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(Dix heures dix-neuf minutes)
Le Président (M. Filion): À l'ordre! Est-ce que je
pourrais demander aux parlementaires membres de cette commission de regagner
leur siège, s'il vous plaît?
Soyez les bienvenus à cette séance du jeudi 14 mai de la
commission des institutions. Comme vous le savez, nous avons un horaire fort
chargé dans l'exécution de notre mandat qui est effectivement
d'entendre les représentations des membres de la commission, mais aussi
de personnes et d'organismes relativement à l'entente intervenue le 30
avril 1987 au lac Meech concernant la constitution canadienne.
Je demanderais, sans plus tarder, a notre premier invité, M.
Léon Dion, professeur de sciences politiques à
l'Université Laval, de prendre place à la table des
invités. II y a des modifications. Alors, je demanderai à la
secrétaire d'annoncer les remplacements.
La Secrétaire: Les remplacements sont les suivants: M. Boulerice
(Saint-Jacques) par Mme Blackburn (Chicoutimi); M. Dauphin (Marquette) par M.
Cannon (La Peltrie); M. Kehoe (Chapleau) par Mme Pelchat (Vachon); M. Laporte
(Sainte-Marie) par M. Lefebvre (Frontenac); M. Paré (Shefford) par M.
Brassard (Lac-Saint-Jean) et M. Vallières (Richmond) par M.
Séquin (Montmorency).
Le Président (M. Filion): Est-ce que ça va du
côté des remplacements? M. Dion, soyez le bienvenu. Veuillez
prendre place à la table des invités. Pendant que notre
invité s'installe, je rappellerai qu'une enveloppe de 90 minutes est
réservée à M. Dion, les 20 premières minutes
étant prévues pour un exposé de sa part et les 70 autres
minutes étant divisées à part égale pour des
échanges avec les parlementaires des deux côtés de cette
table.
M. Dion, soyez le bienvenu. Est-ce que vous êtes prêt
à faire part de votre exposé aux membres de cette commission?
M. Dion (Léon): Oui, M. le Président.
Le Président (M. Filion): À vous la parole, M.
Dion.
M. Léon Dion M. Dion: M. le Président, M. le
ministre, M. le chef de l'Opposition, MM. les autres ministres, s'il y a lieu,
MM. les députés, Mmes les députées, il me fait
plaisir d'être là. Je vous sers la main symboliquement, à
chacun d'entre vous que je connais bien, et je vous remercie également
de l'invitation qui m'a été faite par les deux partis de venir
présenter devant vous mes opinions sur la constitution et plus
particulièrement sur l'entente survenue au lac Meech. Je dois dire que
j'ai accepté de préférence l'invitation qui m'a
été faite par le Parti libéral, étant donné
qu'elle m'est parvenue en premier lieu. Et, deuxièmement, aussi, je suis
toujours fédéraliste, bien qu'autonomiste et probablement plus
fatigué que jamais, mais fédéraliste, et, au surplus, un
peu, peut-être, fatigué de discuter, depuis 25 ans
déjà, de ce thème.
Je considère un peu la constitution comme mon cauchemar. Il
m'arrive d'en rêver la nuit et j'en ai parfois des sueurs froides. Je
suis parfaitement indépendant de l'un et de l'autre des deux partis, et
vous le savez bien. Je trouve préférable d'adopter, devant ce
texte qui est sous mes yeux, par ailleurs, une attitude positive,
c'est-à-dire de discuter de ce texte tel quel, point par point,
plutôt que d'en discuter globalement, faisant ressortir les seules
objections que j'ai effectivement à l'esprit.
Un autre point que je veux siqnaler, et qui peut aider à faire
mieux comprendre mon état d'esprit en venant ici devant vous, c'est que,
peut-être le savez-vous, mais j'ai voté oui au
référendum, et, si c'était à refaire, je voterais
toujours oui. Si nous avions eu à ce moment-là plus de 50 % de
oui, il y aurait eu autre chose que le lac Meech. Quoi? Je ne le sais pas.
Quelle position aurais-je prise? Je ne le sais pas, mais il n'en reste pas
moins que je ne regrette pas le geste que j'ai posé à ce
moment-là. Par ailleurs, j'ai refusé d'être membre du
comité dit "parapluie", voulant respecter mon autonomie et je me suis
simplement permis de faire quelques conférences individuelles et
d'écrire un livre sur le sujet.
Un autre point, c'est que je veux signaler que j'aborde cet
échange avec vous avec le plus plein réalisme possible,
c'est-à-dire que les positions que je vais prendre tiennent compte de la
marge de manoeuvre très restreinte que nous a laissée la
constitution de 1982 qui fit suite aux
pénibles négociations de 1981. J'accepte cette
constitution de 1982 comme point de départ des discussions et des
échanges de propos que j'aurai avec vous.
Un dernier point: J'ai entendu des experts débordant
d'enthousiasme pour l'entente de principe survenue au lac Meech. J'en ai
entendu d'autres qui l'ont quelque peu décriée, mais, puis-je
dire, avec beaucoup de retenue. Quant à moi, depuis huit jours que je
barbote dans le lac Meech, moi qui ne sais pas nager, franchement, j'ai
hâte d'en sortir. J'ai peur non pas de rencontrer le monstre qui peut y
être, mais de m'y noyer?
Je voudrais signaler aussi que c'est le philosophe Henri Bergson qui
disait qu'un bon ouvrage devait porter à rire, devait compter des
passages où le lecteur trouvait le moyen de sourire et de rire. En
lisant le document du lac Meech, je pense que vous conviendrez avec moi que
nous avons plutôt été plongés sous le point de
congélation, parce que le document est extrêmement
sévère et je pense que là nous devons dire qu'il convient
à ce qu'on entend généralement par un document
constitutionnel.
Je dois dire également en toute franchise que j'admire le travail
qui a été accompli par le ministre délégué
aux Affaires intergouvernementales canadiennes, M. Rémillard, et ses
conseillers et cela, il faut le noter, dans un cadre fort difficile qu'ils ont
dû accepter. Mes propres réflexions ne sont pas mûres,
malheureusement, au point de pouvoir me prononcer ce matin
définitivement dans un sens ou dans l'autre. Je me mentirais toutefois
certainement à moi-même, je mentirais également à
vous, législateurs et membres du gouvernement, et surtout je mentirais
à la face de la nation tout entière si j'allais non pas dire,
mais seulement laisser croire que le texte de l'entente, tel que nous l'avons
sous les yeux, est sans failles, failles même majeures à mes yeux,
mais réparables, j'espère. Et c'est à ce prix, au prix de
modifications sérieuses que je donnerais mon plein assentiment à
l'entente survenue au lac Meech. Nous portons tous aujourd'hui et les jours qui
viennent une énorme responsabilité devant le Québec,
devant le Canada d'aujourd'hui et surtout le Québec de demain, celui des
jeunes d'aujourd'hui qui, malheureusement, ne sont pas ici pour s'exprimer
comme, je pense, ils devraient pouvoir le faire. Et, moi comme vous tous, je le
sens, je le sais, nous en sommes pleinement conscients, nous sommes devant une
page blanche susceptible demain, d'une façon ou d'une autre, de devenir
une page principale de notre histoire politique et constitutionnelle, et cela
pour des générations à venir. (10 h 30)
Mais avant de couler dans le ciment de l'unité restaurée,
assurons-nous bien que les matériaux qui vont le composer seront
à l'usage bien étanches et tout à fait à
l'épreuve des mauvais temps à venir. Je suis prêt à
endosser le projet d'entente du lac Meech, mais à la condition d'avoir
l'assurance que le Québec ne soit pas, une fois de plus, le dindon de la
farce. Il le fut si souvent que je m'estime justifié de me montrer
circonspect dans mon étude du document.
Pour ces raisons, je ne suis pas en mesure ce matin de formuler une
opinion favorable ou défavorable, pour ou contre, que j'estimerais juste
et raisonnée sur le sujet qui est à l'ordre du jour. Je
réserve donc pour l'instant ma décision. Cette dernière,
cette décision, dépendra beaucoup du sort qui sera fait à
la proposition d'amendement que j'entends proposer au point no 1 portant sur le
caractère distinct du Québec et dépend également de
la formulation officielle du texte qui devrait découler du fruit de vos
délibérations et de nos délibérations, sur lequel,
j'espère, nous aurons aussi la possibilité de revenir.
Je diviserai mon exposé en trois points. Premièrement, je
vais demander au ministre quelques précisions sur des points mineurs.
Cela peut être très court mais peut être également
instructif.
Deuxièmement, je ferai quelques commentaires rapides sur trois
thèmes de l'entente, comprenant que peut-être vous avez lu le
texte que j'ai publié dans le Devoir de jeudi ou vendredi dernier, qui
contenait mes commentaires plutôt favorables, même très
favorables sur trois des quatre points de l'entente.
Finalement, je voudrais proposer un amendement concernant le
thème du caractère distinct du Québec. J'aimerais beaucoup
que ce soit là-dessus que porte surtout mon exposé et c'est
pourquoi j'irai vite sur le reste.
Quelques précisions sur des points mineurs. Je dois d'abord
signaler ceci qui n'a pas été, je crois, signalé ici
encore, que l'entente innove en ce sens qu'elle parle d'une
société distincte. Je n'ai jamais vu ça nulle part
ailleurs. Jamais la Commission d'enquête sur le bilinquisme et le
biculturalisme n'a parlé de société distincte pour le
Québec. Elle a parlé des deux peuples fondateurs, des deux
nations, des deux sociétés, des deux majorités mais jamais
de l'expression "Québec, société distincte". Elle a dit du
Québec qu'il était le point d'appui majeur de la francophonie
canadienne. En d'autres termes, même la commission d'enquête sur le
bilinquisme, il ne faut jamais l'oublier, a pris une position purement
horizontale du pays. Quand elle parle du Québec - je dois dire qu'il
s'agit des pages bleues qu'on impute à M. Laurendeau et j'avais
aidé M. Laurendeau à la rédaction de ces pages bleues - on
le
définit comme société incomplète en ce sens
qu'il lui manque une composante essentielle d'une société,
c'est-à-dire qu'il ne dispose pas de façon autonome et souveraine
d'un État.
Le cas de Pepin-Robarts évite également de parler de
société distincte. Ils n'ont même pas parlé de deux
sociétés. Je n'ai jamais vu ça dans le document. J'ai
été un de ceux-là même qui leur ont
suggéré de ne jamais parler de deux sociétés pour
le Canada parce que jamais les Canadiens anglais, des autres provinces surtout,
ne pourraient accepter, comprendre de quoi il s'agit.
Si vous me le permettez, je vais vous lire un texte - Ah! Je ne le
trouve plus, je ne le lirai pas - d'une étudiante qui venait du Manitoba
et qui suivait mon cours, justement, sur le Québec. Elle m'a dit ceci:
Je suis venue à Québec l'année passée dans le but
d'apprendre le français et de retourner chez moi. Je suis restée.
Je vais rester. Je me sens très bien à Québec, au
Québec. Je veux apprendre plus sur l'histoire de cette province, le pays
comme on l'appelle, puisque cela m'intrigue tellement la différence
entre les Québécois, un peuple avec sa propre identité, et
le reste des Canadiens, ceux qui habitent dans cette mosaïque qui
s'appelle le Canada. Il faut dire que cela ne m'est jamais arrivé de me
demander: Qu'est-ce donc que d'être Manitobaine?
Je pense que vous avez là le ton que j'ai entendu des centaines
et des centaines de fois dans mes multiples voyages au Canada anglais.
Très bien. Il y a une société, que vous l'appeliez
société, nation, on n'a pas de problème avec cela, mais,
nous, Torontois, ne voyons pas une nation, une société de la
même façon. L'Île-du-Prince-Édouard, la
Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve et tout cela ne sont pas partie de notre
système de pensée, de notre âme.
Évidemment, sur le plan constitutionnel, c'est autrement. Mais,
sur le plan culturel, sur le plan proprement national, nous n'avons pas cette
dimension que vous, Québécois, par la force d'une composante
d'identité que vous possédez, la langue française, avez
dans votre province, dans votre patrie.
Je mentionne cette question, on pourra y revenir. Un point, donc,
d'innovation. Le rapport Pepin-Robarts parle toujours de dualité et de
régionalisme. Ce sont ses deux concepts de base. Je note
également une différence dans le texte français et dans le
texte anglais. Si nous revenons aux pages -j'espère que j'ai le texte
ici. Il y a une question de sémantique qui peut intervenir lorsqu'on
parle de caractère distinct du Québec au point no 1. Je l'appelle
le point no 1, il vient en premier.
En effet, il s'agit du caractère distinct du Québec pour
la partie (l)b) et (3) mais, en ce qui concerne (l)a), il s'agit du Canada.
Alors, je crois que le titre général devrait plutôt
être à ce moment la nature ou le caractère du Canada et non
pas le caractère distinct du Québec puisque ce caractère
distinct du Québec n'est qu'une partie de l'ensemble du tout canadien
dont on veut parler. Alors, il me semble ici qu'il y a une précision
à apporter.
L'autre point, c'est le texte français et le texte anglais. Dans
le texte français on parle du caractère distinct du
Québec, mais en anglais on parle de "Quebec distinct society". Il y a
une différence entre les deux et je préfère de beaucoup la
version anglaise. Québec société distincte et non pa3
caractère distinct du Québec. Il faut dire que c'est une
société distincte. Alors, à ce moment, je
préférerais cela.
Au point no 3 de ce même thème, du premier thème, en
français on dit que l'Assemblée, le gouvernement du Québec
ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère
distinct de la société québécoise. En anglais on
parle de "distinct entity". Si vous regardez le texte anglais on dit "distinct
entity". Ce n'est pas la même chose, société distincte et
"distinct entity". Je voudrais bien voir - je n'ai jamais rencontré
ça une entité distincte - ce que ça peut bien vouloir
siqnifier. Je présume qu'il y aura ici une correction à apporter
à la version anglaise au moins dans ce texte.
Au point no 2, c'est-à-dire la formule de modification de la
constitution, on parle d'accorder une compensation raisonnable. On y revient
souvent: compensation juste, compensation raisonnable, etc. Ce sont des
souvenirs anciens de la constitution de 1982. Nous n'étions pas fiers,
je pense, plusieurs d'entre nous, de cette formulation: compensation
raisonnable, compensation juste. Et elle revient trois fois dans ce texte, au
point de la formule d'amendement. Elle revient également lorsqu'il
s'agit de la juste compensation pour l'immigration. Elle revient
également pour la juste compensation lorsqu'il s'agît du pouvoir
de dépenser, au point no 3.
Quant à moi, je propose ici un amendement. Que l'on dise
plutôt qu'il s'agira d'une compensation équivalente au coût
réel du programme pour le Québec ou toute autre province qui se
serait désenqaqée. À ce moment là, ce serait clair.
On ne laisserait plus aux tribunaux et à quiconque le soin de
décider ce que ça veut dire "équivalent". Nous aurions ici
une notion, ce serait le coût réel tel qu'il est établi en
comptabilité. Je propose ici cet amendement qui est un amendement
mineur. Je n'en fais pas, évidemment, un cas d'extrême importance.
Néanmoins, je crois que ce sont tous ces petits points, si on les
additionne les uns aux autres, qui font que nous ne pouvons pas parvenir
à une précision plus grande de ce texte.
Maintenant, il y a une autre question que je me pose, c'est à
propos du Barreau civil. C'est la première fois que j'entends parler du
Barreau civil. Y a-t-il un Barreau criminel au Québec? Il faut aussi
noter le fait qu'il y a du droit civil avec diplôme, je crois, qui est
maintenant enseigné à l'Université de Moncton au
Nouveau-Brunswick et à l'Université d'Ottawa en Ontario. Ces gens
pourraient, éventuellement - si on parle de Barreau civil comme cela...
Personne ne peut prévoir qu'un jour il n'y aura pas un Barreau civil en
Ontario. Je pense que l'on veut dire Barreau. Je proposerais ce qu'a dit M.
Beaudoin hier - je crois que cela n'a pas été relevé -
trois juristes civilistes du Québec. Je crois que là, ce serait
clair. C'est M. Beaudoin, je reprends la formule: trois juristes civilistes du
Québec. À ce moment-là, on saurait à quoi s'en
tenir. Évidemment, on est bien loin de la commission Pepin-Robarts qui,
comme vous le savez, prévoyait cinq juristes civilistes sur onze.
C'était très différent, mais, néanmoins, nous
devons accepter ce cadre. Je propose une modification, à moins qu'on
m'explique que Barreau civil, c'est très bien et meilleur que trois
juristes civilistes du Québec.
On propose également qu'il y aura une liste de noms à
partir de laquelle le gouvernement fédéral trouvera le candidat
valable pour devenir juge de la Cour suprême. Je propose que nous
indiquions sur la liste un nombre donné de candidats, trois ou cinq,
mais pas vingt, à partir de laquelle le gouvernement
fédéral choisira le candidat qu'il voudra bien nommer à la
Cour suprême. S'il n'est pas d'accord avec cette liste, je propose qu'il
n'ait qu'un seul droit de retour, et qu'au deuxième tour, lorsque le
Québec proposera trois ou cinq autres juges, le gouvernement
fédéral, cette fois-là, soit engagé, obligé
de choisir l'un ou l'autre de ces membres afin de sortir d'un cul-de-sac
éventuel qu'encore là les tribunaux, ou je ne sais pas qui,
seraient amenés à juger.
Je note que le Québec avait demandé d'être
consulté. Cela disparaît dans l'accord du lac Meech. Je pense
qu'il devrait y avoir consultation, néanmoins, de la part du
gouvernement fédéral, précisément sur cette courte
liste de trois ou cinq juges, pour savoir si c'est un tel que je prendrais le
premier, ou je préfère le troisième, etc., et la
discussion pourrait s'engager là-dessus et peut-être
également sur la deuxième liste, si nécessaire.
Maintenant, quant aux questions de fond, je vais y aller très
vite parce que je veux en venir à ce que je considère comme
principal. En ce qui concerne la formule d'amendement constitutionnel, il y a
un immense pas en avant qui a été accompli au lac Meech. Moi qui
ai toujours demandé à toutes les commissions parlementaires
du
Sénat et de la Chambre des communes, comme à celle de
l'Alberta, que l'article 42 concernant la représentation à la
Chambre des communes et au Sénat soit protégé par un droit
de veto dont disposerait le Québec, eh bien, nous l'avons, maintenant.
Bien sûr, il est étendu aux autres provinces, ce qui pourrait
probablement rendre plus difficile l'accord sur cette question. Mais, pour
l'ensemble, je pense - je suis obligé d'aller très vite - que...
C'est ce que demandait d'ailleurs M. Johnson, dans son projet d'accord
constitutionnel en mai 1985. Là-dessus, je pense qu'il n'y aura pas de
discussion; c'est clair.
En ce qui concerne la Cour suprême, eh bien, je viens, je pense,
de dire ce que j'avais à dire à ce sujet. L'immiqration,
j'estime, quant à moi - je ne sais pas s'il en a été
abondamment discuté ici - qu'il s'agit là des principaux gains -
si on peut parler de gains et je peux parler de gain, je crois - du
Québec, par rapport à ce que la situation était dans la
constitution de 1982.
Cependant, j'aurais encore une modification à proposer,
légère, mais peut-être importante dans le XXIe
siècle. On dit que le Québec pourra dépasser de 5 % le
quota canadien eu égard aux questions démographiques. Je
proposerais d'ajouter "au moins 5 %", parce que ce qui va se produire au XXIe
siècle - je ne suis pas prophète; c'est su d'avance - ça
va être un brassage extraordinaire de population et une terre aussi
riche, belle, et tout ce que l'on veut, même si elle est froide, que le
Canada sera envahie par des populations venant de l'Amérique du Sud, du
Sud-Est asiatique et probablement d'Afrique. (10 h 45)
À ce moment-là, il se peut que 5 % soient jugés
bien faibles pour le Québec. J'aimerais mieux mettre "au moins 5 %". Ce
n'est pas, je crois, là non plus un amendement que je considère
nécessaire, obligatoire, mais je crois qu'il est important de le
mentionner comme étant une position que j'aimerais voir adopter dans le
texte définitif.
En ce qui concerne le pouvoir de dépenser, il en a
été beaucoup question et j'aurais beaucoup à dire, mais je
vais simplement mentionner un fait qui m'est arrivé et que j'ai connu
très bien. C'est que, pendant les années quarante, cinquante,
peut-être les années trente également et jusqu'à
peut-être 1963-1964, le gouvernement fédéral a
subventionné les écoles techniques au Canada. Il y avait une
condition, que ces écoles techniques fussent publiques. Or, au
Québec, la plupart des écoles techniques étaient
privées, c'est-à-dire adjacentes, pour la plupart d'entre elles,
aux collèges classiques et aux séminaires. Il y en avait
quelques-unes qui étaient publiques comme l'école du meuble, par
exemple, etc. Ce qui
veut dire que le Québec s'est trouvé privé pendant
toute cette période d'une masse considérable d'argent eu
égard à ce fait qu'il ne satisfaisait pas à la norme
fédérale. Je ne dis pas que cela se reproduirait de la même
façon. Je suppose que nous sommes plus intelligents aujourd'hui
qu'à cette époque. Je suppose que notre force de frappe s'est
améliorée. Mais, néanmoins, il faut être
extrêmement prudent.
Une autre question. M. Ryan, dont je regrette personnellement l'absence
aujourd'hui, parce que j'aurais aimé lui rendre témoiqnage sur un
point, c'est que lorsque j'ai dit oui au référendum il
était parmi ceux qui ont dit: Léon Dion dit oui -c'est vrai qu'on
s'est dit des mots tous les deux mais, en tout cas, on l'a oublié
réciproquement - Léon Dion dit oui, mais en tant que
fédéraliste et il disait: Aujourd'hui, on ne vote pas
là-dessus, on vote pour savoir si on reste ou non dans la
confédération. Je me souviens, j'étais dans un taxi
à Montréal lorsque, pour la première fois, j'ai entendu M.
Ryan non seulement mentionner ce fait, mais insister auprès de
l'animateur, qui voulait passer à autre chose, parce qu'il ne trouvait
pas ça important. Mais, pour M. Ryan, c'était jugé
très important d'indiquer que ma position pour le oui n'était pas
une position prise en tant qu'indépendantiste, mais en tant que
fédéraliste. Alors, je voudrais le noter, cela, parce que je dois
dire que ça m'avait beaucoup ému.
Il y a des problèmes généraux que posera l'accord
du lac Meech. Je préfère peut-être les laisser aux autres
provinces et au gouvernement fédéral parce que cela nous est
tellement favorable. On parle, comme vous le savez, de possibilité de
cul-de-sac, étant donné que, maintenant, surtout à partir
de l'article 42 - il reste l'article 38 qui demeure soumis à la
règle des sept provinces et des 50 %... L'article 42 devra maintenant
être soumis à la règle de l'unanimité. Comment
l'Alberta peut-elle espérer modifier son Sénat un jour?
J'espère qu'elle ne pense pas trop à ce problème
maintenant, mais peut-être y pensera-t-elle après la signature de
l'entente.
D'autres parlent aussi d'une possible balkanisation du Canada. Je me
souviens que ce problème a été posé abondamment par
la commission de l'unité canadienne, mais je suggérerais à
ceux qui craignent cela de lire ce que dit la commission là-dessus.
Personne ne le sait. Il y a là un germe qui est posé et cela peut
se produire. Ce que dit la commission de l'unité canadienne, c'est qu'il
est très probable que, dans la plupart des cas, seul le Québec
sera intéressé à ne pas partager un programme
fédéral et que, par conséquent, il n'y a pas lieu
là de craindre une balkanisation.
Je ne sais pas combien il me reste de minutes, est-ce que quelqu'un peut
me le dire? Combien me reste-t-il de minutes?
Le Président (M. Mardi): II vous reste environ... Vous
avez dépassé votre temps, mais...
M. Dion: Déjà?
Le Président (M. Marcil): Si les formations politiques
acceptaient de vous permettre de continuer...
M. Dion: Vous auriez dû m'en aviser, parce que...
Le Président (M. Marcil): II y a consentement, M. le
professeur, vous pouvez continuer.
M. Dion: ...ce que j'ai dit là, pour moi, est secondaire
par rapport à ce que je veux dire maintenant.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
Le Président (M. Marcil): Allez, M. le professeur.
M. Dion: Je suis embarrassé.
Je voudrais revenir à un thème que M. Dumont a
abordé ici, hier, peut-être d'une autre manière, quelque
peu, mais avec la même intensité d'opinion. Je suis conscient
autant que vous, et peut-être davantage, de la
détérioration effarante du français au Québec,
aujourd'hui. Non seulement le français comme langage de communication et
de pouvoir, comme le mentionnait M. Dumont, mais également au plan de
nos mentalités.
Depuis six mois, je me suis imposé la lecture de nos
poètes, de nos romanciers, de nos chansonniers. Ce sont eux les
professionnels de la langue, ce n'est pas nous, ce ne sont pas les gens
d'affaires. Si vous voulez, je peux vous les nommer, j'en ai une liste ici,
mais je sais que vous n'en avez pas besoin, vous les connaissez. Le pessimisme
qu'ils éprouvent à propos du français est tel qu'ils se
demandent si la langue qu'ils ont encore aujourd'hui, le français qu'ils
possèdent est capable de traduire la réalité
nord-américaine dans laquelle ils vivent. C'est un problème
majeur que nous aurons à régler. Nous sommes des Français
d'Amérique, et non des Français de France. Il faut bien
comprendre ce point-là.
L'état d'esprit des jeunes, aujourd'hui, tel que nous le
connaissons par beaucoup d'études et tel que nous le vivons
nous-mêmes, doit nous mettre en garde contre le risque d'une
déperdition graduelle du français chez eux. Ils ne savent presque
plus quelle langue c'est, le français. Jean-Paul Desbiens parle souvent
de cette question; il en parle depuis le Frère Untel, en 1957, et il va
continuer, je pense bien, tout le reste de sa
vie parce que le problème va s'intensifier, va durer,
malgré les propos très importants qu'il cite, qu'il dit.
J'ai un collègue à l'université qui m'a dit que
l'automne prochain - il m'a dit cela avec le sourire - le premier mot qu'il va
prononcer devant sa classe, cela va être le mot "dictée". Il veut
dire par là que nous avons dans plusieurs unités actuellement un
test de français à l'université, et beaucoup
d'étudiants ne passent pas ce test. Je dois dire que la plupart d'entre
eux sont très heureux de prendre des cours spéciaux pour
améliorer leur connaissance pas du français, mais la connaissance
de la structure de pensée qu'est une langue, une mentalité.
Je ne vous parlerai pas de la situation qui se détériore
à Montréal et qui devient catastrophique. Où trouve-t-on
maintenant cette fierté d'être Français d'Amérique
et de le rester? C'est un premier cran d'arrêt, il nous faut travailler
sur nos mentalités par l'éducation en famille, dans les lieux de
rencontre, etc. Mais le deuxième cran d'arrêt, c'est
nous-mêmes, l'Assemblée nationale et le gouvernement du
Québec. Je peux vous dire que, sur ce point, cela fait longtemps que je
dis que, notre Assemblée nationale et notre gouvernement, je n'ai plus
confiance en eux, non seulement depuis décembre 1985, mais je dirais
depuis 1981.
Je dois encore passer très rapidement sur cette question, mais le
troisième cran d'arrêt, c'est la constitution
fédérale. C'est là que j'aimerais que nous revenions au
point no 1 parce que c'est là-dessus que, personnellement, j'ai de
sérieuses objections. Je suis obligé d'accepter la dualité
canadienne, (l)a). Je serais absolument opposé, j'ai toujours
été opposé depuis 1971, à cette notion que le
Canada est composé de deux groupes linguistiques
considérés so-ciologiquement comme égaux. Vous avez
là un éléphant, sept puces et deux punaises. Comment
voulez-vous les mettre dans le même bain? Au plan sociologique, c'est
d'une absurdité totale. Si vous voulez traduire cela en termes
juridiques, cela vous donne l'article 23. Heureusement que nous n'avons pas
encore adopté à l'Assemblée nationale l'article 59.(2) qui
finirait par nous conduire à la clause quasi universelle pour
l'accès à l'école. Sur ce plan, la dualité
canadienne, je l'accepte maintenant, étant donné que la
constitution de 1982 est là et que je savais que nos négociateurs
devaient fonctionner dans ce cadre-là.
L'an dernier, M. Johnson a proposé que le Québec se retire
de l'article 23. J'avais écrit un texte là-dessus, j'avais dit
qu'il y avait de très bonnes choses dans le texte de M. Johnson, mais
que j'avais deux objections dans le contexte où je me situe: la
première, c'est que ce n'est pas possible de se retirer de l'article 23
sans, évidemment, revenir à un référendum qui
serait sans doute...
Comme M. Johnson lui-même l'a dit: II ne faut quand même pas
mourir d'une mort trop rapide. Il proposait également que la charte du
Québec ait préséance sur la charte canadienne. Là
non plus, je ne pouvais pas être d'accord sur ces deux points parce que
cela revenait au même point. Donc, j'accepte cette dualité
canadienne; cela ne fait pas problème. Ce qui fait problème,
c'est le point (b) et (3) en ce qui concerne la reconnaissance du Québec
comme société distincte au sein du Canada. J'aimerais d'abord
que, quand on parle du rôle de protéger, de promouvoir le
caractère distinct d'une société québécoise,
cela devienne la responsabilité ou le devoir au lieu de parler du
rôle. C'est une responsabilité que le peuple confie à son
Assemblée, à ses députés et à son
gouvernement, ce n'est pas un rôle. Un rôle, c'est quelque chose
qu'on remplit bien, mal ou qu'on ne remplit pas du tout. Une
responsabilité, c'est un devoir qu'on doit remplir et, si on ne le
remplit pas, on est puni. Eh bien, je suggérerais d'abord que nous
parlions de responsabilité.
Mais de quoi parlons-nous exactement? D'abord, c'est l'assise d'une
société. Qu'est-ce qu'une société? Une
société, c'est basé sur des composantes qui s'appellent
des institutions, un composé d'institutions. De nombreuses institutions
sont francophones au Québec, bien sûr, mais il y a de nombreuses
institutions anglophones au Québec, au plan culturel, au plan social, au
plan économique, etc., et peut-être, dans les années
dernières, se considéraient-elles surtout parties du Canada,
extérieures au Québec. On a vu cela, mais, aujourd'hui - on peut
lire les travaux de Caldwell, par exemple, et bien d'autres - ces institutions
se veulent québécoises au même titre que les autres et nous
devons les considérer comme telles. Donc, la société
québécoise est composée à la fois d'institutions
québécoises, d'institutions anglophones et d'institutions qui
sont communes aux deux, comme le Parlement, l'Assemblée, le
gouvernement, les tribunaux. C'est cela la société
québécoise. Quand nous parlons du caractère distinct du
Québec, c'est de cela dont nous parlons. Nous disons qu'au Québec
l'anglophonie québécoise est incomparable à l'anglophonie
albertaine ou à l'anglophonie de la Colombie britannique ou des sept
autres provinces. J'ignore ici ceux qui se tiennent tout près du
Québec, très frileusement d'ailleurs, nos frères acadiens
et ceux de l'Ontario. Il y a là, donc, un problème et c'est, pour
moi, ce qui est finalement à protéger de façon primordiale
au niveau proprement sociétal ou institutionnel. C'est ce que Dumont
mentionnait hier. C'est la langue. C'est la question linguistique. Et la langue
seule est une composante permanente. Toutes les autres composantes, comme M.
Beaudoin disait, peuvent passer, mais la langue,
j'espère qu'elle ne passera pas, qu'elle est permanente,
essentielle et qu'on ne se retrouvera pas un jour à transformer la
chanson de M. Vigneault en disant: Maintenant nous vivons en Louisiane; nous
sommes maintenant en Louisiane. Un jour, nous irons en Louisiane, je pense. (11
heures)
Eh bien, les anglophones au Québec ne sont pas seulement une
communauté linguistique. Ils sont ça, chez nous, d'accord, je
l'accepte. Ils ne sont pas seulement une communauté linguistique au
même titre que les Français en Alberta. Ils se sont perçus
longtemps comme à l'extérieur du Québec, mais depuis dix
ou quinze ans, comme je l'ai mentionné, ils se veulent comme partie
intégrante de la société québécoise et, moi,
je les veux comme tel. Je les désire comme partie intégrante de
la société québécoise. Ces institutions font donc
partie intégrante de ma société, et je suis heureux de
cette situation. À moins d'adopter une perception purement "ethniciste"
de la société, c'est-à-dire une perception qui ferait que
la société québécoise n'est perçue qu'en
fonction du français, de la composante française, à moins
d'adopter cette perception purement "ethniciste" de la société
québécoise, il faut donc dire qu'il s'impose d'inclure toutes ces
institutions anglophones dans la société québécoise
au même titre que les institutions francophones. Si nous voulons vraiment
protéger, poursuivre l'essentiel de la spécificité
québécoise à tout prix, il faut protéger d'abord ce
qui est essentiel et permanent au Québec, c'est avant tout la
majorité linguistique de cette société et cette
minorité anglophone, d'où je fais très rapidement, parce
que mon temps est déjà écoulé, semble-t-il, ma
proposition d'amendement.
J'accepte le départ. L'Assemblée nationale et le
gouvernement du Québec ont, je dirais, la responsabilité de
protéqer et de promouvoir le caractère distinct de la
société québécoise mentionné au point (l)b).
Et je continuerais: Cette responsabilité inclut nécessairement la
protection et la promotion du français, composante principale et
essentielle de cette société, sur l'ensemble du territoire du
Québec, de même que toute autre composante de cette
société considérée sous le même angle,
c'est-à-dire droit civil, etc., etc., considérée sous cet
angle-là. La protection et la promotion des institutions anglophones au
Québec seront soumises à cette priorité principale et
essentielle concernant la langue française. C'est la proposition
d'amendement que je propose.
J'ai aussi un texte anglais pour ceux qui le voudraient. M. le
Président, j'ai rapidement terminé mon exposé en
massacrant un peu trop, je crois, l'objectif principal qui m'avait conduit ici
ce matin.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. le professeur
Dion. Est-ce qu'on peut avoir des copies de votre amendement?
M. Dion: Oui, oui. Il faudrait qu'il soit tapé. Je l'ai
rédigé à ia main.
Le Président (M. Marcil): Est-ce qu'on peut faire en
sorte, par le biais du Secrétariat des commissions, de le faire taper et
de le reproduire?
M. Dion: J'ai le texte français et le texte anglais.
Le Président (M. Marcil): Vous voulez les deux textes,
anglais et français?
M. Johnson (Anjou): Mais que ça n'empêche pas nos
discussions.
Le Président (M. Marcil): Oui. Merci, M. Dion.
M. Dion: On pourra faire des corrections aux deux textes,
d'ailleurs.
Le Président (M. Marcil): Nous allons faire le
nécessaire. Je vais maintenant passer la parole au ministre
délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes
tout en vous informant qu'il reste 25 minutes à chacun des deux partis.
Cela va?
M. Rémillard.
M. Rémillard: M. le professeur Dion, je voudrais tout
d'abord vous remercier d'avoir accepté de venir témoigner devant
la commission, de vous être déplacé. Comme vous le dites,
vous avez passé quelques journées "dans" le lac Meech. Je crois
que vous nous avez tracé au départ un tableau très
intéressant du contexte politique dans lequel nous avons, nous, comme
gouvernement, entrepris de nouvelles discussions constitutionnelles pour en
arriver à une entente qui permettrait au Québec de
récupérer des droits historiques et redevenir un partenaire
majeur dans cette fédération.
Vous avez très bien relevé le fait que nous étions
dans une situation difficile. Vous l'avez d'ailleurs très bien
écrit lorsque vous avez dit dans votre article du Devoir du 8 mai
dernier, et je vous cite: "Ce qu'il importe en tout cas de dire en
dernière analyse, c'est que, s'agissant du Québec, il obtient
pleine reconnaissance de ses demandes dans un contexte de négociations
qui lui était pourtant, au départ, des plus défavorables."
C'est vrai, vous avez parfaitement raison. Nous avons commencé ces
discussions et ces négociations qui nous ont amenés au lac Meech
dans un contexte politique très difficile.
L'analyse que vous nous avez faite de
cette entente du lac Meech vous amène à dire que, sur un
point fondamental très important concernant justement ces droits
historiques du Québec, le droit de veto - et je vous cite - est un
immense pas en avant. Le Québec récupère par l'entente du
lac Meech un droit historique, le droit de dire non à un amendement
constitutionnel qui irait à rencontre de son statut de
société distincte ou de partenaire majeur de cette
fédération.
Concernant la Cour suprême, vous nous dites aussi qu'il s'agit
là d'un élément très intéressant. On
confirme trois juges sur neuf et on confirme qu'ils viendront du Barreau du
Québec ou de la magistrature du Québec puisqu'un juge peut venir
soit du Barreau, soit de la magistrature. Je peux vous assurer, au nom du
gouvernement, puisque vous m'avez posé la question à ce j'ai cru
comprendre tout à l'heure dans votre exposé, qu'il s'agit bien
d'une liste qui sera proposée par le gouvernement du Québec
lorsqu'il s'agit de remplacer, de nommer un juge qui vient du Québec.
Donc, à partir du Barreau ou de la magistrature comme tels. Là
aussi, vous nous disiez qu'il s'agissait d'un gain significatif.
Pour l'immigration, vous l'avez qualifié de gain substantiel. Je
crois qu'on a là des gains de fait qui vont nous permettre de nous
assurer une sécurité culturelle pour l'avenir. Je prends bonne
note de votre suggestion concernant le 5 %.
Sur le pouvoir de dépenser, vous avez fait
référence à une circonstance telle qu'elle a pu se
produire il y a quelques années. Finalement, votre analyse nous dit
qu'il faut quand même considérer qu'il s'agit d'un pas
intéressant dans la mesure où on peut circonscrire l'application
de ce pouvoir de dépenser, qui ne pourrait pas priver le Québec
de moyens pour mettre en application sa spécificité. Là
encore, vous remarquez des progrès significatifs. C'est donc dire que
sur quatre points sur cinq il y a là des progrès significatifs
que vous notez. Je crois que toute étude objective nous amène
à une telle constatation.
Concernant maintenant le point sur lequel vous vous êtes
attardé, c'est-à-dire la reconnaissance de la dualité et
du caractère distinct du Québec, dans un premier temps, vous nous
dites que vous acceptez le principe de la dualité canadienne. Vous qui
avez joué un rôle majeur dans la commission Laurendeau-Dunton sur
le bilinguisme et le biculturalisme, qui avez été impliqué
aussi dans la commission Pepin-Robarts, vous nous dites: J'accepte la
dualité canadienne, et, par conséquent, vous nous donnez deux
exemples. Vous nous dites, en ce qui regarde l'article 23: Je crois que le
Québec doit demeurer lié à l'article 25 qui permet
à un anglophone ou quelqu'un qui aurait suivi son école primaire
en langue anglaise dans une autre province canadienne de pouvoir inscrire ses
enfants à l'école anglaise ici au Québec. C'est la clause
Canada, à toutes fins utiles, et vous t'acceptez.
Vous nous dites aussi que vous ne pouvez pas accepter le fait qu'on
mette de côté la charte canadienne des droits. Vous êtes
d'accord aussi qu'il y ait une Charte canadienne des droits et libertés
dans la constitution.
Lorsqu'on arrive à la spécificité du Québec,
vous nous faites une analyse de la spécificité du Québec
en disant qu'il y a un caractère fondamental essentiel à cette
spécificité, c'est la langue française. Je veux vous dire,
professeur Dion, que, si jamais en mes propos je déforme ce que vous
nous avez dit ou que j'ai mal compris, je vous demande de m'interrompre
immédiatement pour me rectifier.
Alors, vous nous dites...
Le Président (M. Marcil): Excusez, M. le ministre. Oui, M.
Dion.
M. Dion: J'aurais juste une petite question à poser au
ministre. Est-ce que vous avez également pris note des recommandations,
des propositions que j'ai faites et que vous allez regarder, considérer
la pertinence...
M. Rémillard: Oui. Comme le 5 %...
M. Dion: Non seulement le 5 % mais ce qu'il y avait avant aussi.
D'accord.
M. Rémillard: C'est cela.
M. Dion: On n'a pas besoin d'en parler mais vous en tenez
compte.
M. Rémillard: Oui. M. Dion: Merci.
M. Rémillard: Comme vous l'avez dit, pour prendre une
expression de quelqu'un que vous connaissez bien, ce ne sont pas des casus
belli mais ce sont des informations que vous nous donnez qui, selon vous,
peuvent apporter un élément intéressant. Soyez
assuré que nous en avons pris bonne note.
Donc, sur la société distincte, vous nous dites que la
langue est un fondement de cette distinction. Vous nous dites que la
société québécoise est distincte non seulement par
sa langue, mais aussi par ses institutions et même que des institutions
qu'on pourrait qualifier d'anglophones font partie de la
spécificité du Québec.
Dans ce contexte, vous nous proposez un amendement. Mais je suis un peu
surpris, professeur Dion, que vous n'ayez pas abordé vraiment le
paraqraphe (3) concernant le fait que l'Assemblée nationale et le
gouvernement
du Québec ont le rôle - alors, vous nous suggérez de
parler de la responsabilité au lieu du rôle - de protéger
et de promouvoir - le terme promotion - le caractère distinct de la
société québécoise. Dans ce contexte, il est
intéressant de noter qu'il n'y a pas d'équivalence pour la
dualité. C'est spécifique, en ce qui regarde le caractère
distinct du Québec, que le gouvernement du Québec et
l'Assemblée nationale ont le rôle de protéger et de
promouvoir. Donc, un rôle de promotion et de protection. Si dans un
premier temps, et vous l'avez souligné à juste titre, en ce qui
regarde la dualité, il y a là une reconnaissance de fait, dans un
deuxième temps, en ce qui regarde le caractère distinct du
Québec, il y a là une base juridique d'action.
Dans ce contexte, je situe votre amendement. Je dois vous dire que, dans
les discussions que nous avons eues avec le gouvernement fédéral
et les autres provinces, nous avons refusé de préciser ce concept
de société distincte en fonction strictement de la langue parce
que, comme vous Pavez si bien mentionné tout à l'heure, la
société québécoise est distincte non seulement par
la langue, fondamentalement par la langue, essentiellement par la langue
à bien des égards, mais aussi par ses institutions, par sa
façon de vivre, par sa façon d'être.
Et bien sûr que vous n'êtes pas sans ignorer que, lorsque
l'on définit, on limite. Il y a ici un traité qui fait
autorité en la matière. Celui du regretté grand juriste et
juge à ia Cour suprême, M. Louis-Philippe Pigeon:
Rédaction et interprétation des lois. À la page 64,
le juge Pigeon écrit: "II y a donc un double danger qui découle
de l'énumération. Le premier, la possibilité d'une
restriction insoupçonnée par la limitation aux choses de
même genre que celles qui sont énumérées.
Deuxièmement, la possibilité que l'on en vienne à la
conclusion que l'on a voulu se limiter à ce qui a été
énuméré. Le grand inconvénient de toute
définition énumérative, c'est qu'il est extrêmement
difficile de ne rien oublier. Quiconque a travaillé un peu longtemps
dans la législation sait une chose: on ne pense jamais à tout. II
est impossible de tout prévoir. Il survient toujours de l'inattendu, de
l'imprévu. On oublie toujours certains aspects. On risque beaucoup moins
de difficultés imprévues en procédant par
énoncé de principe au lieu d'énumération".
C'est une considération venant d'un éminent juriste qu'on
pourrait retrouver aussi dans d'autres considérations de droit. Je dois
vous dire que c'est cette crainte qui a motivé le fait que nous ayons
maintenant ce texte qui est devant vous. Je sais que... Je m'interromps et je
vous laisse la parole, je sais que vous voulez intervenir.
Le Président (M. Marcil): Allez, M. le professeur. (11 h
15)
M. Dion: J'aimerais bien intervenir à ce point parce que,
pour moi, il n'est pas question de ne pas promouvoir les institutions
anglophones au Québec. Ce n'est pas seulement protéger, je veux
que les institutions anglophones au Québec soient promues au même
titre que les institutions francophones, que l'Université McGill
reçoive les mêmes subventions que l'Université Laval,
proportionnellement aux besoins, etc. En conséquence, je ne vois pas
là le problème ou le changement majeur qu'apporte la notion de
promotion en plus de celle de protection dans ce cadre-là.
Deuxièmement, je voudrais faire remarquer au ministre que je ne fais
aucune liste. Je définis simplement la société et je dis
que. Il n'y a pas de liste là. La société, en ce qu'elle a
de français -je voudrais également noter - doit être
assurée et les institutions anglaises, dans la mesure où la
priorité reste qarantie aux institutions françaises, doivent
également être assurées.
En conséquence, je ne vois pas ici ce qu'il y a de limitatif dans
cela, d'autant plus que la principale raison pour laquelle on s'est battu
depuis au moins 30 ans pour cette constitution, c'est précisément
pour le français que nous sommes en train de laisser aller à
vau-l'eau dans notre Québec. Je ne parle pas du Nouveau-Brunswick, je ne
parle pas de l'Alberta. Et dire que le français, qui est notre
composante essentielle et principale, devient ici un principe limitatif qu'il
faudrait exclure, etc.; à mon point de vue, ce n'est pas acceptable,
d'autant plus que, pour moi, il ne s'agit pas de la langue française, il
s'agit des institutions constitutives du Québec qui s'expriment dans la
langue française, comme des institutions constitutives du Québec
qui s'expriment dans la langue anglaise, qu'il faut également
protéger et promouvoir, mais, étant donné ce que j'accepte
volontiers comme le cacractère spécifique du Québec, que
les institutions françaises aient priorité dans la promotion et
la protection sur les institutions anglaises. C'est ma position.
Si ceci n'est pas mentionné dans le texte, nous n'avons
strictement rien, parce que, je vous le dis, "société distincte"
ne veut strictement rien dire. Je voudrais bien savoir ce que veut dire
"société distincte"; distincte par rapport à quoi? Nous
avons choisi sans doute "société distincte" parce que nous savons
que les anglophones canadiens ne peuvent pas s'accepter comme l'autre
société, comme la commission Laurendeau-Dunton l'aurait voulu.
Consé-quemment, nous avons abandonné la notion de deux
sociétés et nous parlons maintenant d'une société
distincte au Québec, Nous ne savons pas... Allez en
Ontario, au Manitoba ou en Alberta et demandez ce que c'est, il
faudrait... J'avais aussi proposé - je crois que c'est dans mon texte -
un quatrième point, c'est qu'il faudrait que ce principe soit reconnu
par le gouvernement fédéral et par les autres provinces.
Autrement, si le Québec est tout seul à vouloir se
protéger ainsi, les tribunaux ne sont pas nécessairement
obligés de suivre. Ce que je veux avoir pour le français qui est
si menacé, c'est quelque chose d'étanche, au point où cela
ne sera pas remis au bon jugement des avocats et des tribunaux.
C'est la raison pour laquelle, à mon avis, l'article (3)... Je
l'ai lu, je l'ai approfondi, j'ai demandé beaucoup de conseils de mon
côté et personne n'a pu me donner l'assurance - même M.
Beaudoin, qui était ici hier, n'a pu la donner - que ceci ne pourrait
pas faire l'objet éventuellement d'un litige devant les tribunaux dont
on ne sait par conséquent pas la nature de la décision. Il se
peut donc que ce que nous avons appelé la loi 101 - mon Dieu, j'aimerais
bien un jour qu'on l'abandonne, qu'on n'en ait plus besoin, mais, pour
l'instant, on a besoin d'une protection linguistique au Québec au plan
juridique. À ce moment-là, que nous ayons des jugements venant du
lac Meech qui viennent encore amoindrir cette protection déjà si
minime, nous, qui serions en fait les pères de cette nouvelle
constitution, nous en porterions de terribles responsabilités devant les
générations à venir. Personnellement, je ne me sens pas
capable de porter cette responsabilité.
M. Rémillard: Professeur Dion, lorsque vous nous dites
qu'il n'y a pas de certitude lorsque l'on parle de se référer aux
tribunaux, vous avez parfaitement raison. C'est-à-dire qu'on ne peut
pas, avec certitude, prévoir quelle pourrait être la
décision d'un tribunal, pas plus qu'on ne pourrait prévoir non
plus quelle pourrait être la décision politique si on la laissait
à l'autorité politique, l'autorité gouvernementale ou
législative, dans le sens que ça dépend de
différentes considérations.
Mais je crois qu'il n'est pas possible, peu importe le texte qu'on
aurait et même avec votre amendement, vous savez, d'avoir la certitude...
Nous ne pouvons pas l'avoir aujourd'hui. Ce qu'on essaie de voir, c'est si on
peut le circonscrire pour donner de bonnes balises, de bonnes chances.
D'autre part, vous nous dites, professeur Dion, distinct par rapport
à quoi? Dans le libellé de ce point 1, donc, premier
alinéa, alinéa (1), paragraphe b), on dit bien "la reconnaissance
que le Québec forme au sein du Canada une société
distincte", donc, par rapport au reste du Canada.
Quand vous me dites distinct par rapport à quoi, c'est distinct
par rapport au Canada. S'il y avait, professeur Dion, deux, trois, quatre ou
cinq provinces qui étaient reconnues comme distinctes, comme ça,
il faudrait dire, je suis certain, pourquoi l'une est distincte, pourquoi
l'autre l'est. Il pourrait y avoir des caractéristiques de distinction
différentes.
Mais, là, il y a une seule province qui est reconnue
expressément par la constitution comme distincte.
M. Dion: C'est pourquoi j'ai dit que c'était une grande
victoire. J'en suis fort heureux, mais je veux dire qu'après je me
demande ce que ça signifie. C'est la raison pour laquelle je veux que ce
soit précisé dans l'amendement que je propose. Seulement cet
amendement va nous dire et va dire aux tribunaux et peut-être à
ceux qui voudraient éventuellement faire des litiges à ce propos
ce que le constituant s voulu dire par société distincte, parce
qu'autrement nous ne l'avons pas.
M. Rémillard: Mais est-ce que ce n'est pas...
M. Dion: Je suis d'accord. C'est un grand progrès; je ne
le nie pas. Au contraire, je veux être bien certain, comme je dis,
d'avoir quelque chose d'étanche qui ne coulera pas sous la pluie.
J'aimerais peut-être vous proposer qu'au lieu de vous opposer
immédiatement à l'amendement que je propose, vous le soumettiez
à l'étude de vos conseillers et que vous étudiiez
peut-être une autre formule un peu distincte, un peu différentes
mais une formule qui serait assez étanche pour nous assurer que jamais
plus le français au Québec, en ce qui concerne la charte
fédérale ou la constitution fédérale, ne serait
soumis à des jugements alléatoires des tribunaux.
