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Version finale

34e législature, 2e session
(19 mars 1992 au 10 mars 1994)

Le mercredi 9 mars 1994 - Vol. 32 N° 83

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultations particulières dans le cadre de l'étude détaillée du projet de loi n° 116, Loi modifant le Code du travail


Journal des débats

 

(Dix heures neuf minutes)

Le Président (M. Joly): Bonjour. Il me fait plaisir de vous accueillir à cette commission. Je vous rappelle que le mandat de cette commission est de procéder à des consultations particulières dans le cadre de l'étude détaillée du projet de loi 116, Loi modifiant le Code du travail. Mme la secrétaire, avons-nous des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. Mme Hovington (Matane) remplace M. Bordeleau (TAcadie); M. Benoit (Orford) remplace Mme Dionne (Kamouraska-Témiscouata); M. Williams (Nelligan) remplace M. Gobé (LaFontaine); M. Ménard (Laval-des-Rapides) remplace M. Blais (Masson), et M. Dufour (Jonquière) remplace M. Claveau (Ungava). (10 h 10)

Le Président (M. Joly): Je vous remercie beaucoup, Mme la secrétaire. Pour le bénéfice de tous et de toutes, je vous fais lecture de l'ordre du jour qui nous amènera, dans quelques minutes, à recevoir les remarques préliminaires. Et, selon l'ordre de la Chambre, chacun des porte-parole du dossier aura 20 minutes pour s'exprimer dans le cadre de ces remarques préliminaires.

Nous entendrons l'Association des manufacturiers canadiens, division du Québec, tel que dit dans l'ordre de la Chambre. Mais je crois comprendre que c'est l'Association des manufacturiers du Québec, pour être plus précis. Et, par après, nous entendrons la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, pour ensuite ajourner à 13 heures.

Alors, M. le ministre, je vous cède le droit de parole. Vous avez jusqu'à 20 minutes pour nous livrer vos remarques préliminaires. S'il vous plaît.

Remarques préliminaires M. Serge Marcil

M. Marcil: Merci beaucoup, M. le Président. D'abord, le 25 novembre dernier, l'Assemblée nationale adoptait le principe du projet de loi 116, Loi modifiant le Code du travail. Le calendrier des travaux ne nous a pas permis d'aller plus avant dans l'étude de ce projet, avant la suspension de décembre. Le projet ayant suscité certaines réactions, tant du côté patronal que du côté syndical, il m'est apparu opportun que, notamment, des représentants de ces deux groupes puissent être entendus par cette commission. Cela devrait nous permettre de mieux juger de l'adéquation entre les objectifs à la base du projet et les besoins des partenaires auxquels il entend notamment répondre, et de l'opportunité d'y apporter des ajustements.

Avant d'entendre nos invités, vous me permettrez toutefois, M. le Président, de rappeler les objectifs et le contenu de ce projet de loi. Le projet de loi intitulé Loi modifiant le Code du travail présente diverses modifications à cette importante pièce législative qu'est le Code du travail. Les objectifs du gouvernement sont clairs: il s'agit d'apporter au Code les modifications pour tenir compte notamment de l'évolution des rapports des partenaires patronaux et syndicaux, de faire disparaître certaines dispositions qui sont source de tracasseries et, finalement, d'apporter des correctifs pour tenu-compte de difficultés rencontrées dans l'application de cette loi, en plus de favoriser une plus grande efficacité de fonctionnement du Bureau du commissaire général du travail et du Tribunal du travail.

Depuis son adoption en 1964, le Code du travail a toujours su s'adapter à l'évolution des rapports entre les parties aux relations du travail. En certains moments, il a même précédé cette évolution, malgré toute la difficulté que pose un tel exercice, lorsque l'on a affaire à une loi visant à équilibrer le rapport de force de deux groupes aux intérêts trop souvent perçus comme opposés.

Le besoin actuellement pressenti d'adapter cette importante pièce législative pour mieux faire face au défi d'une économie ouverte survient dans un contexte et dans un climat bien différents. D'une part, les partenaires aux rapports de travail, de parties qu'ils étaient, doivent disposer des outils nécessaires en termes d'assouplissement de la législation pour leur permettre d'atteindre les objectifs communs qu'ils se sont fixés. D'autre part, l'État tend à diminuer le plus possible sa présence de même que les contraintes de source législative ou réglementaire qui s'imposent aux divers acteurs du monde du travail.

J'aborderai donc la présentation de ce projet de loi en trois temps. Dans un premier temps, je m'attarderai aux mesures dites d'assouplissement, puis j'aborderai les mesures qui visent à faire disparaître des contraintes imposées aux partenaires du travail et, enfin, les mesures purement correctives.

Lorsqu'on parle des mesures d'assouplissement, il s'agit ici de mesures qui, sans faire table rase de la structure ou du cadre de fonctionnement que nous nous sommes donné, il y a plusieurs décennies, s'inscrivent dans une perspective d'amélioration continue du Code. La première, et certainement la plus importante, concerne le déplafonnement de la durée des conventions collectives. Il s'agit ici d'adapter la loi à la nouvelle forme que prend la négociation collective par la conclusion d'ententes de partenariat à plus long terme que le maximum actuellement prévu de trois ans.

On nous dira que des ententes se concluent, actuellement, pour des durées bien supérieures. Les parties

tentent, tant bien que mal, de contourner la prohibition édictée par le Code. Si elles y parviennent, et c'est ce qui me préoccupe le plus, de tels accords sont susceptibles de soulever des interrogations sur leur valeur au-delà de la troisième année d'application. Quand on sait ce que représentent, de part et d'autre, les concessions nécessaires à la signature d'un tel contrat, on saisit mieux l'importance de lui assurer une certaine forme de protection, contre les tiers en particulier. Vis-à-vis de ces derniers, en effet, le Code actuel fait en sorte qu'un contrat de plus de trois ans, à tout le moins quant à cet excédent, est présumé inexistant. Le remplacement de l'interlocuteur syndical — maraudage — est dès lors possible, vers la fin de la troisième année, et, si l'accréditation a été accordée au syndicat maraudeur, celui-ci pourrait, en droit, réclamer une nouvelle négociation. Il en va tout autant s'il y a substitution d'employeur à la direction de l'entreprise.

En effet, les règles relatives à la transmission d'entreprise prévues au Code ne sauraient avoir pour conséquence de lier le nouveau propriétaire employeur aux termes d'un contrat vieux de plus de trois ans. De tels flottements, générés par les règles du Code du travail, suscitent la méfiance de partenaires pourtant désireux de s'engager dans la négociation et la conclusion d'une convention collective de plus longue durée. Il devient donc impossible pour eux de répondre aux besoins de stabilité et de modernité de leurs rapports que commande pourtant l'environnement économique actuel. La modification proposée devra leur permettre de franchir un pas de plus en ce sens.

D'autres mesures proposées gravitent en périphérie de celles qui concernent la durée, en raison, principalement, de l'importance qu'accorde le Code, à plusieurs fins, à la date d'expiration de la convention collective, notamment en ce qui concerne le changement d'interlocuteur syndical. De plus, à n'en pas douter, la négociation de contrats à long terme nécessitera davantage de temps et d'énergie. Certaines règles doivent donc être aménagées en conséquence.

Ainsi, tout en conservant le statut quo pour les conventions de trois ans et moins, un amendement à l'article 22, paragraphe d du Code, l'article 2 du projet, propose de devancer la période de changement d'allégeance syndicale prévue avant l'échéance de la convention collective pour les conventions de plus de trois ans.

Il est proposé de fixer cette période du 180e jour au 150e jour précédant l'expiration ou le renouvellement de ladite convention. De la sorte, on désynchronise la période de maraudage syndicale du processus de négociation en vue du renouvellement de l'entente, processus qui peut s'amorcer, quant à lui, le 90e jour avant son expiration.

De plus, afin d'assurer un juste équilibre entre la stabilité des interlocuteurs et le droit des salariés de choisir le représentant de leur choix, il est proposé d'ajouter, à cette période de changement d'allégeance, la possibilité de périodes intercalaires.

La première période intercalaire pourrait se situer du 180e jour au 150e jour précédant le sixième anniversaire de la convention et précédant, par la suite, chaque deuxième anniversaire. Cela signifie une garantie de stabilité de l'interlocuteur syndical pour une période minimale de cinq ans et demi et la possibilité, pour un groupe de salariés, de changer d'allégeance syndicale à compter de ce moment, en assurant, par ailleurs, qu'il ne pourra y avoir deux maraudages dans une période de 12 mois.

Il y a lieu, à ce moment-ci, M. le Président, de préciser que la règle voulant qu'une association de salariés qui en remplace une autre puisse dénoncer la convention collective est maintenue, à l'article 61. C'est dire qu'un maraudeur victorieux, peu importe la durée restante du contrat collectif, pourra réclamer sa renégociation.

De plus, dans la perspective d'assurer un climat stable entre les partenaires qui entreprennent une négociation forcément plus longue, portant sur un contrat à long terme, le projet prévoit allonger la période minimale de protection des conditions de travail contenues à la convention collective expirée.

Actuellement, en vertu de l'article 59 du Code, cette protection ne vaut que jusqu'à l'acquisition du droit au lock-out. L'amendement prévu à l'article 12 du projet de loi suggère le maintient obligatoire des conditions de travail négociées jusqu'à l'exercice effectif de moyens de pression.

Finalement, sur ce premier volet de ma présentation, je souligne qu'une disposition transitoire, à l'article 35 du projet, valide, quant à leur durée, les quelques conventions collectives conclues pour un terme supérieur à l'actuel plafond de trois ans. (10 h 20)

Mesures visant à faire disparaître les contraintes aux partenaires ou les pratiques qui alourdissent inutilement le fonctionnement de l'État. Sous prétexte d'assurer une certaine sécurité juridique aux partenaires ou, parfois, en sa qualité de gardien de saines relations de travail, l'État s'est trop souvent transformé en récipiendaire d'avis ou de documents de toutes sortes. Conscient qu'en certains cas le bénéfice retiré n'est pas proportionnel aux obligations qu'impose le Code aux partenaires, le projet suggère qu'on abolisse l'obligation, pour le syndicat, d'aviser le ministre du Travail de l'obtention d'un mandat de grève et celle, pour l'un ou l'autre des partenaires, de lui transmettre une copie de l'avis de négociation. Dans ce dernier cas, des modifications de concordance sont bien sûr apportées pour qu'on continue de pouvoir déterminer le moment où débute officiellement la phase de négociation et celui où l'on pourra légalement exercer des moyens de pression.

De plus, la même philosophie préside à la suggestion, à l'article 14 du projet, de réduire le nombre de copies de conventions collectives à déposer au ministère.

Par ailleurs, le ministère du Travail est, par sa mission, un ministère d'intervention. Or, il est des circonstances où cette intervention n'a plus sa raison d'être, soit parce qu'elle est de peu d'utilité et engendre

des délais supplémentaires ou, encore, qu'elle en augmente, sans grands bénéfices, les coûts de fonctionnement de l'État. Le projet propose donc en conséquence de ne plus rendre obligatoire l'enquête dans le cadre d'une plainte d'un salarié alléguant que son syndicat l'a mal représenté. Il propose également la suppression du pouvoir du commissaire général du travail de requérir du Tribunal du travail une ordonnance visant à forcer un arbitre de griefs à rendre, déposer ou transmettre sa sentence aux parties, dont les parties disposent déjà elles-mêmes.

La suppression de la fonction de greffier en arbitrage de différends, assumée par le ministère, s'inscrit, quant à elle, dans la foulée de sa disparition lors de l'arbitrage d'un grief, là où les parties en assument les coûts.

Au niveau des mesures correctives, le projet de loi propose des modifications correspondant à des besoins qui nous ont été exprimés d'apporter un certain nombre de correctifs. Le projet suggère l'abolition de l'étape pour permission d'appeler au Tribunal. On procédera au fond de l'affaire dès la première journée d'audition au lieu, comme maintenant, de procéder en deux temps, ce qui, trop souvent, nécessiterait deux audiences séparées de quelques semaines. Les délais devraient donc être écourtés d'autant et le Tribunal pourra toutefois, en vertu de l'article 30 du projet, rejeter un appel qu'il juge abusif ou dilatoire.

Par ailleurs, il nous a été signalé des situations où des droits étaient perdus faute d'avoir respecté les délais prescrits pour se pourvoir en appel devant ce Tribunal. Or, peu importe que le requérant ait des motifs valables pour justifier son retard, la Cour d'appel a jugé que le Tribunal du travail n'avait pas l'autorité de proroger le délai. Nous proposons donc de lui conférer spécifiquement ce pouvoir.

Il est de plus proposé de fixer un délai maximum de 30 jours, de la date de la réception de la déclaration d'appel pour la tenue de la première audition, et un autre de 90 jours pour le délibéré.

En ce qui concerne le maintien des services essentiels, deux choses ont retenu notre attention. D'abord, la définition d'un service public et les conséquences de la décision syndicale de ne pas exercer ou d'interrompre prématurément la grève.

Nous proposons une nouvelle définition qui permet, en matière de dispositions des déchets, de reconnaître, en qualité de service public pouvant donc être soumises à l'obligation de maintien des services essentiels, des entreprises qui mènent diverses opérations en regard des déchets qui sont susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la salubrité. De plus, pour contrer une certaine pratique, nous suggérons d'introduire l'obligation, pour un syndicat, d'aviser de son intention de ne pas recourir à la grève ou d'y mettre prématurément fin. L'employeur du service public concerné disposera alors d'un délai maximum de quatre heures pour permettre le retour au travail. Pendant ce délai de quatre heures, il s'agit d'un service public assujetti par décret au maintien des services essentiels. Ceux-ci devront être maintenus.

Parlant maintenant des pouvoirs dont dispose un commissaire du travail, il en est un qui, au moment, par exemple, où un syndicat tente d'être accrédité à la place d'un autre, permet d'éviter que ne se conclue une convention collective entre le syndicat en place et l'employeur ou que ne s'écoulent les délais préalables à l'exercice des droits de grève et de lock-out. L'objectif visé est d'éviter que des énergies et du temps soient investis dans une négociation en pure perte, où le maraudeur serait accrédité, ou qu'un conflit de travail n'éclate sur des enjeux qui ne soient pas partagés par le syndicat en instance d'accréditation. Le commissaire du travail ne dispose toutefois de ce pouvoir que lorsqu'il est saisi d'une requête en accréditation, en révision ou en révocation de l'accréditation. Il apparaît souhaitable que ce pouvoir puisse aussi être exercé par un commissaire saisi d'une requête en vertu de l'article 46 qui concerne la transmission d'entreprise.

