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Version finale

35e législature, 2e session
(25 mars 1996 au 21 octobre 1998)

Le jeudi 13 février 1997 - Vol. 35 N° 41

Consultation générale sur le projet de loi n° 79 - Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives


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Table des matières

Auditions


Autres intervenants
M. Christos Sirros, président
M. Michel Côté, président suppléant
M. Matthias Rioux
M. Rémy Désilets
M. Jean-Claude Gobé
Mme Monique Gagnon-Tremblay
M. Benoît Laprise
*M. Claude Masse, Barreau du Québec
*Mme Diane Turbide, idem
*M. Marc Sauvé, idem
*M. Denis Blouin, idem
*M. Yves Neveu, CQCHR
*M. Pierre Joron, idem
*Mme Carmel Laflamme, idem
*M. Raymond Paquin, idem
*M. Charles Bernard, CMQ
*M. Rémi H. Lair, idem
*M. Jacques Paradis, CPS
*M. Martin Racine, idem
*M. Pierre Collin, idem
*M. Pierre Naud, idem
*M. François Bernier, APCHQ
*M. Marc-André Regnier, idem
*M. Marco Montemiglio, Réseau des avocats de l'UTTAM
*M. François Parizeau, idem
*Mme Mireille Duranleau, ACQ
*M. Normand Danis, idem
*Mme Louise Taché-Piette, idem
*M. Pierre Shedleur, Commission de la santé et de la sécurité du travail
*M. Robert Gagnon, Investigation Royale
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Dix heures dix minutes)

Le Président (M. Sirros): Alors, j'aimerais, si vous permettez, déclarer la séance ouverte. Je vous rappelle que le mandat de la commission est de procéder à une consultation générale et de tenir des audiences publiques sur le projet de loi n° 79, Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives. Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Désilets (Maskinongé) remplace M. Boucher (Johnson); M. Morin (Nicolet) remplace M. Kieffer (Groulx); M. Dion (Saint-Hyacinthe) remplace M. Létourneau (Ungava); M. Charbonneau (Bourassa) remplace M. Cherry (Saint-Laurent); et M. Williams (Nelligan) remplace M. Gauvin (Montmagny-L'Islet).


Auditions

Le Président (M. Sirros): Bon, en souhaitant la bienvenue à tous ces membres qui remplacent aujourd'hui, on pourrait peut-être débuter nos travaux avec les invités que nous avons, qui représentent le Barreau du Québec, si je comprends bien, en vous demandant de vous présenter, d'identifier les personnes qui vous accompagnent. Nous avons une heure à votre disposition avec vous. Alors, on vous écoute.


Barreau du Québec

M. Masse (Claude): Merci, M. le Président. Mon nom est Claude Masse; je suis le bâtonnier du Barreau du Québec. Je suis accompagné, ce matin, de Me Denis Blouin, qui est le président du comité sur la CSST du Barreau du Québec. Me Blouin est avocat depuis 1976; il est spécialisé en matière de relations de travail et il a géré et plaidé près d'un millier de dossiers en matière d'accidents de travail depuis 20 ans. À ma gauche, Me Diane Turbide, qui a 12 ans d'expérience, qui, elle, fait du temps plein en matière d'accidents de travail. Elle a plaidé et s'est occupée de gérer plus de 2 000 dossiers dans le cours de sa pratique.

Je suis également assisté par Me Marc Sauvé, qui est membre du bureau de la recherche et de la législation du Barreau du Québec. Il est secrétaire du comité du Barreau du Québec sur la CSST. Et je dois vous signaler que la position du conseil d'administration, que nous vous présentons ce matin, a fait l'objet d'un avis unanime de la part des 12 membres du comité du Barreau du Québec sur la CSST. Pour vous montrer, M. le ministre, qu'on n'a rien contre le paritarisme, ce comité est paritaire, composé de six représentants des avocats oeuvrant pour le milieu syndical et de six représentants du milieu patronal.

Je ne voudrais pas, M. le Président, lire un texte et alourdir les présentations qui vous ont été faites. Je suis au courant du fait que vous avez passé plusieurs jours sur la question, des jours ardus car les questions ne sont pas faciles. Essentiellement, je voudrais vous présenter, de façon générale, notre position, passer la parole à nos spécialistes et répondre à vos questions.

Il est clair pour nous – et c'est notre préoccupation fondamentale, dans le cadre de la lettre, M. le ministre, que nous vous avons envoyée en date du 8 janvier, et notre mémoire d'aujourd'hui reproduit finalement cette lettre du 8 janvier – que notre préoccupation principale a trait à l'impartialité des décideurs en matière d'accidents de travail. Et il est clair que l'article 23 de la Charte, qui donne des garanties non seulement aux justiciables en général, mais également aux travailleurs, dans un tel processus d'adjudication, est très, très important.

Pour ce qui est du Bureau d'évaluation médicale, nous croyons que la structure actuelle est trop lourde. Nous croyons, comme la CSN, qu'on devrait en revenir à une plus grande importance du médecin traitant. Nous croyons que le système de confrontation actuel, au plan médical, est la source d'un très grand nombre de délais et de plaidoiries souvent inutiles, et nous n'avons pas la solution parfaite à cet égard-là. Je sais que, depuis 12 ans, on a évolué dans plusieurs réformes à cet égard, mais nous croyons, quant à nous – et Me Turbide va nous en parler tantôt – qu'il faut simplifier le système et faire confiance davantage au médecin traitant.

Pour ce qui est de la révision administrative, nous constatons que cette espèce de premier palier paritaire, qui est un premier palier quasi judiciaire, disparaîtrait au profit d'une audition purement administrative. Nous insistons pour que ceux qui ont des représentations à faire puissent être entendus par le fonctionnaire responsable du dossier.

Sur le paritarisme, je vous le disais tantôt, je pense que le débat qu'on a dans les journaux, que vous avez ici, à l'Assemblée nationale, pour lequel nous avons le plus grand respect, ce débat montre bien que le paritarisme est au coeur de la réforme. Il nous semble, quant à nous, qu'on doit donner toutes les garanties d'impartialité et qu'on doit bien comprendre, selon nous, que le dossier d'un travailleur accidenté n'est pas un dossier de relations de travail. Me Blouin reviendra tantôt là-dessus.

Pour nous, on est très inquiets quand on entend et quand on lit que le dossier individuel d'un travailleur accidenté est un dossier de relations de travail. Or, c'est un dossier d'un individu. Et l'accumulation des dossiers peut constituer, bien sûr, un dossier général de prévention et de compensation au Québec, mais le travailleur qui se présente devant la CALP actuellement considère qu'il a un dossier avec une séquelle personnelle et il doit être jugé à son mérite personnel. Et nous ne voyons pas en quoi le paritarisme pourrait régler cette question.

Nous croyons que toutes les tentatives de rendre les commissaires, qui viennent du milieu syndical ou patronal, non sujets aux influences de leur milieu vont à l'encontre du souhait de ceux qui sont les tenants du paritarisme et que les possibilités d'équilibrage de leur position jusqu'à maintenant n'ont pas démontré que c'était possible. Quant à nous et si c'est la dernière instance décisionnelle, sauf les cas très rares d'évocation en Cour supérieure, il nous apparaît suprêmement important que le commissaire soit libre, soit impartial et qu'il donne toutes les garanties qui sont de mise en vertu de l'article 23.

Me Turbide va nous parler de notre présentation sur le Bureau d'évaluation médicale. Me Turbide.

Mme Turbide (Diane): Bonjour, M. le Président. Alors, sur le processus d'évaluation médicale, tel qu'il appert dans notre mémoire, essentiellement notre appui à la recommandation de la CSN, notamment, d'abolir la Bureau d'évaluation médicale s'inspire des commentaires qu'on retrouvait à même le rapport Durand sur la déjudiciarisation, dont l'extrait pertinent vous est cité en deuxième page.

Alors, essentiellement, la question des confrontations d'avis médicaux qu'entraîne cette procédure d'évaluation par le Bureau d'évaluation médicale, qui entraîne de même une surenchère des expertises médicales et des chassés-croisés de toutes sortes d'opinions sont autant d'éléments qui, pour nous, contribuent de façon importante à la judiciarisation des litiges qu'entraînent les accidentés du travail, et ce, avec un coût social très important pour toutes les personnes en cause, autant les victimes d'accidents de travail que du côté patronal.

Alors, nous soumettons que les propositions de réforme, qu'on retrouve dans le projet de loi, du processus d'évaluation médicale ne contribuent en rien à modifier de façon significative les lacunes graves du processus de confrontation médicale que nous déplorons à l'instar d'autres intervenants intéressés sur la question. Alors, pour nous, au contraire, les diverses mesures, dont, notamment, celle de demander au médecin traitant de désigner, dans un court délai, un médecin X à partir d'une liste qui serait déterminée par la CSST, contribuent à la lourdeur du système sans régler quoi que ce soit à ce niveau-là.

À l'instar d'autres intervenants intéressés, j'ai eu l'occasion, sur le sujet, et vous allez l'entendre cet après-midi, notamment, par le Collège des médecins, et Michel Cyr va aussi rapporter certains propos de médecins... Mais il y a un des aspects de la réforme qui fait en sorte d'essayer de changer la nature du médecin traitant pour en faire un médecin contrôlant. Alors, quand on demande au médecin traitant de se désigner un propre médecin qui va le contester, le médecin traitant – et ils vont vous en parler plus longuement – se retrouve en conflit d'intérêts. Alors, le médecin qui soigne la personne accidentée a un rôle de soignant auprès d'elle et, quand on veut lui faire changer son rôle, il y a des risques de conflits d'intérêts qui vont faire perdre la confiance du malade envers le médecin. Alors, ça, c'est un des éléments qui sont soulevés par les médecins et qui entraînent aussi ce qu'on voit beaucoup dans la pratique, c'est que les médecins ne veulent plus soigner les accidentés du travail. Encore plus cette mesure-là qui est suggérée, je pense que ça va avoir comme effet pervers de risquer qu'il y ait – et il n'y en a déjà pas beaucoup, je peux vous l'assurer – moins de médecins qui acceptent de soigner les accidentés du travail.

L'autre aspect: les délais qui sont mentionnés sont des délais très courts qui sont tout à fait irréalistes pour les médecins, d'avoir à répondre dans un délai de cinq jours, dans un délai de 15 jours à des demandes. C'est absolument irréaliste pour les médecins qui souvent ne travaillent pas à un seul endroit déterminé, mais qui doivent faire plusieurs cliniques ou travailler dans des hôpitaux, etc.

Alors, nous, nous n'avons pas la solution miracle. Comme plusieurs intervenants aussi, nous sommes conscients que ça prend un certain mécanisme de contrôle du suivi médical qu'opère le médecin traitant, mais le processus d'évaluation médicale n'est sûrement pas approprié. Il y a sûrement moyen de mettre sur pied un mécanisme beaucoup plus simple et adapté à la réalité médicale. Parce que le Bureau d'évaluation médicale – et le rapport Durand le soulignait – c'est loin d'être adapté à la réalité de l'expertise médicale et de l'importance des soins pour quelqu'un qui est malade. D'où notre solution proposée d'abolition du BRP avec un autre mécanisme plus simple où l'intervention de l'employeur pourrait aussi avoir sa place quelque part, sans qu'on ait la formule magique à vous suggérer. Merci.

(10 h 20)

M. Masse (Claude): Me Sauvé, sur le processus de révision administrative.

M. Sauvé (Marc): Alors, très rapidement puisque ce n'est pas le centre du mémoire, le centre de nos préoccupations étant beaucoup plus le choc de deux cultures de justice, et mon confrère va vous en parler tantôt, la question du paritarisme versus une culture fondée sur l'indépendance et l'impartialité, l'application de la règle de droit.

La révision administrative. Le projet de loi abolit les bureaux de révision créés en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et établit, en lieu et place, une révision administrative faite, sur dossier, par un fonctionnaire de la Commission. Alors, je dois vous dire candidement que les membres du comité n'ont pas déchiré leur linge pour maintenir les BRP. Par contre, il y a certaines inquiétudes au niveau des garanties parce que, bon, quand on lit le libellé de 358.3, on ne parle plus maintenant de droit d'être entendu – alors, une audition formelle – mais de présenter des observations. Alors, ça veut dire quoi? Par écrit? Par téléphone? C'est certainement un cadre procédural beaucoup plus léger.

Il faudrait voir à l'usure, à l'expérience, d'autant plus qu'actuellement il y a deux recours quasi judiciaires, un recours au BRP et un recours à la CALP, et là, bien, on aura un seul recours quasi judiciaire avec les procédures quasi judiciaires qu'on connaît. Donc, c'est sous surveillance; on va regarder la chose aller et on verra à l'usage qu'est-ce qui arrive au niveau des droits des justiciables. Alors, essentiellement, ce sont nos préoccupations concernant la révision administrative. On n'est pas contre, mais on examine la chose. C'est un peu sous surveillance et on verra à l'usure.

Alors, maintenant, sur la question du paritarisme et de l'indépendance, mon confrère Denis Blouin.

M. Blouin (Denis): M. le Président, bonjour. Le reflet des commentaires que je vais vous exposer est le reflet d'une expérience qui n'est pas la seule sur la terre dans ces matières-là, mais qui procède, depuis 1978, de multiples changements à la législation affectant les lésions professionnelles, anciennement les bons vieux accidents de travail. Il y a une trame, par exemple, à travers toutes ces modifications qu'on a connues depuis 1979, 1991, en fait, 1985, et ainsi de suite: le législateur a toujours pris soin de respecter le système de justice dans lequel on fonctionnait et qui était essentiellement basé sur des règles, très peu formelles, les règles de justice naturelle. Et, jusqu'à date, on a bien vécu avec ça, avec des écueils de fonctionnement, à l'occasion. Je reviendrai pour donner quelques exemples, caricaturaux, j'en conviendrai, mais j'y reviendrai brièvement.

Ces règles de justice naturelle, un court reflet, un court feedback pour vous dire comment elles ont été appliquées. Le droit d'être entendu, au niveau des bureaux de révision paritaires, au niveau de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, la CALP, ça a toujours été respecté. Je n'ai jamais été frustré, je n'ai jamais senti aucun travailleur ni employeur être frustré de ce droit d'être entendu.

La communication du dossier, le bon Dieu sait, aussi on sait que ce droit est honoré. J'ai déjà eu cinq fois le même dossier pour plaider une seule affaire. Il se fait beaucoup de photocopies à une certaine époque. Le droit de faire valoir ses moyens, avec l'arrivée de la LATMP, en 1985, a entraîné, par le biais de l'évaluation médicale un peu plus lourde, l'arrivée d'experts médicaux ou autres et, pour les quatre ou cinq premières années, effectivement, les parties ont eu l'occasion de faire valoir leurs moyens par un ensemble de procédures et un ensemble de moyens par expert, qui ont donné une apparence d'alourdissement du système, mais qui, somme toute, aujourd'hui est assez résorbée. Les causes qui requièrent des moyens lourds sont de moins en moins fréquentes puisque la jurisprudence s'est placée.

Le droit d'être représenté par procureur, soit avocat ou autre, a toujours existé et, en ce qui concerne notre corporation, il n'y a pas de problème avec ça. On n'a jamais eu de problème à représenter ni à voir des personnes non avocats ou avocates représenter des intérêts qui soient patronaux ou de travailleurs. Par exemple, quand j'ai regardé pour la première fois avec mes collègues le projet de loi 1979, là où on met en brèche ces principes de justice naturelle, c'est relativement au cinquième élément, c'est-à-dire le droit d'obtenir une décision motivée et impartiale. C'est cet aspect qui est mis en brèche dans le projet de loi n° 79 – et non pas 1979, je m'en excuse – un droit qui, comme le soulignait M. le bâtonnier, est inscrit dans la Charte des droits et libertés. Pourquoi celui-là? Et c'est là que je fais le lien avec la dynamique des relations de travail et avec mon expérience, le tout dit sans prétention.

Dans le contexte actuel des législations, les bureaux de révision sont paritaires, la Commission d'appel ne l'est pas. À de multiples reprises, j'ai été personnellement confronté à subir des négociations, des revendications, des batailles, des obstinations, des échanges vitrioliques, acerbes, subtils mais toujours à peu près méchants et qui n'avaient rien à voir avec une situation qui devait être sous étude. À combien de reprises ai-je vu des travailleurs ou des employeurs être complètement mystifiés par l'exercice qui se passait devant eux, à savoir: Qu'est-ce qui se passe? On ne parle pas de moi, ils ont l'air de se parler de quelque chose que je ne comprends pas, en dépit du fait que ces personnes-là étaient bien identifiées.

J'ai une appartenance, j'ai une souche et j'ai eu, à combien de reprises, à voir comme adjudicateur de l'autre côté – enfin, je ne devrais pas dire «de l'autre côté», mais devant moi – quelqu'un avec qui je négocierais le lendemain dans une dynamique des relations de travail pour établir un contrat de travail qu'on appelle une convention collective, et dans des contextes assez difficiles qui n'avaient rien à voir avec la situation sous étude. J'ai eu à entendre le représentant de ma souche me dire à quelques occasions: Ce matin, il m'a donné de la misère; on le plante, ce coup-là. Et ça n'a rien à voir avec la situation sous étude. Ce ne sont pas des situations théoriques; ce sont des situations vécues.

On arrive devant la Commission d'appel parce qu'on pouvait supporter le paritarisme jusqu'alors, puisqu'il nous restait un palier d'appel neutre, impartial, dont on peut critiquer les performances, mais, à tout le moins, on avait la garantie d'impartialité. Tout ce que je sais et ai vécu, c'est que le droit de faire reconnaître comme admissible ou non une lésion professionnelle – et, pour parler dans un langage populaire, l'accident de travail ou la maladie professionnelle – c'est un droit individuel qui, quant à nous, doit se dissocier de la dynamique des relations de travail quand on biaise tout l'exercice à ce moment-là.

L'objet de la loi est perdu. L'objet de la loi est d'assurer une réparation des lésions professionnelles et de leurs conséquences, non pas d'assurer une paix industrielle. Il y a d'autres instruments législatifs qui procèdent et qui voient à cette situation-là. Le Code du travail n'est pas là pour rien. Pourtant, le Code du travail n'est pas un instrument où les adjudicateurs fonctionnent en paritarisme. Ce serait celui qui serait privilégié pour le faire. Mais, non, on s'en va choisir un instrument.

(10 h 30)

La Loi sur les normes du travail ne véhicule pas non plus le paritarisme. Pourquoi? Je ne sais pas. C'est des choix politiques, c'est des choix de société. Pourquoi maintenant, eu égard à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, allons-nous procéder en paritarisme, en connaissant les écueils que ça peut porter eu égard à la dynamique des relations de travail, sachant maintenant qu'on n'a plus de droit d'appel? C'est un cadre... Le cadre proposé ici par la réforme vient clairement identifier que c'est la première et la seule fois qu'un travailleur pourra faire valoir ses droits d'une manière conforme aux principes qui ont toujours présidé à l'administration de la justice dans cette province et qui ont été maintes fois critiqués, lorsqu'on les mettait en brèche, par les tribunaux supérieurs.

Pour éviter de tels écueils, il devient logique, quant à nous, d'éliminer le paritarisme de l'administration de cette loi au niveau de l'adjudication en tant que telle. On ne veut pas nécessairement vider le paritarisme des aspects collectifs des relations de travail là où ils sont requis. Et je donne pour exemple l'identification d'un représentant, à l'intérieur d'un groupe de travailleurs, pour leurs droits collectifs, plus particulièrement liés à la santé et à la sécurité du travail. Les comités de santé et sécurité au travail sont de bons outils, où on va avoir identifié un véhicule qui va clairement défendre la globalité des intérêts des travailleurs. L'identification des modes de protection collectifs, ou même individuels, procédant aussi d'un des mandats de ce comité où le représentant à la prévention voit à des intérêts collectifs, ce n'est pas anormal. Mais, quand un travailleur vient, eu égard à sa situation, faire déterminer si sa situation est admissible ou non, il n'a pas besoin d'entente et de savoir que ceci s'inscrit dans une manoeuvre stratégique, eu égard à son lien d'emploi, par rapport aux perspectives de son employeur. On est fort loin de son accident de travail, le pauvre individu.

J'en ai trop vu, de ces individus, de ces travailleurs mystifiés, perdus dans l'exercice, en dépit du fait qu'on leur ait dit: Bonjour, vous êtes maintenant au bureau de révision paritaire, monsieur ou madame représente des intérêts x ou y. Ça n'a jamais démystifié, ça n'a jamais sécurisé le travailleur, parce que ce qui se passait devant lui, c'était autre chose, bien souvent. Je ne dis pas que c'est toujours ça qui arrivait, il faut quand même faire confiance aux mécanismes qui se sont affinés avec le temps.

La réforme, à cet égard-là, m'apparaît superfétatoire et n'offre pas, absolument pas, les garanties d'impartialité, tenant compte qu'on reconnaît même que les personnes qui procèdent, qui seraient nommées sur ce tribunal comme membres et non pas comme commissaires, émanent de souches qui sont clairement orientées, avec possibilité de retour dans ces mêmes souches. À ce moment, bien, ceci met en brèche tout ce qu'on a connu et qui constituait une bonne assise à la détermination du processus quasi judiciaire. C'est le mode qui est là, et c'est le mode qui est bien exprimé par la loi. Alors, je vous remercie et j'apprécierais recevoir vos questions.

Le Président (M. Sirros): Merci beaucoup. Effectivement, ça nous amène à la période des questions. M. le ministre.

M. Rioux: M. Masse, on est très heureux de vous accueillir. Vous venez participer à ce débat important, emballant aussi à beaucoup d'égards. Il y a des expressions d'opinions, ici, fort variées, contradictoires, et c'est tout à fait normal. C'est un débat qui est très important.

Je comprends, dans vos propos, que le Barreau émet des doutes sur l'impartialité et l'indépendance de l'organisme qu'on veut créer, qui s'appelle la Commission des lésions professionnelles. Je ne veux pas engager un débat de fond là-dessus, parce qu'une partie de ce débat-là a été faite, mais j'aimerais vous souligner qu'il y a eu des groupes qui se sont présentés devant nous, et des groupes pilotés par des gens de votre ordre professionnel, qui ont émis des avis à l'effet que le paritarisme, ça pouvait tenir la route.

D'éminents juristes d'ailleurs qu'on a consultés nous ont dit: La position que vous tenez dans ce projet de loi, c'est une position qui est pleine de bon sens, et le paritarisme, qui est inclus dans le projet de loi, n'entache pas l'impartialité et l'indépendance du tribunal. Il y en a même qui allaient jusqu'à dire: Au contraire, ça va rendre les décisions plus éclairées, mieux étoffées et, en bout de piste, c'est le travailleur qui va en profiter.

Cependant, au sujet de la révision administrative, j'écoutais, tout à l'heure, vos collègues, le Barreau, votre organisme, dit craindre que les droits des citoyens soient affectés à la suite de décisions prises sans la garantie procédurale associée aux procédures quasi judiciaires. C'est une position que je comprends très bien, venant d'un organisme comme le vôtre. Mais, selon vous, dans les règles qui sont prévues aux articles 2 et 4 de la Loi sur la justice administrative, les articles sur la justice administrative, adoptée en décembre dernier, qui s'appliquent à la CSST, vous le savez, est-ce que vous ne trouvez pas là suffisamment de garanties procédurales pour vous sentir confortables? J'aimerais, M. Masse, que vous nous brassiez ça un peu, tout cet aspect de la question.

M. Masse (Claude): Mais, en fait, M. le ministre, les garanties procédurales s'adressent à un processus quasi judiciaire. Vous remplacez ce processus quasi judiciaire, qui est le BRP actuel, par une simple révision administrative. Un fonctionnaire va être chargé de réviser, souvent dans le cadre même de ses fonctions ou de sa propre division, les décisions rendues par les agents d'indemnisation. Et là, il n'y a aucune garantie procédurale, parce que ce n'est surtout pas un processus quasi judiciaire.

Alors, les craintes qu'on émettait tantôt et sur lesquelles Me Sauvé est revenu, c'est le fait que, si, en plus d'être un simple processus de révision administrative, on ne peut même pas se faire entendre par le fonctionnaire en question, là on est vraiment rendu au bout. Et les principes des articles 2 et 4 du TAQ, M. le ministre, là-dessus, ne nous rassurent pas parce que, dans la réalité des choses...

Et, quant à moi, je n'ai jamais plaidé de dossiers d'accidents de travail, mais j'ai fait un long processus en accidents automobiles. On a un processus de révision, à la Société de l'assurance automobile, actuellement, qui est très, très peu remis en question par les fonctionnaires qui prennent les décisions. À toutes fins pratiques, ils se contentent, parce qu'ils sont à l'intérieur de l'organisme même qu'ils sont appelés à réviser, ils se contentent d'évacuer les erreurs les plus manifestes, les erreurs de calcul, mais tout se passe, en fait, dans l'immense majorité des cas, à la Commission des affaires sociales.

Alors, je pense que les deux articles en question donnent des orientations générales, mais, vu qu'on est en présence d'une révision administrative sans audience véritable, sans véritable contrepoids, sans véritable décision justifiée, au fond, dans toutes les questions concernées, le seul – comme le disait Me Blouin, tantôt – le seul organisme impartial qui doit entendre toutes ces décisions-là, c'est le nouvel organisme et c'est d'autant plus important, à ce moment-là, d'avoir un organisme qui soit impartial.

M. Rioux: M. Masse, à l'article 4... Évidemment, on essaie de traiter les organismes sur un pied à peu près d'égalité, que ce soit la SAAQ, que ce soit la CSST ou que ce soit d'autres organismes. Là, à l'article 4, on dit bien que l'administré doit avoir l'occasion de fournir les renseignements utiles pour s'assurer que la prise de décision soit correcte et que son dossier soit équitablement complété. Ça non plus... Vous dites que vous avez des réserves là-dessus.

M. Masse (Claude): Ce n'est pas suffisant, M. le ministre, à nos yeux. Si on avait l'occasion, quand on le désire, de rencontrer celui qui fait une révision administrative, en présence de l'autre partie, pour vérifier qu'il a bien compris les pièces, qu'il les a bien reçues et qu'il les a bien lues, là on aurait vraiment un éclairage supplémentaire. Le droit de présenter des pièces ne garantit pas le travailleur que son dossier va avoir été examiné sous l'angle que lui croit important. Et je vous ramène à l'autre conclusion, ça rend d'autant plus important d'avoir un processus cette fois d'adjudication quasi judiciaire qui, lui, soit fait en toute impartialité, de façon complète et totale.

M. Rioux: M. Masse – ce sera ma dernière question – il y a des gens qui sont venus à la commission et qui ont émis beaucoup de réserves sur le paritarisme décisionnel et la qualité de la décision qui pourrait être prise avec un tribunal paritaire. Certains ont émis l'idée d'avoir des assesseurs paritaires qui ne participeraient pas à la décision et que, pour eux, ça leur paraissait à peu près acceptable et que ça respecterait, en gros, l'esprit qui se dégage, en tout cas, des propos que tiennent certains de vos collègues avocats. Est-ce que cette idée d'assesseurs paritaires, vous l'avez examinée, vous autres, du côté du Barreau?

(10 h 40)

M. Masse (Claude): M. le ministre, on l'a examinée. Je vais demander à Me Blouin de vous donner notre réponse à ce sujet-là.

M. Blouin (Denis): Alors, cette question des assesseurs est à même titre qu'un assesseur médical, mais, là, on prend assesseur orienté d'une souche. Effectivement, on l'a examinée et ça nous a amenés dans une perspective un peu plus historique. On se souviendra, à partir de 1967, par exemple, dans le réseau des affaires sociales, on avait le système d'arbitrage avec assesseurs patronaux et syndicaux. Il y avait des avantages à cette situation-là, M. le ministre. On était certain d'avoir des gens qui connaissaient un milieu et on était certain d'avoir des gens qui avaient une certaine expertise du monde dans lequel ils gravitaient.

Cependant, l'impartialité n'était pas là, mais c'étaient des gens qui pouvaient signer des décisions, mais qui étaient dissidents; ils n'étaient pas les porteurs formels de la décision. On a délaissé ça. Il y a des raisons à ça. C'est que, si on avait une connaissance spécifique d'une entreprise... Alors, si je fais l'analogie avec la CSST, avec la LATMP, ça me prendrait des assesseurs soudeurs pour connaître qu'est-ce qui se passe dans un monde de soudure et pas juste dans le monde du travail. Alors, dans les hôpitaux, ça allait bien.

À supposer qu'on aurait cet avantage-là, je vous garantis qu'on aurait des problèmes de délai, parce que les assesseurs n'ont pas cette attache qu'aurait un membre d'un tribunal, payé et dont ce seraient les seules fonctions. Les assesseurs doivent être dans leur monde pour conserver leur expertise et, à ce moment-là, on y perdrait à ajuster les agendas de trois, quatre et cinq personnes et on retomberait exactement là où les affaires sociales ont été et où on a décidé de laisser tomber ce mécanisme-là parce qu'il était trop lourd et aussi trop dispendieux à ce moment-là. Il pouvait y avoir des avantages, mais les désavantages emportent l'avantage, quant à nous.

M. Rioux: On n'a pas de problème d'agenda au BR, au bureau de révision.

M. Blouin (Denis): Pardon?

M. Rioux: On n'a pas de problème d'agenda au BR, au bureau de révision paritaire.

M. Blouin (Denis): Ah! je m'excuse, j'ai eu des problèmes d'agenda, proportionnellement, pour une continuation de cause. Ça va bien pour la première audition, M. le ministre, quand vous êtes convoqué à telle date, mais si vous avez le malheur d'être cédulé à 14 heures et que la cause du matin n'est pas terminée et que la vôtre ne finira pas à 16 heures ou 16 h 30 ou 17 heures, dépendant du souci de performance que pourrait avoir le bureau... J'ai vu à des occasions attendre trois mois, six mois, un an avant de pouvoir recontinuer une affaire. Je vous dis que ce n'est pas la majorité des cas, mais ça arrive. Et, quand ça arrive, il y a un justiciable, qu'il soit employeur ou qu'il soit employé, qui ne la trouve pas drôle. Il dit: C'est quoi, ce système-là? D'autant plus que, quand ça finit par une décision unanime, qu'est-ce que ça a donné, tout ça? L'individu a peut-être attendu un an avant d'avoir son indemnité de remplacement de revenu. Alors, il y en a, des problèmes, M. le ministre, sur le terrain. Ce n'est pas toujours évident.

M. Rioux: Comme ça, on a bien fait d'enlever le bureau de révision paritaire.

M. Blouin (Denis): Pardon?

M. Rioux: On a bien fait d'enlever le bureau de révision paritaire.

M. Blouin (Denis): Ah! vous avez bien fait d'ôter une étape.

M. Rioux: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Sirros): Merci, M. le ministre. M. le député de Maskinongé.

M. Désilets: Oui. Merci, M. le Président. D'abord, je voudrais vous féliciter pour votre mémoire et la présentation que vous venez de faire avec le sérieux et la qualité avec lesquels vous l'avez abordée. Vous avez mentionné tantôt qu'il y a des lacunes graves qui entravent la démarche, la lourdeur du système. Le projet de loi, tel que présenté, il n'améliorera pas grand-chose, d'après ce que vous nous dites. Hier, il y a des membres du Syndicat de la fonction publique qui nous ont proposé de la médiation. Avez-vous arrêté une idée? Avez-vous pensé à la médiation comme élément de solution?

M. Masse (Claude): La médiation est certainement, dans les cas où les deux parties la veulent, un mécanisme qui pourrait se situer avant, bien sûr, l'audition devant le nouveau tribunal. Et, quant à nous, nous favorisons la médiation, mais pas une médiation obligatoire, une médiation qui serait enclenchée par une demande d'une partie à l'autre. Et la CSST pourrait offrir, dans certains cas – et c'est une fonction très spécialisée, là, n'est pas médiateur qui veut, c'est vraiment une fonction tout autre que celle d'arbitre ou de juge ou de commissaire – l'organisme pourrait offrir des médiateurs. À cet égard, les expériences antérieures qu'on a vues depuis quelques années sont assez fructueuses. Alors, la réponse est oui.

M. Désilets: Par ailleurs, hier, il y a plusieurs intervenants aussi qui nous disaient qu'à l'avant-projet de loi, tel que proposé, les gens préféraient le statu quo plutôt que le projet de loi tel quel. Vous autres, vous le voyez de quelle manière?

M. Blouin (Denis): Écoutez, eu égard à ce désir d'impartialité que nous avons, effectivement le statu quo apparaît comme ce qui garantissait, à tout le moins, le respect des règles de justice naturelle. Alors, c'est tout ce que je peux vous dire là-dessus par souci de cohérence et par conviction également. Je veux dire, je ne peux pas admettre que je vais consentir à une seule instance sans droit d'appel, sachant qu'il y a un fort risque de partialité consacré.

M. Désilets: L'impartialité, c'est fondamental?

M. Blouin (Denis): Mais oui.

M. Désilets: O.K.

M. Sauvé (Marc): Peut-être pour ajouter à la réponse, finalement, ce qu'on a essayé d'exprimer et de véhiculer, c'est un modèle de justice fondé essentiellement sur l'impartialité et l'application de la règle de droit. En matière de relations de travail, c'est un autre modèle de justice, un modèle de justice fondé sur le consensus paritaire, l'équilibre patronal-syndical. Quel modèle doit-on appliquer en matière de santé et sécurité au travail? Est-ce que c'est le premier modèle, le modèle de justice, impartialité et application de la règle de droit, ou un deuxième modèle de relations de travail?

On vous a expliqué tantôt... Je pense que, pour bien protéger les droits individuels de l'accidenté, c'est le premier modèle qui doit être retenu. C'était d'ailleurs dans l'intention du ministre de la Justice qui l'avait incluse dans la réforme sur la justice administrative, cette section sur les lésions professionnelles. Donc, la lésion professionnelle était assujettie au modèle que nous préconisons. Et là, comme par enchantement, quelque part au mois de juin, ça a été retiré et puis, bien, c'est tombé dans les talles du ministre du Travail. Alors, c'est ce qu'on essaie d'exprimer.

M. Désilets: Merci beaucoup.

Le Président (M. Sirros): Merci. M. le député de La Peltrie.

M. Côté: Merci, M. le Président. Alors, j'aurais deux petites questions. La première s'adresserait à M. Blouin. Tout à l'heure, dans votre exposé, j'ai cru entendre que vous sembliez vouloir faire la différence entre prévention et indemnisation, et puis que le côté prévention pourrait peut-être être sous l'aile du paritarisme. Je voudrais vérifier, voir si vos propos allaient dans ce sens-là. Si ça va dans ce sens-là, pouvoir élaborer davantage, peut-être. Et, pour l'indemnisation, vous sembliez justement privilégier la voie de la CALP, la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, comme palier, où ce seraient des juristes qui seraient commissaires et qui seraient les uniques professionnels qui seraient aptes à assumer cette responsabilité-là au niveau de la Commission d'appel.

Est-ce que c'est un peu votre orientation que vous vouliez exposer tout à l'heure? J'ai cru entendre ça. Je voudrais vérifier, voir si le côté prévention, lorsqu'on conteste en matière d'inspection ou encore de droit de refus ou de retrait préventif... Tout ce qu'il y a d'autre que médical, vous sembliez dire que, ça, ça pourrait aller sous le paritarisme comme tel, mais, par contre, le côté médical, vous sembliez vouloir que ça aille un peu plus en ligne avec ce qui existe présentement.

M. Blouin (Denis): La question s'adresse à moi. Je pourrais peut-être préciser des aspects. Lorsque je regarde la CSST et considérant les six lois qu'elle a à administrer, les six lois principales, on en retient deux. Celles qui nous occupent le plus souvent, c'est la Loi sur la santé et la sécurité du travail et la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Et là je vais y aller un peu dans mon jargon. Dans la LSST, c'est la sécurité qui prime, et la sécurité dans l'entreprise, dans une structure physique. C'est normal que la dynamique des relations de travail s'exerce d'une manière paritaire dans le cadre d'une loi préventionniste. Et, pour faire l'arrimage avec l'autre loi, les accidents de travail, l'une introduit l'élimination des dangers à la source et l'autre répare, comme une compagnie d'assurances – puisque c'est ça, la CSST – ce qu'on n'a pas pu prévenir, d'une manière individuelle cette fois-ci.

(10 h 50)

C'est sûr qu'il y a des aspects collectifs qui relèvent de l'autre loi. Et, quand je parle que la dynamique des relations de travail peut avoir sa place, c'est dans les aspects collectifs et non pas dans les droits individuels. Et les droits individuels, eu égard aux travailleurs, vont s'exprimer le plus souvent dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles lorsqu'il arrive quelque chose à un travailleur. C'est sûr que, par le biais de l'autre loi, le congédiement pour avoir exercé un droit très préventif... On parle de congédiement, là. Ça, ça procède du mot «travail», de la dynamique des relations de travail. Il ne m'apparaît pas inopportun d'avoir une structure qui respecte son monde, mais, quand je veux savoir si j'ai eu un accident de travail ou pas, c'est ma situation à moi. Ma dynamique des relations de travail, eu égard à mon assureur, n'a pas grand-chose à voir là-dedans.

Or, c'est cette précision-là que je voulais apporter, c'est-à-dire que, eu égard aux droits collectifs, les instances, les associations patronales ou syndicales, ont toujours eu leur place parce que ces choix-là ont été faits depuis 1978, bien comme il faut. La représentativité syndicale est consacrée. Et on a identifié ces instances-là comme étant les bonnes personnes, les bons représentants pour représenter les droits collectifs. Mais, quant aux droits individuels, je pense qu'on allait trop loin et qu'on va trop loin par ce projet-là. J'espère que ça répond à votre question, monsieur.

M. Côté: Oui. Merci.

Le Président (M. Sirros): Alors, c'est malheureusement tout le temps que nous avons de ce côté-ci. M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Merci, M. le Président. M. Masse, M. Blouin, M. Sauvé, Mme Turbide, il me fait plaisir, au nom des membres de l'opposition officielle de cette commission, de vous accueillir ici. Et, d'entrée de jeu, j'aimerais rappeler les raisons qui font que vous êtes ici. Le 14 décembre, vers 1 h 30, le ministre du Travail disait dans un discours, qui était le discours d'adoption du projet de loi n° 79: «Seuls ceux qui ne l'ont pas lu sont contre. Il y a consensus, une forme de consensus, et il faut l'adopter rapidement avant Noël.» Alors, vous connaissez certainement la suite. Des citoyens vigilants, des organisations syndicales, des travailleurs, des gens du Barreau et d'autres groupes ont fait, auprès de l'opposition, des recommandations et nous avons fait en sorte d'obtenir non pas du ministre qui s'y est refusé, mais du bureau du premier ministre, du leader du gouvernement et des députés du gouvernement, suite à leurs pressions, ces audiences publiques générales.

Et je me rends compte, encore aujourd'hui – vous êtes le vingt-troisième groupe qui passe devant nous, devant les parlementaires – que, sur 23 groupes, il y en avait 21 qui n'avaient pas dû l'avoir lu parce que je n'en ai pas vu un, à part un groupe, peut-être, qui est pour. Donc, deux choses qu'on se pose comme question: Ou les gens n'avaient pas été informés avant – et là il serait souhaitable que le ministre du Travail, avant d'imposer des projets de loi aussi importants que celui-là, consulte les gens largement – ou alors il avait mal compris ce que les gens lui disaient et il avait fait une impression de consensus d'un concert de protestations ou d'opposition à son projet.

Ceci étant dit, il est heureux que nous ayons pu avoir ces audiences. L'opposition, bien sûr, depuis le tout début, s'est opposée au projet de loi suite aux recommandations que nous avions entendues. Nous avons voulu, avant d'aller plus loin dans notre dénonciation, entendre les groupes. Nous sommes rendus maintenant à un certain nombre de groupes, ce qui nous permet de confirmer notre position, des membres de l'opposition. Et nous sommes encore plus opposés maintenant que nous ne pouvions l'être avant à ce projet de loi.

Je pense que, comme organisme, on doit regarder aussi... Dans la manière du ministre, vous parlez... Vous êtes le Barreau du Québec, vous êtes un organisme éminemment responsable. Les Québécois, s'il y a une chose en laquelle ils doivent avoir confiance, c'est bien la justice dans la manière dont elle est rendue et dans la manière dont ils sont représentés. Je pense que le Barreau est un peu le chien de garde – je n'aime pas ce mot de chien de garde – un des défenseurs de première ligne de la justice au Québec. On doit donc donner au Barreau le crédit qui lui revient. Ce n'est pas des gens qui parlent pour ne rien dire.

Et, moi, j'ai un peu de difficulté lorsque je vois un ministre ou un homme politique, mais un ministre particulièrement qui, lorsqu'il y a un groupe, une organisation comme la vôtre – et ce n'est pas seulement avec la vôtre que ça s'est produit; ça s'est produit avec beaucoup d'organismes qui sont venus ici – essaie de ramener le travail qui est fait à des intérêts corporatistes en laissant entendre que c'est votre intérêt, puis que vous avez des intérêts particuliers là-dedans. On l'a fait avec la CSN, on l'a fait avec l'ATTAQ, on l'a fait avec la FATA, on l'a fait avec tous ceux qui étaient contre. Ceux qui étaient pour, on ne leur disait pas ça; on disait: Ah! vous êtes avec nous. Bien, il y a en avait un et demi à peu près, c'était tout.

Et je déplore ça parce que, dans un processus comme celui-là, lorsqu'on prend la peine, comme Parlement, de demander aux gens, au public, aux simples citoyens comme aux organisations, de venir en commission parlementaire, devant l'institution qui s'appelle le Parlement, où il y a des députés qui, à l'occasion, au niveau de la crédibilité, peuvent être amochés dans l'opinion publique, lorsqu'on demande à ces gens-là de venir, de faire un travail sérieux, de nous faire part de leurs expériences, eh bien, on se doit... La moindre des politesses est de penser qu'ils peuvent être, eux aussi, au-dessus de la mêlée et qu'ils peuvent témoigner ou nous informer dans le meilleur intérêt de la bonne marche de la justice ou de l'administration au Québec.

Au nom de l'opposition officielle, officiellement – ça m'a été ramené par mes collègues à plusieurs reprises, ça m'a été ramené par des témoins qui sont venus ici, par des groupes – je déplore cette attitude du ministre qui, sans cesse, n'a fait qu'essayer de ramener les gens à la petitesse de leurs intérêts corporatistes, alors que, personnellement, je ne pense pas que c'est ça qui est l'attitude qui prévaut dans l'ensemble des groupes qui sont venus ici. Je le déplore et ce n'est pas tellement à l'image publique que les gens ont du ministre et de sa manière d'administrer ses dossiers. Ça, je voulais le dire et je tenais à le mentionner avant la fin de cette commission. Et nous le dénonçons et nous le condamnons.

M. le président du Barreau, j'ai pu prendre connaissance maintenant, bien sûr, de votre mémoire. J'ai pris aussi connaissance de la lettre que vous avez émise dans votre journal Le Barreau . Je dois dire que ça a été... Je ne sais pas si les députés en face ont pris connaissance de cette lettre-là. Je souhaiterais – je sais qu'il y en a qui ne l'ont pas eue – qu'on puisse en faire des photocopies et les distribuer, parce que c'est un résumé très clair de la position du Barreau. Et c'est le propos du bâtonnier, on ne parle pas de n'importe qui: Une menace pour les travailleurs, projet de loi n° 79. Et je souhaiterais que... Je ne sais pas si le service du ministre l'a fait distribuer. Il a dû la recevoir, si, moi, je l'ai reçue. Mais je vois que le député de Roberval ne l'a pas eue.

Le Président (M. Sirros): Si je comprends bien, l'ensemble des... S'il y a des membres qui la veulent, on peut en faire des photocopies, mais il semble bien que les gens l'ont déjà eue.

M. Rioux: On fait notre travail.

Le Président (M. Sirros): Continuons, s'il vous plaît.

M. Rioux: Pose tes questions, là, ça va aller.

M. Gobé: Comment? On voit toujours la suffisance du ministre, là, à la manière dont il interpelle les collègues en face. Je pense que les gens jugent et se rendent compte avec quelle ouverture d'esprit et quelle grandeur d'âme il accueille la critique, il accueille les témoignages qui ne lui sont pas favorables. Et même les documents qu'on veut déposer pour une meilleure compréhension du travail, c'est reçu comme une espèce d'agressivité personnelle. Aujourd'hui, il n'a pas son souffleur en chef avec lui, il a pris son adjoint.

M. Rioux: Il y a une différence entre tes propos et ceux du Barreau.

M. Gobé: Alors, vous, M. le bâtonnier, deux points particuliers ressortent de votre mémoire. C'est, tout d'abord, qu'au niveau du paritarisme ça ne peut pas fonctionner, ça ne marchera pas, ça ne donnera pas toute la justice ou l'apparence de justice que les citoyens sont en droit d'obtenir. Et vous mentionnez qu'en vertu de l'article 23 de la Charte c'est là une des raisons fondamentales de notre système.

Vous n'êtes pas tout seul là-dedans. Il y a le Protecteur du citoyen qui est aussi là-dedans avec vous. Le Protecteur du citoyen qui a fait un certain nombre de remarques, qui ont été rejetées comme étant quasiment des intérêts corporatistes par le ministre, mais qui quand même est payé par les fonds publics et respecté au Québec. Le Protecteur du citoyen est certainement le dernier recours de la citoyenne ou du citoyen qui se sent poigné dans le système. Celui dont vous avez mentionné, M. Blouin, qu'il est ballotté d'un bord puis de l'autre, puis qu'il y a une game qui se joue par-dessus lui; celui qui ne sait pas s'exprimer comme vous, M. Masse, ou moi-même, ou le ministre, parce qu'il n'a pas toute cette facilité de vocabulaire; celui qui arrive frappé dans sa chair, mélangé, qui joue l'avenir de sa famille, des siens, en plus d'être traumatisé par des blessures, eh bien, lui, son dernier recours, c'est le Protecteur du citoyen, très souvent.

(11 heures)

Il a donc une expérience et une expertise très fortes. Et, lorsqu'il se prononce sur un dossier comme celui-là, de manière très directe, très claire, je pense qu'on doit en tenir compte, d'autant plus quand c'est relayé par le Barreau. Et il y a une recommandation qu'il fait – je vais vous la lire – dans son mémoire, puis j'aimerais ça vous entendre là-dessus: «Tout en soulignant l'appui du Protecteur du citoyen à tout effort de déjudiciarisation des litiges – je pense que tout le monde là-dessus est d'accord – [...] entre eux ou à la CSST, nous ne pouvons que déplorer le soudain virage gouvernemental qui a retiré la division des lésions professionnelles du Tribunal du Québec, tel que prévu dans le projet de loi n° 130 présenté par le ministre de la Justice en décembre 1995, pour finalement proposer l'institution d'un tribunal administratif paritaire d'appel des décisions de la CSST.» J'aimerais vous entendre sur cette conclusion, qui est écrite à la page 21 du mémoire du Protecteur du citoyen, et que vous élaboriez un peu. Vous, là, vous vous situez où par rapport à ça?

M. Masse (Claude): Merci, M. Gobé. Nous avons présenté, vous vous en souviendrez peut-être, lors de l'étude du projet de loi sur le TAQ, plusieurs réserves à l'égard du nouveau Tribunal. Mais, à l'égard de l'insertion d'une division sur les accidents de travail à l'intérieur du TAQ... Et il y avait aussi la menace d'une modification à l'article 23 de la Charte qui protège justement l'impartialité. Ça a été, je pense, une victoire qu'on a tous eue ensemble, collectivement, avec l'aide du Protecteur du citoyen d'ailleurs, de faire en sorte que l'article 23 ne soit pas modifié. Quant à moi, le Barreau a toujours été clair là-dessus, nous avons favorisé une insertion de la Commission à l'intérieur du nouveau Tribunal parce qu'il n'y avait pas, quant à nous, opportunité d'avoir le paritarisme qu'on dit propre aux relations de travail.

Me Blouin a très bien signalé tantôt qu'à cet égard on est en présence de compensations de lésions ou de blessures personnelles qui n'ont rien à voir avec les relations de travail. Quand on parle de paritarisme et quand les députés, souvent avec beaucoup d'opportunité, citent notre ami Ouellette, de l'Université de Montréal, ou Patrice Garant, professeur également respecté de l'Université Laval, on le fait parfois à propos de décisions qui concernent des questions d'intérêt public, par exemple l'établissement – comme ça a été le cas dans l'affaire Newfoundland en Cour suprême – du prix des tarifs de téléphone.

Dans un contexte comme celui-là, d'intérêt public ou d'audiences environnementales, le paritarisme, Me Blouin le signalait tantôt, a beaucoup plus sa place que dans le cas de l'adjudication de litige purement individuel où un travailleur veut qu'on décide de son cas, et, peu importe qu'il soit le 1 222e amiantosé de cette année-là à la CSST, il veut avoir la même compensation que le premier qui a été jugé favorablement. Donc, l'aspect collectif, de ce côté-là, a moins d'importance que dans les autres types de décisions.

Quand on parle de paritarisme, je veux signaler aux membres de la commission qu'il faut vraiment regarder le type de décision en cause, le type de domaine concerné. Dans certains cas, des audiences publiques paritaires peuvent être tenues, c'est extrêmement intéressant, mais, dans un cas d'adjudication concernant des réclamations individuelles, ce n'est certainement pas le lieu pour instaurer le paritarisme sous quelque forme que ce soit.

M. Gobé: Maintenant que, vous comme beaucoup d'autres, vous avez démontré que le dernier tribunal qui va être institué, qui serait paritaire, ne serait pas adéquat, ne réglerait pas les problèmes, maintenant que même ceux qui s'en faisaient soi-disant les promoteurs – c'est un consensus de 1994, là on retombe à 1997 – sont prêts à passer à des assesseurs – et là je réfère au témoignage de M. Clément Godbout, le président de la FTQ, en cette commission – force est de constater qu'il n'y a plus de consensus sur ça, là. Est-ce que vous ne penseriez pas à ce moment-là qu'on serait mieux de conserver ce qu'il y a actuellement, qui s'appelle la CALP, comme organisme, étant donné que les gens qui sont venus ici, à qui on a pu poser la question – il y a ceux à qui on ne l'a pas posée parce qu'ils nous l'ont dit – nous ont fait savoir que, malgré quelques, peut-être, petits problèmes qu'il a pu y avoir par le passé d'engorgement ou quelques petites difficultés de fonctionnement, c'était maintenant un organisme qui fonctionnait relativement bien et qui était très efficace et qu'il n'y avait pas de plaintes majeures ou nombreuses de part et d'autre? Est-ce qu'on ne devrait pas rester là?

M. Masse (Claude): Depuis quelques semaines, nous voyons évoluer le débat sur les assesseurs de façon un peu surprenante. L'assesseur est quelqu'un qui, par définition, traditionnellement, était là pour aider le décideur. C'était, par exemple, le médecin, dans des dossiers médicaux, qui va servir de conseil sur le banc, qui va entendre la preuve, qui va être réservé – ce n'est pas un intervenant dans le système – et qui va donner son avis au commissaire sur certains aspects proprement médicaux. C'est, dans certains cas, quelqu'un qui peut prendre des distances par rapport à son expérience d'origine mais qui ne participera pas à la décision.

De vouloir faire faire à l'assesseur tout ce que le commissaire fait, sauf signer la décision, c'est, à notre avis, exactement violer l'article 23 de la Charte, tout en sauvant les apparences. Il nous apparaît, le tout respectueusement soumis, qu'il faut vraiment s'attacher à l'esprit de la loi et non pas rien qu'à la lettre, autrement on transformerait cette impartialité en une espèce de simagrée qui ne tiendra pas le coup.

Je ne vous dis pas que quelque projet de loi va être cassé par les tribunaux, c'est souvent extrêmement incertain jusqu'en Cour suprême, mais l'important, c'est que dans l'opinion publique il y ait une apparence et une réalité d'impartialité, pas qu'on ait fait en sorte d'en arriver à des décisions qui seraient infléchies dans un sens ou dans l'autre, tout en réservant les aspects ou les apparences d'impartialité. Alors, toute cette question de l'assesseur doit vraiment, selon nous, être placée dans son contexte de ce qu'est l'assesseur. Ce n'est pas un décideur, ce n'est pas quelqu'un qui monte la preuve pour ou contre le travailleur, ce n'est pas quelqu'un qui intervient pour nécessairement influencer, sur l'ensemble du dossier, une décision. Autrement, on serait exactement devant le piège qu'on veut éviter depuis maintenant plusieurs semaines.

M. Gobé: M. Blouin, vous avez donné des exemples d'assesseurs qui devraient être quasiment sectoriels. Un soudeur devrait être invité comme assesseur dans un cas où il y aurait des soudeurs. Vous avez démontré, tenté de nous démontrer en tout cas, que ça pourrait engendrer des délais extrêmement longs. Est-ce à dire que vous nous dites que ce principe d'assesseur dans un tribunal de dernière instance décisionnelle n'a aucune chance de pouvoir fonctionner rapidement et de solutionner... Même pas de solutionner, ou du moins d'aller dans le sens des arguments du ministre pour présenter ce projet de loi là, soit une réduction du temps qui existait en 1993, c'est-à-dire, cinq ans à trois ans, alors que, maintenant, on sait que c'est 12 mois, selon les chiffres que nous avons. Est-ce que ça va améliorer encore plus les délais ou ça va les augmenter, les assesseurs?

M. Blouin (Denis): Je ne crois pas. Je vous soumets plutôt qu'ayant eu l'expérience des systèmes d'assesseurs dans le passé avec des moyens de communication à peu près identiques – même s'il n'y avait pas de télécopieur, il y avait quand même le téléphone à l'époque – je crains que ça rallonge les délais. Dans l'esprit où le soulignait M. le bâtonnier, un assesseur, ce n'est pas le décideur, c'est quelqu'un qui aide à la décision, ce n'est pas quelqu'un qui fait la décision. Alors, quelqu'un qui aide à la décision, qui est un spécialiste de contenu ne peut pas être à plein temps pour l'organisme, donc il devra être dans d'autres activités. Et je crains que ça ajoute aux délais, basant mon commentaire sur des expériences.

M. Gobé: Alors, une petite question en terminant, peut-être. Étant donné que vous nous dites que l'assesseur n'aura aucun effet pour raccourcir les délais, au contraire ça risque de les augmenter, et, la même chose, on nous dit que le fait d'avoir des assesseurs ou du paritarisme au dernier tribunal n'aura pas toutes les apparences d'impartialité, alors, on ne rencontre pas le critère d'impartialité de l'article 23, qui est très cher aux Québécois et aux Québécoises et à l'administration, pour que ça tienne la route, comme vous dites, puis, en plus, on ne raccourcit pas de délais. Pourquoi on veut amener ça, d'après vous, ce tribunal-là? Ça sert à quoi?

M. Blouin (Denis): Ça prend un forum où on va décider de quelque chose de pertinent eu égard aux objets d'une loi, et ce forum doit être impartial, crédible – quand on dit «crédible», c'est un tribunal spécialisé – et il doit pouvoir répondre aux besoins du justiciable non seulement d'une manière juste mais avec une apparence de justice aussi. Et c'est tout ce qu'on peut ajouter. Alors, à ce moment-ci, la Commission d'appel, tenant compte des délais de performance qu'elle rencontre eu égard aux écueils du passé, peut répondre. Et quand on situe nos interventions, elles sont dans un contexte anticipé. Il ne faut pas perdre de vue qu'on a vécu aussi depuis 1985 le bureau de révision et la Commission d'appel. Accepter le paritarisme au bureau de révision, sachant qu'on a un droit d'appel, ce n'est pas la même chose que de dire: Je m'en vais en paritarisme sans droit d'appel. Pour moi, là, et pour le Barreau, ça fait comme pas mal de différence.

