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Version finale

32e législature, 4e session
(23 mars 1983 au 20 juin 1984)

Le mercredi 28 septembre 1983 - Vol. 27 N° 144

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et d'organismes sur l'avant-projet de loi sur la fonction publique


Journal des débats

 

(Quatorze heures dix-sept minutes)

Le Président (M. Champagne): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission élue permanente de la fonction publique se réunit pour poursuivre ses travaux afin d'entendre toute personne ou tout groupe qui désirerait intervenir sur l'avant-projet de loi sur la fonction publique.

Les membres de la commission sont: M. Assad (Papineau), M. Bisaillon (Sainte-Marie), Mme Dougherty (Jacques-Cartier), M. Doyon (Louis-Hébert), M. Blais (Terrebonne), M. Gravel (Limoilou), Mme LeBlanc-Bantey (Îles-de-la-Madeleine), M. LeMay (Gaspé), M. Lévesque (Kamouraska-Témiscouata), M. Lachance (Bellechasse), M. Rivest (Jean-Talon), M. Tremblay (Chambly).

Les intervenants à cette commission sont: Mme Bacon (Chomedey), M. Caron (Verdun), M. Charbonneau (Verchères), M. Dubois (Huntingdon), M. Gagnon (Champlain), M. Hains (Saint-Henri), Mme Lachapelle (Dorion).

Cet après-midi, selon l'ordre du jour, nous entendrons le Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec et l'Association des cadres supérieurs du Québec. On demanderait au représentant du Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec de bien vouloir se présenter à l'avant, s'il vous plaît, et de présenter les personnes qui l'accompagnent.

Syndicat de professionnelles et

professionnels du gouvernement

du Québec

M. Lecourt (Roger): Oui. Ouste un petit moment. Je vais vous présenter les gens qui m'accompagnent. À partir de ma droite immédiate, Mme Madeleine Rochon, membre du comité exécutif du SPGQ et responsable du comité des femmes; à sa droite, Mme Lise Courcelles, membre du comité des femmes du SPGQ; à ma gauche immédiate, M. Robert Hardy, membre du comité exécutif et, à sa gauche immédiate, M. Marcel Théberge, membre du comité de travail sur l'avant-projet de loi sur la fonction publique.

Le Président (M. Champagne): Monsieur, votre nom, s'il vous plaît!

M. Lecourt: Moi? Ah oui! Roger Lecourt, président.

Le Président (M. Champagne): Merci.

M. Lecourt: Si vous le permettez, avant de vous faire notre présentation, je voudrais procéder en deux temps. Cela nous satisferait. Nous avons déposé le texte d'un mémoire complet il y a quelques jours, comme l'exigeait l'Assemblée nationale. Nous avons déposé, comme nous l'avions indiqué, un complément au mémoire qui traite des femmes et de la fonction publique. Nous souhaiterions que ce complément soit présenté dans une partie distincte cet après-midi; en fait, que je fasse ma présentation, qu'il y ait une période de questions sur l'ensemble de l'avant-projet de loi et que, par la suite, Mme Rochon puisse présenter, en dix à quinze minutes, le complément qu'on a remis en 100 exemplaires à la greffière de la commission. Est-ce que c'est possible?

Le Président (M. Champagne): C'est possible.

M. Lecourt: Est-ce que cela va?

Le Président (M. Champagne): Cela va.

M. Lecourt: Je ne vous ferai pas la lecture du mémoire, puisque j'imagine que vous avez eu l'occasion d'en prendre connaissance. Je voudrais plutôt faire une présentation un peu plus large et, à cette occasion, revenir sur quelques-unes des observations, des demandes principales que nous formulons dans notre mémoire.

Il nous semble que cette commission parlementaire est l'occasion de faire un bilan des relations qui existent entre le gouvernement et notre syndicat. Cela nous amènera à vous expliquer pourquoi nous disons ce que nous avançons dans notre mémoire sur l'avant-projet de loi.

Vous savez, sans revenir dans les moindres détails, que nous représentons 20% du personnel de la fonction publique québécoise. C'est une minorité du personnel, mais je pense que les événements de l'hiver dernier ont indiqué que c'est un personnel qui exerce des fonctions stratégiques et névralgiques dans la fonction publique. On a eu l'occasion, lors d'incidents douloureux, de

voir que, quand les professionnels ne sont pas au travail, l'appareil de l'État est passablement perturbé.

Les remarques que je ferai par rapport à ce que j'ai pu entendre à ce jour à cette commission parlementaire - je souhaiterais que le débat qui s'ensuivra se fasse dans le même esprit - je tenterai, au maximum, qu'elles s'en tiennent le plus possible à des faits. On va essayer d'éviter de prêter de mauvaises intentions aux législateurs, comme on a accusé certains syndicats de le faire. On va donc essayer de s'en tenir aux faits bruts, au contenu.

Je voudrais faire ma présentation en quatre parties. D'abord, j'aimerais vous dire ce qu'est, pour nous, une loi sur la fonction publique; deuxièmement, vous parler du climat qui existe actuellement chez les membres que nous représentons et de l'impact que cela a face à une réforme de la fonction publique; troisièmement, vous faire le point sur le jugement que nous portons sur nos dernières relations du travail et, enfin, cela nous amènera à dire ce que nous pensons globalement de l'avant-projet de loi.

Dans la première partie, on dit ce qu'est, pour nous, une loi sur la fonction publique. Il nous est apparu important de faire cette mise au point au début de la présentation, parce qu'il nous semble que le gouvernement se méprend sur ce qu'est une loi sur la fonction publique, particulièrement lorsqu'il invoque la question des services aux citoyens. Bien sûr, l'organisation de la fonction publique, la façon dont la partie patronale se structure, comment elle partage les pouvoirs, quels organismes elle se donne, tout cela a une incidence sur les services à la population. Cependant, il ne faudrait pas penser que la Loi sur la fonction publique, c'est un recueil de toutes les lois du Québec. Les services aux citoyens sont définis dans de nombreuses autres lois, ainsi que la façon de les dispenser. Dans ce sens-là, on trouve prétentieux que le gouvernement invoque l'actuel avant-projet de loi comme étant une loi qui va révolutionner les services à la population. Cela prendrait des changements beaucoup plus fondamentaux dans l'ensemble des lois pour qu'il y ait un tel impact. On ne voudrait pas que, par le biais de ce thème à la mode, de ce thème toujours politiquement rentable, on fasse un exercice de propagande qui cache ce qu'est véritablement une loi sur la fonction publique et ce à quoi elle doit servir.

Par ailleurs, quand on parle d'une refonte ou d'une réforme de la Loi sur la fonction publique, il nous semble important de regarder, derrière les textes de loi, les organigrammes, les dispositions législatives ce qui se cache en termes de climat de travail et comment la loi ou des politiques gouvernementales peuvent faire face à ce climat. Je pense que l'État l'a abondamment utilisé lors des dernières antinégociations: on est dans une situation où les ressources humaines, c'est un des aspects fondamentaux, sinon l'aspect fondamental, l'aspect essentiel des services de l'État. On sait qu'au budget de l'État émargent pour plus de 50% les coûts de rémunération et d'avantages sociaux des fonctionnaires ou des parafonctionnaires. On sait donc par le type d'activité qu'on y mène - on donne des services - que c'est d'abord et avant tout les ressources humaines qui sont la ressource première et non pas, comme on le trouve dans des entreprises de production, les ressources en capital.

Pour nous, quand on parle de services à la population, c'est beaucoup le climat de travail et l'organisation du travail qui sont des éléments essentiels dans le type de services que la population va recevoir puisque, d'abord et avant tout, c'est nous qui les donnons. Il nous semble important, à ce moment-ci, de se poser la question: Aujourd'hui, à l'automne 1983, est-ce que les professionnels du gouvernement se sentent valorisés? Est-ce qu'ils estiment avoir des mandats intéressants? Est-ce qu'ils se croient utilisés de la meilleure façon? Est-ce qu'ils estiment avoir une autonomie professionnelle qui leur permet de se développer? Autrement dit, est-ce qu'ils ont l'impression d'avoir une place dans l'appareil de l'État? La réponse que je vais vous faire, évidemment, n'est pas une réponse scientifique. Je n'ai pas de sondage à déposer aujourd'hui là-dessus, mais, par les débats que nous avons à l'intérieur des organes de notre syndicat, par ce que nous entendons un peu partout, le climat est loin d'être satisfaisant à ce moment-ci. Il s'est considérablement dégradé depuis deux ans. Il s'est particulièrement dégradé depuis quelques mois et cela continue. Je pense que c'est un élément fondamental auquel le gouvernement devrait s'intéresser, tout aussi fondamental, sinon plus, que le texte d'une loi sur la fonction publique.

Pourquoi ce climat s'est-il dégradé? Voici quelques éléments qu'on porte à votre attention et qu'on aimerait pouvoir débattre. En 1981 et 1982, lors de la préparation de ce qui a été une pseudo-négociation, le gouvernement a volontairement ou involontairement attaqué les fonctionnaires en les traitant d'à peu près tous les noms, en leur mettant sur le dos un paquet de problèmes que le Québec vivait à ce moment et qu'il vit encore. Cela n'aide pas tellement, dévaloriser ses employés, à les motiver. Par ailleurs, on est dans un contexte accéléré de décroissance de l'appareil d'État. Culturellement parlant, la fonction publique, les politiciennes et politiciens la dévalorisent allègrement, l'État est dévalorisé. Je vous en donne un exemple qui va peut-être vous paraître lointain, mais qui est un signe de cela, un exemple

immédiat. Au moment où nous siégeons se tient un sommet économique à Québec. On sait l'importance qu'a l'État à Québec et l'importance des gens qui sont dans la fonction publique en termes de main-d'oeuvre active. Pourtant, aucun des syndicats de la fonction publique n'a été invité à participer au sommet. C'est un signe indirect du peu de valeur qu'on accorde aux fonctionnaires et à l'État pour lequel ils travaillent.

Par ailleurs, à l'intérieur de l'appareil, la situation de décroissance, de compression budgétaire fait en sorte que les gens sont de plus en plus devant une approche tatillonne, une approche de contrôle qui émane en grande partie du Conseil du trésor et qui est importée allègrement par les directions des ministères. Les gens sont de plus en plus minutés. Leur travail est de plus en plus analysé, décortiqué à la miette en vue, apparemment, d'une productivité accrue. L'effet de cela, jusqu'à ce jour, en tout cas, c'est une démotivation des gens. Les gens ont l'impression qu'on est en train de segmenter leur travail en miettes et que, au bout du compte, il leur reste très peu d'autonomie professionnelle. Cette approche de mesure du travail quasiment à la méthode de Taylor nous semble une approche pour le moins surprenante en 1983.

Un autre élément du climat actuel - il est d'actualité celui-là et ce n'est pas pour le plaisir de jeter un blâme - ce sont les hésitations actuelles du gouvernement, son manque d'orientations politiques. Cela pourrait tout aussi bien s'appliquer à l'Opposition; je n'ai pas l'intention de faire de politique partisane ici, c'est encore interdit.

Mme LeBlanc-Bantey: Nous, on en fait? (14 h 30)

M. Lecourt: Oui, mais j'évite d'en faire, madame.

Les hésitations du gouvernement et son manque d'orientations politiques se traduisent concrètement dans les milieux de travail par une impression qu'il n'y a pas de direction dans la fonction publique. Je pense que cela a aussi un effet sur la productivité et la motivation au travail. Enfin, dernier élément, nous sommes en présence de conditions de travail non négociées. On parlait hier de surréglementation qu'on veut abolir. Si cela signifie aussi abolir la surlégislation qu'on a connue en 1982, on trouve que c'est une bonne idée.

Cela m'amène à la troisième partie avant d'aboutir au projet de loi: la question des relations du travail. On est en face d'une convention collective inachevée. Nous avons été l'objet d'un décret. Il a été impossible d'en arriver, après la grève qu'on a connue, les menaces de congédiements massifs, pendant plusieurs semaines de négociations, à un accord qui ait pu faire l'objet d'une ratification par nos membres.

Pour nous, la loi des parties en matière de relations du travail est fondamentale. Malgré les solutions d'arbitrage, les solutions de marteau automatique, comme le disait M. Bourassa dans le Bas-Saint-Laurent, toutes ces belles solutions inventées de partout, d'ailleurs, etc., on pense que la loi des parties, la libre négociation, c'est encore un élément fondamental des relations du travail et notre premier souhait est de revenir dans les meilleurs délais à la libre négociation.

Je voudrais faire un rapide tour d'horizon, sans reprendre en détail les sujets qui ont fait l'objet de désaccord entre nous. Il y en avait cinq; je voudrais en prendre un seul, celui qui est lié à la décroissance, à la question de la sécurité d'emploi, pour vous illustrer la situation que nous vivons présentement et qui démontre, je pense, que le retour à la libre négociation produirait sûrement de meilleurs résultats.

Nous avons un régime de sécurité d'emploi depuis décembre dernier, qui repose sur une vaste décentralisation - cela nous ramène à un des objectifs de l'avant-projet de loi - et sur une déréglementation. C'est, en grande partie, par directives que le gouvernement procède actuellement. Chez nous, depuis l'été dernier, il y a une quarantaine de personnes qui ont été mises en disponibilité, qui le sont présentement. Elles sont plus précisément 38. À la fin de septembre, un autre contingent devrait s'y ajouter. La grande décentralisation et la grande déréglementation font en sorte que, contrairement à ce qui se produit ailleurs dans le secteur parapublic ou dans le secteur privé, ce sont chez nous les gens qui ont beaucoup d'ancienneté qui sont mis en disponibilité parce que la directive que le gouvernement a décrétée fait en sorte qu'on élimine des gens par le biais de la mise en disponibilité.

Les gens qui font le travail de placement à l'office du recrutement, qu'on ne pourra pas accuser d'être prosyndicaux, vous diront qu'il y a un curieux phénomène en ce sens que l'ancienneté des gens mis en disponibilité chez les professionnels présentement est beaucoup plus élevée que l'ancienneté moyenne du groupe. C'est quand même, me semble-t-il, un phénomène curieux.

Par ailleurs, comme on l'avait souligné à l'employeur - on avait proposé de négocier des mesures à cet effet-là - les femmes, qui représentent 16% des fonctionnaires permanents chez nous, sont actuellement 26% des personnes en disponibilité. C'est un phénomène qui existe depuis plusieurs semaines, ce n'est pas un phénomène passager d'une journée. Il y a donc surreprésentation des femmes dans les mises en disponibilité. On avait avisé l'employeur que cela se produirait en fonction des

mécanismes qu'il a décrétés. Eh bien, voilà, cela s'est produit.

Par ailleurs, en matière de sécurité d'emploi - j'aimerais qu'on y revienne tantôt dans le débat, si le gouvernement a enfin des réponses - la création de deux sociétés d'État, trois si on parle des musées qui seront divisés en deux, le Musée du Québec et l'abolition du ministère des Travaux publics créent présentement énormément d'inquiétudes chez les gens. Il semblerait qu'il y ait une politique gouvernementale pour le moins curieuse, incohérente. On veut un avant-projet de loi qui donne plus de souplesse à l'employeur et, en même temps, des ministres disent: On crée des sociétés d'État pour avoir plus de souplesse. Cela semble être la course à la souplesse. On aimerait bien savoir à quoi s'en tenir sur l'avenir des gens qui sont dans ces organismes. Seront-ils versés à des sociétés d'Etat non régies par la loi ou à des sociétés d'État régies par la loi?

Tout cela pour vous dire que les dossiers pendants, comme celui des occasionnels, des heures de travail, on aimerait bien savoir l'effet que cela a eu sur la productivité. En passant la hausse décrétée des heures de travail, la question de la discrimination salariale on y reviendra plus tard - et la question de la carrière sont toujours pendantes. Ce sont des éléments qui nous préoccupent au plus haut point, tout autant, sinon plus, parce qu'ils sont concrets. Ils nous préoccupent énormément à l'heure actuelle et il y a place - c'est notre souhait - pour relancer la voie de la négociation collective. Je ne parle pas d'une négociation demain matin, je parle d'une volonté réelle de rétablir le processus de la négociation collective dans les meilleurs délais.

Quant à l'avant-projet de loi, cinq remarques, d'abord. Par la suite, je vous dirai pourquoi on estime que ce projet de loi augmente de façon anormale et indue les droits de gérance et pourquoi on estime que tout projet de loi doit nécessairement traiter d'une libéralisation du régime syndical.

Nos cinq remarques. D'abord, cette loi préconise des principes louables en soi de décentralisation, de déréglementation. Il faut cependant se rendre compte - je ne sais pas si le gouvernement en a fait l'analyse - que cet avant-projet de loi se situe dans un contexte où, au plan financier, on a, au contraire, des lois qui centralisent énormément. Le contexte des compressions budgétaires fait en sorte que le Conseil du trésor a la main haute sur les moindres mouvements qui se font dans un ministère. À ce que je sache, il ne semble pas y avoir actuellement de courant très clair et très net pour une décentralisation équivalente du côté des aspects budgétaires contrôlés par le Conseil du trésor. L'équilibre entre un phénomène observé depuis quelques années de centralisation et une volonté de décentralisation de la gestion des ressources humaines, par opposition à la centralisation des ressources financières, pour nous, n'est pas très clair.

Par ailleurs, on voudrait que cela soit clair. Si l'on parle de décentralisation strictement d'ordre administratif, de décentraliser des pouvoirs, et qu'on fait une équation, comme Mme LeBlanc-Bantey l'a faite au nom du gouvernement, entre décentralisation administrative, efficacité et amélioration des services à la population, on voudrait simplement souligner que c'est là une hypothèse que la décentralisation va amener une plus grande efficacité et des services plus adéquats aux citoyens. Je crois que personne n'a la preuve de ceci. Si c'est une hypothèse et que vous désirez la mettre en place, il faudrait peut-être avoir l'accord des employés; cela aiderait à vérifier l'hypothèse. Il n'y a aucune preuve. Il y a des fonctions publiques très centralisées qui donnent d'excellents services à la population; d'autres qui sont décentralisées et qui donnent tout autant d'excellents services. C'est une question de culture organisationnelle. C'est donc une remarque, en ce sens qu'il s'agit là d'hypothèses. Il ne faudrait pas confondre les hypothèses avec les certitudes.

Par ailleurs, il y a un autre élément. On est désagréablement surpris - j'imagine que c'est aussi le cas, et encore plus, du député de Sainte-Marie et de quelques autres personnes qui sont ici, je pense à M. Rivest et à d'autres personnes qui ont été membres de la commission communément appelée la commission Bisaillon - de voir que le gouvernement a, semble-t-il, fait du "shopping", a pigé ce qui faisait son affaire dans le rapport Bisaillon. Dans le rapport Bisaillon, il y avait tout de même une cohérence interne. Il y a des choses avec lesquelles on était d'accord; il y a d'autres choses avec lesquelles on n'était pas d'accord. Il y avait une cohérence interne, il faut l'admettre. Le fait de faire du "shopping", cela fait en sorte que, par rapport à l'analyse du rapport Bisaillon, le manque de cohérence ou le déséquilibre que voulait éviter la commission Bisaillon est créé. Le gouvernement a choisi, à même les recommandations de la commission Bisaillon, celles qui faisaient son affaire.

En fin de compte, je précise les remarques quatre et cinq. Pour nous, le projet de loi augmente les droits de la direction. On pense que cela va régler les problèmes. Par ailleurs, on s'organise de façon que le seul contrepoids qui puisse encore exister juridiquement, puisque les organismes dits neutres disparaissent tous sauf le tribunal d'arbitrage qu'est la Commission de la fonction publique, qui joue

de plus en plus un rôle limité à celui d'arbitrage, fait en sorte que les syndicats, qui ont le droit de contracter, du moins, une partie des conditions de travail, sont mis en position de déséquilibre complet parce qu'on ne rétablit pas un équilibre qui ferait en sorte que les droits de direction accrus pourraient faire l'objet d'un contre-équilibre par la négociation, par le rôle des syndicats. Je m'explique là-dessus.

Mme LeBlanc semblait étonnée hier que les deux principaux syndicats de la fonction publique parlent d'un accroissement des droits de la direction dans le projet de loi. Il me semble que c'est évident qu'à partir du moment où on dit qu'on veut être capable de déléguer très largement et qu'on veut remplacer la normalisation réglementaire par la discrétion aux gestionnaires, c'est donner des pouvoirs de direction accrus au personnel. Sans juger si c'est bon ou pas, il faut au moins constater que c'est cela qui va arriver. C'est d'autant plus vrai que la partie sur les principes avec le côté non défini, tant dans les termes que dans les modalités d'application des facteurs d'efficience et d'imputabilité, fait en sorte que le résultat net des articles 2 à 7 est d'augmenter les droits de la direction, sa capacité de prendre des décisions dans des matières non expressément prévues dans la loi.

Cela augmente donc les droits de gérance. Ce qui inquiète, de notre côté, c'est que vu l'absence de définition des termes - l'Association des cadres supérieurs en parlera probablement cet après-midi beaucoup mieux que moi; dans son mémoire, j'ai remarqué qu'elle a dit qu'il faudrait bien s'entendre sur le sens des mots - et l'absence de modalités concrètes d'application d'un principe comme l'imputabilité, le patron pourra faire ce qu'il veut. Il pourra donner le contenu qu'il veut. Actuellement, dans les ministères, on voit ce terme "imputabilité", entre autres, apparaître, le terme "efficience" apparaître, et chacun y donne bien la définition qu'il veut. J'imagine qu'à partir du moment où les gestionnaires auront plus de pouvoirs ils vont utiliser la définition dans le sens où eux l'entendent, faute d'encadrement plus clair de ces principes dans la loi. Par conséquent, on pense que, jusqu'à preuve du contraire, quand on n'est pas capable de donner un contenu à des principes, on ne les met pas dans une loi.

Autre aspect qui, quant à nous, augmente les pouvoirs de l'administration: la nouvelle définition des mesures administratives qui confond maintenant le congédiement administratif et le congédiement disciplinaire. Il est fondamental pour nous que le congédiement administratif - ce qu'on appelle la révocation ou encore la rétrogradation - qui n'existe que pour des motifs d'incompétence et d'incapacité d'agir, que ces sanctions restent encadrées comme elles le sont. Ouvrir le terrain à "une cause juste et suffisante", c'est ouvrir la possibilité pour l'administration de punir les gens pour tout et pour rien. Le mécanisme d'arbitrage est tel en matière administrative que l'employeur au départ aurait une longueur d'avance lorsqu'il imposerait un congédiement administratif.

Par ailleurs, je vous ferais remarquer que c'est jouer dans les décrets promulgués par l'Assemblée nationale puisque les décrets sont faits de telle façon qu'ils respectent la lettre de la loi actuelle, et on se retrouverait devant un vide juridique une fois de plus. On a connu cela en 1978-1979 avec la loi actuelle et cela crée énormément de confusion entre les parties. On n'a pas encore compris pourquoi, à part les motifs d'élargir les capacités de punition de l'employeur, on a changé les définitions de sanctions administratives.

Les pouvoirs de gestion aussi au niveau du recrutement sont sensiblement accrus. Je pense aux concours sans promotion. On peut tailler les concours passablement sur mesure. Il s'agit d'élever le niveau du poste aux conditions d'admission définies par les sous-ministres. Pour du personnel comme nous qui avons un plan de classification polyvalent, des conditions d'admission taillées sur un emploi, c'est aller en sens complètement contraire du régime de carrière qu'on a, du régime de mobilité.

L'élimination des candidatures, parce que, à un moment donné, il y a trop de candidatures, cela me semble aller contre les droits, en passant, élémentaires des citoyens. Si on trouve que deux ans d'expérience pour un poste, ce n'est pas suffisant et que cela va entraîner trop de gens, à ce moment-là mettez donc trois ans au départ. Ne mettez pas deux ans d'expérience pour ensuite constater qu'il y a trop de candidatures et dire: On met un critère de trois ans. C'est rire des citoyens et des citoyennes. Les gens posent leur candidature de bonne foi et on change les critères d'admission en cours de route. Cela me semble absolument surprenant comme façon de faire d'un État.

Par ailleurs, la preuve qu'on demande maintenant au candidat de montrer sa compétence avec l'idée évidente d'arrêter le droit de recours en matière de promotion, cela me semble une autre façon d'élargir les droits de gérance. (14 h 45)

Enfin, il y a toute la question des exclusions arbitraires que le Conseil du trésor peut faire; il peut soustraire des catégories complètes d'emplois à l'application de la loi, permettre l'embauche complètement en dehors du circuit officiel ou encore la délégation des pouvoirs du Conseil du trésor. Tout cela, c'est augmenter les droits de gérance. En contrepartie de

quoi? On nous dit: Pour le régime de négociation, il y a longtemps que vous réclamez cela; vous êtes achalants avec cela. On confiera cela à un comité d'étude, à un comité créé qui regardera cela. Vous me permettrez Mme LeBlanc, puisque c'est vous qui représentez le gouvernement, de vous dire que c'est une approche de Ponce Pilate, c'est s'en laver beaucoup trop facilement les mains.

Pour nous, l'augmentation des pouvoirs de gérance doit avoir une contrepartie. Je m'explique sur les raisons historiques - je pense que c'est important de le comprendre qui font en sorte qu'aujourd'hui on a encore un régime syndical d'exception dans la fonction publique. Jean Lesage, lorsque la Loi de la fonction publique de 1965 a été présentée, avait dit: On restreint les matières négociables parce qu'on confie à un organisme relevant de l'Assemblée nationale, la Commission de la fonction publique, le recrutement et la promotion des fonctionnaires et plusieurs autres de leurs conditions de travail: la classification des emplois, par exemple, qui est un élément capital. On ne peut pas, disait-il, donner prise au syndicat là-dessus parce que, comme patrons, on a voulu éviter, en donnant le tout à un organisme neutre relevant de l'Assemblée nationale, le patronage patronal. On ne voudrait pas que le syndicat puisse imposer - ce sont ses termes - le patronage syndical. On a vécu avec cela jusqu'en 1978 au moment où le ministre d'alors, M. de Belleval, a dit: Je ne peux pas laisser à la Commission de la fonction publique les pouvoirs qu'elle a. On ne peut pas laisser cela à un organisme neutre; comme patrons, comme Exécutif, il faut qu'on reprenne les pouvoirs. De sorte qu'on a donné à la ministre de la Fonction publique un grand nombre de pouvoirs, sauf ceux qui concernent le recrutement et la promotion. La classification des emplois est passée au ministère.

