L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Accueil > Travaux parlementaires > Travaux des commissions > Journal des débats de la Commission de l'économie et du travail

Recherche avancée dans la section Travaux parlementaires

La date de début doit précéder la date de fin.

Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission de l'économie et du travail

Version finale

42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)

Le vendredi 22 janvier 2021 - Vol. 45 N° 70

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 59, Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail


Aller directement au contenu du Journal des débats

Table des matières

Auditions (suite)

Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades (UTTAM)

Télétravail Québec (TQ)

Mmes Geneviève Baril-Gingras et Jessica Riel

Mme Katherine Lippel

Association des spécialistes en médecine préventive du Québec (ASMPQ)

Mémoires déposés

Autres intervenants

Mme Claire IsaBelle, présidente

M. Jean Boulet

M. Monsef Derraji

M. Alexandre Leduc

M. Sylvain Roy

M. Carlos J. Leitão

*          M. Roch Lafrance, UTTAM

*          M. Félix Lapan, idem

*          M. José Lemay-Leclerc, TQ

*          M. Mathieu Santerre, idem

*          Mme Marie-Laure Hemery, ASMPQ

*          Mme Nabyla Titri, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Note de l'éditeur : La commission s'est réunie en visioconférence.

Journal des débats

(Huit heures quarante-trois minutes)

La Présidente (Mme IsaBelle) : Bonjour. Alors, ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de l'économie et du travail ouverte.

La commission est réunie virtuellement afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 59, Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, Mme la Présidente. Mme Richard (Duplessis) est remplacée par M. Roy (Bonaventure).

La Présidente (Mme IsaBelle) : Merci. Ce matin, nous entendrons par visioconférence les groupes suivants : L'Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades, Télétravail Québec, professeure Baril-Gingras avec professeure Riel, professeure Lippel et l'Association des spécialistes en médecine préventive du Québec.

Auditions (suite)

Nous commençons immédiatement et nous souhaitons la bienvenue aux représentants de l'Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades. Alors, M. Lafrance, je vous invite à prendre la parole, à bien vous présenter avant de faire votre exposé de 10 minutes.

Union des travailleuses et travailleurs
accidentés ou malades (UTTAM)

M. Lafrance (Roch) : Alors, merci, Mme la Présidente. Alors, mon nom est Roch Lafrance, je suis le secrétaire général de l'UTTAM, l'Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades, et ce matin je suis accompagné, virtuellement, de Félix Lapan, qui est conseiller à l'UTTAM. Alors, comme on a 10 minutes, on va y aller... on va tenter d'y aller brièvement.

Alors, évidemment, en tant qu'organisation qui regroupe principalement les travailleuses et les travailleurs non syndiqués qui ont été victimes d'accidents et de maladies du travail, on est évidemment grandement intéressés par le projet de loi n° 59, puisque, selon notre point de vue, nous représentons les personnes qui seront les plus touchées par cette réforme majeure.

Nous regroupons, effectivement, et soutenons... Parce que l'UTTAM est une organisation populaire, nous ne sommes pas un syndicat, donc nous avons des membres, mais nous représentons aussi des travailleurs et des travailleuses qui ne sont pas membres mais qui ont besoin de soutien. Donc, nous soutenons des travailleuses et des travailleurs qu'on pourrait qualifier des travailleurs de l'ombre, qu'on a découverts soudainement pendant la crise sanitaire et qui sont devenus des travailleurs essentiels ou des anges gardiens. Alors, des gens qui sont habituellement non syndiqués, qui sont sous-payés, qui travaillent dans des emplois manuels, dans des conditions de travail dangereuses. Ce sont souvent aussi des travailleuses et des travailleurs âgés qui ont travaillé toute leur vie dans des emplois pénibles et qui ont vu leur travail leur voler une bonne partie de leur vie et de leur santé.

Alors donc, nous regroupons essentiellement des travailleuses et des travailleurs que la CNESST... Parce qu'on m'a dit... je n'ai pas eu la chance d'écouter les travaux, on avait un mémoire à présenter, mais on m'a dit qu'on avait beaucoup parlé de chronicité, pendant cette commission-là, alors on peut dire qu'à l'UTTAM on représente, justement, ce que la CNESST qualifie depuis une vingtaine d'années de travailleurs chronicisés, c'est-à-dire des travailleurs qui sont gravement handicapés, qui sont en arrêt de travail depuis au moins six mois et surtout qui coûtent très cher au régime. Alors, les chiffres, la CNESST les sort régulièrement, là, il y a 4 % des lésions professionnelles qui engendrent 75 % des coûts du régime. Et donc nous, là, c'est ces gens-là qu'on représente.

Les organisations patronales et les comptables, à la CNESST, vous diront que ces gens-là coûtent cher au régime. Alors, nous, de notre côté, on est plutôt à même de constater que ces lésions-là coûtent surtout cher aux victimes et à leurs proches mais aussi à l'ensemble de la société, quand les responsables de leurs lésions parviennent à échapper à leurs responsabilités, comme c'est trop souvent le cas avec le régime de réparation des lésions professionnelles qu'on a actuellement, alors... Parce qu'on a beaucoup entendu parler, depuis quelques années, des coûts, hein, les coûts du régime. On a vu, la semaine dernière ou il y a deux semaines, des études sortir disant que le régime québécois coûtait très, très cher, mais ce qu'on oublie de parler, c'est des coûts humains mais aussi des coûts de la société. Parce qu'une lésion, une maladie professionnelle qui est refusée, bien, ces gens-là sont quand même malades et donc ils vont être traités par le système de santé public, ils vont s'adresser au Régime de rentes du Québec pour avoir une rente d'invalidité, à l'aide sociale, à l'assurance chômage. Et donc ces coûts-là, ils ne disparaissent pas parce qu'ils ne sont pas indemnisés par le régime. Donc, c'est ces gens-là, nous, qu'on rencontre, c'est ces gens-là qui, selon nous, ont le plus besoin de protection du régime, des gens qui ne sont plus capables de refaire leur travail, qui sont gravement handicapés.

Alors, évidemment, quand on a vu le projet de loi n° 59 déposé, on l'a dit publiquement, on était sous le choc. On était sous le choc pour deux raisons. On savait que le projet de loi qui s'en venait ne serait pas un cadeau pour les travailleuses puis les travailleurs, on avait quand même suivi les travaux depuis une dizaine d'années là-dessus, mais on était loin de se douter que le régime s'attaquerait... c'est-à-dire, qu'on s'attaquerait au régime de cette façon-là et particulièrement aux gens qui ont le plus besoin de protection. J'y reviendrai brièvement tout à l'heure. Mais on a été aussi choqués parce qu'on nous présente cette réforme-là comme une modernisation, alors que c'est un grand retour en arrière. Au niveau de la réparation, on retourne 35 ans en arrière; au niveau de la prévention, 40 ans en arrière. Mais nous, on va vous parler surtout de réparation.

• (8 h 50) •

Ce qu'on constate, dans ce projet de loi là, c'est qu'on est en train de défaire ce qui a été fait en 1985, et ça avait été fait pour des bonnes raisons, c'est-à-dire, de limiter les pouvoirs de la CNESST, qui s'appelait la CSST, à l'époque, parce qu'elle avait tendance à abuser de ces pouvoirs-là pour protéger les fonds du régime, sans regarder les impacts que ça avait sur les travailleuses et les travailleurs. Donc, à cette époque-là, on a réduit ses pouvoirs réglementaires, on a réduit son contrôle en matière médicale. Et ce qu'on voit dans le projet de loi, c'est un retour vers cette époque, où on accorde de plus en plus de pouvoirs discrétionnaires à la CNESST, où on accorde de plus en plus de pouvoirs réglementaires à la CNESST pour limiter aussi le contrôle des tribunaux, parce que, si la CNESST interdit quelque chose dans un de ses règlements, bien, les tribunaux ne pourront rien faire. Et donc on était choqués sur ces deux questions-là.

J'y vais brièvement parce que le temps passe. Alors, qu'est-ce qui nous dérange particulièrement dans ce projet de loi là? Alors, évidemment, toute la question des maladies professionnelles, on en a entendu beaucoup parler. Le ministre du Travail, depuis deux ans, nous dit qu'il faut moderniser la liste. Or, quand on regarde cette nouvelle liste là, réglementaire, alors nous, on s'oppose totalement à ce que... de donner un pouvoir réglementaire à la CNESST au niveau des maladies professionnelles, parce qu'elle a démontré, depuis 35 ans, qu'elle est incapable d'ajouter des maladies professionnelles. Mais, quand on voit aussi ce qui accompagne le règlement, c'est essentiellement d'ajouter de nombreuses conditions pour faire en sorte que les gens qui sont malades n'entreront pas dans le régime.

Alors ça, c'est notre grande, grande inquiétude, l'adoption dans cette loi-là d'un règlement qui va accorder de tels pouvoirs à la CNESST. Toutes les attaques qui sont aussi faites sur les travailleuses et les travailleurs qu'on représente, les gens qui sont les plus, appelons ça, maganés, alors les attaques au niveau de la réadaptation, au niveau de l'assistance médicale, un dada de la CNESST depuis 40 ans. Elle veut totalement limiter l'assistance médicale. Alors là, on est en train de lui accorder des pouvoirs supplémentaires qui vont permettre de réduire l'assistance médicale qui est offerte par la loi.

J'emploie un gros terme, là, mais on trouve que c'est un projet de loi de sans-coeur. On s'attaque aux travailleurs âgés, dans ce projet de loi là, des gens qui ont des limitations fonctionnelles, qui ont travaillé toute leur vie, qui ne sont plus capables d'occuper leur emploi, puis on leur dit : Non, vous allez être obligés d'aller vous chercher des emplois puis, si vous ne faites pas trois, cinq, 10 recherches d'emploi par jour, on va vous couper. Alors, c'est des mesures qui restreignent les droits des travailleuses et des travailleurs.

Et avec les économies qu'on va faire, parce qu'il y a une étude d'impact qui démontre qu'il va y avoir des économies importantes au niveau de l'assistance médicale et des indemnités qui vont être versées aux travailleuses et aux travailleurs, alors on va ajouter quelques mesures de prévention. Alors, ça, c'est assez choquant, parce que les travailleurs qu'on représente, c'est des travailleurs pour qui la prévention n'a pas fonctionné. Et, même si on ajoute de belles mesures de prévention, il va encore y avoir des accidents et des maladies professionnelles. Et on leur dit que, pour le bien de toute la société, de tous les travailleurs et les travailleuses, ils vont devoir, eux, payer pour ces mesures de prévention là.

Alors, je vois que le temps passe. Il me reste environ 30 secondes, donc je vais conclure là-dessus, on aura des échanges. Alors, évidemment, vous comprendrez qu'on ne demande absolument pas l'adoption de ce projet de loi là. Ce qu'on veut, c'est un véritable débat, et on ne voit pas actuellement qu'il y a un véritable débat. Trois jours et demi de commission parlementaire pour des modifications aussi importantes des deux lois. Alors, on est insatisfaits du projet de loi, on veut qu'il soit soit retiré soit amendé fortement, et on invite les parlementaires à poser des bonnes questions. Et je sais que mon 10 minutes est terminé.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Merci, M. Lafrance, pour votre exposé. Alors, nous allons commencer immédiatement la période de questions avec M. le ministre. Vous disposez de 16 min 30 s.

M. Boulet : Oui. Bonjour, M. Lafrance. Bonjour, M. Lapan. Merci de votre présence et surtout merci de votre engagement pour les travailleurs victimes de lésions professionnelles qui sont souvent laissées pour compte par un système, vous le mentionnez dans votre rapport — bon, votre rapport est quand même assez substantiel, il y a 150 pages — que nous avons reçu ce matin. J'ai essayé de le lire très, très rapidement. Évidemment, il n'y a pas personne de sans-coeur dans mon équipe puis il n'y a pas personne de pas préoccupé par la prévention puis par l'indemnisation.

Puis quand vous référez... Il y a des éléments, entre autres, dans ce que vous mentionnez... c'est la chronicisation. Il faut, d'abord et d'emblée, souligner qu'il y a quand même des grands virages extrêmement intéressants dans ce projet de loi là. Puis je citerais le Protecteur du citoyen, dans son rapport, qui dit, après avoir analysé l'ensemble du projet de loi : «D'entrée de jeu, le Protecteur du citoyen accueille favorablement ce projet de loi qui permet [notamment une vision] plus inclusive et plus préventive de la sécurité et de la protection des travailleurs et travailleuses.» Et là ils font des développements puis ils font des recommandations.

Je vais, bien sûr, étudier plus attentivement votre rapport pour m'assurer de bien cerner vos recommandations, mais je vous rappelle que, pour la première fois dans l'histoire du régime, il y a des mécanismes de prévention et de participation qui s'appliquent à l'ensemble des secteurs. Donc, il y avait 25 % des travailleurs qui étaient couverts, et on s'en va à 94 %. Il y a un déploiement massif de représentants des travailleurs dans plus de 5 000 chantiers de construction additionnels.

Vous référez à la notion de personnes handicapées, qui sont souvent longtemps en absence, et, plus longtemps on est en absence, plus il y a un risque de chronicisation. Mais là il y a une obligation, dans notre projet de loi, de prendre en charge les risques sociaux et de les intégrer dans les programmes de prévention. Sans parler de violence conjugale, qui est une première, sans parler des travailleuses domestiques, qui sont généralement... puis ils ne sont pas représentés par des syndicats, les stagiaires.

Et donc, pour la chronicisation, M. Lafrance, j'aimerais avoir votre idée, là, mais juste vous rappeler qu'on va vers un processus de réadaptation plus rapide. Puis moi, tous les médecins à qui j'ai parlé au fil du temps me confirment que, plus vite on prend en charge la personne, plus vite on lui fait un plan individualisé, on diminue forcément les risques de chronicisation. Puis vous parlez même, dans votre mémoire, qu'il faut aider la personne à se réorienter ailleurs, dans le marché du travail, quand ce n'est pas possible de reprendre son emploi. On prévoit, dans le projet de loi, l'utilisation des services publics d'emploi du ministère du Travail pour accompagner de manière très, très individuelle la personne.

Est-ce que vous pouvez, juste très, très sommairement, là, parce que j'ai quand même un certain nombre d'éléments à soulever avec vous... que vous vous exprimiez sur l'impact de l'absence de longue durée sur le risque de chronicisation des travailleurs avec lesquels vous avez travaillé?

• (9 heures) •

M. Lafrance (Roch) : Bien, je vais commencer, puis peut-être que M. Lapan pourra compléter. Écoutez, ce qu'on voit dans le projet de loi, là, il n'y a rien de nouveau là-dedans, là. La seule nouveauté, c'est qu'on enlève des droits de contestation aux travailleuses puis aux travailleurs puis on accorde beaucoup plus de pouvoirs discrétionnaires à la CNESST.

La lutte contre la chronicité, c'est quelque chose qui existe depuis le début des années 2000, à la CNESST. Et nous, là, on est ce qu'on appelle... Parce que, là, on laisse sous-entendre que la CNESST ne peut rien faire avant la consolidation de la lésion. C'est totalement faux. La CNESST, depuis le début des années 2000, a un processus de réadaptation précoce. La grande différence avec le projet de loi, c'est que la CNESST ne peut pas imposer ces mesures-là si le médecin traitant n'est pas d'accord. Alors là, on vient, par les nouveaux pouvoirs, tasser totalement l'opinion du médecin traitant et on va obliger des gens à participer à des mesures, alors qu'ils ne sont pas capables, ils ne sont pas dans l'état de le faire, ils ont besoin de traitements.

Alors, nous, on est favorables à ça, là, qu'il y ait une prise en charge au niveau de la réadaptation rapide, aucun problème avec ça. Ce qu'on veut éviter, c'est que les travailleurs n'aient pas leur mot à dire, que leurs médecins n'aient pas leur mot à dire. Alors, ça, là, c'est la base.

Et je veux quand même juste vous souligner que c'est vrai, puis nous, là, on a fait une étude, parmi les centaines de dossiers qu'on a publiés il y a quatre ans, et on remarque qu'effectivement le retour au travail chez l'employeur, c'est un gage de succès tant que l'employeur veut le travailleur. Un employeur qui ne veut pas le travailleur... Il va retourner au travail, mais il va être sur l'aide sociale trois mois après ou six mois après, il va être congédié, alors... Et ça, ça génère cinq ans, ou 10 ans, ou 15 ans, et les grandes belles études qui sont faites actuellement, là, ils ne regardent pas ça, l'impact de ces décisions-là à long terme. Nous, on l'a fait, et ce qu'on se rend compte, c'est que les travailleurs réadaptés par la CNESST qui ont eu droit à la réadaptation se retrouvent appauvris, cinq ou 10 ans plus tard, de façon incroyable. Ils ont vécu de l'instabilité au travail parce qu'ils n'ont pas eu le droit à une vraie réadaptation.

Et donc, puis je termine là-dessus, je veux juste vous dire que, dans le projet de loi, on ne voit absolument rien... et c'est une de nos recommandations. La base, là, la base, au Québec, partout, on entend ça à l'aide sociale, là, la base, c'est l'éducation, c'est la formation. Alors, le seul organisme, au Québec, qui vient dire que la formation, ce n'est pas important, c'est la CNESST. C'est extrêmement difficile d'avoir de la formation, et de la formation dans le réseau public encore moins. Et donc, nous, ce qu'on constate, c'est que les gens qui bénéficient d'un programme de réadaptation précoce, qui peuvent retourner à l'école, dans le réseau public, dans une vraie formation, pas une formation bidon de trois semaines, là, c'est ces gens-là qui s'en sortent le mieux.

M. Boulet : M. Lafrance, je suis totalement d'accord, il faut s'assurer de permettre à la personne de réintégrer un environnement de travail le plus rapidement possible. C'est un bénéfice pour la société, pour la santé de la personne concernée et de sa famille.

Cependant, moi, ma compréhension de la loi, du régime actuel est : on ne les met pas en application avant la date de consolidation, avec une atteinte permanente, on ne met pas en marche le processus de réadaptation. C'est pour ça qu'on veut écrire clairement que la réadaptation sera accessible avant. Évidemment, ça prendra un engagement de l'employeur, mais, tu sais, les employeurs, il va falloir qu'ils se responsabilisent, parce que le retour en emploi, ça ne se fait pas en criant ciseau, ça se fait avec un plan personnalisé de réadaptation, un conseiller, un travailleur ou une travailleuse et son employeur.

Et, quand vous dites : Quand ça ne marche pas, ou qu'il s'en va en réadaptation, puis il n'a pas possibilité de reprendre son emploi, puis qu'on essaie de trouver un emploi convenable, par ailleurs, c'est là qu'il peut être laissé à lui-même pendant des années. Puis je suis convaincu qu'il y a des cas, il y a des cas où ça... les travailleurs reviennent rapidement dans le marché du travail, dans un emploi convenable qui respecte leurs capacités résiduelles de travail, alors que, d'autres, ça prend des années. Il ne faut surtout pas les oublier. C'est la raison pour laquelle on dit : Il n'y aura pas que la CNESST, mais il y a aussi les services publics d'Emploi-Québec, où on fait beaucoup d'accompagnement personnalisé, particulièrement, vous le savez, après la pandémie, pour aider les personnes à développer les qualifications pour répondre aux besoins du marché du travail.

Et, je vous assure, M. Lafrance, ces dispositions-là, elles seront appliquées, elles sont écrites, selon moi, de façon très limpide, et il va falloir que tout le monde se responsabilise. Parce que le principe auquel vous adhérez, de la prise en charge par le milieu, il ne faut pas que ça soit purement artificiel.

L'approche réglementaire, bon, la CNESST, je suis un peu d'accord avec... tu sais, il ne faut pas que tout soit réglementaire. Mais vous avez parlé de la liste des maladies professionnelles. Juste se rappeler que 67 % des réclamations où il y a une connotation psychologique découlent d'un trouble de stress post-traumatique, et c'est reconnu. Bon, on a actualisé la liste et on va permettre à un comité scientifique de nous guider pour enrichir la liste en s'appuyant sur les connaissances scientifiques et médicales. Et on a confirmé hier que ce comité-là aurait rapidement un mandat pour étudier l'impact de la pandémie, notamment, sur les emplois à prépondérance féminine et sur la santé mentale, aussi, des travailleurs. Mais je rappelle que le Protecteur du citoyenmentionne que l'approche réglementaire permettrait au régime de s'ajuster plus promptement à toute nouvelle donnée du monde médical pour assurer une réponse plus juste aux réclamations admissibles.

M. Lafrance, j'aimerais aussi vous entendre, hein, parce que je réalise tellement que la santé-sécurité, c'est un secteur qui polarise, là, il y a du pour, il y a du contre. Et on a consulté, ça fait des années que mes prédécesseurs, d'ailleurs, ont fait du travail de consultation puis que nous avons poursuivi. Je sais que le conseil... Puis, vous le savez, un conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre où il y a des représentants du marché du travail, vous allez me dire, c'est le monde syndical et patronal. Mais j'aimerais entendre votre opinion. Par exemple, les employeurs, puis là j'exclus que ce soit dans un environnement syndiqué ou non... Puis, ceci dit, M. Lafrance, j'ai énormément d'empathie pour les travailleurs non syndiqués qui ne sont pas dans des collectivités, qui ne se fient qu'à eux, souvent. Mais les employeurs nous disent, indépendamment qu'on soit en milieu syndiqué ou non... ils remettent en question la prépondérance du médecin traitant. Quel est... encore une fois sommairement parce qu'on manque de temps, puis on pourra sûrement se reparler, qu'est-ce que vous pensez de cette approche des employeurs de remettre en question la prépondérance du médecin traitant?

M. Lafrance (Roch) : Bien, écoutez, je vais passer la parole à M. Lapan là-dessus et sur votre question, aussi, sur les maladies professionnelles. Mais, avant de lui passer la parole, je veux quand même revenir, parce que vous m'avez interpellé là-dessus, sur toute la question de l'accompagnement avec Emploi-Québec. Nous, là, on est d'accord, ça fait des années qu'on dit qu'il faut que ça se fasse, que la CNESST paie, là. Ce n'est pas Emploi-Québec à payer pour ça.

Mais je veux quand même juste vous expliquer que, les emplois convenables à la CNESST, où il n'y a pas de formation — alors, je vous donne une panoplie, là, des pompistes, des voituriers, des commis de dépanneurs — c'est ça qu'on dit aux gens : Vous allez vous chercher ça, cet emploi-là. Alors, quand vous avez des limitations fonctionnelles importantes puis que vous vous cherchez un emploi de caissier de station-service, alors vous êtes en compétition avec des jeunes, là, qui n'ont pas d'expérience, mais qui n'ont pas de scolarité, mais qui sont en pleine forme. Alors, vous n'avez pas de chance. Et, peu importe qu'Emploi-Québec vous aide ou non, là, ça ne changera pas grand-chose.

Alors, le problème, il est là, c'est la détermination des emplois convenables. Et, pour des gens qui sont non qualifiés, des travailleurs manuels, là, qui n'ont pas travaillé avec un ordinateur toute leur vie, la CNESST dit : Non, je ne te retournerai pas à l'école un an, ça coûte trop cher. Alors, ça, c'est le vrai problème.

Mais je passe la parole à M. Lapan sur la question de la fameuse liste des maladies professionnelles et le BEM, là.

• (9 h 10) •

M. Boulet : O.K. Mais j'aimerais ça répondre, M. Lafrance, si vous me le permettez. Justement, on a mis en application un nouveau programme, là, d'aide par l'augmentation de la formation et on concerne... ça peut viser ces personnes-là, par exemple, pour les accompagner pour un retour en formation, pour avoir une formation complémentaire.

Puis vous le savez qu'on vit un phénomène de pénurie de main-d'oeuvre dans plusieurs secteurs, et il y a beaucoup d'emplois moins qualifiés, moyennement qualifiés, auxquels ces personnes-là pourraient avoir accès. Et ils vont bénéficier d'un parcours qui est personnalisé, un soutien financier, et une aide à une réintégration en emploi, et, pendant une période intermédiaire, un accompagnement pour de la formation, puis une assumation des frais de scolarité, des frais de déplacement et des frais de garde, là, le cas échéant, parce que, souvent, ces personnes-là ont des enfants. J'aimerais ça... peut-être rapidement, pour la liste, parce que je veux parle de déjudiciarisation avec vous autres avant de compléter...

La Présidente (Mme IsaBelle) : Je veux souligner qu'il ne reste qu'une minute.

M. Boulet : Est-ce que déjudiciarisation, M. Lafrance... Bon, écoutez, M. Lapan, oui, allez-y, je pourrai conclure après.

M. Lapan (Félix) : Bien, en tout cas, je voulais juste... Il y a plein de choses dont on pourrait parler, mais, si on y va juste sur la liste des maladies professionnelles, pour nous, là, c'est une illustration du fait qu'on n'est pas devant une modernisation du régime. On se retrouve avec une nouvelle liste qui va, dans les faits, rendre plus difficiles les maladies professionnelles qui engendrent des coûts à la CNESST. On n'est pas dans une logique de mise à jour en fonction de la science, on est dans une logique de mise à jour en fonction d'impératifs comptables, où on vient ajouter des conditions pour les surdités professionnelles, parce que des surdités professionnelles, c'est la maladie professionnelle, là, qui est la... qui représente le plus de dossiers.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, c'est tout le temps que nous avons. Alors, on vous remercie beaucoup. Vous allez pouvoir vous reprendre, là, vous avez... parce que nous cédons maintenant la parole au député de Nelligan qui dispose de 11 minutes.

M. Derraji : M. Lafrance, M. Lapan, merci beaucoup pour votre présence en commission, et la présence, et l'envoi de votre rapport, que je trouve très pertinent. Vous soulevez pas mal de points. J'ai suivi un peu vos prises de position depuis quelques jours, je partage pas mal de vos conclusions. Et j'étais extrêmement touché, quand j'ai entendu que c'est un projet de loi sans-coeur. Venir en commission parlementaire le dire, je pense que vous avez pesé vos mots, je pense que vous avez vu le pourquoi, et vous vous sentez interpelés de venir aujourd'hui devant les membres de la commission nous dire que c'est un projet de loi sans-coeur. Est-ce que vous pouvez élaborer pourquoi ce projet de loi est vraiment un projet de loi sans-coeur?

