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Version finale

39e législature, 1re session
(13 janvier 2009 au 22 février 2011)

Le lundi 30 novembre 2009 - Vol. 41 N° 48

Étude détaillée du projet de loi n° 74 - Loi modifiant diverses dispositions législatives afin principalement de resserrer l'encadrement du secteur financier


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Table des matières

Journal des débats

(Dix-sept heures huit minutes)

Le Président (M. Paquet): À l'ordre, s'il vous plaît! Je déclare ouverte la séance de la Commission des finances publiques. Je rappelle aux personnes dans la salle de bien s'assurer d'éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires pour ne pas perturber nos travaux.

Nous sommes réunis afin de poursuivre l'étude détaillée du projet de loi n° 74, Loi modifiant diverses dispositions législatives afin principalement de resserrer l'encadrement du secteur financier.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Lehouillier (Lévis) remplace M. Dubourg (Viau); M. Ouellette (Chomedey) remplace M. Whissell (Argenteuil); et Mme Hivon (Joliette) remplace M. Pelletier (Rimouski).

Étude détaillée (suite)

Peines consécutives

Le Président (M. Paquet): Merci beaucoup. Lors de l'ajournement, jeudi dernier, il nous restait l'étude du dernier sujet, Autres dispositions et dispositions finales, de même que l'étude de l'article 43 concernant les peines consécutives, que nous avions reporté à aujourd'hui afin de pouvoir profiter de l'éclairage de certains experts, selon le consensus... un consentement qui a été donné par l'ensemble des membres de la commission.

Je propose donc que nous prenions en considération les discussions sur l'article 43, donc à l'étape... à cette étape de l'étude détaillée du projet de loi. Dans la salle, nous avons des gens, des experts qui seront là à notre disposition pour échanger avec eux sur le sujet en question.

Je permets de présenter qu'il y a Me Michel Bastarache, ex-juge de la Cour suprême du Canada, Me Nathalie Drouin, directrice générale du contrôle des marchés et des affaires juridiques de l'Autorité des marchés financiers. Il y a Me Jean-Claude Hébert aussi, qui est présent. Est-ce qu'il y avait quelqu'un d'autre que dans ma liste? Il me semblait... Il y a deux autres groupes aussi. Peut-être, M. le ministre, je... Allez-y.

M. Bachand (Outremont): Bien, c'est parce que je vais les représenter tout à l'heure...

Le Président (M. Paquet): O.K., d'accord.

M. Bachand (Outremont): Me Anne-Marie Boisvert et Me Henri Brun accompagnés de Me Naccarato et de Mme Létourneau.

•(17 h 10)•

Le Président (M. Paquet): D'accord, Merci beaucoup. Alors donc, j'avais la liste ailleurs aussi. Alors, bienvenue à vous tous pour les échanges que vous apporterez à la commission.

Alors donc, de consentement, ce que je propose, étant donné l'horaire que nous avons, dans un premier temps, nous entendrions environ... Me Drouin pour environ peut-être huit minutes pour mettre un peu la table sur le sujet en discussion. Par la suite, nous entendrons maître... M. le juge Bastarache qui, je sais, a une contrainte de temps un peu plus tard et, suite aux échanges... et il y aura des échanges évidemment avec les membres de la commission. Par la suite, nous suspendrons, par exemple, deux minutes, pour après reprendre avec les autres invités et autres discussions. Alors, M. le ministre.

Une voix: ...

Le Président (M. Paquet): Oui. Oh! Excusez, pardon. J'ai oublié de dire... Vous permettez... Effectivement, je comprends qu'il y a consentement pour que Mme la députée de Lotbinière puisse participer à nos échanges cet après-midi.

Des voix: ...

Le Président (M. Paquet): Il y a consentement.

Une voix: ...

Le Président (M. Paquet): D'accord. Ça va. Alors, M. le ministre des Finances d'abord.

M. Bachand (Outremont): Merci, M. le Président. Il est temps maintenant de débattre de l'article 43 du projet de loi qui a pour but de modifier l'article 241 du Code de procédure pénale afin de codifier, dans notre droit pénal, la règle de common law qui permet à un juge d'imposer des peines d'emprisonnement consécutives à une personne condamnée pour plusieurs infractions.

Le récent jugement de la Cour d'appel dans l'affaire AMF contre Vincent Lacroix a écarté l'application de cette règle en droit pénal québécois. Ce jugement a fait l'objet d'une demande de l'AMF d'autorisation d'en appeler en Cour suprême.

L'importance du respect de la réglementation dans le domaine financier nous amène à préciser notre droit, malgré les débats devant les tribunaux, pour ne laisser aucun doute dans l'esprit de la population ni dans l'esprit des délinquants, actuellement, pour lesquels, moi, ce que j'appelle le vide juridique... Ce n'est pas un vide juridique, mais, pour l'instant, avec le jugement de la Cour d'appel, il n'y a pas de juge au Québec — c'est une question que je poserai à nos experts — qui peut condamner des gens à des peines consécutives s'il le juge à propos, sauf évidemment dans les deux exceptions prévues, entre autres s'il est déjà en prison.

Mais notre message doit être clair, nous, les législateurs: Le public peut avoir confiance; nous faisons tout ce qui est possible pour qu'il soit protégé contre les individus qui voudraient profiter de leurs connaissances des opérations financières pour en tirer un profit personnel. C'est important de prendre tous les moyens pour faire respecter les réglementations du secteur financier, parce que les infractions amènent des conséquences graves pour le public: des retraites qui sont détruites, des faillites, des problèmes familiaux et des problèmes personnels importants pour les gens.

La confiance du consommateur aussi est essentielle pour le développement du secteur financier, mais elle ne se donne, elle ne se gagne, cette confiance, que si on donne aux consommateurs les assurances nécessaires. Et la perte de confiance du public, on le sait, entraîne l'affaiblissement de tout le secteur financier.

Nous avons donc, suite à nos discussions de la semaine dernière, à la demande des oppositions, invité différents intervenants et experts qui ont accepté de nous donner leurs points de vue malgré leurs engagements professionnels et les courts délais, et je vous remercie tous profondément d'être ici, ce soir, pour éclairer les membres de la commission, les parlementaires, pour la conclusion de nos travaux.

Donc, tel que convenu, avec l'accord de l'ensemble des parlementaires, nous entendrons dans un premier temps, Me Nathalie Drouin, qui est la directrice générale de l'Autorité des marchés financiers, pour quelques minutes, mais nous retiendrons nos questions pour Me Drouin pour s'assurer qu'on ait tout le temps pour notre deuxième intervenant qui est l'honorable juge Michel Bastarache, qui a été juge à la Cour suprême du Canada pendant de nombreuses années, qui est aujourd'hui avocat-conseil et qui doit... qui, lui, a vraiment fait un grand détour pour venir nous voir à Québec. Il reprend l'avion tout à l'heure pour retourner dans l'Est du pays.

Par la suite, Me Jean-Claude Hébert, bien connu, qui est un grand spécialiste en droit criminel et pénal; Me Anne-Marie Boisvert, qui a été doyenne de la Faculté de droit de l'Université de Montréal, et qui est professeur titulaire, et qui est spécialisée d'ailleurs dans les questions aussi qu'on aura ce soir; de même que Me Henri Brun, qui est professeur de droit constitutionnel à l'Université Laval et qui est accompagné de Me Mario Naccarato, professeur à l'Université Laval, et Mme Audrey Létourneau, qui est chercheure au Centre d'études en droit économique de l'Université Laval.

Je termine donc avec ceci, messieurs dames, moi, il y a quatre questions, au fond, que je comprends que nous nous posons devant cet article de loi.

Premièrement, ce que, moi, j'appelle le vide juridique. Est-il exact que, donc, depuis le mois d'août, un juge au Québec ne peut plus imposer de peines consécutives, sauf les deux exceptions, il n'a plus cette discrétion?

Deuxièmement, les peines consécutives doivent-elles exister? Parce que, si on est en désaccord avec ça, on n'a pas de problème, c'est-à-dire que le juge au procès, est-ce correct, comme législateurs, de s'assurer que, dans notre loi, le juge au procès ait cette latitude?

Troisièmement, devrait-on préciser cette possibilité uniquement pour nos lois de valeurs mobilières, les bandits à cravate, ou dans l'ensemble du code pénal, ce que nous avons fait dans le projet de loi?

Et, quatrièmement, y a-t-il des enjeux constitutionnels que cet article 43 nous pose?

Je pense que ça résume quatre des questions principales, en entendant l'ensemble de mes collègues dans nos discussions hors d'ondes et en ondes. Et je suis très intéressé, moi aussi, à entendre nos témoins, M. le Président.

Document déposé

Le Président (M. Paquet): Merci beaucoup, M. le ministre. Je me permets de déposer une lettre, que nous avons tous reçue, juste avant les travaux de la commission, de Me Jacques Ladouceur, qui est président de l'Association québécoise des avocats et avocates de la défense. Ça fait partie aussi des informations que nous avons, là, en tant que membres de la commission.

M. Bachand (Outremont): Si vous permettez, M. le Président...

Le Président (M. Paquet): M. le ministre.

M. Bachand (Outremont): ...simplement de dire aussi. Me Ladouceur, que nous avons invité effectivement à la demande de la députée de Lotbinière, mais ne pouvait pas être ici aujourd'hui, a soumis une lettre. Et le Barreau du Québec a décliné l'invitation étant donné les délais et la nécessité de réunir son comité des affaires pénales. C'est pour ça que le Barreau n'est pas ici aujourd'hui.

Le Président (M. Paquet): Merci. Alors, je reconnaîtrais maintenant Me Drouin pour une brève présentation des enjeux pour ensuite échanger avec Me Bastarache. Me Drouin.

Exposé de Mme Nathalie G. Drouin,
directrice générale du contrôle des
marchés et des affaires juridiques
de l'Autorité des marchés financiers

Mme Drouin (Nathalie G.): Merci, M. le Président. D'abord, en commençant, il convient de rappeler que le débat, évidemment, comme l'a dit M. le ministre, qui entoure finalement l'adoption de l'article 43 du projet de loi n° 74 découle du scandale Norbourg et des poursuites pénales qui ont été intentées par l'Autorité des marchés financiers.

Brièvement, rappelons que Vincent Lacroix avait été condamné à 51 chefs d'accusation par la Cour du Québec et que, par la suite, la Cour du Québec a rendu sa sentence et a conclu que le Code de procédure pénale permet en l'espèce d'imposer des peines d'incarcération consécutives, ce que le juge a fait. Il a condamné Vincent Lacroix à 12 ans d'emprisonnement moins un jour, après avoir justifié finalement de considérer trois blocs précis d'infraction.

Vincent Lacroix a, par la suite, décidé d'en appeler de cette décision devant la Cour supérieure. Et, ainsi, le 8 juillet, la Cour supérieure a accueilli finalement en partie l'appel de Vincent Lacroix et a rétabli la peine à huit ans et demi, prétextant que deux des trois blocs pour lesquels Vincent Lacroix avait été reconnu coupable devaient être plus calculés comme étant un seul type d'infraction.

Donc, insatisfaits de cette décision-là, tant l'Autorité des marchés financiers que Vincent Lacroix en ont appelé à la Cour d'appel, et c'est ainsi qu'en août dernier la Cour d'appel a rendu une décision. Et elle a conclu finalement que le Code de procédure pénale ne permettait pas d'imposer des peines d'emprisonnement, et, ce faisant, la sentence de Vincent Lacroix avait été réduite à cinq ans moins un jour. Et, comme on le disait tantôt, cette décision-là fait l'objet d'une demande d'autorisation d'appel à la Cour suprême.

Les impacts de la décision de la Cour suprême sont importants, et là je pense pouvoir répondre à la première question du ministre: Oui, ça vient créer un vide juridique parce que les peines consécutives ne sont plus possibles dans aucune loi pénale du Québec, que ce soit en droit environnemental ou en droit des valeurs mobilières. Et donc ce n'est plus possible pour un juge d'imposer des peines, à titre d'exemple, de deux fois six mois.

Donc, la décision de la Cour d'appel crée des anomalies qui sont vraiment importantes, car un accusé qui a contrevenu une seule fois à une infraction est susceptible d'avoir la même pénalité qu'un individu qui aurait été accusé et reconnu coupable pour 100 fois la même infraction. C'est comme si, au Québec, on ne pouvait plus à l'heure actuelle imposer des peines proportionnelles aux infractions commises. Puis pourtant cette proportionnalité-là est tellement importante pour donner un sentiment de confiance à la population et particulièrement, dans notre domaine, aux investisseurs.

Nous croyons également qu'il y a ce qu'on pourrait appeler urgence d'agir. Pourquoi? C'est que, même si on apporte une correction, cette correction-là ne pourra jamais être rétroactive, c'est-à-dire que tous les dossiers en cour et même toutes les infractions qui pourraient se commettre, précédant l'adoption de la modification au Code de procédure pénale, les poursuivants ne pourront jamais demander finalement des peines consécutives et les tribunaux ne pourront pas non plus en imposer, ce qui crée finalement une anomalie puisqu'on ne pourra pas obtenir des peines qui sont proportionnelles aux infractions commises. Ainsi, plus on tarde à corriger la situation, plus on prend des risques de se priver de moyens pour... et de mesures pour obtenir les sanctions souhaitées.

•(17 h 20)•

Je voudrais maintenant brièvement adopter la proposition de modification dans le projet de loi n° 74. J'aimerais ça insister sur le fait que cette proposition de modification ne vient pas réinventer la roue. Elle fait tout simplement venir clarifier le droit et venir clarifier l'application de la common law. Ce principe de la consécutivité des peines en common law existe depuis plus de 100 ans et n'a jamais été attaqué au point de vue constitutionnel. Je vous rappelle que notre droit pénal québécois est issu du droit public, donc finalement s'inspire et tient sa source de la common law.

Et pourquoi il y a une nécessité de venir corriger la situation rapidement? D'abord, comme je le disais tantôt, pour donner au tribunaux la possibilité de pouvoir imposer des peines consécutives et donc des peines qui sont à la hauteur des crimes commis et, finalement, pour s'harmoniser avec le reste du Canada où la common law prévoit la possibilité d'octroyer des peines consécutives.

Certains ont soulev頗 et je pense adresser ici une des questions soulevées par le ministre — des problématiques constitutionnelles par rapport à l'article 43 du projet de loi n° 74. Je ne partage pas ces inquiétudes pour plusieurs raisons. D'abord, l'article 92 de notre Constitution, plus particulièrement son paragraphe 15, permet expressément aux provinces d'imposer des peines d'emprisonnement pour faire respecter les lois, et ça, sans limiter les sanctions en terme de nombre d'années.

On entend aussi parler que cette disposition-là pourrait être inconstitutionnelle parce qu'elle ne respecterait pas certains droits fondamentaux, dont le droit d'avoir un procès devant jury. L'article 11f de la charte prévoit, en fait, que tout inculpé a droit à un procès devant jury si la peine maximale est de cinq ans et plus.

Ici, j'aimerais vous rappeler que Vincent Lacroix avait lui-même tenté de revendiquer ce droit-là à la Cour du Québec et avait demandé la possibilité d'avoir un procès devant jury et, à ce moment-là, le juge Leblond avait pris la décision que l'article 11f ne s'appliquait pas puisqu'il n'y avait aucune infraction reprochée à Vincent Lacroix qui était passible d'une peine d'emprisonnement de cinq ans ou plus. La Cour supérieure a également, à son tour, confirmé cette décision-là puisqu'elle a refusé comme motif d'appel à Vincent Lacroix le fait qu'il n'avait pas eu droit à un procès devant juge et jury.

On arrive donc à la conclusion que l'article 11f s'applique lorsque, pour une infraction en particulier, la peine maximale dépasse cinq ans ou cinq ans et plus. Et d'ailleurs, à cet effet-là, si on arrivait à une conclusion inverse, on pourrait peut-être avoir des difficultés d'application. En effet, il serait un peu illogique, au début d'un procès, au moment où, finalement, l'accusé doit déterminer s'il veut un procès avec jury... on doit anticiper la manière dont le juge pourrait faire imposer les peines à la fin du procès. Ça nous arrive devant... On arrive, finalement, devant une difficulté d'application puisqu'on ne peut anticiper, finalement, quelle sera la décision du juge. Cette interprétation-là fait suite finalement à plusieurs décisions de la Cour suprême, et je vais laisser d'autres experts en parler.

Finalement, ce que j'aimerais vous dire, c'est qu'il est nécessaire d'apporter la modification dans le Code de procédure pénale, non pas dans des lois particulières, puisque c'est un principe d'application du droit pénal qu'on va venir corriger. Chacune des lois particulières peut venir déterminer quelle est la gravité objective des infractions dans chacune des lois, mais comment on applique ça? La réponse doit se situer dans le Code de procédure pénale et non pas dans la Loi sur les valeurs mobilières.

Donc, pour ces raisons, je soumets qu'il n'y a pas de risque légal à adopter, finalement, le projet de loi avec son article 43. Merci.

Le Président (M. Paquet): Merci, Me Drouin. Alors, sans plus tarder, je souhaite la bienvenue à Me Michel Bastarache, ex-juge en chef de la Cour suprême et avocat-conseil chez Heenan Blaikie. Alors, peut-être, si vous voulez peut-être commencer pour une dizaine de minutes environ pour qu'on puisse par la suite échanger avec vous. Me Bastarache.

Exposé de M. Michel Bastarache,
ex-juge à la Cour suprême
du Canada et avocat-conseil
chez Heenan Blaikie

M. Bastarache (Michel): Merci beaucoup de l'invitation. Ça me fait plaisir d'être ici et de vous assister si j'en suis capable.

D'abord, il y a lieu de faire une distinction, je crois, entre le domaine d'application de l'alinéa 11f de la charte et le problème juridictionnel suivant lequel l'imposition de peines civiles sévères pourrait être interprétée comme une tentative de légiférer dans un domaine fédéral, soit le domaine du droit criminel.

Permettez-moi de parler d'abord de la question relative à l'alinéa 11f de la charte. Sur ce plan, je ne crois pas qu'il y ait aucune ambiguïté. La disposition n'a rien à voir avec le partage des compétences et n'a certainement pas pour objet d'élargir la compétence fédérale en matière de droit criminel. C'est une garantie de nature procédurale qui a été donnée à un accusé ou à un inculpé dans le but de lui garantir le droit à un procès par jury lorsque la peine maximale prévue pour l'infraction dont il est accusé est de cinq ans ou plus.

La charte prévoit spécifiquement que le mot «infraction» est désigné au singulier, et ceci, c'est parce que l'objet du droit est de garantir l'accès à un jury pour les infractions les plus sérieuses, et on a simplement défini les infractions les plus sérieuses en se référant aux nombres d'années pour lesquels une condamnation suivrait.

La Cour suprême a interprété cet article-là dans une affaire qui s'appelle Lee, et, dans cette affaire, la Cour suprême a confirmé justement que les termes n'étaient pas équivoques. Je vous cite ici juste un petit paragraphe: «Les termes de l'alinéa 11f me paraissent clairs et non équivoques. Les seules restrictions qu'il impose au droit de bénéficier au droit de bénéficier [au] procès [par] jury sont l'exigence que la peine maximale prévue pour l'infraction soit un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave et qu'il ne s'agisse pas d'une infraction relevant de la justice militaire.»

Il y a eu ensuite une autre interprétation qui a été donnée, cette fois-là, dans l'affaire la Reine contre Turpin, et, encore dans cette affaire, la cour a vraiment spécifié qu'il s'agissait d'un emploi du singulier et qu'on visait justement une peine par rapport à la nature de l'infraction. Et, ici encore, je vous cite une phrase. On dit: «Cependant, l'article 429 du Code criminel rend obligatoire le procès avec jury pour les infractions énumérées à l'article 427.» Et là on va énumérer ces articles et expliquer justement que le fondement même de la juridiction est celui-là.

Ces deux décisions-là ont été ensuite mentionnées et approuvées dans une décision de 2005 qui s'appelle la Reine contre Spence et dans laquelle le juge Binnie se réfère encore au même alinéa et répète qu'il s'agit d'un emploi du singulier et que c'est dans ce contexte qu'il faut interpréter la disposition.

Les auteurs aussi qui ont traité de cette question dans la littérature juridique sont tous du même avis et, même si la jurisprudence n'est pas abondante sur la question, ils sont tous d'avis que les condamnations multiples ne créent pas finalement un droit au procès par jury. Il s'agit d'interpréter la charte comme elle est rédigée. Il y a en particulier le professeur McLeod, dans son traité, qui dit ça de façon très spécifique, et puis aussi le professeur Morel, ici, qui prend exactement la même position.

•(17 h 30)•

Le rapprochement à faire avec les infractions relevant de la juridiction absolue de la Cour du Québec, à l'article 553 du Code criminel, nous fournit d'ailleurs une autre façon de voir le problème et de constater que le nombre de chefs d'accusation n'a pas changé la juridiction absolue de la Cour du Québec. Alors pourquoi en irait-il différemment dans le cas de l'article 11? S'il y a plusieurs infractions, s'il y a plusieurs condamnations, l'alinéa 11f n'impose pas une limite à la discrétion du juge de fixer une peine globale raisonnable. Quand on est devant la Cour du Québec et qu'on a plusieurs accusations et plusieurs condamnations, la Cour du Québec ne perd pas juridiction parce qu'elle pourrait donner un nombre de peines qui serait supérieur à cinq ans. Alors, c'est pareil quand une personne est trouvée coupable de plusieurs infractions, et il est donc clair, d'après moi, que l'article... ou l'alinéa 11f ne pose aucun problème dans le cas du projet de loi qui est présenté ici.

Maintenant, l'autre question, évidemment, c'est celle des peines consécutives. Et là il s'agit d'une question totalement différente. Il s'agit de savoir si le Québec est limité dans son pouvoir d'imposer des peines de nature pénale. Comme Mme Drouin vient de le dire, il n'y a pas, dans la Constitution, de limite quant au nombre d'années ou quant à la sévérité des peines. Ce qui est nécessaire, c'est que le Québec évidemment légifère en fonction d'un de ses chefs de compétence. Donc, il s'agit de voir si l'objet même de la peine est relié à un domaine de compétence, et ici, évidemment, on veut parler de la réglementation des services financiers.

Le nombre d'années qui peut être imposé comme peine est simplement un des facteurs qui pourrait être considéré par un tribunal qui serait appelé à décider si la législation québécoise est une façon voilée d'imposer une peine de nature criminelle ou pas. Mais ce n'est absolument pas le seul facteur qui entrerait en considération. La raison pour laquelle je crois que la Cour d'appel s'est trompée, c'est que je pense qu'elle a mal interprété l'arrêt Paul contre la reine, qui est un arrêt de 1982 de la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire-là, le juge Lamer s'est référé à l'historique et a conclu que ça fait depuis l'arrêt Wilkes, de 1770, en Angleterre, que les peines consécutives sont autorisées à la common law. Il explique justement le fondement de la règle de common law.

La règle de common law a été adoptée de façon certaine parce qu'on voulait qu'une personne qui est condamnée dans plusieurs procès séparés ne soit pas traitée différemment d'une personne qui est condamnée dans un seul procès, mais sous différents chefs d'accusation. Alors, évidemment, la justice exige que la personne soit traitée de la même manière dans les deux cas, et il n'y avait pas de raison philosophique ou juridique pour considérer que, si on est jugé par trois juges différents dans trois forums différents, on peut avoir un cumul des peines, alors que, si c'est un même juge qui nous condamne pour les trois mêmes infractions, on ne le pourrait pas. La règle a été suivie, comme on l'a dit, depuis toujours.

Maintenant, pourquoi est-ce que la question s'est posée dans l'arrêt Paul? C'est parce qu'il y a eu des amendements au Code criminel pour régler un certain nombre de problèmes qui se posaient lorsque les principes de la common law n'étaient pas directement applicables. Alors, ce qu'on a voulu faire, évidemment, dans le Code criminel, c'était de contourner un certain nombre de difficultés qui venaient du fait qu'il y a un principe de common law qui dit que la peine est imposable... ou la peine doit être servie à partir du moment où elle est imposée. Alors, si une personne était déjà en prison pour une infraction, accusée d'un autre crime et condamnée à nouveau, alors, comment est-ce que sa peine pouvait commencer maintenant puisqu'il était déjà en prison? Alors, on a voulu prévoir cette situation-là directement dans le code. Alors, on se trouvait à ajouter ou à modifier le common law. Et différentes situations de fait comme celles-là se sont présentées au cours des années.

Alors, le juge Lamer dit finalement que, dans les amendements au Code criminel, on a, à certains égards, déplacé la common law pour la remplacer par des règles de nature législative.

Maintenant, quand le gouvernement fédéral modifie la common law en vertu du Code criminel, ce déplacement de la common law n'a aucun effet sur l'application de la common law dans les provinces. Alors, vous me direz: Pourquoi est-ce que la common law s'applique au Québec? Bien, c'est parce qu'ici on est dans un domaine de droit public, et le droit supplétif dans le domaine public, c'est la common law. Alors, la règle de common law donc qui existait au moment de l'arrêt Paul, et qui existe toujours, et qui permet, qui donne la discrétion au juge d'imposer ou pas des peines consécutives, elle existe toujours, à moins que le législateur québécois ne l'ait écartée dans une législation provinciale.