Quand on a parlé du régime syndical, il est apparu un refrain qu'on entend à nouveau: il y a une commission d'étude, la commission Martin-Bouchard qui étudiera votre régime syndical et cette commission-là réglera votre problème. La commission en question s'est penchée quelque peu, à travers un sujet beaucoup plus vaste, sur notre problème, mais personne ne l'a réglé. En juin 1978, on était en grève illégale, nous et les fonctionnaires, et cela n'a pas empêché le gouvernement d'adopter la loi malgré l'objection des fonctionnaires et malgré les recommandations du rapport Martin-Bouchard. Le régime syndical. Malgré le fait que le patron reprenait clairement ses pouvoirs de patron - il ne pouvait pas dire: Je ne vous donne pas le droit de négocier parce que je ne veux pas que vous influenciez un organisme neutre - le patron a dit: Je maintiens un régime d'exception; c'est pratique d'avoir la législation comme instrument quand on est un patron pour la tailler sur mesure.

On a pris une autre voie pour faire valoir notre point de vue. En septembre 1981, en commission parlementaire du travail, on soulevait les problèmes que nous ont posés, de 1978 à 1981, les restrictions de la Loi sur la fonction publique: forcer un employeur à négocier le non négociable; l'amener à mettre dans des conventions collectives des lettres d'intention dans lesquelles il disait qu'il changerait des lois; forcer le changement des lois. Cela faisait trois ans qu'on était dans cette galère de la loi actuelle. On disait qu'il était temps d'avoir un régime syndical comme les autres, surtout qu'on a un patron qui a les pouvoirs comme un autre patron.

M. Marois, à ce moment-là, était un peu mêlé par rapport à toutes ces questions-là. Il nous a dit: Il y a une commission d'étude sur la fonction publique qui regardera votre problème, la commission Bisaillon; elle s'en vient, elle va être formée bientôt. C'était en septembre 1981, elle a été formée en novembre 1981. Il a dit: De toute façon, je parle du problème à ma collègue du ministère de la Fonction publique et elle trouvera une solution. La solution, c'est, encore une fois, de se renvoyer la balle. Dans l'avant-projet de loi qui nous est soumis, il n'y a plus d'organisme neutre. Le dernier organisme dit neutre, l'office du recrutement devenu l'Office des ressources humaines, relève du pouvoir exécutif. C'était le dernier retranchement de la neutralité. Comment se fait-il qu'au moment où le patron Fonction publique prend ses pouvoirs de patron en main, décide de s'organiser comme une entreprise privée ou une entreprise du parapublic, il continue de se donner un régime syndical d'exception sur les matières négociables, sur l'accréditation, sur la cession d'unité?

J'ai évoqué tantôt le cas des sociétés d'État. Si la Société immobilière du Québec est créée, vous savez que notre syndicat ne peut pas faire suivre son accréditation dans la nouvelle société, contrairement à ce qui se passerait dans le privé ou dans la parapublic. Pourquoi? Parce qu'on est l'objet d'un régime d'accréditation spécial. C'est la même chose pour les services essentiels.

Ce sont des sujets que vous connaissez et je ne peux pas croire que le ministère de la Fonction publique n'ait pas étudié ce sujet et n'en arrive pas à des conclusions. Je n'arrive pas à comprendre. Hier, j'ai qualifié cette approche de fantaisie de mauvais goût; je le répète aujourd'hui, je ne comprends pas cela et je pense que c'est la pierre d'achoppement dans nos relations gouvernement-syndicat quant à cet avant-projet de loi.

En terminant, un dernier élément, celui des occasionnels. Nous aurons l'occasion de vous présenter, demain, notre point de vue de façon détaillée. J'y reviens simplement pour souligner que cela fait maintenant deux ans qu'un comité paritaire a déposé un rapport quasi unanime sur la question, que le dossier n'est toujours pas réglé, que nous avons demandé de négocier et de signer une entente de principe qui est survenue le printemps dernier concernant le droit de rappel des occasionnels. Je rappellerai à la ministre de la Fonction publique qu'en octobre 1982 elle nous soulignait que les problèmes de conditions d'emploi des occasionnels, ce serait intéressant d'en débattre à l'occasion d'un avant-projet de loi parce que cela suppose, d'après le rapport du comité paritaire, des changements à la loi. On ne retrouve pas ces changements dans la loi. Je trouve que tout cela a assez duré, surtout qu'il s'agit du personnel - chez nous, c'est 900 personnes, soit 10% de nos effectifs - qui a le plus mauvais sort dans la fonction publique: il s'agit des 10% au total des fonctionnaires qui n'ont aucune sécurité d'emploi. C'est le tampon que l'État se donne pour faire face à ses hauts et ses bas en termes de charge de travail; ce sont des gens qui sont dans l'insécurité complète. Quand cela fait neuf ans ou dix ans que vous êtes occasionnels, vous vous attendez qu'on règle votre problème. On va en parler plus abondamment demain. On a voulu en faire l'objet d'une présentation spéciale de notre comité, mais je tenais à le souligner, c'est une situation qui doit être corrigée. Le rapport Bisaillon avait de bonnes suggestions là-dessus et ce n'est toujours pas réglé.

En conclusion, l'impression que nous avons actuellement, avec les événements qu'on a vécus, avec l'approche de l'avant-projet de loi, entre autres sur la question fondamentale du régime syndical, c'est que les professionnels que nous représentons n'ont pas de place aux yeux du gouvernement. On aura beau faire les discours qu'on voudra: dans les discours, on a toujours une belle place. Mais, dans la pratique, pour ce qui est du climat de travail, du retour à un régime de libre négociation, de la libéralisation du régime de négociation, on ne retrouve pas, soit dans des politiques gouvernementales, soit dans l'avant-projet de loi, de signe encourageant d'un changement d'attitude. On nous dira: Changez d'attitude de votre côté. Je vous le dis clairement: Le changement d'attitude doit venir d'abord du gouvernement, en ce sens que c'est lui le patron, c'est lui qui a les cordeaux, c'est lui qui a les leviers et c'est, en bonne partie, lui qui a créé les problèmes. Quant à nous, nous sommes prêts à oublier ce qui s'est passé. Même si c'est dans notre mémoire et dans notre fraîche mémoire, nous sommes prêts à l'oublier. Sauf que cela va prendre, à compter de ce moment-ci, des conditions pour le faire. Ces conditions, c'est un changement d'attitude général, c'est un changement dans les politiques qui s'appliquent à nous et c'est un changement dans l'avant-projet de loi. On a souligné qu'il y a beaucoup de dispositions qui nous satisfont, mais il est fondamental que les éléments clé que je vous ai soulevés et ceux qui sont repris plus en détail dans le mémoire fassent l'objet de modifications. Il y a actuellement une occasion de virage dans les relations du travail avec les professionnels et on souhaite que le gouvernement prenne le virage. Il n'a pas commencé, par son avant-projet de loi, à le prendre à ce moment-ci. Voilà, en gros, le message que j'avais à vous livrer.

Le Président (M. Champagne): Merci, M. Lecourt. Mme la ministre, vos commentaires et vos questions.

Mme LeBlanc-Bantey: II me fait plaisir d'entendre ce que le syndicat des professionnels a à nous souligner sur certains aspects de l'avant-projet de loi. Vous me permettrez, M. Lecourt, de retenir une phrase de fin d'intervention, alors que vous dites que le gouvernement est en partie responsable des problèmes auxquels fait face actuellement la fonction publique. Bien sûr, vous faisiez allusion aux dernières négociations. Il me fait plaisir que vous admettiez qu'on n'est peut-être pas tout à fait responsable de tout. J'ai eu l'occasion à plusieurs reprises de faire une certaine remise en question sur la façon qu'a eue le gouvernement de se comporter lors des négociations. On pourrait en parler encore longuement, tout au moins des attitudes. À cet égard, j'aimerais qu'un jour on entende aussi le syndicat des professionnels, à l'instar d'autres centrales syndicales, d'une façon très saine aussi, se remettre en question. Je pense que, chacun notre tour, ce n'est pas mauvais de temps à autre. Mais j'aimerais cela entendre le syndicat des professionnels peut-être aussi remettre en question certaines attitudes qui font que de négociation en négociation on en arrive à des drames comme ceux qu'on a vécus lors de la dernière négociation.

Cela dit, vous dites - je pense que vous avez utilisé le terme prétentieux - qu'on se méprend un peu sur la façon d'aborder les services aux citoyens. Vous dites que l'approche qu'on a choisie est une hypothèse. C'est vrai, l'avant-projet de loi découle d'une hypothèse; on n'a jamais prétendu que c'était la seule façon d'améliorer les services de qualité aux citoyens. Il découle d'une hypothèse qui n'est pas propre au ministère de la Fonction publique ou au gouvernement, mais qui a été celle aussi de la commission Bisaillon, sur la trop grande réglementation,

la trop grande normalisation de la fonction publique, la "déresponsabilisation" complète de tous les intervenants.

Vous parlez du fait que les professionnels ne se sentent pas motivés, se sentent "déresponsabilisés", qu'on ne les utilise pas au mieux de leurs ressources. C'est le diagnostic que j'ai fait et que d'autres ont fait à l'endroit de l'ensemble de la fonction publique. On a, peut-être à tort, pensé que la trop grande réglementation, la trop grande normalisation avait eu ces conséquences. Donc, pour tenter d'améliorer les services aux citoyens, tenter de faire que les intervenants non seulement dans la gestion, mais d'un bout à l'autre de la machine se sentent plus impliqués, plus en mesure de répondre directement et plus rapidement aux demandes de la clientèle, on a pensé qu'une façon d'y arriver était de décentraliser la gestion des ressources humaines au niveau des ministères et d'appliquer un nouveau principe. C'est vrai que c'est un mot à la mode, mais, en tout cas, on n'a pas trouvé encore de synonyme; je pense que les principes véhiculés par ce mot à la mode, "imputabilité", sont bons. On a pensé qu'en rendant les gens imputables de leurs gestes on aurait peut-être une chance d'arriver à un meilleur service à la clientèle. C'est le diagnostic qu'on a fait et, en conséquence, voici l'avant-projet qui a été déposé.

On fera une discussion à un autre moment alors que je spécifierai davantage, si vous voulez. Vous dites qu'on augmente les pouvoirs de gestion. J'avais plutôt l'impression qu'on les décentralisait, surtout qu'on les décentralisait au-delà des modalités. On aura l'occasion aussi d'y retoucher, mais, en soi, l'objectif de l'avant-projet de loi n'est pas d'augmenter les pouvoirs de gérance ou de gestion, c'est de les décentraliser et de les rendre plus proches des différents organismes qui ont des services à rendre en fonction de leur réalité aussi.

Nous avons fait l'hypothèse que la décentralisation, la déréglementation étaient un pas. J'ai pris soin de dire aussi dans l'ensemble de mes interventions qu'on n'était pas naïfs, qu'on était même très lucides et qu'on était fort conscients que l'avant-projet de loi sur la fonction publique n'était qu'une étape, qu'un maillon de la chaîne et que, s'il n'y avait pas un changement de mentalités fondamental non seulement au gouvernement, mais chez tous les gestionnaires comme les syndiqués, effectivement, ce serait une goutte d'eau dans le désert. Pour se donner le maximum de chances de réussir cette démarche, il faut que le Conseil du trésor emboîte le pas, il faut qu'il y ait, conséquemment, des amendements à d'autres lois qu'à celle sur la fonction publique, que ce soit à la Loi sur l'administration financière, que ce soient strictement des changements de pratiques financières ou administratives. Donc, il faudrait, en premier, à la suite du ministère de la Fonction publique, que le Trésor emboîte le pas, mais les ministères aussi dans leur façon de gérer et le gouvernement aussi dans sa façon de voir la décentralisation.

J'imagine que, si on allait au bout du processus de la décentralisation par rapport à la régionalisation, on n'aurait pas fini d'en discuter avec le syndicat. Le peu qu'on a eu à discuter à propos de la stabilité d'emploi durant les négociations nous a donné un avant-goût de cela. Il reste que tout cela s'inscrit dans une démarche qui risque, c'est vrai, d'être longue et qui, pour avoir une cohérence, demande des interventions d'autres personnes que celles du ministère de la Fonction publique.

Donc, quand vous venez nous dire qu'il faut que le Conseil du trésor change de mentalité, vous ne nous apprenez rien. On en est fort conscients et même - je doute que cela vous rassure beaucoup - il reste que la démarche que vous avez devant vous a été faite aussi en collaboration avec le Conseil du trésor. Cela va de soi, c'est lui qui va administrer la loi. (15 heures)

Admettons que c'est une hypothèse et que ce n'est peut-être pas la meilleure. La question que j'ai à vous poser est la suivante. Je pense sincèrement que les professionnels sont certainement aussi préoccupés par les services aux citoyens qu'on peut l'être; en tout cas, ce serait tout à fait anormal qu'il en soit autrement. Vous avez dit au début que chaque ministère doit avoir ses responsabilités par rapport aux services aux citoyens et que ce n'est pas nécessairement par la gestion des ressources humaines que cela se fait. En tout cas, je pense que la gestion des ressources humaines peut être un élément important dans un meilleur service aux citoyens. Mais si vous prenez cette hypothèse que, justement, une nouvelle loi sur la fonction publique serait nécessaire ou, en tout cas, importante, dans un objectif comme celui que poursuit le gouvernement, comment verriez-vous cette nouvelle loi? Je le dis un peu aussi dans la perspective où vous dites, à un moment donné, dans votre mémoire: On est prêt à collaborer à condition, autrement dit, que vous preniez nos recommandations; si vous nous donnez ce qu'on demande, on va collaborer. Est-ce que ces recommandations, dans votre esprit, créent un vrai équilibre entre les besoins des citoyens et les besoins de vos membres, en tout cas les aspirations de vos membres? Je comprends que cela fait aussi partie de votre rôle de les défendre, mais comment voyez-vous cet équilibre nécessaire entre vos demandes et, finalement, l'objectif que tout le monde

poursuit?

On ne s'amuse pas à faire une loi sur la fonction publique pour le plaisir d'en faire une et, quant à moi, je n'éprouverais absolument aucun plaisir à faire une loi sur la fonction publique strictement pour vous donner l'impression que c'est pour augmenter les droits de gérance. Je pense qu'on poursuit des objectifs qu'on a tenté de véhiculer dans nos principes qui sont, c'est vrai, la primauté des services aux citoyens, l'efficacité, l'efficience, etc. - ce sont les discours qu'on a déjà faits - qui sont aussi de continuer à protéger nos employés, en tout cas, à leur donner l'équité à laquelle ils ont droit et la justice. Je pense que le projet de loi, dans ce sens-là, ne va pas à l'encontre de ces objectifs. Je ne suis pas d'accord avec l'interprétation que vous faites des principes.

Vous dites aussi que, finalement, les principes vont servir à accentuer des mesures disciplinaires ou administratives. Nous, de la façon dont on interprète juridiquement les principes, c'est qu'un juge devra se prononcer en fonction d'un équilibre entre les différents principes. On est fort conscients, comme je l'ai mentionné hier, qu'il se pourrait bien qu'on ne soit pas capables d'offrir toujours le meilleur service aux citoyens parce qu'on n'en a pas les moyens comme État. Si les citoyens devaient exiger qu'il y ait un fonctionnaire chaque fois qu'ils remplissent une formule, il faut être honnête et dire qu'on n'a peut-être pas les moyens d'offrir ce type de service. Alors, c'est pour cela qu'on a tenté de maintenir un équilibre dans les principes. Dans ce sens-là, je pense que des juges pourraient en arriver à une interprétation tout à fait différente de la vôtre - en tout cas, je l'espère - sinon, on va approfondir cet aspect juridique parce que ce n'était pas notre intention. C'est la première question sur une nouvelle loi sur la fonction publique, si nécessaire selon vous, qui correspond aux objectifs qu'on a.

Vous me permettrez de vous dire que c'est vrai qu'on a l'air d'avoir fait un peu de "shopping" à la commission Bisaillon, mais il faudrait admettre que, depuis hier matin, les gens qui sont venus nous voir ont souligné les aspects de la commission Bisaillon qui leur plaisaient. Chacun y a trouvé un peu son compte selon ses intérêts. Dans cette perspective, vous aussi, vous y avez fait du "shopping". Vous venez nous dire qu'à la commission Bisaillon il y avait de la cohérence parce qu'elle recommandait un régime syndical différent ou qu'elle recommandait, finalement, de soumettre la fonction publique au Code du travail. Vous ne retenez pas, dans vos commentaires, nécessairement tout le reste de la cohérence du rapport Bisaillon.

Sur le régime syndical, je sais que cela peut sembler - en tout cas, vous l'interprétez comme cela - une façon de mettre le problème sous le tapis et de refuser d'y faire face. Il nous est apparu en toute sincérité, en toute cohérence, que, compte tenu qu'il y avait une réflexion qui était amorcée par le biais du comité des priorités sur un nouveau régime de négociations dans les secteurs public et parapublic, c'était là le forum idéal pour les syndicats de la fonction publique d'acheminer leurs demandes. On n'a aucune idée actuellement à quelle conclusion arrivera le comité. À mon avis, ce serait une perte de temps que d'amender le régime syndical des syndiqués de la fonction publique pour peut-être réamender la loi dans un an parce que le comité en question ou le gouvernement, j'espère, avec la plus grande concertation possible et le plus grand consensus, arriverait à des conclusions qui iraient en contradiction avec des décisions que nous aurions prises. Là aussi, je vois - si vous me permettez de vous le souligner - quelques contradictions dans votre mémoire tel qu'écrit. Vous dites, à un moment donné: Finalement, on a dans la fonction publique un régime syndical démodé, désuet, cela fait des années qu'on revendique la classification, etc. Il serait temps qu'on fasse le ménage là-dedans. Vous semblez présenter soumis au Code du travail comme un régime beaucoup plus avant-gardiste, en tout cas, ou beaucoup plus correct, beaucoup plus en perspective de ce que vous attendez. D'abord, je trouve que ce n'est pas clair parce que c'est loin d'être sûr que, même si vous étiez assujettis au Code du travail, l'employeur vous permettrait, entre autres, de négocier votre classification, je pense qu'il y a beaucoup plus d'entreprises privées où cela ne se fait pas. Cela reste encore des prérogatives de l'employeur.

D'autre part, vous dites, à la page suivante de votre mémoire: C'est bien beau de comparer le secteur privé et le secteur public. Dans le secteur privé, ce sont des services qui se mesurent tandis que dans le secteur public, ce sont des services intangibles. Je suis loin d'être sûre de cela. Quand quelqu'un fait une demande à l'aide sociale, cela reste quand même un service très tangible. Il y a beaucoup de services très tangibles dans la fonction publique. Vous dites donc: II ne faudrait pas aller trop loin. D'un côté, il faudrait s'aligner sur le privé, pour le régime syndical. D'un autre côté, en même temps, il ne faut pas trop s'aligner, sur le privé parce qu'on ne se compare pas au privé. En tout cas, j'ai vu là une contradiction. S'il n'y en a pas, j'aimerais me faire éclairer.

Quant aux autres modalités, il y a la cause juste et suffisante. Hier, mon collègue Bisaillon a été surpris de la réaction viscérale que vous avez, tant vous que M. Harguindeguy, sur un aspect comme celui-là. Vous parlez de danger en tout cas. On avait

eu l'occasion d'en parler quand vous êtes venu nous voir. M. Bisaillon disait: Dans le fond, cela ne fait mourir personne. Dans le secteur privé, les gens sont habitués à cela. Pourquoi cela vous énerve-t-il tant? Vous avez entendu M. Bisaillon, hier. Vous étiez là. J'aimerais que vous réagissiez à l'interprétation qu'en fait mon collègue de Sainte-Marie. Je m'excuse, on ne devrait jamais nommer un député en commission parlementaire; cela me surprend qu'il n'y ait personne qui me l'ait dit de l'autre bord. En tout cas, grosso modo, c'est cela. Le reste, il s'agit des modalités. C'est un avant-projet, je l'ai souligné, hier. Il y a lieu encore de vous écouter très attentivement sur les recommandations que vous avez. Mais, au-delà des modalités, sur le fond, cela m'apparaît important que vous tentiez, en tout cas, de nous donner votre point de vue.

Le Président (M. Champagne): M. Lecourt, si vous voulez réagir.

M. Lecourt: Vous avez abordé trois choses, globalement: les paramètres principaux, à notre sens, d'une nouvelle loi sur la fonction publique, la question du régime syndical et la cause juste et suffisante en rapport avec les sanctions. Par rapport à la loi, si vous lisez bien notre mémoire, on y dit: L'avant-projet de loi tel qu'il est structuré, nous serions prêts à en faire un essai loyal sous réserve de modifier un certain nombre de choses. Je voudrais revenir sur ces choses, cela vous donnerait une idée de ce qu'on peut voir comme étant une Loi sur la fonction publique à expérimenter, si on veut, parce qu'on parle d'une loi pour cinq ans ou à peu près. Dans l'avant-projet que vous soumettez, il est question de moins de réglementation, de fonctionner plus avec des politiques générales, des directives générales du Conseil du trésor. Il est question de donner clairement des pouvoirs - au moins dans le texte - aux ministères sur la gestion de leur personnel par opposition au ministère de la Fonction publique qui détient les pouvoirs actuellement en vertu des articles 3 ou 4 de la loi. Il y a une forte possibilité de délégation un peu partout. Je reviendrai sur un aspect de la délégation qui nous semble une incohérence, mais sur ces aspects, de façon globale, on n'émet pas d'objection au fait qu'il y ait moins de règlements, que les ministères aient plus de pouvoirs d'action en matière de gestion des ressources humaines et au fait qu'il puisse y avoir une délégation à un niveau où les gens sont peut-être capables de prendre des décisions plus rapides et peut-être plus motivées. Là où cela ne va pas, à une exception près - je vais peut-être vous la mentionner tout de suite - c'est au niveau du pouvoir de délégation. Là où il semble y avoir une incohérence, c'est quand le Conseil du trésor peut déléguer son pouvoir de faire des politiques générales. Cela nous semble, dans la loi, une incohérence parce qu'il y a un article de la loi qui dit: Les sous-ministres ont la responsabilité de gérer leurs ressources humaines dans le cadre des politiques générales établies par le Conseil du trésor". D'autre part, on dit que le Conseil du trésor peut déléguer l'établissement de politiques générales. Notre compréhension de ce qui est nécessaire à ce moment-ci ou de ce qui est à expérimenter, c'est que le Trésor fasse les politiques générales et que les ministères aient la latitude pour les appliquer. On avait soulevé cette question-là au mois d'août, à savoir ce que vous cherchiez. On nous avait dit: On cherche à déléguer un pouvoir à l'office du recrutement. Comme on le dit dans notre mémoire, si c'est cela, il y a une autre façon de le faire qui ouvre moins la porte. À partir du moment où le rôle du Trésor, si on le comprend bien, est de faire des politiques générales, on ne voit pas comment les ministères pourraient se voir déléguer le pouvoir de faire des politiques générales. Par exemple, dans le domaine de la classification des emplois, que ce soit négociable ou pas, on ne voit pas comment un ministère pourrait avoir la possibilité de faire sa classification. On se retrouverait dans des situations tout à fait incohérentes avec cela. C'est un des aspects de la délégation. Ce n'est pas sur le principe de la délégation, mais sur la logique de déléguer l'établissement de politiques générales, de lignes directrices.

La même chose s'applique à un autre aspect et je pense que ce sera évident, c'est une lacune du projet de loi. L'office du recrutement, qui est chargé de gérer une banque de mises en disponibilité, pourra déléguer, semble-t-il, une partie du travail. C'est une aberration; il doit s'agir d'un oubli quelque part parce que cela ne tient pas debout. On pense que c'est une erreur de rédaction ou une erreur de concordance quelque part.

Ce sont les éléments de la délégation où on a émis des objections, une pour des raisons évidentes, je pense, et l'autre, dans la façon de voir la préparation des politiques. Cela va, à ce jour, et cela va aussi au niveau des structures. Dire: On donne au Trésor telle affaire et à l'office telle autre chose, c'est clair. Il y a des mécanismes, une répartition des pouvoirs qui dit: La déréglementation se fera de telle façon, la décentralisation comme cela et la délégation comme cela.

Là où cela ne va pas, c'est quand on invoque des principes de gestion. Je voudrais dire tout de suite que, quant aux services à la population, vous ne donnez pas le droit à des services de qualité à la population dans

le projet de loi. Vous l'avez dit vous-même, on s'entend sur une chose, l'article 2 est une lapalissade. On dit: La fonction publique est là pour donner des services à la population. Il me semble que c'est assez évident. Cela ne va pas dans le sens du rapport Bisaillon, en tout cas, qui parlait de droit et qui prévoyait des mécanismes visant à un certain contrôle ou une certaine évaluation des services à la population.

Quand on s'est rencontré, vos fonctionnaires fouillaient dans le projet de loi pour voir s'il y avait un endroit où on pouvait reparler des services à la population. On en a trouvé un et cela ne disait pas grand-chose. Ce bout-là des principes ne donne rien à personne. Cela ne donne pas grand-chose à la population, cela me semble évident, à part la rassurer, mais cela ne lui donne rien d'autre. Pour le reste, les fonctionnaires, cela n'ajoute pas de droits, cela ne retranche pas de droits, cela reprend les choses qui existent dans d'autres lois ou dans des conditions de travail négociées ou décrétées.

Là où cela ne va pas, c'est lorsque vous parlez d'imputabilité et d'efficience sans que l'on sache de quoi il s'agit. C'est là qu'on dit que cela donne un pouvoir de gérance. Cela donne à l'employeur la capacité de s'asseoir sur ce principe-là pour dire: J'ai fait cela au nom de l'imputabilité, surtout quand ce n'est pas défini et qu'il n'y a aucun mécanisme. Si vous voulez faire des expériences d'imputabilité, à supposer qu'on s'entende sur le terme et sur ce que cela peut vouloir dire, faites des expériences, mais ne décrétez pas d'office que tout le monde est imputable sans que les gens sachent ce que cela veut dire. Vous utilisez maintenant un terme qui s'appelle "responsabiliser". Dans notre système parlementaire et dans notre système de travail, les gens sont responsables de leurs gestes. Il n'est pas besoin d'écrire cela dans le projet de loi, c'est une évidence du droit en général. C'est ce contre quoi on en a, l'élargissement des pouvoirs que donnent ces différents articles. Ce sont deux concepts mal définis et impossibles à traduire. Je ne veux pas dire que c'est impossible, mais ce sont des concepts mal traduits dans le concret.

En résumé, on est prêt à expérimenter la déréglementation, la décentralisation et la délégation quand on sait dans quoi on s'engage et où cela peut nous mener. Est-ce que ce sera un succès ou pas? On ne le sait pas, mais on sait dans quoi on s'embarque. Imputabilité, efficience? On ne le sait pas clairement et ce n'est pas de la mauvaise foi. (15 h 15)

L'autre volet - cela m'amène au régime syndical - c'est qu'il est absolument essentiel pour nous qu'on ait un mot à dire. À partir du moment où c'est une directive ou une politique générale qui va faire foi de tout, à partir du moment où les gestionnaires auront plus de latitude, il me semble qu'il est important que les employés, par leurs représentants collectifs, puissent être en mesure de faire face à cette situation et négocier les éléments requis.

