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(Dix heures dix minutes)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît !
Cette séance de la commission des institutions est ouverte. Je
rappellerai le mandat de notre commission qui est d'entendre les
représentations de ses membres, de personnes et d'organismes,
relativement à l'entente intervenue le 30 avril 1987 au lac Meech
concernant la constitution du Canada. Il s'agit d'un ordre de
l'Assemblée du 7 mai 1987.
Nous en sommes évidemment à l'étape d'audition
d'individus reconnus comme experts, les 13 et 14 mai 1987. Je remarque que
notre premier invité a déjà pris place à la table
des invités. Je voudrais souhaiter la bienvenue à M.
Gérald Beaudoin. Également, sans plus tarder, étant
donné que les parties, à ma droite et à ma gauche, sont
prêtes, j'inviterais M. Beaudoin à nous faire son
exposé.
Je rappellerai, pour le bénéfice de notre invité
ainsi que pour les membres de la commission, que la période
allouée à chaque invité expert est de 90 minutes, les 20
premières minutes étant réservées à
l'exposé de notre invité et les 70 minutes restantes étant
partagées à part égale entre chaque groupe.
Évidemment si notre invité prend moins de temps pour son
exposé, cela donnera plus de temps aux parlementaires pour
échanger des observations avec lui, ce qui est
généralement une formule reconnue comme très productive.
Sans plus tarder, je voudrais laisser la parole à M. Gérald
Beaudoin.
M. Gérald Beaudoin
M. Beaudoin (Gérald): Merci, M. le Président.
Mesdames et messieurs les membres de la commission, ce qui est devant nous
aujourd'hui c'est une entente de principe entre onze chefs de gouvernement qui
porte sur cinq points, les conditions jugées minimales par le
gouvernement Bourassa pour que le Québec donne son assentiment à
l'accord des dix de novembre 1981.
Si cette entente du lac Meech est agréée par les Chambres
législatives, fédérales et provinciales, elle deviendra le
second amendement depuis le rapatriement, le premier portant sur les peuples
autochtones. Cet accord est donc, ou se veut, un complément au
rapatriement de la constitution, complément que le Québec, sur le
plan politique et constitutionnel, juge essentiel, voire nécessaire,
afin de reprendre sa place è la table constitutionnelle.
Je passe rapidement en question et en revue les cinq points.
Premier point: La modification constitutionnelle. La formule
d'amendement constitue, avec le partage des pouvoirs et l'interprétation
judiciaire, les trois piliers du fédéralisme. C'est donc dire
qu'on ne peut en exaqérer l'importance. La formule de base est bien
connue. Il faut l'accord du fédéral et de sept provinces et de 50
% de la population pour qu'un amendement soit apporté à la
constitution. Cette formule de 1982 ne comporte aucun veto. La formule de
Victoria, celle qui en comportait quatre, ne pouvait pas revenir à
l'avant-scène depuis les derniers événements et aussi
depuis l'accord du mois d'avril 1981, au cours duquel huit provinces
reconnaissaient le principe de l'égalité et, en cas de transfert
au Parlement fédéral d'une compétence provinciale,
affirmaient le droit de retrait d'une province avec pleine compensation dans
tous les cas. C'est devenu l'article 38 qui enchâsse cet accord,
cependant que l'article 40 restreint la compensation obligatoire à
l'éducation et à la culture.
M. Bourassa en août 1986 a suggéré de hausser de 50
% à 75 % le seuil de regroupement de la population, ce qui
équivalait à donner un veto au Québec comme formule de
base. Nous savons que cette suggestion n'a pas été
acceptée. M. Muironey a fait un effort en avril dernier de hausser ce
seuil à 80 % dans les institutions centrales, mais sans succès.
Je crois que le Québec n'avait qu'un choix: c'était de se
protéqer dans les institutions centrales en stipulant la règle de
l'unanimité et il a réussi pour ce qui est des institutions
centrales.
On a dit en certains milieux que la formule d'amendement était
alourdie. C'est vrai, mais ce n'est pas le Québec qui peut se plaindre
ici, puisqu'il conserve un quart du Sénat, un tiers de la Cour
suprême et la représentation proportionnelle à la Chambre
des communes.
Je crois que l'unanimité peut se justifier dans les institutions
centrales et même pour la création de nouvelles
provinces, parce que c'est très important et je considère
que le Québec ne peut pas ne pas être impliqué.
J'entends parfois l'affirmation que le Sénat n'est pas important.
C'est une erreur. Dans toute fédération, la Chambre haute est
importante. Si, è une période de l'histoire, ce rôle est
effacé ou peut paraître effacé, rien ne garantit qu'il n'en
sera pas autrement un jour. Donc, le Québec doit se protéger sur
ce plan-là. Je crois que cet accord corrige les lacunes de la formule
d'amendement de 1981 et que le Québec a obtenu une protection
très adéquate sur ce plan.
Enfin, pour le partage des pouvoirs, la compensation obligatoire est
étendue dans tous les cas. Je remarque ici qu'il y a eu très peu
de transfert de pouvoirs législatifs des provinces au
fédéral depuis un siècle.
Deuxième point: la Cour suprême. L'article 41 de la Loi
constitutionnelle de 1982 prévoit qu'il faut l'unanimité des onze
pour modifier la constitution du Canada en ce qui a trait è la
composition de la Cour suprême. Certains constitutionnalistes ont dit que
la protection du Québec était fort adéquate. D'autres ont
prétendu le contraire, parce qu'il y a double composition: il y a la
composition des neuf juges et il y a la composition des trois juristes
civilistes québécois.
Je crois que l'amendement est bienvenu ici parce que la composante
civiliste de la Cour suprême sera dorénavant
cons-titutionnalisée. À mon avis, cela s'imposait. Pourquoi
constituionnaliser aussi l'existence de la Cour suprême? Ceci s'imposait
également et c'est le cas aux États-Unis. Notre Cour
suprême joue le rôle de cour de dernier ressort. Une cour
générale d'appel, tant en "common law" qu'en droit civil,
départage les ordres de gouvernement en cas de conflit et se prononce
sur la Charte constitutionnelle des droits et libertés. C'est une cour
unique qui se doit d'être consacrée dans la constitution
même. Je ne connais aucun rapport sur la constitution écrit depuis
1964 qui n'ait pas fait cette recommandation.
L'autorité fédérale va continuer à nommer
les juges, mais les provinces obtiennent non seulement le droit de participer
sur le plan de la consultation, mais également au processus de
nomination des juges, en soumettant des listes. C'est une sorte de veto
concurrent et il reviendra au rédacteur juridique de bien les exprimer
dans le texte final.
Aux Êtats-Unis, le Sénat, qui représente les
États, peut dire non à un candidat à la Cour suprême
nommé par le président. C'est arrivé plusieurs fois sous
la présidence du président Nixon. C'est dire que le Sénat
dispose d'un veto. Au Canada, je crois qu'il s'agit ici d'une sorte de veto
concurrent. Le fédéral ne nomme le juge que si l'un des noms
proposés par la province lui agrée. Il peut évidemment
exiger une autre liste s'il n'est pas satisfait de la liste soumise.
Qu'arrive-t-il en cas d'impasse? La charte de Victoria avait
prévu une solution en cas d'impasse, mais à mon avis elle
était fort complexe. Le présent texte laisse l'impasse à
la négociation politique entre deux gouvernements. Je crois que les
risques d'impasse ne sont pas élevés. D'abord, dans les provinces
de "common law", une tradition veut que trois juqes viennent de l'Ontario, deux
de l'Ouest canadien, à tour de rôle par province, et un des
Maritimes. Le fédéral dispose d'un pouvoir de négociation
assez large et les provinces sont également protégées.
Pour le Québec, bien sûr, l'autorité centrale doit choisir
parmi la ou les listes fournies par le Québec. S'il y a impasse, elle se
résout entre deux gouvernements démocratiquement élus.
Troisième point: l'immigration. Le Québec fait face
à un sérieux problème de dénatalité. Il a
parfaitement raison d'attacher énormément d'importance au pouvoir
d'immigration qui, à l'article 95, est concurrent, avec
prépondérance fédérale en cas
d'incompatibilité entre deux textes de loi. On constitutionnalise ici
l'accord Cullen-Couture pour le choix des immigrants et, sur le plan du nombre,
Québec obtient une garantie que le nombre d'immigrants reçus et
acceptés sera proportionnel à sa population plus cinq. Je crois
que cette protection est fort adéquate.
Le quatrième point, le pouvoir de dépenser. C'est un
domaine extrêmement important qui donne actuellement lieu à des
débats importants et délicats ici, à Québec et dans
les capitales des autres provinces, et surtout, à Ottawa. On a
défini le pouvoir de dépenser comme celui qu'a le Parlement
canadien de verser des sommes à des individus, à des organismes
et à des gouvernements à des fins pour lesquelles il n'a pas
nécessairement le pouvoir de légiférer. Chaque mot compte
ici: "à des fins pour lesquelles il n'a pas nécessairement le
pouvoir de légiférer".
Au terme de l'accord du tac Meech, si un nouveau programme national
à frais partagés, dans un domaine exclusivement provincial - je
souliqne les mots "exclusivement provincial" - ne plaît pas à une
province, cette dernière peut se retirer avec une juste compensation si
elle met en oeuvre un programme compatible avec les objectifs nationaux. C'est
la première fois dans l'histoire du Canada qu'un gouvernement
réussit à dresser un paramètre valable au pouvoir de
dépenser. Certains, notamment à Ottawa, parlent de balkanisation
du Canada. D'autres ajoutent que c'est la mort possible des projets en
matière de santé.
Il faut prendre ici un peu de recul. La
Seconde Guerre mondiale a donné lieu à une croissance
remarquable du pouvoir de dépenser chez nous, aux États-Unis, en
Australie, pour ne nommer que des pays qui ont une constitution proche de la
nôtre sur ce plan. Le pouvoir fédéral de dépenser a
atteint son zénith en 1950, en 1960 et en 1970. Dès 1868, les
"law officers of the Crown" à Londres, les légistes britanniques,
avaient affirmé que ce - pouvoir était légitime. En 1937,
le comité judiciaire du Conseil privé reconnaissait que le
Parlement fédéral pouvait prélever des impôts en vue
de créer un fonds pour des fins spéciales et d'apporter son aide
à des particuliers, des corporations et des corps publics. Mais, et
c'est très important, le Conseil privé a ajouté que la loi
qui en dispose doit respecter le partage des compétences
législatives. En 1978, dans l'affaire du marketing, la Cour
suprême, par la voix du juge en chef Bora Laskin et par la voix du juge
Louis-Philippe Pigeon, confirmait l'existence et les limites du pouvoir
fédéral de dépenser.
Dans une cause récente, l'arrêt Mackenzie que j'ai
apporté, on a aussi été dans la même direction pour
ce qui est de la substance du pouvoir et des limites de ce pouvoir. Des
juristes ont écrit sur le sujet. Je ne connais pas de
constitutionnaliste qui n'ait pas écrit sur le pouvoir de
dépenser. Plusieurs sont restés sur leur appétit et, chose
curieuse, les provinces n'ont jamais jugé approprié dans les
années 1950 et 1960 de saisir leurs cours d'appel pour un avis sur les
paramètres du pouvoir de dépenser.
De son côté, l'autorité fédérale a
pris en principe - on dira qu'il y a des exceptions - l'habitude de verser ses
fonds, évidemment dans les domaines fédéraux mais aussi
dans les domaines provinciaux, sans réglementer par une loi les
activités exclusivement provinciales.
Il faut distinguer le pouvoir de dépenser. Donner des fonds dans
un domaine provincial et réglementer un domaine provincial sont,
évidemment, en droit constitutionnel, deux choses complètement
différentes. Nous reviendrons là-dessus.
Le pouvoir de dépenser doit se conformer au partage des pouvoirs.
D'ailleurs, quand le principe de la péréquation fut
enchâssé dans la constitution, en 1982, le constituant a
stipulé qu'il s'exercerait dans le respect du partage. Quand la Charte
canadienne des droits et libertés a été
édictée, en 1982, l'article 31 dit bien que le partage des
pouvoirs n'est pas modifié. Cela, c'est fondamental.
Ici, nous avons une clause suggérée sans doute par le
Québec qui dit que, si le pouvoir de dépenser s'exerce dans un
domaine exclusivement provincial, la province peut se retirer avec
compensation. On ne parle pas du pouvoir de dépenser comme tel. Est-il
indirectement ou implicitement ou par voie de conséquence
constitutionnalisé? Evidemment, si vous constitutionnalisez un droit de
retrait, vous reconnaissez indirectement l'institution de laquelle vous voulez
vous retirer. C'est évident. Mais ce qui est constitutionnalisé
ici, c'est le pouvoir de dépenser tel qu'il existe, tel qu'il a
été interprété par le Conseil privé et la
Cour suprême à deux reprises. C'est cette institution qui est
constitutionnalisée. On ne change pas le partage des pouvoirs comme tel.
Si on veut le faire, je crois qu'à ce moment-là, il faut le faire
de façon expresse.
Qu'est-ce à dire? C'est dire que si quelqu'un a un doute, il peut
évidemment suggérer une clause de sauveqarde et prévoir
pour ce pouvoir de dépenser ce qui a été prévu
à l'article 36 pour la péréquation ou à l'article
31 pour la charte des droits. C'est une prudence supplémentaire. Mais,
à mon avis, sur le plan constitutionnel, je n'ai aucun doute que,
lorsqu'on enchâsse dans la constitution un droit de retrait pour recevoir
des sommes dans un domaine provincial, on prend le pouvoir de dépenser
tel qu'il existe dans la constitution canadienne; comme c'est en qrande partie
non écrit, eh bien, tel que défini par nos tribunaux
suprêmes, le Conseil privé et la Cour suprême du Canada.
Si le droit de retrait était autorisé dans un domaine
fédéral, ce serait, bien sûr, une autre histoire. Mais ce
n'est pas le cas ici. Si jamais un amendement se révélait
nécessaire au chapitre du partage des compétences, eh bien, les
onze aviseront. Cela fera partie de la phase 2.
Sur le plan social, la constitution canadienne fut modifiée par
accord unanime des dix en 1940. À ce moment-là, Terre-Neuve
n'était pas là, mais c'était unanime pour
l'assurance-chômaqe. En 1951 et 1964, pour les pensions de vieillesse et
en 1981-1982, pour l'article 92A, lorsqu'on a ajouté des pouvoirs aux
provinces sur le plan des ressources naturelles et de la taxation, le
Québec ne s'est pas exprimé, parce qu'il a dit non au
rapatriement. Mais il est bien évident qu'il n'a pas dit non au
rapatriement à cause de l'article 92A qui l'avantage, c'était
pour d'autres raisons, comme vous le savez. (10 h 30)
Enfin, la société distincte. La déclaration du lac
Meech sur la société distincte traduit un état de fait et
le consacre en droit. Elle consacre en droit une des formes du dualisme
canadien. Déjà, la Cour suprême, dans
l'interprétation des litiges qui sont devant elle, pouvait constater des
faits comme ceux-là, c'est-à-dire que les francophones sont en
majorité au Québec et en minorité ailleurs, que les
anglophones sont en minorité au Québec, mais en
majorité
dans les neuf autres provinces.
C'est un état de fait, mais on lui donne des conséquences
juridiques. Quelles conséquences juridiques? Là est toute la
question.
La Cour suprême pouvait donc constater ces faits et en tenir
compte. Mais on en fait une règle d'interprétation et
peut-être davantage, à cause du mot "rôle" qui
apparaît dans ta déclaration du lac Meech. J'y reviendrai tout
à l'heure. Une règle d'interprétation. On dira: Oui, mais
ce n'est qu'une règle d'interprétation. Mais, attention! Une
règle d'interprétation, c'est très important. Il y en a
dans la constitution canadienne. Il y a le pouvoir ancillaire. C'est une
règle d'interprétation qui a changé le
fédéralisme canadien. Il y a la théorie -malheureusement,
je ne suis pas un tenant de cette théorie-là - de la dimension
nationale. Il y a d'autres théories dans notre constitution. C'est
important parce que, en cas de doute, cela peut faire pencher le partage des
pouvoirs d'un ordre de gouvernement à l'autre et surtout, c'est
matériellement important pour l'interprétation de l'article 1 de
la Charte canadienne des droits et libertés.
Des précédents, il y en a. En 1938, dans l'affaire de la
Loi sur la presse en Alberta, on a invoqué à l'appui d'une
décision, une déclaration dans le préambule de la
constitution canadienne; a fortiori, si on en fait un article de la loi
constitutionnelle de 1987. On ne peut pas aller plus loin sans modifier
matériellement -je dis bien matériellement - je ne dis pas sur le
plan de l'interprétation, le partage et les garanties constitutionnels.
Il reviendra en temps et lieu à la Cour suprême de donner à
cette clause sa portée. C'est normal. On ne peut pas faire autrement.
Déjà, la Cour suprême a donné une portée
à l'article 27 de la charte, sur la multiculture. Il me paraît
impensable qu'elle ne fasse pas la même chose pour la
société distincte.
Cette déclaration suffit-elle? Colle-telle aux faits? Je crois
que oui. Je n'inclinerais pas à la retouche de cette clause. Je ne suis
pas favorable à des amendements pour énumérer un ou deux
secteurs. Pourquoi? Parce que, dans un article de droit, quand on
énumère, on restreint toujours. La règle ejusdem generis
vient toujours donner aux énumérations un sens restrictif. Ce qui
est inclus fait en sorte que ce qui n'est pas inclus est écarté.
Ce sont donc trois motifs.
Ceci dit, si l'on veut vraiment amender un article du partage, si l'on
veut restreindre une garantie constitutionnelle, il n'y a qu'un seul moyen,
c'est l'amendement pur et simple. Si l'on excepte la langue, la culture, le
Code civil - soit dit en passant, le Code civil est parfaitement
protégé dans la constitution canadienne par les articles 92.13,
94 et 98. Je pense que là-dessus, cette protection est très
explicite.
Le Président (M. Filion): M. Beaudoin, je m'excuse de vous
interrompre. Uniquement parce que, évidemment, je suis
dépositaire de l'entente intervenue entre tes parties, est-ce que je
présume du consentement de part et d'autre pour que notre invité
puisse poursuivre et terminer son exposé?
Des voix: Oui. Oui.
M. Beaudoin: Si vous me donnez quatre minutes.
M. Rochefort: Oui, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Parfaitl Continuez!
M. Beaudoin: Bon. Je ne m'arrête pas sur
l'échéancier obligatoire. Si l'on excepte la langue, la culture
et le Code civil qui sont des constantes, la spécificité
québécoise peut varier en intensité d'une période
à l'autre dans l'histoire. Que l'on pense aux garanties confessionnelles
dans les écoles, aux valeurs sociales et aux systèmes
d'éducation. La question se pose: Est-ce qu'on va à chaque
génération changer cette déclaration? Je soulève le
problème.
Je passe par-dessus l'échéancier obligatoire, dis-je. Je
suis d'accord avec cet échéancier. Évidemment, des
conférences sur l'économie et la constitution à tous les
ans, même pour ceux qui aiment bien la constitution, c'est passablement
lourd. Mais enfin, je n'ai pas d'objection à cet
échéancier.
Conclusion: Je n'ai jamais vu d'accord ni de constitution parfaits.
D'après moi, cet accord est réaliste. Il fait des emprunts
intéressants à des commissions royales d'enquête qui ont
déjà existé et que vous connaissez tous. Cet accord est
peut-être imprévu. Il est peut-être même surprenant
par sa rapidité. Mais à moins de souhaiter un
fédéralisme qui ne pourrait pas tenir bien longtemps, ou encore
une forme de souveraineté-association atténuée, ou encore
un statut particulier très prononcé, je pense que cette entente
va à la limite du possible. À mon avis, le Québec aura
énormément d'influence dans cette constitution renouvelée
par cet amendement, et le moment m'apparaît priviléqié.
Bien sûr, on peut apporter ça et là des précisions,
des mots, et il reste évidemment la rédaction juridique de cet
accord et les quelques points que j'ai soulignés en ce qui concerne te
pouvoir de dépenser, par exemple. Mais dans l'ensemble, et je conclus
par ceci, cet accord emporte mon adhésion sur le plan du partage des
pouvoirs et des libertés fondamentales et aussi mon accord comme
Québécois. Je pense
que c'est un accord auquel le Québec devrait donner suite.
Dans l'exposé écrit que je vais vous remettre, j'ai
traité aussi de centralisation et de décentralisation; c'est le
lot des fédérations dans le monde, dans le temps et dans
l'espace. J'ai traité aussi des droits individuels et des droits
collectifs, qui sont très importants, et de la différence entre
les droits collectifs et l'autonomie provinciale, ce qui est important; et
enfin de cette trouvaille bien de chez nous qu'on appelle le
fédéralisme exécutif, c'est-à-dire le gouvernement
à onze, à cause du destin bien particulier que la Chambre haute a
connu dans la fédération canadienne. Je vous remercie, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Beaudoin.
Sans plus tarder, j'inviterai le ministre délégué aux
Affaires intergouvernementales canadiennes à amorcer l'échange de
propos avec notre invité.
M. Lefebvre: M. le Président, je m'excuse.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Frontenac.
M. Lefebvre: Est-ce que le texte de l'exposé de M.
Beaudoin pourrait être disponible pour les membres de la commission?
Le Président (M. Filion): Certainement.
M. Beaudoin: J'aurais dû les mettre sur la table, c'est un
oubli.
Le Président (M, Filion): Certainement. J'en accepte le
dépôt et le texte sera distribué. Oui, M. le
député de Gouin.
M. Rochefort: Vu le débordement de temps, pourriez-vous
nous indiquer quelle est la part de temps qui reste à chaque formation
politique?
Le Président (M. Filion): Certainement.
M. Rochefort: Je pense que le ministre peut commencer. Quant
à moi, il n'y a pas de problème.
Le Président (M. Filion): La parole est à M. le
ministre.
M. Rémillard: M. le professeur Beaudoin, je voudrais tout
d'abord vous remercier de vous être déplacé pour venir
témoigner devant cette commission parlementaire. Vous êtes un
éminent juriste. Vous êtes professeur à l'Université
d'Ottawa, mais vous êtes aussi professeur invité dans de
nombreuses universités au Canada et à l'étranger. Vous
avez été conseiller législatif à la Chambre des
communes à Ottawa. Vous êtes un expert en rédaction
législative. Vous avez été un membre de la commission
Pepin-Robarts et comme avocat-conseil vous avez l'occasion de plaider è
maintes reprises devant la Cour suprême du Canada des questions qui sont
reliées directement au sujet que nous débattons aujourd'hui.
M. Beaudoin, je voudrais vous poser une question concernant le pouvoir
de dépenser du gouvernement fédéral. C'est un sujet qui,
à juste titre, attire beaucoup notre attention, tant celle de
l'Opposition que celle du gouvernement. Vous nous avez dit que le pouvoir de
dépenser existe déjà dans la constitution canadienne.
Est-ce que je peux vous demander si, à votre avis, l'entente du lac
Meech concernant le pouvoir de dépenser donne au gouvernement
fédéral des droits nouveaux qu'il n'a pas présentement,
selon la constitution canadienne?
M. Beaudoin: Je pense que l'entente du lac Meech sur le pouvoir
de dépenser ne change pas le pouvoir de dépenser tel qu'il existe
actuellement. C'est-à-dire que, en 1937, le comité judiciaire du
Conseil privé a dit deux choses: le Parlement canadien peut taxer et
dépenser des deniers et subventionner des individus, des corporations et
des gouvernements. Mais il a ajouté: deuxièmement, il ne s'ensuit
pas que toute loi qui en dispose est nécessairement valide. Si la loi
fédérale réglemente - je dis bien réglemente - un
champ d'activité exclusivement provincial, la loi fédérale
sera déclarée invalide.
En 1978, dans l'affaire de l'organisation des produits agricoles, le
juge en chef Bora Laskin, un grand constitutionnaliste, qui est très
connu, disait: Ce qui est plus à propos toutefois, c'est l'opinion
exprimée par le Conseil privé en 1937, selon laquelle
l'invalidité d'un régime de réglementation qui
excède en lui-même la compétence du fédéral
ne sera pas couverte parce que celui-ci aura utilisé son pouvoir de
taxation pour le financer. Donc, le juge Laskin et ses collègues, dont
Louis-Philippe Pigeon, confirment l'arrêt de 1937. Le gouvernement
fédéral peut donner des subventions à des particuliers,
à des individus, à des corporations, à des gouvernements,
mais ne peut - attention - s'il s'agît d'un domaine purement provincial,
exclusivement provincial, réglementer. Il peut donner l'argent, mais il
ne peut pas réglementer.
Enfin, dans le troisième arrêt - il y en a peut-être
d'autres, mais enfin ce sont ceux-là qui nous viennent à l'esprit
toujours la Cour suprême du Canada, Regional Municipality of Peel versus
MacKenzie (1982) 2 R.C.S.9, en 1982, la Cour suprême avait dit: Si le
Parlement du Canada ne peut imposer à une province la
charge de payer certaines dépenses sans son consentement, de la
même façon, il ne peut pas imposer une telle charge à une
institution municipale de cette province et créée par cette
province.
Qu'est-ce à dire? On ne voit nulle part à 91 et 92 les
mots "pouvoir fédéral de dépenser". Est-ce que ce pouvoir
existe? On sait bien qu'en droit constitutionnel, si le plus haut tribunal du
pays, à commencer par le Conseil privé et la Cour suprême,
reconnaît un pouvoir, eh bien, il a une source ou une assise
constitutionnelle. Personnellement, je crois que le pouvoir
fédéral de dépenser est une réalité sur le
plan constitutionnel. La question qui préoccupe les juristes, c'est son
contour, ce sont ses paramètres.
J'interprète la déclaration du lac Meech comme ceci:
étant donné que le pouvoir de dépenser existe selon la
jurisprudence, que la Cour suprême s'est prononcée à
quelques reprises et le Conseil privé et étant donné que
le Québec, pour fins de protection, prévoit un droit de retrait
quand il s'exerce dans un domaine strictement provincial, eh bien, ce droit de
retrait s'applique au pouvoir de dépenser tel qu'il est actuellement
défini.
Certains diront: Cela l'étend ou cela le restreint. Je ne crois
pas, on ne le dit pas. Si on ne refait pas les contours d'une compétence
législative et qu'on y prévoit une exception, eh bien, la
compétence législative demeure ce qu'elle était avant et
le pouvoir de dépenser existe. Il ne soulève aucune
difficulté quand il s'exerce dans les domaines fédéraux.
Quand il s'exerce dans les domaines provinciaux, la cour a dit: Vous pouvez
dépenser, mais, attention, vous ne pouvez pas occuper le champ
législatif. C'est une autre chose.
Alors, est-ce que l'accord du lac Meech change cet état de droit?
À mon avis, non. Sinon, on l'aurait dit. On me dira: Bien oui, mais il
faut être prudent, il faut prendre une clause de sauvegarde.
Évidemment, on peut faire comme on a fait pour la
péréquation et l'article 31 de la charte, mais je ne crois pas
que ce soit nécessaire, parce que le pouvoir de dépenser existe
tel qu'il est, tel qu'il a été défini et la clause de
retrait, c'est celle-ci: Si vous dépensez de l'argent dans un domaine
strictement provincial, nous du Québec, nous voulons avoir le droit de
dire non. Nous voulons avoir le droit de recevoir une compensation en
échange. C'est ce que dit l'accord. (10 h 45)
D'autres diront: Non, cela va plus loin que cela. L'accord permet
d'étendre la définition du pouvoir de dépenser et de
réglementer un champ que le fédéral ne pouvait pas
déjà réglementer. Écoutez, les textes
législatifs je les lis comme un légiste, comme un juriste. Ubi
lex non distinguit nec nos distinquere debemus: quand la loi ne fait pas de
distinction, nous ne devons pas en faire. Cette entente de principe qui va
devenir une toi ne distingue pas; alors, pourquoi distinguerais-je? À ce
moment, je me dis: C'est le pouvoir de dépenser tel quel. Si le
Québec veut, à la phase II, apporter des amendements au partage
des pouvoirs, des compétences, bien sûr qu'il peut le faire. C'est
sûr que cela va faire partie de la phase II, mais ce n'est pas ce qui est
devant nous ce matin. Ce qui est devant nous ce matin, c'est un accord de
principe sur cinq points. Est-ce que la protection est adéquate?
Je pense que c'est la première fois qu'un gouvernement met des
paramètres au pouvoir de dépenser. Je sais bien que le sujet est
délicat actuellement dans le Canada anglais et au Québec,
à Québec particulièrement aussi. Il faut aller au fond des
choses et dire: Ce droit de retrait qui est nouveau, qui est
constutionnatisé s'exerce dans un domaine qui existe déjà
dans une institution qui existe déjà, une institution
jurisprudentielie, mais qui est bien là.
M. Rémillard: M. Beaudoin, je comprends que l'entente du
lac Meech, selon vous, ne donne pas des pouvoirs nouveaux au gouvernement
fédéral. Est-ce qu'elle donne des garanties nouvelles aux
provinces? Je pense aussi à un sujet pour lequel nous avons une certaine
préoccupation: les institutions, les municipalités, les
universités. Comment voyez-vous l'entente du lac Meech face à la
protection des provinces, en particulier du Québec, quant à
l'exercice du pouvoir de dépenser?
M. Beaudoin: Je ne sais pas si je saisis bien le fondement de la
question, mais le pouvoir de dépenser que la province elle-même a
actuellement n'est pas touché. J'ai cité, tout à l'heure,
l'arrêt Mackenzie. Par exemple, c'est le Québec qui donne aux
municipalités leur pouvoir et qui leur donne la façon de taxer,
de prélever des impôts, ceci n'est pas changé. Je pense
que, si on avait voulu changer le pouvoir de taxer du fédéral et
des provinces, soit au terme de l'article 92 ou 92A de 1982, on l'aurait dit.
Le silence est absolu sur ce plan. Je ne vois pas de changement sur ce plan. Je
ne sais pas si cela répond à la question véritable, quitte
à la reformuler.
M. Rémillard: M. Beaudoin, est-ce que cela pourrait mettre
en cause, par exemple, la capacité du Québec de
légiférer sur les municipalités? La loi 38 empêche
les municipalités de recevoir des subventions directement du
gouvernement fédéral. Cette loi a été votée
par le précédent gouvernement. Est-ce que cela peut mettre en
cause la compétence du Québec d'avoir contrôle
sur ses propres institutions et contrôler ses sources
financières?
M. Beaudoin: L'arrêt MacKenzie dit que les obligations
nouvelles pour une municipalité ne peuvent pas être
réglementées par voie législative par l'autorité
fédérale. Est-ce que - et c'est la distinction au sein même
du pouvoir de dépenser - le fédéral peut faire des dons
sans réglementer? C'est le grand débat des années soixante
et soixante-dix. On disait toujours: On disait toujours: On donne de l'argent,
mais on ne réglemente pas. On connaît bien les luttes de MM.
Duplessis, Lesage, Johnson et les autres; c'est très connu. Mais, au
fond, l'accord du lac Meech vient confirmer le droit de retrait qui est
né à l'occasion des programmes à frais partagés.
Sur ce plan, il y a confirmation de la politique québécoise, peu
importe le parti au pouvoir depuis 1960. En ce sens, il y a une protection
absolue pour le Québec qui se dit: Écoutez, c'est vrai que vous
ne réglementez pas le champ, par contre, vous intervenez à la
faveur de dépenses dans un domaine provincial; je m'y objecte et
j'exerce mon droit de retrait. En fait, c'est ce que cela confirme. Et cela,
pour moi, c'est une victoire. C'est une victoire pour le Québec et pour
toute autre province qui peut s'en prévaloir. C'est le pouvoir de dire
non si c'est dans un domaine provincial. Je ne parle pas au chapitre de la
réglementation, mais quant à la réception des subventions;
c'est différent. Cette protection n'existait pas. Elle existe
maintenant.
M. Rémillard: Donc, c'est une protection accrue pour les
provinces.
