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Version finale

39e législature, 2e session
(23 février 2011 au 1 août 2012)

Le jeudi 24 mars 2011 - Vol. 42 N° 1

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 133, Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement


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Table des matières

Journal des débats

(Onze heures vingt-trois minutes)

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Donc, je déclare la séance de la Commission des finances publiques ouverte. Si vous avez des petits cellulaires ou des choses qui peuvent vous faire vibrer, s'il vous plaît, les fermer.

Donc, la commission est réunie afin de procéder aux consultations particulières et aux auditions publiques sur le projet de loi n° 133, Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Ouellette (Chomedey) est remplacé par M. Huot (Vanier) et M. Aussant (Nicolet-Yamaska) est remplacé par M. Simard (Richelieu).

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Donc, ce matin, à l'ordre du jour -- Mme la secrétaire, donnez donc moi ça, l'ordre du jour, que j'aie ça en main -- donc nous allons entendre un groupe aujourd'hui -- je remarque que vous avez déjà pris place -- et nous avons avec nous l'Association professionnelle des entreprises en logiciels libres, représentée par M. Cyrille Béraud. C'est bien ça? Donc, sans plus tarder, M. Béraud, nous allons vous donner l'opportunité de vous exprimer. Mais, avant, avant même cette opportunité-là, je vais donner l'occasion à Mme la ministre de faire ses remarques préliminaires pour sept minutes. Ça vous va, Mme la ministre?

Remarques préliminaires

Mme Michelle Courchesne

Mme Courchesne: Oui, merci, M. le Président. Alors, permettez-moi de saluer mes collègues parlementaires des deux côtés de la table, dois-je dire, et saluer aussi toute l'équipe qui m'accompagne.

M. le Président, nous amorçons, aujourd'hui, et ça, jusqu'au 6 avril prochain, une série de consultations publiques sur un projet de loi qui vise essentiellement à mettre en oeuvre une politique-cadre sur les ressources informationnelles, politique qui a été annoncé il y a déjà quelque temps. C'est une politique, et c'est une loi, qui, bien sûr, parlera de gouvernance et de gestion. Mais vous savez comme moi que, bon an, mal an, le gouvernement, incluant ses deux réseaux éducation et santé, investit plus de 2,6 milliards de dollars par année -- c'est énorme, c'est une somme extrêmement importante -- dans ses réseaux informatiques. Par ailleurs, on comprendra aussi qu'aujourd'hui une organisation aussi vaste et complexe que l'appareil d'État ne peut se gérer sans des systèmes informatiques performants. Et voilà tout le défi, c'est de s'assurer que nous répondons à des besoins qui évoluent constamment, mais que nous sommes en mesure d'y répondre de la façon la plus efficace, efficiente, adéquate, mais que nous devons aussi nous assurer que nous avons tous les outils, tous les moyens en main pour le faire dans le cadre d'une gestion très rigoureuse des fonds publics. Et j'aurai l'occasion de revenir sur ces questions-là au cours des prochains jours.

Mais il m'apparaît important, et Dieu sait... Puis je pense qu'on doit le reconnaître, il y a, sur l'ensemble des dossiers qui sont mis en oeuvre, beaucoup de très belles histoires de succès, mais il y a eu... Et nous ne sommes pas à l'abri, au moment où on se parle, aussi, d'avoir des situations de projets qui soient beaucoup plus à risque et qui parfois font en sorte que les coûts et les échéanciers, parce que ça va ensemble très souvent, sont non respectés, et ça, je pense que c'est un des questionnements que nous avons la responsabilité d'avoir pour s'assurer que nous resserrons la planification, que nous resserrons les mécanismes d'autorisation, que nous resserrons les mécanismes de suivi et de reddition de comptes. Et ça, ça veut dire: Est-ce que nous avons la meilleure gestion de projet pour répondre à ces besoins-là? Et, comme nous sommes une très vaste organisation de plus de 75 000 employés, sans les réseaux d'éducation et de la santé, est-ce que nous, à l'intérieur des différents ministères, avons la certitude d'une bonne intégration de nos systèmes lorsque nous les développons?

On aura... Je ne veux pas être trop technique et trop... trop technique par rapport à ces questionnements, mais je vous dirais que nous avons senti le besoin, donc, d'avoir cette politique-cadre pour resserrer ces différents aspects et, M. le Président, pour, très certainement, renforcer le rôle, la fonction de ce que nous appelons le dirigeant principal de l'information. Ça aussi, au fil des ans, il y a eu... Et toutes les grandes organisations se posent des questions. Est-ce qu'on doit complètement décentraliser cette gestion, ces autorisations? Ou alors est-ce qu'un dirigeant principal de l'information ne devient pas un personnage ou une personne... mais en fait un lieu davantage, parce que ce n'est pas qu'une seule personne, où, dans la gouvernance, on peut effectivement nous assurer de l'application de toutes les meilleures pratiques et s'assurer de l'application de toutes les meilleures règles?

Alors, c'est dans ce contexte que nous nous présentons devant vous. Nous avons, comme premier intervenant ce matin, M. Béraud, qui représente aussi l'Association professionnelle des entreprises en logiciels libres. Je veux dire que, dans la politique-cadre, nous avons un chapitre à cet effet-là, on aura l'occasion d'en discuter. Mais il y a, là aussi, des enjeux importants pour le gouvernement quant à l'utilisation de ces logiciels libres et quant à l'encadrement de l'utilisation de ces logiciels libres. Alors, je tiens à le mentionner parce que ça demeure aussi un enjeu important pour l'avenir du déploiement de nos services informatiques, mais aussi sur notre capacité de s'assurer que nous utilisons les bons outils pour répondre à ces différents besoins.

Alors, c'est avec beaucoup d'intérêt, M. le Président, que nous nous présentons devant vous, mais aussi une grande ouverture, parce que, je le répète, je le dis à chaque fois, cette instance qu'est la commission parlementaire et ces étapes que nous avons à suivre pour adopter un projet de loi et en faire vraiment le coeur de notre législation en matière de ressources informationnelles... Évidemment, ces travaux sont essentiels pour nous pour bonifier, améliorer ce qui doit être amélioré. Donc, nous allons bien sûr travailler -- et je suis convaincue -- avec le député de Richelieu, avec le député de Shefford, avec tous les députés qui se présenteront avec nous, nous allons travailler vraiment dans un esprit de collaboration, dans le but de rencontrer les objectifs que je viens d'énumérer et de nous assurer que nous adopterons le meilleur projet de loi possible. Merci.

**(11 h 30)**

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, Mme la ministre. Et, à votre instar, permettez-moi de saluer M. le député de Richelieu, bien sûr, M. le député de Rimouski, M. le député de Shefford et MM. les députés de Huntingdon, Viau et Vanier. Donc, sans plus tarder, M. le député de Richelieu, à vous la parole.

M. Sylvain Simard

M. Simard (Richelieu): Merci beaucoup, M. le Président. D'abord, vous saluer, et remarquez que c'est la première fois que j'ai le plaisir, sous votre nouvelle présidence, d'être dans votre commission, et vous souhaiter évidemment beaucoup de succès dans vos travaux. Saluer ma collègue et amie la présidente du Conseil du trésor avec qui nous allons travailler sur ce projet de loi, évidemment mes collègues de l'opposition et mes collègues du gouvernement.

Si nous sommes ici... Je vais être rapide, moi aussi. Je n'ai pas l'intention d'étirer les remarques préliminaires, mais simplement rappeler que, si nous sommes ici, c'est parce que, depuis quelques années, une série de catastrophes se sont abattues sur les projets informatiques gouvernementaux -- je ne veux pas prendre... -- et on aura longuement l'occasion de les détailler, je vais en citer quelques-uns, et rappeler que nous sommes à la veille de recevoir un rapport du Vérificateur général. D'ailleurs, c'est à la suite des travaux de ce Vérificateur général au Conseil du trésor et dans plusieurs ministères que le gouvernement a enfin commencé, débuté timidement à réagir face à ce problème dramatique.

Dossier santé du Québec, vous avez vu il y a quelques jours dans quelle catastrophe nous sommes: report de cinq ans, admission que nous en sommes à peu près encore au point zéro, démissions en cascade des fonctionnaires responsables de ce dossier. Je ne m'attarderai pas, mais vous le connaissez. À la CSST, après avoir dépensé une quarantaine de millions, on a décidé de recommencer à zéro et de tout mettre... À la Justice, exactement, après une trentaine de millions, on a été obligés de recommencer à zéro. À Revenu Québec, qui était à l'époque le ministère du Revenu, la même chose. À la CSST, la même chose. Au ministère de la Santé, différents organismes, notamment le dossier clinique des personnes âgées. Tout ça, une série de projets... On dirait, actuellement... Vous allez me dire: Le bien ne fait pas de bruit, puis il y a des projets qui ont sans doute fonctionné. J'ai hâte d'en entendre parler. Je n'entends parler que de projets qui ne vont nulle part. Il y en a qui fonctionnent sans doute, et il y aurait peut-être intérêt à s'en inspirer. Je sais qu'il y en a qui fonctionnent, mais... Je sais qu'il y en a qui fonctionnent.