M. Lafrance (Roch) : Bien, un peu comme je l'ai dit en introduction, c'est un projet de loi qui s'attaque aux gens qui ont le plus besoin de protection, hein? Et l'objet de la loi, là, que ce soit la loi santé-sécurité ou la loi qui porte sur la réparation, l'objet de ces lois-là, c'est des lois d'ordre public, et l'objectif, c'est de protéger les travailleuses et les travailleurs, d'abord, dans les milieux de travail, au niveau de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Mais, lorsque la prévention n'a pas fonctionné, c'est de protéger les travailleurs au niveau de leurs revenus et de leur offrir des soins dont ils ont besoin pour qu'ils puissent retourner travailler. Alors, on s'attaque aux gens, au niveau de l'indemnisation, qui ont le plus besoin de protection. Alors, quand on dit que c'est un projet de loi sans-coeur... Et moi, je le dis, là, je ne vise personne puis je ne vise surtout pas le ministre, je sais que le ministre, là, il a bien d'autres dossiers. Puis on sait qui écrit la loi, c'est la CNESST. Alors, c'est... ça n'a rien de personnel.

M. Derraji : Oui, oui, je suis comme vous, moi, je ne prends jamais les choses personnel. Mais c'est pour nous éclairer en tant que membres de commission. Et on est amenés, au nom de cette commission, d'étudier le projet de loi, et je ne veux surtout pas entendre, comme membre de cette commission, que mon analyse ne prend pas en considération le point de vue des groupes, surtout que les travailleurs non syndiqués représentent 66 %, 66,3 % de nos travailleurs. Et vous représentez un point qui est extrêmement important, et c'est de là ma deuxième question : Est-ce qu'on vous a consultés en amont de la rédaction de ce projet de loi?

M. Lafrance (Roch) : Écoutez, la démarche, là, sur la modernisation a commencé en 2009. C'est le ministre Whissell, qui était ministre du Travail, qui a lancé... Et là ça s'est élaboré sur, maintenant, 11 ans et, évidemment, ça s'est fait devant des portes closes, bon, dans des forums qui existent, qui sont totalement légitimes, là, mais qui regroupent des grandes associations patronales et des associations syndicales. Et nous, on n'a pas de problème, là, tu sais, à ne pas être assis là. Ce qu'on reproche à toute cette démarche-là, c'est le secret. Ça s'est fait devant des portes closes. Les représentants qui négociaient là étaient obligés de garder le secret et les organisations syndicales n'avaient même le droit d'aller dire : On est en train de négocier ça.

Et, ce qui se passe, actuellement, parce qu'on... vous lisez les journaux comme moi, la réaction syndicale, actuellement, elle est très négative. Parce qu'ou bien le projet de loi représente ce qui a été négocié, mais ils n'avaient pas le droit d'en parler, donc leur base, hein... Comme dans n'importe quelle négociation. Quand on négocie une convention collective, on va présenter ça aux membres, puis les membres disent : Ça ne fait pas notre affaire, bon, ou bien ça ne représente pas les consensus, ou bien ça les représente, mais la consultation était biaisée à l'avance puisqu'ils n'avaient pas le droit de consulter leurs membres.

M. Derraji : Oui. M. Lafrance, je vous invite juste à être bref dans la réponse parce que je n'ai pas beaucoup de temps. Et j'ai tellement de questions, parce que j'ai aimé votre présentation.

Revenons aux faits que vous soulevez dans le projet de loi. Vous dites que... aucune modernisation, une lecture comptable versus la science, on donne plus de pouvoirs à la CNESST, on s'attaque aux personnes âgées. La liste des maladies professionnelles, vous ne voyez que... juste un pouvoir réglementaire à la CNESST. Vous critiquez le processus de réadaptation de l'assistance médicale que la CNESST vous offre. Est-ce que vous êtes en train de nous dire aujourd'hui que le projet de loi était très mal rédigé et qu'on doit revenir à la table de dessin pour écrire un vrai projet de loi moderne?

M. Lafrance (Roch) : Oui, tout à fait. Et, nous, ce qu'on dit, d'ailleurs, là, c'est que ça n'a pas de bon sens que cette réforme-là de 120 pages, hein, bien tassées porte sur les deux régimes. C'est deux choses totalement différentes, là. La prévention des lésions professionnelles dans les milieux de travail puis la réparation, c'est deux choses différentes. Et nous, là, on souhaite effectivement qu'il y ait...qu'on scinde le projet de loi, puis qu'on fasse des débats d'un côté puis de l'autre, et qu'on retourne à la table de dessin, là.

M. Derraji : Bien, merci de soulever ce point, parce que vous n'êtes pas le seul. Nous sommes rendus au mois... à vendredi, il y a beaucoup de groupes qui ont soulevé beaucoup de drapeaux. Une autre question par rapport au risque, à la notion du risque. Et j'imagine que vous avez des membres femmes, au sein de votre organisation, et beaucoup d'organisations représentant des femmes. J'ai entendu que c'est un projet de loi sexiste, j'ai entendu que c'est un projet de loi qui n'a pas pris en considération l'analyse ADS, il y a des groupes qui ont demandé et exigé l'ADS et l'ADS+. Est-ce que vous pouvez clarifier ce point de vue aux membres de cette commission? Et, comme vous pouvez le constater, il y a pas mal d'élues femmes autour de la table, donc ça serait bien que vous rameniez quelques clarifications, s'il vous plaît.

M. Lapan (Félix) : Oui. Je pourrais peut-être répondre à celle-là. Effectivement, je pense qu'une analyse différenciée selon le sexe aurait permis de voir que c'est une attaque, c'est un projet de loi qui attaque, de plusieurs façons, les droits des femmes. C'est un projet de loi qui va créer des obstacles au retrait préventif de travailleuses enceintes ou qui allaitent. C'est un projet de loi qui, dans les mécanismes de prévention, classe des métiers à prédominance féminine comme étant à risque faible, donc avec moins d'accès aux mécanismes de prévention.

Au niveau de l'indemnisation, là, il y a deux volets majeurs. Sur la question des travailleuses domestiques, on maintient la discrimination... vous irez lire qu'est-ce qu'on explique dans notre mémoire là-dessus, mais on maintient les mesures de discrimination envers les travailleuses domestiques et on rend plus difficile l'accès à la présomption pour les troubles musculosquelettiques, qui sont, comme par hasard, une maladie dont deux tiers des victimes, selon l'Institut national de la santé publique du Québec... affecte les femmes. Donc, on s'en va attaquer directement...

M. Derraji : Donc, M. Lapan, M. Lapan, concrètement, vos membres exigent ou demandent l'ADS ou l'ADS+ avant l'étude article par article. Est-ce que vous croyez que nous sommes habilités à commencer l'étude article par article avant l'étude ADS et l'ADS+?

M. Lapan (Félix) : Bien, ça, vous le déciderez, là. On n'a pas de revendication.

M. Derraji : Je demande votre point de vue. Vous êtes en train de nous dire que, ce projet de loi, certains articles s'attaquent aux femmes. Il y a des groupes qui ont vu ça, que c'est sexiste. Il y a même des regroupements de femmes qui constatent que c'est un recul, alors que le projet de loi parle d'une modernisation. Ma question est très simple : Est-ce qu'on peut commencer l'étude article par article sans avoir l'ADS ou l'ADS+, sachant que le Secrétariat à la condition féminine, par rapport au volet des lésions professionnelles, exigeait, depuis 2007, qu'on ne peut pas aller plus loin si on n'a pas l'ADS dans l'étude de nos projets de loi?

M. Lapan (Félix) : Bien, moi, je pense que ce serait très, très, très intéressant d'avoir une analyse différenciée selon le sexe, c'est évident. Puis...

• (9 h 20) •

M. Derraji : Merci beaucoup. Merci beaucoup. Combien de minutes il me reste, Mme la Présidente? Deux minutes? Excellent. Je vais passer à la judiciarisation. Vous soulevez, dès le début, que la judiciarisation est un réel problème et que les mutuelles de prévention placent les travailleurs dans des situations de David contre Goliath. Vous nous avez rapporté que cette commission, la même Commission de l'économie et du travail, avait étudié l'émergence d'une culture de contestation, à la suite de la création du BEM, donc le bureau d'étude médicale, et que la même commission recommandait la création d'un soutien spécifique pour les travailleurs. Ma question est très simple : Pensez-vous sincèrement que l'abolition de ce bureau entraînerait une amélioration?

M. Lapan (Félix) : Je peux répondre là-dessus aussi. C'est évident, là, il faut que le médecin traitant reste au centre du processus médical. C'est le médecin traitant qui est le mieux placé pour savoir quel est l'état d'une victime de lésion professionnelle, de quoi elle a besoin, comment elle évolue. Le système de contestation médicale, à la CNESST, là, fait en sorte que les gens se ramassent dans des expertises, contre-expertises, sont obligés... Les gens qu'on défend, là, ils n'ont pas de syndicat qui va payer leur expertise. Ils sont obligés de s'endetter auprès de leurs proches, ils sont obligés d'hypothéquer leur maison, de vendre leur voiture pour payer une expertise dans l'espoir de se défendre face au médecin expert de l'employeur.

Et, ce qu'on propose dans le projet de loi, il faut le regarder de près, mais c'est un... Ce qu'on propose, notamment, c'est de faire payer aux victimes les retards du système, hein? Parce qu'il y a... à partir du moment où le BEM, le Bureau d'évaluation médicale, ne serait pas capable de procéder et de produire un rapport dans les 120 jours, là, c'est 90 jours pour assigner le dossier, 120 jours, produire le rapport, eh bien, par défaut, dans ces cas-là, c'est la CNESST, le médecin de la CNESST, qui... On écarte l'avis du médecin traitant puis on... Le ministre, cette semaine, a dit, plus tôt : Bon, au BEM, c'est des arbitres médicaux, on les appelait des arbitres médicaux autrefois. Là, on nous propose, dans ce projet de loi là, un système où, si l'arbitre est en retard pour arbitrer le match, hein, bien, par défaut, la CNESST gagne. Ça n'a aucun sens.

La Présidente (Mme IsaBelle) : En conclusion. Il ne reste que 20 secondes. Quelle est la conclusion?

M. Derraji : M. Lafrance, M. Lapan, je vous laisse le mot de la fin, si vous voulez. Moi, j'ai vraiment aimé votre intervention. Avez-vous quelque chose...

La Présidente (Mme IsaBelle) : Il n'en reste plus. Il reste deux secondes. Alors, je vous remercie. Vous allez pouvoir vous reprendre. Nous poursuivons avec le député d'Hochelaga-Maisonneuve, qui dispose de 2 min 45 s.

M. Leduc : M. Lapan, M. Lafrance, très heureux de vous voir en commission parlementaire. Ce n'était pas acquis qu'on allait pouvoir vous entendre, vous êtes là, je suis content. Votre mémoire est impressionnant, 150 quelques pages, si je ne me trompe pas, une soixantaine de recommandations. Vous nous proposez, dans le fond, une autre réforme de la loi, hein? Il y a celle du ministre, et, avec toutes vos propositions, on pourrait quasiment réécrire un nouveau projet de loi qui serait substantiellement différent.

Puis je veux m'attarder sur quelques-unes... Le mot «aboli» revient souvent dans vos recommandations, à 1 et 2, notamment : «...droit de contestation de l'employeur sur toutes les décisions rendues en matière de réparation [...] soit aboli, sauf pour celles portant sur le financement»; recommandation n° 2 : «Que les mutuelles de prévention [...] soient abolies.» Un peu plus loin, on abolit aussi le BEM, on en a déjà parlé. On abolit la Direction de révision administrative pour la remplacer par quelque chose.

Il y a quelque chose qu'on dirait qu'on oublie, dans cette discussion-là, qui est le rapport de force entre l'employeur et le salarié, soit non syndiqué ou soit syndiqué. Vous, vous représentez des non-syndiqués. On imagine que le rapport de force est encore plus difficile pour un non-syndiqué. Est-ce que c'est un peu dans cette optique-là que vous voulez abolir le droit de contestation de l'employeur, les mutuelles de prévention, pour essayer de rééquilibrer un rapport de force qui est visiblement inégal en ce moment?

M. Lafrance (Roch) : Bien, c'est une partie de la réponse. Évidemment, le rapport de force est totalement disproportionné. Quand vous travaillez... vous êtes non syndiqué puis vous travaillez pour McDonald's par exemple, là, ou Walmart, là, bien, le rapport de force, là, oubliez ça. Et donc... mais, plus fondamentalement, vous, vous conduisez peut-être, en tout cas, probablement, une voiture, vous avez un permis de conduire, et moi aussi d'ailleurs. Et donc, si vous avez un accident, hein, puis la SAAQ vous indemnise, est-ce que... Moi, en tant que payeur au régime, hein, parce que c'est un régime d'indemnisation, est-ce que j'ai le droit d'aller me mêler de vos traitements? Est-ce que j'ai le droit de contester des décisions? Alors, nous, là, c'est ça qu'on remet en cause.

L'employeur, là, il est assuré avec la CNESST. Alors, la CNESST gère le régime. Puis on peut être d'accord ou pas avec comment il le gère, mais on ne voit pas pourquoi les employeurs s'arrogent ce droit de contrôler la vie des travailleuses et des travailleurs, hein? Et donc chaque prescription de pilules, chaque ticket d'autobus que la CNESST va payer, l'employeur a le droit de contester. Alors, évidemment, un système comme ça, là, ça fait en sorte que ça judiciarise. Les employeurs contestent, contestent, contestent. Eh bien, qui, qui paie au bout de la ligne? C'est les travailleuses et les travailleurs. Et je sais que le temps file.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Merci. Et le temps, effectivement, est déjà écoulé.

M. Leduc : Merci beaucoup. Merci à vous deux.

La Présidente (Mme IsaBelle) : C'est très bref, 2 min 45 s. Alors, nous poursuivons maintenant avec le député de Bonaventure.

M. Roy : Oui. Merci, Mme la Présidente. Bonjour, messieurs. Écoutez, je partage votre lecture de ce projet de loi là. Vous avez parlé de la CNESST comme étant un gestionnaire de fonds de pension. Quelques chiffres qu'on vient de tirer sur le site de la Caisse de dépôt : la CNESST a un actif de 18,1 milliards et une capitalisation de 124 %, ce qui fait qu'elle a un surplus de 3,6 milliards. Ce n'est pas des pinottes, et ça, dans un contexte où elle va avoir des pouvoirs réglementaires pour diminuer l'accessibilité à l'indemnisation.

J'ai lu une étude qui... bon, qu'une chercheure va présenter, tout à l'heure, sur les sans-abri à Toronto, où on dénote qu'à peu près 57 % d'entre eux, qui ont travaillé, avaient subi un accident de travail. Avec les nouveaux pouvoirs de la CNESST, est-ce qu'on ne peut pas risquer de voir une augmentation des sans-abri au Québec, une paupérisation d'une partie de la population qui a subi des accidents de travail, dans un contexte où il y a une capitalisation incroyable?

M. Lafrance (Roch) : Oui, bien, on en parle un peu, les drames humains, là, tu sais? Oui, il y a les sans-abri. Il y a aussi dans l'Ouest, hein? On parle beaucoup des régimes, la merveille des régimes, en Ontario ou en Colombie-Britannique, là, où est-ce qu'on a coupé plusieurs programmes. Mais, toute la crise des opioïdes, dans l'Ouest, là, il y a des études qui démontrent qu'il y a beaucoup de travailleurs accidentés, et les commissions d'accident du travail ont contribué à ça. Et donc de mettre du monde à la rue, hein, parce que c'est ça, là, tu sais, quand on refuse de traiter des gens, de les aider à se trouver un nouvel emploi... de mettre du monde à la rue, bien, ça génère ça et ça génère des coûts aussi pour la société. Alors, c'est un déplacement de coûts du patronat vers les services publics.

M. Roy : Les opioïdes, donc, on prescrivait aux gens, au lieu de les soigner, des antidouleurs, ce qui les a chronicisé vers une intoxication ou... C'est ça?

M. Lafrance (Roch) : Bien, écoutez, c'est parce que, si vous avez mal puis on vous retourne travailler alors que vous n'êtes pas prêt à aller travailler, puis votre médecin ne veut pas que vous alliez travailler, mais on vous coupe les vives, qu'est-ce que vous faites? Vous vous bourrez de pilules et, à un moment donné, bien, vous fonctionnez de même jusqu'à tant que ça ne fonctionne plus. Et donc, c'est ça, quand je parle d'un système sans-coeur, là, c'est vers des choses comme ça que ça mène, hein? On retourne le plus rapidement possible les gens au travail, et on est d'accord pour retourner rapidement possible, mais pas dans des conditions qui permettent que ces gens-là travaillent. Et donc, c'est un peu ça qu'on voit dans ce projet-là.

M. Roy : Merci infiniment, messieurs.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Merci, M. Lafrance, merci, M. Lapan pour votre contribution à l'avancement de la commission. Très apprécié.

Alors, nous suspendons quelques instants pour donner la chance au prochain groupe de se préparer. Merci.

(Suspension de la séance à 9 h 29)

(Reprise à 9 h 32)

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, bonjour. Nous poursuivons. Nous souhaitons maintenant la bienvenue aux représentants de Télétravail Québec.

Alors, je vous invite à bien vous présenter avant de commencer votre exposé.

Télétravail Québec (TQ)

M. Lemay-Leclerc (José) : José Lemay-Leclerc, je suis président de Télétravail Québec et je suis accompagné de mon collègue.

M. Santerre (Mathieu) : Oui. Mathieu Santerre, donc, conseiller pour Télétravail Québec, conseil externe. Voilà. Merci.

M. Lemay-Leclerc (José) : Parfait. Donc, tout d'abord, bonjour et merci, Mme la Présidente. Merci, le ministre du Travail et les membres de la commission, de nous entendre ce matin. J'aimerais également remercier le ministre du Travail ici présent d'avoir eu le grand courage d'ouvrir les livres de lois du travail après autant d'années d'inaction des autres gouvernements.

Télétravail Québec est un organisme à but non lucratif qui souhaite améliorer les conditions de travail des Québécois en partageant les meilleures pratiques concernant le télétravail. Comme on peut lire dans les journaux, depuis les derniers jours, la CNESST semble avoir des difficultés à faire appliquer l'obligation du télétravail. Nous espérons un peu que ce sera résolu sous peu, avec les conditions qu'on peut vivre.

Pour les changements qui peuvent... pour les chanceux qui peuvent travailler de la maison et jouir des avantages du télétravail, plusieurs d'entre eux vivent malheureusement certaines difficultés, des difficultés qui pourraient être largement atténuées si des mesures étaient en place afin d'encourager, voire forcer les employeurs à mettre en place des limites entre la vie privée et le travail, ce qu'on estime qui serait très important. Les lois actuelles sont applicables mais ne protègent pas suffisamment l'employé.

Encore une fois, l'employé ne peut se tourner vers la CNESST dans ce contexte puisque le droit à la déconnexion n'est pas défini adéquatement. En fait, il n'y a pas de statut juridique du télétravailleur dans la législation. Et, quand même, le droit à la déconnexion pourrait être appliqué en se fiant sur plusieurs lois. Ce seraient la Loi sur les normes du travail, le Code civil du Québec, la Loi sur la santé et la sécurité du travail et même la Charte des droits et libertés de la personne.

Donc, plusieurs demandes de rencontre ont été envoyées à divers ministères, depuis cinq ans, mais aucune n'a été répondue de façon favorable. Même avant la pandémie, le télétravail était déjà en forte croissance et aurait eu avantage à être encouragé et mieux encadré.

Pour ce qui est du projet de loi n° 59, quand il est arrivé à nos yeux, on n'a pas pu y lire du tout le mot «télétravail». On a rapidement vu que ce n'était pas mis de l'avant dans ce projet de loi là. Les télétravailleurs l'ont bien... Excusez-moi. Les télétravailleurs l'ont bien dit dans plusieurs sondages : une fois la pandémie terminée, ils désirent travailler de la maison, pour la plupart de façon hybride, et ce, pour différentes raisons.

Donc, en terminant, j'aimerais vous faire une lecture de nos recommandations : la première, que les parlementaires reconnaissent mieux le télétravail dans l'ensemble de leur travail législatif; la deuxième, qu'il soit clarifié que tout le régime de santé et sécurité au travail s'applique également en contexte de télétravail; la troisième, que le projet de loi soit amendé afin qu'une politique de télétravail soit rendue obligatoire pour les entreprises, notamment afin de prévoir des mécanismes de protection des télétravailleurs; la quatrième, en plus des travaux sur le projet de loi n° 59, que le gouvernement du Québec facilite l'accès à un service Internet haute vitesse en région afin de favoriser le télétravail dans les régions rurales du Québec; et la cinquième, que le gouvernement du Québec accorde un financement stable aux organismes appuyant les entreprises dans leur virage vers le télétravail afin de pouvoir continuer de soutenir les entreprises souhaitant adopter le travail à distance.

Donc, en conclusion, à l'instar de la politique en matière de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes rendue obligatoire par la CNESST depuis le 1er janvier 2019, Télétravail Québec recommande qu'une politique similaire soit rendue obligatoire pour les entreprises pratiquant le télétravail. De façon non exhaustive, cette pratique devrait prévoir des mécanismes de protection des travailleurs à plusieurs niveaux, dont l'ergonomie et le droit à la déconnexion. Donc, je vous remercie, je suis disponible pour vos questions.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Merci. Merci pour votre exposé, M. Lemay-Leclerc. Alors, effectivement, nous allons commencer la période de questions avec M. le ministre. Vous disposez de 16 min 30 s.

M. Boulet : Merci à Mme la Présidente. Merci, M. Lemay-Leclerc, M. Santerre. Le télétravail, en fait — vous êtes, je pense, le 27e groupe, là — vous êtes les premiers à nous interpeller sur ce sujet-là qui, pour moi, est un incontournable, hein, José, vous le savez. Ça existait, le télétravail, avant la pandémie, ça s'est accentué parce que c'est une organisation sanitaire du travail.

Et, dès le début de la pandémie, j'ai demandé au Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, où c'est là que s'exerce le paritarisme avec les syndicats puis les employeurs, de faire un comité de vigie, et le comité de vigie faisait des suivis dans tous les environnements de travail. Et les syndicats et les employeurs m'ont fait un rapport, puis vous en avez probablement obtenu copie, et, dans le rapport, ils disent effectivement que toutes les lois du travail, puis José, vous l'avez souligné... Puis j'apprécie, d'ailleurs, que vous ayez souligné le courage du projet de modernisation. Je pense que le télétravail, il est déjà dans les lois.

Ce que le conseil consultatif nous dit dans son rapport... Qu'on parle de congé, d'absence, d'environnement de travail, de santé-sécurité, de normes du travail, de Code du travail, tout demeure exactement comme c'est. Et ce que le conseil nous propose, cependant, c'est de recommander aux employeurs, comme vous le dites, d'adopter une politique en matière de télétravail. Et vous m'avez entendu, sur la place publique, José, à maintes reprises, le dire : un, de dire que c'est obligatoire, puis deux, que les employeurs doivent adopter une politique. Parce que le télétravail, ce n'est pas du paramétrique, ce n'est pas du mur-à-mur, il faut que ce soit adapté à la situation de chaque personne. Ça fait que, dans la politique, il faut que tu délimites les droits puis les obligations autant de l'employeur que du télétravailleur.

• (9 h 40) •

Puis que ce soit rendu obligatoire, je le répète... Puis, oui, il y a eu des difficultés avec la CNESST, puis je le reconnais. Au départ, les inspecteurs disaient : Ce n'est pas dans notre mandat. C'est maintenant bien compris que c'est dans leur mandat. Puis je vous dirais qu'à peu près sur une base quotidienne il y a des interventions des inspecteurs pour s'assurer que le mérite du télétravail soit bien compris. Et, s'il y a des employeurs qui l'interdisent systématiquement ou qui refusent de manière abusive ou déraisonnable, bien, il y a une intervention.

Ceci dit, vous dites : Bon, le télétravailleur qui le désire devrait pouvoir continuer. Mais il ne faut pas oublier de mentionner que le lieu de travail, ça fait partie du droit de gérance de l'employeur, là. Ça fait qu'il ne faut pas que chaque personne décide ce qu'elle va faire, il faut qu'il y ait une discussion puis il faut que l'employeur participe de façon prépondérante au processus décisionnel. Parce que ça dépend des jobs. Il faut tenir compte parfois de la possibilité d'aller vers une formule hybride. Puis, pour moi, la formule hybride, c'est la formule de demain : un nombre de jours en présence, pour la supervision — puis je vois, José, que vous êtes d'accord avec ça — puis un certain nombre de jours à la maison.

Politique de travail, ça relève d'une autre loi, la Loi sur les normes du travail, puis, vous l'avez bien souligné, José, comme en matière de harcèlement psychologique et, maintenant, sexuel, depuis le 1er janvier 2019, il y a une obligation. Il va falloir que nous fassions une réflexion.

Puis je sais que mon collègue d'Hochelaga-Maisonneuve est préoccupé par ça, le droit à la déconnexion, ça relève aussi — bon, lui aussi hoche de la tête — ...ça relève aussi de la Loi sur les normes du travail. L'hyperconnectivité, je lis beaucoup là-dessus, mais le droit à la déconnexion, il n'y a aucune juridiction qui réglemente ça en Amérique du Nord. Ça existe en France, je le sais. Mais il y a un comité d'experts qui a été formé au Canada, en 2019, qui concluait à la non-nécessité de réglementer le droit à la déconnexion. Il faut laisser aux parties, que ce soit en environnement syndiqué ou non, de délimiter les périodes de temps où il y a une possibilité de déconnexion, mais c'est vraiment du cas par cas, puis réglementer la déconnexion, José, ce n'est vraiment pas évident.

Internet à haute vitesse, bien, ça non plus, puis ça ne relève vraiment pas de la mission de mon ministère, comme le financement aux entreprises pour qu'elles s'adaptent au télétravail, ça ne relève pas non plus de ma mission. Mais soyez assurés que je mets énormément d'accent sur l'obligation du télétravail.

Puis j'attirerais votre attention, José, aux articles 49 et 51 de la loi santé et sécurité, qui prévoient que l'employeur est obligé de s'assurer que l'organisation du travail ne porte pas atteinte à la santé du travailleur. Donc, peu importe le lieu de travail, que ce soit dans un café, à la maison, ou à l'établissement, ou peu importe, donc, il y a une obligation aussi d'utiliser les techniques pour éliminer, contrôler et bien identifier les risques.

Puis on intègre en plus les risques psychosociaux, parce qu'en télétravail il y a beaucoup d'anxiété qui découle de l'isolement. Il y a une obligation de l'employeur de fournir un matériel sécuritaire, indépendamment du lieu où s'effectue le travail, obligation de faire de la formation, de la supervision. Même si c'est à l'extérieur, le travailleur, la même affaire, il a des obligations d'identifier les risques et, pour permettre à l'employeur d'aller contrôler, de s'assurer qu'il soient bien identifiés.