Le Président (M. Sirros): Merci, M. Blouin. Ceci met fin au temps à notre disposition, en vous remerciant de la part de l'ensemble des membres de la commission. La commission va suspendre deux minutes.

(Suspension de la séance à 11 h 10)

(Reprise à 11 h 14)

Le Président (M. Sirros): On va reprendre nos travaux. J'invite les représentants de la Confédération québécoise des centres d'hébergement et de réadaptation à se présenter, identifier les membres qui font partie de la délégation, et on vous rappelle qu'on a une heure à votre disposition.


Confédération québécoise des centres d'hébergement et de réadaptation (CQCHR)

M. Neveu (Yves): M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, bonjour. D'abord, bien sûr, nous tenons à vous remercier d'avoir accepté de nous recevoir pour permettre la présentation de nos principaux points de vue et recommandations.

Je suis Yves Neveu, vice-président exécutif de la Confédération des centres d'hébergement et de réadaptation. Mais le groupe présent aujourd'hui déborde de beaucoup les établissements membres de la Confédération. En fait, nous représentons ici, ce matin, l'ensemble des établissements du secteur de la santé et des services sociaux ainsi qu'Hydro-Québec. Cela représente un groupe de 700 employeurs, pour une masse salariale d'à peu près 6 000 000 000 $, un total d'à peu près 300 000 employés, pour un total d'à peu près 161 000 000 $ de cotisations à la CSST.

Je vous présente dès maintenant les gens qui sont à la table avec moi. D'abord, à ma gauche, Pierre Joron, qui fera la présentation du mémoire et qui commentera nos recommandations; Jacques Vadeboncoeur, d'Hydro-Québec; Carmel Laflamme, de la Confédération; Raymond Paquin, de l'Association des hôpitaux. Mais, j'insiste, nous représentons aussi les autres secteurs du secteur de la santé et des services sociaux, c'est-à-dire les centres jeunesse, les CLSC ainsi que les établissements privés conventionnés.

D'entrée de jeu, nous tenons à souligner que nous partageons les objectifs généraux du projet de loi n° 79, c'est-à-dire la déjudiciarisation, l'allégement des processus et des délais ainsi que la volonté de réduire les coûts. Vous comprendrez que notre cotisation de 161 000 000 $ à la CSST constitue une taxe sur les salaires, pour employer un langage bien connu maintenant, assez imposante, et que, dans le contexte où nous avons partagé aussi les objectifs gouvernementaux à l'égard de la réduction de ces taxes-là et la possibilité de maintenir les emplois, bien sûr, ça devient pour nous un élément important que cette volonté de réduire les coûts. À long terme d'ailleurs nous aurions souhaité – et il en est fait état dans notre mémoire – pouvoir apporter d'autres idées que celles qui font l'objet de notre présentation pour contribuer à cette réduction des coûts. Mais nous allons, bien sûr, cibler de façon plus particulière sur les objets du projet de loi n° 79.

Alors, je laisse dès maintenant Pierre Joron faire la présentation du mémoire.

M. Joron (Pierre): M. le Président, M. le ministre, Mmes, MM. les députés, je vais aborder successivement les points essentiels de notre mémoire qui touche, en fait, je pense, les éléments assez centraux du projet de loi n° 79, soit l'abolition, entre autres, des bureaux de révision paritaires, la création d'un processus de révision administrative, la création de la Commission des lésions professionnelles et la question, évidemment, du paritarisme qui entoure la création de la Commission, et pour terminer sur le processus d'évaluation médicale et toute la question de la survie ou du maintien du Bureau d'évaluation médicale.

Écoutez, ce qui nous a guidés, nous, dans l'examen du projet de loi, et on pense que c'est ce qui devrait guider le législateur, c'est toujours de se demander, lorsqu'on veut faire des changements: Est-ce qu'on veut changer pour changer ou on veut changer des choses pour que ce soit mieux après qu'avant? Donc, on a essayé de voir quelle est la valeur ajoutée du projet de loi n° 79 à la situation qui prévaut actuellement pour les parties. Et comme on vous l'a dit d'entrée de jeu, je pense que les objectifs poursuivis par le législateur avec le projet de loi n° 79, ils sont tout à fait louables, ils sont des objectifs que nous partageons entièrement, qui collent bien à la réalité que nous vivons au Québec, entre autres en tenant compte de la situation des finances publiques.

L'abolition des bureaux de révision paritaires, donc l'abolition, dans le fond, d'un premier palier d'appel, nous, nous étions d'accord évidemment. À la lecture du document, on pense qu'effectivement c'est un pas dans la bonne direction, c'est un pas vers la déjudiciarisation, et qui dit «déjudiciarisation» dit également des économies de temps et des délais, et on sait qu'en matière de santé et sécurité du travail la question des délais est souvent associée à des coûts qui, en bout de piste, plus souvent qu'autrement, aboutissent au niveau des travailleurs.

(11 h 20)

Par contre, peut-être que c'est une question de perception, mais ce pas dans la bonne direction, on a trouvé par ailleurs qu'il était peut-être diminué, entaché, ou annihilé presque, par la création du processus de révision administrative où on a une sensation, à la lecture du texte, que, de façon un peu déguisée, si j'ose dire, ça pourrait redevenir pratiquement un palier d'appel. Même si, bon, à la lecture, on peut penser que c'est un processus interne de révision propre à la CSST et, vous savez, la procédure, de toute façon, demeure à peu près la même que celle qui prévalait jusqu'à maintenant, et, toutefois, il y a un flou quant à la question d'audition. Est-ce que ça veut dire que tantôt, à la discrétion d'un fonctionnaire de la CSST, on décidera d'entendre des parties puis, dans d'autres cas, on décidera de ne pas entendre des parties? En tout cas, il y a là quelque chose d'un peu inquiétant et, sans reprendre les arguments qui ont été faits par ceux qui nous ont précédés ici, je pense qu'il y a des éléments très sérieux à regarder de ce côté-là.

Nous, ce qu'on a à dire là-dessus, c'est que peut-être que... plutôt que de recréer un processus qui pourrait donner une saveur de palier d'appel et qui pourrait, dans le fond, plutôt que simplifier les choses, venir singulièrement les compliquer et donner lieu encore une fois à des débats, pourquoi ne pas poursuivre l'orientation de la CSST qui a démontré d'ailleurs, je pense, des améliorations significatives de performances en investissant dans le développement de la qualité de la formation des agents qui rendent les décisions en première instance, dans le fond, continuer, poursuivre dans la voie qui est déjà engagée au niveau de la CSST, puis qui a déjà des résultats quant aux délais, quant à la qualité des décisions, investir davantage dans les agents spécialisés qui peuvent regarder les cas les plus complexes et qui, en augmentant la qualité des décisions, augmentent du même coup la crédibilité des décisions de la Commission et évitent dans bien des cas, je pense, dès maintenant, c'est déjà présent dans le contexte que nous connaissons, évitent sûrement des appels à d'autres paliers?

Maintenant, sur la mise en place de la Commission des lésions professionnelles, là aussi on trouve l'idée évidemment intéressante, jusqu'au moment où on arrive sur la délicate question du paritarisme. Écoutez, je pense que, nous, dans le secteur public, puis pour les gens que nous représentons, on est loin d'être des gens antiparitaires; on a même fait la démonstration que le paritarisme peut être un moyen qui peut apporter très certainement des solutions adéquates à différentes problématiques.

Sauf que, sur le paritarisme, il faut faire attention: on a tendance, quand un moyen marche pour certaines choses, à en faire pratiquement une religion et à vouloir étendre le paritarisme à toutes les sauces. Il y a certains éléments pour lesquels le paritarisme ne nous apparaît pas, quant à nous, le meilleur moyen pour atteindre les fins qu'on vise. Et, quand on arrive à une commission des lésions professionnelles qui a une saveur de tribunal, là, quasi judiciaire, on trouve un peu délicate la question du paritarisme. Puis, nous, on serait plus à l'aise avec une commission non paritaire.

Est-ce qu'il faut empêcher la création d'une commission des lésions professionnelles basés sur une guerre qui se ferait uniquement sur le paritarisme? Ça, je pense que c'est une... On ne pense pas que c'est peut-être le point qui devrait empêcher la création de la Commission. Mais, encore là, ce que nous suggérons au législateur, c'est encore de se poser la question: Quelle est la valeur ajoutée du paritarisme dans ce moyen qu'il a trouvé? Parce qu'on poursuit un but de déjudiciarisation. Or, si le paritarisme...

Et, nous, ce matin, on a beaucoup d'inquiétudes même avec ce qu'on vient d'entendre, parce que les gens nous mettent en garde en disant: Écoutez, ça se peut, là, que des gens viennent attaquer la partialité des décisions. Ça veut dire, ça, de la judiciarisation additionnelle; on va aller faire, on va aller porter des débats vers d'autres tribunaux, on va allonger les délais, on va avoir des coûts additionnels pour tout le monde. Et je ne pense pas que ni les travailleurs ni les employeurs vont être mieux servis en bout de piste si on arrive à des débats de cette nature-là.

Est-ce que le paritarisme a de la valeur ajoutée en termes de coûts? Bien, écoutez, s'il faut payer trois personnes au lieu d'une pour rendre éventuellement des décisions, bien, il faut se poser la question: Est-ce que ça vaut le coût? Est-ce que les décisions vont être tant et tellement meilleures avec une approche paritaire que ça vaut la peine de payer un peu plus et de faire moins d'économies pour ces décisions-là? C'est une question qu'il faut se poser. La réponse n'est pas nécessairement simple, mais elle mérite très certainement qu'on en fasse l'analyse.

Écoutez, au problème de légalité, je comprends qu'on peut aussi opposer les problèmes de légitimité des décisions. Souvent, le paritarisme est associé en disant: Ça va être plus légitime, les gens se reconnaissent, il y avait des gens des deux parties qui étaient associés à la décision qui va ressortir de là, on a eu la chance de faire vraiment toutes les représentations. Mais c'est une bonne question, c'est-à-dire que, si le problème de légalité demeure entier, bien, moi, je vous dis: Là-dessus, je pense qu'il faut sérieusement se poser la question. Parce que tous les bénéfices qu'on pourrait retirer en termes d'accélération du processus d'appel, en termes de déjudiciarisation et en termes de coûts, bien, on risque de les perdre dans d'autres débats qui n'ajouteront rien à la situation actuelle et qui pourraient même la détériorer. N'oublions pas que, lorsqu'on regarde les statistiques les plus récentes, on a là des signes évidents d'une amélioration substantielle de la performance des différentes instances au niveau de la Commission de la santé et de la sécurité et en particulier aussi au niveau de la CALP.

Maintenant, sur le processus comme tel d'évaluation médicale, faut-il faire disparaître les BEM? Parce que beaucoup de groupes qui sont passés avant nous ont attaqué littéralement de front la crédibilité du Bureau d'évaluation médicale. Écoutez, l'historique est assez simple. Si on arrive aujourd'hui devant des bureaux d'évaluation médicale, il faut se rappeler d'ailleurs que c'est l'aboutissement d'un assez long processus, où on est partis des médecins à la CSST, on a passé par l'arbitrage médical, puis on a abouti au BEM, des éléments qui ont été un peu rentrés – si vous me permettez l'expression – parfois dans la gorge du patronat, et pour lequel on a fini par accepter de vivre avec ces éléments-là.

Ce qui nous inquiète, c'est que, maintenant que certains vivent difficilement avec des décisions rendues par le BEM, on suggère d'abolir la structure et le processus. Pour nous, ça équivaut à jeter le bébé avec l'eau du bain. Est-ce que c'est: Parce qu'un organisme ne prend pas les décisions qui nous plaisent, bien, le processus même puis la structure de l'organisme n'est pas bonne, et il faudrait abolir cette structure-là?

Écoutez, nous, on est clairement pour le maintien du Bureau d'évaluation médicale et d'ailleurs ce qu'on veut rappeler ici, ce matin, c'est que ce n'est pas quelque chose de spécifique à la santé et sécurité ou à la Commission de la santé et de la sécurité que d'avoir un Bureau d'évaluation médicale. Allez dans le domaine de l'assurance, regardez même dans l'appareil public – la SAAQ, entre autres – partout on retrouve un mécanisme, qu'on l'appelle Bureau d'évaluation médicale ou autrement, peu importe, mais on retrouve toujours une espèce de mécanisme d'évaluation médicale pour se permettre quand même de revoir certains dossiers et de s'assurer que les dossiers sont traités correctement et avec les règles de l'art, et que les décisions qui sont rendues, elles sont fondées. Donc, nous, à cet effet-là, je pense qu'on devrait maintenir le BEM.

Par contre, nous sommes ouverts pour tenter d'améliorer la crédibilité du BEM encore plus. Et là-dessus, dans notre mémoire, on suggère un certain nombre de pistes qui pourraient mieux encadrer le Bureau d'évaluation médicale et certainement contribuer à augmenter sa crédibilité, y compris du côté des représentants des travailleurs. Je vous en cite rapidement quelques exemples. On pourrait certainement s'assurer que dans tous les cas il n'y a pas de dossiers examinés sur papier seulement, c'est-à-dire que le travailleur est obligatoirement examiné par le Bureau d'évaluation médicale. Je pense que ça assurerait davantage de crédibilité aux décisions qui sont prises. Le travailleur serait examiné. Ce ne serait pas une décision prise uniquement sur l'examen de pièces.

Nous serions également d'accord avec le fait que les décisions... On veut aller dans la déjudiciarisation, il faut que certains, je pense, se mouillent et disent: Oui, on va aller dans la déjudiciarisation. Nous sommes prêts à prendre le risque, entre guillemets, de dire que les décisions du Bureau d'évaluation médicale devraient être finales et sans appel. On éviterait de reporter à d'autres niveaux des débats et de poursuivre les débats devant d'autres tribunes. Si on met des mécanismes qui permettent de développer la qualité des décisions au BEM, si, par exemple, on encadre davantage la sélection des membres médicaux du BEM...

(11 h 30)

On n'a pas réfléchi aux détails des moyens, on n'a pas avancé comment ça pourrait se faire, mais on pense qu'on pourrait regarder, entre autres, la sélection des membres du BEM puis renforcer les critères de sélection; donc, s'assurer, par exemple, que les gens ont une bonne expérience dans le domaine de la santé et sécurité du travail avant de siéger à une telle instance. Écoutez, je pense que la qualité des décisions serait plus grande, et on serait prêts à vivre avec des décisions, là-dessus, finales et sans appel.

On pourrait penser également qu'un comité d'experts pourrait être adjoint au Bureau d'évaluation médicale lorsqu'il a à faire face à des cas les plus complexes. On pourrait s'assurer que les plus éminents spécialistes, dans un groupe multidisciplinaire, puissent conseiller les médecins au niveau du Bureau d'évaluation médicale et s'assurer, encore là, que, dans les cas les plus délicats, les plus complexes, on puisse rendre la meilleure décision possible. Avec cet ensemble de mécanismes qui pourraient être mis pour augmenter la qualité et la crédibilité du BEM, on pense que la structure pourrait très bien être maintenue, et les gens, je pense, seraient très satisfaits, de part et d'autre, des résultats.

Il y a la question aussi évidemment – je sais que c'est toujours la question qui préoccupe généralement le législateur – de l'équilibre un peu entre les parties. Nous savons que des groupes ont souligné souvent le problème du travailleur qui arrive avec un dossier plutôt mince versus les employeurs avec un dossier très étoffé. On a l'impression qu'il y a un déséquilibre et que ça ne joue pas en faveur, peut-être, du travailleur. Écoutez, là-dessus, encore là, je pense que sans aller dans une mécanique très complexe, peut-être, comme celle qui est suggérée dans le projet de loi et qui risque d'être une procédure qui va augmenter de façon significative les coûts...

Nous, on a procédé à certaines évaluations dont on a mis les chiffres dans notre mémoire, mais on parlait d'une possibilité d'avoir des coûts additionnels de l'ordre de 18 000 000 $. On pense que pourrait se regarder quand même une mécanique assez simple qui permettrait tout de même au médecin traitant, lorsqu'il y a un appel qui est logé et qui s'en va vers le BEM, d'étoffer davantage son dossier et de pouvoir compléter l'information qui est disponible pour le Bureau d'évaluation médicale. On serait ouverts à une telle modification.

Globalement, ce sont les principaux éléments que, nous, on souhaitait mettre de l'avant parce qu'on pense... Écoutez, oui, c'est intéressant d'avoir un projet de loi qui poursuit des objectifs d'amélioration des procédures, d'économie, de réduction des délais. On sait que, pour les gens, que ce soit les employeurs ou les travailleurs, c'est important que les délais soient les plus courts possible pour obtenir des décisions, pour savoir se gouverner. Et, nous, notre préoccupation, dans le fond, les suggestions qu'on a faites, c'était de voir si le projet de loi n° 79 pouvait être bonifié, amélioré, pour que vraiment il rencontre les objectifs qui ont présidé, dans le fond, à son dépôt, donc de réduire les délais, de déjudiciariser et de permettre qu'on fasse le tout à un meilleur coût, ce qui a beaucoup d'importance.

Vous savez, nous, du secteur public, contrairement au secteur privé, sauf peut-être, parenthèses, pour Hydro-Québec qui est un peu plus entre les deux dans le sens qu'il faut qu'elle fasse quand même des revenus et des profits... Quand on pense aux hôpitaux, aux centres d'hébergement, aux CLSC, nous, ce qu'on sait actuellement de l'expérience des dernières années, c'est: Lorsqu'on augmente nos coûts unitaires de main-d'oeuvre, le financement, depuis quelques années, il ne suit pas ou il suit en partie seulement. Si bien que l'augmentation des coûts de notre main-d'oeuvre se traduit invariablement, depuis quelques temps, par de la réduction de la main-d'oeuvre parce que, pour se financer, on est obligé de couper puis d'abolir des postes. C'est dramatique. Et je pense qu'on atteint la limite de ce qu'on peut faire à ce niveau-là.

Et là, nous, on a une préoccupation très grande lorsqu'on examine le projet de loi n° 79: De grâce, ne venez pas augmenter nos coûts. Parce que, si ça vient augmenter substantiellement les coûts et que ça vient contribuer à augmenter l'impact d'une taxe sur la masse salariale, alors qu'on pense que l'objectif qui est recherché, c'est de la diminuer substantiellement, dans le secteur privé, ça rend nos entreprises moins compétitives, dans le secteur public, ça augmente les coûts de prestation des services à la population et c'est autant d'argent qui ne va pas dans les services directs à la population. Et, dans ce sens-là, c'est un peu la préoccupation et c'est notre conclusion.

Le Président (M. Sirros): Merci beaucoup. Alors, avec ça, on va passer la parole au ministre.

M. Rioux: M. Joron, j'aimerais saluer également les collègues qui vous accompagnent. D'abord, je trouve que vous avez décortiqué le projet à peu près sur toutes ses facettes et je m'en réjouis. Vous endossez, en gros, les principes qui guident le projet de loi. Cependant, vous dites: Attention, les moyens que vous vous donnez, ça risque de vous surprendre parce que les moyens ne seront pas suffisamment appropriés pour atteindre les objectifs qu'on vise. Ça, c'est une mise en demeure que vous faites, en tout cas une mise en garde très importante, et j'en prends bonne note. J'en prends bonne note surtout du côté de la révision, de la révision administrative; vous faites partie des groupes qui l'avez stigmatisée de façon très claire, et on va regarder ça.

Je constate aussi que vous ne vous faites pas un dogme avec le paritarisme. Dans le fond, vous dites que, si les membres ou les personnes qui vont siéger à la Commission sont bien encadrés, nos chances sont bonnes d'avoir des décisions paritaires équitables. Vous semblez davantage préoccupés, par exemple, et ça, ça paraît, c'est en filigrane partout dans le mémoire, vous semblez préoccupés par la gestion et la cohérence des décisions, c'est ça qui vous importe, et par la qualité des décisions des intervenants de première ligne. Vous allez même jusqu'à dire: Si le BEM était bien équipé, on aimerait qu'il prenne des décisions finales. Vous êtes les premiers à dire ces choses-là. Les gens qui sont venus ici, je pense que, hein, il faut quand même se le dire honnêtement, le BEM a mangé une méchante volée de bois vert. Il y en a qui souhaitent sa disparition pure et simple, il y en a qui souhaitent une métamorphose.

Sur la question médicale, vous plaidez pour le maintien du BEM, bon, etc. Quant à l'obligation que vous nous faites presque d'améliorer son fonctionnement, l'obligation d'examiner les travailleurs, l'obligation que l'examen soit fait en totalité par le BEM, de même que se référer à un comité d'experts multidisciplinaire, dites-vous, moi, je retiens ça, je retiens ça puis je pense que ça s'examine. Mais je retiens surtout que vous tenez au BEM, mais vous tenez à ce qu'il soit renforcé, mieux équipé sur le plan professionnel médical.

Vous avez bien compris aussi que, dans la situation actuelle, parfois, le travailleur est désavantagé, parce que son médecin traitant... vous savez, on privilégie le médecin traitant dans le projet. On dit, nous autres, que c'est lui qui connaît son patient, c'est lui qui connaît la personne avec qui il a à traiter. Mais vous êtes conscients aussi que l'employeur se présente avec, souvent, un dossier bien étoffé et que le travailleur peut être désavantagé. Nous, on a proposé une mécanique dans le projet de loi. On est conscient que ce n'est pas la perfection, ce n'est pas la fin du monde non plus, mais on prend note de vos décisions.

Mais je trouve que vous êtes timides sur le rôle du médecin traitant. Si je décelais une partie faible de votre mémoire, c'est celle-là. Puis j'aimerais vous entendre davantage là-dessus, le rôle que vous voulez donner au médecin traitant. Vous dites: Oui, il faudrait faire en sorte que... Mais, moi, ce que je vous demande: La contre-expertise médicale est importante dans le débat et essayez donc d'aller un petit peu plus loin pour le plus grand bien de tout le monde et pour notre compréhension à nous tous et à nous toutes.

(11 h 40)

M. Joron (Pierre): D'accord. Mme Laflamme.

Mme Laflamme (Carmel): Alors, M. le ministre, j'aimerais vous rappeler que, dans la loi actuelle, il y a déjà une «provision» qui n'est probablement pas suffisamment utilisée par les travailleurs et leur médecin traitant, qui est l'article 215 de la loi. L'article 215, actuellement, oblige l'employeur et la Commission, lorsqu'elle reçoit une expertise, ou un contre-rapport, ou une contre-expertise, à fournir, sur réception, au travailleur et à son médecin traitant une copie de cette expertise-là. Alors, pourquoi, jusqu'à date – et cette loi existe depuis 1985 et cet article est là depuis 1985 – n'y a-t-il pas plus de réactions de la part des médecins traitants, sachant très bien, lorsqu'on a un rapport contradictoire à notre opinion, qu'il va avoir des suites? Pourquoi le médecin traitant n'envoie-t-il pas un rapport complémentaire à ce moment-là à la CSST, qui va le transmettre au BEM?

J'ai parcouru les débats qui se sont passés ces dernières semaines devant la commission parlementaire et j'ai lu des choses du genre: Pourquoi le BEM n'a-t-il pas les notes de consultation de l'urgence ou du médecin traitant? Qu'est-ce qui empêche le travailleur de les apporter au BEM lorsqu'il y va? Qu'est-ce qui empêche le médecin traitant de le faire actuellement? Il est là, le rôle du médecin traitant. Peut-être ne connaît-il pas suffisamment le droit qu'il a d'exercer tout ça. Ça, on n'a pas de problème avec ça. Sauf que est-ce que c'est nécessaire d'alourdir encore le processus, qui est relativement lourd au niveau des délais? On a, depuis des années, demandé à la CSST et demandé au ministère du Travail d'alléger les délais au niveau du BEM, ce qui est fait. Est-ce qu'on va maintenant ajouter un autre délai de 35 à 40 jours pour que le travailleur soit examiné par un professionnel de la santé qui est membre du BEM?

Alors, on croit que, dans la loi, il y a déjà une «provision». Est-ce qu'il n'est pas possible de bonifier l'article 215 simplement au lieu d'ajouter encore des délais formels, d'ajouter des obligations? N'y a-t-il pas moyen de faire ça de façon plus simple? C'est tout ce qu'on vous dit là-dessus, mais on pense que le médecin a toute la place et il s'agit qu'il la prenne.

M. Rioux: Merci. M. Joron, je sais votre longue expérience des relations de travail. On peut dire que vous êtes dans la culture des relations de travail de par votre profession et ce que vous avez fait aussi dans le réseau de la santé. Je vous connais. Sur la question du paritarisme, bon, on a bien compris que vous dites au législateur: On ne vous empêchera pas de créer cette Commission-là parce qu'on a des interrogations sur le paritarisme. Si on devait procéder, quelle serait la formule idéale, pour vous, pour qu'on respecte la culture des relations de travail, mais qu'en même temps on rende des décisions qui soient correctes juridiquement?

M. Joron (Pierre): C'est une excellente question. Ce matin, quand on s'est présentés ici, je vous dirais que la réponse qu'on vous donnait, jusqu'à ce qu'on entende un peu la présentation faite par le Barreau, c'était peut-être la voie un peu entre les deux: vous savez, plus les genres d'assesseurs qui, sans être partie à la décision, peuvent influencer. Sauf que ce qu'on nous dit, et c'est là que c'est inquiétant, ce qu'on nous dit, c'est qu'on nous souligne que ça remet en cause des principes de justice fondamentaux, et c'est ça qui est inquiétant, parce que ça nous donne le signal...

Quand on nous dit ça comme avertissement, généralement, au Québec, si on se fie à l'expérience passée – puis là je vous livre l'expérience de quelqu'un qui a roulé un peu sa bosse en relations de travail depuis une vingtaine d'années – c'est que, lorsqu'on nous avertit qu'il risque d'y avoir des recours, bien, généralement, il y a des recours. Et ça, je pense que ça doit être un avertissement important, parce que, si c'est vrai qu'on est pour se ramasser avec des contestations de la légalité des décisions rendues, on n'a rien gagné.

C'est parce que, nous, on perçoit vraiment le projet de loi dans le sens d'améliorer et de déjudiciariser, d'améliorer les délais, de réduire les coûts, mais, si les moyens qu'on prend donnent ouverture à une judiciarisation encore plus grande et qu'on transporte nos débats à d'autres niveaux, avec des tribunaux qui ont bien d'autres choses à faire, je pense, que de se ramasser avec ce débat-là, c'est inquiétant, c'est drôlement inquiétant. Et je vais vous dire que, ce matin, ça nous a un peu refroidis, parce qu'on se disait: Bon, à la limite, si vraiment le législateur juge qu'il ne peut pas éviter la question que l'organisme soit paritaire, est-ce qu'on va mourir de ce fait-là, est-ce qu'on va être capables de vivre avec le paritarisme?

Bon. Je pense qu'à l'instar de bien d'autres groupes je peux vous dire qu'on arriverait probablement à vivre avec le paritarisme. Mais vivre avec le paritarisme et ne pas atteindre les objectifs qu'on s'est fixés dans le projet de loi, bien, si c'est ça, ça nous entraîne presque à dire: Bien, à ce compte-là, si le projet de loi est pour amener des améliorations tellement à la marge et même dont les effets pourraient être annulés par des moyens qui ne produiront pas les vrais résultats, on est peut-être mieux de rester avec le statu quo puis d'avoir une révision beaucoup plus en profondeur de la LATMP en temps et lieu. Ça peut nous amener presque à cette conclusion-là.

Si le projet de loi est pour apporter par ailleurs des améliorations substantielles et que ça vaille le coup, bien, il faut s'assurer que les moyens qui sont mis de l'avant vont permettre de les atteindre, ces objectifs-là. Nous, c'est dans ce sens-là qu'on a une réaction par rapport au paritarisme, parce qu'on nous apporte des arguments quand même qui sont de poids et qui ne sont pas à prendre à la légère, hein. C'est des éléments importants.

Lorsqu'on touche le droit des individus – et, ce matin, le débat a eu lieu autour de quand même une présentation que j'ai trouvée fort intéressante entre les droits collectifs et les droits individuels – et quand on est devant des droits d'un individu... En tout cas, nous, ça nous a interrogés, c'est allé nous chercher et ça nous dit: Attention! Si nos moyens, peut-être très légitimes aux yeux de certains, posent des problèmes de légalité, bien, on a la garantie à coup sûr qu'on risque dans pas grand temps de s'enfermer dans des débats juridiques à d'autres niveaux.

Et là qui va payer la note pendant ce temps-là? C'est celui qu'on voulait aider, j'imagine, le travailleur. Hein, on est dans un régime où il y a une prépondérance favorable au travailleur, un préjugé favorable au travailleur. On veut aider le travailleur qui a eu un accident à s'assurer qu'il soit indemnisé et qu'il ait son argent. La première victime des délais d'attente, ça risque d'être lui. L'autre victime, c'est aussi les employeurs, parce que, vous le savez, les délais, il y a de l'argent de rattaché à ça et de la grosse argent.

Le Président (M. Sirros): Merci. Avant de donner la parole au député de La Peltrie, est-ce que je pourrais avoir le consentement des membres pour qu'on puisse dépasser l'heure normale de midi jusqu'à 12 h 15, pour prévoir que l'heure à notre disposition sera prise?

M. Rioux: Oui, oui.

Le Président (M. Sirros): Voilà. M. le député de La Peltrie.

M. Côté: Merci, M. le Président. Alors, ma question, moi, ça va être plus au niveau du principe ou, si vous voulez, ce que j'entends ou ce que je vois quand je lis votre rapport, puisque je semble percevoir, j'ai une préoccupation sur la voie sur laquelle vous semblez nous entraîner ou vouloir nous entraîner.

Pour moi, en tout cas, dans toute loi à caractère social – puis la CSST, je pense que c'en est une – le travailleur ou l'individu doit être au centre de nos préoccupations. Moi, lorsque je suis arrivé dans votre mémoire à la page 4, Mise en contexte , lorsque vous signifiez: «La Commission de la santé et de la sécurité du travail a évalué à 1 700 000 000 $ la somme qui lui permettrait d'acquitter ses obligations en 1997», si on réglait tout ce qu'il y a de dossiers à la CSST à ce moment-là, puis: «La cotisation à la Commission de la santé et de la sécurité du travail constitue l'une des taxes sur la masse salariale parmi les plus importantes que doivent assumer les employeurs. C'est pourquoi nous ne pouvons qu'approuver toute mesure mise de l'avant susceptible d'affecter à la baisse les cotisations des employeurs que nous représentons, principalement en cette période de compressions budgétaires», ça, je comprends que c'est une préoccupation. Mais est-ce que vous pensez que vous allez diminuer les coûts, les taux de vos cotisations uniquement avec le processus? Au fond, les taux de cotisation – moi, j'ai été quand même assez longtemps dans ce domaine-là en matière de prévention – ils baissent suite à la prévention qu'on fait à l'intérieur de l'entreprise, puis là vous semblez complètement exclure ça.

(11 h 50)

Moi, ce que je vois là-dedans, vous compressez l'accidenté, vous pressez le citron, pour essayer de le contraindre dans sa démarche vers une indemnité. Encore plus lorsque vous demandez, que vous recommandez également la... pardon, que l'employeur devrait avoir un accès direct au dossier médical sans passer par un médecin ou votre médecin, moi, je trouve que c'est pousser énormément, au fond, puis on n'a pas la préoccupation du travailleur à l'intérieur de ce que vous nous présentez. O.K., c'est bien beau de baisser les coûts en matière de processus, mais il faut garder à l'esprit aussi le côté social puis le côté individu à l'intérieur de tout ce processus-là. Alors, moi, j'aimerais que vous m'en parliez un peu plus parce que ça ne me satisfait pas tellement, ça, la manière dont c'est abordé là-dedans, puis, dans votre exposé, vous ne m'avez pas rassuré.

M. Joron (Pierre): Écoutez, je vais tenter de vous rassurer. Vous savez, quand on fait un mémoire, on pense à ceux qui vont nous lire aussi; on essaie de le faire, parfois, avec une économie de mots et, malheureusement, peut-être que, des fois, on ne contexte pas ou on ne nuance pas assez les choses. Écoutez, moi, je suis très à l'aise pour vous dire que je pense qu'on s'est centrés, dans le mémoire, sur les moyens de réduire notre coût de cotisation lié aux structures, au fonctionnement. Je pense que le projet de loi en soi nous amenait un peu dans cette voie-là.

Il n'y a pas d'aveu et, même, notre comportement n'est pas celui d'employeurs qui n'investissent pas d'efforts en prévention puis qui n'investissent pas d'efforts dans la gestion de l'indemnisation, bien au contraire. Si vous regardez le taux, on va être rendu à 1,51 $ du 100 $ de masse, si je prends le secteur hospitalier. Ça se compare au commerce de détail, c'est à peu près dans les plus bas taux de cotisation. Ça, c'est le résultat de quoi? Les structures n'avaient pas été allégées, les structures qu'on connaît maintenant, qui sont en place, étaient toujours là. C'est à l'intérieur des structures qui sont là qu'on a réussi, par la prévention, par la gestion d'une indemnisation qu'on a resserrée... On ne se le cache pas, on a resserré beaucoup la gestion de l'indemnisation, mais on a aussi investi en prévention.

Nous sommes présents à l'Association sectorielle de la santé et sécurité du travail, secteur santé et services sociaux, et il faut se rappeler que c'est la première association sectorielle qui a vu le jour. Même malgré le fait, à cette époque-là, que le réseau n'était même pas un secteur visé prioritairement, ils ont été les premiers à s'investir dans le secteur de la prévention et de façon paritaire, et aujourd'hui on atteint des résultats. Je peux vous dire que les gens ont appris à travailler ensemble et à atteindre des résultats de plus en plus intéressants du côté de la prévention. La formation aussi. Les associations du secteur de la santé et des services sociaux – c'est vrai pour l'AHQ, c'est vrai pour la CQCHR – nous recevons même une subvention de la CSST pour offrir des services aux employeurs de formation, de soutien à la prévention, à l'élimination à la source des dangers et des risques pour les travailleurs.

Donc, là-dessus, nous, on pense qu'on a quand même une image d'employeurs responsables, d'autant plus que nous sommes des employeurs du secteur public financés à même les deniers de l'État, et je pense qu'on ne peut pas se permettre de montrer le portrait de gens qui ne sont pas préoccupés par la prévention; en plus, on est dans le domaine de la santé, de la promotion de la santé. Je ne vous dis pas qu'on n'a pas à s'améliorer encore plus, davantage. Vous nous dites d'ailleurs que peut-être que dans nos écrits ça ne se reflète pas assez; on en prend bonne note. Si jamais on a la chance de réécrire, on tentera de faire ressortir davantage ces côtés-là. Mais je vous jure que les résultats que nous pouvons démontrer dans le domaine de la santé-sécurité, ils viennent sans aucun doute démontrer que nous sommes des employeurs soucieux de la prévention et de la gestion très adéquate.

Mais vous dites: Mesure sociale, hein? Faisons attention à une chose. Tantôt, on a tendance à l'étendre et à penser que c'est une mesure sociale universelle au même titre que des régimes sociaux qu'on se donne comme société. Or, il faut faire attention. Ici, on est dans un régime d'assurance, oui, qui a une consonance sociale parce que ça touche une masse importante d'individus dans une société, qui sont les travailleurs, mais n'oublions pas que c'est financé pas par l'ensemble de la société, mais par les employeurs. Et, dans ce cadre-là, il y a un contexte particulier qu'il faut donner au cadre social et il faut aussi gérer un peu sur une base d'affaires, vous en conviendrez. Voilà.

M. Côté: Mais est-ce qu'on est d'accord pour...

Le Président (M. Sirros): Je dois vous interrompre, M. le député, et me corriger du même coup, parce que, tantôt, j'ai demandé le consentement pour aller à 12 h 15, mais nos travaux sont prévus jusqu'à 12 h 30, de toute façon. Alors, je dois maintenant passer la parole au député de LaFontaine.

M. Gobé: Merci beaucoup, M. le Président. M. Joron et vos collègues, bienvenue à cette commission, il me fait plaisir de vous accueillir. Votre mémoire servira certainement à projeter un éclairage d'un groupe d'organisations ou, à la limite, d'entreprises – parce qu'un CLSC n'est pas forcément une entreprise, mais Hydro-Québec peut en être une – en fait, du moins, l'éclairage des gens qui oeuvrent, du côté patronal, sur cette réforme.

Il y a plusieurs points qui ont retenu mon attention, mais un en particulier parce qu'il va à l'encontre quasiment de la majorité, de la totalité des gens qui sont venus ici, à quelques exceptions près, et, même là, je pense qu'il y avait encore des choses qui accrochaient. C'est le BEM. Alors, je vais vous poser quelques questions là-dessus.

Mais j'aimerais quand même souligner une chose. Vous avez employé à plusieurs reprises le mot «taxes». Moi, j'aimerais mettre juste une petite chose au point. Lorsqu'on parle de la CSST, on ne parle pas d'une taxe; on parle d'une prime d'assurance. C'est une assurance, autant pour l'employeur qui, lui, se prémunit contre des poursuites en cour civile qui pourraient être très dommageables pour lui et très chères en frais d'avocat – d'accord? – que pour le travailleur, lui, qui est prémuni contre les dangers d'accidents. Alors, peut-être que dans le secteur public vous employez ce mot «taxes», c'est à la mode ces temps-ci, mais je souhaiterais peut-être qu'on emploie, lorsqu'on parle d'argents qui sont payés à la CSST, les mots «prime d'assurance». Autrement dit, c'est une prime d'assurance qui joue sur les deux côtés. C'est une connotation sociale différente, vous savez, hein?

M. Joron (Pierre): Tout à fait.

M. Gobé: On ne taxe pas le monde pour la CSST; on charge une prime d'assurance pour protéger les travailleurs et aussi protéger les employeurs contre des poursuites en cour civile, vu que ça va se régler à l'intérieur de la CSST. Alors, juste une petite mise au point, mais ce n'est pas négatif ni péjoratif; probablement que vous avez la même perception que moi de cette chose-là.

Pour revenir sur le BEM, vous avez suggéré qu'il fallait renforcer le BEM puis le mettre en dernière étape au niveau de la contestation, c'est ça, ou de la décision en tout cas. Vous avez dit qu'il faudrait qu'on arrête d'évaluer les dossiers sur papier. Il y a peut-être des choses qui m'échappent, mais il me semble que, lorsque les gens vont devant le BEM, généralement, ils ne sont pas souvent évalués sur papier, mais plus souvent physiquement.

On a eu même des cas de plaintes où des citoyens et des citoyennes, des travailleurs et des travailleuses – ça peut être des gens qu'on connaît, ça peut être votre belle-soeur, votre belle-mère, la mienne, enfin, tout le monde; ce n'est pas parce qu'on est dans des positions où on n'est pas accidentés souvent, nous autres, où on a moins de risques, que nos proches ne le sont pas, qu'ils ne doivent pas vivre avec ce système-là – se sont retrouvés dans des situations que même certains ont qualifiées un peu d'humiliantes: en petits sous-vêtements à attendre devant un médecin et son infirmière qui parlent, enfin des choses comme celle-là. Donc, ça semble démontrer qu'il y a quand même un certain nombre d'évaluations physiques. Les gens sont là; ce n'est pas juste sur papier. J'aimerais ça que vous m'expliquiez pourquoi vous avez parlé du papier.

Et aussi pourquoi, alors que les gens semblent ne pas trouver que le BEM fonctionne d'une manière efficace et favorable, vous, vous voulez le renforcer? Il y a une campagne de dénonciation importante des citoyens de tous horizons. On a pu voir une émission à Radio-Canada; je ne sais pas si vous l'avez vue. Si vous ne l'avez pas vue, j'ai la cassette à mon bureau, il me fera plaisir de vous la faire parvenir.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gobé: Non, mais, en toute bonne foi, là, parce que c'est vraiment quelque chose de sérieux, qui fait choc, qui révélait des médecins, des chefs de département de physiatrie, entre autres, qui disaient: Nous autres, on n'a quasiment pas le choix, il faut marcher au rendement; sinon, on n'a pas de mandat. Puis on découvrait les dessous d'un système. Puis, vous, vous dites qu'il faut renforcer ça. Est-ce que, dans votre sens, renforcer, c'est continuer comme c'est maintenant puis le mettre encore plus dur ou est-ce que c'est... Vous avez dit tout à l'heure aussi... Vous savez, les mots qu'on emploie des fois, on fait attention à ça, puis je sais que des fois on a des problèmes de vocabulaire, on veut dire une chose puis on emploie un autre mot. Vous avez parlé de «taxes» alors que vous vouliez dire «prime d'assurance», je suis certain.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gobé: Peut-être que vous avez dit: On va renforcer dans le sens d'améliorer, de rendre plus humain, plus efficace aussi, c'est évident, et j'y souscris. J'aimerais ça vous entendre là-dessus, moi.

M. Joron (Pierre): D'accord. Bon, d'abord, sur la question des taxes, écoutez, moi, si ma mémoire m'est fidèle, ce n'est pas nous qui avons inventé le terme; même le gouvernement parle souvent de ces éléments-là comme étant des taxes sur la masse salariale.

M. Gobé: Je ne vous blâme pas.

M. Joron (Pierre): Et il me semble que ça a été utilisé déjà en disant que, si on obtenait même une diminution des coûts de la CSST, ça augurerait comme un effet de baisse de taxes sur la masse salariale. Je pense que ce qu'on veut dire, c'est que c'est des éléments qui viennent quand même augmenter les coûts des employeurs. Tantôt, c'est des primes d'assurance. Tantôt, dans la loi n° 90 sur le développement professionnel, c'est des parties de budget que vous devez consacrer à la formation. Les gens appellent ça aussi des taxes sur la masse salariale. C'était plus dans le sens du terme générique qui est utilisé. Il semble que les gens se comprennent avec ce jargon-là, mais, vous avez raison, on parle de primes d'assurance. Je ne pense pas qu'il y a un grand débat à faire sur la sémantique là-dessus. Bon.

(12 heures)

Sur le renforcement du BEM, là, je pense que le mot «renforcement», oui, vous avez peut-être raison, il faut faire attention. Des fois, les mots peuvent vouloir signifier autre chose. Moi, je pense qu'on l'emploie plus dans le sens d'améliorer le fonctionnement du Bureau d'évaluation médicale. Et, vous l'avez souligné, on nous a fait part, puis plusieurs nous en ont fait part ici, à la commission, de certains irritants dans le fonctionnement actuel du Bureau d'évaluation médicale. Nous, ce qu'on dit, c'est: Regardons-les, ces irritants-là; il y a sûrement moyen de trouver des solutions pour venir les corriger. On pense que, dans l'ensemble, le Bureau d'évaluation médicale, il s'acquitte bien de sa tâche.

Puis, encore là, il faut regarder les chiffres qui sont autour des décisions qui passent par le BEM puis les contestations. Je comprends qu'il y a des débats de chiffres puis que les gens ne s'entendent pas sur quel est le pourcentage de ce qui va en appel, mais il me semble que la majeure partie des décisions qui sont rendues sont maintenues. Ce n'est pas la majeure partie, ce n'est pas 50+1 des décisions du BEM qui sont rejetées. Donc, c'est une minorité qui est renversée. Moi, en tout cas, je pense qu'il faut faire attention dans les jugements qu'on porte. Il y a des jugements très durs actuellement qui remettent en cause même des professionnels de la santé qui sont censés avoir un code d'éthique puis il y a déjà des règles de prévues pour les comportements professionnels de ces gens-là. Je pense qu'il faut être prudent dans ce dossier-là.

Vous savez, moi, le petit arrière-goût qu'on a... Vous allez dire: Vous parlez comme employeur. Mais nous sommes des employeurs; donc, je pense que c'est aussi permis au Québec que les employeurs parlent comme des employeurs. Les syndicats se permettent de parler comme des syndicats; ça fait qu'on n'a pas de problème avec ça. Vous savez, l'arrière-goût qu'on a, c'est qu'on sent qu'il y a des gens qui ne sont pas satisfaits, en tout cas, d'un certain nombre de décisions qui sortent de ce Bureau.

Et, nous, on pose la question: Si les décisions avaient été, par exemple, dans un ordre inverse à ce qu'elles sont actuellement, est-ce qu'on demanderait la disparition du Bureau d'évaluation médicale? Est-ce qu'on ne serait pas dans une situation inverse où on dirait: Maintenez ça? Peut-être que les employeurs viendraient vous dire: Aïe, le Bureau d'évaluation médicale, on regrette, mais les décisions qui sortent de là, nous autres, on veut les contester. Vous savez, il faut faire attention, dans des organismes qui rendent des décisions, de baser des jugements sur le maintien ou non de la structure fondés sur la qualité des décisions qui sortent de là. À ce compte-là, si on n'est pas content des décisions des tribunaux, il faut abolir l'appareil judiciaire? Moi, je pense qu'il faut être prudent là-dedans. C'est dans ce sens-là.

M. Gobé: Juste sur le BEM, c'est évident que, lorsque vous dites: Si les chiffres étaient à l'inverse, ce faisant, vous allez aussi dans le sens des gens qui disent que les chiffres penchent plus souvent d'un côté que de l'autre. On sait aussi, je pense, que c'est 45 % des décisions du BEM qui vont être rejetées par la suite; c'est un nombre quand même assez important – d'accord? – pour qu'on puisse en tenir compte.

Maintenant, lorsque vous dites que le BEM serait un organisme qui aurait une décision finale, il faut se rappeler qu'actuellement on peut aller en appel puis qu'il y en a 45 % qui sont rejetées. Ça veut dire qu'avec vous, ce que vous suggérez, bien, les 45 %, ils n'auraient plus le droit d'appel, là. On a un problème quelque part. Il y a 45 % des gens qui, actuellement, voient la décision du BEM rejetée en appel, qui n'auraient plus de recours.

À ce moment-là – et vous l'avez mentionné, hein, pour le paritarisme; ça serait le même cas – les gens se ramasseraient devant les tribunaux civils, et on pourrait voir quelque part un avocat ou un bureau d'avocats qui se spécialiserait là-dedans puis qui fonctionnerait avec des recours, avec des frais payables sur le coût de la réclamation ou des choses comme ça; ou des cliniques d'avocats populaires pourraient décider de poursuivre, et on se ramasserait avec le système qui serait continuellement devant les tribunaux supérieurs.

Alors, je pense que votre idée peut paraître bonne, mais il me semble que sa limite s'arrête dès le moment où les gens n'ont plus le droit d'aller en appel, alors que l'on sait que 45 % des décisions actuelles du BEM sont rejetées en appel, sont rejetées par la suite. Alors, c'est un peu avec ça que j'ai de la misère à vivre, là. Maintenant, vous voulez l'améliorer, et tout ça. Tout le monde en est ici. Il y en a qui veulent l'annuler; d'autres qui veulent le faire changer. Je pense être dans la mouvance, comme tout le monde, là, peut-être pas pour les mêmes raisons, mais je pense qu'en effet ça implique un examen très important du système du BEM.

M. le Président, est-ce que vous pourriez passer la parole à ma collègue maintenant? Sur ces quelques mots, j'ai terminé avec...

Le Président (M. Côté): Oui. Mme la députée de Saint-François.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. On se rend compte de plus en plus que la commission parlementaire est d'une grande importance. On voit que les objectifs qu'on voulait viser avec le projet de loi – la déjudiciarisation puis, bien sûr, je pense, une diminution des coûts – ces deux objectifs étaient tout à fait louables. Encore faut-il être capable de les atteindre et sans tout chambarder. Et on se rend compte, bien sûr, que, même si le ministre voulait sûrement le faire avec de bonnes intentions, il devra, bien sûr, retourner ce projet de loi sur sa table de travail pour être capable de l'améliorer à la lumière de tous les commentaires qu'on a reçus.

Bien sûr que l'objectif de déjudiciarisation doit se faire, mais sans enlever des droits à qui que ce soit. Je pense que déjudiciariser ne signifie pas enlever des droits, mais, au contraire, rendre justice en toute impartialité. Et aussi il faut que l'accidenté, le citoyen, soit pris en considération dans tout ce processus. Et, moi, la première question que je me pose, c'est: Est-ce qu'on a questionné l'accidenté? Est-ce qu'on l'a questionné? Est-ce qu'on sait ce qu'il veut, cet accidenté, ou ce travailleur qui pourrait être accidenté?

Remarquez que, dans nos bureaux, actuellement, on trouve – ce n'est pas d'aujourd'hui – des cas très pénibles. Parce qu'un accidenté n'est pas nécessairement invalide au sens de la Régie des rentes du Québec. Invalide, on sait ce que ça signifie au sens de la Régie des rentes: vous êtes en chaise roulante ou encore vous ne pouvez absolument rien faire. Alors, si vous n'êtes pas invalide, à ce moment-là, vous pouvez travailler. Peut-être pas dans le même métier ou dans le même milieu, mais vous pouvez travailler. Mais qui vous embauche? Qui vous embauche? Vu le fait d'avoir déjà été accidenté, on a certains préjugés, puis qui va vous embaucher? Alors, la personne finalement est invalide, à mon sens à moi, parce qu'elle ne peut pas retravailler, souvent, à l'âge de 50 ans. Elle est invalide, mais ne reçoit plus ou, après un certain temps, ne reçoit pas son plein montant.

Comme c'est une prime d'assurance qu'on se dit qu'on paie, comme c'est une assurance qu'on est censé avoir, une assurance-travail, est-ce qu'on a posé la question à l'accidenté, à un moment donné, à savoir: Est-ce qu'il serait prêt, cet accidenté, à payer une proportion pour être bien couvert? Je pense que c'est la première question qu'on devrait se poser. Actuellement, on sait très bien la façon dont c'est financé, mais, tant qu'à être payé à moitié ou tant qu'à voir son indemnité diminuée parce qu'il ne retourne pas sur le marché du travail ou parce qu'il ne peut pas se trouver du travail, je pense que c'est un premier mécanisme qu'il faudrait voir. Est-ce qu'il y a une portion qu'il devrait payer? Est-ce que c'est ce qu'il souhaiterait? Je ne suis pas en mesure de savoir si oui ou non, mais, chose certaine, pour une meilleure protection, je pense que c'est à voir.

L'autre point de vue, c'est la question des décisions du Bureau d'évaluation médicale. On s'est posé beaucoup de questions puis on s'en pose encore sur le médecin traitant. Tout à l'heure, on parlait du médecin traitant contrôlé. Remarquez que, quant à vos propositions de décisions finales et sans appel, moi, à première vue, je dirais que je ne serais peut-être pas tout à fait en désaccord, dépendamment comment sont faites ces évaluations.

Alors, par exemple, au lieu de penser ou de croire qu'on peut avoir des médecins traitants qui pourraient être complaisants pour toutes sortes de raisons – on en a parlé avec des groupes qui sont venus – je suis persuadée, entre autres, qu'on est capables peut-être pas d'avoir un peu plus de rigidité, mais de s'assurer, par exemple, que le médecin traitant, le diagnostic qu'il fait est un bon diagnostic, quitte à ce qu'il puisse avoir une expertise d'un spécialiste. Mais, si on se fie au médecin, qui est connaissant au niveau médical, si ce médecin a un diagnostic et qu'il a une contre-expertise d'un spécialiste, est-ce qu'on va faire passer cet accidenté devant je ne sais pas combien de médecins pour à peu près la même chose ou peut-être pour diminuer le pourcentage de séquelles?

Je pense qu'il y a certaines questions qu'on doit se poser. Est-ce que c'est un accident de travail, oui ou non? Alors, si on a fait la démonstration, si on a fait la preuve que c'est un accident de travail, bien, à ce moment-là, regardons le diagnostic et les séquelles, et payons. Mais arrêtons de traîner. Alors, je pense que c'est là-dedans qu'on doit regarder tout le mécanisme et qu'on doit se dire: Bien, si, par exemple, on en arrivait à un mécanisme souple, mais efficace, on pourrait arriver à des décisions, à mon avis, finales et sans appel qui aboutiraient, bien sûr, à des indemnités.

(12 h 10)

Alors donc, je me rends compte qu'il y a des points importants. La question de la déjudiciarisation. Il faut, premièrement, s'assurer d'une justice. Alors, en enlevant un palier, à ce moment-là, est-ce qu'on rend justice? Mais il y a une autre chose, tout à l'heure, que j'ai prise en note. Vous avez dit: Il y aura des augmentations de coûts de près de 18 000 000 $. Là, je voudrais vous entendre là-dessus parce que le ministre, lui, ce qu'il vise, c'est une diminution des coûts, et vous parlez, avec ce projet de loi, d'une possibilité d'augmentation des coûts de 18 000 000 $. Où on prend ça, là? C'est à partir du projet de loi? Vous comprenez qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Paquin (Raymond): Bien, sur ça, madame, l'augmentation des coûts est reliée aux délais qui nous semblent être plus grands si on instaure les nouveaux mécanismes qui sont prévus dans le projet de loi. C'est une augmentation de délais, et on a tenu compte des coûts salariaux associés à un processus qui serait plus long d'indemnisation que ce qu'il est actuellement. C'est simplement une question de mathématiques de ce côté-là. Vous avez parlé de la quote-part du financement par l'accidenté; je pense que ce n'est pas quelque chose qu'on a abordé dans notre mémoire, aucunement. On n'a pas remis en question les fondements mêmes du régime.

Mme Gagnon-Tremblay: Remarquez que c'est une question que je me pose, parce que je me rends compte que l'accidenté, en termes d'indemnité, là, quand il est pratiquement invalide, je trouve qu'il est vraiment... On s'en rend compte dans nos bureaux. Écoutez, il y a des cas pathétiques. Alors, j'essaie juste de voir comment on peut aider cet accidenté-là. Et, si on ne peut pas l'aider parce qu'on ne peut pas augmenter les cotisations... Je suis d'accord avec vous qu'à la taxe sur la masse salariale ou la prime, si vous voulez – ça finit par être sur la masse salariale – bien sûr, il y a des limites, mais il y a aussi des gens qui sont drôlement défavorisés par le système. La Régie des rentes ne paie pas si vous n'avez pas 60 ans puis si vous n'êtes pas vraiment invalide. Par contre, vous avez des cas qui ne sont pas invalides, mais qui ne sont pas capables de réintégrer le marché du travail. C'est dans ce sens-là que je me dis: Est-ce qu'il y a un autre moyen de protéger cet accidenté?

Mme Laflamme (Carmel): Je pense que vous avez raison, il faut tenter...

Le Président (M. Côté): Est-ce qu'on pourrait conclure rapidement, s'il vous plaît? Notre temps est écoulé.

Mme Laflamme (Carmel): D'accord. Il faut tenter d'aider le travailleur au maximum. Cependant, il ne faut pas oublier, Mme la députée, qu'il n'y a que 5 % à 7 % des réclamations qui sont déposées à la CSST par année qui font l'objet d'un refus au premier départ de la Commission. C'est le premier élément qu'il ne faut pas oublier. Le deuxième élément, c'est que l'employeur ne conteste que 0,1 % de tous les rapports médicaux déposés, ce qui représente, si vous le redéployez sur le nombre de réclamations annuelles, environ 4,5 % du nombre des réclamations qui font l'objet d'une évaluation au BEM. De ça, il y en aurait supposément 75 % – selon les données qui ont été présentées devant vous par les représentants des travailleurs – suite au BEM, qui seraient aptes au travail. De ça, il n'y en a que 40 % qui sont contestées.