Je pense que nous devons trouver une formule qui soit tellement claire
que même les avocats les plus raffinés ne pourraient pas trouver
un vice de forme ou une petite ouverture quelconque pour faire une cause et
ainsi... Alors, c'est pour ça que, pour ma part, je tiens
énormément à ce que cette chose ne se produise pas et
c'est la raison pour laquelle je propose un tel amendement.
M. Rémillard: Oui, mais, professeur Dion, je veux vous
rassurer sur une chose. Vous avez eu l'amabilité de venir
témoigner devant nous. On est heureux de vous recevoir et, si nous vous
avons invité, c'est pour avoir votre éclairage et soyez certain
que ce que je fais actuellement avec vous, c'est d'en discuter.
Je vous dis que, d'une part, il y a, comme vous dites, la
possibilité de tenter de circonscrire cette spécificité,
comme vous le proposez.
M. Dion: De la définir. Pas cîrcons-
crire, mais la définir.
M. Rémillard: Bon, de la définir. Prenez le terme
de la définition et, là, parce que vous me dites ça,
justement, définition, la crainte est d'autant plus présente de
limiter la portée de la spécificité. Ce que j'essayais de
vous dire tout à l'heure, c'est que, s'il y avait plusieurs provinces
qui étaient reconnues comme distinctes, il faudrait bien mentionner
pourquoi le Québec est distinct.
Mais si on a reconnu, s'il y a eu unanimité... Mme Solange
Chaput-Rolland nous disait hier qu'il faut souligner le fait qu'il y a eu
unanimité et le professeur Beaudoin aussi et je pense qu'ils ont
parfaitement raison. Si les neuf autres premiers ministres provinciaux, si le
premier ministre du Canada ont convenu de reconnaître que le
Québec est une société distincte, seule province à
être reconnue comme société distincte, c'est qu'on savait
pourquoi.
On sait pourquoi c'est distinct. Est-ce qu'on doit prendre la chance de
définir cette distinction avec le danger dont je vous ai parlé
tout à l'heure...
M. Dion: Vous, vous le savez peut-être. Je sais ce que vous
savez. Mais je dis que c'est insuffisant. C'est insuffisant pour le reste du
pays, j'en suis persuadé, parce que, pour eux, ça signifie
simplement qu'il y a des Français au Québec. C'est tout ce que
ça signifie. On n'a aucune protection de nos institutions, parce que ce
n'est pas seulement la langue qu'il faut protéger. C'est aussi les
institutions qui sont les nôtres et qui sont la
société.
C'est la raison pour laquelle j'insiste énormément pour
définir ainsi la spécificité dont vous parlez par les
institutions francophones autant que par les institutions anglophones, dont je
ne voudrais pas la disparition. Ceci, nous avons le risque que la
spécificité québécoise - je crois que vous avez
perdu ce point - soit perçue d'une façon purement "ethniciste",
c'est-à-dire que la société québécoise ne
devient plus, à ce moment-là, qu'une société
française, de langue française, ce qui est absolument absurde. Ce
n'est pas vrai. Il faut que la société québécoise
soit perçue dans son ensemble, c'est-à-dire comme une
société constituée d'institutions, non pas d'individus
parlant français et anglais, nous l'avons dans le premier point, dans le
point (l)a). Cela, c'est vrai, je l'ai accepté. C'est horizontal, il y a
des Français ou des Anglais partout au pays, à peu près.
Mais le deuxième point, le point b) et (3), c'est autre chose. C'est une
société, et une société, ce n'est pas seulement des
parlant une langue, française ou anglaise, ce sont des gens qui sont
protégés par des institutions, encadrés par des
institutions qui leur permettent de conserver leur entité propre. Notre
entité propre se définit d'abord et avant tout par le fait que
nous sommes des parlant français en Amérique du Nord. Nous sommes
2 %, pas 3 %. Nous sommes 3 %, si on comprend tous les français du
Canada, mais 2 % au Québec, en Amérique du Nord. Je me dis que ce
n'est pas le Canada anglais qui m'effraie, ce ne sont pas les anglophones du
Québec qui m'effraient, c'est le fait d'avoir à vivre dans ce
continent nord-américain et de le faire en français, ce que nous
appelons de plus en plus, d'ailleurs... Nous cessons de nous appeler
Québécois - je vois cela dans notre littérature - en nous
appelant davantage des Français d'Amérique.
À ce moment-là, le défi que nous nous donnons est
autrement plus vaste, mais c'est beaucoup plus réel. Regardez ce qui se
passe dans nos médias, regardez ce qui se passe dans notre culture,
partout. Ce n'est pas le Canada anglais, ce n'est pas le Montréal
anglophone qui est la principale menace, c'est ce qui nous vient des
États-Unis, de la "cheap culture", pas de leur grande culture,
malheureusement, qu'on oublie trop souvent.
Par conséquent, je reste persuadé que
"société distincte" n'est pas suffisant pour amener cette
protection et cette promotion que vous voulez. Je sais que sincèrement
vous la voulez, je la veux sincèrement, mais nous avons une
différence de vue, en ce sens que je prétends que, si nous ne
spécifions pas qu'il s'agit là de nos institutions... Autrefois
on parlait de nos institutions, de notre langue et de nos droits, mais parlons
de nos institutions, la seule assise fondamentale, la composante d'une
société. À ce moment-là, nous protégeons
tout. Je ne vois pas ce qui est éludé, je ne vois pas ce qui
part, je ne vois pas une liste qui n'est pas exclusive, etc., il n'y a pas de
liste là. Simplement une précision apportée aux mots
"société distincte", à mon avis.
Le Président (M. Marcil): Merci, M. le professeur. Nous
allons vous remettre votre amendement tel que tapé, tel que lu,
également, sur votre texte. S'il y avait des erreurs de transcription,
nous aimerions que vous les indiquiez.
M. Dion: Cela a été écrit à 5 heures,
ce matin, peut-être que...
M. Rémillard: J'ai terminé? Est-ce que j'ai deux
minutes?
Le Président (M. Marcil): II vous reste environ 30
secondes.
M. Rémillard: Alors, professeur Dion, on me dit qu'il me
reste 30 secondes pour vous remercier très sincèrement de votre
témoignage. Je retiens que vous considérez
qu'il y a là un pas important, des progrès significatifs
qui ont été faits et qu'il faudrait maintenant, comme vous dites,
préciser. Ce que je peux vous dire, c'est que plus nous
précisons, plus nous avons le danger de restreindre, et il ne faudrait
pas faire d'erreur historique. Vous avez parfaitement raison. Nous poursuivons
le même but, faire en sorte que nous puissions établir, avec le
maximum de protection, le rôle du gouvernement du Québec et de
l'Assemblée nationale quant à la protection et à la
promotion de la société québécoise.
Dans ce contexte, je peux vous assurer que votre témoignage a
été entendu avec beaucoup d'intérêt et je vous en
remercie.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. le ministre.
Je vais maintenant reconnaître M. le chef de l'Opposition,
député d'Anjou.
M. Johnson (Anjou); Je vous remercie, M. le Président. Une
première remarque au sujet des propos du ministre qui parlait de
l'incertitude qu'il reconnaît. J'ai même cru comprendre que le
ministre reconnaissait aussi qu'il avait refusé une proposition du
gouvernement fédéral d'inclure le mot "linguistique" ou la notion
linguistique autour de la spécificité. J'ai hâte de voir la
transcription du Journal des débats; j'avais cru comprendre cela.
(11 h 30)
Professeur Dion, vous savez l'estime que nous avons pour vos
contributions, comme vous le dites, à un fédéralisme
fatigué, à ces débats qui n'en finissent plus. Vous avez
dit au début de votre exposé qu'il ne fallait pas que le
Québec soit le dindon de la farce. J'ai compris que vous
suggériez sept ou huit amendements au chapitre de l'immigration, du
pouvoir de dépenser, de la Cour suprême, mais je ne pense que
c'est à cela que vous faites allusion fondamentalement. Vous
suggérez que ce texte soit amélioré, en tout cas
quantitativement de façon importante sinon qualitativement, à ces
chapitres. L'essentiel de votre argumentation sur le danger... Peut-être
que le monstre aurait été une dinde au lac Meech; c'est ce que
j'ai compris un peu de vos propos. La nécessité de faire face au
danger que comporte le lac Meech, pour vous, tourne essentiellement autour de
la question de la définition, comme vous l'avez dit, de la
société distincte et non pas d'un effort de circonscription de la
société distincte.
Le ministre répond, lui, de son côté que cela aurait
un caractère limitatif que d'inclure... D'inclure quoi, dans le fond?
Parlons simple. C'est compliqué de faire du droit quand on n'a pas les
textes juridiques, hein? D'abord, professeur, permettez-moi de vous dire
combien j'admire votre courage d'accepter d'amender des communiqués de
presse mais je sais que c'est la position dans laquelle vous avez
été mis ainsi que tous les autres au Québec. On n'a pas
les textes juridiques. C'est évidemment extrêmement difficile...
Donc, vous apportez un amendement que je dirais au principe. Vous voulez qu'il
y ait un ajout substantiel, fondamental autour de la question de la
sécurité linguistique du Québec. Le problème, c'est
que chaque fois qu'on pose la question au gouvernement, on est aux prises avec
la réponse suivante: Oui, mais cela n'est pas tout à fait cela
dans les textes. On ne les a pas, les textes. Le danger, c'est qu'on les ait la
veille de la signature et que, le lendemain de la signature, il va commencer
à être tard, merci.
Vous suggérez d'abord d'inclure la notion de
responsabilité plutôt que de rôle. Deuxièmement, de
toute évidence, vous ne voulez pas que cela ait un caractère
restrictif que d'introduire la notion du français comme façon de
définir la spécificité parce que, dites-vous, cela inclut
nécessairement... En d'autres termes, vous dites que la
spécificité du Québec n'existe pas si on ne se
réfère pas à la lanque. Le jour où il n'y a plus de
langue, qu'est-ce qui reste? Cela ne veut pas dire que ce n'est que cela. En ce
sens, je comprends que vous trouviez que le texte que nous avons devant nous,
encore une fois, qui n'est pas un texte juridique, malheureusement, est
nettement insuffisant. Ma question sera assez claire, brutale, professeur Dion.
Croyez-vous que, si on ne définit pas la spécificité,
notamment en se référant à la question linguistique, on
risque d'être les dindons de la farce?
M. Dion: Oui.
M. Johnson (Anjou): Merci. Je sais par ailleurs que vous avez
rédigé la préface d'un livre qui maintenant est en train
de sortir de quelques bibliothèques et qui s'appelle Le
fédéralisme canadien de l'auteur Gil Rémillard, 1985.
Dans le tome II du livre de M. Rémillard, Le rapatriement de la
constitution, que vous préfaciez, vous écriviez à la
page 22: "J'approuve une charte des droits de la personne et des droits
démocratiques à la condition qu'ils soient clairement
définis et délimités. Mais, dans un pays dont les
conditions linguistiques sont aussi diversifiées que c'est le cas au
Canada, il aurait été bien préférable de n'y pas
inclure les droits linguistiques et, plutôt que de s'en remettre aux
clauses d'une charte fédérale et aux tribunaux pour la protection
des droits des minorités linguistiques dans chacune des provinces, de
mettre l'accent sur l'éducation des populations et d'accroître les
pressions sur les législateurs." Est-ce que je dois conclure de ces
propos, professeur -je voudrais que vous me corrigiez si je vais trop loin dans
l'interprétation de vos propos
- que vous considérez, finalement, que pour l'essentiel en
matière linguistique, au-delà des questions de conjoncture
où le Québec est dans une position difficile pour
négocier, et on laissera à tous et chacun le besoin de faire le
procès de ces conditions de difficulté pour négocier... Ce
que vous dites, pour l'essentiel, dans la préface du livre de M.
Rémillard et ce que vous évoquez aujourd'hui par ce projet
d'amendement, dans le fond, c'est que l'Assemblée nationale devrait
disposer des questions linguistiques par opposition à un texte
constitutionnel où une marge extrêmement large serait
donnée à l'appréciation de la Cour suprême du
Canada. Voilà.
M. Dion: II faut préciser, M. le chef de l'Opposition, au
tout début, que ma position a toujours été que le
Québec seul devrait être responsable de la langue française
sur son territoire. Je dirais même de la langue, de la question
linguistique incluant, bien sûr, la langue anglaise. Là-dessus, la
commission Pepin-Robarts avait adopté mon point de vue. La commission
Pepin-Robarts remet tout l'aménagement de la loi 101 au Québec.
Je pourrais vous lire ici des passages de la commission Pepin-Robarts, aux
pages 55 et 56 et plus loin: Après mûre réflexion, nous en
sommes venus à la conclusion que la seconde conclusion,
c'est-à-dire celle qui serait d'écarter les garanties
constitutionnelles de 133 - à cette époque, parce qu'il n'y avait
pas 23 - et d'inviter les provinces à assurer par législation la
protection de leurs propres minorités en tenant compte de leur situation
respective et avec l'espoir qu'il se développe entre les provinces un
consensus sur un dénominateur commun qui serait éventuellement
inscrit dans la constitution du pays... J'aurais été d'accord
avec cela. Si toutes les provinces éventuellement étaient
d'accord pour inscrire dans la constitution fédérale, mais
librement, des clauses concernant la langue, et s'y attacher, c'est une tout
autre chose, mais ceci, on nous l'a imposé et, là, c'est tout
à fait différent.
Personnellement, je l'ai dit au tout début, j'accepte maintenant
de travailler dans le cadre de 23 et de 133 en raison du fait que cela nous est
imposé. C'est la loi actuelle du pays et je vous l'ai dit l'an dernier
d'ailleurs, je vous l'ai écrit, je l'ai écrit aussi dans Le
Devoir, je travaille dans ce cadre-là étant donné que
je suis fédéraliste. Mais je voudrais faire en sorte
d'éviter que ce 23... il peut être encore modifié, par
l'article 59, vous savez, par le gouvernement seul ou par son Assemblée,
de telle façon qu'il ne resterait plus rien de la loi 101 en
définitive, à ce moment-là. Mais, de toute façon,
on n'en est pas là. Alors, cet article 23 qui est reconnu par (1)a) en
définitive doit être complètement mis de côté
en ce qui concerne l'interprétation de b) et (3), c'est-à-dire de
la société distincte. Lorsque je parle ici de la
société distincte, je veux bien dire que l'essentiel de cela,
c'est le français, mais le français dans ses institutions, etc.,
incluent, bien sûr, la promotion et la protection des institutions
anglophones soumises à cette priorité principale et essentielle
concernant la langue française. Et c'est ma position. A ce
moment-là, je ne vois pas qui peut dire; Voilà, ce n'est pas
clair. Cela me paraît clair. Nous devons, par contre, reconnaître
tous les autres textes de 23. Nous sommes encore soumis à 135; nous n'y
pouvons rien. Comme je le dis, je suis réaliste, j'ai accepté
cela. J'aurais pu peut-être devenir indépendantiste, etc., mais,
à mon âge, je me suis dit que, très probablement, je ne
verrais pas le jour d'un prochain référendum, etc., et je ne suis
même pas sûr que, dans un prochain référendum,
j'aurais voté oui ou je ne sais pas quoi. Mais ce que je veux dire,
c'est que je l'accepte maintenant comme un pis-aller et je ne voudrais pas que
ce soit empiré par les accords. Je dis qu'ils sont bien
intentionnés. Il n'y a absolument personne qui est mal
intentionné, mais il faut se protéger le plus possible.
Je vais vous donner un test. Allons proposer cet amendement-là
aux provinces anglophones et nous aurons leur réaction. J'ai
l'impression que, proposé aux provinces anglophones, il y aura beaucoup
de difficulté pour elles d'accepter cet amendement-là. C'est
peut-être la raison pour laquelle on préfère laisser
"spécificité". C'est d'ailleurs ce que j'ai dit. On dit
"société distincte" pour ne rien dire. Les autres
perçoivent ce qu'ils veulent bien par là. S'ils devaient
percevoir ce que nous, Québécois... Parce que personne ne peut
dire que ce que j'écris là... Au fond, mettez d'autres mots si
vous voulez, mais c'est ce que les Québécois dans leur grande
majorité, je dirais même les anglophones d'aujourd'hui,
perçoivent de la société québécoise.
À ce moment-là, nous devons le dire. Et si, malheureusement,
ça ne pouvait obtenir l'accord des autres, je crois qu'il vaut mieux
éviter justement ce que j'ai appelé nous retrouver les dindons de
la farce et assumer devant l'avenir une responsabilité que,
personnellement, je ne veux pas assumer.
M. Johnson (Anjou): Merci, professeur Dion.
Le Président (M. Marcil): M. le député de
Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: Merci, M. le Président. M. Dion, je pense que
vous avez, avec raison, insisté sur la détérioration
effarante, comme vous le dites, du français au Québec. C'est pour
cette raison que vous réclamez, comme
vous le dites également, quelque chose d'étanche dans la
définition de la société distincte ou du caractère
distinct du Québec et, de là, la proposition d'amendement
substantielle que vous faites.
Vous dites également cependant que vous n'acceptez pas tellement
de bon gré les articles 133 et 23, que vous auriez
préféré -vous l'avez déjà écrit
antérieurement - que le Québec ne soit pas soumis à
l'article 23 mais vous acceptez ce fait accompli.
Cependant, vous savez qu'il y a également d'autres...
M. Dion: ...contre mon gré, je dois dire.
M. Brassard: Oui.
M. Dion: J'ai lutté fermement pour qu'il n'en soit pas
ainsi.
M. Brassard: Oui, je sais. C'est ce que j'ai...
M. Dion: Mais il est là.
M. Brassard: ...indiqué, c'est contre votre gré
mais il est là. Il y a également d'autres dispositions de la
Charte canadienne des droits et libertés qui peuvent avoir des effets
négatifs sur la place du français au Québec. Je pense en
particulier à cet article sur la liberté d'expression. Vous savez
que toute la question de l'affichage est discutée actuellement devant
les tribunaux. Des décisions ont été rendues à ce
sujet-là par la Cour d'appel du Québec en particulier et c'est
maintenant devant la Cour suprême.
Comme l'amendement que vous proposez et ce qui concerne la
société distincte dans le texte de l'accord du lac Meech vont
jouer le rôle de ce qu'on appelle une règle
d'interprétation, j'aimerais savoir ceci de votre part, par exemple sur
la question de l'affichage. Si l'amendement ou la proposition que vous faites
était, faisons l'hypothèse, intégrée à la
constitution, dans votre esprit et selon le sens de la signification de votre
proposition, est-ce que vous pensez qu'à cause de cette règle
d'interprétation qui serait intégrée à la
constitution les décisions rendues par les tribunaux - il y en a
déjà une qui est rendue par la Cour d'appel et la Cour
suprême se prononcera sans doute là-dessus aussi - sur la question
de l'affichage auraient dû être ou devraient être
différentes? (11 h 45)
M. Dion: Vous avez l'article 6 concernant la mobilité et
d'autres aussi. En ce qui concerne l'affichage, si nous étions à
Madrid, à Paris, je n'aurais aucune objection. Le problème ne se
pose pas. On affiche en japonais, en grec, en anglais, en n'importe quoi. Paris
a son visage français. Le problème se pose à
Montréal parce que Montréal n'a pas de visage précis.
Montréal est une ville bilingue dans sa formation historique. Le
Québec tout entier présente un visage français,
Chicoutimi, etc. Montréal présente un visage bilingue. C'est ce
qui rend, au plan sociologique, à mon avis, encore plus
nécessaire l'obligation d'un affichage en français pour tenter
d'obvier à cette condition, qui est en train de s'accroître, me
dit-on, à Montréal, de présenter un visage disons bilingue
mais de prépondérance anglaise.
Je me suis même fait dire que maintenant nous sommes mieux
reçus dans les établissements publics à Ottawa en
français qu'à Montréal où souvent on se fait dires
"Sir, I do not speak French". Ceux-là, ce n'est pas la grande
majorité des anglophones montréalais que nous connaissons
maintenant et qui s'acceptent, comme dit Caldwell et bien d'autres, comme
minorité. M. Scowen qui est ici va m'approuver à ce propos. Comme
minorité, ils peuvent être très bien au Québec et
conserver leur entité, leur identité et tout ce qu'ils veulent,
mais, néanmoins, ils doivent reconnaître que la majorité,
qui est si vulnérable dans un contexte comme celui de Montréal
particulièrement, non seulement a le droit de se protéger et de
protéger le français, mais a également le devoir de le
faire.
Ceci est ma position. Je ne dis pas que mon amendement empêcherait
un jugement à la Cour suprême de permettre l'affichage bilingue,
mais il obligerait, en tout cas je sais cela, à ce que cet affichage
bilingue oblige l'anglais à être secondaire. Je suis sûr de
cela. Mais que, s'il permet l'affichage unilingue, je ne le pourrais pas...
C'est le grand problème majeur actuellement.
Quant à moi, ma position personnelle est très claire. Je
crois que la condition et la situation où se trouve Montréal
oblige cette ville le plus possible à s'engager dans une direction
unilingue française en dépit du fait que beaucoup
d'Américains circulent, s'y trouvent mal, etc. Parce que, si
Montréal est laissée au soi-disant bilinguisme, ceci veut dire en
moins de dix ans une sorte d'unilinguisme anglais.
Savez-vous, mesdames, messieurs, que trop de nos compatriotes
francophones s'adressent en anglais à Montréal dans les magasins?
Savez-vous qu'un Québécois anglophone qui vient à
Québec pour apprendre le français est quasiment incapable
d'apprendre le français parce que tous les gens veulent lui parler
anglais? Savez-vous que les Français eux-mêmes, les elges, etc.,
qui ont un accent différent du nôtre, se font souvent
répondre ici même à Québec en anglais par ceux qui
les servent?
Je pourrais mentionner des cas. Je les connais même très
bien. C'est une situation terrible dans laquelle nous sommes. Nous
sommes tellement assimilés à l'anglais, tellement
l'anglais est fort, c'est le continent qui est anglais, que, nous-mêmes,
nous avons en quelque sorte une résonance qui est presque naturelle
à l'anglais même si nous le parlons très mal, même si
nous le parlons très peu. Mais il n'en reste pas moins que c'est une
situation qui existe. À mon avis, seules des positions radicales qui
paraissent, comme M. le juge Deschênes a dit, presque du camp de
concentration - je n'ai pas beaucoup aimé cette expression, remarquez -
mais qui paraissent très dures... Elles doivent, malheureusement,
être comprises, acceptées en raison de cette
nécessité où nous sommes de rester français. Ou,
disons-le carrément, cessons de nous battre. Il y a deux cents ans que
nous le faisons. Cessons de nous battre et laissons-nous aller. Et je vous dis
que, dans deux générations, le problème sera
réglé. Il sera réglé d'une autre façon que
celle que je sais que M. Rémillard et le gouvernement et
nous-mêmes tous ici souhaitons.
M. Brassard: Mais, M. Dion, si, comme vous venez de le dire,
même avec votre amendement, s'il est intégré à la
constitution, vous n'êtes pas certain, vous ne pouvez pas nous assurer et
nous garantir que des jugements sur la langue d'affichage ne seraient pas
différents de ceux qui ont été rendus par la Cour d'appel,
si vous nous affirmez cela, imaginez-vous quelle garantie on peut avoir en
cette matière si, dans la constitution, c'est le texte de l'accord du
lac Meech qu'on va retrouver.
M. Dion: Pour que j'aie la garantie absolue, c'est très
clair, il faudrait qu'ils parlent d'unilinguisme français. Â ce
moment, il n'y aurait plus de problème. Il n'y aurait pas d'affichage
unilingue anglais à Montréal. Mais parce que je dis: La
protection et la promotion des institutions anglophones seront soumises
à cette priorité française, cela ne veut pas dire qu'elles
sont disparues. C'est la raison pour laquelle je pense qu'un tribunal pourrait
très bien dire: Oui, accordons un certain affichage bilingue, mais qu'il
soit, à ce moment-là, soumis à cette priorité
accordée au français, donc, mis en bas, mis en plus petit, etc.
Seulement peut-être dans certains quartiers, etc. Alors, quant à
moi, je tiens beaucoup à ce que nous conservions la deuxième
partie de mon amendement. Je ne suis pas un unilinguiste français et je
ne défendrai jamais cette cause. Là-dessus, avec M. René
Lévesque, à plusieurs reprises, j'ai eu à combattre, avec
M. René Lévesque, devant des publics qui étaient hostiles
à l'anglais au point où ils voulaient détruire McGill,
etc. Je sais que M. Lévesque a toujours dit: Le Québec ne fera
jamais cela, acceptera l'anglais, les droits, car ce sont les droits actuels,
historiques qu'il possède. Je crois que c'est aussi la position de M.
Johnson.
Conséquernment à ce sujet, je ne peux pas vous
répondre autre chose que, soumis à cette priorité
principale, il se peut qu'un tribunal décide qu'il y a une certaine
justice à permettre un certain affichage bilingue, mais qu'il soit
soumis à la priorité du français. Ceci, évidemment,
sera à déterminer en pratique. Mais jamais vous ne pourrez me
faire dire que je prône un unilinguisme français.
M. Brassard: Une remarque à ce sujet. L'autre façon
d'avoir des garanties plus certaines, c'est évidemment de faire en sorte
que ce soit l'Assemblée nationale qui soit seule compétente en
matière linguistique.
M. Dion: Nous n'y pouvons rien. Nous avons l'article 23 que
j'accepte. Vous pouvez très bien décider cela, mais faites un
référendum. Vous êtes obligés de vous y soumettre
actuellement à l'article 23. Je suis obligé de m'y soumettre. Je
ne l'aime pas. Je l'accepte. Tout le monde peut toujours dire: On ne le fera
pas, etc. Mais les tribunaux vont juqer autrement et vont faire en sorte que
nous serons obligés demain de procéder comme les juges
décideront que l'article 23 ou l'article 59 ou n'importe quel des
articles, ici, l'impose. Nous l'avons maintenant et il faut dire que l'accord
du lac Meech reconnaît la constitution de 1982. Les changements
proposés ici, les améliorations pour la plupart proposées
ici sont jugées suffisantes par le gouvernement, du moins par M. le
ministre actuellement, pour permettre de signer ceci. C'est ce qu'il faut
comprendre.
Vous êtes actuellement soumis à l'article 23. C'est de
rêver... Nous pouvons toujours aller dans l'imaginaire d'une
société où il n'y a pas d'article 23. Mais, en
réalité, il y a un article 23.
M. Brassard: M. Dion, je pense que c'est au réseau TVA
qu'on vous a demandé: Et si votre amendement - il était
d'ailleurs moins articulé que celui que vous venez de déposer -
n'était pas retenu, ou un amendement semblable, aux dispositions sur la
société distincte? Vous avez déclaré: "S'il n'est
pas acceptable, je dirais qu'il vaut mieux ne pas siqner l'accord".
Ëtes-vous toujours de cette opinion?
M. Dion: Oui. Je dis dans mon texte, je suis un peu plus prudent,
que je réserve mon opinion. Je préfère attendre le texte.
On n'a pas dit, ce matin, qu'on ne ferait pas état de cet amendement. Je
crois qu'il y a eu en fait une discussion très chaleureuse, etc.
J'attends. Si la proposition d'accord du Québec, lorsqu'elle sera
devenue officielle, ne m'agrée pas, je dirai non. Mais,
aujourd'hui, je réserve mon opinion et j'attends. Nous n'avons
pas encore le texte final. Nous oeuvrons actuellement pour essayer de
l'améliorer, de le modifier. C'est ma contribution ce matin, je la veux
de cette façon. Si, du côté de l'équipe qui
rédige actuellement le texte final, on tient compte des opinions que
j'ai émises et de la résolution que j'ai proposée,
à ce moment-là, j'accepterai l'accord du lac Meech et même
je l'accepterai dans le corps de la constitution de 1982 parce que nous y
sommes. Je considérerai que c'est une amélioration
considérable à certains des points qui sont contenus dans cette
constitution de 1982.
Le Président (M. Marcil): Merci. M. le chef de
l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Alors, M. Dion, j'ai l'impression de le faire
un peu au nom du ministre aussi, il n'a plus le droit de conclure... En son nom
et au nom des membres des deux côtés, je vous remercie de la
clarté autour de la question de la société distincte que
vous réclamez et de la franchise habituelle de vos propos. Merci,
professeur Dion.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, professeur Dion.
Nous allons suspendre nos travaux pour trois minutes.
(Suspension de la séance à 11 h 57)
(Reprise à 12 h 8)
Le Président (M. Marcil): Nous allons continuer les
travaux. Je demanderais aux parlementaires de s'approcher. Nous allons demander
à nos deux invités de bien vouloir s'approcher. S'il vous
plaît, je demanderais aux parlementaires de prendre siège. Nous
avons comme invités experts, M. Jacques-Yvan Morin et M. Daniel Turp,
professeurs en droit international à l'Université de
Montréal.
M. Rochefort: M. le Président.
Le Président (M. Marcil): Oui, M. le député
de Gouin.
M. Rochefort: Je suis effectivement bien d'accord avec vous pour
qu'on commence nos travaux, mais je crois qu'il faudrait quand même
attendre peut-être encore trente ou quarante secondes pour avoir
l'attention de tous les membres de la commission pour la présentation de
nos témoins.
Le Président (M. Marcil): Nous avons comme invités
spéciaux M. Jacques-Yvan
Morîn et M. Daniel Turp, professeurs en droit international de
l'Université de Montréal. Messieurs, vous connaissez les
règles de cette séance. Vous avez vinqt minutes pour faire votre
exposé et, ensuite, on procédera à la période de
questions de part et d'autre.
MM. Jacques-Yvan Morin et Daniel Turp
M. Morin (Jacques-Yvan): M. le Président, mesdames et
messieurs les députés, ce n'est pas la première fois que
le Québec est aux prises avec les questions constitutionnelles et avec
le mode d'amendement. J'ai l'impression, ce matin, d'avoir déjà
vécu ces événements dans une vie antérieure.
Quand un peuple est minoritaire au sein d'une société plus
nombreuse, ces exercices deviennent un sport national. Mais c'est un sport
dangereux, comme l'ont démontré, en 1965, la formule
Fulton-Favreau et un peu plus récemment, en 1971, la charte de Victoria,
la charte avortée de Victoria, alors que le Québec a su discerner
au dernier moment Ies pièges extrêmement subtils et admirablement
bien camouflés qui lui étaient tendus. Dieu merci, il a, à
l'époque, trouvé le courage de dire non!
Ce dont il s'agit toujours dans ces moments cruciaux, c'est de
l'identité québécoise, bien sûr, mais c'est
également des pouvoirs dont le Québec a besoin pour
protéger et développer cette identité distincte de celle
du reste du continent.
La question fondamentale est et a toujours été dans le
passé celle des pouvoirs ou, si l'on veut, des compétences
législatives, parce que celles-ci donnent corps et vigueur à un
peuple, qu'elles mesurent sa liberté d'action, qu'elles lui permettent
d'exprimer ses valeurs propres, bref, parce qu'elles constituent son autonomie.
Tout le reste, y compris les institutions fédérales, puisque nous
sommes dans une fédération, est accessoire par rapport aux
pouvoirs. Ce n'est pas sans importance, bien sûr, mais c'est
accessoire.
C'est la raison pour laquelle Jean Lesage, avec l'aide de Daniel
Johnson, a dit non à la formule Fulton-Favreau en 1965. Cette formule,
on s'en souvient, soumettait l'évolution et l'accroissement des pouvoirs
du Québec, le développement des compétences du
Québec au consentement unanime des provinces, de sorte que
l'Île-du-Prince-Édouard se trouvait, comme toutes les autres,
d'ailleurs, à être dotée d'un droit de veto sur l'avenir
constitutionnel du Québec, et notamment sur la question des pouvoirs.
Aussi, après quelques mois de réflexion, M. Lesaqe finit-il par
dire non. Mais la tentative fédérale avait été fort
habile et il avait failli s'y laisser prendre.
La même raison sous-tend le refus du
gouvernement Bourassa de ratifier la charte de Victoria en juin 1971.
Cette fois, le mode d'amendement que proposait M. Trudeau comportait - on l'a
rappelé hier ou avant-hier - un droit de veto par région, le
Québec étant l'une des régions reconnues dans la formule.
Le premier ministre du Québec, à l'époque, eut la prudence
de soumettre le procédé à un test et de subordonner son
consentement à une condition, mais c'était une condition
très révélatrice parce qu'elle touchait aux pouvoirs. Il
exigea le transfert des politiques sociales d'Ottawa à Québec.
Pour une société distincte, par rapport è
l'identité d'un peuple, c'est évidemment une chose très
importante, après la langue, le droit civil et les communications. Cette
question de la politique sociale était vraiment un test parfait.
Évidemment, il ne l'a pas obtenu et il a fini, lui aussi, par dire non
aux propositions fédérales. Mais je dois dire, j'en ai encore le
souvenir tout vivant, que l'alerte avait été très chaude.
La tentative fédérale était d'une habileté
consommée et le Québec n'a évité le traquenard que
de justesse.
Mais ce qui me frappe, c'est qu'une fois encore, après la formule
Fulton-Favreau de 1965, ce qui a fait échouer la charte de Victoria,
c'est la question des pouvoirs. Depuis lors, vous le savez, il y a eu de
nombreuses tentatives de régler les questions du mode d'amendement et du
rapatriement. En définitive, après le référendum de
1980, le gouvernement Trudeau a décidé d'agir
unilatéralement et de passer par-dessus les objections du Québec
et ce fut le coup de force, assez voisin du coup d'état, du 5 novembre
1981 et le refus tout net du gouvernement du Québec de se rallier
à cet accord constitutionnel. Cette fois, le piège n'était
pas subtil et il se referma même brutalement sur le Québec.
Toute la stratégie fédérale depuis le réveil
du Québec il y a un quart de siècle, depuis ce qu'on appelle la
"Révolution tranquille" - pour nous faire plaisir parce qu'en fait,
c'était plutôt, une période d'évolution
agitée - a consisté à refuser de discuter la question des
pouvoirs du Québec, bien sûr, ou de ceux des provinces et à
garder le débat constitutionnel sur le terrain choisi par Ottawa. Une
stratégie absolument impeccable, digne de tous les Kirby qu'on trouve
à Ottawa: charte des droits individuels, rapatriement, et maintenant,
les institutions fédérales, le Sénat, la Cour
suprême, que sais-je encore?
Le Québec ayant refusé de se rallier au Canada Bill, la
solution des stratèges fédéraux, devant les conditions
désormais réduites que le gouvernement actuel a mises à
son adhésion, consiste à lui donner, à nous donner
quelques satisfactions d'amour-propre, des satisfactions verbales qui offrent
une double caractéristique. La première, c'est qu'elles
n'entament en rien les pouvoirs réels, ni les objectifs nationaux, qui
sont même rappelés dans la formule, du Parlement
fédéral. La deuxième caractéristique est qu'elle
n'accorde aucun nouveau pouvoir réel au Québec et ne modifie pas
d'un iota la répartition des compétences. Même l'entente
Couture-Cullen, qui sera en quelque sorte constitutionnalisée, repose,
on le sait, non pas sur une compétence exclusive, mais sur une
compétence concurrente fédérale-provinciale. On a
même prévu qu'Ottawa pourra se faire transférer les
compétences exclusives par les provinces, celles qui se dissocient
pouvant alors toucher une compensation raisonnable.
On laisse entendre qu'on pourra toujours discuter des pouvoirs, mais
après, quand le Québec aura signé, c'est-à-dire
qu'on causera de ce qui intéresse vraiment le Québec depuis 25
ans, si ce n'est 30 ans, puisque la Révolution tranquille remonte
peut-être davantage au rapport Tremblay en réalité
qu'à l'élection de 1960... Donc, ce qui intéresse vraiment
le Québec, ce n'est évidemment pas la réforme du
Sénat; ce sont toujours les pouvoirs. On aurait pu s'attendre, et je
m'attendais franchement à ce que le gouvernement actuel fasse
déjà inscrire à l'ordre du jour un certain nombre de
choses pour le moins essentielles: la langue, les communications,
l'environnement, les droits miniers sous-marins sur le plan économique,
que sais-je encore? Mais non. Terre-Neuve seule a insisté pour qu'on
parle des pêcheries, sans doute comme prix de son adhésion au
projet d'accord. La question des pouvoirs a donc été une fois de
plus passée sous le tapis, évacuée du débat.
Et l'on s'imagine, M. le Président, que le Québec, une
fois qu'il sera rentré au bercail, solidement ficelé,
emmailloté, "enfirouâpé", on s'imagine qu'il aura encore un
pouvoir de négociation suffisant pour faire bouger le gouvernement
fédéral. D'ailleurs, pour le cas où on aurait pu
s'inquiéter d'une pareille éventualité au niveau
fédéral, le premier ministre, M. Mulroney, et le sénateur
Murray ont pris soin de rassurer le Canada anglais sur ce point qui, au fond,
est le seul qui inquiète vraiment Toronto et Ottawa. Le Québec
n'a obtenu au lac Meech, nous ont-ils dit, "aucun pouvoir qu'il n'ait
déjà", pour le cas où quelqu'un s'imaginerait que la
formule aurait pu comporter quelque avantage sur ce plan-là pour le
Québec. Et le Procureur général de l'Ontario de
renchérir. Il dit: L'accord constitutionnel "renforcera le pouvoir du
gouvernement fédéral d'établir de nouveaux programmes
sociaux", c'est-à-dire de continuer à légiférer
dans les domaines qui sont de compétence exclusive des provinces, mais
en s'appuyant désormais sur un texte constitutionnel, ce qu'il n'avait
pu faire dans le passé, ce qui, par moments, était un peu
gênant. Mais,
désormais, ce ne sera plus gênant; il pourra y aller tout
de go.
Après ta massue de 1981, le gant de velours en 1987. Nous sommes
de retour au piège subtil, après le piège à
éléphants; des choses beaucoup plus subtiles, comme en 1965 et en
1971. Une fois de plus, les stratèges fédéraux ont bien
fait leur travail, parce qu'il faut reconnaître qu'ils font bien leur
travail et que nous devons tirer des leçons de la façon dont ils
organisent leur stratégie et dont ils servent leur gouvernement.
Le projet constitutionnel n'est pas moins dangereux cette fois-ci pour,
le Québec que la formule Fulton-Favreau, la charte de Victoria ou le
Canada Bill dont, à vrai dire, il ne constitue qu'une sorte d'appendice.
On peut même constater que la stratégie fédérale
s'est raffinée et que le charabia enfariné de la formule Meech
dissimule ses pièges avec une habileté consommée.
On a déjà montré ici même et à
l'Assemblée que le projet d'entente sur le pouvoir fédéral
de dépenser cache la reconnaissance de ce pouvoir et même
constitutionnalise les "objectifs nationaux" du Parlement
fédéral. Le premier ministre du Québec qui, semble-t-il,
n'y avait vu que du feu au départ, nous a appris avant-hier qu'il
travaillait maintenant à une technique juridique qui aurait pour effet
de ne pas donner une assise constitutionnelle au pouvoir de dépenser.
Fort bienl C'est un pas dans la bonne direction et je m'en réjouis, mais
il y a bien d'autres pièges dans cette formule Meech, tout aussi
machiavéliens et qui sont sortis du lac Meech.
Je ne m'attarderai ce matin, M. le Président, puisque c'est avec
plaisir que je partage mon intervention avec mon collègue, Daniel Turp,
que sur le "caractère distinct" du Québec, dont vient de nous
entretenir avec beaucoup d'éloquence et de persuasion mon
collègue, le professeur Dion. Ce caractère distinct du
Québec fait l'objet de trois dispositions, comme on le sait, dans te
projet d'accord. Je serais presque tenté, moi aussi, mais la
décision du président n'a pas été rendue, de me
servir du carton du ministre; mon exposé serait évidemment plus
clair. On verrait les entourloupettes un peu plus clairement. Je vais cependant
m'en passer parce qu'il faudrait perdre du temps à s'installer tout
ça.
Je vais donc tenter de décrire, d'analyser les paragraphes a) et
b) pour montrer ce qu'ils peuvent bien receler comme pièges. D'abord,
avez-vous remarqué que les paragraphes a) et b) - je parle du
caractère distinct du Québec, du premier alinéa,
sous-paragraphe a et sous-paragraphe b; si vous les avez devant vous, vous
pourrez me suivre plus facilement - ne sont pas sur le même pied?
Évidemment, cela ne se voit pas à l'oeil nu car cela a
été bien fait; c'est du travail fignolé.
Premièrement, la dualité angto-francophone est
qualifiée de "caractéristique fondamentale" tandis qu'au
oaraqraphe b), la société distincte, elle, ne t'est pas. Ceta
aurait pu attirer l'attention d'un certain nombre de négociateurs ou de
conseillers. Il semble que non. Pourtant, on ne peut pas faire autrement que
d'observer cette différence. Elle saute aux yeux.
De surcroît, le Parlement et les Législatures provinciales
ont l'obliqation elles prennent l'engagement, il s'agit donc d'une obligation
et pas seulement de comportement, mais presque de résultat - de
protéger la dualité tandis que - regardez bien les textes - la
protection du caractère distinct du Québec doit se contenter,
elle, d'être l'objet d'un rôle de l'Assemblée et du
gouvernement. Chacun sait qu'un rôle, par définition, est
facultatif.
Vous voyez: d'abord, un principe fondamental qui fait l'objet d'une
obligation, le paragraphe a). Ensuite, au paragraphe b), un principe non
fondamental qui, lui, peut faire l'objet d'un rôle facultatif.
La question qu'il faut se poser, c'est: Lequel de ces deux
critères d'interprétation, dualité du paragraphe a) ou
société distincte au paragraphe b), l'emportera en cas de conflit
entre les droits de l'anglais et ceux de la langue majoritaire? Voitè la
question.
Je vais prendre des exemples pour vous montrer qu'effectivement il peut
y avoir des conflits entre le paragraphe a) et le paragraphe b). Entre "une
caractéristique fondamentale", ces mots ne sont pas là par
hasard, et d'autre part, une caractéristique qui demeure facultative, on
peut deviner que les tribunaux auront vite fait leur choix. En d'autres termes,
ce texte est piégé. Fort habilement, je ne le nie pas, mais il
est piéqé. Il ne comporte pas les mêmes droits dans les
paragraphes a et b ni tes mêmes protections, ni les mêmes
garanties.
Allons plus loin. Continuons à gratter un peu ce texte qui est
crucial puisqu'il s'agit des critères d'interprétation de la
constitution. Comparons maintenant les garanties qui sont données dans
ce texte aux anglophones du Québec et celles accordées aux
francophones hors Québec. Les premiers sont - je prends le vocabulaire
qui nous est donné dans la formule - "présents au Québec".
Avez-vous remarqué cette affirmation? "sont présents au
Québec", tandis que les seconds doivent se contenter de n'être
"pas limités" au Québec. Ils ne sont pas "présents"
ailleurs, ils sont simplement "pas limités" au Québec.
Pourquoi ce double langage? Les francophones du Canada seraient-ils
simplement "absents" du Québec et les anglophones, eux, présents
au Québec? En tout cas, c'est une lecture tout à fait
légitime de ce que je viens de lire. À ceux qui diront que
cette
différence de vocabulaire est sans importance et que le sens est
le même, aussi bien pour les francophones hors Québec que pour les
anglophones du Québec, je dis: Hé bien! alors, puisque c'est le
même sens, inversons donc la proposition pour voir ce que cela donnerait
et demandons aux gens d'Alliance Québec ce qu'ils en pensent.
Cela se lirait comme ceci: "la reconnaissance que l'existence d'un
Canada anglophone, concentré mais non limité aux provinces
anglophones, et celle d'un Canada francophone, concentré au
Québec mais présent au Canada, constituent une
caractéristique fondamentale de la Fédération canadienne."
Personnellement, je ne sais trop pourquoi, mais je préfère ce
texte. Je vous le proposerais. Tout à l'heure, mon collègue Dion
a eu le soin de vous faire une proposition écrite. Je n'ose pas -
connaissant un peu les règles de cette Assemblée pour diverses
raisons - en faire une proposition formelle. M. le Président, si
quelqu'un m'invitait, comme on l'a fait tout à l'heure envers le
professeur Dion à faire une proposition formelle, je ferais
celle-là. Elle est facile à reconstituer, d'ailleurs: vous prenez
le paragraphe a) et vous renversez la proposition. Vous appliquez au Canada
anglais ce qu'on applique aux minorités francophones et vice versa.
Ça donne ce texte. Je ne suis pas sûr qu'Alliance Québec
l'accepterait. Mais, c'est peut-être un détail puisqu'après
tout on a jugé que les francophones hors Québec, eux, pourraient
s'en satisfaire.
Voilà ce que ça donne lorsqu'on scrute un peu les textes.
Et si les anglophones du Québec exprimaient des réserves - je
pense même qu'ils pourraient protester avec véhémence si on
procédait à cette petite entourloupette - eh bien! nous pourrions
en tirer la conclusion que les francophones hors Québec ne sont pas
très bien protégés par ce paragraphe a) et qu'ils sont
presque évanescents, presque absents. Tandis que les anglophones du
Québec eux sont "présents" constitutionnellement au
Québec. (12 h 30)
II est vrai que les francophones hors Québec n'ont pas les
mêmes moyens de défense que notre sympathique minorité.
On voit donc qu'il y a là un piège additionnel qui prend
la forme du traditionnel "deux poids deux mesures" qui a toujours
été, d'ailleurs, est-il besoin de le rappeler, le principal
critère d'interprétation constitutionnelle au Canada en
matière de droit des francophones. Puisqu'on parle de critères
d'interprétation, en voilà un qui est historique: Deux poids deux
mesures.
Soutiendra-t-on... J'en ai encore pour quelques minutes seulement, M. le
Président.
Le Président (M. Marcil): M. Morin, on a
dépassé le temps, vous permettez que... Pas de problème?
Il y a consentement.
Cela va.
M. Morin: Très bien, merci.
Soutiendra-t-on que ce ne sont là que des nuances sans importance
et sans conséquences pour les droits linguistiques au Québec? Je
vais tenter de démontrer le contraire. Prenons l'exemple des
dispositions de la Charte de la langue française qui veulent que les
enfants des immigrants anglophones aillent à l'école
française. Vous savez qu'à l'heure actuelle l'article 23,
paragraphe 1, sous-paragraphe a de la Charte canadienne, qui ouvrirait les
portes de l'école anglaise aux anglophones qui deviennent citoyens,
n'est pas en vigueur parce qu'en vertu de l'article 59 de la charte canadienne
cela est sujet au consentement du Québec, Dieu mercil Je félicite
le gouvernement de ne pas avoir donné son consentement. Ce serait la fin
de tout. Il est là, cet article 23, comme une sorte d'épée
de Damoclès au-dessus de nos têtes.
Figurez-vous qu'avec le lac Meech on n'aura peut-être même
pas besoin de l'article 23, paragraphe 1, sous-paragraphe a. Il ne sera
même plus nécessaire que le Québec y consente pour que ces
enfants anglophones aient accès à l'école anglaise une
fois la formule Meech en vigueur. En effet, si on applique à la Charte
de la langue française les critères d'interprétation du
projet qui fait l'objet de nos débats, c'est-à-dire,
premièrement, la "caractéristique fondamentale" que constitue la
présence anglophone au Québec et, deuxièmement, la
caractéristique non fondamentale de la société distincte,
il ne me paraît pas douteux que c'est la présence anglophone qui
l'emporte puisqu'elle est fondamentale et que de surcroît, le
gouvernement et le Parlement du Québec ont l'obligation de
protéger cette caractéristique fondamentale. Quelle est la
meilleure façon -quelle est l'une des façons, ce n'est
peut-être pas la meilleure - de protéger cette
caractéristique fondamentale de la présence anglophone au
Québec? C'est évidemment de permettre aux enfants anglophones,
venus de l'extérieur, d'aller à l'école anglaise. C'est
une revendication qui n'a de cesse de la part de tous les organismes
représentatifs des milieux scolaires anglophones, de Montréal, en
tout cas.
On peut donc s'attendre que, dès le lendemain de l'adoption de la
formule Meech, des avocats montréalais se présentent devant les
tribunaux pour demander là-dessus un jugement déclaratoire. Ils
plaideront - parce qu'ils connaissent le sens des mots, croyez-moi, ils ont
déjà réussi à démolir une bonne
moitié de la Charte de la langue française -que le
caractère fondamental de ta présence anglophone au Québec
exige que la Charte de la langue française soit
interprétée de manière à admettre à
l'école anglaise tous les enfants dont "la première langue
apprise
et encore parlée est l'anglais". C'est la définition de la
langue maternelle qu'on trouve à l'article 23. Et nous serons de retour
aux tests linguistiques de si joyeuse mémoire, d'avant 1977.
Si l'on doute de ce scénario qui, j'admets, est
hypothétique, mais qui me paraît tout à fait possible, on
pourra lire le texte de l'allocution du président d'Alliance
Québec devant un comité du Sénat et des Communes, le 4
février 1986. Il est dit en toutes lettres que le caractère
distinctif de la société québécoise ne peut se
comprendre qu'à la lumière de la dualité linguistique
canadienne. En d'autres termes, nous retrouvons là le raisonnement qui
veut que le principe fondamental soit celui de la dualité, donc, de la
présence anglophone au Québec, tel que c'est défini dans
la formule Meech.
Celui-ci, ajoute M. Goldbloom, c'est-à-dire le Canada anglais
présent au Québec "est le point de mire de la dualité
linguistique canadienne", comme si les minorités françaises ne
l'étaient, pas. Il est vrai qu'elles sont évanescentes dans le
projet Meech. Et, ajoute-t-il, "c'est dans cette perspective que le
caractère distinct du Québec doit être compris." Je pense
que vous avez saisi que cela signifie que le caractère distinct du
Québec, du paragraphe b), est soumis et doit être
interprété à la lumière du paragraphe a) qui, lui,
affirme et garantit la présence anglaise au Québec.
À la lecture de ce document, on peut se demander si ce texte
d'Alliance Québec n'a pas servi de modèle à la formule
Meech. De toute façon - et je termine, M. le Président - quelle
que soit l'origine des textes qui nous sont proposés, nous sommes devant
un autre piège. Après la formule Fulton-Favreau et la charte de
Victoria auxquelles nous avons su dire non, fût-ce in extremis, voici
encore une formule truquée, où les mots sont calculés pour
créer une impression, pour donner l'impression que le caractère
français du Québec sera garanti alors que leur sens réel,
quand on les regarde de près, tend à protéger avant tout
la présence anglaise au Québec. Évidemment, je n'ai rien
contre l'idée d'assurer la protection de la présence anglaise au
Québec. Comme l'a dit tout à l'heure Léon Dion avec qui je
partage tout à fait cette idée, il ne faudrait pas que le
Québec ignore cette présence anglaise. Mais ce n'est tout de
même pas ce que les Québécois attendent de la
réforme de la constitution.