L'interprétation qui est donnée au Code de procédure pénale par la Cour d'appel ici semble vouloir dire que le législateur québécois aurait écarté la règle de common law de façon implicite en adoptant un des principes de common law dans le Code de procédure pénale. Alors, comme je vous l'ai dit, moi, je ne crois pas qu'on peut écarter la common law de façon implicite. Je crois que la règle de common law, c'est le droit en vigueur, dans la mesure où il n'est pas modifié directement et clairement par la législation provinciale. Par conséquent, le juge pouvait, à mon avis, ici, au Québec, imposer des peines cumulatives.

Évidemment, il y a des règles de common law qui prévoient des situations où on ne peut pas imposer des peines cumulatives, et il s'agit surtout des cas où différentes accusations découlent d'un même état de fait et d'une même situation juridique. Mais ce n'était pas le cas ici; il y avait des infractions totalement indépendantes les unes des autres, et là le juge a une discrétion.

Maintenant, est-ce qu'il peut imposer n'importe quoi comme peines? Est-ce qu'on est capables d'arriver avec 50 peines différentes de cinq ans? Eh bien, évidemment non, parce qu'il y a toute une série d'autres règles qui s'appliquent quand on donne une sentence, mais qui ne sont pas des règles de nature constitutionnelle. Alors, ce sont des règles de proportionnalité, en particulier: on doit considérer le nombre global d'années que la personne va servir et s'assurer que c'est une sentence qui est juste et équitable.

Alors, pour ces raisons-là, moi, il me semble que la législation qui est proposée est parfaitement acceptable.

Maintenant, on peut avoir des raisons politiques pour ne pas imposer des peines supérieures à cinq ans, par exemple, mais ce ne sont certainement pas des règles de nature constitutionnelle. Et d'ailleurs, si vous regardez l'historique des peines dans le domaine québécois, vous allez voir que, la plupart du temps, la référence, c'était à deux ans et pas à cinq ans, puis la référence à deux ans venait simplement du fait qu'une peine qui était servie et qui dépassait deux ans était dans un pénitencier fédéral par rapport à une prison provinciale, et tout ça découle évidemment de dispositions du Code criminel. Ça n'a rien à voir non plus avec des règles constitutionnelles.

Alors, ça me paraît important, personnellement, pour le Québec d'affirmer sa juridiction dans ce domaine-là, parce qu'il me semble que ce sera extrêmement difficile d'assurer la crédibilité du système réglementaire si vous êtes trop handicapés par rapport aux peines qui peuvent être imposées. Merci.

Le Président (M. Paquet): Alors, merci beaucoup, Me Bastarache. Je m'excuse, tout à l'heure, j'ai dit «juge en chef de la Cour suprême», et vous avez été juge, bien sûr, de la Cour suprême; ça n'enlève pas votre... le travail que vous y aviez fait, mais tout à l'heure j'ai été imprécis, alors je voulais corriger le tout. Alors, M. le ministre des Finances.

•(17 h 40)•

M. Bachand (Outremont): Merci beaucoup, M. le juge Bastarache. Au fond, donc, vous avez parlé de la constitutionnalité, vous avez parlé des peines consécutives, ma question est sur la sagesse des peines consécutives, c'est-à-dire... Parce que, présumant que la Cour d'appel a raison... vous trouvez qu'ils ont tort, mais présumant qu'ils ont raison et que ce serait confirmé en Cour suprême, donc, il y a ce vide où un juge ne peut plus faire de peines consécutives. Donc, si vous êtes condamné, ça fait 50 fois que vous avez une infraction, vous repéchez, vous êtes délinquant de nouveau et vous avez 10 condamnations de six mois de prison et que le juge qui est maître des faits voudrait faire 60 mois, c'est-à-dire donc cinq ans dans ce cas-ci, il ne le pourrait plus. Est-ce que c'est sage? Nous, on le pense — on a déposé évidemment ce projet de loi — que c'est sage pour le législateur de prévoir cette discrétion pour le juge, parce que c'est une discrétion pour le juge qui apprécie les faits et les comportements au procès. Alors, je suis sur la sagesse et l'opportunité de mettre cette disposition dans notre code pénal.

M. Bastarache (Michel): Il faut bien comprendre que la décision de la Cour d'appel ne signifie pas que le Québec ne peut pas légiférer pour réimposer des peines consécutives. Ils ont mentionné, à la toute fin du jugement, la disposition de la charte, mais ce n'était pas un des motifs du jugement, puis d'ailleurs il n'y avait pas eu une question constitutionnelle de posée. Alors, le Québec peut l'imposer.

Maintenant, la discrétion, ça ne veut pas dire évidemment que le juge est libre d'imposer des peines consécutives qui vont aboutir à un nombre total d'années d'incarcération qui est inacceptable. Alors, il y a, comme je l'ai dit, toute une série d'autres règles, et ces règles-là s'imposent soit par la common law soit par le fait que le code se réfère quelquefois aux normes qui sont applicables dans le domaine du droit criminel. Alors là, c'est, comme je l'ai dit, la question de la proportionnalité. Puis il y a aussi des situations où les peines concurrentes sont obligatoires.

Le Président (M. Paquet): M. le ministre.

M. Bachand (Outremont): Merci. Je vais, étant donné qu'on doit... on devra ajourner tout à l'heure, je vais laisser la... plus de temps à l'opposition.

Le Président (M. Paquet): D'accord. Alors, M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Aussant: Merci, M. le Président. D'abord, un immense merci à tous ces gens d'être venus nous aider dans ce débat-là. Et, n'étant pas juriste moi-même, je n'irai pas dans les points techniques. J'ai une question assez simple avant de passer la parole à ma collègue qui, elle, est avocate.

On a reçu aujourd'hui une note, en fait, de l'Association québécoise des avocats de la défense qui dit en gros que, si l'ordre des procès avait été inversé, si on avait été au criminel avant d'aller au pénal, on ne serait peut-être pas en train de discuter de tout ça, et ça aurait réglé bien des choses, puisque la peine de 13 ans n'aurait sans doute pas mené à une certaine grogne publique qui amène ensuite le débat qu'on a là, entre autres. Donc, est-ce qu'à votre avis ça aurait pu être une solution très simple à ce problème-là, d'aller au criminel avant le pénal, tout simplement?

Le Président (M. Paquet): Me Bastarache.

M. Bastarache (Michel): Bien, selon mon expérience à moi, les autorités en matière criminelle ne sont pas équipées pour faire des enquêtes dans tous les domaines où vous faites enquête dans le régime réglementaire. Je crois qu'ils n'ont pas la capacité de le faire, qu'ils n'ont pas la volonté de le faire, ni les ressources pour le faire. Je crois aussi que ça prend énormément de temps normalement à procéder en matière criminelle. Ici, vous avez quelqu'un qui a plaidé coupable, mais, s'il n'avait pas plaidé coupable, ce ne serait pas fini, l'affaire. Et là qu'est-ce que vous faites de tous les délais de prescription? Alors, vous ne pourriez plus ensuite agir en fonction de votre réglementation sur les marchés financiers parce que les délais seraient tous épuisés.

Alors, moi, je ne crois pas que... d'une façon pratique, que ce soit possible vraiment de dire: Tout ça va être traité par la justice criminelle.

Le Président (M. Paquet): Merci. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Alors, je veux vous remercier à mon tour. Ce n'est pas tous les jours qu'on a un tel éclairage. Je pense qu'on a une panoplie d'experts, donc on en est très, très heureux. Et je pense que votre présence démontre à quel point c'est quand même un débat important, donc on est heureux de pouvoir, comme parlementaires, faire toute la lumière sur ce débat ce soir.

M. le juge, vous avez fait référence... je pense, d'entrée de jeu, vous êtes allé au coeur du problème, qui est tout l'aspect constitutionnel du nouvel article qui est proposé et un grand principe de base, évidemment, qui est que, quand on est en matière pénale, on ne doit pas venir punir mais bien sanctionner une conduite qui est jugée répréhensible via une loi sectorielle.

Alors, je veux comprendre quelques petits éléments. De ce que je comprends de votre propos, en vertu de l'article 11f, donc vraiment sur le droit au procès devant jury, vous estimez qu'il n'y a pas de problème constitutionnel. Pour cela, vous vous basez essentiellement sur de la doctrine, puisque de ce que je comprends, il n'y a pas eu de causes... Vous avez fait mention de quelques causes. D'ailleurs, je serais heureuse juste que vous me donniez les années de ces causes-là, si c'est possible, de Lee puis...

Donc, de ce que je comprends, vous dites que ce n'est pas tant de la jurisprudence qui serait venue confirmer votre thèse, mais plutôt de la doctrine. Est-ce que c'est bien le cas?

Le Président (M. Paquet): Me Bastarache.

M. Bastarache (Michel): Bien. Il y a une interprétation qui est donnée. C'est simplement qu'il n'y a pas... la cour n'a pas élaboré beaucoup sur la portée de ça, parce que vraiment ça paraissait clair à tout le monde. Il n'y avait pas de vraie contestation sur l'application de l'article. Mais, la cause la plus récente est de 2005, alors c'est quand même très récent, et puis Lee, c'est 1989, et puis ensuite Turpin...

Mme Hivon: ...me donner l'info plus tard, là, ce n'est pas...

M. Bastarache (Michel): Oui. Mais, vous savez, traditionnellement, si vous voulez, dans le droit, on disait qu'il y avait une distinction qu'on voulait plus ou moins nette entre ce qui était une sentence réglementaire, de nature réglementaire, et une sentence de nature criminelle. Puis on disait que le but finalement des sentences dans le domaine réglementaire, c'est plus la prévention, C'est plus, finalement, d'établir un cadre législatif à l'intérieur duquel les gens vont avoir confiance que les sanctions sont assez importantes pour changer le comportement des gens dans le futur, et c'était moins pour punir, finalement, les gens qui avaient contrevenu dans le passé.

Mais, dans le fond, cette distinction-là, elle est plus ou moins importante aujourd'hui tout simplement parce que, d'abord, il y a des dispositions qui sont justifiées dans le domaine criminel et qui sont vraiment de nature préventive. Alors, il y a un flou entre les deux et finalement, quand on dit: Est-ce qu'on veut punir ou est-ce qu'on veut prévenir, est-ce qu'il y a une vraie différence au niveau des principes selon qu'on agit dans le domaine criminel ou pas? Je pense que la plupart des professeurs d'universités qui sont ici vous diront que la Cour suprême n'a certainement pas été très claire quant à la distinction qu'elle veut faire entre les deux dans les décisions les plus récentes. Et, si vous regardez la tendance jurisprudentielle des toutes dernières années, vous allez voir que la cour veut encourager... ou veut, comment je dirais, reconnaître la constitutionnalité des lois provinciales et fédérales dans presque tous les cas où il n'y a pas un conflit direct où elles peuvent encore s'appliquer, et elle présume de la constitutionnalité des lois et elle présume de la bonne foi des parlementaires fédéraux et provinciaux dans l'adoption de leur régime réglementaire et de leur régime criminel.

On a un exemple de ça dans les décisions récentes concernant le port de Vancouver où on avait finalement la nécessité d'obtention de permis provinciaux ou de permis fédéraux pour faire des travaux et on se demandait: Est-ce que la province peut imposer des normes environnementales, des normes de construction à une entreprise fédérale? Traditionnellement, on aurait dit: Ceci, c'est un domaine de juridiction fédérale, il y a une immunité législative du fédéral; la loi provinciale ne s'applique pas, ça finit là. La majorité de la Cour suprême n'a pas emprunté cette voie-là. Ils ont dit, non, il faut encourager la coopération entre les provinces et le fédéral et, dans la mesure où on peut appliquer les deux, il faut considérer que les deux lois sont valides et on va voir s'il y a un conflit véritable. S'il n'y a pas de conflit véritable, on va les appliquer tous les deux. S'il y a un conflit, bien, on va préférer la loi fédérale, mais uniquement dans la mesure où on peut régler le conflit. Et ça, ça s'est confirmé dans des décisions très, très récentes de la Cour suprême. Et, moi, ce que je vous dis, c'est que, dans le fond, à moins qu'il y ait des espèces de preuves de mauvaise foi, on va se retrouver dans des situations où ce n'est pas la Cour suprême qui va empêcher les provinces d'établir un régime qu'elles considèrent nécessaire pour qu'il soit efficace.

Le Président (M. Paquet): Merci. Mme la députée de Joliette.

•(17 h 50)•

Mme Hivon: Oui. En fait, je pense que je vais vous poser... J'ai deux ou trois autres petites questions puis je vais vous les poser puis vous répondrez, parce que peut-être vous allez être capable de tout répondre à ça dans un tout cohérent, puis on va gagner du temps pour...

On entend, c'est ça, de la part du ministre puis de Mme Drouin qu'il y a un vide juridique et qu'un juge ne pourrait pas, dans l'état actuel des choses, imposer des peines consécutives. J'aimerais savoir si des peines d'emprisonnement consécutives de la nature de ce qu'on a vu évidemment dans le cas de Vincent Lacroix sont quelque chose que l'on voit fréquemment, ce qui n'était pas mon... Je pensais que c'était excessivement rare, surtout une peine de l'ampleur de Vincent Lacroix, et je pense que c'est pour ça qu'on est devant ce débat-là et que la Cour d'appel est venue se prononcer là-dessus. C'est qu'une peine de cinq ans moins un jour, en plus de façon consécutive, c'est à peu près du jamais-vu. Donc, j'aimerais ça avoir votre éclairage là-dessus et savoir si d'autres juridictions se seraient déjà prononcées sur de tels cas, notamment parce qu'on fait référence aux dispositions des autres législatures au Canada qui auraient une disposition semblable à celle qu'on souhaite adopter. Mais est-ce que ça a déjà été testé devant les tribunaux à savoir si c'était constitutionnel à la lumière de peines qui auraient été aussi importantes que celles dans le cas de Vincent Lacroix de cinq ans moins un jour?

L'autre élément, je pensais... Quand vous avez abordé toute la question plus de la question juridictionnelle en vertu du partage des compétences, moi, j'étais sous l'impression que le cinq ans moins un jour, qui était un critère que l'on voyait dans nos lois, était justement là pour ne pas franchir ce pas-là et ne pas pouvoir... en fait, de vraiment fixer un seuil, et je pensais qu'il y avait un lien quand même avec l'article 11f pour ne pas pouvoir faire indirectement ce qu'on ne peut pas faire directement.

Et, ma dernière question, c'est de savoir si, puisqu'il y a une cause pendante — en fait, on est en attente de savoir s'il va y avoir permission d'appeler en Cour suprême en lien avec toute la question des principes de common law qui seraient applicables, de votre opinion, de ce que j'en comprends, mais que la Cour d'appel a rejeté comme argument — est-ce que du fait qu'on est en appel de cette cause-là ou en attente d'une permission d'en appeler et qu'on vient légiférer, est-ce qu'en quelque sorte ça rend un peu obsolète notre recours, parce que c'est comme si on décidait qu'il faut légiférer et que donc on abdique un peu le champ de l'application des principes de common law?

Le Président (M. Paquet): Me Bastarache.

M. Bastarache (Michel): Bien, d'abord, il faut dire qu'au Québec c'est exceptionnel, la peine de cinq ans. Je crois que c'est la seule qui existe, en fait, celle qui est applicable dans le domaine des services financiers. Et c'est une peine qui est assez exceptionnelle aussi dans les autres provinces. À ma connaissance, il n'y a eu aucune contestation constitutionnelle dans les autres provinces, mais la majorité des provinces où la situation s'est présentée, ce sont surtout en Ontario et en Colombie-Britannique, mais ils ont une législation qui prévoit spécifiquement les peines consécutives, alors, il ne peut pas y avoir de contestation, à moins, comme vous l'avez suggéré, qu'on soulève l'article 11f, mais, comme je vous l'ai dit, moi, je ne pense pas que ce soit vraiment applicable.

Alors, pourquoi on s'est référé à la norme de cinq ans? Je ne le sais pas. Et c'est vraiment ici et dans cette salle, j'imagine, ou dans la salle d'à côté qu'on le saurait, parce que c'est le Québec qui a choisi les cinq ans. Mais, s'ils l'on fait en se référant à l'article 11f, ils n'avaient certainement pas besoin de le faire, à mon avis.

Maintenant, le fait qu'il y ait une demande d'autorisation d'appel, d'après moi, ne devrait absolument pas vous décourager d'adopter la législation, d'abord parce qu'on ne peut jamais présumer du succès d'une cause, et puis, si jamais la Cour suprême refusait de l'entendre ou confirmait la décision de la Cour d'appel, eh bien, là, vous seriez vraiment mal pris, parce que ce n'est pas seulement la peine consécutive ici qui est interdite, mais c'est toutes les peines consécutives dans tous les domaines, alors même les peines consécutives de six mois. Alors, je crois que la confiance du public serait vraiment très affectée si le public était laissé sous l'impression que le fait de commettre une infraction ou cinquante infractions, ça mène exactement au même résultat du point de vue des sentences applicables.

Le Président (M. Paquet): Merci. M. le député de Rousseau, environ deux minutes.

M. Marceau: Très rapidement. Merci à vous, merci à vous d'être là. Une question très simple donc, puis je reviens sur la question de la députée de Joliette. Donc, dans le passé, est-ce qu'il y a eu fréquemment l'usage de peines consécutives? Est-ce que vous avez une idée, là, de la fréquence à laquelle ça a été utilisé? Parce que, bon, pour qu'il y ait vide, il faut que, dans le passé, on ait utilisé ces peines-là, mais... Moi, en fait, je n'ai pas d'information à ce sujet.

Le Président (M. Paquet): Me Bastarache.

M. Bastarache (Michel): Bien d'abord, je crois qu'il ne faut pas dire qu'il y a un vide juridique. Il n'y a pas de vide juridique, dans le sens qu'il y a toujours une loi applicable, là c'est les peines non consécutives. Alors, ce n'est pas un vide, mais c'est une situation que vous voulez soit faire déclarer invalide ou bien modifier de façon législative.

Je ne le sais vraiment pas personnellement, dans le domaine ici où on discute ce soir, s'il y a eu des peines consécutives fréquentes, mais, comme je vous dis, de façon générale les peines étaient de deux ans dans presque tous les domaines. Mais ça ne s'est pas présenté souvent dans le passé parce qu'on procédait surtout avec des amendes. Le système réglementaire était vraiment fondé sur des amendes, et souvent on avait la prison si la personne ne payait pas ses amendes. Et je crois que c'est dans ces circonstances-là qu'on a commencé à avoir des peines consécutives parce que justement, si on refusait de payer l'amende, on avait une peine de prison qui s'ajoutait à la peine de prison initiale.

Le Président (M. Paquet): Merci. Mme la députée de Lotbinière.

Mme Roy: D'ailleurs, lorsqu'on a remplacé la Loi sur les poursuites sommaires par le Code de procédure pénale — je relisais un peu les débats de l'époque, à l'époque c'était le ministre de la Justice, Herbert Marx — c'était ça, là: On ne va pas mettre en prison des personnes qui n'ont pas l'argent pour payer les amendes. C'était le gros débat du Code de procédure pénale parce qu'il y avait eu des personnes incarcérées par pauvreté plutôt que par criminalité, et puis c'est un débat qui avait, je pense, secoué les assises juridiques du Québec. C'est curieux que maintenant ce soit le débat contraire, on veut remettre... on veut permettre, avec le Code de procédure pénale, d'incarcérer.

Je suis contente que vous soyez venu nous en parler parce que, pour moi, ça n'aurait pas fait de sens qu'on n'ait pas eu d'audition sur les modifications au Code de procédure, modification qui va entraîner une vague de conséquences dans tout le droit pénal québécois, je pense qu'il fallait au moins en parler. Puis je veux remercier d'être venu, d'être venu nous rencontrer.

Le Président (M. Paquet): Me Bastarache.

M. Bastarache (Michel): Je voudrais simplement ajouter, suite à vos propos, que, même s'il n'y a pas d'obligation légale ou constitutionnelle, quand on commence à imposer des peines plus importantes, il faut peut-être réfléchir aussi aux garanties qu'on donne aux personnes qui sont affectées. Alors, je pense que, si une personne doit se retrouver en prison pour 12 ans, si on prend la première peine qui avait été imposée ici, bien, peut-être qu'il faut se demander si on ne devrait pas aussi élargir les garanties légales qui sont disponibles pour ces différentes personnes. Moi, je vous dis, ce n'est pas une obligation constitutionnelle, mais c'est peut-être une obligation morale qu'on a, au moins comme législateurs. Et évidemment c'est très important de protéger les droits fondamentaux quand on parle d'incarcération, quand on parle de perte de la liberté.

Le Président (M. Paquet): Mme la députée de Lotbinière.

Mme Roy: ...ça pourrait vouloir dire encadrer la divulgation de la preuve, toutes ces procédures-là, qu'on a en droit criminel, qu'on n'a pas en droit pénal?

M. Bastarache (Michel): Bien, c'est ça, on peut soit se référer aux protections dans le domaine criminel ou on peut en prévoir qui sont spécifiques et qui seraient applicables. Mais ce seraient plutôt des gens, justement, comme M. Hébert, qui pratiquent le droit criminel, qui pourraient vous éclairer sur les différentes modalités. Mais, moi, ce que je vous dis, c'est qu'au niveau des principes, et tout ça, je crois que les deux... il y a peut-être un tandem, là, à établir.

•(18 heures)•

Le Président (M. Paquet): Merci. M. le ministre.

M. Bachand (Outremont): Oui. Merci beaucoup, Me Bastarache, d'être venu ici, aujourd'hui. Je voudrais juste reprendre votre avant-dernier point, en réponse à une question, là, sur l'opportunité de faire cette loi alors qu'il y a une demande de permission d'en appeler. Est-ce que je retiens que vous dites: L'appel ne devrait pas vous décourager, parce que, si jamais la permission est refusée ou l'appel est perdu ultimement, il y a la confiance du public parce que 50 infractions, ce n'est pas comme une infraction, fondamentalement? Et je ferais comme commentaire le lien avec ce que Me Drouin nous disait, c'est que, comme notre loi, quand elle sera adoptée — si elle l'est par l'Assemblée — n'est pas rétroactive, mais ce n'est pas non seulement, pour que les gens qui nous écoutent le sachent, qu'elle n'est pas rétroactive par rapport aux infractions qui seraient déposées par l'Autorité des marchés financiers, mais c'est à tous les gestes commis. Donc, aujourd'hui, au moment où on se parle, les bandits à cravate, pour prendre cette expression populaire, tous les gestes qu'ils commettent aujourd'hui, si jamais on perd en Cour suprême, ne peuvent pas faire l'objet de peines consécutives.

Donc, chaque mois qui passe est un mois important. Bien sûr, c'est pour ça que c'est important non seulement d'adopter la loi mais aussi d'aller en Cour suprême parce que tous les gestes qui sont commis par tous ceux qui causent des infractions aux lois du Québec, que ce soit la loi de l'environnement, la Loi des pesticides, etc., depuis des années d'ailleurs jusqu'au jugement de la Cour d'appel, on souhaite qu'ils soient couverts par ce principe de continuité des peines. Alors, c'est pour ça qu'on fait les deux démarches en même temps, et je ne veux pas mettre des mots dans votre bouche, mais je crois comprendre que vous êtes en accord avec ça.

Le Président (M. Paquet): Me Bastarache.

M. Bastarache (Michel): ...d'accord avec ce que vous dites. D'ailleurs, je voudrais vous dire que ce n'est pas inusité d'avoir des lois qui confirment la common law ou qui clarifient le droit qu'on pense devoir s'appliquer déjà. D'ailleurs, il y a plusieurs projets de loi, je me souviens, dans d'autres provinces, qui commencent avec un attendu qui dit: Attendu que nous voulons clarifier le droit et peut-être sécuriser les citoyens quant à la position juridique qui est la nôtre, nous adoptons ce projet de loi qui n'a pas, dans ce cas-là, pour objet de modifier le droit tout simplement mais de le clarifier ou en tout cas de le renforcer.

Le Président (M. Paquet): Merci beaucoup. Alors, je remercie... les parlementaires... À moins qu'il y avait d'autres questions? Brièvement, M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Aussant: Peut-être pour revenir un peu sur les propos de Me Bastarache et de ce qu'on a discuté avant, pendant qu'on a la présence du grand chef de l'AMF ici, j'aimerais savoir peut-être combien de causes actuelles pourraient demander plus de cinq ans dans les causes que l'AMF pourrait traiter actuellement ou dans les mois, semaines à venir?

Le Président (M. Paquet): Alors, M. St-Gelais.

M. St-Gelais (Jean): Oui. Merci, M. le Président. C'est extrêmement difficile même, je dirais, impossible pour moi de répondre à ça parce qu'on n'a pas pour l'instant de... on ne peut pas présumer de ce que les juges vont donner comme cause. Ce que, nous, on pourrait demander, il y en a maximum une ou deux, maximum, qui pourraient éventuellement dépasser cinq ans, et là je ne veux même pas m'engager.. Peut-être qu'un juge pourrait dire moins que ça. Mais ce n'est pas légion, là, loin de là.

Le Président (M. Paquet): Merci. Alors donc, je remercie Me Bastarache pour son éclairage pour nos travaux, pour la poursuite de nos travaux.

Alors, dans l'esprit du consentement de la semaine dernière, je suspendrais les travaux de la commission jusqu'à 19 heures. Et nous reprendrons, à 19 heures, les échanges avec d'autres invités qui se sont bien rendus disponibles pour nous éclairer.