Et je veux tout de suite mettre en contexte, M. le Président, avant que mes collègues d'en face ne s'énervent le poil des jambes un peu trop: nous ne sommes pas les seuls. Ça existe. C'est un problème qui existe dans bien des endroits. Ça ne justifie pas d'avoir laissé se développer un certain nombre de projets anarchiques, mais nous ne sommes pas les seuls. Le ministre de la Santé de l'Ontario a démissionné à la suite des mêmes inconvénients advenus à son projet de Dossier santé l'an dernier. Dans plusieurs grandes entreprises, il y a crise à ce sujet. Donc, il faut nécessairement prendre des mesures. Le projet de loi, donc, vient répondre à l'avance, tenter de répondre à l'avance au tsunami qu'apportera, par définition, le rapport du Vérificateur général.

La présidente du Conseil du trésor vient de parler des logiciels libres. Parce qu'elle est en commission européenne avec un représentant du gouvernement actuellement à Strasbourg, la députée de Taillon ne peut pas être parmi nous aujourd'hui, mais M. Béraud sait son intérêt pour le logiciel libre. Nous allons pouvoir en parler ce matin, dire déjà que le logiciel libre n'est pas dans le projet de loi, même s'il est dans la politique. Alors, ça va poser un certain nombre de questions, évidemment.

Moi, j'ai eu en moins d'une année et demie une ministre qui ne savait pas ce que c'était et qui poursuivait devant les tribunaux les promoteurs du logiciel libre; j'ai eu une ministre qui avouait candidement non seulement ne pas savoir ce que c'était, mais étant assurée qu'elle ne saurait jamais ce que c'était; j'ai enfin une ministre qui s'y dit intéressée, ouverte. Alors, nous allons voir ce que concrètement ça veut dire. Mais on doit avouer ici que le gouvernement du Québec n'est pas en avance. Plusieurs administrations à travers le monde ont regardé et ont mis en place des solutions de logiciel libre qui économisent énormément d'argent et qui s'adaptent de mieux en mieux aux réalités.

Mais tout ça pose aussi le problème qui est au coeur de ce projet de loi, qui doit être au coeur de notre réflexion: Quelle est la part de l'État dans la gestion de ces dossiers? Je rappelle que la ministre elle-même s'est inquiétée de la trop grande part de la sous-traitance dans la gestion de ces projets. Quelle est la masse critique nécessaire, au niveau de la fonction publique, pour gérer adéquatement ces projets? Où cette expertise doit-elle se trouver? Quelles sont les grandes décisions à prendre pour reprendre le contrôle d'un domaine dont manifestement le gouvernement a perdu le contrôle?

Alors, nous allons écouter avec beaucoup d'attention, M. le Président, les recommandations, les représentations qui nous seront faites au cours des prochains jours, et nous passerons ensuite à l'étude de ce projet de loi. Je vous remercie.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, M. le député de Richelieu. M. le député de Shefford.

M. François Bonnardel

M. Bonnardel: Merci, M. le Président. Je serai bref, je pense que mon collègue de Richelieu est ici depuis plus longtemps que moi et a vu d'innombrables désastres informatiques depuis une dizaine d'années, et a mentionné le Dossier santé du Québec, la CARRA, Hydro-Québec. Ce sont des coûts énormes que les contribuables auront encore à payer dans les prochaines années parce qu'on n'avait aucune vision claire sur les projets informatiques, autant dans le système de santé que dans le système d'éducation, partout ailleurs dans l'appareil public.

L'apparition du mot «logiciel libre», pour le gouvernement, c'est tout nouveau, mais, à quelque part, je pense qu'on aura des questions intéressantes, et surtout à écouter M. Béraud dans quelques instants, à savoir: Comment on peut faire mieux dans l'appareil public aujourd'hui pour sauver énormément d'argent? Parce que, quand la ministre nous dit, et les Québécois le savent bien, que c'est 2,6 milliards de dollars que nous investissons à chaque année dans les technologies informatiques, bien, j'ose croire, M. le Président, qu'avec ce projet de loi il y aura des choses intéressantes à discuter avec la ministre quand on commencera l'étude détaillée, à savoir: Est-ce qu'un jour ou l'autre, après ce projet de loi, mais une vision claire sera mise en place pour qu'on ait, pour chaque dollar dépensé, une situation qui sera encore meilleure pour nos projets informatiques et surtout pour l'appareil gouvernemental, mais pour les Québécois? Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, M. le député. Donc, sans plus tarder, je vous rappelle les règles, qui sont fort simples: il y a 15 minutes de présentation. Donc, M. Béraud vous allez avoir 15 minutes... Vous m'entendez bien? Oui?

M. Béraud (Cyrille): Oui.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Vous allez avoir, donc, 15 minutes de présentation, et il y aura une période d'échange de part et d'autre, 22 minutes, grosso modo, et puis l'autre partie pour l'opposition et la deuxième opposition. Donc, à vous la parole, M. Béraud. Merci de vous être présenté en commission.

Auditions

Association professionnelle des
entreprises en logiciels libres (APELL)

M. Béraud (Cyrille): Je vous remercie, M. le Président. J'ai déposé cette présentation que je vais vous faire au secrétaire de la commission, donc elle vous sera disponible ainsi qu'une série de propositions d'amendement également pour améliorer le projet de loi n° 133.

M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les députés, je voudrais tout d'abord vous remercier de permettre à notre association de s'exprimer sur la loi, le projet de loi n° 133, portant sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement. Nous avons effectivement la prétention de pouvoir contribuer à l'amélioration de cette gouvernance et de participer à ce débat dont les enjeux sont absolument essentiels pour l'avenir du Québec.

En effet, ces 20 dernières années, l'écart des gains de productivité entre le secteur privé et le secteur public s'est accru significativement, ayant pour résultat, en proportion, un accroissement important des coûts pour les citoyens, et ce, à services constants. Cette situation, vous le savez, met l'État devant ce choix implacable: soit augmenter les taxes ou l'endettement, soit réduire les services. L'amélioration de la productivité de l'État s'avère être la seule solution.

La révolution des technologies de l'information et de la communication est au coeur de l'extraordinaire accroissement de productivité dans le secteur privé. L'État doit donc prendre appui sur ces nouvelles technologies afin d'améliorer son efficacité.

**(11 h 40)**

Il y a aussi une autre raison pour laquelle ces enjeux sont fondamentaux. À quoi bon promettre un système de santé efficace, à quoi bon promettre une réingénierie ou une débureaucratisation de l'État si, par l'incapacité à mener à bien les mutations de son système d'information, ces promesses non seulement restent vaines, mais en plus alourdissent le poids des charges des contribuables? À chaque projet informatique qui échoue, c'est la parole publique, votre parole, qui est dévalorisée, discréditée. À chaque projet informatique qui échoue, c'est notre démocratie qui est mise en échec.

Ces deux raisons que je viens d'évoquer, au fond, vous les connaissez. J'aimerais en mentionner une troisième, qui trouve ses fondements dans le fait qu'au cours de ces 20 dernières années les ordinateurs ont commencé à communiquer entre eux. Cette mise en réseau a permis de nouveaux gains en efficacité, de nouvelles possibilités pour chacun de nous et pour chaque organisation. Elle nous a permis de communiquer rapidement et collectivement, d'organiser notre travail ou notre mission différemment, de collaborer et de partager le fruit de notre travail.

En numérisant l'ensemble de nos connaissances, cela nous a permis d'accéder aux savoirs des autres, mais également de permettre à d'autres d'accéder aux nôtres. Bref, de cette mise en réseau a émergé une nouvelle forme d'intelligence collective qui est bien plus que la somme des parties qui la composent. Ainsi, en se connectant, ces ordinateurs, ces données, ces applications qui la manipulent, sans que nous nous en apercevions, changent la nature même de l'outil. Celui-ci ne se limite plus à automatiser des processus de production. Mis en réseau, il constitue désormais la colonne vertébrale, le système nerveux et la mémoire de l'État.

Et c'est ainsi que l'État est devenu dépositaire, sans même qu'il s'en soit rendu compte, d'une nouvelle responsabilité, celle d'enrichir, de développer et de protéger ce qui constitue non pas les actifs informationnels de l'État, mais ce que je préfère appeler, pour ma part, le patrimoine numérique de l'État québécois.

Ce patrimoine numérique est un bien public qui appartient à chaque Québécois. Il est devenu, et le sera plus encore demain, la source de création d'immenses richesses. Il est la voie par laquelle les générations futures bâtiront l'État moderne dont elles auront besoin. Notre prochain défi est de mettre à la disposition de la collectivité l'ensemble de ces richesses. C'est ce qu'on appelle le gouvernement ouvert.

Comme vous le voyez, les enjeux de la gouvernance des ressources informationnelles sont cruciaux et déterminants pour l'avenir du Québec.

Avant d'envisager les solutions proposées pour améliorer la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles, il nous faut faire un diagnostic plus précis encore. Comment expliquer la succession d'échecs dans la mise en oeuvre de nombreux projets informatiques gouvernementaux ces 10 dernières années? Comment expliquer les défaillances dans la gestion de la plupart de ces projets, comme en témoignent les dépassements de coûts systématiques, et souvent dans des proportions faramineuses?