Le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre est mon meilleur guide, et à ce jour, là, puis je parle avec tous les syndicats puis tous les patrons à toutes les semaines, on est dans la bonne direction. Et la CNESST va cependant, José, puis je retiens beaucoup ça, là, faire des guides de bonnes pratiques, là, autant pour les télétravailleurs que les employeurs, bien identifier les risques possibles reliés au télétravail, faire les ajustements ergonomiques.

Je veux simplement vous dire à tous les deux qu'on est évidemment sensibles, et je pourrais vous parler pendant deux heures et demie parce que le télétravail, je le favorise. Puis sachez qu'à mon ministère, puis quand le président de la FTQ m'appelle pour me dire : Oui, mais, dans tel ministère, c'est un peu asymétrique, j'appelle mon collègue, on rectifie le tir et tout le monde fait des efforts colossaux pour permettre au télétravail de s'effectuer, particulièrement pendant la pandémie. Et je dis, José, à tous les médias qui me le demandent, qu'est-ce que vous prévoyez dans l'avenir : Je crois que le télétravail va se pérenniser. Mais je réitère souvent que la formule hybride, c'est ce que j'anticipe.

Puis j'ai eu des discussions, encore récemment, avec le directeur général de l'Organisation internationale du travail, puis il me confirmait que ce que nous faisions au Québec en matière de télétravail était avant-gardiste et vraiment prometteur. Et il sera à Montréal, de façon virtuelle, bientôt, et il va me donner l'opportunité de partager nos pratiques au Québec en cette matière, en matière de télétravail.

Est-ce que... Puis là j'ai parlé beaucoup, là, parce que c'est un sujet qui me préoccupe beaucoup. José, si vous aviez une recommandation spécifique, spécifique pour notre projet de loi, là... J'ai compris la politique et la déconnexion, et ça relève de mon ministère, mais est-ce qu'il y a une recommandation spécifique que vous nous feriez?

M. Santerre (Mathieu) : Si tu permets, José, je pourrais commenter, puis...

M. Lemay-Leclerc (José) : Oui. Allez-y.

M. Santerre (Mathieu) : ...vous me corrigerez, comme président, s'il y a lieu. Merci à M. le ministre. Je pense que vous comprenez très bien que le télétravail est dans les lois mais même si les contours sont plus difficilement applicables, parfois. Vous comprenez aussi que nos recommandations à l'égard du régime de protection sont neutres, hein? Il y a eu beaucoup de débats publics sur divers aspects.

Nous, vraiment, la politique de télétravail, c'est une recommandation qui nous importe. On voit que vous souhaitez que les entreprises, les employeurs en général en adoptent une. Bien, notre recommandation, c'est de les forcer à le faire et non pas de leur recommander.

Vous savez comme moi que ce n'est pas demain matin qu'une loi de l'ampleur de celle que vous étudiez aujourd'hui va être présentée à nouveau, et je serais vraiment très surpris que le personnel de l'Assemblée vous dise que le principe du projet de loi interdit d'introduire l'obligation d'une politique de télétravail, ce qui est aussi une question de santé et sécurité, physique et mentale, je vous dirais, pour ce qui est des employés.

Donc, si vous nous invitez à suggérer des améliorations à votre projet de loi, je crois que de passer d'une politique sur le télétravail... d'optionnelle à obligatoire, avec les adaptations que vos légistes y trouveront, surtout dans le contexte pandémique, là, avec l'urgence que ça y apporte, bien, on pense que ça pourrait être une amélioration notable à votre pièce législative.

M. Boulet : ...

La Présidente (Mme IsaBelle) : Votre micro, oui.

M. Boulet : ...les tenants et aboutissants d'une politique puis les droits et obligations du télétravailleur puis de l'employeur sont déjà dans les lois, et donc ces droits et obligations-là devraient être reproduits dans une politique que chaque employeur pourrait mettre en vigueur.

Encore une fois, il faut que je redise que ça fait l'objet d'un autre débat. Obliger un employeur d'adopter des politiques, ça relève de l'application de la Loi sur les normes du travail, comme pour le harcèlement psychologique et sexuel. Mais c'est certainement une discussion que j'aurai avec mes collègues dans un réexamen ou une révision de la Loi sur les normes du travail.

Mais soyez assurés que je vais constamment réitérer... puis d'ailleurs les syndicats puis les employeurs me disent la même chose : Continuez de le réitérer comme vous le faites, c'est parfait, puis il y a de plus en plus d'employeurs qui vont réaliser que le contenu de la politique, ce n'est pas compliqué, là, il est dans la loi.

Puis ce qu'on pourra faire, Mathieu, c'est de demander à des associations, notamment la CNESST, peut-être, de faire des projets ou des guides pour permettre aux employeurs d'élaborer des politiques en matière de télétravail. Et je sais aussi, Mathieu, puis vous le savez probablement, la CRHA, là, la corporation des conseillers en ressources humaines agréés, qui est d'ailleurs venue présenter un mémoire devant notre commission, a déjà un projet de politique de télétravail, puis ça a été diffusé, là, de façon très, très large au Québec.

Écoutez, je pense que je dois conclure, faute de temps suffisant. Je veux vous dire merci de votre présence, puis je suis content que vous soyez présents. Je vous remercie de votre engagement, parce qu'ultimement le télétravail, ça aura été une nouvelle... La pandémie, s'il y a des opportunités qui découlent, malheureusement, de cette circonstance-là, c'est de faire réaliser au monde du travail, à l'échelle planétaire, que c'était une façon, puis, bon, qui est parfois décriée... Il y en a qui disent : Ça génère des problèmes d'efficacité ou ça diminue la productivité, mais moi, j'ai eu beaucoup plus de témoignages, puis la littérature que j'ai lue, c'est que c'était bénéfique pour l'efficacité ainsi que pour la productivité. Encore une fois, ça varie d'un emploi à l'autre, d'une responsabilité à l'autre, mais, de façon générale, c'est apprécié, puis il faut continuer d'aller de l'avant, puis il faut que la société québécoise soit perçue... et soit réellement un environnement sophistiqué en matière de télétravail.

Puis je vous le dis, là, la CNESST est embarquée dans le train puis on va continuer. Il y a des cultures nouvelles à développer, puis on va compter sur votre collaboration, bien sûr, pour aller de l'avant. Merci beaucoup, José. Merci, Mathieu. Puis au plaisir de vous reparler ou de vous rencontrer bientôt. Merci.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, merci. Nous poursuivons l'échange avec le... député — pardon — de Nelligan. Vous disposez de 11 minutes.

M. Derraji : Oui. Merci, Mme la Présidente. Donc, merci, messieurs, pour le rapport, M. Leclerc, M. Santerre, pour votre présence. Et merci de venir nous rappeler que le mot «télétravail» n'a eu aucune occasion d'être cité dans l'ensemble des 120 pages du projet de loi. Première question : Est-ce que c'est, selon vous, un oubli ou bien le projet de loi était rédigé avant la pandémie?

M. Santerre (Mathieu) : Bien, on ignore le moment où le projet de loi a été écrit, évidemment, mais, comme vous le sentez bien, on le souhaiterait, on souhaiterait qu'il y ait une mention, ne serait-ce que dans une énumération non limitative, qui pourrait nous permettre d'aller plus loin vers une politique du télétravail dans toutes les entreprises, notamment, là.

• (9 h 50) •

M. Derraji : Mais je comprends votre réponse, mais, quand on parle moderniser — je réfléchis avec vous, parce que moi aussi, je n'ai pas la réponse — ...quand on parle moderniser une loi... Quand on dit aux Québécois, depuis le mois de mars, de faire du télétravail, de travailler de chez eux, que le télétravail est obligatoire et que, même si les gens n'aident pas les employés à faire du télétravail pour aplatir la courbe, il y a des mesures, donc, on parle du télétravail d'une manière extrêmement forte depuis le début de la pandémie. C'est pour bientôt une année.

Ce projet de loi a été déposé au mois d'octobre, ça veut dire au milieu de la pandémie, au milieu... où tous les Québécois, ils ont déjà vécu la première vague. Et qu'aujourd'hui... Le projet de loi a été déposé au mois d'octobre ou en novembre, j'ai oublié la date, mais, bref, ça a été déposé à l'automne. Et qu'aujourd'hui vous venez nous parler et nous dire : Écoutez, MM. les députés et les élus, vous avez un projet de loi devant vous qui ne prend en aucune... d'aucune façon la notion du télétravail... C'est quoi, le message qu'on envoie aux gens qui croient au télétravail?

M. Santerre (Mathieu) : Je peux dire un mot et puis peut-être José, par la suite. Mais on comprend très bien les préoccupations des légistes, qui ne souhaitent pas improviser un projet de loi sur les normes du travail dans le contexte du projet de loi n° 59. On comprend très bien. Cela étant dit, la réalité du télétravail nous frappe aujourd'hui avec beaucoup d'acuité, alors ce serait, il nous semble, une belle opportunité pour clarifier que le télétravail est bien couvert par tout le régime et, par ailleurs, bien, rendre obligatoire une politique sur le télétravail. Maintenant, je crois que mon président pourrait ajouter quelque chose là-dessus.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Je pense que c'est son micro... il faudrait qu'il allume son micro.

M. Lemay-Leclerc (José) : Oui, merci. Bien, donc, effectivement, le fait de ne pas avoir le terme «télétravail» dans le projet de loi, ça pourrait... ça laisse croire que le télétravail n'est pas une priorité. Je pense que ce serait un minimum de l'inclure au projet de loi, ce serait un peu une forme de promotion. Puis évidemment, dans un monde idéal, s'il pouvait y avoir davantage d'éducation du gouvernement, à travers non seulement les lois, mais leurs sites Web, les normes du travail et toutes les autres, ça pourrait aller beaucoup plus loin mais afin de montrer aux entreprises, aux employeurs que le télétravail sera vraiment une réalité et non seulement une façon de réduire la pandémie, là.

M. Derraji : Oui. Oui, c'est très clair. Donc, pour vous, aujourd'hui, au-delà des belles paroles, qu'on demande aux Québécois de faire du télétravail, notamment lors des points de presse du premier ministre, faites du télétravail, faites du travail, aujourd'hui, vous venez nous dire, en commission parlementaire qui étudie un projet sur la sécurité, qui veut moderniser un régime de la sécurité et santé au travail, de passer des belles paroles aux actes et d'inclure le télétravail dans le régime de santé et sécurité au travail. Est-ce que j'ai bien compris votre demande?

M. Lemay-Leclerc (José) : C'est exact, oui.

M. Derraji : Excellent. Je vous remercie aussi par rapport aux cinq recommandations, notamment celle par rapport à l'Internet haute vitesse. Je comprends que ce n'est pas le dossier ni le sujet de notre commission, mais c'est un dossier qu'on suit beaucoup, par rapport à l'Internet haute vitesse, surtout en région, pour favoriser le télétravail. Sur ce point, vous avez raison.

L'autre point, vous voulez que le projet de loi... qu'il soit clarifié que tout le régime de santé-sécurité au travail s'applique également en contexte de télétravail. J'imagine que vous avez lu les 120 pages ou les 200 pages, les 300 articles. Est-ce qu'il y a des articles où vous êtes... où vous avez vu que, s'il n'y a pas la notion du télétravail, bien, ça va être très difficile pour le travailleur de prévaloir ses droits? Est-ce que vous avez quelque chose en tête qui vous a un peu interpelés?

M. Santerre (Mathieu) : Je peux peut-être apporter un début de réponse, peut-être. Sans nécessairement pointer un article précis, là, c'est clair qu'il y a tout un paquet de situations dont les contours sont plus flous quand on est en télétravail. Que ce soit l'endroit, physiquement, où vous êtes, hein — regardez ici — que ce soit... c'est en lien avec la déconnexion, mais que ce soient les requêtes à l'extérieur des heures normales de travail, que ce soient des dispositions qui pourraient traiter du harcèlement puis de tout autre, là, je dirais, phénomène malheureux, il y a vraiment beaucoup de contours qui sont plus flous quand on est à distance. Il y a beaucoup d'avantages aussi, mais il y a des contours qui sont plus flous.

Peut-être qu'un article, je vous dirais, plus général, qui spécifie que le contexte d'application du régime n'est pas uniquement dans un lieu physique séparé de la résidence puis que ça vise aussi le télétravail... peut-être que ça pourrait être contributif. Mais donc c'est un peu ce que je vois, pour répondre de façon très technique à votre question. Voilà.

M. Derraji : Mais, sérieux, le but ce n'est pas vous poser une question technique. Mais vous avez le temps, en attendant le début de nos travaux sur l'étude article par article, en fait, notre relation ne s'arrête pas aujourd'hui en commission parlementaire.

M. Santerre (Mathieu) : D'accord.

M. Derraji : En fait, la demande que je vous envoie... Je suis extrêmement touché par rapport à votre rapport, et vous êtes le premier groupe qui nous interpelle par rapport à cette problématique. N'hésitez pas, parce que je sais que le temps... et les groupes n'ont pas eu beaucoup de temps pour analyser le projet de loi, qui est quand même un énorme projet de loi. Je vous invite à avoir cette lecture, et, si vous voyez des articles où vous avez vu que le législateur a omis de faire quelque chose, n'hésitez pas à les transmettre aux membres de la commission. On fera le travail, on va questionner le ministre par rapport à ces aspects.

Donc, je vous remercie. Je pense que mon collègue le député de Robert-Baldwin aussi a des questions pour vous. Je vous remercie, messieurs, pour votre présence.

Une voix : Merci beaucoup, M. le député.

Une voix : Merci. C'est promis.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, la parole est au député de Robert-Baldwin, oui.

M. Leitão : Oui. Pour combien de temps, Mme la Présidente?

La Présidente (Mme IsaBelle) : Votre son est un peu faible, peut-être le mettre un peu plus...

M. Leitão : Pardon. Pour combien de temps? Excusez-moi.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, il vous reste 3 min 40 s.

M. Leitão : Bon, je vais parler vite. Excusez-moi, j'ai un peu la voix prise. Messieurs, bonjour. Merci, merci d'être là. Le télétravail, le ministre nous l'a dit, et je pense que, sur ça, il a raison, il y a beaucoup de... un peu de... ce qui concerne les normes du travail, ce n'est pas l'objet de ce projet de loi, mais il y a beaucoup de choses qui concernent le télétravail, et qui peuvent, et qui doivent être incluses dans ce projet de loi.

J'ai deux questions. Je vais commencer par la première, bien sûr, et cela concerne l'exemplarité de l'État. Donc, télétravail, ça a été décrété par le gouvernement en période de pandémie, ça s'applique bien sûr à l'État lui-même. Les employés de l'État, c'est le secteur tertiaire, c'est les services, donc c'est propice, vraiment, au télétravail. Pensez-vous ou jugez-vous que les politiques de télétravail, les procédures de télétravail, à l'intérieur même de l'appareil public, sont connues, sont efficaces? Quelle est, un peu, votre opinion là-dessus?

M. Santerre (Mathieu) : Bien, je peux peut-être amorcer. Les débats dont on a entendu parler dans les dernières heures, même, relativement au télétravail à l'intérieur de l'État, qui, oui, bien sûr, doit être exemplaire à tout égard, ça démontre bien la difficulté, parfois — et ça inclut le secteur privé — la difficulté que la directive ou la recommandation... que ça percole jusque sur le terrain. Donc, ça vaut pour l'État, ça vaut pour les entreprises. Alors, quand on recommande qu'il y ait des politiques de télétravail qui soient obligatoires et que ça soit clair pour tout le monde, qu'est-ce qu'on doit faire avec ça, est-ce qu'on doit en faire et à quelles conditions, bien, ça s'applique aussi à l'État comme employeur.

• (10 heures) •

M. Leitão : Parfait. Oui, bien sûr, c'est là où je voulais arriver. Parce qu'en effet il faut que ces règles soient... et même si ça ne relève pas directement du ministre du Travail, mais à l'intérieur du Conseil des ministres. Parce que le ministre du Travail doit porter ce ballon et il doit s'assurer que ses collègues des autres ministères et de son propre ministère suivent ces règles-là.

Une autre chose. Le télétravail, on n'a pas... on ne peut pas deviner l'avenir, mais une tendance qui va probablement se manifester, c'est qu'on va migrer vers un système encore plus hybride où les gens pourront travailler à la maison et au bureau, mais le bureau, le bureau, entre guillemets, de l'avenir va être différent. Il y aura probablement toute une série de bureaux satellites qui va être créée. Donc, cette espèce de travail, de télétravail partiel, comment est-ce que vous voyez ça? Est-ce que c'est quelque chose qui peut faire avancer, disons, la cause du télétravail ou ça risque de compliquer davantage la situation?

M. Lemay-Leclerc (José) : Oui. En fait, quelques mois avant la pandémie, le gouvernement fédéral avait déjà mis en place un grand projet de télétravail pour les employés fédéraux, et ça incluait une très grande utilisation des tiers lieux. C'était vraiment un projet très novateur, et ça donnait une très grande influence aux employeurs. Et j'en avais entendu énormément parler, c'était vraiment majeur, et ça a été certainement une très bonne idée qu'ils ont eue de faire ça. Évidemment, avec la pandémie qui est arrivée juste après, ça a pu les préparer... et avoir tout en place afin de, finalement, permettre aux employés de travailler de la maison et même à travers des tiers lieux qui, peut-être, étaient mieux adaptés à avoir une distanciation, là, que certains bureaux.

M. Leitão : Oui, tout à fait. Et je pense que je termine avec ça, Mme la Présidente, mais, si on est ici aujourd'hui, si on parle tellement de télétravail aujourd'hui, c'est, bon, la pandémie, bien sûr, mais aussi parce que la technologie le permet maintenant. Si on avait cette conversation il y a cinq ans, il y a 10 ans, elle serait très différente. La technologie, maintenant, le permet. Par exemple, je pense aussi que c'est à nous tous mais à l'État, au ministère du Travail, au ministre du Travail, de faire un suivi des nouvelles technologies, parce qu'elles peuvent être très performantes, mais elles peuvent être aussi très invasives.

Et là on parle de droit à la déconnexion, et tout ça, «Big Brother» qui vous surveille tout le temps. Mais la technologie se raffine au jour le jour, et il y a des aspects extrêmement positifs et enthousiasmants là-dessus, mais il y a des aspects, aussi, troublants. Alors, une loi de modernisation de santé et sécurité au travail doit comprendre des mesures de contrôle de la technologie, parce que c'est comme... Est-ce que c'est un sujet que votre association regarde aussi?

M. Lemay-Leclerc (José) : Effectivement, c'est vraiment là-dessus qu'il faut qu'on mette des règles. On comprend que ça peut être quand même très complexe, mais qu'un certain effort serait au moins nécessaire pour, au moins, commencer et mettre certaines balises pour que ça soit... que ça ait vraiment un effet intéressant, là, sur la sécurité et la santé, là, surtout psychologique, là, des télétravailleurs, là.

M. Leitão : C'est fini, hein?

La Présidente (Mme IsaBelle) : Bien, et depuis longtemps. Alors, nous poursuivons.

M. Leitão : Je compense pour mon absence du début. Merci, madame. Merci, messieurs.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, nous poursuivons avec le député d'Hochelaga-Maisonneuve. Vous disposez de 2 min 45 s.

M. Leduc : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, MM. Santerre, Lemay-Leclerc. Télétravail, un sujet important, un sujet central pour la présente année, pour l'avenir aussi. Moi, j'avoue que je n'apprécie pas particulièrement l'approche du ministre sur ce sujet-là, que je qualifierais peut-être d'attentiste, où on a l'avis du CCPM, mais qu'on laisse voir la suite. Ça m'inquiète surtout par rapport à... Il y a toutes sortes de volets, là. Puis d'ailleurs on ouvre la Loi des normes du travail, dans le cadre du projet de loi, là, il y aurait tout à fait pertinence d'ajouter des éléments là-dessus.

Puis je trouve que c'est attentiste parce que, d'un côté, on dit : Oui, il faut que les gens négocient les politiques, mais, à ma connaissance, il n'y en a à peu près pas qui se sont négociées, dans les derniers mois. En tout cas, c'est l'écho que je reçois des centrales syndicales, à moins qu'on trouve le contraire, au ministère. Mais l'appel n'a pas été entendu. Et attentiste aussi dans le sens où on espère peut-être que la jurisprudence ou que les tribunaux qui auront peut-être à se pencher sur le sujet... Bien, c'est ça, bien, ils s'arrangent avec ça, puis ils se dépatouillent, puis on verra ce que ça donne, alors qu'on pourrait, au contraire, faire de l'effectivité du droit puis adopter des normes ici.

Puis, pour le volet santé-sécurité, qui nous intéresse aujourd'hui, toute la question tourne alentour de... le lieu de travail. Parce que c'est le patron, normalement, qui a la responsabilité de s'assurer de la sécurité de votre environnement de travail, mais là, si c'est chez vous, ça entre en conflit avec le concept de la vie privée. Où trancher?

Et puis il y a une belle recherche de Rachel Cox, Jacques Desmarais et Katherine Lippel, c'est des professeurs d'université — on a entendu Mme Cox, il y a quelques jours, et on entendra Mme Lippel tantôt — ils ont trouvé que la législation de la Colombie-Britannique... ont circonscrit quand même la chose, dans quel cadre on peut venir chez soi pour encadrer votre environnement de travail. Je ne vous lis pas tous les détails, mais il y a toutes sortes de motifs qu'on donne : il faut que la personne y consente, il faut que la commission ait donné un préavis de 24 heures ou que l'accès ait été ordonné par un mandat, etc. Avez-vous réfléchi, vous, à ce volet-là de l'environnement de travail qui doit être sécuritaire, mais responsabilité de l'employeur, mais c'est chez vous? Où on tranche par rapport à ça?

M. Lemay-Leclerc (José) : De mon côté, en fait, c'est sûr qu'il y a une grande différence. Il faut comprendre, avec le télétravail qu'on vit maintenant, en temps de pandémie, et le télétravail qui devrait être appliqué... parce que beaucoup de monde, là, font vraiment un lien, et le télétravail qu'on vit vraiment maintenant, en pandémie, souvent, c'est fait de façon rapide, et ce n'est pas adapté. Donc, c'est sûr qu'avoir un bureau adapté avec, vraiment, le temps de prendre en compte tous les aspects de santé et sécurité qu'il devrait y avoir, soit à la maison ou dans un tiers lieu, bien, ça permet d'avoir des bien meilleures pratiques et un travail beaucoup plus efficace, là, pour l'employeur.

M. Leduc : C'était toute la question des... C'est terminé, Mme la Présidente?

La Présidente (Mme IsaBelle) : Je peux vous donner quelques secondes de plus.

M. Leduc : Fort rapidement. La question des logiciels de microsurveillance, entre autres chez Desjardins, si je ne me trompe pas, où la caméra est ouverte en permanence, puis, si vous n'êtes pas en train de clapoter, il y a une alerte qui se met à votre gestionnaire, c'est comme inquiétant, ça. Est-ce que vous avez une position par rapport à ça?

M. Lemay-Leclerc (José) : C'est sûr qu'on est contre ça. Ce n'est pas des pratiques qui devraient être faites, tant en présentiel qu'à distance. Il faut qu'il y ait davantage des pratiques plus compréhensibles avec l'employé. Et ce n'est pas de la liberté, mais c'est vraiment une façon de gestion qui devrait être adaptée à ça, c'est sûr. Mais le mot-clé, c'est vraiment l'équilibre, là, il faut qu'il y ait vraiment un bel équilibre dans le mode de travail, selon, un peu, les tâches qui sont à faire.

M. Leduc : On va travailler là-dessus, messieurs. Merci beaucoup.

Des voix : Merci.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, merci pour l'échange. Nous poursuivons avec le député de Bonaventure. Vous disposez également de 2 min 45 s.

M. Roy : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Lemay-Leclerc et M. Santerre. Écoutez, le ministre préconise le laisser-faire. Pourtant, c'est une nouvelle réalité qui est de plus en plus importante dans le monde du travail. Le télétravail comporte des avantages, hein? Bon, j'ai une liste ici : production accrue, diminution de stress, flexibilité dans l'organisation du travail, diminution des gaz à effet de serre, etc. Pourtant, les employeurs, actuellement, souhaitent favoriser cette pratique, mais, étant donné qu'il y a un vide et qu'il n'y a pas d'environnement normatif, on ne statue pas sur les droits du travailleur, etc., bien, ça crée une petite forme de réticence, chez les entrepreneurs, à pérenniser ce mode de travail là.

Donc, actuellement, bon, chaque municipalité a sa propre réglementation. Est-ce que vous considérez que, si le ministre réglementait et, bon, statuait sur les droits du travailleur en télétravail, il y aurait une pérennisation de ce mode de travail là? Puis ça améliorerait quand même les conditions de vie d'un nombre important de travailleurs au Québec.

M. Lemay-Leclerc (José) : Bien, c'est clair que, s'il y avait des gestes dans la direction d'une clarification, voire d'une obligation d'avoir des politiques de télétravail plus claires, c'est sûr que ça pourrait avoir un effet positif partout. Cela dit, bien sûr, notre rôle à nous ici n'est pas de blâmer personne. Nous, on est plutôt contents qu'il y ait le projet de loi n° 59 pour avoir la chance de venir vous parler de télétravail, mais effectivement il y a une opportunité là, qu'on a avec le projet de loi, la pandémie, votre réceptivité d'aujourd'hui, pour adopter quelque chose de plus clair pour le télétravail.

M. Roy : Mais vous comprenez que, dans un contexte comme celui-là, on va avoir un nombre important de propriétaires d'immeubles commerciaux, avec des bureaux, qui ne la trouveront pas drôle, hein? Ça fait que vous comprenez qu'il y a quand même des lobbys qui se manifestent, actuellement, pour un retour au travail au bureau dans un contexte où les travailleurs sont en train de goûter à ça et d'aimer ça. C'est pour ça que c'est important, à un moment donné, de comprendre la nouvelle réalité qui se propose à nous. Merci beaucoup, messieurs. Il reste-tu du temps, Mme la Présidente?

La Présidente (Mme IsaBelle) : Oui, un petit 40 secondes.

M. Roy : Ah! bien, allez-y, messieurs. Donc, qu'est-ce qu'on pourrait faire pour influencer le ministre actuellement?

M. Lemay-Leclerc (José) : Moi, je pourrais ajouter que c'est sûr que le milieu immobilier, le milieu du transport peut être très... énormément impacté par le télétravail, mais que, justement, si c'est appliqué de façon hybride, équilibrée, il pourrait y avoir une très bonne utilisation du transport et des immobiliers, voire que ça peut être même meilleur qu'avant, là. On ne parle pas nécessairement d'expansion ou d'étalement urbain, mais ça serait une meilleure utilisation des territoires, ça, c'est certain, et ça aurait un très bon avantage, un très bon impact sur l'économie, là, j'en suis certain.