M. le Président, le gouvernement du Québec doit faire
preuve de plus d'attention dans sa lecture des textes qui peuvent
hypothéquer très gravement notre avenir en tant que peuple. M.
Bourassa devra trouver le courage nécessaire pour dire non, une fois de
plus, déjouer les pièges qu'on lui tend et faire de nouvelles
propositions comportant de véritables garanties pour le caractère
français du Québec. Autrement, ce n'est pas de
société distincte qu'il faudra parler, mais d'une
société encore plus encarcanée qu'elle ne l'est. Je vous
remercie, M. le Président.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. Morin. Nous
allons laisser, avec consentement des deux partis, 10 minutes à M. Turp
pour faire sa partie de l'exposé.
M. Turp (Daniel): Merci, M. le Président.
Le Président (M. Marcil): Oui, une seconde.
M. Rémillard: Je comprends donc que M. Turp va nous
adresser la parole pendant 20 minutes, c'est cela?
Le Président (M. Marcil): Pendant 10 minutes.
M. Rémillard: Pendant 10 minutes.
M. Johnson (Anjou): Au total, cela fait environ 40 minutes comme
dans le cas de M. Dion.
M. Rémillard: En fait, vous faites témoigner deux
experts ce matin...
M. Johnson (Anjou): Oui, à l'intérieur d'un
même bloc...
M. Rémillard: ...et je voulais qu'on puisse entendre les
deux.
M. Johnson (Anjou): ...mais le bloc s'est étendu à
40 minutes ce matin. Si cela avait été 30, les experts auraient
procédé à 30. Merci.
M. Rémillard: C'est la dualité du maître et
de son assistant et c'est avec plaisir qu'on va entendre M. Turp.
Le Président (M. Marcil): Allez.
M. Turp: Merci, M. le Président. Merci, M. le ministre. En
effet, je considère M. Morin, à bien des éqards, comme mon
maître. Je remercie donc la commission d'avoir bien voulu m'inviter
à témoigner devant elle et à jeter un regard
d'internationaliste sur l'entente de principe du lac Meech.
Il faut savoir gré à l'actuel gouvernement du
Québec d'avoir su convaincre ses partenaires de la
Fédération canadienne de consacrer le caractère distinct
du Québec dans la constitution du Canada et d'avoir ainsi réussi
à faire reconnaître le droit à l'autodétermination
du Québec.
Cette disposition sur le caractère distinct aura une influence
certaine sur
l'exercice continu du droit du Québec à disposer de
lui-même et lui permettra d'asseoir sur des bases plus certaines encore
ce droit collectif fondamental puisque sa source ne sera plus seulement dans
les instruments internationaux consacrant ce droit, tels la Charte des Nations
Unies et les pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme, mais aussi
dans la constitution du Canada.
Si ces remarques s'imposent - et comme le professeur Dumont, je me
félicite de ces gains - je me dois de signaler quelques problèmes
qui résultent du choix de la terminologie et des divergences dans les
versions anglaise et française de l'entente de principe.
Je voudrais aussi manifester une inquiétude certaine relativement
à l'encadrement du droit fondamental du Québec par le pouvoir
judiciaire canadien et à l'incertitude qui règne sur la
portée exacte du rôle de l'Assemblée nationale et du
gouvernement du Québec dans la protection et la promotion de
l'identité distincte du peuple québécois.
Les paragraphes (l)a) et (3) de la disposition relative au
caractère distinct cristallisent le droit du Québec à
disposer de lui-même et paraissent lui donner notamment, au sein de la
Fédération canadienne, la marge de manoeuvre nécessaire
à une libre détermination de son statut politique,
économique, social et culturel. Toutefois, en préférant
l'expression "société distincte" à celle de "peuple", le
législateur constituant s'éloignera de la terminologie
usitée en la matière et pourrait affaiblir la portée
juridique d'un texte pourtant très prometteur pour l'avenir du
Québec. De plus, l'Assemblée nationale rompra avec une tradition
terminologique dont elle a été elle-même à l'origine
et qu'elle devrait, à mon avis, maintenir.
Ainsi, l'analyse de la terminologie des lois québécoises
à caractère constitutionnel ou quasi constitutionnel, qu'il
s'agisse de la Charte de la langue française, de la Loi sur la
consultation populaire ainsi que de la Loi sur l'Assemblée nationale,
qui régit votre Assemblée, ont systématiquement
identifié les personnes résidant sur le territoire du
Québec comme formant et appartenant à un peuple. Bien que
l'adjonction du qualificatif "distincte" au mot "société" puisse
être interprétée comme créant une équivalence
des expressions, il me semblerait plus opportun, à la lumière des
définitions retenues par les sociologues, de privilégier l'emploi
du mot "peuple".
Ainsi, comme le rappelait récemment notre collègue
André Patry, les groupements qui naissent de façon artificielle
et dont les membres s'associent pour la défense d'intérêts
particuliers moyennant l'observance de règles communément
acceptées ont été qualifiés de
"sociétés", alors que les communautés ou les peuples
constituent des groupements qui naissent naturellement et dont les membres
convergent aussi naturellement vers des fins communes.
Dès lors, les expressions "société" et "peuple"
véhiculent des conceptions assez antinomiques du Québec. Il ne
faudrait pas que le choix de la première expression soit perçu
sociologiquement comme un changement décisif d'attitude du Québec
par rapport à lui-même, d'autant qu'il serait
enchâssé dans une loi constitutionnelle qui reconnaît, quant
à elle, la qualité de peuple aux autochtones que sont les
Indiens, les Inuit et les métis.
Ainsi, dans la Loi constitutionnelle de 1982, celle-là même
à laquelle le Québec veut désormais adhérer, le
constituant n'a pas manifesté une trop grande hésitation à
employer l'expression "peuple autochtone" qu'il a retenue aux articles 25 et 35
de la loi et sur lesquels les peuples autochtones font notamment aujourd'hui
reposer leur droit à l'autodétermination.
Le gouvernement du Québec ne craint-il pas dès lors que
l'utilisation du terme "société distincte" plutôt que
"peuple" puisse inférioriser son statut dans la Fédération
canadienne et entraîner des interprétations constitutionnelles qui
n'aillent pas dans le sens de l'autonomie accrue qu'il recherche?
Je m'en voudrais de ne pas proposer, à mon tour, une formulation
qui éviterait les écueils énoncés ci-dessus, qui
modifierait le libellé de l'entente de principe et permettrait en outre
d'uniformiser la terminologie utilisée dans la version anglaise et de
corriger les divergences entre les versions française et anglaise de
l'entente.
Ainsi, je vous proposerais que l'alinéa b) du paragraphe (1) se
lise comme suit: "la reconnaissance que le Québec, peuple
majoritairement francophone, possède au sein de la
fédération canadienne une identité distincte."
Corollairement, le paragraphe (3) pourrait se lire ainsi: "L'Assemblée
nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de
protéger et de promouvoir l'identité distincte du Québec
mentionnée au paragraphe (l)b)."
Le libellé que je vous propose élimine la
référence à la notion de société, qu'il
s'agisse de la notion de "société distincte" prévue
à l'alinéa b) du paragraphe (1) ou de "société
québécoise" - et on remarque déjà qu'il y a une
différence entre la qualification que l'on retrouve dans deux
paragraphes de la même disposition - et lui substitue l'expression
"peuple", qui est plus conforme, à mon avis, aux usages internationaux
et à ceux de la présente Assemblée.
Je vous suggère également, à l'instar de mes
collègues Fernand Dumont et Léon Dion, de fonder
l'identité distincte sur le critère le plus évident de
cette distinction, celui de la langue, en accompagnant ici le terme "peuple" de
la locution "majoritaire-
ment francophone", une terminologie acceptée et acceptable
puisqu'elle est déjà présente dans le préambule de
la Charte de la langue française. Cette formulation a l'avantage de la
brièveté et de la simplicité. Elle pourrait contribuer
à l'établissement des garanties de protection de la langue
française que le texte actuel de l'entente, selon le professeur Beaudoin
lui-même, n'assure pas de façon certaine. (12 h 45)
La référence au peuple dans la future loi
constitutionnelle de 1987 ainsi que dans les lois constitutionnelles et quasi
constitutionnelles québécoises contribuerait ainsi à mieux
cristalliser le droit à l'autodétermination du Québec,
comme le ferait également l'utilisation de l'expression "identité
distincte" qui apparaît, comme je vous l'ai dit, dans la version anglaise
du paragraphe (3) de l'entente.
Des objections, donc, à cette dernière formulation se
justifieraient mal, puisqu'elle a déjà fait l'objet de l'entente
de principe et contribuerait à une harmonisation à deux niveaux
du texte constitutionnel.
Vous remarquerez que je vous propose aussi de remplacer dans le
même alinéa b) du paragraphe (1) le mot "Canada" par l'expression
"Fédération canadienne", aux fins d'uniformiser encore la
terminologie utilisée dans les alinéas a et b puisqu'on utilise
pour désigner la même chose deux expressions différentes.
On parle de Fédération canadienne dans un cas et du Canada dans
l'autre.
Cette proposition permet aussi de révéler une autre
divergence dans les versions anglaise et française de l'entente, puisque
dans la version anglaise du paragraphe (1), alinéa a), il n'y a aucune
référence à la Fédération canadienne et il y
a plutôt l'emploi, dans le cas de ces deux paragraphes, du mot "Canada".
Il faudrait donc, à mon avis, dans la version anglaise parler aussi de
la Fédération canadienne.
Ces changements sont d'ordre sémantique, j'en conviens, mais ont
de toute évidence une portée substantive en regard du processus
d'interprétation auquel sera assujettie la clause interprétative
de la constitution du Canada.
L'intérêt de la clause concernant le caractère
distinct, comme l'a fait remarquer le ministre Rémillard lors de son
exposé introductif, est qu'elle s'applique à la constitution du
Canada dans son ensemble et donc aux lois constitutionnelles de 1867 à
1982. En cela, elle a une portée nettement plus grande que l'article 27
de la Charte canadienne des droits et libertés, dont le libellé
paraît avoir beaucoup influencé les rédacteurs de l'entente
du lac Meech, qui constitue lui-même une clause interprétative
destinée à la promotion, au maintien et à la valorisation
du patrimoine culturel des
Canadiens.
Mais ces clauses interprétatives, le ministre en conviendra avec
moi, peuvent être d'une portée incertaine, voire même
très limitée. Vous écriviez, M. le ministre, en 1984, que
l'article 27 de la charte canadienne sur le multiculturalisme demeurait une
règle d'interprétation vague, voire même ambiguë, et
ajoutiez que son application possible demeure plus au niveau
général qu'à celui de l'application concrète.
S'il est vrai, comme vous le souligniez déjà à
cette époque, que l'utilisation de l'article 27 a pu donner lieu
à certaines applications intéressantes, il demeure qu'il n'a pas
été aujourd'hui ou jusqu'à ce jour d'une grande
utilité et qu'il n'a véritablement pas changé l'ordre des
choses établi au Canada.
Ne serait-il pas exact de penser que le paragraphe (1) de la disposition
relative à l'identité distincte souffre des mêmes
défauts, que sa présence éventuelle dans la constitution
du Canada ne modifiera en rien l'application concrète des lois
constitutionnelles de 1867 à 1982 et que son influence sur
l'interprétation des dispositions relatives au partage des
compétences sera minimale.
Ce qui me paraît davantage inquiétant, à vrai dire,
c'est que cette clause interprétative est essentiellement un instrument
destiné aux juges qui se verront conférer un rôle aussi,
sinon plus, important que l'Assemblée nationale et le gouvernement du
Québec dans la protection et la promotion de l'identité distincte
du Québec.
Cette inquiétude résulte du fait que les
interprètes ultimes de cette disposition seront bien évidemment
les juges de la Cour suprême du Canada dont on connaît bien
sûr le processus de nomination et dont on peut prédire qu'ils
hésiteront à donner des effets trop importants à cette
reconnaissance. Cette hésitation pourrait d'ailleurs s'appuyer sur le
texte de la disposition consacrant la dualité canadienne qui contribuera
vraisemblablement à relativiser l'influence de l'identité
distincte du Québec.
Cette retenue judiciaire pourrait également se fonder sur le
texte du paragraphe (2) de la clause en vertu de laquelle le Parlement et les
Législatures des provinces, y compris bien entendu celle du
Québec, prennent l'engagement de protéger la dualité
canadienne. Le langage de ce paragraphe (2), qui emprunte au libellé de
l'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 - et on voit là les
influences qu'ont voulu rechercher les rédacteurs - permettrait
également aux tribunaux canadiens de donner une interprétation
très large à la notion de dualité canadienne.
L'incertitude qui règne...
Le Président (M. Marcil): II vous reste 30 secondes.
M. Turp: D'accord. L'incertitude qui règne potentiellement
quant à la portée exacte de la reconnaissance de
l'identité distincte du Québec en raison de l'encadrement
judiciaire auquel il sera assujeti devrait vous amener à
réfléchir à des solutions pour assurer que
l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec soit
responsable de la mise en oeuvre de son droit à
l'autodétermination et qu'il détienne le rôle premier et
non pas un rôle subalterne de protection et de promotion de
l'identité distincte du Québec. Et d'accord avec mon
collègue, M. le professeur Morin, je suis d'avis que seul un octroi
additionnel de compétences permettrait de corriger ce
déséquilibre fondamental entre le pouvoir judiciaire et le
pouvoir politique québécois consacré dans l'entente du lac
Meech.
Je vous propose - le texte pourra circuler - que deux titres de
compétence devraient être ajoutés. Au paragraphe (3), il
devrait y avoir clairement une attribution de compétence en
matière linguistique et sans doute serait-il intéressant - et le
gouvernement semble nous suggérer que l'article 3 de ces dispositions le
permet - de voir attribuer et de voir reconnaître au Québec des
compétences claires en matière de relations internationales avec
la francophonie. Merci» M. le Président.
Le Président (M. Marcil): On vous remercie beaucoup, M.
Turp.
Juste avant de procéder à la période de questions,
j'aimerais informer les deux partis qu'il leur reste 24 minutes, pour chacune
des formations. D'autre part, je vous informe également qu'à 13
heures nous allons suspendre les travaux pour reprendre à 15 h 30
à cause de la période de questions à 14 heures.
M. Rochefort: M. le Président, je suis très surpris
de ce que vous venez de dire. Dans un premier temps, je vous rappelle qu'hier
nous n'avons pas ajourné aux heures habituelles prévues à
notre règlement vu, justement, l'entente qui est intervenue. Je me
rappelle que le ministre était même présent à ce
moment-là. On s'était entendu qu'il faudrait terminer pour chaque
expert l'ensemble des interventions au cours de la journée où
cela est prévu. M. le Président, déjà l'horaire qui
nous a été fixé pour aujourd'hui fait qu'on devra
déborder à 18 heures et qu'on risque de déborder à
22 heures. Je pense qu'il est normal qu'on complète, comme cela a
été le cas pour tous les témoins qui se sont
présentés devant nous jusqu'à maintenant, les questions
aux différents témoins qui se présentent devant nous
à l'occasion de la même séance que celle au cours de
laquelle ils ont fait leur présentation introductive.
M. Lefebvre: M. le Président...
Le Président (M. Marcil): Oui, M. le leader du
gouvernement.
M. Lefebvre: II y a évidemment une distinction
fondamentale entre ce qui s'est passé hier et aujourd'hui. II y a la
période de questions, à 14 heures, cet après-midi, il
reste tout près de 50 minutes à compléter avec nos
invités, ce qui voudrait d're, M. le Président, que, si on
continue nos travaux, on terminerait à moins vingt ou à peu
près. Alors, vous avez suggéré, M. le Président, de
reprendre nos travaux. Ce qui a été convenu, c'est que nos
invités seraient entendus dans la même journée. On
reprendra immédiatement après la période de questions avec
MM. Morin et Turp. C'est la suggestion que vous faites et avec laquelle nous
sommes parfaitement d'accord, M. le Président. Il faut quand même
comprendre qu'il y a une période de questions qui reprend à 14
heures pour tous les parlementaires qui sont ici. Je suggère que nous
suspendions immédiatement jusqu'à 15 h 30 ou à peu
près.
M, Rochefort: M. le Président...
Le Président (M. Marcil): Oui, M. le député
de Gouin.
M. Rochefort: ...je veux indiquer que quant à nous, il y a
consentement pour qu'on procède aux échanges avec les deux
témoins qui sont présents devant nous comme cela a
été le cas pour tous les autres témoins sans exception qui
se sont présentés devant nous jusqu'à maintenant. Pour
nous, M. le Président, cela ne cause aucun problème qu'on ne
prenne qu'une quinzaine de minutes pour manger avant d'aller à la
période de questions. Je suis extrêmement déçu de
cette attitude où on renie une entente qui est intervenue entre les
formations politiques et où on refuse à des témoins
l'occasion d'être questionnés par les membres de la commission,
des deux côtés, à l'intérieur de la même
séance que celle au cours de laquelle ils ont fait leur
présentation.
Quant à nous, M. le Président, nous vous donnons tous les
consentements nécessaires comme nous l'avons fait hier pour d'autres
témoins. Comme pour les témoins que le ministre avait
personnellement invités, nous sommes prêts à vous donner
tous les consentements pour procéder. S'il n'y a pas consentement de la
part des membres de la majorité, M. le Président, nous verrons
qu'encore une fois ils ont une attitude qui est bien la leur dans ce type de
fonctionnement.
M. Lefebvre: M. le Président, je m'excuse.
Le Président (M. Marcil): Oui, je vais
reconnaître...
M. Lefebvre: Je m'excuse, M. le Président.
Le Président (M. Marcil): ...le leader adjoint.
M. Lefebvre: Je comprends très mal l'attitude et les
commentaires du député de Gouin. Tout ce qu'on veut, M. le
Président, c'est de pouvoir interroger parce qu'on en est rendu à
la période des interrogatoires de nos deux témoins. On veut faire
cela dans le calme avec tout le temps dont nous disposons, d'un
côté comme de l'autre. Je ne voudrais pas que, de notre
côté, on se sente précipité dans notre façon
de faire. C'est pour cette raison que, compte tenu du fait qu'il reste 50
minutes, soit 24 minutes de chaque côté, je suggère qu'on
reprenne nos travaux à 15 h 30. J'ajouterai que M. le ministre
Rémillard doit recevoir, d'ici 14 heures, le premier ministre de
l'Île-du-Prince-Édouard, ce qui est un argument dont il faudra
tenir compte, je pense.
Le Président (M. Marcil): Cela va.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, si vous me permettez,
brièvement là-dessus. Vous savez que j'interviens rarement dans
ces questions de procédure. Je dirai que, ce matin, il y a eu un retard
au début. Au lieu de trois minutes, on en a pris presque dix parce que
le ministre était occupé à donner des entrevues, ce qu'on
respecte. Le ministre a été appelé, pendant dix minutes,
à donner des entrevues aux journalistes, mais on respecte cela. Cela
dit, je vous ferai remarquer, M. le Président, que parmi vos
invités il y a notamment le professeur Jacques-Yvan Morin qui est venu
d'Europe spécialement pour ce témoignage et qui devra quitter en
fin de journée et, deuxièmement, l'expert que nous devons faire
venir en fin d'après-midi, Mme Lajoie. Au moment où j'ai dit
à Mme Lajoie qu'elle viendrait témoigner, je lui ai dit que,
selon l'horaire prévu par la commission et par l'entente, elle pouvait
être libérée à 18 heures. De toute évidence,
vous êtes en train de repousser tous les témoignages et les
horaires de nos experts, encore une fois parce qu'on a perdu dix minutes ce
matin, à l'ouverture, et dix minutes au moment où le ministre
donnait des entrevues. Je suis prêt à régler cela pour vous
et à dire: Très bien, voulez-vous qu'on finisse à 13 h 40?
On va se répartir également le temps qu'il reste d'ici 13 h 40.
Je pense que vous ne pourriez pas vous en plaindre et cela permettrait de
respecter la parole donnée.
M. Rémillard: M. le Président.
Le Président (M. Marcil): Le dernier intervenant, M. le
ministre.
M. Rémillard: Je dois dire tout d'abord que je n'ai pas
retardé la commission de dix minutes, mais, simplement, je suis
arrivé ici quand c'était prêt. En ce qui regarde le
professeur Morin qui est ici, je dois dire que je le vois depuis les
premières minutes des travaux de cette commission comme conseiller de
l'Opposition. Maintenant, le professeur Morin est devant nous et nous en sommes
très heureux, et, tout à l'heure, nous allons lui poser des
questions. Mais je vois le professeur Morin depuis le début des travaux
de cette commission, derrière vous, ici, comme conseiller. Maintenant,
vous le faites témoigner. Très bien, cela nous fait plaisir de le
recevoir comme témoin. Il a été ministre de votre
gouvernement, il peut témoigner sur bien des aspects. Cela va me faire
plaisir de l'interroger tout à l'heure, mais ne nous dites pas qu'il
manque de temps. Depuis le début, il est avec vous comme conseiller; il
est un de vos conseillers. Tout simplement, ce qu'on demande, c'est:
Donnons-nous donc la chance de pouvoir dialoguer calmement avec le professeur
Morin. Je pense qu'il mérite cet égard ainsi que le professeur
Turp, son élève, qui nous a démontré des choses
intéressantes tout à l'heure. Pourquoi ne pourrait-on pas
s'asseoir après le déjeûner? Cela me permettrait d'aller
recevoir M. Joe Ghiz, qui est le premier ministre de
l'Île-du-Prince-Édouard, et de revenir et interroger tout
simplement...
Le Président (M. Marcil): S'il vous plaît, M. le
chef de l'Opposition, compte tenu du fait que l'entente disait en particulier
de ne pas reporter à une autre journée le témoignage d'une
personne invitée à cette commission, je me verrai dans
l'obligation de vous demander, à 13 heures pile, le consentement pour
poursuivre nos travaux.
M. Rochefort: J'ai une seule remarque à faire, M. le
Président. Hier, à deux reprises, cette situation s'est
présentée et personne n'a soulevé la
nécessité du consentement alors que nous aurions pu être
dans une position pour le faire. Nous n'avons pas eu cette attitude mesquine
que nous remarquons de la part du ministre.
Le Président (M. Marcil): S'il vous plaît!
M. Lefebvre: Vous venez de faire référence à
l'entente intervenue entre les partis qui tient essentiellement au fait que les
témoins devront être entendus au cours de la séance d'une
même journée. C'est exactement ce qu'on fait. Cela semble
troubler l'Opposition qu'on veuille le faire dans le calme.
Le Président (M. Marcil): En conclusion, je suspends les
travaux jusqu'à 15 h 30. Merci.
(Suspension de la séance à 13 heures)
(Reprise à 15 h 34)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission des institutions poursuit ses travaux. Nous
connaissons déjà notre mandat. Nos invités, MM.
Jacques-Yvan Morin et Daniel Turp, professeurs en droit international à
l'Université de Montréal, sont avec nous. Leur exposé est
terminé. Nous en sommes maintenant à la période
d'échanges avec les membres de cette commission.
Je vous signale de part et d'autre qu'il reste un total de 48 minutes,
donc 24 minutes pour chacun des deux groupes. Je laisse la parole à M.
le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou); M. Morin, Me Turp, merci, d'abord, de vos
exposés où transparaissaient, dans le cas de M. Morin, de toute
évidence, sa longue carrière de spécialiste dans les
questions internationales et constitutionnelles qui lui a valu, comme on le
sait, d'être en ce moment professeur invité en Europe et sa
contribution considérable aussi sur le plan des écrits quant aux
questions internationales et constitutionnelles.
Me Turp, malgré le fait qu'il ait été un
élève, un jour, de Me Morin, n'en est pas moins, malgré
son jeune âge, déjà un spécialiste du droit
international, ce qui lui a valu des publications importantes et des
participations à de nombreux forums internationaux.
Ma première question s'adressera à M. Morin. Elle portera
sur le pouvoir de dépenser. Vous avez dans votre exposé,
professeur Morin, évoqué, d'une part, que les 25 dernières
années de tension avec le gouvernement fédéral, ou
peut-être même à l'époque du rapport Tremblay dans
les années cinquante qui, on s'en souvient, faisait suite au rapport
Rowell-Sirois au palier fédéral, que presque les 30
dernières années ont été
caractérisées par le fait qu'au centre de tout cela il y avait
toujours la question des pouvoirs du Québec et que, dans chaque
négociation constitutionnelle, à toutes fins utiles, on avait
réussi à éviter la question des pouvoirs. Chaque fois que
le Québec voulait s'approcher de plus grands pouvoirs dans la
maîtrise de sa destinée ou dans une façon de
façonner l'avenir de notre peuple ou de donner des
caractéristiques à la société distincte, le
gouvernement fédéral s'organisait toujours pour refuser.
Il a enclenché, en 1964, en 1971, en 1982 et maintenant au lac
Meech, un contexte où, à toutes fins utiles, il est question de
tout sauf des pouvoirs, les pouvoirs signifiant pour le Québec, par
exemple, d'avoir la pleine maîtrise dans ses politiques de main-d'oeuvre,
dans le secteur de l'environnement, dans le secteur linguistique ou à
l'égard de l'évolution de son propre droit civil par une
protection qui lui serait assurée contre la charte canadienne qui,
à toutes fins utiles, influencera assez profondément notre droit
civil.
Vous avez évoqué la question de la société
distincte de façon très claire, mais vous avez aussi
glissé bien rapidement - je voudrais vous permettre d'en parler quelque
peu - sur la question du pouvoir de dépenser qui, on le sait, est ce
moyen qu'a l'État fédéral d'intervenir dans les
juridictions qui restent au Québec. Le Québec n'ayant pas
réussi à conquérir depuis 25 ans et surtout pas au lac
Meech quelque pouvoir additionnel que ce soit, le pouvoir de dépenser du
fédéral est un moyen additionnel pour le fédéral
d'exercer son emprise sur la réalité qui est la nôtre dans
des domaines qui sont de notre juridiction.
J'aimerais peut-être vous entendre quelques minutes
là-dessus.
M. Morin: Volontiers, M. le Président. Le pouvoir de
dépenser, c'est un pouvoir passe-partout, c'est-à-dire qu'il
permet au gouvernement fédéral, bien que ce pouvoir ne soit pas
mentionné dans la constitution, de dépenser des deniers publics
dans les domaines qui relèvent de sa compétence, mais aussi dans
les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence, voire
même les domaines qui, selon l'article 92 de la Loi constitutionnelle de
1867, le "British North America Act", relèvent spécifiquement de
la compétence exclusive des provinces. Donc, un pouvoir passe-partout
qui permet, en quelque sorte, de tourner la répartition des
compétences, de la contourner.
Le gouvernement espère, par le texte qui nous est soumis,
parvenir à obtenir, pour la première fois, dit-il, la limitation
de ce pouvoir passe-partout. En réalité, je crains bien que ce
qu'il a obtenu - peut-être sans le vouloir, je ne sais pas, je ne veux
pas prêter d'intention au gouvernement; sûrement qu'il n'a pas
intérêt à abandonner ses compétences, mais le
résultat est là - c'est la consécration du pouvoir
fédéral de dépenser et, de surcroît,
d'établir des objectifs nationaux dans les domaines de la
compétence exclusive des provinces.
Si vous voulez, c'est un pouvoir qui permet de subvertir la structure
constitutionnelle, de la contourner, de faire comme si elle n'existait pas.
Depuis les années trente, les fédéraux ont agi de la sorte
dans plusieurs domaines qui relèvent
des provinces, par exemple, dans le domaine social. On se souvient des
fameux plans conjoints sur les hôpitaux où on pouvait obtenir des
subventions à condition de payer autant que le montant donné par
le gouvernement fédéral, mais à la condition aussi qu'on
construise des hôpitaux avec des chambres de tant de pieds sur tant de
pieds, des fenêtres de telle grandeur, des ascenseurs de telle grandeur
et tant d'escaliers. Une série de conditions nationales étaient
imposées. Si on ne les respectait pas, on n'avait pas le droit de
toucher l'argent.
Les provinces qui avaient besoin d'argent finissaient par s'aligner sur
ces programmes conjoints avec le résultat que -c'est le reproche
principal qu'on a fait au pouvoir de dépenser - les provinces voyaient
leurs priorités administratives, leurs priorités
financières et même leurs priorités législatives
dictées par les politiques fédérales. C'est cela qu'on
reproche au pouvoir de dépenser: c'est que cela dicte aux provinces dans
des domaines qui leur sont exclusifs, en fait, des politiques
fédérales.
Évidemment, l'argent parle toujours fort et c'est l'argent qui
fait que les provinces, surtout les plus défavorisées... ll faut
bien comprendre que plusieurs provinces anglo-canadiennes ne sont pas
très riches; alors, pour elles, c'est une manne qu'elle ne peuvent pas
refuser. Le Québec, lui, a commencé à refuser. Depuis
l'époque de Maurice Duplessis et de Jean Lesage, là-dessus, il y
a une certaine tradition québécoise.
Le texte que nous avons devant nous, je dois le dire - d'ailleurs, je ne
suis pas le premier à le dire, les journaux en ont été
pleins depuis quelques jours et on entendra sans doute tout à l'heure
une experte dans ce domaine qui est Mme Andrée Lajoie, le professeur
Andrée Lajoie - est sans doute moins habile que ceux dont j'ai
parlé ce matin dans le domaine du caractère distinct du
Québec où vraiment là on a affaire à des textes qui
sont des oeuvres d'orfèvrerie et qui sont des pièges très
bien dissimulés. Là, c'est plus apparent. On nous dit, dans cet
article, n'est-ce pas, que "le Canada doit accorder une juste compensation
à toute province qui ne participe pas à un nouveau programme",
mais attention, si cette province met en oeuvre de son propre chef une
initiative ou un programme compatible avec les objectifs
fédéraux. Ce qui signifie, d'abord, que cela ne s'applique pas
aux programmes existants, ce qui comporte déjà pas mal
d'intrusions dans les domaines des provinces, notamment dans le domaine
hospitalier et même quant à certains aspects des langues. Il y a
toutes sortes de programmes conjoints.
Désormais, le pouvoir fédéral de dépenser va
donc être reconnu indirectement, mais de façon très claire
dans cet article. Si une province se retire, elle va toucher les deniers, mais,
attention, à la condition de continuer à se faire dicter les
objectifs nationaux. Autrement dit, le principal reproche qu'on a fait au
pouvoir de dépenser, il est maintenant constitutionnalisé. C'est
un peu ahurissant. D'ailleurs, je pense que le gouvernement - soyons de bonne
querre -commence à s'en rendre compte. J'ai entendu M. Bourassa dire
avant-hier qu'ils allaient essayer de trouver une formule pour faire en sorte
que ce ne soit pas un moyen d'envahir systématiquement les
compétences provinciales. Cependant, je leur souhaite bonne chance. La
seule façon, à mon avis, de lever cette difficulté, c'est
d'enlever le bout de phrase qui dit: "si cette province met en oeuvre" etc.,
jusqu'à "objectifs nationaux". Si on fait disparaître ce bout de
phrase là, alors, oui, là il y aura une
récupération intéressante. Mais sans cela, c'est de la
poudre aux yeux. Non seulement c'est de la poudre aux yeux, mais c'est
dangereux parce que cela consacre encore une fois une intrusion dans les
domaines de compétence provinciale.
M. Johnson (Anjou): Merci, professeur Morin. Je reviendrai plus
tard. Je veux laisser à mon collègue...
Le Président (M. Filion): M. le ministre
délégué aux Affaires intergouvemementales canadiennes.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. Merci, M.
Morin, d'accepter de passer du siège de conseiller de l'Opposition
à celui d'expert. Je pense que nous sommes heureux de pouvoir profiter,
nous aussi...
M. Morin: Vous êtes le bienvenu.
M. Rémillard: ...de vos conseils. Depuis le début,
vous suivez nos travaux, vous avez pu voir les expertises qui nous ont
été données et c'est intéressant de vous entendre.
Évidemment, vous ne trouvez pas qrand-chose de bon dans cette entente.
C'est de bonne guerre, je le comprends très bien. (15 h 45)
M. Morin: M. le ministre.
M. Rémillard: Si vous le permettez, j'aurais quelques
petites questions à vous poser en me référant à
votre exposé. Vous dites, à la page 2, M. le professeur, à
la dernière ligne - c'est votre deuxième point -que cette entente
du lac Meech n'accorde aucun nouveau pouvoir réel au Québec et ne
modifie pas un iota à la répartition des compétences.
M. Morin: Oui.
M. Rémillard: Évidemment, vous avez beaucoup
insisté sur le premier élément de l'entente du lac Meech,
c'est-à-dire le caractère distinct du Québec, la
reconnaissance de la dualité canadienne. Vous n'avez pas beaucoup
parlé de la Cour suprême canadienne. Vous n'avez pas beaucoup
parlé du fait que le Québec, avec cette entente du lac Meech,
aura le nouveau pouvoir de proposer au gouvernement fédéral une
liste de noms de membres du Barreau ou de la magistrature du Québec pour
combler une vacance à la Cour suprême du Canada. C'est
certainement un nouveau pouvoir, M. le professeur Morin.
En matière d'immigration, vous nous avez dit qu'on
enchâssait tout simplement dans la constitution l'entente Cullen-Couture,
mais, si vous regardez un peu plus attentivement, vous vous rendez compte qu'en
plus de l'entente Cullen-Couture le Québec acquiert, là aussi, de
nouveaux pouvoirs particulièrement importants, par exemple, le pouvoir
de sélectionner ces immigrants qui sont sur place, et vous savez,
professeur Morin, que c'est de 25 % à 30 % de l'immigration du
Québec. De même, nous obtenons la possibilité, la
compétence et la juridiction -là encore, ce sont des nouveaux
pouvoirs pour le Québec - de prendre les moyens nécessaires pour
avoir des mesures d'intégration, pour intégrer ces immigrants
dans la société québécoise: cours de langue, de
formation, information sur nos institutions, notre façon de vivre, notre
façon de faire pour leur donner le goût de demeurer au
Québec.
Là encore, professeur Morin, je me permets de vous dire qu'il
s'agit là de pouvoirs très importants que le Québec
acquiert et qu'il acquerra à la suite d'une entente qui sera
négociée avec le gouvernement fédéral. Nous
négocions en fonction de ces termes que vous voyez dans l'entente du lac
Meech, qui sera signée en même temps que cette résolution
qui permettra l'amendement de la constitution et qui permettra, à ce
moment-là, un amendement à l'article 95 qui permettra de telles
ententes.
Bien sûr, professeur Morin, que vous ne nous avez pas parlé
de la formule d'amendement. Vous nous référez à la formule
Fulton-Favreau où on prônait l'unanimité et vous
écrivez - je vous cite au troisième paragraphe - dès le
début de votre exposé: "C'est la raison pour laquelle Jean
Lesage, avec l'aide de Daniel Johnson, a dit non à la formule
Fulton-Favreau en 1965. Cette formule soumettait l'évolution et
l'accroissement des pouvoirs du Québec au consentement unanime des
provinces, de sorte que même l'île-du-Prince-Édouard se
voyait reconnaître un droit de veto sur l'avenir constitutionnel du
Québec."
M. le professeur, vous êtes trop modeste. Vous auriez dû
ajouter le rôle extrêmement important que vous avez joué. On
se souvient tous de cette rencontre à l'Université de
Montréal - mon collègue de Bourget était là -
où il y avait M. René Lévesque et Pierre Laporte, alors
ministre du gouvernement Lesage, où vous avez fait une performance
particulièrement éloquente pour amener ces deux
représentants du gouvernement québécois à faire
rapport à leur gouvernement et à lui dire: Stop, on arrête
tout celai Jacques-Yvan Morin, professeur émérite, vient de nous
démontrer qu'on ne peut pas accepter ce principe de l'unanimité,
de l'égalité, comme vous dites, des provinces.
Et les choses ont évolué. Vous êtes venu en
politique pour la promotion de l'indépendance du Québec à
laquelle vous croyez et je respecte votre opinion. Il y a eu la charte de
Victoria, alors que vous étiez politicien. Il y a eu toute cette
bataille sur la question du rapatriement. Il y a eu aussi ce 16 avril 1981
où vous avez conseillé à votre gouvernement - comme le
chef de l'Opposition, d'ailleurs, qui était partie à ce
gouvernement - d'accepter le principe de l'égalité des provinces,
principe que vous avez accepté comme membre de ce gouvernement. Vous
avez démissionné après, plus tard. Mais, sur ce point,
vous avez accepté le principe de l'égalité des provinces.
Vous avez accepté, professeur Morin, le fait que toutes les provinces,
dans cette fédération, sont égales: C'est écrit en
toutes lettres dans l'entente que vous avez signée comme membre de ce
gouvernement.
Évidemment, maintenant, vous étudiez l'entente du lac
Meech et vous me dites qu'il n'y a pas grand chose de bon dans cela. Il
faudrait que vous puissiez reconnaître avec moi qu'on est parti de loin,
de très loin. Je sais que vous êtes bien placé pour le
comprendre. Quand je dis que le Québec a récupéré
le droit de veto, je parle d'un droit historique que le Québec a
récupéré et récupérera par cette entente du
lac Meech, le droit de dire non, professeur Morin, à une modification de
la constitution qui va à l'encontre soit de sa
spécificité, soit du fait qu'il est un partenaire majeur dans
cette fédération et pas seulement sur le partage des
compétences législatives. Professeur Morin, si on peut se retirer
d'un amendement au partage des compétences législatives, vous
comprenez maintenant qu'on ne peut pas se retirer d'une institution. L'entente
du lac Meech nous donne ce droit de veto en ce qui regarde les institutions.
Mais il est vrai, professeur Morin, que toutes les provinces sont égales
face à ce droit de veto et vous comprenez pourquoi.
Professeur Morin, vous avez surtout insisté sur l'article (1) de
cette entente du lac Meech concernant la dualité canadienne et la
spécificité du Québec. Tout d'abord, je veux bien vous
dire qu'il s'agit d'une règle qui
n'est pas dans le préambule, mais qui s'appliquera à
l'ensemble de la constitution canadienne. C'est une règle que j'aimerais
simplement vous suggérer de lire dans son ensemble. Lorsqu'on parle de
dualité, on parle de la description à l'article (l)a), mais on
doit le lire en fonction de l'article (2), qui se lit comme suit: "Le Parlement
et les Législatures des provinces, dans l'exercice de leurs
compétences respectives - alors, une clause de limitation au partage des
compétences législatives - prennent l'engagement - ce n'est pas
le rôle, j'y reviendrai tout à l'heure parce que M. le professeur
Turp, dans son amendement, utilise, lui, à bon escient le mot
"rôle"; à ce niveau, peut-être que l'élève
dépasse le maître, mais on y reviendra tout à l'heure - de
protéger la caractéristique fondamentale du Canada
mentionnée au paraqraphe (l)a)." Tout d'abord, "le Parlement et les
Législatures", le pouvoir législatif, "dans l'exercice de leurs
compétences législatives": donc, une description de cette
dualité, ensuite, une description actualisée au niveau
législatif seulement, à l'intérieur du partage des
compétences législatives, donc une relation directe à la
compétence législative en fonction d'un engagement. Il faudrait
voir ce que le dictionnaire nous dit sur un engagement. Le Dictionnaire
alphabétique et analogique de la langue française par Paul
Robert nous dit: Un engagement, c'est une "action de se lier par une promesse
ou une convention" alors qu'un rôle, c'est "une fonction que l'on doit
remplir". Je cite le dictionnaire.
Là, j'arrive au deuxième thème, celui de la
société distincte, la reconnaissance que le Québec forme
au sein du Canada une société distincte. Je reviendrai tout
à l'heure sur ce concept de société par rapport aux
remarques intéressantes que le professeur Turp a faites. Je voudrais y
revenir quelques minutes tout à l'heure.
Pour le moment, je voudrais bien qu'on puisse analyser l'impact de cette
reconnaissance, pour la première fois dans l'histoire de ce
fédéralisme, que le Québec forme une société
distincte et relier cette reconnaissance au troisième article qui dit
bien: "L'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec - je
sais que vous connaissez très bien les implications de ce que je viens
de dire - ont le rôle - je ne reviens plus sur ce mot - de
protéger"... Dans un premier temps, donc, protection; ce que vous avez
pour la dualité, vous l'avez maintenant pour la société
distincte. Et là, voua avez un ajout: "et de promouvoir le
caractère distinct de la société québécoise
mentionné au paragraphe (l)b)". C'est donc, dans son ensemble, vous en
conviendrez, professeur Morin, qu'il faut voir l'impact de cette situation, de
cette reconnaissance de fait, dans un premier temps, concernant la
dualité.
Bien sûr, il faut remarquer que les francophones sont minoritaires
partout, dans toutes les autres provinces, excepté au Québec
où ils sont majoritaires, alors que les anglophones sont minoritaires au
Québec et majoritaires dans toutes les autres provinces. Il ne faudrait
pas faire l'erreur de mettre sur un même pied, professeur Morin, la
minorité anglophone du Québec et la minorité francophone
hors Québec. Ce serait là une erreur lourde de
conséquences pour nous. Ce n'est pas la même chose. C'est
là que le concept de société distincte prend tout son sens
avec ce mot, ce rôle de protéger et de promouvoir. C'est dans ce
contexte que je vous soumets tout simplement comme analyse qu'on doit
comprendre cette dualité et la spécificité du
Québec en fonction, dans un premier temps, d'une reconnaissance de fait.
On reconnaît le fait qu'il y a au Canada des anqlophones et des
francophones; les anglophones sont minoritaires au Québec et
majoritaires dans le reste du Canada et les francophones, majoritaires au
Québec et minoritaires dans le reste du Canada.
Dans un deuxième temps, professeur Morin, on a une base juridique
que je suis certain que vous pouvez qualifier d'intéressante. En tout
cas, c'est l'avis de Me Turp qui, tout à l'heure, nous disait qu'il
voyait là - je vais prendre son expression -"un texte promoteur pour
l'avenir du Québec". II voyait là un texte promoteur pour
l'avenir du Québec. Il y a donc là une assise juridique
fondée à la fois sur le pouvoir législatif et sur le
pouvoir gouvernemental qui permet donc d'élaborer une dynamique
particulière à cet aspect. (16 heures)
Quant à l'utilisation du mot "société",
évidemment, le Québec peut être considéré
comme un peuple, mais, à notre avis, il est plus qu'un peuple.
D'ailleurs, le mot "peuple", comme vous le savez si bien, est
déjà inscrit dans la constitution concernant les autochtones.
Même le mot "nation" est utilisé pour décrire des
autochtones. Ce que nous voulons signifier... Je crois que le Québec a
le droit, le droit historique, qu'on puisse inclure dans la constitution le
fait qu'il est différent non seulement par la langue... Pour cela, je me
réfère à un discours important qu'avait fait le chef de
l'Opposition Lorsqu'il était ministre des Affaires intergouvernementales
devant l'Association des professeurs de droit du Québec, où il
disait que la spécificité du Québec - cela, c'est à
Montréal, le 29 mai 1985 et je suis d'accord avec lui - ce qu'on a
appelé la "différence" québécoise ne se
résume cependant pas au facteur linguistique. Nous sommes parfaitement
d'accord avec le chef de l'Opposition. Le critère de
société nous permet d'aborder non seulement la langue parce que
c'est évident que nous
sommes distincts... D'ailleurs, il n'y a pas cinq, six ou sept provinces
qui ont été reconnues comme distinctes dans cette entente du lac
Meech, il y en a eu une et c'est le Québec. Si on ne sait pas pourquoi,
eh bien! il faudra peut-être s'interroger un petit peu
sérieusement. Cela pose des problèmes. Dans ce contexte, pour
nous, le mot "société" est plus significatif que le mot
"peuple".
C'est dans ce contexte que je vou3 demande, professeur Morin: Est-ce
qu'il y a des amendements précis que vous voyez qui pourraient rendre ce
texte acceptable: dualité et société distincte? Je ne sais
pas, je pense que vous n'avez pas soumis d'amendement. Est-ce qu'il y a une
formule d'amendement qui a été soumise? Est-ce qu'il y a un
amendement? Je sais que le professeur Turp a soumis un amendement. Est-ce que
le professeur Morin a soumis un amendement aussi?
M. Morin: Également, M. le Président.
M. Rémillard: II y a un amendement qui a été
soumis?
M. Morin: L'inversion dans le paragraphe a), je suis prêt
à le mettre par écrit.
M. Rémillard: Est-ce que c'est le seul amendement que vous
êtes prêt à...
M. Morin: Non, j'en aurais d'autres, à condition que vous
ne me "filibustiez" pas.
M. Rémillard: Excusez-moi, je n'ai pas compris. À
condition que...
M. Morin: J'ai le sentiment, M. le Président, depuis un
certain temps, par cette interminable question que je suis victime d'un
"filibuster".
Des voix: Ah! Ah! Ah!
M. Rémillard: Vous avez des cauchemars. Vous ne voyez pas,
vous, un monstre comme tout à l'heure, vous voyez quelque chose d'autre.
Écoutez, vous pourriez...
M. Morin: Continuez, M, le ministre, continuez.
M. Rémillard: Non, mais vous pourriez tout simplement
demander de parler sur le temps de l'Opposition, puisque vous êtes un de
leurs conseillers comme tel, cela ne causera pas de difficulté. Nous
sommes heureux de vous entendre. Je voulais simplement vous donner aussi une
perspective et maintenant ma question arrive. Ma question est strictement pour
connaître votre amendement. Je ne voudrais pas que vous pensiez, tout
simplement, quoi que ce soit. Je veux simplement que vous puissiez nous dire:
Est-ce qu'il y a des amendements qui, en plus, donc, de ceux que vous avez,
vous paraîtraient judicieux? Ma première question: Est-ce que vous
avez des amendements concernant le droit de veto qu'on a
récupéré?
Le Président (M. Filion): Alors, avant de vous laisser la
parole, M. le professeur Morin, pour l'information du ministre et des
invités, effectivement, l'intervention ou la question du ministre a pris
environ 20 minutes, entre 19 et 20 minutes. Alors, M. le professeur Morin, la
parole est à vous.
M. Morin: Oui, bien sûr, M. le Président. Je vais
faire mon possible. Mais je vaudrais relever, tout d'abord, quelque chose que
le ministre a dit au début et qui m'a semblé ambigu. J'ai eu le
sentiment qu'il me reprochait, en quelque sorte, mon engagement politique par
rapport à ces questions-là. Je connais d'autres professeurs de
droit qui sont dans la vie publique et qui ne s'en font pas une faute. En tout
cas... Je voudrais dire, M. le Président, que je me sens tout à
fait libre comme citoyen. Je l'ai fait avant la partie de ma vie qui a
été consacrée aux affaires publiques, à
l'époque de la formule Fulton-Favreau, à l'époque de la
charte de Victoria. Je n'étais pas dans la vie politique et j'estimais
de mon devoir d'intervenir et c'est la raison pour laquelle, étant sorti
de la vie publique, j'interviens à nouveau parce qu'il me paraît
que c'est du même ordre. Il ne faudrait pas m'en faire le reproche, je
pense, parce que les deux dernières fois il me semble que j'ai pu
contribuer à un certain résultat qui était
bénéfique pour le Québec. Je ne dis pas que j'étais
seul. Bien d'autres ont contribué à défaire la formule
Fulton-Favreau et la charte de Victoria, mais j'avais le sentiment d'avoir
apporté quelque chose et je pense que, tous, on se
félicitait.
Je revois le soir où M. Bourassa a dit non à la charte de
Victoria. J'étais à Québec. Je revois la Chambre. Tous les
députés, des deux côtés de la Chambre, debout pour
l'applaudir. Je pense que c'est la seule fois où cela s'est produit dans
sa carrière politiquel Et c'était à propos, justement, de
la charte de Victoria. Donc, je pense qu'il y avait une certaine
unanimité parce qu'on s'était parlé, entre
Québécois de tendances diverses, d'opinions diverses, pour
essayer de voir clair là-dedans. C'est l'esprit dans lequel je suis venu
ici. Je tenais à dire cela au départ.
C'est une question bien longue où on a touché à peu
près à tout et sur laquelle on m'a demandé si j'avais des
propositions d'amendement. Je vais essayer de répondre rapidement
à la question. Prenons d'abord
l'immigration. En ce qui concerne l'immigration, je voudrais attirer
l'attention sur le fait que ce qu'on voudrait constitutionnaliser, ce qui sert
de modèle, c'est l'entente Cullen-Couture signée à
l'époque du gouvernement Lévesque et les amendements, depuis
lors, négociés entre le gouvernement fédéral et le
gouvernement Lévesque, pour arriver à se partager ce pouvoir sur
l'immigration. Mais je tiens à dire au ministre, M. le Président,
que je n'ai pas à infirmer en rien mon affirmation de ce matin, que cela
ne change pas la répartition des compétences, comme on dit
quelquefois, le partage des pouvoirs, puisque c'est une compétence
concurrente, c'est une compétence qui appartient aux deux ordres de
gouvernement ensemble. Elles ne sont pas faciles à administrer,
celles-là. Mais l'entente Cullen-Couture et les autres ententes avaient
démontré que c'était possible.
M. le Président, je dois l'exprimer, j'ai un doute sur la sagesse
de constitutionnaliser les ententes, dont celle-là. Peut-être que,
dans un autre domaine, je pourrais en convenir, mais voilà une
négociation d'ordre administratif qui a bien fonctionné entre
deux gouvernements qui étaient aux antipodes: le gouvernement Trudeau
d'un côté, le gouvernement Lévesque de l'autre. Et on est
arrivé à cette entente administrative et à ces amendements
successifs. M. le Président, quel est l'avantage de constitutionnaliser?
Je ne le distingue pas très bien, à moins que cela ne permette au
Québec de fixer le niveau d'immigration qui sera le sien. Si ce
pouvoir-là était inclus, cela pourrait être
intéressant. Mais il n'y est pas. Et je vous ferai observer que cette
partie de la formule du lac Meech a pour effet, quand cela sera
constitutionnalisé, de consacrer le pouvoir du gouvernement
fédéral de fixer des normes et des objectifs nationaux en
matière d'immiqration. Or, si ma mémoire est bonne et si je
retourne à l'époque de M. Lesage, le Québec revendiquait,
justement, le pouvoir de fixer les niveaux d'immigration en ce qui le concerne
ou de les négocier, à tout le moins, avec Ottawa. Je me souviens
très bien de ces années. Je les ai vécues. C'était
une revendication comme bien d'autres des revendications du Québec
à l'époque.
M. le Président, je constate que c'est le contraire ici. C'est
une confirmation du pouvoir fédéral et j'hésiterais
à constitutionnaliser une pareille entente. Si on peut continuer
à gagner du terrain sur le plan administratif comme nous l'avons fait
sans relâche pendant des années, je pense que cela serait plus
sage.
