ont dû accepter. Mes propres réflexions ne sont pas mûres, malheureusement, au point de pouvoir me prononcer ce matin définitivement dans un sens ou dans l'autre. Je me mentirais toutefois certainement à moi-même, je mentirais également à vous, législateurs et membres du gouvernement, et surtout je mentirais à la face de la nation tout entière si j'allais non pas dire, mais seulement laisser croire que le texte de l'entente, tel que nous l'avons sous les yeux, est sans failles, failles même majeures à mes yeux, mais réparables, j'espère. Et c'est à ce prix, au prix de modifications sérieuses que je donnerais mon plein assentiment à l'entente survenue au lac Meech. Nous portons tous aujourd'hui et les jours qui viennent une énorme responsabilité devant le Québec, devant le Canada d'aujourd'hui et surtout le Québec de demain, celui des jeunes d'aujourd'hui qui, malheureusement, ne sont pas ici pour s'exprimer comme, je pense, ils devraient pouvoir le faire. Et, moi comme vous tous, je le sens, je le sais, nous en sommes pleinement conscients, nous sommes devant une page blanche susceptible demain, d'une façon ou d'une autre, de devenir une page principale de notre histoire politique et constitutionnelle, et cela pour des générations à venir. (10 h 30)

Mais avant de couler dans le ciment de l'unité restaurée, assurons-nous bien que les matériaux qui vont le composer seront à l'usage bien étanches et tout à fait à l'épreuve des mauvais temps à venir. Je suis prêt à endosser le projet d'entente du lac Meech, mais à la condition d'avoir l'assurance que le Québec ne soit pas, une fois de plus, le dindon de la farce. Il le fut si souvent que je m'estime justifié de me montrer circonspect dans mon étude du document.

Pour ces raisons, je ne suis pas en mesure ce matin de formuler une opinion favorable ou défavorable, pour ou contre, que j'estimerais juste et raisonnée sur le sujet qui est à l'ordre du jour. Je réserve donc pour l'instant ma décision. Cette dernière, cette décision, dépendra beaucoup du sort qui sera fait à la proposition d'amendement que j'entends proposer au point no 1 portant sur le caractère distinct du Québec et dépend également de la formulation officielle du texte qui devrait découler du fruit de vos délibérations et de nos délibérations, sur lequel, j'espère, nous aurons aussi la possibilité de revenir.

Je diviserai mon exposé en trois points. Premièrement, je vais demander au ministre quelques précisions sur des points mineurs. Cela peut être très court mais peut être également instructif.

Deuxièmement, je ferai quelques commentaires rapides sur trois thèmes de l'entente, comprenant que peut-être vous avez lu le texte que j'ai publié dans le Devoir de jeudi ou vendredi dernier, qui contenait mes commentaires plutôt favorables, même très favorables sur trois des quatre points de l'entente.

Finalement, je voudrais proposer un amendement concernant le thème du caractère distinct du Québec. J'aimerais beaucoup que ce soit là-dessus que porte surtout mon exposé et c'est pourquoi j'irai vite sur le reste.

Quelques précisions sur des points mineurs. Je dois d'abord signaler ceci qui n'a pas été, je crois, signalé ici encore, que l'entente innove en ce sens qu'elle parle d'une société distincte. Je n'ai jamais vu ça nulle part ailleurs. Jamais la Commission d'enquête sur le bilinquisme et le biculturalisme n'a parlé de société distincte pour le Québec. Elle a parlé des deux peuples fondateurs, des deux nations, des deux sociétés, des deux majorités mais jamais de l'expression "Québec, société distincte". Elle a dit du Québec qu'il était le point d'appui majeur de la francophonie canadienne. En d'autres termes, même la commission d'enquête sur le bilinquisme, il ne faut jamais l'oublier, a pris une position purement horizontale du pays. Quand elle parle du Québec - je dois dire qu'il s'agit des pages bleues qu'on impute à M. Laurendeau et j'avais aidé M. Laurendeau à la rédaction de ces pages bleues - on le

définit comme société incomplète en ce sens qu'il lui manque une composante essentielle d'une société, c'est-à-dire qu'il ne dispose pas de façon autonome et souveraine d'un État.

Le cas de Pepin-Robarts évite également de parler de société distincte. Ils n'ont même pas parlé de deux sociétés. Je n'ai jamais vu ça dans le document. J'ai été un de ceux-là même qui leur ont suggéré de ne jamais parler de deux sociétés pour le Canada parce que jamais les Canadiens anglais, des autres provinces surtout, ne pourraient accepter, comprendre de quoi il s'agit.

Si vous me le permettez, je vais vous lire un texte - Ah! Je ne le trouve plus, je ne le lirai pas - d'une étudiante qui venait du Manitoba et qui suivait mon cours, justement, sur le Québec. Elle m'a dit ceci: Je suis venue à Québec l'année passée dans le but d'apprendre le français et de retourner chez moi. Je suis restée. Je vais rester. Je me sens très bien à Québec, au Québec. Je veux apprendre plus sur l'histoire de cette province, le pays comme on l'appelle, puisque cela m'intrigue tellement la différence entre les Québécois, un peuple avec sa propre identité, et le reste des Canadiens, ceux qui habitent dans cette mosaïque qui s'appelle le Canada. Il faut dire que cela ne m'est jamais arrivé de me demander: Qu'est-ce donc que d'être Manitobaine?

Je pense que vous avez là le ton que j'ai entendu des centaines et des centaines de fois dans mes multiples voyages au Canada anglais. Très bien. Il y a une société, que vous l'appeliez société, nation, on n'a pas de problème avec cela, mais, nous, Torontois, ne voyons pas une nation, une société de la même façon. L'Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve et tout cela ne sont pas partie de notre système de pensée, de notre âme.

Évidemment, sur le plan constitutionnel, c'est autrement. Mais, sur le plan culturel, sur le plan proprement national, nous n'avons pas cette dimension que vous, Québécois, par la force d'une composante d'identité que vous possédez, la langue française, avez dans votre province, dans votre patrie.

Je mentionne cette question, on pourra y revenir. Un point, donc, d'innovation. Le rapport Pepin-Robarts parle toujours de dualité et de régionalisme. Ce sont ses deux concepts de base. Je note également une différence dans le texte français et dans le texte anglais. Si nous revenons aux pages -j'espère que j'ai le texte ici. Il y a une question de sémantique qui peut intervenir lorsqu'on parle de caractère distinct du Québec au point no 1. Je l'appelle le point no 1, il vient en premier.

En effet, il s'agit du caractère distinct du Québec pour la partie (l)b) et (3) mais, en ce qui concerne (l)a), il s'agit du Canada. Alors, je crois que le titre général devrait plutôt être à ce moment la nature ou le caractère du Canada et non pas le caractère distinct du Québec puisque ce caractère distinct du Québec n'est qu'une partie de l'ensemble du tout canadien dont on veut parler. Alors, il me semble ici qu'il y a une précision à apporter.

L'autre point, c'est le texte français et le texte anglais. Dans le texte français on parle du caractère distinct du Québec, mais en anglais on parle de "Quebec distinct society". Il y a une différence entre les deux et je préfère de beaucoup la version anglaise. Québec société distincte et non pa3 caractère distinct du Québec. Il faut dire que c'est une société distincte. Alors, à ce moment, je préférerais cela.

Au point no 3 de ce même thème, du premier thème, en français on dit que l'Assemblée, le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise. En anglais on parle de "distinct entity". Si vous regardez le texte anglais on dit "distinct entity". Ce n'est pas la même chose, société distincte et "distinct entity". Je voudrais bien voir - je n'ai jamais rencontré ça une entité distincte - ce que ça peut bien vouloir siqnifier. Je présume qu'il y aura ici une correction à apporter à la version anglaise au moins dans ce texte.

Au point no 2, c'est-à-dire la formule de modification de la constitution, on parle d'accorder une compensation raisonnable. On y revient souvent: compensation juste, compensation raisonnable, etc. Ce sont des souvenirs anciens de la constitution de 1982. Nous n'étions pas fiers, je pense, plusieurs d'entre nous, de cette formulation: compensation raisonnable, compensation juste. Et elle revient trois fois dans ce texte, au point de la formule d'amendement. Elle revient également lorsqu'il s'agit de la juste compensation pour l'immigration. Elle revient également pour la juste compensation lorsqu'il s'agît du pouvoir de dépenser, au point no 3.

Quant à moi, je propose ici un amendement. Que l'on dise plutôt qu'il s'agira d'une compensation équivalente au coût réel du programme pour le Québec ou toute autre province qui se serait désenqaqée. À ce moment là, ce serait clair. On ne laisserait plus aux tribunaux et à quiconque le soin de décider ce que ça veut dire "équivalent". Nous aurions ici une notion, ce serait le coût réel tel qu'il est établi en comptabilité. Je propose ici cet amendement qui est un amendement mineur. Je n'en fais pas, évidemment, un cas d'extrême importance. Néanmoins, je crois que ce sont tous ces petits points, si on les additionne les uns aux autres, qui font que nous ne pouvons pas parvenir à une précision plus grande de ce texte.

Maintenant, il y a une autre question que je me pose, c'est à propos du Barreau civil. C'est la première fois que j'entends parler du Barreau civil. Y a-t-il un Barreau criminel au Québec? Il faut aussi noter le fait qu'il y a du droit civil avec diplôme, je crois, qui est maintenant enseigné à l'Université de Moncton au Nouveau-Brunswick et à l'Université d'Ottawa en Ontario. Ces gens pourraient, éventuellement - si on parle de Barreau civil comme cela... Personne ne peut prévoir qu'un jour il n'y aura pas un Barreau civil en Ontario. Je pense que l'on veut dire Barreau. Je proposerais ce qu'a dit M. Beaudoin hier - je crois que cela n'a pas été relevé - trois juristes civilistes du Québec. Je crois que là, ce serait clair. C'est M. Beaudoin, je reprends la formule: trois juristes civilistes du Québec. À ce moment-là, on saurait à quoi s'en tenir. Évidemment, on est bien loin de la commission Pepin-Robarts qui, comme vous le savez, prévoyait cinq juristes civilistes sur onze. C'était très différent, mais, néanmoins, nous devons accepter ce cadre. Je propose une modification, à moins qu'on m'explique que Barreau civil, c'est très bien et meilleur que trois juristes civilistes du Québec.

On propose également qu'il y aura une liste de noms à partir de laquelle le gouvernement fédéral trouvera le candidat valable pour devenir juge de la Cour suprême. Je propose que nous indiquions sur la liste un nombre donné de candidats, trois ou cinq, mais pas vingt, à partir de laquelle le gouvernement fédéral choisira le candidat qu'il voudra bien nommer à la Cour suprême. S'il n'est pas d'accord avec cette liste, je propose qu'il n'ait qu'un seul droit de retour, et qu'au deuxième tour, lorsque le Québec proposera trois ou cinq autres juges, le gouvernement fédéral, cette fois-là, soit engagé, obligé de choisir l'un ou l'autre de ces membres afin de sortir d'un cul-de-sac éventuel qu'encore là les tribunaux, ou je ne sais pas qui, seraient amenés à juger.

Je note que le Québec avait demandé d'être consulté. Cela disparaît dans l'accord du lac Meech. Je pense qu'il devrait y avoir consultation, néanmoins, de la part du gouvernement fédéral, précisément sur cette courte liste de trois ou cinq juges, pour savoir si c'est un tel que je prendrais le premier, ou je préfère le troisième, etc., et la discussion pourrait s'engager là-dessus et peut-être également sur la deuxième liste, si nécessaire.

Maintenant, quant aux questions de fond, je vais y aller très vite parce que je veux en venir à ce que je considère comme principal. En ce qui concerne la formule d'amendement constitutionnel, il y a un immense pas en avant qui a été accompli au lac Meech. Moi qui ai toujours demandé à toutes les commissions parlementaires du

Sénat et de la Chambre des communes, comme à celle de l'Alberta, que l'article 42 concernant la représentation à la Chambre des communes et au Sénat soit protégé par un droit de veto dont disposerait le Québec, eh bien, nous l'avons, maintenant. Bien sûr, il est étendu aux autres provinces, ce qui pourrait probablement rendre plus difficile l'accord sur cette question. Mais, pour l'ensemble, je pense - je suis obligé d'aller très vite - que... C'est ce que demandait d'ailleurs M. Johnson, dans son projet d'accord constitutionnel en mai 1985. Là-dessus, je pense qu'il n'y aura pas de discussion; c'est clair.

En ce qui concerne la Cour suprême, eh bien, je viens, je pense, de dire ce que j'avais à dire à ce sujet. L'immiqration, j'estime, quant à moi - je ne sais pas s'il en a été abondamment discuté ici - qu'il s'agit là des principaux gains - si on peut parler de gains et je peux parler de gain, je crois - du Québec, par rapport à ce que la situation était dans la constitution de 1982.

Cependant, j'aurais encore une modification à proposer, légère, mais peut-être importante dans le XXIe siècle. On dit que le Québec pourra dépasser de 5 % le quota canadien eu égard aux questions démographiques. Je proposerais d'ajouter "au moins 5 %", parce que ce qui va se produire au XXIe siècle - je ne suis pas prophète; c'est su d'avance - ça va être un brassage extraordinaire de population et une terre aussi riche, belle, et tout ce que l'on veut, même si elle est froide, que le Canada sera envahie par des populations venant de l'Amérique du Sud, du Sud-Est asiatique et probablement d'Afrique. (10 h 45)

À ce moment-là, il se peut que 5 % soient jugés bien faibles pour le Québec. J'aimerais mieux mettre "au moins 5 %". Ce n'est pas, je crois, là non plus un amendement que je considère nécessaire, obligatoire, mais je crois qu'il est important de le mentionner comme étant une position que j'aimerais voir adopter dans le texte définitif.

En ce qui concerne le pouvoir de dépenser, il en a été beaucoup question et j'aurais beaucoup à dire, mais je vais simplement mentionner un fait qui m'est arrivé et que j'ai connu très bien. C'est que, pendant les années quarante, cinquante, peut-être les années trente également et jusqu'à peut-être 1963-1964, le gouvernement fédéral a subventionné les écoles techniques au Canada. Il y avait une condition, que ces écoles techniques fussent publiques. Or, au Québec, la plupart des écoles techniques étaient privées, c'est-à-dire adjacentes, pour la plupart d'entre elles, aux collèges classiques et aux séminaires. Il y en avait quelques-unes qui étaient publiques comme l'école du meuble, par exemple, etc. Ce qui

veut dire que le Québec s'est trouvé privé pendant toute cette période d'une masse considérable d'argent eu égard à ce fait qu'il ne satisfaisait pas à la norme fédérale. Je ne dis pas que cela se reproduirait de la même façon. Je suppose que nous sommes plus intelligents aujourd'hui qu'à cette époque. Je suppose que notre force de frappe s'est améliorée. Mais, néanmoins, il faut être extrêmement prudent.

Une autre question. M. Ryan, dont je regrette personnellement l'absence aujourd'hui, parce que j'aurais aimé lui rendre témoiqnage sur un point, c'est que lorsque j'ai dit oui au référendum il était parmi ceux qui ont dit: Léon Dion dit oui -c'est vrai qu'on s'est dit des mots tous les deux mais, en tout cas, on l'a oublié réciproquement - Léon Dion dit oui, mais en tant que fédéraliste et il disait: Aujourd'hui, on ne vote pas là-dessus, on vote pour savoir si on reste ou non dans la confédération. Je me souviens, j'étais dans un taxi à Montréal lorsque, pour la première fois, j'ai entendu M. Ryan non seulement mentionner ce fait, mais insister auprès de l'animateur, qui voulait passer à autre chose, parce qu'il ne trouvait pas ça important. Mais, pour M. Ryan, c'était jugé très important d'indiquer que ma position pour le oui n'était pas une position prise en tant qu'indépendantiste, mais en tant que fédéraliste. Alors, je voudrais le noter, cela, parce que je dois dire que ça m'avait beaucoup ému.

Il y a des problèmes généraux que posera l'accord du lac Meech. Je préfère peut-être les laisser aux autres provinces et au gouvernement fédéral parce que cela nous est tellement favorable. On parle, comme vous le savez, de possibilité de cul-de-sac, étant donné que, maintenant, surtout à partir de l'article 42 - il reste l'article 38 qui demeure soumis à la règle des sept provinces et des 50 %... L'article 42 devra maintenant être soumis à la règle de l'unanimité. Comment l'Alberta peut-elle espérer modifier son Sénat un jour? J'espère qu'elle ne pense pas trop à ce problème maintenant, mais peut-être y pensera-t-elle après la signature de l'entente.

D'autres parlent aussi d'une possible balkanisation du Canada. Je me souviens que ce problème a été posé abondamment par la commission de l'unité canadienne, mais je suggérerais à ceux qui craignent cela de lire ce que dit la commission là-dessus. Personne ne le sait. Il y a là un germe qui est posé et cela peut se produire. Ce que dit la commission de l'unité canadienne, c'est qu'il est très probable que, dans la plupart des cas, seul le Québec sera intéressé à ne pas partager un programme fédéral et que, par conséquent, il n'y a pas lieu là de craindre une balkanisation.

Je ne sais pas combien il me reste de minutes, est-ce que quelqu'un peut me le dire? Combien me reste-t-il de minutes?

Le Président (M. Mardi): II vous reste environ... Vous avez dépassé votre temps, mais...

M. Dion: Déjà?

Le Président (M. Marcil): Si les formations politiques acceptaient de vous permettre de continuer...

M. Dion: Vous auriez dû m'en aviser, parce que...

Le Président (M. Marcil): II y a consentement, M. le professeur, vous pouvez continuer.

M. Dion: ...ce que j'ai dit là, pour moi, est secondaire par rapport à ce que je veux dire maintenant.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

Le Président (M. Marcil): Allez, M. le professeur.

M. Dion: Je suis embarrassé.

Je voudrais revenir à un thème que M. Dumont a abordé ici, hier, peut-être d'une autre manière, quelque peu, mais avec la même intensité d'opinion. Je suis conscient autant que vous, et peut-être davantage, de la détérioration effarante du français au Québec, aujourd'hui. Non seulement le français comme langage de communication et de pouvoir, comme le mentionnait M. Dumont, mais également au plan de nos mentalités.

Depuis six mois, je me suis imposé la lecture de nos poètes, de nos romanciers, de nos chansonniers. Ce sont eux les professionnels de la langue, ce n'est pas nous, ce ne sont pas les gens d'affaires. Si vous voulez, je peux vous les nommer, j'en ai une liste ici, mais je sais que vous n'en avez pas besoin, vous les connaissez. Le pessimisme qu'ils éprouvent à propos du français est tel qu'ils se demandent si la langue qu'ils ont encore aujourd'hui, le français qu'ils possèdent est capable de traduire la réalité nord-américaine dans laquelle ils vivent. C'est un problème majeur que nous aurons à régler. Nous sommes des Français d'Amérique, et non des Français de France. Il faut bien comprendre ce point-là.

L'état d'esprit des jeunes, aujourd'hui, tel que nous le connaissons par beaucoup d'études et tel que nous le vivons nous-mêmes, doit nous mettre en garde contre le risque d'une déperdition graduelle du français chez eux. Ils ne savent presque plus quelle langue c'est, le français. Jean-Paul Desbiens parle souvent de cette question; il en parle depuis le Frère Untel, en 1957, et il va continuer, je pense bien, tout le reste de sa

vie parce que le problème va s'intensifier, va durer, malgré les propos très importants qu'il cite, qu'il dit.

J'ai un collègue à l'université qui m'a dit que l'automne prochain - il m'a dit cela avec le sourire - le premier mot qu'il va prononcer devant sa classe, cela va être le mot "dictée". Il veut dire par là que nous avons dans plusieurs unités actuellement un test de français à l'université, et beaucoup d'étudiants ne passent pas ce test. Je dois dire que la plupart d'entre eux sont très heureux de prendre des cours spéciaux pour améliorer leur connaissance pas du français, mais la connaissance de la structure de pensée qu'est une langue, une mentalité.

Je ne vous parlerai pas de la situation qui se détériore à Montréal et qui devient catastrophique. Où trouve-t-on maintenant cette fierté d'être Français d'Amérique et de le rester? C'est un premier cran d'arrêt, il nous faut travailler sur nos mentalités par l'éducation en famille, dans les lieux de rencontre, etc. Mais le deuxième cran d'arrêt, c'est nous-mêmes, l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec. Je peux vous dire que, sur ce point, cela fait longtemps que je dis que, notre Assemblée nationale et notre gouvernement, je n'ai plus confiance en eux, non seulement depuis décembre 1985, mais je dirais depuis 1981.

Je dois encore passer très rapidement sur cette question, mais le troisième cran d'arrêt, c'est la constitution fédérale. C'est là que j'aimerais que nous revenions au point no 1 parce que c'est là-dessus que, personnellement, j'ai de sérieuses objections. Je suis obligé d'accepter la dualité canadienne, (l)a). Je serais absolument opposé, j'ai toujours été opposé depuis 1971, à cette notion que le Canada est composé de deux groupes linguistiques considérés so-ciologiquement comme égaux. Vous avez là un éléphant, sept puces et deux punaises. Comment voulez-vous les mettre dans le même bain? Au plan sociologique, c'est d'une absurdité totale. Si vous voulez traduire cela en termes juridiques, cela vous donne l'article 23. Heureusement que nous n'avons pas encore adopté à l'Assemblée nationale l'article 59.(2) qui finirait par nous conduire à la clause quasi universelle pour l'accès à l'école. Sur ce plan, la dualité canadienne, je l'accepte maintenant, étant donné que la constitution de 1982 est là et que je savais que nos négociateurs devaient fonctionner dans ce cadre-là.

L'an dernier, M. Johnson a proposé que le Québec se retire de l'article 23. J'avais écrit un texte là-dessus, j'avais dit qu'il y avait de très bonnes choses dans le texte de M. Johnson, mais que j'avais deux objections dans le contexte où je me situe: la première, c'est que ce n'est pas possible de se retirer de l'article 23 sans, évidemment, revenir à un référendum qui serait sans doute...

Comme M. Johnson lui-même l'a dit: II ne faut quand même pas mourir d'une mort trop rapide. Il proposait également que la charte du Québec ait préséance sur la charte canadienne. Là non plus, je ne pouvais pas être d'accord sur ces deux points parce que cela revenait au même point. Donc, j'accepte cette dualité canadienne; cela ne fait pas problème. Ce qui fait problème, c'est le point (b) et (3) en ce qui concerne la reconnaissance du Québec comme société distincte au sein du Canada. J'aimerais d'abord que, quand on parle du rôle de protéger, de promouvoir le caractère distinct d'une société québécoise, cela devienne la responsabilité ou le devoir au lieu de parler du rôle. C'est une responsabilité que le peuple confie à son Assemblée, à ses députés et à son gouvernement, ce n'est pas un rôle. Un rôle, c'est quelque chose qu'on remplit bien, mal ou qu'on ne remplit pas du tout. Une responsabilité, c'est un devoir qu'on doit remplir et, si on ne le remplit pas, on est puni. Eh bien, je suggérerais d'abord que nous parlions de responsabilité.

Mais de quoi parlons-nous exactement? D'abord, c'est l'assise d'une société. Qu'est-ce qu'une société? Une société, c'est basé sur des composantes qui s'appellent des institutions, un composé d'institutions. De nombreuses institutions sont francophones au Québec, bien sûr, mais il y a de nombreuses institutions anglophones au Québec, au plan culturel, au plan social, au plan économique, etc., et peut-être, dans les années dernières, se considéraient-elles surtout parties du Canada, extérieures au Québec. On a vu cela, mais, aujourd'hui - on peut lire les travaux de Caldwell, par exemple, et bien d'autres - ces institutions se veulent québécoises au même titre que les autres et nous devons les considérer comme telles. Donc, la société québécoise est composée à la fois d'institutions québécoises, d'institutions anglophones et d'institutions qui sont communes aux deux, comme le Parlement, l'Assemblée, le gouvernement, les tribunaux. C'est cela la société québécoise. Quand nous parlons du caractère distinct du Québec, c'est de cela dont nous parlons. Nous disons qu'au Québec l'anglophonie québécoise est incomparable à l'anglophonie albertaine ou à l'anglophonie de la Colombie britannique ou des sept autres provinces. J'ignore ici ceux qui se tiennent tout près du Québec, très frileusement d'ailleurs, nos frères acadiens et ceux de l'Ontario. Il y a là, donc, un problème et c'est, pour moi, ce qui est finalement à protéger de façon primordiale au niveau proprement sociétal ou institutionnel. C'est ce que Dumont mentionnait hier. C'est la langue. C'est la question linguistique. Et la langue seule est une composante permanente. Toutes les autres composantes, comme M. Beaudoin disait, peuvent passer, mais la langue,

j'espère qu'elle ne passera pas, qu'elle est permanente, essentielle et qu'on ne se retrouvera pas un jour à transformer la chanson de M. Vigneault en disant: Maintenant nous vivons en Louisiane; nous sommes maintenant en Louisiane. Un jour, nous irons en Louisiane, je pense. (11 heures)

Eh bien, les anglophones au Québec ne sont pas seulement une communauté linguistique. Ils sont ça, chez nous, d'accord, je l'accepte. Ils ne sont pas seulement une communauté linguistique au même titre que les Français en Alberta. Ils se sont perçus longtemps comme à l'extérieur du Québec, mais depuis dix ou quinze ans, comme je l'ai mentionné, ils se veulent comme partie intégrante de la société québécoise et, moi, je les veux comme tel. Je les désire comme partie intégrante de la société québécoise. Ces institutions font donc partie intégrante de ma société, et je suis heureux de cette situation. À moins d'adopter une perception purement "ethniciste" de la société, c'est-à-dire une perception qui ferait que la société québécoise n'est perçue qu'en fonction du français, de la composante française, à moins d'adopter cette perception purement "ethniciste" de la société québécoise, il faut donc dire qu'il s'impose d'inclure toutes ces institutions anglophones dans la société québécoise au même titre que les institutions francophones. Si nous voulons vraiment protéger, poursuivre l'essentiel de la spécificité québécoise à tout prix, il faut protéger d'abord ce qui est essentiel et permanent au Québec, c'est avant tout la majorité linguistique de cette société et cette minorité anglophone, d'où je fais très rapidement, parce que mon temps est déjà écoulé, semble-t-il, ma proposition d'amendement.

J'accepte le départ. L'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont, je dirais, la responsabilité de protéqer et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise mentionné au point (l)b). Et je continuerais: Cette responsabilité inclut nécessairement la protection et la promotion du français, composante principale et essentielle de cette société, sur l'ensemble du territoire du Québec, de même que toute autre composante de cette société considérée sous le même angle, c'est-à-dire droit civil, etc., etc., considérée sous cet angle-là. La protection et la promotion des institutions anglophones au Québec seront soumises à cette priorité principale et essentielle concernant la langue française. C'est la proposition d'amendement que je propose.

J'ai aussi un texte anglais pour ceux qui le voudraient. M. le Président, j'ai rapidement terminé mon exposé en massacrant un peu trop, je crois, l'objectif principal qui m'avait conduit ici ce matin.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. le professeur Dion. Est-ce qu'on peut avoir des copies de votre amendement?

M. Dion: Oui, oui. Il faudrait qu'il soit tapé. Je l'ai rédigé à ia main.

Le Président (M. Marcil): Est-ce qu'on peut faire en sorte, par le biais du Secrétariat des commissions, de le faire taper et de le reproduire?

M. Dion: J'ai le texte français et le texte anglais.

Le Président (M. Marcil): Vous voulez les deux textes, anglais et français?

M. Johnson (Anjou): Mais que ça n'empêche pas nos discussions.

Le Président (M. Marcil): Oui. Merci, M. Dion.

M. Dion: On pourra faire des corrections aux deux textes, d'ailleurs.

Le Président (M. Marcil): Nous allons faire le nécessaire. Je vais maintenant passer la parole au ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes tout en vous informant qu'il reste 25 minutes à chacun des deux partis. Cela va?

M. Rémillard.

M. Rémillard: M. le professeur Dion, je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir accepté de venir témoigner devant la commission, de vous être déplacé. Comme vous le dites, vous avez passé quelques journées "dans" le lac Meech. Je crois que vous nous avez tracé au départ un tableau très intéressant du contexte politique dans lequel nous avons, nous, comme gouvernement, entrepris de nouvelles discussions constitutionnelles pour en arriver à une entente qui permettrait au Québec de récupérer des droits historiques et redevenir un partenaire majeur dans cette fédération.

Vous avez très bien relevé le fait que nous étions dans une situation difficile. Vous l'avez d'ailleurs très bien écrit lorsque vous avez dit dans votre article du Devoir du 8 mai dernier, et je vous cite: "Ce qu'il importe en tout cas de dire en dernière analyse, c'est que, s'agissant du Québec, il obtient pleine reconnaissance de ses demandes dans un contexte de négociations qui lui était pourtant, au départ, des plus défavorables." C'est vrai, vous avez parfaitement raison. Nous avons commencé ces discussions et ces négociations qui nous ont amenés au lac Meech dans un contexte politique très difficile.

L'analyse que vous nous avez faite de

cette entente du lac Meech vous amène à dire que, sur un point fondamental très important concernant justement ces droits historiques du Québec, le droit de veto - et je vous cite - est un immense pas en avant. Le Québec récupère par l'entente du lac Meech un droit historique, le droit de dire non à un amendement constitutionnel qui irait à rencontre de son statut de société distincte ou de partenaire majeur de cette fédération.

Concernant la Cour suprême, vous nous dites aussi qu'il s'agit là d'un élément très intéressant. On confirme trois juges sur neuf et on confirme qu'ils viendront du Barreau du Québec ou de la magistrature du Québec puisqu'un juge peut venir soit du Barreau, soit de la magistrature. Je peux vous assurer, au nom du gouvernement, puisque vous m'avez posé la question à ce j'ai cru comprendre tout à l'heure dans votre exposé, qu'il s'agit bien d'une liste qui sera proposée par le gouvernement du Québec lorsqu'il s'agit de remplacer, de nommer un juge qui vient du Québec. Donc, à partir du Barreau ou de la magistrature comme tels. Là aussi, vous nous disiez qu'il s'agissait d'un gain significatif.

Pour l'immigration, vous l'avez qualifié de gain substantiel. Je crois qu'on a là des gains de fait qui vont nous permettre de nous assurer une sécurité culturelle pour l'avenir. Je prends bonne note de votre suggestion concernant le 5 %.

Sur le pouvoir de dépenser, vous avez fait référence à une circonstance telle qu'elle a pu se produire il y a quelques années. Finalement, votre analyse nous dit qu'il faut quand même considérer qu'il s'agit d'un pas intéressant dans la mesure où on peut circonscrire l'application de ce pouvoir de dépenser, qui ne pourrait pas priver le Québec de moyens pour mettre en application sa spécificité. Là encore, vous remarquez des progrès significatifs. C'est donc dire que sur quatre points sur cinq il y a là des progrès significatifs que vous notez. Je crois que toute étude objective nous amène à une telle constatation.

Concernant maintenant le point sur lequel vous vous êtes attardé, c'est-à-dire la reconnaissance de la dualité et du caractère distinct du Québec, dans un premier temps, vous nous dites que vous acceptez le principe de la dualité canadienne. Vous qui avez joué un rôle majeur dans la commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme, qui avez été impliqué aussi dans la commission Pepin-Robarts, vous nous dites: J'accepte la dualité canadienne, et, par conséquent, vous nous donnez deux exemples. Vous nous dites, en ce qui regarde l'article 23: Je crois que le Québec doit demeurer lié à l'article 25 qui permet à un anglophone ou quelqu'un qui aurait suivi son école primaire en langue anglaise dans une autre province canadienne de pouvoir inscrire ses enfants à l'école anglaise ici au Québec. C'est la clause Canada, à toutes fins utiles, et vous t'acceptez.

Vous nous dites aussi que vous ne pouvez pas accepter le fait qu'on mette de côté la charte canadienne des droits. Vous êtes d'accord aussi qu'il y ait une Charte canadienne des droits et libertés dans la constitution.

Lorsqu'on arrive à la spécificité du Québec, vous nous faites une analyse de la spécificité du Québec en disant qu'il y a un caractère fondamental essentiel à cette spécificité, c'est la langue française. Je veux vous dire, professeur Dion, que, si jamais en mes propos je déforme ce que vous nous avez dit ou que j'ai mal compris, je vous demande de m'interrompre immédiatement pour me rectifier.

Alors, vous nous dites...

Le Président (M. Marcil): Excusez, M. le ministre. Oui, M. Dion.

M. Dion: J'aurais juste une petite question à poser au ministre. Est-ce que vous avez également pris note des recommandations, des propositions que j'ai faites et que vous allez regarder, considérer la pertinence...

M. Rémillard: Oui. Comme le 5 %...

M. Dion: Non seulement le 5 % mais ce qu'il y avait avant aussi. D'accord.

M. Rémillard: C'est cela.

M. Dion: On n'a pas besoin d'en parler mais vous en tenez compte.

M. Rémillard: Oui. M. Dion: Merci.

M. Rémillard: Comme vous l'avez dit, pour prendre une expression de quelqu'un que vous connaissez bien, ce ne sont pas des casus belli mais ce sont des informations que vous nous donnez qui, selon vous, peuvent apporter un élément intéressant. Soyez assuré que nous en avons pris bonne note.

Donc, sur la société distincte, vous nous dites que la langue est un fondement de cette distinction. Vous nous dites que la société québécoise est distincte non seulement par sa langue, mais aussi par ses institutions et même que des institutions qu'on pourrait qualifier d'anglophones font partie de la spécificité du Québec.

Dans ce contexte, vous nous proposez un amendement. Mais je suis un peu surpris, professeur Dion, que vous n'ayez pas abordé vraiment le paraqraphe (3) concernant le fait que l'Assemblée nationale et le gouvernement

du Québec ont le rôle - alors, vous nous suggérez de parler de la responsabilité au lieu du rôle - de protéger et de promouvoir - le terme promotion - le caractère distinct de la société québécoise. Dans ce contexte, il est intéressant de noter qu'il n'y a pas d'équivalence pour la dualité. C'est spécifique, en ce qui regarde le caractère distinct du Québec, que le gouvernement du Québec et l'Assemblée nationale ont le rôle de protéger et de promouvoir. Donc, un rôle de promotion et de protection. Si dans un premier temps, et vous l'avez souligné à juste titre, en ce qui regarde la dualité, il y a là une reconnaissance de fait, dans un deuxième temps, en ce qui regarde le caractère distinct du Québec, il y a là une base juridique d'action.

Dans ce contexte, je situe votre amendement. Je dois vous dire que, dans les discussions que nous avons eues avec le gouvernement fédéral et les autres provinces, nous avons refusé de préciser ce concept de société distincte en fonction strictement de la langue parce que, comme vous Pavez si bien mentionné tout à l'heure, la société québécoise est distincte non seulement par la langue, fondamentalement par la langue, essentiellement par la langue à bien des égards, mais aussi par ses institutions, par sa façon de vivre, par sa façon d'être.

Et bien sûr que vous n'êtes pas sans ignorer que, lorsque l'on définit, on limite. Il y a ici un traité qui fait autorité en la matière. Celui du regretté grand juriste et juge à ia Cour suprême, M. Louis-Philippe Pigeon: Rédaction et interprétation des lois. À la page 64, le juge Pigeon écrit: "II y a donc un double danger qui découle de l'énumération. Le premier, la possibilité d'une restriction insoupçonnée par la limitation aux choses de même genre que celles qui sont énumérées. Deuxièmement, la possibilité que l'on en vienne à la conclusion que l'on a voulu se limiter à ce qui a été énuméré. Le grand inconvénient de toute définition énumérative, c'est qu'il est extrêmement difficile de ne rien oublier. Quiconque a travaillé un peu longtemps dans la législation sait une chose: on ne pense jamais à tout. II est impossible de tout prévoir. Il survient toujours de l'inattendu, de l'imprévu. On oublie toujours certains aspects. On risque beaucoup moins de difficultés imprévues en procédant par énoncé de principe au lieu d'énumération".

C'est une considération venant d'un éminent juriste qu'on pourrait retrouver aussi dans d'autres considérations de droit. Je dois vous dire que c'est cette crainte qui a motivé le fait que nous ayons maintenant ce texte qui est devant vous. Je sais que... Je m'interromps et je vous laisse la parole, je sais que vous voulez intervenir.

Le Président (M. Marcil): Allez, M. le professeur. (11 h 15)

M. Dion: J'aimerais bien intervenir à ce point parce que, pour moi, il n'est pas question de ne pas promouvoir les institutions anglophones au Québec. Ce n'est pas seulement protéger, je veux que les institutions anglophones au Québec soient promues au même titre que les institutions francophones, que l'Université McGill reçoive les mêmes subventions que l'Université Laval, proportionnellement aux besoins, etc. En conséquence, je ne vois pas là le problème ou le changement majeur qu'apporte la notion de promotion en plus de celle de protection dans ce cadre-là. Deuxièmement, je voudrais faire remarquer au ministre que je ne fais aucune liste. Je définis simplement la société et je dis que. Il n'y a pas de liste là. La société, en ce qu'elle a de français -je voudrais également noter - doit être assurée et les institutions anglaises, dans la mesure où la priorité reste qarantie aux institutions françaises, doivent également être assurées.

En conséquence, je ne vois pas ici ce qu'il y a de limitatif dans cela, d'autant plus que la principale raison pour laquelle on s'est battu depuis au moins 30 ans pour cette constitution, c'est précisément pour le français que nous sommes en train de laisser aller à vau-l'eau dans notre Québec. Je ne parle pas du Nouveau-Brunswick, je ne parle pas de l'Alberta. Et dire que le français, qui est notre composante essentielle et principale, devient ici un principe limitatif qu'il faudrait exclure, etc.; à mon point de vue, ce n'est pas acceptable, d'autant plus que, pour moi, il ne s'agit pas de la langue française, il s'agit des institutions constitutives du Québec qui s'expriment dans la langue française, comme des institutions constitutives du Québec qui s'expriment dans la langue anglaise, qu'il faut également protéger et promouvoir, mais, étant donné ce que j'accepte volontiers comme le cacractère spécifique du Québec, que les institutions françaises aient priorité dans la promotion et la protection sur les institutions anglaises. C'est ma position.

Si ceci n'est pas mentionné dans le texte, nous n'avons strictement rien, parce que, je vous le dis, "société distincte" ne veut strictement rien dire. Je voudrais bien savoir ce que veut dire "société distincte"; distincte par rapport à quoi? Nous avons choisi sans doute "société distincte" parce que nous savons que les anglophones canadiens ne peuvent pas s'accepter comme l'autre société, comme la commission Laurendeau-Dunton l'aurait voulu. Consé-quemment, nous avons abandonné la notion de deux sociétés et nous parlons maintenant d'une société distincte au Québec, Nous ne savons pas... Allez en

Ontario, au Manitoba ou en Alberta et demandez ce que c'est, il faudrait... J'avais aussi proposé - je crois que c'est dans mon texte - un quatrième point, c'est qu'il faudrait que ce principe soit reconnu par le gouvernement fédéral et par les autres provinces. Autrement, si le Québec est tout seul à vouloir se protéger ainsi, les tribunaux ne sont pas nécessairement obligés de suivre. Ce que je veux avoir pour le français qui est si menacé, c'est quelque chose d'étanche, au point où cela ne sera pas remis au bon jugement des avocats et des tribunaux.

C'est la raison pour laquelle, à mon avis, l'article (3)... Je l'ai lu, je l'ai approfondi, j'ai demandé beaucoup de conseils de mon côté et personne n'a pu me donner l'assurance - même M. Beaudoin, qui était ici hier, n'a pu la donner - que ceci ne pourrait pas faire l'objet éventuellement d'un litige devant les tribunaux dont on ne sait par conséquent pas la nature de la décision. Il se peut donc que ce que nous avons appelé la loi 101 - mon Dieu, j'aimerais bien un jour qu'on l'abandonne, qu'on n'en ait plus besoin, mais, pour l'instant, on a besoin d'une protection linguistique au Québec au plan juridique. À ce moment-là, que nous ayons des jugements venant du lac Meech qui viennent encore amoindrir cette protection déjà si minime, nous, qui serions en fait les pères de cette nouvelle constitution, nous en porterions de terribles responsabilités devant les générations à venir. Personnellement, je ne me sens pas capable de porter cette responsabilité.

M. Rémillard: Professeur Dion, lorsque vous nous dites qu'il n'y a pas de certitude lorsque l'on parle de se référer aux tribunaux, vous avez parfaitement raison. C'est-à-dire qu'on ne peut pas, avec certitude, prévoir quelle pourrait être la décision d'un tribunal, pas plus qu'on ne pourrait prévoir non plus quelle pourrait être la décision politique si on la laissait à l'autorité politique, l'autorité gouvernementale ou législative, dans le sens que ça dépend de différentes considérations.

Mais je crois qu'il n'est pas possible, peu importe le texte qu'on aurait et même avec votre amendement, vous savez, d'avoir la certitude... Nous ne pouvons pas l'avoir aujourd'hui. Ce qu'on essaie de voir, c'est si on peut le circonscrire pour donner de bonnes balises, de bonnes chances.

D'autre part, vous nous dites, professeur Dion, distinct par rapport à quoi? Dans le libellé de ce point 1, donc, premier alinéa, alinéa (1), paragraphe b), on dit bien "la reconnaissance que le Québec forme au sein du Canada une société distincte", donc, par rapport au reste du Canada.

Quand vous me dites distinct par rapport à quoi, c'est distinct par rapport au Canada. S'il y avait, professeur Dion, deux, trois, quatre ou cinq provinces qui étaient reconnues comme distinctes, comme ça, il faudrait dire, je suis certain, pourquoi l'une est distincte, pourquoi l'autre l'est. Il pourrait y avoir des caractéristiques de distinction différentes.

Mais, là, il y a une seule province qui est reconnue expressément par la constitution comme distincte.

M. Dion: C'est pourquoi j'ai dit que c'était une grande victoire. J'en suis fort heureux, mais je veux dire qu'après je me demande ce que ça signifie. C'est la raison pour laquelle je veux que ce soit précisé dans l'amendement que je propose. Seulement cet amendement va nous dire et va dire aux tribunaux et peut-être à ceux qui voudraient éventuellement faire des litiges à ce propos ce que le constituant s voulu dire par société distincte, parce qu'autrement nous ne l'avons pas.

M. Rémillard: Mais est-ce que ce n'est pas...

M. Dion: Je suis d'accord. C'est un grand progrès; je ne le nie pas. Au contraire, je veux être bien certain, comme je dis, d'avoir quelque chose d'étanche qui ne coulera pas sous la pluie. J'aimerais peut-être vous proposer qu'au lieu de vous opposer immédiatement à l'amendement que je propose, vous le soumettiez à l'étude de vos conseillers et que vous étudiiez peut-être une autre formule un peu distincte, un peu différentes mais une formule qui serait assez étanche pour nous assurer que jamais plus le français au Québec, en ce qui concerne la charte fédérale ou la constitution fédérale, ne serait soumis à des jugements alléatoires des tribunaux.

Je pense que nous devons trouver une formule qui soit tellement claire que même les avocats les plus raffinés ne pourraient pas trouver un vice de forme ou une petite ouverture quelconque pour faire une cause et ainsi... Alors, c'est pour ça que, pour ma part, je tiens énormément à ce que cette chose ne se produise pas et c'est la raison pour laquelle je propose un tel amendement.

M. Rémillard: Oui, mais, professeur Dion, je veux vous rassurer sur une chose. Vous avez eu l'amabilité de venir témoigner devant nous. On est heureux de vous recevoir et, si nous vous avons invité, c'est pour avoir votre éclairage et soyez certain que ce que je fais actuellement avec vous, c'est d'en discuter.

Je vous dis que, d'une part, il y a, comme vous dites, la possibilité de tenter de circonscrire cette spécificité, comme vous le proposez.

M. Dion: De la définir. Pas cîrcons-

crire, mais la définir.

M. Rémillard: Bon, de la définir. Prenez le terme de la définition et, là, parce que vous me dites ça, justement, définition, la crainte est d'autant plus présente de limiter la portée de la spécificité. Ce que j'essayais de vous dire tout à l'heure, c'est que, s'il y avait plusieurs provinces qui étaient reconnues comme distinctes, il faudrait bien mentionner pourquoi le Québec est distinct.

Mais si on a reconnu, s'il y a eu unanimité... Mme Solange Chaput-Rolland nous disait hier qu'il faut souligner le fait qu'il y a eu unanimité et le professeur Beaudoin aussi et je pense qu'ils ont parfaitement raison. Si les neuf autres premiers ministres provinciaux, si le premier ministre du Canada ont convenu de reconnaître que le Québec est une société distincte, seule province à être reconnue comme société distincte, c'est qu'on savait pourquoi.

On sait pourquoi c'est distinct. Est-ce qu'on doit prendre la chance de définir cette distinction avec le danger dont je vous ai parlé tout à l'heure...

M. Dion: Vous, vous le savez peut-être. Je sais ce que vous savez. Mais je dis que c'est insuffisant. C'est insuffisant pour le reste du pays, j'en suis persuadé, parce que, pour eux, ça signifie simplement qu'il y a des Français au Québec. C'est tout ce que ça signifie. On n'a aucune protection de nos institutions, parce que ce n'est pas seulement la langue qu'il faut protéger. C'est aussi les institutions qui sont les nôtres et qui sont la société.

C'est la raison pour laquelle j'insiste énormément pour définir ainsi la spécificité dont vous parlez par les institutions francophones autant que par les institutions anglophones, dont je ne voudrais pas la disparition. Ceci, nous avons le risque que la spécificité québécoise - je crois que vous avez perdu ce point - soit perçue d'une façon purement "ethniciste", c'est-à-dire que la société québécoise ne devient plus, à ce moment-là, qu'une société française, de langue française, ce qui est absolument absurde. Ce n'est pas vrai. Il faut que la société québécoise soit perçue dans son ensemble, c'est-à-dire comme une société constituée d'institutions, non pas d'individus parlant français et anglais, nous l'avons dans le premier point, dans le point (l)a). Cela, c'est vrai, je l'ai accepté. C'est horizontal, il y a des Français ou des Anglais partout au pays, à peu près. Mais le deuxième point, le point b) et (3), c'est autre chose. C'est une société, et une société, ce n'est pas seulement des parlant une langue, française ou anglaise, ce sont des gens qui sont protégés par des institutions, encadrés par des institutions qui leur permettent de conserver leur entité propre. Notre entité propre se définit d'abord et avant tout par le fait que nous sommes des parlant français en Amérique du Nord. Nous sommes 2 %, pas 3 %. Nous sommes 3 %, si on comprend tous les français du Canada, mais 2 % au Québec, en Amérique du Nord. Je me dis que ce n'est pas le Canada anglais qui m'effraie, ce ne sont pas les anglophones du Québec qui m'effraient, c'est le fait d'avoir à vivre dans ce continent nord-américain et de le faire en français, ce que nous appelons de plus en plus, d'ailleurs... Nous cessons de nous appeler Québécois - je vois cela dans notre littérature - en nous appelant davantage des Français d'Amérique.

À ce moment-là, le défi que nous nous donnons est autrement plus vaste, mais c'est beaucoup plus réel. Regardez ce qui se passe dans nos médias, regardez ce qui se passe dans notre culture, partout. Ce n'est pas le Canada anglais, ce n'est pas le Montréal anglophone qui est la principale menace, c'est ce qui nous vient des États-Unis, de la "cheap culture", pas de leur grande culture, malheureusement, qu'on oublie trop souvent.

Par conséquent, je reste persuadé que "société distincte" n'est pas suffisant pour amener cette protection et cette promotion que vous voulez. Je sais que sincèrement vous la voulez, je la veux sincèrement, mais nous avons une différence de vue, en ce sens que je prétends que, si nous ne spécifions pas qu'il s'agit là de nos institutions... Autrefois on parlait de nos institutions, de notre langue et de nos droits, mais parlons de nos institutions, la seule assise fondamentale, la composante d'une société. À ce moment-là, nous protégeons tout. Je ne vois pas ce qui est éludé, je ne vois pas ce qui part, je ne vois pas une liste qui n'est pas exclusive, etc., il n'y a pas de liste là. Simplement une précision apportée aux mots "société distincte", à mon avis.