Oui, la cafétéria est ouverte en bas effectivement pour les invités, ceux qui voudraient aller se restaurer. Je crois que oui. ...suspendu jusqu'à 19 heures. Merci.

(Suspension de la séance à 18 h 3)

 

(Reprise à 19 h 6)

Le Président (M. Paquet): À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des finances publiques reprend donc ses travaux.

Je rappelle à nos auditeurs que la commission est réunie afin de poursuivre l'étude détaillée du projet de loi n° 74, Loi modifiant diverses dispositions législatives afin principalement de resserrer l'encadrement du secteur financier.

Au moment de notre suspension donc, nous avions entendu Me Michel Bastarache, ex-juge de la Cour suprême, pour éclairer les membres de la commission relativement à l'article 43 du projet de loi dont nous avons entrepris l'étude.

Alors, sans plus tarder, je reconnaîtrais Me Jean-Claude Hébert, spécialiste en droit criminel et pénal, pour nous faire part, peut-être pour environ une dizaine de minutes, de ses vues sur ledit article. Par la suite, ce sera suivi d'une période d'échange avec les membres de la commission. Alors, Me Hébert, bienvenue à la commission.

Exposé de M. Jean-Claude Hébert,
avocat spécialiste en
droit criminel et pénal

M. Hébert (Jean-Claude): Oui, merci. Alors, M. le ministre, mesdames messieurs les parlementaires, quand je lis l'article 43 du projet de loi, je trouve que c'est un excellent début, mais il faudrait le compléter. Et, si vous me permettez une proposition pour compléter ce que je lis dans le projet, j'ajouterais la phrase suivante: Le cumul des peines ne peut entraîner un emprisonnement excédant cinq ans moins un jour. Si telle proposition était retenue, je suis d'avis que cette assemblée éliminerait toute possibilité de contestation judiciaire de quelque nature que ce soit, soit par un défendeur, soit par un accusé, soit par quiconque voudrait faire une contestation de nature constitutionnelle.

•(19 h 10)•

Maintenant, si vous me posez la question: Pourquoi une telle proposition?, ce n'est pas pour des raisons d'analyse de vide juridique, de common law, je laisse ça à d'autres, moi, je suis un praticien, ça fait 35 ans que je représente des gens devant les tribunaux, et je pense avoir compris comment fonctionne notre système de justice et comment fonctionnent les agences d'application de la loi. Ce que je veux dire par là, je parle des forces policières et je parle aussi des agences comme l'Autorité des marchés financiers et d'autres, ne les oublions pas, qui ont pour mission de faire en sorte que nos lois soient appliquées et respectées.

Je suis en partie d'accord avec plusieurs propos tenus par M. le juge Bastarache, sauf que peut-être la question ne lui a pas été posée, mais il n'a pas abordé, à mon avis, l'élément principal: Qu'est-ce qui fait la distinction entre une infraction réglementaire puis une infraction criminelle? Simplement dit, c'est ceci: une infraction réglementaire, c'est une infraction de négligence. C'est-à-dire que quelqu'un n'a pas la diligence raisonnable qu'elle devrait avoir ou qu'il devrait avoir dans une circonstance donnée. Et, si, effectivement, on constate que cette personne a été négligente, elle est coupable et elle mérite une sanction.

À l'opposé, une infraction criminelle, c'est une infraction commise par une personne qui a une intention criminelle et donc qui mérite une culpabilité morale. Or, vous comprendrez qu'évidemment, au Code criminel, nous avons une échelle de sanctions qui part de zéro et qui monte jusqu'à la prison à vie. En raison de ce que M. le juge Bastarache appelait le principe de la proportionnalité, la peine doit correspondre au crime.

Moi, j'admire le langage de Jean St-Gelais. Jean St-Gelais, il parle franchement. Il dit: Il faut combattre le crime financier. Il se propose pour agir comme gendarme contre le crime financier. Son but est louable, mais ce n'est pas sa mission. Lisez les dispositions principales de la Loi sur l'Autorité des marchés financiers, lisez les mêmes dispositions dans la Loi des valeurs mobilières, vous allez voir ce que c'est, la mission: c'est une mission de régulation, ce n'est pas une mission de chasser, pourchasser les criminels.

Et je m'inscris en faux sur un commentaire du juge Bastarache lorsqu'il a dit que les policiers seraient mal équipés pour remplir leurs fonctions. Ce n'est pas ce que je vois et ce que je constate régulièrement. Il existe des escouades spécialisées à la Sûreté du Québec, à la GRC qui travaillent sur le crime financier, et ces gens-là bénéficient de l'aide et du support des experts de l'Autorité des marchés financiers, qui a un travail qui se fait en synergie, et les échanges d'information se font. Ce n'est pas encore parfait, la mayonnaise parfois prend du temps à prendre, mais c'est en train de prendre. Est-ce qu'il faut absolument créer deux gendarmes ou si on n'aurait pas intérêt à avoir un gendarme qui travaille en collaboration avec ceux qui peuvent alimenter le gendarme? Chacun son métier: que la police fasse de la police et que l'AMF fasse de la régulation. Si on accepte ce principe simple, qui est un principe de gros bon sens, on n'a pas à se poser la question du vide juridique, de la common law, puis de... Laissez faire ça.

Regardez le système fédéral — après tout, jusqu'à nouvel ordre, on vit dans un système fédéral — il y en a, des infractions réglementaires au système fédéral. Exemple, la loi sur l'impôt, c'est une loi réglementaire. Quand on poursuit des contribuables par voie de déclaration sommaire, les peines maximales, c'est six mois, 12 mois, 18 mois, parfois deux ans dans les lois réglementaires fédérales. Comment ça se fait que, nous autres, au provincial, on a une loi qui s'en va à cinq ans moins un jour? Est-ce qu'il n'y a pas en quelque part un débalancement, et là on est rendus à dire: Non seulement c'est cinq ans moins un jour, mais on veut les additionner, les cinq ans moins un jour. Alors, on va envoyer en prison du monde qui ont été négligents, coupables de négligence, 12 ans de prison? Est-ce qu'il n'y a pas là quelque chose de déraisonnable dans l'approche qui est proposée?

Or, mon opinion, c'est qu'il faut arrêter en quelque part, et ce quelque part là, il faut le fixer sur papier, c'est-à-dire dans votre loi. Je suis favorable aux peines consécutives. C'est un instrument de travail de flexibilité, et les juges pourront en tirer avantage. Et c'est en quelque sorte un anachronisme qu'on ne puisse pas imposer des peines consécutives. Je suis favorable à ça. Mais, si on veut respecter les missions des uns et des autres, il va falloir maintenir une différence fondamentale entre les poursuites criminelles et les poursuites réglementaires.

Maintenant, vous le savez, parce que vous lisez les journaux comme tout le monde, que le gouvernement fédéral se propose, a proposé dans un projet de loi d'éliminer la libération des gens qui commettent des crimes sans violence au sixième de leur peine. Prenons ça pour acquis — et tout le monde est d'accord avec ça, même les partis d'opposition sont d'accord à Ottawa — que ça va se faire dans un avenir rapproché. À partir du moment où les Vincent Lacroix de ce monde, parce qu'il va y en avoir d'autres malheureusement, sont poursuivis efficacement par les forces policières pour les crimes économiques qu'ils commettent, bien, ils ne vont pas se retrouver sur le trottoir le lendemain, ce n'est pas vrai.

A-t-on besoin d'un système qui se superpose, comme c'est le cas actuellement, c'est-à-dire que l'Autorité des marchés financiers fait une poursuite, additionne les peines, arrive à un résultat qui est celui qu'on connaît, et la police fait la même chose de part et d'autre, deux enquêtes parallèles, des coûts extraordinaires de part et d'autre, alors qu'on pourrait faire une poursuite? Vous savez, la fraude, ce n'est pas compliqué, hein, la fraude criminelle, j'entends. Il y a deux éléments: une perte, les investisseurs ont perdu de l'argent, puis une action malhonnête par celui qui a fait perdre de l'argent. C'est aussi simple que ça, prouver une fraude criminelle. Et, si vous aviez l'intention d'arriver à cette fin-là, vous êtes coupable. Mais vous méritez une sentence du Code criminelle, et on peut les additionner au Code criminel, les sentences. Ça a toujours été prévu.

Alors, je termine là-dessus, je ne vois pas franchement l'utilité de mettre la hache dans la philosophie du Code de procédure pénale. Quelqu'un l'a dit précédemment: en 1987, on a voulu sortir les gens de prison pour des infractions provinciales, sauf exceptions. Mais là on est rendu avec l'exception de l'exception. Et d'ailleurs, le juge Bastarache, quand on lui pose la question, il dit: Pourquoi cinq ans moins un jour? Ça devient une raison politique. Bien, c'est ici, la politique. La politique que vous allez tracer, elle se fait ici. Et, à ce moment-là, je ne vois pas pourquoi on s'en reporterait aux tribunaux pour leur demander de juger les contestations puis délimiter la politique qui vous incombe. Faites votre devoir, faites-le correctement mais apportez une limite et permettez à l'Autorité des marchés financiers de pourchasser les crétins mais avec une limite où on saura qu'en droit criminel ces gens-là peuvent aussi écoper, et encore plus. Merci.

Le Président (M. Paquet): Merci, Me Hébert. M. le ministre des Finances.

M. Bachand (Outremont): Merci, Me Hébert. Merci d'avoir accepté de venir à Québec, à l'Assemblée nationale, pour nous éclairer de vos propos ce soir.

Il y a trois, quatre questions devant nous. Je ne veux pas mettre des paroles dans votre bouche mais je suis sûr que vous saurez me corriger si je les mets de façon erronée. Il y a eu le jugement de la Cour d'appel dans l'AMF contre Lacroix. Ce jugement-là dit, et je synthétise: Vous ne pouvez pas faire des peines consécutives au Québec parce que ce n'est pas écrit dans vos textes — sauf emprisonnement, là, oublions les exceptions — et, si vous voulez le faire, écrivez-le. Et ça se retrouve à plusieurs des articles et des paragraphes du jugement de la Cour d'appel. On pourrait les reprendre.

Deuxièmement donc, comme législateurs, nous, on souhaite avoir la possibilité des peines consécutives, et je pense que, sur le principe, je vais reprendre vos paroles, vous êtes favorable à ce principe-là.

M. Hébert (Jean-Claude): Je suis favorable à ce principe-là.

M. Bachand (Outremont): Donc, si vous avez... Je regarde la Loi des pesticides, il y a toutes sortes de loi, là, où vous empoisonnez les gens... Donc, il peut y avoir des maximums de six mois de prison dans certaines lois, mais, si vous le faites 10 fois, puis ça fait 42 fois, le juge pourrait, s'il le décide dans sa sagesse, dire: Oui, je vous condamne à 60 mois de prison, 48 mois, 36 mois consécutivement. Donc, d'instaurer le principe.

L'autre question qui nous préoccupe, c'est: Est-ce qu'on met le principe juste dans la Loi des valeurs mobilières ou dans l'ensemble du Code pénal? Si je comprends bien, c'est un principe évidemment pour les autres infractions pénales, l'environnement, la Loi des pesticides, j'en mentionne deux. Et donc il reste un sujet, qui est votre point particulier, c'est que, pour vous, ça ne devrait pas dépasser cinq ans moins un jour.

Le Président (M. Paquet): Me Hébert.

•(19 h 20)•

M. Hébert (Jean-Claude): Effectivement, puis je ne veux pas me répéter là-dessus, là, mais, je veux dire, si on veut respecter les champs de compétence des provinces versus le gouvernement fédéral... Et c'est vrai, ce qu'il a dit, le juge Bastarache, de plus en plus la Cour suprême a tendance à ménager les compétences des uns et des autres lorsque les compétences se frôlent, c'est vrai. Mais, à un moment donné, elles existent, ces compétences-là. Et il y a une compétence forte qui a toujours eu le haut du pavé dans l'analyse de la Cour suprême, c'est sa compétence en matière criminelle. Et je pense qu'à un moment donné il faut reconnaître que cette compétence-là a priorité sur la compétence provinciale, et c'est déjà beaucoup reconnaître à la compétence provinciale que de permettre des sentences de cinq ans moins un jour.

Et je retiens les propos de M. St-Gelais qui a été très prudent, je dois dire, qui a dit: Peut-être qu'actuellement on a un ou deux cas qui pourraient se mériter des sentences de cet ordre-là. Est-ce qu'on fait des lois pour des cas d'exception ou si on fait des lois d'application générale? Il n'y a pas juste la Loi des valeurs mobilières qui s'applique, hein? L'exemple que vous donniez des pollueurs lourds et à répétition, bien peut-être qu'à un moment donné il va falloir que ces gens-là répondent de leur conduite et sentent que le poids d'une sentence de prison peut leur peser dessus. Et c'est à ce compte-là, si on leur dit: Vous êtes passible de prison de cinq ans moins un jour, M. le pollueur, peut-être que ça va changer des comportements. Il y a une dimension pédagogique là-dedans. Ce n'est pas juste parce qu'on veut mettre le monde en prison cinq ans moins un jour, c'est parce qu'on leur dit: Attention! Vous vous exposez à des risques, pas juste des amendes parce que les amendes, parfois les compagnies sont capables de les payer. Mais, quand vous poursuivez le président puis le vice-président, vous leur dites: Vous êtes passibles de cinq ans moins un jour, ça fait réfléchir. C'est ça, de la prévention, c'est ça, de la régulation bien fondée.

Le Président (M. Paquet): M. le ministre.

M. Bachand (Outremont): Pour prendre au vol ce que vous dites donc, et ça n'arrive pas souvent qu'un juge, dans les lois du Québec ou d'ailleurs, de l'Ontario ou etc., où le principe est là, est le même... Même, l'Ontario, c'est l'inverse, c'est automatiquement consécutif, sauf si le juge décide autrement. Mais ça n'arrive pas souvent qu'il y a des sentences de plus de cinq ans suite à des infractions provinciales.

Je vous ferai remarquer que, dans des infractions, par exemple des valeurs mobilières, il y a des éléments qui sont plus que techniques: par exemple, les délits d'initié, par exemple influencer le cours de la bourse ou d'un titre par des pratiques déloyales, abusives ou frauduleuses.

Est-ce que, Me Hébert, on ne devrait pas — puis c'est ce qu'on fait ici avec l'article qu'on a propos頗 faire confiance aux juges? Parce que les juges qui regardent l'ensemble des circonstances, c'est assez rare dans l'histoire effectivement qu'ils ont décidé de faire une peine consécutive mais qu'à un moment donné... Puis prenons l'exemple du pollueur, sortons... Je n'aime pas le cas Lacroix parce qu'il y a encore des procès en cours pour d'autres. Mais prenons l'exemple du pollueur à répétition qui a déjà été condamné, qui revient et qui, là, empoisonne, rend malade des gens, etc. Est-ce que, dans un cas comme ça, un juge, même si ça ne s'est jamais fait, pourrait dire: Il faut vraiment que les gens prennent leurs leçons pour prévenir l'avenir, et impose des peines consécutives de trois fois deux ans de prison et donc six ans de prison... De laisser aux juges, au fond, à leur discrétion, d'apprécier les faits de la preuve et de leur donner la latitude parce qu'au fond on fait confiance aux juges?

Le Président (M. Paquet): Me Hébert.

M. Hébert (Jean-Claude): On fait confiance aux juges, je fais confiance aux législateurs, mais je ne fais pas toujours confiance aux agents de poursuite. Et mon expérience me démontre que de temps à autre on a tendance à s'emballer. Et, si on trouve un juge qui a l'oreille attentive à l'emballement d'un poursuivant, ça peut donner des résultats malheureux. Et après ça on est obligés de recourir à des appels successifs pour tenter de ramener la chose à des dimensions raisonnables.

Alors, je vous renvoie la balle. Si c'est si rare que ça qu'on aura à utiliser ces outils extraordinaires, là, exceptionnels, pourquoi les généraliser? Pourquoi ne pas faire une loi qui s'applique à toutes les lois sectorielles, pas juste l'environnement, pas juste les valeurs mobilières. Il y a d'autres secteurs là qui ne me viennent pas présents à l'esprit, mais il y en a plein de lois où les gens ont à faire appliquer ces lois-là. Et, si on a une norme générale qui s'appliquera partout, on aura l'impression qu'on n'a pas une justice par morceaux, une justice qui s'applique de façon différente aux uns et aux autres selon le domaine d'activité professionnelle qu'ils ont.

Le Président (M. Paquet): Merci, M. le ministre.

M. Bachand (Outremont): Oui. Je terminerais avec un commentaire ou une interrogation. Évidemment, si la consécutivité est permise mais qu'on limite à cinq ans et qu'un juge — prenons encore le cas d'environnement — décide de vous condamner à quatre ans et 11 mois, mais que là il y a une autre infraction, l'autre est gratuite parce que vous ne pouvez pas aller... Ou vous garderiez le principe que, si vous êtes déjà en prison, là, vous pouvez être consécutif et être neuf ans en prison?

Le Président (M. Paquet): Me Hébert.

M. Hébert (Jean-Claude): À un moment donné, il faut reconnaître la distinction entre une infraction réglementaire et une infraction criminelle. Si le pollueur a en même temps commis des actes criminels en faisant ce qu'il a fait parce qu'il a violé la loi fédérale ou qu'il a volé des dispositions du Code criminel, il répondra de sa conduite, et il ne pourra pas se sauver indéfiniment en disant: J'ai rempli mon verre avec mon cinq ans moins un jour ou quatre ans et 11 mois, et vous ne pouvez plus... j'ai l'immunité maintenant. Non. Et, si son geste est si répréhensible que ça, il doit bien se trouver en quelque part une disposition dans la loi fédérale qui va permettre de le pourchasser dans ses derniers retranchements.

Le Président (M. Paquet): J'aurais peut-être une question, Me Hébert, juste pour préciser un peu un élément que vous soulevez. Si j'ai bien compris, et vous me corrigerez si ce n'est pas clair pour moi, vous avez dit qu'une infraction de type réglementaire est essentiellement, et je pense vous citer en disant que c'est une infraction qui découle d'une négligence. Mais il me semble — en tout cas, ma compréhension, quand je regarde au niveau des valeurs mobilières en particulier ou dans d'autres cas — que quelqu'un peut soit pratiquer des mesures dolosives ou peut, de manière délibérée, planifier, enfreindre la réglementation, et, à ce moment-là, ce n'est pas juste par négligence mais à dessein que c'est fait.

Je comprends qu'il y a peut-être d'autres conséquences. Dans certains cas, il pourrait y avoir des conséquences criminelles qui pourraient être jugées sur cette base-là, il pourrait y avoir des conséquences simplement de violation de la réglementation sans que ce soit peut-être nécessairement criminel, et ce ne serait pas par négligence mais à dessein que ce serait fait. Et c'est là-dessus, il me semble, que, dans ce cas-là, je comprends peut-être moins... Moi-même, je comprends mal la différence que vous faites entre ce qui serait une infraction strictement réglementaire, et donc de juridiction provinciale, telle que je comprends votre propos, plutôt qu'une infraction de violation à dessein.

M. Hébert (Jean-Claude): Regardez, là, la proposition d'amendement, c'est d'amender le Code de procédure pénale qui, lui, a une application universelle, et les lois sectorielles québécoises sont fondées sur un régime de responsabilité stricte.

Je rejoins votre question: la Cour d'appel a déjà dit que, dans certaines lois dites de responsabilité stricte, sous réserve de la phraséologie employée par le législateur, il se peut qu'on impose au poursuivant de prouver plus que de la responsabilité stricte mais de prouver une intention coupable, en quelque part. Mais ça, ce sont des exceptions.

Et c'est vrai que, dans la Loi sur les valeurs mobilières, il y a effectivement quelques infractions qui sont de cette nature-là, mais étant donné que le projet de loi ne vise pas la Loi des valeurs mobilières mais vise la modification au complet du Code de procédure pénale, je réitère qu'à ce moment-là, si vous voulez légiférer de façon générale, bien, vous entrez dans le domaine de la responsabilité stricte, ça, c'est absolument évident, et que là vous allez imposer des peines qui sont des peines déguisées, à toutes fins pratiques, de droit criminel. Et c'est comme ça que, personnellement, je suis très mal à l'aise vis-à-vis cette façon-là de s'insérer dans un domaine de compétence du gouvernement fédéral, du Parlement d'Ottawa en matière criminelle. On ne donne pas des peines criminelles pour des infractions réglementaires. Ce n'est pas le même standard de responsabilité. Vous allez...

Un exemple très précis, en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, vous pouvez, quand vous faites une enquête, l'Autorité des marchés financiers fait une enquête, demander des renseignements aux personnes concernées, forcer ces personnes-là à s'auto-incriminer, et après ça, quand vous avez les faits et les renseignements sous les yeux, vous dites: On change d'étape. On était en préenquête, là on s'en va en enquête pénale. En enquête pénale, on garde nos renseignements, on vous accuse.

Au criminel, vous ne pouvez pas faire ça. Au criminel, vous devez jouer franc-jeu. Et là je rejoins les commentaires du juge Bastarache. Il a dit: Peut-être qu'il faudrait améliorer les garanties procédurales. Bien, au lieu d'améliorer ou de chercher à améliorer les garanties procédurales, mettons un plafond, ça va régler la question.

Le Président (M. Paquet): Merci. M. le député de Nicolet-Yamaska.

•(19 h 30)•

M. Aussant: Oui. Bien, écoutez, c'est rare que je n'ai pas de questions pour un expert invité, mais vos propos étaient tout simplement limpides. Je vais laisser la parole à ma collègue.

Le Président (M. Paquet): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Vraiment, je vous remercie, Me Hébert, c'était très, très clair, et c'est des explications très précieuses pour nous.

Première petite question: Est-ce que des peines consécutives d'emprisonnement, c'est fréquent que ce soit demandé ou que ce soit octroyé par un tribunal, à votre connaissance?

Le Président (M. Paquet): Me Hébert.

M. Hébert (Jean-Claude): En matière pénale réglementaire québécoise, non. Avant qu'on connaisse évidemment le contentieux de l'affaire Lacroix, les gens lisaient le Code de procédure pénale pour ce qu'il dit, on ne voyait pas la possibilité d'imposer des peines consécutives. Donc, il ne s'en demandait pas puis il ne s'en donnait pas.

En matière criminelle, ce n'est pas fréquent, mais ça arrive assez souvent qu'il y ait effectivement des peines consécutives. Quand le tribunal se retrouve devant une situation de quelqu'un qu'il doit punir pour des crimes qui n'ont rien à voir l'un avec l'autre, mais qui ont été commis dans une période x de temps et que la deuxième constitue un facteur aggravant par rapport à la première, sous réserve bien sûr de la globalité de la peine, il arrive qu'il y ait des peines consécutives.

Le Président (M. Paquet): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: C'est ça. Je comprends qu'en matière pénale c'est vraiment exceptionnel, des peines consécutives, donc on est vraiment dans le domaine de légiférer de manière exceptionnelle en ce moment, comme vous le mentionniez.

Le Président (M. Paquet): Me Hébert.

M. Hébert (Jean-Claude): ...que, parce que ce n'était pas prévu au Code de procédure pénale, le problème ne se posait pas vraiment, mais, à partir du moment où cette Assemblée décide de reconnaître le principe des peines consécutives, probablement qu'il y a des juges qui vont faire moins de gymnastique pour arriver au score final auquel ils veulent arriver, puis ils vont pouvoir mieux le justifier en disant: Chef n° 1, telle peine; chef n° 2, telle peine, parce que les motifs le justifient, et ils vont arriver, à ce moment-là, à un chiffre global qui sera évidemment celui qui sera permis par la loi.

Le Président (M. Paquet): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Bien, c'est ça. Je pense que votre explication, que je recherchais tout à l'heure, sur la distinction entre le pénal et le criminel était très claire. Donc, de ce que je comprends, vous n'estimez pas qu'il y a un flou ou qu'il devrait tendre à y avoir plus de flou ou d'enchâssement entre ce qui est de nature pénale et de nature criminelle. Vous, vous plaidez clairement pour que chaque champ de compétence soit bien distinct et que les provinces légifèrent d'une part à la limite de ce qui peut être considéré de matière pénale et que le domaine du droit criminel continue à relever du fédéral. Donc, vous estimez, si je suis votre logique, que le cinq ans moins un jour, c'est en gros le maximum qu'on peut aller pour dire que, en termes de partage des compétences, on demeure dans le champ d'action du pénal. C'est bien ça?

Le Président (M. Paquet): Me Hébert.

M. Hébert (Jean-Claude): Sous l'angle constitutionnel, n'étant pas un expert en la matière, je ne vais pas me prononcer à savoir s'il y a un flou qui risque d'intervenir entre la compétence de l'un et la compétence de l'autre. Je prends les compétences telles qu'elles sont actuellement, telles qu'on les vit dans un palais de justice, il n'y en a pas, de flou. Et, je vais dire, il y aura du flou si on permet à un organisme de régulation de faire du droit criminel, alors que ce n'est pas sa mission de le faire. Là on va avoir des problèmes et là on aura des contestations. Ça n'a rien à voir avec les peines consécutives, ça, ça a à voir avec... à un moment donné, il faut s'arrêter en quelque part. Et pourquoi ne pas prendre la balise du cinq ans moins un jour, puisqu'on l'a déjà dans la Loi des valeurs mobilières? Je ne suis pas en train de vous dire: Enlevez-la. Laissez-la, mais mettez-la d'application générale, dans toutes les lois sectorielles, puis on aura une norme uniforme. Tout le monde saura comment se comporter, tant ceux qui font de la poursuite que ceux qui font de la défense, et les juges, bien entendu.