Je passe à la formule de modification à propos de laquelle
le ministre m'a demandé si j'aurais des propositions. Oui, puisqu'on m'y
invite, j'aurais une proposition à faire au mode d'amendement, à
la formule de modification. Je pense que le mot "raisonnable", tout comme,
d'ailleurs, le mot "juste", quand on parle de compensation, est un terme ambigu
et je crains bien que le niveau de compensation, en cas de retrait, soit
déterminé soit par le gouvernement fédéral, soit
éventuellement par des tribunaux, donc la Cour suprême et on sait
ce qu'est la Cour suprême. Donc, je ne suis...
Le Président (M, Filion): Je dois vous interrompre, M. le
professeur Morin. Le temps de 24 minutes qui était imparti au parti
ministériel est expiré. J'ai signalé tantôt que la
question était passablement vaste et longue. Est-ce que je dois
comprendre qu'il y a consentement de part et d'autre pour que nos
invités puissent compléter leur réponse à la vaste
question de M. le ministre? Donc, je vais reconnaître M. le
député de Beauharnois.
M. Marcil: Je ne veux pas entendre le président porter un
jugement sur l'intervention du ministre Rémillard, à savoir si sa
question est vaste.
Le Président (M. Filion): Je pense que c'est un fait que
la question était vaste, M. le député de Beauharnois. Je
demande s'il y a consentement des deux côtés.
M. Lefebvre: Avant de donner mon consentement...
Le Président (M. Filion): Oui, M. le leader adjoint.
Une voix: II n'y a pas besoin de consentement. On est rendu sur
notre temps.
M. Lefebvre: C'est, justement, la question à laquelle je
voulais arriver. Est-ce que je dois comprendre, si on donne notre consentement,
que le temps que notre invité prendra pour répondre sera
amputé sur l'enveloppe de l'Opposition?
Le Président (M. Filion): Non.
Une voix: II ne vous reste plus de temps.
M. Lefebvre: Si oui, il n'y a aucune... Est-ce que, à
partir de maintenant, cela sera pris sur les 24 minutes de l'Opposition? C'est
tout simplement pour se comprendre, M. le Président.
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, je vais
placer la question que je vous pose dans son contexte. Il y avait 24 minutes
à chaque formation incluant, bien sûr, comme vous le savez,
questions et
réponses. Le ministre a - c'est tout à fait son droit -
posé une question qui durait une vingtaine de minutes sur 24 minutes,
question qui était vaste, je le répète parce que c'est un
fait. Il faisait le tour de quatre des cinq points, en fait de tous les points
de l'accord du lac Meech. Le professeur Morin, si vous avez suivi sa
réponse, est en train de faire le tour à son tour des questions
soulevées par le ministre. Par égard pour nos invités, je
vous suggère d'accorder votre consentement è ce que la
réponse de nos invités puisse faire partie de votre enveloppe, si
l'on veut, et ne pas amputer l'enveloppe du parti de l'Opposition. Donc, je
vous demande si vous accordez votre consentement à ce que nos
invités puissent compléter leur réponse à la
question posée par le ministre. M. le député de Gouin.
M. Rochefort: M. le Président, en ce qui nous concerne,
évidemment, nous donnons notre consentement pour que notre invité
puisse poursuivre sa réponse.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le
député de Gouin. M. le leader adjoint.
M. Lefebvre: Est-ce que je pourrais savoir de combien de temps
pourrait avoir besoin notre invité pour compléter sa
réponse à l'intelligente question du ministre Rémillard?
Combien de temps, M. Morin?
Le Président (M. Filion): Elle était vaste,
c'était un fait, M. le leader adjoint. M. le professeur Morin.
M. Morin: M. le Président, je vais essayer de boucler
cette vaste question de 20 minutes en 5 ou 6 minutes, si vous le permettez.
Le Président (M. Filion): Bon, d'accord.
M. Lefebvre: II y a consentement, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Donc 5, 6 minutes
additionnelles, cela va?
M. Lefebvre: Oui, M. le Président.
Le Président (M. Filion): 5 minutes, M, le leader adjoint,
c'est bien. Je vous remercie.
M. Morin: Je peux procéder, M. le Président?
Le Président (M. Filion): Je vous en prie, vous pouvez
poursuivre.
M. Morin: Quand j'étais dans la vie publique, la vie
parlementaire, il m'est arrivé de subir des "filibusters". Il m'est
même arrivé, je l'avouerai, de le pratiquer moi-même, mais
je pense que c'est la première fois que je vois un invité se
faire "filibuster". C'est nouveau, je pense. C'est un précédent
parlementaire. Poursuivons. Je proposerais, M. le Président... Je n'ai
pas le droit de faire des propositions de modification, mais, dans la mesure
où cela intéresse le ministre, je pense qu'il aurait
intérêt à remplacer le mot "raisonnable" par le mot
"proportionnelle" ou par un mot équivalent qui ferait allusion à
la partie de la population canadienne qui vit au Québec et, donc, qui a
droit à une répartition au moins au prorata des subventions. (16
h 15)
Parce que si on s'en remet è ce terme "raisonnable", comme
j'étais en train de le dire, on laisse le gouvernement
fédéral décider ce qui est raisonnable et
éventuellement les tribunaux. Ce n'est pas une façon
d'administrer et je propose donc qu'on mette le mot "proportionnelle" ou
quelque mot équivalent. Et d'une suggestion de modification.
En ce qui concerne maintenant la formule d'amendement toujours, je
voudrais attirer votre attention sur un étrange oubli. Il faut mettre
ensemble la formule d'amendement et ce qui est intitulé la
deuxième ronde. Si vous voulez, on va regarder ces textes ensemble parce
qu'il se complètent et comportent, è mon avis, une erreur qui
pourrait être coûteuse. Je sais, bien entendu, M. le
Président, que ce ne sont pas les textes définitifs. Je sais que
ce n'est qu'une ébauche, mais j'ai entendu le ministre dire, hier ou
avant-hier, que les textes ne varieraient pas beaucoup. Si c'est le cas, alors,
je suis un peu inquiet. Si vous voulez, on va regarder ensemble le dernier
paragraphe de ce que vous appelez la formule de modification, en bon
français le mode de modification ou d'amendement. Vous allez constater
qu'on fait allusion à l'article 42 de la Loi constitutionnelle de 1982
et cet article 42, qui porte sur un certain nombre d'aspects du Sénat,
à l'heure actuelle peut être modifié au deux tiers. Mais on
remplace cette règle des deux tiers par l'unanimité, sauf qu'on a
oublié quelque chose. Si je me reporte maintenant à la
deuxième ronde, on trouve une ligne qui n'est pas à l'article 42.
Si vous voulez bien le regarder avec moi, on dit: "La réforme du
Sénat, notamment: les fonctions et le rôle du Sénat".
Voilà une expression qui n'est pas mentionnée dans l'article
42.
Alors, quel est le mode d'amendement applicable aux fonctions et au
rôle du Sénat? Je ne suis pas inquiet pour le reste, pour les
pouvoirs, pour le mode de sélection, pour la répartition des
sièges; il est clair que ce sera la règle de l'unanimité
parce qu'ils sont mentionnés dans l'article 42. Mais, pour les
fonctions et le rôle, tenez-vous bien, ce qui va arriver, c'est
l'article 44 qui va s'y appliquer. Et savez-vous ce que dit l'article 44? Que
le Parlement fédéral agissant seul peut modifier les questions
relatives au Sénat. Alors, on va avoir un drôle de mode
d'amendement! Je me permets d'attirer l'attention des juristes
là-dessus, des conseillers du gouvernement. Je pense que cela leur a
échappé, mais imaginez-vous un système où les
fonctions et le rôle du Sénat seraient décidés par
le gouvernement fédéral seul et les pouvoirs du Sénat
décidés par l'unanimité des provinces et du Parlement. Il
y a vraiment là quelque chose d'un peu incongru. J'ose espérer
que c'est un oubli, une erreur de transcription ou quelque chose. Cela me
paraît tellement invraisemblable, et pourtant. Vous voyez l'importance
des textes. C'est ce qu'on trouve dans la deuxième ronde et dans la
formule de modification.
M. le Président, vous me faites signe que mon temps est
échu. Je pense avoir fait le tour, à quelques petites brindilles
près de ce que le ministre a dit. Il a dit tellement de choses en 20
minutes pour manger le temps de parole que je ne pourrai peut-être pas
couvrir tout. C'est navrant, mais je ne voudrais pas, non plus, empêcher
mon collègue de répondre à la question du ministre. Je ne
voudrais pas ; empêcher l'Opposition de poser de nouvelles questions.
Alors, j'en ai terminé.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le
professeur Morin.
Mme Robic: M. le Président...
Le Président (M. Filion): Oui, Mme la ministre.
Mme Robic: ...j'aimerais avoir le consentement de cette
commission pour réparer peut-être une erreur qui s'est
glissée dans l'exposé du professeur Morin.
Le Président (M. Filion): Je m'excuse, madame.
M. Lefebvre: M. le Président...
Le Président (M. Filion): Est-ce qu'il y a
consentement?
M. Lefebvre: M. le Président...
Le Président (M. Filion): Excusez. Est-ce qu'il y a
consentement? Non, madame.
M. Lefebvre: M. le Président, si vous le permettez...
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint.
M. Lefebvre: M. le Président, je comprends que ce qu'on
a...
Le Président (M. Filion); Est-ce que c'est une question de
règlement, M. le leader adjoint?
M. Lefebvre: Oui, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Quelle est votre question de
rèqlement?
M. Lefebvre: Je comprends, M. le Président, que ce qu'on a
accordé à l'Opposition tout à l'heure ne nous est pas
accordé, à nous, soit deux minutes additionnelles.
Le Président (M. Filion): Ce n'est pas une question de
règlement, M. le leader adjoint.
M. Lefebvre: II n'y a pas de consentement de l'Opposition.
Le Président (M. Filion): La parole est maintenant au
porte-parole de l'Opposition. M. le député de Lac-Saint-Jean, la
parole est à vous.
M. Brassard: Merci, M. le Président.
Mme Robic: Vous n'êtes pas intéressé à
ce qu'on corrige une erreur?
M. Brassard: Merci, M. le Président. On a essayé
d'en corriger une de la ministre cet après-midi à
l'Assemblée nationale.
M. le Président, il nous reste une dizaine de minutes. J'aurais
eu bien des questions à poser à MM. Morin et Turp. Entre autres,
M. Turp parlait d'octroi additionnel de compétences au Québec en
matière linguistique pour assurer le caractère distinct du
Québec. J'aurais aimé l'entendre là-dessus. Vous avez
vous-même, M. Morin, parlé de véritables garanties pour le
caractère français. J'aurais aimé voir comment vos
intentions, vos objectifs en cette matière auraient pu ou devraient,
selon vous, se traduire dans une entente constitutionnelle. Si vous avez le
temps, vous pourrez répondre à cette question; je pense qu'elle
est importante. Je vous laisse tout le reste du temps parce que le ministre en
a utilisé beaucoup trop et ne vous a pas permis de répondre. Il
me semble que c'est le but de cette commission. L'objet des travaux de cette
commission, c'est de permettre aux experts de répondre. Je vous laisse
le temps qui reste pour poursuivre votre réponse au ministre, M. Morin
et M. Turp.
M. Morin: Avec votre permission, M. le Président, mon
collègue, Daniel Turp, n'a
vraiment pas eu une seconde pour répondre aux questions
posées par le ministre. Je vais le laisser procéder d'abord et,
s'il reste du temps, je reviendrai effectivement sur les questions qui m'ont
été posées.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le professeur Morin.
M. le professeur Turp, la parole est à vous.
M. Turp: Je ferai cela très rapidement, M. le
Président.
Je suis heureux d'avoir entendu le ministre nous dire qu'il
considérait que le Québec était un peuple. Je pense que
c'est très important pour l'avenir collectif du Québec, pour son
droit à l'autodétermination. Je constate qu'il consacre cette
notion et qu'il préserve par là l'avenir de ce droit fondamental
pour le peuple québécois.
Je ne saurais être d'accord avec lui que le mot
"société" est plus significatif. Pour les raisons que j'ai
mentionnées, la définition que j'ai proposée ce matin qui
était celle que M. Patry nous rapportait et qui est celle des
sociologues allemands du XVIIIe et du XIXe siècles, je pense que la
notion de peuple est une notion beaucoup plus usitée, qui a un poids
juridique plus certain et qui a une vocation internationale qu'on ne devrait
pas négliger.
Mais cela étant dit, je pense que l'équation "peuple" et
"société distincte", sans nous satisfaire pleinement - elle met,
par ailleurs, l'Assemblée nationale un peu en contradiction avec
elle-même dans la mesure où elle a retenu l'expression "peuple"
dans plusieurs de ses lois; faudra-t-il qu'elle modifie ces autres lois? - est
une expression qui, à cause de la combinaison du mot
"société" et du mot "distincte", préserve l'essentiel.
Mais ce n'est pas suffisant. M. Rémillard insiste beaucoup depuis
le début des travaux, et il l'a fait particulièrement
aujourd'hui, sur le poids et l'importance du paragraphe (3) de la disposition
concernant le caractère distinct du Québec: "L'Assemblée
nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de
protéger et de promouvoir le caractère distinct de la
société québécoise mentionné au paragraphe
(l)b)." Je pense que le gouvernement aurait intérêt à
serrer et à préciser davantage la portée de cet article.
En effet, s'il considère qu'il est attributif de compétences - je
le souhaiterais bien, quant à moi - la terminologie qui est
utilisée n'est pas garante d'une interprétation de la même
nature par les tribunaux canadiens qui verront une disposition beaucoup moins
attributive de compétences qu'on ne le suggère. C'est la raison
pour laquelle, dans l'exposé que je vous ai préparé ce
matin, je suggérais qu'il soit clair que cette disposition soit
attributive de compétences. Je vous avais proposé une
formulation, je vais peut- être vous en proposer une nouvelle: qu'on
ajoute à la fin de cet article 3: "et, notamment, dans l'exercice de
leurs compétences en matière linguistique" pour qu'il soit clair
que cet article 3 permet aux compétences en matière linguistique
du Québec de ne pas être affectées par les deux paragraphes
qui le précèdent et qu'elles soient renforcées, eu
égard à l'assaut qui a été fait à ces
compétences par les tribunaux canadiens.
J'ajouterais aussi - j'aimerais bien entendre le ministre sur cette
question et je pense que c'est important aux fins de la protection et de la
promotion du caractère disctinct du Québec - "et des
compétences qui sont dévolues à cette Assemblée et
au gouvernement surtout - au gouvernement surtout - en matière de
relations internationales avec la francophonie". À mon avis, une des
façons qui nous sera le plus utile dans l'avenir du Québec de
protéger et de promouvoir le caractère distinct du Québec,
c'est d'avoir des relations encore plus privilégiées avec les
États francophones, les peuples francophones, les organisations et
conférences internationales de la francophonie! Je pense qu'il serait
important d'asseoir sur des bases juridiques plus solides encore ces relations
internationales. Vous réussiriez à faire cela, si vous acceptiez
d'allonger l'article 3 et d'en faire clairement un article attributif de
compétences.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le professeur Turp. M.
le professeur Morin.
M. Morin: Bien. M. le Président, on m'a demandé, de
part et d'autre, si j'avais d'autres suggestions à faire pour
améliorer les textes. Oui, effectivement, j'en avais noté
quelques-unes. Pour ce qui est de la formule de modification, je vous ai
indiqué que le mot "proportionnelle" serait beaucoup mieux choisi dans
l'intérêt du Québec qu'un terme vague comme "raisonnable"
ou "juste". Effectivement, on devrait même utiliser "proportionnelle" en
le définissant quelque part par rapport à la population. On s'est
fait jouer des tours absolument pendables -les membres du gouvernement actuel
le savent aussi bien que les gouvernements antérieurs - par le
gouvernement fédéral à partir de recensements incomplets.
Je ne sais plus combien de millions ils doivent au Québec après
avoir, justement, décidé unilatéralement de ce qui
était raisonnable. Je pense que c'est une première
amélioration. II y en a d'autres.
En ce qui concerne maintenant le caractère distinct du
Québec, la proposition de M. Léon Dion, ce matin, m'a beaucoup
plu. Je vous avoue que ce conseiller du gouvernement, autrefois... Il a
été, si ma mémoire est bonne, quelques jours conseiller du
ministre qui m'interrogeait. J'estimais que
cette proposition de ce matin était excellente. J'aurais
peut-être modifié un mot dans le premier paragraphe. Lorsqu'il dit
que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le
rôle ou la responsabilité de protéger et de promouvoir le
caractère distinct de la société québécoise,
j'aurais peut-être utilisé le mot "devoir", le "devoir de
protéger et de promouvoir". Voilà encore... C'est un mot, mais il
y a beaucoup, quelquefois, dans un mot. En dépit du Petit Robert, le
rôle d'une institution, c'est toujours quelque chose de facultatif. On
l'exerce de telle façon ou de telle autre, mais on n'est pas
obligé à atteindre un résultat. Donc, en
définitive, il y a quelque chose de facultatif dans l'exercice d'un
rôle. C'est ce que j'ai souligné ce matin et je n'en
démords pas.
Si vous voulez bien, je vais essayer de répondre maintenant
à la question qu'on m'a posée sur la Cour suprême. Alors,
là, les bras m'en sont tombés un peu. En définitive, que
fait la proposition sur la Cour suprême, M. le Président? Elle
confirme le pouvoir de nomination de l'Exécutif fédéral,
le pouvoir ultime de nomination. À moins que je n'erre dans la lecture
du texte que j'ai devant mot: "advenant une vacance à la Cour
suprême, le gouvernement fédéral nommera, à
même une liste de noms proposés par les provinces, une personne
dont la candidature lui agrée." M. le Président, le seul pouvoir
que je peux voir dans cela, c'est le pouvoir de proposer. Avouez que c'est
plutôt maigre, parce que ce n'est pas le pouvoir de nommer. Le pouvoir de
nommer n'a pas changé d'endroit, il est encore entre les mains du
pouvoir fédéral. C'est sans doute faire bon marché des
revendications traditionnelles du Québec et, notamment, de celles de
Jean Lesage. (16 h 30)
Tout cela va confirmer l'existence d'une Cour suprême
essentiellement nommée, comme par le passé, par l'Exécutif
fédéral. On aurait pu imaginer toutes sortes d'autres choses.
C'est pourquoi j'estime qu'il est prématuré de régler ce
problème, parce que là on va s'enfermer dans un carcan. Par
exemple, si on accepte cela maintenant, par la suite, supposons qu'on arrive
à s'entendre sur un Sénat, sur un pouvoir législatif,
deuxième Chambre, qui soit vraiment représentatif des provinces -
pas un Sénat élu comme ce qu'on va probablement nous proposer,
mais un vrai Sénat qui représente les provinces,
délégué par les provinces, comme cela se fait dans
certains États fédéraux - pourquoi ne confierait-on pas
à un tel Sénat, pourvu qu'il soit représentatif et, donc,
au pouvoir législatif, un pouvoir d'approbation des candidats soumis par
le pouvoir fédéral et par les provinces? Là, on aurait des
garanties d'impartialité et on verrait, non pas des petits groupes
d'hommes, mais des groupes d'hommes débattant, à ciel ouvert, les
mérites ou les démérites des candidats qui leur sont
soumis. Si on accepte cette formule sur la Cour suprême, on se ferme
l'avenir, on se met un carcan autour du cou.
Pour ma part, je trouve que c'est faire bon marché d'une autre
suggestion de Jean Lesage, à l'époque, qui a été
reprise par Daniel Johnson et, par la suite, dans les conférences
constitutionnelles et qui était la suivante. Elle était double:
que la Cour d'appel du Québec soit le tribunal de dernière
instance en matière civile. II n'y a pas de raison que les questions de
pur droit civil aillent à la Cour suprême pour être
décidées par des juqes qui viennent en majorité de la
"Common Law". Cela m'a toujours paru une aberration. Vous n'avez qu'à
interroger les avocats francophones de Montréal et d'ailleurs, ils vont
vous dire ce qui est arrivé à notre droit civil à travers
son interprétation par la Cour suprême, par un tribunal qui,
essentiellement, est formé à la "Common Law". Cette suggestion
s'est perdue dans la brume. Voilà encore une question importante qui est
escamotée.
Jean Lesage avait aussi proposé à l'époque de
créer un tribunal constitutionnel spécial pour les questions
constitutionnelles, un tribunal qui aurait vraiment été
représentatif à la fois des deux ordres de gouvernement, de
l'ordre fédéral et des provinces. Au lieu de cela, la formule du
lac Meech qu'on nous propose coule dans le béton une cour
essentiellement nommée par le pouvoir fédéral. Je ne peux
pas être d'accord avec cela.
Je pourrais continuer de la sorte à faire le tour de tous les
articles de la formule du lac Meech. Il y a peut-être ici et là
des choses qui font avancer le Québec, bien sûr, dans dix pages de
texte. Mais, dans l'ensemble, cela marque un net recul pour le Québec.
Je ne suis pas étonné qu'on l'ait dénoncé
vertement, mais je suis étonné que, du côté du
gouvernement, on ne le voie pas clairement, surtout maintenant, alors que les
explications commencent à être données. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): M. le professeur Morin, M. le
professeur Turp, au nom de tous les membres de cette commission, je voudrais
vous remercier à la fois pour votre exposé et pour votre
patience, ainsi que pour la période d'échanges, si vous me
permettez le mot. Merci, messieurs.
M. Morin: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Étant donné notre
horaire chargé, nous allons immédiatement permettre à
notre prochain invité... Est-il arrivé? Je crois que oui. Est-ce
que Me Robert Décary est parmi nous? Me
Décary, bienvenue. Pendant que vous prenez place, je vous
rappelle la règle des 90 minutes qui s'applique encore: 20 minutes pour
votre exposé, Me Décary, et 35 minutes à chacune des
formations pour la période d'échanges. Pendant qu'il prend place,
on vous remet le texte de Me Décary dont j'accepte le
dépôt. Je profite de l'occasion pour rappeler aux membres de la
commission que nous avons une séance de travail qui suivra notre
séance de cet après-midi. Cette séance de travail aura
pour but de planifier nos travaux de la semaine prochaine. Elle aura lieu
à la salle Louis-Hippolyte-Lafontaine, vers 18 heures,
c'est-à-dire après la fin de nos travaux ici.
Me Décary, est-ce que ça va?
M. Décary (Robert): Je suis prêt.
Le Président (M. Filion): Je vous souhaite ta bienvenue
à cette commission. Sans plus tarder, je vous invite à
présenter votre exposé aux membres.
M. Robert Décary
M. Décary: M. le Président, madame et messieurs les
membres de cette commission, je me sens particulièrement petit et un peu
nerveux, je dois le dire, quand je vois celles et ceux qui m'ont
précédé et qui me suivront devant vous. Je n'ai pas
l'expertise constitutionnelle des uns, ni l'expertise sociale ou
sociétale des autres. Je me sens un peu comme l'observateur de la rue
qui a le désavantage de ne pas en savoir beaucoup, mais qui a l'avantage
de ne pas en savoir trop. Ce qui me permet peut-être de voir l'entente
dans un contexte plus global et de la voir avec les instincts du citoyen,
fédéraliste pour l'instant, qui pense que les choses sont
peut-être plus simples qu'on nous le dit et qu'il est grand temps qu'on
se branche.
La constitution est l'affaire des citoyens en tout premier lieu et les
citoyens ont ceci d'extraordinaire qu'ils ont le bon sens avec eux et qu'ils
ont le pouvoir encore plus extraordinaire, qu'ils exercent d'ailleurs de plus
en plus souvent, de renvoyer chez eux les gouvernements qui ne font plus leur
affaire. Ma réaction profonde devant ce qui se passe depuis l'entente du
lac Meech, c'est qu'une unanimité extraordinaire s'est faite autour d'un
projet qui rejoint globalement les préoccupations traditionnelles du
Québec et qui permet au Canada d'entreprendre, si j'ose dire, une
nouvelle carrière. Je ne voudrais pas qu'on rate le train parce qu'il y
manque quelques wagons. À force de voir des pièges subtils
partout, on en est resté depuis 20 ans au statu quo. Pire, on a
reculé. Je pense que la paranoïa a bien mal servi et sert encore
bien mal le Québec et les Québécois.
Il y a des lieux communs qu'il ne me sera pas nécessaire de
relever et je fais miens, par exemple, les propos de M. Dion relativement au
contexte particulièrement difficile dans lequel cette entente a
été conclue. Je rejoins M. Dion dans bon nombre des observations
et propositions qu'il vous a faites ce matin. Je rejoins Me Beaudoin dans sa
définition du pouvoir de dépenser et je reviendrai plus loin
là-dessus. Je rejoins Me Beaudoin également dans sa conclusion
que cet accord se situe aux limites du possible et que nous traversons un
moment privilégié qu'il faut capter. Je rejoins Mme
Chaput-Rolland dans son sentiment de soulagement profond devant le
déblocage important que constitue l'entente du lac Meech.
Ma réaction, fondamentalement, est la suivante: cet accord de
principe contient assez d'éléments pour adhérer la
tête haute à l'entente constitutionnelle de 1982. Il contient des
instruments suffisants pour tenter, une fois pour toutes, l'expérience
d'un fédéralisme renouvelé. Il n'est pas possible de
prédire aujourd'hui si, à la suite de cette entente, le
fédéralisme sera, dans les faits, renouvelé comme le
souhaite le Québec. Il se peut que oui, il se peut que non. La question
à laquelle nous avons à répandre aujourd'hui est
plutôt la suivante: les termes de ce projet d'entente permettront-ils au
Québec de rallier les rangs de la famille canadienne avec un espoir
solide et une possibilité sérieuse d'en arriver à un
renouvellement du fédéralisme qui soit compatible avec les
aspirations du Québec au sein d'un État
fédéral?
Il n'est pas possible non plus de donner aujourd'hui une
interprétation qui soit indiscutable du texte proposé ni qui
puisse rallier l'unanimité. Non seulement le document proposé
n'est pas couché en termes constitutionnels, mais, même s'il
l'était, il prêterait inévitablement flanc à
interprétation. Il en est ainsi de toute loi, encore plus de toute
constitution. Tout texte qui résulte d'un compromis politique a des
faiblesses. S'il est trop précis, il ne fera pas l'unanimité.
S'il est trop vague, il sera susceptible d'autant d'interprétations
qu'il y aura de mots. Ne cherchons pas une formule magique. Comme vous avez pu
le constater depuis deux jours, il y a autant de formules magiques qu'il y a de
magiciens. Aussi, n'attendez pas de moi aujourd'hui quelque solution ou
interprétation miracle. Je vous exposerai franchement, de bonne foi, ce
qui m'apparaît valable et ce qui m'apparaît ne pas l'être
dans le document proposé, car je suis ici en tant que
Québécois et le fait que j'ai été invité par
la majorité ministérielle plutôt que par le parti
d'Opposition, et non par les deux, comme, fort heureusement pour lui,
c'était le cas pour M. Dion, ne change rien à l'accord, ni
à ce que j'en pense, ni à ce que j'en dirai. J'arrive avec
l'humilité ou plutôt avec le sens du réalisme du juriste
qui
sait à l'avance qu'en droit il n'est pas d'interprétation
garantie et qu'il se trouvera toujours un juge quelque part pour lui donner
tort. Je viens aussi avec le sens du réalisme d'un analyste politique
qui sait fort bien que dans une fédération nul ne peut ' tirer
toute la couverte de son côté. N'attendons pas, donc, de cet
accord qu'il soit parfait et complet. Il constitue le début d'un
processus. Le but premier de la rencontre était de rapatrier le
Québec, il n'était pas d'entreprendre une réforme globale
du système fédéral.
En ce qui a trait maintenant au contenu proprement dit de l'entente, et
sous réserve, bien sûr, de ce que sera le document officiel, je
vous livre maintenant mes commentaires. Sur la dualité canadienne et la
société distincte, la constitution reconnaîtra, non pas en
préambule, mais dans une disposition spécifique, la
dualité canadienne et le fait que le Québec forme une
société distincte. Les tribunaux devront donc interpréter
la constitution à la lumière de ces deux prémisses
fondamentales. À ce jour et depuis 1982, les tribunaux n'avaient
l'obligation d'interpréter la charte que de manière à
promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des
Canadiens. L'ajout est d'autant plus important qu'il vise
l'interprétation non seulement de la charte, mais de toute la
constitution, y inclus, donc, le partage des compétences. Il se pourrait
que l'interprétation donnée par les tribunaux de la constitution,
y compris le partage des compétences, soit modifiée du tout au
tout lorsqu'un élément du caractère distinct du
Québec sera affecté.
La protection et la promotion du caractère distinct du
Québec seront l'affaire de l'Assemblée nationale et du
gouvernement du Québec. C'est la première fois, me semble-t-il,
qu'une proposition va si loin et reconnaît le rôle du gouvernement
québécois comme tel. Cela renforce sûrement la position du
Québec, notamment en matière de relations internationales.
La protection - et non, en plus, la promotion - la protection seulement
de la dualité sera l'affaire du Parlement et des législatures
provinciales dans l'exercice de leurs compétences exclusives. Le fait
que le document ne se réfère pas à la promotion de la
dualité me paraît signifier que les provinces ne seront pas tenues
de reconnaître plus de droits linguistiques que ceux qui existent en ce
moment, ce qui est en accord avec l'article 16.(3) de la charte qui permet aux
provinces mais ne leur impose pas de favoriser la progression vers
l'égalité de statut ou d'usage du français ou de
l'anglais.
Les droits de la minorité anglophone du Québec seront
déterminés à la lumière à la fois de la
dualité et du caractère distinct du
Québec. La Charte de la langue française devra, è
l'avenir, être interprétée dans ce nouveau contexte qui
permet l'introduction du concept de droit collectif pour justifier toute
priorité qui serait accordée à la lanque
française.
L'absence de définition de société distincte
constitue, à mes yeux, un avantage. Les définitions trop
précises dans un texte de loi ferment généralement plus de
portes qu'elles n'en ouvrent. Les tribunaux, en interprétant
l'expression "société distincte", chercheront, selon une
jurisprudence établie, quel était le mal auquel on voulait
remédier. Ils pourront, par exemple, s'inspirer des conclusions de la
commission Pepin-Robarts. Cette commission, je le rappelle, avait
identifié six éléments: l'histoire, la langue, le Code
civil, l'origine commune, les sentiments et la politique, auxquels elle avait
ajouté plu3 loin toute une gamme d'éléments, dont les
communications et la politique étrangère. M. Dion disait ce matin
qu'à son avis c'était la première fois qu'on employait
dans un projet l'expression "société distincte". Je dois dire que
la commission Pepin-Robarts, à la page 37, s'était
déjà référée à l'expression
"société distincte" dans le cas du Québec.
Je propose un amendement de style. Je vous dis, de grâce,
débarrassons-nous de ce Canada concentré que je compare à
une canette de Canada Dry. Ne pourrait-on pas plutôt parler de
l'existence au Canada d'une communauté francophone concentrée,
mais non limitée au Québec? Ce serait, je pense,
déjà, un moindre mal. Il en va de même du Canada anglophone
qui serait concentré... Je vais reprendre le texte: Un Canada anglophone
concentré dans le reste du pays; imaginez ce que cela représente
comme concentration. (16 h 45)
La formule de modification. À ce jour, le droit de retrait d'une
province, au cas où elle refuserait de transférer une
compétence au Parlement fédéral, se limitait aux
modifications faites en matière d'éducation ou dans d'autres
domaines culturels. Ce droit de retrait est étendu à tous les
domaines. Le Québec, en pratique, obtient donc le droit de dire non en
ce qui le concerne à une diminution de sa compétence. C'est
là un droit de veto. Chaque fois qu'il dira non, il se donnera un statut
particulier.
Le fait que la compensation versée soit juste au lieu de
raisonnable ne me semble pas significatif. S'il était possible d'adopter
l'amendement proposé par M. Dion ce matin, qui proposait une
compensation équivalente au coût réel, je me rallierais
sans hésitation à cet amendement. À tout
événement, il m'apparaît bien peu probable qu'un jour cette
province, représentant plus de 50 % de la population canadienne, veuille
se départir de l'une de ses compétences. Le développement
du régionalisme canadien a été tel au
cours des 20 dernières années que c'est là une
hypothèse qui m'apparaît tout à fait impossible.
En matière de modification des institutions
fédérales, l'unanimité requise confère un veto
à chaque province, donc, bien sûr, au Québec. Le
Québec se trouve protégé contre toute réforme
institutionnelle à laquelle il s'opposerait. La formule est rigide. Mais
l'unanimité au lac Meech n'a-t-elle pas repris ses lettres de noblesse
un peu?
La Cour suprême du Canada maintenant. L'existence de la cour
serait enfin garantie par la constitution. L'obligation que le tiers de ses
membres soit choisi à même les avocats et juges du Québec
serait aussi garantie par la constitution. Je suggère cependant de
remplacer "Barreau civil" par "Barreau du Québec" pour enlever toute
ambiguïté vu que des universités dans d'autres provinces ont
des facultés de droit civil et vu aussi qu'on peut se
référer à Barreau civil par opposition à Barreau
criminel. Mieux encore, je pense qu'il faudrait utiliser une autre expression
car les juges - ne l'oublions pas - ne sont plus membres du Barreau lorsqu'ils
sont nommés. Je suggérerais qu'on choisisse les juges du
Québec parmi les membres du Barreau de la province de Québec ou
parmi les juges qui, au moment de leur nomination, étaient membres dudit
Barreau.
M. Dion, ce matin, a proposé la formule de "juriste civiliste
québécois". Elle me fait hésiter un peu parce que je ne
suis pas certain que le mot "juriste" signifie nécessairement "membre du
Barreau". Je ne suis pas non plus certain qu'une expression de la sorte
pourrait permettre à des avocats qui sont spécialisés en
droit criminel d'accéder à la Cour suprême du Canada. Je
pense que ce serait une expression qui serait beaucoup plus ambiguë que
celle que je vous propose.
Finalement, le double veto en matière de nomination des juges de
la Cour suprême constitue une solution qui m'apparaît fort
ingénieuse et qui comble à 100 % les attentes du Québec et
qui, même, les dépasse, je dirais.
Sur l'immigration, vraiment, je n'ai pas à ajouter à ce
qui a déjà été dit. C'est une formule
pratico-pratique qui me paraît là aussi combler les attentes du
Québec.
En ce qui concerne le pouvoir de dépenser, c'est là la
seule condition de l'accord de principe qui me laisse perplexe. Telle qu'elle
est rédigée, elle ouvre la porte à plusieurs
interprétations. J'y vois personnellement la possibilité qu'elle
accroisse l'étendue du pouvoir fédéral de dépenser.
Le professeur Beaudoin, dans son intervention d'hier, estime qu'elle ne modifie
pas la définition restrictive qu'en ont donnée le Conseil
privé et la Cour suprême. Si le professeur
Beaudoin a raison - et je souhaite qu'il ait raison - les provinces ont
obtenu un droit de retrait qu'elles ne détenaient pas auparavant et le
pouvoir de dépenser demeure ce qu'il était, soit le pouvoir de
dépenser des deniers, mais sans, par des contraintes, occuper le champ
législatif provincial. Je sais bien qu'en pratique mes craintes sont
atténuées d'une part par le fait que les nouveaux programmes
conjoints se font de plus en plus rares - l'État-nation ayant presque
atteint le point de saturation - et qu'à tout événement
ils ne sont mis sur pied par le gouvernement fédéral
qu'après que ce dernier se soit assuré d'un consensus important
des provinces dans des domaines qui touchent généralement les
plus démunis des citoyens. D'autre part, mes craintes sont
atténuées par le fait que les provinces réfractaires, si
elles veulent profiter des fonds fédéraux, se voient attribuer
une marge de manoeuvre considérable pour mettre sur pied une initiative
parallèle. Les mots "initiative ou programme" me paraissent plus souples
que "proqramme" et les mots "compatibles avec les objectifs nationaux" me
paraissent plus souples, par exemple, que "conforme aux critères
nationaux". Mais, dans un domaine comme celui du pouvoir de dépenser, je
voudrais quand même m'assurer que le professeur Beaudoin a raison. La
formule du lac Meech, quand on la regarde, me semble une conclusion à
laquelle il manque une prémisse. Je propose qu'il y ait au moins dans
cette prémisse la clause de sauvegarde déjà retenue
à l'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qui se lit: "Sous
réserve des compétences législatives du Parlement et des
Législatures et de leur droit de les exercer."
En terminant, M. le Président, j'aimerais dire que cet accord de
principe, s'il est ratifié, permettra une fois pour toutes aux
Québécois et aux Québécoises de savoir s'ils sont
ou non à l'aise au sein de l'État fédéral canadien.
Cette entente ne dit pas qu'ils le sont, cette entente dit tout au plus qu'ils
sont prêts à jouer le jeu. Ils ont dit non, les
Québécois, le 20 mai 1980, parce qu'ils se sont fait dire que les
rèqles du jeu changeaient. Voilà que, finalement, sept ans plus
tard, ces rèqles changent. L'épreuve du fédéralisme
postréférendaire commence véritablement aujourd'hui. Le
Québec avait voulu donner une chance au fédéralisme en
1980; il la lui donnerait aujourd'hui en ratifiant cette entente. S'il
s'avère que cet accord, à l'expérience, ne produise pas
les résultats escomptés, s'il s'avère que les tribunaux
lui donnent une interprétation qui affaiblit le rôle du
Québec au sein de la Fédération canadienne, le
Québec agira en conséquence à ce moment-là. Mais je
crois que ce serait une erreur aujourd'hui de dire non pour le motif qu'il y a
trop d'inconnus. Il y aura toujours des inconnus, quel que soit
le texte proposé, et on ne saura jamais qu'à
l'expérience si cette expérience méritait d'être
vécue. Je dis oui à l'expérience, me réservant
toute liberté, le temps venu, de dire non aux résultats, s'ils ne
conviennent pas au Québec.
Je termine en répétant la question que je formulais au
début, la question à laquelle nous avons à répondre
aujourd'hui est la suivante: Les termes de ce projet d'entente permettront-ils
au Québec de rallier les rangs de la famille canadienne avec un espoir
solide et une possibilité sérieuse d'en arriver à un
renouvellement du fédéralisme qui soit compatible avec les
aspirations du Québec au sein d'un État fédéral?
À cette question, M. le Président, je dis oui sans aucune
hésitation. Je vous remercie.
Le Président (M. Filion): Merci, Me Décary. La
parole est maintenant à un porte-parole du groupe ministériel. M.
le ministre. Trente-six minutes de chaque côté. M. le ministre, la
parole est à vous.
M. Rémillard: Me Décary, je vous remercie de venir
témoigner devant nous. Vous êtes un avocat qui travaillez beaucoup
sur ces questions constitutionnelles de par votre pratique. Vous avez aussi
beaucoup écrit en matière constitutionnelle, vous êtes donc
un spécialiste de ces matières et votre témoignage noua
éclaire beaucoup. Sur un point que nous avons discuté - je dirais
fortement - depuis ces deux jours de commission parlementaire, concernant donc
la société distincte et la dualité, vous nous
suggérez des modifications à la façon dont on a
utilisé les termes pour décrire cette dualité. Vous
employez l'expression d'un "Canada Dry" et nous retenons très bien votre
suggestion. Sur la société distincte, vous en arrivez à la
conclusion que la définition proposée par le professeur
Léon Dion serait dangereuse, si je comprends bien, parce qu'elle
risquerait de restreindre la portée. Vous, comme juriste, comme
praticien, vous qui avez l'expérience des cours de justice, vous en
arrivez à la conclusion qu'il ne faut pas définir, parce qu'en
définissant nous restreignons la portée de cette expression
"société distincte".
Sur le pouvoir de dépenser, vous vous posez des questions. Le
professeur Beaudoin auquel vous vous référez nous a dit que le
pouvoir de dépenser existe dans la constitution canadienne de par les
décisions, entre autres, celle de 1978 de la Cour suprême
canadienne, mais vous nous dites qu'il faudrait une clause de
sûreté, une soupape de sûreté qui établirait
que, peu importe l'interprétation qu'on donne à ces textes de
l'entente, on ne modifie en rien le partage des compétences
législatives. Est-ce que c'est dans ce sens que je vous ai compris?
M. Décary: Oui, M. le ministre.
M. Rémillard: Je peux vous dire que nous prenons bonne
note de votre recommandation. S'il y avait une telle recommandation, est-ce que
vous considérez que la clause sur le pouvoir de dépenser serait
acceptable?
M. Décary: Oui, cela me rassurerait
complètement.
M. Rémillard: Me Décary, est-ce que vous voyez une
relation entre cet énoncé de l'entente sur le pouvoir de
dépenser et un autre, qui passe inaperçu, mais sur lequel je
voudrais attirer l'attention des membres de la commission, celui qui propose de
consacrer dans la constitution la conférence annuelle des premiers
ministres sur l'économie, prévue actuellement par le protocole
d'entente de février 1985? Vous qui avez fait partie de la commission
Pepin-Robarts, est-ce que vous voyez là un élément positif
qui pourrait nous amener sur une nouvelle piste dans l'évolution de
notre fédéralisme en fonction des principes que dégageait
justement la commission Pepin-Robarts?
M. Décary: Oui. M. le ministre, c'est évidemment
une proposition qui coïncide avec ce qu'on appelait le
fédéralisme exécutif à l'époque, qui permet
et qui force même les premiers ministres à se rencontrer sur une
base régulière, sans qu'il y ait nécessairement de crise
à l'horizon. Je pense que tout ce qui peut permettre à nos onze
premiers ministres de se rencontrer, sans que ce soit pour répondre
à un besoin précis, m'apparaît extrêmement important
et extrêmement utile. Je ne sais pas si une fois par année... On
peut discuter des modalités et du nombre. Je ne voudrais quand
même pas, non plus, que les premiers ministres passent leur vie à
se rencontrer à Ottawa ou ailleurs et néqligent un peu les
questions purement provinciales. Je pense qu'il y a un dosage là-dedans
comme dans d'autres choses. Mais je pense que, surtout en matière
économique, il est extrêmement important que les premiers
ministres aient l'occasion de se voir le plus sauvent possible sur une base
officielle. Je vous dirais que, personnellement, je souhaiterais que ce soit
à l'abri des caméras. Je pense qu'il se fait beaucoup plus de
travail en coulisse, que les politiciens sont beaucoup plus naturels et que les
concessions et les compromis sont beaucoup plus faciles. Peut-être que
cette entente du lac Meech en est un résultat assez éloquent. Je
ne pense pas qu'on serait arrivé à cette entente si la
conférence avait été publique.
Le Président (M. Filion): M. le ministre.
M. Rémillard: Cela va.
Le Président (M. Filion): Cela va? Je vais
reconnaître maintenant un représentant de l'Opposition. M. le chef
de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Me Décary, sur le pouvoir de
dépenser, comment verriez-vous l'articulation concrète qui, d'une
part, permettrait de ne pas avaliser le passé et, d'autre part, ne
confirmerait pas, à toutes fins utiles, la notion des "national
standards" ou des objectifs nationaux qui, comme on le sait, ont pour effet de
réduire de façon considérable la marge de manoeuvre de
l'État québécois? En deux minutes.
M. Décary: Écoutez, M. le chef de l'Opposition, je
n'ai pas fait de propositions concrètes sur ce plan. Je pense qu'il
faudrait s'inspirer de l'article 36 de la loi de 1982 où on dit: "Sous
réserve des compétences législatives du Parlement et des
Législatures et de leur droit de les exercer, le Parlement et les
Législatures..." Si on pouvait trouver une façon d'insérer
les Législatures dans l'exercice du pouvoir fédéral de
dépenser, je pense que cela confirmerait encore davantage la
jurisprudence actuelle. Il faudrait vraiment essayer de trouver une
façon - et, même, je le mettrais dans la partie III de la
constitution - en s'inspirant de l'article 36.
M. Johnson (Anjou): Merci, Me Décary. C'est la seule
question que j'avais à vous poser.
Le Président (M. Filion): Merci. Je vais reconnaître
maintenant M. le député de Bourget. (17 heures)
M. Trudel: Merci, M. le Président. Me Décary, je ne
prendrai pas beaucoup de temps pour rappeler une vieille amitié qui date
d'une vingtaine d'années en des lieux qui n'étaient ni
Québec, ni Montréal, ni même le Canada. Il me fait plaisir
de vous saluer. Connaissant, notamment par vos écrits et par les
différentes interventions que vous avez faites, l'intérêt
que vous portez à la minorité francophone au Canada, j'aimerais
vous entendre parler de ce que cet accord peut apporter à cette
minorité francophone au Canada. J'ai l'impression qu'en
renforçant le caractère distinct du Québec, le
gouvernement et l'Assemblée nationale vont protéger de leur mieux
ce volet francophone de la dualité canadienne. J'aimerais vous entendre
parler sur cette question.
M. Décary: Vous touchez effectivement, M. le
député, à une de mes préoccupations principales. Je
suis extrêmement heureux qu'on consacre cette fois-ci, dans la
constitution, le principe de la dualité. Cela m'avait toujours
choqué, en 1982, de voir que la constitution ne devait être
interprétée que de manière à promouvoir le
patrimoine multiculturel. J'ai toujours regretté que les seules
garanties qu'on ait données aux minorités francophones hors
Québec soient celles dites linguistiques, aux articles 16 et suivants,
et qu'elles ne s'appliquent même pas à toutes les provinces.
C'était une lacune absolument insupportable. Et je dois dire que,
lorsque j'étais à la commission Pepin-Robarts, vous savez, bien
sûr, que nous avions recommandé à l'époque qu'on
enlève les garanties constitutionnelles accordées aux
minorités linguistiques. On se disait: Mieux vaut attendre qu'il y ait
un consensus social, que les gouvernements bougent; ainsi, il n'y aura pas de
ressac à ce moment-là. Et on s'était dit aussi à
l'époque: Ca va tellement bien au Québec pour la minorité
anqlophone qu'elle n'a pas vraiment de garantie constitutionnelle et que ce
n'est pas grave si on la lui enlève.
Je dois dire que, là-dessus, en toute humilité, j'ai
changé d'idée. Ma pratique d'avocat m'a permis, m'a donné
l'occasion de représenter des francophones hors Québec. Je les ai
représentés en Cour d'appel de l'Ontario pour défendre
leur droit à gérer leurs écoles. Je les ai
représentés en Cour suprême du Canada une fois pour
permettre à un parent de Vonda, en Saskatchewan, d'avoir une
école primaire en français. Je les ai représentés
également, au nom des Acadiens du Nouveau-Brunswick, pour essayer de
convaincre la Cour suprême - on n'a pas réussi - que ces
gens-là avaient le droit d'être entendus par un juge qui les
comprenait. À l'occasion de ces dossiers-là, j'ai vraiment
chanqé ma philosophie, mais vraiment complètement, à
l'égard des minorités hors Québec. Quand j'étais
à Montréal, et à l'époque où j'étais
à la commission Pepin-Robarts j'étais Montréalais, les
francophones hors Québec étaient une espèce en voie
d'extinction. On les aimait bien, on se sentait un peu à leur
égard comme des gens qui vont voir un mourant et qui lui administrent
les derniers soins. On se disait: On va les aider, mais, dans le fond, il n'y a
pas grand-chose là. Mais je dois dire très sincèrement que
j'ai été absolument estomaqué de voir la vitalité
de cette population francophone en dehors du Québec. Je ne pensais pas,
il y a huit ans, que c'était possible et je regrette - je le dis
-certaines des choses que j'ai pu suggérer ou même écrire
à l'époque. En toute humilité, je l'ai fait vraiment dans
l'ignorance de ce que ces gens-là étaient. II y a une force, il y
a une culture extraordinaire. M. Dion parlait ce matin du parler et de
l'écrit français au Québec. Je dois dire qu'on parle
beaucoup mieux et qu'on écrit beaucoup mieux le français
maintenant hors du Québec qu'au Québec. Ces gens-là sont
restés fidèles
à notre culture beaucoup plus que nous et leur système
scolaire s'efforce beaucoup plus que le nôtre de donner aux francophones
une culture qui soit vraiment française.
Cela m'amène à me réjouir évidemment qu'on
reconnaisse maintenant ta dualité. Je constate que cette entente ne
force pas les provinces à accroître les protections qu'elles leur
donnent, mais je constate cependant qu'elle les oblige à
préserver celles qu'elles ont maintenant. Et cela rejoint la
minorité linguistique au Québec, la minorité anglophone.
Je dois dire que, de toute façon, personnellement, je suis en faveur
d'une protection de toutes les minorités officielles au Canada, qu'elles
soient anglophones au Québec ou ailleurs. Mais je dois dire qu'au nom
des minorités francophones hors Québec, il serait
extrêmement dangereux de vouloir chercher, pour protéger quelque
intérêt du Québec, pour permettre, disons, au
Québec, d'empêcher un commerçant de dessiner une fleur en
anglais au bas d'une affiche, il serait extrêmement dangereux de chercher
à réduire la protection constitutionnelle accordée aux
anglophones du Québec, parce que, ce qu'ont les anglophones au
Québec, les francophones hors Québec ont l'espoir de l'avoir.
C'est évident que la situation n'est pas la même, il y a là
une asymétrie totale, c'est sûr. Depuis huit ans, je dois dire
depuis Pepin-Robarts, c'est extraordinaire ce qui a pu se développer.
C'est rendu que l'Ontario devient à toutes fins utiles une province
bilingue. Je pense qu'il serait extrêmement malheureux que, par des
démarches à ce stade, pour priver la minorité anglophone
des droits constitutionnels qu'elle a, on puisse mettre un frein à
l'expansion qui attend nos minorités francophones en dehors du
Québec.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Bourget.
M. Trudel: Un très courte question, Me Décary, si
vous le permettez, qui tourne sensiblement autour du même sujet. Vous
écrivez, à la page 2 de votre texte, à la toute fin de la
page 2, au début de la page 3: "La protection et la promotion du
caractère distinct du Québec seront l'affaire de
l'Assemblée nationale - et vous le soulignez - et du gouvernement - vous
avez insisté là-dessus tantôt - du Québec. C'est la
première fois, me semble-t-il, qu'une proposition va si loin et
reconnaît le rôle du gouvernement québécois comme
tel." Vous parliez tantôt du rôle du Québec vis-à-vis
de la promotion de sa propre société et, tantôt, vous venez
de nous parler du rôle des autres provinces dans la protection du
français. Pouvez-vous élaborer là-dessus?
M. Décary: La différence remarquable entre les deux
articles, c'est que, dans un cas, c'est non seulement l'Assemblée
nationale, mais c'est aussi le qnuvernement. Je ne sache pas qu'il y ait jamais
eu même d'espoir de proposition dans ce sens, de reconnaître au
Canada, à un qouvernement provincial - non pas à sa
législature, à un gouvernement - un statut vraiment particulier.