M. Beaudoin: Ah oui! Sans aucun doute dans mon esprit.
M. Marx: M. le Président.
Le Président (M. Filion): Je m'excuse, M. le ministre de
la Justice.
M. Marx: D'accord.
Le Président (M. Filion): En vertu de la règle de
l'alternance, je vais maintenant reconnaître M. le chef de l'Opposition.
Ensuite, je dois vous souligner que deux autres membres de votre formation
m'ont demandé la parole avant vous. Si vous voulez vous entendre
ensemble. J'ai déjà retenu le député de Montmorency
et le député de Mille-Iles. Donc, M. le chef de l'Opposition,
à vous la parole.
M. Johnson (Anjou): Merci, M. Beaudoin de votre exposé.
J'aurais une série de questions à poser sur la
société distincte, le pouvoir de dépenser et l'"extension"
des pouvoirs internationaux du Québec. Je vais essayer d'y aller assez
rapidement. On peut peut-être commencer par le commencement. Dans la
mesure où le gouvernement ne nous a pas encore fourni les textes
juridiques, on peut peut-être y aller au moins avec le communiqué
de presse du lac Meech.
On dit: Sur le caractère distinct du Québec,
l'interprétation de la constitution du Canada doit concorder avec le
paragraphe a), c'est la reconnaissance de la dualité canadienne
française-canadienne anglaise du Canada et, deuxièmement, la
reconnaissance que le Québec forme, au sein du Canada, une
société distincte. Ensuite, le deuxième paragraphe dit:
Toutes les Législatures - le Parlement du Canada, la Législature
du Québec comme les autres - dans l'exercice de leurs compétences
respectives, prennent l'engagement de protéger la caractéristique
fondamentale du Canada mentionnée au paragraphe (1). - du
caractère bilingue. Quant à l'Assemblée nationale et au
gouvernement du Québec, ils ont le rôle de protéger et de
promouvoir le caractère distinct du Québec.
La première question que je vous pose là-dessus,
professeur Beaudoin, est la suivante: D'ahord, où pensez-vous que ces
articles devraient être dans la constitution?
M. Beaudoin: Écoutez, quand le problème s'est
posé quant à la Charte constitutionnelle des droits et
libertés de la personne, on l'a mis dans les dispositions
générales, à l'article 27. Je pourrais très bien
voir cela dans les dispositions générales de la constitution
canadienne. On peut l'insérer dans la loi de 1987, une loi
constitutionnelle comme on en a eu une en 1982. Cela peut être dans les
premiers articles. Cela peut être dans les dispositions
générales. Est-ce que cela peut-être en amendement à
un article qui existe déjà pour faire le pendant à
l'article 27 de la charte canadienne des droits qui fait partie de la
constitution, par exemple? Il y a peut-être plusieurs
possibilités.
M. Johnson (Anjou): Voilà.
M. Beaudoin: On m'a dit que le débat est maintenant
réglé, que c'est un article et non pas le préambule.
M. Johnson (Anjou): D'accord. La raison pour laquelle je vous
pose la question est que je comprends qu'à la rigueur cela peut
être n'importe où dans un texte de 50 pages, mais
l'intérêt est de savoir quelles sont les conséquences.
M. Beaudoin: Bien, les conséquences...
M. Johnson (Anjou): La question que je vous pose est la suivante,
professeur
Beaudoin. On le sait, une règle d'interprétation n'est
utilisée, en droit, que dans le mesure où il y a confusion et
où il n'y a pas clarté dans le reste de la loi. On a recours
à une règle d'interprétation s'il y a confusion sur
quelque chose. Est-ce que, d'après vous, cette règle, à
l'intérieur d'elle-même, fait prédominer la
caractérisque fondamentale du bilinguisme canadien ou la
caractéristique de société distincte du Québec.
M. Beaudoin: Je ne vois pas de contradiction fondamentale entre
(1) et (3), en ce sens que, même si on fait un parallèle entre les
francophones majoritaires dans une province et minoritaires partout et les
anglophones majoritaires partout et minoritaires au Québec, il n'en
reste pas moins - ce qu'on peut appeler une sorte de parallélisme ou de
dualisme - qu'il n'y a qu'un seul endroit où les francophones sont en
majorité, c'est ici. Et dans ce sens-là, c'est aussi une
déclaration de fait et une déclaration de droit que la
première. Vous allez me dire que ce n'est pas facile parfois à
concilier, c'est vrai.
M. Johnson (Anjou): Mais sur le plan...
M. Beaudoin: Mais ce n'est pas la première fois en droit
constitutionnel canadien qu'il ...
M. Johnson (Anjou): C'est cela, qu'il va y avoir quelque chose de
compliqué. Oui, je comprends. D'ailleurs, les constitutionnalistes ont
leur raison d'être, professeur Beaudoin, vous le savez par le fait qu'il
y a de ta confusion entre les politiciens.
M. Beaudoin: Oui, mais on ne la souhaite pas
nécessairement.
M. Johnson (Anjou): Et en ce sens-là, M. Beaudoin,
dites-moi donc... Au tour du caractère distinct du Québec et du
caractère bilingue du Canada: le caractère bilingue du Canada est
assis sur la notion que c'est une caractéristique fondamentale de la
fédération. C'est cela qui est écrit dans le texte du lac
Meech.
M. Beaudoin: Oui.
M. Johnson (Anjou): Alors que dans le cas du caractère
distinct du Québec, on dit seulement que c'est le rôle de
l'Assemblée nationale et du gouvernement de favoriser... On ne dit pas
que c'est fondamental. Si jamais il y avait un conflit entre le rôle de
l'Assemblée nationale ou du gouvernement et quelque chose qui est
interprété par la Cour suprême comme étant une
caractéristique fondamentale de la fédération, est-ce
qu'on n'en arriverait pas à voir le caractère distinct
céder le pas devant la caractéristique fondamentale de la
fédération? Et en concluant sur cette question, je vous pose la
question suivante: Êtes-vous d'accord avec Alliance Québec qui
déclarait le 11 février 1986 devant un comité du
Sénat, à Ottawa: "Le caractère distinct de la
société ne peut se comprendre qu'à la lumière de la
dualité linguistique canadienne". En somme, pour Alliance Québec,
le Québec est une société distincte parce que la
majorité française est la seule à vivre avec une
minorité anglaise. En d'autres termes, c'est dans cette perspective, dit
Alliance Québec, que le caractère distinct du Québec doit
être compris. Si je comprends bien ce qu'Alliance Québec dit
devant le Sénat canadien, c'est que le caractère distinct du
Québec ne peut se comprendre que si on accepte le caractère
bilingue du Canada.
M. Beaudoin: Oui. Premièrement, je vous donnerais raison
si le mot "promouvoir" n'existait pas au paragraphe (3), mais c'est
"protéger et promouvoir le caractère distinct".
Deuxièmement, quand Alliance Québec dit que le
caractère distinct du Québec vient de la minorité, ce
n'est pas cela du tout. Le caractère distinct du Québec vient du
fait que la majorité est francophone. C'est cela le caractère
distinct du Québec. Si vous me demandez si je suis en accord ou en
désaccord, je suis en désaccord parce que c'est clair que le
Québec est distinct dans le Canada parce que c'est une province qui est
majoritairement francophone. C'est unique en Amérique!
M. Johnson (Anjou): Et non pas parce qu'il y a coexistence des
francophones et des anglophones.
M. Beaudoin: Mais cela est un état de fait.
M. Johnson (Anjou): C'est cela.
M. Beaudoin: Ce n'est pas cela qui donne lieu à la
distinction.
M. Johnson (Anjou): Bon.
M. Beaudoin: C'est la majorité qui donne lieu.
M. Johnson (Anjou): Donc dans ce sens-là, vous
n'êtes pas d'accord avec l'interprétation que donnent, par
exemple, M. Pawley, le sénateur Murray ou d'autres au niveau
fédéral pour qui le caractère distinct vient aussi du fait
qu'il y a une coexistence entre les francophones et les anglophones. Ou Donald
Johnston, par exemple, par opposition à d'autres au Parti libéral
du Canada.
M. Beaudoin: II ne faut pas mélanger Ies pommes et les
oranges. Le premier paragraphe, c'est le parallélisme et le
troisième, c'est la distinction. Et cela, c'est à cause du
caractère majoritaire des francophones ici et même s'ils sont
majoritaires, ils doivent protéger leur langue. C'est normal.
M. Johnson (Anjou): D'accord. Et non pas de l'existence d'une
minorité anglophone au Québec, d'après vous.
M. Beaudoin: Pas en soi.
M. Johnson (Anjou): D'accord.
M. Beaudoin: La présence d'une minorité anglophone
au Québec, comme la présence d'une minorité francophone
ailleurs, c'est un point. Le caractère distinctif du Québec lui
vient du fait que la majorité ici - et c'est le seul endroit - est
francophone. C'est pour cela d'après moi que le libellé est un
peu différent. Le mot "promouvoir" n'apparaît pas, sauf erreur,
aux paragraphes (1) ou (2), mais il apparaît au paragraphe (3). Qu'est-ce
que cela donne? Vous allez me dire: Oui, c'est une glorieuse incertitude du
droit. C'est plus qu'une règle d'interprétation mais la Cour
suprême va dire ce que cela veut dire sur ce plan-là. (11
heures)
M. Johnson (Anjou): Donc, selon vous, il ne peut pas y avoir de
conflit ou de contradiction entre la dualité canadienne exprimée
au début et le caractère distinct du Québec? Il n'y a pas
de conflit pour vous là-dedans?
M. Beaudoin: Mais attention! M. Johnson (Anjou): Ah!
M. Beaudoin: Vous allez me dire: Est-ce que cela change les
articles 23 et 133? Oui, si vous voulez donner un caractère
prépondérant, d'après moi, cela est possible. Si vous
voulez donner un caractère exclusif, il faudrait un amendement aux
articles 23 et 133. Comme juriste, c'est ma réponse.
M. Johnson (Anjou): D'accord. Donc, en pratique, pour qu'on se
comprenne, entre les articles 23 et 133, peut-être au
bénéfice de ceux qui nous suivent, l'article 133 est dans la
constitution canadienne et il dit que l'Assemblée nationale et les
tribunaux du Québec sont bilingues. Ce qu'est l'extension de notre
spécificité n'est pas décidée par la
Législature du Québec. L'article 133 dit que c'est bilingue au
Québec dans l'Assemblée nationale, la législation
déléguée et les tribunaux de l'administration de la
justice. Cela n'affecte en rien...
M. Beaudoin: Attention! L'article 133 dit que les langues
législatives sont le français et l'anqlais, l'arrêt
Blaikie. Les débats peuvent être dans l'une ou l'autre langue; les
procès sont dans l'une ou l'autre langue, à la lumière de
ce que la Cour suprême vient de déclarer dans l'affaire MacDonald.
Là-dessus, d'accord.
L'article 23 est dans la Charte des droits et libertés, langue de
la minorité dans les écoles. Est-ce que la déclaration de
la société distincte peut être prise en
considération par un tribunal dans l'interprétation d'une loi qui
viendrait apporter certaines restrictions à l'article 23? Ma
réponse à cela est oui, elle peut. Dans quelle mesure? On le
verra.
M. Johnson (Anjou): Pensez-vous que le texte offre une garantie
pour la société distincte? Pensez-vous que ce texte-là
offre - je pose la question à l'expert - une garantie juridique formelle
que le Québec peut intervenir dans tous les domaines linguistiques?
M. Beaudoin: J'ai toujours pris l'attitude suivante: le pouvoir
de légiférer en matière de langue n'est pas
énuméré dans la constitution canadienne. À mon
avis, le Québec peut légiférer en matière
linguistique dans tous les domaines de sa compétence sans aucune
exception. Je suis en désaccord avec un des juges de la Cour d'appel sur
ce plan. Mais il ne fait aucun doute qu'en vertu de son pouvoir ancillaire, et
peut-être même direct dans certains cas, il peut
légiférer sur la lanque française dans tous les domaines
de sa compétence, sous réserve, bien sûr, de l'article 23,
qui constitutionnellement lie les dix provinces, et de l'article 133, qui lie
le Québec.
M. Johnson (Anjou): Voilà!
M. Beaudoin: ...et tel qu'interprété par les
tribunaux...
Une voix: Et la charte. M. Johnson (Anjou): Et la...
M. Beaudoin: ...laquelle interprétation est
évolutive.
M. Johnson (Anjou): Et la Charte canadienne des droits et
libertés.
M. Beaudoin: L'article 23, pas les autres.
M. Johnson (Anjou): Mais au-delà de cela, par exemple
liberté d'expression en matière d'affichage?
M. Beaudoin: Écoutez, ce n'est pas un
débat sur la possibilité de légiférer dans
un domaine en particulier. La question est de savoir si la
prépondérance d'une langue va contre la liberté
d'expression ou encore si l'exclusivité dans l'usage d'une langue va
contre la liberté d'expression. Il y a déjà un juge de la
Cour d'appel qui a dit que cela peut être conciliable avec la
prépondérance d'une langue, sans aller contre la liberté
d'expression. La cour a dit: Cependant, si vous visez à
l'exclusivité d'une langue, cela va contre la liberté
d'expression.
M. Johnson (Anjou): Et la liberté d'expression...
M. Beaudoin: II m'est difficile de commenter davantage parce que,
comme vous le savez, le conflit est devant la Cour suprême
actuellement.
M. Johnson (Anjou): C'est sub judice, oui, mais on se comprend
bien. Ce qu'on peut retenir, sans insulter leurs seigneuries à la Cour
d'appel ou à la Cour suprême, ce qu'on peut comprendre, c'est que
les limites d'intervention de l'Assemblée nationale en matière
linguistique lui sont dictées, d'une part, par l'article 133 de la
constitution canadienne. Le lac Meech ne change rien à cela. Le lac
Meech ne change rien à l'article 23 en matière scolaire. Mais
aussi l'interprétation que les tribunaux peuvent donner à
différentes dispositions de la charte canadienne, notamment, l'article
sur la liberté d'expression qui limite et qui pourrait limiter le
Québec par son application par la Cour suprême dans ses
interventions, pour faire en sorte que la promotion de la langue
française sur son territoire soit faite.
Peut-être d'autres articles comme l'article 6, par exemple, qui
prévoit la liberté d'établissement des personnes et qui
pourrait un jour être plaidé par un individu qui considère
que certains aspects, par exemple, de la réglementation de l'Office des
professions qui exige qu'une personne ait la connaissance de la langue
française, un individu pourrait plaider l'article 6 de la Charte
canadienne des droits et libertés et dire: Moi, j'arrive de Calgary ou
de Winnipeg, je n'ai pas à me soumettre à des
considérations de nature linguistique ici parce que mon droit, à
moi, en termes de liberté d'établissement, l'emporte sur une
espèce de disposition générale qui dit que le
Québec peut promouvoir le français.
C'est ça que je veux savoir d'après vous, là.
M. Beaudoin: D'après moi... Prenons le cas d'un
professionnel d'une autre province. On lui dit: Monsieur ou madame, vous devez
parler français pour pratiquer le droit dans cette province. Est-ce que
ça va contre l'article 2 sur la liberté d'expression? Est-ce que
ça va contre l'article 6 sur la mobilité?
Bien sûr que c'est une restriction. Mais, d'après moi,
cette restriction est acceptable dans une société libre et
démocratique et, là, votre déclaration du lac Meech est
bonne, là, elle est matérielle et là, elle a des dents. Le
juge va dire: Ah, pour cette déclaration, pourquoi oblige-t-on quelqu'un
à parler français pour être professionnel au
Québec?
Écoutez, moi, si j'avais à juqer cette cause-là, je
dirais: Monsieur, c'est raisonnable dans une société libre et
démocratique, comme la société québécoise,
eu égard à l'article 1 et eu égard à la
déclaration générale.
M. Johnson (Anjou): L'avocat de l'individu qui est arrivé
de Calgary explique, par ailleurs, devant le tribunal, que le Québec a
une caractéristique fondamentale de la fédération. Il a
des anglophones. Deuxièmement, c'est une caractéristique
fondamentale de la fédération. Troisièmement, j'ai un
droit spécifique en vertu de l'article 6 - non pas une disposition de
portée générale - de la Charte canadienne des droits et
libertés.
M. Beaudoin: Oui, mais la déclaration...
M. Johnson (Anjou): II va conclure qu'il est assis sur des
dispositions précises et non pas des dispositions d'ordre
général pour plaider contre une disposition en matière
linguistique de l'Assemblée nationale du Québec, parce que le
gouvernement du Québec n'a pas obtenu l'exclusivité en
matière linquistique sur son territoire.
M. Beaudoin: Un instant! L'obligation imposée par
l'article 1 vis-à-vis des anglophones, c'est les anglophones
québécois. L'anglophone québécois peut avoir les
mêmes droits, mais celui qui vient de l'extérieur du
Québec, c'est bien sûr qu'on peut l'obliger à devenir
bilingue. On peut l'obliger à s'exprimer en français.
M. Johnson (Anjou): Je m'excuse. C'est une notion que je ne
connaissais pas dans notre droit. Je ne savais pas qu'il y avait une
définition de ce qu'est un anglophone québécois dans notre
droit. Il y a un individu qui est un résident du Québec, qui peut
être un francophone, un allophone ou un anglophone. Mais, il y a des
résidents. Il n'y a pas de citoyens québécois encore. On y
viendra peut-être un jour. Mais il y a des résidents. Le
critère... Alors, l'individu qui arrive de Calgary, ça fait un an
qu'il est au Québec. Il paie des impôts ici. Il considère
qu'il est anglophone québécois, lui.
M. Beaudoin: Oui.
M. Johnson (Anjou): Mais il décide au nom de la
liberté d'établissement, parce qu'il arrive de Calgary, de
contester une loi du Québec en matière d'utilisation de la langue
française dans sa profession...
M. Beaudoin: Oui, mais...
M. Johnson (Anjou); C'est parce que vous aviez l'air de me dire,
professeur Beaudoin, que les droits des anglophones prévus dans les
caractéristiques fondamentales au paragraphe (a) de Particle 1 de
l'affaire du lac Meech, que ça, ça se limitait aux anglophones du
Québec. Oui, mais toute personne qui réside au Québec et
qui est un anglophone est un anglophone du Québec. Entre vous et moi,
qu'il arrive de Calgary, de Moose Jaw, de Yellowknife ou de Toronto ou bien de
Saint-Pacôme, je veux dire que je ne pense pas qu'il y ait des
distinctions dans le droit canadien là-dessus.
M. Beaudoin: Mais, la distinction, c'est celle-ci. Vous prenez le
cas, par exemple, d'un professionnel de Calgary qui s'en viendrait pratiquer le
droit au Québec. Nous, on dit: Vous devrez... Je ne parle pas du
plaideur qui vient occasionnellement plaider une cause. C'est évident,
je ne vois pas de difficulté.
Mais si vous dites dans la Loi sur le Barreau que, pour pratiquer le
droit au Québec, il faudra comprendre la langue française, moi,
je dis que cela peut se justifier. Cela peut se justifier parce que le
Québec a la compétence, en vertu de l'article 92.(13), sur les
ordres professionnels. S'il restreint la liberté et même la
mobilité dans une certaine mesure, je crois qu'à la
lumière de l'article 1 de la charte, c'est possible. Cela me
paraît une restriction raisonnable. À l'appui de cet argument,
j'invoquerais la déclaration du lac Meech sur la société
distincte. Je pense que ce n'est pas trop demander à quelqu'un qui vient
pratiquer le droit à Montréal ou à Québec et qui
veut en faire une profession, puisqu'il est ici où il s'établit,
de pouvoir s'exprimer en français ou de le comprendre.
M. Johnson (Anjou): Oui. Bien. Professeur, j'allais vous
demander, dans ce contexte, puisque vous me dites que c'est votre avis, et
c'est également mon avis, mais la question est de savoir comment la Cour
suprême... Mais je pense qu'on peut s'entendre. C'est votre avis et c'est
mon avis que le Québec devrait, précisément parce qu'on
est le Québec et parce qu'on est la seule place...
M. Beaudoin: Un instant! Je n'ai pas employé le
conditionnel...
M. Johnson (Anjou): Permettez-moi...
M. Beaudoin: J'ai dit: Légalement, c'est possible.
M. Johnson (Anjou): Ah! Vous dites que c'est possible, mais vous
ne dites pas qu'il y a des garanties.
M. Beaudoin: Non, non. Le Québec légiférera
comme il le veut bien. Il est souverain.
M. Johnson (Anjou): C'est cela. Mais ce que vous me dites, c'est
qu'il n'y a pas de garantie que la Cour suprême va maintenir la
législation québécoise dans ce secteur, comme
jusqu'à maintenant la Cour suprême, on le sait, a
débâti des pans de mur de la loi 101. Vous me dites que, dans le
texte du lac Meech, si je comprends bien, vous exprimez votre opinion ou votre
avis dans le sens que c'est une bonne idée et que le Québec
devrait légiférer en matière de français. On
s'entend là-dessus. Cela fait quelques années qu'on le fait. Mais
je vous dis, quant à moi, quand cela va arriver en Cour suprême,
est-ce qu'on a des garanties dans ces textes? Est-ce qu'on a des garanties,
dans le texte du lac Meech, que le Québec va pouvoir continuer, non
seulement à légiférer en matière linquistique, mais
à s'organiser pour occuper un plus grand espace, espace qui a
été limité par la Cour suprême depuis sept ou huit
ans? Est-ce qu'on a des garanties.
M. Beaudoin: II y a deux limites constitutionnelles sur le plan
linquistique. Le Québec ne peut pas sortir du domaine du partage qui lui
est alloué. Deuxièmement, ii est sujet à deux garanties
constitutionnelles. L'article 23 de la charte des droits dans les écoles
des minorités et de langue officielle. L'article 133 sur la lanque
parlementaire, législative et judiciaire. Pour le reste, il est
souverain.
M. Johnson (Anjou): Ce n'est pourtant pas ce qu'a dit la Cour
d'appel dans le cas de l'affichage, où elle invoque la charte canadienne
au titre de la liberté d'expression contre les lois du Québec en
matière d'affichage'
M. Beaudoin: Ah! Évidemment, la charte constitutionnelle
s'applique au Québec.
M. Johnson (Anjou): Ah bon! D'accordl Parfaitl Et elle peut
limiter le pouvoir du Québec en matière linguistique?
M. Beaudoin: La charte constitutionnelle des droits - et la Cour
suprême l'a dit carrément en 1984 - fait partie de la constitution
et lie les provinces. Pas plus le Québec et pas moins que les autres
provinces. À ce moment-là, si vous me
demandez: Est-ce que ta liberté de légiférer en
matière linguistique est absolue? Bien sûr qu'elle n'est pas
absolue. C'est bien sûr. Mais ce que je dis, c'est qu'à
l'intérieur des paramètres tracés par la constitution,
premièrement, sur le plan fédéral, deuxièmement,
par les garanties constitutionnelles, linguistiques et, troisièmement,
par la charte des droits de façon générale, eh bien, le
pouvoir est entier, mais sujet, évidemment, aux articles de la
constitution qui, ou bien départagent les deux pouvoirs ou encore
garantissent certains droits. Mais attention! Cette déclaration est une
règle interprétative, juridique réelle.
M. Johnson (Anjou): C'est cela. Mais qui, par contre, en
pratique, comme toutes les règles interprétatives, ne s'applique
que s'il y a besoin d'un recours à l'interprétation.
M. Beaudoin: Oui.
M. Johnson (Anjou): Voilà.
M. Beaudoin: Mais il est bien rare en droit constitutionnel qu'on
n'interprète pas.
M. Johnson (Anjou): Alors qu'une disposition spécifique
dans la charte canadienne, que ce soit aux articles 6, 23 ou 27 sur le
multiculturalisme, pourrait être plaidée comme une disposition
spécifique à l'encontre de laquelle la règle
d'interprétation d'ordre générai ne saurait
prévaloir en général, à moins qu'on la fasse passer
par l'interprétation de l'article 1. On se comprend?
M. Beaudoin: Mais c'est beaucoup, l'article 1. C'est
beaucoup.
M. Johnson (Anjou): D'accord.
M. Beaudoin: C'est l'article fondamental de la Charte des droits
et libertés. (11 h 15)
M. Johnson (Anjou): Oui. Professeur, j'aurais quelques mots et
quelques questions à vous adresser au sujet du pouvoir de
dépenser. On va essayer d'être pratique, je donne un exemple.
Récemment le président de la Fédération des
municipalités du Canada a déclaré dans une
conférence, il y a quelques jours ici à Québec, qu'il
avait fait un lobby remarquable auprès de certains membres du Parti
libéral du Canada pour les embarquer dans le programme suivant.
Étant donné qu'on a des problèmes de vétusté
des trottoirs et des égouts et de certains équipements municipaux
au Canada, il trouve que ce serait une bonne idée s'il y avait un
programme national pour refaire les trottoirs et les égouts au Canada,
payé un tiers par le fédéral, un tiers par les
municipalités, un tiers par le Québec. En admettant que le parti
est élu au gouvernement fédéral aux prochaines
élections avec un programme national pour réparer les trottoirs
au Canada, il décide qu'il va mettre l'argent de nos taxes
là-dedans.
On ne parle pas de faire des lois, on dit: II va transférer de
l'argent de façon conditionnelle aux provinces. On n'est pas
obligé de faire des lois pour cela. Il y a une disposition
générale sur le plan de la législation et le reste, c'est
de la réglementation. Ils vont prévoir, comme ils ont
prévu dans le cas des hôpitaux, dans les années
soixante-dix, où on avait prévu la dimension des ascenceurs, la
longueur des portes, des fenêtres, etc., pour que la province puisse
obtenir des subventions, peut-être la qualité du ciment ou des
affaires comme cela. Ne vous en faites pas, il y a plein de fonctionnaires
à Ottawa qui peuvent s'occuper d'affaires comme cela. Disons que
l'accord du lac Meech est entériné. Le Québec, lui,
décide que ce n'est pas cela la priorité sur son territoire, ce
n'est pas les trottoirs des municipalités. De toute façon, les
municipalités nous disent: Ne vous mêlez pas de cela, ce sont nos
affaires. Nous avons une autonomie fiscale au Québec depuis la
réforme fiscale, on ne veut pas que les gouvernements viennent se
mêler de cela. Notre priorité, ce n'est pas cela, c'est
l'environnement. Le Québec, dans le domaine municipal, veut mettre de
l'argent dans l'épuration des eaux plutôt que dans les trottoirs.
Le fédéral a un programme national pour les trottoirs et les
égouts, les tuyaux, mais non pas reliés aux usines
d'épuration. Le fédéral lance son programme. Québec
ne veut pas du programme. Qu'est-ce qui se passe?
M. Beaudoin: Vous tenez pour acquis que toutes les autres
provinces vont dire oui?
M. Johnson (Anjou): Que la majorité des autres provinces
ont dit oui.
M. Beaudoin: En droit municipal?
M. Johnson (Anjou): La majorité des provinces trouvent que
c'est une bonne idée de s'organiser pour répondre au
problème de vétusté des équipements municipaux au
Canada.
M. Beaudoin: J'espère qu'on ne verra jamais cela dans la
Fédération canadienne.
M. Johnson (Anjou): Ah! Parfait. Très bien.
M. Beaudoin: Écoutez! C'est un cas tellement
hypothétique que... Je ne peux pas commenter cela, un programme pour les
trottoirs qui serait l'objet d'une entente
fédérale, à frais partagés, avec l'accord de
neuf provinces?
M. Johnson (Anjou): Vous savez que la transcanadienne a
été bâtie de même...
M. Beaudoin: De toute façon, il se servira de son droit de
retrait si jamais cela arrive.
M. Johnson (Anjou); M. Beaudoin, vous savez que la
transcanadienne a été bâtie de cette façon dans les
années cinquante. C'est une route. Cela n'avait pas grand-chose à
voir avec les grands objectifs nationaux et la politique extérieure.
M. Beaudoin: Attention. La route transcanadienne a
été construite grâce au pouvoir de dépenser et
remise aux provinces et rien n'aurait pu empêcher en droit
constitutionnel strict que 92A, 92,(10)a) soient invoqués. La route
serait entièrement fédérale, alors que là elle est
provinciale.
M. Johnson (Anjou): Dans le cas de la santé,
d'après vous, le fédérai avait un pouvoir
spécifique historiquement?
M. Beaudoin: La santé? Oui, dans certains secteurs, je
dirais que c'est un domaine, certainement, prioritairement provincial, en vertu
de 92.(7), 92.(13), 92.(16). Il n'y a aucun doute dans mon esprit. Mais le
fédéral aussi peut intervenir en matière de santé
grâce à son pouvoir en droit criminel pour les matières
dangereuses, etc. Donc, c'est...
M. Johnson (Anjou): On se comprend, le monde hospitalisé
parce qu'ils ont mal au ventre; ce ne sont pas des militaires, ce ne sont pas
des prisonniers dans les prisons fédérales. D'après vous,
est-ce que le fédéral a juridiction là-dedans?
M. Beaudoin: En santé? M. Johnson (Anjou): Oui.
M. Beaudoin: Je répète: c'est un secteur
prioritairement provincial et si vous me parlez de la santé comme telle,
par exemple, les ordres professionnels, médecins, gardes-malades, etc.,
c'est provincial. Oui, c'est provincial. Il y a certains aspects qui pourraient
être fédéraux. Je sais ce que vous allez me dire. Il
pourrait arriver...
M. Johnson (Anjou): Ce que j'essaie de vous dire - on va
arrêter de tourner autour du pot; le problème, c'est qu'on n'a pas
beaucoup de temps - c'est qu'au gouvernement fédéral, y a-t-il
quelqu'un qui va douter 30 secondes qu'il est présent dans la
santé au Canada depuis 20 ans? Il est présent, merci. Il impose
des normes, des objectifs nationaux, des cahiers de réglementation, des
conditions aux provinces pour qu'elles dispensent un système de
santé au Canada et puissent profiter de l'argent de nos taxes. On se
comprend là-dessus? Bon.
Ce que je vous dis, c'est pour l'avenir, M. Beaudoin. Qu'est-ce qui,
dans l'entente du lac Meech, au chapitre du pouvoir de dépenser, va
empêcher le gouvernement fédéral de déclarer des
programmes dits nationaux, avec des objectifs nationaux dans des domaines de
compétence provinciale comme l'environnement, le logement, les valeurs
mobilières ou comme tout ce qui est relatif aux programmes de nature
sociale: les garderies, etc. Qu'est-ce qui empêchera le gouvernement
fédéral d'établir des objectifs nationaux? Rien. On se
comprend bien.
M. Beaudoin: II peut l'édicter. Si les provinces sont
d'accord, il fera son plan à frais partagés.
M. Johnson (Anjou): C'est cela. Et si une province n'est pas
d'accord avec les objectifs nationaux, est-ce qu'elle pourra avoir le transfert
de ses taxes?
M. Beaudoin: Elle pourra avoir une compensation juste.
M. Johnson (Anjou): À condition que? M. Beaudoin:
Qu'elle se conforme...
M. Johnson (Anjou): Aux objectifs nationaux?
M. Beaudoin: Attention! Il faut que la province... Ce qui est
nouveau, qui n'existait pas et qui est un gain provincial, un gain
québécois, c'est qu'avant elle ne pouvait rien dire, sinon
contester devant les tribunaux. Je n'ai jamais compris pourquoi cela n'a pas
été contesté devant les tribunaux depuis 25 ans, mais
c'est une autre histoire. Enfin, on disait toujours: Ah, c'est illégal,
c'est inconstitutionnel, pourtant il n'y a jamais eu d'arrêt devant les
tribunaux. Mais, maintenant, le Québec peut dire: Nous ne sommes pas
d'accord et nous allons opérer un retrait avec compensation. Vous allez
me dire: Oui, mais il faut que le Québec fasse son propre plan. Oui,
c'est vrai, mais si c'est une mesure qui est aussi extraordinaire qu'on le dit,
si les représentants, les 282 députés à Ottawa et
les députés dans neuf autres Législatures sont favorables,
c'est que peut-être, a priori, il y a quelque chose d'intéressant
dans ce programme-là. Mais enfin, pour plusieurs raisons, Québec
peut dire: Non, non, nous voulons faire comme bon nous semble. Nous
opérons un retrait avec pleine compensation. C'est nouveau.