Quand vous ne touchez pas le régime syndical, vous dites: On fait une partie de la réforme. Je peux bien comprendre qu'on ne peut pas changer toutes les lois du Québec d'un seul coup, cela va de soi, mais qu'on ne puisse pas changer une loi dans ses deux aspects, l'aspect blanc et l'aspect noir, c'est trop facile, c'est beaucoup trop facile. C'est dire: Faites confiance à un nouveau régime du côté patronal, à une nouvelle vision de l'organisation patronale, mais on vous laisse le vieux régime, le vieux système d'une autre époque, d'une autre réalité, en termes de vos droits syndicaux. On ne peut pas accepter cela, vous le comprendrez facilement, il me semble. Ce serait comme si, par exemple, par rapport aux gestionnaires, on disait: Écoutez, on déréglemente, mais on ne vous donne pas de délégation, on ne peut pas faire cela tout de suite, c'est un comité qui étudiera cela. Il y a des gens qui diraient du côté de la gestion: Écoutez un peu, cela ne marche pas. C'est l'envers de la balance.

Quant au comité en question, pour avoir le 6 juin rencontré quelques-unes des personnes qui sont parties à ce comité qui avaient l'air en autorité - je pense à M. Louis Bernard, à M. Boivin, assez bien connu - ce n'était pas dans le mandat de ces gens. Ils s'intéressaient à un autre niveau de problèmes. Ils s'intéressaient à des questions de rémunération; ils s'intéressaient à des questions de services essentiels surtout dans les affaires sociales. Ils s'intéressaient à ce que j'appelle les macroproblèmes, les problèmes de l'ensemble du régime de négociation dans le secteur public. Ils s'intéressaient au droit de grève. Je n'ai pas besoin de vous dire que cela va passer au dernier rang de poser la question: Pourquoi y a-t-il 2000 professionnels qui sont exclus pour confidentialité? Ou pourquoi le Directeur général des élections a-t-il des employés qui n'ont pas le droit d'association? Ou encore pourquoi ici, à l'Assemblée nationale, peut-on soustraire le personnel à l'application de quelque loi québécoise que ce soit? Cela ne les intéressera pas tellement. Je ne crois pas que cela présente beaucoup d'intérêt pour eux. D'ailleurs, ils n'en ont manifesté aucun pour discuter de cela au mois de juin quand nous les avons rencontrés. C'est envoyer le problème en dessous du tapis et dire: On espère qu'ils ne bougeront pas trop, ces fatigants. Cela ne va pas.

Quant à ce que vous avez cru voir

comme étant une contradiction, il me semble que ce n'en est pas une. On ne parlait pas des matières négociables lorsqu'on disait que, dans le secteur public, on est au niveau de services qui sontsouvent intangibles. Du moins, ceux que les professionnels et les professionnelles du gouvernement donnent sont souvent intangibles. Ils sont difficiles à mesurer. Avoir une approche de productivité maximale, faire fonctionner la fonction publique comme une usine qui fabrique, par exemple, des ordinateurs, des automobiles, ce n'est pas possible d'organiser cela. On parlait de l'organisation de la fonction publique, de l'importance pour nous du climat parce qu'on a beaucoup de latitude. Nous, dans le type de travail que nous faisons, il y a une latitude que vous ne pourrez jamais contrôler entièrement, d'où l'importance du climat. Cela n'a pas rien à voir avec le champ du négociable. Ce n'est pas parce qu'une professionnelle des affaires sociales travaille à l'analyse d'un problème épidémiologique que, pour cette raison, sa classification ne devrait pas être négociable, alors que quelqu'un qui travaille sur une chaîne d'assemblage pourra la négocier.

Une autre chose que vous avez mentionnée, c'est que le Code du travail, ce n'est pas l'idéal. C'est vrai. Nous n'avons pas dit que c'était l'idéal, le code. On a dit que nous voulions être soumis au même régime que tout le monde. C'est cela que nous voulons. Que vous refusiez de négocier la classification, c'est bien possible. On peut actuellement négocier les frais de voyage. Vous refusez systématiquement de le faire depuis des années. C'est le jeu du rapport entre les parties. A ce moment, ce n'est pas ce qui est recherché. Le fait de pouvoir négocier ne veut pas dire que nous négocierons tout dans les moindres détails.

Un dernier élément pour ma part - M. Théberge m'indique qu'il voudrait compléter sur le cadre général - c'est la cause juste et suffisante. Je vais essayer de l'expliquer le plus simplement du monde; cela se présente un peu en termes juridiques, mais je vais essayer de vous l'expliquer. Le député de Sainte-Marie faisait allusion à cela, hier. Il pensait aux mesures disciplinaires, j'en suis convaincu. C'est un concept qui existe chez nous dans la fonction publique, congédiement pour cause juste et suffisante. Quand on se présente devant l'arbitre, l'employeur argumente que c'est une cause juste et suffisante. C'est la même chose pour un congédiement pour activités syndicales. Vous savez qu'en matière disciplinaire l'arbitre a à dire: Est-ce que, oui ou non, l'employeur avait raison de punir? S'il dit oui, il a à évaluer si la punition était appropriée. Il peut dire: Ce congédiement n'a pas de bon sens, c'est disproportionné, ce qu'on appelle le test d'opportunité. Il peut dire: Je transforme cela en réprimande ou en suspension.

En matière administrative, ce n'est pas comme cela que cela se passe. En matière administrative, ce n'est pas quelqu'un qui a commis une faute; c'est quelqu'un qui ne peut pas répondre aux besoins de l'organisation vus par l'organisation. La personne est invalide. La personne, on l'estime incompétente. On estime que la personne ne réussit pas à atteindre des résultats à l'intérieur des budgets qu'on lui accorde. La personne n'est pas capable. À ce moment-là, ce que l'arbitre a à faire, c'est uniquement évalué si l'employeur avait raison. Il ne peut pas changer la mesure administrative. Il a uniquement le pouvoir de l'annuler ou de la maintenir. Si vous imposez un congédiement administratif et la peine capitale pour un motif d'incompétence, l'arbitre peut dire: Oui, l'employeur avait raison et je maintiens; sinon, il annule. Il ne peut pas aller entre les deux. D'où pour nous l'importance capitale que les sanctions administratives à l'origine soient bien balisées dans leurs motifs puisqu'on n'a pas de marge de manoeuvre a l'autre bout sans compter que cela joue dans le décret.

Vous pourriez faire des rétrogradations, des congédiements pour des motifs nouveaux et là il y aurait un tribunal nouveau derecours de sorte que, pour le même type de sanction, on aurait deux portes différentes. Il me semble que cela ne se fait pas, jouer dans une convention collective, mais là il me semble que cela ne se fait pas, jouer dans un décret. Vous auriez dû y penser avant. C'est cela, la différence fondamentale. Je pourrais en parler encore longtemps parce que vous abordiez le sujet de façon vaste, mais essentiellement, ce sont les commentaires que j'ai à formuler. Il y a Marcel qui voudrait ajouter quelque chose.

M. Théberge (Marcel): Un petit complément sur ce que Mme LeBlanc disait tout à l'heure, à savoir que, même si on était assujettis aux dispositions du Code du travail, cela ne voudrait pas dire qu'on pourrait négocier des sujets comme la classification. Historiquement, la Loi sur la fonction publique nous interdisait de négocier certains sujets. Actuellement, c'est l'article 116. Sauf que cette disposition législative n'a pas fait en sorte que nous nous sommes autocensurés au niveau des revendications qu'a déposées la partie patronale au moment des négociations des conventions collectives ou de ce qui en tient lieu.

Cependant, cela a posé le problème suivant: cela a fait qu'à la table de négociation tant et aussi longtemps qu'on n'a pas réussi à développer un rapport de force suffisant pour que l'employeur accepte enfin d'en discuter, l'employeur asystématiquement refusé de négocier ces questions-là. Il est arrivé dans le passé -

Mme LeBlanc a hérité du dossier tardivement - qu'au niveau des négociations de conventions collectives nous avons obtenu de la part de l'employeur des engagements -cela a pris la forme de lettres d'intention -à savoir de proposer à l'Assemblée nationale de modifier la loi en conformité avec l'entente qui est intervenue entre les parties à la table de négociation. Le problème qui se pose, évidemment, et qui s'est posé dans le passé, c'est que cela a pris beaucoup de temps avant que les amendements législatifs soient adoptés. D'autre part, les amendements législatifs qui ont été adoptés n'étaient pas toujours, quant à nous, conformes aux dispositions des ententes dûment négociées.

Donc, le problème de la restriction de l'aire des négociations, c'est, d'une part, un problème d'autruche puisque cela ne nous empêche pas du côté syndical d'avoir des revendications, d'essayer de faire valoir notre point de vue et d'en arriver à une entente. D'autre part, cela ne règle pas les problèmes parce qu'étant donné qu'il faut des modifications législatives, jusqu'à preuve du contraire, nous n'avons guère de contrôle sur cette question. Les ententes négociées - au moment où c'était la mode - ne signifient pas grand-chose à ce niveau-là. Finalement, fondamentalement, c'est bien sûr qu'être assujettis aux dispositions générales du Code du travail, ce n'est pas une garantie du tout qu'on réussira à négocier des sujets qui nous sont chers, sauf que cela nous assujettirait à un régime normal de négociation où l'employeur aurait aussi un certain nombre d'obligations.

Le Président (M. Champagne): Mme la ministre.

Mme LeBlanc-Bantey: Je vais essayer d'être très rapide pour donner une chance aux autres. Vous dites, M. Lecourt, que vous voudriez, en termes de régime syndical, être comme tout le monde. Je me permets de vous poser la question suivante: Est-ce que vous seriez prêt, pour être comme tout le monde, à avoir ce que tout le monde a, à vous passer de la sécurité d'emploi législative qui est dans la Loi sur la fonction publique? Être comme tout le monde, cela suppose vraiment être comme tout le monde. Je pense que, lorsqu'on fait la discussion, on ne peut pas honnêtement juste aller voir la partie positive de ce qui fait notre affaire et garder de l'autre main ce qui fait notre affaire à ne pas être comme tout le monde.

M. Lecourt: Je vais revenir à cela, madame.

Mme LeBlanc-Bantey: Sur la question du comité, vous avez raison. Au mois de juin, il est vrai que le fameux comité en question ne s'était pas donné un mandat précisément autour de la fonction publique. Par ailleurs, après notre rencontre au mois d'août, on a obtenu l'engagement du comité des priorités que la discussion concernant le régime syndical de la fonction publique ferait partie du mandat de ce comité-là. Tout le monde a considéré qu'il n'y avait pas de contradiction, ni de raison de ne pas le faire.

Vous dites: Admettons qu'on ne reste pas comme tout le monde dans la fonction publique, ce qui est prévu actuellement c'est que les matières non négociables ne sont pas décentralisées; cela se ferait pas voie de directives plutôt que par voie de règlements. Je vous pose la même question que j'ai posée à M. Harguindeguy hier: Si on prévoyait des règlements sur ces matières non négociées plutôt que des directives, est-ce que cela aurait le mérite de vous sécuriser un petit peu? Vous dites: Finalement, vous arrivez avec une nouvelle loi de la fonction publique qui est une nouvelle façon de fonctionner. Et là, vous faites le lien très direct entre le régime démodé que serait, à ce moment-là, notre régime syndical et une nouvelle approche qui est l'imputabilité, la responsabilisation, etc. J'ouvre une parenthèse pour dire qu'il est vrai que cela peut avoir l'air drôle qu'on sente le besoin d'indiquer dans des principes la primauté du service aux citoyens, la responsabilisation des gens, mais c'est cela, la réalité. On s'est dit: Les principes serviront d'équilibre les uns envers les autres et plus les gens liront la loi, moins on aura tendance à oublier notre raison d'être à tout le monde. C'était un guide, et c'est dans ce sens-là qu'on a senti la nécessité de le faire. Je serais la première à être très contente si on pensait qu'il n'est pas nécessaire d'en parler, que cela va de soi que la fonction publique est au service des citoyens. Ce n'est pas toujours très clair. Je ne dis pas que c'est la faute des gens qui sont dans la fonction publique. Non seulement je ne dis pas cela, mais je prétends que c'est la faute de notre type de gestion et non des individus, mais il reste que le résultat est là.

Je reviens à ma question et je ferme la parenthèse. Comment, selon vous, le fait de négocier la classification pourrait-il favoriser le régime d'imputabilité ou le rendre plus cohérent? Est-ce que vous avez un exemple concret pour tenter d'éclairer ma lanterne?

M. Lecourt: Vous avez plusieurs questions.

Mme LeBlanc-Bantey: C'est vrai.

M. Lecourt: Vous en avez une sur la sécurité d'emploi; il y en a une qui m'a échappé sur le comité des priorités.

Mme LeBlanc-Bantey: II n'y a pas de question là-dessus. Je vous dis qu'ils se sont ajouté un mandat précis.

M. Lecourt: Ah oui! Le nouveau mandat du comité. Permettez-moi de rire pour celle-là.

Mme LeBlanc-Bantey: Vous êtes toujours aussi méfiant.

M. Lecourt: Madame, l'expérience!

Mme LeBlanc-Bantey: Vous ne changez pas. Le pire, c'est qu'il m'a rendue méfiante. (15 h 30)

M. Lecourt: De toute façon, il y a quelqu'un qui va me succéder et vous verrez que c'est une méfiance qui est culturelle chez les professionnels. Sur la sécurité d'emploi, je pense que vous devriez poser la question aux gens qui ne sont pas syndiqués pour savoir ce qu'ils en pensent. Sur le régime syndical, quand on dit "tout le monde", c'est clair qu'on veut être assujetti aux dispositions du code. Les dispositions du code ne disent rien sur le régime de sécurité d'emploi qui s'applique. C'est ainsi, par exemple, qu'il y a un régime de sécurité d'emploi apparenté nettement meilleur pour ce qui est d'une partie des dispositions sur les lieux de replacement - notre fameuse stabilité d'emploi - dans le parapublic. C'est un régime en vertu du code. Il y a des entreprises privées où il y a zéro de sécurité d'emploi, vous n'avez même pas le temps d'entrer que vous êtes sortis. Par contre, il y a des entreprises privées où les gens jouissent d'une très grande sécurité d'emploi. La sécurité d'emploi est en bonne partie liée au type d'activité que l'entreprise fait, vous savez cela. Les banques ne mettent pas de gens à pied à pelletée. Cela varie, en tout cas, moins que les usines d'automobiles.

Pour ce qui est de la négocier, je vous rappellerai - peut-être n'êtes-vous pas au courant de cela - qu'avant l'actuelle loi la sécurité d'emploi n'était pas garantie dans la vieille loi, de sorte que c'est un acquis de négociation, le fait de ne pas être mis à pied pour manque de travail, ce n'est pas un acquis législatif. On sait que, dans la fonction publique, la sécurité d'emploi est donnée pour d'autres motifs qui sont reliés au type d'organisation, en dehors du fait que c'est une organisation qui peut fonctionner plus facilement. Tout cela fait en sorte que, finalement, il me semble que vous ne traitez pas du bon problème, vous traitez des contenus de conditions de travail par rapport au régime juridique. C'est une question qui touche beaucoup plus, en passant, les non-sydicables que les syndicables, l'inclusion des articles sur le statut de permanent.

Pour ce qui est du comité, vous lui ayez confié ce mandat au mois d'août, madame, ne changera pas le fait que ce sera le dernier de ses soucis. Aussi, finalement, le fond du problème a été analysé sous tous ses angles. Vous disiez, hier: Cela fait des années que les syndicats demandent cela. Effectivement, nous avons retracé des documents. À l'origine même de la loi, avant même la loi de 1964, avant que les gens aient le droit de se syndiquer, il y avait un désaccord entre le gouvernement et les représentants, les balbutiements de syndicats dans la fonction publique sur l'aire du négociable. Il s'est maintenu à travers le temps, sauf que les raisons de la position gouvernementale sont disparues depuis. Les raisons sont - je vous l'ai dit tantôt - que l'on confie tel pouvoir à un organisme neutre et qu'on ne peut pas permettre qu'un syndicat ait une prise sur un organisme neutre. Mais les organismes neutres n'existent plus, ils disparaîtraient avec l'avant-projet de loi. On vous l'a dit le 26 août, l'office disparaît comme organisme neutre. Enfin, vous reconnaissez que c'est une fonction patronale en grande partie, sinon en totalité.

Finalement, il me semble que le tour du jardin est fait depuis des années; ça fait longtemps que vous nous entendez récriminer là-dessus. Vous pourriez peut-être dire clairement: On ne veut pas changer le régime syndical, ça fait notre affaire comme ça; comme patrons, on a un instrument légal en main qui restreint les matières négociables et c'est bien pratique. Vous pourriez nous citer nombre de fonctions publiques où ça se fait comme ça. Soyons clairs. Si référer ça à un comité, c'est là la réponse, notre réponse concordante à ça, c'est de dire: Dans cette condition, la loi ne marche pas. Règlements versus directives, je vous avoue - c'est une opinion personnelle -que je préfère de beaucoup une directive parce que c'est plus facile à négocier.

Quant à la classification des emplois -Marcel y a fait allusion, vous le savez pertinemment et vos collègues antérieurs le savent encore plus - ce n'est pas parce que c'est interdit de négocier qu'on ne négocie pas. Quand on s'est assis au Hilton et à d'autres endroits, entre deux décrets, on a parlé allègrement de la classification des emplois. Vous étiez de la partie, n'est-ce pas?

Mme LeBlanc-Bantey: Si cela se fait, pourquoi en faire un tel plat? Justement, c'est ce que j'avais envie de vous dire tout à l'heure, vous savez que cela se fait.

M. Lecourt: Enlevez-le de la loi. Pourquoi le laisser dans la loi? Mettez-vous à jour. Vous savez ce qui est arrivé, cela s'est fait en 1979, cela a pris deux ans et nous sommes encore aux examens de changement de grades je ne me souviens plus

de quelle année, nous sommes en train de finir 1981. Tout cela c'est à cause - en très grande partie, presque à 100% - de ce fameux carcan juridique.

Négocier la classification dans un régime d'imputabilité, ce serait intéressant d'en parler à une autre table. D'abord, ce que je retiens, c'est le mot "négocier"; il présente un certain intérêt dans vos propos. On pourrait en parler à partir du moment où on s'entendrait un peu sur ce que veut dire "imputabilité". Mais si cela se traduit en termes d'attente et d'évaluation des gens par rapport à des attentes, tout cela fait partie du champ général de la classification. Pour qu'on puisse discuter, il faudrait savoir exactement ce que vous visez par cela. Si c'est le mérite, vous savez qu'on est un peu hésitant, un peu beaucoup. Si c'est un instrument de l'imputabilité, cela marche moins, c'est clair. Il faudrait savoir de quoi on parle en termes d'imputabilité.

Mme LeBlanc-Bantey: Je termine là-dessus. J'ai seulement posé la question parce que vous aviez fait un lien direct; alors, je me demandais si vous aviez une réflexion articulée là-dessus. C'est tout. Je passe mon tour maintenant et j'espère que je pourrai revenir.

Le Président (M. Champagne): Alors, M. le député de Louis-Hébert. Non?

M. Doyon: Je cède ma place au député de Jean-Talon là-dessus.

Le Président (M. Champagne): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: Oui, M. Lecourt. Pardon?

Mme LeBlanc-Bantey: Directement du Sommet de Québec!

M. Rivest: Moi, j'ai été invité au Sommet de Québec.

M. Lecourt: Vous ne travaillez pas pour le fédéral? Non?

M. Rivest: Non. En partie, 50-50.

Le Président (M. Champagne): Quand il ne se rend pas là!

M. Rivest: Comment? Le président s'est prononcé!

Mme LeBlanc-Bantey: Parfois, c'est pas mal moins équilibré que 50-50.

M. Rivest: Bien oui. C'est comme votre loi. C'est déséquilibré. D'abord, je comprends que vous n'êtes pas contre une des lignes de force du rapport Bisaillon, non plus que ce qui est inclus dans le projet de loi, qu'effectivement, peu importe la signification du mot "imputabilité", on donne plus de latitude de gestion aux ministères et aux gestionnaires. À la page 7, ce que vous rassemblez dans un paragraphe, c'est la tendance qui vous inquiète beaucoup plus que les mesures spécifiques ou la démarche. C'est ce que j'ai compris.

M. Lecourt: Oui, je l'ai dit tantôt, à partir du moment où il est question de délégation ou encore du principe - ce n'est même pas un principe, c'est un énoncé dans le bout des articles 30 - où on dit: Ce sont les ministères et sous-ministres qui sont responsables. J'ai dit cela tantôt, c'est clair. Ce qui ne va pas, ce sont les principes du début dont on oublie toute trace après l'article 7.

M. Rivest: Ma question va vous amener plus spécifiquement à la question du rangement par niveau et à la question du mérite. Dans le rapport de la commission spéciale, c'était une des propositions assez fermes qu'on avait apportées, qu'on avait discutées, d'ailleurs, avec vous et avec d'autres groupes. On retrouve cela dans le projet de loi. Mais, dans le rapport Bisaillon de la commission spéciale, il y avait toute une série d'additions ou de conditions sur une espèce d'assouplissement de la règle du mérite - par exemple, au niveau des comités de sélection - dont on n'a pas la garantie dans le projet de loi. Quand vous dites -vous l'avez dit dans votre intervention de départ, ainsi que dans la discussion que vous avez eue avec Mme la ministre - que sur l'assouplissement de la règle du mérite vous avez des inquiétudes, est-ce que ces inquiétudes sont sur le fait que l'avant-projet ne vous donne pas un certain nombre de garanties de façon à éliminer l'arbitraire ou les réserves que vous aviez mentionnées? Quelles sont les conditions précises que vous voudriez voir ajouter au niveau de la loi, entre autres, pour accepter d'emblée et sans inquiétude - pour reprendre votre expression - un assouplissement de la règle du mérite?

M. Lecourt: Tantôt - le deuxième volet, j'imagine qu'on va y arriver bientôt - on parlera du rangement par niveau en fonction de l'accès à l'égalité. Je veux souligner tout de suite qu'on pense, en tout cas, que la raison fondamentale pour laquelle le gouvernement introduit le rangement par niveau n'est pas pour faciliter l'accès à l'égalité. Le rangement par niveau, du côté de notre syndicat, pour ce qui est du recrutement des professionnels, ne nous crée pas d'inconvénients majeurs en ce sens qu'on a toujours défendu la thèse des concours généraux ou des concours sectoriels compte tenu du type de classification que nous avons

négocié, malgré tout. Je comprends, par ailleurs, les inquiétudes que les fonctionnaires peuvent avoir par rapport à leur type de plan de classification. Le fait de dire que, chez nous, cela ne pose pas de problème ne veut pas dire que le rangement par niveau, on l'accepte pour tout le monde. On va laisser le choix aux fonctionnaires. Ils connaissent pas mal mieux leurs problèmes que les nôtres.

En dehors de cela, ce qui, à ce moment-ci, pose problème dans la loi - je reprends les éléments suivants - c'est le fait de pouvoir établir des conditions d'admission à des emplois fixées par des sous-ministres. Pour des emplois de professionnels ou des emplois de cadres, je ne vois pas comment on peut se permettre de le faire ou s'il y a une nécessité de faire cela. Je n'arrive pas à voir quel type de conditions d'admission particulières, autres que les conditions générales, les sous-ministres pourraient mettre. De toute façon, dans un régime où on veut une mobilité du personnel, où on dit que les gens ne sont pas suffisamment mobiles et qu'il faut qu'ils le soient plus, je ne vois pas comment, par des conditions d'admission taillées sur mesure, on faciliterait une mobilité ultérieure de gens engagés, taillés sur mesure. C'est un premier élément et, en plus des exemples qui ont été donnés hier, c'est une bonne manière d'aller chercher la candidature qu'on veut.

L'élimination des candidatures admissibles, c'est une chose qui ne va pas comme principe. L'autre élément - je le reprends - c'est de demander aux gens de faire preuve de leur compétence. C'est à l'examinateur de voir si les gens sont compétents ou pas. Grosso modo, ce sont nos objections. D'autres disent qu'il faut que l'organisme relève de l'Assemblée nationale, que c'est garant de sa neutralité. Ce n'est pas, quant à nous, un élément absolument essentiel, ni le rangement par niveau. C'est beaucoup plus les éléments dont je vous ai fait part, à la source même du processus de recherche de candidatures, qui constituent les vrais dangers.

M. Rivest: Sur la question du régime syndical - Mme la ministre a disparu -effectivement, au mois de juin, lors de l'étude des crédits du bureau du premier ministre, j'avais interrogé le premier ministre - d'ailleurs, c'est M. Bernard lui-même qui avait répondu - sur la nature exacte du mandat qui avait été confié à M. Bernard et M. Boivin relativement à une réévaluation. J'étais très heureux de constater, à la suite de votre déclaration, que, lors des rencontres que vous avez eues à peu près à la même époque, au mois de juin, vous aviez compris, comme je l'avais compris de la réponse qui m'avait été fournie à ce moment-là, que le mandat du comité des priorités, c'était beaucoup plus de regarder l'ensemble des grandes questions du régime de négociation et qu'effectivement le sempiternel problème du régime syndical des fonctionnaires et des professionnels allait arriver quelque part en appendice.

J'avais déjà émis mon opinion là-dessus. Je l'avais dit au moment des travaux de la commission lorsqu'on s'était rencontrés. C'est certainement une des déceptions de ce projet de loi - je parle pour moi - qu'on n'ait pas abordé cette question, parce qu'il y a des évidences. Quelqu'un qui travaille dans une société d'État, que ce soit comme professionnel ou autre, a droit à cela. J'ai souvent posé la question. On m'a répondu -les gestionnaires de la fonction publique -par les arguments que vous connaissez, mais qui ne m'apparaissaient pas complètement déterminants.

Je veux simplement vous dire qu'on va être en position d'attente comme vous sur cette question, parce qu'il me semble que ce ne serait pas préjuger des conclusions générales des problèmes de la négociation dans les secteurs public et parapublic que de régler cette question, dans la mesure où les autres employés de l'État n'ont pas ces restrictions-là. Comme vous le dîtes, ils s'intéressent beaucoup plus aux questions de l'éducation, entre autres, aux questions de santé, aux facteurs de rémunération et de comparaison, selon ce qu'on m'a dit, entre les rémunérations dans le secteur public et dans le secteur privé. Vous avez compris le sens de mon intervention?

Mme LeBlanc-Bantey: Je veux vous souligner que je n'étais pas disparue, que je m'étais absentée tout au plus une minute et que me revoilà. (15 h 45)

M. Rivest: Vous avez dit: On a été prudents; on n'a pas voulu le faire au cas où l'étude de M. Bernard et de M. Boivin et des autres qui collaborent à cette étude arriverait avec des conclusions. Est-ce qu'effectivement, comme ministre de la Fonction publique, vous avez demandé spécifiquement au comité chargé de réévaluer l'ensemble du régime de négociation s'il a un mandat spécifique et net, une partie du mandat concernant le régime syndical des fonctionnaires et des professionnels?