Les systèmes d'information des organisations, et en particulier ceux de l'État, sont devenus des systèmes fortement intégrés, complexes, hétérogènes et en mutation constante. Ce changement mal anticipé de paradigme explique, d'après nous, en grande partie l'impasse à laquelle ont mené les politiques précédentes.

Pour mettre en oeuvre ces systèmes d'information modernes, l'organisation se doit d'abord d'être maître de l'ensemble de ses composants. Elle doit en être pleinement propriétaire. Elle doit posséder l'outillage technologique nécessaire. Enfin, elle doit mettre en oeuvre une méthodologie de gouvernance de projet adaptée.

En utilisant massivement des logiciels qui, par leurs licences, restreignent drastiquement l'usage qu'elles peuvent en faire -- je parle ici des logiciels privatifs -- les administrations se sont privées de la liberté d'adapter continuellement leurs outils à leurs besoins, ceci entraînant un surcoût et un gâchis de ressources financières et humaines incommensurables. En se privant d'utiliser l'extraordinaire boîte à outils disponible sur Internet, elles se sont condamnées à reconstruire sans cesse ce qui existait déjà. Enfin, en mettant en oeuvre des méthodologies de gouvernance de leurs projets dépassées, elles se sont privées de la mutualisation extrêmement bénéfique des ressources logicielles et de l'expertise humaine rare et coûteuse.

Le logiciel libre est la réponse apportée par l'industrie du logiciel pour bâtir les nouveaux systèmes d'information modernes. Incontournable, il est devenu la norme dans cette industrie à travers le monde. Il n'est pas une garantie en soi du succès des projets informatiques, bien d'autres paramètres rentrent en ligne de compte. Mais l'APELL, l'Association professionnelle des entreprises en logiciels libres, affirme que le logiciel libre est la seule voie possible pour bâtir des systèmes d'information modernes.

Qu'est-ce que le logiciel libre? Tout d'abord, il est essentiel d'indiquer que les logiciels libres ne sont pas des produits en plus ou de nouveaux produits. Ce ne sont pas des solutions. Les logiciels libres ne constituent pas une alternative, ils sont véritablement une nécessité des systèmes d'information modernes. Ils permettent de bâtir ces systèmes d'information complexes, hétérogènes et en mutation constante.

Les logiciels libres sont avant tout une fantastique innovation organisationnelle. Le modèle du logiciel libre se constitue autour de trois éléments inséparables, qui en font sa qualité: un cadre juridique adapté, un vaste ensemble de composants logiciels, une méthodologie.

Le premier élément est le cadre juridique. Il s'agit de la licence GPL et de ses dérivés qui organisent le commerce du logiciel sous la forme d'un marché libre et concurrentiel. Cette licence donne le droit d'étudier, de modifier, de redistribuer le logiciel qu'on aura éventuellement pu acheter. Ainsi, par ce cadre juridique, l'organisation qui l'utilise est pleinement propriétaire de son logiciel.

Le deuxième élément concerne un vaste ensemble de composants logiciels disponibles sur Internet qui répondent à la plupart des besoins existants en informatique. Certains sont élémentaires, d'autres constituent des ensembles complets. Ces briques permettent de bâtir rapidement et efficacement des systèmes complexes et sophistiqués. Elles sont disponibles, dans la plus plupart des cas, gratuitement.

Le troisième élément est d'ordre méthodologique. Il se compose d'un ensemble de méthodologies que l'on désigne sous le nom d'Agile. Elles permettent d'appréhender la complexité, d'organiser les développements collaboratifs, d'assurer une utilisation optimum des ressources en organisant la mutualisation de l'expertise et des composants logiciels.

Le logiciel libre, de par sa nature, assure la pérennité des investissements logiciels, matériels et humains. Il est la condition de la modernisation de l'administration publique.

M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les députés, la loi n° 133 proposée donne au gouvernement les moyens juridiques et organisationnels afin de mettre en oeuvre la politique-cadre que celui-ci souhaite mener. Cette politique se résume en cinq points: tirer profit des ressources informationnelles en tant que levier de transformation, investir de façon optimale et rigoureuse, optimiser la gestion de l'expertise et du savoir-faire, assurer la sécurité de l'information, tirer profit des logiciels libres.

Tout d'abord, je voudrais dire que l'Association professionnelle des entreprises en logiciels libres salue la volonté politique exprimée de modifier en profondeur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles actuelles et adhère en tous points aux objectifs de la politique-cadre.

Nous saluons la reconnaissance, tant attendue, par l'État du rôle que notre industrie peut jouer dans le processus de modernisation de l'État québécois. Les changements à opérer sont immenses. Ils doivent se faire progressivement et de manière raisonnée. Ils doivent se faire par contre avec détermination. Cependant, je dois faire observer que, pendant que le gouvernement du Québec annonce une politique des petits pas, le reste du monde, lui, court. Je dois également faire observer que les cinq objectifs de la politique-cadre sont affichés sur le site Web du ministère des Services gouvernementaux depuis de nombreuses années, y compris à propos du logiciel libre.

Nous souhaitons, dès à présent, apporter notre contribution en suggérant à la commission un certain nombre d'amendements au projet de loi n° 133 qui permettront au gouvernement d'avoir réellement les moyens nécessaires pour mener à bien cette politique. Une partie de ces propositions était déposée ce matin au secrétaire de la commission, et, puisque le temps m'est compté, je souhaiterais simplement insister sur deux d'entre elles qui nous paraissent essentielles.

La loi doit prendre acte du changement de paradigme majeur que j'évoquais en introduction: les systèmes d'information de l'État n'ont plus seulement comme fonction d'automatiser des processus de production mais forment un tout indissociable et constituent dorénavant un patrimoine numérique qu'il s'agit d'enrichir, de développer et de protéger. La loi doit donner le mandat au dirigeant principal de l'information, ou bien au Conseil du trésor, de s'assurer que l'État possède la pleine propriété sur ce patrimoine commun.

Une deuxième proposition sur laquelle j'aimerais insister consiste à donner des moyens concrets au dirigeant principal de l'information pour tirer profit des logiciels libres.

Les deux grands avantages du logiciel libre sont d'ordre financier et méthodologique. Ils permettent de mettre en oeuvre la mutualisation des ressources logicielles et l'expertise professionnelle, ouvrant la voie à des économies considérables. Ils permettent de mettre en oeuvre des processus innovants quant à la gouvernance de projets informatiques Agile, permettant de mener à bien des projets complexes.

**(11 h 50)**

Si le gouvernement souhaite tirer profit du logiciel libre, il doit mettre en place un lieu où cette mutualisation et cette nouvelle gouvernance se réalisent. Et, inversement, sans ce lieu, l'État ne pourra pas tirer profit des logiciels libres. Pour cela, l'APELL propose d'intégrer, dans la loi, la création d'un centre d'innovation et de convergence numérique du Québec, dont le rôle moteur doit être: innover, mutualiser, conseiller. Innover: avoir un coup d'avance sur les ministères et les organismes, donner une vision tant au niveau des outils qu'au niveau des modèles organisationnels. Mutualiser: minimiser les dépenses redondantes, maximiser les expertises offertes, organiser la collaboration et le partage des ressources entre les ministères et organismes, fédérer les ministères autour d'une vision commune. Piloter, conseiller: les grands projets de l'État numérique. Passer d'une logique de centre de coûts -- ventes de services partagés -- à un centre de création de valeurs -- innovation et modernisation. Concentrer du savoir-faire. Agir comme centre d'expertise, de formation en logiciels libres. Organiser la mutualisation des développements.

Par leur nature pérenne et les méthodologies qui sont mises en oeuvre, les logiciels libres permettront à l'État d'investir de façon optimale et rigoureuse. Par la capacité d'organiser le travail collaboratif et la mutualisation des ressources informationnelles et humaines, les logiciels libres permettront à l'État d'optimiser la gestion de l'expertise et du savoir-faire. Par le contrôle complet qu'il donne à son propriétaire, les logiciels libres permettront d'assurer et de garantir à l'État une véritable sécurité de ses systèmes d'information.

Ce centre d'innovation et de convergence numérique sera l'outil qui permettra de faire des ressources informationnelles le levier de transformation et de modernisation de l'État québécois. Nous insistons: les difficultés de gouvernance et de gestion des ressources informationnelles de ces dernières années ne sont pas dues à une simple défaillance au niveau de la gestion budgétaire, elles trouvent leurs causes dans une vision dépassée des technologies disponibles et des structures organisationnelles inadaptées. Je pense notamment au CSPQ. Le centre d'innovation et de convergence numérique du Québec est l'outil qui permettra au gouvernement de relever les défis de la politique-cadre.

M. le Président, j'ai terminé ma présentation. Je vous remercie.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, c'est moi qui vous remercie. Et merci pour votre contribution. Mme la ministre, à vous la parole.