Vous allez me dire: Ce n'est pas assez...
M. Johnson (Anjou): Oui, mais, professeur Beaudoin, je ne dis pas
que ce n'est pas assez, j'essaie de voir ce qui est là-dedans. Je
n'essaie pas de l'interpréter au-delà de ce que l'on peut faire
avec les textes qu'on a, je dis que le Québec qui dirait: Non, je
n'embarque pas dans votre programme fédéral, il n'est pas
automatiquement compensé, selon le lac Meech. On se comprend. Il est
compensé à condition, comme vous le dites dans votre texte,
professeur Beaudoin, qu'il ait un programme compatible avec les objectifs
nationaux. Et si le Québec n'en a pas, parce qu'il décide que
dans ce domaine-là, il ne veut pas en avoir, la priorité est
ailleurs, il n'a pas de compensation - on se comprend bien - en vertu du lac
Meech.
M. Beaudoin: II n'y a pas de compensation obligatoire.
M. Johnson (Anjou): Voilà, il n'y en a pas.
M. Beaudoin: II peut y en avoir une qui peut être
payée quand même, mais...
M. Johnson (Anjou): Oui, oui, mais c'est bien rare que le
gouvernement fédéral fasse des cadeaux. On se comprend.
M. Beaudoin: Oui, oui.
M. Johnson (Anjou): En terminant et avant de passer la parole
à un collègue d'en face, M, le Président, permettez-moi
simplement de dire que, sur le pouvoir de dépenser qui constitue quelque
chose d'assez fondamental ici, un collègue de Me Beaudoin, Me
Décary, que nous allons entendre, je pense, écrivait ce matin que
la constitution reconnaîtrait le pouvoir du gouvernement
fédérai d'établir de nouveaux programmes nationaux
à frais partagés dans des domaines de compétence
provinciale exclusive; ce qui, sur papier, constitue une modification
constitutionnelle importante et une concession majeure de la part des
provinces. Par ailleurs, le recours au mot "objectifs" dans le cadre de la
compensation permet de croire que, si les provinces ont à la rigueur le
choix des armes, elles n'auront pas le choix des batailles. Ce qui veut dire,
en pratique - c'est l'opinion de ce juriste et c'est également la mienne
- que le présumé gain du Québec est essentiellement une
confirmation du pouvoir fédéral de dépenser et,
deuxièmement, qu'il forcera dorénavant les provinces, y compris
le Québec, à devoir se plier à des objectifs nationaux
pour revoir la couleur de l'argent de leurs taxes.
Le Président (M. Filion): C'est terminé en ce qui
me concerne, M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Merci.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Or, du
côté du groupe ministériel, je vais reconnaître le
premier député que j'ai noté, M. le député
de Montmorency.
M. Séguin: Merci, M. le Président. M. Beaudoin,
vous n'étiez pas là, mais, hier, le chef de l'Opposition, M.
Johnson, a soulevé dans son allocution des réserves, des
inquiétudes, des préoccupations relativement au Code civil du
Québec. Si j'ai bien compris ou si je suis correct, il a surtout
soulevé la question, sous l'angle de la charte canadienne, des droits du
Québec par rapport à celle du fédéral et il
soutenait qu'il n'y a rien dans l'accord du lac Meech qui bonifie une situation
précaire relativement au Code civil du Québec par rapport
à l'intervention possible du fédéral, de sorte que cela
l'inquiète beaucoup.
Par contre, dans votre allocution tantôt, vous avez
mentionné que le Code civil était tout à fait de
compétence provinciale. Vous avez mentionné l'article 92,
paragraphe 13, entre autres, et l'article 98. J'aimerais si vous pouviez, en
quelques minutes, revenir sur le sujet par rapport au Code civil du
Québec.
M. Beaudoin: Ma thèse est la suivante: Le Code civil est
antérieur à la Fédération canadienne de onze mois.
Ce Code civil a été codifié grâce aux bons soins de
Georges-Étienne Cartier. Cartier, quand il a rédigé avec
ses collègues l'article 92, a employé les mots "property and
civil riqhts" - on me pardonnera l'expression anglaise, mais à cette
époque la constitution n'était qu'en ianque anglaise - qui nous
viennent de l'Acte de Québec et qui avaient pour but évident de
protéger la spécificité du Code civil
québécois.
À mon avis, il a réussi parce que pendant un siècle
on n'a jamais soulevé cette difficulté, et à l'article 94,
le Québec a un petit statut particulier en ce sens qu'on ne mentionne
pas le droit civil et, à l'article 98, pour la nomination des juges, il
est clair qu'on a voulu protéger le Code civil québécois.
La protection du Code civil m'apparaît entière. On me dira: Oui,
mais un jour la Charte canadienne des droits et libertés est
arrivée et le Code civil évidemment est impliqué et
lié par la charte des droits.
Il y a eu, dernièrement, un arrêt de la plus haute
importance de la Cour suprême du Canada, Dalphin Delivery, où on a
dit qu'en principe, en obiter dictum, soit dit en passant, le Code civil serait
lié par la charte
et la "common law" en autant qu'il y a une intervention de
l'État.
On a dit dans cet arrêt fondamental que les relations entre les
citoyens ne sont pas soumises à la charte. Je crois que c'est une
victoire. Je crois que ceci est excellent pour les relations entre individus
sur le plan du droit privé dans une province comme le Québec. Je
me réjouis de cet arrêt, soit dit en passant.
Vous allez me dire: Oui, mais en légiférant dans les
matières de sa compétence, le Parlement québécois
doit respecter les principes fondamentaux de la charte. Oui, c'est vrai! Vous
savez, ce n'est pas pour le Code civil que j'ai peur, c'est pour beaucoup
d'autres lois dans beaucoup d'autres provinces. Le Code civil, que je sache,
respecte la liberté entre hommes et femmes, l'égalité
entre hommes et femmes et se conforme aux articles 28 et 15 de la charte.
Je ne vois rien dans le Code civil, sauf erreur, qui puisse aller contre
le fameux article 2 de la charte. Les droits démocratiques, cela n'offre
aucune difficulté. Je me dis: Tous les beaux principes qui sont
codifiés dans le Code civil, tel qu'il existe aujourd'hui, il y a eu une
refonte importante du Code civil, oui c'est soumis à la charte. Je ne
vois pas en quoi cela met en danger le génie du Code civil qui, dans sa
forme actuelle ou dans sa forme renouvelée, m'apparaît fort
respectueux des libertés fondamentales. Je n'ai pas peur du tout pour le
Code civil. (11 h 30)
Le Président (M. Filion): M. le député de
Montmorency, vous avez terminé? Je vais reconnaître maintenant M.
le député de Mille-Îles.
M. Bélisle: Merci, M. le Président. Professeur
Beaudoin, je partage votre vue quant au fait que la liberté de
légiférer en matière linguistique ne doit pas être
absolue. Nous, du parti ministériel, bien entendu, nous avons une vision
fédéraliste de ce droit. Nous reconnaissons l'article 133 de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 et l'article 23 de la
Loi constitutionnelle de 1982. Dans l'exemple qui a été soumis
tantôt, je comprends que l'avocat de Calgary qui vient au Québec
doive se soumettre à la notion d'une société distincte
parce qu'il veut faire partie de notre société; je comprends
cela.
À l'intention de tous ceux qui nous écoutent, à la
fin des débats de l'actuelle commission, on va tenter de faire un bilan.
Et lorsque je lis la première clause du projet d'accord du lac Meech, la
première disposition, où l'on parle d'obligation de la
reconnaissance d'un Canada anglophone, d'un Canada francophone, de la
reconnaissance de la notion d'une société distincte, du
rôle de l'Assemblée nationale de promouvoir et de protéger
le caractère distinct de la société
québécoise, je me pose une question. À votre avis, est-ce
que cette clause constitue un qain, le maintien du statu quo ou un recul pour
le Québec, compte tenu de tout ce qui existe dans le domaine de la
langue, dans le domaine de l'éducation, dans le domaine du droit civil,
comme on le disait tantôt? Je voudrais avoir cela dans une coquille.
M. Beaudoin: Votre coquille, elle va être bien simple.
Recul? Non. Statu quo? Non. Gain? Oui. C'est un gain, que voulez-vous? Il y a
une déclaration qui a valeur de règle interprétative. Tout
constitutionnaliste sait fort bien qu'une règle interprétative en
droit constitutionnel, c'est important. Bien sûr, cela arrive dans des
cas où il y a des doutes ou des ambiguïtés, mais, si
j'analyse les 120 causes du Conseil privé sur le partage et les 150
causes de la Cour suprême, j'en vois beaucoup, des doutes. Donc, c'est
une règle d'interprétation qui peut avoir son importance. Je ne
dis pas qu'elle chanqe les textes fondamentaux. Je dis qu'elle change
l'interprétation, et on verra, parce qu'il y a tout de même les
mots "protéger" et "promouvoir" qui apparaissent là. On verra
dans quelle mesure la Cour suprême donnera effet aux mots "rôle",
"protéger" et "promouvoir". Le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est
une règle d'interprétation fondamentale, notamment dans la charte
des droits et dans le partage des pouvoirs.
M. Bélisle: Merci.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Bourget.
M. Trudel: Merci, M. le Président. Professeur Beaudoin,
j'aurais quelques questions à vous poser sur la société
distincte, évidemment. Je pense que votre échange de vues avec le
chef de l'Opposition et la réponse que vous venez de donner à mon
collègue de Mille-Îles, dans l'ensemble, répondent aux
questions que je voulais vous poser. Tout en me déclarant tout à
fait accord avec vous sur le fait que l'entente ou l'accord du lac Meech
renvoie dos à dos les centralisateurs et les décentralisateurs
à tous crins - donc, c'est un accord qui va plaire aux
modérés - j'aurais une seule question. J'aimerais que vous
précisiez, à la page 11, une règle qui m'est revenue
à l'esprit -parce que je suis avocat de formation et non pas de
profession, donc cela fait très longtemps, plus de 20 ans maintenant -
la règle d'interprétation ejusdem generis - je ne me souviens
même pas comment on prononce cela, vous voyez jusqu'à quel point
cela peut être loin - qui fait qu'au fond, le débat sur la
société distincte et sur l'accord du lac Meech est de savoir si
l'on va laisser les
choses générales ou si l'on va essayer de les
préciser davantage.
M. Beaudoin: En droit, il y a un vieux principe qui dit que,
lorsqu'on énumère, on restreint toujours. En ce sens, si vous
énoncez un principe général et que, dans ces deux ou trois
petits paragraphes a, b et c, vous nommez des secteurs en particulier, les
cours de justice sont portées à restreindre la globalité
de la cause à ces trois cas en particulier ou à des cas qui leur
ressemblent étrangement.
Il y a toujours deux écoles en droit constitutionnel:
l'école de ceux qui veulent tout définir et l'école de
ceux qui veulent donner les grands principes globaux, souvent lapidaires. Le
débat est éternel. Je me suis toujours dit qu'une constitution
n'est pas une loi ordinaire. On peut changer une loi tous les ans, mais on ne
peut pas changer une constitution tous les ans. Je me dis qu'il faut alors
avoir des termes qui sont assez généraux. Remarquez que
même les Britanniques ont employé les deux théories en
1867. On a précisé pour plus de sécurité, pour plus
d'exactitude. Mais enfin, c'est une question de philosophie. Il y en a qui se
contentent de principes généraux, d'autres qui veulent
énoncer toutes les exceptions. Pour ce qui est de la
spécificité québécoise, j'y vois évidemment
de grandes constantes: droit civil, langue française, culture
française, c'est évident, c'est éternel, je
l'espère bien.
Mais il y a d'autres aspects de notre spécificité qui
peuvent varier avec le temps. Par exemple Cartier et Macdonald et leurs
collègues ont fait l'article 93 qui protégeait les droits
confessionnels. Aujourd'hui si on refaisait l'article 93, on le
rédigerait probablement de façon différente. Je ne dis pas
qu'on ne les protégerait pas, on les protégerait peut-être
différemment mais il est certain qu'on protégerait bien davantage
les droits linguistiques. Du moins c'est ce que je suis porté à
croire.
Même chose pour le plan social. Le Québec, vous le savez,
XIXe siècle, n'était pas ce qu'il est aujourd'hui. Les valeurs
sociales changent, les valeurs religieuses aussi, dans une certaine mesure. Je
dis toujours dans une certaine mesure. Tel caractère d'une
spécificité peut être fondamental à une
période donnée et devenir très relatif à une autre.
Allons-nous changer cette déclaration de la spécificité
è toutes les générations? Certains juristes diront oui.
D'autres diront non. C'est une question de philosophie. Évidemment, on
peut faire ce qu'on veut quand on est d'accord tous ensemble. À mon
point de vue, eu égard à toutes les circonstances, cette
déclaration m'apparaît tout de même un gain que je
considère majeur. Bien sûr que cela ne change pas
matériellement le partage et les garanties. C'est vrai.
M. Trudel: Vous permettez?
M. Beaudoin: Les gains matériels.
M. Trudel: Merci.
Le Président (M. Filion): Merci. Alors je vais
reconnaître maintenant le ministre délégué aux
Affaires intergouvernementales canadiennes.
M. Rémillard: Merci M. Beaudoin de ce témoignage
particulièrement éloquent. Vous êtes un constitutionnaliste
de grande réputation, de grande expérience et votre
témoignage nous a beaucoup éclairé, tant de ce
côté-ci que de celui de nos amis d'en face. Vous nous avez fort
bien démontré que, comme vous l'écrivez d'ailleurs dans
votre rapport que vous faites à cette commission, l'entente du lac Meech
c'est une entente qui va à la limite du possible.
Vous nous dites que le Québec, par cette entente du lac Meech,
acquiert de nouveaux pouvoirs. Des pouvoirs qui n'étaient pas
confirmés expressément dans la constitution et même des
pouvoirs qui n'apparaissaient pas directement. Ce que vous nous dites, en ce
qui regarde la Cour suprême, c'est que le Québec aura maintenant
le pouvoir de soumettre des noms pour les juges, pour la nomination des trois
juges qui doivent venir du Barreau du Québec.
Vous nous dites qu'en matière d'immigration, le Québec
acquiert de nouveaux pouvoirs qui vont permettre maintenant de faire la
sélection de nos immigrants, tant ceux qui demandent à venir
immigrer au Québec et qui sont à l'extérieur du Canada,
que ceux qui sont sur place au Canada, au Québec et cela comprend plus
de 25 % de nos immigrants. Le Québec va acquérir de nouveaux
pouvoirs parce qu'il aura maintenant la possibilité de prendre les
mesures d'intégration nécessaires pour donner à ces gens
le goût du Québec, que ce soient des cours de langue, que ce
soient des cours de formation, des cours de connaissance de nos institutions,
de nos façons de vivre, parce que nous perdons plus de 50 % de nos
immigrants qui vont à l'extérieur. C'était une juridiction
que nous n'avions pas et maintenant nous allons la recouvrer. Nous avons une
garantie en matière d'immigration sur un minimum d'immigrants qui
pourront venir en fonction de notre poids démographique, en plus d'un 5
% que nous pouvons ajouter.
Vous nous avez dit que, concernant la société distincte,
il serait dangereux de définir ce que serait la société
distincte, parce que qui définit limite, et que la règle ejusdem
generis, qui nous amène à
interpréter une enumeration en fonction d'un même genre,
pourrait causer des difficultés majeures à
l'interprétation. Vous nous dites que la société distincte
peut être un atout majeur pour le Québec, pour défendre ses
lois, tant en ce qui regarde sa langue et sa culture que dans d'autres
domaines, puisque le concept de société distincte est
fondé, bien sûr, d'une façon évidente sur une
culture, sur une langue différente, mais aussi sur des institutions qui
sont différentes, sur une façon de vivre différente.
Donc, vous voyez là - c'est ce que vous nous dites - dans ce
premier article... Cela ne sera pas un préambule, c'est un article de la
constitution qui caractérise donc maintenant notre
fédéralisme en fonction du principe de la dualité et celui
de la spécificité du Québec. Vous voyez, dans un premier
temps, la dualité comme un état de fait, une reconnaissance de
fait. Vous voyez la reconnaissance de la société distincte comme
une possibilité très intéressante qui reconnaît
maintenant le rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement du
Québec. Vous avez fait, je pense, cette nuance très Importante.
Vous avez insisté sur le fait qu'il apparaît, en ce qui regarde la
spécificité du Québec et le rôle de
l'Assemblée nationale et du gouvernement, deux termes très
importants. C'est le rôle de protéger - vous avez insisté
avec raison - et c'est aussi le rôle de promouvoir ce caractère
distinct.
M. Beaudoin, une dernière question rapidement. Certains, comme le
professeur Latouche, ancien conseiller constitutionnel du premier ministre, M.
René Levesque, considèrent qu'on a fait tellement un bon travail,
qu'on a été une équipe de négociation tellement
extraordinaire, qu'on a obtenu des résultats si éclatants qu'ils
nous disent, à toutes fins utiles, si je comprends bien leur message:
Mais continuez, continuez comme cela, vous allez en avoir encore beaucoup. Vous
avez beaucoup d'expérience des négociations constitutionnelles.
Vous voyez l'entente du lac Meech. Qu'est-ce que vous pensez de cela?
M. Beaudoin: Écoutez. Des voix: ...
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
M. Beaudoin: Mon opinion est bien simple. Cet accord porte sur
cinq points. Â mon avis, j'y donnerais personnellement mon
adhésion. Si le Québec - c'est sûr que cela viendra un jour
- a d'autres amendements à suggérer, il pourra le faire à
la phase II. Je dis toujours: Quand un moment est privilégié -
c'en est un - il faut en prendre avantage quand il est là.
Le Président (M. Filion): Trente secondes.
M. Rémillard: II me reste quinze secondes pour remercier
le professeur Beaudoin de s'être déplacé. Je vous remercie,
professeur.
M. Beaudoin: Je considère que c'est un honneur.
Le Président (M. Filion): M. Beaudoin, c'est à mon
tour, au nom de tous les membres de la commission, de vous remercier pour votre
exposé et également pour la période de discussion.
Nous allons suspendre nos travaux pour quelques minutes pour permettre
à notre prochaine invitée, que nous avons déjà
reconnue dans la salle - bonjour! - de bien vouloir prendre place à la
table des invités. Donc, suspension pour deux ou trois minutes, au
maximum. Merci.
(Suspension de la séance à 11 h 44)
(Reprise à 11 h 48)
Le Président (M. Filion): Merci, mesdames et messieurs,
membres de la commission. Nous allons donc poursuivre nos travaux de
consultation, en recevant Mme Solange Chaput-Rolland, qui a déjà
pris place à la table des invités. Bienvenue, madame. Il n'est
pas nécessaire, je crois, de répéter l'enveloppe de temps
qui vous est consacré, quelque 90 minutes: 20 minutes pour votre
exposé et 35 minutes pour la période d'échanges. Sans plus
tarder, je vous invite à nous faire votre exposé.
Mme Solange Chaput-Rolland
Mme Chaput-Rolland (Solange): M. le Président, messieurs
et madame les membres de cette commission, je voudrais d'abord remercier ceux
qui m'ont invitée et souligner que j'ai été
invitée, contrairement à ce qu'on a laissé entendre dans
un journal et qui m'avait un petit peu choquée, que j'étais ici
pour prendre la place de quelqu'un. Je ne crois pas que je prenne la place de
qui que ce soit.
J'ai accepté l'invitation qui me fut faite, M. le
Président, je viens à l'instant de vous le dire, avec peu
d'empressement. Il faut qu'on me le pardonne, parce que revenir dans cette
belle maison historique quand on y a été quelque temps... Je sais
qu'autour de cette table, on sait que j'y étais il y a quelques
années, que j'y étais un jour, pour bien peu de jours,
députée de cette Assemblée et c'est la première
fois que j'y reviens.
Il y a donc en moi-même aujourd'hui,
plus le trac de m'adresser à vous, M. le Président,
à cette commission comme au grand public, une sorte de tremblement,
puisque j'ai emporté chez moi de cette Assemblée des souvenirs
qui ne sont pas toujours les plus heureux.
J'ai souvenance d'avoir dit dans cette Assemblée que le temps
où j'y étais était le temps de la grande déchirure
fraternelle. On oublie ce temps; je ne l'ai pas oublié. Mais ce matin,
c'est au nom peut-être de la retrouvaille fraternelle que j'ai
accepté d'être ici.
Je vous demande très gravement, à chacun de vous, de ne
pas chercher de couleur politique derrière les choses que j'ai
l'intention de vous dire, mais de regarder, ne fût-ce que quelques
secondes, la couleur de mes cheveux. Vous allez comprendre que, depuis
longtemps, près de trente ans, j'ai cherché, dans je ne sais
combien d'associations au Québec, cette reconnaissance de la
société distincte, avec d'autres mots.
Je regarde Me Jacques-Yvan Morin et je sais que nous avons ensemble
été aux États généraux. On cherchait aussi
la reconnaissance d'un caractère très spécial pour le
Québec. Si j'ai donc accepté votre invitation, c'est au souvenir
d'une chose: de cet engagement d'il y a près de dix ans, dans la
commission Pepin-Robarts, dont la vision dualiste se retrouve dans le livre
beige et puis se retrouve, finalement, dans les accords du lac Meech. C'est la
raison, M. le Président, de ma présence ici et c'est la raison
pour laquelle je manifeste ma confiance dans les accords du lac Meech.
M. le Président, tous les mouvements, associations et groupements
culturels et politiques qui ont rassemblé des Québécois
depuis près de cent ans, ont toujours cherché, avec des moyens
différents, à faire resplendir les caractères
spécifiquement québécois de notre société.
Tous, gens d'hier et d'aujourd'hui, de milieux confortables ou en
détresse, tous, nous avons été, chacun à notre
façon, Ies rais de cette immense roue francophone qui est et demeure le
moteur de notre société. Elle ne serait pas sans nous. Elle
deviendra avec nous, aujourd'hui et demain, encore plus dynamique puisque les
autres sociétés du Canada, pour la toute première fois,
admettent sa présence légale et ont reçu la mission
constitutionnelle de la refléter dans les grandes institutions du
pays.
Vous venez d'entendre mon éminent collègue de la
commission Pepin-Robarts, Gérald Beaudoin, qui vous a dit en des termes
beaucoup plus savants que moi ce que j'essaie de vous dire avec mes mots. Je ne
suis pas un expert, vous le savez déjà par ce que je viens de
vous dire. Je n'ai aucune espèce d'interprétation personnelle de
la constitution. Mais je sens dans mon âme même, moi aussi,
l'âme du peuple du
Québec. C'est de cela que je voudrais vous parler de la
façon dont j'ai toujours parlé aux Québécois.
Je laisserai donc aux experts et juristes la tâche de fouiller un
à un les articles du protocole d'entente du lac Meech. Ils ne sont pas
secondaires à la reconnaissance de notre société; ils en
sont les corollaires. On pourra demain, si telle est la volonté
populaire, changer les mots des accords mais personne, il me semble, à
ce moment de notre évolution, n'en devrait changer l'esprit.
Quand notre société saisira, dans les années
à venir, sa nouvelle liberté, la nouvelle dimension de sa
vérité historique, culturelle et politique, elle
découvrira un autre état d'être et, probablement, un grand
désir d'affirmation nationale et d'elle-même. Notre
société se distingue déjà par ses innovations dans
tous les domaines, par le dynamisme de sa jeunesse et l'audace de ses projets
dans la plupart des pays du monde. Cette volonté se manifestait
déjà au matin de son arrivée dans cette terre inconnue des
vieux pays déjà connus. Elle s'exprimait en français au
midi de son historique blessure et au soir du lac Meech, elle avait
trouvé sa légitimité et sa constitutionnalité.
Je ne souhaite pas, à ce moment de ma vie, que notre
société en général et en particulier, gens de la
politique ou gens de la vie de tous les jours, jeunesse ou plus vieux, je ne
souhaite pas que nous oubliions les luttes passées à cause de nos
victoires si récentes. Permettez-moi de rappeler à ceux qui
imaginent qu'on peut recréer demain le Canada d'hier, ou à ceux
qui imaginent qu'on a inventé hier le Canada de demain, qu'il s'agit,
par les accords du lac Meech, de continuité et non de finalité.
Une société dont le passé était si riche en
humanité pour toutes les couches de notre société est en
devenir perpétuel. Le nationalisme est mal considéré
aujourd'hui, peut-être. En 1987 on lève le nez sur les luttes du
nationalisme. Seulement, il ne nous a pas écrasés entre nos murs,
il nous a portés vers le lac Meech et nous lui devons tous les droits
acquis depuis 1867.
En février 1965, la commission Laurendeau-Dunton écrivait:
"Le Canada vit la crise la plus grave de son existence." Les commissaires,
pressentant que leur jugement serait contesté, ajoutaient: "Le risque de
la lucidité est moins périlleux que le risque du silence." Quelle
leçon, quelle incroyable leçon de courage, pour nous et pour ceux
de demain. Elle avait d'instinct reconnu que la dualité linguistique et
biculturelle comme il se disait dans le temps, devait se transformer en
dualité politique, juridique et constitutionnelle si le Canada devait se
survivre. Cela, c'est la partie Pepin-Robarts de cette proposition de la
commission Laurendeau-Dunton qui s'est vue changée par cette commission
à laquelle j'ai eu l'honneur
d'appartenir avec mon confrère Gérald Beaudoin. À
la veille du référendum de 1980, les commissaires de
l'unité canadienne avaient écrit: "C'est la convergence des
idées qui constitue l'assise même de notre
société."
M. le Président, il y a eu convergence des volontés au lac
Meech et cette convergence s'est aussi concentrée sur la reconnaissance
de notre société enfin reconnue par tous les participants.
J'aimerais croire qu'une telle convergence puisse être possible dans
cette société, ici-même ce matin, comme dans l'immense
société du Québec qui nous écoute peut-être
à la télévision. Mais il ne faut pas qu'il y ait
simplement convergence. Il faut qu'il y ait concordance de vues entre les
participants pour que le public comprenne quelque chose: que l'on dise tous la
même chose, que l'on ait à peu près tous les mêmes
réactions aux accords du lac Meech, du moins pour ceux qui y ont
participé. Cependant, un fait me rassure quant à la participation
des peuples du Canada à l'évolution de leur
société. Chaque année, la commission Pepin-Robarts l'avait
suggéré, une conférence constitutionnelle réunira
les dirigeants du pays et fort heureusement pour nous, cette rencontre n'aura
pas lieu au lac Meech en lac protégé, en eaux fermées, en
chambre interdite aux caméras du pays. Ainsi, comme la commission
Pepin-Robarts l'avait encore souhaité, nous pourrons tous essayer de
comprendre quelque chose au cheminement constitutionnel qui ne regarde pas
seulement les experts et les participants du lac Meech, mais qui regarde cette
population qui nous écoute et qui essaie de comprendre. Si elle
comprend, je la félicite.
Il est gênant, M, le Président, et fort gênant pour
moi, qui ne suis rien d'autre qu'une communicatrice en fait, de penser que nos
experts constitutionnalistes croient un peu trop qu'il leur faut parler une
langue fermée pour qu'on comprenne un peu ce qui nous attend demain.
J'ai parlé tout à l'heure de continuité dans les
revendications du Québec et je voudrais y revenir quelques secondes.
Au-delà de la signification de l'accord du lac Meech, un fait retient
mon attention et c'est l'unanimité des participants en ce qui concerne
les propositions du Québec et la bonne volonté unanime encore
à écouter cette fois pour comprendre les revendications de notre
société. Cette même unanimité avait incité
les membres de l'équipe Pepin-Robarts - et je la cite - "à
trouver un équilibre entre la croissance des provinces et la croissance
de la nation, un équilibre entre l'avènement d'une
société distincte au Québec et sa participation à
la vie du Canada."
Il était donc possible, il y a dix ans, de déjà
identifier les éléments distinctifs du
Québec: l'histoire, la lanque, le Code civil, l'ethnicité,
le sentiment et la politique, tous ces éléments,
écrivait-on dans le rapport "font du Québec le phare de la
présence française en Amérique". (M. le Président,
je vous demande d'être un peu patient, il ne me reste que trois
pages).
Il ne faudrait pourtant pas imaginer que, comme le chef de l'Opposition
et comme d'autres personnes qui ont soulevé des critiques, je ne vois
pas les failles et les faiblesses dans un accord par ailleurs sécurisant
dans ce qu'il nous permet d'entrevoir et de construire tous ensemble. Mais si
ceux qui le jugent et le critiquent font reposer leurs arguments sur leur
conception d'un Québec progressivement souverain ou souverainement ou
souverain progressivement, alors aucun accord ne comblera jamais de telles
attentes.
Il convient de rappeler que les propositions du Québec furent
formulées pour que le Québec revienne à une
fédération qui était fort boiteuse sans elle. À
partir du moment où nous acceptons ce retour et cette adhésion,
les accords du lac Meech prennent une importance très grande parce que,
pour la première fois, tout ce beau monde fédéral
paraissait du même avis quant au Québec. Et si je n'étais
pas convaincue que de nouveaux accords seront signés dans les
années à venir, je m'inquiéterais sans doute de me savoir
enfermée dans les caractères distinctifs du moment de 1987.
Que voudra le Québec de l'an 2000? Que souhaiteront les autres
provinces dans 30 ou 50 ans? Bien sûr, élargir leur marge de
manoeuvre pour avancer avec leur société. Ces paroles peuvent
vous paraître bien illusoires et même simplistes à tous les
grands experts. J'accepte volontiers de m'entendre dire que les règles
conditionnelles dépassent largement ma compétence.
Mais quand je me tourne vers le passé et que je me souviens des
luttes des États généraux, du mouvement laïc de
langue française et de combien d'autres mouvements qui, tous,
réclamaient pour le Québec un élargissement de ses
pouvoirs, tous revenaient bredouilles à la maison fragile.
La tenue d'un référendum sur l'avenir du Québec n'a
pas eu lieu simplement parce qu'un large secteur de notre population souhaitait
récupérer tous les pouvoirs politiques, mais surtout et aussi
parce que notre société en obtenait beaucoup trop peu.
Le pas de qéant qui vient d'être franchi n'est pas le fruit
du hasard. Il est le résultat d'une très longue réflexion
sur le présent du Québec et sur un avenir pour nous, qui croyons
aux accords du lac Meech, relié au Canada.
Ceux qui ne croient pas à cette direction vont, bien sûr et
avec raison, rejeter l'accord du lac Meech et le considérer loin des
buts poursuivis. Mais ceux de nous
qui, depuis plus de vingt ans, avons modestement, mais
honnêtement, travaillé à faire du Québec un tout
cohérent, fort, distinct des autres régions canadiennes, mais
relié à elles volontairement par l'allégeance aux vieux
pays, sont non pas comblés, mais rassurés.
S'il y a de la place et du temps pour amender, pour écrire,
préciser certains articles de cet accord, alors messieurs, mettez-vous
à l'ouvrage. Personne ne pourra bouder une plus grande clarté
dans les accords du lac Meech. Mais méfiez-vous de mettre des
frontières là où de grands espaces nous invitent à
l'audace.
M. le Président, quand je lis ce paragraphe du communiqué
de l'accord, l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec
ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère
distinct de la société québécoise, personnellement,
au nom de personne, mais à moi, je sens comme l'apaisement de tant de
blessures et de tant d'humiliations que les nôtres ont ressenties au
cours des âges.
