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Version finale

36e législature, 2e session
(22 mars 2001 au 12 mars 2003)

Le mercredi 18 septembre 2002 - Vol. 37 N° 84

Consultation générale sur le document intitulé Responsabilité sociale des entreprises et investissement responsable


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures trente-deux minutes)

Le Président (M. Paré): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission des finances publiques est réunie afin de poursuivre les auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur la responsabilité sociale des entreprises et l'investissement responsable.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire: Non, M. le Président.

Le Président (M. Paré): Aujourd'hui, nous avons à l'ordre du jour, à 9 h 30, la Chaire Économie et Humanisme ? les gens sont déjà là, bienvenue; à 10 h 30, nous aurons la Confédération des syndicats nationaux; à 11 h 30, M. Michel Dion; 12 h 30, suspension jusqu'à 15 heures; 15 heures, la Fédération des associations étudiantes du campus de l'Université de Montréal; à 16 heures, le Conseil du patronat du Québec; à 17 heures, Amnistie internationale; et ajournement à 18 heures.

Auditions (suite)

Merci et bienvenue à M. Lapointe, bienvenue, Mme Turcotte, à cette commission. Vous aurez 20 minutes, c'est bien ça, pour présenter votre mémoire et 40 minutes d'échange avec les parlementaires. Bienvenue. Allez-y.

Chaire Économie et Humanisme

M. Lapointe (Alain): M. le Président, je vous remercie. MM. Mmes les commissaires, bonjour et merci à vous de nous accueillir pour entendre le mémoire de la Chaire Économie et Humanisme. Permettez-moi d'abord, avant de commencer vraiment, de vous dire un petit mot de la Chaire Économie et Humanisme parce que, contrairement à la majorité des organismes qui viennent présenter un mémoire devant vous, probablement que vous n'avez jamais entendu parler de la Chaire Économie et Humanisme, et pour cause, parce que c'est une nouvelle création à l'Université du Québec à Montréal.

C'est un groupe de chercheurs, de professeurs, d'étudiants et aussi de praticiens de la gestion qui s'intéressent de façon particulière à la place et au rôle de l'entreprise dans la société et sur ses implications pour les gestionnaires. Et «implications pour les gestionnaires» est important pour nous dans la mesure où la Chaire Économie et Humanisme est ancrée, participe à l'École des sciences de la gestion de l'Université du Québec à Montréal. C'est donc une perspective de questionnement sur les problématiques de la Chaire qui appartient à une école des sciences de la gestion.

Ça a été créé officiellement en l'an 2000 mais le démarrage officiel des activités de la Chaire est de l'an 2002, et donc c'est tout, tout, tout récent, nos activités. C'est essentiellement, la Chaire, un lieu privilégié, ou elle veut devenir un lieu privilégié, d'échange et de réflexion sur les questions d'éthique de l'entreprise, sur les questions de responsabilité sociale de l'entreprise, sur les questions de régulation dans l'économie, de régulation économique. On a déjà, à ce jour, même si la Chaire est encore récente, organisé un certain nombre d'activités, d'événements, dont un colloque international sur le développement durable. Il y a la semaine prochaine un colloque international sur le commerce équitable. On a une série de séminaires, programmés sur l'année, qui se préoccupent précisément de la question de la responsabilité sociale de l'entreprise et de l'éthique sous divers angles, avec des thématiques spéciales chaque semaine.

Donc, il va sans dire que la mission, les préoccupations de la Chaire Économie et Humanisme nous amenaient à faire un effort spécial, même si on est en démarrage, pour venir vous voir ce matin. De façon plus précise, la mission spécifique de la Chaire, c'est de contribuer, par le développement et la diffusion de connaissances, aussi par la recherche fondamentale et la recherche appliquée et finalement par la formation de gestionnaires en exercice et en devenir, à la création d'une économie plus humaine, d'une économie qui vise le développement durable.

Donc, à la fois sur le plan de la recherche, de la formation, de la sensibilisation, on a un mandat à cet égard et c'est donc pour ça qu'on est ici ce matin. Ce qui explique un petit peu le contexte de notre présentation, dans la mesure où ce qu'on veut vous apporter ce matin, ce n'est pas tant un point de vue partisan ou le point de vue d'un groupe de pression ou d'un groupe d'intérêt ? ce qui n'est pas notre cas, on est une chaire de recherche, ce qui ne veut pas dire qu'on est neutre, ça n'existe pas la neutralité, je pense, dans ce domaine ? mais ce qu'on espère apporter de particulier, c'est de mettre en perspective le débat sur la responsabilité sociale de l'entreprise et de l'investissement socialement responsable, à la lumière de la littérature et de la recherche qui existe dans ce domaine-là et qui, nous pensons, peut contribuer à éclairer le débat qui est en train de s'installer.

Alors, rapide plan de présentation de notre déposition. Dans un premier temps, je vous suggérerai quels sont... j'essaierai de faire ressortir les idées principales qui sous-tendent notre mémoire, qui seront affirmées, dans un premier temps, de façon un peu lapidaire mais qui devraient s'expliquer ou se justifier au fur et à mesure, pour passer ensuite à une période de petite réflexion critique sur le concept même et sur la définition de responsabilité sociale de l'entreprise telle qu'on la retrouve dans le document de consultation que la commission a publié.

Je passerai ensuite la parole à ma collègue Marie-France Turcotte, qui est professeure à l'École des sciences de la gestion, qui est chercheure attachée à la Chaire Économie et Humanisme et qui se préoccupe tout particulièrement de questions d'investissement socialement responsable et qui donc s'occupera après ça de la partie sur l'investissement responsable, sur les pistes d'arrimage qu'on croit voir entre l'investissement responsable... comment les codes d'éthique, en fait, peuvent être une piste d'arrimage de la responsabilité sociale et de l'investissement responsable. Pour conclure sur le rôle du gouvernement à cet égard.

Alors, dans un premier temps, trois positions principales qu'on voudrait dégager et établir. D'une part, à notre avis, la responsabilité sociale de l'entreprise n'est pas et ne peut pas être une simple mesure volontaire. Ça ne peut pas se limiter à ça, à notre avis. On verra par la suite pourquoi on dit ça.

Deuxièmement, l'investissement responsable s'inscrit bien sûr de façon générale dans la mouvance d'une demande éthique qui est en émergence dans notre société, mais il y a plus que ça dans l'investissement responsable. Il y a aussi, croyons-nous voir, une nouvelle modalité de l'action collective. C'est-à-dire que des acteurs sociaux expriment des revendications et essaient d'atteindre leurs objectifs non plus en passant par l'acteur principal que serait le gouvernement ou en passant par le lieu sociopolitique lui-même, mais en investissant le domaine économique et en poursuivant, à travers l'économie, l'atteinte de leurs objectifs: investissement responsable, commerce équitable, économie sociale. Tout ça, c'est des nouvelles façons pour les acteurs sociaux d'atteindre des objectif sociaux mais à travers l'économie.

Et, finalement, troisième affirmation principale, l'action du gouvernement à cet égard nous apparaît non seulement souhaitable, mais également absolument essentielle, autant sur le plan des pouvoirs régulateurs que sur celui de son rôle moteur à titre d'agent économique.

Donc, première section, c'est quelques petites réflexions préliminaires sur le concept de la définition de responsabilité sociale. À cet égard, il nous apparaît que le document de consultation est tout à fait juste lorsqu'il pose dès le départ, d'entrée de jeu dans le document, la nécessité de s'entendre dès le départ sur une définition, un compréhension commune, partagée du concept de responsabilité sociale de l'entreprise. Mais le problème, à notre avis, c'est qu'une fois que le document a dit ça, on s'entend un petit peu trop rapidement, à notre avis, sur des définitions, dont celle du Conference Board, dont celle de la Commission des communautés européennes, qui nous paraissent insatisfaisantes, qui nous paraissent insatisfaisantes et même potentiellement source de dérapage dans la discussion sur la responsabilité sociale, et ça, non pas tant parce qu'elles fausses, mais parce qu'elles sont plutôt incomplètes et peuvent être source d'ambiguïté.

n (9 h 40) n

Trois exemples. D'une part, la définition du Conference Board, par exemple, met tous les intervenants sur le même pied, dans sa définition où la responsabilité sociale est l'ensemble des relations que l'entreprise entretient avec tout le monde. Et ça nous paraît un petit peu dangereux, de mettre tout le monde sur le même pied comme ça, dans le mesure où on confond, en faisant ça, des relations qui sont strictement économiques entre l'entreprise et, par exemple, ses fournisseurs et l'entreprise et la communauté. Ça ne nous semble pas du tout du même ordre. Et là on confond deux niveaux de logique. Est-ce que la relation entre l'entreprise et ses fournisseurs relève de la responsabilité sociale de la même façon que la relation entre l'entreprise et les communautés ou avec l'environnement relève de la responsabilité sociale? On pense que non. De telle sorte qu'il faudrait, croyons-nous, clarifier dès le départ un petit peu mieux ce qu'on entend par responsabilité sociale de l'entreprise, au-delà de la définition qui nous est proposée.

Deuxièmement, un peu dans le même ordre d'idées et autant que la définition du Conference Board met tous les intervenants sur le même pied, elle présente aussi, à notre avis, la difficulté de considérer l'entreprise elle-même comme un acteur social comme tous les autres. Il y a l'entreprise, il y a les employés, il y a les actionnaires, il y a beaucoup d'autre monde, là, et c'est comme si l'entreprise n'avait pas de caractéristiques spéciales par rapport aux autres agents sociaux avec qui elle entretient tous ces liens-là. Or, à notre avis, c'est dangereux de faire ça si ça nous permet de cacher ou, en tout cas, si ça nous évite de reconnaître que l'entreprise, oui, est un agent social mais elle a aussi un rôle structurant dans les relations entre les différents agents sociaux.

Les actionnaires, l'entreprise et les employés, ce n'est pas trois agents sociaux de même nature. On peut voir facilement que l'entreprise structure les rapports entre les actionnaires et les salariés, par exemple; que la formalisation juridique de l'entreprise fait en sorte qu'elle exerce une espèce de fonction d'arbitrage entre les intérêts des actionnaires et des salariés, par exemple. Elle a un rôle qui est plus que celui d'un simple agent comme les autres le sont. Elle définit, elle structure, elle influence les relations entre les autres agents. Et je pense que, si on veut parler de responsabilité sociale de l'entreprise, il faut reconnaître comme il faut ce rôle-là à l'entreprise dès le départ. Ce n'est pas un simple agent social comme les autres.

Troisièmement ? et ce sera ma dernière petite remarque sur le concept et la définition de responsabilité sociale ? la définition du Conference Board nous paraît aussi risquée, dans la mesure où elle se contente de définir la responsabilité sociale comme étant l'ensemble des relations que l'entreprise entretient avec toutes les parties prenantes qui sont énumérées dans la définition du Conference Board. C'est un état de fait qu'on constate, là. La responsabilité sociale n'est pas: consiste dans le respect des droits de ? des autres parties prenantes ? ou réside dans la réponse aux attentes des autres. Non, la définition dit que la responsabilité sociale est l'ensemble des relations que l'entreprise entretient avec le reste de ces parties prenantes là. Et ça, ça nous paraît dangereux parce que ça peut mener à une espèce de légitimation du statu quo. C'est comme dire: C'est ça, c'est un état de fait, hein, ce n'est pas quelque chose qu'on doit développer, vers quoi on doit tendre, mais c'est un état de fait. Et puis c'est dangereux particulièrement si on comprend ça en lien avec ce qui semble émerger un petit peu de l'ensemble du document de consultation et ce qui est reconnu explicitement, en tout cas, dans la définition de la Commission des communautés européennes, à l'effet que la responsabilité sociale, c'est essentiellement quelque chose de volontaire, c'est essentiellement une mesure libre de la part des entreprises.

Puis ça, ça nous gêne beaucoup parce que, si la responsabilité sociale, c'est uniquement du volontariat, bien, ça, ça veut dire qu'une entreprise qui génère des impacts sociaux, des impacts environnementaux négatifs mais qui, en faisant ça, fait un petit peu plus que ce qui est attendu d'elle dans le cadre réglementaire ou le cadre légal ? qui pourrait être relativement laxiste d'ailleurs ? bien, une entreprise comme ça serait plus socialement responsable qu'une autre entreprise qui, elle, respecte tout juste les contraintes réglementaires mais des contraintes réglementaires qui seraient plus sévères. On a là l'espèce de paradoxe de: Celle qui fait un petit peu plus que ce qui est demandé, mais il y a quasiment rien qui est demandé, est plus socialement responsable que celle qui fait beaucoup mais qui le fait parce qu'elle est contrainte à le faire. Ça nous apparaît montrer que passer la responsabilité sociale comme étant strictement le pôle volontariat, c'est un peu incohérent. Volontariat, mesure volontaire et cadre réglementaire sont comme les deux pôles d'une même équation. C'est quand ils sont mis en rapport ensemble qu'on peut commencer à penser à plus ou moins de responsabilité sociale. Sinon, à notre avis, ça ne veut à peu près rien dire.

Les mesures volontaires, le volontariat et la réglementation au sens large ? ça pourrait aussi être des codes de conduite, tu sais, là, qui ne sont pas exactement de la réglementation mais qui s'y apparentent ? nous semblent être deux modes de régulation qui ne sont pas substituts l'un à l'autre mais qui sont complémentaires et qu'il faut penser ensemble. Alors, voilà.

Le Président (M. Paré): Mme Turcotte.

Mme Turcotte (Marie-France): Oui. Je vais donc parler particulièrement du cas de l'investissement socialement responsable, qui d'ailleurs représente à plusieurs égards une tentative d'application concrète de la responsabilité sociale des entreprises.

L'offre des fonds sociaux et environnementaux, particulièrement au Canada, est peut-être un phénomène récent mais ce n'est pas partout un phénomène récent. On peut remonter, là, si on cherche les origines, au XVIIIe siècle, aux États-Unis, avec les Quakers qui refusaient d'investir autant dans le marché de l'esclavage que dans l'alcool.

Aux États-Unis, le mouvement s'est intensifié à l'époque de la guerre du Viêt-nam, porté par le mouvement pacifiste, et puis il a aussi été très fort au moment de l'Apartheid. Certains avaient prédit qu'il mourrait après l'abolition de l'Apartheid, mais non, au contraire, ça a continué d'accroître et ça a été porté par différents autres mouvements.

Au Canada, c'est vers les années quatre-vingt-dix qu'on voit certains spécialistes offrir des fonds dits éthiques ou environnementaux ou encore certaines institutions financières, souvent d'origine coopératives, le faire. Et puis tout récemment, au début des années 2000, on a vu le mouvement s'accélérer, et puis là on a vu beaucoup de fonds, l'offre s'accroître et des institutions financières, disons, plus traditionnelles augmenter leur gamme de produits en offrant justement des fonds éthiques ou environnementaux.

Si vous prenez n'importe quel pamphlet de fonds d'investissement éthiques ou environnementaux, vous allez lire qu'on va réconcilier les objectifs de performance financière et les objectifs sociaux. Cela est donc fondé sur ce qu'on peut appeler la thèse du double dividende. Évidemment, plusieurs vont présenter des contre-arguments à cette thèse du double dividende, on va dire qu'il y a des coûts supplémentaires pour l'entreprise qui internaliserait certaines externalités, qui prendrait mieux soin de l'environnement, qui aurait des rapports plus... qui donnerait plus à ses employés ou quelque chose comme ça. On va aussi dire que, d'un point de vue financier, c'est risqué; en fait, on augmente le risque du fait qu'on réduit l'univers d'investissement en éliminant un certain nombre d'entreprises qui ne respecteraient pas des critères sociaux ou environnementaux.

Par contre, il y a aussi des arguments qui appuient l'hypothèse du double dividende. On va dire que c'est un indice de saine gestion, que les gestionnaires qui savent gérer les relations avec les différentes parties prenantes de la société savent aussi bien gérer leur entreprise et donc faire des profits. Et on va dire aussi que les externalités constituent en fait une dette latente, et donc la performance à long terme de l'entreprise va être favorisée par une bonne prise en compte de ces éléments-là.

En fait, l'hypothèse du double dividende a été avancée par plusieurs théoriciens de la responsabilité sociale des entreprises. Toutefois, sa vérification empirique n'est pas pleinement concluante. En fait, on va trouver dans la littérature certaines études qui vont montrer une corrélation négative entre la responsabilité sociale des entreprises et la performance financière, on va trouver un nombre un peu plus grand d'études qui vont montrer une corrélation positive entre la responsabilité sociale d'entreprise et la performance financière et puis, en fait, aussi un bon bassin d'études qui vont montrer que la corrélation n'est pas significative. Donc, en fait, il n'y a pas de consensus, là, là-dessus.

Dans nos propres travaux sur la performance financière des fonds d'investissement sociaux et environnementaux, nous avons observé que lorsqu'on prend en compte le risque financier, c'est-à-dire qu'on compare des fonds d'investissement de même risque, en fait, il n'y a pas de prime de performance pour les fonds d'investissement dits éthiques ou sociaux ou environnementaux, mais il n'y a pas non plus de performance moindre. Donc, il n'y a pas, là, de risque accru pour les investisseurs à ce niveau-là.

n (9 h 50) n

L'investissement socialement responsable pose le problème de l'évaluation de la responsabilité sociale de l'entreprise. Et donc, si on s'interroge sur comment les gestionnaires de fonds d'investissement socialement responsable s'y prennent pour sélectionner des entreprises à inclure dans les portefeuilles, en fait, on se rend compte que les critères varient d'un fonds à l'autre.

Puis on peut distinguer deux grands types d'approche. La première, on peut la qualifier de sectorielle et se comprend, en fait, très facilement et rapidement à la lumière de la création, vous avez sûrement vu dans l'actualité récente, la création des Fonds du vice. Alors, les Fonds du vice consistent essentiellement à investir dans l'alcool et le jeu; les fonds éthiques, l'approche que je vais appeler sectorielle, font le contraire. Donc, on n'investit pas dans l'alcool, on n'investit pas dans le jeu, bon, puis dans certaines autres industries aussi. Donc, on ne va pas investir dans certaines industries polluantes, on veut éliminer les mines, les pâtes et papiers pour l'impact qu'elles ont sur l'environnement. Même que cette approche d'exclusion a souvent une ancrage géographique. On n'avait pas investi en Afrique du Sud, bon, on n'investit pas en Birmanie, etc.

Cette approche sectorielle est intéressante, mais il y a aussi une autre approche qui, à mon sens, est encore beaucoup plus intéressante et qui consiste à dire: On va investir dans toutes sortes d'industries mais en choisissant les entreprises qui manifestent une responsabilité sociale ou environnementale particulièrement intéressante. Les indicateurs de la responsabilité sociale des entreprises, sous cette approche-là, sont souvent l'emploi, les relations avec la communauté, la sécurité des produits, les opérations à l'étranger, les droits de la personne, la régie d'entreprise, de manière générale. Évidemment, cette tentative de mesure de la performance sociale et environnementale des entreprises pose le problème de la carence d'information disponible.

Pour ce qui est de... En fait, les sources d'information généralement utilisées par les gestionnaires de fonds sont l'entreprise elle-même, des organismes de recherche, des organisations produites par des organismes gouvernementaux, les médias et, seulement dans une moindre mesure, l'information produite par certains groupes d'intérêt public. Pour ce qui est des informations provenant des entreprises, ça peut être par l'intermédiaire de rapports annuels, de contacts, de questionnaires. Évidemment, le fait que l'information provienne des entreprises soulève des questions de crédibilité. Bon, on nous dit qu'il faut quand même prendre cette information souvent avec un bémol, puisque l'entreprise a intérêt à présenter le portrait plutôt rose.

Il existe aussi, et de plus en plus, des organisations spécialisées dans la recherche d'information. Il y a même récemment, au Canada, Jantzi Associates qui a présenté un indice. Il y a des nouveaux groupes qui se sont formés au Québec, le Groupe investissement responsable, par exemple, et on remarque d'ailleurs un mouvement de spirale entre l'accroissement ou l'intérêt pour l'investissement responsable et la création de ces groupes-là, c'est-à-dire que plus il y a d'investisseurs et plus il y a de fonds qui offrent des fonds d'investissement, bien, ça crée une demande pour de l'information. Et cette demande-là va permettre, en retour, à l'offre de produits d'investissement responsable d'augmenter parce que ça va être fondé sur des informations plus rigoureuses.

Le Président (M. Paré): En terminant, madame.

Mme Turcotte (Marie-France): Oui. Alors, en terminant... Alors, je vais terminer pour dire que la plupart des gestionnaires, et c'est ce qu'on peut entendre, vont dire qu'ils manquent d'information et que c'est un problème. Ils espèrent qu'il va y avoir plus d'information qui va être validée soit par des organismes gouvernementaux ou encore par différents autres organismes. Donc, on peut penser à des normes. Plusieurs nous ont dit: Ah! si plus d'entreprises adoptaient des normes comme ISO 14000 ou d'autres, ça faciliterait notre tâche au niveau de la construction de nos fonds. Donc, en conclusion, bien, le gouvernement devrait avoir un rôle à jouer là-dedans pour favoriser... pour pallier à cette carence d'information pour permettre la croissance du mouvement.

Le Président (M. Paré): Merci, Mme Turcotte, merci, monsieur, pour votre intervention. Maintenant, on va passer à la période d'échange. Je vais m'investir en débutant. Lorsque vous parlez, Mme Turcotte, qu'il n'y a pas de... que l'hypothèque du double dividende, la vérification empirique que vous faites, pas de prime de performance, pas de performance moindre, c'est quoi, votre suggestion dans les faits, est-ce que vous avez une suggestion à faire pour dire: Bien, écoutez, il faudrait peut-être avantager ces fonds éthiques ou à responsabilité sociale? Est-ce que vous en faites une suggestion? Parce que, à la fin, on regarde ce que vous faites comme recommandation au gouvernement puis ce n'est pas tout à fait apparent.

Mme Turcotte (Marie-France): Bien, premièrement, puisqu'il n'y a pas de risque ajouté, si on veut dire, là, il n'y a pas de performance moindre, dans un premier temps, ça pourrait donc être un bon véhicule, là. Disons que les investisseurs ne devraient pas craindre d'investir dans ces fonds-là, puisqu'il n'y a pas de charge ajoutée. Donc, dans ce sens-là, c'est déjà un pas, puisqu'il y a parfois des questions, on va dire, de responsabilité fiduciaire qui vont faire en sorte de limiter la possibilité pour certains ? par exemple je pense à un fonds de retraite ou quelque chose comme ça ? qui vont dire: Bien, notre première responsabilité, c'est envers nos actionnaires, il faut que ça performe, donc on ne peut pas prendre le risque d'investir de manière sociale ou autre. Bien, d'abord, les résultats montrent qu'il n'y a pas de... ce risque-là n'est pas là. Il n'y a pas nécessairement toujours une prime, c'est-à-dire une performance supérieure, mais il n'y a pas non plus de performance inférieure. Donc, il ne devrait pas y avoir de contrainte à ce niveau-là, c'est une première chose.

Puis ensuite, bien, comme je le disais, je pense que, comme il y a quand même une certaine... on est, je dirais dans une période de spirale de croissance de développement de ce mouvement-là, toute la question de la disponibilité de l'information sur les entreprises, sur la performance sociale et environnementale des entreprises, s'il y a plus de transparence, si on a davantage accès à ces informations-là, eh bien, je pense que ça permet une plus grande diffusion de l'information auprès des actionnaires, qui alors peuvent faire de meilleurs choix, des choix plus éclairés dans leur choix d'investissement.

Le Président (M. Paré): Mais vous n'iriez pas jusqu'à suggérer au gouvernement d'avoir des avantages fiscaux pour ces entreprises-là, si le contribuable achète, exemple, tel et tel fonds.

Mme Turcotte (Marie-France): Pour les entreprises ou pour les fonds d'investissement?

Le Président (M. Paré): Un individu. Donc, est-ce que vous iriez jusqu'à suggérer au gouvernement d'avoir des avantages fiscaux pour les individus qui investissent à l'intérieur des fonds éthiques? Parce que, quand vous parlez ici: pas de prime de performance, bon, écoutez, est-ce que vous suggéreriez qu'il y ait une intervention fiscale?

Mme Turcotte (Marie-France): Je pense que ça pourrait être une suggestion intéressante à la condition toutefois qu'il y ait une espèce d'évaluation des fonds d'investissement éthiques et environnementaux, parce que, pour le moment, comme je l'expliquais, c'est plusieurs choses. Il y a toutes sortes de pratiques. J'en ai défini comme deux grands types, mais, à l'intérieur de ça aussi, à cause des questions de difficulté d'accès à l'information en plus, ça fait en sorte que la mesure de l'évaluation de la performance sociale des entreprises par les gestionnaires de fonds n'est pas toujours égale, là, d'un fonds à l'autre. Donc, il faudrait s'assurer, là, qu'il y ait effectivement une bonne mesure... la performance sociale des entreprises qui sont incluses dans ces fonds-là et, à ce moment-là, je pense que, oui, ça pourrait être intéressant d'avoir des mesures incitatives, là, qui favoriseraient ça.

Le Président (M. Paré): Merci, Mme Turcotte. Maintenant, le groupe parlementaire, est-ce qu'il y a des questions? M. le député de Bertrand.

M. Cousineau: M. le Président. Bonjour, Mme Turcotte. C'est M. Lapointe, hein?

M. Lapointe (Alain): Exact.

M. Cousineau: Oui. Vous avez dit d'entrée de jeu, M. Lapointe, que les mesures volontaires, ça ne pouvait pas être uniquement ça parce que c'est utopique de croire, là, qu'avec des mesures volontaires on pourrait atteindre les objectifs qu'on... Puis on mentionne aussi que le gouvernement peut améliorer la performance au niveau des entreprises en ce qui a trait, là... sur le plan social puis environnemental. Quel pourrait être le rôle du gouvernement à l'intérieur de ce mécanisme-là pour amener les entreprises à se conscientiser et puis à les forcer aussi, là, à prendre une tangente qui serait voulue de tous, là?

n (10 heures) n

M. Lapointe (Alain): Bien, je pense qu'il y a toute une gamme d'interventions possibles qui va du plus coercitif au plus incitatif, et ce vers quoi on semble se diriger, ce qu'on semble vouloir privilégier à mesure que nos travaux avancent ? c'est quelque chose qui est un petit peu mitoyen ? c'est-à-dire d'essayer d'investir le plus possible et de supporter le plus possible tout ce qui se fait comme recherche et développement autour des codes de conduite.

Les codes de conduite nous apparaissent être... Puis entendons-nous dans les codes de conduite, il y en a qui sont purement, tu sais, sur les processus de gestion, d'autres, des codes de conduite qui supposent l'atteinte de certains résultats. Il faudrait faire un ménage là-dedans, là. Donc le gouvernement pourrait encadrer, rendre plus cohérent, mettre ce qu'il faut pour que les codes de conduite se développent de la façon la plus articulée, la plus transparente et la plus solide possible. Et ce serait une façon pour le gouvernement d'intervenir pour que la responsabilité sociale se développe, donc d'en faire la promotion sans pour autant la faire nécessairement par une réglementation directe très coercitive. Comme un entre-deux.

M. Cousineau: Mais comment voyez-vous... Est-ce que le gouvernement pourrait aller jusqu'à sanctionner une entreprise qui ne veut pas s'orienter vers...

M. Lapointe (Alain): Le gouvernement ou autres. C'est-à-dire qu'il nous semble évident que les codes de conduite, que les normes, surtout si elles deviennent des normes internationales, supposent un pouvoir de sanction à quelque part, que l'entreprise qui ne respecte pas les codes de conduite prévus à l'intérieur de ces normes-là doit être pénalisée. Est-ce que c'est nécessairement par un gouvernement? On ne sait pas là; on n'a pas poussé la réflexion encore suffisamment pour savoir comment, quelle police, entre guillemets, devrait donner suite à des comportements jugés inacceptables en regard de ces codes de conduite là.

M. Cousineau: Donc, vous préconisez quand même une symbiose entre l'entreprise et puis le gouvernement en ce qui a trait à l'élaboration de codes de conduite et puis...

M. Lapointe (Alain): Oui. Exact.

Mme Turcotte (Marie-France): Et d'autres parties prenantes.

M. Lapointe (Alain): Et d'autres parties prenantes. Exact.

M. Cousineau: Et d'autres parties.

M. Lapointe (Alain): Oui.

M. Cousineau: ...qui pourraient être?

Mme Turcotte (Marie-France): ...qui pourraient être les syndicats, qui pourraient être les groupes de défense de l'environnement.

M. Cousineau: O.K.

Le Président (M. Paré): Merci. M. le député de Masson.

M. Labbé: Alors, merci, M. le Président. Alors, Mme Turcotte, M. Lapointe, merci pour la présentation de votre mémoire. J'allais un petit peu dans le même sens que mon collègue. Parce que, M. Lapointe, tout à l'heure, vous avez mentionné: L'action gouvernementale, ce n'est pas simplement souhaitable, seulement souhaitable, c'est nécessaire. Alors, moi, je me disais: Parfait, c'est des gens d'action, ils veulent qu'on fasse des choses. Maintenant, je regarde par rapport au niveau des conclusions des recommandations de votre mémoire et, là, j'essaie de suivre un petit peu et je trouve que c'est quand même assez prudent. Parce que vous parlez... il y a quatre éléments: on parle d'organiser un forum; réaliser une étude; mettre sur pied un observatoire; puis conduire une analyse visant à explorer les implications. Et madame tout à l'heure, Mme Turcotte mentionnait: Écoutez, c'est important, toute la notion d'information. Elle parlait même d'ISO 14 000; On pourrait se rendre jusque là, à un moment donné, mais avant, on manque d'information. C'est ce que j'ai pu comprendre. C'est comme si le sujet n'était pas suffisamment documenté au moment où on se parle.

Et je crois comprendre que ? puis vous allez me corriger si j'interprète mal vos propos ? c'est comme s'il fallait, avant de passer à des actions concrètes, documenter le sujet, faire des recherches, c'est des mots que j'ai entendus beaucoup évidemment. Je comprends un petit peu par rapport à ce que vous faites là, au niveau de la Chaire, c'est important pour vous autres. Mais vous semblez dire: Attendez! n'allez pas trop vite. Faisons d'abord... Documentons comme il faut le sujet. Entendons-nous. Il y a beaucoup de choses qui ont été faites ailleurs dans d'autres pays. Nous autres, on n'est peut-être pas prêts au Québec comme tel de le faire. J'extrapole un petit peu pour vous permettre de réagir. J'aimerais savoir à partir de ça, à un moment donné... Et mon collègue parlait d'actions... on a eu beaucoup de mémoires qui nous ont parlé d'actions concrètes. Tu sais, de dire: Demain matin, tu mets des codes. Il y en a beaucoup. On voudrait que, nous autres, on en ait un spécifique pour le Québec. Ça, c'est quand même des actions très concrètes. Mais, est-ce que vous sentez qu'on est prêts à ça ou si vous maintenez vos recommandations de dire: Non, non, nous autres, il faut d'abord documenter, il faut d'abord aller chercher des informations? Il faut de voir, avec notre culture propre, comment on pourrait, nous autres, aller plus loin à ce niveau-là, dans un deuxième temps, mais pas tout de suite? Est-ce que j'interprète bien?

Le Président (M. Paré): M. Lapointe.

M. Lapointe (Alain): Je pense que vous interprétez très bien. Ce que je ne sais pas par ailleurs, c'est: Est-ce que le Québec n'est pas prêt... Est-ce que le gouvernement du Québec ne devrait pas agir trop vite là-dedans ou si c'est nous autres qui n'est pas prêts? Si c'est nous autres à la Chaire qui ne nous sentons pas rendus suffisamment loin dans l'exploration des indications de tout ça pour nous sentir suffisamment solides pour recommander que: Voici la voie à suivre? Et on est à peu près certains de ce qu'on dit et on est à peu près certains de ce qu'on dit parce qu'on a vu suffisamment de choses, on a exploré suffisamment de possibilités ailleurs pour pouvoir l'affirmer de façon raisonnable sans qu'on affirme des choses parce qu'on est un groupe d'intérêts qui veut aller dans ce sens-là. On n'a donc pas, a priori, d'intérêts partisans là-dedans.

Et, ça, ça nous amène effectivement à être, peut-être, plus prudents qu'on devrait. Mais il y a aussi, je vous le disais d'entrée de jeu, l'âge de la Chaire. On a commencé à travailler ensemble, le groupe de recherche, au printemps. Alors, pour nous, c'est comme un peu prématuré d'arriver avec des recommandations très fortes, qui seraient supportées vraiment par les échanges, les travaux, les recherches qu'on a partagés ensemble.

Ceci dit, comme je vous le disais, on est à fond là-dedans. Il y a plein d'équipes de recherche qui explorent ça, notamment les modes... les codes de conduite et les normes, on a un groupe là-dessus. Il y a du monde qui travaille sur l'évaluation de la performance sociale. Et j'ai l'impression, moi, que, si on a un peu de temps ? ce qu'on n'a pas toujours ? on serait en mesure d'avoir des conclusions, des recommandations beaucoup plus fortes que ce qu'on vous livre aujourd'hui. Effectivement, on est plus sur le mode de la prudence pour l'instant.

Le Président (M. Paré): Merci, M. Lapointe. Mme Turcotte, vous voulez ajouter.

Mme Turcotte (Marie-France): Oui. Bien, je voulais reprendre votre point qu'on n'est pas prêt, au Québec, et tout ça. Je pense qu'il faut voir plutôt... Moi, je vois ça plutôt comme un mouvement de construction. Je pense que, déjà, s'il y a des questions qui se posent, si les groupes interviennent là-dessus, c'est qu'on est prêt à travailler sur le sujet. On n'est peut-être pas prêt à sortir une liste tout de suite, ce matin, mais à commencer à y travailler, je pense que l'organisation même de cette commission en est l'expression. On est déjà prêt à identifier, je pense, des intérêts de différentes parts.

Il y a des investisseurs institutionnels qui se posent beaucoup des questions en investissement responsable, que ça fait déjà quelque temps qu'ils se les posent. Ils ont des contraintes à s'y engager pleinement mais il y a un intérêt qui est là pour le faire. Et, parmi les contraintes, bien, il y a celles que je mentionnais: l'accès à l'information, les responsabilités fiduciaires, tout ça mais ce ne sont pas, à mon sens, des contraintes insurmontables là. Je pense que, en construisant autour de ça, peut-être en développant des normes, ensemble, qui permettraient de meilleures informations, et, à ce moment-là, un mouvement plus fort d'investissement socialement responsable, le Québec pourrait être bientôt prêt. Parce qu'il y a quand même, il me semble, au Québec, plusieurs institutions déjà en place et prêtes à accueillir cela.

Le Président (M. Paré): Merci. M. le député de Masson.

M. Labbé: Merci, M. le Président. Complémentaire. D'abord, je vous félicite pour votre honnêteté. Je pense que, d'abord... Puis il faut reconnaître que la Chaire vient d'être formée aussi. Et, dans ce sens-là, vous êtes en train de peaufiner vos idées puis, justement, de ramasser toutes les informations pour arriver avec des recommandations.

Par contre, demain matin, vous êtes commissaire à une commission qui travaille, il y a des gens qui sont prêts, ils veulent qu'on passe à l'action, sont sensibles à tout ce qu'on vit actuellement. Eux autres se considèrent très prêts. Et il y en a même que c'est très précis. Si la Chaire est en cheminement, le Québec est-il prêt à des actions concrètes? Et puis, si vous aviez à faire des recommandations, à la fin de cette semaine ou dans quelques semaines, dans un mois, comme commissaire, vous iriez jusqu'où? Est-ce qu'on s'en tiendrait à vos recommandations de dire: Écoutez, attendez, soyez prudents, c'est ci, c'est ça, et organisons un forum, par exemple, ou peu importe? Ou s'il y a des actions concrètes qu'on peut aller analyser ou qu'on peut aller plus loin, par exemple, à ce niveau-là? Est-ce que vous avez une perception, à ce stade-ci, d'une action concrète qu'on pourrait faire?

Le Président (M. Paré): M. Lapointe.

M. Lapointe (Alain): Je pense que la voie la plus immédiate pour l'action concrète, c'est dans l'accès à l'information. C'est que le gouvernement pourrait très certainement et rapidement mettre en place des organismes ou le support qu'il faut pour développer un accès à l'information, des mécanismes d'évaluation de la responsabilité puis de la performance sociales beaucoup plus cohérents, plus structurés, plus limpides, plus transparents que ce qu'on a maintenant. Là il y a un petit peu de tout, un petit peu partout. Et, entre agences d'évaluation, elles vont même jusqu'à se contredire.

n (10 h 10) n

Il y aurait moyen de commencer, rapidement, de votre part, par une espèce de répertoire de qu'est-ce qui existe et de s'entendre sur des normes d'évaluation et de mesures de la performance. À partir de là, une fois qu'on sera capable de mesurer la performance de fonds ou d'entreprises, bien là, on pourra commencer à essayer d'influencer un petit peu plus leurs comportements. Mais, j'ai le sentiment ? Marie-France, je ne sais pas si tu vas dans le même sens ? mais j'ai le sentiment que, tant qu'on n'est pas capable de mesurer sérieusement qu'un organisme d'évaluation, de notation de rating social dit quelque chose puis que l'autre dit presque le contraire, bien, c'est un petit peu gênant de dire: Accordez des avantages fiscaux à telle entreprise. Sur la base de quelle évaluation? Et donc la première étape, il me semble, qui pourrait rapidement être mise en place, c'est: accès, amélioration, transparence sur l'information quant à la responsabilité sociale de l'entreprise et de la mesure de la performance sociale. Ça, ça veut dire s'entendre sur ce que c'est, la responsabilité sociale. Ce qui est... écoutez, là, ce qui est un peu mon impression, il y a encore du flou là-dedans.

Le Président (M. Paré): Merci, M. Lapointe. Mme Turcotte.