Mme Courchesne: Merci beaucoup, M. le Président. M. Béraud, soyez le bienvenu. Merci. Je reconnais dans vos propos les propos que vous m'avez tenus au moment de notre rencontre. Cela dit, je pense que ce matin nous avons, même si c'est un peu bref, l'occasion de préciser quelques aspects de votre pensée. Vous avez raison de dire que... Ou je pourrais dire que toute l'industrie du logiciel libre est probablement méconnue, et je pense qu'on a eu cette conversation-là. On peut dire aussi: méconnue d'un bon nombre de décideurs dans l'appareil public.

Moi, j'aimerais que vous nous disiez, d'entrée de jeu... Comment décririez-vous l'industrie québécoise du logiciel libre? Si je vous pose cette question... Je vous demanderais d'être assez bref parce que le temps est compté. Mais, si je pose cette première question, vous comprendrez la suite de mes interventions. Mais j'aimerais ça que vous soyez capable de nous la décrire, qui est-elle, comment elle se positionne, qu'est-ce qu'elle fait, où est-ce qu'elle se situe, puisque vous êtes le président de cette association professionnelle.

M. Béraud (Cyrille): O.K. Écoutez, il y a eu rapport, en 2007, du ministère Services gouvernementaux: 70 % des entreprises au Québec utilisent du logiciel libre. Le logiciel libre est méconnu peut-être de certains décideurs au sein de l'administration publique, mais, en fait, est très présent partout dans les entreprises québécoises, et notamment dans les entreprises de services. Vous savez que le Québec est, comme ça, un concentré... un savoir-faire extraordinaire. Il y a de nombreuses entreprises extrêmement innovantes qui sont méconnues ici parce qu'elles ont abandonné depuis longtemps l'idée de pouvoir travailler avec le gouvernement, puisqu'il s'engageait vers d'autres voies.

Il y a un potentiel et un bassin de ressources et d'expertise pour faire du Québec le chef de file mondial du logiciel libre. Vous savez aussi que Montréal, en particulier, est très en avance pour tout ce qui est de l'économie de l'Internet. Et, quand on parle de l'économie de l'Internet et du logiciel libre, c'est des choses qui sont extrêmement liées. Et, là aussi, même si ça ne s'exprime pas comme des compagnies de services sur les logiciels libres, c'est des compagnies qui ont une très, très grande expertise dans ces domaines.

C'est vrai qu'à favoriser des entreprises qui étaient, comment dire... qui s'en allaient sur des modèles dépassés et archaïques, le paysage de l'industrie du logiciel libre, et même d'une meilleure DTI, au Québec, est assez... est un désastre, en fait, est un champ de ruines, c'est-à-dire de grosses entreprises subventionnées qui ont des marchés réservés avec l'État ont empêché les petites compagnies innovantes de se développer, et que nous avons, effectivement, par rapport au reste du monde, une industrie du logiciel libre qui n'a pas pu se développer comme elle aurait dû.

Donc, l'APELL représente 19 entreprises, je crois, qui sont à jour de cotisation, la plupart, quatre, cinq, autour d'une trentaine de personnes; beaucoup, une vingtaine; quelques-unes, cinq, six personnes. Donc, des petites entreprises. Et nous avons également, je veux le signaler, quand même, deux entreprises de calibre international: Red Hat, qui est une compagnie spécialisée dans les distributions Linux, cotée en bourse, qui est le leader mondial; et Ubuntu, Canonical, qui est une autre entreprise très connue dans le monde.

Mme Courchesne: Je comprends tout à fait le fait qu'on est un petit peu dans une situation... C'est: Est-ce que c'est l'oeuf avant la poule ou la poule avant l'oeuf? On a eu cette discussion-là aussi. Sauf que vous nous dites aujourd'hui que... Puis je ne dis pas que j'adhère à ça complètement, mais vous utilisez un terme qui est intéressant, c'est-à-dire que l'État, dorénavant, possède un patrimoine numérique. Je pense qu'on peut se dire ça.

Maintenant, j'aimerais ça que vous me disiez qu'est-ce que vous entendez par... Comment définissez-vous le contenu de ce patrimoine numérique? Vous allez comprendre pourquoi... Parce qu'en plus vous réclamez qu'on en ait la pleine propriété. Or, je comprends la démonstration que vous faites par rapport à l'évolution de cette industrie, mais il n'en demeure pas moins que la... Est-ce qu'on ne devrait pas réaliser ou inclure notre volonté de l'utilisation sur une période plus longue? Puisque la crainte, c'est qu'on n'ait pas la capacité... on n'ait pas tout ce support nécessaire sur des... Je ne dis pas sur des petits projets très spécifiques, très pointus, très ciblés, ça, j'en conviens tout à fait, mais il n'en demeure pas moins que, si on veut aller vers une intégration de nos systèmes, ça va demander ce que j'appelle un support professionnel, ça va demander un service après-vente, ça va demander des ressources qui sont... Bon, je sais que vous allez me dire: Il faut les former, là. Mais, justement, il faut les former. Donc, il faut y aller progressivement.

Alors, je voudrais que vous fassiez le lien entre ce que vous... ce qu'est, ce qu'est pour vous, le patrimoine numérique, surtout quand vous demandez qu'on en ait la pleine propriété, et la capacité de l'industrie d'être des partenaires constants, stables et fiables, puisque, pour l'instant, on s'entend, je crois, qu'il faille faire grandir l'industrie du logiciel libre.

M. Béraud (Cyrille): C'est toute... c'est toute une...

Mme Courchesne: Oui, je sais que c'est une grosse question, là, puis je suis consciente de ça. Puis ce n'est pas pour vous piéger. Dites-moi ce que vous pouvez m'en dire dans le temps qui vous incombe, mais...

**(12 heures)**

M. Béraud (Cyrille): Bon, c'est certain qu'il va falloir encourager le développement de l'industrie du logiciel libre par des mesures autres que cette loi, là, le MDEIE peut nous apporter beaucoup d'aide.

Mais il y a un problème systémique si... pour répondre... Il faut bien comprendre que maintenant que les systèmes d'information se sont interconnectés et intégrés, que la logique du logiciel privatif... Le logiciel privatif agit comme un cancer dans le système d'information moderne. Et je veux... Quand vous avez installé un certain type de logiciel que vous ne maîtrisez pas, bien, le fournisseur va produire un... fournir un autre composant, qui évidemment fonctionne tellement mieux avec l'autre.

Pour donner une image, si vous installez un système Windows, eh bien, la suite Office va fonctionner tellement bien avec. Et puis, dans la suite Office, vous avez le lecteur de courriel qui va fonctionner très, très bien avec. Donc, naturellement, vous allez l'employer. Et, vous voyez, là, le système se propage, le cancer se propage. Et puis ce système de courriel fonctionne tellement bien avec le serveur de courriel de la même compagnie, alors on est encouragé à l'utiliser. Donc, si on regarde localement, à chaque fois on va être amené à utiliser toujours et toujours plus de logiciels du même fournisseur, et, à la fin de l'opération, très, très vite, on se retrouve avec un système d'information qui n'est pas ouvert à la compétition, qui n'est pas souple, et donc on dépend tout le temps de son fournisseur.

Il y a effectivement une rupture, là, à mettre en oeuvre pour permettre... bien, pour... Et je pense, d'une certaine manière, que la logique actuelle des systèmes d'information de l'État, à force de promouvoir l'utilisation de logiciels privatifs, a fait que les systèmes sont devenus extrêmement rigides, et l'État n'est plus maître de son système d'information, de ce patrimoine numérique.

Alors, tout ça, Mme la ministre, c'est certain, les choses doivent se faire progressivement, de manière raisonnée, c'est très clair. Mais il faut au moins mettre en place, pour qu'une autre logique puisse se développer. Et c'est pour ça que j'ai tant insisté sur ce lieu qu'est le centre d'innovation et de convergence numérique où progressivement pourrait se développer cette autre logique au niveau de la gouvernance des projets informatiques, et puis surtout la capacité d'utiliser les avantages propres à ces systèmes, qui sont essentiellement, en tout cas d'un point de vue financier, la mutualisation des ressources et de l'expertise.

Vous connaissez cet exemple, je vous en ai parlé, les universités... beaucoup d'universités au Québec ont beaucoup de mal à remplir leurs cursus de formation professionnelle en génie informatique, c'est un très grand problème. Moi, je constate qu'ailleurs, dans les autres pays, ou même à McGill, qui forme l'essentiel de leurs étudiants en utilisant des technologies en logiciel libre, les cursus sont pleins. Et donc il y a une dynamique à créer, et d'ouverture, il y a un potentiel, un bassin d'expertise professionnelle qui, moi, je suis sûr, est...

La résistance, elle ne vient pas des professionnels, elle ne vient pas des utilisateurs. La résistance au changement, moi, je l'identifie plus dans une zone qui se situe entre le chef de service et le sous-ministre, parce que ça perturbe leur manière de travailler. Les informaticiens sont passionnés du changement, c'est la forme... c'est le métier qui change le plus et le plus rapidement. Et quelle que soit notre spécialité, qu'on soit spécialisés dans les logiciels propriétaires ou les logiciels libres ou d'autres, on est tous passionnés par le changement. Et, en tout cas, par mon expérience, j'en ai rencontré, des professionnels qui sont passionnés par ce mouvement qui est en train de se produire, qui est un mouvement général.