Le Président (M. Paquet): Mme la députée.

Mme Hivon: D'accord. Alors, dernière question: Le cinq ans moins un jour, je comprends donc que vous ne le liez pas nécessairement à l'article 11f ou à quelque chose qui serait tranché, c'est plus du fait que le législateur a déjà fixé cette balise-là. Vous vous dites que c'est une balise qui vous apparaît fondée ou raisonnable et que c'est celle-là qu'on devrait conserver pour l'article 43 de la loi.

Le Président (M. Paquet): Me Hébert.

M. Hébert (Jean-Claude): Absolument. N'allez pas croire que j'endosse les commentaires du juge Bastarache, dans sa défense qu'il a faite de la proposition, où il est venu dire: C'est parfaitement constitutionnel, il n'y a pas de danger. Je ne suis pas aussi convaincu que lui. Parce qu'il y a un jugement ici que j'ai repéré, en 2004, l'affaire Martineau contre le ministère du Revenu national — et le juge Bastarache faisait partie de la formation qui a entendu cette affaire-là, c'est un jugement unanime rendu par le juge Fish pour la Cour suprême — où on s'est posé la question de l'applicabilité de l'article 11c de la charte — 11c, c'est l'article qui parle de protection contre l'auto-incrimination — et le juge Fish a dit: Vous savez, quand on examine une disposition de cette nature-là, il faut examiner l'objectif poursuivi par le constituant et non pas s'arrêter à la terminologie utilisée dans le texte en question.

Alors, le juge Bastarache nous dit ce matin: Regardez, on parle d'infraction au singulier, donc ça veut dire qu'on peut... Ce n'est pas une question d'interprétation, singulier-pluriel, c'est une question qu'est-ce que le constituant avait présent à l'esprit quand il voulait envoyer un message que, pour les infractions les plus graves, cinq ans et plus, on aura droit au procès Cadillac, procès par jury. C'est ça, le message. Il y a un ordre d'importance. Cinq ans et plus, c'est très important, mais cinq ans, c'est important. Alors, le provincial ici, il est rendu à cinq ans, pourquoi on lui donnerait plus encore? On est rendus dans le domaine du droit criminel en haut de cinq ans. Si vous additionnez les peines de cinq ans moins un jour et vous arrivez à 12, 14, vous êtes carrément dans le champ réservé au domaine criminel. Peu importe qu'il y ait contestation ou pas, c'est illogique. Ce n'est pas raisonnable, et ce n'est pas une bonne législation.

Le Président (M. Paquet): ...

Mme Hivon: Une dernière question: Est-ce que je comprends donc que, vous, comme criminaliste, si vous étiez face à un cas où votre client était accusé et que cette disposition-là, telle qu'elle est libellée actuellement, donc sans votre amendement, était devant vous, vous plaideriez l'inconstitutionnalité d'une telle disposition?

Le Président (M. Paquet): Me Hébert.

M. Hébert (Jean-Claude): Je plaiderais que mon client n'a pas reçu ce à quoi il a droit, c'est-à-dire le respect de la justice fondamentale parce qu'il n'y a pas ce lien, dont parlait le juge Bastarache, de proportionnalité entre la peine et l'infraction commise. Parce que je plaiderais que, pour une infraction réglementaire, c'est trop cher payer que de recevoir 14 ans de prison. Si, pour une infraction réglementaire, on a 14 ans de prison, faisons un peu de gymnastique, ça veut dire que, pour une infraction criminelle similaire, on va avoir, quoi, 28 ans de prison? Là, on est rendus à la justice américaine. Est-ce que c'est ça qu'on veut? Est-ce qu'on veut transposer dans notre système de justice équilibré le modèle américain?

Je vous dirais que le modèle américain n'est pas applicable ici et, en deux mots, voici pourquoi. Aux États-Unis, la Security Exchange Commission, hein, l'espèce d'AMF américaine, fait les enquêtes et, lorsqu'elle a terminé ses enquêtes, elle prend son dossier puis elle les donne au ministère fédéral de la Justice qui, lui, fait appliquer la loi criminelle fédérale. Et, ici, ce n'est pas ça qu'on veut faire, on veut que l'AMF devienne un poursuivant quasi criminel. Il n'y a pas de place pour ça dans notre système actuel. Et le Québec, en poussant trop fort sur cette avancée-là, va provoquer une réaction négative du grand frère fédéral qui va arriver avec sa commission fédérale des valeurs mobilières, puis il va dire: Moi, je vais occuper tout le terrain; je vais légiférer avec ma compétence de droit criminel et de procédure criminelle, et je vais tasser les commissions des valeurs mobilières provinciales. Et je ne pense pas que personne souhaite ça, pas dans l'application des lois.

Le Président (M. Paquet): Merci. Mme la députée de Lotbinière.

•(19 h 40)•

Mme Roy: Merci, Me Hébert. On connaît votre fougue de plaideur. Et puis je vous remercie de vous être présenté ici avec un si court délai pour nous expliquer finalement votre vision par le bas vers le haut — contrairement à lorsqu'on parle de constitutionnalité, on parle du haut et on descend vers le bas — pour voir comment ça s'applique dans les faits.

Ce qu'il faut bien comprendre, peut-être pour les personnes qui nous écoutent à la maison: Responsabilité stricte versus acte criminel, qu'est-ce que ça diffère? Moi, je pourrais peut-être vous proposer un exemple: une infraction au Code de la sécurité routière, c'est une infraction de responsabilité civique; vous faites votre arrêt ou vous ne le faites pas, mais une infraction criminelle, conduite dangereuse, bien là il aurait fallu avoir un comportement beaucoup plus grave que le simple fait de ne pas faire un arrêt. Mais le plus comprend le moins, ce n'est pas parce que tu as fait une conduite dangereuse que tu n'es pas coupable d'avoir grillé un arrêt. Puis, dans ce cas-ci, même dans le cas de M. Lacroix, le plus comprenait le moins aussi. Donc, je pense, ça résume assez bien ce que vous voulez dire, c'est que, si les infractions sont si grandes que ça va nous prendre une consécutivité qui va au-delà de cinq ans, bien, souvent ça va tomber ou relever du domaine criminel. Est-ce que c'est ça?

Le Président (M. Paquet): Me Hébert.

M. Hébert (Jean-Claude): Je pense qu'on revient toujours à ce point crucial là. À partir du moment où, dans le comportement déviant de quelqu'un, on constate qu'il y a quelque chose de lourd, il y a une turpitude morale — hein, ce sont des termes qu'utilisent des juges — et qu'il y a donc un comportement tellement contraire aux intérêts de la société que cette personne-là mérite un châtiment... Et ce qu'on veut, c'est vrai que le juge Bastarache, quand il a dit: Même en droit criminel, on fait de la prévention... J'espère qu'on fait de la prévention! Quand on donne une peine à quelqu'un, c'est pour dire: Monsieur, la prochaine fois, ça va être pire que ça. Puis les autres, là, qui regardez autour, on veut vous dissuader de l'imiter. Il y a de la prévention dans les sanctions criminelles, on ne fait pas juste envoyer le monde en prison, puis: Au suivant! On fait de la pédagogie.

Et le juge Wagner, quand il a rendu sa sentence dans l'affaire Lacroix, c'est exactement ça qu'il a fait. Mais il a fait la part des choses, il a fait la distinction entre la poursuite réglementaire faite par l'AMF et la poursuite criminelle, puis il a essayé de départager les responsabilités des uns et des autres, et je pense qu'il l'a bien fait. Et ça, ce n'est pas en appel, ce jugement-là, pas que je sache.

La Cour suprême, elle est saisie de la demande d'autorisation d'appel de l'Autorité des marchés financiers, bien, attendons sa décision, et ça réglera une partie du problème. Si elle refuse la permission d'en appeler, ça voudra dire que le jugement de la Cour d'appel est bien fondé. Si elle accepte, bon, on va attendre de voir ce qu'elle va nous dire dans son enseignement sur la responsabilité des uns et des autres. En attendant, qu'est-ce qui empêche le gouvernement du Québec et l'Assemblée nationale d'agir et de permettre les peines consécutives mais en limitant ça à cinq ans moins un jour? Il n'y a rien qui empêche ça. Et, si, dans un an, deux ans, la Cour suprême nous donne des pistes de réflexion et des meilleures solutions que celle à laquelle vous avez pensé, ce sera toujours possible d'amender votre loi.

Le Président (M. Paquet): Mme la députée de Lotbinière.

Mme Roy: Surtout, moi, je suis Barreau 1988, là, vous, vous êtes avant moi, c'est vous qui l'avez dit, mais j'ai eu cours du débat qu'il y avait eu lorsqu'il y a eu l'avènement du nouveau Code de procédure pénale, puis je pense que c'est un article... un encrage au Code de procédure pénale, il me semble qu'on devrait vraiment avoir un débat, que la ministre de la Justice devrait faire partie de ce débat-là et puis qu'on devrait inviter les intervenants à préparer... qu'ils n'ont pas quelques heures d'avis près, comme on vous l'a fait subir. Je pense, en tout cas, moi, que le débat mérite d'être tenu.

Le Président (M. Paquet): M. Hébert.

M. Hébert (Jean-Claude): Je vous dirais, moi, là-dessus, mon sentiment est très clair, je considère la philosophie du Code de procédure pénale, telle qu'elle est actuellement, comme un patrimoine juridique. Cette réforme-là qu'on a faite en 1987, ce n'est pas une réforme qui a été faite en quelques mois, ça faisait des années qu'il y avait des groupes de travail qui ont travaillé à réformer cette justice-là. Et, à tort ou à raison, mais je pense à raison, dans un esprit tout à fait libéral — et d'ailleurs c'était un gouvernement libéral à l'époque qui a conçu le projet de loi — on a imaginé que, pour les lois provinciales, ce soit le principe général: On ne met pas le monde en prison, sauf exception. Bien, aujourd'hui, on a gonflé l'exception de façon tellement considérable que le principe général en souffre. Et là on ne se contente pas d'arrêter, on veut encore aller plus loin et additionner les cinq ans moins un jour, ce qui fait qu'à mon humble avis la philosophie de base de cette grande réforme là se trouve complètement nettoyée. Alors, vous avez raison d'un certain point, ce serait malheureux qu'à l'occasion d'un amendement que l'on veut pragmatique, on en profite pour ne pas limiter l'amendement et permettre de nettoyer complètement, d'éliminer, d'envoyer à la poubelle une grande réforme qui est survenue en 1987, qui a été réfléchie, analysée et qui a fait consensus.

Le Président (M. Paquet): Merci. Ça va, Mme la députée?

Mme Roy: Je vous remercie.

Le Président (M. Paquet): M. le député de Rousseau, peut-être, vous aviez une question?

M. Marceau: Bonsoir, merci d'être là. Bon. Enfin, en tant que législateurs, nous, je crois qu'on a le devoir d'être au diapason de la population quant à la sévérité des peines, là, et je crois qu'il y a consensus dans la population quant au fait que les sanctions pour les crimes économiques graves du genre de ceux que Vincent Lacroix a commis, que ces crimes-là devraient recevoir des sanctions beaucoup plus sévères que celles qui ont été imposées, en tout cas celles qui ont été... qui auront été ultimement purgées, là, en fin de parcours.

Par contre, ma perception, en tout cas, et je voudrais vous entendre là-dessus, c'est... Enfin, je crois comprendre de ce que vous dites que, pour les autres types de crimes, il n'y a pas de consensus, il n'y a pas de... il n'y a pas de consensus quant au fait qu'on devrait élargir la palette des sanctions à imposer. Vous semblez dire qu'il faut arrêter à quelque part, et ça, je... enfin, c'est ce que j'ai compris.

Alors, ma question, c'est: Devant un consensus de la population, qui est que les crimes économiques graves devraient recevoir des sanctions plus sévères, mais devant l'absence de consensus... en tout cas, l'absence de discussions quant aux autres types de crimes, est-ce qu'il y a des solutions que vous voyez qui permettraient, là, de contourner cette difficulté-là? De notre côté, nous avions suggéré la possibilité d'accroître... par exemple, de permettre la successivité des sanctions dans le cas de la Loi sur les valeurs mobilières, mais pas nécessairement dans le cas d'autres lois. Est-ce que c'est une avenue qui pourrait vous satisfaire?

M. Hébert (Jean-Claude): Bien, je trouve...

Le Président (M. Paquet): Me Hébert.

M. Hébert (Jean-Claude): ...qu'à partir du moment où on prend une loi sectorielle puis on en fait un morceau à part avec son minicode de procédure à elle, à ce moment-là on est en train de dévaloriser la loi générale qui doit avoir prépondérance sur les autres lois. Un code, c'est un code, ce n'est pas une simple loi. Alors, il y a une philosophie dans ce code-là, il y a des normes, il y a des règles, ça doit être d'application générale. Et vous savez, quand je dis «d'application générale», ce que je veux dire par là, si on va dans l'ensemble des cours municipales de la province, si on va devant les divisions statutaires de la Cour du Québec et si on va devant la Cour supérieure, les dossiers de l'AMF, là, c'est une fraction de 1 %. L'application du Code de procédure pénale, c'est bien autre chose que les problèmes de l'AMF et des crimes financiers. Alors là, ce qu'on est en train de faire, c'est de gonfler un besoin pour être efficace — certaines mauvaises langues diraient «pour avoir l'air efficace», moi, je dis «pour être efficace» — au détriment d'un principe général qui, lui, a fait ses preuves depuis 1987. Il n'y a personne qui a décrié notre philosophie ici, au Québec.

Et est-ce qu'on veut par la porte d'en arrière imiter un législateur à Ottawa qui nous inonde de mesures répressives, le tout-répressif? Je ne pense pas que ce soit une philosophie qui intéresse l'Assemblée nationale du Québec. Alors, il faut résister à cette tentation-là, et ce n'est pas parce qu'il y a une clameur publique qui en redemande qu'il faut perdre la tête, son sang-froid. Il faut rester froid vis-à-vis ça parce que, quand on légifère, c'est pour longtemps. On adopte une loi un jour, mais la loi est adoptée pour très longtemps. Alors, avant de donner la possibilité à certaines personnes de s'énerver avec des amendements, restons avec des... un encadrement précis.

Le Président (M. Paquet): Merci. Alors donc, ça termine cet échange. Merci, Me Hébert. Maintenant, nous ouvrirons une période d'échange avec Me Anne-Marie Boisvert.

Une voix: ...

Le Président (M. Paquet): Ah bien, peut-être... Oui, peut-être, M. le ministre, peut-être, oui.

M. Bachand (Outremont): Je voudrais simplement remercier Me Hébert d'être venu, d'avoir accepté, merci beaucoup d'être venu nous éclairer. Et est-ce que vous nous quittez, là, ou vous...

M. Hébert (Jean-Claude): Je reste, je reste.

M. Bachand (Outremont): O.K., parfait.

M. Hébert (Jean-Claude): Je suis curieux d'entendre les autres.

M. Bachand (Outremont): Parce que je voulais m'assurer qu'on vous dise bonjour si vous nous quittiez. Je pensais que... Parfait. Merci.

•(19 h 50)•

Le Président (M. Paquet): Alors, on vous dit bonjour quand même, mais vous pouvez rester, bien sûr.

Alors donc, maintenant, Me Anne-Marie Boisvert, professeur titulaire et responsable du Groupe de recherche en droit pénal et criminel de l'Université de Montréal.

Me Boisvert, vous disposez d'environ 10 minutes pour une première présentation, suivi des échanges avec les membres de la commission. Bienvenue à la commission.

Exposé de Mme Anne-Marie Boisvert,
professeure à la Faculté de droit
de l'Université de Montréal

Mme Boisvert (Anne-Marie): Oui, bonsoir. Ma présentation sera très courte. Je suis impressionnée par le nombre de choses que vous vous êtes fait dire ce soir et par votre qualité d'écoute, mais il ne faudrait pas abuser.

Je vous dirais peut-être, là, si je reprends les questions, là, et j'ai juste l'intention de faire quelques remarques, effectivement la décision de la Cour d'appel du Québec, là, dans l'affaire Lacroix a enlevé aux juges la discrétion de donner des peines consécutives, et à mon avis et... et je suis d'accord avec tout ce que vous avez entendu à date, même si vous avez l'impression d'avoir entendu tout et son contraire. Bon.

À mon avis, il peut être bon de prévoir, dans le Code de procédure pénale, que des peines d'emprisonnement... que le juge a une discrétion pour les accorder... pour les ordonner de façon consécutive. C'est un pouvoir de common law que les juges ont déjà eu, et ça participe, ce pouvoir-là, de l'économie générale de l'imposition de la peine. Vous savez, le fait que le juge qui a entendu plusieurs affaires en même temps puisse, à sa discrétion, fondre la peine ou en faire plusieurs, bien, empêche la multiplication des poursuites, parce qu'on peut saucissonner les poursuites aussi. Alors, il y a une logique dans les règles de l'imposition de la peine qu'on peut rétablir, bon, et je ne vois pas de difficulté de principe.

Et il est important peut-être pour moi de vous mentionner que la décision de la Cour d'appel n'était pas une décision de principe. Les juges ont plutôt interprété la rédaction actuelle du Code de procédure pénale et en sont venus à la conclusion qu'on avait aboli la discrétion des juges. Je ne suis pas nécessairement d'accord avec le jugement, mais, bon, les juges ont le dernier mot jusqu'à temps que les législateurs fassent autre chose, alors...

Et je pense, si on veut parler des considérations constitutionnelles, et c'est là que c'est le plus compliqué, il n'y a pas... Il existe, au Canada, une distinction entre les crimes, dans le vrai sens du mot, qui sont de la compétence fédérale, et les infractions réglementaires, c'est-à-dire la possibilité d'utiliser la peine et même l'emprisonnement pour faire respecter des lois qui sont dans le champ de compétence soit fédéral, je ne sais pas, moi, la Loi sur les pêcheries... Hein, on nous a tout le temps dit: Quand on réglemente la grosseur des mailles de filets de pêche, on n'est pas en train de définir le crime au Canada. Alors, la sanction pénale dans la Loi sur les pêches, ce n'est pas du droit criminel. C'est la même chose, les provinces ont le droit d'utiliser la sanction.

Je pense qu'une chose qu'il est important de comprendre, c'est que la ligne de démarcation entre ce qui est un crime puis une infraction réglementaire, elle n'est pas claire au Canada. Bon. Il n'y a pas de recette magique. On a déjà pensé que c'était une peine de prison de deux ans moins un jour. Là, on joue avec le cinq ans moins un jour. On vous a parlé de «négligence» par rapport à «turpitude morale». C'est une frontière qui n'est pas étanche, il y a des infractions réglementaires qui ont de l'intention, il y a des crimes de négligence. Écoutez, la recette pour vous expliquer rationnellement pourquoi on peut affirmer, aujourd'hui, au Canada que d'écraser une bombe puante ou tenir un bingo sans permis, c'est un crime et que la fraude à grande échelle comme M. Lacroix a faite, c'est une infraction réglementaire, là, il n'y en a pas d'explication logique, bon, il n'y en a pas, de recette.

Ceci dit, je partage certaines des préoccupations de Me Hébert. Il y en a une, distinction, elle est évanescente et elle tourne autour d'une idée, quand on enlève les considérations historiques, puis les séductions de passagères à bord d'un navire, puis les infractions victoriennes, là, elle tourne autour d'une idée de proportionnalité entre la faute, les stigmates, l'intensité du châtiment, puis, à travers ça, il y aurait une variation d'intensité des protections constitutionnelles. Mais, la frontière, elle n'est pas bien tracée par la Cour suprême. Les arrêts de principe, j'en parlais avec M. Bastarache, l'arrêt de principe, c'est un arrêt... Wholesale, pour l'enseigner, il faut faire un graphique, il y a six séries... quatre séries de motifs différents, ce n'est pas évident. Mais je pense qu'à un moment donné il faut réfléchir.

Et, je vous dirais, on a cette discussion sur la peine consécutive à l'occasion d'une affaire précise qu'on a tous derrière la tête. Alors, je vous dirais, moi, la disposition qui est envisagée ne pose pas, en soi, de problème de principe. Éventuellement, c'est ce qu'on en ferait qui pourrait être questionné, tu sais. Et éventuellement, oui, il y a des limites à ce qu'une province, en matière réglementaire, peut faire.

Et il faudra se questionner, moi, je partage les questionnements de Me Hébert où, dit autrement, la province ne pourra pas toujours, si vous me passez l'expression populaire, avoir son gâteau puis le manger, tu sais. En toute logique, à un moment donné, il y a des limites à la punitivité accompagnée d'un discours qui dit: Ah! Bien c'est rien que réglementaire, puis vu que c'est rien que réglementaire, on ne peut pas plaider qu'on a déjà été punis, vu que c'est rien que réglementaire, c'est rien que de la négligence, vu que c'est rien... On ne peut pas faire ça puis avoir à côté de ça un discours punitif qui va en augmentant. Où est la ligne de fracture? Je ne le sais pas. Mais c'est clair qu'on doit avoir une réflexion.

Et, je vous dirais, dans le cas... Mais on a cette discussion-là compte tenu du contexte d'adoption d'une disposition parfaitement légitime dans le Code de procédure pénale. Moi, je n'ai pas de difficulté à ce qu'en cas d'infractions multiples à la Loi sur la qualité de l'environnement, à un moment donné, on additionne des peines de deux mois de prison, pour ne pas qu'il y ait de parties gratuites ou... Il n'y a pas de problème. Ce qu'on a tous derrière la tête, c'est: On peut-u empiler les cinq ans jusqu'à donner 150? Où est-ce que ça s'arrête? Elle est où, la frontière? On ne le sait pas, mais je pense qu'il faut réfléchir.

Et, moi, une des choses qui me tracassent, quand on regarde ce que M. Lacroix a fait, il y a des comportements parfaitement criminels qui rencontrent la bonne vieille définition de fraude et dont on dévalorise la criminalité en disant: Bien, c'est rien que du réglementaire. On a parlé de concurrence déloyale dernièrement, puis on a dit: Ah! On a envoyé ça au Bureau de la concurrence au fédéral. Il y a des comportements qu'on a traités de comportements réglementaires, c'étaient des comportements criminels.

La fraude, Me Hébert l'a dit, c'est au moyen d'un acte malhonnête, quel qu'il soit — puis un acte malhonnête, on nous dit, c'est un acte qu'une personne raisonnable ne trouverait pas correct, tu sais — causer une privation. Mais la concurrence déloyale, ça rentre là-dedans. Il y a des infractions de la Loi sur les valeurs mobilières qui rentrent là-dedans.

Et, des fois, on dévalorise le crime et... ou le message qu'on veut passer que c'est un crime, en le qualifiant autrement pour avoir des facilités de poursuite, des facilités d'enquête, etc. Bien, je reviens à ce que j'ai dit, on ne peut pas, à un moment donné, bien, jouir de ces avantages-là, dévaloriser le comportement mais vouloir la peine criminelle. Il va falloir qu'on réfléchisse collectivement, mais la question, elle est extrêmement difficile, et malheureusement les tribunaux ne nous donnent pas la clé magique.

Si on regarde le code pénal français, là, c'est de toute beauté. Il y a les crimes, les contraventions; à chaque étiquette correspond un mode procédural puis une peine maximum, et c'est parfaitement logique. Dans notre merveilleux monde de common law, on n'en a pas, de clé logique comme ça, mais c'est vrai qu'à un moment donné il ne faut pas faire exprès de faire... de pousser le bouchon trop loin, même si je ne suis pas capable de vous dire il est où, le... c'est où, trop loin.

Mais, si on revient à la disposition qui est proposée, en soi, elle ne pose pas de problème, mais, moi, je vous dirais, par principe, je suis toujours favorable à ce qu'on donne la discrétion au juge de s'adapter à la situation plutôt que d'essayer de tout prévoir d'avance puis lui interdire de faire ci puis lui interdire de faire ça. Donc, la disposition en soi ne pose pas de difficulté. Il faudra réfléchir à ce qu'on veut faire avec. Et je pense que les avertissements de Me Hébert, on doit les entendre. La solution n'est pas nécessairement celle qu'il propose, bien qu'elle soit... Puis, si je peux me permettre, dans une des questions — puis je m'arrêterai là, puis je répondrai aux questions — qui a été posée, vous avez vous-mêmes dit: Oui, mais les crimes économiques... Bien, c'est ça, si c'est des crimes, traitons-les donc comme ça, comme étant des crimes. En tout cas, voilà, merci beaucoup.

•(20 heures)•

Le Président (M. Paquet): Merci. M. le ministre des Finances.