Mme LeBlanc-Bantey: Cela a été exactement la démarche qui a été faite auprès du comité, justement pour que le problème ne passe pas en dessous du tapis, comme vous le craignez, qu'il y ait un mandat spécifiquement orienté vers les demandes des fonctionnaires et des professionnels de la fonction publique. La réponse a été positive.

M. Rivest: Donc, il y a un engagement ferme.

Mme LeBlanc-Bantey: II y a un engagement de la part des membres qui composent ce comité qu'ils vont voir spécifiquement au problème du régime syndical dans la fonction publique, au-delà de l'ensemble du problème qui était le but premier.

M. Rivest: Je vous signale simplement la difficulté. Je ne veux pas allonger inutilement cette question, mais c'est quand même important. Ce comité, à ma connaissance, n'a pas une constitution très officielle. Ce sont des collaborateurs privilégiés du premier ministre qui vont faire un certain nombre de recommandations probablement au premier ministre ou au Conseil des ministres. On n'a absolument aucune garantie que le rapport de ce groupe de travail va être rendu public et va faire l'objet d'une communication publique. Ils vont faire une recommandation, d'après ce que j'ai compris - je ne sais pas si je fais erreur - au gouvernement. Est-ce que ce rapport des conseillers du premier ministre va être rendu public de façon qu'on sache l'objet exact de leurs recommandations? Il peut très bien y avoir un rapport, que le gouvernement s'en inspire et qu'ensuite les circuits officiels, enfin, les circuits du premier ministre, du président du Conseil du trésor arrivent avec un ensemble de propositions législatives et que ce document reste un document interne du Conseil des ministres. Est-ce qu'il va être public?

Mme LeBlanc-Bantey: Vous vérifierez dans la loi sur l'accès à l'information quelles sont les obligations que le gouvernement a par rapport à l'accès à ces documents. Cela étant dit, qu'importe le caractère public ou non du rapport, c'est clair que le gouvernement va devoir arriver avec des conclusions, que celles-ci seront publiques et que le gouvernement devra justifier ses positions tant sur l'ensemble du dossier que dans le cas de la fonction publique.

M. Rivest: Quand vous avez confié le mandat à la commission Martin-Bouchard, on était sûr qu'ils l'étudiaient même si c'était d'une façon incidente, comme l'a signalé M. Lecourt. C'est un document public, tout le monde peut y avoir accès, cela est une chose, c'est une procédure. Là, vous retardez la décision sur le régime syndical à cause d'un mandat qui a été confié à un certain nombre de collaborateurs, un groupe informel, et on n'a aucune espèce de garantie si bien que, finalement, vous auriez peut-être pu prendre la décision vous-même de modifier dans un sens ou dans l'autre le régime syndical ou de le maintenir.

Mme LeBlanc-Bantey: Peut-être que la publication du rapport changera le problème.

M. Rivest: Oui, allez-y.

M. Lecourt: Est-ce que je peux intervenir sur cela?

Le Président (M. Champagne): M.

Lecourt.

M. Lecourt: Le comité en question, à moins que je ne me trompe, n'a pas le statut et n'aura pas, à moins que le gouvernement ne change d'idée, le statut d'une commission d'enquête. Il pourrait difficilement prétendre à la neutralité, ce comité. C'est un comité patronal - c'est peut-être une bonne idée - qui veut regarder le régime de négociation et ce comité, à ma connaissance, procède à la pièce. Il y a une problématique d'ensemble, ce que j'appelle le macroproblème, mais il procède à la pièce. La partie gouvernementale a fait connaître la semaine dernière aux centrales syndicales une proposition concernant la rémunération. C'est une des grosses préoccupations.

Si vous dites: On veut leur confier cela, cela nous prend une expertise et si moi, je me dis: Mme LeBlanc est de bonne foi, on va établir un nouveau type de rapports, on va essayer de casser le cercle vicieux, je vous demanderais, si c'est possible, pour être cohérents, que ce comité patronal en arrive à des conclusions d'ici à quatre semaines sur le sujet qui est abondamment documenté pour qu'au moins, quand vous allez présenter un projet de loi, il y ait une conclusion. Vous avez du temps devant vous. Vous avez la chance d'avoir un avant-projet de loi et d'aboutir à un projet de loi où il ne va pas y avoir uniquement le côté blanc, mais le côté noir aussi, ou l'inverse. Cela vous donnerait le temps de regarder le problème et ne nous mettrait pas dans une situation qui me semble impossible, soit que vous adoptiez un projet de loi bientôt, que, deux mois après, vous arriviez avec une proposition de modification du régime de négociation et que vous changiez à nouveau la loi. C'est fait à la pièce. En tout cas, à l'origine, avec l'étude de la commission Bisaillon, ce n'était pas cela qui était voulu. C'était une espèce de vision plus globale. Je pose la question - je sais que ce n'est pas l'habitude que l'on pose des questions - Est-ce possible d'avoir...

Mme LeBlanc-Bantey: Disons que c'est une question de bon aloi.

M. Lecourt: ...une position d'ici quatre semaines?

Mme LeBlanc-Bantey: Bien sûr, je ne peux pas répondre au nom du comité

aujourd'hui. Je vais vérifier et on vous donnera une réponse là-dessus dans les prochains jours.

Le Président (M. Champagne): Vous avez fini votre intervention, M. le député de Jean-Talon? M. le député de Sainte-Marie.

M. Bisaillon: M. le Président, avant de poser des questions au représentant du syndicat des professionnels, j'ai le sentiment que je me dois de faire un certain nombre de commentaires préalables. J'espère qu'on me le permettra. D'abord, deux réflexions. En écoutant attentivement les propos qu'a tenus M. Lecourt dans sa présentation du mémoire, je dois avouer que je me sentais un peu plus à l'aise de ne faire partie ni du gouvernement, ni de l'Opposition. Cela me rassurait temporairement, en tout cas.

Une voix: Vous aurez votre parti.

M. Bisaillon: Mon parti s'en vient. L'autre constatation, c'est que le syndicat des professionnels est le premier groupe à affirmer finalement que le rapport de la commission avait sa cohérence interne. Ce n'était pas la Bible, mais les membres de la commission avaient voulu en faire un document cohérent où l'ensemble des choses qui répondaient au mandat qu'on avait reçu étaient reliées les unes avec les autres.

Je sens le besoin de rappeler ce qu'était effectivement le mandat de la commission. Il disait ceci: "Aux fins d'une révision de la Loi sur la fonction publique -c'était le mandat majeur - la commission a comme mandat de formuler à l'Assemblée nationale des recommandations sur ce que devrait être le rôle de la fonction publique en examinant l'ensemble de sa structure d'organisation et ses modes de gestion de manière à accroître son efficacité et sa responsabilité au service de la population québécoise." C'était donc le rôle de la fonction publique que la commission devait étudier de façon plus particulière. "Plus spécifiquement, le mandat de la commission spéciale consiste: premièrement à recommander les voies de solutions à privilégier et les stratégies de changement à adopter de façon à mieux servir la société des années quatre-vingt." On parlait donc de voies de solutions à privilégier et de stratégies de changement. "Deuxièmement à identifier les voies de solutions à privilégier dans la perspective d'une utilisation optimale des ressources humaines." Finalement - et cela amènera les questions que j'aurai à poser au syndicat des professionnels - le rapport de la commission était très large et ne couvrait pas que la stricte Loi sur la fonction publique.

Le constat que les membres de la commission ont fait dès le départ, c'était que la compétence existait à tous les paliers dans la fonction publique; que les ressources humaines étaient peut-être mal utilisées, mais avaient toutes la compétence pour répondre aux besoins de la population et, donc, répondre à ce droit - c'est dans ce sens-là que la commission a orienté son rapport - pour les citoyens d'obtenir des services de qualité et au meilleur coût possible, évidemment.

Si je rappelle la démarche de la commission, c'est parce que, depuis deux ou trois mémoires, les gens faisaient référence au rapport de la commission spéciale et que chacun y prenait un peu son compte. Tantôt, M. Lecourt soulignait que le gouvernement avait fait du marchandage, qu'il était allé chercher à la pièce des éléments qui pouvaient faire son affaire. Vous avez souligné que des groupes, lorsqu'ils parlent du rapport de la commission...

Mme LeBlanc-Bantey: ...

M. Bisaillon: Je vous indiquerai, Mme la ministre, que je n'étais pas d'accord avec un bon nombre de choses que vous avez dites et que je ne suis pas intervenu pour vous le dire au moment où vous les avez dites.

Mme LeBlanc-Bantey: Ce n'était pas pertinent. Je m'excuse, M. le député de Sainte-Marie.

M. Bisaillon: Pour ne pas perdre le fil de mon idée, je dirai que M. Lecourt a souligné que le gouvernement avait fait du marchandage, dans le sens de "shopping". J'ai essayé de traduire "shopping" par marchandage.

Mme LeBlanc-Bantey: Magasinage. M. Bisaillon: Magasinage. Merci.

Mme LeBlanc-Bantey: Je ne vous interromprai plus.

M. Bisaillon: Le gouvernement a donc fait du magasinage et vous avez souligné que, lorsque des groupes se présentent devant nous, ils font référence au rapport de la commission en prenant évidemment les choses qui font leurs affaires.

J'ai lu attentivement le mémoire du syndicat des professionnels comme celui du groupe qui suivra, d'ailleurs. Je tiens à vous dire, Mme la ministre - les membres de la commission se le rappelleront, mais je pense qu'il n'est pas inutile d'en informer tous ceux qui nous écoutent - que les groupes qui se sont présentés devant la commission spéciale, de même qu'un bon nombre de personnes qui ne faisaient pas partie de groupes organisés se sont présentés avec beaucoup de méfiance à la commission. Le

mémoire du syndicat des professionnels souligne qu'ils ont été reçus à huis clos, qu'ils ont été consultés à huis clos sous une forme ou sous une autre et que, par la suite, à partir d'un document de consultation, on avait tenu des audiences publiques. Le syndicat des professionnels et l'Association des cadres, d'ailleurr. qui va suivre, deux groupes, en particulier, qui étaient très méfiants et très réticents, finalement, non seulement vis-à-vis du mandat de la commission, mais aussi par rapport à l'expérience nouvelle qui visait à regrouper des députés des deux partis politiques et aussi par rapport à l'équipe de recherche qui entourait la commission.

L'objectif, en ce qui concerne la commission, a été plutôt de se dire - cela était aussi un de nos constats - Comme la compétence est là, l'analyse des problèmes, c'est dans le vécu qu'on va la trouver et ce sont les gens qui sont dans le milieu qui peuvent nous les indiquer le plus parfaitement possible. C'est en fonction de cela que nous avons préparé notre rapport et à l'aide aussi de recherches qui avaient été préparées par l'équipe qui nous entourait.

Ma conclusion est que, si on avait pris le rapport de la commission et qu'on avait appliqué les 124 recommandations - enlevons-en quelques-unes; comme je l'ai dit, ce n'est pas la Bible - disons à 80%, je crois que les groupes qui sont venus devant nous auraient été satisfaits: pas satisfaits totalement, mais chacun y aurait trouvé son compte. C'est dans ce sens que le rapport de la commission était orienté aussi, en tenant compte du fait que ce n'était pas seulement la Loi sur la fonction publique qui était pour régler la situation, mais que cela prenait, comme on l'a déjà dit, une diminution véritable des pouvoirs du Conseil du trésor, pas juste une annonce d'intention, une loi du Vérificateur général qui lui donnerait des pouvoirs nouveaux et une revérification de la Loi sur l'administration financière. À ce compte, on croyait qu'il était possible de parler de changements.

Cela supposait des changements d'attitude et des changements de comportement à tous les niveaux. Si on voulait se rapprocher davantage du rapport de la commission, on aurait de grandes chances non seulement de donner satisfaction aux groupes - parce que ce qui compte, ce n'est pas seulement que les groupes qui sont dans la fonction publique soient satisfaits -mais d'en arriver à ce qu'on comprenne l'existence de la fonction publique comme étant le fait d'assurer le droit essentiel qu'ont les citoyens de recevoir des services. Le fait que les citoyens recevraient des services permettrait d'appliquer les autres principes que vous avez voulu inscrire dans l'avant-projet de loi. Cela ferait un projet de loi qui ne serait pas uniquement un projet de gérants. Cela ferait un projet de loi qui s'attaquerait peut-être davantage aux problèmes vécus.

Avant de poser mes premières questions, j'aurais un autre commentaire à faire. Pour la première fois, je pense, la commission spéciale a eu l'occasion de recevoir les sous-ministres en audiences publiques. À ma connaissance, c'était la première fois que les sous-ministres comme groupe s'exprimaient devant une commission parlementaire, même si c'était une commission parlementaire de type différent. Or, les sous-ministres ont tenté de convaincre les membres de la commission que la sécurité d'emploi que vous avez abordée tantôt, ce n'était qu'une bonne condition de travail. Les membres de la commission se sont penchés sur cette question. On doit dire - et cela paraît aussi dans notre rapport - que les sous-ministres ne nous avaient pas convaincus que, lorsque l'on parlait de sécurité d'emploi dans la fonction publique, ce n'était qu'une bonne condition de travail et qu'il fallait le percevoir de cette façon. Pour les membres de la commission, c'était plus qu'une bonne condition de travail; c'était un principe qui devait exister de façon obligatoire à l'intérieur de la Loi sur la fonction publique.

Pourquoi? Parce que, premièrement, le législateur l'avait voulu de cette façon non seulement pour assurer la permanence, mais pour abriter la fonction publique des changements politiques; aussi - c'est ce que la commission avait ajouté comme argument - pour permettre une véritable révision des programmes gouvernementaux. On disait que, pour s'assurer que la vérification des programmes soit quelque chose de réaliste et de faisable, il fallait que, de l'autre côté, les gens qui ont à se remettre en question aient, au moins, cette assurance d'avoir quelque chose d'autre à faire le lendemain qui réponde cependant aux besoins des citoyens. La sécurité d'emploi dans la fonction publique, il ne faut pas la relier au régime syndical. La commission ne l'a pas reliée au régime syndical et à une chose, une bonne condition de travail qu'on doit négocier, mais elle l'a plutôt jugée comme étant un principe essentiel qui doit être dans la Loi sur la fonction publique pour la raison qui existait auparavant et pour celle que, selon nous, il fallait ajouter maintenant. (16 heures)

Je pensais qu'il était important de rappeler ce qu'était la commission, étant donné que tout le monde en parle, et de dire comment on a commencé nos travaux, dans quel esprit aussi de reconnaître - c'est le cas du syndicat des professionnels - qu'on n'a peut-être pas fait un travail excellent, merveilleux et extraordinaire, mais on a peut-être au moins réussi à désamorcer la méfiance qu'il pouvait y avoir vis-à-vis de la

commission spéciale, et à faire en sorte aussi que, malgré les appréhensions qu'un certain nombre de groupes pouvaient avoir, ils peuvent aujourd'hui se reporter au rapport de la commission comme étant quelque chose qui avait la prétention de vouloir se tenir et d'apporter des solutions qui pouvaient être cohérentes ou qu'on voulait ainsi.

Je vais énoncer maintenant mes questions, M. Lecourt, après ce long préambule. Vous m'excuserez, mais je pensais que c'était important de le faire. Dans votre mémoire, à la page 29, vous demandez que l'Office des ressources humaines ne soit pas autorisé à déléguer sa responsabilité de placement et de recyclage des fonctionnaires en disponibilité. Cela me semble une évidence. Je pense comme vous, cela doit être justement une erreur de rédaction. Ce serait incohérent que l'office puisse déléguer ses pouvoirs qui par définition doivent être centralisés.

Par ailleurs, cela m'amène à vous poser des questions sur tout le mode de dotation. Le rapport de la commission demandait que le mode, le processus de dotation soit inscrit dans la loi. On sait que c'est inhabituel, que c'est encore plus fort que de la réglementation. On prétendait que pour une période de temps qui était à évaluer, il n'était pas inutile que le processus de dotation, que le mode de dotation soit inscrit dans la loi, ce qui n'empêcherait pas pour nous que des éléments de cette procédure puissent être négociés par la suite par les différents syndicats qui ont à régler des conventions collectives. Je voudrais avoir vos réactions là-dessus.

Par ailleurs, vous demandez, à la même page toujours, que le Conseil du trésor ne puisse pas déléguer l'exercice de ses fonctions aux ministères et que, par conséquent, l'article 88 soit retiré. Je voudrais savoir si c'est de façon générale que vous vous référez au Conseil du trésor ou si c'est seulement en regard de l'article 88. Il me semble que, si vous teniez absolument à ce que le Conseil du trésor ne puisse jamais déléguer, cela irait à l'encontre de quelque chose que je pense. J'aimerais savoir pourquoi vous le dites. Selon moi, il faut qu'on aille plus loin que ce qu'il y a dans l'avant-projet. L'avant-projet permet au Conseil du trésor de déléguer des pouvoirs aux sous-ministres et de leur permettre de sous-déléguer. Si on veut en arriver à un régime plus cohérent, je prétends que les sous-ministres doivent savoir ce qui est leur domaine de responsabilité et quels sont les budgets qu'ils ont pour appliquer leurs activités. Je veux savoir si votre remarque sur le Conseil du trésor vise seulement l'article 88 ou si elle couvre l'ensemble des activités du Conseil du trésor.

Troisième question. Vous avez mentionné toute la question de la négociation et de la classification. Je ne reviendrai pas sur le rapport de la commission. La commission envisageait la possibilité que la classification puisse effectivement être négociée. Vous nous aviez parlé cependant, lorsqu'on vous a reçus, au moment de la commission spéciale, de l'historique de cette question de la négociation des classifications. J'aimerais que vous nous précisiez cela. Pourquoi la classification, historiquement, ne s'est-elle pas négociée? Qu'est-ce qui fait que, selon vous, aujourd'hui, les conditions sont changées? De surcroît, on sait que, dans les conventions collectives, il y a l'obligation de consulter au sujet de la classification. L'évaluation que la commission spéciale faisait, c'était que cette consultation était devenue à toutes fins utiles de la négociation. Comme elle n'était pas encadrée et qu'elle était hors période, cela faisait un type de négociation qui était beaucoup plus long, donc beaucoup plus coûteux et moins efficace. Je voudrais aussi avoir vos réactions là-dessus.

Je dois faire une correction sur des propos que j'avais déjà tenus sur la question de la cause juste et suffisante. Effectivement, j'ai compris hier, à la réponse que m'a faite le président du Syndicat des fonctionnaires, la distinction qu'il faisait. Je dois reconnaître qu'au plan juridique, il a parfaitement raison. Je maintiens cependant que la notion de cause juste et suffisante est une notion qui n'est pas dangereuse en droit de travail parce que c'est une notion qui a 50 ans de jurisprudence pour l'épauler et qu'en soi ce n'est pas quelque chose de dangereux. Je comprends cependant que vos réticences n'étaient pas sur la notion de cause juste et suffisante, mais beaucoup plus sur l'application de cette notion-là aux mesures administratives.

Je vous repose une question que je vous avais déjà posée au moment de la commission spéciale, sur laquelle les membres de la commission n'avaient pas trouvé de réponse. C'est toute la question de l'autonomie professionnelle et des difficultés que cela peut créer à l'intérieur du fonctionnement d'un appareil comme celui de la fonction publique. Autrement dit, quel partage peut-on faire entre l'autorité hiérarchique, les rapports entre le supérieur immédiat et un professionnel et les commandes qu'il peut passer et le jugement qu'il peut porter sur le travail qui est fait par le professionnel, la marge de manoeuvre que le professionnel doit avoir et qui peut lui être accordée en vertu du Code des professions? Est-ce que vous avez des choses à ajouter là-dessus? Comment peut-on faire le partage entre l'autonomie professionnelle... Par exemple, la personne qui est architecte doit se soumettre, selon sa corporation, à un certain nombre de règles d'éthique, et parfois cela pourrait contrevenir à des

directives qui pourraient lui être données à l'intérieur de la structure. Comment peut-on faire l'ajustement de ces choses-là? Avez-vous des solutions en regard de cela?

Je terminerai en soulignant que vous avez soulevé avec justesse le fait que, lorsque la commission a parlé de services aux citoyens, elle a parlé du droit des citoyens à des services de qualité et que c'est à partir de cette affirmation que les travaux et les choix de la commission ont été faits. Je ne sais pas si vous avez des réponses à me fournir sur l'ensemble de ces choses-là.

M. Lecourt: J'ai pris vos questions en note. Tout à l'heure, Madeleine Rochon voulait intervenir sur un aspect important du régime de négociation; cela me permettrait de faire une pause et de revenir.

Mme Rochon (Madeleine): Cela touche un peu ce dont on vient de parler, à savoir le rôle de la fonction publique. Je pense qu'il est important, quand on parle de la fonction publique, de savoir qu'il y a une partie de la fonction publique qui rend des services directs à la population, mais la fonction publique est aussi l'outil de développement de la société québécoise. On pense à la planification. La société est aujourd'hui quelque chose de complexe. La fonction publique reflète cette société, elle est complexe. Je pense qu'on minimise ces choses-là. Je vais repartir sur le contexte actuel et vous verrez où je veux en arriver.

La nouvelle organisation patronale dont il est question dans l'avant-projet de loi de la fonction publique et ce qu'on sent depuis les dernières négociations, nous, on le met et les gens qu'on représente le mettent aussi dans le contexte actuel de coupures budgétaires. Il y a de grands changements qui s'en viennent. Tantôt, dans le chapitre qui traite des femmes, on va parler du classement moquette où, sous prétexte de le faire disparaître, c'est la classification des agents de bureau qui est revue, donc des milliers de personnes devront être intégrées dans de nouvelles classifications.

On augmente l'arbitraire patronal dans un contexte d'insécurité économique, et ce n'est pas comme cela qu'on augmente la motivation des employés. Dans un tel contexte où on veut redéfinir les pouvoirs du côté patronal et redonner plus de pouvoirs aux petits patrons, les individus veulent savoir s'ils ont des droits de recours face aux décisions de leurs gestionnaires. Est-ce que leur syndicat a son mot à dire dans les nouvelles décisions, les nouvelles formes d'organisation du travail? On ne peut pas dissocier ces deux questions. Ce que je ne comprends pas, personnellement, dans une société comme la nôtre, dans une fonction publique comme la nôtre, au moment où ce sont les lois qui fixent ce que les gens font, où ce sont les patrons qui fixent le contenu du travail, comment prétendez-vous, en donnant plus de pouvoirs aux petits patrons, que vous allez rendre plus de services à la population? En quoi la téléphoniste, à qui on demande de répondre au téléphone, va-t-elle être capable de savoir ce que font tous les fonctionnaires, ce que font les ministères de la fonction publique? En quoi la rendez-vous plus compétente pour dire à une personne qui est perdue devant la fonction publique si c'est à tel autre ou tel ministère que la personne doit s'adresser? Elle n'a pas l'information. Les responsables de la fonction publique, c'est le politique, ce sont les gestionnaires et nous ne voulons pas qu'une nouvelle forme d'organisation du travail aille augmenter l'arbitraire patronal. Nous ne croyons pas que c'est en augmentant l'arbitraire patronal que vous allez améliorer la motivation des employés, surtout dans le contexte actuel.

Mme LeBlanc-Bantey: Je pense que la question s'adresse à moi. Je ne sais pas si...

Le Président (M. Champagne): Le président avait toute une série de questions. Je pense que M. Lecourt arrive.

Mme LeBlanc-Bantey: Est-ce que M. Bisaillon me passe son droit de parole?

M. Bisaillon: Oui, sûrement.

Mme LeBlanc-Bantey: Je disais tout à l'heure qu'on prévoyait, comme nouvelle forme de gestion... Là, je voudrais qu'on oublie, si c'est possible, les dogmes et les jargons: loi patronale, arbitraire patronal, etc. Si vous voulez revenir à la discussion sur les négociations, on va la faire, mais je pense qu'on n'en est pas à cela et je pense que, sereinement, depuis le début de l'après-midi, on tente de chercher un équilibre -c'est dans ce sens que les interventions sont allées - entre les objectifs que l'État poursuit comme État et non pas comme patron, en fonction des attentes que les citoyens ont de l'État qui est actuellement représenté par le gouvernement actuel. Or, cela reste des objectifs d'État que la commission Bisaillon a tenté d'identifier et qu'on a tenté d'identifier dans l'avant-projet de loi. Nous, nous avons privilégié, comme je l'ai dit au début, ce qui peut paraître comme une hypothèse, mais cela nous est apparu comme une meilleure façon de rendre service à la population.

Vous dites: En quoi la téléphoniste pourrait-elle rendre un meilleur service du fait qu'on délègue plus près de ses patrons, les petits patrons, comme vous les appelez? Je pense que, dans un régime - c'est peut-être idéaliste, ce qu'on vise - d'imputabilité

comme celui vers lequel on veut tendre, on va obliger les divers intervenants, qu'importe leur niveau hiérarchique dans la machine, à se parler et à négocier les attentes. C'est clair qu'on ne pourra pas rendre la "petite téléphoniste", comme vous l'appelez, responsable du service qu'elle rend à la clientèle si, effectivement, le patron - qu'il soit un petit patron ou un grand patron - ne lui donne pas les moyens, ne lui donne pas l'information ou ne lui donne pas les moyens de rendre le service auquel le citoyen s'attend quand elle répond au téléphone. C'est dans cette perspective qu'on pense...

Ce n'est peut-être pas la meilleure solution mais, en tout cas, on pense - là, on répond aux objectifs de la commission -qu'une plus grande décentralisation des responsabilités à l'intérieur des ministères pourrait aider. Moi, en tout cas, je pense profondément que cela peut changer, mais à condition que tout le monde change d'attitude, patrons comme employés. Les mentalités qu'il y a dans la fonction publique, d'une hiérarchie à l'autre, d'une strate à l'autre, les gens finalement... Comme je l'ai dit à plusieurs reprises, après toutes les consultations qu'on a faites, ce sont les professionnels qui se méfient des "petits patrons", comme vous les appelez; ce sont les petits patrons qui se méfient des cadres supérieurs; ce sont les cadres supérieurs qui se méfient des sous-ministres et, à la limite, comme je l'ai dit souvent, ce sont souvent les ministres et les sous-ministres qui se méfient entre eux.