Le caractère distinct est avant tout français. Dès
lors, les mots "protéger et promouvoir" sont des mots clés qui
ouvrent une porte sur nos espérances. Ils permettent, du moins - c'est
mon interprétation - des initiatives, des projets, des retraits, des
mises en place, des structures fraternelles aux autres qui ne sont ni parlant
français, ni nés au Québec, mais qui sont ici pour
accentuer notre francité, pour ne pas dire notre "francitude", sans pour
autant brimer tout ce qui n'est pas français dans notre
société. Si nous avions seulement obtenu la reconnaissance de ce
caractère distinct au lac Meech, je reconnaîtrais qu'elle serait
déjà un prodigieux pas en avant, compte tenu de toutes les pertes
dans notre passé.
Ne serait-il pas juste et honnête d'admettre que ces accords du
lac Meech ne doivent non seulement leur réalisation à la
maîtrise du très honorable Brian Mulroney, du premier ministre
Bourassa ou du ministre Rémillard comme au travail exhaustif du grand
équipage fédéral-provincial, mais aussi au refus logique
du premier ministre Lévesque et de son grand équipage d'avaliser
une loi qui, à toutes fins utiles, refusait notre poids politique et
économique? Les propositions constitutionnelles de l'ancien gouvernement
n'étaient pas hors du champ fédéral. Elles
annonçaient les cinq propositions qui viennent d'être
acceptées.
Il me semble très important pour la cohésion, pour la
fraternité de notre société, pour que se recouse
définitivement la grande déchirure fraternelle, de
reconnaître la valeur de ceux qui ne partagent pas notre satisfaction
puisqu'ils furent directement impliqués dans l'avant, l'après et
les conséquences actuelles du rapatriement de l'acte de 1867. Nous
applaudissons l'unanimité entre les participants aux
négociations? essayons de la réaliser entre nous. Ce qui ne veut
pas dire que les critiques, les refus de l'accord n'ont pas droit de
cité, mais comme il serait significatif, ce poids rassemblé du
Québec au matin de la prochaine rencontre constitutionnelle!
Je rêve? Et pourquoi pas? Il nous a fallu un supplément
d'âme pour survivre. Il nous faut peut-être un supplément de
rêve pour vivre.
Je me tournerai maintenant, en terminant - et je vous le promets, M. le
Président - vers le Canada anglais, qui m'apparaît confus quant
à ces accords. Plusieurs y voient l'affaissement du pays, comme si un
État de cette nature pouvait être fort de la faiblesse de ses
composantes, comme ai des provinces réconciliées, enfin, entre
elles et avec le gouvernement canadien allaient se liguer maintenant pour se
rediviser contre ce gouvernement. J'ai perçu, au cours de nombreuses
rencontres avec des "Canadians" de toutes les réqions que le Canada
anglais, pour fort, riche, puissant semble-t-il être, tremble si l'on
touche un tout petit peu à ses us, à ses traditions, è ses
coutumes, alors que les nôtres ont été chambardés
tant et tant de fois et que nous sommes encore si profondément
présents à cette fédération.
Si c'est vrai que les accords de Meech - comme a déclaré
un professeur de l'Ouest - vont permettre l'égalité entre les
provinces et l'État central, laissez-moi, une dernière fois,
citer Pepin-Robarts en insistant sur le fait que John Robarts était un
ex-premier ministre de l'Ontario, que Jean-Luc Pépin était un
ex-ministre libéral. Et voici ce que tous ensemble nous écrivions
déjà: "Nous considérons que les gouvernements provinciaux
sont de nature et de maturité égales à celles du
gouvernement central et nous recommandons sans aucune hésitation qu'une
nouvelle constitution reconnaisse leur égalité de statut." Il y
avait donc, il y a presque dix ans, des anglophones éminents
regroupés autour de cette commission, qui croyaient qu'une telle
égalité accentuerait la force du régime actuel.
Me voici, mesdames et messieurs, au bout de cet entretien qui ne vous
aura peut-être pas enseigné grand-chose, j'en suis fort
consciente. Seulement, il m'aura permis de rendre hommage aux efforts du
passé, à la vision dualiste et régionaliste d'hommes et de
femmes qui, de commission en commission, de colloques en rencontres, ont
collaboré depuis ou au-delà de ces mêmes commissions, et
très souvent sans jamais être connus et reconnus, à
l'épanouissement de notre société. Demain, demain, nous
corrigerons les erreurs s'il y a lieu. Demain, nous consoliderons les
faiblesses. Aujourd'hui, nous sommes rassurés. Notre
société n'a jamais été aussi vivante et agissante
dans
l'enthousiame et la dignité. Je vous remercie.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie de votre
exposé, Mme Chaput-Rolland. J'inviterais M. le ministre
déléqué aux Affaires intergouvernementales canadiennes
à entamer la période d'échange de propos avec notre
invitée, tout en faisant remarquer à chaque groupe parlementaire
qu'il disposera de 34 minutes pour cette période. M. le ministre, la
parole est à vous.
Mme Chaput-Rolland: Vous n'avez pas,
M. le Président, à limiter la période des
questions. Je pense que je me suis bien vidée et je ne sais pas trop
bien ce que je pourrais ajouter. Mais je veux essayer de répondre aux
questions qu'on voudra me poser. Je vous remercie.
Le Président (M. Filion); Je vous remercie.
M. Rémillard: Mme Chaput-Rolland, je veux tout d'abord
vous remercier de vous être déplacée, de venir
témoigner devant nous. Je veux vous remercier pour ces
témoignages vibrants de sincérité que vous nous avez
livrés ce matin, une sincérité que vous avez puisée
à même votre expérience d'observateur averti ' de la
scène politique québécoise et canadienne depuis maintenant
de nombreuses années. Vous avez été impliquée de
près dans les États généraux des années
soixante. Vous avez été députée à
l'Assemblée nationale. Vous êtes l'auteur de plusieurs essais sur
la politique québécoise et canadienne. Vous avez
été membre de cette commission Pepin-Robarts, commission de
l'unité canadienne, commission qui a livré un rapport
remarquable, fondé sur deux principes de très grande importance.
Il y a celui d'un fédéralisme asymétrique et celui aussi
d'un fédéralisme coopératif. Je dois vous dire que j'ai,
pour ma part, reçu ce mémoire, le rapport de cette commission,
quand j'étais professeur, avec beaucoup de plaisir. Je sais qu'à
l'époque, le gouvernement du Québec d'alors... Je me souviens de
la réaction de M. Claude Morin, alors ministre des Affaires
intergouvernementales qui l'avait reçu aussi avec beaucoup de plaisir.
Les principes fondamentaux que nous retrouvons dans ce rapport de la commission
Pepin-Robarts, à mon avis, doivent nous guider pour donner à
notre fédéralisme une vigueur nouvelle.
Mme Chaput-Rolland, quel lien pouvez-vous faire entre l'essentiel que
nous retrouvons dans cette entente du lac Meech et l'essentiel des principes
que vous avez dégagés avec la commission Pepin-Robarts?
Mme Chaput-Rolland: M. le ministre, les deux grands principes sur
lesquels la commission avait fait reposer sa vision du
Canada étaient la dualité historique juridique et
constitutionnelle et le régionalisme. Le troisième était
la répartition des profits et des richesses. Ce que je retrouve dans les
accords du lac Meech, aussi succints soient-ils, c'est évidemment cette
vision dualiste du Canada et c'est aussi la reconnaissance de la force des
régions du Canada. Si on croit dans ce pays, on sait la force qu'ont
prise les régions depuis les derniers dix ans. Alors que la commission
Laurendeau-Dunton, comme je l'ai souligné, n'avait reconnu que la
dualité linguistique et le biculturalisme, comme on disait, la
commission de l'unité canadienne était allée plus loin,
puisque le gouvernement était souverainiste et la commission avait
reconnu que le Canada ne pouvait se survivre à lui-même que s'il
pouvait enchâsser le dualisme. (12 h 15)
Mais nous n'étions pas allés si loin que l'accord du lac
Meech, puisque nous nous serions contentés d'inscrire la
société distincte dans le préambule de la
constitution.
La raison pour laquelle tant de gens du côté
fédéral ont refusé cette recommandation, c'est qu'on ne
voyait la dualité que dans sa dimension linguistique, alors que pour la
commission, la dualité était politique et constitutionnelle. Je
crois que c'est ce que je retrouve dans les accords du lac Meech, moi aussi,
comme le chef de l'Opposition et comme tous les autres gens qui voudraient
avoir un peu plus de connaissances approfondies.
Ce n'est pas tellement les textes juridiques que j'attends, parce que je
ne les comprendrai probablement pas aussi bien que chacun de vous, mais au
moins un élargissement de ces textes un peu secs qui nous sont
donnés et qui contiennent l'essentiel de ce qui est pour moi l'avenir du
Québec, c'est-à-dire la reconnaissance officielle, pour une fois,
par toutes les parties du Canada, que le Québec n'est pas une
société comme les autres, ne l'a jamais été et ne
le sera jamais.
Le Président (M. Filion): À cause de la
règle de l'alternance, je vais reconnaître maintenant un
représentant de l'Opposition. M. le député de
Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: Merci, M. le Président. Merci, Mme
Chaput-Rolland, d'avoir bien voulu accepter de témoigner devant cette
commission. Je commencerai peut-être par une courte question
introductive. Dans plusieurs de vos écrits - j'en ai relu un tout
à l'heure qui date de juin 1985 - vous avez nettement
privilégié l'expression de "peuple du Québec".
Mme Chaput-Rolland: Oui.
M. Brassard: Dans l'entente du lac Meech, comme vous le savez,
c'est l'expression "société distincte" qui a été
retenue par les premiers ministres des provinces et du Canada. Est-ce que, dans
votre esprit, ces deux notions sont équivalentes ou si vous continuez de
privilégier ou préférer l'expression "peuple du
Québec"?
Mme Chaput-Rolland: Je vais vous répondre de deux
façons, non pas ambivalentes, je l'espère, mais qui se
complètent. Personnellement, je préfère l'expression
"peuple du Québec". Mais au sein de la commission Pepin-Robarts, au
retour de notre séjour dans les grands territoires du Nord-Ouest, chez
les autochtones, dans leur grand territoire là-bas, nous avions compris,
en revenant, qu'il n'y avait pas que deux peuples fondateurs, mais d'autres
peuples fondateurs et nous avons, non pas rejeté l'expression "peuple",
mais choisi l'expression "la société distincte", pour ne pas
braquer ces autochtones qui n'avaient pas reçu... Ils nous avaient dit,
là-bas - nous y avons été quand même une semaine -
qu'ils s'opposaient profondément au fait de ne pas figurer dans
l'expression "les peuples fondateurs".
C'est la raison fondamentale pour laquelle nous avons rejeté
cette expression et que je me suis habituée, dans le vocabulaire
courant, à utiliser "la société". Mais dans ma tête
et dans mon coeur, quand j'y pense, je pense au peuple.
M. Brassard: Est-ce que, dans votre esprit... Je sais que vous
nous avez avoué tantôt que vous n'étiez pas experte en
constitutionnalisme, mais...
Mme Chaput-Rolland: Je le reconnais bien humblement, M. le
député!
M. Brassard: ...quand même, est-ce que dans votre esprit,
l'expression "peuple du Québec" aurait davantage de portée que
l'expression "société distincte"?
Mme Chaput-Rollandï Évidemment, tout dépend de
ce que vous mettez dans l'enveloppe du mot "société". Moi, j'y
mets la même chose maintenant. Comme je sais qu'en employant le mot
"peuple", je vais braquer contre ce "peuple" tout un autre peuple qui n'a
jamais eu grand-chose, j'accepte volontiers le mot "société" au
lieu du mot "peuple".
M. Brassard: Comme vous dites que vous mettez dans le mot
"peuple" la même chose que dans les mots "société
distincte", est-ce qu'à votre avis, dans l'entente du lac Meech,
l'expression "société distincte" vous apparaît suffisamment
claire ou précise, suffisamment bien définie pour vous
satisfaire'
Mme Chaput-Rolland: Oui, elle me satisfait d'autant plus qu'on
n'y ajoutera pas trop de choses. Je ne vais pas recommencer à dire ce
que mon éminent collègue Beaudoin a dit tout à l'heure?
À la limite, quand vous mettez trop de mots finalement, c'est beaucoup
de confusion. Je trouve que les mots "protéger et promouvoir" du dernier
paragraphe dans le texte, comme je l'ai dit, concernant la reconnaissance
constitutionnelle de la société distincte ne me paraissent
peut-être pas contenir toutes les garanties de sécurité
mais certainement les plus grandes. Je ne vois pas pourquoi, puisque les
accords du lac Meech prévoient une conférence constitutionnelle
annuelle, on ne pourrait pas ajouter quelque chose si l'on sentait, dans les
mois à venir, que ce paragraphe n'est pas suffisant. Pour l'instant, il
l'est.
Je vous dirai, monsieur, qu'il ne faudrait pas qu'on y touche trop pour
ne pas que chacun apporte une définition différente. Quand vous
avez vingt définitions différentes d'une société
distincte, vous n'en avez plus une.
M. Brassard: J'aimerais aborder avec vous, Mme Chaput-Rolland, ce
qui me paraît être, en tout cas, vous te confirmerez ou
l'infirmerez...
Mme Chaput-Rolland: M. le député, je m'excuse. Je
ne vous comprends pas beaucoup.
M. Brassard: D'accord, je vais parler un peu plus fort.
J'aimerais aborder avec vous ce qui me paraît être une
recommandation centrale du rapport Pepin-Robarts, dont vous avez
été signataire,
II transparaît très clairement dans le rapport
Pepin-Robarts que, pour les membres de cette commission, une des sources
principales du caractère distinct du Québec, c'est la langue de
la majorité, soit le français. Il y a aussi d'autres choses comme
le Code civil mais le français est évidemment reconnu comme le
trait distinctif du peuple québécois.
L'une de vos recommandations majeures était celle de proposer que
les provinces aient pleine juridiction en matière linguistique dans les
sphères de leur compétence. À ce sujet, vous aviez
d'ailleurs des paragraphes dans le rapport qui indiquaient que vous faisiez
nettement confiance au Québec en ce qui a trait à la protection
de la minorité anglophone et que la loi 101 en était la preuve
exemplaire.
Or, on sait que plusieurs jugements de la Cour suprême invoquant
soit l'article 133, soit l'article 23 de la charte ou invoquant d'autres
dispositions de la charte, entre
autres Particle de la charte sur la liberté d'expression, ont
entamé sérieusement ou ont fait des brèches
sérieuses dans les dispositions et les chapitres de la Charte de la
langue française. Vous alliez même très loin dans votre
rapport en indiquant qu'il vous paraissait, quant à vous,
préférable que même l'article 133, qui instaure le
bilinguisme au Québec, devrait être abrogé. Dans le
rapport, c'est ce que vous recommandiez. Je vous signale, en passant, que vous
savez sans doute que l'article 133 est actuellement au coeur d'une affaire
devant les tribunaux. Il y a actuellement un justiciable du Québec
devant les tribunaux parce qu'il ne peut pas obtenir une version
française authentifiée d'un jugement du tribunal le concernant,
ce qui était obligatoire par l'article 13 de la Charte de la langue
française, mais qui a été jugé inconstitutionnel
parce qu'on a jugé inconstitutionnel tout le chapitre de la charte
concernant la langue de l'administration et de la justice.
Est-ce que vous continuez de maintenir cette opinion que vous aviez
à l'époque et ce qui me paraît, quant à moi, l'une
des recommandations majeures dans le rapport de la commission Pepin-Robarts?
Dans l'entente du lac Meech, est-ce que vous considérez que cette pleine
juridiction des provinces en matière linguistique, que vous jugiez
importante à l'époque, s'y retrouve?
Mme Chaput-Rolland: M. le député, cette
recommandation de la commission Pepin-Robarts a été
rejetée très vite. Elle a même été, nous
a-t-on dit, la cause du rejet massif qu'on a opposé à l'ensemble
des recommandations Pepin-Robarts. À l'époque où nous
avions fait cette recommandation, ce n'est pas une indiscrétion de dire
qu'elle avait été extrêmement contestée à
l'intérieur même de la commission et que nous avions eu des
discussions très longues. Je crois que Me Décary, qui vient
demain, pourra vous donner les précisions là-dessus qui
dépassent largement ma compétence. Au moment où nous avons
signé cette recommandation nous étions à la veille du
référendum. Un climat sauvage divisait les tensions linguistiques
à l'intérieur du Québec et surtout à
Montréal et la commission voulait reconnaître que le gouvernement
du Québec avait été, vis-à-vis sa minorité
anglophone, plus généreux dans l'ensemble par ses lois
provinciales que beaucoup d'autres provinces l'avaient été. C'est
la raison pour laquelle nous avions suggéré de retirer cet
article et de confier aux provinces le soin de formuler elles-mêmes leur
politique linguistique. Et nous avions ajouté que, une à une,
lorsqu'elles auraient adopté la protection de leur minorité, ces
mesures devraient ensuite être enchâssées dans la
constitution. À ce moment-là, j'étais en accord total avec
cet article. Je ne sais pas si aujourd'hui je le serais. Je suis incapable de
vous répondre d'une façon plus catégorique.
M. Brassard: Si je comprends bien, quand vous dites que vous ne
savez pas aujourd'hui, c'est à dire que...
Mme Chaput-Rolland: Je ne sais pas aujourd'hui, si j'accepterais
de signer une recommandation qui enlèverait l'article 133. Je ne le sais
pas, je n'ai pas réfléchi là-dessus suffisamment, ce
n'était pas l'objet de ma discussion ce matin. Je veux bien essayer si
vous voulez. Mais je ne crois que je sois habilitée à faire cela
ce matin.
M. Brassard: Pour nous, je vous signale...
Mme Chaput-Rolland: Je suis sûre que Me Beaudoin ou Me
Décary qui vont être ici pourront vous donner cette
précision beaucoup mieux que moi, d'une façon qui vous satisfera
beaucoup plus que la mienne.
M. Brassard: Mais, simplement, est-ce que vous êtes d'avis
que l'entente du lac Meech change quelque chose ou quoi que ce soit à la
répartition des pouvoirs en matière linguistique? Est-ce que cela
affecte?
Mme Chaput-Rolland: Ce n'est pas comme cela que je vois la chose
et ce n'est pas comme cela que je vais vous répondre. La reconnaissance
de la société distincte, pour moi qui n'ai pas un esprit juriste
ni légal, mais qui est enchâssée dans la constitution de
mon pays, me donne l'assurance que la langue française dans ce pays,
surtout dans cette province, dans cette société distincte, a une
protection constitutionnelle que je ne crois pas qu'elle avait et je pense que
la minorité anglophone, elle, garde les protections qu'elle avait. Je
crois que c'est la société distincte française qui profite
largement de cela, mais que la minorité anglophone ne perd rien.
Voilà comment je vois les choses.
M. Brassard: Oui.
Mme Chaput-Rolland: Oui, c'est court comme réponse, mais
c'est la mienne, monsieur.
M. Brassard: Oui, d'accord. Pour nous c'est une question
importante et il faut quand même reconnaître, Mme Chaput-Rolland,
que, depuis que la Charte de la langue française a été
adoptée par l'Assemblée nationale, les tribunaux - et bien
sûr la Cour suprême en fin de processus -ont, dans plusieurs de
leurs juqements, fait en sorte que des chapitres entiers de la Charte de la
langue française soient devenus
inconstitutionnels et donc ne s'appliquent plus au Québec. En
quelque sorte, surtout depuis l'acte constitutionnel de 1982, l'adoption d'une
charte canadienne des droits et libertés incluse,
intégrée, enchâssée dans la constitution, il arrive
que - et les faits sont là - plusieurs jugements invoquant des
dispositions de la charte ont réduit très largement et
très sérieusement la portée et les dispositions de la
Charte de la langue française, ce qui inquiète évidemment
beaucoup de Québécois, vous le reconnaîtrez. (12 h 30)
Beaucoup de Québécois s'inquiètent du fait que les
tribunaux prennent des jugements qui ont pour effet de réduire
l'application et la portée de la Charte de la langue française.
Cette inquiétude se généralise parce que les
Québécois de tout temps sont inquiets, compte tenu du contexte,
vous le reconnaîtrez, du sort et de l'avenir de leur langue dans
l'immense continent nord-américain. Évidemment, l'entente n'en
traite pas un seul mot; c'est pourquoi je vous demande si vous continuez
d'être de l'avis que, en matière linguistique, le Québec
à tout le moins - je ne veux pas parler pour les autres provinces -
devrait ne pas être entravé - si vous voulez -
constitutionnellement par des articles et des dispositions de la constitution.
Il devrait avoir pleine juridiction et pleine compétence en
matière linguistique.
Mme Chaput-Rolland: Oui. Encore une fois, je suis obligée
de vous faire à peu près la même réponse. Ce qu'il y
a de nouveau dans la situation du français au Québec, c'est que
cette société qui incarne et la langue et la culture et la
façon d'être et l'identité française vient de
recevoir la sanction constitutionnelle qu'elle n'avait pas avant.
Pour moi qui crois que la constitution d'un pays lie profondément
les citoyens et les groupes qui y sont assujettis, je ne peux pas faire
autrement que de vous répondre oui, j'ai l'impression maintenant, j'ai
même la certitude; je crois, qu'avec cette société
distincte ayant reçu la sanction constitutionnelle, le français
au Québec sera plus protégé qu'il ne l'était
autrefois.
M. Brassard: Vous parlez de société distincte et du
fait qu'elle sera mieux protégée à l'avenir. Dans un
article que vous avez écrit dès 1982, vous disiez, parlant de la
commission Pepin-Robarts: "Aux yeux de notre commission, le Québec
était au centre de la crise. À son avis, il l'est demeuré.
Tous les membres de la commission ont signé une déclaration
courageuse. Exprimons notre conviction avec force. Le Québec est
différent et devrait détenir les pouvoirs nécessaires
à la préservation de son caractère distinct au sein d'un
Canada viable."
J'aimerais que vous m'indiquiez, dans l'entente du lac Meech, quels sont
les pouvoirs nécessaires - je reprends votre expression - nouveaux qu'on
y retrouve qui permettraient d'assurer une meilleure préservation du
caractère distinct du Québec. Qu'est-ce qui vous apparaît
nouveau comme pouvoir permettant au Québec de mieux protéger son
caractère distinct dans cette entente?
Mme Chaput-Rolland: Vous essayez très bien de me faire
trébucher et vous réussissez très bien. Citer un article
que j'ai écrit en 1982 était une habitude que j'avais, dans cette
maison, d'entendre cela jour après jour. Lorsque nous avons
signé, monsieur, cet accord tous ensemble, courageux, la commission
Pepin-Robarts - replacez-vous dans le temps. Nous étions en 1978 ou 1979
quand la commission Pepin-Robarts a reconnu, pour la première fois, une
commission fédérale formée de gens qui n'étaient
pas nécessairement habilités à faire ce qu'ils ont fait -
avec une équipe remarquable avons décidé que oui, dans un
temps de crise où le Canada était dans une sorte
d'hystérie vis-à-vis du gouvernement péquiste, nous avons
reconnu que le Québec formait, en effet, une société
distincte et que cette société distincte française
était le phare des parlant français sur le continent
nord-américain.
Les pouvoirs que vous me demandez de décrire, monsieur, je ne les
connais pas, moi, mais j'ai l'impression que, quand vous aurez les textes
juridiques que vous demandez et qu'on vous donnera le prolongement dans le
texte de loi de la reconnaissance du caractère spécifique du
Québec, ils seront là. Mais déjà, pour moi, je les
sens comme Québécoise, parce que je sens maintenant que ce n'est
pas juste une commission qui a écrit qu'il y avait une
société distincte au Québec, que ce ne sont pas juste des
individus comme moi qui, de temps en temps, écrivent dans Le Devoir;
Oui, le Québec forme une société distincte, quand
d'autres disent: Non, non, le Québec est une société comme
toutes les autres. Voici qu'on me dit que cette société distincte
reçoit la sanction constitutionnelle. Dès lors, je crois qu'elle
aura plus de pouvoirs. Je ne peux pas vous répondre plus que cela,
même si vous me posez une autre question.
M. Brassard: Oui, d'accord. Mme Chaput-Rolland, je voudrais
revenir sur votre première remarque d'abord et vous dire que j'ai
beaucoup trop de respect pour vous pour avoir comme objectif de vous faire
trébucher.
Mme Chaput-Rolland: J'ai dit cela parce je suis faite comme cela,
monsieur, je suis sûre de cela.
M. Brassard: J'essaie simplement de mieux comprendre votre point
de vue et de permettre aussi à tout le monde de mieux comprendre ce qui
s'est passé au lac Meech. Faisons abstraction si vous voulez de vos
écrits de 1982.
Mme Chaput-Rolland: Je vous en suis bien reconnaissante.
M. Brassard: Au fond, ma question est très simple. Vous
dites qu'en reconnaissant le caractère distinct du Québec dans
l'entente du lac Meech, dans votre esprit, cela signifie ou cela va avoir pour
effet de donner plus de pouvoirs au Québec pour préserver et
protéger ce caractère distinct. Sauf que c'est un point de vue,
c'est une opinion ou c'est une interprétation que vous faites, mais je
veux bien qu'on se comprenne. Dans l'entente du lac Meech elle-même, dans
les éléments de l'entente, dans le libellé de l'entente,
il n'y a pas de pouvoirs nouveaux explicites qui sont accordés au
Québec en vue de préserver son caractère distinct. C'est
cela au fond ma question, ce n'est pas de revenir à des articles de
1982.
Mme Chaput-Rolland: Je suis bien d'accord avec vous qu'il n'y a
pas de...
M. Brassard: C'est de voir si vous, vous voyez dans l'entente du
lac Meech des pouvoirs nouveaux, accrus, explicites pour le Québec en
vue de protéger et de promouvoir le caractère distinct du
Québec.
Mme Chaput-Rolland: Je les retrouve dans le paragraphe que je
vous ai lu: "L'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec
ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère
distinct de la société québécoise." Cela n'avait
jamais été dit avant nulle part. Donc les mots "protéger
et promouvoir" sont pour moi des possibilités de pouvoirs qui seront mis
dans une formule beaucoup plus légale et constitutionnelle dans quelques
mois, lors de la prochaine conférence constitutionnelle. Encore une
fois, c'est ma réponse. Et c'est une interprétation très
personnelle. Je suis tout à fait d'accord.
M. Brassard: Mme Chaput-Rolland, j'aimerais justement revenir sur
ce texte de l'entente du lac Meech concernant la société
distincte. On sait que ce texte spécifie deux choses: d'une part que
l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le
rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de
la société québécoise. Vous venez d'en parler. Mais
d'autre part, également, que les législatures des provinces -
donc, cela comprend l'Assemblée nationale aussi -dans l'exercice de
leurs compétences respectives, prennent l'engagement de protéger
la caractéristique fondamentale du
Canada, c'est-à-dire qu'il existe un Canada francophone
concentré mais non limité au Québec et un Canada
anglophone concentré dans le reste du pays mais présent au
Québec, ce qu'on peut résumer par la dualité linguistique
ou le caractère bilingue du Canada.
La question a été posée au ministre, è M.
Beaudoin tout è l'heure, et nous pensons qu'elle est importante. C'est
qu'à partir du moment où, dans un article de la constitution, on
indique expressément deux caractéristiques, l'une que l'on
qualifie de fondamentale pour la fédération - le bilinguisme -
l'autre qu'on appelle le caractère distinct ou la société
distincte du Québec et où on confie aux législatures et
à l'Assemblée nationale, au Parlement des provinces, le pouvoir
et l'obligation de tenir compte de ces deux éléments et d'en
faire même la promotion, il nous semble à nous qu'il peut fort
bien arriver des situations où il y aura un conflit entre ces deux
rôles ou ces deux éléments. Je pense que c'est important
parce qu'on signalait tantôt l'opinion d'Alliance Québec qui
regroupe les anglophones du Québec et je voudrais quand même vous
citer un paragraphe de son mémoire présenté devant le
sénat en 1986. On y lisait ceci - c'est Alliance Québec qui
représente, qui est un peu le porte-parole des anglophones du
Québec, de la communauté anglaise du Québec: "Le
caractère distinctif de la société
québécoise ne peut se comprendre qu'à la lumière de
la dualité linguistique canadienne. La reconnaissance du
caractère distinctif du Québec est jusqu'à un certain
point la reconnaissance, à l'intérieur de notre système
fédéral de gouvernement, que le Québec est la seule
province dont les institutions politiques sont aux mains d'une majorité
de personnes d'expression française. Cependant, à la
lumière de la dualité linguistique canadienne,
l'originalité du Québec inclut aussi l'existence de la seule
communauté minoritaire d'expression anglaise au Canada. En bref, le
caractère distinct du Québec comprend mais signifie davantaqe que
le simple contrôle politique par la majorité d'expression
française. Le Québec est plutôt le point de mire de la
dualité linguistique canadienne, le foyer de la plus importante
concentration de Canadiens d'expression française et celui de la seule
minorité d'expression anglaise du Canada. C'est dans cette perspective
que le caractère distinct du Québec doit être compris." Et
il recommandait, dans le préambule de la constitution, qu'on affirme la
dualité linguistique de la Fédération canadienne et qu'on
reconnaisse dans cet esprit le caractère distinctif de la
société québécoise. En d'autres termes, comme je
comprends la position d'Alliance Québec, pour elle, la dualité
linguistique prédomine, prime le
caractère distinct du Québec et, s'il y a conflit entre
l'un et l'autre, il est clair que, dans leur esprit à eux, c'est la
dualité linguistique, ce qu'on appelle le caractère fondamental
de la Fédération canadienne, qui doit primer, qui doit avoir
prépondérance en termes d'interprétation.
Je pense qu'il est important d'établir, si on veut que ces deux
éléments apparaissent dans la constitution, lequel des deux
l'emporte sur l'autre dans les interprétations qu'on pourra en faire
lorsqu'il y aura conflit. Est-ce qu'à votre avis le texte de l'entente
du lac Meech est suffisamment explicite à cet effet? Ou est-il
plutôt assez ambigu et faudrait-il, selon vous, davantage préciser
le rapport hiérarchique entre les deux?
Mme Chaput-Rolland: II y a beaucoup de questions dans votre
question. D'abord, la définition que fait Alliance Québec du
caractère distinct du Québec ne répond pas à celle
que je me fais. Le caractère distinct de la province de Québec,
c'est d'être majoritairement française et d'avoir, à
l'intérieur de ses frontières, une minorité anglophone qui
doit être respectée par la majorité francophone dans une
société démocratique. Si ce n'est pas la conception que se
fait Alliance Québec, c'est la mienne.
Quant à la définition du caractère distinctif du
Québec et à la protection qu'il apportera ou à la vision
qu'il aura de la dualité linguistique canadienne, j'ai l'impression que,
dans votre tête - ou alors c'est dans la mienne - il y a une certaine
confusion. La dualité linguistique canadienne passe par le bilinguisme
dans les institutions fédérales; ce n'est pas un bilinguisme
individuel. Donc, j'accepte très bien qu'il y ait une dualité
linguistique au Québec, que la Loi sur les langues officielles, dont on
dit qu'elle sera retouchée très bientôt, respecte cette
dualité linguistique dans les institutions fédérales
partout au Canada, soit. Mais je ne pense pas que cette dualité
linguistique se transpose au Québec et je ne crois pas que ce soit cela
que disent les accords du lac Meech. Quand on parle de la société
distincte, j'entends française.
M. Brassard: Merci. Pour le moment, cela suffit.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le
député de Lac-Saint-Jean. Je vais maintenant reconnaître un
représentant du groupe ministériel, M. le député de
Mille-Îles.
M. Bélisle: Merci, M. le Président. Pour les
juristes, Mme Chaput-Rolland, chaque mot a une signification juridique, mais on
va mettre le juridisme de côté.
Mme Chaput-Rolland: Je vous en serais reconnaissante.
M. Bélisle: Derrière les mots se cachent,
également, des concepts. Je pense que c'est à ce niveau que vous
placez votre intervention ce matin. Je vais vous rappeler un de vos
écrits très récents.
Mme Chaput-Rolland: Vous aussi?
M. Bélisle: Oui.
Mme Chaput-Rolland: Bon.