Mme Turcotte (Marie-France): ...dans le même ordre d'idées, mais peut-être juste pour le redire différemment, cet accès à l'information-là, il y a deux aspects. Il y a l'accès aux données, donc, ça, c'est comme faire en sorte que les entreprises aient à devenir transparentes, à offrir différentes données sur leurs performances environnementales, leurs performances en termes d'emplois, de conditions de travail, etc., relations avec les fournisseurs, etc. Puis, bon, ensuite, la question de la mesure, c'est-à-dire les organismes qui fournissent l'information, les fonds, quelle est leur mesure de la performance sociale et environnementale? Évidemment, aboutir à un consensus là-dessus, ça pourrait... bon, ça impliquerait de nombreux débats, mais ce débat peut se faire et il peut aboutir. Et puis, pour les informations, bien, je pense qu'il faut une approche assez musclée pour... Évidemment, il y a plein d'informations que les entreprises ne souhaitent pas divulguer à cet effet-là et c'est tout le problème, là, pour le moment, là, du mouvement.

Le Président (M. Paré): Merci, Mme Turcotte. Merci, M. Lapointe. M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Tremblay: Oui, merci. Quand vous parlez que le gouvernement doit agir, n'est-ce pas plutôt aux entreprises ? volontairement ? de divulguer des informations, puisque ça serait à leur avantage dans un cadre d'investissement socialement responsable? À savoir, lorsqu'une conscience populaire va chercher à faire en sorte que leur investissement aille dans des entreprises qui agissent correctement, bien, ça deviendrait, pour l'entreprise, qu'elle ne soit pas forcée de divulguer ces informations-là, mais qu'elle soit incitée à le faire par le fait qu'elle dit: Bien, regardez, moi, pour moi, c'est payant de faire un rapport de performance sociale et environnementale, parce que je sais que ça va attirer les investisseurs chez nous. Tout comme l'achat... quand on dit «acheter, c'est voter», c'est la même chose dans le sens que, si je fabrique des T-shirts, j'ai avantage à dire qu'il ne sont pas faits par l'exploitation d'enfants ou des choses comme ça. J'ai avantage à dire: Bien, écoutez, c'est fait avec une fibre environnementale; pour le même coût, vous ne nuisez pas à l'environnement. Donc, pour le vendeur de T-shirts, ça devient comme un avantage concurrentiel et, dans ce même ordre d'idées là, bien, pour les entreprises qui, je pense... En tout cas, moi, je pense surtout qu'on parle des entreprises qui sont enregistrées à la Commission des valeurs mobilières, et ceux-là dans le reste du monde, bon, bien, ils sont incités à avoir davantage de transparence, parce que, à un moment donné, ils sont susceptibles de se faire poser une question par un gestionnaire de caisse de retraite: Aïe, moi, mes cotisants, là, ils veulent savoir si tu es correct environnementalement et socialement. Et donc, je te pose la question: C'est quoi, tes performance sociales et environnementales? Donc, ça serait sur une base volontaire.

Le Président (M. Paré): Mme Turcotte.

Mme Turcotte (Marie-France): Oui. Bien, ce que vous décrivez, c'est un petit peu la situation actuelle, c'est-à-dire que la diffusion d'informations est présentement sur une base actuelle. Bien, ce qu'on voit premièrement, c'est qu'actuellement le mouvement d'investissement socialement responsable ne me semble pas avoir le poids nécessaire pour faire pencher la balance pour dire que c'est une justification suffisante pour agir et diffuser de l'information responsable. Il n'y a pas comme assez d'argent qui est mis là-dedans pour que ça fasse la différence pour le moment. Bon. Je disais, tout à l'heure, que c'est un mouvement qui est en croissance. Certes, il a fait une croissance tout à fait phénoménale au Québec au cours des 10 dernières années, mais, au fond, il est parti de rien puis il croît de manière exponentielle comme ça d'année en année. Je ne sais pas si la croissance va pouvoir continuer à être exponentielle comme ça, si on continue à se fonder sur une approche totalement volontaire de la diffusion d'informations.

Vous dites: C'est naturel pour une entreprise qu'elle diffuse de l'information sur sa performance sociale et environnementale; elle a avantage à le faire pour se financer pour vendre. Pour se financer, je viens de dire: Pour le moment, le mouvement n'est pas assez fort à mon sens pour qu'un haut gestionnaire dise à son conseil d'administration: Voici, on va le faire parce que... Ce n'est pas encore un argument assez fort.

Pour vendre? Bien, la même chose, je pense qu'il y a une certaine... C'est qu'il y a tellement de critères de responsabilité sociale des entreprises qu'il faut tenir en compte que, tant que c'est volontaire, les entreprises, de manière rationnelle, devraient ne présenter que les beaux aspects et ne pas présenter les moins beaux.

Donc, on n'avance pas et il demeurera une certaine méfiance quant à la nature de ça, et c'est plus ou moins vendeur dans ce temps-là, donc il y a une difficulté qui est là. Donc, de manière ? j'insiste sur le mot ? de manière rationnelle, une entreprise ne devrait pas présenter les informations qui ne l'avantagent pas parce que, sinon, elle va se mettre en désavantage compétitif et pas en avantage compétitif.

Le Président (M. Paré): Merci, Mme Turcotte. Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci beaucoup, M. le Président. M. Lapointe, Mme Turcotte, je vous souhaite la bienvenue. Je vous remercie pour votre mémoire. Je reconnais, dans ce mémoire et dans les propos que vous avez tenus, le sens critique des universitaires, et je vous en félicite. Je pense qu'on en a besoin parce que, nous, on n'a pas suffisamment de temps pour avoir une distance objective avec les objets d'études qu'on entreprend, et donc votre point de vue nous donne cette perspective.

Vous dites, à la page 5 de votre mémoire: «L'entreprise n'est pas un acteur social au même titre que les consommateurs, les salariés ou les actionnaires: elle structure leurs rapports.» Si l'entreprise n'est pas un acteur social au même titre que les autres, pourquoi faut-il qu'on lui impose une pratique sociale comme celle de l'investissement socialement responsable?

Le Président (M. Paré): M. Lapointe.

M. Lapointe (Alain): Mais parce que le fait qu'elle n'est pas un acteur social au même titre que les autres acteurs sociaux, parce qu'elle a un pouvoir supplémentaire, ne lui enlève pas non plus son rôle d'acteur social. Je veux dire que ce n'est pas parce qu'elle fait plus, qu'elle a un impact sur les relations entre les autres acteurs sociaux qu'elle-même n'a pas, elle aussi, de par son action, des comportements sur lesquels on pourrait intervenir.

Mme Houda-Pepin: Donc, son rôle premier est d'abord économique mais ça n'interdit pas qu'elle puisse être un acteur social différemment des autres dont c'est la mission essentielle.

M. Lapointe (Alain): Exact...

Mme Houda-Pepin: Très bien.

M. Lapointe (Alain): ...mais il faut le reconnaître, je pense, qu'elle est un acteur social différent des autres mais qu'elle influence les rapports de force entre les autres.

Mme Houda-Pepin: Les rapports. Je vous ai compris. Vous faites un débat sémantique ? toujours à la page 5 et un peu en filigrane dans le reste de votre mémoire ? en vous attaquant à la définition que nous avons adoptée dans notre document de consultation, la définition de l'investissement responsable ou la société responsable, la responsabilité sociale des entreprises, celle du Conference Board du Canada. D'abord, pour vous rassurer, cette définition est donnée à titre indicatif, c'est un document de consultation. Donc, on vous le soumet justement pour que vous puissiez réagir à ça.

Mais le fond du problème demeure. Et j'ai moi-même assisté à un colloque en juin 2001 et j'ai écouté les différents conférenciers, puis après je me suis dit: C'est quoi, l'investissement responsable? Parce que, dépendamment de qui parle, on n'a pas nécessairement la même signification. Et je crois comprendre que, comme on est en train de tailler dans le neuf ? parce qu'on discute de choses qui ne sont pas encore suffisamment clairement établies mais aussi en mouvement ? on va être confrontés, c'est une difficulté avec laquelle on va vivre, nous, comme parlementaires, de dire: C'est quoi, la définition la plus crédible, la définition la plus représentative?

Est-ce que vous pouvez nous aider? Parce que avez quelque part commencé à ébaucher des éléments de définition. Si la définition du Conference Board n'est pas bonne ? et vous l'exprimez clairement, et je crois partager votre point de vue, il y a des lacunes dans cette définition ? quelle serait la meilleure définition de l'investissement responsable et de la responsabilité sociale des entreprises?

Le Président (M. Paré): M. le président.

n (10 h 20) n

M. Lapointe (Alain): Question énorme à laquelle je ne suis pas du tout certain d'être capable de répondre dès maintenant. Je pense qu'on n'est pas rendu, quand on regarde ce qui a été publié ? puis il y en a des publications sur la responsabilité sociale de l'entreprise: revues scientifiques américaines notamment ? le consensus n'est pas là. Alors, c'est comme si vous demandiez: Vous, M. Lapointe, c'est quoi, votre définition? alors que ce que je fais pour l'instant, c'est constater que les débats énormes qu'il y a dans la littérature à cet égard-là n'arrivent pas justement à un consensus.

Pour ce qui est de la définition du Conference Board, il ne s'agit pas pour nous de dire: Elle n'est pas bonne, cette définition-là, c'est épouvantable. C'est juste qu'elle nous apparaît incomplète. C'est une bonne définition de la théorie des parties prenantes, les «stakeholders», c'est ça, c'est l'entreprise avec un paquet d'intervenants autour, avec qui elle doit interagir. Tout à fait d'accord que, comme définition de la théorie des parties prenantes ou des «stakeholders», ça va très bien. Mais, est-ce que c'est ça, la responsabilité sociale de l'entreprise? Est-ce qu'on met dans le même fourre-tout les liens avec les fournisseurs et les liens avec l'environnement? Ce n'est pas de même nature, ce n'est pas de même niveau?

Alors, va pour la théorie des «stakeholders» et des parties prenantes mais ça ne nous semble pas être un point de départ acceptable pour traiter du concept de la responsabilité sociale.

Le Président (M. Paré): Merci, M. Lapointe.

Mme Houda-Pepin: Alors, en fait, vous venez clarifier l'ambiguïté qui entoure ce concept-là puis, en même temps, nous rassurer parce qu'on ne veut pas se faire critiquer qu'on ne sait pas de quoi on parle. Si vous, des universitaires, avec une Chaire Économie et Humanisme, qui avez recensé la littérature, vous n'arrivez pas à dégager une définition consensuelle, nous, comme on taille dans le neuf, on va essayer de vivre avec ça mais c'est bien d'avoir le point de vue d'un expert là-dessus.

Toujours dans votre mémoire, à la page 9, où d'ailleurs vous élaborez un peu sur quelques éléments de définition, vous dites: «L'investissement responsable se veut donc une réponse, dont les modalités sont diverses au questionnement éthique et social des investissements..., mais aussi des placements.» Donc, il y a une diversité de points de vue, de perspectives.

Et un peu plus loin vous soulevez une question qui me semble très intéressante lorsque vous faites la différence entre les investissements éthiques et les investissements socialement responsables. Et, pour vous, on ne peut pas utiliser ces termes de façon interchangeable parce que leur jeunesse n'est pas la même, leur motivation n'est pas la même, et vous soulevez toute la question des critères de jugements moraux, hein? Vous vous questionnez là-dessus, comme motivation derrière les fonds éthiques. Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus? Qu'est-ce qui vous inquiète dans les jugements moraux? Vous avez donné l'exemple de l'avortement parce qu'il y a des communautés religieuses, par exemple, qui canalisent leurs investissements vers des activités économiques qui ne touchent pas à l'avortement. Quel impact ça peut avoir sur le plan social si, dans une société, par exemple, multiconfessionnelle comme la nôtre où on a différentes valeurs religieuses, si chacun décidait, selon ses propres pratiques ou ses propres croyances, de canaliser ses ressources vers une économie qui correspond davantage à ses convictions?

Le Président (M. Paré): Mme Turcotte.

Mme Turcotte (Marie-France): Oui. Bien, effectivement, je pense que vous avez très bien décrit la situation. Et si on regarde l'origine de nombreux fonds d'investissement, ils ont des racines... ils se retrouvent dans certaines communautés religieuses. D'ailleurs, les communautés religieuses, par exemple, des groupes de soeurs ou de frères, ont souvent été les premiers instigateurs du mouvement en se disant: Bon, on a de l'argent à placer, on va le placer en fonction de nos valeurs. C'est un petit peu le même principe qui a été repris par des fonds ensuite offerts au grand public mais qui vont donc représenter des valeurs particulières.

En fait, je vais peut-être reculer un petit peu puis prendre une approche stratégique et dire: Au fond, l'offre de ces produits-là, c'est une offre qui est segmentée, puis on s'adresse à des «consommateurs-investisseurs» qui ont des valeurs différentes, donc des goûts différents. Donc, il y a cet aspect-là qui, effectivement, comme vous dites, si on parle d'une société fragmentée dans ses valeurs, bien, on va avoir des instruments qui le sont comme ça. Donc, pour une bonne partie de ces fonds-là, effectivement, si on se place du point de vue du gouvernement et si on me repose la question des incitatifs fiscaux, là, il faut se poser la question: Est-ce qu'on veut donner un incitatif fiscal pour toutes ces valeurs-là? D'un point de vue, on le fait déjà. On a des incitatifs fiscaux dans les dons charitables, ces choses-là et ça représente les différentes valeurs de tout le monde sans qu'il y ait nécessairement là une voie à suivre, une voie nationale à suivre là-dessus. Donc, cette fragmentation-là peut quand même exister à ce niveau-là.

Mais, bon, cela étant dit, je pense qu'il y a quand même, à travers l'évolution du mouvement ? et même si, dans certains cas, les racines sont tout de même religieuses ? il y a comme une évolution de certaines valeurs qui transcendent, des valeurs plus précises propres à certains groupes, comme des valeurs de respect de la personne, des valeurs de respect de l'environnement. Donc, il y a des valeurs comme ça, je pense, qui transcendent l'ensemble du mouvement et qui pourraient être les piliers, bon, pour votre mandat particulier.

Mme Houda-Pepin: Mais, c'est quand même une question intéressante que vous soulevez. Puis, moi, je vous inviterais à l'approfondir davantage, peut-être dans d'autres projets de recherche, parce que les fonds éthiques existent et ils vont continuer d'exister. Ils représentent un segment important de l'investissement socialement responsable. Et, lorsqu'on interpelle les pouvoirs publics, notamment l'État, pour justement accorder des avantages fiscaux pour certains fonds éthiques parce qu'ils ont une responsabilité sociale, on devrait d'une certaine manière faire le débat sur les motivations morales et religieuses qui sous-tendent un certain nombre de choix. Parce que c'est des choix qui sont faits pour diriger l'investissement vers tel ou tel secteur, donc priver le reste de ces fonds-là.

Je prends, par exemple, le cas d'une religion qui interdit l'intérêt, hein, et je sais qu'au Canada il y a des gens qui poussent pour que... D'abord, le secteur financier respecte cette exigence que certains investissements dans l'habitation, dans les coopératives respectent cette exigence. Alors, il faut, à mon avis, s'intéresser à ces questions-là parce que, des fois, comme parlementaires et aussi comme chercheurs, on peut partir des meilleures intentions du monde, mais lorsqu'on regarde ce que ça donne au niveau de la fragmentation de l'activité, parfois ça va à l'encontre des objectifs qu'on a visés initialement. Alors, je vous soumets ça pour réflexion ultérieure. C'est un mandat qui vous est donné, et j'espère que vous allez avoir des subventions, mais il y a vraiment matière à creuser ce sujet-là davantage. On n'aura pas le temps de l'élaborer ici cependant.

À la page 11 de votre mémoire, vous parlez évidemment... vous mettez un doute sur la fiabilité des informations qui sont divulguées par les entreprises, notamment en ce qui a trait aux rapports qui sont remis. Vous dites à juste titre: ? je trouve ce passage fort intéressant, je voudrais le lire ? «En ce qui concerne la démarche d'évaluation des entreprises, outre des sources d'information peu objectives, puisqu'on s'en remet souvent aux déclarations de l'entreprise, la diversité des pratiques des firmes de recherche qui peut même mener à certaines incohérences crée une confusion quant à la reconnaissance d'une performance sociale corporative.»

Alors, donc, nous, on veut se donner, enfin, on nous suggère de suggérer, de recommander que les entreprises, y compris l'État, se donnent des cotes de conduite. On veut qu'il y ait une divulgation de l'information pour permettre justement de mieux comprendre ce qui se passe au niveau du bilan social et environnemental. Mais vous venez jeter comme une sorte de douche froide sur tout ça en disant: Ne croyez pas tout ce qu'on vous dit parce que les rapports et l'information qui y est divulguée, elle est tachée d'incohérences et ça crée de la confusion. Puis vous soulevez aussi subséquemment toute la question des compagnies de recherche, en fait, celles qui font... Et vous êtes très sceptique à ça. Si vous voulez élaborer, j'apprécierais.

Le Président (M. Paré): Mme Turcotte.

Mme Turcotte (Marie-France): Oui. Mais je pense qu'on revient au point qu'on avait mentionné tout à l'heure. Oui, il y a actuellement une diversité de pratiques mais il y a principalement ? et il y a un consensus, je pense, au niveau du mouvement ? cette diversité de pratique, elle existe, oui, parce qu'on veut peut-être répondre à différentes clientèles, mais elle existe aussi parce qu'il y a un manque d'accès possible à l'information. Donc, si ce problème pouvait être réglé par différentes voies, si la transparence, si les entreprises étaient obligées à une certaine transparence et à une certaine imputabilité quant à leur bilan social et environnemental, je crois qu'il y a une partie de cette confusion-là qui serait dissipée et donc qui pourrait se régler.

n(10 h 30)n

Mme Houda-Pepin: D'accord. Vous faites également référence, dans votre mémoire, à plusieurs cas, toujours dans l'évaluation. Vous parlez de l'indice FTSE4good, de la norme de conduite SA 8000, des pratiques de gestion ISO 1401, de la déclaration d'engagement Global Compact. Est-ce que, dans votre chaire d'étude, vous avez répertorié les différentes normes nationales et internationales et est-ce que vous les avez évaluées, autrement dit, qu'est-ce qu'elles ont de commun, qu'est-ce qu'elles ont de différent et c'est quoi, le consensus, vers quelles normes on doit tendre?

Mme Turcotte (Marie-France): Alors, non, nous ne l'avons pas fait. Nous avons le projet de le faire dans le prochain, disons, un an, deux ans, mais pour le moment je ne peux pas répondre à votre question de la comparaison entre les différentes normes.

Tout simplement, ce que je peux vous dire à ce stade, c'est qu'il y a certains codes qui existent, le code Sullivan, par exemple, qui vont être des prescriptions, qui vont dire: Voici ce que devrait être la responsabilité sociale et environnementale de l'entreprise, voici les objectifs à atteindre, tandis que d'autres, comme la norme ISO 14001, par exemple, c'est une norme processuelle, c'est-à-dire qu'une entreprise qui aurait une bannière à sa porte, qui dirait: Nous sommes certifiés ISO 14001, ça ne veut pas dire qu'elle a atteint certains objectifs environnementaux prescrits, ça veut dire simplement qu'elle s'est engagée à un processus de gestion de l'environnement et elle s'est engagée à une certaine amélioration de cette gestion environnementale, mais c'est elle-même qui fixe les objectifs, qui peuvent être plus ou moins ambitieux à cet égard. Mais ISO 14000, le fait qu'ils ont la petite banderole nous certifie qu'ils se sont engagés là-dedans et qu'ils vont, s'ils ont dit qu'ils se dotaient de tels objectifs, qu'ils vont le faire. Cependant, on n'a pas accès à savoir c'est quoi exactement, ces objectifs-là.

Mme Houda-Pepin: Vous avez, à votre mémoire, à la page 19 aussi parlé du rôle du gouvernement dans la promotion de la responsabilité sociale des entreprises, et vous écrivez: «À titre d'acteur économique, le gouvernement doit prendre conscience des répercussions de ces décisions en tenant compte de son poids décisif dans la structuration de l'offre.» Nous avons entendu d'autres groupes qui nous proposent aussi que le gouvernement puisse agir, au niveau de l'investissement responsable, par une politique d'achat. Autrement dit, il faut qu'il se donne des balises préférentielles pour choisir les fournisseurs avec lesquels il doit faire affaire en fonction de leur bilan social environnemental. Est-ce que vous allez dans cette direction, est-ce que c'est ça que vous voulez dire et, si oui, pouvez-vous élaborer là-dessus?

Le Président (M. Paré): Mme Turcotte.

Mme Turcotte (Marie-France): Oui, c'est effectivement l'exemple de ce que nous proposons là, par exemple, dans ses politiques d'achat, de favoriser les fournisseurs qui présenteraient un bilan social, par exemple, et dont le bilan social serait plus performant, disons, qu'un autre. Effectivement, ceci est un...

Mme Houda-Pepin: Comment le gouvernement, qui est tenu à un certain nombre d'exigences de transparence et d'équité aussi entre les entreprises ? parce que les politiques d'achat sont soumises à un cadre, n'est-ce pas, et on doit respecter tout un processus, pour les appels d'offres, entre autres, et la divulgation des informations ? comment le gouvernement va-t-il mesurer le bilan social d'une entreprise? Est-ce qu'il faut se fier à des normes? Donc, je reviens à ma question précédente, c'est quoi, les normes consensuelles? Est-ce qu'on va laisser ça à la bonne compréhension des gestionnaires qui prennent ces décisions?

Quand on établit des critères pour l'octroi d'un contrat ou pour l'acquisition d'un bien ou d'un service, on a des normes qui sont très précises et qui sont mesurables, hein, qui sont comparables. Si, dans les rapports qui sont divulgués, on n'est même pas capable d'avoir la même information pour comparer les entreprises, comment l'État doit faire, en toute équité, tout en gardant à l'esprit l'objectif que nous souhaitons, qui est celui de faire affaire avec des entreprises propres sur le plan environnemental, engagées socialement, ils ont un bon bilan... Mais on va le mesurer comment, ce bilan? On va le mettre comment dans le processus d'attribution des contrats et dans la politique d'achat du gouvernement?

Le Président (M. Paré): En terminant, madame, donc. Il nous reste trente secondes pour cette réponse.

Mme Turcotte (Marie-France): Je vais peut-être être sauvée par la cloche.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Turcotte (Marie-France): Bien, je pense que vous avez mis le doigt sur la complexité de l'évaluation de la responsabilité sociale. C'est sûr que ça impliquerait donc d'ajouter plusieurs critères aux normes dont vous parlez. C'est sûr que... Bon, vous dites: Ils doivent être mesurables. Donc, probablement que ça amènerait à choisir certains critères qui sont plus mesurables que d'autres, peut-être moins justes que d'autres mais plus mesurables. Donc, dans son application concrète, ça amènerait bien sûr à la construction de certains indicateurs qui, certes, là, ajouteraient à la quantité d'informations qui seraient requises.

Mais ça peut être, bon, sur la qualité des relations de travail, ça peut être... Bon, quand même, sur la question de l'environnement, il y a quand même plusieurs indicateurs qui pourraient être exigés et qui ont cette nature, là, très mesurable aussi. Ça peut être aussi de demander aux entreprises de gérer leurs relations avec leurs fournisseurs aussi en matière de ces responsabilités-là, donc pour entraîner un effet en chaîne à ce moment-là. Vous avez raison, ce ne sera pas simple, là, mais c'est possible d'être tenté.

Le Président (M. Paré): Tout un défi. En terminant, M. Lapointe.

M. Lapointe (Alain): Je pense que les excellentes questions que vous nous posez montrent justement qu'on n'est pas tout à fait, je crois, prêt encore à intervenir, par exemple, par le biais d'une politique d'achat ou de choses comme ça. Ça explique un petit peu ma réaction initiale, qui en est une de prudence que certains pourraient dire extrême, là, tu sais, là, c'est-à-dire: Oui, mais agissez, là, on est prêt à grouiller, là. Je ne crois pas, à la lumière de tout ce qu'on vient d'échanger, qu'on est si prêts que ça à grouiller, on n'est même pas capables encore d'évaluer de façon relativement cohérente, limpide et certaine la performance des entreprises. Alors, tout ce qui implique qu'on est capable de la faire, cette performance-là, tous les gestes qu'on pourrait poser, bien, il y a un préalable, et ce préalable-là, l'évaluation, l'information, je pense qu'il faut commencer par passer par là.

Le Président (M. Paré): Merci beaucoup, M. Lapointe. Merci, Mme Turcotte, de votre contribution à cette commission. Et j'inviterais la Confédération des syndicats nationaux, Bâtirente, Fondaction et la Caisse d'économie Desjardins des travailleuses et des travailleurs du Québec, s'il vous plaît.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Paré): Bienvenue, Mme Richard, à cette commission.

Une voix: ...

n(10 h 40)n

Le Président (M. Paré): Charbonneau? Voyons, excusez-moi. Mme Carbonneau, à cette commission. Si vous voulez nous présenter les gens qui vous accompagnent, s'il vous plaît, et par la suite vous aurez 20 minutes pour la présentation et 40 minutes d'échange avec les parlementaires. Excusez-moi, madame.

Confédération des syndicats nationaux (CSN), Bâtirente, Fondaction et Caisse
d'économie Desjardins des travailleuses
et des travailleurs (Québec)
(CEDTTQ)

Mme Carbonneau (Claudette): Alors, merci, M. le Président. Oui, je vais vous présenter la grande délégation qui m'accompagne ce matin. Alors, en commençant par mon extrême droite, Clément Guimond, qui est coordonnateur de la Caisse d'économie des travailleurs, travailleuses de Québec, Caisse Desjardins; Daniel Simard, qui est coordonnateur du régime Bâtirente; Léopold Beaulieu, directeur général de Fondaction; de l'autre côté, Marcel Pepin, qui est coordonnateur du comité interfédéral du secteur privé à la CSN; et Michel Lessard, trésorier de la CSN et responsable du dossier des outils collectifs à la Confédération des syndicats nationaux.

Alors, M. le Président, Mmes, MM. les députés, je voudrais rappeler que depuis fort longtemps la CSN a entamé une réflexion, posé des gestes avec d'autres partenaires et même mis en place des outils collectifs d'intervention économique qui s'apparentent grandement aux préoccupations soulevées par le mouvement de la finance responsable.

L'épargne et son utilisation, l'équilibre à trouver entre le rendement raisonnable et la responsabilité sociale, eu égard aux devoirs des fiduciaires, le maintien et le développement de l'emploi ne sont pas des préoccupations nouvelles chez nous. Mais voilà que notre congrès du mois de mai dernier nous mandatait pour mettre une emphase nouvelle sur la nécessité de responsabiliser les entreprises et pour chercher en quelque sorte à développer la capacité de l'épargne à contribuer davantage à la régulation des activités économiques. Il était tout à fait naturel pour nous de nous associer à nos partenaires que sont Fondaction, Bâtirente, la Caisse d'économie Desjardins des travailleuses et des travailleurs dans le cadre de ces travaux. Et c'est le fruit de ces réflexions et de ces propositions que nous voulons partager avec vous ce matin.

Il est bien clair que la situation économique, sociale, environnementale tant au niveau national qu'au niveau international exige une responsabilisation accrue des entreprises. Quand on pense à la mondialisation, quand on pense à la présence de mégaentreprises transnationales qui occupent la part du lion au niveau du commerce international, quand on constate les inégalités entre les personnes, entre les pays, la pauvreté endémique qui laisse 1,2 milliard d'êtres humains dans la misère, la dégradation de l'environnement, le tout-au-marché qui cherche à s'imposer comme source unique de régulation des activités sociales et environnementales, eh bien, tous ces phénomènes militent, à notre point de vue, pour une responsabilisation accrue des entreprises, compte tenu des problèmes criants que leurs activités engendrent.

Quand on parle, à la CSN, de responsabilisation des entreprises, on parle bien sûr des activités propres de ces entreprises, mais aussi on pense qu'il faut aller au-delà. Il faut voir à viser les sous-traitants avec qui elles font affaire, il faut voir à viser leurs partenaires commerciaux. On pense fondamentalement que la responsabilisation de l'entreprise, ça ne viendra pas d'elle-même. Ce n'est pas un phénomène de génération spontanée, et, de ce côté-là, on a vu poindre bien sûr plusieurs initiatives qui ont été prises sur des bases volontaires. On dit: Tant mieux, mais on ne peut pas s'en remettre au seul volontariat. Et nous insistons beaucoup sur l'importance de l'acteur que sont les différents États dans nos sociétés. Nous croyons que, pour gagner en responsabilisation au niveau des entreprises, il faut un renforcement de la législation nationale, un renforcement des conventions internationales mais, je dirais, surtout une législation et une réglementation qui aient des dents, qui trouvent des moyens concrets d'application.

Et, de ce côté-là, je rappelle que, au niveau, par exemple, des grands traités commerciaux, ce qui fait la force de l'OMC, c'est précisément l'existence de ces pouvoirs de contrainte. C'est un peu un discours qui va à contre-courant, si j'écoute certains grands ténors dans notre société, mais ce qu'on constate, c'est que les États ont été capables de décisions fortes quand il s'est agi de conclure des traités commerciaux. On attend de vous au moins le même tonus quand il s'agit de défendre les droits humains, les droits sociaux et l'environnement.

Nous croyons aussi que, pour accroître la responsabilisation sociale des entreprises, il faut travailler à davantage de transparence. Et, de ce côté-là, nous comptons sur les États pour légiférer et forcer cette transparence non seulement transparence sur les résultats financiers des entreprises, mais aussi sur un bilan de leur performance au plan social et au plan environnemental. Je rappelle que notre approche ne vise pas à édicter quel genre de comportement les entreprises doivent avoir dans le détail au plan social ou au plan environnemental, mais peut-on au moins rendre disponible pour le grand public, rendre disponible pour des décideurs au plan économique, cette information qui peut guider des choix et qui peut être déterminante pour aiguillonner un autre comportement de la part des entreprises.

À ce moment-ci, je demanderais peut-être à Léopold Beaulieu de vous parler davantage des actions que l'on pose et de notre vision de la finance responsable et d'introduire les recommandations 10 et 11 de notre mémoire qui traitent du capital de développement et de l'opportunité de créer un forum sur la responsabilité sociale des entreprises. Alors, Léo.

Le Président (M. Paré): Merci, madame. M. Beaulieu.

M. Beaulieu (Léopold): Merci. Claudette Carbonneau, la présidente de la CSN, parlait d'une préoccupation historique de la CSN sur les questions de l'épargne et de son utilisation. C'est passé d'abord par la défense des droits des consommateurs contre toutes les formes institutionnelles ou même criminelles d'abus usuraires. Ça a été la création des ACEF, des associations d'économie familiale, nées à l'initiative de la CSN, avec un conseiller syndical, André Laurin. Ça a été des cliniques juridiques qui ont préfiguré ensuite de l'Aide juridique. Ça a été des revendications sur la Loi de la protection des consommateurs puis aussi des locataires. Ça a été l'appui au développement de la Caisse de dépôt et placement puis une implication concrète de la CSN d'une présence dès son premier conseil d'administration. Ça a été la participation à la mise en place d'une centaine de caisses d'économie nées à partir des lieux de travail, et je reviendrai particulièrement sur la Caisse d'économie des travailleuses et travailleurs tantôt.

Donc, progressivement, on voit une évolution de faire en sorte que la préoccupation du mieux-être des épargnantes, des épargnants, conduisent aussi à des préoccupations de développement, de développement de l'emploi, de qualité de vie en société, donc placées dans une perspective de finances plus solidaire qui cherche à combiner l'intérêt collectif à celui plus général de la société pour un développement social, économique et culturel au Québec.

Ça a conduit donc à la mise en place, à l'initiative de la CSN, de tout un réseau d'institutions qui ne font pas la manchette tous les jours, parce que ce n'est pas une grève, c'est un travail de tous les jours, à sa manière, mais cependant... Permettez-moi de vous en parler de quelques-unes. Je les prends dans l'ordre de leur âge.

Je parlerai de la Caisse d'économie des travailleuses et des travailleurs, créée en 1971, qui est devenue, toutes caisses ou banques confondues, la principale institution financière au service du prêt, du financement d'entreprises collectives au Québec autres que sous les formes d'hypothèques. C'est avec l'argent des syndicats que cette réalisation-là, et d'autres partenaires qui se sont ajoutés ensuite, que cette organisation-là a pu se développer. C'est le chef de file dans le financement de l'entrepreneuriat collectif. Elle compte 765 organisations syndicales; au-delà de 400 entreprises ou organismes du mouvement coopératif; une trentaine de fédérations et regroupements; près de 250 coopératives d'habitation; près d'une centaine de coopératives de travail; 600 organismes du mouvement communautaire; 137 organismes ou entreprises culturelles, y inclus, depuis ses débuts, le Cirque du Soleil. C'est l'institution financière du Cirque du Soleil. Donc, ceci est une réalisation importante qui montre une implication syndicale très concrète dans le prolongement de son action.

n(10 h 50)n

Bâtirente, qui, depuis 1987, propose, prioritairement, particulièrement, à des membres de syndicats affiliés à la CSN mais à d'autres aussi, un système intégré de régime de retraite collectif et de fonds de placement. Et, bon, 22 000 participantes et participants confient leurs capitaux aujourd'hui, c'est près de 400 millions d'actif consolidé sous gestion. Toujours, Bâtirente s'est, dès le début, soucié, un peu comme on disait de monsieur... Qui qui faisait de la prose sans le savoir? Avant l'expression et avant le nom, Bâtirente avait le souci de se soucier de la cohérence de ses placements, avec le respect des droits fondamentaux, et s'est toujours aussi résolument inscrit dans une démarche qui vise à intégrer les principes de la finance socialement responsable dans ses politiques de placements. À titre d'exemple, le Fonds établit une collaboration avec la Caisse d'économie des travailleuses et des travailleurs et le Fonds d'action québécois pour le développement durable, justement, dans ses portefeuilles obligataires.

Nous sommes membres de la Caisse, Bâtirente, Fondaction, du Social Investment Organization. Le comité Bâtirente maintient des relations étroites avec des acteurs impliqués dans l'actionnariat, dans l'engagement actionnarial au niveau national et international et dans des campagnes. Il est parmi un des seuls au Québec à offrir aux membres des coopératives de travail, coopératives de travailleurs actionnaires, travailleuses actionnaires, le REER coop, le régime d'épargne-retraite coop.

Et également, si on pense au capital de développement, bien, la CSN a suscité, plus récemment, la mise en place, comme vous le savez, de Fondaction, le Fonds de développement pour la coopération et l'emploi, qui a démarré au début de 1976. Dans sa mission, Fondaction privilégie les... Quoi?

Une voix: 1996.

M. Beaulieu (Léopold): Oui, j'ai dit 1996. Ah! excusez-moi. 1996, en janvier, avec une loi votée en juin 1995, juste avant la Saint-Jean-Baptiste.

Donc, Fondaction fait du financement d'entreprises mais a tenu à ce que soit inscrit, dans sa loi constituante, trois dispositions particulières, qui sont celles que Fondaction privilégie: des investissements dans des entreprises où il y a des processus de gestion participative, des nouveaux modes d'organisation du travail; dans les entreprises de l'économie sociale, donc avec coopérative ou OBNL; et également dans des entreprises qui ont le souci du respect du développement durable, de l'environnement.

Et aujourd'hui Fondaction, dans la plupart de ses exigences d'investissement, exige la production d'un diagnostic socioéconomique pour qu'on puisse apprécier la citoyenneté de l'entreprise, si on veut, non seulement la qualité du projet d'investissement. Une formation économique est dispensée à l'ensemble des salariés des entreprises dans lesquelles on fait un investissement. L'entreprise est invitée à contribuer à un fonds à hauteur d'un quart de 1 % de la masse salariale, un fonds de formation économique des travailleuses et travailleurs.

On a aussi une disposition qui encourage l'épargne, que les entreprises encouragent l'épargne-retraite et également un accord de principe des actionnaires pour que, s'ils le veulent, sur une base collective, les salariés des entreprises puissent acquérir une participation financière à celle-ci. Donc, vous voyez qu'il y a cette préoccupation-là. Aujourd'hui, c'est au-delà de 42 000 actionnaires, participantes et participants, et puis c'est près de 250 millions d'actif. Ça grossit autour de 5 millions par mois.

Le dernier-né des outils de la CSN, c'est Filaction, qui est un fonds intermédiaire qui, entre autres, s'occupe de faire de l'approvisionnement de fonds communautaires, et également un fonds d'investissement coopératif, qui a été créé par Fondaction aussi, qui est sous sa responsabilité.

Donc, toutes ces approches-là nous amènent à conclure, assez particulièrement, que ? et je me dépêche pour la suite ? ces outils-là, à leur manière, sont présents dans toutes les facettes de la finance socialement responsable. Et, quand on... Oui, à la manière de. Et, quand on veut parler de typologie de la finance socialement responsable, nous, on peut faire la distinction des placements sur les marchés financiers, où les gens agissent soit par tamisage, hein, à l'époque de l'investissement éthique, donc discrimination de certains titres, ou par engagement corporatif, c'est-à-dire obtenir de l'entreprise qu'elle prenne des engagements à s'améliorer.

Du côté de la finance ou de l'investissement, vous avez les fonds de développement dont plusieurs... notamment et particulièrement les fonds de travailleurs au Québec, Fondaction, avec sa mission particulière qui est, au premier chef, à inclure dans cette catégorie-là, et d'autres qui s'occupent de financement communautaire, de financement. Et vous avez, du côté du prêt, la finance solidaire, la Caisse d'économie des travailleuses et des travailleurs, et tout ça. Donc, chacune de ces institutions mises sur pied à l'initiative de la CSN agit sur les questions d'investissement socialement responsable ou de finance socialement responsable. Il est intéressant de retenir cette typologie-là, de distinguer investissement de placement, parce qu'on est, d'un côté, sur les marchés financiers, d'autre part, on est directement en entreprise.

Et donc il y a deux résolutions, deux recommandations sur lesquelles on insiste et qui ont quelque chose à voir avec le changement de niveau ou des moyens importants à se donner. Le défi, c'est de se donner les moyens de faire que, du côté du placement, une partie des fonds d'épargne-retraite puisse canaliser vers des fonds qui sont spécialisés dans l'investissement socialement responsable une partie des entrées de ces fonds-là. Et on a, par exemple aux États-Unis, toute la question du Economically Targeted Investment, ETI, hein, où on voit que les fonds de retraite s'entendent pour canaliser vers des fonds spécialisés dans l'investissement auprès des entreprises, avec ces préoccupations du socialement responsable.