M. Roy : Donc, la diminution du trafic via une alternance du travail qui serait synchronisé ou des travailleurs qui peuvent aller dans leurs bureaux, tels jours, et d'autres catégories, tels jours, donc, ça améliorerait les conditions de vie dans les centres urbains, sûrement?

M. Lemay-Leclerc (José) : Ah! l'utilisation des transports actifs, par exemple, là... Mais il faut vraiment contrer l'isolement, ce n'est pas l'isolement qui est la solution pour le travail. Peut-être pour la pandémie, mais pas pour le travail.

M. Santerre (Mathieu) : Prenons simplement le phénomène des espaces de travail partagés, qui serait certainement bien vu par les lobbys dont vous parlez, puis c'est à l'extérieur du domicile, par ailleurs, mais on est en télétravail.

M. Roy : C'est sûr qu'ils nous écoutent, et ils ont compris. Merci beaucoup, messieurs.

La Présidente (Mme IsaBelle) : C'est bien, je vous remercie. Alors, merci, M. Lemay-Leclerc et M. Santerre, pour votre contribution à la commission.

Nous suspendons quelques instants, le temps d'accueillir le prochain groupe. Merci.

(Suspension de la séance à 10 h 10)

(Reprise à 10 h 20)

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, nous poursuivons. Nous accueillons, cette fois-ci, la professeure Mme Baril-Gingras et la Pre Riel. Je vous invite à vous présenter et ensuite à commencer votre exposé.

Mmes Geneviève Baril-Gingras et Jessica Riel

Mme Baril-Gingras (Geneviève) : Merci. Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, bonjour. Je suis professeure titulaire au Département des relations industrielles de l'Université Laval et je suis accompagnée par la Pre Jessica Riel.

Mme Riel (Jessica) : Bonjour. Je suis professeure agrégée au Département de relations industrielles à l'Université du Québec en Outaouais, ergonome et responsable de l'équipe de recherche interdisciplinaire sur le travail Santé Genre Égalité.

Je vous remercie de nous permettre d'exposer les points saillants du mémoire que nous avons préparé. Ce mémoire est le résultat d'un travail collectif immense auquel ont contribué 14 chercheuses de six universités québécoises, et ce, dans un contexte de télétravail avec la famille. Rappelons que les membres de l'équipe SAGE, dont la plupart sont également membres du Centre de recherche interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la société et l'environnement, le Cinbiose, cumulent plus de 30 ans d'études sur des questions liées à la santé et au travail des femmes, qui sont reconnues et citées à travers le monde.

Le coeur de notre mémoire porte sur l'analyse des effets potentiels du projet de loi sur la santé des femmes et des travailleurs et travailleuses en situation de vulnérabilité. Pour ce faire, nous nous sommes basées sur une approche écosystémique interdisciplinaire et suivant les principes d'une analyse différenciée selon les sexes. Nous émettons 49 recommandations concrètes et constructives qui s'appuient sur l'état des connaissances scientifiques, l'analyse de l'effectivité des dispositions légales et de nombreuses expériences de recherche interventions en milieu de travail et menées par les membres de l'équipe SAGE. Je laisse la parole maintenant à Mme Baril-Gingras.

Mme Baril-Gingras (Geneviève) : Merci. Alors, le projet de loi n° 59 comporte certaines améliorations en matière de prévention, telles que l'inclusion explicite d'une obligation de prévention de la violence, des risques dits ergonomiques et des risques psychosociaux et l'extension de l'application du programme de prévention et des mécanismes de participation. Cependant, des inégalités sociales et de genre sont maintenues en matière de prévention. De même, l'essentiel des modifications à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles constituerait des reculs et aurait des effets particulièrement négatifs pour les femmes.

Nous souscrivons aux recommandations que formulera la Pre Katherine Lippel, que vous recevrez. Faute de temps, nous nous concentrerons sur la prévention, mais nous souhaitons souligner nos recommandations concernant les travailleuses domestiques, soit de supprimer du projet de loi la définition de «travailleur domestique» et de considérer sans distinction ces personnes comme des travailleurs au sens de la loi, donc de supprimer l'exclusion basée sur le nombre d'heures travaillées, et toute exclusion totale ou partielle, et tout traitement différencié. D'autres recommandations concernent les travailleuses embauchées par l'entremise du chèque emploi-service.

Donc, maintenant, sur la prévention comme telle. Le critère de niveau de risque a été beaucoup discuté ici. En s'appuyant sur les indemnisations passées, ce critère reproduit le cercle vicieux de la sous-estimation des risques qui affectent en particulier les femmes du fait de la nature des emplois qu'elles occupent. C'est le cas des troubles musculosquelettiques non traumatiques et des problèmes de santé mentale reliés au travail, dont la sous-déclaration et la sous-reconnaissance sont bien démontrées.

Notre analyse de la répartition femmes-hommes dans les codes SCIAN à quatre chiffres a montré que ce critère inapproprié ferait en sorte que 69,3 % des femmes contre 50,2 % des hommes se retrouvent dans des secteurs considérés à risque faible, selon les estimations les plus précises que nous avons effectuées. Les effets non souhaitables de ce critère, dans la santé et l'éducation, ont été soulignés, mais ils ne s'y limitent pas.

En 2017, l'IRSST, donc l'Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail, a publié une analyse par catégories professionnelles et par sexes à l'intérieur d'un secteur d'activité, ou code SCIAN à trois chiffres. Cette étude a identifié 286 catégories professionnelles composées soit d'hommes soit de femmes jugés à risque. Sur les 20 catégories professionnelles, sexes les plus à risque, 11 sont composées de femmes et neuf, d'hommes. Or, plusieurs de ces catégories se retrouvent dans des secteurs qui sont classés comme à risque moyen ou faible, selon le projet de loi n° 59.

Par exemple, selon le projet de loi n° 59, le secteur hébergement des voyageurs est classé à risque moyen. Pourtant, selon l'analyse dont je viens de vous parler, la catégorie professionnelle composée des femmes exerçant un travail manuel dans le secteur services d'hébergement se retrouve au sixième rang sur les 286 secteurs jugés les plus à risque, avant l'extraction minière. La sous-estimation des risques pour les femmes est encore plus évidente si on examine les données d'études sur les conditions de travail et les symptômes rapportés. Nous pourrons y revenir.

Nous recommandons donc de retirer la notion de niveau de risque et de rendre accessibles les mécanismes de prévention et de participation aux représentations pour tous et toutes. L'objectif même de la LSST est que les risques soient identifiés dans le milieu de travail.

Maintenant, quant aux programmes de prévention, dont nous saluons l'extension, le programme multiétablissement comporte un danger élevé de conformité de papier. Nous recommandons de retirer cette possibilité, comme pour les comités, à moins d'un accord avec les syndicats présents. Le programme de prévention doit permettre d'anticiper les risques reliés aux changements organisationnels, technologiques et architecturaux, dès la conception, plutôt que d'agir une fois les dégâts faits. Nous proposons des modifications en ce sens.

Le projet de loi n° 59 abolit les dispositions de la LSST qui concernent le programme de santé spécifique à l'établissement et la fonction de médecin responsable des services de santé de l'établissement rattaché au réseau de santé publique, alors que chaque année cela amène l'identification de situations de surexposition à des risques importants pour des milliers de travailleurs, dont l'exposition à des cancérogènes, et que cela permet la prévention des troubles musculosquelettiques.

Nous recommandons de maintenir et d'étendre le programme de santé à tous les établissements devant disposer d'un programme de prévention. Il doit continuer à être élaboré par un acteur indépendant de l'employeur, compétent, non impliqué dans la gestion des réclamations, c'est-à-dire les équipes multidisciplinaires du réseau de santé publique en santé au travail.

Parce que les risques auxquels font face les femmes sont souvent invisibilisés, le succès d'une réforme reposera en grande partie sur la capacité du régime à leur donner une voix. Le projet de loi n° 59 étend la couverture des comités et des représentants des travailleurs en santé et en sécurité et les rend obligatoires. C'est en effet la participation représentative des travailleurs qui distingue les régimes qui sont les plus efficaces.

Or, nous constatons une contradiction entre l'intention affirmée de renforcer la prévention et, d'autre part, le faible niveau de ressources en temps qui est alloué au représentant en santé et sécurité du travail. Une revue systématique des études sur ces personnes, à travers le monde, montre que le temps est un facteur clé de leur capacité à générer des changements.

Les représentants en santé-sécurité sont le levain dans le pain. Vous pouvez aussi utiliser l'analogie de la bougie d'allumage ou de l'huile dans le moteur, selon vos préférences. Ils activent les comités et les rendent plus efficaces. Le nombre d'heures de libération du représentant en santé-sécurité doit donc être rehaussé significativement.

La recherche démontre que les travailleurs des petits établissements sont plus à risque. Le projet de loi ne propose qu'une solution, malheureusement très partielle, à cette situation. De même, il est démontré que les travailleurs non syndiqués, soit la majorité des femmes dans le secteur privé, ont plus de difficulté à connaître et à exercer leurs droits. Il est bien démontré que l'absence d'un syndicat limite l'efficacité des comités de santé-sécurité.

Nous recommandons donc de réaliser des consultations visant la mise en place d'un dispositif afin de soutenir la représentation des travailleurs et travailleuses des petits établissements et des établissements non syndiqués. Ce dispositif devrait être encadré légalement et doté d'un conseil d'administration composé de représentants d'associations de travailleurs non syndiqués. Il pourrait être inspiré des réseaux de représentants itinérants existants dans d'autres juridictions.

Nous recommandons également que la CNESST mette en place un service d'information et d'accompagnement en santé-sécurité destiné aux travailleurs non syndiqués. En comparaison avec plusieurs autres juridictions canadiennes, le Québec fait piètre figure quant à l'assistance fournie aux personnes accidentées ou malades du travail. Nous recommandons donc aussi de mettre en place des bureaux de conseillers des travailleurs et des employeurs, comme il en existe en Ontario et en Colombie-Britannique.

Nous saluons le maintien du programme Pour une maternité sans danger dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Face aux modifications proposées, cependant, nous souscrivons aux recommandations proposées dans les mémoires des professeures Anne-Renée Gravel, Romaine Malenfant et Maria De Koninck. Nous souhaitons toutefois mettre en relief la recommandation 29 de notre propre mémoire, qui vise à inclure...

La Présidente (Mme IsaBelle) : En conclusion.

Mme Baril-Gingras (Geneviève) : Oui, je conclus, oui. Nous demandons que soient inclus les risques pour la travailleuse enceinte dans le programme de prévention.

J'aimerais revenir autour de vos questions sur une disposition que nous suggérons d'ajouter pour une meilleure protection des travailleurs d'agence de location de personnel, qui est un problème vraiment important. Et, puisque l'adoption d'une loi ne suffit pas à son application, nous souhaitons aussi que soient augmentées substantiellement les ressources des inspecteurs et inspectrices. Le ministre du Travail a exprimé sa volonté de prendre en compte la situation des femmes. Pour que la réforme constitue une véritable modernisation, cela doit transparaître dans l'ensemble du projet. Merci.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Merci pour votre exposé. Alors, nous commençons la période d'échange avec M. le ministre. Vous disposez de 16 min 40 s... 30 secondes, pardon, 16 min 30 s.

• (10 h 30) •

M. Boulet : Merci, Mme la Présidente. Merci, Pre Baril-Gingras. Merci, Pre Riel. Merci de votre engagement pour la santé et sécurité, la cause des femmes, bien sûr. Et votre mémoire contient des recommandations que je trouve particulièrement prometteuses et intéressantes.

D'ailleurs, il faut que je le souligne, hein, s'il y a eu des effets indirects quant aux emplois à prépondérance féminine, ce n'est certainement pas intentionnel, hein? Parce que je suis entouré d'une équipe, évidemment, d'une équipe vraiment compétente, professionnelle et qualifiée et à forte prépondérance féminine, des personnes, d'ailleurs, qui ont bénéficié de votre enseignement, Mme Baril-Gingras, qui sont très près de moi et qui sont préoccupées.

Puis je vais en profiter pour faire peut-être quelques avancées immédiates. Tu sais, je vais avoir un échange avec vous, notamment sur les agences de placement. Mais les inégalités sociales et de genres, quand vous dites que c'est maintenu, perpétué depuis 40 ans... Puis moi, je veux essentiellement que Québec contribue à améliorer son régime et à s'assurer qu'il y ait des mécanismes de prévention et de participation des travailleurs et travailleuses pour tout le monde dans tous les secteurs. C'est ça, mon objectif.

Maintenant, les niveaux de risque. Quand vous dites que ça perpétue les inégalités de sexes, quand je lis des portions de votre rapport — puis vous avez fait de la recherche extensive — moi, là, je le dis, là, devant tout le monde, les niveaux de risque, là, s'il faut mettre ça de côté pour respecter l'impact de la tertiarisation de l'économie et les types d'emploi à prépondérance féminine, on les mettra de côté. Je pense qu'ultimement ce qui nous intéresse, c'est d'améliorer la prévention, d'avoir des travailleurs, des travailleuses en meilleure santé. Et, si ce n'est pas ultimement bénéfique, on va mettre ça de côté, parce que moi, je suis totalement ouvert, parce que je ne veux pas qu'on ait un projet de loi qui perpétue des inégalités de sexe. Je le dis de façon très claire. Puis, professeur, si on a à se reparler de cette thématique-là, je vous demanderai des avis plus spécifiques. Mais je veux certainement éviter que cet objectif-là... Bien, en fait, que l'objectif des mécanismes de prévention et de participation soit atteint, ça, pour moi, c'est clair, et d'éviter l'effet discriminatoire indirect sur la santé des femmes ou de perpétuer des inégalités de sexe. On n'aura certainement pas, au Québec, un projet de loi qui modernise deux lois fondamentales en faisant cette... en perpétuant ces inégalités-là.

Vous dites, dans votre recommandation n° 9 : Ajouter la notion d'intégrité psychologique à l'article 2 de la loi. Puis, c'est vrai, l'article 2 de la loi, je le relis, tu sais, on... La loi, fondamentalement, elle a pour objet l'élimination, à la source même, des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs. Et votre recommandation, on va la suivre, professeure, on va le rajouter. Il faut le rajouter. Et évidemment je ne veux pas avoir l'air de prendre des décisions de ma propre initiative, là, mais moi, comme pour l'égalité des sexes, pour l'intégrité psychologique, je ne voudrais pas que ce soit imprécis ou je ne veux pas qu'on fasse de compromis. Ça fait que ce sera éventuellement rajouté.

Vous dites aussi, pour les troubles de stress post-traumatique, c'est une de vos recommandations, bon : Est-ce qu'on n'aurait pas pu identifier certains métiers? Je pense que vous référiez aux infirmiers, infirmières puis aux premiers répondants. L'approche qu'on a adoptée, un, je pense, professeur, que c'est une avancée considérable de reconnaître que les troubles de stress post-traumatique, c'est une... c'est dans la liste des maladies professionnelles présumées, parce que 67 % des réclamations que nous avons, à la CNESST, à connotation psychologique, découlent de troubles de stress post-traumatique. On a décidé de ne pas la limiter à certains métiers. Il y a un syndicat qui nous disait : Vous auriez dû parler des pompistes ou de tel ou de tel métier. On a décidé de ne pas limiter les corps de métier et de faire en sorte que ce soit accessible, indépendamment de la nature de ton travail. Si tu es un ambulancier, si tu es un gardien de prison ou si tu es un premier répondant, ça apparaît plus évident, mais il y a des métiers où ça n'apparaît pas d'emblée, où le trouble de stress post-traumatique peut avoir une certaine utilité.

Vous mentionnez aussi, pour les lésions musculosquelettiques... tu sais, je vois qu'il y a des conditions additionnelles. Tu sais, moi, je dis souvent : Bon, c'est les tendinites, bursites, ténosynovites, c'est du travail qui implique des gestes répétitifs sur une période de temps prolongée, il me semble que la jurisprudence est assez claire. Donc, ce qui a été rajouté, moi, je vous exprime mon ouverture à ce que ce soit élagué. Puis il me semble que les critères dégagés et retenus par le Tribunal administratif du travail, et avant la CLP et la... la Commission des lésions professionnelles, c'était, pour moi, relativement clair.

Vous dites... ah! je veux vous comprendre comme il faut, là, vous dites : Les risques doivent tenir compte des changements organisationnels, technologiques. Je suis totalement d'accord avec vous, mais vous avez dit, peut-être que je n'ai pas bien compris, «les changements architecturaux». À quoi vous référiez plus précisément, là? J'ai peut-être une idée, mais je ne suis pas certain.

Mme Baril-Gingras (Geneviève) : Vous m'entendez bien?

M. Boulet : Oui, tout à fait.

Mme Baril-Gingras (Geneviève) : En fait, cette disposition-là, ce qu'on propose, donc, on propose que, dans le programme de prévention, on rajoute que ça doit prendre en considération les changements avant qu'ils soient implantés, pour qu'on anticipe de ne pas inviter des risques dans le milieu de travail, et donc de prévoir que les aménagements vont être adéquats pour que l'activité de travail se déroule sans risque et donc ne pas produire de dégâts sur la santé des personnes. Et donc c'est beaucoup moins coûteux de la faire de cette manière-là.

Et on a, au plan international mais aussi au Québec, de belles expériences d'intégration de la prévention lors de changements architecturaux, ou organisationnels, ou d'équipement. On peut penser au simple fait que, parfois, les femmes sont invitées à... commencent à travailler dans des milieux de travail où on n'avait pas pensé qu'un jour elles arriveraient, et donc il n'y a pas de toilettes pour les femmes. On pourrait aussi donner pour exemple qu'il y a actuellement de nouveaux supermarchés qui ouvrent et où les postes de travail sont toujours debout, pour les caissières, alors que la CNESST a produit un guide sur la manière adéquate d'intégrer des sièges assis-debout pour permettre que les caissières ne passent pas toute leur journée debout. Et, malgré ça, il y a encore de nouveaux supermarchés qui se construisent et qui n'intègrent pas ces sièges. Alors, l'objectif est donc que la prévention puisse être intégrée dès la conception.

Et on peut penser aussi aux changements organisationnels, des modifications dans la manière d'organiser le travail. On a vu certains dégâts qui ont été faits par le «lean», dans certains établissements de santé, et donc c'est le but de cette recommandation-là. C'est une pratique qui est déjà inscrite dans la législation qui s'applique au niveau fédéral.

• (10 h 40) •

M. Boulet : Merci, professeure. Puis, c'est vraiment l'intention que nous avons. Puis, si précisions nous devons faire, nous le ferons.

D'ailleurs, parlant de précisions, une de vos recommandations, la 26, vous dites : Il faut s'assurer de l'autonomie décisionnelle du médecin traitant. Là, c'est dans l'application du programme de maternité sans danger. Le protocole, vous le savez, hein, le protocole vise à assurer un meilleur accès puis une meilleure équité au programme de maternité sans danger, indépendamment des régions puis des médecins, là. Parce qu'on avait beaucoup d'iniquités, là, puis ça a été soulevé notamment par plusieurs syndicats. Mais ce protocole national là va être fait par la Santé publique, donc de manière indépendante et objective. Et je veux assurément que les médecins qui font le suivi de la grossesse conservent leur autonomie, soient les émetteurs ou émettrices du certificat, qui est ultimement une demande de réaffectation, et que cette autonomie décisionnelle là soit intègre. Moi, je vais être un partisan de... On va le préciser dans l'article pour que ce soit clair, professeure. Parce que, pour moi, ça m'apparaît évident que la personne, ultimement, qui doit autoriser le retrait préventif, c'est celle qui connaît les particularités ou les spécificités de la travailleuse qui est enceinte, évidemment, pour la protéger, tenant compte de son état de grossesse ou, bien sûr, l'enfant à naître.

Peut-être dernière thématique, professeure, parce que'on pourrait se parler longtemps, là, mais les agences de placement de personnel, vous dites, à un moment donné : Il faut «sanctionner les agences qui ne s'acquittent pas de leurs obligations en tant qu'employeur.» Je suis convaincu que vous avez pris connaissance de notre Règlement sur les agences de placement de personnel et d'agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires. Évidemment, c'est des travailleurs, travailleuses qui sont vulnérables, qui arrivaient au Québec, qui étaient entassés, qui étaient congédiés, dont on confisquait les papiers, à l'égard desquels on exigeait des frais, à l'égard desquels il y avait des clauses restrictives d'emploi. Ce n'est plus le cas. Maintenant, ces agences-là doivent obtenir des permis de la CNESST, que ce soit une agence de placement ou de recrutement de travailleurs étrangers temporaires, et il y a un suivi qui est fait. Ce n'est pas parfait, il y a encore de la vulnérabilité, mais on a perpétué ça pendant des années. Et je vois... je réfère souvent à mon collègue d'Hochelaga-Maisonneuve, avec qui j'ai discuté de ce règlement-là, je pense qu'on a fait une avancée qui est intéressante.

Puis, quand vous dites, à votre recommandation 31 : «Rendre explicite l'interdiction d'un transfert contractuel de responsabilité entre l'entreprise cliente et l'agence quant aux obligations prévues par la LSST», on l'a prévu dans le règlement, en fait, sous forme de responsabilité solidaire de l'agence et de l'entreprise cliente à l'égard des obligations qui sont prévues dans des lois du travail au Québec. Et ça, je voulais m'assurer que ce soit... qu'on soit sur la même longueur d'onde. Mais est-ce qu'il y a des éléments d'information qui me manqueraient, professeure, pour me permettre, éventuellement, d'adapter?

Mme Baril-Gingras (Geneviève) : Alors, je ne suis pas juriste. Ce mémoire-là a été écrit, comme ma collègue Jessica Riel l'a dit, par 14 chercheurs, dont deux personnes sont spécialisées dans ce domaine-là, donc Dalia Gesualdi-Fecteau et Rachel Cox. Et donc nous avons inclus dans notre mémoire des précisions quant à la manière dont les dispositions légales devraient être précisées pour qu'il y ait une meilleure protection de ces travailleurs d'agence pour qui ce n'est pas toujours évident, même, généralement, ça ne l'est pas, de savoir qui va s'occuper de bien les former, qui doit s'occuper de leur fournir l'équipement de protection adéquat, qui doit s'occuper de leur fournir la supervision adéquate. Et donc il peut... Ce qu'on veut éviter, c'est que, par contrat, l'un des acteurs se débarrasse d'une de ces responsabilités-là.

Puis actuellement, quand on regarde les jugements sur ces situations-là, on voit que ce n'est vraiment pas simple puis qu'un peu tout le monde se renvoie la balle, pensant que c'est un ou pensant que c'est l'autre, et que... Ce qui arrive, à la fin, c'est qu'un travailleur est blessé, puis parfois des blessures extrêmement graves. Puis donc on pense que les dispositions qui sont proposées dans notre mémoire aideraient à préciser ces choses. Et donc on s'inspire, entre autres, de dispositions qui proviennent du Code canadien du travail à cet effet-là. Donc, vous avez nos recommandations détaillées, là, à partir de la recommandation 32 jusqu'à la recommandation 36, avec des précisions, là, sur ce qui devrait être écrit, à notre avis.

M. Boulet : Merci. Je pense que c'est des informations qui sont totalement pertinentes, puis je vais m'assurer, tant dans le règlement... Parce que ce que vous décrivez, là, un transfert de responsabilités pur et simple, là, moi, je... c'est contraire à la loi depuis l'entrée en vigueur de ce règlement-là. Du moins, le transfert de responsabilités comme vous le précisez, ça ne serait pas conforme à ce règlement-là. Puis, dans la loi sur la santé-sécurité, là, je me souviens bien aussi qu'il y a des articles qui confèrent des responsabilités spécifiques, là, dans un contexte de relation tripartite, là, où il y a l'agence de placement, l'entreprise cliente et le travailleur, pour s'assurer de bien protéger le travailleur, qui est ultimement beaucoup plus vulnérable dans des contextes de relations contractuelles de cette nature-là.

Bon, il y a d'autres recommandations qui m'apparaissent... Encore une fois, je l'ai mentionné un peu plus tôt, quand vous dites, notamment : Il faut que la CNESST accentue ses activités de formation... puis vous parliez même d'informations spécifiques aux travailleurs et aux travailleuses non syndiqués, donc qu'on ait un nombre spécifique de personnes qui soient dédiées à de la formation en milieu non syndiqué, pouvez-vous me mettre ça un petit peu en perspective, professeure?

La Présidente (Mme IsaBelle) : Il ne reste que 40 secondes.

Mme Baril-Gingras (Geneviève) : Écoutez, il y a deux aspects. Il y a les propositions qu'on fait pour que la représentation des travailleurs en matière de prévention dans les établissements non syndiqués et les petits établissements soit maintenue, ça, ça serait par des... un organisme spécial qui serait formé à cet égard-là, mais il y a aussi tout le soutien en matière d'indemnisation, de l'information et du soutien juridique qui est assuré pour les autres fonctions de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et sécurité, mais pas en matière de santé et sécurité du travail, alors que ça se fait ailleurs. Et même, en Ontario et dans une autre province, là, dont je ne me souviens plus, on offre du soutien en matière d'indemnisation aux travailleurs, puisqu'autrement ça représente un fardeau vraiment important, et puis c'est David contre Goliath, comme on l'a dit, dans plusieurs cas.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Merci. Alors, nous poursuivons l'échange...

M. Boulet : Merci beaucoup. Merci, professeure. À bientôt.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Nous poursuivons l'échange avec le député de Nelligan. Vous disposez de 11 minutes.

M. Derraji : Merci, Pre Baril-Gingras et Pre Riel, pour votre présence et la qualité de votre mémoire, 108 pages de très bonnes recommandations. C'est très difficile pour moi, pour les 11 minutes que j'ai, pour passer à travers tout le mémoire, mais je vais juste vous dire quelque chose, que je partage avec vous votre première inquiétude, où vous avez questionné le choix du gouvernement d'accorder un temps de consultation publique. C'est court pour un projet de loi qui est costaud. Et vous avez même rappelé, au niveau des médias, qu'en 1979 il y avait 11 jours d'audiences. Donc, c'est extrêmement important de garder cela en tête, parce qu'on le voit jour après jour, groupe après groupe, que le projet de loi est extrêmement complexe.

