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Version finale

33e législature, 1re session
(16 décembre 1985 au 8 mars 1988)

Le mercredi 13 mai 1987 - Vol. 29 N° 55

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et d'organismes relativement à l'entente constitutionnelle du lac Meech


Journal des débats

 

(Dix heures dix minutes)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît !

Cette séance de la commission des institutions est ouverte. Je rappellerai le mandat de notre commission qui est d'entendre les représentations de ses membres, de personnes et d'organismes, relativement à l'entente intervenue le 30 avril 1987 au lac Meech concernant la constitution du Canada. Il s'agit d'un ordre de l'Assemblée du 7 mai 1987.

Nous en sommes évidemment à l'étape d'audition d'individus reconnus comme experts, les 13 et 14 mai 1987. Je remarque que notre premier invité a déjà pris place à la table des invités. Je voudrais souhaiter la bienvenue à M. Gérald Beaudoin. Également, sans plus tarder, étant donné que les parties, à ma droite et à ma gauche, sont prêtes, j'inviterais M. Beaudoin à nous faire son exposé.

Je rappellerai, pour le bénéfice de notre invité ainsi que pour les membres de la commission, que la période allouée à chaque invité expert est de 90 minutes, les 20 premières minutes étant réservées à l'exposé de notre invité et les 70 minutes restantes étant partagées à part égale entre chaque groupe. Évidemment si notre invité prend moins de temps pour son exposé, cela donnera plus de temps aux parlementaires pour échanger des observations avec lui, ce qui est généralement une formule reconnue comme très productive. Sans plus tarder, je voudrais laisser la parole à M. Gérald Beaudoin.

M. Gérald Beaudoin

M. Beaudoin (Gérald): Merci, M. le Président. Mesdames et messieurs les membres de la commission, ce qui est devant nous aujourd'hui c'est une entente de principe entre onze chefs de gouvernement qui porte sur cinq points, les conditions jugées minimales par le gouvernement Bourassa pour que le Québec donne son assentiment à l'accord des dix de novembre 1981.

Si cette entente du lac Meech est agréée par les Chambres législatives, fédérales et provinciales, elle deviendra le second amendement depuis le rapatriement, le premier portant sur les peuples autochtones. Cet accord est donc, ou se veut, un complément au rapatriement de la constitution, complément que le Québec, sur le plan politique et constitutionnel, juge essentiel, voire nécessaire, afin de reprendre sa place è la table constitutionnelle.

Je passe rapidement en question et en revue les cinq points.

Premier point: La modification constitutionnelle. La formule d'amendement constitue, avec le partage des pouvoirs et l'interprétation judiciaire, les trois piliers du fédéralisme. C'est donc dire qu'on ne peut en exaqérer l'importance. La formule de base est bien connue. Il faut l'accord du fédéral et de sept provinces et de 50 % de la population pour qu'un amendement soit apporté à la constitution. Cette formule de 1982 ne comporte aucun veto. La formule de Victoria, celle qui en comportait quatre, ne pouvait pas revenir à l'avant-scène depuis les derniers événements et aussi depuis l'accord du mois d'avril 1981, au cours duquel huit provinces reconnaissaient le principe de l'égalité et, en cas de transfert au Parlement fédéral d'une compétence provinciale, affirmaient le droit de retrait d'une province avec pleine compensation dans tous les cas. C'est devenu l'article 38 qui enchâsse cet accord, cependant que l'article 40 restreint la compensation obligatoire à l'éducation et à la culture.

M. Bourassa en août 1986 a suggéré de hausser de 50 % à 75 % le seuil de regroupement de la population, ce qui équivalait à donner un veto au Québec comme formule de base. Nous savons que cette suggestion n'a pas été acceptée. M. Muironey a fait un effort en avril dernier de hausser ce seuil à 80 % dans les institutions centrales, mais sans succès. Je crois que le Québec n'avait qu'un choix: c'était de se protéqer dans les institutions centrales en stipulant la règle de l'unanimité et il a réussi pour ce qui est des institutions centrales.

On a dit en certains milieux que la formule d'amendement était alourdie. C'est vrai, mais ce n'est pas le Québec qui peut se plaindre ici, puisqu'il conserve un quart du Sénat, un tiers de la Cour suprême et la représentation proportionnelle à la Chambre des communes.

Je crois que l'unanimité peut se justifier dans les institutions centrales et même pour la création de nouvelles

provinces, parce que c'est très important et je considère que le Québec ne peut pas ne pas être impliqué.

J'entends parfois l'affirmation que le Sénat n'est pas important. C'est une erreur. Dans toute fédération, la Chambre haute est importante. Si, è une période de l'histoire, ce rôle est effacé ou peut paraître effacé, rien ne garantit qu'il n'en sera pas autrement un jour. Donc, le Québec doit se protéger sur ce plan-là. Je crois que cet accord corrige les lacunes de la formule d'amendement de 1981 et que le Québec a obtenu une protection très adéquate sur ce plan.

Enfin, pour le partage des pouvoirs, la compensation obligatoire est étendue dans tous les cas. Je remarque ici qu'il y a eu très peu de transfert de pouvoirs législatifs des provinces au fédéral depuis un siècle.

Deuxième point: la Cour suprême. L'article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit qu'il faut l'unanimité des onze pour modifier la constitution du Canada en ce qui a trait è la composition de la Cour suprême. Certains constitutionnalistes ont dit que la protection du Québec était fort adéquate. D'autres ont prétendu le contraire, parce qu'il y a double composition: il y a la composition des neuf juges et il y a la composition des trois juristes civilistes québécois.

Je crois que l'amendement est bienvenu ici parce que la composante civiliste de la Cour suprême sera dorénavant cons-titutionnalisée. À mon avis, cela s'imposait. Pourquoi constituionnaliser aussi l'existence de la Cour suprême? Ceci s'imposait également et c'est le cas aux États-Unis. Notre Cour suprême joue le rôle de cour de dernier ressort. Une cour générale d'appel, tant en "common law" qu'en droit civil, départage les ordres de gouvernement en cas de conflit et se prononce sur la Charte constitutionnelle des droits et libertés. C'est une cour unique qui se doit d'être consacrée dans la constitution même. Je ne connais aucun rapport sur la constitution écrit depuis 1964 qui n'ait pas fait cette recommandation.

L'autorité fédérale va continuer à nommer les juges, mais les provinces obtiennent non seulement le droit de participer sur le plan de la consultation, mais également au processus de nomination des juges, en soumettant des listes. C'est une sorte de veto concurrent et il reviendra au rédacteur juridique de bien les exprimer dans le texte final.

Aux Êtats-Unis, le Sénat, qui représente les États, peut dire non à un candidat à la Cour suprême nommé par le président. C'est arrivé plusieurs fois sous la présidence du président Nixon. C'est dire que le Sénat dispose d'un veto. Au Canada, je crois qu'il s'agit ici d'une sorte de veto concurrent. Le fédéral ne nomme le juge que si l'un des noms proposés par la province lui agrée. Il peut évidemment exiger une autre liste s'il n'est pas satisfait de la liste soumise.

Qu'arrive-t-il en cas d'impasse? La charte de Victoria avait prévu une solution en cas d'impasse, mais à mon avis elle était fort complexe. Le présent texte laisse l'impasse à la négociation politique entre deux gouvernements. Je crois que les risques d'impasse ne sont pas élevés. D'abord, dans les provinces de "common law", une tradition veut que trois juqes viennent de l'Ontario, deux de l'Ouest canadien, à tour de rôle par province, et un des Maritimes. Le fédéral dispose d'un pouvoir de négociation assez large et les provinces sont également protégées. Pour le Québec, bien sûr, l'autorité centrale doit choisir parmi la ou les listes fournies par le Québec. S'il y a impasse, elle se résout entre deux gouvernements démocratiquement élus.

Troisième point: l'immigration. Le Québec fait face à un sérieux problème de dénatalité. Il a parfaitement raison d'attacher énormément d'importance au pouvoir d'immigration qui, à l'article 95, est concurrent, avec prépondérance fédérale en cas d'incompatibilité entre deux textes de loi. On constitutionnalise ici l'accord Cullen-Couture pour le choix des immigrants et, sur le plan du nombre, Québec obtient une garantie que le nombre d'immigrants reçus et acceptés sera proportionnel à sa population plus cinq. Je crois que cette protection est fort adéquate.

Le quatrième point, le pouvoir de dépenser. C'est un domaine extrêmement important qui donne actuellement lieu à des débats importants et délicats ici, à Québec et dans les capitales des autres provinces, et surtout, à Ottawa. On a défini le pouvoir de dépenser comme celui qu'a le Parlement canadien de verser des sommes à des individus, à des organismes et à des gouvernements à des fins pour lesquelles il n'a pas nécessairement le pouvoir de légiférer. Chaque mot compte ici: "à des fins pour lesquelles il n'a pas nécessairement le pouvoir de légiférer".

Au terme de l'accord du tac Meech, si un nouveau programme national à frais partagés, dans un domaine exclusivement provincial - je souliqne les mots "exclusivement provincial" - ne plaît pas à une province, cette dernière peut se retirer avec une juste compensation si elle met en oeuvre un programme compatible avec les objectifs nationaux. C'est la première fois dans l'histoire du Canada qu'un gouvernement réussit à dresser un paramètre valable au pouvoir de dépenser. Certains, notamment à Ottawa, parlent de balkanisation du Canada. D'autres ajoutent que c'est la mort possible des projets en matière de santé.

Il faut prendre ici un peu de recul. La

Seconde Guerre mondiale a donné lieu à une croissance remarquable du pouvoir de dépenser chez nous, aux États-Unis, en Australie, pour ne nommer que des pays qui ont une constitution proche de la nôtre sur ce plan. Le pouvoir fédéral de dépenser a atteint son zénith en 1950, en 1960 et en 1970. Dès 1868, les "law officers of the Crown" à Londres, les légistes britanniques, avaient affirmé que ce - pouvoir était légitime. En 1937, le comité judiciaire du Conseil privé reconnaissait que le Parlement fédéral pouvait prélever des impôts en vue de créer un fonds pour des fins spéciales et d'apporter son aide à des particuliers, des corporations et des corps publics. Mais, et c'est très important, le Conseil privé a ajouté que la loi qui en dispose doit respecter le partage des compétences législatives. En 1978, dans l'affaire du marketing, la Cour suprême, par la voix du juge en chef Bora Laskin et par la voix du juge Louis-Philippe Pigeon, confirmait l'existence et les limites du pouvoir fédéral de dépenser.

Dans une cause récente, l'arrêt Mackenzie que j'ai apporté, on a aussi été dans la même direction pour ce qui est de la substance du pouvoir et des limites de ce pouvoir. Des juristes ont écrit sur le sujet. Je ne connais pas de constitutionnaliste qui n'ait pas écrit sur le pouvoir de dépenser. Plusieurs sont restés sur leur appétit et, chose curieuse, les provinces n'ont jamais jugé approprié dans les années 1950 et 1960 de saisir leurs cours d'appel pour un avis sur les paramètres du pouvoir de dépenser.

De son côté, l'autorité fédérale a pris en principe - on dira qu'il y a des exceptions - l'habitude de verser ses fonds, évidemment dans les domaines fédéraux mais aussi dans les domaines provinciaux, sans réglementer par une loi les activités exclusivement provinciales.

Il faut distinguer le pouvoir de dépenser. Donner des fonds dans un domaine provincial et réglementer un domaine provincial sont, évidemment, en droit constitutionnel, deux choses complètement différentes. Nous reviendrons là-dessus.

Le pouvoir de dépenser doit se conformer au partage des pouvoirs. D'ailleurs, quand le principe de la péréquation fut enchâssé dans la constitution, en 1982, le constituant a stipulé qu'il s'exercerait dans le respect du partage. Quand la Charte canadienne des droits et libertés a été édictée, en 1982, l'article 31 dit bien que le partage des pouvoirs n'est pas modifié. Cela, c'est fondamental.

Ici, nous avons une clause suggérée sans doute par le Québec qui dit que, si le pouvoir de dépenser s'exerce dans un domaine exclusivement provincial, la province peut se retirer avec compensation. On ne parle pas du pouvoir de dépenser comme tel. Est-il indirectement ou implicitement ou par voie de conséquence constitutionnalisé? Evidemment, si vous constitutionnalisez un droit de retrait, vous reconnaissez indirectement l'institution de laquelle vous voulez vous retirer. C'est évident. Mais ce qui est constitutionnalisé ici, c'est le pouvoir de dépenser tel qu'il existe, tel qu'il a été interprété par le Conseil privé et la Cour suprême à deux reprises. C'est cette institution qui est constitutionnalisée. On ne change pas le partage des pouvoirs comme tel. Si on veut le faire, je crois qu'à ce moment-là, il faut le faire de façon expresse.

Qu'est-ce à dire? C'est dire que si quelqu'un a un doute, il peut évidemment suggérer une clause de sauveqarde et prévoir pour ce pouvoir de dépenser ce qui a été prévu à l'article 36 pour la péréquation ou à l'article 31 pour la charte des droits. C'est une prudence supplémentaire. Mais, à mon avis, sur le plan constitutionnel, je n'ai aucun doute que, lorsqu'on enchâsse dans la constitution un droit de retrait pour recevoir des sommes dans un domaine provincial, on prend le pouvoir de dépenser tel qu'il existe dans la constitution canadienne; comme c'est en qrande partie non écrit, eh bien, tel que défini par nos tribunaux suprêmes, le Conseil privé et la Cour suprême du Canada.

Si le droit de retrait était autorisé dans un domaine fédéral, ce serait, bien sûr, une autre histoire. Mais ce n'est pas le cas ici. Si jamais un amendement se révélait nécessaire au chapitre du partage des compétences, eh bien, les onze aviseront. Cela fera partie de la phase 2.

Sur le plan social, la constitution canadienne fut modifiée par accord unanime des dix en 1940. À ce moment-là, Terre-Neuve n'était pas là, mais c'était unanime pour l'assurance-chômaqe. En 1951 et 1964, pour les pensions de vieillesse et en 1981-1982, pour l'article 92A, lorsqu'on a ajouté des pouvoirs aux provinces sur le plan des ressources naturelles et de la taxation, le Québec ne s'est pas exprimé, parce qu'il a dit non au rapatriement. Mais il est bien évident qu'il n'a pas dit non au rapatriement à cause de l'article 92A qui l'avantage, c'était pour d'autres raisons, comme vous le savez. (10 h 30)

Enfin, la société distincte. La déclaration du lac Meech sur la société distincte traduit un état de fait et le consacre en droit. Elle consacre en droit une des formes du dualisme canadien. Déjà, la Cour suprême, dans l'interprétation des litiges qui sont devant elle, pouvait constater des faits comme ceux-là, c'est-à-dire que les francophones sont en majorité au Québec et en minorité ailleurs, que les anglophones sont en minorité au Québec, mais en majorité

dans les neuf autres provinces.

C'est un état de fait, mais on lui donne des conséquences juridiques. Quelles conséquences juridiques? Là est toute la question.

La Cour suprême pouvait donc constater ces faits et en tenir compte. Mais on en fait une règle d'interprétation et peut-être davantage, à cause du mot "rôle" qui apparaît dans ta déclaration du lac Meech. J'y reviendrai tout à l'heure. Une règle d'interprétation. On dira: Oui, mais ce n'est qu'une règle d'interprétation. Mais, attention! Une règle d'interprétation, c'est très important. Il y en a dans la constitution canadienne. Il y a le pouvoir ancillaire. C'est une règle d'interprétation qui a changé le fédéralisme canadien. Il y a la théorie -malheureusement, je ne suis pas un tenant de cette théorie-là - de la dimension nationale. Il y a d'autres théories dans notre constitution. C'est important parce que, en cas de doute, cela peut faire pencher le partage des pouvoirs d'un ordre de gouvernement à l'autre et surtout, c'est matériellement important pour l'interprétation de l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Des précédents, il y en a. En 1938, dans l'affaire de la Loi sur la presse en Alberta, on a invoqué à l'appui d'une décision, une déclaration dans le préambule de la constitution canadienne; a fortiori, si on en fait un article de la loi constitutionnelle de 1987. On ne peut pas aller plus loin sans modifier matériellement -je dis bien matériellement - je ne dis pas sur le plan de l'interprétation, le partage et les garanties constitutionnels. Il reviendra en temps et lieu à la Cour suprême de donner à cette clause sa portée. C'est normal. On ne peut pas faire autrement. Déjà, la Cour suprême a donné une portée à l'article 27 de la charte, sur la multiculture. Il me paraît impensable qu'elle ne fasse pas la même chose pour la société distincte.

Cette déclaration suffit-elle? Colle-telle aux faits? Je crois que oui. Je n'inclinerais pas à la retouche de cette clause. Je ne suis pas favorable à des amendements pour énumérer un ou deux secteurs. Pourquoi? Parce que, dans un article de droit, quand on énumère, on restreint toujours. La règle ejusdem generis vient toujours donner aux énumérations un sens restrictif. Ce qui est inclus fait en sorte que ce qui n'est pas inclus est écarté. Ce sont donc trois motifs.

Ceci dit, si l'on veut vraiment amender un article du partage, si l'on veut restreindre une garantie constitutionnelle, il n'y a qu'un seul moyen, c'est l'amendement pur et simple. Si l'on excepte la langue, la culture, le Code civil - soit dit en passant, le Code civil est parfaitement protégé dans la constitution canadienne par les articles 92.13, 94 et 98. Je pense que là-dessus, cette protection est très explicite.

Le Président (M. Filion): M. Beaudoin, je m'excuse de vous interrompre. Uniquement parce que, évidemment, je suis dépositaire de l'entente intervenue entre tes parties, est-ce que je présume du consentement de part et d'autre pour que notre invité puisse poursuivre et terminer son exposé?

Des voix: Oui. Oui.

M. Beaudoin: Si vous me donnez quatre minutes.

M. Rochefort: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Parfaitl Continuez!

M. Beaudoin: Bon. Je ne m'arrête pas sur l'échéancier obligatoire. Si l'on excepte la langue, la culture et le Code civil qui sont des constantes, la spécificité québécoise peut varier en intensité d'une période à l'autre dans l'histoire. Que l'on pense aux garanties confessionnelles dans les écoles, aux valeurs sociales et aux systèmes d'éducation. La question se pose: Est-ce qu'on va à chaque génération changer cette déclaration? Je soulève le problème.

Je passe par-dessus l'échéancier obligatoire, dis-je. Je suis d'accord avec cet échéancier. Évidemment, des conférences sur l'économie et la constitution à tous les ans, même pour ceux qui aiment bien la constitution, c'est passablement lourd. Mais enfin, je n'ai pas d'objection à cet échéancier.

Conclusion: Je n'ai jamais vu d'accord ni de constitution parfaits. D'après moi, cet accord est réaliste. Il fait des emprunts intéressants à des commissions royales d'enquête qui ont déjà existé et que vous connaissez tous. Cet accord est peut-être imprévu. Il est peut-être même surprenant par sa rapidité. Mais à moins de souhaiter un fédéralisme qui ne pourrait pas tenir bien longtemps, ou encore une forme de souveraineté-association atténuée, ou encore un statut particulier très prononcé, je pense que cette entente va à la limite du possible. À mon avis, le Québec aura énormément d'influence dans cette constitution renouvelée par cet amendement, et le moment m'apparaît priviléqié. Bien sûr, on peut apporter ça et là des précisions, des mots, et il reste évidemment la rédaction juridique de cet accord et les quelques points que j'ai soulignés en ce qui concerne te pouvoir de dépenser, par exemple. Mais dans l'ensemble, et je conclus par ceci, cet accord emporte mon adhésion sur le plan du partage des pouvoirs et des libertés fondamentales et aussi mon accord comme Québécois. Je pense

que c'est un accord auquel le Québec devrait donner suite.

Dans l'exposé écrit que je vais vous remettre, j'ai traité aussi de centralisation et de décentralisation; c'est le lot des fédérations dans le monde, dans le temps et dans l'espace. J'ai traité aussi des droits individuels et des droits collectifs, qui sont très importants, et de la différence entre les droits collectifs et l'autonomie provinciale, ce qui est important; et enfin de cette trouvaille bien de chez nous qu'on appelle le fédéralisme exécutif, c'est-à-dire le gouvernement à onze, à cause du destin bien particulier que la Chambre haute a connu dans la fédération canadienne. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Beaudoin. Sans plus tarder, j'inviterai le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes à amorcer l'échange de propos avec notre invité.

M. Lefebvre: M. le Président, je m'excuse.

Le Président (M. Filion): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Est-ce que le texte de l'exposé de M. Beaudoin pourrait être disponible pour les membres de la commission?

Le Président (M. Filion): Certainement.

M. Beaudoin: J'aurais dû les mettre sur la table, c'est un oubli.

Le Président (M, Filion): Certainement. J'en accepte le dépôt et le texte sera distribué. Oui, M. le député de Gouin.

M. Rochefort: Vu le débordement de temps, pourriez-vous nous indiquer quelle est la part de temps qui reste à chaque formation politique?

Le Président (M. Filion): Certainement.

M. Rochefort: Je pense que le ministre peut commencer. Quant à moi, il n'y a pas de problème.

Le Président (M. Filion): La parole est à M. le ministre.

M. Rémillard: M. le professeur Beaudoin, je voudrais tout d'abord vous remercier de vous être déplacé pour venir témoigner devant cette commission parlementaire. Vous êtes un éminent juriste. Vous êtes professeur à l'Université d'Ottawa, mais vous êtes aussi professeur invité dans de nombreuses universités au Canada et à l'étranger. Vous avez été conseiller législatif à la Chambre des communes à Ottawa. Vous êtes un expert en rédaction législative. Vous avez été un membre de la commission Pepin-Robarts et comme avocat-conseil vous avez l'occasion de plaider è maintes reprises devant la Cour suprême du Canada des questions qui sont reliées directement au sujet que nous débattons aujourd'hui.

M. Beaudoin, je voudrais vous poser une question concernant le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral. C'est un sujet qui, à juste titre, attire beaucoup notre attention, tant celle de l'Opposition que celle du gouvernement. Vous nous avez dit que le pouvoir de dépenser existe déjà dans la constitution canadienne. Est-ce que je peux vous demander si, à votre avis, l'entente du lac Meech concernant le pouvoir de dépenser donne au gouvernement fédéral des droits nouveaux qu'il n'a pas présentement, selon la constitution canadienne?

M. Beaudoin: Je pense que l'entente du lac Meech sur le pouvoir de dépenser ne change pas le pouvoir de dépenser tel qu'il existe actuellement. C'est-à-dire que, en 1937, le comité judiciaire du Conseil privé a dit deux choses: le Parlement canadien peut taxer et dépenser des deniers et subventionner des individus, des corporations et des gouvernements. Mais il a ajouté: deuxièmement, il ne s'ensuit pas que toute loi qui en dispose est nécessairement valide. Si la loi fédérale réglemente - je dis bien réglemente - un champ d'activité exclusivement provincial, la loi fédérale sera déclarée invalide.

En 1978, dans l'affaire de l'organisation des produits agricoles, le juge en chef Bora Laskin, un grand constitutionnaliste, qui est très connu, disait: Ce qui est plus à propos toutefois, c'est l'opinion exprimée par le Conseil privé en 1937, selon laquelle l'invalidité d'un régime de réglementation qui excède en lui-même la compétence du fédéral ne sera pas couverte parce que celui-ci aura utilisé son pouvoir de taxation pour le financer. Donc, le juge Laskin et ses collègues, dont Louis-Philippe Pigeon, confirment l'arrêt de 1937. Le gouvernement fédéral peut donner des subventions à des particuliers, à des individus, à des corporations, à des gouvernements, mais ne peut - attention - s'il s'agît d'un domaine purement provincial, exclusivement provincial, réglementer. Il peut donner l'argent, mais il ne peut pas réglementer.

Enfin, dans le troisième arrêt - il y en a peut-être d'autres, mais enfin ce sont ceux-là qui nous viennent à l'esprit toujours la Cour suprême du Canada, Regional Municipality of Peel versus MacKenzie (1982) 2 R.C.S.9, en 1982, la Cour suprême avait dit: Si le Parlement du Canada ne peut imposer à une province la

charge de payer certaines dépenses sans son consentement, de la même façon, il ne peut pas imposer une telle charge à une institution municipale de cette province et créée par cette province.

Qu'est-ce à dire? On ne voit nulle part à 91 et 92 les mots "pouvoir fédéral de dépenser". Est-ce que ce pouvoir existe? On sait bien qu'en droit constitutionnel, si le plus haut tribunal du pays, à commencer par le Conseil privé et la Cour suprême, reconnaît un pouvoir, eh bien, il a une source ou une assise constitutionnelle. Personnellement, je crois que le pouvoir fédéral de dépenser est une réalité sur le plan constitutionnel. La question qui préoccupe les juristes, c'est son contour, ce sont ses paramètres.

J'interprète la déclaration du lac Meech comme ceci: étant donné que le pouvoir de dépenser existe selon la jurisprudence, que la Cour suprême s'est prononcée à quelques reprises et le Conseil privé et étant donné que le Québec, pour fins de protection, prévoit un droit de retrait quand il s'exerce dans un domaine strictement provincial, eh bien, ce droit de retrait s'applique au pouvoir de dépenser tel qu'il est actuellement défini.

Certains diront: Cela l'étend ou cela le restreint. Je ne crois pas, on ne le dit pas. Si on ne refait pas les contours d'une compétence législative et qu'on y prévoit une exception, eh bien, la compétence législative demeure ce qu'elle était avant et le pouvoir de dépenser existe. Il ne soulève aucune difficulté quand il s'exerce dans les domaines fédéraux. Quand il s'exerce dans les domaines provinciaux, la cour a dit: Vous pouvez dépenser, mais, attention, vous ne pouvez pas occuper le champ législatif. C'est une autre chose.

Alors, est-ce que l'accord du lac Meech change cet état de droit? À mon avis, non. Sinon, on l'aurait dit. On me dira: Bien oui, mais il faut être prudent, il faut prendre une clause de sauvegarde. Évidemment, on peut faire comme on a fait pour la péréquation et l'article 31 de la charte, mais je ne crois pas que ce soit nécessaire, parce que le pouvoir de dépenser existe tel qu'il est, tel qu'il a été défini et la clause de retrait, c'est celle-ci: Si vous dépensez de l'argent dans un domaine strictement provincial, nous du Québec, nous voulons avoir le droit de dire non. Nous voulons avoir le droit de recevoir une compensation en échange. C'est ce que dit l'accord. (10 h 45)

D'autres diront: Non, cela va plus loin que cela. L'accord permet d'étendre la définition du pouvoir de dépenser et de réglementer un champ que le fédéral ne pouvait pas déjà réglementer. Écoutez, les textes législatifs je les lis comme un légiste, comme un juriste. Ubi lex non distinguit nec nos distinquere debemus: quand la loi ne fait pas de distinction, nous ne devons pas en faire. Cette entente de principe qui va devenir une toi ne distingue pas; alors, pourquoi distinguerais-je? À ce moment, je me dis: C'est le pouvoir de dépenser tel quel. Si le Québec veut, à la phase II, apporter des amendements au partage des pouvoirs, des compétences, bien sûr qu'il peut le faire. C'est sûr que cela va faire partie de la phase II, mais ce n'est pas ce qui est devant nous ce matin. Ce qui est devant nous ce matin, c'est un accord de principe sur cinq points. Est-ce que la protection est adéquate?

Je pense que c'est la première fois qu'un gouvernement met des paramètres au pouvoir de dépenser. Je sais bien que le sujet est délicat actuellement dans le Canada anglais et au Québec, à Québec particulièrement aussi. Il faut aller au fond des choses et dire: Ce droit de retrait qui est nouveau, qui est constutionnatisé s'exerce dans un domaine qui existe déjà dans une institution qui existe déjà, une institution jurisprudentielie, mais qui est bien là.

M. Rémillard: M. Beaudoin, je comprends que l'entente du lac Meech, selon vous, ne donne pas des pouvoirs nouveaux au gouvernement fédéral. Est-ce qu'elle donne des garanties nouvelles aux provinces? Je pense aussi à un sujet pour lequel nous avons une certaine préoccupation: les institutions, les municipalités, les universités. Comment voyez-vous l'entente du lac Meech face à la protection des provinces, en particulier du Québec, quant à l'exercice du pouvoir de dépenser?

M. Beaudoin: Je ne sais pas si je saisis bien le fondement de la question, mais le pouvoir de dépenser que la province elle-même a actuellement n'est pas touché. J'ai cité, tout à l'heure, l'arrêt Mackenzie. Par exemple, c'est le Québec qui donne aux municipalités leur pouvoir et qui leur donne la façon de taxer, de prélever des impôts, ceci n'est pas changé. Je pense que, si on avait voulu changer le pouvoir de taxer du fédéral et des provinces, soit au terme de l'article 92 ou 92A de 1982, on l'aurait dit. Le silence est absolu sur ce plan. Je ne vois pas de changement sur ce plan. Je ne sais pas si cela répond à la question véritable, quitte à la reformuler.

M. Rémillard: M. Beaudoin, est-ce que cela pourrait mettre en cause, par exemple, la capacité du Québec de légiférer sur les municipalités? La loi 38 empêche les municipalités de recevoir des subventions directement du gouvernement fédéral. Cette loi a été votée par le précédent gouvernement. Est-ce que cela peut mettre en cause la compétence du Québec d'avoir contrôle

sur ses propres institutions et contrôler ses sources financières?

M. Beaudoin: L'arrêt MacKenzie dit que les obligations nouvelles pour une municipalité ne peuvent pas être réglementées par voie législative par l'autorité fédérale. Est-ce que - et c'est la distinction au sein même du pouvoir de dépenser - le fédéral peut faire des dons sans réglementer? C'est le grand débat des années soixante et soixante-dix. On disait toujours: On disait toujours: On donne de l'argent, mais on ne réglemente pas. On connaît bien les luttes de MM. Duplessis, Lesage, Johnson et les autres; c'est très connu. Mais, au fond, l'accord du lac Meech vient confirmer le droit de retrait qui est né à l'occasion des programmes à frais partagés. Sur ce plan, il y a confirmation de la politique québécoise, peu importe le parti au pouvoir depuis 1960. En ce sens, il y a une protection absolue pour le Québec qui se dit: Écoutez, c'est vrai que vous ne réglementez pas le champ, par contre, vous intervenez à la faveur de dépenses dans un domaine provincial; je m'y objecte et j'exerce mon droit de retrait. En fait, c'est ce que cela confirme. Et cela, pour moi, c'est une victoire. C'est une victoire pour le Québec et pour toute autre province qui peut s'en prévaloir. C'est le pouvoir de dire non si c'est dans un domaine provincial. Je ne parle pas au chapitre de la réglementation, mais quant à la réception des subventions; c'est différent. Cette protection n'existait pas. Elle existe maintenant.