M. Bélisle: Le Devoir, le jeudi 13 juin 1985, où
vous énonciez, è la page 11: "Nous sommes encore enfermés
dans la guerre des mots et les linguistes, puissamment aidés par les
"politiciens", continueront encore longtemps d'entretenir cette confusion
entre, par exemple, peuple, nation, société, collectivité.
Moins notre vocabulaire sera clarifié, moins nos problèmes
politiques trouveront leurs solutions". Je suis d'accord avec vous.
Quand on arrive un peu plus loin dans votre article...
Mme Chaput-Rolland: "Moins nos..." Je ne pense pas avoir dit
cela.
M. Bélisle: "Moins nos problèmes politiques
trouveront leurs solutions." (12 h 45)
Mme Chaput-Rolland: Ah oui, d'accord. Très bien.
M. Bélisle: Bon, cela va? Un peu plus loin, Mme
Chaput-Rolland, vous faisiez référence au ministre Pierre Marc
Johnson et je vais lire un passage, je pense, très important de votre
article: Le ministre Pierre Marc Johnson rappelait dernièrement, devant
l'Association canadienne des professeurs de droit, que - vous le citez -"la
spécificité du Québec ne se résume pas au facteur
linguistique". Vous continuez. "Les Québécois et
Québécoises, selon le ministre, comprennent - vous le citez
encore - les "membres de ses communautés culturelles et, plus
particulièrement, de son importante communauté anglophone, et ils
se sont construit toute la gamme des institutions et des moyens
nécessaires à la vie en société en réponse
aux besoins qu'ils ressentaient." Fermez les guillemets de la citation du
ministre Pierre Marc Johnson.
Vous continuez, Mme Chaput-Rolland. "Nous avons tendance à nous
imaginer différents ou distincts des autres seulement par la langue et
la culture. Nos institutions les incarnent et elles répondent aux
caractères spécifiques de ce peuple que nous sommes et qui
aujourd'hui, même s'il ne veut pas se séparer des autres peuples
du Canada, souhaite, sinon exige, que soient reconnues sa
présence et son importance dans la vie du paya tout entier. Nos
institutions diffèrent parce que nous sommes différents,"
Quand, en février 1979, à la commission Pepin-Robarts,
l'expression "société" était définie comme
étant une communauté qui réussit à établir
un réseau suffisamment vaste et cohérent d'institutions qui
acquiert, par le fait même, la direction de ses activités et peut
alors être considérée comme une société
distincte, je suppose, Mme Chaput-Roiland, que vous faisiez
référence a cette ouverture d'esprit qu'une société
doit avoir, à un moment donné, dans le temps et je fais
référence au Québec.
Compte tenu que le problème majeur de la société
québécoise pour les prochaines années, c'est la
décroissance démographique du Québec, la
dénatalité, et que nous devons ouvrir très largement nos
bras à des personnes d'autres races, d'autres cultures, d'autres
ethnies, d'autres langues, aux gens qui nous arriveront de l'Asie, de
l'Afrique, des Antilles, de l'Amérique du Sud, la question que je vous
pose... Ce que je comprenais de la citation de M. Pierre Marc Johnson, c'est
que le Québec était plus qu'un peuple, une
société.
Je veux savoir, dans la clause (1) du projet d'entente du lac Meech,
l'expression "société distincte", le concept de
société distincte... Vous, est-ce que vous pourriez
insérer un autre concept à la place de ce concept de
société distincte?
Mme Chaput-Rolland: Comme ça, là? M.
Bélisle: Comme ça. Des voix: Ha! Ha! Ha!
Mme Chaput-Rolland: Vous en demandez beaucoup, M, le
député. D'abord, je ne me permettrais pas, parce que je n'ai pas
suffisamment eu... Vous savez, les mots, ça ne se pose pas sur une copie
comme ça. Pour que les participants au lac Meech soient arrivés
à vraiment se rassembler autour des mots "société" et
"distincte", autour des mots "peuple francophone" au lieu des mots "des peuples
du Canada", au lieu du mot "la communauté", au lieu de revenir à
l'expression de Laurendeau-Dunton, "les deux majorités", c'est qu'il a
dû y avoir un sacré nombre de discussions auxquelles je n'ai pas
été.
Alors, étant donné que j'ai tenu pour acquis de faire
confiance à la façon dont tout ça, ça s'est
discuté, je ne changerai pas les mots pour vous répondre
aimablement, parce que je ne sais pas ce qui a conduit a ça, comment on
a envisagé ça. Je présume que si c'était M. Pierre
Marc Johnson, par exemple, qui avait été un des participants,
peut-être aurait-il parlé de peuple distinct, puisque
vraisemblablement, selon ce que j'ai entendu de lui, hier et aujourd'hui, le
mot "peuple" lui convient mieux, satisfait sa vision à lui, celle qu'il
a de cette société distincte.
Mais les participants du lac Meech étaient minoritairement
francophones avec d'autres personnes. Il s'agissait de rechercher une
unanimité et on a trouvé les mots "société
distincte" qui comblent une chose dans laquelle je crois profondément,
puisqu'il y a dix ans, on les avaient définis.
Alors, ne me demandez pas de mettre deux autres mots, comme un accent
circonflexe, à l'aboutissement de circonstances où je n'ai pas
été témoin. C'est presque malhonnête ce que vous
demandez. Pas vous personnellement. Mais ce serait malhonnête de ma part
de commencer à corriger ici des accords auxquels je n'ai pas
été partie. Je m'excuse mais je ne fais pas cela.
M. Bélisle: Je ne veux pas du tout vous proposer quelque
chose de malhonnête...
Mme Chaput-Rolland: Hélas! Hélas! Des voix:
Ha! Ha! Ha!
M. Bélisle: Mais tout au moins votre vision personnelle du
Québec d'aujourd'hui et du Québec de demain...
Mme Chaput-Rolland: Oui, monsieur.
M. Bélisle: ...du Québec qui est
déjà, qui doit être et qui sera multiracial, multiethnique.
Il sera peut-être multiculturel dans quelque temps à cause de
l'apport important qui nous viendra d'autres personnes venant d'ailleurs. C'est
une nécessité pour la survie du peuple du Québec.
Mme Chaput-Rolland: Oui.
M. Bélisle: II me semble, sans avoir été
partie aux tractations, aux négociations...
Mme Chaput-Rolland: Monsieur, laissez-moi vous dire quelque
chose. Ce ne sera pas du tout ce que vous voulez entendre. Pensez aux gens qui
s'en viennent vivre avec nous. Essayons de cesser de les décrire comme
des gens qui s'en viennent ici faire à notre place ce que, pour tant de
raisons que je n'ai pas à définir, on ne fait pas,
c'est-à-dire des petits québécois.
Je ne suis pas capable de vous suivre dans ces discussions. Je comprends
l'apport infini des qens des vieux ou des nouveaux pays qui s'en viennent vivre
avec nous. Je voudrais les considérer comme autre chose que des gens qui
continuent ce que nous, pour toutes sortes de raisons, de lassitude de peuple
cette fois, de lassitude de société ou de société
qui a eu douze enfants, pensant
que c'était la solution à tous les problèmes et qui
s'est aperçue trop tard que ce n'était pas la solution; donc,
accueillons les réfugiés dans notre société mais
pour des motifs qui seraient peut-être un peu plus
élégants, pour des motifs fraternels, pour des motifs d'ouvrir
notre société aux autres et pour que nous-mêmes nous nous
ouvrions aux autres.
M. Bélisle: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le
député de Mille-Iles. Je reconnais maintenant un porte-parole de
l'Opposition. Non, vous voulez sauter votre tour. Est-ce que le
député de Notre-Dame-de-Grâce, que j'ai inscrit, veut
prendre la parole?
M. Scowen: Oui. J'ai même une question à poser
à Mme Chaput-Rolland. Je pense qu'elle sait que je suis aussi heureux
qu'elle, aujourd'hui, à peu près une décennie après
le dépôt du rapport Pepin-Robarts, car elle est ici en voie
d'assister, on l'espère, à une partie au moins de sa
réalisation.
On se souvient qu'au moment du dépôt du rapport, celui-ci
n'était pas accueilli d'une façon très chaleureuse par le
gouvernement fédéral.
Mme Chaput-Rolland: On s'en souvient, monsieur.
M. Scowen: Oui, vous vous en souvenez. Pour la raison que le
gouvernement de l'époque avait une autre vision du Canada et du
Québec Je ne sais pas si c'était une vision partagée par
la population ou non, mais c'est ce genre de questions que je voudrais vous
poser, Mme Chaput-Rolland. Même avant que vous soyez membre de la
commission, vous, peut-être plus que n'importe quelle autre
Québécoise, aviez entretenu une conversation publique et
écrite avec le Canada anglais.
Mme Chaput-Rolland: Oui. M. Scowen: Depuis longtemps?
Mme Chaput-Rolland: Depuis 1965.
M. Scowen: Ce n'était pas d'expliquer le Québec au
reste du Canada et de faire comprendre au Québec ce qu'est le reste du
Canada. C'est vous, je pense, qui avez fait cela le plus. J'ai l'impression que
vous connaissez autant que n'importe qui ici aujourd'hui l'esprit et la
volonté du Canada anglais. Comme vous le savez, cette commission
parlementaire est suivie par le reste du Canada, comme nous suivons le
déroulement des débats dans les autres Législatures, au
sujet de l'accord du lac Meech.
J'aimerais vous demander si vous pensez qu'aujourd'hui, il existe parmi
la population, parce qu'il est évident qu'au palier gouvernemental il
existe aujourd'hui une volonté de réaliser l'accord du lac Meech,
mais est-ce que vous pensez que la population est prête? Est-ce que vous
pensez que la population anglaise du Canada est prête? Qu'est-ce que vous
avez constaté? Constatez-vous une évolution, une progression, une
amélioration, si on peut dire, dans les attitudes du Canada anglais
envers le Québec depuis que vous avez commencé cette longue et
très intéressante conversation?
Mme Chaput-Rolland: M. le député, vous étiez
le directeur général de la commission Pepin-Robarts. Nous avons
travaillé ensemble pendant deux ans. Donc, vous connaissez comme moi les
réalités difficiles auxquelles s'est mesurée cette
commission lors de ces audiences publiques. Vous faites référence
ici à un livre qui s'appelle Chers ennemis, (Dear ennemies) qui a
été publié en 1965 par Gwethalyn Graham, qui était
à l'époque la Gabrielle Roy du Canada anglais et qui est, encore
aujourd'hui, inscrite dans certains cours de certaines écoles anglaises
au Canada.
Je n'ai pas séjourné au Canada anglais aussi souvent que
j'avais l'habitude de le faire depuis quelques années, mais j'ainoté que la jeunesse du Canada anglais est un petit peu comme la
jeunesse du Canada français. Ces graves questions de politique
Constitutionnelle ne la passionnent pas trop. Elle a besoin de
s'épanouir et de vivre selon les schèmes qu'elle se donne, selon
le rythme de vie qu'elle se donne comme la jeunesse québécoise.
Mais je pense que ce qu'elle a perdu, c'est l'irritation des
aînés, sans pour autant acquérir la curiosité
qu'elle devrait peut-être avoir un peu plus pour le Canada
français et le Québec comme les Québécois,
aujourd'hui, commencent un peu à découvrir qu'il y a des choses
qui se passent dans les autres provinces.
Donc, il n'y a pas une bonne volonté manifeste, mais il n'y a
plus cette espèce de tension que nous avions ressentie à
l'intérieur de notre commission comme à l'extérieur.
Le Président (M. Filion): Oui. Est-ce que cela va M. le
député de Notre-Dame-de-Grâce?
M. Scowen: Oui, c'est tout. Merci.
Le Président (M. Filion): C'est bien. Je vous remercie. Je
vais reconnaître maintenant un porte-parole de l'Opposition -pas pour
l'instant - et j'ai inscrit M. le député de Montmorency.
M. Séguin: Merci, M. le Président. Une courte
question, Mme Chaput-Rolland. Étant
donné le temps qui... Si je ne me trompe pas, on finit dans
quelques minutes, M. le Président? Alors, très brièvement,
je ne veux pas revenir sur votre intervention...
Mme Chaput-Rolland: Sur mes écrits, non,
promettez-moi.
M. Séguin: Non, pas du tout.
Mme Chaput-Rolland: Comme vous êtes gentil.
M. Séguin: Vous avez amplement discuté, dans votre
intervention, de la société distincte, etc., et il est
évident que c'est peut-être un débat commencé depuis
hier avec les membres de l'Opposition, à savoir que l'expression
"société distincte" qui a été retenue au lac Meech
aurait pu ou aurait dû...
Mme Chaput-Rolland: C'est parce que c'est la clé, n'est-ce
pas?
M. Séguin: ...être "peuple distinct". Je vais
simplement vous lire une phrase contenue dans le projet d'un accord
constitutionnel déposé par l'ancien gouvernement du Parti
québécois, en 1984, et vous demander tout simplement si on ne
pourrait pas conclure que la notion de "société distincte" inclut
la notion de "peuple", tout simplement. Je vais vous lire cette
phrase-là: On dit dans le modèle que j'ai, à la page 12 du
projet constitutionnel qui avait été fait en 1984: "Depuis quatre
siècles, il existe sur les rives du Saint-Laurent un peuple d'origine
française qui, sous deux régimes coloniaux, de multiples
arrangements constitutionnels, s'est progressivement affirmé à
travers ses institutions et avec l'apport d'autres communautés s'est
développé au point d'acquérir toutes les
caractéristiques d'une société distincte." Donc, - et
là c'est moi qui le dis - la société distincte est un peu
l'émergence de l'existence d'un peuple. Êtes-vous d'accord avec
cette...
Mme Chaput-Rolland: Je crois que, lorsque cela a
été écrit chez vous, parce que j'étais un peu au
courant, c'était aussi pour éviter les mots "peuple fondateur"
pour les mêmes raisons que j'ai données, puisque les propositions
constitutionnelles du gouvernement de M. Lévesque s'inspiraient
elles-mêmes largement de ce que l'on pourrait appeler une vision qui
était celle de la commission Pepin-Robarts, qui elle-même avait
dit assez clairement les raisons pour lesquelles nous avons mis "peuple"...
Alors, quand vous dites que l'expression "la société distincte"
englobe ou est sortie du mot "peuple", c'est tout à fait ce que la
commission avait dans l'esprit.
(13 heures)
Le Président (M. Fllion): Merci, M. le
député. Je vais reconnaître maintenant M. le
député de Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: Oui, j'aurais une très courte question.
Le Président (M. Filion): Uniquement, juste avant de vous
laisser la parole...
M. Brassard: Oui.
Le Président (M. Filion): ...je voudrais faire noter qu'il
reste sept minutes au groupe de l'Opposition et environ quatorze au groupe
ministériel. M. le député de Lac-Saint-Jean, vous avez la
parole.
M. Brassard: Merci, M. le Président. Très
rapidement, une question sur le pouvoir fédéral de
dépenser. Dans le rapport Pepin-Robarts, vous recommandiez un certain
encadrement au pouvoir fédéral de dépenser.
Mme Chaput-Rolland: Oui, je crois.
M. Brassard: Évidemment, vous recommandiez, entre autres,
qu'une chambre fédérale, qui n'entre pas dans l'entente du lac
Meech, ratifie d'abord tout programme fédéral qui
empiéterait sur des domaines de...
Mme Chaput-Rolland: Nous recommandons aussi une concertation avec
la province.
M. Brassard: C'est cela. Vous reconnaissiez également le
droit de se retirer d'un programme fédéral...
Mme Chaput-Rolland: Oui.
M. Brassard: ...avec compensation. Mais vous n'exigiez pas,
lorsqu'une province se retire, qu'elle soit soumise à des objectifs
nationaux pour obtenir compensation, ce qui est dans l'entente du lac Meech.
Est-ce que, selon vous, en matière de pouvoir fédéral de
dépenser, vous continuez à penser que les recommandations que
vous faisiez à l'époque étaient meilleures, encadraient
mieux le pouvoir fédéral de dépenser et reconnaissaient
davantage aux provinces la liberté de se retirer sans être
soumises à des critères ou à des objectifs nationaux?
Mme Chaput-Rolland: Je pense, M. le député,
qu'à partir du moment où, dans toute la période qui
entourait le rapatriement unilatéral, le premier ministre
Lévesque a parlé de compensation, "d'opting-out" à votre
compensation, il n'y avait plus beaucoup de moyens de revenir en
arrière. Donc, cette formule d'aujourd'hui me semble - c'est
l'interprétation que j'en donne - correspondre beaucoup plus au
temps contemporain que la formule que nous avions proposée à ce
moment-là. Mais noua avions tout de même ajouté que le
dernier élément du caractère distinctif était le
sens nouveau que prend la politique dans une société en
transition. La société du Québec, la société
canadienne, aujourd'hui en 1987, vous avouerez avec moi qu'elle a peu à
voir avec ce qu'elle était en 1977, tellement les rapports ont
changé, tellement les relations Québec-Ottawa ont changé.
Le rapatriement unilatéral a apporté des changements, non
seulement dans les législations, mais dans les comportements entre les
provinces et le fédéral. Donc, je pense que la recommandation
d'aujourd'hui correspond beaucoup plus à ce qu'on attend du temps
actuel.
M. Brassard: Cela va.
Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître
maintenant M. le député de Bourget.
M. Trudel: Merci, M. le Président. Madame, une très
courte question. Je vais vous citer un article du mois de mai 1987, strictement
pour vous dire qu'ayant toujours admiré votre style sur le plan
littéraire, j'ai adoré la phrase suivante, même si elle
n'est pas très positive pour les politiciens: "Les textes qui
décrivent notre régime ne sont jamais clairs s'ils sont
politiques, jamais précis s'ils sont juridiques et rarement positifs
s'ils sont électoraux." J'avouerais que j'aurais un objet de chicane
avec vous sur le dernier membre de cette phrase.
Ma question n'a aucun rapport avec cette citation. Elle se veut aussi
peu technique que possible, vu les discussions que l'on a depuis le
début et surtout vu celle que vous avez eue avec le député
de Lac-Saint-Jean sur la question linguistique. On parlait de la
société distincte, de l'importance de cette notion. Je vous pose
directement la question. Croyez-vous qu'il serait sage d'inclure la question
linguistique, la langue dans les dispositions sur la spécificité
du Québec?
Mme Chaput-Rolland: Vous parlez des paragraphes qui touchent
à la société distincte?
M. Trudel: On parle de dualité canadienne.
Mme Chaput-Rolland: Je pense toujours et je vous l'ai dit tout
à l'heure indirectement: Ne mettez pas de limites aux grands espaces! Je
pense que, lorsqu'on dit "protéger et promouvoir", on peut mettre dans
ces mots tellement plus que ce que ces mots disent. Et si vous vous mettez
à les définir, vous allez arriver au jour où vous ne
pourrez pas mettre dedans quelque chose. Alors, je les laisserais comme cela.
Pour une période d'années, il serait comme j'ai dit. Corrigeons
demain, aujourd'hui, essayons de garder cette unanimité qui est
tellement fragile.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Pour le
bénéfice des membres de cette commission, en vertu de l'entente
qui est intervenue évidemment, nous avons convenu de toujours garder le
témoignage d'un invité dans une même séance, de
sorte que vous aurez remarqué qu'il est passé 13 heures et je
présume, bien sûr, comme je le ferai à l'avenir, le
consentement de tous les parlementaires pour que nous dépassions l'heure
usuelle de fermeture de nos travaux. Je reconnaîtrai maintenant M. le
chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je pense qu'il me
reste quatre minutes, ce n'est pas bien long pour dire à Mme
Chaput-Rolland l'affection et le respect que j'ai pour elle. On s'est entretenu
souvent, longuement, de bien des choses au sujet du Québec depuis
quelques années. J'ai retenu de son exposé, d'abord qu'elle a
travaillé sur un texte aussi, comme nous, ce qui ne l'a pas
empêchée de parler, de dire ce qu'elle pensait du fond des choses.
Je lui dirai deux, trois choses. D'abord, ce n'est pas juste une
préférence, parce que je trouverais cela plus amusant, "peuple",
parce que "peuple" c'est ce qui est dans le droit international...
Mme Chaput-Rolland: Deux, monsieur, ou trois.
M. Johnson (Anjou): Vous permettez, madame. Je considère
qu'il y a un peuple au Québec qui s'appelle le peuple
québécois et je trouve que cela serait une bonne idée que
dans le reste du monde les gens le sachent. Deuxièmement, Mme
Chaput-Rolland se réjouit de ce qui s'est passé, surtout autour
d'une notion - la reconnaissance de la société distincte -
indépendamment des impacts juridiques qui sont difficiles à
calculer à ce stade. Je vous dirai: Pour moi, c'est l'évidence.
Je trouve que ce n'est pas une grosse victoire pour le Québec d'avoir
obtenu, imaginez-vous! la reconnaissance de l'évidence qu'on est
différent. Cela fait trois cents ans qu'on survit sur le continent,
c'est que c'est cela qui est évident. Je peux difficilement voir
là une grande victoire, sinon que de constater, ma foi, peut-être
que l'hystérie que madame décrivait tout à l'heure, qui a
prévalu au Canada anglais à la suite de l'élection du
Parti québécois, est en train de donner lieu à un
comportement un peu plus calme, qui amène aussi les gens à
reconnaître des évidences. Je ne peux pas y voir une grande
victoire si cette
reconnaissance de l'évidence n'est pas accompagnée
d'instruments pour développer le Québec. C'est clair qu'il n'y a
pas l'ensemble des instruments en matière linguistique. C'est clair
qu'il n'y a pas d'instruments qui nous garantissent l'authenticité de
notre peu de marge de manoeuvre quant aux valeurs, par le Code civil. C'est
clair qu'il n'y a pas de reconnaissance explicite du pouvoir du Québec
sur le plan international. C'est surtout clair que le Québec ne
possède pas plus d'instruments aujourd'hui qu'il n'en possédait
il y a cinq, dix ou vingt ans, pour planifier dans un secteur extrêmement
important dans les années quatre-vingt, qui sont toutes les politiques
de main-d'oeuvre.
Mme Chaput-Rolland, vous parliez de l'âme des
Québécois. Vous la sentez, dites-vous. Moi aussi, disons que je
la sens aussi des fois. Je me sens un peu plus normand, parce que je sais que
la signature des conditions comme cela, avec le refus pour le Canada de
reconnaître les instruments qui viennent avec la reconnaissance de
l'évidence, cela ne fait pas ouvrir un dossier, cela risque de le
fermer. Je pense que les Québécois peuvent comprendre cela et que
-et je suis d'accord avec ce que M. Daniel Latouche disait ce matin dans Le
Devoir -ce qui compte, ce qui est important c'est que cela ne fait que
commencer. C'est un peu comme une séance de psychothérapie. Le
mari a reconnu que sa femme existait, est un être différent, mais
il la voit juste encore dans les chaudrons, et il la voit encore en: Non, tu
n'as pas le droit de travailler, non, tu n'as pas ta marge de liberté.
Il reconnaît que la conjointe, dans la séance de
psychothérapie, est un être libre. Maintenant il faut qu'il
reconnaisse les instruments de sa liberté.
Le Président (M. Filion): Je remercie le chef de
l'Opposition. Le temps... Oui, Mme...
Mme Chaput-Rolland: Est-ce que je pourrais juste ajouter quelque
chose? Je pense qu'il y a un malentendu. Lorsque la commission Pepin-Robarts a
décidé, non pas de mettre de côté, mais de choisir
l'expression "société distincte" au lieu de "peuple
québécois", cette distinction ne s'appliquait pas uniquement aux
mots "peuple québécois". Elle s'appliquait quand on les mettait,
en peuple fondateur, au rappel des autochtones qui se sentaient
lésés dans leur présence avant la nôtre sur ce
continent. C'est dans ce contexte que nous avions décidé de les
laisser, et c'est dans ce contexte, moi, je préfère les mots
"société distincte", par respect pour d'autres peuples qui
étaient ici.
Le Président (M. Filion): Merci. Comme je l'ai dit, le
temps de parole des membres de l'Opposition est épuisé. II reste
encore une douzaine de minutes au groupe ministériel. Je vais
reconnaître maintenant M. le ministre délégué aux
Affaires intergouvernementales canadiennes.
M. Rémillard: Mme Chaput-Roiland, je veux vous remercier
pour votre témoignage particulièrement éloquent. Vous avez
parlé de l'âme du peuple québécois et je sais que
vous avez parlé en toute sincérité parce que, justement,
par vos écrits, par vos témoignages, vous avez su à
maintes reprises traduire cette âme québécoise dans ce
qu'elle comprend de plus vibrant. Vous nous avez donc dit de façon
particulièrement éloquente aujourd'hui que, selon vous, l'entente
du lac Meech était une entente historique. Vous avez fait une relation
directe avec le rapport de la commission Pepin-Robarts dont vous étiez
et à laquelle vous avez apporté une contribution substantielle.
Vous avez fait cette relation et elle est particulièrement
intéressante à faire dans les circonstances.
L'un des grands mérites de la commission Pepin-Robarts aura
été de situer ce concept de dualité canadienne dans une
dimension nouvelle, disant: La commission Laurendeau-Dunton a reconnu les deux
peuples fondateurs, mais, depuis, se sont produit des événements
de différentes natures et à différents niveaux. Ces
événements ont fait qu'il est apparu un phénomène
social, politique et économique qui a concrétisé le fait
que le Québec est une société distincte. C'est là
une grande contribution du rapport Pepin-Robarts.
Je sais que c'est une décision qui n'a pas été
facile à prendre, mais vous l'avez prise, vous, membres de la
commission, en toute lucidité, à la suite de grands
débats. Vous l'avez fait en reconnaissance d'une situation qui s'est
développée depuis et qui nous a permis, à nous,
qouvernement du Québec, de mener ces négociations au lac Meech.
Vous, Mme Chaput-Roiland, M. Beaudoin, qui avez siégé à
ces commissions Laurendeau-Dunton et Pepin-Robarts, je tiens à vous dire
que vous avez pavé la voie à cette entente que nous avons
faîte au lac Meech, où - et vous l'avez souligné, madame,
à très juste titre - l'unanimité a été faite
sur le fait que le Québec forme une société distincte. Les
neuf autres premiers ministres des provinces canadiennes et le premier ministre
du Canada ont unanimement reconnu que le Québec forme une
société distincte.
Nous prenons le mot "société" et non pas le mot "peuple".
Le mot "peuple" est employé dans la constitution canadienne. Il est
employé à l'article 35 de la constitution canadienne pour parler
des droits des peuples autochtones. L'exemple que vous avez donné,
madame, concernant votre expérience chez
les autochtones pendant l'étude qui vous a amenée à
ce rapport de la commission Pepin-Robarts était un exemple
particulièrement bien à propos. Le mot "peuple" existe
déjà, mais, nous, nous considérons que le Québec
est une société parce que, en plus d'être des hommes ,et
des femmes qui vivent ensemble par un élément qu'ils ont en
commun, c'est-à-dire cette spécificité de langue et de
culture, nous sommes différents aussi par nos institutions, par notre
façon de vivre, par notre régime social et par notre façon
d'être, notre âme, comme vous le dites si bien, madame. C'est cette
reconnaissance de notre spécificité que nous avons maintenant
dans ce terme "société distincte" que nous utilisons. (13 h
15)
Lorsque le rapport Pepin-Robarts a été rendu public, je
mentionnais tout à l'heure qu'il avait reçu plusieurs
réactions très favorables, même parmi les membres du
gouvernement du Québec. M. Claude Morin, qui était alors ministre
des Affaires intergouvernementales - et je le cite tel que c'est
rapporté dans Le Devoir du samedi 27 janvier 1979, un article
signé par le journaliste, M. Bernard Descôteaux - disait: "De
façon globale, M. Morin voit dans ce rapport une analyse poussée
des problèmes politiques canadiens et québécois, analyse
qui conduit à des conclusions inéluctables dont la reconnaissance
de la société québécoise comme
société distincte." Un peu plus loin: "La reconnaissance du
caractère distinctif de la société
québécoise et la possibilité qui en découle pour le
Québec d'exercer des pouvoirs que n'exerceraient pas d'autres
provinces."
Voilà pourquoi nous avons utilisé ce concept de
société distincte. Pour marquer d'une façon claire et
évidente, comme d'ailleurs le chef de l'Opposition qui était
alors ministre des Affaires canadiennes l'a mentionné aussi en 1985 dans
un important discours qu'il faisait à l'Association des professeurs de
droit du Québec, lorsqu'il disait, et je le cite textuellement: La
spécificité du Québec ne se résume, pas au facteur
linguistique. Bien sûr, cette spécificité est fondée
sur une langue et sur une culture différentes de celles de l'ensemble du
Canada, et la spécificité du Québec se définit par
cette majorité que nous sommes, nous, francophones. Nous avons une
minorité anglophone qui a des droits et vous avez raison, madame, de
dire que cette minorité doit avoir des droits. Nous vivons dans une
société démocratique et cette minorité est un
enrichissement pour notre société québécoise. Mais
cette société québécoise est différente
aussi par une façon d'être, par une façon de se comporter,
par la façon dont elle est organisée. Un peuple n'est pas
nécessairement politiquement organisé. Une société
peut être un peuple, mais un peuple n'est pas nécessairement une
société. Il y a l'élément politique,
l'élément institutionnel, l'élément qui fait que
nous sommes distincts dans un contexte que nous avons voulu décrire en
fonction d'instruments qui nous permettent maintenant de garantir cette
sécurité culturelle si importante pour le Québec.
Lorsque le chef de l'Opposition, madame, vous disait: Le lac Meech,
c'est la reconnaissance d'une société distincte, mais il n'y a
pas d'instruments, il oublie malheureusement ce que nous avons obtenu
concernant l'immigration, des pouvoirs qui nous permettent de faire face
à ce taux de natalité si faible au Québec, des pouvoirs
nouveaux; il oublie de parler de cette limite du pouvoir de dépenser que
nous avons obtenue. Il évite aussi de parler de cette possibilité
que nous aurons maintenant de pouvoir fournir cette liste de candidats pour la
nomination à la Cour suprême pour les juges qui
représentent le Québec, le droit civil; et il oublie de
mentionner que c'est une première étape, comme vous l'avez aussi
si bien fait valoir, madame. Il y aura d'autres conférences
constitutionnelles: à chaque année, une conférence
constitutionnelle. Aussi, un élément très important que
vous avez fait valoir - je me permets de le souligner parce qu'il se
réfère encore directement au rapport Pepin-Robarts c'est cette
conférence des premiers ministres sur l'économie. Un nouveau
forum est créé qui pourra travailler en étroite
collaboration avec d'autres instances de notre fédéralisme et qui
pourra faire en sorte qu'on pourra dégager maintenant de plus en plus un
principe qui était au fondement du rapport Pepin-Robarts, soit le
fédéralisme coopératif, un fédéralisme qui
se fonde sur la vigueur de ses provinces et de ses régions, un
fédéralisme qui fait en sorte que les objectifs nationaux soient
assez forts, assez cohérents pour nous permettre de vivre ensemble en
fonction de nos spécificités mais aussi de notre identification
à un idéal commun.
Mme Chaput-Rolland, en terminant, je voudrais vous poser simplement la
question suivante: Est-ce que vous croyez que le moment est venu en fonction de
cette entente de signer, de procéder et, dans une deuxième
étape, d'aborder d'autres sujets que comme Québécois on
doit réclamer concernant le partage des compétences, concernant
bien sûr la réforme des institutions, ou si on devrait comme le
laissent supposer d'autres personnes, continuer à négocier pour
tenter d'avoir je ne sais trop quoi?
Mme Chaput-Rolland: M. le ministre, vous posez là une
question qui est en dehors de ma compétence. Ce que je lis dans le
communiqué du lac Meech est un départ vers
quelque chose de sûrement plus grand, plus précis. Je crois
que le chef de l'Opposition, quand il demande qu'au plus vite vous, les esprits
juristes et constitutionnalistes, receviez des papiers qui vous confirment de
façon légale et officielle tout ce qui est contenu dans ces
pages-là, qu'aussitôt que vous aurez ces papiers, il ne faut pas
attendre pour signer, parce que l'unanimité qu'il y a eu est un fait
tellement rare dans ce pays qu'il faut saisir l'occasion quand elle passe, mais
non pas se précipiter tête baissée pour signer. Quand vous
aurez la compréhension totale de ce qui se passe et que nous, ce peuple
dont vous parlez beaucoup, tous ensemble, quand nous aurons aussi compris un
peu mieux, je pense que le temps sera plus que venu de signer.