Le Président (M. Marcil): Merci, M. le professeur. Nous allons vous remettre votre amendement tel que tapé, tel que lu, également, sur votre texte. S'il y avait des erreurs de transcription, nous aimerions que vous les indiquiez.

M. Dion: Cela a été écrit à 5 heures, ce matin, peut-être que...

M. Rémillard: J'ai terminé? Est-ce que j'ai deux minutes?

Le Président (M. Marcil): II vous reste environ 30 secondes.

M. Rémillard: Alors, professeur Dion, on me dit qu'il me reste 30 secondes pour vous remercier très sincèrement de votre témoignage. Je retiens que vous considérez

qu'il y a là un pas important, des progrès significatifs qui ont été faits et qu'il faudrait maintenant, comme vous dites, préciser. Ce que je peux vous dire, c'est que plus nous précisons, plus nous avons le danger de restreindre, et il ne faudrait pas faire d'erreur historique. Vous avez parfaitement raison. Nous poursuivons le même but, faire en sorte que nous puissions établir, avec le maximum de protection, le rôle du gouvernement du Québec et de l'Assemblée nationale quant à la protection et à la promotion de la société québécoise.

Dans ce contexte, je peux vous assurer que votre témoignage a été entendu avec beaucoup d'intérêt et je vous en remercie.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. le ministre. Je vais maintenant reconnaître M. le chef de l'Opposition, député d'Anjou.

M. Johnson (Anjou); Je vous remercie, M. le Président. Une première remarque au sujet des propos du ministre qui parlait de l'incertitude qu'il reconnaît. J'ai même cru comprendre que le ministre reconnaissait aussi qu'il avait refusé une proposition du gouvernement fédéral d'inclure le mot "linguistique" ou la notion linguistique autour de la spécificité. J'ai hâte de voir la transcription du Journal des débats; j'avais cru comprendre cela. (11 h 30)

Professeur Dion, vous savez l'estime que nous avons pour vos contributions, comme vous le dites, à un fédéralisme fatigué, à ces débats qui n'en finissent plus. Vous avez dit au début de votre exposé qu'il ne fallait pas que le Québec soit le dindon de la farce. J'ai compris que vous suggériez sept ou huit amendements au chapitre de l'immigration, du pouvoir de dépenser, de la Cour suprême, mais je ne pense que c'est à cela que vous faites allusion fondamentalement. Vous suggérez que ce texte soit amélioré, en tout cas quantitativement de façon importante sinon qualitativement, à ces chapitres. L'essentiel de votre argumentation sur le danger... Peut-être que le monstre aurait été une dinde au lac Meech; c'est ce que j'ai compris un peu de vos propos. La nécessité de faire face au danger que comporte le lac Meech, pour vous, tourne essentiellement autour de la question de la définition, comme vous l'avez dit, de la société distincte et non pas d'un effort de circonscription de la société distincte.

Le ministre répond, lui, de son côté que cela aurait un caractère limitatif que d'inclure... D'inclure quoi, dans le fond? Parlons simple. C'est compliqué de faire du droit quand on n'a pas les textes juridiques, hein? D'abord, professeur, permettez-moi de vous dire combien j'admire votre courage d'accepter d'amender des communiqués de presse mais je sais que c'est la position dans laquelle vous avez été mis ainsi que tous les autres au Québec. On n'a pas les textes juridiques. C'est évidemment extrêmement difficile... Donc, vous apportez un amendement que je dirais au principe. Vous voulez qu'il y ait un ajout substantiel, fondamental autour de la question de la sécurité linguistique du Québec. Le problème, c'est que chaque fois qu'on pose la question au gouvernement, on est aux prises avec la réponse suivante: Oui, mais cela n'est pas tout à fait cela dans les textes. On ne les a pas, les textes. Le danger, c'est qu'on les ait la veille de la signature et que, le lendemain de la signature, il va commencer à être tard, merci.

Vous suggérez d'abord d'inclure la notion de responsabilité plutôt que de rôle. Deuxièmement, de toute évidence, vous ne voulez pas que cela ait un caractère restrictif que d'introduire la notion du français comme façon de définir la spécificité parce que, dites-vous, cela inclut nécessairement... En d'autres termes, vous dites que la spécificité du Québec n'existe pas si on ne se réfère pas à la lanque. Le jour où il n'y a plus de langue, qu'est-ce qui reste? Cela ne veut pas dire que ce n'est que cela. En ce sens, je comprends que vous trouviez que le texte que nous avons devant nous, encore une fois, qui n'est pas un texte juridique, malheureusement, est nettement insuffisant. Ma question sera assez claire, brutale, professeur Dion. Croyez-vous que, si on ne définit pas la spécificité, notamment en se référant à la question linguistique, on risque d'être les dindons de la farce?

M. Dion: Oui.

M. Johnson (Anjou): Merci. Je sais par ailleurs que vous avez rédigé la préface d'un livre qui maintenant est en train de sortir de quelques bibliothèques et qui s'appelle Le fédéralisme canadien de l'auteur Gil Rémillard, 1985. Dans le tome II du livre de M. Rémillard, Le rapatriement de la constitution, que vous préfaciez, vous écriviez à la page 22: "J'approuve une charte des droits de la personne et des droits démocratiques à la condition qu'ils soient clairement définis et délimités. Mais, dans un pays dont les conditions linguistiques sont aussi diversifiées que c'est le cas au Canada, il aurait été bien préférable de n'y pas inclure les droits linguistiques et, plutôt que de s'en remettre aux clauses d'une charte fédérale et aux tribunaux pour la protection des droits des minorités linguistiques dans chacune des provinces, de mettre l'accent sur l'éducation des populations et d'accroître les pressions sur les législateurs." Est-ce que je dois conclure de ces propos, professeur -je voudrais que vous me corrigiez si je vais trop loin dans l'interprétation de vos propos

- que vous considérez, finalement, que pour l'essentiel en matière linguistique, au-delà des questions de conjoncture où le Québec est dans une position difficile pour négocier, et on laissera à tous et chacun le besoin de faire le procès de ces conditions de difficulté pour négocier... Ce que vous dites, pour l'essentiel, dans la préface du livre de M. Rémillard et ce que vous évoquez aujourd'hui par ce projet d'amendement, dans le fond, c'est que l'Assemblée nationale devrait disposer des questions linguistiques par opposition à un texte constitutionnel où une marge extrêmement large serait donnée à l'appréciation de la Cour suprême du Canada. Voilà.

M. Dion: II faut préciser, M. le chef de l'Opposition, au tout début, que ma position a toujours été que le Québec seul devrait être responsable de la langue française sur son territoire. Je dirais même de la langue, de la question linguistique incluant, bien sûr, la langue anglaise. Là-dessus, la commission Pepin-Robarts avait adopté mon point de vue. La commission Pepin-Robarts remet tout l'aménagement de la loi 101 au Québec. Je pourrais vous lire ici des passages de la commission Pepin-Robarts, aux pages 55 et 56 et plus loin: Après mûre réflexion, nous en sommes venus à la conclusion que la seconde conclusion, c'est-à-dire celle qui serait d'écarter les garanties constitutionnelles de 133 - à cette époque, parce qu'il n'y avait pas 23 - et d'inviter les provinces à assurer par législation la protection de leurs propres minorités en tenant compte de leur situation respective et avec l'espoir qu'il se développe entre les provinces un consensus sur un dénominateur commun qui serait éventuellement inscrit dans la constitution du pays... J'aurais été d'accord avec cela. Si toutes les provinces éventuellement étaient d'accord pour inscrire dans la constitution fédérale, mais librement, des clauses concernant la langue, et s'y attacher, c'est une tout autre chose, mais ceci, on nous l'a imposé et, là, c'est tout à fait différent.

Personnellement, je l'ai dit au tout début, j'accepte maintenant de travailler dans le cadre de 23 et de 133 en raison du fait que cela nous est imposé. C'est la loi actuelle du pays et je vous l'ai dit l'an dernier d'ailleurs, je vous l'ai écrit, je l'ai écrit aussi dans Le Devoir, je travaille dans ce cadre-là étant donné que je suis fédéraliste. Mais je voudrais faire en sorte d'éviter que ce 23... il peut être encore modifié, par l'article 59, vous savez, par le gouvernement seul ou par son Assemblée, de telle façon qu'il ne resterait plus rien de la loi 101 en définitive, à ce moment-là. Mais, de toute façon, on n'en est pas là. Alors, cet article 23 qui est reconnu par (1)a) en définitive doit être complètement mis de côté en ce qui concerne l'interprétation de b) et (3), c'est-à-dire de la société distincte. Lorsque je parle ici de la société distincte, je veux bien dire que l'essentiel de cela, c'est le français, mais le français dans ses institutions, etc., incluent, bien sûr, la promotion et la protection des institutions anglophones soumises à cette priorité principale et essentielle concernant la langue française. Et c'est ma position. A ce moment-là, je ne vois pas qui peut dire; Voilà, ce n'est pas clair. Cela me paraît clair. Nous devons, par contre, reconnaître tous les autres textes de 23. Nous sommes encore soumis à 135; nous n'y pouvons rien. Comme je le dis, je suis réaliste, j'ai accepté cela. J'aurais pu peut-être devenir indépendantiste, etc., mais, à mon âge, je me suis dit que, très probablement, je ne verrais pas le jour d'un prochain référendum, etc., et je ne suis même pas sûr que, dans un prochain référendum, j'aurais voté oui ou je ne sais pas quoi. Mais ce que je veux dire, c'est que je l'accepte maintenant comme un pis-aller et je ne voudrais pas que ce soit empiré par les accords. Je dis qu'ils sont bien intentionnés. Il n'y a absolument personne qui est mal intentionné, mais il faut se protéger le plus possible.

Je vais vous donner un test. Allons proposer cet amendement-là aux provinces anglophones et nous aurons leur réaction. J'ai l'impression que, proposé aux provinces anglophones, il y aura beaucoup de difficulté pour elles d'accepter cet amendement-là. C'est peut-être la raison pour laquelle on préfère laisser "spécificité". C'est d'ailleurs ce que j'ai dit. On dit "société distincte" pour ne rien dire. Les autres perçoivent ce qu'ils veulent bien par là. S'ils devaient percevoir ce que nous, Québécois... Parce que personne ne peut dire que ce que j'écris là... Au fond, mettez d'autres mots si vous voulez, mais c'est ce que les Québécois dans leur grande majorité, je dirais même les anglophones d'aujourd'hui, perçoivent de la société québécoise. À ce moment-là, nous devons le dire. Et si, malheureusement, ça ne pouvait obtenir l'accord des autres, je crois qu'il vaut mieux éviter justement ce que j'ai appelé nous retrouver les dindons de la farce et assumer devant l'avenir une responsabilité que, personnellement, je ne veux pas assumer.

M. Johnson (Anjou): Merci, professeur Dion.

Le Président (M. Marcil): M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: Merci, M. le Président. M. Dion, je pense que vous avez, avec raison, insisté sur la détérioration effarante, comme vous le dites, du français au Québec. C'est pour cette raison que vous réclamez, comme

vous le dites également, quelque chose d'étanche dans la définition de la société distincte ou du caractère distinct du Québec et, de là, la proposition d'amendement substantielle que vous faites.

Vous dites également cependant que vous n'acceptez pas tellement de bon gré les articles 133 et 23, que vous auriez préféré -vous l'avez déjà écrit antérieurement - que le Québec ne soit pas soumis à l'article 23 mais vous acceptez ce fait accompli.

Cependant, vous savez qu'il y a également d'autres...

M. Dion: ...contre mon gré, je dois dire.

M. Brassard: Oui.

M. Dion: J'ai lutté fermement pour qu'il n'en soit pas ainsi.

M. Brassard: Oui, je sais. C'est ce que j'ai...

M. Dion: Mais il est là.

M. Brassard: ...indiqué, c'est contre votre gré mais il est là. Il y a également d'autres dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés qui peuvent avoir des effets négatifs sur la place du français au Québec. Je pense en particulier à cet article sur la liberté d'expression. Vous savez que toute la question de l'affichage est discutée actuellement devant les tribunaux. Des décisions ont été rendues à ce sujet-là par la Cour d'appel du Québec en particulier et c'est maintenant devant la Cour suprême.

Comme l'amendement que vous proposez et ce qui concerne la société distincte dans le texte de l'accord du lac Meech vont jouer le rôle de ce qu'on appelle une règle d'interprétation, j'aimerais savoir ceci de votre part, par exemple sur la question de l'affichage. Si l'amendement ou la proposition que vous faites était, faisons l'hypothèse, intégrée à la constitution, dans votre esprit et selon le sens de la signification de votre proposition, est-ce que vous pensez qu'à cause de cette règle d'interprétation qui serait intégrée à la constitution les décisions rendues par les tribunaux - il y en a déjà une qui est rendue par la Cour d'appel et la Cour suprême se prononcera sans doute là-dessus aussi - sur la question de l'affichage auraient dû être ou devraient être différentes? (11 h 45)

M. Dion: Vous avez l'article 6 concernant la mobilité et d'autres aussi. En ce qui concerne l'affichage, si nous étions à Madrid, à Paris, je n'aurais aucune objection. Le problème ne se pose pas. On affiche en japonais, en grec, en anglais, en n'importe quoi. Paris a son visage français. Le problème se pose à Montréal parce que Montréal n'a pas de visage précis. Montréal est une ville bilingue dans sa formation historique. Le Québec tout entier présente un visage français, Chicoutimi, etc. Montréal présente un visage bilingue. C'est ce qui rend, au plan sociologique, à mon avis, encore plus nécessaire l'obligation d'un affichage en français pour tenter d'obvier à cette condition, qui est en train de s'accroître, me dit-on, à Montréal, de présenter un visage disons bilingue mais de prépondérance anglaise.

Je me suis même fait dire que maintenant nous sommes mieux reçus dans les établissements publics à Ottawa en français qu'à Montréal où souvent on se fait dires "Sir, I do not speak French". Ceux-là, ce n'est pas la grande majorité des anglophones montréalais que nous connaissons maintenant et qui s'acceptent, comme dit Caldwell et bien d'autres, comme minorité. M. Scowen qui est ici va m'approuver à ce propos. Comme minorité, ils peuvent être très bien au Québec et conserver leur entité, leur identité et tout ce qu'ils veulent, mais, néanmoins, ils doivent reconnaître que la majorité, qui est si vulnérable dans un contexte comme celui de Montréal particulièrement, non seulement a le droit de se protéger et de protéger le français, mais a également le devoir de le faire.

Ceci est ma position. Je ne dis pas que mon amendement empêcherait un jugement à la Cour suprême de permettre l'affichage bilingue, mais il obligerait, en tout cas je sais cela, à ce que cet affichage bilingue oblige l'anglais à être secondaire. Je suis sûr de cela. Mais que, s'il permet l'affichage unilingue, je ne le pourrais pas... C'est le grand problème majeur actuellement.

Quant à moi, ma position personnelle est très claire. Je crois que la condition et la situation où se trouve Montréal oblige cette ville le plus possible à s'engager dans une direction unilingue française en dépit du fait que beaucoup d'Américains circulent, s'y trouvent mal, etc. Parce que, si Montréal est laissée au soi-disant bilinguisme, ceci veut dire en moins de dix ans une sorte d'unilinguisme anglais.

Savez-vous, mesdames, messieurs, que trop de nos compatriotes francophones s'adressent en anglais à Montréal dans les magasins? Savez-vous qu'un Québécois anglophone qui vient à Québec pour apprendre le français est quasiment incapable d'apprendre le français parce que tous les gens veulent lui parler anglais? Savez-vous que les Français eux-mêmes, les elges, etc., qui ont un accent différent du nôtre, se font souvent répondre ici même à Québec en anglais par ceux qui les servent?

Je pourrais mentionner des cas. Je les connais même très bien. C'est une situation terrible dans laquelle nous sommes. Nous

sommes tellement assimilés à l'anglais, tellement l'anglais est fort, c'est le continent qui est anglais, que, nous-mêmes, nous avons en quelque sorte une résonance qui est presque naturelle à l'anglais même si nous le parlons très mal, même si nous le parlons très peu. Mais il n'en reste pas moins que c'est une situation qui existe. À mon avis, seules des positions radicales qui paraissent, comme M. le juge Deschênes a dit, presque du camp de concentration - je n'ai pas beaucoup aimé cette expression, remarquez - mais qui paraissent très dures... Elles doivent, malheureusement, être comprises, acceptées en raison de cette nécessité où nous sommes de rester français. Ou, disons-le carrément, cessons de nous battre. Il y a deux cents ans que nous le faisons. Cessons de nous battre et laissons-nous aller. Et je vous dis que, dans deux générations, le problème sera réglé. Il sera réglé d'une autre façon que celle que je sais que M. Rémillard et le gouvernement et nous-mêmes tous ici souhaitons.

M. Brassard: Mais, M. Dion, si, comme vous venez de le dire, même avec votre amendement, s'il est intégré à la constitution, vous n'êtes pas certain, vous ne pouvez pas nous assurer et nous garantir que des jugements sur la langue d'affichage ne seraient pas différents de ceux qui ont été rendus par la Cour d'appel, si vous nous affirmez cela, imaginez-vous quelle garantie on peut avoir en cette matière si, dans la constitution, c'est le texte de l'accord du lac Meech qu'on va retrouver.

M. Dion: Pour que j'aie la garantie absolue, c'est très clair, il faudrait qu'ils parlent d'unilinguisme français. Â ce moment, il n'y aurait plus de problème. Il n'y aurait pas d'affichage unilingue anglais à Montréal. Mais parce que je dis: La protection et la promotion des institutions anglophones seront soumises à cette priorité française, cela ne veut pas dire qu'elles sont disparues. C'est la raison pour laquelle je pense qu'un tribunal pourrait très bien dire: Oui, accordons un certain affichage bilingue, mais qu'il soit, à ce moment-là, soumis à cette priorité accordée au français, donc, mis en bas, mis en plus petit, etc. Seulement peut-être dans certains quartiers, etc. Alors, quant à moi, je tiens beaucoup à ce que nous conservions la deuxième partie de mon amendement. Je ne suis pas un unilinguiste français et je ne défendrai jamais cette cause. Là-dessus, avec M. René Lévesque, à plusieurs reprises, j'ai eu à combattre, avec M. René Lévesque, devant des publics qui étaient hostiles à l'anglais au point où ils voulaient détruire McGill, etc. Je sais que M. Lévesque a toujours dit: Le Québec ne fera jamais cela, acceptera l'anglais, les droits, car ce sont les droits actuels, historiques qu'il possède. Je crois que c'est aussi la position de M. Johnson.

Conséquernment à ce sujet, je ne peux pas vous répondre autre chose que, soumis à cette priorité principale, il se peut qu'un tribunal décide qu'il y a une certaine justice à permettre un certain affichage bilingue, mais qu'il soit soumis à la priorité du français. Ceci, évidemment, sera à déterminer en pratique. Mais jamais vous ne pourrez me faire dire que je prône un unilinguisme français.

M. Brassard: Une remarque à ce sujet. L'autre façon d'avoir des garanties plus certaines, c'est évidemment de faire en sorte que ce soit l'Assemblée nationale qui soit seule compétente en matière linguistique.

M. Dion: Nous n'y pouvons rien. Nous avons l'article 23 que j'accepte. Vous pouvez très bien décider cela, mais faites un référendum. Vous êtes obligés de vous y soumettre actuellement à l'article 23. Je suis obligé de m'y soumettre. Je ne l'aime pas. Je l'accepte. Tout le monde peut toujours dire: On ne le fera pas, etc. Mais les tribunaux vont juqer autrement et vont faire en sorte que nous serons obligés demain de procéder comme les juges décideront que l'article 23 ou l'article 59 ou n'importe quel des articles, ici, l'impose. Nous l'avons maintenant et il faut dire que l'accord du lac Meech reconnaît la constitution de 1982. Les changements proposés ici, les améliorations pour la plupart proposées ici sont jugées suffisantes par le gouvernement, du moins par M. le ministre actuellement, pour permettre de signer ceci. C'est ce qu'il faut comprendre.

Vous êtes actuellement soumis à l'article 23. C'est de rêver... Nous pouvons toujours aller dans l'imaginaire d'une société où il n'y a pas d'article 23. Mais, en réalité, il y a un article 23.

M. Brassard: M. Dion, je pense que c'est au réseau TVA qu'on vous a demandé: Et si votre amendement - il était d'ailleurs moins articulé que celui que vous venez de déposer - n'était pas retenu, ou un amendement semblable, aux dispositions sur la société distincte? Vous avez déclaré: "S'il n'est pas acceptable, je dirais qu'il vaut mieux ne pas siqner l'accord". Ëtes-vous toujours de cette opinion?

M. Dion: Oui. Je dis dans mon texte, je suis un peu plus prudent, que je réserve mon opinion. Je préfère attendre le texte. On n'a pas dit, ce matin, qu'on ne ferait pas état de cet amendement. Je crois qu'il y a eu en fait une discussion très chaleureuse, etc. J'attends. Si la proposition d'accord du Québec, lorsqu'elle sera devenue officielle, ne m'agrée pas, je dirai non. Mais,

aujourd'hui, je réserve mon opinion et j'attends. Nous n'avons pas encore le texte final. Nous oeuvrons actuellement pour essayer de l'améliorer, de le modifier. C'est ma contribution ce matin, je la veux de cette façon. Si, du côté de l'équipe qui rédige actuellement le texte final, on tient compte des opinions que j'ai émises et de la résolution que j'ai proposée, à ce moment-là, j'accepterai l'accord du lac Meech et même je l'accepterai dans le corps de la constitution de 1982 parce que nous y sommes. Je considérerai que c'est une amélioration considérable à certains des points qui sont contenus dans cette constitution de 1982.

Le Président (M. Marcil): Merci. M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Alors, M. Dion, j'ai l'impression de le faire un peu au nom du ministre aussi, il n'a plus le droit de conclure... En son nom et au nom des membres des deux côtés, je vous remercie de la clarté autour de la question de la société distincte que vous réclamez et de la franchise habituelle de vos propos. Merci, professeur Dion.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, professeur Dion. Nous allons suspendre nos travaux pour trois minutes.

(Suspension de la séance à 11 h 57)

(Reprise à 12 h 8)

Le Président (M. Marcil): Nous allons continuer les travaux. Je demanderais aux parlementaires de s'approcher. Nous allons demander à nos deux invités de bien vouloir s'approcher. S'il vous plaît, je demanderais aux parlementaires de prendre siège. Nous avons comme invités experts, M. Jacques-Yvan Morin et M. Daniel Turp, professeurs en droit international à l'Université de Montréal.

M. Rochefort: M. le Président.

Le Président (M. Marcil): Oui, M. le député de Gouin.

M. Rochefort: Je suis effectivement bien d'accord avec vous pour qu'on commence nos travaux, mais je crois qu'il faudrait quand même attendre peut-être encore trente ou quarante secondes pour avoir l'attention de tous les membres de la commission pour la présentation de nos témoins.

Le Président (M. Marcil): Nous avons comme invités spéciaux M. Jacques-Yvan

Morîn et M. Daniel Turp, professeurs en droit international de l'Université de Montréal. Messieurs, vous connaissez les règles de cette séance. Vous avez vinqt minutes pour faire votre exposé et, ensuite, on procédera à la période de questions de part et d'autre.

MM. Jacques-Yvan Morin et Daniel Turp

M. Morin (Jacques-Yvan): M. le Président, mesdames et messieurs les députés, ce n'est pas la première fois que le Québec est aux prises avec les questions constitutionnelles et avec le mode d'amendement. J'ai l'impression, ce matin, d'avoir déjà vécu ces événements dans une vie antérieure.

Quand un peuple est minoritaire au sein d'une société plus nombreuse, ces exercices deviennent un sport national. Mais c'est un sport dangereux, comme l'ont démontré, en 1965, la formule Fulton-Favreau et un peu plus récemment, en 1971, la charte de Victoria, la charte avortée de Victoria, alors que le Québec a su discerner au dernier moment Ies pièges extrêmement subtils et admirablement bien camouflés qui lui étaient tendus. Dieu merci, il a, à l'époque, trouvé le courage de dire non!

Ce dont il s'agit toujours dans ces moments cruciaux, c'est de l'identité québécoise, bien sûr, mais c'est également des pouvoirs dont le Québec a besoin pour protéger et développer cette identité distincte de celle du reste du continent.

La question fondamentale est et a toujours été dans le passé celle des pouvoirs ou, si l'on veut, des compétences législatives, parce que celles-ci donnent corps et vigueur à un peuple, qu'elles mesurent sa liberté d'action, qu'elles lui permettent d'exprimer ses valeurs propres, bref, parce qu'elles constituent son autonomie. Tout le reste, y compris les institutions fédérales, puisque nous sommes dans une fédération, est accessoire par rapport aux pouvoirs. Ce n'est pas sans importance, bien sûr, mais c'est accessoire.

C'est la raison pour laquelle Jean Lesage, avec l'aide de Daniel Johnson, a dit non à la formule Fulton-Favreau en 1965. Cette formule, on s'en souvient, soumettait l'évolution et l'accroissement des pouvoirs du Québec, le développement des compétences du Québec au consentement unanime des provinces, de sorte que l'Île-du-Prince-Édouard se trouvait, comme toutes les autres, d'ailleurs, à être dotée d'un droit de veto sur l'avenir constitutionnel du Québec, et notamment sur la question des pouvoirs. Aussi, après quelques mois de réflexion, M. Lesaqe finit-il par dire non. Mais la tentative fédérale avait été fort habile et il avait failli s'y laisser prendre.

La même raison sous-tend le refus du

gouvernement Bourassa de ratifier la charte de Victoria en juin 1971. Cette fois, le mode d'amendement que proposait M. Trudeau comportait - on l'a rappelé hier ou avant-hier - un droit de veto par région, le Québec étant l'une des régions reconnues dans la formule. Le premier ministre du Québec, à l'époque, eut la prudence de soumettre le procédé à un test et de subordonner son consentement à une condition, mais c'était une condition très révélatrice parce qu'elle touchait aux pouvoirs. Il exigea le transfert des politiques sociales d'Ottawa à Québec. Pour une société distincte, par rapport è l'identité d'un peuple, c'est évidemment une chose très importante, après la langue, le droit civil et les communications. Cette question de la politique sociale était vraiment un test parfait. Évidemment, il ne l'a pas obtenu et il a fini, lui aussi, par dire non aux propositions fédérales. Mais je dois dire, j'en ai encore le souvenir tout vivant, que l'alerte avait été très chaude. La tentative fédérale était d'une habileté consommée et le Québec n'a évité le traquenard que de justesse.

Mais ce qui me frappe, c'est qu'une fois encore, après la formule Fulton-Favreau de 1965, ce qui a fait échouer la charte de Victoria, c'est la question des pouvoirs. Depuis lors, vous le savez, il y a eu de nombreuses tentatives de régler les questions du mode d'amendement et du rapatriement. En définitive, après le référendum de 1980, le gouvernement Trudeau a décidé d'agir unilatéralement et de passer par-dessus les objections du Québec et ce fut le coup de force, assez voisin du coup d'état, du 5 novembre 1981 et le refus tout net du gouvernement du Québec de se rallier à cet accord constitutionnel. Cette fois, le piège n'était pas subtil et il se referma même brutalement sur le Québec.

Toute la stratégie fédérale depuis le réveil du Québec il y a un quart de siècle, depuis ce qu'on appelle la "Révolution tranquille" - pour nous faire plaisir parce qu'en fait, c'était plutôt, une période d'évolution agitée - a consisté à refuser de discuter la question des pouvoirs du Québec, bien sûr, ou de ceux des provinces et à garder le débat constitutionnel sur le terrain choisi par Ottawa. Une stratégie absolument impeccable, digne de tous les Kirby qu'on trouve à Ottawa: charte des droits individuels, rapatriement, et maintenant, les institutions fédérales, le Sénat, la Cour suprême, que sais-je encore?

Le Québec ayant refusé de se rallier au Canada Bill, la solution des stratèges fédéraux, devant les conditions désormais réduites que le gouvernement actuel a mises à son adhésion, consiste à lui donner, à nous donner quelques satisfactions d'amour-propre, des satisfactions verbales qui offrent une double caractéristique. La première, c'est qu'elles n'entament en rien les pouvoirs réels, ni les objectifs nationaux, qui sont même rappelés dans la formule, du Parlement fédéral. La deuxième caractéristique est qu'elle n'accorde aucun nouveau pouvoir réel au Québec et ne modifie pas d'un iota la répartition des compétences. Même l'entente Couture-Cullen, qui sera en quelque sorte constitutionnalisée, repose, on le sait, non pas sur une compétence exclusive, mais sur une compétence concurrente fédérale-provinciale. On a même prévu qu'Ottawa pourra se faire transférer les compétences exclusives par les provinces, celles qui se dissocient pouvant alors toucher une compensation raisonnable.

On laisse entendre qu'on pourra toujours discuter des pouvoirs, mais après, quand le Québec aura signé, c'est-à-dire qu'on causera de ce qui intéresse vraiment le Québec depuis 25 ans, si ce n'est 30 ans, puisque la Révolution tranquille remonte peut-être davantage au rapport Tremblay en réalité qu'à l'élection de 1960... Donc, ce qui intéresse vraiment le Québec, ce n'est évidemment pas la réforme du Sénat; ce sont toujours les pouvoirs. On aurait pu s'attendre, et je m'attendais franchement à ce que le gouvernement actuel fasse déjà inscrire à l'ordre du jour un certain nombre de choses pour le moins essentielles: la langue, les communications, l'environnement, les droits miniers sous-marins sur le plan économique, que sais-je encore? Mais non. Terre-Neuve seule a insisté pour qu'on parle des pêcheries, sans doute comme prix de son adhésion au projet d'accord. La question des pouvoirs a donc été une fois de plus passée sous le tapis, évacuée du débat.

Et l'on s'imagine, M. le Président, que le Québec, une fois qu'il sera rentré au bercail, solidement ficelé, emmailloté, "enfirouâpé", on s'imagine qu'il aura encore un pouvoir de négociation suffisant pour faire bouger le gouvernement fédéral. D'ailleurs, pour le cas où on aurait pu s'inquiéter d'une pareille éventualité au niveau fédéral, le premier ministre, M. Mulroney, et le sénateur Murray ont pris soin de rassurer le Canada anglais sur ce point qui, au fond, est le seul qui inquiète vraiment Toronto et Ottawa. Le Québec n'a obtenu au lac Meech, nous ont-ils dit, "aucun pouvoir qu'il n'ait déjà", pour le cas où quelqu'un s'imaginerait que la formule aurait pu comporter quelque avantage sur ce plan-là pour le Québec. Et le Procureur général de l'Ontario de renchérir. Il dit: L'accord constitutionnel "renforcera le pouvoir du gouvernement fédéral d'établir de nouveaux programmes sociaux", c'est-à-dire de continuer à légiférer dans les domaines qui sont de compétence exclusive des provinces, mais en s'appuyant désormais sur un texte constitutionnel, ce qu'il n'avait pu faire dans le passé, ce qui, par moments, était un peu gênant. Mais,

désormais, ce ne sera plus gênant; il pourra y aller tout de go.

Après ta massue de 1981, le gant de velours en 1987. Nous sommes de retour au piège subtil, après le piège à éléphants; des choses beaucoup plus subtiles, comme en 1965 et en 1971. Une fois de plus, les stratèges fédéraux ont bien fait leur travail, parce qu'il faut reconnaître qu'ils font bien leur travail et que nous devons tirer des leçons de la façon dont ils organisent leur stratégie et dont ils servent leur gouvernement.

Le projet constitutionnel n'est pas moins dangereux cette fois-ci pour, le Québec que la formule Fulton-Favreau, la charte de Victoria ou le Canada Bill dont, à vrai dire, il ne constitue qu'une sorte d'appendice. On peut même constater que la stratégie fédérale s'est raffinée et que le charabia enfariné de la formule Meech dissimule ses pièges avec une habileté consommée.

On a déjà montré ici même et à l'Assemblée que le projet d'entente sur le pouvoir fédéral de dépenser cache la reconnaissance de ce pouvoir et même constitutionnalise les "objectifs nationaux" du Parlement fédéral. Le premier ministre du Québec qui, semble-t-il, n'y avait vu que du feu au départ, nous a appris avant-hier qu'il travaillait maintenant à une technique juridique qui aurait pour effet de ne pas donner une assise constitutionnelle au pouvoir de dépenser. Fort bienl C'est un pas dans la bonne direction et je m'en réjouis, mais il y a bien d'autres pièges dans cette formule Meech, tout aussi machiavéliens et qui sont sortis du lac Meech.

Je ne m'attarderai ce matin, M. le Président, puisque c'est avec plaisir que je partage mon intervention avec mon collègue, Daniel Turp, que sur le "caractère distinct" du Québec, dont vient de nous entretenir avec beaucoup d'éloquence et de persuasion mon collègue, le professeur Dion. Ce caractère distinct du Québec fait l'objet de trois dispositions, comme on le sait, dans te projet d'accord. Je serais presque tenté, moi aussi, mais la décision du président n'a pas été rendue, de me servir du carton du ministre; mon exposé serait évidemment plus clair. On verrait les entourloupettes un peu plus clairement. Je vais cependant m'en passer parce qu'il faudrait perdre du temps à s'installer tout ça.

Je vais donc tenter de décrire, d'analyser les paragraphes a) et b) pour montrer ce qu'ils peuvent bien receler comme pièges. D'abord, avez-vous remarqué que les paragraphes a) et b) - je parle du caractère distinct du Québec, du premier alinéa, sous-paragraphe a et sous-paragraphe b; si vous les avez devant vous, vous pourrez me suivre plus facilement - ne sont pas sur le même pied? Évidemment, cela ne se voit pas à l'oeil nu car cela a été bien fait; c'est du travail fignolé.

Premièrement, la dualité angto-francophone est qualifiée de "caractéristique fondamentale" tandis qu'au oaraqraphe b), la société distincte, elle, ne t'est pas. Ceta aurait pu attirer l'attention d'un certain nombre de négociateurs ou de conseillers. Il semble que non. Pourtant, on ne peut pas faire autrement que d'observer cette différence. Elle saute aux yeux.

De surcroît, le Parlement et les Législatures provinciales ont l'obliqation elles prennent l'engagement, il s'agit donc d'une obligation et pas seulement de comportement, mais presque de résultat - de protéger la dualité tandis que - regardez bien les textes - la protection du caractère distinct du Québec doit se contenter, elle, d'être l'objet d'un rôle de l'Assemblée et du gouvernement. Chacun sait qu'un rôle, par définition, est facultatif.

Vous voyez: d'abord, un principe fondamental qui fait l'objet d'une obligation, le paragraphe a). Ensuite, au paragraphe b), un principe non fondamental qui, lui, peut faire l'objet d'un rôle facultatif.

La question qu'il faut se poser, c'est: Lequel de ces deux critères d'interprétation, dualité du paragraphe a) ou société distincte au paragraphe b), l'emportera en cas de conflit entre les droits de l'anglais et ceux de la langue majoritaire? Voitè la question.

Je vais prendre des exemples pour vous montrer qu'effectivement il peut y avoir des conflits entre le paragraphe a) et le paragraphe b). Entre "une caractéristique fondamentale", ces mots ne sont pas là par hasard, et d'autre part, une caractéristique qui demeure facultative, on peut deviner que les tribunaux auront vite fait leur choix. En d'autres termes, ce texte est piégé. Fort habilement, je ne le nie pas, mais il est piéqé. Il ne comporte pas les mêmes droits dans les paragraphes a et b ni tes mêmes protections, ni les mêmes garanties.

Allons plus loin. Continuons à gratter un peu ce texte qui est crucial puisqu'il s'agit des critères d'interprétation de la constitution. Comparons maintenant les garanties qui sont données dans ce texte aux anglophones du Québec et celles accordées aux francophones hors Québec. Les premiers sont - je prends le vocabulaire qui nous est donné dans la formule - "présents au Québec". Avez-vous remarqué cette affirmation? "sont présents au Québec", tandis que les seconds doivent se contenter de n'être "pas limités" au Québec. Ils ne sont pas "présents" ailleurs, ils sont simplement "pas limités" au Québec.

Pourquoi ce double langage? Les francophones du Canada seraient-ils simplement "absents" du Québec et les anglophones, eux, présents au Québec? En tout cas, c'est une lecture tout à fait légitime de ce que je viens de lire. À ceux qui diront que cette

différence de vocabulaire est sans importance et que le sens est le même, aussi bien pour les francophones hors Québec que pour les anglophones du Québec, je dis: Hé bien! alors, puisque c'est le même sens, inversons donc la proposition pour voir ce que cela donnerait et demandons aux gens d'Alliance Québec ce qu'ils en pensent.

Cela se lirait comme ceci: "la reconnaissance que l'existence d'un Canada anglophone, concentré mais non limité aux provinces anglophones, et celle d'un Canada francophone, concentré au Québec mais présent au Canada, constituent une caractéristique fondamentale de la Fédération canadienne." Personnellement, je ne sais trop pourquoi, mais je préfère ce texte. Je vous le proposerais. Tout à l'heure, mon collègue Dion a eu le soin de vous faire une proposition écrite. Je n'ose pas - connaissant un peu les règles de cette Assemblée pour diverses raisons - en faire une proposition formelle. M. le Président, si quelqu'un m'invitait, comme on l'a fait tout à l'heure envers le professeur Dion à faire une proposition formelle, je ferais celle-là. Elle est facile à reconstituer, d'ailleurs: vous prenez le paragraphe a) et vous renversez la proposition. Vous appliquez au Canada anglais ce qu'on applique aux minorités francophones et vice versa. Ça donne ce texte. Je ne suis pas sûr qu'Alliance Québec l'accepterait. Mais, c'est peut-être un détail puisqu'après tout on a jugé que les francophones hors Québec, eux, pourraient s'en satisfaire.

Voilà ce que ça donne lorsqu'on scrute un peu les textes. Et si les anglophones du Québec exprimaient des réserves - je pense même qu'ils pourraient protester avec véhémence si on procédait à cette petite entourloupette - eh bien! nous pourrions en tirer la conclusion que les francophones hors Québec ne sont pas très bien protégés par ce paragraphe a) et qu'ils sont presque évanescents, presque absents. Tandis que les anglophones du Québec eux sont "présents" constitutionnellement au Québec. (12 h 30)

II est vrai que les francophones hors Québec n'ont pas les mêmes moyens de défense que notre sympathique minorité.

On voit donc qu'il y a là un piège additionnel qui prend la forme du traditionnel "deux poids deux mesures" qui a toujours été, d'ailleurs, est-il besoin de le rappeler, le principal critère d'interprétation constitutionnelle au Canada en matière de droit des francophones. Puisqu'on parle de critères d'interprétation, en voilà un qui est historique: Deux poids deux mesures.

Soutiendra-t-on... J'en ai encore pour quelques minutes seulement, M. le Président.

Le Président (M. Marcil): M. Morin, on a dépassé le temps, vous permettez que... Pas de problème? Il y a consentement.

Cela va.

M. Morin: Très bien, merci.

Soutiendra-t-on que ce ne sont là que des nuances sans importance et sans conséquences pour les droits linguistiques au Québec? Je vais tenter de démontrer le contraire. Prenons l'exemple des dispositions de la Charte de la langue française qui veulent que les enfants des immigrants anglophones aillent à l'école française. Vous savez qu'à l'heure actuelle l'article 23, paragraphe 1, sous-paragraphe a de la Charte canadienne, qui ouvrirait les portes de l'école anglaise aux anglophones qui deviennent citoyens, n'est pas en vigueur parce qu'en vertu de l'article 59 de la charte canadienne cela est sujet au consentement du Québec, Dieu mercil Je félicite le gouvernement de ne pas avoir donné son consentement. Ce serait la fin de tout. Il est là, cet article 23, comme une sorte d'épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.

Figurez-vous qu'avec le lac Meech on n'aura peut-être même pas besoin de l'article 23, paragraphe 1, sous-paragraphe a. Il ne sera même plus nécessaire que le Québec y consente pour que ces enfants anglophones aient accès à l'école anglaise une fois la formule Meech en vigueur. En effet, si on applique à la Charte de la langue française les critères d'interprétation du projet qui fait l'objet de nos débats, c'est-à-dire, premièrement, la "caractéristique fondamentale" que constitue la présence anglophone au Québec et, deuxièmement, la caractéristique non fondamentale de la société distincte, il ne me paraît pas douteux que c'est la présence anglophone qui l'emporte puisqu'elle est fondamentale et que de surcroît, le gouvernement et le Parlement du Québec ont l'obligation de protéger cette caractéristique fondamentale. Quelle est la meilleure façon -quelle est l'une des façons, ce n'est peut-être pas la meilleure - de protéger cette caractéristique fondamentale de la présence anglophone au Québec? C'est évidemment de permettre aux enfants anglophones, venus de l'extérieur, d'aller à l'école anglaise. C'est une revendication qui n'a de cesse de la part de tous les organismes représentatifs des milieux scolaires anglophones, de Montréal, en tout cas.

On peut donc s'attendre que, dès le lendemain de l'adoption de la formule Meech, des avocats montréalais se présentent devant les tribunaux pour demander là-dessus un jugement déclaratoire. Ils plaideront - parce qu'ils connaissent le sens des mots, croyez-moi, ils ont déjà réussi à démolir une bonne moitié de la Charte de la langue française -que le caractère fondamental de ta présence anglophone au Québec exige que la Charte de la langue française soit interprétée de manière à admettre à l'école anglaise tous les enfants dont "la première langue apprise

et encore parlée est l'anglais". C'est la définition de la langue maternelle qu'on trouve à l'article 23. Et nous serons de retour aux tests linguistiques de si joyeuse mémoire, d'avant 1977.

Si l'on doute de ce scénario qui, j'admets, est hypothétique, mais qui me paraît tout à fait possible, on pourra lire le texte de l'allocution du président d'Alliance Québec devant un comité du Sénat et des Communes, le 4 février 1986. Il est dit en toutes lettres que le caractère distinctif de la société québécoise ne peut se comprendre qu'à la lumière de la dualité linguistique canadienne. En d'autres termes, nous retrouvons là le raisonnement qui veut que le principe fondamental soit celui de la dualité, donc, de la présence anglophone au Québec, tel que c'est défini dans la formule Meech.

Celui-ci, ajoute M. Goldbloom, c'est-à-dire le Canada anglais présent au Québec "est le point de mire de la dualité linguistique canadienne", comme si les minorités françaises ne l'étaient, pas. Il est vrai qu'elles sont évanescentes dans le projet Meech. Et, ajoute-t-il, "c'est dans cette perspective que le caractère distinct du Québec doit être compris." Je pense que vous avez saisi que cela signifie que le caractère distinct du Québec, du paragraphe b), est soumis et doit être interprété à la lumière du paragraphe a) qui, lui, affirme et garantit la présence anglaise au Québec.

À la lecture de ce document, on peut se demander si ce texte d'Alliance Québec n'a pas servi de modèle à la formule Meech. De toute façon - et je termine, M. le Président - quelle que soit l'origine des textes qui nous sont proposés, nous sommes devant un autre piège. Après la formule Fulton-Favreau et la charte de Victoria auxquelles nous avons su dire non, fût-ce in extremis, voici encore une formule truquée, où les mots sont calculés pour créer une impression, pour donner l'impression que le caractère français du Québec sera garanti alors que leur sens réel, quand on les regarde de près, tend à protéger avant tout la présence anglaise au Québec. Évidemment, je n'ai rien contre l'idée d'assurer la protection de la présence anglaise au Québec. Comme l'a dit tout à l'heure Léon Dion avec qui je partage tout à fait cette idée, il ne faudrait pas que le Québec ignore cette présence anglaise. Mais ce n'est tout de même pas ce que les Québécois attendent de la réforme de la constitution.

M. le Président, le gouvernement du Québec doit faire preuve de plus d'attention dans sa lecture des textes qui peuvent hypothéquer très gravement notre avenir en tant que peuple. M. Bourassa devra trouver le courage nécessaire pour dire non, une fois de plus, déjouer les pièges qu'on lui tend et faire de nouvelles propositions comportant de véritables garanties pour le caractère français du Québec. Autrement, ce n'est pas de société distincte qu'il faudra parler, mais d'une société encore plus encarcanée qu'elle ne l'est. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. Morin. Nous allons laisser, avec consentement des deux partis, 10 minutes à M. Turp pour faire sa partie de l'exposé.

M. Turp (Daniel): Merci, M. le Président.

Le Président (M. Marcil): Oui, une seconde.

M. Rémillard: Je comprends donc que M. Turp va nous adresser la parole pendant 20 minutes, c'est cela?

Le Président (M. Marcil): Pendant 10 minutes.

M. Rémillard: Pendant 10 minutes.

M. Johnson (Anjou): Au total, cela fait environ 40 minutes comme dans le cas de M. Dion.

M. Rémillard: En fait, vous faites témoigner deux experts ce matin...

M. Johnson (Anjou): Oui, à l'intérieur d'un même bloc...

M. Rémillard: ...et je voulais qu'on puisse entendre les deux.

M. Johnson (Anjou): ...mais le bloc s'est étendu à 40 minutes ce matin. Si cela avait été 30, les experts auraient procédé à 30. Merci.

M. Rémillard: C'est la dualité du maître et de son assistant et c'est avec plaisir qu'on va entendre M. Turp.

Le Président (M. Marcil): Allez.

M. Turp: Merci, M. le Président. Merci, M. le ministre. En effet, je considère M. Morin, à bien des éqards, comme mon maître. Je remercie donc la commission d'avoir bien voulu m'inviter à témoigner devant elle et à jeter un regard d'internationaliste sur l'entente de principe du lac Meech.

Il faut savoir gré à l'actuel gouvernement du Québec d'avoir su convaincre ses partenaires de la Fédération canadienne de consacrer le caractère distinct du Québec dans la constitution du Canada et d'avoir ainsi réussi à faire reconnaître le droit à l'autodétermination du Québec.

Cette disposition sur le caractère distinct aura une influence certaine sur

l'exercice continu du droit du Québec à disposer de lui-même et lui permettra d'asseoir sur des bases plus certaines encore ce droit collectif fondamental puisque sa source ne sera plus seulement dans les instruments internationaux consacrant ce droit, tels la Charte des Nations Unies et les pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme, mais aussi dans la constitution du Canada.

Si ces remarques s'imposent - et comme le professeur Dumont, je me félicite de ces gains - je me dois de signaler quelques problèmes qui résultent du choix de la terminologie et des divergences dans les versions anglaise et française de l'entente de principe.

Je voudrais aussi manifester une inquiétude certaine relativement à l'encadrement du droit fondamental du Québec par le pouvoir judiciaire canadien et à l'incertitude qui règne sur la portée exacte du rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec dans la protection et la promotion de l'identité distincte du peuple québécois.

Les paragraphes (l)a) et (3) de la disposition relative au caractère distinct cristallisent le droit du Québec à disposer de lui-même et paraissent lui donner notamment, au sein de la Fédération canadienne, la marge de manoeuvre nécessaire à une libre détermination de son statut politique, économique, social et culturel. Toutefois, en préférant l'expression "société distincte" à celle de "peuple", le législateur constituant s'éloignera de la terminologie usitée en la matière et pourrait affaiblir la portée juridique d'un texte pourtant très prometteur pour l'avenir du Québec. De plus, l'Assemblée nationale rompra avec une tradition terminologique dont elle a été elle-même à l'origine et qu'elle devrait, à mon avis, maintenir.

Ainsi, l'analyse de la terminologie des lois québécoises à caractère constitutionnel ou quasi constitutionnel, qu'il s'agisse de la Charte de la langue française, de la Loi sur la consultation populaire ainsi que de la Loi sur l'Assemblée nationale, qui régit votre Assemblée, ont systématiquement identifié les personnes résidant sur le territoire du Québec comme formant et appartenant à un peuple. Bien que l'adjonction du qualificatif "distincte" au mot "société" puisse être interprétée comme créant une équivalence des expressions, il me semblerait plus opportun, à la lumière des définitions retenues par les sociologues, de privilégier l'emploi du mot "peuple".