Et, pour réussir ce changement d'échelle, pour faire qu'une partie des 240 et plus milliards qui sont dans l'épargne-retraite détenue par les Québécois, les ménages québécois, puisse, en partie, être mobilisée là-dessus, notre proposition, que vous trouvez à la page 27, c'est celle que les caisses de retraite devraient investir 1 % de leur actif sous gestion dans une plateforme d'investissement à vocation solidaire dans le développement de l'emploi et que ces sommes devraient être gérées collectivement en collaboration avec les acteurs de la finance solidaire et qu'ils interviennent auprès des entreprises. Ça nous semble une mesure fort importante et qui d'ailleurs fait écho à des positionnements qu'on retrouve au niveau international. Donc, la pérennité des institutions de la finance solidaire serait davantage assurée par cet approvisionnement et pourrait, parce qu'elles savent comment, faire les interventions qui coïncident avec ces préoccupations-là.

L'autre recommandation aussi que nous faisons: Pour être capable de constamment rester à jour sur ce qui devrait être reconnu comme instrument de référence, parce qu'il y a ailleurs dans le monde des consensus qui commencent aussi à se dégager sur une définition adéquate de la responsabilité sociale des entreprises et de ce qui doit être publié ? je pense au Global Reporting Initiative, le GRI, qui a déjà détaillé des critères ? il nous semble qu'il faudrait mettre en place un forum pour la responsabilité sociale des entreprises, qui pourrait regrouper les parties prenantes, hein: patronat, syndicat, ONG, autorité publique, qui aurait trois activités principales. C'est d'abord une appropriation commune des enjeux; deuxièmement, favoriser le développement des recherches puis des échanges dans l'optique de la convergence des pratiques des instruments du socialement responsable; et, troisièmement, un rôle actif dans l'identification de ça au plan international, surtout au niveau des Amériques.

Il nous semble qu'il y a déjà une présence du Québec, il y a des avances du Québec sur... il y a des avancées importantes du Québec, en termes de réalisation quant à la finance solidaire, hein, de fonds de développement qui existent, mais le défi, c'est d'arriver à faire en sorte de pouvoir canaliser une partie des portefeuilles détenus par les régimes d'épargne-retraite, les fonds de pension, vers des institutions qui, elles, sont spécialisées là-dedans dans la proportion de 1 %. Je vous remercie.

Le Président (M. Paré): Merci beaucoup, M. Beaulieu. Donc, nous avons...

Mme Carbonneau (Claudette): Vous permettrez, M. le Président, de...

Le Président (M. Paré): Oui. En terminant. Il reste 30 secondes. Allez-y.

Mme Carbonneau (Claudette): Très rapidement, nos autres recommandations. Dans votre document de consultation, vous soulignez à juste titre qu'il y a un engouement, pour les épargnants, à investir de façon responsable. Je pense que, comme gouvernement, vous pouvez soutenir cette tendance qui est heureuse, et, de ce côté-là, on y va de cinq suggestions concrètes qui concernent les comités de retraite.

La première, il faut d'abord leur donner un contrôle sur l'épargne si on veut qu'ils agissent et infléchissent les politiques d'investissement. Or, en ce sens-là, on demande vraiment une équité de représentations, un nombre égal de sièges pour les participants et les employeurs sur chacun des comités de retraite.

n(11 heures)n

On insiste aussi pour que la Régie des rentes du Québec mette plus d'emphase, plus de budget pour travailler à former adéquatement les membres des comités de retraite, y compris sur les approches de placement responsable. On constate un certain nombre d'imprécisions quant aux devoirs de fiduciaires et, de ce côté-là, on voudrait des amendements législatifs qui iraient dans la direction suivante: d'une part, prévoir que les comités de retraite ont l'obligation de préciser qu'est-ce qu'elles prennent en compte dans l'établissement de leurs politiques de placement. Bref, donnent-elles ou non des directives en matière sociale, en matière environnementale, en matière de gouvernance des entreprises? Et on souhaiterait aussi que vous légifériez de façon à ce que les comités de retraite aient l'obligation d'informer les participants de la façon dont ils exercent concrètement leur droit de vote en tant qu'actionnaires. Dernièrement, dans ce bloc-là, on souhaite que l'obligation de transparence soit aussi faite aux fonds mutuels, obligation qui irait dans le même sens que pour les comités de retraite, dans la mesure où les fonds mutuels bénéficient d'avantages fiscaux liés à l'épargne-retraite.

Quelques mots sur la Caisse de dépôt et placement du Québec: c'est un acteur majeur, c'est un acteur extrêmement important qui n'a pas développé à ce moment-ci, dans l'exercice de ses votes, des pratiques d'actionnariat socialement responsable. Et plusieurs intervenants vont vous dire: On souhaite tel comportement de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Quant à nous, on voudrait rappeler une réalité: la Caisse a un double mandat, elle a aussi des déposants pour qui elle agit, elle a aussi des clients et, en ce sens-là, nous croyons qu'il revient à ces déposants et qu'il revient à ces clients d'édicter eux-mêmes comment ils entendent exercer leur droit de vote dans le sens d'une responsabilité sociale qui soit accrue.

Par ailleurs, on a été fort intéressés par une initiative qui a été prise en France par la Caisse de dépôt et de consignation et qui a contribué à mettre là-bas sur pied une agence de notation des entreprises. Plusieurs intervenants avant nous ont fait ressortir la difficulté de voir clair et d'évaluer correctement le comportement des entreprises en matière sociale et en matière environnementale. Or, ce genre d'expertise fait cruellement défaut au Québec et nous croyons que la Caisse, comme institution, devrait investir des énergies pour nous permettre de nous doter d'une telle agence au Québec.

Dernière considération, ça concerne davantage un autre rôle que nous attendons de la part des pouvoirs publics et qui concerne les programmes d'aide aux entreprises: les politiques d'achat. Et je vous rappelle à cet égard qu'à la page 30 de notre mémoire nous avons trois recommandations. D'une part, on souhaite que le gouvernement du Québec lie l'accès au crédit à l'exportation au respect des principes directeurs de l'OCDE, s'inspirant, ce faisant, d'une mesure intéressante qui a été prise en Hollande. On souhaite aussi que le gouvernement du Québec devrait développer des mesures pour encourager les entreprises à adhérer au pacte mondial de l'ONU et encourager le gouvernement canadien à, lui, ratifier les conventions de l'Organisation internationale du travail. Dernière recommandation de ce bloc: on souhaite que soit établie une liste noire des entreprises déclarées coupables d'infraction aux normes internationales minimales en matière de travail et aux principes directeurs de l'OCDE, qui se verraient exclues pour une durée de trois ans des mesures d'aide à l'entreprise ou de contrats gouvernementaux.

Évidemment, pour nous, là on ne valorise pas la pénalité pour le plaisir de la valoriser, on serait même prêts à ce que ces pénalités soient levées dans la mesure où l'entreprise s'engage dans des mesures de responsabilité et qu'un suivi soit réalisé par une firme d'audit social qui soit indépendante.

Alors, je m'arrête là, strictement en rappelant que, quant à nous, l'initiative qu'a prise cette commission d'ouvrir ce débat sur la responsabilité sociale des entreprises, c'est un phénomène unique au Canada, unique en Amérique du Nord, et c'est une initiative que nous voulons saluer, et que nous souhaitons voir déborder l'exercice de réflexion et nous engager vraiment dans des actions qui nous permettent de progresser dans cette direction.

Le Président (M. Paré): Merci, Mme Carbonneau. Il nous reste maintenant 35 minutes d'échange. M. le député du Lac-Saint-Jean, M. le député de Masson, M. le député de Bertrand ont demandé la parole. On commence par vous, M. le député de Masson.

M. Labbé: Merci, M. le Président. Mme Carbonneau, bienvenue, avec toute votre équipe. Alors, il y a beaucoup de compétence autour de vous.

Alors, j'aimerais... Il y a des fois des choses... On vit des choses fort intéressantes au niveau des commissions parlementaires. Je ne sais pas si c'était organisé, je ne pense pas, mais que les gens de la Chaire, par exemple, Économie et Humanisme de l'Université du Québec à Montréal passent juste avant vous, ça, je trouve ça intéressant. Vous en avez parlé un petit peu, parce que, eux autres, dans leurs commentaires au niveau de leur mémoire comme tel, ils nous disaient: Attention! soyez prudents ? hein, il y avait un mot qui s'appelait prudence ? on dit: Prudence ? parce que les informations sont insuffisantes, il y a des données aussi qui sont insuffisantes, incomplètes et, même, on a des organismes qui se contredisent ? avant d'aller plus loin en termes d'action, et votre organisation, au contraire, dans le mémoire ? et ça, je trouve ça intéressant, puis ça va nous permettre un petit peu d'aller plus loin parce que ça a été fort intéressant avec le groupe précédent ? vous autres, vous nous parlez, entre autres dans certaines recommandations, de renforcement de la législation nationale ? donc, c'est des gestes assez concrets, merci ? obligation légale de rapport financier, social et environnemental ? il y a le mot «obligation» qui revient assez souvent; et ça, je vous reconnais là-dedans, vous êtes des gens d'action, et ça, c'est connu et reconnu ? l'obligation, entre autres, de rapporter à leurs participants l'approche qui est retenue, obligation de transparence, la formation d'une agence de notation ? vous en aviez parlé tout à l'heure ? des entreprises, la caisse de retraite devrait aussi investir 1 %. Alors, c'est des actions très concrètes et ça se poursuit comme ça. Il y a plusieurs recommandations dans ce sens-là.

Par rapport au groupe qui a passé avant vous, qui nous dit: Attention avant d'agir concrètement, soyons prudents, on a besoin de monter nos données, d'aller vérifier ce qui se fait, etc. D'abord, première question: Quelle est votre réaction? C'est-à-dire, oui, peut-être qu'il y a moyen de. Vous vous entendez au moins sur une chose: vous voulez tous les deux un forum. Ça, c'est clair à ce niveau-là. J'aimerais voir votre première réaction, de dire: Oui, le Québec est prêt puis, vraiment, on y croit, à nos recommandations. Et si, à partir de ça, vous dites: Oui, on est prêts à passer à l'action, est-ce qu'il y a des choses qui devraient être priorisées ou si vous sentez que, non, vous autres, il n'y a pas d'inquiétude, on a toute l'information nécessaire pour vraiment passer à l'action?

Alors, première chose, c'est la réaction au groupe qui a passé juste un petit peu avant vous. Est-ce qu'on est prêts, oui ou non? Ou, si à ce moment-là... puis on est prêts à passer à l'action, si oui, dans quel genre d'action?

Le Président (M. Paré): Mme Carbonneau.

Mme Carbonneau (Claudette): Bien. Je pense qu'on est prêts à poser un certain nombre de gestes. On va être les premiers à reconnaître qu'il y a de l'ordre à mettre là-dedans, que, effectivement, il y a des informations à vérifier, et voilà pourquoi on mettait beaucoup d'emphase sur l'utilité de créer, par exemple, cette agence de notation.

Cependant, on ne vit quand même pas dans le vide, il y a des décisions qui se prennent au jour le jour, elles ont des conséquences parfois heureuses, parfois malheureuses au plan social, au plan environnemental. Et nous croyons, par exemple, que, quand on veut se donner un certain nombre de mécanismes au niveau des comités de retraite, bien, il y a là un bel exemple de personnes qui assument des responsabilités à l'égard du rendement pour les épargnes qui leur sont confiées mais qui sont aussi des citoyens avec des préoccupations sociales, avec des préoccupations environnementales. Et, ma foi, s'ils avaient, même imparfait, accès à plus de transparence ou à un certain nombre d'informations, je ne crois pas qu'ils prendraient des décisions plus bêtes que celles qu'on voit prises au quotidien en l'absence de toute législation ou de toute réglementation qui va dans cette direction-là. Ce sont des gens qui sont redevables à leur membership.

Alors, pour moi, le débat, il ne sera jamais aussi simple que de dire: On ne part pas du tout parce qu'on n'a pas tout en main. Reconnaissons qu'on n'a pas tout en main. Mais je pense qu'on est dans une société qui est confrontée à des changements extrêmement profonds et, ma foi, s'il fallait avoir des réponses à tout pour commencer à bouger, ce serait un peu dramatique.

Le Président (M. Paré): Merci, Mme Carbonneau. M. le député de Masson.

M. Labbé: En complémentaire, M. le Président. Je comprends très bien votre réaction par rapport à ça. Mais si vous aviez un choix à faire à ce moment-là ? je sais que ce n'est pas facile parce que vous aviez pris même plusieurs recommandations ? pour avoir la meilleure information possible, ce serait quoi à ce moment-là, votre priorité pour avoir un dossier? Ou est-ce qu'on parle d'un code? On est-ce qu'on parle d'information? On est-ce qu'on parle d'un système de notation? Ce serait quoi, votre priorisation, à ce moment-là?

Mme Carbonneau (Claudette): Bien. Écoutez, d'autres pourront ajouter, là, en complément. Mais je pense qu'il y a quand même là, y compris au niveau international, un certain nombre de convergences qui commencent à se dessiner. Je vais vous parler, par exemple, du travail, O.K., et des débats qui sont faits à travers l'Organisation internationale du travail, qui ont priorisé cinq grandes conventions internationales et qui sont porteuses, hein. Quand on parle du droit d'association, il faut faire confiance aux gens. Donnons-leur les moyens de s'organiser et ils vont très certainement militer pour une amélioration de la condition des travailleuses et des travailleurs. Quand on parle de droits aussi fondamentaux que d'éliminer le travail des enfants, éliminer le travail forcé et contrer la discrimination, bon, ça ne fait pas foi de tout, il y a place à amélioration sur d'autres thématiques, mais disons que, si déjà on faisait un bout dans cette direction-là, il me semble que c'est une contribution nettement positive. Et je suis certaine que, au niveau environnemental, sans encore là avoir toute la palette d'interventions possibles, il y a certainement moyen de cibler des choses qui sont mesurables et sur lesquelles on peut commencer à agir.

Le Président (M. Paré): Merci. M. le député de Lac-Saint-Jean.

n(11 h 10)n

M. Tremblay: Oui, merci. Quand actuellement... Les actions législatives qui ont été prises par plusieurs gouvernements et même un projet de loi que j'avais écrit à Ottawa, à savoir que les gestionnaires de caisses de retraite devraient faire preuve de plus de transparence en émettant un rapport avec les considérations éthiques, environnementales dont ils tiennent compte dans leur choix de placement et leur droit de vote, moi, je disais que ? et je le dis toujours ? ça, c'est l'instrument législatif pour avoir plus de transparence, et que ce rapport est envoyé aux participants, aux travailleurs, en fin de compte. Et là, moi, dans ma tête, ça prend absolument une volonté, de la part des propriétaires de caisses de retraite que sont les travailleurs, d'agir et de faire pression auprès de leurs administrateurs de caisse de retraite, dire: Bien, là, écoute-moi: Tu as investi dans tel endroit, je ne suis pas d'accord et ainsi de suite. Donc, la pression, dans ma tête, venait des travailleurs et, par le fait même, par les syndicats. Alors, est-ce que... Parce que, aujourd'hui, vous dites... vous venez voir le gouvernement en disant: Voici les devoirs que vous devriez faire. Mais est-ce que, vous, vous sentez que vous êtes ? bien, je pense que vous l'êtes ? un joueur majeur dans l'application de politiques d'investissement socialement responsable, d'une part, en éduquant vos travailleurs en disant: Regardez là où est investi notre argent. Ça, c'est ma première question.

Ma deuxième question, c'est au niveau international. Justement dans ce même ordre d'idées, vous qui avez des contacts avec des syndicats à travers le monde et à travers les Amériques notamment, n'y a t-il pas lieu de, justement, voir apparaître un mouvement de la part des syndicats des Amériques, un mouvement de surveillance par rapport à cette question d'investissement socialement responsable? Dans le sens que si, par exemple, une caisse de retraite ici veut investir au Chili, bien ? dans une entreprise quelconque ? par vos contacts que vous avez au Chili, bien, vous êtes en mesure de dire que cette entreprise-là ne respecte pas les droits des travailleurs? Donc, est-ce qu'il n'y aurait pas une implication de la part des syndicats outre-frontière qui ne pourrait pas être accrue?

Et la dernière question, bien, c'est: Dans le Fondaction, quand vous investissez, je suppose que vous regardez certains critères à l'égard du respect des droits des travailleurs; et, au niveau de votre fonds de retraite de 400 millions, est-ce que vous avez un filtre ou est-ce que vous avez ? parce que vous êtes des investisseurs également ? est-ce que vous en faites, de l'investissement socialement responsable, déjà, ou si la loi n'est pas assez claire à cet égard, et ça fait en sorte que vous regardez juste le rendement? Ça fait beaucoup de questions, mais vous avez beaucoup de compétence à ce niveau-là, alors c'est intéressant.

Le Président (M. Paré): M. Beaulieu.

M. Simard (Daniel): Daniel Simard.

Le Président (M. Paré): Ah, excusez! M. Simard. Allez-y.

M. Simard (Daniel): Aux questions du député de Lac-Saint-Jean, M. Tremblay, d'abord, peut-être brièvement, sur le volet engagement avec d'autres syndicats. C'est une démarche dans laquelle la CSN est engagée activement à travers son affiliation internationale. Il y a donc des démarches de concertation qui sont en développement, mais vous savez probablement comme moi et l'ensemble des députés que le cheminement à l'intérieur de forums internationaux ne se fait pas du jour au lendemain. Donc, c'est une initiative relativement récente mais qui est porteuse sans doute et qui donnera des résultats. Déjà, il y a des actions internationales; on donne dans le mémoire l'exemple de notre implication dans le dossier de Rio Tinto. Alors, ça, c'est une action internationale menée par la Fédération internationale de la métallurgie qui a donné des résultats, donc, qui a permis le règlement d'un conflit de travail assez ardu en Australie. Donc, les syndicats qui ont participé à cette campagne-là ont fait un bilan positif de l'expérience à travers un engagement actionnarial.

D'un autre côté, sur votre question sur l'application de principe de tamisage dans la gestion de nos portefeuilles: jusqu'à présent, on a plutôt favorisé l'engagement avec les sociétés. Évidemment, il arrive des circonstances où, lorsqu'on fait pression sur des sociétés, sur des questions qu'on juge importantes du point de vue des valeurs mais souvent aussi du point de vue d'un gestionnaire de portefeuille, du point de vue des facteurs de risque qui découlent de leur comportement asocial ou anti, contraire aux normes internationales ou au comportement, disons, attendu généralement des sociétés qui opèrent outre-mer, bien, si l'entreprise refuse de reconnaître les difficultés qu'elle engendre là-bas et des risques qui découlent pour le fonds de retraite qui y a placé une partie de ses billes, le tamisage, c'est souvent de quitter. Donc, il nous est arrivé, oui, devant la résistance affichée par la haute direction d'une société, de retirer nos billes puis de retirer nos placements de cette entreprise-là, sans nécessairement la nommer aujourd'hui. Mais donc, on progresse sur ce chemin-là et on croit qu'il y a effectivement des encouragements qui pourraient être donnés aux fiduciaires de caisses de retraite, qui souvent sont inconfortables devant un certain flou législatif, sur le droit qu'ils ont d'introduire ces facteurs-là dans l'analyse de leurs décisions de placements.

Et certainement que l'idée proposée dans le mémoire, de permettre ou d'affirmer que les comités de retraite, s'ils appliquent des critères, les fassent connaître et qu'ils fassent connaître la façon dont ils exercent leur droit de vote, va dans le sens d'encourager tous les fiduciaires de régimes de retraite à se poser ces questions-là et à soulever les coins des tapis pour voir est-ce qu'il y a des choses qui dépassent, par rapport à ce à quoi s'attendent leurs membres qui bâtissent leur retraite sur ces placements-là.

Le Président (M. Paré): Merci. M. Beaulieu.

M. Beaulieu (Léopold): Merci. Tout à l'heure je mentionnais, par rapport à Fondaction: Effectivement, le diagnostic socioéconomique, formation économique des travailleuses et des travailleurs ? un peu l'énumération que je faisais tantôt ? et son existence, et qu'il est en faveur du maintien et de la création d'emplois ? c'est ce qui nous préoccupe ? dans des investissements rentables, parce que la viabilité des entreprises, c'est aussi un critère qui n'est pas mis de côté puis écarté parce qu'il y a cette préoccupation du socialement responsable.

Mais, pour rejoindre un peu la préoccupation que vous aviez, les choses sont en cohérence, je pense, dans ce qu'on a tenté de soumettre. Il faut, pour transformer un peu les choses et imprimer une mouvance, il faut le forum pour s'entendre, faire le point rapidement sur ce qui devrait être obligatoire de publication de la part des entreprises, il faut légiférer sur la transparence: donc, le forum, la transparence, l'agence de notation qui guide les gestionnaires de portefeuille. Ensuite, il y a chaque fonds de pension qui détermine sa politique à l'égard du socialement responsable et puis par rapport au tamisage ou par rapport à l'engagement corporatif. Mais ces choses-là sont, en amont, absolument nécessaires.

Du côté du soutien à la finance, à l'intervention directe à l'entreprise, que ce soit sous une forme ou sous une autre, par les fonds de développement ou par les caisses ou par d'autres fonds qui interviennent directement auprès de l'entreprise, c'est l'impérieuse nécessité de pouvoir canaliser une partie des portefeuilles vers ces institutions-là qui sont spécialisées et qui sont en mesure et qui sont capables de faire de l'intervention directe à l'entreprise, de financement direct à l'entreprise, le 1 % qu'on vous soumet. Et ça, c'est faisable maintenant, il nous semble, et c'est en cohérence, voyez-vous. Et la mouvance va s'imprimer. La contrainte, c'est la transparence, ce n'est pas d'agir dans le socialement responsable, mais c'est de savoir quoi publier, quoi devoir publier puis obliger cette publication.

Le Président (M. Paré): Merci, M. Beaulieu. M. le député de Lac-Saint-Jean, vous avez terminé? Donc, M. le député de Bertrand.

M. Cousineau: Merci, M. le Président. Mme Carbonneau, messieurs, bonjour. Plusieurs intervenants, plusieurs groupes plaident pour du volontarisme, et le rôle de l'État serait un rôle d'accompagnement. Et puis, la CSN, vous dites que c'est nettement insuffisant. Vous avez mentionné tantôt, Mme Carbonneau, que ce serait très important de renforcer la législation nationale, d'y aller avec plus de dents et plus de pouvoirs de contrainte.

À la recommandation 15, vous mentionnez que ce serait important d'établir une liste noire des entreprises qui ne veulent pas se soumettre aux différentes démarches et aux différentes ententes. N'y a-t-il pas là un risque ? remarquez que je suis d'accord avec ça ? mais n'y aurait-il pas là un risque que ces entreprises-là menacent de faire des mises à pied massives si, à un moment donné, elles ne reçoivent pas l'aide gouvernementale ou ne sont pas placées sur les listes? Première question.

Deuxième question: Est-ce qu'il y a d'autres mesures que vous pensez que l'on pourrait imposer au niveau des pouvoirs de contrainte aux entreprises?

Le Président (M. Paré): Mme Carbonneau.

n(11 h 20)n

Mme Carbonneau (Claudette): Je vais d'abord revenir, pour bien préciser l'esprit dans lequel se situe notre mémoire. On convient qu'il n'y a pas un seul acteur, puis que tout n'est pas État, on convient que c'est une responsabilité plus large. Ce qu'on suggère, par l'action législative, c'est que vous souteniez les personnes ou les groupes qui veulent agir en permettant d'élargir l'espace où ces acteurs-là pourront intervenir. Autrement, moi, je pense que, bon, les syndicats, différents groupes dans la société, sont plus sensibles à ces réalités-là. Alors, donnons-leur l'infrastructure légale pour leur permettre de poser des gestes qui affirment une plus grande responsabilisation sociale. Alors, c'est vraiment dans cet esprit-là qu'il faut comprendre notre mémoire, et je crois que ça recoupe un peu le commentaire aussi et la question qui a été faite par le député qui vous a précédé.

Par ailleurs, quand vous soulevez la question de la recommandation 15, écoutez, il y a des limites à ce genre de raisonnement là, autrement, on se mettrait complètement à la merci d'entreprises qui auraient n'importe quel comportement. Et je crois que la recommandation qu'on vous présente, elle est très balancée, on dit: Holà, listes noires. On dit: Oui, ça va vous couper de programmes d'aide pour une période de trois ans, mais l'antidote est aussi présent dans la proposition. Ce qu'on cherche, ce n'est pas une action punitive pour le plaisir d'être punitive; ce qu'on cherche, c'est un redressement de la situation par rapport à des comportements qui sont inacceptables.

Et, de ce côté-là, on dit: Entreprises, êtes-vous prêtes à vous faire accompagner? Êtes-vous prêtes à vous inscrire dans une démarche pour redresser la situation? Auquel cas, ma foi, il n'y a plus cette pénalité ou cette radiation pour une période de trois ans. Autrement, on se met complètement à la merci de n'importe quel comportement, là, tout à fait antisocial.

Le Président (M. Paré): Merci, Mme Carbonneau. Maintenant, nous allons passer à Mme la députée de La Pinière. Madame, la parole est à vous.

Mme Houda-Pepin: Merci beaucoup, merci, M. le Président. Mme Carbonneau et MM. de la CSN, soyez les bienvenus. Vous êtes toujours fidèles, vous présentez toujours des mémoires très bien documentés, bien fouillés, et je vous en remercie.

Mme Carbonneau, l'investissement responsable suppose évidemment qu'on se préoccupe des dimensions sociales et environnementales, mais ça n'exclut pas non plus la rentabilité des fonds. Or, hier, le journal La Presse, dans le cahier des affaires, a publié un article intitulé Dure année pour Fondaction et le Fonds de la FTQ, Fondaction étant votre outil principal par lequel vous faites de l'investissement responsable.

Et, pour ne pas l'interpréter, je voudrais vous lire l'extrait: «Fondaction a dû pour sa part réduire la valeur de son action de 12,38 $ à 11,88 $, conséquence d'un rendement négatif de 3,88 %. Le rendement aurait été encore plus bas si le Fonds de la CSN n'avait pas puisé dans son trésor pour l'améliorer. Depuis deux ans, Fondaction a en effet utilisé la totalité de la mise de départ du gouvernement québécois, soit 10 millions de dollars, pour soutenir la valeur de son action. Il s'agit d'une mise de fonds remboursable en 2010, au moins pour la portion qui n'aurait pas été utilisée.

«Or, Fondaction a utilisé cette marge de manoeuvre au complet. La plus grande partie, soit 7 millions, a servi à soutenir le cours de l'action durant l'exercice précédent en 2001, alors que le Fonds a rapporté un rendement de 1,22 %.»

Et, lorsqu'on regarde les tableaux, on voit très bien la courbe, pour ce qui est de Fondaction en tout cas ? ça, ici, c'est le Fonds de solidarité FTQ ? que, depuis le démarrage du Fonds, les dividendes sont en baisse. Alors, je veux savoir qu'est-ce qui se passe à la CSN dans le Fondaction? Parce que je présume que les travailleurs qui vous confient la responsabilité d'investir leurs argents dans des activités s'attendent aussi à avoir des dividendes aussi intéressantes que d'autres fonds. Pourquoi, dans votre cas et aussi dans celui... Évidemment, je ne vous demanderai pas de répondre pour la FTQ, mais, pour la CSN, pourquoi les dividendes sont si bas?

Le Président (M. Paré): M. Beaulieu.

M, Beaulieu (Léopold): Oui, merci. Si bas, il faudrait voir par rapport à quoi et à qui. Je vous le demande.

Mme Houda-Pepin: Bien, moi, je vous pose la question parce qu'on dit que vous avez été obligés d'utiliser la marge de crédit de 10 millions de dollars, sur deux ans.

M, Beaulieu (Léopold): C'est qu'il y a eu dans Fondaction une participation du gouvernement du Québec à la hauteur de 10 millions au début pour soutenir... faite justement pour s'assurer de pouvoir soutenir, dans les premiers temps du développement de Fondaction, la valeur de l'action. Et c'est vrai que Fondaction l'a utilisée. Maintenant, il faut bien voir ça de façon générale par rapport à d'autres véhicules de placement, d'investissement. Je ne ferai pas, moi non plus, d'allusion au Fonds de solidarité qui existe et qui remplit très bien sa mission. Et les fonds de travailleurs, Fondaction ou le Fonds de solidarité, continuent d'être un excellent placement pour l'épargne-retraite, avec un impact direct sur l'emploi.

Mme Houda-Pepin: La raison pourquoi...

M, Beaulieu (Léopold): Mais je vais répondre à votre question précisément, madame, si vous me donnez quelques instants, parce que j'y tiens, elle est importante, votre question. Premièrement, vous allez remarquer, quand on compare les deux schémas, qu'ils ne sont pas construits sur la même échelle. Moi, je ne suis pas statisticien, mais je sais ce que c'est que -3,88 ou autre chose. Vous regarderez l'échelle de... Consultez un statisticien, vous verrez que l'échelle n'est pas construite sur la même base. Mais je reviens: le 10 millions...

Mme Houda-Pepin: M. Beaulieu, je vous consulte. Je vous consulte, vous, parce que vous êtes mieux placé que quiconque pour rectifier le tire.

M, Beaulieu (Léopold): Ça va, et je vous suis reconnaissant de le faire.

Mme Houda-Pepin: Et je me fie à vous, là, juste...

M, Beaulieu (Léopold): Je vous suis reconnaissant de le faire. Alors, vous remarquez que l'échelle n'est pas construite sur les mêmes bases. Deuxièmement ? le diagramme, donc, est un peu embêtant ? deuxièmement, l'impact sur la valeur de l'action, de l'utilisation des actions G qui était faite pour ça, c'est 0,20 $. C'est-à-dire, dans son premier semestre, Fondaction a diminué la valeur de son action de 0,50 $. Ça aurait été de 0,70 $ sans l'utilisation des actions G pour le premier semestre de Fondaction. Quant à son deuxième semestre, il a été positif.

Mme Houda-Pepin: D'accord, mais ma question...

M, Beaulieu (Léopold): Je veux comparer pourquoi c'est si bas. Je reviens là-dessus. Je ne parle pas du crédit d'impôt de 30 %, mais du fait que, quand on est sur un portefeuille d'épargne-retraite, on est sur une épargne qui est à plus long terme, et il faut s'attendre à un rendement. Et vous remarquerez, sur l'historique de rendement des fonds de travailleurs, une volatilité beaucoup moins grande que par rapport aux autres véhicules de placement à plus long terme. Permettez-moi de vous rappeler que, dans cet article-là justement, on parle, on vous dit que le TSE 300 avait atteint un tel niveau en septembre 2000 ? pas 2001, pas 2002, pas le 11 septembre ? en septembre 2000, qu'il est encore à 38 % plus bas aujourd'hui de ce niveau qu'il avait atteint. Quand vous connaissez une diminution de 50 %, ça vous prend un rendement l'année suivante de 100 %. Il y a beaucoup moins de volatilité. Et quand on regarde le... Donc, il faut le voir par rapport à quoi.

Mme Houda-Pepin: Ça, j'ai compris, monsieur.

M, Beaulieu (Léopold): On pourrait considérer que la performance des fonds de travailleurs n'a pas été bonne.

Mme Houda-Pepin: Je comprends ça, M. Beaulieu, mais je vous ai quand même donné l'opportunité d'expliquer votre point de vue, n'est-ce pas, on peut être d'accord ou pas d'accord. Mais, plus largement, moi, ce que je voulais illustrer par cet exemple, c'est tout, je dirais, le scepticisme autour de l'investissement responsable et des fonds éthiques. Et ce que les gens nous disent, c'est qu'ils craignent pour le rendement, que ces fonds-là n'ont pas le même niveau de rendement en règle générale ? je ne parle pas seulement de Fondaction ? que l'investissement qui ne tient pas compte de la dimension sociale et environnementale. Et donc, lorsqu'on lit ça, ça pourrait donner raison aux sceptiques, hein. Supposons que les statistiques ne sont pas bonnes et que je n'aie pas les données pour vérifier, mais la question est posée, puis vous avez eu la chance d'illustrer votre réponse.

n(11 h 30)n

Je veux aller plus loin et, si vous voulez, vous allez faire un rectificatif à La Presse, parce que, si le graphique est...

M. Beaulieu (Léopold): Le texte est correct, madame.

Mme Houda-Pepin: O.K. D'accord.

M. Beaulieu (Léopold): C'est le diagramme qui est construit... Les deux graphiques ne sont pas construits sur les mêmes bases.

Mme Houda-Pepin: Bon. Très bien. Alors, si vous permettez, je voudrais aller à la recommandation 1, parce qu'elle met la table pour tout le reste. Et vous dites que vous exigez «d'abord et avant tout un renforcement des législations nationales ? des législations nationales; je présume que vous vous adressez au gouvernement du Québec pour les législations ? et des conventions internationales non seulement dans les règles édictées, mais aussi dans les mesures d'application». J'aime bien ça, les mesures d'application. Le groupe qui est venu avant vous, je leur ai posé la question sur justement l'applicabilité du cadre de référence dans lequel, par exemple, on va imposer des politiques d'achat au niveau du gouvernement, et ces mesures nous manquent.

Mais, quand vous dites: Renforcer des législations nationales, donc vous ne faites pas référence à une seule législation, ni à un seul ministère, par exemple le ministère des Finances. Vous voulez qu'on regarde l'ensemble du dispositif législatif du gouvernement du Québec et, dans chacune des législations, s'assurer que la dimension éthique, la dimension sociale et environnementale soient présentes. Est-ce que je vous ai bien comprise?

Le Président (M. Paré): Mme Carbonneau.

Mme Carbonneau (Claudette): Bien, je pense qu'on cible des choses, là, assez particulières dans chacune de nos recommandations. On croit que, oui, l'action législative est quelque chose de majeur pour induire des comportements différents de la part des entreprises. Il y a des secteurs où on peut penser que l'intervention est encore plus marquante, par exemple tout le domaine de l'environnement. O.K.? Ça c'est majeur. Alors, on invite le gouvernement à renforcer ses interventions à cet égard-là. On donne d'autres exemples avec d'autres de nos recommandations qu'on met de l'avant à l'intérieur du mémoire. Ce n'est pas toujours des choses très complexes sur lesquelles on souhaite qu'il y ait une législation, j'entends au plan national.

Là où on parle de la nécessité de se doter de mécanismes contraignants qui permettent l'application, le meilleur exemple que je peux vous donner, c'est tout le débat qu'on fait autour de la question, par exemple, de la mondialisation, où on veut voir les normes, par exemple, fondamentales de l'OIT inscrites dans les traités commerciaux non pas pour déposséder, si on veut, le Bureau international du travail ou l'Organisation internationale du travail de son expertise en termes de formulation de ses conventions ou de surveillance des comportements qui se déploient sur les terrains, cependant ce qu'on pense, c'est que la présence de telles dispositions dans des traités de libéralisation du commerce ouvrirait aussi sur des sanctions par rapport aux entreprises récalcitrantes et permettrait une réelle application de ces normes qu'on juge fondamentales.

Alors, ce sont des exemples de cet ordre-là, et je pense qu'avant d'exiger, de passer au peigne fin l'ensemble des lois qu'on a pu voter au Québec et au Canada depuis 1867, on va vous cibler un certain nombre d'actions législatives qui nous apparaissent simples et relativement pertinentes à ce moment-ci.

Le Président (M. Paré): Merci, Mme Carbonneau. Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci, M. le Président. Vous avez dit, M. Beaulieu, que vous faites partie du Social Investment Organization. Hier, ils sont venus se présenter devant nous, et leurs recommandations, une de leurs recommandations ? je présume que vous avez lu leur mémoire ou, en tout cas, vous en avez pris connaissance ? c'est qu'ils demandaient que l'on impose un code de conduite corporatif à toutes les entreprises publiques relevant du gouvernement du Québec. Et je leur ai posé la question, j'ai dit: Est-ce qu'il existe une législation au Canada, dans le monde, qui a fait ça? On m'a dit non. Et ils voulaient que le gouvernement du Québec prenne le leadership dans ce domaine.

Est-ce que, étant donné que vous êtes membre de cette organisation, est-ce que vous souscrivez à une telle recommandation d'imposer des codes de conduite socialement responsable à tous les ministères, à toutes les sociétés d'État, aux secteurs public, parapublic et autres?

M. Beaulieu (Léopold): Je pense que, c'est... D'abord, le seul fait de l'existence de la commission parlementaire, qui est déjà une initiative particulière, montre une sensibilité et une préoccupation de se diriger progressivement dans ce sens-là. Il ne s'agit pas de placer l'une ou l'autre de ces demandes-là en opposition l'une par rapport aux autres mais de les voir dans un ensemble et que le gouvernement s'y apprête, se préoccupe. Il y a un certain nombre de préoccupations et de conditions qui rejoignent le socialement responsable qui font partie des politiques gouvernementales, qui conditionnent un certain nombre d'interventions. Et je vous dirai que c'est progressivement que ces choses-là pourraient évoluer. Je ne vous dirai pas que c'est la première chose à imposer ex cathedra, avant tout, je vous dirai qu'il y a un socialement responsable qui interpelle toutes les composantes et tous les acteurs de notre société.

Et, par rapport à la durée des placements, c'est davantage quand on regarde le court terme, le moyen terme et le long terme. Les entreprises socialement responsables ou les investissements ou la finance socialement responsables, elle est sur un registre de temps qui coïncide bien avec les préoccupations d'épargne-retraite d'un rendement sur une longue durée. Et, quand on regarde un résultat quotidien, il y a toujours quelqu'un qui fait mieux. Il faut voir si ce sont les mêmes qui font si bien sur une période plus longue, et là le socialement responsable reprend parfaitement ses lettres de noblesse en comparaison des autres rendements.

D'abord, pour la société en général, c'est coûteux que de procéder à certains gaspillages. Il y a un article de Henry Mintzberg, dans la revue Commerce du mois d'août, il me semble, qui s'intitule Cinq demi-vérités, à propos des postulats qui ont évolué autour de ce qui doit déterminer une gestion performante. C'est particulièrement inspirant, et vous allez y voir là la nécessité d'agir sur ces questions-là.

Mme Houda-Pepin: D'accord. Merci beaucoup, M. Beaulieu. On lit beaucoup de choses, vous savez. Il faudrait confronter différents points de vue. À la recommandation 7, vous touchez à la question de l'obligation de transparence qui doit être élargie à tous les fonds mutuels de placement dans la mesure, en tout cas, où ces fonds bénéficient des avantages fiscaux reliés aux régimes d'épargne-retraite. Et vous citez l'exemple de l'Australie, vous dites: On doit prendre exemple sur l'Australie, qui a déjà étendu l'obligation de transparence socialement responsable à tous les fonds d'investissement». Elle l'a fait comment, l'Australie? Est-ce que c'est une loi, c'est une politique, c'est un programme, c'est un règlement? Est-ce qu'il y a quelque chose qui a été fait sur lequel on peut se baser pour nous inspirer?