M. Rémillard: Madame, le plus sincèrement possible,
je veux vous remercier de votre contribution.
Mme Chaput-Rolland: Merci.
Le Président (M. Filion): Et à mon tour, Mme
Chaput-Rolland, au nom de tous les membres de cette commission, de vous
remercier à la fois pour votre exposé ainsi que pour votre
obligeance à vous soumettre à cette période
d'échange de points de vue.
Mme Chaput-Rolland: Merci.
Le Président (M. Filion): Nos travaux sont suspendus
jusqu'à 16 h 30.
(Suspension de la séance à 13 h 24)
(Reprise à 16 h 37)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission des institutions poursuit donc ses travaux. Je rappellerai
notre mandat, soit d'entendre "les représentations de ses membres, de
personnes et d'organismes relativement à l'entente intervenue le 30
avril 1987 au lac Meech concernant la constitution du Canada".
Avant de laisser la parole à notre invité qui a
déjà pris place à la table - je l'en remercie - je
voudrais, pour le bénéfice des membres de la commission, vous
faire part de l'ordre du jour de notre journée de demain, le jeudi 14
mai: À 10 heures, M. Léon Dion, professeur de science politique
à l'Université Laval; à 11 h 30, MM. Jacques-Yvan Morin et
Daniel Turp, professeurs en droit international à l'Université de
Montréal; à 15 h 30, Me Robert Décary, analyste en droit
constitutionnel de Hull; à 17 heures, Mme Andrée Lajoie,
professeure en droit de l'Université de Montréal; à 20
heures, M. Pierre Blache, doyen de la Faculté de droit de
l'Université de Sherbrooke. Donc, nos travaux commenceront demain,
à 10 heures. Je vois que M. Fernand Dumont....
Question de règlement sur
l'utilisation de tableaux et
la transmission de leur image
M. Lefebvre: M. le Président, je m'excuse. Avant que nous
reprenions les travaux avec l'intervention de M. Dumont -je m'excuse
auprès de lui - je voudrais, dans un premier temps, vérifier avec
vous l'imbroglio qu'on a vécu hier autour des techniques de
télévision pour la séance qui s'est tenue entre 16 heures
et 18 heures, ou à peu près, lesquelles techniques ont
été modifiées lors de la reprise des travaux à 20 h
15. Je fais particulièrement référence à
l'utilisation des tableaux par le ministre Rémillard; cette utilisation
des tableaux était très importante et on aura, possiblement,
l'occasion de réutiliser cesdits tableaux.
M. le Président, on se souviendra qu'en début de
séance, hier après-midi, les techniciens ont pris en gros plan
ces tableaux, alors que la technique était différente à la
reprise des travaux à 20 h 15. Les informations qu'on nous donne, c'est
que des instructions ont été données dans ce sens aux
techniciens. J'aimerais savoir de votre part si les vérifications ont
été faites et, si oui, pour quelle raison le ministre a
été privé d'un instrument de travail qui, d'un
côté comme de l'autre, avait été
considéré comme admissible, mais qui, dans les faits, a
été utilisé, j'oserais dire, à 50 % de sa
capacité ou de son utilité.
Alors, j'aimerais, M. le Président, dans un premier temps, que
vous me donniez des explications relativement au changement de cap et,
également, si on peut avoir l'assurance que, si, éventuellement,
on utilisait à nouveau ces tableaux, il y aura gros plan sur lesdits
tableaux, de sorte que le public qui suit le débat à la
télévision puisse lire les textes en question
adéquatement.
Le Président (M. Filion): Alors, sur cette question de
règlement du leader adjoint du gouvernement, M. le député
de Gouin.
M. Rochefort: Merci, M. le Président. Dans un premier
temps, on me permettra sûrement de préciser, sinon de corriger une
affirmation du leader adjoint du gouvernement, lorsqu'il dit "tableaux qui
avaient été acceptés d'un côté comme de
l'autre". Il n'y a pas eu de demande pour savoir s'ils étaient
acceptés, on les a vu apparaître. Donc, on n'a jamais
sollicité, de part et d'autre, d'une façon ou d'une autre,
à un moment ou à un autre, un accord quelconque de qui que ce
soit de ce côté-ci de la table. Jamais, au
cours des discussions qui ont précédé
l'organisation des travaux de la commission, il n'a été fait
état qu'il y aurait des tableaux d'un côté ou de l'autre.
Donc on n'a pas eu à les accepter, M. le Président, on a eu
à les voir.
Deuxièmement, effectivement, j'avais observé que le
ministre utilisait des tableaux. On a vu quelle était l'utilisation qui
en était faite par le ministre et quel était le produit
télévisuel qui en était tiré. À l'occasion,
on a eu des gros plans de tableaux, où on ne voyait d'ailleurs que les
tableaux. À d'autres moments, on a l'occasion de voir le ministre en
train de pointer du crayon un paragraphe ou un autre, une ligne ou une autre,
une expression ou une autre qu'on retrouvait sur un de ces tableaux. M. le
Président, nous avons effectivement attiré l'attention de la
présidence de l'Assemblée nationale sur cette question. À
partir de la pratique et des règles entourant la
télédiffusion des débats à l'Assemblée
nationale, qui ne sont pas des règles de télédiffusion
d'éléments visuels, de présentation d'un point de vue ou
d'un autre, de soutien à un point de vue, à une opinion ou
à un plaidoyer d'un membre de l'Assemblée nationale ou un autre,
mais qui sont un élément de télédiffusion de
débats et donc, par définition, de gens qui débattent de
questions et donc de parlementaires...
Comme je l'exprimais hier, on n'a aucune objection à ce que le
ministre utilise des tableaux, à ce que la télédiffusion
des débats nous présente le ministre présentant ses
tableaux, mais il est clair, M. le Président, que nous souhaitons que la
règle qui a été toujours appliquée par le Service
de télédiffusion des débats continue de l'être,
à savoir qu'il ne s'agit pas d'un service de télédiffusion
d'éléments visuels mais d'un service de
télédiffusion de débats, et donc de ceux qui
débattent de questions et donc de parlementaires. M. le
Président, il y a de nombreux précédents de
décisions -notamment, je me souviens, de M. Richard Guay, alors qu'il
était président de l'Assemblée nationale - quant à
l'utilisation de tableaux dans le salon bleu et il y a eu, hier, une directive
du président de l'Assemblée nationale, le député de
Saint-Jean, pour faire en sorte qu'il n'y ait pas que la présentation
d'éléments visuels mais qu'on retrouve toujours sur le petit
écran au minimum le ou la parlementaire qui a la parole, avec ou sans
tableau, ce que nous reconnaissons pleinement.
Finalement, M. le Président, je dirais que pour nous non
seulement il s'agit d'appliquer ce qui a toujours été
appliqué, mais qu'il faut éviter tout précédent qui
pourrait être créé et venir changer le fonctionnement du
Service de télédiffusion des débats.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le
député de Gouin. Je crois comprendre qu'il y a une autre
intervention sur la question de règlement. Étant donné que
nous avons des invités devant nous, avec votre permission, je vais
reconnaître une autre intervention de chaque côté, à
ta suite de quoi je vais me juger suffisamment informé. Je pense que
vous pouvez me faire confiance là-dessus. Donc, dans ce sens, je vais
reconnaître une autre intervention de chaque côté. M. le
député de Marquette ou M. le député de
Notre-Dame-de-Grâce?
M. Dauphin: Vous avez dit une, M. le Président?
Le Président (M. Filion): Non, une intervention de chaque
côté.
M. Lefebvre: M. le Président.
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint.
M. Lefebvre: Dans un premier temps, pour reprendre
l'argumentation du député de Gouin, il n'y a pas eu d'acceptation
comme telle, sauf qu'il y a eu une acceptation tacite de l'utilisation des
tableaux puisque à partir du moment où le ministre
Rémillard les a utilisés, cela n'a pas été
contesté. D'ailleurs, il aurait été mal venu de contester
une habitude qui existe autant en commission qu'à l'Assemblée
nationale, à savoir l'utilisation de textes ou de tableaux qui
permettent à l'intervenant de bien faire la preuve du point qu'il
développe. (16 h 45)
Quant au précédent auquel a fait référence
te député de Gouin, M. le Président, je vous rappellerai
que tes tableaux en question ont été utilisés à
plusieurs reprises au cours des six, sept ou dix dernières
années, c'est reconnu. Encore faut-il que l'utilisation en soit faite de
façon adéquate et intelligente. C'est dans ce sens, M. le
Président, que je vous invite à donner instruction, pour
l'avenir, afin qu'il puisse y avoir des gros plans des tableaux.
Quant à la décision de la présidence, si c'est le
cas, M. le Président, je dois vous mentionner qu'en aucun moment, de
notre côté, nous n'avons été informés que la
présidence aurait donné des instructions dans ce sens aux
techniciens de la télévision, décision à laquelle a
fait référence le député de Gouin. Jamais de notre
côté nous n'avons été informés que le
président de l'Assemblée nationale aurait demandé aux
techniciens d'agir autrement à 20 h 15 hier soir qu'à la
séance de 16 heures à 18 heures.
J'aimerais, M. le Président, que cette information à
laquelle a fait référence le député de Gouin, cette
décision de la présidence soit vérifiée et que nous
soyons de notre côté informés de toute cette
histoire. Je considère que c'est très important, vu le
préjudice que le ministre a pu subir dans la démonstration qu'il
a faite hier et qui, cependant, et on nous en a parlé, était
quand même très éloquente. Cela aurait été
normal et respectueux que le ministre puisse utiliser le tableau qu'il avait
sous sa main à ce moment.
Le Président (M. Filion): D'accord, je vous remercie.
Est-ce qu'il y a d'autres interventions du côté de l'Opposition.
M. le député de Gouin.
M. Rochefort: M. le Président, nous n'avons pas
d'intervention. Tout ce que nous souhaitons c'est que, compte tenu que
l'invité de l'Opposition et des membres de la commission est
présent parmi nous, nous commencions immédiatement le
témoignage de l'invité, M. Fernand Dumont, que voua preniez en
délibéré cette question et qu'on en discute à
nouveau à l'ouverture d'une prochaine séance.
M. le Président, nous considérons que l'ordre du jour est
d'entendre le témoin qui a été convoqué par la
commission. La même politesse qui s'est appliquée pour M. Beaudoin
et Mme Chaput-Rolland devrait s'appliquer aussi à M. Dumont.
Le Président (M. Filion): D'accord. Premièrement,
je voudrais vous signaler que l'enveloppe de 90 minutes qui est
consacrée à entendre M. Dumont - que je voudrais remercier
immédiatement de sa patience -est intacte. Deuxièmement, en ce
qui concerne la question de règlement soulevée par le
député de Frontenac, je vais la prendre en
délibéré étant donné, d'une part, que je
veux vérifier Ies décisions précédentes qui ont
été rendues, et, d'autre part, étant donné aussi
qu'il a été fait allusion à une décision du
président de l'Assemblée nationale. Je vais faire les
vérifications qui s'imposent et demain, dans le cours de l'avant-midi,
je rendrai ma décision à cet effet tout en comprenant que votre
question de règlement ne portait pas sur l'utilisation des tableaux par
le ministre, mais bien plutôt sur la transmission
télédiffusée des images du tableau lorsque le ministre y
faisait allusion.
Ceci étant dit, à moins qu'il n'y ait d'autres questions
de règlement...
M. Lefebvre: M. le Président, avec votre permission.
Est-ce que vous pourriez reconnaître, pour une très courte
dernière intervention, M. le ministre.
M. Rémillard: Sur cette question, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): M. le ministre, comme j'ai dit
tantôt, je me considère suffisamment informé sur ce point.
Je l'ai signalé tantôt, nous avons des invités. Je pense
que de part et d'autre on reconnaît le bien-fondé de recevoir
adéquatement nos invités. En ce sens, je suis suffisamment
informé. Si vous insistez, M. le...
M. Rémillard: J'insiste respectueusement, M. le
Président. Je voudrais tout simplement vous dire que j'aimerais, parce
que j'ai subi préjudice, pouvoir récupérer le temps que
j'ai perdu et qui n'a pas été, d'une façon efficace comme
on l'avait prévu, utilisé. C'est cela que je veux dire, M. le
Président.
Ce que je veux dire, M, le Président, si vous me permettez... Me
donnez-vous la permission d'expliquer ce que je veux expliquer?
Le Président (M. Filion): Je pense que j'ai compris.
M. Rémillard: Tout simplement c'est que...
Le Président (M. Filion): Ce à quoi vous faisiez
allusion. M...
M. Rémillard: ...je fais allusion, M. le Président,
si vous me permettez de compléter...
Le Président (M. Filion): Oui.
M. Rémillard: ...au fait que j'ai eu une directive qui
m'est arrivée au moment où je faisais mon intervention avec les
tableaux. Je voulais utiliser ces tableaux. Il est arrivé une
intervention, on me disait qu'il y avait une directive de la
présidence.
Or, M. le Président, je crois qu'il faut vérifier si
vraiment il y a eu une directive de la présidence. C'est sous cette
raison qu'il y avait directive de la présidence qu'on a,
paraît-il, donné des instructions et que j'ai fait mon
exposé sans pouvoir utiliser les tableaux, qui étaient
destinés à donner une meilleure information possible, une
meilleure compréhension possible des cinq points de l'entente du lac
Meech.
Ma conclusion est donc: J'ai subi préjudice et si ce
préjudice est une conséquence directe de quelque chose qui
n'aurait pas dû se faire, je voudrais qu'on répare ce
préjudice en ne comptabilisant pas mon temps.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin, une dernière intervention sur la même question de
règlement.
M. Rochefort: Un dernier commentaire, M. le Président. Je
suis surpris que le préjudice arrive au moment où M. Dumont est
présent pour se présenter devant nous,
alors que ce matin, au moment de la présentation de M. Beaudoin
et de Mme Chaput-Rolland, le ministre ne semblait pas avoir subi quelque
préjudice hier. D'autre part, M. le Président, je vous inviterais
à demander au ministre de mettre fin à ces mesures dilatoires et
de permettre à M. Dumont d'être entendu comme les autres
témoins qui ont été entendus jusqu'à maintenant par
notre commission.
Le Président (M. Filion): D'accord. Donc...
Une voix: Mais là, on me dit...
Le Président (M. Filion): La question... Non, à
l'ordre, s'il vous plaît!
M. Rémillard: Non, M. le Président,
écoutez...
Le Président (M. Filion): La question... À l'ordre,
s'il vous plaîtl
M. Rémillard: Un instant! Je vais vous dire pourquoi
j'interviens comme cela.
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît! La question de règlement a été prise en
délibéré.
M. Rémillard: ...question de m'excuser...
M. Lefebvre: II veut s'excuser auprès du monde.
Le Président (M. Filion): Je me considère comme
étant suffisamment informé à ce stade-ci. Je vous informe
de nouveau que ma décision sur la question de règlement sera
rendue demain.
Audition (suite)
À ce stade de nos travaux, et tout en remerciant encore une fois
M. Dumont de sa patience, je lui laisse donc la parole en rappelant qu'une
enveloppe de 90 minutes est consacrée, laquelle enveloppe se divise
comme suit: 20 minutes pour son exposé et les 70 minutes demeurantes
étant divisées à parts égales entre les deux
groupes.
M. Dumont, bienvenue et à vous la parole.
M. Fernand Dumont
M. Dumont (Fernand): M. le Président, je ne m'attendais
effectivement pas à me trouver dans un débat que j'appellerais
pédagogique, ce qui d'ailleurs ne me rend pas distrait par rapport
à ce qu'est mon métier habituel. C'est à partir de ce
métier que j'ai l'intention de m'adresser à vous tous. J'ai
l'intention de parler en tant que citoyen, bien sûr, mais aussi en tant
qu'universitaire à qui son métier a pu apprendre quelque chose
d'utile sur la question qui nous occupe. Sans tomber dans la réthorique,
j'en fais une question d'éthique professionnelle et je dirais
même, si vous me le permettez, de morale civique.
Je vais centrer mes considérations sur une partie du texte qui
nous occupe, qui n'est pas comme chacun le sait un texte constitutional, mais
qui est une sorte de déclaration de principes. Je vais centrer mes
considérations sur une partie du texte, celle qui concerne le
Québec comme société distincte. Vous avez
déjà entendu et vous entendrez ces jours prochains des experts en
droit et particulièrement en droit constitutionel qui vont s'attacher
aux aspects techniques des questions en cause. Mais, comme chacun le sait, les
aménagements juridiques concernent des réalités, des
réalités qu'il faut bien définir de quelque
manière, je dirais, de façon préalable avant que le droit
s'en empare, avant que le droit doive s'en emparer.
C'est pourquoi donc j'ai pensé m'écarter un peu des
discussions strictement constitutionnelles dans lesquelles je ne suis
guère compétent d'ailleurs, pour m'attarder à ce que je
crois savoir un peu, c'est-à-dire à des réalités
que l'on qualifie d'ordinaire de sociologiques. Je vais diviser le bref
exposé que je vais faire en trois parties.
En premier lieu, j'essaierai de me demander: Qu'est-ce donc qu'une
société distincte? Je vais me poser la question comme si
j'étais ailleurs qu'ici, c'est-à-dire comme si j'étais, je
ne sais, en Turquie ou en Albanie ou si quelqu'un me la posait dans ce qenre de
pays. Qu'est-ce donc qu'une société distincte? Il paraît
que vous avez une société distincte. Qu'est-ce que vous entendez
par cette expression? En deuxième lieu, je dois me demander, mais je
n'aurai pas tellement de mal à répondre, je pense: En quoi le
Québec est-il une société distincte? En troisième
lieu, me référant è mon premier point et à mon
deuxième point, comme aurait dit un prédicateur de jadis, je vais
vous proposer quelques observations sur la déclaration du lac Meech.
M. le Président, je n'ai pas de texte. Je vais utiliser des
notes, ce qui est dangereux. Je peux donc dépasser le temps qui m'est
alloué. Vous voudrez bien me prévenir à temps surtout que,
par le plan que je viens de proposer, j'ai promis beaucoup et je pourrai tenir
très peu.
Que faut-il entendre par société distincte? Ce n'est pas
le lieu de proposer une sorte de théorie sociologique, bien sûr,
de la société distincte. Il s'agit simplement de tenter de cerner
quelque peu ce dont on parle. Puisqu'on en parle, il faudrait savoir de quoi
nous parlons. Contrairement aux constitutionnalistes, j'imagine que j'ai
besoin
de me justifier un peu.
Supposons, M. le Président, que nous sommes dans un tribunal,
vous êtes le juge et je suis un psychiatre. Le prévenu, il est
question de savoir s'il souffre de schizophrénie plutôt que de
troubles maniacodépressifs. Vous me poseriez normalement la question:
Dites-nous un peu ce qu'est la schizophrénie ou les troubles
maniaco-dépressifs? Analogiquement, bien entendu. Si vous me demandiez:
Qu'est-ce que c'est une société distincte? Je vous dirais tout
d'abord: C'est un groupement humain par référence.
J'entre dans des notions sur lesquelles je ne m'attarderai pas, qui me
paraissent assez simples. Je distinguerais aussitôt de ce qu'on appelle,
nous en sociologie, des groupements par appartenance, c'est-à-dire une
famille, un petit groupe, là où les gens sont liés entre
eux par des liens affectifs. Je distinguerais d'avec ce qu'on appelle aussi des
groupes par intégration, c'est-à-dire une organisation, par
exemple, une usine où les gens sont liés entre eux par une sorte
de distribution formelle, parfois très juridique, des rôles, des
statuts, de ce qui doit constituer leurs interrelations respectives. Quand je
dis groupement par référence, je renvoie à quoi? Je
renvoie à classe sociale, une nation, un peuple, une église si
vous voulez, c'est-à-dire, des groupements humains où on ne peut
pas se rallier aux critères de l'appartenance, puisque les individus,
par définition, la plupart du temps ne se connaissent pas
réciproquement. Ce qui fait qu'un ouvrier de Saint-Henri et un ouvrier
de Saint-Sauveur appartiennent à une même classe sociale, ce n'est
pas parce qu'ils se sont rencontrés ou qu'ils entretiennent des
relations quotidiennes, c'est parce qu'ils ont foncièrement un certain
nombre d'éléments qui les situent dans une condition semblable.
Et puis, une nation, un peuple, ce n'est pas non plus un groupe par
intégration, qui ressemblerait à une usine ou qui ressemblerait
è ce qu'on appelle parfois une société ou, en tout cas,
à ce qu'on appelle couramment une organisation où tout serait
organisé, tout serait intégré d'une manière
juridique, mais où on ne sentirait plus ce qui fait la
référence - je reprends mon expression - la
référence commune des individus qui appartiennent à un
même ensemble.
Que faut-il donc entendre par référence? Ce n'est pas un
ensemble de données objectives. Par exemple, une nation. Quand on
regarde la diversité des nations dans le monde, cela peut renvoyer
à une langue, à un état, à une religion, à
une ethnie. On peut trouver toutes sortes de facteurs de ce genre et faire une
longue liste. Tous ces cas se rencontrent dans l'examen que l'on peut faire de
ce que j'appelle des groupements par référence à travers
te monde, en particulier les peuples et les nations. Aucun facteur - il faut le
dire d'une manière tout à fait objective -n'est indispensable,
mais il en faut quelques-uns, dans chacun des cas concrets que nous
connaissons, pour qu'une nation, un peuple, ce que j'appelle une
société par référence, existe. C'est parce que ces
données apparemment objectives que sont la langue, disons le droit civil
dans notre cas, ou d'autres données de ce genre, parce que ces
données sont avant tout des données symboliques. (17 heures)
Qu'est-ce que cela veut dire des données symboliques? Cela veut
dire une symbolique quotidienne. Peter Berger, un sociologue américain
que j'aime beaucoup, dans un petit article un peu humoristique sur la nation,
dit à peu près ceci: Si vous voulez savoir en quoi il y a une
nation française, demandez-vous ce que quotidiennement perdrait un
Français qui quitterait la France. La liste serait longue. On pourrait
se poser la même question pour un Québécois, pour un
Ontarien, pour un Américain, etc. Il y a donc une sorte de symbolique
quotidienne. Et puis, il y a une mise en forme de cette symbolique, je dirais,
une officialisation de cette symbolique. La Déclaration
d'indépendance des États-Unis, la constitution du Canada,
d'autres textes du même genre, constituent, officiellement pour ainsi
dire, pour une société distincte, pour une nation et pour un
peuple, constituent ce que j'appelle encore une fois sa
référence.
Je conclus mon premier point là-dessus. Ce que nous appelons une
société par référence, ce que nous appelons, pour
être fidèles à ce qui se dit ces temps-ci, une
société distincte, ce n'est pas nécessairement une
société où existe l'homogénéité
ethnique, l'homogénéité religieuse, ni même,
fatalement, l'homogénéité linguistique. C'est une
société où l'un ou quelques-uns de ces facteurs existent.
C'est une société où il y a ce que j'appelle une sorte de
conscience historique, c'est-à-dire le sentiment qu'on se
réfère à un passé commun, à un passé
- je le dis aussi bien, disons, pour des émigrés récents
que pour des émigrés plus anciens -qui n'appartient, au fond,
à aucune des composantes, mais à un passé que chacune des
composantes veut bien partager en commun, veut bien assumer, pour ainsi dire,
pour faire l'avenir.
Ces phénomènes, on a l'air d'être obligé d'y
insister au Québec, mais ce sont des phénomènes
sociologiques courants qu'on rencontre dans tous les pays du monde, dans toutes
les nations du monde. Tout au long de l'histoire, des hommes se sont
ralliés à une histoire que leurs ancêtres n'avaient pas
nécessairement vécue de cette façon, mais à une
histoire qu'ils voulaient épouser, qu'ils voulaient continuer en
commun.
Cette référence dont je parle est essentielle pour deux
raisons. Elle est
essentielle - parce qu'il s'agit de choses concrètes; il ne
s'agit pas de poésie - pour que l'individu puisse se
référer à une identité, puisse avoir une
identité. Encore une fois, ce n'est pas vrai simplement pour les
Québécois, c'est vrai pour tout le monde. Deuxièmement,
elle est essentielle pour que, dans une société donnée,
les gens puissent communiquer entre eux, malgré les différences,
grâce aux différences.
Une société distincte donc, je dirais, c'est une
société qui possède une référence, qui
l'entretient, qui la développe, par exemple, en produisant une
littérature, des arts, des sciences, en alimentant les institutions qui
soutiennent cette référence, que ce soit, dans notre cas, le
droit civil, l'Assemblée nationale ou d'autres institutions du
même genre, une référence qui lui permet de s'enrichir des
apports qui viennent de l'étranger et qui permet aussi d'enrichir ce qui
n'est pas elle par ses propres apports. Dans le rapport Durham, celui-ci
disait: Ce peuple est un peuple sans histoire. Je parie qu'il voulait dire: Ce
peuple est un peuple sans référence.
Je passe à mon deuxième point rapidement. En quoi, dans
cette perspective, le Québec est-il une société distincte?
Ne cherchons pas, ce serait contradictoire avec ce que je viens de dire,
à faire une liste de traits culturels distinctifs. Sommes-nous
distinctifs à cause de la soupe aux pois, de la chaise berçante,
du folklore, etc.? C'est sûr que, si on faisait une liste pareille, on
serait débouté à chaque coup. La chaise berçante,
nous ne l'avons pas inventée. Une partie de notre folklore, nous ne
l'avons pas inventée non plus. Quant è la presse
périodique, quant à la télévision, nous ne les
avons pas inventées non plus.
Si on voulait faire une sorte de liste des traits culturels qui nous
caractérisent et qui nous permettraient de définir la notion de
société distinctive, je pense que nous serions à la fois
futiles et certainement comiques. Après la conquête - ne vous en
faites pas, je ne vais pas vous refaire l'histoire du Québec ou du
Canada, c'est simplement pour vous donner un exemple -on a été
obligés, ici, de s'interroger sur ce qu'était notre
référence et on a trouvé des choses relativement simples:
la coutume de Paris, la religion et la langue. Des choses simples, je veux
dire, à la fois des symboles d'identité et des pouvoirs pour
défendre cette identité, l'assurer, lui donner une
continuité historique.
Je dis que je ne referai pas l'histoire du Québec parce que,
d'une part, on y décèle effectivement cette continuité et,
d'autre part, on y décèle aussi, disons surtout depuis 30, 40
ans, des discontinuités. C'est-à-dire que cette
référence s'est modifiée. On n'a pas besoin d'insister
longtemps pour dire que notre droit civil, par exemple, s'est
singulièrement transformé et qu'il est à la veille de
connaître d'autres transformations - je pense aux mariages et à
d'autres situations, d'autres domaines - et que la religion qui, il y a peu,
constituait une caractéristique - ce qui semblait évident - de
notre identité, ne constitue plus de toute évidence un trait
distinctif qu'on pourrait comme cela admettre et même inscrire dans une
constitution.
Donc, d'une part il y a toujours eu des traits et - je le
répète - des pouvoirs aussi qui pouvaient supporter, incarner,
promouvoir ces traits culturels et, d'autre part, il y a eu une sorte
d'évolution qui n'est pas simplement une dénégation mais
qui est le signe même de la vitalité.
Il reste quoi aujourd'hui? Si nous nous demandons en quoi cette
société est une société distincte ou si nous nous
demandons, pour reprendre mon expression de tout à l'heure, en quoi
cette société a une référence, il ne reste à
mon avis qu'une chose, il ne reste que la langue, ce sur quoi, je crois, nous
ne pourrions pas discuter plus longtemps. Si nous ne sommes pas d'accord sur
cela, ma foi, oublions la notion de société distincte. Il reste
la langue. S'il ne reste que la langue, à première vue, c'est
bien peu. C'est bien peu s'il s'agissait seulement, lorsqu'il est question de
langue, de transmettre des messages dans un médium particulier, disons,
faute de bilinguisme ou d'espéranto. La langue n'est pas d'abord un
instrument de communication des messages. Ou plutôt, si elle est
effectivement un instrument de communication des messages, elle l'est parce
qu'elle transforme, elle transpose des aspirations secrètes comme elle
est capable d'exprimer les plus hautes aspirations. Et la langue - je me
permets d'insister un peu sur cela - renvoie à des pouvoirs.
Le Président (M. Filion): M. Dumont, à votre
invitation, pour vous signaler le temps qui coule, il vous reste moins de cinq
minutes pour votre exposé.
M. Dumont: Bon, il reste moins de cinq minutes.
Le Président (M. Filion): À moins que les membres
ne consentent à une extension, on verra tantôt.
M. Dumont: Non, non, je vais essayer de respecter cela aussi.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie.
M. Dumont: On peut revenir sur ces divers points. Il me restait
simplement à insister à propos de ce deuxième point de mon
exposé sur une question qui est
fondamentale. Je disais à l'instant que si la langue
n'était qu'un instrument de transmission des messagea - disons un
instrument de traduction - nous n'aurions guère de problème,
sauf, semble-t-il, ces jours-ci avec les services de sécurité du
Canada. La langue, encore une fois, renvoie non seulement à une
réalité concrète mais elle renvoie à des pouvoirs.
Je prends deux exemples - je ne les prends pas, je les cite rapidement, nous y
reviendrons si vous vouiez. Par exemple, on discute beaucoup actuellement
à travers le monde, non seulement au Québec, du français
en tant que langue scientifique. Ce n'est évidemment pas la question de
savoir si on peut parler en français dans un congrès. Il s'agit
de savoir si la diversité de la science de la recherche dans le monde
peut s'exprimer selon la diversité et la recherche des diverses
langues.
Un chercheur comme Migué a montré -c'est mon
deuxième exemple - que dans le problème du développement
économique du Québec il n'y avait pas simplement une question
d'investissement ou de pauvreté relative des groupes en présence,
mais un véritable problème de communication, c'est-à-dire
un système de promotion, un système de circulation de
l'information, etc., qui fait que l'information, la communication y compris
celle qui s'exprime dans une langue ou dans une autre, est aussi un facteur
économique, un facteur de pouvoir.
J'en arrive à mon troisième point, c'est-à-dire aux
observations sur le texte en cause. Je ne m'attarderai pas aux passages -je
l'ai dit au départ - qui concernent autre chose que cette notion de
société distincte, bien que je voudrais noter que, si cette
notion est présente dans le texte, c'est parce qu'elle devrait
normalement concerner l'ensemble du texte et que si, pour ma part, je m'attarde
sur ce qui, dans la déclaration, concerne cette notion de
société distincte, je ne perds pas de vue qu'elle devrait,
à moins que ce soit un pur effet de rhétorique, concerner
l'ensemble. Je voulais m'attarder un peu sur cela mais je passe rapidement. Il
s'agit toujours pour moi de savoir, à la lecture de ce texte, de quelle
société distincte il s'agit? Je lis l'article (l)a): "la
reconnaissance que l'existence d'un Canada francophone, concentré mais
non limité au Québec, et celle d'un Canada anglophone,
concentré dans le reste du pays mais présent au Québec,
constituent une caractéristique fondamentale de la
Fédération canadienne;" Cet énoncé correspond en
gros, je dirais, à la réalité, à condition d'y
apporter des nuances importantes.