Finalement, on est rendu dans une fonction publique tellement stratifiée qu'il s'est développé des relations de méfiance non seulement liées aux dernières négociations -c'est clair que cela n'a pas amélioré cet état de choses - mais je pense qu'il faudrait être honnête et reconnaître que ce n'était peut-être pas tout à fait nouveau aux différents intervenants, cette stratification dans la structure, selon l'endroit où ils se trouvaient et selon les intérêts qu'ils avaient. Il s'est développé un climat qu'il faut, à mon avis, briser et une des façons d'y arriver, c'est par l'imputabilité, en obligeant les gens à négocier leurs attentes et en obligeant aussi les gestionnaires, à l'inverse, à préciser aux employés ce qu'ils attendent d'eux. C'est peut-être idéaliste, mais c'était tout au moins la philosophie de fond qui orientait peut-être la nécessité d'une plus grande décentralisation.

Le Président (M. Champagne): Je fais une observation. On avait prévu, dans le temps, d'entendre deux organismes avant 18 heures. Sans vouloir brimer le droit de parole à quiconque, on aimerait qu'on réponde peut-être plus rapidement pour en arriver à une conclusion espérée d'ici dix minutes, pour qu'on puisse entendre l'autre groupe, sans vouloir brimer personne.

M. Lecourt, si vous vouliez bien répondre à Mme la ministre. (16 h 15)

M. Lecourt: Je voudrais vous souligner... C'est parce que vous changez les règles du jeu souvent. Ce n'est d'ailleurs pas vous qui êtes en cause, mais cette commission a un horaire particulièrement flexible.

Le Président (M. Champagne): Oui.

M. Lecourt: Je vous avais indiqué qu'on souhaitait faire une présentation sur un deuxième volet. J'aimerais quand même qu'on puisse le faire. Vous y aviez agréé.

Le Président (M. Champagne): Oui, d'accord...

M. Lecourt: Je répondrais rapidement à M. Bisaillon. Cela me permettrait d'ailleurs de tirer ma conclusion, s'il n'y a pas d'autres questions.

Le Président (M. Champagne): Non, non. Mais c'est bien ce que j'avais dit. Vous répondez à ses questions.

M. Lecourt: Oui, oui. Mais c'est parce que Mme Rochon - je vous l'ai indiqué au début - voulait présenter le complément au mémoire.

Le Président (M. Champagne): Ah;

Parfait. Ah oui! On va retenir cela, oui. On retient cela, oui.

M. Lecourt: Je pense que cela s'impose. Le Président (M. Champagne): Cela va.

M. Lecourt: Rapidement, il y a cinq questions, grosso modo. Sur le processus de dotation, les recommandations de la commission sur le fond du processus, on n'est pas contre l'idée de dire: D'abord les gens en disponibilité, en surplus; par la suite obligation à la mobilité volontaire interne et de là on va à promotion et recrutement.

Toutefois, pour être logique avec ce qu'on défend, essayer d'être cohérent, je vois mal qu'on revendique que ce soit inscrit dans la loi comme processus de dotation puisqu'on considère que c'est là une matière qui est négociable. On est d'accord avec la séquence, mais pour nous cela ne doit pas être inscrit dans une loi.

M. Bisaillon: Est-ce que vous pensez, M. Lecourt, que le fait d'inscrire la séquence, c'est-à-dire l'ordre impératif dans lequel cela peut être fait, enlève des droits de négociation?

M. Lecourt: Cela enlève le droit de changer la séquence. D'accord?

M. Bisaillon: Oui.

M. Lecourt: Mais, de toute façon, sur la question de la dotation, le problème à mon sens n'est pas là. Le problème, c'est que les organismes ont toujours voulu se garder une latitude telle qu'à un moment donné, cela donne place à du favoritisme et à des aberrations. À certaines époques -aujourd'hui on a fermé la vanne du recrutement pour d'autres motifs - on allait recruter alors qu'on ne faisait aucun effort de mobilité interne. Je ne reviendrai pas sur ces époques, ce n'est pas très récent.

En tout cas, pour répondre rapidement, permettre... Sur le Conseil du trésor, c'est clair que ce qu'on recherche, ce sont les pouvoirs du Trésor qu'on retrouve aux articles 77 à 87 qu'on ne veut pas voir délégués. Ce ne sont pas des pouvoirs du Trésor qu'on retrouve ailleurs. Je vous les passe rapidement; je pense que vous allez voir qu'il y a une certaine cohérence à l'intérieur de cela.

On parle de politiques générales concernant la gestion des ressources humaines. Il s'agit des grandes politiques du gouvernement concernant comment, par exemple, on fait face au problème de sécurité d'emploi. Cela devrait être une politique et non pas des politiques. Les effectifs. Ce n'est pas aux ministères de fixer leurs propres effectifs, me semble-t-il. La dotation. Si on veut qu'il y ait une certaine cohérence dans la fonction publique, les ministères devront normalement combler leurs emplois selon une politique générale qui devrait être uniforme. Un ministère qui déciderait de passer par promotion pour tel type d'emploi et un autre par affectation, il me semble qu'il y a là une incohérence sur le plan administratif, il y a un manque de logique.

La rémunération, les avantages sociaux sont, par définition, des régimes généraux. Je pense que l'accès à l'égalité, au moins comme politique générale, comme programmes généraux, cela doit être une volonté centrale de l'État. La vérification, c'est un autre problème. La négociation des conventions, je ne sache pas que le gouvernement veuille négocier des conventions par ministère à ce jour; on a déjà de la misère à en négocier seulement une pour tout le monde.

Quant à l'article 84, on est farouchement contre cela. On ne sait pas ce que cela veut dire et on voudrait que cela disparaisse purement et simplement. Alors, il ne serait pas question de déléguer. On veut que ce soit clair, à savoir quels sont les emplois qui peuvent être exclus.

Je ne veux pas que, demain matin, mon emploi soit exclu pour un motif pratique qui ferait l'affaire du patron et que je ne me retrouve plus dans la fonction publique pour une raison très large. Et on a posé des questions là-dessus. Je veux revenir là-dessus. Il y a quelque chose qui ne va pas, c'est beaucoup trop large. Je pense d'ailleurs - je vois Mme LeBlanc hocher la tête - qu'elle a saisi qu'il y avait là un problème et qu'il y a un article de l'ancienne loi qui est relativement clair, bien écrit, bien balisé, qui aurait tout avantage à revenir.

La cause juste et suffisante, vous l'avez traitée, c'est inutile de revenir...

M. Bisaillon: Avant que vous passiez à autre chose, M. Lecourt...

M. Lecourt: Oui.

M. Bisaillon: Vous repoussez donc l'hypothèse que le Conseil du trésor n'attribue que des enveloppes budgétaires globales aux différents ministères et que, par la suite, les ministères décident de ce qu'ils font avec leurs masses d'argent. Vous repoussez cette hypothèse.

M. Lecourt: Non, non. C'est ce qui se fait actuellement.

M. Bisaillon: Non.

M. Lecourt: Oui, actuellement. Il y a une nouvelle pratique en vigueur depuis le mois d'avril. Le Conseil du trésor donne une masse budgétaire au ministère pour les effectifs. En tout cas, il fixe...

M. Bisaillon: Ah! Pour les effectifs. M. Lecourt: Oui, mais ce n'est pas...

M. Bisaillon: Mais vous repoussez l'hypothèse...

M. Lecourt: Non.

M. Bisaillon: ...que le rôle du Conseil du trésor ne soit que d'attribuer le budget global des ministères...

M. Lecourt: Non.

M. Bisaillon: ...et que ce soit au sous-ministre, avec son personnel, à déterminer les effectifs qu'il va utiliser pour rendre des services et la façon dont il va organiser son propre ministère.

M. Lecourt: Je ne repousse pas cette hypothèse. C'est dans la Loi sur l'administration financière. Je vous ai dit que les restrictions de délégation, cela concernait les articles 77 à 87. Ce dont vous parlez, c'est la Loi sur l'administration financière.

M. Bisaillon: Oui, mais, dans les articles 77 à 87, il y a des choses qui recoupent l'administration financière.

M. Lecourt: Les effectifs. M. Bisaillon: Les effectifs.

M. Lecourt: Actuellement, que je sache, il y a une enveloppe globale avec un maximum d'effectifs autorisés. Mais il n'y a plus comme avant tant d'effectifs, tant de cadres supérieurs. En tout cas, c'est pas mal changé. Ce n'est pas cela? Non? Bon! Je me trompe. On a été mal informé.

M. Bisaillon: C'est parce que cela ne permet pas à chacun des ministères de décider où il va mettre les priorités, d'augmenter ou de diminuer les effectifs. Mais un ministère pourrait... Actuellement, on fonctionne par directives. Le Conseil du trésor dit: Voici les effectifs autorisés.

M. Lecourt: Le maximum.

M. Bisaillon: Mais moi qui suis sous-ministre, qui reçois une masse d'argent et qui ai des services à rendre aux citoyens, je peux décider que, pour rendre ces services, j'ai besoin de plus d'effectifs et qu'à l'intérieur de ma masse budgétaire j'utilise plus d'effectifs. Si vous le formulez de la façon que vous l'avez fait, d'après moi, cela veut dire que vous repoussez cette possibilité. Si ce n'est pas cela que vous voulez dire, eh bien, on s'entend, mais si...

M. Lecourt: Non. Il y a peut-être un problème là; j'en conviens. Pour moi, cela a toujours été clair que les questions budgétaires relevaient de la Loi sur l'administration financière. La formule que j'avais comprise comme étant en vigueur ou qu'on voulait mettre en vigueur récemment, c'est un plafond maximal d'effectifs à ne pas dépasser et cela laissait une latitude. Je comprends que cela ne permet pas de dépasser le plafond, mais, à un moment donné, c'est à se demander, si on n'a pas de plafond des effectifs ou une certaine norme d'effectifs... Le ministère, de toute façon, ne peut pas s'en sortir avec un budget X et une convention collective où les conditions de travail et de rémunération sont déterminées. On divise le coût moyen par le budget et cela donne un maximum d'effectifs. C'est une autre façon de l'avoir. En tout cas, c'est difficile qu'un organisme central ne puisse pas, à un moment donné, me semble-t-il, dire qu'il y a une limite en termes généraux.

M. Bisaillon: La limite serait la masse budgétaire globale. Mais, comme sous-ministre, je peux décider que j'ai besoin de plus de gens et de moins de camions. Si j'ai plus de gens et moins de camions, peut-être qu'il va y avoir plus de services de rendus à la population.

M. Lecourt: Oui.

M. Bisaillon: Par ailleurs, dans un autre ministère, je vais peut-être décider que j'ai besoin de plus de camions et de moins de gens et que mon enveloppe budgétaire, je vais davantage la mettre sur le matériel que sur les ressources humaines, parce que c'est par le matériel que je vais rendre davantage de services.

M. Lecourt: Je persiste à croire que c'est surtout un problème qui est lié à l'administration financière. Je pense que le président s'impatiente.

Le Président (M. Champagne): Je pense aussi aux autres intervenants.

M. Lecourt: Oui. Je termine les deux questions et je laisserai parler Mme Rochon.

Le Président (M. Champagne): D'accord.

M. Lecourt: La négociation de la classification, ce pourrait être un très long historique. Si je le fais très court, cela a toujours été une matière exclue. Si je ne remonte pas à la nuit des temps, si je me limite à la période moderne, à partir de 1964, cela a été une matière exclue, parce qu'on disait que c'était la Commission de la fonction publique qui s'en occupait. C'est un organisme neutre. Mais, dès la première négociation des professionnels, dès la première grève, la plus longue - ce n'est pas d'hier qu'il y a des conflits - on a négocié la classification. Cela a fait l'objet majeur du conflit. On retrouve, dans les conventions de 1966, un engagement du gouvernement à exiger de la Commission de la fonction publique qu'elle promulgue des règlements qui vont se conformer à telle norme négociée. Le reste de l'histoire, l'autre épisode majeur a été 1978; avec l'adoption de la loi actuelle, le gouvernement voulait changer le régime de classification en introduisant ce qu'on appelle le "position plan". On a eu affaire au même phénomène, soit des règlements modifiant les règles négociées antérieurement au cours de l'année 1979, en avril 1979, et toute la négociation 1979-1980 a principalement porté sur ce sujet avec une série d'engagements à changer la loi, ce qui a amené la loi 12 notamment, en juin 1981, si je ne me trompe pas. Alors, c'est une histoire de chassé-croisé. Ce n'est pas négociable. Le patron s'en sert à un moment donné en disant que ce n'est pas négociable. Le syndicat dit: Ce n'est pas parce que ce n'est pas négociable que je ne négocierai pas. On finit un jour ou l'autre par le

négocier avec beaucoup de pots cassés inutilement, en se disant mutuellement que c'est négociable et que c'est non négociable. Si on disait: Quel est le problème? Il me semble que c'est plus facile d'en arriver à une solution du problème plutôt que de s'accrocher dans des problèmes d'ordre juridique.

Les conditions, aujourd'hui, fondamentalement, ont changé par rapport à l'époque. C'est que la raison d'être de la non-négociation n'existe plus. Il n'y a plus d'organisme neutre. C'est actuellement le ministère qui fixe la classification. Ce sera éventuellement le Trésor. Il n'y a pas plus patron que le Conseil du trésor en termes d'identification claire à l'Exécutif.

Pour ce qui est de l'autonomie professionnelle, on pourrait en parler longtemps. Notre crainte face à l'imputabilité et face a l'efficience, dans un contexte, entre autres, dans les sciences humaines - mais cela se retrouve aussi dans d'autres domaines de sciences appliquées -c'est qu'il arrive que les gestionnaires n'aient pas de formation spécialisée dans le champ d'activité d'un professionnel. Vous voyez souvent des services de recherche où vous avez un cadre économiste et vous avez des employés qui sont d'une autre formation. Cela ne veut pas dire qu'ils ne connaissent absolument rien, mais ils ne sont pas de la formation de base d'une partie de leur personnel. Rendre les gens imputables au sens de leur dire: Vous êtes responsables devant votre supérieur d'un geste qu'ils doivent, en vertu soit des conditions de travail décrétées - la partie pratique professionnelle - soit en vertu des règles de déontologie d'une profession... Il peut y avoir une opposition entre les normes d'éthique et de déontologie de la discipline concernée, qu'elle soit régie ou pas par l'Office des professions, et les exigences d'imputabilité d'un patron qui ne connaît pas le domaine suffisamment.

De même, sur la question d'efficience pas plus balisée qu'elle ne l'est, pour des fins d'efficacité, on pourrait avoir des conflits assez fréquents entre la règle d'art, la règle de pratique dans ce domaine par rapport à une contrainte budgétaire d'efficacité. Actuellement - pour terminer là-dessus - se vivent des situations en dehors de toute la question d'imputabilité ou d'efficience. Souvent, des décisions de coupures budgétaires commencent à heurter les règles de pratique professionnelle de déontologie. J'avais un cas que je n'exposerai pas ici parce qu'on est en train de le régler. Mais, la semaine dernière, j'avais une situation très claire. Les contraintes budgétaires, les règles de productivité allaient carrément à l'encontre de règles de l'art et dans un domaine qui a trait au secteur de la justice, un domaine très délicat du type des interventions que les gens font. Il y avait un affrontement très net entre deux conceptions: une conception d'efficacité à coût réduit et une autre de règle de pratique. C'est un danger possible. À ce moment-ci, je pense qu'il n'y a pas lieu de faire une longue conclusion, si ce n'est de demander à Madeleine de faire sa présentation.

Le Président (M. Champagne): Mme

Rochon, la parole est à vous.

Mme Rochon: C'est le complément au mémoire sur l'avant-projet du SPGQ. Cela concerne l'accès à l'égalité pour les femmes dans la fonction publique. Les quelques concessions faites au cours des dix dernières années par les différents gouvernements pour garantir le droit des femmes de la fonction publique au travail ont été acquises à la suite des luttes des travailleuses et des organisations qui défendent leurs intérêts. Jamais le gouvernement-employeur, quel que soit le parti qu'il représente, n'a fait aux femmes de cadeau. Qu'on se rappelle les nombreuses batailles menées avant qu'on aboutisse à la reconnaissance des droits parentaux, à l'élargissement des pratiques interdites, aux réalités tels le harcèlement sexuel, l'état de grossesse, l'âge; à l'engagement de notre employeur d'ouvrir des places en garderie pour les employées et employés du secteur public tout en maintenant cependant le fardeau de l'organisation et du financement sur les parents. On pourrait rappeler aussi que c'est seulement lors de la négociation de 1975 que les doubles classifications hommes-femmes avec des salaires différents ont été abolies dans des classifications des secteurs public et parapublic et que travail équivalent, salaire égal n'est toujours pas respecté comme principe dans l'ensemble des salaires ou des classifications des secteurs public et parapublic, même si cela a fait l'objet de revendications très spécifiques lors de la dernière négociation dans l'ensemble du secteur. (16 h 30)

Par ailleurs, l'histoire des dernières négociations tout comme le bilan des programmes d'égalité en emploi et les intentions gouvernementales sur les programmes d'accès à l'égalité telles que contenues dans l'avant-projet de loi sur la fonction publique ne nous permettent pas de croire à des lendemains qui chantent. Bien au contraire. Nous y voyons un cheminement si hésitant qu'il nous faut conclure que la représentation satisfaisante des femmes dans les catégories d'emploi et dans les corps d'emploi de la fonction publique n'est pas une priorité gouvernementale. Il s'agit tout au plus de velléités qui permettront la mise en place de quelques mesures à saveur

progressiste...

L'histoire des dernières négociations: Notre employeur a refusé, au cours des deux dernières rondes de négociations, de donner suite à notre revendication qui visait à mettre fin à la discrimination sexuelle dont sont victimes les membres de six corps d'emploi professionnels. Pourquoi ce refus? On ne veut pas reconnaître que des préjugés sexistes ont influencé la classification et la rémunération de corps d'emploi chez les professionnelles et professionnels du gouvernement. Même si aujourd'hui ces corps d'emploi ne sont pas tous demeurés des ghettos d'emplois féminins, il n'en demeure pas moins que 36% des femmes professionnelles s'y retrouvent contre seulement 7% des hommes professionnels.

La correction de cette discrimination héritée du passé et liée à la dévalorisation des emplois perçus comme une extension des rôles traditionnels dévolus aux femmes n'exige même pas la mise en place d'un programme d'accès à l'égalité. Il ne s'agit nullement d'accorder temporairement des avantages préférentiels aux membres des corps d'emploi discriminés, mais de mettre en application le droit déjà reconnu par la charte des droits de la personne, à travail équivalent, salaire égal. Et le gouvernement-employeur ne juge toujours pas qu'il est urgent de reconnaître ce droit à une partie de ses salariés en dépit de nos revendications.

La volonté patronale de retirer de la convention collective le droit de grief pour discrimination, de même que son refus de négocier la façon dont devraient se comporter les ministères dans le choix des personnes mises en disponibilité et dans le replacement de ces personnes, nous a également montré l'absence de sérieux du gouvernement dans la défense des droits des femmes et des personnes.

À l'heure actuelle, au SPGQ, nous comptons 26% de femmes parmi les personnes mises en disponibilité contre 16% de femmes dans l'ensemble de nos effectifs, de même qu'une surreprésentation des personnes âgées et ayant beaucoup d'ancienneté. C'est une situation qui ne fait que commencer car, avec le temps, le nombre de personnes touchées par la réduction des effectifs ira en augmentant.

Programmes d'égalité en emploi: Rappelons que la politique d'égalité en emploi pour les femmes dans la fonction publique vise deux objectifs principaux. Le premier prévoit l'élimination de tout élément de nature discriminatoire en matière de gestion du personnel. Le second vise à rééquilibrer la représentation quantitative de l'effectif féminin dans la fonction publique à tous les niveaux de la hiérarchie et dans tous les secteurs d'emploi. Nous ne croyons pas que le programme d'égalité en emploi a eu un effet sur la représentation des femmes. On peut même vous dire qu'au niveau du recrutement, à ce moment-ci, le pourcentage des femmes professionnelles diminue depuis les deux dernières années.

La représentation des femmes n'a à peu près pas changé dans la fonction publique. De plus, les corps d'emploi où le poids des femmes est demeuré stable sont justement ceux qui sont exclusivement masculins.

Dans le bilan du ministère de la Fonction publique sur le programme d'égalité en emploi, on dit à mots à peine couverts que la "stratégie incitative d'intervention" n'est que de la poudre jetée aux yeux des femmes. On sème des illusions du côté des participantes qui y ont cru sans pouvoir compter sur une "terre administrative fertile".

Du côté des ministères, on déplore le manque d'orientations précises et cohérentes de l'organisme central chargé de la coordination du programme. L'absence de politiques d'encadrement entraîne forcément une paralysie dans l'action.

En matière de gestion du personnel et de développement des ressources humaines, l'heure est à la solution des problèmes organisationnels engendrés par la décroissance des effectifs rapporte encore le document sur le bilan de la politique d'égalité en emploi pour les femmes dans la fonction publique. L'absence de priorité donnée au programme d'égalité en emploi le relègue au dernier rang des préoccupations de l'employeur, à moins qu'un de ses représentants n'y voit là un motif de promotion personnelle.

Les réalisations concrètes des différents volets de la politique d'égalité en emploi permettent de toucher du doigt cette absence de volonté gouvernementale. On a sensibilisé les cadres à la discrimination en emploi, on a sensibilisé les femmes au développement de leur carrière, mais sans modifier en profondeur et dans le sens des intérêts des travailleuses les règles du jeu. Ainsi en est-il du projet de reclassement des employées de secrétariat et du projet de création de postes à temps partiel.

Le projet de reclassement des employées de secrétariat, même s'il fait disparaître le classement-moquette, n'apporte aucune solution à l'absence de débouchés de ce corps d'emploi. De plus, ce reclassement se fait sur le dos d'un autre corps d'emploi, agents de bureau, composé majoritairement de femmes. Comme mesure d'égalité en emploi, on peut difficilement faire pis.

Lier "postes à temps partiel" à "programme d'égalité en emploi", comme on le voit dans presque tous les programmes ministériels, équivaut à admettre que le travail rémunéré des femmes doit nuire le moins possible à leurs responsabilités familiales. De là à les encourager à

retourner au foyer, il n'y a qu'un pas. Les postes à temps partiel pour les femmes consacrent leur double tâche, minimisent leurs chances de promotion, les maintiennent dans une dépendance économique. Et la boucle se referme...

Les postes à temps partiel, malgré les prétentions patronales, ne sont pas tant liés aux besoins spécifiques des femmes dans l'organisation de leur temps de travail qu'aux exigences des organisations en cette période de réorganisation du travail. Voilà comment le gouvernement traite le droit des femmes à un travail social rémunéré.

Nous le voyons, les programmes d'égalité en emploi ne servent jusqu'ici qu'à camoufler de nouvelles mesures patronales qui vont affecter un très grand nombre de femmes, le gouvernement se servant de l'actuel article 116 de la Loi sur la fonction publique, qui exclut du champ du négociable une matière aussi importante que la classification et les plans qui concernent l'organisation du travail.

Les programmes d'accès à l'égalité. Comment ne pas douter de la bonne foi du gouvernement dans l'orientation et dans l'étendue qu'il donnera aux programmes d'accès à l'égalité quand il refuse la surveillance et le contrôle de la Commission des droits de la personne sur ces programmes alors qu'il l'a chargée par ailleurs de surveiller et de contrôler les programmes d'accès à l'égalité dans les autres secteurs, sans lui donner les moyens financiers dont elle avait besoin, ceci soit dit en passant? Le projet de règlement sur les critères d'élaboration, d'implantation et d'application des programmes d'accès à l'égalité nous donne raison. C'est un minimum qui ne rend même pas indispensables dans un programme d'accès à l'égalité les mesures de redressement qui en font pourtant sa spécificité. Que deviendront ces programmes d'accès à l'égalité non obligatoires, mal définis, non négociés?

L'avant-projet de loi sur la fonction publique nous dit que le Conseil du trésor sera responsable d'établir des programmes d'accès à l'égalité. Il pourra, en tout ou en partie, déléguer cette fonction aux ministères. On nous dit également que, dans les concours de recrutement et de promotion, l'application de programmes d'accès à l'égalité constitue dans certains cas une des conditions d'accès à un concours. Comme énoncé des intentions gouvernementales en ce qui a trait à l'accès à l'égalité, on peut difficilement faire moins.

Conclusion: La situation des femmes dans la fonction publique va se détériorer dans le contexte actuel, contrairement à ce que laissent supposer les beaux principes énoncés dans l'avant-projet de loi sur la fonction publique à l'article 6. L'accès à l'égalité pour les femmes de la fonction publique, plus que jamais, passe par la négociation avec les associations représentatives des travailleuses. Nous demandons l'abolition de l'article 116 de la loi actuelle et la négociation de vrais programmes d'accès à l'égalité.

Le Président (M. Champagne): Mme la ministre.

Mme LeBlanc-Bantey: Mme Rochon a dit beaucoup de choses. Je ne reprendrai pas chacun des points. On ne rentrera surtout pas dans une guerre de statistiques parce que les miennes ne correpondent pas aux siennes, mais en tout cas!

Grosso modo, le message que je vais livrer est le suivant. Hier, on a eu l'occasion de dire devant cette commission parlementaire, à l'occasion de la visite des membres des communautés culturelles qui sont venus nous parler des programmes d'accès à l'égalité, qu'après quelques années d'expérience de ces régimes, de ces programmes, qui ont été basés, il est vrai, sur une base plutôt incitative que coercitive, dans la perspective où on était fort conscient - et je pense que Mme Rochon pourrait l'admettre aussi - qu'il s'agissait là de mesures visant à améliorer le sort des clientèles visées, il s'agissait surtout de tenter de mettre en oeuvre des changements de mentalités qui sont malheureusement aussi ancrées dans la fonction publique qu'ailleurs. Plutôt que de choisir des mesures coercitives, les gens à l'époque avaient abordé les programmes d'accès à l'égalité d'une façon plutôt incitative en espérant que non seulement la réaction de l'administration serait plus favorable à une telle approche, mais qu'en plus cela permettrait peut-être à des ministères d'avoir plus d'imagination, plus d'initiative et peut-être plus d'idées qu'avec des règlements coercitifs décidés à l'avance qui ne correspondraient pas à toutes les réalités vécues. Ce programme a été mis en place, dans le cas des femmes, depuis trois ans. Nous vous en ferons d'ailleurs un bilan dans les prochains mois, un bilan qui sera certainement très honnête et, en conséquence, nous ferons des recommandations au gouvernement.

Il se peut que l'approche qui a été choisie n'ait pas été la meilleure. Il se peut que cela ait été la bonne approche. Nous ferons une analyse exhaustive du bilan et nous communiquerons à ce moment les résultats. Ce que j'en sais à ce jour, c'est que, malgré tout ce que vous voulez en dire, ce n'est pas aussi négatif que cela. Les programmes d'accès à l'égalité dans certains ministères et dans certains endroits ont eu des résultats heureux pour les femmes. Ils ne sont pas spectaculaires, je suis la première à ne pas me gargariser des résultats de ces programmes d'accès à l'égalité, mais le bilan

n'est pas négatif. Je trouve que, lorsque vous en faites un bilan aussi négatif, on ne rend pas service aux femmes.