Le Président (M. Paré): M. Pepin.

M. Pepin (Marcel): Je n'ai pas la réponse à votre question sur la mesure exacte, la façon dont les choses ont été opérationnalisées, mais nous savons qu'effectivement il y a eu un développement dans la réglementation en Australie pour imposer cette transparence.

Mme Houda-Pepin: O.K. Auriez-vous la gentillesse de vérifier, pour les gens qui ont travaillé sur le document, et nous faire suivre l'information? Ça m'intéresse parce que, comme on taille dans le neuf, je veux savoir qu'est-ce qui a été fait ailleurs et comment on peut éventuellement s'en inspirer.

M. Pepin (Marcel): Sans difficulté.

Mme Houda-Pepin: La recommandation 8, vous dites: Les clients et déposants de la Commission... la Caisse de dépôt et placement du Québec ? je suis dans la Commission des valeurs mobilières, excusez-moi ? alors, de la Caisse de dépôt et placement du Québec devraient pouvoir décider eux-mêmes de l'exercice des votes concernant les matières sociales et environnementales dans les assemblées d'actionnaires. Vous ne faites pas confiance aux dirigeants de la Caisse de dépôt et placement pour décider de ces orientations-là?

Le Président (M. Paré): Mme Carbonneau.

Mme Carbonneau (Claudette): Écoutez, à notre point de vue, je pense qu'il faut être clairs. Quant à nous, les droits de vote n'appartiennent pas aux gestionnaires, ils appartiennent à la caisse de retraite concernée. Et je vais vous donner un cas très concret, je crois qu'on y fait écho dans notre mémoire, c'est celui de la compagnie de la Baie d'Hudson. On sait que, par exemple, le fonds de retraite des travailleurs de la construction et le fonds de retraite des salariés du secteur public sont sous gestion de la Caisse de dépôt et placement. Il y a là des comités de retraite qui voulaient, sur une dimension aussi importante que faire affaire avec des fournisseurs qui recouraient largement à des enfants au niveau de la main-d'oeuvre, qui voulaient agir dans une mouvance plus large d'intervenants qui se manifestaient lors de cette assemblée. Alors, on a demandé effectivement à la Caisse de dépôt d'exercer, à tout le moins pour la portion des sommes contenues dans le RREGOP, des droits de vote qui tiennent compte de nos préoccupations, ce qui a été refusé par la Caisse.

Et nous sommes, oui, de ceux qui pensons qu'on peut à la fois maintenir des objectifs de rentabilité mais développer aussi un comportement qui soit socialement plus acceptable, sans compromettre pour autant ces objectifs. Et nous croyons que, oui, la Caisse, pour un certain nombre d'avoirs qu'elle détient, aura à exercer ce type de droit de vote. Mais, quand elle agit comme gestionnaire pour d'autres groupes, on pense qu'il revient à ces autres groupes là d'édicter leur propre politique en matière de placement.

n(11 h 40)n

Le Président (M. Paré): Merci, Mme Carbonneau. Sur ce, on vient de finir nos délibérations. Donc, je vous remercie...

Mme Houda-Pepin: Oh! on a terminé?

Le Président (M. Paré): Oui, on a terminé nos échanges.

Mme Houda-Pepin: Mais, 20 minutes, c'est terminé, 20 minutes?

Le Président (M. Paré): Oui, exactement. Donc, je vous remercie. Ça a passé rapidement. On avait beaucoup de questions de part et d'autre. Merci de votre contribution à cette commission. J'inviterais M. Michel Dion à s'avancer.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Paré): Nous allons suspendre pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 11 h 44)

 

(Reprise à 11 h 47)

Le Président (M. Paré): À l'ordre, s'il vous plaît! Maintenant, nous allons entendre M. Michel Dion. Vous allez avoir 40 minutes pour nous présenter... 20 minutes, excusez, pour nous présenter votre sujet et 40 minutes d'échange avec les parlementaires. Bienvenue, M. Dion.

M. Michel Dion

M. Dion (Michel): Merci. D'abord, je voudrais remercier la commission de m'avoir permis de venir échanger sur des questions qui sont très importantes pour moi, puisque ça fait tout près d'une quinzaine d'années que je fais des recherches en éthique dans le monde des affaires. Donc, c'est pour moi quelque chose de très important. J'insisterai surtout sur la responsabilité sociale de l'entreprise, mais je serai ouvert à répondre à vos questions ou à discuter sur le deuxième sujet, qui est l'investissement éthique ou l'investissement responsable.

Alors, la responsabilité sociale de l'entreprise est un sujet qui est très sensible chez les dirigeants de grandes entreprises. C'est très facile pour eux de parler de... En fait, c'est plus facile pour eux de parler de ça que de parler des droits de la personne. Et c'est un phénomène qu'on retrouve non seulement au Canada et aux États-Unis, mais en Asie. Je reviendrai là-dessus, puisque j'ai été en Asie dans un projet qui portait justement sur les droits de la personne et l'implication des dirigeants de très grandes entreprises en Malaisie, Indonésie, Thaïlande et Philippines. Et mon expérience là-bas était que c'était aussi difficile pour eux de parler, de faire des interventions publiques sur les droits de la personne que c'est difficile au Canada et aux États-Unis, ou en Occident en général. Donc, c'est plus facile de parler de responsabilité sociale.

J'ai identifié dans le texte, dans le mémoire, quatre éléments fondamentaux pour pouvoir circonscrire ce qu'est la responsabilité sociale telle que définie par une entreprise donnée, les multinationales en général.

Le premier élément, c'est l'analyse de contenu du code d'éthique. L'existence même d'un code d'éthique peut montrer qu'une entreprise veut vraiment assumer une certaine responsabilité sociale. L'éthique, probablement que vous vous en doutez, l'éthique peut être codifiée ou non, une éthique non codifiée ne veut pas dire qu'elle est moins bonne qu'une éthique codifiée, et l'éthique codifiée n'est pas meilleure non plus. Le meilleur code d'éthique, je pourrais vous dire que c'est celui qui est appliqué, parce qu'on a beaucoup de codes d'éthique, au Québec comme ailleurs, qui sont plus ou moins appliqués. Alors, l'applicabilité d'un code, c'est, pour moi, le critère de base. Alors, les entreprises doivent viser un code qu'elles seront capables d'appliquer, sinon elles se nuisent elles-mêmes grandement, puisqu'elles vont porter atteinte à leur image corporative, éventuellement aux parts de marché qu'elles ont. Donc, il faut être très prudent dans l'identification de ce que l'on met à l'intérieur d'un code d'éthique d'entreprise. Je vais revenir là-dessus plus en détails.

n(11 h 50)n

Peut-être vous dire d'abord qu'un code d'éthique comporte un certain nombre d'éléments, bien sûr les valeurs corporatives qui sont... les valeurs organisationnelles qui sont définies habituellement par la direction de l'entreprise, mais on peut le faire de façon aussi participative, en allant faire, si on veut, en impliquant le syndicat et l'ensemble des employés. C'est fait plus rarement, cette manière décentralisée. Habituellement, les valeurs et les croyances organisationnelles sont définies par la direction de l'entreprise.

Dans le code d'éthique, vous avez des modes de renforcement pour s'assurer que ce qui est mentionné là est bien appliqué. Vous avez des processus de révision du code, des sanctions disciplinaires dans certains cas, mais habituellement c'est une clause très large. Si vous transgressez l'une ou l'autre des clauses de ce code, vous allez subir des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'au renvoi. Donc, cette clause très large permet à la fois l'arbitraire et un jugement éclairé, si on veut. On peut tomber dans l'un et l'autre avec une clause comme ça.

Autre élément peut-être plus déterminant: les interdictions qui sont manifestées dans un code. Un code d'éthique est souvent rempli d'interdictions. Dans certains secteurs, c'est plus flagrant que d'autres. Si vous prenez le secteur des institutions financières et que vous analysez les codes ? moi, j'en ai analysé un bon paquet ? les codes sont remplis d'interdictions parce que c'est un secteur économique extrêmement réglementé. Et l'éthique, à ce moment-là, dans ce secteur-là, consiste à refléter les lois. C'est vrai aussi dans d'autres secteurs mais peut-être un peu moins. Dans le secteur manufacturier, par exemple, les interdictions sont moins fortes, le nombre de références au respect des lois est moins fort. Cependant, si on regarde l'ensemble des secteurs économiques, on peut dire que la très grande majorité des codes sont des codes légalistes qui vont redire autrement ce que disent les lois. Très peu de codes vont faire de l'éthique. L'éthique, en réalité, c'est exiger davantage, faire davantage que ce que les lois m'exigent comme entreprise. Si je ne fais qu'appliquer ce que les lois me disent, pourquoi avoir un code d'éthique? Les lois sont là. Je suis obligé, comme entreprise, de les appliquer.

Une parenthèse là-dessus. Dans leur code d'éthique, les entreprises mettent toujours comme premier principe: Nous allons respecter les lois dans tous les pays où est-ce que nous faisons affaire. Pour un citoyen, ça peut paraître aberrant, une telle affirmation, puisque tous les citoyens doivent respecter les lois. Qu'est-ce qui est en jeu dans une clause comme ça? Ce n'est pas nécessairement le respect des lois dans le pays où est-ce qu'est le siège social de l'entreprise. C'est les lois dans les autres pays et surtout les pays en voie de développement.

Et les normes légales, pensez seulement aux facteurs de délocalisation des entreprises qui sont surtout santé et sécurité au travail, les normes à ce niveau-là, les normes environnementales et les conditions de travail, les rémunérations en général. Alors, c'est sur ces sujets-là, si vous allez dans des pays en voie de développement où les règles, les normes sont beaucoup moins basses, vous allez dire, comme entreprise: Je respecte les normes dans ces pays-là. Donc, cette clause-là, qui est un peu aberrante, si on la situe au plan du citoyen, elle signifie beaucoup d'argent pour l'entreprise. Elle ne délocaliserait pas ses entreprises, ses usines s'il n'y avait pas un avantage à le faire.

Donc, voilà. Donc, les codes d'éthique sont vraiment très, très peu... vont verser dans l'éthique vraiment, c'est-à-dire exiger davantage que ce que les lois exigent, et c'est la nature même de l'éthique. L'éthique, si elle n'était que le reflet des lois, serait totalement inutile. Les lois sont déjà là. Donc, l'éthique doit amener des comportements meilleurs que ce que les lois exigent déjà. J'imagine, ce sera sûrement un sujet de discussion intéressant entre nous.

Donc, une première étape, il faut bien identifier ce qu'est le code d'éthique et ce que sont ses engagements. Il faudra voir aussi l'application de ces codes-là, puisque vous avez, dans certains cas... J'ai rencontré des vice-présidents de très grandes entreprises, un, entre autres, dont je me souviens, dans une très grande entreprise américaine, qui ne savait pas l'existence du code d'éthique de son entreprise. Or, il était vice-président. Ce n'est pas normal qu'il ne sache pas ça. Donc, un code d'éthique doit être appliqué. S'il n'est pas appliqué, c'est très dangereux, même, pour l'entreprise, au niveau de son image. Et l'image a un lien direct avec la rentabilité à long terme, c'est connu ça.

Deuxièmement, le concept de responsabilité sociale est tel que reflété dans le rapport annuel. Alors, c'est curieux, ça, ce phénomène-là, c'est que les entreprises définissent leurs engagements dans le code d'éthique mais, quand il vient le temps de faire quelque chose dans leur rapport annuel, le langage se modifie. Bien sûr, on peut dire ? je l'ai mentionné dans le mémoire ? que c'est deux destinataires très différents. Alors, les destinataires des rapports annuels ne sont pas exactement les mêmes que les codes d'éthique bien sûr, mais une entreprise, comme organisation, doit avoir un seul concept de responsabilité sociale.

Je vous donne un exemple. La compagnie Bombardier a, depuis 1998, séparé la section concernant la responsabilité sociale et la section sur la protection de l'environnement. Ce sont deux sections différentes. Dans la section sur la responsabilité sociale, vous retrouvez toujours les dons donnés à des organismes de charité, bon, toutes sortes de choses comme ça. C'est de la philanthropie, ça. La responsabilité sociale est séparée. On considère donc, implicitement, que la responsabilité sociale exclut la responsabilité environnementale. Bon. Alors, ça, c'est une erreur évidemment, une erreur au plan de l'éthique. La responsabilité sociale inclut la responsabilité environnementale. Donc, on ne doit pas développer deux concepts. Alors, ça, c'est une erreur qui est très, très répandue.

Alors, si une entreprise veut refléter ce qu'elle fait au niveau de son code d'éthique, elle devrait le faire à l'intérieur de son rapport annuel. Par contre, très peu le font. Ils vont le faire par un certain biais dont je vous reparlerai, le «Social Audit», la vérification sociale, si on veut, mais encore là il y a des très gros problèmes d'encadrement. C'est très critiquable, ce mécanisme-là. Mais, en tous les cas, il y a un problème à ce niveau-là de développer deux concepts très différents.

Troisièmement, la présence de la responsabilité sociale dans les processus de prise de décision dans l'entreprise. Ça, c'est très difficile à vérifier, dans quelle mesure ils prennent en considération la responsabilité sociale quand le conseil d'administration prend ses décisions. Par contre, il peut y avoir un indicatif, c'est la présence d'un responsable de l'éthique ? ce qu'aux États-Unis ils appellent un «Ethics Officer». Ça, ce responsable-là a plusieurs fonctions. Une d'entre elles, c'est de créer le code, d'en faire un document qui est vivant, l'expliquer aux employés, faire des sessions de formation à l'éthique dans l'entreprise. Bon. Il a plusieurs fonctions. Habituellement, il devrait être redevable au président. Et vous avez aussi le défenseur de l'éthique, qui est beaucoup moins développé aux États-Unis, mais c'est quelqu'un que l'on engage au conseil d'administration pour lever la main quand il y a un problème d'éthique. Le problème, avec ce type de poste, c'est que, à ce moment-là, ça déresponsabilise tous les autres: Je n'ai pas besoin de me poser de questions; je suis sur le C.A.; on a quelqu'un qu'on a engagé, 80 000 dollars par année, et il va lever la main quand il y aura un problème d'éthique. Alors, ça, c'est moins développé.

Aux États-Unis, vous avez aussi un phénomène dans lequel il ne faut pas tomber, ce qu'on appelle les «Federal Sentences» par lesquelles, si vous avez des amendes, comme entreprise, pour différents sujets et que vous avez le bonheur d'avoir un «Ethics Officer», vous avez un code d'éthique, vous avez toutes sortes de mécanismes d'éthique dans l'entreprise, à ce moment-là, vos amendes seront moins élevées. Donc, ce que ça fait, c'est qu'on se dit: Pour éviter des amendes, ce n'est pas trop cher quand même, j'engage quelqu'un, je me crée un code d'éthique puis c'est de la frime. C'est du «Window Dressing» qu'on appelle. Bon. Alors, ça, il faut faire bien attention. Aux États-Unis, ils ont tombé dans le panneau.

Alors, un «Ethics Officer» peut quand même... L'existence d'un responsable de l'éthique peut démontrer que l'entreprise y croit, mais ça dépend de ce que fait le responsable de l'éthique évidemment. C'est un poste dont on pourra peut-être reparler, si ça vous intéresse, mais c'est vraiment quelqu'un qui marche sur des oeufs continuellement. Ce n'est pas un poste absolument fascinant d'une certaine manière à cause des scandales possibles dont on a à couvrir tous les détails, etc.

Quatrièmement, le caractère centralisé des C.A. et des sous-comités. J'ai analysé ça, il y a quelques années, à partir des 500 plus grandes entreprises du journal Les Affaires, et, si on veut, la structure centralisée ou décentralisée, c'est finalement le nombre de membres internes ou externes. Alors, c'est très centralisé quand il y a une majorité absolue de membres internes, les gens qui oeuvrent dans l'entreprise, et c'est très décentralisé quand la majorité proviennent de l'extérieur de l'entreprise. Bon. Alors, il semble qu'il y a un lien, mais ce n'est pas une corrélation prouvée, mais il semble qu'il y a quand même un... j'appelle ça un facteur de conditionnement: plus les conseils d'administration et sous-comités du conseil sont décentralisés, plus le concept de responsabilité sociale de l'entreprise est large. Et, au contraire, quand il est centralisé, ce conseil d'administration et ses sous-comités, le concept de responsabilité est très étroit. Alors, il peut se restreindre uniquement à la santé, sécurité au travail, à l'environnement, des choses comme ça, à deux, trois sujets de préoccupation sociale largement, si on veut... qui suscitent un consensus social important. Alors ça, c'est un facteur de conditionnement, seulement, ce n'est pas absolument prouvé. Mais à l'intérieur de mes recherches il semble y avoir un lien.

n(12 heures)n

La responsabilité sociale de l'entreprise dans le contexte de la mondialisation ou de la globalisation des marchés. Un premier point: le respect des cultures et des religions de nos partenaires d'affaires étrangers. Ça devient de plus en plus important. Je me suis rendu compte du problème, en 1995, en faisant une recherche sur les coentreprises dans des entreprises canadiennes et malaisiennes. Et un des problèmes qu'il y avait, c'est le manque d'intérêt de la part des entrepreneurs canadiens pour la compréhension ou même, oui, je dirais, la compréhension de la religion de leurs partenaires alors, qu'ils soient musulmans, hindous ou peu importe, là.

Alors, ce manque d'intérêt ou de compréhension a donné lieu à des ruptures de liens d'affaires entre les entreprises canadiennes et malaisiennes. Alors, c'est ce qui a été le point de départ, à ce moment-là, de nouvelles recherches pour moi parce que j'ai cru qu'il était important de faire connaître à nos futurs entrepreneurs ? c'est ce que je fais à l'intérieur du M.B.A. ? de leur faire comprendre quelles sont les normes d'éthique pour des gens qui appartiennent à d'autres cultures. Et je pense qu'à ce niveau-là il y a beaucoup à faire dans le futur. L'étiquette est une chose ? comment savoir échanger des cartes d'affaires quand on est au Japon, c'est une chose ? mais le respect de l'arrière-plan, surtout religieux, quand on est dans des pays, par exemple, musulmans ou même bouddhistes, c'est encore plus important que la simple étiquette.

Deuxième élément fondamental: la volonté de respecter et de faire respecter les droits fondamentaux de la personne. Alors ça, ça doit être un incontournable. Quand on parle, en Asie, des droits fondamentaux de la personne, vous avez évidemment certains pays, dont la Malaisie avec le président Mahathir, qui résistent beaucoup pour des raisons, bon, très stratégiques. Maintenant, ce que je voudrais vous dire, c'est que, bien sûr, cette déclaration fondamentale de 1948 a une implication universelle, mais elle peut recevoir, je dirais, une application un peu différente dans certains pays; mais il ne faudrait pas que ça tombe dans des excès, comme le point qui suivra, sur la mise en péril et la sécurité des personnes. Donc, il faut développer une certaine flexibilité.

Lorsque j'étais en Asie, dans ce projet d'Asie du Sud-Est, il s'agissait de mettre sur pied des conseils de gens d'affaires pour le respect de la dignité humaine dans les entreprises, dans les milieux de travail. Et, curieusement, ici vous voudriez partir ça ici, au Canada, aux États-Unis, même en Europe, vous voudriez partir un genre de conseil de gens d'affaires de ce genre-là, ce serait plus difficile. Nous avons réussi à faire ces conseils-là qui ont été lancés devant la presse nationale des quatre pays mentionnés ? Indonésie, Malaisie, Thaïlande et Philippines ? et le point, peut-être, original qui n'aurait pu être répété dans les pays occidentaux, c'est que les entrepreneurs s'investissaient à partir de leur religion, à partir des principes mêmes de leur religion. Alors, s'ils sont musulmans, s'ils sont bouddhistes, c'est à partir de leur religion qu'ils en venaient à s'investir, à tenter d'améliorer la situation de leurs propres travailleurs. Ce n'est pas simple, surtout avec la globalisation. Je me suis fait dire, par exemple, en Malaisie et en Indonésie où je donnais un séminaire à des gens d'affaires, qu'il était très difficile, même pour des entrepreneurs qui le veulent, de s'en tenir aux principes de leur religion à cause de la mondialisation qui met énormément de pression.

Troisièmement: les pratiques qui mettent en péril la vie et la sécurité des êtres humains ne doivent pas être tolérées. Alors ça, c'est un minimum. Alors, santé, sécurité au travail, protection de l'environnement, qualité et sécurité des produits, on pourrait rajouter: travail des enfants. Ça semble une évidence, mais, en réalité, l'uniformisation, au niveau international, des normes est déjà faite dans des conventions mais difficile, très difficile à appliquer. Et Kofi Annan a essayé, avec son «global initiative», de faire appliquer ce qui est adopté par l'OIT, par exemple, depuis des années, mais qui n'est pas toujours appliqué.

Si vous regardez le travail des enfants, c'est un phénomène assez répandu et critique. Et il a donné lieu, bien sûr, à la Convention des droits de l'enfant. Vous savez que deux pays ont résisté fortement à signer: la Somalie et les États-Unis. Alors, il y a beaucoup d'argent relié à ça, quelqu'un qui signe ça. Alors, c'est un phénomène, évidemment, qu'il faudrait arriver à résoudre, mais ça fait partie de ce que j'appelle les pratiques fondamentales qu'il faut éviter. Alors, l'uniformisation au niveau des conventions, c'est déjà fait; l'application est très difficile. Alors, faire appliquer des normes internationales est très difficile. Voilà.

Des initiatives ? quatrièmement ? les initiatives internationales cherchant à encadrer la responsabilité sociale des entreprises. Je vous ai parlé de Global Initiative: il y a des étiquettes éthiques qui ont été développées ? du genre ISO, là ? qui ont été développées aux États-Unis, en Grande-Bretagne. Ça, c'est intéressant. Ça n'a pas suscité une vague d'intérêt très grande ni en Grande-Bretagne ni aux États-Unis, mais c'est quelque chose que l'on peut considérer comme bien. C'est des organismes indépendants qui, si on veut, analysent cela. Vous avez d'autres initiatives, comme aux États-Unis le prix aux entreprises les plus éthiques, le Business Enterprise Trust, qui est intéressant aussi. Ce sont des bonnes choses. La reconnaissance aussi, au Canada, vous avez le top... les 50 compagnies considérées les plus éthiques au Canada. Sauf que cette recherche-là, qui est faite par un consultant de Toronto, encadrée par le Financial Post, part de certains critères quand même restreints, des critères restreints qui sont très proches des critères que vous retrouvez dans l'investissement éthique. Donc, ces critères-là ne reflètent pas l'ensemble, je dirais, des problèmes d'éthique dans une entreprise. Dans un code d'éthique, vous avez à peu près 25, 30 sujets qui couvrent l'ensemble des dilemmes éthiques d'une entreprise. Alors, dans les fonds, vous en retrouvez beaucoup moins que ça, en général.

Le Président (M. Paré): En conclusion, M. Dion.

M. Dion (Michel): Oui, j'arrivais au dernier point, merci beaucoup. La nécessité de développer des moyens de vérification indépendants des objectifs de responsabilité sociale. Alors, les entreprises, comment peuvent-elles se faire vérifier ? car elles disent qu'elles ont certains engagements dans leur code d'éthique ? comment se faire vérifier? Alors, il y a ce qu'on appelle la vérification sociale où est-ce qu'on demande à un consultant externe de vérifier dans quelle mesure on a atteint nos objectifs qui étaient mis dans notre code d'éthique. Sauf que cette commande-là est souvent ? la plupart du temps ? très biaisée. On va leur donner uniquement certains sujets à considérer et non pas les 25 sujets qui sont dans le code. En général, ce sont les sujets sur lesquels on est les plus forts, comme entreprises, avec peut-être un ou deux sujets sur lesquels on aurait des améliorations, mais certainement pas des sujets sur lesquels on serait très vulnérables socialement. Donc, la commande est très biaisée, et souvent on empêche le consultant de demander des avis à l'extérieur soit à des ministères ou à des journalistes, etc. Donc, on restreint vraiment la démarche.

La vérification indépendante s'est révélée... Je vous donnerai deux exemples, pas du code d'éthique mais comme processus qui a donné lieu à des problèmes: l'accident de Bhopâl. Il y avait eu un contrat qui avait été donné à Arthur Andersen et ce contrat... Dans l'entreprise, si vous vous rappelez, Union Carbide, avec le désastre, il y avait eu des ingénieurs qui avaient dit: C'est un problème de vérification de la sécurité et des instruments qui ne fonctionnaient pas, etc. Les ingénieurs de la compagnie disaient ça. Et Arthur Andersen a été engagé par Union Carbide. Et la conclusion, ça a été que c'était le sabotage des cycles qui a créé ça. Bon, premier problème de consultants. Deuxième problème, GoodWorks International qui a été engagée par Nike lors de la crise de Nike en Asie, et GoodWorks a conclu que la compagnie avait très bien fait ses choses, alors qu'elle ne respectait pas du tout son propre code d'éthique.

Donc, voilà, au niveau de la vérification, c'est très difficile d'encadrer. Ce serait une très bonne chose de pouvoir arriver à ça, mais c'est très difficile d'avoir une vérification vraiment indépendante et qui puisse faire exactement le mandat d'un consultant en éthique. Voilà, merci beaucoup.

Le Président (M. Paré): Merci, M. Dion. Il nous reste 20 minutes avant de conclure. Donc, j'aurai besoin tout à l'heure du consentement pour pouvoir prolonger pour les parlementaires, s'il y a lieu, qui veulent continuer. Donc, M. le député de Bertrand.

n(12 h 10)n

M. Cousineau: Merci, M. le Président. Bienvenue, M. Dion, à notre commission parlementaire. C'est très intéressant. Bon, on voit que vous êtes une sommité au niveau de... vous êtes professeur à l'Université de Sherbrooke et puis vous nous présentez un mémoire où vous parlez abondamment des codes d'éthique, et puis c'est très intéressant.

Vous ne nous faites aucune recommandation. Premièrement, ma première question: Est-ce que c'est voulu, ça? Vous pourrez me répondre à ça. Et puis vous ne parlez pas du rôle de l'État. Est-ce que vous voyez des actions que l'État pourrait prendre, le rôle que l'État pourrait jouer à l'intérieur de la responsabilité sociale environnementale, au niveau des entreprises? Et puis si l'État a des rôles à jouer, quels seraient prioritairement les rôles? Est-ce que le rôle de vérification, comme vous le mentionniez vers la fin de votre exposé, pourrait être joué par l'État?

Le Président (M. Paré): M. Dion.

M. Dion (Michel): Oui, c'est volontaire, je ne voulais pas faire de recommandations, je voulais plus vous apporter le fruit de mes réflexions dans le domaine, mais je n'en étais pas à l'étape des recommandations. Peut-être plus tard dans les travaux de la commission on verra où est-ce que vous en serez et peut-être qu'à ce moment-là il y aura possibilité de faire autre chose.

Le rôle de l'État. Bon, alors ça, vous posez une très bonne question. Tout à l'heure vous avez parlé... Quelqu'un a posé la question, je pense, des codes d'éthique corporatifs qui seraient imposés aux ministères, je pense, et sociétés d'État. C'est ça? Alors, c'est un exemple. On peut élargir cet exemple-là à tous les secteurs sociaux. Je ne suis pas contre l'idée d'une telle commande, sauf que je vais vous mettre ça en perspective: en 1993, je pense que la commande avait été faite que, dans les établissements de santé au Québec, il devrait y avoir des codes d'éthique, je pense que c'est avant le 1er janvier 1994 que tous les établissements de santé devaient avoir un code d'éthique. À cette commande-là qui avait été faite avaient été annexées deux lois, bien, en fait, la Loi de la santé et des services sociaux et la Charte des droits et libertés de la personne. Ce que ça a donné, parce que j'ai analysé ces codes-là par la suite, ce que ça a donné, ça a donné un bon nombre de codes qui reflètent un peu différemment le contenu de la Loi sur la santé et les services sociaux et la Charte des droits et libertés de la personne.

J'ai accompagné un hôpital dans ma région, qui voulait se doter d'un vrai code d'éthique, et ils ont dit: Nous autres, on va aller plus loin que ces deux lois-là. On va bien sûr refléter ce qui est là, mais on va aller plus loin que ça. Et je leur ai dit: Voilà, ça, c'est une démarche d'un code d'éthique parce qu'une démarche d'un code qui s'en tient aux deux lois qui étaient annexées à la commande, ce n'est pas une démarche de code d'éthique, ce n'est que refléter ce qui existe déjà dans les lois. Donc, ce n'est pas inutile d'avoir fait ça, mais je pense que les hôpitaux et les CLSC et les centres de réadaptation qui ont décidé d'aller plus loin, en fait, ont vraiment fait de l'éthique à ce moment-là. Alors, s'il y avait quelque chose à faire à ce niveau-là, je recommanderais cette fois-là que la commande soit vraiment d'un code d'éthique, qu'il soit donné une liberté aux gens d'aller plus loin que les lois, d'exiger autre chose que ce que les lois exigent déjà.

Si je fais une parenthèse sur l'exemple des codes d'éthique dans les sociétés d'État et les ministères ? c'est une bonne idée aussi ? je vous dirais que, à ce moment-là, le regard devrait être encore plus serré sur les sociétés d'État à cause de la nature même de ces sociétés. Je vous donnerais un exemple. Ce n'est pas pour faire des problèmes à la société en question, mais j'ai rencontré il y a quelques années le directeur du contentieux ? et je l'ai rencontré par la suite ? d'Hydro-Québec, et à Hydro-Québec, bon, il y a deux codes d'éthique: un code d'éthique pour les employés et un autre pour le conseil d'administration, ce qui n'est pas nécessairement une bonne chose, d'avoir deux codes d'éthique. En général, ce qu'il est mieux d'avoir, c'est un seul code, et les grandes entreprises définissent que la direction fait partie des employés, si on veut, pas des employés, mais les membres de l'organisation incluent la direction, donc, le code d'éthique s'applique à tout le monde.

Le danger d'avoir deux codes, c'est que les gens en bas, si on veut, les employés, vont dire: Qu'est-ce qui se passe en haut? D'ailleurs, ils n'ont pas accès à ce code-là, c'est un code qui est secret. Donc, ça, c'est un phénomène qu'il faut limiter, là, ne pas développer deux codes comme ça.

Il y a quelque chose peut-être de plus critique, c'est que, à Hydro-Québec, il y a un comité d'éthique ou, en tout cas, vous pourrez vérifier s'il existe encore, s'il est structuré de cette manière-là, mais, lorsque je l'avais rencontré, il avait présenté le comité d'éthique comme étant composé de cinq membres du conseil d'administration. Un comité d'éthique au C.A. composé de cinq membres du C.A. J'appelle ça être juge et partie.

Un comité d'éthique doit toujours avoir une majorité ? c'est ce que j'ai indiqué au directeur du contentieux ? de membres externes, externes au C.A., externes à l'entreprise, complètement. Et c'est là qu'on voit la très grande difficulté de mettre ça sur pied, parce qu'un comité d'éthique avec des membres externes... Tout ce qui est éthique est très délicat et peut donner lieu à toutes sortes de problématiques. Donc, bien sûr, si on rentre des membres externes sur le comité d'éthique, il faut avoir énormément confiance dans ces gens-là. Mais peut-être alors n'est-il pas pertinent d'avoir un comité d'éthique si on n'est pas capables d'avoir une majorité de membres externes. Autrement, ça fait vraiment très... C'est très curieux, d'avoir cinq membres qui se jugent eux-mêmes, finalement. Donc, ça, c'était donc en deux portions, finalement, les entreprises, les sociétés d'État, si on veut avoir un regard très précis là-dessus.

Pour l'ensemble des sociétés, votre suggestion de vérifier l'application des codes d'éthique au niveau du principe est excellente. C'est au niveau de l'application: comment on va faire ça avec une quantité d'entreprises assez incroyable? Comment on va réussir à vérifier, alors que, pour vérifier l'application de ces codes-là, il faut aller dans l'entreprise? Il faut en mener large pas mal pour vérifier ça. Je ne dis pas que ce n'est pas possible mais peut-être qu'il faudra restreindre à un certain niveau de grandes entreprises pour, finalement, voir diminuer le nombre d'entreprises qui seraient vérifiées. Ça pourrait être intéressant, mais il faudrait vraiment que ce soit un «board» indépendant, là.

Le Président (M. Paré): M. le député de Bertrand.

M. Cousineau: Vous avez donné l'exemple d'Hydro-Québec qui par ses deux codes d'éthique, un pour les employés puis un pour les cadres...

M. Dion (Michel): Un pour le conseil d'administration.

M. Tremblay: Le conseil d'administration, excusez. Et puis vous avez mentionné aussi dans votre exposé que... vous avez nommé une entreprise, là ? et puis probablement qu'il y en a beaucoup d'autres ? qui possède aussi deux codes d'éthique: un pour l'environnement puis un pour la philanthropie, là. Bon.

M. Dion (Michel): Alors, c'était... Dans le rapport annuel, ils vont mettre une page sur la responsabilité sociale, ils vont mettre un page sur l'environnement. Dans le cas de Bombardier, c'était comme ça. Il y a d'autres entreprises qui font ces genres de séparations là aussi, mais ce n'est pas dans le code d'éthique.

M. Tremblay: D'accord. Puis vous dites que, bon, c'est un danger; en fin de compte, ça devrait faire partie d'un tout, tout ça. Ça devrait faire partie d'un tout.

M. Dion (Michel): Absolument, oui.

M. Tremblay: Qu'est-ce qui sous-tend ça? Pourquoi est-ce que les entreprises agissent comme ça? Qu'est-ce qui sous-tend ça? Est-ce qu'ils veulent, d'après vous, masquer une déficience dans un secteur en montrant patte blanche, là, puis...

M. Dion (Michel): On sait bien que, dans un rapport annuel, ce qui se trouve là, au niveau de la responsabilité sociale et de l'environnement, c'est les bons coups, hein. Vous ne retrouverez pas de difficultés là. Et je ne le sais pas, pourquoi ils ont séparé ça. Il n'y a pas vraiment là de raisons d'ordre théorique, là, pourquoi séparer ça l'un de l'autre. Normalement, la responsabilité sociale devrait inclure bien des choses. Mais seulement c'est un... Au début du siècle, la responsabilité sociale, si on veut, c'était conçu comme la philanthropie et possiblement que c'est une explication sociale, si on veut. Ils ont considéré toujours que c'est donner à des organismes de charité, donner à des victimes de, par exemple, la crise du verglas ou des choses comme ça. Et ils vont identifier ça comme étant leur responsabilité sociale. Je n'ai plus rien à réfléchir par la suite. Alors, si je ferme une usine, on était là pendant 30 ans et que, finalement, cette usine-là emploie la majorité des gens dans le village, je ne me pose pas de questions, ce n'est pas la responsabilité sociale, ça, je m'en vais. Alors que c'est la responsabilité sociale, ça, une question comme ça, une fermeture d'usine dans un milieu où est-ce que, finalement, vous fermez le village et les villages environnants parce que vous fermez l'usine.

Le Président (M. Paré): Merci, M. Dion. M. le député de Lac-Saint-Jean. Donc, vous n'avez pas de question. M. le député de Masson, ça va aussi? Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, M. Dion, le mémoire est un mémoire d'universitaire qui réfléchit, qui réfléchit avec nous aussi à haute voix sur des questions quasi existentielles. Les questions de l'éthique sont des questions très complexes. Et puis vous avez dit dans votre mémoire que les droits de la personne ne figuraient pas généralement dans les codes d'éthique. Est-ce que vous avez une explication? Pourquoi est-ce qu'on est plus en mesure de référer au droit du travail et à l'environnement? Parce que ce sont des réalités peut-être faciles à cerner et que la notion des droits de la personne, qui est une notion très importante, ne figure pas dans le dispositif entourant l'investissement responsable et la responsabilité sociale des entreprises.

n(12 h 20)n

M. Dion (Michel): Alors, il y a un malaise, comme je vous l'avais dit d'entrée de jeu, à parler des droits de la personne. Les codes d'éthique parlent des droits des travailleurs, mais vous retrouverez très rarement l'expression «voici les droits des travailleurs». Vous ne retrouverez pas ça, alors que, dans les établissements de santé dont je parlais, dans les codes des établissements de santé, vous allez voir: droits des usagers, droits des bénéficiaires. Vous allez voir ça bien écrit. Mais, dans les codes d'éthique d'entreprises, vous ne trouverez pas l'expression «droits des travailleurs». Pourtant, ils sont prévus. Il y a bien d'autres droits qui sont prévus, mais vous ne les retrouverez pas.

Moi, je pense seulement que c'est une question qui est trop chaude. Une entreprise qui va s'illustrer comme défendant les droits de la personne va se faire poser des questions dans les pays en voie de développement. Prenez seulement la question du travail des enfants; il y a très peu de multinationales qui en parlent. J'ai vu une entreprise en parler dans son code d'éthique, et je ne sais plus si elle en parle encore: Noranda. C'était la seule que j'ai vue. Donc, c'est trop chaud. Vous mettez ça dans votre code d'éthique et vous allez avoir tout de suite des questions: Qu'est-ce que vous faites dans les pays en voie de développement? Vous faites vraiment cela? Il n'y a plus de travail d'enfants? Non? Fini? Alors, je pense que l'entreprise se sent vulnérable, plus.

Mme Houda-Pepin: Mais, justement, ça s'est fait. Et la CSN qui s'est présentée juste avant vous, elle, avait une recommandation dans ce sens qu'il fallait qu'on conditionne, par exemple, toutes les relations à caractère commercial et économique avec les pays du Sud à l'impératif du respect des droits de la personne, du respect de l'égalité des hommes et des femmes, le droit du travail, etc. Alors, est-ce que vous êtes de cet avis, vous qui avez déjà voyagé en Asie, vous avez fait des missions, vous avez parlé à l'autre monde? Alors, est-ce que vous pensez que c'est dans cette direction qu'on devrait aller?