M. Rémillard: Donc, c'est une protection accrue pour les provinces.

M. Beaudoin: Ah oui! Sans aucun doute dans mon esprit.

M. Marx: M. le Président.

Le Président (M. Filion): Je m'excuse, M. le ministre de la Justice.

M. Marx: D'accord.

Le Président (M. Filion): En vertu de la règle de l'alternance, je vais maintenant reconnaître M. le chef de l'Opposition. Ensuite, je dois vous souligner que deux autres membres de votre formation m'ont demandé la parole avant vous. Si vous voulez vous entendre ensemble. J'ai déjà retenu le député de Montmorency et le député de Mille-Iles. Donc, M. le chef de l'Opposition, à vous la parole.

M. Johnson (Anjou): Merci, M. Beaudoin de votre exposé. J'aurais une série de questions à poser sur la société distincte, le pouvoir de dépenser et l'"extension" des pouvoirs internationaux du Québec. Je vais essayer d'y aller assez rapidement. On peut peut-être commencer par le commencement. Dans la mesure où le gouvernement ne nous a pas encore fourni les textes juridiques, on peut peut-être y aller au moins avec le communiqué de presse du lac Meech.

On dit: Sur le caractère distinct du Québec, l'interprétation de la constitution du Canada doit concorder avec le paragraphe a), c'est la reconnaissance de la dualité canadienne française-canadienne anglaise du Canada et, deuxièmement, la reconnaissance que le Québec forme, au sein du Canada, une société distincte. Ensuite, le deuxième paragraphe dit: Toutes les Législatures - le Parlement du Canada, la Législature du Québec comme les autres - dans l'exercice de leurs compétences respectives, prennent l'engagement de protéger la caractéristique fondamentale du Canada mentionnée au paragraphe (1). - du caractère bilingue. Quant à l'Assemblée nationale et au gouvernement du Québec, ils ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct du Québec.

La première question que je vous pose là-dessus, professeur Beaudoin, est la suivante: D'ahord, où pensez-vous que ces articles devraient être dans la constitution?

M. Beaudoin: Écoutez, quand le problème s'est posé quant à la Charte constitutionnelle des droits et libertés de la personne, on l'a mis dans les dispositions générales, à l'article 27. Je pourrais très bien voir cela dans les dispositions générales de la constitution canadienne. On peut l'insérer dans la loi de 1987, une loi constitutionnelle comme on en a eu une en 1982. Cela peut être dans les premiers articles. Cela peut être dans les dispositions générales. Est-ce que cela peut-être en amendement à un article qui existe déjà pour faire le pendant à l'article 27 de la charte canadienne des droits qui fait partie de la constitution, par exemple? Il y a peut-être plusieurs possibilités.

M. Johnson (Anjou): Voilà.

M. Beaudoin: On m'a dit que le débat est maintenant réglé, que c'est un article et non pas le préambule.

M. Johnson (Anjou): D'accord. La raison pour laquelle je vous pose la question est que je comprends qu'à la rigueur cela peut être n'importe où dans un texte de 50 pages, mais l'intérêt est de savoir quelles sont les conséquences.

M. Beaudoin: Bien, les conséquences...

M. Johnson (Anjou): La question que je vous pose est la suivante, professeur

Beaudoin. On le sait, une règle d'interprétation n'est utilisée, en droit, que dans le mesure où il y a confusion et où il n'y a pas clarté dans le reste de la loi. On a recours à une règle d'interprétation s'il y a confusion sur quelque chose. Est-ce que, d'après vous, cette règle, à l'intérieur d'elle-même, fait prédominer la caractérisque fondamentale du bilinguisme canadien ou la caractéristique de société distincte du Québec.

M. Beaudoin: Je ne vois pas de contradiction fondamentale entre (1) et (3), en ce sens que, même si on fait un parallèle entre les francophones majoritaires dans une province et minoritaires partout et les anglophones majoritaires partout et minoritaires au Québec, il n'en reste pas moins - ce qu'on peut appeler une sorte de parallélisme ou de dualisme - qu'il n'y a qu'un seul endroit où les francophones sont en majorité, c'est ici. Et dans ce sens-là, c'est aussi une déclaration de fait et une déclaration de droit que la première. Vous allez me dire que ce n'est pas facile parfois à concilier, c'est vrai.

M. Johnson (Anjou): Mais sur le plan...

M. Beaudoin: Mais ce n'est pas la première fois en droit constitutionnel canadien qu'il ...

M. Johnson (Anjou): C'est cela, qu'il va y avoir quelque chose de compliqué. Oui, je comprends. D'ailleurs, les constitutionnalistes ont leur raison d'être, professeur Beaudoin, vous le savez par le fait qu'il y a de ta confusion entre les politiciens.

M. Beaudoin: Oui, mais on ne la souhaite pas nécessairement.

M. Johnson (Anjou): Et en ce sens-là, M. Beaudoin, dites-moi donc... Au tour du caractère distinct du Québec et du caractère bilingue du Canada: le caractère bilingue du Canada est assis sur la notion que c'est une caractéristique fondamentale de la fédération. C'est cela qui est écrit dans le texte du lac Meech.

M. Beaudoin: Oui.

M. Johnson (Anjou): Alors que dans le cas du caractère distinct du Québec, on dit seulement que c'est le rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement de favoriser... On ne dit pas que c'est fondamental. Si jamais il y avait un conflit entre le rôle de l'Assemblée nationale ou du gouvernement et quelque chose qui est interprété par la Cour suprême comme étant une caractéristique fondamentale de la fédération, est-ce qu'on n'en arriverait pas à voir le caractère distinct céder le pas devant la caractéristique fondamentale de la fédération? Et en concluant sur cette question, je vous pose la question suivante: Êtes-vous d'accord avec Alliance Québec qui déclarait le 11 février 1986 devant un comité du Sénat, à Ottawa: "Le caractère distinct de la société ne peut se comprendre qu'à la lumière de la dualité linguistique canadienne". En somme, pour Alliance Québec, le Québec est une société distincte parce que la majorité française est la seule à vivre avec une minorité anglaise. En d'autres termes, c'est dans cette perspective, dit Alliance Québec, que le caractère distinct du Québec doit être compris. Si je comprends bien ce qu'Alliance Québec dit devant le Sénat canadien, c'est que le caractère distinct du Québec ne peut se comprendre que si on accepte le caractère bilingue du Canada.

M. Beaudoin: Oui. Premièrement, je vous donnerais raison si le mot "promouvoir" n'existait pas au paragraphe (3), mais c'est "protéger et promouvoir le caractère distinct".

Deuxièmement, quand Alliance Québec dit que le caractère distinct du Québec vient de la minorité, ce n'est pas cela du tout. Le caractère distinct du Québec vient du fait que la majorité est francophone. C'est cela le caractère distinct du Québec. Si vous me demandez si je suis en accord ou en désaccord, je suis en désaccord parce que c'est clair que le Québec est distinct dans le Canada parce que c'est une province qui est majoritairement francophone. C'est unique en Amérique!

M. Johnson (Anjou): Et non pas parce qu'il y a coexistence des francophones et des anglophones.

M. Beaudoin: Mais cela est un état de fait.

M. Johnson (Anjou): C'est cela.

M. Beaudoin: Ce n'est pas cela qui donne lieu à la distinction.

M. Johnson (Anjou): Bon.

M. Beaudoin: C'est la majorité qui donne lieu.

M. Johnson (Anjou): Donc dans ce sens-là, vous n'êtes pas d'accord avec l'interprétation que donnent, par exemple, M. Pawley, le sénateur Murray ou d'autres au niveau fédéral pour qui le caractère distinct vient aussi du fait qu'il y a une coexistence entre les francophones et les anglophones. Ou Donald Johnston, par exemple, par opposition à d'autres au Parti libéral du Canada.

M. Beaudoin: II ne faut pas mélanger Ies pommes et les oranges. Le premier paragraphe, c'est le parallélisme et le troisième, c'est la distinction. Et cela, c'est à cause du caractère majoritaire des francophones ici et même s'ils sont majoritaires, ils doivent protéger leur langue. C'est normal.

M. Johnson (Anjou): D'accord. Et non pas de l'existence d'une minorité anglophone au Québec, d'après vous.

M. Beaudoin: Pas en soi.

M. Johnson (Anjou): D'accord.

M. Beaudoin: La présence d'une minorité anglophone au Québec, comme la présence d'une minorité francophone ailleurs, c'est un point. Le caractère distinctif du Québec lui vient du fait que la majorité ici - et c'est le seul endroit - est francophone. C'est pour cela d'après moi que le libellé est un peu différent. Le mot "promouvoir" n'apparaît pas, sauf erreur, aux paragraphes (1) ou (2), mais il apparaît au paragraphe (3). Qu'est-ce que cela donne? Vous allez me dire: Oui, c'est une glorieuse incertitude du droit. C'est plus qu'une règle d'interprétation mais la Cour suprême va dire ce que cela veut dire sur ce plan-là. (11 heures)

M. Johnson (Anjou): Donc, selon vous, il ne peut pas y avoir de conflit ou de contradiction entre la dualité canadienne exprimée au début et le caractère distinct du Québec? Il n'y a pas de conflit pour vous là-dedans?

M. Beaudoin: Mais attention! M. Johnson (Anjou): Ah!

M. Beaudoin: Vous allez me dire: Est-ce que cela change les articles 23 et 133? Oui, si vous voulez donner un caractère prépondérant, d'après moi, cela est possible. Si vous voulez donner un caractère exclusif, il faudrait un amendement aux articles 23 et 133. Comme juriste, c'est ma réponse.

M. Johnson (Anjou): D'accord. Donc, en pratique, pour qu'on se comprenne, entre les articles 23 et 133, peut-être au bénéfice de ceux qui nous suivent, l'article 133 est dans la constitution canadienne et il dit que l'Assemblée nationale et les tribunaux du Québec sont bilingues. Ce qu'est l'extension de notre spécificité n'est pas décidée par la Législature du Québec. L'article 133 dit que c'est bilingue au Québec dans l'Assemblée nationale, la législation déléguée et les tribunaux de l'administration de la justice. Cela n'affecte en rien...

M. Beaudoin: Attention! L'article 133 dit que les langues législatives sont le français et l'anqlais, l'arrêt Blaikie. Les débats peuvent être dans l'une ou l'autre langue; les procès sont dans l'une ou l'autre langue, à la lumière de ce que la Cour suprême vient de déclarer dans l'affaire MacDonald. Là-dessus, d'accord.

L'article 23 est dans la Charte des droits et libertés, langue de la minorité dans les écoles. Est-ce que la déclaration de la société distincte peut être prise en considération par un tribunal dans l'interprétation d'une loi qui viendrait apporter certaines restrictions à l'article 23? Ma réponse à cela est oui, elle peut. Dans quelle mesure? On le verra.

M. Johnson (Anjou): Pensez-vous que le texte offre une garantie pour la société distincte? Pensez-vous que ce texte-là offre - je pose la question à l'expert - une garantie juridique formelle que le Québec peut intervenir dans tous les domaines linguistiques?

M. Beaudoin: J'ai toujours pris l'attitude suivante: le pouvoir de légiférer en matière de langue n'est pas énuméré dans la constitution canadienne. À mon avis, le Québec peut légiférer en matière linguistique dans tous les domaines de sa compétence sans aucune exception. Je suis en désaccord avec un des juges de la Cour d'appel sur ce plan. Mais il ne fait aucun doute qu'en vertu de son pouvoir ancillaire, et peut-être même direct dans certains cas, il peut légiférer sur la lanque française dans tous les domaines de sa compétence, sous réserve, bien sûr, de l'article 23, qui constitutionnellement lie les dix provinces, et de l'article 133, qui lie le Québec.

M. Johnson (Anjou): Voilà!

M. Beaudoin: ...et tel qu'interprété par les tribunaux...

Une voix: Et la charte. M. Johnson (Anjou): Et la...

M. Beaudoin: ...laquelle interprétation est évolutive.

M. Johnson (Anjou): Et la Charte canadienne des droits et libertés.

M. Beaudoin: L'article 23, pas les autres.

M. Johnson (Anjou): Mais au-delà de cela, par exemple liberté d'expression en matière d'affichage?

M. Beaudoin: Écoutez, ce n'est pas un

débat sur la possibilité de légiférer dans un domaine en particulier. La question est de savoir si la prépondérance d'une langue va contre la liberté d'expression ou encore si l'exclusivité dans l'usage d'une langue va contre la liberté d'expression. Il y a déjà un juge de la Cour d'appel qui a dit que cela peut être conciliable avec la prépondérance d'une langue, sans aller contre la liberté d'expression. La cour a dit: Cependant, si vous visez à l'exclusivité d'une langue, cela va contre la liberté d'expression.

M. Johnson (Anjou): Et la liberté d'expression...

M. Beaudoin: II m'est difficile de commenter davantage parce que, comme vous le savez, le conflit est devant la Cour suprême actuellement.

M. Johnson (Anjou): C'est sub judice, oui, mais on se comprend bien. Ce qu'on peut retenir, sans insulter leurs seigneuries à la Cour d'appel ou à la Cour suprême, ce qu'on peut comprendre, c'est que les limites d'intervention de l'Assemblée nationale en matière linguistique lui sont dictées, d'une part, par l'article 133 de la constitution canadienne. Le lac Meech ne change rien à cela. Le lac Meech ne change rien à l'article 23 en matière scolaire. Mais aussi l'interprétation que les tribunaux peuvent donner à différentes dispositions de la charte canadienne, notamment, l'article sur la liberté d'expression qui limite et qui pourrait limiter le Québec par son application par la Cour suprême dans ses interventions, pour faire en sorte que la promotion de la langue française sur son territoire soit faite.

Peut-être d'autres articles comme l'article 6, par exemple, qui prévoit la liberté d'établissement des personnes et qui pourrait un jour être plaidé par un individu qui considère que certains aspects, par exemple, de la réglementation de l'Office des professions qui exige qu'une personne ait la connaissance de la langue française, un individu pourrait plaider l'article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés et dire: Moi, j'arrive de Calgary ou de Winnipeg, je n'ai pas à me soumettre à des considérations de nature linguistique ici parce que mon droit, à moi, en termes de liberté d'établissement, l'emporte sur une espèce de disposition générale qui dit que le Québec peut promouvoir le français.

C'est ça que je veux savoir d'après vous, là.

M. Beaudoin: D'après moi... Prenons le cas d'un professionnel d'une autre province. On lui dit: Monsieur ou madame, vous devez parler français pour pratiquer le droit dans cette province. Est-ce que ça va contre l'article 2 sur la liberté d'expression? Est-ce que ça va contre l'article 6 sur la mobilité?

Bien sûr que c'est une restriction. Mais, d'après moi, cette restriction est acceptable dans une société libre et démocratique et, là, votre déclaration du lac Meech est bonne, là, elle est matérielle et là, elle a des dents. Le juge va dire: Ah, pour cette déclaration, pourquoi oblige-t-on quelqu'un à parler français pour être professionnel au Québec?

Écoutez, moi, si j'avais à juqer cette cause-là, je dirais: Monsieur, c'est raisonnable dans une société libre et démocratique, comme la société québécoise, eu égard à l'article 1 et eu égard à la déclaration générale.

M. Johnson (Anjou): L'avocat de l'individu qui est arrivé de Calgary explique, par ailleurs, devant le tribunal, que le Québec a une caractéristique fondamentale de la fédération. Il a des anglophones. Deuxièmement, c'est une caractéristique fondamentale de la fédération. Troisièmement, j'ai un droit spécifique en vertu de l'article 6 - non pas une disposition de portée générale - de la Charte canadienne des droits et libertés.

M. Beaudoin: Oui, mais la déclaration...

M. Johnson (Anjou): II va conclure qu'il est assis sur des dispositions précises et non pas des dispositions d'ordre général pour plaider contre une disposition en matière linguistique de l'Assemblée nationale du Québec, parce que le gouvernement du Québec n'a pas obtenu l'exclusivité en matière linquistique sur son territoire.

M. Beaudoin: Un instant! L'obligation imposée par l'article 1 vis-à-vis des anglophones, c'est les anglophones québécois. L'anglophone québécois peut avoir les mêmes droits, mais celui qui vient de l'extérieur du Québec, c'est bien sûr qu'on peut l'obliger à devenir bilingue. On peut l'obliger à s'exprimer en français.

M. Johnson (Anjou): Je m'excuse. C'est une notion que je ne connaissais pas dans notre droit. Je ne savais pas qu'il y avait une définition de ce qu'est un anglophone québécois dans notre droit. Il y a un individu qui est un résident du Québec, qui peut être un francophone, un allophone ou un anglophone. Mais, il y a des résidents. Il n'y a pas de citoyens québécois encore. On y viendra peut-être un jour. Mais il y a des résidents. Le critère... Alors, l'individu qui arrive de Calgary, ça fait un an qu'il est au Québec. Il paie des impôts ici. Il considère qu'il est anglophone québécois, lui.

M. Beaudoin: Oui.

M. Johnson (Anjou): Mais il décide au nom de la liberté d'établissement, parce qu'il arrive de Calgary, de contester une loi du Québec en matière d'utilisation de la langue française dans sa profession...

M. Beaudoin: Oui, mais...

M. Johnson (Anjou); C'est parce que vous aviez l'air de me dire, professeur Beaudoin, que les droits des anglophones prévus dans les caractéristiques fondamentales au paragraphe (a) de Particle 1 de l'affaire du lac Meech, que ça, ça se limitait aux anglophones du Québec. Oui, mais toute personne qui réside au Québec et qui est un anglophone est un anglophone du Québec. Entre vous et moi, qu'il arrive de Calgary, de Moose Jaw, de Yellowknife ou de Toronto ou bien de Saint-Pacôme, je veux dire que je ne pense pas qu'il y ait des distinctions dans le droit canadien là-dessus.

M. Beaudoin: Mais, la distinction, c'est celle-ci. Vous prenez le cas, par exemple, d'un professionnel de Calgary qui s'en viendrait pratiquer le droit au Québec. Nous, on dit: Vous devrez... Je ne parle pas du plaideur qui vient occasionnellement plaider une cause. C'est évident, je ne vois pas de difficulté.

Mais si vous dites dans la Loi sur le Barreau que, pour pratiquer le droit au Québec, il faudra comprendre la langue française, moi, je dis que cela peut se justifier. Cela peut se justifier parce que le Québec a la compétence, en vertu de l'article 92.(13), sur les ordres professionnels. S'il restreint la liberté et même la mobilité dans une certaine mesure, je crois qu'à la lumière de l'article 1 de la charte, c'est possible. Cela me paraît une restriction raisonnable. À l'appui de cet argument, j'invoquerais la déclaration du lac Meech sur la société distincte. Je pense que ce n'est pas trop demander à quelqu'un qui vient pratiquer le droit à Montréal ou à Québec et qui veut en faire une profession, puisqu'il est ici où il s'établit, de pouvoir s'exprimer en français ou de le comprendre.

M. Johnson (Anjou): Oui. Bien. Professeur, j'allais vous demander, dans ce contexte, puisque vous me dites que c'est votre avis, et c'est également mon avis, mais la question est de savoir comment la Cour suprême... Mais je pense qu'on peut s'entendre. C'est votre avis et c'est mon avis que le Québec devrait, précisément parce qu'on est le Québec et parce qu'on est la seule place...

M. Beaudoin: Un instant! Je n'ai pas employé le conditionnel...

M. Johnson (Anjou): Permettez-moi...

M. Beaudoin: J'ai dit: Légalement, c'est possible.

M. Johnson (Anjou): Ah! Vous dites que c'est possible, mais vous ne dites pas qu'il y a des garanties.

M. Beaudoin: Non, non. Le Québec légiférera comme il le veut bien. Il est souverain.

M. Johnson (Anjou): C'est cela. Mais ce que vous me dites, c'est qu'il n'y a pas de garantie que la Cour suprême va maintenir la législation québécoise dans ce secteur, comme jusqu'à maintenant la Cour suprême, on le sait, a débâti des pans de mur de la loi 101. Vous me dites que, dans le texte du lac Meech, si je comprends bien, vous exprimez votre opinion ou votre avis dans le sens que c'est une bonne idée et que le Québec devrait légiférer en matière de français. On s'entend là-dessus. Cela fait quelques années qu'on le fait. Mais je vous dis, quant à moi, quand cela va arriver en Cour suprême, est-ce qu'on a des garanties dans ces textes? Est-ce qu'on a des garanties, dans le texte du lac Meech, que le Québec va pouvoir continuer, non seulement à légiférer en matière linquistique, mais à s'organiser pour occuper un plus grand espace, espace qui a été limité par la Cour suprême depuis sept ou huit ans? Est-ce qu'on a des garanties.

M. Beaudoin: II y a deux limites constitutionnelles sur le plan linquistique. Le Québec ne peut pas sortir du domaine du partage qui lui est alloué. Deuxièmement, ii est sujet à deux garanties constitutionnelles. L'article 23 de la charte des droits dans les écoles des minorités et de langue officielle. L'article 133 sur la lanque parlementaire, législative et judiciaire. Pour le reste, il est souverain.

M. Johnson (Anjou): Ce n'est pourtant pas ce qu'a dit la Cour d'appel dans le cas de l'affichage, où elle invoque la charte canadienne au titre de la liberté d'expression contre les lois du Québec en matière d'affichage'

M. Beaudoin: Ah! Évidemment, la charte constitutionnelle s'applique au Québec.

M. Johnson (Anjou): Ah bon! D'accordl Parfaitl Et elle peut limiter le pouvoir du Québec en matière linguistique?

M. Beaudoin: La charte constitutionnelle des droits - et la Cour suprême l'a dit carrément en 1984 - fait partie de la constitution et lie les provinces. Pas plus le Québec et pas moins que les autres provinces. À ce moment-là, si vous me

demandez: Est-ce que ta liberté de légiférer en matière linguistique est absolue? Bien sûr qu'elle n'est pas absolue. C'est bien sûr. Mais ce que je dis, c'est qu'à l'intérieur des paramètres tracés par la constitution, premièrement, sur le plan fédéral, deuxièmement, par les garanties constitutionnelles, linguistiques et, troisièmement, par la charte des droits de façon générale, eh bien, le pouvoir est entier, mais sujet, évidemment, aux articles de la constitution qui, ou bien départagent les deux pouvoirs ou encore garantissent certains droits. Mais attention! Cette déclaration est une règle interprétative, juridique réelle.

M. Johnson (Anjou): C'est cela. Mais qui, par contre, en pratique, comme toutes les règles interprétatives, ne s'applique que s'il y a besoin d'un recours à l'interprétation.

M. Beaudoin: Oui.

M. Johnson (Anjou): Voilà.

M. Beaudoin: Mais il est bien rare en droit constitutionnel qu'on n'interprète pas.

M. Johnson (Anjou): Alors qu'une disposition spécifique dans la charte canadienne, que ce soit aux articles 6, 23 ou 27 sur le multiculturalisme, pourrait être plaidée comme une disposition spécifique à l'encontre de laquelle la règle d'interprétation d'ordre générai ne saurait prévaloir en général, à moins qu'on la fasse passer par l'interprétation de l'article 1. On se comprend?

M. Beaudoin: Mais c'est beaucoup, l'article 1. C'est beaucoup.

M. Johnson (Anjou): D'accord.

M. Beaudoin: C'est l'article fondamental de la Charte des droits et libertés. (11 h 15)

M. Johnson (Anjou): Oui. Professeur, j'aurais quelques mots et quelques questions à vous adresser au sujet du pouvoir de dépenser. On va essayer d'être pratique, je donne un exemple. Récemment le président de la Fédération des municipalités du Canada a déclaré dans une conférence, il y a quelques jours ici à Québec, qu'il avait fait un lobby remarquable auprès de certains membres du Parti libéral du Canada pour les embarquer dans le programme suivant. Étant donné qu'on a des problèmes de vétusté des trottoirs et des égouts et de certains équipements municipaux au Canada, il trouve que ce serait une bonne idée s'il y avait un programme national pour refaire les trottoirs et les égouts au Canada, payé un tiers par le fédéral, un tiers par les municipalités, un tiers par le Québec. En admettant que le parti est élu au gouvernement fédéral aux prochaines élections avec un programme national pour réparer les trottoirs au Canada, il décide qu'il va mettre l'argent de nos taxes là-dedans.

On ne parle pas de faire des lois, on dit: II va transférer de l'argent de façon conditionnelle aux provinces. On n'est pas obligé de faire des lois pour cela. Il y a une disposition générale sur le plan de la législation et le reste, c'est de la réglementation. Ils vont prévoir, comme ils ont prévu dans le cas des hôpitaux, dans les années soixante-dix, où on avait prévu la dimension des ascenceurs, la longueur des portes, des fenêtres, etc., pour que la province puisse obtenir des subventions, peut-être la qualité du ciment ou des affaires comme cela. Ne vous en faites pas, il y a plein de fonctionnaires à Ottawa qui peuvent s'occuper d'affaires comme cela. Disons que l'accord du lac Meech est entériné. Le Québec, lui, décide que ce n'est pas cela la priorité sur son territoire, ce n'est pas les trottoirs des municipalités. De toute façon, les municipalités nous disent: Ne vous mêlez pas de cela, ce sont nos affaires. Nous avons une autonomie fiscale au Québec depuis la réforme fiscale, on ne veut pas que les gouvernements viennent se mêler de cela. Notre priorité, ce n'est pas cela, c'est l'environnement. Le Québec, dans le domaine municipal, veut mettre de l'argent dans l'épuration des eaux plutôt que dans les trottoirs. Le fédéral a un programme national pour les trottoirs et les égouts, les tuyaux, mais non pas reliés aux usines d'épuration. Le fédéral lance son programme. Québec ne veut pas du programme. Qu'est-ce qui se passe?

M. Beaudoin: Vous tenez pour acquis que toutes les autres provinces vont dire oui?

M. Johnson (Anjou): Que la majorité des autres provinces ont dit oui.

M. Beaudoin: En droit municipal?

M. Johnson (Anjou): La majorité des provinces trouvent que c'est une bonne idée de s'organiser pour répondre au problème de vétusté des équipements municipaux au Canada.

M. Beaudoin: J'espère qu'on ne verra jamais cela dans la Fédération canadienne.

M. Johnson (Anjou): Ah! Parfait. Très bien.

M. Beaudoin: Écoutez! C'est un cas tellement hypothétique que... Je ne peux pas commenter cela, un programme pour les trottoirs qui serait l'objet d'une entente

fédérale, à frais partagés, avec l'accord de neuf provinces?

M. Johnson (Anjou): Vous savez que la transcanadienne a été bâtie de même...

M. Beaudoin: De toute façon, il se servira de son droit de retrait si jamais cela arrive.

M. Johnson (Anjou); M. Beaudoin, vous savez que la transcanadienne a été bâtie de cette façon dans les années cinquante. C'est une route. Cela n'avait pas grand-chose à voir avec les grands objectifs nationaux et la politique extérieure.

M. Beaudoin: Attention. La route transcanadienne a été construite grâce au pouvoir de dépenser et remise aux provinces et rien n'aurait pu empêcher en droit constitutionnel strict que 92A, 92,(10)a) soient invoqués. La route serait entièrement fédérale, alors que là elle est provinciale.

M. Johnson (Anjou): Dans le cas de la santé, d'après vous, le fédérai avait un pouvoir spécifique historiquement?

M. Beaudoin: La santé? Oui, dans certains secteurs, je dirais que c'est un domaine, certainement, prioritairement provincial, en vertu de 92.(7), 92.(13), 92.(16). Il n'y a aucun doute dans mon esprit. Mais le fédéral aussi peut intervenir en matière de santé grâce à son pouvoir en droit criminel pour les matières dangereuses, etc. Donc, c'est...

M. Johnson (Anjou): On se comprend, le monde hospitalisé parce qu'ils ont mal au ventre; ce ne sont pas des militaires, ce ne sont pas des prisonniers dans les prisons fédérales. D'après vous, est-ce que le fédéral a juridiction là-dedans?

M. Beaudoin: En santé? M. Johnson (Anjou): Oui.

M. Beaudoin: Je répète: c'est un secteur prioritairement provincial et si vous me parlez de la santé comme telle, par exemple, les ordres professionnels, médecins, gardes-malades, etc., c'est provincial. Oui, c'est provincial. Il y a certains aspects qui pourraient être fédéraux. Je sais ce que vous allez me dire. Il pourrait arriver...

M. Johnson (Anjou): Ce que j'essaie de vous dire - on va arrêter de tourner autour du pot; le problème, c'est qu'on n'a pas beaucoup de temps - c'est qu'au gouvernement fédéral, y a-t-il quelqu'un qui va douter 30 secondes qu'il est présent dans la santé au Canada depuis 20 ans? Il est présent, merci. Il impose des normes, des objectifs nationaux, des cahiers de réglementation, des conditions aux provinces pour qu'elles dispensent un système de santé au Canada et puissent profiter de l'argent de nos taxes. On se comprend là-dessus? Bon.

Ce que je vous dis, c'est pour l'avenir, M. Beaudoin. Qu'est-ce qui, dans l'entente du lac Meech, au chapitre du pouvoir de dépenser, va empêcher le gouvernement fédéral de déclarer des programmes dits nationaux, avec des objectifs nationaux dans des domaines de compétence provinciale comme l'environnement, le logement, les valeurs mobilières ou comme tout ce qui est relatif aux programmes de nature sociale: les garderies, etc. Qu'est-ce qui empêchera le gouvernement fédéral d'établir des objectifs nationaux? Rien. On se comprend bien.

M. Beaudoin: II peut l'édicter. Si les provinces sont d'accord, il fera son plan à frais partagés.

M. Johnson (Anjou): C'est cela. Et si une province n'est pas d'accord avec les objectifs nationaux, est-ce qu'elle pourra avoir le transfert de ses taxes?

M. Beaudoin: Elle pourra avoir une compensation juste.

M. Johnson (Anjou): À condition que? M. Beaudoin: Qu'elle se conforme...

M. Johnson (Anjou): Aux objectifs nationaux?

M. Beaudoin: Attention! Il faut que la province... Ce qui est nouveau, qui n'existait pas et qui est un gain provincial, un gain québécois, c'est qu'avant elle ne pouvait rien dire, sinon contester devant les tribunaux. Je n'ai jamais compris pourquoi cela n'a pas été contesté devant les tribunaux depuis 25 ans, mais c'est une autre histoire. Enfin, on disait toujours: Ah, c'est illégal, c'est inconstitutionnel, pourtant il n'y a jamais eu d'arrêt devant les tribunaux. Mais, maintenant, le Québec peut dire: Nous ne sommes pas d'accord et nous allons opérer un retrait avec compensation. Vous allez me dire: Oui, mais il faut que le Québec fasse son propre plan. Oui, c'est vrai, mais si c'est une mesure qui est aussi extraordinaire qu'on le dit, si les représentants, les 282 députés à Ottawa et les députés dans neuf autres Législatures sont favorables, c'est que peut-être, a priori, il y a quelque chose d'intéressant dans ce programme-là. Mais enfin, pour plusieurs raisons, Québec peut dire: Non, non, nous voulons faire comme bon nous semble. Nous opérons un retrait avec pleine compensation. C'est nouveau.