Une autre modification est susceptible d'engendrer une diminution significative des délais pour le justiciable et des coûts pour l'ensemble des intéressés, y incluant l'État. Il s'agit de permettre au commissaire général du travail de réunir plusieurs affaires dans le cadre d'une audition commune. Ce pourrait être le cas, par exemple, de plusieurs plaintes d'un même salarié qui prétend que son employeur a contrevenu, en le congédiant, à plus d'une loi. Bien que toutes adressées au bureau du commissaire général du travail, ces plaintes doivent, dans l'état actuel, être traitées séparément.

Finalement, à la fois dans un souci d'uniformité et d'équité, je propose d'appliquer aux personnes appelées comme témoins dans le cadre d'un dossier devant le BCGT, un arbitre de différends ou le Tribunal du travail la même règle que celle applicable en arbitrage de griefs, eu égard aux frais et dépenses encourus.

Voilà, M. le Président, l'essentiel du projet de loi sur lequel nous sollicitons les commentaires des groupes invités par cette commission. J'espère que nos échanges seront l'occasion de recueillir les suggestions des partenaires intéressés au premier chef par cette réforme, afin de bonifier le projet dont nous ferons ensuite l'étude article par article. Je veux réitérer notre ouverture à apporter des ajustements au texte déposé et, aussi, à considérer d'autres amendements au Code qui seraient souhaités par les parties. Je vous remercie beaucoup.

Le Présidait (M. Joly): Merci, M. le ministre. Je vais maintenant reconnaître M. le député de Jonquière, l'actuel porte-parole en matière de travail.

M. Francis Dufour

M. Dufour: Oui, merci, M. le Président. C'est la première occasion qu'on a, bien sûr, d'échanger avec le nouveau ministre de l'Emploi et, d'entrée de jeu, je veux lui offrir mes félicitations et lui souhaiter la meilleure des chances. Je veux aussi, en même temps, le

mettre en garde vis-à-vis de la «pressitude» qu'il pourrait être tenté d'avoir concernant la passation de lois qui peuvent présenter certaines difficultés. Vous savez, des fois, vouloir trop faire et trop rapidement peut présenter des problèmes qui sont plus grands que les difficultés auxquelles on a à faire face. (10 h 30)

On voit bien, aussi, que, dans les relations de travail dans l'industrie de la construction, c'est plus complexe que l'idéologie libérale. Je veux juste vous soumettre que le projet de loi 142, qui ne faisait pas consensus, continue, sur le terrain, à faire problème et à susciter des débats importants, des débats de société. Et on n'a pas non plus, à partir de... C'est vrai que la loi est jeune mais, à venir jusqu'à maintenant, je n'ai pas vu d'effets bénéfiques, encore, sur le terrain. Ce qui veut dire qu'une loi qui n'a pas de consensus — et c'est une loi sociale, ça — important va représenter et continuera à faire difficulté et à causer problème. Moi, je vous dis, il s'agit de regarder qu'est-ce qui se passe sur le terrain pour s'en rendre compte facilement. Et ce n'est pas sain pour la société. Sans aller dans les détails, parce que je pense que, tous les détails qui concernent le projet de loi, on est ici et on est bien ouverts à écouter les intervenants qui pourront nous parler de ce qui pourrait être changé, ou de ce qui est leur point de vue. Mais, quant à ce qui concerne le cadre majeur ou le bloc majeur de ce projet, qui est en fait d'allonger la période des conventions collectives, là, il y a vraiment un problème majeur, à mon point de vue et à la fin d'un mandat d'un gouvernement, ça me semble tard pour vouloir changer tout ça rapidement. C'est vraiment un contexte qui est difficile pour le faire et on part, pour moi, sur de mauvaises prémisses, parce qu'il y a eu, dans les dernières années ou dans les quelques dernières années, ce qu'on a appelé un contrat social, contrat social qui a eu pour effet de changer les règles du jeu et d'allonger les conventions collectives. Et, quand on examine un peu plus en profondeur la façon dont ces conventions collectives ont été allongées, ça a toujours été en fonction de principes assez définis.

Contrat social, qu'on appelle de cette façon-là, mais, moi, je pense que ce n'est pas un contrat social, c'est une question de survie pour les entreprises. Et, si c'est social, ça va juste d'un côté, pratiquement, puisque, à chaque place ou à chaque endroit, les employés ont reculé, ont reculé pour la peine. Vous allez me dire: Pour certaines raisons, oui, mais ce n'est pas parce que ces reculs-là se font dans des circonstances très particulières et très difficiles. Est-ce qu'on peut, à partir d'une prémisse semblable, partir d'une loi particulière et en faire des règles générales? Moi, j'ai des doutes un peu.

Il y a certaines entreprises qui ont rencontré leurs employés et qui ont demandé d'allonger la convention collective en fonction de consolider les emplois et en fonction d'investissements majeurs. Ça, on peut comprendre que ça peut se faire dans des périodes difficiles. Mais, s'il n'y a pas de conditions particulières, à quel titre, sur quel principe on peut allonger des conventions collectives? Déjà, quand on regarde ce qui se passe au point de vue du Tribunal du travail, quand on regarde au point de vue des conventions internationales, on se rend facilement compte que les conventions collectives, en principe, doivent avoir une durée d'un an. Et, nous, on a accepté, par habitude et probablement pour un meilleur fonctionnement, que les conventions collectives durent trois ans. Donc, par le projet de loi qu'on a devant nous, on peut parler de cinq ans, sept ans, 10 ans, ce qui nous ramène, à mon point de vue, au temps des seigneurs, où un contrat signé pouvait devenir un engagement à vie. Moi, je ne pense pas que, actuellement, ça soit ça qui soit recherché et qui devrait être recherché. Pour celui et celle qui ont à vivre des conventions collectives, on se rend compte facilement que la négociation collective d'une convention est le lieu propice à apporter des améliorations tangibles et des changements à leur convention et aussi à leur façon de travailler, que ce soit pour améliorer la sécurité, pour améliorer les conditions de travail. Et il n'y a pas seulement les salaires qui sont en cause là-dedans. Il me semble que c'est le temps propice pour le faire.

Si le projet de loi a pour effet d'allonger ces conventions, à ce moment-là, de quelle façon les gens pourront améliorer leurs conditions de travail? Moi, je vous dis qu'à partir de ce moment il y a un danger. Il y a un danger important, et ça va amener certains problèmes. On voit bien que l'employeur a toutes les cartes de son côté pour allonger les conventions collectives. Les gens, actuellement, dans un temps difficile, n'ont qu'une préoccupation, c'est de conserver leur emploi. Et, pour conserver leur emploi, ils sont prêts à faire de grandes concessions, dont celle d'allonger les conventions collectives. Je comprends que l'intérêt du patron, là-dedans... c'est sûr que, s'il a juste à négocier des salaires à tous les cinq ans, sept ans, dix ans, ce n'est pas trop, trop de problèmes et la paix sociale peut sembler être gagnée. Mais, ça, c'est le miroir aux alouettes. Ça peut nous faire accroire que la paix sociale est gagnée, mais elle ne le sera jamais de cette façon-là. Si ce projet de loi est adopté, c'est annonciateur de problèmes sociaux qui vont se soulever. Parce que, au moment où l'économie va s'améliorer, vous allez voir que les contrats sociaux vont prendre la débarque.

Je veux juste prendre pour acquis ce qui s'est fait... Il y en a eu, des contrats sociaux de signés. Le Journal de Montréal est un exemple, et le contrat social n'a pas duré. Saint-Augustin, ici, Alcan, il y a eu un contrat social. Saint-Augustin n'existe plus, il est rendu dans la région de Shawinigan. Donc, contrat social, est-ce qu'on peut laisser les parties arriver à une situation telle où le législateur permet qu'il y ait des changements majeurs qui se fassent sans qu'on s'assure qu'il y ait une contrepartie? Moi, je crois à un contrat social lorsqu'il est négocié de bonne foi entre les parties, lorsqu'elles sont vigoureuses. Pas des parties qui une est à la recherche du profit, puis l'autre, elle est à la recherche de sauver son emploi. Ce qu'on nous propose, à mon point de vue, par ce projet de loi, dans la partie où

on veut rallonger la convention collective, ça ressemble, à mon point de vue, à une vente de feu. Il y a une partie qui, effectivement, est en déroute. Au point de vue syndical, actuellement, les syndiqués, si vous avez parlé avec eux, il n'y a pas beaucoup de force des syndicats. Si on regarde, l'autre est à la recherche d'un profit. Et celles qui le font actuellement, c'est un profit, mais il y en a qui sont en bonne santé et qui veulent continuer à profiter des circonstances pour encore améliorer plus sur le principe de l'efficacité.

Je veux juste vous dire que, actuellement, si on regarde ce qui se passe sur le terrain, il y a une flambée des conflits de travail qui sont déclenchés par les employeurs. On n'invente pas ça, là. Actuellement, l'employeur profite des circonstances et décrète des lock-out, qui, normalement, sont un instrument pour aller contre la grève, et, là, ce n'est plus de cette façon-là qu'on le fait. Donc, les employeurs profitent de ce temps-ci pour décréter des lock-out contre les syndiqués, qui sont terrorisés devant l'idée de perdre leur emploi. Et ça, c'est François Berger de La Presse. Je tire ça de La Presse du 2 mars 1994. Et, de plus en plus, on est rendu à faire ces lock-out-là. Puis ce n'est pas toujours, bien sûr, des entreprises qui sont à moitié mortes. Je veux juste vous donner qu'il y a des entreprises là-dedans qui ont même des bilans remarquables au point de vue financier. Vous avez regardé ce qui se fait à la compagnie Labatt. À ce que je sache, ce n'était pas une entreprise en faillite. Bon. Donc, ce n'est pas la même chose. Il faut qu'on soit, au moins... qu'on puisse regarder pourquoi on le fait. Il y a d'autres éléments dans les conventions collectives qu'on devrait être tenté d'améliorer qui sont autres que ceux-là.

Il y a des questions, bien sûr, de liberté syndicale. Le ministre y a fait allusion tout à l'heure. Les libertés syndicales font que les gens ont le droit de choisir leur syndicat. Et on peut admettre que, pour certaines circonstances, les syndicats pourraient être tentés de vouloir avoir des conventions collectives plus grandes pour qu'il n'y ait pas de maraudage qui se fasse. Mais, encore là, qu'est-ce qu'on fait de l'employé comme tel? Il n'y a pas juste le syndicat puis l'employeur qui sont en cause actuellement. Moi, je dis: II y a les syndiqués qui sont en cause. Il ne faut pas faire le travail des corporations. On ne peut pas tomber dans le corporatisme pur et dur. Actuellement, le législateur a un rôle de responsabilité assez grand, puisqu'il doit s'occuper de ce que l'employé, lui, va ressentir à travers tout ça. Je ne suis pas prêt à accepter, demain matin, que, par une loi, on asservisse l'employé, par une convention collective, à un employeur pour le restant de ses jours. Je pense qu'il y a des façons de contrer les problèmes qui nous confrontent. J'accepte et j'admets, d'entrée de jeu, qu'il y a des conventions collectives qui ont été signées, actuellement, qui n'ont pas d'assise juridique. Il est possible de leur en donner une, ces conventions collectives là. (10 h 40)

Quant à ce qui concerne les conventions collectives qui pourraient avoir des durées de vie plus longues, on devrait réexaminer, de façon sérieuse, la possibilité de permettre, justement, l'allongement de conventions collectives, mais dans des conditions très particulières, avec des balises très pointues, qui puissent, en fait, permettre d'allonger une convention collective dans des conditions très particulières. Et ça, ça me semble le rôle du législateur. Si on prend des cas particuliers et on en fait une loi générale, moi, je ne peux pas entrer là-dedans. Si on regarde sur le terrain pour des conditions particulières — et on peut en nommer — c'est évident que, si une entreprise, dans un cas donné, veut faire des investissements importants, il est possible, à ce moment-là, d'allonger la convention collective. Parce que, si on veut s'assurer que les investisseurs puissent avoir un retour sur l'investissement correct et si on veut s'assurer d'une paix relative pendant un nombre d'années données, ça, ça me semble d'une importance correcte, mais à la condition que ce soit du cas par cas.

Il faut le faire au cas par cas. Il n'est pas question de donner ça à tout le monde. Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas dans une condition où le patron est en état de force et le syndiqué, lui, il est presque écrasé qu'on va permettre de dire: Bien, on va rallonger toutes les conventions collectives. C'est trop facile de jeter ça pardessus bord et de dire: II n'y a plus rien à faire. Je dis que, de ce côté-là, il y a peut-être des façons de faire. C'est pour consolider les emplois. Malgré que, ne nous faisons pas d'illusions, là, même si on signait les plus beaux contrats possible, il faut que la compagnie soit en vie pour pouvoir faire ça. Même si vous avez signé le meilleur contrat... Hyundai a signé des contrats, puis il y a des changements qui se produisent. Même si on s'assure, autrement dit, que, toujours et à jamais, ça va se passer comme ça, ce n'est pas ce qui arrive dans la réalité. Donc, s'il y a des changements qui peuvent se faire, on pourrait, dans des cas particuliers... Et ça me semble que le ministre pourrait, à ce moment-ci, accepter qu'on puisse examiner non seulement le projet de loi et qu'on fasse juste écouter les gens qui vont venir nous donner leur point de vue, mais il faut que ces points de vue là soient écoutés. Moi, j'ai vu beaucoup de commissions parlementaires, à venir jusqu'à maintenant, où il y a des intervenants qui viennent nous dire des choses, mais, quand on regarde la réalité, on ne s'en est pas occupés, pas préoccupés.

Je vais plus loin que ça. Dans la loi 142, on a même fait un sommet: on n'en a pas tenu compte. Moi, je ne voudrais pas que, cette commission parlementaire qui vient de s'entreprendre, on vienne écouter les gens et qu'il n'y ait rien à changer. Moi, je vous dis: On veut garder la paix sociale. On est en fin de mandat d'un gouvernement. On dit: On est prêt à collaborer à ce que la loi soit faite correcte pour tout le monde, qu'elle puisse s'adopter. On dit: II y a une question de fond qui nous préoccupe, et c'est celle-ci: c'est vraiment l'allongement des conventions collectives.