M. Dion (Michel): De normaliser davantage?

Mme Houda-Pepin: C'est-à-dire de conditionner les rapports de relations économiques, que ce soit au niveau du gouvernement, de gouvernement à gouvernement, via l'aide ou les programmes de différentes sortes, les supports à l'exportation ou carrément même les entreprises elles-mêmes qui font affaire, de leur propre initiative, dans les autres pays où on pratique le travail des enfants, par exemple. On devrait conditionner ces rapports-là à l'exigence du respect des droits de la personne, de la démocratie et du droit du travail.

M. Dion (Michel): Oui. Alors, c'est une question intéressante. Vous savez, si on prend seulement la question du travail des enfants, si vous initiez des actions qui donnent lieu à un genre de boycott international, vous mettez en péril la vie de beaucoup d'enfants. La question du travail des enfants est compliquée: si vous ne faites rien, vous les laissez dans un état d'exploitation; si vous faites un boycott international purement et simplement, un bon nombre vont mourir parce que vous aurez décidé ça. La solution mitoyenne ? mais les pays occidentaux ne semblent pas prêts à le faire ? c'est de supporter ces pays-là financièrement de sorte à créer un système de sécurité sociale qui puisse empêcher que le boycott puisse en faire mourir. Donc, c'est les deux ensemble: à la fois le boycott, mais le support financier des pays pour créer des moyens d'empêcher la mort des enfants par ce boycott.

Si je viens à votre question plus globale, le respect des droits de la personne, de la démocratie, du droit des travailleurs, aux États-Unis, ils ont ça, le General System of Preferences, et c'est un système qui vous permet... comme les États-Unis vont octroyer des tarifs préférentiels pour les pays qui vont respecter un certain nombre de droits qui sont mentionnés.

Alors, d'abord, cette clause-là n'est pas, ne reflète pas l'ensemble des sujets, si on veut, qui pourraient être couverts dans un tel protocole, on peut dire. Mais vous avez le cas des États-Unis qui ont ce système-là, qui ont signé moins d'une dizaine des conventions de l'OIT, premièrement. Ils ont signé très peu de conventions, c'est le pays occidental qui a signé le moins de conventions de l'OIT. Ça, ça m'apparaît quand même assez important. Pourquoi ils ne l'ont pas signé? Je l'ai indiqué dans le mémoire: c'est qu'ils n'aiment pas ça, se faire donner la leçon par une organisation européenne; ils aiment mieux l'Organisation des États américains qu'ils contrôlent.

Deuxièmement, vous avez la Chine qui est identifiée comme un pays favorisé. Ce n'est pas l'expression, là, mais c'est un pays absolument favorisé pour les affaires, là. Ils ont un terme que j'oublie, là.

Mme Houda-Pepin: La nation la plus favorisée.

M. Dion (Michel):«The most favored nation», quelque chose comme ça, oui. Et alors, la question des droits de la personne n'est pas en question, pas du tout. L'Indonésie l'a été aussi, très favorisée. Donc...

Mme Houda-Pepin: En fait, c'est un débat qui n'est pas nouveau. Nous, on l'aborde par le biais de l'investissement responsable, mais la question du respect des droits de la personne comme étant un filtre à travers lequel on devrait regarder les relations commerciales en général d'un pays, c'est un débat qui revient souvent. Alors, même au gouvernement fédéral il fut un temps... À un moment donné, parce que le ministre des Affaires extérieures était quelqu'un qui est un peu à tendance sociale-démocrate, lui, a décidé de mettre un peu les droits de la personne à l'honneur. Mais, par après, bon, le lobby économique a été beaucoup plus fort, puis on a dit: Bon, bien, écoutez, on fait des affaires, on est dans un monde globalisé, il y a une concurrence féroce; si on ne prend pas les marchés, d'autres vont les prendre. Donc... Mais je vous soumets quand même cette suggestion.

M. Dion (Michel): Je voudrais juste faire un ajout: La ZLEA m'apparaît aussi un phénomène très important dans ce contexte-là. En 1998, je crois, j'ai fait un mémoire que j'avais remis au ministère des Affaires étrangères du Canada. Et ma peur, à l'époque ? et je l'ai encore ? c'est que, avec la ZLEA, disparaissent les questions de droits de la personne. Alors, avec l'ALENA, on a heureusement deux accords parallèles, bon, deux accords qui mettent le Mexique en colère, si on veut, ils n'aiment pas tellement ça ces deux accords-là. Mais, en Amérique du Sud, avec le Mercosur, on est en train de développer un genre de charte sociale.

Ce qui est le danger avec la ZLEA, c'est que tout ça disparaisse; et ça va se passer entre deux grands acteurs: c'est le Brésil puis les États-Unis qui vont négocier.

Mme Houda-Pepin: Nous avons débattu de ces enjeux-là en commission parlementaire sur la ZLEA. Il y a d'ailleurs un rapport que vous pouvez trouver par le Secrétariat de la commission des institutions.

Je veux revenir à la question de l'éthique parce que je pense que c'est votre préoccupation. Vous avez écrit beaucoup là-dessus, vous avez réfléchi beaucoup, et vous avez dit que l'éthique, en fait, c'est l'éthique qui est mise en pratique; qu'elle soit codifiée ou non, ce qui fait la différence, c'est quand elle est mise en pratique.

Moi, je voudrais vous dire que l'éthique, c'est aussi une question de valeurs, c'est-à-dire votre éthique n'est pas nécessairement la même éthique que le Malais que vous avez visité en Malaisie, que l'Indonésien que vous avez visité en Indonésie, parce que l'éthique, elle, charrie des valeurs, des valeurs morales, des valeurs religieuses, et on part à partir de nos schèmes de référence pour construire notre éthique. Et ce qui est bon pour nous, par exemple, en termes d'éthique, n'est peut-être pas acceptable dans d'autres sociétés où les valeurs sont très différentes.

n(12 h 30)n

Ceci étant, j'ai regardé le texte accompagnant votre mémoire, c'est un texte fort intéressant, vous nous avez joint des textes. Celui-là s'intitule La responsabilité sociale de l'entreprise entre les murailles de Chine et la boîte de Pandore, écrit par Michel Dion, c'est-à-dire vous-même. Et, à la page 161, vous dites: «Ainsi, le contexte culturel et religieux joue, la plupart du temps, un très grand rôle dans la façon dont les gens de ces pays d'accueil ? c'est-à-dire les pays du tiers-monde ? perçoivent la responsabilité morale des entreprises étrangères qui font des affaires chez eux. Ce n'est pas seulement vrai pour les pots-de-vin, mais c'est tout aussi vrai de l'équité en matière d'emploi dans certains pays musulmans, de la protection de l'environnement autant en Afrique qu'en Asie, et de bien d'autres sujets éthiques d'importance.»

C'est vrai, ce que vous dites. Et je regardais la bibliographie qui soutient votre texte, et je n'ai rien trouvé sur l'éthique de l'Islam par exemple. Vous n'avez rien lu sur ça pour... Vous avez été dans deux pays musulmans, vous avez écrit, vous avez affirmé et vous n'avez pas pu prendre connaissance de comment les autres perçoivent les affaires dans l'éthique de l'Islam comme telle. Je vous suggère une lecture.

M. Dion (Michel): La lecture est déjà faite.

Le Président (M. Paré): Mme la députée de La Pinière, il va me falloir le consentement de l'Assemblée, ici, pour pouvoir prolonger nos discussions.

Mme Houda-Pepin: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Paré): Est-ce que j'ai le consentement pour pouvoir prolonger nos discussions?

Mme Houda-Pepin: Il nous reste combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Paré): On a dépassé un peu le temps mais...

Mme Houda-Pepin: Oui, juste compléter là-dessus, oui.

Le Président (M. Paré): Consentement? M. Dion, allez-y.

M. Dion (Michel): D'abord, le premier point concernant l'éthique. L'éthique fait référence à des valeurs.

Mme Houda-Pepin: Exactement.

M. Dion (Michel): C'est fondamental. Et donc, ces valeurs-là peuvent être personnelles ? donc à l'individu ? elles peuvent être organisationnelles ? l'organisation se donne des valeurs ? elles peuvent être aussi dans des secteurs économiques. Alors, vous pouvez faire ça dans des cercles concentriques personnels, organisationnels, le secteur économique. Si vous êtes dans le secteur des banques, vous allez retrouver que les valeurs sont assez différentes que dans les pétrolières, par exemple, pour prendre cet exemple-là. Après ça, vous remontez au niveau institutionnel: l'institution sociale qui est le monde des affaires, comparez-le au monde de la santé, vous n'aurez pas vraiment les mêmes valeurs si vous comparez. Et, après ça, vous montez au niveau social; l'ensemble d'une société donnée a des valeurs que n'a pas une autre. Voilà.

Votre point m'intéresse beaucoup, sur l'éthique de l'Islam, puisque j'ai publié l'an dernier un volume sur les normes éthiques dans les grandes religions du monde, alors, chez les juifs, les musulmans, les chrétiens, les bouddhistes, les hindous et les confucéens. Et quand j'enseigne à mes étudiants au MBA, je leur présente deux religions, l'Islam et le bouddhisme, parce que je crois que ce sont ces partenaires d'affaires qu'ils vont rencontrer dans le futur, ils vont rencontrer des musulmans et des bouddhistes principalement, surtout, là, s'ils sont dans des grandes entreprises, et ils doivent connaître ça.

Et c'est une entreprise aussi que je fais, d'essayer de démystifier, de faire tomber les préjugés, parce qu'il y a beaucoup de préjugés sur les religions, les autres religions. Et donc, j'ai lu le Coran, les paroles du prophète, et donc, je connais bien les normes éthiques de l'Islam, c'est quelque chose qui m'importe beaucoup. Je crois qu'il faut absolument développer ça, cette connaissance des autres religions, et c'est vrai pour le monde des affaires, et c'est stratégique.

Mme Houda-Pepin: Bien, de toute façon, je suis rassurée de vous entendre dire ça et je vais m'empresser de lire votre livre. Merci.

M. Dion (Michel): Merci.

Le Président (M. Paré): Merci, M. Dion. Merci à Mme et MM. les députés. Je suspends les travaux jusqu'à 15 heures. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 33)

 

(Reprise à 15 h 5)

Le Président (M. Paré): Bonjour messieurs. Bienvenue à la commission parlementaire des finances publiques. Donc, nous allons débuter par votre mémoire. Vous aurez une heure pour échanger avec les parlementaires. D'abord, vous avez 20 minutes pour présenter votre mémoire et nous aurons 40 minutes d'échange avec les parlementaires. Donc, bienvenue. Si vous voulez vous présenter, s'il vous plaît.

Fédération des associations étudiantes du campus
de l'Université de Montréal (FAECUM)

M. Fournier (Nicolas): Oui. Bonjour. Alors, mon nom est Nicolas Fournier. Je suis secrétaire général de la Fédération des associations étudiantes du campus de l'Université de Montréal; à ma droite, Francis Bourque qui est attaché à l'exécutif.

Je tiens à porter votre attention sur le document qu'on vous a remis précédemment, qui est une version, je dirais, bonifiée du mémoire que vous avez déjà reçu. Notamment, si vous allez à la toute fin, il y a une liste de recommandations, et il y en a une qui s'est rajoutée, qui est la recommandation n° 3 sur l'utilisation des subventions du gouvernement provincial. Enfin, j'y reviendrai plus avant au courant de la présentation du mémoire.

Donc, en soi, la FAECUM représente plus de 28 000 étudiants, étudiantes de tous les cycles d'études à l'Université de Montréal, et ce n'est pas la première fois que l'on vient déposer un mémoire à l'Assemblée nationale. Pour n'en nommer que deux, on avait déposé un mémoire sur la loi n° 99 concernant les droits fondamentaux du peuple québécois ainsi que le régime général d'assurance médicaments.

Pour cette fois-ci, on considère, là, important de venir discuter des investissements socialement responsables, dû au fait que, selon nous, il s'agit non seulement d'un sujet qui est d'avant-garde, mais aussi d'un sujet qui suscite un intérêt grandissant de la part de la population en général. Et, dans la mouvance de la mondialisation des marchés, les pays sont de plus en plus en concurrence pour attirer les investissements. Ce qui a, selon nous, pour cause d'effectuer une pression à la baisse sur les conditions de travail et sur le respect des normes environnementales. On peut donc constater, là, que dans plusieurs pays, malgré le rôle des investissements de l'étranger, il y a tout de même une baisse des conditions de vie. Si on prend uniquement l'exemple des maquiladoras, au Mexique, où, malgré la hausse, là, il y a eu une dégradation concrète des conditions des travailleurs. Uniquement entre 1993 et 1998, on calcule que le salaire horaire moyen des travailleurs et des travailleuses est passé de 1,65 $ à 1,51 $ et, ce, en dollar constant.

Donc, cette façon de faire n'a aucun autre objectif que d'offrir un meilleur rendement aux actionnaires, ce qui rend tout à fait secondaire les questions sociales et environnementales. Encore une fois, selon la FAECUM, ça va contre la mouvance sociale actuelle, cette espèce de libre cours... le fait de laisser libre cours aux entreprises qui n'ont d'égards que pour le profit. Et donc, la FAECUM croit que les entreprises privées doivent, par leurs investissements, par leurs achats, participer au développement social et environnemental.

Cependant, le problème est que, comme les effets ne se font ressentir qu'à moyen ou à long terme, les entreprises sont très peu tentées d'aller de l'avant avec des considérations sociales et environnementales. Donc, pour renverser la vapeur, selon nous, il faut que la société coordonne ses efforts pour inciter les entreprises privées à tenir compte des critères sociaux et environnementaux dans leurs investissements. Donc, en ce sens, il y a certains acteurs qui ont un rôle de premier plan à jouer, notamment le gouvernement et les universités, qui peuvent facilement devenir des leaders s'ils utilisent adéquatement non seulement leurs investissements, mais aussi leur droit de vote.

Donc, c'est pourquoi la FAECUM tient à répondre à une des questions qui était soulevée dans le document de consultation, qui est tout simplement: Qu'est-ce que le gouvernement peut faire? Et on a ciblé plus particulièrement trois acteurs qui peuvent jouer un rôle essentiel, soit le gouvernement, par ses lois et ses subventions, les universités et la Caisse de dépôt et de placement, par leurs droits de vote et leurs investissements.

Si on commence par les universités, on constate que les universités étasuniennes nous fournissent plusieurs exemples très intéressants en matière de politique d'investissement éthique. Je vais en prendre deux, soit l'Université Harvard, qui s'est dotée, dès 1973, d'un comité aviseur sur la responsabilité d'actionnaires, qui inclut des professeurs, des administrateurs et des étudiants. Donc, le rôle du comité est d'informer le comité d'investissement de l'université sur les choix des compagnies dans le portefeuille mais aussi sur la façon d'exercer les droits de vote par l'université. Il y a aussi l'Université Stanford qui nous offre un exemple éclairant. Elle aussi a mis sur pied un comité aviseur sous la responsabilité d'actionnaires et elle a inclus dans le mandat du comité non seulement de regarder qu'est-ce qui est fait des droits de vote, mais aussi de tenir compte des dommages qui sont causés par les compagnies, que ce soient les dommages sociaux ou environnementaux, qu'on peut définir comme des comportements nocifs tant pour les travailleurs que pour les consommateurs.

n(15 h 10)n

Au plan plus local, on a, je dirais, une initiative intéressante qui vient de l'Université de Montréal, qui travaille depuis environ un an à l'élaboration d'une politique d'investissement et d'achat responsable. Donc, il y a un comité qui a été formé à la demande des étudiants, qui regroupe tant des représentants des employés, que des étudiants, que des membres de la direction et qui se penche sur la question dans le but d'en arriver à une politique sur les investissements responsables.

Donc, dans ce comité-là, il y a deux stratégies qui ont été identifiées plus particulièrement, soit la stratégie du «best of sector» ? pardonnez-moi l'anglicisme ? qui est d'identifier dans un secteur particulier les entreprises qui répondent le mieux à des critères éthiques et environnementaux. Ça, c'est la première stratégie qu'on a ciblée. La seconde est de réformer la politique de droit de vote tant de l'Université que du fonds de retraite, de manière à prendre en considération les questions éthiques et environnementales.

C'est en lien, selon nous, selon la FAECUM, avec les trois missions de l'Université. Donc, on reconnaît trois missions à l'Université, qui sont la recherche, l'enseignement et le retour vers la collectivité. Pour la FAECUM, on associe directement le fait d'avoir des placements éthiques et le retour à la collectivité. Pourquoi? Parce que, selon nous, il n'y a pas seulement les connaissances universitaires qui doivent servir à l'avancement social, on peut très bien se servir des investissements, de l'argent qui est placé par l'Université, d'autant plus que les universités sont reconnues comme étant des lieux de débat, des lieux où des questions un petit peu plus difficiles à traiter sont abordées. Donc, en ce sens-là, les universités pourraient prendre un rôle de premier plan en mettant sur pied des politiques concernant les investissements et les droits de vote.

Juste avant de terminer sur les universités, on a fait une courte recherche pour savoir quel était peut-être le pouvoir financier, le pouvoir économique des universités. Uniquement au niveau des fonds de retraite et des fondations universitaires, il y a 7 milliards de dollars qui est placé pour l'ensemble des universités québécoises. Donc, selon nous, selon la FAECUM, c'est un pouvoir économique qui est non négligeable et qui mérite d'être utilisé de manière éthique.

Dans le même sens, dans la même veine, il y a la Caisse de dépôt et placement qui peut être un acteur, en fait qui doit être un acteur principal dans la promotion de l'investissement socialement responsable. Compte tenu que le bas de laine collectif des Québécois possède des actifs qui sont près de 150 milliards de dollars et qu'elle représente un des plus gros fonds de pension à travers les Amériques, elle a, selon nous, toutes les caractéristiques pour influencer favorablement les entreprises au niveau de l'éthicité. La FAECUM est d'avis que la Caisse de dépôt et placement doit, tant dans ses investissements que dans l'expression de ce droit de vote, refléter une attitude éthique. C'est, selon nous, une attitude qui correspondrait, qui répondrait aux valeurs profondes des Québécois et des Québécoises, donc dans une optique de meilleure répartition de la richesse et du bien-être collectif.

Le gros problème, c'est qu'à l'heure actuelle la Caisse de dépôt n'est pas munie d'une telle ligne de conduite et, tel que vous pouvez le lire dans le mémoire qu'on vous a remis ? mais aussi tel que ça a été rapporté par plusieurs quotidiens, dont Le Devoir dans son édition du lundi 16 septembre ? la Caisse de dépôt a laissé de côté des considérations éthiques pour des raisons inexpliquées. On se sert de deux exemples dans le mémoire, qui est, dans un premier temps, l'exemple de la Compagnie de la Baie d'Hudson où la Caisse de dépôt et placement possède 7,5 % des actions. À deux reprises, soit en 2000 et en 2001, il y a une proposition de la part des actionnaires qui a été mise de l'avant pour que la Compagnie de la Baie d'Hudson se dote d'un code d'éthique en matière d'achat, donc qu'elle s'assure que ses fournisseurs respectent au minimum les normes minimales fixées par l'Organisation internationale du travail. À ces deux reprises, la Caisse de dépôt et placement s'est abstenue. C'est pour nous... C'est inexplicable que la Caisse de dépôt ne tienne pas compte de ces propositions qui ont été mises de l'avant.

Le deuxième exemple qui est cité dans le mémoire est celui de la compagnie Talisman, une compagnie pétrolière où la Caisse de dépôt et placement détient 2 % des actions, cette compagnie qui exploite des puits de pétrole au Soudan, qui est un pays en fait qui a été reconnu par plusieurs observateurs comme ayant brimé les droits de l'homme, notamment par la répression, par des déplacements forcés, pour l'exploitation de ses puits de pétrole. Donc, pour la FAECUM, c'est absolument inexplicable que la Caisse de dépôt et placement n'ait pas pris en main davantage les considérations éthiques, que ce soit en mettant de l'avant des propositions ou même, dans le cas où c'est impossible, de carrément désinvestir de certaines compagnies qui, de manière trop flagrante, briment ouvertement les droits de l'homme et le respect de l'environnement. Encore une fois, la FAECUM recommande que la Caisse de dépôt se dote d'une politique claire et limpide en matière d'éthique.

Finalement, pour ce qui est du dernier acteur qu'on avait ciblé, qui est le gouvernement, il y a deux actions qu'on a ciblées où le gouvernement pourrait agir très rapidement, c'est-à-dire, dans un premier temps, de clarifier la légalité des investissements socialement responsables. Actuellement, les investissements éthiques sont dans une espèce de zone grise légale, et ça a été, selon nous, un des principaux obstacles qu'on a dû faire face, lors de nos discussions avec l'Université de Montréal, en vue de l'élaboration de la politique d'achat et d'investissement éthique. Pourquoi? Parce que beaucoup de gestionnaires je ne dirais pas qu'ils ont peur mais sont réfractaires à l'idée de considérer autre chose que le profit, que le rendement dans leur choix d'investissements. Donc, une modification à la Loi sur les régimes complémentaires de retraite pourrait donner plus de jeu aux gestionnaires de portefeuille, qui pourraient ainsi davantage s'intéresser aux questions d'éthique lors de leurs investissements.

Dans un deuxième temps, on croit que le gouvernement doit, par ses subventions, inciter les entreprises à se doter d'un code d'éthique en matière d'investissement responsable. Une des manières que l'on peut mettre de l'avant, c'est tout simplement de mettre sur pied une politique préférentielle de distribution des subsides et des contrats à des compagnies qui respectent un code d'éthique en matière d'achat et de respect de ses employés. Aussi, le gouvernement devrait inciter les administrations qui sont à sa charge, telles les administrations municipales, à se doter de politiques similaires.

Donc, pour la FAECUM, il s'agit là d'une chance inespérée pour le gouvernement du Québec de prendre la pôle dans un domaine où la place des gouvernements reste encore à définir. Et la FAECUM souhaite donc que le gouvernement demande à tous les organismes qu'il finance, de refléter, dans leurs investissements et dans leurs votes, dans l'expression de leur droit de vote, ainsi que dans les achats, les valeurs québécoises de redistribution de la richesse et de l'équité sociale. Voilà. Merci.

Le Président (M. Paré): Merci beaucoup, M. Fournier. M. Bourque, avez-vous des choses à ajouter?

M. Bourque-Sandoval (Francis): Non, c'est beau. Merci.

n(15 h 20)n

Le Président (M. Paré): Non, ça va? Donc, il vous reste un peu de temps. Maintenant, on va passer aux interventions des parlementaires. M. le député de La Prairie.

M. Geoffrion: Merci, M. le Président. Merci de votre mémoire fort intéressant. Évidemment, vous faites des recommandations au gouvernement, mais vous faites également des recommandations à votre propre université. Ça, c'est très intéressant. Évidemment, il y a eu les expériences américaines depuis déjà une trentaine d'année, il y a également l'Université de Toronto et, bon. Maintenant, nommément à l'Université de Montréal, il y a des discussions. Vous dites, depuis à peu près une année, sur la politique d'achat, vous discutez donc avec l'administration de l'Université. J'aimerais savoir comment tout ça a débuté, comment ça se passe concrètement. Quels ont été... Comment... Est-ce qu'il y a eu beaucoup de difficultés à convaincre les dirigeants de l'université à s'engager dans cette voie-là? J'aimerais que vous me fassiez un petit portrait un peu concrètement comment ça s'est passé tout ça, là.

M. Fournier (Nicolas): En fait, le comité a été mis sur pied à la demande des étudiants. Il y a un an passé, on avait remis un mémoire à la direction lors des instances officielles. D'après ce qu'on perçoit, là, parce qu'évidemment on parle beaucoup avec les autres acteurs de la communauté universitaire, tant les professeurs que les employés, il y a une grande réceptivité de la part de la communauté universitaire pour une telle politique. On avance lentement parce que c'est un processus qui est très long. Et, comme je le disais plutôt, il y a beaucoup de gestionnaires qui craignent que, si on considère autre chose, là, des placements, que les considérations de rendement, il y a un risque carrément de se faire taper sur les doigts, parce que les rendements n'étaient peut-être pas au rendez-vous dû aux considérations sociales qu'on a mises de l'avant.

Il faut voir cependant, là, puis c'est un peu une manière de les rassurer, qu'on avait tenté de les rassurer en mettant sur la table plusieurs études qui démontrent que l'investissement socialement responsable n'affecte pas le rendement... donne un rendement qui n'est pas inférieur à l'investissement plus classique. Mais on espère, en bout de piste, là, que, d'ici le mois de novembre, l'Université de Montréal et le fonds de retraite des employés se seront dotés d'une politique qui régit tant les investissements que les droits de vote de la part des deux acteurs. Je ne peux pas dire que ça va très rondement, mais, tout de même, là, ça avance quand même assez bien.

M. Geoffrion: Parce que, bon, fort des expériences antérieures, depuis déjà une trentaine d'années aux États-Unis, donc comment vous percevez cet... Ça ne semble pas très enthousiaste, là. Est-ce qu'il y a une bonne réception ou... Parce que déjà le milieu universitaire américain déjà en ne sachant pas... et ce n'était pas un domaine qui était très sensible à l'époque, dans les années soixante-dix, et déjà des universités prestigieuses américaines ont emboîté le pas. Donc, on a déjà, ce que je veux dire, une expertise que les dirigeants de l'Université peuvent consulter, ou enfin on a déjà un peu de jurisprudence, si on peut s'exprimer ainsi. Qu'est-ce qui fait que vous sentez que l'Université doit être rassurée? Je ne le perçois comme quelque chose de très enthousiaste, là. Est-ce que c'est le cas ou...

M. Fournier (Nicolas): Bien, comme je disais plutôt, là, c'est beaucoup la part des... Parce que la communauté universitaire en soi, sans dire qu'elle est unanime, elle est très favorable au développement d'une telle politique. Là où le bât blesse, c'est plus au niveau des gestionnaires de portefeuilles qui se réfugient ou, du moins, craignent un peu les pénalités qui pourraient leur être imposées en vertu de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite. Dans cette loi-là, là, il est prévu que c'est la recherche de rendement qui doit être la seule et unique priorité.

M. Geoffrion: O.K. Donc, c'est ceux qui conseillent les dirigeants de l'Université qui sont un petit peu plus réticents.

M. Fournier (Nicolas): Qui sont plus réfractaires. Oui.

M. Geoffrion: D'accord. Et, sur la fondation, est-ce qu'il y a des étudiants qui siègent sur la fondation de l'Université?

M. Fournier (Nicolas): Non.

M. Geoffrion: Il n'y a pas d'étudiants qui siègent.

M. Fournier (Nicolas): Il n'y a pas d'étudiants qui siègent.

M. Geoffrion: Donc, est-ce que vous savez, par exemple, on parle de 100 millions de dotation, là, dans quel domaine ou dans quel secteur on investit ces argents-là? Est-ce que la communauté étudiante est au courant de ces placements-là ou c'est quelque chose qui est gardé, là, un petit peu plus à l'interne, ce sont des...

M. Fournier (Nicolas): Je vous donnerais une réponse, là, en deux temps. Dans un premier temps, c'était ça, le but de la politique. Donc, c'était de clarifier un peu où allaient les investissements qui sont faits par la fondation de l'Université de Montréal. Dans un deuxième temps, nous, sur notre côté, on est à mettre sur pied des projets avec la Fondation par des dons que les étudiants pourraient faire à l'Université. Et, pour nous, il est évident que l'argent que les étudiants et les étudiantes donnent à l'Université doit être placé de manière éthique, en respectant les critères sociaux et environnementaux.

Le Président (M. Paré): Merci, M. Fournier.

M. Geoffrion: Oui, bien, ma question, c'était, dans le fond, est-ce qu'on sait justement où sont placés ces argents-là actuellement? Les politiques que vous préconisez pour l'avenir, ça, je pense bien que ça peut porter ses fruits, mais est-ce que vous savez actuellement où sont placés ces 100 millions de dollars là?

M. Fournier (Nicolas): Actuellement, non.

M. Geoffrion: Vous ne savez pas. O.K.

Le Président (M. Paré): Merci, M. Fournier. D'autres questions du groupe parlementaire formant le gouvernement? Ça va?

Une voix: On pourra...

Le Président (M. Paré): Ça va aussi? O.K. Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: D'accord, M. le Président. Alors, merci beaucoup, M. Fournier et M. Bourque. On vous entend souvent venir vous présenter devant nous pour présenter des mémoires très intéressants à chaque fois. Celui-là, en particulier, est très bien fouillé. La Fédération des associations étudiantes du campus de l'Université de Montréal regroupe plusieurs associations étudiantes. D'habitude, les associations étudiantes, elles ont des coopératives, hein, notamment pour l'achat des livres, et tout ça. C'est le cas chez vous?

M. Fournier (Nicolas): Bien, il y a quelques coopératives sur le campus de l'Université de Montréal, mais ce n'est pas généralisé.

Mme Houda-Pepin: Ce n'est pas généralisé. Est-ce que ces coopératives, qui relèvent un peu d'une gestion étudiante, ont une politique d'achat?

M. Fournier (Nicolas): Les coopératives, comme je vous dis, là, il y en a quelques-unes, je ne suis pas au courant si elles sont dotées d'une telle politique.

Mme Houda-Pepin: D'accord. Vous ne trouvez pas...

M. Fournier (Nicolas): Je pourrais parler pour nous. Celle qu'on tente de mettre de l'avant à l'Université de Montréal va toucher évidemment les achats qui sont faits. Donc, tous les chandails, les gaminets, donc toutes les pièces de vêtements qui portent le logo de l'Université de Montréal devraient, selon nous, être achetés par des compagnies qui respectent au minimum les normes de l'Organisation internationale du travail. Et, pour ce qui est spécifiquement de la FAECUM, on s'est doté d'une politique aussi d'éthique commerciale donc qui régit les achats et les investissements qui sont faits par la Fédération.

Mme Houda-Pepin: D'accord. C'est intéressant. Vous vous intéressez à ce que fait l'université, la pratique universitaire, mais ce serait peut-être intéressant de voir comment les étudiants, dans leur gestion coopérative, aussi appliquent ces principes de responsabilité sociale.

M. Fournier (Nicolas): Je suis d'accord avec vous. Nous, on incite, on tente aussi d'inciter et d'informer les étudiants sur les tenants et aboutissants des politiques d'achat et d'investissement responsable, et, en ce sens-là, on croit que l'information qu'on donne aux étudiants va mener à l'élaboration de telles politiques, si ce n'est pas déjà fait.

Mme Houda-Pepin: O.K. Mais vous trouverez peut-être une oreille plus attentive et peut-être des gens qui sont beaucoup plus ouverts pour le discours que vous tenez pour mettre en pratique les principes que vous suggérez à l'université, vous ne pensez pas? Et ce serait peut-être bon de commencer à Laval aussi.

M. Fournier (Nicolas): Bien, écoutez, le pouvoir financier des universités est de beaucoup supérieur au pouvoir financier d'une simple coopérative étudiante, qui souvent n'achète que des livres et que du matériel de papeterie. Selon nous, si les universités et si le gouvernement mettent de l'avant de telles politiques et commencent à agir au niveau financier de manière éthique et responsable, ça va envoyer un message à l'ensemble de la communauté et donc va probablement inciter de plus en plus d'entreprises et de coopératives à agir de manière éthique.

Mme Houda-Pepin: O.K. Votre recommandation 1 à la page 10, vous dites: «Que le gouvernement du Québec s'assure que la Caisse de dépôt et de placement du Québec, ainsi que les autres institutions de placement sous sa responsabilité, favorise les entreprises socialement responsables.» Comment la Caisse de dépôt, par exemple, doit favoriser les entreprises socialement responsables?

n(15 h 30)n

M. Fournier (Nicolas): On a noté plus tôt deux cas où la Caisse de dépôt et placement, selon nous, avait fait un grave manquement au principe d'éthique commerciale, soit dans les cas de la Compagnie de la Baie d'Hudson et de la compagnie Talisman. Donc, favoriser les entreprises socialement responsables, c'est premièrement accepter ou être en faveur qu'une entreprise se dote d'un code d'éthique commerciale pour le cas de la Compagnie de la Baie d'Hudson et, dans le cas de Talisman, c'est... ou bien de s'assurer que la compagnie fasse tout ce qui est en son pouvoir pour respecter les droits de l'homme. Ça peut être par la mise de l'avant de propositions lors d'assemblées générales d'actionnaires ou tout simplement, si on a une compagnie qui est réfractaire, d'envisager des investissements.

Mme Houda-Pepin: Donc, c'est ça, le retrait carrément de la mise de fonds.

M. Fournier (Nicolas): Oui. C'est des stratégies qui peuvent être invoquées.

Mme Houda-Pepin: ...sur proposition des actionnaires. En dehors des deux exemples de la Baie d'Hudson et de Talisman, à votre connaissance, est-ce que la Caisse de dépôt et de placement a des investissements dans d'autres entreprises qui, je dirais, violent les droits de la personne ou le droit du travail? Parce que les investissements de la Caisse de dépôt sont tentaculaires, c'est à travers le monde. Est-ce que vous avez fait le tour de la question? Est-ce que vous avez vérifié ça ou...

M. Fournier (Nicolas): Comme on l'a dit plus tôt, il y a pour 150 milliards d'investissements au moins. On n'est pas... Je suis loin d'être économiste. Donc, malheureusement, je n'ai pas eu le temps de m'attarder à l'ensemble des investissements qui sont faits par la Caisse de dépôt et de placement. J'aurais bien aimé par ailleurs, mais c'est le temps qui m'a manqué.

Mme Houda-Pepin: O.K. On pourrait mettre un groupe d'étudiants là-dessus. Il y a du travail.

M. Fournier (Nicolas): Oui, absolument. Je vous dirais qu'il y en a qui sont intéressés à regarder, à prendre des compagnies une à une et regarder où sont les investissements.

Mme Houda-Pepin: Et fouiller. Votre deuxième recommandation, c'est de la légalité de l'investissement responsable en modifiant la Loi sur les régimes complémentaires de retraite du Québec. Qu'est-ce que vous voulez modifier dans la Loi sur les régimes complémentaires de retraite?

M. Fournier (Nicolas): Comme je disais plus tôt, à l'heure actuelle, la loi prévoit que la seule priorité pour les gestionnaires de portefeuille doit être le rendement du fonds en question. Il serait possible ? là, je ne vous réciterai pas un libellé ? mais il serait possible d'amoindrir la force de cette loi-là en disant que des considérations éthiques ou respectueuses des droits de l'homme et de l'environnement pourraient être aussi une considération à envisager par les investisseurs.

Mme Houda-Pepin: Ce matin, on a entendu un groupe qui est venu nous dire qu'il faudrait faire une distinction très nette entre les fonds éthiques et l'investissement responsable, les fonds éthiques ayant une histoire très particulière, référant surtout à des considérations morales, parfois à des considérations morales mais sectaires dans chacune des communautés religieuses. Vous, vous faites cette distinction. Avez-vous une sensibilité par rapport à ça ou vous utilisez les deux concepts de fonds éthiques et d'investissement responsable de façon interchangeable?

M. Fournier (Nicolas): Nous, on ne fait pas de distinction. Pour nous, un investissement responsable, c'est donc un investissement qui met de l'avant le respect des droits de l'homme et de l'environnement. Donc, pour nous, on ne fait pas nécessairement de distinction entre les deux.

Mme Houda-Pepin: O.K. Vous suggérez aussi que le gouvernement agisse au niveau des subventions et qu'il les accorde éventuellement aux entreprises qui respectent les principes d'investissement éthique. Comment ça va se faire ça dans le concret?

M. Fournier (Nicolas): Écoutez, il y a plusieurs...

Mme Houda-Pepin: Ça veut dire que, le gouvernement, par exemple, s'il lance un programme de subventions pour des entreprises dans un secteur donné, il doit absolument choisir les entreprises qui correspondent à un certain nombre de critères de responsabilité sociale, respect de l'environnement.

M. Fournier (Nicolas): C'est une des solutions qui pourraient être envisagées. Une autre pourrait être tout simplement de s'accorder une marge de manoeuvre qui dit, dans le fond, qu'une compagnie qui respecte un code d'éthique peut soumissionner un projet jusqu'à 15 % plus cher qu'une compagnie qui n'en respecte pas. Donc, ça peut être une des solutions envisagées.

Mme Houda-Pepin: Vous avez donné des exemples d'investissements très discutables dans le cas de la Caisse de dépôt et de placement. Vous m'avez dit que nous n'avez pas le temps de faire le tour parce que c'est très vaste, 150 milliards. Mais qu'en est-il des universités? Est-ce que vous avez vérifié le comportement des universités en ce qui a trait à la responsabilité sociale, par exemple?

M. Fournier (Nicolas): Je pourrais vous donner le cas de l'Université de Montréal. C'est extrêmement complexe parce que... bon, nous, évidemment, on s'attarde beaucoup plus à l'Université de Montréal, puisque c'est notre alma mater, mais, dans ce cas-ci, il y a...

Mme Houda-Pepin: C'est la mienne aussi.

M. Fournier (Nicolas): Ha, ha, ha! Dans ce cas-ci, à l'Université de Montréal, l'Université fait affaire avec plusieurs gestionnaires de portefeuille. Donc, c'est plutôt complexe de savoir comment est-ce que les votes sont tenus et dans quelles compagnies l'Université investit.

Mme Houda-Pepin: Je vais laisser du temps à ma collègue, M. le Président.

Le Président (M. Paré): Merci. Mme la députée de Beauce-Sud.

Mme Leblanc: Merci. Alors bonjour à vous deux. Merci pour votre présentation. J'ai remarqué que vos recommandations touchent à peu près seulement ce qui s'appelle le secteur public: les universités, le gouvernement avec sa politique d'achat, etc. Est-ce que vous omettez tout simplement que le gouvernement devrait légiférer aussi dans le secteur privé? C'est quoi, votre position là-dessus?

M. Fournier (Nicolas): Tout simplement, quand on a bâti nos recommandations, on a fait un choix qui était de s'attarder beaucoup plus au secteur public, notamment aux universités, parce qu'on se disait que notre champ d'expertise était beaucoup plus là qu'au niveau des entreprises privées. Donc, on ne voulait pas... Selon nous, il y a des acteurs qui sont peut-être mieux placés pour traiter de ces enjeux-là, tout simplement.