Cela m'apparaît extrêmement significatif. J'y vois un qain
magistral. Je n'aurais jamais cru possible qu'on puisse inscrire dans la
constitution du Canada que le gouvernement du Québec avait un rôle
à jouer dans le domaine de la protection et de la promotion de son
caractère distinct,
M. Trudel: Merci, M. Décary, merci, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le
député de Bourget, Je vais reconnaître maintenant un
intervenant du côté de l'Opposition. Pas de questions? Je vais
maintenant reconnaître Mme la ministre des Communautés culturelles
et de l'Immigration.
Mme Robic: Merci, M. le Président. M. Beaudoin, bienvenue.
Vous dites...
M. Décary: M. Décary.
Mme Robic: Excusez-moi, M. Décary. M. Décary,
bienvenue. Vous dites, dans votre texte, au sujet de l'immigration, que c'est
une formule pratique qui vous paraît combler les attentes du
Québec. Le professeur Morin, tout à l'heure, nous a dit: Le
Québec n'a rien obtenu de nouveau dans ce domaine. Pourtant, et
corrigez-moi si je me trompe, nous avons, je crois, obtenu beaucoup dans ce
domaine. Nous obtenons d'abord la prépondérance
législative en matière de sélection sur place, en
matière de détermination des niveaux d'immigration qui sont fort
importants en ce moment pour le Québec et nous obtenons une
exclusivité en matière d'accueil, d'adaptation et de francisation
des immigrants. Ce sont certainement des pouvoirs fort importants pour assurer
notre sécurité culturelle. J'aimerais que vous nous donniez un
peu votre point de vue là-dessus.
M. Décary: Je dois vous dire bien honnêtement,
madame, que je ne suis pas du tout spécialiste en matière
d'immigration. Je reconnais que ce que je retrouve là-dedans
m'apparaît répondre à ce que le Québec a toujours
demandé. Je constate, en plus de ce que vous venez de mentionner, la
prépondérance en matière de sélection et de
détermination, et l'exclusivité en matière d'accueil et
d'adaptation, ce qui est évidemment extrêmement important dans le
caractère distinct du Québec. Je constate également
l'obligation du gouvernement fédéral, éventuellement, de
rembourser ce qu'il en coûtera au Québec. Cela aussi, je
pense que c'est un gain qui me paraît important.
Ce que j'aime aussi dans cette entente, c'est qu'elle permet
d'être réajustée au fur et à mesure que les besoins
l'exigeront. Je n'aime pas particulièrement l'idée d'avoir une
entente aussi détaillée dans une constitution. Sur un plan de
constitutionnaliste, je dois dire que cela me paraît vraiment beaucoup
à inscrire dans une constitution, surtout qu'on dit qu'on pourra la
changer à mesure. Je pense que les principes qui sont reconnus
là, eux, devront être enchâssés. Que les ententes en
particulier le soient à mesure, il faudra le juger au moment opportun.
Dans l'ensemble, ce pouvoir qu'on nous reconnaît maintenant de
façon formelle m'apparaît satisfaire tout à fait à
nos attentes...
Le Président (M. Filion): Cela va. Je comprends qu'il n'y
a plus de questions du côté de l'Opposition. Je vais donc
reconnaître M. le leader adjoint du gouvernement.
M. Lefebvre: Me Décary, vous faites
référence, dans votre texte, à la page 2, à la
dualité canadienne et à la société distincte. La
société distincte, effectivement, sera, à partir du moment
où il y aura une entente formelle, partie intégrante de la
constitution et pas simplement dans son préambule, et le Québec,
Me Décary, sera reconnu, comme société distincte
constitutionnellement, juridiquement et légalement, alors
qu'actuellement il n'y a là qu'une reconnaissance de fait, ce à
quoi faisait d'ailleurs référence le chef de l'Opposition hier,
à savoir que le caractère distinct du Québec étant
déjà reconnu dans les faits, il n'y avait pas de gain à ce
que le caractère distinct soit reconnu constitutionnellement,
juridiquement et légalement. J'aimerais que vous élaboriez sur le
gain que cela représente, à savoir que le caractère
distinct sera reconnu juridiquement et légalement, et non seulement dans
les faits.
M. Décary: II ne semble pas que ce soit évident que
c'est reconnu dans les faits, si on écoute certaines réactions
dans le reste du pays actuellement. C'est clair que cela fait au moins 20 ans,
sinon 30 ans, qu'on se bat pour faire reconnaître dans la constitution
canadienne la spécificité québécoise, quel que soit
son nom, sa désignation ou son contenu. On a enfin - et pas seulement
dans le préambule - dans la constitution même une reconnaissance
par le biais d'un principe d'interprétation du caractère distinct
du Québec. Je pense que quiconque plaide devant les tribunaux ne pourra
pas nier que cet apport est décisif, qu'à compter de maintenant,
lorsqu'on interprétera la constitution canadienne... Je souliqnais
tantôt que, contrairement à la clause d'interprétation qui
favorise le multiculturalisme, la clause qui reconnaît le
caractère distinct du Québec se retrouvera non seulement dans la
charte canadienne mais dans toutes les lois constitutionnelles canadiennes de
sorte que, quand on interprétera le partage des compétences, on
devra en tenir compte. Quand on va interpréter l'article 1 de la charte
canadienne, la société libre, "raisonnable" et tout cela, on
devra en tenir compte. Quand on va interpréter finalement tous les
documents constitutionnels qui peuvent toucher à un des
éléments du caractère distinct du Québec, on va
devoir en tenir compte. Cela me paraît absolument majeur.
Je ne peux pas vous dire aujourd'hui, bien sûr, ce que cela va
donner en pratique. Autant je ne peux pas vous promettre que cela va être
aussi bien que ce que j'en pense, autant je peux vous dire qu'il n'y a aucun de
ceux qui en disent beaucoup de mal qui peuvent vous promettre que cela va
être aussi mauvais que ce qu'ils pensent. Il n'y a aucune garantie
là-dessus. Mais il est très évident, à mes yeux,
dans le contexte de l'accord de 1982 et de l'accord du lac Meech, que ce
caractère distinct du Québec a été reconnu pour
répondre aux attentes du Québec en tant que société
distincte, principalement par sa francophonie, par son caractère
francophone. Il n'y a aucun doute, à mes yeux, que les tribunaux vont
interpréter le caractère distinct comme étant une
espèce de chèque en blanc donné au gouvernement du
Québec et à l'Assemblée nationale pour protéger et
promouvoir à l'avenir les intérêts de la francophonie
québécoise.
Si vous me permettez d'ajouter une chose, on a beaucoup parlé de
la nécessité de définir ou de ne pas définir
"société distincte". Je pense que les principes
généraux d'interprétation constitutionnelle sont tels que,
si on ne définit pas "société distincte", si on laisse
l'article dans l'état dans lequel il se trouve maintenant, les tribunaux
n'auront d'autre choix que d'interpréter cette notion comme étant
la réponse donnée par les gouvernements des autres provinces aux
revendications du Québec depuis longtemps, particulièrement
depuis 1982. Il y a toute une jurisprudence établie et j'en ai une liste
ici. Je pourrai vous la passer si cela vous intéresse. C'est la
théorie du "mischief", comme on l'appelle. En cas
d'ambiguïté, les tribunaux vont rechercher à quel mal on a
voulu remédier lorsqu'on a adopté une disposition. Cette
théorie permet même de recourir à des documents non
juridiques, à des documents qu'on appelle historiques. (17 h 15)
Dans ce cas-ci, par exemple, si la Cour suprême est appelée
à définir ce qu'est le
caractère distinct du Québec, elle pourra aller chercher
le rapport de la Commission sur l'unité canadienne. Elle pourra aller y
voir ce que cette commission disait de la société distincte. Elle
pourra même - c'est surprenant on va peut-être faire l'histoire
sans le savoir - venir lire ce qui s'est dit ici. La Cour suprême a
élargi ses règles d'interprétation, elle accepte
maintenant à l'occasion de déterminer, d'interpréter,
à la lumière de débats parlementaires. Je dirais que c'est
peut-être dangereux de faire un changement à cet article-ci,
à ce moment-ci, parce que, si ce changement était refusé
par les autres provinces et par le gouvernement fédéral, cela
pourrait laisser la cour penser que cela a été refusé,
parce que les autres provinces ne partageaient pas notre point de vue
là-dessus. Je pense que, sur le plan de l'interprétation
constitutionnelle pure, le moins on changera cette réalité qu'est
la société distincte, le plus de chances on aura qu'elle soit
interprétée comme signifiant le fait qu'au Québec on y est
francophone, qu'on a une histoire francophone commune, des lois francophones,
une langue de type francophone, enfin, tout ce que la commission Pepin-Robarts
avait dit. D'autant plus, si vous vous souvenez de la commission Pepin-Robarts
- évidemment, comme on parle de la commission Pepin-Robarts, je dois
dire que j'en suis très heureux, parce que j'ai participé
à son enterrement il y a sept ans et cela a l'air d'un jour de
Pâques aujourd'hui - la commission Pepin-Robarts était
allée beaucoup plus loin que les six éléments dont je
parlais tantôt. On avait dit: Le partage des compétences doit se
faire en fonction du caractère distinct du Québec. On avait
énuméré toute une liste de compétences qui
répondaient au caractère distinct du Québec. Je dois dire
avec respect pour M. Léon Dion, que sa proposition est, je pense,
valable en soi; c'est évident que, n'eussent été les
règles d'interprétation dont je vous ai parlé, je me
rallierais à cent pour cent. Mais je pense qu'il n'a aucune raison de
s'inquiéter. Ce qu'il ajoute à la clause est déjà
dedans et j'aimerais que M. Dion qui n'est pas juriste puisse vraiment
être rassuré là-dessus, les tribunaux ne pourront pas faire
autrement, grâce notamment aussi à son témoignage, que de
dire que la langue est quand même le point essentiel visé par
cette définition.
M. Lefebvre: Merci, Me Décary.
Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître
maintenant M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.
M. Scowen: Me Décary, j'ai trois questions à vous
poser. Deux touchent des questions de vocabulaire et la troisième est
plus générale. Je pense que vous avez déjà
répondu en partie à ces deux premières, mais j'aimerais
qu'on puisse y revenir brièvement. Je parle de l'article concernant le
caractère distinct. M. Morin, ce matin, a fait un grand plat au sujet de
cette distinction entre le Canada francophone, qui est concentré mais
non limité au Québec, et le Canada anglophone qui est
concentré dans le reste du Canada mais présent au Québec.
Je dois vous dire qu'avant qu'il fasse ce discours, je l'avais lu et à
titre d'anglophone je n'avais pas pensé, quand il l'a proposé,
que le contraire pouvait être aussi bien pour lui, mais probablement
totalement inacceptable pour Alliance Québec, comme il l'a dit. Je ne
voyais, je ne voyais pas, moi, personnellement quelque chose là qui me
préoccupait. Vous en avez parlé brièvement, mais
j'aimerais connaître vos commentaires sur la portée et
l'importance de ces mots et de la distinction qui est faite dans cet
article.
M. Décary: M. le député, outre le fait que
je déplore le côté stylistique de l'expression
utilisée "concentré mais non limité au Québec" et
"concentré dans le reste du pays mais présent au Québec",
je ne vois pas personnellement de différence. Il s'agissait de trouver
une formule précisant que les anglophones sont partout ailleurs qu'au
Québec et qu'au Québec, ils sont là, mais on ne peut pas
dire qu'ils sont concentrés. Est-ce qu'on peut dire qu'ils sont
concentrés au Québec? Sûrement pas. Ils ne sont pas
limités au Québec non plus. L'expression "présent au
Québec" m'apparaît tout à fait convenable. Je ne vois pas
de problème avec cette définition.
M. Scowen: C'était mon impression aussi. La
deuxième question à laquelle vous avez fait allusion, c'est
peut-être un peu plus important, mais c'est aussi une question de
vocabulaire. C'est beaucoup plus qu'une question de vocabulaire parce que, au
paragraphe (2), on parle de l'engagement de protéger la dualité
et, au paragraphe (3), de protéger et de promouvoir le caractère
distinct de la société québécoise. J'aimerais juste
que vous nous disiez, et peut-être même que vous le
répétiez, parce que vous y avez fait allusion, ce qu'est pour
vous la portée de ces deux obligations, qui sont certainement
différentes l'une de l'autre.
M. Décary: Vous voulez dire entre protéger et
promouvoir, d'un côté, et protéger seulement, de l'autre
côté?
M. Scowen: Oui. Je pense que vous avez dit, par exemple, que,
quant à vous, les gouvernements, les Législatures et le Parlement
n'avaient pas l'obligation d'aller plus loin dans l'évolution de la
dualité que la situation actuelle. Autrement dit, que le gouvernement du
Manitoba ou de l'Ontario
n'a pas l'obligation d'étendre ou de promouvoir la francophonie
sur son territoire et que le Québec n'a pas l'obligation de pousser plus
loin le caractère anglophone, ou la présence anglophone ici,
tandis que, au Québec, en ce qui concerne la société, il y
a une obligation d'aller plus loin. Est-ce que c'est à peu près
cela?
M. Décary: Oui. C'est, disons, l'interprétation que
j'en donne. Je soulignais tantôt que c'est justement pour respecter la
disposition qu'il y a dans loi de 1982. On disait: La présente charte ne
limite pas le pouvoir du Parlement et des Législatures de favoriser la
progression vers l'égalité de statut ou d'usage du
français et de l'anglais. Remarquez, je n'étais pas là,
mais je pense que le but premier de la distinction, c'est qu'on a voulu
s'assurer qu'on n'imposait pas aux Législatures provinciales, non plus
qu'au Parlement, mais surtout aux Législatures provinciales,
d'obligation additionnelle en matière de protection de leur
minorité, à celle qui était déjà contenue
dans la constitution de 1867 et dans celle de 1982. Cela rejoint
peut-être la préoccupation qu'on avait exprimée dans
Pepin-Robarts de ne pas essayer de forcer les provinces, que ce soit le
Québec à l'égard de sa minorité anglophone ou les
autres provinces à l'égard de leur minorité francophone,
de ne pas les forcer à faire des choses par le biais d'entente comme
celle-ci. C'est l'interprétation la plus logique et qui, je dois dire,
me paraît la plus convenable aussi.
M. Scowen: Pour que ce soit très clair, quant à
vous, le paragraphe (2) a pour effet de dire que les autres provinces n'ont pas
l'obligation de pousser plus loin l'évolution ou le développement
de la minorité francophone dans leur province, pourvu, bien sûr,
qu'elles respectent les éléments de la charte qui sont
déjà là.
M. Décary: C'est cela. On protège, je pense, ce
statu quo en termes de protection des droits des minorités dans toutes
les provinces du pays.
M. Scowen: Ce n'est pas un amendement pour pousser plus loin la
francophonie à l'extérieur du Québec?
M. Décary: Je ne le vois pas comme cela. Je ne le vois
absolument pas comme cela. Je pense que les provinces s'engagent à
protéger les droits de leur minorité. C'est ainsi que je le
reconnais.
M. Scowen: La dernière question que je voulais vous poser
est un peu plus générale. Vous vous souvenez que, pendant les
travaux de la commission Pepin-Robarts. plusieurs après-midi ont
été passés sur des discussions concernant les droits
collectifs et les droits individuels. Je pense qu'on a même essayé
de les définir à plusieurs reprises. Ici, nous avons la Charte
canadienne des droits et libertés et, maintenant, nous avons un
paragraphe (3) qui est, il me semble, très probablement l'expression
d'un droit collectif le rôle de protéger et promouvoir quelque
chose qu'on appelle le caractère distinct de la société
québécoise. Est-ce que vous pouvez commenter un peu comment vous
envisagez l'évolution de la pensée des tribunaux face à
notre charte qui existe déjà et à ce nouvel
élément qui est une responsabilité collective? Est-ce que
l'un doit primer l'autre, s'il y a conflit entre les deux? Quel est le poids
relatif que les cours vont probablement donner à cet
élément, qui est une responsabilité collective, un droit
collectif, par rapport à des éléments dans la charte que
vous connaissez très bien et qui existent concernant les libertés
fondamentales?
M. Décary: Cet élément de
société distincte, de caractère distinct permettra aux
tribunaux de considérer le Québec d'une façon tout
à fait privilégiée quand viendra le temps de
déterminer si une loi est acceptable dans une société
libre et démocratique, parce que le Québec ne devient pas
n'importe quelle société à ce moment-là; le
Québec devient la société distincte dont il est fait
état ici. Je pense et je suis pas mal convaincu - mais sans garantie
toujours, je ne vous donnerai aucune garantie aujourd'hui - qu'à
l'avenir, lorsqu'un tribunal québécois, y inclus la Cour
suprême, interprétera l'article 1 de la charte canadienne, la
preuve à faire ne sera plus du tout la même. Actuellement, comme
dans le domaine linguistique, il fallait essayer de démontrer que cela
se faisait comme cela en France, en Belgique ou en Suisse. C'étaient des
preuves vraiment à peu près impossibles à faire tellement
les situations étaient différentes. Là, finalement, on se
trouve à nous dire: Faites la preuve que chez vous c'est raisonnable,
faites la preuve que chez vous vous en avez besoin et, à ce
moment-là, cela devrait être conforme à la charte. C'est
comme cela que je vois l'interprétation de ce texte. Est-ce que cela
répond à votre question, M. Scowen?
M. Scowen: C'est certain qu'il est possible d'avoir une
réponse totale à une telle question. Laissez-moi vous donner un
exemple concret pour terminer. Concernant le fameux cas d'appel de la Cour
suprême au sujet de l'affichage, l'article 58 et la liberté
d'expression, je vois deux éléments dans cette partie de notre
nouvelle constitution que les tribunaux pouvaient utiliser comme point de
référence, mis à part les doutes qui sont
déjà là et que j'ai mentionnés.
Premièrement, la question de la dualité, au point (l)a),
et la société distincte, au point (l)b). Est-ce que vous pensez
que l'existence de ces deux nouveaux éléments va changer
l'équilibre qui existe dans ce cas précis?
M. Décary: II faut faire attention quand on parle de
liberté d'expression; dans un sens, on sort un peu du débat. J'ai
entendu des interventions plus tôt qui faisaient grand état de ces
décisions sur l'affichage. Il faut réaliser que le débat
ne porte pas sur les langues de minorités quand on parle de la
liberté d'expression. Le débat porte sur la liberté
d'afficher, par exemple, dans la langue de son choix. Ce sont des garanties qui
sont reconnues aussi bien par la charte québécoise que par la
charte canadienne. À moins de se servir de la clause dérogatoire
aussi bien au Québec, relativement à la charte
québécoise, et de s'en servir à l'égard de la
charte canadienne, je pense qu'il faut être bien conscient que la
liberté d'expression s'interprète indépendamment du
contexte constitutionnel canadien. Enfin, c'est mon interprétation. Si
les tribunaux estiment qu'une minorité... que quelqu'un -ce n'est pas
nécessairement une minorité, c'est quelqu'un; on ne parle pas de
minorité quand on parle de la liberté d'expression - si on estime
que quelqu'un peut s'exprimer dans sa langue quand vient le temps d'afficher,
je pense que la cour, quoi qu'on fasse, va décider que l'anglophone,
l'Ukrainien ou l'Italien a le droit de se servir de sa langue, mais elle
pourra, par contre, se servir du rôle de la société
distincte pour exiger que le français soit aussi présent et,
même, de façon prioritaire. Je ne pense pas qu'on puisse se servir
de 1 et de 3 pour rayer l'anglais de la carte au Québec dans ces
domaines. Je pense que ce n'est pas une interprétation qui me
paraît compatible. Ce n'est pas l'anglais en tant que langue d'une
minorité, c'est l'anglais en tant que langue d'une personne qui parle
une autre langue que le français. Il y a beaucoup de confusion dans la
liberté d'expression. (17 h 30)
M. Scowern: Oui, c'est vrai. Merci, Me Décary. '
Le Président (M. Filion): À mon tour, au nom des
membres de cette commission, le temps étant maintenant
expiré...
M. Lefebvre: Question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): Oui, je vous en prie.
M. Lefebvre: À ma grande surprise, l'Opposition,
après avoir clamé sur tous les toits que c'était
peut-être insuffisant...
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint du
gouvernement, j'aimerais bien entendre...
M. Lefebvre: ...deux semaines d'audition...
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint du
gouvernement.
M. Lefebvre: C'est une question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): J'aimerais entendre votre
question de règlement.
M. Lefebvre: J'y arrive, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Et non pas les
commentaires...
M. Lefebvre: L'Opposition renonce à son temps de parole
après nous avoir mentionné que, deux semaines d'audition,
c'était insuffisant. Je trouve cela particulièrement surprenant.
On a, devant nous, un témoin objectif et intéressant. M. le
Président, est-ce que je pourrais avoir le consentement de l'Opposition
pour utiliser son temps de parole, même s'il est déjà
convenu que le temps non utilisé par un groupe parlementaire ne peut
être utilisé par l'autre groupe? De consentement, si l'Opposition
était d'accord, on pourrait utiliser le temps qui reste à la
disposition de la commission pour continuer l'interrogatoire du témoin,
Me Décary.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin.
M. Rochefort: M. le Président, nous souhaiterions
poursuivre avec ce qui a été prévu et, donc, inviter
maintenant Me Andrée Lajoie à se présenter devant nous.
Quant à l'exposé de Me Décary, il est clair.
Le Président (M. Filion): D'accord.
M. Lefebvre: Je comprends que je n'ai pas le consentement, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, d'une
part, je pense que vous saviez que le temps non utilisé par un groupe
parlementaire pour l'audition d'un témoin ne pouvait être
utilisé par l'autre groupe. D'autre part, vous constatez qu'il n'y a pas
consentement pour que nous allions plus loin. À ce moment-ci, comme
j'allais vous le dire, Me Décary, je voudrais, au nom des membres de
cette commission, vous remercier de votre exposé et, également,
pour la période des échanges. Merci. J'inviterais...
M. Trudel: Une question d'information, M. le Président.
N'avions-nous pas convenu, en début de séance, que vous rendriez
votre décision quant à la question de la
télévision, avant d'entendre Me Lajoie?
Le Président (M. Filion): Oui. Après entente
intervenue entre les deux porte-parole, l'un qui siège à votre
gauche immédiate et l'autre qui siège juste en face de vous, il a
été convenu que ma décision sur la question de
règlement que j'ai prise en délibéré serait rendue
après l'exposé de Me Andrée Lajoie, notre prochaine
invitée que...
M. Trudel: Je m'excuse, M. le - Président, je
n'étais pas au courant.
Le Président (M. Filion): ...j'invite immédiatement
à prendre place à la table des invités.
Mme Andrée Lajoie, professeure en droit à
l'Université de Montréal, bienvenue à cette commission. Je
pense que vous êtes déjà au courant des règles: 20
minutes sont consacrées à votre exposé, à la suite
duquel une période de 70 minutes est réservée à des
échanges avec les membres de cette commission. Je vous invite donc
è commencer votre exposé.
Mme Andrée Lajoie
Mme Lajoie (Andrée): Je vous remercie, M. le
Président. Je voudrais d'abord apporter deux précisions avant de
commencer. D'une part, il est bien évident que, traiter de droit
constitutionnel à une commission parlementaire de l'Assemblée
nationale, cela ne se fait pas dans un vacuum politique. Cependant, je voudrais
indiquer, même si j'ai été invitée ici à la
suggestion de l'Opposition, que je n'ai appartenu, à aucun moment de
vie, à aucun parti politique et que je n'ai pas l'intention de le faire
dans l'avenir. Si jamais je changeais d'idée, je voudrais bien pouvoir
faire ce choix toute seule. J'espère que personne ne m'attribuera
d'allégeance politique du fait de ma présence ici en regard de
cette invitation.
D'autre part, je ne parlerai que sur la question du pouvoir de
dépenser, sur laquelle je suis peut-être moins ignorante que sur
d'autres questions. Je n'ai pas l'intention, lors de la période de
questions, de répondre à des questions qui porteraient sur
d'autres éléments. Si j'ai des déclarations a faire
là-dessus, je les ferai dans un autre lieu. Je voudrais, cependant,
qu'on n'en induise ni mon accord ni mon désaccord avec aucune des autres
propositions, ni même avec le fait de signer cette entente. Je vous
remercie.
Cela dit, je ferai un exposé aussi rapide que possible en trois
points. Je vais d'abord parler du droit actuel en matière de pouvoir de
dépenser, de l'effet qu'aurait l'adoption de la proposition telle
qu'elle se lit et faire à mon tour deux suqgestions alternatives.
Mes commentaires sur les deux premiers points, c'est-à-dire sur
le droit actuel et les modifications qu'apporteraient les propositions,
reposent sur deux postulats que je voudrais énoncer. Le premier, c'est
que - je pense que personne ici ne va me chicaner là-dessus - la
constitution du Canada est fédérale et je présume qu'elle
doit le demeurer aux termes des modifications qu'on visait à mettre au
point au lac Meech et qu'il ne s'agit en aucun cas de terminer l'exercice avec
une constitution unitaire d'un pays dont le siège serait à
Ottawa. C'est mon premier postulat.
Le second, c'est que le Québec n'est pas allé au lac Meech
pour perdre des plumes, pour diminuer ses pouvoirs et je l'entends, en
particulier, du pouvoir de dépenser. Si vous me dîtes, M. le
Président, que l'entente vise ce que M. Marchais aurait qualifié
d'un accord globalement positif où certains avantages viendraient
contrebalancer certains désavantages et que le pouvoir de
dépenser serait le domaine où on serait prêt à
perdre du terrain pour en gagner - je ne sais pas, moi - sur l'immigration ou
sur la possibilité de nommer des juges ou de nommer des
sénateurs, alors je pense que vous admettrez ce que je dis, soit que la
formule actuelle du pouvoir de dépenser, telle qu'on se propose de
l'amender, nous fait perdre des pouvoirs importants comme collectivité
et comme Assemblée nationale ici. Sinon, si vous me dites que le but
est, justement, de gagner sur ce point en particulier, alors, cela vaut la
peine que je continue et que je vous explique ce que je pense de l'état
actuel du droit sur ce point et de l'effet de la modification.
J'ai cherché - et c'est normal de définir le pouvoir de
dépenser avant de commencer - une définition qui soit simple, qui
ne soit pas technique, qui soit lapidaire et qui, en même temps, qualifie
le pouvoir de dépenser comme il est, et j'en ai trouvé une d'un
personnage célèbre. Je vais vous la lire d'abord. Certains
d'entre vous le savent, d'autres le devineront. Les autres vont être
surpris de l'auteur. Je cite: "Le fédéral ne peut pas
légalement avoir dans ses coffrets de l'argent qu'il prévoit
après coup devoir servir à des fins provinciales." C'est tout
à la fois une définition et une qualification du pouvoir de
dépenser. C'est nul autre que Pierre Elliott Trudeau qui a écrit
cela en 1957, dans Cité libre, dans un article qu'il consacrait aux
"octrois" fédéraux aux universités, comme cela s'appelait
à l'époque et comme j'ai bien peur que cela recommence à
s'appeler très bientôt. J'ai entendu hier la rumeur qu'une loi
fédérale portant sur des normes en matière
d'enseignement supérieur est rédigée à
Ottawa et n'attend que le dépôt des amendements du lac Meech pour
être déposée è son tour.
Quant au pouvoir de dépenser, donc, je pense qu'il n'y a pas lieu
de s'insurger contre le pouvoir du gouvernement fédéral de
dépenser dans ses propres domaines de compétence. II n'y a pas
lieu, non plus, de discuter ici de la péréquation qui a
été constitutionnalisée par le deuxième paraqra-phe
de l'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Le seul objet qui retiendra mon attention pour les minutes qui restent,
c'est le pouvoir qu'exerce le gouvernement fédéral de
dépenser dans des domaines de compétence provinciale. Et alors...
J'aurais aimé avoir un verre d'eau, mais enfin.
Le Président (M. Filion): Est-ce qu'on peut vous
aider?
Mme Lajoie: Oui, j'aurais aimé avoir un verre d'eau.
Le Président (M. Filion): Un verre d'eau.
Mme Lajoie: Donc, ce pouvoir n'est pas mentionné
expressément dans la constitution, il résulte d'une pratique
fédérale, d'une pratique administrative de nature
constitutionnelle qui s'est produite en marge de la constitution, qui n'a
jamais été officiellement acceptée, je crois, par le
Québec et qui n'est pas, non plus, reconnue par les tribunaux.
On décèle deux tendances des tribunaux supérieurs
en matière de pouvoir de dépenser, deux tendances qui sont toutes
les deux présentes actuellement à la Cour suprême. La
première tendance vise à considérer que le pouvoir de
dépenser est une façon de faire indirectement ce que la
constitution défend de faire directement, et elle est
représentée à la Cour suprême par le juge Beetz dont
je vais vous citer l'extrait d'un texte qui s'intitule "Les attitudes
changeantes du Québec à l'endroit de la constitution de 1867",
avant qu'il soit juge à la Cour suprême. Je vous citerai ensuite
un texte du juge Laforest à l'effet contraire, qu'il écrivait
également avant qu'il soit juge à la Cour suprême. Et comme
je vous montrerai dans quelques instants que les décisions judiciaires
ne sont pas concluantes en ce moment, c'est à ces deux tendances qu'on
aura affaire si le pouvoir de dépenser est soumis à la Cour
suprême.
Le juge Beetz écrivait: "L'on a donc vu les apologistes de ces
mesures s'évertuer à démontrer que ces subventions
n'étaient point conditionnelles et qu'elles ne portaient point atteinte
à l'intégrité des institutions. Or, non seulement ce
raisonnement péchait-il contre la logique puisqu'un subside même
non conditionnel implique au moins l'identification du
bénéficiaire et, par conséquent, un choix politique
délibéré de la part du pouvoir fédéral dans
une matière provinciale, mais encore il démontrait chez ceux qui
tenaient ce raisonnement une incompréhension profonde du point de vue
québécois. C'est doublement que le pouvoir fédéral
portait atteinte à l'autonomie du Québec, d'abord en agissant
dans un domaine réservé à la province, mais surtout parce
qu'en faisant cette dépense, il privait la province des ressources
nécessaires pour agir elle-même de la même manière ou
de toute autre dans ce domaine ou dans un autre au moment de son choix, selon
son bon plaisir." C'est la première tendance.
La seconde est représentée par le juge Laforest qui serait
porté à valider le pouvoir de dépenser en vertu de
l'article 91.1a qui donne au Parlement fédéral le pouvoir de
légiférer sur les propriétés
fédérales. Et, dit-il, l'argent, c'est une
propriété comme une autre et, en conséquence, le pouvoir
de dépenser découle de cela. Mais au moment où le juge
Laforest, alors professeur, écrivait ce texte, il l'appuyait sur une
décision de la Cour suprême dans l'affaire du renvoi de
l'assurance-chômage, décision qui a ensuite été
infirmée par le Conseil privé de sorte que, dans ces
circonstances... Mais qui n'a pas été infirmée sur ce
point précis. Et il conclut plus tard: "The validity of these schemes
has never been tested. Thus far neither the Provinces nor the Dominion have
demonstrated any inclination to refer the matter to the courts." Voilà.
Le juge Laforest, qui estime que le pouvoir de dépenser est légal
dit que la question n'a pas été décidée. Et le juge
Beetz, qui estimerait sans doute, s'il suivait l'opinion qu'il a écrite
dans ce texte, qu'il ne l'est pas, ne dit pas que la question est
décidée.
Nous sommes donc devant une question ouverte et, si elle était
présentée de la part du Québec ou d'une autre province -
ou, maintenant, d'un justiciable parce qu'avec les arrêts Borowski et
Finley n'importe qui peut soulever l'invalidité constitutionnelle de ces
ententes - à la Cour suprême, nous aurions au moins - je dis bien
au moins - 50 % des chances de gagner. (17 h 45)
Au lieu de cela, qu'est-ce qu'on propose? On propose d'adopter le texte
qui paraît à l'entente du lac Meech et qui s'énonce - je
souligne en passant que, depuis les énoncés du juge Laforest, le
juge Pigeon, dans le renvoi sur l'orqanisation des produits agricoles, avait,
je crois, validé le pouvoir de dépenser. Dans son jugement, il
disait: À mon avis, l'intrusion fédérale dans le commerce
local est tout aussi inconstitutionnelle lorsqu'elle se fait par des achats que
lorsqu'elle se fait d'une autre
manière. Les remarques du vicomte Simon et de lord Halsbury,
portent sur cette question de ne pas faire indirectement ce que la constitution
défend de faire directement. Cela s'applique autant aux pouvoirs
fédéraux qu'à ceux des provinces.
Au lieu de cela, on veut proposer un texte qui serait le suivant:
"Stipuler que le Canada doit accorder une juste compensation à toute
province qui ne participe pas à un nouveau programme national à
frais partagés dans un domaine de compétence provinciale
exclusive si cette province met en oeuvre de son propre chef une initiative ou
un programme compatible avec les objectifs nationaux." C'est dire que, pour
avoir droit à une compensation, et encore à une compensation qui
n'est que juste et qui ne serait pas pleine et entière, les provinces
devraient, premièrement, légiférer dans le domaine choisi
par le gouvernement fédéral et, deuxièmement,
légiférer d'une manière compatible avec des objectifs
nationaux déterminés à Ottawa. C'est dire qu'à ce
moment-là l'effet de l'application de cette modification serait de
constitutionnaliser dans le texte le pouvoir de dépenser qui ne l'est
pas. Ce serait offrir une compensation qui n'est pas pleine et entière.
Ce serait rendre le retrait conditionnel, et c'est cela qui est trè3
grave, à un programme et à un programme compatible avec les
normes fédérales. Les provinces se trouveraient dans la situation
de devoir exercer leur pouvoir législatif. Elles se trouveraient dans
une situation inférieure à celle des municipalités qui
gardent la liberté d'exercer le leur quand cela leur plaît. Elles
se trouveraient ravalées au niveau des corporations professionnelles qui
ont un pouvoir réglementaire dont l'exercice leur est imposé et
une tutelle de l'Office des professions. Elles se trouveraient sous tutelle du
gouvernement fédéral.
J'ai cherché hier, pour m'amuser, une définition des
instruments de tutelle. J'en ai trouvé une dans Dussault qui cite Garant
et il dit: "L'instruction, par ailleurs, est un procédé de
tutelle qui peut prendre la forme d'incitations, de conseils, de suggestions,
d'avertissements, de directives, d'ordres. Il présente tantôt un
caractère incitatif, tantôt impératif selon que
l'autorité de tutelle suggère ou ordonne à un organisme de
suivre certaines lignes de conduite." C'est assez bien décrire la
situation qui résulterait de l'amendement. Je pense que c'est assez
sérieux, mais on le comprendrait encore mieux si je disais que, si cet
amendement était adopté, il suffirait d'une décision de
l'Exécutif fédéral - même pas d'une loi de la
Législature fédérale, mais d'une décision de
l'Exécutif - pour modifier la constitution et réduire les
pouvoirs des provinces. C'est une possibilité illimitée de
modification de la constitution en tout temps, parce qu'aussitôt que des
normes fédérales auraient été adoptées une
province ne pourrait plus légiférer d'une façon qui ne
serait pas conforme à ces normes sans perdre le produit de ses
taxes.
Ce n'est pas une phrase de Georges Bataille que je vais vous citer,
c'est encore une phrase du juge Beetz dans le renvoi sur la loi anti-inflation.
À propos de l'effet de la doctrine des dimensions nationales, il disait
qu'elle embrasse et anéantit du même coup les compétences
provinciales. Je ne pense pas que la Législature
québécoise a besoin de ce baiser de la mort, si vous voulez mon
avis. Je pense que c'est très sérieux de céder un pouvoir
à l'État fédéral, à l'Exécutif
fédéral de modifier à volonté par une
compétence indéfiniment extensible les compétences
législatives des provinces dans certains domaines. C'est presque
déjà le fait dans le domaine de la santé. Cela peut se
passer demain dans le domaine de l'enseignement supérieur. Vous avez le
choix. N'importe quelle des compétences exclusives, dit le texte. Quel
sera ensuite le sens du mot "exclusif"? Il est déjà
sérieusement abâtardi, mais là, vraiment, on se trouvera
devant une situation de subordination totale. Devant cette situation, je
voudrais proposer deux solutions qui reposent, toutes les deux,
également sur des postulats qui sont encore plus politiques que les
précédents. Le premier postulat, c'est que le gouvernement
fédéral n'est pas actuellement au sommet de sa forme et de sa
popularité, et qu'il n'est pas très fort. Au contraire, le
gouvernement québécois libéral est assez fort, en ce
moment. Il est bien perçu de la population. Le budget a
été bien accueilli. Il n'y a pas d'accrochages sérieux
avec l'électorat. Rien ne va si mal qu'on doive redorer le blason des
libéraux, à tout coup, avec une opération rapide et
brillante.
Mon troisième postulat, c'est que te premier ministre - je le
connais bien, il a été mon confrère en droit comme en
sciences politiques - est un homme habile, peu enclin aux gestes inutiles,
assez bon tacticien et il n'a pas l'habitude de plaider la cause de ses
adversaires. Alors, je ne vois pas pourquoi il le ferait. Je ne vois pas
pourquoi on irait, quand on n'est pas obligé de le faire, céder
des pouvoirs de cette importance. Je ne comprendrais pas, parce que nous ne
sommes pas dans une situation où faiblesse oblige. Vraiment, ce n'est
pas le cas.
J'ai une première suggestion qui serait d'adopter un texte qui se
lirait comme suit -excusez-moi, que je le retrouve - "Stipuler que le Canada
doit accorder une compensation pleine et entière à toute province
qui ne participe par à un programme national à frais
partagés dans le domaine de sa compétence, même si elle met
en oeuvre un programme incompatible avec les objectifs fédéraux
et même si elle
ne met aucun programme en oeuvre dans les domaines visés".
À défaut de quoi, je propose qu'on se taise. Il y a des moments
où la litote est de rigueur. Je pense que, s'il n'y avait pas d'article
sur le pouvoir de dépenser, plutôt que d'avoir celui qu'on a dans
la proposition du lac Meech, on serait plus avancés, on serait dans une
meilleure situation. Je pense que ce qui pourrait arriver de pire à ce
contentieux, c'est de se régler hors cour dans une cause qui
s'intitulerait Lac Meech contre la population des provinces du Canada et, en
particulier, contre celle du Québec. Je vous remercie.
Le Président (M. Filion): C'est moi qui vous remercie, Mme
Lajoie, de cet exposé. Est-ce que vous voulez aborder la période
d'échanges immédiatement?
M. Johnson (Anjou): M. le Président.
Le Président (M. Filion): Oui, M. le chef de
l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): J'ai cru comprendre par ses propos que Mme
Lajoie, avec les caveats très clairs qu'elle a mis, n'est membre d'aucun
parti politique et ne semble pas vouloir le devenir, en tout cas pour
aujourd'hui, ni d'un côté, ni de l'autre d'ailleurs. Permettez-moi
simplement, M. le Président, avant que vous procédiez au geste
d'ajourner, de dire que Mme Lajoie est professeure au Centre de recherche en
droit public de la Faculté de droit de l'Université de
Montréal, qu'elle dirigeait ce centre, qu'elle a cofondé, si je
ne m'abuse, avec M. Pierre Elliott Trudeau à l'époque, et qu'elle
a été coordonnatrice du volet droit, économie et
sociétés dans le programme de recherche de la Commission royale
d'enquête sur l'union économique canadienne, mieux connue sous le
nom de la commission Macdonald. À cette occasion, ainsi que dans deux
autres ouvrages, parmi ses nombreux ouvrages, notamment, celui sur le droit
constitutionnel, celui de la santé et celui des contrats administratifs
et le droit de l'enseignement supérieur, elle a eu l'occasion
probablement de faire les sommes les plus complètes de ce qui existe au
Québec - sûrement à l'Université de Montréal
- et possiblement au Canada, sur la question du pouvoir de dépenser.
Ceci pour vous dire, M. le Président, que, donc, nos questions
toucheront essentiellement au pouvoir de dépenser. Je crois, d'ailleurs,
qu'elle n'entend répondre à aucune autre sorte de questions. Cela
se fera, si je comprends bien, après une décision que vous devez
rendre.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le chef de
l'Opposition. Mme Lajoie, nous allons...
M. Rémillard: Vous voulez ajourner, je pense.
Le Président (M. Filion): M. le ministre.
M. Rémillard: Je pense que vous voulez ajourner.
Le Président (M. Filion): Oui, j'allais dire que nous
allons faire, tel que convenu entre les partis, cette période des
échanges. Vous avez souhaité, avez-vous dit, que ces
échanges portent sur le pouvoir de dépenser. Donc...
M. Rémillard: Me permettez-vous, tout simplement, de poser
une question? Je pense que Mme Lajoie pourrait profiter de ce laps de temps
pour y réfléchir?
Le Président (M. Filion): À ce moment-ci...
M. Rémillard: J'allais simplement demander...
Le Président (M. Filion): M. le ministre, non.
M. Rémillard: ...si on ajoutait...
Le Président (M. Filion): M. le ministre, avec votre
permission... Je comprends votre volonté...
M. Rémillard: Non, mais écoutez! C'est pour avoir
une réponse plus complète.
Le Président (M. Filion): ...si on veut, de vous faufiler
dans ce délai. Mais l'idée étant...
M. Rémillard: Écoutez bien. Ce que je veux, le but,
c'est tout simplement une question de règlement.
Le Président (M. Filion): M. le ministre, s'il vous
plaît!
M. Rochefort: M. le Président...
Le Président (M. Filion): Non, M. le député
de Gouin. Pour le bon ordre de nos travaux, je vais appliquer la
décision qui a été prise entre vous et le leader du
gouvernement en ma présence, et qui consistait à faire en sorte
que la période des échanges ne soit pas interrompue par une
suspension. Donc, à ce moment, Mme Lajoie, je vous invite à
revenir parmi nous à 20 heures, parce qu'à ce moment M. le
ministre...
M. Rémillard: M. le Président, si vous me le
permettez, bien respectueusement.
Le Président (M. Filion): Non, mais je dois...
M. Rémillard: Me permettez-vous, juste un petit mot? Je
veux simplement dire... J'aimerais simplement poser une question qui demande
une grande réflexion...
Le Président (M. Filion); Non, M. le ministre. M. le
ministre!
M. Rémillard: ...et je voudrais qu'elle puisse
répondre.
Le Président (M. Filion): M. le ministre, à
l'ordre, s'il vous plaît! M. le ministre, cela fait deux fois... Parce
qu'à ce moment-ci il est déjà convenu entre les partis que
le parti qui invite un témoin doit débuter, si on veut,
l'échange avec ce témoin.
M. Lefebvre: M. le Président, question de
règlement.
Le Président (M. Filion): Alors, je vous demanderais de
vous conformer à la décision que vous avez prise.
M. Lefebvre: M. le Président, question de
règlement. Je m'excuse. Il y a une règle concernant nos
débats, à savoir que vous ne pouvez pas disposer d'une question
de règlement avant de l'avoir entendue. Je vous demanderais de
reconnaître le ministre sur sa question de règlement, au moins de
l'entendre, et vous déciderez après d'en disposer. S'il vous
plaît, M. le Président, je vous demanderais de l'écouter
exposer sa question de règlement. C'est la moindre des choses que vous
pouvez faire, permettre au parti ministériel de s'exprimer, M. le
Président.
M. Rémillard: Simplement m'entendre.
Le Président (M. Filion): Alors, je vais reconnaître
maintenant le député de Gouin sur la question de règlement
soulevée par le leader adjoint. M. le député de Gouin.
M. Rochefort: M. le Président, de deux choses l'une: ou
bien, tel que l'a souhaité lui-même le ministre
délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes,
vous rendez immédiatement votre décision avant qu'il
procède à sa série de questions, ou bien, M. le
Président, s'il a changé d'idée et n'a plus besoin de
votre décision en cette matière, je vous demanderais donc de
reconnaître le chef de l'Opposition qui a la parole puisque c'est
formellement conforme à l'entente intervenue quant au déroulement
de nos travaux. De deux choses l'une: c'est l'un ou c'est l'autre mais cela ne
peut être une autre chose.
M. Rémillard: Mais ce n'est pas cela l'enjeu, on ne parle
pas de cela.
Le Président (M- Filion): Bon, sur la question de
règlement soulevée par le leader adjoint, je suis en mesure
de...
M. Rémillard: On ne parle pas de cela.
Le Président (M. Filion): M. le ministre, s'il vous
plaît! Je suis en mesure de répondre. Manifestement, la question
que vous vouliez soulever est une question à notre invitée,
premièrement. Deuxièmement, il est déjà convenu -
peut-être étiez-vous présent à la séance de
travail? Vous, vous l'étiez - entre les partis que la période des
échanges aurait lieu après l'ajournement, d'une part, et que,
d'autre part, le parti qui invite un témoin amorce les échanges
avec cet invité. En ce sens et pour ces motifs, M. le ministre, je vous
demanderais donc de respecter à la fois les décisions rendues et
les ententes qui sont intervenues. En ce sens, nous allons reprendre nos
travaux sur le fond de nos débats, à 20 heures.
M. Rémillard: M. le Président, vous ne me permettez
pas de m'exprimer? Je voudrais simplement vous expliquer ce que je voulais
faire. Donnez-moi juste deux minutes. Tout ce que je voulais faire simplement,
c'est poser une question à notre témoin...
M. Rochefort: Question de règlement, M. le
Président. J'ai une question de règlement, M. le
Président.
M. Rémillard: ...pour que, de par son expertise, elle
puisse y réfléchir et que, lorsqu'elle va revenir, elle ait la
réponse.
Le Président (M. Filion): Non, mais voilà,
justement, j'ai rendu ma décision.
M. Rochefort: M. le Président, j'ai une question de
règlement.
M. Rémillard: Je voulais lui demander ceci: Si on mettait
une clause comme celle de l'article 31 dans la charte...
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! M. le ministre! M. le
ministre!
M. Rémillard: Est-ce possible de bâillonner? Mais
pourquoi ont-ils peur, M. le Président? C'est disgracieux! Disgracieux!
Le Président (M. Filion): M. le ministre, j'ai
déjà rendu ma décision sur cela et je vous demanderais de
la respecter.
M. Rochefort: Oui, ce que vous faites
est très disgracieux de la part d'un membre du gouvernement.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin, à l'ordre, s'il vous plaît! Merci.
M. Rémillard: Bâillon! Bâillon!
M. Chevrette: Vous avez raison M. le Président.
M. Rémillard: Vous avez peur de la question. C'est parce
que vous avez peur, hein?
Décision du président sur l'utilisation
de tableaux et la transmission de leur image
Le Président (M. Filion): Alors, donc, à l'ordrel
Tel que convenu, je vais rendre ma décision sur la question de
règlement soulevée par le leader adjoint du gouvernement. Alors,
à l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous
plaît! Alors, j'en donne une copie au leader adjoint ici ainsi
qu'à M. le député de Gouin. A l'ordre, s'il vous
plaît! Voici la décision sur la question de règlement du
leader adjoint du gouvernement, dis-je, portant sur l'utilisation des tableaux
par un membre de cette commission. (18 heures)
Je signale immédiatement au leader adjoint du gouvernement que je
ne considère pas comme une question de règlement ses commentaires
et ses questions quant à ce qui a pu se passer entre notre séance
de l'après-midi et celle de la soirée, mardi. Donc, ma
décision ne porte que sur l'utilisation des tableaux par le ministre
délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.
'
Cette question comporte deux volets. Le premier volet traite de
l'utilisation même de tableaux. Il existe une tradition claire permettant
à un parlementaire d'utiliser des tableaux de nature didactique pour
soutenir un point de vue lors d'un débat. Il s'agit là d'une
permission accordée par le président et non d'un droit, tel qu'en
fait foi la décision du président, Richard Guay, ie 2 mai 1985,
pages 3369 et 3370. Le tableau exhibé par le parlementaire doit,
évidemment, respecter le décorum de cette Assemblée et
être, bien sûr, pertinent à nos travaux. Il s'agit là
d'une application de l'article 211 de notre règlement.
Le deuxième volet - et c'est cela qui est important - pourrait se
résumer ainsi: puisqu'il est déjà établi qu'un
parlementaire peut utiliser des tableaux, de quelle façon la
télévision doit-elle transmettre l'image de ces tableaux lorsque,
par exemple, une séance de commission prévoit la
télédiffusion des débats? D'abord, première
constatation, il n'existe aucune directive à ce sujet et ce,
malgré le fait que la télédiffusion des débats
existe déjà depuis huit ans et demi à cette
Assemblée nationale. J'ai donc dû visionner plusieurs
cassettes grâce à la collaboration du personnel de
l'Assemblée nationale. J'ai également pris en
considération le fait que les tableaux du ministre
délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes,
qui constituent l'objet de la présente question de règlement,
contiennent le texte même du communiqué du lac Meech. Ce texte
est, d'autre part, au coeur du mandat qui nous a été
confié par l'Assemblée le 7 mai 1987.
En effet, l'ordre de l'Assemblée nationale du 7 mai 1987 se lit
comme suit: "Que la commission des institutions entende les
représentations de ses membres, de personnes et d'organismes
relativement à l'entente intervenue le 30 avril 1987 au lac Meech
concernant la constitution du Canada."
Ma décision est donc ia suivante. L'image du parlementaire doit
faire partie de l'image télévisée. Cependant, lorsqu'il y
a lecture du texte contenu au tableau, il est alors permis de prendre des gros
plans de ce tableau. Le nom du parlementaire qui a la parole doit alors
apparaître au bas de l'image. Également, tout parlementaire qui
désire utiliser des tableaux - j'insiste sur ce point - aurait fortement
avantage à consulter le personnel du service de la
radiotélévision des débats. Ce personnel, doit-on le
rappeler, est à la disposition de tous les députés afin de
les conseiller quant à la forme et à la couleur de ces tableaux -
je signale, en passant, qu'il y a des couleurs qui sortent très mal
à la télévision, alors qu'il y en a d'autres qui sortent
très bien - et, également, quant à la forme, pour avoir
une image télévisée qui permette la présence du
parlementaire. De tels conseils permettront de respecter l'exigence de la
présence du parlementaire sur l'image télévisée,
tout en permettant une bonne qualité de l'information transmise par les
tableaux aux téléspectateurs et aux
téléspectatrices.
Enfin, comme je l'ai souligné, la décision que je viens de
rendre découle de la constatation qu'il n'existe, malheureusement,
aucune directive quant à la transmission télévisée
d'un tableau ou de matériel didactique. En conséquence, je
recommande au comité consultatif de la radiotélévision,
formé, on le sait, des deux whips des partis reconnus et du
président de l'Assemblée nationale de se pencher le plus
rapidement possible sur cette question.