On n'est pas les seuls à tenir ce discours-là. Il y a des professeurs, il y a des gens, des spécialistes en relations de travail qui disent que ça ne devrait pas se

faire. Et pourquoi on ne doit pas le faire? Pour des raisons... autant pour des conventions qu'on a signées internationalement... Québec est partie prenante de ces conventions-là où on dit: On ne veut pas les rallonger. Nous, on dit: Dans certaines circonstances, oui, on pourrait le faire. Ça, c'est au ministre à regarder de quelle façon il pourrait accepter que ce soit allongé. Nous, on n'est pas allergiques à 100 %, là. On n'est pas déconnectés de la réalité. On sait qu'il se produit des problèmes, mais on sait que ce n'est pas éternel, les difficultés. Il y a déjà eu des crises avant aujourd'hui et il y en aura probablement d'autres après aujourd'hui, mais, moi, j'aime mieux qu'on soit dans une période où on peut avoir un peu d'espoir que de dire: On a jeté la garde et il n'y a plus rien à faire. Ce sera toujours comme ça à l'avenir. Donc, ça, moi, je ne pense pas qu'on... Puis, là, on sera obligé de rebâtir un climat social et on pourra rebâtir un vrai contrat social, parce que, comme je l'ai dit, ce n'est pas un contrat social qu'on s'apprête à faire. Ce n'est pas un contrat social qu'on est en train de faire, parce qu'il y a... En fait, c'est vraiment ça —et tout le monde corrobore ce que je dis là — c'est qu'il y a des difficultés qu'on va rencontrer.

Donc, pour la suite des choses, bien sûr, et pour conclure, je voudrais rappeler que, des fois, on est mieux d'avancer à petits pas que de vouloir aller trop vite, parce qu'il y a des changements profonds, surtout en convention de travail. Je n'ai pas une expérience très grande. Je peux vous dire, par exemple, que j'ai été syndiqué, j'ai été représentant syndical pendant de nombreuses années, et même avec des compagnies importantes, où les temps étaient propices à des investissements; s'il n'y avait pas eu des syndicats de temps en temps pour rappeler à l'employeur qu'il y avait des améliorations à apporter dans les conditions de travail, dans la santé et la sécurité, pas parce que les patrons n'étaient pas conscients des problèmes qui existaient, mais, s'il n'y avait pas eu de syndicats pour être plus revendicateurs et exiger, bien, je vous dis que les conditions et la santé et la sécurité ne seraient pas rendues où c'est là. Donc, on ne devrait pas permettre... Parce qu'il y a un temps difficile, on devrait peut-être permettre qu'il y ait des accommodements, des changements, mais ne pas en faire une règle, ne pas profiter d'un temps où ça va mal pour qu'une partie devienne plus forte que l'autre.

Notre rôle, c'est de garder un équilibre — qui était si cher au premier ministre qui vient de céder son poste, il a toujours parlé d'équilibre. Bien, moi, je vous dis qu'en relations sociales, en relations de travail l'équilibre, c'est drôlement important. C'est plus important que l'économique, parce que, là, on parle d'humains, on parle d'individus, on parle de rapports de force. Et, à mes yeux, ce projet de loi, qui apporte certaines bonifications dans certains domaines, on n'a pas d'objections majeures, si ce n'est qu'on est prêts à écouter les intervenants et ce qu'ils auront à nous dire, mais, dans un endroit précis où on parle d'allonger les conventions collectives d'une façon très grande et trop rapide, et sans aucune balise, à ce moment-ci, je dis:

Notre position, ce sera de combattre le projet de loi, surtout dans cette partie. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Joly): Merci beaucoup, M. le député de Jonquière. M. le député de Drummond, s'il vous plaît.

M. Jean-Guy St-Roch

M. St-Roch: Oui, merci, M. le Président. M. le Président, d'entrée de jeu, j'aimerais souhaiter la bienvenue à notre collègue, le ministre responsable de l'Emploi, qui siège à cette commission, et j'espère qu'on pourra, dans les mois qui restent, aborder cette grande problématique de l'emploi et, surtout, du monde du travail avec la plus grande ouverture d'esprit.

M. le Président, d'entrée de jeu, je vous dirai que j'aborde ce projet de loi là avec d'extrêmes réserves. Lorsque je regarde le but d'un projet de loi, un législateur ne devrait pas parler pour rien. Un législateur est là pour faire des lois qui vont établir une crédibilité, et qui vont dégager une perspective d'avenir, et, surtout, qui vont protéger les plus faibles maillons de sa société et non défendre le corporatisme.

M. le Président, lorsque je regarde ce projet de loi, moi, qu'est-ce qui est la pièce maîtresse? C'est le déplafonnement de la durée des conventions collectives. Quel but recherche-t-on? Je me suis amusé, M. le Président, à regarder les statistiques. Est-ce qu'il y a une paix sociale menacée au niveau des relations de travail ici, au Québec? Quand on regarde la période de 1989 à 1993, on est obligé de conclure qu'on a une des périodes où la paix ouvrière a été des plus longues et des plus fructueuses, M. le Président, parce que, en 1992, à 158 arrêts de conflits majeurs soit par grève ou lock-out, ou, en 1989, 244, qui était la plus élevée, on voit que le nombre de grèves, le nombre de jours et le nombre de conflits sérieux sont en décroissance remarquable.

On nous vend, M. le Président, un projet de loi en disant: Bien, c'est pour assurer la stabilité de l'emploi et attirer de l'investissement. Un rapport de l'OCDE nous apprend que, lorsqu'un investisseur majeur veut investir dans un pays, bien, les conventions collectives, dans 67 % des cas, ne sont pas la raison d'être. Ce qu'un investisseur recherche, c'est la disponibilité des marchés, dans 67 % des cas, et les conventions collectives reviennent simplement dans le dernier attrait, et on va regarder, à ce moment-là, M. le Président, en tant qu'investisseur, le nombre de conflits majeurs et le climat ouvrier.

M. le Président, lorsque je regarde — et pour avoir fait un peu, en tant que dirigeant, des relations de travail — un contrat de travail et le Code du travail devraient être basés pour faciliter et accroître l'intégrité, la transparence, la sincérité et le partenariat. C'est ça qui va faire qu'on va avoir une paix industrielle. C'est ça qui va faire qu'on va avoir des conventions collectives qui, d'année en année, vont se renouveler. Ce n'est pas en allongeant la durée des conventions de travail.

Et j'aimerais rappeler, M. le Président, à mes collègues que j'ai, côté patronal, vécu la période du milieu des années soixante-dix. J'ai négocié de bonne foi avec la partie syndicale, en 1973, une convention de travail, M. le Président, d'une durée de trois ans, qui était le maximum, comme l'ensemble de mes collègues côté patronal et côté, aussi, syndical, de cette période. Mais, lorsqu'on regarde cette période, à partir de 1973, où on a eu des inflations de 7,8 %, 10,8 % en 1974, et 1975 la même chose, M. le Président, c'est arrivé, des deux côtés, avoir manqué, à cause des conditions économiques complètement hors de contrôle des travailleurs et des patrons, avec des grèves illégales pour être capable de revendiquer des ajouts de travail... Ça, M. le Président, ça a fait un climat ouvrier ici, au Québec. Et étant, à ce moment-là, le porte-parole d'une multinationale, j'ai été obligé d'aller défendre que la sécurité d'emploi, que le contrat social, au Québec, ce n'étaient pas les travailleurs qui étaient en cause. Ça, ça va perturber.

Alors, lorsque je vois un projet de loi qui nous amène comme seul fondement le déplafonnement tous azimuts des conventions collectives, mon collègue de Jonquière l'a souligné tout à l'heure, on n'est pas à la merci, M. le Président, de voir dans le futur les mêmes conditions qui sont hors de contrôle des législateurs. Mais un législateur ne doit pas parler pour rien, il doit prévenir ces cas-là. (10 h 50)

Mais ce qui m'intrigue encore davantage lorsque je vois un projet de loi comme la loi 116, c'est de dire: Quelle est la logique, à ce moment-ci où on est à l'orée d'une nouvelle consultation populaire, qui force un gouvernement à aller ouvrir, sans qu'il y ait de demande majeure de qui que ce soit? On verra les intervenants, tout à l'heure, qui viendront assister ici. Quelle est la logique qui est poursuivie? Bien, M. le Président, j'aurais espéré, moi, que le nouveau ministre de l'Emploi nous annonce aujourd'hui qu'il suspendait le projet de loi 116 et qu'on commence une commission parlementaire avec les mêmes intervenants, et élargie, pour regarder pour bâtir un vrai contrat social au niveau des négociations. Parce qu'un bref rappel nous apprend, M. le Président, que c'a peut-être commencé en décembre 1992, lorsqu'on a forcé, contre toute attente, sous un contexte de relance économique, par la Loi sur les heures d'affaires, à ouvrir tous azimuts, à mettre en danger le droit d'association et à précariser les emplois.

Non content de cette loi de 1992, on a récidivé en 1993 avec la loi 142. J'ai eu l'occasion, à maintes reprises, durant l'étude de ce projet de loi, de dénoncer la loi 142 en disant que cette loi-là n'était pas porteuse d'avenir, M. le Président. Et je pense que les circonstances nous l'ont prouvé.

On doit se méfier, M. le Président, en tant que législateur, des gens qui vont nous faire accroire que ça, en déplafonnant la durée des conventions collectives tous azimuts, on va créer de l'emploi.

Décembre 1992, c'était hier. On est venu nous dire, ici, qu'avec la loi 142 et le décloisonnement du secteur résidentiel, on aurait une baisse sur le coût des maisons qui jouerait alentour de 3000 $. Regardez maintenant, M. le Président, on nous dit: Non, il n'y aura pas de baisse des maisons. Pourtant, ça a été un des arguments massue qui ont été utilisés par ceux qui sont venus défendre la loi 142 du décloisonnement du côté résidentiel. Alors, je vois la foulée, M. le Président, de la loi 116 exactement dans cette même optique de décloisonner les relations de travail, d'affaiblir des parties au profit du libéralisme, mais à tout prix.

J'ajouterai, M. le Président, les questions dont je serai à la recherche dans l'audition des témoins qui viendront ici devant nous, et aussi dans la réplique de M. le ministre, parce qu'il n'a pas de réplique lors des remarques préliminaires, mais il aura le temps, au courant de la journée et demie qu'on aura passée ensemble, de nous répondre. M. le Président, lorsque je regarde ce projet de loi, à l'article 26, si c'est une loi qui est tellement valable pour le secteur privé, qui est tellement porteuse d'avenir, pourquoi il soustrait son gouvernement et la fonction publique, par l'article 26, de l'application des conventions collectives allongées?

Un autre danger de cette loi-là, M. le Président, et Dieu sait qu'il faut connaître un peu le milieu du travail au Québec pour s'apercevoir qu'un des grands dangers à ouvrir et à déplafonner tous azimuts, c'est dans le cas des premières conventions collectives. Moi, ça ne m'inquiète pas lorsque je vois des travailleurs représentés par des grandes centrales syndicales. Elles ont les moyens, elles ont les recours, elles ont l'expertise, elles ont le professionnalisme pour défendre leurs membres. Mais il faut se rappeler, aussi, qu'il y a ce qu'on appelle les fameux syndicats indépendants ou les syndicats de boutique, M. le Président. On sait, lorsqu'on regarde dans le passé, qu'il y a eu beaucoup d'abus, pour ne pas dire le moindre, dans ces champs d'activité. Alors, il est possible d'imaginer une convention collective, une première convention collective signée, où on dépasserait les trois ans et qui ne serait pas au profit des travailleurs et des travailleuses. Alors, M. le Président, ce projet de loi protège peut-être, à certains égards, le corporatisme, mais ce n'est pas le rôle du législateur de le faire.

Ceci étant dit, M. le Président, je serai à l'écoute de ceux et celles qui viendront présenter leur mémoire. Je serai à la recherche d'un vrai contrat social et j'ose espérer que, quelque part, M. le ministre nous annoncera que, dans un vrai partenariat, dans un vrai développement d'un nouveau Code du travail... Et vous aviez raison, M. le ministre, de souligner que, dans le passé, le Code du travail a été, à bien des égards, avant son temps, qu'il a été un chef de file, qu'il a été quelque chose qui a amélioré les conventions collectives et qui a amélioré aussi la paix sociale dans le milieu industriel.

J'aurais espéré, moi, qu'au lieu d'avoir une commission parlementaire sur le projet de loi 116 on puisse

s'asseoir ici, en tant que parlementaires, et dire: Est-ce qu'il ne serait pas possible, maintenant, de s'asseoir — le gouvernement, partie syndicale et partie patronale — autour d'une table, une table de consultation, une table qui serait capable de donner les grandes orientations au niveau des conditions de travail, au niveau des conditions économiques, être capable de développer cette table-là avec des modèles qui existent, M. le Président? On n'est pas obligé de réinventer les boutons à quatre trous, on a juste à regarder le modèle qui se suit présentement en Autriche ou en Allemagne, où les trois parties, avec une présidence qui est alternative à toutes les années, établissent les grands modèles de la collectivité au niveau des contrats sociaux qui devraient se dégager, au niveau des pourcentages d'augmentation de salaire qu'on devrait avoir. Ça, ça aurait été de bâtir un vrai contrat social. Parce qu'à l'heure actuelle, M. le Président, si on applique, en tant que législateur, le projet de loi 116 et en soustrayant de ce projet de loi là tout ce qui est fonction publique, on aura, dans le temps, un dépha-sement entre le secteur privé et le secteur public — et on le voit déjà poindre à l'horizon — où, au lieu de créer un harmonie toute à l'heure, on aura un débalancement au niveau du climat de travail. Et ce n'est pas une loi, M. le Président, lorsqu'elle n'est pas porteuse d'avenir, qui va faire que les citoyens et les citoyennes vont la respecter. Et je vous ai donné comme exemple la période du milieu des années soixante-dix. On avait des conventions collectives qui étaient des contrats qui avaient été signés de bonne foi, et les circonstances ont fait en sorte qu'on a été obligé de les briser pour être capable d'établir une certaine équité.

Alors, à l'heure actuelle, M. le Président, je me dois de vous indiquer que, cette partie-là du déplafonnement, je l'aborde avec d'extrêmes réserves. Les paroles en présentation du projet de loi par l'ex-ministre du Travail, M. le député de Sainte-Anne, M. Cherry, et du ministre actuel ne m'ont pas convaincu que ce projet de loi là, dans son déplafonnement, est une mesure d'avenir, et j'espère qu'à l'audition de ceux et celles qui viendront témoigner, et dans le questionnement que nous pourrons échanger avec eux, qu'on pourra me convaincre, mais j'ai des doutes sérieux, M. le Président. Je vous remercie.

Le Président (M. Joly): Je vous remercie beaucoup, M. le député de Drummond. Compte tenu que nous sommes un petit peu en avance sur notre horaire, je sais qu'il n'est pas de pratique courante, dans le cadre des remarques préliminaires, de redonner la parole à M. le ministre, mais vous avez soulevé des appréhensions, alors j'imagine que, pour le bénéfice de tout le monde, si j'ai l'accord des parlementaires, je suis prêt à permettre à M. le ministre, en quelques minutes, de répondre à quelques-unes des appréhensions, tant celles de M. le député de Jonquière que de M. le député de Drummond. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Serge Marcil

M. Marcil: Je ne veux pas revenir sur toutes les remarques que mes collègues ont faites. C'est tout simplement pour demander aux parlementaires qui participent à cette commission d'aborder, justement, ces audiences dans un esprit ouvert, dans le sens que notre objectif, par le projet de loi 116, c'est d'abord de responsabiliser les parties. C'est ça, l'objectif premier. Ce n'est pas dans le but de signer des contrats sociaux. Ce n'est pas l'objectif du tout de la loi 116.