Ma première question à vous deux, professeures, c'est par rapport à des groupes de femmes qui sont venus nous dire en consultation l'importance d'avoir un regard particulier sur l'analyse différenciée selon le sexe. Plusieurs groupes de femmes nous ont alertés que ce projet de loi cible en premier lieu des femmes. Est-ce que, selon vous, et depuis le progrès que nous avons eu au Québec avec... notamment qu'on ne peut pas, surtout en termes de lésions professionnelles... depuis 2007, un projet de loi ne peut pas être rédigé sans prendre en considération l'ADS, est-ce que vous partagez avec moi le même point de vue?

Mme Baril-Gingras (Geneviève) : Je vais laisser ma collègue Jessica répondre.

Mme Riel (Jessica) : En fait, nous considérons que la question du processus relève des parlementaires et pas des scientifiques. Nous avons exprimé notre point de vue dans notre mémoire. Toutefois, nous invitons les membres de la commission à examiner le projet de loi à la lumière des constats faits par plusieurs groupes, dont les groupes de femmes et le nôtre, à l'effet que le projet de loi, dans sa forme actuelle, comporte des dispositions qui perpétuent les inégalités sociales et de genre.

• (10 h 50) •

M. Derraji : Je comprends le sens de votre réponse, et ma question, je vais la reposer d'une autre manière : Est-ce que, selon vous, aujourd'hui, le projet de loi tel que présenté en sa mouture actuelle nous donne l'heure juste par rapport aux effets, aux effets? Il y a des groupes qui ont dit : C'est discriminatoire. Il y a d'autres qui ont dit : Les inégalités envers les femmes... Est-ce que, selon vous, le fait de ne pas avoir l'ADS ou l'ADS+ va compromettre la lecture féministe de ce projet de loi?

Mme Baril-Gingras (Geneviève) : Je peux poursuivre, oui? En fait, on a fait, nous, nos constats par rapport au projet de loi tel qu'il était présenté... et elles sont exposées, là, dans notre mémoire. Maintenant, pour le reste, bien, ça relève des parlementaires, là, de voir comment ce projet de loi là peut effectivement être modifié pour intégrer les préoccupations qui ont été formulées par les groupes de femmes...

M. Derraji : Donc, nous sommes d'accord par rapport aux préoccupations des groupes des femmes et le fait qu'au niveau de l'étude article par article l'analyse différenciée selon le sexe doit être un regard qu'on doit porter au niveau de l'étude article par article?

Mme Baril-Gingras (Geneviève) : Bien, je suis heureuse de savoir que vous porterez ce regard dans une préoccupation qui intégrera la santé des femmes.

M. Derraji : Moi, je le porte, professeure. Et, vous savez, je pose la question presque... à beaucoup de groupes, et j'ai la chance d'avoir en face de moi deux professeures, que je respecte, et j'ai lu votre mémoire, j'ai lu vos publications, j'ai lu vos déclarations depuis le début du projet de loi, mais je voulais quand même m'assurer... Parce que j'ai l'opportunité d'avoir deux femmes, en face de moi, qui connaissent très bien c'est quoi, le régime de santé et sécurité au travail, et, si vous nous le dites aujourd'hui que : Écoutez, chers parlementaires, vous devez faire attention à ce volet, bien, je pense qu'on doit vous écouter. C'est pour cela que je n'essaie pas de vous imposer une réponse, mais je comprends, je comprends parfaitement ce que vous voulez dire par rapport au volet des femmes.

Maintenant, je vais aller à l'accès à l'indemnisation. J'ai cru comprendre ou corrigez-moi, madame... Pre Gingras, vous avez dit qu'on est face à un iceberg : les coûts d'indemnisation sont la partie immergée, et dessous il y a toute une montagne de coûts reconnus de lésions et de problèmes de santé pour lesquels on va s'absenter en utilisant d'autres régimes ou rien du tout, et on va continuer à souffrir au travail ou simplement s'en aller, changer d'emploi, et là, on est dans le problème du roulement de la main-d'oeuvre. C'est toute une déclaration, Pre Gingras. Et comment vous voyez que ce projet de loi doit prendre en considération votre déclaration et ne pas tomber dans cette spirale que vous êtes en train de nous décrire?

Mme Baril-Gingras (Geneviève) : Bien, il y a deux aspects à votre question, hein? Il faut accentuer la prévention, le projet de loi va dans ce sens-là. On propose des modifications, comme que j'ai exposé tout à l'heure, et qui sont détaillées dans notre mémoire, pour que la prévention soit plus effective. Et l'autre volet de votre question, c'est tout ce qui relève de l'indemnisation, et donc éviter qu'il y ait une si grosse partie, là, de l'iceberg qui soit sous l'eau. Et puis pour tout ce qui relève, là, de l'indemnisation, bien, je vais vous inviter à garder vos questions pour la prochaine intervenante, notre collègue Katherine Lippel, puisque c'est la spécialiste sur le sujet et que nous souscrivons aux recommandations qu'elle va vous formuler.

M. Derraji : Aucun problème. Mais, Pre Gingras, vous avez déjà dit que «les avancées "bien incomplètes" en matière de prévention — donc il y a des avancées bien incomplètes, et je continue la même citation, hein, corrigez-moi si je me trompe — s'effectuent "au prix de reculs [de l'indemnisation] pour réduire les coûts du régime.» Donc, est-ce que l'intention du législateur... Parce que j'essaie de comprendre comment on est arrivés à avoir un tel projet de loi. Si on a bien fait notre travail en amont, est-ce qu'on va arriver aujourd'hui à recevoir de telles confirmations que c'est des avancées bien incomplètes en matière de prévention, au prix de reculs de l'indemnisation, pour réduire les coûts du régime? Est-ce que l'intention du législateur, c'est uniquement la réduction des coûts du régime ou bien l'intention du législateur, avec ce projet de loi, c'est la santé-sécurité du travailleur?

Mme Baril-Gingras (Geneviève) : Je ne crois pas que, la question, ce soit moi qui puisse y répondre puisque je crois que je ne...

M. Derraji : C'est votre déclaration, c'est votre déclaration. Je n'ai rien inventé, je l'ai trouvée.

Mme Baril-Gingras (Geneviève) : Je ne crois pas avoir déclaré quoi que ce soit sur l'intention du législateur. Mais simplement, ce qui est certain, c'est que, si c'est plus difficile de faire reconnaître les effets du travail sur la santé à certains égards, bien, c'est clair que ça n'aide pas la prévention. Donc, les deux sont liés. Et donc, si on veut vraiment qu'il y ait des améliorations en matière de prévention, il ne faut pas que, par ailleurs, les énergies des travailleurs accidentés, des gens qui les représentent et des syndicats et les énergies des employeurs soient mises à... sur l'indemnisation et les bagarres légales qui doivent avoir lieu pour faire reconnaître ces enjeux-là. Alors, il faut recentrer les énergies sur la prévention, et donc c'est dans ce sens-là qu'on a formulé des recommandations.

M. Derraji : Merci à vous deux. Je pense, Mme la Présidente, que mon collègue député de Robert-Baldwin a deux, trois questions. Merci à vous deux, chères professeures. Merci.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, nous donnons la parole au député de Robert-Baldwin. Il n'y aura pas beaucoup de questions puisqu'il ne reste que 2 min 30 s.

M. Leitão : Merci. Une question... pardon, mesdames, une question. Les travailleuses domestiques, vous avez mentionné très, très rapidement au début de votre intervention et vous suggérez, tout simplement, de supprimer la contrainte d'heures. On en a discuté, de cela, avec plusieurs intervenants, avant, hier, avant-hier. M. le ministre nous revient toujours avec l'exemple du jeune homme qui va tondre le gazon chez son voisin. Je pense qu'on parle... de tout. J'aimerais juste si vous pouviez rapidement, avec le temps qui nous reste, nous préciser pourquoi vous suggérez de tout simplement supprimer la contrainte de temps.

Mme Riel (Jessica) : Bien, en fait, je vais me permettre de répondre. Les travailleuses domestiques, selon notre analyse, ne devraient pas être exclues du projet... devraient exclues. La définition de «domestique» devrait être exclue du projet de loi parce que ce sont des travailleuses à part entière, les travailleuses domestiques. Donc, on ne devrait pas considérer un groupe plutôt qu'un... dans le fond, de diviser, c'est-à-dire que les travailleuses domestiques qui font un nombre d'heures qui est prévu par le projet de loi soient couvertes et qu'un autre groupe ne le soit pas, ce qui perpétue de la discrimination à leur endroit. Et donc elles doivent être considérées à part entière comme des travailleuses. Et donc c'est pourquoi nous, on recommande qu'elles soient... qu'on abolisse, finalement, la question de travailleuses domestiques pour les intégrer à la définition de «travailleur».

M. Leitão : Très bien. Merci. Et c'est d'ailleurs ce que plusieurs de vos collègues ont déjà mentionné aussi, les autres intervenants, aussi, suggestion à laquelle j'adhère entièrement. Alors, merci beaucoup, mesdames.

Une voix : Merci.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Merci. Alors, nous poursuivons l'échange avec le député d'Hochelaga-Maisonneuve. Vous disposez de 2 min 45 s.

M. Leduc : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Baril-Gingras, Mme Riel. Très heureux de vous entendre aujourd'hui. Le temps étant très court pour un deuxième parti d'opposition... Vous avez évoqué dans votre présentation la création d'un... vous appelez ça un dispositif de représentation pour les non-syndiqués. Et puis, plus tôt ce matin, il y avait les collègues l'UTTAM qui, dans... Bon, il y avait plusieurs recommandations, on n'a pas eu le temps d'en parler, mais il y avait quelque chose qui ressemblait à ça aussi, là, la création d'un organisme public indépendamment de la CNESST, financé par le régime indemnisation, ayant comme mandat d'offrir des services d'information. Donc, ma question est double : Est-ce que ça ressemble pas mal à ce qui a été présenté ce matin par l'UTTAM, votre suggestion? Puis, surtout, est-ce que ce n'est pas déjà ce que fait un peu l'UTTAM? Ou comment ça fonctionnerait, cette proposition-là? Parce que je la trouve bien intéressante.

• (11 heures) •

Mme Baril-Gingras (Geneviève) : Bien, je vais me concentrer sur la prévention. Les petites entreprises, c'est... leurs travailleurs sont plus à risque. C'est démontré dans plein d'études puis c'est un défi important pour tous les régimes de prévention sur le plan international. Le projet de loi améliore leur couverture en faisant en sorte que, même dans des établissements de moins de 20 travailleurs, il y ait des représentants en santé et sécurité, selon le niveau de risque. Le problème, c'est que, généralement, ces établissements-là ne sont pas syndiqués et ils ont de plus grands défis que les autres parce qu'ils sont soumis à une série de contraintes, justement, du fait d'être de petits établissements.

Le dispositif efficace qui existe ailleurs, ce sont des représentants itinérants qui couvrent des secteurs d'activité, mais qui sont vraiment des représentants des travailleurs. Donc, je ne parle pas ici des ASP, je ne parle pas de mutuelles, je parle vraiment de gens qui vont aider à faire en sorte que la participation représentative des travailleurs va être effective, efficace, même dans des établissements petits et dans les établissements non syndiqués.

Alors, c'est complexe, bien sûr, mais ce n'est pas parce que c'est complexe que ça doit être tassé. Ça existe ailleurs. Il y a des études qui montrent bien comment ça fonctionne. Dans le secteur de l'agriculture, au Royaume-Uni, ça existe, en Norvège, ça existe, en Italie et, bien sûr, en Suède, depuis 1974, ça existe. Ça permet justement à ce pays-là d'avoir des taux de lésions, de décès par accident du travail qui sont, je crois, si je me souviens bien, là, au moins trois fois inférieurs à ce qu'on a au Canada. Puis, au Canada, on est dans une situation pire que les États-Unis. Alors donc, je pense qu'on a beaucoup de progrès à faire, puis il faut vraiment cibler les travailleurs des petits établissements avec des mesures particulières.

M. Leduc : Si je comprends bien, ça permettrait de rendre effectif le droit. Il ne serait pas juste sur papier, mais il y aurait des gens qui le rendraient vivant, organique, sur le terrain, réel?

Mme Baril-Gingras (Geneviève) : Tout à fait, oui. En fait, là, les comités de santé et sécurité, c'est une mesure essentielle, mais ce n'est pas automatiquement efficace. Ce qui les rend efficaces, ce sont les représentants en santé et sécurité, qui disposent de formations puis de temps de libération, et donc c'est vraiment ça qu'il faut viser. Puis, pour que ça puisse couvrir les établissements non syndiqués et les petites entreprises, bien, ça va prendre des mesures pour soutenir ça, sinon, ça risque d'être moins efficace, puis on ne peut pas se permettre ça, au Québec, là, on a besoin que ça marche.

M. Leduc : Parfait. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Merci. C'est tout le temps que nous avons. Alors, nous poursuivons avec le député de Bonaventure. Vous disposez de 2 min 45 s.

M. Roy : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Baril-Gingras et Mme Riel. Écoutez, le ministre, tout à l'heure, a dit qu'il réfléchissait à éliminer la classification des niveaux de risque. Je pense que c'est une avancée. C'est sûr que, quand on regarde la condition des travailleuses de la santé et de l'éducation, qui avec... le niveau de risque de leur secteur était considéré comme faible, ça représentait une assez forte discrimination par rapport à la prévention puis au soutien qu'elles pouvaient avoir. Est-ce que vous considérez que l'avancée que le ministre a faite tout à l'heure peut diminuer un peu le caractère sexiste du projet de loi?

Mme Riel (Jessica) : En fait, on considère que le fait de... Bien, en fait, c'est une recommandation de retirer le critère des niveaux de risque, mais il faut appliquer les mécanismes de prévention et de participation, représentation à toutes et tous. Donc, ça implique d'élargir à tous et toutes les mécanismes.

M. Roy : Oui, c'est sûr que c'est fondamental, parce que l'objet de la loi, c'est quand même la prévention. Et écoutez, bon, bien, je n'ai pas d'autre question. Je pense que, bien, vous n'êtes pas les premières qui amenez l'enjeu, quand même, là. Moi, avec d'autres groupes, on a quand même décrié fortement le caractère sexiste et extrêmement discriminatoire, par rapport aux femmes mais aussi les personnes handicapées. Hier, on a eu quand même... Et donc c'est un projet de loi, et donc je vous pose la question : Est-ce que vous considérez que le gouvernement devrait retourner à la table à dessin et réécrire ce projet de loi là? Parce qu'il y a tellement de choses à modifier, là-dedans, que je pense que ça prend une révision de fond en comble.

Mme Baril-Gingras (Geneviève) : Si je peux me permettre, pour poursuivre la réponse de ma collègue, ce qui importe aussi, c'est que, si les mécanismes sont effectivement appliqués à tous il ne faut pas que... et qu'on éliminait la notion de niveau de risque ou qu'on la repensait, ce qu'il ne faudrait pas, c'est que ça amène à réduire le nombre d'heures qui seraient allouées à tout le monde. Puisqu'on vient d'inclure les risques dits ergonomiques, les risques liés à la violence et les risques psychosociaux, que nous, on préfère définir comme les facteurs organisationnels et psychosociaux qui n'affectent pas juste la santé mentale, mais aussi un paquet d'autres aspects de notre santé, y compris les troubles musculosquelettiques, donc, si on ajoute ça, donc qu'on a une vision beaucoup plus globale de la santé, qu'on ne se préoccupe pas seulement de faire baisser les lésions qui sont indemnisables... Une préoccupation plus globale, bien, c'est clair que ça prend du temps pour examiner ça, puis le signe que c'est important, bien, c'est le temps qu'on accorde.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, merci.

M. Roy : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Merci, Mme Baril-Gingras ainsi que Mme Riel, pour votre contribution aux travaux de la commission.

Alors, nous ajournons quelques instants pour se préparer à accueillir le prochain groupe. Merci.

(Suspension de la séance à 11 h 05)

(Reprise à 11 h 10)

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, nous poursuivons les auditions. Nous souhaitons maintenant la bienvenue à Mme Lippel. Alors, Mme Lippel, à vous la parole.

Mme Katherine Lippel

Mme Lippel (Katherine) : Merci, Mme la Présidente. M. le ministre, messieurs et mesdames de la commission, merci de l'invitation. On s'entend que les gens, aujourd'hui, ont été invités la semaine dernière, alors j'ai un mémoire court dans ces circonstances.

Je me présente, je suis titulaire de la Chaire de recherche éminente en droit de la santé et de la sécurité du travail, à l'Université d'Ottawa, et depuis 1980, vraiment, je travaille en santé et sécurité du travail. Mon mémoire — je vais faire une courte présentation synthèse — se base sur mon expérience et sur les recherches qu'on a menées. Je vais m'attarder sur quatre thématiques : la modernisation, l'indépendance des acteurs juridiques et médicaux, la perception d'injustice et les enjeux éthiques et d'équité. Le mémoire apporte des nuances nécessaires à certaines prétentions, notamment Morneau Shepell, voulant que le système québécois de réparation est moins efficace. J'aurai des choses à dire là-dessus si on me pose des questions.

Si le projet de loi n° 59 est adopté, il constituera la première réforme dans l'histoire du Québec visant à la fois la prévention et la réparation des accidents du travail et maladies professionnelles. Depuis 1909, les victimes de lésions professionnelles visées par la Loi sur les accidents de travail ne peuvent plus poursuivre leurs employeurs en vertu du Code civil du Québec, et, en échange de la protection contre les recours civils provenant des travailleurs, les employeurs financent ce régime sans égard à la faute. Il s'agit d'un élément fondamental qui devrait guider le législateur lors de toute réforme du régime de réparation.

Alors, compte tenu des travaux du Comité consultatif du travail et de la main-d'oeuvre qui ont précédé le dépôt du projet de loi, évoqués souvent cette semaine, tout porte à croire qu'on a intégré la réforme simultanée des deux lois pour assurer que l'augmentation des coûts associés à une meilleure prévention sera compensée par une diminution du coût de l'indemnisation. Je reviendrai là-dessus en conclusion.

Alors, au niveau de la modernisation, je salue le projet de loi. Le Québec est la seule province canadienne qui n'exige pas la formation de comités santé-sécurité et d'autres mécanismes de prévention. C'est une recommandation du Vérificateur général, de 2019. Il faut accueillir favorablement l'introduction de ces mécanismes qui seront exigés dans l'ensemble des secteurs d'activité, et il est souhaitable que l'ensemble des mesures, y compris l'élaboration de programmes de prévention, s'appliquent peu importe le niveau de risque associé au secteur. Et je serais ravie si on éliminait cette hiérarchie d'exposition au risque. On peut y revenir.

Malgré l'existence de pouvoirs réglementaires qui auraient permis l'actualisation de la liste des maladies professionnelles présumées reliées au travail, cette liste n'a pas été actualisée depuis 1985. On a toujours eu le pouvoir de réglementation et on ne s'en est pas servi. On constate que l'actualisation de cette liste, annoncée par le ministre et recommandée par le Vérificateur général, constitue, dans les faits, un recul pour les droits des victimes de maladies professionnelles. Et, là encore, j'ai entendu des choses qui me plaisent, là-dessus, ce matin.

Le projet de loi ne modernise pas la reconnaissance des maladies professionnelles, mais aura pour effet de freiner le pouvoir du Tribunal administratif du travail, qui, jusqu'à aujourd'hui, a le dernier mot sur l'interprétation et l'application de la présomption de l'article 29 et sur l'article 30. Et, pour moi, c'est un incontournable de préserver le rôle du TAT, du tribunal administratif, sinon on a un gros problème.

Il faut néanmoins accueillir favorablement la présomption portant sur le syndrome de stress post-traumatique, en espérant que les conditions de travail associées à cette maladie soient décrites de manière à inclure tous les premiers répondants et les travailleurs, les travailleuses de la santé. Et, depuis le début de la semaine j'entends parler du DSM-5. Si M. le ministre veut me poser des questions là-dessus, j'ai quelque chose à dire là-dessus.

Le projet de loi n° 59 concrétise pour la première fois les obligations des employeurs et de la CNESST à l'égard de l'accommodement raisonnable du travailleur porteur d'une atteinte permanente. Contrairement aux autres provinces canadiennes, où cette obligation a toujours été en vigueur, ce n'est que depuis 2018 que la Cour suprême du Canada a ordonné à la CNESST d'appliquer la charte aux travailleurs accidentés. Ça aussi, ça peut expliquer les coûts excédentaires au Québec, dans le sens que l'obligation pour l'employeur de reprendre son travailleur était beaucoup plus limitée au Québec que dans les autres provinces, alors c'est sûr que les coûts qu'on a comparés, c'est basé sur les coûts sans accommodement.

L'indépendance des acteurs juridiques et médicaux, j'ai deux messages, ici, mais les deux sont, quant à moi, extrêmement importants. L'indépendance du médecin chargé de la santé au travail dans un établissement doit être préservée. Les comités de santé et de sécurité du travail, comme aujourd'hui, devraient maintenir leur pouvoir de nommer et destituer ce médecin, et il faudrait, à mon sens, adopter des critères explicites dans la loi pour éviter les conflits d'intérêts. Pour le moment, je ne les ai pas trouvés.

L'indépendance du Tribunal administratif du travail devrait être préservée à tout prix, ce qui implique une réduction importante des multiples pouvoirs réglementaires additionnels confiés à la CNESST par le projet de loi n° 59. Parce que, comme juriste, on s'entend, s'il y a un règlement, ça enlève le pouvoir du TAT de pouvoir aller au-delà de ce qui est reconnu dans le règlement. Alors, c'est ma préoccupation. Évidemment, ça prendrait du temps pour expliquer en détail.

La perception d'injustice. Nos recherches et les recherches au niveau international ont démontré qu'une personne qui se sent injustement traitée ne va pas guérir aussi rapidement qu'une personne qui ne subit pas de l'injustice ou ne le perçoit pas. Alors, mon mémoire identifie plusieurs dispositions nouvelles qui auront pour effet de restreindre le droit aux indemnités des travailleurs en faisant cesser les indemnités sans que le travailleur ne soit retourné au travail. Et on s'entend que, lorsqu'on met fin à une indemnité, ça ne veut pas dire que la personne travaille. Et, dans plusieurs cas, notamment les personnes âgées, les travailleurs âgés, on réduit leurs droits... les personnes âgées handicapées en raison d'un accident de travail ou une maladie professionnelle.

Il y a des nouvelles dispositions qui vont permettre certaines mesures de réadaptation. C'est une avancée importante, il faut le saluer, je suis contente de le voir. Pour prévenir la chronicité, effectivement, je suis contente de savoir qu'on va pouvoir, comme j'ai entendu ce matin, fournir des formations aux travailleurs qui en ont besoin, mais à la condition qu'on tienne compte de la volonté du travailleur et de l'avis du professionnel de la santé qui en a charge, qui doit constater si c'est favorable à la réadaptation. C'est ça que je n'ai pas vu dans le projet de loi.

Je veux, avec le temps qui me reste, aborder quelques questions spécifiques qui ne sont pas mentionnées dans le projet de loi du tout. Alors, ce n'est pas mes désaccords avec ce qui est là, c'est les fantômes, si vous voulez, du projet de loi.

Je fais écho à ce que l'UTTAM a dit ce matin : prévoir un mécanisme pour assurer la représentation des travailleuses et travailleurs dans leurs démarches de réclamation en vertu de la LATMP. Ça existe dans toutes les autres provinces canadiennes, c'est financé par le régime. On ne l'a pas, au Québec.

Fournir un soutien en forme de clinique multidisciplinaire aux travailleurs et aux syndicats. J'ai à l'esprit OHCOW, en Ontario, mais j'ai entendu des présentations intéressantes qui ouvriraient à améliorer la qualité des connaissances auxquelles les travailleurs et leurs syndicats vont pouvoir avoir accès.

Un élément clé, pour moi : obliger les employeurs à déclarer tous les accidents du travail à la CNESST. En Ontario, l'employeur qui ne déclare pas un accident qui exige une absence de trois jours est assujetti à une amende de 500 000 $. Au Québec, on n'a pas d'obligation de les déclarer. Le problème, avec ça, c'est que... lorsqu'on vient comparer les coûts des régimes. En Ontario, on doit déclarer les tout petits accidents, et c'est l'employeur qui doit les déclarer, ça rentre dans la moyenne, et le coût moyen des réclamations est plus bas en Ontario à cause de ça. Alors, n'oubliez pas ça. Ici, on ne l'a pas, on ne l'a pas depuis 1985. On est la seule province canadienne où l'employeur n'a pas une obligation de déclarer tous les accidents à la CNESST, juste les accidents catastrophiques.

Éliminer l'imputation des coûts des maladies professionnelles de longue latence en vertu de l'article 328, ça, j'espère que, et les employeurs, et les syndicats seraient d'accord là-dessus. Les cancers professionnels imputés aujourd'hui, un cancer pour une exposition il y a 40 ans, tout ce que ça fait, ça ajoute à la judiciarisation. Et ça serait une stratégie qui réduirait la judiciarisation.

Et imposer des limites à l'application de l'article 27 de la LATMP... Actuellement, un travailleur qui ne déclare pas ses limitations fonctionnelles au moment de l'embauche va se faire éliminer de l'éligibilité au régime, ce qui incite les gens à mentir sur leur condition. Et, en même temps, si on veut activer les gens, et on va les punir s'ils mentent sur leur condition et on va faire preuve de discrimination s'ils sont handicapés. Il y a un problème. Même chose pour la filature des travailleurs : les gens ne vont pas s'activer s'ils vont être filmés en essayant de passer le râteau dans leur jardin.

La Présidente (Mme IsaBelle) : En conclusion.

• (11 h 20) •

Mme Lippel (Katherine) : En conclusion, alors, la seule manière d'éviter l'impression que les victimes de lésions professionnelles financeront l'amélioration du régime de prévention est de séparer les deux enjeux en discutant, dans un premier temps, de la réforme en prévention et, dans un deuxième temps, la réparation. Et, si l'Assemblée nationale veut adopter en même temps la refonte des deux lois, on peut, par le jeu de la mise en vigueur de différentes dispositions, réduire l'injustice qui, à la face même, semble ressortir du projet de loi tel que proposé actuellement. Et je vous remercie.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, merci pour votre exposé. Alors, nous allons débuter la période de questions et d'échange avec M. le ministre. Vous disposez de 16 min 30 s.

M. Boulet : ...Mme la Présidente. Merci, Mme Lippel. Bien apprécié. Merci de votre présence. Merci pour la préparation et la rédaction de votre mémoire, et, bien sûr, les personnes qui ont contribué à sa préparation, un mémoire de qualité.

Vous m'avez entendu, avec les intervenantes qui vous ont précédée, pour les niveaux de risque, je ne répéterai pas. Mais moi, je suis totalement ouvert. Il faut, de toute façon... je pense que c'est un incontournable d'éviter, dans une modernisation d'un régime qui repose sur deux lois, une de nature préventive et une qui concerne l'indemnisation... d'éviter absolument les inégalités de genre, que ce soit de façon directe ou indirecte. Mais ça, comme vous vous en doutez bien, de façon directe, ça n'a pas été le souhait de l'équipe qui m'entoure, qui est à forte prédominance féminine.