Vous allez me dire: Ce n'est pas assez...

M. Johnson (Anjou): Oui, mais, professeur Beaudoin, je ne dis pas que ce n'est pas assez, j'essaie de voir ce qui est là-dedans. Je n'essaie pas de l'interpréter au-delà de ce que l'on peut faire avec les textes qu'on a, je dis que le Québec qui dirait: Non, je n'embarque pas dans votre programme fédéral, il n'est pas automatiquement compensé, selon le lac Meech. On se comprend. Il est compensé à condition, comme vous le dites dans votre texte, professeur Beaudoin, qu'il ait un programme compatible avec les objectifs nationaux. Et si le Québec n'en a pas, parce qu'il décide que dans ce domaine-là, il ne veut pas en avoir, la priorité est ailleurs, il n'a pas de compensation - on se comprend bien - en vertu du lac Meech.

M. Beaudoin: II n'y a pas de compensation obligatoire.

M. Johnson (Anjou): Voilà, il n'y en a pas.

M. Beaudoin: II peut y en avoir une qui peut être payée quand même, mais...

M. Johnson (Anjou): Oui, oui, mais c'est bien rare que le gouvernement fédéral fasse des cadeaux. On se comprend.

M. Beaudoin: Oui, oui.

M. Johnson (Anjou): En terminant et avant de passer la parole à un collègue d'en face, M, le Président, permettez-moi simplement de dire que, sur le pouvoir de dépenser qui constitue quelque chose d'assez fondamental ici, un collègue de Me Beaudoin, Me Décary, que nous allons entendre, je pense, écrivait ce matin que la constitution reconnaîtrait le pouvoir du gouvernement fédérai d'établir de nouveaux programmes nationaux à frais partagés dans des domaines de compétence provinciale exclusive; ce qui, sur papier, constitue une modification constitutionnelle importante et une concession majeure de la part des provinces. Par ailleurs, le recours au mot "objectifs" dans le cadre de la compensation permet de croire que, si les provinces ont à la rigueur le choix des armes, elles n'auront pas le choix des batailles. Ce qui veut dire, en pratique - c'est l'opinion de ce juriste et c'est également la mienne - que le présumé gain du Québec est essentiellement une confirmation du pouvoir fédéral de dépenser et, deuxièmement, qu'il forcera dorénavant les provinces, y compris le Québec, à devoir se plier à des objectifs nationaux pour revoir la couleur de l'argent de leurs taxes.

Le Président (M. Filion): C'est terminé en ce qui me concerne, M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Merci.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Or, du côté du groupe ministériel, je vais reconnaître le premier député que j'ai noté, M. le député de Montmorency.

M. Séguin: Merci, M. le Président. M. Beaudoin, vous n'étiez pas là, mais, hier, le chef de l'Opposition, M. Johnson, a soulevé dans son allocution des réserves, des inquiétudes, des préoccupations relativement au Code civil du Québec. Si j'ai bien compris ou si je suis correct, il a surtout soulevé la question, sous l'angle de la charte canadienne, des droits du Québec par rapport à celle du fédéral et il soutenait qu'il n'y a rien dans l'accord du lac Meech qui bonifie une situation précaire relativement au Code civil du Québec par rapport à l'intervention possible du fédéral, de sorte que cela l'inquiète beaucoup.

Par contre, dans votre allocution tantôt, vous avez mentionné que le Code civil était tout à fait de compétence provinciale. Vous avez mentionné l'article 92, paragraphe 13, entre autres, et l'article 98. J'aimerais si vous pouviez, en quelques minutes, revenir sur le sujet par rapport au Code civil du Québec.

M. Beaudoin: Ma thèse est la suivante: Le Code civil est antérieur à la Fédération canadienne de onze mois. Ce Code civil a été codifié grâce aux bons soins de Georges-Étienne Cartier. Cartier, quand il a rédigé avec ses collègues l'article 92, a employé les mots "property and civil riqhts" - on me pardonnera l'expression anglaise, mais à cette époque la constitution n'était qu'en ianque anglaise - qui nous viennent de l'Acte de Québec et qui avaient pour but évident de protéger la spécificité du Code civil québécois.

À mon avis, il a réussi parce que pendant un siècle on n'a jamais soulevé cette difficulté, et à l'article 94, le Québec a un petit statut particulier en ce sens qu'on ne mentionne pas le droit civil et, à l'article 98, pour la nomination des juges, il est clair qu'on a voulu protéger le Code civil québécois. La protection du Code civil m'apparaît entière. On me dira: Oui, mais un jour la Charte canadienne des droits et libertés est arrivée et le Code civil évidemment est impliqué et lié par la charte des droits.

Il y a eu, dernièrement, un arrêt de la plus haute importance de la Cour suprême du Canada, Dalphin Delivery, où on a dit qu'en principe, en obiter dictum, soit dit en passant, le Code civil serait lié par la charte

et la "common law" en autant qu'il y a une intervention de l'État.

On a dit dans cet arrêt fondamental que les relations entre les citoyens ne sont pas soumises à la charte. Je crois que c'est une victoire. Je crois que ceci est excellent pour les relations entre individus sur le plan du droit privé dans une province comme le Québec. Je me réjouis de cet arrêt, soit dit en passant.

Vous allez me dire: Oui, mais en légiférant dans les matières de sa compétence, le Parlement québécois doit respecter les principes fondamentaux de la charte. Oui, c'est vrai! Vous savez, ce n'est pas pour le Code civil que j'ai peur, c'est pour beaucoup d'autres lois dans beaucoup d'autres provinces. Le Code civil, que je sache, respecte la liberté entre hommes et femmes, l'égalité entre hommes et femmes et se conforme aux articles 28 et 15 de la charte.

Je ne vois rien dans le Code civil, sauf erreur, qui puisse aller contre le fameux article 2 de la charte. Les droits démocratiques, cela n'offre aucune difficulté. Je me dis: Tous les beaux principes qui sont codifiés dans le Code civil, tel qu'il existe aujourd'hui, il y a eu une refonte importante du Code civil, oui c'est soumis à la charte. Je ne vois pas en quoi cela met en danger le génie du Code civil qui, dans sa forme actuelle ou dans sa forme renouvelée, m'apparaît fort respectueux des libertés fondamentales. Je n'ai pas peur du tout pour le Code civil. (11 h 30)

Le Président (M. Filion): M. le député de Montmorency, vous avez terminé? Je vais reconnaître maintenant M. le député de Mille-Îles.

M. Bélisle: Merci, M. le Président. Professeur Beaudoin, je partage votre vue quant au fait que la liberté de légiférer en matière linguistique ne doit pas être absolue. Nous, du parti ministériel, bien entendu, nous avons une vision fédéraliste de ce droit. Nous reconnaissons l'article 133 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 et l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982. Dans l'exemple qui a été soumis tantôt, je comprends que l'avocat de Calgary qui vient au Québec doive se soumettre à la notion d'une société distincte parce qu'il veut faire partie de notre société; je comprends cela.

À l'intention de tous ceux qui nous écoutent, à la fin des débats de l'actuelle commission, on va tenter de faire un bilan. Et lorsque je lis la première clause du projet d'accord du lac Meech, la première disposition, où l'on parle d'obligation de la reconnaissance d'un Canada anglophone, d'un Canada francophone, de la reconnaissance de la notion d'une société distincte, du rôle de l'Assemblée nationale de promouvoir et de protéger le caractère distinct de la société québécoise, je me pose une question. À votre avis, est-ce que cette clause constitue un qain, le maintien du statu quo ou un recul pour le Québec, compte tenu de tout ce qui existe dans le domaine de la langue, dans le domaine de l'éducation, dans le domaine du droit civil, comme on le disait tantôt? Je voudrais avoir cela dans une coquille.

M. Beaudoin: Votre coquille, elle va être bien simple. Recul? Non. Statu quo? Non. Gain? Oui. C'est un gain, que voulez-vous? Il y a une déclaration qui a valeur de règle interprétative. Tout constitutionnaliste sait fort bien qu'une règle interprétative en droit constitutionnel, c'est important. Bien sûr, cela arrive dans des cas où il y a des doutes ou des ambiguïtés, mais, si j'analyse les 120 causes du Conseil privé sur le partage et les 150 causes de la Cour suprême, j'en vois beaucoup, des doutes. Donc, c'est une règle d'interprétation qui peut avoir son importance. Je ne dis pas qu'elle chanqe les textes fondamentaux. Je dis qu'elle change l'interprétation, et on verra, parce qu'il y a tout de même les mots "protéger" et "promouvoir" qui apparaissent là. On verra dans quelle mesure la Cour suprême donnera effet aux mots "rôle", "protéger" et "promouvoir". Le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est une règle d'interprétation fondamentale, notamment dans la charte des droits et dans le partage des pouvoirs.

M. Bélisle: Merci.

Le Président (M. Filion): M. le député de Bourget.

M. Trudel: Merci, M. le Président. Professeur Beaudoin, j'aurais quelques questions à vous poser sur la société distincte, évidemment. Je pense que votre échange de vues avec le chef de l'Opposition et la réponse que vous venez de donner à mon collègue de Mille-Îles, dans l'ensemble, répondent aux questions que je voulais vous poser. Tout en me déclarant tout à fait accord avec vous sur le fait que l'entente ou l'accord du lac Meech renvoie dos à dos les centralisateurs et les décentralisateurs à tous crins - donc, c'est un accord qui va plaire aux modérés - j'aurais une seule question. J'aimerais que vous précisiez, à la page 11, une règle qui m'est revenue à l'esprit -parce que je suis avocat de formation et non pas de profession, donc cela fait très longtemps, plus de 20 ans maintenant - la règle d'interprétation ejusdem generis - je ne me souviens même pas comment on prononce cela, vous voyez jusqu'à quel point cela peut être loin - qui fait qu'au fond, le débat sur la société distincte et sur l'accord du lac Meech est de savoir si l'on va laisser les

choses générales ou si l'on va essayer de les préciser davantage.

M. Beaudoin: En droit, il y a un vieux principe qui dit que, lorsqu'on énumère, on restreint toujours. En ce sens, si vous énoncez un principe général et que, dans ces deux ou trois petits paragraphes a, b et c, vous nommez des secteurs en particulier, les cours de justice sont portées à restreindre la globalité de la cause à ces trois cas en particulier ou à des cas qui leur ressemblent étrangement.

Il y a toujours deux écoles en droit constitutionnel: l'école de ceux qui veulent tout définir et l'école de ceux qui veulent donner les grands principes globaux, souvent lapidaires. Le débat est éternel. Je me suis toujours dit qu'une constitution n'est pas une loi ordinaire. On peut changer une loi tous les ans, mais on ne peut pas changer une constitution tous les ans. Je me dis qu'il faut alors avoir des termes qui sont assez généraux. Remarquez que même les Britanniques ont employé les deux théories en 1867. On a précisé pour plus de sécurité, pour plus d'exactitude. Mais enfin, c'est une question de philosophie. Il y en a qui se contentent de principes généraux, d'autres qui veulent énoncer toutes les exceptions. Pour ce qui est de la spécificité québécoise, j'y vois évidemment de grandes constantes: droit civil, langue française, culture française, c'est évident, c'est éternel, je l'espère bien.

Mais il y a d'autres aspects de notre spécificité qui peuvent varier avec le temps. Par exemple Cartier et Macdonald et leurs collègues ont fait l'article 93 qui protégeait les droits confessionnels. Aujourd'hui si on refaisait l'article 93, on le rédigerait probablement de façon différente. Je ne dis pas qu'on ne les protégerait pas, on les protégerait peut-être différemment mais il est certain qu'on protégerait bien davantage les droits linguistiques. Du moins c'est ce que je suis porté à croire.

Même chose pour le plan social. Le Québec, vous le savez, XIXe siècle, n'était pas ce qu'il est aujourd'hui. Les valeurs sociales changent, les valeurs religieuses aussi, dans une certaine mesure. Je dis toujours dans une certaine mesure. Tel caractère d'une spécificité peut être fondamental à une période donnée et devenir très relatif à une autre. Allons-nous changer cette déclaration de la spécificité è toutes les générations? Certains juristes diront oui. D'autres diront non. C'est une question de philosophie. Évidemment, on peut faire ce qu'on veut quand on est d'accord tous ensemble. À mon point de vue, eu égard à toutes les circonstances, cette déclaration m'apparaît tout de même un gain que je considère majeur. Bien sûr que cela ne change pas matériellement le partage et les garanties. C'est vrai.

M. Trudel: Vous permettez?

M. Beaudoin: Les gains matériels.

M. Trudel: Merci.

Le Président (M. Filion): Merci. Alors je vais reconnaître maintenant le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémillard: Merci M. Beaudoin de ce témoignage particulièrement éloquent. Vous êtes un constitutionnaliste de grande réputation, de grande expérience et votre témoignage nous a beaucoup éclairé, tant de ce côté-ci que de celui de nos amis d'en face. Vous nous avez fort bien démontré que, comme vous l'écrivez d'ailleurs dans votre rapport que vous faites à cette commission, l'entente du lac Meech c'est une entente qui va à la limite du possible.

Vous nous dites que le Québec, par cette entente du lac Meech, acquiert de nouveaux pouvoirs. Des pouvoirs qui n'étaient pas confirmés expressément dans la constitution et même des pouvoirs qui n'apparaissaient pas directement. Ce que vous nous dites, en ce qui regarde la Cour suprême, c'est que le Québec aura maintenant le pouvoir de soumettre des noms pour les juges, pour la nomination des trois juges qui doivent venir du Barreau du Québec.

Vous nous dites qu'en matière d'immigration, le Québec acquiert de nouveaux pouvoirs qui vont permettre maintenant de faire la sélection de nos immigrants, tant ceux qui demandent à venir immigrer au Québec et qui sont à l'extérieur du Canada, que ceux qui sont sur place au Canada, au Québec et cela comprend plus de 25 % de nos immigrants. Le Québec va acquérir de nouveaux pouvoirs parce qu'il aura maintenant la possibilité de prendre les mesures d'intégration nécessaires pour donner à ces gens le goût du Québec, que ce soient des cours de langue, que ce soient des cours de formation, des cours de connaissance de nos institutions, de nos façons de vivre, parce que nous perdons plus de 50 % de nos immigrants qui vont à l'extérieur. C'était une juridiction que nous n'avions pas et maintenant nous allons la recouvrer. Nous avons une garantie en matière d'immigration sur un minimum d'immigrants qui pourront venir en fonction de notre poids démographique, en plus d'un 5 % que nous pouvons ajouter.

Vous nous avez dit que, concernant la société distincte, il serait dangereux de définir ce que serait la société distincte, parce que qui définit limite, et que la règle ejusdem generis, qui nous amène à

interpréter une enumeration en fonction d'un même genre, pourrait causer des difficultés majeures à l'interprétation. Vous nous dites que la société distincte peut être un atout majeur pour le Québec, pour défendre ses lois, tant en ce qui regarde sa langue et sa culture que dans d'autres domaines, puisque le concept de société distincte est fondé, bien sûr, d'une façon évidente sur une culture, sur une langue différente, mais aussi sur des institutions qui sont différentes, sur une façon de vivre différente.

Donc, vous voyez là - c'est ce que vous nous dites - dans ce premier article... Cela ne sera pas un préambule, c'est un article de la constitution qui caractérise donc maintenant notre fédéralisme en fonction du principe de la dualité et celui de la spécificité du Québec. Vous voyez, dans un premier temps, la dualité comme un état de fait, une reconnaissance de fait. Vous voyez la reconnaissance de la société distincte comme une possibilité très intéressante qui reconnaît maintenant le rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec. Vous avez fait, je pense, cette nuance très Importante. Vous avez insisté sur le fait qu'il apparaît, en ce qui regarde la spécificité du Québec et le rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement, deux termes très importants. C'est le rôle de protéger - vous avez insisté avec raison - et c'est aussi le rôle de promouvoir ce caractère distinct.

M. Beaudoin, une dernière question rapidement. Certains, comme le professeur Latouche, ancien conseiller constitutionnel du premier ministre, M. René Levesque, considèrent qu'on a fait tellement un bon travail, qu'on a été une équipe de négociation tellement extraordinaire, qu'on a obtenu des résultats si éclatants qu'ils nous disent, à toutes fins utiles, si je comprends bien leur message: Mais continuez, continuez comme cela, vous allez en avoir encore beaucoup. Vous avez beaucoup d'expérience des négociations constitutionnelles. Vous voyez l'entente du lac Meech. Qu'est-ce que vous pensez de cela?

M. Beaudoin: Écoutez. Des voix: ...

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Beaudoin: Mon opinion est bien simple. Cet accord porte sur cinq points. Â mon avis, j'y donnerais personnellement mon adhésion. Si le Québec - c'est sûr que cela viendra un jour - a d'autres amendements à suggérer, il pourra le faire à la phase II. Je dis toujours: Quand un moment est privilégié - c'en est un - il faut en prendre avantage quand il est là.

Le Président (M. Filion): Trente secondes.

M. Rémillard: II me reste quinze secondes pour remercier le professeur Beaudoin de s'être déplacé. Je vous remercie, professeur.

M. Beaudoin: Je considère que c'est un honneur.

Le Président (M. Filion): M. Beaudoin, c'est à mon tour, au nom de tous les membres de la commission, de vous remercier pour votre exposé et également pour la période de discussion.

Nous allons suspendre nos travaux pour quelques minutes pour permettre à notre prochaine invitée, que nous avons déjà reconnue dans la salle - bonjour! - de bien vouloir prendre place à la table des invités. Donc, suspension pour deux ou trois minutes, au maximum. Merci.

(Suspension de la séance à 11 h 44)

(Reprise à 11 h 48)

Le Président (M. Filion): Merci, mesdames et messieurs, membres de la commission. Nous allons donc poursuivre nos travaux de consultation, en recevant Mme Solange Chaput-Rolland, qui a déjà pris place à la table des invités. Bienvenue, madame. Il n'est pas nécessaire, je crois, de répéter l'enveloppe de temps qui vous est consacré, quelque 90 minutes: 20 minutes pour votre exposé et 35 minutes pour la période d'échanges. Sans plus tarder, je vous invite à nous faire votre exposé.

Mme Solange Chaput-Rolland

Mme Chaput-Rolland (Solange): M. le Président, messieurs et madame les membres de cette commission, je voudrais d'abord remercier ceux qui m'ont invitée et souligner que j'ai été invitée, contrairement à ce qu'on a laissé entendre dans un journal et qui m'avait un petit peu choquée, que j'étais ici pour prendre la place de quelqu'un. Je ne crois pas que je prenne la place de qui que ce soit.

J'ai accepté l'invitation qui me fut faite, M. le Président, je viens à l'instant de vous le dire, avec peu d'empressement. Il faut qu'on me le pardonne, parce que revenir dans cette belle maison historique quand on y a été quelque temps... Je sais qu'autour de cette table, on sait que j'y étais il y a quelques années, que j'y étais un jour, pour bien peu de jours, députée de cette Assemblée et c'est la première fois que j'y reviens.

Il y a donc en moi-même aujourd'hui,

plus le trac de m'adresser à vous, M. le Président, à cette commission comme au grand public, une sorte de tremblement, puisque j'ai emporté chez moi de cette Assemblée des souvenirs qui ne sont pas toujours les plus heureux.

J'ai souvenance d'avoir dit dans cette Assemblée que le temps où j'y étais était le temps de la grande déchirure fraternelle. On oublie ce temps; je ne l'ai pas oublié. Mais ce matin, c'est au nom peut-être de la retrouvaille fraternelle que j'ai accepté d'être ici.

Je vous demande très gravement, à chacun de vous, de ne pas chercher de couleur politique derrière les choses que j'ai l'intention de vous dire, mais de regarder, ne fût-ce que quelques secondes, la couleur de mes cheveux. Vous allez comprendre que, depuis longtemps, près de trente ans, j'ai cherché, dans je ne sais combien d'associations au Québec, cette reconnaissance de la société distincte, avec d'autres mots.

Je regarde Me Jacques-Yvan Morin et je sais que nous avons ensemble été aux États généraux. On cherchait aussi la reconnaissance d'un caractère très spécial pour le Québec. Si j'ai donc accepté votre invitation, c'est au souvenir d'une chose: de cet engagement d'il y a près de dix ans, dans la commission Pepin-Robarts, dont la vision dualiste se retrouve dans le livre beige et puis se retrouve, finalement, dans les accords du lac Meech. C'est la raison, M. le Président, de ma présence ici et c'est la raison pour laquelle je manifeste ma confiance dans les accords du lac Meech.

M. le Président, tous les mouvements, associations et groupements culturels et politiques qui ont rassemblé des Québécois depuis près de cent ans, ont toujours cherché, avec des moyens différents, à faire resplendir les caractères spécifiquement québécois de notre société. Tous, gens d'hier et d'aujourd'hui, de milieux confortables ou en détresse, tous, nous avons été, chacun à notre façon, Ies rais de cette immense roue francophone qui est et demeure le moteur de notre société. Elle ne serait pas sans nous. Elle deviendra avec nous, aujourd'hui et demain, encore plus dynamique puisque les autres sociétés du Canada, pour la toute première fois, admettent sa présence légale et ont reçu la mission constitutionnelle de la refléter dans les grandes institutions du pays.

Vous venez d'entendre mon éminent collègue de la commission Pepin-Robarts, Gérald Beaudoin, qui vous a dit en des termes beaucoup plus savants que moi ce que j'essaie de vous dire avec mes mots. Je ne suis pas un expert, vous le savez déjà par ce que je viens de vous dire. Je n'ai aucune espèce d'interprétation personnelle de la constitution. Mais je sens dans mon âme même, moi aussi, l'âme du peuple du

Québec. C'est de cela que je voudrais vous parler de la façon dont j'ai toujours parlé aux Québécois.

Je laisserai donc aux experts et juristes la tâche de fouiller un à un les articles du protocole d'entente du lac Meech. Ils ne sont pas secondaires à la reconnaissance de notre société; ils en sont les corollaires. On pourra demain, si telle est la volonté populaire, changer les mots des accords mais personne, il me semble, à ce moment de notre évolution, n'en devrait changer l'esprit.

Quand notre société saisira, dans les années à venir, sa nouvelle liberté, la nouvelle dimension de sa vérité historique, culturelle et politique, elle découvrira un autre état d'être et, probablement, un grand désir d'affirmation nationale et d'elle-même. Notre société se distingue déjà par ses innovations dans tous les domaines, par le dynamisme de sa jeunesse et l'audace de ses projets dans la plupart des pays du monde. Cette volonté se manifestait déjà au matin de son arrivée dans cette terre inconnue des vieux pays déjà connus. Elle s'exprimait en français au midi de son historique blessure et au soir du lac Meech, elle avait trouvé sa légitimité et sa constitutionnalité.

Je ne souhaite pas, à ce moment de ma vie, que notre société en général et en particulier, gens de la politique ou gens de la vie de tous les jours, jeunesse ou plus vieux, je ne souhaite pas que nous oubliions les luttes passées à cause de nos victoires si récentes. Permettez-moi de rappeler à ceux qui imaginent qu'on peut recréer demain le Canada d'hier, ou à ceux qui imaginent qu'on a inventé hier le Canada de demain, qu'il s'agit, par les accords du lac Meech, de continuité et non de finalité. Une société dont le passé était si riche en humanité pour toutes les couches de notre société est en devenir perpétuel. Le nationalisme est mal considéré aujourd'hui, peut-être. En 1987 on lève le nez sur les luttes du nationalisme. Seulement, il ne nous a pas écrasés entre nos murs, il nous a portés vers le lac Meech et nous lui devons tous les droits acquis depuis 1867.

En février 1965, la commission Laurendeau-Dunton écrivait: "Le Canada vit la crise la plus grave de son existence." Les commissaires, pressentant que leur jugement serait contesté, ajoutaient: "Le risque de la lucidité est moins périlleux que le risque du silence." Quelle leçon, quelle incroyable leçon de courage, pour nous et pour ceux de demain. Elle avait d'instinct reconnu que la dualité linguistique et biculturelle comme il se disait dans le temps, devait se transformer en dualité politique, juridique et constitutionnelle si le Canada devait se survivre. Cela, c'est la partie Pepin-Robarts de cette proposition de la commission Laurendeau-Dunton qui s'est vue changée par cette commission à laquelle j'ai eu l'honneur

d'appartenir avec mon confrère Gérald Beaudoin. À la veille du référendum de 1980, les commissaires de l'unité canadienne avaient écrit: "C'est la convergence des idées qui constitue l'assise même de notre société."

M. le Président, il y a eu convergence des volontés au lac Meech et cette convergence s'est aussi concentrée sur la reconnaissance de notre société enfin reconnue par tous les participants. J'aimerais croire qu'une telle convergence puisse être possible dans cette société, ici-même ce matin, comme dans l'immense société du Québec qui nous écoute peut-être à la télévision. Mais il ne faut pas qu'il y ait simplement convergence. Il faut qu'il y ait concordance de vues entre les participants pour que le public comprenne quelque chose: que l'on dise tous la même chose, que l'on ait à peu près tous les mêmes réactions aux accords du lac Meech, du moins pour ceux qui y ont participé. Cependant, un fait me rassure quant à la participation des peuples du Canada à l'évolution de leur société. Chaque année, la commission Pepin-Robarts l'avait suggéré, une conférence constitutionnelle réunira les dirigeants du pays et fort heureusement pour nous, cette rencontre n'aura pas lieu au lac Meech en lac protégé, en eaux fermées, en chambre interdite aux caméras du pays. Ainsi, comme la commission Pepin-Robarts l'avait encore souhaité, nous pourrons tous essayer de comprendre quelque chose au cheminement constitutionnel qui ne regarde pas seulement les experts et les participants du lac Meech, mais qui regarde cette population qui nous écoute et qui essaie de comprendre. Si elle comprend, je la félicite.

Il est gênant, M, le Président, et fort gênant pour moi, qui ne suis rien d'autre qu'une communicatrice en fait, de penser que nos experts constitutionnalistes croient un peu trop qu'il leur faut parler une langue fermée pour qu'on comprenne un peu ce qui nous attend demain.

J'ai parlé tout à l'heure de continuité dans les revendications du Québec et je voudrais y revenir quelques secondes. Au-delà de la signification de l'accord du lac Meech, un fait retient mon attention et c'est l'unanimité des participants en ce qui concerne les propositions du Québec et la bonne volonté unanime encore à écouter cette fois pour comprendre les revendications de notre société. Cette même unanimité avait incité les membres de l'équipe Pepin-Robarts - et je la cite - "à trouver un équilibre entre la croissance des provinces et la croissance de la nation, un équilibre entre l'avènement d'une société distincte au Québec et sa participation à la vie du Canada."

Il était donc possible, il y a dix ans, de déjà identifier les éléments distinctifs du

Québec: l'histoire, la lanque, le Code civil, l'ethnicité, le sentiment et la politique, tous ces éléments, écrivait-on dans le rapport "font du Québec le phare de la présence française en Amérique". (M. le Président, je vous demande d'être un peu patient, il ne me reste que trois pages).

Il ne faudrait pourtant pas imaginer que, comme le chef de l'Opposition et comme d'autres personnes qui ont soulevé des critiques, je ne vois pas les failles et les faiblesses dans un accord par ailleurs sécurisant dans ce qu'il nous permet d'entrevoir et de construire tous ensemble. Mais si ceux qui le jugent et le critiquent font reposer leurs arguments sur leur conception d'un Québec progressivement souverain ou souverainement ou souverain progressivement, alors aucun accord ne comblera jamais de telles attentes.

Il convient de rappeler que les propositions du Québec furent formulées pour que le Québec revienne à une fédération qui était fort boiteuse sans elle. À partir du moment où nous acceptons ce retour et cette adhésion, les accords du lac Meech prennent une importance très grande parce que, pour la première fois, tout ce beau monde fédéral paraissait du même avis quant au Québec. Et si je n'étais pas convaincue que de nouveaux accords seront signés dans les années à venir, je m'inquiéterais sans doute de me savoir enfermée dans les caractères distinctifs du moment de 1987.

Que voudra le Québec de l'an 2000? Que souhaiteront les autres provinces dans 30 ou 50 ans? Bien sûr, élargir leur marge de manoeuvre pour avancer avec leur société. Ces paroles peuvent vous paraître bien illusoires et même simplistes à tous les grands experts. J'accepte volontiers de m'entendre dire que les règles conditionnelles dépassent largement ma compétence.

Mais quand je me tourne vers le passé et que je me souviens des luttes des États généraux, du mouvement laïc de langue française et de combien d'autres mouvements qui, tous, réclamaient pour le Québec un élargissement de ses pouvoirs, tous revenaient bredouilles à la maison fragile.

La tenue d'un référendum sur l'avenir du Québec n'a pas eu lieu simplement parce qu'un large secteur de notre population souhaitait récupérer tous les pouvoirs politiques, mais surtout et aussi parce que notre société en obtenait beaucoup trop peu.

Le pas de qéant qui vient d'être franchi n'est pas le fruit du hasard. Il est le résultat d'une très longue réflexion sur le présent du Québec et sur un avenir pour nous, qui croyons aux accords du lac Meech, relié au Canada.

Ceux qui ne croient pas à cette direction vont, bien sûr et avec raison, rejeter l'accord du lac Meech et le considérer loin des buts poursuivis. Mais ceux de nous

qui, depuis plus de vingt ans, avons modestement, mais honnêtement, travaillé à faire du Québec un tout cohérent, fort, distinct des autres régions canadiennes, mais relié à elles volontairement par l'allégeance aux vieux pays, sont non pas comblés, mais rassurés.

S'il y a de la place et du temps pour amender, pour écrire, préciser certains articles de cet accord, alors messieurs, mettez-vous à l'ouvrage. Personne ne pourra bouder une plus grande clarté dans les accords du lac Meech. Mais méfiez-vous de mettre des frontières là où de grands espaces nous invitent à l'audace.

M. le Président, quand je lis ce paragraphe du communiqué de l'accord, l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise, personnellement, au nom de personne, mais à moi, je sens comme l'apaisement de tant de blessures et de tant d'humiliations que les nôtres ont ressenties au cours des âges.