Le logiciel libre, ce n'est pas une exception, ce n'est pas quelque chose qui est à part. C'est devenu la norme dans le monde, la norme des systèmes, des systèmes d'information. Et l'exemple le plus frappant et le plus spectaculaire, c'est Internet. Internet ne pourrait pas fonctionner sur... C'est l'exemple type d'un système complexe, hétérogène, en mutation constante, qu'il s'agit de gérer. Il fonctionne très, très bien, ce réseau. C'est même extraordinaire, comment il fonctionne. Il ne fonctionne que grâce, justement, à ce modèle-là. Donc, pour moi, le logiciel libre, ce n'est pas une alternative, c'est devenu une nécessité, et en particulier pour l'État, parce que l'État a un très gros système d'information très complexe, très hétérogène et en mutation constante. Je sais que je n'ai répondu qu'en partie...

Une voix: ...

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? M. le député de Vanier.

M. Huot: Merci, M. le Président. M. Béraud, bonjour.

M. Béraud (Cyrille): Bonjour.

M. Huot: Bienvenue à cette commission. Je salue aussi... Je crois qu'il y a de vos collaborateurs qui vous accompagnent derrière, donc je les salue. Merci de contribuer aux travaux, aux travaux de la commission.

Quelques questions. La ministre l'a mentionné, votre industrie, l'industrie du libre, est méconnue et, disons, pas bien comprise, on peut dire, du public, même des décideurs. Pour beaucoup de gens, le logiciel libre, c'est OpenOffice. Il y a beaucoup de gens qui pensent que c'est presque uniquement OpenOffice. C'est plus que ça, les logiciels libres, vous en avez parlé un petit peu, mais il y a peut-être... Les gens, ici, qui sont autour de la table vont travailler, dans les prochains mois, sur la politique, bon, sur le projet de loi, sur la politique, ils vont suivre éventuellement tout le logiciel libre, l'introduction peut-être plus grande du logiciel libre au gouvernement du Québec, mais c'est important de mentionner: Le gouvernement, il s'en sert du libre actuellement, aussi. Il n'y a pas... C'est présent: BonjourQuébec, 511 avec le ministère des Transports. SAGIR est en partie sur un système d'exploitation Linux. Il y en a, mais il faut quand même bien expliquer à tout le monde qu'il s'en fait, du libre, qu'est-ce que c'est, que ça ne se limite pas à OpenOffice. C'est peut-être le plus grand symbole, OpenOffice, si on veut, mais il faut bien le comprendre. Donc, peut-être nous préciser quelques petits aspects là-dessus.

Et surtout, quand vous me parlez de méthodologie, ce que vous appelez Agile -- ou «lean», je crois, en anglais -- ça, c'est quelque chose qui va intéresser tout le monde autour de la table, je pense, et c'est important de mieux le comprendre. Je pense qu'on pourrait en parler des heures, de cette méthodologie-là. Vous l'avez abordée, compte tenu du temps qui vous était réservé. Donc, peut-être préciser un petit peu ces choses-là, si c'est possible, en quelques minutes.

M. Béraud (Cyrille): Oui, il y a beaucoup de... Le logiciel libre est partout, hein? Donc, l'Internet, c'est le logiciel libre, et puis le gouvernement du Québec utilise ce type de technologie. On va le retrouver partout. Mais c'est vrai qu'on ne le voit... l'utilisateur ne le voit pas forcément. Donc, toute l'infrastructure réseau...

Et il y a de nombreux projets, M. Simard évoquait des projets qui marchent, il y a des projets qui marchent, et on peut constater que souvent il y a beaucoup de logiciels libres quand ils marchent. Je pense notamment à un projet de la Sécurité publique, qui d'ailleurs, l'année dernière, a obtenu un prix des Octas et qui mérite d'être regardé parce que c'est un projet extraordinaire, là, d'une densité, là, mais qui a été fait pour quelques dizaines de milliers de dollars. Il y a de nombreux... Moi, je pense à La Financière agricole, que mes collègues...

Rida est un jeune entrepreneur qui fournit le moteur de recherche de la plupart des services gouvernementaux, et je crois savoir que l'administration publique est extrêmement satisfaite de ce moteur de recherche. Un très bon exemple, on doit passer à la deuxième version de ce produit, l'administration envisage... Ce produit, il est gratuit, hein? Je vous le rappelle, l'État en est propriétaire. Il marche très bien. Les ministères en sont très contents. Mais, non, on va devoir aller en appel d'offres. On ne comprend pas très bien.

Donc, il y a effectivement beaucoup de succès, il y a beaucoup de... Il y a beaucoup de ministères. Moi, je... La Financière agricole, aussi, et la Commission de la protection du territoire agricole, également, utilisent beaucoup de logiciels libres.

Il n'y a pas de stratégie. Le problème, c'est qu'on peut utiliser comme bouche-trou, par-ci, par-là, ou quand on est isolé dans un coin, mais on ne profite pas pleinement de la dynamique que peut créer l'utilisation de ce type de technologie, et je pense... notamment, pour l'État en tout cas, la mutualisation, hein? C'est-à-dire que c'est à ça qu'on assiste, par exemple, sur Internet, c'est-à-dire qu'un petit groupe est capable de donner des services, de l'expertise humaine. Puis là c'est un point, Mme la ministre, qui est important, c'est-à-dire qu'une personne spécialiste en logiciel libre remplace 10 spécialistes, en termes d'efficacité, dans le modèle privatif. Pourquoi? Parce que justement on collabore, on partage, on mutualise ce savoir. Ce savoir, on peut le redistribuer à l'ensemble des organismes qui en ont besoin.

M. Huot: Agile?

**(12 h 10)**

M. Béraud (Cyrille): Alors, Agile, c'est un point clé. C'est un point clé, c'est... Je sais que, dans un des documents qu'on va vous remettre la semaine prochaine, il y aura une partie justement sur cette méthodologie, et ça concerne la gouvernance des projets informatiques. L'agilité est une méthode... en fait est un ensemble de méthode qui a été développé ces 15, 20 dernières années à partir de l'Internet, à partir de l'expérience de professionnels qui devaient collaborer ensemble pour développer des produits qui changeaient tout le temps, justement, qui étaient hétérogènes, qui étaient en mutation constante, qui étaient complexes.

Qu'est-ce que ça veut dire, un système complexe? Ça veut dire que c'est un système qu'on ne peut pas prévoir à l'avance. Actuellement, les projets gouvernementaux en informatique sont bâtis comme on bâtit un pont ou une cathédrale: on a les besoins, on fait les plans, et puis une équipe d'ingénieurs va analyser tout ça, va vous sortir une liste exactement de tous les composants constituant cette machine, et puis ils vont donner ça à des fournisseurs qui vont évaluer ça. Ils vont vous dire: Ça va vous coûter tant. Et puis, disons, après, une armée est levée pour construire cette machine.

Le problème, c'est que les systèmes sont en mutation constante, ils changent tout le temps. Avant même qu'on ait fini de faire les plans, la réalité a changé. Alors, là commence une course, ça s'appelle les demandes de changement. Ça doit vous dire quelque chose, hein, des demandes de changement, des demandes de changement, des demandes... On commence à développer. C'est des systèmes hétérogènes, alors, complexes, on ne peut pas prévoir à l'avance ce qui va se passer. Et, en plus de ça, les systèmes d'information sont intégrés, c'est-à-dire qu'ils communiquent avec des dizaines et des dizaines d'autres agents qui apparaissent, qui disparaissent. Mais, lui, il fonctionnait. On lui demande de mettre en place un processus... d'automatiser un processus administratif, il a le nez dans le guidon. Il ne sait pas ce qui va se passer dans six mois. Est-ce que ce processus va changer? Est-ce qu'il va devoir communiquer avec d'autre chose? Est-ce que les parlementaires, la loi, ne vont pas amener des modifications? Lui, on lui demande, là, localement, de mettre en place un processus, et il le fait, il fait de son mieux. L'échec des projets gouvernementaux, ce n'est pas la faute du fonctionnaire. Lui, il fait sa job localement.

Et là c'est un point très positif de cette loi: la création ou, en tout cas, la consolidation de ce dirigeant principal de l'information. Il faut qu'il y ait quelqu'un effectivement, un chef d'orchestre, qui a une vision globale du système d'information, qui sait ce qui va se passer dans six mois, en tout cas qui... à peu près, donc, dans le temps et puis dans l'espace, qui sait ce que les autres ministères font. Parce que, dans le système intégré, quand un ministère fait quelque chose, ça a un impact sur un autre. Quand vous mettez... ou quand l'administration d'éducation nationale impose aux commissions scolaires de lui fournir des données sur les formats Excel, par exemple, bon, bien, ça veut dire: dans toutes les commissions scolaires, bien, vous avez déjà un impact au niveau des choix technologiques. Puis ces commissions scolaires, elles vont dire quoi à leurs professeurs? Bien, écoutez, nous, on doit transmettre nos données sous tel format propriétaire, alors vous allez nous fournir ça. Donc, vous allez... Ça a un impact aussi. Puis, après, la cerise sur le gâteau, les professeurs ont demandé aux élèves aussi. Et tout ça... Donc, voilà les vraies problématiques, là. Alors donc, un très bon point de cette loi, c'est la consolidation, le renforcement du pouvoir du dirigeant principal. On lui donne... mais... les moyens. On a besoin d'un chef d'orchestre qui a une vision globale.