Juste quelques points, Mme Lippel. Les troubles de stress post-traumatique, vous référez à est-ce qu'on devrait peut-être référer aux premiers répondants puis au personnel du monde de la santé. On a regardé, évidemment, dans différentes juridictions, il y en a qui limitent à des corps de métier spécifiques, il y en a qui parlent des pompiers, il y en a qui parlent des ambulanciers, il y en a qui parlent des premiers répondants, alors que plusieurs... Puis je lisais la littérature, aussi, émanant de l'Organisation internationale du travail, c'est préférable de ne pas limiter parce que, quand tu limites à des corps de métier, bien, ça empêche d'autres corps de métier de pouvoir bénéficier de la présomption de maladie professionnelle découlant d'un diagnostic de trouble de stress post-traumatique. Donc, c'est la raison pour laquelle on est allés dans cette direction-là.

Mme Lippel (Katherine) : Alors, merci pour la question, M. le ministre. Deux choses, là-dessus. Je suis d'accord avec vous que, plus on va limiter la formulation, plus ça va être difficile. La préoccupation que j'ai, actuellement, c'est qu'on exclut les gens exposés à la mort naturelle, ceux qui, quant à moi... La COVID, il y a des gens qui vont trouver que c'est naturel, et ça va exclure le secteur de la santé. Alors, je ne suis pas légiste, je vous invite à revoir la formulation, pour être certains. C'est dans ce sens-là, mon intervention.

Et le deuxième aspect, le DSM-5, à tout prix, de grâce, évitez d'intégrer ça dans votre réforme. Et je peux vous expliquer de long en large pourquoi. J'ai étudié les lois dans les autres provinces, et, en Colombie-Britannique, il y a 3 500 causes pendantes attendant l'évaluation du DSM-5 parce que... Et on va mobiliser tous les psychiatres du Québec pour mettre en oeuvre le régime de réparation. Ce n'est pas idéal.

M. Boulet : O.K. Parfait. Je vous ai bien comprise. D'ailleurs, on ne l'a pas intégré, le DSM-5. Le comité de scientifiques qui nous guidera éventuellement pourra avoir des mandats, là, pour nous faire des recommandations tenant compte de la tertiarisation de l'économie, l'impact sur les maladies qui sont de nature plus psychologique puis les maladies qui sont plus spécifiques en affectant la santé des femmes, mais le DSM-5, ce n'est vraiment pas notre intention.

L'autre point, je suis conscient du libellé, là... vous faisiez référence à l'exposition à une mort naturelle, je vais m'assurer de revoir le libellé. C'est la raison, d'ailleurs, pour laquelle on fait des consultations. Parce qu'un projet de loi, vous le savez, c'est en construction vers un régime que nous souhaiterons meilleur.

Merci de la remarque, là, sur l'affaire Caron. Effectivement, l'obligation d'accommodement en matière de lésions professionnelles, on connaissait l'état de la jurisprudence au préalable, où certains décideurs nous disaient que la réadapt était, en soi, un accommodement législatif. Mais vous disiez que, dans d'autres provinces, ça a été intégré avant nous. Bon, nous l'intégrons; jamais trop tard pour bien faire. Vous disiez que ça avait pu avoir un impact sur les coûts de notre régime. Avez-vous une étude de ça, parce que... Je le comprends très bien, le lien de causalité entre l'application de l'obligation d'accommodement et la réduction des coûts de réparation, parce que la personne, qu'elle fasse un retour progressif ou un retour dans un emploi qui respecte sa capacité résiduelle de travail, ça a un impact sur les coûts. Mais avez-vous une étude ou des statistiques qui démontreraient ça de façon claire?

Mme Lippel (Katherine) : On a fait plusieurs études, nous, pour comparer les effets des régimes ontariens-Québec. Ce ne sont pas des études de coûts, mais, à la face même... En Ontario, si l'employeur a une amende s'il ne reprend pas immédiatement son salarié, il y a des bonnes chances que ça réduise les coûts du régime, mais ça ne veut pas dire, comme on a entendu ce matin, que le salarié travaille pour autant.

Et, nos études sur la réadaptation et le retour au travail en Ontario, ce qu'on constate, c'est qu'il y a beaucoup de gens qui se ramassent sur l'aide sociale, soit immédiatement parce qu'ils ne réclament même pas, parce qu'il n'y a pas de seuil minimum d'indemnité, en Ontario, contrairement au Québec — puis j'ai entendu le Conseil du patronat qui voulait faire sauter les articles 6 et 65, mauvaise idée — mais aussi parce que, lorsque l'employeur... Ce que je fais, lorsque j'explique ça dans les conférences nationales et internationales... L'Ontario a un régime bâton : ils battent l'employeur, ils battent le travailleur, on réduit les coûts. Au Québec, on a un régime carotte : l'employeur qui fait une assignation temporaire, il réduit ses coûts, il est encouragé à réduire ses coûts, mais il n'est pas obligé. Ce qu'on a introduit, et là où il faut faire très attention, avec les réformes : il ne faut pas amener des bâtons et faire disparaître les bons effets des carottes, en quelque sorte.

M. Boulet : Je suis pas mal d'accord avec vous. Puis évidemment le Conseil du patronat du Québec a fait aussi des représentations devant nous, puis, bon, chacun a ses demandes qui sont particulières.

Puis vous y avez touché, là, en parlant de l'obligation d'accommodement, mais les personnes, là, dont l'indemnité de remplacement de revenus expire, qui se retrouvent sans rien... Puis vous avez vu que, dans le projet de loi, on permet maintenant... Je vais vous parler de la réadaptation avant consolidation, mais l'utilisation, notamment, dans l'année de recherche d'emploi, là. Parce que, quand la personne ne peut pas reprendre son emploi ou un emploi équivalent, on assiste la personne pour qu'elle intègre un emploi convenable, donc compatible avec ses limitations, dans le marché du travail, mais elle a droit à une pleine indemnité pendant une année, qu'on appelle l'indemnité de recherche d'emploi. Après ça, il y a une adaptation sur le montant de l'indemnité, mais qu'elle puisse bénéficier de tous les services d'Emploi-Québec, pendant cette période-là, et de tous les programmes applicables, et ça, moi, j'avoue, là, puis ça a été souligné par d'autres, je pense que ça va permettre un retour plus rapide, diminuer aussi les risques de chronicisation et permettre d'utiliser les talents de toutes les personnes, au Québec, qui ont eu des lésions professionnelles, là.

Mme Lippel (Katherine) : Je suis d'accord avec le fait qu'un soutien va aider à la condition. Et j'étais pas mal d'accord avec ce que j'ai entendu ce matin de l'UTTAM, la formation... pour quelqu'un qui ne parle pas français, donner trois semaines de formation pour apprendre le français... Lorsque tu as 60 ans, avec un handicap, vous n'allez pas trouver demain matin un emploi. Il faut une vraie formation pour ces gens-là, même chose au niveau de... (panne de son) ...informatique, il faut donner un accès à ces gens-là, des travailleurs manuels, travailleuses manuelles. Emploi-Québec fait un bon travail.

Dans le projet de loi, on a un article qui dit que les travailleurs vont perdre leurs indemnités si la CNESST estime que l'employeur aurait pu les ramener au travail. Je vous soumets que ça, c'est très injuste, il faut l'enlever. Il ne faut pas suspendre ce 12 mois sous prétexte que l'employeur aurait dû reprendre quelqu'un et il ne faut pas non plus forcer l'employeur à reprendre, c'est l'article 48, paragraphe 1, qui est ajouté, c'est dans le mémoire... il ne faut pas non plus forcer l'employeur qui ne veut pas voir le travailleur, le forcer absolument à le reprendre. Dans les cas de harcèlement psychologique, par exemple, ça ne fait pas des enfants forts, lorsqu'on force un employeur qui ne veut pas voir un salarié. Alors, il faut avoir du jeu et du doigté dans ce retour au travail.

• (11 h 30) •

M. Boulet : Je vais relire le libellé, puis, si c'est un effet, l'effet dont vous décrivez, je vais m'assurer que ce soit évité, là.

La réadaptation. Vous avez dit, la réadaptation, bien sûr, vous êtes sensible. Puis moi, j'ai la même, même sensibilité, là, plus le retour est prompt, plus c'est diligent, plus c'est bénéfique pour tout le monde. Puis, notamment, vous référiez au risque de chronicisation ou de chronicité, vous disiez : En autant que la réadapt soit favorable au travailleur et que le médecin... Moi aussi, j'adhère à ça. C'est sûr que, si on permet l'accès à des mécanismes de réadaptation, c'est pour coller à la particularité du...

Ah! puis je reviens, là, parce que vous faisiez référence à l'UTTAM puis le français. Il faut toujours que ce soit individualisé. Quand on accompagne, il faut que ce soit personnalisé. Et, si c'est des barrières linguistiques, il faut s'assurer d'aider la personne à les surmonter, et ça fait partie de d'autres approches, là, que nous avons, là, dans nos programmes gouvernementaux.

Mais je reviens à la réadaptation. C'est sûr que, si le médecin traitant dit : Ce n'est pas favorable ou il ne peut pas le faire, tu sais, il faut que le conseiller en réadaptation de la CNESST travaille en collaboration avec le travailleur, puis ça inclut aussi son médecin. Tu sais, il ne faut pas imposer un retour pour limiter les risques de chronicisation, il faut que ça se fasse de manière harmonieuse. Ça, je vous ai super bien entendue, et c'est l'intention que j'ai.

Là, ça devient peut-être un peu plus théorique, mais je veux quand même finir avec ça. Vous dites : Bon, trop de pouvoirs réglementaires à la CNESST, ça peut avoir un impact sur l'indépendance du Tribunal administratif du travail. Puis, pas que je suis en désaccord, mais, tu sais, un règlement, ça vise à donner des précisions. Il ne faut pas que ça se substitue à la loi, mais il faut que ça précise la loi. C'est comme ça qu'on me l'a enseigné et que je l'ai vu en pratique, du moins, dans la majorité des cas. Et puis ça permet de déjudiciariser, souvent, d'exercer un pouvoir réglementaire. Mais vous dites : Ça peut avoir un impact sur l'indépendance qui est nécessaire, bien sûr, que je respecte, du Tribunal administratif du travail. Juste, peut-être, me donner des explications complémentaires.

Mme Lippel (Katherine) : Je vais vous donner deux exemples. Le premier, c'est en matière de maladies professionnelles. Et, vous l'avez dit tout à l'heure, je me suis réjouie de l'entendre, le projet de règlement qui est dans le projet de loi limite la jurisprudence actuelle du TAT en ce qui concerne la reconnaissance des troubles musculosquelettiques. J'ai écrit un livre là-dessus de 600 pages. On a de la jurisprudence, on sait quand est-ce que 29 devrait s'appliquer, ça a été interprété. On vient d'ajouter des critères qui lient les mains du TAT pour écarter sa jurisprudence.

La même chose au niveau de l'article 30, et ça, c'est très préoccupant, il n'y a pas de règlement qui actuellement limite le pouvoir du TAT d'interpréter la loi. Et, si on donne un pouvoir réglementaire pour interpréter l'article 30, que ce sont les maladies professionnelles ou non visées par une présomption, ça a pour effet de contraindre le TAT de suivre la politique de la CNESST, ce avec quoi je suis en désaccord.

Et la même chose pour la réadaptation physique et les soins. Il y a quelque chose, même, qui suggère que la CNESST peut exiger que le travailleur ne puisse pas choisir son médecin traitant. Et ça, c'est un recul. Depuis 1936, c'est dans la loi, qu'il peut choisir son médecin traitant. C'est des petits détails, c'est parce que je suis tataouineuse parce que je suis avocate, là, ça fait ça, mais il faut regarder aux détails.

M. Boulet : Oui, Mme Lippel. Puis je veux avoir le temps de revenir sur le premier point, parce que, quand vous avez commencé à parler, j'ai eu une réaction spontanée qui exprimait mon accord avec, tu sais, cet exemple-là, là, pour les troubles musculosquelettiques. Puis je l'ai précisé dans l'intervention précédente, pour moi, là, puis, dans ma pratique, c'était ça, il y en avait trois : les tendinites, les bursites, les ténosynovites. Puis c'est des gestes répétitifs sur une période de temps prolongée. La jurisprudence avait bien campé les critères, on savait comment s'orienter. C'était clair pour les travailleurs, c'était clair pour les employeurs. La présomption s'appliquait, puis la jurisprudence était devenue fine sur ce qui était répétitif et ce qui était prolongé. Il y avait les concepts de micropauses, de tant de mouvements à la seconde. Puis, bon, je suis d'accord avec ça. Puis ce qui a été rajouté, là, bon, c'est une autre intention que j'exprime, on va alléger, on va s'assurer que ce qui existait avant soit maintenu. Tu sais, la jurisprudence, c'était devenu clair.

Puis là je comprends mieux votre point que trop de règlements, ça finit par un peu trop encadrer... j'allais dire «menotter», là, mais diluer un peu l'indépendance du Tribunal administratif du travail. Ça fait que merci de me redonner l'opportunité de préciser cet élément-là.

Ça fait que je vois Mme la Présidente qui commence à me dire que mon temps est sur le point d'être expiré. Merci beaucoup, Mme Lippel. Bon, on s'est déjà parlé, je vous connais, j'ai lu plusieurs de vos écrits. Puis j'apprécie beaucoup la façon dont vous travaillez et j'ai de l'estime pour la nature de ce que vous avez fait. Et il faut que je resouligne la qualité de votre mémoire. Merci beaucoup, puis au plaisir de se reparler et/ou de se rencontrer. À bientôt!

Mme Lippel (Katherine) : Merci.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, merci. Nous poursuivons l'échange avec le député de Nelligan. Vous disposez de 11 minutes.

M. Derraji : Merci, Mme la Présidente. Pre Lippel, merci beaucoup pour la qualité de votre mémoire et merci d'accepter de venir enrichir les membres de cette commission par vos travaux. Je souligne aussi, comme le ministre, la qualité de vos interventions dans ce domaine. Je pense que nous sommes vraiment chanceux de vous avoir parmi nous.

Je vais commencer par le premier volet. C'est une question qui a été soulevée par plusieurs groupes, vous soulevez une grande préoccupation par rapport aux pouvoirs réglementaires accrus de la CNESST. Est-ce que vous pouvez nous dire, de votre avis d'experte en la matière, quels sont les constats les plus préoccupants?

Mme Lippel (Katherine) : Merci pour la question, M. le député. Alors, j'ai déjà évoqué, avec M. le ministre, les articles 29 et 30, les pouvoirs réglementaires qui viendraient restreindre le pouvoir du tribunal d'appel, la définition de soins qui sont légitimement indemnisés. Si vous êtes victimes d'un accident de train et vous poursuivez le STM, vous avez le droit d'avoir l'ensemble des prothèses nécessitées par votre condition. Si on vient restreindre le pouvoir du tribunal d'appel de décider qu'un fauteuil roulant motorisé, par exemple, est une dépense légitime, c'est préoccupant.

Et actuellement la loi actuelle fournit les soins en fonction de la prescription du médecin traitant, qui peut être contestée. Alors, la CNESST n'est pas liée à tout jamais par ça, mais, au moins, l'accès aux soins, la prescription de physio, c'est le médecin qui le détermine, actuellement. Par ce qui est proposé, on va... on peut imaginer, parce qu'on ne voit rien, c'est une boîte à surprise, un pouvoir réglementaire... on peut imaginer qu'on donne un maximum de cinq séances de physiothérapie, avant. Et je ne sais pas ce qu'ils vont faire avec ça, et c'est ça, le problème, on ne sait pas.

M. Derraji : Oui. Vous avez parlé de l'Ontario et notamment sur le fait que... l'obligation pour les employeurs de divulguer les accidents de travail. Et pouvez-vous nous dire comment une telle divulgation viendrait aider à la prévention, au Québec, si tous les employeurs déclarent les accidents de travail à la CNESST?

Mme Lippel (Katherine) : Disons que le motif premier pour lequel j'en parle, c'est qu'étant donné que le Québec est la seule province où l'employeur n'a pas une obligation de les déclarer les statistiques comparatives ne valent rien, quant à moi, parce qu'on compare les pommes avec les poires, hein, ça n'a rien à voir. Parce que, si l'employeur a une obligation de déclarer... Ça ne veut pas dire que tout le monde respecte la loi. Mais c'est facile de dire : Oui, oui, oui, absent trois jours... Même «assignation temporaire», c'est dans la loi ontarienne. Il faut le dire, même si le travailleur ne manque pas de travail. Alors, c'est surtout qu'étant donné qu'on a une culture menée par l'argent et que l'argent est en fonction du nombre de réclamations, si on fait disparaître un nombre important de petites réclamations et qu'ensuite on évalue les risques, on risque de passer à côté des priorités.

• (11 h 40) •

M. Derraji : Oui. C'est un bon point. Et c'est là où je vous ramène à un autre angle de réflexion. Vous pensez qu'on finance la réforme de prévention en diminuant les coûts d'indemnisation. Est-ce que j'ai bien compris?

Mme Lippel (Katherine) : Ce que j'ai vu, dans l'analyse coût-bénéfice qui avait été produite, il y avait des exemples où on disait : Bien, on va sauver beaucoup d'argent sur la surdité, et, en sauvant de l'argent de la surdité, ça va aider à financer les comités de santé-sécurité. Alors, ce n'est pas... (panne de son) ...que ça, mais c'est ça, le souci. D'avoir les deux réformes dans une même loi permet... ça donne l'impression... ce que je dis dans mon mémoire. Si on était à la SAAQ, et on disait : On a besoin de plus de fric à cause du fait que la marijuana est légale, maintenant... (panne de son) ...les indemnités aux victimes de la route, il y a un problème.

M. Derraji : Oui, oui. Et est-ce que c'est de ce constat que vous avez conclu, que le régime d'indemnisation, il est moins équitable de ce qu'on a actuellement? Vous parlez plus... pas pour les montants, mais plus au niveau des obligations, l'accès à la reconnaissance, le dilemme entre l'indemnisation, le financement versus la mission première du régime, c'est la prévention. Parce qu'on ne veut pas aller à l'indemnisation, on ne veut pas aller à cette spirale de l'indemnisation, mais plus baser le régime sur plus de points de prévention.

Mme Lippel (Katherine) : Votre question n'est pas sur l'Ontario, maintenant, c'est la question...

M. Derraji : Non, non, non, je parle de chez nous, là. Au fait, le point de départ de l'Ontario, c'est pour vous ramener à ce qu'on veut faire ici. Parce que je comprends, et vous l'avez très bien... vous l'avez expliqué, ce qui se passe ailleurs, mais ce qui m'intéresse, c'est notre début de lecture du projet de loi article par article.

Mme Lippel (Katherine) : D'accord. Alors, ce qui est clair, pour moi, c'est que le Québec a besoin rapidement d'adopter une réforme de la LSST, de la Loi sur la santé et sécurité du travail. En 2000, on était au 63e rang des 63 États en Amérique du Nord pour la prévention. Et c'est une priorité, ça presse. Sur l'indemnisation, on était dans les 10 meilleurs régimes en Amérique du Nord. Et ce que je souhaite, c'est qu'on évite de dire : On peut se permettre de descendre au 30e rang pour l'indemnisation, pour monter au 30e rang en prévention. Ce n'est pas comme ça que ça marche. Ça ne coûtera pas cher au niveau de l'indemnisation parce que les gens ne vont pas...

M. Derraji : Merci. Combien il me reste, Mme la Présidente?

La Présidente (Mme IsaBelle) : Cinq minutes.

M. Derraji : Cinq minutes. Bien, je vais aller avec une question très rapide, parce que mon collègue de Roberval, lui aussi, a une question. La notion du risque versus l'effet sur les femmes. Vous avez vu, beaucoup de groupes, ils ont taxé ça de sexiste, de... ça cible les femmes. Il y a des groupes qui ont dit carrément : Pourquoi on n'a pas eu l'ADS? Et il y a un autre groupe qui a exigé l'ADS+. Vous, vous nous conseillez quoi, s'il vous plaît?

Mme Lippel (Katherine) : Merci pour la question. Je pense qu'il faut distinguer ce que le projet de loi évalue au niveau des niveaux de risque, et je partage complètement l'analyse qu'il y a un problème de discrimination systémique, non seulement pour les femmes, mais pour les travailleurs pauvres et racisés. Les gens qui ne gagnent pas très cher ne coûtent pas très cher. Alors, si on priorise en fonction des coûts, les travailleurs d'agence ne vont pas coûter très cher. D'ailleurs, sur le site Web de la CNESST, les travailleurs d'agence, les risques extrêmes... (Panne de son) ...risques modérés.

M. Derraji : Excusez-moi, Pre Lippel, vous avez dit que ce projet de loi favorise une discrimination systémique envers les racisés et les femmes? Juste pour que je puisse comprendre.

Mme Lippel (Katherine) : Je vais faire la distinction. Le projet de loi, en ce qui concerne les niveaux de risque publiés dans l'annexe qui est dans la loi... Et j'ai entendu M. le ministre dire qu'il va revoir cet aspect-là. Mais, si vous êtes préoccupés par la discrimination systémique, par l'analyse différenciée selon le sexe, je suggère de mandater, dans la loi, une évaluation des risques par les comités de santé-sécurité, par les programmes de prévention qui font une analyse différenciée selon le sexe. Ce n'est pas à l'Assemblée nationale de le faire pendant 10 ans, là. Vous pouvez adopter la loi telle quelle et assurer que, d'une manière délocalisée, les comités de santé-sécurité tiennent compte de la différence entre les hommes et les...

M. Derraji : Oui, mais le Conseil du statut de... pas le Conseil du statut de la femme, mais le Secrétariat à la condition féminine, déjà, en 2007, a obligé... vous comprenez ce que je veux dire, que l'ADS doit être fait surtout quand il s'agit de lésions professionnelles. Donc, pour moi, c'est un recul que le projet de loi que j'ai devant moi n'a pas pris en considération l'ADS.

Mme Lippel (Katherine) : Je peux vous dire ça, sauf qu'on sait, puis c'est allé jusqu'à la Cour d'appel du Québec, que, les groupes 4, 5, 6, dans les secteurs prioritaires, il y a une disproportion de femmes. Et, depuis 40 ans, on ne donne pas à des comités de santé-sécurité. Alors, retarder d'un autre cinq ans pour faire une analyse différenciée selon le sexe, dans la loi, va continuer la discrimination qu'on a actuellement, qu'on sait qu'on a actuellement. Alors, c'est pour ça, je ne voudrais pas voir qu'on retarde la mise en vigueur des comités mandatoires en santé et sécurité, par exemple, dans les secteurs de la santé, dans les secteurs 4, 5, 6, au nom de la création, sur papier, d'une analyse.

M. Derraji : Je comprends. Mais c'est au-delà de la création, je dirais, ou d'une analyse. Vous comprenez que, les analyses, il y a une rigueur derrière les analyses, on ne peut pas juste dire que c'est sur papier. Et je comprends l'enthousiasme du ministre, quand il entend votre réponse, mais, au-delà de ça, il y a des groupes de femmes qui sont venues nous le dire, en commission, et lever les drapeaux. Et, en tant que parlementaires, on doit être à leur écoute.

Ma question : Je suis d'accord qu'on ne peut pas retarder et je ne veux en aucun cas qu'on retarde, mais est-ce que c'est logique qu'on continue à avoir ces niveaux de risque? Et j'ai entendu le ministre ouvrir la porte qu'il veut... il est prêt à revoir les niveaux de risque. Mais votre conseil aujourd'hui? Je ne parle pas de l'ADS, mais ça nous prend quand même une lecture, parce que ce risque impacte d'une manière très directe des femmes, vous avez même parlé d'une discrimination systémique.

C'est là où on est, là, c'est là où on est. Je ne veux pas qu'on commence l'étude article par article et on dit : Il n'y a rien, les niveaux de risque n'affectent pas personne. C'est pour cela que j'échange avec vous, pour que vous puissiez nous orienter dans la bonne direction. Mais je vous entends qu'on ne peut pas retarder ça. Il n'y a personne qui le dit, là.

Mme Lippel (Katherine) : Très bien.

La Présidente (Mme IsaBelle) : En conclusion, il ne reste que 40 secondes.

Mme Lippel (Katherine) : Alors, je répondrai à la question.

M. Derraji : Oui, allez-y, allez-y.

Mme Lippel (Katherine) : Je pense et je partage ce qui a été dit par ma collègue Geneviève Baril-Gingras. Je pense que, si on élimine la hiérarchisation des secteurs, c'est très important de le faire, parce que c'est comme ça qu'on peut appliquer à tous et à toutes les mesures. Mais il ne faut pas faire une uniformisation à la baisse, au niveau de la qualité. Et là, bon, c'est un défi de trouver comment ça va se jongler comme tel. Mais la manière qu'on a mesuré le risque, dans l'annexe de la loi, c'est fondé sur les coûts. Les femmes gagnent moins que les hommes. Ça ne veut pas dire que, lorsqu'elles perdent un bras, c'est moins handicapant que l'homme qui fait 100 000 $ par année.

M. Derraji : Merci, Pre Lippel, vous l'avez très bien dit, c'est une analyse biaisée parce qu'on ne tient pas encore en considération l'aspect sur les femmes.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Merci.

M. Derraji : Donc, je vous remercie, encore une fois, pour votre présence et la qualité de votre mémoire.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Merci. Alors, ça sera pour la prochaine fois, M. le député de Robert-Baldwin. Nous poursuivons avec le député d'Hochelaga-Maisonneuve. Vous disposez de 2 min 45 s.

M. Leduc : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Lippel, bienvenue. J'aimerais discuter avec vous d'un enjeu qui n'est pas nécessairement dans votre mémoire, mais que je sais que vous avez travaillé, qui est la question du télétravail. Vous avez sûrement entendu, peut-être, des audiences précédentes. Vous avez écrit... vous avez participé à un rapport, là, Les enjeux juridiques du télétravail au Québec, en 2001, si je ne me trompe pas. Est-ce que le projet de loi qui est devant nous, projet de loi n° 59, qui ne contient pas vraiment d'éléments alentour du télétravail... est-ce qu'il y aurait pu avoir des choses qu'on aurait faites là-dedans ou est-ce qu'on pourrait, nous, rajouter, peut-être, des éléments en lien avec le télétravail, dans le mémoire, à travers des amendements?