M. Bachand (Outremont): Merci, M. le Président. Merci, Me Boisvert. Je n'ai pas vraiment de question, j'ai un commentaire. Puis, peut-être, vous commenterez sur mon commentaire. Ce que je retiens, au fond, c'est que, oui, vous êtes d'accord, d'ailleurs Me Hébert aussi, avec le principe des peines consécutives, que ça, il faut boucher le trou et donc remettre en place les peines consécutives; oui, vous êtes d'accord que ce soit dans le Code de procédure pénale parce que ce n'est juste pour les valeurs mobilières, mais c'est aussi pour les lois de l'environnement, etc.; que vous faites confiance à la discrétion du juge, et d'ailleurs il est préférable d'entendre en un procès parfois plutôt qu'en plusieurs causes, donc, si on pouvait condamner à des consécutifs dans des procès successifs, c'est parfois préférable de l'avoir en un seul procès. Les lignes constitutionnelles de démarcation de crimes et infractions ont une certaine fluidité, disons, au Canada, pour employer un mot... Le juge Bastarache nous a fait, disons, penser à ça. Mais, fondamentalement, l'article 43 ne pose pas de problème de principe. Un jour, on verra l'utilisation qui en soit faite.

Et là je referai un commentaire en même temps sur les propos qu'on a entendus tout à l'heure. Très souvent, on fait des lois parce qu'il y a une situation, on a une intention claire qui est l'intention que j'essaie d'exprimer aussi, et il faut faire confiance aux juges et si... parce que normalement c'est eux qui peuvent apprécier dans l'ensemble de ce qui s'est fait. Par la suite, si jamais ils voulaient utiliser leur discrétion pour faire la consécutivité des peines et aller au-delà de cinq ans, ça va prendre des raisons importantes: Est-ce qu'on est rendu dans le crime plutôt que dans les infractions?

Ceci étant dit, dans les infractions, quand on regarde les infractions à la Loi des valeurs mobilières, d'influencer le cours de la valeur des titres, au fond, de fournir une information fausse dans un document transmis à l'Autorité des marchés financiers... On peut regarder simplement... je sais que ça intéresse plusieurs collègues, c'est les délits d'initié. Les délits d'initié, en soi, ce sont des infractions. Le fait de ne pas rapporter, c'est déjà une infraction, dans certains cas, dans les délais. Mais, fondamentalement, l'accumulation de délits d'initié, c'est la confiance dans tout le marché financier qui s'effondre. Et donc les conséquences sont beaucoup plus graves qu'un geste individuel, alors...

Mais on ne peut pas codifier les peines, il faut laisser aux juges ultimement qui, eux, regardent l'ensemble des circonstances d'un cas en particulier avec la conséquence aussi que ça a posée, avec le message qu'il faut passer pour essayer de prévenir, au fond, dans l'avenir aussi. Et donc on ferait confiance aux juges. Et qu'un jour, si on se rend compte que ce n'est pas l'intention du législateur québécois de punir à ce point-là, bien, on reviendra; ce n'est pas si compliqué que ça de réunir l'Assemblée nationale.

Le Président (M. Paquet): Me Boisvert.

Mme Boisvert (Anne-Marie): Oui, je ferais confiance aux juges, mais je pense que, si on fait confiance aux juges, il faut avoir confiance qu'à un moment donné ils vont nous dire — je ne sais pas par où ça va venir: Vous allez trop loin. Ils vont-u parler d'abus de procédure, de droit criminel déguisé? Je ne le sais pas, comment ça va venir. Ce que je vous dirais, c'est que — comment dire — il y a le principe de la peine consécutive, c'est une chose, il y a l'utilisation qu'on voudrait en faire...

Écoutez, en matière réglementaire, la peine de cinq ans moins un jour, c'est déjà une peine exceptionnelle. Et, si on veut empiler les exceptions, on pourra, à un moment donné, se faire dire: Trop, c'est trop, et vous avez dépassé les bornes. Alors, faire confiance aux juges, c'est aussi risquer qu'à un moment donné on nous ramène au bon sens si on a fait une utilisation abusive d'une disposition innocente en elle-même. Je ne sais pas si ça répond à votre question.

Le Président (M. Paquet): M. le ministre.

M. Bachand (Outremont): Bien, je vous... C'est parce que, là, on focusse aussi «par infraction», parce que là, au fond, il n'y a pas d'infraction de moins... de plus de cinq ans. «Par infraction, cinq ans moins un jour», et on focusse sur ça. Venons à des infractions de deux ans, mais qui auraient été commises à répétition. Et là on se retrouve à une infraction environnementale, j'aime ça m'éloigner, là, des valeurs mobilières à cause des procès en cours, et là il y aurait eu 60 causes d'empoisonnement consécutives et non pas dans les mêmes faits, mais qui sont ramassées dans un procès, et le juge décide: Je vais vous condamner à 10 fois deux ans de prison et à 20 ans de prison. Ce serait un cas assez exceptionnel. Mais donc, ce n'est pas le cinq ans, le problème, c'est la consécutivité, c'est le juge qui décidera.

Le Président (M. Paquet): Me Boisvert.

Mme Boisvert (Anne-Marie): Ce n'est pas le cinq ans, mais c'est, à un moment donné, la durée de la privation de liberté, puis là aussi... J'aimerais vous dire qu'il y a une règle qui passe par tel nombre d'années ou qu'il y a une règle... En fait, l'économie générale de la charte, c'est qu'il doit y avoir une proportionnalité entre la faute, le châtiment, la peine, les stigmates puis l'intensité des garanties constitutionnelles. Ça, c'est l'économie générale de la charte. Comment ça se découpe? Ce n'est pas évident, puis la cour ne s'entend pas là-dessus. Non.

Alors, mais donc ce n'est pas le cinq ans. Mais, quand vous me parlez d'environnement, pourquoi on prend cet exemple-là? C'est parce que c'est l'autre loi au Québec qui prévoit des peines d'emprisonnement par exception au Code de procédure pénale. Il faut réaliser qu'en matière d'environnement pour le moment, dans notre imaginaire, alors si on s'enlève de la tête les années, dans notre imaginaire collectif, ça va venir, mais, pour le moment, dégrader l'environnement, ce n'est pas un crime. C'est une question de degré, puis on régule de combien on peut dégrader puis à quelle vitesse, en gros, puis il y a des sanctions. Bon.

Mais, quand vous me parlez de délits d'initié, c'est un crime dans le Code criminel. La fraude, c'est un crime dans le Code criminel. La fabrication de faux, c'est un crime dans le Code criminel. Les infractions de malhonnêteté, il y en a 48, infractions dans le Code criminel. Alors, c'est sûr qu'on joue plus près de la ligne de partage entre ce qui est réglementaire puis ce qui est criminel quand on est dans ce domaine-là qu'en matière environnementale pour le moment.

Le Président (M. Paquet): M. le ministre, ça va?

M. Bachand (Outremont): Merci. Moi, ça va.

Le Président (M. Paquet): M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Aussant: Merci. Me Boisvert, j'aimerais vous entendre sur une suggestion qui nous a été faite deux fois aujourd'hui, une fois par Me Hébert et une fois par l'Association québécoise des avocats de la défense, de spécifier, dans le libellé, la limite de cinq ans moins un jour. Est-ce que... J'aimerais vous entendre là-dessus, en fait.

Le Président (M. Paquet): Me Boisvert.

Mme Boisvert (Anne-Marie): Ça aurait pu être moins, mais je suis d'accord... Je voudrais qu'il soit bien clair que le cinq ans moins un jour n'est pas un chiffre magique. Dans le mesure où, effectivement, pour éviter des procès par jury, on s'est arrêté à cinq ans mois un jour, effectivement, comme la charte semble nous dire: On change de... ça commence à être sérieux à partir de cinq ans, on pourrait vouloir faire ça, et effectivement, l'économie générale... Il ne faut pas perdre de vue que l'économie générale du Code de procédure pénale, c'est qu'on a aboli l'emprisonnement au Québec, et l'emprisonnement est exceptionnel. Alors, c'est sûr qu'on pourrait vouloir mettre une limite. Est-ce que... Je vous dirais: Après ça, est-ce la solution à mes questionnements métaphysiques sur la limite de ce que peut faire le Québec passe nécessairement par cette solution-là? La réponse, c'est non, pas nécessairement. Mais ce n'est pas une mauvaise... c'est un geste symbolique qu'on pourrait décider de faire, mais là c'est véritablement une question d'opportunité. Moi, je me contenterai de vous dire que, juridiquement, ce n'est pas nécessaire. C'est une question d'opportunité.

Le Président (M. Paquet): M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Aussant: Et, quand il y a infractions répétés réglementaires, disons, est-ce qu'à un moment donnée ça devient assez facile ou, selon votre expérience, est-ce que ça devient criminel à un moment donné, quand c'est une infraction réglementaire, 60 fois deux ans par exemple? Si quelqu'un fait 60 fois la même infraction réglementaire, il y a peut-être intention à un moment donné, quelque part. Est-ce que c'est, dans la pratique, facilement transférable de pénal à criminel quand ça devient majeur?

Le Président (M. Paquet): Me Boisvert.

•(20 h 10)•

Mme Boisvert (Anne-Marie): La question ne se pose pas dans ces termes-là. Je vous dirais... Si vous me permettez de faire un détour, mais c'est une question de philosophie pénale qu'on a au Canada, qui n'existe pas nécessairement aux États-Unis, je pense que, quand quelqu'un a une conduite délinquante, à un moment donné, on veut — comment dire — apprécier l'ensemble de l'oeuvre, si vous voulez, puis arriver à une sanction juste par rapport à ça. Mais, au Canada, on n'a jamais... Puis il faut savoir aussi pourquoi, puis ça, c'est important pour moi, là, parce qu'on entend toutes sortes d'affaires, là, dans les médias, il faut savoir pourquoi on punit.

Et il faudrait peut-être arrêter de faire croire aux contribuables que, quand on punit, ça répare. Ça m'a frappée, moi, quand M. Lacroix a été déclaré coupable, le peuple a applaudi puis, le lendemain, c'était quoi? Bien, c'était: Ouin, puis? Qu'est-ce que ça me donne?

Et je vous dirais que, si on parle d'infractions répétées, bien, c'est dommage, mais, dans notre philosophie pénale, il y en a, des infractions gratuites. M. Pickton, en Colombie-Britannique, on pense qu'il a assassiné 40 prostituées. Une fois qu'on l'a eu condamné pour quatre puis qu'il avait empilé quatre perpétuités, je ne sais plus si c'est quatre ou six, Me Hébert, là, le procureur général de la province a dit: On arrête les poursuites. On n'a pas besoin de faire une poursuite par victime. Bon. Ça ne va ressusciter personne, puis notre but est atteint. Alors, aux États-Unis, ils font du 400 ans de prison, on ne fait pas ça, nous autres, puis on ne ressuscite pas le monde pour que ça continue plus longtemps. Et ça ne répare rien, alors il faut... Quand même, si on parle de peine consécutive puis une peine par délit, je vous dirais de façon générale, on ne le fait pas, là. À un moment donné, il faut savoir s'arrêter par rapport à l'ensemble de l'oeuvre, si je peux dire. Mais je ne sais pas si ça répond à votre question.

Le Président (M. Paquet): M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Aussant: Bien, en partie au moins, oui. Moi, juste pour essayer de faire un sommaire de ce que je vois, de ce que j'entends, je pense que tout le monde est d'accord ici qu'il faut agir fermement avec ceux qui font les crimes économiques qui ont des conséquences absolument désastreuses sur la vie des gens, là, ça, il n'y a pas de doute. Mais, dans la mesure où il y a peut-être un système criminel qui peut s'en occuper déjà, est-ce que le fait de mettre cinq ans moins un jour — c'est une question que je pose, lࠗ comme limite au niveau pénal, pourrait éviter qu'il y ait des débordements puis des débats entre... Est-ce que c'est à un palier de gouvernement ou l'autre de s'occuper de ça? Est-ce que ça devient criminel, alors que ça devait être pénal? Donc, si le système criminel faisait... si on fait l'hypothèse que le système criminel fait déjà son boulot de donner des peines sévères aux crimes sévères, est-ce que l'idée de cinq ans moins un jour pourrait être une bonne idée d'amendement au texte de l'article 43?

Le Président (M. Paquet): Me Boisvert.

Mme Boisvert (Anne-Marie): Je vais refuser de répondre à cette question-là puis je vais vous dire pourquoi. Je vais vous dire pourquoi. Parce que ce n'est certainement pas une mauvaise suggestion, mais c'est le genre de question que, personnellement, vous m'excuserez, là, mais j'aimerais ça y penser avant de répondre. Je veux dire, il n'y a tellement pas de prêt-à-porter dans ces choses-là que j'aimerais ça avoir l'occasion de réfléchir. Je vous dirai simplement qu'à première vue je trouve ça séduisant. Mais j'aurais besoin comme vous d'en entendre pas mal plus avant de me faire une idée.

M. Aussant: On est d'accord que ce n'est pas une mince question, finalement.

Mme Boisvert (Anne-Marie): Ce n'est pas une mince question.

M. Aussant: Merci.

Le Président (M. Paquet): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Merci beaucoup. Vraiment, c'est très éclairant, et chacun est réciproquement... ou en tout cas l'effet miroir est aussi très éclairant, même si, à première vue, il y a des contradictions. Je pense qu'on aimerait tous... ce serait beaucoup plus simple si le Québec pouvait légiférer autant en droit criminel qu'en droit pénal. On aurait un domaine très cohérent. Nous, on a un petit projet en ce sens-là. On aurait tous nos pouvoirs, donc ce serait simple. Mais ce n'est pas l'objet du débat ce soir. Il y a encore des nuances à faire entre le droit criminel et le droit pénal, et c'est important, je pense, de les faire le plus clairement possible.

Vous dites, en fait, vous vous situez, de ce que je comprends, un petit peu entre les propos de Me Bastarache et de Me Hébert en disant: Dans la pratique, dans les jugements qu'on lit, il y a un flou, effectivement. La ligne n'est pas tranchée au couteau entre le pénal et le criminel. Je comprends peut-être par ailleurs de vos propos, vous me corrigerez, que vous estimez que ça pourrait être souhaitable que la ligne soit un peu plus claire entre les deux domaines pour certitude juridique et justement, quand on a des cas comme celui qui nous occupe, qu'on sache si on est solide dans notre législation.

Si on regarde la disposition telle qu'elle est présentée, l'article 43, pré-possible amendement, je comprends... et le cas Lacroix est un cas exceptionnel mais qui illustre peut-être jusqu'où on pourrait aller si ça s'appliquait vraiment, si on poussait la logique, là, à la lumière du cas Lacroix. En fait, vu que les blocs d'infraction pénale ont été comme regroupés en fait dans la cour de première instance en trois blocs, on aurait pu avoir, à la limite, cinq ans moins un jour fois trois. Donc, 15 ans moins trois jours, alors qu'au criminel la peine maximale pour la fraude est de 14 ans. Donc, je comprends que, si, la disposition, on l'adoptait comme... c'est ça que je veux savoir, là, donc vous me corrigerez, si la disposition telle qu'elle est libellée actuellement, de l'article 43, on la gardait telle quelle, en théorie, est-ce qu'on pourrait, au pénal, pouvoir avoir, avec l'effet de la consécutivité des peines, une peine aussi importante que ce qui est prévu en matière criminelle?

Le Président (M. Paquet): Me Boisvert.

Mme Boisvert (Anne-Marie): Bien c'est qu'en matière criminelle aussi on peut les additionner, les 14 ans, O.K? Mais... Donc, on aurait pu reprendre, à peu près, là, le même scénario en matière criminelle puis avoir un juge qui serait arrivé à trois blocs de 14 ans additionnés. Ce qui aurait mis une limite à l'addition des 14, comme en matière provinciale, c'est que le principe des peines consécutives en common law s'accompagne d'un autre principe, qui est le principe de la totalité non-excessive. Bon. Et, autrement dit, le total doit être juste, compte tenu de l'ensemble de l'oeuvre. Bon. Alors on ne peut pas imaginer... je vous dirais, le principe de la totalité va s'appliquer autant en droit provincial qu'en droit fédéral, mais en droit fédéral aussi on pourrait les additionner, les peines, sous réserve de la frontière tracée par le principe de la totalité.

Le Président (M. Paquet): Merci.

Mme Hivon: Mais les deux processus étant distincts, c'est sûr que là le pénal est venu avant le criminel, donc il pourrait, même si en théorie non, colorer un peu le criminel, là. Je dis: Même si, en principe, non. Mais admettons que le jugement de première instance aurait été maintenu, je pense que c'était 12 ans, la peine, on aurait pu, donc, au pénal, avoir une peine de 12 ans, mais au criminel décider qu'on ne demandait pas de consécutivité et que la peine qui était demandée, c'était 14 ans. Donc, en théorie, on aurait pu avoir des peines à peu près similaires autant dans le processus pénal que dans le processus criminel?

Mme Boisvert (Anne-Marie): Oui.

Mme Hivon: O.K. Parfait.

Mme Boisvert (Anne-Marie): Oui. Mais, en théorie, ce qu'on risque d'avoir aussi parce qu'on a eu un jugement de première instance qui n'a pas fait l'objet d'un appel mais, à un moment donné, il y a la règle contre les punitions multiples qui s'applique et, je veux dire, c'est les mêmes faits. Pas convaincue que le jugement qui a été rendu, s'il avait été porté en appel, aurait été maintenu, là. On rentre dans la règle des punitions multiples pour la même entreprise.

Le Président (M. Paquet): Mme la députée.

Mme Hivon: Je comprends qu'on est face à un débat très intéressant de juristes aussi parce qu'on est en droit nouveau, parce que c'est une peine exceptionnelle qui, de manière exceptionnelle, a été demandée en plus de la consécutivité qui a été demandée, ce qui fait qu'on est en terrain un peu inconnu et c'est pour ça, je pense, que c'est si intéressant de vous entendre.

Juste peut-être une dernière chose. La question de dire... de ce que le juge Bastarache a dit en quelque sorte: Si les peines en matière pénale deviennent plus importantes, c'est sûr que la question commence à se poser de savoir s'il n'y a pas des garanties qui devraient les accompagner. Qu'est-ce que vous dites à ca? Est-ce que vous dites que, si on est rendu à prévoir des garanties, c'est un peu un indice que justement on n'est plus en pénal ou si vous dites: Bien non, le domaine pénal est assez vaste qu'on devrait peut-être en être rendu à penser à des garanties?

Le Président (M. Paquet): Me Boisvert.

Mme Boisvert (Anne-Marie): Bien, les garanties sont déjà là. Je veux dire, j'ai entendu parler de divulgation de la preuve, ça se fait déjà en matière pénale, là, en matière réglementaire. La cour... Puis, là aussi, c'est que, mon Dieu Seigneur, des fois, je dis à mes étudiants, là: Ne tirez pas sur le messager, là, ce n'est pas de ma faute si c'est compliqué ou ce n'est pas 100 % logique. On a fait varier certaines garanties en fonction du contexte criminel ou réglementaire puis il y en a d'autres qu'on n'a pas fait varier. On nous dit: L'AMF a des pouvoirs d'enquête extraordinaires, puis tout ça mais dans un arrêt Jarvis, la Cour suprême a dit: Qu'on soit en matière d'AMF, d'impôt, de n'importe quoi, à partir du moment où on sait que c'est une poursuite pénale qu'on veut faire, pas criminelle, pénale, on ne peut plus utiliser nos pouvoirs extravagants d'enquête. Bon. On doit protéger contre l'auto-incrimination. On doit... On nous dit: Dès qu'il va y avoir une confrontation entre l'État puis l'individu, là, les garanties de la charte s'appliquent. Alors, dans une très large mesure on est déjà là, mais, en même temps, ce que ça veut dire, c'est que, quand on se dit: On peut parler d'expertise mais de pouvoirs extravagants d'enquête de l'AMF, quand on sait qu'on se dirige vers une poursuite pénale, on n'en a pas. La Cour suprême les a enlevés, parce qu'on va chercher une peine, peu importe le nombre de jours.

•(20 h 20)•

Le Président (M. Paquet): Merci. M. le député de Shefford.

M. Bonnardel: Merci, M. le Président. Bonsoir, Me Boisvert. Vous semblez faire consensus avec ce que Me Hébert a pu nous dire sur l'article de loi que nous étudions ce soir où nous vous entendons sur la recevabilité qu'on aura à faire lors de notre prochaine rencontre sur l'étude détaillée de ce projet de loi. On a parlé donc d'infractions réglementaires, d'infractions criminelles, on semble mettre tout ça ensemble. Vous avez dit tantôt: J'aimerais ça en entendre pas mal plus. Vous avez répondu à une question du ministre, bon, faire confiance au juge.

J'ai repris quelque chose tantôt, vous avez dit, c'est aussi peut-être se faire dire qu'il y aura abus de procédures ou d'autre chose que le juge pourra évaluer sur la nouvelle loi qu'on aura à voter dans les prochains jours. Ma question est fort simple. On a deux heures et demi, trois heures de discussion sur un débat où Me Hébert a dit tantôt qu'il y a eu consensus sur l'ensemble de la loi qui a été votée... pas votée, mais qui a été mise en place en 1987. Est-ce que, comme législateur, aujourd'hui, on va trop vite?

Le Président (M. Paquet): Me Boisvert.

Mme Boisvert (Anne-Marie): Pas nécessairement. Puis d'habitude je dis oui puis là je vous dirais «pas nécessairement». La disposition telle qu'on vous la propose, elle est en soi bénigne, elle n'est pas extravagante, elle n'est pas... Quand on ne perd pas de vue que l'emprisonnement est déjà exceptionnel, alors on espère que l'emprisonnement consécutif va être exceptionnel, exceptionnel. Donc, la disposition en soi... puis elle ne défait pas l'économie du code, elle restaure une discrétion judiciaire qui m'apparaît... Moi, j'aime mieux plus de discrétion judiciaire que d'essayer de couper dans la discrétion du juge, donc elle ne me pose pas de question... de difficulté en soi.

Bon, mais c'est sûr que, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, on étudie une disposition qu'on veut mettre dans le Code de procédure pénale, dans un projet de loi en matière financière, parce qu'on n'a rien qu'une affaire en arrière de la tête pour le moment, bon, c'est assez évident, Et je pense que ce qu'on a dit, je ne suis juste pas certaine que la solution mise de l'avant par Me Hébert soit nécessairement la solution, mais on a de façon générale une réflexion à faire sur notre discours en matière pénale réglementaire, bon, puis surtout autour des infractions de nature économique qui sont par ailleurs déjà visées par le Code criminel. C'est juste ça.

M. Bonnardel: Considérez-vous donc.. Peut-être que la loi devrait rester la même comme elle est présentement jusqu'à temps — Me Hébert, je pense, le disait tantôt — que la Cour suprême juge de la recevabilité de la demande de l'AMF qui pourrait être peut-être juste annoncée dans un an, deux ans, même trois ans ou on doit procéder comme tel puis amender si c'est le cas ou...

Le Président (M. Paquet): Me Boisvert.

Mme Boisvert (Anne-Marie): C'est vraiment une question d'opportunité. Je ne vois pas pourquoi... Parce qu'elle me semble anodine, la disposition, là, prise isolément. Et ça fait partie... À partir du moment où on peut en donner, de la prison, la discrétion judiciaire puis les outils dont le juge doit pouvoir disposer, ce qu'on veut insérer dans le code, ça fait partie de la palette centenaire des éléments à la disposition du juge. Alors, ça ne me semble pas ni dangereux ni trop précipité de le mettre, ce n'est pas en soi dangereux. Mais c'est juste que c'est l'utilisation qu'on va en faire après, je pense, sur laquelle on doit réfléchir. Mais, ce n'est pas une disposition, là, que je regarde puis je me dis: Ah, mon Dieu! ça défait l'économie générale ou ça défait ci ou ça défait ça. Elle est assez innocente en soi, la disposition.

Le Président (M. Paquet): Merci. J'aurais peut-être une question à ajouter, parce que j'essaie de comprendre la logique, l'idée. Je comprends la solution proposée. Une solution proposée pourrait dire, bien, mettons un maximum, on met une contrainte sur, dans le fond, le principe de proportionnalité d'une peine vis-à-vis une infraction à un règlement... qui nous préoccupe, alors donc, une proportionnalité, qui semble un principe important en droit pour faire en sorte que quelqu'un soit sanctionné en proportion de la faute, ou de la fraude, ou de la négligence intentionnelle ou non qui a été commise, mais, lorsqu'on met un maximum, je ne dirais pas arbitraire, mais un maximum donn頗 on parle de cinq ans moins un jour — on vient forcer une contrainte, on vient forcer d'avoir... on vient couper... dans le fond, on vient casser le principe de proportionnalité peut-être pas au bon endroit, dans un sens. Au point de vue mathématique, ça reviendrait un peu à cela. On parlerait de solution de coin en mathématique.

Mais, quand je compare ce qui ce fait, par exemple, ailleurs au Canada — ma question porte là-dessus — au Nouveau-Brunswick, en Colombie-Britannique et même en Ontario, on est allé plus loin: non seulement on permet qu'un juge puisse accumuler des peines, il doit même considérer ça comme étant la première étape, celle qu'il impose, à moins qu'il décide, sur la base de la cause qu'il entend, dire: Bien, dans ce cas-ci, je n'appliquerai pas ce principe-là.

Alors, pourquoi ailleurs au Canada... Pourquoi le Québec... j'aime bien qu'on soit distincts sur des choses qui nous distinguent très bien... qui nous distinguent bien, mais pourquoi, dans ce cas-ci, en termes du principe de proportionnalité, pourquoi, ailleurs au Canada, on aurait pris d'autres chemins — je ne sais pas si vous pouvez nous éclairer, sur la base de vos recherches, de vos connaissances — alors qu'ici au Québec on dirait: Bien, ici, on va faire bande à part dans ce cas-là et on va imposer, par exemple, une restriction à la proportionnalité, qui peut se défendre jusqu'à un certain point, là, mais qui, moi, me met un peu mal à l'aise comme législateur?