Ainsi, comme le rappelait récemment notre collègue André Patry, les groupements qui naissent de façon artificielle et dont les membres s'associent pour la défense d'intérêts particuliers moyennant l'observance de règles communément acceptées ont été qualifiés de "sociétés", alors que les communautés ou les peuples constituent des groupements qui naissent naturellement et dont les membres convergent aussi naturellement vers des fins communes.

Dès lors, les expressions "société" et "peuple" véhiculent des conceptions assez antinomiques du Québec. Il ne faudrait pas que le choix de la première expression soit perçu sociologiquement comme un changement décisif d'attitude du Québec par rapport à lui-même, d'autant qu'il serait enchâssé dans une loi constitutionnelle qui reconnaît, quant à elle, la qualité de peuple aux autochtones que sont les Indiens, les Inuit et les métis.

Ainsi, dans la Loi constitutionnelle de 1982, celle-là même à laquelle le Québec veut désormais adhérer, le constituant n'a pas manifesté une trop grande hésitation à employer l'expression "peuple autochtone" qu'il a retenue aux articles 25 et 35 de la loi et sur lesquels les peuples autochtones font notamment aujourd'hui reposer leur droit à l'autodétermination.

Le gouvernement du Québec ne craint-il pas dès lors que l'utilisation du terme "société distincte" plutôt que "peuple" puisse inférioriser son statut dans la Fédération canadienne et entraîner des interprétations constitutionnelles qui n'aillent pas dans le sens de l'autonomie accrue qu'il recherche?

Je m'en voudrais de ne pas proposer, à mon tour, une formulation qui éviterait les écueils énoncés ci-dessus, qui modifierait le libellé de l'entente de principe et permettrait en outre d'uniformiser la terminologie utilisée dans la version anglaise et de corriger les divergences entre les versions française et anglaise de l'entente.

Ainsi, je vous proposerais que l'alinéa b) du paragraphe (1) se lise comme suit: "la reconnaissance que le Québec, peuple majoritairement francophone, possède au sein de la fédération canadienne une identité distincte." Corollairement, le paragraphe (3) pourrait se lire ainsi: "L'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir l'identité distincte du Québec mentionnée au paragraphe (l)b)."

Le libellé que je vous propose élimine la référence à la notion de société, qu'il s'agisse de la notion de "société distincte" prévue à l'alinéa b) du paragraphe (1) ou de "société québécoise" - et on remarque déjà qu'il y a une différence entre la qualification que l'on retrouve dans deux paragraphes de la même disposition - et lui substitue l'expression "peuple", qui est plus conforme, à mon avis, aux usages internationaux et à ceux de la présente Assemblée.

Je vous suggère également, à l'instar de mes collègues Fernand Dumont et Léon Dion, de fonder l'identité distincte sur le critère le plus évident de cette distinction, celui de la langue, en accompagnant ici le terme "peuple" de la locution "majoritaire-

ment francophone", une terminologie acceptée et acceptable puisqu'elle est déjà présente dans le préambule de la Charte de la langue française. Cette formulation a l'avantage de la brièveté et de la simplicité. Elle pourrait contribuer à l'établissement des garanties de protection de la langue française que le texte actuel de l'entente, selon le professeur Beaudoin lui-même, n'assure pas de façon certaine. (12 h 45)

La référence au peuple dans la future loi constitutionnelle de 1987 ainsi que dans les lois constitutionnelles et quasi constitutionnelles québécoises contribuerait ainsi à mieux cristalliser le droit à l'autodétermination du Québec, comme le ferait également l'utilisation de l'expression "identité distincte" qui apparaît, comme je vous l'ai dit, dans la version anglaise du paragraphe (3) de l'entente.

Des objections, donc, à cette dernière formulation se justifieraient mal, puisqu'elle a déjà fait l'objet de l'entente de principe et contribuerait à une harmonisation à deux niveaux du texte constitutionnel.

Vous remarquerez que je vous propose aussi de remplacer dans le même alinéa b) du paragraphe (1) le mot "Canada" par l'expression "Fédération canadienne", aux fins d'uniformiser encore la terminologie utilisée dans les alinéas a et b puisqu'on utilise pour désigner la même chose deux expressions différentes. On parle de Fédération canadienne dans un cas et du Canada dans l'autre.

Cette proposition permet aussi de révéler une autre divergence dans les versions anglaise et française de l'entente, puisque dans la version anglaise du paragraphe (1), alinéa a), il n'y a aucune référence à la Fédération canadienne et il y a plutôt l'emploi, dans le cas de ces deux paragraphes, du mot "Canada". Il faudrait donc, à mon avis, dans la version anglaise parler aussi de la Fédération canadienne.

Ces changements sont d'ordre sémantique, j'en conviens, mais ont de toute évidence une portée substantive en regard du processus d'interprétation auquel sera assujettie la clause interprétative de la constitution du Canada.

L'intérêt de la clause concernant le caractère distinct, comme l'a fait remarquer le ministre Rémillard lors de son exposé introductif, est qu'elle s'applique à la constitution du Canada dans son ensemble et donc aux lois constitutionnelles de 1867 à 1982. En cela, elle a une portée nettement plus grande que l'article 27 de la Charte canadienne des droits et libertés, dont le libellé paraît avoir beaucoup influencé les rédacteurs de l'entente du lac Meech, qui constitue lui-même une clause interprétative destinée à la promotion, au maintien et à la valorisation du patrimoine culturel des

Canadiens.

Mais ces clauses interprétatives, le ministre en conviendra avec moi, peuvent être d'une portée incertaine, voire même très limitée. Vous écriviez, M. le ministre, en 1984, que l'article 27 de la charte canadienne sur le multiculturalisme demeurait une règle d'interprétation vague, voire même ambiguë, et ajoutiez que son application possible demeure plus au niveau général qu'à celui de l'application concrète.

S'il est vrai, comme vous le souligniez déjà à cette époque, que l'utilisation de l'article 27 a pu donner lieu à certaines applications intéressantes, il demeure qu'il n'a pas été aujourd'hui ou jusqu'à ce jour d'une grande utilité et qu'il n'a véritablement pas changé l'ordre des choses établi au Canada.

Ne serait-il pas exact de penser que le paragraphe (1) de la disposition relative à l'identité distincte souffre des mêmes défauts, que sa présence éventuelle dans la constitution du Canada ne modifiera en rien l'application concrète des lois constitutionnelles de 1867 à 1982 et que son influence sur l'interprétation des dispositions relatives au partage des compétences sera minimale.

Ce qui me paraît davantage inquiétant, à vrai dire, c'est que cette clause interprétative est essentiellement un instrument destiné aux juges qui se verront conférer un rôle aussi, sinon plus, important que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec dans la protection et la promotion de l'identité distincte du Québec.

Cette inquiétude résulte du fait que les interprètes ultimes de cette disposition seront bien évidemment les juges de la Cour suprême du Canada dont on connaît bien sûr le processus de nomination et dont on peut prédire qu'ils hésiteront à donner des effets trop importants à cette reconnaissance. Cette hésitation pourrait d'ailleurs s'appuyer sur le texte de la disposition consacrant la dualité canadienne qui contribuera vraisemblablement à relativiser l'influence de l'identité distincte du Québec.

Cette retenue judiciaire pourrait également se fonder sur le texte du paragraphe (2) de la clause en vertu de laquelle le Parlement et les Législatures des provinces, y compris bien entendu celle du Québec, prennent l'engagement de protéger la dualité canadienne. Le langage de ce paragraphe (2), qui emprunte au libellé de l'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 - et on voit là les influences qu'ont voulu rechercher les rédacteurs - permettrait également aux tribunaux canadiens de donner une interprétation très large à la notion de dualité canadienne. L'incertitude qui règne...

Le Président (M. Marcil): II vous reste 30 secondes.

M. Turp: D'accord. L'incertitude qui règne potentiellement quant à la portée exacte de la reconnaissance de l'identité distincte du Québec en raison de l'encadrement judiciaire auquel il sera assujeti devrait vous amener à réfléchir à des solutions pour assurer que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec soit responsable de la mise en oeuvre de son droit à l'autodétermination et qu'il détienne le rôle premier et non pas un rôle subalterne de protection et de promotion de l'identité distincte du Québec. Et d'accord avec mon collègue, M. le professeur Morin, je suis d'avis que seul un octroi additionnel de compétences permettrait de corriger ce déséquilibre fondamental entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir politique québécois consacré dans l'entente du lac Meech.

Je vous propose - le texte pourra circuler - que deux titres de compétence devraient être ajoutés. Au paragraphe (3), il devrait y avoir clairement une attribution de compétence en matière linguistique et sans doute serait-il intéressant - et le gouvernement semble nous suggérer que l'article 3 de ces dispositions le permet - de voir attribuer et de voir reconnaître au Québec des compétences claires en matière de relations internationales avec la francophonie. Merci» M. le Président.

Le Président (M. Marcil): On vous remercie beaucoup, M. Turp.

Juste avant de procéder à la période de questions, j'aimerais informer les deux partis qu'il leur reste 24 minutes, pour chacune des formations. D'autre part, je vous informe également qu'à 13 heures nous allons suspendre les travaux pour reprendre à 15 h 30 à cause de la période de questions à 14 heures.

M. Rochefort: M. le Président, je suis très surpris de ce que vous venez de dire. Dans un premier temps, je vous rappelle qu'hier nous n'avons pas ajourné aux heures habituelles prévues à notre règlement vu, justement, l'entente qui est intervenue. Je me rappelle que le ministre était même présent à ce moment-là. On s'était entendu qu'il faudrait terminer pour chaque expert l'ensemble des interventions au cours de la journée où cela est prévu. M. le Président, déjà l'horaire qui nous a été fixé pour aujourd'hui fait qu'on devra déborder à 18 heures et qu'on risque de déborder à 22 heures. Je pense qu'il est normal qu'on complète, comme cela a été le cas pour tous les témoins qui se sont présentés devant nous jusqu'à maintenant, les questions aux différents témoins qui se présentent devant nous à l'occasion de la même séance que celle au cours de laquelle ils ont fait leur présentation introductive.

M. Lefebvre: M. le Président...

Le Président (M. Marcil): Oui, M. le leader du gouvernement.

M. Lefebvre: II y a évidemment une distinction fondamentale entre ce qui s'est passé hier et aujourd'hui. II y a la période de questions, à 14 heures, cet après-midi, il reste tout près de 50 minutes à compléter avec nos invités, ce qui voudrait d're, M. le Président, que, si on continue nos travaux, on terminerait à moins vingt ou à peu près. Alors, vous avez suggéré, M. le Président, de reprendre nos travaux. Ce qui a été convenu, c'est que nos invités seraient entendus dans la même journée. On reprendra immédiatement après la période de questions avec MM. Morin et Turp. C'est la suggestion que vous faites et avec laquelle nous sommes parfaitement d'accord, M. le Président. Il faut quand même comprendre qu'il y a une période de questions qui reprend à 14 heures pour tous les parlementaires qui sont ici. Je suggère que nous suspendions immédiatement jusqu'à 15 h 30 ou à peu près.

M, Rochefort: M. le Président...

Le Président (M. Marcil): Oui, M. le député de Gouin.

M. Rochefort: ...je veux indiquer que quant à nous, il y a consentement pour qu'on procède aux échanges avec les deux témoins qui sont présents devant nous comme cela a été le cas pour tous les autres témoins sans exception qui se sont présentés devant nous jusqu'à maintenant. Pour nous, M. le Président, cela ne cause aucun problème qu'on ne prenne qu'une quinzaine de minutes pour manger avant d'aller à la période de questions. Je suis extrêmement déçu de cette attitude où on renie une entente qui est intervenue entre les formations politiques et où on refuse à des témoins l'occasion d'être questionnés par les membres de la commission, des deux côtés, à l'intérieur de la même séance que celle au cours de laquelle ils ont fait leur présentation.

Quant à nous, M. le Président, nous vous donnons tous les consentements nécessaires comme nous l'avons fait hier pour d'autres témoins. Comme pour les témoins que le ministre avait personnellement invités, nous sommes prêts à vous donner tous les consentements pour procéder. S'il n'y a pas consentement de la part des membres de la majorité, M. le Président, nous verrons qu'encore une fois ils ont une attitude qui est bien la leur dans ce type de fonctionnement.

M. Lefebvre: M. le Président, je m'excuse.

Le Président (M. Marcil): Oui, je vais reconnaître...

M. Lefebvre: Je m'excuse, M. le Président.

Le Président (M. Marcil): ...le leader adjoint.

M. Lefebvre: Je comprends très mal l'attitude et les commentaires du député de Gouin. Tout ce qu'on veut, M. le Président, c'est de pouvoir interroger parce qu'on en est rendu à la période des interrogatoires de nos deux témoins. On veut faire cela dans le calme avec tout le temps dont nous disposons, d'un côté comme de l'autre. Je ne voudrais pas que, de notre côté, on se sente précipité dans notre façon de faire. C'est pour cette raison que, compte tenu du fait qu'il reste 50 minutes, soit 24 minutes de chaque côté, je suggère qu'on reprenne nos travaux à 15 h 30. J'ajouterai que M. le ministre Rémillard doit recevoir, d'ici 14 heures, le premier ministre de l'Île-du-Prince-Édouard, ce qui est un argument dont il faudra tenir compte, je pense.

Le Président (M. Marcil): Cela va.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, si vous me permettez, brièvement là-dessus. Vous savez que j'interviens rarement dans ces questions de procédure. Je dirai que, ce matin, il y a eu un retard au début. Au lieu de trois minutes, on en a pris presque dix parce que le ministre était occupé à donner des entrevues, ce qu'on respecte. Le ministre a été appelé, pendant dix minutes, à donner des entrevues aux journalistes, mais on respecte cela. Cela dit, je vous ferai remarquer, M. le Président, que parmi vos invités il y a notamment le professeur Jacques-Yvan Morin qui est venu d'Europe spécialement pour ce témoignage et qui devra quitter en fin de journée et, deuxièmement, l'expert que nous devons faire venir en fin d'après-midi, Mme Lajoie. Au moment où j'ai dit à Mme Lajoie qu'elle viendrait témoigner, je lui ai dit que, selon l'horaire prévu par la commission et par l'entente, elle pouvait être libérée à 18 heures. De toute évidence, vous êtes en train de repousser tous les témoignages et les horaires de nos experts, encore une fois parce qu'on a perdu dix minutes ce matin, à l'ouverture, et dix minutes au moment où le ministre donnait des entrevues. Je suis prêt à régler cela pour vous et à dire: Très bien, voulez-vous qu'on finisse à 13 h 40? On va se répartir également le temps qu'il reste d'ici 13 h 40. Je pense que vous ne pourriez pas vous en plaindre et cela permettrait de respecter la parole donnée.

M. Rémillard: M. le Président.

Le Président (M. Marcil): Le dernier intervenant, M. le ministre.

M. Rémillard: Je dois dire tout d'abord que je n'ai pas retardé la commission de dix minutes, mais, simplement, je suis arrivé ici quand c'était prêt. En ce qui regarde le professeur Morin qui est ici, je dois dire que je le vois depuis les premières minutes des travaux de cette commission comme conseiller de l'Opposition. Maintenant, le professeur Morin est devant nous et nous en sommes très heureux, et, tout à l'heure, nous allons lui poser des questions. Mais je vois le professeur Morin depuis le début des travaux de cette commission, derrière vous, ici, comme conseiller. Maintenant, vous le faites témoigner. Très bien, cela nous fait plaisir de le recevoir comme témoin. Il a été ministre de votre gouvernement, il peut témoigner sur bien des aspects. Cela va me faire plaisir de l'interroger tout à l'heure, mais ne nous dites pas qu'il manque de temps. Depuis le début, il est avec vous comme conseiller; il est un de vos conseillers. Tout simplement, ce qu'on demande, c'est: Donnons-nous donc la chance de pouvoir dialoguer calmement avec le professeur Morin. Je pense qu'il mérite cet égard ainsi que le professeur Turp, son élève, qui nous a démontré des choses intéressantes tout à l'heure. Pourquoi ne pourrait-on pas s'asseoir après le déjeûner? Cela me permettrait d'aller recevoir M. Joe Ghiz, qui est le premier ministre de l'Île-du-Prince-Édouard, et de revenir et interroger tout simplement...

Le Président (M. Marcil): S'il vous plaît, M. le chef de l'Opposition, compte tenu du fait que l'entente disait en particulier de ne pas reporter à une autre journée le témoignage d'une personne invitée à cette commission, je me verrai dans l'obligation de vous demander, à 13 heures pile, le consentement pour poursuivre nos travaux.

M. Rochefort: J'ai une seule remarque à faire, M. le Président. Hier, à deux reprises, cette situation s'est présentée et personne n'a soulevé la nécessité du consentement alors que nous aurions pu être dans une position pour le faire. Nous n'avons pas eu cette attitude mesquine que nous remarquons de la part du ministre.

Le Président (M. Marcil): S'il vous plaît!

M. Lefebvre: Vous venez de faire référence à l'entente intervenue entre les partis qui tient essentiellement au fait que les témoins devront être entendus au cours de la séance d'une même journée. C'est exactement ce qu'on fait. Cela semble

troubler l'Opposition qu'on veuille le faire dans le calme.

Le Président (M. Marcil): En conclusion, je suspends les travaux jusqu'à 15 h 30. Merci.

(Suspension de la séance à 13 heures)

(Reprise à 15 h 34)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission des institutions poursuit ses travaux. Nous connaissons déjà notre mandat. Nos invités, MM. Jacques-Yvan Morin et Daniel Turp, professeurs en droit international à l'Université de Montréal, sont avec nous. Leur exposé est terminé. Nous en sommes maintenant à la période d'échanges avec les membres de cette commission.

Je vous signale de part et d'autre qu'il reste un total de 48 minutes, donc 24 minutes pour chacun des deux groupes. Je laisse la parole à M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou); M. Morin, Me Turp, merci, d'abord, de vos exposés où transparaissaient, dans le cas de M. Morin, de toute évidence, sa longue carrière de spécialiste dans les questions internationales et constitutionnelles qui lui a valu, comme on le sait, d'être en ce moment professeur invité en Europe et sa contribution considérable aussi sur le plan des écrits quant aux questions internationales et constitutionnelles.

Me Turp, malgré le fait qu'il ait été un élève, un jour, de Me Morin, n'en est pas moins, malgré son jeune âge, déjà un spécialiste du droit international, ce qui lui a valu des publications importantes et des participations à de nombreux forums internationaux.

Ma première question s'adressera à M. Morin. Elle portera sur le pouvoir de dépenser. Vous avez dans votre exposé, professeur Morin, évoqué, d'une part, que les 25 dernières années de tension avec le gouvernement fédéral, ou peut-être même à l'époque du rapport Tremblay dans les années cinquante qui, on s'en souvient, faisait suite au rapport Rowell-Sirois au palier fédéral, que presque les 30 dernières années ont été caractérisées par le fait qu'au centre de tout cela il y avait toujours la question des pouvoirs du Québec et que, dans chaque négociation constitutionnelle, à toutes fins utiles, on avait réussi à éviter la question des pouvoirs. Chaque fois que le Québec voulait s'approcher de plus grands pouvoirs dans la maîtrise de sa destinée ou dans une façon de façonner l'avenir de notre peuple ou de donner des caractéristiques à la société distincte, le gouvernement fédéral s'organisait toujours pour refuser.

Il a enclenché, en 1964, en 1971, en 1982 et maintenant au lac Meech, un contexte où, à toutes fins utiles, il est question de tout sauf des pouvoirs, les pouvoirs signifiant pour le Québec, par exemple, d'avoir la pleine maîtrise dans ses politiques de main-d'oeuvre, dans le secteur de l'environnement, dans le secteur linguistique ou à l'égard de l'évolution de son propre droit civil par une protection qui lui serait assurée contre la charte canadienne qui, à toutes fins utiles, influencera assez profondément notre droit civil.

Vous avez évoqué la question de la société distincte de façon très claire, mais vous avez aussi glissé bien rapidement - je voudrais vous permettre d'en parler quelque peu - sur la question du pouvoir de dépenser qui, on le sait, est ce moyen qu'a l'État fédéral d'intervenir dans les juridictions qui restent au Québec. Le Québec n'ayant pas réussi à conquérir depuis 25 ans et surtout pas au lac Meech quelque pouvoir additionnel que ce soit, le pouvoir de dépenser du fédéral est un moyen additionnel pour le fédéral d'exercer son emprise sur la réalité qui est la nôtre dans des domaines qui sont de notre juridiction.

J'aimerais peut-être vous entendre quelques minutes là-dessus.

M. Morin: Volontiers, M. le Président. Le pouvoir de dépenser, c'est un pouvoir passe-partout, c'est-à-dire qu'il permet au gouvernement fédéral, bien que ce pouvoir ne soit pas mentionné dans la constitution, de dépenser des deniers publics dans les domaines qui relèvent de sa compétence, mais aussi dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence, voire même les domaines qui, selon l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, le "British North America Act", relèvent spécifiquement de la compétence exclusive des provinces. Donc, un pouvoir passe-partout qui permet, en quelque sorte, de tourner la répartition des compétences, de la contourner.

Le gouvernement espère, par le texte qui nous est soumis, parvenir à obtenir, pour la première fois, dit-il, la limitation de ce pouvoir passe-partout. En réalité, je crains bien que ce qu'il a obtenu - peut-être sans le vouloir, je ne sais pas, je ne veux pas prêter d'intention au gouvernement; sûrement qu'il n'a pas intérêt à abandonner ses compétences, mais le résultat est là - c'est la consécration du pouvoir fédéral de dépenser et, de surcroît, d'établir des objectifs nationaux dans les domaines de la compétence exclusive des provinces.

Si vous voulez, c'est un pouvoir qui permet de subvertir la structure constitutionnelle, de la contourner, de faire comme si elle n'existait pas. Depuis les années trente, les fédéraux ont agi de la sorte dans plusieurs domaines qui relèvent

des provinces, par exemple, dans le domaine social. On se souvient des fameux plans conjoints sur les hôpitaux où on pouvait obtenir des subventions à condition de payer autant que le montant donné par le gouvernement fédéral, mais à la condition aussi qu'on construise des hôpitaux avec des chambres de tant de pieds sur tant de pieds, des fenêtres de telle grandeur, des ascenseurs de telle grandeur et tant d'escaliers. Une série de conditions nationales étaient imposées. Si on ne les respectait pas, on n'avait pas le droit de toucher l'argent.

Les provinces qui avaient besoin d'argent finissaient par s'aligner sur ces programmes conjoints avec le résultat que -c'est le reproche principal qu'on a fait au pouvoir de dépenser - les provinces voyaient leurs priorités administratives, leurs priorités financières et même leurs priorités législatives dictées par les politiques fédérales. C'est cela qu'on reproche au pouvoir de dépenser: c'est que cela dicte aux provinces dans des domaines qui leur sont exclusifs, en fait, des politiques fédérales.

Évidemment, l'argent parle toujours fort et c'est l'argent qui fait que les provinces, surtout les plus défavorisées... ll faut bien comprendre que plusieurs provinces anglo-canadiennes ne sont pas très riches; alors, pour elles, c'est une manne qu'elle ne peuvent pas refuser. Le Québec, lui, a commencé à refuser. Depuis l'époque de Maurice Duplessis et de Jean Lesage, là-dessus, il y a une certaine tradition québécoise.

Le texte que nous avons devant nous, je dois le dire - d'ailleurs, je ne suis pas le premier à le dire, les journaux en ont été pleins depuis quelques jours et on entendra sans doute tout à l'heure une experte dans ce domaine qui est Mme Andrée Lajoie, le professeur Andrée Lajoie - est sans doute moins habile que ceux dont j'ai parlé ce matin dans le domaine du caractère distinct du Québec où vraiment là on a affaire à des textes qui sont des oeuvres d'orfèvrerie et qui sont des pièges très bien dissimulés. Là, c'est plus apparent. On nous dit, dans cet article, n'est-ce pas, que "le Canada doit accorder une juste compensation à toute province qui ne participe pas à un nouveau programme", mais attention, si cette province met en oeuvre de son propre chef une initiative ou un programme compatible avec les objectifs fédéraux. Ce qui signifie, d'abord, que cela ne s'applique pas aux programmes existants, ce qui comporte déjà pas mal d'intrusions dans les domaines des provinces, notamment dans le domaine hospitalier et même quant à certains aspects des langues. Il y a toutes sortes de programmes conjoints.

Désormais, le pouvoir fédéral de dépenser va donc être reconnu indirectement, mais de façon très claire dans cet article. Si une province se retire, elle va toucher les deniers, mais, attention, à la condition de continuer à se faire dicter les objectifs nationaux. Autrement dit, le principal reproche qu'on a fait au pouvoir de dépenser, il est maintenant constitutionnalisé. C'est un peu ahurissant. D'ailleurs, je pense que le gouvernement - soyons de bonne querre -commence à s'en rendre compte. J'ai entendu M. Bourassa dire avant-hier qu'ils allaient essayer de trouver une formule pour faire en sorte que ce ne soit pas un moyen d'envahir systématiquement les compétences provinciales. Cependant, je leur souhaite bonne chance. La seule façon, à mon avis, de lever cette difficulté, c'est d'enlever le bout de phrase qui dit: "si cette province met en oeuvre" etc., jusqu'à "objectifs nationaux". Si on fait disparaître ce bout de phrase là, alors, oui, là il y aura une récupération intéressante. Mais sans cela, c'est de la poudre aux yeux. Non seulement c'est de la poudre aux yeux, mais c'est dangereux parce que cela consacre encore une fois une intrusion dans les domaines de compétence provinciale.

M. Johnson (Anjou): Merci, professeur Morin. Je reviendrai plus tard. Je veux laisser à mon collègue...

Le Président (M. Filion): M. le ministre délégué aux Affaires intergouvemementales canadiennes.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. Merci, M. Morin, d'accepter de passer du siège de conseiller de l'Opposition à celui d'expert. Je pense que nous sommes heureux de pouvoir profiter, nous aussi...

M. Morin: Vous êtes le bienvenu.

M. Rémillard: ...de vos conseils. Depuis le début, vous suivez nos travaux, vous avez pu voir les expertises qui nous ont été données et c'est intéressant de vous entendre. Évidemment, vous ne trouvez pas qrand-chose de bon dans cette entente. C'est de bonne guerre, je le comprends très bien. (15 h 45)

M. Morin: M. le ministre.

M. Rémillard: Si vous le permettez, j'aurais quelques petites questions à vous poser en me référant à votre exposé. Vous dites, à la page 2, M. le professeur, à la dernière ligne - c'est votre deuxième point -que cette entente du lac Meech n'accorde aucun nouveau pouvoir réel au Québec et ne modifie pas un iota à la répartition des compétences.

M. Morin: Oui.

M. Rémillard: Évidemment, vous avez beaucoup insisté sur le premier élément de l'entente du lac Meech, c'est-à-dire le caractère distinct du Québec, la reconnaissance de la dualité canadienne. Vous n'avez pas beaucoup parlé de la Cour suprême canadienne. Vous n'avez pas beaucoup parlé du fait que le Québec, avec cette entente du lac Meech, aura le nouveau pouvoir de proposer au gouvernement fédéral une liste de noms de membres du Barreau ou de la magistrature du Québec pour combler une vacance à la Cour suprême du Canada. C'est certainement un nouveau pouvoir, M. le professeur Morin.

En matière d'immigration, vous nous avez dit qu'on enchâssait tout simplement dans la constitution l'entente Cullen-Couture, mais, si vous regardez un peu plus attentivement, vous vous rendez compte qu'en plus de l'entente Cullen-Couture le Québec acquiert, là aussi, de nouveaux pouvoirs particulièrement importants, par exemple, le pouvoir de sélectionner ces immigrants qui sont sur place, et vous savez, professeur Morin, que c'est de 25 % à 30 % de l'immigration du Québec. De même, nous obtenons la possibilité, la compétence et la juridiction -là encore, ce sont des nouveaux pouvoirs pour le Québec - de prendre les moyens nécessaires pour avoir des mesures d'intégration, pour intégrer ces immigrants dans la société québécoise: cours de langue, de formation, information sur nos institutions, notre façon de vivre, notre façon de faire pour leur donner le goût de demeurer au Québec.

Là encore, professeur Morin, je me permets de vous dire qu'il s'agit là de pouvoirs très importants que le Québec acquiert et qu'il acquerra à la suite d'une entente qui sera négociée avec le gouvernement fédéral. Nous négocions en fonction de ces termes que vous voyez dans l'entente du lac Meech, qui sera signée en même temps que cette résolution qui permettra l'amendement de la constitution et qui permettra, à ce moment-là, un amendement à l'article 95 qui permettra de telles ententes.

Bien sûr, professeur Morin, que vous ne nous avez pas parlé de la formule d'amendement. Vous nous référez à la formule Fulton-Favreau où on prônait l'unanimité et vous écrivez - je vous cite au troisième paragraphe - dès le début de votre exposé: "C'est la raison pour laquelle Jean Lesage, avec l'aide de Daniel Johnson, a dit non à la formule Fulton-Favreau en 1965. Cette formule soumettait l'évolution et l'accroissement des pouvoirs du Québec au consentement unanime des provinces, de sorte que même l'île-du-Prince-Édouard se voyait reconnaître un droit de veto sur l'avenir constitutionnel du Québec."

M. le professeur, vous êtes trop modeste. Vous auriez dû ajouter le rôle extrêmement important que vous avez joué. On se souvient tous de cette rencontre à l'Université de Montréal - mon collègue de Bourget était là - où il y avait M. René Lévesque et Pierre Laporte, alors ministre du gouvernement Lesage, où vous avez fait une performance particulièrement éloquente pour amener ces deux représentants du gouvernement québécois à faire rapport à leur gouvernement et à lui dire: Stop, on arrête tout celai Jacques-Yvan Morin, professeur émérite, vient de nous démontrer qu'on ne peut pas accepter ce principe de l'unanimité, de l'égalité, comme vous dites, des provinces.

Et les choses ont évolué. Vous êtes venu en politique pour la promotion de l'indépendance du Québec à laquelle vous croyez et je respecte votre opinion. Il y a eu la charte de Victoria, alors que vous étiez politicien. Il y a eu toute cette bataille sur la question du rapatriement. Il y a eu aussi ce 16 avril 1981 où vous avez conseillé à votre gouvernement - comme le chef de l'Opposition, d'ailleurs, qui était partie à ce gouvernement - d'accepter le principe de l'égalité des provinces, principe que vous avez accepté comme membre de ce gouvernement. Vous avez démissionné après, plus tard. Mais, sur ce point, vous avez accepté le principe de l'égalité des provinces. Vous avez accepté, professeur Morin, le fait que toutes les provinces, dans cette fédération, sont égales: C'est écrit en toutes lettres dans l'entente que vous avez signée comme membre de ce gouvernement.

Évidemment, maintenant, vous étudiez l'entente du lac Meech et vous me dites qu'il n'y a pas grand chose de bon dans cela. Il faudrait que vous puissiez reconnaître avec moi qu'on est parti de loin, de très loin. Je sais que vous êtes bien placé pour le comprendre. Quand je dis que le Québec a récupéré le droit de veto, je parle d'un droit historique que le Québec a récupéré et récupérera par cette entente du lac Meech, le droit de dire non, professeur Morin, à une modification de la constitution qui va à l'encontre soit de sa spécificité, soit du fait qu'il est un partenaire majeur dans cette fédération et pas seulement sur le partage des compétences législatives. Professeur Morin, si on peut se retirer d'un amendement au partage des compétences législatives, vous comprenez maintenant qu'on ne peut pas se retirer d'une institution. L'entente du lac Meech nous donne ce droit de veto en ce qui regarde les institutions. Mais il est vrai, professeur Morin, que toutes les provinces sont égales face à ce droit de veto et vous comprenez pourquoi.

Professeur Morin, vous avez surtout insisté sur l'article (1) de cette entente du lac Meech concernant la dualité canadienne et la spécificité du Québec. Tout d'abord, je veux bien vous dire qu'il s'agit d'une règle qui

n'est pas dans le préambule, mais qui s'appliquera à l'ensemble de la constitution canadienne. C'est une règle que j'aimerais simplement vous suggérer de lire dans son ensemble. Lorsqu'on parle de dualité, on parle de la description à l'article (l)a), mais on doit le lire en fonction de l'article (2), qui se lit comme suit: "Le Parlement et les Législatures des provinces, dans l'exercice de leurs compétences respectives - alors, une clause de limitation au partage des compétences législatives - prennent l'engagement - ce n'est pas le rôle, j'y reviendrai tout à l'heure parce que M. le professeur Turp, dans son amendement, utilise, lui, à bon escient le mot "rôle"; à ce niveau, peut-être que l'élève dépasse le maître, mais on y reviendra tout à l'heure - de protéger la caractéristique fondamentale du Canada mentionnée au paraqraphe (l)a)." Tout d'abord, "le Parlement et les Législatures", le pouvoir législatif, "dans l'exercice de leurs compétences législatives": donc, une description de cette dualité, ensuite, une description actualisée au niveau législatif seulement, à l'intérieur du partage des compétences législatives, donc une relation directe à la compétence législative en fonction d'un engagement. Il faudrait voir ce que le dictionnaire nous dit sur un engagement. Le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française par Paul Robert nous dit: Un engagement, c'est une "action de se lier par une promesse ou une convention" alors qu'un rôle, c'est "une fonction que l'on doit remplir". Je cite le dictionnaire.

Là, j'arrive au deuxième thème, celui de la société distincte, la reconnaissance que le Québec forme au sein du Canada une société distincte. Je reviendrai tout à l'heure sur ce concept de société par rapport aux remarques intéressantes que le professeur Turp a faites. Je voudrais y revenir quelques minutes tout à l'heure.

Pour le moment, je voudrais bien qu'on puisse analyser l'impact de cette reconnaissance, pour la première fois dans l'histoire de ce fédéralisme, que le Québec forme une société distincte et relier cette reconnaissance au troisième article qui dit bien: "L'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec - je sais que vous connaissez très bien les implications de ce que je viens de dire - ont le rôle - je ne reviens plus sur ce mot - de protéger"... Dans un premier temps, donc, protection; ce que vous avez pour la dualité, vous l'avez maintenant pour la société distincte. Et là, voua avez un ajout: "et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise mentionné au paragraphe (l)b)". C'est donc, dans son ensemble, vous en conviendrez, professeur Morin, qu'il faut voir l'impact de cette situation, de cette reconnaissance de fait, dans un premier temps, concernant la dualité.

Bien sûr, il faut remarquer que les francophones sont minoritaires partout, dans toutes les autres provinces, excepté au Québec où ils sont majoritaires, alors que les anglophones sont minoritaires au Québec et majoritaires dans toutes les autres provinces. Il ne faudrait pas faire l'erreur de mettre sur un même pied, professeur Morin, la minorité anglophone du Québec et la minorité francophone hors Québec. Ce serait là une erreur lourde de conséquences pour nous. Ce n'est pas la même chose. C'est là que le concept de société distincte prend tout son sens avec ce mot, ce rôle de protéger et de promouvoir. C'est dans ce contexte que je vous soumets tout simplement comme analyse qu'on doit comprendre cette dualité et la spécificité du Québec en fonction, dans un premier temps, d'une reconnaissance de fait. On reconnaît le fait qu'il y a au Canada des anqlophones et des francophones; les anglophones sont minoritaires au Québec et majoritaires dans le reste du Canada et les francophones, majoritaires au Québec et minoritaires dans le reste du Canada.

Dans un deuxième temps, professeur Morin, on a une base juridique que je suis certain que vous pouvez qualifier d'intéressante. En tout cas, c'est l'avis de Me Turp qui, tout à l'heure, nous disait qu'il voyait là - je vais prendre son expression -"un texte promoteur pour l'avenir du Québec". II voyait là un texte promoteur pour l'avenir du Québec. Il y a donc là une assise juridique fondée à la fois sur le pouvoir législatif et sur le pouvoir gouvernemental qui permet donc d'élaborer une dynamique particulière à cet aspect. (16 heures)

Quant à l'utilisation du mot "société", évidemment, le Québec peut être considéré comme un peuple, mais, à notre avis, il est plus qu'un peuple. D'ailleurs, le mot "peuple", comme vous le savez si bien, est déjà inscrit dans la constitution concernant les autochtones. Même le mot "nation" est utilisé pour décrire des autochtones. Ce que nous voulons signifier... Je crois que le Québec a le droit, le droit historique, qu'on puisse inclure dans la constitution le fait qu'il est différent non seulement par la langue... Pour cela, je me réfère à un discours important qu'avait fait le chef de l'Opposition Lorsqu'il était ministre des Affaires intergouvernementales devant l'Association des professeurs de droit du Québec, où il disait que la spécificité du Québec - cela, c'est à Montréal, le 29 mai 1985 et je suis d'accord avec lui - ce qu'on a appelé la "différence" québécoise ne se résume cependant pas au facteur linguistique. Nous sommes parfaitement d'accord avec le chef de l'Opposition. Le critère de société nous permet d'aborder non seulement la langue parce que c'est évident que nous

sommes distincts... D'ailleurs, il n'y a pas cinq, six ou sept provinces qui ont été reconnues comme distinctes dans cette entente du lac Meech, il y en a eu une et c'est le Québec. Si on ne sait pas pourquoi, eh bien! il faudra peut-être s'interroger un petit peu sérieusement. Cela pose des problèmes. Dans ce contexte, pour nous, le mot "société" est plus significatif que le mot "peuple".

C'est dans ce contexte que je vou3 demande, professeur Morin: Est-ce qu'il y a des amendements précis que vous voyez qui pourraient rendre ce texte acceptable: dualité et société distincte? Je ne sais pas, je pense que vous n'avez pas soumis d'amendement. Est-ce qu'il y a une formule d'amendement qui a été soumise? Est-ce qu'il y a un amendement? Je sais que le professeur Turp a soumis un amendement. Est-ce que le professeur Morin a soumis un amendement aussi?

M. Morin: Également, M. le Président.

M. Rémillard: II y a un amendement qui a été soumis?

M. Morin: L'inversion dans le paragraphe a), je suis prêt à le mettre par écrit.

M. Rémillard: Est-ce que c'est le seul amendement que vous êtes prêt à...

M. Morin: Non, j'en aurais d'autres, à condition que vous ne me "filibustiez" pas.

M. Rémillard: Excusez-moi, je n'ai pas compris. À condition que...

M. Morin: J'ai le sentiment, M. le Président, depuis un certain temps, par cette interminable question que je suis victime d'un "filibuster".

Des voix: Ah! Ah! Ah!

M. Rémillard: Vous avez des cauchemars. Vous ne voyez pas, vous, un monstre comme tout à l'heure, vous voyez quelque chose d'autre. Écoutez, vous pourriez...

M. Morin: Continuez, M, le ministre, continuez.

M. Rémillard: Non, mais vous pourriez tout simplement demander de parler sur le temps de l'Opposition, puisque vous êtes un de leurs conseillers comme tel, cela ne causera pas de difficulté. Nous sommes heureux de vous entendre. Je voulais simplement vous donner aussi une perspective et maintenant ma question arrive. Ma question est strictement pour connaître votre amendement. Je ne voudrais pas que vous pensiez, tout simplement, quoi que ce soit. Je veux simplement que vous puissiez nous dire: Est-ce qu'il y a des amendements qui, en plus, donc, de ceux que vous avez, vous paraîtraient judicieux? Ma première question: Est-ce que vous avez des amendements concernant le droit de veto qu'on a récupéré?

Le Président (M. Filion): Alors, avant de vous laisser la parole, M. le professeur Morin, pour l'information du ministre et des invités, effectivement, l'intervention ou la question du ministre a pris environ 20 minutes, entre 19 et 20 minutes. Alors, M. le professeur Morin, la parole est à vous.

M. Morin: Oui, bien sûr, M. le Président. Je vais faire mon possible. Mais je vaudrais relever, tout d'abord, quelque chose que le ministre a dit au début et qui m'a semblé ambigu. J'ai eu le sentiment qu'il me reprochait, en quelque sorte, mon engagement politique par rapport à ces questions-là. Je connais d'autres professeurs de droit qui sont dans la vie publique et qui ne s'en font pas une faute. En tout cas... Je voudrais dire, M. le Président, que je me sens tout à fait libre comme citoyen. Je l'ai fait avant la partie de ma vie qui a été consacrée aux affaires publiques, à l'époque de la formule Fulton-Favreau, à l'époque de la charte de Victoria. Je n'étais pas dans la vie politique et j'estimais de mon devoir d'intervenir et c'est la raison pour laquelle, étant sorti de la vie publique, j'interviens à nouveau parce qu'il me paraît que c'est du même ordre. Il ne faudrait pas m'en faire le reproche, je pense, parce que les deux dernières fois il me semble que j'ai pu contribuer à un certain résultat qui était bénéfique pour le Québec. Je ne dis pas que j'étais seul. Bien d'autres ont contribué à défaire la formule Fulton-Favreau et la charte de Victoria, mais j'avais le sentiment d'avoir apporté quelque chose et je pense que, tous, on se félicitait.

Je revois le soir où M. Bourassa a dit non à la charte de Victoria. J'étais à Québec. Je revois la Chambre. Tous les députés, des deux côtés de la Chambre, debout pour l'applaudir. Je pense que c'est la seule fois où cela s'est produit dans sa carrière politiquel Et c'était à propos, justement, de la charte de Victoria. Donc, je pense qu'il y avait une certaine unanimité parce qu'on s'était parlé, entre Québécois de tendances diverses, d'opinions diverses, pour essayer de voir clair là-dedans. C'est l'esprit dans lequel je suis venu ici. Je tenais à dire cela au départ.

C'est une question bien longue où on a touché à peu près à tout et sur laquelle on m'a demandé si j'avais des propositions d'amendement. Je vais essayer de répondre rapidement à la question. Prenons d'abord

l'immigration. En ce qui concerne l'immigration, je voudrais attirer l'attention sur le fait que ce qu'on voudrait constitutionnaliser, ce qui sert de modèle, c'est l'entente Cullen-Couture signée à l'époque du gouvernement Lévesque et les amendements, depuis lors, négociés entre le gouvernement fédéral et le gouvernement Lévesque, pour arriver à se partager ce pouvoir sur l'immigration. Mais je tiens à dire au ministre, M. le Président, que je n'ai pas à infirmer en rien mon affirmation de ce matin, que cela ne change pas la répartition des compétences, comme on dit quelquefois, le partage des pouvoirs, puisque c'est une compétence concurrente, c'est une compétence qui appartient aux deux ordres de gouvernement ensemble. Elles ne sont pas faciles à administrer, celles-là. Mais l'entente Cullen-Couture et les autres ententes avaient démontré que c'était possible.

M. le Président, je dois l'exprimer, j'ai un doute sur la sagesse de constitutionnaliser les ententes, dont celle-là. Peut-être que, dans un autre domaine, je pourrais en convenir, mais voilà une négociation d'ordre administratif qui a bien fonctionné entre deux gouvernements qui étaient aux antipodes: le gouvernement Trudeau d'un côté, le gouvernement Lévesque de l'autre. Et on est arrivé à cette entente administrative et à ces amendements successifs. M. le Président, quel est l'avantage de constitutionnaliser? Je ne le distingue pas très bien, à moins que cela ne permette au Québec de fixer le niveau d'immigration qui sera le sien. Si ce pouvoir-là était inclus, cela pourrait être intéressant. Mais il n'y est pas. Et je vous ferai observer que cette partie de la formule du lac Meech a pour effet, quand cela sera constitutionnalisé, de consacrer le pouvoir du gouvernement fédéral de fixer des normes et des objectifs nationaux en matière d'immiqration. Or, si ma mémoire est bonne et si je retourne à l'époque de M. Lesage, le Québec revendiquait, justement, le pouvoir de fixer les niveaux d'immigration en ce qui le concerne ou de les négocier, à tout le moins, avec Ottawa. Je me souviens très bien de ces années. Je les ai vécues. C'était une revendication comme bien d'autres des revendications du Québec à l'époque.

M. le Président, je constate que c'est le contraire ici. C'est une confirmation du pouvoir fédéral et j'hésiterais à constitutionnaliser une pareille entente. Si on peut continuer à gagner du terrain sur le plan administratif comme nous l'avons fait sans relâche pendant des années, je pense que cela serait plus sage.

Je passe à la formule de modification à propos de laquelle le ministre m'a demandé si j'aurais des propositions. Oui, puisqu'on m'y invite, j'aurais une proposition à faire au mode d'amendement, à la formule de modification. Je pense que le mot "raisonnable", tout comme, d'ailleurs, le mot "juste", quand on parle de compensation, est un terme ambigu et je crains bien que le niveau de compensation, en cas de retrait, soit déterminé soit par le gouvernement fédéral, soit éventuellement par des tribunaux, donc la Cour suprême et on sait ce qu'est la Cour suprême. Donc, je ne suis...

Le Président (M, Filion): Je dois vous interrompre, M. le professeur Morin. Le temps de 24 minutes qui était imparti au parti ministériel est expiré. J'ai signalé tantôt que la question était passablement vaste et longue. Est-ce que je dois comprendre qu'il y a consentement de part et d'autre pour que nos invités puissent compléter leur réponse à la vaste question de M. le ministre? Donc, je vais reconnaître M. le député de Beauharnois.

M. Marcil: Je ne veux pas entendre le président porter un jugement sur l'intervention du ministre Rémillard, à savoir si sa question est vaste.

Le Président (M. Filion): Je pense que c'est un fait que la question était vaste, M. le député de Beauharnois. Je demande s'il y a consentement des deux côtés.

M. Lefebvre: Avant de donner mon consentement...

Le Président (M. Filion): Oui, M. le leader adjoint.

Une voix: II n'y a pas besoin de consentement. On est rendu sur notre temps.

M. Lefebvre: C'est, justement, la question à laquelle je voulais arriver. Est-ce que je dois comprendre, si on donne notre consentement, que le temps que notre invité prendra pour répondre sera amputé sur l'enveloppe de l'Opposition?

Le Président (M. Filion): Non.

Une voix: II ne vous reste plus de temps.

M. Lefebvre: Si oui, il n'y a aucune... Est-ce que, à partir de maintenant, cela sera pris sur les 24 minutes de l'Opposition? C'est tout simplement pour se comprendre, M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, je vais placer la question que je vous pose dans son contexte. Il y avait 24 minutes à chaque formation incluant, bien sûr, comme vous le savez, questions et

réponses. Le ministre a - c'est tout à fait son droit - posé une question qui durait une vingtaine de minutes sur 24 minutes, question qui était vaste, je le répète parce que c'est un fait. Il faisait le tour de quatre des cinq points, en fait de tous les points de l'accord du lac Meech. Le professeur Morin, si vous avez suivi sa réponse, est en train de faire le tour à son tour des questions soulevées par le ministre. Par égard pour nos invités, je vous suggère d'accorder votre consentement è ce que la réponse de nos invités puisse faire partie de votre enveloppe, si l'on veut, et ne pas amputer l'enveloppe du parti de l'Opposition. Donc, je vous demande si vous accordez votre consentement à ce que nos invités puissent compléter leur réponse à la question posée par le ministre. M. le député de Gouin.

M. Rochefort: M. le Président, en ce qui nous concerne, évidemment, nous donnons notre consentement pour que notre invité puisse poursuivre sa réponse.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le député de Gouin. M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: Est-ce que je pourrais savoir de combien de temps pourrait avoir besoin notre invité pour compléter sa réponse à l'intelligente question du ministre Rémillard? Combien de temps, M. Morin?

Le Président (M. Filion): Elle était vaste, c'était un fait, M. le leader adjoint. M. le professeur Morin.

M. Morin: M. le Président, je vais essayer de boucler cette vaste question de 20 minutes en 5 ou 6 minutes, si vous le permettez.

Le Président (M. Filion): Bon, d'accord.