Mme Lippel (Katherine) : C'est un rapport qu'on avait fait pour le CEFRIO, à l'époque. Alors, on était en 1999, lorsqu'on a écrit... l'informatique n'était pas ce que c'est aujourd'hui. Quant à moi, il y a peu qu'on doit changer, dans le projet de loi, au niveau du télétravail. Mais, là où il y a un grand souci... Lorsque je dis «il y a peu», j'ai été d'accord avec M. le ministre, lorsqu'il a dit : Les articles 49 et 51 s'appliquent au télétravail, que l'équipement devrait être fourni d'une manière adéquate, qu'on doit protéger la santé du travailleur, lorsqu'il y a un accident à la maison, alors que la personne est en train de travailler, l'article 28 s'applique. La jurisprudence... et il n'y en a pas beaucoup, mais elle est claire.

Là où j'ai un souci, et c'est en lien avec les risques psychosociaux, lorsqu'on fait une évaluation des risques psychosociaux, il faut surtout éviter des outils pour, par exemple, mesurer la productivité d'un travailleur en fonction des équipements qui font en sorte que la personne se sent tout le temps épiée. Ils appellent ça le technostress en anglais, peut-être en français aussi. Mais ça, c'est nouveau, on n'avait pas parlé de ça, en 1999. Mais évitez ça, parce que ça fait partie des risques psychosociaux, de tenir compte du technostress. Alors, l'évaluation des risques, qui est introduite par la nécessité, doit tenir compte des risques spécifiques au télétravail au niveau de la gestion du technostress, et au niveau de la gestion de la vie privée aussi, et conciliation travail-famille.

M. Leduc : Donc, ce genre d'outil là, on pourrait carrément les interdire à travers le projet de loi?

Mme Lippel (Katherine) : Oui, dépendant des outils. Certainement, le droit à la vie privée existe, c'est dans la charte, c'est dans le Code civil, et, malgré ça, les tribunaux acceptent la filature des travailleurs accidentés. Alors, laisser ça aux tribunaux, ça m'inquiète un petit peu, là. Si on peut interdire un certain type de techniques, ça, ça pourrait être un règlement, par exemple, dans le sens que la technicité d'avoir... c'est quels équipements qui peuvent nuire à la santé mentale et physique des travailleurs. Par règlement, un pouvoir réglementaire là-dessus, ça ne nuirait pas.

M. Leduc : Merci beaucoup.

• (11 h 50) •

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, merci. Nous poursuivons avec le député de Bonaventure. Vous avez vous aussi 2 min 45 s.

M. Roy : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Lippel. Écoutez, votre mémoire est chirurgical. Moi, je ne suis pas un expert du tout là-dedans, quand j'ai commencé à écouter les acteurs, qui sont venus nous présenter les mémoires, c'était un cours 101. Sauf que vous soulevez un nombre important d'enjeux. J'aime bien vos commentaires sur le rapport Morneau Shepell.           Je vais vous ramener à la page 2 de votre mémoire, vous dites une chose qui m'interpelle : «En échange de la protection contre les recours civils provenant des travailleurs, les employeurs financent ce régime sans égard à la faute. Il s'agit d'un élément fondamental qui devrait guider le législateur lors de toute réforme d'un régime de réparation.»

Ma question est assez globale : Est-ce que le projet de loi signe la fin d'une forme de contrat social entre... un pacte de non-agression entre, je dirais, les travailleurs puis les patrons? Parce que tout ce qu'on a vu, jusqu'à maintenant, produit un déséquilibre, dans le rapport de force, qui est phénoménal entre les travailleurs ou les patrons. Et, même, j'ai vu un endroit où vous dites que le Conseil du patronat puis la CNESST ont été en cour contre la Charte des droits et libertés sur les stratégies de réintégration. Ça fait que, là, il y a comme des liens, là, qui se font. Est-ce que nous sommes devant la potentielle fin d'un contrat social au Québec?

Mme Lippel (Katherine) : Ça dépend si je me base uniquement sur le projet de loi n° 59 ou si je me base sur les mémoires de certains intervenants qui voudraient vraiment déconstruire le contrat social. Il y a des qualités, dans notre régime, qui n'ont pas été touchées par le projet de loi. Le fait qu'on a une indemnisation minimale de 40 heures par semaine au salaire minimum, dès l'accident, fait en sorte qu'au Québec on est moins portés à externaliser, à demander aux agences de travail temporaire de faire du travail dangereux, parce qu'ils ne coûtent pas cher à indemniser, ces gens-là. Alors, il y a des choses qui sont excellentes, dans la LATMP actuelle, et où le projet de la CNESST et du ministre n'ont pas compromis ces acquis.

À partir du moment où on commence à dire : Bien, on écoute Pierre, on écoute Céline, on écoute tout le monde, et qu'on va enlever un petit peu ici et un petit peu là, là, c'est très dangereux. Entre autres, au niveau des prestations minimales, il ne faut pas toucher à ça, les articles 6 et 65, et il faut faire attention, avec ce qui est déjà là, de préserver... Il n'y a pas d'équilibre, parce qu'il n'y a pas d'équilibre entre les travailleurs accidentés non syndiqués puis le Conseil du patronat, il n'y en aura jamais. On doit se rappeler qu'on a une mission sociale pour respecter l'intégrité physique et psychologique de ces gens-là d'une manière digne.

M. Roy : Merci beaucoup, Mme Lippel.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Merci, Mme Lippel. Merci pour votre contribution très appréciée. Vous avez vu, ça s'est très bien passé.

M. Boulet : Merci, professeure.

Mme Lippel (Katherine) : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, nous suspendons les travaux quelques instants, le temps d'accueillir le prochain groupe.

(Suspension de la séance à 11 h 54)

(Reprise à 12 h 01)

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, bonjour. Nous poursuivons les auditions. Nous accueillons, cette fois-ci, l'Association des spécialistes en médecine préventive du Québec. Alors, nous donnons maintenant la parole aux représentantes.

Association des spécialistes en médecine
préventive du Québec (ASMPQ)

Mme Hemery (Marie-Laure) : Bonjour. Je me présente, je suis Marie-Laure Hemery, médecin spécialiste en médecine du travail. Je suis médecin-conseil et médecin responsable à la Direction de santé publique de Lanaudière, en santé au travail, professeure adjointe de clinique à l'Université de Montréal et médecin attachée à la Clinique de médecine du travail et de l'environnement du CHUM. Je suis également présidente de l'Association des spécialistes en médecine préventive du Québec, et c'est à ce titre que j'interviens aujourd'hui. Je laisse ma collègue se présenter.

Mme Titri (Nabyla) : Oui. Bonjour, Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes et MM. les membres de la commission parlementaire. Donc, je suis Nabyla Titri, je suis également médecin spécialiste en médecine du travail. Je suis médecin-conseil et médecin responsable en santé au travail dans le Réseau de santé publique en santé au travail, au CISSS des Laurentides. Je pratique également à la Clinique de médecine du travail et de l'environnement du CHUM. Je suis chargée d'enseignement de clinique à l'Université de Montréal et je suis secrétaire de l'Association des spécialistes en médecine préventive du Québec, et c'est à ce titre que j'interviens aujourd'hui.

En préambule, nous aimerions vous remercier du privilège qui nous a été fait : participer aux auditions de la commission parlementaire sur le projet de loi n° 59 concernant la modernisation du régime de santé et sécurité du travail au Québec, que nous saluons.

Notre association représente 187 médecins de deux spécialités, soit les spécialistes en médecine du travail et les spécialistes en santé publique et médecine préventive. Comme toutes les associations médicales de spécialistes, notre association est affiliée à la Fédération des spécialistes en... des médecins spécialistes — pardon — du Québec, la FMSQ. Notre vocation est essentiellement préventive, et nos champs d'expertise incluent la santé au travail, pour le volet préventif, mais également un volet clinique pour la prise en charge du... pour la prise en charge — pardon — des lésions professionnelles, notamment des maladies reliées au travail. Notre formation fait de nous les spécialistes reconnus de la santé des travailleurs.

Nous sommes fiers d'avoir pu produire le mémoire dans des délais aussi courts et en pleine pandémie de COVID, qui mobilise la quasi-totalité de nos membres à plus que du plein-temps depuis maintenant plus que 10 mois. Ce document a été élaboré grâce à l'expertise, à l'expérience et aux compétences des membres qui y ont travaillé ardemment et que nous remercions vivement. Nous sommes heureux de constater que vous avez jugé pertinent, aujourd'hui, de nous écouter.

Dans un premier temps, nous saluons les aspects du projet de loi qui représentent, pour nous, des avancées pour la modernisation du régime de santé et sécurité du travail, lequel n'a pas été révisé depuis plusieurs décennies. Parmi les points positifs, nous tenons à souligner que la Loi sur la santé et la sécurité du travail s'appliquera à tous les secteurs; que la couverture sera élargie à plus de catégories de travailleurs, tels les étudiants non rémunérés et les travailleurs domestiques; que la liste des maladies professionnelles ne sera plus intégrée dans la loi, elle fera l'objet d'un règlement à part entière, ce qui permettra une mise à jour plus souple et plus en adéquation avec les données médicales et les données scientifiques; la prise en considération des risques psychosociaux dans les milieux de travail est une avancée qui était très attendue et qui permettra de les identifier, de les prévenir et de prendre en charge les travailleurs qui sont en souffrance; la volonté de créer des comités, particulièrement le comité scientifique sur les maladies professionnelles, dont les travaux aboutiront à l'identification et à la reconnaissance de plus de maladies qui sont en lien avec le travail.

Je passe la parole à ma collègue, Dre Hemery, pour la suite de l'exposé. Merci.

Mme Hemery (Marie-Laure) : Merci beaucoup. Le projet de loi n° 59 a mis en exergue, toutefois, des enjeux qui nous semblent préoccupants. L'ouverture et l'obligation de prévention à tous les secteurs d'activité est conditionnelle à la catégorisation prédéterminée du niveau de risque dans le secteur considéré. Comme il a été fait mention à moult reprises au cours des audiences, la classification utilisée nous semble peu appropriée car, non étayée par des évaluations scientifiques, elle ne reflète pas les réalités des établissements.

Nous recommandons donc que, si classification il devait y avoir, elle soit basée sur les données scientifiques et sur des évaluations objectives des risques en milieu de travail. Le Réseau de santé publique en santé au travail a d'ailleurs, depuis 40 ans, acquis une expertise solide en ce domaine.

L'obligation, maintenant, de prévention, incluant des éléments de santé, incombant uniquement à l'employeur nous semble un pari risqué, l'employeur devenant unique responsable depuis l'identification des risques jusqu'à leur prévention, en incluant le dépistage des maladies professionnelles, et ce, sans encadrement clair. Actuellement, l'employeur a déjà les responsabilités de la protection de ses travailleurs et de la correction des situations à risque dans son milieu de travail. Toutefois, comme on a pu le constater en étant sur le terrain, la priorité dans les établissements en santé et sécurité au travail est donnée à la prévention des accidents et aux risques à la sécurité dans la majorité des cas.

Le programme de santé spécifique à l'établissement, clairement défini dans la Loi de santé et sécurité au travail actuelle et dont l'élaboration et la mise en application est confiée au médecin responsable, est éliminé dans le projet de loi n° 59, il est remplacé par des éléments de santé qui seront inclus dans le programme de prévention et pour lesquels le médecin chargé de la santé au travail collaborera, à la demande de l'employeur et uniquement sur certains points.

Le rôle du représentant à la prévention est maintenant renforcé, mais ce dernier n'aura besoin, légalement, que d'un minimum de sept heures de formation, ce qui nous semble nettement insuffisant pour acquérir les compétences nécessaires pour identifier les risques, et notamment les risques psychosociaux, et formuler les recommandations qui s'imposent. Nous restons également soucieux du temps alloué au représentant pour accomplir ses missions au sein des établissements, et notamment les plus gros.

Nous craignons également qu'advenant un travailleur victime de maladie professionnelle la non-identification du risque ou sa sous-estimation dans le programme de santé ou le programme de prévention élaboré par l'employeur puisse alimenter le refus de reconnaissance de la maladie professionnelle.

Nous recommandons donc que les médecins chargés de la santé au travail, sous la houlette des directeurs de santé publique, soient obligatoirement consultés sur les programmes élaborés par les employeurs afin de garantir la prise en charge adéquate des risques à la santé pour les travailleurs exposés et qu'ils soient les interlocuteurs privilégiés des chargés de prévention.

Concernant la création du comité des maladies oncologiques, nous recommandons la formation d'un seul comité de reconnaissance des maladies professionnelles qui aurait pour mission de déterminer si un travailleur est atteint de maladie professionnelle de quelque nature que ce soit, et ce, advenant un cas complexe, un doute scientifique ou pour une situation hors liste de maladies professionnelles établie par règlement. Ce comité comprendrait le comité pressenti des maladies oncologiques mais aussi le comité des maladies pulmonaires professionnelles. Nous recommandons également que, minimalement, un membre de ce comité ait des compétences et des connaissances en médecine du travail et en santé au travail.

Concernant le comité scientifique des maladies professionnelles, son autonomie et son indépendance doivent être assurées et ses conclusions ne doivent se baser que sur des données de la science pour identifier les maladies reliées au travail. Le rôle de ce comité sera de conseiller le ministre du Travail. Nous recommandons aussi que les conclusions de ce comité s'imposent à la commission pour la reconnaissance de telles maladies. La liste, telle que proposée, des maladies professionnelles à inscrire au règlement mériterait d'être revue, notamment par l'ajout de risques déjà validés ou objectivés dans les données de la littérature scientifique et médicale : par exemple, les maladies reliées au travail de nuit, le syndrome du tunnel carpien, la maladie de Parkinson et des atteintes oncohématologiques liées aux pesticides, les maladies induites par les risques psychosociaux, pour ne citer qu'elles.

• (12 h 10) •

Autre point qui a déjà été mentionné, les valeurs de référence qui sont maintenant spécifiées dans le règlement pour la reconnaissance de certaines maladies professionnelles, comme l'intoxication au plomb, sont incohérentes avec les données de la science.

Concernant le projet clinique et la prise en charge des lésions professionnelles, la commission, dans le projet de loi n° 59, a la possibilité de mettre fin à des traitements et des interventions de réadaptation si elle l'estime nécessaire, et ce, sans consultation préalable obligatoire du médecin qui la charge. Toutefois, elle pourrait, si elle le jugeait nécessaire, soumettre un plan de réadaptation au médecin du travailleur et déterminer la date à laquelle les mesures de réadaptation ne sont plus nécessaires. De plus, en cas d'assignation temporaire, le médecin n'a plus d'avis médical à donner pour un retour au travail sécuritaire et favorable puisque, dans le projet de loi, c'est la commission, en collaboration avec l'employeur, qui s'octroie ce rôle. Il s'agit d'une ingérence dans la pratique médicale, et nous sommes excessivement inquiets.

Nous regrettons, enfin, que le projet de loi n° 59 n'aborde pas le développement de services spécialisés en médecine du travail au Québec ainsi que la mise en place de corridors de services cliniques multidisciplinaires spécifiques dédiés au diagnostic et à la prise en charge des maladies professionnelles, en incluant, évidemment, la prise en charge des atteintes psychologiques liées au travail et dont les médecins spécialistes en médecine du travail, qui sont formés spécifiquement à ce type de pathologies et à la connaissance des milieux, devraient être considérés comme essentiels. La formation de nouveaux médecins devrait être, à notre avis, considérée comme prioritaire.

Nous pouvons être très prolixes sur la question car nous avons acquis, au cours de notre formation et de notre carrière, une expertise médicale et scientifique solide, que ce soit en identification des dangers, évaluer la prise en charge des risques professionnels dans les milieux de travail... qu'en diagnostics, prise en charge et accompagnement des travailleurs victimes de lésions professionnelles. La préservation de la santé des travailleurs est notre priorité, mais nous avons conscience que toutes les actions de prévention ne peuvent se faire sans la parfaite collaboration des employeurs, des travailleurs et de tous les acteurs impliqués, y compris vous.

La modernisation efficace et pérenne du régime de santé et de sécurité au travail doit impérativement considérer les éléments suivants : tenir compte à tous les niveaux, incluant la gouvernance, des expertises médicales, scientifiques, des médecins spécialistes de la santé des travailleurs ainsi que des données probantes; tenir compte des recommandations des institutions de référence internationale, dont l'Organisation mondiale de la santé et le Bureau international du travail, concernant l'importance primordiale de l'autonomie et de l'indépendance du médecin du travail et de son équipe.

Nous ne sommes en aucun cas des juristes, encore moins des employeurs, mais nous comprenons parfaitement leurs enjeux et leurs préoccupations. Notre crainte est que l'expertise médicale et scientifique ne soit diluée, voire perdue, dans ce projet de loi.

Pour terminer, vous conviendrez que tout bénéfice ou économie financière ne peut se faire au détriment de la santé des travailleurs. Primum non nocere. Nous souhaitons juste que le projet de loi adhère à ce principe qui nous est cher. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, merci. Nous commençons immédiatement la période de questions avec M. le ministre. Vous disposez de 16 min 30 s.

M. Boulet : Merci, Mme la Présidente. Merci, docteure et docteure, pour votre engagement, pour votre participation à notre commission parlementaire. Comme vous savez, on est à l'étape des consultations. Il y a eu un projet de loi qui a été soumis avec des objectifs clairement exprimés. On passe d'un régime qui n'a pas été revu depuis 40 ans, où il y a des mécanismes de prévention — je vous vois hocher de la tête — ... ne s'appliquaient qu'à à peu près 25 % des travailleurs. Il faut les étendre. Il faut permettre aussi une plus juste participation des travailleurs puis il faut le faire dans une perspective d'équité à l'égard de tous les travailleurs et toutes les travailleuses. Et j'ai bien compris, d'ailleurs, pour les niveaux de risque. Puis vous dites : Idéalement, non, mais, s'il y a des niveaux de risque, il faut aller au-delà d'un calcul qui tient compte des masses salariales et des déboursés mais aussi tenir compte des données scientifiques.

Puis j'apprécie, parce que ça m'apparaît être un fil conducteur de vos propos, de se fier à la science, notamment la science médicale, et c'est ce qui nous a guidés dans le comité de scientifiques qui va nous permettre d'enrichir et de bonifier la liste des maladies professionnelles présumées. On l'a actualisée pour les troubles de stress post-traumatique. Vous rappelez, puis vous le savez, 67 % des réclamations de nature psychologique découlent d'un trouble de stress post-traumatique. Il y a neuf cancers, particulièrement chez les pompiers et pompières, et vous avez fait référence, Dre Hemery, à d'autres qui devraient être ajoutés, oui, éventuellement. Puis les scientifiques qui vont former ce comité-là seront des spécialistes, comme vous, qui vont demeurer à l'affût de l'évolution des connaissances, faire des avis, des recommandations qui vont être rendus publics et qui vont permettre au ministre et au gouvernement d'enrichir cette liste-là qui va faire partie d'un règlement et non d'une annexe. Et une annexe, bien, comme c'est partie intégrante d'une loi, c'est beaucoup plus long et compliqué à modifier, alors qu'un règlement va être beaucoup plus facile à adapter à l'évolution des connaissances.

Je vais vous faire parler un peu... Puis, Dre Titri, vous faisiez référence aux compétences et à l'expérience. Les compétences, je n'en doute aucunement. L'expérience de votre groupe, là, vous êtes 187 médecins du travail, vous êtes en médecine du travail puis, évidemment, vous faites de la santé publique puis de la prévention. Souvent, on a de la difficulté... puis j'aimerais vous entendre là-dessus, sur la ligne qui sépare la mission du médecin traitant ou du médecin qui a charge du travailleur et le médecin expert qui fait de la médecine du travail. J'aimerais vous entendre, en me parlant peut-être de vos expériences passées, puis je dis ça au Dr Titri, ça pourrait être Dre Hemery après, là, mais j'aimerais ça, vous entendre.

Mme Titri (Nabyla) : Merci, M. le ministre. Effectivement, c'est une question très pertinente et très intéressante, parce qu'au moins on commence à rayonner, ça nous fait plaisir. On s'occupe... Comme je le disais, on est les experts de la santé des travailleurs, de par notre formation. Donc, c'est une spécialité médicale qui existe dans le monde depuis fort longtemps et qui a été reconnue au Québec, heureusement, depuis quelques années. Le problème a déjà été soulevé que nous ne sommes pas nombreux, malheureusement. Mais, de par de notre expérience, de par notre formation, nous sommes formés, justement, pour le volet préventif et le volet clinique.

Donc, pour le volet préventif, nous sommes formés à reconnaître les risques à la santé dans les milieux de travail. Quand je parle de reconnaître les risques à la santé dans les milieux de travail, c'est évaluer les dangers auxquels sont exposés les travailleurs. Puis, une fois que les dangers sont évalués de façon scientifique, on s'entend, on évalue... le médecin évalue les risques à la santé qui peuvent résulter de ces expositions à ces risques-là. Enfin, nous sommes formés pour essayer d'accompagner et d'aider nos patients travailleurs dans les milieux de travail dans tout ce qui touche à la prévention. Ça, c'est pour le volet préventif.

Pour le volet clinique, nous sommes des cliniciens, nous sommes médecins avant tout. Et donc nous sommes formés également pour identifier les problèmes de santé et essayer de faire le lien, parce qu'on connaît les milieux de travail, on a été formés pour ça, donc essayer de faire le lien avec les expositions que les travailleurs ont dans les milieux de travail. Donc, notre formation est assez vaste, est assez large. C'est ce qui en fait une spécialisation et une spécialité.

Et moi, quand je reçois un patient en clinique, vu que j'exerce à la Clinique de médecine du travail et de l'environnement du CHUM, je connais les risques, je sais les identifier. Je suis également médecin à charge de travailleurs et, quand je suis convaincue qu'il y a un fort lien, un lien très probable entre une pathologie ou un problème de santé qui est relié au travail, je l'affirme et je le mets, donc je fais le diagnostic clinique.

En fait, pour vous résumer la situation, M. le ministre, et je laisserai après ma collègue, Dre Hemery, compléter, c'est qu'on est médecins avant tout. Donc, moi, mon patient, c'est un groupe de travailleurs dans une entreprise. Donc, je m'occupe de prévenir les risques, de les identifier. Donc, je fais un diagnostic, je fais une investigation. Je suis médecin, je suis aidée par des spécialistes et des experts du milieu, donc des hygiénistes, des techniciens, des infirmières en santé au travail, et je fais le diagnostic, je suis mon patient, je lui donne un traitement, je fais de la prévention, je fais de la promotion de la santé. Ça, c'est le volet préventif. Et c'est très important que les liens soient faits entre le volet préventif et le volet clinique, parce quelqu'un qui... un médecin qui se charge du patient pour une pathologie professionnelle, sans faire le lien avec ce à quoi il est exposé, ça pose problème.

Donc, je vais laisser Dre Hemery peut-être compléter là-dessus.

Mme Hemery (Marie-Laure) : ...

La Présidente (Mme IsaBelle) : ...micro.

Mme Hemery (Marie-Laure) : Excusez-moi, oui. Pour préciser le rôle qu'on a exactement dans le réseau, c'est que, comme le disait le Dre Titri, nous, on est des médecins. On est des médecins, et notre patient, c'est l'entreprise, et notre rôle, c'est de faire un diagnostic. Donc, on fait des diagnostics de ce qui ne va pas dans les entreprises. On est aidés avec des examens complémentaires, comme n'importe quel médecin qui a besoin d'une radiologie ou d'un bilan sanguin. Nous, notre examen complémentaire, ça va être l'analyse des risques par les hygiénistes du travail, par les ergonomes, par les techniciens en hygiène. Et, comme tout médecin, on ne peut pas travailler sans des équipes d'infirmières.

Donc, de ce point de vue là, c'est vraiment l'analogie qu'on pourrait faire avec le monde médical, on fait un diagnostic, on fait une prescription, on fait une prescription de médicaments, qui s'appelle programme de santé au travail, et puis on fait un suivi, on fait un suivi de nos patients. Évidemment, on a des patients qui vont très bien, pour lesquels on n'a pas besoin de faire de prescription, et puis il y en a d'autres qui vont un petit peu moins bien.

Nous, notre risque avec le projet de loi n° 59, actuellement, c'est qu'on craint qu'en fait le patient-entreprise ne s'autodiagnostique, ne s'autoprescrive et puis ne s'autosuive, sans un avis médical, et qu'advenant la survenue d'un cancer ou la survenue d'une maladie incontrôlable il puisse faire appel à nous. Donc, c'est ça, notre crainte, c'est l'autodiagnostic par l'employeur qui nous pose question.

• (12 h 20) •

M. Boulet : Oui, tout à fait. Puis ça revient au concept de compétence et d'expertise. J'ai trois autres questions. Je vous demanderais, si c'était possible, d'y aller un peu sommairement dans vos réponses.

Mais bon, là, médecin traitant, médecin du travail, puis il y a les spécialistes aussi. Parfois, on a besoin d'un orthopédiste, on a besoin d'un psychiatre, dépendamment de la nature du travail puis dépendamment du diagnostic. Et les risques ne sont pas les mêmes, là, dépendamment... tu sais, il faut tenir compte de l'environnement de travail de la personne. Mais j'aimerais ça juste que vous m'expliquiez : Est-ce que, dans votre équipe, vous avez aussi des spécialistes à qui les dossiers sont référés en tenant compte des diagnostics? Peut-être une réponse, Dre Titri ou Dre Hemery, puis après ça je vais aller à mon autre question.

Mme Hemery (Marie-Laure) : Bon, je peux peut-être commencer en disant qu'effectivement, à la clinique, la volonté, c'est de créer des corridors de services et puis des équipes multidisciplinaires avec des spécialistes de certaines spécialités, comme les dermatologistes ou les pneumologistes vont avoir des corridors de services qui pourraient venir nous aider à faire les diagnostics de la pathologie. Tant et si bien que le lien avec le milieu de travail et le lien avec l'exposition professionnelle nous incombera toujours, en médecine du travail, parce que c'est nous qui sommes une interface entre le milieu de travail et la médecine, mais on a toujours besoin des cliniciens pour établir le diagnostic de la pathologie, c'est évident. Et on cherche à établir ces corridors de services actuellement.

Mme Titri (Nabyla) : Je compléterai...

M. Boulet : D'accord. Puis...

Mme Titri (Nabyla) : ...si vous le permettez, juste pour répondre.

M. Boulet : Oui, allez-y, je le permets.

Mme Titri (Nabyla) : Merci, M. le ministre. Pour compléter ce que dit le Dr Hemery et pour répondre à votre question, oui, en tant que praticiens à la Clinique de médecine du travail et de l'environnement du CHUM, on sollicite nos collègues spécialistes pour confirmer ou assurer un diagnostic clinique, mais effectivement le lien nous incombe à nous, médecins formés en médecine du travail.