Mme Leblanc: O.K. Je sais que... Je ne sais pas, peut-être que le député qui est en face de moi, mon collègue qui a été au fédéral... Je sais qu'à un moment donné il y a plusieurs normes qui sont mises sur pied par les gouvernements. Et je sais que le gouvernement fédéral avait mis une certaine norme qui s'appelait Ecolologo ou EcoLogo, quelque chose de semblable à ça. Je ne sais pas si vous avez fait des recherches à savoir si, depuis que ces entreprises-là ont reçu cette certification-là, elles ont profité, bénéficié de plus d'investissements de la part des caisses de retraite, de la CDP ou autres. Est-ce que vous avez fait une analyse là-dessus?

M. Fournier (Nicolas): Non, malheureusement, on n'a pas recherché sur cette question. On n'a pas fait de recherche sur cette question spécifique.

Mme Leblanc: Je ne sais pas si mon collègue d'en face y a touché mais... O.K. Vous faites une recommandation, entre autres ? je vais essayer de la retrouver ? qui dit: «Que le gouvernement du Québec s'assure que la Caisse de dépôt et placement du Québec, ainsi que les autres institutions de placement sous sa responsabilité, favorise les entreprises plus socialement responsables.» Est-ce que, selon vous, c'est la notion de profit qui doit primer sur la notion de responsabilité sociale, ou le contraire?

M. Fournier (Nicolas): Ce qu'on dit là, le message qu'on veut lancer, c'est qu'un gestionnaire de portefeuille devrait avoir la possibilité de ne pas seulement considérer que la recherche de profit. Il devrait être possible pour un gestionnaire de portefeuille de vouloir faire avancer une cause sociale, vouloir faire avancer le bien-être général par ses investissements. Et je vais référer, encore une fois, à la Loi sur les régimes complémentaires de retraite du Québec, on devrait, à ce niveau-là, pouvoir lui libérer la marge de manoeuvre pour pouvoir le faire. Donc, on ne tente pas de faire une priorisation entre la responsabilité sociale ou le rendement. On demande juste que ce soit possible de considérer l'aspect social.

Mme Leblanc: Mettons qu'on va se situer dans le cas où le gouvernement légiférerait en matière de responsabilité sociale des entreprises et d'investissement responsable. Actuellement, les caisses de retraite sont impliquées, par le biais de la Caisse de dépôt et de placement, à très forts niveaux, dans certaines entreprises qui sont aussi des fleurons québécois. Qu'est-ce qu'il arriverait si, par exemple, la caisse de retraite qui est impliquée dans ces organisations-là, le gouvernement viendrait légiférer au niveau de l'investissement responsable, et on apprendrait, dans cinq ans, peut-être, qu'un fleuron québécois, dans lequel la Caisse de dépôt a énormément investi, a créé des problèmes environnementaux, a pollué des sites? Qu'est-ce qu'il arrive? Ça veut dire qu'on oblige la Caisse de dépôt et de placement à se retirer de ce fleuron québécois malgré tout le tort que ça peut faire à l'économie?

M. Fournier (Nicolas): Il n'y a pas... Une telle politique, on est conscient que, du jour au lendemain, on ne peut pas demander à des entreprises de, soudainement, devenir des modèles d'éthique et de respect de l'environnement.

n(15 h 40)n

Donc, évidemment, selon nous, il va y avoir une période de transition où on va pouvoir permettre, par exemple, à la Caisse de dépôt et placement de mettre de l'avant des propositions d'actionnaires, donc se donner une marge de manoeuvre pour pouvoir agir avant de retirer ces investissements. Comme on l'a dit là, comme on le note dans le mémoire, l'investissement socialement responsable, ce n'est pas uniquement des investissements de certaines compagnies, c'est faire en sorte que les compagnies déjà existantes adoptent des comportements respectueux.

Mme Leblanc: Alors, est-ce qu'on doit y aller plus... est-ce que le gouvernement du Québec devrait y aller de façon plus incitative, mieux informer les gens, faire de la promotion auprès des entreprises ou si on doit y aller plutôt d'une façon coercitive, par une loi, un encadrement très rigide auquel les entreprises et les caisses de retraite seraient soumises, de même que le gouvernement là?

M. Fournier (Nicolas): Tout d'abord, le gouvernement, notamment par la Caisse de dépôt et placement, doit se positionner comme un modèle. Si on veut inciter les gens de quelconque manière à agir de manière éthique, il faut tout d'abord que le gouvernement s'assure que lui-même est sur la bonne voie. Donc, selon nous, c'est la première étape. On commence par faire ça puis après ça on pourra regarder si on doit agir de manière plus ou moins rigide. Mais, comme je vous dis, on s'est peu attardé sur l'interaction avec les entreprises ou sur la législation au niveau des entreprises privées.

Mme Leblanc: Mais ça va avoir un effet de rebondissement, il ne faut pas se leurrer là-dessus.

M. Fournier (Nicolas): Oui, absolument.

Mme Leblanc: Vous dites qu'à l'Université de Toronto ils ont décidé d'adopter une politique d'achat. Est-ce que... Vous savez que ça a été adopté le 11 mai 2000. Est-ce que vous savez si, depuis l'adoption de cette politique-là, il y a eu des modifications importantes apportées par l'Université de Toronto dans le choix de ses fournisseurs?

M. Fournier (Nicolas): Je ne saurais pas vous dire. Je ne pourrais pas vous dire.

Mme Leblanc: O.K. C'est tout.

Le Président (M. Paré): Merci.

Une voix: ...

Le Président (M. Paré): Oui, il reste du temps. Madame a demandé la parole et, par la suite, M. le député de La Prairie.

Mme Houda-Pepin: Merci beaucoup, M. le Président. Vous représentez des jeunes étudiants. Est-ce que vous avez réfléchi sur l'impact de l'investissement responsable sur les jeunes, notamment sur l'insertion des jeunes sur le marché du travail, comment les entreprises pourraient agir par l'investissement responsable, par la responsabilité sociale aussi, à favoriser l'insertion des jeunes sur le marché du travail?

M. Fournier (Nicolas): Ça, c'est une question qui est très large. Je pourrais vous parler très simplement d'une stratégie qui n'est pas abordée dans le mémoire, mais qui est l'investissement communautaire, donc le fait de mettre à la disponibilité des entreprises un certain capital de risque qui permet donc l'essor, entre autres, de l'économie sociale. Mais ça fait partie du concept d'investissement socialement responsable, de l'investissement éthique.

Mme Houda-Pepin: Par exemple, les stages en entreprise, c'est une forme peut-être d'aide qui pourrait être accordée aux jeunes ? universitaires, collégiens, même au niveau du secondaire ? qui veulent aller chercher une expérience de travail. Est-ce que ce genre de comportement d'une entreprise pourrait être qualifiée de socialement responsable, à vos yeux?

M. Fournier (Nicolas): Écoutez, il y a plusieurs considérations dans ce qu'on appelle l'investissement socialement responsable. Très personnellement, oui, je considérerais ça comme étant une approche socialement responsable.

Mme Houda-Pepin: Très bien. Merci.

Le Président (M. Paré): Merci beaucoup. M. le député de La Prairie.

M. Geoffrion: Oui, Bien, juste une courte question: Quels sont vos liens avec les autres universités québécoises? Et si vous en avez sur ce sujet-là, est-ce que votre Fédération serait intéressée, ou enfin est déjà un chef de file au Québec au niveau universitaire sur cette question-là, ou si actuellement c'est plutôt au niveau de l'Université de Montréal? Est-ce que vos collègues dans les autres universités s'intéressent également à ces questions-là?

M. Fournier (Nicolas): Il y a un certain intérêt qui est porté à cette question-là par nos collègues étudiants en effet. Nous, actuellement, on se concentre sur l'Université de Montréal. On va terminer l'adoption de la politique et, ensuite de ça, on va pouvoir partager notre expérience avec nos collègues étudiants. Ça a déjà été fait. Lorsqu'on a terminé notre mémoire, on l'a diffusé auprès de nos collègues pour qu'eux puissent s'en servir et faire des représentations auprès de leur direction universitaire.

M. Geoffrion: Il y a eu des réactions déjà de ce mémoire-là que vous avez diffusé auprès de vos collègues?

M. Fournier (Nicolas): Des réactions de la part des étudiants des autres universités?

M. Geoffrion: Oui. Des fédérations.

M. Fournier (Nicolas): Je dirais que, généralement, c'est des réactions très positives, très intéressées. Donc, un peu comme je vous disais pour la communauté universitaire à l'Université de Montréal, les gens sont intéressés par la question de manière générale tant au niveau des professeurs que des étudiants et c'est un peu une donnée commune pour l'ensemble des universités québécoises.

M. Geoffrion: Bien. Merci.

Le Président (M. Paré): Merci, M. Fournier. Mme la députée de La Pinière, vous avez une autre courte question, courte réponse.

Mme Houda-Pepin: Oui. Si vous permettez. Oui. La CSN que nous avons entendue ce matin, elle est allée nous dire que... nous a demandé que le gouvernement du Québec lie l'accès aux crédits à l'exportation au respect des principes directeurs de l'OCDE et s'inspirant ainsi d'une mesure prise en Hollande.

Est-ce que vous iriez aussi loin pour dire que dorénavant, pour investir à l'étranger, pour accorder des subventions pour favoriser les exportions, il ne faudrait pas que l'État accorde un soutien de quelque nature que ce soit sans s'assurer que l'entreprise canadienne ou québécoise qui va oeuvrer à l'étranger doit montrer patte blanche en ce qui a trait au respect de l'environnement et en ce qui a trait à la responsabilité sociale?

M. Fournier (Nicolas): C'est une approche qui est fort intéressante, là. Il faudrait cependant qu'on s'y attarde davantage. C'est la première fois que j'en entends parler. Donc, à brûle-pourpoint, comme ça, j'aurais un peu de difficulté à vous donner une réponse, mais je trouve que c'est une approche qui est intéressante.

Mme Houda-Pepin: Ça veut dire que vous repartez avec plus d'ouvrage que vous nous en avez amené. Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Paré): Vous allez faire vos devoirs. Ça va, Mme la députée de La Pinière?

Mme Houda-Pepin: Oui.

Le Président (M. Paré): Si vous avez d'autre commentaires de la part de M. Bourque ou, vous-même, M. Fournier, allez-y. Le mot de la fin.

M. Fournier (Nicolas): Non. Je vous remercie beaucoup de nous avoir accordé ce temps.

Le Président (M. Paré): Moi, il me reste à vous remercier de votre contribution. Merci.

M. Fournier (Nicolas): Bienvenue.

Le Président (M. Paré): Nous allons suspendre quelques minutes afin de... le temps d'attendre M. Gilles Taillon, président du Conseil du patronat du Québec.

(Suspension de la séance à 15 h 47)

 

(Reprise à 15 h 55)

Le Président (M. Paré): À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, nous recevons M. Gilles Taillon du Conseil du patronat du Québec. Vous avez 20 minutes de présentation à nous faire et, par la suite, nous aurons 40 minutes d'échanges avec vous. Donc, bienvenue à cette commission. Merci de votre contribution.

Conseil du patronat du Québec (CPQ)

M. Taillon (Gilles): Merci beaucoup, M. le Président. Alors, le CPQ tient à remercier d'abord la commission des finances publiques de le recevoir et de lui donner la possibilité d'exprimer le sentiment du milieu des affaires eu égard à toute la question de la responsabilité sociale des entreprises dans le contexte, bien sûr, de l'actualité et de la conjoncture d'aujourd'hui.

Vous avez reçu le mémoire, donc vous l'avez parcouru sans doute. On aura l'occasion d'échanger. Je vais plutôt y aller de cinq ou six commentaires eu égard à ce qui vous est présenté là et ensuite, en synthèse, probablement vous lire la conclusion.

D'abord, en filigrane du mémoire, je pense que vous avez compris que nous pensons et nous voulons rappeler que la responsabilité sociale première des entreprises, c'est d'être rentables pour pouvoir investir et créer des emplois. Créer des emplois, c'est une responsabilité fondamentale et, je dirais, la responsabilité de base des entreprises et, à cet effet-là, donc, mission sociale incontournable.

On a signalé à quelques reprises dans le mémoire aussi que les entreprises sont aussi des contribuables. Donc, les entreprises, au plan corporatif, participent à la répartition de la richesse ? bien sûr, principalement celles qui sont rentables ? paient des impôts. Au niveau du Québec, les impôts des entreprises, les impôts des corporations représentent à peu près le quart des revenus autonomes de la province et les entreprises paient aussi des impôts locaux au niveau de l'impôt foncier, et on vous souligne que ce segment de l'impôt foncier a crû énormément au cours des dernières années, il représente une très bonne part des revenus locaux. Donc, formellement, légalement, les entreprises contribuent socialement au développement des milieux.

Les entreprises sont aussi condamnées, même si le terme est peut-être péjoratif, mais dans un contexte actuellement de forte concurrence de mondialisation, les entreprises sont condamnées à être de bons producteurs, c'est-à-dire doivent offrir un produit de qualité, doivent offrir un produit qui répond à des normes qui sont dictées par des consommateurs de mieux en mieux informés. Il y a de moins en moins de fidélité de la clientèle et l'entreprise est constamment obligée de se remettre en question. Donc, elle est, compte tenu de la situation du marché, très imputable de la qualité de ses produits.

Nous abordons aussi... Au-delà donc de ces premières responsabilités où vous abordez en question... l'investissement communautaire, on pense aussi qu'il y a de multiples façons dont les entreprises au Québec actuellement, même dans le passé, s'investissent dans leur communauté. Au-delà des responsabilités, au-delà du paiement des impôts, au-delà de la création d'emplois, on sait que les entreprises s'investissent de différentes façons: ça peut être dans des bourses aux universités de leur milieu, dans des dons à des organismes communautaires, dans une présence importante dans des activités du milieu. Donc, les entreprises s'investissent et nous vous signalons assez clairement qu'on ne pense pas, sur ce plan, que cet investissement puisse faire l'objet de législation ou d'obligation réglementaire. On dit: Je pense qu'il vaut beaucoup mieux compter sur une participation volontaire, quoiqu'il faut souligner que, de façon volontaire, les entreprises se sont, au dernier Sommet de la jeunesse, se sont engagées à participer à lever une taxe volontaire pour contribuer au Fonds jeunesse. Elles l'avaient fait auparavant au Fonds de lutte sur la pauvreté. Ce sont des initiatives volontaires. Il faudrait que ça le demeure, mais je ne pense pas que ce soit une façon de, je dirais, répandre une action comme celle-là dans l'ensemble des situations. On vous dit: Il est important de tenir compte, eu égard à toutes ces responsabilités ou ces façons de l'exprimer de l'entreprise, de la capacité de le faire, donc de la capacité de souscrire à ces choses-là. Les entreprises sont aussi, au Québec, encadrées au plan législatif, sous plusieurs aspects au plan social. On a une Loi sur les normes du travail. Je ne pense pas qu'on puisse parler ici de travail des enfants. Je ne pense pas qu'on puisse parler ici d'une situation où il n'y a pas de normes minimales, on correspond... on a des obligations qui font en sorte... qui dépassent largement les normes internationales du travail. Donc, on est au Québec dans une situation où les entreprises sont sujettes à une réglementation, à des lois importantes, souvent très novatrices. Et vous savez que, pour rester compétitives, à tout le moins il ne faudrait pas en ajouter. Je pense que notre message là-dessus est assez clair, l'est depuis longtemps. On a une situation qui est peut-être enviable au plan social, mais il ne faudrait pas se déqualifier au plan économique.

n(16 heures)n

Sixième commentaire. C'est un peu en ce qui a trait à la responsabilité de bonne gouvernance. Il est fondamental ? et votre préoccupation est sans doute importante là-dessus, et elle est légitime ? de vous assurer que les entreprises, à la fois pour leurs clients et pour leurs investisseurs, sont bien gouvernées. Et, dans la foulée de l'actualité des situations difficiles vécues par certaines entreprises chez nos voisins, il est évident qu'on ne peut pas rester silencieux puis on ne peut pas fermer les yeux. Même si, je vous dirais, au Québec et au Canada on est reconnus internationalement, à partir de certaines études, comme offrant une situation de gouvernance assez exceptionnelle, on n'est pas à l'abri de situations difficiles, et le Conseil du patronat est préoccupé par cela. On travaille actuellement en collaboration avec nos cousins canadiens, le Conseil canadien des chefs d'entreprise, à bâtir un guide de gouvernance, un code de conduite explicite qui irait ? on vous donne quelques exemples ici, là ? qui irait jusqu'à prôner l'indépendance des conseils d'administration, possiblement la signature des états financiers par les officiers, par les dirigeants de l'entreprise, indépendance des conseils d'administration, faire en sorte que les coûts des programmes d'options de bonification au rendement soient comptabilisés dans les états financiers. Donc, une série de mesures qui vont apparaître dans les prochains jours sur notre table, sur votre table comme étant des engagements de la communauté des affaires à assurer les citoyens en général d'une bonne gouvernance. Rien de mieux que l'autodiscipline, dans le fond, dans ce domaine-là.

En matière de réglementation, eu égard à la bonne gouvernance, nous pensons que vous disposez actuellement d'un bon éventail d'outils pour vous assurer que la situation est sous contrôle. Il faudrait peut-être s'assurer qu'on utilise les outils qu'on a. On ne vous recommande pas de nouvelles législations. Si on réussit à faire la preuve d'autodiscipline et que ça fonctionne à partir des règles déjà établies, nous pensons qu'on a ici, au Québec, là, et au Canada aussi, une bonne assurance eu égard à la responsabilité de bonne gouvernance.

Bref, voilà un peu les remarques que l'on voulait vous souligner d'entrée de jeu.

Et je vous dirais, en conclusion, que nous croyons fermement, au CPQ, que la responsabilité sociale des entreprises découle de conditions de marché en évolution qui se reflètent chez les principaux intervenants ? clientèle, fournisseurs, actionnaires ? et qui dictent les balises de leur conduite aux dirigeants. Une intervention législative ou réglementaire du gouvernement du Québec affaiblirait sans aucun doute les entreprises québécoises qui luttent chaque jour pour conserver leur part des marchés québécois et étrangers, sans compter qu'elle risquerait fortement d'être interprétée comme de nouvelles mesures protectionnistes, probablement interdites par l'Accord de libre-échange nord-américain et par nos principaux engagements au sein de l'OMC. Il en va évidemment de même pour ce qui est de la perspective d'un alourdissement de l'encadrement relatif à l'investissement, et une éventuelle obligation serait faite aux entreprises oeuvrant au Québec de dévoiler leur politique en matière d'éthique d'entreprise ou encore de publier des indicateurs de leur performance en matière d'environnement ou de bilan social. Très difficile de déterminer des indicateurs qui seraient universels. Nous préférons des engagements, des codes de conduite. Même chose pour les grands investisseurs publics: des engagements connus et qui affectent, dans le fond, au cas par cas, les situations mises en cause.

On pense que la crise actuelle de confiance envers les marchés financiers est sérieuse. Elle trouve sa source dans plusieurs scandales qui ont été mis à jour au moment où les attentes envers les dirigeants d'entreprises étaient au plus haut dans la société. Cette situation commande une réaction vigoureuse de la part des milieux d'affaires ? je vous ai signalé que nous nous engagions à le faire ? et possiblement une révision de certaines dispositions réglementaires, surtout pour s'assurer que tout fonctionne normalement et correctement.

Nous espérons que le rétablissement du lien de confiance mène à une reprise des investissements productifs, au retour des profits sur les marchés, lesquels constituent le meilleur signal d'une allocation efficiente des ressources et incitent à la performance. Le CPQ rappelle toutefois que la capacité d'entreprendre et des risques calculés soit en misant sur des techniques de fabrication novatrice, soit en utilisant des technologies de production de pointe ou encore en adoptant de nouvelles méthodes de mise en marché d'organisation du travail doivent à tout prix être conservés et rehaussés au terme d'éventuelles interventions réglementaires visant à rétablir la confiance dans les marchés. Bref, il faut laisser aux dirigeants d'entreprises l'initiative et l'innovation nécessaires à nous maintenir dans une position de commande. La création soutenue d'emplois, dont le Québec a besoin pour rattraper la moyenne canadienne, ne pourra être accélérée que si de telles conditions sont en place. Bref, nous croyons à un bon équilibre entre des mesures incitatives à un comportement éthique et certaines mesures coercitives pour assurer qu'on n'est pas dans un contexte de loi de la jungle.

Nous tenons à le rappeler ? ça passe peut-être inaperçu, mais ça ne passe pas inaperçu dans les milieux: il ne faudrait pas perdre de vue que la première et la plus importante responsabilité sociale de l'entreprise consiste à créer des emplois de qualité. Nous pensons qu'à ce compte-là les entreprises québécoises doivent être concurrentielles et rentables; à défaut, elles seront rayées de la carte puis les emplois se créeront ailleurs.

Voilà, M. le Président, l'essentiel de notre message.

Le Président (M. Paré): Merci beaucoup, M. Taillon. Les parlementaires ont des questions à vous poser. Donc, on va échanger. M. le député de Bertrand veut débuter l'échange et, par la suite, le député du Lac-Saint-Jean, le député de La Prairie et Mme la députée de La Pinière. Allez-y.

M. Cousineau: Bonjour, M. Taillon.

M. Taillon (Gilles): Bonjour.

M. Cousineau: Bienvenue à cette commission. Je remarque que, à la page 6, en plein centre, vous dites: «En général, les entreprises font plus pour la société que ce que la législation québécoise, pourtant plus lourde que celle des juridictions voisines, ne leur impose. Elles le font selon une approche de volontariat qui répond mieux aux cas individuels et évite d'alourdir inutilement le carcan réglementaire.»

Alors, bon, on a rencontré des groupes, ce matin et puis hier, qui nous disaient que le volontariat, c'est bien beau mais c'est un peu utopique. Et puis on nous disait que, au volontariat, il devrait y avoir nécessairement un cadre plus rigide de l'État, et puis, donc, ça semble aller en opposition à ce que, vous, vous amenez.

Alors, pourquoi vous vous opposez, là? Je sais que vous nous l'expliquez quand même relativement bien, mais j'aimerais que vous reveniez là-dessus. Pourquoi vous vous opposez à ce que l'État puisse réglementer et superviser, non pas juste accompagner mais superviser, encadrer et puis peut-être sanctionner des entreprises qui ne sont pas capables de prendre leurs responsabilités au niveau social et environnemental?

Le Président (M. Paré): M. Taillon.

M. Taillon (Gilles): Nous, on pense que, au plan environnemental, par exemple, les entreprises du Québec font bien. Nous avons une situation à ce niveau-là qui est assez exemplaire. Nous avons, nous, un satellite au Conseil, le Centre patronal de l'environnement, qui regroupe les grandes entreprises, les principaux manufacturiers. Je vous dirais qu'il y a un bon travail. Les normes environnementales, au Québec, ne sont pas les moindres par rapport à nos principaux concurrents. On vous dit: Nous avons actuellement, à notre point de vue, un encadrement législatif et réglementaire dans différents secteurs d'activité, tant en environnement qu'au plan du travail, qui, au Québec, est plus exemplaire qu'ailleurs. Plus exemplaire, ça veut dire plus exigeant, donc, plus contraignant pour les entreprises.

n(16 h 10)n

En sus de cela, les entreprises du Québec sont impliquées dans leur milieu. On le voit de plus en plus. On voit de plus en plus des contributions de fondation à différents organismes, à différents corps constitués ou établissements.

Donc, on ne pense pas actuellement qu'il faille en demander davantage aux entreprises qui sont aussi des contribuables corporatifs, qui paient des impôts, qui en paient dans leur milieu. Nous pensons, nous, qu'il faut éviter d'alourdir ce cadre-là. Ce serait très, très mauvais de le faire; ça placerait nos entreprises dans une situation de difficulté au niveau de la compétition puis de la concurrence.

M. Cousineau: Beaucoup d'entreprises québécoises sont subventionnées, reçoivent des subventions de différents programmes gouvernementaux. Il n'y aurait pas là une obligation pour ces entreprises-là de démontrer clairement leurs intentions face à la responsabilité sociale puis que le gouvernement puisse avoir la main mise, étant donné que c'est de l'argent qui provient de l'ensemble des contribuables?

M. Taillon (Gilles): Nous, vous le savez, notre position est assez claire là-dessus aussi: on souhaiterait, dans l'ensemble, que nos entreprises soient moins subventionnées. Donc, ce serait une démarche inverse que nous souhaiterions. On dit: Subventionnons moins, évitons de placer les entreprises dans une situation de dépendance, fions-nous au marché, et je vous garantis qu'il va y avoir une performance intéressante.

Donc, au-delà d'un subventionnement qui respecterait ou qui rejoindrait la compétition normale ? il ne faut pas se fermer les yeux, il y a actuellement, dans les pays qui sont nos concurrents, des subventions aux entreprises ? on dit qu'il ne faudrait surtout pas aller au-delà de ça au Québec. Et, actuellement, les chiffres démontrent que nous allons au-delà de ça, beaucoup au-delà de ce qu'on connaît ailleurs. Et on dit plutôt: Desserrons la réglementation, desserrons cette démarche qui fait en sorte que l'entreprise, pour avoir la subvention, est obligée de se créer une dynamique de relation avec l'État, qui la détourne de sa fonction première qui est de produire, de créer des emplois puis de gérer l'ensemble de son environnement. On aurait toute une approche contraire, donc: pas des subventions pour les rendre davantage dépendantes mais plus d'indépendance, moins de subventions, subventions qui pourraient servir, par ailleurs, à des programmes sociaux plutôt que de servir au développement de l'entreprise.

M. Cousineau: Merci.

Le Président (M. Paré): M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Tremblay: Merci, M. le Président. M. Taillon, est-ce que vous auriez un problème à ce que le niveau de divulgation des informations pour les entreprises qui sont enregistrées à la Commission des valeurs mobilières du Québec soit équivalent à ce qui se passe aux États-Unis?

M. Taillon (Gilles): Non. Vous allez voir, nous allons proposer que les entreprises acceptent elles-mêmes de divulguer cela.

M. Tremblay: Mais pourtant, il me semble que les Américains, ils ne sont pas les moins compétitifs, loin de là, et pourtant, en tout cas, on n'est pas à leur niveau, là, au niveau de la Securities and Exchange Commission en matière de divulgation de l'information, d'une part. Mais, d'autre part, ne croyez-vous pas que, justement, lorsqu'il y a transparence, ça peut justement inciter les investisseurs? Quand on connaît l'information, quand on voit ? et vous l'avez vous-même dit ? que les entreprises québécoises sont très performantes, elles font bien en matière sociale et environnementale, justement, cette divulgation d'information ne pourrait pas être un avantage quant à attirer des investisseurs?

M. Taillon (Gilles): Nous allons... Je vous le signalais, là, la commission devance de quelques semaines notre prise de position publique, mais je vous dis: Nous allons favoriser une très, très grande transparence, divulgation des informations, évidemment pas des informations qui feraient en sorte de nous placer dans une situation où on divulgue des secrets industriels mais des informations qui permettraient aux investisseurs de savoir de quoi répond l'entreprise, oui, et, en même temps, nous allons exiger des grands investisseurs institutionnels, qu'ils soient publics ou privés, eux aussi, de connaître leurs règles de conduite quant à leurs intentions d'investissement. En fait, on veut savoir d'entrée de jeu où ces gens-là veulent investir, ce qui permet aux entreprises de modifier leur comportement, si comportement déviant par rapport aux grands investisseurs il y a. Donc, on va proposer, dans le fond, un comportement où il y a de l'imputabilité, il y a de la transparence des deux côtés, en évitant par contre de tomber dans la divulgation de secrets qui mettrait l'entreprise en péril, qui irait plus loin, dans le fond, que ce que nos compétiteurs font.

M. Tremblay: Bien entendu. Donc, si vous êtes pour cette transparence, où voyez-vous le problème à ce qu'une législation québécoise puisse apparaître qui pourrait être similaire à celle de la Grande-Bretagne ou de l'Australie ou de la France à l'égard du fait que les administrateurs de caisses de retraite seraient dans l'obligation, à chaque année, de rédiger un rapport ? dans leur rapport annuel en fin de compte ? dans lequel ils décrivent les considérations d'ordre social, éthique et environnemental dont ils tiennent compte dans leurs choix de placement. Ce qui fait en sorte que, je pense, dans ce cadre-là, les entreprises québécoises ne seraient sûrement pas désavantagées, puisque, comme vous l'avez dit, sur le plan environnemental, elles font bien. Mais tout ce que ça fait, c'est que cette transparence engendrerait, de la part des propriétaires de capitaux, hein... Parce que c'est leur argent, donc, ils veulent savoir où il va être investi et si l'argent qu'ils investissent est investi dans des entreprises qui correspondent à leurs valeurs. Donc, avez-vous un problème à ce qu'on accroisse la transparence sur le plan des administrateurs de caisses de retraite? Là, je ne parle pas des entreprises mais des administrateurs de caisses de retraite.

M. Taillon (Gilles): Je vous dis non, en principe. Cependant, notre préférence irait davantage à des codes de conduite définis par ces administrateurs-là ou ces fonds-là qu'à une obligation législative, qu'à une législation. On dit: Dans un premier temps, pas de législation, mais obligation d'être transparent et d'être imputable. Et si ça ne réussit pas, bien, évidemment, là, on court après la législation. Nous, on pense qu'une action volontaire, c'est toujours plus fort que la police ? c'est un petit peu notre réaction fondamentale ? mais à la transparence, au fait d'avoir des critères connus à l'avance, oui, de ces grands investisseurs, qu'ils soient institutionnels, privés ou publics.

Ce qu'on veut éviter, par contre, c'est des prises de position ou des changements de critères aux trois mois, qui tiendraient compte de la conjoncture ou de la situation. Bon. On pourrait parler de la Caisse de dépôt et d'un certain grand employeur au Québec. Il faudrait éviter là qu'il y ait des règles qui soient prises en fonction d'un conflit actuel, par la Caisse de dépôt. Bon. Ça là, ce serait... Il faut bien comprendre que, quand je dis «volontaire», c'est volontaire mais à condition que ce soit connu à l'avance et défini de façon générale.

M. Tremblay: Je vais revenir.

Le Président (M. Paré): Merci, M. le député. M. le député de La Prairie.

M. Geoffrion: Ah! bien c'est un petit commentaire. Bonjour, M. Taillon. Hier, on a reçu M. Audet, de la Chambre de commerce, et il semble y avoir, peut-être, une légère méprise. Bon. Il n'est pas question de faire le procès de l'entreprise. Hier, M. Audet est venu nous dire qu'il y avait un code d'éthique. Bon. Les 3 000 entreprises qui sont membres de la Chambre, à travers ses composantes, on est absolument convaincus que la très grande majorité sont des bons citoyens corporatifs. Il nous a parlé également de toute la question philanthropique. Il n'est pas vraiment question de ça non plus. Et, dans votre cas, c'est la même chose; les entreprises que vous représentez, on est absolument certains que, dans chacun de leur milieu, ils ont un rôle important et ils sont d'excellents citoyens corporatifs. Là-dessus... On n'a pas de doute là-dessus.

Une des questions que soulèvent notre commission et tout ce débat-là, vous en parlez aussi. Bien. Dans votre mémoire, il y a des choses très intéressantes. Par ailleurs, je vous cite, à la page 7 de votre mémoire, lorsque vous parlez de la responsabilité sociale, bon, des normes de travail environnementales, etc., et vous dites: «Il convient ici d'éviter d'être moraliste envers les pays qui n'ont pas encore atteint notre stade de développement économique.» Ce n'est pas tellement la question d'être moraliste ou pas; c'est la question d'être informé d'un certain nombre de pratiques.

J'ai toujours en tête ce reportage qui a été diffusé il y a quelques années, sur la fabrication des balles de baseball qui sont fabriquées en Haïti, dans des conditions plus que douteuses. Et lorsqu'on suit un petit peu le débat... Enfin, c'est un peu, peut-être, l'exemple le plus extrême parce que, actuellement, il y a tout... Enfin, il y avait un débat, au cours des dernières semaines, sur une possible grève dans le domaine du baseball américain. Vous voyez un peu, hein: le plus pauvre de ces joueurs-là gagne 300 000 $ par année, et ça va jusqu'à 10, 15, 20, 25 millions, mais la matière première de ce sport, qui est la balle, est fabriquée dans des conditions épouvantables en Haïti. Donc, vous voyez ce parallèle que j'essaie de faire. Donc, il n'est pas question d'être moraliste; il est juste question d'être ouvert et d'être conscient qu'il y a des choses dans ces pays-là qui ne sont pas normales et que, parfois, sans le savoir ? sans le savoir ? en toute bonne foi, de nos entreprises, par leurs placements, sont peut-être dans ces pays ou des ces activités-là, et on ne le sait même pas. Et c'est pour que nous... Et vous dites, bon: Les gens sont de plus en plus informés. C'est vrai. Mais est-ce qu'on sait jusqu'à la limite toutes... Est-ce qu'on a toutes ces informations-là pour bien juger que tel placement est un placement éthique, etc.?

n(16 h 20)n

Donc, nous, ce qu'on essaie de voir ici, à travers cette commission-là, c'est comment on peut, en toute... sans menotter personne, sans ajouter à une réglementation qui, comme vous le savez, vous le dites souvent, est déjà assez lourde ici, sensibiliser les entreprises et ceux qui conseillent les entreprises, ceux qui sont au front au niveau des placements, etc. Comment peut-on être mieux informés, plus sensibilisés à ces réalités-là? C'est un petit peu ça qu'on essaie de dégager, et on ne porte pas de jugement sur le rendement. On ne veut pas réformer le capitalisme américain, là, ce n'est pas du tout ça, notre objectif. On veut fouiller ce phénomène-là qui est relativement nouveau au Québec, qui a déjà fait ses preuves aux États-Unis, dans d'autres... en Europe notamment.

M. Taillon (Gilles): Ce qu'on veut signaler à la page 7 ? je pense que votre remarque, votre commentaire est très pertinent ? c'est qu'on est dans un cadre de commerce international. J'entends des groupes dire: Il faudrait adopter les normes internationales du travail puis obliger toutes les entreprises à les respecter.

Vous vous souvenez que, dans les négociations, dans les discussions à l'OMC, à Seattle, le président Clinton à l'époque était un fervent de l'application des normes internationales du travail pour l'ensemble des pays. L'accusation qui est venue des pays en voie de développement ? ils ont refusé cette proposition-là parce que ça les plaçait dans une situation de concurrence déloyale ? en fait, c'était une mesure protectionniste des États-Unis, pour ces pays-là.

Alors, ce qu'on dit ici: Évitons des normes fixées d'avance, mais, en même temps, dans un code de conduite d'un grand investisseur institutionnel, il pourrait très, très bien y avoir une ligne qui dirait: C'est évident, là où il y a du travail des enfants en bas de 12 ans, par exemple, ou en bas de 11 ans, on n'investit pas dans ces entreprises-là. Ça nous apparaîtrait beaucoup plus sage, beaucoup plus sélectif dans le cas à cas que d'essayer d'adopter une norme générale par réglementation, d'abord qui serait peut-être ? on le signale d'ailleurs dans le mémoire ? qui serait peut-être, dans le fond, illégale dans le sens des lois internationales des traités de libre-échange mais qui serait aussi offensante pour les pays qui essaient de s'en sortir. Alors, c'est un équilibre, dans le fond, qu'il faut essayer de trouver, et je conviens avec vous que ce n'est pas facile.

C'est dans ce sens-là qu'on dit qu'il ne faut pas être moralisateurs au sens où il ne faut pas penser que nos conditions peuvent être exportées parce qu'on déqualifie, dans le fond, la capacité de ces pays-là de se relever. En même temps, il y a des choses qui sont inacceptables, vous avez raison: de faire travailler les enfants à cinq ans sous prétexte qu'ils ont des plus petites mains pour faire les noeuds, là, dans l'exemple que vous donnez, là, ça nous apparaît être un petit peu immoral. Et, là-dessus, je pense qu'il y aurait nécessité que les grands investisseurs, qui ne sont pas toujours des entreprises et qui ne sont pas le grand capital, c'est souvent notre argent à nous, géré par des institutions publiques, qu'il y ait une prudence là-dessus. Mais il faut bien la baliser, hein. Quand on sait que, dans ces pays-là, là actuellement, l'objectif des dirigeants, c'est de faire en sorte que leur population finisse leur primaire, on se rend bien compte qu'on est loin de ça chez nous là. Chez nous, on se bat sur la fréquentation au collégial puis à l'université parce qu'on trouve que, à 50 %, ce n'est pas assez. Ce n'est pas tout à fait dans le même parc de baseball, pour reprendre votre expression. Donc, c'est un peu ça qu'on veut signaler: Attention au mur-à-mur, aux formules trop faciles.

Le Président (M. Paré): Merci, M. le député. Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci, M. le Président. Alors, M. Taillon, bienvenue à la commission. Je salue à travers vous tous les artisans du Conseil du patronat du Québec qui créent des emplois et qui créent de la richesse au Québec.

Votre mémoire est fort intéressant. Vous êtes venu nous sonner des cloches en disant que la responsabilité sociale, oui, mais à quel prix finalement. Et vous êtes venu nous dire que les entreprises québécoises jouent déjà un rôle social mais sur une base volontaire. Vous avez donné l'exemple de la taxe volontaire pour le Fonds jeunesse et le Fonds de lutte à la pauvreté ainsi que les bourses et les dons et tout le volet philanthropique. Mais, de toute évidence, vous ne voulez pas que le législateur se penche sur ce dossier-là du point de vue législatif. Et, en même temps, nous avons d'autres groupes qui nous disent: Il n'y a pas, finalement, de contradiction ou de conflit entre l'impératif de la rentabilité et celui de la responsabilité sociale, et qu'on peut en fin de compte avoir un triple résultat. Est-ce qu'en réalité la résistance que vous exprimez par rapport à l'encadrement législatif du domaine de la responsabilité sociale et de l'investissement responsable ne découle pas du fait que, selon vos analyses, l'investissement responsable a un coût pour l'entreprise?