Et donc, juste pour revenir, là, sur cette question de méthodologie, les méthodologies... Alors, on commence à développer dans les... On construit le pont, mais on a mis un... Alors, il y a deux choses: on arrive de l'autre côté de la rive, mais la rive a bougé. Voilà ce qui se passe. Ah bien, il faut reconstruire le pont différemment. Alors, il faut tout démolir. Et, quand on est avec des logiciels privatifs, tout démolir, ça veut dire qu'on a acheté des gros composants, à coups de millions de dollars, qu'on doit mettre à la poubelle. Et alors c'est là où la machine commence à s'emballer: les demandes de changement. Mais on ne peut pas le faire, en fait, parce qu'on n'est pas maître de son système d'information. On a mis des gros piliers de béton au milieu de son jardin, puis, maintenant, il faut les changer parce que la réalité a changé, parce que les systèmes sont complexes. Et là on n'a pas les...

Alors, les méthodologies Agile, les technologies en logiciel libre, c'est précisément ça. Et c'est pour ça que ce n'est pas une alternative. C'est des méthodologies qui justement organisent, qui prennent en compte cette complexité, c'est-à-dire cette incapacité à prévoir les choses à l'avance, le fait que les choses vont changer en permanence, et s'appuient sur trois paradigmes... trois éléments de base.

Puis là je suis un petit peu technique, je vais passer vite, mais on fait du développement incrémental, on développe des petites choses. On fait de l'intégration continue, c'est-à-dire, au fur et à mesure qu'on a développé des petites fonctionnalités, on les fournit à l'utilisateur. Déjà, ça a un impact immédiat, en termes financiers, sur ce qu'on appelle le ROI, le retour sur investissement. Pourquoi? Parce que, puisqu'on est capables d'intégrer progressivement des fonctions à l'utilisateur, eh bien, dès le début du projet, on observe un retour sur l'investissement, alors que, dans les projets classiques, eh bien, il fallait attendre que le projet soit livré, mais il ne l'était jamais, mais enfin quand il l'était, eh bien, on se retrouvait... on commençait à avoir un retour sur investissement. Et là, dès le premier sprint, pour reprendre le terme de cette méthodologie, on va être capables d'obtenir un retour sur investissement.

Et troisième point fondamental de cette méthodologie -- c'est un ensemble de méthodologies, hein -- c'est la capacité à faire ce qu'on appelle du «refactoring», du réusinage. C'est-à-dire que, comme on a développé petit à petit, bien, des fois il faut changer, les réalités ont changé, les besoins ont changé, alors on reprend ce qu'on a fait, on les modifie. Mais, pour pouvoir le faire, encore faut-il être maître de son logiciel, encore faut-il pouvoir le faire. C'est pour ça que, là aussi, les logiciels privatifs ne permettent pas... C'est pour ça que c'est ces nouvelles méthodologies qu'on retrouve d'ailleurs dans toute l'industrie. La semaine dernière -- vous pourrez vérifier -- j'étais sur Google, Boeing embauchait, pour son service informatique, des armées de spécialistes, de «scrum masters» ce qu'on appelle, des spécialistes des méthodologies Agile.

Développement incrémental, intégration continue, «refactoring» sont les trois éléments clés, là, qui permettent de gérer des systèmes complexes, hétérogènes et en mutation constante. Et, troisième élément, «refactoring», il faut que vous soyez maître de votre logiciel. C'est pour ça que le logiciel libre est très impliqué là-dessus.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): M. Béraud.

M. Béraud (Cyrille): Oui?

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): C'est fort intéressant. Malheureusement, c'est tout le temps dont nous disposons pour...

M. Béraud (Cyrille): Oui, puis c'était un point... c'était un point central, là, puis je...

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Non, non, absolument. Je ne remets pas ça en question. De toute façon, M. le député de Richelieu va sûrement vous donner la chance d'être encore plus explicite. M. le député de Richelieu.

M. Simard (Richelieu): Oui. Très bien. Merci, M. le Président. M. Béraud, je vous salue. Et vous allez pouvoir continuer à travers les réponses à mes questions. C'est tellement passionnant qu'il nous faudrait quand même plusieurs heures. Mais, depuis deux ans, je dois dire que... deux ans et demi peut-être que nous avons commencé, en tout cas de mon côté, avec quelques autres, notamment la députée de Taillon, à réfléchir en accéléré sur le logiciel libre, et il me semble que j'en apprends tous les jours. Aujourd'hui, on ne fera pas... on ne pourra pas aller très loin dans ce qu'est le logiciel libre. Vous êtes allé à peu près au plus loin possible.

Les questions qu'on se pose à partir du projet de loi, c'est: Comment la gouvernance doit être transformée par le logiciel libre et quelle place lui faire et comment y arriver? Nous, là, comme... bien, la ministre comme gestionnaire, mais nous comme législateurs, on doit avoir ça à l'esprit.

D'abord, une première question, évidemment c'est une question de lieu, dans l'État, où les décisions doivent se prendre et comment amener ce changement. Vous savez, le logiciel ordinaire, là, l'informatique classique, là, ça ne fait pas 100 ans que ça existe, là. La ministre posait, avec pertinence, tout à l'heure, la question de la dimension de l'industrie. Mais je lui répondrai là-dessus que l'informatisation au gouvernement date des années soixante-dix. Par exemple, il y a une compagnie québécoise -- là, je ne fais pas de publicité -- mais qui a 35 000 employés en informatique, et partout à travers le monde, qui est née autour du projet Rosalie, d'informatisation au Conseil du trésor, de Rosalie. C'est Rosalie qui a fait naître CGI, hein? C'est Serge Godin, avec deux douzaines de personnes ici, à Québec, qui arrivait du Saguenay, qui ont, avec Rosalie, créé le système informatique gouvernemental, en bonne partie, tel qu'on le connaît. Donc, la volonté de l'État est primordiale dans ce développement-là. Tant que l'État n'a pas pris la décision d'aller de l'avant, il n'y a rien à faire.

Bon. Certains États vont de l'avant. Et là, chez nous, on doit s'interroger sur la stratégie comment y aller. Les Français ont pris une position intéressante. Ce sont les parlementaires qui ont pris l'initiative, c'est l'Assemblée nationale en France qui s'est dotée du logiciel libre et qui essaime maintenant dans à peu près toute l'administration. Aux États-Unis, maintenant, vous le savez, le président Obama en a fait un mot d'ordre pour l'ensemble de l'administration. Au Brésil, le logiciel libre est prioritaire. C'est-à-dire que, pour introduire... pour insérer ou pour commencer un nouveau système qui ne serait pas un logiciel libre, il faut faire la démonstration que ce serait plus rentable. On a renversé le fardeau de la preuve. C'est considérable, hein, comme changement. Donc, c'est vraiment des paradigmes différents.

Le projet de... Vous, dans votre mémoire, vous nous parlez d'un lieu initiateur de ce changement, un lieu, dans l'administration, où doit naître ce changement. Comment le situez-vous par rapport à la politique, et surtout au projet de loi, qui confie à un directeur principal de l'information le choix de gérer? Est-ce que c'est lui qui devrait prendre cette initiative? Comment débuter avec une garantie minimale de succès et en prenant en compte que l'État ne changera pas... ne peut pas s'arrêter pendant six mois pour s'ajuster? L'État doit se poursuivre, donc la transition est toujours quelque chose d'inquiétant pour tout gestionnaire. Alors, je veux vous entendre là-dessus. Prenez tout le temps qu'il vous faut sur mon temps de parole.

**(12 h 20)**

M. Béraud (Cyrille): Merci. C'est des très bonnes questions. Avant de parler de ce lieu, qu'est-ce qui risque de se passer si la loi est adoptée telle quelle avec le dirigeant principal de l'information? Qu'est-ce qui va se passer lorsqu'il aura donné l'autorisation d'un budget de 10 millions sur un projet informatique et que, trois mois après, six mois après, on va venir le voir, on va dire: J'ai besoin d'une rallonge de 10 %? Eh bien, il va se retrouver confronté au même choix, c'est soit d'accepter de perdre 10 millions de dollars soit de donner l'accord. Et puis, dans trois mois, qu'est-ce qui va se passer? Trois mois plus tard, ça va recommencer, ça va recommencer. Alors, le malade est très, très atteint, alors on veut reprendre le contrôle, on veut arrêter l'hémorragie. C'est bien, et ça va sans doute fonctionner quelques mois, mais, très vite... Et d'ailleurs, Mme Courchesne, je vous entendais expliquer: historiquement, on décentralise, on recentralise, on décentralise, on recentralise, mais ça, ça ne peut plus... ça ne peut plus durer.