Le caractère distinct est avant tout français. Dès lors, les mots "protéger et promouvoir" sont des mots clés qui ouvrent une porte sur nos espérances. Ils permettent, du moins - c'est mon interprétation - des initiatives, des projets, des retraits, des mises en place, des structures fraternelles aux autres qui ne sont ni parlant français, ni nés au Québec, mais qui sont ici pour accentuer notre francité, pour ne pas dire notre "francitude", sans pour autant brimer tout ce qui n'est pas français dans notre société. Si nous avions seulement obtenu la reconnaissance de ce caractère distinct au lac Meech, je reconnaîtrais qu'elle serait déjà un prodigieux pas en avant, compte tenu de toutes les pertes dans notre passé.

Ne serait-il pas juste et honnête d'admettre que ces accords du lac Meech ne doivent non seulement leur réalisation à la maîtrise du très honorable Brian Mulroney, du premier ministre Bourassa ou du ministre Rémillard comme au travail exhaustif du grand équipage fédéral-provincial, mais aussi au refus logique du premier ministre Lévesque et de son grand équipage d'avaliser une loi qui, à toutes fins utiles, refusait notre poids politique et économique? Les propositions constitutionnelles de l'ancien gouvernement n'étaient pas hors du champ fédéral. Elles annonçaient les cinq propositions qui viennent d'être acceptées.

Il me semble très important pour la cohésion, pour la fraternité de notre société, pour que se recouse définitivement la grande déchirure fraternelle, de reconnaître la valeur de ceux qui ne partagent pas notre satisfaction puisqu'ils furent directement impliqués dans l'avant, l'après et les conséquences actuelles du rapatriement de l'acte de 1867. Nous applaudissons l'unanimité entre les participants aux négociations? essayons de la réaliser entre nous. Ce qui ne veut pas dire que les critiques, les refus de l'accord n'ont pas droit de cité, mais comme il serait significatif, ce poids rassemblé du Québec au matin de la prochaine rencontre constitutionnelle!

Je rêve? Et pourquoi pas? Il nous a fallu un supplément d'âme pour survivre. Il nous faut peut-être un supplément de rêve pour vivre.

Je me tournerai maintenant, en terminant - et je vous le promets, M. le Président - vers le Canada anglais, qui m'apparaît confus quant à ces accords. Plusieurs y voient l'affaissement du pays, comme si un État de cette nature pouvait être fort de la faiblesse de ses composantes, comme ai des provinces réconciliées, enfin, entre elles et avec le gouvernement canadien allaient se liguer maintenant pour se rediviser contre ce gouvernement. J'ai perçu, au cours de nombreuses rencontres avec des "Canadians" de toutes les réqions que le Canada anglais, pour fort, riche, puissant semble-t-il être, tremble si l'on touche un tout petit peu à ses us, à ses traditions, è ses coutumes, alors que les nôtres ont été chambardés tant et tant de fois et que nous sommes encore si profondément présents à cette fédération.

Si c'est vrai que les accords de Meech - comme a déclaré un professeur de l'Ouest - vont permettre l'égalité entre les provinces et l'État central, laissez-moi, une dernière fois, citer Pepin-Robarts en insistant sur le fait que John Robarts était un ex-premier ministre de l'Ontario, que Jean-Luc Pépin était un ex-ministre libéral. Et voici ce que tous ensemble nous écrivions déjà: "Nous considérons que les gouvernements provinciaux sont de nature et de maturité égales à celles du gouvernement central et nous recommandons sans aucune hésitation qu'une nouvelle constitution reconnaisse leur égalité de statut." Il y avait donc, il y a presque dix ans, des anglophones éminents regroupés autour de cette commission, qui croyaient qu'une telle égalité accentuerait la force du régime actuel.

Me voici, mesdames et messieurs, au bout de cet entretien qui ne vous aura peut-être pas enseigné grand-chose, j'en suis fort consciente. Seulement, il m'aura permis de rendre hommage aux efforts du passé, à la vision dualiste et régionaliste d'hommes et de femmes qui, de commission en commission, de colloques en rencontres, ont collaboré depuis ou au-delà de ces mêmes commissions, et très souvent sans jamais être connus et reconnus, à l'épanouissement de notre société. Demain, demain, nous corrigerons les erreurs s'il y a lieu. Demain, nous consoliderons les faiblesses. Aujourd'hui, nous sommes rassurés. Notre société n'a jamais été aussi vivante et agissante dans

l'enthousiame et la dignité. Je vous remercie.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie de votre exposé, Mme Chaput-Rolland. J'inviterais M. le ministre déléqué aux Affaires intergouvernementales canadiennes à entamer la période d'échange de propos avec notre invitée, tout en faisant remarquer à chaque groupe parlementaire qu'il disposera de 34 minutes pour cette période. M. le ministre, la parole est à vous.

Mme Chaput-Rolland: Vous n'avez pas,

M. le Président, à limiter la période des questions. Je pense que je me suis bien vidée et je ne sais pas trop bien ce que je pourrais ajouter. Mais je veux essayer de répondre aux questions qu'on voudra me poser. Je vous remercie.

Le Président (M. Filion); Je vous remercie.

M. Rémillard: Mme Chaput-Rolland, je veux tout d'abord vous remercier de vous être déplacée, de venir témoigner devant nous. Je veux vous remercier pour ces témoignages vibrants de sincérité que vous nous avez livrés ce matin, une sincérité que vous avez puisée à même votre expérience d'observateur averti ' de la scène politique québécoise et canadienne depuis maintenant de nombreuses années. Vous avez été impliquée de près dans les États généraux des années soixante. Vous avez été députée à l'Assemblée nationale. Vous êtes l'auteur de plusieurs essais sur la politique québécoise et canadienne. Vous avez été membre de cette commission Pepin-Robarts, commission de l'unité canadienne, commission qui a livré un rapport remarquable, fondé sur deux principes de très grande importance. Il y a celui d'un fédéralisme asymétrique et celui aussi d'un fédéralisme coopératif. Je dois vous dire que j'ai, pour ma part, reçu ce mémoire, le rapport de cette commission, quand j'étais professeur, avec beaucoup de plaisir. Je sais qu'à l'époque, le gouvernement du Québec d'alors... Je me souviens de la réaction de M. Claude Morin, alors ministre des Affaires intergouvernementales qui l'avait reçu aussi avec beaucoup de plaisir. Les principes fondamentaux que nous retrouvons dans ce rapport de la commission Pepin-Robarts, à mon avis, doivent nous guider pour donner à notre fédéralisme une vigueur nouvelle.

Mme Chaput-Rolland, quel lien pouvez-vous faire entre l'essentiel que nous retrouvons dans cette entente du lac Meech et l'essentiel des principes que vous avez dégagés avec la commission Pepin-Robarts?

Mme Chaput-Rolland: M. le ministre, les deux grands principes sur lesquels la commission avait fait reposer sa vision du

Canada étaient la dualité historique juridique et constitutionnelle et le régionalisme. Le troisième était la répartition des profits et des richesses. Ce que je retrouve dans les accords du lac Meech, aussi succints soient-ils, c'est évidemment cette vision dualiste du Canada et c'est aussi la reconnaissance de la force des régions du Canada. Si on croit dans ce pays, on sait la force qu'ont prise les régions depuis les derniers dix ans. Alors que la commission Laurendeau-Dunton, comme je l'ai souligné, n'avait reconnu que la dualité linguistique et le biculturalisme, comme on disait, la commission de l'unité canadienne était allée plus loin, puisque le gouvernement était souverainiste et la commission avait reconnu que le Canada ne pouvait se survivre à lui-même que s'il pouvait enchâsser le dualisme. (12 h 15)

Mais nous n'étions pas allés si loin que l'accord du lac Meech, puisque nous nous serions contentés d'inscrire la société distincte dans le préambule de la constitution.

La raison pour laquelle tant de gens du côté fédéral ont refusé cette recommandation, c'est qu'on ne voyait la dualité que dans sa dimension linguistique, alors que pour la commission, la dualité était politique et constitutionnelle. Je crois que c'est ce que je retrouve dans les accords du lac Meech, moi aussi, comme le chef de l'Opposition et comme tous les autres gens qui voudraient avoir un peu plus de connaissances approfondies.

Ce n'est pas tellement les textes juridiques que j'attends, parce que je ne les comprendrai probablement pas aussi bien que chacun de vous, mais au moins un élargissement de ces textes un peu secs qui nous sont donnés et qui contiennent l'essentiel de ce qui est pour moi l'avenir du Québec, c'est-à-dire la reconnaissance officielle, pour une fois, par toutes les parties du Canada, que le Québec n'est pas une société comme les autres, ne l'a jamais été et ne le sera jamais.

Le Président (M. Filion): À cause de la règle de l'alternance, je vais reconnaître maintenant un représentant de l'Opposition. M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: Merci, M. le Président. Merci, Mme Chaput-Rolland, d'avoir bien voulu accepter de témoigner devant cette commission. Je commencerai peut-être par une courte question introductive. Dans plusieurs de vos écrits - j'en ai relu un tout à l'heure qui date de juin 1985 - vous avez nettement privilégié l'expression de "peuple du Québec".

Mme Chaput-Rolland: Oui.

M. Brassard: Dans l'entente du lac Meech, comme vous le savez, c'est l'expression "société distincte" qui a été retenue par les premiers ministres des provinces et du Canada. Est-ce que, dans votre esprit, ces deux notions sont équivalentes ou si vous continuez de privilégier ou préférer l'expression "peuple du Québec"?

Mme Chaput-Rolland: Je vais vous répondre de deux façons, non pas ambivalentes, je l'espère, mais qui se complètent. Personnellement, je préfère l'expression "peuple du Québec". Mais au sein de la commission Pepin-Robarts, au retour de notre séjour dans les grands territoires du Nord-Ouest, chez les autochtones, dans leur grand territoire là-bas, nous avions compris, en revenant, qu'il n'y avait pas que deux peuples fondateurs, mais d'autres peuples fondateurs et nous avons, non pas rejeté l'expression "peuple", mais choisi l'expression "la société distincte", pour ne pas braquer ces autochtones qui n'avaient pas reçu... Ils nous avaient dit, là-bas - nous y avons été quand même une semaine - qu'ils s'opposaient profondément au fait de ne pas figurer dans l'expression "les peuples fondateurs".

C'est la raison fondamentale pour laquelle nous avons rejeté cette expression et que je me suis habituée, dans le vocabulaire courant, à utiliser "la société". Mais dans ma tête et dans mon coeur, quand j'y pense, je pense au peuple.

M. Brassard: Est-ce que, dans votre esprit... Je sais que vous nous avez avoué tantôt que vous n'étiez pas experte en constitutionnalisme, mais...

Mme Chaput-Rolland: Je le reconnais bien humblement, M. le député!

M. Brassard: ...quand même, est-ce que dans votre esprit, l'expression "peuple du Québec" aurait davantage de portée que l'expression "société distincte"?

Mme Chaput-Rollandï Évidemment, tout dépend de ce que vous mettez dans l'enveloppe du mot "société". Moi, j'y mets la même chose maintenant. Comme je sais qu'en employant le mot "peuple", je vais braquer contre ce "peuple" tout un autre peuple qui n'a jamais eu grand-chose, j'accepte volontiers le mot "société" au lieu du mot "peuple".

M. Brassard: Comme vous dites que vous mettez dans le mot "peuple" la même chose que dans les mots "société distincte", est-ce qu'à votre avis, dans l'entente du lac Meech, l'expression "société distincte" vous apparaît suffisamment claire ou précise, suffisamment bien définie pour vous satisfaire'

Mme Chaput-Rolland: Oui, elle me satisfait d'autant plus qu'on n'y ajoutera pas trop de choses. Je ne vais pas recommencer à dire ce que mon éminent collègue Beaudoin a dit tout à l'heure? À la limite, quand vous mettez trop de mots finalement, c'est beaucoup de confusion. Je trouve que les mots "protéger et promouvoir" du dernier paragraphe dans le texte, comme je l'ai dit, concernant la reconnaissance constitutionnelle de la société distincte ne me paraissent peut-être pas contenir toutes les garanties de sécurité mais certainement les plus grandes. Je ne vois pas pourquoi, puisque les accords du lac Meech prévoient une conférence constitutionnelle annuelle, on ne pourrait pas ajouter quelque chose si l'on sentait, dans les mois à venir, que ce paragraphe n'est pas suffisant. Pour l'instant, il l'est.

Je vous dirai, monsieur, qu'il ne faudrait pas qu'on y touche trop pour ne pas que chacun apporte une définition différente. Quand vous avez vingt définitions différentes d'une société distincte, vous n'en avez plus une.

M. Brassard: J'aimerais aborder avec vous, Mme Chaput-Rolland, ce qui me paraît être, en tout cas, vous te confirmerez ou l'infirmerez...

Mme Chaput-Rolland: M. le député, je m'excuse. Je ne vous comprends pas beaucoup.

M. Brassard: D'accord, je vais parler un peu plus fort. J'aimerais aborder avec vous ce qui me paraît être une recommandation centrale du rapport Pepin-Robarts, dont vous avez été signataire,

II transparaît très clairement dans le rapport Pepin-Robarts que, pour les membres de cette commission, une des sources principales du caractère distinct du Québec, c'est la langue de la majorité, soit le français. Il y a aussi d'autres choses comme le Code civil mais le français est évidemment reconnu comme le trait distinctif du peuple québécois.

L'une de vos recommandations majeures était celle de proposer que les provinces aient pleine juridiction en matière linguistique dans les sphères de leur compétence. À ce sujet, vous aviez d'ailleurs des paragraphes dans le rapport qui indiquaient que vous faisiez nettement confiance au Québec en ce qui a trait à la protection de la minorité anglophone et que la loi 101 en était la preuve exemplaire.

Or, on sait que plusieurs jugements de la Cour suprême invoquant soit l'article 133, soit l'article 23 de la charte ou invoquant d'autres dispositions de la charte, entre

autres Particle de la charte sur la liberté d'expression, ont entamé sérieusement ou ont fait des brèches sérieuses dans les dispositions et les chapitres de la Charte de la langue française. Vous alliez même très loin dans votre rapport en indiquant qu'il vous paraissait, quant à vous, préférable que même l'article 133, qui instaure le bilinguisme au Québec, devrait être abrogé. Dans le rapport, c'est ce que vous recommandiez. Je vous signale, en passant, que vous savez sans doute que l'article 133 est actuellement au coeur d'une affaire devant les tribunaux. Il y a actuellement un justiciable du Québec devant les tribunaux parce qu'il ne peut pas obtenir une version française authentifiée d'un jugement du tribunal le concernant, ce qui était obligatoire par l'article 13 de la Charte de la langue française, mais qui a été jugé inconstitutionnel parce qu'on a jugé inconstitutionnel tout le chapitre de la charte concernant la langue de l'administration et de la justice.

Est-ce que vous continuez de maintenir cette opinion que vous aviez à l'époque et ce qui me paraît, quant à moi, l'une des recommandations majeures dans le rapport de la commission Pepin-Robarts? Dans l'entente du lac Meech, est-ce que vous considérez que cette pleine juridiction des provinces en matière linguistique, que vous jugiez importante à l'époque, s'y retrouve?

Mme Chaput-Rolland: M. le député, cette recommandation de la commission Pepin-Robarts a été rejetée très vite. Elle a même été, nous a-t-on dit, la cause du rejet massif qu'on a opposé à l'ensemble des recommandations Pepin-Robarts. À l'époque où nous avions fait cette recommandation, ce n'est pas une indiscrétion de dire qu'elle avait été extrêmement contestée à l'intérieur même de la commission et que nous avions eu des discussions très longues. Je crois que Me Décary, qui vient demain, pourra vous donner les précisions là-dessus qui dépassent largement ma compétence. Au moment où nous avons signé cette recommandation nous étions à la veille du référendum. Un climat sauvage divisait les tensions linguistiques à l'intérieur du Québec et surtout à Montréal et la commission voulait reconnaître que le gouvernement du Québec avait été, vis-à-vis sa minorité anglophone, plus généreux dans l'ensemble par ses lois provinciales que beaucoup d'autres provinces l'avaient été. C'est la raison pour laquelle nous avions suggéré de retirer cet article et de confier aux provinces le soin de formuler elles-mêmes leur politique linguistique. Et nous avions ajouté que, une à une, lorsqu'elles auraient adopté la protection de leur minorité, ces mesures devraient ensuite être enchâssées dans la constitution. À ce moment-là, j'étais en accord total avec cet article. Je ne sais pas si aujourd'hui je le serais. Je suis incapable de vous répondre d'une façon plus catégorique.

M. Brassard: Si je comprends bien, quand vous dites que vous ne savez pas aujourd'hui, c'est à dire que...

Mme Chaput-Rolland: Je ne sais pas aujourd'hui, si j'accepterais de signer une recommandation qui enlèverait l'article 133. Je ne le sais pas, je n'ai pas réfléchi là-dessus suffisamment, ce n'était pas l'objet de ma discussion ce matin. Je veux bien essayer si vous voulez. Mais je ne crois que je sois habilitée à faire cela ce matin.

M. Brassard: Pour nous, je vous signale...

Mme Chaput-Rolland: Je suis sûre que Me Beaudoin ou Me Décary qui vont être ici pourront vous donner cette précision beaucoup mieux que moi, d'une façon qui vous satisfera beaucoup plus que la mienne.

M. Brassard: Mais, simplement, est-ce que vous êtes d'avis que l'entente du lac Meech change quelque chose ou quoi que ce soit à la répartition des pouvoirs en matière linguistique? Est-ce que cela affecte?

Mme Chaput-Rolland: Ce n'est pas comme cela que je vois la chose et ce n'est pas comme cela que je vais vous répondre. La reconnaissance de la société distincte, pour moi qui n'ai pas un esprit juriste ni légal, mais qui est enchâssée dans la constitution de mon pays, me donne l'assurance que la langue française dans ce pays, surtout dans cette province, dans cette société distincte, a une protection constitutionnelle que je ne crois pas qu'elle avait et je pense que la minorité anglophone, elle, garde les protections qu'elle avait. Je crois que c'est la société distincte française qui profite largement de cela, mais que la minorité anglophone ne perd rien. Voilà comment je vois les choses.

M. Brassard: Oui.

Mme Chaput-Rolland: Oui, c'est court comme réponse, mais c'est la mienne, monsieur.

M. Brassard: Oui, d'accord. Pour nous c'est une question importante et il faut quand même reconnaître, Mme Chaput-Rolland, que, depuis que la Charte de la langue française a été adoptée par l'Assemblée nationale, les tribunaux - et bien sûr la Cour suprême en fin de processus -ont, dans plusieurs de leurs juqements, fait en sorte que des chapitres entiers de la Charte de la langue française soient devenus

inconstitutionnels et donc ne s'appliquent plus au Québec. En quelque sorte, surtout depuis l'acte constitutionnel de 1982, l'adoption d'une charte canadienne des droits et libertés incluse, intégrée, enchâssée dans la constitution, il arrive que - et les faits sont là - plusieurs jugements invoquant des dispositions de la charte ont réduit très largement et très sérieusement la portée et les dispositions de la Charte de la langue française, ce qui inquiète évidemment beaucoup de Québécois, vous le reconnaîtrez. (12 h 30)

Beaucoup de Québécois s'inquiètent du fait que les tribunaux prennent des jugements qui ont pour effet de réduire l'application et la portée de la Charte de la langue française. Cette inquiétude se généralise parce que les Québécois de tout temps sont inquiets, compte tenu du contexte, vous le reconnaîtrez, du sort et de l'avenir de leur langue dans l'immense continent nord-américain. Évidemment, l'entente n'en traite pas un seul mot; c'est pourquoi je vous demande si vous continuez d'être de l'avis que, en matière linguistique, le Québec à tout le moins - je ne veux pas parler pour les autres provinces - devrait ne pas être entravé - si vous voulez - constitutionnellement par des articles et des dispositions de la constitution. Il devrait avoir pleine juridiction et pleine compétence en matière linguistique.

Mme Chaput-Rolland: Oui. Encore une fois, je suis obligée de vous faire à peu près la même réponse. Ce qu'il y a de nouveau dans la situation du français au Québec, c'est que cette société qui incarne et la langue et la culture et la façon d'être et l'identité française vient de recevoir la sanction constitutionnelle qu'elle n'avait pas avant.

Pour moi qui crois que la constitution d'un pays lie profondément les citoyens et les groupes qui y sont assujettis, je ne peux pas faire autrement que de vous répondre oui, j'ai l'impression maintenant, j'ai même la certitude; je crois, qu'avec cette société distincte ayant reçu la sanction constitutionnelle, le français au Québec sera plus protégé qu'il ne l'était autrefois.

M. Brassard: Vous parlez de société distincte et du fait qu'elle sera mieux protégée à l'avenir. Dans un article que vous avez écrit dès 1982, vous disiez, parlant de la commission Pepin-Robarts: "Aux yeux de notre commission, le Québec était au centre de la crise. À son avis, il l'est demeuré. Tous les membres de la commission ont signé une déclaration courageuse. Exprimons notre conviction avec force. Le Québec est différent et devrait détenir les pouvoirs nécessaires à la préservation de son caractère distinct au sein d'un Canada viable."

J'aimerais que vous m'indiquiez, dans l'entente du lac Meech, quels sont les pouvoirs nécessaires - je reprends votre expression - nouveaux qu'on y retrouve qui permettraient d'assurer une meilleure préservation du caractère distinct du Québec. Qu'est-ce qui vous apparaît nouveau comme pouvoir permettant au Québec de mieux protéger son caractère distinct dans cette entente?

Mme Chaput-Rolland: Vous essayez très bien de me faire trébucher et vous réussissez très bien. Citer un article que j'ai écrit en 1982 était une habitude que j'avais, dans cette maison, d'entendre cela jour après jour. Lorsque nous avons signé, monsieur, cet accord tous ensemble, courageux, la commission Pepin-Robarts - replacez-vous dans le temps. Nous étions en 1978 ou 1979 quand la commission Pepin-Robarts a reconnu, pour la première fois, une commission fédérale formée de gens qui n'étaient pas nécessairement habilités à faire ce qu'ils ont fait - avec une équipe remarquable avons décidé que oui, dans un temps de crise où le Canada était dans une sorte d'hystérie vis-à-vis du gouvernement péquiste, nous avons reconnu que le Québec formait, en effet, une société distincte et que cette société distincte française était le phare des parlant français sur le continent nord-américain.

Les pouvoirs que vous me demandez de décrire, monsieur, je ne les connais pas, moi, mais j'ai l'impression que, quand vous aurez les textes juridiques que vous demandez et qu'on vous donnera le prolongement dans le texte de loi de la reconnaissance du caractère spécifique du Québec, ils seront là. Mais déjà, pour moi, je les sens comme Québécoise, parce que je sens maintenant que ce n'est pas juste une commission qui a écrit qu'il y avait une société distincte au Québec, que ce ne sont pas juste des individus comme moi qui, de temps en temps, écrivent dans Le Devoir; Oui, le Québec forme une société distincte, quand d'autres disent: Non, non, le Québec est une société comme toutes les autres. Voici qu'on me dit que cette société distincte reçoit la sanction constitutionnelle. Dès lors, je crois qu'elle aura plus de pouvoirs. Je ne peux pas vous répondre plus que cela, même si vous me posez une autre question.

M. Brassard: Oui, d'accord. Mme Chaput-Rolland, je voudrais revenir sur votre première remarque d'abord et vous dire que j'ai beaucoup trop de respect pour vous pour avoir comme objectif de vous faire trébucher.

Mme Chaput-Rolland: J'ai dit cela parce je suis faite comme cela, monsieur, je suis sûre de cela.

M. Brassard: J'essaie simplement de mieux comprendre votre point de vue et de permettre aussi à tout le monde de mieux comprendre ce qui s'est passé au lac Meech. Faisons abstraction si vous voulez de vos écrits de 1982.

Mme Chaput-Rolland: Je vous en suis bien reconnaissante.

M. Brassard: Au fond, ma question est très simple. Vous dites qu'en reconnaissant le caractère distinct du Québec dans l'entente du lac Meech, dans votre esprit, cela signifie ou cela va avoir pour effet de donner plus de pouvoirs au Québec pour préserver et protéger ce caractère distinct. Sauf que c'est un point de vue, c'est une opinion ou c'est une interprétation que vous faites, mais je veux bien qu'on se comprenne. Dans l'entente du lac Meech elle-même, dans les éléments de l'entente, dans le libellé de l'entente, il n'y a pas de pouvoirs nouveaux explicites qui sont accordés au Québec en vue de préserver son caractère distinct. C'est cela au fond ma question, ce n'est pas de revenir à des articles de 1982.

Mme Chaput-Rolland: Je suis bien d'accord avec vous qu'il n'y a pas de...

M. Brassard: C'est de voir si vous, vous voyez dans l'entente du lac Meech des pouvoirs nouveaux, accrus, explicites pour le Québec en vue de protéger et de promouvoir le caractère distinct du Québec.

Mme Chaput-Rolland: Je les retrouve dans le paragraphe que je vous ai lu: "L'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise." Cela n'avait jamais été dit avant nulle part. Donc les mots "protéger et promouvoir" sont pour moi des possibilités de pouvoirs qui seront mis dans une formule beaucoup plus légale et constitutionnelle dans quelques mois, lors de la prochaine conférence constitutionnelle. Encore une fois, c'est ma réponse. Et c'est une interprétation très personnelle. Je suis tout à fait d'accord.

M. Brassard: Mme Chaput-Rolland, j'aimerais justement revenir sur ce texte de l'entente du lac Meech concernant la société distincte. On sait que ce texte spécifie deux choses: d'une part que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise. Vous venez d'en parler. Mais d'autre part, également, que les législatures des provinces - donc, cela comprend l'Assemblée nationale aussi -dans l'exercice de leurs compétences respectives, prennent l'engagement de protéger la caractéristique fondamentale du

Canada, c'est-à-dire qu'il existe un Canada francophone concentré mais non limité au Québec et un Canada anglophone concentré dans le reste du pays mais présent au Québec, ce qu'on peut résumer par la dualité linguistique ou le caractère bilingue du Canada.

La question a été posée au ministre, è M. Beaudoin tout è l'heure, et nous pensons qu'elle est importante. C'est qu'à partir du moment où, dans un article de la constitution, on indique expressément deux caractéristiques, l'une que l'on qualifie de fondamentale pour la fédération - le bilinguisme - l'autre qu'on appelle le caractère distinct ou la société distincte du Québec et où on confie aux législatures et à l'Assemblée nationale, au Parlement des provinces, le pouvoir et l'obligation de tenir compte de ces deux éléments et d'en faire même la promotion, il nous semble à nous qu'il peut fort bien arriver des situations où il y aura un conflit entre ces deux rôles ou ces deux éléments. Je pense que c'est important parce qu'on signalait tantôt l'opinion d'Alliance Québec qui regroupe les anglophones du Québec et je voudrais quand même vous citer un paragraphe de son mémoire présenté devant le sénat en 1986. On y lisait ceci - c'est Alliance Québec qui représente, qui est un peu le porte-parole des anglophones du Québec, de la communauté anglaise du Québec: "Le caractère distinctif de la société québécoise ne peut se comprendre qu'à la lumière de la dualité linguistique canadienne. La reconnaissance du caractère distinctif du Québec est jusqu'à un certain point la reconnaissance, à l'intérieur de notre système fédéral de gouvernement, que le Québec est la seule province dont les institutions politiques sont aux mains d'une majorité de personnes d'expression française. Cependant, à la lumière de la dualité linguistique canadienne, l'originalité du Québec inclut aussi l'existence de la seule communauté minoritaire d'expression anglaise au Canada. En bref, le caractère distinct du Québec comprend mais signifie davantaqe que le simple contrôle politique par la majorité d'expression française. Le Québec est plutôt le point de mire de la dualité linguistique canadienne, le foyer de la plus importante concentration de Canadiens d'expression française et celui de la seule minorité d'expression anglaise du Canada. C'est dans cette perspective que le caractère distinct du Québec doit être compris." Et il recommandait, dans le préambule de la constitution, qu'on affirme la dualité linguistique de la Fédération canadienne et qu'on reconnaisse dans cet esprit le caractère distinctif de la société québécoise. En d'autres termes, comme je comprends la position d'Alliance Québec, pour elle, la dualité linguistique prédomine, prime le

caractère distinct du Québec et, s'il y a conflit entre l'un et l'autre, il est clair que, dans leur esprit à eux, c'est la dualité linguistique, ce qu'on appelle le caractère fondamental de la Fédération canadienne, qui doit primer, qui doit avoir prépondérance en termes d'interprétation.

Je pense qu'il est important d'établir, si on veut que ces deux éléments apparaissent dans la constitution, lequel des deux l'emporte sur l'autre dans les interprétations qu'on pourra en faire lorsqu'il y aura conflit. Est-ce qu'à votre avis le texte de l'entente du lac Meech est suffisamment explicite à cet effet? Ou est-il plutôt assez ambigu et faudrait-il, selon vous, davantage préciser le rapport hiérarchique entre les deux?

Mme Chaput-Rolland: II y a beaucoup de questions dans votre question. D'abord, la définition que fait Alliance Québec du caractère distinct du Québec ne répond pas à celle que je me fais. Le caractère distinct de la province de Québec, c'est d'être majoritairement française et d'avoir, à l'intérieur de ses frontières, une minorité anglophone qui doit être respectée par la majorité francophone dans une société démocratique. Si ce n'est pas la conception que se fait Alliance Québec, c'est la mienne.

Quant à la définition du caractère distinctif du Québec et à la protection qu'il apportera ou à la vision qu'il aura de la dualité linguistique canadienne, j'ai l'impression que, dans votre tête - ou alors c'est dans la mienne - il y a une certaine confusion. La dualité linguistique canadienne passe par le bilinguisme dans les institutions fédérales; ce n'est pas un bilinguisme individuel. Donc, j'accepte très bien qu'il y ait une dualité linguistique au Québec, que la Loi sur les langues officielles, dont on dit qu'elle sera retouchée très bientôt, respecte cette dualité linguistique dans les institutions fédérales partout au Canada, soit. Mais je ne pense pas que cette dualité linguistique se transpose au Québec et je ne crois pas que ce soit cela que disent les accords du lac Meech. Quand on parle de la société distincte, j'entends française.

M. Brassard: Merci. Pour le moment, cela suffit.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le député de Lac-Saint-Jean. Je vais maintenant reconnaître un représentant du groupe ministériel, M. le député de Mille-Îles.

M. Bélisle: Merci, M. le Président. Pour les juristes, Mme Chaput-Rolland, chaque mot a une signification juridique, mais on va mettre le juridisme de côté.

Mme Chaput-Rolland: Je vous en serais reconnaissante.

M. Bélisle: Derrière les mots se cachent, également, des concepts. Je pense que c'est à ce niveau que vous placez votre intervention ce matin. Je vais vous rappeler un de vos écrits très récents.