Ensuite, ça s'appuie, justement, sur la maturité qu'on retrouve présentement sur le marché du travail, qu'on retrouve au niveau des parties. Autant au niveau des parties qui représentent les employeurs que les parties qui représentent les travailleurs, il y a une évolution qui s'est faite au niveau des mentalités, et on la sent beaucoup.

Et ce qu'on fait, dans le fond, avec le projet de loi 116, on déplafonne, on déplafonne. On ne déplafonne pas pour obliger les gens à négocier des conventions collectives de six ans, sept ans, huit ans, neuf ans. On permet à ceux et celles, aux parties qui veulent négocier des conventions collectives d'une année de le faire, de deux ans de le faire, de trois ans de le faire. Mais sauf que ça ne se limite plus seulement à trois ans. S'ils veulent en signer une de quatre ans, ils pourront le faire. S'ils veulent en signer une de cinq ans, on leur permet de le faire, ce que le Code ne permet pas présentement. C'est tout simplement ça.

C'est qu'on dévie, on déjoue le Code du travail par nos contrats sociaux. Les entreprises ou les gens qui ont signé un contrat social de six ans n'ont pas signé un contrat social de six ans: ils signent deux conventions collectives de trois ans. C'est un petit peu ça qui se fait. Même au bout de trois ans, on peut même la dénoncer, présentement.

Donc, ce qu'on essaie de faire, c'est d'adapter le Code du travail à l'évolution du marché du travail, aux relations de travail qui sont plus modernes aujourd'hui que celles qu'on a connues, peut-être, dans les années soixante-dix. Donc, on permet aux parties de négocier leur convention de travail et d'inclure dans leur contrat de travail des clauses de renégociation, ainsi de suite. C'est ça, un contrat. Lorsque vous décidez d'acheter une maison, si on disait: Aujourd'hui, les prêts hypothécaires sont limités à un an seulement, on serait un petit peu emmerdé avec le marché. On nous permet d'aller jusqu'à cinq ans et, au niveau des prêts aux entreprises, on peut faire des prêts de 10 ans, de 15 ans. Si on les limitait uniquement à une année, il n'y a personne qui pourrait faire des affaires chez nous. C'est un petit peu ça qu'on essaie de faire avec le Code du travail. (11 heures)

Et dire, également que, de retarder l'étude du projet de loi 116... J'aimerais tout simplement faire remarquer que le gouvernement est en place encore. Je pense qu'un gouvernement est en place; c'est la population qui va décider de le changer si elle a l'intention de

le faire. Mais, tant et aussi longtemps que nous sommes élus par la population, j'espère qu'on n'arrêtera pas de travailler. Parce que vous dites qu'on est à six mois, sept mois des élections, il faudrait cesser d'administrer l'Etat ou de moderniser l'État. J'espère que ce n'est pas ça. Ce projet de loi là a été déposé à l'automne 1993; il n'a pas été déposé aujourd'hui. Donc, on poursuit l'étude du projet de loi, sauf qu'on est ouverts à écouter les gens. Lorsqu'on l'a déposé, il y a des parties qui nous ont fait déjà des représentations; on s'est dit: On va faire des consultations officielles, on va écouter les parties. Je peux vous dire une chose, c'est qu'on va être très à l'écoute des remarques, autant des groupes qui représenteront la partie des employeurs que de ceux qui représenteront la partie des travailleurs.

Donc, c'est dans cette foulée que nous entreprenons ces travaux. Je demande seulement aux parlementaires d'être très ouverts, d'être très à l'écoute, d'écouter les gens, et on verra par la suite s'il y à des amendements majeurs ou mineurs à apporter, dépendamment de ce que les parties nous proposeront. Merci, M. le Président.

Auditions

Le Président (M. Joly): Merci beaucoup, M. le ministre. Alors, je vais maintenant demander aux gens qui représentent l'Association des manufacturiers du Québec de bien vouloir s'avancer et de prendre place, s'il vous plaît.

Il me fait plaisir de vous accueillir. Je vous souhaite la bienvenue. J'imagine qu'un de vous deux devient le porte-parole officiel de l'Association. Alors, je vous demanderais de vous identifier et aussi de nous introduire la personne qui vous accompagne, s'il vous plaît.

Association des manufacturiers du Québec (AMQ)

M. Charland (Gaston): M. le Président, mon nom est Gaston Charland, vice-président des ressources humaines et qualité de l'Association des manufacturiers du Québec. Je suis accompagné de Me Louis Leclerc, notre conseiller juridique, du bureau d'avocats Heenan Blaikie.

Le Président (M. Joly): Merci beaucoup. Je vous rappelle un peu la façon dont nous fonctionnons. Alors, je vous accorde une vingtaine de minutes pour nous livrer le fruit de votre mémoire; par après, la balance du temps nous est consentie afin de pouvoir échanger avec les parlementaires des formations présentes. Alors, je vous reconnais, M. Charland. S'il vous plaît.

M. Charland (Gaston): M. le Président, je voudrais, en premier, remercier les membres de la commission parlementaire de l'économie et du travail pour l'opportunité qui nous est offerte d'apporter notre point de vue sur les dispositions prévues au projet de loi 116.

Notre association encourage les membres de la commission à doter l'industrie québécoise de conditions favorables au développement économique dans les circonstances actuelles du marché du travail.

En effet, le nouveau contexte économique repose sur une capacité d'être compétitif au niveau des marchés internationaux et d'avoir en notre possession tous les outils pour devancer nos concurrents. La globalisation des marchés n'est pas une panacée qui permet aux employeurs québécois d'exiger certains amendements importants au Code du travail. Au contraire, elle constitue la base de discussions à partir de laquelle les investisseurs prennent leurs décisions. Les entreprises, et plus particulièrement les multinationales, ont le choix de maintenir leurs facilités de production aux endroits où les conditions sont les plus favorables.

Dans ce sens, le Code du travail doit s'adapter à cette nouvelle réalité. Des changements sont requis pour nous doter d'avantages stratégiques pour la production manufacturière. À cet égard, les ressources humaines connaissent depuis quelques années une revalorisation, autant en termes de qualité de la main-d'oeuvre que de stabilité ou de paix industrielle. Les investisseurs démontrent une préoccupation plus vive sur ce dernier aspect, compte tenu de la nécessité d'être en mesure de compéti-tionner au niveau mondial. La stabilité des relations de travail représente un atout majeur dans le choix de décisions dont le résultat se traduit par le maintien ou l'augmentation du nombre d'emplois. Celle-ci permet également à l'employeur de concentrer ses efforts vers une augmentation de la valeur ajoutée qui origine souvent d'une main-d'oeuvre compétente. Les employeurs n'hésiteront pas à développer le potentiel humain de leur organisation, en autant qu'ils demeurent convaincus que leurs investissements en temps et en argent à cet effet ne risquent pas d'être remis en question par des conflits de travail dans des délais de temps relativement courts. Nous pourrions probablement appliquer les mêmes hypothèses en ce qui concerne les investissements financiers.

Notre exposé se divise en trois parties distinctes: la durée de la convention collective, le respect de la volonté des parties quant aux dispositions relatives à l'acquisition du droit du lock-out ou de grève, ainsi que certaines modifications de la loi. Il nous apparaît évident que les autres dispositions du projet de loi 116 visent à améliorer ou à rendre conformes à la réalité les articles existants, et nous ne croyons pas approprié d'y apporter des commentaires précis.

La durée de la convention collective. La durée de la convention collective doit essentiellement reposer sur une comparaison avec les formules existantes au niveau de nos partenaires économiques et sur les modèles qui ont pris naissance à travers le Québec au cours des dernières années. Les États-Unis représentent, a priori, notre principal partenaire économique. En effet, plus de

60 % de nos exportations sont destinées au marché américain. des vérifications de l'expérience des entreprises américaines ont été faites auprès de multinationales pour tenter d'identifier la durée type des conventions collectives américaines. par exemple, nous avons considéré une entreprise dans le domaine de la production de biens alimentaires qui détient plus de 100 conventions collectives signées aux états-unis. plus de 70 % de ces conventions ont une durée de quatre années ou plus. ce même phénomène a été observé dans le secteur des pâtes et papiers avec un pourcentage identique selon les données de 1993 de f american forest and paper association. nous pouvons constater une tendance forte à ce que nos concurrents obtiennent des contrats de longue durée. le service de recherche du ministère de l'emploi devrait être en mesure de confirmer cette réalité américaine.

D'autres points méritent d'être soulignés, tel le fait que la durée des conventions collectives n'est pas limitée par une durée maximum et que la période de maraudage est prévue strictement à la fin du contrat. L'expérience canadienne confirme également le fait qu'il n'y a pas de durée limite aux conventions collectives. Cependant, divers mécanismes prévoient, après une certaine durée, la possibilité de dénoncer la convention collective à une période donnée. Un examen rapide de ces types de comportement nous permet de croire que le Québec a raison de remettre en question la durée limite des conventions collectives de trois ans. Dans un contexte de compétitivité internationale, le Québec doit opter pour une formule qui lui permettra de se positionner d'une façon avantageuse vis-à-vis de ses compétiteurs. Au Québec, des expériences récentes s'orientent vers la signature de conventions collectives de plus longue portée. À notre connaissance des faits, il y a au moins, présentement, une trentaine de conventions collectives qui débordent le délai limite de trois années. Les négociateurs des deux parties impliquées ont rapidement compris qu'ils devaient s'ajuster à la nouvelle réalité économique pour sauver des emplois et, possiblement, les augmenter.

Il faut également mentionner que le contexte nouveau d'une gestion basée sur la qualité a modifié le comportement des individus à l'intérieur des organisations. Les nouveaux modes d'organisation du travail ne peuvent autrement qu'influencer les gestionnaires dans leur approche des relations avec les employés. De type conflictuel, les rapports s'orientent vers une nécessaire identification d'objectifs communs en vue de satisfaire les clients. Les compétiteurs comprennent que le défi consiste maintenant à rencontrer les exigences du client plutôt qu'à orienter ses efforts sur des négociations de conventions collectives. Le marché a un effet direct sur l'organisation interne des ressources humaines dans les entreprises. (11 h 10)

Toutes ces observations nous conduisent à approuver les modifications du projet de loi 116 sur la durée des conventions collectives. Les manufacturiers auraient été favorables à ce qu'il n'y ait aucune limite quant à la durée de celles-ci. Par contre, il faut reconnaître l'effort du législateur pour assouplir le régime existant en le conditionnant à des règles de révision périodique après la sixième année. Cette orientation constitue un premier pas dans la bonne direction et l'expérience future nous démontrera qu'il n'est pas nécessaire de recourir à l'existence de telles règles. Cette révision périodique ne peut que causer un climat d'insécurité dans les entreprises et risque, en certains cas, de ralentir le processus d'investissement. La mondialisation des marchés requiert une capacité d'offrir les plus grandes garanties possible à l'investisseur. Qui pourrait nier une telle affirmation?

L'acquisition du droit de lock-out ou de grève. Les dispositions prévues dans le Code du travail, à l'article 59, constituent un élément déterminant du processus des relations de travail quant aux conditions de travail. Elles s'inspirent d'une réalité de l'expérience vécue dans les entreprises manufacturières, entre autres, à savoir la nécessité de maintenir des relations de travail stables.

L'industrie manufacturière vit une période de restructuration industrielle importante. En janvier 1990, 598 000 emplois étaient accessibles à des travailleurs, comparativement à 493 000 emplois pour janvier 1994. Il faut réorganiser le travail pour accroître l'efficacité en vue de maintenir les emplois actuels ou, si possible, les augmenter. Les notions de polyvalence des métiers, de flexibilité de la main-d'oeuvre, de réduction de paliers hiérarchiques s'appliquent quotidiennement à l'intérieur des usines. L'application de ces notions se traduit par des gestes concrets qui ont un effet direct sur les dispositions des conventions collectives existantes.

Le processus de discussion pour établir de tels changements s'effectue dans le cadre normal des relations de travail où il y a l'existence d'une convention collective. Des ajustements sporadiques peuvent s'exécuter dans les faits sans que les parties jugent nécessaire de modifier le contenu des conventions collectives ou par des lettres d'entente établies à la satisfaction des parties. Ces changements résultent en des augmentations de la productivité nécessaires à une saine compétition.

En temps de négociation, une telle approche peut difficilement s'appliquer car les parties doivent agir à travers les mandats de négociation de leurs commettants. Cette période d'insécurité ne peut être favorable à l'exécution de tels réaménagements. L'expérience de la négociation d'une convention collective n'est pas requise pour bien saisir qu'une telle démarche de réaménagement n'a que peu de chances de résultats dans un tel contexte. L'existence de l'acquisition d'un droit de lockout ou de grève élimine cette contrainte: des améliorations utiles et nécessaires à la rentabilité de l'entreprise peuvent être exécutées.

Dans ce sens, nous ne pouvons pas nous déclarer favorables à une intervention gouvernementale pour modifier le processus des relations de travail. En plus des scénarios précédemment identifiés, il demeure un point fondamental: le respect du libre choix des parties.

En effet, l'employeur et le syndicat peuvent convenir de dispositions permettant le maintien de conditions de travail jusqu'à l'exercice du droit de lock-out ou de grève. A notre connaissance des faits, une grande majorité des négociateurs privés n'ont pas jugé essentielle l'inclusion d'un tel article dans leurs conventions collectives. Le législateur n'a donc pas à intervenir pour assumer les responsabilités des intervenants, d'autant plus que les conséquences peuvent s'avérer beaucoup plus néfastes que le remède proposé. Quelles sont les garanties que des gestes de grève ou de lock-out ne seront pas favorisés par un tel régime modifié?

Les autres modifications à la loi. Le délai prévu à l'article 28 modifiant l'article 124 du Code stipule: «II peut aussi, sur requête, permettre à une partie d'agir après l'expiration du délai fixé pour lui soumettre une requête ou un appel, si cette partie démontre qu'elle a été, en fait, dans l'impossibilité d'agir plus tôt et s'il ne s'est pas écoulé plus de trois mois depuis l'expiration de ce délai.»

Ce délai additionnel risque d'engendrer des problèmes d'application sérieux. Quels sont les critères à partir desquels la partie impliquée pourra se référer pour soumettre son cas? Il est étonnant qu'une telle disposition puisse régler des problèmes plutôt qu'en susciter. L'ajout par l'article 33 de l'article 135 mérite qu'on y porte attention. Les délais précisés et le rôle du juge en chef nous paraissent des modifications susceptibles d'améliorer le traitement des dossiers. L'article 35 reconnaît l'importance du phénomène de changement sur la durée des convention collectives. Cet article permettra d'éviter de nombreuses difficultés sur l'interprétation des ententes actuelles qui concernent des conventions collectives de longue durée.