M. Lefebvre: II y a consentement, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Donc 5, 6 minutes additionnelles, cela va?

M. Lefebvre: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Filion): 5 minutes, M, le leader adjoint, c'est bien. Je vous remercie.

M. Morin: Je peux procéder, M. le Président?

Le Président (M. Filion): Je vous en prie, vous pouvez poursuivre.

M. Morin: Quand j'étais dans la vie publique, la vie parlementaire, il m'est arrivé de subir des "filibusters". Il m'est même arrivé, je l'avouerai, de le pratiquer moi-même, mais je pense que c'est la première fois que je vois un invité se faire "filibuster". C'est nouveau, je pense. C'est un précédent parlementaire. Poursuivons. Je proposerais, M. le Président... Je n'ai pas le droit de faire des propositions de modification, mais, dans la mesure où cela intéresse le ministre, je pense qu'il aurait intérêt à remplacer le mot "raisonnable" par le mot "proportionnelle" ou par un mot équivalent qui ferait allusion à la partie de la population canadienne qui vit au Québec et, donc, qui a droit à une répartition au moins au prorata des subventions. (16 h 15)

Parce que si on s'en remet è ce terme "raisonnable", comme j'étais en train de le dire, on laisse le gouvernement fédéral décider ce qui est raisonnable et éventuellement les tribunaux. Ce n'est pas une façon d'administrer et je propose donc qu'on mette le mot "proportionnelle" ou quelque mot équivalent. Et d'une suggestion de modification.

En ce qui concerne maintenant la formule d'amendement toujours, je voudrais attirer votre attention sur un étrange oubli. Il faut mettre ensemble la formule d'amendement et ce qui est intitulé la deuxième ronde. Si vous voulez, on va regarder ces textes ensemble parce qu'il se complètent et comportent, è mon avis, une erreur qui pourrait être coûteuse. Je sais, bien entendu, M. le Président, que ce ne sont pas les textes définitifs. Je sais que ce n'est qu'une ébauche, mais j'ai entendu le ministre dire, hier ou avant-hier, que les textes ne varieraient pas beaucoup. Si c'est le cas, alors, je suis un peu inquiet. Si vous voulez, on va regarder ensemble le dernier paragraphe de ce que vous appelez la formule de modification, en bon français le mode de modification ou d'amendement. Vous allez constater qu'on fait allusion à l'article 42 de la Loi constitutionnelle de 1982 et cet article 42, qui porte sur un certain nombre d'aspects du Sénat, à l'heure actuelle peut être modifié au deux tiers. Mais on remplace cette règle des deux tiers par l'unanimité, sauf qu'on a oublié quelque chose. Si je me reporte maintenant à la deuxième ronde, on trouve une ligne qui n'est pas à l'article 42. Si vous voulez bien le regarder avec moi, on dit: "La réforme du Sénat, notamment: les fonctions et le rôle du Sénat". Voilà une expression qui n'est pas mentionnée dans l'article 42.

Alors, quel est le mode d'amendement applicable aux fonctions et au rôle du Sénat? Je ne suis pas inquiet pour le reste, pour les pouvoirs, pour le mode de sélection, pour la répartition des sièges; il est clair que ce sera la règle de l'unanimité parce qu'ils sont mentionnés dans l'article 42. Mais, pour les

fonctions et le rôle, tenez-vous bien, ce qui va arriver, c'est l'article 44 qui va s'y appliquer. Et savez-vous ce que dit l'article 44? Que le Parlement fédéral agissant seul peut modifier les questions relatives au Sénat. Alors, on va avoir un drôle de mode d'amendement! Je me permets d'attirer l'attention des juristes là-dessus, des conseillers du gouvernement. Je pense que cela leur a échappé, mais imaginez-vous un système où les fonctions et le rôle du Sénat seraient décidés par le gouvernement fédéral seul et les pouvoirs du Sénat décidés par l'unanimité des provinces et du Parlement. Il y a vraiment là quelque chose d'un peu incongru. J'ose espérer que c'est un oubli, une erreur de transcription ou quelque chose. Cela me paraît tellement invraisemblable, et pourtant. Vous voyez l'importance des textes. C'est ce qu'on trouve dans la deuxième ronde et dans la formule de modification.

M. le Président, vous me faites signe que mon temps est échu. Je pense avoir fait le tour, à quelques petites brindilles près de ce que le ministre a dit. Il a dit tellement de choses en 20 minutes pour manger le temps de parole que je ne pourrai peut-être pas couvrir tout. C'est navrant, mais je ne voudrais pas, non plus, empêcher mon collègue de répondre à la question du ministre. Je ne voudrais pas ; empêcher l'Opposition de poser de nouvelles questions. Alors, j'en ai terminé.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le professeur Morin.

Mme Robic: M. le Président...

Le Président (M. Filion): Oui, Mme la ministre.

Mme Robic: ...j'aimerais avoir le consentement de cette commission pour réparer peut-être une erreur qui s'est glissée dans l'exposé du professeur Morin.

Le Président (M. Filion): Je m'excuse, madame.

M. Lefebvre: M. le Président...

Le Président (M. Filion): Est-ce qu'il y a consentement?

M. Lefebvre: M. le Président...

Le Président (M. Filion): Excusez. Est-ce qu'il y a consentement? Non, madame.

M. Lefebvre: M. le Président, si vous le permettez...

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: M. le Président, je comprends que ce qu'on a...

Le Président (M. Filion); Est-ce que c'est une question de règlement, M. le leader adjoint?

M. Lefebvre: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Quelle est votre question de rèqlement?

M. Lefebvre: Je comprends, M. le Président, que ce qu'on a accordé à l'Opposition tout à l'heure ne nous est pas accordé, à nous, soit deux minutes additionnelles.

Le Président (M. Filion): Ce n'est pas une question de règlement, M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: II n'y a pas de consentement de l'Opposition.

Le Président (M. Filion): La parole est maintenant au porte-parole de l'Opposition. M. le député de Lac-Saint-Jean, la parole est à vous.

M. Brassard: Merci, M. le Président.

Mme Robic: Vous n'êtes pas intéressé à ce qu'on corrige une erreur?

M. Brassard: Merci, M. le Président. On a essayé d'en corriger une de la ministre cet après-midi à l'Assemblée nationale.

M. le Président, il nous reste une dizaine de minutes. J'aurais eu bien des questions à poser à MM. Morin et Turp. Entre autres, M. Turp parlait d'octroi additionnel de compétences au Québec en matière linguistique pour assurer le caractère distinct du Québec. J'aurais aimé l'entendre là-dessus. Vous avez vous-même, M. Morin, parlé de véritables garanties pour le caractère français. J'aurais aimé voir comment vos intentions, vos objectifs en cette matière auraient pu ou devraient, selon vous, se traduire dans une entente constitutionnelle. Si vous avez le temps, vous pourrez répondre à cette question; je pense qu'elle est importante. Je vous laisse tout le reste du temps parce que le ministre en a utilisé beaucoup trop et ne vous a pas permis de répondre. Il me semble que c'est le but de cette commission. L'objet des travaux de cette commission, c'est de permettre aux experts de répondre. Je vous laisse le temps qui reste pour poursuivre votre réponse au ministre, M. Morin et M. Turp.

M. Morin: Avec votre permission, M. le Président, mon collègue, Daniel Turp, n'a

vraiment pas eu une seconde pour répondre aux questions posées par le ministre. Je vais le laisser procéder d'abord et, s'il reste du temps, je reviendrai effectivement sur les questions qui m'ont été posées.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le professeur Morin. M. le professeur Turp, la parole est à vous.

M. Turp: Je ferai cela très rapidement, M. le Président.

Je suis heureux d'avoir entendu le ministre nous dire qu'il considérait que le Québec était un peuple. Je pense que c'est très important pour l'avenir collectif du Québec, pour son droit à l'autodétermination. Je constate qu'il consacre cette notion et qu'il préserve par là l'avenir de ce droit fondamental pour le peuple québécois.

Je ne saurais être d'accord avec lui que le mot "société" est plus significatif. Pour les raisons que j'ai mentionnées, la définition que j'ai proposée ce matin qui était celle que M. Patry nous rapportait et qui est celle des sociologues allemands du XVIIIe et du XIXe siècles, je pense que la notion de peuple est une notion beaucoup plus usitée, qui a un poids juridique plus certain et qui a une vocation internationale qu'on ne devrait pas négliger.

Mais cela étant dit, je pense que l'équation "peuple" et "société distincte", sans nous satisfaire pleinement - elle met, par ailleurs, l'Assemblée nationale un peu en contradiction avec elle-même dans la mesure où elle a retenu l'expression "peuple" dans plusieurs de ses lois; faudra-t-il qu'elle modifie ces autres lois? - est une expression qui, à cause de la combinaison du mot "société" et du mot "distincte", préserve l'essentiel.

Mais ce n'est pas suffisant. M. Rémillard insiste beaucoup depuis le début des travaux, et il l'a fait particulièrement aujourd'hui, sur le poids et l'importance du paragraphe (3) de la disposition concernant le caractère distinct du Québec: "L'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise mentionné au paragraphe (l)b)." Je pense que le gouvernement aurait intérêt à serrer et à préciser davantage la portée de cet article. En effet, s'il considère qu'il est attributif de compétences - je le souhaiterais bien, quant à moi - la terminologie qui est utilisée n'est pas garante d'une interprétation de la même nature par les tribunaux canadiens qui verront une disposition beaucoup moins attributive de compétences qu'on ne le suggère. C'est la raison pour laquelle, dans l'exposé que je vous ai préparé ce matin, je suggérais qu'il soit clair que cette disposition soit attributive de compétences. Je vous avais proposé une formulation, je vais peut- être vous en proposer une nouvelle: qu'on ajoute à la fin de cet article 3: "et, notamment, dans l'exercice de leurs compétences en matière linguistique" pour qu'il soit clair que cet article 3 permet aux compétences en matière linguistique du Québec de ne pas être affectées par les deux paragraphes qui le précèdent et qu'elles soient renforcées, eu égard à l'assaut qui a été fait à ces compétences par les tribunaux canadiens.

J'ajouterais aussi - j'aimerais bien entendre le ministre sur cette question et je pense que c'est important aux fins de la protection et de la promotion du caractère disctinct du Québec - "et des compétences qui sont dévolues à cette Assemblée et au gouvernement surtout - au gouvernement surtout - en matière de relations internationales avec la francophonie". À mon avis, une des façons qui nous sera le plus utile dans l'avenir du Québec de protéger et de promouvoir le caractère distinct du Québec, c'est d'avoir des relations encore plus privilégiées avec les États francophones, les peuples francophones, les organisations et conférences internationales de la francophonie! Je pense qu'il serait important d'asseoir sur des bases juridiques plus solides encore ces relations internationales. Vous réussiriez à faire cela, si vous acceptiez d'allonger l'article 3 et d'en faire clairement un article attributif de compétences.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le professeur Turp. M. le professeur Morin.

M. Morin: Bien. M. le Président, on m'a demandé, de part et d'autre, si j'avais d'autres suggestions à faire pour améliorer les textes. Oui, effectivement, j'en avais noté quelques-unes. Pour ce qui est de la formule de modification, je vous ai indiqué que le mot "proportionnelle" serait beaucoup mieux choisi dans l'intérêt du Québec qu'un terme vague comme "raisonnable" ou "juste". Effectivement, on devrait même utiliser "proportionnelle" en le définissant quelque part par rapport à la population. On s'est fait jouer des tours absolument pendables -les membres du gouvernement actuel le savent aussi bien que les gouvernements antérieurs - par le gouvernement fédéral à partir de recensements incomplets. Je ne sais plus combien de millions ils doivent au Québec après avoir, justement, décidé unilatéralement de ce qui était raisonnable. Je pense que c'est une première amélioration. II y en a d'autres.

En ce qui concerne maintenant le caractère distinct du Québec, la proposition de M. Léon Dion, ce matin, m'a beaucoup plu. Je vous avoue que ce conseiller du gouvernement, autrefois... Il a été, si ma mémoire est bonne, quelques jours conseiller du ministre qui m'interrogeait. J'estimais que

cette proposition de ce matin était excellente. J'aurais peut-être modifié un mot dans le premier paragraphe. Lorsqu'il dit que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle ou la responsabilité de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise, j'aurais peut-être utilisé le mot "devoir", le "devoir de protéger et de promouvoir". Voilà encore... C'est un mot, mais il y a beaucoup, quelquefois, dans un mot. En dépit du Petit Robert, le rôle d'une institution, c'est toujours quelque chose de facultatif. On l'exerce de telle façon ou de telle autre, mais on n'est pas obligé à atteindre un résultat. Donc, en définitive, il y a quelque chose de facultatif dans l'exercice d'un rôle. C'est ce que j'ai souligné ce matin et je n'en démords pas.

Si vous voulez bien, je vais essayer de répondre maintenant à la question qu'on m'a posée sur la Cour suprême. Alors, là, les bras m'en sont tombés un peu. En définitive, que fait la proposition sur la Cour suprême, M. le Président? Elle confirme le pouvoir de nomination de l'Exécutif fédéral, le pouvoir ultime de nomination. À moins que je n'erre dans la lecture du texte que j'ai devant mot: "advenant une vacance à la Cour suprême, le gouvernement fédéral nommera, à même une liste de noms proposés par les provinces, une personne dont la candidature lui agrée." M. le Président, le seul pouvoir que je peux voir dans cela, c'est le pouvoir de proposer. Avouez que c'est plutôt maigre, parce que ce n'est pas le pouvoir de nommer. Le pouvoir de nommer n'a pas changé d'endroit, il est encore entre les mains du pouvoir fédéral. C'est sans doute faire bon marché des revendications traditionnelles du Québec et, notamment, de celles de Jean Lesage. (16 h 30)

Tout cela va confirmer l'existence d'une Cour suprême essentiellement nommée, comme par le passé, par l'Exécutif fédéral. On aurait pu imaginer toutes sortes d'autres choses. C'est pourquoi j'estime qu'il est prématuré de régler ce problème, parce que là on va s'enfermer dans un carcan. Par exemple, si on accepte cela maintenant, par la suite, supposons qu'on arrive à s'entendre sur un Sénat, sur un pouvoir législatif, deuxième Chambre, qui soit vraiment représentatif des provinces - pas un Sénat élu comme ce qu'on va probablement nous proposer, mais un vrai Sénat qui représente les provinces, délégué par les provinces, comme cela se fait dans certains États fédéraux - pourquoi ne confierait-on pas à un tel Sénat, pourvu qu'il soit représentatif et, donc, au pouvoir législatif, un pouvoir d'approbation des candidats soumis par le pouvoir fédéral et par les provinces? Là, on aurait des garanties d'impartialité et on verrait, non pas des petits groupes d'hommes, mais des groupes d'hommes débattant, à ciel ouvert, les mérites ou les démérites des candidats qui leur sont soumis. Si on accepte cette formule sur la Cour suprême, on se ferme l'avenir, on se met un carcan autour du cou.

Pour ma part, je trouve que c'est faire bon marché d'une autre suggestion de Jean Lesage, à l'époque, qui a été reprise par Daniel Johnson et, par la suite, dans les conférences constitutionnelles et qui était la suivante. Elle était double: que la Cour d'appel du Québec soit le tribunal de dernière instance en matière civile. II n'y a pas de raison que les questions de pur droit civil aillent à la Cour suprême pour être décidées par des juqes qui viennent en majorité de la "Common Law". Cela m'a toujours paru une aberration. Vous n'avez qu'à interroger les avocats francophones de Montréal et d'ailleurs, ils vont vous dire ce qui est arrivé à notre droit civil à travers son interprétation par la Cour suprême, par un tribunal qui, essentiellement, est formé à la "Common Law". Cette suggestion s'est perdue dans la brume. Voilà encore une question importante qui est escamotée.

Jean Lesage avait aussi proposé à l'époque de créer un tribunal constitutionnel spécial pour les questions constitutionnelles, un tribunal qui aurait vraiment été représentatif à la fois des deux ordres de gouvernement, de l'ordre fédéral et des provinces. Au lieu de cela, la formule du lac Meech qu'on nous propose coule dans le béton une cour essentiellement nommée par le pouvoir fédéral. Je ne peux pas être d'accord avec cela.

Je pourrais continuer de la sorte à faire le tour de tous les articles de la formule du lac Meech. Il y a peut-être ici et là des choses qui font avancer le Québec, bien sûr, dans dix pages de texte. Mais, dans l'ensemble, cela marque un net recul pour le Québec. Je ne suis pas étonné qu'on l'ait dénoncé vertement, mais je suis étonné que, du côté du gouvernement, on ne le voie pas clairement, surtout maintenant, alors que les explications commencent à être données. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le professeur Morin, M. le professeur Turp, au nom de tous les membres de cette commission, je voudrais vous remercier à la fois pour votre exposé et pour votre patience, ainsi que pour la période d'échanges, si vous me permettez le mot. Merci, messieurs.

M. Morin: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Étant donné notre horaire chargé, nous allons immédiatement permettre à notre prochain invité... Est-il arrivé? Je crois que oui. Est-ce que Me Robert Décary est parmi nous? Me

Décary, bienvenue. Pendant que vous prenez place, je vous rappelle la règle des 90 minutes qui s'applique encore: 20 minutes pour votre exposé, Me Décary, et 35 minutes à chacune des formations pour la période d'échanges. Pendant qu'il prend place, on vous remet le texte de Me Décary dont j'accepte le dépôt. Je profite de l'occasion pour rappeler aux membres de la commission que nous avons une séance de travail qui suivra notre séance de cet après-midi. Cette séance de travail aura pour but de planifier nos travaux de la semaine prochaine. Elle aura lieu à la salle Louis-Hippolyte-Lafontaine, vers 18 heures, c'est-à-dire après la fin de nos travaux ici.

Me Décary, est-ce que ça va?

M. Décary (Robert): Je suis prêt.

Le Président (M. Filion): Je vous souhaite ta bienvenue à cette commission. Sans plus tarder, je vous invite à présenter votre exposé aux membres.

M. Robert Décary

M. Décary: M. le Président, madame et messieurs les membres de cette commission, je me sens particulièrement petit et un peu nerveux, je dois le dire, quand je vois celles et ceux qui m'ont précédé et qui me suivront devant vous. Je n'ai pas l'expertise constitutionnelle des uns, ni l'expertise sociale ou sociétale des autres. Je me sens un peu comme l'observateur de la rue qui a le désavantage de ne pas en savoir beaucoup, mais qui a l'avantage de ne pas en savoir trop. Ce qui me permet peut-être de voir l'entente dans un contexte plus global et de la voir avec les instincts du citoyen, fédéraliste pour l'instant, qui pense que les choses sont peut-être plus simples qu'on nous le dit et qu'il est grand temps qu'on se branche.

La constitution est l'affaire des citoyens en tout premier lieu et les citoyens ont ceci d'extraordinaire qu'ils ont le bon sens avec eux et qu'ils ont le pouvoir encore plus extraordinaire, qu'ils exercent d'ailleurs de plus en plus souvent, de renvoyer chez eux les gouvernements qui ne font plus leur affaire. Ma réaction profonde devant ce qui se passe depuis l'entente du lac Meech, c'est qu'une unanimité extraordinaire s'est faite autour d'un projet qui rejoint globalement les préoccupations traditionnelles du Québec et qui permet au Canada d'entreprendre, si j'ose dire, une nouvelle carrière. Je ne voudrais pas qu'on rate le train parce qu'il y manque quelques wagons. À force de voir des pièges subtils partout, on en est resté depuis 20 ans au statu quo. Pire, on a reculé. Je pense que la paranoïa a bien mal servi et sert encore bien mal le Québec et les Québécois.

Il y a des lieux communs qu'il ne me sera pas nécessaire de relever et je fais miens, par exemple, les propos de M. Dion relativement au contexte particulièrement difficile dans lequel cette entente a été conclue. Je rejoins M. Dion dans bon nombre des observations et propositions qu'il vous a faites ce matin. Je rejoins Me Beaudoin dans sa définition du pouvoir de dépenser et je reviendrai plus loin là-dessus. Je rejoins Me Beaudoin également dans sa conclusion que cet accord se situe aux limites du possible et que nous traversons un moment privilégié qu'il faut capter. Je rejoins Mme Chaput-Rolland dans son sentiment de soulagement profond devant le déblocage important que constitue l'entente du lac Meech.

Ma réaction, fondamentalement, est la suivante: cet accord de principe contient assez d'éléments pour adhérer la tête haute à l'entente constitutionnelle de 1982. Il contient des instruments suffisants pour tenter, une fois pour toutes, l'expérience d'un fédéralisme renouvelé. Il n'est pas possible de prédire aujourd'hui si, à la suite de cette entente, le fédéralisme sera, dans les faits, renouvelé comme le souhaite le Québec. Il se peut que oui, il se peut que non. La question à laquelle nous avons à répandre aujourd'hui est plutôt la suivante: les termes de ce projet d'entente permettront-ils au Québec de rallier les rangs de la famille canadienne avec un espoir solide et une possibilité sérieuse d'en arriver à un renouvellement du fédéralisme qui soit compatible avec les aspirations du Québec au sein d'un État fédéral?

Il n'est pas possible non plus de donner aujourd'hui une interprétation qui soit indiscutable du texte proposé ni qui puisse rallier l'unanimité. Non seulement le document proposé n'est pas couché en termes constitutionnels, mais, même s'il l'était, il prêterait inévitablement flanc à interprétation. Il en est ainsi de toute loi, encore plus de toute constitution. Tout texte qui résulte d'un compromis politique a des faiblesses. S'il est trop précis, il ne fera pas l'unanimité. S'il est trop vague, il sera susceptible d'autant d'interprétations qu'il y aura de mots. Ne cherchons pas une formule magique. Comme vous avez pu le constater depuis deux jours, il y a autant de formules magiques qu'il y a de magiciens. Aussi, n'attendez pas de moi aujourd'hui quelque solution ou interprétation miracle. Je vous exposerai franchement, de bonne foi, ce qui m'apparaît valable et ce qui m'apparaît ne pas l'être dans le document proposé, car je suis ici en tant que Québécois et le fait que j'ai été invité par la majorité ministérielle plutôt que par le parti d'Opposition, et non par les deux, comme, fort heureusement pour lui, c'était le cas pour M. Dion, ne change rien à l'accord, ni à ce que j'en pense, ni à ce que j'en dirai. J'arrive avec l'humilité ou plutôt avec le sens du réalisme du juriste qui

sait à l'avance qu'en droit il n'est pas d'interprétation garantie et qu'il se trouvera toujours un juge quelque part pour lui donner tort. Je viens aussi avec le sens du réalisme d'un analyste politique qui sait fort bien que dans une fédération nul ne peut ' tirer toute la couverte de son côté. N'attendons pas, donc, de cet accord qu'il soit parfait et complet. Il constitue le début d'un processus. Le but premier de la rencontre était de rapatrier le Québec, il n'était pas d'entreprendre une réforme globale du système fédéral.

En ce qui a trait maintenant au contenu proprement dit de l'entente, et sous réserve, bien sûr, de ce que sera le document officiel, je vous livre maintenant mes commentaires. Sur la dualité canadienne et la société distincte, la constitution reconnaîtra, non pas en préambule, mais dans une disposition spécifique, la dualité canadienne et le fait que le Québec forme une société distincte. Les tribunaux devront donc interpréter la constitution à la lumière de ces deux prémisses fondamentales. À ce jour et depuis 1982, les tribunaux n'avaient l'obligation d'interpréter la charte que de manière à promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens. L'ajout est d'autant plus important qu'il vise l'interprétation non seulement de la charte, mais de toute la constitution, y inclus, donc, le partage des compétences. Il se pourrait que l'interprétation donnée par les tribunaux de la constitution, y compris le partage des compétences, soit modifiée du tout au tout lorsqu'un élément du caractère distinct du Québec sera affecté.

La protection et la promotion du caractère distinct du Québec seront l'affaire de l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec. C'est la première fois, me semble-t-il, qu'une proposition va si loin et reconnaît le rôle du gouvernement québécois comme tel. Cela renforce sûrement la position du Québec, notamment en matière de relations internationales.

La protection - et non, en plus, la promotion - la protection seulement de la dualité sera l'affaire du Parlement et des législatures provinciales dans l'exercice de leurs compétences exclusives. Le fait que le document ne se réfère pas à la promotion de la dualité me paraît signifier que les provinces ne seront pas tenues de reconnaître plus de droits linguistiques que ceux qui existent en ce moment, ce qui est en accord avec l'article 16.(3) de la charte qui permet aux provinces mais ne leur impose pas de favoriser la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français ou de l'anglais.

Les droits de la minorité anglophone du Québec seront déterminés à la lumière à la fois de la dualité et du caractère distinct du

Québec. La Charte de la langue française devra, è l'avenir, être interprétée dans ce nouveau contexte qui permet l'introduction du concept de droit collectif pour justifier toute priorité qui serait accordée à la lanque française.

L'absence de définition de société distincte constitue, à mes yeux, un avantage. Les définitions trop précises dans un texte de loi ferment généralement plus de portes qu'elles n'en ouvrent. Les tribunaux, en interprétant l'expression "société distincte", chercheront, selon une jurisprudence établie, quel était le mal auquel on voulait remédier. Ils pourront, par exemple, s'inspirer des conclusions de la commission Pepin-Robarts. Cette commission, je le rappelle, avait identifié six éléments: l'histoire, la langue, le Code civil, l'origine commune, les sentiments et la politique, auxquels elle avait ajouté plu3 loin toute une gamme d'éléments, dont les communications et la politique étrangère. M. Dion disait ce matin qu'à son avis c'était la première fois qu'on employait dans un projet l'expression "société distincte". Je dois dire que la commission Pepin-Robarts, à la page 37, s'était déjà référée à l'expression "société distincte" dans le cas du Québec.

Je propose un amendement de style. Je vous dis, de grâce, débarrassons-nous de ce Canada concentré que je compare à une canette de Canada Dry. Ne pourrait-on pas plutôt parler de l'existence au Canada d'une communauté francophone concentrée, mais non limitée au Québec? Ce serait, je pense, déjà, un moindre mal. Il en va de même du Canada anglophone qui serait concentré... Je vais reprendre le texte: Un Canada anglophone concentré dans le reste du pays; imaginez ce que cela représente comme concentration. (16 h 45)

La formule de modification. À ce jour, le droit de retrait d'une province, au cas où elle refuserait de transférer une compétence au Parlement fédéral, se limitait aux modifications faites en matière d'éducation ou dans d'autres domaines culturels. Ce droit de retrait est étendu à tous les domaines. Le Québec, en pratique, obtient donc le droit de dire non en ce qui le concerne à une diminution de sa compétence. C'est là un droit de veto. Chaque fois qu'il dira non, il se donnera un statut particulier.

Le fait que la compensation versée soit juste au lieu de raisonnable ne me semble pas significatif. S'il était possible d'adopter l'amendement proposé par M. Dion ce matin, qui proposait une compensation équivalente au coût réel, je me rallierais sans hésitation à cet amendement. À tout événement, il m'apparaît bien peu probable qu'un jour cette province, représentant plus de 50 % de la population canadienne, veuille se départir de l'une de ses compétences. Le développement du régionalisme canadien a été tel au

cours des 20 dernières années que c'est là une hypothèse qui m'apparaît tout à fait impossible.

En matière de modification des institutions fédérales, l'unanimité requise confère un veto à chaque province, donc, bien sûr, au Québec. Le Québec se trouve protégé contre toute réforme institutionnelle à laquelle il s'opposerait. La formule est rigide. Mais l'unanimité au lac Meech n'a-t-elle pas repris ses lettres de noblesse un peu?

La Cour suprême du Canada maintenant. L'existence de la cour serait enfin garantie par la constitution. L'obligation que le tiers de ses membres soit choisi à même les avocats et juges du Québec serait aussi garantie par la constitution. Je suggère cependant de remplacer "Barreau civil" par "Barreau du Québec" pour enlever toute ambiguïté vu que des universités dans d'autres provinces ont des facultés de droit civil et vu aussi qu'on peut se référer à Barreau civil par opposition à Barreau criminel. Mieux encore, je pense qu'il faudrait utiliser une autre expression car les juges - ne l'oublions pas - ne sont plus membres du Barreau lorsqu'ils sont nommés. Je suggérerais qu'on choisisse les juges du Québec parmi les membres du Barreau de la province de Québec ou parmi les juges qui, au moment de leur nomination, étaient membres dudit Barreau.

M. Dion, ce matin, a proposé la formule de "juriste civiliste québécois". Elle me fait hésiter un peu parce que je ne suis pas certain que le mot "juriste" signifie nécessairement "membre du Barreau". Je ne suis pas non plus certain qu'une expression de la sorte pourrait permettre à des avocats qui sont spécialisés en droit criminel d'accéder à la Cour suprême du Canada. Je pense que ce serait une expression qui serait beaucoup plus ambiguë que celle que je vous propose.

Finalement, le double veto en matière de nomination des juges de la Cour suprême constitue une solution qui m'apparaît fort ingénieuse et qui comble à 100 % les attentes du Québec et qui, même, les dépasse, je dirais.

Sur l'immigration, vraiment, je n'ai pas à ajouter à ce qui a déjà été dit. C'est une formule pratico-pratique qui me paraît là aussi combler les attentes du Québec.

En ce qui concerne le pouvoir de dépenser, c'est là la seule condition de l'accord de principe qui me laisse perplexe. Telle qu'elle est rédigée, elle ouvre la porte à plusieurs interprétations. J'y vois personnellement la possibilité qu'elle accroisse l'étendue du pouvoir fédéral de dépenser. Le professeur Beaudoin, dans son intervention d'hier, estime qu'elle ne modifie pas la définition restrictive qu'en ont donnée le Conseil privé et la Cour suprême. Si le professeur

Beaudoin a raison - et je souhaite qu'il ait raison - les provinces ont obtenu un droit de retrait qu'elles ne détenaient pas auparavant et le pouvoir de dépenser demeure ce qu'il était, soit le pouvoir de dépenser des deniers, mais sans, par des contraintes, occuper le champ législatif provincial. Je sais bien qu'en pratique mes craintes sont atténuées d'une part par le fait que les nouveaux programmes conjoints se font de plus en plus rares - l'État-nation ayant presque atteint le point de saturation - et qu'à tout événement ils ne sont mis sur pied par le gouvernement fédéral qu'après que ce dernier se soit assuré d'un consensus important des provinces dans des domaines qui touchent généralement les plus démunis des citoyens. D'autre part, mes craintes sont atténuées par le fait que les provinces réfractaires, si elles veulent profiter des fonds fédéraux, se voient attribuer une marge de manoeuvre considérable pour mettre sur pied une initiative parallèle. Les mots "initiative ou programme" me paraissent plus souples que "proqramme" et les mots "compatibles avec les objectifs nationaux" me paraissent plus souples, par exemple, que "conforme aux critères nationaux". Mais, dans un domaine comme celui du pouvoir de dépenser, je voudrais quand même m'assurer que le professeur Beaudoin a raison. La formule du lac Meech, quand on la regarde, me semble une conclusion à laquelle il manque une prémisse. Je propose qu'il y ait au moins dans cette prémisse la clause de sauvegarde déjà retenue à l'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qui se lit: "Sous réserve des compétences législatives du Parlement et des Législatures et de leur droit de les exercer."

En terminant, M. le Président, j'aimerais dire que cet accord de principe, s'il est ratifié, permettra une fois pour toutes aux Québécois et aux Québécoises de savoir s'ils sont ou non à l'aise au sein de l'État fédéral canadien. Cette entente ne dit pas qu'ils le sont, cette entente dit tout au plus qu'ils sont prêts à jouer le jeu. Ils ont dit non, les Québécois, le 20 mai 1980, parce qu'ils se sont fait dire que les rèqles du jeu changeaient. Voilà que, finalement, sept ans plus tard, ces rèqles changent. L'épreuve du fédéralisme postréférendaire commence véritablement aujourd'hui. Le Québec avait voulu donner une chance au fédéralisme en 1980; il la lui donnerait aujourd'hui en ratifiant cette entente. S'il s'avère que cet accord, à l'expérience, ne produise pas les résultats escomptés, s'il s'avère que les tribunaux lui donnent une interprétation qui affaiblit le rôle du Québec au sein de la Fédération canadienne, le Québec agira en conséquence à ce moment-là. Mais je crois que ce serait une erreur aujourd'hui de dire non pour le motif qu'il y a trop d'inconnus. Il y aura toujours des inconnus, quel que soit

le texte proposé, et on ne saura jamais qu'à l'expérience si cette expérience méritait d'être vécue. Je dis oui à l'expérience, me réservant toute liberté, le temps venu, de dire non aux résultats, s'ils ne conviennent pas au Québec.

Je termine en répétant la question que je formulais au début, la question à laquelle nous avons à répondre aujourd'hui est la suivante: Les termes de ce projet d'entente permettront-ils au Québec de rallier les rangs de la famille canadienne avec un espoir solide et une possibilité sérieuse d'en arriver à un renouvellement du fédéralisme qui soit compatible avec les aspirations du Québec au sein d'un État fédéral? À cette question, M. le Président, je dis oui sans aucune hésitation. Je vous remercie.

Le Président (M. Filion): Merci, Me Décary. La parole est maintenant à un porte-parole du groupe ministériel. M. le ministre. Trente-six minutes de chaque côté. M. le ministre, la parole est à vous.

M. Rémillard: Me Décary, je vous remercie de venir témoigner devant nous. Vous êtes un avocat qui travaillez beaucoup sur ces questions constitutionnelles de par votre pratique. Vous avez aussi beaucoup écrit en matière constitutionnelle, vous êtes donc un spécialiste de ces matières et votre témoignage noua éclaire beaucoup. Sur un point que nous avons discuté - je dirais fortement - depuis ces deux jours de commission parlementaire, concernant donc la société distincte et la dualité, vous nous suggérez des modifications à la façon dont on a utilisé les termes pour décrire cette dualité. Vous employez l'expression d'un "Canada Dry" et nous retenons très bien votre suggestion. Sur la société distincte, vous en arrivez à la conclusion que la définition proposée par le professeur Léon Dion serait dangereuse, si je comprends bien, parce qu'elle risquerait de restreindre la portée. Vous, comme juriste, comme praticien, vous qui avez l'expérience des cours de justice, vous en arrivez à la conclusion qu'il ne faut pas définir, parce qu'en définissant nous restreignons la portée de cette expression "société distincte".

Sur le pouvoir de dépenser, vous vous posez des questions. Le professeur Beaudoin auquel vous vous référez nous a dit que le pouvoir de dépenser existe dans la constitution canadienne de par les décisions, entre autres, celle de 1978 de la Cour suprême canadienne, mais vous nous dites qu'il faudrait une clause de sûreté, une soupape de sûreté qui établirait que, peu importe l'interprétation qu'on donne à ces textes de l'entente, on ne modifie en rien le partage des compétences législatives. Est-ce que c'est dans ce sens que je vous ai compris?

M. Décary: Oui, M. le ministre.

M. Rémillard: Je peux vous dire que nous prenons bonne note de votre recommandation. S'il y avait une telle recommandation, est-ce que vous considérez que la clause sur le pouvoir de dépenser serait acceptable?

M. Décary: Oui, cela me rassurerait complètement.

M. Rémillard: Me Décary, est-ce que vous voyez une relation entre cet énoncé de l'entente sur le pouvoir de dépenser et un autre, qui passe inaperçu, mais sur lequel je voudrais attirer l'attention des membres de la commission, celui qui propose de consacrer dans la constitution la conférence annuelle des premiers ministres sur l'économie, prévue actuellement par le protocole d'entente de février 1985? Vous qui avez fait partie de la commission Pepin-Robarts, est-ce que vous voyez là un élément positif qui pourrait nous amener sur une nouvelle piste dans l'évolution de notre fédéralisme en fonction des principes que dégageait justement la commission Pepin-Robarts?

M. Décary: Oui. M. le ministre, c'est évidemment une proposition qui coïncide avec ce qu'on appelait le fédéralisme exécutif à l'époque, qui permet et qui force même les premiers ministres à se rencontrer sur une base régulière, sans qu'il y ait nécessairement de crise à l'horizon. Je pense que tout ce qui peut permettre à nos onze premiers ministres de se rencontrer, sans que ce soit pour répondre à un besoin précis, m'apparaît extrêmement important et extrêmement utile. Je ne sais pas si une fois par année... On peut discuter des modalités et du nombre. Je ne voudrais quand même pas, non plus, que les premiers ministres passent leur vie à se rencontrer à Ottawa ou ailleurs et néqligent un peu les questions purement provinciales. Je pense qu'il y a un dosage là-dedans comme dans d'autres choses. Mais je pense que, surtout en matière économique, il est extrêmement important que les premiers ministres aient l'occasion de se voir le plus sauvent possible sur une base officielle. Je vous dirais que, personnellement, je souhaiterais que ce soit à l'abri des caméras. Je pense qu'il se fait beaucoup plus de travail en coulisse, que les politiciens sont beaucoup plus naturels et que les concessions et les compromis sont beaucoup plus faciles. Peut-être que cette entente du lac Meech en est un résultat assez éloquent. Je ne pense pas qu'on serait arrivé à cette entente si la conférence avait été publique.

Le Président (M. Filion): M. le ministre.

M. Rémillard: Cela va.

Le Président (M. Filion): Cela va? Je vais reconnaître maintenant un représentant de l'Opposition. M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Me Décary, sur le pouvoir de dépenser, comment verriez-vous l'articulation concrète qui, d'une part, permettrait de ne pas avaliser le passé et, d'autre part, ne confirmerait pas, à toutes fins utiles, la notion des "national standards" ou des objectifs nationaux qui, comme on le sait, ont pour effet de réduire de façon considérable la marge de manoeuvre de l'État québécois? En deux minutes.

M. Décary: Écoutez, M. le chef de l'Opposition, je n'ai pas fait de propositions concrètes sur ce plan. Je pense qu'il faudrait s'inspirer de l'article 36 de la loi de 1982 où on dit: "Sous réserve des compétences législatives du Parlement et des Législatures et de leur droit de les exercer, le Parlement et les Législatures..." Si on pouvait trouver une façon d'insérer les Législatures dans l'exercice du pouvoir fédéral de dépenser, je pense que cela confirmerait encore davantage la jurisprudence actuelle. Il faudrait vraiment essayer de trouver une façon - et, même, je le mettrais dans la partie III de la constitution - en s'inspirant de l'article 36.

M. Johnson (Anjou): Merci, Me Décary. C'est la seule question que j'avais à vous poser.

Le Président (M. Filion): Merci. Je vais reconnaître maintenant M. le député de Bourget. (17 heures)

M. Trudel: Merci, M. le Président. Me Décary, je ne prendrai pas beaucoup de temps pour rappeler une vieille amitié qui date d'une vingtaine d'années en des lieux qui n'étaient ni Québec, ni Montréal, ni même le Canada. Il me fait plaisir de vous saluer. Connaissant, notamment par vos écrits et par les différentes interventions que vous avez faites, l'intérêt que vous portez à la minorité francophone au Canada, j'aimerais vous entendre parler de ce que cet accord peut apporter à cette minorité francophone au Canada. J'ai l'impression qu'en renforçant le caractère distinct du Québec, le gouvernement et l'Assemblée nationale vont protéger de leur mieux ce volet francophone de la dualité canadienne. J'aimerais vous entendre parler sur cette question.

M. Décary: Vous touchez effectivement, M. le député, à une de mes préoccupations principales. Je suis extrêmement heureux qu'on consacre cette fois-ci, dans la constitution, le principe de la dualité. Cela m'avait toujours choqué, en 1982, de voir que la constitution ne devait être interprétée que de manière à promouvoir le patrimoine multiculturel. J'ai toujours regretté que les seules garanties qu'on ait données aux minorités francophones hors Québec soient celles dites linguistiques, aux articles 16 et suivants, et qu'elles ne s'appliquent même pas à toutes les provinces. C'était une lacune absolument insupportable. Et je dois dire que, lorsque j'étais à la commission Pepin-Robarts, vous savez, bien sûr, que nous avions recommandé à l'époque qu'on enlève les garanties constitutionnelles accordées aux minorités linguistiques. On se disait: Mieux vaut attendre qu'il y ait un consensus social, que les gouvernements bougent; ainsi, il n'y aura pas de ressac à ce moment-là. Et on s'était dit aussi à l'époque: Ca va tellement bien au Québec pour la minorité anqlophone qu'elle n'a pas vraiment de garantie constitutionnelle et que ce n'est pas grave si on la lui enlève.

Je dois dire que, là-dessus, en toute humilité, j'ai changé d'idée. Ma pratique d'avocat m'a permis, m'a donné l'occasion de représenter des francophones hors Québec. Je les ai représentés en Cour d'appel de l'Ontario pour défendre leur droit à gérer leurs écoles. Je les ai représentés en Cour suprême du Canada une fois pour permettre à un parent de Vonda, en Saskatchewan, d'avoir une école primaire en français. Je les ai représentés également, au nom des Acadiens du Nouveau-Brunswick, pour essayer de convaincre la Cour suprême - on n'a pas réussi - que ces gens-là avaient le droit d'être entendus par un juge qui les comprenait. À l'occasion de ces dossiers-là, j'ai vraiment chanqé ma philosophie, mais vraiment complètement, à l'égard des minorités hors Québec. Quand j'étais à Montréal, et à l'époque où j'étais à la commission Pepin-Robarts j'étais Montréalais, les francophones hors Québec étaient une espèce en voie d'extinction. On les aimait bien, on se sentait un peu à leur égard comme des gens qui vont voir un mourant et qui lui administrent les derniers soins. On se disait: On va les aider, mais, dans le fond, il n'y a pas grand-chose là. Mais je dois dire très sincèrement que j'ai été absolument estomaqué de voir la vitalité de cette population francophone en dehors du Québec. Je ne pensais pas, il y a huit ans, que c'était possible et je regrette - je le dis -certaines des choses que j'ai pu suggérer ou même écrire à l'époque. En toute humilité, je l'ai fait vraiment dans l'ignorance de ce que ces gens-là étaient. II y a une force, il y a une culture extraordinaire. M. Dion parlait ce matin du parler et de l'écrit français au Québec. Je dois dire qu'on parle beaucoup mieux et qu'on écrit beaucoup mieux le français maintenant hors du Québec qu'au Québec. Ces gens-là sont restés fidèles

à notre culture beaucoup plus que nous et leur système scolaire s'efforce beaucoup plus que le nôtre de donner aux francophones une culture qui soit vraiment française.

Cela m'amène à me réjouir évidemment qu'on reconnaisse maintenant ta dualité. Je constate que cette entente ne force pas les provinces à accroître les protections qu'elles leur donnent, mais je constate cependant qu'elle les oblige à préserver celles qu'elles ont maintenant. Et cela rejoint la minorité linguistique au Québec, la minorité anglophone. Je dois dire que, de toute façon, personnellement, je suis en faveur d'une protection de toutes les minorités officielles au Canada, qu'elles soient anglophones au Québec ou ailleurs. Mais je dois dire qu'au nom des minorités francophones hors Québec, il serait extrêmement dangereux de vouloir chercher, pour protéger quelque intérêt du Québec, pour permettre, disons, au Québec, d'empêcher un commerçant de dessiner une fleur en anglais au bas d'une affiche, il serait extrêmement dangereux de chercher à réduire la protection constitutionnelle accordée aux anglophones du Québec, parce que, ce qu'ont les anglophones au Québec, les francophones hors Québec ont l'espoir de l'avoir. C'est évident que la situation n'est pas la même, il y a là une asymétrie totale, c'est sûr. Depuis huit ans, je dois dire depuis Pepin-Robarts, c'est extraordinaire ce qui a pu se développer. C'est rendu que l'Ontario devient à toutes fins utiles une province bilingue. Je pense qu'il serait extrêmement malheureux que, par des démarches à ce stade, pour priver la minorité anglophone des droits constitutionnels qu'elle a, on puisse mettre un frein à l'expansion qui attend nos minorités francophones en dehors du Québec.

Le Président (M. Filion): M. le député de Bourget.

M. Trudel: Un très courte question, Me Décary, si vous le permettez, qui tourne sensiblement autour du même sujet. Vous écrivez, à la page 2 de votre texte, à la toute fin de la page 2, au début de la page 3: "La protection et la promotion du caractère distinct du Québec seront l'affaire de l'Assemblée nationale - et vous le soulignez - et du gouvernement - vous avez insisté là-dessus tantôt - du Québec. C'est la première fois, me semble-t-il, qu'une proposition va si loin et reconnaît le rôle du gouvernement québécois comme tel." Vous parliez tantôt du rôle du Québec vis-à-vis de la promotion de sa propre société et, tantôt, vous venez de nous parler du rôle des autres provinces dans la protection du français. Pouvez-vous élaborer là-dessus?

M. Décary: La différence remarquable entre les deux articles, c'est que, dans un cas, c'est non seulement l'Assemblée nationale, mais c'est aussi le qnuvernement. Je ne sache pas qu'il y ait jamais eu même d'espoir de proposition dans ce sens, de reconnaître au Canada, à un qouvernement provincial - non pas à sa législature, à un gouvernement - un statut vraiment particulier. Cela m'apparaît extrêmement significatif. J'y vois un qain magistral. Je n'aurais jamais cru possible qu'on puisse inscrire dans la constitution du Canada que le gouvernement du Québec avait un rôle à jouer dans le domaine de la protection et de la promotion de son caractère distinct,

M. Trudel: Merci, M. Décary, merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le député de Bourget, Je vais reconnaître maintenant un intervenant du côté de l'Opposition. Pas de questions? Je vais maintenant reconnaître Mme la ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration.

Mme Robic: Merci, M. le Président. M. Beaudoin, bienvenue. Vous dites...

M. Décary: M. Décary.

Mme Robic: Excusez-moi, M. Décary. M. Décary, bienvenue. Vous dites, dans votre texte, au sujet de l'immigration, que c'est une formule pratique qui vous paraît combler les attentes du Québec. Le professeur Morin, tout à l'heure, nous a dit: Le Québec n'a rien obtenu de nouveau dans ce domaine. Pourtant, et corrigez-moi si je me trompe, nous avons, je crois, obtenu beaucoup dans ce domaine. Nous obtenons d'abord la prépondérance législative en matière de sélection sur place, en matière de détermination des niveaux d'immigration qui sont fort importants en ce moment pour le Québec et nous obtenons une exclusivité en matière d'accueil, d'adaptation et de francisation des immigrants. Ce sont certainement des pouvoirs fort importants pour assurer notre sécurité culturelle. J'aimerais que vous nous donniez un peu votre point de vue là-dessus.

M. Décary: Je dois vous dire bien honnêtement, madame, que je ne suis pas du tout spécialiste en matière d'immigration. Je reconnais que ce que je retrouve là-dedans m'apparaît répondre à ce que le Québec a toujours demandé. Je constate, en plus de ce que vous venez de mentionner, la prépondérance en matière de sélection et de détermination, et l'exclusivité en matière d'accueil et d'adaptation, ce qui est évidemment extrêmement important dans le caractère distinct du Québec. Je constate également l'obligation du gouvernement fédéral, éventuellement, de rembourser ce qu'il en coûtera au Québec. Cela aussi, je

pense que c'est un gain qui me paraît important.

Ce que j'aime aussi dans cette entente, c'est qu'elle permet d'être réajustée au fur et à mesure que les besoins l'exigeront. Je n'aime pas particulièrement l'idée d'avoir une entente aussi détaillée dans une constitution. Sur un plan de constitutionnaliste, je dois dire que cela me paraît vraiment beaucoup à inscrire dans une constitution, surtout qu'on dit qu'on pourra la changer à mesure. Je pense que les principes qui sont reconnus là, eux, devront être enchâssés. Que les ententes en particulier le soient à mesure, il faudra le juger au moment opportun. Dans l'ensemble, ce pouvoir qu'on nous reconnaît maintenant de façon formelle m'apparaît satisfaire tout à fait à nos attentes...

Le Président (M. Filion): Cela va. Je comprends qu'il n'y a plus de questions du côté de l'Opposition. Je vais donc reconnaître M. le leader adjoint du gouvernement.