M. Boulet : D'accord. Merci. Vous référez souvent à l'analyse, à votre expertise dans la compréhension des risques. J'aimerais ça, que vous nous fassiez aussi la nuance. Quand on parle de risque, c'est en ce qui concerne le poste effectué, les fonctions, les responsabilités, l'environnement de travail. Faire la nuance ou la ligne de démarcation entre ça et la personne qui effectue le travail, comment ça se concrétise, docteure?

Mme Hemery (Marie-Laure) : Bien, ce qu'il faut comprendre, c'est qu'un risque, la définition d'un risque, c'est une probabilité. Donc, dans les milieux de travail, il y a des dangers, il y a des sources de danger. Je veux dire, que ce soient les solvants, que ce soit le bruit, que ce soient, enfin, les contraintes de manutention de charges. Ça, c'est des dangers. Et puis le risque, c'est que la personne qui est exposée à ce danger puisse avoir des lésions. Donc, pour... quand vous avez une évaluation de risque, il faut pendre en considération la fréquence d'exposition, la gravité de l'exposition, les moyens qui sont mis en place pour protéger les travailleurs par rapport à ce danger. Donc, c'est tout ça qui rentre en ligne de compte. Donc, c'est une interface entre un danger et une personne qui va déterminer s'il y a un risque qui va être sévère, qui va être modéré ou qui va être léger.

C'est là-dessus que notre travail repose. C'est qu'en évaluant, dans les milieux de travail, le degré de risque auquel les travailleurs sont exposés on va proposer des interventions proactrices qui devraient être soit urgentes, soit semi-urgentes, soit qui peuvent attendre. Donc, c'est ça qui va déterminer.

M. Boulet : Merci, docteure. Bien, vous savez qu'un élément qui nous a guidés dans la préparation du projet de loi n° 59, c'est que, bon, avant, il y avait des groupes prioritaires, puis on associait des mécanismes de prévention à des groupes prioritaires. Il y en avait six. Il y avait seulement les groupes 1 et 2, puis c'étaient des secteurs, évidemment... les mines, la foresterie, c'étaient des secteurs qui étaient importants à l'époque, en 1979 et 1985, à forte prépondérance masculine. L'économie s'est tertiarisée beaucoup, beaucoup plus d'emplois à prépondérance féminine, les services, la santé, le social, l'éducation, et nous, ça nous a guidés. On voulait s'assurer que les femmes... ou que, dans les emplois à prépondérance féminine, on ait accès aux mêmes mécanismes de prévention et de participation. Mais ça, ça nous a véritablement guidés.

Puis, quand on parle de nouvelle économie ou de nouvelles organisations du travail avec beaucoup plus de femmes, on parle de risques émergents, notamment les risques psychosociaux que nous avons intégrés dans notre projet de loi n° 59. Puis l'article 2 de la loi santé-sécurité dit que le but ou l'objet de la loi, c'est d'abord d'identifier les risques pour mieux les contrôler et les éliminer pour assurer la santé, la sécurité, puis là on va rajouter aussi intégrité psychologique, là, parce que ça nous a été suggéré.

Si vous aviez, puis là j'aimerais ça vous écoutez toutes les deux, à me définir ce qu'est un risque psychosocial, qu'est-ce que vous me diriez? Dre Titri d'abord.

Mme Titri (Nabyla) : C'est une excellente question. On est en santé au travail et donc on parle de risques psychosociaux au travail. Donc, c'est toute... comment je vais dire ça, c'est tout danger auquel est exposé ou serait exposé un travailleur ou une travailleuse dans son milieu de travail et qui pourrait affecter sa santé mentale.

M. Boulet : C'est une maudite bonne définition. Excusez-moi.

Mme Titri (Nabyla) : Je vais laisser Dre Hemery compléter.

M. Boulet : Merci.

Mme Titri (Nabyla) : Mais pourquoi je dis ça, c'est parce que ça peut être très vaste, M. le ministre...

M. Boulet : Oui, ça peut être très variable. Non, mais c'est une définition générale que je trouve appréciable. Oui, Dre Hemery.

Mme Hemery (Marie-Laure) : Il n'y a pas une seule définition. Ça regroupe beaucoup de composantes qui peuvent être présentes en milieu de travail, incluant le harcèlement psychologique et le harcèlement sexuel. Ça peut inclure, évidemment, tout ce qui peut être...

M. Boulet : Absolument.

Mme Hemery (Marie-Laure) : ...de l'épuisement professionnel, ce qu'on appelle le burn-out — moi, je préfère le burn-out. Ça peut inclure aussi tout ce qui peut être lié aux contraintes organisationnelles : le manque de reconnaissance, la charge de travail, la latitude décisionnelle. C'est extrêmement... c'est un champ extrêmement vaste, les risques psychosociaux, qui ne s'arrête pas à la violence, qui ne s'arrête pas au harcèlement. C'est un panel de facteurs de risque et d'impacts à la santé qui sont vraiment spécifiques et qui méritent, effectivement, qu'il y ait une prise en charge, une identification et des corridors de services pour prise en charge qui soient spécifiquement dédiés à ce type de risque là.

M. Boulet : D'accord. Merci beaucoup. Il me reste une minute. Par oui ou par non, est-ce que vous témoignez souvent à titre d'experts devant le Tribunal administratif du travail?

Mme Hemery (Marie-Laure) : Personnellement, non.

Mme Titri (Nabyla) : Non.

M. Boulet : O.K., mais est-ce que, dans votre groupe, il y en a qui le font?

Mme Hemery (Marie-Laure) : Oui.

M. Boulet : O.K., parfait. Merci.

Mme Hemery (Marie-Laure) : On a des médecins qui sont... au Tribunal administratif aussi.

M. Boulet : Ah! O.K., parfait. Merci beaucoup, beaucoup. C'est instructif. Et j'avoue que votre présence, ici, nous permet... en tout cas, moi, m'a permis d'aborder un autre volet du processus de consultation. Merci beaucoup et au plaisir de vous rencontrer.

Mme Titri (Nabyla) : M. le ministre, si vous avez encore un tout petit peu de temps, j'aimerais vous poser juste une petite question. Bien, si ça ne vous dérange pas.

M. Boulet : Non. Ça dépend de la question.

Mme Titri (Nabyla) : Non, c'est une petite inquiétude. C'est juste par rapport à tout ce que nous avons dit, nous et nos collègues médecins, que vous avez eu l'occasion d'écouter. J'aimerais ça, savoir votre opinion : Est-ce que ça va avoir un impact sur la nouvelle mouture, on va dire, du projet de loi? Est-ce que ça vous a éclairé, on aimerait ça vous entendre, tant sur le plan préventif pour les médecins qui exercent en santé au travail que pour le plan clinique?, parce qu'on a soulevé beaucoup d'enjeux.

• (12 h 30) •

M. Boulet : La réponse, elle est très claire, c'est oui. Moi, les consultations, je veux que ça génère des retombées. Je l'ai exprimé puis je vais travailler beaucoup avec mes collègues du parti gouvernemental et des partis d'opposition, on va bonifier la loi puis on va proposer des amendements avant de commencer l'étude détaillée article par article. La réponse, c'est oui, totalement. On prend des notes, tout est enregistré, et moi, ça me permet... ça m'a même permis, Dre Titri, d'annoncer des intentions à certains égards. Et, pour l'aspect médical, j'en aurai toujours à apprendre, comme les médecins en apprennent dans le droit de la santé puis dans l'application des lois.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Merci, M. le ministre.

M. Boulet : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Vous avez bien répondu à la question. Alors, nous poursuivons avec le député de Nelligan. Vous avez 11 minutes.

M. Derraji : Oui. Merci, Mme la Présidente. Merci, Dre Hemery, Dre Titri, pour votre présence, la qualité de votre mémoire, c'est très pertinent. Et, juste pour vous dire, la présence en commission, ça permet de clarifier les points, c'est pour cela qu'on propose des questions. L'équipe du ministre prend des notes, mais le travail va continuer. Donc là, on est en processus de consultation, et c'est pour cela que, parfois, les gens se posent la question : Bien, pourquoi telle question, telle question? Bien, justement parce qu'on est devant une réelle problématique.

La première problématique, vous l'avez soulevée à la page 15, c'est par rapport au niveau de risque, et vous avez dit que «la catégorisation [...] des secteurs d'activité par niveau de risque — faible, moyen et élevé — présente des lacunes. Elle ne tient pas compte des risques réels en entreprise, ni de l'évaluation de la prise en charge des risques en entreprise, ni des données scientifiques probantes.» Donc, au fait, vous n'êtes pas le premier groupe qui mentionne que la façon avec laquelle les risques sont ajoutés au projet de loi ne se base pas sur des données scientifiques probantes. Et, depuis le début, j'entends que le projet de loi s'est basé sur des données scientifiques, alors que, les niveaux de risque, on s'éloigne de la science.

Est-ce que, selon vous, on fait fausse route avec les niveaux de risque qu'on a, actuels? Et, si on fait fausse route, comment on doit revenir en utilisant les données probantes? Juste vous dire quelque chose, je n'ai pas beaucoup de temps, j'ai juste 11 minutes, pas comme le ministre, donc, si vous pouvez me répondre brièvement, j'ai d'autres questions, si ça ne vous dérange pas.

Mme Titri (Nabyla) : O.K. Je vais commencer puis je vais être très brève. Ce que je veux dire, c'est qu'on ne remet pas en question la bonne volonté de l'évaluation de risque. Ce que je peux vous dire, c'est que l'évaluation de risque, telle que nous l'avons vue... du niveau de risque — pardon — telle que nous l'avons vue, est incomplète, et elle mériterait d'être complétée, justement, avec les éléments que nous avons énoncés. Donc, c'était très court, ma réponse est très brève, j'espère qu'elle est claire. Et je vais laisser Dre Hemery compléter.

Mme Hemery (Marie-Laure) : Bien, pour rebondir là-dessus, c'est évident que ne prendre en considération que l'indemnisation pour évaluer un niveau de risque, c'est ne pas considérer l'ensemble de la problématique. Quand on sait la sous-déclaration des maladies professionnelles, la sous-déclaration... la sous-reconnaissance des maladies professionnelles qui demandent à être reconnues, c'est sûr qu'on est là sur la partie peut-être immergée de l'iceberg. Donc, ne prendre en considération que cette partie-là pour évaluer un niveau de risque nous semble extrêmement...

M. Derraji : Et, un peu plus loin, vous avez dit : «Cette catégorisation est basée sur une analyse économique considérant les coûts directs de la prise en charge [du travailleur] et la masse salariale, ne tient absolument pas compte de la réalité des risques dans les milieux ni [...] données scientifiques et ne requiert aucune évaluation des risques.» Et vous savez que, déjà, si on évalue les risques d'une mauvaise façon, on ne peut pas aller plus loin au niveau de, je dirais, envoyer un message. Et c'est là où je vais vous interpeller.

Ce que j'aime avec votre spécialité, c'est que vous avez à la fois le volet prévention et le volet clinique. Premièrement, est-ce qu'on a assez de médecins spécialistes en médecine du travail au Québec? Pensez-vous qu'on s'en va dans la bonne direction, surtout avec ce projet de loi, et on veut vous interpeller davantage? Et la question, je l'ai sentie dans l'intervention de Dre Titri, à la fin : Quand vous avez vu le projet de loi, est-ce que vous vous êtes posé la question : Est-ce que, vraiment, on veut de vous encore dans les milieux de travail ou bien on essaie de vous soustraire à d'autres intervenants?

Mme Hemery (Marie-Laure) : Bien, clairement, la première question, je vous répondrai que non, c'est évident, et que c'est un combat de tous les jours, notamment pour notre association, de se battre pour avoir des postes identifiés puis des postes dédiés à nos spécialités. Donc, évidemment, non, il n'y a pas assez de spécialistes. Est-ce que c'est une raison pour exclure les médecins spécialistes du système, parce qu'il n'y en a pas assez? Assurément pas. Je pense que le problème, il doit être ailleurs.

Est-ce qu'on a ressenti une volonté de nous exclure? Tout est une question d'interprétation. C'est sûr qu'on a écouté le Conseil du patronat puis qu'on s'est demandé, bien, qu'est-ce que... Pourtant, on apporte des choses au milieu du travail. Je veux dire, rien qu'à voir, avec la COVID, qu'est-ce qu'on apporte au milieu de travail, on les conseille, on les accompagne dans la gestion des éclosions, je veux dire, on est très présents dans les milieux de travail. Et je peux vous dire qu'actuellement on est extrêmement appréciés, dans les milieux de travail, pour accompagner les employeurs.

Donc, est-ce qu'on se sent un petit peu mis de côté? Peut-être. Est-ce qu'on regrette de ne pas être reconnus à notre juste valeur? Assurément. Mais là est notre force. Et notre démarche et notre mission, actuellement, c'est de faire en sorte qu'on reconnaisse l'expertise de nos membres, l'expérience de nos membres et l'impérieuse nécessité de ne pas mettre la science et l'expertise médicale de côté.

M. Derraji : Oui. Bien, je tiens juste à vous préciser quelque chose, et je tiens à remercier le ministre, c'est que j'ai formulé une demande claire d'avoir une autre journée et, sérieusement, je tiens à vous le dire que ça a été salué, le fait de vous avoir aujourd'hui parmi nous. Donc, je tiens juste à vous dire qu'au contraire les membres de la commission nous sommes tous... nous sommes vraiment contents de vous écouter.

Je peux juste passer à une autre question? Oui, Mme la Présidente, je vous vois, hein? Je passe à une autre question par rapport aux maladies professionnelles : Selon vous, est-ce qu'on se base sur la science, et sur les données probantes, et sur les travaux de l'INSPQ pour élaborer les maladies professionnelles, ou bien, encore une fois, le législateur fait fausse route?

Mme Hemery (Marie-Laure) : Bien, les conditions dans lesquelles la liste des maladies professionnelles est élaborée, ça, on ne connaît pas beaucoup de... on n'est pas considérés puis on n'est pas sollicités pour établir cette liste. C'est sûr que, quand on voit des aberrations comme le niveau de plomb qui est fixé pour la reconnaissance de l'intoxication au plomb, on se pose des questions.

M. Derraji : Juste pour le bénéfice des membres, le pourcentage utilisé au niveau du plomb, il n'est même plus enseigné au niveau des facultés de médecine. Corrigez-moi, donc, c'est une erreur, déjà, au niveau de l'écrit, ou quoi?

Mme Hemery (Marie-Laure) : Bien, c'est-à-dire qu'en pratique clinique je peux vous dire que ce n'est pas cette unité de mesure qui est utilisée, hein? On est en micromole par litre, nous, actuellement, dans la clinique, et puis ça fait une vingtaine... ça fait plusieurs années que ce n'est plus des microlitres, mais vraiment des micromoles. Donc, c'est des micromoles, donc ce n'est pas la bonne unité de mesure qu'on utilise en pratique clinique, ça, c'est sûr.

M. Derraji : Et on comprend qu'il y a une énorme différence entre un micromole et microlitre, donc?

Mme Hemery (Marie-Laure) : Après, on peut faire des équivalences. Donc, les équivalences, on les a. Le fait est que le niveau proposé, qui est à un niveau qui est extrêmement élevé en pratique clinique, nous paraît disproportionné par rapport aux atteintes à la santé qui peuvent se retrouver avec des niveaux inférieurs de plombémie.

Mme Titri (Nabyla) : Si je peux compléter?

M. Derraji : Oui, allez-y, Dre Titri, allez-y.

Mme Titri (Nabyla) : Oui. Je voudrais juste renchérir sur ce que dit Dre Hemery, mais je voulais compléter en vous suggérant... Bien sûr, ça nous ferait plaisir, également, de contribuer, en tant que médecins et de scientifiques, justement, pour éclairer la commission qui va travailler sur le projet de loi, notamment pour ce genre de questions.

M. Derraji : Absolument — parce que je dois laisser la parole à mon collègue, Robert-Baldwin — je suis très intéressé, surtout pour le bénéfice du ministre et les autres membres de la commission. Moi, sérieusement, quand j'ai vu la valeur du plan, je ne veux pas faire tout un débat scientifique aujourd'hui, mais je me suis dit : Il y a quelqu'un qui l'a échappé à quelque part. Et je suis content de vous entendre, parce que j'en suis sûr et certain que la volonté du ministre, elle est aussi louable, et j'en suis sûr et certain. Rendu à ce qu'on va discuter sur les valeurs scientifiques, il va faire équipe avec nous. Mme la Présidente, merci, chères docteures, je pense que mon collègue, l'autre docteur, de Robert-Baldwin, va vous poser quelques questions. Merci à vous, merci, hein?

Une voix : Merci.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, à vous la parole. Allez, il vous reste 2 min 30 s.

M. Leitão : Très bien. Ah! quelle générosité, merci. Merci, mesdames. J'aimerais vous entendre un peu sur un sujet qui n'est pas... que vous n'avez pas abordé, mais j'aimerais connaître un peu le point de vue de votre propre profession au sujet du télétravail. On l'a entendu ce matin, et évidemment c'est tout un domaine qui, avec la pandémie, a pris une très grande prépondérance. Et je suis convaincu que, même après la pandémie, ça va... (panne de son). Comment est-ce que vous... en tant que spécialistes de médecine de travail, comment est-ce que vous abordez cette question du télétravail? Comment est-ce qu'on devrait ou on pourrait mieux l'encadrer?

• (12 h 40) •

Mme Titri (Nabyla) : Je vais commencer. Merci, M. Leitão. Justement, dans notre mémoire, on fait référence aux nouveaux risques. On souhaite que le projet de loi aborde, justement, les nouveaux risques et pas seulement les risques qui ont été énumérés, notamment les risques psychosociaux. Parce qu'on est conscients que non seulement cette nouvelle façon de travailler qui engendre le télétravail... mais aussi tous les nouveaux risques, chimiques... En tout cas, il y a plein de nouveaux risques qu'on voudrait qu'ils soient inclus, justement, dans ce projet de loi, élargir un petit peu à ces nouvelles problématiques.

Et justement, pour les risques reliés au télétravail, ça va prendre une évaluation scientifique, comme cela se fait... parce qu'il y a beaucoup, beaucoup d'impacts, visuels, ergonomiques, etc., je ne rentrerai pas dans les détails. Mais, oui, c'est effectivement une chose que nous avons mentionnée dans notre mémoire. Je ne sais pas si Dre Hemery a quelque chose à rajouter par rapport aux nouveaux risques, mais on insiste sur ça et on a vu qu'il y avait de l'ouverture par rapport à inclure des nouveaux risques.

Mme Hemery (Marie-Laure) : Bien, le télétravail n'est pas forcément un nouveau risque, parce qu'il y en a déjà, actuellement, dans la société. Là, c'est le développement du télétravail qui fait en sorte que... C'est sûr qu'il va falloir un encadrement du télétravail, je veux dire, des conditions de travail qui vont permettre de l'exercer de façon correcte et puis de façon sécuritaire, c'est sûr. Ça englobe, effectivement, la porosité des temps de travail dont il a été question, ça englobe l'ergonomie, ça englobe énormément de prévention, de ce niveau-là, sur lesquels il faudrait effectivement se pencher pour déterminer... encadrer le télétravail pour que ce soit fait de façon sécuritaire par les travailleurs.

M. Leitão : Et, moi, en terminant, la seule chose que j'ajouterais, c'est que je suis vraiment préoccupé par ces effets-là dans les organisations plus petites. Parce que les grandes... la grande entreprise, surtout le secteur des services, ils sont habitués à faire ça, ils ont les moyens, ils ont des ressources, les gouvernements aussi, mais les petites entreprises, les petits organismes se sont lancés maintenant dans le télétravail, avec la pandémie, et c'est très, très inégal et, des fois, même assez préoccupant. Là, je pense, Mme la Présidente, que mon temps est terminé.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Oui. J'ai été généreuse.

M. Leitão : Alors, merci. Vous avez été généreuse. Merci. Merci, mesdames.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, nous donnons la parole au député d'Hochelaga-Maisonneuve. Vous disposez de 2 min 45 s.

M. Leduc : Merci, Mme la Présidente. Vous avez été généreuse tout au long de cette commission, Mme la Présidente. Dre Titri, Dre Durand-Hemery, heureux de vous revoir, bienvenue dans cette commission.

Vous faites partie des différents groupes de médecins, qui nous ont parlé ou envoyé des mémoires, qu'on n'a pas eu l'occasion d'entendre, là, vu qu'on avait seulement quatre journées d'audiences. Il semble y avoir une unanimité, chez les médecins, d'être assez peu enthousiaste alentour du projet de loi. Il n'y a pas... À votre connaissance, est-ce qu'il y a des voix discordantes, des médecins qui étaient heureux et qui trouvaient qu'il y avait des grandes avancées, qu'on plaçait le médecin au centre de tout ça? Ou, au contraire, ce que je décris là, une espèce d'unanimité de critiques assez complète du projet de loi, c'est ce que vous avez constaté dans vos milieux de travail?

Mme Hemery (Marie-Laure) : Bien, c'est vrai qu'effectivement on a n'a pas ressenti un élan très enjoué à la lecture de ce projet de loi, notamment vis-à-vis de nos membres qui sont principalement impactés par les recommandations du projet de loi. Donc, nonobstant les médecins, je ne vous cache pas que tout le réseau de la santé au travail est inquiet par rapport à ce projet de loi.

Mme Titri (Nabyla) : Je pourrais compléter, peut-être. C'est vrai, M. Leduc, qu'à la première lecture du projet de loi c'est vrai qu'il y a des éléments qui nous ont interpellées, je dirais ça comme ça. Mais, au fur et à mesure qu'on avançait, on a vu qu'il y avait des choses qui étaient incomplètes ou des choses qui n'étaient pas cohérentes avec la science et la médecine et qu'on a mises dans notre mémoire.

Par contre, au fur et à mesure que nous avançons dans la commission parlementaire — et puis je remercie M. le ministre et je vous remercie tous — je vois que la tangente a changé un petit peu, il y a beaucoup d'ouverture. Et finalement c'était un projet de loi, il est soumis, justement, pour qu'on puisse, nous, donner notre avis. Et je pense que nos avis respectifs, à toutes et à tous qui ont participé à ces commissions, et même tous les mémoires que vous avez reçus, vont permettre, justement, l'éclairage à vous pour, justement, le bonifier, puis l'améliorer, puis tenir compte et de la science et de notre expertise médicale en tant que spécialistes de la santé des travailleurs.

M. Leduc : Je vous remercie infiniment. Puis je ne sais pas combien de temps il me reste, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme IsaBelle) : 11, 10...

M. Leduc : Ah! bien, voilà, ça va être le mot de la fin. Merci infiniment, c'était très apprécié, merci beaucoup.

Une voix : Merci.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, nous y allons maintenant avec le député de Bonaventure. Vous disposez de 2 min 45 s.

M. Roy : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Dre Durand et Dre Titri. Bon, vous avez soulevé l'enjeu de la reconnaissance de votre spécialisation. Bon, tout à l'heure, mon collègue vous a demandé si vous sentiez que vous étiez mises de côté. Vous avez dit non. Mais peut-être que vous allez être toutes seules, éventuellement, parce que, quand je regarde le document d'hier qui a été présenté par le Dr Patry, les efforts de l'Université de Montréal d'avoir, dans les effectifs médicaux, des médecins du travail, puis qu'on refuse, de voir qu'on va fermer, probablement, le programme postdoctoral de spécialité en médecine de travail à l'Université de Montréal, ce n'est pas un bon signal. Et, qui plus est, bien là, comme vous l'avez dit, on a un effritement d'expertise de la médecine du travail et, je dirais, de l'expertise dans le milieu du travail, via l'embauche de médecins qui n'auront pas de spécialisation.

Donc, écoutez, je ne sais pas comment vous voyez ça. Vous ne semblez pas voir de corollaire entre le peu d'intérêt du ministère de la Santé et des Services sociaux par rapport à votre domaine et les indications, le projet de loi actuel, où on veut, je dirais, un peu... je ne dirais pas déqualifier, mais, à tout le moins, amoindrir vers le bas l'expertise. Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu de le souligner au ministre et de faire des pressions sur le ministère de la Santé?

Mme Hemery (Marie-Laure) : Bien, Dieu sait qu'avec la Fédération des médecins spécialistes on se bat vent debout pour obtenir des postes et pour faire reconnaître notre spécialité et l'impérieuse nécessité d'ouvrir des postes spécifiques en médecine du travail. Je ne vous cache pas que c'est très compliqué. On n'est pas interlocuteurs, directement, auprès du ministère, on doit passer par notre fédération. C'est des enjeux qui sont complexes, qui sont longs, sur lesquels on n'a pas la maîtrise. Dieu sait qu'on fait de la pression. On est une petite association, on a une petite spécialité, on a déjà du mal à se faire reconnaître comme des vrais médecins spécialistes. Donc, c'est un enjeu, c'est un enjeu énorme sur lequel on se bat et c'est le ministère de la Santé qui a le dernier mot là-dessus. Donc, on se bat, mais, David étant contre Goliath, on fait ce qu'on peut.

M. Roy : Écoutez, le ministre se réfère à la science de manière régulière, et je pense qu'il est fondamental que nous, les parlementaires, vous défendions dans votre demande à faire valoir votre expertise et même à vous impliquer dans la modernisation. Bien, vous l'êtes déjà, mais un cran plus haut, en faisant en sorte qu'à tout le moins on vous permette d'avoir des postes.

Ceci étant dit, merci beaucoup. Je pense que ce sont les dernières paroles, actuellement, des consultations. Ça fait que merci, Mme la Présidente, pour les deux minutes du peuple que vous m'avez données pendant quatre jours. Au revoir.

La Présidente (Mme IsaBelle) : Alors, je vous remercie, Mme Hemery ainsi que Mme Titri, pour la collaboration aux travaux de la commission.

Mémoires déposés

Avant d'ajourner les travaux, nous déposons les mémoires des personnes et des organismes qui n'ont pas été entendus. Alors, c'est fait.

Nous tenons sincèrement à remercier les 30 groupes qui ont participé aux auditions de façon virtuelle. Nous voulons aussi remercier toutes les personnes qui ont contribué, si vous voulez, de façon... de loin ou de près, là, ou qui ont collaboré à la commission. Et je veux remercier et féliciter les membres de la commission pour votre collaboration dans le cadre de ce travail virtuel. Ça s'est très bien déroulé. Alors, je tiens vraiment à vous remercier. Je vous souhaite une bonne fin de journée, prenez soin de vous.

Alors, la commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 12 h 49)

Document(s) associé(s) à la séance