En conclusion, les circonstances économiques actuelles obligent les intervenants à endosser la plupart des modifications suggérées par le projet de loi 116. Elles constituent un ajustement législatif à une réalité de plus en plus présente, en ce qui concerne particulièrement la durée des conventions collectives. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Joly): Je vous remercie, M. Charland. M. le ministre, la parole est à vous, s'il vous plaît.

M. Marcil: Oui. Merci beaucoup, M. Charland. À la page 6 de votre mémoire, au dernier paragraphe, vous dites, à la troisième ligne: «Les manufacturiers auraient été favorables à ce qu'il n'y ait aucune limite quant à la durée de celles-ci.» Pourriez-vous l'expliquer? Parce que, dans le projet de loi 116, le fait d'éliminer les plafonds, ça ne répond pas à cette inquiétude-là que vous aviez?

M. Charland (Gaston): Bon. Il faut comprendre notre intervention dans le sens suivant. C'est qu'il y a une révision qui se fait après six ans, un délai où une partie peut dénoncer la convention collective. Si on se base sur l'expérience américaine, on s'aperçoit qu'il n'y a pas de durée limite établie comme telle. c'est dans ce sens-là que nous intervenons. d'ailleurs, m. le président, si je peux ajouter, j'ai parlé, tantôt, de l'expérience de l'american forest and paper association. il est intéressant de constater qu'il n'y a aucune limite de temps prévue dans la législation américaine, qu'en 1992 les contrats de quatre ans et plus étaient environ de 60 %, ceux signés en 1993, c'est rendu maintenant 70 % des conventions collectives.

Maintenant, il y a toujours une inquiétude qui a été manifestée, si j'ai bien compris, à l'effet qu'on va, les employeurs, profiter de situations pour signer des contrats quasiment à vie. Bien, dans ce contexte-là, je peux vous dire que je vous parle de contrats qui ont une durée variant de quatre, cinq, six ans, et il y en a peut-être un cas ou deux, qui nous échappent, qui ont une durée un petit peu plus longue.

M. Marcil: Oui. Mais quand vous parlez... Vous parlez du droit de maraudage, dans le fond, après cinq ans et demi, là. Si le maraudage est victorieux, si une autre partie, par le biais du maraudage, ou si un autre syndicat entre dans la shop après le maraudage, à ce moment-là, il peut y avoir une dénonciation de la convention collective. Vous supposez qu'à chaque fois qu'il va y avoir un maraudage c'est un nouveau syndicat qui va entrer.

M. Charland (Gaston): Bien, écoutez, notre raisonnement...

M. Marcil: Là, on parle dans cinq ans et demi. On ne parle pas... (11 h 20)

M. Charland (Gaston): M. le Président, notre raisonnement est à l'effet qu'on se compare avec l'expérience américaine. Notre témoignage est à l'effet d'apporter le commentaire suivant. C'est qu'il est évident que nous aurions préféré qu'il n'y ait même pas de clause de ce type-là, mais on comprend, dans le contexte québécois, qu'il est raisonnable de mettre une clause à l'effet qu'après une période de cinq ans et demi il peut y avoir une clause de maraudage comme telle qui puisse être exécutée et qu'on puisse dénoncer la convention collective. Mais notre témoignage est à l'effet de vous dire: Basé sur l'expérience américaine, il aurait été préférable que ça n'existe pas.

Maintenant, nous sommes conscients qu'il ne faut pas demander à l'ensemble du monde du travail québécois de, peut-être, accepter quelque chose qui suscite certaines inquiétudes. Nous sommes d'ailleurs convaincus, si vous lisez en page 7, que l'expérience prouvera le bien-fondé de notre approche à l'effet que, en réalité, c'est une préoccupation que nous avons présentement, que nous constatons présentement, et que cette préoccupation-là n'a peut-être pas sa raison d'être. Mais nous l'acceptons et nous sommes prêts à vivre avec les stipulations des articles de la loi, du projet de loi.

M. Marcil: O.K. À la page 7, concernant l'article 59, l'acquisition du droit de lock-out ou de grève, j'aimerais que vous m'expliquiez ça un petit peu plus, là. Vous me donnez l'impression que, le fait que le processus est un petit peu modifié, ça va bouleverser l'entreprise. Vous ne trouvez pas qu'au contraire ça pourrait maintenir une certaine stabilité au niveau des relations de travail?

M. Charland (Gaston): M. le Président, la question qui m'est adressée par M. le ministre est à l'effet, si je comprends bien, de savoir pourquoi notre position est à l'effet de maintenir les dispositions du Code du travail, tel qu'il existe présentement, concernant l'acquisition du droit de lock-out ou de grève.

Nous avons consulté nos membres et nous leur avons posé la question, à savoir: Bien, écoutez, est-ce qu'il est possible de penser à ce que les conditions de travail soient maintenues jusqu'à l'exercice du droit de grève ou de lock-out? Le comportement de l'ensemble des entreprises, le comportement majoritaire, est à l'effet qu'on ne voit pas la nécessité de modifier l'approche actuelle. Notre argument de base est à l'effet que, si les parties... Et vous avez parlé, dans votre discours, de responsabilisation des parties. Nous autres, ce qu'on vous témoigne, c'est que, si les parties veulent le faire, elles peuvent toujours le faire, dans le Code du travail actuel. Alors, pourquoi imposer des conditions externes?

Maintenant, si je reviens plus précisément à votre question «Quelles sont les conséquences de changer les dispositions de l'article et que les conditions de travail soient maintenues jusqu'à l'exercice du droit de grève ou de lock-out?», c'est qu'il y a des situations où les entreprises sont dans des phases de réorganisation et, souvent, vous savez comme moi qu'un climat de relations de travail est un peu plus difficile en période de négociation. Il y a certains changements qui sont nécessaires. Si l'employeur n'a pas l'autorité pour être capable d'appliquer ce réaménagement-là, que va-t-il se passer? Va-t-il être obligé de décréter un lock-out pour être en mesure de modifier des conditions de travail, plutôt qu'une procédure qui est beaucoup plus souple, permettant à celui-ci d'adapter sa convention collective aux exigences qui sont souvent des exigences des clients?

M. Marcil: Comme dernière question, au sujet de la durée des conventions collectives, on a eu certaines inquiétudes qui nous ont été formulées par différents groupes, quant au risque de voir s'établir des syndicats, entre guillemets, jaunes dans des entreprises, en collusion avec l'employeur, là, à la première... Souvent, la définition d'un syndicat jaune, pour les centrales syndicales, c'est des syndicats qui ne sont pas nécessairement affiliés aux centrales syndicales existantes. Il faut dire que, chez Alcan, c'est un gros syndicat et ils ne sont pas affiliés aux centrales syndicales existantes; c'est un gros syndicat de boutique. Ce que je veux dire c'est, que penseriez-vous de l'idée, du moins pour une première convention collective, de se soustraire à... c'est-à-dire d'appliquer, si vous voulez, le plafond de trois ans pour la première convention collective et, à la deuxième, à ce moment-là, d'y aller selon les besoins du milieu?

M. Charland (Gaston): M. le Président, la question qui m'est...

M. Marcil: Seriez-vous réfractaire à ça?

M. Charland (Gaston): La question qui m'est adressée soulève l'idée de traiter d'une façon différente la première convention à l'intérieur d'une entreprise. Notre position est à l'effet qu'on ne voit pas de différence entre la nécessité de traiter d'une façon différente une première convention des autres conventions existantes. Par contre, il est, je pense, de l'autorité du législateur, s'il le juge approprié, d'apporter des modifications et de permettre d'appliquer ce régime-là pour une première convention collective. Mais il faut raisonner dans l'aspect qu'on essaie de changer les règles d'un système.

Est-ce qu'il est possible de maintenir un système particulier pour les premières conventions? Compte tenu que nous savons qu'un arbitrage se fait toujours en fonction des règles du marché, est-ce qu'il y a un risque qui est vraiment important? Je dois, pour répondre concrètement à votre question, vous dire que ce sera, à ce moment-là, le choix du législateur. Mais, en tant que manufacturier, si vous me posez la question à savoir si nous sommes en mesure d'assumer cette façon de procéder là, ma réponse doit être oui.

M. Marcil: Merci.

Le Présidait (M. Joly): M. le député de Jonquière, s'il vous plaît, je vous cède la parole.

M. Dufour: Oui. Je vous remercie pour la qualité de votre mémoire, et surtout vous l'avez présenté de façon très succincte. Je voudrais revenir, justement, à votre introduction où vous dites que les conditions sont favorables au développement économique dans les circonstances actuelles du marché du travail. Et vous en profitez pour essayer d'argumenter à l'effet que, oui, on doit prolonger la durée des conventions collectives. Vous le dites deux fois. Mais le changement que vous proposez — et que le gouvernement propose — concernant la durée des conventions collectives, c'est un changement majeur. Est-ce que ça veut dire que si, dans les circonstances actuelles, on peut se permettre d'allonger les conventions collectives, quand les circonstances vont être meilleures ou différentes, vous allez proposer qu'on revienne à l'actuelle, ou si vous profitez des circonstances toujours pour que ça fasse votre affaire?

Moi, j'aimerais ça, savoir ça. C'est quoi, que vous cherchez? Si on essaie de faire avancer notre cause dans les temps favorables et que, dans les temps défavorables, on reste assis, on reste exactement pareils, et là

vous dites... Puis on va revenir, on va échanger de nouveau là-dessus. Je veux savoir un peu votre opinion par rapport à ça.

M. Charland (Gaston): M. le Président, on me pose la question, à savoir: Pourquoi on a invoqué le rôle des investisseurs dans notre point de vue? Après ça, je vais faire une remarque plus particulière.

Évidemment, les investisseurs ont le choix de produire à différents endroits: au Québec, aux États-Unis, partout à travers le monde. Lorsqu'ils font un plan d'investissement, Us le font sur un certain nombre d'années. Si on est en mesure de leur assurer une paix industrielle, nous croyons que c'est à l'avantage des travailleurs et des travailleuses du Québec parce qu'on va réussir à attirer des capitaux, à construire des usines et à fournir de l'emploi comme tel. Je pense que c'est la partie importante.

Maintenant, la remarque que je veux ajouter, c'est que vous avez sans doute raison de dire: Est-ce que l'employeur pourrait profiter des circonstances économiques pour imposer aux travailleurs des conditions de travail auxquelles ils devraient se soumettre, compte tenu de la difficulté économique? Mais je dois vous dire que, si on raisonnait de cette façon-là, on serait fort malhabile, parce que, advenant l'hypothèse que l'économie soit en excellente forme dans quelques années et que le syndicat nous demande de signer un contrat de longue durée, on devrait se dire, à ce moment-là: Bien, l'employeur n'y aura pas un intérêt comme tel. C'est-à-dire que le syndicat sera en position de force si l'économie est rétablie et qu'à ce moment-là il peut imposer des conditions de travail sur une plus longue période de temps. (11 h 30)

C'est pour ça que nous n'abordons pas la question de ce point de vue là. Nous ne croyons pas, nous ne souscrivons pas aux commentaires à l'effet que l'employeur peut profiter d'une situation économique pour imposer des conditions de travail. En prenant pour acquis que... Si on résonnait comme ça, l'inverse pourrait être vrai dans quelques années. Ce n'est pas ça, la question. La question, c'est la capacité de favoriser les investissements au Québec, de créer des emplois. Comme je vous l'ai indiqué, il y a une baisse appréciable du nombre d'emplois que j'ai vérifiée pour janvier 1990 à janvier 1994. Au niveau des manufacturiers, c'est ça, notre préoccupation, et c'est là qu'il faut donner des conditions nous permettant d'attirer les investisseurs étrangers et, même, d'encourager les investisseurs locaux à profiter de l'occasion pour lancer des projets, pour avoir une action dynamique.

M. Dufour: M. le Président, je veux bien suivre M. Charland dans son exposé, mais, entre la parole puis ce qui se passe sur le terrain, ce n'est pas tout à fait pareil. Quand vous affirmez: Jamais l'employeur ne va profiter des circonstances pour améliorer ou faire reculer le travailleur, moi, je suis obligé de vous dire que, si on regarde dans les faits, au début de l'année, en 1993, il y a eu 115 grèves, il y a eu 38 lock-out dans les entreprises sous juridiction provinciale. Donc, il y a toujours bien quelqu'un, là... Il s'en est déjà fait, des investissements, puis il n'y avait pas de contrat social de cinq ans puis de 10 ans.

Il y a des circonstances particulières, je l'admets avec vous. Mais ces circonstances particulières là ne dureront pas tout le temps. Et, à partir de ça, si le ministre en profite pour changer les règles complètes du jeu ou si, vous autres, vous faites des pressions pour que les règles du jeu soient changées, ce n'est certainement pas pour faire avancer les travailleurs. Ce n'est pas les travailleurs qui demandent des conventions collectives de cinq ans puis de sept ans, c'est l'employeur qui le demande.

Donc, moi, je vous dis: II faut le regarder avec parcimonie, regarder ça d'une façon très pointue, à savoir peut-être qu'on pourrait rallonger des conventions collectives dans des circonstances particulières, lesquelles sont balisées, pas pour le caprice de la reine, puis de la majesté, pour des fins très précises. Et le ministre a moyen de trouver, à travers la loi, des façons de le faire, comment ça pourrait se faire. Mais pas comme ça, là, à laisser aller sur toute la ligne, parce que, là, vous allez prendre ce qui fait votre affaire, et je vous promets une chose, c'est que la paix sociale, vous ne l'aurez jamais dans ces conditions-là, puis vous allez vous faire frapper dessus, puis ce sera inacceptable. Puis le modèle américain, ce n'est pas un modèle parfait, à ce que je sache. Puis on n'est pas des Américains, on est des Québécois.

Puis nos relations de travail, règle générale, cette année, le Conseil du patronat l'a dit, ça va bien dans le travail. Je comprends, les travailleurs, ils ont peur de perdre leur job. Us veulent travailler, puis il n'y en a pas, d'emplois. Puis le patron, même si ça va bien, il leur fait peur, il dit: Si vous ne marchez pas... Hein, la flexibilité! Écoutez un peu, vous parlez avez quelqu'un qui a été un travailleur. Moi, je n'ai jamais oublié mes origines dans la vie. Mais ces gens-là, ils ont besoin, en dehors des syndicats, le syndiqué comme tel..: Parce que, moi, ce ne serait pas le syndicat que je défends. Le syndicat est assez grand pour se défendre, même s'il y a des syndicats de boutique. Moi, j'ai travaillé dans le syndicat de l'Alcan où c'était le syndicat qui faisait partie de la CSN, j'ai travaillé avec la CSN, et, à ce moment-là, on défendait notre point de vue. Puis je trouve que des gros syndicats de boutique de même, ça se défend pas si pire encore. Ce n'est peut-être pas parfait, mais ça finit par faire des choses.