M. Lefebvre: Me Décary, vous faites référence, dans votre texte, à la page 2, à la dualité canadienne et à la société distincte. La société distincte, effectivement, sera, à partir du moment où il y aura une entente formelle, partie intégrante de la constitution et pas simplement dans son préambule, et le Québec, Me Décary, sera reconnu, comme société distincte constitutionnellement, juridiquement et légalement, alors qu'actuellement il n'y a là qu'une reconnaissance de fait, ce à quoi faisait d'ailleurs référence le chef de l'Opposition hier, à savoir que le caractère distinct du Québec étant déjà reconnu dans les faits, il n'y avait pas de gain à ce que le caractère distinct soit reconnu constitutionnellement, juridiquement et légalement. J'aimerais que vous élaboriez sur le gain que cela représente, à savoir que le caractère distinct sera reconnu juridiquement et légalement, et non seulement dans les faits.

M. Décary: II ne semble pas que ce soit évident que c'est reconnu dans les faits, si on écoute certaines réactions dans le reste du pays actuellement. C'est clair que cela fait au moins 20 ans, sinon 30 ans, qu'on se bat pour faire reconnaître dans la constitution canadienne la spécificité québécoise, quel que soit son nom, sa désignation ou son contenu. On a enfin - et pas seulement dans le préambule - dans la constitution même une reconnaissance par le biais d'un principe d'interprétation du caractère distinct du Québec. Je pense que quiconque plaide devant les tribunaux ne pourra pas nier que cet apport est décisif, qu'à compter de maintenant, lorsqu'on interprétera la constitution canadienne... Je souliqnais tantôt que, contrairement à la clause d'interprétation qui favorise le multiculturalisme, la clause qui reconnaît le caractère distinct du Québec se retrouvera non seulement dans la charte canadienne mais dans toutes les lois constitutionnelles canadiennes de sorte que, quand on interprétera le partage des compétences, on devra en tenir compte. Quand on va interpréter l'article 1 de la charte canadienne, la société libre, "raisonnable" et tout cela, on devra en tenir compte. Quand on va interpréter finalement tous les documents constitutionnels qui peuvent toucher à un des éléments du caractère distinct du Québec, on va devoir en tenir compte. Cela me paraît absolument majeur.

Je ne peux pas vous dire aujourd'hui, bien sûr, ce que cela va donner en pratique. Autant je ne peux pas vous promettre que cela va être aussi bien que ce que j'en pense, autant je peux vous dire qu'il n'y a aucun de ceux qui en disent beaucoup de mal qui peuvent vous promettre que cela va être aussi mauvais que ce qu'ils pensent. Il n'y a aucune garantie là-dessus. Mais il est très évident, à mes yeux, dans le contexte de l'accord de 1982 et de l'accord du lac Meech, que ce caractère distinct du Québec a été reconnu pour répondre aux attentes du Québec en tant que société distincte, principalement par sa francophonie, par son caractère francophone. Il n'y a aucun doute, à mes yeux, que les tribunaux vont interpréter le caractère distinct comme étant une espèce de chèque en blanc donné au gouvernement du Québec et à l'Assemblée nationale pour protéger et promouvoir à l'avenir les intérêts de la francophonie québécoise.

Si vous me permettez d'ajouter une chose, on a beaucoup parlé de la nécessité de définir ou de ne pas définir "société distincte". Je pense que les principes généraux d'interprétation constitutionnelle sont tels que, si on ne définit pas "société distincte", si on laisse l'article dans l'état dans lequel il se trouve maintenant, les tribunaux n'auront d'autre choix que d'interpréter cette notion comme étant la réponse donnée par les gouvernements des autres provinces aux revendications du Québec depuis longtemps, particulièrement depuis 1982. Il y a toute une jurisprudence établie et j'en ai une liste ici. Je pourrai vous la passer si cela vous intéresse. C'est la théorie du "mischief", comme on l'appelle. En cas d'ambiguïté, les tribunaux vont rechercher à quel mal on a voulu remédier lorsqu'on a adopté une disposition. Cette théorie permet même de recourir à des documents non juridiques, à des documents qu'on appelle historiques. (17 h 15)

Dans ce cas-ci, par exemple, si la Cour suprême est appelée à définir ce qu'est le

caractère distinct du Québec, elle pourra aller chercher le rapport de la Commission sur l'unité canadienne. Elle pourra aller y voir ce que cette commission disait de la société distincte. Elle pourra même - c'est surprenant on va peut-être faire l'histoire sans le savoir - venir lire ce qui s'est dit ici. La Cour suprême a élargi ses règles d'interprétation, elle accepte maintenant à l'occasion de déterminer, d'interpréter, à la lumière de débats parlementaires. Je dirais que c'est peut-être dangereux de faire un changement à cet article-ci, à ce moment-ci, parce que, si ce changement était refusé par les autres provinces et par le gouvernement fédéral, cela pourrait laisser la cour penser que cela a été refusé, parce que les autres provinces ne partageaient pas notre point de vue là-dessus. Je pense que, sur le plan de l'interprétation constitutionnelle pure, le moins on changera cette réalité qu'est la société distincte, le plus de chances on aura qu'elle soit interprétée comme signifiant le fait qu'au Québec on y est francophone, qu'on a une histoire francophone commune, des lois francophones, une langue de type francophone, enfin, tout ce que la commission Pepin-Robarts avait dit. D'autant plus, si vous vous souvenez de la commission Pepin-Robarts - évidemment, comme on parle de la commission Pepin-Robarts, je dois dire que j'en suis très heureux, parce que j'ai participé à son enterrement il y a sept ans et cela a l'air d'un jour de Pâques aujourd'hui - la commission Pepin-Robarts était allée beaucoup plus loin que les six éléments dont je parlais tantôt. On avait dit: Le partage des compétences doit se faire en fonction du caractère distinct du Québec. On avait énuméré toute une liste de compétences qui répondaient au caractère distinct du Québec. Je dois dire avec respect pour M. Léon Dion, que sa proposition est, je pense, valable en soi; c'est évident que, n'eussent été les règles d'interprétation dont je vous ai parlé, je me rallierais à cent pour cent. Mais je pense qu'il n'a aucune raison de s'inquiéter. Ce qu'il ajoute à la clause est déjà dedans et j'aimerais que M. Dion qui n'est pas juriste puisse vraiment être rassuré là-dessus, les tribunaux ne pourront pas faire autrement, grâce notamment aussi à son témoignage, que de dire que la langue est quand même le point essentiel visé par cette définition.

M. Lefebvre: Merci, Me Décary.

Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître maintenant M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Scowen: Me Décary, j'ai trois questions à vous poser. Deux touchent des questions de vocabulaire et la troisième est plus générale. Je pense que vous avez déjà répondu en partie à ces deux premières, mais j'aimerais qu'on puisse y revenir brièvement. Je parle de l'article concernant le caractère distinct. M. Morin, ce matin, a fait un grand plat au sujet de cette distinction entre le Canada francophone, qui est concentré mais non limité au Québec, et le Canada anglophone qui est concentré dans le reste du Canada mais présent au Québec. Je dois vous dire qu'avant qu'il fasse ce discours, je l'avais lu et à titre d'anglophone je n'avais pas pensé, quand il l'a proposé, que le contraire pouvait être aussi bien pour lui, mais probablement totalement inacceptable pour Alliance Québec, comme il l'a dit. Je ne voyais, je ne voyais pas, moi, personnellement quelque chose là qui me préoccupait. Vous en avez parlé brièvement, mais j'aimerais connaître vos commentaires sur la portée et l'importance de ces mots et de la distinction qui est faite dans cet article.

M. Décary: M. le député, outre le fait que je déplore le côté stylistique de l'expression utilisée "concentré mais non limité au Québec" et "concentré dans le reste du pays mais présent au Québec", je ne vois pas personnellement de différence. Il s'agissait de trouver une formule précisant que les anglophones sont partout ailleurs qu'au Québec et qu'au Québec, ils sont là, mais on ne peut pas dire qu'ils sont concentrés. Est-ce qu'on peut dire qu'ils sont concentrés au Québec? Sûrement pas. Ils ne sont pas limités au Québec non plus. L'expression "présent au Québec" m'apparaît tout à fait convenable. Je ne vois pas de problème avec cette définition.

M. Scowen: C'était mon impression aussi. La deuxième question à laquelle vous avez fait allusion, c'est peut-être un peu plus important, mais c'est aussi une question de vocabulaire. C'est beaucoup plus qu'une question de vocabulaire parce que, au paragraphe (2), on parle de l'engagement de protéger la dualité et, au paragraphe (3), de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise. J'aimerais juste que vous nous disiez, et peut-être même que vous le répétiez, parce que vous y avez fait allusion, ce qu'est pour vous la portée de ces deux obligations, qui sont certainement différentes l'une de l'autre.

M. Décary: Vous voulez dire entre protéger et promouvoir, d'un côté, et protéger seulement, de l'autre côté?

M. Scowen: Oui. Je pense que vous avez dit, par exemple, que, quant à vous, les gouvernements, les Législatures et le Parlement n'avaient pas l'obligation d'aller plus loin dans l'évolution de la dualité que la situation actuelle. Autrement dit, que le gouvernement du Manitoba ou de l'Ontario

n'a pas l'obligation d'étendre ou de promouvoir la francophonie sur son territoire et que le Québec n'a pas l'obligation de pousser plus loin le caractère anglophone, ou la présence anglophone ici, tandis que, au Québec, en ce qui concerne la société, il y a une obligation d'aller plus loin. Est-ce que c'est à peu près cela?

M. Décary: Oui. C'est, disons, l'interprétation que j'en donne. Je soulignais tantôt que c'est justement pour respecter la disposition qu'il y a dans loi de 1982. On disait: La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des Législatures de favoriser la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français et de l'anglais. Remarquez, je n'étais pas là, mais je pense que le but premier de la distinction, c'est qu'on a voulu s'assurer qu'on n'imposait pas aux Législatures provinciales, non plus qu'au Parlement, mais surtout aux Législatures provinciales, d'obligation additionnelle en matière de protection de leur minorité, à celle qui était déjà contenue dans la constitution de 1867 et dans celle de 1982. Cela rejoint peut-être la préoccupation qu'on avait exprimée dans Pepin-Robarts de ne pas essayer de forcer les provinces, que ce soit le Québec à l'égard de sa minorité anglophone ou les autres provinces à l'égard de leur minorité francophone, de ne pas les forcer à faire des choses par le biais d'entente comme celle-ci. C'est l'interprétation la plus logique et qui, je dois dire, me paraît la plus convenable aussi.

M. Scowen: Pour que ce soit très clair, quant à vous, le paragraphe (2) a pour effet de dire que les autres provinces n'ont pas l'obligation de pousser plus loin l'évolution ou le développement de la minorité francophone dans leur province, pourvu, bien sûr, qu'elles respectent les éléments de la charte qui sont déjà là.

M. Décary: C'est cela. On protège, je pense, ce statu quo en termes de protection des droits des minorités dans toutes les provinces du pays.

M. Scowen: Ce n'est pas un amendement pour pousser plus loin la francophonie à l'extérieur du Québec?

M. Décary: Je ne le vois pas comme cela. Je ne le vois absolument pas comme cela. Je pense que les provinces s'engagent à protéger les droits de leur minorité. C'est ainsi que je le reconnais.

M. Scowen: La dernière question que je voulais vous poser est un peu plus générale. Vous vous souvenez que, pendant les travaux de la commission Pepin-Robarts. plusieurs après-midi ont été passés sur des discussions concernant les droits collectifs et les droits individuels. Je pense qu'on a même essayé de les définir à plusieurs reprises. Ici, nous avons la Charte canadienne des droits et libertés et, maintenant, nous avons un paragraphe (3) qui est, il me semble, très probablement l'expression d'un droit collectif le rôle de protéger et promouvoir quelque chose qu'on appelle le caractère distinct de la société québécoise. Est-ce que vous pouvez commenter un peu comment vous envisagez l'évolution de la pensée des tribunaux face à notre charte qui existe déjà et à ce nouvel élément qui est une responsabilité collective? Est-ce que l'un doit primer l'autre, s'il y a conflit entre les deux? Quel est le poids relatif que les cours vont probablement donner à cet élément, qui est une responsabilité collective, un droit collectif, par rapport à des éléments dans la charte que vous connaissez très bien et qui existent concernant les libertés fondamentales?

M. Décary: Cet élément de société distincte, de caractère distinct permettra aux tribunaux de considérer le Québec d'une façon tout à fait privilégiée quand viendra le temps de déterminer si une loi est acceptable dans une société libre et démocratique, parce que le Québec ne devient pas n'importe quelle société à ce moment-là; le Québec devient la société distincte dont il est fait état ici. Je pense et je suis pas mal convaincu - mais sans garantie toujours, je ne vous donnerai aucune garantie aujourd'hui - qu'à l'avenir, lorsqu'un tribunal québécois, y inclus la Cour suprême, interprétera l'article 1 de la charte canadienne, la preuve à faire ne sera plus du tout la même. Actuellement, comme dans le domaine linguistique, il fallait essayer de démontrer que cela se faisait comme cela en France, en Belgique ou en Suisse. C'étaient des preuves vraiment à peu près impossibles à faire tellement les situations étaient différentes. Là, finalement, on se trouve à nous dire: Faites la preuve que chez vous c'est raisonnable, faites la preuve que chez vous vous en avez besoin et, à ce moment-là, cela devrait être conforme à la charte. C'est comme cela que je vois l'interprétation de ce texte. Est-ce que cela répond à votre question, M. Scowen?

M. Scowen: C'est certain qu'il est possible d'avoir une réponse totale à une telle question. Laissez-moi vous donner un exemple concret pour terminer. Concernant le fameux cas d'appel de la Cour suprême au sujet de l'affichage, l'article 58 et la liberté d'expression, je vois deux éléments dans cette partie de notre nouvelle constitution que les tribunaux pouvaient utiliser comme point de référence, mis à part les doutes qui sont déjà là et que j'ai mentionnés.

Premièrement, la question de la dualité, au point (l)a), et la société distincte, au point (l)b). Est-ce que vous pensez que l'existence de ces deux nouveaux éléments va changer l'équilibre qui existe dans ce cas précis?

M. Décary: II faut faire attention quand on parle de liberté d'expression; dans un sens, on sort un peu du débat. J'ai entendu des interventions plus tôt qui faisaient grand état de ces décisions sur l'affichage. Il faut réaliser que le débat ne porte pas sur les langues de minorités quand on parle de la liberté d'expression. Le débat porte sur la liberté d'afficher, par exemple, dans la langue de son choix. Ce sont des garanties qui sont reconnues aussi bien par la charte québécoise que par la charte canadienne. À moins de se servir de la clause dérogatoire aussi bien au Québec, relativement à la charte québécoise, et de s'en servir à l'égard de la charte canadienne, je pense qu'il faut être bien conscient que la liberté d'expression s'interprète indépendamment du contexte constitutionnel canadien. Enfin, c'est mon interprétation. Si les tribunaux estiment qu'une minorité... que quelqu'un -ce n'est pas nécessairement une minorité, c'est quelqu'un; on ne parle pas de minorité quand on parle de la liberté d'expression - si on estime que quelqu'un peut s'exprimer dans sa langue quand vient le temps d'afficher, je pense que la cour, quoi qu'on fasse, va décider que l'anglophone, l'Ukrainien ou l'Italien a le droit de se servir de sa langue, mais elle pourra, par contre, se servir du rôle de la société distincte pour exiger que le français soit aussi présent et, même, de façon prioritaire. Je ne pense pas qu'on puisse se servir de 1 et de 3 pour rayer l'anglais de la carte au Québec dans ces domaines. Je pense que ce n'est pas une interprétation qui me paraît compatible. Ce n'est pas l'anglais en tant que langue d'une minorité, c'est l'anglais en tant que langue d'une personne qui parle une autre langue que le français. Il y a beaucoup de confusion dans la liberté d'expression. (17 h 30)

M. Scowern: Oui, c'est vrai. Merci, Me Décary. '

Le Président (M. Filion): À mon tour, au nom des membres de cette commission, le temps étant maintenant expiré...

M. Lefebvre: Question de règlement, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Oui, je vous en prie.

M. Lefebvre: À ma grande surprise, l'Opposition, après avoir clamé sur tous les toits que c'était peut-être insuffisant...

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint du gouvernement, j'aimerais bien entendre...

M. Lefebvre: ...deux semaines d'audition...

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint du gouvernement.

M. Lefebvre: C'est une question de règlement, M. le Président.

Le Président (M. Filion): J'aimerais entendre votre question de règlement.

M. Lefebvre: J'y arrive, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Et non pas les commentaires...

M. Lefebvre: L'Opposition renonce à son temps de parole après nous avoir mentionné que, deux semaines d'audition, c'était insuffisant. Je trouve cela particulièrement surprenant. On a, devant nous, un témoin objectif et intéressant. M. le Président, est-ce que je pourrais avoir le consentement de l'Opposition pour utiliser son temps de parole, même s'il est déjà convenu que le temps non utilisé par un groupe parlementaire ne peut être utilisé par l'autre groupe? De consentement, si l'Opposition était d'accord, on pourrait utiliser le temps qui reste à la disposition de la commission pour continuer l'interrogatoire du témoin, Me Décary.

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin.

M. Rochefort: M. le Président, nous souhaiterions poursuivre avec ce qui a été prévu et, donc, inviter maintenant Me Andrée Lajoie à se présenter devant nous. Quant à l'exposé de Me Décary, il est clair.

Le Président (M. Filion): D'accord.

M. Lefebvre: Je comprends que je n'ai pas le consentement, M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, d'une part, je pense que vous saviez que le temps non utilisé par un groupe parlementaire pour l'audition d'un témoin ne pouvait être utilisé par l'autre groupe. D'autre part, vous constatez qu'il n'y a pas consentement pour que nous allions plus loin. À ce moment-ci, comme j'allais vous le dire, Me Décary, je voudrais, au nom des membres de cette commission, vous remercier de votre exposé et, également, pour la période des échanges. Merci. J'inviterais...

M. Trudel: Une question d'information, M. le Président. N'avions-nous pas convenu, en début de séance, que vous rendriez votre décision quant à la question de la télévision, avant d'entendre Me Lajoie?

Le Président (M. Filion): Oui. Après entente intervenue entre les deux porte-parole, l'un qui siège à votre gauche immédiate et l'autre qui siège juste en face de vous, il a été convenu que ma décision sur la question de règlement que j'ai prise en délibéré serait rendue après l'exposé de Me Andrée Lajoie, notre prochaine invitée que...

M. Trudel: Je m'excuse, M. le - Président, je n'étais pas au courant.

Le Président (M. Filion): ...j'invite immédiatement à prendre place à la table des invités.

Mme Andrée Lajoie, professeure en droit à l'Université de Montréal, bienvenue à cette commission. Je pense que vous êtes déjà au courant des règles: 20 minutes sont consacrées à votre exposé, à la suite duquel une période de 70 minutes est réservée à des échanges avec les membres de cette commission. Je vous invite donc è commencer votre exposé.

Mme Andrée Lajoie

Mme Lajoie (Andrée): Je vous remercie, M. le Président. Je voudrais d'abord apporter deux précisions avant de commencer. D'une part, il est bien évident que, traiter de droit constitutionnel à une commission parlementaire de l'Assemblée nationale, cela ne se fait pas dans un vacuum politique. Cependant, je voudrais indiquer, même si j'ai été invitée ici à la suggestion de l'Opposition, que je n'ai appartenu, à aucun moment de vie, à aucun parti politique et que je n'ai pas l'intention de le faire dans l'avenir. Si jamais je changeais d'idée, je voudrais bien pouvoir faire ce choix toute seule. J'espère que personne ne m'attribuera d'allégeance politique du fait de ma présence ici en regard de cette invitation.

D'autre part, je ne parlerai que sur la question du pouvoir de dépenser, sur laquelle je suis peut-être moins ignorante que sur d'autres questions. Je n'ai pas l'intention, lors de la période de questions, de répondre à des questions qui porteraient sur d'autres éléments. Si j'ai des déclarations a faire là-dessus, je les ferai dans un autre lieu. Je voudrais, cependant, qu'on n'en induise ni mon accord ni mon désaccord avec aucune des autres propositions, ni même avec le fait de signer cette entente. Je vous remercie.

Cela dit, je ferai un exposé aussi rapide que possible en trois points. Je vais d'abord parler du droit actuel en matière de pouvoir de dépenser, de l'effet qu'aurait l'adoption de la proposition telle qu'elle se lit et faire à mon tour deux suqgestions alternatives.

Mes commentaires sur les deux premiers points, c'est-à-dire sur le droit actuel et les modifications qu'apporteraient les propositions, reposent sur deux postulats que je voudrais énoncer. Le premier, c'est que - je pense que personne ici ne va me chicaner là-dessus - la constitution du Canada est fédérale et je présume qu'elle doit le demeurer aux termes des modifications qu'on visait à mettre au point au lac Meech et qu'il ne s'agit en aucun cas de terminer l'exercice avec une constitution unitaire d'un pays dont le siège serait à Ottawa. C'est mon premier postulat.

Le second, c'est que le Québec n'est pas allé au lac Meech pour perdre des plumes, pour diminuer ses pouvoirs et je l'entends, en particulier, du pouvoir de dépenser. Si vous me dîtes, M. le Président, que l'entente vise ce que M. Marchais aurait qualifié d'un accord globalement positif où certains avantages viendraient contrebalancer certains désavantages et que le pouvoir de dépenser serait le domaine où on serait prêt à perdre du terrain pour en gagner - je ne sais pas, moi - sur l'immigration ou sur la possibilité de nommer des juges ou de nommer des sénateurs, alors je pense que vous admettrez ce que je dis, soit que la formule actuelle du pouvoir de dépenser, telle qu'on se propose de l'amender, nous fait perdre des pouvoirs importants comme collectivité et comme Assemblée nationale ici. Sinon, si vous me dites que le but est, justement, de gagner sur ce point en particulier, alors, cela vaut la peine que je continue et que je vous explique ce que je pense de l'état actuel du droit sur ce point et de l'effet de la modification.

J'ai cherché - et c'est normal de définir le pouvoir de dépenser avant de commencer - une définition qui soit simple, qui ne soit pas technique, qui soit lapidaire et qui, en même temps, qualifie le pouvoir de dépenser comme il est, et j'en ai trouvé une d'un personnage célèbre. Je vais vous la lire d'abord. Certains d'entre vous le savent, d'autres le devineront. Les autres vont être surpris de l'auteur. Je cite: "Le fédéral ne peut pas légalement avoir dans ses coffrets de l'argent qu'il prévoit après coup devoir servir à des fins provinciales." C'est tout à la fois une définition et une qualification du pouvoir de dépenser. C'est nul autre que Pierre Elliott Trudeau qui a écrit cela en 1957, dans Cité libre, dans un article qu'il consacrait aux "octrois" fédéraux aux universités, comme cela s'appelait à l'époque et comme j'ai bien peur que cela recommence à s'appeler très bientôt. J'ai entendu hier la rumeur qu'une loi fédérale portant sur des normes en matière

d'enseignement supérieur est rédigée à Ottawa et n'attend que le dépôt des amendements du lac Meech pour être déposée è son tour.

Quant au pouvoir de dépenser, donc, je pense qu'il n'y a pas lieu de s'insurger contre le pouvoir du gouvernement fédéral de dépenser dans ses propres domaines de compétence. II n'y a pas lieu, non plus, de discuter ici de la péréquation qui a été constitutionnalisée par le deuxième paraqra-phe de l'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Le seul objet qui retiendra mon attention pour les minutes qui restent, c'est le pouvoir qu'exerce le gouvernement fédéral de dépenser dans des domaines de compétence provinciale. Et alors... J'aurais aimé avoir un verre d'eau, mais enfin.

Le Président (M. Filion): Est-ce qu'on peut vous aider?

Mme Lajoie: Oui, j'aurais aimé avoir un verre d'eau.

Le Président (M. Filion): Un verre d'eau.

Mme Lajoie: Donc, ce pouvoir n'est pas mentionné expressément dans la constitution, il résulte d'une pratique fédérale, d'une pratique administrative de nature constitutionnelle qui s'est produite en marge de la constitution, qui n'a jamais été officiellement acceptée, je crois, par le Québec et qui n'est pas, non plus, reconnue par les tribunaux.

On décèle deux tendances des tribunaux supérieurs en matière de pouvoir de dépenser, deux tendances qui sont toutes les deux présentes actuellement à la Cour suprême. La première tendance vise à considérer que le pouvoir de dépenser est une façon de faire indirectement ce que la constitution défend de faire directement, et elle est représentée à la Cour suprême par le juge Beetz dont je vais vous citer l'extrait d'un texte qui s'intitule "Les attitudes changeantes du Québec à l'endroit de la constitution de 1867", avant qu'il soit juge à la Cour suprême. Je vous citerai ensuite un texte du juge Laforest à l'effet contraire, qu'il écrivait également avant qu'il soit juge à la Cour suprême. Et comme je vous montrerai dans quelques instants que les décisions judiciaires ne sont pas concluantes en ce moment, c'est à ces deux tendances qu'on aura affaire si le pouvoir de dépenser est soumis à la Cour suprême.

Le juge Beetz écrivait: "L'on a donc vu les apologistes de ces mesures s'évertuer à démontrer que ces subventions n'étaient point conditionnelles et qu'elles ne portaient point atteinte à l'intégrité des institutions. Or, non seulement ce raisonnement péchait-il contre la logique puisqu'un subside même non conditionnel implique au moins l'identification du bénéficiaire et, par conséquent, un choix politique délibéré de la part du pouvoir fédéral dans une matière provinciale, mais encore il démontrait chez ceux qui tenaient ce raisonnement une incompréhension profonde du point de vue québécois. C'est doublement que le pouvoir fédéral portait atteinte à l'autonomie du Québec, d'abord en agissant dans un domaine réservé à la province, mais surtout parce qu'en faisant cette dépense, il privait la province des ressources nécessaires pour agir elle-même de la même manière ou de toute autre dans ce domaine ou dans un autre au moment de son choix, selon son bon plaisir." C'est la première tendance.

La seconde est représentée par le juge Laforest qui serait porté à valider le pouvoir de dépenser en vertu de l'article 91.1a qui donne au Parlement fédéral le pouvoir de légiférer sur les propriétés fédérales. Et, dit-il, l'argent, c'est une propriété comme une autre et, en conséquence, le pouvoir de dépenser découle de cela. Mais au moment où le juge Laforest, alors professeur, écrivait ce texte, il l'appuyait sur une décision de la Cour suprême dans l'affaire du renvoi de l'assurance-chômage, décision qui a ensuite été infirmée par le Conseil privé de sorte que, dans ces circonstances... Mais qui n'a pas été infirmée sur ce point précis. Et il conclut plus tard: "The validity of these schemes has never been tested. Thus far neither the Provinces nor the Dominion have demonstrated any inclination to refer the matter to the courts." Voilà. Le juge Laforest, qui estime que le pouvoir de dépenser est légal dit que la question n'a pas été décidée. Et le juge Beetz, qui estimerait sans doute, s'il suivait l'opinion qu'il a écrite dans ce texte, qu'il ne l'est pas, ne dit pas que la question est décidée.

Nous sommes donc devant une question ouverte et, si elle était présentée de la part du Québec ou d'une autre province - ou, maintenant, d'un justiciable parce qu'avec les arrêts Borowski et Finley n'importe qui peut soulever l'invalidité constitutionnelle de ces ententes - à la Cour suprême, nous aurions au moins - je dis bien au moins - 50 % des chances de gagner. (17 h 45)

Au lieu de cela, qu'est-ce qu'on propose? On propose d'adopter le texte qui paraît à l'entente du lac Meech et qui s'énonce - je souligne en passant que, depuis les énoncés du juge Laforest, le juge Pigeon, dans le renvoi sur l'orqanisation des produits agricoles, avait, je crois, validé le pouvoir de dépenser. Dans son jugement, il disait: À mon avis, l'intrusion fédérale dans le commerce local est tout aussi inconstitutionnelle lorsqu'elle se fait par des achats que lorsqu'elle se fait d'une autre

manière. Les remarques du vicomte Simon et de lord Halsbury, portent sur cette question de ne pas faire indirectement ce que la constitution défend de faire directement. Cela s'applique autant aux pouvoirs fédéraux qu'à ceux des provinces.

Au lieu de cela, on veut proposer un texte qui serait le suivant: "Stipuler que le Canada doit accorder une juste compensation à toute province qui ne participe pas à un nouveau programme national à frais partagés dans un domaine de compétence provinciale exclusive si cette province met en oeuvre de son propre chef une initiative ou un programme compatible avec les objectifs nationaux." C'est dire que, pour avoir droit à une compensation, et encore à une compensation qui n'est que juste et qui ne serait pas pleine et entière, les provinces devraient, premièrement, légiférer dans le domaine choisi par le gouvernement fédéral et, deuxièmement, légiférer d'une manière compatible avec des objectifs nationaux déterminés à Ottawa. C'est dire qu'à ce moment-là l'effet de l'application de cette modification serait de constitutionnaliser dans le texte le pouvoir de dépenser qui ne l'est pas. Ce serait offrir une compensation qui n'est pas pleine et entière. Ce serait rendre le retrait conditionnel, et c'est cela qui est trè3 grave, à un programme et à un programme compatible avec les normes fédérales. Les provinces se trouveraient dans la situation de devoir exercer leur pouvoir législatif. Elles se trouveraient dans une situation inférieure à celle des municipalités qui gardent la liberté d'exercer le leur quand cela leur plaît. Elles se trouveraient ravalées au niveau des corporations professionnelles qui ont un pouvoir réglementaire dont l'exercice leur est imposé et une tutelle de l'Office des professions. Elles se trouveraient sous tutelle du gouvernement fédéral.

J'ai cherché hier, pour m'amuser, une définition des instruments de tutelle. J'en ai trouvé une dans Dussault qui cite Garant et il dit: "L'instruction, par ailleurs, est un procédé de tutelle qui peut prendre la forme d'incitations, de conseils, de suggestions, d'avertissements, de directives, d'ordres. Il présente tantôt un caractère incitatif, tantôt impératif selon que l'autorité de tutelle suggère ou ordonne à un organisme de suivre certaines lignes de conduite." C'est assez bien décrire la situation qui résulterait de l'amendement. Je pense que c'est assez sérieux, mais on le comprendrait encore mieux si je disais que, si cet amendement était adopté, il suffirait d'une décision de l'Exécutif fédéral - même pas d'une loi de la Législature fédérale, mais d'une décision de l'Exécutif - pour modifier la constitution et réduire les pouvoirs des provinces. C'est une possibilité illimitée de modification de la constitution en tout temps, parce qu'aussitôt que des normes fédérales auraient été adoptées une province ne pourrait plus légiférer d'une façon qui ne serait pas conforme à ces normes sans perdre le produit de ses taxes.

Ce n'est pas une phrase de Georges Bataille que je vais vous citer, c'est encore une phrase du juge Beetz dans le renvoi sur la loi anti-inflation. À propos de l'effet de la doctrine des dimensions nationales, il disait qu'elle embrasse et anéantit du même coup les compétences provinciales. Je ne pense pas que la Législature québécoise a besoin de ce baiser de la mort, si vous voulez mon avis. Je pense que c'est très sérieux de céder un pouvoir à l'État fédéral, à l'Exécutif fédéral de modifier à volonté par une compétence indéfiniment extensible les compétences législatives des provinces dans certains domaines. C'est presque déjà le fait dans le domaine de la santé. Cela peut se passer demain dans le domaine de l'enseignement supérieur. Vous avez le choix. N'importe quelle des compétences exclusives, dit le texte. Quel sera ensuite le sens du mot "exclusif"? Il est déjà sérieusement abâtardi, mais là, vraiment, on se trouvera devant une situation de subordination totale. Devant cette situation, je voudrais proposer deux solutions qui reposent, toutes les deux, également sur des postulats qui sont encore plus politiques que les précédents. Le premier postulat, c'est que le gouvernement fédéral n'est pas actuellement au sommet de sa forme et de sa popularité, et qu'il n'est pas très fort. Au contraire, le gouvernement québécois libéral est assez fort, en ce moment. Il est bien perçu de la population. Le budget a été bien accueilli. Il n'y a pas d'accrochages sérieux avec l'électorat. Rien ne va si mal qu'on doive redorer le blason des libéraux, à tout coup, avec une opération rapide et brillante.

Mon troisième postulat, c'est que te premier ministre - je le connais bien, il a été mon confrère en droit comme en sciences politiques - est un homme habile, peu enclin aux gestes inutiles, assez bon tacticien et il n'a pas l'habitude de plaider la cause de ses adversaires. Alors, je ne vois pas pourquoi il le ferait. Je ne vois pas pourquoi on irait, quand on n'est pas obligé de le faire, céder des pouvoirs de cette importance. Je ne comprendrais pas, parce que nous ne sommes pas dans une situation où faiblesse oblige. Vraiment, ce n'est pas le cas.

J'ai une première suggestion qui serait d'adopter un texte qui se lirait comme suit -excusez-moi, que je le retrouve - "Stipuler que le Canada doit accorder une compensation pleine et entière à toute province qui ne participe par à un programme national à frais partagés dans le domaine de sa compétence, même si elle met en oeuvre un programme incompatible avec les objectifs fédéraux et même si elle

ne met aucun programme en oeuvre dans les domaines visés". À défaut de quoi, je propose qu'on se taise. Il y a des moments où la litote est de rigueur. Je pense que, s'il n'y avait pas d'article sur le pouvoir de dépenser, plutôt que d'avoir celui qu'on a dans la proposition du lac Meech, on serait plus avancés, on serait dans une meilleure situation. Je pense que ce qui pourrait arriver de pire à ce contentieux, c'est de se régler hors cour dans une cause qui s'intitulerait Lac Meech contre la population des provinces du Canada et, en particulier, contre celle du Québec. Je vous remercie.

Le Président (M. Filion): C'est moi qui vous remercie, Mme Lajoie, de cet exposé. Est-ce que vous voulez aborder la période d'échanges immédiatement?

M. Johnson (Anjou): M. le Président.

Le Président (M. Filion): Oui, M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): J'ai cru comprendre par ses propos que Mme Lajoie, avec les caveats très clairs qu'elle a mis, n'est membre d'aucun parti politique et ne semble pas vouloir le devenir, en tout cas pour aujourd'hui, ni d'un côté, ni de l'autre d'ailleurs. Permettez-moi simplement, M. le Président, avant que vous procédiez au geste d'ajourner, de dire que Mme Lajoie est professeure au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit de l'Université de Montréal, qu'elle dirigeait ce centre, qu'elle a cofondé, si je ne m'abuse, avec M. Pierre Elliott Trudeau à l'époque, et qu'elle a été coordonnatrice du volet droit, économie et sociétés dans le programme de recherche de la Commission royale d'enquête sur l'union économique canadienne, mieux connue sous le nom de la commission Macdonald. À cette occasion, ainsi que dans deux autres ouvrages, parmi ses nombreux ouvrages, notamment, celui sur le droit constitutionnel, celui de la santé et celui des contrats administratifs et le droit de l'enseignement supérieur, elle a eu l'occasion probablement de faire les sommes les plus complètes de ce qui existe au Québec - sûrement à l'Université de Montréal - et possiblement au Canada, sur la question du pouvoir de dépenser. Ceci pour vous dire, M. le Président, que, donc, nos questions toucheront essentiellement au pouvoir de dépenser. Je crois, d'ailleurs, qu'elle n'entend répondre à aucune autre sorte de questions. Cela se fera, si je comprends bien, après une décision que vous devez rendre.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le chef de l'Opposition. Mme Lajoie, nous allons...

M. Rémillard: Vous voulez ajourner, je pense.

Le Président (M. Filion): M. le ministre.

M. Rémillard: Je pense que vous voulez ajourner.

Le Président (M. Filion): Oui, j'allais dire que nous allons faire, tel que convenu entre les partis, cette période des échanges. Vous avez souhaité, avez-vous dit, que ces échanges portent sur le pouvoir de dépenser. Donc...

M. Rémillard: Me permettez-vous, tout simplement, de poser une question? Je pense que Mme Lajoie pourrait profiter de ce laps de temps pour y réfléchir?

Le Président (M. Filion): À ce moment-ci...

M. Rémillard: J'allais simplement demander...

Le Président (M. Filion): M. le ministre, non.

M. Rémillard: ...si on ajoutait...

Le Président (M. Filion): M. le ministre, avec votre permission... Je comprends votre volonté...

M. Rémillard: Non, mais écoutez! C'est pour avoir une réponse plus complète.

Le Président (M. Filion): ...si on veut, de vous faufiler dans ce délai. Mais l'idée étant...

M. Rémillard: Écoutez bien. Ce que je veux, le but, c'est tout simplement une question de règlement.

Le Président (M. Filion): M. le ministre, s'il vous plaît!

M. Rochefort: M. le Président...

Le Président (M. Filion): Non, M. le député de Gouin. Pour le bon ordre de nos travaux, je vais appliquer la décision qui a été prise entre vous et le leader du gouvernement en ma présence, et qui consistait à faire en sorte que la période des échanges ne soit pas interrompue par une suspension. Donc, à ce moment, Mme Lajoie, je vous invite à revenir parmi nous à 20 heures, parce qu'à ce moment M. le ministre...

M. Rémillard: M. le Président, si vous me le permettez, bien respectueusement.

Le Président (M. Filion): Non, mais je dois...

M. Rémillard: Me permettez-vous, juste un petit mot? Je veux simplement dire... J'aimerais simplement poser une question qui demande une grande réflexion...

Le Président (M. Filion); Non, M. le ministre. M. le ministre!

M. Rémillard: ...et je voudrais qu'elle puisse répondre.

Le Président (M. Filion): M. le ministre, à l'ordre, s'il vous plaît! M. le ministre, cela fait deux fois... Parce qu'à ce moment-ci il est déjà convenu entre les partis que le parti qui invite un témoin doit débuter, si on veut, l'échange avec ce témoin.

M. Lefebvre: M. le Président, question de règlement.

Le Président (M. Filion): Alors, je vous demanderais de vous conformer à la décision que vous avez prise.

M. Lefebvre: M. le Président, question de règlement. Je m'excuse. Il y a une règle concernant nos débats, à savoir que vous ne pouvez pas disposer d'une question de règlement avant de l'avoir entendue. Je vous demanderais de reconnaître le ministre sur sa question de règlement, au moins de l'entendre, et vous déciderez après d'en disposer. S'il vous plaît, M. le Président, je vous demanderais de l'écouter exposer sa question de règlement. C'est la moindre des choses que vous pouvez faire, permettre au parti ministériel de s'exprimer, M. le Président.

M. Rémillard: Simplement m'entendre.

Le Président (M. Filion): Alors, je vais reconnaître maintenant le député de Gouin sur la question de règlement soulevée par le leader adjoint. M. le député de Gouin.

M. Rochefort: M. le Président, de deux choses l'une: ou bien, tel que l'a souhaité lui-même le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, vous rendez immédiatement votre décision avant qu'il procède à sa série de questions, ou bien, M. le Président, s'il a changé d'idée et n'a plus besoin de votre décision en cette matière, je vous demanderais donc de reconnaître le chef de l'Opposition qui a la parole puisque c'est formellement conforme à l'entente intervenue quant au déroulement de nos travaux. De deux choses l'une: c'est l'un ou c'est l'autre mais cela ne peut être une autre chose.

M. Rémillard: Mais ce n'est pas cela l'enjeu, on ne parle pas de cela.

Le Président (M- Filion): Bon, sur la question de règlement soulevée par le leader adjoint, je suis en mesure de...

M. Rémillard: On ne parle pas de cela.

Le Président (M. Filion): M. le ministre, s'il vous plaît! Je suis en mesure de répondre. Manifestement, la question que vous vouliez soulever est une question à notre invitée, premièrement. Deuxièmement, il est déjà convenu - peut-être étiez-vous présent à la séance de travail? Vous, vous l'étiez - entre les partis que la période des échanges aurait lieu après l'ajournement, d'une part, et que, d'autre part, le parti qui invite un témoin amorce les échanges avec cet invité. En ce sens et pour ces motifs, M. le ministre, je vous demanderais donc de respecter à la fois les décisions rendues et les ententes qui sont intervenues. En ce sens, nous allons reprendre nos travaux sur le fond de nos débats, à 20 heures.

M. Rémillard: M. le Président, vous ne me permettez pas de m'exprimer? Je voudrais simplement vous expliquer ce que je voulais faire. Donnez-moi juste deux minutes. Tout ce que je voulais faire simplement, c'est poser une question à notre témoin...

M. Rochefort: Question de règlement, M. le Président. J'ai une question de règlement, M. le Président.

M. Rémillard: ...pour que, de par son expertise, elle puisse y réfléchir et que, lorsqu'elle va revenir, elle ait la réponse.

Le Président (M. Filion): Non, mais voilà, justement, j'ai rendu ma décision.

M. Rochefort: M. le Président, j'ai une question de règlement.

M. Rémillard: Je voulais lui demander ceci: Si on mettait une clause comme celle de l'article 31 dans la charte...

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! M. le ministre! M. le ministre!

M. Rémillard: Est-ce possible de bâillonner? Mais pourquoi ont-ils peur, M. le Président? C'est disgracieux! Disgracieux!

Le Président (M. Filion): M. le ministre, j'ai déjà rendu ma décision sur cela et je vous demanderais de la respecter.

M. Rochefort: Oui, ce que vous faites

est très disgracieux de la part d'un membre du gouvernement.

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin, à l'ordre, s'il vous plaît! Merci.

M. Rémillard: Bâillon! Bâillon!

M. Chevrette: Vous avez raison M. le Président.

M. Rémillard: Vous avez peur de la question. C'est parce que vous avez peur, hein?

Décision du président sur l'utilisation de tableaux et la transmission de leur image

Le Président (M. Filion): Alors, donc, à l'ordrel Tel que convenu, je vais rendre ma décision sur la question de règlement soulevée par le leader adjoint du gouvernement. Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, j'en donne une copie au leader adjoint ici ainsi qu'à M. le député de Gouin. A l'ordre, s'il vous plaît! Voici la décision sur la question de règlement du leader adjoint du gouvernement, dis-je, portant sur l'utilisation des tableaux par un membre de cette commission. (18 heures)

Je signale immédiatement au leader adjoint du gouvernement que je ne considère pas comme une question de règlement ses commentaires et ses questions quant à ce qui a pu se passer entre notre séance de l'après-midi et celle de la soirée, mardi. Donc, ma décision ne porte que sur l'utilisation des tableaux par le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes. '

Cette question comporte deux volets. Le premier volet traite de l'utilisation même de tableaux. Il existe une tradition claire permettant à un parlementaire d'utiliser des tableaux de nature didactique pour soutenir un point de vue lors d'un débat. Il s'agit là d'une permission accordée par le président et non d'un droit, tel qu'en fait foi la décision du président, Richard Guay, ie 2 mai 1985, pages 3369 et 3370. Le tableau exhibé par le parlementaire doit, évidemment, respecter le décorum de cette Assemblée et être, bien sûr, pertinent à nos travaux. Il s'agit là d'une application de l'article 211 de notre règlement.

Le deuxième volet - et c'est cela qui est important - pourrait se résumer ainsi: puisqu'il est déjà établi qu'un parlementaire peut utiliser des tableaux, de quelle façon la télévision doit-elle transmettre l'image de ces tableaux lorsque, par exemple, une séance de commission prévoit la télédiffusion des débats? D'abord, première constatation, il n'existe aucune directive à ce sujet et ce, malgré le fait que la télédiffusion des débats existe déjà depuis huit ans et demi à cette

Assemblée nationale. J'ai donc dû visionner plusieurs cassettes grâce à la collaboration du personnel de l'Assemblée nationale. J'ai également pris en considération le fait que les tableaux du ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, qui constituent l'objet de la présente question de règlement, contiennent le texte même du communiqué du lac Meech. Ce texte est, d'autre part, au coeur du mandat qui nous a été confié par l'Assemblée le 7 mai 1987.

En effet, l'ordre de l'Assemblée nationale du 7 mai 1987 se lit comme suit: "Que la commission des institutions entende les représentations de ses membres, de personnes et d'organismes relativement à l'entente intervenue le 30 avril 1987 au lac Meech concernant la constitution du Canada."

Ma décision est donc ia suivante. L'image du parlementaire doit faire partie de l'image télévisée. Cependant, lorsqu'il y a lecture du texte contenu au tableau, il est alors permis de prendre des gros plans de ce tableau. Le nom du parlementaire qui a la parole doit alors apparaître au bas de l'image. Également, tout parlementaire qui désire utiliser des tableaux - j'insiste sur ce point - aurait fortement avantage à consulter le personnel du service de la radiotélévision des débats. Ce personnel, doit-on le rappeler, est à la disposition de tous les députés afin de les conseiller quant à la forme et à la couleur de ces tableaux - je signale, en passant, qu'il y a des couleurs qui sortent très mal à la télévision, alors qu'il y en a d'autres qui sortent très bien - et, également, quant à la forme, pour avoir une image télévisée qui permette la présence du parlementaire. De tels conseils permettront de respecter l'exigence de la présence du parlementaire sur l'image télévisée, tout en permettant une bonne qualité de l'information transmise par les tableaux aux téléspectateurs et aux téléspectatrices.

Enfin, comme je l'ai souligné, la décision que je viens de rendre découle de la constatation qu'il n'existe, malheureusement, aucune directive quant à la transmission télévisée d'un tableau ou de matériel didactique. En conséquence, je recommande au comité consultatif de la radiotélévision, formé, on le sait, des deux whips des partis reconnus et du président de l'Assemblée nationale de se pencher le plus rapidement possible sur cette question.

Est-ce qu'il y a des questions ou si c'est suffisamment clair? M. le leader adjoint du gouvernement.

M. Lefebvre: Dans votre décision, vous spécifiez, à la page 3, que le nom du parlementaire qui a la parole doit apparaître au bas de l'image. Est-ce qu'on peut tenir pour acquis, dans le cas où ce serait un invité autre qu'un parlementaire qui utiliserait des tableaux, que votre décision vaut dans le

même sens?

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint du gouvernement, je rends une décision sur des faits portés à ma connaissance. Lorsque se présenteront des faits ou des événements autres, j'entendrai sûrement vos commentaires et ceux de l'Opposition pour me permettre de juger et de rendre la meilleure décision possible. Mais la décision que j'ai rendue n'a pas pour but... Je ne voudrais pas me déguiser en grand devin de ce que sera l'avenir de la télévision des travaux parlementaires, ce n'est pas mon rôle. Mon rôle est de trancher le cas que vous avez soumis à propos des tableaux du ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes et c'est ce que fait la présente décision. Donc, pour toute matière hypothétique, on verra à ce moment-là.

M. Lefebvre: M. le Président, ma question de règlement avait un deuxième volet. Je vous demandais de vérifier l'imbroglio auquel on a fait face hier, à savoir qu'il y avait eu un changement technique: prises de gros plans en début de séance, entre 16 heures et 18 heures, alors que ce n'était pas le cas à la reprise à 20 h 15. Et vous-même, dans vos propres commentaires, M. le Président - et je vous cite d'après le Journal des débats, - vous avez dit textuellement: "Et, d'autre part, étant donné aussi qu'il a été fait allusion à une décision du président de l'Assemblée nationale." Vous avez pris, à ce moment-là, l'engagement suivant: "Je vais faire les vérifications qui s'imposent et demain, dans le cours de l'avant-midi, je rendrai ma décision à cet effet." Alors, j'aimerais savoir, M. le Président, pour quelle raison vous avez changé d'idée et décidé de ne pas statuer sur le deuxième volet de ma question de règlement, à savoir: que s'est-il passé hier?

Le Président (M. Filion): Peut-être que vous ne m'écoutiez pas au début et j'avoue que cela ne fait pas partie de la transcription que vous avez. J'ai dit ceci et je vais vous le répéter: "Je signale immédiatement - c'était au tout début de ma décision - au leader adjoint du gouvernement que je ne considère pas comme une question de règlement ses commentaires et ses questions quant à ce qui a pu se passer -ou è ce qui s'est passé - entre notre séance de l'après-midi et celle de la soirée mardi, donc, ce n'est pas une question de règlement en ce qui me concerne.