Alors, dans vos bureaux de comté comme dans nos bureaux, on voit des accidentés qui n'ont pas eu l'impression d'avoir justice, on voit des gens qui se sentent lésés par le régime, mais ce que je voudrais vous faire comprendre, c'est que ce n'est pas la majorité des accidentés du travail. Je ne dis pas qu'il ne faut pas s'en préoccuper, mais il faut comprendre aussi que celui qui arrive dans notre bureau est l'exception dans l'ensemble du régime. Alors, il faut prévoir ces cas-là, je suis d'accord, mais est-ce qu'il faut en faire une loi pour tout le monde? Est-ce qu'il faut prévoir ça pour tout le monde quand c'est le cas d'exception? C'est la question qu'on vous pose.

Le Président (M. Côté): Alors, merci, Mme Laflamme. Merci également à tous les représentants de la Confédération québécoise des centres d'hébergement et de réadaptation.

J'inviterais maintenant Me Michel Cyr à prendre place.

À l'ordre! Est-ce que vous êtes...

M. Cyr (Michel): Je vous écoute.

Le Président (M. Côté): Oui, M. Cyr, avant de débuter, j'aimerais vous informer qu'il y a eu entente entre les deux parties, c'est-à-dire la partie ministérielle et la partie de l'opposition, à l'effet que vous fassiez une présentation de 10 minutes et que les interpellations soient de cinq minutes de chaque côté par la suite. Alors, si vous êtes prêt à procéder.


M. Michel Cyr

M. Cyr (Michel): Je n'ai rien à dire, quoique j'avais cru comprendre que les questions étaient de 10 minutes de chaque côté lorsqu'on m'avait initialement informé que je pouvais présenter le mémoire. Mais évidemment je ne décide pas. Vous jugerez cependant, étant donné les révélations que j'ai choisi de faire ce matin. Je ne savais pas que j'allais pouvoir les compléter pour ce matin, mais, heureusement, j'ai pu les compléter ce matin; elles ont été remises au bâtonnier et elles seront remises aux journalistes par la suite. Il s'agit du complément que j'ai à vous remettre ce matin au mémoire que j'ai déjà présenté. Et vous constaterez que ce sera véritablement très révélateur...

Le Président (M. Côté): Alors, vous pouvez vous asseoir, M. Cyr.

M. Cyr (Michel): ...pour ne pas dire explosif, à mon avis. Je vous remets des copies.

Le Président (M. Côté): Alors, vous pouvez commencer.

M. Cyr (Michel): Merci. Alors, évidemment je ne compte lire aucun des documents que j'ai soumis. L'essentiel de mon propos est le suivant. Depuis bientôt 20 ans, je représente exclusivement des victimes d'accidents du travail et, bientôt depuis 10 ans, de la route, d'actes criminels, en matière de Régie des rentes ou dans le domaine du judiciaire privé contre des assureurs, ce qui me colore nécessairement en faveur des victimes et des gens qui allèguent un droit. Mais, durant ces 20 années – et c'est l'objet de mon mémoire qui ne porte que sur une seule question – c'est une passion que j'ai depuis 20 ans de déterminer quelles sont les relations entre la CSST, le médecin des accidentés et la victime. Vous verrez que c'est très révélateur.

Heureusement que j'ai pu convaincre enfin des médecins spécialistes. On n'a pas reçu tous les documents encore, mais, heureusement pour cette commission parlementaire, vous verrez en annexe, à la fin du deuxièmement document, que j'ai pu enfin convaincre un certain nombre de médecins spécialistes et omnipraticiens de dire ce qu'ils pensent des nouvelles méthodes de gestion que présentait ici le président de la CSST, Pierre Shedleur, en janvier 1994. J'y reviendrai, puisque évidemment nous sommes sur le projet de loi n° 79, pour faire le lien avec ce projet de loi.

Ce projet de loi, à mon avis, concernant l'évaluation médicale, n'est qu'une des étapes dans la bataille pour le contrôle de l'opinion du médecin qui a charge. Celui qui arrivera à contrôler l'opinion du médecin qui a charge arrivera à contrôler les coûts du régime et possiblement aussi à pénaliser les accidentés. Pourquoi? N'oublions jamais que l'économie de la loi, en 1985, est à l'effet que le travailleur, qui était accusé avant 1985 de magasiner et de changer de médecin, ne peut plus contester l'opinion de son médecin. Depuis 1985, en échange d'autres droits, à ce que je comprends, la victime d'accident du travail ne peut plus contester l'opinion de son médecin.

Donc, si on trouve, par quelque subterfuge que ce soit, la possibilité d'influencer, dans le dos de la victime – je le répète, comme je l'avais écrit dans Le Devoir , à l'époque, avant d'être dénoncé sur cette question; aujourd'hui, j'ai le plaisir de rétablir les faits et de vous prouver ce que j'avançais par les témoignages des médecins; donc, je ferme cette parenthèse – l'opinion des médecins, les accidentés perdront leurs droits.

Mais pourtant vous allez me dire: La bonne foi se présume. Les gens appartiennent à des ordres professionnels, qu'il s'agisse de spécialistes en réadaptation ou de médecins. J'en conviens et il n'est pas question pour moi, d'aucune façon, comme je le mentionnais, d'en disconvenir. Cependant, à partir du moment où on accepte que l'on respecte l'opinion du médecin qui a charge, même en s'inspirant des bonnes intentions du rapport Durand sur la déjudiciarisation, on bat en brèche et on s'attaque au respect du principe du médecin ayant charge si on demande que ce dernier se fasse vérifier en plus de pouvoir le contester. À quoi sert de lui demander de se faire vérifier, ce qui n'est pas du tout dans la culture médicale, si on se réserve en plus le droit de le contester?

(12 h 20)

Rappelons-nous que le rapport Durand apportait certains éléments. Le rapport Durand nous disait: Le médecin... Sans qu'il y ait un projet de loi écrit par la CSST pour encadrer le travailleur, sans que le ministre du Travail, responsable du tribunal d'appel finalement, soit le même qui est responsable de celui de la CSST, le rapport Durand disait ceci: Oui, dans la culture médicale, l'omnipraticien – parce que généralement c'est un omnipraticien, comme on le verra – développe un lien de confiance avec un orthopédiste, un neurochirurgien, un neurologue, un physiatre et leur réfère ses patients. Oui. Dans le projet de loi, ce n'est pas ce qu'on retrouve.

Le plus effrayant est le suivant au niveau de l'évaluation médicale: l'employeur et ses médecins, qui sont des gens honnêtes, bien sûr, mais plus conservateurs dans leurs opinions médicales – ça, à tout le moins, on peut le dire ouvertement – vont produire des opinions par des médecins spécialistes. Parce que, sur le terrain, il faut voir les forces en présence; j'ai tout documenté ça dans les documents et je vais vous l'expliquer. Dans la réalité de la pratique médicale actuelle au Québec, les employeurs, généralement – et c'est leur droit, je respecte leur droit – sont représentés par des médecins spécialistes, particulièrement, par exemple, en orthopédie.

Ces médecins-là, dont on se procurera l'opinion, qui va être acheminée par le biais de la CSST aux médecins ayant charge des travailleurs, qui sont généralement des omnipraticiens, vont subir la pression de l'opinion du médecin spécialiste sur leur opinion de médecins omnipraticiens. Mais, comme on le verra dans la deuxième partie de la présentation, non seulement ils vont recevoir cette opinion du médecin spécialiste de l'employeur, qui, nécessairement, va confronter la leur, ne sera pas favorable à l'opinion émise initialement par le médecin qui a charge qui, pourtant, lui aussi est compétent et qu'on ne peut accuser... Même si la complaisance existe, c'est un fait, on ne peut pas non plus accuser l'ensemble des 7 000 médecins omnipraticiens qui voient des victimes d'être complaisants, même si ça arrive.

Et non seulement le médecin de la victime va recevoir cette expertise, mais, en plus, on va l'appeler. Et ça, c'est un scandale. C'est un scandale qui a été documenté enfin pour la première fois par les médecins dont j'ai soumis les témoignages, avec signatures, des cas d'espèce qu'ils vivent. On va l'appeler, puis on va lui dire: Docteur, vous avez reçu l'expertise de ce médecin. Aujourd'hui, je suis fier de le dire. Avant, c'étaient des hypothèses. Non seulement avant on l'appelait, mais là, avec l'expertise de ce médecin-là, on va lui dire: Docteur, ce médecin, le spécialiste Untel n'est pas d'accord avec votre diagnostic ou avec les limitations fonctionnelles que vous avez émises. Écoutez, on vous respecte bien, mais vous êtes quand même omnipraticien et c'est un spécialiste qui vous dit que vous vous trompez peut-être.

Alors, plutôt que de soumettre l'opinion du médecin omnipraticien à un médecin désigné au BEM – qu'on conserve, parce qu'on se réserve le droit, si on n'influence pas le médecin, de contester à l'autre bout – on pourra, à ce moment-là, dire: Docteur, écoutez, rendez-vous à l'évidence, il y a un médecin spécialiste qui vous dit, là, que ce n'est pas une hernie discale, que c'est une simple entorse lombaire, que les limitations fonctionnelles que vous avez accordées ne tiennent pas, elles doivent être plus légères. Ça, c'est ce qui est tout à fait inacceptable, indépendamment de la question de délai de cinq jours pour choisir un nom de médecin – vous avez trois noms de médecins – indépendamment du délai de 15 jours accordé au médecin spécialiste, en fait, pour produire l'expertise, même si évidemment ces délais-là ne respectent pas du tout la réalité de la pratique médicale, ils sont effectivement trop courts.

Mais, en plus, comme on l'a dit tout à l'heure, déjà, il y a très peu de médecins... Je vous donnerai des chiffres. Environ 17 médecins acceptent, spécialistes et omnipraticiens, de produire des expertises médicales pour les victimes contre 171. J'ai tout documenté ça, avec l'aide des médecins, à partir de l'annuaire médical pour chacune des spécialités médicales les plus couramment utilisées: neurochirurgie, neurologie, orthopédie et physiatrie. Comme vous le constaterez, 17 versus 171. Je respecte les choix de chacun, mais la pression exercée sur les 17 – comment dire, donc – qui acceptent plus fréquemment de produire des expertises à la demande des victimes – on a déjà cette pression-là qui est documentée – quelle sera-t-elle, surtout, et j'y reviens, sur les médecins omnipraticiens qui sont les plus nombreux en première ligne?

D'ailleurs, non seulement quand la CSST acheminera l'opinion des médecins spécialistes des employeurs, le projet est inacceptable, mais aussi quand, elle, elle contestera. Parce que, contrairement à ce qu'on dit et à ce qu'on a entendu dire, c'est faux que la CSST ne conteste pas. On a entendu M. Alain Albert sur les ondes, là, à une émission publique, dire: Nous, on ne conteste pas. Non, nous, on encourage les employeurs à contester et, s'ils ne contestent pas, nous contestons. C'est tout. C'est aussi simple que ça et les chiffres le démontrent, ils sont éloquents jusqu'en 1993. En 1993, ça change: un peu plus les employeurs, un peu moins la CSST. Et, en 1994 – je vais y revenir tout à l'heure – là, on...

Le Président (M. Côté): Pardon, M. Roy. Il vous reste deux minutes pour compléter.

M. Cyr (Michel): Je vous remercie. Alors, je tente de faire vite.

Le Président (M. Côté): Me Cyr, excusez-moi.

M. Cyr (Michel): De rien. Ce à quoi on assiste finalement, c'est à un monde où, dans le secret et dans la délation, on va enrôler les médecins qui sont déjà peu nombreux dans une société libre et démocratique, qu'on doit maintenir libre et démocratique, loin de la tentation totalitaire, loin du secret, loin de la délation, pour respecter le droit des individus.

Oui, respecter le droit des employeurs de contester ou la CSST; non pas les deux en même temps pour ajouter une foule d'expertises médicales. Oui, peut-être un seul tribunal. Non au BEM, pour les motifs qu'on aurait pu expliquer à monsieur tout à l'heure. Les études, heureusement... Je rends hommage aux gens de l'UTAM, qui sont ici en arrière: Marie-Claire Lefebvre, la première qui, en 1986-1987, a établi ce qu'étaient le BEM et l'arbitrage médical. Ça n'a rien changé, on a changé le nom tout simplement. Et, par la suite, d'après les chiffres que j'ai mis à jour, qu'ils ont continué de mettre à jour, que Radio-Canada a mis à jour, oui, les médecins les plus conservateurs font le plus grand nombre d'expertises et, oui, s'ils sont contestés, ils sont renversés. C'est l'expérience que j'en ai, et à 74 % depuis 20 ans. Ça, c'est incontestable, inattaquable, les chiffres que je vous donne là.

Il y a 7 000 médecins omnipraticiens au Québec et 7 000 médecins spécialistes. Il n'y a pas 7 000 médecins spécialistes qui vont faire de l'expertise pour la CSST ou pour les employeurs; il y en a 385. En fait, il y en a 780 dans les bottins, mais on a vérifié avec les départs, les retraites et ceux qui en font déjà pour la CSST, les employeurs, le BEM et la SAAQ – parce que ce sont tous les mêmes – puis il reste environ 200 médecins qui pourraient – s'ils sont convaincus d'accepter de faire de l'expertise médicale, ce qui n'est pas évident – accepter d'en faire. C'est une pratique inacceptable de soumettre les médecins à ce genre de pratique, d'autant plus qu'on ne pourra pas exclure les médecins qui, déjà – et ils sont les plus nombreux – en font pour les autres parties, donc avant même que le travailleur – j'y reviens toujours, c'est l'essentiel – ne puisse dire: Oui, avec mon médecin, la relation de confiance que j'ai, comme le prévoit le Collège des médecins, est protégée.

Et, en ce sens-là, autant cet aspect du projet de loi doit être écarté qu'on doit aussi s'assurer par une commission d'enquête ou autrement – je le demande au Barreau et au Collège des médecins – d'empêcher pour l'avenir toute forme de communication verbale de la CSST, qui a donné lieu aux pires abus et qui va se continuer avec le projet de loi, avec les moyens qu'on va donner à la CSST.

Le Président (M. Côté): Alors, merci, Me Michel Cyr. Je céderais la parole maintenant au ministre pour une période de cinq minutes.

M. Rioux: M. Cyr, vous concentrez l'essentiel de votre intervention sur les modifications qu'on apporte par le projet de loi n° 79 au Bureau d'évaluation médicale, bon, etc. Vous nous dites que, vérifications faites, vous avez étoffé l'ensemble des révélations que vous faites ici aujourd'hui. Je vous dis: On va les examiner, on va regarder ça très sérieusement, parce que, s'il y a du monde croche dans le système, on va le sortir. Je tiens à ce que vous le sachiez, O.K.? On ne tolérera pas ça. Surtout qu'en bout de piste c'est un travailleur qui attend d'avoir un verdict qui soit le plus juste et le plus équitable possible.

Vous faites référence également aux pressions indues qui sont faites sur le médecin traitant. C'est une observation importante.

M. Cyr (Michel): M. le ministre, j'ai le plaisir de vous lire ceci.

M. Rioux: Allez.

M. Cyr (Michel): C'est à votre dossier, au dossier que je vous ai soumis. Les médecins, pour la première fois – et j'ai dû les convaincre à cause d'une relation de confiance de 20 ans de travail avec eux – ont accepté de parler. Je prendrai les cas les plus courts, parce que évidemment ça serait trop long de lire tous les exemples. Je prendrai un exemple, parce que c'est bien résumé ici. Un médecin, je fais référence au Dr Maurice Caron, dit: «Ainsi, il m'a été proposé de modifier à la baisse les limitations fonctionnelles d'un REM qui, souvent, datait de plus de six à huit mois alors qu'on avait refusé et qu'on refusait encore une évaluation objective en ergothérapie que je prescrivais; de modifier un REM à la baisse des limitations fonctionnelles sur la base d'une filature par un détective avec prise de pellicule vidéo, etc.; de me prononcer sur une démarche d'assignation temporaire alors que la CSST disposait d'études d'ergothérapeutes mettant en doute la capacité du travailleur à faire le travail.»

Tout ça est verbal, M. le Président, sans trace au dossier. Évidemment, je le dénonçais à l'époque. Le président de la CSST nous disait que nous mentions parce que évidemment nous étions mercantiles, comme professionnels, et aujourd'hui les médecins viennent documenter ceci. Si vous continuez ici, tous les médecins qui documentent ceci rapportent des cas constants d'abus verbaux, de conversations, de visites. Le Dr Lefebvre, psychiatre, ici, dit: «On me visite, on me dit que ma patiente prend de la drogue alors qu'elle a failli être déchirée en deux sur un chantier de construction.» C'est parce qu'elle prend de la drogue. Vous lirez le Dr Lefebvre.

M. Rioux: M. Cyr, c'est très, très important, ce que vous me racontez là, mais, en même temps, je vous ferai remarquer que vous me prenez mon temps.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Rioux: Alors, je voudrais vous parler un peu, vous comprendrez bien. Votre passage ici est important puis il était attendu, de toute façon.

M. Cyr (Michel): C'est parce qu'on a réduit mon temps, M. le Président.

(12 h 30)

M. Rioux: Mais laissez-moi aller. Vous présentez ça comme un affrontement: d'un côté, des spécialistes qui sont à la solde des entrepreneurs, des employeurs, des spécialistes à la solde de la CSST, des gens à la solde du BEM et, de l'autre côté, évidemment l'omnipraticien qui doit subir toute cette pression-là qui est indue, selon votre témoignage. Je reçois ça. Mais j'imagine que les professionnels de la santé qui entendent ça, qui sont censés être gérés par un code de déontologie, ne doivent pas trouver ça très drôle non plus.

Par ailleurs, vous présentez des éléments historiques très intéressants. Et, je vous le dis, avant 1985, c'est vrai que la CSST n'était pas liée au rapport du médecin traitant. Vous considérez comme un gain majeur le respect de l'opinion du médecin traitant. On le reconnaît dans le projet de loi; vous l'avez vu aussi bien que moi. Bon. Et je voudrais vous citer. Vous dites, à un moment donné: «Nous comprenons que la CSST et les employeurs puissent contester – vous êtes d'accord avec ça – mais nous reconnaissons que l'opinion du médecin traitant ayant charge n'est pas la seule à prévaloir.» Vous êtes d'accord avec ça?

M. Cyr (Michel): Ce n'est pas ce que j'ai dit dans mon... La citation que vous utilisez là...

M. Rioux: Est-ce qu'elle est juste?

M. Cyr (Michel): Ce que j'ai vraiment dit, là, ce que vous venez de relire, c'est ceci. C'est qu'en 1985 on a dit: On reconnaît l'opinion du médecin ayant charge. On reconnaissait par le même fait qu'on pouvait contester l'opinion du médecin ayant charge. Alors, je me dis: Si on reconnaissait son opinion comme étant déterminante et comme étant liante, de la même façon, dans le même projet de loi, on reconnaissait par ailleurs qu'on pouvait la contester. Alors, elle nous liait et elle était déterminante jusqu'à ce qu'on la conteste. Et je comprenais qu'on puisse la contester; donc, elle n'était pas si déterminante que ça. Mais, tout de même.

M. Rioux: Soyons clairs...

M. Cyr (Michel): C'est ce que je dis dans le texte.

M. Rioux: Soyons clairs. Est-ce que vous contestez ça, l'idée de questionner l'expertise médicale du médecin traitant?

M. Cyr (Michel): Non.

M. Rioux: Vous êtes d'accord avec ça?

M. Cyr (Michel): Oui. Je suis d'accord, mais pas comme le prévoit le projet de loi. M. le ministre, je l'ai dit tout à l'heure à plusieurs reprises: La relation privilégiée entre le travailleur et son médecin – étant donné la pratique médicale d'omnis versus les spécialistes, étant donné que le travailleur ne peut pas contester l'opinion de son médecin – ça doit se faire comme ça s'est toujours fait. Si la CSST ou les employeurs ne sont pas contents, ils peuvent contester – je reconnais leurs droits – devant un tribunal, soit. Je n'en parle même pas et je suis d'accord, je vous le dis.

M. Rioux: Donc, M. Cyr, vous ne questionnez pas, vous ne dites pas que l'évaluation médicale est l'affaire exclusive du médecin traitant?

M. Cyr (Michel): Non, non. Je ne dis pas: Il émet son opinion, personne ne conteste et on paie tout le monde. Je n'ai pas dit ça.

M. Rioux: O.K.

Le Président (M. Côté): Alors, merci. Votre temps est écoulé, M. le ministre.

M. Rioux: Mais, M. Cyr m'en a pris pas mal.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Côté): Je céderais la parole maintenant au porte-parole de l'opposition officielle et député de LaFontaine.

M. Gobé: Alors, merci, M. Cyr, j'ai beaucoup apprécié votre présentation. Malheureusement, le temps est assez court. Vous faites ressortir un point en particulier, c'est tout ce principe, ce système de pression et de harcèlement quasi omniprésent de la CSST envers les médecins.

M. Cyr (Michel): Je vais vous faire rire, M. Gobé. La CSST a établi un principe selon lequel on indemnise et on paie davantage une conversation verbale avec un médecin qu'un écrit qu'on leur fait. Ainsi, les conversations verbales peuvent aller jusqu'à 75 $ alors qu'un écrit est à 28 $. Est-ce qu'il y aurait des choses, verbalement, qui se disent et qui valent plus cher que celles qu'on écrit? Alors, incidemment, c'est ce qu'on retrouve dans les documents que je vous ai déposés. C'est évidemment inadmissible. Je ne voulais pas vous interrompre, mais c'était trop évident, trop drôle.

M. Gobé: Non, mais c'est une information que je ne connaissais pas. Je pense que ma collègue, non plus, ne la connaissait pas. Je ne sais pas pour les autres députés, mais c'est significatif.

À la lecture de votre mémoire et je suis content de le voir parce que vous... Peut-être que le président de la CSST vous a qualifié de mercantile. Moi, je n'oserais jamais dire ça à quelqu'un qui prend les dossiers de travailleurs, pas plus qu'à quelqu'un qui prend les dossiers de patrons, non plus, remarquez bien, là. Je crois toujours au bon sens des gens. Et puis il rejette vos représentations, vos recommandations. Et le ministre dit: S'il y a des gens croches dans la machine, je veux le savoir: je vais les changer. Mais dans quel monde il vit? Le président de la CSST est collé sur lui régulièrement, il lui souffle à l'oreille quoi répondre.

M. Cyr (Michel): J'aimerais bien être assis à côté du ministre, je lui dirais sûrement autre chose, moi aussi, que le président de la CSST.

M. Gobé: Bien oui. Alors, dans quel monde il vit? Est-ce qu'on vit dans un monde de responsable d'un ministère afin de voir ce qui se passe dans la boîte ou est-ce qu'on est simplement l'acteur qui répète ce que le souffleur lui dit sur la scène?

Alors, ce que vous dites, ce que vous démontrez, je suis tout à fait éberlué de voir que le ministre et ses services ne le savent pas et que vous, un privé, avec les faibles moyens que vous avez, à vos frais, vous avez pu nous sortir tout cela. Là, il dit: Bien, je vais les regarder puis je vais y voir. Je pense qu'il aurait dû y voir depuis longtemps. Radio-Canada l'a sorti en cassette, vous le sortez, tout le monde le sort. Puis là il regarde ça puis il dit oui. M. Shedleur n'est pas à côté de lui aujourd'hui pour lui dire: Non, non, ce n'est pas bon. Ça fait que, là, il dit: On ne sait jamais, des fois, je vais le prendre.

On n'a pas le temps de parler sur le fond. Votre document, que vous nous avez donné, moi aussi, je vais le lire puis je vais m'enrichir avec ça et puis je vais en tenir compte avec mes collègues dans la suite des événements qui vont avoir lieu, parce qu'on n'a malheureusement pas le temps. C'est pour ça que je n'embarque pas plus sur le fond de votre témoignage. Je tiens à vous remercier puis à vous dire que, pour moi, ce n'est pas perdu, bien au contraire, et que, comme porte-parole de l'opposition, nous allons essayer de faire comprendre au ministre ce qu'il y a dedans, s'il ne l'avait pas vu avant. C'est une révélation pour lui.

Alors, il me reste peut-être une minute; je tiens à la donner à ma collègue qui voulait peut-être vous dire un petit mot, elle aussi.

Le Président (M. Côté): Alors, Mme la députée de Saint-François, vous avez deux minutes.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui, merci, M. le Président. C'est peut-être juste une question que j'aurais à poser. Lorsque vous parlez du médecin traitant, moi, tout à l'heure, je faisais allusion au médecin traitant qui pourrait demander une expertise à un spécialiste. Étant donné qu'il n'est pas, non plus, spécialiste et que le médecin traitant, en concertation avec le spécialiste, rend une décision, un diagnostic, on devrait se fier à ce diagnostic. Alors, vous, vous parlez de spécialiste, mais du spécialiste de la CSST, ce qui est différent. J'aimerais peut-être que vous nous démêliez ça.

M. Cyr (Michel): Dans le mémoire, j'y réponds. Mais, en fait, c'est que l'analyse des différentes spécialités médicales nous permet de constater que, sur le terrain, véritablement, dans chacune des spécialités qui sont concernées, soit pour les lésions musculosquelettiques et les lésions attribuables au travail répétitif, il n'y a que très peu de médecins qui s'occupent de ça: environ quatre spécialités. Et, là-dedans, lorsqu'on les exclut tous, ceux qui déjà sont occupés ailleurs à faire autre chose ou qui ont quitté, ou qui déjà en font... il n'en reste que très peu et il est très peu probable que ceux qui sont là, qui sont très peu nombreux, acceptent d'en faire. Je sais que la CSST dresse des listes actuellement, mais ils sont très peu nombreux. Et ce n'est pas dans la culture médicale, lorsqu'on ne travaille pas avec un médecin que l'on a choisi, d'aller se faire évaluer par un autre médecin spécialiste. C'est une question aussi de respect de l'opinion du médecin ayant charge, du lien de confiance qui l'unit à son patient. Et voilà.

Le Président (M. Côté): Alors, Me Michel Cyr, je vous remercie, et la commission suspend ses travaux jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 38)

(Reprise à 14 h 9)

Le Président (M. Côté): Alors, à l'ordre. Je déclare la séance de la commission de l'économie et du travail ouverte. Je rappelle le mandat de la commission, qui est de procéder à une consultation générale et de tenir des audiences publiques sur le projet de loi n° 79, Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives.

Alors, je demanderais maintenant à notre groupe d'invités de prendre place – je pense que c'est déjà fait – et au porte-parole de faire les présentations d'usage. D'abord, vous avez 20 minutes pour faire votre présentation, et il va y avoir 20 minutes d'interpellation de la part du côté ministériel et 20 minutes du côté de l'opposition, pour un total de 60 minutes d'audience. Alors, vous avez la parole.


Collège des médecins du Québec (CMQ)

M. Bernard (Charles): Alors, M. le Président, Mmes et MM. les membres de la commission, mon nom est Charles Bernard; je suis médecin et vice-président du Collège des médecins, et, dans cette présentation, cet après-midi, je suis accompagné du Dr Rémi Lair, qui est secrétaire général adjoint du Collège des médecins du Québec. D'abord, je veux remercier la commission de nous recevoir cet après-midi et vous rappeler la mission du Collège des médecins, qui est de promouvoir une médecine de qualité pour protéger le public et de promouvoir la santé des Québécois.

(14 h 10)

La préoccupation du Collège des médecins face au projet de loi n° 79 concerne particulièrement le rôle du médecin traitant dans le projet de loi, qui est identifié spécifiquement comme étant le médecin qui a charge du travailleur. Nos considérations porteront surtout sur le rôle d'un médecin qui prend charge d'un patient victime d'un accident du travail, médecin qui est responsable du diagnostic, du plan de traitement et à qui on demande, de plus, de compléter un certain nombre de formulaires et de rapports.

D'abord, on va peut-être faire une petite analyse de la problématique. On va vous parler du rôle du médecin traitant et peut-être qu'on va conclure avec quelques pistes ou quelques solutions, suggestions de solutions. Alors, j'inviterais le Dr Lair à vous exposer la problématique, d'abord.

M. Lair (Rémi H.): Alors, bonjour. Lorsque nous avons regardé le projet de loi n° 79, au Collège des médecins, nous avons d'abord commencé par vérifier ce qu'était l'objet de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et nous avons constaté effectivement qu'on retrouvait dans l'objet de cette loi diverses choses, dont la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion présentée par un travailleur. On a également noté que l'article 188 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles prévoit qu'un travailleur qui est victime d'une lésion professionnelle a droit à une assistance médicale requise par évidemment l'état du patient et sa lésion. Alors, évidemment, l'assistance médicale, on a constaté que ça pouvait impliquer des services médicaux, donc des services rendus par des médecins qui examinent les patients et qui prescrivent des soins et des traitements.

Ceci étant dit, on a aussi noté dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles que le médecin avait un certain nombre d'obligations à remplir au sujet de l'information à être transmise à la CSST. Tout d'abord – je vous les rappelle rapidement – le médecin a l'obligation de faire une attestation qu'il remet au travailleur où on retrouve un diagnostic et une date prévisible de consolidation de la lésion. Il doit aussi transmettre, en deuxième lieu, un rapport sommaire à la CSST, et ceci, dans un délai de six jours, lorsqu'il prévoit que la lésion professionnelle pourra être consolidée plus de 14 jours complets après la date où le travailleur est devenu incapable d'exercer son travail. Il doit aussi transmettre à la CSST de l'information, dans la mesure où il prévoit que l'évolution du problème ou la pathologie du travailleur va modifier d'une façon significative la durée et la nature des soins ou des traitements qui sont requis et qu'il a prescrits ou administrés au patient.

Et il y a autre chose qui peut arriver: un rapport additionnel dans les 10 jours de la réception d'une demande de la CSST. Et ce rapport-là ou cette demande de la CSST peut porter sur un certain nombre de sujets. Et, finalement, un rapport final qu'on lui demande d'expédier à la CSST lorsque le travailleur a une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et ceci, dès que la lésion est consolidée.

Alors, on a regardé ensuite le projet de loi n° 79 pour constater qu'on amène de nouvelles obligations au médecin qui a charge du travailleur. Notamment, il y a une modification à l'article 204 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, qui va demander en plus au médecin qui a charge du travailleur d'intervenir et de choisir, lui, trois professionnels de la santé à partir d'une liste qui est dressée selon l'article 205 de la loi. Donc, après ça, la CSST va désigner, parmi ces trois professionnels désignés, choisis par le médecin traitant, à son tour un professionnel de la santé qui va procéder à l'examen exigé. Et on note ici que survient un nouveau délai de cinq jours, un délai assez court qui est donné au médecin qui a charge du travailleur pour choisir ces trois professionnels, donc une nouvelle obligation, une nouvelle responsabilité pour le médecin qui a charge du travailleur.

Au Collège des médecins, on s'est questionné sur l'utilité pour le médecin traitant, donc le médecin qui a charge du travailleur, de s'impliquer ainsi et de lui demander de choisir trois professionnels à partir d'une liste composée de médecins dont, évidemment... Il ne connaît peut-être pas la plupart de ces médecins-là. Nous, on pense qu'il y a ici un problème de conflit, un rôle conflictuel. C'est un genre de procédure qui va obliger le médecin traitant à participer à une démarche administrative qui n'est pas une démarche nécessairement thérapeutique, donc c'est une démarche de contrôle qui va, selon nous, à l'encontre du rôle du médecin traitant auprès de son patient. Nous pensons que ça serait beaucoup plus simple si la CSST désignait d'emblée un médecin expert, mais sans relation avec le patient ou avec son médecin traitant.

On constate aussi, dans le projet de loi, le cas où le rapport du professionnel de la santé désigné, le médecin expert, vient infirmer les conclusions du médecin qui a charge du travailleur. Il y a un nouvel article qui va obliger le médecin traitant à transmettre à la CSST, dans les 30 jours de la date de la réception de son rapport, un autre rapport indiquant qu'il maintient ou qu'il modifie l'une ou l'autre de ses conclusions.

On n'a pas d'objection à ce que le médecin traitant, qui a charge du travailleur, reçoive le rapport du professionnel ou du médecin expert qui a été choisi et désigné par la CSST, mais qu'il le reçoive à titre d'information dans le but de l'aider au traitement du travailleur. Par ailleurs, on pense qu'obliger le médecin traitant à fournir ainsi un nouveau rapport, qui pourrait être différent de ses rapports antérieurs, ça pourrait causer au médecin des problèmes d'éthique et ça pourrait sûrement mettre en danger la relation de confiance qu'il doit développer et sauvegarder avec son patient.

On a constaté par ailleurs que, dans la loi actuelle, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, il y a des dispositions qui permettent à l'employeur d'exiger de son côté que le travailleur se soumette à un examen d'un professionnel de la santé, donc un nouveau médecin expert, cette fois-ci demandé par l'employeur. Et le projet de loi introduit, à ce moment-là, de nouvelles dispositions qui ressemblent à celles qu'on a vues au préalable. C'est des dispositions qui font que, si ce rapport du professionnel, de l'expert choisi par l'employeur vient infirmer encore les conclusions du médecin traitant, on va demander à nouveau au médecin traitant de s'impliquer, de fournir un autre rapport indiquant s'il maintient ou s'il modifie ses conclusions.

Ça fait beaucoup de rapports. Au tout début, je vous ai dit qu'il y en avait au moins cinq et là on vient d'en ajouter deux, trois ou quatre. Ça fait des rapports. Ça fait beaucoup de papier et c'est de nature, selon nous, à décourager les médecins d'accepter de traiter des patients qui sont victimes d'un accident de travail. Et on répète ici les mêmes commentaires qu'on a faits à l'égard des articles 204 et 205 du projet de loi.

Par ailleurs, on a un peu de difficulté à comprendre la logique d'un processus qui permet, d'une part, à la CSST et à l'employeur de désigner chacun un médecin expert. Je comprends que c'est deux parties différentes. Il y en a un qui administre un système d'indemnisation, la CSST, et qui doit exercer des contrôles. Il y a l'employeur, d'un autre côté, qui doit financer le système. On s'est demandé – et il n'en est peut-être pas question dans le rapport comme tel – s'il n'y aurait pas lieu – et ça pourrait arriver en dernier lieu, au niveau des solutions – que et l'employeur et la CSST choisissent un seul médecin expert. C'est une porte que j'ouvre.

On a regardé aussi tout le système juridique qui est à la base de la CSST. On a pris connaissance d'une opinion qui avait été exprimée en 1994 par un comité mis sur pied par la CSST concernant la déjudiciarisation du régime québécois de santé et de sécurité au travail, et on fait nôtres un certain nombre de considérations. On répète et on dit à la commission que, pour nous, la véritable fonction d'une expertise médicale, c'est de faire un diagnostic, c'est de servir un diagnostic et de soutenir le traitement adéquat. On pense que le système actuel, ça favorise une surenchère des expertises. À un moment donné, il peut y en avoir deux, trois, quatre qui peuvent se contredire ou qui peuvent venir confirmer des choses, mais ça risque, tout simplement, d'amener des divergences, de cristalliser des divergences entre les médecins, et on est d'accord avec les constatations que le comité de la CSST avait faites en 1994.

Le Dr Bernard va maintenant vous expliquer brièvement comment le Collège des médecins conçoit le rôle spécifique et essentiel du médecin traitant.

Le Président (M. Côté): Dr Bernard.

M. Bernard (Charles): Oui. Alors donc, comme vous le savez tous, le médecin traitant demeure le premier individu que le travailleur va consulter s'il a un accident de travail. Alors, le médecin qui a charge du travailleur doit d'abord considérer le travailleur qui a subi un accident ou une lésion professionnelle comme tous les autres patients qui requièrent des services professionnels. Alors, ça, je pense que c'est essentiel, ce n'est pas un patient différent parce qu'il a un accident du travail. Il faut bien comprendre ça dès le départ, ça va aider pour le reste de la compréhension.

Le médecin doit aussi agir, face au travailleur ou à l'accidenté du travail, selon les mêmes exigences que le code de déontologie lui prescrit pour tous les autres patients, c'est-à-dire chercher à établir une relation de confiance – ce qui est essentiel dans le traitement d'un patient – collaborer avec son patient, ses proches ou toute autre personne dans l'intérêt légitime du patient et exercer sa profession selon les règles de l'art et les données de la science médicale, en élaborant son diagnostic avec la plus grande attention, en utilisant les méthodes scientifiques les plus appropriées et en prescrivant les traitements médicaux requis.

(14 h 20)

Alors, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles devrait d'abord favoriser cette prise en charge clinique. Je pense que, ça, c'est la base de tout. Les médecins sont prêts à reconnaître qu'un diagnostic peut être provisoire et peut être évolutif dans le temps. Alors, on est les premiers à reconnaître cela, qu'un diagnostic peut devenir de plus en plus évident avec les semaines ou les journées qui se présentent et puis que le médecin doit fournir des renseignements à un tiers s'il a l'autorisation de son patient.

Puis, dans certaines circonstances, le médecin doit obligatoirement consulter, si ça dépasse son cadre de pratique ou s'il n'a pas les compétences ou la formation requise pour donner de tels types de traitements. Ce qui nous entraîne à deux choses, deux points auxquels on tient. C'est qu'on devrait cesser de demander au médecin traitant d'être un médecin contrôleur, parce que c'est un conflit de rôles et il ne peut pas remplir cette exigence-là, le médecin traitant, d'être le médecin contrôleur ou le médecin qui va mettre les balises.

Deuxième exigence que la loi n° 79 propose, c'est un délai pour fournir des rapports d'en dedans de quatre à cinq jours. Alors, on trouve que ce délai-là est irréaliste dans une pratique d'un médecin. Parce qu'il faut comprendre que les médecins qui voient des travailleurs accidentés ne sont pas nécessairement des spécialistes en la matière, ils peuvent être vus à travers la pratique courante. Alors, si on leur demande des délais trop courts, ils ne pourront peut-être pas approfondir puis évaluer correctement le patient. Alors donc, on trouve qu'un délai de deux semaines ou trois semaines serait beaucoup plus réaliste dans la pratique courante.

Il faut comprendre que l'objectif ultime, c'est de réintégrer le travail le plus rapidement possible, si possible son travail habituel, sinon un travail allégé. Si vous avez pris connaissance... On vous a fait parvenir les guides qui ont été préparés par le Collège des médecins. Il y en a un qui s'appelle Les examens médicaux de préaffectation au travail . Alors, dans cette petite brochure, on exprime et on explique l'évaluation d'un patient avant l'embauche. Alors, je pense que l'évaluation d'un accidenté du travail devrait se faire dans le même esprit, c'est-à-dire dans un esprit de retour au travail le plus rapidement possible et de réintégrer ses fonctions habituelles. Alors, si vous avez pris connaissance de ce document, on donne les points les plus importants concernant l'évaluation d'un patient, et je crois que ces directives peuvent s'appliquer et s'appliquent aux accidentés du travail.

Le Collège croit que la démarche d'évaluation de l'aptitude du travailleur à reprendre son travail doit privilégier la santé du patient travailleur au-delà de toute autre considération. Le conseil d'administration de l'Association médicale canadienne va publier en mars prochain des «guidelines» ou des politiques concernant cet aspect de la pratique, et c'est tout à fait dans l'esprit de ce qui vous est présenté aujourd'hui. Le Dr Lair peut vous faire part un peu de ce qui va être publié par la Canadian Association. Alors donc, c'est exactement le même esprit et les mêmes guides qui sont présentés ici, aujourd'hui.

Le Président (M. Côté): Alors, Dr Lair.

M. Lair (Rémi H.): Dans le projet de loi n° 79, on a également regardé le Bureau d'évaluation médicale. Finalement, on avait été informés de représentations que feraient certains organismes, la CSN et la FATA. Et on avait aussi pris, comme je l'ai mentionné tantôt, connaissance des informations ou des recommandations du comité de la CSST sur la déjudiciarisation. On n'entend pas pour l'instant, au niveau de notre allocution, se prononcer directement sur cette question.

Par ailleurs, je voudrais juste, si vous permettez, vous dire et redire qu'on a procédé, au niveau du Collège, à une réflexion sérieuse sur le rôle du médecin en tant qu'expert. On comprend que, au niveau du Bureau d'évaluation médicale, ce sont des médecins qui ont développé une expertise. Et, au Collège des médecins, ayant constaté un nombre croissant de plaintes, ces dernières années, concernant la façon dont les médecins experts se comportaient ou rédigeaient leurs rapports, on a cru bon, très récemment – et c'est sorti il y a à peine quelques semaines – de publier un document qui aborde les aspects déontologiques et réglementaires du médecin en tant qu'expert.

Évidemment, on est bien conscients que le fait de publier ça, ça ne corrigera pas du jour au lendemain tous les problèmes qu'on a rencontrés en médecine avec les expertises. Mais ça nous permet quand même de bien situer la problématique en ce qui touche l'expertise médicale et de rappeler aux médecins qui veulent faire des expertises qu'ils ont des obligations à rencontrer, tant au niveau de leurs qualifications, de leurs compétences et de leur conduite à l'égard des personnes qui sont sous nos expertises. On leur rappelle également, dans ce document-là, un certain nombre d'obligations en ce qui a trait à la façon dont l'entrevue va se dérouler, des obligations en regard de la tenue de leurs dossiers, du contenu de l'expertise, de l'accessibilité aux dossiers d'experts ainsi que diverses questions relatives au consentement.

Et on est actuellement en train, au Collège des médecins, de mettre sur pied un programme d'évaluation qui va concerner l'exercice des médecins experts. Pour nous, un médecin expert, c'est un médecin qui exerce jusqu'à un certain point la médecine. Faire des expertises médicales, ça rentre dans la définition de l'exercice de la médecine. Et ce programme d'évaluation, on l'espère, va nous permettre d'aller vérifier comment les médecins experts font leur travail. C'est un programme qu'on va démarrer au cours de la présente année. On est à finaliser actuellement ce programme d'évaluation. Et on espère que ça va régler un certain nombre de problèmes qui ont été portés à notre attention.

Au niveau des pistes de solution, bien, on comprend, nous, que c'est tout à fait normal que la CSST puisse exiger d'une personne qui a été victime d'un accident de travail certains renseignements pertinents. Et on comprend aussi que la CSST puisse être obligée de soumettre certains cas à l'attention d'un examen par un médecin expert.

Le Président (M. Côté): Est-ce que vous pouvez conclure, s'il vous plaît?

M. Lair (Rémi H.): Oui, je voulais juste vous dire finalement que ce qu'on souhaite, nous, c'est qu'il y ait certains paliers d'appel qui soient enlevés. On trouve que ça prend trop de temps au niveau des divers délais d'appel. On souhaiterait, oui, de l'expertise et qu'il n'y ait pas quatre ou cinq niveaux d'appel. Autrement, on se ramasse, comme vous l'avez constaté, avec des délais qui sont très longs. Merci.

Le Président (M. Côté): Alors, merci beaucoup. Alors, je donne la parole à la partie ministérielle pour 20 minutes. M. le ministre.

M. Rioux: Alors, MM. Lair et Bernard, merci de votre présence ici aujourd'hui. Ça nous permet d'avoir un éclairage sur comment vous voyez la pratique de la profession à l'intérieur de ce qu'on appelle le système de santé et de sécurité au travail au Québec. Je voudrais vous féliciter aussi des documents que vous mettez à la disposition de vos confrères. Ça leur rappelle des choses importantes, et c'est un petit guide, j'imagine, qui va les aider beaucoup dans la pratique de leur profession, d'autant plus qu'il y a beaucoup de lois puis de règlements qui arrivent à un moment donné et il faut être capable de se débrouiller à l'intérieur de tout ça.

Vous avez rappelé aussi à juste titre qu'une corporation professionnelle, c'est là pour protéger le public. Ce n'est pas là nécessairement pour faire la promotion économique de ses membres. Et ça, c'est un rappel important. On sait que la loi sur le corporatisme professionnel est assez claire là-dessus, et je vous remercie de nous l'avoir rappelé.

(14 h 30)

Vous décrivez la participation du médecin traitant. Vous soulignez que le rôle premier du médecin, c'est de veiller à ce que son patient se rétablisse au plus vite puis qu'il réintègre le travail. Là-dessus, vous comprendrez bien qu'on est tous pour la vertu, c'est l'idéal. Que le médecin ait en tête, comme objectif, que l'accidenté du travail soit traité et qu'il retourne sur les lieux de travail, ça, c'est parfait.

Vous trouvez cependant que... Et là vous avez utilisé la notion de médecin contrôleur. Ça vous chiffonne, ça, cette histoire-là, et vous êtes allés même jusqu'à dire: On ne voit pas ça d'un bon oeil, un rôle de cette nature-là pour un professionnel de la santé. Vous le trouvez trop impliqué dans le processus de l'évaluation médicale. J'aimerais vous souligner que les dispositions qui sont dans le projet de loi n° 79, qui permet une plus grande participation du médecin traitant dans le dossier de l'accidenté du travail, c'est des options qui sont offertes au médecin, vous savez; ce n'est pas des obligations. Ça lui est ouvert. S'il veut s'en prévaloir, il peut le faire; sinon, il a la liberté.

De plus, d'autres groupes sont venus ici avant vous nous dire – puis vous l'avez fait, vous autres aussi – que les délais sont trop courts, que certains délais proposés sont trop courts. On va regarder ça de très près, de très près. Vous n'êtes pas les premiers à nous avoir souligné ça, et je vous remercie de nous l'avoir remémoré à nouveau.

Concernant vos démarches en ce qui touche le rôle du médecin lorsqu'il agit comme expert, notamment la production d'un guide à leur intention, bien, ça va exactement dans le sens des travaux que j'ai entrepris et que je compte accentuer d'ailleurs pour améliorer le fonctionnement du Bureau d'évaluation médicale.

Ces petites remarques étant faites, vous n'avez pas pris position sur le BEM. Par contre, vous proposez un processus de décision et d'évaluation similaire à celui de la SAAQ. Je vais être bien franc avec vous autres, je ne voudrais pas qu'on retourne à ce qu'était la situation de la CSST avant, où la CSST avait un contrôle. Vous savez que la SAAQ a un très grand contrôle sur le processus d'évaluation médicale. Et je ne sais pas si on se rendrait service – je vous demande bien sérieusement votre avis – si on s'engageait dans le sillage que vous ouvrez devant nous.

M. Lair (Rémi H.): Vous avez abordé d'abord la notion de médecin contrôleur. Le Collège des médecins n'est pas contre le fait qu'un médecin puisse être contrôleur. Ce contre quoi il est, je pense que vous l'avez compris, là, c'est qu'il soit à la fois contrôleur et médecin traitant du même patient. Donc, que le médecin traitant traite son patient et qu'un autre médecin agisse comme contrôleur, c'est ça qu'on dit.

C'est vrai qu'on ne s'est pas prononcés en rapport avec le BEM. On n'a peut-être pas toutes les informations et les renseignements voulus pour porter un jugement sur le BEM. Et, quand on réfère à une solution qui ressemble un peu à ce qui se passe à la SAAQ, je ne dis pas qu'on doit nécessairement copier exactement. Je réfère à la SAAQ parce que je trouve, d'après ce que j'ai pu voir dans la loi – et je suppose que ça se passe comme c'est écrit dans la loi – que c'est un système d'évaluation qui est simple et un système de révision qui est aussi simple.

Et, moi, ce qui m'attriste dans ce qui se passe ou dans ce que j'entends dire qui se passe au niveau des cas de la CSST, c'est que, oui, la CSST n'a peut-être pas le même contrôle que la SAAQ, sauf que ça prend tellement de temps à résoudre certains dossiers que finalement le dossier est résolu, mais le travailleur est en compote au bout de la ligne. Son cas à lui n'est pas résolu, son problème à lui n'a pas été réglé. Moi, je pense que ce qu'on doit rechercher à ce niveau-ci, c'est quelque chose qui va aller assez vite, dans lequel on va pouvoir contrôler aussi. Ça prend un contrôle quelque part. Que le contrôle soit partagé – je ne suis pas un spécialiste de ce domaine-là – entre la CSST et l'employeur, mais effectivement que le travailleur puisse aussi faire valoir ses droits, je suis d'accord avec ça.

Je n'ai pas de formule miraculeuse. Je pense qu'on doit trouver un système où, à partir de l'attestation du médecin traitant qui, lui, est là pour traiter son patient... Si on a des doutes sur le diagnostic ou sur le traitement requis, qu'on puisse avoir un système qui va évaluer objectivement l'état de la question. Maintenant, le problème peut être dans le choix des experts. Qui va choisir qui et qu'est-ce qu'on fait une fois qu'on a ces expertises-là? Je ne le sais pas.

M. Rioux: MM. Lair et Bernard, je suis heureux que vous soyez là parce qu'il s'est dit des choses sur les membres de votre ordre professionnel qui ne sont pas toujours très drôles à entendre: des médecins qui sont complaisants, des médecins qui sont à la solde des employeurs, des médecins à la solde de la CSST, des médecins... On en a entendu des vertes et des pas mûres. Et ça fait réfléchir, tout ça, parce qu'on se dit: Si c'est vrai que ça arrive de temps en temps ou rarement, le fait que ça arrive, c'est très grave. Il y a même un M. Cyr qui est venu cet avant-midi nous dire qu'il avait des documents qui ont été signés par des médecins pour prouver que le système dans lequel on est est un système qui n'est pas correct et que finalement c'est le travailleur qui, en bout de piste, est le perdant.

Vous avez évoqué la déontologie tout à l'heure, l'éthique professionnelle, et je pense bien qu'ici il n'y a personne, autour de cette table, qui remet en doute la compétence et le professionnalisme des gens de votre corporation. Mais, moi, je me dis: Que ce soit la CSST ou que ce soit n'importe où ailleurs, s'il y a des professionnels qui dérogent à leur éthique, vous êtes là pour gérer la déontologie aussi. Est-ce que là-dessus on peut s'assurer d'avoir votre collaboration?

M. Lair (Rémi H.): Oui, sûrement. Disons qu'avant d'occuper le poste que j'ai actuellement j'ai été durant 15 ans syndic de l'Ordre et j'ai vu passer un certain nombre de plaintes. Il faut comprendre que, au tout début, les plaintes qu'on avait à l'égard des médecins, ça ne portait pas nécessairement sur leur conduite ou sur la complaisance; ça portait strictement sur le fait que le médecin expert avait émis une opinion qui était différente de celle du médecin traitant. Et, jusqu'à un certain point, on avait l'impression, nous, que les gens qui se plaignaient considéraient le Collège des médecins comme étant une instance d'appel additionnelle sur ce qui était prévu dans la loi.

Après ça, c'est vrai qu'on a eu des plaintes, et je ne nie pas qu'il y ait des problèmes à l'égard de certains médecins. Oui, il y a des médecins qui ont démontré une certaine complaisance. Oui, il y a des médecins qui n'ont pas eu une attitude correcte. Ça, c'est évident. Mais je ne pense pas que ce soit la majorité des médecins. Il y a encore beaucoup de médecins experts, beaucoup, qui font leur expertise d'une façon objective et de façon consciencieuse. Le problème, c'est qu'il y en a sans doute qui ne font pas leur travail correctement. Et c'est pour ça qu'on a publié un guide, et on a l'intention de voir à ce que les médecins modulent leur exercice, leur expertise, leur travail d'expert selon ce guide-là. Et c'est évidemment par un système d'inspection et par un système d'étude de plaintes qu'on va pouvoir régler un certain nombre de ces dossiers-là.

Il faut dire que – je ne sais pas si c'est la commission parlementaire qui a suscité cette résurgence – en tout cas, ces derniers temps, on a eu plus de plaintes que d'habitude et on en a eu un bloc d'une vingtaine récemment. Peut-être que les problèmes étaient là avant. S'ils étaient là avant, pourquoi on n'en a pas entendu parler? C'est peut-être une coïncidence, remarquez bien, là. Mais tout ce que je peux vous dire, c'est que c'est peut-être enfin le moment où on veut prendre, comme ordre professionnel, les dispositions requises pour régler les problèmes là où il y en a. Et aussi on espère que cette démarche-là qu'on fait actuellement au niveau de critères, au niveau de normes d'exercice, ça va augmenter la qualité des médecins qui s'en vont faire des expertises.

(14 h 40)

Qu'on dise qu'un médecin est à la solde d'un employeur, c'est une accusation qui est facile. C'est évident qu'un médecin expert agit pour une partie. Il peut être à la solde aussi d'un syndicat, il peut être... Dans le fond, tout en étant jusqu'à un certain point partial parce qu'il travaille pour quelqu'un, le médecin expert, ce qu'on veut qu'il soit, c'est, premièrement, compétent; deuxièmement, on veut qu'il soit objectif puis qu'il ait une attitude et une conduite déontologiques à l'égard du travailleur. Et on n'avait pas réellement de guide avant ça. On comptait sur la bonne foi des médecins. On espère que maintenant on va pouvoir avoir des moyens d'intervention qui sont plus efficaces que ce qu'on avait jusqu'à date.

M. Rioux: C'est un petit peu ce qu'on a voulu contrer, M. Lair, dans le projet de loi. C'est que beaucoup se plaignaient que le rapport du médecin expert payé par l'employeur était trop fréquemment complaisant en faveur des employeurs et que l'objectif, c'était justement de venir détruire la crédibilité du diagnostic du médecin traitant. Il y en a qui sont venus nous dire des choses semblables. Alors, il y a peut-être du vrai là-dedans, mais le droit du travailleur à être bien traité par son médecin traitant, puis le droit aussi que pourrait avoir un médecin traitant d'aller chercher une expertise, vous ne niez pas ça non plus?

M. Lair (Rémi H.): Absolument pas. Le médecin traitant a le droit et parfois même l'obligation de consulter un confrère.

M. Rioux: L'obligation?

M. Lair (Rémi H.): Il faut dire que la plupart des patients qui ont eu un accident de travail sont d'abord vus en première ligne par un médecin d'urgence ou un médecin de clinique qui souvent est un omnipraticien. Et, si c'est une condition complexe ou si ça prend du temps à avoir une récupération ou une consolidation, il est normal et même il est tout à fait dans les règles de la déontologie qu'un médecin consulte un confrère pour obtenir une opinion experte. Mais le but de cette expertise-là, c'est d'abord de statuer sur la condition du patient – c'est quoi, le diagnostic – et de trouver le meilleur traitement possible pour qu'il puisse récupérer et revenir à son travail. C'est une consultation d'ordre médical et non pas d'ordre légal.

M. Rioux: Merci.

Le Président (M. Côté): Merci, M. le ministre. Alors, je céderais la parole au député de Maskinongé.

M. Désilets: Merci, M. le Président. Moi, je suis heureux de voir que, avec les différents cahiers que vous avez faits, vous allez, sans mettre de l'ordre... Je ne dis pas qu'il y a un désordre dans la profession. Mais je suis excessivement respectueux des professions et puis de la qualité des travailleurs au Québec, d'une façon large. Et, dans nos bureaux, en tout cas, dans le mien, mon bureau de comté, pour tous les cas qui se rattachent à la CSST, j'ai vu plusieurs personnes venir se plaindre de la qualité des experts, et ça, ça me dérange jusqu'à un certain point. Parce que, pour moi, quand tu es professionnel, tu l'es jusqu'au bout et puis tu vas être compétent en autant qu'il y a une certaine rigueur dans l'administration ou dans l'organisation de ton travail, par exemple, par vous autres, par votre Collège.