Je pense que c'est bon qu'il y ait un chef d'orchestre, effectivement, qui a la vision globale des choses, et, en ce sens-là, le mandat qu'on donne à ce dirigeant est très important et utile. Par contre, ce qui manque, c'est que lui ait les outils maintenant pour redonner aux organismes ce qu'ils ont besoin, là, pour mener à bien leur mandat et puis pour organiser l'innovation, effectivement, dont j'ai évoqué l'agilité... pour organiser les économies liées à la mutualisation nécessaire, à la mise en collaboration. Il faut que les ministères, les organismes arrêtent de travailler en silo, car chaque ministère développe des choses que l'autre pourra utiliser. Mais ce n'est pas le cas.

Vous parliez d'expérience à l'étranger, moi, j'aimerais évoquer ce qui se passe au fédéral, qui a pris, en quelques années, une avance considérable. Encore la semaine dernière, le fédéral nous annonçait la mise en place de sites du gouvernement ouverts. On va pouvoir accéder, d'une manière normalisée, standard, à l'ensemble de ces richesses que constitue ce patrimoine numérique. Des expériences... Il y a quelques semaines, j'étais à Ottawa, au Secrétariat du Conseil du trésor. On me présentait des systèmes où le responsable, en trois clics, créait un projet collaboratif disponible pour l'ensemble des ministères. En cinq minutes, on avait un serveur, des applications, des blogues, des forums qui permettaient à tous les développeurs qui étaient intéressés par la problématique, eh bien, d'y mettre ce qu'ils avaient pu développer, d'aller chercher ce que d'autres avaient pu... bref, de collaborer. D'ailleurs, je vous signale, en passant, que la plupart de ces initiatives se sont des fonctionnaires québécois qui le font. Il y a une extraordinaire dynamique, là, dans la nouvelle génération. Il faut le souligner.

Alors, voilà, donnons-nous un chef d'orchestre qui aura la vision globale, qui pourra donner une vision à l'ensemble des organismes, qui pourra créer une dynamique, mais ce ne sera pas seulement contre le budgétaire, parce que ça ne suffira pas, Mme Courchesne. Ça ne suffira pas, il lui faut des moyens pour organiser cette mutualisation. Et ce ne sera pas le CSPQ, et ce ne sera pas le CSPQ qui est devenu, dans le fond, vous le savez, une centrale d'achats. Et, du reste, je pense que ce n'est pas un nouvel organisme d'État qui va coûter de l'argent aux contribuables. D'emblée, on peut aller chercher les ressources inutilement affectées dans d'autres organismes, au CSPQ, je pense, et d'emblée cet organisme générera des économies, hein, puisqu'on va pouvoir mutualiser. On va aller chercher quelques informaticiens dans chaque ministère, on va faire un groupe. Ils seront capables de redistribuer pour tous maintenant, alors qu'ils distribuaient pour un. On va démultiplier la force. On ne propose pas, là aussi, d'augmenter encore les dépenses ou de créer des nouveaux fonctionnaires, on propose d'en réduire.

Je pense que ça vaut le coût d'aller visiter le CSPQ, des étages entiers de fonctionnaires qui font des bons de commande, qui rédigent des appels d'offres qui sont déjà, de toute façon, décidés d'avance, qui sont devenus des représentants de commerce. Parce qu'à force de discuter avec les mêmes fournisseurs en informatique on ne sait plus trop à qui on a affaire. Est-ce qu'on a affaire à un représentant commercial ou à un fonctionnaire de l'État?

Je pense qu'il y a... On peut aller chercher beaucoup, beaucoup d'économies, bâtir cette organisation, cette structure qui est un outil indispensable si on veut, un minima, mettre en place progressivement -- progressivement, Mme Courchesne -- et en raison, cette politique dont vous avez besoin.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. M. le député de Richelieu.

M. Simard (Richelieu): M. le Président. Vous dites, dans votre texte, M. Béraud, cette phrase que je citais presque sous la même forme, que j'exprimais presque sous la même forme avant-hier dans une discussion avec la présidente du Conseil du trésor: «L'amélioration de la productivité de l'État s'avère être la seule solution.» Donc, on est tous conscients ici que ce dont on parle concerne la capacité de l'État de livrer mieux et à bien meilleur prix ses services. Et, si on n'obtient pas des gains de productivité dans l'informatisation, comment voulez-vous, par exemple, qu'on fasse des gains en termes de ressources humaines, en termes de main-d'oeuvre? C'est impossible. Il faut toujours livrer ces services-là, et c'est quels que soient les engagements gouvernementaux, je sais que mon collègue de Shefford, ce matin, en a parlé. Comment voulez-vous diminuer le nombre de fonctionnaires, donc diminuer les coûts, si vous n'augmentez pas leur productivité par des systèmes informatiques qui fonctionnent? Et, si actuellement on n'arrive pas à le faire, c'est donc que ces systèmes sont en panne. On ne parle pas d'un détail, on parle de ce qui est au coeur de la gouvernance de l'État actuellement.

Les systèmes privatifs, puis ce n'est pas un péché d'être privatif, mais ont atteint probablement un degré tel de monopole qu'ils paralysent tout le système. Renouveler des licences Microsoft, l'État va tous les jours en appel d'offres là-dessus, et c'est des centaines de millions de dollars, chaque année, de renouvellement. Pour quel profit? Pendant ce temps-là, l'expertise, elle est toujours entre les mains et contrôlée par Microsoft. C'est ça qui est le drame. Je vous dirai même, peut-être, une anecdote, mais pas tant que ça: les deux seuls vendeurs autorisés de Microsoft pour faire affaire avec le gouvernement du Québec se situent à Toronto. Les détaillants québécois de Microsoft n'ont pas le droit de faire affaire avec l'État. Il n'y a même aucune retombée privée au Québec de ça. Et on est prisonniers de ça.

Juste en terminant, puisqu'on n'a plus de temps, simplement que vous me précisiez à quoi pourrait ressembler ce noeud central que vous imaginez, que vous proposez, qui ne peut pas être dans chacun des ministères. On ne peut pas... Il faut qu'il y ait, quelque part dans l'État, un lieu qui initie ce genre de... Que ce soit au Conseil du trésor ou ailleurs, ce n'est pas important, mais finalement on revient toujours au Conseil du trésor, c'est inévitable, c'est inévitable. On a tenté, au cours des dernières années, de s'en échapper puis on y revient nécessairement, parce que c'est toujours le Trésor qui est le mieux placé parce qu'il a affaire à tout le monde. Et le signal qui est donné quand le Trésor décide de changer les choses, il se répercute dans l'ensemble de l'appareil. Ça ressemblerait à quoi au début, parce qu'il faudra superposer plusieurs fonctionnements au début, ça pourrait ressembler à quoi?

M. Béraud (Cyrille): Je n'ai pas... Enfin, il me semble, pas grand-chose, sans doute une structure légère d'une centaine, peut-être comme ça, là, de professionnels aguerris, effectivement, je crois, sous la direction du dirigeant principal de l'information, qui a cette vision globale, et peut-être que cette structure sera amenée à évoluer, là, puis à l'adapter, bien, comme je le signale dans mon document, qui organiserait cette...

Il y a également, au niveau de la gestion, je pense, une... une révolution, c'est un bien grand mot, là, mais une rupture à faire au niveau de la gestion des ressources humaines. On a beaucoup trop affaire, au niveau des professionnels, je dirais les gestionnaires, à des spécialistes non pas de l'informatique mais à des spécialistes de la gestion contractuelle, avec les gros éditeurs de logiciels. C'est un témoignage... Enfin, je l'ai vécu, c'est... Directeur informatique, moi, j'ai mon catalogue Microsoft de produits, j'ai ma pile d'études Gartner. Je regarde mon catalogue, je choisis mon produit. Je vais voir l'étude Gartner qui me convient, et puis voilà. C'est comme ça qu'on... franchement qu'il faut, je pense là, une petite équipe, ramassée, de professionnels aguerris, spécialisés de ce domaine, qui organisent, c'est ça, le centre d'expertises... Mutualiser, organiser les développements, organiser des forges logicielles qui permettent à tous les ministères de collaborer, de mutualiser leur développement, leur expertise.

M. Simard (Richelieu): M. le Président, il reste quelques secondes, juste pour être plus concret, là. L'État est pris avec la nécessité d'implanter des nouveaux systèmes, hein? Il y a des besoins... Par exemple, prenons... J'ai donné une série d'exemples où il y avait eu des échecs tout à l'heure, les besoins en Santé, le DSQ. Il y a des besoins en Justice. Il y a des besoins... Bon. Traditionnellement, il faut qu'il y ait un groupe d'informaticiens qui définissent d'abord avec le ministère les besoins, et ensuite, bon, on confie très souvent, parce que les ressources internes ne sont pas suffisantes, à des privés le soin de dessiner l'appel d'offres. Et ensuite on va en appel d'offres dans le privé, et là un intégrateur arrive puis commence le travail. Comment ça se passerait dans un univers de logiciel libre?