M. Lefebvre: M. le Président, entre hier et aujourd'hui, vous avez modifié votre opinion sur le deuxième volet de ma question de règlement. Troisième question de directive.

Le Président (M. Filion): Pas du tout, M. le leader adjoint. Vous avez là la décision que j'ai rendue sur la matière qui était importante. Quant au reste, les questions, les commentaires, les opinions et les qu'en-dira-t-on, je n'ai pas de question de règlement à régler là-dessus.

M. Lefebvre: M. le Président, dans le troisième volet, je vous demanderais maintenant de reconnaître le ministre qui a été impliqué dans cette décision, M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, s'il vous plaît!

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin.

M. Rochefort: M. le Président, je prends note de la décision que vous venez de rendre. Le député de Frontenac vous a posé quelques questions d'éclaircissement. Je vois difficilement, M. le Président, comment on peut prolonger ce qui pourrait prendre la forme d'une discussion sur l'une de vos décisions, auquel cas, si on veut en discuter, c'est évident qu'on va en discuter des deux côtés.

Le Président (M. Filion): M. le ministre, avant de voua reconnaître...

M. Rochefort: Sur quoi?

M. Rémillard: Je veux intervenir à ce sujet. Vous allez m'empêcher de parler là-dessus?

Une voix: Ah, vous, là, hein!

M. Rémillard: C'est cela que vous voulez?

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! M. le ministre, il me fera plaisir de vous reconnaître. Est-ce que votre intervention a pour but de discuter la décision que je viens de rendre ou de la commenter?

M. Rémillard: Je ne veux pas la commenter, je ne veux pas la discuter, je veux simplement vous demander un élément de compréhension. Je veux comprendre vos décisions. Puis-je le faire, M. le Président, en tout respect?

Le Président (M. Filion): Allez-y, si je peux vous éclairer, mais je pense que la décision est claire. Allez-y, je vous écoute.

M. Rémillard: Je comprends de votre décision que j'ai été privé d'un droit et que, maintenant, vous nous dites que j'aurais dû avoir ce droit. Si je n'ai pas eu ce droit, c'est parce que j'ai été interrompu à un

moment donné et qu'on s'est référé à une décision de la présidence. Je cite ici, de la part du député de Gouin: "M. le Président, il y a eu hier une directive du président de l'Assemblée nationale, le député de Saint-Jean - je cite au texte - pour faire en sorte qu'il n'y ait pas de présentation que d'éléments visuels, mais qu'on retrouve toujours sur le petit écran au minimum le ou la parlementaire qui a la parole avec ou sans tableau, ce que nous reconnaissons pleinement." M. le Président, ma question est celle-ci, en fonction de votre décision: Est-ce vrai qu'il y avait une telle décision du président de l'Assemblée nationale?

Le Président (M. Filion): M. le ministre, je pense que vous étiez présent il y a à peine quelques minutes lorsque j'ai expliqué à votre collègue de droite, le leader adjoint du gouvernement, que je ne considérais pas comme une question de règlement, donc une question que je devais trancher, ce qui a pu se passer, ce qui aurait pu se passer ici ou ailleurs ou à quelque autre endroit que ce soit émanant de la présidence de l'As3emblée nationale ou d'où que ce soit, et, donc, que je n'ai pas à me prononcer sur cette partie des commentaires, de l'opinion ou des questions du leader adjoint. C'est ce que j'ai dit, il y a à peine cinq minutes.

M. Rémillard: M. le Président, bien respectueusement, est-ce que je peux me permettre de vous dire que j'ai subi un préjudice comme parlementaire et que j'ai le droit fondamental de savoir pourquoi j'ai subi ce préjudice? Il est clair que le député de Gouin a mentionné que c'était par une directive de la présidence. Vous venez de rendre une décision qui va à l'effet contraire. M. le Président, c'est mon droit comme parlementaire de savoir ce qui s'est passé dans ce dossier et je vous le demande très respectueusement.

Le Président (M. Filion): Oui, M. le député de Gouin.

M. Rochefort: Dans un premier temps, je voudrais vous demander de reconnaître le député de Lac-Saint-Jean, whip en chef de l'Opposition, qui est la personne qui a eu une conversation avec le président de l'Assemblée nationale et député de Saint-Jean, telle que je l'ai rapportée et que vient de me citer avec exactitude, au mot à mot, le député de Jean-Talon et ministre.

M. le Président, je pense que le député de Lac-Saint-Jean, whip en chef de l'Opposition, membre du comité de la radiotélédiffusion des débats de l'Assemblée, pourra faire état clairement des conversations et des réponses que lui a données le président de l'Assemblée nationale et député de Saint-Jean à ce moment-là et qu'il viendra confirmer ce que j'ai évoqué ici publiquement pour établir très clairement le fondement des propos que j'ai prononcés et qu'on semble vouloir mettre en doute.

M. Lefebvre: M. le Président... Le Président (M. Filion): Non.

M. Lefebvre: Sur la question de règlement du député de Gouin, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Non.

M. Chevrette: Ce n'est même pas une question de règlement.

M. Lefebvre: Ce n'est pas... Êtes-vous membre de la commission, vous, M. le leader de l'Opposition?

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, on va se comprendre.

M. Lefebvre: M. le Président, ce n'est pas...

Le Président (M, Filion): Non, M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: M. le Président, vous allez me laisser parler, s'il vous plaît!

Le Président (M. Filion): Oui, mais vous allez m'écouter avant.

M. Lefebvre: Je comprends, M. le Président...

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, s'il vous plaît! Non, M. le leader adjoint, s'il vous plaît!

M. Lefebvre: ...qu'un président de commission, depuis 1984, a droit d'être partial, mais cela ne vous donne pas le droit, M. le Président, de nous enlever notre droit de parole.

Le Président (M. Filion): Ah, bien non! Bon, M. le leader adjoint, je vous demanderais...

M. Lefebvre: Je veux que ce soit clair, M. le Président. Je veux, M. le Président...

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, je vous demanderais...

M. Lefebvre: M. le Président, je veux avoir la permission de commenter...

Le Président (M. Filion): ...de retirer vos dernières paroles à l'égard du président.

M. Lefebvre: M. le Président, je... Non,

je n'ai rien à retirer. Un président de commission, depuis 1984 - et vous l'utilisez, ce droit-là - a le droit de s'impliquer le droit d'être partial, mais, M. le Président, cela ne vous permet pas de nous enlever notre droit de parole et je demande la permission de commenter la question de règlement du député de Gouin,

Le Président (M. Filion): Bon. Alors...

M. Lefebvre: À savoir, M. le Président, que ce n'est pas au député de Lac-Saint-Jean de faire enquête sur ma question de règlement. Vous avez pris l'engagement de rendre une décision aujourd'hui et je réalise que vous vous retranchez derrière une question de règlement ou d'interprétation du règlement pour ne pas vous prononcer sur le préjudice qu'a subi le ministre Rémillard.

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, M. le député de Gouin, MM. et Mmes les membres de la commission, je profite de l'occasion qui m'est aimablement offerte par le leader adjoint pour signaler ceci. II y a eu ici, dans cette enceinte, en 1984, une petite chose qui s'appelle la réforme parlementaire qui signifiait que les commissions devenaient des commissions de parlementaires et que les présidents et vice-présidents de commissions avaient le droit, non pas de devenir partiaux, comme vous le soulevez, mais de s'impliquer et de s'engager dans les débats. C'est ce que j'ai fait quand je l'ai jugé à propos et c'est ce que je continuerai à faire. J'invite, d'ailleurs, les présidents de commissions à jouer leur rôle à cet effet-là. Les commissions parlementaires sont des créatures des députés et des parlementaires et ne sont pas des créatures de l'Exécutif. Je vous remercie donc de cette occasion-là.

Deuxièmement, quant à revenir encore une fois sur vos commentaires, sur ce qui a pu être dit mardi par qui que ce soit, j'ai déjà considéré que ce n'était pas là une question de règlement et que je ne me prononcerais pas là-dessus.

Nos travaux sont suspendus jusqu'à 20 heures. Merci.

(Suspension de la séance à 18 h 15)

(Reprise à 20 h 14)

Le Président (M. Filion): Mmes et MM., membres de cette commission des institutions, bonsoir. Évidemment, nous allons continuer notre mandat et nous allons amorcer notre échange avec notre invitée, Mme Andrée Lajoie, professeure de droit à l'Université de Montréal.

Je vous rappelle que le temps de parole pour chaque groupe, à savoir le groupe ministériel et le parti de l'Opposition, est de 36 minutes. Vous me dites bien 36 minutes, Mme la secrétaire? Je vous remercie. 36 minutes de chaque côté. La parole est donc à M. le chef de l'Opposition officielle.

Mme Andrée Lajoie (suite)

M. Johnson (Anjou): Me Lajoie, merci pour votre exposé. Je me permets de rappeler à ceux qui n'auraient pas été ici au moment où vous avez fait votre exposé, d'une part, que vous avez été directrice du Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal, deuxièmement, que vos occupations professionnelles vous ont amenée au Québec et au Canada à probablement ramasser l'un des plus hauts niveaux d'expertise sur la notion du pouvoir de dépenser, notamment dans le cadre des projets de recherche de la commission Macdonald sur l'union économique canadienne publiés il y a maintenant au delà de deux ans.

Me Lajoie, vous nous avez bien expliqué au début de votre exposé que vous n'entendiez répondre qu'aux questions qui touchent le pouvoir de dépenser. J'entends respecter cette exigence de l'expert que vous êtes. Je voua demanderais peut-être de nous illustrer dans un premier temps, compte tenu de votre connaissance de ce secteur, comment s'exerce le pouvoir de dépenser de l'État fédéral dans un domaine spécifique de juridiction provinciale, par exemple le secteur de la santé ou éventuellement celui de l'enseignement supérieur qui, on le sait, sont de toute évidence et absolument sans conteste des domaines de juridiction provinciale.

Mme Lajoie: Dans le domaine de l'enseignement supérieur, on ne sait pas comment il s'exercera parce que les textes ne sont pas encore disponibles. Le seul exposé semi-officiel qu'on en a eu, c'est celui de Me Michel Robert alors qu'il était membre de la commission Macdonald et qui, je crois, sans l'accord de la commission, avait fait une conférence de presse pour dire que la commission allait recommander l'adoption de normes en matière d'enseignement postsecondaire et supérieur au Canada et, à ma connaissance, on n'a pas d'autres détails. Il y a eu un projet de loi, il y a un an et demi, qui a avorté et tes choses en sont restées là.

Dans le domaine de la santé, cependant, les ententes durent depuis très longtemps. Il y en a en matière d'assurance-hospitalisation, il y en a en matière d'assurance-santé. Les mécanismes sont extrêmement complexes et techniques. Je ne voudrais pas ennuyer cette assemblée avec cela, mais je dirai qu'au départ la plus complexe était celle de l'assurance-

hospitalisation, où ii y avait une loi fédérale qui déterminait des objectifs et des normes accordant à l'Exécutif fédéral un pouvoir de conclure une entente avec une province qui accepterait de faire une loi conforme à ces normes. Ces normes devaient être explicitées dans un règlement pris en vertu de la loi fédérale et ce règlement, à son tour, ne pouvait être modifié que du consentement des provinces. Les juristes parmi vous apprécieront le chamboulement de la hiérarchie des normes qu'on trouve là. Mais l'essentiel de cela est que la province qui, par cette loi, était désignée comme une partie contractante habile à contracter avec l'État fédéral qui n'avait d'autorisation que pour contracter avec ce type de province, c'était une province qui avait adopté une loi conforme aux objectifs énoncés dans le règlement. Ces objectifs étaient extrêmement détaillés. On y définissait le bénéficiaire, on y définissait les dépenses admissibles, on y définissait, dans un très grand niveau de détails, plusieurs des éléments constitutifs de la loi que les provinces admissibles aux programmes devaient adopter.

C'était donc, par des moyens indirects... C'est bien clair que la Législature fédérale ne légiférait pas directement avec un caractère opératoire dans le champ provincial; les provinces qui ne voulaient pas se soumettre et adopter la loi conforme à ces objectifs, n'avaient qu'à se passer des subventions. Mais c'est là qu'est le problème. C'est que le retrait est conditionnel dans la formule qu'on nous présente maintenant.

M. Johnson (Anjou): Compte tenu de la formule contenue dans le projet d'accord du lac Meech - corrigez-moi si je me trompe, -je le décris de la façon suivante: Le gouvernement fédéral, en vertu de cette formule, obtient, d'une part, une reconnaissance constitutionnelle de son pouvoir de dépenser pour la première fois alors que cette question a fait l'objet de nombreuses contestations dans différents secteurs.

Mme Lajoie: Je dirais que législativement vous avez raison. Judiciairement, je vous ai dit qu'il y a deux opinions: une qui veut que ce pouvoir ait été reconnu, l'autre qui estime que ce pouvoir n'est pas reconnu.

M. Johnson (Anjou): Serait-ce exagéré de dire que, dans la mesure où le juge Beetz, actuellement en Cour suprême, et le juge Laforest, maintenant en Cour suprême également, ont eu des opinions divergentes sur cette question à l'époque où ils n'étaient pas juges à la Cour suprême, mais où ils ont fait des écrits, le Québec, en ce moment, aurait 50 % des chances de gagner et 50 % des chances de perdre sur la question du pouvoir de dépenser, alors que la formule du lac Meech, à toutes fins utiles, nous donne 100 % de garanties de perdre sur la question du pouvoir de dépenser?

Mme Lajoie: Sur le nombre de chances que nous aurions de gagner, dans l'état actuel des choses, c'est difficile à dire, mais on en aurait certainement quelques-unes. Alors que, dans l'autre cas, effectivement, si on se prive dans un texte constitutionnel du pouvoir de retrait inconditionnel, on a évidemment tout perdu. Tandis que, si on maintient que le retrait inconditionnel est la matérialisation de nos compétences législatives et que d'imposer un retrait conditionnel, c'est ultra vires pour le Parlement et cela dépasse les pouvoirs de l'Exécutif, qu'on fasse un renvoi ou qu'on soulève la question pendant un litige, on a des chances de ne pas tout perdre. Tandis que, si on le donne, on ne pourra pas l'avoir une autre fois.

M. Johnson (Anjou): On l'a perdu. Deuxièmement, Mme Lajoie, est-ce que je me trompe en affirmant que cette consécration du pouvoir fédéral de dépenser dans la formule du lac Meech entraîne également que, pour les nouveaux programmes, le Québec serait assujetti à des objectifs nationaux, s'il veut obtenir compensation? Je m'explique. Nous payons des taxes au niveau fédéral, nous payons des taxes au Québec. Par exemple, le gouvernement fédéral pourrait décider que, pour l'environnement, il y a un vaste programme d'intervention et peut-être même dans le cas d'un secteur aussi clairement de juridiction provinciale que les équipements municipaux. Le fédéral pourrait procéder par un programme à frais partagés. Si le Québec choisissait de ne pas se conformer à des objectifs du fédéral, se verrait-il privé des sommes que le fédéral, normalement, investirait dans ce secteur au Québec?

Mme Lajoie: Cela m'apparaît juste. J'ajouterais que, puisqu'on aurait un texte constitutionnel qui légiférerait sur les nouveaux programmes et qui se tairait sur les anciens programmes, il faudrait aussi évaluer l'impact sur les anciens programmes. Cela dépendrait évidemment du libellé, mais ce n'est pas simple de savoir si ces anciens programmes seraient inadmissibles à quelque compensation que ce soit ou bien, au contraire, admissibles à une compensation pleine et entière et inconditionnelle. On serait, par rapport aux anciens programmes, dans l'état où on est actuellement, je crois, mais je n'en suis pas sûre.

M. Johnson (Anjou): D'accord. Dans le cas des proqrammes existants ou enfin qu'on appellerait anciens programmes pour ces fins, anciens par rapport au lac Meech, donc, ce

sont les programmes existants... On ne parle pas de ceux qui seraient abolis possiblement et techniquement. Je ne veux pas entrer dans ce débat. On pourrait probablement faire des arguties là-dessus. Mais parlons des programmes existants. On sait, par exemple, que le gouvernement canadien est extrêmement présent dans le secteur de la main-d'oeuvre, qu'il a une vision... On sait que c'est une tendance lourde dans l'appareil fédéral en ce moment, que les années quatre-vingt-dix, notamment à cause du libre-échange, si jamais il se matérialise, seront caractérisées par des interventions massives dans la formation professionnelle, dans le secteur de la main-d'oeuvre, de la planification et du recyclage de la main-d'oeuvre, etc. Or, le fédéral est déjà présent dans ce type de programmes. Est-ce que je comprends bien que la formule du lac Meech aurait comme effet, en matière de main-d'oeuvre, d'une part, de permettre une prolongation des programmes actuels du gouvernement fédéral, si cela se traduit essentiellement par plus d'argent et non pas par des changements à des normes ou à des objectifs, et d'autre part que le Québec ne pourrait toucher sa part que dans la mesure où il répond è l'ensemble des normes, des critères et des objectifs du gouvernement fédéral?

Mme Lajoie: Cela ne nous délivrerait pas de l'obligation d'aller faire interpréter la loi constitutionnelle devant les tribunaux. Je crois que tout dépendrait de la façon dont les tribunaux interpréteraient la question d'un nouveau programme. Est-ce qu'un nouveau programme, pour les tribunaux, ce serait un programme sur de nouveaux sujets pour lesquels il n'y a jamais eu de programme ou si c'est un programme comprenant de nouvelles dispositions dans un même domaine? Qu'est-ce que c'est qu'une modification à un ancien programme par rapport à un nouveau programme? Vous voyez, je pense que cela ne serait pas vraiment très simple.

M. Johnson (Anjou): Mais s'il y avait simplement une injection d'argent additionnelle sur les programmes existants sans changement de la réglementation ou des lois de base qui donnent un pouvoir de réglementation au fédéral, est-ce qu'on pourrait considérer qu'il s'agit des programmes existants, donc, qui ne sont pas couverts par l'entente du lac Meech?

Mme Lajoie: C'est une possibilité. Mais, encore une fois, cela dépendrait du sens technique qu'on donnerait à "nouveau programme".

M. Johnson (Anjou): D'accord. Quant au droit à la compensation - parce que c'est cela que crée l'entente du lac Meech - les dispositions en ce qui concerne le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral dans les domaines de juridiction québécoise, c'est essentiellement un droit à la compensation qui est conditionnel, d'une part, à l'existence d'un programme et deuxièmement - donc, la présence du Québec dans ce secteur; on présume qu'il trouve que c'est une priorité ou que c'est important - au respect des objectifs nationaux. J'aimerais peut-être vous entendre sur la notion de normes, de critères, d'objectifs nationaux.

Mme Lajoie: Bon. Si on voit à la fois les trois dans un même texte, il faudra les interpréter suivant leurs rapports respectifs mais, en général, des critères, c'est plus précis que des objectifs. Cependant, imposer des objectifs à la Législature d'une province c'est circonscrire à l'externe l'enveloppe de sa compétence. Il y aurait des dispositions législatives qu'une province par son autonomie pourrait adopter et qui deviendraient nulles pour incompatibilité, pas nulles, mais qui ne donneraient pas droit à la compensation parce qu'elles seraient incompatibles. Évidemment cela n'affecte pas la validité des dispositions, mais dans la pratique cela a le même effet. C'est comme quand on passe le seuil d'un contrat d'adhésion et qu'on est forcé, à toutes fins utiles, d'adopter une législation. On perd l'autonomie d'agir ou de ne pas agir, d'agir dans un sens ou dans l'autre, d'aqir à un degré ou à un autre et à un moment ou à un autre. C'est caractéristique de la compétence législative. Autrement on se trouve dans un état semblable à celui des corporations professionnelles qui est un domaine, je crois, que, quand vous étiez ministre des Affaires sociales, vous avez assez bien connu. L'Office des professions peut contraindre les corporations professionnelles d'exercer leur pouvoir et de l'exercer dans un certain sens. C'est de la tutelle. Analogiquement, on serait dans la même situation quant au rapport qui s'établirait entre les provinces et l'État fédéral.

M. Johnson (Anjou): Dans des domaines de juridiction provinciale.

Mme Lajoie: À moins que la compensation ne soit inconditionnelle. Quelle que soit la façon dont on appelle un chat, c'est toujours un chat, et c'est dans ce sens que et le Conseil privé et la Cour suprême ont dit qu'on ne pouvait pas faire indirectement ce qu'on ne peut pas faire directement.

M. Johnson (Anjou): Merci, Me Lajoie; je vais passer la parole à mon collègue le ministre.

Le Président (M. Filion): Merci, Mme Lajoie. M. le ministre. (20 h 30)

M. Rémillard: Mme le professeur Lajoie, merci d'être venue témoigner devant la commission. Voua êtes reconnue comme une experte concernant les problèmes de droit constitutionnel, particulièrement en ce qui regarde les problèmes du droit relatif dans le domaine de la santé et le pouvoir de dépenser auquel vous avez bien travaillé. Votre témoignage est donc particulièrement intéressant pour cette commission.

Le chef de l'Opposition vient de vous poser de très bonnes questions, des questions très pertinentes qui nous aident à tenter de cerner dans sa juste perspective ce pouvoir de dépenser et le cadre ou les limites que nous voulons lui apporter. Â ces questions que le chef de l'Opposition vient de vous poser, j'aimerais vous en poser quelques autres.

Dans un premier temps, je crois bien que ce qui est important, c'est qu'on puisse savoir si ce pouvoir de dépenser - pouvoir de dépenser des sommes d'argent pour le gouvernement fédéral dans un domaine de compétence qui ne relève pas de sa juridiction - existe présentement en droit constitutionnel ou pas. Vous avez dit, tout à l'heure, qu'il y avait deux tendances. Vous nous avez dit, d'une part, qu'il y avait le juge Beetz et vous, je crois, qui disiez que ce droit n'existe pas. Il y a M. le juge Laforest, qui est maintenant juge à la Cour suprême aussi... Il y a M. Laskin qui, dans son traité de droit constitutionnel avant qu'il ne soit juge en chef de la Cour suprême, comme vous le savez, disait aussi que ce droit existait. Il y a M. le professeur Peter Hogg dans son traité de droit constitutionnel qui fait autorité au Canada, cité à maintes reprises par la Cour suprême qui' dit ceci et je me permets de le citer, si vous me permettez: II semble que la meilleure description du droit actuel est celle selon laquelle le Parlement fédéral peut dépenser ou prêter des fonds è tout gouvernement ou toute institution ou individu qu'il choisit et pour toutes fins qu'il détermine et qu'il peut attacher à toute subvention ou prêt toutes les conditions qu'il définit, incluant les conditions qu'il ne peut imposer directement par voie législative. On peut ajouter l'opinion de Me Beaudoin, qui est venu ici témoigner et nous dire que, selon lui, ce pouvoir de dépenser existe.

Vous allez nous dire que, oui, il y a deux tendances. Nous sommes portés à croire qu'il y a une tendance très forte en ce sens que ce pouvoir existe. Si cette tendance n'était pas très forte, j'imagine que le gouvernement n'aurait pas hésité à contester devant les tribunaux le projet de loi - une loi que vous connaissez "bien maintenant C-3 concernant le domaine de la santé. Si je vous posais la question, Mme le, professeur, si je vous demandais: Cette loi C-3 concernant les contributions pécuniaires du Canada aux services de santé assurés, etc., est-ce que vous croyez qu'il pourrait y avoir des chances de succès à la contester d'une façon générale ou si son fondement juridique est solide?

Mme Lajoie: Alors, je vais reprendre d'abord ce que vous disiez à propos de la force respective des tendances. Le juge Laforest, qui maintient la tendance disant que le pouvoir de dépenser existe actuellement, qui estime, lui, qu'il devrait exister, conclut ses remarques par: La validité de ces projets-là n'a jamais été testée. Jusqu'à présent, ni les provinces ni le Dominion n'ont démontré leur intention de porter la question devant les tribunaux. Donc, pour lui, la question n'est pas décidée. Je ne suis pas certaine que, au moment où il a écrit ce texte - c'était en 1981, il reprenait un texte de 1967 - je ne suis pas certaine qu'il avait tenu compte de l'opinion du juge Pigeon dans le renvoi sur les produits agricoles, qui est entre les deux, vous voyez, et où le juge Pigeon, je crois, règle la question. Il dit: À mon avis, l'intrusion fédérale dans le commerce local - c'était une question commerciale à ce moment-là - est tout aussi inconditionnelle lorsqu'elle se fait par des achats et des ventes que lorsqu'elle se fait d'une autre manière. Les remarques du vicomte Simon et de lord Halsbury -c'étaient des remarques dans une décision de la Chambre des lords où l'on disait qu'on ne peut pas faire indirectement ce qu'on ne peut pas faire directement dans la constitution - ces remarques, dit-il, s'appliquent autant aux pouvoirs fédéraux qu'à ceux des provinces. Je crois que si un avocat habile invoquait ce texte, il est possible que la Cour suprême refuse même une permission d'appeler sur une décision d'une Cour d'appel provinciale qui aurait consacré l'illégalité du pouvoir de dépenser en disant: Cette Cour d'appel aurait raison parce que nous l'avons déjà décidé en 1978. Je pense donc qu'il y a des chances, effectivement, que l'autre tendance soit celle qui soit reconnue, mais je ne peux pas l'affirmer avec certitude. Ce que je sais, c'est que, dans le passé, l'État fédéral a souvent cherché à empiéter sur les compétences des provinces.

M. Rémillard: Ce que vous aimeriez, c'est qu'on conteste C-3 pour faire un test?

Mme Lajoie: Je pense que c'est de deux la moins mauvaise solution. Si vous me permettez de terminer ce que j'étais en train d'expliquer, j'en ai pour une seconde. Quand les autorités fédérales ont tenté d'envahir les domaines de compétence

provinciale, elles l'ont fait notamment à la faveur de la doctrine des dimensions nationales et à la faveur de la théorie des éléments intrinsèques. Dans les deux cas, le juge Beetz a entraîné la majorité, une fois dans l'anti-inflation et l'autre fois dans Montcalm, pour bloquer l'expansion de ces théories, de sorte qu'il n'est pas impossible qu'il réussisse encore le coup. La cour a changé, un juge nouveau vient d'être nommé - le juge Laskin n'est plus là déjà depuis un certain temps - rien n'est certain, mais au moins on a des chances, tandis que, si on admet au départ que le pouvoir de dépenser est constitutionnalisé, qu'il existe, que l'État fédérai peut l'exercer dans les domaines de compétence exclusive des provinces, alors, on n'a vraiment plus de cause. C'est une question de perdre l'un avec certitude ou d'avoir quelques chances, ai minimes soient-elles, de gagner l'autre.

M. Rémillard: Est-ce que vous croyez que l'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 pourrait donner une nouvelle assise è ce pouvoir de dépenser? Il me semble que c'est ce que soutiennent le professeur Brun et le professeur Tremblay dans leur excellent bouquin, leur traité de droit constitutionnel. Le professeur Brun est avec nous ce soir comme conseiller de l'Opposition.

Mme Lajoie: Ni. le ministre, je vais vous rendre la pareille.

M. Rémillard: Oui, mais je vais vous dire ceci. Ici, il dit - attendez que je retrouve exactement le passage - que les programmes fédéraux de subventions conditionnelles aux provinces seront encore fort nombreux et que l'article 36.1 de la Loi constitutionnelle de 1982 paraît légitimer a posteriori cette façon d'assurer une égalité des chances.

Mme Lajoie: Cet article 36.1 est énoncé sous réserve des compétences législatives du Parlement et des Législatures, ce qui n'est pas le cas du paragraphe 2. Le paragraphe 2 valide, je crois, et a posteriori, en tout cas certainement pour l'avenir, les éléments de péréquation, c'est-à-dire les subventions inconditionnelles. Mais les subventions conditionnelles dans la mesure où l'article 36.1 aurait un sens - mon Dieu! allez-vous m'entraîner là-dedans? - un sens performatif, M. le ministre, dans la mesure où l'article 36.1 dirait de faire quelque chose à quelqu'un... Ce qu'il ne fait pas, il raconte simplement une histoire qui par ailleurs est fausse parce que les gouvernements, dit-il, se sont engagés; or, le Québec, vous le savez, ne s'est pas encore engagé. La preuve, c'est que vous êtes en train de négocier les conditions de l'engagement. Mais je pense que l'article 36.1 est énoncé sous réserve des compétences législatives et n'a pas du tout le même effet que l'article 36.2. Cette interprétation - c'est là que je vous rends la pareille - nous y sommes arrivés l'année dernière à la même époque, Me André Tremblay qui vient de vous conseiller là-dessus et moi-même, lors d'une réunion de constitutionnalistes à laquelle vous étiez, dans les Laurentides. C'est Me Tremblay qui l'a exposée au sénateur Tremblay devant moi par la suite. Alors...

M. Rémillard: Je pense que... Des voix: Ha! Ha! Ha! M. Rémillard: C'est que Me... Mme Lajoie: 1 à 1, M, le ministre. Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Rémillard: Je comprends. Je vois que...

Une voix: Excusez-nous si on n'est pas dans la même partie, mais...

M. Rémillard: Oui, je pense que cela devient un petit peu technique.

Mme Lajoie: Cela devient très technique.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Rémillard: Mais simplement...

Mme Lajoie: Je suis bien d'accord. Cela devient technique, M. le ministre.

M. Rémillard: Vous comprenez. C'est très important. Votre témoignage est important.

Mme Lajoie: Très important.

M. Rémillard: C'est une préoccupation du gouvernement et on veut y voir clair. Il y avait l'opinion du professeur Brun.

Une voix: ...

M. Rémillard: Oui, je vous le permets.

M. Johnson (Anjou): Si je comprends bien, Me Tremblay dont Me Lajoie parlait, c'est Me Tremblay qui est votre conseiller.

Mme Lajoie: C'est Me André Tremblay. Ce n'est pas Me Tremblay, le coauteur de Me Brun.

M. Rémillard: Oui, oui. C'est Me Tremblay, coauteur aussi de M. Brun, etc.

Mme Lajoie: Non, non. Ce n'est pas le même.

M. Rémillard; Oui, oui. Nous avons de bons spécialistes partout. Mais en partant de l'article 36, tout simplement, si on ajoutait... C'est la question que je vous ai posée pour que vous puissiez y réfléchir tout à l'heure. Si on ajoutait: Sous réserve des compétences législatives du Parlement et des Législatures et le droit de les exercer, pour le libellé de l'article 36 - je fais une hypothèse - quelle serait votre réaction?

Mme Lajoie: J'aurais beaucoup de difficultés à donner du sens à la disposition, M. le ministre, parce que, comment peut-on, sous réserve des compétences législatives, permettre à l'État fédéral d'énoncer des objectifs qui vont limiter les compétences provinciales par le fait même en posant, comme conditions du retrait, que la législation provinciale doit exister et qu'elle doit être conforme aux objectifs fédéraux? On se trouve à modifier et la compétence provinciale qu'on diminue et la compétence fédérale qu'on augmente, dans les faits.

M. Rémillard: Oui, j'ai peut-être un peu de difficultés à vous suivre. Refaisons, si vous voulez, le scénario. Le gouvernement fédéral décide d'établir un plan national sur les garderies. C'est une possibilité, comme vous le savez, très grande. Il y a des critères, il peut y avoir des normes. Led provinces sont d'accord. Le Québec veut se retirer et considère qu'il a son propre réseau de garderies avec ses critères, ses normes. Le gouvernement fédéral, avec son plan national, ne légifère pas dans un domaine de compétence provinciale. Il donne des sommes d'argent pour qu'il y ait un plan national. En fait, si le Québec veut tout simplement dire: Nous ne sommes pas intéressés à ce plan national, le plan national ne s'applique pas chez nous, notre compétence n'est pas touchée, absolument pas. Où cela devient plus difficile, c'est pour avoir l'argent. Et là, il y a, bien sûr, des problèmes qui peuvent se poser, mais on ne parle pas d'intrusion dans le domaine de compétence. On parle de la possibilité de se retirer. Tantôt, nous avons discuté de l'existence en droit constitutionnel de ce pouvoir de dépenser. Vous nous avez dit qu'il y a deux théories. Mais est-ce que c'est la même chose pour le pouvoir de se retirer, "l'opting out"? Est-ce que "I'opting out" existe en droit constitutionnel?

Mme Lajoie: Dans la mesure où le pouvoir de dépenser n'existe pas, il n'y a pas lieu de s'en retirer.

M. Rémillard: Et dans la mesure où il existe?

Mme Lajoie: Dans la mesure où il existe, il n'a pas été défini suffisamment par les tenants de cette thèse pour qu'on puisse déterminer si "l'opting out" existe ou non. (20 h 45)

M. Rémillard: Voilà. Alors, vous voyez un peu la situation. D'une part, nous avons un pouvoir de dépenser, qui a de très bonnes chances d'être reconnu - la preuve, c'est qu'il n'a pas été contesté jusqu'à présent depuis des décennies qu'il est exercé - et, d'autre part, un pouvoir de retrait qui a été exercé par le Québec au moins une fois, qui est une simple pratique politique et qui n'a donc pas de garanties constitutionnelles. Donc, l'entente du lac Meech a au moins cela, si on veut regarder un point positif, si vous me le permettez. Il apporte une garantie constitutionnelle à ce droit de retrait...

Mme Lajoie: Mais à quel prix?

M. Rémillard: ...qui n'existe pas en droit constitutionnel.

Mme Lajoie: Mais à quel prix, M. le ministre? Au prix de...

M. Rémillard: Faisons cette première étape et, ensuite, voyons le prix, combien cela coûte.

Mme Lajoie: Bien, écoutez...

M. Rémillard: Oui. Vous êtes d'accord avec moi jusqu'à présent?

Mme Lajoie: Je suis d'accord sur un point. Cela permettrait d'obtenir des sommes si la législation provinciale, dans le champ, existait et si elle était conforme aux objectifs nationaux. À ce moment-là, le prix qu'on paie, c'est de renoncer à l'autonomie d'exercer ou non cette compétence et à l'autonomie de l'exercer dans le sens qui nous convient. Pour ce prix, on a une compensation qui est juste, mais qui n'est pas pleine et entière, alors que si on attaque la validité de cela, actuellement, sans ce texte, devant les tribunaux, on a des chances d'obtenir la nullité de l'entente. Ce qui se passe quand l'État fédéral remet des sommes aux provinces pour mettre en oeuvre des programmes conformes aux objectifs nationaux, c'est que l'État fédéral a perçu des sommes qui seront employées à des fins de compétence provinciale. Écoutez, le pouvoir de dépenser, tout le monde a cela. Vous et moi, à la fin du mois, on paie chacun nos comptes. Si l'État a des règles différentes, c'est parce que c'est dans notre poche qu'il prend l'argent.

M. Rémillard: Mme Lajoie, si vous me permettez. Donc, on pourrait constitu-

tionnaliser ce pouvoir de se retirer. Cela pourrait être un acquis. Prenons ce point. Maintenant, vous me dites: Attention, on est pris avec des normes nationales.

Mme Lajoie: Non. Je dis: On ne peut pas constitutionnaliser le pouvoir de se retirer sans constitutionnaliser en même temps, implicitement au moins, le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral. À partir de là, on admet une limitation à nos compétences. On tourne en rond. Je vais répéter ce que je dis et vous allez répéter ce que vous dites jusqu'à la fin des siècles.

M. Rémillard: Non. Ce que je veux dire, c'est que l'amendement que vous nous proposez, la formulation que vous nous avez proposée reconnaît aussi, par le fait même, pouvoir de dépenser.

Mme Lajoie: Oui, elle le reconnaît.

M. Rémillard: Alors, qu'est-ce que la proposition que vous faites change?

Mme Lajoie: Parce que, dans ce cas, le retrait est inconditionnel.

M. Rémillard: Oui.

Mme Lajoie: Étant inconditionnel, chaque fois que l'État fédéral a perçu en trop des sommes qui revenaient aux provinces, il les leur retourne.

M. Rémillard: Alors, est-ce que cela voudrait dire que, si on se retire d'un plan national sur les garderies, par exemple, on retire l'argent et on peut le dépenser pour faire des autoroutes?

Mme Lajoie: Voilà. C'est cela, le fédéralisme. C'est cela, la démocratie.

M. Rémillard: C'est cela, la démocratie? C'est cela, le fédéralisme?

Mme Lajoie: Nous avons ici une Législature qui a des compétences dans un certain nombre de champs. Dans ces champs, les décisions doivent être prises par la population québécoise et non par la population du Canada. Si ces décisions vous déplaisent... C'était beaucoup le sens de la discussion du point de vue des autres provinces, lors de la réunion dans les Laurentides, l'année dernière. Les provinces avaient peur que, dans leur province, on n'adopte pas de mesures aussi généreuses, etc., et on se fiait sur l'État fédéral pour ramener les provinces à la raison. Moi, je dis: Qu'on vive avec la démocratie...

M. Rémillard: Oui, mais je voudrais bien vous comprendre...

Mme Lajoie: ...et qu'on subisse les effets des lois des gens qu'on élit.

M. Rémillard: Je voudrais simplement comprendre votre sens de la démocratie. Prenons toujours l'exemple des garderies. Il y a un plan national des garderies. Le fédéral participe avec les provinces au point de vue financier, au financement de ce plan national. Le Québec dit: Non, nous avons notre propre plan de garderies. On recevrait de l'argent en contrepartie parce qu'il y a un plan national de garderies dans les autres provinces. Mais cet argent, nous pourrions le dépenser dans la voirie, peu importe où?

Mme Lajoie: Absolument.

M. Rémillard: Alors qu'on n'en aurait même pas besoin dans le domaine social ou dans un objectif national "paix, ordre et bon gouvernement"?

Mme Lajoie: L'établissement des priorités législatives et des priorités de dépenses, à l'intérieur des champs de compétence provinciale, dans une province, dans une constitution fédérale, c'est l'objet même, c'est la raison même pour laquelle il y a un système fédéral. C'est pour cela qu'il y a des provinces, pour que cela puisse différer d'une province à l'autre. Autrement, cela ne sert à rien. Ayons un pays unitaire et cessons de faire pour rien des dépenses administratives. Si on veut un système de garderies national, donnons à l'État fédéral le pouvoir d'adopter des lois là-dessus et qu'on n'en parle plus. Mais s'il y a des pouvoirs provinciaux pour adopter des lois sur ces questions, c'est pour que cela puisse varier d'une province à l'autre et qu'on puisse ne pas le faire et faire autre chose avec cet argent.

M. Johnson (Anjou): Est-ce que le ministre me permet?

M. Rémillard: Oui, je vous en prie.

M. Johnson (Anjou): Dans le cadre de cet échange qui m'apparaît extrêmement intéressant sur ce qu'est la nature du pouvoir de dépenser, le ministre donne l'exemple des garderies parce que c'est dans les airs. On comprend cela, M. Mulroney, M. Broadbent et M. Turner se sont retrouvés lors d'un débat à la télévision à un moment donné et ils ont tous promis bien des affaires. Et là, tout le monde veut livrer la marchandise. Mais situons-nous dans un autre contexte. Si le gouvernement fédéral décidait que ce qui est important, c'est le programme de rénovation des trottoirs à travers le Canada, parce que c'est populaire dans quelque électorat canadien, en Ontario, dans l'Ouest ou dans les Maritimes, ou parce que les

trottoirs sont vieux, et les égouts aussi, Québec, lui, pourrait peut-être juger que ce ne sont pas les trottoirs qui sont importants, mais les garderies. Je vais lui donner exactement l'exemple inverse. L'intérêt de ne pas consacrer entre les mains de l'État fédéral le pouvoir de dépenser, qu'est-ce que cela veut dire dans ce contexte? Cela veut dire que nos choix ici, comme société distincte, si vous me permettez l'expression, devraient prévaloir sur les objectifs nationaux. N'est-ce pas cela qui est en cause dans le fond?

Mme Lajoie: J'avais dit que je n'aborderais pas ces questions, mais je les aborde pour ce lien-là. C'est là le lien entre le pouvoir de dépenser et la possibilité de maintenir une société distincte. La possibilité d'établir nos priorités législatives et nos priorités de dépenses publiques dans les secteurs provinciaux de notre choix, c'est la seule garantie qu'on a d'avoir une société qui ne sera pas exactement pareille à celle de l'Ontario et de la Colombie britannique.

M. Rémillard: Me Lajoie, je comprends très bien le sens de votre réponse, mais je dois vous dire que je la nuance de mon côté. Je suis fédéraliste et je crois donc en ce pays. Je crois qu'il peut y avoir des programmes, d'une façon générale pour ce pays, qui peuvent être très bons aussi pour le Québec et qui ne posent pas de problèmes. Pour ma part, je ne serai pas aussi catégorique que vous. Si vous me le permettez, le temps passe et j'ai une autre question à vous poser pour préciser des choses. Il y a un autre sujet qui nous préoccupe. Ce sont les institutions, les possibilités pour le fédéral de faire des plans nationaux concernant des institutions, soit les municipalités, soit les universités. Selon l'entente du lac Meech, comment voyez-vous ces possibilités? Le chef de l'Opposition aurait pu vous poser cette question, mais je vous la pose.

Mme Lajoie: Vous voulez référer à la différence entre la possibilité de dépenser en faisant des paiements à des individus et la possibilité de faire des paiements à des...

M. Rémillard: Simplement pour ce qui est des institutions. Est-ce que le gouvernement pourrait continuer à donner des subventions directement à des institutions ou des plans conjoints concernant les institutions provinciales, comme les municipalités ou les universités?

Mme Lajoie: Si elles sont inconditionnelles, elles sont couvertes par l'article 36.2. Si elles sont conditionnelles, on retombe dans ce dont on vient de discuter, je crois. La jurisprudence ayant été énoncée à propos de litiqes qui concernaient les individus, on peut faire une différence entre son application à des individus et à des personnes morales, mais c'est simplement par voie de conséquence. Cela n'a pas été dit comme tel.

M. Rémillard: Alors, pour terminer - je vais laisser mes collègues poser des questions - je comprends que pour vous il serait préférable pour le moment de demander avis ou de contester un projet de loi, comme par exemple la loi C-3, et de voir la situation sur le pouvoir de dépenser plutôt que de faire une entente à ce moment-ci.

Mme Lajoie: Ce qui serait encore préférable, ce serait d'obtenir un droit de retrait inconditionnel.

M. Rémillard: Donc, de reconnaître l'existence du pouvoir de dépenser.

Mme Lajoie: À condition d'avoir un droit inconditionnel de retrait parce que, à ce moment-là, le pouvoir de dépenser n'atteindrait pas, ni directement ni indirectement, notre ordre de priorités législatives et financières et le contenu des mesures que noua pourrions adopter. II n'aurait vraiment pas cet effet. Il serait vraiment sous réserve de nos compétences législatives. La seule façon de donner un sens à votre phrase "sous réserve des compétences législatives", c'est d'obtenir un retrait vraiment inconditionnel.

Le Président (M. Filion); D'autres questions, M. le ministre? M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Toujours dans la foulée de ce que viennent d'aborder le ministre et Mme Laioie. Quand je regarde le projet du lac Meech, dans la mesure où on parle des compétences provinciales exclusives, qu'est-ce qui arriverait, par exemple, dans le cas d'un programme conjoint dans le secteur de l'agriculture et de l'immigration qui sont des domaines de compétence partagée constitutionnellement ou dans le secteur des communications ou de l'environnement qui sont des domaines de législation des deux niveaux de gouvernement bien que ce ne soit pas partagé sur le plan du texte constitutionnel? Est-ce que cela veut dire que si le fédéral faisait un programme dans le secteur de l'environnement, des communications, de l'immigration et de l'agriculture, on pourrait se retirer, mais il n'y aurait aucune compensation?

Mme Lajoie: Alors, il y en aurait une qui serait adéquate...

M. Johnson (Anjou): Arbitraire.

Mme Lajoie: On n'en sait rien.

M. Johnson (Anjou): On n'en sait rien.

Mme Lajoie: On n'en sait rien et a contrario, évidemment, si on faisait une interprétation littérale, mais en toute honnêteté je ne sais pas si le texte resterait exactement comme cela. Si le mot exclusif était là, il faudrait effectivement lui donner un sens. Et même dans une interprétation constitutionnelle large, on ne peut pas faire des compétences exclusives en matière d'agriculture, par exemple. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elles ne seraient pas couvertes par cet article et, n'étant pas couvertes, c'est l'état du droit actuel qui continuerait d'exister.

M. Johnson (Anjou): J'irais plus loin sur le plan juridique.

Mme Lajoie: On n'aurait pas plus ni moins de garanties qu'on n'en a actuellement,

M. Johnson (Anjou): J'irais plus loin. Est-ce qu'on pourrait s'en retirer carrément?

Mme Lajoie: Tout autant qu'on peut le faire maintenant.

M. Johnson (Anjou): D'accord. Pas plus, pas moins.

Mme Lajoie: On serait dans l'état du droit actuel, pas plus, pas moins. C'est comme si...

M. Johnson (Anjou): Deuxièmement, si on se retirait on...

Mme Lajoie: C'est comme si on choisissait la voie du silence pour cela.

M. Johnson (Anjou): Voilà. Donc, en admettant qu'on puisse ou qu'on ne puisse pas se retirer, étant donné le statu quo actuel dans lequel on a des hypothèses de pouvoir gagner, si on se retirait, il y a une chose qui est claire: on n'a aucune garantie en termes de compensation. Par exemple, si le fédéral décide d'établir un nouveau plan conjoint dans le secteur de l'agriculture ou de l'immigration... Je vous donne un exemple. Dans le cas de l'immigration, le gouvernement fédéral déciderait, en dépit des dispositions sur l'immigration contenues dans l'entente du lac Meech que les nouveaux arrivants au Canada peuvent apprendre la langue seconde de l'endroit où ils sont. Par exemple, le fédéral pourrait établir un programme qui dit que les nouveaux arrivants au Canada, s'ils vont dan3 l'Ouest canadien, ont accès à un programme d'enseignement du français et, dans le cas du Québec, ont accès à un programme d'enseignement de l'anglais. C'est un plan financé par le fédéral. Le Québec pourrait peut-être se retirer ou pas. Dans la mesure où il te pourrait, chose certaine, il n'y aurait pas de garantie d'être compensé.

Mme Lajoie: II serait exactement dans la même situation que maintenant, mais la différence, c'est que, comme ce serait en même temps un domaine de compétence fédérale, en plus d'être un domaine de compétence provinciale, ce serait beaucoup plus difficile d'obtenir...

M. Johnson (Anjou): Une compensation.

Mme Lajoie: ...une décision judiciaire favorable parce qu'on ne pourrait pas dire que le fédéral légifère dans un domaine qui n'est pas le sien.

M. Johnson (Anjou): Voilà!

M. Rémillard: L'exemple est peut-être un peu plus difficile parce que...

M. Johnson (Anjou): À cause des taxes qu'on n'a pas vues sur l'immigration.

M. Rémillard: ...des langues...

M. Johnson (Anjou): C'est ce que vous alliez dire, je suis sûr.

M. Rémillard: Oui, oui. Vous allez voir. Et le fait que c'est une compétence qui est provinciale en ce qui regarde maintenant les choses...

Mme Lajoie: Il y a déjà des programmes comme ceux-là. II y a déjà un programme d'apprentissage de la langue aux immigrants, je pense que cela s'appelle le COFI.

M. Rémillard: L'entente du lac Meech nous permet de récupérer les sommes d'argent équivalentes. C'est un des apports importants - je sais que vous ne l'avez pas reqardé - le fait de garder le pouvoir de dépenser; c'est un apport intéressant.

M. Johnson (Anjou): Comme ils disent au lac Meech "we have no quarrel with that". Cela va. (21 heures)

Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître maintenant un porte-parole du groupe ministériel, M. le député de Mille-Iles.