On va oublier l'orthodoxie patronale et l'orthodoxie syndicale. Je me permettrai de vous dire que M. Lecourt se rappellera ce que je vous ai déjà dit à l'interne, dans une discussion sur l'égalité en emploi. Dans une certaine mesure, vous ne devriez pas plus faire confiance à vos collègues que je ne fais confiance aux miens. Je pense que nous vivons dans une société où forcément nous sommes influencés par notre culture, notre valeur et notre éducation. Dans ce sens-là, on a tous des préjugés à combattre de part et d'autre. Je vous l'avais dit à l'époque, parce que je vous avais invité, comme syndicat, comme syndicat reconnu militant sur le plan de la condition féminine, en tout cas, ayant certainement des personnes très militantes parmi vos ressources sur le plan de la condition féminine, on vous avait demandé de participer au comité de surveillance des programmes d'accès a l'égalité - parce que vous savez que c'est comme cela que ça marche - pour nous aider à trouver, parmi d'autres intervenants qui ont accepté de siéger à ces comités, y compris le Syndicat des fonctionnaires, pour nous aider à améliorer les performances des programmes d'accès à l'égalité. Vous avez refusé en nous disant: II n'est pas question, grosso modo - je ne me souviens plus du jargon; d'abord, les jargons de négociation, j'ai tenté de m'en éloigner le plus possible -on ne s'assoit pas avec le patron si cela ne se négocie pas. C'est ce que j'appelle de l'orthodoxie syndicale.

C'est vrai qu'idéalement vous voulez que les programmes se négocient, sauf qu'en tant que femmes, je trouvais que vous aviez intérêt comme moi - je trouve que là, vous faites des accusations dans le genre de celles où les gens qui parlent d'égalité, de condition d'emploi ou d'égalité féminine font de la promotion personnelle; je pense que ce sont des accusations que vous lancez un peu gratuitement - qu'importe de quel côté de la table nous étions, nous avions intérêt à nous unir, à nous mettre ensemble pour faire progresser la cause au-delà des débats plus généraux qui doivent être là et qui demeureront toujours. Vous avez refusé à ce moment-là. Je ne dis pas que le résultat serait plus spectaculaire si vous y aviez participé, peut-être qu'il serait un peu mieux; c'est loin d'être sûr. Alors, je dis que vous ne nous avez pas aidés, en tout cas, à améliorer les programmes d'accès à l'égalité si vous trouviez qu'ils n'étaient pas valables.

D'autre part, pour revenir sur des points précis de la négociation... Je ne les reprendrai pas tous, mais quelques-uns. Vous parlez entre autres, des corps discriminés. Vous nous dites: II y a des corps discriminés dans la fonction publique, etc. On a eu un long débat là-dessus durant les négociations. Nous avons une étude, je vous l'ai dit très honnêtement durant toute la négociation, qui ne fait pas la preuve qu'il y a effectivement discrimination.

Ce que nous vous avons proposé, c'est de mettre sur pied un comité paritaire avec toutes les balises possibles pour se donner le maximum de chances afin que les conclusions de ce comité soient honnêtes et que le gouvernement les accepte s'il devait être prouvé qu'il y a discrimination. Finalement, cela n'a pas été paraphé. Vous vouliez que le gouvernement admette d'emblée qu'il y avait discrimination. Il n'y avait pas de preuves. En tout cas, les études que nous avions n'étaient pas suffisamment claires et vous ne nous avez pas fourni la preuve contraire durant les négociations. Il y avait ce comité qui est toujours dans le cadre du règlement qui est sur la table. Je pense qu'un tel comité aurait pu et pourrait toujours -j'espère qu'on va l'avoir - rendre service aux femmes de la fonction publique québécoise. Moi, comme membre du gouvernement, je pense qu'il faut se préoccuper des femmes de la fonction publique québécoise. Mais il faut aussi avoir une vision plus large et tenter de se préoccuper, sur une base plus générale, de l'ensemble des femmes du Québec.

Dans cette perspective, je pensais que ce comité aurait aidé l'ensemble des femmes québécoises. Nous manquons d'études sur la discrimination sur le marché du travail. Durant les négociations, nous avons eu des communications, entre autres, avec un organisme comme la Commission des droits de la personne à Ottawa - on est capable d'aller chercher les bonnes choses là où elles sont - effectivement, tout le monde reconnaissait qu'il n'y avait pas de balises très claires. Nous étions prêts à utiliser les meilleurs spécialistes, les plus objectifs finalement. Le comité est toujours sur la table et ce n'est pas réglé parce qu'on ne vous a pas donné exactement ce que vous vouliez.

Le classement-moquette. Vous faites allusion au classement-moquette; vous avez souligné certains aspects de la solution qui est proposée. La solution qui est proposée a été déposée à M. Harguindeguy, au Syndicat des fonctionnaires, pour consultation. Je ne veux pas présumer maintenant de ce qu'il y aura comme règlement final tant que nous n'aurons pas une réaction officielle du Syndicat des fonctionnaires. Nous tenterons, compte tenu des moyens dont dispose l'État... Je vous souligne que, sur le classement-moquette, malgré que la solution actuellement déposée ne soit pas idéale, il y a quand même 6 000 000 $ que le gouvernement a décidé d'investir là-dedans. Cela a peut-être l'air un peu mesquin d'arriver avec des montants d'argent, sauf

que, là aussi, il faut tenir compte d'un certain équilibre des besoins dans notre société. (16 h 45)

Vous arrivez avec le temps partiel. Pour le temps partiel, il y a aussi une solution en consultation. Je ne veux pas entrer dans une guerre de religion sur le temps partiel parce qu'il y a des points de vue que je partage. Je ne pense pas qu'on aurait intérêt à instaurer dans la fonction publique québécoise un régime de temps partiel qui maintienne les femmes dans une situation de "cheap labor", ce n'est pas cela qui est l'intérêt. Là aussi, il y a un équilibre à maintenir entre les femmes qui sont dans la fonction publique et les femmes qui ne sont pas dans la fonction publique, qui sont à la maison, qui ne trouvent pas de travail et qui, elles, voient un intérêt certain à venir, parce qu'elles ne sont pas disponibles à temps plein, prendre une certaine expérience, à retrouver tranquillement le marché du travail selon les disponibilités qu'elles ont et, de ce fait, à se donner plus de chances, une fois entièrement disponibles, d'avoir un emploi à temps complet dans la fonction publique.

Je pense qu'il faut quand même, au-delà des objectifs idéaux que nous avons tous de faire progresser la cause d'une façon plus accélérée, avoir une perspective d'équilibre entre l'idéal et le possible. Comme je l'ai dit hier aux membres des communautés culturelles, il ne sert à rien, compte tenu du contexte actuel de recrutement et de promotion, de prétendre que je vais régler votre problème de représentativité d'ici trois ans; cela serait irréaliste, cela serait vous conter des menteries; cela ne serait pas correct de le faire. Je pense que, dans cette perspective, pour l'égalité d'emploi en ce qui concerne les femmes, il faut peut-être aller plus vite, plus loin. Il faut certainement aller plus loin, il faut peut-être aborder les programmes d'accès à l'égalité autrement que nous ne l'avons fait. Il ne faut pas cependant donner l'illusion que, si tout n'est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, c'est nécessairement parce qu'on a un gouvernement ou une société de gens qui ne sont pas prêts à considérer que les choses ont évolué sur le plan de la condition féminine et à donner à la femme la place qui lui revient dans notre société.

Je m'excuse d'avoir parlé aussi longuement, mais il faut dire que ce sont toujours des débats très passionnés quand nous nous rencontrons. Je pense qu'il faut quand même maintenir un peu d'équilibre.

La question que je vous poserais précisément, sur les programmes d'accès à l'égalité, en fonction des objectifs que vous poursuivez et qui, je pense, sont les miens, c'est: Est-ce que vous avez des suggestions concrètes vis-à-vis de l'avant-projet de loi qui nous aideraient à faire progresser la cause de la condition féminine?

Mme Rochon: Je pense que nos suggestions concrètes sont dans notre conclusion. Ce qu'on veut, c'est qu'on arrête de parler d'égalité en emploi et d'avoir de belles discussions de sensibilisation sur les carrières. Dans les faits, ce qui se passe à côté nuit aux femmes, que ce soit sur des questions comme le classement-moquette... Combien le gouvernement économisera-t-il d'argent en faisant disparaître deux échelons des agents de bureau? En introduisant des postes à temps partiel, de combien d'emplois allez-vous diminuer les effectifs avant d'engager une nouvelle personne?

Sur la question d'accès à l'égalité comme sur toutes les questions de relations de travail, cela passe par les associations représentatives, c'est-à-dire par des discussions continues avec les associations représentatives, et ce n'est pas cela que nous vivons. On sent qu'on est toujours tassé dans le coin. Au comité de surveillance d'égalité en emploi, quand je vois ce qui s'y fait, je suis très contente de ne pas y être.

Mme Courcelles (Lise): J'aurais un complément d'information à donner. Je trouve que Mme la ministre fait des abus de langage quand elle parle d'égalité en emploi et qu'elle taxe ce programme-là de programme d'accès à l'égalité. C'est peut-être un programme d'égalité d'accès, mais ce n'est sûrement pas un programme d'accès à l'égalité puisque, pour autant que je sache, les programmes d'accès à l'égalité ne sont toujours pas possibles. On attend toujours le projet de règlement qui rendrait ces programmes possibles. Comme on le dit dans notre texte, la spécificité des programmes d'accès à l'égalité que le règlement ne semble pas toujours reconnaître, c'est qu'il y a des mesures de correction qui donnent des avantages préférentiels aux gens des groupes discriminés temporairement.

Je ne pense pas que, dans aucun élément du programme d'égalité en emploi, il s'agisse vraiment d'accès à l'égalité. C'est une erreur de langage qui laisse, sans être puriste et...

Mme LeBlanc-Bantey: Une nuance.

Mme Courcelles: Oui, c'est une nuance fondamentale, puisqu'il fallait modifier la Charte des droits et libertés de la personne.

Quant au comité de surveillance, je trouve que vous nous taxez rapidement de non collaborateurs. Quand on songe au mandat de ce comité de surveillance, peut-être qu'on devrait un peu questionner la représentante du Syndicat des fonctionnaires sur cette question, car ce serait très intéressant d'avoir son point de vue; quand

on pense à ce comité, dis-je, qui n'avait même pas mandat de faire rapport sur la place publique de l'efficacité des programmes d'égalité en emploi, vous comprendrez que, pour nous, c'était inacceptable. Si ce comité voulait vraiment surveiller quelque chose, il fallait que tout le monde puisse prendre conscience de son évaluation de la situation. Faire cela en catimini, entre nous, disons qu'on ne trouvait pas que c'était vraiment de notre ressort d'y participer. Cela ne correspondait pas du tout à nos objectifs.

Quand vous faites référence à certains éléments de notre texte qui se réfèrent à des évaluations sur le programme d'égalité en emploi, je vous ferai remarquer que ces évaluations ont été prises dans le rapport préliminaire d'égalité en emploi produit par votre propre ministère. Quand on dit qu'il n'y a pas de terre administrative fertile, quand on dit qu'il y a des gestionnaires qui l'ont mis en application plus ou moins pour des motifs de promotion personnelle, ce n'est pas notre invention. Ce sont des évaluations qui ont été faites sur le terrain.

Quand vous parlez du temps partiel qui est en consultation, on voudrait bien le croire. Quand vous donnez la raison finalement, ce n'est probablement dit dans aucun document, car ce n'est pas une chose qui se dit, on voit tout de suite le mouvement des femmes qui va se prononcer contre cela - que c'est un équilibre à maintenir entre les femmes à la maison et les femmes qui sont à l'emploi de la fonction publique, disons que les vraies couleurs du temps partiel sont finalement données. C'est une façon de partager les femmes entre elles, de les diviser encore. Vous qui ne voulez pas cela, je suppose que ce que vous voudriez donner aux femmes du Québec comme à l'ensemble des travailleurs du Québec, c'est un emploi. On ne commencera pas à jouer les femmes les unes contre les autres. J'espère que cela ne viendra pas de vous. Ce sont là les éléments que j'avais à ajouter à ce que Madeleine a dit.

Mme Rochon: J'aurais peut-être le goût d'ajouter quelque chose. Tantôt, Mme la ministre, vous avez taxé mon langage d'idéologique quand j'ai parlé d'arbitraire patronal. Je veux dire que ce que je vois dans la fonction publique tous les jours comme étant responsable du comité des femmes du SPGQ, face aux femmes, c'est cela l'arbitraire patronal. Entre autres, quand la loi est entrée en vigueur qui permettait une souplesse au niveau de l'âge de la retraite, on a vu des femmes qu'on a insécurisées, on les a mises à la retraite en leur disant que si elles ne prenaient pas leur retraite, elles allaient être mises en disponibilité bientôt. L'arbitraire patronal, le climat d'insécurité, compte tenu de ce qu'on connaît de la fonction publique, selon nous, ce qu'on voit par rapport à des gestionnaires face à des groupes, des individus, la statistique qu'on a sur les mises en disponibilité des femmes, on l'avait prévu.

Quand on regarde les gestes de l'employeur qui ne sont vraiment pas des gestes d'un représentant de l'employeur, mais des gestes de l'employeur, comme les postes à temps partiel, le classement-moquette, on sait qu'il y a des changements à la classification qui s'en viennent. Nous sommes très inquiètes comme femmes, pas seulement comme syndiquées. Ce sont des droits comme femmes qu'on perd et ce sont des droits comme salariées. Il n'y a encore eu aucune volonté de la part de l'employeur de regarder ces choses de façon globale. Il y a même toujours une reconnaissance de l'employeur, toujours un manque de données. Un jour, il faudra bien négocier indépendamment de l'article 116, regarder la situation des femmes dans la fonction publique, regarder au jour le jour comment elle évolue. C'est la négociation des programmes d'accès à l'égalité. Cela fait longtemps qu'on le dit et on pense que c'est seulement en négociant des programmes d'accès à l'égalité, non pas en cachant 56 dimensions de la réalité, mais en la regardant dans son ensemble.

Le Président (M. Champagne): Mme la ministre.

Mme LeBlanc-Bantey: En conclusion, je vais admettre que, effectivement, l'administration n'est pas toujours une terre fertile en ce qui a trait au programme d'accès à l'égalité, mais qu'elle a avantage à le devenir de plus en plus. Je comprends quand Madeleine Rochon dit qu'il faut s'inquiéter. Vous parlez de l'arbitraire patronal pour les femmes. On l'a vécu dans le cas de l'ancienneté. Pour être juste envers tout le monde, on va dire que cela n'a pas été strictement dans le cas des femmes; il y a eu aussi de l'arbitraire que des hommes ont eu à subir. Il faut être d'autant plus vigilant peut-être parce que nous sommes moins habituées de nous défendre, dans le cas des femmes, que dans le cas de la majorité dans la fonction publique. J'espère que cela a été localisé et que cela n'a pas été rapporté comme une volonté générale des gestionnaires de se servir, entre autres, de mesures pour finalement taper volontairement sur la tête des femmes. Par ailleurs, que vous continuiez d'être vigilantes, que tout le monde continue d'être vigilant, cela permet de tenter, dans la mesure du possible, de remédier à ces situations.

Vous parlez de la négociabilité - et je termine sur cela - des programmes d'accès à l'égalité. On avait accepté - c'est toujours dans le cadre de règlements - de négocier

une partie des programmes d'accès à l'égalité pour les matières négociables. On ne reprend pas la discussion, du reste. La raison pour laquelle j'étais d'accord pour qu'il y ait une négociabilité, dans la mesure du possible, des programmes d'accès à l'égalité, c'est que j'avais l'impression que cela était bon pour l'ensemble des objectifs que l'on poursuit, indépendamment du langage en matière d'égalité pour les femmes. Je me disais que, s'il y avait une négociabilité, les syndicats seraient plus vigilants; au moins, vous participeriez, ce qui n'est pas le cas avec les comités de surveillance. Plus les syndicats seront vigilants, mieux cela sera pour les objectifs que l'on poursuit. Cela fait encore partie du cadre de règlement, mais cela ne règle pas toute la négociabilité, je l'admets, parce qu'il y a la classification et d'autres aspects.

Le Président (M. Champagne): Mme la députée de Chomedey.

Mme Bacon: J'ai seulement quelques remarques à faire. Au moment des discussions de la commission spéciale sur la fonction publique, il est évident que nous avions eu certains doutes quant au temps partiel. Souvent, ce sont les femmes qui sont les plus grandes perdantes dans le travail à temps partiel. C'est pour cela qu'on se refusait à promouvoir le travail à temps partiel pour les femmes.

J'aimerais laisser le niveau des grandes discussions, parce que Mme la ministre a posé une question que j'avais déjà préparée pour vous; alors, je le lui laisserai. J'aimerais avoir votre opinion sur l'instauration des stages pratiques, par exemple, pour les femmes. On sait que des femmes ont tout de même un vécu important quand elles veulent revenir sur le marché du travail en ce qui concerne la fonction publique; celles qui font déjà partie de la fonction publique ont souvent le vécu, mais n'ont pas ce qui est nécessaire pour effectuer certaines tâches. Si l'on veut qu'elles accèdent à des postes supérieurs et professionnels, ou à des postes de techniciennes, je crois qu'il est important de penser à l'instauration de ces stages. Dans votre milieu, est-ce qu'on se refuse à le faire ou s'il y a vraiment une volonté de participer à de tels stages pratiques, par exemple? Est-ce qu'on voit cela comme une possibilité de remédier à une catégorisation chez les femmes à des postes inférieurs?

Mme Rochon: Je ne suis pas sûre d'avoir bien compris la question précise.

Mme Bacon: Les stages pratiques.

Mme Rochon: Sur la question de la formation qui doit être donnée à des groupes dans une perspective d'accès à l'égalité, qui rentre dans des mesures spéciales, il n'y a aucun problème de notre côté.

Mme Bacon: C'est bien accepté.

Est-ce que vous accepteriez de confier ces responsabilités de programmes à une hiérarchie supérieure en ce qui a trait aux ministères? Est-ce que vous voulez que cela soit encore plus près de celles qui occupent des postes que les femmes qui sont dans des postes moins payants?

Mme Rochon: Quand on parle de programmes d'accès à l'égalité, on parle vraiment de l'évaluation d'une situation où on se fixe des objectifs quantitatifs, on se donne des moyens d'y arriver. Il y a vraiment toute une démarche globale qui doit être suivie de A à Z avec les associations des personnes concernées. Dans la fonction publique, cela commencerait bien des fois par ramasser des données. C'est de A à Z que les syndicats doivent être intégrés dans le processus.

Une des choses aussi qui est dommage dans l'avant-projet de loi et ce qu'on sent dans la nouvelle organisation patronale qui ne semble pas tellement bonne pour les femmes - ce dont j'ai oubliée de parler tantôt -c'est que, de plus en plus, on s'en vient par rapport au ministère et il n'y a plus la mobilité interministérielle. On ne sent plus du tout, dans la fonction publique, cette volonté et les moyens d'avoir une mobilité interministérielle. Même pour les mises en disponibilité, il n'est pas question de priorité, dans un premier temps. Dans d'autres ministères, on sent vraiment des blocages. Pour les femmes, c'est également important cette mobilité interministérielle. (17 heures)

Mme Bacon: Toujours au niveau de l'égalité des chances, on sait qu'il y a des coupures qui existent et vous les vivez tous les jours. Le recrutement est presque nul, sinon nul. Il y a quand même des actions qui peuvent être envisagées. Je pense que, si on utilisait un peu l'imagination et le savoir, il devrait y avoir des formules de remplacement. On a parlé hier des formules de remplacement au niveau des communautés culturelles, par exemple. Est-ce que vous envisagez d'une façon très réaliste certaines formules de remplacement, compte tenu de ces coupures qui existent et du recrutement qui est nul?

Mme Rochon: Non seulement le recrutement est nul, mais le nombre d'emplois est en train de diminuer. C'est aussi cela qu'il faut regarder. Une femme qui a pris deux congés parentaux sans solde à demi-temps, parce qu'elle a eu deux enfants, son employeur lui dit: II y a tellement longtemps que tu prends des

congés sans solde a temps partiel, prends donc un poste à temps partiel. À ce moment-là, les gestionnaires qui regardent comment ils doivent arriver à rendre des services ont trois choix: couper des postes et mettre des gens en disponibilité; déclasser les individus, c'est-à-dire profiter d'un départ pour essayer d'engager quelqu'un qui est moins bien classé; ou bien introduire des postes à temps partiel. Il y a des changements à la classification qui s'en viennent. On parle des problèmes qu'on vit et on pense que c'est se leurrer de penser qu'il y ait une situation à ce moment-ci qui va même permettre l'amélioration du sort d'autres personnes à l'extérieur. Pas parce qu'on est contre. On peut bien engager deux personnes en abolissant 100 postes et dire qu'on a amélioré la situation parce qu'on a engagé deux personnes. Ce qu'on regarde, c'est qu'il y a 100 personnes qui ont perdu un emploi. Combien de femmes et combien de personnes ont été réengagées? Je veux dire que c'est l'ensemble de la situation qu'il faut regarder. On ne va pas se leurrer sur des prétendues entrées possibles s'il y a des gens qui laissent la place.

Mme Bacon: Vous ne voulez pas vous leurrer, non plus, sur des formules possibles de remplacement. C'est un peu cela.

Mme Rochon: Je vais vous expliquer. Comme femmes, nous connaissons le problème de travailler à temps plein avec des jeunes enfants qui se réveillent la nuit. Ce sont encore les femmes qui se lèvent la nuit, comme vous le savez. Il y a des demandes pour des congés sans solde à temps partiel pour alléger la semaine de travail, mais liées à des besoins d'individus, aux situations que les individus vivent quand les enfants sont petits ou qu'une femme retourne sur le marché du travail. On peut vouloir y aller très progressivement. C'est le besoin d'un individu. Cela n'a rien à voir avec un patron qui est pris avec les compressions budgétaires et qui dit: La seule manière de m'en sortir, c'est d'essayer de redistribuer mes effectifs. Telle personne, je vais la faire travailler à temps partiel, ou c'est une nouvelle forme d'organisation du travail qui vient des coupures budgétaires. Cela n'a rien à voir avec les problèmes des individus. On ne croit pas à ce moment-ci, compte tenu de ce que l'employeur accepte de discuter avec nous, qu'il va y avoir possibilité d'une adéquation.

Mme Bacon: Est-ce que cela vous inquiète de voir qu'il y ait un peu la mainmise du Conseil du trésor sur des êtres humains? Il est très facile pour le Conseil du trésor de jouer avec des chiffres et de s'amuser avec des chiffres. Au moment où on lui confie des êtres humains, est-ce que cela vous inquiète?

Mme Rochon: C'est certain, car ce que nous essayons toujours de voir quand on regarde une directive, un règlement, c'est ce qui va arriver aux individus, quels vont être les droits des individus, comment les patrons vont se comporter et comment peut-on s'arranger pour que cela ne ressemble pas à ce que moi, j'appelle dans mon langage la jungle, des règlements de comptes, etc. J'en ai vécu, car je suis dans la fonction publique depuis bientôt dix ans. J'ai souvent vu ce genre de situations. C'est pour cela qu'on veut des droits en tant que groupes - ce sont nos conventions collectives - et des droits pour les individus; ce sont les droits de recours quand les règles du jeu ne sont pas respectées. Toute notre perspective est celle-là. Que le patron s'organise comme il le veut, mais à la condition que nous, comme individus, on conserve nos droits.

Le Président (M. Champagne): D'accord. Peut-être un petit mot, M. le président; ensuite, la ministre conclura.

M. Lecourt: C'est un mot d'ensemble. Cela va peut-être avoir l'air curieux. Je vais conclure en prenant l'exemple d'une situation qui est toujours difficile à comparer, qui, vue de l'extérieur, s'apparente un peu à celle que notre syndicat a vécue ou vit présentement face au gouvernement du Québec. C'est un exemple pris au gouvernement fédéral, oh horreur! mais je le prends quand même. Vous savez que, pendant des années, il y a eu des conflits de travail beaucoup plus explosifs que ceux qu'on a pu voir avec les professionnels, avec le syndicat des postiers. On ne compte pas les grèves, on ne compte pas les accusations de tout ordre qui ont été portées contre ce syndicat, de radicalisme etc., types d'accusations qui sont, avec des bémols, portées contre notre syndicat. Pourtant, il y a quelques années, on a enfin changé la loi qui restreignait le droit de négocier dans les postes, en créant une société des postes. On ne réclame pas une société de la fonction publique, mais on réclame, en ce qui concerne le régime syndical, le même type de modifications que ce qu'on a connu aux postes. Dans une époque de changements à caractère technologique dans ce cas, force a été de constater que l'administration était aussi bien d'essayer de négocier avec le syndicat. Je ne sais pas si vous avez remarqué que, depuis, c'est toujours un syndicat militant, sauf que les conflits de travail se sont atténués de beaucoup. Je crois que le service aux citoyens, nous sommes à même de le constater, malgré des ratés occasionnels dans la machine, s'est tout de même considérablement amélioré.

C'est une comparaison qui, comme

toute comparaison, ne peut pas être une adéquation parfaite avec notre situation. On ne fait pas le même genre de travail, on n'est pas avec le même gouvernement, on n'est pas exactement le même syndicat. Sauf que, face à cet avant-projet de loi, cette comparaison m'indique qu'il y a nécessairement un élément à regarder du côté du régime de négociation, si, encore une fois, par rapport à ce que je disais au début, l'avant-projet de loi est l'occasion d'un virage ou l'occasion de maintenir la même approche que celle qu'on a connue il y a quelques mois.

C'est tout. Je rappellerai aussi à Mme LeBlanc-Bantey une demande que j'ai formulée tantôt. S'il y a un comité patronal qui est pour regarder le régime syndical, j'aimerais qu'on ait ses conclusions d'ici à quatre semaines, en même temps qu'on va revoir un projet de loi en version définitive. Merci.

Le Président (M. Champagne): Mme la ministre.

Mme LeBlanc-Bantey: Sur le comité, je vous fournirai une réponse dans les prochains jours. La difficulté, a priori, que j'y vois, c'est que, vu qu'on ne voulait pas arriver en contradiction avec des recommandations éventuelles de ce comité par rapport à notre régime syndical, il faudrait qu'il ait fait sa réflexion et qu'il se soit arrêté sur l'ensemble des problèmes ou qu'il ait une vision nette de la façon dont il envisage la solution de ce qu'on a connu dans les négociations précédentes avant d'arrêter son idée sur le régime syndical dans la fonction publique, parce qu'autrement mon problème n'est pas réglé. C'est la première difficulté que j'y vois, mais je vais tout de même aller vérifier.