Je vous le dis, moi, j'aimerais que vous me convainquiez, parce que vous soulevez dans votre mémoire qu'il y a des conflits de travail. Il n'y en a jamais eu moins que cette année, et vous en parlez, ça. Puis vous dites: Dans les circonstances actuelles... Ça me prendrait une démonstration plus forte pour me démontrer hors de tout doute que vous avez besoin de ça pour fonctionner.

M. Charland (Gaston): M. le Président, on intervient sur beaucoup d'éléments. Il y a peut-être un aspect sur lequel je voudrais insister, c'est lorsque je parle de l'approche conflictuelle. Au niveau de l'Association des manufacturiers du Québec, la tendance que nous voyons venir présentement est d'aller vers une approche client. L'approche client est basée sur tout le système des normes de qualité, de la qualité à l'intérieur des entreprises. La qualité implique des formules de gestion différentes et implique aussi, avec les formules de gestion différentes, une formation appropriée des travailleurs. Et c'est pour ça qu'on vous dit que ce changement-là nécessite des garanties pour l'employeur que les investissements qui vont être faits, entre autres en termes de ressources humaines, soient faits pour un nombre d'années donné. Je ne peux pas souscrire au fait que les travailleurs vont être perdants par cette situation-là. Au contraire, la tendance actuelle de l'approche qualité favorise la responsabilisation des travailleurs à l'intérieur de l'entreprise.

Le Président (M. Joly): Merci, M. Charland. M. le député de Jonquière...

M. Dufour: Bon. Là, je n'ai pas...

Le Président (M. Joly): ...est-ce que vous aimeriez que votre collègue intervienne?

M. Dufour: C'est ça.

Le Président (M. Joly): M. le député de Laval-des-Rapides, je vous reconnais.

M. Ménard: Merci. Je voudrais revenir à ce que vous dites à la page 7 de votre rapport. Je ne crois pas que vous rendiez responsables la durée des conventions collectives au Québec de la diminution des emplois dans le secteur manufacturier. Mais je comprends qu'en fait, ce que vous voulez dire, c'est que ça a pu jouer un certain rôle ou, en tout cas, que, si la durée était différente, ça pourrait aider à relancer les emplois qui seraient perdus autrement.

Est-ce que vous pourriez nous donner des exemples de situations passées qui ont fait perdre des emplois et que l'augmentation de la durée des conventions collectives pourrait améliorer?

Le Président (M. Joly): M. Charland, s'il vous plaît.

M. Charland (Gaston): M. le Président, on me demande... Premièrement, je dois faire le commentaire suivant. Évidemment, je pense que M. le député a bien compris qu'on n'attribue pas la diminution d'emplois au phénomène existant actuellement. Ce qu'on dit plutôt, c'est qu'on est dans une circonstance économique où on doit être capable de favoriser au maximum le fait qu'il va y avoir des investissements.

Sur la deuxième partie de la question, on me demande de donner des exemples d'entreprises qui n'ont pas investi au Québec parce qu'il n'y avait pas une durée suffisante au niveau des conventions collectives. Ce que vous me demandez de faire, c'est de dire: Bien, écoutez, êtes-vous capables d'identifier que, dans le domaine des pâtes et papiers, pour fins d'exemple, les gens qui ont fait des choix stratégiques n'ont pas décidé d'investir au Québec parce qu'ils se sont comparés avec l'expérience américaine, ils ont dit: Voici, aux États-Unis, on est convaincus de pouvoir avoir une convention collective d'une certaine durée versus le Québec? Vous me demandez d'être à la place de l'investisseur et vous allez facilement comprendre que ce sont des choses qu'on est en mesure de constater par les investissements qui se font.

Maintenant, si je vous retourne la question et si je vous demande si, présentement, il y a beaucoup de création d'emplois manufacturiers au Québec, vous allez être obligé de constater qu'il y a présentement, d'après les chiffres que j'ai, une diminution, et c'est pour ça qu'on est obligés de mettre des programmes pour être en mesure de favoriser ça. Dans le cadre de ces programmes-là, une des mesures importantes que nous percevons, c'est justement d'avoir les conditions que nous avons précisées dans notre mémoire.

M. Ménard: Est-ce que je peux vous demander une précision là-dessus, à la suite...

Le Président (M. Joly): Allez, monsieur.

M. Ménard: Si je suis bien votre raisonnement, il me semble que votre raisonnement s'appliquerait aux premières conventions collectives, à la première qui est signée, pour amener un investisseur ici. Je rejoins là la préoccupation du ministre tout à l'heure. Est-ce que vous pouvez...

M. Charland (Gaston): Monsieur...

M. Ménard: Est-ce qu'à ce moment-là c'est plus important pour la première convention collective, quitte à revenir au régime habituel une fois que l'entreprise est bien établie ici?

M. Charland (Gaston): M. le Président, j'ai mentionné tantôt que nous ne faisions pas de différence entre la première et la deuxième convention collective. La réalité est la même pour l'entreprise qui existe au niveau du Québec depuis des années et qui a un syndicat. Ce que j'ai communiqué tantôt, c'est que, si le législateur jugeait approprié d'avoir des stipulations différentes pour la première convention collective, ce serait le choix du législateur et que, comme l'Association des manufacturiers du Québec a comme objectif de favoriser les entreprises manufacturières et la création d'emplois, et si le législateur croit que c'est une mesure qui est absolument utile, nous allons devoir être capables

d'assumer cette décision-là. C'est dans ce sens-là que j'ai parlé.

Le Président (M. Joly): Est-ce que ça répond à votre question, M. le député de Laval-des-Rapides?

M. Ménard: Pas tellement...

Le Président (M. Joly): Pas encore.

M. Ménard: ...mais c'est peut-être parce que je ne connais pas assez bien le domaine.

Le Président (M. Joly): Vous avez le droit de reposer la même question et d'aller, même, en profondeur. Alors...

M. Ménard: Non. Je vais passer juste à un autre sujet sur lequel j'aimerais que vous preniez peut-être l'éclairage de votre conseiller juridique. Je reconnais que, là-dessus, je serai peut-être un trouble-fête de tous les partis. Mais qu'est-ce que vous pensez de...

Le Président (M. Joly): Pour faire avancer la cause, on est là pour ça comme parlementaires.

M. Ménard: Oui, c'est ça. Qu'est-ce que vous pensez de l'article 35 qui a une portée rétroactive? Est-ce que vous ne pensez pas que c'est encourager, à l'avenir, les gens à présumer que la loi va être changée que de légiférer pour légaliser ce qui a été fait en contravention à la loi?

M. Charland (Gaston): M. le Président, je vais demander à notre conseiller juridique d'adresser cette question-là...

M. Ménard: Oui, c'est ça.

M. Charland (Gaston): ...et peut-être, par la même opportunité, de nous parler de l'extension des conventions collectives: Est-ce qu'il y a des limites juridiques? parce que c'est un point qui a été soulevé lors de débats à l'extérieur de cette commission, et de préciser le point de vue de l'Association des manufacturiers du Québec.

Le Président (M. Joly): Me Leclerc, s'il vous plaît.

(11 h 40)

M. Leclerc (Louis): M. le Président, la question, comme je la comprends présentement, sur cette notion de portée rétroactive qui, fondamentalement, répugne toujours à des juristes, il faut l'évaluer de la façon suivante. C'est que je ne pense pas qu'on est présentement devant une disposition qui donne spécifiquement une rétroactivité à la loi. On essaie tout simplement de donner une mesure transitoire, si je comprends bien la disposition, pour solutionner le problème suivant.

C'est que, les contrats sociaux, entre guillemets, qui ont été négociés ici et là depuis quelques années, on fait face à cette problématique du trois ans et, lorsqu'on les dépose au bureau du commissaire général du travail, ça peut poser des problèmes. Et, tel qu'il a été mentionné par M. le ministre tout à l'heure, la question de la légalité de cette deuxième entente... Alors, la manière, c'était de négocier une convention collective, de la déposer avec une durée de trois ans, de négocier une entente quelconque, et je ne peux qualifier la nature juridique de cette entente-là, mais, à tout événement, c'est un contrat, c'est une entente entre l'association accréditée et l'employeur, à l'effet qu'il va y avoir une reconduction automatique pour une autre période de trois ans. Des fois, les deux étaient déposées en même temps. Dans d'autres circonstances, on attendait l'expiration de la première convention collective pour redéposer automatiquement le même document.

Alors, dans ce sens-là, je ne partage pas la crainte que vous pouvez avoir de donner le feu vert à des gens qui feraient certaines illégalités et qui seraient couvertes par la suite par des dispositions de cet ordre-là. Alors, dans ce sens-là, je perçois ça plutôt comme un aménagement transitoire pour donner la validité à la deuxième entente qui serait ou a été déposée, tout simplement.

Quant à la question... si je comprends bien la question de M. Charland, c'est à l'effet des conventions internationales. Ça a été mentionné, M. le Président, à quelques reprises tout à l'heure dans les propos du député. Évidemment, il y a une présomption de validité des lois avec les traités internationaux qui ont été ratifiés par le Canada. C'est une question fort complexe, je dois vous l'admettre. J'ai regardé cette question-là; je dois vous admettre que je n'ai pas fait une étude en profondeur. La position de l'Association est à l'effet qu'il n'y a pas de contradiction entre les dispositions de déplafonnement de la durée de la convention collective et les dispositions de protection spécifiques à la liberté d'association protégée plus particulièrement par la convention no 87 concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical.

Alors, dans ce sens-là, on sait que certains organismes ont pu donner une appréciation, et les tribunaux, comme vous le savez, la Cour suprême du Canada s'est prononcée dans cette trilogie de trois décisions à l'effet de savoir si la liberté d'association comprenait le droit de grève, par exemple. Et on est arrivés à discuter de l'impact des traités internationaux sur cette question-là, et on est arrivés à dire: Écoutez, on est évidemment liés, mais c'est à titre d'interprétation de notre disposition de la liberté d'association. Et, comme vous le savez, on a conclu dans cette trilogie, en 1987, à la Cour suprême, que la liberté d'association, c'était justement la liberté de s'associer, mais ne comprenait pas des accessoires, si importants soient-ils, comme le droit de négocier ou même le droit de faire la grève.

Alors, de ce constat-là, vous allez peut-être entendre des représentations de groupes qui vont vous mentionner que, les dispositions de déplafonnement avec

uniquement une possibilité après six ans ou, du moins, quelques mois avant six ans d'une période de maraudage, ça pourrait contrevenir aux dispositions des traités internationaux. La position de l'Association, c'est que tel n'est pas le cas, selon l'analyse qu'on en fait. Et, si on se fonde sur des comités de liberté syndicale qui ont possiblement émis certaines réserves quant à ça, la doctrine, les auteurs au Québec disent que ça n'a pas de portée obligatoire sur le législateur, tant fédéral que québécois. Alors, dans ce sens-là, il faut quand même reconnaître quelque chose, c'est que la liberté d'association est très bien sauvegardée au Québec et au Canada par moult dispositions du Code. On craint, par exemple, les syndicats jaunes, on entend ce mot-là, les syndicats indépendants. Il faut savoir qu'il y en a, mais il n'y en a pas énormément. Il y a des dispositions qui protègent les gens qui veulent combattre ça.

Alors, dans ce sens-là, pour être bref, c'est que, selon nous, les dispositions du projet de loi tel que rédigé ne contreviendraient pas aux organismes internationaux voulant protéger la liberté syndicale.

Le Président (M. Joly): Merci, M. Leclerc. Je vais maintenant reconnaître M. le député de Saint-Maurice pour, après, reconnaître M. le député de Jonquière.

M. Lemire: M. le Président, au début, on a parlé, on a fait des comparaisons avec le côté américain. M. le vice-président, comme vous êtes la division du Québec d'une association qui se veut canadienne, moi, j'aimerais savoir, si on amène ces assouplissements-là et des changements avec la loi qui va modifier le Code du travail au Québec, qu'est-ce qui se fait présentement dans les autres provinces?

M. Charland (Gaston): M. le Président, nous avons procédé à une analyse rapide de la situation des autres provinces. Il y a le même phénomène, pas de durée comme telle, et, comme je l'ai mentionné dans le mémoire, il y a une possibilité de dénonciation après une certaine période de temps.

Maintenant, j'aimerais attirer votre attention sur le fait que nous croyons que nous devons peut-être considérer notre marché: à quel endroit on exporte en réalité, quels sont nos compétiteurs réels. Notre exportation est à 60 % vers les États-Unis. C'est pour ça que j'ai plus tendance à aller vers le bas qu'à aller vers l'Ouest, si vous permettez l'expression. C'est pour ça que je dis qu'il faut prendre le modèle américain comme base de comparaison. Et, si on réussissait à se donner un avantage sur ce qui existe — je n'ai pas le détail complet — mais est-ce qu'on va se reprocher de donner un avantage aux industries et aux travailleurs du Québec par rapport à l'ensemble du marché canadien?

M. Lemire: Je vous posais cette question-là, principalement dans ma vision d'un député de région, au point de vue compétition vis-à-vis des autres provinces.

Tantôt, on disait: II n'y a pas d'emplois. C'est certain, il n'y en a pas peut-être beaucoup d'emplois dans le moment, mais il ne faut pas attendre qu'il y en ait beaucoup. Mais il ne faut pas attendre non plus que les gens aillent s'établir ailleurs. Est-ce que ça va être un avantage majeur?

Ça fait longtemps qu'il y a des irritants dans le Code du travail au Québec, je pense. Mais, pour nous, les Québécois, par rapport aux autres provinces, cela va-t-il être un avantage pour les PME de venir s'établir au Québec?

M. Charland (Gaston): M. le Président, toute notre argumentation est basée sur le raisonnement de l'investissement et notre témoignage est à l'effet de dire que ça va être un avantage fort important pour les manufacturiers québécois.

Le Présidait (M. Joly): Merci, M. le député de Saint-Maurice. M. le député de Jonquière, vous avez un petit deux minutes.

M. Dufour: Je voudrais avoir une précision. À défaut que la loi... en supposant qu'il pourrait y avoir des changements, est-ce que vous croyez qu'on pourrait permettre seulement dans certaines circonstances que les conventions collectives soient allongées plutôt que d'en faire une règle générale, comme la loi le propose actuellement?