M. Bélisle: Merci, M. le Président. Professeure Lajoie, j'ai suivi avec beaucoup

d'attention vos remarques concernant le pouvoir de dépenser, notamment les suggestions que vous faites ou vos propositions d'amendement, compte tenu du cadre dans lequel vous comprenez 1'exercice qui a été fait dans le passé et qui sera éventuellement fait dans l'avenir relativement à ce pouvoir qui est très important, je vous l'accorde.

Vous m'avez sensibilité à une perspective très spéciale. Je vais y réfléchir très sérieusement. Mais je pense qu'il faut peut-être, en tentant de concilier le passé: frictions dans certains programmes, détermination commune d'objectifs nationaux qu'il n'est pas toujours facile de faire, reconnaître le...

Mme Laoie: ...qu'on ne le fasse pas.

M. Bélisle: ...présent. Je veux juste développer un peu et, après, je vais vous poser une question. Essayer de bâtir un avenir plus prometteur pour les Québécois et pour les Canadiens en général de toutes tes régions du Canada, il faut peut-être regarder cela dans une enveloppe plus globale. Ce qui m'apparaît très important dans l'entente du lac Meech, c'est qu'il y a une limite formelle au pouvoir de dépenser - ce qui, à votre avis, n'est pas satisfaisant - mais, à part cette limite formelle, il y a peut-être aussi une sorte de limite informelle au pouvoir de dépenser. Je m'explique. Dans la dernière partie du communiqué, vous avez l'obligation qui sera vraisemblablement consacrée dans là constitution canadienne de réunir annuellement les premiers ministres des provinces dans une conférence annuelle sur l'économie, chose qui n'existe pas présentement dans la constitution, sauf le protocole d'entente signé, les 14 et 15 février 1985, à Regina en Saskatchewan. Dans cette entente, qui n'est pas une entente constitutionnelle, il y a tous les plats qu'on pouvait servir... Je vous en fais une liste. Les premiers ministres pouvaient examiner l'état des relations fédérales-provinciales, examiner toutes les questions intéressant les deux ordres de gouvernement, la culture, entre autres, examiner les objectifs généraux des gouvernements. Mais là, on va centrer cela sur l'économie. Dépenser, dans mon vocabulaire à moi, comme vous l'avez si bien utilisé tantôt, c'est une intervention majeure d'un niveau de gouvernement, fédéral ou provincial, dans l'économie, que ce soit dans des domaines de juridictions concurrentes, par exemple, le logement: programme fédéral, la Société canadienne d'hypothèques et de logement, et, du côté du Québec, la Société d'habitation du Québec; environnement et loisirs, les parcs Canada; loisirs au Québec, les parcs québécois; enseignement supérieur, formation de la main-d'oeuvre, deux domaines où le fédérai et le provincial ont des juridictions ou tentent de les exercer... Ce qu'il m'apparaît, c'est que, lorsqu'on va déterminer à l'avenir, de 1987 aux années futures, les objectifs nationaux, cette limite informelle établie et même formalisée par la suite, par des rencontres, des concertations, de la cogestion, des discussions obligatoires entre les premiers ministres provinciaux et le premier ministre fédéral, va entraîner un nouveau fédéralisme. Voici ce que je me pose comme question: Est-ce que ce n'est pas là un gain important pour baliser la détermination de ces objectifs nationaux dont on parle à la section sur le pouvoir de dépenser?

Mme Lajoie: Si je comprends votre question, vous énoncez un très grand nombre de domaines où vous constatez que l'État fédéral intervient. Je ne voudrais en aucun cas qu'en ne commentant pas cette partie de votre exposé, on en déduise que j'admets que l'État fédéral a compétence dans ces domaines. Plusieurs de ceux que vou3 avez énoncés ne satisfont pas à cette condition.

Si je comprends bien votre question, par ailleurs, vous êtes en train de me dire que, parce qu'il va y avoir une réunion des premiers ministres annuellement, cela va contenir l'évolution du fédéralisme. Écoutez, il y en a eu des réunions de premiers ministres bien plus qu'une fois par année depuis bien longtemps et pendant très longtemps l'État fédéral a utilisé successivement différentes compétences indéfiniment extensibles. Ils ont commencé avec le pouvoir déclaratoire. Jusqu'en 1961, à chaque fois que l'État fédéral voulait acquérir juridiction sur un objet quelconque, il le prenait par l'extérieur, si on veut, par l'objet physique, et le déclarait à l'avantage général du Canada. Je pense qu'il y a plus de 400 déclarations dans ce sens et nous sommes aujourd'hui à Québec, les chutes Montmorency et les plaines d'Abraham ont été déclarées à l'avantage général du Canada et sont des territoires fédéraux. Quand cela est devenu politiquement impossible, on a essayé l'expropriation. Après Mirabel, ils se sont un peu calmés. On les a aidés, mais ils se sont un peu calmés. Et là, c'est le pouvoir de dépenser qui devient le véhicule principal de ces compétences indéfiniment extensibles de l'État fédéral et vous pensez qu'une réunion des premiers ministres une fois par année va régler cela? C'est votre privilège. Moi, j'ai dit que j'avais des opinions politiques mais que ce n'est pas ici que j'allais les énoncer. C'est une opinion politique que vous énoncez. Vous êtes député, c'est la vôtre.

M. Bélisle: Si je vous donnais un exemple.

Mme Lajoie: Mais, sur le plan juridique, cela ne change rien.

M. Bélisle: Si je vous donnais un exemple, professeure Lajoie. Dépenser dans un régime fédéral, dépenser au niveau du Québec... Supposons une récession comme en 1982, une dépense qui est faite pour créer des emplois massivement, au niveau fédéral et au niveau québécois. J'admets que les deux niveaux de gouvernement ont peut-être l'objectif de donner le plus d'emplois possible aux Québécois et aux autres Canadiens des autres provinces du Canada. Je vois dans...

Mme Lajoie: L'État fédéral peut créer des emplois dans les domaines de sa juridiction. Il n'a pas besoin du pouvoir de dépenser pour cela.

M. Béîisle: Ce que j'essaie de...

Mme Lajoie: Tant qu'il dépense dans le domaine de sa compétence législative, il n'y a pas de problèmes.

M. Bélisle: Mais, en vertu de l'article 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, pour le bon gouvernement du Canada, toutes les politiques de conjoncture, politique économique de création d'emplois... Je peux même vous citer, si vous le voulez, professeure Lajoie, un texte, et j'ai copie du texte ici devant moi, à la page 64 du livre blanc sur la souveraineté-association du Parti québécois lors de la campagne référendaire. Je vous cite le passage: "Les deux parties considéreront également comme étant d'un intérêt commun leur politique de conjoncture et les mesures à prendre pour assurer l'équilibre global de la balance des paiements et la stabilité de la monnaie." Fermer les guillemets. Ce que j'essaie tout simplement de mettre sur la table, c'est que je vois l'insertion dans la constitution canadienne, vis-à-vis du pouvoir de dépenser général d'une réunion annuelle des premiers ministres sur l'économie comme étant le germe de la détermination nationale et d'un nouveau fédéralisme coopératif et exécutif au Canada.

Mme Lajoie: Je n'ai pas d'opinion juridique sur votre énoncé.

Le Président (M. Filion): Merci. M. Bélisle: Merci.

Le Président (M. Filion): Je m'excuse, j'ai noté, ici, M. le député de Montmorency.

Une voix: L'alternance.

Le Président (M. Filion): Je m'excuse, vous avez raison. Oui, vous avez raison de souligner la règle de l'alternance. Alors, Mme 'a députée de Chicoutimi.

Mme Blackburn: Merci, M. le Président. Me Lajoie, je sais que vous nous aviez indiqué que vous ne souhaitiez pas sortir de la question du pouvoir de dépenser. Je me permettrai quand même un peu d'essayer de voir comment on pourrait éventuellement -vous l'avez fait un peu tantôt - concilier à la fois les objectifs nationaux avec ce qu'on appelle, avec ce que pourraient être les choix faits par une société distincte. Je dois dire que cela a semblé échapper au député de Mille-Îles, mais, ce dont il est question, c'est d'un pouvoir de dépenser dans un champ de juridiction ou de compétence provinciale exclusive. Ce n'est pas tout à fait comme dans n'importe quel secteur, c'est dans un champ qui appartient aux provinces. L'enseignement supérieur est de compétence provinciale. Tout à l'heure, vous avez fait allusion à la possibilité qu'on soit en train de concocter un projet de loi sur les normes d'enseignement supérieur. C'est préoccupant mais, à la fois, cela ne m'étonne pas outre mesure parce qu'il y a déjà un bon moment que le gouvernement central voudrait bien pouvoir fixer des objectifs de développement aux universités.

Je voudrais peut-être, pour essayer d'illustrer ce que cela pourrait représenter pour les universités du Québec, qu'on fasse des choix comme antérieurement on en a fait, par exemple, de formation dans les programmes courts, parce que cela correspond davantage, je dirais, à un besoin de rattrapage chez nous pour des jeunes. Également, cela correspond, je dirais, à une certaine culture qui fait que les jeunes ne fréquentent pas l'école chez nous de la même façon que dans les provinces anglophones, ils font plus l'alternance du travail et des études, ce qui fait qu'ils s'inscrivent souvent dans les programmes courts. Par ailleurs, ici, parce qu'on est une société distincte avec des caractéristiques particulières, ce que veut reconnaître ce texte, les programmes de deuxième et troisième cycle, on aurait davantaqe tendance à le développer dans l'environnement, dans les sciences sociales, dans les communications, l'énergie, l'agriculture, plutôt que dans la haute technologie, par exemple. Cela veut donc dire que, si le fédéral se fixait des objectifs qui soient davantage axés sur des programmes de haute technologie et que le Québec veuille faire des choix qui correspondent davantage à ses besoins et à ses cultures, on devrait concilier ou essayer de concilier les objectifs nationaux avec les besoins de la société distincte.

Mme Lajoie: Vous illustrez très bien l'effet d'un pouvoir de dépenser, tel que

rédigé dans la modification qu'on propose. Si les politiques, à ce moment-là, n'étaient pas conformes aux objectifs nationaux, eh bien, on n'aurait pas le droit de compensation et, alors, le pouvoir de dépenser, tel qu'exercé, atteindrait l'exercice des compétences provinciales et les limiterait.

Mme Blackburn: Et, à cet égard, si le Québec voulait se retirer du programme pour dire: Nous, nous protégeons ou nous continuons d'encourager le développement de ces cycles, deuxième et troisième cycle, dans des programmes particuliers, s'il se retirait, cela pourrait être au prix d'une perte de revenus, parce qu'il n'y a rien qui garantit cela.

Mme Lajoie: Et, en même temps, c'est une perte d'autonomie.

Mme Blackburn: Et c'est une perte d'autonomie. Si je compends bien, la mise en garde que vous faites est la suivante. Vous dites: Les provinces existent en particulier parce qu'elles ont, et on le leur a reconnu, des compétences provinciales exclusives, ce sur quoi quasiment se fondent nos gouvernements provinciaux. Donc, plus elles vont être érodées, on pourrait finir, à la limite ou à l'extrême, par dire: Est-ce que ce sera nécessaire d'avoir des gouvernements provinciaux?

Mme Lajoie: À la limite, on... C'est pourquoi j'ai dit, quand j'ai parlé de mes postulats au début de mon intervention avant le dîner: Mon intervention repose sur le postulat que c'est une constitution fédérale que nous tentons de modifier, qu'on a tenté de modifier au lac Meech et qu'elle doit demeurer fédérale en ce qui concerne l'exercice des compétences et non pas se transformer en une constitution unitaire d'un pays dont le siège serait à Ottawa. Si on donne à l'État fédéral le pouvoir de modifier unilatéralement, d'une façon discrétionnaire, l'exercice des compétences provinciales à tout moment par une seule décision dans un contrat, si tout passe par du "regulating by contract" - c'est une expression britannique d'un auteur de droit britannique - si tout devient cela, alors dans les faits, indirectement, les compétences provinciales ne peuvent plus s'exercer et, effectivement, il n'y a plus de raison à la fédération.

Le Président (M. Filion): Je remercie Mme la députée de Chicoutimi. Je vais reconnaître maintenant M. le député de Montmorency.

M. Séguin: M. le Président, je vais céder mon droit de parole, si vous n'avez pas d'objection.

Le Président (M. Filion): Qui cède son droit de parole à Mme la ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration.

Mme Robic: Merci, M. le Président. Mme Lajoie, ce qui semble vous inquiéter dans cette proposition des pouvoirs de dépenser, c'est que la province qui voudrait se retirer du programme fédéral devrait mettre en oeuvre de son propre chef une initiative ou un programme compatible avec les objectifs nationaux. Nous avons donné quelques exemples tout à l'heure: entre autres, construire des trottoirs ou des garderies. Mais, quand on parle d'objectifs nationaux, je pense que l'objectif national ne serait pas de construire des trottoirs, mais bien d'améliorer les services de ta voirie. Donc, si une province n'avait pas besoin de refaire ses trottoirs, est-ce qu'on peut présumer qu'elle pourrait se retirer et, avec la compensation, construire, par exemple, un pont, parce que toute province a des besoins de voirie? Une initiative compatible pourrait très bien également avoir un éventail assez large pour le permettre. (21 h 15)

Mme Lajoie: Tout dépendrait de l'usaqe qu'on ferait de ce pouvoir et rien ne garantit que celui qu'on ferait serait celui que vous énoncez. Certes, des objectifs, des critères et des normes, cela peut signifier ce que l'on veut que cela signifie. Vous savez, au début des lois, il y a des définitions. Elles sont généralement très étroites ou alors très larges. Mais on pourrait faire ce qu'on veut de cela. Par exemple, il y a des dispositions législatives qui sont tout aussi minutieuses et détaillées que des dispositions réqlementaires, et il y a des dispositions réglementaires qui, au contraire, ont une portée très large, presque aussi large que des dispositions législatives. Alors, si dans les instruments entre la loi et le règlement, on ne fait pas ces différences, on ne les fera pas nécessairement au plan des politiques qu'on veut mettre en oeuvre par ces instruments. Et la définition de normes, de programmes ou d'objectifs nationaux pourrait être celle que vous dites; elle pourrait être autre chose, avec un texte comme celui qu'on adopterait, à moins qu'il n'y ait une définition d'objectif qui s'applique obligatoirement. On n'a aucune garantie.

Mme Robic: Excepté qu'il y a certainement cette possibilité qu'une initiative ou un programme compatible avec des objectifs nationaux comprenne justement tout l'éventail des services de voirie. Ou, si on donne l'autre exemple des garderies, si on avait un système de garderies complet au Québec, on pourrait se retirer. Les objectifs nationaux ne seraient pas un système de garderies, mais la qualité de la famille, par exemple, la vie de la famille. Donc, on

pourrait dire: Nous allons utiliser ces sommes pour des maisons de femmes battues, par exemple.

Mme Lajoie: Mais on n'en sait rien.

Mme Robic: Ce n'est pas impossible.

Mme Lajoie: Écoutez, rien n'est impossible, sauf que, même si on fait cela ainsi, on aura perdu l'autonomie d'agir ou de ne pas agir dans ce champ-là.

Mme Robic: Mais on sait très bien que, dans tous les domaines, nous avons tous des besoins. Dans chacun de ces domaines, nous avons continuellement des besoins. Donc, nous pourrions appliquer cet argent à ces besoins qui satisferaient à des objectifs nationaux.

Mme Lajoie: L'objet de l'autonomie gouvernementale est d'établir des priorités entre ces objets-là et ce ne serait plus possible.

Mme Robic: Nous avons certainement, dans chacune des provinces, des priorités dans tous ces champs d'action.

Mme Lajoie: Ce ne sont pas les mêmes ou, alors, il n'y a pas de société distincte.

Mme Robic: Oui, mais...

Mme Lajoie: Si toutes les priorités sont les mêmes, il n'y a pas Heu d'avoir une fédération. Qu'on fasse un gouvernement unitaire!

Le Président (M. Filion): Je...

Mme Robic: Une société distincte... Cela ne touche pas à notre société distincte de construire un pont plutôt qu'un trottoir.

Mme Lajoie: Cela peut toucher au critère de société distincte, l'ordre de grandeur des sommes investies dans la voirie par rapport à celles qu'on investit ailleurs.

Mme Robic: D'accord. Merci.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme Lajoie et Mme la ministre. Cela va. Vous avez terminé. Cela tombe drôlement bien, parce que votre temps et celui de votre formation sont écoulés. Je vais maintenant reconnaître un autre porte-parole, M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Oui, M. le Président. Mme Lajoie, à moins que le temps ne me le permette, ce ne sera pas pour vous poser des questions. Je vais probablement conclure à ce stade-ci et vous remercier en commençant, comme en terminant.

J'ai quelques affaires à dire. Je trouve qu'on est dans le fond des choses, ici comme sur la langue, et permettez-moi une ou deux affirmations. Quand Jean-Louis Roy, avant d'être délégué du Québec, écrivait comme éditorialiste au Devoir que certains députés d'en face étaient des bedeaux du fédéralisme et semblaient s'être trompés de Parlement à Québec, je pense que, à l'époque, il pensait à des gens comme le député de Mille-Îles que j'ai entendu ici affirmer - je vais me retenir, M. le Président - un certain nombre de choses pour le moins discutables, pour ne pas les qualifier de quadrupède ânonnant. Je parle des propos, je ne parle pas de l'homme, c'est évident! M. le Président, quand j'entends le député de Mille-Îles expliquer que la grande victoire de Meech, c'est d'avoir une réunion annuelle des premiers ministres où le premier ministre du Québec va se faire annoncer les nouveaux programmes nationaux, les nouveaux objectifs et là on va se réjouir de cela comme des tarlais, voyons donc! Société distincte, "my foot"!

Deuxièmement, quand j'entends la ministre de l'Immigration venir nous expliquer que, dans le fond, les objectifs nationaux, c'est comme la tarte aux pommes, pis la vertu. Vous savez, le programme national des garderies, dans le fond... Les objectifs nationaux, cela pourrait être: Écoutez, nous, on est pour cela, la famille. Voyons donc! Il ne faut pas avoir été à quelque ministère que ce soit très longtemps pour savoir que, dans la fédération canadienne, les objectifs nationaux se définissent au pied carré des installations; cela se définit dans un infini détail. Si la ministre n'en a pas eu la pratique, c'est parce qu'elle n'a pas fait une partie de son boulot depuis qu'elle est là; c'est un des deux. Ne pas comprendre que les objectifs nationaux, dans la fédération canadienne, ne se résument pas à des mots et à des pétitions de principe, mais que cela se résume à un exercice du pouvoir, à une volonté claire de dire: Nous, on a évalué les besoins pancanadiens - entre guillemets -dans la moyenne canadienne, autour des objectifs supérieurs de la nation qui sont concentrés autour du lac du même nom, qui est en Ontario, comme par hasard, c'est ne pas voir comment cela fonctionne depuis 25 ans au Canada. Je me permettrai d'être plutôt frappé par la naïveté, pour ne pas dire la candeur béate, de ces bedeaux du fédéralisme.

On touche au fond des choses. Pourquoi? Parce que ce que nous dit, je crois, Mme Lajoie, quand elle utilise l'expression "le baiser de la mort" en parlant du pouvoir de dépenser, c'est fondamentalement que la différence du Québec ne s'exprime pas seulement par la

langue, bien que ce soit évident qu'il faille qu'elle s'exprime par ce trait caractéristique de notre culture et de notre peuple qui parle et qui est le seul sur ce continent, à 2 % de sa population, à parler une langue différente de l'anglais, soit le français, mais cela s'exprime aussi par le pouvoir et les instruments qu'on a. Vous ne pouvez pas être différent, comme société, vous ne pouvez pas prétendre être une société distincte si vous n'avez pas des instruments pour vous développer dans votre différence. Le peu d'instruments qu'on a, dans le fédéralisme canadien, en ce moment, se résument à quoi? Ils se résument à l'article 92 de la constitution du Canada, les domaines dits de juridiction provinciale. Quelle est la nature du pouvoir de dépenser? C'est précisément de diminuer la marge de manoeuvre de cet exercice du peu de pouvoirs qu'on a comme peuple distinct en Amérique du Nord. C'est cela, le fond des choses. Et de s'imaginer qu'en s'épivardant autour des satisfactions béates du député de Mille-Îles, des incompréhensions profondes de la ministre de l'Éducation sur le fonctionnement du système fédéral...

Une voix: De l'Immigration.

M. Johnson (Anjou): De l'Immigration, oui.

Une voix: De grâce, pas de l'Éducation!

M. Johnson (Anjou): Oui, s'il vous plaîtl De l'Immigration. Non, cela ne guetterait pas le ministre de l'Éducation, j'en suis sûr.

Une voix: II s'est trompé de ministre. Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Johnson (Anjou): Oui, c'est un fait, mais je m'aperçois qu'il aurait peut-être dû être dans le dossier, par exemple...

Des voix: Ah! Ah! Ah!

M. Johnson (Anjou): ...pour vous autres. Et il aurait peut-être fait un meilleur boulot que le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes parce que je pense qu'il aurait pigé cela, le pouvoir de dépenser, alors que vous êtes en train de le découvrir au fur et à mesure qu'on vous en parle, à la période de questions, à l'Assemblée nationale. Vous êtes en train de découvrir c'est quoi l'espèce d'"enferrement" dans lequel vous êtes en train de mettre votre pseudo-société distincte. Pourquoi? Parce que vous la privez de pouvoirs. Et qu'on le veuille ou non, le pouvoir, ce n'est pas un mot sale. Le pouvoir, c'est l'expression dans une collectivité et l'utilisation de moyens pour cette collectivité d'exprimer ce qu'elle est. Moi, je pense que c'est aux Québécois à choisir entre les trottoirs et les garderies, entre l'environnement et le développement municipal, entre l'ensemble de nos programmes sociaux et l'enseignement supérieur. J'aimerais que l'on puisse décider de l'ensemble des questions économiques, mais on ne le peut pas et on ne le pourra pas tant qu'on sera dans la fédération canadienne. Mais, quant au peu de pouvoirs qu'on a comme société, puisque vous voulez que ce soit une société distincte seulement, je vous dis: N'émasculez pas ces pouvoirs. Et c'est cela que vous êtes en train de faire avec la reconnaissance du pouvoir de dépenser du fédéral. Il faut en être conscient. Si je suis prêt à reconnaître que, dans le cadre de l'exercice du pouvoir de dépenser, te Canada s'est doté notamment d'un système de santé aux vertus d'accessibilité et d'universalité, je ne suis pas prêt à reconnattre que les décisions de progrès social, économique et culturel doivent nous être dictées par l'extérieur. Et la reconnaissance du pouvoir de dépenser est précisément la reconnaissance non pas, M. le député de Mille-Îles, du consentement voulu et choisi d'orientations communes avec le Canada, mais de ce qui nous est imposé par des objectifs dits nationaux dont la grande caractéristique historique a toujours été qu'ils ont été dictés par les intérêts du sud-est ontarien. Tant qu'on n'aura pas compris cette réalité de base, on pourra bien faire des fla-flas autour des phrases ou des pseudo-textes du ministre sur le pouvoir de dépenser, on pourra bien s'imaginer que, sur le plan juridique, on fait des pirouettes extraordinaires, mais on va passer, là-dessus comme dans le cas de la langue, à côté de l'essentiel. Le pouvoir de dépenser n'est pas seulement une affaire de spécialistes, c'est une réalité fondamentale sur le plan politique, sur le plan sociologique et sur le plan du caractère distinct du peuple québécois. C'est le pouvoir de se développer comme il entend se développer dans le peu de domaines que lui laisse l'article 92. Et je souhaite que l'exposé remarquable, mais absolument dénué de la passion que je viens d'y mettre, qui nous est venu de Mme Lajoie ait au moins éclairé quelque peu le ministre, qu'il lui permette de poser les jugements adéquats et surtout qu'il renseigne quelque peu un certain nombre de ceux qui sont aux prises avec un syndrome de naïveté déplorable de l'autre côté. Je considère en ce sens, Mme Lajoie, que vous nous avez éclairés. Les réactions de mes collègues d'en face m'ont quelque peu choqué. Vous vous en êtes rendu compte. J'espère que mon éclat ne vous a pas trop embarrassée! Mais j'ai trouvé, Mme Lajoie, dans l'analyse que vous avez faîte, non seulement...

Une voix: "Les bedeaux vont sonner les cloches!

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Johnson (Anjou): Je comprends qu'en face, M. le Président...

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaft!

M. Johnson (Anjou): M. le Président, je comprends qu'en face...

Le Président (M. Filion): II vous reste une minute, M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Johnson (Anjou): Merci. Mais pensez-vous que je vais pouvoir l'avoir, M. le Président?

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Johnson (Anjou): Je comprends qu'en face, chaque fois qu'on parle de la langue et chaque fois qu'on parle du Québec, on devienne nerveux. Et je le comprends! Quand je regarde votre programme politique, quand je regarde ce qui vous anime, quand je regarde vos naïvetés dangereuses. Et il y a une chose qui me frappe en ce moment. Ce matin, je voyais ce titre dans La Presse: "Mme Chaput-Rolland dit: Le nationalisme québécois nous a amenés jusqu'au lac Meech." Ce qui m'inquiète, c'est que M. Bourassa veut qu'on fasse un grand pas en avant rendu sur le bord du lac. Et c'est cela que vous êtes en train de faire avec le pouvoir de dépenser. Cernez-le comme il faut.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le chef de l'Opposition officielle. À l'ordre, s'il vous plaît!

Mme Lajoie, au nom de tous les membres de cette commission, je voudrais vous remercier de votre exposé ainsi que de la qualité des échanges avec les membres de cette commission. Avant de terminer, je laisse la parole à M. le ministre qui voudrait remercier notre invitée.

M. Rémillard: C'est simplement pour vous remercier très sincèrement, madame. Je pense que vous avez soulevé des points très intéressants qui préoccupent le gouvernement. Et soyez assurée que, dans ce qui a été discuté au lac Meech, beaucoup de ces préoccupations ont fait l'objet de grandes discussions, les mots "objectifs nationaux" et tout ont été étudiés et pesés - j'aurai l'occasion de vous en parler peut-être à une autre occasion - et, d'autre part, que le libellé juridique pourra discuter de certains éléments. Je peux vous dire que j'ai apprécié vos commentaires et le plaisir que j'ai eu de discuter avec vous. Merci.

Le Président (M. Filion): Mme Lajoie, merci.

J'inviterais, sans que nous suspendions nos travaux, notre prochain invité que j'ai aperçu, M. Pierre Blache, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke, à bien vouloir prendre place à la table des invités.

À l'ordre, s'il vous plaît! Est-ce que les membres de cette commission me demandent une suspension de quelques minutes? Donc, nos travaux sont suspendus pour cinq minutes.

(Suspension de la séance à 21 h 30)

(Reprise à 21 h 40)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! Nous terminons donc cette deuxième journée avec la présence de M. Pierre Blache, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke, à qui je souhaite la bienvenue. Je pense que le professeur Blache connaît déjà nos règles de fonctionnement. Vingt minutes sont consacrées à son exposé. Par la suite, le temps est partagé de chaque côté pour des échanges avec vous. Sans plus tarder, je vous invite à présenter aux membres de cette commission votre exposé.

M. Pierre Blache

M. Blache (Pierre): Merci, M. le Président. Vous comprendrez que je suis honoré, mais inquiet en même temps de participer à la réflexion et à l'animation d'une commission parlementaire à un moment aussi important de l'histoire du Québec et du Canada. Je suis aussi un peu inquiet de me présenter à cette table devant une commission qui a eu l'occasion d'entendre avant moi bien d'autres experts, de telle sorte que je me trouve, je suppose, devant une commission qui elle-même est en train de devenir experte et, donc, de plus en plus dangereuse pour les experts qui s'y présentent. Je soulignerai en commençant que les commentaires que je fais reposent, évidemment, sur l'entente de principe du lac Meech. Nous n'avons pas encore le texte juridique. Je suis prudent, je sais bien qu'un glissement de sens peut se produire entre les textes que nous connaissons maintenant et ceux qui seront produits dans quelques jours ou dans quelques semaines. Je considère, cependant, que les textes dont nous disposons sont suffisamment révélateurs pour fonder des interventions éclairantes à ce moment-ci.

En introduction, je veux signaler le point de vue où je me place pour présenter mes commentaires à cette commission. Les sujet9 chauds concernant l'entente du lac Meech sont nombreux. Il y a d'abord la question de la société distincte. Il y a, vous le savez aussi - les journaux en parlent énormément - la question de la camisole de force dont parlent certains et qui désigne cette obligation d'unanimité pour la modification des institutions centrales de la fédération canadienne. Il y a aussi une troisième question qui est soulevée surtout dans d'autres parties du Canada, la dynamique ultra-décentralisatrice, diraient certains, qui risque, selon certains, d'être déclenchée par l'accord du lac Meech. Je n'ai pas l'intention d'aborder toutes ces questions considérables. Je ne retiendrai comme lorgnette d'examen que la question de la société distincte. Mais c'est à travers ce prisme que je chercherai à réfléchir avec vous sur la plupart des aspects de l'accord du lac Meech. Il m'arrivera, évidemment, de traiter parfois très sommairement de certaines questions puisque j'entends privilégier la formule d'amendement surtout et, inévitablement, le pouvoir de dépenser.

Je veux aussi souligner la perspective selon laquelle je vais aborder la question de la société distincte. Je comprends que nous réfléchissons sur la Loi constitutionnelle de 1982 qui essentiellement comporte deux choses: le rapatriement d'une constitution, c'est-à-dire une nouvelle formule d'amendement, et, en second lieu, une charte des droits et des libertés. Je pense donc que la réflexion sur la société distincte, en fonction de l'accord ou plutôt de la Loi constitutionnelle de 1982, doit se concentrer sur ces deux questions, celle de la formule d'amendement et celle de la charte canadienne. La question que je me poserai est la suivante: Est-ce que sur ces deux points les choses ont suffisamment changé pour que la province de Québec, que le Québec puisse juger suffisants ces changements et décider de participer, comme on le dit dans l'accord du lac Meech, à l'évolution constitutionnelle à venir? Par évolution constitutionnelle à venir, je signifie participer aux négociations constitutionnelles en vue d'autres amendements et participer aussi à ce nouveau système selon lequel les lois de la Législature sont évaluées par les tribunaux en fonction d'une charte des droits et libertés.

Ce sont donc les questions que je vais aborder. Il y aura donc deux parties: la formule d'amendement, d'une part, et l'arbitrage constitutionnel. Comme le temps qui nous est accordé est, quand même, limité - je le comprends et je veux bien m'exposer le plus longuement possible aux questions de la commission - je vous dis tout de suite que je sais déjà que je ne parlerai vraiment que de la formule d'amendement et du pouvoir de dépenser. Mais j'aimerais quand même, en conclusion, dire quelques mots sur l'arbitraqe constitutionnel.

Pour ce qui est de l'amendement constitutionnel, j'entends traiter de la question en deux parties. II me semble qu'il y a, dans l'accord du lac Meech, d'une part, une formule d'amendement explicite. Elle est en deux parties. La première partie concerne les transferts de compétences vers le Parlement central. Arrêtons-nous d'abord à ce premier aspect de la formule d'amendement. Quelle est la situation? Nous sommes passés d'un droit de retrait limité aux matières d'éducation et de culture à un droit de retrait général.

J'ai quatre commentaires à faire sur cette évolution. Le premier, c'est qu'en tant que telle une formule de retrait, c'est-à-dire une formule qui permet de se dissocier de l'orientation centralisatrice que voudrait prendre une autre partie du Canada, me paraît s'inscrire dans la droite ligne de l'option pour une société distincte. Donc, il me semble que la formule de retrait, en tant que telle, annonce déjà, est en harmonie avec une philosophie de la distinction du Québec comme de la distinction possible, d'ailleurs, d'autres provinces dans la Fédération canadienne, mais assurément, de la distinction du Québec. Alors qu'une insistance sur le veto nous aurait enfermés dans un fédéralisme symétrique à l'intérieur duquel tous bougent ou tous ne bougent pas, la formule de retrait est un signe clair d'une option pour le pouvoir de se distinguer.

Le deuxième commentaire que je ferai, c'est que la formule de retrait que nous posséderions en vertu de l'entente du lac Meech s'étendrait sur un domaine beaucoup plus large que celui que nous connaissions jusqu'à maintenant puisqu'on était limité aux questions d'éducation et de culture alors qu'avec l'accord du lac Meech la formule de retrait permettrait au Québec de ne pas s'associer à des modifications selon lesquelles les compétences fédérales seraient augmentées sur quelque compétence provinciale que ce soit et non pas seulement en matière d'éducation et de culture. Ce deuxième commentaire me permet de conclure que le pouvoir de se distinguer comme société - je dirai tantôt que c'est, cependant, un pouvoir défensif - est quand même élargi considérablement par l'accord du lac Meech. Je ne peux pas ne pas souligner ces aspects positifs.

Le troisième commentaire que je ferai concerne précisément cet aspect défensif. Il est sûr que le pouvoir de retrait n'est qu'une mesure de sécurité qui permet à la province de ne pas voir les compétences provinciales devenir des compétences fédérales. Ce n'est pas un pouvoir qui permet d'acquérir d'autres compétences provinciales. C'est donc une

arme essentiellement défensive. J'en suis conscient et je ne veux pas du tout oublier cet aspect des choses, mais je pense important, comme constitutionnaliste, de rappeler que, vu le contexte, vu le fait que nous sommes dans une fédération qui, à l'échelle du monde, quand on la compare à bien d'autres fédérations sur la planète, est relativement décentralisée, certains diraient fortement décentralisée - certains disaient même que c'était un des problèmes fondamentaux du Canada que cette grande décentralisation - puisque nous sommes dans-une fédération décentralisée, dis-je, il me semble que ce pouvoir de retrait, ce pouvoir défensif, n'est pas négligeable. Il est important.

Le quatrième commentaire que je ferai est que ce pouvoir défensif va peut-être avoir un impact considérable en ce qui concerne l'expression de la distinction québécoise. C'est, d'ailleurs, ce qui inquiète beaucoup certains adversaires de l'accord du lac Meech, puisqu'il est bien possible au cours des décennies qui viennent que d'autres provinces canadiennes consentent à des mouvements de centralisation dans la fédération, desquels le Québec se dissociera précisément en raison de ce pouvoir de retrait. Ce qui veut dire qu'il y a en germe dans ce premier aspect de la formule d'amendement, il ne faut pas se le cacher -mais c'est un avantage aussi très sérieux pour le Québec - une menace considérable à la Fédération canadienne. Il se peut que dans quelque temps on découvre que c'est une province, la seule, imaginons-le, qui veuille retenir ses compétences, alors que la plupart des autres voudraient en céder plusieurs. Si cela se produisait, cela veut dire que la société distincte québécoise émergerait de plus en plus. C'est donc un quatrième commentaire qui est important et qui me permet de conclure que l'option pour le droit de retrait et son extension à tous les domaines est servante de la société distincte et met en marche une dynamique qui en effraie, d'ailleurs, plusieurs.

Je continue toujours sur la formule d'amendement. Le deuxième aspect de la formule d'amendement est cet aspect selon lequel des transferts de compétences peuvent être faits vers les provinces. La situation est simple. On a conservé la formule d'amendement qui est là depuis 1982. Ces transferts ne pourront se faire que de l'accord des deux tiers des provinces canadiennes représentant 50 %, c'est la formule connue de l'article 38. Mes commentaires sur cette formule ou sur cet aspect des choses sont simples et sont les suivants: II me semble que le fait d'avoir opté pour le maintien d'une formule de la majorité pour ces transferts vers les provinces, c'est avoir opté pour une formule bien préférable à celle, en particulier, des veto régionaux qui ont souvent fait partie des négociations canadiennes. Qu'il s'agisse des conclusions de la commission Pepin-Robarts, qu'il s'agisse des projets de Victoria, on parlait beaucoup à cette époque de veto régionaux. Des transferts de compétences dans les deux sens ne pouvaient se faire qu'à condition que les veto régionaux ne jouent pas. On a abandonné ces veto régionaux ici. Il me semble que, pour ce qui est de la possibilité d'étendre les compétences provinciales, c'était très important d'abandonner ces veto régionaux et de passer, donc, à une formule de la majorité qui est exigeante, mais qui n'a quand même pas cette exigence caractérisée par un droit de veto à toutes les régions canadiennes.

Or - c'est mon deuxième commentaire - il me semble que la formule des veto régionaux serait celle à laquelle nous nous serions heurtés inévitablement si nous avions insisté pour un droit de veto québécois sur ces transferts-là ou pour un droit de veto québécois sur les deux types de transferts, évidemment ceux vers le centre, qui sont ceux qui nous concernent surtout, qui nous inquiètent surtout, et ceux vers les provinces. Il me semble, donc, que le fait d'avoir opté pour une formule majoritaire nous a permis d'échapper à ce piège des veto régionaux qui auraient paralysé l'évolution possible vers une certaine décentralisation.

Donc, pour ce qui est de cet aspect explicite de la formule d'amendement, je dirai qu'il y a un gain important dans l'abandon du veto, qu'il y a un gain important dans le fait d'avoir distingué deux types d'amendements, les amendements centralisateurs et les amendements décentralisateurs, et d'avoir retenu le retrait pour les amendements centralisateurs et d'être passés à une formule de majorité, et d'être sortis des veto régionaux pour ce qui est d'amendements décentralisateurs éventuels.

Toujours à propos de l'amendement seulement, je m'engagerai maintenant dans ce que j'appelle l'amendement constitutionnel implicite et ce à quoi je réfère, c'est au pouvoir de dépenser. Là-dessus, il me faudra émettre des réserves importantes que j'ai l'intention de vous présenter brièvement dans les quelques minutes qui viennent.

Je rappelle, d'abord, brièvement, mais vous êtes une commission qui est déjà très instruite sur cette question, que la formule du lac Meech ne concerne que les programmes à frais partagés, si je la comprends bien; donc, qu'elle est partielle en ce qui concerne le pouvoir de dépenser, qu'elle prévoit une compensation juste, mais à condition que les provinces aient des initiatives ou des programmes dans le même domaine, à condition que ces programmes soient compatibles avec les objectifs

nationaux.

Quels sont les commentaires qu'on peut faire sur cette formule? J'en ferai de trois ordres. Dans un premier temps, je veux souligner les dangers que recèle le texte du lac Meech concernant le pouvoir de dépenser. Dans un deuxième temps, je signalerai quelques raisons d'espérer, elles pourront paraître un peu techniques, et je conclurai qu'il y a quand même insécurité de ce côté. Finalement, j'évoquerai quelques voies à explorer d'ici à l'accord final, si un accord est possible.

Je m'arrête, donc, d'abord aux dangers que recèle le texte du lac Meech sur le pouvoir de dépenser. Il me semble qu'il y en a quatre. Le premier de ces dangers, c'est que ce texte est silencieux sur le pouvoir de dépenser directement en faveur des institutions et des individus. Cela signifie que les limites apportées au pouvoir de dépenser au lac Meech ne concernent que les programmes à frais partagés, ceux dans lesquels les provinces dépensent avec l'État central. Or, le pouvoir de dépenser de l'État centrai est bien loin de se limiter à cela. Il comporte aussi le pouvoir de faire des programmes unilatéraux à frais non partagés, payés par lui et dans des domaines qui seraient provinciaux, en versant des sommes aux individus et aux institutions. Dans la mesure où le texte du lac Meech est silencieux sur cela, il paraît dangereux puisqu'il n'annonce aucune limite à cette forme du pouvoir de dépenser dont certains disent même qu'elle est celle de l'avenir, parce que certains croient que les programmes à frais partagés sont peut-être chose du passé.

Le deuxième danger que je vois dans ce paragraphe sur le pouvoir de dépenser, c'est qu'on n'y trouve aucune exigence concernant l'établissement des programmes. Or, depuis longtemps, au Canada, quand on parle de limiter le pouvoir de dépenser de l'État central, on a l'habitude de prévoir qu'il faudra, pour que le Parlement central dépense dans des secteurs provinciaux, un accord d'une majorité, par exemple, des régions canadiennes. C'est de cela qu'on parlait en 1969 quand on est venu bien près de certains accords, d'ailleurs, sur ce type de majorité régionale requise pour établir des programmes ou autoriser le fédéral à dépenser dans des secteurs provinciaux.

Le troisième danger que je vois dans la formule du lac Meech vient de cette fameuse formule des objectifs nationaux. Je veux dire par là que le pouvoir de dépenser n'est pas circonscrit dans le texte du lac Meech. Il est si peu circonscrit qu'on pourrait craindre qu'il ne permette même le pouvoir de réglementer un secteur. Je reviendrai sur cela dans un moment pour émettre des réserves sur ce danger. Mais il y a un danger dans le fait qu'on ne trouve pas de délimitation explicite du pouvoir de dépenser dans le paragraphe qui lui est consacré dans le compte rendu du lac Meech. (22 heures)

Le quatrième danger, c'est qu'on ne trouve pas de droit de retrait réel concernant le pouvoir de dépenser, puisque ce qui est accordé aux provinces, c'est le pouvoir de se dissocier à condition d'avoir des initiatives ou des programmes dans le secteur jugé prioritaire par le Parlement central et d'agir de façon compatible avec les objectifs nationaux. On n'a donc pas du tout une formule du retrait analogue à celle qu'on a adoptée en matière d'amendements centralisateurs.

Voilà pour les quatre dangers. Par souci, cependant, de présenter de la manière la plus nuancée et avec toutes les nuances qu'elle mérite cette difficile question, je souligne quelques raisons d'espérer que certains pourraient trouver dans la situation et dans le texte du lac Meech. On pourrait, dans un premier temps, dire: Écoutez, le texte du lac Meech a une qualité: au moins, il ne reconnaît pas le pouvoir de dépenser de l'État central en ce qui concerne les institutions et les individus; il ne le reconnaît qu'en matière de programmes à frais partagés et peut-être que les programmes à frais partagés, c'est une affaire du passé. Et là, il y a tout un débat dans lequel certains pourraient s'engager. On pourrait peut-être prétendre cela. Donc, il n'y aurait pas la reconnaissance implicite du pouvoir de dépenser du fédéral en ce qui concerne les institutions et les individus puisqu'on ne parle pas de ce type de pouvoir de dépenser dans la formule retenue au lac Meech.

Un deuxième commentaire qu'on peut faire et qui nous donne une raison d'espérer aussi est le suivant. On peut penser que l'instauration d'un programme, à frais partagés ou autre, de dépenses par le Parlement central, s'il va loin du côté de la réglementation ou, disons plus modestement même, s'il s'engage vraiment dans l'établissement de normes concernant un secteur, peut peut-être être jugé comme assimilable à un amendement constitutionnel centralisateur. Est-ce qu'on ne pourrait pas conclure du fait pour le Parlement central de dépenser dans les domaines provinciaux, si sa dépense comporte l'édit de normes importantes dans le secteur, qu'il s'agit là d'une intrusion dans les zones législatives provinciales? Est-ce qu'il ne s'agit pas alors d'un amendement centralisateur? Est-ce qu'à ce moment-là il ne faut pas conclure que, si jamais on allait devant les tribunaux avec la formule actuelle, avec le texte de l'article 38 qui parle d'amendement dérogatoire - et je pense que le terme est important - aux compétences provinciales, l'exercice du pouvoir de dépenser de façon, je dirais,

normative ou quasi normative n'est pas un amendement dérogatoire aux compétences provinciales? Si c'est le cas, on pourrait conclure qu'il faut le consentement de la formule de l'article 38. Il faut le consentement de ce nombre de provinces et de 50 % de population canadienne. Ce serait une consolation, mais c'est une chose à démontrer et c'est une chose dont il faut convaincre les tribunaux.

Il y a une troisième considération, encore une fois, qui donnerait peut-être lieu d'espérer. Est-ce qu'on ne pourrait pas penser que, en vertu du texte du lac Meech, le pouvoir de dépenser de l'État central qui est prévu là est un pouvoir de dépenser qui ne peut pas permettre l'intrusion dans la réglementation? On pourrait peut-être le penser en insistant beaucoup sur la rubrique - il y a quand même un titre - Pouvoir de dépenser. Peut-être qu'en insistant beaucoup là-dessus, on pourrait convaincre les tribunaux qu'il s'agit seulement de pouvoir de dépenser et que cela ne peut pas aller très loin ou pas du tout - mais c'est là qu'est tout le débat sur cette terrible question - du côté de la réglementation.

Il y aurait donc, dans le texte du lac Meech, une délimitation, une définition en puissance du pouvoir de dépenser. On ne pourrait pas prétendre qu'au lac Meech on a reconnu un pouvoir de dépenser illimité en matière de programmes à frais partagés. C'est une troisième considération que je livre à votre attention et qui pourrait donner à certains des raisons d'espérer que la société distincte puisse résister à l'impact centralisateur d'un pouvoir de dépenser, habilement utilisé.

La quatrième raison d'espérer que certains pourraient peut-être trouver est la suivante. On pourrait penser que le test, les critères de compatibilité auxquels devront satisfaire les programmes et les initiatives provinciales pour qu'on puisse obtenir la compensation juste, seront interprétés de façon généreuse face au Québec, en raison de cette nouvelle règle d'interprétation qu'on introduit dans la constitution et qui nous apprend que le Québec est une société distincte dont la signification, la portée et le domaine ne nous sont pas révélés, mais dont le domaine nous sera manifesté au long des procès devant les cours de justice, quand les procureurs viendront expliquer que, sur un point ou sur un autre, le Québec est en train de résister parce qu'on s'en prend à une de ses distinctions majeures. Ce serait donc, peut-être, une quatrième raison d'espérer.

Vous voyez, donc, que la question est complexe. Je vous dirai que les quatre raisons d'espérer que je viens de vous mentionner me paraissent, cependant, des raisons qui ne peuvent pas sécuriser à ce moment-ci. Il me semble qu'il y a trop d'incertitudes qui subsistent, même quand on est conscient de ces quatre possibilités que je viens d'évoquer, pour que l'accord du lac Meech sur le pouvoir de dépenser soit acceptable comme il est.

Je veux donc, avec vous, explorer brièvement quelques voies, très brièvement parce que je ne veux pas plonger dans des technicités avec lesquelles, d'ailleurs, j'ai pris un peu de distance au cours des mois qui viennent de s'écouler. Je veux aborder deux possibilités. Il me semble qu'on doit, dans la constitution canadienne, penser à la reconnaissance d'un pouvoir de dépenser illimité. Renonçons à une tentative de délimitation, de définition. Reconnaissons que c'est un pouvoir qui a des possibilités de débordement du côté normatif, législatif ou réglementaire qui sont considérables. Ne cherchons pas à le contenir. Mais, à ce moment-là, il faut absolument faire l'analogie avec la formule concernant les amendements centralisateurs. Il faut, à mon avis, prévoir le consentement des provinces, selon l'article 38. Il faut aussi prévoir le retrait qu'on vient de gagner au lac Meech, c'est-à-dire sur toute question et non seulement dans une zone donnée des compétences provinciales. Ce sont, il me semble, les conclusions auxquelles on doit arriver si on adopte la reconnaissance d'un pouvoir de dépenser illimité.

L'autre voie qui s'offre aux spécialistes et aux maîtres de la politique, c'est de tenter de définir ce pouvoir et de le circonscrire de façon qu'il ne puisse pas être dérogatoire aux compétences législatives. Si on réussissait à faire cela, c'est-à-dire à n'introduire dans la constitution canadienne qu'un pouvoir de dépenser défini restrictivement, endigué, ne permettant pas au législateur, par là, de venir réglementer de façon fouillée un secteur, il me semble qu'on pourrait prévoir deux formes de retrait. D'une part, le retrait avec une compensation juste, si on a des programmes compatibles avec les objectifs nationaux, en général, je risque cela. Mais, il me semble qu'il faudrait, en matière - et là, je reviens sur l'histoire - d'éducation et de culture, pour reprendre la formule de 1982 que nous avons, prévoir un pouvoir de retrait pur et simple. Alors, on aurait un pouvoir de dépenser qui serait limité, qui ne permettrait pas un débordement dans la législation et la réglementation d'un secteur, sauf par formulation d'objectifs très généraux.