Mme Chaput-Rolland: Vous aussi?

M. Bélisle: Oui.

Mme Chaput-Rolland: Bon.

M. Bélisle: Le Devoir, le jeudi 13 juin 1985, où vous énonciez, è la page 11: "Nous sommes encore enfermés dans la guerre des mots et les linguistes, puissamment aidés par les "politiciens", continueront encore longtemps d'entretenir cette confusion entre, par exemple, peuple, nation, société, collectivité. Moins notre vocabulaire sera clarifié, moins nos problèmes politiques trouveront leurs solutions". Je suis d'accord avec vous.

Quand on arrive un peu plus loin dans votre article...

Mme Chaput-Rolland: "Moins nos..." Je ne pense pas avoir dit cela.

M. Bélisle: "Moins nos problèmes politiques trouveront leurs solutions." (12 h 45)

Mme Chaput-Rolland: Ah oui, d'accord. Très bien.

M. Bélisle: Bon, cela va? Un peu plus loin, Mme Chaput-Rolland, vous faisiez référence au ministre Pierre Marc Johnson et je vais lire un passage, je pense, très important de votre article: Le ministre Pierre Marc Johnson rappelait dernièrement, devant l'Association canadienne des professeurs de droit, que - vous le citez -"la spécificité du Québec ne se résume pas au facteur linguistique". Vous continuez. "Les Québécois et Québécoises, selon le ministre, comprennent - vous le citez encore - les "membres de ses communautés culturelles et, plus particulièrement, de son importante communauté anglophone, et ils se sont construit toute la gamme des institutions et des moyens nécessaires à la vie en société en réponse aux besoins qu'ils ressentaient." Fermez les guillemets de la citation du ministre Pierre Marc Johnson.

Vous continuez, Mme Chaput-Rolland. "Nous avons tendance à nous imaginer différents ou distincts des autres seulement par la langue et la culture. Nos institutions les incarnent et elles répondent aux caractères spécifiques de ce peuple que nous sommes et qui aujourd'hui, même s'il ne veut pas se séparer des autres peuples du Canada, souhaite, sinon exige, que soient reconnues sa

présence et son importance dans la vie du paya tout entier. Nos institutions diffèrent parce que nous sommes différents,"

Quand, en février 1979, à la commission Pepin-Robarts, l'expression "société" était définie comme étant une communauté qui réussit à établir un réseau suffisamment vaste et cohérent d'institutions qui acquiert, par le fait même, la direction de ses activités et peut alors être considérée comme une société distincte, je suppose, Mme Chaput-Roiland, que vous faisiez référence a cette ouverture d'esprit qu'une société doit avoir, à un moment donné, dans le temps et je fais référence au Québec.

Compte tenu que le problème majeur de la société québécoise pour les prochaines années, c'est la décroissance démographique du Québec, la dénatalité, et que nous devons ouvrir très largement nos bras à des personnes d'autres races, d'autres cultures, d'autres ethnies, d'autres langues, aux gens qui nous arriveront de l'Asie, de l'Afrique, des Antilles, de l'Amérique du Sud, la question que je vous pose... Ce que je comprenais de la citation de M. Pierre Marc Johnson, c'est que le Québec était plus qu'un peuple, une société.

Je veux savoir, dans la clause (1) du projet d'entente du lac Meech, l'expression "société distincte", le concept de société distincte... Vous, est-ce que vous pourriez insérer un autre concept à la place de ce concept de société distincte?

Mme Chaput-Rolland: Comme ça, là? M. Bélisle: Comme ça. Des voix: Ha! Ha! Ha!

Mme Chaput-Rolland: Vous en demandez beaucoup, M, le député. D'abord, je ne me permettrais pas, parce que je n'ai pas suffisamment eu... Vous savez, les mots, ça ne se pose pas sur une copie comme ça. Pour que les participants au lac Meech soient arrivés à vraiment se rassembler autour des mots "société" et "distincte", autour des mots "peuple francophone" au lieu des mots "des peuples du Canada", au lieu du mot "la communauté", au lieu de revenir à l'expression de Laurendeau-Dunton, "les deux majorités", c'est qu'il a dû y avoir un sacré nombre de discussions auxquelles je n'ai pas été.

Alors, étant donné que j'ai tenu pour acquis de faire confiance à la façon dont tout ça, ça s'est discuté, je ne changerai pas les mots pour vous répondre aimablement, parce que je ne sais pas ce qui a conduit a ça, comment on a envisagé ça. Je présume que si c'était M. Pierre Marc Johnson, par exemple, qui avait été un des participants, peut-être aurait-il parlé de peuple distinct, puisque vraisemblablement, selon ce que j'ai entendu de lui, hier et aujourd'hui, le mot "peuple" lui convient mieux, satisfait sa vision à lui, celle qu'il a de cette société distincte.

Mais les participants du lac Meech étaient minoritairement francophones avec d'autres personnes. Il s'agissait de rechercher une unanimité et on a trouvé les mots "société distincte" qui comblent une chose dans laquelle je crois profondément, puisqu'il y a dix ans, on les avaient définis.

Alors, ne me demandez pas de mettre deux autres mots, comme un accent circonflexe, à l'aboutissement de circonstances où je n'ai pas été témoin. C'est presque malhonnête ce que vous demandez. Pas vous personnellement. Mais ce serait malhonnête de ma part de commencer à corriger ici des accords auxquels je n'ai pas été partie. Je m'excuse mais je ne fais pas cela.

M. Bélisle: Je ne veux pas du tout vous proposer quelque chose de malhonnête...

Mme Chaput-Rolland: Hélas! Hélas! Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Bélisle: Mais tout au moins votre vision personnelle du Québec d'aujourd'hui et du Québec de demain...

Mme Chaput-Rolland: Oui, monsieur.

M. Bélisle: ...du Québec qui est déjà, qui doit être et qui sera multiracial, multiethnique. Il sera peut-être multiculturel dans quelque temps à cause de l'apport important qui nous viendra d'autres personnes venant d'ailleurs. C'est une nécessité pour la survie du peuple du Québec.

Mme Chaput-Rolland: Oui.

M. Bélisle: II me semble, sans avoir été partie aux tractations, aux négociations...

Mme Chaput-Rolland: Monsieur, laissez-moi vous dire quelque chose. Ce ne sera pas du tout ce que vous voulez entendre. Pensez aux gens qui s'en viennent vivre avec nous. Essayons de cesser de les décrire comme des gens qui s'en viennent ici faire à notre place ce que, pour tant de raisons que je n'ai pas à définir, on ne fait pas, c'est-à-dire des petits québécois.

Je ne suis pas capable de vous suivre dans ces discussions. Je comprends l'apport infini des qens des vieux ou des nouveaux pays qui s'en viennent vivre avec nous. Je voudrais les considérer comme autre chose que des gens qui continuent ce que nous, pour toutes sortes de raisons, de lassitude de peuple cette fois, de lassitude de société ou de société qui a eu douze enfants, pensant

que c'était la solution à tous les problèmes et qui s'est aperçue trop tard que ce n'était pas la solution; donc, accueillons les réfugiés dans notre société mais pour des motifs qui seraient peut-être un peu plus élégants, pour des motifs fraternels, pour des motifs d'ouvrir notre société aux autres et pour que nous-mêmes nous nous ouvrions aux autres.

M. Bélisle: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le député de Mille-Iles. Je reconnais maintenant un porte-parole de l'Opposition. Non, vous voulez sauter votre tour. Est-ce que le député de Notre-Dame-de-Grâce, que j'ai inscrit, veut prendre la parole?

M. Scowen: Oui. J'ai même une question à poser à Mme Chaput-Rolland. Je pense qu'elle sait que je suis aussi heureux qu'elle, aujourd'hui, à peu près une décennie après le dépôt du rapport Pepin-Robarts, car elle est ici en voie d'assister, on l'espère, à une partie au moins de sa réalisation.

On se souvient qu'au moment du dépôt du rapport, celui-ci n'était pas accueilli d'une façon très chaleureuse par le gouvernement fédéral.

Mme Chaput-Rolland: On s'en souvient, monsieur.

M. Scowen: Oui, vous vous en souvenez. Pour la raison que le gouvernement de l'époque avait une autre vision du Canada et du Québec Je ne sais pas si c'était une vision partagée par la population ou non, mais c'est ce genre de questions que je voudrais vous poser, Mme Chaput-Rolland. Même avant que vous soyez membre de la commission, vous, peut-être plus que n'importe quelle autre Québécoise, aviez entretenu une conversation publique et écrite avec le Canada anglais.

Mme Chaput-Rolland: Oui. M. Scowen: Depuis longtemps? Mme Chaput-Rolland: Depuis 1965.

M. Scowen: Ce n'était pas d'expliquer le Québec au reste du Canada et de faire comprendre au Québec ce qu'est le reste du Canada. C'est vous, je pense, qui avez fait cela le plus. J'ai l'impression que vous connaissez autant que n'importe qui ici aujourd'hui l'esprit et la volonté du Canada anglais. Comme vous le savez, cette commission parlementaire est suivie par le reste du Canada, comme nous suivons le déroulement des débats dans les autres Législatures, au sujet de l'accord du lac Meech.

J'aimerais vous demander si vous pensez qu'aujourd'hui, il existe parmi la population, parce qu'il est évident qu'au palier gouvernemental il existe aujourd'hui une volonté de réaliser l'accord du lac Meech, mais est-ce que vous pensez que la population est prête? Est-ce que vous pensez que la population anglaise du Canada est prête? Qu'est-ce que vous avez constaté? Constatez-vous une évolution, une progression, une amélioration, si on peut dire, dans les attitudes du Canada anglais envers le Québec depuis que vous avez commencé cette longue et très intéressante conversation?

Mme Chaput-Rolland: M. le député, vous étiez le directeur général de la commission Pepin-Robarts. Nous avons travaillé ensemble pendant deux ans. Donc, vous connaissez comme moi les réalités difficiles auxquelles s'est mesurée cette commission lors de ces audiences publiques. Vous faites référence ici à un livre qui s'appelle Chers ennemis, (Dear ennemies) qui a été publié en 1965 par Gwethalyn Graham, qui était à l'époque la Gabrielle Roy du Canada anglais et qui est, encore aujourd'hui, inscrite dans certains cours de certaines écoles anglaises au Canada.

Je n'ai pas séjourné au Canada anglais aussi souvent que j'avais l'habitude de le faire depuis quelques années, mais j'ainoté que la jeunesse du Canada anglais est un petit peu comme la jeunesse du Canada français. Ces graves questions de politique Constitutionnelle ne la passionnent pas trop. Elle a besoin de s'épanouir et de vivre selon les schèmes qu'elle se donne, selon le rythme de vie qu'elle se donne comme la jeunesse québécoise. Mais je pense que ce qu'elle a perdu, c'est l'irritation des aînés, sans pour autant acquérir la curiosité qu'elle devrait peut-être avoir un peu plus pour le Canada français et le Québec comme les Québécois, aujourd'hui, commencent un peu à découvrir qu'il y a des choses qui se passent dans les autres provinces.

Donc, il n'y a pas une bonne volonté manifeste, mais il n'y a plus cette espèce de tension que nous avions ressentie à l'intérieur de notre commission comme à l'extérieur.

Le Président (M. Filion): Oui. Est-ce que cela va M. le député de Notre-Dame-de-Grâce?

M. Scowen: Oui, c'est tout. Merci.

Le Président (M. Filion): C'est bien. Je vous remercie. Je vais reconnaître maintenant un porte-parole de l'Opposition -pas pour l'instant - et j'ai inscrit M. le député de Montmorency.

M. Séguin: Merci, M. le Président. Une courte question, Mme Chaput-Rolland. Étant

donné le temps qui... Si je ne me trompe pas, on finit dans quelques minutes, M. le Président? Alors, très brièvement, je ne veux pas revenir sur votre intervention...

Mme Chaput-Rolland: Sur mes écrits, non, promettez-moi.

M. Séguin: Non, pas du tout.

Mme Chaput-Rolland: Comme vous êtes gentil.

M. Séguin: Vous avez amplement discuté, dans votre intervention, de la société distincte, etc., et il est évident que c'est peut-être un débat commencé depuis hier avec les membres de l'Opposition, à savoir que l'expression "société distincte" qui a été retenue au lac Meech aurait pu ou aurait dû...

Mme Chaput-Rolland: C'est parce que c'est la clé, n'est-ce pas?

M. Séguin: ...être "peuple distinct". Je vais simplement vous lire une phrase contenue dans le projet d'un accord constitutionnel déposé par l'ancien gouvernement du Parti québécois, en 1984, et vous demander tout simplement si on ne pourrait pas conclure que la notion de "société distincte" inclut la notion de "peuple", tout simplement. Je vais vous lire cette phrase-là: On dit dans le modèle que j'ai, à la page 12 du projet constitutionnel qui avait été fait en 1984: "Depuis quatre siècles, il existe sur les rives du Saint-Laurent un peuple d'origine française qui, sous deux régimes coloniaux, de multiples arrangements constitutionnels, s'est progressivement affirmé à travers ses institutions et avec l'apport d'autres communautés s'est développé au point d'acquérir toutes les caractéristiques d'une société distincte." Donc, - et là c'est moi qui le dis - la société distincte est un peu l'émergence de l'existence d'un peuple. Êtes-vous d'accord avec cette...

Mme Chaput-Rolland: Je crois que, lorsque cela a été écrit chez vous, parce que j'étais un peu au courant, c'était aussi pour éviter les mots "peuple fondateur" pour les mêmes raisons que j'ai données, puisque les propositions constitutionnelles du gouvernement de M. Lévesque s'inspiraient elles-mêmes largement de ce que l'on pourrait appeler une vision qui était celle de la commission Pepin-Robarts, qui elle-même avait dit assez clairement les raisons pour lesquelles nous avons mis "peuple"... Alors, quand vous dites que l'expression "la société distincte" englobe ou est sortie du mot "peuple", c'est tout à fait ce que la commission avait dans l'esprit.

(13 heures)

Le Président (M. Fllion): Merci, M. le député. Je vais reconnaître maintenant M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: Oui, j'aurais une très courte question.

Le Président (M. Filion): Uniquement, juste avant de vous laisser la parole...

M. Brassard: Oui.

Le Président (M. Filion): ...je voudrais faire noter qu'il reste sept minutes au groupe de l'Opposition et environ quatorze au groupe ministériel. M. le député de Lac-Saint-Jean, vous avez la parole.

M. Brassard: Merci, M. le Président. Très rapidement, une question sur le pouvoir fédéral de dépenser. Dans le rapport Pepin-Robarts, vous recommandiez un certain encadrement au pouvoir fédéral de dépenser.

Mme Chaput-Rolland: Oui, je crois.

M. Brassard: Évidemment, vous recommandiez, entre autres, qu'une chambre fédérale, qui n'entre pas dans l'entente du lac Meech, ratifie d'abord tout programme fédéral qui empiéterait sur des domaines de...

Mme Chaput-Rolland: Nous recommandons aussi une concertation avec la province.

M. Brassard: C'est cela. Vous reconnaissiez également le droit de se retirer d'un programme fédéral...

Mme Chaput-Rolland: Oui.

M. Brassard: ...avec compensation. Mais vous n'exigiez pas, lorsqu'une province se retire, qu'elle soit soumise à des objectifs nationaux pour obtenir compensation, ce qui est dans l'entente du lac Meech. Est-ce que, selon vous, en matière de pouvoir fédéral de dépenser, vous continuez à penser que les recommandations que vous faisiez à l'époque étaient meilleures, encadraient mieux le pouvoir fédéral de dépenser et reconnaissaient davantage aux provinces la liberté de se retirer sans être soumises à des critères ou à des objectifs nationaux?

Mme Chaput-Rolland: Je pense, M. le député, qu'à partir du moment où, dans toute la période qui entourait le rapatriement unilatéral, le premier ministre Lévesque a parlé de compensation, "d'opting-out" à votre compensation, il n'y avait plus beaucoup de moyens de revenir en arrière. Donc, cette formule d'aujourd'hui me semble - c'est

l'interprétation que j'en donne - correspondre beaucoup plus au temps contemporain que la formule que nous avions proposée à ce moment-là. Mais noua avions tout de même ajouté que le dernier élément du caractère distinctif était le sens nouveau que prend la politique dans une société en transition. La société du Québec, la société canadienne, aujourd'hui en 1987, vous avouerez avec moi qu'elle a peu à voir avec ce qu'elle était en 1977, tellement les rapports ont changé, tellement les relations Québec-Ottawa ont changé. Le rapatriement unilatéral a apporté des changements, non seulement dans les législations, mais dans les comportements entre les provinces et le fédéral. Donc, je pense que la recommandation d'aujourd'hui correspond beaucoup plus à ce qu'on attend du temps actuel.

M. Brassard: Cela va.

Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître maintenant M. le député de Bourget.

M. Trudel: Merci, M. le Président. Madame, une très courte question. Je vais vous citer un article du mois de mai 1987, strictement pour vous dire qu'ayant toujours admiré votre style sur le plan littéraire, j'ai adoré la phrase suivante, même si elle n'est pas très positive pour les politiciens: "Les textes qui décrivent notre régime ne sont jamais clairs s'ils sont politiques, jamais précis s'ils sont juridiques et rarement positifs s'ils sont électoraux." J'avouerais que j'aurais un objet de chicane avec vous sur le dernier membre de cette phrase.

Ma question n'a aucun rapport avec cette citation. Elle se veut aussi peu technique que possible, vu les discussions que l'on a depuis le début et surtout vu celle que vous avez eue avec le député de Lac-Saint-Jean sur la question linguistique. On parlait de la société distincte, de l'importance de cette notion. Je vous pose directement la question. Croyez-vous qu'il serait sage d'inclure la question linguistique, la langue dans les dispositions sur la spécificité du Québec?

Mme Chaput-Rolland: Vous parlez des paragraphes qui touchent à la société distincte?

M. Trudel: On parle de dualité canadienne.

Mme Chaput-Rolland: Je pense toujours et je vous l'ai dit tout à l'heure indirectement: Ne mettez pas de limites aux grands espaces! Je pense que, lorsqu'on dit "protéger et promouvoir", on peut mettre dans ces mots tellement plus que ce que ces mots disent. Et si vous vous mettez à les définir, vous allez arriver au jour où vous ne pourrez pas mettre dedans quelque chose. Alors, je les laisserais comme cela. Pour une période d'années, il serait comme j'ai dit. Corrigeons demain, aujourd'hui, essayons de garder cette unanimité qui est tellement fragile.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Pour le bénéfice des membres de cette commission, en vertu de l'entente qui est intervenue évidemment, nous avons convenu de toujours garder le témoignage d'un invité dans une même séance, de sorte que vous aurez remarqué qu'il est passé 13 heures et je présume, bien sûr, comme je le ferai à l'avenir, le consentement de tous les parlementaires pour que nous dépassions l'heure usuelle de fermeture de nos travaux. Je reconnaîtrai maintenant M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, je pense qu'il me reste quatre minutes, ce n'est pas bien long pour dire à Mme Chaput-Rolland l'affection et le respect que j'ai pour elle. On s'est entretenu souvent, longuement, de bien des choses au sujet du Québec depuis quelques années. J'ai retenu de son exposé, d'abord qu'elle a travaillé sur un texte aussi, comme nous, ce qui ne l'a pas empêchée de parler, de dire ce qu'elle pensait du fond des choses. Je lui dirai deux, trois choses. D'abord, ce n'est pas juste une préférence, parce que je trouverais cela plus amusant, "peuple", parce que "peuple" c'est ce qui est dans le droit international...

Mme Chaput-Rolland: Deux, monsieur, ou trois.

M. Johnson (Anjou): Vous permettez, madame. Je considère qu'il y a un peuple au Québec qui s'appelle le peuple québécois et je trouve que cela serait une bonne idée que dans le reste du monde les gens le sachent. Deuxièmement, Mme Chaput-Rolland se réjouit de ce qui s'est passé, surtout autour d'une notion - la reconnaissance de la société distincte - indépendamment des impacts juridiques qui sont difficiles à calculer à ce stade. Je vous dirai: Pour moi, c'est l'évidence. Je trouve que ce n'est pas une grosse victoire pour le Québec d'avoir obtenu, imaginez-vous! la reconnaissance de l'évidence qu'on est différent. Cela fait trois cents ans qu'on survit sur le continent, c'est que c'est cela qui est évident. Je peux difficilement voir là une grande victoire, sinon que de constater, ma foi, peut-être que l'hystérie que madame décrivait tout à l'heure, qui a prévalu au Canada anglais à la suite de l'élection du Parti québécois, est en train de donner lieu à un comportement un peu plus calme, qui amène aussi les gens à reconnaître des évidences. Je ne peux pas y voir une grande victoire si cette

reconnaissance de l'évidence n'est pas accompagnée d'instruments pour développer le Québec. C'est clair qu'il n'y a pas l'ensemble des instruments en matière linguistique. C'est clair qu'il n'y a pas d'instruments qui nous garantissent l'authenticité de notre peu de marge de manoeuvre quant aux valeurs, par le Code civil. C'est clair qu'il n'y a pas de reconnaissance explicite du pouvoir du Québec sur le plan international. C'est surtout clair que le Québec ne possède pas plus d'instruments aujourd'hui qu'il n'en possédait il y a cinq, dix ou vingt ans, pour planifier dans un secteur extrêmement important dans les années quatre-vingt, qui sont toutes les politiques de main-d'oeuvre.

Mme Chaput-Rolland, vous parliez de l'âme des Québécois. Vous la sentez, dites-vous. Moi aussi, disons que je la sens aussi des fois. Je me sens un peu plus normand, parce que je sais que la signature des conditions comme cela, avec le refus pour le Canada de reconnaître les instruments qui viennent avec la reconnaissance de l'évidence, cela ne fait pas ouvrir un dossier, cela risque de le fermer. Je pense que les Québécois peuvent comprendre cela et que -et je suis d'accord avec ce que M. Daniel Latouche disait ce matin dans Le Devoir -ce qui compte, ce qui est important c'est que cela ne fait que commencer. C'est un peu comme une séance de psychothérapie. Le mari a reconnu que sa femme existait, est un être différent, mais il la voit juste encore dans les chaudrons, et il la voit encore en: Non, tu n'as pas le droit de travailler, non, tu n'as pas ta marge de liberté. Il reconnaît que la conjointe, dans la séance de psychothérapie, est un être libre. Maintenant il faut qu'il reconnaisse les instruments de sa liberté.

Le Président (M. Filion): Je remercie le chef de l'Opposition. Le temps... Oui, Mme...

Mme Chaput-Rolland: Est-ce que je pourrais juste ajouter quelque chose? Je pense qu'il y a un malentendu. Lorsque la commission Pepin-Robarts a décidé, non pas de mettre de côté, mais de choisir l'expression "société distincte" au lieu de "peuple québécois", cette distinction ne s'appliquait pas uniquement aux mots "peuple québécois". Elle s'appliquait quand on les mettait, en peuple fondateur, au rappel des autochtones qui se sentaient lésés dans leur présence avant la nôtre sur ce continent. C'est dans ce contexte que nous avions décidé de les laisser, et c'est dans ce contexte, moi, je préfère les mots "société distincte", par respect pour d'autres peuples qui étaient ici.

Le Président (M. Filion): Merci. Comme je l'ai dit, le temps de parole des membres de l'Opposition est épuisé. II reste encore une douzaine de minutes au groupe ministériel. Je vais reconnaître maintenant M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémillard: Mme Chaput-Roiland, je veux vous remercier pour votre témoignage particulièrement éloquent. Vous avez parlé de l'âme du peuple québécois et je sais que vous avez parlé en toute sincérité parce que, justement, par vos écrits, par vos témoignages, vous avez su à maintes reprises traduire cette âme québécoise dans ce qu'elle comprend de plus vibrant. Vous nous avez donc dit de façon particulièrement éloquente aujourd'hui que, selon vous, l'entente du lac Meech était une entente historique. Vous avez fait une relation directe avec le rapport de la commission Pepin-Robarts dont vous étiez et à laquelle vous avez apporté une contribution substantielle. Vous avez fait cette relation et elle est particulièrement intéressante à faire dans les circonstances.

L'un des grands mérites de la commission Pepin-Robarts aura été de situer ce concept de dualité canadienne dans une dimension nouvelle, disant: La commission Laurendeau-Dunton a reconnu les deux peuples fondateurs, mais, depuis, se sont produit des événements de différentes natures et à différents niveaux. Ces événements ont fait qu'il est apparu un phénomène social, politique et économique qui a concrétisé le fait que le Québec est une société distincte. C'est là une grande contribution du rapport Pepin-Robarts.

Je sais que c'est une décision qui n'a pas été facile à prendre, mais vous l'avez prise, vous, membres de la commission, en toute lucidité, à la suite de grands débats. Vous l'avez fait en reconnaissance d'une situation qui s'est développée depuis et qui nous a permis, à nous, qouvernement du Québec, de mener ces négociations au lac Meech. Vous, Mme Chaput-Roiland, M. Beaudoin, qui avez siégé à ces commissions Laurendeau-Dunton et Pepin-Robarts, je tiens à vous dire que vous avez pavé la voie à cette entente que nous avons faîte au lac Meech, où - et vous l'avez souligné, madame, à très juste titre - l'unanimité a été faite sur le fait que le Québec forme une société distincte. Les neuf autres premiers ministres des provinces canadiennes et le premier ministre du Canada ont unanimement reconnu que le Québec forme une société distincte.

Nous prenons le mot "société" et non pas le mot "peuple". Le mot "peuple" est employé dans la constitution canadienne. Il est employé à l'article 35 de la constitution canadienne pour parler des droits des peuples autochtones. L'exemple que vous avez donné, madame, concernant votre expérience chez

les autochtones pendant l'étude qui vous a amenée à ce rapport de la commission Pepin-Robarts était un exemple particulièrement bien à propos. Le mot "peuple" existe déjà, mais, nous, nous considérons que le Québec est une société parce que, en plus d'être des hommes ,et des femmes qui vivent ensemble par un élément qu'ils ont en commun, c'est-à-dire cette spécificité de langue et de culture, nous sommes différents aussi par nos institutions, par notre façon de vivre, par notre régime social et par notre façon d'être, notre âme, comme vous le dites si bien, madame. C'est cette reconnaissance de notre spécificité que nous avons maintenant dans ce terme "société distincte" que nous utilisons. (13 h 15)

Lorsque le rapport Pepin-Robarts a été rendu public, je mentionnais tout à l'heure qu'il avait reçu plusieurs réactions très favorables, même parmi les membres du gouvernement du Québec. M. Claude Morin, qui était alors ministre des Affaires intergouvernementales - et je le cite tel que c'est rapporté dans Le Devoir du samedi 27 janvier 1979, un article signé par le journaliste, M. Bernard Descôteaux - disait: "De façon globale, M. Morin voit dans ce rapport une analyse poussée des problèmes politiques canadiens et québécois, analyse qui conduit à des conclusions inéluctables dont la reconnaissance de la société québécoise comme société distincte." Un peu plus loin: "La reconnaissance du caractère distinctif de la société québécoise et la possibilité qui en découle pour le Québec d'exercer des pouvoirs que n'exerceraient pas d'autres provinces."

Voilà pourquoi nous avons utilisé ce concept de société distincte. Pour marquer d'une façon claire et évidente, comme d'ailleurs le chef de l'Opposition qui était alors ministre des Affaires canadiennes l'a mentionné aussi en 1985 dans un important discours qu'il faisait à l'Association des professeurs de droit du Québec, lorsqu'il disait, et je le cite textuellement: La spécificité du Québec ne se résume, pas au facteur linguistique. Bien sûr, cette spécificité est fondée sur une langue et sur une culture différentes de celles de l'ensemble du Canada, et la spécificité du Québec se définit par cette majorité que nous sommes, nous, francophones. Nous avons une minorité anglophone qui a des droits et vous avez raison, madame, de dire que cette minorité doit avoir des droits. Nous vivons dans une société démocratique et cette minorité est un enrichissement pour notre société québécoise. Mais cette société québécoise est différente aussi par une façon d'être, par une façon de se comporter, par la façon dont elle est organisée. Un peuple n'est pas nécessairement politiquement organisé. Une société peut être un peuple, mais un peuple n'est pas nécessairement une société. Il y a l'élément politique, l'élément institutionnel, l'élément qui fait que nous sommes distincts dans un contexte que nous avons voulu décrire en fonction d'instruments qui nous permettent maintenant de garantir cette sécurité culturelle si importante pour le Québec.

Lorsque le chef de l'Opposition, madame, vous disait: Le lac Meech, c'est la reconnaissance d'une société distincte, mais il n'y a pas d'instruments, il oublie malheureusement ce que nous avons obtenu concernant l'immigration, des pouvoirs qui nous permettent de faire face à ce taux de natalité si faible au Québec, des pouvoirs nouveaux; il oublie de parler de cette limite du pouvoir de dépenser que nous avons obtenue. Il évite aussi de parler de cette possibilité que nous aurons maintenant de pouvoir fournir cette liste de candidats pour la nomination à la Cour suprême pour les juges qui représentent le Québec, le droit civil; et il oublie de mentionner que c'est une première étape, comme vous l'avez aussi si bien fait valoir, madame. Il y aura d'autres conférences constitutionnelles: à chaque année, une conférence constitutionnelle. Aussi, un élément très important que vous avez fait valoir - je me permets de le souligner parce qu'il se réfère encore directement au rapport Pepin-Robarts c'est cette conférence des premiers ministres sur l'économie. Un nouveau forum est créé qui pourra travailler en étroite collaboration avec d'autres instances de notre fédéralisme et qui pourra faire en sorte qu'on pourra dégager maintenant de plus en plus un principe qui était au fondement du rapport Pepin-Robarts, soit le fédéralisme coopératif, un fédéralisme qui se fonde sur la vigueur de ses provinces et de ses régions, un fédéralisme qui fait en sorte que les objectifs nationaux soient assez forts, assez cohérents pour nous permettre de vivre ensemble en fonction de nos spécificités mais aussi de notre identification à un idéal commun.

Mme Chaput-Rolland, en terminant, je voudrais vous poser simplement la question suivante: Est-ce que vous croyez que le moment est venu en fonction de cette entente de signer, de procéder et, dans une deuxième étape, d'aborder d'autres sujets que comme Québécois on doit réclamer concernant le partage des compétences, concernant bien sûr la réforme des institutions, ou si on devrait comme le laissent supposer d'autres personnes, continuer à négocier pour tenter d'avoir je ne sais trop quoi?