M. Taillon (Gilles): C'est évident. Et, nous, on vous dit, dans le fond, ce qu'il faut rechercher, la mesure, en fait, c'est toujours en fonction... en se comparant. Et on se dit: Nous, on pense actuellement qu'on demande aux entreprises... D'abord, il y a du volontariat très évident dans l'ensemble de nos entreprises. Toutes les grandes entreprises membres, parce qu'au Conseil nous avons des entreprises membres ? puis nous avons des associations, mais je vous parle des entreprises membres qui sont des moyennes et des grandes entreprises ? elles ont toutes des programmes volontaires d'intervention dans leur communauté. Au-delà de cela ? et c'est en développement ? au-delà de ça, on vous dit: Sur le plan de la législation, de l'encadrement des entreprises, on pense qu'on a atteint la limite ? O.K.? ? possible, sinon il y a un coût qui va se répercuter sur l'emploi, qui va se répercuter sur l'investissement. Et comme on est en rattrapage dans ces deux secteurs-là ? hein, on le sait, on n'a pas encore atteint le taux de création d'emplois de la moyenne canadienne, on est plutôt au bas de l'échelle en matière d'investissement ? on se dit: N'alourdissons pas davantage le fardeau des entreprises en termes de mesure. En théorie, ces trois choses-là se combinent; mais, en pratique, il faut regarder où on est puis qu'est-ce qu'on peut faire de plus. Et je pense que le plus mauvais service, ce serait d'en ajouter.

Mme Houda-Pepin: Mais votre sentiment ? puisque vous connaissez la communauté d'affaires mieux que nous, vous naviguez là-dedans à tous les jours ? est-ce que vous avez le sentiment que la communauté d'affaires au Québec est suffisamment consciente des enjeux que représentent et l'investissement responsable et la responsabilité sociale des entreprises? Et est-ce que c'est des valeurs qui commencent à circuler dans les milieux d'affaires? Est-ce que c'est des choses qui sont partagées?

M. Taillon (Gilles): Oui. Je vous dirais que ce sont des valeurs qui circulent déjà mais qui circulent de plus en plus, et les préoccupations, par exemple, au niveau de l'investissement responsable, de la gouvernance, O.K., où il y a de l'imputabilité et de la transparence, c'est des discussions qu'on a chez nous, que les chefs d'entreprise, au niveau canadien ? parce que nous sommes aussi membres de la Fédération d'entrepreneurs canadiens ? ce sont des discussions qui se font actuellement chez les plus grands dirigeants d'entreprise. Donc, moi, je vous dirais: On est actuellement sur une voie ascendante plutôt que descendante dans ce domaine. Mais on ne dit pas qu'il doit n'y avoir aucune législation, au contraire. On ne dit pas que ça doit être la loi de la jungle. On dit: Il y a déjà de la réglementation, il y a déjà des législations; c'est important de les faire appliquer. S'il y a des entrepreneurs déviants, il faut les pénaliser. Il faudra peut-être coller notre législation ou l'améliorer sous certains aspects, comme l'obligation, par exemple, des dirigeants de signer l'état financier, comme l'obligation d'aucune collusion entre les grandes firmes de vérification. Peut-être qu'on peut réajuster ça. Il y a peut-être lieu d'ajuster nos organismes d'encadrement financier. Il y a des projets qui sont sur la table, qui ont des aspects positifs, qui méritent d'être corrigés mais qui ont des aspects positifs. Il y aurait peut-être lieu de se donner une plus grande concertation canadienne entre les Commissions de valeurs mobilières. On ne ferme pas la porte à cela, mais on dit: Évitons d'aller trop loin en matière de réglementation. Et nous pensons, nous, qu'actuellement on est à l'étape où il doit y avoir des codes de conduite, tant dans les entreprises que chez les grands investisseurs institutionnels.

n(16 h 30)n

Mme Houda-Pepin: D'accord. J'ai bien compris votre message que l'entreprise québécoise doit naviguer dans la concurrence internationale et qu'elle doit lutter pour conserver sa part de marché d'emplois. Comment alors expliquer qu'un pays comme le Royaume-Uni, qui est aussi un pays capitaliste où l'entreprise cherche des profits, eux ont pris l'initiative d'encadrer l'investissement responsable?

M. Taillon (Gilles): Je vous dirais... Les comparaisons sont toujours intéressantes. J'aimerais qu'on compare cette pièce législative de la Grande-Bretagne avec l'ensemble de la législation qui touche les entreprises en Grande-Bretagne. Si vous nous donniez l'ensemble de la législation affectant les entreprises du Royaume-Uni ici, peut-être qu'on pourrait regarder une législation qui parlerait d'investissement responsable. En d'autres mots, il faut regarder le poids de la législation, comment les entreprises... En Grande-Bretagne les entreprises sont beaucoup moins encadrées qu'ici.

Mme Houda-Pepin: Moins de réglementation.

M. Taillon (Gilles): Il y a beaucoup moins de réglementation du côté du travail, beaucoup moins de réglementation du côté, je dirais, de la gestion économique des choses, autant dans le secteur privé que dans le secteur public. Étant plus libres de ce côté-là, étant moins encadrées, c'est évident qu'on peut se donner une législation qui touche, qui met des critères ou un code d'investissement responsable, parce qu'elles sont plus libres. Ici, on a une législation qui est plus serrée, donc les obligations sont plus grandes. Attention, n'en mettons pas une autre.

Donc, la comparaison mériterait d'être faite, je pense que c'est une bonne préoccupation, mais sur l'ensemble de l'encadrement qui touche les entreprises, l'ensemble de l'encadrement réglementaire. Ça, ça pourrait être un beau mandat au comité, là, sur la déréglementation ou au Secrétariat à la déréglementation, qui pourrait regarder, dans le fond, des exemples, regarder dans quel environnement vit l'entreprise québécoise versus celles de nos compétiteurs, quoique le Royaume-Uni n'est pas un compétiteur, ce n'est pas avec lui qu'on commerce beaucoup. Mais je vous dis quand même, c'est intéressant de regarder ça et c'est...

Mme Houda-Pepin: C'est notre deuxième partenaire commercial au Québec.

M. Taillon (Gilles): C'est le deuxième partenaire commercial, oui, mais qui suit de très loin l'autre.

Mme Houda-Pepin: Oui. D'accord. J'ai été très surprise du commentaire que vous avez fait sur l'investissement à vocation communautaire. Vous avez ouvert votre présentation en disant tous les bienfaits que les entreprises font à la société sur une base volontaire par les contributions qu'elles font. Puis, à la page 8, je lis ceci: «Pour le Conseil du patronat du Québec, l'investissement à vocation communautaire ne peut, en aucun cas, faire l'objet d'une obligation pour les entreprises. Il s'agirait là d'une forme déguisée de taxation, uniquement destinée à doubler la contribution actuelle de toute entreprise par le biais de la taxation foncière.» J'ai besoin d'avoir des explications.

M. Taillon (Gilles): On dit, dans le fond: Il se fait de l'investissement communautaire, ça se fait de façon volontaire; à côté de cela, il y a un ensemble d'obligations qui, cette fois-là, n'est pas volontaire: des taxes, des impôts payés par les entreprises. Il ne faudrait surtout pas ajouter une taxe à l'action ou à l'investissement communautaire. Il y a déjà des taxes qui correspondent à la bonne moyenne de ce que vivent, du côté des impôts, les entreprises d'ailleurs, il y a en plus l'investissement communautaire. Il ne faudrait pas aller plus loin.

Là où on pourrait peut-être, du côté gouvernemental, faire un effort mais il faudrait en mesurer le coût, là... Tantôt, je vous ai dit: Au plan des subventions on n'est pas des grands partisans de la subvention à tout crin d'entreprises. Il y a peut-être au niveau fiscal, si on voulait créer une habitude de participation plus grande des entreprises ou des fondations qui souvent viennent à la suite de la transmission de l'entreprise familiale, il pourrait peut-être y avoir des mesures fiscales plus favorables pour des fondations qui investissent dans l'éducation, par exemple, et tout ça.

Voilà des formes d'engagement de l'État qui comportent un coût d'engagement qui pourrait aider à développer l'investissement communautaire. Mais ce n'est pas une priorité, ce serait intéressant mais sans doute que, s'il s'agit des établissements d'enseignement ici, surtout les établissements universitaires, je vous dirais qu'ils sont incapables de soutenir la comparaison avec leurs concurrents américains là-dessus, puis même ontariens, parce qu'on n'a pas cette pratique-là, on n'a pas de grandes familles. Par contre, il y en a qui se développent et qui commencent à le faire volontairement. On pourrait doubler ça d'incitatifs fiscaux pour des fondations.

Le Président (M. Paré): Merci. Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: La CSN, qui s'est présentée ce matin, nous a fait une suggestion, et j'essaie de faire le lien avec ce que vous nous dites parce que...

M. Taillon (Gilles): Si vous me la présentez comme ça, je vais me méfier.

Mme Houda-Pepin: Ha, ha, ha!

M. Taillon (Gilles): Ça part mal.

Mme Houda-Pepin: Je vais vous dire: Je suis une femme de rapprochement et je ne recule pas devant les défis.

M. Taillon (Gilles): Je comprends. C'est une blague.

Mme Houda-Pepin: Non, mais je trouve l'idée intéressante. Vous allez voir le lien que je fais. Je ne veux pas vous confronter.

M. Taillon (Gilles): O.K.

Mme Houda-Pepin: Vous avez dit dans votre réponse tantôt que le milieu d'affaires est ouvert à discuter et à accepter un certain nombre de pratiques sur une base volontaire. Donc, il y a un terreau fertile pour la discussion. Ce que la CSN a proposé, elle a proposé beaucoup de choses mais une chose qui a été proposée, c'est la création d'un forum pour la responsabilité sociale des entreprises. Et ils ont dit qu'ils souhaitaient qu'on travaille à la mise sur pied d'un forum pour la responsabilité sociale des entreprises et de la finance qui réunirait toutes les parties impliquées, notamment le patronat, les syndicats, les ONG et les autorités publiques. Et l'objectif justement, c'est de faire avancer cette réflexion sur l'investissement responsable, sur la responsabilité sociale des entreprises et arriver à des solutions consensuelles au lieu que ce soit quelque chose qui est imposé par législation ou autrement. Qu'est-ce que vous pensez de cette idée?

M. Taillon (Gilles): On est loin d'être fermés à une possibilité comme celle-là. Je vous dirais d'ailleurs que la communauté des affaires est peut-être en avance là-dessus, en termes pratiques, parce que, au Sommet de Montréal, qui réunit bien sûr des gens d'affaires de l'international et du Québec mais aussi des représentants syndicaux, il y aura un forum sur la responsabilité sociale. Donc, c'est un élément qui est en évolution. La communauté d'affaires veut s'ouvrir à ces débats-là. Un forum comme celui-là, certainement. D'ailleurs, ce serait dans la foulée de certains rapports qui nous viennent, là... On les mentionne, on en mentionne deux ou trois. On est dans cette discussion-là actuellement.

Mme Houda-Pepin: D'accord. Et vous voyez que je ne me suis pas trompée en voulant faire le lien entre les deux.

M. Taillon (Gilles): Absolument.

Mme Houda-Pepin: Tant mieux.

M. Taillon (Gilles): Mais, même si c'est la CSN qui l'a proposée, c'est une bonne suggestion.

Mme Houda-Pepin: Bon. Parfait. Je suis contente de vous...

M. Taillon (Gilles): Par contre, il faudrait éviter de trop créer de forums.

Mme Houda-Pepin: Ah! non, non. Pour moi, c'est quelque chose de léger qui a un mandat bien précis.

M. Taillon (Gilles): Vous pourriez passer le message à la CSN de regarder ce qui va se faire au Sommet de Montréal et peut-être profiter de cette occasion-là plutôt que de doubler l'exercice.

Mme Houda-Pepin: Je vais leur envoyer les enregistrements.

M. Taillon (Gilles): C'est bon.

Mme Houda-Pepin: Mais c'est bien qu'il y ait un forum pour les gens d'affaires. Mais le problème qu'on a avec cette solution-là, c'est que les autres partenaires ne sont pas autour de la table.

M. Taillon (Gilles): Mais je vous dis: Au Sommet de Montréal, oui.

Mme Houda-Pepin: Mais, je veux dire, le forum en soi, là, c'est qu'il va mettre ensemble tous les partenaires qui sont impliqués dans le dossier de la responsabilité sociale des entreprises, parce que les groupes qui sont venus se faire entendre nous disent que les entreprises manquent de transparence, que les rapports financiers qu'elles révèlent contiennent des informations contradictoires, incohérentes, incomplètes, on n'est pas capables de comparer d'une entreprise à l'autre. Donc, le fait de s'asseoir ensemble autour d'une même table et de discuter de ce qu'on devrait avoir comme information, des critères qu'on doit privilégier...

Parce que je comprends bien que, vous, du point de vue des gens d'affaires, lorsque vous parlez de la création d'emplois, de la création de la richesse, etc., les autres représentants syndicaux, même s'ils ne sont pas nécessairement sur la même longueur d'ondes idéologiques avec vous, quelque part, ils vous rejoignent parce qu'ils sont sensibles aux mêmes questions. Donc, cette idée de forum vous semble acceptable, n'est-ce pas?

M. Taillon (Gilles): Ce n'est pas une mauvaise idée.

Mme Houda-Pepin: Bon. Dernière question, parce que le temps file. Les codes de conduite. Encore une fois, considérant que le terreau est fertile, est-ce qu'on peut considérer que le Conseil du patronat peut prendre le leadership pour regarder toute cette question de code de conduite, ce que ça peut comprendre? Vous avez déjà des entreprises qui se sont volontairement proposées puis qui ont adopté ce type de, je dirais, de paramètres de pratique d'entreprise. Est-ce que vous pouvez essayer de dégager des consensus dans le milieu d'affaires pour voir si les gens sont ouverts à ça, s'ils peuvent adopter des codes de conduite, etc.?

n(16 h 40)n

M. Taillon (Gilles): Je vous dirais, M. le Président: Surveillez-nous et regardez-nous bien aller dans les prochaines semaines, pour reprendre une phrase célèbre.

Mme Houda-Pepin: Qu'est-ce que ça veut dire?

M. Taillon (Gilles): Ça veut dire que vous allez avoir des annonces qui vont s'en aller pas mal dans ce sens-là.

Mme Houda-Pepin: Bien, on a fait la commission spécialement pour vous, alors, est-ce que vous pouvez nous annoncer ça?

M. Taillon (Gilles): La commission va avoir une vie au-delà de la comparution d'aujourd'hui. Nous allons avoir un document et nous allons vous le faire parvenir, ça, c'est sûr.

Mme Houda-Pepin: Très bien. Alors, je vous remercie de votre présentation.

Le Président (M. Paré): Merci, M. Taillon. Maintenant, M. le député de Lac-Saint-Jean a d'autres questions et aussi le député de Bertrand. Il reste quatre minutes.

M. Tremblay: Ah oui! Bon, M. Taillon, est-ce que vous pensez que les consommateurs ont le droit de savoir qu'est-ce qu'ils achètent, que ce soit la balle de baseball de mon collègue de tout à l'heure, à savoir si, moi, comme consommateur de balles de baseball, je veux savoir si elles ont été faites en conformité avec les normes du travail, par exemple. Ou, un autre exemple peut-être plus près de nous, le fromage, moi, si j'achète un fromage, je veux m'assurer, par exemple, que c'est un fromage bio. Et, à ce moment-là, justement... Biologique. Et, à ce moment-là, il y a des entreprises qui ont une espèce de certification biologique et qui assurent au consommateur que c'est conforme à l'environnement, par exemple. Ça, c'est un droit que le consommateur peut avoir et choisir ? on s'entend là-dessus. Bon, bien, dans le même cadre ? et là je ne veux pas vous parler de la responsabilité sociale des entreprises, je vous parle d'investissement socialement responsable ? quel est votre problème à l'effet que les administrateurs de caisses de retraite aient davantage de transparence, donnent davantage d'information pour que le consommateur d'investissements, si on peut dire, peut choisir là où bon lui semble, ou il peut investir là où bon lui semble, en fin de compte.

Moi, je ne vois pas que c'est à l'encontre des lois du marché que d'avoir plus de transparence pour que l'investisseur puisse faire un choix davantage éclairé. J'ai de la misère à comprendre pourquoi est-ce que le Conseil du patronat serait contre ça. Parce que ça sera ultimement le choix de l'investisseur de dire: Bon, bien, moi, j'investis là ou pas, mais, grâce au fait que mon gestionnaire de caisse de retraite me dit que, dans ses choix d'investissement, il considère des normes environnementales et sociales... Mais, au bout du compte, c'est toujours l'investisseur qui va avoir le choix, tout comme le consommateur a le choix. Je ne sais pas si vous me comprenez, là.

M. Taillon (Gilles): Je comprends. J'aurais besoin, là, d'exemples plus précis, mais je vous ai dit tantôt: Fondamentalement, on n'est pas en désaccord avec plus de transparence du côté des grands choix qui guident les investisseurs institutionnels dont les grands fonds de retraite, là. Je n'ai pas d'objection là-dessus, là. Je vous dis: Par contre, allons-y davantage sur une base plus volontaire. Le gouvernement peut donner l'exemple avec ses grands investisseurs institutionnels puis exiger un code de conduite, par exemple. Mais évitons une réglementation qui soit trop tatillonne puis qui risquerait d'alourdir davantage la situation que de nous aider. Mais il n'y a pas de fermeture chez nous à de la transparence puis à de l'imputabilité. Là-dessus, vous avez... Maintenant, il faudrait savoir exactement, là, pour pouvoir vous répondre de façon plus pointue, ce que vous voulez dire puis ce que vous souhaitez puis...

Là où on aurait une réticence, parce que vous avez parlé des normes du travail, je vous dis... Si on disait, là, on investit que dans les entreprises qui respectent les normes internationales du travail, au sens des normes internationales du travail, je vous dis: Je ne suis pas sûr qu'on ne se tire pas dans le pied eu égard au commerce international, puis je ne suis pas sûr qu'on ne nuit pas davantage à ceux qu'on veut aider. Mais certaines normes, par exemple, du travail sont certainement essentielles à respecter. Tu sais, le travail des enfants, là, de sept puis huit ans, je ne pense pas que ce soit acceptable. Ça, un investisseur institutionnel pourrait dire: Moi, je n'investis pas dans les entreprises qui pratiquent ce type de fonctionnement là.

M. Tremblay: C'est parce que, s'il n'a pas l'information, il ne peut pas le savoir. Et, actuellement, l'administrateur de caisse de retraite ne peut même pas avoir d'autres considérations ? bon, certains disent que oui, d'autres disent que non ? mais, à cause que la loi n'est pas claire, ne peut avoir d'autres considérations que le rendement. Alors, admettons, si on fait juste une précision dans la législation, ça pourrait permettre d'avoir d'autres considérations, pas juste le rendement financier, mais aussi, moi, j'appelle ça le rendement environnemental.

M. Taillon (Gilles): Je pense que les investisseurs institutionnels, avec leurs analystes financiers, ont pas mal de moyens de savoir où ils investissent. L'important, je vous dis, c'est de faire connaître les critères utilisés et d'en informer les entreprises, qui s'ajusteront probablement si elles désirent l'investissement.

Le Président (M. Paré): Merci, M. Taillon, merci. M. le député de Bertrand.

M. Cousineau: Oui, rapidement. Vous avez mentionné... bon, vous avez parlé du forum de Montréal qui va avoir lieu dans quelque temps.

 

M. Taillon (Gilles): C'est au mois de juin, chaque année, là.

M. Cousineau: Au mois de juin, chaque année. Et puis vous avez mentionné tantôt à notre collègue d'en face que les dirigeants d'entreprises à travers le Canada sont de plus en plus sensibles qu'il y ait de la réflexion qui s'effectue sur toute la question d'investissement responsable.

M. Taillon (Gilles): Puis il va y avoir des annonces publiques dans les prochains jours.

M. Cousineau: Dans les prochains jours. Mais il y a eu, dans les derniers mois, les dernières années, des colloques. Il y a sans doute eu des tables rondes ou des forums à l'intérieur de ces colloques-là concernant ce sujet qui nous préoccupe. Est-ce que vous êtes au courant s'il y a des écrits là-dessus, des choses qu'on pourrait recevoir, nous, à la commission, pour voir un petit peu ce qui s'est dit puis de quelle façon ces gens-là s'orientent dans l'avenir?

M. Taillon (Gilles): Je pourrais vous faire une petite recherche là-dessus et vous en donner. Certainement. Je vous ai déjà annoncé qu'il y a un document qui allait sortir bientôt, que je vous enverrais, mais on pourrait regarder ça, oui.

M. Cousineau: Merci beaucoup, M. Taillon.

Le Président (M. Paré): Merci, M. Taillon.

M. Taillon (Gilles): M. le Président, merci beaucoup.

Le Président (M. Paré): Merci de votre contribution à cette commission.

On va suspendre quelque temps et on va appeler Amnistie internationale, représentée par Mme Lise Parent et Mme Béatrice Vaugrante.

(Suspension de la séance à 16 h 46)

 

(Reprise à 16 h 58)

Le Président (M. Paré): Bonjour, mesdames, bienvenue à cette commission. Merci de votre contribution. Si vous voulez vous présenter, s'il vous plaît. Vous aurez 20 minutes de présentation et 40 minutes d'échange avec les parlementaires. On vous écoute.

Amnistie internationale (AI)

Mme Vaugrante (Béatrice): Merci beaucoup. Mon nom est Béatrice Vaugrante. Je suis la responsable du groupe Économie et Droits humains à la section d'Amnistie internationale à Montréal, et Lise Parent m'accompagne aussi. Elle fait partie des fondatrices de ce groupe Économie et Droits humains et elle est responsable de projets La bourse et la vie.

Le Président (M. Paré): Merci. Bienvenue.

Mme Vaugrante (Béatrice): On vous remercie énormément de faire partie de ceux à qui vous avez lancé l'invitation d'un débat public sur la responsabilité sociale des entreprises et le placement responsable. On est dernier, on a pu écouter quelque chose du Conseil du patronat. On est parfait, ça nous donne beaucoup de perspective. On vous remercie beaucoup pour l'initiative qui donne effectivement... qui nous donne, à nous, beaucoup d'énergie, et beaucoup de travail, mais qui nous donne surtout beaucoup d'énergie sur les débats qui peuvent s'en venir au Québec.

En termes de pourquoi AI est dans le débat et pourquoi Amnistie est dans le débat. Amnistie est un des joueurs de la société civile. On a un million de membres répartis sur tous les continents. Au Québec, on est 18 000 membres, donc on s'estime un joueur important aussi de la société civile et de son opinion.

On a une mission de promotion et de défense des droits humains. On a même une mission d'opposition aux cas de violation des droits humains. En termes de mission, récemment, Amnistie a élargi sa mission à tout le débat des droits économiques, sociaux et culturels. Amnistie est assez connue pour ses batailles sur le front des droits civils et politiques. On a élargi la mission, on veut se donner plus de moyens, plus de recherche dans ce domaine-là. La valeur, au débat, qu'on peut y apporter, quand on dit: Pourquoi Amnistie parle de placement responsable? c'est que, tout d'abord, on voudrait amener le débat sur les droits humains. On voudrait amener le débat aussi ? et notre valeur peut être appréciable en ce sens ? sur la justiciabilité de l'ensemble de l'approche, sur des recherches qui sont sérieuses et qui sont profondes et sur des cas qu'on peut aussi apporter en termes de preuves ou de nourriture au débat en général.

n(17 heures)n

Pour ce qui concerne le Québec, notre groupe Économie et Droits humains est relativement récent. Il a moins d'un an d'existence. Il a été fondé par deux bénévoles. Nous sommes bénévoles. Et nous bataillons fort pour ce domaine-là. Lise a 10 ans, je dirais, d'expertise et d'expérience en matière de placements responsables et en matière de relations avec les caisses de retraite. Elle a donc mené et apporté à Amnistie son projet sur le placement responsable La bourse et la vie, donc, comme défense des droits humains. Moi-même, je suis peut-être un pur produit de femme d'affaires; je viens du milieu des affaires. Je suis aussi vice-présidente de la section d'Amnistie à Montréal.

En termes de mission qu'on s'est donnée pour le groupe Économie et Droits humains, on a deux missions essentielles: l'éducation puis l'action; l'éducation, évidemment, auprès des membres d'Amnistie pour tout ce qui concerne les droits économiques, socioculturels et, particulièrement, les droits économiques et la responsabilité sociale des entreprises; puis, surtout, une mission d'action, d'action auprès de trois partenaires ou trois entités plutôt différentes que sont les gouvernements, les entreprises et les investisseurs institutionnels.

Pour le sujet qui est la responsabilité sociale des entreprises et le placement responsable, on tient à préciser que, pour nous, le placement responsable, c'est un des moyens d'action, certainement pas le moindre, mais un des moyens d'action qui mène à la responsabilité sociale des entreprises. C'est un moyen d'action énorme, parce que, évidemment, ça nous donne des moyens de pression assez importants. Mais c'est un parmi d'autres aussi.

On a, effectivement, dans le mémoire, essayé d'expliqué les items suivants, à savoir qu'effectivement les entreprises et les investisseurs institutionnels sont des entités puissantes, qu'elles sont devenues puissantes et que, pour nous, c'est un principe peut-être même de relations dans la société de dire: Quand on a du pouvoir, on a des devoirs; et l'un ne va pas sans l'autre. Tous les acteurs sont concernés: les gouvernements, les entreprises, le public, les investisseurs institutionnels. Quand on va parler à savoir de s'il faut ou pas normer l'attitude et les comportements des entreprises, il n'y a pas seulement que les entreprises; tous les acteurs sont concernés.

Ce n'est pas une mode, c'est vraiment un besoin en ce moment. Il y a eu trop de dérive. Il y a trop de dérive. Il y a des cas qui sont tout à fait publics, connus et archivés, documentés. On essaie de mettre en exergue l'idée qui voudrait qu'on chercherait l'intérêt maximal. Ce n'est pas forcément l'intérêt maximal qu'il faut rechercher, c'est un intérêt optimal, optimal et donc qui prend en compte les besoins et les devoirs de tous.

Le problème qu'on a, évidemment, quand on va vouloir normer les choses, c'est: Quelles normes? Sur quoi se baser? Les entreprises en développent. Effectivement, le Conference Board ou des entités, des associations d'entreprises développent énormément, et on reconnaît, on remercie leurs initiatives de codes basés sur la majeure partie du volontariat, essentiellement du volontariat, puisque les gouvernements ne sont pas à l'intérieur de ces codes-là. Certains sont très... tout à fait louables, d'autres peuvent, parfois, peut-être, faire partie de stratégies commerciales qui font partie de faire du «business» aussi. Le problème qu'Amnistie voit dans ces codes, c'est que, un, ils ne sont pas justiciables. Quel recours a le citoyen face à ces codes volontaires? Quelle information j'ai et quel recours j'ai pour pouvoir dire: Il y a eu abus? Je ne peux rien faire avec un code juste volontariste. On ne dit pas que ce n'est pas nécessaire, c'est juste pas forcément suffisant.

Et puis le problème aussi qu'on voit, et ça, c'est encore plus essentiel dans ces codes-là, c'est: Qui juge de ce qui est bon dans la norme? Qui juge que mon code est meilleur que le tien, que l'environnement est mieux ici que le droit du travailleur? Qui juge de ça? Pourquoi le Conseil du patronat, le Conference Board... Il y a d'autres noms, comme le Canadian Business for Social Responsibility, qui ont toutes des intentions certainement tout à fait louables mais se posent en personnes qui définissent le bon.

C'est là où Amnistie peut apporter, je crois, quelque chose au débat. C'est que, les normes, elles existent. Il n'y a pas à les inventer, elles existent. Elles existent. Elles sont connues en plus. Et elles peuvent s'appliquer dans toutes les entités, dans tous les pays. Elles sont déjà normées, elles sont même déjà écrites. Elles ont même déjà été transformées en obligations juridiques, pour certaines d'entre elles. Et elles concernent en plus tous les acteurs de la société. Elles concernent les entreprises. Elles concernent les gouvernements. Les normes, elles existent dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. C'est le projet le plus haut, l'aspiration la plus haute de la société. Toutes les nations ont signé cette déclaration en 1948 et s'entendent pour dire que c'est sur cette base-là que l'on devrait vivre dans la société. Les normes sont toutes écrites. L'entreprise est une partie prenante de la société. L'État, les nations ont signé cette entente. L'entreprise est une partie prenante de cette nation, comme le public, comme l'investisseur institutionnel, donc l'État doit être assujetti et l'entreprise est assujettie à ces normes fondamentales.

Il n'en reste pas moins que, pour nous, l'État a aussi un rôle primal... de primauté, pardon, sur le respect, l'application de ces lois-là, l'éducation et l'application de ces lois-là. Parfois, on va nous dire: Bien, il y a conflit d'intérêts. Oui, mais entre faire du commerce et puis on m'empêche de travailler et on m'empêche dans ma liberté d'entreprendre et puis respecter les normes, c'est qui qui prévaut? Tout ce qu'on dit, c'est que: Les conventions internationales nous ont déjà dit qu'en cas de conflit d'intérêts la Déclaration universelle des droits de l'homme prévaut. On ne peut pas subordonner le commerce international au fait de faire des pas sur les Déclarations universelles des droits de l'homme et les droits humains.

On a des droits humains, deux sortes de catégories de droits humains. On parlait des droits civils et politiques sur lesquels incidemment Amnistie est plutôt connue pour s'être bataillée. On a les droits économiques, socioculturels, le droit à l'environnement, le droit à la santé, le droit à l'éducation, les droits économiques effectivement qui sont assez rassemblés dans les conventions de l'Organisation internationale du travail: le travail forcé, le travail des enfants, la discrimination, le droit d'association et de liberté d'association. Ça, ce sont des droits économiques socioculturels. Ils sont déjà écrits dans les droits humains.

On est convaincu que le respect des droits humains ne peut apporter que du développement durable et ne peut que contribuer au développement durable des sociétés et des entreprises. Elles ont tout intérêt à bénéficier d'une population qui est éduquée, qui a des pouvoirs économiques, qui peut consommer. C'est tout l'intérêt de la société et de l'entreprise d'agir et d'opérer dans un contexte où les droits humains sont respectés. Il y a des risques sociaux pour eux et pour les entreprises à ne pas respecter ces droits humains, que ce soit lié à mon image, mais le boycott, les poursuites juridiques, l'accès au capital, par exemple ? on a vu le cas de Talisman. Puis même, même si jamais l'intérêt économique était minimisé parce qu'il fallait respecter un droit humain, de quel droit on pourrait dire: Ce n'est pas grave, ne respectons pas le droit humain, l'intérêt économique prévaut? C'est inimaginable. C'est le préambule à la Déclaration universelle des droits de l'homme: l'avènement d'un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère... a été proclamé comme la plus haute aspiration de l'homme, la plus haute: il n'y a rien qui va au-dessus.

C'est pour ça que, pour nous, c'est fondamental qu'il y ait une action locale ? rien n'est jamais acquis ? qu'il y ait une action locale de la part du gouvernement, qu'il y a un lobbying international pour soutenir cette volonté de maintenir l'équilibre entre les intérêts de chacun et donc maintenir les intérêts optimaux et non pas maximaux.

Lise va poursuivre notre présentation.

Mme Parent (Lise): Bien, peut-être, je vais reprendre donc au même endroit, c'est-à-dire... Donc, ce sont des droits, les droits qui sont enchâssés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. C'est des droits qui sont en harmonie avec l'intérêt économique et justement, même si l'inverse était, de quels droits choisirions-nous le retour sur l'investissement? On parle d'êtres humains. On parle de droits, on parle de droits fondamentaux, que tout le monde, que toutes les nations ont reconnus comme étant fondamentaux. Et pour faire reconnaître ces... Parce que, malgré que le fait que cette Déclaration a été signée déjà depuis longtemps ? on le sait, des conventions, il s'en signe beaucoup ? elles ne sont pas tout à fait respectées, entre autres, certainement pas par la vision ou la conception que l'on a du commerce actuellement. Et pour travailler à faire reconnaître que les droits humains sont une balise à la responsabilité sociale des entreprises, au meilleur intérêt des actionnaires, au placement responsable, il faut justement que le gouvernement... Je pense que, la question centrale, ici, c'est: Quel rôle le gouvernement peut jouer à cet égard-là? Alors, je me ne m'appesantirai pas sur le rôle des entreprises mais surtout sur celui du gouvernement qui est tel qu'on le conçoit.

n(17 h 10)n

Alors, je pense que la mission centrale du gouvernement serait, quant à moi, de combler ? ou quant à nous, quant à Amnistie ? le déficit d'informations et un déficit de recours qui permettent, dans le fond, à la société civile, au citoyen, de se prononcer et de choisir. La dernière intervention allait aussi dans ce sens-là. On a beau avoir des principes mais encore faut-il que les gens en soient informés, et il faut une information, il faut une transparence. On revient... Je pense que c'est certainement quelque chose qui a été évoqué et le sera encore.

Il s'agit aussi de rééquilibrer les pouvoirs, c'est-à-dire, entre le citoyen et l'entreprise. Pour ça, nous, on a fait quatre grandes familles de recommandations au gouvernement. Donc, il est temps de répondre à la question: Qu'est-ce que le gouvernement devrait faire ou pourrait faire? Il y a une famille... disons une grande recommandation qui consisterait en une recommandation d'informations, d'éducation. Une autre qui est une recommandation de représentation, une autre, d'incitation et une autre, d'encadrement où, là, on se penche vraiment sur les lois et qui couvre un spectre, dans le fond, d'actions qui va de la promotion d'une façon de commercer qui est respectueuse des droits humains à une législation qui est un encadrement, un balisage qui permet un recours, parce que sinon on n'a pas... On a la preuve avec la Déclaration universelle des droits de l'homme que tant que ces principes-là ne sont pas enchâssés dans les lois locales, les poursuites sont très difficiles. Donc, dans la... ou pour informer, éduquer, je crois que c'est une chose essentielle que le gouvernement devrait faire, il y a une action, un axe entreprise et un axe public.

Les entreprises, je pense que la première chose qu'il faudrait faire, c'est de s'assurer qu'elles ne peuvent pas invoquer l'ignorance, donc s'assurer que, effectivement, elles soient informées, sensibilisées aux droits que renferme la Déclaration universelle des droits de l'homme. On pourrait aussi, par exemple, songer à une base de données qui, par exemple, à partir de rapports ? je pense des rapports d'Amnistie qui fait des rapports pays, sur les pays: quelle est la situation des droits de l'homme dans tel ou tel autre pays ? donc, les entreprises pourraient aller puiser dans ces bases de données là, s'informer avant d'y aller ? en tout cas, elles sauraient au moins que ça existe, elles ne pourraient dire qu'elles ne le savaient pas ? et aussi bâtir... peut-être donner des exemples d'une meilleure pratique surtout dans nos secteurs à risque parce qu'on sait que... Par exemple, les secteurs de ressources naturelles, nous sommes très forts, sont des secteurs souvent à risque à cause de certaines façons de procéder de l'entrepreneuriat et, en tout cas, aussi des pays hôtes. Donc, du côté entreprise, je pense que c'est très important de faire une sensibilisation des entreprises, de s'assurer que les entreprises connaissent les situations.

Et du côté du public, bien, ici, il faut leur donner les outils... le public sous tous ses chapeaux: le public, simple public; le public investisseur-actionnaire sous ses diverses incarnations; le public futurs retraités, donc que nous serons tous, que nous sommes tous et puis aussi les jeunes, les plus jeunes ? je pense à des écoles de gestion. Je crois qu'il faut aussi aller dans les écoles de gestion, livrer ça aux gestionnaires et, encore une fois, sensibiliser ? c'est toujours le même sujet ? aux normes. Quelles sont les normes fondamentales et comment et quelles sont les responsabilités sociales des entreprises par rapport à ces normes-là?

Un autre grand rôle, une autre grande recommandation qu'on fait au gouvernement, c'est une représentation, la représentation de la société civile puisque, dans le fond, le gouvernement, l'État nous représente. Et partout où l'État peut être notre porte-parole que ce soit auprès du gouvernement fédéral, dans les institutions internationales ou encore dans les missions commerciales, je pense que partout où le gouvernement parle de commerce, il devrait parler aussi de droits humains. Que le commerce... Encore une fois, je pense que l'expression ? je reprends l'expression de Béatrice ? ce n'est pas tellement de maximiser les profits mais d'optimiser les profits, de penser de départager les vertus du court terme par rapport à celle du long terme.

La troisième recommandation, c'est d'inciter... Le gouvernement effectivement a un grand pouvoir de dépenser, un grand pouvoir... ou d'acheter. Et je pense que, là, il a lui-même un devoir éthique. Éthiquement parlant, je veux dire: D'un côté, le gouvernement, l'État est l'acteur de notre société qui doit voir à la justice sociale, qui doit voir au bien commun. Donc, dans ses actions, la main gauche, la main droite, dans ses actions d'achat et dans ses actions d'aide gouvernementale aux entreprises, je pense qu'il doit lui-même se préoccuper de cette responsabilité sociale parce que, je veux dire, par ricochet, c'est une question d'association, si on peut dire, mais c'est une question d'association. Je pense que le gouvernement doit lui-même s'assurer que les entreprises dont il achète et à qui il accorde une aide soient respectueuses des droits humains qu'il défend sur d'autres tribunes, par ailleurs, et aussi d'autres choses. Je pense qu'il y a divers outils que l'État pourrait développer. Par exemple, un indice ? ça s'est fait aux États-Unis ? d'entreprises responsables, socialement responsables. Je sais que même aux États-Unis maintenant il se fait même un indice du mal, je ne sais plus comment ils ont appelé ça, là, mais... des Américains.

Une voix: ...

Mme Parent (Lise): Le comment?

Une voix: La liste noire.

Mme Parent (Lise): La liste noire. Non, ils ont... c'est un indice maintenant qui s'appelle... la responsabilité sociale; ils ont, en contre-partie, fait les investissements responsables et les investissements irresponsables.

Une voix: The Vice Fund.

Mme Parent (Lise): The Vice Fund, c'est ça. Oui, c'est ça.

Mais en ce qui concerne l'incitation, je crois bien que, là, tout le monde vous en a probablement parlé... Ha, ha, ha! tout le monde vous en a parlé et tout le monde va vous en parler, je ne sais pas si on... c'est la Caisse de dépôt et placement. La Caisse de dépôt et placement, je ne vous apprendrai rien vous disant que la Caisse de dépôt et placement, c'est le plus grand pouvoir financier public que le Québec a présentement et elle a même une mission sociale qu'elle se donne. Je veux dire, quand même, la Caisse de dépôt et placement, c'est quand même un instrument public qui doit donc aller dans le sens aussi des priorités de l'État.