**(12 h 30)**

M. Béraud (Cyrille): On va prendre une formule de Mme la ministre: souvent, les fonctionnaires ne connaissent même pas leurs besoins. Les fonctionnaires ne connaissent même pas leurs besoins. J'ai trouvé la formule extraordinaire parce qu'elle... C'est qu'ils seront... Tout ça, c'est un système complet. Et l'idée, c'est... Dans cette nouvelle manière de faire l'informatique, on crée des écosystèmes progressivement. Ce n'est pas des cathédrales, hein? Parce que déjà, là, vous êtes partis: on a des besoins, on va faire une cathédrale, on va faire un appel d'offres, on va faire nos plans, et puis on va partir là-dessus, des choses comme ça. Non, maintenant, l'informatique, c'est autre chose. On va créer des écosystèmes, effectivement, par des petites choses, au fur et à mesure, des fonctionnalités qu'on va apporter, qu'on va offrir aux utilisateurs par une intégration continue. Et puis on va avancer dans la réflexion. On remet chaque jour le tissu sur le métier, on repense les choses. Donc, on ne part pas dans des grands projets, là, les grands... On a nos besoins puis...

Puis ça, c'est là... Il s'agit d'inverser un triangle. Mme la ministre, vous parliez qu'on avait des problèmes de budgets, d'échéanciers. Voilà, on a des besoins, des exigences, des budgets et des échéanciers, puis ça, c'est la trinité qui fait le bon gestionnaire des ressources informationnelles au Québec. Il faut inverser ça. Et ça, c'est les méthodologies Agile, là, d'un point de vue financier, qui vous garantissent... Les méthodologies Agile vous garantissent qu'au cent près vous ne dépasserez pas vos budgets. Incroyable, hein?

Je vais vous expliquer pourquoi. Bien, c'est qu'on inverse le budget. C'est qu'on inverse le triangle. C'est qu'on a des ressources, dans le temps, qui sont mises en oeuvre et qui vous donnent un certain nombre de fonctionnalités. Et on n'obtient pas forcément ce qu'on s'attendait, parce qu'effectivement le système a changé en cours de route. Donc, il ne faut pas s'attendre... Mais on a par contre... À partir d'ensemble de ressources, de SPRINT, qu'on a achetés sur le marché auprès de fournisseurs externes ou internes, on obtient un certain nombre de fonctionnalités que, progressivement, on intègre dans un système... un écosystème informatique plus global.

Donc, il faut avoir une vision, là, M. le député, un peu plus de haut. Il ne faut plus parler de besoins, il ne faut plus parler de grand projet informatique, parce que déjà ça implique une manière de voir les choses qui n'est pas adaptée maintenant à la réalité des systèmes d'information modernes.

M. Simard (Richelieu): ...juste en terminant une seconde pour dire que...

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, très rapidement, oui. Rapidement, oui.

M. Simard (Richelieu): ...en tout cas, il y a quelque chose d'encourageant parce que, depuis deux ans, je m'en rends compte par les nombreux contacts qui sont venus spontanément, la communauté des gens qui s'intéressent à l'informatique, universitaire mais également dans l'appareil d'État, est passionnée par ça. Il y a toute une nouvelle génération, là, qui voudrait adhérer à ça et qui trouverait une motivation nouvelle. Enfin, c'est un sapré changement de société. Merci, en tout cas, de votre intervention.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, M. le député de Richelieu. M. le député de Shefford.

M. Bonnardel: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Béraud, et à ceux qui vous accompagnent. J'aurai le temps pour une question, mais je suis resté accroché à une de vos citations: «Le gouvernement du Québec annonce une politique des petits pas; le reste du monde, lui, court.» Ça dit tout, ça dit tout avec les explications que vous avez données, les réponses autant à la présidente du Conseil du trésor qu'à mon collègue de Richelieu.

Et je veux... Vous avez dit que c'était bien d'avoir un dirigeant principal de l'information dans ce projet de loi, une structure additionnelle. Et, dans le troisième paragraphe, on prévoit aussi la désignation de dirigeants de réseau de l'information, de dirigeants sectoriels de l'information, et en préciser les fonctions. Et je veux en arriver à une de vos conclusions qui est peut-être d'amener un centre d'innovation et de convergence numérique. Vous dites: Innover, mutualiser, conseiller. Est-ce que vous pouvez nous élaborer encore plus spécifiquement ce que ça peut être et surtout s'intégrer peut-être dans ce projet de loi pour qu'on soit capables de le rendre encore plus efficace et que l'appareil public puisse être encore meilleur?

M. Béraud (Cyrille): ...

M. Bonnardel: Est-ce que c'est, pour vous, une chose qui doit être séparée de ce projet de loi ou on peut l'intégrer dans ce projet de loi pour rendre encore ce projet de loi et cette structure encore meilleurs?

M. Béraud (Cyrille): Oui. Juste pour vous revenir sur cette question des petits pas -- et puis M. Simard l'avait évoqué -- ce n'est pas un sujet simple. Ce n'est pas un sujet qu'on peut aborder comme ça, qu'on peut aller droit au point en quelques mots. Ça prend du temps, ça prend... Moi, ce que j'ai observé, c'est que, ces derniers mois, il y a eu une véritable prise de conscience de l'ensemble du personnel politique. Ça prend du temps. Donc, «petits pas», c'est des petits pas logiques ou des petits pas dans le temps, c'est-à-dire qu'il suffit qu'on fasse beaucoup de petits pas très vite, puis ça va aller très bien.

Il faut y aller d'une manière raisonnée. Il ne faut pas tout remettre... tout renverser, là, ça serait tout à fait irresponsable et puis ça ne mènerait à rien. Donc, je pense que le... C'est très important que, maintenant que la discussion a été engagée, là, ce dialogue puisse se faire, et puis ça va... De toute façon, c'est une logique fatale, on va aller vers ce type d'organisation et d'outils, si on veut que nos systèmes fonctionnent. Et, si, donc, la loi... la politique-cadre prévoit de tirer profit d'un logiciel libre, il faut être conséquents, tout simplement, avec cet énoncé. Puis, je le signale quand même, c'est un énoncé qu'on retrouve depuis 2005 sur le site, sur le site Web.

On veut toujours tirer profit du logiciel libre. Il y a des produits formidables en logiciels libres, on veut en tirer profit, mais ce ne sont pas des produits, c'est des méthodologies avant tout, c'est une innovation organisationnelle. Donc, si on veut réellement donner au dirigeant principal la possibilité de mener une politique qui tire profit du logiciel libre, il faut lui donner ces outils, des outils pour cela. Et cet outil, d'après nous, c'est ce centre d'innovation et de convergence numérique pour le Québec, petite organisation souple, mobile, peut-être même décentralisée, il n'y a pas besoin de... qui travaille maintenant en réseau, qui va être capable d'organiser un assez grand... tirer profit réellement de ces logiciels libres au niveau méthodologique, mutualisation, des choses comme ça.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Oui. Encore 1 min 30 s.

M. Bonnardel: Donc, ce que je peux comprendre, c'est que vous ne souhaitez pas que vos recommandations prennent place dans ce projet de loi...

M. Béraud (Cyrille): Si, si. Il faudrait.

M. Bonnardel: Oui. Donc, ça pourrait s'intégrer...

M. Béraud (Cyrille): Très clairement. Très clairement.

M. Bonnardel: ...et apporter les souhaits que vous...

M. Béraud (Cyrille): Parce que là on donne au dirigeant principal les pouvoirs, on lui donne beaucoup de responsabilités, je trouve, mais on ne lui donne pas les moyens de mener... Et ce centre d'innovation, c'est les moyens qu'on donne au dirigeant principal pour mener... pour accomplir sa mission, pour accomplir son mandat.

M. Bonnardel: Donc, tous les grands projets informatiques que le Québec mettrait en place, dans les prochaines années, devront passer par cet homme ou cette femme qui souhaite...

M. Béraud (Cyrille): Il faut un chef d'orchestre. Il faut quelqu'un qui ait une vision globale. Et d'ailleurs la plupart des pays qui ont été évoqués ont commencé par nommer un dirigeant principal, ou un nom ou un autre, quelqu'un qui a cette vision globale et qui est capable... Il faut comprendre, hein, que le choix... un choix technologique dans un ministère a un impact dans un autre. Alors, qui s'assure de ça, la cohérence du système? Donc, il faut qu'il y ait un lieu pour ça. D'ailleurs, Mme Courchesne parlait de lieu plutôt qu'une personne, un lieu qui organise cette cohérence, ce que j'ai appelé le chef d'orchestre, un petit peu.

Mais il faut redonner la liberté parce que ce qui risque de se passer, c'est que, si vous n'êtes qu'un contrôleur, bien, très vite, il va devoir assumer des responsabilités qu'il ne peut pas assumer puis il va finir vite par dire: Bien, écoutez, débrouillez-vous. Parce qu'à partir du jour où la loi sera votée telle quelle c'est lui qui sera responsable de tous les échecs. Puis, lui, il sera très, très loin des organismes. Alors, il faut justement... Et c'est pour ça que je pense que ce centre devrait être sous sa direction, lui permettre de fournir aussi des outils. Il veut être le patron, mais il va donner aux organismes et aux ministères le moyen de mener à bien leur mandat.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): M. Béraud, je dois vous interrompre. Merci infiniment. C'était fort intéressant. Merci, M. le député de Shefford. Merci infiniment pour votre contribution à vous et à votre équipe, M. Béraud.

Donc, la commission suspend ses travaux jusqu'à 13 h 15, où nous allons nous réunir en séance de travail au RC.171.

(Fin de la séance à 12 h 38)

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