En terminant, je voudrais remercier le Syndicat de professionnelles et de professionnels du gouvernement du Québec. Il s'est dit beaucoup de choses. On va tenter de regarder cela avec le plus d'attention possible. Je voudrais avouer tout bonnement ceci: Qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, la façon dont la dernière négociation s'est déroulée et surtout ce qu'il y a actuellement dans les décrets demeurent au coeur de tout ce qu'on discute. C'est ce qui explique que, de temps à autre, on s'échauffe parce que forcément la page n'est pas tournée. Je pense qu'elle n'est pas plus tournée pour vous qu'elle ne l'est pour nous.

M. Lecourt, j'ai envie de vous dire très simplement aussi: Vous savez qu'il y a des choses dans les décrets que je n'aime pas plus que vous, mais qui pour des circonstances, y sont entre autres, tout le plan de carrière des professionnels. Elles y sont parce qu'on n'a pas eu le temps de négocier, cela n'a pas adonné de part et d'autre; on ne reprendra pas le procès. Ce que j'ai envie de vous dire avant de partir: Allez vous chercher des nouveaux mandats chez vos membres et je tenterai d'aller chercher des nouveaux mandats au gouvernement. J'ai toujours l'impression que, pour peu qu'il y ait une volonté réelle d'arriver à un règlement, c'est encore possible.

Le Président (M. Champagne): M.

Lecourt.

M. Lecourt: Une chose, madame, quand on va se chercher des mandats habituellement... À moins que vous ne vouliez inverser les relations de travail, jusqu'à récemment l'employeur faisait des offres. Je ne vous dis pas de déposer de nouvelles offres sur la table, mais c'est comme cela qu'on procédait. Aussi, jusqu'à nouvel ordre, le dégât des décrets, vous l'avez commis, je ne veux pas revenir sur cela, mais c'est vous qui l'avez voté. Nous avons les mandats de négocier s'il y a matière à négociation. On a fait des pas -j'espère que vous les avez notés car on vous les a sûrement rapportés - dans une tentative de se sortir de ce cercle vicieux. Quand bien même on se rappellerait le passé pendant 25 ans, il va être passé. On a tenté depuis la rentrée d'ouvrir la porte à une nouvelle façon de régler les problèmes. J'espère qu'on va continuer. Les signes doivent venir des deux côtés.

Mme LeBlanc-Bantey: C'est cela. Disons qu'il y a des pas à faire de part et d'autre. On ne reprendra pas la discussion.

M. Lecourt: En tout cas, c'est cela, de toute façon.

Le Président (M. Champagne): M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: Je voudrais tout simplement vous remercier. Mon absence d'intervention n'est pas le signe du désintéressement des propos que vous avez tenus. J'ai pensé préférable de laisser à mon collège de Jean-Talon, qui avait siégé à la commission spéciale, le soin de vous poser un certain nombre de questions. Votre mémoire est un outil de travail que j'ai l'intention d'utiliser et que nous de l'Opposition, nous avons l'intention d'utiliser. Je retiens de vos remarques, de vos interventions que vous avez identifié un problème sérieux de non-motivation, de démobilisation, de dégration du climat de travail à l'intérieur de la fonction publique. Ayant moi-même pendant de nombreuses années été membre du syndicat dont vous êtes président - ayant été fonctionnaire - je connais les problèmes auxquels vous avez à faire face. J'y suis très

sensible.

Je pense que le gouvernement doit donner l'exemple là-dedans comme dans d'autres choses. Bien sûr, si la perception des fonctionnaires et des employés de l'État est que le gouvernement tourne à vide et se cherche une vocation en créant des comités de dernière minute - des comités sur la relance économique, sur la question nationale, avec toutes sortes d'euphémismes -il serait contraire à la nature des choses que, dans l'échelle hiérarchique, on retrouve cette motivation et cette mobilisation, ce climat de travail qui est désirable pour assurer vraiment la primauté des services aux citoyens. C'est impossible.

Le constat que vous faites aujourd'hui, je le compare à cette constatation que faisait encore le collègue de la ministre, le ministre de l'Agriculture, le lendemain de la prise du pouvoir, alors qu'il annonçait à la population du Québec que dorénavant les fonctionnaires étaient pour se retrousser les manches et travailler d'une façon extraordinaire parce que les fonctionnaires, prétendait-il, pour une fois, pourraient s'identifier aux objectifs du gouvernement. On s'aperçoit après un certain nombre d'années que ce n'est pas si simple que cela. Il y a une complexité à l'intérieur de cette question. Il y a toutes les structures qui sont en cause: la délégation, la sous-délégation, l'imputabilité; on peut rentrer dans tous les détails. On ne règle pas ce genre de problèmes en disant: Les fonctionnaires adhèrent à notre objectif politique.

On a cru qu'on avait réglé la question du climat de travail à l'intérieur de la fonction publique, en disant: Les fonctionnaires adhèrent à notre option politique et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes. On a la preuve aujourd'hui, avec le constat que vous avez fait concernant la non-motivation, la démobilisation, qu'il n'en est pas ainsi et que ce n'est pas si simple que cela. Je pense que les inquiétudes que vous avez sont fort fondées et j'espère qu'il en sera tenu compte en temps et lieu et au plus haut lieu possible.

Mme LeBlanc-Bantey: Je ne répondrai pas à une partie de l'intervention du député.

Le Président (M. Champagne): J'espère que c'est la dernière, de toute façon.

M. Doyon: Je n'ai pas abusé, M. le Président.

Mme LeBlanc-Bantey: Non, c'est cela. Si le député de Louis-Hébert veut relancer le débat, on va le relancer. J'ai juste envie de lui poser la même question amicale que j'ai posée hier soir, et il ne m'a pas répondu. Est-ce qu'il pense que le marteau automatique serait mieux pour améliorer la productivité et les relations dans la fonction publique?

Le Président (M. Champagne): Voici, au nom de tous les membres de la commission parlementaire, on vous remercie de vous être présentés ici à la commission parlementaire. Merci beaucoup.

M. Lecourt: Au revoir. (17 h 15)

Le Président (M. Champagne): Nous allons demander aux représentants de l'Association des cadres supérieurs du gouvernement du Québec de bien vouloir se présenter à l'avant. On demanderait au porte-parole de s'identifier et de présenter les personnes qui l'accompagnent.

Association des cadres supérieurs du gouvernement du Québec

M. Dupéré (Jean-Yves): M. le Président, Mme la ministre, MM. les membres de la commission, pour donner suite à votre aimable invitation, il me fait plaisir de vous présenter les cadres supérieurs qui représenteront leurs confrères aujourd'hui auprès de cette commission. Tout d'abord, à mon extrême gauche, M. Robert De Blois, secrétaire de l'association, chef du service de l'ameublement et de la décoration au ministère des Travaux publics, peut-être une nouvelle société d'État; M. Roland Guérin, administrateur à l'association, directeur général adjoint du réseau Travail-Québec, je crois qu'il n'y a pas un député qui ignore ce réseau; à mon extrême droite, M. Marc Paradis, administrateur à l'association, directeur général du bâtiment, Société d'habitation du Québec; M. Jean-Paul Gagné, vice-président de l'association, directeur général des systèmes de traitement de l'information au ministère des

Communications; M. Lucien Parent, vice-président exécutif de l'association et moi-même, Jean-Yves Dupéré, président de l'Association des cadres supérieurs du gouvernement du Québec.

Le Président (M. Champagne): M. le président, je vous arrête tout de suite. Je crois qu'au point de vue technique on devrait établir le temps alloué à votre présentation. Pensez-vous que, d'ici à 18 h 30, on pourrait entendre votre mémoire, poser des questions et émettre des commentaires, à la satisfaction de tout le monde? Autrement, on pourrait dire que l'on finit à 18 heures, on ajourne et on continue demain matin. Voilà ce qui se présente à nous ce soir. Je voudrais avoir votre réaction, sans vouloir, en aucune façon, enlever le droit de parole à quiconque.

M. Dupéré: Je dois vous dire que, connaissant les contraintes de la commission, nous avons tenté de résumer. D'ailleurs, la première partie sera résumée, mais cela prendra tout de même une quarantaine de minutes. J'imagine que cela nous mettra aux environs de 18 heures avant de passer à la période de questions. J'ai l'impression que...

Une voix: Demain, les questions.

M. Tremblay: Alors, on ne peut pas siéger ce soir?

Le Président (M. Champagne):

Messieurs, est-ce qu'on pourrait allouer 20 minutes de questions, 20 minutes de réponses?

M. Doyon: M. le Président, avec votre permission, on continuerait demain à 10 heures, à moins qu'il n'y ait des indications précises que vous ne seriez pas disponible demain.

M. Dupéré: On s'est rendu disponible cet après-midi.

M. Doyon: Je vous remercie. Si cela convient à tout le monde, on entendrait votre mémoire. Je ne sais pas ce qu'en pensent nos collègues.

Le Président (M. Champagne): M. le député de Sainte-Marie.

M. Bisaillon: M. le Président, il est difficile de se prononcer à l'avance sans savoir le temps qu'on aura pour discuter. Même si l'on s'entendait sur une période de 20 minutes, 20 minutes, 20 minutes si l'on prend une discussion qui supposerait qu'on ait davantage de matière, de toute façon, on sera obligé de se poser la question de nouveau pour demain matin. Alors, aussi bien entendre le mémoire et revenir demain matin avec le même groupe pour les questions.

Mme LeBlanc-Bantey: D'accord.

Le Président (M. Champagne): Êtes-vous disposés à revenir demain matin?

M. Dupéré: On sera là demain matin.

Le Président (M. Champagne): D'accord. On vous écoute.

M. Dupéré: J'espère tous au complet.

Le Président (M. Champagne): On vous écoute, M. Dupéré.

M. Dupéré: Merci. Avant de vous présenter le mémoire, je désire remercier, au nom de l'Association des cadres supérieurs du gouvernement du Québec et des cadres eux-mêmes, le président de cette commission parlementaire et tous les membres d'accepter de nous entendre. Nos membres, comme vous le savez, sont à la fois employeurs et employés. Ils ont à assumer constamment cette dualité aussi enrichissante qu'exigeante. En tant que représentants de ce groupe, nous nous devons de refléter ces deux volets qui peuvent sembler contradictoires pour certains. Notre mémoire, vous le constaterez, respecte cette double allégeance. C'est ainsi qu'à titre de regroupement d'administrateurs qui assurent la qualité de la gestion publique dans l'intérêt de la collectivité québécoise nous profitons de cette importante occasion pour vous faire part de nos réflexions sur le rôle de la fonction publique des années quatre-vingt. Notre intervention ne se veut aucunement une plaidoirie, mais plutôt, dans une optique de concertation, une discussion des avenues possibles d'une réforme en profondeur de l'administration publique.

L'intérêt et la préoccupation que nous avons démontrés pour une réforme de la fonction publique au cours des dernières années reflètent bien notre volonté de participer à l'amélioration à la fois des services offerts aux citoyens et de la gestion gouvernementale. Le mémoire que nous soumettons à cette commission sera articulé en trois temps. Avant de commenter les grands principes et les orientations que l'on retrouve dans l'avant-projet de loi, nous désirons profiter de l'occasion qui nous est offerte pour vous soumettre une réflexion sur les différents projets de réforme que nous avons connus au cours des dernières années et pour vous proposer une philosophie et une pensée qui devraient, selon nous, guider toute réforme de la fonction publique. Personne ne peut prétendre posséder toute la vérité sur un sujet aussi complexe, nous en sommes bien conscients. Toutefois, nous voulons, à travers ces lignes, transmettre notre opinion à partir des expériences vécues et des connaissances acquises dans un milieu qui est le nôtre. Puisque l'avant-projet de loi propose une réforme de la fonction publique, nous croyons qu'il est tout aussi important, sinon primordial, d'amorcer une réflexion sur cette réforme que de commenter, d'une façon technique, l'avant-projet de loi lui-même.

Cette réflexion étant faite, nous analyserons les principaux principes et les grandes orientations de l'avant-projet de loi, et nous proposerons des modifications qui seront de nature à se rapprocher davantage de l'objectif que nous nous sommes tous fixé. La troisième partie de notre mémoire ne sera pas lue. Elle contient l'analyse écrite et détaillée du projet de loi article par article, que nous sommes disposés à discuter avec vous à la période de questions, le cas échéant. Finalement, vous trouverez à la fin

de ce mémoire une synthèse de nos principales recommandations que nous avons l'intention de vous livrer à titre de résumé de notre intervention.

Je cède maintenant la parole à Roland Guérin, qui vous présentera un résumé de la première partie de ce mémoire.

M. Guérin (Roland): Merci. Dans cette première partie de notre présentation, nous nous sommes interrogés sur la portée de toutes les réformes qui nous ont été annoncées maintenant depuis quinze ans. En citant les déclarations du chef du gouvernement de l'époque, des ministres de la Fonction publique ou des députés de l'Opposition tout au cours de ces années, nous avons voulu démontrer que ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on parle de réforme, d'accroissement de l'efficacité, de surréglementation, de productivité et d'une nouvelle qualité des services à la population. Nous reconnaissons que ces changements se sont traduits par des améliorations et des ajustements au bon fonctionnement de l'appareil de l'État mais, à notre point de vue, cela n'a jamais constitué une véritable réforme en profondeur.

Ce que nous constatons, c'est qu'il y a sans doute dans ces désirs de réforme des considérations trop politiques. Deuxièmement, il ne suffit pas d'annoncer ou de souhaiter une réforme ou même de changer de gouvernement pour chambarder les routines, la lourdeur administrative et les mentalités de l'État. Troisièmement, ces soi-disant réformes ont pris au Québec deux voies, celle de la réglementation et celle de la centralisation, segmentant ainsi le pouvoir décisionnel des ministres, des sous-ministres et des gestionnaires et alourdissant le fonctionnement de l'appareil gouvernemental. Quand, pour une seconde fois en cinq ans, on s'apprête a reformuler une loi aussi importante que celle qui régit l'appareil gouvernemental, on doit admettre qu'il y a là, pour le moins, un manque d'analyse et de réflexion sur le rôle de la fonction publique au Québec. D'ailleurs, Mme la ministre dans une présentation qu'elle nous faisait le 26 avril dernier, se montrait d'accord avec ce propos en disant qu'il n'y a pas eu d'analyse en profondeur depuis au moins une dizaine d'années.

Ce que nous constatons aussi et ce qu'il y a de surprenant, c'est que les Québécois et les Québécoises ne doutent jamais d'une réforme, que chaque parti politique en annonce une en arrivant au pouvoir et que les fonctionnaires et les gestionnaires en attendent toujours une.

Une réforme, une pensée. Ces efforts sporadiques, mais valables en vue de réaliser une réforme de la fonction publique ont eu autant de définitions que de porteurs de dossiers. Ce qu'on remarque jusqu'ici, c'est qu'aucune des soi-disant réformes ne s'appuyait sur une véritable philosophie de gestion adaptée aux besoins des Québécois et des Québécoises, supportée par une volonté gouvernementale ferme et déterminée, définie selon une planification du changement cohérente et articulée et une programmation bien intégrée. Pourtant, ne pouvions-nous pas lire, sous la signature de Jean-Marc Léger dans le Devoir du 19 novembre 1963: "II n'est pas d'État moderne sans fonction publique; il n'y a pas de fonction publique sans une pensée."

La définition du modèle de fonction publique que nous souhaitons nous apparaît être la première condition à la réussite d'une réforme authentique de la fonction publique. À partir d'une véritable philosophie de gestion, il nous sera possible de charpenter un plan de changement qui, en bout de piste, donnera naissance, on le souhaite bien, à une nouvelle culture organisationnelle.

Dans notre esprit, cette réforme en profondeur sera orientée vers la qualité des services au public, le rapprochement des services à la clientèle, la déréglementation ou la simplification de cette réglementation et la réduction des tracasseries administratives que doivent affronter quotidiennement les citoyens et les gestionnaires. Elle reposera surtout sur la décentralisation et la délégation du pouvoir de décision entre les mains de ceux qui ont la responsabilité d'appliquer les programmes, les politiques ou les lois. Elle reconnaîtra la performance des fonctionnaires et elle devra aussi sanctionner, le cas échéant, leur insuffisance. Elle nécessitera un changement de mentalité tant chez les fonctionnaires que chez les politiciens et le public en général. Pourquoi la rationalisation des ressources humaines, matérielles, financières, la mobilité des cadres des secteurs public, péripublic, parapublic, la responsabilisation des gestionnaires, l'établissement d'indicateurs de rendement ne seraient-ils pas aujourd'hui les avenues guidant la conception d'une nouvelle organisation gouvernementale?

Il ne s'agit pas, non plus, de s'embarrasser d'idéologies ou d'un idéal qui n'aura pas d'écho et de répercussion pratique dans la vie des citoyens. La volonté du gouvernement d'instaurer l'efficacité et l'efficience par une appréciation rationnelle des relations entre les coûts, les avantages et les inconvénients qui affectent le bien-être de la population devrait inspirer le travail quotidien du fonctionnaire. De telles orientations pourraient permettre d'atteindre la satisfaction de l'administré, la motivation de ceux qui les réaliseront, c'est-à-dire les fonctionnaires et les gestionnaires, et l'efficacité souhaitée par ceux qui sont élus. Somme toute, des changements à la petite semaine, sans plan d'ensemble, sans imbrication à d'autres objectifs clairement

définis nous font croire que la machine est trop grosse et qu'il faut la traiter à la pièce. Il faudra bien, un jour, s'asseoir pour définir les contours d'une réforme en profondeur, une réforme qui soit axée sur une pensée articulée et cohérente. Il faut se rappeler que la fonction publique est un point d'appui important pour le développement économique et social du Québec.

Quelques obstacles à franchir. Nous n'avons pas la prétention d'avoir énuméré, à la fois en termes d'ampleur et de complexité, tous les obstacles, mais permettez-moi d'en citer quelques-uns.

Les mentalités. Le premier et l'un des plus importants obstacles sera celui des mentalités. Il y a, d'une part, une sorte de méfiance - on en a entendu encore parler tout à l'heure - et de défaitisme chez les fonctionnaires. On a trop souvent créé des attentes, suscité des espoirs sans livrer la marchandise, de sorte qu'on a fini par développer une culture d'attentisme: "On va attendre pour voir; cela n'a jamais rien donné", et d'autres expressions du genre qui caractérisent cet état d'esprit.

D'autre part, le souci de l'efficacité et de l'efficience ne constitue pas toujours un réflexe naturel chez nous. Il faudra que, dans les secteurs opérationnels comme ailleurs, la productivité et l'efficacité deviennent, ou redeviennent, une habitude. En somme, ce sera la redécouverte du bon sens. Le changement de mentalités ne s'effectuera pas par des changements de lois ou de directives ou de règlements. C'est un état d'esprit qui pourra être modifié par un nouveau style de gestion.

L'autoévaluation, un autre obstacle. Une réforme de l'administration publique exige de la part du gouvernement une ouverture d'esprit particulière qui l'amène à remettre en question ses propres actions et les motifs qui sous-tendent ses interventions. Comment peut-il exiger des autres une discipline à laquelle il ne peut lui-même s'astreindre? Bien sûr, la politique a des visées différentes de l'administratif, nous le concevons. Mais comment pourra-t-on convaincre les gestionnaires d'être soucieux de l'efficacité et de l'efficience si, par ailleurs, les politiciens posent des gestes qui ne sont pas fondés sur les mêmes paramètres d'une gestion efficace et efficiente? (17 h 30)

Un troisième obstacle, la compartimentation. Le cloisonnement actuel des ministères et des organismes, et parfois même à l'intérieur des ministères, soit dit en passant, pourrait bien constituer un autre obstacle. Les fonctionnaires devront intégrer encore davantage la notion de service à la clientèle et l'idée qu'ils sont à l'emploi non pas d'un ministère mais bien de la fonction publique du Québec. Il doivent concourir non seulement à la réalisation des objectifs ministériels ou de leur organisme mais aussi au mieux-être de la collectivité québécoise.

Quelques conditions de succès, en résumé: 1. La réforme souhaitée ne réussira que si elle repose sur une philosophie de gestion et des plans de développement adaptés tournée vers l'avernir. 2. Cette réforme authentique appellera la remise en cause des mandats des organismes centraux afin d'adapter les institutions aux orientations prévues. Là-dessus, le Conseil du trésor est l'organisme qui peut être le plus déterminant. 3. La responsabilisation des gestionnaires devrait être la clé de voûte d'une fonction publique compétente, efficace et axée sur les besoins des citoyens. Pour être imputable, il faut aussi avoir le pouvoir de décision, l'autorité sur les ressources et les outils de gestion appropriés pour le faire. Cela présuppose évidemment que des objectifs clairs et précis nous sont signifiés. 4. On devra alors repenser le processus de décision. C'est au niveau le plus près de leur application que les décisions devront être prises, là où les gestionnaires peuvent mieux juger des problèmes présentés. 5. Notre réforme devra aussi redéfinir les interactions entre l'appareil politique et l'appareil administratif afin de créer une confiance mutuelle. 6. D'autres interactions non moins essentielles devront être définies. Rapidement: les relations avec les citoyens, la place du citoyen, les modes de communication et d'information, autant de volets auxquels il faudra s'arrêter et produire des énoncés clairs et réalistes. 7. La condition essentielle pour réaliser une telle réforme, c'est l'implication des gestionnaires. Il faudra non seulement faire des cadres "des décideurs" compétents, mais aussi leur assurer à la fois la confiance en regard de leur degré de responsabilité et les moyens de réaliser efficacement leur mandat. Les administrateurs publics ne seront plus dès lors sur le pilote automatique imposé par des normes, des contrôles a priori, tatillons et centralisés, minant la motivation et le sens des responsabilités. On ne sera plus des administrateurs de directives.

Le Groupe consultatif de la rémunération du personnel de direction dans la fonction publique fédérale, formé de représentants de grandes entreprises privées, recommandait, dans son dixième rapport, de renforcer le rôle des gestionnaires. Ce groupe reconnaissait que les gestionnaires sont inspirés par le souci d'élaborer de meilleures politiques publiques, d'améliorer le rendement des services au public, de renforcer les pratiques de gestion au sein de la fonction publique fédérale et de bien servir les intérêts de l'État en tant qu'employeur. Je me dis que si des

représentants canadiens du milieu des affaires sont capables d'une telle affirmation, pourquoi ce dernier ne pourrait-il pas s'appliquer aussi aux gestionnaires du gouvernement du Québec? 8. Dans toute réforme sérieuse, les ressources humaines doivent devenir le foyer d'intérêt puisqu'elles constituent la matière première de l'organisation gouvernementale. On devra donner de nouvelles dimensions à la motivation, à la formation, à l'initiative et à l'esprit de service. Il faudra cesser de surnormaliser et ne ménager aucun effort pour dynamiser la gestion du personnel.

M. Dupéré: Maintenant pour continuer, vous pouvez vous référer à la page 16 de votre document, en milieu de page. Le début est: "Si, dès 1960." Maintenant le texte sera complet.

M. Guérin: Si, dès 1960, le gouvernement fédéral a mis sur pied une Commission royale d'enquête sur l'organisation du gouvernement - le rapport Glassco - il y a eu également le rapport Hoover aux États-Unis, le rapport Gordon en Ontario, le rapport Fulton en Angleterre, etc. Il y en a eu plusieurs du genre, évidemment.

Si, au Québec, nous avons cru bon d'instaurer une Commission royale d'enquête sur l'enseignement, en 1961, et d'instituer la Commission d'enquête sur la santé et le bien-être social en 1966, la période d'austérité économique et financière actuelle ne serait-elle pas propice à doter le Québec d'une recherche fondamentale dans le domaine de l'organisation gouvernementale? Ce groupe de travail, composé de personnes crédibles et compétentes, pourrait oeuvrer dans un contexte de recherche - l'avenir en tête - où l'imagination et la simplicité des moyens n'impliquent pas de fonds publics importants. Je pense que la commission Bisaillon a fait aussi une démonstration dans ce sens-là.

Cette "tête chercheuse" se doit d'être un groupe indépendant représentatif des différents intervenants de l'appareil gouvernemental, du public et des cadres eux-mêmes, et non un organisme central. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les propos d'un ex-ministre de la Fonction publique, M. Jean-Paul L'Allier, appuient notre pensée. Chaque gouvernement, disait-il, l'annonce, (cette réforme) mais commet l'erreur monumentale de confier la responsabilité de la réforme à ceux qui sont situés au sommet de la pyramide."

Or, c'est difficile pour ceux qui sont assis sur le sommet de bouger les briques au-dessous sinon c'est leur chaise qui risque de tomber.

La période de crise économique et sociale que nous traversons comporte aussi un avantage. C'est un temps de réflexion, de remise en question, d'évaluation et de créativité. La situation actuelle est propice à une telle réforme. Il ne faudrait pas cependant qu'elle soit inspirée uniquement par des considérations politiques ou financières. Les opportunités de changement devront céder le pas à des transformations fondées sur une philosophie de gestion. Qu'on dépose une nouvelle loi de la fonction publique, c'est bien, c'est même un pas dans la bonne direction, à condition qu'elle constitue l'un des volets importants de la réforme gouvernementale et s'imbrique dans un changement global. À ceux qui croient, en terminant, que la réforme n'est pas pour demain nous, de l'Association des cadres supérieurs du gouvernement du Québec, disons que c'est une bonne raison pour la commencer aujourd'hui. Les années qui viennent nous posent un défi intéressant: nous donner une nouvelle conception de l'organisation gouvernementale. C'est un pari. C'est un pari à la fois sur l'intelligence mais aussi sur le bon sens. Merci.

M. Dupéré: Vous nous permettrez de continuer maintenant, à la page 18, sur l'analyse plus précise du projet de loi en question.

Comme nous l'avons mentionné au chapitre I, la commission Bisaillon retenait dans sa conclusion quatre grandes orientations devant servir d'assise à toute réforme ou à toute modification de la Loi sur la fonction publique. Ces orientations sont à peu près les mêmes que celles qui avaient été dégagées par les autres études ayant porté sur l'analyse et le rôle de la fonction publique.

Nous croyons nécessaire de rappeler ces quatre grands axes avant de nous demander si les principes et les orientations contenus dans l'avant-projet de loi répondent bien aux préoccupations que les membres de la commission Bisaillon exposaient dans le rapport final. Pour les membres de la commission spéciale sur la fonction publique, toute réforme ou toute modification à la loi devait faire en sorte, premièrement, que le citoyen constitue la préoccupation majeure et centrale du projet; que les agents de l'État soient davantage responsables et qu'ils aient à répondre de leurs actes; qu'il y ait accroissement de la productivité des fonctionnaires; que la priorité soit mise sur l'utilisation optimale des ressources humaines existantes dans la fonction publique. J'espère que M. Bisaillon ne sera pas en désaccord avec cela.