Est-ce qu'il y a des questions ou si c'est suffisamment clair? M. le
leader adjoint du gouvernement.
M. Lefebvre: Dans votre décision, vous spécifiez,
à la page 3, que le nom du parlementaire qui a la parole doit
apparaître au bas de l'image. Est-ce qu'on peut tenir pour acquis, dans
le cas où ce serait un invité autre qu'un parlementaire qui
utiliserait des tableaux, que votre décision vaut dans le
même sens?
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint du
gouvernement, je rends une décision sur des faits portés à
ma connaissance. Lorsque se présenteront des faits ou des
événements autres, j'entendrai sûrement vos commentaires et
ceux de l'Opposition pour me permettre de juger et de rendre la meilleure
décision possible. Mais la décision que j'ai rendue n'a pas pour
but... Je ne voudrais pas me déguiser en grand devin de ce que sera
l'avenir de la télévision des travaux parlementaires, ce n'est
pas mon rôle. Mon rôle est de trancher le cas que vous avez soumis
à propos des tableaux du ministre délégué aux
Affaires intergouvernementales canadiennes et c'est ce que fait la
présente décision. Donc, pour toute matière
hypothétique, on verra à ce moment-là.
M. Lefebvre: M. le Président, ma question de
règlement avait un deuxième volet. Je vous demandais de
vérifier l'imbroglio auquel on a fait face hier, à savoir qu'il y
avait eu un changement technique: prises de gros plans en début de
séance, entre 16 heures et 18 heures, alors que ce n'était pas le
cas à la reprise à 20 h 15. Et vous-même, dans vos propres
commentaires, M. le Président - et je vous cite d'après le
Journal des débats, - vous avez dit textuellement: "Et, d'autre part,
étant donné aussi qu'il a été fait allusion
à une décision du président de l'Assemblée
nationale." Vous avez pris, à ce moment-là, l'engagement suivant:
"Je vais faire les vérifications qui s'imposent et demain, dans le cours
de l'avant-midi, je rendrai ma décision à cet effet." Alors,
j'aimerais savoir, M. le Président, pour quelle raison vous avez
changé d'idée et décidé de ne pas statuer sur le
deuxième volet de ma question de règlement, à savoir: que
s'est-il passé hier?
Le Président (M. Filion): Peut-être que vous ne
m'écoutiez pas au début et j'avoue que cela ne fait pas partie de
la transcription que vous avez. J'ai dit ceci et je vais vous le
répéter: "Je signale immédiatement - c'était au
tout début de ma décision - au leader adjoint du gouvernement que
je ne considère pas comme une question de règlement ses
commentaires et ses questions quant à ce qui a pu se passer -ou è
ce qui s'est passé - entre notre séance de l'après-midi et
celle de la soirée mardi, donc, ce n'est pas une question de
règlement en ce qui me concerne.
M. Lefebvre: M. le Président, entre hier et aujourd'hui,
vous avez modifié votre opinion sur le deuxième volet de ma
question de règlement. Troisième question de directive.
Le Président (M. Filion): Pas du tout, M. le leader
adjoint. Vous avez là la décision que j'ai rendue sur la
matière qui était importante. Quant au reste, les questions, les
commentaires, les opinions et les qu'en-dira-t-on, je n'ai pas de question de
règlement à régler là-dessus.
M. Lefebvre: M. le Président, dans le troisième
volet, je vous demanderais maintenant de reconnaître le ministre qui a
été impliqué dans cette décision, M. le ministre
délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes,
s'il vous plaît!
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin.
M. Rochefort: M. le Président, je prends note de la
décision que vous venez de rendre. Le député de Frontenac
vous a posé quelques questions d'éclaircissement. Je vois
difficilement, M. le Président, comment on peut prolonger ce qui
pourrait prendre la forme d'une discussion sur l'une de vos décisions,
auquel cas, si on veut en discuter, c'est évident qu'on va en discuter
des deux côtés.
Le Président (M. Filion): M. le ministre, avant de voua
reconnaître...
M. Rochefort: Sur quoi?
M. Rémillard: Je veux intervenir à ce sujet. Vous
allez m'empêcher de parler là-dessus?
Une voix: Ah, vous, là, hein!
M. Rémillard: C'est cela que vous voulez?
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît! M. le ministre, il me fera plaisir de vous reconnaître.
Est-ce que votre intervention a pour but de discuter la décision que je
viens de rendre ou de la commenter?
M. Rémillard: Je ne veux pas la commenter, je ne veux pas
la discuter, je veux simplement vous demander un élément de
compréhension. Je veux comprendre vos décisions. Puis-je le
faire, M. le Président, en tout respect?
Le Président (M. Filion): Allez-y, si je peux vous
éclairer, mais je pense que la décision est claire. Allez-y, je
vous écoute.
M. Rémillard: Je comprends de votre décision que
j'ai été privé d'un droit et que, maintenant, vous nous
dites que j'aurais dû avoir ce droit. Si je n'ai pas eu ce droit, c'est
parce que j'ai été interrompu à un
moment donné et qu'on s'est référé à
une décision de la présidence. Je cite ici, de la part du
député de Gouin: "M. le Président, il y a eu hier une
directive du président de l'Assemblée nationale, le
député de Saint-Jean - je cite au texte - pour faire en sorte
qu'il n'y ait pas de présentation que d'éléments visuels,
mais qu'on retrouve toujours sur le petit écran au minimum le ou la
parlementaire qui a la parole avec ou sans tableau, ce que nous reconnaissons
pleinement." M. le Président, ma question est celle-ci, en fonction de
votre décision: Est-ce vrai qu'il y avait une telle décision du
président de l'Assemblée nationale?
Le Président (M. Filion): M. le ministre, je pense que
vous étiez présent il y a à peine quelques minutes lorsque
j'ai expliqué à votre collègue de droite, le leader
adjoint du gouvernement, que je ne considérais pas comme une question de
règlement, donc une question que je devais trancher, ce qui a pu se
passer, ce qui aurait pu se passer ici ou ailleurs ou à quelque autre
endroit que ce soit émanant de la présidence de
l'As3emblée nationale ou d'où que ce soit, et, donc, que je n'ai
pas à me prononcer sur cette partie des commentaires, de l'opinion ou
des questions du leader adjoint. C'est ce que j'ai dit, il y a à peine
cinq minutes.
M. Rémillard: M. le Président, bien
respectueusement, est-ce que je peux me permettre de vous dire que j'ai subi un
préjudice comme parlementaire et que j'ai le droit fondamental de savoir
pourquoi j'ai subi ce préjudice? Il est clair que le
député de Gouin a mentionné que c'était par une
directive de la présidence. Vous venez de rendre une décision qui
va à l'effet contraire. M. le Président, c'est mon droit comme
parlementaire de savoir ce qui s'est passé dans ce dossier et je vous le
demande très respectueusement.
Le Président (M. Filion): Oui, M. le député
de Gouin.
M. Rochefort: Dans un premier temps, je voudrais vous demander de
reconnaître le député de Lac-Saint-Jean, whip en chef de
l'Opposition, qui est la personne qui a eu une conversation avec le
président de l'Assemblée nationale et député de
Saint-Jean, telle que je l'ai rapportée et que vient de me citer avec
exactitude, au mot à mot, le député de Jean-Talon et
ministre.
M. le Président, je pense que le député de
Lac-Saint-Jean, whip en chef de l'Opposition, membre du comité de la
radiotélédiffusion des débats de l'Assemblée,
pourra faire état clairement des conversations et des réponses
que lui a données le président de l'Assemblée nationale et
député de Saint-Jean à ce moment-là et qu'il
viendra confirmer ce que j'ai évoqué ici publiquement pour
établir très clairement le fondement des propos que j'ai
prononcés et qu'on semble vouloir mettre en doute.
M. Lefebvre: M. le Président... Le Président (M.
Filion): Non.
M. Lefebvre: Sur la question de règlement du
député de Gouin, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Non.
M. Chevrette: Ce n'est même pas une question de
règlement.
M. Lefebvre: Ce n'est pas... Êtes-vous membre de la
commission, vous, M. le leader de l'Opposition?
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, on va se
comprendre.
M. Lefebvre: M. le Président, ce n'est pas...
Le Président (M, Filion): Non, M. le leader adjoint.
M. Lefebvre: M. le Président, vous allez me laisser
parler, s'il vous plaît!
Le Président (M. Filion): Oui, mais vous allez
m'écouter avant.
M. Lefebvre: Je comprends, M. le Président...
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, s'il vous
plaît! Non, M. le leader adjoint, s'il vous plaît!
M. Lefebvre: ...qu'un président de commission, depuis
1984, a droit d'être partial, mais cela ne vous donne pas le droit, M. le
Président, de nous enlever notre droit de parole.
Le Président (M. Filion): Ah, bien non! Bon, M. le leader
adjoint, je vous demanderais...
M. Lefebvre: Je veux que ce soit clair, M. le Président.
Je veux, M. le Président...
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, je vous
demanderais...
M. Lefebvre: M. le Président, je veux avoir la permission
de commenter...
Le Président (M. Filion): ...de retirer vos
dernières paroles à l'égard du président.
M. Lefebvre: M. le Président, je... Non,
je n'ai rien à retirer. Un président de commission, depuis
1984 - et vous l'utilisez, ce droit-là - a le droit de s'impliquer le
droit d'être partial, mais, M. le Président, cela ne vous permet
pas de nous enlever notre droit de parole et je demande la permission de
commenter la question de règlement du député de Gouin,
Le Président (M. Filion): Bon. Alors...
M. Lefebvre: À savoir, M. le Président, que ce
n'est pas au député de Lac-Saint-Jean de faire enquête sur
ma question de règlement. Vous avez pris l'engagement de rendre une
décision aujourd'hui et je réalise que vous vous retranchez
derrière une question de règlement ou d'interprétation du
règlement pour ne pas vous prononcer sur le préjudice qu'a subi
le ministre Rémillard.
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, M. le
député de Gouin, MM. et Mmes les membres de la commission, je
profite de l'occasion qui m'est aimablement offerte par le leader adjoint pour
signaler ceci. II y a eu ici, dans cette enceinte, en 1984, une petite chose
qui s'appelle la réforme parlementaire qui signifiait que les
commissions devenaient des commissions de parlementaires et que les
présidents et vice-présidents de commissions avaient le droit,
non pas de devenir partiaux, comme vous le soulevez, mais de s'impliquer et de
s'engager dans les débats. C'est ce que j'ai fait quand je l'ai
jugé à propos et c'est ce que je continuerai à faire.
J'invite, d'ailleurs, les présidents de commissions à jouer leur
rôle à cet effet-là. Les commissions parlementaires sont
des créatures des députés et des parlementaires et ne sont
pas des créatures de l'Exécutif. Je vous remercie donc de cette
occasion-là.
Deuxièmement, quant à revenir encore une fois sur vos
commentaires, sur ce qui a pu être dit mardi par qui que ce soit, j'ai
déjà considéré que ce n'était pas là
une question de règlement et que je ne me prononcerais pas
là-dessus.
Nos travaux sont suspendus jusqu'à 20 heures. Merci.
(Suspension de la séance à 18 h 15)
(Reprise à 20 h 14)
Le Président (M. Filion): Mmes et MM., membres de cette
commission des institutions, bonsoir. Évidemment, nous allons continuer
notre mandat et nous allons amorcer notre échange avec notre
invitée, Mme Andrée Lajoie, professeure de droit à
l'Université de Montréal.
Je vous rappelle que le temps de parole pour chaque groupe, à
savoir le groupe ministériel et le parti de l'Opposition, est de 36
minutes. Vous me dites bien 36 minutes, Mme la secrétaire? Je vous
remercie. 36 minutes de chaque côté. La parole est donc à
M. le chef de l'Opposition officielle.
Mme Andrée Lajoie (suite)
M. Johnson (Anjou): Me Lajoie, merci pour votre exposé. Je
me permets de rappeler à ceux qui n'auraient pas été ici
au moment où vous avez fait votre exposé, d'une part, que vous
avez été directrice du Centre de recherche en droit public de
l'Université de Montréal, deuxièmement, que vos
occupations professionnelles vous ont amenée au Québec et au
Canada à probablement ramasser l'un des plus hauts niveaux d'expertise
sur la notion du pouvoir de dépenser, notamment dans le cadre des
projets de recherche de la commission Macdonald sur l'union économique
canadienne publiés il y a maintenant au delà de deux ans.
Me Lajoie, vous nous avez bien expliqué au début de votre
exposé que vous n'entendiez répondre qu'aux questions qui
touchent le pouvoir de dépenser. J'entends respecter cette exigence de
l'expert que vous êtes. Je voua demanderais peut-être de nous
illustrer dans un premier temps, compte tenu de votre connaissance de ce
secteur, comment s'exerce le pouvoir de dépenser de l'État
fédéral dans un domaine spécifique de juridiction
provinciale, par exemple le secteur de la santé ou éventuellement
celui de l'enseignement supérieur qui, on le sait, sont de toute
évidence et absolument sans conteste des domaines de juridiction
provinciale.
Mme Lajoie: Dans le domaine de l'enseignement supérieur,
on ne sait pas comment il s'exercera parce que les textes ne sont pas encore
disponibles. Le seul exposé semi-officiel qu'on en a eu, c'est celui de
Me Michel Robert alors qu'il était membre de la commission Macdonald et
qui, je crois, sans l'accord de la commission, avait fait une conférence
de presse pour dire que la commission allait recommander l'adoption de normes
en matière d'enseignement postsecondaire et supérieur au Canada
et, à ma connaissance, on n'a pas d'autres détails. Il y a eu un
projet de loi, il y a un an et demi, qui a avorté et tes choses en sont
restées là.
Dans le domaine de la santé, cependant, les ententes durent
depuis très longtemps. Il y en a en matière
d'assurance-hospitalisation, il y en a en matière
d'assurance-santé. Les mécanismes sont extrêmement
complexes et techniques. Je ne voudrais pas ennuyer cette assemblée avec
cela, mais je dirai qu'au départ la plus complexe était celle de
l'assurance-
hospitalisation, où ii y avait une loi fédérale qui
déterminait des objectifs et des normes accordant à
l'Exécutif fédéral un pouvoir de conclure une entente avec
une province qui accepterait de faire une loi conforme à ces normes. Ces
normes devaient être explicitées dans un règlement pris en
vertu de la loi fédérale et ce règlement, à son
tour, ne pouvait être modifié que du consentement des provinces.
Les juristes parmi vous apprécieront le chamboulement de la
hiérarchie des normes qu'on trouve là. Mais l'essentiel de cela
est que la province qui, par cette loi, était désignée
comme une partie contractante habile à contracter avec l'État
fédéral qui n'avait d'autorisation que pour contracter avec ce
type de province, c'était une province qui avait adopté une loi
conforme aux objectifs énoncés dans le règlement. Ces
objectifs étaient extrêmement détaillés. On y
définissait le bénéficiaire, on y définissait les
dépenses admissibles, on y définissait, dans un très grand
niveau de détails, plusieurs des éléments constitutifs de
la loi que les provinces admissibles aux programmes devaient adopter.
C'était donc, par des moyens indirects... C'est bien clair que la
Législature fédérale ne légiférait pas
directement avec un caractère opératoire dans le champ
provincial; les provinces qui ne voulaient pas se soumettre et adopter la loi
conforme à ces objectifs, n'avaient qu'à se passer des
subventions. Mais c'est là qu'est le problème. C'est que le
retrait est conditionnel dans la formule qu'on nous présente
maintenant.
M. Johnson (Anjou): Compte tenu de la formule contenue dans le
projet d'accord du lac Meech - corrigez-moi si je me trompe, -je le
décris de la façon suivante: Le gouvernement
fédéral, en vertu de cette formule, obtient, d'une part, une
reconnaissance constitutionnelle de son pouvoir de dépenser pour la
première fois alors que cette question a fait l'objet de nombreuses
contestations dans différents secteurs.
Mme Lajoie: Je dirais que législativement vous avez
raison. Judiciairement, je vous ai dit qu'il y a deux opinions: une qui veut
que ce pouvoir ait été reconnu, l'autre qui estime que ce pouvoir
n'est pas reconnu.
M. Johnson (Anjou): Serait-ce exagéré de dire que,
dans la mesure où le juge Beetz, actuellement en Cour suprême, et
le juge Laforest, maintenant en Cour suprême également, ont eu des
opinions divergentes sur cette question à l'époque où ils
n'étaient pas juges à la Cour suprême, mais où ils
ont fait des écrits, le Québec, en ce moment, aurait 50 % des
chances de gagner et 50 % des chances de perdre sur la question du pouvoir de
dépenser, alors que la formule du lac Meech, à toutes fins
utiles, nous donne 100 % de garanties de perdre sur la question du pouvoir de
dépenser?
Mme Lajoie: Sur le nombre de chances que nous aurions de gagner,
dans l'état actuel des choses, c'est difficile à dire, mais on en
aurait certainement quelques-unes. Alors que, dans l'autre cas, effectivement,
si on se prive dans un texte constitutionnel du pouvoir de retrait
inconditionnel, on a évidemment tout perdu. Tandis que, si on maintient
que le retrait inconditionnel est la matérialisation de nos
compétences législatives et que d'imposer un retrait
conditionnel, c'est ultra vires pour le Parlement et cela dépasse les
pouvoirs de l'Exécutif, qu'on fasse un renvoi ou qu'on soulève la
question pendant un litige, on a des chances de ne pas tout perdre. Tandis que,
si on le donne, on ne pourra pas l'avoir une autre fois.
M. Johnson (Anjou): On l'a perdu. Deuxièmement, Mme
Lajoie, est-ce que je me trompe en affirmant que cette consécration du
pouvoir fédéral de dépenser dans la formule du lac Meech
entraîne également que, pour les nouveaux programmes, le
Québec serait assujetti à des objectifs nationaux, s'il veut
obtenir compensation? Je m'explique. Nous payons des taxes au niveau
fédéral, nous payons des taxes au Québec. Par exemple, le
gouvernement fédéral pourrait décider que, pour
l'environnement, il y a un vaste programme d'intervention et peut-être
même dans le cas d'un secteur aussi clairement de juridiction provinciale
que les équipements municipaux. Le fédéral pourrait
procéder par un programme à frais partagés. Si le
Québec choisissait de ne pas se conformer à des objectifs du
fédéral, se verrait-il privé des sommes que le
fédéral, normalement, investirait dans ce secteur au
Québec?
Mme Lajoie: Cela m'apparaît juste. J'ajouterais que,
puisqu'on aurait un texte constitutionnel qui légiférerait sur
les nouveaux programmes et qui se tairait sur les anciens programmes, il
faudrait aussi évaluer l'impact sur les anciens programmes. Cela
dépendrait évidemment du libellé, mais ce n'est pas simple
de savoir si ces anciens programmes seraient inadmissibles à quelque
compensation que ce soit ou bien, au contraire, admissibles à une
compensation pleine et entière et inconditionnelle. On serait, par
rapport aux anciens programmes, dans l'état où on est
actuellement, je crois, mais je n'en suis pas sûre.
M. Johnson (Anjou): D'accord. Dans le cas des proqrammes
existants ou enfin qu'on appellerait anciens programmes pour ces fins, anciens
par rapport au lac Meech, donc, ce
sont les programmes existants... On ne parle pas de ceux qui seraient
abolis possiblement et techniquement. Je ne veux pas entrer dans ce
débat. On pourrait probablement faire des arguties là-dessus.
Mais parlons des programmes existants. On sait, par exemple, que le
gouvernement canadien est extrêmement présent dans le secteur de
la main-d'oeuvre, qu'il a une vision... On sait que c'est une tendance lourde
dans l'appareil fédéral en ce moment, que les années
quatre-vingt-dix, notamment à cause du libre-échange, si jamais
il se matérialise, seront caractérisées par des
interventions massives dans la formation professionnelle, dans le secteur de la
main-d'oeuvre, de la planification et du recyclage de la main-d'oeuvre, etc.
Or, le fédéral est déjà présent dans ce type
de programmes. Est-ce que je comprends bien que la formule du lac Meech aurait
comme effet, en matière de main-d'oeuvre, d'une part, de permettre une
prolongation des programmes actuels du gouvernement fédéral, si
cela se traduit essentiellement par plus d'argent et non pas par des
changements à des normes ou à des objectifs, et d'autre part que
le Québec ne pourrait toucher sa part que dans la mesure où il
répond è l'ensemble des normes, des critères et des
objectifs du gouvernement fédéral?
Mme Lajoie: Cela ne nous délivrerait pas de l'obligation
d'aller faire interpréter la loi constitutionnelle devant les tribunaux.
Je crois que tout dépendrait de la façon dont les tribunaux
interpréteraient la question d'un nouveau programme. Est-ce qu'un
nouveau programme, pour les tribunaux, ce serait un programme sur de nouveaux
sujets pour lesquels il n'y a jamais eu de programme ou si c'est un programme
comprenant de nouvelles dispositions dans un même domaine? Qu'est-ce que
c'est qu'une modification à un ancien programme par rapport à un
nouveau programme? Vous voyez, je pense que cela ne serait pas vraiment
très simple.
M. Johnson (Anjou): Mais s'il y avait simplement une injection
d'argent additionnelle sur les programmes existants sans changement de la
réglementation ou des lois de base qui donnent un pouvoir de
réglementation au fédéral, est-ce qu'on pourrait
considérer qu'il s'agit des programmes existants, donc, qui ne sont pas
couverts par l'entente du lac Meech?
Mme Lajoie: C'est une possibilité. Mais, encore une fois,
cela dépendrait du sens technique qu'on donnerait à "nouveau
programme".
M. Johnson (Anjou): D'accord. Quant au droit à la
compensation - parce que c'est cela que crée l'entente du lac Meech -
les dispositions en ce qui concerne le pouvoir de dépenser du
gouvernement fédéral dans les domaines de juridiction
québécoise, c'est essentiellement un droit à la
compensation qui est conditionnel, d'une part, à l'existence d'un
programme et deuxièmement - donc, la présence du Québec
dans ce secteur; on présume qu'il trouve que c'est une priorité
ou que c'est important - au respect des objectifs nationaux. J'aimerais
peut-être vous entendre sur la notion de normes, de critères,
d'objectifs nationaux.
Mme Lajoie: Bon. Si on voit à la fois les trois dans un
même texte, il faudra les interpréter suivant leurs rapports
respectifs mais, en général, des critères, c'est plus
précis que des objectifs. Cependant, imposer des objectifs à la
Législature d'une province c'est circonscrire à l'externe
l'enveloppe de sa compétence. Il y aurait des dispositions
législatives qu'une province par son autonomie pourrait adopter et qui
deviendraient nulles pour incompatibilité, pas nulles, mais qui ne
donneraient pas droit à la compensation parce qu'elles seraient
incompatibles. Évidemment cela n'affecte pas la validité des
dispositions, mais dans la pratique cela a le même effet. C'est comme
quand on passe le seuil d'un contrat d'adhésion et qu'on est
forcé, à toutes fins utiles, d'adopter une législation. On
perd l'autonomie d'agir ou de ne pas agir, d'agir dans un sens ou dans l'autre,
d'aqir à un degré ou à un autre et à un moment ou
à un autre. C'est caractéristique de la compétence
législative. Autrement on se trouve dans un état semblable
à celui des corporations professionnelles qui est un domaine, je crois,
que, quand vous étiez ministre des Affaires sociales, vous avez assez
bien connu. L'Office des professions peut contraindre les corporations
professionnelles d'exercer leur pouvoir et de l'exercer dans un certain sens.
C'est de la tutelle. Analogiquement, on serait dans la même situation
quant au rapport qui s'établirait entre les provinces et l'État
fédéral.
M. Johnson (Anjou): Dans des domaines de juridiction
provinciale.
Mme Lajoie: À moins que la compensation ne soit
inconditionnelle. Quelle que soit la façon dont on appelle un chat,
c'est toujours un chat, et c'est dans ce sens que et le Conseil privé et
la Cour suprême ont dit qu'on ne pouvait pas faire indirectement ce qu'on
ne peut pas faire directement.
M. Johnson (Anjou): Merci, Me Lajoie; je vais passer la parole
à mon collègue le ministre.
Le Président (M. Filion): Merci, Mme Lajoie. M. le
ministre. (20 h 30)
M. Rémillard: Mme le professeur Lajoie, merci d'être
venue témoigner devant la commission. Voua êtes reconnue comme une
experte concernant les problèmes de droit constitutionnel,
particulièrement en ce qui regarde les problèmes du droit relatif
dans le domaine de la santé et le pouvoir de dépenser auquel vous
avez bien travaillé. Votre témoignage est donc
particulièrement intéressant pour cette commission.
Le chef de l'Opposition vient de vous poser de très bonnes
questions, des questions très pertinentes qui nous aident à
tenter de cerner dans sa juste perspective ce pouvoir de dépenser et le
cadre ou les limites que nous voulons lui apporter. Â ces questions que
le chef de l'Opposition vient de vous poser, j'aimerais vous en poser quelques
autres.
Dans un premier temps, je crois bien que ce qui est important, c'est
qu'on puisse savoir si ce pouvoir de dépenser - pouvoir de
dépenser des sommes d'argent pour le gouvernement fédéral
dans un domaine de compétence qui ne relève pas de sa juridiction
- existe présentement en droit constitutionnel ou pas. Vous avez dit,
tout à l'heure, qu'il y avait deux tendances. Vous nous avez dit, d'une
part, qu'il y avait le juge Beetz et vous, je crois, qui disiez que ce droit
n'existe pas. Il y a M. le juge Laforest, qui est maintenant juge à la
Cour suprême aussi... Il y a M. Laskin qui, dans son traité de
droit constitutionnel avant qu'il ne soit juge en chef de la Cour
suprême, comme vous le savez, disait aussi que ce droit existait. Il y a
M. le professeur Peter Hogg dans son traité de droit constitutionnel qui
fait autorité au Canada, cité à maintes reprises par la
Cour suprême qui' dit ceci et je me permets de le citer, si vous me
permettez: II semble que la meilleure description du droit actuel est celle
selon laquelle le Parlement fédéral peut dépenser ou
prêter des fonds è tout gouvernement ou toute institution ou
individu qu'il choisit et pour toutes fins qu'il détermine et qu'il peut
attacher à toute subvention ou prêt toutes les conditions qu'il
définit, incluant les conditions qu'il ne peut imposer directement par
voie législative. On peut ajouter l'opinion de Me Beaudoin, qui est venu
ici témoigner et nous dire que, selon lui, ce pouvoir de dépenser
existe.
Vous allez nous dire que, oui, il y a deux tendances. Nous sommes
portés à croire qu'il y a une tendance très forte en ce
sens que ce pouvoir existe. Si cette tendance n'était pas très
forte, j'imagine que le gouvernement n'aurait pas hésité à
contester devant les tribunaux le projet de loi - une loi que vous connaissez
"bien maintenant C-3 concernant le domaine de la santé. Si je vous
posais la question, Mme le, professeur, si je vous demandais: Cette loi C-3
concernant les contributions pécuniaires du Canada aux services de
santé assurés, etc., est-ce que vous croyez qu'il pourrait y
avoir des chances de succès à la contester d'une façon
générale ou si son fondement juridique est solide?
Mme Lajoie: Alors, je vais reprendre d'abord ce que vous disiez
à propos de la force respective des tendances. Le juge Laforest, qui
maintient la tendance disant que le pouvoir de dépenser existe
actuellement, qui estime, lui, qu'il devrait exister, conclut ses remarques
par: La validité de ces projets-là n'a jamais été
testée. Jusqu'à présent, ni les provinces ni le Dominion
n'ont démontré leur intention de porter la question devant les
tribunaux. Donc, pour lui, la question n'est pas décidée. Je ne
suis pas certaine que, au moment où il a écrit ce texte -
c'était en 1981, il reprenait un texte de 1967 - je ne suis pas certaine
qu'il avait tenu compte de l'opinion du juge Pigeon dans le renvoi sur les
produits agricoles, qui est entre les deux, vous voyez, et où le juge
Pigeon, je crois, règle la question. Il dit: À mon avis,
l'intrusion fédérale dans le commerce local - c'était une
question commerciale à ce moment-là - est tout aussi
inconditionnelle lorsqu'elle se fait par des achats et des ventes que
lorsqu'elle se fait d'une autre manière. Les remarques du vicomte Simon
et de lord Halsbury -c'étaient des remarques dans une décision de
la Chambre des lords où l'on disait qu'on ne peut pas faire
indirectement ce qu'on ne peut pas faire directement dans la constitution - ces
remarques, dit-il, s'appliquent autant aux pouvoirs fédéraux
qu'à ceux des provinces. Je crois que si un avocat habile invoquait ce
texte, il est possible que la Cour suprême refuse même une
permission d'appeler sur une décision d'une Cour d'appel provinciale qui
aurait consacré l'illégalité du pouvoir de dépenser
en disant: Cette Cour d'appel aurait raison parce que nous l'avons
déjà décidé en 1978. Je pense donc qu'il y a des
chances, effectivement, que l'autre tendance soit celle qui soit reconnue, mais
je ne peux pas l'affirmer avec certitude. Ce que je sais, c'est que, dans le
passé, l'État fédéral a souvent cherché
à empiéter sur les compétences des provinces.
M. Rémillard: Ce que vous aimeriez, c'est qu'on conteste
C-3 pour faire un test?
Mme Lajoie: Je pense que c'est de deux la moins mauvaise
solution. Si vous me permettez de terminer ce que j'étais en train
d'expliquer, j'en ai pour une seconde. Quand les autorités
fédérales ont tenté d'envahir les domaines de
compétence
provinciale, elles l'ont fait notamment à la faveur de la
doctrine des dimensions nationales et à la faveur de la théorie
des éléments intrinsèques. Dans les deux cas, le juge
Beetz a entraîné la majorité, une fois dans
l'anti-inflation et l'autre fois dans Montcalm, pour bloquer l'expansion de ces
théories, de sorte qu'il n'est pas impossible qu'il réussisse
encore le coup. La cour a changé, un juge nouveau vient d'être
nommé - le juge Laskin n'est plus là déjà depuis un
certain temps - rien n'est certain, mais au moins on a des chances, tandis que,
si on admet au départ que le pouvoir de dépenser est
constitutionnalisé, qu'il existe, que l'État
fédérai peut l'exercer dans les domaines de compétence
exclusive des provinces, alors, on n'a vraiment plus de cause. C'est une
question de perdre l'un avec certitude ou d'avoir quelques chances, ai minimes
soient-elles, de gagner l'autre.
M. Rémillard: Est-ce que vous croyez que l'article 36 de
la Loi constitutionnelle de 1982 pourrait donner une nouvelle assise è
ce pouvoir de dépenser? Il me semble que c'est ce que soutiennent le
professeur Brun et le professeur Tremblay dans leur excellent bouquin, leur
traité de droit constitutionnel. Le professeur Brun est avec nous ce
soir comme conseiller de l'Opposition.
Mme Lajoie: Ni. le ministre, je vais vous rendre la pareille.
M. Rémillard: Oui, mais je vais vous dire ceci. Ici, il
dit - attendez que je retrouve exactement le passage - que les programmes
fédéraux de subventions conditionnelles aux provinces seront
encore fort nombreux et que l'article 36.1 de la Loi constitutionnelle de 1982
paraît légitimer a posteriori cette façon d'assurer une
égalité des chances.
Mme Lajoie: Cet article 36.1 est énoncé sous
réserve des compétences législatives du Parlement et des
Législatures, ce qui n'est pas le cas du paragraphe 2. Le paragraphe 2
valide, je crois, et a posteriori, en tout cas certainement pour l'avenir, les
éléments de péréquation, c'est-à-dire les
subventions inconditionnelles. Mais les subventions conditionnelles dans la
mesure où l'article 36.1 aurait un sens - mon Dieu! allez-vous
m'entraîner là-dedans? - un sens performatif, M. le ministre, dans
la mesure où l'article 36.1 dirait de faire quelque chose à
quelqu'un... Ce qu'il ne fait pas, il raconte simplement une histoire qui par
ailleurs est fausse parce que les gouvernements, dit-il, se sont
engagés; or, le Québec, vous le savez, ne s'est pas encore
engagé. La preuve, c'est que vous êtes en train de négocier
les conditions de l'engagement. Mais je pense que l'article 36.1 est
énoncé sous réserve des compétences
législatives et n'a pas du tout le même effet que l'article 36.2.
Cette interprétation - c'est là que je vous rends la pareille -
nous y sommes arrivés l'année dernière à la
même époque, Me André Tremblay qui vient de vous conseiller
là-dessus et moi-même, lors d'une réunion de
constitutionnalistes à laquelle vous étiez, dans les Laurentides.
C'est Me Tremblay qui l'a exposée au sénateur Tremblay devant moi
par la suite. Alors...
M. Rémillard: Je pense que... Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Rémillard: C'est que Me... Mme Lajoie: 1 à 1, M,
le ministre. Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Rémillard: Je comprends. Je vois que...
Une voix: Excusez-nous si on n'est pas dans la même partie,
mais...
M. Rémillard: Oui, je pense que cela devient un petit peu
technique.
Mme Lajoie: Cela devient très technique.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Rémillard: Mais simplement...
Mme Lajoie: Je suis bien d'accord. Cela devient technique, M. le
ministre.
M. Rémillard: Vous comprenez. C'est très important.
Votre témoignage est important.
Mme Lajoie: Très important.
M. Rémillard: C'est une préoccupation du
gouvernement et on veut y voir clair. Il y avait l'opinion du professeur
Brun.
Une voix: ...
M. Rémillard: Oui, je vous le permets.
M. Johnson (Anjou): Si je comprends bien, Me Tremblay dont Me
Lajoie parlait, c'est Me Tremblay qui est votre conseiller.
Mme Lajoie: C'est Me André Tremblay. Ce n'est pas Me
Tremblay, le coauteur de Me Brun.
M. Rémillard: Oui, oui. C'est Me Tremblay, coauteur aussi
de M. Brun, etc.
Mme Lajoie: Non, non. Ce n'est pas le même.
M. Rémillard; Oui, oui. Nous avons de bons
spécialistes partout. Mais en partant de l'article 36, tout simplement,
si on ajoutait... C'est la question que je vous ai posée pour que vous
puissiez y réfléchir tout à l'heure. Si on ajoutait: Sous
réserve des compétences législatives du Parlement et des
Législatures et le droit de les exercer, pour le libellé de
l'article 36 - je fais une hypothèse - quelle serait votre
réaction?
Mme Lajoie: J'aurais beaucoup de difficultés à
donner du sens à la disposition, M. le ministre, parce que, comment
peut-on, sous réserve des compétences législatives,
permettre à l'État fédéral d'énoncer des
objectifs qui vont limiter les compétences provinciales par le fait
même en posant, comme conditions du retrait, que la législation
provinciale doit exister et qu'elle doit être conforme aux objectifs
fédéraux? On se trouve à modifier et la compétence
provinciale qu'on diminue et la compétence fédérale qu'on
augmente, dans les faits.
M. Rémillard: Oui, j'ai peut-être un peu de
difficultés à vous suivre. Refaisons, si vous voulez, le
scénario. Le gouvernement fédéral décide
d'établir un plan national sur les garderies. C'est une
possibilité, comme vous le savez, très grande. Il y a des
critères, il peut y avoir des normes. Led provinces sont d'accord. Le
Québec veut se retirer et considère qu'il a son propre
réseau de garderies avec ses critères, ses normes. Le
gouvernement fédéral, avec son plan national, ne
légifère pas dans un domaine de compétence provinciale. Il
donne des sommes d'argent pour qu'il y ait un plan national. En fait, si le
Québec veut tout simplement dire: Nous ne sommes pas
intéressés à ce plan national, le plan national ne
s'applique pas chez nous, notre compétence n'est pas touchée,
absolument pas. Où cela devient plus difficile, c'est pour avoir
l'argent. Et là, il y a, bien sûr, des problèmes qui
peuvent se poser, mais on ne parle pas d'intrusion dans le domaine de
compétence. On parle de la possibilité de se retirer.
Tantôt, nous avons discuté de l'existence en droit constitutionnel
de ce pouvoir de dépenser. Vous nous avez dit qu'il y a deux
théories. Mais est-ce que c'est la même chose pour le pouvoir de
se retirer, "l'opting out"? Est-ce que "I'opting out" existe en droit
constitutionnel?
Mme Lajoie: Dans la mesure où le pouvoir de
dépenser n'existe pas, il n'y a pas lieu de s'en retirer.
M. Rémillard: Et dans la mesure où il existe?
Mme Lajoie: Dans la mesure où il existe, il n'a pas
été défini suffisamment par les tenants de cette
thèse pour qu'on puisse déterminer si "l'opting out" existe ou
non. (20 h 45)
M. Rémillard: Voilà. Alors, vous voyez un peu la
situation. D'une part, nous avons un pouvoir de dépenser, qui a de
très bonnes chances d'être reconnu - la preuve, c'est qu'il n'a
pas été contesté jusqu'à présent depuis des
décennies qu'il est exercé - et, d'autre part, un pouvoir de
retrait qui a été exercé par le Québec au moins une
fois, qui est une simple pratique politique et qui n'a donc pas de garanties
constitutionnelles. Donc, l'entente du lac Meech a au moins cela, si on veut
regarder un point positif, si vous me le permettez. Il apporte une garantie
constitutionnelle à ce droit de retrait...
Mme Lajoie: Mais à quel prix?
M. Rémillard: ...qui n'existe pas en droit
constitutionnel.
Mme Lajoie: Mais à quel prix, M. le ministre? Au prix
de...
M. Rémillard: Faisons cette première étape
et, ensuite, voyons le prix, combien cela coûte.
Mme Lajoie: Bien, écoutez...
M. Rémillard: Oui. Vous êtes d'accord avec moi
jusqu'à présent?
Mme Lajoie: Je suis d'accord sur un point. Cela permettrait
d'obtenir des sommes si la législation provinciale, dans le champ,
existait et si elle était conforme aux objectifs nationaux. À ce
moment-là, le prix qu'on paie, c'est de renoncer à l'autonomie
d'exercer ou non cette compétence et à l'autonomie de l'exercer
dans le sens qui nous convient. Pour ce prix, on a une compensation qui est
juste, mais qui n'est pas pleine et entière, alors que si on attaque la
validité de cela, actuellement, sans ce texte, devant les tribunaux, on
a des chances d'obtenir la nullité de l'entente. Ce qui se passe quand
l'État fédéral remet des sommes aux provinces pour mettre
en oeuvre des programmes conformes aux objectifs nationaux, c'est que
l'État fédéral a perçu des sommes qui seront
employées à des fins de compétence provinciale.
Écoutez, le pouvoir de dépenser, tout le monde a cela. Vous et
moi, à la fin du mois, on paie chacun nos comptes. Si l'État a
des règles différentes, c'est parce que c'est dans notre poche
qu'il prend l'argent.
M. Rémillard: Mme Lajoie, si vous me permettez. Donc, on
pourrait constitu-
tionnaliser ce pouvoir de se retirer. Cela pourrait être un
acquis. Prenons ce point. Maintenant, vous me dites: Attention, on est pris
avec des normes nationales.
Mme Lajoie: Non. Je dis: On ne peut pas constitutionnaliser le
pouvoir de se retirer sans constitutionnaliser en même temps,
implicitement au moins, le pouvoir de dépenser du gouvernement
fédéral. À partir de là, on admet une limitation
à nos compétences. On tourne en rond. Je vais
répéter ce que je dis et vous allez répéter ce que
vous dites jusqu'à la fin des siècles.
M. Rémillard: Non. Ce que je veux dire, c'est que
l'amendement que vous nous proposez, la formulation que vous nous avez
proposée reconnaît aussi, par le fait même, pouvoir de
dépenser.
Mme Lajoie: Oui, elle le reconnaît.
M. Rémillard: Alors, qu'est-ce que la proposition que vous
faites change?
Mme Lajoie: Parce que, dans ce cas, le retrait est
inconditionnel.
M. Rémillard: Oui.
Mme Lajoie: Étant inconditionnel, chaque fois que
l'État fédéral a perçu en trop des sommes qui
revenaient aux provinces, il les leur retourne.
M. Rémillard: Alors, est-ce que cela voudrait dire que, si
on se retire d'un plan national sur les garderies, par exemple, on retire
l'argent et on peut le dépenser pour faire des autoroutes?
Mme Lajoie: Voilà. C'est cela, le
fédéralisme. C'est cela, la démocratie.
M. Rémillard: C'est cela, la démocratie? C'est
cela, le fédéralisme?
Mme Lajoie: Nous avons ici une Législature qui a des
compétences dans un certain nombre de champs. Dans ces champs, les
décisions doivent être prises par la population
québécoise et non par la population du Canada. Si ces
décisions vous déplaisent... C'était beaucoup le sens de
la discussion du point de vue des autres provinces, lors de la réunion
dans les Laurentides, l'année dernière. Les provinces avaient
peur que, dans leur province, on n'adopte pas de mesures aussi
généreuses, etc., et on se fiait sur l'État
fédéral pour ramener les provinces à la raison. Moi, je
dis: Qu'on vive avec la démocratie...
M. Rémillard: Oui, mais je voudrais bien vous
comprendre...
Mme Lajoie: ...et qu'on subisse les effets des lois des gens
qu'on élit.
M. Rémillard: Je voudrais simplement comprendre votre sens
de la démocratie. Prenons toujours l'exemple des garderies. Il y a un
plan national des garderies. Le fédéral participe avec les
provinces au point de vue financier, au financement de ce plan national. Le
Québec dit: Non, nous avons notre propre plan de garderies. On recevrait
de l'argent en contrepartie parce qu'il y a un plan national de garderies dans
les autres provinces. Mais cet argent, nous pourrions le dépenser dans
la voirie, peu importe où?
Mme Lajoie: Absolument.
M. Rémillard: Alors qu'on n'en aurait même pas
besoin dans le domaine social ou dans un objectif national "paix, ordre et bon
gouvernement"?
Mme Lajoie: L'établissement des priorités
législatives et des priorités de dépenses, à
l'intérieur des champs de compétence provinciale, dans une
province, dans une constitution fédérale, c'est l'objet
même, c'est la raison même pour laquelle il y a un système
fédéral. C'est pour cela qu'il y a des provinces, pour que cela
puisse différer d'une province à l'autre. Autrement, cela ne sert
à rien. Ayons un pays unitaire et cessons de faire pour rien des
dépenses administratives. Si on veut un système de garderies
national, donnons à l'État fédéral le pouvoir
d'adopter des lois là-dessus et qu'on n'en parle plus. Mais s'il y a des
pouvoirs provinciaux pour adopter des lois sur ces questions, c'est pour que
cela puisse varier d'une province à l'autre et qu'on puisse ne pas le
faire et faire autre chose avec cet argent.
M. Johnson (Anjou): Est-ce que le ministre me permet?
M. Rémillard: Oui, je vous en prie.
M. Johnson (Anjou): Dans le cadre de cet échange qui
m'apparaît extrêmement intéressant sur ce qu'est la nature
du pouvoir de dépenser, le ministre donne l'exemple des garderies parce
que c'est dans les airs. On comprend cela, M. Mulroney, M. Broadbent et M.
Turner se sont retrouvés lors d'un débat à la
télévision à un moment donné et ils ont tous promis
bien des affaires. Et là, tout le monde veut livrer la marchandise. Mais
situons-nous dans un autre contexte. Si le gouvernement fédéral
décidait que ce qui est important, c'est le programme de
rénovation des trottoirs à travers le Canada, parce que c'est
populaire dans quelque électorat canadien, en Ontario, dans l'Ouest ou
dans les Maritimes, ou parce que les
trottoirs sont vieux, et les égouts aussi, Québec, lui,
pourrait peut-être juger que ce ne sont pas les trottoirs qui sont
importants, mais les garderies. Je vais lui donner exactement l'exemple
inverse. L'intérêt de ne pas consacrer entre les mains de
l'État fédéral le pouvoir de dépenser, qu'est-ce
que cela veut dire dans ce contexte? Cela veut dire que nos choix ici, comme
société distincte, si vous me permettez l'expression, devraient
prévaloir sur les objectifs nationaux. N'est-ce pas cela qui est en
cause dans le fond?
Mme Lajoie: J'avais dit que je n'aborderais pas ces questions,
mais je les aborde pour ce lien-là. C'est là le lien entre le
pouvoir de dépenser et la possibilité de maintenir une
société distincte. La possibilité d'établir nos
priorités législatives et nos priorités de dépenses
publiques dans les secteurs provinciaux de notre choix, c'est la seule garantie
qu'on a d'avoir une société qui ne sera pas exactement pareille
à celle de l'Ontario et de la Colombie britannique.
M. Rémillard: Me Lajoie, je comprends très bien le
sens de votre réponse, mais je dois vous dire que je la nuance de mon
côté. Je suis fédéraliste et je crois donc en ce
pays. Je crois qu'il peut y avoir des programmes, d'une façon
générale pour ce pays, qui peuvent être très bons
aussi pour le Québec et qui ne posent pas de problèmes. Pour ma
part, je ne serai pas aussi catégorique que vous. Si vous me le
permettez, le temps passe et j'ai une autre question à vous poser pour
préciser des choses. Il y a un autre sujet qui nous préoccupe. Ce
sont les institutions, les possibilités pour le fédéral de
faire des plans nationaux concernant des institutions, soit les
municipalités, soit les universités. Selon l'entente du lac
Meech, comment voyez-vous ces possibilités? Le chef de l'Opposition
aurait pu vous poser cette question, mais je vous la pose.
Mme Lajoie: Vous voulez référer à la
différence entre la possibilité de dépenser en faisant des
paiements à des individus et la possibilité de faire des
paiements à des...
M. Rémillard: Simplement pour ce qui est des institutions.
Est-ce que le gouvernement pourrait continuer à donner des subventions
directement à des institutions ou des plans conjoints concernant les
institutions provinciales, comme les municipalités ou les
universités?
Mme Lajoie: Si elles sont inconditionnelles, elles sont couvertes
par l'article 36.2. Si elles sont conditionnelles, on retombe dans ce dont on
vient de discuter, je crois. La jurisprudence ayant été
énoncée à propos de litiqes qui concernaient les
individus, on peut faire une différence entre son application à
des individus et à des personnes morales, mais c'est simplement par voie
de conséquence. Cela n'a pas été dit comme tel.
M. Rémillard: Alors, pour terminer - je vais laisser mes
collègues poser des questions - je comprends que pour vous il serait
préférable pour le moment de demander avis ou de contester un
projet de loi, comme par exemple la loi C-3, et de voir la situation sur le
pouvoir de dépenser plutôt que de faire une entente à ce
moment-ci.
Mme Lajoie: Ce qui serait encore préférable, ce
serait d'obtenir un droit de retrait inconditionnel.
M. Rémillard: Donc, de reconnaître l'existence du
pouvoir de dépenser.
Mme Lajoie: À condition d'avoir un droit inconditionnel de
retrait parce que, à ce moment-là, le pouvoir de dépenser
n'atteindrait pas, ni directement ni indirectement, notre ordre de
priorités législatives et financières et le contenu des
mesures que noua pourrions adopter. II n'aurait vraiment pas cet effet. Il
serait vraiment sous réserve de nos compétences
législatives. La seule façon de donner un sens à votre
phrase "sous réserve des compétences législatives", c'est
d'obtenir un retrait vraiment inconditionnel.
Le Président (M. Filion); D'autres questions, M. le
ministre? M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Toujours dans la foulée de ce que
viennent d'aborder le ministre et Mme Laioie. Quand je regarde le projet du lac
Meech, dans la mesure où on parle des compétences provinciales
exclusives, qu'est-ce qui arriverait, par exemple, dans le cas d'un programme
conjoint dans le secteur de l'agriculture et de l'immigration qui sont des
domaines de compétence partagée constitutionnellement ou dans le
secteur des communications ou de l'environnement qui sont des domaines de
législation des deux niveaux de gouvernement bien que ce ne soit pas
partagé sur le plan du texte constitutionnel? Est-ce que cela veut dire
que si le fédéral faisait un programme dans le secteur de
l'environnement, des communications, de l'immigration et de l'agriculture, on
pourrait se retirer, mais il n'y aurait aucune compensation?
Mme Lajoie: Alors, il y en aurait une qui serait
adéquate...
M. Johnson (Anjou): Arbitraire.
Mme Lajoie: On n'en sait rien.
M. Johnson (Anjou): On n'en sait rien.
Mme Lajoie: On n'en sait rien et a contrario, évidemment,
si on faisait une interprétation littérale, mais en toute
honnêteté je ne sais pas si le texte resterait exactement comme
cela. Si le mot exclusif était là, il faudrait effectivement lui
donner un sens. Et même dans une interprétation constitutionnelle
large, on ne peut pas faire des compétences exclusives en matière
d'agriculture, par exemple. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elles ne
seraient pas couvertes par cet article et, n'étant pas couvertes, c'est
l'état du droit actuel qui continuerait d'exister.
M. Johnson (Anjou): J'irais plus loin sur le plan juridique.
Mme Lajoie: On n'aurait pas plus ni moins de garanties qu'on n'en
a actuellement,
M. Johnson (Anjou): J'irais plus loin. Est-ce qu'on pourrait s'en
retirer carrément?
Mme Lajoie: Tout autant qu'on peut le faire maintenant.
M. Johnson (Anjou): D'accord. Pas plus, pas moins.
Mme Lajoie: On serait dans l'état du droit actuel, pas
plus, pas moins. C'est comme si...
M. Johnson (Anjou): Deuxièmement, si on se retirait
on...
Mme Lajoie: C'est comme si on choisissait la voie du silence pour
cela.
M. Johnson (Anjou): Voilà. Donc, en admettant qu'on puisse
ou qu'on ne puisse pas se retirer, étant donné le statu quo
actuel dans lequel on a des hypothèses de pouvoir gagner, si on se
retirait, il y a une chose qui est claire: on n'a aucune garantie en termes de
compensation. Par exemple, si le fédéral décide
d'établir un nouveau plan conjoint dans le secteur de l'agriculture ou
de l'immigration... Je vous donne un exemple. Dans le cas de l'immigration, le
gouvernement fédéral déciderait, en dépit des
dispositions sur l'immigration contenues dans l'entente du lac Meech que les
nouveaux arrivants au Canada peuvent apprendre la langue seconde de l'endroit
où ils sont. Par exemple, le fédéral pourrait
établir un programme qui dit que les nouveaux arrivants au Canada, s'ils
vont dan3 l'Ouest canadien, ont accès à un programme
d'enseignement du français et, dans le cas du Québec, ont
accès à un programme d'enseignement de l'anglais. C'est un plan
financé par le fédéral. Le Québec pourrait
peut-être se retirer ou pas. Dans la mesure où il te pourrait,
chose certaine, il n'y aurait pas de garantie d'être compensé.