Et je lisais encore hier que la Caisse se dit: Oui, nous, on respecte ça, on s'attend... on a dit d'ailleurs dans notre Déclaration de gestion d'entreprise qu'on s'attend à ce que les entreprises dans lesquelles on investit agissent de façon responsable, point. Ça se dit en une phrase de plus, une ligne de plus, là, et ça s'éteint là. On ne sait pas du tout comment les représentants de la Caisse doivent faire respecter ce souhait, quel processus doit être mis en oeuvre, quels sont les outils qui peuvent être utilisés pour ce faire, comment ils vont être évalués, quels seront les déclencheurs de l'action, toute chose qui, par exemple, chez CALPERS, ils sont très bien définis ou encore même chez Omer, OMERS, en Ontario, ils sont un peu moins définis mais quand même mieux que la Caisse.

Donc la Caisse a un léger retard, je crois que la Caisse a un retard, et comme c'est notre plus grand... comme je disais encore: C'est quand même un des plus grands pouvoirs financiers publics, c'est le plus grand pouvoir financier public, il faudrait que donc... La Caisse, quant à moi, aurait deux devoirs, c'est-à-dire, celui de prendre une fraction de ses milliards de dollars pour développer des outils de mesure justement, tous ces outils-là, les mesures, les processus pour les mettre... d'abord pour s'en servir elle-même mais aussi pour développer des meilleures pratiques, des bonnes pratiques pour les petites caisses qui n'ont pas les moyens de faire ça parce que ça coûte des sous, il y a de la recherche à faire, il y a des balises à définir, il y a des critères à établir, donc ça coûte des sous. La Caisse, je crois, a l'argent, et c'est l'argent du public.

Le Président (M. Paré): En terminant, madame, s'il vous plaît.

Mme Parent (Lise): En terminant, ...et aussi donc un rôle de fiduciaire. Dans son rôle de fiduciaire, elle doit aller beaucoup plus loin qu'elle ne le fait présentement, elle doit passer au public.

Alors, j'arrête là.

Le Président (M. Paré): Merci. Donc, je vais commencer le débat en vous posant une question. À la page 8, sous l'item représenté, vous dites... qu'est-ce que vous voulez dire précisément par «reconnaître la primauté des droits humains sur le droit d'entreprendre»? Qu'est-ce que ça veut dire? Voulez-vous élaborer là-dessus, s'il vous plaît, préciser?

Mme Vaugrante (Béatrice): Sur la partie... Comme on vous l'indiquait, toute notre partie de recommandations dans la partie pratique sur ce qu'on vous recommande en tant que gouvernement du Québec est basée sur le fait que, pour nous, la Déclaration universelle des droits de l'homme, les conventions signées autour de la Déclaration universelle des droits de l'homme parlent des droits humains, de la base des droits humains, qu'ils soient civils, politiques, économiques, socioculturels. Donc, quand on dit: Moi, en tant qu'entrepreneur, je vais aller entreprendre au Lesotho et puis faire faire des T-shirts par des femmes à qui... d'ailleurs, je vais vérifier si elles ne sont pas enceintes, tous les mois. Bien, ma liberté d'entreprendre ne doit pas être première par rapport au fait que cette femme-là a des droits économique, social, d'être respectée puis de dire: oui, je veux bien et j'ai besoin de vivre et de travailler mais pas dans n'importe quelles conditions.

n(17 h 20)n

Donc, tout ce que l'on dit, c'est que le droit de commerce qui est un... et je crois au commerce, je crois au commerce, à l'échange et au bien-être et à l'échange de biens et de services, tout simplement en disant que, par contre, il ne doit pas être subordonné aux droits humains qui est la plus haute aspiration des sociétés. C'est simplement en ces termes-là que l'on dit: Quel que soit le cas d'associations, d'entreprises ou d'entreprises qui disent: Mais oui, mais moi, tu m'empêches de commercer. Moi, je lui réponds: On ne t'empêche pas de commercer, on fait ça dans des limites, parce qu'il y a des limites à ton pouvoir et on te donne des devoirs en tant qu'entreprise. Et c'est là, pour nous, le plus fondamental.

Par exemple, je sais que certaines entreprises vont nous dire, même certains pays: Oui, mais avec vos lois et puis vos recommandations, bien, nous, moi, je ne peux pas mettre en place des systèmes de gestion d'émission d'ozone, je n'ai pas de sous pour ça puis mon pays ne peut se le payer. À nous, sociétés développées ou sociétés riches, de nous débrouiller pour que ces sociétés, peut-être moins développées et moins riches, aient les moyens et puissent respecter le minima des droits humains.

Les droits humains ont été signés par toutes les nations, c'est un fondement. Et ce qu'on dit, c'est que le gouvernement, dans ses actions et dans sa représentation, doit pouvoir dire: Oui, on est d'accord pour que vous fassiez du commerce, on va avez vous en Algérie, on va avec vous dans tous les pays, on a besoin de montrer les atouts québécois, mais, par contre, pas à n'importe quel prix.

Le Président (M. Paré): Merci, madame. M. le député du Lac-Saint-Jean.

M. Tremblay: Oui, merci. Est-ce que vous pensez... parce que je pense que, par le fait qu'Amnistie internationale est présent dans plusieurs pays, il ne pourrait pas agir d'aide dans le cas d'activisme actionnarial? Je vous donne un exemple: l'an dernier, un groupe... je pense c'est en Inde, un groupe d'individus en Inde avait une inquiétude par rapport aux activités d'une multinationale canadienne et par le fait qu'ils prenaient, je pense, davantage... ils devaient tasser un village pour leur exploitation. En tout cas, peu importe la situation, ils ont interpellé un groupe de soeurs à Montréal et ces soeurs-là, ayant des actions dans une entreprise, sont allées à l'assemblée annuelle des actionnaires et a fait reculer l'entreprise de leurs actions en Inde, pas leurs actions mais leurs... on s'entend, ce n'est pas les actions là...

Et donc, est-ce que Amnistie internationale pourrait être un joueur justement à cet égard par le fait qu'il a des gens partout à travers le monde et ainsi être une source d'information? Ou, en fait, je ne sais pas c'est quoi vos liens de connexion avec Amnistie à travers le monde, si vos liens sont étroits ou si c'est vraiment des cellules individuelles dans chaque pays.

Mme Vaugrante (Béatrice): Je vais répondre en deux parties. J'aurai une partie Amnistie, puis Lise pourra donner l'exemple d'une résolution d'actionnaires qu'on a faite au nom d'Amnistie. En termes de moyens et de recherche pour Amnistie, on est nouveau dans le débat, on ne se pose pas en termes de: On connaît tout, on va tout vous montrer, les droits économiques, c'est notre domaine, croyez-nous. Il y a encore plein de questions à l'intérieur du mouvement pour dire: Quelles actions on fait? Et entre le spectre de promotion jusqu'à l'opposition, on prône le dialogue avec les entreprises, si ça ne marche pas, etc. Il y a plein qu'on se pose, on n'a pas toutes les réponses d'un point de vue déjà...

Oui, c'est un mouvement effectivement international et on est fier de ça, et je pense que ça va beaucoup nous aider pour la partie recherche et cas. Il n'y a pas encore eu des moyens astronomiques au sein du mouvement pour dire: On va s'y mettre, on va faire des recherches, on va faire des cas. Il y a quelques cas qu'on a faits en Colombie avec des syndicalistes entre autres, mais on n'a pas forcément encore déployé les budgets et les ressources pour s'y mettre, on s'y met.

Pour la partie, par contre, résolution d'actionnaires, je pense qu'on a des cas concrets dont on pourrait vous parler.

Mme Parent (Lise): Oui. C'est-à-dire que les groupes d'Amnistie ne sont pas tous rendus au même endroit, ils n'ont pas tous les mêmes moyens financiers, mais je connais le cas dont vous parlez. Mais aux États-Unis, le groupe d'Amnistie... Amnistie s'est voté... un des groupes s'est voté un budget, en tout cas un budget pour déposer des résolutions, ils l'ont fait cette année dans le cas d'ExxonMobil. Donc, c'est une action qui est possible théoriquement.

Ici, il y a des gens, il y a des réseaux qui nous ont, à certains moments donnés, contactés pour nous proposer ? puis justement dans ce cas-là, ça s'était produit aussi ? de nous passer leurs actions, dans le fond, leur droit de vote. Ce sont des actions qu'on... on n'est pas... tout est possible. Tout est possible, c'est une question d'efficacité. C'est sûr que, nous, par contre, on a comme principe de commencer par la sensibilisation, par la promotion avant de faire des actions d'opposition. Alors, on ne descendra pas immédiatement de... on va commencer par faire très certainement... Je pense que c'est un petit peu le sens de l'intervention que je faisais tantôt: c'est qu'on va s'assurer qu'on ne peut pas évoquer l'ignorance. À partir du moment où on s'assure que l'entreprise ne peut plus évoquer l'ignorance, on va envisager d'autres moyens d'action, comme d'ailleurs ça se fait dans le placement responsable. Dans toutes les résolutions d'actionnaires, il y a tout un processus privé qui, à un moment donné, devient public. C'est ce que je peux répondre à cela.

Le Président (M. Paré): Merci, Mme Parent. M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Tremblay: Vous avez parlé: nous n'avons pas besoin d'établir des normes, elles existent déjà. Et une question. Même si je suis quelqu'un d'assez favorable à l'investissement socialement responsable, il y a peut-être un lieu où le bât blesse. C'est-à-dire que ça pourrait devenir une espèce de protectionnisme dans le sens que, si les investisseurs institutionnels se disent: Bien, nous, O.K. on s'assure que les entreprises dans lesquelles nous investissons respectent toutes les normes, par exemple, les normes de l'OIT, à ce moment-là, cette dernière aura beaucoup de difficulté à aller investir dans un pays où les normes de l'OIT ne sont pas nécessairement respectées. Mais, en tout cas, vous savez, la difficulté, là, pour les pays en développement parfois d'arriver à nos standards. Est-ce que, à ce moment-là, l'investissement socialement responsable ne pourrait pas devenir une façon de dire: Bien, nous autres, on n'investit pas là parce que les normes du travail ne sont pas respectées, mais, au bout du compte, est-ce qu'on aide vraiment ces pays en voie de développement là quand on agit ainsi? Je trouve que c'est une question à laquelle je n'ai pas nécessairement de réponse, mais qu'il y a un flou à cet égard.

Mme Vaugrante (Béatrice): Nous, non plus, on n'a pas forcément de réponse, je suis désolée, mais l'opinion qu'on pourrait peut-être avoir sur ça, c'est dire... La réponse bête et méchante, c'est dire: Si on ne fait rien, c'est sûr qu'il n'y a rien qui va se faire. Donc, on va quand même commencer à quelque chose et à faire quelque chose. C'est clair qu'il y a des enjeux et des risques. Si tout était blanc et noir, ce serait malheureusement trop facile. On est là entre humains pour discuter, pour voir les pour et les contre.

Je dirais que, dans un débat à court terme, tous les acteurs sont responsables. Si j'investis dans un pays où effectivement le pays ou la législation locale n'est pas du tout... ou à 1 000 lieux des normes de l'OIT, moi, en tant qu'entreprise, j'ai toutes les latitudes de me mettre en place des normes qui respectent l'OIT. Il ne faut pas que je compte forcément sur le gouvernement local, et on sait qu'il y a des États où les législations locales font largement défaut. Donc, moi, en tant qu'entreprise, déjà je peux agir.

Et puis, dans un débat beaucoup plus large et peut-être beaucoup plus utopiste, on a souvent dit qu'effectivement ces normes-là sont contre la compétitivité, et éventuellement généraient des comportements protectionnistes. Mais à nous, sociétés riches, d'aider les sociétés peut-être plus pauvres et de leur dire: Bien, oui, O.K., toi, les autos, tu n'as peut-être pas les moyens de mettre en place un système de correction de l'effet de serre chez toi, bien, le Canada, on va t'aider, ou le Québec, on va t'aider, ou la France, on va t'aider, on va mettre en place des moyens de prêt, n'importe quoi, qui fait qu'on va t'aider, parce que, pour nous, le droit à l'environnement, donc à la santé, est un droit fondamental.

M. Tremblay: D'accord. Merci.

Le Président (M. Paré): Merci, madame, merci, M. le député. M. le député de La Prairie.

M. Geoffrion: Oui, merci. Bienvenue à cette commission. Il semble y avoir un petit peu de confusion sur la question de: est-ce qu'il y a des normes ou pas, là. Dans votre deuxième paragraphe de votre mémoire, vous dites justement que la principale difficulté, au niveau de la responsabilité sociale des entreprises... vous dites, «tient à l'absence de normes communes, acceptées de tous, localement et internationalement». Bon, il y a quelques exemples de pistes de solution par des organismes, vous mentionnez, par exemple, la Banque mondiale qui a une approche qui semble aller dans le bon chemin. Là. j'aimerais savoir, bon, premièrement, au niveau de cette question des normes, là: Est-ce que vous en souhaitez, est-ce que c'est possible qu'il y en ait au niveau international ou ce n'est pas possible, là? Il y a comme une petite confusion dans le discours.

n(17 h 30)n

Mme Parent (Lise): Bien, ce que l'on dit, c'est que les normes existent déjà... Des normes internationales acceptées de tous, elles existent déjà, elles sont déjà codifiées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. Par contre, effectivement, c'est que, actuellement, ce à quoi on assiste, c'est à une recherche de normes qui ne se soucient pas vraiment nécessairement des droits humains, là. Parce que, quand on parle de responsabilité sociale des entreprises et de placements responsables, on parle d'un paquet de choses actuellement. Il y a des soucis pour toutes sortes de choses: le droit des animaux, le tabac, l'alcool, la pornographie. Il y a beaucoup de choses. Et chacun, chaque corps organisé au sein du commerce, je crois, essaie de définir des normes qui me semblent être les plus humanistes possible. À ce niveau-là, donc, il y a un chassé-croisé et une tentative de décider des normes qui font l'affaire des entreprises. Nous, ce qu'on dit: Écoutez, il y a ça qui se passe actuellement, mais vous oubliez qu'il y a déjà des normes qui existent déjà, qui existent déjà puis qui sont beaucoup plus fondamentales que celles dont on... comme un code de conduite, par exemple, de celles dont on parle actuellement, que des entreprises parlent d'implanter.

M. Geoffrion: Sur ce sujet bien précis là... Bon, je comprends ce que vous me dites au niveau de l'Organisation internationale du travail ou des droits de l'homme, etc. Effectivement, il y a des normes communes, là, mais, sur le sujet qui nous intéresse, est-ce que vous pensez qu'au niveau international ? ça rejoint un petit peu la question de mon collègue ? est-ce que vous pensez que ces normes au niveau de l'investissement responsable sont un... Est-ce que c'est possible d'en arriver à avoir un code de conduite au niveau international ou il y a trop de disparités dans tous les pays ou dans tous les systèmes et que, ça, ça ne soit pas possible un jour?

Mme Parent (Lise): Je pense que les institutions sont en place pour que ça puisse exister. Parce qu'on a... L'Organisation mondiale du commerce est un organisme international. Donc, ça pourrait exister à ce niveau-là. Le problème que soulève M. Tremblay, c'est aussi de savoir: Est-ce que c'est une question... Jusqu'où on peut aller? Est-ce que finalement, ça ne va nuire au commerce, etc.? Ça revient exactement à ce qu'on disait tantôt. Même si on disait que finalement ça réduit la rentabilité d'une entreprise à court terme que de respecter les droits humains... Mais on parle tout de même d'esclavage. On parle de... On ne parle pas, là, de... On parle d'esclavage, on parle de discrimination, de droits fondamentaux. C'est ça dont on parle. On ne parle pas, là...

M. Geoffrion: De sujets légers, là, oui.

Mme Parent (Lise): Mais ce n'est pas que c'est léger ou pas léger, mais c'est que est-ce que le droit de commerce... Donc, où est le droit de commercer là-dedans, par rapport aux droits fondamentaux qui est le simple fait... le droit de ne pas être tenu en esclavage ou, le travail des enfants, le droit d'aller à l'école? Je veux dire, c'est ça, là. Donc, on se pose la question de savoir: Mais, oui, mais est-ce qu'on nuirait, est-ce que ce n'est pas une forme de protectionnisme? En tout cas, je ne crois pas que la question se pose de cette façon-là. Je pense que ce sont des normes qui ont été signées internationalement, qui sont internationalement non respectées, ça, je vous l'accorde, mais, je veux dire, on devrait y revenir et s'organiser, dans les institutions aussi bien locales qu'internationales, pour les rendre justiciables dans une certaine mesure, c'est-à-dire prévoir des lois en ce sens-là.

M. Geoffrion: Merci.

Le Président (M. Paré): Merci, Mme Parent. Vous avez quelque chose à rajouter, Mme Vaugrante? Ça va? Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, Mme Parent et Mme Vauguenat...

Mme Vaugrante (Béatrice): Vaugrante.

Mme Houda-Pepin: Vaugrante, d'Amnistie internationale, bienvenue. Ce n'est pas fréquent qu'on reçoit Amnistie internationale dans nos travaux de commission parlementaire. Donc, c'est avec beaucoup d'intérêt qu'on vous accueille et je vous remercie d'avoir pris la peine de rédiger un mémoire qui est bien fouillé, puis de venir le présenter. Je voudrais aussi saluer le travail que fait Amnistie internationale en matière des droits de la personne un peu partout dans le monde. Je suis très au courant de votre action et je vous soutiens là-dessus plus que moralement.

En fait, ce que vous êtes venues nous dire, pour clore cette journée de discussion, c'est de dire: Écoutez, il y a trop de codes de conduite, il y a trop de normes ISO de toutes sortes, revenons à l'essentiel. La norme, c'est finalement la charte, la Déclaration universelle des droits de l'homme, et tout y est. Et, à partir de là, il y a un certain nombre de droits qui en découlent, que ce soient des droits politiques, sociaux, économiques, etc. Ne cherchons pas midi à quatorze heures, essayons d'appliquer ces normes-là qui sont convenues avec l'ensemble de la communauté internationale. Jusque-là, ça va.

Dans vos recommandations, vous voulez que le gouvernement, parce que vous vous adressez beaucoup au gouvernement, puisse faire en quelque sorte l'éducation aux droits, l'éducation des droits, éduquer les citoyens pour mieux connaître les droits de la personne sous toutes leurs formes, et je trouve ça un peu trop général, trop global. Est-ce que je me trompe?

Le Président (M. Paré): Mme Vaugrante.

Mme Vaugrante (Béatrice): Sur la partie d'éducation aux droits, ça ne vous appartient pas seul. Je pense qu'Amnistie évidemment a une mission dans cette partie d'éducation là.

Le deuxième point, sur le fait qu'effectivement, dans notre mémoire, on s'est beaucoup tourné sur le gouvernement... Parce qu'effectivement, notre intention, c'était de dire qu'est-ce qu'on peut vous dire, de notre point de vue, au gouvernement, sur toute la partie de la responsabilité sociale des entreprises. Comme on l'a dit, le spectre d'interventions du gouvernement, souvent de la part des ONG, est assez réduit au cadre de la législation. Il faut légiférer sur les investisseurs institutionnels, sur les entreprises publiques ou parapubliques, etc., et sur les entreprises. Traditionnel à Amnistie, ce qu'on dit, c'est que la législation n'est pas la seule de vos missions, c'est aussi une mission d'éducation.

Pour la partie entreprise, ça nous paraît fondamental pour dire: Il faut éduquer les entreprises. On veut bien leur reconnaître le droit que, effectivement, j'ai péché par ignorance en investissant dans tel pays où j'ai commis des violations aux droits de l'homme. Donc, éduquons-les sur les droits de l'homme à travers les chambres de commerce, à travers des associations d'entreprises. Regardez quand vous faites des opérations, voyez le lien.

Quand on parle du public, on parle du public, je crois, dans un sens public actionnaire aussi. En tant qu'actionnaire ? et on l'est tous, de toute manière, au Québec aussi, indirectement, directement ? quels sont... Si on veut vraiment légiférer sur la partie des caisses de retraite ou autres caisses de dépôt et placement... Bien, au fait, pourquoi il légiférerait ou il ferait des choix à partir des droits humains? Quels sont ces droits humains? Donc, il y a une partie d'éducation, indirecte ou directe, du gouvernement pour dire: Oui, effectivement, quand on fait du commerce, quand on va en mission commerciale, quand on signe une zone, un accord commercial international ou autre, bien, on prône aussi en même temps les droits humains: Ah! public, vous ne savez pas; bien, regardez ce que c'est que les droits humains.

Donc, ce n'est pas évidemment complètement isolé: Le gouvernement éduque sur les droits humains. Mais le gouvernement aurait, oui, une mission d'éducation des droits humains dans le cadre de ses interventions économiques, qu'elles soient macroéconomiques, comme des accords internationaux, qu'elles soient microéconomiques, comme la caisse de retraite locale. Et c'est dans ce sens-là.

Mme Houda-Pepin: Est-ce que votre recommandation d'inviter le gouvernement à informer le public irait jusqu'à dire qu'il faut que l'État ait un mandat pour promouvoir l'investissement responsable?

Mme Vaugrante (Béatrice): Je crois que l'État a un mandat de respecter les droits humains. Et l'État a un mandat, dans ça, de voir à ce que toute activité, qu'elle soit économique, commerciale, sociale, culturelle dans son pays ...voit à ce que ce soit respecté. Donc, que ce soient les entrepreneurs privés, publics ou autres, il y a une partie d'éducation et de formation sur les droits humains: Est-ce que nos activités ici, au Québec, respectent les droits humains? On investit dans les entreprises, vous, en tant que public, vous investissez. Est-ce que ça respecte les droits humains? Est-ce que le dollar que vous mettez dans votre banque, dans votre REER, dans votre caisse de retraite, quelque part, il n'a pas une influence sur des personnes qui seraient en esclavage ou des enfants qui seraient en travail forcé? La chaîne jusque-là est importante.

Effectivement, c'est toujours en lien aussi avec la transparence. C'est que, éduquer, oui, mais parce que ça va être complémentaire avec d'autres actions qui sont autour de la transparence des caisses de retraite, la transparence des entreprises pour nous dire ce qu'elle fait et d'où ça vient. Tout ça, c'est une action conjuguée bien évidemment. Mais, oui, il y a une responsabilité, je pense, de l'État sur le respect des droits humains, donc sur toute activité qui ne serait pas respectable ou qui ne respecterait pas les droits humains.

Mme Houda-Pepin: Un des aspects que nous avons abordé avec d'autres groupes, c'est toute la question des fonds éthiques qui répondent à des impératifs de certaines communautés religieuses, par exemple, qui ont des valeurs propres et qui veulent poser des gestes concrets au niveau du choix financier qu'ils font en fonction de leur croyance et en fonction de leurs valeurs. Comment l'État, qui est l'État de tout le monde, peut-il s'impliquer dans la promotion ou la valorisation de certaines valeurs qui sont des valeurs de groupe et non pas des valeurs partagées par l'ensemble de la société? Et d'autant plus que vous dites très bien dans votre mémoire, et cela, je le partage, que les droits humains sont universels, interdépendants et indivisibles.

n(17 h 40)n

Mme Vaugrante (Béatrice): Si je peux me permettre, Madame, j'aimerais laisser Lise Parent peut-être répondre à la question parce que c'est notre experte souvent dans ce domaine. Merci.

Le Président (M. Paré): Mme Parent.

Mme Parent (Lise): Bien, je pense que ça revient un petit peu à ce que l'on disait tantôt, c'est-à-dire que ? c'est ce que je disais tantôt d'ailleurs ? dans les fonds éthiques ou dans tout ça, il y a énormément de valeurs qui sont véhiculées et puis parfois même des valeurs contradictoires. Donc, je ne crois pas du tout que le rôle de l'État aille jusque-là. Je pense qu'on revient à ce qu'on disait au départ. C'est qu'il y a des droits qui sont fondamentaux et ce sont ces normes fondamentales là qui doivent prévaloir. Et c'est la seule chose que le gouvernement devrait mettre de l'avant, parce que je ne crois pas que le gouvernement... Effectivement, l'État est l'État de tous et, par contre, c'est là où tous les États se rejoignent, à savoir les droits fondamentaux des êtres humains.

Mme Houda-Pepin: Mais il n'en demeure pas moins que la pratique de la religion est en soi un droit fondamental. Donc, quand vous avez la juxtaposition de plusieurs pratiques qui relèvent de différentes croyances religieuses ? qui s'égalent toutes parce que, aux yeux de la loi, on est dans une société démocratique et tout le monde a le droit de pratiquer dans le plus grand respect sa propre religion ? quand on utilise la religion comme levier, je dirais, idéologique pour poser des gestes qui sont à caractère économique, c'est là où je veux vous entendre par rapport à toute la question des droits humains, parce que vous êtes peut-être le groupe le mieux placé pour répondre à ces questions-là.

Mme Parent (Lise): Évidemment, est-ce que dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, il y a des principes qui viennent choquer les valeurs de communautés religieuses, par exemple? Là, la question se poserait. De toute façon, même si ça choquait une communauté religieuse, nous, on part du principe qu'il s'agit de valeurs que toutes les nations ont endossées. Peut-être pas toutes les religions, ça, sans doute que non, mais on parle du devoir de l'État et c'est... Par contre, ces droits-là, ces normes-là ont été endossés par tous les États. En ce sens-là, une communauté religieuse est aussi une partie citoyenne, et tout citoyen, comme Amnistie internationale, par exemple, fait partie de la société civile. Je ne crois pas qu'elle puisse avoir ? comment je pourrais dire? ? un imprimatur moral sur une telle ou telle autre valeur. Nous, tout simplement, ce qu'on dit, c'est: Voici, ce qui a été accepté par tous les États, et puis ça défend des choses qui, dans le fond, tombent sous le sens au XXIe siècle. Et donc, je pense que la...

Mme Houda-Pepin: Je peux vous donner un exemple: les communautés religieuses qui décident de ne pas investir dans des entreprises qui pratiquent de loin ou de près l'avortement. La Déclaration des droits de l'homme, à ce que je sache, prône l'égalité, donc la liberté de la femme de disposer de son corps. Est-ce que vous voyez qu'il y a une contradiction?

Mme Vaugrante (Béatrice): Il peut rester des libertés tout à fait individuelles de groupe pour investir là où ils doivent... ou ils posent et ils prônent leurs idées. C'est évident que c'est un débat philosophique de savoir où la tolérance s'arrête et où l'intolérance débute. Je pense qu'avant même de commencer ce débat-là, qui est effectivement une question, je pense, qui relève plus de la philosophie aussi en termes de liberté, de tolérance et d'intolérance, il y a tellement à faire avant rien que, par exemple, pour respecter des normes de l'OIT ou pour respecter ce qui est commun à tous et qui n'est pas sujet à controverse, il y a tellement matière à faire en termes de communication... Johannesburg, on n'a presque pas parlé des droits humains. Ce n'est tellement pas à la mode, les droits humains. C'est comme souvent: Ah! ça fait débat années soixante-dix, là, des droits humains. Et pourtant, c'est le fondamental et il y a tellement à communiquer, à promouvoir sur les droits humains avant même peut-être d'arriver à des débats fondamentaux. Je ne pense pas qu'Amnistie aujourd'hui pourrait vous dire: Oui, on est pour; oui, on est contre. C'est un débat dans lequel je n'ai pas d'opinion et Amnistie ne pourrait pas avoir d'opinion.

Mme Houda-Pepin: D'accord. Juste quand même vous signaler qu'il ne s'agit pas d'un débat philosophique mais de problèmes pratiques qui se posent concrètement dans une société pluraliste comme la nôtre.

Je reviens à la question de la législation, l'encadrement par rapport à la méthode volontariste, avec laquelle vous n'êtes de toute évidence pas d'accord, mais nous avons quand même eu des groupes ici qui sont venus plaider pour l'initiative de l'entreprise privée, qui va se policer elle-même et qui va, en fait, d'une certaine manière, se donner ses propres balises. Et ça se fait déjà et il y a déjà des entreprises qui sont des modèles de corporations socialement responsables, etc. Et qu'est-ce qu'une législation peut faire quand vous donnez l'exemple de l'esclavage tantôt ou l'exemple de l'apartheid, par exemple, face à l'opinion publique? Est-ce que vous ne trouvez pas que l'opinion publique a beaucoup plus de poids lorsqu'elle va exercer une pression sur une entreprise donnée, sur un État donné, que la simple législation d'un gouvernement?

Mme Parent (Lise): Bon. Moi, je vais répondre à ça. Ce que l'on demande au niveau de l'encadrement, c'est vraiment très léger. C'est qu'on demande... En fait, ce sont des actions de transparence, d'obliger les entreprises qui sont sous la juridiction du Québec, les entreprises publiques d'une part, les caisses de retraite d'autre part, de nous dire ? pour les entreprises, c'est une chose ? dans quelle mesure elles tiennent compte ? ça reprend non seulement la loi du Royaume-Uni, mais... ce n'est pas que le Royaume-Uni qui a fait cette loi-là, il y a la France, il y a l'Italie, il y a l'Allemagne, il y a l'Australie ? dans quelle mesure elle ont tenu compte de critères, de critères sociaux, de critères éthiques, de critères environnementaux. C'est tout ce qu'on leur... Ce qu'on demanderait à l'État, c'est d'obliger minimalement cette transparence de la part des entreprises et de la part des caisses de retraite pour que le public justement, une fois informé, puisse agir.

Parce que dans le moment c'est vrai que ça avance, c'est vrai qu'on en parle beaucoup, mais les choses iraient beaucoup plus rondement si les gens étaient davantage informés. Et je pense ne rien vous apprendre ici en vous disant qu'il y a des gestionnaires de caisses de retraite qui ne sont pas sûrs encore aujourd'hui si c'est vraiment légal que de s'occuper de ces questions-là. Donc, en ayant une loi en ce sens-là, ça obligerait tout simplement les caisses de retraite à une transparence sur la question, de sorte que leurs participants, les membres participants des caisses de retraite, puissent, eux, poser des question premièrement et, deuxièmement, faire des choix. C'est simplement ça. C'est simplement ce qu'on demande. Toute intervention, en fait, c'est vers justement de donner le plus d'information possible au citoyen pour qu'il puisse choisir lui-même.

Le Président (M. Paré): Madame, oui, allez-y.

Mme Vaugrante (Béatrice): Si je peux me permettre quelques mots pour la partie de l'opinion d'Amnistie vis-à-vis des initiatives volontaristes. En aucun cas, on ne s'oppose, et on ne dit pas qu'on n'est pas d'accord, on dit simplement que ce n'est pas suffisant. Mais, en tout état de cause, Amnistie soutient publiquement des initiatives de Nations unies, par exemple, sur les directives pour des transnationales qui n'ont rien de légal et Amnistie soutient parfaitement. Mais le mieux est souvent l'ennemi du bien, on soutient ces initiatives-là. On les veut. Oui. Intéressez-vous au sujet, allez-y. On dit simplement que ce n'est certainement pas suffisant.

Le Président (M. Paré): Merci, madame. M. le député de Bertrand.

M. Cousineau: Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames. Vous avez parlé tantôt abondamment de la Déclaration des droits humains. Beaucoup de pays ont signé cette Déclaration dans le passé et puis beaucoup de pays se retrouvent sous le chapeau de cette Déclaration, mais il y a aussi beaucoup de pays qui ne respectent pas, d'une façon ou d'une autre, là, ces droits. Je vous donne comme exemple les États-Unis. Aux États-Unis, il y a de grandes entreprises qui font affaire partout à travers le monde puis qui exploitent les humains. On parle des compagnies pétrolières, des compagnies... On pourrait en nommer des dizaines et des dizaines. Pourtant, ces entreprises-là, qui font partie de l'économie américaine, reçoivent la bénédiction du Congrès, reçoivent la bénédiction du gouvernement. Alors, vous voyez que... Est-ce que vous êtes très optimiste lorsqu'on parle des droits humains, parce que vous défendez quand même, puis j'en suis aussi, là... Est-ce que ce n'est pas un petit peu de rêver en couleur que de penser qu'un jour on va atteindre ce...

n(17 h 50)n

Mme Vaugrante (Béatrice): Il faut parler des années soixante-dix. Effectivement...

M. Cousineau: Les Américains, là, c'est un pays qui a signé la Déclaration et puis c'est un pays qui fait la promotion puis qui même amène les autres pays à sanctionner ceux qui ne respectent pas les droits humains ? on le voit dans les différents conflits présentement ? mais, lorsqu'on regarde à l'intérieur même de ce grand pays, il y a des entreprises qui reçoivent la bénédiction du gouvernement.

Mme Vaugrante (Béatrice): Une des problématiques, Lise pourra compléter tout à l'heure, une des problématiques souvent, c'est, quand ces entreprises, par exemple, pétrolières au Nigéria commettent des impairs, il n'y a aucun recours pour le Nigérian de se plaindre de ce qu'il subit. Ça, c'est une des problématiques. Et, si, effectivement, en termes de législation internationale, l'OIT avait beaucoup plus de dents qu'il n'en a actuellement ou que les Nations unies ou que, par exemple, l'Europe, qui a aussi choisi son livre vert et de s'orienter vers une approche beaucoup plus volontariste, avait finalement choisi une approche un peu plus législative... C'est utopique, en termes de Déclaration universelle des droits de l'homme. La plus haute aspiration de l'homme, elle n'est pas là, elle n'est pas encore là, c'est certain. Mais, c'est ce que je disais à M. Tremblay tout à l'heure, si on ne fait rien en ce sens, rien qu'un petit peu, rien qu'un petit pas, c'est certain qu'on ne l'atteindra jamais.

Donc, je pense qu'il est temps et pour le Congrès américain... Peut-être par des initiatives volontaristes qui vont finalement pousser les députés, etc., à agir et par des initiatives internationales où on va donner un peu plus de dents à l'Organisation internationale du travail et par des législations locales, comme au Québec, par des pays, des législations nationales, on va pouvoir pousser les normes internationales à être plus justiciables et forcer vraiment le respect de ces droits-là.

M. Cousineau: On le voit dans la crise du café présentement. Cette crise-là, c'est sur le dos des cueilleurs de café en Bolivie puis en Amérique du Sud et puis pourtant c'est de grandes entreprises américaines. Je n'en ai pas contre les Américains, mais je vous dis qu'à quelque part...

Mme Parent (Lise): Mais il y a des entreprises canadiennes aussi...

M. Cousineau: Oui, oui, absolument, et québécoises.

Mme Parent (Lise): ...qui ne sont pas recommandables non plus. Mais, moi, je peux dire à ça qu'il ne faut pas baisser les bras, c'est sûr, parce que, sinon, ce serait totalement désespérant. Puis, moi, j'ai bon espoir que le Québec, qui est quand même une société... Le simple fait que cette commission-ci existe est quelque chose assez particulier. Je pense, historiquement parlant, si on regarde ce qui se passe juste en Amérique du Nord, c'est très rare. Et, c'est ça, donc, le Québec peut très certainement ouvrir une voie, tracer un chemin. Il ne faut certainement pas baisser les bras. C'est sûr.

M. Cousineau: ...content de vous l'entendre dire, parce que la commission qu'on fait présentement... Et puis de vous avoir aujourd'hui puis de vous écouter. Effectivement, il ne faut pas baisser les bras.

Le Président (M. Paré): Merci, M. le député de Bertrand. Mme la députée de La Pinière, pour le mot de la fin.

Mme Houda-Pepin: Le mot de la fin. Alors, le mot de la fin: un commentaire et une question.

Le Président (M. Paré): Allez-y.

Mme Houda-Pepin: Premièrement, toujours dans la sensibilisation du public, vous suggérez de favoriser, dans les écoles de gestion, les programmes d'éducation aux droits humains. Nous avons accueilli, ce matin, la Chaire d'études Économie et Humanisme de l'Université de Montréal et nous avons accueilli aussi un professeur de l'Université de Sherbrooke qui s'occupe particulièrement des questions d'éthique dans le milieu des affaires. Et je sais que l'Université de Sherbrooke à Laval, parce qu'ils ont une section à Laval, offre un programme de maîtrise et je sais que plusieurs universités se préoccupent de ça. Donc, il y a des avancées. La question est en train d'occuper de l'espace dans les milieux académiques et la réflexion se fait un peu aux différents niveaux, comme vous avez dit.

L'autre question sur laquelle je voudrais terminer... J'ai pris bonne note que vous avez dit qu'il fallait peut-être qu'on ait un indice d'entreprise responsable. Est-ce que vous avez une idée de ce que ça peut être, un indice d'entreprise responsable? Ça, c'est Mme Parent, je pense, qui a parlé de ça.

Mme Parent (Lise): Je pense qu'aux États-Unis il se fait déjà un palmarès. CALPERS par exemple, fait un palmarès, je ne sais pas si c'est annuel ou bisannuel, des entreprises les plus irresponsables, qu'il juge les plus irresponsables. Nous, on pense que, si ça peut être fait de ce sens-là, on devrait le faire dans l'autre sens aussi, pour ne pas toujours être en opposition de façon négative.

Donc, un indice? Oui. Est-ce que ce sera un indice boursier? C'est peut-être ça la question que vous voulez poser.

Mme Houda-Pepin: C'est ça.

Mme Parent (Lise): Bon. Il y a un indice ? est-ce que François est encore ici? oui? il va me... ? en Angleterre, qui est en train de se mettre à jour, 4good, FTSE4good... Qu'est-ce que c'est exactement, là? Le sais-tu?

Une voix: 4good.

Mme Parent (Lise): 4good qui est, bon, qui est en train justement... et qui a demandé... Amnistie a d'ailleurs collaboré, Amnistie au Royaume-Uni a collaboré à la définition de critères d'évaluation de ce qui serait une entreprise, par exemple, respectueuse des droits humains, les critères de mesure.

Donc, il se développe cette type d'indice là, un indice boursier. Je pense que, dans notre proposition... Parce que, avant d'aller jusqu'à l'indice boursier, je pense qu'il y a un premier pas qui pourrait être une espèce de palmarès, une forme d'indice qui n'est pas boursier, mais ça peut aller jusqu'à l'indice boursier, puisque ça existe déjà. Et d'ailleurs ça n'existe pas rien que là, ça existe au Canada aussi avec...

Mme Houda-Pepin: Oui. Mais merci pour la précision. Je voulais savoir à quoi vraiment vous faites référence par cet indice. Merci beaucoup.

Le Président (M. Paré): Merci, mesdames, de votre témoignage, de votre participation et de votre contribution. Bonjour, Mme Parent et Mme Vaugrante.

Là-dessus, j'ajourne les travaux à jeudi 19 septembre 2002 à 10 heures précises.

(Fin de la séance à 17 h 56)


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