Mme Boisvert (Anne-Marie): Bien, quand on parle d'un principe de la proportionnalité... puis de toute façon, à mon avis, dans la Loi sur les valeurs mobilières, on l'a, c'est-à-dire que les infractions qui ont valu le cinq ans moins un jour de prison, c'étaient des infractions qui avaient une intention coupable dedans, ce n'étaient pas des infractions de négligence. Je ne pense pas qu'on puisse faire des faux prospectus, qui méritent cinq ans de prison, par inadvertance. Je veux dire, ça nous heurte, bon. Et on a exigé une preuve plus grande. Alors, le principe de la proportionnalité, il est respecté. Ce que je dis, c'est que, plus on va être punitif, plus ça va tout tirer vers le haut la preuve qu'on doit faire puis le...

Ceci dit, la majorité des provinces en matière réglementaire ont renoncé à l'emprisonnement, c'est plutôt ça, la règle. Et, je vous dirais, bien, nous, on n'a pas totalement renoncé mais presque, mais quand on ne renonce pas, bien, autant avoir toutes les règles, y compris la possibilité de mettre de l'emprisonnement consécutif. C'est pour ça que je vous dis qu'en soi elle n'est pas extravagante, cette disposition-là, mais on pourrait en faire un usage extravagant.

Le Président (M. Paquet): Alors maintenant donc, nous passons à des échanges avec Me Henri Brun, qui est professeur de droit constitutionnel de la Faculté de droit de l'Université Laval, qui est accompagné de Me Mario Naccarato et Me Audrey Létourneau, professeur et chercheure pour le Centre d'étude en droit économique de l'Université Laval. Alors, professeur Brun, Me Brun, je vous cède la parole pour environ une dizaine de minutes.

Exposé de M. Henri Brun,
professeur de droit constitutionnel
à l'Université Laval

M. Brun (Henri): Je vous remercie, M. le Président. M. le ministre, Mmes, MM. les députés, d'abord je suis... j'ai une certaine expertise en droit constitutionnel, et ça s'arrête à peu près là, mon expertise, alors je ne m'étendrai pas beaucoup, là, sur des aspects proprement pénal ou criminel, et je vais essayer de demeurer sur le terrain juridique. Essayer. Je ne pense pas qu'on puisse complètement le faire.

Ce qu'on m'a demandé de faire, c'est de voir si cette disposition, ce nouvel article 241, est-ce qu'il serait constitutionnel ou inconstitutionnel, ou enfin est-ce qu'il pourrait être attaqué avec un peu de crédibilité? Est-ce que je m'imagine bien que les tribunaux, les juges de la Cour suprême en bout de ligne pourraient le casser ou pas?

Dans un premier temps, ma seule cible, moi, face à cette question-là, qui était la mienne, ça a été de regarder du côté des chartes, et j'avoue — j'y reviendrai tout à l'heure — que, du côté du partage fédératif des compétences, c'est-à-dire de ce beau monde de la fédération canadienne... On a parlé tout à l'heure du beau monde de la common law. Moi, je n'ai pas grand-chose contre la common law, mais, l'autre, je la trouve plus problématique, là. Quand on est obligé de se battre à distinguer entre le pénal et le criminel, je vous dis qu'ailleurs dans le monde on nous regarde comme des drôles de bêtes un peu. C'est très singulier, surtout en termes de possibilité de légiférer, là. Bon.

En ce qui regarde les chartes, moi, j'ai regardé du côté de la charte québécoise et, à mon avis, il n'y a aucune disposition pertinente, dans la charte québécoise... c'est-à-dire, j'entends par «pertinente» aucune disposition sur laquelle il me semble bien que les tribunaux pourraient se fonder pour déclarer cette disposition projetée inconstitutionnelle.

•(20 h 30)•

Du côté de la charte canadienne, j'en ai vu trois pertinentes. Elles sont pertinentes parce que, dans les trois cas, il y a de la jurisprudence qui porte sur la durée des peines. Bon. Ça me semblait assez proche d'ici, puisqu'on parle de passer du... enfin «de passer», d'élargir la possibilité, là, abstraction faite du débat judiciaire, la possibilité qu'il y ait... en fait, qu'elles soient moins concurrentes mais qu'il y ait davantage de peines qui doivent être purgées de façon consécutive. Alors, je me disais: La longueur, la durée des peines devient une donnée pertinente. Et voyons donc voir ce que les tribunaux ont fait par rapport à ça.

La première de ces dispositions, c'est l'article 7 de la charte canadienne, l'article 7 de la charte canadienne qui nous dit que tous et chacun ont le droit à la vie, la liberté, donc en matière d'emprisonnement, ça joue, liberté et sécurité, et que, par rapport à cela, ça a été interprété comme ça, il faut respecter les principes de justice fondamentale.

Or, il y a une certaine jurisprudence qui porte sur la durée des peines, mais ça n'a eu pour objet que le contraire de ce qu'on veut faire ici, que les cas où on a voulu limiter la discrétion judiciaire, c'est-à-dire les peines minimales, et là, là-dessus, la jurisprudence se partage: on ne les écarte pas en absolu, mais elles sont beaucoup plus suspectes du point de vue de la justice fondamentale.

Dans ce que j'ai pu constater, moi, dans le bagage jurisprudentiel qui vient éclairer l'article 7, je n'ai vu aucune décision portant sur la question de la consécutivité là, enfin que les peines doivent être purgées de façon consécutive. Ça, c'est l'article 7.

Il y a l'article 9 aussi qui nous dit que nous avons tous le droit de ne pas être emprisonnés arbitrairement. Alors, est-ce que d'être emprisonné pour un temps x à partir d'un cumul de peines ou de... parce qu'on avait décrété que les peines devaient être purgées de façon consécutive, est-ce que ça emmènerait un emprisonnement arbitraire? Bien, ce que je viens de dire au sujet de l'article 7, je peux le répéter ici: il n'y a pas de jurisprudence autre que de la jurisprudence qui porte sur certains cas où on a voulu limiter la discrétion judiciaire et non pas l'étendre, comme on veut faire ici.

Et la disposition peut-être la plus pertinente qui m'a arrêté un peu plus longtemps, c'est l'article 12, qui énonce le droit à la protection, entre autres, là, à la protection contre les peines cruelles et inusitées. Alors, là encore, je n'ai rien trouvé relatif... rien qui n'était relatif au fait que les peines doivent être purgées de façon consécutive. Toute la jurisprudence autour de cette question de la longévité, la longueur des peines, porte sur les cas où on a voulu limiter la discrétion judiciaire.

Mais il reste quand même que ce que je constate, c'est que ces dispositions-là constitutionnelles vont s'appliquer dans le présent cas. Si, ici, on réélargit, on rétablit le statu quo antérieur et on donne aux pouvoirs judiciaires un pouvoir qui n'est pas rigidement circonscrit comme ça l'était, d'ordonner que les peines soient purgées de façon consécutive, eh bien, ces garanties constitutionnelles vont jouer. Là-dessus, je n'étais pas tout à fait d'accord avec ce que dit enfin M. Bastarache en disant qu'il n'y avait pas de protection constitutionnelle à cet égard-là. Pour moi, il y a une protection constitutionnelle: les articles et 7 et 9 et 12 vont jouer, vont jouer dans l'esprit du juge qui va prendre sa décision et vont pouvoir jouer en contrôle judiciaire ou en appel de sa décision si cette décision peut apparaître ou enfin si on peut plaider que la peine totale est une peine fondamentalement injuste au sens de l'article 7 ou une peine qui entraîne un emprisonnement arbitraire au sens de l'article 9 ou qui entraîne, au sens de l'article 12, une peine cruelle et inusitée. Bon.

De sorte que finalement, sur ce plan-là, sur le plan des chartes, moi, ma conclusion, c'est qu'il n'y a pas de problème. Il y a une espèce de carence. C'est un constat de carence que je fais. Et il me semble que c'est un constat de carence en ce qui regarde l'état de la jurisprudence. Et, pour moi, même si je m'efforce de voir comment raisonneraient les tribunaux par rapport à ces dispositions-là de la charte canadienne, je ne pense pas, je suis convaincu que le nouvel article 241 ne pourrait pas être déclaré, jugé inconstitutionnel à partir de ces dispositions-là de la charte canadienne.

Je pense que... Au fond, ça peut se résumer de la façon suivante: dans ce cas-ci, on n'en a pas, de peine encore. Elle n'est pas arrivée, la peine. Comment peut-on la juger fondamentalement injuste ou arbitraire ou cruelle et inusitée? Elle n'est pas arrivée encore. C'est le pouvoir judiciaire qui aura une discrétion de déterminer cette peine totale à la lumière des chartes... de la charte, 7, 9 et 12, et peut-être d'autres facteurs aussi sur lesquels je ne me suis pas arrêté.

Et, si on regarde l'ensemble de la jurisprudence, même en ce qui regarde autre chose que la durée des peines, on remarque que, d'une façon générale, les tribunaux sont portés et très portés à trouver qu'il n'y a pas d'atteinte aux droits fondamentaux des chartes lorsque l'atteinte possible dépend de l'acte du pouvoir judiciaire lui-même. On aurait pu s'y attendre, hein? Les juges se font confiance à eux-mêmes, et, quand le pouvoir judiciaire n'est pas limité, n'est pas circonscrit, les tribunaux sont tout à fait contents, et il n'y a pas d'atteinte. On réserve la possibilité de conclure à une atteinte au stade de l'application au cas-à-cas, et je pense que c'est raisonnable. Et je pense qu'avec ce nouvel article 241, bien, ce serait jouer de cela un peu. Il y a l'expression qui a été beaucoup utilisée de faire confiance aux juges, et, moi, ça me plaît et ça m'apparaît suffisant.

Peut-être que je dois ajouter un petit mot en ce qui regarde un autre aspect du droit constitutionnel, le partage fédératif des compétences. J'avoue bien franchement qu'avant d'arriver ici, je n'avais pas pensé que c'était sérieusement dans le décor. Je ne veux pas dire que c'est frivole, ce qui a été dit à ce sujet-là, loin de moi de moi cette pensée, mais il reste quand même que la distinction entre le pénal et le criminel — enfin je suis beaucoup plus près de Me Boisvert que de Me Hébert là-dessus — c'est éminemment vague et flou. C'est tout à fait légitime de la part de Me Hébert, là, en termes d'opportunité et de sagesse législative de faire preuve d'un volontarisme à ce point-là et un volontarisme chiffré: Avec cinq ans, on règle le problème, enfin, moi, je ne suis pas d'accord avec cela, je pense que c'est éminemment flou, surtout en ce qui regarde les peines.

La différence entre le pénal et le criminel se situe, pour moi, essentiellement, sinon exclusivement, au stade de l'assise de l'infraction et de sa peine. Dans le cas du pénal, l'infraction existe, et sa peine, parce qu'il y a une loi réglementant un secteur d'activité, et on veut s'assurer que cette réglementation va être respectée. Tandis que l'essentiel du droit criminel... ce n'est pas pur dans l'un et l'autre cas, là, mais la tendance générale, dans le cas du criminel, c'est l'interdiction, qui est le sens du droit criminel, c'est l'interdiction. Le vrai droit criminel, c'est l'interdiction à l'état pur, c'est la réprobation du malum in se, de la chose qui est mauvaise en soi. On n'a pas besoin d'avoir de la réglementation et qu'il y ait eu une dérogation à de la réglementation: c'est mal en soi que de voler et que de tuer.

•(20 h 40)•

Évidemment, tout ça ne se tranche pas au couteau, et je le disais et je le répète, et avec la compétence sur le criminel, le fédéral a envahi. Il a même réussi à faire bénir par la Cour suprême une loi intitulée Loi réglementant les produits du tabac, hein? Alors, on se demande bien... Bon. Et, du côté provincial ou enfin du pénal provincial, c'est bien sûr qu'à certains moments il y a des actes qui peuvent être en même temps des actes tout à fait... enfin qu'il faudrait réprimer en eux-mêmes. Et d'ailleurs ça se fait, et c'est pour ça qu'on trouve un large chevauchement entre ce qu'on trouve dans le Code criminel et ce qu'on trouve dans un paquet de lois réglementaires, provinciales comme fédérales d'ailleurs.

Bon, moi, je vais m'arrêter là en espérant aider un tout petit peu. Puis, s'il y a quelques questions, je pourrai essayer de répondre. Je vous remercie.

Le Président (M. Paquet): Merci. Me Naccarato, vous vouliez ajouter quelque chose brièvement?

Exposé de M. Mario Naccarato,
professeur à la Faculté de
droit de l'Université Laval

M. Naccarato (Mario): Alors, M. le Président, M. le ministre, mesdames, messieurs. Alors, à la base, j'aimerais préciser: je suis civiliste de formation, avec un certain intérêt pour le droit criminel économique. On m'a demandé de présenter le fruit de quelques recherches que mon assistante Audrey va faire, mais j'aimerais faire quelques remarques particulières.

D'abord, il ne faut pas perdre de vue que le but de l'article 43 dont il est question vise à rétablir le statu quo, le statu quo ante l'arrêt Lacroix. Le statu quo, c'est-à-dire que la consécutivité, le principe de la consécutivité des peines s'applique ou existe depuis 1770 et s'appliquait tant en matière provinciale qu'en matière fédérale. Donc, ce pouvoir discrétionnaire, on s'est demandé si on l'appliquait... je pense, une des questions qu'on s'est demandé, s'il s'appliquait de manière fréquente. La réponse est non, surtout en matière de droit criminel économique, on n'en a pas rencontré beaucoup, mais on en a rencontré des cas.

Un cas en particulier que j'aimerais vous souligner, c'est l'affaire Ehennigar, E-h-e-n-n-i-g-a-r. J'ai la référence pour ceux que ça peut intéresser: 1983, 123, APR, 110, et c'est rendu par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse. Il s'agissait d'un cas d'infraction commise, une infraction de vol au Code criminel économique commise par un planificateur financier où la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse confirme une condamnation multiple, une condamnation consécutive.

Je vous fais part d'un petit écrit que nous avons préparé: Quoi que ce ne soit pas systématique, et même relativement rarissime, en matière de crime commis dans le domaine des valeurs mobilières, on peut retracer quelques décisions où le tribunal impose des peines consécutives, par exemple dans l'affaire Ehennigar. La Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse qualifie les critères pouvant justifier l'imposition des peines consécutives, et c'est là qu'entre en ligne de considération la sagesse et les balises qui peuvent aider le tribunal. Dans cette affaire, l'accusé était président et gestionnaire de deux compagnies de consultation et de planification financière. À l'occasion de conseils en placement, l'accusé a reçu de six investisseurs des montants substantiels pour des placements sécuritaires. Or, sans les en informer, l'accusé utilise des sommes afin de réduire ses propres dettes et financer les opérations de ses compagnies.

Confirmant les peines d'emprisonnement consécutives rendues sur chacun des cinq chefs de vol, la cour déclare qu'il n'y a pas d'erreur en prononçant des termes consécutifs pour des offenses qui impliquent des victimes et des circonstances différentes — c'est là qu'il faut mettre l'accent — des victimes et des circonstances différentes et que chacune était unique quant à son exécution. Selon la cour, le juge de première instance, donc, a correctement considéré le principe de la totalité des peines et les autres facteurs pertinents de sa détermination. Donc, c'est le tribunal à qui on fait confiance comme on le fait depuis 1770. Le critère justifiant l'imposition de peines consécutives entre les différents chefs d'accusation portés contre un accusé dans un cas donné pourrait donc être formulé comme étant l'absence de relation entre les différents délits reprochés.

La crainte qu'on manifeste ce soir, c'est qu'on condamne l'accusé multiples fois pour le même geste qui l'aurait puni, alors que c'est pour des actes distincts qu'on veut porter des accusations, des peines consécutives.

Donc, pour revenir à la question, on veut rétablir le statu quo qui existait antérieurement à l'arrêt Lacroix. Le statu quo était le suivant — je lis librement: Sous réserve... pas «sous réserve». Le tribunal peut imposer une peine d'emprisonnement à un défendeur qui est déjà en détention. Cette interprétation-là, on l'a... On a interprété cette formulation-là comme étant un rejet implicite du pouvoir discrétionnaire de sanctionner consécutivement dans des cas autres que ceux où le détenu était déjà en détention. Si cela était vrai, je crois que tout ce que cette disposition-là viendrait faire, c'est que de dissiper le doute qu'a eu le tribunal à l'effet que le législateur ait voulu restreindre la discrétion du juge de le faire. Donc, soit qu'on vienne clarifier l'intention du législateur ou soit qu'on vienne confirmer. L'autre possibilité, c'est que la disposition actuelle vienne confirmer le pouvoir discrétionnaire qui existait en vertu de la common law antérieurement.

Donc, ceci dit, je laisserais ma collègue Audrey Létourneau vous présenter quelques petits éléments qui concernent le droit à l'imposition de peines consécutives.

Le Président (M. Paquet): Mme Létourneau, en quelques minutes, s'il vous plaît.

Exposé de Mme Audrey Létourneau,
étudiante à la maîtrise à la Faculté
de droit de l'Université Laval

Mme Létourneau (Audrey): Oui, bonsoir. Mes propos allaient reprendre beaucoup ce qui s'est dit ce soir, c'est-à-dire la discrétion du tribunal en matière de détermination de la peine, et le pouvoir qui entre dans cette discrétion d'imposer des peines consécutives, tant en droit criminel qu'en droit pénal. Plutôt que de répéter ce que les autres interlocuteurs ont dit, je vais répondre à une question, puisqu'on a fait un inventaire de la jurisprudence criminelle ainsi que pénale dans les provinces d'Ontario, Colombie-Britannique, Alberta et Québec pour les crimes dans le domaine, disons, financier et toutes les infractions au droit des valeurs mobilières de ces provinces.

Donc, de cette analyse puis de toutes les décisions répertoriées, peu ont imposé des peines consécutives, effectivement. Mais, à chaque fois, dans toutes ces provinces, il existait la possibilité expresse dans la loi pour le Parlement... bien, pour le tribunal, plutôt, d'imposer des peines consécutives.

Il n'y a eu aucune peine en haut de cinq ans en droit pénal provincial. On a retracé trois décisions pénales fondées sur des infractions aux lois des valeurs mobilières qui ont imposé des termes consécutifs d'emprisonnement, outre la décision Lacroix au Québec, qui est la seule qu'on ait pu retracer, et aussi... Je crois qu'il y en avait une seconde... Je ne me souviens plus si c'étaient des termes consécutifs.

Enfin, le pouvoir d'imposer des termes consécutifs d'emprisonnement entre dans la discrétion des tribunaux de toutes les provinces, puis plusieurs provinces ont également une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans moins un jour pour les infractions aux lois sur les valeurs mobilières. Et, même, elles couvrent un éventail de comportements élargi puisqu'elles prévoient que cette peine d'emprisonnement est applicable à toute infraction à la Loi des valeurs mobilières ou au droit provincial des valeurs mobilières, alors que notre infraction... ou plutôt notre disposition qui prévoit la peine d'emprisonnement de cinq ans moins un jour est limitée à certaines infractions seulement qui sont énumérées à l'article 208.1.

Donc, pour moi, la disposition proposée aujourd'hui confirme le pouvoir des tribunaux qui existe d'imposer des peines consécutives en matière pénale réglementaire. Merci.

Le Président (M. Paquet): Merci beaucoup. M. le ministre des Finances.

M. Bachand (Outremont): Merci beaucoup, monsieur... Mes Brun, Naccarato et Létourneau. Si je comprends bien — la soirée s'allonge — c'est qu'il n'y a pas de problème constitutionnel, simplement, et qu'ultimement on vient juste... Effectivement, la Cour d'appel dans le jugement, plusieurs paragraphes disent: Si vous voulez le dire, dites-le. Plusieurs contestent, dont le juge Bastarache, disent que c'est un mauvais jugement parce que le droit common law le permettait depuis plus de 100 ans, mais pour l'instant on a ce jugement-là de la Cour d'appel: Dites-le. Donc, simplement, ce que vous nous dites, c'est qu'on vient le dire, et on vient rétablir par statu quo ante la discrétion centenaire.

Puis vous n'avez pas mentionné les autres provinces, mais, au fond, tout le débat, ce n'est pas le texte législatif, c'est la discrétion judiciaire, comment elle sera exercée par le juge — je prends vos mots — tout va se jouer dans l'acte du pouvoir judiciaire, et qu'il est préférable dans des cas de démarcation, ce dans quoi on est, peut-être de laisser la discrétion judiciaire plutôt que de tenter de découper dans nos lois, de le faire.

Et j'ajouterais, peut-être vous pouvez commenter sur ça, d'autant plus que... et pourquoi le Québec ne le ferait pas, puisque la Cour d'appel nous demande de le faire, alors que c'est dans le droit de l'Ontario, c'est dans le droit du Nouveau-Brunswick, c'est dans le droit du Manitoba? Donc, on serait une province qui ne laisserait pas la discrétion aux juges dans des cas assez exceptionnels, parce que ça n'arrivera pas souvent qu'on le voie, mais on ne leur laisserait pas cette discrétion-là.

Le Président (M. Paquet): Me Brun.

•(20 h 50)•

M. Brun (Henri): Oui, c'est à moi. Évidemment, ce n'est pas un impératif, de faire comme les autres, on peut se... bon, se définir différemment sur le plan de la répression quelle qu'elle soit, mais il reste que c'est quand même assez marquant de voir que cela existe en vertu du droit criminel à l'échelle du Canada et à l'échelle de plusieurs autres provinces, sinon toutes, en tout cas du moins en termes même explicites dans les lois de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick, nos voisins immédiats.

Bien, je mettrais peut-être davantage l'accent sur le fait que cette discrétion judiciaire non entravée devrait quand même s'exercer sous l'égide des normes de la charte canadienne, des trois dispositions que j'ai mentionnées, que les juges devraient forcément avoir à l'esprit avant d'y aller d'un très gros chiffre, d'un très grand nombre d'années, et en songeant aussi peut-être davantage que, sauf la Cour suprême, ils n'ont pas le dernier mot, et puis que, si ça apparaît disproportionné, fondamentalement injuste ou arbitraire ou cruel et inusité, en tenant compte des circonstances et en tenant compte, entre autres, du fait qu'on est en matière réglementaire plutôt qu'en matière proprement criminelle, bien, ils vont se faire casser.

Alors donc, ça ne s'exercera pas dans un vacuum constitutionnel. Il y a peut-être autre chose aussi, mais en ce qui me regarde, il n'y a pas un vide constitutionnel relativement à l'exercice de cette discrétion judiciaire là.

Le Président (M. Paquet): Merci. M. le député de... Pardon, Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Merci beaucoup. Peut-être juste en réponse au dernier commentaire du ministre, je ne pense pas qu'il y a de grands débats ici sur l'opportunité de prévoir la consécutivité des peines. Je pense que tout le monde est d'accord: Me Hébert est d'accord, Me Boisvert est d'accord, Me Brun est d'accord. La question, c'est de savoir: Est-ce que l'effet de la consécutivité des peines peut être tel qu'on en vienne à des peines très, très, très importantes qui puissent être assimilées à des peines qui sont plus du domaine du droit criminel? Et, en tout respect, je ne pense pas que c'est parce que les autres provinces font certaines choses qu'on devrait faire certaines choses. Je pense qu'on devrait le faire parce qu'on pense que c'est opportun de le faire et je pense qu'on est tous d'accord que c'est opportun de prévoir la possibilité de peines consécutives.

La question, c'est de savoir: Est-ce qu'on devrait limiter un peu cette possibilité d'addition des peines? Et la question est un peu... Bon, Me Hébert plaide pour l'amendement du cinq ans moins un jour. Me Boisvert demande du temps pour y réfléchir. Me Brun, vous dites en quelque sorte, si je comprends bien: Pas nécessairement une limite, faisons confiance jusqu'à un certain degré aux tribunaux pour qu'ils aient en tête de toute façon les garanties des chartes et qu'ils prennent leurs décisions à la lumière de ces droits-là.

Par ailleurs, Me Boisvert, je pense qu'elle a dit quelque chose d'intéressant, que la disposition en elle-même n'est pas extravagante, mais qu'on pourrait possiblement en faire un usage extravagant, et je pense que c'est ça un petit peu ici, comme parlementaires, qui nous inquiètent, c'est d'être certains de faire le travail correctement pour que la disposition donne les effets qu'on souhaite et non pas des effets extravagants.

Alors, je vous remercie, parce que vous avez apporté un éclairage qui est différent, qui est vraiment axé sur la charte. Vous avez par ailleurs fait ressortir qu'il n'y a pas vraiment de jurisprudence qui a porté sur ça, mais qu'il y a une absence en quelque sorte de jurisprudence et que la discrétion vers le haut en quelque sorte n'est pas quelque chose qui a été examiné.

Vous n'avez pas parlé de l'article 11f, qui est le droit à un procès avec jury à partir du moment où il y a une peine de cinq ans qui est prévue, qui est attachée au crime. C'était peut-être voulu, je ne le sais pas, mais c'est quelque chose ici qui a quand même fait l'objet de discussion, ma question étant de savoir si cet article-là ne vient pas un peu colorer le débat et nous indiquer que peut-être il y a une limite du fait qu'on en viendrait à faire indirectement ce qu'on ne peut pas faire directement. Alors ça, j'aimerais vous entendre peut-être là-dessus dans un premier temps.