Nous autres, comme députés, c'est la population qui nous surveille. Si on n'est pas assez vites, si on n'est pas assez bons, ils vont nous débarrasser puis ça ne sera pas long. Mais je pense que chacun, on doit avoir un mécanisme de contrôle pour maintenir la qualité de nos interventions, et, en tout cas, pour ça, je suis content qu'on essaie de remettre un peu de rigueur au niveau des experts.

Je suis content également de voir que, dans la démarche, vous visez, vous aussi, la simplification du système à son plus bas dénominateur possible, en même temps que vous cherchez à accélérer les décisions pour les victimes.

Si je comprends bien, le médecin traitant, qui est souvent un omnipraticien, il peut être contesté, mais par un seul autre?

M. Bernard (Charles): Dans quelles circonstances, là?

M. Désilets: Non, c'est ça que j'essaie de comprendre dans votre rapport.

M. Lair (Rémi H.): Bien, dans le fond, si...

M. Désilets: Bien, dans ma tête, on veut simplifier, mais, s'il peut être contesté par la CSST, s'il peut être contesté par le travailleur encore puis s'il peut... on ne simplifie rien, là.

M. Lair (Rémi H.): Non.

M. Désilets: Combien de fois on peut le contester?

M. Lair (Rémi H.): Vous savez, il y a des gens qui doivent prendre des décisions. La CSST est un organisme qui doit décider si elle doit indemniser un travailleur ou non, et combien de temps, et combien, ainsi de suite. Et c'est normal que, face à un rapport qui vient d'un médecin traitant, s'il semble y avoir un problème, la CSST dise: Écoute, nous, on n'accepte pas, comme tel, ce rapport-là. Donc, il est normal que la CSST puisse demander une expertise.

Là où j'ai plus de problèmes, et je n'ai pas les connaissances voulues pour répondre à la question: Est-ce qu'il faut également que l'employeur puisse en demander une? Parce que, pour moi, l'employeur puis la CSST, c'est un peu, jusqu'à un certain point – mon analyse de quelqu'un qui n'est pas dans le champ comme tel – deux personnes impliquées parce qu'ils sont au niveau du paiement. L'employeur finance, si j'ai bien compris, le système et la CSST contrôle la façon dont les indemnités sont versées. Pourquoi ne pas avoir un seul expert pour ces deux parties-là?

L'autre partie, c'est le travailleur. Lui aussi a des droits à faire respecter, lui aussi peut contester, finalement. Il pourrait contester peut-être son propre médecin ou le médecin qui l'a traité qui n'est peut-être plus son médecin. Mais il pourrait aussi vouloir contester ce que la CSST pense. Et, à ce moment-là, on devrait donner au travailleur la possibilité d'obtenir des expertises. La question qu'on doit débattre comme groupe, comme société, c'est: Qui va la payer, l'expertise que le travailleur va obtenir? C'est juste ça. Et là ce qui va arriver à un moment donné, c'est que, une fois que le médecin a traité le patient puis a fourni son rapport, là, on pourrait se ramasser avec deux expertises. Peut-être que ça en prendrait une troisième, parce qu'un contre un, ça, ça peut porter à problème. Qui va choisir le troisième? Je ne le sais pas.

Je peux faire une analogie avec une autre forme d'expertise qu'on retrouve dans le domaine des ordres professionnels. Ce n'est pas tout à fait la même chose, mais, quand on pense qu'un notaire, ou un avocat, ou un ingénieur, ou un médecin est malade, on peut le faire expertiser, on peut lui faire passer une évaluation médicale. Et cet examen, cette expertise-là est faite par trois médecins. L'ordre qui veut ordonner l'examen en choisit un, la personne qui est visée par l'expertise choisit le deuxième expert, puis les deux experts choisissent le troisième. Là, on a trois rapports, puis la décision qui est prise est prise sur la base de ces trois expertises-là. Vous allez peut-être me dire que ça ne simplifie pas grand-chose. Bien, je pense que ça pourrait au moins amener des expertises qui risquent d'être un peu plus objectives, dans le sens où il y a une des personnes qui ne serait choisie ni par la CSST ni par le travailleur.

Ce que je déplore en bout de ligne, c'est qu'à un moment donné il y a trop d'appels possibles. Jusqu'à un certain point, l'avis du BEM, c'est un appel. Jusqu'à un certain point. C'est des délais. Après ça, le bureau de révision, puis après ça la CALP, puis finalement on s'en va en Cour supérieure, puis en Cour d'appel.

Le Président (M. Côté): Je vous remercie, Dr Lair.

M. Lair (Rémi H.): Merci.

Le Président (M. Côté): Le temps pour la partie ministérielle est maintenant terminé. Alors, je céderais la parole au porte-parole de l'opposition et député de LaFontaine.

M. Gobé: Vous n'aviez pas une question à poser, M. le Président?

Le Président (M. Côté): Je reviendrai peut-être à la fin, après vous, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Merci, M. le Président. Bonjour, messieurs. Il me fait plaisir de vous accueillir au nom de l'opposition. C'est avec un grand intérêt que nous avons pris connaissance de votre mémoire, car il a l'avantage d'essayer de répondre à certaines questions qui se posent publiquement, dans le public, et particulièrement dans les milieux des travailleurs, ainsi que dans le grand public, d'ailleurs. Nous vous remercions aussi d'avoir bien voulu venir émettre ces opinions-là en public. On sait que, s'il n'y avait pas eu cette commission parlementaire, le projet de loi aurait été adopté au mois de décembre sans consultations, comme le ministre le voulait, étant donné qu'il alléguait que seuls ceux qui ne l'avaient pas lu étaient contre. J'imagine que vous l'aviez lu, parce que vous avez rapidement fait savoir que vous étiez intéressés à venir faire valoir vos points. Donc, probablement qu'il y avait d'autres personnes qui étaient contre que ceux qu'il pense.

(14 h 50)

Je remarque dans votre mémoire un point très, très intéressant et je pense que c'est peut-être le point central. C'est quand vous relevez une partie du rapport Durand-Ouellette, quand vous dites: «Nous avons de la difficulté à comprendre la logique d'un processus permettant, d'une part, à la CSST et, d'autre part, à l'employeur de désigner chacun un médecin expert, ce qui va entraîner alors deux rapports d'évaluation [...]. Un tel processus nous paraît conduire facilement à l'affrontement et à la contestation en reléguant aux oubliettes la recherche d'une solution au problème initial, à savoir celui d'un patient victime d'une lésion professionnelle ou d'un accident du travail qui a besoin d'une assistance médicale ainsi que des soins médicaux devant lui permettre de réintégrer le plus rapidement possible son poste de travail.» Je pense que c'est là le noeud.

Je suis très heureux de voir ça dans votre mémoire, car, en effet, on parle de beaucoup de choses dans la commission, c'est très bien. On l'a élargie, et ça démontre toute l'ampleur de la situation. Mais vous cernez ce qui doit être d'abord la préoccupation première de la CSST: un homme ou une femme qui est accidenté, qui est en difficulté, qui a besoin d'être évalué et non pas d'être confronté, qui a besoin d'être soigné et d'être indemnisé, s'il a une perte de capacité de travail, et qui a besoin d'être réintégré sur le marché du travail. Je pense que c'est là l'a b c.

Aussi, quand j'ai vu les déclarations du ministre qui disait: C'est pour réduire les délais – alors qu'il n'y en a plus ou moins; on en parlera, je vais vous poser des questions là-dessus – et qui disait aussi: On va faire des économies – dans le communiqué de presse à l'époque, c'était: On va sauver 53 000 000 $ – moi, j'étais un peu scandalisé parce que j'estime que le noeud du problème, entre autres, vous, et vous n'êtes pas les seuls, mais vous, vous le ressortez. Car, en effet, notre unique et simple considération – même si elle n'est pas si facile, elle est simple à penser – ça doit être le travailleur et l'accidenté puis son retour au travail et son indemnisation, si nécessaire.

Vous dites que le système actuel favorise la surenchère des expertises médicales dont les parties doivent assumer les frais et les inconvénients. C'est bien, venant de la part du Collège des médecins. Parce que, en effet, on sait que certaines personnes peuvent vivre de cette industrie, qui sont vos membres, et c'est là encore un point que je tenais à mentionner et qu'on se doit de mentionner. Ça dénote tout le sérieux de votre démarche.

Vous remettez en cause, bien sûr, les articles 204 et 205.1 du projet de loi. Si vous ne parlez pas du BEM, si vous ne voulez pas vous prononcer sur le BEM, vous envoyez quand même quelques pistes, quelques opinions. Vous nous faites savoir que vous avez eu des plaintes: au départ, parce que les gens voyaient votre organisme comme peut-être un recours supplémentaire contre ce qu'ils croyaient certainement être de l'arbitraire et puis, par la suite, il y a eu des plaintes peut-être plus personnalisées qui, peut-être, découlent du fait que le premier genre de plaintes ne pouvait pas être traité par vous parce que vous n'étiez pas un appel de recours. Alors, peut-être qu'en personnalisant on a plus de chances d'attirer l'attention, pour certains. Peut-être que, pour d'autres, à juste titre, certainement... D'ailleurs, j'en ai eu à mon bureau de député, déjà.

Si vous aviez été consultés avant qu'on fasse le projet de loi n° 79, au lieu de le faire par la suite, vous auriez proposé quoi aux députés, au gouvernement, au ministre pour éviter la situation que vous décriez là et pour trouver une solution à ce que je viens de mentionner?

M. Bernard (Charles): Je pense que vous avez eu des éléments de réponse dans ce que le Dr Lair vous a décrit tantôt, c'est-à-dire qu'il propose qu'il y ait un seul expert qui soit choisi par une partie. Tantôt, on parlait des guides de pratique pour les experts, mais c'est parce que c'est une nouvelle spécialité qui s'est développée. Et je crois que la CSST a participé à l'explosion de cette spécialité médicale. Si on retourne dans le passé, il y avait des experts et des expertises, mais c'était beaucoup plus rare ou, en tout cas, moins fréquent. Mais là on a une surenchère. Alors donc, il y en a de plus en plus. Et c'est sûr qu'il est peut-être possible que, dans toute cette avalanche d'expertises, il y ait eu peut-être une perte de qualité dans certains cas. Le Collège veut corriger ça. Alors, c'est pour ça qu'il a produit un guide. Mais c'est sûr que le message qu'on essaie de passer, c'est de réduire cette quantité astronomique d'expertises et de contre-expertises qui n'arrangent rien pour le patient et qui n'améliorent pas la situation du patient ou de l'accidenté du travail, si vous préférez.

Alors, l'objectif ultime pour nous, c'est l'amélioration de la santé et le retour au travail le plus rapidement possible, comme on a dit tantôt. Alors, c'est sûr que l'expert n'est pas le médecin traitant. Il va donner un diagnostic. Il va dire: Oui ou non, il est apte ou inapte au travail, point à la ligne. Mais il ne donne pas de recommandations ou de traitements à ce patient.

Alors, nous, ce qu'on veut, c'est qu'on laisse le médecin traitant faire son travail de médecin traitant et essayer de réintégrer le travailleur le plus rapidement possible. S'il y a des cas litigieux, comme le disait le Dr Lair tantôt, là, on peut demander une expertise, mais pas 40 expertises. Une expertise. Puis, nous, dans les professions, on a une façon, lorsqu'il y a des litiges ou des questions, c'est qu'on demande au travailleur de choisir un expert; le Collège en choisit un, puis, entre eux, ces deux experts-là s'en choisissent un troisième, puis l'instance décisionnelle réfléchit sur ces trois expertises-là et prend une décision.

M. Lair (Rémi H.): Si vous permettez, je pense qu'on l'a peut-être abordée un peu dans le mémoire et puis c'est une chose qui s'est déjà faite à la CSST. C'est sûr que, quand on a un litige et qu'on est face à des conclusions qui sont différentes de part et d'autre – je parle d'un rapport d'un expert versus un autre et puis peut-être d'une opinion différente du médecin traitant, et la CSST qui est craintive de payer peut-être en trop, et le patient, lui, qui dit qu'on ne tient pas en considération ses réclamations – il y a aussi à développer un système de conciliation. Et, si on pouvait mettre sur pied un système de conciliation pour tenter de régler un certain nombre de dossiers avant que ça aille jusque devant un tribunal... Parce que la CALP actuellement, puis la commission que vous proposez, c'est un tribunal administratif. Et ça prend beaucoup d'efforts, beaucoup d'énergie. Si on pouvait régler un certain nombre de dossiers un peu à l'amiable, d'une façon de conciliation, moi, je pense qu'il y a une avenue à développer à ce niveau-là.

Si vous nous aviez consultés avant le projet de loi, moi, je vous aurais dit qu'il y a sûrement une instance d'appel qu'il faut faire sauter. Vous avez un bureau de révision qui est peut-être de trop actuellement. Et par ailleurs ça va toujours prendre, en bout de ligne, un genre de tribunal comme la CALP ou la Commission des lésions pour régler les gros dossiers qui n'auront pas trouvé une solution au préalable. Donc, je pense qu'un genre de bureau de conciliation, avec des gens formés à la conciliation, à la médiation, c'est une avenue à explorer également et qui pourrait être beaucoup moins coûteuse, en bout de ligne, que de débattre le dossier devant un tribunal, avec tout ce que ça implique comme parties, comme gens qui vont venir témoigner, avocats, et ainsi de suite.

M. Gobé: On a eu un groupe qui nous a informés d'une expérience-pilote qui se tient actuellement dans l'Estrie, de cliniques multidisciplinaires qui sont formées avec des spécialistes, médecins, thérapeutes – appelons ça comme on voudra – indépendants et dont l'action n'est pas basée sur la confrontation, mais surtout sur la réhabilitation, le soin, l'expertise des accidentés. Est-ce que vous pensez que cela pourrait représenter une avenue intéressante comme solution à ce que l'on connaît actuellement? Comme solution, comme remplacement ou comme...

M. Lair (Rémi H.): Vous parlez sans doute du groupe de l'hôpital Charles-Lemoyne, qui s'appelle Previcap.

M. Gobé: C'est ça, oui.

M. Lair (Rémi H.): Je ne le connais pas personnellement, mais la description que je vois là-dedans... Comme vous le dites, c'est un groupe indépendant dont le but est effectivement de faire une bonne évaluation et de la faire pas seulement avec des médecins, mais avec d'autres professionnels de la santé, que ce soit des psychologues ou des ergonomes, ou ainsi de suite. Moi, je pense que c'est excellent. D'autant plus que, là, finalement ce qu'on fait, c'est que le débat n'est pas en rapport avec qui a raison, mais avec comment on peut aider le travailleur à s'en sortir, comment on peut trouver une façon de le réadapter, de le traiter et de le ramener à son travail. Parce que finalement c'est ça qu'on veut faire: on veut que la personne qui a un accident puisse retravailler. Et ce genre de projet là, je pense, est un projet intéressant et qui mérite d'être peut-être, je dirais, essayé dans d'autres régions, si c'était possible.

M. Gobé: J'espère qu'on prend bonne note de cela parce que ça nous paraît à nous, du côté de l'opposition... Et notre collègue et votre collègue le Dr Régent Beaudet, malheureusement, a dû se rendre à Montréal pour une situation qui n'était pas prévue à son agenda. Il s'était promis, vu qu'il siège, de notre côté, sur cette commission, de pouvoir vous entretenir, car c'est un des projets qui lui tiennent à coeur et qu'il considère comme très valables. Alors, je tenais à l'aborder, en vous mentionnant que c'était quelque chose qui, pour nous, est important.

(15 heures)

Il y a quelque chose qui nous a frappés et qui a frappé ou qui a interpellé beaucoup de gens. On se rend compte que, selon les statistiques que nous avons pu avoir, un grand nombre de décisions de médecins traitants sont invalidées par le BEM. Ça va, des fois, à trois sur quatre, à deux sur trois, dépendant de la spécialité, dépendant si c'est en termes de retour au travail, en termes de capacités. Enfin, je pourrais vous donner ces chiffres. Vous les avez peut-être déjà. Ça a été mentionné à quelques reprises ici.

Comment expliquez-vous qu'autant de médecins – on parle d'un grand nombre de causes, là – qui sont quand même des gens qui sont des spécialistes, qui soignent le monde dans d'autres domaines... Ce n'est pas parce qu'on est accidenté, comme vous le disiez, que c'est un autre genre de maladie. C'est une maladie, c'est un accident. Comment peut-on envisager que le diagnostic de ces gens-là soit renversé en si grande quantité pour ce qui concerne la CSST? Est-ce qu'on pourrait en déduire que, dans la vie courante de tous les jours, lorsqu'ils rentrent dans d'autres domaines que la CSST, pour les diagnostics, leur taux d'erreur est le même ou est-ce que c'est particulier à la CSST?

M. Lair (Rémi H.): Bien, le taux d'erreur, c'est une façon de parler. Je pense que les cas qui sont soumis au BEM, si j'ai bien compris, sont des cas que la CSST considère comme des cas problèmes. Et c'est quelque chose comme... On m'a dit que la CSST elle-même en soumet peut-être quelque chose comme 3 000, 4 000, et puis l'employeur 5 000, 6 000. C'est quand même sur un total de réclamations qui est dans les 100 000 ou 200 000. C'est des dossiers particuliers. Il faut comprendre également que, dans le domaine de l'expertise, ce qu'on fait actuellement, c'est qu'on part d'un certificat ou d'un rapport qui vient du médecin traitant qui, lui, a composé ce rapport-là à partir de son évaluation comme médecin traitant. Le médecin traitant lui-même n'a pas nécessairement procédé à une expertise de son patient, il l'a examiné, il a inscrit des notes au dossier, il a présenté des attestations et des rapports à la CSST pour permettre effectivement au travailleur d'être indemnisé.

Il faut dire aussi dire que la condition d'un patient évolue. Ça dépend de ce qu'on regarde. Ce n'est pas possible de comparer un rapport d'un médecin qui a été fait au mois de septembre avec une expertise qui a été faite trois, quatre mois plus tard. La condition du patient a évolué. Les problèmes qu'on a des fois avec les expertises, c'est qu'on les compare alors qu'elles n'ont pas été faites à la même époque.

M. Gobé: Oui, mais, docteur, je m'excuse...

M. Lair (Rémi H.): Donc, c'est ça, le problème qu'on a. Ça peut arriver aussi que deux médecins, faisant à peu près à la même époque, la même semaine, un examen, n'arrivent pas nécessairement aux mêmes conclusions. Ça dépend des questions posées au patient, ça dépend du comportement du patient, ainsi de suite. Je ne sais pas quoi répondre: Pourquoi trois sur quatre sont renversés?

M. Gobé: Mais, regardez, j'ai les chiffres et je vais vous les donner. Ça va permettre peut-être d'aller dans le débat. C'est important. Une fois sur trois, le diagnostic du médecin traitant est infirmé. Trois fois sur quatre, le BEM est en désaccord avec la date de consolidation établie par le médecin traitant. Trois fois sur quatre, le BEM est en désaccord avec la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins. Quatre fois sur cinq, le BEM est en désaccord sur l'existence ou le pourcentage d'une atteinte permanente. Trois fois sur quatre, le BEM est en désaccord sur l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles. Et on se rend compte que, dans la très grande majorité des dossiers où cette question médicale est soumise à la CALP, l'opinion du médecin traitant est rétablie par la CALP et celle du BEM est écartée.

Là, on touche le point: il semble que, nos médecins traitants, ce n'est pas si fou que ça, leurs diagnostics. Parce que, même si les experts du BEM – qui est contesté par beaucoup de monde – invalident leurs décisions, lorsqu'on se ramasse devant la CALP, on revient au point de départ. Est-ce qu'il n'y aurait pas problème, plutôt que dans les médecins traitants, dans le BEM? Puis vous ne vous prononcez pas sur le BEM. Moi, j'aurais voulu que vous parliez du BEM dans ce sens-là; pas sur les plaintes, mais sur le principe de la médecine. Est-ce que nos médecins traitants, lorsqu'ils rendent un diagnostic, sont incompétents, ou font des erreurs, ou font un mauvais diagnostic? Excusez les mots, mais il y en a plusieurs. Parce que, lorsqu'on dit à quelqu'un: Tu t'es trompé, ce n'est pas bon, bien, ça permet de questionner. Et le travailleur, l'accidenté, lui, il n'est pas, comme vous et moi, avec des nuances dans le discours, dans le langage. Lui, il dit: Le médecin s'est trompé ou c'est le BEM qui se trompe.

Alors, comment peut-on rétablir la confiance des travailleurs et puis comment peut-on faire pour éviter que le médecin traitant se fasse désavouer et soit obligé après d'être pris dans un processus? Parce que, lui, il faut qu'il continue et, des fois, bien, ça lui tente moins. Il y en a qui ont envoyé des lettres, comme on l'a vu ce matin, qui disent: Bien, on m'a fait des pressions, on m'a appelé, on ne m'a pas donné accès à tout ce que je voulais avoir. On se rend compte qu'il y a comme une bagarre, une guérilla du BEM et de la CSST envers le médecin traitant et son diagnostic dans le but d'éliminer le plus possible des bénéfices ou des mesures favorables aux travailleurs. C'est ça qu'on peut en déduire.

Et, en plus, ces médecins traitants qui sont désavoués, dans la vie de tous les jours, ils rendent des diagnostics sur des opérations à faire dans d'autres domaines que la CSST et il n'y a personne qui va leur dire: Tu t'es trompé trois fois sur quatre ou quatre fois sur cinq. Les gens vont se faire opérer et vont se faire soigner, ils prennent les prescriptions. Est-ce que, du moment où on parle de la médecine du travail et puis de la médecine normale, il y a deux qualités de médecine? Le même médecin et plus le même truc? J'aimerais ça vous entendre là-dessus.

M. Lair (Rémi H.): Écoutez, je ne pense pas qu'il y ait deux qualités de médecine. Je pense qu'il y a deux problématiques ici. La première problématique, c'est la suivante: le médecin traitant, celui qui s'occupe du patient, et le médecin expert ne sont pas dans la même situation. Le médecin traitant, lui, a eu la chance de voir le patient évoluer, il a vécu avec le patient, alors que le médecin expert, souvent, il voit le patient une fois et il se prononce sur la visite et l'évaluation qu'il a faite à un moment donné.

Alors, il faut dire aussi que, bien souvent, le médecin traitant est un médecin omnipraticien. Lui, son premier souci, ce n'est pas nécessairement de faire une évaluation en soi du patient. Oui, il l'évalue, mais son souci, c'est de trouver une solution, de trouver un traitement qui va aider son patient. Donc, ils ne sont pas du tout dans la même situation, et il peut arriver effectivement aussi qu'il y ait des médecins traitants qui ne font pas bien leur travail, comme il peut arriver qu'il y ait des médecins experts qui ne soient pas des médecins experts.

Ce qu'on espère peut-être, c'est qu'avec notre démarche actuelle on va augmenter, à tout le moins, la qualité des expertises qui sont faites. Je pense, moi, que la CSST, quand elle choisit un médecin, a une certaine responsabilité également de s'assurer que ce médecin-là en particulier a les connaissances requises, a les qualifications requises et va le faire d'une façon objective. On a une responsabilité quand on choisit un médecin expert aussi. D'une part, les médecins en ont une, mais les gens qui retiennent leurs services en ont une.

Moi, tout ce que je peux vous dire, c'est que je ne suis pas en mesure, le Collège n'est pas en mesure actuellement d'évaluer la qualité – on ne l'a pas fait – de ce qui se fait au niveau d'un groupe d'experts, que ça soit le BEM ou un autre groupe d'experts. On ne le sait pas. Il y a sûrement d'excellents experts là-dedans, comme il y en a peut-être qui ne sont pas si bons que ça. Il y a sûrement, dans le champ de la médecine, d'excellents médecins traitants, mais il y en a aussi qui ne sont peut-être pas des bons médecins traitants.

M. Gobé: Merci, docteur.

Le Président (M. Côté): C'est terminé.

M. Gobé: Vous ne croyez pas, en terminant, qu'au lieu de passer un projet de loi à la vapeur, comme ça, on aurait mieux fait de se pencher sur ces problèmes-là et puis de les régler avant d'essayer de tout bulldozer et d'essayer de mettre des solutions qui, on peut le voir, sont décriées par l'ensemble des groupes qui viennent?

M. Lair (Rémi H.): C'est difficile pour moi de répondre à ça. Moi, je suis pour toute démarche qui peut aider à améliorer une situation quelconque. Alors, si le projet est dans ce sens-là, oui; sinon, bien, je ne le sais pas.

Le Président (M. Côté): Alors, merci, Dr Bernard; merci, Dr Lair.

M. Lair (Rémi H.): Merci.

(15 h 10)

Le Président (M. Côté): Je demanderais maintenant au groupe de la Centrale des professionnelles et des professionnels de la santé de prendre place.

Alors, messieurs, bienvenue à cette commission. Je demanderais au porte-parole de s'identifier et aussi de présenter les personnes qui l'accompagnent. Vous pourrez débuter l'exposé de votre mémoire pour une période de 20 minutes.


Centrale des professionnelles et des professionnels de la santé (CPS)

M. Paradis (Jacques): Merci, M. le Président. MM. et Mmes les membres de la commission, M. le ministre, permettez-moi tout d'abord de remercier les membres de la commission de bien vouloir entendre la Centrale des professionnels de la santé sur le projet de loi n° 79. Mon nom est Jacques Paradis et je suis président de la Centrale des professionnels de la santé. Je voudrais vous présenter les personnes qui m'accompagnent et qui pourront intervenir et répondre à vos questions. À ma droite, Me Martin Racine, qui est avocat de l'étude Grondin, Poudrier, Bernier, qui agit fréquemment comme procureur des travailleurs et des travailleuses que nous représentons devant les diverses instances de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. À ma gauche, M. Pierre Naud, conseiller syndical, responsable du dossier santé-sécurité à la CPS. À l'extrême gauche, M. Pierre Collin, conseiller syndical. MM. Naud et Collin, en tant que personnes conseillères syndicales, représentent depuis plusieurs années nos membres lors de litiges reliés à l'application de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Pour situer les membres de la commission, j'aimerais porter à votre attention que la Centrale des professionnels de la santé représente sept organisations syndicales de professionnels et de techniciens de la santé. Notre membership de 7 000 membres se retrouve dans toutes les régions du Québec et travaille dans plus de 380 établissements de la santé, dont les centres hospitaliers de courte et de longue durée, les CLSC, les centres de réadaptation et les centres de protection de l'enfance et de la jeunesse.

Sans faire la nomenclature exhaustive des titres d'emplois que nous représentons – nous en représentons 19 – voici quelques-uns de ces titres d'emplois les plus nombreux. Il s'agit des physiothérapeutes, des technologues en radiologie, des techniciennes en diététique, des hygiénistes dentaires, des archivistes médicales, des ergothérapeutes et des techniciennes en électrophysiologie médicale. Acteurs privilégiés du réseau de la santé, plusieurs de nos membres sont en contact quotidiennement avec des travailleuses et des travailleurs accidentés du travail. C'est le cas plus particulièrement pour les technologues en radiologie, les physiothérapeutes, les ergothérapeutes et les technologues en réadaptation physique.

Par ailleurs, comme toute association de salariés accréditée, nous avons dû, au fil des ans, assister et représenter nos membres dans le cadre de réclamations pour l'indemnisation de lésions professionnelles de même que pour l'exercice de certains droits reconnus à la Loi sur la santé et la sécurité du travail. C'est à partir de cette expertise que nous avons dégagé certaines réflexions que nous voulons vous soumettre.

Donc, notre mémoire vise à favoriser un traitement équitable des réclamations des travailleuses et travailleurs victimes de lésions professionnelles en s'assurant que le médecin qui a charge pourra efficacement assumer le nouveau rôle que la loi lui confère. De plus, nous voulons nous assurer que les parties pourront continuer à exercer les recours de contestation des décisions de la CSST dans le respect de leurs droits fondamentaux. Dans ce sens, notre mémoire, beaucoup plus technique que philosophique, traite plus spécifiquement de la procédure d'évaluation médicale ainsi que de la révision, reconsidération et contestation des décisions de la CSST.

J'inviterais Me Racine à vous faire une présentation sommaire de notre mémoire. Merci.

M. Racine (Martin): Alors, bonjour. Comme vous l'a mentionné M. Paradis, on a préféré soumettre à la commission un mémoire assez technique dans lequel on a choisi d'insister sur la procédure d'évaluation médicale plutôt que de discuter des avantages et inconvénients du paritarisme au niveau de l'adjudication. Sachant que la majorité des intervenants en traiteraient et qu'à ce sujet il n'y a pas de recette miracle, on a préféré s'attarder à une question qui nous apparaît plus prioritaire, fondamentale: la procédure d'évaluation médicale. Évidemment, nous serons à votre disposition pour discuter de cette question du paritarisme après la présentation sommaire du mémoire que je débute immédiatement.

En guise d'introduction, quelques mots de rappel sur la procédure d'évaluation médicale. Même si ça fait plusieurs jours que les débats portent là-dessus, nous considérons qu'il s'agit d'un aspect fondamental du processus d'indemnisation. En fait, toutes les réclamations doivent y passer, du moins en partie, et je dirais que tous les travailleurs et travailleuses sont susceptibles d'en faire les frais, d'une certaine façon.

Il faut se rappeler que la pierre angulaire de la LATMP – et c'était l'objet de la réforme de 1985 – c'était de donner priorité à l'opinion du médecin qui a charge. On se rappelle que l'article 224 de la loi mentionne qu'aux fins de rendre une décision en vertu de cette loi là, donc que ce soit sur l'acceptation de la réclamation ou sur le droit à toute prestation prévue en vertu de cette loi, la Commission de la santé et de la sécurité du travail est liée par l'opinion du médecin qui a charge sur les cinq points énumérés à l'article 212: donc, diagnostic, date de consolidation, nature et nécessité des soins, limitations fonctionnelles, évaluation de l'atteinte permanente.

Cette règle souffre toutefois quelques exceptions, disons, et principalement, on le sait, si l'opinion de ce médecin-là, du médecin qui a charge du travailleur, est infirmée par le BEM après que la CSST ou l'employeur a obtenu une opinion contraire à celle du médecin traitant. Comme une très grande majorité des intervenants devant cette commission, nous constatons que le système favorise la confrontation et crée une pléiade de recours, de moyens préliminaires.

Bien souvent, même devant les tribunaux, au lieu de traiter de la question de fond, à savoir quels sont les droits du travailleur ou de la travailleuse, quels sont les droits de l'employeur, bien des débats finalement vont traiter du respect, par l'une ou l'autre des parties, des procédures qui sont prévues au niveau de l'évaluation médicale. Finalement, on se retrouve avec l'équivalent d'un mini-code de procédure civile, qui est presque aussi complexe des fois que l'interprétation d'une convention collective, dans lequel il faut constater aussi que le travailleur se perd, plus particulièrement le travailleur non représenté.

Donc, non seulement on a une intervention extérieure au processus thérapeutique, comme le mentionnaient les intervenants qui sont passés du Collège des médecins, qui est susceptible de saper le lien de confiance entre le médecin et son patient, mais on constate aussi un déséquilibre dans ce traitement, cet arbitrage de confrontations entre les opinions du médecin qui a charge, d'une part, et celles du médecin désigné par la CSST ou l'employeur, d'autre part. En effet, comme tous les intervenants le savent bien, d'un côté, vous avez toujours l'attestation médicale ou le rapport médical du médecin, qu'on retrouve sur un formulaire de dimension très réduite, dans lequel le médecin traitant n'a pas la place et la possibilité d'élaborer son opinion et, de l'autre côté, vous avez toujours une expertise, la plupart du temps rédigée par un médecin spécialiste, dans laquelle cette personne a l'occasion d'élaborer grandement son opinion.

Ce qu'on constate aussi, c'est que, lorsque le dossier arrive au Bureau d'évaluation médicale, c'est, la plupart du temps, un médecin de la même spécialité que le médecin désigné par la CSST ou l'employeur qui va arbitrer, si on peut s'exprimer ainsi, le litige ou le conflit entre les opinions. Donc, il n'est pas surprenant qu'on lise très souvent la phrase suivante dans les rapports du BEM: Mon examen se superpose, à toutes fins pratiques, à celui du Dr Untel. C'est classique comme phraséologie qu'on retrouve.

(15 h 20)

Par ailleurs, on constate également que, pour le travailleur, la personne qui veut poursuivre le dossier en appel, il est nécessaire, de son côté, d'obtenir, à ses frais ou, s'il a une association, aux frais de son association qui va le représenter, une expertise qui va lui permettre de contester le rapport du Bureau d'évaluation médicale.

La question qu'on se pose à partir de ces prémisses: Est-ce que le projet de loi n° 79 va remédier à cet état de choses? Évidemment, on constate que l'objet du projet de loi n'était pas de réformer l'ensemble du système et, par conséquent, de tout reprendre la procédure d'évaluation médicale, même si ça a été dénoncé par bien des intervenants. Si on prend le projet de loi dans le sens: Est-ce qu'on améliore la procédure d'évaluation médicale? on dit qu'effectivement on constate une plus grande implication du médecin qui a charge dans le but de donner des chances égales au travailleur, de faire en sorte que, si la contestation est enclenchée, les chances de voir l'opinion de son médecin prévaloir finalement sont susceptibles de s'améliorer par rapport au système actuel.

Si on passe maintenant au rapport comme tel, voyons les moyens privilégiés dans le projet de loi. À l'article 205, il est question du choix du médecin désigné. Donc, on l'a dit, le médecin du travailleur pourra, à même la liste établie selon l'article 205, choisir trois médecins. On ne peut que saluer, là, cette mesure au départ. Toutefois, à l'examen des circonstances dans lesquelles ce choix peut se faire, on constate des contraintes ou exceptions qui risquent de faire en sorte que, par ce moyen qui a été privilégié, cet objectif finalement ne soit pas atteint.

D'abord, il faudra – on le soumet – revoir éventuellement le contenu de la liste pour qu'on se retrouve, comme on l'a dit, avec une liste de personnes qui non seulement sont qualifiées, mais qui ont un certain recul par rapport aux employeurs, aux médecins de la SAAQ et de la Régie des rentes. D'autre part, ça a été discuté, le délai de cinq jours de 204. On a compris que M. le ministre était prêt, dans la lecture des débats jusqu'à date, à réviser ces délais-là. À l'examen ou à la connaissance de la pratique actuelle, il nous semble que le délai de cinq jours est irréaliste. Alors, dans les faits, on ne pourra pas atteindre l'objectif visé. En tout cas, il y a peu de chances qu'on puisse le faire.

Nous avons aussi de la difficulté avec la discrétion que s'est réservée la CSST à l'article 204. Cette disposition-là, telle qu'elle serait amendée, prévoit que la CSST aurait la possibilité de demander, si elle l'estime opportun, au médecin qui a charge du travailleur de choisir trois autres professionnels. Il nous apparaît dangereux d'énoncer une discrétion aussi large sans qu'elle soit encadrée. Si le médecin qui a charge du travailleur a pris la peine de faire l'exercice d'effectuer un choix qui lui semble le plus opportun de trois professionnels, si la CSST lui retourne le dossier en lui disant: Prends-en trois autres, sans qu'on sache pourquoi et sans que la loi encadre cet exercice, encore là, on pense que c'est susceptible d'empêcher d'atteindre le but et aussi de décourager le médecin traitant de participer à cet exercice.

De façon plus large, nous croyons que le projet de loi en met beaucoup sur les épaules des médecins traitants. Finalement, on veut en faire un peu des procureurs ou des agents des travailleurs. Ces personnes-là, malgré toute leur bonne foi et bonne volonté, ne nous apparaissent pas avoir été formées pour faire ce travail-là, avoir les ressources pour ce faire et aussi être rémunérées pour ce faire. Comme on l'a dit tout à l'heure et comme l'ont exprimé les représentants du Collège des médecins, leur fin première est le traitement des personnes accidentées.

Quant au rapport supplémentaire du médecin qui a charge, qui peut être fait soit après l'émission de l'opinion du médecin désigné par la CSST ou celle du médecin désigné par l'employeur, nous avons quelques commentaires à formuler. Dans un premier temps, on ne peut que constater qu'on retrouve, encore là, une énumération de délais très précis, délais qui sont susceptibles de faire en sorte de judiciariser la procédure au lieu de la simplifier, donc de donner prise à des moyens préliminaires, des objections sur la régularité du processus parce que tel ou tel délai n'aurait pas été suivi. Et on ne voit aucune possibilité de les prolonger dans le document.

De plus, toujours sur ces délais, on ne peut qu'applaudir l'idée de permettre au médecin qui a charge de consulter un spécialiste avant de donner son opinion et de décider s'il y a lieu de maintenir ou non une de ses conclusions. Encore là, nous soumettons qu'on doit donner au médecin qui a charge des moyens pour se faire faciliter ce travail-là qui devient plus administratif finalement que médical comme tel.Donc, l'idée, le message qu'on veut passer à la commission, c'est qu'il faut éviter de décourager le médecin qui a charge de participer au processus et aussi éviter que le médecin qui a charge, qui a participé à quelques reprises et qui a eu des expériences défavorables – c'est une situation qu'on retrouve actuellement dans la pratique quotidienne...

Le Président (M. Côté): S'il vous plaît, si vous voulez conclure, votre temps serait écoulé. Vous aurez sûrement l'occasion de revenir, suite aux questions que vous allez recevoir.

M. Racine (Martin): Ça va. Alors, pour conclure, si on veut respecter le libre choix du médecin et permettre aux accidentés finalement de travailler avec ces médecins-là, il faut éviter de faire en sorte que des médecins abandonnent cette pratique-là et qu'on se retrouve avec une spécialité de médecins acceptant des dossiers de la CSST et d'autres médecins qui refusent de traiter des gens si c'est un dossier qui concerne une réclamation à la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

Le Président (M. Côté): Alors, merci, Me Racine. Je cède la parole maintenant au ministre du Travail et député de Matane.

M. Rioux: M. Paradis, je voudrais vous dire comme on est heureux de vous accueillir avec vos collègues afin que vous nous exposiez votre point de vue. On l'a écouté avec beaucoup d'intérêt. On s'entend au moins sur une chose: la réduction des délais. Là-dessus, c'est au moins clair. On part avec ça puis ça fait du bien à tout le monde. En ce sens, vous êtes favorables aussi à l'abolition d'un palier. C'est bon, ça va dans la logique des choses.

Sur le paritarisme, vous dites qu'en autant que l'indépendance des représentants est assurée vous êtes capables de vivre avec ça, vous n'avez pas d'objection. Mais, là où on sent un malaise, c'est sur toute la question des délais et sur le médical, malgré le fait que vous saluiez comme une bonne nouvelle le fait qu'on valorise le médecin traitant. Vous avez insisté sur les délais, je n'y reviens pas. Le cinq jours, c'est court; on va regarder ça. C'est une très bonne remarque. Il en va de même pour l'encadrement de l'article 204, on va regarder ça.

(15 h 30)

Mais revenons au médical; j'aimerais ça qu'on approfondisse ça un petit peu ensemble. Vous craignez que le médecin traitant refuse de participer parce qu'il va avoir trop de paperasse, que ça le décourage ou que ça le démotive. J'aimerais attirer votre attention, comme je l'ai fait avec les médecins tout à l'heure: d'aucune façon, le médecin traitant, on l'oblige à faire quoi que ce soit qui aurait pour effet de le décourager. Tout ce qu'on offre, qu'on met à sa disposition, c'est un coffre à outils. S'il veut s'en servir, il est là, qu'il s'en serve.

Maintenant, il y a une chose aussi qui nous a guidés dans toute cette réflexion-là, c'était de garder tout l'aspect médical à l'intérieur d'un cadre qui rejoint la culture de ce milieu-là, c'est-à-dire qui rejoint la pratique et la culture médicales. Et, là-dessus, je vous demande bien simplement: Pourquoi les médecins refuseraient-ils de travailler à l'intérieur d'un processus qui s'inscrit dans leur pratique et leur culture? Comment vous voyez ça, M. le conseiller syndical?

M. Collin (Pierre): Si vous me permettez, M. le Président, M. le ministre, à cet égard-là, il y a différents aspects qu'on a évalués avant de se prononcer sur cet aspect-là de la question. Premièrement, je pense qu'il y a la dynamique peut-être de l'inéquité de moyens dans le système puis de la position du médecin qui a charge par rapport à un médecin expertiseur, entre autres, qui peut provenir de la CSST ou des employeurs. Comme mon collègue, Me Racine, l'a mentionné, le médecin qui a charge n'est pas formé et son mandat n'est pas de faire de l'administratif; il est là pour faire purement du médical, s'occuper de l'aspect santé physique au niveau du système.

En conséquence, on considère par ailleurs, dans un réseau de la santé qui est peut-être aussi en mouvance, en rationalisation – on est bien placés pour s'en rendre compte – que le médecin qui a charge n'a pas toujours le temps nécessaire, n'a pas toujours le soutien clérical et toute la structure au niveau des facilités pour peut-être faire face à cette nouvelle réalité dans le cadre du projet de loi n° 79. C'est une réalité aussi qu'on peut réaliser actuellement avec la loi qu'on connaît.

Dans bien des dossiers, des fois, des médecins qui ont charge vont dire: Ah, bien, là, si le dossier se complexifie, s'il y a des contestations de mon opinion médicale, s'il faut se présenter devant des instances, bien, je suis loin d'être intéressé à aller plus loin dans le dossier. Ça va bien tant qu'on parle de santé physique; dès qu'on parle d'administratif – parce qu'il ne faut pas se cacher quand même que c'est un système médico-administratif assez élaboré que la loi va amener, surtout avec ces modifications-là – bien des médecins ne sont pas intéressés. Les remarques qu'on a sur le terrain, nous, c'est que les médecins n'ont pas étudié en droit; ils ont étudié en médecine, et leur préoccupation, c'est de traiter les patients. Ils ne sont peut-être pas aussi intéressés à voir leur diagnostic, leur plan de traitement modifié constamment.

J'aimerais mentionner à cet égard-là qu'il y a un aspect capital, je pense, dans une relation patient-médecin – ça a été aussi avancé par la Corporation, on l'a vu précédemment – il y a un aspect de confiance à cet égard-là. Nous, on se questionne grandement à ce moment-ci: Comment ça se fait qu'au Québec on veut mettre en place deux systèmes de santé? C'est-à-dire un système pour le citoyen en général, un système à l'intérieur duquel on va voir des médecins traitants, des médecins en santé physique. Ils vont établir des diagnostics, des plans de traitement. On ne se posera pas nécessairement des questions, on ne sera pas en contre-expertise constamment dans ces dossiers-là. On peut, dans certains cas, se faire opérer et on ne se cachera pas que ça amène des coûts énormes.

Sauf que, quand on parle de travailleurs accidentés, bien, là, on met en doute la position du médecin traitant, comme ça a été mentionné à maintes reprises devant la commission. Au BEM, on révise et change quand même, avec une incidence marquée, les diagnostics, les plans de traitement, des dates de consolidation. Donc, déjà, avec cette dynamique-là, les médecins qui ont charge sont souvent refroidis quand on parle de cas de CSST. Si on leur demande en plus de faire face à des délais de cinq jours, 15 jours, 30 jours, si on leur demande de répondre sur une expertise, c'est-à-dire de changer leur position de départ, leur diagnostic de départ, leur plan de traitement, en répondant, en faisant des formulaires, en référant aussi au niveau d'un 30 jours pour avoir un autre avis, bien, nous, on considère, compte tenu de l'expérience qu'on a, que certains médecins vont être découragés et vont être tentés peut-être de dire: Bien, les cas de CSST, le moins souvent possible ou les cas de CSST, peut-être, l'aspect santé physique, l'aspect traitement. Mais, dès qu'on parlera d'administratif ou de contestation, comme on le voit déjà à une petite échelle, bien, on a des craintes que ça accélère cette problématique-là, que ça soit en expansion. Et ça, c'est une préoccupation qu'on a et qu'on veut partager avec vous.

M. Naud (Pierre): J'aimerais peut-être compléter au niveau de la procédure qui est prévue dans le projet de loi n° 79 justement sur la question de l'évaluation médicale puis la question du nombre d'expertises. Nous, ce qu'on pense, c'est qu'il faut qu'on diminue justement les expertises puis il faut arrêter ça au palier du médecin traitant. On pense que c'est vraiment le médecin qui connaît bien le patient puis qui sait au fur et à mesure ce qui se passe.

Si on regarde au niveau du projet de loi n° 79, tu as le médecin désigné de la CSST qui pourrait effectivement faire un rapport qui infirme une des conclusions du médecin traitant. Nous, on dit: Oui, ça pourrait arriver que des médecins traitants se sentent mal à l'aise – je parlais de médecin désigné de la CSST ou de médecin désigné de l'employeur – qu'ils voudraient peut-être se défiler pour ne pas embarquer dans la sphère de toute la procédure. Nous, on dit: Il y a déjà de quoi dans le projet de loi qui permet au médecin traitant, dans les cas d'un rapport d'expertise de l'employeur, d'avoir une évaluation complémentaire.

Là, c'est la question des délais. On salue le ministre au niveau du cinq jours; bon, je pense qu'il va y avoir une expansion des délais. Mais, sur le 15 jours des médecins désignés de la CSST puis ce fameux rapport complémentaire qu'on voudrait qui s'applique au niveau du médecin désigné de la CSST au cas où ce rapport-là infirmerait une de ses conclusions, on aimerait qu'il y ait une expansion de ces délais-là pour que ça puisse s'appliquer. Et, à ce moment-là, je pense qu'on aurait comme un rétablissement de l'accès à la justice pour la personne qui est prise dans ce dédale, avec tous les recours qui peuvent être exercés par l'employeur puis tout le dédale au niveau administratif. Tu peux même gagner au niveau de la dernière instance d'appel, mais dans quelle condition on peut retrouver le travailleur, à ce moment-là?

Nous, on dit: On peut réduire les expertises, mais faire en sorte que le médecin traitant... C'est lui qui est en mesure de faire la conciliation avec un professionnel qu'il aura lui-même choisi. Puis ce professionnel-là aura justement les rapports médicaux du professionnel désigné de la CSST ou le rapport de l'employeur. Et là, à ce moment-là, il va être tout à fait à l'aise d'agir puis de répondre au niveau d'un rapport complémentaire. Mais répondre avec pas d'outils, je comprends un peu les médecins traitants qui sont, bon, peut-être un peu insécures là-dedans. Mais, si on leur donne les outils...

Et là, à ce moment-là, le médecin traitant, malgré tout, pourrait même maintenir des conclusions qui différeraient de ses conclusions initiales. On dit: Même malgré ça, ça serait terminé. Il n'y aurait plus de palier d'appel, ça arrête là. Si on lui donne vraiment les outils, à ce moment-là, je pense que le médecin va rendre vraiment l'expertise – ce n'est pas son rôle, comme mon collègue l'a mentionné – va vraiment donner ce qu'il en est en termes de bonne décision par rapport au travailleur.

M. Rioux: Mais vous êtes soucieux que le rapport du médecin traitant, avec son évaluation, son diagnostic, soit aussi étoffé, sinon mieux, que celui du médecin de l'employeur ou de la CSST. Ça, c'est clair?

M. Naud (Pierre): Bien, c'est sûr que, pour l'instant, ce n'est pas étoffé trop, trop. On ne lui donne pas toute la marge de manoeuvre puis il n'a pas à avoir ce mandat-là.

M. Rioux: J'ai compris. Revenons au choix: le médecin, le spécialiste qu'il va choisir, vous voulez qu'il le choisisse en toute liberté.

M. Naud (Pierre): Oui. Sur le rapport d'évaluation complémentaire; une fois qu'on a des rapports qui infirment, que ce soit le médecin de l'employeur ou le médecin désigné de la CSST, on veut qu'il ait vraiment ce contrôle-là de choisir un professionnel. Écoutez, s'il n'a pas ce contrôle-là, qu'est-ce qu'on va faire, à un moment donné, quand, mettons, il y a deux médecins orthopédistes? Bon. C'est ça, une des problématiques qu'on peut soulever au niveau du Bureau d'évaluation médicale. Le médecin désigné de la CSST ou le médecin désigné de l'employeur, exemple, un orthopédiste. Au niveau du BEM, c'est un orthopédiste. Écoutez, ces gens-là se rencontrent, en colloques puis en congrès. C'est des collègues, c'est des confrères de travail. Il ne faut pas s'en cacher, là. Ça devient un petit peu gênant d'avoir des opinions contraires à son collègue, à son confrère de travail.

Alors, nous, on dit: Il faut qu'il ait quand même cette liberté-là. Et il y a d'autres visions, comme c'est soulevé dans notre mémoire. Il y a d'autres spécialistes: physiatres, orthopédistes – je peux prendre ces exemples-là – qui ont une autre vision. C'est une autre vision des choses et, à ce moment-là, ça peut amener une dynamique supplémentaire pour permettre au médecin traitant de vraiment donner ses bonnes conclusions.

M. Rioux: Puis le choix qu'il peut faire à l'intérieur des trois spécialistes?

(15 h 40)

M. Naud (Pierre): O.K. Bon, si on revient avant, là, O.K. Au niveau des trois spécialistes, écoutez, ça, là-dessus, c'est un début. Nous, ce qu'on souligne, c'est que c'est un début, effectivement. Certains disent: Bon, bien, le fait de s'embarquer là-dedans, ça peut le peinturer en quelque sorte; par le fait que le médecin a choisi, donc il est un petit peu lié par ça. On doit vous dire qu'on n'est pas nécessairement mal à l'aise avec ça si, en bout de ligne, il a le contrôle de choisir son médecin.

Alors, nous, on dit: Bon, il y a quand même beaucoup de discrétion qui est donnée. Comme Me Racine le soulevait, il y a un petit peu trop de discrétion qui est accordée par la CSST sur le fait que, si les trois, ça ne fonctionne pas, il faut qu'ils en émettent trois autres, et ainsi de suite. Jusqu'où on va là-dedans? Il aurait peut-être été préférable, tant qu'à embarquer dans cette galère-là, de donner: Bon, le premier prioritaire, c'est celui-là. S'il n'est pas disponible ou que ça n'adonne pas, etc., ce sera le deuxième, le troisième, par ordre de priorité. Tant qu'à embarquer là-dedans, bien, allons-y à fond de train. O.K.?

Mais, nous, ce qu'on se dit, c'est: La question d'expertise, il faut que ça arrête là, mais il faut donner les outils, avec un rapport, une évaluation complémentaire, payer, trouver un professionnel expert qui, à ce moment-là, va peut-être faire contrepoids à cette expertise-là du médecin désigné de la CSST ou de l'employeur. Et ça, pour nous, je pense que ça serait une bonne solution, une bonne voie pour terminer ça. Quand même, il faut que ça finisse, à un moment donné, là!

M. Rioux: Mais vous avez bien compris que c'est dans cette direction-là qu'on s'en va, parce que le médecin qui est le spécialiste, il est choisi et payé par la CSST.

M. Naud (Pierre): Oui, mais...

M. Rioux: Il n'est pas payé par le travailleur.

M. Naud (Pierre): ...écoutez, là, on tombe sur la liste, avec ce que je vous disais tout à l'heure: le médecin traitant, la liste avec tout ce que ça peut comporter, la pratique médicale des gens qui sont sur cette liste-là. Écoutez, je pense que vous en avez déjà entendu parler pas mal au niveau de la commission.

M. Rioux: Ah, beaucoup.

M. Naud (Pierre): Alors, pourquoi ne pas laisser au médecin traitant... Écoutez, les médecins traitants et les médecins spécialistes, ils se connaissent, ils connaissent un peu le système. Alors, à ce moment-là, je pense que ce serait comme de bonne guerre de permettre au médecin traitant d'avoir une évaluation supplémentaire. Mais, nous, ce qu'on dit: Ça va arrêter là, par exemple.

M. Rioux: Mais, la liste est...

M. Naud (Pierre): Une fois que le médecin va donner acte de ses conclusions, s'il les infirme ou les maintient, quand il répond, etc., à la suite de cette évaluation complémentaire, bien, à ce moment-là, ça termine. C'est une décision qui lie la CSST.

M. Rioux: Quant à la liste, elle prend la longueur de ceux qui veulent bien s'inscrire, vous le savez. C'est volontaire.

M. Naud (Pierre): Oui. Bien, là, «volontaire»... Vous savez, la liste...

M. Rioux: C'est volontaire.

M. Paradis (Jacques): M. le ministre, j'aimerais peut-être revenir un peu au début de votre intervention. Vous nous disiez: Est-ce que les médecins vont vraiment être découragés et démotivés à vouloir présenter leurs diagnostics au niveau des différents paliers? Moi, j'aimerais vous dire que, au moment où on se parle, l'expertise que nous avons, nous, comme organisation syndicale... On a la chance de représenter des travailleurs et des travailleuses qui travaillent dans le milieu de la santé, qui côtoient quotidiennement des spécialistes: orthopédistes – bon, nommez-les tous, là – physiatres, radiologistes.

Qu'est-ce que vous voulez, en dehors des ondes, quand ces gens-là ont des accidents de travail ou quoi que ce soit, on se parle, et c'est énorme, les différences d'opinions qu'on peut avoir de ces spécialistes-là quand nos gens ont des blessures ou des accidents de travail. Parce que les gens sont à même d'interpréter des diagnostics, ils sont à même de discuter avec les différents spécialistes sur leur lieu de travail. Quand on arrive devant les médecins qui sont identifiés au niveau des instances de la CSST, on n'a pas du tout les mêmes résultats. Donc, on voit que, même à l'intérieur présentement, des médecins qui n'ont pas à faire de rapports contestent avec les gens les décisions qui sont prises par ces spécialistes-là au niveau de la CSST.

Le Président (M. Côté): Est-ce que vous avez terminé, M. le ministre?

M. Rioux: Oui, oui.

Le Président (M. Côté): Je voudrais peut-être utiliser mon droit de parole et poser une question avant de passer la parole à l'opposition. C'est relatif au médecin qui a charge du travailleur. Vous recommandez, je pense, dans vos conclusions, que le médecin qui a charge du travailleur puisse faire valoir également son opinion dans des conditions équivalentes à celles dont disposent des médecins désignés par la CSST.

Vous savez comme moi qu'il y a certains accidentés, qu'on appelle dans le milieu des «chasseurs de médecins traitants». Ils vont voir un médecin traitant; il va leur donner, par exemple, cinq jours d'absence de travail et il va consolider dans cinq jours. Alors, au bout de trois, quatre jours, il va retourner voir un autre médecin, parce qu'il a le choix de son médecin traitant, l'accidenté. Il va retourner voir un autre médecin puis, étant donné qu'il n'y a pas de contact qui se fait d'un médecin à l'autre, le médecin, lui, c'est un client qui lui arrive, donc il peut lui ordonner encore un autre cinq jours, puis ainsi de suite comme ça. Je pense que vous connaissez cette problématique-là.

Quel est le mécanisme qu'il faudrait mettre en place pour justement essayer d'empêcher ce genre de marchandage là, je dirais, ou de magasinage en termes de médecin, plutôt? Est-ce que vous avez des choses à proposer à cet effet-là? Comment voulez-vous mettre en place ce que vous proposez alors que l'accidenté, il a le choix du médecin puis il peut justement changer de médecin en cours de route d'ici à ce qu'il ait un diagnostic qui fasse son affaire? Je dis pour certains accidentés, pas pour tous.Alors, qu'est-ce que vous proposez à cet effet-là? Parce que, là, je trouve qu'on aurait de la difficulté à mettre ça en place, ce que vous proposez pour le médecin traitant, étant donné que l'accidenté peut passer de l'un à l'autre.