La situation des provinces comporterait donc deux formes de retrait. Si on est en matière d'éducation et de culture, il y aurait le retrait réel, c'est-à-dire qu'on n'a pas à avoir un programme compatible avec les objectifs nationaux du programme proposé par les autorités fédérales. Si on n'est pas en matière d'éducation ou en matière de culture, retenons à peu près la formule du lac Meech, à savoir: on a la compensation

juste si on a des initiatives ou des programmes compatibles avec les objectifs nationaux.

Vous serez étonnés peut-être de me voir me rallier à cette deuxième formule à ce moment-ci. Je le fais ce soir, mais je continue à réfléchir dans les jours qui viennent. On n'a pas eu tellement de temps pour réfléchir à tout cela. Mais si je le fais, c'est toujours parce que je retiens cette apparition dans la constitution de l'idée et du concept de société distincte. Ce concept, qui va jouer dans toutes sortes de secteurs, pourra jouer en matière, j'imagine, d'exercice du droit de retrait ou de demande de compensation juste et d'évaluation de la compatibilité des programmes. Puisque ce concept de société distincte risque d'être un ferment dans ce domaine-là aussi, je me dis qu'il y a peut-être là une assurance qui permette, dans les zones qui ne sont pas rattachées à ce secteur dur que sont l'éducation et la culture, si je me fie à ce à quoi on était parvenu en 1982, un accord qui serait satisfaisant.

Donc, sur le pouvoir de dépenser, mes conclusions sont simples. Il me semble qu'il faut ou bien avoir une formule d'établissement des programmes qui soit analogue à la formule d'amendement centralisateur s'il s'agit d'un pouvoir de dépenser qui est illimité ou, deuxièmement, s'il s'agit d'un pouvoir de dépenser qu'on parvient à définir et à circonscrire, eh bien, prévoyons deux formules de retrait, soit celle du lac Meech lorsqu'il ne s'agit pas d'éducation et de culture, soit le retrait pur et simple lorsqu'il s'agit d'éducation et de culture. Comme je vous l'avais annoncé tantôt, M. le Président, c'est l'essentiel des questions que je voulais aborder. J'avais aussi quelques mots, mais je pense qu'en conclusion je les laisserai tomber bien rapidement parce que je crois comprendre que mon temps est tout près d'être écoulé.

Le Président (M. Marcil): On a le consentement des deux partis afin de vous permettre de terminer.

Une voix: Oui.

M. Blache: Alors, j'aborderai brièvement la question de l'arbitrage constitutionnel. J'ai dit en introduction que réintégrer l'évolution du fédéralisme canadien, pour le Québec, cela signifiait, entre autres, accepter que ses lois soient généralement soumises à la Charte canadienne des droits et libertés, c'est-à-dire renoncer à l'exercice systématique du pouvoir de dérogation prévu à l'article 33, un pouvoir de dérogation qui est, d'ailleurs, limité, qui ne concerne pas tout dans la Loi constitutionnelle de 1982. Donc, l'arbitrage constitutionnel est extrêmement important. Est-ce que le Québec a gagné en arbitrage constitutionnel des garanties qui lui permettent avec sécurité de se soumettre à cet arbitrage, en particulier dans cette zone nouvelle des droits et des libertés fondamentales?

Sur ce point, il y a deux changements importants. Il y a les changements apportés aux règles de nomination des juges de la Cour suprême et il y a la règle d'interprétation concernant la société distincte. Pour ce qui est des règles de nomination des juges de la Cour suprême, il y a dans le texte du lac Meech des passaqes qui prévoient deux choses. D'une part, il y aura trois des neuf juges qui seront recrutés à même le Barreau civil. (22 h 15)

J'ai eu le plaisir de lire, sous la plume de M. Décary, dans La Presse d'hier ou d'avant-hier, un petit commentaire que je fais mien concernant cette formule. Je trouve étonnant qu'on en soit à reconnaître trois membres du Barreau civil. Est-ce qu'il n'y a pas là risque de voir des gens civilistes d'autres provinces devenir les membres de cette cour parmi ces trois personnes, alors que tout le monde avait l'habitude de considérer jusqu'à maintenant qu'il s'aqissait des trois juges de la province de Québec? Il me semble donc important de clarifier cet aspect des choses et de bien prévoir qu'il s'agit des trois juges de la province de Québec. À ce moment-là, la garantie serait claire. Présentement, il y a quelques doutes dans mon esprit sur cette garantie. C'est peut-être une erreur de formulation qui peut se corriger rapidement, mais elle mérite d'être corrigée au plus tôt, avant l'adoption d'un accord juridique.

L'autre aspect des modifications concernant la nomination des juges à la Cour suprême, c'est ce paragraphe où il est écrit "qu'advenant une vacance à la Cour suprême, le gouvernement fédéral nommera, à même une liste de noms proposés par les provinces, une personne dont la candidature lui agrée". Je suis très heureux d'une bonne partie de ce texte; je suis très heureux de voir les provinces présenter des listes au gouvernement fédéral. Je sais bien qu'en réalité, cela mène à des tractations, à des négociations. Il faudra que le fédéral accepte les noms. La formule est claire, on ne pourra pas avoir des listes bloquées parmi lesquelles le fédéral doit choisir. Il ne choisira que si un nom lui agrée.

Ce qui m'embête, cependant, c'est que la formule me paraît un peu large. Si on la prend telle quelle, elle est tout à fait insuffisante, mais là je réserve mon jugement jusqu'à la prise de connaissance des textes définitifs. Écoutez, cette formule, telle qu'elle est, prévoit que, s'il y a un juge qui disparaît de la Cour suprême, toutes les provinces canadiennes présentent une liste au gouvernement central. Il me semble que là

c'est un peu lache, un peu imprécis. Je m'attendrais à ceci: s'il y a un juge de la province de Québec qui n'est plus à la Cour suprême, eh bien, que ta province de Québec présente une liste de candidats et puis le gouvernement fédéral choisit quelqu'un parmi ces candidats ou candidates, qui lui agrée.

La formule, je comprends son imprécision. Je pense qu'il faut être un peu tolérant devant un texte comme celui-ci, mais il faut s'empresser de dire aux juristes de bien faire attention, d'en arriver à un texte clair là-dessus et qui offre une garantie plus grande, en particulier à cette société distincte québécoise. Il est évident que la société distincte québécoise va gagner beaucoup si les arbitres ultimes en matière de droits fondamentaux sont des gens au choix desquels elle a participé. Si c'est véritablement ce qui ressort de l'accord du lac Meech, je pense que nous avons fait là un gain important.

La dernière chose qu'il faut mentionner je terminerai là-dessus - toujours concernant l'arbitrage constitutionnel, c'est l'apparition de la disposition qui prévoit qu'il y a reconnaissance que le Québec forme, au sein du Canada, une société distincte, et le fait que ceci devient un principe d'interprétation de la constitution. Je constate que ce principe, tel qu'il est annoncé au lac Meech, ne concerne pas seulement la charte canadienne, qu'il va concerner la façon d'appliquer les textes sur les amendements, les textes sur le pouvoir de dépenser, l'exercice des compétences législatives. On ne sait pas ce qu'il recèle. Je sais que plusieurs témoins sont venus exprimer ici leur inquiétude de voir que cette société distincte n'était pas décrite. Certains parlent avec insistance de la langue. Pour moi, il est évident que la langue constitue maintenant pour le Québec un élément majeur de cette société distincte. Cela ne signifie pas que la compétence législative provinciale doit être intégrale. Je pense que c'est un débat qui n'est pas réglé. Si quelqu'un me demandait: Est-il clair, avec un texte comme cela, que la province de Québec va pouvoir légiférer comme bon lui semble en matière linguistique? Je dirais non, puisqu'il y a la dualité canadienne qui est prévue aussi et qui équilibre, de telle sorte qu'on se retrouve avec le grand accord fondamental en matière linguistique, à savoir qu'il y a deux langues, et même dans le Québec des restrictions seront vraisemblablement apportées au pouvoir de légiférer de la province en matière de langue.

Mais il reste que ce principe de la société distincte non défini est un ferment qui permettra aux procureurs qui voudront bien s'en servir de convaincre peu à peu les tribunaux canadiens de certains traits fondamentaux de cette société distincte. Je suis, quant à moi, très hésitant à la définir.

J'ai suffisamment lu de textes produits au Québec au cours des trente dernières années dans lesquels on prétendait définir la société québécoise. J'ai entendu ou j'ai lu, il y a des décennies, que cette société n'était pas socialiste et qu'elle ne pouvait le devenir, que cette société devait opter pour le régime des coopératives, par exemple. Je sais que d'autres aujourd'hui diraient que cette société doit devenir une société libérale et se replier, par exemple, sur un Code civil où dominerait le libre choix des parties. Le Québec a souvent changé d'idée là-dessus entre la social-démocratie, entre une société très libérale - certains diraient néo-conservatrice - je veux lui laisser, au long de son histoire, l'occasion de choisir.

Certains m'ont parlé de religion. Je pense que, si Québec veut s'assurer des protections de ce côté-là, il a certains moyens. Il les a utilisés. Il a utilisé la clause de l'article 33 quand il le pouvait. C'est un moyen qu'il peut utiliser. D'autres me parlent du droit civil comme d'un bastion qui identifierait le Québec et qui le distinguerait du reste du Canada. J'hésite beaucoup la-dessus parce que le Code civil, pour moi, c'est surtout une réalité formelle. Je pense que le Code civil sur le plan des valeurs peut être ce que cette société décide d'y mettre. Le Code civil peut être libéral ou il peut être collectiviste. Il n'est pas civil au sens libéral du terme nécessairement, de telle sorte qu'il me semble qu'on n'a pas beaucoup défini la société québécoise si l'on dit que cette société, ce qui la caractérise entre autres, c'est qu'elle est civiliste. J'ai des réserves sur cet aspect des choses.

Je vais m'arrêter là-dessus parce que je pense en avoir assez dit et avoir couvert une bonne partie des questions abordées autour de ce lac. Je vous remercie et j'espère ne pas avoir été trop long.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le professeur Blache. J'indique à chacun des groupes qu'il lui reste respectivement une enveloppe de 23 minutes. Je confie la parole à M. le ministre délégué aux Affaires intergouvemementales canadiennes.

M. Rémillard: M. le doyen Blache, je vous remercie d'avoir accepté de venir témoigner devant nous. Vous êtes un expert en ces matières constitutionnelles et c'est intéressant d'avoir votre témoignage sur cette entente du lac Meech.

Vous nous avez parlé tout à l'heure de la Cour suprême et je voudrais vous rassurer immédiatement. Il est évident qu'une liste viendra du Québec pour remplacer les juges du Québec. S'il y a une petite ambiguïté que vous pouvez voir, c'est strictement parce que nous sommes la seule province - c'est un caractère distinct - à avoir la garantie,

comme vous le savez, d'avoir trois juges sur neuf, et aucune autre province n'a une telle garantie; il existe une certaine coutume ou convention, mais il n'y a donc pas de garantie à ce niveau. Mais il n'y aura pas de difficulté en ce qui regarde la Cour suprême.

Concernant la société distincte, je prends bonne note de votre appréciation et du fait que vous aussi préférez avoir ce concept non défini, que de risquer de le définir, comme vous l'avez mentionné si bien, en fonction de critères qui peuvent, aujourd'hui, nous apparaître intéressants, mais qui, peut-être dans un avenir proche ou plus éloigné, pourront s'avérer plus difficiles, et qu'on risque aussi de causer des problèmes aux tribunaux qui auront à interpréter ce concept de société distincte et qui pourraient l'interpréter d'une façon restrictive si on donnait à cette expression de société distincte une définition.

Mais je voudrais revenir à vos commentaires concernant le pouvoir de dépenser. Concernant le pouvoir de dépenser, M. le doyen, vous avez soulevé des difficultés, des inquiétudes que vous avez. Ma première question est celle-ci: Est-ce que vous considérez que le pouvoir de dépenser existe présentement en droit constitutionnel?

M. Blache: II s'exerce. II a fait partie de l'histoire canadienne. Des juristes le défendent. Vous l'avez entendu dire aujourd'hui. Vous savez qu'il y a des avis différents. On mentionne souvent les avis d'un ancien professeur de droit, ancien conseiller gouvernemental, devenu juge de la Cour suprême, le juge Laforest, qui avait bien l'air de conclure qu'il y avait un pouvoir de dépenser et qui le fondait sur la compétence du Parlement central sur la dette. C'est l'article 91.1°a, je pense, de la constitution. Cette façon de le justifier était très large. Elle signifiait, au fond, que ce pouvoir de dépenser était illimité et que, par là, on devait reconnaître au Parlement central le pouvoir d'aller assez loin dans la formulation des conditions. C'est l'avis du professeur Laforest.

Par ailleurs, bien des textes contraires ont été produits par bien des juristes. Je me rappelle d'avoir lu, il y a longtemps, un texte de Me Jacques Dupont, alors professeur à l'Université Laval, sur le pouvoir de dépenser. Mais si ma mémoire est bonne - je ne l'ai pas relu depuis des années - il était réservé à l'endroit de ce pouvoir. Si l'on se rappelle les décisions du Conseil privé concernant l'assurance-chômage, le Conseil privé - c'est la lecture que j'en faisais qui, je crois, rejoint celles d'autres constitutionnalistes - semblait bien dire que le pouvoir de dépenser ne comprend pas le pouvoir de légiférer dans le domaine et que, si on traverse cette ligne, si on se met à faire de la législation d'assurance, si on se met à faire des normes, vraiment faire des normes - tout est peut-être dan3 le "vraiment" - on est au-delà.

C'est une question très complexe. Je ne l'ai pas reprise en détail récemment. En littérature juridique canadienne, les avis sont partagés. Je vous ai entendu tantôt demander à Mme Lajoie quelles étaient les chances devant les tribunaux canadiens si jamais on posait la question. Je serais, moi aussi, bien hésitant. Je n'ai pas construit d'argumentation détaillée. Je pense qu'il y a de bons arguments qu'on pourrait construire et peut-être, à partir du lac Meech, aussi après, avec le concept de la société distincte, en particulier et un peu d'imagination, on pourrait construire des arguments pour limiter ce pouvoir et vraiment le repousser à l'extérieur d'un pouvoir normatif. Ce n'est pas sûr. C'est vraiment difficile. Je renonce vraiment à vous donner un avis qu'on pourrait qualifier de scientifique sur la question. Je confesse n'avoir pas repris ce dossier en profondeur, dans tous ses raffinements techniques récemment et m'en être tenu à des considérations fondamentales sur lesquelles je me suis replié tantôt. Je n'oserais donc donner d'avis juridique net, même probable devant cette commission, aujourd'hui. (22 h 30)

M. Rémillard: M. le doyen, vous nous avez exprimé votre réserve tout à l'heure par rapport à ce pouvoir de dépenser dans sa formulation actuelle. On dit: "une juste compensation à toute province qui ne participe pas à un nouveau proqramme national à frais partagés dans un domaine de compétence provinciale exclusive si cette province met en oeuvre de son propre chef une initiative ou un programme compatible avec les objectifs nationaux". Dans l'esprit du lac Meech, cela signifie que, s'il y a un programme national concernant les garderies et que, nous, du Québec, nous voulons nous retirer, on pourra se retirer, utiliser cet argent qu'on recevrait - juste compensation -dans un autre domaine connexe en fonction d'un objectif national, mais tout en acceptant que cet objectif national doive quand même, s'il n'est pas précis comme un critère ou comme une norme, être en fonction du fait qu'on ne peut pas aller dépenser cette somme d'argent pour construire des autoroutes. D'autre part, l'esprit de cette entente du lac Meech est aussi exprimé par un autre exemple que tout à l'heure ma collègue, la ministre de l'Immigration, donnait. S'il y a un proqramme pour construire des trottoirs partout au Canada et que le Québec, lui, veuille se retirer d'un tel programme considérant que ses trottoirs sont suffisamment confortables et bien aménagés, il pourrait utiliser cet argent, pour reprendre l'exemple de ma collègue de l'Immigration, pour construire un

pont.

Il y a là une acceptation que nous faisons au départ, parce que nous croyons que cette fédération doit exister et, dans ce contexte, les objectifs nationaux se comprennent assez bien. Mais vous nous avez fait une suggestion. Vous nous avez dit qu'on pourrait mentionner, selon vous, qu'il n'y a aucune obligation de compatibilité avec des objectifs nationaux dans le cas de programmes concernant la culture et l'éducation, alors qu'il pourrait y en avoir, selon ce que nous prévoyons, dans les autres domaines. Est-ce comme cela que vous nous avez expliqué cela? Est-ce que j'ai bien compris votre suggestion?

M. Blache: Ce à quoi j'en arrivais à la toute fin ou presque de mon exposé, c'était la revendication d'un droit de retrait réel en matière d'éducation et de culture en ce qui concerne le pouvoir de dépenser, alors que dans les autres domaines je me rallierais à la formule qui exige que l'on ait "une initiative ou un programme compatible", à la condition cependant que le pouvoir de dépenser soit circonscrit, délimité et à la condition - je n'ai peut-être pas suffisamment précisé cela tantôt - que l'on trouve moyen, en introduisant certains mots importants, et ce serait d'ailleurs cela l'oeuvre de délimitation du pouvoir de dépenser, qu'on trouve moyen, dis-je, de qualifier ces objectifs nationaux. Et je vais donner des exemples un peu. On pourrait par exemple dire qu'il faut au moins ajouter le mot "général", on pourrait dire des "objectifs nationaux généraux".

Pour illustrer un peu mon propos, je reviendrai à l'exemple que vous preniez tantôt, celui des garderies. Vous disiez: Imaginons que l'État central veuille lancer un programme de financement des garderies et que la province de Québec dise: On va s'en occuper, alors, s'il vous plaît, compensation juste. Vous disiez: On l'aurait sûrement parce qu'on aurait un objectif compatible avec les objectifs nationaux. La question que je me pose est la suivante: Si le programme fédéral - là, je ne suis pas spécialiste en matière de garderies, je tire ma connaissance des lectures que je fais des articles de journaux, par les temps qui courent - si le fédéral décidait que les garderies seront des garderies en milieu familial - j'ai vu cela dans les journaux, il y avait une option claire qui serait celle-là - ou que les garderies sont pour une partie de la population, pour les familles monoparentales, par exemple, ou autre chose... On pourrait prendre des exemples, ce n'est pas un domaine que je connais, mais je sais qu'on en discute. Il y a deux ou trois formules au moins qu'on évoque.

La province de Québec, elle, pourrait plutôt avoir une vue selon laquelle le programme doit être universel et que cela doit être des garderies avec un souci pédagogique poussé, donc des garderies pas mal organisées. Il ne serait pas question de favoriser les garderies en milieu familial. Ce serait l'option que le Québec prendrait à ce moment-là. La question que je me pose, c'est, si on ne qualifie pas les fameux objectifs nationaux avec lesquels il faut que nos initiatives et nos programmes soient compatibles, est-ce que le gouvernement central ne pourrait pas dire au Québec: Votre système de garderies n'est pas compatible avec nos objectifs nationaux, parce qu'il est collectiviste? II ne favorise pas le milieu familial, alors que cela, c'est le principe central de notre plan à nous. Je pense qu'il faudrait trouver le moyen d'être plus sûr de la conclusion que vous tiriez tantôt, la conclusion qu'il suffit que le Québec s'aventure dans le secteur des garderies comme le fédéral le fait pour s'engager dans une action qui est compatible avec les objectifs nationaux. C'est peut-être possible.

Je soulève des ambiguïtés. II est possible que les gens entre eux, en en discutant - les fonctionnaires et peut-être les juges - concluent que les objectifs nationaux, cela veut dire des objectifs très généraux et que cela signifie tout simplement que, si le fédéral se lance dans les garderies, la province peut se lancer dans les garderies, que, si elle le fait, elle est en plein dans les objectifs nationaux et que les nuances - là, les gens diraient que ce sont peut-être des nuances très importantes - relèvent d'elle complètement, c'est entendu. Si c'est cela que signifie l'accord du lac Meech, on est vraiment déjà au niveau d'objectifs très généraux: C'est-à-dire il n'y a presque pas d'objectifs généraux, il faut simplement dépenser dans le domaine. À la limite, c'est cela et c'est peut-être là qu'on pourrait aller. On pourrait dire: Les provinces, lorsque le fédéral lance un programme, pourraient avoir une compensation à condition qu'elles aient un programme dans le domaine. On n'aurait pas ces termes: compatibilité des objectifs nationaux.

L'autre formule, ce serait d'insérer le mot général, "objectifs généraux", dans le texte. Cela risque de nous faire monter vers des conclusions qui étaient celles que vous tiriez tantôt, c'est-à-dire que "objectifs généraux", cela signifie que la province n'a qu'à s'aventurer à sa manière dans le domaine. Pour avoir des garanties de ce côté, il faut ajouter quelque chose aux mots "objectifs nationaux". Vous avez "objectifs nationaux". C'est tout ce qu'on a. Il faudrait trouver d'autres mots. Il faudrait glisser le qualificatif "général" sûrement quelque part. C'est le moins qu'on puisse faire. Comme je ne me m'y suis pas arrêté suffisamment longuement, je n'ai pas trouvé d'autres

expressions qui permettraient d'être plu3 rassurés.

M. Rémiltard: Donc, si on ajoutait une expression pour donner vraiment un impact général à ce concept d'objectifs nationaux, vous trouveriez que la formulation du lac Meech serait intéressante?

M. Blache: Je la trouverais intéressante, si elle aboutissait pratiquement à dire qu'il suffit d'intervenir aussi dans le même domaine. Ce serait un peu ma réaction ce soir. Ce qui rejoint la vôtre d'ailleurs, parce que tantôt l'exemple que vous preniez en garderie, c'était cela. C'est ce que l'entente du lac Meech veut dire. Cela veut dire que, si on s'aventure dans les garderies, le fédéral n'a pas à nous poser de questions. On s'aventure dans les garderies comme lui et il faut que ce soit cela que signifie l'accord du lac Meech.

M. Rémillard: Mais est-ce que ce n'est pas trop restreint, si on a un programme pour les trottoirs et qu'on veut faire des ponts?

M. Blache: On pourrait dire: On s'aventure dans la voirie. Je ne sais pas. Est-ce qu'on s'aventure dans une zone qui est en gros la même? Mais il n'y a pas de réponse définitive. Entre les trottoirs et les routes et les ponts, il y aurait peut-être moyen de prétendre qu'on est dans le même domaine général et que cela suffit, peut-être. Pour être sûr de cela, il faut, en traduisant l'accord du lac Meech, trouver des termes qui le rendent plus précis ou il faut aller plus loin que l'accord de principe intervenu au lac Meech.

M. Rémillard: Une dernière question. Si on ajoutait une clause de non-dérogation au partage des compétences législatives, est-ce que vous croyez que cela apporterait quelque chose?

M. Blache: Personnellement, je pense que cela ne suffit pas. Je sais bien qu'entre juristes on a beaucoup travaillé sur cette distinction-là. On a essayé de distinguer le pouvoir de dépenser du pouvoir de faire des règles, du pouvoir de faire des normes. Certains ont tendance à dire: Le pouvoir de dépenser ce n'est pas très grave ou ce n'est pas si grave si cela ne comprend pas le pouvoir de faire des normes. Ensuite on se met à nuancer entre les normes fondamentales et les normes de détail, celles qui finalement engendrent des contraintes de gestion, etc. On a eu beaucoup tendance à cela mais, en même temps, je ne suis pas sûr qu'on puisse se contenter facilement de cela. Parce qu'imaginons que le fédéral a un pouvoir de dépenser seulement et non un pouvoir de dépenser qui ne déroge pas au pouvoir législatif mais que ce pouvoir de dépenser, on trouve moyen de dire qu'il permet de fixer des objectifs assez nuancés au plan national. On se retrouve avec le problème. C'est pour cela que je crains que ne suffise peut-être pas une disposition qui se contente de dire que le pouvoir de dépenser ne déroge pas au pouvoir législatif. J'ai peur que cela ne suffise pas. J'ai des doutes, alors je les exprime. Je ne suis pas sûr que cela suffise. C'est pour cela que j'insiste sur "objectifs généraux" et puis que j'invite les juristes et ceux qui passent des heures à réfléchir à cela, de ce temps-ci, à trouver de meilleures formules pour qualifier, circonscrire ces objectifs nationaux, pour que non seulement ils ne permettent pas l'intervention législative mais qu'ils ne permettent pas la fixation de conditions détaillées qui aboutissent souvent à peser d'un poids très lourd sur la gestion de ces programmes. Parce qu'au cours de l'histoire canadienne, en matière de pouvoir de dépenser, une des choses dont se sont aussi plaintes les provinces... Elles se plaignaient d'intrusion dans leurs compétences législatives, elles se plaignaient du fait que l'on venait chambarder leur ordre de priorités en les obligeant à dépenser sur une route transcanadienne ou bien sur l'assurance-santé alors qu'elles auraient voulu peut-être favoriser la petite et la moyenne entreprise. Ce sont des choses qu'on a entendues dans les années récentes. Mais les provinces sont allées plus loin aussi. Elles ont souvent dit: Écoutez un peu, les conditions qu'on nous impose sont tellement tatillonnes qu'elles imposent è notre gestion un poids terrible. Il y a cet argument de la gestion. Les provinces revendiquent une autonomie de gestion. Elles ne revendiquent pas seulement une autonomie législative, une autonomie de détermination de priorités, mais elles veulent aussi une autonomie de gestion. Si on veut protéger cette autonomie de gestion, il faut beaucoup surveiller le vocabulaire qu'on utilise pour caractériser, pour identifier ces fameux objectifs nationaux qu'il faudrait respecter.

Le Président (M. Filion): M. le ministre, cela va?

M. Rémillard: Oui.

Le Président (M. Filion): Cela va. M. le chef de l'Opposition officielle. (22 h 45)

M. Johnson (Anjou): M. Blache, merci de vos commentaires. Je dois vous dire d'ailleurs qu'il y a quelque chose d'assez fascinant à vous voir aller en période de questions. On a l'impression qu'il y a une espèce de tête chercheuse qui fonctionne à travers tous les concepts qu'on vous lance

par la tête. Alors je vais vous permettre un exercice additionnel dans ce domaine. D'abord quelques remarques préliminaires, professeur Blache. Vous avez évoqué au début de votre exposé en situant un peu le spacio-temporel, si vous me passez l'expression, la vision d'un certain fédéralisme décentralisateur, une autre vision un peu plus centralisatrice, les perceptions ambiguës qu'il peut y avoir autour de cette question du pouvoir de dépenser, etc. Vous êtes même allé suffisamment loin pour dire... Vous avez employé l'expression: au bout d'un certain nombre de décennies, avez-vous dit. Or, je me permets de dire non pas à vous, mais aux gens d'en face et à d'autres que le problème, c'est cela. Le problème, c'est que voici un accord, un projet d'accord, devrais-je dire, où vous n'êtes pas allés chercher des pouvoirs additionnels et, pour le reste, vous vous en remettez à l'interprétation des tribunaux pendant quelques décennies. En attendant, les jeunes vont grandir et on n'aura pas plus d'instruments pour s'occuper du chômage. En attendant, je ne suis pas sûr qu'on va avoir des politiques d'environnement comme on devrait en avoir pour notre territoire. En attendant, les conséquences des étranglements budgétaires vont peut-être se manifester dans la planification des systèmes sociaux et on n'aura pas ce qu'il faut pour le faire. Et on attendra les jugements des savants juges de la Cour suprême sur le sens de la société distincte et sa portée dans l'application d'un pouvoir de dépenser qui n'est peut-être pas restreint. Et oui, cela va prendre des décennies. M. Blache, par formation, est habitué à l'épreuve du temps, puisqu'il étudie le droit. Ceux qui étudient le droit, ceux qui l'enseignent comme lui, ceux qui l'écrivent, d'ailleurs, comme lui sont habitués au temps. Le problème, c'est qu'en politique et dans la vie en société le temps court vite, vite, vite. C'est drôle, moi, je n'ai pas le goût de voir le Québec attendre des décennies pour savoir si on peut s'occuper de la main-d'oeuvre et c'est cela qui me préoccupe.

Professeur Blache, je reviens à deux choses qui ne touchent pas le pouvoir de dépenser mais qui touchent d'une part à l'article 33 - tout cela est autour du Code civil. Vous affirmiez tout à l'heure qu'en soi le fait d'avoir un code civil n'est pas nécessairement une caractéristique de société. On peut avoir un code civil avec des valeurs plutôt progressistes ou collectivistes. On peut avoir un code civil avec des valeurs plutôt conservatrices, libérales ou individualistes, etc. Je me permettrai de mettre un bémol sur cela pour avoir été au ministère de la Justice pendant un certain nombre d'années. Je peux vous dire que, chaque fois qu'on touche à une chose, comme le droit de la famille, le droit de la propriété, on y va avec beaucoup de circonspection.

Concernant l'édifice civil qu'on s'est bâti au cours des siècles, littéralement depuis 300 ans, à partir de la coutume de Paris et ensuite du code de 1866 qu'on est en train de refaire, il ne faut pas avoir travaillé trop fort, je pense, à la réforme du Code civil, dans le domaine politique, j'entends - je ne parle pas des spécialistes dont vous êtes, je sais que vous êtes de ceux qui ont apporté des contributions essentielles à cela - mais dans le domaine politique, c'est-à-dire ultimement où cela se décide, ici, à l'Assemblée nationale, avant de toucher au droit de la famille et comment on y touchera, il faut dire qu'on y pense deux fois, trois et quatre et qu'on consulte. Pourquoi? Parce que, moi, je pense que c'est un édifice relativement cohérent. Tout en étant conscient qu'on peut le changer, au moment où on adopte des législations majeures qui s'intègrent à l'intérieur du Code civil, on sent qu'on touche à un édifice cohérent. Or, je vous soumets deux questions relatives à l'édifice du Code civil et à l'application de la charte canadienne, l'intervention du droit britannique ou enfin de la "Common Law", du droit anglais dans notre Code civil. D'une part, si la Cour suprême un jour rendait un jugement qui invalidait une partie de notre droit de propriété ou une partie du droit des locateurs et des locataires qui remonte aussi à il y a longtemps, on pourrait toujours se servir de la clause "nonobstant", disons, au nom de la liberté d'expression, de l'égalité des personnes, etc. Si on invalide des dispositions du Code civil, on pourrait toujours invoquer l'article 33, la clause "nonobstant" - on sait que ce n'est pas le sport favori des gens d'en face, mais on pourrait toujours. Mais je vous soumets la chose suivante: N'est-il pas vrai que le Barreau canadien, encore jusqu'à il y a quelques mois à ma connaissance, favorisait l'abrogation de l'article 33 dans la charte canadienne? Le Barreau canadien, qui n'est quand même pas le dernier venu comme groupe de lobby auprès de l'appareil fédéral, suggérait il y a encore quelques mois - je ne pense pas qu'il ait changé d'idée - qu'il ne devrait pas y avoir d'article 33 dans la constitution canadienne, c'est-à-dire qu'il soit impossible pour les provinces de déroger aux droits et libertés de la charte canadienne.

Il faut être conscient d'une affaire. La tendance lourde, en ce moment, au Canada, chez les juristes, surtout les juristes d'expression anglophone, c'est de dire: Hé! Pourquoi y a-t-il le mosus d'article 33? Il y a une charte; il faut qu'elle s'applique à tout le monde. L'histoire de dérogation, c'est agaçant. Or, l'article 33, en vertu de la formule d'amendement actuelle et en vertu de la formule du lac Meech, pourrait être abrogé par une simple majorité de provinces.

L'article 33 de la constitution canadienne étant abrogé, cela veut dire que le Québec pourrait se retrouver - toujours dans le cadre des décennies - dans une situation où, effectivement, la Cour suprême adopte jugement par-dessus jugement inspiré du droit anglais, de la "Common Law" qui vient modifier des pans de mur de notre droit civil et le Québec ne peut pas y déroger, sur le plan théorique, encore une fois.

Deuxièmement, un autre exemple. Je prends la cause de Dolphin Delivery à la Cour suprême il y a quelques mois. Au nom de la liberté d'expression, dans Dolphin Delivery, qui vient de Colombie britannique... Je résume, en étant conscient que je ne fais pas ici un résumé pour les fins des annales de droit, mais juste pour qu'on se comprenne. Dolphin Delivery dit: La liberté d'expression l'emporte sur le droit du piquetage secondaire établi par la "Common Law" de Colombie britannique. Je vous résume cela. Une entreprise est en lock-out. Les travailleurs syndiqués en lock-out ne sont pas de bonne humeur et ils vont manifester devant une compagnie qui fournit des boîtes de carton à la compagnie en lock-out. Le propriétaire de la compagnie de bottes de carton s'en va devant un juge de la Cour supérieure et dit: Je ne veux pas avoir de syndicat sur mon gazon. Le juge de la Cour supérieure dit; C'est vrai, c'est du piquetage secondaire, je vous interdis de faire du piquetage devant celui-là, il n'est pas partie au conflit. Et la Cour suprême dit: La liberté d'expression l'emporte.

Analogiquement, dans le droit québécois, on pourrait avoir un jugement de la Cour suprême qui dit... Par exemple, moi, je poursuis le ministre ou un journaliste qui dirait des grossièretés à mon sujet - choses qui n'arrivent pas! Je poursuivrais, je ne sais pas, un journaliste qui dirait des grossièretés à mon sujet. Je me retrouve en Cour suprême et je poursuis le journaliste en vertu de quoi? Je le poursuis en vertu de l'article 1053 du Code civil. Ses racines? 1866. Il n'a jamais été modifié. Il a changé de numéro avec la réforme, mais, essentiellement, c'est ce sur quoi se fonde la majorité des actions en droit civil dans notre système de droit. L'article 1053, les dommages subis par une personne à cause d'une autre.

En vertu de l'article 1053, je poursuis le journaliste pour atteinte è ma réputation, en diffamation. La Cour suprême dit: La liberté d'expression du journaliste l'emporte sur votre droit à la réputation. N'y a-t-il pas un problème théorique - je n'en disconviens pas, on parle de décennies - quant à ce que vaut l'article 1053 au grand complet, puisque tout le droit de la diffamation est basé sur un appareil de jurisprudence qui dure depuis au-delà de 100 ans, simplement autour de cet article 1053? Est-ce que l'article 1053 devient nul, puisque c'est cela la source de droit qui a fondé mon recours? Je vais plaider 50 causes de jurisprudence, mais si la Cour suprême, dont l'immense majorité des jugements seront rendus à partir de la "Common Law" au Canada parce que cela va se plaider tous les jours partout au Canada, mais, nous, on va continuer à plaider notre bout... Mais, globalement, la Cour suprême va établir ses canons, sa conception de ce que signifie liberté d'expression, liberté d'assemblée, liberté d'association, etc. Est-ce qu'on n'arrive pas à un problème théorique, au moins sur le plan du droit, professeur, ou si c'est tout l'article 1053, théoriquement, qui serait en cause parce que j'ai fondé mon recours là-dessus?

Je vous le soumets comme une réflexion. Je ne prétends pas y avoir une réponse absolue. C'est pour cela que j'ai tendance, dans ces choses, à dire: Dans le doute, il faut s'abstenir. J'ai tendance aussi à considérer que, si on voulait vraiment être cohérent comme société distincte, on n'oublierait pas que notre appareil de droit est un gros morceau pour les citoyens. Cela traduit des valeurs. On devrait mettre cela à l'abri des interprétations de "Common Law" de la Charte canadienne des droits et libertés. C'est ce que j'avais à dire. Merci, M. le ministre.

M. Blache: Est-ce que je peux commenter?

M. Rémillard: Était-ce une question?

M. Johnson (Anjou): Non, enfin c'était un commentaire, mais j'aimerais peut-être vous entendre réagir, professeur Blache, quelques secondes.

M. Blache: Quelques instants seulement. J'ai tendance à considérer qu'on n'est pas vraiment justifié d'insister sur la menace que la Charte canadienne des droits et libertés ferait subir au droit civil parce que je pense que le Québec a pris, au cours des dernières années, en adoptant sa Charte québécoise des droits et des libertés de la personne, un virage qui signifie que tout son droit, y compris son droit civil, va devoir être passé au crible des droits et libertés fondamentales. Cela signifie que l'on va se demander si l'égalité, par exemple, est respectée dans certains articles du Code civil, on l'a déjà beaucoup fait de toute façon.

J'ai l'impression que, de moins en moins, le Québec est différent de la société canadienne sur la question des droits et des libertés fondamentales. Il fut un temps où on a prétendu nous distinguer - cela a été une époque assez triste - quand on a beaucoup cité les fameuses affaires québécoises concernant les Témoins de Jéhovah et la loi du cadenas; on faisait au Québec une

réputation de société qui ne respectait pas les libertés fondamentales. Depuis ce temps, le Québec s'est donné une charte. Imaginons qu'un problème de droit civil est posé au Québec et qu'il est posé sous la Charte québécoise des droits et libertés de la personne; eh bien, il va aboutir, à travers le réseau des tribunaux, jusqu'en Cour suprême. Le Code civil va être jugé, évalué en vertu de ces nouvelles valeurs qui sont entrées dans la société québécoise; elles mettent inévitablement en cause, je suppose, certains aspects du Code civil que nous avions et même du Code civil peut-être que nous fabriquons.

Je ne suis pas très inquiet de cela, bien que je reconnaissance qu'à certains moments il pourrait y avoir des aspects de cette société distincte qui puissent être mis en cause. J'espère qu'à ce moment-là des arguments pourront être présentés et triompher devant les tribunaux qui feront que le Code civil québécois, parce qu'on y aura trouvé quelque part une zone de distinction -le Code civil en lui-même ne paraît pas être une distinction matérielle, c'est plutôt formel, une question de cohérence - de cette société, on la protégera contre peut-être les droits et les libertés fondamentales en raison de l'apparition de ce concept de société distincte qui viendra s'ajouter a cette société libre et démocratique qu'on a sous l'article 1.

Personnellement, je pense que la société québécoise est une société libre et démocratique qui est cependant distincte d'une bonne partie de la société canadienne et qui pourra justifier quelque chose que ne pourront pas justifier d'autres provinces, dans certains cas. C'est l'impression que j'ai. C'est une question d'impression. J'ai bien dit tantôt que, pour moi, le Code civil en tant que tel, c'était plus formel que substantiel parce que le contenu dépend des choix de valeurs qui y sont faits. (23 heures)

Si vous parlez de cette question de la diffamation dont on parlait tantôt, évidemment je connais l'affaire qui est inspirée de décisions américaines, dans lesquelles on a conclu qu'en matière de diffamation des gens publics il fallait être beaucoup plus tolérant parce que ces gens-là, étant des personnages publics, s'exposent à la critique des journalistes. C'est ce qu'on a fait dans la société américaine; c'est ce que feront peut-être les tribunaux canadiens quand ils jugeront de nos règles de diffamation dans les autres provinces et dans la province de Québec. Mais, si on prend cet exemple-là en particulier, je ne vois pas en quoi une caractéristique québécoise essentielle, négatrice de la différence entre les personnes publiques et les personnes privées, serait un gain de société. Je trouve qu'il y a eu là une percée importante quand on a fait la distinction et qu'on s'est dit: quand le New York Times ou quelque journal que ce soit écrivent des choses sur des personnes publiques, un peu plus de latitude leur est accordée pour permettre justement que l'information circule, que le commentaire critique politique circule, pour qu'ils ne soient pas découragés, si vous voulez, par la crainte du recours en diffamation.

Je me trouve assez d'accord avec cette évolution. Je pense qu'il ne faut pas la pousser trop loin cependant. Je pense que, parfois - je ne connais pas toute la jurisprudence - on l'a peut-être poussée trop loin. Je pense qu'un homme public a droit à son honneur et à sa réputation et qu'on ne veut pas conclure évidemment que, puisqu'il a décidé d'être un homme public, on peut lui adresser des libelles diffamatoires impunément. C'est une question d'équilibre. Mais il me semble qu'un certain qain a été fait par cette distinction et j'ai peine à voir en quoi, en principe, le Québec gagnerait à se laisser influencer, par exemple, par un cas semblable. Mais vous souleviez la question...

M. Johnson (Anjou): D'accord. Professeur...

M. Blache: Oui, je m'arrête.

M. Johnson (Anjou): Oui, d'accord. Je vous remercie. Je ne veux pas entrer dans le droit de la diffamation, comprenez-moi bien; je voulais rentrer dans le cadre théorique que vous avez vous-même exposé, et j'essayais de me situer à ce sujet, mais vous êtes entré, vous, dans le droit de la diffamation. Le fondement d'un recours en diffamation au Québec, c'est l'article 1053C.C.; le fondement d'un recours en diffamation en "Common Law", c'est ou bien une règle de "Common Law" des tribunaux ou bien du droit statutaire. Le jour où la Cour suprême décide que la liberté d'expression invalide une procédure de "Common Law", qu'est-ce qui arrive avec l'article 1053? Je pense que le problème sur le plan de l'appareil théorique de notre droit civil est réel.

Deuxièmement, je terminerai par le commentaire suivant qui, malheureusement, me ramène 30 ans en arrière à l'époque où Pierre Elliott Trudeau sentait le besoin d'expliquer que le Québec avait besoin des Anglais pour se protéger contre lui-même. Il est vrai que Roncarelli-Duplessis, ce n'est peut-être pas l'un des épisodes les plus remarquables de notre vie collective, mais, maudit, il me semble qu'on a réglé cela ça fait longtemps. Je n'ai pas besoin de neuf juges de la Cour suprême, dont six qui ne sont pas du Québec, pour nous expliquer qu'on est une société où il y a autant de liberté que dans le reste du Canada. Il y a une espèce de fondement, à mon avis, dans

beaucoup de ces raisonnements qui disent, dans le fond: Vous savez, on a des épisodes dangeureux, on a un côté néo-fasciste, dans le fond, dans notre histoire, on a déjà été abuseurs les uns des autres, on n'aimait pas la liberté, on trouvait que les intellectuels étaient des dangereux. Voyons donc! À ce rythme-là, on est aussi bien de ne pas avoir de lois du tout. On est aussi bien de s'en remettre totalement aux autres pour qu'ils décident à notre place.

Je ne peux pas croire qu'on voit l'appartenance au Canada et à l'appareil juridique canadien et l'interprétation par les juges de "Common Law" de l'extérieur de notre système comme étant une protection contre nous-mêmes. Je n'ose pas dire, bien que je ne vous catégorise pas là-dedans, professeur, mais je veux dire que, pour moi, il y a quelque chose qui relève carrément de ce qui a été décrit dans une longue littérature de sciences politiques et qui s'appelle le complexe du colonisé, ce qui était le problème de Pierre Elliott Trudeau durant une bonne partie de sa vie sur le plan politique, convaincu que le Québec lui-même ne pouvait pas trouver, par sa culture, une source de promotion de la liberté des personnes et que nous avions besoin des autres pour faire la promotion de la liberté des personnes dans notre société. Je pense que cela fait longtemps qu'on a franchi ce cap-là. Si on a eu des épisodes difficiles, comme le Canada anglais, qui a emprisonné les Japonais... Comprenez-vous? Les gens qui avaient te malheur d'avoir la peau jaune et qui venaient du Japon étaient emprisonnés en Colombie britannique pendant la dernière guerre mondiale. Nous autres, ici, on a eu l'affaire Roncarelli-Duplessis et ce n'est pas un drame. C'est dommage que ce soit arrivé dans notre Histoire. Mais il me semble que ce n'est pas un stigmate qui devrait nous amener à conclure que, dans le fond, il faut absolument que les valeurs dont voudront bien pétrir notre droit des savants juges de la Cour suprême venant de l'extérieur du Québec... Ces valeurs-là, on peut les protéger nous-mêmes.

C'est une affaire élémentaire de confiance en soi et de conviction que le Québec a en lui-même une richesse de ressourcement, de recherche et de promotion de sa propre liberté. En ce sens, il y a un argument. J'espère qu'on l'évacué, parce que, pour moi, c'est l'argument des gens qui ont 60 ans aujourd'hui et qui ont été préoccupés par l'époque de Roncarelli-Duplessis. Donc, j'exclus le professeur Blache. J'exclus, d'ailleurs, à peu près tout le monde autour de cette table. Mais il a encore cours chez des gens qui sont dans la soixantaine. Québec a besoin des autres pour se protéger contre lui-même! Ce n'est pas bon; il ne faut pas raisonner comme ça, il me semble. À partir du moment où on évacue ce raisonnement, il me semble qu'on devrait aspirer à avoir notre propre charte des droits et libertés. Je terminerai là-dessus, en disant que cette même Charte des droits et libertés de la personne qui crée la liberté d'expression, ou, enfin, qui la consacre, consacre aussi le droit à la réputation, ce que ne fait pas la charte canadienne. Cela, c'est un exemple de valeur dans une société. Merci.

Le Président (M. Filion): M. le ministre.

M. Rémillard: M. le Président, j'étais content que M. le doyen Blache réponde tout à l'heure au chef de l'Opposition, parce que si on suivait la pensée du chef de l'Opposition, telle qu'il vient de nous l'exprimer il y a quelques minutes, on se retrouverait dans une période de noirceur comme dans les années cinquante.

C'est exactement la philosophie qui existait dans les années cinquante, période de Roncarelli versus Duplessis. C'est vrai, M. le Président, qu'à cette période par chance que nous avons eu la Cour suprême du Canada qui est venue établir des libertés fondamentales de religion, de pensée. C'est là qu'on voit la distinction entre la pensée du chef de l'Opposition et de la formation de l'Opposition face au gouvernement concernant le fait que nous sommes une société fondée sur le respect de principes démocratiques et, entre autres, le respect des droits et des libertés.

Quand je disais qu'en suivant la pensée du chef de l'Opposition on se retrouverait dans les années cinquante, c'est ce qui est arrivé avec la loi 111 où vous avez aboli la présomption d'innocence, une des libertés les plus fondamentales de notre droit. Vous qui parlez du respect du droit civil, qui pariez des libertés fondamentales de la charte québécoise pour lesquelles j'ai énormément de respect, vous rendez-vous compte du sens de vos propos et également des conséquences des actes que vous avez posés quand vous étiez au gouvernement?

Je vois que vous êtes conséquent dans votre pensée et dans vos actes, parce que la loi 111 était exactement la conséquence de la pensée que vous venez de nous énoncer. Le peuple au service de l'institution, l'institution qui impose ses volontés. La loi 111 abolit l'une des volontés et l'une des libertés les plus fondamentales, pour nous, et ce, nous l'avons hérité de la "Common Law".

C'est un des héritages de la "Common Law" auquel nous devons tenir le plus, la présomption d'innocence, qui fait partie de notre droit, abolie par la loi 111. Non, M. le Président, j'étais très heureux d'entendre le doyen Blache corriger le chef de l'Opposition et lui dire que cette pensée est inacceptable dans une société libre et démocratique.

Je voudrais lui dire, en terminant, que je trouve aussi paradoxal que le chef de

l'Opposition vienne nous dire: Avec la formule d'amendement que nous avons, nous pourrions abolir l'article 33. Mais cette formule d'amendement, c'est vous qui l'avez mise en place par votre entente du 16 avril 1981, sept provinces totalisant 50 % de la population. C'est vous qui avez fait cela.

Je vaudrais compléter en vous disant que, si l'article 33 était amendé, disparaissait, le Québec pourrait se retirer.

M. Johnson (Anjou): Avec une compensation, peut-être?

M. Rémillard: Je laisse cela à votre raisonnement, je laisse cela à votre raisonnement, je crois que vous êtes capable d'aller jusque-là. Ce qui veut dire, à toutes fins utiles, que la clause "nonobstant" pour le respect des droits collectifs est là et tel que le gouvernement l'a déjà décidé, par décision du Conseil des ministres, elle sera utilisée quand les droits de la collectivité devront l'emporter sur des droits individuels dans des circonstances bien spécifiques.

Le Président (M. Filion); Merci, M. le doyen Blache, de votre présence ce soir; merci aux membres de la commission. Nos travaux sont ajournés jusqu'à mardi, dix heures.

(Fin de la séance à 23 h 11)

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