Le Président (M. Paquet): Me Brun.

M. Brun (Henri): Sur la première partie de la question, je... Oui, bien, je vais y aller sur 11f à l'heure qu'il est.

Mme Hivon: Allez-y sur les deux, ça m'intéresse aussi.

M. Brun (Henri): En fait, sur la question de mettre un plafond, de limiter sa discrétion judiciaire avec un chiffre, cinq ans, c'est peut-être... Mais, pour moi, c'est une pure question de sagesse ou d'opportunité. Alors, c'est vraiment, là... Moi, je m'oppose un peu à l'idée qu'il y ait un fondement constitutionnel de partage des compétences là-dessus et que ça doit être guidé, que cette idée de limitation... de limite à cinq ans repose sur le fait que les peines provinciales en vertu de 92.15 ont, en vertu de la Constitution, un plafond. Pour moi, il n'y a pas d'assise à cela. En tout cas, certainement pas dans le corpus jurisprudentiel.

Sur 11f, oui, je n'en ai pas parlé et, oui, c'était voulu pour la simple raison que je ne vois pas de rapport. Si la ligne d'interprétation, qui est celle qu'on a sur la table actuellement, celle de la Cour du Québec et de la Cour supérieure dans Lacroix, eh bien, c'est que c'est... il faut, comme le disait M. Bastarache, interpréter 11f tel qu'il est avec le mot «infraction» au singulier et que donc le droit au procès par jury est ouvert au cas où il a une infraction ou l'autre qui est passible de cinq ans ou plus... Bon. Si... Alors, à ce moment-là, c'est réglé, la... Mais, si, en bout de ligne, il y avait une décision, si cette jurisprudence était renversée à un niveau supérieur, donc Cour d'appel ou Cour suprême, oui, il pourrait y avoir à ce moment-là certains problèmes d'aménagement des choses dans... entre autres, de distribution de juridictions judiciaires parce que des personnes, par application de ce nouvel article, pourraient avoir droit à un procès par jury. Bon. Ça pourrait poser un certain nombre de problèmes de procédure pénale, là, j'en conviens. Je ne préfère pas m'embarquer trop à fond probablement de savoir si on peut rester en cours du Québec ou s'il faudrait nécessairement... Mais c'est loin d'être sûr, un, parce que la tendance jurisprudentielle dominante, la seule qu'on a, c'est que ce n'est pas comme ça qu'il faut comprendre 11f; il faut prendre ce que dit chaque infraction, la peine relative à chaque infraction, et, si ce devait être autre chose, bien il y aurait quelques problèmes, mais je ne vois aucun impact sur la constitutionnalité de ce nouvel article 241. Je ne vois pas en quoi ça pourrait par anticipation entraîner son inconstitutionnalité.

Le Président (M. Paquet): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Peut-être Me Beauséjour. Je suis bien contente de voir qu'il y a un travail aussi exhaustif qui a été fait, en fait, à savoir de comparer en vertu des législations qui sont très précises et qui était déjà prévues dans les lois des autres provinces qui sont mentionnées, notamment par le ministre, et vous dites, là, je veux bien comprendre qu'à ce jour... Me Létourneau, j'ai dit Me Beauséjour, excusez-moi. C'est pour ça que vous ne saviez pas si je vous parlais, je suis désolée.

Je voulais juste savoir, c'est ça, si je comprends correctement que vous n'avez trouvé aucun cas où soit la peine a été de cinq ans ou que la consécutivité des peines a été de cinq ans. Est-ce que c'est bien ça?

Mme Létourneau (Audrey): ...

Le Président (M. Paquet): Me Létourneau. Vous voulez répéter, s'il vous plaît?

Mme Létourneau (Audrey): ...où le résultat a été plus de cinq ans même en les cumulant. Donc, à chaque fois, les tribunaux ont élaboré une limite à l'utilisation des peines consécutives, c'est le principe de globalité des peines, c'est-à-dire que toutes les peines qu'on impose doivent être... ne doivent pas excéder... faire un excès de nature ou de durée dans leur globalité. Donc, quand on regarde sans se comparer, mais juste en regardant ce qui existe, jusqu'à présent, ce qui a été rendu par décision, ce n'est pas une utilisation abusive du principe de la consécutivité des peines, mais bien l'élaboration des critères qui ont justifié son emploi dans les cas d'espèce qui sont soumis aux tribunaux.

Le Président (M. Paquet): Mme la députée.

•(21 heures)•

Mme Hivon: Oui, c'est ça. Mais, en fait, je pense que c'est précisément... En fait, c'est très intéressant de le savoir parce qu'on était sous l'impression ici, les collègues, qu'on est vraiment face à un cas exceptionnel, dans le cas de M. Lacroix, qui était une peine exceptionnelle de cinq ans moins un jour, qui n'est à peu près prévue dans aucune de nos lois sectorielles et, en plus de l'effet de la consécutivité, on en venait d'emblée à pouvoir dépasser le cinq ans. Et c'est pour ça que vous dites: La sagesse, ou le principe de proportionnalité, ou de limitation en quelque sorte naturelle a joué pour le fait qu'on n'a pas été capables de retracer aucune décision où on a dépassé le cinq ans, mais, dans le cas qui nous occupe, effectivement, on a vu qu'en première instance on a amplement dépassé, et en appel aussi.

Alors, c'est pour ça que je pense qu'on a ce questionnement-là, à savoir s'il n'y a pas une sagesse aussi à vouloir venir, d'entrée de jeu, le limiter, même si, de ce que je comprends, en général, la jurisprudence viendrait le limiter. Est-ce que vous avez une opinion là-dessus?

Le Président (M. Paquet): Mme Létourneau.

Mme Létourneau (Audrey): Bien, ça, sans extrapoler ou questionner la décision, dans le fond, dans l'arrêt Autorité des marchés financiers contre Lacroix, c'est possible aussi que ce soit un cas particulier, parce qu'au fond on a affaire à des nouvelles infractions: la tentative d'influence sur les cours des titres, sur des crimes... bien, «des crimes», des infractions qui s'apparentent au faux en matière criminelle mais qui visent quand même le secteur financier. Donc, les décisions répertoriées, il me semble, étaient des faux prospectus, ou de l'exercice de courtage, ou de conseils sans être inscrits auprès de l'autorité compétente. Donc, ça pourrait peut-être expliquer cette situation-là.

Encore, on ne sait pas, si la Cour d'appel en était venue à la conclusion que le tribunal était justifié d'imposer des peines consécutives, est-ce qu'ils auraient considéré, avec le nombre d'interventions, d'une erreur manifestement déraisonnable quant à l'application des principes? En tout cas, en droit criminel, le principe de la consécutivité, de toutes les décisions que j'ai lues en valeurs mobilières et en crimes économiques, a été bien appliqué, c'est-à-dire qu'il a été fondé sur des principes puis a suivi le cours des appels, le cas échéant.

Mme Hivon: Merci.

Le Président (M. Paquet): Merci. M. le député de Shefford.

M. Bonnardel: Oui. Merci, M. le Président. Me Brun, donc, merci de nous éclairer sur la question constitutionnelle de cet article de loi. C'était un des points avec lesquels on pouvait se questionner sur la légitimité de tout ça. Je pense que vous y avez bien répondu. Mme Létourneau aussi, vous nous avez expliqué, de par vos recherches avec Me Naccarato, que, dans quatre provinces, il y a eu trois peines qui ont amené des peines, donc un jugement avec des peines consécutives. On peut presque appeler ça des jugements d'exception face à ça... où est-ce qu'on va peut-être aujourd'hui... pas aujourd'hui, mais dans les prochains jours, adopter aussi ce projet de loi.

Mais, si vous le permettez, M. le Président, ma question, bon, après avoir entendu Me Boisvert aussi là-dessus — Me Hébert, qui, je vois, prend énormément de notes depuis presque deux heures et demie — j'aimerais l'entendre sur, si vous le permettez, M. le Président, nos discussions des derniers deux heures et demie et de savoir si sa réflexion face au débat qu'on a depuis 5 heures ce soir a changé, ou est-ce qu'il voit la chose de la même manière? Comme législateurs, on avance dans la bonne direction face à ce projet de loi? C'est un peu...

Le Président (M. Paquet): D'accord.

M. Bonnardel: ...la réponse que je voudrais avoir, si vous le permettez, M. le Président.

Le Président (M. Paquet): Je vais d'abord demander le consentement, parce qu'évidemment ce qu'on avait entendu comme consentement, je dois...

M. Bonnardel: Oui, tout à fait.

Le Président (M. Paquet): ...c'est celui que je dois reproduire, c'était celui de permettre à chaque gens de s'exprimer. Évidemment, on peut commencer un échange, mais ça veut dire...

M. Bonnardel: Ah, si vous le...

Le Président (M. Paquet): ...l'échange peut être chassé-croisé...

M. Bonnardel: C'est ça, si vous le permettez.

Le Président (M. Paquet): ...alors ça va au-delà du consentement que j'avais obtenu de la part des membres de la commission. Est-ce qu'on veut faire une période d'échange mixte? Est-ce qu'il a consentement là-dessus? M. le ministre.

M. Bachand (Outremont): Je ne ferais pas une période générale d'échange mixte, mais je consentirais...

Une voix: ...

M. Bachand (Outremont): ...je consentirais à cette question pour une brève réponse de Me Hébert.

Le Président (M. Paquet): Alors, Me Hébert, brièvement.

M. Bonnardel: Merci, M. le ministre.

M. Hébert (Jean-Claude): Alors, merci. Non, je n'ai pas changé d'idée, au contraire. Je vois ce qui se dessine, dans les questions et réponses qui ont été mises sur la table, qu'on veut se cacher sous la toge du juge en disant: Faisons confiance à la discrétion des juges, et, s'il y a des abus, bien, il y aura des tribunaux supérieurs pour corriger les abus. Faisons supporter à l'individu qui va être victime d'abus le poids d'une législation qui va avoir ouvert la porte à l'abus. Drôle de façon de légiférer.

Vous avez le pouvoir d'encadrer la possibilité d'abus et vous passez à quelqu'un d'autre la responsabilité de le faire. Je regrette, ce n'est pas ma façon de concevoir les lois.

Le Président (M. Paquet): Merci. Alors donc, je pense ça fait le tour. Est-ce que ça va? Alors donc, au nom...

(Consultation)

Le Président (M. Paquet): Il restait un tout petit peu de temps. Alors, M. le député de Nicolet-Yamaska, très brièvement.

M. Aussant: Merci, vous êtes trop bon. Mise en situation: si les avocats de Vincent Lacroix n'étaient pas allés en appel de la peine de 12 ans et qu'ensuite, au procès criminel, il y avait eu le cour normal du procès, à votre avis, qu'est-ce qui serait arrivé? Est-ce que les juges auraient quand même donné le 13 ans pour faire 25 ou... Est-ce que ça pose problème, en fait? J'aimerais entendre les experts là-dessus. Est-ce qu'il y aurait eu... Selon la proportionnalité, est-ce que ça aurait été trop long ou ils auraient donné simplement quelques années de plus au criminel pour que ça fasse quelque chose comme 14, 15, ou... Selon vous, qu'est-ce qui serait arrivé?

Le Président (M. Paquet): Me Boisvert. Me Brun. Me Brun, on était rendus à Me Brun. Me Brun.

Mme Boisvert (Anne-Marie): Je ne suis pas certaine...

Le Président (M. Paquet): Non, non, alors, Me Brun.

Mme Boisvert (Anne-Marie): Je ne suis pas certaine que j'ai compris la question, je dois dire, mais ça m'amène quand même une réponse, mais je ne suis pas sûre que c'est... En fait, je pense que ce qui est important à comprendre, là, quand j'ai parlé de la distinction entre le droit réglementaire puis le droit criminel, je pense que ce qu'on est en train de vous dire, c'est que, bon, on travaille avec cette fiction qu'il y a une différence. Moi, je ne vois pas de difficulté de principe, puis je pense que la Constitution n'empêche pas qu'on fasse, dans le droit pénal provincial, du droit quasi criminel.

Mais, quand j'ai parlé de gâteau qu'on ne pouvait pas garder dans le réfrigérateur puis manger en même temps, ce que je dis, c'est que si on fait ça, et je le dis à l'envers de Me Hébert, si on fait ça, il va falloir s'assumer puis arrêter de dire qu'on fait du droit administratif énergique et que c'est sans conséquence, ce qu'on fait.

La position de Me Hébert, c'est de dire: Bien, vu qu'on dit qu'on fait du droit administratif énergique, soyons conséquents puis restons dans le rayon du droit administratif. Ce que, moi, je dis, c'est qu'on peut faire du droit quasi criminel, mais appelons un chat, un chat, puis vivons avec les conséquences, assumons-nous. Bon.

C'est sûr que, pour les justiciables, le pire des deux mondes, c'est quand on fait à la fois une chose et son contraire, qu'on diminue les garanties parce qu'on dit qu'on est en matière administrative, mais qu'on veut des peines quasi criminelles.

Le Président (M. Paquet): D'accord. Alors, sur ce, le temps étant écoulé pour nos échanges, je remercie, au nom des membres de la commission, Me Drouin, de l'Autorité des marchés financiers, je remercie aussi l'honorable Michel Bastarache, juge de la Cour suprême, qui était parmi nous plus tôt, Me Jean-Claude Hébert, Me Anne-Marie Boisvert, Me Henri Brun, accompagné de Me Naccarato et de Me Létourneau, pour votre participation aux échanges.

Je suspends pour environ cinq minutes... quatre à cinq minutes, la commission, et nous reprenons dans... À 9 h 15, nous aurons repris pour poursuivre notre débat sur l'article 43 du projet de loi.

(Suspension de la séance à 21 h 8)

 

(Reprise à 21 h 32)

Le Président (M. Paquet): À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des finances publiques reprend ses travaux.

Documents déposés

Juste avant que nous revenions à la discussion sur l'article 43, dans le même esprit, Mes Naccarato et Létourneau m'ont remis deux études qu'ils souhaitent... que je vais déposer à la commission et qui seront photocopiées et distribuées aux membres: un article accepté pour publication à la Revue juridiqueThémis, La confiance trahie: La répression pénale et criminelle du manquement contractuel de l'intermédiaire de marché en valeurs mobilières et la détermination des peines applicables, par Mes Naccarato et Létourneau. Et un deuxième texte, un article intégré dans les actes d'un colloque: La confiance au coeur de l'industrie des services. Le titre: La prévention dans la distribution des services de placement, par Mes Crête, Brisson, Naccarato et Létourneau.

Alors, sur la discussion maintenant de l'étude détaillée de l'article 43, je reconnais M. le ministre des Finances.

M. Bachand (Outremont): Merci, M. le Président. Alors, l'article 43 vise à amender l'article 241 du Code de procédure pénale et de le remplacer par le suivant — je pense qu'on peut le lire pour revenir au sujet du jour:

«241. Sous réserve des articles 350 et 351, le juge qui impose au défendeur plus d'une peine d'emprisonnement ou qui impose une peine d'emprisonnement à un défendeur qui est déjà en détention peut ordonner — peut ordonner — que ces peines soient purgées de façon consécutive.»

Pourquoi cet article est là? Il est tout simple, M. le Président. Il y a eu un jugement à la Cour d'appel du Québec, au mois d'août, dans l'affaire de l'Autorité des marchés financiers et de Lacroix, et la Cour d'appel nous a simplement dit que, contrairement à ce que beaucoup de gens pensaient, en vertu des lois à travers le Canada d'ailleurs, et je prends le paragraphe 33, par exemple: «...il faut [...] d'abord préciser que le pouvoir d'imposer des peines consécutives ne peut reposer ici que sur un texte de loi.»

Et la Cour d'appel reprend le même argument au paragraphe 36: «Cet arrêt confirme toutefois que le pouvoir d'imposer des peines consécutives doit émaner de la loi...»

«Il est vrai — à 38 — que la common law peut servir de droit supplétif en matière pénale provinciale. Toutefois, si le législateur québécois choisit de codifier les principes en matière de cumul des peines, le fondement du pouvoir doit se retrouver dans un texte législatif.»

Et, ensuite de ça, ils comparent ce qu'on a fait au Code pénal avec le Code criminel pour conclure, vers la fin de leur jugement, à 51: «Force est de constater...» C'est peut-être le paragraphe... un des plus importants. «Force est de constater que l'aspect des peines consécutives pour des condamnations relatives à plusieurs chefs d'infraction n'a pas été codifié comme l'a fait le législateur fédéral à l'alinéa 718.3(4) du Code criminel...»

Ils reviennent par la suite: «Lorsqu'un texte est clair, non équivoque et sans ambiguïté, il n'est pas opportun d'y déroger en adoptant une interprétation qui ajoute au texte.»

Et donc, fondamentalement, M. le Président, ce que la Cour d'appel dit aux législateurs québécois, c'est qu'en l'absence de disposition explicite à l'effet que, oui, le juge peut imposer des peines consécutives le Québec, les juges du Québec n'ont pas le droit de faire... d'imposer des peines consécutives et que donc: Si vous voulez le faire, législateurs québécois, faites-le. Voilà le pourquoi on est ici aujourd'hui, M. le Président, dans le cadre de cette loi de valeurs mobilières.

Ça nous amène un certain nombre de questions qu'on s'est posées et que les membres de la commission se sont posées. Donc, nous, le gouvernement, ce qu'on dit: Parfait, il y a maintenant un guide, en ce sens que les juges au Québec, en matière pénale, donc pour toutes nos lois, que ce soient les lois de valeurs mobilières, que ce soient les lois de l'environnement, les lois... — j'avais une loi tout à l'heure, c'était la Loi sur les pesticides, qui est une loi du Québec — les juges ne peuvent pas imposer des peines consécutives. Et là on n'est pas dans le cinq ans et plus. Simplement, que vous ayez 10 infractions, six mois de prison, mais, si ça fait 52 fois que le juge décide, dans sa discrétion, étant donné toutes les circonstances, qu'il voudrait imposer des peines consécutives, depuis le jugement de la Cour d'appel, il ne peut plus le faire.

L'AMF a demandé l'autorisation d'en appeler en Cour suprême, c'est la permission d'en appeler. On sait qu'il y a un délai en général qui peut aller jusqu'à trois mois pour que cette décision-là soit prise. Si l'autorisation est accordée, on parle d'un délai de neuf à 12 mois pour la plaidoirie et, par la suite, on parle d'un délai peut-être de trois mois, en moyenne, puis ça peut aller maximum jusqu'à six. Donc, on parle de 15 mois à 21 mois.

Et donc, M. le Président, on pense qu'il y a une certaine urgence de ce côté-ci de la Chambre parce qu'on sait que les lois pénales ne sont jamais rétroactives et qu'aujourd'hui il ne s'agit pas simplement — pour que les gens qui nous écoutent comprennent bien — si on adopte cette loi cette semaine, donc de capter les infractions qui seraient déposées par des poursuites pénales, que ce soient pour les valeurs mobilières ou d'autres lois à partir d'aujourd'hui, mais qu'au fond tous les faits reprochés à des gens qui... même aujourd'hui, il ne pourrait pas y avoir d'infraction. Même, parfois, on ramasse la preuve pour déposer, dans un an, une poursuite. Mais, si les faits sont avant aujourd'hui, à moins qu'on gagne en Cour suprême... Bien sûr, c'est pour ça qu'on va en appel à la Cour suprême, pour tout ce qui se passe jusqu'à aujourd'hui. En tout cas, on considère, comme législateurs — on ne connaît pas la décision de la Cour suprême, on ne connaît pas si elle va saisir de la cause, on ne connaît pas la décision de la Cour suprême... il nous apparaît important, urgent, pour protéger les Québécois fondamentalement, qu'on fasse cet amendement, que la Cour d'appel nous a dit: Si vous voulez dire... faites-le, parce que tous les gestes qui sont posés aujourd'hui ne peuvent faire l'objet de peines consécutives jusqu'à ce qu'on change la loi.

On se posait donc un certain nombre de questions. Les collègues se posaient un certain nombre de questions: Est-ce exact qu'un juge au Québec ne peut plus imposer de peines consécutives à cause de ce jugement de la Cour d'appel? La réponse est clairement oui. Les peines consécutives doivent-elles exister? Est-ce qu'il est correct que le juge ait cette latitude? Deuxième question qu'on se posait. Troisièmement, devrait-on préciser cette possibilité simplement dans les lois de valeurs mobilières, les bandits à cravate, ou dans l'ensemble du Code pénal? Et quatrièmement est-ce qu'il y a des enjeux constitutionnels avec cette loi... avec cet article 43 qui nous est proposé?

Nous avons entendu, M. le Président, de nombreux témoins experts, et je pense que ce qu'on retient de l'ensemble... en tout cas, moi, ce que je retiens de l'ensemble de leur témoignage, c'est qu'on a répondu de façon satisfaisante à l'ensemble des questions. Pas de façon parfaite mais de façon satisfaisante. Le juge Bastarache, sur la constitutionnalité, nous a dit qu'il n'y avait, quant à lui, aucune ambiguïté, que la question des cinq ans était une garantie procédurale pour l'inculpé lorsque la peine maximum pour l'infraction — au singulier — était de plus de cinq ans et que c'était ça, la Constitution du Canada, c'était ça, l'état de la jurisprudence aussi. Il a mentionné un certain nombre de jugements et aussi que le nombre de chefs d'accusation ne change pas le fait que la Cour du Québec ait juridiction ou non; ce n'est pas le nombre de chefs d'accusation.

•(21 h 40)•

Et ensuite, pour ajouter d'ailleurs, pour lui, la Cour d'appel s'est trompée — c'est son opinion d'ancien juge de la Cour suprême — en interprétant mal les arrêts de la Cour suprême qui interprète le droit depuis 125 ans. Il n'a... je lis quelques notes, je n'en parlerai pas pendant deux heures, mais qu'au fond la règle de la common law, qui existe depuis 100 ans, s'applique, qu'on ne peut pas... qu'il faut traiter de la même façon une personne condamnée dans plusieurs procès versus une personne condamnée à plusieurs chefs dans un seul procès.

Et ça, c'est important effectivement parce que, si vous avez plusieurs procès et que vous êtes emprisonné une première fois, là, le Code pénal est clair, vous pourriez être condamné à des peines consécutives pour le deuxième procès qui porte sur d'autres chefs. Mais, si pour toutes sortes de fins, y compris de simplification de l'administration de la justice, la couronne porte sa cause dans un seul procès mais pour des chefs différents sur les causes différentes, à ce moment-là, que ça devrait être le même droit versus plusieurs procès et qu'en tout état de cause, ce qu'il fallait, c'est faire confiance aux juges, que les citoyens étaient protégés par la règle de proportionnalité, qui est la règle fondamentale de la Charte des droits, et de notre Constitution aussi.

Et enfin, à la question précise qu'il lui était posée, c'est: Est-ce que le fait qu'on a demandé la permission d'appeler, ça devrait nous décourager ou nous inciter à attendre? Il dit: Non, l'appel ne devrait pas nous décourager d'adopter la législation sur cette question, c'est une question de confiance du public et qu'il fallait agir, au fond, fondamentalement.

Me Hébert nous a dit: Oui, à la consécutivité des peines; que la Constitution ne nous limite pas. Mais, par ailleurs, il nous a dit clairement que, pour lui, il préférerait, pour toutes sortes de raisons, y compris des raisons de fond, qu'on n'aille pas plus loin que cinq ans sur l'ensemble de la consécutivité. Mais évidemment il n'a pas vraiment répondu à la question que, si on était déjà en détention et que là vous êtes condamné dans un autre procès, là, bien sûr, vous pouvez vous ramasser à sept, huit ans, parce que vous êtes condamné déjà à quatre ans en détention et que vous avez un nouveau procès dans une cause pénale pour un autre quatre ans, bien oui, vous auriez effectivement huit ans de prison, parce que le juge peut clairement, dans notre droit, le faire.

Me Boisvert a dit clairement: Oui à la consécutivité; oui, dans le Code de procédure pénale, non pas juste dans les lois de valeurs mobilières; oui à la discrétion du juge, et il est préférable parfois d'entendre en un seul procès plusieurs causes; que les lignes de démarcation constitutionnelles entre le crime et les infractions ne sont pas toujours claires, mais qu'encore là ce qu'il fallait, c'est la proportionnalité des peines, que c'était un principe, mais que, fondamentalement, ce n'était pas notre article. Elle a répété plusieurs fois: Notre article est tout simple, et l'article de loi proposé est bien. Ultimement, c'est l'application que les tribunaux en feront. Donc, l'article 43 — je la cite — ne pose pas de problème de principe, c'est éventuellement son utilisation. Et donc, elle n'a pas d'objection. Et que les citoyens sont protégés par le principe de proportionnalité dans la Charte des droits.

Et nos... Me Henri Brun est venu pour dire que c'est clairement constitutionnel; il n'y a pas de doute sur la constitutionnalité. Tout — lui aussi — tout va se jouer dans l'acte du pouvoir judiciaire, et qu'il préfère clairement d'ailleurs, au niveau de la démarcation: Est-ce que, nous, on fait une démarcation?, il est préférable de laisser ça à la discrétion judiciaire plutôt que de le faire nous-mêmes.