M. Charland (Gaston): M. le Président, la question qui m'est posée est à savoir: Est-ce qu'on peut tenter de particulariser l'action au niveau des intervenants? La position que l'on défend, au niveau de l'Association des manufacturiers du Québec, est toujours la même. Dans n'importe quel secteur, on parle de responsabilisation du travailleur, on parle de responsabilisation des parties. Mon inquiétude, c'est qu'on suscite beaucoup plus de problèmes que d'en régler si on commence à essayer de particulariser. Est-ce qu'on va accepter dans telle circonstance à cause des représentations de telle personne? Est-ce qu'on va accepter à cause des représentations de telle unité syndicale? N'oubliez pas qu'il y a des syndicats qui, présentement, sont très près des activités économiques par leur investissement dans divers fonds et que ceux-ci peuvent y voir également un avantage. Est-ce que vous êtes sûr que le raisonnement que vous m'apportez va être un raisonnement qui va être unanime de la part de tous les syndicats disant: On veut que ce soit fait de cette façon-là et on veut qu'il y ait des conditions particulières?

Le dernier point que je vous ajouterais là-dessus, c'est que, si on met des conditions particulières, il y a aussi des problèmes, souvent, d'interprétation. Et, quand il y a des problèmes d'interprétation — et mon confrère va peut-être m'en vouloir — à ce moment-là, on est obligés de recourir à l'expertise de services professionnels. Puis, dans le fond, qu'est-ce que ça apporte à la création d'emplois?

M. Dufour: Autrement dit, on est en train d'essayer de me convaincre que les lois, quand on dit qu'il ne faut pas faire ça mur à mur, c'est la seule façon de s'en sortir. Tout le monde dit: II ne faudrait pas faire des corsets pour personne. Le discours du gouvernement est là, le discours de l'Opposition est le même, on ne doit pas faire des corsets mur à mur. Mais vous nous dites: Si on ne fait pas ça mur à mur, il n'y a pas moyen de s'en sortir. J'en prends note. Je vous remercie. (11 h 50)

Le Président (M. Joly): Merci beaucoup, M. le député. M. le député de Drummond, s'il vous plaît.

M. St-Roch: Oui, merci, M. le Président. Vous ne m'avez pas encore convaincu dans mes fortes réserves, parce que mon expérience de l'autre côté de la clôture m'a appris qu'on avait des conventions collectives maximum de trois ans, puis la journée que les employeurs ont dit: On va jouer les règles de la convention collective avec transparence, puis dans un contexte aussi de qualité totale, puis d'implication des travailleurs et des travailleuses... Lorsqu'un patron met les livres sur la table, même lorsque ça va bien, qu'on donne la situation financière, qu'on donne la philosophie de l'organisation puis des moyens d'exploitation, bien, moi, je peux vous donner moult exemples que les compagnies, même multinationales, qui ont fait ça, avec des conventions de trois ans, ont assuré une paix sociale parce qu'elles ont mis les travailleurs et les travailleuses dans le coup.

Moi, je ne crois pas, vous ne m'avez pas convaincu que c'est un contrat de plus de trois ans qui va satisfaire à cette règle du jeu. D'entrée de jeu, je vais vous dire pourquoi. Parce que, lorsque j'étais du côté patronal, on accusait tout le temps le gouvernement, à l'intérieur de ces conventions collectives, d'établir le pattern, puis, finalement, il y avait un effet décroissant sur le milieu industriel, parce qu'on concédait beaucoup d'avantages, surtout au niveau des bénéfices marginaux et aussi au niveau des salaires, puis ça avait un effet de dominos. j'aimerais vous entendre à ce moment-ci sur quelque chose sur lequel vous êtes silencieux dans votre mémoire. à l'article 26 — m. le ministre ne m'a pas corrigé, donc je dois assumer que mon interprétation est correcte — on soustrait tout ce qui est personnel gouvernemental de l'application de ces conventions de longue durée. alors, ne croyez-vous pas que, dans un contexte où... lorsque je regarde les conventions collectives à l'heure actuelle avec des augmentations de salaire en moyenne de 0,6 % et si, dans trois ans d'ici, on concède des augmentations de salaire de 4%, 5%, 6%, 7%, puis vous avez signé des conventions qui n'auraient pas l'effet de dominos, puis, à ce moment-là, c'est l'effet pervers que je vois des contrats de longue durée... en n'associant pas — ça, c'est la première lacune, aussi, si on voulait être constants, puis être mur à mur, puis faire un corset moyen, un habit moyen pour le québécois et la québécoise moyenne¦— le secteur public, si on concède au niveau gouvernemental énormément d'avantages, qu'est-ce que vous allez faire avec vos conventions de longue durée côté privé lorsqu'on aura un débalancement encore qui se rapprochera?

Et j'ai entendu, moi, le milieu patronal, pendant longtemps, demander un «raplombement», un équilibre entre le secteur public et le secteur privé, pour ne pas créer de précédent. Puis j'ai entendu aussi, moi, que ça prévenait énormément de créations d'emplois puis d'investissements à cause de ces effets de dominos sur le secteur privé.

M. Charland (Gaston): M. le Président, on me demande de me prononcer sur la situation du secteur public, et le commentaire que je vais faire est le suivant. Est-ce que vous croyez que le présent régime, actuel, tel que défini, avec des conventions d'une durée de trois ans, a éliminé les problèmes que vous avez mentionnés? Est-ce qu'il y a une différence ou non entre le secteur public et le secteur privé? Notre compréhension des faits présentement, c'est qu'il y a, évidemment, des circonstances qui font que le secteur privé a peut-être été touché plus rapidement par les effets de la récession que le secteur public.

Maintenant, ça ne répondra peut-être pas directement à votre question, mais je vous invite à réfléchir sur le témoignage que je viens de vous dire, sur les propos à l'effet que: Est-ce que c'est ça qui va faire une différence réelle, la durée?

M. St-Roch: Oui, la prochaine question va probablement s'adresser à votre procureur, parce que vous avez élaboré au niveau du droit international, que le projet de loi 116 pourrait nous placer dans un contexte de chartes et de droit mondial. J'aimerais entendre votre opinion, parce qu'il y a eu d'autres experts aussi au niveau juridique qui se sont prononcés en vertu des chartes des droits de la personne québécoise et canadienne, et en particulier à 87, disant que les dispositions de la loi 116 pourraient mettre en danger le droit d'association, pas en vertu des chartes internationales, mais en vertu de nos chartes ici. Est-ce que vous vous êtes penché sur ce sujet-là?

M. Charland (Gaston): M. le Président, je vais demander à notre procureur d'ajouter des commentaires. Il est évident qu'on est au courant des représentations qui ont été faites, et c'est en fonction de ces représentations-là que nous avons demandé à des experts... Nous avons vérifié avec l'Organisation internationale du travail quelle était l'expérience de l'ensemble des pays. Nous avons considéré les remarques qui ont été faites et nous avons aussi — puis, là, notre expert pourra répondre—vérifié...

Le Président (M. Joly): Brièvement, s'il vous plaît, M. Charland.

M. Charland (Gaston): ...l'aspect légal avec tout le détail. Je vais laisser la parole à Me Leclerc.

M. Leclerc (Louis): Très sommairement, M. le Président. On est au courant, effectivement, qu'il y a des opinions différentes. Il faut cependant savoir que notre position est à l'effet que la convention 87 a été interprétée par ce qu'on appelle des comités sur la liberté syndicale, et ces comités-là font des recommandations, en fait des genres de mesures de pression morales, mais qui, comme telles, sur un plan strictement juridique, n'ont pas un effet obligatoire sur la Législature. Et, quand on regarde la convention 87, on ne voit rien comme tel qui prohibe l'extension de certaines conventions collectives ou même le déplafonnement comme tel. On donne des dispositions à l'effet que la liberté syndicale doit être reconnue dans les États signataires de la convention et que l'exercice syndical peut s'exercer correctement, sans contrainte, sous réserve, évidemment, de certaines dispositions de la convention. À cet égard-là, à la lecture même du texte, on ne voit pas d'empêchement.

Quant à ce qui se passe au Canada, effectivement, vous avez eu des décisions fort importantes, entre autres la décision Public Service Employee Relations Act, en 1987, de la Cour suprême du Canada, cette trilogie, où on a fait une analyse exhaustive des traités internationaux, du droit américain, du droit européen, pour conclure que la liberté d'association se définissait comme uniquement le principal et non pas nécessairement l'accessoire, le principal étant le droit de s'associer dans quelque situation que ce soit, et que ça ne comprenait pas, le cas échéant, dans la définition qui a été apportée par la Cour suprême, effectivement, une protection du droit de grève ou du droit de négociation, qui peuvent être limités à ce moment-là par les Législatures, ou même par le gouvernement fédéral, sans qu'à ce moment-là on attaque la liberté d'association. Alors, en termes de charte, les dispositions qu'on a présentement, selon nous, ne violeraient pas cette disposition de liberté d'association, M. le Président.

Le Président (M. Joly): Merci beaucoup, Me Leclerc. Merci, M. le député de Drummond. M. le ministre, vous aviez, je pense...

M. Marcil: Oui, en conclusion...

Le Président (M. Joly): ...un petit deux minutes. Il vous reste du temps, d'ailleurs.

M. Marcil: Oui, en conclusion, M. le Président. Si ma mémoire est bonne, il n'existe aucune loi en relations de travail, tant aux États-Unis qu'au Canada, si ma mémoire est bonne, sauf au Québec, qui plafonne, qui fixe des plafonds à des conventions collectives. Et, par la modification qu'on apporte au Code du travail, on fixe quand même indirectement un plafond s'il y avait maraudage et qu'il y avait un maraudage victorieux d'une autre partie. Donc, on le fixerait à cinq ans et demi, six ans.

Je tiens à vous remercier pour vos commentaires, votre exposé. Ça va nous servir énormément au niveau de notre réflexion. On va prendre, comment je pourrais dire, le temps d'analyser votre mémoire plus en profondeur, tout en écoutant les autres représentants qui vont vous suivre à cette tribune. Merci beaucoup.

M. Charland (Gaston): M. le Président, nous remercions les membres de la commission de nous avoir reçus.

Le Président (M. Joly): Alors, au nom des membres de cette commission, moi-même, je vous remercie d'avoir été présents. Je vais maintenant demander aux gens qui représentent la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec de bien vouloir s'avancer. Compte tenu aussi du peu de temps que nous vous avons consenti afin de vous préparer et de préparer votre mémoire, je sais que nous n'avons pas votre mémoire actuellement et que vous profiterez des quelques minutes pendant lesquelles je vais suspendre pour permettre de distribuer le mémoire, et ce, pour le profit et le bénéfice des parlementaires.

Alors, je suspends les travaux pour deux minutes.

(Suspension de la séance à 11 h 59)

(Reprise à 12 h 4)

La Présidente (Mme Hovington): La commission va reprendre ses travaux et nous avons le plaisir de recevoir la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, représentée par M. Henri Massé, secrétaire général. M. Henri Massé, voulez-vous vous identifier?

Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)

M. Massé (Henri): Oui. Bonjour.

La Présidente (Mme Hovington): Vous allez être le porte-parole?

M. Massé (Henri): Oui.

La Présidente (Mme Hovington): Alors, voulez-vous nous présenter, pour les fins de la transcription des débats, les personnes qui vous accompagnent?

M. Massé (Henri): Oui. Il y a Claude Ducharme, qui est le directeur québécois des travailleurs unis de l'automobile, et Yvon Bellemare, qui est le directeur québécois du syndicat de l'alimentation et commerce au Québec, TU AC.

La Présidente (Mme Hovington): Bonjour et bienvenue à la commission. Alors, si vous voulez bien nous présenter votre mémoire, nous vous écoutons.

M. Massé (Henri): Oui. Mme la Présidente,

MM. les membres et Mmes les membres de la commission parlementaire, vous comprendrez, d'abord, qu'on n'a pas de mémoire. On a reçu la convocation lundi, sur la fin de la journée, et, je voudrais le souligner, on a même eu de la misère à se faire entendre ce midi parce qu'on était censés passer, je pense, à dix heures, et on a été obligés de dire qu'on ne pourrait pas être là. Finalement, bon, on nous a accordé ce midi. Mais on trouve que c'est un petit peu précipité.

D'ailleurs, on voudrait souligner aussi qu'au Conseil consultatif les parties syndicales ont soulevé ça aussi, de temps à autre, que le débat est venu tard à l'automne, et on a manqué un peu de temps pour discuter à fond de cette question-là.

Il faut convenir, je pense, que c'est un sujet complexe, un sujet d'envergure, c'est toute la question... L'objectif principal, c'est la prolongation des conventions collectives. Il y a toute la question des libertés syndicales, de droit de changement d'allégeance syndicale et toute la question, aussi, de la possibilité ou non de dénoncer la convention collective à intervalles, là-dedans.

Et, nous, ce qu'on pense, c'est que, question importante, on n'est pas objectés en principe, la Fédération des travailleurs du Québec, à donner une assise juridique à des conventions collectives de plus longue portée. C'est une question de fait. D'ailleurs, vous remarquerez qu'à la FTQ on n'a jamais encouragé les conventions collectives de longue durée. Il y en a qui ont parlé de contrat social et toutes sortes de termes ont été utilisés autour de ça. Nous, on n'a jamais encouragé ça.

Maintenant, il y a un fait qui demeure, c'est qu'il y a effectivement eu des conventions collectives de longue durée de signées au Québec. Il y en a eu au-delà d'une dizaine dans nos syndicats affiliés à la FTQ. Et ce qu'on pense, nous autres, notre objectif principal, ça a toujours été de dire qu'il faut aménager la loi pour donner une portée juridique, protéger ces conventions collectives de longue durée qui avaient été signées. On ne veut pas nécessairement chambouler l'ensemble du Code du travail pour dire que, dorénavant, il y aura des conventions collectives de longue durée, en général, qui pourront se signer, mais on voulait donner une assise juridique à ces conventions-là qui avaient été signées.

Maintenant, il y a un fait nouveau, je pense, qui est intervenu depuis quelques semaines. Vous êtes au courant du conflit à The Gazette, du conflit au Journal de Montréal, qui tournaient autour de ça, en fait, des conventions de six ans qui avaient été signées, avec un mécanisme de reconduction de la convention collective entre les parties, et ce mécanisme de reconduction là était contesté par l'employeur qui a dit: Une convention collective ne peut pas avoir une durée de plus de trois ans, c'est d'ordre public, donc tous les mécanismes qu'on a mis là-dedans sont illégaux, puis on passe pardessus, on ne s'en occupe pas. Et, dans ce sens-là, au niveau de la FTQ, on a travaillé ardemment à essayer de trouver une portée juridique à nos conventions collectives de longue durée.