Mme Chaput-Rolland: M. le ministre, vous posez là une question qui est en dehors de ma compétence. Ce que je lis dans le communiqué du lac Meech est un départ vers

quelque chose de sûrement plus grand, plus précis. Je crois que le chef de l'Opposition, quand il demande qu'au plus vite vous, les esprits juristes et constitutionnalistes, receviez des papiers qui vous confirment de façon légale et officielle tout ce qui est contenu dans ces pages-là, qu'aussitôt que vous aurez ces papiers, il ne faut pas attendre pour signer, parce que l'unanimité qu'il y a eu est un fait tellement rare dans ce pays qu'il faut saisir l'occasion quand elle passe, mais non pas se précipiter tête baissée pour signer. Quand vous aurez la compréhension totale de ce qui se passe et que nous, ce peuple dont vous parlez beaucoup, tous ensemble, quand nous aurons aussi compris un peu mieux, je pense que le temps sera plus que venu de signer.

M. Rémillard: Madame, le plus sincèrement possible, je veux vous remercier de votre contribution.

Mme Chaput-Rolland: Merci.

Le Président (M. Filion): Et à mon tour, Mme Chaput-Rolland, au nom de tous les membres de cette commission, de vous remercier à la fois pour votre exposé ainsi que pour votre obligeance à vous soumettre à cette période d'échange de points de vue.

Mme Chaput-Rolland: Merci.

Le Président (M. Filion): Nos travaux sont suspendus jusqu'à 16 h 30.

(Suspension de la séance à 13 h 24)

(Reprise à 16 h 37)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission des institutions poursuit donc ses travaux. Je rappellerai notre mandat, soit d'entendre "les représentations de ses membres, de personnes et d'organismes relativement à l'entente intervenue le 30 avril 1987 au lac Meech concernant la constitution du Canada".

Avant de laisser la parole à notre invité qui a déjà pris place à la table - je l'en remercie - je voudrais, pour le bénéfice des membres de la commission, vous faire part de l'ordre du jour de notre journée de demain, le jeudi 14 mai: À 10 heures, M. Léon Dion, professeur de science politique à l'Université Laval; à 11 h 30, MM. Jacques-Yvan Morin et Daniel Turp, professeurs en droit international à l'Université de Montréal; à 15 h 30, Me Robert Décary, analyste en droit constitutionnel de Hull; à 17 heures, Mme Andrée Lajoie, professeure en droit de l'Université de Montréal; à 20 heures, M. Pierre Blache, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke. Donc, nos travaux commenceront demain, à 10 heures. Je vois que M. Fernand Dumont....

Question de règlement sur

l'utilisation de tableaux et

la transmission de leur image

M. Lefebvre: M. le Président, je m'excuse. Avant que nous reprenions les travaux avec l'intervention de M. Dumont -je m'excuse auprès de lui - je voudrais, dans un premier temps, vérifier avec vous l'imbroglio qu'on a vécu hier autour des techniques de télévision pour la séance qui s'est tenue entre 16 heures et 18 heures, ou à peu près, lesquelles techniques ont été modifiées lors de la reprise des travaux à 20 h 15. Je fais particulièrement référence à l'utilisation des tableaux par le ministre Rémillard; cette utilisation des tableaux était très importante et on aura, possiblement, l'occasion de réutiliser cesdits tableaux.

M. le Président, on se souviendra qu'en début de séance, hier après-midi, les techniciens ont pris en gros plan ces tableaux, alors que la technique était différente à la reprise des travaux à 20 h 15. Les informations qu'on nous donne, c'est que des instructions ont été données dans ce sens aux techniciens. J'aimerais savoir de votre part si les vérifications ont été faites et, si oui, pour quelle raison le ministre a été privé d'un instrument de travail qui, d'un côté comme de l'autre, avait été considéré comme admissible, mais qui, dans les faits, a été utilisé, j'oserais dire, à 50 % de sa capacité ou de son utilité.

Alors, j'aimerais, M. le Président, dans un premier temps, que vous me donniez des explications relativement au changement de cap et, également, si on peut avoir l'assurance que, si, éventuellement, on utilisait à nouveau ces tableaux, il y aura gros plan sur lesdits tableaux, de sorte que le public qui suit le débat à la télévision puisse lire les textes en question adéquatement.

Le Président (M. Filion): Alors, sur cette question de règlement du leader adjoint du gouvernement, M. le député de Gouin.

M. Rochefort: Merci, M. le Président. Dans un premier temps, on me permettra sûrement de préciser, sinon de corriger une affirmation du leader adjoint du gouvernement, lorsqu'il dit "tableaux qui avaient été acceptés d'un côté comme de l'autre". Il n'y a pas eu de demande pour savoir s'ils étaient acceptés, on les a vu apparaître. Donc, on n'a jamais sollicité, de part et d'autre, d'une façon ou d'une autre, à un moment ou à un autre, un accord quelconque de qui que ce soit de ce côté-ci de la table. Jamais, au

cours des discussions qui ont précédé l'organisation des travaux de la commission, il n'a été fait état qu'il y aurait des tableaux d'un côté ou de l'autre. Donc on n'a pas eu à les accepter, M. le Président, on a eu à les voir.

Deuxièmement, effectivement, j'avais observé que le ministre utilisait des tableaux. On a vu quelle était l'utilisation qui en était faite par le ministre et quel était le produit télévisuel qui en était tiré. À l'occasion, on a eu des gros plans de tableaux, où on ne voyait d'ailleurs que les tableaux. À d'autres moments, on a l'occasion de voir le ministre en train de pointer du crayon un paragraphe ou un autre, une ligne ou une autre, une expression ou une autre qu'on retrouvait sur un de ces tableaux. M. le Président, nous avons effectivement attiré l'attention de la présidence de l'Assemblée nationale sur cette question. À partir de la pratique et des règles entourant la télédiffusion des débats à l'Assemblée nationale, qui ne sont pas des règles de télédiffusion d'éléments visuels, de présentation d'un point de vue ou d'un autre, de soutien à un point de vue, à une opinion ou à un plaidoyer d'un membre de l'Assemblée nationale ou un autre, mais qui sont un élément de télédiffusion de débats et donc, par définition, de gens qui débattent de questions et donc de parlementaires...

Comme je l'exprimais hier, on n'a aucune objection à ce que le ministre utilise des tableaux, à ce que la télédiffusion des débats nous présente le ministre présentant ses tableaux, mais il est clair, M. le Président, que nous souhaitons que la règle qui a été toujours appliquée par le Service de télédiffusion des débats continue de l'être, à savoir qu'il ne s'agit pas d'un service de télédiffusion d'éléments visuels mais d'un service de télédiffusion de débats, et donc de ceux qui débattent de questions et donc de parlementaires. M. le Président, il y a de nombreux précédents de décisions -notamment, je me souviens, de M. Richard Guay, alors qu'il était président de l'Assemblée nationale - quant à l'utilisation de tableaux dans le salon bleu et il y a eu, hier, une directive du président de l'Assemblée nationale, le député de Saint-Jean, pour faire en sorte qu'il n'y ait pas que la présentation d'éléments visuels mais qu'on retrouve toujours sur le petit écran au minimum le ou la parlementaire qui a la parole, avec ou sans tableau, ce que nous reconnaissons pleinement.

Finalement, M. le Président, je dirais que pour nous non seulement il s'agit d'appliquer ce qui a toujours été appliqué, mais qu'il faut éviter tout précédent qui pourrait être créé et venir changer le fonctionnement du Service de télédiffusion des débats.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le député de Gouin. Je crois comprendre qu'il y a une autre intervention sur la question de règlement. Étant donné que nous avons des invités devant nous, avec votre permission, je vais reconnaître une autre intervention de chaque côté, à ta suite de quoi je vais me juger suffisamment informé. Je pense que vous pouvez me faire confiance là-dessus. Donc, dans ce sens, je vais reconnaître une autre intervention de chaque côté. M. le député de Marquette ou M. le député de Notre-Dame-de-Grâce?

M. Dauphin: Vous avez dit une, M. le Président?

Le Président (M. Filion): Non, une intervention de chaque côté.

M. Lefebvre: M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: Dans un premier temps, pour reprendre l'argumentation du député de Gouin, il n'y a pas eu d'acceptation comme telle, sauf qu'il y a eu une acceptation tacite de l'utilisation des tableaux puisque à partir du moment où le ministre Rémillard les a utilisés, cela n'a pas été contesté. D'ailleurs, il aurait été mal venu de contester une habitude qui existe autant en commission qu'à l'Assemblée nationale, à savoir l'utilisation de textes ou de tableaux qui permettent à l'intervenant de bien faire la preuve du point qu'il développe. (16 h 45)

Quant au précédent auquel a fait référence te député de Gouin, M. le Président, je vous rappellerai que tes tableaux en question ont été utilisés à plusieurs reprises au cours des six, sept ou dix dernières années, c'est reconnu. Encore faut-il que l'utilisation en soit faite de façon adéquate et intelligente. C'est dans ce sens, M. le Président, que je vous invite à donner instruction, pour l'avenir, afin qu'il puisse y avoir des gros plans des tableaux.

Quant à la décision de la présidence, si c'est le cas, M. le Président, je dois vous mentionner qu'en aucun moment, de notre côté, nous n'avons été informés que la présidence aurait donné des instructions dans ce sens aux techniciens de la télévision, décision à laquelle a fait référence le député de Gouin. Jamais de notre côté nous n'avons été informés que le président de l'Assemblée nationale aurait demandé aux techniciens d'agir autrement à 20 h 15 hier soir qu'à la séance de 16 heures à 18 heures.

J'aimerais, M. le Président, que cette information à laquelle a fait référence le député de Gouin, cette décision de la présidence soit vérifiée et que nous soyons de notre côté informés de toute cette

histoire. Je considère que c'est très important, vu le préjudice que le ministre a pu subir dans la démonstration qu'il a faite hier et qui, cependant, et on nous en a parlé, était quand même très éloquente. Cela aurait été normal et respectueux que le ministre puisse utiliser le tableau qu'il avait sous sa main à ce moment.

Le Président (M. Filion): D'accord, je vous remercie. Est-ce qu'il y a d'autres interventions du côté de l'Opposition. M. le député de Gouin.

M. Rochefort: M. le Président, nous n'avons pas d'intervention. Tout ce que nous souhaitons c'est que, compte tenu que l'invité de l'Opposition et des membres de la commission est présent parmi nous, nous commencions immédiatement le témoignage de l'invité, M. Fernand Dumont, que voua preniez en délibéré cette question et qu'on en discute à nouveau à l'ouverture d'une prochaine séance.

M. le Président, nous considérons que l'ordre du jour est d'entendre le témoin qui a été convoqué par la commission. La même politesse qui s'est appliquée pour M. Beaudoin et Mme Chaput-Rolland devrait s'appliquer aussi à M. Dumont.

Le Président (M. Filion): D'accord. Premièrement, je voudrais vous signaler que l'enveloppe de 90 minutes qui est consacrée à entendre M. Dumont - que je voudrais remercier immédiatement de sa patience -est intacte. Deuxièmement, en ce qui concerne la question de règlement soulevée par le député de Frontenac, je vais la prendre en délibéré étant donné, d'une part, que je veux vérifier Ies décisions précédentes qui ont été rendues, et, d'autre part, étant donné aussi qu'il a été fait allusion à une décision du président de l'Assemblée nationale. Je vais faire les vérifications qui s'imposent et demain, dans le cours de l'avant-midi, je rendrai ma décision à cet effet tout en comprenant que votre question de règlement ne portait pas sur l'utilisation des tableaux par le ministre, mais bien plutôt sur la transmission télédiffusée des images du tableau lorsque le ministre y faisait allusion.

Ceci étant dit, à moins qu'il n'y ait d'autres questions de règlement...

M. Lefebvre: M. le Président, avec votre permission. Est-ce que vous pourriez reconnaître, pour une très courte dernière intervention, M. le ministre.

M. Rémillard: Sur cette question, M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le ministre, comme j'ai dit tantôt, je me considère suffisamment informé sur ce point. Je l'ai signalé tantôt, nous avons des invités. Je pense que de part et d'autre on reconnaît le bien-fondé de recevoir adéquatement nos invités. En ce sens, je suis suffisamment informé. Si vous insistez, M. le...

M. Rémillard: J'insiste respectueusement, M. le Président. Je voudrais tout simplement vous dire que j'aimerais, parce que j'ai subi préjudice, pouvoir récupérer le temps que j'ai perdu et qui n'a pas été, d'une façon efficace comme on l'avait prévu, utilisé. C'est cela que je veux dire, M. le Président.

Ce que je veux dire, M, le Président, si vous me permettez... Me donnez-vous la permission d'expliquer ce que je veux expliquer?

Le Président (M. Filion): Je pense que j'ai compris.

M. Rémillard: Tout simplement c'est que...

Le Président (M. Filion): Ce à quoi vous faisiez allusion. M...

M. Rémillard: ...je fais allusion, M. le Président, si vous me permettez de compléter...

Le Président (M. Filion): Oui.

M. Rémillard: ...au fait que j'ai eu une directive qui m'est arrivée au moment où je faisais mon intervention avec les tableaux. Je voulais utiliser ces tableaux. Il est arrivé une intervention, on me disait qu'il y avait une directive de la présidence.

Or, M. le Président, je crois qu'il faut vérifier si vraiment il y a eu une directive de la présidence. C'est sous cette raison qu'il y avait directive de la présidence qu'on a, paraît-il, donné des instructions et que j'ai fait mon exposé sans pouvoir utiliser les tableaux, qui étaient destinés à donner une meilleure information possible, une meilleure compréhension possible des cinq points de l'entente du lac Meech.

Ma conclusion est donc: J'ai subi préjudice et si ce préjudice est une conséquence directe de quelque chose qui n'aurait pas dû se faire, je voudrais qu'on répare ce préjudice en ne comptabilisant pas mon temps.

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin, une dernière intervention sur la même question de règlement.

M. Rochefort: Un dernier commentaire, M. le Président. Je suis surpris que le préjudice arrive au moment où M. Dumont est présent pour se présenter devant nous,

alors que ce matin, au moment de la présentation de M. Beaudoin et de Mme Chaput-Rolland, le ministre ne semblait pas avoir subi quelque préjudice hier. D'autre part, M. le Président, je vous inviterais à demander au ministre de mettre fin à ces mesures dilatoires et de permettre à M. Dumont d'être entendu comme les autres témoins qui ont été entendus jusqu'à maintenant par notre commission.

Le Président (M. Filion): D'accord. Donc...

Une voix: Mais là, on me dit...

Le Président (M. Filion): La question... Non, à l'ordre, s'il vous plaît!

M. Rémillard: Non, M. le Président, écoutez...

Le Président (M. Filion): La question... À l'ordre, s'il vous plaîtl

M. Rémillard: Un instant! Je vais vous dire pourquoi j'interviens comme cela.

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! La question de règlement a été prise en délibéré.

M. Rémillard: ...question de m'excuser...

M. Lefebvre: II veut s'excuser auprès du monde.

Le Président (M. Filion): Je me considère comme étant suffisamment informé à ce stade-ci. Je vous informe de nouveau que ma décision sur la question de règlement sera rendue demain.

Audition (suite)

À ce stade de nos travaux, et tout en remerciant encore une fois M. Dumont de sa patience, je lui laisse donc la parole en rappelant qu'une enveloppe de 90 minutes est consacrée, laquelle enveloppe se divise comme suit: 20 minutes pour son exposé et les 70 minutes demeurantes étant divisées à parts égales entre les deux groupes.

M. Dumont, bienvenue et à vous la parole.

M. Fernand Dumont

M. Dumont (Fernand): M. le Président, je ne m'attendais effectivement pas à me trouver dans un débat que j'appellerais pédagogique, ce qui d'ailleurs ne me rend pas distrait par rapport à ce qu'est mon métier habituel. C'est à partir de ce métier que j'ai l'intention de m'adresser à vous tous. J'ai l'intention de parler en tant que citoyen, bien sûr, mais aussi en tant qu'universitaire à qui son métier a pu apprendre quelque chose d'utile sur la question qui nous occupe. Sans tomber dans la réthorique, j'en fais une question d'éthique professionnelle et je dirais même, si vous me le permettez, de morale civique.

Je vais centrer mes considérations sur une partie du texte qui nous occupe, qui n'est pas comme chacun le sait un texte constitutional, mais qui est une sorte de déclaration de principes. Je vais centrer mes considérations sur une partie du texte, celle qui concerne le Québec comme société distincte. Vous avez déjà entendu et vous entendrez ces jours prochains des experts en droit et particulièrement en droit constitutionel qui vont s'attacher aux aspects techniques des questions en cause. Mais, comme chacun le sait, les aménagements juridiques concernent des réalités, des réalités qu'il faut bien définir de quelque manière, je dirais, de façon préalable avant que le droit s'en empare, avant que le droit doive s'en emparer.

C'est pourquoi donc j'ai pensé m'écarter un peu des discussions strictement constitutionnelles dans lesquelles je ne suis guère compétent d'ailleurs, pour m'attarder à ce que je crois savoir un peu, c'est-à-dire à des réalités que l'on qualifie d'ordinaire de sociologiques. Je vais diviser le bref exposé que je vais faire en trois parties.

En premier lieu, j'essaierai de me demander: Qu'est-ce donc qu'une société distincte? Je vais me poser la question comme si j'étais ailleurs qu'ici, c'est-à-dire comme si j'étais, je ne sais, en Turquie ou en Albanie ou si quelqu'un me la posait dans ce qenre de pays. Qu'est-ce donc qu'une société distincte? Il paraît que vous avez une société distincte. Qu'est-ce que vous entendez par cette expression? En deuxième lieu, je dois me demander, mais je n'aurai pas tellement de mal à répondre, je pense: En quoi le Québec est-il une société distincte? En troisième lieu, me référant è mon premier point et à mon deuxième point, comme aurait dit un prédicateur de jadis, je vais vous proposer quelques observations sur la déclaration du lac Meech.

M. le Président, je n'ai pas de texte. Je vais utiliser des notes, ce qui est dangereux. Je peux donc dépasser le temps qui m'est alloué. Vous voudrez bien me prévenir à temps surtout que, par le plan que je viens de proposer, j'ai promis beaucoup et je pourrai tenir très peu.

Que faut-il entendre par société distincte? Ce n'est pas le lieu de proposer une sorte de théorie sociologique, bien sûr, de la société distincte. Il s'agit simplement de tenter de cerner quelque peu ce dont on parle. Puisqu'on en parle, il faudrait savoir de quoi nous parlons. Contrairement aux constitutionnalistes, j'imagine que j'ai besoin

de me justifier un peu.

Supposons, M. le Président, que nous sommes dans un tribunal, vous êtes le juge et je suis un psychiatre. Le prévenu, il est question de savoir s'il souffre de schizophrénie plutôt que de troubles maniacodépressifs. Vous me poseriez normalement la question: Dites-nous un peu ce qu'est la schizophrénie ou les troubles maniaco-dépressifs? Analogiquement, bien entendu. Si vous me demandiez: Qu'est-ce que c'est une société distincte? Je vous dirais tout d'abord: C'est un groupement humain par référence.

J'entre dans des notions sur lesquelles je ne m'attarderai pas, qui me paraissent assez simples. Je distinguerais aussitôt de ce qu'on appelle, nous en sociologie, des groupements par appartenance, c'est-à-dire une famille, un petit groupe, là où les gens sont liés entre eux par des liens affectifs. Je distinguerais d'avec ce qu'on appelle aussi des groupes par intégration, c'est-à-dire une organisation, par exemple, une usine où les gens sont liés entre eux par une sorte de distribution formelle, parfois très juridique, des rôles, des statuts, de ce qui doit constituer leurs interrelations respectives. Quand je dis groupement par référence, je renvoie à quoi? Je renvoie à classe sociale, une nation, un peuple, une église si vous voulez, c'est-à-dire, des groupements humains où on ne peut pas se rallier aux critères de l'appartenance, puisque les individus, par définition, la plupart du temps ne se connaissent pas réciproquement. Ce qui fait qu'un ouvrier de Saint-Henri et un ouvrier de Saint-Sauveur appartiennent à une même classe sociale, ce n'est pas parce qu'ils se sont rencontrés ou qu'ils entretiennent des relations quotidiennes, c'est parce qu'ils ont foncièrement un certain nombre d'éléments qui les situent dans une condition semblable. Et puis, une nation, un peuple, ce n'est pas non plus un groupe par intégration, qui ressemblerait à une usine ou qui ressemblerait è ce qu'on appelle parfois une société ou, en tout cas, à ce qu'on appelle couramment une organisation où tout serait organisé, tout serait intégré d'une manière juridique, mais où on ne sentirait plus ce qui fait la référence - je reprends mon expression - la référence commune des individus qui appartiennent à un même ensemble.

Que faut-il donc entendre par référence? Ce n'est pas un ensemble de données objectives. Par exemple, une nation. Quand on regarde la diversité des nations dans le monde, cela peut renvoyer à une langue, à un état, à une religion, à une ethnie. On peut trouver toutes sortes de facteurs de ce genre et faire une longue liste. Tous ces cas se rencontrent dans l'examen que l'on peut faire de ce que j'appelle des groupements par référence à travers te monde, en particulier les peuples et les nations. Aucun facteur - il faut le dire d'une manière tout à fait objective -n'est indispensable, mais il en faut quelques-uns, dans chacun des cas concrets que nous connaissons, pour qu'une nation, un peuple, ce que j'appelle une société par référence, existe. C'est parce que ces données apparemment objectives que sont la langue, disons le droit civil dans notre cas, ou d'autres données de ce genre, parce que ces données sont avant tout des données symboliques. (17 heures)

Qu'est-ce que cela veut dire des données symboliques? Cela veut dire une symbolique quotidienne. Peter Berger, un sociologue américain que j'aime beaucoup, dans un petit article un peu humoristique sur la nation, dit à peu près ceci: Si vous voulez savoir en quoi il y a une nation française, demandez-vous ce que quotidiennement perdrait un Français qui quitterait la France. La liste serait longue. On pourrait se poser la même question pour un Québécois, pour un Ontarien, pour un Américain, etc. Il y a donc une sorte de symbolique quotidienne. Et puis, il y a une mise en forme de cette symbolique, je dirais, une officialisation de cette symbolique. La Déclaration d'indépendance des États-Unis, la constitution du Canada, d'autres textes du même genre, constituent, officiellement pour ainsi dire, pour une société distincte, pour une nation et pour un peuple, constituent ce que j'appelle encore une fois sa référence.

Je conclus mon premier point là-dessus. Ce que nous appelons une société par référence, ce que nous appelons, pour être fidèles à ce qui se dit ces temps-ci, une société distincte, ce n'est pas nécessairement une société où existe l'homogénéité ethnique, l'homogénéité religieuse, ni même, fatalement, l'homogénéité linguistique. C'est une société où l'un ou quelques-uns de ces facteurs existent. C'est une société où il y a ce que j'appelle une sorte de conscience historique, c'est-à-dire le sentiment qu'on se réfère à un passé commun, à un passé - je le dis aussi bien, disons, pour des émigrés récents que pour des émigrés plus anciens -qui n'appartient, au fond, à aucune des composantes, mais à un passé que chacune des composantes veut bien partager en commun, veut bien assumer, pour ainsi dire, pour faire l'avenir.

Ces phénomènes, on a l'air d'être obligé d'y insister au Québec, mais ce sont des phénomènes sociologiques courants qu'on rencontre dans tous les pays du monde, dans toutes les nations du monde. Tout au long de l'histoire, des hommes se sont ralliés à une histoire que leurs ancêtres n'avaient pas nécessairement vécue de cette façon, mais à une histoire qu'ils voulaient épouser, qu'ils voulaient continuer en commun.

Cette référence dont je parle est essentielle pour deux raisons. Elle est

essentielle - parce qu'il s'agit de choses concrètes; il ne s'agit pas de poésie - pour que l'individu puisse se référer à une identité, puisse avoir une identité. Encore une fois, ce n'est pas vrai simplement pour les Québécois, c'est vrai pour tout le monde. Deuxièmement, elle est essentielle pour que, dans une société donnée, les gens puissent communiquer entre eux, malgré les différences, grâce aux différences.

Une société distincte donc, je dirais, c'est une société qui possède une référence, qui l'entretient, qui la développe, par exemple, en produisant une littérature, des arts, des sciences, en alimentant les institutions qui soutiennent cette référence, que ce soit, dans notre cas, le droit civil, l'Assemblée nationale ou d'autres institutions du même genre, une référence qui lui permet de s'enrichir des apports qui viennent de l'étranger et qui permet aussi d'enrichir ce qui n'est pas elle par ses propres apports. Dans le rapport Durham, celui-ci disait: Ce peuple est un peuple sans histoire. Je parie qu'il voulait dire: Ce peuple est un peuple sans référence.

Je passe à mon deuxième point rapidement. En quoi, dans cette perspective, le Québec est-il une société distincte? Ne cherchons pas, ce serait contradictoire avec ce que je viens de dire, à faire une liste de traits culturels distinctifs. Sommes-nous distinctifs à cause de la soupe aux pois, de la chaise berçante, du folklore, etc.? C'est sûr que, si on faisait une liste pareille, on serait débouté à chaque coup. La chaise berçante, nous ne l'avons pas inventée. Une partie de notre folklore, nous ne l'avons pas inventée non plus. Quant è la presse périodique, quant à la télévision, nous ne les avons pas inventées non plus.

Si on voulait faire une sorte de liste des traits culturels qui nous caractérisent et qui nous permettraient de définir la notion de société distinctive, je pense que nous serions à la fois futiles et certainement comiques. Après la conquête - ne vous en faites pas, je ne vais pas vous refaire l'histoire du Québec ou du Canada, c'est simplement pour vous donner un exemple -on a été obligés, ici, de s'interroger sur ce qu'était notre référence et on a trouvé des choses relativement simples: la coutume de Paris, la religion et la langue. Des choses simples, je veux dire, à la fois des symboles d'identité et des pouvoirs pour défendre cette identité, l'assurer, lui donner une continuité historique.

Je dis que je ne referai pas l'histoire du Québec parce que, d'une part, on y décèle effectivement cette continuité et, d'autre part, on y décèle aussi, disons surtout depuis 30, 40 ans, des discontinuités. C'est-à-dire que cette référence s'est modifiée. On n'a pas besoin d'insister longtemps pour dire que notre droit civil, par exemple, s'est singulièrement transformé et qu'il est à la veille de connaître d'autres transformations - je pense aux mariages et à d'autres situations, d'autres domaines - et que la religion qui, il y a peu, constituait une caractéristique - ce qui semblait évident - de notre identité, ne constitue plus de toute évidence un trait distinctif qu'on pourrait comme cela admettre et même inscrire dans une constitution.

Donc, d'une part il y a toujours eu des traits et - je le répète - des pouvoirs aussi qui pouvaient supporter, incarner, promouvoir ces traits culturels et, d'autre part, il y a eu une sorte d'évolution qui n'est pas simplement une dénégation mais qui est le signe même de la vitalité.

Il reste quoi aujourd'hui? Si nous nous demandons en quoi cette société est une société distincte ou si nous nous demandons, pour reprendre mon expression de tout à l'heure, en quoi cette société a une référence, il ne reste à mon avis qu'une chose, il ne reste que la langue, ce sur quoi, je crois, nous ne pourrions pas discuter plus longtemps. Si nous ne sommes pas d'accord sur cela, ma foi, oublions la notion de société distincte. Il reste la langue. S'il ne reste que la langue, à première vue, c'est bien peu. C'est bien peu s'il s'agissait seulement, lorsqu'il est question de langue, de transmettre des messages dans un médium particulier, disons, faute de bilinguisme ou d'espéranto. La langue n'est pas d'abord un instrument de communication des messages. Ou plutôt, si elle est effectivement un instrument de communication des messages, elle l'est parce qu'elle transforme, elle transpose des aspirations secrètes comme elle est capable d'exprimer les plus hautes aspirations. Et la langue - je me permets d'insister un peu sur cela - renvoie à des pouvoirs.

Le Président (M. Filion): M. Dumont, à votre invitation, pour vous signaler le temps qui coule, il vous reste moins de cinq minutes pour votre exposé.

M. Dumont: Bon, il reste moins de cinq minutes.

Le Président (M. Filion): À moins que les membres ne consentent à une extension, on verra tantôt.

M. Dumont: Non, non, je vais essayer de respecter cela aussi.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie.

M. Dumont: On peut revenir sur ces divers points. Il me restait simplement à insister à propos de ce deuxième point de mon exposé sur une question qui est

fondamentale. Je disais à l'instant que si la langue n'était qu'un instrument de transmission des messagea - disons un instrument de traduction - nous n'aurions guère de problème, sauf, semble-t-il, ces jours-ci avec les services de sécurité du Canada. La langue, encore une fois, renvoie non seulement à une réalité concrète mais elle renvoie à des pouvoirs. Je prends deux exemples - je ne les prends pas, je les cite rapidement, nous y reviendrons si vous vouiez. Par exemple, on discute beaucoup actuellement à travers le monde, non seulement au Québec, du français en tant que langue scientifique. Ce n'est évidemment pas la question de savoir si on peut parler en français dans un congrès. Il s'agit de savoir si la diversité de la science de la recherche dans le monde peut s'exprimer selon la diversité et la recherche des diverses langues.

Un chercheur comme Migué a montré -c'est mon deuxième exemple - que dans le problème du développement économique du Québec il n'y avait pas simplement une question d'investissement ou de pauvreté relative des groupes en présence, mais un véritable problème de communication, c'est-à-dire un système de promotion, un système de circulation de l'information, etc., qui fait que l'information, la communication y compris celle qui s'exprime dans une langue ou dans une autre, est aussi un facteur économique, un facteur de pouvoir.

J'en arrive à mon troisième point, c'est-à-dire aux observations sur le texte en cause. Je ne m'attarderai pas aux passages -je l'ai dit au départ - qui concernent autre chose que cette notion de société distincte, bien que je voudrais noter que, si cette notion est présente dans le texte, c'est parce qu'elle devrait normalement concerner l'ensemble du texte et que si, pour ma part, je m'attarde sur ce qui, dans la déclaration, concerne cette notion de société distincte, je ne perds pas de vue qu'elle devrait, à moins que ce soit un pur effet de rhétorique, concerner l'ensemble. Je voulais m'attarder un peu sur cela mais je passe rapidement. Il s'agit toujours pour moi de savoir, à la lecture de ce texte, de quelle société distincte il s'agit? Je lis l'article (l)a): "la reconnaissance que l'existence d'un Canada francophone, concentré mais non limité au Québec, et celle d'un Canada anglophone, concentré dans le reste du pays mais présent au Québec, constituent une caractéristique fondamentale de la Fédération canadienne;" Cet énoncé correspond en gros, je dirais, à la réalité, à condition d'y apporter des nuances importantes.