M. Collin (Pierre): Si vous me permettez, je pense qu'effectivement il y a peut-être une notion de contrôle; ça revient effectivement. Je pense que l'objet de votre question va un peu dans ce sens-là. Nous, ce qu'on propose, c'est que le médecin traitant, tel que stipulé fondamentalement, son opinion prime. Et ce qu'on dit, c'est qu'elle ne doit pas rien que primer quand il infirme; elle doit primer quand il confirme aussi son opinion, et il doit avoir quand même prépondérance au niveau de sa position ou de son constat médical. Tout ça dans l'intérêt de réintégrer le travailleur rapidement. Puis, ça, c'est capital. Si on met en doute constamment les diagnostics et surtout les plans de traitement... Le médecin dit: On va opérer, on va procéder. Parallèlement à ça, c'est remis en question constamment. Le plan de traitement et la réintégration bloquent quelque part. Ça, je pense qu'il faut être conscients de ça.

Mais le contrôle, bon, vous l'amenez. Je pense que c'est une préoccupation effectivement, il faut s'en soucier. Sauf qu'avant de rentrer dans le thème du contrôle, moi, j'aimerais dire: Est-ce qu'on va gérer avec l'exception? En ce qui concerne notre pratique, je vais être bien franc aujourd'hui, la question des chasseurs de médecins, comme vous les appelez, ça ne court pas les rues, en ce qui nous concerne. Il y a peut-être d'autres secteurs, je ne le sais pas, je ne peux pas me prononcer là-dessus. Quant à moi, c'est l'exception. Nous, on n'est pas confrontés à cette problématique-là.

Maintenant, effectivement, le médecin traitant, le médecin qui a charge doit avoir une opinion qui prime, pour nous. Tout ça pour faciliter la réintégration, mais aussi pour que les travailleurs aient confiance dans notre système de santé. Parce que, quand le travailleur se fait dire par un neurochirurgien: Tu as une hernie, on t'opère, puis que le médecin de l'employeur vient dire: Non, tu n'en as pas, d'hernie, c'est juste une entorse ou un problème, comme, moi, j'ai déjà vu, au niveau du coude, alors qu'on parle d'une hernie dans la colonne et qu'on parle d'opération, bien, ce travailleur-là, cette travailleuse-là, elle ne dort plus. Elle ne dort plus parce qu'elle est supposée aller sur la table d'opération dans un mois, mais on lui dit: Non, tu n'en as pas, de problème. Qu'est-ce qui se passe? Un manque de confiance énorme dans le système de santé globalement, mais aussi le lien de confiance avec son médecin... Donc, le processus de guérison est remis en cause.

Le Président (M. Côté): Alors, merci.

M. Collin (Pierre): Effectivement, pour finir avec votre question, il devrait peut-être, quelque part dans le système, y avoir un contrôle, mais que la révision des diagnostics, des plans de traitement ne soit pas la norme, mais l'exception, et la rare exception. Et, à ce niveau-là, avant de renverser un diagnostic qui a une prépondérance au niveau du plan de traitement, on devrait prendre la peine d'enquêter sérieusement et d'enquêter de fond en comble. Et c'est pour ça que, nous, on propose qu'outre la possibilité de la CSST ou de l'employeur d'avoir une expertise via soit le médecin désigné par la CSST ou par l'employeur le travailleur et son médecin traitant puissent avoir accès à une expertise médicale complète chez un spécialiste, et même payée quelque part, pour que les chances soient égales et que le système soit rétabli.

Le Président (M. Côté): Merci.

M. Collin (Pierre): Par la suite, l'enquête pourrait être faite à un autre niveau...

Le Président (M. Côté): Merci, M. Collin.

M. Collin (Pierre): ...mais pas à l'intérieur du BEM.

Le Président (M. Côté): Alors, je cède la parole au porte-parole de l'opposition officielle, le député de LaFontaine.

M. Gobé: Merci, M. le Président. Bonjour, messieurs, il me fait plaisir de vous accueillir à cette commission au nom de l'opposition officielle. Nous avons pris connaissance de votre mémoire, nous avons vu un certain nombre d'indications intéressantes et nous aurons l'occasion d'élaborer sur certains points en particulier. Une question, au départ. Vous dites que vous représentez sept associations, dont les physiothérapeutes. C'est quoi, la différence entre un physiothérapeute, la physiatrie puis la chiropraxie? Pouvez-vous m'expliquer? Parce que, là, on touche des domaines, semble-t-il, assez proches les uns des autres. Pour commencer, pour qu'on vous situe bien, là.

(15 h 50)

M. Paradis (Jacques): Les physiothérapeutes, ce sont des professionnels qui ont un diplôme universitaire et qui ont à traiter et à faire des évaluations sur des patients suite à des recommandations qui sont faites soit par des orthopédistes, soit par des physiatres. À ce moment-là, eux ont à traiter les patients.

M. Gobé: Quel genre de traitement?

M. Paradis (Jacques): De toutes sortes. Les physiatres, j'ai dit, oui.

M. Gobé: Par rapport à un chiro, c'est quoi, la différence?

M. Paradis (Jacques): Ouf! vous entrez dans le domaine de la médecine, ce qui n'est pas nécessairement de mon ressort à moi. Mais les chiros, les physiatres, les orthopédistes, ce sont des spécialistes qui ont des cours au niveau médical, tandis que, pour ce qui est des physiothérapeutes, ce sont des gens qui ont une formation pour être à même de traiter les patients suite à des diagnostics qui ont été émis soit par des orthopédistes, soit pas des physiatres.

M. Gobé: Est-ce qu'ils peuvent être des médecins?

M. Paradis (Jacques): Ce ne sont pas des médecins.

M. Gobé: Ce ne sont pas des médecins. Merci. Simplement pour situer un peu mieux, parce que, pour nous, il semble qu'il y ait une certaine confusion. On a pu voir, à un moment donné, que des gens faisaient des représentations à l'effet qu'il pouvait y avoir, à l'occasion, des conflits d'intérêts ou des interprétations différentes du fait que certains médecins pouvaient diriger les gens plus vers les physiothérapeutes que vers les chiropraticiens. Et on sait qu'il y a des médecins qui sont propriétaires ou actionnaires de cliniques de physiothérapie.

M. Paradis (Jacques): Là, vous faites allusion aux physiatres.

M. Gobé: C'est simplement une question de... J'en profite pour vider la question. J'en ai entendu parler, puis, après tout, vous êtes là; alors, allons-y.

M. Paradis (Jacques): C'est ça. Tout à fait. Vous faites allusion aux physiatres, et c'est une situation qu'on a dénoncée, mais je ne pense pas que la commission, ici, ait à débattre de ce débat-là. Et on conteste, nous, le fait que des physiatres soient propriétaires de cliniques. Les physiatres ont à évaluer les patients et les physiatres recommandent des traitements à ces patients-là, et les traitements sont donnés dans leur clinique. Il y a des évaluations qui sont faites au niveau de l'établissement de santé quand, dans un premier temps, ils voient les patients, et des évaluations sont faites, dans un deuxième temps, lorsqu'ils vont à leur clinique, et tout ça est payé par la RAMQ. C'est des choses qu'on a déjà dénoncées dans le passé et qu'on continue à dénoncer. Mais je ne pense pas que c'est...

M. Gobé: Est-ce que ça se passe pour la CSST aussi?

M. Paradis (Jacques): Tout à fait.

M. Gobé: Donc, c'est payé par la CSST aussi?

M. Paradis (Jacques): Tout à fait.

M. Gobé: Donc, c'est dans le cadre du projet de loi.

M. Paradis (Jacques): Et on conteste également le fait que la CSST ait des contrats avec ces cliniques-là. En ce qui nous concerne, nous, on pense que les traitements qui devraient être donnés aux accidentés du travail pourraient être faits par nos établissements de santé publics, parce que c'est une source de revenus importante et c'est une façon de les retourner à la société et de pouvoir se servir de ces sommes d'argent pour redonner des services aux Québécois et aux Québécoises. Et, au moment où on se parle, on se rend compte que beaucoup de ces contrats-là sont donnés à des cliniques privées et c'est des physiatres qui en sont les propriétaires.

M. Gobé: Je m'excuse, je n'ai pas fini avec ça, je trouve ça très intéressant. Juste pour vous mentionner qu'en commission parlementaire, lorsqu'on questionne les gens qui viennent, libre à eux de répondre ou de ne pas répondre, mais les députés ont la latitude de les questionner sur l'ensemble des aspects d'un projet de loi et ce qui s'y rattache pour éclaircir leurs idées et mieux comprendre un peu toutes les problématiques. C'est dans ce sens-là, alors. Ce n'est peut-être pas écrit dans le projet de loi, mais c'est sous-entendu parce qu'on parle de traitement d'accidentés, on parle de délais, on parle de coûts. C'est toutes des choses qui sont rattachées à ça. On parle aussi de harcèlement de patients, on parle enfin de processus très long.

Alors, vous dites qu'il y a des cliniques qui ont des contrats avec la CSST puis que les médecins en sont propriétaires. Vous dénoncez ça?

M. Paradis (Jacques): Ça a été dénoncé, M. Gobé, lors des consultations qui ont été faites par les régies régionales dans les plans de restructuration du réseau de la santé, et c'est une position au niveau de laquelle la Centrale des professionnels de la santé a émis des commentaires. Et, dans ce contexte-là, on se rend compte que, depuis plusieurs années, les contrats qui étaient anciennement donnés aux établissements de santé ont été transférés au niveau de ces cliniques-là. Il y a plusieurs années, on pouvait donner, à ce moment-là, huit traitements à un accidenté du travail pour tel type de lésion et, depuis que ces lésions-là sont traitées en clinique privée, le nombre de traitements a augmenté énormément.

M. Gobé: Donc, vous nous décrivez là un aspect dont peu d'entre nous étaient au courant, avec lequel peu étaient familiers. Maintenant, l'autre question, ça m'est soufflé – à mon tour de me faire souffler – par le ministre et par mon collègue à côté: Au niveau du public, est-ce qu'on serait capable de donner ces traitements-là, dans quel délai et à quel coût? Bien, à quel coût, est-ce que ce serait à meilleur coût ou à meilleur intérêt pour le système?

M. Paradis (Jacques): Ce serait tout à fait à meilleur coût. On se rend compte que, présentement, avec l'attitude qui a été prise par les plans d'action des régies régionales et des établissements, on diminue le personnel au niveau des établissements, de telle sorte que ces gens-là se retrouvent au niveau du privé et on a moins de personnes qui sont aptes à pouvoir donner ces services-là.

Si on retourne quelques années en arrière, on était à même d'évaluer que les sommes d'argent que la CSST versait aux établissements pour qu'on puisse traiter ces patients-là... Les patients étaient traités dans des délais très raisonnables. On avait des plans d'intervention pour ces patients-là, qui permettaient de traiter les patients et, dans un deuxième temps, ça permettait également de prendre ces argents-là afin d'être réinvestis dans les départements de physiothérapie et ils pouvaient traiter des patients qui étaient soit dans les soins de longue durée ou dans les établissements de santé. Et là, aujourd'hui, cet argent-là, on le retrouve au niveau du privé et il n'est pas redonné...

M. Gobé: Lorsque vous dites que ça pourrait se faire à meilleur coût dans le public, en effet, vous nous faites prendre conscience qu'on est actuellement en train de fermer des hôpitaux, qu'il y a même des gens qui sont payés à ne rien faire parce qu'il n'y a pas de poste pour eux, mais ils sont encore sur le salaire. Et puis, de l'autre côté, on dépense de l'argent pour d'autres services dans des cliniques privées. Mais y a-t-il des taux particuliers, des tarifs qui vous amènent à penser que ça serait moins cher dans le public?

M. Paradis (Jacques): On a fait des études à ce niveau-là. Je n'ai pas les chiffres avec moi, mais on peut vous dire que ça se situe au niveau de plusieurs millions de dollars supplémentaires qui sont versés pour les traitements des accidentés du travail depuis que les contrats sont donnés au niveau des cliniques.

M. Gobé: Vous n'avez pas le montant approximatif?

M. Paradis (Jacques): Je pense que ça se situe aux alentours de 8 000 000 $. Je ne suis pas sûr, mais je crois que ça se situe aux alentours de 8 000 000 $. Et, comme je vous le dis, il y a quelques années, dans les établissements de santé, pour tel type de lésions, les traitements se faisaient au nombre de quatre ou cinq traitements pour ces lésions-là et, présentement, au niveau des cliniques, on est rendus à 15, 16 et 18 traitements.

M. Gobé: D'accord. Vous avez mentionné aussi – je vous ai questionné à savoir si c'était exact – qu'il y avait des médecins qui étaient propriétaires de ces cliniques. Est-ce qu'on peut penser que des médecins diagnostiquent et puis font un certain nombre de décisions médicales pour faire traiter des gens dans leur propre clinique? C'est grave, ça.

M. Paradis (Jacques): L'expérience qu'on vit présentement et qu'on a dénoncée – ce n'est pas la première fois – est ceci: un patient voit son médecin, le médecin demande que ce patient-là soit expertisé par un physiatre. Au moment où on se parle, les physiothérapeutes qui travaillent dans les établissements, ce sont des professionnels autonomes et qui sont à même de pouvoir donner les traitements qui sont recommandés soit par un orthopédiste, soit par un autre médecin. Quand on retrouve un physiatre dans un établissement, malgré le fait qu'un orthopédiste a vu le patient et a recommandé des traitements de physiothérapie, le patient doit être revu par le physiatre et expertisé avant qu'on lui donne ses traitements. Et ça, c'est des choses qu'on a dénoncées.

M. Gobé: C'est quoi, votre recommandation, alors, vous?

M. Paradis (Jacques): Notre recommandation est à l'effet de dire...

M. Gobé: Vous l'avez dénoncé, mais vous faites quoi pour pallier, pour corriger ça?

M. Paradis (Jacques): Notre recommandation est à l'effet de dire qu'au niveau de la santé il y a des professionnels autres que les médecins qui sont dans les établissements et qui sont à même de donner des traitements, c'est des professionnels autonomes, et on dénonce la double et la triple consultation des gens dans ces dossiers-là. Et, à partir du moment où un médecin traitant a jugé qu'un patient ou qu'un accidenté doit avoir tel type de traitements, on devrait être capable de laisser les professionnels, qui sont à même de donner ces traitements-là, les donner sans pour autant qu'on redonne une deuxième consultation et qu'on redonne... Parce que, dans 99,9 % des cas, ce qui a été recommandé comme traitements par les orthopédistes, ce sont les mêmes traitements qui sont demandés par les physiatres.

M. Gobé: Donc, on peut considérer que les examens médicaux subséquents, qui suivent, sont d'abord des dépenses d'argent pour la collectivité, pour la CSST. Qui paie ces médecins-là pour les examens suivants? C'est la RAMQ ou c'est la CSST?

(16 heures)

M. Paradis (Jacques): Ça dépend si c'est un accident de travail; ça dépend si c'est...

M. Gobé: C'est la CSST?

M. Paradis (Jacques): Bien, je pense que... Est-ce que vous parlez des traitements ou si vous parlez des...

M. Gobé: Non. Vous dites: Lorsqu'un traitement est prescrit, l'accidenté doit passer...

M. Paradis (Jacques): C'est la RAMQ.

M. Gobé: ...devant un physiatre et faire un autre examen pour arriver, à 99 %, au même diagnostic.

M. Paradis (Jacques): Quand un orthopédiste...

M. Gobé: Qui paie ces examens-là?

M. Paradis (Jacques): ...recommande des traitements à un patient, quand ce patient-là arrive dans un établissement de santé où il y a un physiatre, le physiatre réexamine le patient, et c'est la RAMQ qui paie.

M. Gobé: La RAMQ. Donc, on peut calculer que c'est là un coût important inutile à notre système de santé public québécois.

M. Paradis (Jacques): Oui. On a dénoncé ça tout partout, dans toutes les régions, suite à la restructuration du réseau.

M. Gobé: Écoutez, moi, je trouve que c'est un des aspects très importants qui nous permettent de découvrir qu'il y a des fois des dédoublements. Je pense que, lorsqu'on pose un diagnostic et qu'on recommande un traitement, il n'y a pas de raison de faire recommencer l'examen par un autre médecin qui, lui, dans 99 % des cas, va confirmer ce qui a été dit par le premier spécialiste. Je pense qu'il y a peut-être des étapes à sauter, là. On pourrait aller directement au traitement et sauver peut-être plusieurs millions de dollars à cet effet-là, sans mettre en péril le travailleur, sans enlever ses droits non plus, puis peut-être en raccourcissant, là aussi, les délais. Puis peut-être que le travailleur va être plus content, lui, de se retrouver rapidement en traitement plutôt que d'être ballotté avec un physiatre, puis encore des délais d'attente.

Là-dessus, je vous remercie de cette franchise que vous avez eue. Je pense qu'on n'avait pas pris connaissance de cette dénonciation que vous aviez faite.

M. Paradis (Jacques): Vous allez sûrement en réentendre parler dans les mois à venir parce qu'on s'apprête à faire une tournée des régies régionales pour faire part aux gens de différentes choses comme ça.

M. Gobé: Je pourrais vous suggérer peut-être quelque chose, c'est de chiffrer...

M. Paradis (Jacques): Oui, c'est fait.

M. Gobé: ...exactement les économies qui pourraient être réalisées et de faire du comparatif aussi en ce qui concerne peut-être ce qui se fait actuellement par rapport à ce qui est proposé par vous. Je pense que chacun d'entre nous est à la recherche d'une amélioration de tous les services de santé, en tenant compte du citoyen, bien sûr.

On a parlé beaucoup aussi du diagnostic du médecin traitant par rapport au spécialiste et puis d'une possibilité d'appeler. Vous avez pris connaissance du projet de loi, je pense, comme tous les gens ici. Donc, vous avez pu vous rendre compte que, lorsque le médecin traitant, suite au choix d'un spécialiste sur la liste parmi les trois de la CSST, change son diagnostic, le travailleur n'a plus aucun recours, son cas vient de tomber. Et, lorsqu'on voit M. Cyr, ce matin, nous sortir des documents où des médecins traitants se sont fait un peu influencer – c'est le moindre des mots que je peux employer, pour ne pas dire du tordage de bras – par les gens de la CSST, est-ce qu'il n'est pas à craindre qu'avec un système comme celui-là le médecin traitant, pour ne pas se retrouver pris dans une espèce de processus administratif de contestation devant le BEM, et tout ça, pourrait dire: Bien, je m'en lave les mains puis, après tout, je me rallie à l'expert? Et, à ce moment-là, le travailleur se retrouverait sans aucun recours, aucun, aucun, aucun. Est-ce qu'il n'y a pas un danger, là?

M. Naud (Pierre): Oui, effectivement, dans le projet de loi, il y a ce début de possibilité où le travailleur n'aurait plus de droit d'appel donc, puisque la Commission serait liée. D'un certain point de vue, on pourrait considérer ça comme étant pernicieux, dans le sens que, si effectivement le projet de loi reste tel quel, ça pourrait effectivement amener des médecins traitants à avoir des craintes puis à agir de la sorte.

Nous, on se dit – et je reprends un peu ce que j'ai mentionné tout à l'heure en réponse à M. le ministre: Si le médecin traitant a la capacité d'avoir une évaluation complémentaire, à ce moment-là ces situations-là arriveront peut-être moins souvent. Et, dans l'optique où un médecin serait peut-être mal à l'aise ou ne voudrait pas aller chercher la filière de l'évaluation complémentaire, peut-être il pourrait décider de ne pas envoyer son rapport à la CSST et, à ce moment-là, bon, il n'y aurait rien qui serait envoyé et il n'y aurait pas...

Et je pense que c'est important aussi de parler au travailleur quand ça arrive, si jamais ça arrive. Mais ce que je vous disais, ce que je mentionnais à M. le ministre, c'est surtout l'importance d'avoir une évaluation complémentaire. Et puis j'imagine que je vais y avoir une question sur la liste des médecins, en vertu de l'article 205. Les médecins désignés de la CSST, les spécialistes, doivent avoir la liberté, dans leur profil de pratique, avoir la possibilité d'être inscrits sur cette liste-là et qu'il n'y ait pas d'épuration, de tractation, de discussion. De toute façon, on l'a vu tout à l'heure avec le Collège des médecins, il y a une espèce de documentation, il va y avoir un programme d'établi pour justement respecter les règles de l'art dans le domaine de l'expertise. À ce moment-là, je pense que les médecins spécialistes ont tous le droit, de par leur profil de pratique, de faire partie de cette liste-là.

Parce que, là, il y a beaucoup de choses nébuleuses pour nous. Nous ne sommes pas au niveau de certaines instances pour savoir ce qu'il en est là-dessus, mais je pense que ce n'est pas tous les médecins qui le veulent, pour l'instant, qui sont sur cette liste-là. Alors, si la volonté politique est à l'effet que, dépendamment du profil de pratique, si les gens veulent effectivement expertiser dans le domaine de la santé-sécurité du travail... à ce moment-là, bien, on pourrait trouver ça intéressant d'avoir effectivement un éventail plus large des professionnels médicaux là-dessus.

M. Gobé: Juste pour aller, en terminant, dans votre sens, c'est que je pense que – mes chiffres, je pense, sont exacts – 75 % des cas sont traités par 17 % ou 18 % des médecins qui sont sur la liste, là. Ça veut dire qu'on se rend compte qu'il y a une concentration des causes et des sommes d'argent disponibles entre les mains d'un petit groupe, puis on voit – on a vu ça à Radio-Canada, là, dans la fameuse émission Enjeux ; j'ai la cassette, si ça vous intéresse, parce que c'est toujours bon de se la remémorer, je trouve ça intéressant; à l'occasion, ça nous rafraîchit la mémoire, on entend beaucoup de choses – que certains médecins disent: Bien, écoutez, je n'ai quasiment pas le choix si je veux avoir des contrats, puis, moi, je suis à ma retraite, puis je n'ai pas beaucoup de revenus, il faut que je pense à la production, là. Ça fait qu'on en arrive là, ce qui confirme certainement les craintes que vous pouvez avoir.

Le Président (M. Côté): Alors, merci beaucoup. Le temps est terminé. Merci, M. Collin, M. Naud, Me Racine et M. Paradis, d'être venus exposer vos opinions devant la commission. Nous suspendons pour environ trois minutes, et je demanderais d'ici là au prochain groupe de s'avancer pour prendre place; c'est l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec.

(Suspension de la séance à 16 h 8)

(Reprise à 16 h 13)

Le Président (M. Côté): Alors, je vous demanderais de prendre place. S'il vous plaît, à l'ordre.

Alors, bienvenue à l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec. Je demanderais au porte-parole de s'identifier et de présenter la personne qui l'accompagne. Vous avez 20 minutes pour faire votre présentation.


Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec inc. (APCHQ)

M. Bernier (François): Alors, bonjour. Merci. Bonjour, M. le ministre. Mesdames, messieurs, bonjour. Mon nom est François Bernier, je suis responsable du service aux membres à l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec. À côté de moi, mon collègue Marc-André Regnier, qui est notre spécialiste en santé-sécurité. Alors, très brièvement, vous connaissez un peu notre organisation. On représente environ 9 000 entreprises principalement du domaine de la construction, de la rénovation, de la petite entreprise. Nous sommes, au fond, une organisation provinciale basée à travers 14 bureaux.

Je sais que vous avez donc eu de nombreux échanges à propos du dossier à date. Je vous félicite de maintenir un degré d'attention même à cette heure-ci de la journée. Nos propos donc vont se résumer à toucher quatre grands domaines. On voudrait donc commenter la place du médecin traitant puis aussi, au fond, du spécialiste comme étant des ressources accessibles aux travailleurs. Nous voudrons regarder un peu l'importance du Bureau d'évaluation médicale. On voudrait quand même commenter l'abolition d'un palier comme tel et finalement souligner l'importance du paritarisme à l'intérieur des instances. Mais quand même, je pense, d'entrée de jeu, qu'on se doit de vous signaler notre appui, de manière générale, à ce projet de loi. Donc, je cède la parole à Marc-André.

M. Regnier (Marc-André): M. le ministre, Mmes, MM. les députés, sur le premier point qui nous intéresse ou, en tout cas, qui nous a interpellés dans ce projet de loi, il est évidemment question des procédures supplémentaires que l'on accorde dans la structure au médecin traitant et, notamment, la position du deuxième avis, là, du spécialiste au médecin traitant. On y voit une façon tout à fait... En tout cas, on adhère à cette question-là dans la mesure où il s'agit effectivement de bonifier le rapport du travailleur de façon à ce que celui-ci puisse, à la limite, jouer, si on peut dire ainsi, à armes égales avec les employeurs.

Une chose importante qu'il faudrait cependant spécifier, pour avoir entendu d'autres personnes venir siéger à cette commission, on comprend très bien que le travailleur peut se trouver avec un rapport qui n'est pas aussi étoffé que celui d'un employeur qui aurait le privilège d'aller chez son spécialiste dès les premiers instants où il demande une expertise médicale. Cependant, il y a une chose précise qu'on voudrait dire, c'est qu'il ne s'agit pas de tous les employeurs et ce ne sont pas les petits employeurs qui ont recours généralement à ce genre d'expertise médicale. Ça, c'est un point qu'on aimerait apporter d'office.

Je ne reprendrai pas ici le mémoire tel qu'on vous l'a présenté, page par page ou morceau par morceau; on y va évidemment en points de forme, en vous donnant notre appréciation de la chose de façon très générale. Alors, il y en a même qui nous ont dit que l'employeur ne devrait pas avoir le droit de remettre en doute soit le diagnostic ou le traitement du médecin traitant. Nous pensons évidemment que ça fait partie des droits naturels que confère cette législation-là ou qu'elle a conférés en 1979. C'était évidemment en toute justice de pouvoir débattre des questions litigieuses en termes de rapports médicaux.

Le point important, encore là, c'est que les petites entreprises... Et je fais le point pourquoi? Parce que, dans le secteur de la construction, vous le savez bien, M. le ministre, on représente des petites entreprises; 85 %, 90 % de nos entreprises comprennent moins de cinq travailleurs. Alors, quand on parle d'exubérance en termes d'expertise médicale, il ne faut pas chercher de ce côté-là, définitivement pas. Je ne crois pas que ce soit là qu'on puisse nous attaquer.

Mais, la chose étant dite, quand on a regardé les rapports et ce qu'il en ressortait après le dépôt du projet de loi, on a été relativement surpris de voir à quel point le mal ou le problème existant au niveau du médecin traitant est ce manque flagrant de confiance qu'ont, de part et d'autre, et les regroupements de travailleurs et les regroupements d'employeurs envers les médecins et envers le champ médical en général. Et ça, ça m'est apparu être une chose qu'il fallait observer de très près, à savoir... Les reproches de la partie syndicale sont à l'effet qu'il y aurait un manque de professionnalisme à certains égards par certains médecins dans la pratique. Du côté patronal, on parle de complaisance, très souvent, de la part des médecins.

Alors, ça nous a positionnés à nous remettre en question. Est-ce que finalement le médecin auquel on a affaire, qu'il soit le médecin traitant ou le médecin d'entreprise, a, oui ou non, au-delà de sa compétence médicale, la compétence de gérer des dossiers qui réfèrent à des accidentés du travail comme tels? Nous avons regardé ce qui s'est fait un peu à l'extérieur, on a regardé un petit peu ce qu'il y avait ailleurs, et on s'est aperçu que, dans nombre de pays, on avait affaire à une médecine du travail très particulière. La médecine du travail est considérée comme un champ d'activité spécialisé dans d'autres pays; on aura peut-être l'occasion d'y revenir plus tard.

Mais, avant de recommencer à regarder les structures dans leur ensemble et à les démolir à tour de bras, comme on parle de démolir le BEM qui a été constitué en 1992, comme on parle de démolir différentes structures ou pièces de structures, avant de commencer à jouer avec un jeu de Lego, si je peux le voir ainsi, de commencer à démanteler pièce par pièce pour rebâtir quelques années après sur d'autres bases ou de démanteler d'une façon ou d'une autre, est-ce qu'on ne serait pas mieux de s'arrêter et de regarder au coeur du problème? Je ne pense pas que ce soit la structure du BEM actuel qui fasse problème comme tel; c'est vraiment la confiance vis-à-vis du médical, vis-à-vis des services médicaux.

(16 h 20)

Pour ce qui est justement du BEM, pour nous, il est évident que le BEM répond aux besoins qui étaient exprimés déjà avant 1992, avant le projet de loi 35, concernant le besoin de créer un endroit où on aurait, à travers des délais très stricts, la possibilité d'obtenir une expertise médicale ou une contre-expertise médicale, un jugement très clair sur la situation. Alors, pour nous, il faut qu'on ait une structure où on contrôle les délais, comme le BEM le fait à l'heure actuelle.

Pour ce qui est de l'abolition d'un palier, là aussi, nous sommes d'accord avec la déjudiciarisation et la simplification des processus. De là à faire sauter un palier, ça, c'est admis de façon générale dans le milieu. La chose qui nous étonne un peu, c'est de voir à quel point on a un caractère limitatif dans cette abolition de palier, dans le sens suivant: nous avons peur que le palier qui reste en place... Et on ne parlera pas des nominations du paritarisme; ça, c'est le point qui vient après. Mais on a peur qu'à un moment donné on vienne à un certain engorgement de ce système-là, pour une simple et bonne raison, c'est qu'en ayant plusieurs paliers d'appel il y a des jeux juridiques, si on peut s'exprimer ainsi, qui font en sorte que l'on reporte, d'un palier à un autre, certaines preuves ou certaines procédures.

Ce n'est un secret pour personne que nombre de personnes disaient: Écoutez, ce n'est pas grave, si ça ne passe pas au bureau de révision paritaire, on a la CALP par la suite. Alors, à ce moment-là, nous, ce qu'on se dit, c'est: Au moment où on se retrouve avec une seule instance, qui serait la Commission des lésions professionnelles, est-ce que ça ne va pas faire en sorte évidemment d'étoffer pour le mieux les dossiers, mais aussi de rendre les causes beaucoup plus lourdes à passer à travers le système? Autrement dit, je ne pense plus qu'on puisse se permettre de faire comme on le fait à l'heure actuelle au bureau de révision paritaire: imposer des quotas ou imposer des nombres de décisions, tant par jour, par mois ou par semaine, aux différents présidents ou aux différents bureaux de révision.

Ça nous inspire d'autant plus des craintes que, dans le document ou dans le projet de loi, on compte limiter ça à 50 commissaires, si j'ai bien lu. On a même retracé que... Bon, ça nous semble évidemment limitatif, on se pose un peu la question pourquoi, d'autant plus que, si on se réfère au rapport de Me Durand, on parlait, à l'époque, je crois bien, de 100 à 150 commissaires pour pouvoir faire le travail sans risquer les engorgements qu'on a déjà connus dans le passé, bien avant l'instauration du BEM ou des bureaux de révision tels qu'on les connaît. Ça, c'est ce qu'on a à dire là-dessus.

Pour le paritarisme, bien, en fait, je pense qu'il faut, là aussi, reposer la question à l'envers: Pourquoi a-t-on instauré le paritarisme? En ce sens que, nous, en tout cas, il nous semble qu'il s'agit strictement d'un contrôle qui peut être effectué par les parties, tant patronales que syndicales, sur les décisions qui sont accordées. Que ce soit à la CSST, que ce soit à d'autres organismes, le paritarisme fonctionne et existe dans une multitude de secteurs d'activité, et on ne s'en porte pas plus mal.

On a regardé un peu ce qu'ils faisaient à l'extérieur, en Ontario, ce qui se fait dans d'autres provinces canadiennes et ce qui se fait même en Europe. Le paritarisme est intégré, il l'était bien avant 1979, comme quoi on n'était pas les premiers à mettre ça sur la table, comme tel. Il nous semble que, dans une démocratie comme la nôtre, c'est un des minimums que les différentes parties interpellées puissent avoir le loisir de s'exprimer autour d'un forum et de présenter leurs points de vue en toute démocratie. Par contre, où on accroche – évidemment, on en fait part dans notre mémoire – c'est sur la nomination comme telle. Nous souhaiterions que les nominations soient faites comme elles le sont à l'heure actuelle, c'est-à-dire par le biais du conseil d'administration de la CSST, comme le bureau de révision le prévoit aujourd'hui.

Ça fait un peu le tour de la question. Je sais qu'on avait une vingtaine de minutes pour le présenter. Je pense que les questions de l'échange pourraient être plus pertinentes. Il faut prendre en considération qu'au nombre de mémoires que vous avez reçus depuis plusieurs jours, plusieurs semaines, dois-je dire, je pense que c'est assez.

Le Président (M. Côté): Alors, merci beaucoup pour votre présentation. Je cède la parole à M. le ministre du Travail, député de Matane.

M. Rioux: D'abord, M. Bernier, je suis très heureux de vous revoir. M. Regnier, j'avais hâte d'entendre l'APCHQ, je ne vous le cacherai pas, et de savoir comment les petits employeurs au Québec réagissaient devant ce projet de loi. Parce que, pour certains, c'est plus facile pour les grandes entreprises de l'industrie de la construction d'être d'accord avec ce projet de loi là que les petites entreprises. Alors, je constate que, en gros, ça rejoint pas mal vos préoccupations. Cependant, en ce qui a trait au palier d'appel, vous craignez l'engorgement parce qu'il n'y aurait pas assez de commissaires. Je prends bonne note de cette remarque. C'est possible que 50, ça ne soit pas suffisant. On n'est pas fermé là-dessus, au contraire. On regardera ça.

Vous soulevez – et puis vous le soutenez avec force, là – qu'une présence accrue de médecins traitants serait inacceptable sans la présence du BEM. Vous avancez que le rôle du BEM consiste à clarifier... En tout cas, vous maintenez le BEM comme mécanisme d'arbitrage. Je ne vous cacherai pas qu'il y a des gens qui sont venus ici depuis qu'on est en commission parlementaire et l'organisme qui s'est fait brasser le plus, c'est le BEM par les syndicats, par des patrons, par des groupes sociaux, à peu près par... Je dirais qu'un bon 75 % des gens qui sont intervenus ici nous disent que le BEM, c'est la misère noire. Vous autres, vous favorisez son maintien. Alors, j'aimerais bien que vous m'expliquiez les motifs qui vous amènent à maintenir cet organisme-là décrié comme ce n'est pas possible. Alors, j'aimerais ça, M. Bernier et votre collègue, que vous mettiez un petit peu de chair autour de l'os.

M. Regnier (Marc-André): Essentiellement, M. le ministre, c'est la raison pour laquelle on en est venus, tout à l'heure, sur la question du médecin et de la qualité du médecin. Est-ce que le BEM est réellement remis en question pour sa structure et fondamentalement pour sa façon d'opérer ou pour les décisions que l'on rend? Moi, ce que j'ai entendu beaucoup en commission parlementaire, c'est qu'on se plaignait que 79 % des décisions l'étaient en faveur du patronat. C'est ce que j'ai entendu, en tout cas, de la partie syndicale. Alors, moi, c'est ce qui m'est apparu probant. Et, quand je parlais de jouer au jeu des Lego tout à l'heure, est-ce qu'on va se mettre à démanteler et à reformuler des structures au bon gré de chacun en attendant qu'on arrive avec des chiffres qui feront notre affaire? Est-ce que c'est ça vraiment?

M. Rioux: Mais, M. Regnier, l'absence de confiance dans les professionnels de la santé, là, c'est un débat. Vous l'avez soulevé. C'est la première fois que c'est soulevé avec autant de clarté. De venir dire: Le problème, ce n'est pas les structures, c'est la première fois que j'entends ça aujourd'hui. C'est pour ça que j'accroche un peu là-dessus. Parce que les gens sont venus nous dire: C'est cette structure-là qui fait que le mécanisme ne marche pas. Vous, vous arrivez aujourd'hui, quelques minutes après les docteurs – j'aurais aimé ça qu'ils soient dans la salle – et vous dites: Le problème, c'est le manque de confiance des employeurs vis-à-vis des médecins traitants ou encore des travailleurs vis-à-vis du médecin de l'employeur. C'est toujours des docteurs. C'est toujours des docteurs.

M. Regnier (Marc-André): Essentiellement, c'est ce qu'on a entendu et c'est ce qu'on entend.

M. Rioux: Parce que, vous autres, vous avez diagnostiqué que le problème est là. Êtes-vous au courant qu'on ne peut pas les remplacer? On doit jouer avec eux autres.

M. Regnier (Marc-André): Absolument. Non seulement on ne doit pas les remplacer...

M. Rioux: On doit jouer avec eux autres. C'est des maladies, c'est des accidents, c'est des blessures. Il faut que ce soit traité, ça.

M. Regnier (Marc-André): On est d'accord.

M. Rioux: Et la corpo vient nous déposer, tout à l'heure – ça a dû vous impressionner, vous autres aussi; vous n'étiez pas là, peut-être – tout un beau petit dépliant. Mme la députée de Saint-François, vous auriez été impressionnée: deux beaux dépliants couleur sur la déontologie et ensuite la façon de gérer de façon éthique tout le comportement des médecins lorsqu'ils sont dans la filière de la CSST. Ce manque de confiance là, je ne sais pas sur quoi vous vous basez pour affirmer ça, mais c'est une grosse affirmation, une très grosse affirmation.

(16 h 30)

M. Regnier (Marc-André): Le manque de confiance, M. le ministre, me paraît apparent. On en a parlé, on a parlé de complaisance, on a parlé, par la suite... Écoutez, les syndicats sont venus se présenter en disant, tout simplement, qu'on parlait de musée des horreurs au BEM notamment. Et on parle évidemment du choix du médecin traitant. Pouvez-vous savoir pour quelle raison finalement on se bat avec tant de véhémence pour accorder des droits aussi importants aux médecins traitants, si la confiance en cette catégorie de professionnels était aussi absolue que ce que vous semblez prétendre? C'est une question qui se pose également à cet égard-là.

Si on regarde dans d'autres pays la façon dont ça se fait, j'ai en tête l'exemple de la Suisse, par exemple, où il y a une collaboration entre le médecin traitant et l'organisme, telle la CSST, chargé de gérer le dossier du travailleur, et ça, sans nécessairement entraîner le tollé ou les litiges qu'on retrouve à l'heure actuelle. Alors...

M. Rioux: Mais, M. Regnier, moi, là, je n'ai pas de problème avec le fait que des professionnels puissent se contredire devant un problème médical, devant une blessure, devant une maladie. C'est possible, ça. Il y a des avocats qui viennent ici. C'est un chef-d'oeuvre. Il y en a qui sont pour le paritarisme décisionnel, il y en a qui sont pour la pureté du maintien du statu quo parce que, en dehors de ça... On a écouté ça avec beaucoup d'intérêt, puis on se dit: Bien, c'est correct, c'est des professionnels qui ont une grille d'analyse un peu différente. Bon.

En ce qui a trait aux docteurs, bien, c'est dommage que notre collègue ne soit pas là aujourd'hui, parce qu'on aurait eu certainement beaucoup de plaisir. Écoutez, c'est possible que le diagnostic soit différent puis qu'il y ait des décisions qui se prennent en fonction d'une expertise de deux spécialistes. Mais, là où je commence à être un petit peu agacé, c'est lorsqu'on les accuse de malhonnêteté, qu'on les accuse d'être à la solde des boss ou d'être à la solde des syndicats, d'êtres malhonnêtes, d'être ceci... Moi, je me dis: Si vous avez des preuves ou si vous avez déposé des plaintes, on va faire enquête. Puis, s'il y en a qui sont croches, on va s'organiser pour les faire passer devant le tribunal. Comprenez-vous?

M. Regnier (Marc-André): Absolument.

M. Rioux: C'est ça qui m'embête. Autant dans votre discours à vous autres qui, aujourd'hui, soulevez toute la question de la confiance qu'on doit avoir envers ces professionnels-là, et d'autres qui viennent nous dire: Bien, évidemment, c'est le médecin de l'employeur, il est payé par l'employeur, il dit ce que l'employeur veut savoir pour mieux défoncer le travailleur et puis son pauvre petit omnipraticien qui est son médecin traitant. C'est des tableaux... Je caricature à peine, mais c'est ça qu'on entend.

M. Regnier (Marc-André): Absolument, et c'est ça qu'on vient vous dire. On vient vous dire que, fondamentalement, il ne s'agit pas de la position de l'Association là-dessus. Il s'agit strictement de regarder la question en face et de se dire: Les parties qui viennent se prononcer devant vous font ressortir ce phénomène-là. On ne dit pas, à tort ou à raison, qu'elles le font. On ne dit pas qu'on cautionne ou qu'on ne cautionne pas une telle action. Ce qu'on vous dit, c'est qu'à la lumière des faits... Et vous venez de le caricaturer vous-même. Vous ne l'avez pas imaginé de votre propre chef, vous l'avez entendu. C'est de notoriété publique. On l'entend de part et d'autre, que ce soit du côté patronal ou du côté syndical. Certaines personnes vont jusqu'à l'extrême de poser des procès d'intention qui peuvent même être caricaturés par vous.

Alors, on ne sort pas des nues en affirmant ça. Ce qu'on se dit, c'est: À un moment donné, est-ce qu'il n'y aurait pas un moyen quelconque d'en arriver à rehausser la crédibilité de ces groupes d'experts là, de ces médecins qui, pour la plupart, font un excellent travail, qui sont reconnus, pour éviter que les litiges soient interminables entre justement des gens qui ont la perception que le travail du médecin n'est pas bien fait? Que ce soit de part ou d'autre, M. Rioux, M. le ministre.

Alors, ce n'est pas une accusation qu'on fait. On fait simplement poser la question: Est-ce qu'on ne simplifierait pas nécessairement et est-ce qu'on n'en arriverait pas à déjudiciariser de façon encore plus intéressante si on allait au coeur du problème voir ce qui oppose justement tout le monde, que ce soit le BEM, que ce soient les pratiques des médecins, en essayant de rendre... Par exemple, le médecin, le fait qu'il ait droit à trois autres médecins, qu'il ait le droit de faire une autre expertise ou qu'il ait le droit à une expertise d'un spécialiste, fondamentalement, on n'a rien contre, mais est-ce que ça déjudiciarise effectivement le système? C'est la question qu'on peut se poser. Alors, on met mécanisme par-dessus mécanisme de contrôle et on parle de déjudiciariser. À un moment donné, il va falloir faire le part des choses et dire: Est-ce qu'on fait confiance aux médecins, de part et d'autre?

M. Rioux: Je ne sais pas si c'est M. Bernier ou vous, M. Regnier, qui pouvez me répondre à ça. Vous adhérez au paritarisme, pas de façon militante, mais...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bernier (François): Ça vous semble contraire à...

M. Rioux: ...vous y adhérez quand même. Alors, quelles sont les vertus, selon vous, du paritarisme?

M. Bernier (François): Je pense qu'il faut reconnaître en premier lieu que, quand on est redevable devant la population ou devant ses membres ou devant ses pairs, on est pleinement motivé, je pense, à assumer la charge qui nous est donnée. Et puis, à tort ou à raison, le paritarisme a certainement motivé les gens, qui participent à l'intérieur de la CSST, à défendre du mieux qu'ils le peuvent et pas juste pour les experts et avocats, mais d'une façon compréhensible pour les gens à qui ils rendent service... Alors, c'est sur ces bases-là, je pense, que le paritarisme a aidé au bon fonctionnement du système de manière générale. On n'est pas tenté de requestionner ça, même si les débuts, peut-être, ont été difficiles à quelques endroits, même si les ajustements sont difficiles parfois. On aime autant être servi par quelqu'un qui nous représente que par quelqu'un qui est nommé, disons, de l'extérieur.

M. Rioux: Merci.

Le Président (M. Côté): M. le député de Roberval, vous avez la parole.

M. Laprise: Moi, je pense que le problème de la confiance des médecins, c'est le fait qu'on a fait de ces professionnels, dans le cadre de la santé au niveau des accidents de travail, peut-être des hommes un peu de droit qui ont à défendre des choses. Ils sont engagés par des personnes qui ont à défendre des intérêts personnels. Que ce soit l'employé qui a à défendre sa santé, son avenir, il va voir son médecin, il lui conte la façon dont c'est arrivé, ainsi de suite; il partage son mal avec lui. Moi, c'est curieux, j'aimerais qu'on regarde la possibilité aussi d'intégrer justement au système de santé actuel ces expertises-là, que ça soit le système de la santé. Moi, je suis un travailleur autonome; si je me blesse à mon travail, dans mon entreprise, je vais aller au système de la santé, je vais me faire examiner, je vais essayer de trouver le spécialiste qui va m'aider à revenir puis à retourner à mon travail le plus vite possible. Je ne mets pas le médecin en situation d'affrontement avec un autre médecin.

Quand on regarde aussi les résultats, par expérience personnelle concernant, par exemple, les verdicts de ce système-là, de la CSST, moi, je calcule – en tout cas, pour avoir vécu certaines expériences – que l'employé est très souvent favorisé, si vous voulez. En tout cas, la cause de l'employé n'est pas négligée. Assez souvent, on donne le bénéfice du doute à l'employé beaucoup plus qu'à l'employeur. En tout cas, l'expérience m'a prouvé ça. Dans 90 % des cas, l'employé a eu gain de cause dans un verdict suite à une expertise; 90 % des cas.

Une voix: Je n'oserais pas commenter une telle affirmation.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laprise: Mais dans ce que j'ai vécu. Je ne vous dis pas ce que d'autres ont vécu; je vous dis ce que j'ai vécu, preuves à l'appui.

Le Président (M. Côté): Alors, maintenant, je passerai la parole à l'opposition officielle, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Merci, M. le Président. J'ai écouté avec attention, dans votre présentation – comme le ministre l'a fait d'ailleurs, d'après ce que j'ai pu voir – votre cri d'alarme ou votre interrogation quant à la confiance. Puis je ne reviendrai pas sur les paroles que vous avez dites, il est revenu dessus. Mais ce que vous avez dit semble démontrer, peut-être, une réalité que personne ne veut voir: c'est qu'il n'y a plus grand monde qui a confiance dans ce qu'on appelle la CSST.

Les gens, d'un côté comme de l'autre, se sentent floués. Les travailleurs ont l'impression qu'ils sont face à un organisme contre lequel ils doivent se battre, contre lequel ils partent perdants au départ. Et les employeurs, d'après ce que vous dites et ce que j'entends aussi – je ne suis pas sourd, moi; ça nous arrive aussi à nos oreilles, de ce côté-là – ont l'impression de faire face à un système qui est là pour protéger de faux accidentés, des paresseux, des traîne-savates – appelez ça comme vous voudrez – dépendant de qui nous le dit, là. Vous l'avez, à votre manière, imagé.

(16 h 40)

C'est vrai, je pense que nous faisons face actuellement à une situation qui est une crise de confiance envers la CSST. Ça, c'est une chose qui ressort de cette commission, qui se dit. Notre collègue le député, lui, dit: Les travailleurs sont bien traités: 90 % ont eu gain de cause. Il y en a d'autres qui vont dire: Ils se sont fait mettre dehors, ils n'ont pas eu leur indemnité, ils n'ont pas pu retravailler. La perception du public est très mauvaise envers la CSST.

Moi, ce qui me chagrine, c'est que ce n'est pas avec 79 qu'on règle ça. Le projet de loi n° 79, il ne règle pas la crise de confiance dans la CSST, il ne règle pas la crise de confiance des travailleurs envers le BEM, il ne règle pas la crise de confiance des employeurs envers les processus d'évaluation des médecins traitants. On ne retrouve rien là-dedans qui règle ça. Si un des buts du projet de loi avait été ça, bien, je le cherche encore. Au contraire, ça ne règle tellement pas que les employeurs disent: Nous autres, là, on veut que le comité, la CLP soit paritaire et qu'on puisse nommer nos représentants. Puis, vous, vous l'avez très bien imagé, vous avez dit: Il faut qu'il soit redevable devant la population – c'est vous, M. Regnier, je pense, qui avez dit ça, un des deux, c'est M. Regnier – puis là vous vous êtes repris: ou devant ses pairs. Puis, quand on lit votre recommandation, on dit: «Que le gouvernement procède aux nominations des membres à partir des listes fournies par le conseil d'administration de la CSST.»

Dès le départ, on sait que le gouvernement, il s'est engagé publiquement, dans un sommet, à couper les dépenses de la CSST puis les primes. C'est sa mission, au gouvernement. Ça, on le sait, il l'a mis public, puis il ne s'en cache pas, il a le droit. Lui, il dit: Moi, je veux couper ça: 0,19 $ ou je ne sais pas combien. Le ministre s'est fait le porte-parole, après, de son chef qui avait déclaré ça dans un sommet ou en marge du sommet. Première prémisse, là: si on veut couper, il faut qu'on nomme du monde pour faire la job. Si on ne nomme pas notre monde, comment ça va se faire?

Alors, vous arrivez, vous, ensuite. D'abord, on les nomme par le conseil d'administration. «Que les représentants nommés relèvent de leurs mandants et soient formés par l'intermédiaire de ceux-ci dans une structure qui leur est propre.» Les mandants, c'est le conseil d'administration de la CSST, c'est la CSST, c'est les patrons en général. Qu'ils relèvent de leurs mandants. Depuis quand quelqu'un qui va être dans un tribunal, un organisme de décision finale, une commission de dernière instance, peut-il relever de son mandant?

Et c'est là qu'on aborde tout le problème de la justice impartiale puis aussi de la perception d'impartialité. Vous savez comme moi que – le Barreau nous l'a dit ce matin, le Protecteur du citoyen nous l'a dit – il ne suffit pas que justice soit rendue, encore faut-il qu'elle soit impartiale. Des gens, ce matin, nous ont dit que ça ne tiendra pas la route. C'est les gens du Barreau; ce n'est pas M. Masse, le bâtonnier, c'est un de ses assesseurs. Quand même ce serait en cour puis que ça se trancherait difficilement, si les gens n'ont pas confiance dans ce système-là parce qu'il y apparence d'injustice, qu'il n'y a pas apparence d'indépendance, ça ne tiendra pas la route; les gens vont le contester ailleurs, les gens ne fonctionneront pas avec ça.

Moi, j'ai de la difficulté à comprendre que, si vraiment, comme vous le mentionnez, il n'y a plus de confiance puis qu'il faut la restaurer... C'est ça que vous nous dites, quand vous dites qu'il n'y a plus de confiance, là. Chacun, tout le monde veut checker tout le monde. Le projet de loi, sur lequel vous êtes d'accord, devrait la restaurer. Mais une des manières de la restaurer, d'après moi, c'est, au contraire, d'avoir des organismes indépendants. Ça, c'est comme si vous disiez – vous l'avez mentionné même dans votre parole – qu'à un moment donné il fallait qu'on soit là pour contrôler, que chacun nomme ses... paritaire, ça servait à contrôler.

Eh bien, écoutez, moi, je pense que la justice et la confiance seraient mieux restaurées envers les travailleurs, envers les patrons aussi, des deux côtés, si la décision à la fin était indépendante et que tout le monde avait confiance dans l'organisme. Pour qu'il ait confiance, bien, il ne faut pas qu'ils soient nommés par le conseil d'administration de la CSST ni par les syndicats ni par le patronat. Il faut qu'ils soient nommés par un organisme indépendant, qu'ils appartiennent à un organisme indépendant comme le tribunal de la justice administrative, au Québec, comme c'était prévu avant dans le projet de loi n° 130. Ça a été enlevé et les gens le redemandent.

Alors, moi, je pense que vous avez bien fait d'attirer notre attention sur ce point de vue de la confiance, puis je suis avec vous à 100 %. Il n'y a plus grand monde dans cette salle puis dans ceux qui sont passés avant vous qui a confiance dans cette CSST. Il n'y a plus grand monde. Mais la manière de la restaurer, d'après moi, ce n'est pas dans 79 et ce n'est pas avec une commission décisionnelle en dernier recours qui soit avec des contrôleurs de chaque partie. Il faut qu'elle soit indépendante, il faut qu'elle soit neutre. Pour qu'on en ait confiance, c'est le seul moyen.

Le Président (M. Côté): M. Regnier.

M. Regnier (Marc-André): Pour vous répondre, M. Gobé, comme tel, la première chose que j'aimerais dire, c'est que la crise de confiance qu'on a mise sur le tapis était celle vis-à-vis des professionnels de la santé et, comme je le répète une nouvelle fois, c'était la perception des différentes parties là-dessus. On ne parlait pas de la CSST comme telle.

M. Bernier (François): Oui. Je pense qu'il faut distinguer le médical de la CSST comme telle et j'espère que nos propos étaient clairs dans ce sens-là...

M. Regnier (Marc-André): On n'a pas remis en question au niveau...

M. Bernier (François): ...parce qu'il y a une confiance générale envers l'organisme. Au stade médical, je pense qu'on voulait soulever la question: Où est-ce qu'elle se trouve? D'ailleurs – excuse-moi, Marc-André – au fond, quand il s'agit de se prononcer quant évidemment à la confiance générale à l'intérieur de la CSST, ce n'est pas justement en cédant sa place, je veux dire, dans l'organisme et en remettant en question le paritarisme comme tel, je pense, en tout cas, qu'on atteindrait cette fonction-là. C'est-à-dire: on a confiance dedans parce qu'on y participe pleinement. Une structure d'ailleurs paritaire ne pourrait pas être, je veux dire, seulement au niveau d'un conseil d'administration. Il faut que le paritarisme efficace, ce soit vécu dans différentes sous-structures aussi d'un organisme. On le voit dans la construction, au niveau de la Commission de la construction ou d'autres instances; ça se voit aussi au niveau du comité mixte, au niveau de toutes les instances intermédiaires aussi. C'est donc une formule, en tout cas, à l'échelle globale, qui nous apparaît gagnante.

M. Gobé: Oui, vous avez raison, M. Regnier. J'en suis avec vous pour ces organismes-là; j'en suis avec vous pour ce qui touche les relations de travail, bien qu'au Tribunal du travail ce ne soit pas paritaire, je vous fais remarquer ça au passage. Mais là on parle d'un organisme qui va rendre des décisions médicales, des décisions qui n'ont rien à voir avec les relations de travail et qui doivent être totalement protégées des négociations et des relations de travail. C'est des décisions de dernier recours de droit basées sur le dossier médical d'un travailleur, d'un homme ou d'une femme.

Aujourd'hui, vous êtes du côté patronal, mais peut-être que votre frère, votre belle-soeur, votre belle-mère sont du côté ouvrier, eux autres, là. Si un jour ils se ramassent devant, peut-être que ça vous amènera ou que ça nous amènera, nous, à réfléchir. Parce que c'est bien beau, aujourd'hui, de tenir un discours qu'on tient parce qu'on a une vision qui fait que, par notre fonction, on est peut-être plus d'un côté que de l'autre, mais il n'en reste pas moins qu'en ce qui concerne les relations de travail nous sommes d'accord pour le paritarisme en ce qui concerne la CSST, nous sommes d'accord.

Mais, pour l'organisme de dernier recours, qui va s'appeler la CLP, nous ne pouvons l'accepter, et on n'est pas seuls là-dedans; il y a le Protecteur du citoyen, le Barreau, enfin tout le monde qui est passé ici, sauf vous et un autre groupe qui était ici hier, l'Association des détaillants. Lui, d'ailleurs, on lui a posé la question: Entre l'apparence d'impartialité et l'impartialité et le paritarisme, qu'est-ce que vous préférez? Alors, il a répondu: Je préfère le paritarisme à l'impartialité. Bien, moi, je vais vous dire que je préfère encore l'impartialité, parce que, si on veut rétablir la confiance dans le système, il faut que ce soit et que ce soit perçu comme impartial.