Évidemment, j'espère rendre justice à leurs témoignages.

Donc, M. le Président, on se retrouve dans... Et, ce qu'on s'est fait dire aussi clairement, c'est qu'on ne défait pas l'économie du Code pénal. Le Code pénal, il est là. Nos lois sont là. On ne vient pas augmenter les pénalités par infractions. Fondamentalement, on vient... et ça, c'est maître... je pense que c'est Me Naccarato qui nous a dit ça: On ne défait pas l'économie du Code pénal, on restaure la discrétion judiciaire qui fait partie de la palette d'outils des juges depuis plus de 100 ans. Voilà ce que vous faites, messieurs dames les législateurs, quand vous faites cet article-là.

On a donc un jugement de la Cour d'appel, à laquelle on vient répondre de façon très simple par un article qui vient simplement — on appelle ça le statu quo ante — restaurer au fond la discrétion judiciaire. On n'augmente pas les sanctions qui sont prévues ni dans la Loi des valeurs mobilières ni dans nos autres lois pénales. On vient simplement restaurer un principe, qui est majeur parce que notre problème, ce n'est pas non seulement les peines de cinq ans, mais c'est l'ensemble, l'ensemble des lois... des lois pénales au Québec.

Alors, M. le Président, voilà pourquoi, nous, on... bien sûr, après avoir entendu tous ces témoins, on est même... non seulement réconforté mais convaincus plus que jamais qu'il est important d'adopter cet amendement, qu'il y a une certaine urgence d'ailleurs d'adopter cet amendement, parce que chaque jour qui passe les gestes posés par des gens... C'est comme si les gens avaient eu un message, aujourd'hui, que ce soit sur l'ensemble de nos lois pénales... ne donnons pas d'exemples aux gens, mais que ce soit au niveau de la pollution de l'environnement, des droits sur les mines, des droits des valeurs mobilières, mais qu'il y a aujourd'hui un maximum. S'il y a un maximum de six mois pour une infraction que vous faites, faites-la, répétez-la 40 fois, les juges ne pourront pas vous donner plus que six mois. Ils ne pourront pas vous condamner consécutivement à cause du jugement de la Cour d'appel.

Nous, on pense qu'il y a une urgence de corriger ça. Ça n'empêchera pas, par la suite, le gouvernement ou une commission parlementaire, nos collègues d'une autre commission, dans une révision plus globale du Code pénal, de dire: Bon, bien, est-ce qu'on devrait, dans certaines lois, baliser, l'enlever. Mais, au fond, aujourd'hui, ce n'est pas la question qui est devant nous.

Donc, clairement, M. le Président, on a le pouvoir constitutionnel. D'ailleurs, le paragraphe 15 de l'article 92, hein, le fameux article 92 de la Constitution canadienne est très clair: les provinces peuvent légiférer pour l'infliction de punitions par voie d'amendes, de pénalités ou d'emprisonnement dans le but de faire exécuter toute loi de la province décrétée au sujet des matières qui tombent dans nos champs de compétence. Il n'y a rien dans la Constitution qui limite les sanctions. La Charte des droits, elle, a introduit la notion de peines qui ne doivent pas être disproportionnées et excessives, et le cinq ans n'est pas un critère à ce niveau-là. Le cinq ans est un critère, éventuellement, au niveau des procès par jury, mais le critère qui est là, c'est une infraction elle-même et non pas l'ensemble des infractions, là, à consécutivité. Les infractions, voilà ce qui est protégé dans la Charte canadienne des droits, M. le Président.

On sait d'ailleurs déjà qu'aujourd'hui, au niveau du Code criminel canadien, vous pouvez avoir des procès sans jury pour des infractions, disons, de deux ans de prison et, si vous êtes coupable de 20, le juge peut imposer des peines consécutives. On sait que ça existe déjà au Québec, dans notre code pénal, parce que, vous êtes déjà en détention, vous êtes accusé à une peine, le juge peut vous condamner consécutivement. On sait aussi que ça existe très clairement en Ontario. Alors, tout ce qu'on fait, c'est restaurer, M. le Président, une disposition très importante pour nos lois au Québec, particulièrement les lois de valeurs mobilières, on est dans le cadre d'une loi de valeurs mobilières, et qui nous semble très importante pour protéger, hein, les citoyens et s'assurer que les gens qui posent... les délinquants qui posent des geste sachent qu'il y a des conséquences à leurs gestes et que, oui, dans certaines circonstances, faisons confiance aux juges, leur pouvoir est balisé par la Charte des droits, leur pouvoir est balisé par les tribunaux d'appel, mais que, dans certaines circonstances, dépendant de la gravité des actes, dépendant de l'ensemble des circonstances, le juge pourrait décider d'imposer des peines consécutives pour le nombre d'années qu'il voudra dans sa discrétion judiciaire. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Paquet): Merci, M. le ministre. M. le député de Nicolet-Yamaska et porte-parole de l'opposition officielle.

M. Aussant: Merci, M. le Président. Bien, tout d'abord, je voudrais encore une fois remercier tous les experts qui sont venus nous parler ce soir. On est très heureux d'avoir insisté pour avoir la présence de ces experts-là parce que je pense qu'ils ont vraiment démontré de façon assez éloquente que c'est un débat très complexe. Il n'y avait pas unanimité parmi les experts sur les effets ou les moyens d'arriver à l'objectif qui était d'avoir le meilleur système légal, finalement. Et, que ce soit très clair aussi, on est tout à fait d'accord avec des peines graves pour des crimes graves, ça, il n'y a pas de doute là-dessus. On est d'accord aussi avec la consécutivité des peines. Pour arriver au meilleur système, là-dessus, par contre, est-ce que le meilleur véhicule est à la Commission des finances publiques sans avoir une seule seconde la présence de la ministre de la Justice? Je ne sais pas parce que c'est quand même un pan entier de la procédure pénale qu'on change, mais, suite à tout ce qu'on a entendu des experts — il y a eu même des suggestions d'amendements; il y a eu aussi des commentaires qui étaient plutôt contradictoires selon ce que, moi, j'ai compris, ce n'était pas unanime dans tous les aspects — est-ce que le ministre considère que l'article devrait rester tel quel? C'est une question que je lui lance. Est-ce que ce qu'on a entendu, finalement, est, je ne voudrais pas dire inutile, mais est-ce que l'article reste identique dans l'esprit du ministre suite à tout ce qu'on a entendu des experts?

Le Président (M. Paquet): M. le ministre.

•(21 h 50)•

M. Bachand (Outremont): Non, ça n'a pas été inutile. Je remercie l'opposition, d'ailleurs, d'avoir suggéré qu'on entende des témoins. C'était une bonne... comme travail de législateur, globalement, parce que c'est un article qui est important suite à un jugement de la Cour d'appel. Je pense que ça a été un bon travail de législateur d'entendre ces experts et ces témoins. Donc, c'est pour ça qu'on a consenti, mais c'était une bonne suggestion.

Oui, M. le Président — on ne peut pas s'adresser directement... qu'on n'apporterait pas d'amendement à cet article à ce moment-ci parce que les deux possibilités évoquées, là: pour certains, c'était de les mettre tout simplement dans les lois de valeurs mobilières et non pas dans le Code pénal, mais que ce serait le ministère de la Justice... Je considère que ce serait une erreur de faire ça parce qu'au fond les mêmes principes... et Me Hébert l'a bien dit d'ailleurs, même lui, en disant il y a des causes d'environnement, il y a des causes comme ça, donc c'est un principe global de droit pénal.

Et, quant aux cinq ans, qui serait l'autre amendement d'ailleurs évoqué, potentiel, possible, il a des effets pervers lui aussi parce qu'il pourrait, au fond, dans certains cas, étant donné la proportionnalité des peines comme les infractions qui permettent des... ça viendrait limiter, au fond, potentiellement quelle que soit la fréquence, la répétition de vos infractions. Vous savez que jamais un juge ne pourrait vous condamner en matière pénale pour plus que cinq ans moins un jour. Et il nous semble plus sage à ce stade-ci — pouvoir qui n'est pas utilisé très souvent, hein, qui va être utilisé une fois par circonstance exceptionnelle — de laisser, là, ce pouvoir-là aux juges dans nos cours. Ça, c'est l'opinion aussi de mes collègues.

Donc, pour l'instant, M. le Président, compte tenu, au fond, là, de la compétence, de la discrétion des juges et, ce qu'on a entendu de la plupart, ce n'est pas unanime, mais de la confiance sur la discrétion des juges, qui ont des balises, qui n'est pas illimitée — les cours d'appel d'ailleurs en sont une, les chartes des droits en sont une autre — alors, on pense qu'il est plus sage de rester avec l'article tel que rédigé, M. le Président.

Le Président (M. Paquet): M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Aussant: Alors, comme je le disais, on est d'accord avec le fait d'avoir une AMF très forte et bien équipée puis une réglementation sévère pour des crimes sévères. Si, par ailleurs, il y avait des conséquences à cet article-là, tel que rédigé, comme l'ont mentionné certains des experts, s'il y avait des conséquences, j'imagine que le ministre serait prêt à vivre avec. Donc, c'était l'essentiel de mon commentaire.

Le Président (M. Paquet): Merci. M. le député de Rousseau, vous vouliez intervenir ou...

M. Marceau: ...

Le Président (M. Paquet): Oui. Allez-y.

M. Marceau: Écoutez, bien, ça va être très court, là. Bien, écoutez, moi, tout à l'heure je suis conscient d'avoir entendu des experts, j'ai trouvé que c'était éclairant, bien qu'il n'y ait pas eu d'unanimité, et donc, même si je suis éclairé un peu plus, je ne suis quand même pas convaincu de tout.

Comme mon collègue vient de le dire, évidemment, je suis et nous sommes absolument désireux que les règles de... que les lois que l'Autorité des marchés financiers soient construites de manière telle qu'on puisse être extrêmement rigoureux avec les individus qui ont des intentions malveillantes. Et donc, en tout cas, je veux que ce soit très clair, là, nous sommes absolument convaincus qu'il faut avoir des sanctions plus sévères pour les fraudeurs à cravate.

Maintenant, quant aux... il y avait un certain nombre de questions qui étaient en suspens. Pour moi, tout n'est pas clair, là. Je vais juste passer au travers de ce que j'ai sur mon bout de papier. Il y avait la question de l'inclusion de peines consécutives dans des lois sectorielles plutôt que dans le Code pénal. Là, là-dessus, j'ai été... il y avait unanimité effectivement parmi les experts, et donc je me range derrière ce consensus. Le fait que les peines soient consécutives, ça semble bien accepté aussi.

Par contre, là, où je crois que nous ne serons pas d'accord, c'est que, moi, je comprends de l'inclusion de peines consécutives que dorénavant les juges pourront imposer des peines plus sévères. En tout cas, certainement, Me Hébert a été très clair là-dessus. Dans sa tête à lui, en tout cas, avoir des peines consécutives, ça veut dire des peines plus sévères. Encore une fois, pour ce qui est des crimes de nature économique, là, ceux dont on parlait plus tôt, c'est-à-dire donc, par exemple, le cas de Vincent Lacroix, ça ne pose pas de problème, mais, dans le cas d'autres types d'infractions, encore une fois, moi, je ne sens pas qu'il y a de consensus au Québec, hein, qu'on doive, par exemple, emprisonner pendant de longues périodes de temps des gens qui ont violé des réglementations environnementales. Je ne sens pas ça. Peut-être que ça existe, mais je ne le sens pas. Et je le sens, par exemple, pour ce qui est des crimes de nature économique, ça, je suis prêt à en convenir. Et le fait qu'on ait à modifier le Code pénal fait en sorte que, dans le fond, on doit nécessairement, ça, hein, élargir la palette des sanctions disponibles pour tous les types de crimes.

Je comprends qu'on s'en remet aux juges, qu'on a confiance que nos juges prendront de bonnes décisions et donc je suis prêt à vivre avec ça, mais j'aurais aimé être plus éclairé là-dessus. Parce que, bon, j'imagine, là, qu'il y a toute une jurisprudence, puis aussi il y a toute une doctrine sur ces questions-là. Je crois que les législateurs ont mis des bornes minimales puis des bornes maximales aux sanctions parce que justement elles avaient un effet puis tenant compte du fait qu'il y a un lien entre les bornes et ce que le juge va faire ultimement. Donc, j'imagine qu'il y a de la doctrine là-dessus. On n'a pas été éclairés là-dessus. J'aurais bien aimé effectivement entendre la ministre de la Justice là-dessus.

Bon. Mais, encore une fois, comme mon collègue, je m'arrête là, me disant que le ministre des Finances est prêt à vivre avec la suite des choses, si suite des choses il y a, mais encore une fois, nous sommes... je suis d'accord avec l'idée de sanctionner plus sévèrement les fraudeurs en cravate. Voilà.

Le Président (M. Paquet): Merci. M. le député de Shefford.

M. Bonnardel: Oui. Merci, M. le Président. En commençant, c'est certain que je veux remercier le ministre de nous avoir permis d'avoir un éclairage un petit peu plus profond sur l'article 43, dans le sens même de ce projet de loi, dans cet article. On est tous conscients aujourd'hui que les criminels à cravate... de donner plus de pouvoir à l'AMF, c'est important. Tout le monde qui nous écoute se pose la question en se disant: Pourquoi ce n'est pas arrivé avant? Aujourd'hui, on en est là.

Maintenant, il faut remercier premièrement que les témoins experts aient répondu si positivement et rapidement à notre demande de venir témoigner, de nous éclairer. Vous l'avez dit tantôt, M. le ministre, il n'y a pas eu consensus après un débat de 3 h 30 min, quatre heures. Me Hébert a dit: Bon, ça prendrait peut-être un débat plus large. Me Boisvert a dit: Il fallait peut-être en entendre pas mal plus.

Aujourd'hui, dans cet article de loi donc, on met les infractions réglementaires avec les infractions criminelles dans le même panier. Est-ce que, comme législateur, je suis satisfait aujourd'hui du travail que j'ai fait ou que j'aurais pu faire dans un processus plus long? Je pense que non. Comprenez-moi bien, l'article, le sens même de la loi, notre formation politique est pour tout ça, mais, avec tout le respect que je vous dois, M. le ministre, je pense que mes collègues l'ont bien dit aussi, vous êtes conscient qu'on est dans une commission des finances publiques, on avait un article très important qui est lié à la justice, qui est lié au Code criminel et qu'aujourd'hui on en a débattu dans un processus de trois, quatre heures, qui est sain, qui était correct, mais vous comprendrez que, comme je l'ai dit, avec tout le respect que je vous dois, je pense que la ministre de la Justice aurait dû être présente avec nous pour peut-être nous éclairer encore plus longuement.

On est à la fin d'une session où je comprends aussi la rapidité avec laquelle votre formation politique, le gouvernement veut adopter tout ça. Tous conscients de ça. Mais vous comprendrez qu'on reste quand même... je reste quand même sur mon appétit quand je regarde ce que certaines personnes... Oui, constitutionnellement, je pense que la preuve a quand même été faite qu'on n'a peut-être pas à s'inquiéter, mais, pour ce qui est du reste, de donner toutes les balises, toute la légitimité aux juges de dire: Est-ce que notre loi aujourd'hui est bonne ou n'est pas bonne?, cet article... Est-ce qu'il y aura abus de procédure dans un jugement dans un an, dans deux ans? Comme vous le dites, on reviendra. Mais «on reviendra»... quand on change quelque chose qui a été adopté avec consensus, comme Me Hébert l'a dit, en 1987, je reste perplexe face à tout ça.

Maintenant, comprenez-moi bien encore une fois, le sens même de la loi... On est conscients aujourd'hui... Les gens nous écoutent, ils se disent: Il faut que ça se fasse, puis on est conscients que l'AMF... lui donner plus de jus pour être capable de donner des peines de trois fois un an ou deux fois deux ans à quelqu'un qui va frauder des honnêtes citoyens, c'est correct de le faire. Maintenant, vous comprendrez que je pense qu'on était dans un consensus puis dans un «mood» qui était peut-être trop rapide pour en arriver à être bien éclairés, dans mon rôle en tout cas de législateur, puis je pense que mes collègues l'ont bien dit là-dessus aussi.

On va faire avancer le projet de loi, M. le ministre, face à ça. Notre formation politique est d'accord de faire avancer ce projet, mais on émet des bémols quand même assez forts sur le fait que je considère qu'on est allés très rapidement sur cet article de loi, qui va peut-être un jour nous amener à se revoir plus rapidement qu'on peut l'imaginer, peut-être pas dans cette Commission des finances publiques, mais dans celle des institutions, qui aurait eu droit de regard minimal, avec la ministre concernée, de peut-être, peut-être prendre connaissance, conscience des répercussions que cet article de loi va avoir sur les infractions réglementaires autant que criminelles dans les prochains jugements ou les prochaines années, surtout qu'on n'a pas encore le jugement de la Cour suprême face à l'arrêt AMF-Lacroix, qui va peut-être prendre encore deux, trois ans. Est-ce qu'on aurait pu laisser la loi comme ça ou seulement légiférer pour l'Autorité des marchés financiers, l'AMF? Maintenant on considère que non, c'est ce que vous avez amené sur la table. Alors, on va faire avancer le projet de loi, mais on émet des bémols profonds, M. le ministre, face à cet article. Merci.

•(22 heures)•

Le Président (M. Paquet): M. le ministre, quelque chose à ajouter? Non? Mme la députée de Pontiac.

Mme L'Écuyer: D'abord, je me joins à mes collègues puis, au nom de nos collègues, moi, je suis arrivée seulement que ce soir, mais j'apprécie d'avoir pu entendre ces gens-là. J'avais lu l'article, ça m'a permis de clarifier ma perception de ce que c'était. C'est vrai que peut-être qu'éventuellement il faudrait avoir des discussions sur le code pénal, sauf que ça, c'est un article sectoriel qui répond à un besoin, qu'on doit faire le plus tôt possible parce que les gens attendent après ça. Et, moi, je pense que, si les gens sont prêts, on est prêts à aller au vote sur cet article.

Le Président (M. Paquet): Merci. Est-ce qu'il y a d'autres interventions? M. le ministre, vous voulez ajouter quelque chose? Ça va. M. le ministre.

M. Bachand (Outremont): ...remercier l'opposition de leur collaboration, M. le Président.

Le Président (M. Paquet): D'accord. Alors, je mettrais aux voix... je mets aux voix maintenant l'article 43 concernant les peines consécutives. Est-ce que l'article 43 du projet de loi est adopté?

Des voix: Adopté.

Autres dispositions et dispositions finales

Le Président (M. Paquet): Adopté. Alors, nous procédons maintenant au dernier regroupement, donc dernier sujet relatif au projet de loi concernant les autres dispositions et dispositions finales. Alors, peut-être, M. le ministre, il y a certains éléments que vous voulez mettre en exergue dans ce thème?

M. Bachand (Outremont): Merci, M. le Président. C'est la 11e et dernière partie, 11e chapitre, les dispositions finales. On parle des articles 28, 46, 59, 170, 172 et 173.

L'article 28, M. le Président, est un article qui prévoit que nos articles 285 et suivants concernant le traitement des plaintes ne s'appliquent pas à un assureur qui ne fait que de la réassurance.

L'article 46 est un article de concordance, M. le Président.

L'article 59, M. le Président, vise à prévoir que les règlements pris en vertu de l'article 143 relativement à la forme des avis à fournir à l'égard de la distribution sans représentant sont approuvés par le ministre et non pas par le gouvernement. À titre indicatif, en ce qui concerne un représentant ou un cabinet, les pouvoirs réglementaires concernant la forme des avis à fournir, en vertu des articles 22 et 209 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, ne font pas partie des règlements à être approuvés par le gouvernement. Et c'est aussi un article de concordance. Et il y a un papillon, M. le Président, qui est déposé, changeant un numéro au niveau de cet article. L'article...

Il y a un nouveau papillon aussi avant l'article 170, M. le Président, un papillon à l'article 171 pour insérer, avant l'article 172... Ce sont des modifications. C'est un article qui est assez long, qui vise à établir des règles transitoires pour tenir compte des pouvoirs attribués par le projet de loi au Bureau de décision et de révision et pour établir le cadre législatif applicable aux dossiers en cours. On sait qu'on a transféré des dossiers de l'autorité au bureau de transition. Et il y a toujours des défis de dispositions transitoires dans ces cas-là. Alors, cet amendement vise à prévoir ces dispositions transitoires, M. le Président.

L'article 170 vise à supprimer d'une des dispositions transitoires celle de l'article 130 de la loi, les plaintes, qui seront alors continuées en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières.

L'article 172, M. le Président, c'est une modification de concordance. Il y a un papillon déposé à 172, 172.1, qui est aussi un papillon, donc qui est aussi une modification de concordance, M. le Président.

Et, à l'article 173, ça prévoit que le projet de loi va entrer en vigueur le jour de la sanction, de sa sanction, sauf pour un certain nombre d'articles, M. le Président, qui sont précisés, là: 90, 91, 98, 109, etc. Ceux qui concernent les agences de notation, ceux qui concernent le Conseil canadien de reddition de comptes et ceux qui concernent les personnes agréées en vertu de la Loi sur les instruments dérivés, eux, entreront en vigueur par décret, là, aux dates fixées par le gouvernement.

Et, M. le Président, il y a aussi un papillon à cet article 173 qui — ça change beaucoup de numéro, M. le Président — qui vise à prévoir... c'est toujours évidemment sur les entrées en vigueur, au niveau du courtage immobilier, celles-là, M. le Président, donc ça... qui rentreront en vigueur aux dates fixées par le gouvernement aussi, M. le Président. Est-ce qu'il y a d'autres papillons, M. le sous-ministre?

Une voix: ...papillon, c'est un intitulé.

M. Bachand (Outremont): Alors, il y a un papillon sur un intitulé, M. le Président, dans les dispositions finales. C'est un papillon donc qui change le titre de cette section.

Le Président (M. Paquet): Merci. Y a-t-il des interventions sur ce sujet? Alors, s'il n'y en a pas, donc je mettrais aux voix les différents articles et amendements proposés?

D'abord, est-ce que l'amendement proposé à l'article 59 du projet de loi est adopté?

Des voix: Adopté.

Le Président (M. Paquet): Adopté. Est-ce que 59, tel qu'amendé, est adopté?

Des voix: Adopté.

Le Président (M. Paquet): Adopté. Est-ce que la proposition d'amendement d'ajouter l'article 172.1 est adopté?

Des voix: Adopté.

Le Président (M. Paquet): Adopté. Est-ce que 172.1, tel qu'ajouté, est adopté?

Des voix: Adopté.

Le Président (M. Paquet): Adopté. Est-ce que l'amendement à l'article 173 du projet de loi est adopté?

Des voix: Adopté.

Le Président (M. Paquet): Adopté. Est-ce que 173, tel qu'amendé, est adopté?

Des voix: Adopté.

Le Président (M. Paquet): Adopté. Est-ce que la proposition d'ajouter les articles — c'est une proposition d'amendement — 171.1, 171.2, 171.3 et 171.4 est adopté?

Des voix: Adopté.

Le Président (M. Paquet): Est-ce que les articles 171.1, 171.2, 171.3 et 171.4, tel qu'ajoutés, sont adoptés?

Des voix: Adopté.

Le Président (M. Paquet): Adopté. Est-ce que maintenant les articles 28, 46, 170 et 172 sont adoptés?

Des voix: Adopté.

Le Président (M. Paquet): Adopté. Est-ce que l'amendement à l'intitulé Dispositions finales est adopté?

Des voix: Adopté.

Le Président (M. Paquet): Adopté. Je mets maintenant aux voix le titre du projet de loi, soit Loi modifiant diverses dispositions législatives afin principalement de resserrer l'encadrement du secteur financier. Est-ce que le titre du projet de loi n° 74 est adopté?

Des voix: Adopté.

Le Président (M. Paquet): Adopté. Je reçois une motion de renumérotation. Est-ce que cette motion est adoptée?

M. Bachand (Outremont): Bien sûr, M. le Président.

Des voix: Adopté.

Le Président (M. Paquet): Adopté. Merci. Y a-t-il des remarques finales? M. le député de Shefford?

M. Bonnardel: Non, merci, M. le Président. Je pense que j'ai tout dit tantôt.

Le Président (M. Paquet): Merci. M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Aussant: Bonne nuit, M. le Président.

Le Président (M. Paquet): Merci. Donc, je le reçois au nom de tous les membres de la commission. M. le ministre des Finances.

M. Bachand (Outremont): Moi, je vais aller travailler sur mes autres dossiers, M. le Président. Bonne nuit à tous aussi.

Le Président (M. Paquet): Alors, sur ces bons mots de l'ensemble des membres, je remercie l'ensemble des membres de la commission ainsi que les gens, les gens du ministère des Finances, bien sûr, et de l'Autorité des marchés financiers, M. St-Gelais et les gens de votre équipe. Merci de votre participation à nos travaux. Merci au secrétariat de la commission, les gens qui s'occupent aussi de la diffusion des travaux et les pages qui nous accompagnent.

Ayant accompli son mandat, la Commission des finances publiques ajourne ses travaux au mercredi 2 décembre, après les affaires courantes, où elle entreprendra l'étude détaillée du projet de loi d'intérêt privé n° 214. Merci.

(Fin de la séance à 22 h 7)

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