Mme Lajoie: II serait exactement dans la même situation que
maintenant, mais la différence, c'est que, comme ce serait en même
temps un domaine de compétence fédérale, en plus
d'être un domaine de compétence provinciale, ce serait beaucoup
plus difficile d'obtenir...
M. Johnson (Anjou): Une compensation.
Mme Lajoie: ...une décision judiciaire favorable parce
qu'on ne pourrait pas dire que le fédéral légifère
dans un domaine qui n'est pas le sien.
M. Johnson (Anjou): Voilà!
M. Rémillard: L'exemple est peut-être un peu plus
difficile parce que...
M. Johnson (Anjou): À cause des taxes qu'on n'a pas vues
sur l'immigration.
M. Rémillard: ...des langues...
M. Johnson (Anjou): C'est ce que vous alliez dire, je suis
sûr.
M. Rémillard: Oui, oui. Vous allez voir. Et le fait que
c'est une compétence qui est provinciale en ce qui regarde maintenant
les choses...
Mme Lajoie: Il y a déjà des programmes comme
ceux-là. II y a déjà un programme d'apprentissage de la
langue aux immigrants, je pense que cela s'appelle le COFI.
M. Rémillard: L'entente du lac Meech nous permet de
récupérer les sommes d'argent équivalentes. C'est un des
apports importants - je sais que vous ne l'avez pas reqardé - le fait de
garder le pouvoir de dépenser; c'est un apport intéressant.
M. Johnson (Anjou): Comme ils disent au lac Meech "we have no
quarrel with that". Cela va. (21 heures)
Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître
maintenant un porte-parole du groupe ministériel, M. le
député de Mille-Iles.
M. Bélisle: Merci, M. le Président. Professeure
Lajoie, j'ai suivi avec beaucoup
d'attention vos remarques concernant le pouvoir de dépenser,
notamment les suggestions que vous faites ou vos propositions d'amendement,
compte tenu du cadre dans lequel vous comprenez 1'exercice qui a
été fait dans le passé et qui sera éventuellement
fait dans l'avenir relativement à ce pouvoir qui est très
important, je vous l'accorde.
Vous m'avez sensibilité à une perspective très
spéciale. Je vais y réfléchir très
sérieusement. Mais je pense qu'il faut peut-être, en tentant de
concilier le passé: frictions dans certains programmes,
détermination commune d'objectifs nationaux qu'il n'est pas toujours
facile de faire, reconnaître le...
Mme Laoie: ...qu'on ne le fasse pas.
M. Bélisle: ...présent. Je veux juste
développer un peu et, après, je vais vous poser une question.
Essayer de bâtir un avenir plus prometteur pour les
Québécois et pour les Canadiens en général de
toutes tes régions du Canada, il faut peut-être regarder cela dans
une enveloppe plus globale. Ce qui m'apparaît très important dans
l'entente du lac Meech, c'est qu'il y a une limite formelle au pouvoir de
dépenser - ce qui, à votre avis, n'est pas satisfaisant - mais,
à part cette limite formelle, il y a peut-être aussi une sorte de
limite informelle au pouvoir de dépenser. Je m'explique. Dans la
dernière partie du communiqué, vous avez l'obligation qui sera
vraisemblablement consacrée dans là constitution canadienne de
réunir annuellement les premiers ministres des provinces dans une
conférence annuelle sur l'économie, chose qui n'existe pas
présentement dans la constitution, sauf le protocole d'entente
signé, les 14 et 15 février 1985, à Regina en
Saskatchewan. Dans cette entente, qui n'est pas une entente constitutionnelle,
il y a tous les plats qu'on pouvait servir... Je vous en fais une liste. Les
premiers ministres pouvaient examiner l'état des relations
fédérales-provinciales, examiner toutes les questions
intéressant les deux ordres de gouvernement, la culture, entre autres,
examiner les objectifs généraux des gouvernements. Mais
là, on va centrer cela sur l'économie. Dépenser, dans mon
vocabulaire à moi, comme vous l'avez si bien utilisé
tantôt, c'est une intervention majeure d'un niveau de gouvernement,
fédéral ou provincial, dans l'économie, que ce soit dans
des domaines de juridictions concurrentes, par exemple, le logement: programme
fédéral, la Société canadienne d'hypothèques
et de logement, et, du côté du Québec, la
Société d'habitation du Québec; environnement et loisirs,
les parcs Canada; loisirs au Québec, les parcs québécois;
enseignement supérieur, formation de la main-d'oeuvre, deux domaines
où le fédérai et le provincial ont des juridictions ou
tentent de les exercer... Ce qu'il m'apparaît, c'est que, lorsqu'on va
déterminer à l'avenir, de 1987 aux années futures, les
objectifs nationaux, cette limite informelle établie et même
formalisée par la suite, par des rencontres, des concertations, de la
cogestion, des discussions obligatoires entre les premiers ministres
provinciaux et le premier ministre fédéral, va entraîner un
nouveau fédéralisme. Voici ce que je me pose comme question:
Est-ce que ce n'est pas là un gain important pour baliser la
détermination de ces objectifs nationaux dont on parle à la
section sur le pouvoir de dépenser?
Mme Lajoie: Si je comprends votre question, vous énoncez
un très grand nombre de domaines où vous constatez que
l'État fédéral intervient. Je ne voudrais en aucun cas
qu'en ne commentant pas cette partie de votre exposé, on en
déduise que j'admets que l'État fédéral a
compétence dans ces domaines. Plusieurs de ceux que vou3 avez
énoncés ne satisfont pas à cette condition.
Si je comprends bien votre question, par ailleurs, vous êtes en
train de me dire que, parce qu'il va y avoir une réunion des premiers
ministres annuellement, cela va contenir l'évolution du
fédéralisme. Écoutez, il y en a eu des réunions de
premiers ministres bien plus qu'une fois par année depuis bien longtemps
et pendant très longtemps l'État fédéral a
utilisé successivement différentes compétences
indéfiniment extensibles. Ils ont commencé avec le pouvoir
déclaratoire. Jusqu'en 1961, à chaque fois que l'État
fédéral voulait acquérir juridiction sur un objet
quelconque, il le prenait par l'extérieur, si on veut, par l'objet
physique, et le déclarait à l'avantage général du
Canada. Je pense qu'il y a plus de 400 déclarations dans ce sens et nous
sommes aujourd'hui à Québec, les chutes Montmorency et les
plaines d'Abraham ont été déclarées à
l'avantage général du Canada et sont des territoires
fédéraux. Quand cela est devenu politiquement impossible, on a
essayé l'expropriation. Après Mirabel, ils se sont un peu
calmés. On les a aidés, mais ils se sont un peu calmés. Et
là, c'est le pouvoir de dépenser qui devient le véhicule
principal de ces compétences indéfiniment extensibles de
l'État fédéral et vous pensez qu'une réunion des
premiers ministres une fois par année va régler cela? C'est votre
privilège. Moi, j'ai dit que j'avais des opinions politiques mais que ce
n'est pas ici que j'allais les énoncer. C'est une opinion politique que
vous énoncez. Vous êtes député, c'est la
vôtre.
M. Bélisle: Si je vous donnais un exemple.
Mme Lajoie: Mais, sur le plan juridique, cela ne change rien.
M. Bélisle: Si je vous donnais un exemple, professeure
Lajoie. Dépenser dans un régime fédéral,
dépenser au niveau du Québec... Supposons une récession
comme en 1982, une dépense qui est faite pour créer des emplois
massivement, au niveau fédéral et au niveau
québécois. J'admets que les deux niveaux de gouvernement ont
peut-être l'objectif de donner le plus d'emplois possible aux
Québécois et aux autres Canadiens des autres provinces du Canada.
Je vois dans...
Mme Lajoie: L'État fédéral peut créer
des emplois dans les domaines de sa juridiction. Il n'a pas besoin du pouvoir
de dépenser pour cela.
M. Béîisle: Ce que j'essaie de...
Mme Lajoie: Tant qu'il dépense dans le domaine de sa
compétence législative, il n'y a pas de problèmes.
M. Bélisle: Mais, en vertu de l'article 91 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, pour le bon gouvernement du Canada,
toutes les politiques de conjoncture, politique économique de
création d'emplois... Je peux même vous citer, si vous le voulez,
professeure Lajoie, un texte, et j'ai copie du texte ici devant moi, à
la page 64 du livre blanc sur la souveraineté-association du Parti
québécois lors de la campagne référendaire. Je vous
cite le passage: "Les deux parties considéreront également comme
étant d'un intérêt commun leur politique de conjoncture et
les mesures à prendre pour assurer l'équilibre global de la
balance des paiements et la stabilité de la monnaie." Fermer les
guillemets. Ce que j'essaie tout simplement de mettre sur la table, c'est que
je vois l'insertion dans la constitution canadienne, vis-à-vis du
pouvoir de dépenser général d'une réunion annuelle
des premiers ministres sur l'économie comme étant le germe de la
détermination nationale et d'un nouveau fédéralisme
coopératif et exécutif au Canada.
Mme Lajoie: Je n'ai pas d'opinion juridique sur votre
énoncé.
Le Président (M. Filion): Merci. M. Bélisle:
Merci.
Le Président (M. Filion): Je m'excuse, j'ai noté,
ici, M. le député de Montmorency.
Une voix: L'alternance.
Le Président (M. Filion): Je m'excuse, vous avez raison.
Oui, vous avez raison de souligner la règle de l'alternance. Alors, Mme
'a députée de Chicoutimi.
Mme Blackburn: Merci, M. le Président. Me Lajoie, je sais
que vous nous aviez indiqué que vous ne souhaitiez pas sortir de la
question du pouvoir de dépenser. Je me permettrai quand même un
peu d'essayer de voir comment on pourrait éventuellement -vous l'avez
fait un peu tantôt - concilier à la fois les objectifs nationaux
avec ce qu'on appelle, avec ce que pourraient être les choix faits par
une société distincte. Je dois dire que cela a semblé
échapper au député de Mille-Îles, mais, ce dont il
est question, c'est d'un pouvoir de dépenser dans un champ de
juridiction ou de compétence provinciale exclusive. Ce n'est pas tout
à fait comme dans n'importe quel secteur, c'est dans un champ qui
appartient aux provinces. L'enseignement supérieur est de
compétence provinciale. Tout à l'heure, vous avez fait allusion
à la possibilité qu'on soit en train de concocter un projet de
loi sur les normes d'enseignement supérieur. C'est préoccupant
mais, à la fois, cela ne m'étonne pas outre mesure parce qu'il y
a déjà un bon moment que le gouvernement central voudrait bien
pouvoir fixer des objectifs de développement aux universités.
Je voudrais peut-être, pour essayer d'illustrer ce que cela
pourrait représenter pour les universités du Québec, qu'on
fasse des choix comme antérieurement on en a fait, par exemple, de
formation dans les programmes courts, parce que cela correspond davantage, je
dirais, à un besoin de rattrapage chez nous pour des jeunes.
Également, cela correspond, je dirais, à une certaine culture qui
fait que les jeunes ne fréquentent pas l'école chez nous de la
même façon que dans les provinces anglophones, ils font plus
l'alternance du travail et des études, ce qui fait qu'ils s'inscrivent
souvent dans les programmes courts. Par ailleurs, ici, parce qu'on est une
société distincte avec des caractéristiques
particulières, ce que veut reconnaître ce texte, les programmes de
deuxième et troisième cycle, on aurait davantaqe tendance
à le développer dans l'environnement, dans les sciences sociales,
dans les communications, l'énergie, l'agriculture, plutôt que dans
la haute technologie, par exemple. Cela veut donc dire que, si le
fédéral se fixait des objectifs qui soient davantage axés
sur des programmes de haute technologie et que le Québec veuille faire
des choix qui correspondent davantage à ses besoins et à ses
cultures, on devrait concilier ou essayer de concilier les objectifs nationaux
avec les besoins de la société distincte.
Mme Lajoie: Vous illustrez très bien l'effet d'un pouvoir
de dépenser, tel que
rédigé dans la modification qu'on propose. Si les
politiques, à ce moment-là, n'étaient pas conformes aux
objectifs nationaux, eh bien, on n'aurait pas le droit de compensation et,
alors, le pouvoir de dépenser, tel qu'exercé, atteindrait
l'exercice des compétences provinciales et les limiterait.
Mme Blackburn: Et, à cet égard, si le Québec
voulait se retirer du programme pour dire: Nous, nous protégeons ou nous
continuons d'encourager le développement de ces cycles, deuxième
et troisième cycle, dans des programmes particuliers, s'il se retirait,
cela pourrait être au prix d'une perte de revenus, parce qu'il n'y a rien
qui garantit cela.
Mme Lajoie: Et, en même temps, c'est une perte
d'autonomie.
Mme Blackburn: Et c'est une perte d'autonomie. Si je compends
bien, la mise en garde que vous faites est la suivante. Vous dites: Les
provinces existent en particulier parce qu'elles ont, et on le leur a reconnu,
des compétences provinciales exclusives, ce sur quoi quasiment se
fondent nos gouvernements provinciaux. Donc, plus elles vont être
érodées, on pourrait finir, à la limite ou à
l'extrême, par dire: Est-ce que ce sera nécessaire d'avoir des
gouvernements provinciaux?
Mme Lajoie: À la limite, on... C'est pourquoi j'ai dit,
quand j'ai parlé de mes postulats au début de mon intervention
avant le dîner: Mon intervention repose sur le postulat que c'est une
constitution fédérale que nous tentons de modifier, qu'on a
tenté de modifier au lac Meech et qu'elle doit demeurer
fédérale en ce qui concerne l'exercice des compétences et
non pas se transformer en une constitution unitaire d'un pays dont le
siège serait à Ottawa. Si on donne à l'État
fédéral le pouvoir de modifier unilatéralement, d'une
façon discrétionnaire, l'exercice des compétences
provinciales à tout moment par une seule décision dans un
contrat, si tout passe par du "regulating by contract" - c'est une expression
britannique d'un auteur de droit britannique - si tout devient cela, alors dans
les faits, indirectement, les compétences provinciales ne peuvent plus
s'exercer et, effectivement, il n'y a plus de raison à la
fédération.
Le Président (M. Filion): Je remercie Mme la
députée de Chicoutimi. Je vais reconnaître maintenant M. le
député de Montmorency.
M. Séguin: M. le Président, je vais céder
mon droit de parole, si vous n'avez pas d'objection.
Le Président (M. Filion): Qui cède son droit de
parole à Mme la ministre des Communautés culturelles et de
l'Immigration.
Mme Robic: Merci, M. le Président. Mme Lajoie, ce qui
semble vous inquiéter dans cette proposition des pouvoirs de
dépenser, c'est que la province qui voudrait se retirer du programme
fédéral devrait mettre en oeuvre de son propre chef une
initiative ou un programme compatible avec les objectifs nationaux. Nous avons
donné quelques exemples tout à l'heure: entre autres, construire
des trottoirs ou des garderies. Mais, quand on parle d'objectifs nationaux, je
pense que l'objectif national ne serait pas de construire des trottoirs, mais
bien d'améliorer les services de ta voirie. Donc, si une province
n'avait pas besoin de refaire ses trottoirs, est-ce qu'on peut présumer
qu'elle pourrait se retirer et, avec la compensation, construire, par exemple,
un pont, parce que toute province a des besoins de voirie? Une initiative
compatible pourrait très bien également avoir un éventail
assez large pour le permettre. (21 h 15)
Mme Lajoie: Tout dépendrait de l'usaqe qu'on ferait de ce
pouvoir et rien ne garantit que celui qu'on ferait serait celui que vous
énoncez. Certes, des objectifs, des critères et des normes, cela
peut signifier ce que l'on veut que cela signifie. Vous savez, au début
des lois, il y a des définitions. Elles sont généralement
très étroites ou alors très larges. Mais on pourrait faire
ce qu'on veut de cela. Par exemple, il y a des dispositions législatives
qui sont tout aussi minutieuses et détaillées que des
dispositions réqlementaires, et il y a des dispositions
réglementaires qui, au contraire, ont une portée très
large, presque aussi large que des dispositions législatives. Alors, si
dans les instruments entre la loi et le règlement, on ne fait pas ces
différences, on ne les fera pas nécessairement au plan des
politiques qu'on veut mettre en oeuvre par ces instruments. Et la
définition de normes, de programmes ou d'objectifs nationaux pourrait
être celle que vous dites; elle pourrait être autre chose, avec un
texte comme celui qu'on adopterait, à moins qu'il n'y ait une
définition d'objectif qui s'applique obligatoirement. On n'a aucune
garantie.
Mme Robic: Excepté qu'il y a certainement cette
possibilité qu'une initiative ou un programme compatible avec des
objectifs nationaux comprenne justement tout l'éventail des services de
voirie. Ou, si on donne l'autre exemple des garderies, si on avait un
système de garderies complet au Québec, on pourrait se retirer.
Les objectifs nationaux ne seraient pas un système de garderies, mais la
qualité de la famille, par exemple, la vie de la famille. Donc, on
pourrait dire: Nous allons utiliser ces sommes pour des maisons de
femmes battues, par exemple.
Mme Lajoie: Mais on n'en sait rien.
Mme Robic: Ce n'est pas impossible.
Mme Lajoie: Écoutez, rien n'est impossible, sauf que,
même si on fait cela ainsi, on aura perdu l'autonomie d'agir ou de ne pas
agir dans ce champ-là.
Mme Robic: Mais on sait très bien que, dans tous les
domaines, nous avons tous des besoins. Dans chacun de ces domaines, nous avons
continuellement des besoins. Donc, nous pourrions appliquer cet argent à
ces besoins qui satisferaient à des objectifs nationaux.
Mme Lajoie: L'objet de l'autonomie gouvernementale est
d'établir des priorités entre ces objets-là et ce ne
serait plus possible.
Mme Robic: Nous avons certainement, dans chacune des provinces,
des priorités dans tous ces champs d'action.
Mme Lajoie: Ce ne sont pas les mêmes ou, alors, il n'y a
pas de société distincte.
Mme Robic: Oui, mais...
Mme Lajoie: Si toutes les priorités sont les mêmes,
il n'y a pas Heu d'avoir une fédération. Qu'on fasse un
gouvernement unitaire!
Le Président (M. Filion): Je...
Mme Robic: Une société distincte... Cela ne touche
pas à notre société distincte de construire un pont
plutôt qu'un trottoir.
Mme Lajoie: Cela peut toucher au critère de
société distincte, l'ordre de grandeur des sommes investies dans
la voirie par rapport à celles qu'on investit ailleurs.
Mme Robic: D'accord. Merci.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme Lajoie et
Mme la ministre. Cela va. Vous avez terminé. Cela tombe drôlement
bien, parce que votre temps et celui de votre formation sont
écoulés. Je vais maintenant reconnaître un autre
porte-parole, M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Oui, M. le Président. Mme Lajoie,
à moins que le temps ne me le permette, ce ne sera pas pour vous poser
des questions. Je vais probablement conclure à ce stade-ci et vous
remercier en commençant, comme en terminant.
J'ai quelques affaires à dire. Je trouve qu'on est dans le fond
des choses, ici comme sur la langue, et permettez-moi une ou deux affirmations.
Quand Jean-Louis Roy, avant d'être délégué du
Québec, écrivait comme éditorialiste au Devoir que
certains députés d'en face étaient des bedeaux du
fédéralisme et semblaient s'être trompés de
Parlement à Québec, je pense que, à l'époque, il
pensait à des gens comme le député de Mille-Îles que
j'ai entendu ici affirmer - je vais me retenir, M. le Président - un
certain nombre de choses pour le moins discutables, pour ne pas les qualifier
de quadrupède ânonnant. Je parle des propos, je ne parle pas de
l'homme, c'est évident! M. le Président, quand j'entends le
député de Mille-Îles expliquer que la grande victoire de
Meech, c'est d'avoir une réunion annuelle des premiers ministres
où le premier ministre du Québec va se faire annoncer les
nouveaux programmes nationaux, les nouveaux objectifs et là on va se
réjouir de cela comme des tarlais, voyons donc! Société
distincte, "my foot"!
Deuxièmement, quand j'entends la ministre de l'Immigration venir
nous expliquer que, dans le fond, les objectifs nationaux, c'est comme la tarte
aux pommes, pis la vertu. Vous savez, le programme national des garderies, dans
le fond... Les objectifs nationaux, cela pourrait être: Écoutez,
nous, on est pour cela, la famille. Voyons donc! Il ne faut pas avoir
été à quelque ministère que ce soit très
longtemps pour savoir que, dans la fédération canadienne, les
objectifs nationaux se définissent au pied carré des
installations; cela se définit dans un infini détail. Si la
ministre n'en a pas eu la pratique, c'est parce qu'elle n'a pas fait une partie
de son boulot depuis qu'elle est là; c'est un des deux. Ne pas
comprendre que les objectifs nationaux, dans la fédération
canadienne, ne se résument pas à des mots et à des
pétitions de principe, mais que cela se résume à un
exercice du pouvoir, à une volonté claire de dire: Nous, on a
évalué les besoins pancanadiens - entre guillemets -dans la
moyenne canadienne, autour des objectifs supérieurs de la nation qui
sont concentrés autour du lac du même nom, qui est en Ontario,
comme par hasard, c'est ne pas voir comment cela fonctionne depuis 25 ans au
Canada. Je me permettrai d'être plutôt frappé par la
naïveté, pour ne pas dire la candeur béate, de ces bedeaux
du fédéralisme.
On touche au fond des choses. Pourquoi? Parce que ce que nous dit, je
crois, Mme Lajoie, quand elle utilise l'expression "le baiser de la mort" en
parlant du pouvoir de dépenser, c'est fondamentalement que la
différence du Québec ne s'exprime pas seulement par la
langue, bien que ce soit évident qu'il faille qu'elle s'exprime
par ce trait caractéristique de notre culture et de notre peuple qui
parle et qui est le seul sur ce continent, à 2 % de sa population,
à parler une langue différente de l'anglais, soit le
français, mais cela s'exprime aussi par le pouvoir et les instruments
qu'on a. Vous ne pouvez pas être différent, comme
société, vous ne pouvez pas prétendre être une
société distincte si vous n'avez pas des instruments pour vous
développer dans votre différence. Le peu d'instruments qu'on a,
dans le fédéralisme canadien, en ce moment, se résument
à quoi? Ils se résument à l'article 92 de la constitution
du Canada, les domaines dits de juridiction provinciale. Quelle est la nature
du pouvoir de dépenser? C'est précisément de diminuer la
marge de manoeuvre de cet exercice du peu de pouvoirs qu'on a comme peuple
distinct en Amérique du Nord. C'est cela, le fond des choses. Et de
s'imaginer qu'en s'épivardant autour des satisfactions béates du
député de Mille-Îles, des incompréhensions profondes
de la ministre de l'Éducation sur le fonctionnement du système
fédéral...
Une voix: De l'Immigration.
M. Johnson (Anjou): De l'Immigration, oui.
Une voix: De grâce, pas de l'Éducation!
M. Johnson (Anjou): Oui, s'il vous plaîtl De l'Immigration.
Non, cela ne guetterait pas le ministre de l'Éducation, j'en suis
sûr.
Une voix: II s'est trompé de ministre. Des voix:
Ha! Ha! Ha!
M. Johnson (Anjou): Oui, c'est un fait, mais je m'aperçois
qu'il aurait peut-être dû être dans le dossier, par
exemple...
Des voix: Ah! Ah! Ah!
M. Johnson (Anjou): ...pour vous autres. Et il aurait
peut-être fait un meilleur boulot que le ministre
délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes
parce que je pense qu'il aurait pigé cela, le pouvoir de
dépenser, alors que vous êtes en train de le découvrir au
fur et à mesure qu'on vous en parle, à la période de
questions, à l'Assemblée nationale. Vous êtes en train de
découvrir c'est quoi l'espèce d'"enferrement" dans lequel vous
êtes en train de mettre votre pseudo-société distincte.
Pourquoi? Parce que vous la privez de pouvoirs. Et qu'on le veuille ou non, le
pouvoir, ce n'est pas un mot sale. Le pouvoir, c'est l'expression dans une
collectivité et l'utilisation de moyens pour cette collectivité
d'exprimer ce qu'elle est. Moi, je pense que c'est aux Québécois
à choisir entre les trottoirs et les garderies, entre l'environnement et
le développement municipal, entre l'ensemble de nos programmes sociaux
et l'enseignement supérieur. J'aimerais que l'on puisse décider
de l'ensemble des questions économiques, mais on ne le peut pas et on ne
le pourra pas tant qu'on sera dans la fédération canadienne.
Mais, quant au peu de pouvoirs qu'on a comme société, puisque
vous voulez que ce soit une société distincte seulement, je vous
dis: N'émasculez pas ces pouvoirs. Et c'est cela que vous êtes en
train de faire avec la reconnaissance du pouvoir de dépenser du
fédéral. Il faut en être conscient. Si je suis prêt
à reconnaître que, dans le cadre de l'exercice du pouvoir de
dépenser, te Canada s'est doté notamment d'un système de
santé aux vertus d'accessibilité et d'universalité, je ne
suis pas prêt à reconnattre que les décisions de
progrès social, économique et culturel doivent nous être
dictées par l'extérieur. Et la reconnaissance du pouvoir de
dépenser est précisément la reconnaissance non pas, M. le
député de Mille-Îles, du consentement voulu et choisi
d'orientations communes avec le Canada, mais de ce qui nous est imposé
par des objectifs dits nationaux dont la grande caractéristique
historique a toujours été qu'ils ont été
dictés par les intérêts du sud-est ontarien. Tant qu'on
n'aura pas compris cette réalité de base, on pourra bien faire
des fla-flas autour des phrases ou des pseudo-textes du ministre sur le pouvoir
de dépenser, on pourra bien s'imaginer que, sur le plan juridique, on
fait des pirouettes extraordinaires, mais on va passer, là-dessus comme
dans le cas de la langue, à côté de l'essentiel. Le pouvoir
de dépenser n'est pas seulement une affaire de spécialistes,
c'est une réalité fondamentale sur le plan politique, sur le plan
sociologique et sur le plan du caractère distinct du peuple
québécois. C'est le pouvoir de se développer comme il
entend se développer dans le peu de domaines que lui laisse l'article
92. Et je souhaite que l'exposé remarquable, mais absolument
dénué de la passion que je viens d'y mettre, qui nous est venu de
Mme Lajoie ait au moins éclairé quelque peu le ministre, qu'il
lui permette de poser les jugements adéquats et surtout qu'il renseigne
quelque peu un certain nombre de ceux qui sont aux prises avec un syndrome de
naïveté déplorable de l'autre côté. Je
considère en ce sens, Mme Lajoie, que vous nous avez
éclairés. Les réactions de mes collègues d'en face
m'ont quelque peu choqué. Vous vous en êtes rendu compte.
J'espère que mon éclat ne vous a pas trop embarrassée!
Mais j'ai trouvé, Mme Lajoie, dans l'analyse que vous avez faîte,
non seulement...
Une voix: "Les bedeaux vont sonner les cloches!
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
M. Johnson (Anjou): Je comprends qu'en face, M. le
Président...
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaft!
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je comprends qu'en
face...
Le Président (M. Filion): II vous reste une minute, M. le
chef de l'Opposition officielle.
M. Johnson (Anjou): Merci. Mais pensez-vous que je vais pouvoir
l'avoir, M. le Président?
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
M. Johnson (Anjou): Je comprends qu'en face, chaque fois qu'on
parle de la langue et chaque fois qu'on parle du Québec, on devienne
nerveux. Et je le comprends! Quand je regarde votre programme politique, quand
je regarde ce qui vous anime, quand je regarde vos naïvetés
dangereuses. Et il y a une chose qui me frappe en ce moment. Ce matin, je
voyais ce titre dans La Presse: "Mme Chaput-Rolland dit: Le nationalisme
québécois nous a amenés jusqu'au lac Meech." Ce qui
m'inquiète, c'est que M. Bourassa veut qu'on fasse un grand pas en avant
rendu sur le bord du lac. Et c'est cela que vous êtes en train de faire
avec le pouvoir de dépenser. Cernez-le comme il faut.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le chef de
l'Opposition officielle. À l'ordre, s'il vous plaît!
Mme Lajoie, au nom de tous les membres de cette commission, je voudrais
vous remercier de votre exposé ainsi que de la qualité des
échanges avec les membres de cette commission. Avant de terminer, je
laisse la parole à M. le ministre qui voudrait remercier notre
invitée.
M. Rémillard: C'est simplement pour vous remercier
très sincèrement, madame. Je pense que vous avez soulevé
des points très intéressants qui préoccupent le
gouvernement. Et soyez assurée que, dans ce qui a été
discuté au lac Meech, beaucoup de ces préoccupations ont fait
l'objet de grandes discussions, les mots "objectifs nationaux" et tout ont
été étudiés et pesés - j'aurai l'occasion de
vous en parler peut-être à une autre occasion - et, d'autre part,
que le libellé juridique pourra discuter de certains
éléments. Je peux vous dire que j'ai apprécié vos
commentaires et le plaisir que j'ai eu de discuter avec vous. Merci.
Le Président (M. Filion): Mme Lajoie, merci.
J'inviterais, sans que nous suspendions nos travaux, notre prochain
invité que j'ai aperçu, M. Pierre Blache, doyen de la
Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke, à bien
vouloir prendre place à la table des invités.
À l'ordre, s'il vous plaît! Est-ce que les membres de cette
commission me demandent une suspension de quelques minutes? Donc, nos travaux
sont suspendus pour cinq minutes.
(Suspension de la séance à 21 h 30)
(Reprise à 21 h 40)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît! Nous terminons donc cette deuxième journée avec la
présence de M. Pierre Blache, doyen de la Faculté de droit de
l'Université de Sherbrooke, à qui je souhaite la bienvenue. Je
pense que le professeur Blache connaît déjà nos
règles de fonctionnement. Vingt minutes sont consacrées à
son exposé. Par la suite, le temps est partagé de chaque
côté pour des échanges avec vous. Sans plus tarder, je vous
invite à présenter aux membres de cette commission votre
exposé.
M. Pierre Blache
M. Blache (Pierre): Merci, M. le Président. Vous
comprendrez que je suis honoré, mais inquiet en même temps de
participer à la réflexion et à l'animation d'une
commission parlementaire à un moment aussi important de l'histoire du
Québec et du Canada. Je suis aussi un peu inquiet de me présenter
à cette table devant une commission qui a eu l'occasion d'entendre avant
moi bien d'autres experts, de telle sorte que je me trouve, je suppose, devant
une commission qui elle-même est en train de devenir experte et, donc, de
plus en plus dangereuse pour les experts qui s'y présentent. Je
soulignerai en commençant que les commentaires que je fais reposent,
évidemment, sur l'entente de principe du lac Meech. Nous n'avons pas
encore le texte juridique. Je suis prudent, je sais bien qu'un glissement de
sens peut se produire entre les textes que nous connaissons maintenant et ceux
qui seront produits dans quelques jours ou dans quelques semaines. Je
considère, cependant, que les textes dont nous disposons sont
suffisamment révélateurs pour fonder des interventions
éclairantes à ce moment-ci.
En introduction, je veux signaler le point de vue où je me place
pour présenter mes commentaires à cette commission. Les sujet9
chauds concernant l'entente du lac Meech sont nombreux. Il y a d'abord la
question de la société distincte. Il y a, vous le savez aussi -
les journaux en parlent énormément - la question de la camisole
de force dont parlent certains et qui désigne cette obligation
d'unanimité pour la modification des institutions centrales de la
fédération canadienne. Il y a aussi une troisième question
qui est soulevée surtout dans d'autres parties du Canada, la dynamique
ultra-décentralisatrice, diraient certains, qui risque, selon certains,
d'être déclenchée par l'accord du lac Meech. Je n'ai pas
l'intention d'aborder toutes ces questions considérables. Je ne
retiendrai comme lorgnette d'examen que la question de la société
distincte. Mais c'est à travers ce prisme que je chercherai à
réfléchir avec vous sur la plupart des aspects de l'accord du lac
Meech. Il m'arrivera, évidemment, de traiter parfois très
sommairement de certaines questions puisque j'entends privilégier la
formule d'amendement surtout et, inévitablement, le pouvoir de
dépenser.
Je veux aussi souligner la perspective selon laquelle je vais aborder la
question de la société distincte. Je comprends que nous
réfléchissons sur la Loi constitutionnelle de 1982 qui
essentiellement comporte deux choses: le rapatriement d'une constitution,
c'est-à-dire une nouvelle formule d'amendement, et, en second lieu, une
charte des droits et des libertés. Je pense donc que la réflexion
sur la société distincte, en fonction de l'accord ou plutôt
de la Loi constitutionnelle de 1982, doit se concentrer sur ces deux questions,
celle de la formule d'amendement et celle de la charte canadienne. La question
que je me poserai est la suivante: Est-ce que sur ces deux points les choses
ont suffisamment changé pour que la province de Québec, que le
Québec puisse juger suffisants ces changements et décider de
participer, comme on le dit dans l'accord du lac Meech, à
l'évolution constitutionnelle à venir? Par évolution
constitutionnelle à venir, je signifie participer aux
négociations constitutionnelles en vue d'autres amendements et
participer aussi à ce nouveau système selon lequel les lois de la
Législature sont évaluées par les tribunaux en fonction
d'une charte des droits et libertés.
Ce sont donc les questions que je vais aborder. Il y aura donc deux
parties: la formule d'amendement, d'une part, et l'arbitrage constitutionnel.
Comme le temps qui nous est accordé est, quand même, limité
- je le comprends et je veux bien m'exposer le plus longuement possible aux
questions de la commission - je vous dis tout de suite que je sais
déjà que je ne parlerai vraiment que de la formule d'amendement
et du pouvoir de dépenser. Mais j'aimerais quand même, en
conclusion, dire quelques mots sur l'arbitraqe constitutionnel.
Pour ce qui est de l'amendement constitutionnel, j'entends traiter de la
question en deux parties. II me semble qu'il y a, dans l'accord du lac Meech,
d'une part, une formule d'amendement explicite. Elle est en deux parties. La
première partie concerne les transferts de compétences vers le
Parlement central. Arrêtons-nous d'abord à ce premier aspect de la
formule d'amendement. Quelle est la situation? Nous sommes passés d'un
droit de retrait limité aux matières d'éducation et de
culture à un droit de retrait général.
J'ai quatre commentaires à faire sur cette évolution. Le
premier, c'est qu'en tant que telle une formule de retrait, c'est-à-dire
une formule qui permet de se dissocier de l'orientation centralisatrice que
voudrait prendre une autre partie du Canada, me paraît s'inscrire dans la
droite ligne de l'option pour une société distincte. Donc, il me
semble que la formule de retrait, en tant que telle, annonce
déjà, est en harmonie avec une philosophie de la distinction du
Québec comme de la distinction possible, d'ailleurs, d'autres provinces
dans la Fédération canadienne, mais assurément, de la
distinction du Québec. Alors qu'une insistance sur le veto nous aurait
enfermés dans un fédéralisme symétrique à
l'intérieur duquel tous bougent ou tous ne bougent pas, la formule de
retrait est un signe clair d'une option pour le pouvoir de se distinguer.
Le deuxième commentaire que je ferai, c'est que la formule de
retrait que nous posséderions en vertu de l'entente du lac Meech
s'étendrait sur un domaine beaucoup plus large que celui que nous
connaissions jusqu'à maintenant puisqu'on était limité aux
questions d'éducation et de culture alors qu'avec l'accord du lac Meech
la formule de retrait permettrait au Québec de ne pas s'associer
à des modifications selon lesquelles les compétences
fédérales seraient augmentées sur quelque
compétence provinciale que ce soit et non pas seulement en
matière d'éducation et de culture. Ce deuxième commentaire
me permet de conclure que le pouvoir de se distinguer comme
société - je dirai tantôt que c'est, cependant, un pouvoir
défensif - est quand même élargi considérablement
par l'accord du lac Meech. Je ne peux pas ne pas souligner ces aspects
positifs.
Le troisième commentaire que je ferai concerne
précisément cet aspect défensif. Il est sûr que le
pouvoir de retrait n'est qu'une mesure de sécurité qui permet
à la province de ne pas voir les compétences provinciales devenir
des compétences fédérales. Ce n'est pas un pouvoir qui
permet d'acquérir d'autres compétences provinciales. C'est donc
une
arme essentiellement défensive. J'en suis conscient et je ne veux
pas du tout oublier cet aspect des choses, mais je pense important, comme
constitutionnaliste, de rappeler que, vu le contexte, vu le fait que nous
sommes dans une fédération qui, à l'échelle du
monde, quand on la compare à bien d'autres fédérations sur
la planète, est relativement décentralisée, certains
diraient fortement décentralisée - certains disaient même
que c'était un des problèmes fondamentaux du Canada que cette
grande décentralisation - puisque nous sommes dans-une
fédération décentralisée, dis-je, il me semble que
ce pouvoir de retrait, ce pouvoir défensif, n'est pas
négligeable. Il est important.
Le quatrième commentaire que je ferai est que ce pouvoir
défensif va peut-être avoir un impact considérable en ce
qui concerne l'expression de la distinction québécoise. C'est,
d'ailleurs, ce qui inquiète beaucoup certains adversaires de l'accord du
lac Meech, puisqu'il est bien possible au cours des décennies qui
viennent que d'autres provinces canadiennes consentent à des mouvements
de centralisation dans la fédération, desquels le Québec
se dissociera précisément en raison de ce pouvoir de retrait. Ce
qui veut dire qu'il y a en germe dans ce premier aspect de la formule
d'amendement, il ne faut pas se le cacher -mais c'est un avantage aussi
très sérieux pour le Québec - une menace
considérable à la Fédération canadienne. Il se peut
que dans quelque temps on découvre que c'est une province, la seule,
imaginons-le, qui veuille retenir ses compétences, alors que la plupart
des autres voudraient en céder plusieurs. Si cela se produisait, cela
veut dire que la société distincte québécoise
émergerait de plus en plus. C'est donc un quatrième commentaire
qui est important et qui me permet de conclure que l'option pour le droit de
retrait et son extension à tous les domaines est servante de la
société distincte et met en marche une dynamique qui en effraie,
d'ailleurs, plusieurs.
Je continue toujours sur la formule d'amendement. Le deuxième
aspect de la formule d'amendement est cet aspect selon lequel des transferts de
compétences peuvent être faits vers les provinces. La situation
est simple. On a conservé la formule d'amendement qui est là
depuis 1982. Ces transferts ne pourront se faire que de l'accord des deux tiers
des provinces canadiennes représentant 50 %, c'est la formule connue de
l'article 38. Mes commentaires sur cette formule ou sur cet aspect des choses
sont simples et sont les suivants: II me semble que le fait d'avoir opté
pour le maintien d'une formule de la majorité pour ces transferts vers
les provinces, c'est avoir opté pour une formule bien
préférable à celle, en particulier, des veto
régionaux qui ont souvent fait partie des négociations
canadiennes. Qu'il s'agisse des conclusions de la commission Pepin-Robarts,
qu'il s'agisse des projets de Victoria, on parlait beaucoup à cette
époque de veto régionaux. Des transferts de compétences
dans les deux sens ne pouvaient se faire qu'à condition que les veto
régionaux ne jouent pas. On a abandonné ces veto régionaux
ici. Il me semble que, pour ce qui est de la possibilité
d'étendre les compétences provinciales, c'était
très important d'abandonner ces veto régionaux et de passer,
donc, à une formule de la majorité qui est exigeante, mais qui
n'a quand même pas cette exigence caractérisée par un droit
de veto à toutes les régions canadiennes.
Or - c'est mon deuxième commentaire - il me semble que la formule
des veto régionaux serait celle à laquelle nous nous serions
heurtés inévitablement si nous avions insisté pour un
droit de veto québécois sur ces transferts-là ou pour un
droit de veto québécois sur les deux types de transferts,
évidemment ceux vers le centre, qui sont ceux qui nous concernent
surtout, qui nous inquiètent surtout, et ceux vers les provinces. Il me
semble, donc, que le fait d'avoir opté pour une formule majoritaire nous
a permis d'échapper à ce piège des veto régionaux
qui auraient paralysé l'évolution possible vers une certaine
décentralisation.
Donc, pour ce qui est de cet aspect explicite de la formule
d'amendement, je dirai qu'il y a un gain important dans l'abandon du veto,
qu'il y a un gain important dans le fait d'avoir distingué deux types
d'amendements, les amendements centralisateurs et les amendements
décentralisateurs, et d'avoir retenu le retrait pour les amendements
centralisateurs et d'être passés à une formule de
majorité, et d'être sortis des veto régionaux pour ce qui
est d'amendements décentralisateurs éventuels.
Toujours à propos de l'amendement seulement, je m'engagerai
maintenant dans ce que j'appelle l'amendement constitutionnel implicite et ce
à quoi je réfère, c'est au pouvoir de dépenser.
Là-dessus, il me faudra émettre des réserves importantes
que j'ai l'intention de vous présenter brièvement dans les
quelques minutes qui viennent.
Je rappelle, d'abord, brièvement, mais vous êtes une
commission qui est déjà très instruite sur cette question,
que la formule du lac Meech ne concerne que les programmes à frais
partagés, si je la comprends bien; donc, qu'elle est partielle en ce qui
concerne le pouvoir de dépenser, qu'elle prévoit une compensation
juste, mais à condition que les provinces aient des initiatives ou des
programmes dans le même domaine, à condition que ces programmes
soient compatibles avec les objectifs
nationaux.
Quels sont les commentaires qu'on peut faire sur cette formule? J'en
ferai de trois ordres. Dans un premier temps, je veux souligner les dangers que
recèle le texte du lac Meech concernant le pouvoir de dépenser.
Dans un deuxième temps, je signalerai quelques raisons d'espérer,
elles pourront paraître un peu techniques, et je conclurai qu'il y a
quand même insécurité de ce côté. Finalement,
j'évoquerai quelques voies à explorer d'ici à l'accord
final, si un accord est possible.
Je m'arrête, donc, d'abord aux dangers que recèle le texte
du lac Meech sur le pouvoir de dépenser. Il me semble qu'il y en a
quatre. Le premier de ces dangers, c'est que ce texte est silencieux sur le
pouvoir de dépenser directement en faveur des institutions et des
individus. Cela signifie que les limites apportées au pouvoir de
dépenser au lac Meech ne concernent que les programmes à frais
partagés, ceux dans lesquels les provinces dépensent avec
l'État central. Or, le pouvoir de dépenser de l'État
centrai est bien loin de se limiter à cela. Il comporte aussi le pouvoir
de faire des programmes unilatéraux à frais non partagés,
payés par lui et dans des domaines qui seraient provinciaux, en versant
des sommes aux individus et aux institutions. Dans la mesure où le texte
du lac Meech est silencieux sur cela, il paraît dangereux puisqu'il
n'annonce aucune limite à cette forme du pouvoir de dépenser dont
certains disent même qu'elle est celle de l'avenir, parce que certains
croient que les programmes à frais partagés sont peut-être
chose du passé.
Le deuxième danger que je vois dans ce paragraphe sur le pouvoir
de dépenser, c'est qu'on n'y trouve aucune exigence concernant
l'établissement des programmes. Or, depuis longtemps, au Canada, quand
on parle de limiter le pouvoir de dépenser de l'État central, on
a l'habitude de prévoir qu'il faudra, pour que le Parlement central
dépense dans des secteurs provinciaux, un accord d'une majorité,
par exemple, des régions canadiennes. C'est de cela qu'on parlait en
1969 quand on est venu bien près de certains accords, d'ailleurs, sur ce
type de majorité régionale requise pour établir des
programmes ou autoriser le fédéral à dépenser dans
des secteurs provinciaux.
Le troisième danger que je vois dans la formule du lac Meech
vient de cette fameuse formule des objectifs nationaux. Je veux dire par
là que le pouvoir de dépenser n'est pas circonscrit dans le texte
du lac Meech. Il est si peu circonscrit qu'on pourrait craindre qu'il ne
permette même le pouvoir de réglementer un secteur. Je reviendrai
sur cela dans un moment pour émettre des réserves sur ce danger.
Mais il y a un danger dans le fait qu'on ne trouve pas de délimitation
explicite du pouvoir de dépenser dans le paragraphe qui lui est
consacré dans le compte rendu du lac Meech. (22 heures)
Le quatrième danger, c'est qu'on ne trouve pas de droit de
retrait réel concernant le pouvoir de dépenser, puisque ce qui
est accordé aux provinces, c'est le pouvoir de se dissocier à
condition d'avoir des initiatives ou des programmes dans le secteur jugé
prioritaire par le Parlement central et d'agir de façon compatible avec
les objectifs nationaux. On n'a donc pas du tout une formule du retrait
analogue à celle qu'on a adoptée en matière d'amendements
centralisateurs.
Voilà pour les quatre dangers. Par souci, cependant, de
présenter de la manière la plus nuancée et avec toutes les
nuances qu'elle mérite cette difficile question, je souligne quelques
raisons d'espérer que certains pourraient trouver dans la situation et
dans le texte du lac Meech. On pourrait, dans un premier temps, dire:
Écoutez, le texte du lac Meech a une qualité: au moins, il ne
reconnaît pas le pouvoir de dépenser de l'État central en
ce qui concerne les institutions et les individus; il ne le reconnaît
qu'en matière de programmes à frais partagés et
peut-être que les programmes à frais partagés, c'est une
affaire du passé. Et là, il y a tout un débat dans lequel
certains pourraient s'engager. On pourrait peut-être prétendre
cela. Donc, il n'y aurait pas la reconnaissance implicite du pouvoir de
dépenser du fédéral en ce qui concerne les institutions et
les individus puisqu'on ne parle pas de ce type de pouvoir de dépenser
dans la formule retenue au lac Meech.
Un deuxième commentaire qu'on peut faire et qui nous donne une
raison d'espérer aussi est le suivant. On peut penser que l'instauration
d'un programme, à frais partagés ou autre, de dépenses par
le Parlement central, s'il va loin du côté de la
réglementation ou, disons plus modestement même, s'il s'engage
vraiment dans l'établissement de normes concernant un secteur, peut
peut-être être jugé comme assimilable à un amendement
constitutionnel centralisateur. Est-ce qu'on ne pourrait pas conclure du fait
pour le Parlement central de dépenser dans les domaines provinciaux, si
sa dépense comporte l'édit de normes importantes dans le secteur,
qu'il s'agit là d'une intrusion dans les zones législatives
provinciales? Est-ce qu'il ne s'agit pas alors d'un amendement centralisateur?
Est-ce qu'à ce moment-là il ne faut pas conclure que, si jamais
on allait devant les tribunaux avec la formule actuelle, avec le texte de
l'article 38 qui parle d'amendement dérogatoire - et je pense que le
terme est important - aux compétences provinciales, l'exercice du
pouvoir de dépenser de façon, je dirais,
normative ou quasi normative n'est pas un amendement dérogatoire
aux compétences provinciales? Si c'est le cas, on pourrait conclure
qu'il faut le consentement de la formule de l'article 38. Il faut le
consentement de ce nombre de provinces et de 50 % de population canadienne. Ce
serait une consolation, mais c'est une chose à démontrer et c'est
une chose dont il faut convaincre les tribunaux.
Il y a une troisième considération, encore une fois, qui
donnerait peut-être lieu d'espérer. Est-ce qu'on ne pourrait pas
penser que, en vertu du texte du lac Meech, le pouvoir de dépenser de
l'État central qui est prévu là est un pouvoir de
dépenser qui ne peut pas permettre l'intrusion dans la
réglementation? On pourrait peut-être le penser en insistant
beaucoup sur la rubrique - il y a quand même un titre - Pouvoir de
dépenser. Peut-être qu'en insistant beaucoup là-dessus, on
pourrait convaincre les tribunaux qu'il s'agit seulement de pouvoir de
dépenser et que cela ne peut pas aller très loin ou pas du tout -
mais c'est là qu'est tout le débat sur cette terrible question -
du côté de la réglementation.
Il y aurait donc, dans le texte du lac Meech, une délimitation,
une définition en puissance du pouvoir de dépenser. On ne
pourrait pas prétendre qu'au lac Meech on a reconnu un pouvoir de
dépenser illimité en matière de programmes à frais
partagés. C'est une troisième considération que je livre
à votre attention et qui pourrait donner à certains des raisons
d'espérer que la société distincte puisse résister
à l'impact centralisateur d'un pouvoir de dépenser, habilement
utilisé.
La quatrième raison d'espérer que certains pourraient
peut-être trouver est la suivante. On pourrait penser que le test, les
critères de compatibilité auxquels devront satisfaire les
programmes et les initiatives provinciales pour qu'on puisse obtenir la
compensation juste, seront interprétés de façon
généreuse face au Québec, en raison de cette nouvelle
règle d'interprétation qu'on introduit dans la constitution et
qui nous apprend que le Québec est une société distincte
dont la signification, la portée et le domaine ne nous sont pas
révélés, mais dont le domaine nous sera manifesté
au long des procès devant les cours de justice, quand les procureurs
viendront expliquer que, sur un point ou sur un autre, le Québec est en
train de résister parce qu'on s'en prend à une de ses
distinctions majeures. Ce serait donc, peut-être, une quatrième
raison d'espérer.
Vous voyez, donc, que la question est complexe. Je vous dirai que les
quatre raisons d'espérer que je viens de vous mentionner me paraissent,
cependant, des raisons qui ne peuvent pas sécuriser à ce
moment-ci. Il me semble qu'il y a trop d'incertitudes qui subsistent,
même quand on est conscient de ces quatre possibilités que je
viens d'évoquer, pour que l'accord du lac Meech sur le pouvoir de
dépenser soit acceptable comme il est.
Je veux donc, avec vous, explorer brièvement quelques voies,
très brièvement parce que je ne veux pas plonger dans des
technicités avec lesquelles, d'ailleurs, j'ai pris un peu de distance au
cours des mois qui viennent de s'écouler. Je veux aborder deux
possibilités. Il me semble qu'on doit, dans la constitution canadienne,
penser à la reconnaissance d'un pouvoir de dépenser
illimité. Renonçons à une tentative de
délimitation, de définition. Reconnaissons que c'est un pouvoir
qui a des possibilités de débordement du côté
normatif, législatif ou réglementaire qui sont
considérables. Ne cherchons pas à le contenir. Mais, à ce
moment-là, il faut absolument faire l'analogie avec la formule
concernant les amendements centralisateurs. Il faut, à mon avis,
prévoir le consentement des provinces, selon l'article 38. Il faut aussi
prévoir le retrait qu'on vient de gagner au lac Meech,
c'est-à-dire sur toute question et non seulement dans une zone
donnée des compétences provinciales. Ce sont, il me semble, les
conclusions auxquelles on doit arriver si on adopte la reconnaissance d'un
pouvoir de dépenser illimité.