Première nuance: anglophones et francophones, les expressions qui sont utilisées dans ce texte, ce doit être manifestement entendu dans le sens de "parlant anglais" et de "parlant français", parce que nous connaissons tous, les uns et les autres, l'existence d'importantes minorités au Canada et au Québec dont la référence, au sens où je l'entendais tantôt, n'est ni anglaise ni française. Je pense en particulier, mais pas seulement, aux peuples amérindiens. Notons aussi - c'est ma deuxième remarque -que les proportions, lorsqu'il s'agit de cette société bilingue qui tantôt pèse dans un sens de la balance, tantôt dans l'autre, sont inégales. Autrement dit, j'en reviens à ce que je disais il y a un instant. Nous ne pouvons discuter de ces questions, les inscrire ou les traduire dans des textes juridiques sans nous demander de quel poids de réalité il s'agit.

Par exemple - c'est un exemple parmi bien d'autres, n'est-ce pas? - selon des analyses qui ont été faites sur le recensement de 1971, cela veut dire il y a plus de quinze ans, 4 % des Canadiens français hors Québec parlaient français en famille. Eh bien, s'il est vrai que la référence dont nous parlons, c'est quelque chose de concret, que ce ne sont pas simplement des déclarations juridiques qui sont fort utiles - remarquez que je ne les méprise pas - mais, si elles doivent correspondre à la vie quotidienne, si nous voulons savoir de quoi nous parlons quand nous voulons élaborer ou signer des constitutions, voilà un élément qui me semble capital, c'est-à-dire: Est-ce que la référence est simplement une sorte de déclaration abstraite sur le bilinguisme qui devrait régner partout dans ce pays ou si cela se réfère à la réalité, c'est-à-dire à l'usage concret que l'on fait, dans la vie quotidienne, de la langue que l'on prétend défendre ou préserver?

Je note, enfin - cela me paraît extrêmement important - que le texte en question accorde à la langue, comme facteur de distinction, une importance primordiale dans la définition du Canada. Il faudra nous en souvenir quand il s'agira de définir dans un texte constitutionnel le caractère distinctif du Québec.

Quand on dit qu'il ne faut pas de critères limitatifs, qu'il ne faut pas faire la liste par crainte, disait M. Beaudoin ce matin, que cette limitation nous interdise d'ajouter quelques facteurs au cours de l'évolution future, je ne peux pas manquer de constater que, dans le texte qui nous occupe, il y a déjà un facteur limitatif, c'est-à-dire que, lorsque l'on y parle d'anglophones et de francophones, on parle de gens qui parlent anglais ou français.

Je lis encore - j'achève - le...

Le Président (M. Filion): M. le professeur, de consentement, vous pouvez poursuivre votre exposé au-delà de la période prévue.

M. Dumont: Vous en êtes sûr? Je ne

veux ennuyer personne.

Le Président (M. Filion): Certainement. Soyez très à l'aise...

M. Dumont: Bon.

Le Président (M. Filion): ...le consentement vient des deux groupes. Soyez à l'aise. Poursuivez, je vous en prie.

M. Dumont: Je lis encore, au paragraphe (2): "Le Parlement et les Législatures des provinces, dans l'exercice de leurs compétences respectives, prennent l'engagement de protéger la caractéristique fondamentale du Canada mentionnée au paragraphe (l)a)." Qu'est-ce à dire? Que, dorénavant, toutes les provinces seront bilingues. Je ne veux pas discuter ici d'unilinguisme ou de bilinguisme en soi; je constate simplement, toujours dans la ligne de cette espèce de réalisme qui m'inspire depuis que j'ai commencé, que, dans les autres provinces du Canada, la langue de référence commune - elle n'a pas besoin d'être déclarée langue officielle comme chacun sait, elle l'est dans les faits - c'est l'anglais. (17 h 15)

En pratique, dans la réalité, dans la pratique, ce qu'on nous a promis depuis longtemps, ce que nous promet à nouveau le texte qui nous intéresse ici, toute modification sur ce point n'aura d'autre effet que de permettre l'usage du français en certaines circonstances et, pour reprendre la formule célèbre, là où le nombre le permet. Au Québec, et heureusement, je le souligne, la situation, dans les faits toujours, est tout à fait différente. Cela, chacun le sait. Le principe du bilinguisme partout, sous couvert de rendre justice à tout le monde, loin d'éclairer la réalité, dans le cas qui nous occupe, la masque.

Je le répète, à quoi s'engage-t-on au juste? La question n'importe pas seulement pour les Québécois, elle importe pour nos concitoyens des autres provinces. La politique linguistique que nous nous sommes donnée, après avoir été démantelée au nom de la déclaration fédérale des droits, le sera-t-elle davantage par le recours à pareil énoncé constitutionnel? Il me paraît évident qu'une société distincte, et distincte avant tout par la langue, doit être éclairée sur ce point. Il m'apparaît inconcevable qu'un texte constitutionnel, qu'un pareil texte, dont l'objectif, comme tous les textes constitutionnels, est d'éclairer les citoyens et les législateurs sur leur commune référence, provoque au contraire de nouvelles confusions là où il y en a déjà beaucoup.

En définitive, il est indispensable, à mon avis, que le futur texte constitutionnel nous dise ce qu'il faut entendre par société distincte. Nous avons besoin de le savoir au Québec, nos concitoyens des autres provinces ont besoin de le savoir aussi. Un accord constitutionnel, n'importe quel accord, suppose que les gens qui s'entendent savent sur quoi ils s'entendent.

Je ne suis pas naïf. Je sais fort bien qu'il n'est pas question de traduire une théorie sociologique dans un texte juridique. Il ne s'agit pas d'énumérer tous les traits qui nous distinguent, il en est un et lui seul suffirait, je pense, c'est la langue française. Cela se dégage, je pense, de l'exposé que je viens de faire. On éclairerait tous les esprits, on nous rassurerait sur la portée pratique des principes si, dans le futur texte constitutionnel, on mentionnait que le critère pour comprendre que le Québec forme une société distincte c'est que le français y est la langue officielle avec les conséquences qui s'ensuivent.

Il faudrait revenir - j'espère que nous aurons l'occasion d'y revenir dans la discussion - à savoir - c'est une question importante - si ces fameux critères de la société distincte doivent être renvoyés aux tribunaux. J'ai des choses là-dessus si on m'interroge sur la question.

Merci, M. le Président. Je m'excuse d'avoir dépassé l'heure qui m'était allouée.

Le Président (M. Filion): C'est bien, c'est moi qui vous remercie, M. le professeur, de votre exposé. J'inviterais, sans tarder, le chef de l'Opposition à amorcer les échanges avec vous.

Une voix: Combien de temps?

Le Président (M. Filion): De chaque côté de la table il reste une enveloppe de 31 minutes et demie.

Une voix: Environ 30 minutes.

M. Johnson (Anjou): Merci, professeur Dumont. Permettez-moi de dire, pour les fins de notre auditoire, que je connais la modestie qui caractérise le grand universitaire que vous êtes. Je sais que votre plus grand titre, celui que vous invoquez tout le temps, c'est celui d'être simple professeur à l'Université Laval, mais on sait aussi que vous êtes président de l'Institut québécois de recherche sur la culture. Vous êtes également un président d'importantes associations sur le plan sociologique, y compris l'Association internationale des sociologues de langue française. Ce que vous appelez modestement, encore une fois, ce que votre métier vous a permis d'apprendre, je pense nous éclaire beaucoup.

Mes propos seront extrêmement brefs. Je veux que l'essentiel de la demi-heure qui vient vous soit consacrée, étant donné qu'on vient d'entrer dans le coeur du sujet à la fin

de votre exposé.

Vous avez établi que pour faire référence à une société distincte, un peuple, une nation, il faut voir quelles en sont les caractéristiques. Pour prendre des mots de tous les jours pour les gens, vous disiez: quand on regarde historiquement, c'est quoi le Québec? Cela a été la religion, la langue, la coutume de Paris qui est devenue, on le sait, par la suite le Code civil.

Quand on regarde l'entente du lac Meech, on évoque la notion d'une société distincte et ce qui reste de ces trois traits, nous dites-vous, dans notre histoire, ce qui est le plus évident, c'est celui de la langue. Celui de la religion, je pense que cela tombe un peu sous le sens commun que c'est moins évident que cela ne l'a déjà été dans notre société. Celui du Code civil, il existe, il est une des formes d'expression de notre distinction mais il a été, on le sait, largement influencé par le droit nord-américain. Il reste la langue et vous attirez notre attention sur le fait que ce qui est paradoxal, c'est que dans l'espèce de tête de chapitre qui s'appelle "Le caractère distinct du Québec", essentiellement ce qu'on définit, c'est que le Canada, et le Québec y compris, sont bilingues et qu'il sera de la responsabilité du Parlement fédéral et de toutes les Législatures du Canada, y compris celle du Québec, de respecter ce caractère fondamental de la fédération comme le dit le texte.

J'aimerais peut-être, pour vous permettre de continuer plus loin dans ce que vous aviez amorcé, vous dire, je pense, que c'est précisément comme cela que Alliance Québec l'a compris aussi. Cela me permet d'ajouter à votre réflexion quand on voit dans le mémoire qu'Alliance Québec a présenté l'an dernier au Sénat canadien, un mémoire dans lequel pour Alliance Québec le caractère distinct de la société ne peut se comprendre qu'à la lumière de la dualité linguistique. Je ne me trompe donc pas, je présume professeur, en disant que ce que nous avons devant nous comme texte ne dit pas que le Québec est distinctif par la langue française. Il devrait peut-être le dire.

Deuxièmement, je vous permettrai dans cette partie de votre exposé ou de votre réponse, de nous parler aussi du pouvoir des tribunaux par opposition à la responsabilité des élus dans un domaine aussi important.

M. Dumont: Lorsqu'on parle de société distincte, je n'ai pas pu beaucoup insister là-dessus, mais, toujours dans la volonté d'être fidèle à la réalité qui est extrêmement complexe, là-dessus, je ne suis pas sévère pour le texte que nous avons devant nous parce que je suis très conscient, quelles que soient les options des uns et des autres, de la réalité dont il s'agit qui est extrêmement complexe, et quand on prétend - et on doit prétendre - y mettre un peu d'ordre et un peu de clarté, c'est extrêmement difficile. En tout cas, moi c'est dans cette perspective que je me place. C'est pourquoi, lorsqu'il s'agit de savoir en quoi le Québec est une société distincte, je suis, encore une fois, extrêmement conscient du fait que ce n'est pas facile à définir. Si nous étions, disons, dans beaucoup de pays que nous connaissons - dans tous les pays que nous connaissons existe une très grande diversité, ce n'est pas le problème de la diversité qui fait question, ce n'est pas le problème des respects des différences qui fait question, il y a toujours une diversité car les pays ne sont pas des tribus - mais si nous étions dans d'autres sociétés où existent quand même, je dirais des choses qui semblent acquises. N'allons pas très loin, au Canada anglais, je le disais tantôt et sans aucune méchanceté je vous l'assure, je disais qu'il y a une lanque commune, il y a une langue officielle. On serait d'ailleurs étonné, on trouverait drôle qu'on prétende, disons en Ontario, faire des lois là-dessus; c'est entendu, c'est là...

Dans le cas du Québec, il faudrait évidemment faire l'histoire pour s'en expliquer, mais chacun de nous a un peu à l'esprit les éléments essentiels. Dans le cas du Québec, la question est infiniment plus complexe. Mon collègue Léon Dion le soulignait dans son article, il y a peu de temps, il existe au Québec, au fond, depuis très longtemps, deux sociétés; c'est-à-dire des sociétés qui ont chacune leurs institutions respectives, et c'est important de s'en souvenir si on ne veut pas céder à une sorte d'idéalisme de la société distincte. C'est une société distincte, disons comme hypothèse, mais c'est une société distincte d'une nature assez particulière. Je pense que nous devons tous être d'accord pour respecter cette réalité concrète. Pendant longtemps, il y a eu ici deux sociétés distinctes, c'est-à-dire deux réseaux d'institutions, avec chacune leur logique, et cela, l'histoire, la sociologie... Je pense à une monographie comme celle de Hugues sur Drummondville que j'aurais pu recommencer à mon compte pour la localité d'où je viens, c'est-à-dire Montmorency, c'est-à-dire des Anglais qui occupent tous les postes importants à l'usine et de la main-d'oeuvre francophone. Encore une fois, je connais cela par expérience. C'est une loi sociologique dont on retrouve les échos ailleurs. Â mon avis, cela ne sert à rien de revenir indéfiniment là-dessus et de refaire éternellement ce procès. Ce qui est important, c'est de nous placer aujourd'hui et de nous dire: Voici devant quelle réalité nous sommes.

C'est pour cela que je dis: Nous ne pouvons pas simplement nous contenter de parler d'une société distincte sans nous assurer entre nous, parmi les groupes très

différents qui composent le Québec, d'une sorte de critère. Puisqu'il s'agit de droit, nous devons, je crois, nous assurer d'une sorte de critère. Ma foi, à mon avis, il ne reste que la langue. Quand je dis qu'il ne reste que la langue, je ne veux pas dire qu'il faut imposer à tous nos concitoyens de parler français dans leur famille sans quoi nous allons leur envoyer la police. Quand je dis la langue, je veux simplement dire qu'entre nous, parmi les groupes très différents qui constituent actuellement le Québec et qui, d'ailleurs, vont accentuer sans aucun doute leurs différences, il nous faut bien une langue de communication sans quoi chacun de ces groupes va devenir une sorte de groupe marginal. Chacun de ces groupes, sous prétexte de la respecter - je n'aime pas beaucoup ce genre d'hypocrisie - va pour ainsi dire se situer en marge de la société que pourraient dominer, pour changer un peu, les francophones, ce que je ne souhaite évidemment pas.

Donc, quand je me réfère au critère de la langue, je ne pense pas simplement à la grosse minorité francophone que nous formons en Amérique du Nord et même au Canada. Je pense à la nécessité qu'existe, dans ce qu'on appelle, semble-t-il avec unanimité, une société distincte, à ce qu'existe un lieu, non pas d'aplatissement des différences, mais de convergence, de dialogue des différences.

M. Johnson (Anjou): Professeur Dumont, quand vous parlez d'un lieu de convergence et de dialogue autour de la langue française, peut-être que le creuset, le lieu de rencontre, de dialogue ou d'intégration - je ne parle pas d'assimilation cela doit être la langue pour que la société reste distincte. Est-ce que je vous ai bien compris?

M. Dumont: Oui. Mais encore une fois, j'y vois une sorte de critère clair. Je sais qu'on discute depuis - avec raison d'ailleurs -longtemps, et en particulier depuis le début des travaux de cette commission, à savoir si, lorsqu'on parle de société distincte, il faut inscrire toutes les caractéristiques dont on parle. Je suis très conscient, je suis d'accord là-dessus, il ne faut pas faire cela, c'est certain. Mais il faut quand même avoir quelques critères, quelque éclairage, je dirais, toujours dans la perspective, à mon avis, que la langue n'est pas une sorte de caractéristique comme si on avait, quelques uns d'entre nous, une sorte de marque quelque part, de tatouage qui nous ferait reconnaître parmi les nations du monde. Il ne s'agit pas de cela. Il s'agit de savoir s'il y a un rapport, dans une société distincte de toujours, entre la façon de s'exprimer, la façon de vivre et la façon de communiquer. Donc, je n'en fais pas une sorte de pis-aller, si vous voulez, ou de siqne distinctif que chacun devrait porter comme la marque qui fait qu'il appartient bien à la société distincte, mais j'en fais, ayant éliminé pour ainsi dire tout ce qui pourrait s'imposer à des gens qui habitent le Québec malgré leurs différences, pour ainsi dire, la caractéristique évidente de cette société. (17 h 30)

M. Johnson (Anjou): Professeur Dumont, dans l'article touchant le caractère distinctif du Québec qu'on retrouve dans le projet d'accord du lac Meech, on définit clairement, et je voudrais juste être sûr que je ne travestis pas vos propos... Il y a une chose qu'on définit clairement, c'est la caractéristique fondamentale du Canada, c'est-à-dire une forme de bilinguisme. Mais on ne définit pas pour autant, une fois qu'on dit que le Québec est une société distincte, quoi que ce soit. On se comprend bien? C'est l'objet de votre propos?

M. Dumont: C'est un point que je crois avoir effectivement souligné tout à l'heure au cours de mon exposé, à savoir que, lorsqu'il s'agit de ce qu'on appelle dans le texte la caractéristique fondamentale du Canada, la référence manifestement - à moins qu'on soit odieux, encore une fois, vis-à-vis de la diversité des cultures qui existent au Canada et, en particulier, vis-à-vis des Amérindiens - lorsqu'on parle d'une dualité comme caractéristique fondamentale, c'est à la langue qu'on renvoie. Donc, il y a un critère précis.

Quand on parle du caractère distinctif du Québec, à mon avis, il n'y en a pas. Cela ne veut pas dire qu'il ne pourrait pas y en avoir. Je pense qu'on est ici, non pas pour simplement dire qu'il n'y en a pas dans le texte, mais pour espérer qu'il y en ait un et que, par conséquent, ce qu'on peut comprendre dans un paragraphe du texte, on puisse aussi le comprendre de façon aussi nette dans le paragraphe suivant.

M. Johnson (Anjou): II est évident que la marge de... Au-delà de cette question de rédaction qui n'est pas exactement un détail, car cela va au coeur du problème et du caractère le plus évident historiquement de la distinction du Québec, qui est celui de la langue et de la capacité pour le Québec d'avoir les pouvoirs de décider des questions qui touchent la langue sur son territoire, au-delà de cela, même en admettant que le gouvernement ou que les premiers ministres se réunissant à Ottawa trouvent une formulation plus précise et disent, dans le fond, de la même façon qu'on considère qu'en général la caractéristique de l'ensemble canadien, à l'exclusion du Québec, la référence est de langue anglaise - même s'il y a des gens bilingues - que, dans le cas du Québec, ce devrait être le français, croyez-

vous qu'il faille aller plus loin ou laisser cette question entre les mains des juges? Je sais que vous avez dit des choses et que vous avez déjà émis des opinions sur le râle des juges dans un système de droit comme le nôtre. Croyez-vous que c'est à l'Assemblée nationale du Québec d'occuper, dans les questions linguistiques, une large part de la définition des responsabilités, des devoirs, des obligations et des droits à l'égard des questions linguistiques? Ou croyez-vous, au contraire nécessaire de référer cela, en général, à l'interprétation des tribunaux qui sont appelés à faire bien plus que seulement de l'interprétation des droits, mais littéralement à créer du droit, au fur et à mesure que la jurisprudence avance, notamment dans l'application de la charte canadienne? Laquelle des deux voies privilégiez-vous?

Je sais qu'un certain nombre de juristes, de sociologues ou de citoyens privilégient nettement le rôle des tribunaux en se disant qu'il y a là une espèce de garantie d'indépendance, de distance et de sagesse, et d'autres qui considèrent que cela devrait être une responsabilité des élus dans une question - et c'est mon avis à moi -aussi fondamentale que celle de ce trait si profondément distinctif qui est le nôtre.

M. Dumont: Nous savons tous, même ceux parmi nous qui ne sont pas des juristes, que le pouvoir judiciaire a pour fonction -c'est inscrit, à ma connaissance, dans les textes juridiques de tous les pays que nous connaissons - de créer du droit aussi, c'est certain, et non simplement une sorte de mécanique qui ne fait qu'appliquer ou traduire des textes législatifs.

Je ne suis pas le premier à souligner qu'il y a un danger - que d'ailleurs les juristes eux-mêmes soulignent et non seulement les sociologues - partout répandu dans nos pays occidentaux, de renvoyer aux organismes judiciaires le soin de traduire, d'une manière un peu concrète, des déclarations de principe ou des réglementations très générales. Je dirais qu'on n'a pas de difficulté à s'expliquer cela. On peut le dénoncer, mais il faut quand même l'expliquer. La vie sociale est devenue tellement complexe, les différences dont je parlais tantôt sont devenues tellement nombreuses, qu'on comprendrait fort bien que le législateur hésite à descendre dans tous les détails. Je dirais qu'il faut d'ailleurs lui être reconnaissant de ne pas le faire, sans cela il enserrerait la vie de sociétés qui évoluent très rapidement dans des maillons qui deviendraient autant de prisons pour ainsi dire. Mais, dans certains cas - et je crois que c'est un de ces cas qui nous occupe - il faut que le législateur, je crois, soit capable de dire, non pas, encore une fois, en faisant une sorte de théorie sociologique, mais, par quelques critères un peu précis, ce qu'il entend par les notions qu'il utilise.

Cette notion de société distincte, je suis très heureux qu'enfin elle soit rendue, non seulement sur la place publique, mais qu'elle menace, si je puis dire, de devenir enfin une notion juridique. Cette notion, à cause de son importance, des conflits qu'elle peut engendrer, des incompréhensions qu'elle peut susciter, voilà un cas, me semble-t-il -et je n'étendrai pas ma réflexion ou ma considération à tous les cas - où il me semble incontestable qu'on doive la préciser. Quand je dis "préciser", je ne veux pas dire en faire une sorte de théorie sociologique qu'on transcrirait dans un code de droit -même si je ne suis pas juriste je ne suis pas naïf à ce point là - mais de la préciser par quelques critères qui puissent guider, non seulement les juges qui après tout, j'en suis certain, sont aussi intelligents que les législateurs, mais pas nécessairement davantage, mais de guider aussi les simples citoyens qui doivent s'intéresser à ce genre de débat et y comprendre quelque chose. Je ne ferai pas une sorte de théorie générale selon laquelle il faut absolument lutter en toutes circonstances contre l'abus des interprétations des tribunaux. Je pense que dans des sociétés extrêmement complexes comme le sont les nôtres, il faut effectivement - le législateur n'a pas le choix - définir des grands paramètres et laisser les tribunaux, qui eux ont affaire à des cas très concrets, créer une sorte de jurisprudence, c'est-à-dire de droit qui s'applique à la diversité des cas et des situations. Cela ne doit pas nous entraîner, encore une fois, à une sorte de loi générale selon laquelle ce que je viens de dire vaudrait dans tous les cas. Il me semble que sur une question aussi capitale qui est au centre même du texte qui nous occupe et qui sera au centre, j'en suis sûr, de l'entente constitutionnelle, il nous faut quelque éclaircissement, aussi bien pour les juges que pour les simples citoyens que nous sommes.

M. Johnson (Anjou): M. Dumont, vous avez parlé, d'une part, de la nécessité au moins de préciser une chose autour de la notion de société distincte, c'est-à-dire le caractère francophone du Québec, pour que ce soit un guide, un phare, quelque chose de clair pour les tribunaux, faute de quoi on est obligé de s'en remettre à l'autre paragraphe qui dit qu'on est dans l'océan bilingue, vous avez aussi parlé dans votre exposé initial des pouvoirs qui viennent avec le fait d'être distinct. Je vous fais donc déborder probablement de la dimension purement linguistique, mais j'ai cru comprendre dans la première partie de votre exposé que, dans votre esprit, une fois qu'on a déterminé un certain nombre de caractéristiques ou qu'on regarde historiquement quelles sont les

caractéristiques de cette société ou de ce peuple québécois, il y a des pouvoirs qui venaient avec. Quelle est la nature des pouvoirs, qui viennent avec cela, que vous voyez autour de la société distincte qui doit être qualifiée par le fait qu'elle est française?

M. Dumont: Sur la première question, j'ai mentionné tout à l'heure des exemples -au fond des exemples simplistes - sur lesquels, je crois, tout le monde est d'accord ici sans qu'on ait à épiloguer beaucoup. Je prenais l'exemple de la langue scientifique. Le grand journal de physique - vous voyez je viens d'employer un anglicisme - la grande revue de physique en Italie est dorénavant publiée intégralement en anglais, ce sera le cas sans doute pour les annales de l'Académie des sciences, ce n'est pas simplement une question de traduction. Il ne s'agit pas simplement de savoir si les scientifiques français sont capables de comprendre l'anglais, il s'agit de savoir si la cité scientifique, dans sa vie quotidienne, n'a à sa disposition qu'un seul langage qui est une sorte de langage universel.

Je disais la même chose. J'évoquais aussi les travaux de Migué sur la communication comme étant, disons, un facteur économique. Quand je dis communication, je dis effectivement langue, appartenance linguistique. Quand j'étais petit à l'usine de Montmorency qui vient de fermer, la grosse usine de textile dans ce temps, l'ingénieur de l'usine était un anglophone. Je ne lui en veux pas évidemment, mais c'était bien sûr parce qu'il y avait un système de communication qui faisait qu'au lieu d'engager un ingénieur civil sortant de l'université Laval, on allait le chercher à l'université McGilI. Encore une fois, je n'éprouve aucune colère particulière, je constate. Je constate donc que des communications linguistiques en particulier sont des facteurs économiques, c'est-à-dire des facteurs de pouvoir.

Cela étant dit, j'essaie de répondre à la deuxième partie de votre question. Si c'est vrai, quelle sorte de pouvoirs devrait être assorti à cette reconnaissance de la société distincte dont nous parlons qui, entre autres choses, de façon me semble-t-il assez évidente, est française? Française, je le dis comme référence et non pas française parce qu'on impose à tout le monde de parler français, cela est une autre histoire. Eh bien, quelle sorte de pouvoirs? À mon avis, ils sont relativement simples. Ils étaient à peu' près tous inscrits dans la Charte de la langue française. Je ne dis pas que cette charte n'aurait pas pu être modifiée, corrigée et améliorée, cela est une autre affaire, comme la future constitution devra l'être aussi au cours des temps, c'est clair. Mais il y avait dans cela à peu près toutes les indications, en particulier le fait que la langue n'était pas considérée simplement comme une sorte de principe abstrait dans ses usages, je dirais, dans la vie privée, mais que la langue française était considérée dans sa présence et par conséquent dans son pouvoir - pour reprendre mon expression - au sein de l'entreprise, par exemple. Les choses donc sont à peu près... Nous savons à peu près de quoi il s'agit. Si on ajoutait le droit, un certain droit de présence du Québec sur le plan international, qu'enfin, disons, cette présence du Québec soit définie d'une manière un petit plus précise. Cela découle un peu de mon premier point, si on s'entendait sur le fait que l'Assemblée nationale du Québec, et d'ailleurs je dirais que c'est presque déjà inscrit dans le texte qui nous intéresse ici, est la seule responsable du sort de la lanque au Québec. Je ne fais pas une liste exhaustive mais on voit un peu ce que signifierait, pour ainsi dire, la répercussion de cette référence à la langue, comme critère, pas te seul, mais comme critère un peu objectif de ce que nous voulons dire lorsqu'il s'agit de société distincte et de ce que nous entendons aussi comme conséquence de cette déclaration de principes.

M. Johnson (Anjou): Une dernière question, professeur Dumont, avant de vous laisser à mes collègues d'en face. Je sais que c'est un débat qui peut être très long mais peuple par rapport à société distincte, en trois minutes.

M. Dumont: C'est un peu, je crois, une sorte de - comment dire? - de querelle verbale. Mais j'entendais ce matin mon collègue qui est d'ailleurs mon collègue à l'académie, M. Beaudoin, analyser avec tellement de précisions, de détails techniques, des éléments juridiques, et je me dis, finalement, ce n'est peut-être pas futile de nous intéresser aussi à des détails linguistiques. Si j'avais à faire une distinction entre les deux, remarquez, elle est très précaire, j'imagine comme certaines distinctions juridiques d'ailleurs, je dirais que lorsque, un peu couramment, non seulement chez les sociologues mais je dirais dans la vie quotidienne, nous parlons de peuple, nous pensons presque spontanément à nation et nous pensons presque spontanément à culture. Quand je dis culture, je ne veux pas dire simplement l'orchestre symphonique évidemment, je veux dire culture, c'est-à-dire mode de vie quotidien caractéristique d'une population par rapport à une autre. Quand nous parlons société, je crois, assez spontanément les uns et les autres, nous renvoyons à une sorte de réseau d'institutions et parfois on va plus loin d'ailleurs, à un réseau d'institutions qui sont relativement intégrées, par exemple, parce

que ces institutions sont liées à un État particulier. C'est de plus en plus vrai quand on pense à l'importance qu'ont pris les système publics d'éducation, de santé, etc, Lorsqu'on pense à ce système d'institutions, on pense à une société et on pense un peu spontanément à ce qui en est pour ainsi dire l'organisme de coordination, c'est-à-dire à l'État. (17 h 45)

Si j'avais à proposer sommairement une distinction entre les deux notions, je dirais que ce ne sont pas des notions qui s'excluent, mais l'une insiste plutôt sur la culture et l'autre insiste plutôt sur un réseau d'institutions et, en particulier, sur les institutions étatiques. Ce qui cause évidemment un petit problème qui sera sans doute difficile à traduire en termes juridiques, c'est la question suivante: Est-ce qu'il est plus facile - j'imagine que c'est cela qui vous occupe quand vous discutez de ces notions, enfin, moi, je vous regarde faire - de définir ce qu'est un peuple spécifique ou si c'est plus facile de définir ce qu'est une société spécifique? À mon avis - n'y voyez pas, je vous en prie, quelque option nationaliste ou autre, mais voyez simplement une sorte de commodité de langage -lorsqu'on parle de société spécifique, on est obligé de quelque façon de faire référence à une sorte de peuple spécifique. Pour ainsi dire, c'est relativement plus facile de savoir ce qu'il y a de spécifique chez un peuple que de savoir ce qu'il y a de spécifique dans une société. Par exemple, si on avait à se demander - heureusement, nous n'avons pas à nous poser la question, cela semble réglé -en quoi le Canada est une société spécifique. Nous savons qu'il y a au Canada des institutions particulières. Il y a un Parlement, il y a des Parlements provinciaux, il y a une constitution, il y a donc beaucoup d'éléments qui font que le Canada est une société spécifique. Cela me paraît certain que le Canada est une société spécifique. Si on voulait aller plus loin et trouver quelques caractéristiques... Moi, j'ai toujours été un peu amusé quand j'ai lu les livres blancs du gouvernement fédéral et même ceux du gouvernement provincial - j'en ai écrit un en particulier, donc c'est un humour parfaitement désintéressé, comme vous voyez - du fait que, quand les gens s'attardent à savoir ce qu'il peut bien y avoir de caractéristique dans la culture canadienne, disons, alors là, je me le rappelle, il est question des grandes froidures du nord, des grands espaces. Bon, il faut bien trouver. Et ce n'est pas si bête que cela parce que la littérature d'un peuple, au fond, parle de ces choses, les évoque et c'est aussi un caractère distinctif. Quand on veut trouver des choses précises, lorsqu'il s'agit non pas de la littérature nationale, mais lorsqu'il s'agit d'une constitution, il faut bien en arriver à quelque chose d'un peu précis et je serais tenté de penser... Mais je n'ai pas de conclusion arrêtée là-dessus parce que je me dis: En définitive, c'est une question de mots et il s'agit de savoir ce qu'on y met. C'est possible que la notion de peuple soit un peu plus facile à cerner que celle de société. Mais, de toute façon, ce sont deux notions extrêmement difficiles et, moi, j'échangerais sans difficulté l'une pour l'autre à la condition qu'on sache - je ne fais que répéter ce que j'ai déjà dit - de quoi on parle.