Première nuance: anglophones et francophones, les expressions qui
sont utilisées dans ce texte, ce doit être manifestement entendu
dans le sens de "parlant anglais" et de "parlant français", parce que
nous connaissons tous, les uns et les autres, l'existence d'importantes
minorités au Canada et au Québec dont la référence,
au sens où je l'entendais tantôt, n'est ni anglaise ni
française. Je pense en particulier, mais pas seulement, aux peuples
amérindiens. Notons aussi - c'est ma deuxième remarque -que les
proportions, lorsqu'il s'agit de cette société bilingue qui
tantôt pèse dans un sens de la balance, tantôt dans l'autre,
sont inégales. Autrement dit, j'en reviens à ce que je disais il
y a un instant. Nous ne pouvons discuter de ces questions, les inscrire ou les
traduire dans des textes juridiques sans nous demander de quel poids de
réalité il s'agit.
Par exemple - c'est un exemple parmi bien d'autres, n'est-ce pas? -
selon des analyses qui ont été faites sur le recensement de 1971,
cela veut dire il y a plus de quinze ans, 4 % des Canadiens français
hors Québec parlaient français en famille. Eh bien, s'il est vrai
que la référence dont nous parlons, c'est quelque chose de
concret, que ce ne sont pas simplement des déclarations juridiques qui
sont fort utiles - remarquez que je ne les méprise pas - mais, si elles
doivent correspondre à la vie quotidienne, si nous voulons savoir de
quoi nous parlons quand nous voulons élaborer ou signer des
constitutions, voilà un élément qui me semble capital,
c'est-à-dire: Est-ce que la référence est simplement une
sorte de déclaration abstraite sur le bilinguisme qui devrait
régner partout dans ce pays ou si cela se réfère à
la réalité, c'est-à-dire à l'usage concret que l'on
fait, dans la vie quotidienne, de la langue que l'on prétend
défendre ou préserver?
Je note, enfin - cela me paraît extrêmement important - que
le texte en question accorde à la langue, comme facteur de distinction,
une importance primordiale dans la définition du Canada. Il faudra nous
en souvenir quand il s'agira de définir dans un texte constitutionnel le
caractère distinctif du Québec.
Quand on dit qu'il ne faut pas de critères limitatifs, qu'il ne
faut pas faire la liste par crainte, disait M. Beaudoin ce matin, que cette
limitation nous interdise d'ajouter quelques facteurs au cours de
l'évolution future, je ne peux pas manquer de constater que, dans le
texte qui nous occupe, il y a déjà un facteur limitatif,
c'est-à-dire que, lorsque l'on y parle d'anglophones et de francophones,
on parle de gens qui parlent anglais ou français.
Je lis encore - j'achève - le...
Le Président (M. Filion): M. le professeur, de
consentement, vous pouvez poursuivre votre exposé au-delà de la
période prévue.
M. Dumont: Vous en êtes sûr? Je ne
veux ennuyer personne.
Le Président (M. Filion): Certainement. Soyez très
à l'aise...
M. Dumont: Bon.
Le Président (M. Filion): ...le consentement vient des
deux groupes. Soyez à l'aise. Poursuivez, je vous en prie.
M. Dumont: Je lis encore, au paragraphe (2): "Le Parlement et les
Législatures des provinces, dans l'exercice de leurs compétences
respectives, prennent l'engagement de protéger la caractéristique
fondamentale du Canada mentionnée au paragraphe (l)a)." Qu'est-ce
à dire? Que, dorénavant, toutes les provinces seront bilingues.
Je ne veux pas discuter ici d'unilinguisme ou de bilinguisme en soi; je
constate simplement, toujours dans la ligne de cette espèce de
réalisme qui m'inspire depuis que j'ai commencé, que, dans les
autres provinces du Canada, la langue de référence commune - elle
n'a pas besoin d'être déclarée langue officielle comme
chacun sait, elle l'est dans les faits - c'est l'anglais. (17 h 15)
En pratique, dans la réalité, dans la pratique, ce qu'on
nous a promis depuis longtemps, ce que nous promet à nouveau le texte
qui nous intéresse ici, toute modification sur ce point n'aura d'autre
effet que de permettre l'usage du français en certaines circonstances
et, pour reprendre la formule célèbre, là où le
nombre le permet. Au Québec, et heureusement, je le souligne, la
situation, dans les faits toujours, est tout à fait différente.
Cela, chacun le sait. Le principe du bilinguisme partout, sous couvert de
rendre justice à tout le monde, loin d'éclairer la
réalité, dans le cas qui nous occupe, la masque.
Je le répète, à quoi s'engage-t-on au juste? La
question n'importe pas seulement pour les Québécois, elle importe
pour nos concitoyens des autres provinces. La politique linguistique que nous
nous sommes donnée, après avoir été
démantelée au nom de la déclaration fédérale
des droits, le sera-t-elle davantage par le recours à pareil
énoncé constitutionnel? Il me paraît évident qu'une
société distincte, et distincte avant tout par la langue, doit
être éclairée sur ce point. Il m'apparaît
inconcevable qu'un texte constitutionnel, qu'un pareil texte, dont l'objectif,
comme tous les textes constitutionnels, est d'éclairer les citoyens et
les législateurs sur leur commune référence, provoque au
contraire de nouvelles confusions là où il y en a
déjà beaucoup.
En définitive, il est indispensable, à mon avis, que le
futur texte constitutionnel nous dise ce qu'il faut entendre par
société distincte. Nous avons besoin de le savoir au
Québec, nos concitoyens des autres provinces ont besoin de le savoir
aussi. Un accord constitutionnel, n'importe quel accord, suppose que les gens
qui s'entendent savent sur quoi ils s'entendent.
Je ne suis pas naïf. Je sais fort bien qu'il n'est pas question de
traduire une théorie sociologique dans un texte juridique. Il ne s'agit
pas d'énumérer tous les traits qui nous distinguent, il en est un
et lui seul suffirait, je pense, c'est la langue française. Cela se
dégage, je pense, de l'exposé que je viens de faire. On
éclairerait tous les esprits, on nous rassurerait sur la portée
pratique des principes si, dans le futur texte constitutionnel, on mentionnait
que le critère pour comprendre que le Québec forme une
société distincte c'est que le français y est la langue
officielle avec les conséquences qui s'ensuivent.
Il faudrait revenir - j'espère que nous aurons l'occasion d'y
revenir dans la discussion - à savoir - c'est une question importante -
si ces fameux critères de la société distincte doivent
être renvoyés aux tribunaux. J'ai des choses là-dessus si
on m'interroge sur la question.
Merci, M. le Président. Je m'excuse d'avoir dépassé
l'heure qui m'était allouée.
Le Président (M. Filion): C'est bien, c'est moi qui vous
remercie, M. le professeur, de votre exposé. J'inviterais, sans tarder,
le chef de l'Opposition à amorcer les échanges avec vous.
Une voix: Combien de temps?
Le Président (M. Filion): De chaque côté de
la table il reste une enveloppe de 31 minutes et demie.
Une voix: Environ 30 minutes.
M. Johnson (Anjou): Merci, professeur Dumont. Permettez-moi de
dire, pour les fins de notre auditoire, que je connais la modestie qui
caractérise le grand universitaire que vous êtes. Je sais que
votre plus grand titre, celui que vous invoquez tout le temps, c'est celui
d'être simple professeur à l'Université Laval, mais on sait
aussi que vous êtes président de l'Institut
québécois de recherche sur la culture. Vous êtes
également un président d'importantes associations sur le plan
sociologique, y compris l'Association internationale des sociologues de langue
française. Ce que vous appelez modestement, encore une fois, ce que
votre métier vous a permis d'apprendre, je pense nous éclaire
beaucoup.
Mes propos seront extrêmement brefs. Je veux que l'essentiel de la
demi-heure qui vient vous soit consacrée, étant donné
qu'on vient d'entrer dans le coeur du sujet à la fin
de votre exposé.
Vous avez établi que pour faire référence à
une société distincte, un peuple, une nation, il faut voir
quelles en sont les caractéristiques. Pour prendre des mots de tous les
jours pour les gens, vous disiez: quand on regarde historiquement, c'est quoi
le Québec? Cela a été la religion, la langue, la coutume
de Paris qui est devenue, on le sait, par la suite le Code civil.
Quand on regarde l'entente du lac Meech, on évoque la notion
d'une société distincte et ce qui reste de ces trois traits, nous
dites-vous, dans notre histoire, ce qui est le plus évident, c'est celui
de la langue. Celui de la religion, je pense que cela tombe un peu sous le sens
commun que c'est moins évident que cela ne l'a déjà
été dans notre société. Celui du Code civil, il
existe, il est une des formes d'expression de notre distinction mais il a
été, on le sait, largement influencé par le droit
nord-américain. Il reste la langue et vous attirez notre attention sur
le fait que ce qui est paradoxal, c'est que dans l'espèce de tête
de chapitre qui s'appelle "Le caractère distinct du Québec",
essentiellement ce qu'on définit, c'est que le Canada, et le
Québec y compris, sont bilingues et qu'il sera de la
responsabilité du Parlement fédéral et de toutes les
Législatures du Canada, y compris celle du Québec, de respecter
ce caractère fondamental de la fédération comme le dit le
texte.
J'aimerais peut-être, pour vous permettre de continuer plus loin
dans ce que vous aviez amorcé, vous dire, je pense, que c'est
précisément comme cela que Alliance Québec l'a compris
aussi. Cela me permet d'ajouter à votre réflexion quand on voit
dans le mémoire qu'Alliance Québec a présenté l'an
dernier au Sénat canadien, un mémoire dans lequel pour Alliance
Québec le caractère distinct de la société ne peut
se comprendre qu'à la lumière de la dualité linguistique.
Je ne me trompe donc pas, je présume professeur, en disant que ce que
nous avons devant nous comme texte ne dit pas que le Québec est
distinctif par la langue française. Il devrait peut-être le
dire.
Deuxièmement, je vous permettrai dans cette partie de votre
exposé ou de votre réponse, de nous parler aussi du pouvoir des
tribunaux par opposition à la responsabilité des élus dans
un domaine aussi important.
M. Dumont: Lorsqu'on parle de société distincte, je
n'ai pas pu beaucoup insister là-dessus, mais, toujours dans la
volonté d'être fidèle à la réalité qui
est extrêmement complexe, là-dessus, je ne suis pas
sévère pour le texte que nous avons devant nous parce que je suis
très conscient, quelles que soient les options des uns et des autres, de
la réalité dont il s'agit qui est extrêmement complexe, et
quand on prétend - et on doit prétendre - y mettre un peu d'ordre
et un peu de clarté, c'est extrêmement difficile. En tout cas, moi
c'est dans cette perspective que je me place. C'est pourquoi, lorsqu'il s'agit
de savoir en quoi le Québec est une société distincte, je
suis, encore une fois, extrêmement conscient du fait que ce n'est pas
facile à définir. Si nous étions, disons, dans beaucoup de
pays que nous connaissons - dans tous les pays que nous connaissons existe une
très grande diversité, ce n'est pas le problème de la
diversité qui fait question, ce n'est pas le problème des
respects des différences qui fait question, il y a toujours une
diversité car les pays ne sont pas des tribus - mais si nous
étions dans d'autres sociétés où existent quand
même, je dirais des choses qui semblent acquises. N'allons pas
très loin, au Canada anglais, je le disais tantôt et sans aucune
méchanceté je vous l'assure, je disais qu'il y a une lanque
commune, il y a une langue officielle. On serait d'ailleurs
étonné, on trouverait drôle qu'on prétende, disons
en Ontario, faire des lois là-dessus; c'est entendu, c'est
là...
Dans le cas du Québec, il faudrait évidemment faire
l'histoire pour s'en expliquer, mais chacun de nous a un peu à l'esprit
les éléments essentiels. Dans le cas du Québec, la
question est infiniment plus complexe. Mon collègue Léon Dion le
soulignait dans son article, il y a peu de temps, il existe au Québec,
au fond, depuis très longtemps, deux sociétés;
c'est-à-dire des sociétés qui ont chacune leurs
institutions respectives, et c'est important de s'en souvenir si on ne veut pas
céder à une sorte d'idéalisme de la société
distincte. C'est une société distincte, disons comme
hypothèse, mais c'est une société distincte d'une nature
assez particulière. Je pense que nous devons tous être d'accord
pour respecter cette réalité concrète. Pendant longtemps,
il y a eu ici deux sociétés distinctes, c'est-à-dire deux
réseaux d'institutions, avec chacune leur logique, et cela, l'histoire,
la sociologie... Je pense à une monographie comme celle de Hugues sur
Drummondville que j'aurais pu recommencer à mon compte pour la
localité d'où je viens, c'est-à-dire Montmorency,
c'est-à-dire des Anglais qui occupent tous les postes importants
à l'usine et de la main-d'oeuvre francophone. Encore une fois, je
connais cela par expérience. C'est une loi sociologique dont on retrouve
les échos ailleurs. Â mon avis, cela ne sert à rien de
revenir indéfiniment là-dessus et de refaire éternellement
ce procès. Ce qui est important, c'est de nous placer aujourd'hui et de
nous dire: Voici devant quelle réalité nous sommes.
C'est pour cela que je dis: Nous ne pouvons pas simplement nous
contenter de parler d'une société distincte sans nous assurer
entre nous, parmi les groupes très
différents qui composent le Québec, d'une sorte de
critère. Puisqu'il s'agit de droit, nous devons, je crois, nous assurer
d'une sorte de critère. Ma foi, à mon avis, il ne reste que la
langue. Quand je dis qu'il ne reste que la langue, je ne veux pas dire qu'il
faut imposer à tous nos concitoyens de parler français dans leur
famille sans quoi nous allons leur envoyer la police. Quand je dis la langue,
je veux simplement dire qu'entre nous, parmi les groupes très
différents qui constituent actuellement le Québec et qui,
d'ailleurs, vont accentuer sans aucun doute leurs différences, il nous
faut bien une langue de communication sans quoi chacun de ces groupes va
devenir une sorte de groupe marginal. Chacun de ces groupes, sous
prétexte de la respecter - je n'aime pas beaucoup ce genre d'hypocrisie
- va pour ainsi dire se situer en marge de la société que
pourraient dominer, pour changer un peu, les francophones, ce que je ne
souhaite évidemment pas.
Donc, quand je me réfère au critère de la langue,
je ne pense pas simplement à la grosse minorité francophone que
nous formons en Amérique du Nord et même au Canada. Je pense
à la nécessité qu'existe, dans ce qu'on appelle,
semble-t-il avec unanimité, une société distincte,
à ce qu'existe un lieu, non pas d'aplatissement des différences,
mais de convergence, de dialogue des différences.
M. Johnson (Anjou): Professeur Dumont, quand vous parlez d'un
lieu de convergence et de dialogue autour de la langue française,
peut-être que le creuset, le lieu de rencontre, de dialogue ou
d'intégration - je ne parle pas d'assimilation cela doit être la
langue pour que la société reste distincte. Est-ce que je vous ai
bien compris?
M. Dumont: Oui. Mais encore une fois, j'y vois une sorte de
critère clair. Je sais qu'on discute depuis - avec raison d'ailleurs
-longtemps, et en particulier depuis le début des travaux de cette
commission, à savoir si, lorsqu'on parle de société
distincte, il faut inscrire toutes les caractéristiques dont on parle.
Je suis très conscient, je suis d'accord là-dessus, il ne faut
pas faire cela, c'est certain. Mais il faut quand même avoir quelques
critères, quelque éclairage, je dirais, toujours dans la
perspective, à mon avis, que la langue n'est pas une sorte de
caractéristique comme si on avait, quelques uns d'entre nous, une sorte
de marque quelque part, de tatouage qui nous ferait reconnaître parmi les
nations du monde. Il ne s'agit pas de cela. Il s'agit de savoir s'il y a un
rapport, dans une société distincte de toujours, entre la
façon de s'exprimer, la façon de vivre et la façon de
communiquer. Donc, je n'en fais pas une sorte de pis-aller, si vous voulez, ou
de siqne distinctif que chacun devrait porter comme la marque qui fait qu'il
appartient bien à la société distincte, mais j'en fais,
ayant éliminé pour ainsi dire tout ce qui pourrait s'imposer
à des gens qui habitent le Québec malgré leurs
différences, pour ainsi dire, la caractéristique évidente
de cette société. (17 h 30)
M. Johnson (Anjou): Professeur Dumont, dans l'article touchant le
caractère distinctif du Québec qu'on retrouve dans le projet
d'accord du lac Meech, on définit clairement, et je voudrais juste
être sûr que je ne travestis pas vos propos... Il y a une chose
qu'on définit clairement, c'est la caractéristique fondamentale
du Canada, c'est-à-dire une forme de bilinguisme. Mais on ne
définit pas pour autant, une fois qu'on dit que le Québec est une
société distincte, quoi que ce soit. On se comprend bien? C'est
l'objet de votre propos?
M. Dumont: C'est un point que je crois avoir effectivement
souligné tout à l'heure au cours de mon exposé, à
savoir que, lorsqu'il s'agit de ce qu'on appelle dans le texte la
caractéristique fondamentale du Canada, la référence
manifestement - à moins qu'on soit odieux, encore une fois,
vis-à-vis de la diversité des cultures qui existent au Canada et,
en particulier, vis-à-vis des Amérindiens - lorsqu'on parle d'une
dualité comme caractéristique fondamentale, c'est à la
langue qu'on renvoie. Donc, il y a un critère précis.
Quand on parle du caractère distinctif du Québec, à
mon avis, il n'y en a pas. Cela ne veut pas dire qu'il ne pourrait pas y en
avoir. Je pense qu'on est ici, non pas pour simplement dire qu'il n'y en a pas
dans le texte, mais pour espérer qu'il y en ait un et que, par
conséquent, ce qu'on peut comprendre dans un paragraphe du texte, on
puisse aussi le comprendre de façon aussi nette dans le paragraphe
suivant.
M. Johnson (Anjou): II est évident que la marge de...
Au-delà de cette question de rédaction qui n'est pas exactement
un détail, car cela va au coeur du problème et du
caractère le plus évident historiquement de la distinction du
Québec, qui est celui de la langue et de la capacité pour le
Québec d'avoir les pouvoirs de décider des questions qui touchent
la langue sur son territoire, au-delà de cela, même en admettant
que le gouvernement ou que les premiers ministres se réunissant à
Ottawa trouvent une formulation plus précise et disent, dans le fond, de
la même façon qu'on considère qu'en général
la caractéristique de l'ensemble canadien, à l'exclusion du
Québec, la référence est de langue anglaise - même
s'il y a des gens bilingues - que, dans le cas du Québec, ce devrait
être le français, croyez-
vous qu'il faille aller plus loin ou laisser cette question entre les
mains des juges? Je sais que vous avez dit des choses et que vous avez
déjà émis des opinions sur le râle des juges dans un
système de droit comme le nôtre. Croyez-vous que c'est à
l'Assemblée nationale du Québec d'occuper, dans les questions
linguistiques, une large part de la définition des
responsabilités, des devoirs, des obligations et des droits à
l'égard des questions linguistiques? Ou croyez-vous, au contraire
nécessaire de référer cela, en général,
à l'interprétation des tribunaux qui sont appelés à
faire bien plus que seulement de l'interprétation des droits, mais
littéralement à créer du droit, au fur et à mesure
que la jurisprudence avance, notamment dans l'application de la charte
canadienne? Laquelle des deux voies privilégiez-vous?
Je sais qu'un certain nombre de juristes, de sociologues ou de citoyens
privilégient nettement le rôle des tribunaux en se disant qu'il y
a là une espèce de garantie d'indépendance, de distance et
de sagesse, et d'autres qui considèrent que cela devrait être une
responsabilité des élus dans une question - et c'est mon avis
à moi -aussi fondamentale que celle de ce trait si profondément
distinctif qui est le nôtre.
M. Dumont: Nous savons tous, même ceux parmi nous qui ne
sont pas des juristes, que le pouvoir judiciaire a pour fonction -c'est
inscrit, à ma connaissance, dans les textes juridiques de tous les pays
que nous connaissons - de créer du droit aussi, c'est certain, et non
simplement une sorte de mécanique qui ne fait qu'appliquer ou traduire
des textes législatifs.
Je ne suis pas le premier à souligner qu'il y a un danger - que
d'ailleurs les juristes eux-mêmes soulignent et non seulement les
sociologues - partout répandu dans nos pays occidentaux, de renvoyer aux
organismes judiciaires le soin de traduire, d'une manière un peu
concrète, des déclarations de principe ou des
réglementations très générales. Je dirais qu'on n'a
pas de difficulté à s'expliquer cela. On peut le dénoncer,
mais il faut quand même l'expliquer. La vie sociale est devenue tellement
complexe, les différences dont je parlais tantôt sont devenues
tellement nombreuses, qu'on comprendrait fort bien que le législateur
hésite à descendre dans tous les détails. Je dirais qu'il
faut d'ailleurs lui être reconnaissant de ne pas le faire, sans cela il
enserrerait la vie de sociétés qui évoluent très
rapidement dans des maillons qui deviendraient autant de prisons pour ainsi
dire. Mais, dans certains cas - et je crois que c'est un de ces cas qui nous
occupe - il faut que le législateur, je crois, soit capable de dire, non
pas, encore une fois, en faisant une sorte de théorie sociologique,
mais, par quelques critères un peu précis, ce qu'il entend par
les notions qu'il utilise.
Cette notion de société distincte, je suis très
heureux qu'enfin elle soit rendue, non seulement sur la place publique, mais
qu'elle menace, si je puis dire, de devenir enfin une notion juridique. Cette
notion, à cause de son importance, des conflits qu'elle peut engendrer,
des incompréhensions qu'elle peut susciter, voilà un cas, me
semble-t-il -et je n'étendrai pas ma réflexion ou ma
considération à tous les cas - où il me semble
incontestable qu'on doive la préciser. Quand je dis "préciser",
je ne veux pas dire en faire une sorte de théorie sociologique qu'on
transcrirait dans un code de droit -même si je ne suis pas juriste je ne
suis pas naïf à ce point là - mais de la préciser par
quelques critères qui puissent guider, non seulement les juges qui
après tout, j'en suis certain, sont aussi intelligents que les
législateurs, mais pas nécessairement davantage, mais de guider
aussi les simples citoyens qui doivent s'intéresser à ce genre de
débat et y comprendre quelque chose. Je ne ferai pas une sorte de
théorie générale selon laquelle il faut absolument lutter
en toutes circonstances contre l'abus des interprétations des tribunaux.
Je pense que dans des sociétés extrêmement complexes comme
le sont les nôtres, il faut effectivement - le législateur n'a pas
le choix - définir des grands paramètres et laisser les
tribunaux, qui eux ont affaire à des cas très concrets,
créer une sorte de jurisprudence, c'est-à-dire de droit qui
s'applique à la diversité des cas et des situations. Cela ne doit
pas nous entraîner, encore une fois, à une sorte de loi
générale selon laquelle ce que je viens de dire vaudrait dans
tous les cas. Il me semble que sur une question aussi capitale qui est au
centre même du texte qui nous occupe et qui sera au centre, j'en suis
sûr, de l'entente constitutionnelle, il nous faut quelque
éclaircissement, aussi bien pour les juges que pour les simples citoyens
que nous sommes.
M. Johnson (Anjou): M. Dumont, vous avez parlé, d'une
part, de la nécessité au moins de préciser une chose
autour de la notion de société distincte, c'est-à-dire le
caractère francophone du Québec, pour que ce soit un guide, un
phare, quelque chose de clair pour les tribunaux, faute de quoi on est
obligé de s'en remettre à l'autre paragraphe qui dit qu'on est
dans l'océan bilingue, vous avez aussi parlé dans votre
exposé initial des pouvoirs qui viennent avec le fait d'être
distinct. Je vous fais donc déborder probablement de la dimension
purement linguistique, mais j'ai cru comprendre dans la première partie
de votre exposé que, dans votre esprit, une fois qu'on a
déterminé un certain nombre de caractéristiques ou qu'on
regarde historiquement quelles sont les
caractéristiques de cette société ou de ce peuple
québécois, il y a des pouvoirs qui venaient avec. Quelle est la
nature des pouvoirs, qui viennent avec cela, que vous voyez autour de la
société distincte qui doit être qualifiée par le
fait qu'elle est française?
M. Dumont: Sur la première question, j'ai mentionné
tout à l'heure des exemples -au fond des exemples simplistes - sur
lesquels, je crois, tout le monde est d'accord ici sans qu'on ait à
épiloguer beaucoup. Je prenais l'exemple de la langue scientifique. Le
grand journal de physique - vous voyez je viens d'employer un anglicisme - la
grande revue de physique en Italie est dorénavant publiée
intégralement en anglais, ce sera le cas sans doute pour les annales de
l'Académie des sciences, ce n'est pas simplement une question de
traduction. Il ne s'agit pas simplement de savoir si les scientifiques
français sont capables de comprendre l'anglais, il s'agit de savoir si
la cité scientifique, dans sa vie quotidienne, n'a à sa
disposition qu'un seul langage qui est une sorte de langage universel.
Je disais la même chose. J'évoquais aussi les travaux de
Migué sur la communication comme étant, disons, un facteur
économique. Quand je dis communication, je dis effectivement langue,
appartenance linguistique. Quand j'étais petit à l'usine de
Montmorency qui vient de fermer, la grosse usine de textile dans ce temps,
l'ingénieur de l'usine était un anglophone. Je ne lui en veux pas
évidemment, mais c'était bien sûr parce qu'il y avait un
système de communication qui faisait qu'au lieu d'engager un
ingénieur civil sortant de l'université Laval, on allait le
chercher à l'université McGilI. Encore une fois, je
n'éprouve aucune colère particulière, je constate. Je
constate donc que des communications linguistiques en particulier sont des
facteurs économiques, c'est-à-dire des facteurs de pouvoir.
Cela étant dit, j'essaie de répondre à la
deuxième partie de votre question. Si c'est vrai, quelle sorte de
pouvoirs devrait être assorti à cette reconnaissance de la
société distincte dont nous parlons qui, entre autres choses, de
façon me semble-t-il assez évidente, est française?
Française, je le dis comme référence et non pas
française parce qu'on impose à tout le monde de parler
français, cela est une autre histoire. Eh bien, quelle sorte de
pouvoirs? À mon avis, ils sont relativement simples. Ils étaient
à peu' près tous inscrits dans la Charte de la langue
française. Je ne dis pas que cette charte n'aurait pas pu être
modifiée, corrigée et améliorée, cela est une autre
affaire, comme la future constitution devra l'être aussi au cours des
temps, c'est clair. Mais il y avait dans cela à peu près toutes
les indications, en particulier le fait que la langue n'était pas
considérée simplement comme une sorte de principe abstrait dans
ses usages, je dirais, dans la vie privée, mais que la langue
française était considérée dans sa présence
et par conséquent dans son pouvoir - pour reprendre mon expression - au
sein de l'entreprise, par exemple. Les choses donc sont à peu
près... Nous savons à peu près de quoi il s'agit. Si on
ajoutait le droit, un certain droit de présence du Québec sur le
plan international, qu'enfin, disons, cette présence du Québec
soit définie d'une manière un petit plus précise. Cela
découle un peu de mon premier point, si on s'entendait sur le fait que
l'Assemblée nationale du Québec, et d'ailleurs je dirais que
c'est presque déjà inscrit dans le texte qui nous
intéresse ici, est la seule responsable du sort de la lanque au
Québec. Je ne fais pas une liste exhaustive mais on voit un peu ce que
signifierait, pour ainsi dire, la répercussion de cette
référence à la langue, comme critère, pas te seul,
mais comme critère un peu objectif de ce que nous voulons dire lorsqu'il
s'agit de société distincte et de ce que nous entendons aussi
comme conséquence de cette déclaration de principes.
M. Johnson (Anjou): Une dernière question, professeur
Dumont, avant de vous laisser à mes collègues d'en face. Je sais
que c'est un débat qui peut être très long mais peuple par
rapport à société distincte, en trois minutes.
M. Dumont: C'est un peu, je crois, une sorte de - comment dire? -
de querelle verbale. Mais j'entendais ce matin mon collègue qui est
d'ailleurs mon collègue à l'académie, M. Beaudoin,
analyser avec tellement de précisions, de détails techniques, des
éléments juridiques, et je me dis, finalement, ce n'est
peut-être pas futile de nous intéresser aussi à des
détails linguistiques. Si j'avais à faire une distinction entre
les deux, remarquez, elle est très précaire, j'imagine comme
certaines distinctions juridiques d'ailleurs, je dirais que lorsque, un peu
couramment, non seulement chez les sociologues mais je dirais dans la vie
quotidienne, nous parlons de peuple, nous pensons presque spontanément
à nation et nous pensons presque spontanément à culture.
Quand je dis culture, je ne veux pas dire simplement l'orchestre symphonique
évidemment, je veux dire culture, c'est-à-dire mode de vie
quotidien caractéristique d'une population par rapport à une
autre. Quand nous parlons société, je crois, assez
spontanément les uns et les autres, nous renvoyons à une sorte de
réseau d'institutions et parfois on va plus loin d'ailleurs, à un
réseau d'institutions qui sont relativement intégrées, par
exemple, parce
que ces institutions sont liées à un État
particulier. C'est de plus en plus vrai quand on pense à l'importance
qu'ont pris les système publics d'éducation, de santé,
etc, Lorsqu'on pense à ce système d'institutions, on pense
à une société et on pense un peu spontanément
à ce qui en est pour ainsi dire l'organisme de coordination,
c'est-à-dire à l'État. (17 h 45)
Si j'avais à proposer sommairement une distinction entre les deux
notions, je dirais que ce ne sont pas des notions qui s'excluent, mais l'une
insiste plutôt sur la culture et l'autre insiste plutôt sur un
réseau d'institutions et, en particulier, sur les institutions
étatiques. Ce qui cause évidemment un petit problème qui
sera sans doute difficile à traduire en termes juridiques, c'est la
question suivante: Est-ce qu'il est plus facile - j'imagine que c'est cela qui
vous occupe quand vous discutez de ces notions, enfin, moi, je vous regarde
faire - de définir ce qu'est un peuple spécifique ou si c'est
plus facile de définir ce qu'est une société
spécifique? À mon avis - n'y voyez pas, je vous en prie, quelque
option nationaliste ou autre, mais voyez simplement une sorte de
commodité de langage -lorsqu'on parle de société
spécifique, on est obligé de quelque façon de faire
référence à une sorte de peuple spécifique. Pour
ainsi dire, c'est relativement plus facile de savoir ce qu'il y a de
spécifique chez un peuple que de savoir ce qu'il y a de
spécifique dans une société. Par exemple, si on avait
à se demander - heureusement, nous n'avons pas à nous poser la
question, cela semble réglé -en quoi le Canada est une
société spécifique. Nous savons qu'il y a au Canada des
institutions particulières. Il y a un Parlement, il y a des Parlements
provinciaux, il y a une constitution, il y a donc beaucoup
d'éléments qui font que le Canada est une société
spécifique. Cela me paraît certain que le Canada est une
société spécifique. Si on voulait aller plus loin et
trouver quelques caractéristiques... Moi, j'ai toujours
été un peu amusé quand j'ai lu les livres blancs du
gouvernement fédéral et même ceux du gouvernement
provincial - j'en ai écrit un en particulier, donc c'est un humour
parfaitement désintéressé, comme vous voyez - du fait que,
quand les gens s'attardent à savoir ce qu'il peut bien y avoir de
caractéristique dans la culture canadienne, disons, alors là, je
me le rappelle, il est question des grandes froidures du nord, des grands
espaces. Bon, il faut bien trouver. Et ce n'est pas si bête que cela
parce que la littérature d'un peuple, au fond, parle de ces choses, les
évoque et c'est aussi un caractère distinctif. Quand on veut
trouver des choses précises, lorsqu'il s'agit non pas de la
littérature nationale, mais lorsqu'il s'agit d'une constitution, il faut
bien en arriver à quelque chose d'un peu précis et je serais
tenté de penser... Mais je n'ai pas de conclusion arrêtée
là-dessus parce que je me dis: En définitive, c'est une question
de mots et il s'agit de savoir ce qu'on y met. C'est possible que la notion de
peuple soit un peu plus facile à cerner que celle de
société. Mais, de toute façon, ce sont deux notions
extrêmement difficiles et, moi, j'échangerais sans
difficulté l'une pour l'autre à la condition qu'on sache - je ne
fais que répéter ce que j'ai déjà dit - de quoi on
parle.