Et puis, quand vous dites que vous avez besoin d'assesseurs ou de... paritaires pour voir ce qu'un commissaire va décider, c'est parce que vous n'avez pas confiance; on le démontre nous-mêmes, ça prend quelqu'un pour checker, pardon, pour vérifier. Et je peux comprendre les raisons qui vous amènent à dire ça, je peux les comprendre, mais, si on veut rétablir la confiance, bien, vraiment, il faut changer la manière. Il faut avoir confiance dans la personne qui va décider. Ce matin, le Barreau nous disait: Bien, ça prendrait un soudeur pour décider, être assesseur, vous savez, pour un cas où il y aurait des problèmes à la CSST à cause de la soudure, ou un grutier, ou je ne sais pas quoi et que ce serait très compliqué. Je pense qu'on s'embarque dans quelque chose...

M. Regnier (Marc-André): Écoutez, la première des choses... Il y a deux volets à votre question. J'aimerais bien qu'on fasse la scission entre les questions de professionnalisme et de confiance, de crédibilité des groupes de professionnels et la CSST et ses structures comme telles. Dans un deuxième temps, je vous poserais la question à l'inverse: La CALP n'était-elle pas ou n'est-elle pas encore – j'anticipe peut-être un peu vite – un organisme que l'on dit tout à fait indépendant? Or, je pourrais vous amener des doléances face aux commissaires de la CALP et face aux différents jugements qui ont été rendus par la CALP et des courants jurisprudentiels qui ont été décriés de part et d'autre, alors qu'on n'a pas de paritarisme.

Alors, nous, on se dit: Là-dedans, est-ce que le paritarisme est réellement si décisionnel, comme voudraient nous le faire entendre certaines personnes? Est-ce qu'il l'est vraiment? Est-ce qu'on a des exemples, à la CSST, où des présidents ont été renversés par les deux parties assises à leurs côtés? Je ne pense pas que ça ait eu une influence si grande que ça. Par contre, c'est dans le respect de la loi qui voulait remettre aux personnes intéressées, c'est-à-dire aux employeurs et aux travailleurs, leur destinée, si on veut, sur tous les plans qu'on a dit: Vous allez maintenant participer à ces différentes structures là. Et c'est tout à fait normal.

(16 h 50)

Et j'ajouterai que, sur le plan professionnel, j'aime beaucoup mieux avoir effectivement des assesseurs, des membres, ou appelons-les comme vous voudrez, issus peut-être pas de la profession, mais du milieu industriel, d'accord, pour comprendre certaines subtilités qui peuvent échapper, malheureusement, aux avocats, sans remettre en question leur compétence juridique. Et, de ça, des exemples, on peut vous en donner des centaines, surtout dans la construction, surtout dans les milieux à haut risque. Il est heureux qu'on ait, des fois, des assesseurs ou des représentants, tant patronaux que syndicaux, qui connaissent un petit peu le milieu pour pouvoir prendre des décisions qui finalement, comme le recommande le rapport Durand, font partie de recommandations d'un groupe de sages, si on veut.

M. Gobé: Je comprends, M. Bernier, sauf que, dans le rapport Durand, cette commission paritaire n'était pas la dernière étape. Il n'est pas appliqué dans son intégralité, d'accord? Il y avait un autre palier, après, dans lequel il était possible d'appeler. Et là, pour nous, pour les gens que j'ai entendus jusqu'à maintenant, les recommandations que nous avons eues... Et, moi, quand le Protecteur du citoyen nous parle, puis quand le Barreau nous parle, puis que d'autres gens nous parlent, qui sont spécialistes des questions de droit, puis qu'ils me disent: Bien, attention, ça ne peut pas fonctionner, ça n'a pas l'apparence d'indépendance, ça ne va pas forcément avec l'article 23 de la Charte, eh bien, je me dis, à ce moment-là: Si on veut restaurer la confiance, puis qu'au départ il y a déjà du monde qui nous dit que ça aura de la misère à fonctionner, bien, n'y allons pas, essayons de trouver quelque chose d'autre.

Parce qu'il faut la restaurer, la confiance. Moi, je suis d'accord avec vous, il faut la restaurer. Moi, la CSST, je ne veux pas détruire ça; je trouve ça très bon quand ça fonctionne bien et puis quand les travailleurs puis les patrons sont contents. Sauf que, pour que ça fonctionne bien, il y a un certain nombre de choses à corriger, dont la confiance. Vous parlez des médecins, vous l'avez repris, mais, moi, je dirais que ça va plus loin. Comme député sur le terrain et pour écouter les gens – et certains sont encore en arrière – je vais vous dire que les gens n'ont pas confiance dans la CSST; pas seulement dans l'évaluation des médecins. C'est le tout, l'ensemble, la perception. Il faut la restaurer. Vous, vous dites: On va mettre le paritarisme. C'est votre position, puis, moi, je ne vous tourne pas en ridicule, loin de moi. C'est votre manière, vous le croyez, vous le pensez et peut-être que c'est vous qui avez la solution. Sauf que, moi, je souhaiterais que la solution qui va être retenue soit celle qui rétablisse la confiance. Malheureusement, je ne pense pas, moi, que ça soit celle-là.

Ce matin, il y avait un groupe qui s'est fait impressionner un peu par le Barreau, il témoignait après le Barreau. Ils ont dit: Nous, bien, on était un peu ambivalents là-dessus, puis, après avoir écouté le Barreau, ils nous ont démontré que ça ne fonctionnerait probablement pas, que ça créerait des problèmes. Puis, lorsqu'on sait déjà à l'avance qu'il va y avoir des problèmes, on est des gars de relations de travail, on sait que ça ne vaut pas la peine d'y aller, parce que ça ne fonctionnera pas. Alors, peut-être qu'il y aurait moyen de faire une réflexion à cet effet-là, au niveau de rétablir la confiance.

D'autant plus que, vous savez, il y a un sondage qui a été fait et qui a été publié dans le magazine Les Affaires , donc pas par le journal du ministre ou pas par le journal de la CSN non plus ou par quelque autre organisme dont on pourrait dire qu'il pourrait être partisan ou avoir un intérêt, mais qui a été fait par le magazine Les Affaires , qui dit que 96 % des employeurs au Québec ne sont pas en faveur du paritarisme d'un organisme de dernière instance. Alors, je veux dire, il y a là aussi, peut-être, pour d'autres raisons, des mises en garde.

M. Regnier (Marc-André): Nous avons présenté notre position, M. le député. La seule chose que je peux peut-être ajouter – parce que je l'avais prise en note tout à l'heure, je reviens un peu sur une de vos interventions – je dois juste simplement vous dire que, dans votre liste de représentants qui sont en faveur du paritarisme, bon, vous avez omis – en tout cas, je pense, à force de voir le nombre de personnes qui se sont présentées ici – vous n'avez pas parlé du Conseil du patronat, vous n'avez pas parlé de la FTQ, vous n'avez pas parlé de l'Association des...

M. Gobé: Vous avez...

M. Regnier (Marc-André): Non, mais c'est parce que vous en avez cité un ou deux, mais j'aimerais que vous en citiez d'autres. C'est simplement pour mettre les choses bien en perspective.

M. Gobé: Non, non. Oui, mais... Non, mais, M. Regnier, c'est bon de... Vous faites bien, puis je pense que c'est un forum, puis, moi, j'aime ça que les gens... Il se peut que, des fois, on fasse des nuances ou des oublis; que les gens nous le fassent savoir, je trouve ça très bien. Sauf que, dans le cas de la FTQ, je vous mentionnerai que leur position a évolué et ils sont rendus maintenant avec des assesseurs et non plus avec des membres nommés au niveau du paritaire, nommés par le conseil d'administration, décisionnels. Ça a été amené ici. Eux aussi, ils se rendent compte qu'il y aurait peut-être problème à avoir trois personnes. On est rendu aux assesseurs. Le ministre d'ailleurs, ce matin, a essayé de questionner là-dessus. Alors, vous voyez qu'il y a une évolution qui se fait dans ce dossier-là.

M. Regnier (Marc-André): La question qu'on pourrait se poser également, c'est: À quel point est-ce une nuisance, et pour qui ça l'est, d'être représenté paritairement? Et c'est là que je reviens un peu avec la formulation de la FTQ. D'accord, sur le point de vue: est-ce que ça doit être des assesseurs, des membres, bon, une partie décisionnelle. Mais vous sembliez reprocher aux parties de vouloir, par un excès de confiance, si on veut, avoir des chiens de garde. Parlons par des termes qui sont plus précis, là. Vous en veniez à nous dire que finalement ce n'était peut-être pas un signe de très grande confiance et que finalement c'était quelque chose à proscrire ou, en tout cas, qui était tout à fait négatif.

Mais je vous rappelle qu'il y a nombre d'intervenants qui sont venus ici vous expliquer pourquoi, d'abord, il faut ce paritarisme dans des structures. Deuxièmement, je vous pose la question: À qui ça peut nuire, alors qu'on voit que tous les systèmes évolués de santé et sécurité du travail composent dans le paritarisme, que ce soit sur un continent nord-américain ou ailleurs, sans avoir nécessairement de problèmes?

M. Gobé: Vous avez raison sur un point...

M. Regnier (Marc-André): À quelque part, je suis très, très mal à l'aise de voir à quel point...

Le Président (M. Côté): C'est terminé, monsieur.

M. Gobé: Alors, en terminant, M. Bernier – parce qu'on nous arrête; on pourra reprendre cela un peu plus tard – en ce qui concerne les organismes...

M. Regnier (Marc-André): On va régler ça une fois pour toutes: c'est lui, Bernier.

M. Gobé: M. Regnier, excusez-moi.

M. Bernier (François): Vous savez, par la politesse, parfois, on dit: Une fois, deux fois, on laisse faire. Mais là on va finir comme il faut.

M. Gobé: Excusez-moi, je suis désolé. C'est que, voyez-vous, ces organismes, qu'ils soient paritaires santé et sécurité au travail au niveau du fonctionnement, au niveau des programmes de prévention, au niveau de la réinsertion, de toutes ces choses-là, de la formation, parfait. Mais là on parle d'un organisme qui va avoir à se pencher en dernier recours sur des lésions professionnelles. D'accord? Ça va être l'organisme de dernier recours, là; après ça, il n'y a plus rien. Il est important, à ce moment-là, que l'apparence de justice soit préservée puis que l'impartialité soit présente et préservée, et apparente en même temps. Et ça semble faire problème, selon ce qu'on peut entendre de spécialistes comme le Barreau et le Protecteur du citoyen.

Le Président (M. Côté): M. le député de LaFontaine, je dois mettre fin à votre intervention. Le temps est terminé. Alors, je remercie MM. Marc-André Regnier et François Bernier pour être venus exposer leur position devant la commission. Merci.

Maintenant, je demanderais au Réseau des avocats de l'Union des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s de Montréal de s'approcher pour faire leur présentation.

Alors, MM. les représentants du Réseau des avocats de l'Union des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s de Montréal, bienvenue à cette commission. Je demanderais au porte-parole de s'identifier et de présenter la personne qui l'accompagne.


Réseau des avocats de l'Union des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s de Montréal (UTTAM)

M. Montemiglio (Marco): Merci, M. le Président. M. le ministre, Mme et MM. les parlementaires, bonsoir. Mon nom est Marco Montemiglio; je suis avocat en pratique privée et spécialisé en matière de droit de la santé et sécurité au travail depuis maintenant près de 10 ans, et je suis membre du Réseau des avocats et des avocates de l'Union des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s de Montréal. À ma droite, je vous présente Me François Parizeau, avocat en pratique privée, également spécialisé en droit du travail depuis maintenant près de 19 ans et également membre du Réseau des avocats de l'UTTAM.

(17 heures)

Le Réseau des avocats et des avocates de l'UTTAM regroupe une dizaine de membres voués à la défense des travailleurs et travailleuses victimes de lésions professionnelles et, plus particulièrement, auprès des travailleurs et travailleuses non syndiqués. Je profite de l'occasion pour rappeler à la commission que les travailleurs et travailleuses non syndiqués représentent près de 70 % de la main-d'oeuvre au Québec. Ces travailleurs et travailleuses sont parmi les plus démunis face au processus de contestation de la CSST et au processus d'évaluation médicale de la CSST. Ainsi, toute réforme en matière d'indemnisation de victimes de lésions professionnelles devrait tenir compte de l'ensemble des travailleurs et travailleuses, et plus particulièrement de cette partie de la main-d'oeuvre du Québec qui est non syndiquée.

En guise d'introduction, nous aimerions souligner à la commission qu'il nous est évident que la présente réforme, loin de faire des travailleurs et travailleuses des gagnants, comme le ministre l'a exprimé dans son allocution d'ouverture, fera plutôt d'eux des perdants en restreignant dramatiquement leurs moyens de faire valoir leurs droits auprès de la Commission et des tribunaux administratifs. Ceci étant dit, vous nous permettrez de scinder en deux notre présentation du mémoire. Nous aborderons, dans un premier temps, plus particulièrement le processus de contestation proposé par le projet de loi et, dans un second temps, Me Parizeau abordera la question du processus d'évaluation médicale.

Donc, sur la question du processus de contestation, le projet de loi prévoit, comme nous le savons tous et toutes, l'abolition des tribunaux, des deux paliers d'appel actuels, et leur remplacement par une révision administrative et une commission des lésions professionnelles qui sera paritaire et sous la responsabilité du ministre du Travail. Nous considérons que la perte d'un palier d'appel sera un recul important pour les travailleurs et travailleuses, et sera nettement à leur désavantage. Il faut prendre en considération le contexte particulier des litiges en matière d'indemnisation des victimes de lésions professionnelles où, trop souvent, le travailleur se retrouve dans un débat à deux contre un.

Je m'explique. Très souvent – d'ailleurs, dans notre pratique, ça se confirme hebdomadairement – on retrouve, d'un côté de la table, les procureurs de la Commission de la santé et de la sécurité du travail et les procureurs des employeurs et, de l'autre côté de la table, le travailleur et la travailleuse. Il est très rare, et nous n'avons jamais constaté de cas où la Commission de la santé et de la sécurité du travail a défendu ses propres décisions de première instance qui étaient en faveur du travailleur ou de la travailleuse et qui étaient contestées par l'employeur. Qui plus est, les ressources de la Commission de la santé et de la sécurité du travail et des gros employeurs sont, de loin, plus grandes que celles des travailleurs et travailleuses, et c'est encore plus criant, M. le ministre, auprès des travailleurs et travailleuses non syndiqués.

Nous considérons également que le fait de confiner les moyens des travailleurs et travailleuses de faire valoir leurs droits à un seul palier d'appel judiciarisera de façon accrue ces audiences devant le tribunal d'appel. Nul doute dans notre esprit que, si on est devant un seul palier d'appel, l'administration de la preuve sera de loin plus longue et cela aura comme conséquence des coûts plus grands pour les travailleurs et travailleuses, et un engorgement de ce tribunal d'appel.

On constate également qu'actuellement le bureau de révision paritaire accueille près de 32 % des demandes de révision des travailleurs et travailleuses, et près de 60 % des décisions du bureau de révision paritaire actuel sont finales, deviennent finales, ne vont pas en appel. Or, nous considérons que l'étape du BRP actuellement permet aux travailleurs et travailleuses d'obtenir justice à moindre coût et dans des délais relativement raisonnables. Donc, pour tous ces motifs, nous sommes contre l'abolition d'un palier d'appel et nous revendiquons toujours deux paliers d'appel par des tribunaux compétents, indépendants et impartiaux.

En ce qui concerne l'instauration du paritarisme au sein du tribunal d'appel, de la nouvelle Commission des lésions professionnelles proposée par le projet de loi, il semble, selon le ministre, que ce paritarisme semble aller de soi compte tenu d'une certaine culture et d'un modus vivendi dans le monde des relations de travail. Or, à ce titre, nous partageons tout à fait le point de vue du Barreau du Québec, qui a été présenté devant vous ce matin, à l'effet que, lorsqu'on parle d'indemnisation des victimes de lésions professionnelles, on ne parle pas ici de relations de travail; on parle d'un régime compensatoire de préjudices subis par des travailleurs et travailleuses. Donc, quant à nous, cela n'a rien à voir avec les rapports collectifs de travail.

Maintenant, le projet de loi prévoit également que ce nouveau tribunal sera sous la responsabilité du ministre du Travail. Je pense que, comme les membres de la présente commission ont eu l'occasion de le constater, le principe d'indépendance et d'impartialité des tribunaux, particulièrement en droit administratif, fait couler beaucoup d'encre et donne lieu à plusieurs opinions. Il demeure cependant, dans tout ce concept et cette règle de droit, une constante, soit l'apparence de justice. Et cette apparence de justice a été définie plus précisément comme étant la perception qu'aurait une personne raisonnable et bien informée du tribunal auquel elle est confrontée.

Or, lorsque, dans mon bureau, j'explique aux travailleurs et travailleuses les différents tribunaux auxquels ils auront possiblement à faire face, lorsque je mentionnerai, advenant évidemment que le projet de loi soit accepté tel quel, que le tribunal devant lequel ils auront déposé leur appel et qui aura à juger du bien-fondé de leur réclamation sera sous la responsabilité du même ministre qui est responsable de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, il m'apparaît évident que cela constituera un accroc très clair au principe de l'apparence de justice.

Je vais maintenant laisser la parole à Me Parizeau qui abordera la question du processus d'évaluation médicale.

(17 h 10)

Le Président (M. Côté): Alors, Me Parizeau, je veux vous informer qu'il vous reste sept minutes pour compléter votre présentation.

M. Parizeau (François): On va essayer de remplir ces sept minutes-là. Alors, écoutez, Me Montemiglio vous a expliqué qu'il s'agit non pas d'un problème de relations de travail, mais d'un problème de réparation d'une lésion à l'intégrité physique d'un travailleur, ou d'une travailleuse, accidenté. Et, ce faisant, l'aspect médical est intimement lié à cette réparation de l'intégrité physique dont a été victime un travailleur dans le cadre d'un accident ou d'une maladie professionnelle.

Dans ce cadre-là, je sais qu'on a tendance à regarder ça de façon très médicale en disant: Il y a une profession, là. Mais la réalité des choses, c'est que c'est une réparation, c'est une indemnisation et qu'il y a un processus médicolégal. On a, au Québec, une profession médicale qui a été formée et qui fonctionne à guérir des gens. On a une profession médicale qui a très peu été formée à rechercher les causes et, notamment, les causes reliées au travail des lésions. Je ne connais pas les dernières statistiques, mais je sais qu'il y a deux ans on donnait approximativement deux heures de formation sur quatre ans en santé au travail; c'était une réalité.

Ceci étant dit, on a des gens qui fonctionnent en fonction de leur spécialité et on constate que les médecins désignés de la CSST et les médecins du BEM sont en grande proportion issus des chirurgiens orthopédistes. Les chirurgiens orthopédistes sont des chirurgiens qui opèrent au niveau des os, et on a, dans les lésions professionnelles, des lésions qui sont en grande partie musculosquelettiques. Vous avez, de la part de ces médecins, des médecins désignés et des médecins des BEM, des concepts médicaux qui touchent à des concepts médicolégaux qui ont amené une série de contestations dans les années passées et qui ont remis en cause ou qui portaient atteinte à des droits clairs, nets, reconnus à travers les différentes instances.

Et les exemples que je veux donner, c'est la notion de condition personnelle ou la condition d'arthrose, ou peu importe. On a eu, à travers les 10 dernières années, de 1985 à 1995, toute une série de contestations d'ordre médical issues du fait qu'une entorse lombaire, c'est supposé prendre six semaines à guérir. Si vous avez un jeune sportif de 20 ans qui subit une entorse lombaire, ça ne prendra peut-être pas six semaines. Si vous avez un travailleur de 60 ans qui a eu de multiples accidents de travail et qui a un dos magané – je m'excuse de l'expression, mais c'est le cas de le dire – ça va prendre probablement et potentiellement plus que six semaines.

On a eu des orthopédistes ainsi que d'autres spécialistes – je ne veux pas mettre la faute et je ne veux pas pointer un médecin ou une spécialité en question – toute une série de décisions disant: Non, non, non, passé telle date, passé six semaines, passé telle période de temps, ce n'est pas la faute à l'accident de travail; c'est la faute à l'arthrose, c'est la faute à ci, c'est la faute à telle condition personnelle.

Or, depuis les années cinquante, la Cour suprême s'est prononcée dans une cause très connue, connue de tout le monde, y compris de la CSST, qui est Parent contre Lapointe, qui est enseignée en première année de droit. C'est la règle du «thin skull rule», qui vient dire fondamentalement que les êtres humains sont des êtres humains, ne sont pas des machines et qu'on n'a pas à les traiter comme des machines, et, ce faisant, qu'on n'a pas à tenir compte de barèmes issus d'on ne sait pas où à l'effet qu'une entorse, ça guérit au bout de six semaines. On a eu ça au niveau de la question de la relation, on a eu ça au niveau de la longueur, on a eu ça au niveau des limitations fonctionnelles. Et ça continue, là: les nouveaux dadas médicaux des médecins désignés, c'est les signes cliniques versus les signes radiologiques. J'aurais besoin de beaucoup plus que sept minutes pour finir ça.

Mais le résultat de ça, c'est que ça a amené un embourbement considérable du système de contestation médicale et évidemment du système de contestation strictement légale. Ça a amené aussi des conséquences énormes sur les travailleurs qui se sont fait couper leurs indemnités, qui ont subi le stress relié à ça, qui ont subi des coupures de traitement parce qu'une fois que les traitements de physiothérapie sont arrêtés, pour avoir le traitement au niveau de la RAMQ, il faut être sur une liste d'attente d'à peu près six mois, huit mois, un an, au centre hospitalier.

Ça, c'est une des premières choses qui m'amènent à vous dire: Bien, écoutez, le problème de l'évaluation médicale... Et j'entendais, tout à l'heure, les gens qui nous ont précédés dire: La confiance des médecins, et de ne pas mettre les médecins dans une situation d'affrontement, etc. Moi, je suis tout à fait d'accord avec ça. Vous avez un travailleur accidenté qui va voir un médecin, qui espère être guéri et, à un moment donné, il se ramasse dans une contestation d'ordre médical où on remet en cause les opinions de ses médecins. Lui, il va voir le médecin; le médecin lui dit: Tu vas suivre tel traitement. Ce n'est pas lui qui ordonne: Tu t'en vas en physio, tu t'en vas te faire opérer, tu t'en vas ci, tu t'en vas ça. Il suit qu'est-ce que son médecin lui dit. Mais, à un moment donné, oups! ça déraille et ça s'en va dans un processus de contestation d'ordre médical.

Là, on veut, pour reprendre l'expression, mettre mécanisme sur mécanisme et mettre un mécanisme supplémentaire dans le cadre de l'arbitrage médical. Dans le cadre de notre mémoire, on vous le dit, une des choses qui, je pense, pourraient... Ce ne sera pas la solution à tous les maux, ça ne réglera pas tous les problèmes, mais je me demande la question: Le BEM sert à quoi? Le BEM, à l'heure actuelle, ramène une étape supplémentaire. Quand vous regardez les statistiques, les opinions du BEM sont renversées de façon importante au niveau des bureaux de révision paritaire, au niveau de la Commission d'appel, dû au fait que les médecins ont jugé avec certains concepts dans un cadre donné sans tenir compte de l'aspect légal. Mais on a passé par l'opinion du médecin traitant, l'opinion du médecin désigné ou du médecin de l'employeur, puis, après ça, le BEM.

Le Président (M. Côté): Est-ce que vous pouvez conclure, s'il vous plaît, Me Parizeau?

M. Parizeau (François): Oui, je vais essayer d'accélérer. Vous avez toute la question... On veut demander au médecin traitant de se prononcer sur trois médecins de la liste des médecins désignés de la CSST qui sont fondamentalement des orthopédistes. Vous avez entendu le Collège des médecins qui a mis en cause la notion de lien de confiance et le fait qu'on va surcharger les médecins. À l'heure actuelle, dans ma pratique, ça fait 17 ans que je fais affaire avec des médecins et, dès qu'il y a une contestation, il y a une proportion importante de médecins qui s'en lavent les mains.

Dans les dossiers, vous avez un dossier où vous voyez le spécialiste qui fait un rapport au médecin général. À un moment donné, ce médecin spécialiste là sait qu'il y a une contestation initiée soit par le travailleur, soit par l'employeur, soit par la CSST. Et, oups! les rapports au médecin traitant disparaissent. Oups! le diagnostic sur le certificat devient très général. Avant, on avait un peu plus d'informations et on va dans les généralités. Plus vous allez impliquer les médecins traitants, plus les gens qui vont être pénalisés dans le processus, c'est les travailleurs ainsi que tout le processus d'évaluation médicale.

Le Président (M. Côté): Alors...

M. Parizeau (François): Je termine.

Le Président (M. Côté): Merci.

M. Gobé: Consentement. Vous pouvez le laisser aller.

M. Parizeau (François): Ça ne sera pas tellement long.

M. Gobé: C'est intéressant.

M. Parizeau (François): Ça ne sera pas tellement long. Il est important... Je ne veux pas me répéter, j'ai juste 30 secondes.

(17 h 20)

M. Gobé: Non, allez-y, prenez le temps.

M. Parizeau (François): Le point que je voulais aussi souligner, qui m'apparaît très important: vous avez un médecin traitant; un travailleur qui va voir un médecin et qui désire se faire soigner. Le processus dans la loi prend pour acquis que le médecin traitant peut se tromper. C'est pour ça qu'on institue un processus de contestation médicale. La CSST peut contester, l'employeur peut contester. Oups! le travailleur ne peut plus contester. Le travailleur est lié, en vertu de 224, par l'opinion de son médecin traitant. Alors, on prend pour acquis que le médecin traitant peut se tromper. On permet à tout le monde de contester, sauf le travailleur. Est-ce à dire que le médecin traitant ne se trompe jamais à l'encontre de son propre client?

Moi, je peux vous dire que ça m'est arrivé à plusieurs reprises de voir, à un moment donné, un médecin qui, suite à des démarches de la CSST, remplit un certificat médical et se trompe. Je contacte ce médecin-là et je dis: Voulez-vous, s'il vous plaît, me préciser... Parce qu'il faut voir les certificats, ils ont à peu près deux pouces, il y a à peu près de la place pour mettre trois lignes. Je ne parle pas des REM ni des APIPP, mais je parle des certificats, rapports finaux, notamment. Le médecin traitant fait un rapport complémentaire précisant... Ça s'en va à la CSST et il faut se battre pour faire accepter que 224 ne s'applique pas. Parce que, là, on se fait dire: 224, le rapport final a marqué: pas d'atteinte permanente. Bien oui, mais, regardez, là, j'ai un rapport complémentaire qui vient dire, etc.

Et j'aimerais juste donner un de mes cas que je trouve très intéressant, mais qui, personnellement, m'a fâché. C'est, à un moment donné, un médecin traitant qui, dans un REM, un rapport d'évaluation médicale, qui a plusieurs pages, qui a trois pages, fait des erreurs. Et l'agent de la... Je m'excuse, le médecin du bureau médical appelle ce médecin-là, lui demande de corriger. Le médecin corrige. En corrigeant, il commet une deuxième erreur. Cette erreur-là fait que l'individu, le travailleur accidenté se voit couper ses prestations, alors que le texte même...

Et ça, c'est parce qu'il faut connaître le REM: à la fin, il faut cocher, il y a une petite case et on coche. Puis c'est là-dedans qu'il se trompait. La première erreur, c'était ça. La deuxième erreur, c'était ça. Mais le résultat de la deuxième erreur, c'est que l'individu n'avait plus d'atteinte permanente, n'avait plus de limitation fonctionnelle. Et le résultat concret, c'est que la CSST a, tout simplement, mis fin aux prestations en disant: Regardez, oups! le rapport.

J'ai contacté le médecin en question et je lui ai dit: Écoute, tu as commis une erreur, regarde à l'intérieur de ton texte, c'est clair, c'est net, l'erreur est manifeste. Le médecin a renvoyé un rapport complémentaire, et le médecin du bureau médical a retourné le rapport complémentaire au médecin évaluateur en disant: Vous avez fait votre opinion. Alors, ce qui est bon pour la CSST n'était pas bon pour le travailleur.

Alors, personnellement, j'abolirais la notion du BEM et j'abolirais la question de l'article 224. C'est-à-dire que vous avez un travailleur qui va voir un médecin, il se fait soigner. Il y a un processus de contestation, on a besoin de précisions. Bien, s'il y a un processus de précisions, s'il y a un processus de contestation, qu'il y en ait un qui soit ouvert à tout le monde, à tout le monde. Ça, c'est la première des choses.

La deuxième des choses, c'est que je trouve inconcevable qu'on demande au médecin traitant de choisir parmi la liste des médecins de la CSST, qui est une liste avec les délais qui sont impliqués, des délais de cinq jours. C'est qui des médecins sur la liste du BEM ou des médecins désignés qui va être en mesure de répondre à un délai de cinq jours? C'est ceux qui en font à grande échelle. C'est qui les médecins désignés ou les médecins du BEM qui en font à grande échelle? Ce sont fondamentalement ceux qui ne font que ça. Et ce sont fondamentalement les médecins qui sont utilisés par les patrons, qui sont utilisés par la CSST. Alors, on demande à un individu, à un médecin traitant d'utiliser la liste de la CSST. Si on parle de partialité et d'équité, ça n'a aucun sens.

Alors, je vais clore parce que je vois les...

Le Président (M. Côté): Me Parizeau, vous allez sûrement avoir l'occasion de retoucher des points que vous voulez exposer...

M. Parizeau (François): O.K. Bien, je pense que je vais vous dire...

Le Président (M. Côté): ...suite aux questions qui vont vous êtres posées, je pense.

M. Parizeau (François): Je vous remercie de votre patience.

Le Président (M. Côté): Alors, je cède la parole au ministre du Travail.

M. Gobé: Combien de temps il nous reste à chacun, M. le Président?

Le Président (M. Côté): Je vais vérifier. Alors, chacun a 18 minutes.

M. Parizeau (François): Ça va.

Le Président (M. Côté): Il va avoir l'occasion de... Alors, M. le ministre.

M. Rioux: Messieurs, ça nous fait plaisir de vous entendre, en tout cas. Vous avez un point de vue qui est clair, qui est net: vous êtes contre le projet de loi, c'est vigoureusement exprimé. C'est parfait. Pas de problème avec ça. Dans la première intervention, on parlait de la CSST puis de son incapacité chronique à défendre les travailleurs. En général, la CSST ne se présente pas devant les tribunaux lorsque les procureurs de l'employeur sont présents. Ce n'est pas dans ses pratiques généralement.

M. Parizeau (François): Bien...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Rioux: Généralement.

M. Parizeau (François): Écoutez...

M. Rioux: Aïe! vous avez eu votre bout, là.

M. Parizeau (François): Je m'excuse.

M. Rioux: Vous dites que la CSST n'est jamais présente pour défendre le travailleur. Eh bien, c'est la même politique: la CSST ne se présente pas devant le tribunal lorsque les avocats du travailleur sont présents. Il faut souligner aussi que la CSST, lorsqu'elle rejette une réclamation d'un travailleur, ne se présente pas non plus; elle l'a rejetée. Je ne vous dis pas que ces pratiques-là sont bonnes ou mauvaises; je vous dis que c'est ça, la réalité. Mais cependant, pour votre information, il y a un cas qui me revient en tête, qui est assez intéressant – vous devez vous en souvenir sûrement – la CSST s'est liée à la CSD pour défendre des cas d'amiantose contre la Johns-Manville. C'était un cas important, avec un impact qui était considérable. Je pense qu'elle l'a fait et je pense que c'était normal aussi qu'elle le fasse parce que c'était un cas assez grave.

Je voudrais adresser maintenant une question. Il a été dit que le tribunal qui relèverait désormais du ministère du Travail n'aurait pas l'indépendance d'un tribunal impartial. Je voudrais juste demander à M. Montemiglio si la décision qui a été prise par la Cour suprême qui a tranché dans le cas de la Régie des alcools... Est-ce qu'on peut affirmer que le tribunal, même s'il dépendait d'un autre ministre... Est-ce que cette décision-là est valable? Et est-ce que le tribunal qui relève du ministre du Travail va à l'encontre de la loi? J'aimerais ça que vous m'expliquiez ça un peu, juste pour ma compréhension.

M. Montemiglio (Marco): Avec plaisir, M. le ministre. Selon nous, il y a une nuance très importante à faire entre une régie des permis d'alcool et un tribunal d'adjudication comme la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles. Je pense que le ministre... Vous avez en main également une autre décision, un autre arrêt de la Cour suprême, dans l'affaire Newfoundland Telephone Company, afin de justifier – c'est une autre question – le paritarisme au sein de la Commission des lésions professionnelles. Je pense qu'il y a une confusion et qu'il y a une nuance très importante à apporter entre des organismes d'adjudication, comme l'est la Commission d'appel et comme le serait la Commission des lésions professionnelles, et des organismes de régulation dans des domaines économiques où les questions sont tout à fait différentes. Donc, je vous soumettrais que c'est la nuance que j'apporterais à cette question.

M. Rioux: Merci. M. Parizeau, tout à l'heure, il a été évoqué devant nous par un groupe patronal la confiance à l'endroit de cette confrérie, très respectée au Québec, qui s'appelle les médecins. Dans votre pratique – parce que quand même vous en voyez des gens, vous en traitez des cas – est-ce que cette observation-là qui a été faite par l'APCHQ... Est-ce que c'est fondé, ce qu'ils racontent, ou bien si c'est des affirmations gratuites?

(17 h 30)

M. Parizeau (François): Bon, écoutez, c'est parce qu'il y a des distinctions à être faites. Il y a les médecins que je qualifierais d'experts, qui voient un travailleur une fois pendant un laps de temps x, et il y a les médecins traitants – spécialistes ou omnipraticiens, peu importe – qui, eux, ont le bénéfice de voir et d'intervenir de façon active.

Il est bien évident que moi, mes collègues ainsi que les représentants qui représentent les travailleurs accidentés, on se trouve à rencontrer le travailleur dans un cadre de litige. Dans un cadre de litige, à ce moment-là, il est évident qu'il y a des récriminations. La question de la confiance des médecins, pour moi, est un faux débat dans la mesure où, comme pour les avocats, comme pour les juges, comme pour n'importe quoi, on peut toujours critiquer, on peut toujours trouver des gens qui sont plus ou moins compétents. Les médecins sont là et ils sont nécessaires pour traiter les travailleurs accidentés.

Ce qui est en cause, c'est la contestation du processus d'évaluation médicale. Comment doit-elle se faire? Et, dans ce cadre-là, je comprends qu'il y en a qui ne sont pas contents, puis j'entendais les critiques par rapport au courant de la CALP, etc. Sauf que la question, ce n'est pas: Est-ce qu'on est contents puis est-ce que tout est beau puis que tout est parfait? La question, c'est: Quel est le processus qui va faire que les droits vont être garantis et vont être éclairés, vont ressortir? Et, quand on a un processus où on multiplie les mécanismes et qui, en bout de ligne, finit par un embourbement, je vous soumets que l'objectif...

Dans votre préambule, pas aujourd'hui, vous avez déjà dit que c'est pour accélérer les choses, hein, c'est pour déjudiciariser. Mais la déjudiciarisation, elle ne se fait pas en enlevant des droits, elle ne se fait pas en multipliant les mécanismes. À l'heure actuelle, le bureau de révision paritaire, les délais, c'est six mois, c'est cinq à six mois approximativement, puis la Commission d'appel, c'est de neuf mois à 13 mois, dépendamment des régions, dépendamment des cas. Au niveau des délais, on est passé... Et, moi, je vais vous dire, en 1984-1985, quand on a institué la CALP, je l'ai entendu, ce discours-là: On va fonder la CALP, puis ça va aller plus rapidement. Les délais à la Commission des affaires sociales étaient approximativement de 15 à 17 mois, à l'époque. On a fondé la CALP, on est monté jusqu'à trois ans, et ça a pris 10 ans ou huit ans pour redescendre à des délais raisonnables.

Alors, pourquoi changer ça? Qu'on améliore les choses à l'interne, qu'on pousse sur la Commission d'appel et sur les bureaux de révision paritaires pour être efficaces, ça, c'est une chose. Au niveau du processus d'évaluation médicale, il y a moyen de faire des choses. Ce n'est certainement pas en rajoutant un mécanisme de plus, en faisant intervenir les médecins, en mettant en cause le lien de confiance et en rajoutant des délais qu'on va le faire. Si on enlève le BEM, on va enlever une étape, on va enlever du temps. La CSST a comme préoccupation de ne pas perdre trop de temps? Bien, ça va être répondu par ça.

Les travailleurs ne tiennent pas aux BEM. Je n'en connais pas un, moi, qui aime les BEM, parce que, souvent, ils sont vus, ça prend dans certains cas une demi-heure, dans d'autres moins, dans d'autres un peu plus; ils sortent de là plus souvent qu'autrement insatisfaits. Mais ils ont déjà vu le médecin désigné, ils ont déjà vu un médecin de l'employeur, quand ce n'est pas une, deux puis trois fois. Ce qu'il faut savoir, c'est que des BEM qui n'amènent pas de décision parce que le BEM a confirmé le médecin traitant, il y en a. Mais, pendant tout ce temps-là, le travailleur, il est bardassé puis on remet en cause de façon continuelle l'opinion de son médecin traitant. Mais ils sont compétents, les médecins, ou ils ne le sont pas? Moi, je veux bien leur faire confiance, mais il faudrait qu'en contrepartie on arrête de constamment vouloir les contester. C'est quoi, les coûts? J'aimerais ça, moi, que les associations patronales viennent dire combien ça leur a coûté en expertises médicales dans un an.

M. Rioux: J'aimerais demander à M. Montemiglio... Ça semble vous faire problème que la Commission des lésions professionnelles relève du ministère du Travail. Vous m'avez donné une réponse tout à l'heure. J'aimerais encore aller un petit peu plus loin, parce que c'est important. Vous me dites ne pas croire la situation où le tribunal administratif que je veux créer relève du ministère du Travail. La CALP relevait jusqu'à maintenant du ministère de la Justice. Mais j'aimerais partir d'un exemple: un citoyen qui est défendu par l'aide juridique; il est opposé à un procureur de la couronne. Tout ça se passe devant la Cour du Québec, tout ce monde-là relève du ministère de la Justice. Ça n'a pas l'air à vous poser de problème, mais pas du tout. Et tout ce monde-là, le triple, hein: mon avocat de l'aide juridique, c'est le ministre de la Justice; le procureur de la couronne, c'est le ministre de la Justice; la Cour du Québec, c'est le ministre de la Justice. Puis là vous êtes convaincus que la justice est bien servie.

Et, quand on a un petit tribunal administratif comme celui que je propose, là, vous dites: Ah non, non, non! Là, c'est dramatique. Il ne faut pas qu'on quitte la pureté idéologique. Alors qu'il y a de vos collègues qui sont venus ici – c'était merveilleux de les entendre – qui plaidaient avec une ferveur terrible le paritarisme, avec autant de ferveur que, vous, vous plaidez contre.

M. Montemiglio (Marco): Dans un premier temps, on ne parle pas de l'aspect du paritarisme. Dans un deuxième temps, je ne suis pas spécialisé en matière criminelle. Je suis inquiet effectivement de voir que – et j'aimerais qu'on m'explique pour quelle raison – le ministre du Travail soustrait de la responsabilité du ministère de la Justice la nouvelle Commission des lésions professionnelles. Pour nous, il est évident – et je pense qu'on rejoint en ça Me Leydet, de l'Association des commissaires de la commission d'appel, qui vous l'a mentionné, je crois, la semaine dernière – que l'apparence de justice est importante et nous rejoignons tout à fait Me Leydet qui elle-même se sentait inconfortable avec le fait de mentionner à un travailleur qui est devant elle, qui sera devant elle, que le tribunal sur lequel elle siège relève du même ministère que la Commission de la santé et de la sécurité du travail qui a rendu la décision que le travailleur conteste. Essentiellement, c'est là notre propos, et nous en sommes très inquiets, effectivement.

M. Rioux: Merci. Ça va pour moi.

Le Président (M. Côté): Alors, il resterait deux minutes au député de Maskinongé qui a demandé la parole.

M. Désilets: Très courte intervention. Merci, M. le Président. D'abord, je voudrais vous remercier d'être venus. Je trouve ça rafraîchissant de voir des gens qui sont directement impliqués dans le dossier; vous représentez des victimes, des accidentés du travail. Pour ma part, votre mémoire est important parce qu'on devrait partir de là. Et puis la question qui me tracasse l'esprit depuis quelques minutes: vous proposez de modifier le processus plutôt que de le changer complètement ou de faire des grandes modifications. Est-ce qu'améliorer le service, si je peux m'exprimer ainsi, de première ligne améliorerait suffisamment pour répondre... À la première passe, au premier endroit, est-ce que, si on améliore suffisamment les premières interventions de première ligne, ça serait suffisant?

M. Parizeau (François): Bien, écoutez, c'est parce que, pour moi, c'est deux choses différentes. Il est clair qu'on a tout à gagner d'une amélioration en première ligne. Et là je parle de la première ligne, je parle de la première instance, de la première décision qui est rendue par la CSST. Dans la mesure où l'intervention de la CSST se fait de façon appropriée, bien, il n'y a pas de contestation; tout le monde va s'en déclarer satisfait, employeur comme travailleur.

M. Désilets: Et les mécanismes de conciliation?

M. Parizeau (François): Les mécanismes... Bien, on pourrait le reprendre. Avec le mécanisme de conciliation comme le mécanisme de bureau de révision paritaire, à l'heure actuelle, ce n'est pas pour rien qu'il y a 60 % des décisions qui ne sont pas portées à la Commission d'appel. C'est que l'employeur ou le travailleur, dans le cadre du bureau de révision paritaire, qui est une instance informelle qui procède très rapidement, souvent sans médecin, sans expertise médicale, sans vidéo, sans tout le bataclan qui vient avec ça, se rendent compte, à un moment donné, soit de la valeur de leurs arguments ou de la non-valeur de leurs arguments, ce qui fait qu'à un moment donné le débat est tranché par le bureau de révision paritaire et sans rien.

(17 h 40)

La conciliation, c'est la même chose. Je dois vous dire, moi, que je procède beaucoup en conciliation et je trouve que c'est un bienfait quand ça peut fonctionner. Il y a des fois où ça fonctionne, d'autres fois où ça ne fonctionne pas. Mais c'est un processus qui a fait qu'effectivement les délais, notamment du bureau de révision paritaire, ont changé. En première instance, il y a des décisions de la CSST qui ne sont plus prises. De 1985 à 1991, dans le processus de réadaptation, la CSST s'est entêtée à avoir et à demander un DAP, un déficit anatomophysiologique, un pourcentage. Les décisions de la Commission d'appel ont commencé à être très claires à partir des années 1987, 1988, 1989. Ça leur a pris trois ans avant de réagir. Je ne dis pas dans tous les dossiers, heureusement.

Mais des foleries comme ça, à un moment donné, d'aller à l'encontre des décisions qui sont rendues puis de continuer parce qu'on est parti sur une track, bien, c'est sûr que ça amène un processus de contestation. Puis tous les travailleurs en pâtissent de ça. Il n'y a pas un travailleur qui aime se présenter à la Commission d'appel. Il n'y a pas un justiciable qui aime se présenter en cour. Je comprends que, là, je suis en train de plaider contre ma job, mais il n'en demeure pas moins qu'il n'y a pas un chat qui aime ça. Donc, si on peut améliorer le système en première instance, je vais vous dire, il y a des choses qui ne se font plus, puis heureusement. Je suis bien content que ça ne se fasse plus. Maintenant, il y a encore de la place pour amélioration, c'est sûr.

Le Président (M. Côté): Merci, Me Parizeau. Nous allons céder la parole maintenant au porte-parole de l'opposition officielle, le député de LaFontaine.

M. Gobé: Merci, M. le Président. Bonjour, messieurs. Nous avons, de ce côté-ci de cette commission, écouté avec attention vos représentations, et je dois dire qu'elles furent fort intéressantes. Elles ont jeté un éclairage très pointu et aussi le vécu de ce qui prévaut actuellement. Vous avez touché un point, probablement volontairement. Vous avez confirmé ce qui est avancé par plusieurs ici, à cette commission, depuis le début, soit les délais. Vous avez mentionné: au BRP, c'est six mois, puis, à la CALP, neuf mois à 12 mois, dépendant de l'endroit.

Une voix: De 12 à 13 mois.

M. Gobé: De 12 à 13 mois, pardon, c'est ça, oui, selon l'endroit où ça se situe.

On sait que le ministre et son acolyte de la CSST ont envoyé, suite au blocage du projet de loi en Chambre et à l'annonce de cette commission parlementaire, un document – ça a coûté certainement un peu d'argent aux gars de la CSST – pour justifier son projet de loi, avec des titres assez ronflants: En 1993, plus de 41 000 dossiers se trouvaient devant les tribunaux administratifs et les travailleurs devaient attendre de trois à cinq ans avant d'obtenir une décision finale. Des avantages pour tout le monde: on s'attend à pouvoir réduire les délais à moins de 12 mois dans les cas réguliers et à 90 jours pour l'admissibilité et les questions médicales importantes. C'est les prémisses.

En Chambre et ici, en commission, il a repris, là, de manière forte et fortement colorée: Les délais cette année, puis il faut changer ça. Même, il s'est repris à la télévision, à un moment donné, à un autre forum. Alors, on a tous compris que le projet de loi du ministre, en plus de ce qu'il avait annoncé en Chambre au mois de décembre, qu'il était pour sauver 53 000 000 $, en plus de ça, sa prémisse principale, c'était les délais.

Les gens ici disent: Un instant, M. le ministre! Nous, les délais dont vous nous parlez, les cinq ans à trois ans, ils n'existent plus; on parle de neuf mois à 12 mois et puis de six mois dans d'autres cas. J'ai eu les résultats du rôle à Montréal et à Québec. À Montréal, actuellement, c'est 10,3 mois au rôle de la CALP; à Québec, 11,6 mois. Le ministre a dit non avant-hier puis, la semaine dernière, il a dit: Non, ce n'est pas vrai, les chiffres, là... Son ami le président de la CSST nous a dit: Non, les chiffres ne sont pas exacts, ce n'est pas vrai, c'est bien plus que ça; ça justifie encore la réforme.

Vous nous confirmez, vous, ce que j'ai obtenu aujourd'hui. Ça vient du greffe de Montréal. Ce n'est pas un de ses fonctionnaires qui m'a coulé ça; peut-être qu'ils auraient intérêt à lui donner à lui, s'il ne les connaît pas. Ça vient du greffe. Je l'ai reçu par un fax, comme n'importe quel citoyen peut aller au greffe, n'importe quel avocat, ce que vous avez dû faire pour donner ces chiffres-là.

Étant donné que les gens, les citoyens, majoritairement, ne pensent pas que le paritarisme d'un dernier tribunal, d'un dernier organisme de décision, soit bénéfique pour les travailleurs, pour restaurer la confiance au niveau de l'apparence de justice, vu que les gens ne sont pas d'accord en majorité, y compris le Collège des médecins, avec le processus médical qui est dans le projet de loi n° 79 et étant donné que les délais qui ont été invoqués par le ministre ne sont plus là, pensez-vous qu'on peut encore, logiquement, légitimement, adopter le projet de loi n° 79? Ou alors est-ce qu'on ne devrait pas plutôt lui donner un autre sort, soit l'envoyer sur une tablette ou quelque part dans la CSST, ou en faire un autre?

M. Montemiglio (Marco): Notre position est très claire, M. le député, sur cette question-là. Quant à nous, le projet de loi doit être purement et simplement retiré.

Maintenant, pour aborder la question des délais, j'irais même plus loin. Les délais dont vous faites mention, il faut faire attention car ils datent d'il y a déjà cinq mois. Les avis de convocation ou les convocations datent d'il y a cinq mois. Et je peux vous dire qu'actuellement, à mon bureau, on reçoit des avis de convocation à la CALP dans les huit mois de la déclaration d'appel. Ça fait plusieurs que je reçois et ça me semble être la règle pour le moment.

Ceci étant dit, également je n'ai jamais vu un travailleur ou une travailleuse, dans mon bureau, qui avait perdu au stade du bureau de révision paritaire, qui s'est plaint d'avoir à attendre même, mettons, un an, un an et demi pour porter en appel la décision du bureau de révision paritaire. Je pense qu'il n'y a jamais personne, en tout cas, dans ma pratique, qui s'est plaint de cette question-là.

M. Gobé: Me Parizeau, vous avez, tout à l'heure, souri lorsque le ministre a mentionné que les avocats de la CSST n'allaient jamais se présenter. Vous avez souri et les gens en arrière de vous aussi. Je sais qu'il y a des spécialistes de cela en arrière. Mais qu'est-ce qui vous a fait sourire là-dedans?

M. Parizeau (François): Bien, écoutez, c'est que, bon, dans le discours ou dans la réponse du ministre... Je suis tout à fait conscient que la CSST, dans les décisions, dans les dossiers qu'elle a eu à défendre devant la Cour supérieure, ou devant la Cour d'appel, ou la Cour suprême, ne prend pas... Je ne dis pas que la CSST prend une position antitravailleur. Ce n'est pas ça, mon point de vue. Ce que je répondais...

Le ministre disait que, quand les parties sont représentées par avocats, la CSST n'y est pas. Alors, écoutez, moi, je n'ai jamais eu le bénéfice d'avoir, assis à côté de moi, un procureur de la CSST qui défendait le point de vue de la CSST parce que le bureau de révision paritaire avait accordé la réclamation du travailleur. Donc, je n'ai jamais eu le bénéfice d'un avocat de la CSST qui défendait le même point de vue que moi devant la Commission d'appel.

Je dois vous dire – c'est peut-être parce que ça fait 17 ans ou 15 ans – que j'ai eu à plusieurs reprises... Ce n'est pas systématique, et je suis bien content parce que ce n'est pas particulièrement agréable d'avoir à se battre contre deux avocats, mais ça m'est arrivé à plusieurs reprises. Ce n'est pas une fois par année, ce n'est même pas deux fois par année; c'est plusieurs fois par année. Ce n'est peut-être pas plusieurs dizaines, mais c'est une bonne dizaine de fois par année que je me ramasse avec deux procureurs: un procureur de la CSST qui va venir renchérir sur ce que le procureur patronal est venu dire.

Et je vais vous dire que déjà, dans certains cas où mes clients n'avaient pas d'argent, où ils ne pouvaient pas défrayer des honoraires et où ils n'étaient pas admissibles à l'aide juridique non plus, j'ai dû intervenir auprès de la CSST pour qu'ils envoient un avocat défendre la position du travailleur parce qu'il allait se ramasser tout seul, et, à ma connaissance, ça a été fait. Mais, de façon systématique, il a fallu que je le fasse. Puis je n'ai jamais entendu, je n'ai jamais eu aucun de mes clients qui s'est fait appeler par la CSST puis qui s'est fait poser la question: Es-tu représenté par avocat ou quoi que ce soit? Ça n'arrive jamais, ça. Puis des clients qui se sont présentés tout seuls à la CALP et puis qui viennent me voir avec la décision, alors que l'employeur était représenté par avocat, j'en ai vu plusieurs.

Alors, je ne veux pas critiquer l'ensemble puis je ne veux pas faire paraître la CSST comme étant le grand méchant loup. La question n'est pas là; la question, c'est que ce n'est pas vrai que... Parce que, si c'est vrai, je vais demander au ministre qu'il me fasse une belle lettre, puis, la prochaine fois que je vois un avocat de la CSST qui est là en même temps que l'avocat de l'employeur, bien, je vais lui sortir la lettre puis je vais lui dire: Qu'est-ce que tu fais ici? Parce que, juste du point de vue coûts, vous venez d'ajouter 45 minutes, une heure, deux heures à l'audition devant la CALP. Puis, s'il y a des médecins, etc., on rallonge d'autant. Puis ça, qui est-ce qui paie ça? C'est mon client.

Alors, je vais vous dire, ce n'est pas juste parce que je n'aime pas me battre contre les avocats de la CSST; ça arrive qu'un employeur n'est pas représenté, je n'ai absolument aucune objection à voir un procureur de la CSST, mais mon sourire s'adressait juste à l'allégué du ministre. Ça ne se voulait pas une guerre ouverte contre qui que ce soit, là.

(17 h 50)

M. Gobé: Ah non, non! nous ne pensons pas que personne, ici, soit en guerre ouverte.

M. Parizeau (François): Non, non, mais je ne voulais pas...

M. Gobé: Je pense que tout le monde est là pour faire profiter...

M. Parizeau (François): ...que vous pensiez que j'étais arrogant par rapport à qui que ce soit non plus.

M. Gobé: Ah non, non! Avec un nom comme le vôtre, d'ailleurs, on ne se poserait pas la question.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gobé: Non, non, excusez-moi. Mais vous savez, ce que je veux dire, c'est que les gens sont là pour faire profiter les membres de la commission de leurs expériences, de leurs connaissances et de leurs recommandations, hein? On est là pour bonifier un projet de loi ou alors pour le renvoyer, s'il n'est pas bon. C'est là le rôle des parlementaires. Puis, je pense, si les parlementaires ne se rendent pas à ces étapes-là, c'est parce qu'on ne fait pas notre travail. C'est bien beau de faire venir du monde ici en commission, de vous écouter et de vous dire: Je prends bonne note, vous êtes contre le projet. Vous savez, je ne suis pas contre ça, moi, hein – j'ai entendu le ministre dire ça – puis qu'à la fin, dans un mois ou dans deux mois, on redépose un projet de loi, on continue le projet de loi. Je pense qu'on n'est pas là pour ça; on est là pour vous écouter puis avoir des arguments crédibles, valables qui vont nous permettre de dire: Changez-le ou, alors, enlevez-le, l'un ou l'autre. Et vous avez un rôle très important.

Puis c'est ça, la réforme du parlementarisme, puis c'est ça qu'on n'a pas fait assez souvent depuis 10, 15 ans. C'est peut-être pour ça qu'il y a bien des projets de loi qui ne fonctionnent pas bien puis que les citoyens, bien souvent, vont perdre confiance dans la société et dans les lois qui les régissent, parce que, trop souvent, ça se passe dans les cabinets de ministre, en catimini, amené par des fonctionnaires qui roulent en limousine et qui sont coupés du peuple. Et, lorsque le peuple arrive à se faire entendre, bien souvent, on ne l'écoute pas, parce que c'est plus facile d'écouter ces messieurs que de vous écouter, vous autres.

Ça, c'est 12 ans d'expérience politique dans cette Chambre, 12 ans de bureau de comté dans ma circonscription où le monde me parle, 12 ans où on te voit: Les lois, ça marche; comment ça se fait que ça passe? Bien, c'est toi qui l'as passée. Ah! je ne savais pas qu'on avait voté là-dessus, parce qu'on les passe à la vapeur, à toute vitesse, en parlant 19 minutes sur un projet de loi important comme celui-là et en disant: Seuls ceux qui ne l'ont pas lu sont contre, seuls ceux qui ne l'ont pas lu.

Une voix: M. le député de...

M. Gobé: Alors, adoptons-le avant Noël, rapidement. Voilà! Alors, c'est pour ça que je suis content de vous entendre. Puis ce n'est pas une guerre ouverte; c'est votre devoir de citoyens, puis vous avez des expériences à nous communiquer, et on est contents de les avoir.