L'autre voie qui s'offre aux spécialistes et aux maîtres de
la politique, c'est de tenter de définir ce pouvoir et de le
circonscrire de façon qu'il ne puisse pas être dérogatoire
aux compétences législatives. Si on réussissait à
faire cela, c'est-à-dire à n'introduire dans la constitution
canadienne qu'un pouvoir de dépenser défini restrictivement,
endigué, ne permettant pas au législateur, par là, de
venir réglementer de façon fouillée un secteur, il me
semble qu'on pourrait prévoir deux formes de retrait. D'une part, le
retrait avec une compensation juste, si on a des programmes compatibles avec
les objectifs nationaux, en général, je risque cela. Mais, il me
semble qu'il faudrait, en matière - et là, je reviens sur
l'histoire - d'éducation et de culture, pour reprendre la formule de
1982 que nous avons, prévoir un pouvoir de retrait pur et simple. Alors,
on aurait un pouvoir de dépenser qui serait limité, qui ne
permettrait pas un débordement dans la législation et la
réglementation d'un secteur, sauf par formulation d'objectifs
très généraux.
La situation des provinces comporterait donc deux formes de retrait. Si
on est en matière d'éducation et de culture, il y aurait le
retrait réel, c'est-à-dire qu'on n'a pas à avoir un
programme compatible avec les objectifs nationaux du programme proposé
par les autorités fédérales. Si on n'est pas en
matière d'éducation ou en matière de culture, retenons
à peu près la formule du lac Meech, à savoir: on a la
compensation
juste si on a des initiatives ou des programmes compatibles avec les
objectifs nationaux.
Vous serez étonnés peut-être de me voir me rallier
à cette deuxième formule à ce moment-ci. Je le fais ce
soir, mais je continue à réfléchir dans les jours qui
viennent. On n'a pas eu tellement de temps pour réfléchir
à tout cela. Mais si je le fais, c'est toujours parce que je retiens
cette apparition dans la constitution de l'idée et du concept de
société distincte. Ce concept, qui va jouer dans toutes sortes de
secteurs, pourra jouer en matière, j'imagine, d'exercice du droit de
retrait ou de demande de compensation juste et d'évaluation de la
compatibilité des programmes. Puisque ce concept de
société distincte risque d'être un ferment dans ce
domaine-là aussi, je me dis qu'il y a peut-être là une
assurance qui permette, dans les zones qui ne sont pas rattachées
à ce secteur dur que sont l'éducation et la culture, si je me fie
à ce à quoi on était parvenu en 1982, un accord qui serait
satisfaisant.
Donc, sur le pouvoir de dépenser, mes conclusions sont simples.
Il me semble qu'il faut ou bien avoir une formule d'établissement des
programmes qui soit analogue à la formule d'amendement centralisateur
s'il s'agit d'un pouvoir de dépenser qui est illimité ou,
deuxièmement, s'il s'agit d'un pouvoir de dépenser qu'on parvient
à définir et à circonscrire, eh bien, prévoyons
deux formules de retrait, soit celle du lac Meech lorsqu'il ne s'agit pas
d'éducation et de culture, soit le retrait pur et simple lorsqu'il
s'agit d'éducation et de culture. Comme je vous l'avais annoncé
tantôt, M. le Président, c'est l'essentiel des questions que je
voulais aborder. J'avais aussi quelques mots, mais je pense qu'en conclusion je
les laisserai tomber bien rapidement parce que je crois comprendre que mon
temps est tout près d'être écoulé.
Le Président (M. Marcil): On a le consentement des deux
partis afin de vous permettre de terminer.
Une voix: Oui.
M. Blache: Alors, j'aborderai brièvement la question de
l'arbitrage constitutionnel. J'ai dit en introduction que
réintégrer l'évolution du fédéralisme
canadien, pour le Québec, cela signifiait, entre autres, accepter que
ses lois soient généralement soumises à la Charte
canadienne des droits et libertés, c'est-à-dire renoncer à
l'exercice systématique du pouvoir de dérogation prévu
à l'article 33, un pouvoir de dérogation qui est, d'ailleurs,
limité, qui ne concerne pas tout dans la Loi constitutionnelle de 1982.
Donc, l'arbitrage constitutionnel est extrêmement important. Est-ce que
le Québec a gagné en arbitrage constitutionnel des garanties qui
lui permettent avec sécurité de se soumettre à cet
arbitrage, en particulier dans cette zone nouvelle des droits et des
libertés fondamentales?
Sur ce point, il y a deux changements importants. Il y a les changements
apportés aux règles de nomination des juges de la Cour
suprême et il y a la règle d'interprétation concernant la
société distincte. Pour ce qui est des règles de
nomination des juges de la Cour suprême, il y a dans le texte du lac
Meech des passaqes qui prévoient deux choses. D'une part, il y aura
trois des neuf juges qui seront recrutés à même le Barreau
civil. (22 h 15)
J'ai eu le plaisir de lire, sous la plume de M. Décary, dans
La Presse d'hier ou d'avant-hier, un petit commentaire que je fais mien
concernant cette formule. Je trouve étonnant qu'on en soit à
reconnaître trois membres du Barreau civil. Est-ce qu'il n'y a pas
là risque de voir des gens civilistes d'autres provinces devenir les
membres de cette cour parmi ces trois personnes, alors que tout le monde avait
l'habitude de considérer jusqu'à maintenant qu'il s'aqissait des
trois juges de la province de Québec? Il me semble donc important de
clarifier cet aspect des choses et de bien prévoir qu'il s'agit des
trois juges de la province de Québec. À ce moment-là, la
garantie serait claire. Présentement, il y a quelques doutes dans mon
esprit sur cette garantie. C'est peut-être une erreur de formulation qui
peut se corriger rapidement, mais elle mérite d'être
corrigée au plus tôt, avant l'adoption d'un accord juridique.
L'autre aspect des modifications concernant la nomination des juges
à la Cour suprême, c'est ce paragraphe où il est
écrit "qu'advenant une vacance à la Cour suprême, le
gouvernement fédéral nommera, à même une liste de
noms proposés par les provinces, une personne dont la candidature lui
agrée". Je suis très heureux d'une bonne partie de ce texte; je
suis très heureux de voir les provinces présenter des listes au
gouvernement fédéral. Je sais bien qu'en réalité,
cela mène à des tractations, à des négociations. Il
faudra que le fédéral accepte les noms. La formule est claire, on
ne pourra pas avoir des listes bloquées parmi lesquelles le
fédéral doit choisir. Il ne choisira que si un nom lui
agrée.
Ce qui m'embête, cependant, c'est que la formule me paraît
un peu large. Si on la prend telle quelle, elle est tout à fait
insuffisante, mais là je réserve mon jugement jusqu'à la
prise de connaissance des textes définitifs. Écoutez, cette
formule, telle qu'elle est, prévoit que, s'il y a un juge qui
disparaît de la Cour suprême, toutes les provinces canadiennes
présentent une liste au gouvernement central. Il me semble que
là
c'est un peu lache, un peu imprécis. Je m'attendrais à
ceci: s'il y a un juge de la province de Québec qui n'est plus à
la Cour suprême, eh bien, que ta province de Québec
présente une liste de candidats et puis le gouvernement
fédéral choisit quelqu'un parmi ces candidats ou candidates, qui
lui agrée.
La formule, je comprends son imprécision. Je pense qu'il faut
être un peu tolérant devant un texte comme celui-ci, mais il faut
s'empresser de dire aux juristes de bien faire attention, d'en arriver à
un texte clair là-dessus et qui offre une garantie plus grande, en
particulier à cette société distincte
québécoise. Il est évident que la société
distincte québécoise va gagner beaucoup si les arbitres ultimes
en matière de droits fondamentaux sont des gens au choix desquels elle a
participé. Si c'est véritablement ce qui ressort de l'accord du
lac Meech, je pense que nous avons fait là un gain important.
La dernière chose qu'il faut mentionner je terminerai
là-dessus - toujours concernant l'arbitrage constitutionnel, c'est
l'apparition de la disposition qui prévoit qu'il y a reconnaissance que
le Québec forme, au sein du Canada, une société distincte,
et le fait que ceci devient un principe d'interprétation de la
constitution. Je constate que ce principe, tel qu'il est annoncé au lac
Meech, ne concerne pas seulement la charte canadienne, qu'il va concerner la
façon d'appliquer les textes sur les amendements, les textes sur le
pouvoir de dépenser, l'exercice des compétences
législatives. On ne sait pas ce qu'il recèle. Je sais que
plusieurs témoins sont venus exprimer ici leur inquiétude de voir
que cette société distincte n'était pas décrite.
Certains parlent avec insistance de la langue. Pour moi, il est évident
que la langue constitue maintenant pour le Québec un
élément majeur de cette société distincte. Cela ne
signifie pas que la compétence législative provinciale doit
être intégrale. Je pense que c'est un débat qui n'est pas
réglé. Si quelqu'un me demandait: Est-il clair, avec un texte
comme cela, que la province de Québec va pouvoir légiférer
comme bon lui semble en matière linguistique? Je dirais non, puisqu'il y
a la dualité canadienne qui est prévue aussi et qui
équilibre, de telle sorte qu'on se retrouve avec le grand accord
fondamental en matière linguistique, à savoir qu'il y a deux
langues, et même dans le Québec des restrictions seront
vraisemblablement apportées au pouvoir de légiférer de la
province en matière de langue.
Mais il reste que ce principe de la société distincte non
défini est un ferment qui permettra aux procureurs qui voudront bien
s'en servir de convaincre peu à peu les tribunaux canadiens de certains
traits fondamentaux de cette société distincte. Je suis, quant
à moi, très hésitant à la définir.
J'ai suffisamment lu de textes produits au Québec au cours des
trente dernières années dans lesquels on prétendait
définir la société québécoise. J'ai entendu
ou j'ai lu, il y a des décennies, que cette société
n'était pas socialiste et qu'elle ne pouvait le devenir, que cette
société devait opter pour le régime des
coopératives, par exemple. Je sais que d'autres aujourd'hui diraient que
cette société doit devenir une société
libérale et se replier, par exemple, sur un Code civil où
dominerait le libre choix des parties. Le Québec a souvent changé
d'idée là-dessus entre la social-démocratie, entre une
société très libérale - certains diraient
néo-conservatrice - je veux lui laisser, au long de son histoire,
l'occasion de choisir.
Certains m'ont parlé de religion. Je pense que, si Québec
veut s'assurer des protections de ce côté-là, il a certains
moyens. Il les a utilisés. Il a utilisé la clause de l'article 33
quand il le pouvait. C'est un moyen qu'il peut utiliser. D'autres me parlent du
droit civil comme d'un bastion qui identifierait le Québec et qui le
distinguerait du reste du Canada. J'hésite beaucoup la-dessus parce que
le Code civil, pour moi, c'est surtout une réalité formelle. Je
pense que le Code civil sur le plan des valeurs peut être ce que cette
société décide d'y mettre. Le Code civil peut être
libéral ou il peut être collectiviste. Il n'est pas civil au sens
libéral du terme nécessairement, de telle sorte qu'il me semble
qu'on n'a pas beaucoup défini la société
québécoise si l'on dit que cette société, ce qui la
caractérise entre autres, c'est qu'elle est civiliste. J'ai des
réserves sur cet aspect des choses.
Je vais m'arrêter là-dessus parce que je pense en avoir
assez dit et avoir couvert une bonne partie des questions abordées
autour de ce lac. Je vous remercie et j'espère ne pas avoir
été trop long.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le
professeur Blache. J'indique à chacun des groupes qu'il lui reste
respectivement une enveloppe de 23 minutes. Je confie la parole à M. le
ministre délégué aux Affaires intergouvemementales
canadiennes.
M. Rémillard: M. le doyen Blache, je vous remercie d'avoir
accepté de venir témoigner devant nous. Vous êtes un expert
en ces matières constitutionnelles et c'est intéressant d'avoir
votre témoignage sur cette entente du lac Meech.
Vous nous avez parlé tout à l'heure de la Cour
suprême et je voudrais vous rassurer immédiatement. Il est
évident qu'une liste viendra du Québec pour remplacer les juges
du Québec. S'il y a une petite ambiguïté que vous pouvez
voir, c'est strictement parce que nous sommes la seule province - c'est un
caractère distinct - à avoir la garantie,
comme vous le savez, d'avoir trois juges sur neuf, et aucune autre
province n'a une telle garantie; il existe une certaine coutume ou convention,
mais il n'y a donc pas de garantie à ce niveau. Mais il n'y aura pas de
difficulté en ce qui regarde la Cour suprême.
Concernant la société distincte, je prends bonne note de
votre appréciation et du fait que vous aussi préférez
avoir ce concept non défini, que de risquer de le définir, comme
vous l'avez mentionné si bien, en fonction de critères qui
peuvent, aujourd'hui, nous apparaître intéressants, mais qui,
peut-être dans un avenir proche ou plus éloigné, pourront
s'avérer plus difficiles, et qu'on risque aussi de causer des
problèmes aux tribunaux qui auront à interpréter ce
concept de société distincte et qui pourraient
l'interpréter d'une façon restrictive si on donnait à
cette expression de société distincte une définition.
Mais je voudrais revenir à vos commentaires concernant le pouvoir
de dépenser. Concernant le pouvoir de dépenser, M. le doyen, vous
avez soulevé des difficultés, des inquiétudes que vous
avez. Ma première question est celle-ci: Est-ce que vous
considérez que le pouvoir de dépenser existe présentement
en droit constitutionnel?
M. Blache: II s'exerce. II a fait partie de l'histoire
canadienne. Des juristes le défendent. Vous l'avez entendu dire
aujourd'hui. Vous savez qu'il y a des avis différents. On mentionne
souvent les avis d'un ancien professeur de droit, ancien conseiller
gouvernemental, devenu juge de la Cour suprême, le juge Laforest, qui
avait bien l'air de conclure qu'il y avait un pouvoir de dépenser et qui
le fondait sur la compétence du Parlement central sur la dette. C'est
l'article 91.1°a, je pense, de la constitution. Cette façon de le
justifier était très large. Elle signifiait, au fond, que ce
pouvoir de dépenser était illimité et que, par là,
on devait reconnaître au Parlement central le pouvoir d'aller assez loin
dans la formulation des conditions. C'est l'avis du professeur Laforest.
Par ailleurs, bien des textes contraires ont été produits
par bien des juristes. Je me rappelle d'avoir lu, il y a longtemps, un texte de
Me Jacques Dupont, alors professeur à l'Université Laval, sur le
pouvoir de dépenser. Mais si ma mémoire est bonne - je ne l'ai
pas relu depuis des années - il était réservé
à l'endroit de ce pouvoir. Si l'on se rappelle les décisions du
Conseil privé concernant l'assurance-chômage, le Conseil
privé - c'est la lecture que j'en faisais qui, je crois, rejoint celles
d'autres constitutionnalistes - semblait bien dire que le pouvoir de
dépenser ne comprend pas le pouvoir de légiférer dans le
domaine et que, si on traverse cette ligne, si on se met à faire de la
législation d'assurance, si on se met à faire des normes,
vraiment faire des normes - tout est peut-être dan3 le "vraiment" - on
est au-delà.
C'est une question très complexe. Je ne l'ai pas reprise en
détail récemment. En littérature juridique canadienne, les
avis sont partagés. Je vous ai entendu tantôt demander à
Mme Lajoie quelles étaient les chances devant les tribunaux canadiens si
jamais on posait la question. Je serais, moi aussi, bien hésitant. Je
n'ai pas construit d'argumentation détaillée. Je pense qu'il y a
de bons arguments qu'on pourrait construire et peut-être, à partir
du lac Meech, aussi après, avec le concept de la société
distincte, en particulier et un peu d'imagination, on pourrait construire des
arguments pour limiter ce pouvoir et vraiment le repousser à
l'extérieur d'un pouvoir normatif. Ce n'est pas sûr. C'est
vraiment difficile. Je renonce vraiment à vous donner un avis qu'on
pourrait qualifier de scientifique sur la question. Je confesse n'avoir pas
repris ce dossier en profondeur, dans tous ses raffinements techniques
récemment et m'en être tenu à des considérations
fondamentales sur lesquelles je me suis replié tantôt. Je
n'oserais donc donner d'avis juridique net, même probable devant cette
commission, aujourd'hui. (22 h 30)
M. Rémillard: M. le doyen, vous nous avez exprimé
votre réserve tout à l'heure par rapport à ce pouvoir de
dépenser dans sa formulation actuelle. On dit: "une juste compensation
à toute province qui ne participe pas à un nouveau proqramme
national à frais partagés dans un domaine de compétence
provinciale exclusive si cette province met en oeuvre de son propre chef une
initiative ou un programme compatible avec les objectifs nationaux". Dans
l'esprit du lac Meech, cela signifie que, s'il y a un programme national
concernant les garderies et que, nous, du Québec, nous voulons nous
retirer, on pourra se retirer, utiliser cet argent qu'on recevrait - juste
compensation -dans un autre domaine connexe en fonction d'un objectif national,
mais tout en acceptant que cet objectif national doive quand même, s'il
n'est pas précis comme un critère ou comme une norme, être
en fonction du fait qu'on ne peut pas aller dépenser cette somme
d'argent pour construire des autoroutes. D'autre part, l'esprit de cette
entente du lac Meech est aussi exprimé par un autre exemple que tout
à l'heure ma collègue, la ministre de l'Immigration, donnait.
S'il y a un proqramme pour construire des trottoirs partout au Canada et que le
Québec, lui, veuille se retirer d'un tel programme considérant
que ses trottoirs sont suffisamment confortables et bien
aménagés, il pourrait utiliser cet argent, pour reprendre
l'exemple de ma collègue de l'Immigration, pour construire un
pont.
Il y a là une acceptation que nous faisons au départ,
parce que nous croyons que cette fédération doit exister et, dans
ce contexte, les objectifs nationaux se comprennent assez bien. Mais vous nous
avez fait une suggestion. Vous nous avez dit qu'on pourrait mentionner, selon
vous, qu'il n'y a aucune obligation de compatibilité avec des objectifs
nationaux dans le cas de programmes concernant la culture et
l'éducation, alors qu'il pourrait y en avoir, selon ce que nous
prévoyons, dans les autres domaines. Est-ce comme cela que vous nous
avez expliqué cela? Est-ce que j'ai bien compris votre suggestion?
M. Blache: Ce à quoi j'en arrivais à la toute fin
ou presque de mon exposé, c'était la revendication d'un droit de
retrait réel en matière d'éducation et de culture en ce
qui concerne le pouvoir de dépenser, alors que dans les autres domaines
je me rallierais à la formule qui exige que l'on ait "une initiative ou
un programme compatible", à la condition cependant que le pouvoir de
dépenser soit circonscrit, délimité et à la
condition - je n'ai peut-être pas suffisamment précisé cela
tantôt - que l'on trouve moyen, en introduisant certains mots importants,
et ce serait d'ailleurs cela l'oeuvre de délimitation du pouvoir de
dépenser, qu'on trouve moyen, dis-je, de qualifier ces objectifs
nationaux. Et je vais donner des exemples un peu. On pourrait par exemple dire
qu'il faut au moins ajouter le mot "général", on pourrait dire
des "objectifs nationaux généraux".
Pour illustrer un peu mon propos, je reviendrai à l'exemple que
vous preniez tantôt, celui des garderies. Vous disiez: Imaginons que
l'État central veuille lancer un programme de financement des garderies
et que la province de Québec dise: On va s'en occuper, alors, s'il vous
plaît, compensation juste. Vous disiez: On l'aurait sûrement parce
qu'on aurait un objectif compatible avec les objectifs nationaux. La question
que je me pose est la suivante: Si le programme fédéral -
là, je ne suis pas spécialiste en matière de garderies, je
tire ma connaissance des lectures que je fais des articles de journaux, par les
temps qui courent - si le fédéral décidait que les
garderies seront des garderies en milieu familial - j'ai vu cela dans les
journaux, il y avait une option claire qui serait celle-là - ou que les
garderies sont pour une partie de la population, pour les familles
monoparentales, par exemple, ou autre chose... On pourrait prendre des
exemples, ce n'est pas un domaine que je connais, mais je sais qu'on en
discute. Il y a deux ou trois formules au moins qu'on évoque.
La province de Québec, elle, pourrait plutôt avoir une vue
selon laquelle le programme doit être universel et que cela doit
être des garderies avec un souci pédagogique poussé, donc
des garderies pas mal organisées. Il ne serait pas question de favoriser
les garderies en milieu familial. Ce serait l'option que le Québec
prendrait à ce moment-là. La question que je me pose, c'est, si
on ne qualifie pas les fameux objectifs nationaux avec lesquels il faut que nos
initiatives et nos programmes soient compatibles, est-ce que le gouvernement
central ne pourrait pas dire au Québec: Votre système de
garderies n'est pas compatible avec nos objectifs nationaux, parce qu'il est
collectiviste? II ne favorise pas le milieu familial, alors que cela, c'est le
principe central de notre plan à nous. Je pense qu'il faudrait trouver
le moyen d'être plus sûr de la conclusion que vous tiriez
tantôt, la conclusion qu'il suffit que le Québec s'aventure dans
le secteur des garderies comme le fédéral le fait pour s'engager
dans une action qui est compatible avec les objectifs nationaux. C'est
peut-être possible.
Je soulève des ambiguïtés. II est possible que les
gens entre eux, en en discutant - les fonctionnaires et peut-être les
juges - concluent que les objectifs nationaux, cela veut dire des objectifs
très généraux et que cela signifie tout simplement que, si
le fédéral se lance dans les garderies, la province peut se
lancer dans les garderies, que, si elle le fait, elle est en plein dans les
objectifs nationaux et que les nuances - là, les gens diraient que ce
sont peut-être des nuances très importantes - relèvent
d'elle complètement, c'est entendu. Si c'est cela que signifie l'accord
du lac Meech, on est vraiment déjà au niveau d'objectifs
très généraux: C'est-à-dire il n'y a presque pas
d'objectifs généraux, il faut simplement dépenser dans le
domaine. À la limite, c'est cela et c'est peut-être là
qu'on pourrait aller. On pourrait dire: Les provinces, lorsque le
fédéral lance un programme, pourraient avoir une compensation
à condition qu'elles aient un programme dans le domaine. On n'aurait pas
ces termes: compatibilité des objectifs nationaux.
L'autre formule, ce serait d'insérer le mot
général, "objectifs généraux", dans le texte. Cela
risque de nous faire monter vers des conclusions qui étaient celles que
vous tiriez tantôt, c'est-à-dire que "objectifs
généraux", cela signifie que la province n'a qu'à
s'aventurer à sa manière dans le domaine. Pour avoir des
garanties de ce côté, il faut ajouter quelque chose aux mots
"objectifs nationaux". Vous avez "objectifs nationaux". C'est tout ce qu'on a.
Il faudrait trouver d'autres mots. Il faudrait glisser le qualificatif
"général" sûrement quelque part. C'est le moins qu'on
puisse faire. Comme je ne me m'y suis pas arrêté suffisamment
longuement, je n'ai pas trouvé d'autres
expressions qui permettraient d'être plu3 rassurés.
M. Rémiltard: Donc, si on ajoutait une expression pour
donner vraiment un impact général à ce concept d'objectifs
nationaux, vous trouveriez que la formulation du lac Meech serait
intéressante?
M. Blache: Je la trouverais intéressante, si elle
aboutissait pratiquement à dire qu'il suffit d'intervenir aussi dans le
même domaine. Ce serait un peu ma réaction ce soir. Ce qui rejoint
la vôtre d'ailleurs, parce que tantôt l'exemple que vous preniez en
garderie, c'était cela. C'est ce que l'entente du lac Meech veut dire.
Cela veut dire que, si on s'aventure dans les garderies, le
fédéral n'a pas à nous poser de questions. On s'aventure
dans les garderies comme lui et il faut que ce soit cela que signifie l'accord
du lac Meech.
M. Rémillard: Mais est-ce que ce n'est pas trop restreint,
si on a un programme pour les trottoirs et qu'on veut faire des ponts?
M. Blache: On pourrait dire: On s'aventure dans la voirie. Je ne
sais pas. Est-ce qu'on s'aventure dans une zone qui est en gros la même?
Mais il n'y a pas de réponse définitive. Entre les trottoirs et
les routes et les ponts, il y aurait peut-être moyen de prétendre
qu'on est dans le même domaine général et que cela suffit,
peut-être. Pour être sûr de cela, il faut, en traduisant
l'accord du lac Meech, trouver des termes qui le rendent plus précis ou
il faut aller plus loin que l'accord de principe intervenu au lac Meech.
M. Rémillard: Une dernière question. Si on ajoutait
une clause de non-dérogation au partage des compétences
législatives, est-ce que vous croyez que cela apporterait quelque
chose?
M. Blache: Personnellement, je pense que cela ne suffit pas. Je
sais bien qu'entre juristes on a beaucoup travaillé sur cette
distinction-là. On a essayé de distinguer le pouvoir de
dépenser du pouvoir de faire des règles, du pouvoir de faire des
normes. Certains ont tendance à dire: Le pouvoir de dépenser ce
n'est pas très grave ou ce n'est pas si grave si cela ne comprend pas le
pouvoir de faire des normes. Ensuite on se met à nuancer entre les
normes fondamentales et les normes de détail, celles qui finalement
engendrent des contraintes de gestion, etc. On a eu beaucoup tendance à
cela mais, en même temps, je ne suis pas sûr qu'on puisse se
contenter facilement de cela. Parce qu'imaginons que le fédéral a
un pouvoir de dépenser seulement et non un pouvoir de dépenser
qui ne déroge pas au pouvoir législatif mais que ce pouvoir de
dépenser, on trouve moyen de dire qu'il permet de fixer des objectifs
assez nuancés au plan national. On se retrouve avec le problème.
C'est pour cela que je crains que ne suffise peut-être pas une
disposition qui se contente de dire que le pouvoir de dépenser ne
déroge pas au pouvoir législatif. J'ai peur que cela ne suffise
pas. J'ai des doutes, alors je les exprime. Je ne suis pas sûr que cela
suffise. C'est pour cela que j'insiste sur "objectifs généraux"
et puis que j'invite les juristes et ceux qui passent des heures à
réfléchir à cela, de ce temps-ci, à trouver de
meilleures formules pour qualifier, circonscrire ces objectifs nationaux, pour
que non seulement ils ne permettent pas l'intervention législative mais
qu'ils ne permettent pas la fixation de conditions détaillées qui
aboutissent souvent à peser d'un poids très lourd sur la gestion
de ces programmes. Parce qu'au cours de l'histoire canadienne, en
matière de pouvoir de dépenser, une des choses dont se sont aussi
plaintes les provinces... Elles se plaignaient d'intrusion dans leurs
compétences législatives, elles se plaignaient du fait que l'on
venait chambarder leur ordre de priorités en les obligeant à
dépenser sur une route transcanadienne ou bien sur
l'assurance-santé alors qu'elles auraient voulu peut-être
favoriser la petite et la moyenne entreprise. Ce sont des choses qu'on a
entendues dans les années récentes. Mais les provinces sont
allées plus loin aussi. Elles ont souvent dit: Écoutez un peu,
les conditions qu'on nous impose sont tellement tatillonnes qu'elles imposent
è notre gestion un poids terrible. Il y a cet argument de la gestion.
Les provinces revendiquent une autonomie de gestion. Elles ne revendiquent pas
seulement une autonomie législative, une autonomie de
détermination de priorités, mais elles veulent aussi une
autonomie de gestion. Si on veut protéger cette autonomie de gestion, il
faut beaucoup surveiller le vocabulaire qu'on utilise pour caractériser,
pour identifier ces fameux objectifs nationaux qu'il faudrait respecter.
Le Président (M. Filion): M. le ministre, cela va?
M. Rémillard: Oui.
Le Président (M. Filion): Cela va. M. le chef de
l'Opposition officielle. (22 h 45)
M. Johnson (Anjou): M. Blache, merci de vos commentaires. Je dois
vous dire d'ailleurs qu'il y a quelque chose d'assez fascinant à vous
voir aller en période de questions. On a l'impression qu'il y a une
espèce de tête chercheuse qui fonctionne à travers tous les
concepts qu'on vous lance
par la tête. Alors je vais vous permettre un exercice additionnel
dans ce domaine. D'abord quelques remarques préliminaires, professeur
Blache. Vous avez évoqué au début de votre exposé
en situant un peu le spacio-temporel, si vous me passez l'expression, la vision
d'un certain fédéralisme décentralisateur, une autre
vision un peu plus centralisatrice, les perceptions ambiguës qu'il peut y
avoir autour de cette question du pouvoir de dépenser, etc. Vous
êtes même allé suffisamment loin pour dire... Vous avez
employé l'expression: au bout d'un certain nombre de décennies,
avez-vous dit. Or, je me permets de dire non pas à vous, mais aux gens
d'en face et à d'autres que le problème, c'est cela. Le
problème, c'est que voici un accord, un projet d'accord, devrais-je
dire, où vous n'êtes pas allés chercher des pouvoirs
additionnels et, pour le reste, vous vous en remettez à
l'interprétation des tribunaux pendant quelques décennies. En
attendant, les jeunes vont grandir et on n'aura pas plus d'instruments pour
s'occuper du chômage. En attendant, je ne suis pas sûr qu'on va
avoir des politiques d'environnement comme on devrait en avoir pour notre
territoire. En attendant, les conséquences des étranglements
budgétaires vont peut-être se manifester dans la planification des
systèmes sociaux et on n'aura pas ce qu'il faut pour le faire. Et on
attendra les jugements des savants juges de la Cour suprême sur le sens
de la société distincte et sa portée dans l'application
d'un pouvoir de dépenser qui n'est peut-être pas restreint. Et
oui, cela va prendre des décennies. M. Blache, par formation, est
habitué à l'épreuve du temps, puisqu'il étudie le
droit. Ceux qui étudient le droit, ceux qui l'enseignent comme lui, ceux
qui l'écrivent, d'ailleurs, comme lui sont habitués au temps. Le
problème, c'est qu'en politique et dans la vie en société
le temps court vite, vite, vite. C'est drôle, moi, je n'ai pas le
goût de voir le Québec attendre des décennies pour savoir
si on peut s'occuper de la main-d'oeuvre et c'est cela qui me
préoccupe.
Professeur Blache, je reviens à deux choses qui ne touchent pas
le pouvoir de dépenser mais qui touchent d'une part à l'article
33 - tout cela est autour du Code civil. Vous affirmiez tout à l'heure
qu'en soi le fait d'avoir un code civil n'est pas nécessairement une
caractéristique de société. On peut avoir un code civil
avec des valeurs plutôt progressistes ou collectivistes. On peut avoir un
code civil avec des valeurs plutôt conservatrices, libérales ou
individualistes, etc. Je me permettrai de mettre un bémol sur cela pour
avoir été au ministère de la Justice pendant un certain
nombre d'années. Je peux vous dire que, chaque fois qu'on touche
à une chose, comme le droit de la famille, le droit de la
propriété, on y va avec beaucoup de circonspection.
Concernant l'édifice civil qu'on s'est bâti au cours des
siècles, littéralement depuis 300 ans, à partir de la
coutume de Paris et ensuite du code de 1866 qu'on est en train de refaire, il
ne faut pas avoir travaillé trop fort, je pense, à la
réforme du Code civil, dans le domaine politique, j'entends - je ne
parle pas des spécialistes dont vous êtes, je sais que vous
êtes de ceux qui ont apporté des contributions essentielles
à cela - mais dans le domaine politique, c'est-à-dire ultimement
où cela se décide, ici, à l'Assemblée nationale,
avant de toucher au droit de la famille et comment on y touchera, il faut dire
qu'on y pense deux fois, trois et quatre et qu'on consulte. Pourquoi? Parce
que, moi, je pense que c'est un édifice relativement cohérent.
Tout en étant conscient qu'on peut le changer, au moment où on
adopte des législations majeures qui s'intègrent à
l'intérieur du Code civil, on sent qu'on touche à un
édifice cohérent. Or, je vous soumets deux questions relatives
à l'édifice du Code civil et à l'application de la charte
canadienne, l'intervention du droit britannique ou enfin de la "Common Law", du
droit anglais dans notre Code civil. D'une part, si la Cour suprême un
jour rendait un jugement qui invalidait une partie de notre droit de
propriété ou une partie du droit des locateurs et des locataires
qui remonte aussi à il y a longtemps, on pourrait toujours se servir de
la clause "nonobstant", disons, au nom de la liberté d'expression, de
l'égalité des personnes, etc. Si on invalide des dispositions du
Code civil, on pourrait toujours invoquer l'article 33, la clause "nonobstant"
- on sait que ce n'est pas le sport favori des gens d'en face, mais on pourrait
toujours. Mais je vous soumets la chose suivante: N'est-il pas vrai que le
Barreau canadien, encore jusqu'à il y a quelques mois à ma
connaissance, favorisait l'abrogation de l'article 33 dans la charte
canadienne? Le Barreau canadien, qui n'est quand même pas le dernier venu
comme groupe de lobby auprès de l'appareil fédéral,
suggérait il y a encore quelques mois - je ne pense pas qu'il ait
changé d'idée - qu'il ne devrait pas y avoir d'article 33 dans la
constitution canadienne, c'est-à-dire qu'il soit impossible pour les
provinces de déroger aux droits et libertés de la charte
canadienne.
Il faut être conscient d'une affaire. La tendance lourde, en ce
moment, au Canada, chez les juristes, surtout les juristes d'expression
anglophone, c'est de dire: Hé! Pourquoi y a-t-il le mosus d'article 33?
Il y a une charte; il faut qu'elle s'applique à tout le monde.
L'histoire de dérogation, c'est agaçant. Or, l'article 33, en
vertu de la formule d'amendement actuelle et en vertu de la formule du lac
Meech, pourrait être abrogé par une simple majorité de
provinces.
L'article 33 de la constitution canadienne étant abrogé,
cela veut dire que le Québec pourrait se retrouver - toujours dans le
cadre des décennies - dans une situation où, effectivement, la
Cour suprême adopte jugement par-dessus jugement inspiré du droit
anglais, de la "Common Law" qui vient modifier des pans de mur de notre droit
civil et le Québec ne peut pas y déroger, sur le plan
théorique, encore une fois.
Deuxièmement, un autre exemple. Je prends la cause de Dolphin
Delivery à la Cour suprême il y a quelques mois. Au nom de la
liberté d'expression, dans Dolphin Delivery, qui vient de Colombie
britannique... Je résume, en étant conscient que je ne fais pas
ici un résumé pour les fins des annales de droit, mais juste pour
qu'on se comprenne. Dolphin Delivery dit: La liberté d'expression
l'emporte sur le droit du piquetage secondaire établi par la "Common
Law" de Colombie britannique. Je vous résume cela. Une entreprise est en
lock-out. Les travailleurs syndiqués en lock-out ne sont pas de bonne
humeur et ils vont manifester devant une compagnie qui fournit des boîtes
de carton à la compagnie en lock-out. Le propriétaire de la
compagnie de bottes de carton s'en va devant un juge de la Cour
supérieure et dit: Je ne veux pas avoir de syndicat sur mon gazon. Le
juge de la Cour supérieure dit; C'est vrai, c'est du piquetage
secondaire, je vous interdis de faire du piquetage devant celui-là, il
n'est pas partie au conflit. Et la Cour suprême dit: La liberté
d'expression l'emporte.
Analogiquement, dans le droit québécois, on pourrait avoir
un jugement de la Cour suprême qui dit... Par exemple, moi, je poursuis
le ministre ou un journaliste qui dirait des grossièretés
à mon sujet - choses qui n'arrivent pas! Je poursuivrais, je ne sais
pas, un journaliste qui dirait des grossièretés à mon
sujet. Je me retrouve en Cour suprême et je poursuis le journaliste en
vertu de quoi? Je le poursuis en vertu de l'article 1053 du Code civil. Ses
racines? 1866. Il n'a jamais été modifié. Il a
changé de numéro avec la réforme, mais, essentiellement,
c'est ce sur quoi se fonde la majorité des actions en droit civil dans
notre système de droit. L'article 1053, les dommages subis par une
personne à cause d'une autre.
En vertu de l'article 1053, je poursuis le journaliste pour atteinte
è ma réputation, en diffamation. La Cour suprême dit: La
liberté d'expression du journaliste l'emporte sur votre droit à
la réputation. N'y a-t-il pas un problème théorique - je
n'en disconviens pas, on parle de décennies - quant à ce que vaut
l'article 1053 au grand complet, puisque tout le droit de la diffamation est
basé sur un appareil de jurisprudence qui dure depuis au-delà de
100 ans, simplement autour de cet article 1053? Est-ce que l'article 1053
devient nul, puisque c'est cela la source de droit qui a fondé mon
recours? Je vais plaider 50 causes de jurisprudence, mais si la Cour
suprême, dont l'immense majorité des jugements seront rendus
à partir de la "Common Law" au Canada parce que cela va se plaider tous
les jours partout au Canada, mais, nous, on va continuer à plaider notre
bout... Mais, globalement, la Cour suprême va établir ses canons,
sa conception de ce que signifie liberté d'expression, liberté
d'assemblée, liberté d'association, etc. Est-ce qu'on n'arrive
pas à un problème théorique, au moins sur le plan du
droit, professeur, ou si c'est tout l'article 1053, théoriquement, qui
serait en cause parce que j'ai fondé mon recours là-dessus?
Je vous le soumets comme une réflexion. Je ne prétends pas
y avoir une réponse absolue. C'est pour cela que j'ai tendance, dans ces
choses, à dire: Dans le doute, il faut s'abstenir. J'ai tendance aussi
à considérer que, si on voulait vraiment être
cohérent comme société distincte, on n'oublierait pas que
notre appareil de droit est un gros morceau pour les citoyens. Cela traduit des
valeurs. On devrait mettre cela à l'abri des interprétations de
"Common Law" de la Charte canadienne des droits et libertés. C'est ce
que j'avais à dire. Merci, M. le ministre.
M. Blache: Est-ce que je peux commenter?
M. Rémillard: Était-ce une question?
M. Johnson (Anjou): Non, enfin c'était un commentaire,
mais j'aimerais peut-être vous entendre réagir, professeur Blache,
quelques secondes.
M. Blache: Quelques instants seulement. J'ai tendance à
considérer qu'on n'est pas vraiment justifié d'insister sur la
menace que la Charte canadienne des droits et libertés ferait subir au
droit civil parce que je pense que le Québec a pris, au cours des
dernières années, en adoptant sa Charte québécoise
des droits et des libertés de la personne, un virage qui signifie que
tout son droit, y compris son droit civil, va devoir être passé au
crible des droits et libertés fondamentales. Cela signifie que l'on va
se demander si l'égalité, par exemple, est respectée dans
certains articles du Code civil, on l'a déjà beaucoup fait de
toute façon.
J'ai l'impression que, de moins en moins, le Québec est
différent de la société canadienne sur la question des
droits et des libertés fondamentales. Il fut un temps où on a
prétendu nous distinguer - cela a été une époque
assez triste - quand on a beaucoup cité les fameuses affaires
québécoises concernant les Témoins de Jéhovah et la
loi du cadenas; on faisait au Québec une
réputation de société qui ne respectait pas les
libertés fondamentales. Depuis ce temps, le Québec s'est
donné une charte. Imaginons qu'un problème de droit civil est
posé au Québec et qu'il est posé sous la Charte
québécoise des droits et libertés de la personne; eh bien,
il va aboutir, à travers le réseau des tribunaux, jusqu'en Cour
suprême. Le Code civil va être jugé, évalué en
vertu de ces nouvelles valeurs qui sont entrées dans la
société québécoise; elles mettent
inévitablement en cause, je suppose, certains aspects du Code civil que
nous avions et même du Code civil peut-être que nous
fabriquons.
Je ne suis pas très inquiet de cela, bien que je reconnaissance
qu'à certains moments il pourrait y avoir des aspects de cette
société distincte qui puissent être mis en cause.
J'espère qu'à ce moment-là des arguments pourront
être présentés et triompher devant les tribunaux qui feront
que le Code civil québécois, parce qu'on y aura trouvé
quelque part une zone de distinction -le Code civil en lui-même ne
paraît pas être une distinction matérielle, c'est
plutôt formel, une question de cohérence - de cette
société, on la protégera contre peut-être les droits
et les libertés fondamentales en raison de l'apparition de ce concept de
société distincte qui viendra s'ajouter a cette
société libre et démocratique qu'on a sous l'article
1.
Personnellement, je pense que la société
québécoise est une société libre et
démocratique qui est cependant distincte d'une bonne partie de la
société canadienne et qui pourra justifier quelque chose que ne
pourront pas justifier d'autres provinces, dans certains cas. C'est
l'impression que j'ai. C'est une question d'impression. J'ai bien dit
tantôt que, pour moi, le Code civil en tant que tel, c'était plus
formel que substantiel parce que le contenu dépend des choix de valeurs
qui y sont faits. (23 heures)
Si vous parlez de cette question de la diffamation dont on parlait
tantôt, évidemment je connais l'affaire qui est inspirée de
décisions américaines, dans lesquelles on a conclu qu'en
matière de diffamation des gens publics il fallait être beaucoup
plus tolérant parce que ces gens-là, étant des personnages
publics, s'exposent à la critique des journalistes. C'est ce qu'on a
fait dans la société américaine; c'est ce que feront
peut-être les tribunaux canadiens quand ils jugeront de nos règles
de diffamation dans les autres provinces et dans la province de Québec.
Mais, si on prend cet exemple-là en particulier, je ne vois pas en quoi
une caractéristique québécoise essentielle,
négatrice de la différence entre les personnes publiques et les
personnes privées, serait un gain de société. Je trouve
qu'il y a eu là une percée importante quand on a fait la
distinction et qu'on s'est dit: quand le New York Times ou quelque
journal que ce soit écrivent des choses sur des personnes publiques, un
peu plus de latitude leur est accordée pour permettre justement que
l'information circule, que le commentaire critique politique circule, pour
qu'ils ne soient pas découragés, si vous voulez, par la crainte
du recours en diffamation.
Je me trouve assez d'accord avec cette évolution. Je pense qu'il
ne faut pas la pousser trop loin cependant. Je pense que, parfois - je ne
connais pas toute la jurisprudence - on l'a peut-être poussée trop
loin. Je pense qu'un homme public a droit à son honneur et à sa
réputation et qu'on ne veut pas conclure évidemment que,
puisqu'il a décidé d'être un homme public, on peut lui
adresser des libelles diffamatoires impunément. C'est une question
d'équilibre. Mais il me semble qu'un certain qain a été
fait par cette distinction et j'ai peine à voir en quoi, en principe, le
Québec gagnerait à se laisser influencer, par exemple, par un cas
semblable. Mais vous souleviez la question...
M. Johnson (Anjou): D'accord. Professeur...
M. Blache: Oui, je m'arrête.
M. Johnson (Anjou): Oui, d'accord. Je vous remercie. Je ne veux
pas entrer dans le droit de la diffamation, comprenez-moi bien; je voulais
rentrer dans le cadre théorique que vous avez vous-même
exposé, et j'essayais de me situer à ce sujet, mais vous
êtes entré, vous, dans le droit de la diffamation. Le fondement
d'un recours en diffamation au Québec, c'est l'article 1053C.C.; le
fondement d'un recours en diffamation en "Common Law", c'est ou bien une
règle de "Common Law" des tribunaux ou bien du droit statutaire. Le jour
où la Cour suprême décide que la liberté
d'expression invalide une procédure de "Common Law", qu'est-ce qui
arrive avec l'article 1053? Je pense que le problème sur le plan de
l'appareil théorique de notre droit civil est réel.
Deuxièmement, je terminerai par le commentaire suivant qui,
malheureusement, me ramène 30 ans en arrière à
l'époque où Pierre Elliott Trudeau sentait le besoin d'expliquer
que le Québec avait besoin des Anglais pour se protéger contre
lui-même. Il est vrai que Roncarelli-Duplessis, ce n'est peut-être
pas l'un des épisodes les plus remarquables de notre vie collective,
mais, maudit, il me semble qu'on a réglé cela ça fait
longtemps. Je n'ai pas besoin de neuf juges de la Cour suprême, dont six
qui ne sont pas du Québec, pour nous expliquer qu'on est une
société où il y a autant de liberté que dans le
reste du Canada. Il y a une espèce de fondement, à mon avis,
dans
beaucoup de ces raisonnements qui disent, dans le fond: Vous savez, on a
des épisodes dangeureux, on a un côté néo-fasciste,
dans le fond, dans notre histoire, on a déjà été
abuseurs les uns des autres, on n'aimait pas la liberté, on trouvait que
les intellectuels étaient des dangereux. Voyons donc! À ce
rythme-là, on est aussi bien de ne pas avoir de lois du tout. On est
aussi bien de s'en remettre totalement aux autres pour qu'ils décident
à notre place.
Je ne peux pas croire qu'on voit l'appartenance au Canada et à
l'appareil juridique canadien et l'interprétation par les juges de
"Common Law" de l'extérieur de notre système comme étant
une protection contre nous-mêmes. Je n'ose pas dire, bien que je ne vous
catégorise pas là-dedans, professeur, mais je veux dire que, pour
moi, il y a quelque chose qui relève carrément de ce qui a
été décrit dans une longue littérature de sciences
politiques et qui s'appelle le complexe du colonisé, ce qui était
le problème de Pierre Elliott Trudeau durant une bonne partie de sa vie
sur le plan politique, convaincu que le Québec lui-même ne pouvait
pas trouver, par sa culture, une source de promotion de la liberté des
personnes et que nous avions besoin des autres pour faire la promotion de la
liberté des personnes dans notre société. Je pense que
cela fait longtemps qu'on a franchi ce cap-là. Si on a eu des
épisodes difficiles, comme le Canada anglais, qui a emprisonné
les Japonais... Comprenez-vous? Les gens qui avaient te malheur d'avoir la peau
jaune et qui venaient du Japon étaient emprisonnés en Colombie
britannique pendant la dernière guerre mondiale. Nous autres, ici, on a
eu l'affaire Roncarelli-Duplessis et ce n'est pas un drame. C'est dommage que
ce soit arrivé dans notre Histoire. Mais il me semble que ce n'est pas
un stigmate qui devrait nous amener à conclure que, dans le fond, il
faut absolument que les valeurs dont voudront bien pétrir notre droit
des savants juges de la Cour suprême venant de l'extérieur du
Québec... Ces valeurs-là, on peut les protéger
nous-mêmes.
C'est une affaire élémentaire de confiance en soi et de
conviction que le Québec a en lui-même une richesse de
ressourcement, de recherche et de promotion de sa propre liberté. En ce
sens, il y a un argument. J'espère qu'on l'évacué, parce
que, pour moi, c'est l'argument des gens qui ont 60 ans aujourd'hui et qui ont
été préoccupés par l'époque de
Roncarelli-Duplessis. Donc, j'exclus le professeur Blache. J'exclus,
d'ailleurs, à peu près tout le monde autour de cette table. Mais
il a encore cours chez des gens qui sont dans la soixantaine. Québec a
besoin des autres pour se protéger contre lui-même! Ce n'est pas
bon; il ne faut pas raisonner comme ça, il me semble. À partir du
moment où on évacue ce raisonnement, il me semble qu'on devrait
aspirer à avoir notre propre charte des droits et libertés. Je
terminerai là-dessus, en disant que cette même Charte des droits
et libertés de la personne qui crée la liberté
d'expression, ou, enfin, qui la consacre, consacre aussi le droit à la
réputation, ce que ne fait pas la charte canadienne. Cela, c'est un
exemple de valeur dans une société. Merci.
Le Président (M. Filion): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, j'étais
content que M. le doyen Blache réponde tout à l'heure au chef de
l'Opposition, parce que si on suivait la pensée du chef de l'Opposition,
telle qu'il vient de nous l'exprimer il y a quelques minutes, on se
retrouverait dans une période de noirceur comme dans les années
cinquante.
C'est exactement la philosophie qui existait dans les années
cinquante, période de Roncarelli versus Duplessis. C'est vrai, M. le
Président, qu'à cette période par chance que nous avons eu
la Cour suprême du Canada qui est venue établir des
libertés fondamentales de religion, de pensée. C'est là
qu'on voit la distinction entre la pensée du chef de l'Opposition et de
la formation de l'Opposition face au gouvernement concernant le fait que nous
sommes une société fondée sur le respect de principes
démocratiques et, entre autres, le respect des droits et des
libertés.
Quand je disais qu'en suivant la pensée du chef de l'Opposition
on se retrouverait dans les années cinquante, c'est ce qui est
arrivé avec la loi 111 où vous avez aboli la présomption
d'innocence, une des libertés les plus fondamentales de notre droit.
Vous qui parlez du respect du droit civil, qui pariez des libertés
fondamentales de la charte québécoise pour lesquelles j'ai
énormément de respect, vous rendez-vous compte du sens de vos
propos et également des conséquences des actes que vous avez
posés quand vous étiez au gouvernement?
Je vois que vous êtes conséquent dans votre pensée
et dans vos actes, parce que la loi 111 était exactement la
conséquence de la pensée que vous venez de nous énoncer.
Le peuple au service de l'institution, l'institution qui impose ses
volontés. La loi 111 abolit l'une des volontés et l'une des
libertés les plus fondamentales, pour nous, et ce, nous l'avons
hérité de la "Common Law".
C'est un des héritages de la "Common Law" auquel nous devons
tenir le plus, la présomption d'innocence, qui fait partie de notre
droit, abolie par la loi 111. Non, M. le Président, j'étais
très heureux d'entendre le doyen Blache corriger le chef de l'Opposition
et lui dire que cette pensée est inacceptable dans une
société libre et démocratique.
Je voudrais lui dire, en terminant, que je trouve aussi paradoxal que le
chef de
l'Opposition vienne nous dire: Avec la formule d'amendement que nous
avons, nous pourrions abolir l'article 33. Mais cette formule d'amendement,
c'est vous qui l'avez mise en place par votre entente du 16 avril 1981, sept
provinces totalisant 50 % de la population. C'est vous qui avez fait cela.
Je vaudrais compléter en vous disant que, si l'article 33
était amendé, disparaissait, le Québec pourrait se
retirer.
M. Johnson (Anjou): Avec une compensation, peut-être?
M. Rémillard: Je laisse cela à votre raisonnement,
je laisse cela à votre raisonnement, je crois que vous êtes
capable d'aller jusque-là. Ce qui veut dire, à toutes fins
utiles, que la clause "nonobstant" pour le respect des droits collectifs est
là et tel que le gouvernement l'a déjà
décidé, par décision du Conseil des ministres, elle sera
utilisée quand les droits de la collectivité devront l'emporter
sur des droits individuels dans des circonstances bien spécifiques.
Le Président (M. Filion); Merci, M. le doyen Blache, de
votre présence ce soir; merci aux membres de la commission. Nos travaux
sont ajournés jusqu'à mardi, dix heures.
(Fin de la séance à 23 h 11)