M. Johnson (Anjou): Merci, M. Dumont,
Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître
maintenant un intervenant du côté gouvernemental. M. le
ministre.
M. Rémillard: M. le Président, avant, j'aimerais
pouvoir illustrer mes questions à M. le professeur Dumont. J'aimerais me
servir du tableau. Est-ce que la caméra pourra, à ce
moment-là, montrer le tableau en gros plan?
Le Président (M. Filion): M. le ministre, vous
étiez présent il y a quelques minutes lorsque la
présidence vous a annoncé qu'elle avait pris en
délibéré une question de règlement soulevée
par votre propre leader, le leader adjoint du gouvernement.
Deuxièmement, dans la question de règlement soulevée, il
est fait référence à une tradition à
l'Assemblée nationale, qui a été transmise par la
présidence de l'Assemblée nationale. À ce
moment-là, je pense que vous devinez facilement, M. le ministre, que, si
une question de règlement devait être soulevée ou si vous
persistez à vouloir utiliser vos tableaux, je devrai suspendre les
travaux de cette commission pour me permettre de prendre connaissance de cette
tradition à l'Assemblée nationale et de rendre une
décision appropriée. Je crois que vous étiez
présent lorsque tout cela a été mentionné.
M. Rémillard: M. le Président, je pense qu'avant
tout, nous avons ici, devant nous, nous avons un témoin d'une
très grande compétence. Je ne voudrais pas qu'un ajournement
cause des difficultés ou quoi que ce soit. Mais je voudrais
déplorer sincèrement le problème qui se pose ici et qui
m'empêche d'utiliser un moyen pour donner l'information que je voudrais
donner comme parlementaire.
Maintenant, M. Dion, excusez-moi, M. Dumont...
Le Président (M. Filion): M. le ministre, je suis
obligé de vous rappeler...
M. Rémillard: Oui.
Le Président (M. Filion): ...à l'ordre. La
présidence de cette commission a été saisie d'une question
de règlement du leader adjoint du gouvernement sur laquelle elle a
entendu les représentants des deux côtés de cette table qui
se sont exprimés à trois reprises. À la suite de
l'expression des commentaires, des opinions et des arguments de chacune des
parties, il est apparu clair qu'une tradition existait ou pouvait exister
à l'Assemblée nationale, donc nécessité m'est faite
de me référer à cette tradition, ce que je ne peux faire
immédiatement. Alors, ce sont les règles du jeu que se sont
données les parlementaires que je suis chargé d'administrer.
À ce moment-ci, je vous invite donc, si vous le désirez,
à amorcer la discussion avec notre invité.
M. Rémillard: M. le professeur Dumont, je voudrais tout
d'abord vous remercier d'avoir accepté de venir témoigner devant
nous et m'excuser aussi du petit contretemps du tout début de cette
séance. C'était pour la reconnaissance d'un droit que je
considère que j'ai, En fait, je ne m'attarderai pas plus longtemps sur
ce point.
Je voudrais vous remercier de venir témoigner devant nous parce
que je reconnais en vous un éminent universitaire. Vos travaux font
autorité en sociologie au Québec et au Canada. C'est pour nous un
très grand plaisir de vous avoir pour discuter des implications, de la
signification de cette entente conclue au lac Meech.
Vous vous êtes attardé surtout, même exclusivement,
au premier point de l'entente du lac Meech, c'est-à-dire en ce qui
concerne la reconnaissance de la dualité canadienne et de la
société distincte. Vous nous avez dit, professeur Dumont, que
dans un premier temps il y a la reconnaissance de la dualité canadienne.
Vous nous avez suggéré une expression autre qu'un Canada
français, un Canada anglais. Cette remarque, je crois, est
intéressante. On pourrait trouver d'autres expressions. Mais vous nous
avez dit qu'il y a là des critères limitatifs parce qu'on limite
la dualité à son aspect linguistique. Je crois que vous avez
parfaitement raison. Lorsque vous nous avez présenté la
reconnaissance de la société distincte, vous nous avez dit que,
selon vous, il faudrait ajouter des éléments de
définition. Vous aimeriez ajouter la langue pour montrer que
l'élément de distinction est la langue. Vous avez reconnu que,
bien sûr, en définissant, on limite la portée de ce
caractère distinct, spécifique.
Professeur Dumont, si je vous disais que la spécificité du
Québec, ce qu'on a appelé la différence
québécoise, ne se résume pas au facteur linguistique,
quelle serait votre réaction?
M. Dumont: Je serais, évidemment, tout à fait
d'accord. Si j'avais, au lieu de discuter d'un texte à portée
constitutionnelle, à discuter d'une théorie sociologique, c'est
bien sûr que j'invoquerais d'autres facteurs, en particulier des facteurs
historiques qui, d'une certaine façon, sont plus importants que la
langue elle-même. Je pense que, là-dessus, tout le monde est
d'accord. Tout le monde serait d'accord pour tenter une sorte de liste dont
certains éléments, d'ailleurs, sont évidents. Le fait que
nous disposions, par exemple, d'un Parlement au Québec, le droit civil
qu'on mentionne constamment, le fait aussi - qu'on mentionne moins mais qui
évidemment ne peut avoir aucune portée juridique - que dans la
vie quotidienne, dans ce que j'appelais tantôt la symbolique quotidienne,
la plupart d'entre nous nous parlons encore français, non pas à
cause du Parlement, non pas à cause du droit civil, non pas même
à cause de l'Église, mais parce que nous l'avons appris dans nos
familles respectives.
Ce qu'il y a peut-être de plus spécifique au Québec
c'est cette transmission quotidienne, de génération en
génération, par des gens qui souvent n'avaient aucune
instruction, la transmission d'une culture dont ils n'éprouvaient
d'ailleurs pas le besoin de définir le caractère distinct parce
qu'elle leur appartenait de par leur vie quotidienne et de par leur être
profond. Si nous sommes obligés de parler de ces choses aujourd'hui
c'est que nous ne pouvons plus nous contenter, c'est pour cela d'ailleurs qu'il
faut des discussions constitutionnelles - on est tous d'accord là-dessus
- nous ne pouvons plus nous contenter de ces caractéristiques qui
allaient un peu de soi. Il faut donc préciser, parce que nos
sociétés sont devenues diversifiées, parce que le Canada
est devenu lui-même plus complexe, le Québec aussi depuis une
vingtaine d'années. J'imagine que c'est l'effort que vous avez
tenté au lac Meech - dont d'ailleurs certains éléments, je
tiens à vous en rendre hommage, sont extrêmement
intéressants -c'est ce que vous avez tenté parce que nous sommes
forcés de le faire. Nous sommes forcés de définir des
choses qui, pendant longtemps, sont allées de soi.
Je le disais un peu tout à l'heure, même les
éléments sur lesquels nous pourrions assez facilement nous
entendre les uns et les autres - disons, pour nous répéter, une
fois de plus le droit civil - même des éléments comme cela
ou des éléments qui, hier, semblaient entendus comme
l'unanimité religieuse, nous sommes bien convaincus qu'il ne faut pas
mettre cela dans la constitution. Nous sommes tous d'accord là-dessus.
Il ne faut pas mettre cela dans un texte constitutionnel. Même si on
faisait une constitution pour le Québec tout seul, on ne devrait pas
faire cela. La question qui est
décisive et je crois que c'est une question que vous discutez
depuis le début avec raison parce qu'elle est très importante:
Faut-il, à un extrême, ne rien indiquer?
Cela a des avantages, remarquez! Cela aurait Ies avantages d'alimenter
pour longtemps encore les discussions constitutionnelles, c'est-à-dire,
soit les discussions de cette conférence annuelle que vous
prévoyez avec raison entre les premiers ministres, soit les discussions
de la Cour suprême. Cela a aussi l'avantage, ne nous le cachons pas, de
respecter une évolution sociale qui, au Québec, au Canada comme
partout en Occident est très rapide. Mais cela a le désavantage
encore une fois de ne pas cerner ce dont nous parlons quand nous utilisons une
notion. Si on me dit... Je crois que certains juristes l'ont souligné,
même des journalistes l'ont fait, ils ont dit: Si, par exemple, on se
reportait à la commission Tremblay - cela ne remonte pas très
loin -et qu'on se demandait qu'est-ce qu'ils entendaient par la
spécificité de la société québécoise?
Eux plaçaient sur le même plan la religion et la langue. Alors on
pourrait bien se dire - je crois ce que c'est ce que mon collègue M.
Beaudoin vous a dit ce matin: Ne mettez rien, parce que les choses changent
très vite. Mais à ce compte-là, il ne faudrait pas faire
de constitution. Il ne faudrait pas faire de législation. Nous faisons
toujours des législations et même des constitutions de
façon provisoire, pour une génération ou deux, parfois
c'est plus long, parfois c'est plus court, c'est-à-dire pour
appréhender la réalité et savoir comment nous allons nous
y débrouiller.
Nous devrions avoir cette espèce de mobilité d'esprit,
d'agilité, d'adaptation qui fait qu'on peut modifier les choses qu'on a
d'abord définies d'une certaine façon. Regardez comme nous sommes
aux prises actuellement avec le problème de la confessionnalité
qui se trouve dans la constitution canadienne. Est-ce que nous allons dire: Les
gens de 1867 n'auraient jamais dû parler de confessionnalité? Mais
non, c'est un problème évident de leur temps. Ils en donc
parlé et c'est à nous de modifier ce qui ne convient plus
à notre époque, mais ce n'est pas une raison pour dire
qu'à l'avenir nous ne définirons plus rien. (18 heures)
C'est un peu ma position. Si je retiens la langue dans cette
perspective, ce n'est pas du tout dans le sens où je retiendrais trois
ou quatre autres éléments qui peuvent être provisoires,
c'est parce que je me dis: La langue, c'est une définition limite. On ne
peut pas se tromper en inscrivant cela comme critère, parce que, s'il
fallait que l'évolution noua amène à des changements tels
que, dans 20 ans d'ici, ce critère ne nous conviendrait plus, une chose
est certaine, c'est qu'on n'aurait plus besoin de parler de
société distincte. Et du même coup, ce qui serait
fané comme article dans la constitution le serait aussi dans les
déclarations de principe. Voilà ce que je pense en toute
simplicité. Encore une fois, je suis très conscient qu'il ne
faudrait pas, dans une pareille constitution, faire des
énumérations indéfinies de critères dont les uns
vont peut-être disparaître demain ou les autres pourraient
être déjà discutables entre nous. Mais si celui-là
ne s'y trouve pas, encore une fois, je ne vois pas pourquoi on parlerait de
société distincte, parce que je vous dis que si, dans 20 ans
d'ici, il n'y a plus de français au Québec, ta notion de
société distincte ne nous sera guère utile.
M. Rémillard: Professeur Dumont, je comprends donc que ce
que vous nous suggérez, c'est de décrire la société
distincte par l'ajout d'une référence directe à la langue
française. C'est bien cela?
M. Dumont: Oui.
M. Rémillard: Oui. Le grand danger, comme vous l'avez
souligné tout à l'heure, c'est que, ce faisant, on limite la
spécificité du Québec à une question de langue ou
de culture, puisque les tribunaux pourront utiliser la règle ejusdem
generis pour donner une interprétation à cette
spécificité dans le seul contexte d'une culture, d'une langue. Et
j'ai cru comprendre tout à l'heure de par vos propos que, pour vous, le
Québec est distinct, non seulement par sa langue, qui est une
distinction principale, fondamentale, par sa culture, mais qu'il est aussi
distinct par ses institutions, par le fait qu'il y a une majorité
francophone, certes, mais qu'il y a aussi une minorité anglophone, qu'il
y a des communautés culturelles, en fait tous ces
éléments. Et, dans ce contexte, professeur Dumont, est-ce que
vous avez étudié le dernier paragraphe de ce premier point de
l'entente du lac Meech qui nous dit que l'Assemblée nationale et le
gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de
promouvoir le caractère distinct de la société
québécoise mentionnée au paragraphe (l)b).
C'est-à-dire que, professeur Dumont, je me permets d'attirer
votre attention sur ce point. Il n'y a pas trois, quatre, cinq ou six provinces
reconnues comme distinctes dans la constitution canadienne. Il y en une. Il n'y
a pas deux, trois, quatre, cinq ou six gouvernements ou Législatures
provinciales qui ont te rôle de promouvoir leur
spécificité, il y a une assemblée législative, il y
a un gouvernement, et c'est celui du Québec. Lorsque vous dites, si on
ne met pas un élément de référence directe, et vous
suggérez la langue, pour préciser cette
spécificité, cette distinction, on ne sait pas à quoi
on
fait référence comme distinction. Je crois que ce sera un
argument qui pourrait nous faire réfléchir très
très sérieusement s'il y avait la reconnaissance d'une
spécificité pour d'autres provinces canadiennes. Mais on le
reconnaît strictement pour le Québec. Et on insiste ensuite sur le
fait que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont
le rôle de protéger et de promouvoir, donc on se
réfère directement à la capacité gouvernementale,
législative, du Québec.
Quand vous disiez tout à l'heure - vous avez parfaitement raison
de le dire - qu'il y a des critères limitatifs en ce qui regarde la
dualité qui est limitée à la langue, parce que la
dualité est linguistique alors que la spécificité n'a pas
de critères limitatifs, on l'a voulu comme tel, professeur Dumont, pour
ce que nous savons très bien, comme seul le Québec est reconnu
comme société distincte, que ce n'est pas à cause de telle
institution - je ne sais pas quelle institution - ce n'est pas à cause
d'un autre élément quelconque mais c'est à cause d'une
langue, d'une culture. Je pense que là-dessus on s'entend très
bien. La situation dans laquelle nous sommes, professeur, c'est, d'une part,
voir les avantages de définir cette société distincte par
la langue face aux inconvénients de limiter la portée de
l'interprétation judiciaire, étant donné qu'il n'y a
qu'une province qui est reconnue comme distincte, étant donné
qu'on donne à l'Assemblée nationale et au gouvernement le
rôle de protéger et de promouvoir.
Qu'est-ce que vous en pensez?
M. Dumont: J'ai insisté tout à l'heure moi aussi
sur le fait - je pense que nous sommes parfaitement d'accord sur cela - que
c'est très difficile de définir juridiquement,
particulièrement au Québec - je crois avoir suffisamment
insisté - ce qu'est la société distincte en question. Il y
a manifestement, je le disais aussi, des avantages à
l'ambiguïté. Il y a des avantages a l'ambiguïté,
c'est-à-dire dans bien des cas -je pense que ce n'est pas vrai seulement
de la constitution canadienne, c'est vrai de la constitution de tous les pays -
l'ambiguïté a un certain flottement. Même en science on dit
cela, Freud disait: II n'y aurait pas de développement scientifique si
les concepts scientifiques n'étaient pas quelque peu ambigus, à
condition qu'ils ne forment pas une espèce de système bien
fermé. On est d'accord sur cela.
Il y a un abus des définitions, c'est vrai. Je crois cependant
que, sans faire une liste - je m'oppose personnellement à cette liste,
cela serait parfaitement futile et même ridicule - parmi tous les
critères qui sont possibles et sur lesquels nous nous entendrions je
pense, en tout cas sur certains d'entre eux, assez facilement entre nous, mais
le consensus qu'on pourrait créer dans une conversation entre nous,
c'est autre chose qu'un consensus inscrit dans une constitution, je crois
toujours que, parmi ces critères, il y en a un qu'on peut retenir, non
pas parce qu'il résout tous les autres, non pas parce qu'il nous
dispense de tous les autres, mais parce qu'il nous éclaire de
façon un peu convenable sur l'expression qu'on emploie lorsqu'on parle
de société distincte.
Vous insistez avec raison - et à mon avis, effectivement, c'est
un grand problème - en disant dans ce texte: II y a seulement le
Québec qui est défini comme société distincte. Si
j'étais Ontarien ou Manitobain, la première question que je
poserais, c'est: En quel sens, s'il y a une société distincte qui
s'appelle le Québec, le reste est-il distinct? À mon avis, du
simple point de vue, je dirais, logique, antérieurement à toute
inscription dans des constitutions, nous aurons droit à des discussions
et à des échanges sur cela à moins que nos compatriotes,
nos concitoyens, devrais-je dire, des autres provinces, ne soient pas aussi
logiques, aussi raisonnables que nous le sommes, la raison et la logique
n'étant pas heureusement le propre des sociétés
distinctes. Alors, j'imagine qu'ils vont se demander eux aussi: Ils sont
distincts dans ce coin, en quoi le sommes-nous nous aussi? Je me dis: Si on
distingue une pomme d'une orange, on peut définir la pomme comme
distincte mais on est obligé ensuite de définir l'orange comme
distincte aussi. Je vous assure que je ne m'amuse pas quand je dis cela.
J'essaie de prévoir les conséquences de ce point dans cette
déclaration, des conséquences qui, encore une fois, ne nous
concernent pas seulement nous au Québec, au point où nous
pourrions simplement nous réjouir qu'enfin on reconnaisse notre
existence légitime - je devrais dire la légitimité de
notre existence - mais au point où pour le reste du Canada, tant que
nou3 ferons partie loyalement du Canada comme citoyens, ces questions se posent
déjà, se posent aussi et que nous ne pouvons pas simplement nous
rassurer ainsi de savoir que nous sommes une société distincte
que d'ailleurs nous n'osons pas définir.
J'en viens au troisième élément de votre question.
C'est évident que j'ai lu le dernier paragraphe de la déclaration
qui est, à mon avis, non seulement très important mais
très émouvant. Je pense qu'on n'a jamais vu dans une
déclaration officielle un texte aussi important que celui-là. Je
tiens encore une fois à vous rendre hommage, de même qu'à
M. Bourassa, d'avoir réussi à faire déclarer pareille
chose dans une rencontre constitutionnelle.
Que nous dit ce texte? Il nous dit: L'Assemblée nationale et le
gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de
promouvoir le caractère distinct de la
société québécoise mentionné au
paragraphe (l)b). Je me dis que si l'Assemblée nationale et le
gouvernement du Québec ont pareil rôle, un rôle qui,
d'après ce texte, leur est déjà reconnu par avance, ne
serait-il pas conséquent dès maintenant que l'Assemblée
nationale et le gouvernement du Québec disent ce qu'il faut entendre par
cette société distincte qu'on les charge de protéger et de
promouvoir?
Si je comprends bien, le gouvernement et l'Assemblée nationale
vont avoir les mêmes problèmes que les juges. Ils vont avoir
à se demander: Mais qu'est-ce que cette société distincte
pour laquelle nous devons non seulement légiférer, mais, comme le
dit très bellement le texte, que nous devons nous engager à
protéger et promouvoir? Encore une fois, je ne veux pas engager une
mauvaise polémique. Je tiens simplement à ce que nous sachions,
les uns et les autres, ce qu'on entend par cette société
distincte et, je le répète, nos concitoyens des autres provinces
du Canada vont se poser normalement la même question.
M. Rémillard: Oui, de fait, professeur Dumont. Je voudrais
tout d'abord, si vous me permettez, bien modestement recevoir avec un
très grand plaisir votre hommage pour cette réalisation. Je
communiquerai votre remarque au premier ministre. Il en sera très
touché, venant de vous. Il reste quand même que vous avez
étudié ce premier point, mais vous avez fait
référence aussi, je crois, d'une façon peut-être un
peu rapide, aux quatre autres points, c'est-à-dire l'immigration, la
Cour suprême, le pouvoir de dépenser et le pouvoir de veto. Ce
premier point est, en quelque sorte, une pierre d'assise de cette entente du
lac Meech.
Par notre entente concernant la Cour suprême, nous avons la
confirmation que trois juges sur neuf viendront obligatoirement du
Québec. C'est dans la constitution. Nous participerons maintenant aussi
au processus de nomination en ayant l'initiative même des nominations par
une liste que nous proposerons au gouvernement fédéral.
En matière d'immigration, nous avons là un instrument
extrêmement intéressant parce que nous pourrons nous assurer d'une
sécurité culturelle qui nous manquait. Là, nous avons fait
des gains tout à fait importants, essentiels pour nous comme survie
d'une société distincte.
En ce qui regarde le droit de veto, on a récupéré
ce pouvoir de dire non du Québec pour respecter son caractère
distinct ou sa situation de partenaire majeur dans la
fédération.
Quant au pouvoir de dépenser, qui pouvait nous causer des
problèmes dans différents domaines culturels, dans
différents domaines concernant notre existence comme
société distincte, nous avons aussi la possibilité de le
délimiter dans son application et de garantir un droit de retrait pour
le Québec, comme pour les autres provinces, bien sûr, avec
compensation financière.
Dans ce contexte, professeur Dumont, si - je fais l'hypothèse -
il était ajouté un critère, concernant la
spécificité du Québec, avec la langue française,
est-ce que, dans l'ensemble, l'entente vous paraîtrait satisfaisante?
M. Dumont: Je vous dirai que non et je vais vous dire pourquoi.
Ce n'est pas une question, encore une fois, de préjugé personnel.
Je tiens d'ailleurs à vous dire dans quel contexte je dis non. J'ai mes
idées personnelles, comme n'importe quel citoyen un peu raisonnable, sur
la façon dont, dans un avenir plus ou moins lointain, nous allons
dénouer ces problèmes dont nous discutons aujourd'hui et dont
nous discutons depuis très longtemps. J'ai employé tantôt
l'expression "en attendant, je suis un citoyen loyal", c'est-à-dire que
ce qui m'importe à partir des critères qui me paraissent relever
à la fois de la démocratie et de l'existence de ce peuple dont on
veut consacrer le caractère distinct, à partir de ces
critères qui sont relativement simples... Je me penche sur un texte
comme ça et je me dis: II y a des choses - je le disais tantôt -
qui sont extrêmement, non seulement intéressantes, mais
émouvantes. Par exemple, cette déclaration qui concerne
l'Assemblée nationale. Il y a aussi, vous venez de le rappeler... Je
pense particulièrement à l'immigration parce que, pour ce qui est
du Sénat, je vous avoue que personnellement cela ne me touche pas
très fort parce que j'attends la réforme du Sénat avant.
(18 h 15)
Pour ce qui est de l'immigration, incontestablement, il y a des choses
intéressantes. Donc, il y en a un certain nombre. Mais ce qui manque
à ce texte -vous pourrez toujours me dire, et avec raison, bien, que ce
n'est pas un texte juridique, qu'il y aura des choses à préciser,
c'est entendu - ce n'est pas, je dirais, ce qu'il ne dit pas. C'est de
souligner qu'il ne dit pas tout, qu'il reste des problèmes à
discuter. Quand je dis cela, je ne veux pas dire, contrairement à ce que
certains journalistes ont dit et qui me paraît de l'ordre, si vous
voulez, du roman policier à savoir que vous avez déjà
obtenu pas mal, la porte est entrouverte, profitez-en et allez plus loin.
Encore une fois, cela me paraît de l'ordre du roman policier en question.
Moi, je dirais: La porte est entrouverte, vous avez mis le pied dans la porte,
alors ouvrez-la toute grande et qu'on voie ce qui est derrière,
c'est-à-dire, par exemple, non seulement au sujet de ce qu'est la
société
distincte sur laquelle nous sommes prêts à être
d'accord et sur laquelle nos concitoyens des autres provinces sont
peut-être d'accord mais à la condition qu'on sache sur quoi nous
nous accordons.
Qu'est-ce que c'est, par exemple, que cet article qui, vous le savez
mieux que moi, a donné lieu à beaucoup de discussions sur le
pouvoir de dépenser? Mais en quoi ce pouvoir de dépenser du
gouvernement fédéral dans les domaines de juridiction provinciale
a-t-il des rapports avec la société distincte? Si je ne me trompe
pas, les pouvoirs qui relèvent traditionnellement et juridiquement de la
juridiction provinciale, ça doit faire partie de quelque façon de
notre distinction pour reprendre la notion de société distincte.
Nous avons besoin d'être éclairés là-dessus. Nous
avons besoin de savoir quelles sont les implications de cette notion qui vient
à la fin du texte sur l'ensemble, en particulier, évidemment, sur
cette question pour laquelle je ne suis guère compétent mais qui
m'intéresse fort, à savoir le pouvoir de dépenser. C'est
pour cela que je dis que quand je dis non je ne dis pas non comme un enfant
buté ou comme un indépendantiste qui ne veut pas se repentir, je
dis non parce qu'il y a des choses qui ne sont pas claires pour moi. C'est au
nom de la raison, si vous voulez.
M. Rémillard: Quand vous me dites: "Comme un
indépendantiste qui ne veut pas se repentir" c'est par option politique
que vous me dites non?
M. Dumont: Je viens de le souligner, ce n'est pas du tout pour
cette raison-là.
M. Rémillard: C'est pour le contenu.
M. Dumont: Tout progrès pour ceux qui, ici, sont
attachés au peuple qui nous concerne, tout progrès si petit
soit-il, nous devons l'entériner et en féliciter ceux qui 3ont
capables de le conquérir. Là-dessus, moi je n'éprouve
aucune espèce d'idée partisane. Tout ce qui est progrès,
par exemple dans le domaine de l'immigration, je suis le premier à
reconnaître que c'est quelque chose de capital. Là-dessus, comme
le disait ce texte qui termine la déclaration, c'est quelque chose de
très, très important et je suis prêt à
reconnaître que là, nous avons fait, nous allons faire un pas en
avant. Donc, je le souligne à nouveau, ce n'est pas du tout parce que je
regrette que ça n'aille pas plus loin, etc. Non, je me contente qu'on
aille péniblement et tranquillement vers des choses mais des choses qui
soient précises. Donc, encore une fois, ce n'est pas une
dénégation, ce n'est pas un procès, c'est, disons, une
prière pour que ce soit clair et que nous comprenions de quoi il
s'agit.
M. Rémillard: Alors il y a des ambiguïtés que
vous aimeriez éclaircir en ce qui regarde le pouvoir de dépenser,
comme vous me dites. Je peux vous dire que je suis à votre disposition
pour vous en parler - on en a assez discuté ici, probablement que les
collègues ne voudraient pas qu'on en parle -et vous montrer à
quel point le fait de circonscrire l'application du pouvoir de dépenser
pourra justement garantir au Québec une spécificité dont
il est fier dans plusieurs domaines, tant dans le domaine social que, bien
sûr, dans le domaine économique.
Peut-être une dernière question très rapidement,
professeur Dumont. Vous venez de nous dire que c'est un pas, en tout cas, qu'on
a fait un pas que vous qualifiez d'intéressant à bien des
égards. Vous nous avez parlé de peuple et de
société distincte. Vous nous avez dit que "peuple" était
une référence peut-être plus émotive ou un
élément peut-être plus moral que "société".
Comment pourriez-vous qualifier, par exemple, les autochtones?
M. Dumont: Je n'emploierais pas ce qualificatif
d'"émotif". Je veux dire simplement que - je me répète un
peu - si vous confrontez ces deux notions, vous avez pour ainsi dire les deux
pôles d'un paysage. C'est-à-dire que d'un côté,
lorsqu'on parle de peuple, on parle évidemment de culture, de langue,
d'originalité du mode de vie et de cette transmission quotidienne des
façons de vivre ou des façons de concevoir l'existence dont je
parlais tantôt à propos de la famille. Tandis que, si on se situe
tout à fait à l'autre bout, si on parle de société,
manifestement on insiste davantage sur l'institutionnel et même, je
dirais, les caractères juridiques ou les caractères politiques au
sens d'institutions politiques d'une société. Alors lorsqu'on
veut définir, on est obligé de se situer par rapport à ces
deux pôles.
Vous parlez des Amérindiens. C'est clair, à mon avis, que
non seulement ils étaient à l'origine un peuple différent
de nous, mais ils sont encore maintenant un peuple différent de nous.
Cela m'apparaît très clair. On peut discuter longtemps à
savoir si les Québécois forment un peuple, si les Ontariens
forment un peuple ou si les Terre-Neuviens forment un peuple, mais que les
Indiens forment un peuple ou plusieurs peuples, comme on voudra, c'est clair,
c'est évident. Ils ne forment certainement pas une société
distincte. C'est cela, leur problème, évidemment. Quand on veut
faire des définitions, évidemment, il ne faut pas oublier
cela.
Rappelons-nous qu'il n'y a pas si longtemps, il était question
d'un autre amendement à la constitution qui, justement, concernait les
peuples autochtones. Cela a
été un échec. Heureusement, ce n'est pas ia faute
du Québec. Ne séparons pas les problèmes morceau par
morceau, mettons-les ensemble et, lorsqu'on parle de peuple pour les uns,
essayons de savoir ce qu'on veut dire quand on parle de peuple pour les
autres.
Lorsqu'on parle de société distincte, essayons de ne pas
oublier, encore une fois, à la fois des critères un peu
précis et la diversité qu'inévitablement, il faut mettre
dans ce genre d'expression.
M. Rémillard: Je vous remercie, professeur Dumont. Vous
venez de faire la distinction entre peuple et société, je crois,
comme nous la faisons. C'est pourquoi nous utilisons le mot
"société", parce que nous avons ces éléments de
plus, des organisations politiques, sociales et économiques auxquelles
nous voulons référer. Pour nous, il y a des peuples qui peuvent
être des sociétés, mais ce ne sont pas tous les peuples qui
sont des sociétés. Alors, le mot "société" est un
ajout au concept de peuple, comme vous venez de nous l'expliquer en faisant des
comparaisons.
Dans ce contexte, il me reste maintenant à vous remercier de
votre témoignage. Vous l'avez fait avec l'honnêteté
intellectuelle qui vous caractérise si bien. Je tiens le plus
sincèrement possible à vous remercier d'avoir accepté de
venir témoigner devant nous aujourd'hui.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le
ministre.
M. le chef de l'Opposition, il vous reste, malheureusement, à
peine deux minutes...
M. Johnson (Anjou): Deux minutes, en conclusion, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): ...pour conclure.
M. Johnson (Anjou): D'abord, merci, professeur Dumont pour vos
propos francs, clairs. Ils sont clairs, je pense que c'est important. Je ne
tenterai pas de faire miens ou d'essayer de voir dans quelle mesure vos propos
collent à ce que je défends, mais je vous dirai que j'ai retenu
une chose très claire de ce que vous nous avez dit: qu'il y a de la
confusion, des risques de conflits, de flou, de vague autour de la
société distincte dans la mesure où on ne la
définit pas et que, même s'il y a des avantages à ne pas la
définir possiblement et à laisser cela dans le clair-obscur de la
jurisprudence constitutionnelle, il y aurait une chose qui serait tellement
plus simple et ce serait de la définir, notamment autour de cette
référence linguistique qui est celle du Québec et, ma foi,
dites-vous, y ajouter le pouvoir qui vient avec, c'est-à-dire le
rôle des élus de l'Assemblée nationale du Québec en
matière linguistique et peut-être des prolongements sur le plan
international.
Je retiens essentiellement de ce que vous nous dites, professeur, que la
seule chose qui est claire dans ce texte, c'est le caractère bilingue du
Canada et non pas le caractère distinct du Québec et que ce
débat et ces constatations que vous avez faites vous amènent
à conclure que, parce que ce n'est pas clair, le gouvernement devrait
s'abstenir, à moins qu'il n'obtienne les clarifications et qu'il le
fasse... Je dois vous dire que, là-dessus, je vous suis effectivement
fort bien.
Encore une fois, je vous remercie d'avoir exposé avec tant
d'honnêteté, tant de franchise, tant de clarté vos
convictions et aussi de nous avoir fait bénéficier de votre
science, de votre saqesse accumulée et de votre humanisme à
l'égard des questions politiques et juridiques.
Le Président (M. Filion): C'est à mon tour,
professeur Dumont, de vous remercier tout en vous rappelant que les petites
questions de règlement - il n'y en a pas beaucoup à cette
commission, mais il y en a quelques-unes - font partie, à la fois de
notre droit parlementaire et, je le crains, de la sociologie parlementaire
également. Merci de votre patience.
Nos travaux sont ajournés à demain, 10 heures. Merci.
(Fin de la séance à 18 h 25)