On a parlé des médecins et des spécialistes tout à l'heure. J'ai un tableau ici qui a été soumis par un groupe qui est passé il y a quelques jours, avant vous, qui démontrait que la très grande majorité des décisions, des actes, des examens demandés par la CSST ou le patronat sont posés par les mêmes médecins, hein, par un petit groupe. Là, j'en ai un, un dénommé Daigle, 458 000 $; un autre, Gaudet, 981 000 $; Grenier, Réjean, 505 000 $; Lafond, Guy, 686 000 $. Je pourrais continuer, là. On se rend compte qu'il y a, en effet, une concentration de l'acte médical, de l'acte de révision ou d'expertise dans les mains d'un petit groupe de médecins, semble-t-il, assez souvent les mêmes, si on se fie aux revenus qu'ils en retirent. Comment vous expliquez ça?

M. Parizeau (François): Bien, là, je vous retournerais à M. Shedleur par rapport à ça. Moi, je ne cherche pas à expliquer ça. Ce que je constate, c'est qu'effectivement il y a des médecins qui, de façon systématique, reviennent. Quand j'ai parlé de concepts médicaux, il y a des gens, il y a des médecins qui sont assis sur leurs concepts médicaux malgré le fait que les instances d'appel mettent en cause les concepts en question. Je ne sais pas si ça répond, mais...

M. Gobé: Oui. Espérons-le. Ma collègue aurait peut-être...

Le Président (M. Côté): Alors, Mme la députée de Saint-François.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui. Alors, M. le Président, je croyais ne pas avoir suffisamment de temps, alors j'avais déjà serré mon cahier. Mais j'avais une couple de questions. Dans votre mémoire, vous faites certaines recommandations: entre autres, assurer le principe du respect de l'avis du médecin traitant et, naturellement, ce qui est un petit peu relié aussi, retirer aux employeurs tout pouvoir de contestation en matière d'évaluation médicale. Qu'est-ce que vous suggérez justement pour assurer ce principe du respect de l'avis du médecin traitant et comment on pourrait l'assurer?

M. Montemiglio (Marco): Écoutez, l'abolition du BEM, purement et simplement. Qu'on cesse également de harceler de façon systématique... Et d'ailleurs le projet de loi formalisera ce type de harcèlement auprès du médecin traitant. Donc, ce que nous demandons essentiellement, c'est d'abolir le BEM, ce qui fera peut-être ressortir un peu plus le rôle prépondérant du médecin traitant, et également, du moins, les interventions de la CSST auprès des médecins traitants.

M. Parizeau (François): Je pourrais ajouter, sur les interventions de la CSST auprès du médecin traitant, qu'il existe dans la loi ce qu'on appelle les EMS, les évaluations médicales sommaires, et la possibilité pour la CSST de poser des questions au médecin traitant, d'avoir des éclaircissements et des précisions sur la nature du traitement, etc. Et nous n'en avons pas contre cet élément-là; on en a plus contre les... Et tout est une question de forme. Mais, quand on parlait tout à l'heure d'amélioration en première instance, c'est ça. Le médecin du bureau médical qui appelle directement le médecin et qui a une discussion sur le fond et sur des concepts médicolégaux, à mon sens, ça n'a pas sa place. Si on demande à un médecin: C'est quoi, le traitement, pourquoi c'est si long ou quand est-ce qu'il va être opéré? je comprends ça. Si on lui dit: Normalement, une entorse, ça dure six semaines, qu'est-ce que tu attends pour le consolider? pour moi, c'est une pression sur le médecin qui est indue.

Alors, que la CSST intervienne auprès des médecins pour avoir des éclaircissements, pour avoir un suivi, pour s'assurer que le suivi est fait de façon régulière, ça, c'est une chose. D'intervenir via des concepts, pour moi, c'est faire du médecin un gestionnaire et un avocat médecin. Parce que la notion de savoir «c'est-u» six semaines, etc. Y «a-tu» besoin d'un traitement, oui ou non? C'est ça. La question de savoir, après ça, là: Y «a-tu» de l'arthrose ou s'il n'a pas d'arthrose, c'est quoi la part de l'arthrose, là, pour moi, c'est du médicolégal, puis que la CSST mette ses culottes, mais qu'elle ne fasse pas intervenir le médecin à l'intérieur de ça.

Mme Gagnon-Tremblay: Vous avez soulevé justement... Est-ce que c'est terminé?

Le Président (M. Côté): Une toute petite encore, très courte, une petite minute, très courte.

Mme Gagnon-Tremblay: Vous avez soulevé cette notion tout à l'heure qui m'a touchée, entre autres, la question de la qualité de santé de l'accidenté. Bon, vous parliez d'arthrose, tout à l'heure. C'est sûr que quelqu'un qui a un accident, qui souffre déjà d'arthrose, va être doublement affecté. Mais cependant, ce n'est pas de sa faute, dans le sens que l'accident n'est pas relié à l'arthrose. Alors donc, si je comprends bien, c'est ça qu'il faudrait éviter, pas parce qu'il est... C'est parce qu'à un moment donné on fait la différence entre l'accident et sa qualité de santé auparavant. Mais il travaillait quand même puis il aurait peut-être pu travailler davantage. Tandis que, là, comme il avait déjà de l'arthrose, peut-être qu'il ne sera plus capable de retravailler. Alors, je comprends cette différence que vous faites, là.

Le Président (M. Côté): Alors, la réponse doit être plus courte...

M. Parizeau (François): Très courte.

Le Président (M. Côté): ...que la question.

M. Parizeau (François): Alors, c'est là où est-ce qu'on tombe dans le médicolégal. C'est-à-dire que, si vous avez un accident qui est totalement bénin, c'est-à-dire qu'il n'y a pas eu d'accident du tout, et qu'il y a une condition personnelle qui, en soi, peut être symptomatique ou qui l'était déjà, l'employeur ou la CSST est très certainement en droit de se poser la question: Est-ce qu'il y a véritablement eu accident ou pas? Mais là on tombe dans les faits, et le médecin, lui, n'est pas formé et ne fait pas d'enquête pour savoir quels sont les faits. Lui, il regarde le client et il dit: Là, il a besoin de traitement. Alors, dans l'aspect médicolégal, il faut à ce moment-là souligner le terme «légal» et ça doit suivre un cours qui n'a rien à voir avec le médecin.

Le Président (M. Côté): Alors, merci, Me Parizeau et Me Montemiglio, pour votre présentation qui a été faite avec une clarté sans précédent. Alors, nous suspendons les travaux jusqu'à 20 heures ce soir.

(Suspension de la séance à 18 heures)

(Reprise à 20 h 7)

Le Président (M. Côté): Alors, je souhaite la bienvenue aux représentants de l'Association des chiropraticiens du Québec. Alors, je demanderais au porte-parole de s'identifier et aussi de présenter les personnes qui vous accompagnent. Alors, vous avez 20 minutes pour faire votre présentation, et il y aura 20 minutes pour la partie ministérielle et 20 minutes pour l'opposition. Alors, vous avez la parole.


Association des chiropraticiens du Québec (ACQ)

Mme Duranleau (Mireille): Merci beaucoup. Mireille Duranleau, présidente de l'Association des chiropraticiens du Québec. Je voudrais, tout d'abord, vous remercier, M. le ministre, MM. et Mmes les commissaires, de nous avoir invités ce soir. Je vais vous présenter, à ma gauche, le Dr Normand Danis, président de l'Ordre des chiropraticiens du Québec; à ma droite, Me Louise Taché-Piette, notre avocate; à mon extrême droite, le Dr Jocelyn Ouimet; et, à mon extrême gauche, M. Claude Picard, notre responsable des communications.

Alors, je vais vous faire la lecture du mémoire. Au cours des 20 dernières années, les dirigeants de la profession chiropratique ont fait de nombreuses représentations auprès des divers ministres qui se sont succédé à la tête du ministère du Travail. Ces représentations avaient pour objet de faire valoir les avantages sociaux et économiques dont pourraient bénéficier à la fois les accidentés du travail et la Commission de la santé et de la sécurité du travail, sans oublier les importantes retombées économiques pour l'ensemble de la société québécoise, si la loi permettait que les soins chiropratiques et le chiropraticien soient véritablement partie prenante dans le processus de traitement des accidentés du travail, en ce sens que celui-ci soit reconnu comme professionnel de premier contact tel que l'établit la Loi sur la chiropratique.

Nous n'avons pas la prétention de nous présenter aujourd'hui devant cette commission pour discuter du bien-fondé d'une réforme du processus de contestation des décisions rendues en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, étant donné que nous sommes jusqu'à présent exclus de ce processus. Par ailleurs, nous déplorons que ce projet de loi renforce le statut du médecin qui a charge du travailleur en faisant de lui le maître d'oeuvre de cette loi et le principal décideur. Cependant, nous croyons que le moment est propice à l'étude de certaines modifications à être apportées aux lois relatives aux accidentés du travail étant donné les changements substantiels que l'on s'apprête à y faire.

Afin de permettre aux membres de la commission de situer la démarche des chiropraticiens dans ce dossier, une brève revue des démarches antérieures démontrera clairement que notre profession n'a jamais cessé de se préoccuper de ce sujet depuis près de 20 ans. Il n'est pas sans intérêt de se rappeler qu'en 1976, soit trois ans après l'adoption de la Loi sur la chiropratique, qui reconnaissait officiellement et légalement le chiropraticien comme un professionnel de la santé, la Commission des accidents du travail, la CAT d'alors, assumait les coûts inhérents aux soins chiropratiques sans qu'il soit nécessaire d'obtenir au préalable une prescription médicale.

(20 h 10)

C'est en 1977 que la situation changea sans explication ni justification et que les accidentés du travail apprirent soudainement que les soins chiropratiques n'étaient plus couverts par la CAT, s'ils n'obtenaient pas au départ une prescription médicale. Depuis lors, rien n'est venu modifier cette situation malgré de nombreuses démarches et représentations auprès des différents ministres du Travail et de la CSST. Il est clair que nous avons fait face, dans ce dossier, à une intervention négative des milieux médicaux étant donné qu'aucune raison d'ordre économique ou d'efficacité de traitement ne pouvait être évoquée.

Cette prise de position a pour effet de refuser aux accidentés du travail, depuis 20 ans, un traitement, à savoir la manipulation vertébrale, que plusieurs études scientifiques, corroborées tant par l'Office canadien de coordination de l'évaluation des technologies de la santé que par les experts de l'IRSST, considèrent plus efficace que tout autre traitement. En agissant ainsi, la CSST n'a fait que prolonger, dans bien des cas, la souffrance de bon nombre de travailleurs accidentés victimes de maux de dos. Par le fait même, elle a accru indûment les coûts de traitement que la société a dû débourser par l'entremise des entreprises qui financent la CSST.

À plusieurs reprises, les organismes chiropratiques présentèrent maintes études tant américaines, canadiennes que québécoises démontrant non seulement l'efficacité thérapeutique des soins chiropratiques, mais également les économies substantielles qui pouvaient en découler, mais rien n'y faisait. Ce fut le cas en 1986, année où l'Association des chiropraticiens du Québec, désireuse de participer à la recherche de solutions aux problèmes financiers que vivait alors la CSST, publiait un document d'information intitulé Pour une économie de 70 000 000 $ et plus à la CSST .

En juin 1992, l'Association et l'Ordre des chiropraticiens du Québec récidivaient en diffusant une nouvelle étude: La CSST, un gouffre sans fond$... mais non sans solution . Dans cette étude comparative entre les soins chiropratiques et les soins médicaux pour le traitement des lésions traumatiques de nature neuromusculosquelettique, on établissait sans l'ombre d'un doute la supériorité des soins chiropratiques tant d'un point de vue thérapeutique que financier. On constatait ainsi, par exemple, que des accidentés du travail, considérés des cas chroniques, perdaient, en moyenne, 34,5 jours de travail lorsqu'ils étaient traités par un médecin contre seulement 11,5 lorsqu'ils recevaient des traitements chiropratiques. Dans cette même étude, on évaluait en dollars américains qu'il en coûtait 1 406 $ pour traiter médicalement chacun de ces cas contre 304 $ en chiropratique. De plus, nous avions pu établir, par extrapolation, que le coût d'indemnisation pour perte de revenus, établi à l'époque à 320 000 000 $ à la CSST, aurait pu être ramené à 177 000 000 $ si on avait eu recours aux soins chiropratiques.

Plusieurs décrièrent ces chiffres, ce qui incita la CSST à les soumettre à l'IRSST, son pendant «étude et recherche». Les chercheurs de l'IRSST confirmèrent les conclusions auxquelles nous étions arrivés, à savoir: les soins chiropratiques sont nettement plus efficaces pour le traitement des maux de dos en tout temps; la durée d'absence au travail est beaucoup plus courte avec les soins chiropratiques; la durée d'indemnisation en est d'autant plus diminuée; le traitement chiropratique coûte moins cher que le traitement médical.

Plusieurs se demanderont comment de telles données n'amenèrent pas le gouvernement de l'époque et la CSST à poser des gestes concrets. Nous apprîmes incidemment que plus d'un médecin était propriétaire d'une clinique de physiothérapie et que l'arrivée en force des soins chiropratiques allait mettre en péril un commerce des plus lucratifs, d'autant plus que ces médecins étaient ceux qui prescrivaient les traitements en physiothérapie, ce qui a été confirmé cet après-midi. L'affaire fit quelque peu scandale à l'époque, mais le tout fut rapidement étouffé. Pendant ce temps, hélas, la CSST payait et continue toujours à payer.

Face à une certaine loi du silence, les organismes chiropratiques décidèrent de porter l'information à ceux qui finançaient la CSST, soit les entreprises. Dans un document préparé à leur intention, nous les informâmes de la question en mai 1993. C'est ainsi que nous leur avons communiqué les résultats d'une recherche effectuée par le professeur Manga de l'Université d'Ottawa, financée par le ministère de la Santé de l'Ontario, sur l'efficacité des soins chiropratiques pour le traitement des maux de dos et les économies réalisables.

Cette étude affirme que le gouvernement ontarien pourrait économiser des centaines de millions de dollars chaque année s'il modifiait ses politiques pour donner à la majorité des personnes souffrant de lombalgie un accès direct aux services chiropratiques. De plus, le rapport conclut que le traitement chiropratique se présente comme étant plus scientifique et plus sécuritaire que le traitement médical pour ce type de problème et davantage prisé par les personnes qui le reçoivent. Également, il préconise explicitement l'accès direct aux soins chiropratiques.

Devant l'inertie des milieux gouvernementaux québécois, enclins à rejeter les conclusions de ces études soi-disant parce qu'elles n'étaient pas strictement québécoises, nous avons alors mandaté le Centre de consultation en statistiques de l'Université du Québec à Trois-Rivières afin qu'il procède à une étude comparative permettant de déterminer les économies pouvant être réalisées dans la perspective où les patients souffrant de maux de dos seraient traités par un médecin ou un chiropraticien. Pour ce faire, nous avons demandé au Centre de se baser sur les statistiques compilées par la CSST relatives aux maux de dos pour 1990, 1991 et 1992. L'étude statistique québécoise de l'UQTR arriva aux mêmes conclusions que les précédentes qui avaient été rejetées par certains parce qu'elles n'étaient québécoises.

En juillet 1995, nous avons procédé à une nouvelle opération d'information auprès des grandes associations patronales et syndicales au cours de laquelle nous avons remis à chacune d'elles un document intitulé Le Québec a-t-il économiquement les moyens de se désister? Il s'agissait, en l'occurrence, d'une étude synthèse qui non seulement exposait l'efficacité des soins chiropratiques et les économies susceptibles d'être réalisées, mais également illustrait pour la première fois l'algorithme chiropratique en le comparant à l'algorithme médical. Il s'agissait d'une première qui établissait visuellement la différence entre le cheminement thérapeutique de l'accidenté du travail appelé à suivre le traitement du chiropraticien ou celui du médecin.

Pour la plupart de ceux qui lurent le document, ce fut une véritable révélation. Ils pouvaient enfin constater de visu que l'accidenté qui entrait à la clinique chiropratique serait entre les mains d'un seul et unique responsable, le chiropraticien, du début jusqu'à la fin du traitement. De plus, l'algorithme dévoilait que, dès la première visite à la clinique chiropratique, l'état de l'accidenté était évalué, le diagnostic posé et le premier traitement donné, un processus jamais vu en milieu médical, car, lorsque l'accidenté rencontre le médecin qui en a charge, normalement il n'est soumis qu'à un examen.

Dans la majorité des cas, au sortir du bureau du médecin, l'accidenté est en possession de prescriptions pour une évaluation en orthopédie ou en physiatrie ainsi que pour un examen radiologique. Il n'a très souvent reçu aucun traitement et doit se préparer mentalement à faire face à des délais à profusion à chacune des étapes de l'algorithme médical. À l'intérieur d'un tel algorithme, tout observateur averti peut constater que ce processus médical aura pour effet de prolonger pour des raisons strictement administratives le paiement des indemnités de remplacement du revenu, ce qui aura pour conséquence un accroissement des dépenses de la CSST que financent les entreprises, donc l'économie québécoise. Plus les entreprises financent la CSST, moins elles ont de ressources financières à investir pour la création d'emplois.

À la lumière de tant d'évidences autant scientifiques qu'économiques, plusieurs se demandent encore ce qui peut bien motiver ceux qui refusent aux travailleurs accidentés ainsi qu'à la CSST et à l'économie québécoise en général l'accès direct aux soins chiropratiques. Cette situation est d'autant plus étonnante que le gouvernement du Québec est le seul en Amérique du Nord à se priver de tels avantages. En effet, toutes les provinces canadiennes comme tous les États américains ont depuis longtemps opté pour un accès direct à de tels soins pour leurs travailleurs accidentés.

En dépit d'un certain piétinement dans ce dossier, nous avons dû prendre des mesures au cours des années qui ne sont pas limitées à des opérations d'information auprès des membres du gouvernement, des députés de toute allégeance politique, des fonctionnaires de la CSST et des médias. En effet, au lendemain de l'adoption de la loi 35, l'Association des chiropraticiens du Québec n'a eu d'autre choix que de s'opposer judiciairement à la section du Règlement sur l'assistance médicale concernant les soins chiropratiques, car celui invitait délibérément les chiropraticiens à transgresser le code de déontologie de l'Ordre des chiropraticiens du Québec en les obligeant à effectuer des traitements à partir d'un diagnostic d'un autre professionnel de la santé. C'est ainsi que l'Association a dû inscrire devant les tribunaux une requête pour jugement déclaratoire visant à faire déclarer illégale cette section du Règlement.

Le jugement rendu par la Cour supérieure du Québec stipule que l'intervention thérapeutique du chiropraticien n'a pas à être assujettie à un diagnostic médical préalable tel que l'exige le Règlement sur l'assistance médicale. Par ailleurs, le juge s'est aussi permis d'ajouter que la CSST conservait à l'intérieur de son droit de gérance celui de demander à un médecin de décider du bien-fondé des soins devant être administrés à un accidenté. Devant une telle interprétation de la loi, l'Association des chiropraticiens du Québec n'a eu d'autre choix que de porter en appel ce jugement. L'appel est toujours devant les tribunaux.

Dans un autre contexte qui vient illustrer la façon percutante les dangers possibles pour les travailleurs accidentés de se munir d'un diagnostic médical préalable pour ensuite être traités par un chiropraticien, voici que récemment un chiropraticien décidait, de sa propre initiative, d'accepter un tel diagnostic posé sur l'état de santé d'un patient, omettant de procéder à son propre diagnostic. Les résultats furent fort malheureux pour le patient qui paralysa suite au traitement; ils le furent également pour le chiropraticien qui dut faire face à une plainte devant le comité de discipline de l'Ordre des chiropraticiens du Québec pour avoir accepté de travailler sur le diagnostic d'un autre professionnel de la santé en ne procédant pas à ses propres examens, ce que lui interdit son code de déontologie.

Toutes les études démontrent que le médecin n'a pas les connaissances scientifiques voulues pour intervenir dans les cas qui relèvent de la compétence du chiropraticien. La mainmise sur tout le domaine de la santé, que veut conserver le médecin, va à l'encontre de la protection du public, comme nous pouvons le constater. Ceci ne constitue, bien sûr, qu'un des multiples aspects que renferme le dossier des soins chiropratiques aux accidentés du travail.

À la lumière de ce qui précède, les membres de la commission seront à même de constater l'incohérence de cette loi même lorsque la CSST, consciente de la valeur du traitement chiropratique, désire s'en prévaloir, tout en maintenant un cadre administratif incompatible à la fois avec la Loi sur la chiropratique et ses règlements et la nature même de l'intervention chiropratique.

(20 h 20)

Aujourd'hui, on retrouve des chiropraticiens dans toutes les régions du Québec, ce qui permettrait à tout accidenté du travail d'avoir partout un accès direct et rapide à leurs services professionnels. En plus de cette répartition géographique de l'effectif chiropratique à travers le Québec, la présence d'un laboratoire de radiologie dans la quasi-totalité des cliniques assurera à l'accidenté des services radiologiques de première qualité sur les lieux mêmes de l'évaluation, du diagnostic et du traitement de son état.

Mentionnons également que la profession chiropratique peut désormais compter sur une équipe d'universitaires, professeurs et chercheurs, qui sont en fonction depuis l'ouverture du programme de doctorat en chiropratique à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Ce foyer intellectuel, aujourd'hui directement accessible par sa présence en sol québécois, permet à la profession d'être régulièrement maintenue informée des récents développements qui se produisent en science chiropratique. De plus, d'ici quelques mois, la profession aura accès à un système de téléconsultation dont l'implantation est présentement en cours. Ce système chiropratique de soins de santé naturels est conçu de façon à permettre aux membres de la profession de consulter des spécialistes chiropraticiens nonobstant l'endroit où ils se trouvent sur le territoire québécois. Le statut de ces spécialistes sera bientôt confirmé.

Pour que se réalisent les économies dont nous venons de parler et que les accidentés du travail bénéficient des soins chiropratiques et aient ainsi accès à des traitements plus scientifiques et plus sécuritaires, des modifications donc à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles devront être apportées pour faire une place aux chiropraticiens. Merci. Je cède la parole au Dr Danis.

M. Danis (Normand): Je vois le temps filer. Est-ce qu'il reste un peu de temps d'intervention?

Le Président (M. Côté): Il vous reste six minutes, M. Danis.

M. Danis (Normand): Merci. Alors, d'entrée de jeu, j'aimerais réitérer les remerciements de Mme la présidente pour nous accueillir ce soir et je profite de l'occasion également pour remercier Mme la présidente d'avoir invité l'Ordre des chiropraticiens du Québec. Voilà un bel exemple, encore une fois, du paritarisme qui fonctionne bien, et ce, même à l'extérieur des murs de la CSST.

Je veux faire un bref historique de la problématique entre la Loi sur la chiropratique et la Loi sur les accidents du travail. Avant le Règlement sur l'assistance médicale, l'Ordre des chiropraticiens, par voie de communiqué, avait demandé à tous ses membres de ne pas respecter la politique administrative de la CSST à l'effet que ça prenait une prescription médicale, il y avait un montant x et il ne fallait pas demander de surcharge, l'examen n'était pas reconnu, le diagnostic n'était pas reconnu et il y avait un petit montant pour les radiographies. De là l'incohérence totale: on pouvait radiographier, mais pas diagnostiquer.

Mais, encore là, l'Ordre, en ce faisant, ne demandait pas à ses membres d'être des illégaux. Mais, lorsqu'un règlement sur l'assistance médicale est survenu, un règlement qui découle d'une loi et qui oblige quelqu'un à s'y soustraire, l'Ordre a été un peu coincé. Parce que, pour le respect de la Loi sur la chiropratique, c'était impossible qu'un chiropraticien puisse recevoir quelqu'un sous diagnostic médical, ne pas faire son propre diagnostic et commencer à traiter les gens. Et c'est ce que dit le Règlement sur l'assistance médicale. Donc, encore une fois, au risque que les chiropraticiens soient illégaux, nous avons dû leur dire que, quant à nous, c'était la Loi sur la chiropratique, sa réglementation et son code de déontologie qui l'emportaient sur une autre loi. L'Association, entre-temps, a amené la chose devant les tribunaux.

Depuis 12 ans que je suis président de l'Ordre des chiropraticiens du Québec, alors, j'ai baigné dans ce dossier de façon continue et je peux vous dire qu'à chaque fois un argument qu'on amène avec beaucoup d'aisance, c'est: Changez la Loi sur l'assurance-maladie, l'article 1a, faites-vous inclure comme professionnels de la santé sur les gens qui sont assurés par l'assurance-maladie, et ça nous fera plaisir, ensuite, de vous accueillir à bras ouverts.

Mais ce que je peux vous dire, c'est qu'après tellement de rencontres avec les ministres responsables de la CSST, finalement Mme Lucienne Robillard, qui était à l'époque à la Santé, et M. Marcil, qui était au Travail, avaient réalisé que ce n'est pas une obligation de changer la Loi sur l'assurance-maladie, tout simplement parce que, si les chiropraticiens ne sont pas couverts par l'assurance-maladie, ce serait une incohérence de les inscrire sur une loi qui donne une assurance. Et il y avait eu une entente entre les deux pour que la Loi sur les accidents du travail soit modifiée de façon à ce que le chiropraticien soit en accès direct pour les accidentés du travail.Malheureusement, ou heureusement pour d'autres, il y a eu des élections et le projet, qui à l'époque devait s'inscrire dans le rapport Durand, est tombé à l'eau. Alors, on doit reprendre toutes les interventions.

Moi, ce que je peux vous dire à la lumière de ce que j'ai entendu cet après-midi, et, s'il me reste quelques minutes, je vais en traiter immédiatement: Lorsque l'on parle de formation... Et j'ai été un peu surpris d'entendre mon collègue le Dr Lair dire: Bon, bien, on vient de publier un feuillet sur l'expertise médicale. Ce que je peux vous dire, moi, c'est que, dans toutes les provinces canadiennes et dans tous les États américains, les chiropraticiens qui sont impliqués dans des bureaux de révision ou d'évaluation au sein des «workmen's compensation boards» ont subi une formation de 300 heures sur le sujet. Et je peux vous dire qu'il y a même 60 chiropraticiens au Québec qui ont suivi ces 300 heures-là. Ça n'a jamais servi. Alors, c'est un peu difficile de leur demander de continuer. Mais, étant le seul endroit en Amérique du Nord à ne pas avoir un accès direct pour les soins chiropratiques, je peux vous dire que, si jamais, dans votre grande bonté, ça devait changer, il y a un cours de formation qui existe depuis 15 ans dans la profession chiropratique et qui touche strictement à une évaluation pour les accidentés du travail.

Et, quant à la formation, entre le médecin et le chiropraticien, si on regarde la formation universitaire, oui, le chiropraticien a une plus grande formation dans le domaine neuromusculosquelettique, qui en médecine est compensée, bien sûr, par la pharmacologie et la chirurgie. La chiropratique, ce n'est plus quelque chose dont on se demande où est le centre ou l'institution académique; c'est maintenant au Québec. Nous en sommes très fiers, c'est le premier programme francophone en chiropratique au monde et c'est un doctorat de cinq ans. Et, crédits pour crédits – d'ailleurs, j'en parlais dernièrement à ma collègue médicale Joëlle Lescop – on l'emporte même un petit peu sur les crédits, mais on ne le mentionne pas trop parce que ça pourrait susciter certaines réactions.

Ce qui est clair, c'est que le rapport Spitzer, en 1986, avait indiqué que la formation du médecin était insuffisante dans le neuromusculosquelettique, et, si vous regardez le curriculum universitaire de la médecine entre 1986 et maintenant, vous verrez qu'il n'y a pas grand-chose qui a changé. Alors, nous, ce n'est pas un monopole, mais c'est un partenariat, un partenariat pour le bien du public, mais un partenariat qui respecte la loi chiropratique. Merci.

Le Président (M. Côté): Alors, merci, M. Danis et Mme Duranleau, pour votre présentation, et je demanderais maintenant à M. le ministre du Travail de poser ses questions.

M. Rioux: Oui. Votre mémoire évidemment insiste beaucoup sur le fait que vous aimeriez bien que le chiropraticien puisse intervenir dans le soin des personnes accidentées du travail, avec un pouvoir de prescription médicale. Vous êtes assez silencieux évidemment sur le reste du projet. J'aurai peut-être quelques questions à poser à Mme Piette tout à l'heure sur l'aspect du projet de loi comme tel.

Mais je voudrais revenir avec le président de l'Ordre. Vous n'êtes pas sans savoir que ce que vous posez devant nous ce soir, c'est un problème de champ de pratique professionnelle entre les médecins et vous autres. C'est vrai, le problème est réel. Et, moi, je ne nie pas les immenses services que vous pourriez rendre auprès des travailleurs accidentés, je ne nie pas ça du tout. Plusieurs sont venus devant la commission représenter d'autres catégories de professionnels de la santé et ils ont été très bien accueillis, et on est très heureux d'ailleurs que vous soyez là.

Mais, cependant, on a une loi au Québec sur les professions. On a un Office des professions qui chapeaute des corporations professionnelles. On a des corporations qui sont là à titre exclusif et d'autres à titre réservé. Ceux qui ont un champ de pratique exclusif, vous le savez, sont jaloux de leur champ de pratique. Je me souviens, et vous vous en souviendrez sans doute, de la guerre qu'il y a eu entre les techniciens en génie civil et la Corporation professionnelle des ingénieurs, pour ne mentionner que ceux-là. Alors, l'administration de la loi sur les corporations professionnelles relève, au Québec, du ministre de la Justice.

(20 h 30)

Vous nous interpellez aussi, au fond, pour entrer dans le système. Et là évidemment il faut entreprendre des négociations avec le ministère de la Santé et des Services sociaux. Et je trouve ça très légitime, ce que vous faites comme démarche. Je trouve ça très, très légitime. Vous évoquez même le cas des autres provinces canadiennes et des États-Unis. Mais, dans les autres provinces canadiennes et aux États-Unis, à ce que je sache, le pouvoir du médecin traitant n'est pas aussi considérable qu'ici. Ici, le pouvoir du médecin traitant est très important, hein, vous le savez. Vous avez eu l'occasion de vivre ça, là, de très près.

M. Danis (Normand): On s'en doute.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Rioux: Oui. Mais, quand on est dans un régime comme celui-là et qu'on donne beaucoup de place au médecin traitant – même, nous autres, on propose dans le projet de loi que son diagnostic soit renforcé, s'il le juge à propos, en allant consulter un spécialiste – moi, je ne suis pas contre le fait que le médecin traitant puisse aller consulter un jour le chiropraticien. Je ne suis pas contre ça, surtout que, vous autres, vous êtes des spécialistes de la colonne. C'est vrai, c'est votre spécialité. C'est vrai aussi que la formation professionnelle chez les chiropraticiens est rendue très loin. Je suis très bien informé de ce qui vous arrive.

Mais on a un débat sérieux: vous n'êtes pas couverts par la RAMQ. C'est l'apanage des professionnels de la santé au Québec. Il y a une culture qui s'est installée dans le milieu. On a de la difficulté parfois à saisir... Tu sais, la glace est mince parfois et ce n'est pas toujours facile. Mais, moi, ce que j'aimerais vous dire: Je trouve ça tellement important, ce que vous soulevez là, que, de mon côté, je suis prêt à ce qu'on examine ça de très près. Je suis prêt à travailler avec vous autres, moi. On pourrait former un groupe de travail ensemble. On pourra regarder ça, là, très sérieusement qu'est-ce qu'on peut faire et qu'est-ce qu'on peut recommander aussi à la profession médicale, au ministère de la Santé et des Services sociaux.

Et aussi, étant donné qu'il va falloir jouer dans les champs de pratique... Vous devriez voir la guerre qui se livre à l'intérieur des hôpitaux au sein de l'équipe soignante, hein? Vous avez le surspécialiste, vous avez le spécialiste, vous avez l'omnipraticien, vous avez l'infirmière qui est bachelière avec une maîtrise aussi, puis vous avez les préposés aux malades. Tout ce monde-là se partage ensemble des champs de pratique différents. Et il y a certains jours où ils se marchent sur les pieds. Ils ont même des protocoles entre eux pour pas que la guerre prenne, O.K.?

Je comprends très bien ce que vous soulevez devant nous ce soir, très, très bien. Mais ce que je vous dis: Vous n'êtes peut-être pas à la bonne tribune pour régler ça. Mais, cependant, on va respecter, par exemple, ce que vous venez de nous dire. Il y a un problème et, moi, dans la dimension qui est la mienne, je suis prêt à regarder ça parce que j'ai un intérêt, moi, dans ce que vous dites. Moi, j'ai un intérêt: c'est le travailleur accidenté. Si, dans l'équipe de spécialistes multidisciplinaire dont on a parlé abondamment depuis le début de la commission parlementaire... Il y a des gens qui sont venus nous dire: Le BEM, ça ne vaut rien. Changez ça par une équipe multidisciplinaire. Bien, écoutez, mes amis, si on peut entrer les chiros là-dedans qui ont cinq ans de formation professionnelle et puis que le travailleur accidenté ne s'en porterait que mieux, il ne faut pas être imbécile, là: on va regarder ça.

Mais, cependant, si vous me demandez de modifier la loi sur les corporations professionnelles, moi, je vous dis: M. le Président, je n'ai pas de pouvoir là-dedans. O.K.? Ce n'est pas la bonne porte. C'est le ministre de la Justice qui gère les lois professionnelles au Québec. Si vous voulez qu'on vous intègre, il va falloir aussi aller frapper à la porte de la Santé et des Services sociaux. Mais, de mon côté, si on peut faire quelque chose ensemble pour le plus grand bien des travailleurs accidentés, on n'ira pas se priver d'une expertise comme la vôtre. Au contraire, si ça peut nous aider, tant mieux. Mais je vous avertis en même temps: Il y a du monde jaloux de leur juridiction dans tout ça, hein? C'est sûr. Puis, souvent, ça brasse.

Je voudrais vous demander une petite question, Mme Piette. Vous qui êtes avocate, vous avez bien dû jeter un coup d'oeil là-dessus, ce projet de loi là. Vous ne me ferez pas accroire que vous n'avez pas lu ça. Qu'est-ce que vous en pensez?

Mme Taché-Piette (Louise): Personnellement, je pense que c'est un projet de loi qui a des aspects intéressants. C'est sûr que je l'ai regardé surtout dans la perspective qui intéressait mes clients, mais, autrement, comme projet de loi, dans la mesure où il simplifie le processus d'accès des accidentés du travail, je trouve qu'il y a un processus de déjudiciarisation qui est intéressant, effectivement.

M. Rioux: Mme Duranleau, vous avez fait un exposé assez magistral pour démontrer les problèmes vécus par votre ordre professionnel, par votre profession. Vous avez évoqué également votre passage devant les tribunaux. Il y a un jugement qui s'en vient. Il y en a un qui a été rendu, mais il y en a un autre qui s'en vient, si j'ai bien compris.

Mme Duranleau (Mireille): Oui, effectivement.

M. Rioux: Si ce jugement-là vous était favorable, O.K., soyons optimistes, ça donnerait quoi, là, dans la réalité, dans la vraie vie, là?

Mme Duranleau (Mireille): De meilleurs soins pour les accidentés du travail au départ, parce que ça permettrait un accès plus direct. Écoutez, moi, je peux vous dire par expérience personnelle – puis je suis sûre que plusieurs de mes confrères pourraient vous confirmer ça – qu'il y a plusieurs accidentés déjà qui bénéficient des soins chiropratiques, mais un peu en cachette de leur médecin, parce que justement c'est presque une chose taboue, on n'en parle pas. Alors, c'est sûr et certain que, pour les accidentés, ce serait un gain incroyable. Écoutez, d'un côté, il reçoit des soins de physiothérapie souvent ou d'autres thérapies quelconques. Il va voir le chiropraticien, mais il y va un peu en cachette. Alors, pour l'accidenté du travail, définitivement, c'est une situation qui est assez complexe, qui est assez ambiguë. Alors, naturellement, la première des choses, ça serait vraiment, pour les accidentés, un gain formidable.

M. Rioux: Merci.

M. Danis (Normand): Est-ce que je peux intervenir?

M. Rioux: Oui, allez.

M. Danis (Normand): Bon. J'ai trouvé ça très intéressant, ce que vous mentionniez quand vous disiez: Bon, bien, d'abord, la santé et, ensuite, la Justice et puis on reviendra aux accidentés du travail plus tard. Si on regarde, les dentistes font partie des professionnels de la santé selon l'article 1a de la Loi sur l'assurance-maladie, mais est-ce qu'un dentiste intervient ou est rémunéré toujours par l'assurance-maladie? Alors, l'aspect de rémunération n'est pas un critère. Par contre, si un travailleur se brise une dent, là, il va avoir besoin d'un dentiste. Mais le fait d'être nommé sur la Loi sur l'assurance-maladie...

Prenons l'hypothèse où il n'est pas rémunéré. Les enfants vont le voir, il faut toujours qu'ils paient. Quelqu'un qui se briserait une dent, est-ce que vous le priveriez des soins d'un dentiste? Alors, quand, moi, on me dit que la rémunération par l'assurance-maladie est un critère pour être inscrit comme professionnel de la santé, bien, je ne vois pas en quoi la rémunération d'un contrat social de professionnel envers le public en général devrait intervenir dans un secteur très pointu dont le dénominateur commun, c'est un accident de travail qui est à la base même; si ça ne s'est pas produit, la personne ne peut pas aller dans la machine de la CSST.

Alors, je ne vois pas pourquoi vous vous privez des soins chiropratiques devant la démonstration ad infinitum. On parle de l'Europe, on parle des États-Unis; 53 études disent qu'ils sont plus efficaces. Et qu'on revienne à une rémunération sur une assurance-maladie au public en général quand votre secteur est très pointu... Je ne sais pas si je me fais bien comprendre. Le dentiste, là... Ou s'il brise ses verres au travail, est-ce que, parce que l'optométriste n'est pas assuré par la Régie de l'assurance-maladie, les verres ne seraient pas remplacés au travailleur?

(20 h 40)

Et c'est là que je vous dis qu'après des années il n'y avait que Mme Lucienne Robillard et M. Serge Marcil qui, enfin, avaient dit: Ça a assez duré. Pourquoi on se prive d'économies et d'efficacité dans un secteur pointu quand, de toute façon – Mme Robillard a même été très claire là-dessus – on ne veut pas vous assurer, et la profession disait: On ne veut pas être assuré par la Régie de l'assurance-maladie? Or, c'est pour ça qu'on a de la difficulté lorsqu'on nous reporte à la Santé et à la Justice.

Et, parlant des champs de pratique professionnelle, oui, il y a des champs exclusifs et, oui, il y a des titres réservés. La médecine est un champ exclusif. D'ailleurs, ça n'a d'exclusif que son nom parce que ça a tout dans la santé. C'est difficile d'être exclusif quand on a tout, parce qu'il n'y aurait plus rien pour les autres. Et, ensuite, il y a le champ exclusif des chiropraticiens. Donc, deux professions autonomes. Ce qui est délimité par le champ exclusif des chiropraticiens ne peut être que balisé par le champ exclusif des autres, et les autres sont balisés par notre champ exclusif.

Alors, dans le domaine des accidentés du travail, quelle est la proportion de gens qui ont des lésions neuromusculosquelettiques? Ce serait comme si, à la CSST, par un heureux hasard, 73 % des lésions étaient d'origine psychologique et que vous disiez: Bien, je ne peux pas avoir des psychologues, ils ne sont pas sous l'article 1a de l'assurance-maladie. Or, c'est pour ça que, nous, on a de la difficulté et c'est pour ça que, à chaque fois qu'on a une occasion, on revient, parce que, quant à nous, il y a une incohérence. On ne peut pas déterminer un secteur par la rémunération d'un autre domaine.

M. Rioux: Ça va.

Le Président (M. Côté): Alors, M. le député de Maskinongé, vous avez quatre minutes pour la question et la réponse incluse.

M. Désilets: Merci, M. le Président. Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Désilets: «C'est-u» moi qui fais la réponse? Ha, ha, ha!

Le Président (M. Côté): Si vous voulez.

M. Désilets: Trêve de blague ou de plaisanterie. D'abord, je vous félicite parce que vos documents sont très pertinents. Le ministre vous a ouvert une porte; profitez-en. Tantôt, le ministre vous disait, là, que la glace était mince, mais on arrive au printemps, ce n'est pas pire. Moi, je reviens sur vos documents, parce que vous parlez d'économies. Vous parlez, à un endroit, là, d'études faites par l'IRSST. On arrive à 143 000 000 $ d'économies par année. J'aimerais ça vous entendre préciser un petit peu plus ces chiffres-là.

M. Danis (Normand): Bien, à l'époque, je dois vous avouer que nos conseillers en communication ont dit: Vous ne pouvez pas le baisser; ils ne nous croiront pas? Mais, par contre, c'était une transposition des économies qu'il y avait eu ailleurs, dans d'autres provinces canadiennes ou dans des États américains, et là le calcul n'est pas fait par des associations chiropratiques. C'était fait par des «workmen's compensation boards» ou c'était fait par des gouvernements. Et, si on transposait les chiffres de la CSST, avec les économies réalisées à ces endroits-là, c'était le chiffre qui arrivait au bout de l'équation. Alors, ce chiffre-là ne nous appartient pas. C'est l'aboutissant d'une équation qui était faite avec les chiffres du Québec versus les économies ailleurs en Amérique du Nord. Est-ce que ça...

Le Président (M. Côté): Ça va? Merci. Alors, je cède la parole maintenant au député de LaFontaine, qui est le porte-parole de l'opposition officielle.

M. Gobé: Vous avez dit: De la position officielle? Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Côté): L'opposition officielle.

M. Gobé: Excusez, M. le Président. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Côté): Alors, ça, ça sera à la...

M. Gobé: À la prochaine élection.

Le Président (M. Côté): ...commission d'en juger...

M. Gobé: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Côté): ...de votre position officielle.

M. Gobé: Alors, merci, M. le Président. M. Danis, mesdames, messieurs, il me fait plaisir de vous accueillir ici, au nom de l'opposition officielle. Et je dois dire que votre mémoire, même s'il ne touche pas directement le projet de loi comme tel et son organisation, est quand même un mémoire qui est connexe à ce que nous discutons et qui mérite d'être entendu ce soir, particulièrement parce qu'un des objectifs poursuivis par une réforme de la CSST, par des changements au niveau de son administration est, bien sûr, de faire en sorte d'améliorer le service aux accidentés, de faire en sorte que les gens puissent recevoir la meilleure assistance, les meilleurs soins, les meilleures indemnités possible en ce qui les concerne et la meilleure réintégration aussi pour pouvoir retourner au travail rapidement, et aussi parce qu'un des autres volets est de procéder, autant que possible par une meilleure administration, sans nuire, comme il se devrait, aux travailleurs, bien sûr, à certaines économies d'échelle.

Alors, je pense que, ce soir, vous rejoignez ces deux points-là, tout d'abord, parce que vous nous faites ressortir que, dans d'autres provinces et d'autres États américains, il y a eu des mécanismes qui ont fait que les chiros, par l'action ou le travail qu'ils font, font en sorte de réduire rapidement, ou de guérir, ou de soigner rapidement des gens pour des lésions qu'ils ont, parce que c'est leur spécialité, particulièrement en ce qui concerne les accidents de la colonne vertébrale.

Alors, on ne peut qu'être pour ça. On recherche tous ici des solutions, on cherche tous des avenues. Et je pense qu'il ne faut pas avoir peur de regarder des avenues nouvelles. C'est vrai que c'est plus facile, des fois, de regarder dans le rétroviseur puis de dire: Bien, ça se fait comme ça depuis 25, 30 ans puis, bon, c'est bien pour tout le monde, puis on protège chacun son petit jardin personnel et on oublie qu'il y a des choses, des fois, qui peuvent être amenées, qui peuvent aussi aider à faire évoluer les choses.

Alors, il y a, bien sûr, aussi les coûts financiers. Le député de Maskinongé a parlé de 130 000 000 $. C'est dans votre mémoire, vous m'en aviez parlé. J'avais entendu des chiffres de 75 000 000 $, mais disons qu'on parle de sommes importantes. Moi, j'ai beaucoup de difficultés à comprendre que, devant le montant de ces sommes-là, les gens de la CSST n'aient pas depuis longtemps porté une attention plus particulière sur votre cas. Vous avez dit que Mme Robillard, au niveau de l'assurance-maladie, avait fait des ouvertures. Je le sais, j'ai eu l'occasion de lui parler en fin de semaine dans un autre forum. Entre les événements, vous savez comment c'est, on a le temps de parler de toutes sortes de choses. M. Marcil, bien sûr, nous a confirmé aussi qu'il était prêt à agir dans la direction que vous mentionnez. Et je dois confirmer, en effet, ce que vous dites: Ça n'a pas pu être fait.

Ma question, moi, c'est la suivante: Pourquoi est-ce que... Je ne parle pas à M. le ministre, parce que, lui, il vient d'arriver, il a un an qu'il est là, puis il a eu ce dossier-là. Vous êtes allés le voir, il y a quelques mois, semble-t-il, et, bon, il a pris bonne note, il semble faire preuve d'une certaine ouverture, ce qui me réjouit d'ailleurs. Mais comment se fait-il que M. Shedleur, qui est là depuis longtemps, lui, qui est un grand spécialiste du coupage et puis des économies, puis, enfin, de toutes sortes de trucs comme ça afin d'améliorer le sort du travailleur, qu'il nous dit, n'y ait pas porté une attention particulière, puis que ça ne soit pas lui qui soit arrivé auprès du ministre pour dire: M. Rioux, M. le ministre, moi, là, j'ai des choses à vous présenter, ça a bien du bon sens, on va économiser de l'argent, puis on va bien soigner le monde, puis, en plus, on va respecter des professionnels de la santé québécois qui sont maintenant formés au Québec, dans une université québécoise? Pourquoi ce n'est pas arrivé, ça?

M. Danis (Normand): Bien, je dirais que vous êtes bien parti. Posez-lui la question.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Rioux: Est-ce que vous permettez au président de la CSST de répondre? Ça serait amusant. Allez.

Le Président (M. Côté): Alors, M. le président.

M. Gobé: Oui, allons-y. Ça va permettre de le faire avancer de nouveau.

M. Shedleur (Pierre): Tout à fait, tout à fait. D'abord, je veux vous dire que la CSST n'est pas contre les chiros, pour commencer. Je pense qu'on essaie d'observer la loi. La loi, telle qu'elle est rédigée actuellement, donne au médecin traitant le pouvoir de coordonner les soins. Donc, c'est un grand débat si on ouvre cette question-là. Moi, je suis haut fonctionnaire. C'est une décision d'ordre politique. C'est aux élus de trancher cette question-là. Quant à M. Marcil qui a été mon ministre, avec tout le respect que je lui dois, il ne m'a jamais parlé de ça. Alors, c'est la première fois que j'entends parler de ça. Mais c'est un débat, je pense, qui se présente ici, ce soir, pour le faire.

Quant aux chiffres, les 140 000 000 $, ça, je pense qu'on pourra regarder ça. Ce n'est pas une étude québécoise, là; je pense que vous l'avez mentionné vous-même. Il y a eu des mesures qui ont été prises au Québec. Parce que, quand vous parlez du rapport Spitzer, on pourrait en parler longtemps. Il y a quand même eu beaucoup de mesures qui ont été prises par les médecins, les omnipraticiens, par les physiatres, par les physiothérapeutes qui vous ont précédés donc pour essayer de réduire l'impact, la durée, etc. Donc, il s'est fait quand même beaucoup de choses.

On n'a rien contre les chiros, je veux dire, ça, c'est certain. Alors, c'est un débat qui est ouvert. Mais, comme le ministre l'a mentionné – et c'est comme ça depuis plusieurs années, là; donc, ce n'est pas juste le gouvernement actuel – il y a tout un débat sur ce qui doit être de l'ordre des médecins, des chiros. Et, vous le savez, je pense que c'est un grand débat. Donc, le ministère de la Santé et des Services sociaux doit se pencher là-dessus, ce n'est pas la responsabilité du ministre du Travail, et le ministère de la Justice également.

(20 h 50)

Donc, je pense que le ministre le mentionnait ce soir: On prend bonne note, on peut voir ce qu'on peut faire pour faire avancer le débat. Effectivement, je pense que les chiros peuvent aider dans plusieurs situations; on n'est pas contre, sauf, je vous le redis, que ça remet en cause un principe fondamental de la loi: la coordination des soins de la santé, et c'est la seule place en Amérique du Nord où le médecin traitant a tous ces pouvoirs-là. Dans les autres provinces canadiennes auxquelles vous faites référence ou aux États-Unis, les pouvoirs de coordination des soins de la santé reviennent aux commissions d'accidents du travail ou aux compagnies d'assurances américaines.

Et ça, c'est de lutte syndicale qu'ils ont été gagnés à l'époque, et, chaque fois qu'on parle de ça au CA – parce que personne n'est contre les chiros au conseil d'administration, autant le patronat que les syndicats – les syndicats, ils disent: Bien, il ne faut pas toucher à ça, et là on a un problème de cul-de-sac par rapport à ça, sans compter les questions entre votre Association et celle des médecins. Donc, c'est un grand débat de société qui est en arrière de ça, et je pense qu'il faut en parler.

M. Gobé: Parce que, voyez-vous, dans le mémoire qui a été soumis par l'Association des chiropraticiens du Québec, on retrouve des lettres d'appui – et là je ne parle pas de partisanerie, ce qui rend le dossier intéressant – des lettres qui sont adressées par les représentants des principales centrales syndicales qui siègent au conseil d'administration de la CSST, des lettres très, très claires, hein, très directes et signées que vous avez dû avoir vous-même.

Alors, qu'est-ce qu'on attend? S'il était possible d'évaluer qu'il y a un intérêt au niveau des soins, d'accélérer certains soins, certaines guérisons, le retour au travail, le suivi des gens qui sont retournés au travail et qui ont encore besoin de certains soins et, en même temps, qu'il y a des économies d'échelle, de l'argent à faire, pourquoi est-ce qu'on ne pourrait pas, à la CSST, prendre de l'avance puis dire: Bien, nous, là – nous-mêmes à la CSST – on part quelque chose maintenant et on travaille avec les chiros, on travaille avec le conseil d'administration, avec les autres professionnels de la santé et on essaie d'arriver avec un projet qui pourrait être amené, si ça prend le législatif, bien, en Chambre, ou qui pourrait être amené en commission parlementaire et que nous pourrions discuter au moins, mais pas juste un petit comité d'étude qui va arriver avec un rapport dans quelques mois, puis vous savez comment ça se passe, là?

Peut-être que vous pourriez, M. le ministre ou M. le président, initier cette démarche, et puis agissons. S'il y a de l'argent et s'il y a du mieux, moi, au nom de l'opposition, je dois dire que je n'ai pas d'idée préconçue. J'ai été un peu surpris lorsque j'ai été mis au courant de ça. Les gens avaient rencontré, je pense, le bureau du ministre, qui avait conseillé de rencontrer un peu tout le monde, et, par la suite, ils sont venus me voir. J'ai parlé avec mon collègue Marcil, avec Mme Robillard un peu.

Et je dois dire que je suis très ouvert à toute suggestion qui permet d'améliorer, de bonifier et d'économiser en même temps. Les syndicats sont d'accord. Tout le monde, on semble avoir une espèce de consensus. Ça fait que, moi, je suis bien prêt, M. le ministre ou M. Shedleur, à collaborer et à offrir la collaboration de mes collègues de mon parti. Je pense que, si le ministre veut répondre, je suis prêt à lui céder un peu de mon temps de parole pour qu'il puisse le faire. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Côté): Alors, M. le ministre, peut-être, rapidement. Et je voudrais rappeler au député de LaFontaine quand même qu'on a des invités et qu'on aimerait bien que les questions soient dirigées vers nos invités.

M. Rioux: Je ne voudrais pas voler de temps à...

Le Président (M. Côté): Alors, M. le ministre.

M. Rioux: ...la députée qui a une question à poser, mais, étant donné que cette générosité-là n'est pas fréquente...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Rioux: ...je vais sauter dessus. Non, ce que j'ai voulu faire tout à l'heure – je pense qu'on s'est bien compris, l'Ordre des chiros – moi, j'ai écouté bien attentivement tous les gens qui sont venus devant la commission, et on a évoqué la question d'équipes multidisciplinaires pour aider le médecin traitant à porter un diagnostic encore meilleur. Vous êtes, à votre façon, des spécialistes, je crois. Alors, je vous ai dit, et je le répète: Nous, on est prêts à examiner ça, puis ce ne sera pas un petit comité qui va rester sans lendemain. On va prendre les recommandations et on va les acheminer aux bonnes places. Il y a des endroits où il y a des choses à faire sur le plan législatif, du côté, par exemple, des ordres professionnels et du côté du réseau de la santé, O.K., avec le ministre de la Santé et des Services sociaux.

Mais, dans l'espace qui m'est réservé, moi, je n'ai pas le droit de me croiser les bras. Je peux dire au député de LaFontaine: C'est vrai que c'est un vieux débat, sauf que, si on se contente de dire que c'est un vieux débat puis qu'on n'en parle pas puis qu'on l'enterre à chaque fois... Moi, c'est pour ça que j'ai voulu que vous veniez en commission parlementaire. J'ai rencontré de vos représentants qui sont venus me voir, il y a un mois et demi, et je leur ai dit: Je veux vous écouter, je veux vous entendre, puis tous les députés sont intéressés à vous entendre. Alors, écoutez, on ne prend pas d'engagement public, là, comme ça sans que ça soit sérieux. On va travailler ça ensemble puis on va essayer de voir si on ne pourrait pas amener les chiropraticiens dans le circuit qui nous permettrait d'aider davantage, comme le disait Mme la présidente tout à l'heure, là, le travailleur accidenté.

Le Président (M. Côté): Merci, M. le ministre. Mme la députée de Saint-François.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. Je pensais bien finalement de passer mon tour. Mais je dois vous dire qu'étant donné que le ministre vous tend cette perche je pense qu'il faut l'attraper très rapidement. Le ministre fait partie d'un Conseil des ministres et, bon, il serait censé avoir de l'influence. Je pense que, moi, j'accepterais la formation du comité rapidement. Je ne partirais pas ce soir sans avoir cette assurance-là.

Cependant, vous avez dit quelque chose tout à l'heure; vous avez mentionné, bien sûr, que le ministre n'aurait pas nécessairement besoin, si j'ai bien compris, du consentement... C'est-à-dire que, comme les chiros ne sont pas payés par l'assurance-maladie, à ce moment-là... Ce n'est pas ce que vous réclamez. Parce que, bien sûr, dans le contexte actuel des compressions budgétaires, il est difficile d'admettre une nouvelle profession, je pense, au sein... Ça pourra peut-être venir un jour, mais ça serait peut-être difficile actuellement de demander les deux en même temps et, bien sûr, au niveau de la corporation professionnelle.

Mais, cependant, j'ai cru comprendre que le ministre n'aurait pas besoin d'aller soit à la Santé, parce que vous êtes quand même reconnus selon les professions. Donc, si vous n'êtes pas payés par l'assurance-médicaments, puisqu'il s'agit d'un accident, à ce moment-là, c'est la CSST qui peut payer. Donc, c'est à la CSST de décider si, oui ou non, on veut que les chiros fassent partie de cet ensemble de spécialistes pour le traitement des accidentés.

J'aurais une question, cependant. Si tel était le cas, si, par exemple, la CSST avait le pouvoir de le faire et allait de l'avant, croyez-vous qu'il pourrait y avoir une opposition légale de la part des médecins?