M. Johnson (Anjou): Merci, M. Dumont,

Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître maintenant un intervenant du côté gouvernemental. M. le ministre.

M. Rémillard: M. le Président, avant, j'aimerais pouvoir illustrer mes questions à M. le professeur Dumont. J'aimerais me servir du tableau. Est-ce que la caméra pourra, à ce moment-là, montrer le tableau en gros plan?

Le Président (M. Filion): M. le ministre, vous étiez présent il y a quelques minutes lorsque la présidence vous a annoncé qu'elle avait pris en délibéré une question de règlement soulevée par votre propre leader, le leader adjoint du gouvernement. Deuxièmement, dans la question de règlement soulevée, il est fait référence à une tradition à l'Assemblée nationale, qui a été transmise par la présidence de l'Assemblée nationale. À ce moment-là, je pense que vous devinez facilement, M. le ministre, que, si une question de règlement devait être soulevée ou si vous persistez à vouloir utiliser vos tableaux, je devrai suspendre les travaux de cette commission pour me permettre de prendre connaissance de cette tradition à l'Assemblée nationale et de rendre une décision appropriée. Je crois que vous étiez présent lorsque tout cela a été mentionné.

M. Rémillard: M. le Président, je pense qu'avant tout, nous avons ici, devant nous, nous avons un témoin d'une très grande compétence. Je ne voudrais pas qu'un ajournement cause des difficultés ou quoi que ce soit. Mais je voudrais déplorer sincèrement le problème qui se pose ici et qui m'empêche d'utiliser un moyen pour donner l'information que je voudrais donner comme parlementaire.

Maintenant, M. Dion, excusez-moi, M. Dumont...

Le Président (M. Filion): M. le ministre, je suis obligé de vous rappeler...

M. Rémillard: Oui.

Le Président (M. Filion): ...à l'ordre. La présidence de cette commission a été saisie d'une question de règlement du leader adjoint du gouvernement sur laquelle elle a entendu les représentants des deux côtés de cette table qui se sont exprimés à trois reprises. À la suite de l'expression des commentaires, des opinions et des arguments de chacune des parties, il est apparu clair qu'une tradition existait ou pouvait exister à l'Assemblée nationale, donc nécessité m'est faite de me référer à cette tradition, ce que je ne peux faire immédiatement. Alors, ce sont les règles du jeu que se sont données les parlementaires que je suis chargé d'administrer.

À ce moment-ci, je vous invite donc, si vous le désirez, à amorcer la discussion avec notre invité.

M. Rémillard: M. le professeur Dumont, je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir accepté de venir témoigner devant nous et m'excuser aussi du petit contretemps du tout début de cette séance. C'était pour la reconnaissance d'un droit que je considère que j'ai, En fait, je ne m'attarderai pas plus longtemps sur ce point.

Je voudrais vous remercier de venir témoigner devant nous parce que je reconnais en vous un éminent universitaire. Vos travaux font autorité en sociologie au Québec et au Canada. C'est pour nous un très grand plaisir de vous avoir pour discuter des implications, de la signification de cette entente conclue au lac Meech.

Vous vous êtes attardé surtout, même exclusivement, au premier point de l'entente du lac Meech, c'est-à-dire en ce qui concerne la reconnaissance de la dualité canadienne et de la société distincte. Vous nous avez dit, professeur Dumont, que dans un premier temps il y a la reconnaissance de la dualité canadienne. Vous nous avez suggéré une expression autre qu'un Canada français, un Canada anglais. Cette remarque, je crois, est intéressante. On pourrait trouver d'autres expressions. Mais vous nous avez dit qu'il y a là des critères limitatifs parce qu'on limite la dualité à son aspect linguistique. Je crois que vous avez parfaitement raison. Lorsque vous nous avez présenté la reconnaissance de la société distincte, vous nous avez dit que, selon vous, il faudrait ajouter des éléments de définition. Vous aimeriez ajouter la langue pour montrer que l'élément de distinction est la langue. Vous avez reconnu que, bien sûr, en définissant, on limite la portée de ce caractère distinct, spécifique.

Professeur Dumont, si je vous disais que la spécificité du Québec, ce qu'on a appelé la différence québécoise, ne se résume pas au facteur linguistique, quelle serait votre réaction?

M. Dumont: Je serais, évidemment, tout à fait d'accord. Si j'avais, au lieu de discuter d'un texte à portée constitutionnelle, à discuter d'une théorie sociologique, c'est bien sûr que j'invoquerais d'autres facteurs, en particulier des facteurs historiques qui, d'une certaine façon, sont plus importants que la langue elle-même. Je pense que, là-dessus, tout le monde est d'accord. Tout le monde serait d'accord pour tenter une sorte de liste dont certains éléments, d'ailleurs, sont évidents. Le fait que nous disposions, par exemple, d'un Parlement au Québec, le droit civil qu'on mentionne constamment, le fait aussi - qu'on mentionne moins mais qui évidemment ne peut avoir aucune portée juridique - que dans la vie quotidienne, dans ce que j'appelais tantôt la symbolique quotidienne, la plupart d'entre nous nous parlons encore français, non pas à cause du Parlement, non pas à cause du droit civil, non pas même à cause de l'Église, mais parce que nous l'avons appris dans nos familles respectives.

Ce qu'il y a peut-être de plus spécifique au Québec c'est cette transmission quotidienne, de génération en génération, par des gens qui souvent n'avaient aucune instruction, la transmission d'une culture dont ils n'éprouvaient d'ailleurs pas le besoin de définir le caractère distinct parce qu'elle leur appartenait de par leur vie quotidienne et de par leur être profond. Si nous sommes obligés de parler de ces choses aujourd'hui c'est que nous ne pouvons plus nous contenter, c'est pour cela d'ailleurs qu'il faut des discussions constitutionnelles - on est tous d'accord là-dessus - nous ne pouvons plus nous contenter de ces caractéristiques qui allaient un peu de soi. Il faut donc préciser, parce que nos sociétés sont devenues diversifiées, parce que le Canada est devenu lui-même plus complexe, le Québec aussi depuis une vingtaine d'années. J'imagine que c'est l'effort que vous avez tenté au lac Meech - dont d'ailleurs certains éléments, je tiens à vous en rendre hommage, sont extrêmement intéressants -c'est ce que vous avez tenté parce que nous sommes forcés de le faire. Nous sommes forcés de définir des choses qui, pendant longtemps, sont allées de soi.

Je le disais un peu tout à l'heure, même les éléments sur lesquels nous pourrions assez facilement nous entendre les uns et les autres - disons, pour nous répéter, une fois de plus le droit civil - même des éléments comme cela ou des éléments qui, hier, semblaient entendus comme l'unanimité religieuse, nous sommes bien convaincus qu'il ne faut pas mettre cela dans la constitution. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Il ne faut pas mettre cela dans un texte constitutionnel. Même si on faisait une constitution pour le Québec tout seul, on ne devrait pas faire cela. La question qui est

décisive et je crois que c'est une question que vous discutez depuis le début avec raison parce qu'elle est très importante: Faut-il, à un extrême, ne rien indiquer?

Cela a des avantages, remarquez! Cela aurait Ies avantages d'alimenter pour longtemps encore les discussions constitutionnelles, c'est-à-dire, soit les discussions de cette conférence annuelle que vous prévoyez avec raison entre les premiers ministres, soit les discussions de la Cour suprême. Cela a aussi l'avantage, ne nous le cachons pas, de respecter une évolution sociale qui, au Québec, au Canada comme partout en Occident est très rapide. Mais cela a le désavantage encore une fois de ne pas cerner ce dont nous parlons quand nous utilisons une notion. Si on me dit... Je crois que certains juristes l'ont souligné, même des journalistes l'ont fait, ils ont dit: Si, par exemple, on se reportait à la commission Tremblay - cela ne remonte pas très loin -et qu'on se demandait qu'est-ce qu'ils entendaient par la spécificité de la société québécoise? Eux plaçaient sur le même plan la religion et la langue. Alors on pourrait bien se dire - je crois ce que c'est ce que mon collègue M. Beaudoin vous a dit ce matin: Ne mettez rien, parce que les choses changent très vite. Mais à ce compte-là, il ne faudrait pas faire de constitution. Il ne faudrait pas faire de législation. Nous faisons toujours des législations et même des constitutions de façon provisoire, pour une génération ou deux, parfois c'est plus long, parfois c'est plus court, c'est-à-dire pour appréhender la réalité et savoir comment nous allons nous y débrouiller.

Nous devrions avoir cette espèce de mobilité d'esprit, d'agilité, d'adaptation qui fait qu'on peut modifier les choses qu'on a d'abord définies d'une certaine façon. Regardez comme nous sommes aux prises actuellement avec le problème de la confessionnalité qui se trouve dans la constitution canadienne. Est-ce que nous allons dire: Les gens de 1867 n'auraient jamais dû parler de confessionnalité? Mais non, c'est un problème évident de leur temps. Ils en donc parlé et c'est à nous de modifier ce qui ne convient plus à notre époque, mais ce n'est pas une raison pour dire qu'à l'avenir nous ne définirons plus rien. (18 heures)

C'est un peu ma position. Si je retiens la langue dans cette perspective, ce n'est pas du tout dans le sens où je retiendrais trois ou quatre autres éléments qui peuvent être provisoires, c'est parce que je me dis: La langue, c'est une définition limite. On ne peut pas se tromper en inscrivant cela comme critère, parce que, s'il fallait que l'évolution noua amène à des changements tels que, dans 20 ans d'ici, ce critère ne nous conviendrait plus, une chose est certaine, c'est qu'on n'aurait plus besoin de parler de société distincte. Et du même coup, ce qui serait fané comme article dans la constitution le serait aussi dans les déclarations de principe. Voilà ce que je pense en toute simplicité. Encore une fois, je suis très conscient qu'il ne faudrait pas, dans une pareille constitution, faire des énumérations indéfinies de critères dont les uns vont peut-être disparaître demain ou les autres pourraient être déjà discutables entre nous. Mais si celui-là ne s'y trouve pas, encore une fois, je ne vois pas pourquoi on parlerait de société distincte, parce que je vous dis que si, dans 20 ans d'ici, il n'y a plus de français au Québec, ta notion de société distincte ne nous sera guère utile.

M. Rémillard: Professeur Dumont, je comprends donc que ce que vous nous suggérez, c'est de décrire la société distincte par l'ajout d'une référence directe à la langue française. C'est bien cela?

M. Dumont: Oui.

M. Rémillard: Oui. Le grand danger, comme vous l'avez souligné tout à l'heure, c'est que, ce faisant, on limite la spécificité du Québec à une question de langue ou de culture, puisque les tribunaux pourront utiliser la règle ejusdem generis pour donner une interprétation à cette spécificité dans le seul contexte d'une culture, d'une langue. Et j'ai cru comprendre tout à l'heure de par vos propos que, pour vous, le Québec est distinct, non seulement par sa langue, qui est une distinction principale, fondamentale, par sa culture, mais qu'il est aussi distinct par ses institutions, par le fait qu'il y a une majorité francophone, certes, mais qu'il y a aussi une minorité anglophone, qu'il y a des communautés culturelles, en fait tous ces éléments. Et, dans ce contexte, professeur Dumont, est-ce que vous avez étudié le dernier paragraphe de ce premier point de l'entente du lac Meech qui nous dit que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise mentionnée au paragraphe (l)b).

C'est-à-dire que, professeur Dumont, je me permets d'attirer votre attention sur ce point. Il n'y a pas trois, quatre, cinq ou six provinces reconnues comme distinctes dans la constitution canadienne. Il y en une. Il n'y a pas deux, trois, quatre, cinq ou six gouvernements ou Législatures provinciales qui ont te rôle de promouvoir leur spécificité, il y a une assemblée législative, il y a un gouvernement, et c'est celui du Québec. Lorsque vous dites, si on ne met pas un élément de référence directe, et vous suggérez la langue, pour préciser cette spécificité, cette distinction, on ne sait pas à quoi on

fait référence comme distinction. Je crois que ce sera un argument qui pourrait nous faire réfléchir très très sérieusement s'il y avait la reconnaissance d'une spécificité pour d'autres provinces canadiennes. Mais on le reconnaît strictement pour le Québec. Et on insiste ensuite sur le fait que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir, donc on se réfère directement à la capacité gouvernementale, législative, du Québec.

Quand vous disiez tout à l'heure - vous avez parfaitement raison de le dire - qu'il y a des critères limitatifs en ce qui regarde la dualité qui est limitée à la langue, parce que la dualité est linguistique alors que la spécificité n'a pas de critères limitatifs, on l'a voulu comme tel, professeur Dumont, pour ce que nous savons très bien, comme seul le Québec est reconnu comme société distincte, que ce n'est pas à cause de telle institution - je ne sais pas quelle institution - ce n'est pas à cause d'un autre élément quelconque mais c'est à cause d'une langue, d'une culture. Je pense que là-dessus on s'entend très bien. La situation dans laquelle nous sommes, professeur, c'est, d'une part, voir les avantages de définir cette société distincte par la langue face aux inconvénients de limiter la portée de l'interprétation judiciaire, étant donné qu'il n'y a qu'une province qui est reconnue comme distincte, étant donné qu'on donne à l'Assemblée nationale et au gouvernement le rôle de protéger et de promouvoir.

Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Dumont: J'ai insisté tout à l'heure moi aussi sur le fait - je pense que nous sommes parfaitement d'accord sur cela - que c'est très difficile de définir juridiquement, particulièrement au Québec - je crois avoir suffisamment insisté - ce qu'est la société distincte en question. Il y a manifestement, je le disais aussi, des avantages à l'ambiguïté. Il y a des avantages a l'ambiguïté, c'est-à-dire dans bien des cas -je pense que ce n'est pas vrai seulement de la constitution canadienne, c'est vrai de la constitution de tous les pays - l'ambiguïté a un certain flottement. Même en science on dit cela, Freud disait: II n'y aurait pas de développement scientifique si les concepts scientifiques n'étaient pas quelque peu ambigus, à condition qu'ils ne forment pas une espèce de système bien fermé. On est d'accord sur cela.

Il y a un abus des définitions, c'est vrai. Je crois cependant que, sans faire une liste - je m'oppose personnellement à cette liste, cela serait parfaitement futile et même ridicule - parmi tous les critères qui sont possibles et sur lesquels nous nous entendrions je pense, en tout cas sur certains d'entre eux, assez facilement entre nous, mais le consensus qu'on pourrait créer dans une conversation entre nous, c'est autre chose qu'un consensus inscrit dans une constitution, je crois toujours que, parmi ces critères, il y en a un qu'on peut retenir, non pas parce qu'il résout tous les autres, non pas parce qu'il nous dispense de tous les autres, mais parce qu'il nous éclaire de façon un peu convenable sur l'expression qu'on emploie lorsqu'on parle de société distincte.

Vous insistez avec raison - et à mon avis, effectivement, c'est un grand problème - en disant dans ce texte: II y a seulement le Québec qui est défini comme société distincte. Si j'étais Ontarien ou Manitobain, la première question que je poserais, c'est: En quel sens, s'il y a une société distincte qui s'appelle le Québec, le reste est-il distinct? À mon avis, du simple point de vue, je dirais, logique, antérieurement à toute inscription dans des constitutions, nous aurons droit à des discussions et à des échanges sur cela à moins que nos compatriotes, nos concitoyens, devrais-je dire, des autres provinces, ne soient pas aussi logiques, aussi raisonnables que nous le sommes, la raison et la logique n'étant pas heureusement le propre des sociétés distinctes. Alors, j'imagine qu'ils vont se demander eux aussi: Ils sont distincts dans ce coin, en quoi le sommes-nous nous aussi? Je me dis: Si on distingue une pomme d'une orange, on peut définir la pomme comme distincte mais on est obligé ensuite de définir l'orange comme distincte aussi. Je vous assure que je ne m'amuse pas quand je dis cela. J'essaie de prévoir les conséquences de ce point dans cette déclaration, des conséquences qui, encore une fois, ne nous concernent pas seulement nous au Québec, au point où nous pourrions simplement nous réjouir qu'enfin on reconnaisse notre existence légitime - je devrais dire la légitimité de notre existence - mais au point où pour le reste du Canada, tant que nou3 ferons partie loyalement du Canada comme citoyens, ces questions se posent déjà, se posent aussi et que nous ne pouvons pas simplement nous rassurer ainsi de savoir que nous sommes une société distincte que d'ailleurs nous n'osons pas définir.

J'en viens au troisième élément de votre question. C'est évident que j'ai lu le dernier paragraphe de la déclaration qui est, à mon avis, non seulement très important mais très émouvant. Je pense qu'on n'a jamais vu dans une déclaration officielle un texte aussi important que celui-là. Je tiens encore une fois à vous rendre hommage, de même qu'à M. Bourassa, d'avoir réussi à faire déclarer pareille chose dans une rencontre constitutionnelle.

Que nous dit ce texte? Il nous dit: L'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la

société québécoise mentionné au paragraphe (l)b). Je me dis que si l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont pareil rôle, un rôle qui, d'après ce texte, leur est déjà reconnu par avance, ne serait-il pas conséquent dès maintenant que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec disent ce qu'il faut entendre par cette société distincte qu'on les charge de protéger et de promouvoir?

Si je comprends bien, le gouvernement et l'Assemblée nationale vont avoir les mêmes problèmes que les juges. Ils vont avoir à se demander: Mais qu'est-ce que cette société distincte pour laquelle nous devons non seulement légiférer, mais, comme le dit très bellement le texte, que nous devons nous engager à protéger et promouvoir? Encore une fois, je ne veux pas engager une mauvaise polémique. Je tiens simplement à ce que nous sachions, les uns et les autres, ce qu'on entend par cette société distincte et, je le répète, nos concitoyens des autres provinces du Canada vont se poser normalement la même question.

M. Rémillard: Oui, de fait, professeur Dumont. Je voudrais tout d'abord, si vous me permettez, bien modestement recevoir avec un très grand plaisir votre hommage pour cette réalisation. Je communiquerai votre remarque au premier ministre. Il en sera très touché, venant de vous. Il reste quand même que vous avez étudié ce premier point, mais vous avez fait référence aussi, je crois, d'une façon peut-être un peu rapide, aux quatre autres points, c'est-à-dire l'immigration, la Cour suprême, le pouvoir de dépenser et le pouvoir de veto. Ce premier point est, en quelque sorte, une pierre d'assise de cette entente du lac Meech.

Par notre entente concernant la Cour suprême, nous avons la confirmation que trois juges sur neuf viendront obligatoirement du Québec. C'est dans la constitution. Nous participerons maintenant aussi au processus de nomination en ayant l'initiative même des nominations par une liste que nous proposerons au gouvernement fédéral.

En matière d'immigration, nous avons là un instrument extrêmement intéressant parce que nous pourrons nous assurer d'une sécurité culturelle qui nous manquait. Là, nous avons fait des gains tout à fait importants, essentiels pour nous comme survie d'une société distincte.

En ce qui regarde le droit de veto, on a récupéré ce pouvoir de dire non du Québec pour respecter son caractère distinct ou sa situation de partenaire majeur dans la fédération.

Quant au pouvoir de dépenser, qui pouvait nous causer des problèmes dans différents domaines culturels, dans différents domaines concernant notre existence comme société distincte, nous avons aussi la possibilité de le délimiter dans son application et de garantir un droit de retrait pour le Québec, comme pour les autres provinces, bien sûr, avec compensation financière.

Dans ce contexte, professeur Dumont, si - je fais l'hypothèse - il était ajouté un critère, concernant la spécificité du Québec, avec la langue française, est-ce que, dans l'ensemble, l'entente vous paraîtrait satisfaisante?

M. Dumont: Je vous dirai que non et je vais vous dire pourquoi. Ce n'est pas une question, encore une fois, de préjugé personnel. Je tiens d'ailleurs à vous dire dans quel contexte je dis non. J'ai mes idées personnelles, comme n'importe quel citoyen un peu raisonnable, sur la façon dont, dans un avenir plus ou moins lointain, nous allons dénouer ces problèmes dont nous discutons aujourd'hui et dont nous discutons depuis très longtemps. J'ai employé tantôt l'expression "en attendant, je suis un citoyen loyal", c'est-à-dire que ce qui m'importe à partir des critères qui me paraissent relever à la fois de la démocratie et de l'existence de ce peuple dont on veut consacrer le caractère distinct, à partir de ces critères qui sont relativement simples... Je me penche sur un texte comme ça et je me dis: II y a des choses - je le disais tantôt - qui sont extrêmement, non seulement intéressantes, mais émouvantes. Par exemple, cette déclaration qui concerne l'Assemblée nationale. Il y a aussi, vous venez de le rappeler... Je pense particulièrement à l'immigration parce que, pour ce qui est du Sénat, je vous avoue que personnellement cela ne me touche pas très fort parce que j'attends la réforme du Sénat avant. (18 h 15)

Pour ce qui est de l'immigration, incontestablement, il y a des choses intéressantes. Donc, il y en a un certain nombre. Mais ce qui manque à ce texte -vous pourrez toujours me dire, et avec raison, bien, que ce n'est pas un texte juridique, qu'il y aura des choses à préciser, c'est entendu - ce n'est pas, je dirais, ce qu'il ne dit pas. C'est de souligner qu'il ne dit pas tout, qu'il reste des problèmes à discuter. Quand je dis cela, je ne veux pas dire, contrairement à ce que certains journalistes ont dit et qui me paraît de l'ordre, si vous voulez, du roman policier à savoir que vous avez déjà obtenu pas mal, la porte est entrouverte, profitez-en et allez plus loin. Encore une fois, cela me paraît de l'ordre du roman policier en question. Moi, je dirais: La porte est entrouverte, vous avez mis le pied dans la porte, alors ouvrez-la toute grande et qu'on voie ce qui est derrière, c'est-à-dire, par exemple, non seulement au sujet de ce qu'est la société

distincte sur laquelle nous sommes prêts à être d'accord et sur laquelle nos concitoyens des autres provinces sont peut-être d'accord mais à la condition qu'on sache sur quoi nous nous accordons.

Qu'est-ce que c'est, par exemple, que cet article qui, vous le savez mieux que moi, a donné lieu à beaucoup de discussions sur le pouvoir de dépenser? Mais en quoi ce pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral dans les domaines de juridiction provinciale a-t-il des rapports avec la société distincte? Si je ne me trompe pas, les pouvoirs qui relèvent traditionnellement et juridiquement de la juridiction provinciale, ça doit faire partie de quelque façon de notre distinction pour reprendre la notion de société distincte. Nous avons besoin d'être éclairés là-dessus. Nous avons besoin de savoir quelles sont les implications de cette notion qui vient à la fin du texte sur l'ensemble, en particulier, évidemment, sur cette question pour laquelle je ne suis guère compétent mais qui m'intéresse fort, à savoir le pouvoir de dépenser. C'est pour cela que je dis que quand je dis non je ne dis pas non comme un enfant buté ou comme un indépendantiste qui ne veut pas se repentir, je dis non parce qu'il y a des choses qui ne sont pas claires pour moi. C'est au nom de la raison, si vous voulez.

M. Rémillard: Quand vous me dites: "Comme un indépendantiste qui ne veut pas se repentir" c'est par option politique que vous me dites non?

M. Dumont: Je viens de le souligner, ce n'est pas du tout pour cette raison-là.

M. Rémillard: C'est pour le contenu.

M. Dumont: Tout progrès pour ceux qui, ici, sont attachés au peuple qui nous concerne, tout progrès si petit soit-il, nous devons l'entériner et en féliciter ceux qui 3ont capables de le conquérir. Là-dessus, moi je n'éprouve aucune espèce d'idée partisane. Tout ce qui est progrès, par exemple dans le domaine de l'immigration, je suis le premier à reconnaître que c'est quelque chose de capital. Là-dessus, comme le disait ce texte qui termine la déclaration, c'est quelque chose de très, très important et je suis prêt à reconnaître que là, nous avons fait, nous allons faire un pas en avant. Donc, je le souligne à nouveau, ce n'est pas du tout parce que je regrette que ça n'aille pas plus loin, etc. Non, je me contente qu'on aille péniblement et tranquillement vers des choses mais des choses qui soient précises. Donc, encore une fois, ce n'est pas une dénégation, ce n'est pas un procès, c'est, disons, une prière pour que ce soit clair et que nous comprenions de quoi il s'agit.

M. Rémillard: Alors il y a des ambiguïtés que vous aimeriez éclaircir en ce qui regarde le pouvoir de dépenser, comme vous me dites. Je peux vous dire que je suis à votre disposition pour vous en parler - on en a assez discuté ici, probablement que les collègues ne voudraient pas qu'on en parle -et vous montrer à quel point le fait de circonscrire l'application du pouvoir de dépenser pourra justement garantir au Québec une spécificité dont il est fier dans plusieurs domaines, tant dans le domaine social que, bien sûr, dans le domaine économique.

Peut-être une dernière question très rapidement, professeur Dumont. Vous venez de nous dire que c'est un pas, en tout cas, qu'on a fait un pas que vous qualifiez d'intéressant à bien des égards. Vous nous avez parlé de peuple et de société distincte. Vous nous avez dit que "peuple" était une référence peut-être plus émotive ou un élément peut-être plus moral que "société". Comment pourriez-vous qualifier, par exemple, les autochtones?

M. Dumont: Je n'emploierais pas ce qualificatif d'"émotif". Je veux dire simplement que - je me répète un peu - si vous confrontez ces deux notions, vous avez pour ainsi dire les deux pôles d'un paysage. C'est-à-dire que d'un côté, lorsqu'on parle de peuple, on parle évidemment de culture, de langue, d'originalité du mode de vie et de cette transmission quotidienne des façons de vivre ou des façons de concevoir l'existence dont je parlais tantôt à propos de la famille. Tandis que, si on se situe tout à fait à l'autre bout, si on parle de société, manifestement on insiste davantage sur l'institutionnel et même, je dirais, les caractères juridiques ou les caractères politiques au sens d'institutions politiques d'une société. Alors lorsqu'on veut définir, on est obligé de se situer par rapport à ces deux pôles.

Vous parlez des Amérindiens. C'est clair, à mon avis, que non seulement ils étaient à l'origine un peuple différent de nous, mais ils sont encore maintenant un peuple différent de nous. Cela m'apparaît très clair. On peut discuter longtemps à savoir si les Québécois forment un peuple, si les Ontariens forment un peuple ou si les Terre-Neuviens forment un peuple, mais que les Indiens forment un peuple ou plusieurs peuples, comme on voudra, c'est clair, c'est évident. Ils ne forment certainement pas une société distincte. C'est cela, leur problème, évidemment. Quand on veut faire des définitions, évidemment, il ne faut pas oublier cela.

Rappelons-nous qu'il n'y a pas si longtemps, il était question d'un autre amendement à la constitution qui, justement, concernait les peuples autochtones. Cela a

été un échec. Heureusement, ce n'est pas ia faute du Québec. Ne séparons pas les problèmes morceau par morceau, mettons-les ensemble et, lorsqu'on parle de peuple pour les uns, essayons de savoir ce qu'on veut dire quand on parle de peuple pour les autres.

Lorsqu'on parle de société distincte, essayons de ne pas oublier, encore une fois, à la fois des critères un peu précis et la diversité qu'inévitablement, il faut mettre dans ce genre d'expression.

M. Rémillard: Je vous remercie, professeur Dumont. Vous venez de faire la distinction entre peuple et société, je crois, comme nous la faisons. C'est pourquoi nous utilisons le mot "société", parce que nous avons ces éléments de plus, des organisations politiques, sociales et économiques auxquelles nous voulons référer. Pour nous, il y a des peuples qui peuvent être des sociétés, mais ce ne sont pas tous les peuples qui sont des sociétés. Alors, le mot "société" est un ajout au concept de peuple, comme vous venez de nous l'expliquer en faisant des comparaisons.

Dans ce contexte, il me reste maintenant à vous remercier de votre témoignage. Vous l'avez fait avec l'honnêteté intellectuelle qui vous caractérise si bien. Je tiens le plus sincèrement possible à vous remercier d'avoir accepté de venir témoigner devant nous aujourd'hui.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le ministre.

M. le chef de l'Opposition, il vous reste, malheureusement, à peine deux minutes...

M. Johnson (Anjou): Deux minutes, en conclusion, M. le Président.

Le Président (M. Filion): ...pour conclure.

M. Johnson (Anjou): D'abord, merci, professeur Dumont pour vos propos francs, clairs. Ils sont clairs, je pense que c'est important. Je ne tenterai pas de faire miens ou d'essayer de voir dans quelle mesure vos propos collent à ce que je défends, mais je vous dirai que j'ai retenu une chose très claire de ce que vous nous avez dit: qu'il y a de la confusion, des risques de conflits, de flou, de vague autour de la société distincte dans la mesure où on ne la définit pas et que, même s'il y a des avantages à ne pas la définir possiblement et à laisser cela dans le clair-obscur de la jurisprudence constitutionnelle, il y aurait une chose qui serait tellement plus simple et ce serait de la définir, notamment autour de cette référence linguistique qui est celle du Québec et, ma foi, dites-vous, y ajouter le pouvoir qui vient avec, c'est-à-dire le rôle des élus de l'Assemblée nationale du Québec en matière linguistique et peut-être des prolongements sur le plan international.

Je retiens essentiellement de ce que vous nous dites, professeur, que la seule chose qui est claire dans ce texte, c'est le caractère bilingue du Canada et non pas le caractère distinct du Québec et que ce débat et ces constatations que vous avez faites vous amènent à conclure que, parce que ce n'est pas clair, le gouvernement devrait s'abstenir, à moins qu'il n'obtienne les clarifications et qu'il le fasse... Je dois vous dire que, là-dessus, je vous suis effectivement fort bien.

Encore une fois, je vous remercie d'avoir exposé avec tant d'honnêteté, tant de franchise, tant de clarté vos convictions et aussi de nous avoir fait bénéficier de votre science, de votre saqesse accumulée et de votre humanisme à l'égard des questions politiques et juridiques.

Le Président (M. Filion): C'est à mon tour, professeur Dumont, de vous remercier tout en vous rappelant que les petites questions de règlement - il n'y en a pas beaucoup à cette commission, mais il y en a quelques-unes - font partie, à la fois de notre droit parlementaire et, je le crains, de la sociologie parlementaire également. Merci de votre patience.

Nos travaux sont ajournés à demain, 10 heures. Merci.

(Fin de la séance à 18 h 25)

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