Certes, il n'est pas facile de transcrire sous forme législative les orientations et les recommandations d'une commission spéciale mandatée pour étudier le rôle de la fonction publique québécoise dans les années quatre-vingt. Cette difficulté s'amplifie encore

davantage lorsque les sujets qu'il faut insérer dans un avant-projet de loi portent sur la productivité, l'efficacité, l'efficience, la déréglementation, la délégation de pouvoirs et le service aux citoyens. Malgré ces difficultés de taille, nous croyons que les rédacteurs de l'avant-projet de loi ont fait un effort digne de mention pour traduire les grandes préoccupations et les recommandations qui se dégagent du rapport de la commission Bisaillon. A ce sujet, les dispositions interprétatives que l'on retrouve aux articles 2 à 7 de l'avant-projet de loi indiquent bien les principes et les paramètres sur lesquels reposera la nouvelle Loi sur la fonction publique.

Cependant, les dispositions précitées omettent l'un des principes fondamentaux devant guider une réforme authentique de la fonction publique. En effet, le principe de la délégation de pouvoirs, largement décrit et analysé par la commission Bisaillon, n'a pas été repris dans l'avant-projet de loi. Tout au plus souligne-t-on, aux articles 37, 88 et 104, que les titulaires des pouvoirs peuvent déléguer les pouvoirs qui leur sont accordés par le législateur. Cette discrétion n'est soumise à aucune orientation, si bien qu'il pourrait arriver que très peu d'activités de gestion soient déléguées. La loi actuelle, on le sait, permet de déléguer plusieurs activités de gestion du personnel. Malheureusement, l'expérience démontre que bien peu de ces pouvoirs sont transmis aux gestionnaires. En fait, on constate que la très grande majorité des activités de gestion du personnel sont déléguées au directeur du personnel ou au directeur des relations du travail. Cette délégation restreinte limite le pouvoir et le rôle des gestionnaires en matière de gestion des ressources humaines. Notre affirmation ne fait que reprendre une constatation de la commission Bisaillon et je cite: "Dans la plupart des ministères et organismes gouvernementaux, bien peu de ces activités (de gestion du personnel) avaient fait l'objet d'une délégation au profit des gestionnaires." De plus, les membres de la commission Bisaillon tenaient à rappeler - je cite encore une fois - que "le faible degré ou l'absence de délégation des actes de gestion de personnel rendent tout à fait illusoire la mise en place et le fonctionnement harmonieux du régime d'imputabilité préconisé et décrit dans le présent rapport."

À notre avis, on ne peut ignorer le principe de la délégation sans risquer de mettre en cause la réforme de la fonction publique qui nous est proposée. L'Association des cadres supérieurs du gouvernement du Québec demande que l'on inscrive dans la section II de la loi, une disposition visant à favoriser une délégation optimale des pouvoirs de façon que les décisions soient prises par le niveau le plus près possible de leur application. Cette disposition interprétative servirait à indiquer au titulaire du pouvoir la volonté du législateur sur ce sujet. Nous suggérons que le texte suivant soit inclus de façon à réaliser l'objectif de délégation optimale nécessaire à la réforme de la fonction publique. Je cite: "Afin de garantir la qualité des services au public, les pouvoirs prévus dans la présente loi doivent tendre vers une délégation optimale de façon à situer la décision le plus près possible de la personne responsable d'assurer le service aux citoyens."

Par ailleurs, le respect des différents principes prévus aux articles 2 à 7 de la loi devraient faire l'objet d'un contrôle a posteriori. Nous croyons que ce rôle de contrôle pourrait être confié aux différents intervenants gouvernementaux qui ont pour mandat de voir à ce que les citoyens et les fonctionnaires soient traités avec justice et équité. Ainsi, la Commission de la fonction publique pourrait exercer un contrôle sur les principes que l'on retrouve aux articles 3, 5 et 6. Il suffirait d'accorder à la Commission de la fonction publique un pouvoir d'enquête plus large que celui qui est prévu à l'article 117 de la loi, afin de permettre à cet organisme d'enquêter et de faire les recommandations appropriées lorsqu'elle constate l'irrespect des principes précités. L'article 121 de la loi devrait aussi s'appliquer lors de la tenue d'une pareille enquête.

De plus, nous croyons que les différents intervenants responsables d'assurer la qualité des services aux citoyens, et le respect de leurs droits, devraient être associés de très près à la réforme de la fonction publique. Ainsi, le ministre délégué aux relations avec les citoyens et le Protecteur du citoyen pourraient participer au respect des principes qui les concernent plus particulièrement dans la loi.

Il nous apparaît donc essentiel de prévoir un mécanisme de contrôle souple et indépendant qui interviendrait a posteriori de façon à donner un véritable sens aux principes que l'on retrouve aux articles 2 à 7 de la loi.

L'implantation graduelle d'un régime d'imputabilité est la base même d'un service adéquat aux citoyens. Parlant de cette notion, la commission Bisaillon disait que "le faible degré ou l'absence de délégation des actes de gestion du personnel rendent tout à fait illusoires la mise en place et le fonctionnement harmonieux du régime d'imputabilité." De même, la ministre de la Fonction publique exprimait l'avis que "le concept d'imputabilité, tout en rappelant la notion de responsabilité, la relie étroitement à la délégation de l'autorité et des moyens nécessaires à l'atteinte d'objectifs prédéterminés. Ce système ne peut exister si on ne consent pas à décentraliser le pouvoir

de décision."

Nous partageons entièrement ces opinions. À notre avis, la qualité des services gouvernementaux offerts aux citoyens passe inévitablement par la délégation. Il est utopique de penser améliorer la qualité des services au public sans déléguer et décentraliser les pouvoirs, non seulement en matière de gestion du personnel, mais aussi en toute autre ressource. C'est la première condition à respecter.

L'amélioration du service au public nécessite aussi que le législateur reconnaisse le droit du citoyen à un service de qualité. L'article 2 de la loi mentionne ce droit sans toutefois en circonscrire les limites. À notre avis, la prochaine loi sur la fonction publique se doit d'articuler les principaux paramètres sur lesquels reposera l'amélioration du service au public. Elle se doit aussi de prévoir le premier devoir du fonctionnaire qui consiste à aider et à supporter le citoyen qui a recours aux services gouvernementaux. La reconnaissance de ce droit nécessite enfin un climat de confiance dans la hiérarchie. Tous les intervenants devront donc s'attarder particulièrement à développer ce climat de confiance et d'implication pour que nous puissions vivre un sentiment d'appartenance à une fonction publique au service du citoyen. (17 h 45)

La loi réserve une place importante aux administrateurs d'État ainsi qu'au régime syndical des employés de la fonction publique. Il est pratiquement muet sur le rôle, les pouvoirs et les responsabilités que doivent assumer les gestionnaires de l'État. En fait, ce n'est qu'à l'article 36 de la loi que l'on peut lire et je cite: "Les sous-ministres et les dirigeants d'organismes exercent leurs responsabilités avec l'appui et la collaboration du personnel d'encadrement. Les cadres supérieurs et le personnel de direction font partie du personnel d'encadrement. Cette disposition est nettement insuffisante et ne traduit pas le souhait maintes fois exprimé par nous et par d'autres d'accorder aux gestionnaires de l'État une place prépondérante dans l'organisation de la fonction publique. À cet effet, rappelons que le rapport Francoeur-Hendriks avait consacré toute une étude au rôle et aux responsabilités des gestionnaires de l'État. La participation active des gestionnaires est, à notre avis, une condition absolument essentielle à la réussite de la réforme de la fonction publique. Comment pourra-t-on impliquer les gestionnaires de l'État si leur pouvoir, leur rôle et leurs responsabilités ne sont aucunement reconnus dans la loi?

Dans une étude intitulée: "Les cadres se démobilisent-ils? publiée par Mme Pierrette Sartin, dans la revue française "Travail et méthode", l'auteur identifie la crise d'identité comme étant l'une des causes principales de la démotivation des cadres et je cite: "C'est dans cette crise d'identité et dans ce flou que réside une des causes premières de la démotivation des cadres. Ceux-ci souffrent depuis longtemps d'une crise d'identité qui va en s'aggravant avec leur prolifération. Pour Mme Sartin, le premier remède à cette démobilisation et à cette démotivation des cadres serait sans doute de décentraliser la responsabilité et de redonner aux cadres leur place en face de la base et des hiérarchies parallèles. C'est en effet le chef qui reste responsable des tâches confiées à ses subordonnés. Il doit savoir où se donner les moyens d'assumer cette responsabilité".

En étant pratiquement muette sur le rôle, les pouvoirs, et les responsabilités des gestionnaires, la loi ignore cette réalité comme elle ignore, à notre avis, les recommandations contenues dans le rapport Francoeur-Hendriks et celui de la Commission Bisaillon. Nous insistons donc pour que la loi reconnaisse les attributions des gestionnaires de l'État. Si l'on désire réellement augmenter la productivité et par conséquent améliorer le service au public il faut au premier chef que les gestionnaires se sentent responsables; nous l'avons assez dit dans notre premier chapitre.

Pour se sentir responsables ils doivent connaître leur rôle et leurs responsabilités dans l'appareil gouvernemental. Nous ne pouvons qu'être en accord avec les propos que tient Me Patrice Garant, dans son traité sur la fonction publique canadienne et québécoise, lorsqu'il décrit les stimulants qui doivent exister dans notre fonction publique afin d'en augmenter l'efficience et la productivité.

Les stimulants d'ordre subjectif sont la conscience ou l'éthique professionnelle ou l'encadrement du personnel. Le premier est important mais il repose sur des facteurs personnels et il est plus difficile à utiliser. Le second nous apparaît d'une très grande importance et nous pourrions dire que le rendement du personnel d'une entreprise est fonction directe de la qualité de ses cadres. C'est ici que s'est située, hélas trop souvent, la différence entre l'entreprise privée dynamique et le service public. Les cadres doivent, selon nous, réaliser trois qualités: Être compétents, exigeants et ambitieux. Et ceci s'applique aussi bien à la gestion administrative en général qu'à la gestion du personnel.

Pour avoir des cadres compétents, la solution normale est de les former au sein de l'entreprise, quoique l'apport étranger puisse marginalement être considéré comme nécessaire. Pour que les cadres soient exigeants pour eux-mêmes et leurs subalternes il faut qu'ils se sentent responsables, ce qui exige une déconcentration et une délégation d'autorité".

De la même façon, nous ne pouvons qu'appuyer les propos que nous tenait Mme la ministre de la Fonction publique lors de l'assemblée générale annuelle de notre association et je cite: "La réforme dans la fonction publique se fera véritablement dans les faits par la restauration de la responsabilité opérationnelle de tous les agents et surtout de ceux des niveaux supérieurs dont le métier est d'administrer."

À notre avis, il faudra des textes législatifs beaucoup plus explicites que celui que l'on retrouve à l'article 36 de la loi pour redonner aux gestionnaires la responsabilité opérationnelle qui leur revient et dont ils ont besoin pour servir adéquatement le public. Nous demandons que la restauration de la responsabilité opérationnelle aux gestionnaires de l'État se traduise concrètement dans la loi. Bien plus, nous offrons notre collaboration pour proposer aux autorités responsables des projets de texte législatif qui répondrait à notre avenir, aux préoccupations exprimées par les rédacteurs du rapport Francoeur-Hendriks, par les membres de la commission Bisaillon et par la ministre de la Fonction publique elle-même.

En ce qui concerne la gestion des ressources humaines, nous croyons que les articles 33 à 37 de la loi devraient être modifiés, de façon à tenir compte du rôle et des responsabilités des gestionnaires dans ce domaine. De plus, ces modifications devraient tenir compte de l'employé lui-même, et faire appel à sa collaboration, à sa motivation, afin d'assurer la productivité et l'efficacité de son unité administrative, maximisant ainsi, par le fait même, le service au public. À cet effet, nous proposons que les articles 33 à 37 de la loi soient remplacés par les dispositions que vous retrouverez au chapitre III de notre mémoire, où nous analysons la loi article par article.

Le chapitre IV de la loi traite des administrateurs d'État et fixe leur statut. Nous reconnaissons volontiers que la notion d'aministrateur d'État est nécessaire, et nous ne pouvons qu'applaudir à l'idée de regrouper les administrateurs de la haute direction dans un même corps d'emploi.

Toutefois, deux questions retiennent notre attention: celle des sous-ministres adjoints et associés et celle du directeur du cabinet du premier ministre. Comment, en effet, concevoir que ce dernier puisse être nommé fonctionnaire et, en même temps, se conformer à l'article 14 de la loi qui stipule que le fonctionnaire doit faire preuve de neutralité politique dans l'exercice de ses fonctions? Cela nous apparaît peu conciliable. En conséquence, nous demandons d'exclure le directeur du cabinet du premier ministre du corps d'emploi des administrateurs d'État.

Quant aux sous-ministres adjoints et associés de chaque ministère, le corps d'emploi des administrateurs d'État devrait les exclure, rejoignant ainsi les orientations du rapport Francoeur-Hendriks et celles de la commission Bisaillon. Nous demandons expressément que le corps d'emploi des cadres supérieurs regroupe, à l'intérieur de ses cinq classes, les sous-ministres adjoints et associés. Un tel regroupement permettrait, comme le soulignait avec justesse la commission Bisaillon, "un indéniable et indispensable élément de continuité dans la structure administrative, permettant un élargissement de la carrière des cadres supérieurs".

De plus, elle aurait comme conséquence de soumettre les nominations discrétionnaires du gouvernement à la règle du mérite qu'il prône depuis plusieurs années. Comme l'avant-projet de loi prévoit le rangement par niveaux, le gouvernement jouait quand même d'une certaine discrétion pour choisir la personne qu'il juge la plus apte à exercer une fonction de sous-ministre adjoint et de sous-ministre associé.

Finalement, cette disposition rejoindrait l'une des préoccupations majeures de l'Association des cadres supérieurs du gouvernement du Québec, que le plan de carrière des cadres supérieurs puisse reposer sur la règle du mérite et déboucher tout normalement au haut de la pyramide administrative.

Parlons maintenant un peu du Conseil du trésor. L'article 77 de la loi confie au Conseil du trésor la responsabilité d'établir des politiques de gestion des ressources humaines. La Loi de l'administration financière, quant à elle, prévoit que cet organisme joue un rôle de premier plan en matière de gestion des ressources financières. Or, la gestion des ressources financières et la gestion des ressources humaines ne font pas nécessairement appel à la même logique, aux mêmes principes, aux mêmes intérêts non plus qu'aux mêmes modes de connaissance et de fonctionnement. Il ne faudrait surtout pas que l'on réduise la gestion des ressources humaines à une soi-disant logique financière. Le Conseil du trésor devra donc consacrer autant d'attention et d'énergie à la gestion des ressources humaines qu'à la gestion des ressources financières, et donner des responsabilités et des pouvoirs équivalents à chacune de ces deux missions, assurant ainsi le juste équilibre nécessaire à l'administration. Tout en étant d'accord avec l'orientation que l'on retrouve dans la loi, nous jugeons essentiel que le gouvernement structure le Conseil du trésor de manière qu'il puisse faire face adéquatement à sa nouvelle responsabilité.

Par ailleurs, la commission Bisaillon et le rapport d'étude Francoeur-Hendriks recommandaient une décentralisation des

pouvoirs, de façon à redonner aux gestionnaires de chaque ministère et de chaque organisme les pouvoirs nécessaires à l'exécution de leurs fonctions. Nous admettons que le Conseil du trésor doit jouer un rôle important dans les réformes de la fonction publique. Il faudrait tout de même que cet organisme connaisse l'orientation du gouvernement concernant la décentralisation des pouvoirs. Afin de faciliter l'atteinte de cet objectif, nous soumettons que la loi devrait préciser qu'en matière de gestion des ressources humaines le Conseil du trésor agit en collaboration avec les autorités des ministères et des organismes.

L'avant-projet de loi prévoit, à son chapitre VII, les sujets sur lesquels le gouvernement peut réglementer. On se rend compte à la lecture que l'objectif de déréglementation recherché par les rédacteurs a vraiment été atteint.

Tout en diminuant de façon draconienne le pouvoir réglementaire, l'avant-projet de loi accorde cependant, aux différents organismes centraux, le pouvoir d'émettre des directives ou d'établir des politiques en matière de gestion du personnel. Nous craignons que les nombreux règlements actuellement en vigueur ne se transforment en autant de directives et de politiques sur les mêmes sujets. Toute personne ayant déjà consulté les directives du Conseil du trésor, contenues dans quatre volumes différents, quatre pouces d'épais, comprendra facilement nos craintes. Nous espérons que les autorités gouvernementales prendront les dispositions appropriées afin que les différents intervenants fassent preuve de modération dans l'adoption de politiques ou de directives en matière de gestion des ressources humaines. De plus, nous croyons qu'il serait nécessaire que ces directives et ces politiques reçoivent la même publicité que s'il s'agissait d'un règlement adopté par le gouvernement.

En parlant d'imputabilité, l'article 4 de l'avant-projet de loi prévoit que tout fonctionnaire rend compte des actes qui lui sont imputables dans l'exercice de ses fonctions. Rappelons que la commission Bisaillon avait insisté longuement sur cette question et qu'elle avait identifié les conditions nécessaires à l'existence d'un véritable régime d'imputabilité. La commission Bisaillon avait également identifié les difficultés et les problèmes reliés à l'implantation d'un tel régime. Finalement, elle croyait que l'implantation d'un régime d'imputabilité devait se faire en plusieurs étapes, impliquant beaucoup de consultations, de préparation et de suivis par les mandataires et les mandants. Nous nous sommes déjà prononcés en faveur de ce principe dans le mémoire que nous remettions aux membres de la commission. À cette occasion, nous insistions sur la nécessité de procéder d'une façon graduelle à l'implantation de ce principe et d'en étudier auparavant toutes les implications. De plus, il nous apparaissait qu'un régime d'imputabilité devait comporter des mesures permettant de distinguer les décisions prises au niveau politique de celles prises au niveau administratif. Nous ne pouvons que réitérer cette même position devant les membres de cette commission.

Nous incitons fortement les autorités gouvernementales chargées d'appliquer la future loi sur la fonction publique à tenir compte des remarques que nous avons formulées et des commentaires émis par les membres de la commission Bisaillon de façon que ce principe soit véritablement utilisé comme un instrument de gestion permettant l'amélioration de la fonction publique. Nous retenons également la définition de l'imputabilité que nous a donnée la ministre de la Fonction publique lors de notre dernière assemblée générale annuelle. Pour la ministre, l'imputabilité, "c'est l'obligation pour un fonctionnaire de rendre compte à son supérieur de l'atteinte des objectifs négociés concurremment avec les moyens mis à sa disposition pour les atteindre dans un délai préétabli". Sans aller jusqu'à demander que cette définition apparaisse dans la loi, nous croyons qu'elle devrait être largement diffusée auprès des membres de la fonction publique et auprès du public en général. Il va de soi que la première étape à franchir avant de procéder à l'implantation de ce principe consiste à s'entendre sur la définition qu'il faut donner à cette notion.

L'article 3 de l'avant-projet de loi pose comme principe que la fonction publique doit être organisée et administrée avec efficience et de manière à développer et à utiliser ses ressources humaines de façon optimale.

Ce principe est sûrement l'un des plus importants que l'on retrouve dans la loi puisqu'il concerne la productivité de la fonction publique. La commission Bisaillon soulignait dans son rapport qu'il est nécessaire qu'une politique relative à la productivité dans la fonction publique vienne traduire une volonté claire en ce domaine. Nous partageons entièrement cette opinion. À notre avis, il est impératif que le gouvernement exprime clairement sa volonté d'accorder priorité à la productivité de l'État et qu'il soit conséquent avec cette volonté. L'augmentation de la productivité étant directement reliée à la motivation des fonctionnaires il est particulièrement important que le gouvernement se penche sur cette question et qu'il adopte des politiques qui permettront de motiver ses employés. Il s'agit là d'un prérequis à toute réforme de la fonction publique visant l'efficience et l'amélioration du service au public. (18 heures)

Existe-t-il, chez nos dirigeants, une telle volonté politique? L'orientation,

annoncée récemment par le gouvernement, de transformer certains ministères et certains organismes en sociétés d'État, afin de les soustraire à la Loi sur la fonction publique, nous laisse très songeurs quant à la volonté réelle du gouvernement de consacrer des efforts importants au changement de mentalité, à la motivation des fonctionnaires et à l'augmentation de la productivité dans la fonction publique. Comment peut-on, en effet, concilier cette orientation et la volonté exprimée par le gouvernement d'accroître la productivité, l'efficience et la motivation de ses fonctionnaires? Le changement de mentalité, nécessaire à la motivation des employés de l'État, demande qu'on établisse un climat de confiance et de concertation dans un appareil qui, par son ampleur même, reste difficile à gérer et impossible à uniformiser.

Le gouvernement devrait consacrer ses énergies à développer des moyens qui permettraient d'augmenter la motivation des employés de la fonction publique. La "responsabilisation" des employés, l'enrichissement des tâches, la mise sur pied de mesures d'encouragement à la productivité et la reconnaissance de la performance dans le cheminement de carrière de la personne sont autant d'avenues menant à la motivation et à la productivité des fonctionnaires. L'Association des cadres supérieurs du gouvernement du Québec offre sa collaboration afin que l'on développe, dans les meilleurs délais, des moyens concrets et des outils de formation continues qui permettront d'accroître la productivité de l'État et la motivation des fonctionnaires.

En guise de conclusion, le premier chapitre de notre mémoire présentait une réflexion sur une véritable réforme en profondeur de la fonction publique. Nous y avons exposé franchement les conditions à respecter et les obstacles à franchir pour en arriver à une telle réforme. Nous sommes bien conscients que l'adoption de la présente loi n'est pas une fin en soi, mais plutôt un premier pas vers cet objectif. L'avant-projet qui nous est proposé a le mérite d'amorcer cette réforme en insistant plus particulièrement sur le service au public, l'efficience et la productivité de la fonction publique, la déréglementation et l'imputabilité des fonctionnaires.

Les commentaires et les positions que nous avons exprimés dans ce deuxième chapitre, ainsi que les modifications que nous proposons au chapitre III, visent essentiellement à bonifier le projet de texte législatif qui nous est soumis. Nous croyons sincèrement que la reconnaissance du principe de la délégation de pouvoirs ainsi que l'identification du rôle, des responsabilités et des pouvoirs des gestionnaires permettraient d'envisager plus rapidement une réforme de la fonction publique reposant sur l'amélioration du service aux citoyens.

Malgré tous les efforts consacrés et les travaux entrepris depuis plus de deux ans pour réformer la fonction publique, nous devons quand même conclure que le travail est loin d'être terminé. Il faut pousser encore beaucoup plus avant cette réflexion, afin de posséder toutes les informations nécessaires lorsque viendra le temps de poser un diagnostic sur cette réforme le 1er novembre 1990, jour où la loi qui nous est proposée cessera d'avoir effet. Afin d'être en mesure de faire face à nos responsabilités à ce moment, nous réclamons la création immédiate d'un comité sur l'administration publique dont le mandat sera d'étudier en profondeur le fonctionnement de l'appareil gouvernemental. Un tel comité, formé de représentants du gouvernement, des citoyens, des corporations, qu'on est souvent trop porté à oublier, et des employés de l'État, devrait analyser le fonctionnement des trois composantes de l'administration, soit: la gestion du personnel, la gestion financière et la gestion matérielle. Nous pourrions alors envisager, pour les années quatre-vingt-dix, l'adoption d'une véritable charte de l'administration publique québécoise.

Cette requête n'exclut aucunement l'adoption de l'avant-projet de loi qui nous est proposé, avec les modifications que nous suggérons. Elle se veut plutôt un élément de continuité et de complémentarité aux travaux qui ont été menés jusqu'à maintenant. Nous ne pouvons plus nous payer le luxe de réformes à la pièce et de réinventions de la roue en oubliant le moyeu, autant d'exercices qui gaspillent inutilement les énergies et qui finissent par détruire les meilleures volontés. La conjoncture économique maussade que les sociétés subissent présentement à l'échelle mondiale engendre un malaise généralisé à l'endroit de toutes les administrations publiques. Tout retard à procéder à une réforme en profondeur de l'administration gouvernementale dans le sens proposé risque de soulever des critiques encore plus virulentes chez les administrés, parce que la gestion de l'appareil gouvernemental deviendra encore plus onéreuse. Il est donc urgent d'adopter les mesures qui nous permettront de faire face adéquatement au défi qui nous attend: offrir au public un meilleur service à un moindre coût.

Je vous prie maintenant de vous référer à la page 44 de notre mémoire, où vous trouverez la synthèse des principales recommandations de l'Association des cadres supérieurs du gouvernement du Québec.

Suite à l'analyse de l'avant-projet de loi sur la fonction publique, l'Association des cadres supérieurs du gouvernement du Québec recommande: 1o que le principe de la délégation de pouvoirs soit inscrit dans la section 2 de

l'avant-projet de loi de façon que les décisions soient prises par le niveau le plus près possible de leur application; 2o que le respect des différents principes prévus aux articles 2 à 7 de l'avant-projet de loi fasse l'objet d'un contrôle a posteriori et que ce rôle soit confié à des organismes gouvernementaux existants; 3o que l'avant-projet de loi sur la fonction publique précise davantage les droits des citoyens à un service de qualité; 4o que l'on accorde aux gestionnaires de l'État une place prépondérante dans l'organisation de la fonction publique en reconnaissant leur rôle, leurs pouvoirs et leurs responsabilités; 5o que les sous-ministres adjoints et associés soient intégrés à la classification des cadres supérieurs et que leur nomination soit soumise à la règle du mérite; 60 que le gouvernement structure le Conseil du trésor de manière qu'il puisse faire face adéquatement à sa nouvelle responsabilité en matière de gestion des ressources humaines; 7o que la planification et le développement de la carrière des administrateurs d'État et des cadres supérieurs relèvent d'un interlocuteur de haut niveau à qui serait confié ce seul mandat; 80 qu'un comité sur l'administration publique, formé de représentants du gouvernement, des citoyens, des corporations et des employés de l'État, soit immédiatement créé afin d'étudier en profondeur le fonctionnement des trois composantes de l'administration publique, soit: la gestion du personnel, la gestion financière et la gestion matérielle dans le cadre du service au citoyen.

Voilà, M. le Président, Mme la ministre et MM. les membres de cette commission, les commentaires que nous avions à formuler sur la gestion gouvernementale et l'avant-projet de loi sur la fonction publique qui fait l'objet aujourd'hui de notre rencontre.

Merci de nous avoir écoutés si attentivement.

Le Président (M. Champagne): Comme prévu au début de cette présentation du mémoire, nous allons vous entendre aussi à la période des questions et des commentaires demain matin à 10 heures.

Sur ce, la commission élue permanente de la fonction publique ajourne ses travaux à demain, jeudi, 10 heures.

(Fin de la séance à 18 h 08)

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