M. Danis (Normand): Moi, je dirais que non, mais je vais laisser répondre Me Piette sur le sujet.

Mme Taché-Piette (Louise): Je ne peux pas vous assurer que les médecins ne s'opposeraient pas dans les faits, mais je pense que légalement, non, ils ne pourraient pas y avoir d'opposition sur le plan légal pour la raison suivante. M. le ministre a parlé, tout à l'heure, des champs d'exercice de chaque profession. Chaque profession a son champ exclusif, a son champ d'activité professionnelle. Et c'est clair que, lorsque les chiropraticiens vous proposent d'intervenir auprès des accidentés du travail, ils entendent le faire dans le cadre de leur champ d'exercice et dans le cadre de leur champ d'activité professionnelle tel qu'autorisé par leur loi. Ils n'entendent pas empiéter sur la Loi médicale, ni sur la loi des dentistes, ni sur la loi d'aucune autre corporation professionnelle. Ces champs-là sont déjà délimités et les chiropraticiens entendent rester à l'intérieur des limites de leur champ d'exercice.

Mme Gagnon-Tremblay: Dans ce cas-là, je m'assurerais que le ministre mettra sur pied ce comité et je travaillerais avec le président de la CSST également pour faire en sorte que vous soyez entendus et peut-être qu'on puisse donner suite à votre dossier.

(21 heures)

Le Président (M. Côté): Merci, Mme la députée de Saint-François. Alors, mesdames, messieurs, merci d'être venus nous faire part de votre position devant la commission et bonsoir.

Alors, je demanderais maintenant à M. Ulysse Duchesne de prendre place pour sa présentation.

À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, M. Duchesne, bienvenue à cette commission. On a 30 minutes qui sont réparties comme suit. Vous avez une présentation de 10 minutes et il y aura 10 minutes pour la partie ministérielle pour vous interroger et 10 minutes pour la partie de l'opposition pour poser également ses questions. Alors, vous avez la parole.


M. Ulysse Duchesne

M. Duchesne (Ulysse): Merci, M. le Président. D'abord, saluer la décision de M. le ministre, des membres de la commission également d'avoir permis ce débat démocratique. Vous conviendrez avec moi que c'est plus enrichissant qu'un bâillon. Ceci dit, M. le ministre, avant de commencer mon mémoire, comme je suis un gars de Charlevoix, qui a présenté le mémoire à ce titre même si je suis un conseiller syndical à la CSN et qui oeuvre au niveau de la communauté de Charlevoix surtout en prévention, je me suis aperçu que plusieurs personnes qui ont présenté des mémoires devant la commission ont fait plein de préfaces et des belles affaires. Moi, je n'en avais pas fait.

Donc, compte tenu du fait que je suis ici depuis le commencement, je vais donc vous faire une préface en quelques tomes, notamment pour faire quelques précisions sur des choses qui ont été dites devant vous et qu'il m'apparaissait être nécessaire de préciser. D'abord, vous avez un document saumon, si vous voulez inscrire ça. Cette affaire-là, c'est en rapport avec toute la sémantique qu'il y a eu ici au niveau des chiffres qui vous étaient fournis par la CSST. Dans quel délai sommes-nous convoqués? Ça ne correspondait pas à ce que le président de la CSST disait en rapport avec mon vécu.

Donc, j'ai décidé, la semaine passée, de faire sortir le rôle de cette semaine. Un coup que j'ai pris le rôle de cette semaine... Pour le bénéfice des membres de la commission, comment on fait pour savoir à quelle date un dossier a été déposé? C'est dans le numéro de dossier, ce sont les quatre derniers chiffres: 9506, ça veut dire le sixième mois de l'année 1995 et, à gauche, vous avez la date de convocation. J'ai là-dedans tous les dossiers de cette semaine, toute la province confondue, rôle de Québec et de Montréal.

J'ai fait l'analyse – et ce qui est manuscrit, c'est de moi – de chacun des dossiers. Combien y avait-il de mois entre la convocation et l'inscription? Ça apparaît en dessous de chacun des dossiers. Si on fait la compilation de ça, divisé par le nombre de dossiers, ça nous donne une moyenne, tous dossiers confondus, de 16,69 mois. Je n'ai pas les ressources de la CSST, ni de la Commission d'appel, ni du ministère du Travail, mais j'ai pris tous les dossiers de 20 mois et plus et j'ai checké ceux-là qui n'en étaient pas à leur première convocation, et je les ai soulignés en jaune ou en bleu. J'ai demandé, M. le ministre, que vous en ayez un souligné, puisqu'ils ne sont pas tous soulignés; je n'ai pas eu le temps de tout faire ça, il faut que je plaide en même temps. J'ai demandé que le président de la CSST en ait un pour qu'il puisse vérifier et également un membre de l'opposition officielle. Et, un coup que tout ça a été enlevé, 20 mois et plus – mais je n'ai pas enlevé les 19 mois, je n'ai pas enlevé les 18 parce que je ne les sais pas – j'arrive à une moyenne, tous confondus, de 12,25 mois entre l'inscription et la convocation de tous les dossiers en bas de 20 mois.

J'ai trouvé ça intéressant et là j'ai appelé à la Commission d'appel. Vous savez, je suis dans le milieu depuis 1977; donc, je commence à avoir un petit peu de contacts. J'ai demandé à la Commission d'appel que l'on fasse le même travail que moi pour tout le mois de mars 1997, pour que vous soyez à jour, M. le ministre, mais pas tout à fait à jour, parce que, ça, c'est convoqué depuis cinq mois. Donc, ce sont des choses qui sont décidées depuis cinq mois, la convocation qu'il y a là. Alors, vous comprenez que ça n'a pas été fait spécialement pour cette semaine. C'est quelque chose qui a été pris au hasard puis qui a été distribué.

Là, j'ai deux feuilles blanches. J'ai demandé à la Commission d'appel: Pour les rôles de Montréal et de Québec, pourriez-vous nous donner c'est quoi, la précision au niveau des statistiques? Dans combien de jours on peut espérer être convoqué? À Montréal, 10,03 mois, en faisant les exclusions qui sont notées en haut. Vous remarquerez, M. le Président, que 39 dossiers seulement à Montréal sont de plus de 12 mois. Pour Québec c'est 41 dossiers.

J'ai également fait sortir, parce que le président de la CSST ne semblait pas être capable de le faire sortir, le nombre de dossiers au rôle de la Commission d'appel. Le nombre total, au 10 février 1997, est 9 450. Il y a plein de chiffres, M. le ministre, et je n'attirerai pas votre attention sur tous ces chiffres-là; ça va vous démontrer que c'est vrai qu'ils passent 2 000 dossiers de plus par année. Donc, on s'en va de plus en plus vers un rétrécissement même trop court. Vous allez devoir congédier des commissaires de la Commission d'appel; on vous dira lesquels.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Duchesne (Ulysse): Donc, au 10 février 1997, il y a 9 450 dossiers, O.K.? Vous remarquerez qu'à l'autre colonne d'en bas, l'autre partie, là, depuis le 1er avril 1996, il y a 5 887 dossiers de rentrés; donc, 6 000 dossiers de rentrés. Or, dans 11 mois, là, on peut dire qu'il y a 6 000 dossiers dans les 9 400; il y en a juste 3 400 qui ont plus de 11 mois, M. le com... – je suis rendu que je ne sais même plus comment vous appeler – M. le ministre. Donc, vous comprenez qu'on est convoqué rapidement à la Commission d'appel. Ça ne me dérange pas que vous trouviez d'autres choses pour justifier votre projet de loi n° 79, mais ce que je vous demande, c'est de changer le discours du temps. Mon tome I.

Mon tome II. Je voudrais juste vous mettre en relief les statistiques du BEM. Ce sont des statistiques qui ne sont pas fiables. Je vous explique pourquoi elles ne sont pas fiables. D'abord, 34 %, même dans des documents qui ont été passés par la CSST, des opinions du BEM qui sont contestées sont validées, uniquement 34 % sont validées. Puis 34 %, c'est la note de passage que, moi, j'avais quand j'allais à l'école puis ils m'ont envoyé dans le bois.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Duchesne (Ulysse): Il y en a 42 % où il y a des retraits ou des désistements. Pourquoi il y a des retraits ou des désistements? Je veux vous expliquer ça, ça n'a pas encore été expliqué au législateur. Quand il y a un BEM, normalement, là, c'est parce qu'il y a déjà plus de 14 jours de passés. La lésion a été acceptée par la CSST, mais il y a une partie qui n'est pas contente du temps que ça prend ou des traitements, ou du pourcentage d'incapacité, ou bien donc des limitations fonctionnelles.

(21 h 10)

La plupart du temps, ce sont les points un, deux et trois qui sont soumis au BEM. Et là mettons que le BEM consolide, il consolide le 13 février 1997. Le travailleur vient nous voir. On dit: Bon, tes prestations vont être coupées parce que la CSST est liée par cette opinion-là. Le travailleur retourne sur la job. Il est deux jours, deux semaines, trois semaines. Il rechute. Il repart le moule à saucisse. Vous comprenez? Quand j'arrive à plaider ce cas-là, je n'ai plus une cent d'intérêt pour le travailleur. Donc, je lui dis: Quand même j'irais plaider ça, quand même tu aurais gain de cause, tu es retourné sur ta job, tu as rechuté et ils t'ont payé, parce qu'ils l'ont accepté. Vous comprenez pourquoi il y a 42 % des dossiers qui sont retirés ou conciliés?

Quand c'est le cas contraire, que le BEM accepte et que l'employeur conteste, ah bien, là, on se retrouve devant un déséquilibre terrible, parce que, lui, le travailleur, il a été payé et, la plupart du temps, il est retourné sur sa job. Et l'employeur, lui, là, avec sa méthode de facturation qui a été inventée par celui qui vous souffle les réponses depuis le commencement, il a un intérêt monétaire pour contester. Ah! il s'engage les plus grands avocats, il s'engage également les plus grands experts.

Je voudrais juste faire une distinction ici, M. le ministre, entre un rapport d'expertise et un rapport médical. Un rapport d'expertise, ça, c'est un document judiciaire qui permet à une partie de gagner contre l'autre partie, que ce soit la partie syndicale ou la partie patronale, ou la CSST. Ce n'est pas la même chose que... Mon principe qui me guide, moi, c'est que, si je déboule dans mes escaliers, je veux être traité de la même manière que si je déboule dans les escaliers de la CSN. Donc, je veux que le médecin traitant, s'il n'est pas capable de savoir ce que j'ai à mon genou, aille voir un expert. Une expertise, c'est une opinion. Il va émettre une opinion pour lui dire ce qu'il faudrait pour que mon genou soit guéri.

C'est ça, les cliniques multidisciplinaires qui ont été avancées par ma centrale. L'équipe multidisciplinaire, ce n'est pas une équipe multidisciplinaire confrontante; c'est une équipe multidisciplinaire soignante, celle qui va traiter la lésion du travailleur ou de la travailleuse qui a été victime d'un accident de travail. Je voulais faire cette précision-là.

Le Président (M. Côté): Est-ce que, M. Duchesne, vous êtes préparé à conclure, si vous voulez que les deux partis posent des questions?

M. Duchesne (Ulysse): Ah non, pas déjà! Je suis juste rendu au tome III de ma préface.

Des voix: Ha, ha, ha! Consentement.

Le Président (M. Côté): Oui? Bon. Alors, vous voyez la générosité autant du côté ministériel que du côté de l'opposition.

M. Duchesne (Ulysse): Je «dois-tu» conclure de ça que je suis intéressant?

Le Président (M. Côté): Oui.

M. Duchesne (Ulysse): Oui?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Duchesne (Ulysse): Mon tome III, ce sont mes inquiétudes et là, M. le ministre, vous ne serez pas très fier de moi, mais ne concluez pas à l'injure; concluez aux inquiétudes. C'est la première fois que j'assiste à une commission parlementaire, moi. Je suis venu une fois une journée pour mon comité de sécurité chez nous, dans Charlevoix, pour les accidents de «trucks», avec le ministre Brassard, mais une fois et on a présenté quelque chose. Assister à toute une commission parlementaire, c'est la première fois de ma vie. Je n'ai jamais fait ça, moi. Je m'occupe du monde ordinaire dans le champ et je vais défendre du monde chez vous, à part ça.

J'ai une inquiétude certaine. Depuis le commencement, autour de la table, j'ai l'impression que le président de la CSST respire à votre place. Autour de la chambre, ici, de la salle, il y a plus de membres de la CSST, autour de ce projet-là, que de législateurs. Je les ai comptés cet après-midi, on a fait le tour: il y a sept législateurs et neuf membres de la CSST. Je ne sais pas si c'est exceptionnel, mais, comme travailleur, ça m'inquiète, parce que je sais que ce projet de loi là n'a pas été écrit par vos avocats, mais par les siens.

Je sais également que les conséquences – ça fait assez longtemps que j'en plaide, depuis 1977 – c'est de ramasser en dessous de votre chapeau la décision, le contrôle médical puis la révision judiciaire. Vous «comprenez-ti», M. le ministre, que, vu d'en arrière, O.K., c'est inquiétant? Je ne sais pas ce que vous pouvez faire là-dessus, je ne sais pas comment vous pouvez me répondre, mais je vais vous laisser du temps pour me répondre, parce que ça m'inquiète vraiment.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Duchesne (Ulysse): La quatrième chose, je veux vous l'expliquer parce que ça ne m'a pas impressionné de voir ceux qui sont venus défendre que la loi 42 a été une bonne loi. En 1984, à Baie-Comeau là, je plaidais 25 dossiers par semaine puis, en plus de ça, je dirigeais une grève de temps en temps puis je faisais de l'organisation syndicale. J'étais au conseil central à Baie-Comeau et 25 dossiers par semaine, je pouvais faire ça deux, trois semaines de file à cause de la Reynolds. Ce n'était pas compliqué comme aujourd'hui. Aujourd'hui, là, quand je peux plaider deux, trois dossiers par semaine, c'est le top. Je ne peux pas plaider plus que 75, 100 dossiers par année à cause de la judiciarisation du médical.

Tome V. Je vous dis tout de suite, M. le ministre, que ce n'est pas vrai qu'il y a juste une petite feuille du médecin traitant puis une grande expertise de celui qui conteste. Trois auditions sur quatre que, moi, je fais, je les fais avec le stock qui est au dossier, que je vais chercher. Exemple: je vais chercher du médecin traitant ses notes évolutives. Dans ses notes évolutives, j'ai une foule d'informations qui sont des plus crédibles. Exemple: quand vous allez voir votre médecin, vous, parce que vous avez mal au doigt, O.K., vous dites à votre médecin: Je me suis fait mal au doigt parce que je suis resté pris dans la bouteille, puis j'ai tiré, là, le médecin, il marque ça. J'ai la version la plus crédible et également la situation la plus plausible pour le processus de l'événement, comment un tel événement a pu procurer telle lésion.

J'ai également plusieurs notions objectives. Exemple: y a-t-il un spasme, y a-t-il de la rougeur, y a-t-il de l'enflure, y a-t-il de... Vous comprenez? Donc, avec ça, je réussis à plaider trois dossiers sur quatre sans aucun besoin d'expertise. Des fois, j'ai besoin d'écrire au médecin traitant pour lui demander: Pourriez-vous me préciser telle affaire parce qu'il me manquerait ça juridiquement dans mon dossier? Si vous pouviez affirmer ça médicalement, ça ferait bien mon affaire. Mais, à part de ça, je peux faire ça comme ça sans avoir de...

Mais ça prend toute une recherche parce que, de l'autre bord, en 1990, le président de la CSST – en 1990 ou à peu près – a donné une raison économique aux employeurs de contester judiciairement les décisions de la CSST, sous le vocable, à l'époque: Il faut obliger les employeurs à faire de la prévention. Or, la conséquence de ça, ça a été la judiciarisation totale de tous les dossiers de la CSST qui, je dirais, consument 50 % de la facture. Je n'ai pas été très impressionné non plus par les gens qui sont venus vous dire que les dossiers contestés au BEM étaient 0,01 % de 900 000. Sauf qu'ils ne vous ont pas dit que ça constituait 50 % de la facture de la CSST, ça, hein?

Or, ce que je voulais venir vous dire, M. le ministre, c'est: Ce que je vois sur le terrain, c'est ça. Votre projet de loi, il n'est pas bon pour le monde. Vous allez devoir, M. le ministre, considérer que tous ceux qui sont passés devant vous puis qui oeuvrent auprès des travailleurs, victimes d'accidents du travail, vous ont dit que votre projet de loi n'était pas bon, à l'exception d'un groupe. Et vous savez comme moi que, dans ce groupe-là, ceux qui oeuvrent auprès des victimes d'accidents de travail ont également dit que ce n'était pas un bon projet pour les victimes. Donc, vous allez devoir changer de discours. Si vous voulez faire un projet de loi pour les victimes, vous allez devoir retirer celui-là puis en faire un autre qui met à l'écart le BEM puis la procédure médicale.

Je vais regarder mes affaires pour voir si je suis rendu à mon dernier tome.

Le Président (M. Côté): Oui, c'est ce que j'allais vous demander, M. Duchesne.

M. Duchesne (Ulysse): Oui. O.K. Une petite minute pour vous dire que j'ai travaillé pour bâtir mon mémoire avec les médecins de la région, chez nous. Je suis rentré dans leur bureau puis j'ai dit: Le projet de loi qui s'en vient, c'est ça; qu'est-ce que vous allez faire avec ça? Ils m'ont tous dit ce que je vous ai marqué là, puis je les ai cités. Il y a une personne qui ne voulait pas être citée, avec qui j'ai travaillé, qui est le président de l'Association des médecins omnipraticiens de Québec, qui regroupe 700 omnipraticiens. J'ai obtenu la permission de le nommer hier.

Je vous ferai remarquer, M. le ministre, que vous avez une lettre venant de la Fédération des médecins. Je voudrais cependant vous mettre en garde sur cette lettre-là qui n'est pas connue des autres membres autour de la table, parce que c'est la même personne qui signe cette lettre-là qui signe la lettre de l'Association des médecins qui font des expertises pour les employeurs. Et je suis prêt à répondre à votre question.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Côté): Alors, merci, M. Duchesne.

(21 h 20)

M. Rioux: Il nous reste combien de temps?

Le Président (M. Côté): Il nous reste cinq minutes de chaque côté.

M. Rioux: Cinq minutes de chaque côté?

Le Président (M. Côté): Oui. Alors, M. le ministre.

M. Rioux: M. Duchesne, vous parlez de gens efficaces à la CSST qui sont omniprésents. Je peux vous dire que, au niveau des statistiques qui sont venues sur la performance de la CALP, pour avoir passé une partie de ma vie dans le mouvement syndical, la naïveté ne m'habite plus, là. Il y a du monde qui a travaillé très fort, et la CALP, je pense, a fait sa job aussi, là, de fournir, autant que possible, le plus grand nombre de documents et de statistiques pour justifier son existence. C'est normal, lorsqu'on est pris à partie, au fond, on essaie de se défendre. Je voudrais vous dire aussi que la CSN a été très présente.

M. Duchesne (Ulysse): Est-ce qu'elle a le même objectif?

M. Rioux: Elle a coordonné son action et elle s'est fait entendre de façon plus forte et plus éloquente encore que la CSST. Alors, on est de bonne guerre là-dedans, là. Vos remarques là-dessus, je les reçois parce que, bon, c'est normal que vous les fassiez.

Quant au projet de loi, vous dites: Bon, ce n'est pas le projet de loi du ministre; c'est le projet de loi de la CSST. Ça, c'est votre interprétation et vous avez le droit de vivre avec, O.K.? Mais les projets de loi que j'amène devant l'Assemblée ou que j'amène en commission parlementaire, c'est des projets de loi qu'on a élaborés puis c'est des projets de loi que je suis capable de défendre, O.K.?

Nous autres, dans notre démarche, on évalue que la valorisation du médecin traitant est importante. La façon de le valoriser ne fait peut-être pas votre affaire. Vous nous dites: Les polycliniques, avec une pléiade de spécialistes, ça serait ça, la formule. Moi, j'ai dit à du monde qui est venu ici: Bien, le médecin traitant, c'est lui qui gère le dossier, n'est-ce pas? C'est lui qui gère le dossier.

M. Duchesne (Ulysse): Pas dans le projet de loi.

M. Rioux: Vous pouvez bien n'être pas d'accord avec ça, mais c'est ça, la réalité. Nous autres, on pense que, si on permet au médecin traitant de mieux étoffer son diagnostic, le travailleur, en bout de ligne, est gagnant. On a toujours prétendu que l'employeur, avec les experts qu'il pouvait engager, pouvait défoncer n'importe quand l'opinion du médecin traitant. On a dit: Ouais, si tel est le cas, on va lui permettre une contre-expertise et, s'il le juge à propos, il l'additionnera à son rapport. C'est une orientation. Je ne vous dis pas qu'elle est parfaite. On n'a pas de prétention.

Je veux dire: Si, vous, vous en avez parce que vous avez une longue expérience... Ce soir, vous nous avez expliqué des choses. Moi, je respecte beaucoup ça. J'en prends bonne note. Mais il reste une chose, M. Duchesne: c'est que les gens qui sont venus devant nous, qui ne partagent pas votre opinion, que vous avez tendance à ridiculiser, c'est des gens qui ont droit à leur opinion, comme vous. Le Conseil du patronat est venu ici. La FTQ, qui est une centrale syndicale – il y a un demi-million de personnes là-dedans – est venue s'exprimer.

Il y a des groupes qui ne partageaient pas nécessairement les orientations du projet de loi. Très bien, on n'a pas de problème avec ça. On écoute, et le projet de loi qui est sur la table va être certainement bonifié suite aux auditions qu'on vient d'avoir. Est-ce que ça sera à votre satisfaction? Je l'espère. Sinon, bien, vous aurez l'occasion certainement... Vous ne venez pas souvent en commission parlementaire, vous dites? Bien, vous reviendrez. Ça nous fait plaisir de vous accueillir.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Côté): Alors, vous avez peut-être...

M. Duchesne (Ulysse): Je «peux-tu» répondre à ça?

Le Président (M. Côté): ...une minute, oui, pour réagir à M. le ministre.

M. Duchesne (Ulysse): Oui. D'abord, M. le ministre, je veux vous dire que, quand on demande qu'une liste de médecins traitants soit dressée puis qu'on fixe comme critère qu'il faudra que le travailleur soit examiné dans les 15 jours qui suivent, bien, je suis désolé, mais ce n'est pas un médecin traitant; c'est un médecin d'administrateurs. Ceux qui vont s'inscrire sur cette liste-là, qui vont répondre à l'invitation du projet de loi, si jamais il est passé, ce sont des médecins qui font du travail administratif. Ce ne sont pas des médecins traitants.

Essayez, vous, d'avoir un rendez-vous d'un expert qui va vous voir dans 15 jours. Essayez ça, vous. Vous êtes le ministre, là, O.K., une personne très importante dans la société. À moins d'avoir un contact très important, nous autres, à la centrale syndicale, à la CSN, là, on n'est pas capables d'avoir de rapports d'expertise dans 15 jours. Ça nous prend un mois, un mois et demi, et encore il faut utiliser toujours les mêmes, et, mon Dieu, je te dis que... Mais, moi, quand j'ai mal au genou, ça prend trois mois avant que je sois traité. Donc, à partir du moment où tu adresses ça comme critère...

L'autre affaire que je voudrais préciser, M. le ministre, c'est que je n'ai voulu ridiculiser personne, O.K.? J'ai trop de respect – c'est la seule chose que mon père m'a enseignée, dans Charlevoix – pour ridiculiser ceux qui me précèdent ou ceux qui vont me suivre, ou même ceux qui m'écoutent. Cependant, je peux vous dire, par exemple, qu'il a été un bout où je me croyais aux «parlementeries». Je vous explique. Les représentants d'employeurs passaient ici et venaient vous expliquer comment le projet de loi était bon pour les travailleurs. J'en suis resté bouche bée. Vous avez vu ça, vous, dans votre carrière de syndicaliste? Je n'ai jamais vu ça, moi, dans aucune séance de conciliation, je n'ai jamais vu ça dans aucune audition, que ça soit au bureau de révision ou à la Commission d'appel, un représentant d'employeurs venir dire: Ça n'a pas de bon sens comment, avec la loi actuelle, les travailleurs sont fourrés, ça n'a pas d'allure! Jamais je n'ai vu ça. Ici, j'ai vu ça. Vous l'avez entendu aussi, vous.

Le Président (M. Côté): Alors, merci, M. Duchesne. Je cède la parole maintenant au porte-parole de l'opposition officielle, le député de LaFontaine, pour cinq minutes.

M. Gobé: Merci, M. le Président. M. Duchesne, au nom de mes collègues de l'opposition officielle, je tiens, tout d'abord, à vous féliciter pour votre présentation et aussi à faire remarquer qu'en effet vous êtes là depuis le tout début de cette commission parlementaire et que vous l'avez suivie avec assiduité.

Aussi nous sommes fort aise d'avoir pu prendre connaissance des chiffres et des délais qui sont actuellement en cours et d'avoir pu les confirmer. Même si le président de la CSST ne pouvait pas s'empêcher, chaque fois que vous avez parlé, de dire: C'est faux, le ministre ne le répétait pas – parce que, généralement, il répète – parce que c'est difficile à répéter, on l'a devant nous.

Mais vous venez de nous faire la preuve, M. Duchesne, avec vos moyens artisanaux, comme vous l'avez si bien dit, non pas avec tous les fonctionnaires, la myriade de fonctionnaires qu'il y a en arrière, qu'on voit dans les hôtels ou les restaurants, là, pendant la commission, qui traînent à droite, à gauche, certainement sur le «payroll» de l'État, avec le système informatique qu'ils ont à leur disposition, enfin, avec tout ce qu'ils ont... Vous avez réussi à nous démontrer ce qu'ils n'ont pas pu ou ce qu'ils n'ont pas voulu nous démontrer, et tout me porte à croire qu'ils le pouvaient. Ça veut dire qu'ils n'ont pas voulu le faire.

Ils n'ont pas voulu le faire pour une raison, c'est que les prémisses du projet de loi du ministre, comme c'est dans son bulletin que tout le monde a reçu, qu'il a envoyé à tout le monde, c'était de dire: Le projet de loi va réduire les délais qui sont actuellement de cinq ans à trois ans. C'est ça, les prémisses de son projet de loi. C'est des chiffres de 1993. Nous sommes en 1997. Quant aux autres données de 1995, 1996, elles n'étaient pas disponibles. Alors, on essaie de nous faire avaler un projet de loi sous la prémisse de sauver des délais qui n'existent plus, et vous nous l'avez démontré. C'est pour ça que ça ne lui fait pas plaisir; c'est pour ça qu'il a semblé rejeter rapidement ce que vous disiez.

Mais, nous, nous ne l'acceptons pas, parce que tout ce processus coûte cher, coûte de l'argent, crée chez les travailleurs du stress – qu'est-ce qui va nous arriver? – crée pour les gens qui sont impliqués des efforts, crée des sommes de travail très importantes. Le ministre s'est gouré dans son projet de loi. Ils lui ont fait avaler un projet de loi sur un consensus soi-disant du conseil d'administration, qui date de 1993. Depuis ce temps-là, les centrales syndicales, à part une et le patronat... Tous les autres se sont retirés, ils sont venus ici pour dire qu'ils n'étaient pas d'accord: CEQ, CSN, CSD. Il est où, le consensus? Il n'y en a pas, de consensus. Vous venez de le démontrer, ce soir encore.

Les raisons pour lesquelles il s'entête? Il a voulu démontrer, suite au sommet qu'ils ont fait, que ça bougeait à la CSST, qu'on ferait des économies. Il avait commencé par annoncer 53 000 000 $ d'économies; c'était ça, sa grande prémisse, au mois de décembre. Et, après ça, il est rendu avec des délais. Du camouflage! Et ce qu'ils veulent montrer, c'est qu'on touche des choses puis qu'on administre bien pour essayer de créer de l'emploi ou je ne sais pas trop quelle impression ils veulent donner. Sauf que ça va se faire sur le dos des travailleurs qui sont dépendants de la CSST, des accidents de travail, et ça, on ne l'accepte pas. Et c'est des gens comme vous, M. Duchesne, qui sont dans le rang, qui sont à la base, qui s'en sont rendu compte les premiers puis qui nous ont alertés les premiers. Et je vous en félicite.

(21 h 30)

Et, quand vous dites, en terminant, que ce n'est pas un projet pour les travailleurs, vous avez raison. Ce n'est pas un projet non plus pour les patrons. Un projet qui n'est pas bon pour les travailleurs, il ne fonctionnera. Ça va créer des problèmes. Ça va créer de l'insatisfaction. Ça va retomber sur le patronat. Ça va retomber au niveau de l'entreprise puis au niveau des relations de travail. Alors, c'est un projet qui n'est bon pour personne. C'est un projet qui mérite d'être renvoyé d'où il vient, c'est-à-dire sur les tablettes où il dormait depuis 1994.

Le Président (M. Côté): Alors, M. Duchesne, vous avez une minute.

M. Duchesne (Ulysse): Oui, juste une minute pour rappeler... J'ai oublié de dire quelque chose d'important au ministre. M. le ministre, chez vous, à Matane, quand il y a un travailleur qui est victime d'un accident de travail, il y a des spécialistes dans l'hôpital. L'hôpital – O.K.? – pour la décision qu'il prend quand il fait vérifier l'état de santé d'un de ces travailleurs, il fait venir un omnipraticien de Québec, du nom d'André Blouin, pour vérifier l'état de santé du travailleur à Matane. C'est la même chose à Gaspé. C'est la même chose à Maria. C'est la même chose chez vous. À l'Hôpital de L'Enfant-Jésus, ici à Québec, c'est bourré, bourré, bourré d'experts. Quand ils veulent faire vérifier la date de consolidation d'un travailleur, ils envoient ça à la clinique Robert et Lizotte.

Le Président (M. Côté): Alors, M. Duchesne, je vous remercie beaucoup de votre présentation. Alors, je demanderais maintenant à M. Guy Leblanc de venir prendre place pour sa présentation.

À l'ordre, s'il vous plaît! S'il vous plaît, à l'ordre! Alors, nos travaux continuent. Alors, M. Leblanc, bonsoir et bienvenue à cette commission.


M. Guy Leblanc

M. Leblanc (Guy): Bonsoir, M. le Président.

Le Président (M. Côté): Alors, on a une demi-heure; donc, 10 minutes de présentation, 10 minutes pour la partie ministérielle et 10 minutes pour la partie de l'opposition.

M. Leblanc (Guy): Merci beaucoup.

Le Président (M. Côté): Alors, veuillez vous présenter et la personne qui vous accompagne également.

M. Leblanc (Guy): C'est M. Robert Gagnon, enquêteur privé de Joliette, d'Investigation Royale.

Je suis un accidenté du travail depuis le 12 décembre 1974. J'ai glissé sur des excréments humains et je me suis fait une entorse à la cheville droite. J'ai eu trois opérations dont une triple arthrodèse. J'ai travaillé au CHRDL jusqu'à décembre 1982, dont j'ai été congédié après 18 années de service, car j'y suis entré en 1964. En 1982, j'ai perdu mon emploi, même que j'avais des rapports médicaux me disant que je n'étais pas apte à travailler avant janvier 1983. De 1983 à 1986, j'ai végété. De 1986 à 1987, j'ai travaillé comme gérant d'un studio de photos et comme vendeur de meubles.

En date du 23 juin 1987, j'ai eu une rechute d'entorse lombaire acceptée par la CSST, et la CSST m'a versé mes indemnités. Le 12 novembre 1987, la CSST me coupait mes prestations pour avoir fait du bénévolat: pour avoir aidé des enfants atteints de leucémie ainsi que m'être présenté comme commissaire d'écoles pour les déficients mentaux – dont moi-même, j'ai un enfant malade – et ce, sans avoir enquêté avant de me couper. Et ceci était fait bénévolement.

En 1988, j'ai eu un divorce. En 1989, j'ai eu des séquelles cardiaques, soit le 7 juillet 1989. En 1988, j'ai passé au bureau de révision paritaire où il y avait 13 personnes autour d'une table et je suis convaincu que la CSST n'a pas produit tous les documents pertinents à ma cause. Donc, je l'ai perdue. Pour qu'il continue à me verser mes prestations, et ceci avec vengeance de la part de la CSST pour avoir été sur ma vie privée et sociale.

En 1990, la CSST se désistait en ma faveur pour ne pas se présenter à la CALP. Alors, je me suis présenté à la CALP avec mon procureur et j'ai tout gagné, pour qu'il continue à me verser ma base de salaire et, ainsi, en 1991, on décide de me payer jusqu'à l'âge de 68 ans et ainsi d'être accepté par la Régie des rentes du Québec.

En 1988, la CSST, par son employé, a sorti dans les médias locaux mon dossier médical et ainsi a été sur ma vie privée et sociale. De 1991 à 1994, je me suis battu à sept occasions dans la même année, soit trois fois au bureau de révision paritaire et quatre fois à la CALP pour ma base de salaire de 305,11 $ par mois, soit mes commissions comme vendeur de meubles, et ceci, avec la lettre du représentant du Protecteur du citoyen qui stipulait que je devais être payé sur 12 mois et non sur sept semaines.

En 1994, soit le 22 avril, le Protecteur du citoyen envoyait un rapport stipulant que la CSST n'avait pas suivi les procédures administratives et que la CSST avait outrepassé ses droits en m'occasionnant de graves problèmes tant sur ma santé que sur ma vie privée et sociale. En 1995, le Protecteur du citoyen envoie un autre rapport en disant qu'il y avait vengeance de la part de la CSST. Cette même année, j'ai eu une rechute de lésion cardiaque et j'ai perdu au BRP car la CSST n'a pas donné les papiers et certificats importants. Donc, j'ai perdu. En effet, des documents stipulent que j'ai bien été accepté pour lésion cardiaque le 7 juillet 1989, car ils ont toujours payé mes médicaments pour le coeur jusqu'au 17 mai 1996, avec preuve à l'appui démontrant les paiements, factures et prescriptions, documents qui n'étaient pas au dossier comme bien d'autres rapports importants.

En octobre 1996, j'ai reçu un appel du bureau de révision pour me donner une date d'audition, soit le 23 octobre 1996, et le BRP m'a envoyé mon dossier, et, suite à ce dossier dans lequel il manquait beaucoup de documents, après vérification avec le mien, j'ai demandé une remise, ce que j'ai obtenu.

Dans ce mémoire, il ne faut pas oublier qu'il y a beaucoup de certificats médicaux que la CSST a en main, mais qu'elle n'a jamais traités. Il y a des décisions de la CALP et du BRP qui ont été traitées malhonnêtement dû à l'avocat de la CSST qui a induit en erreur des présidents, ce qui m'occasionne des pertes de salaire et de pourcentages dus à des séquelles. Dans les documents manquants: il y a 85 documents manquants; il y a 51 documents non traités ou traités erronément. Je vais revenir sur ces points-là.

Membres de la commission, MM. les journalistes de la presse parlée et écrite, dans ce volumineux dossier, je viens de vous expliquer et également de vous démontrer à quel point mes droits les plus élémentaires furent brimés par la CSST et, tout particulièrement, par M. Donald Brisson, contrevenant ainsi à la Charte des droits et libertés de la personne. Je vous expliquerai un peu plus loin ce qu'il en est. Vous avez pu constater, avec documents à l'appui, que la CSST se foutait carrément des recommandations de Me Jacoby, le Protecteur du citoyen, qui blâmait la CSST et qui reconnaissait qu'il existait effectivement un gros antagonisme ente la CSST et le plaignant.

M. Pierre Shedleur, président de la CSST, a bel et bien reconnu et cité dans un document que la CSST acceptait ma lésion cardiaque. Ce document n'a jamais été traité. Les rapports médicaux de mon cardiologue, le Dr Blitte, n'ont également jamais été traités. Plusieurs autres documents ont été volontairement omis ou cachés et, parmi ceux-ci, plusieurs n'ont jamais été traités.

Le 22 avril 1994 ainsi que le 9 février 1995, les deux rapports du Protecteur du citoyen plaidaient en ma faveur. La CSST n'en a jamais tenu compte. La CSST ne traitait finalement que les documents qui faisaient son affaire. Je suis de la ville de Joliette, dans la région de Lanaudière, et je puis vous assurer que je ne suis pas le seul accidenté du travail traité de cette façon par la CSST. Le bureau régional de la CSST de Joliette est très malade, très malade.

(21 h 40)

Le 4 décembre 1996, je me suis présenté au poste de police de Joliette et j'ai déposé une plainte officielle au criminel pour fraude contre la CSST et son vice-président, M. Donald Brisson. Une enquête est en cours. Je demande que mes droits les plus fondamentaux soient respectés et que cette commission y verra. J'ai en ma possession un dossier complet et celui-ci est à l'entière disposition de cette commission ainsi qu'à la presse écrite et parlée.

C'est pourquoi, moi, Guy Leblanc, qui ai des démêlés avec la CSST depuis près de 10 ans maintenant, je demande au gouvernement du Québec, en mon nom personnel ainsi qu'au nom des centaines d'autres accidentés du travail qui sont aussi lésés dans leurs droits, une enquête sur la CSST.

Le Président (M. Côté): Alors, M. Leblanc, il vous reste deux minutes.

M. Leblanc (Guy): Pour correspondre à ce que je disais, soit qu'il manquait 85 documents, j'ai une découpure de presse qui a été datée du 26 septembre 1996 par le Protecteur du citoyen lui-même. Le Protecteur du citoyen reproche à la CSST d'écarter des documents. Je me suis aperçu qu'il m'a manqué des documents dû à l'appel du 1er octobre par le BRP qui me disait que je passais le 23 octobre. Ils m'ont renvoyé mon dossier huit jours plus tard, et j'ai travaillé exactement de trois à quatre jours avec mon épouse pour classer mon dossier qui était pêle-mêle. J'ai remarqué, avec mon dossier ainsi que le dossier du BRP, qu'il manque 85 documents. Là-dessus, il y en a 51 qui n'ont pas été traités. Il y a même un document signé par le président de la CSST, M. Pierre Shedleur, une chronologie, envoyée à M. Louis Laberge le 14 janvier 1994, qui stipule très bien que Guy Leblanc a été accepté par le Dr Cardin pour lésion cardiaque, le 17 janvier 1991, pour le 7 juillet 1989.

Le fait de dire qu'ils m'ont coupé mes prestations le 12 novembre 1987, que ça m'a occasionné un divorce et que ça a pris trois ans et demi avant d'être entendu, parce que j'ai perdu la première fois avec 13 alentour d'une table, c'était pire qu'un cas de meurtre. J'ai perdu là parce qu'ils ont été sur ma vie privée et ainsi de suite. J'ai gagné quand la CSST s'est désistée le 9 mars 1990. J'ai eu une séquelle cardiaque le 7 juillet 1989. J'ai été réaccepté strictement le 17 janvier 1991 quand j'ai fait ma dernière rechute. J'ai fait une dernière rechute que j'ai perdue vu que la CSST m'a envoyé deux spécialistes, supposés experts. Quand je suis rentré dans le bureau, aucun cardiologue; ils ont pris ma pression et c'est tout. Et, avec tous les documents pertinents que j'ai, que la CSST n'a même pas envoyés, je trouve ça déloyal.

Le Président (M. Côté): Alors, merci, M. Leblanc, pour votre présentation. Alors, M. le ministre.

M. Rioux: M. Leblanc, évidemment vous ne venez pas nous parler du projet de loi; vous venez nous parler d'un cas qui est le vôtre. C'est un plaidoyer contre la CSST. Moi, ce que j'aimerais savoir, M. Leblanc, juste pour mon information – puis je sais que ce n'est pas en commission parlementaire qu'on règle des cas personnels, mais quand même pour mon information: Les indemnités de remplacement qui, normalement, vous sont dues comme accidenté, est-ce que vous les avez reçues? Est-ce que vous les avez encore? Et, si oui, je veux dire, ça représente quoi?

M. Leblanc (Guy): Je suis payé aux 15 jours. J'ai un salaire de – je peux vous le donner, j'ai justement mon talon de paie ici – 657,02 $ par 15 jours, mais ils me doivent 305,11 $ depuis le 23 juin 1987. Et j'ai six rapports de la CALP: trois fois au bureau de révision, quatre fois à la CALP dans la même année, pour une base de salaire où je me suis toujours fait enfoirer, excusez les termes, dû à ce que l'avocat de la CSST a dit qu'un talon de paie, c'est une décision de la CSST. Et, derrière le talon de paie, ils disent: «Il faut noter que les renseignements fournis sur cet avis ne le sont qu'à titre d'information et ne constituent pas une décision de la CSST.»

Ça veut dire que l'avocat de la CSST dit ce qu'elle veut, le président dit ce qu'il veut, puis l'accidenté perd tout. Puis quand tu dis que le Protecteur du citoyen a envoyé des lettres comme quoi mon salaire était supposé être payable non sur sept semaines, mais sur 52 semaines... Il y a même deux rapports du Protecteur du citoyen, depuis le 22 avril 1994 et le 9 février 1995, qui n'ont jamais été traités puis qui disent très bien que la CSST a été sur ma privée. Ils n'ont pas suivi les procédures administratives; ils ont été sur ma vie privée en allant voir des gens, en allant enquêter sur ma vie pour couper mon salaire – ça a pris trois ans et demi – pour avoir aidé des enfants malades bénévolement. Ça, ça m'a fait mal au coeur.

J'en ai un enfant qui est rendu à 31 ans puis qui est déficient mental. Quand j'ai fait du bénévolat ou que je me suis présenté comme commissaire d'écoles, c'était pour elle, parce que je sais ce que c'est, un enfant malade. Quand je suis allé faire du bénévolat pour un festival de LEUCAN, c'était pour les enfants qui étaient atteints de leucémie. Si la CSST croyait que j'étais payé, on ne coupe pas une personne avant de faire enquête. On fait enquête, puis après tu coupes la personne s'ils croient que ce n'est pas ça. Mais ce n'est pas ça que la CSST a fait. Le Protecteur du citoyen met très bien dans ses deux rapports que la CSST ne s'en est jamais occupée.

M. Rioux: M. Leblanc, pourriez-vous m'expliquer?

M. Leblanc (Guy): Oui.

M. Rioux: Tout à l'heure, vous avez dit: La CSST me doit 331 $...

M. Leblanc (Guy): 305,11 $ de commissions.

M. Rioux: Par semaine?

M. Leblanc (Guy): Par mois.

M. Rioux: Par mois, depuis 1987.

M. Leblanc (Guy): Depuis le 23 juin 1987, de commissions, parce que, quand j'ai eu ma dernière rechute, le 23 juin 1987, l'entorse lombaire acceptée par la CSST, ils m'ont payé du 23 juin au 12 novembre 1987. Le 12 novembre 1987, j'ai été coupé dû à du bénévolat sans que la CSST fasse enquête. Ils ont fait enquête un mois et demi, deux mois après. Et j'ai tout gagné le 9 mars 1990, parce que la CSST se désistait de ce cas-là. J'ai tout gagné. Je me suis présenté avec mon médecin traitant, mon avocat, ainsi que le président en avant. J'ai tout gagné. Mais depuis ce temps-là que la galère est prise, parce qu'il y a des gens qui signent des documents dû à ma lésion cardiaque. Il y en a qui cachent des documents, comme le Protecteur du citoyen le dit, vis-à-vis ma lésion cardiaque de 35 %. J'ai cinq rapports de la CALP, dû à mon salaire que j'ai perdu, qui parlent que M. Leblanc est accepté «lésion cardiaque», le 17 janvier 1991, puis la CSST ne fait rien. Il y a un antagonisme grave à Joliette, et je trouve, M. le ministre, que c'est injuste.

M. Rioux: Alors, le bureau local de Joliette vous traite injustement. Vous avez dit, tout à l'heure, aussi que la CSST a enquêté dans votre vie privée, dans quelque chose qui n'a rien à voir avec votre accident.

M. Leblanc (Guy): Oui. Ils ont sorti mon dossier médical dans les médias, avec preuve à l'appui, une lettre envoyée par Mme Lucie Gravel pour faire passer... Je pourrais même vous la montrer, je l'ai ici dans le dossier, si vous êtes intéressé, après la réforme. Je suis prêt à tout vous montrer ça, M. Rioux.

Je me suis engagé un enquêteur parce que je croyais que Guy Leblanc... J'ai regardé mon dossier et j'ai dit: Pour être plus sûr, je vais m'engager un enquêteur privé. J'ai engagé M. Robert Gagnon. Il affirme des faits. Et j'aimerais que M. Gagnon, si vous lui donnez la permission, M. le Président – si M. Gagnon a quelques mots à dire; lui, il l'a vu, le dossier – prenne la parole.

M. Rioux: Allez-y, monsieur.

Le Président (M. Côté): Oui. M. Gagnon.

M. Gagnon (Robert): M. le Président, M. le ministre, cet article, qui est passé le 26 septembre 1996 dans la page A-4 du journal La Presse , stipule bien que la CSST a été fautive, sauf que la seule chose, c'est que le Protecteur du citoyen n'a aucun droit décisionnel. Le cas de M. Leblanc n'est pas le seul. Dans la région de Joliette, on pourrait vous en citer, vous donner une liste d'entre 45 et 60 noms de personnes qui sont lésées dans leur droit; ce sont tous des travailleurs accidentés du travail. Puis je ne voudrais viser personne, mais je pense que, si vous êtes tous ici bien assis, avec un bon fauteuil bien rembourré, c'est grâce à des gars comme lui. Des gars comme lui, des gars bien normaux, mais c'est des travailleurs et c'est ces gars-là qui paient des impôts puis qui font en sorte que vous avez tous des fauteuils bien rembourrés.

(21 h 50)

M. Leblanc a été lésé dans ses droits les plus fondamentaux. D'ailleurs, je répète ce qu'il a cité tantôt. C'est qu'il possède un dossier complet. Et je pourrais vous dire que son dossier est environ de cette épaisseur. La dernière fois que la CALP nous a fait parvenir une copie du dossier de M. Leblanc, voici l'épaisseur de dossier qu'on nous a fait parvenir. Ce dossier-là est encore scellé. Donc, on ne l'a pas ouvert. On n'a enlevé aucun document dans ce dossier-là. Et c'est l'épaisseur qu'il a. Alors, je dirais, tout en étant très conservateur, que ce dossier-là renferme à peu près entre 45 % et 60 % des documents.

Dans les documents qui ont été cachés et les documents qui ont été non traités, vous avez des rapports d'experts médicaux dans le domaine médical: de cardiologues, de médecins qui disaient que M. Leblanc était inapte au travail, qu'il avait une lésion cardiaque. Et cette lésion cardiaque là était suite au stress que la CSST lui a fait subir. Assez qu'aujourd'hui M. Leblanc n'a même pas le droit de se présenter au bureau de la CSST à Joliette. M. Leblanc n'a même pas le droit de téléphoner à la CSST de Joliette. Dès le moment où on entend son nom... Tout a été référé à M. Donald Brisson, à Québec, et M. Leblanc doit s'adresser à M. Donald Brisson par écrit seulement et même pas par téléphone.

Le Président (M. Côté): M. Gagnon...

M. Gagnon (Robert): Oui?

Le Président (M. Côté): ...alors, le temps alloué pour la partie ministérielle serait terminé. Si vous voulez que l'opposition puisse avoir le loisir également de poser des questions, est-ce que vous pourriez conclure la réponse au ministre assez rapidement, s'il vous plaît?

M. Gagnon (Robert): Bien, tout simplement, la raison pour laquelle on est ici, c'est que M. Leblanc vient plaider ses droits. C'est une commission sur un projet de loi sur la réforme de la CSST. Bien, je pense que la CSST n'a pas besoin seulement d'une réforme. Elle a besoin d'un suppositoire également qui s'appelle une enquête, parce qu'elle est très malade.

Le Président (M. Côté): Alors, merci, M. Gagnon, pour cette intervention. Je céderais la parole maintenant à Mme la députée de Saint-François.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. M. Leblanc, M. Gagnon. M. Gagnon, je reconnais votre courage à venir nous décrire votre situation. Bien sûr qu'il s'agit de certains cas qu'on rencontre à l'occasion. J'en ai dans ma région, des gens qui ont fait la grève de la faim à certaines occasions. On les retrouve dans les régions aussi bien que dans les comtés. Ce sont toujours des cas très pathétiques. Cependant, vous comprendrez que, comme il s'agit d'un cas particulier, je n'ai pas toutes les données pour être capable de commenter ou encore d'évaluer.

J'aurais une question aussi. Je me demandais actuellement... Parce que je pense que c'est bon quand même que vous puissiez vous exprimer et je pense que, dans les circonstances, c'est le ministre qui est en mesure d'aller un peu plus loin dans le cas de votre dossier. Je me demandais: Est-ce que votre cas ou votre dossier est devant les tribunaux présentement?

M. Leblanc (Guy): J'ai demandé au BRP une remise. Ça a été accepté. J'ai demandé à la CALP une remise. Ça a été accepté. Là, il n'y en a pas devant les tribunaux.

Mme Gagnon-Tremblay: O.K. Donc, il n'y a rien devant les tribunaux pour le moment.

M. Leblanc (Guy): Il n'y a plus rien devant les tribunaux aussi longtemps que je ne leur dirai pas quand je vais être prêt à aller au- devant des choses.

Mme Gagnon-Tremblay: Donc, vous pouvez parler de votre dossier librement étant donné que ce n'est pas devant les tribunaux.

M. Leblanc (Guy): Si j'en parle ici, Mme Gagnon, je vais vous dire pourquoi: J'ai un coeur puis je suis un être humain. Puis ce que la CSST, certains bureaucrates ont fait à Guy Leblanc, à ma famille, je l'ai ici. Mais je crois que, s'il y a des bureaucrates qui ne sont pas capables de gérer une boîte... Puis ça fait maintes et maintes occasions qu'on écrit des lettres à M. Brisson et, toutes les fois qu'on lui écrit, c'est des lettres de mensonges. J'ai écrit même à M. Shedleur à plusieurs occasions, que je pourrais vous dire, et M. Shedleur n'a jamais répondu à mes questions. Il remettait ça dans les mains de M. Brisson, qui se trouve à être le vice-président aux opérations, et M. Brisson n'a jamais répondu aux questions. Il a toujours dit: M. Leblanc, tu es bien traité. Tu n'as plus rien à recevoir.

Ce n'est pas ça que je lui ai demandé. Je lui ai demandé à maintes occasions... Même, M. Gagnon, voilà pas longtemps, a jasé avec M. Brisson, et M. Brisson a dit à M. Gagnon: Soyez pas inquiet, M. Gagnon, le dossier de M. Leblanc, à partir de la semaine prochaine, il sera complet. Quand on dit qu'un dossier qui est ça d'épais de même, puis que tous les points importants pour ma lésion cardiaque qui a été acceptée... Ils ont toujours payé mes médicaments, j'ai toutes les factures, j'ai toutes les prescriptions médicales. Ils ont payé mes médicaments pour le coeur du 7 juillet 1989 au 17 mai 1996. C'est moi qui ai été obligé de payer mes médicaments pour le coeur. Ils me doivent 20 %. Ils ont caché les documents du Dr Laporte de 20 % de ma lésion cardiaque. Le Dr Blitte me donnait 35 %. En tout et partout, ce que la CSST me doit: elle me doit 35 % de lésion cardiaque, elle me doit 305,11 $ par mois de commissions depuis le 23 juin 1987. Et c'est ce que je demande.

Mme Gagnon-Tremblay: Je comprends cependant, M. Leblanc, que ce que vous demandez actuellement, c'est au niveau de la révision qu'on pourra vous l'accorder ou non.

M. Leblanc (Guy): Non, Mme Gagnon.

Mme Gagnon-Tremblay: Parce que vous me disiez, tout à l'heure, que vous aviez eu quand même une acceptation à l'effet qu'on était prêt à réviser votre cas.

M. Leblanc (Guy): La révision a été acceptée pour être remise à plus tard, parce que je ne passe pas à la révision aussi longtemps que les dossiers ne seront pas complets.

Mme Gagnon-Tremblay: Bon, je comprends. Alors donc, finalement je comprends qu'il y a des gestes que certains fonctionnaires ont posés, avec lesquels vous êtes en désaccord. Cependant, pour revenir à votre présentation, au-delà de l'enquête publique que vous réclamez de la CSST, est-ce que vous pouvez nous dire, à l'intérieur du projet de loi actuel qui est présenté, qu'est-ce qui pourrait être fait pour éviter, par exemple, des cas pathétiques comme le vôtre? Est-ce que vous avez des suggestions à faire...

M. Leblanc (Guy): Vis-à-vis de la nouvelle réforme?

Mme Gagnon-Tremblay: ...au ministre pour éviter, par exemple, que des cas comme ceux-là se reproduisent?

M. Gagnon (Robert): Est-ce que vous me permettez de répondre?

Mme Gagnon-Tremblay: Oui, sûrement.

M. Gagnon (Robert): M. Leblanc a cité tantôt qu'il avait entre les mains plusieurs jugements de la CALP, et ces jugements-là n'ont jamais été traités par la CSST. La CSST n'a jamais rien voulu savoir de ces jugements-là ou quoi, je ne le sais pas. Sauf que la CALP, c'est un tribunal. Le jugement a été porté par la CALP; la CSST n'a jamais cru bon de le traiter, de s'occuper de ce jugement-là pour que ce jugement-là soit effectué.

Mme Gagnon-Tremblay: Alors, je suis...

Le Président (M. Côté): Alors, est-ce que c'est terminé, Mme la députée de Saint-François?

Mme Gagnon-Tremblay: En somme, c'est que, bon, comme je vous dis, on n'a pas tous les éléments. Il faudrait savoir sur quelles questions exactement le tribunal s'est penché, là.

M. Gagnon (Robert): J'aimerais dire une dernière chose, madame. Tantôt, M. Leblanc l'a cité dans la fermeture de son exposé, et je répète ce qui était écrit: Le dossier entier de M. Leblanc est à la disposition des membres de cette commission, que ce soit la commission ici et même les membres de la presse parlée et écrite. Nous avons une liste de documents qui étaient non traités et ces documents-là sont étampés «reçu officiel de la CSST», des documents qui n'ont jamais été traités. Lorsque M. Leblanc se présentait au bureau de révision paritaire, au BRP, ou à la CALP et qu'il manquait dans son dossier les documents les plus importants, c'est là qu'un gars se fait manger par la CSST.

Mme Gagnon-Tremblay: Alors, pour clore, je comprends que vous accepteriez d'aller devant le tribunal, à la condition qu'on vous remette tous vos documents?

M. Leblanc (Guy): Non.

Mme Gagnon-Tremblay: Non?

M. Leblanc (Guy): Moi, ce que je demande: Est-ce que c'est normal que la CSST, dans un rapport d'évaluation demandé à mon médecin, demande à mon médecin traitant réponses et questions? Est-ce que c'est normal? Ça m'est arrivé dans mon dossier.

Mme Gagnon-Tremblay: Je ne suis pas en mesure de répondre.

M. Leblanc (Guy): Réponses et questions.

Mme Gagnon-Tremblay: Écoutez, je pense que, comme je vous dis, c'est un petit peu... C'est un cas particulier. Du fait d'avoir sensibilisé les membres de la commission, entre autres le ministre et le président de la CSST, à ce dossier, je pense qu'ils seront sûrement en mesure de regarder plus en profondeur pour voir si justice peut vous être rendue.

M. Leblanc (Guy): Merci beaucoup, Mme Gagnon.

Le Président (M. Côté): Alors, merci, M. Leblanc; merci, M. Gagnon. Les travaux de la commission sont ajournés au mardi 18 février prochain, à 14 heures, à la salle Louis-Hippolyte-LaFontaine.

(Fin de la séance à 22 heures)


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