Maintenant, je pense que c'est pour ça qu'on va demander à la commission parlementaire, au gouvernement, de retourner ça au Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. Je pense qu'il y a un élément nouveau, c'est la sentence qui a été rendue et quelques jugements, mais, entre autres, la sentence de M. Hame-lin. On pense que c'est une sentence arbitrale très bien étoffée, très bien rédigée, qui fait passablement le tour de la question. Cette sentence arbitrale dit, en fait, deux choses: c'est qu'il faut faire une distinction entre la durée des conditions de travail particulières dans une convention collective et la durée de la convention collective en soi. Et cette sentence arbitrale là conclut qu'on peut signer, dans une convention collective, des conditions de travail qui vont engager les parties pour plusieurs années.

On se rappellera, par exemple, que, dans ces cas-là, c'est des changements technologiques importants qui sont arrivés dans l'industrie des journaux, et on était obligés de signer des clauses qui permettaient l'introduction de changements technologiques, mais qui garantissaient une sécurité d'emploi, puis avec certains mécanismes. Mais il est évident que, si on n'avait pas une convention collective de longue portée, à ce moment-là, on n'aurait pas pu signer ces ententes-là parce que l'employeur aurait pu arriver au bout de trois ans et dire: À cette heure que mes changements technologiques sont intégrés dans la convention collective, nous autres, on se fait justice dès la convention collective actuelle et on va chercher l'autre bout. Donc, il fallait avoir une protection à long terme.

On voit la même chose aussi au niveau des entreprises. On a des entreprises, des fois, dans un secteur, qui sont en difficulté, qui ont besoin... J'entendais parler tantôt de compétition, de concurrence, puis tout ça. On admet que, dans certains cas, il y a des entreprises qui sont dans une certaine difficulté par rapport à la concurrence internationale ou autre, et que ça prend, à ce moment-là, des conventions collectives de plus longue portée. (12 h 10)

Maintenant, cette sentence-là prévoit qu'effectivement il peut y avoir des conditions de travail de longue durée de signées dans une convention collective et la sentence arbitrale prévoit aussi que les parties peuvent prévoir un mécanisme de renouvellement de la convention collective. Dans le cas du Journal de Montréal, c'est une espèce de médiation, d'arbitrage, et là, si ça ne fonctionnait pas, il y avait une période où le syndicat pouvait exercer la grève, ou l'employeur le lock-out, mais limitée dans le temps. Et, après ça, si, après le lock-out ou la grève, ce n'était pas encore réglé, un arbitre peut venir trancher le litige. L'arbitre, encore une fois, dit que ces dispositions-là ne vont pas à rencontre du Code du travail. Le Code du travail dit qu'on doit avoir un droit de grève ou de lock-out aux trois ans, mais l'arbitre en conclut que ce droit de grève ou de lock-out peut être encadré.

Nous, on pense que ça règle une bonne partie du problème — une bonne partie du problème. Peut-être pas complètement, il y a peut-être encore quelques zones grises. Si les parties convenaient, par exemple, dans une convention de six ans ou de neuf ans, de dire: II y aura des renouvellements aux trois ans, et on renonce totalement au droit de grève ou au droit de lock-out, et on le remplace par un système d'arbitrage, il y a une zone grise à ce niveau-là. Bon. On sait que c'est une sentence aussi qui est en appel, à l'heure actuelle. Elle n'a pas subi tous les aléas juridiques, mais, de la façon qu'on l'analyse, et on a travaillé avec nos conseillers juridiques, on pense qu'il y a une bonne piste de solution à ce niveau-là.

Pourquoi on voudrait que ça retourne au Conseil consultatif? Et, encore une fois, on ne s'oppose pas à trouver des moyens de donner une portée juridique à des conventions collectives de longue durée qui seraient signées dans des conditions particulières, comme on l'a connu, nous autres, au niveau de l'impression des journaux, comme on l'a connu au niveau de certaines entreprises, dans l'acier, par exemple, où les conditions étaient un petit peu difficiles. On ne s'oppose pas à trouver ces mécanismes-là et on pense qu'on devrait les trouver, mais, en même temps, il y a des questions qui demeurent entières et qui n'ont pas été résolues. Il y a toute la question, entre autres, de la liberté syndicale. Il est évident qu'il y avait eu, entre autres au niveau du conseil consultatif de la main-d'oeuvre, l'idée du code fédéral qui était avancée. Ça, c'est une idée qui ne nous sourit pas du tout, parce que, au bout de trois ans, il y a maraudage et, ensuite, à toutes les années. Bon. Il faut se rappeler que, quand on signe des conventions collectives de plus de trois ans, ce n'est pas toujours parce que ça va bien; ce n'est pas toujours parce que c'est facile. On reconnaît que, des fois, on est obligés de le faire. Et il ne faudrait pas se mettre dans des situations, non plus, où les syndicats, au bout de trois ans, quatre ans, cinq ans, six ans, à chaque année, soient dans une position de maraudage perpétuel. Je pense que ça pourrait entraîner des problèmes probablement plus graves que ceux qu'on veut régler.

La même chose au niveau des employeurs. Les employeurs, en tout cas à venir jusqu'à date, se sont opposés systématiquement à la dénonciation. Ils sont d'accord avec des projets de conventions collectives de longue durée mais se sont opposés systématiquement à dire: On peut dénoncer cette convention collective là, par exemple, après trois ans. Si on signe une convention de sept ou huit ans, on devrait être pris avec pendant sept ou huit ans.

Donc, d'un côté, il y a la liberté syndicale; de l'autre côté, si on accepte que ces conventions-là ne peuvent être dénoncées pour aucune considération, vous admettrez qu'on défait un peu l'équilibre fragile qu'il y a entre les parties, et surtout dans le contexte dans lequel on signe ces conventions-là. Nous, on pense qu'on devrait remettre ça sur la table à dessin, à travers le CCTM. Moi, je pense qu'il y a moyen de dégager un consensus à ce niveau-là, et il y a moyen, sans dire que, dorénavant, on ouvre la porte grande ouverte à des contrats absolument de longue durée, de trouver des mécanismes pour faire en sorte que, lorsqu'on sera obligés d'en signer ou qu'on devra en signer, on soit capables d'avoir des assises juridiques; comme je vous parlais tantôt, la possibilité d'arbitrage, par exemple, entre deux contrats, deux conventions de trois qui en feraient une de six ans, des mécanismes qui pourraient être regardés. Donc, on admet qu'à partir du jugement de l'arbitre Hamelin, il reste encore quelques failles, mais je pense qu'on a une bonne pierre d'assise pour être capables de régler une bonne partie du problème.

On a quelques autres observations, aussi, d'ordre un peu plus général, à faire sur la loi. Il y a l'article 47.3, là, où, lorsqu'il y a une plainte envers un syndicat, on parle qu'il n'y aurait plus d'enquêteur; on passerait directement au niveau du Tribunal du travail. On pense que ça ne devrait pas se faire. Notre analyse sur le terrain nous démontre qu'une très grande partie des plaintes sont réglées à ce niveau-là. On dénonce aussi, au niveau de la FTQ, depuis quelques années, et j'entendais tantôt les intervenants avant nous sur la question de la judiciarisation des relations de travail... Nous autres, on parle de plus en plus de déjudiciarisation des relations de travail. On dépense des sommes d'argent considérables, un temps considérable, c'est contre-productif. Donc, on verrait bien plus donner un petit peu plus de pouvoirs, probablement, à l'enquêteur que de dire: On fait sauter l'enquêteur, et qu'il soit capable de régler ces problèmes-là.

Il y a l'Ontario, entre autres, qui a des mécanismes à ce niveau-là qui sont un peu plus définis que les nôtres, où les enquêteurs ont un peu plus de pouvoirs, et beaucoup plus de cas se règlent au niveau de l'enquêteur, en Ontario, qu'il peut s'en régler au Québec. On sait que notre Tribunal du travail, que nos commissaires enquêteurs sont déjà surchargés. Donc, on pense qu'on devrait faire attention à cet élément-là.

Un autre élément, c'est l'article 25 du projet de loi où, dans les services publics, on a un avis de grève qui est envoyé par les syndicats. Là, on dit: Lorsque le syndicat envoie son avis de grève, s'ils veulent rentrer au travail, l'employeur pourra prendre au moins quatre heures avant d'exercer le retour au travail. On voudrait vous rappeler bien gentiment et bien simplement que, dans les services publics, le droit de grève a été érodé passablement depuis les dernières années. Et je ne veux pas faire l'étude de tous les dossiers détail par détail, mais, dans certains cas, on prétend que le droit de grève, à toutes fins utiles, n'existe pratiquement plus dans le secteur public. Du moins, nos membres le ressentent comme ça. Ça donne quoi de faire une grève quand on est obligés de donner une série de services essentiels? Et puis, là, je ne parle pas des services essentiels qui sont pour la santé et pour la sécurité de la population. Ça, je pense qu'on n'a pas joué là-dessus et on est d'accord avec ça, sauf que, quand on regarde l'application qu'a faite le Conseil des services essentiels, on a débordé passablement la notion de santé et sécurité à la population pour aller vers les inconvénients à la population.

Je vais vous donner un exemple rapide de ça. Quand, dans le transport à Montréal, il y a une grève, par exemple, on est obligés de donner le service de transport aux heures de pointe, quatre heures par jour, trois périodes. Bon, là, on nous dit: Peut-être que les ambulances ne pourront plus passer, les ponts vont être «jammés». Disons qu'il y a peut-être une partie de ça, mais pas à toutes les heures du jour. Mais, quand on applique le même raisonnement sur la Rive-Sud, ou dans la ville de Chicou-timi, ou un peu partout où le transport en commun serait arrêté, je veux dire, il n'y a personne qui va en mourir, les routes ne seront pas bloquées et puis, bon... C'est pour vous donner un peu l'interprétation qu'en a faite le Conseil des services essentiels. Et c'est évident que, dans les syndicats, il s'est développé des stratégies un peu plus. Vous avez beaucoup moins de grèves générales dans les services publics. Bien, bravo! mais les syndicats ont développé d'autres stratégies, un petit peu de harcèlement des employeurs, d'«embarrassement» des employeurs, mais qui ne nuisent pas à la population. Et là, en nous mettant des délais comme ça de quatre heures, et tout ça, bien, je veux dire, si vous nous poignez par les deux bouts, moi, je pense qu'un jour on va revenir à des stratégies que ni le mouvement syndical, ni le gouvernement, ni la population en général ne souhaitent, et on devrait faire attention à ces questions-là.

Il y a toute la question, aussi, de l'acquisition du droit de grève à l'article 59. On est d'accord avec ça en disant: À partir du moment où le droit au lock-out ou à la grève s'exerce effectivement. Mais je voudrais vous rappeler aussi que, dans les services publics où il y a des services essentiels, où il y a des nonnes qui sont plus serrées, le droit au lock-out n'existe pas. Donc, la convention collective continue de s'appliquer, même s'il y a une couple d'arrêts de travail de quelques heures ou une grève rotative de quelques journées. De la façon dont l'article est rédigé, on se trouverait à avoir un recul à ce niveau-là.

Il y a aussi la question des services essentiels qu'on étend dans le secteur privé au niveau de la disposition de l'équarrissage, et je demanderais à Yvon Belle-mare de vous en parler une minute ou deux. Ça aussi, ça nous crée des problèmes.

Le Président (M. Joly): M. Bellemare.

M. Bellemare (Yvon): Ce qui arrive, c'est qu'actuellement, au niveau du projet de loi, on exten-sionne la notion de services essentiels des gens, des travailleurs, des travailleuses qui vont être touchés par la loi sur les services essentiels. Déjà, les gens des secteurs public, parapublic, péripublic sont effectivement astreints à la loi sur les services essentiels. Il y a une partie sur l'équarrissage des viandes, c'est-à-dire la récupération des animaux morts et de tous les résidus qui existent. Ce qu'on essaie, à l'intérieur du projet de loi, c'est de faire en sorte que cette industrie soit astreinte à la loi sur les services essentiels. (12 h 20)

Déjà, à l'intérieur du mouvement syndical, il y a des discussions, depuis des années, sur toute la notion des services essentiels, et les industries ou les commerces qui devraient être touchés. Ce qui arrive actuellement, c'est qu'on élargit la notion à une industrie qui, effectivement, n'est pas une industrie de monopole. Ça veut dire qu'il y a déjà eu des grèves dans l'industrie de l'équarrissage et, effectivement, la récupération s'est faite par d'autres entreprises qui ont obtenu de nouveaux contrats ou des entreprises qui se sont formées pour récupérer des viandes. Le problème qui va survenir, c'est qu'effectivement, au niveau de ce sujet spécifique, toute la notion de la loi sur les services essentiels, si on commence à l'étendre au secteur privé, les gens, effectivement, à un moment donné, vont carrément aller à rencontre de ces lois-là pour une raison. Moi, je travaille dans le secteur de l'alimentation. Demain matin, on pourrait aussi voter une loi pour faire en sorte que le secteur de l'alimentation soit considéré comme un service essentiel à la population. Et, à ce moment-là, on n'en finit plus. Toutes les industries... Et, ensuite, c'est la notion économique qui peut rentrer en ligne de compte. Donc, les industries, économiquement, ça peut faire des torts à un gouvernement, à un pays, à une province, et, à ce moment-là, bien, on est tous astreints à une loi qui est comme celle-là.

Je pense que le mouvement syndical a accepté d'emblée la notion de toute la loi sur les services essentiels, sauf qu'on considère qu'il y a des industries qui ne devraient jamais être touchées par cette loi-là, surtout des industries qui ne sont pas des industries de monopole dans leur secteur.

M. Massé (Henri): Le dernier point qu'on voulait souligner, c'était... Bon, on vous demande de retourner ça au Conseil consultatif. Ça pourrait être discuté là. Mais, au cas où vous ne nous écouteriez pas, il y a toute la question de la première convention collective. On en a parlé longuement, on l'a redit, sur les syndicats jaunes. Je ne parle pas de syndicats indépendants, je pense qu'il faut faire la différence. Il y a des syndicats indépendants, au Québec, et on peut regretter, de notre part, qu'ils ne soient pas des centrales syndicales, mais qui font un bon travail, qui font leur job, mais il y a quand même aussi des syndicats dominés et, si on leur permettait de signer des conventions de cinq, sept ou 10 ans, il est clair qu'il y aurait un danger important de ce côté-là. C'est les interventions qu'on voulait faire devant vous.

Le Président (M. Joly): Alors, merci beaucoup, M. Massé et les gens qui vous accompagnent. M. le ministre, s'il vous plaît!

M. Marcil: Merci beaucoup. D'abord, on vous a souhaité la bienvenue tantôt, mais, moi, j'en profite également, comme ministre de l'Emploi, pour vous souhaiter la bienvenue à cette commission parlementaire. C'est vrai que vous n'avez peut-être pas eu beaucoup de

temps, depuis votre invitation officielle, pour vous préparer, sauf qu'il y a déjà eu beaucoup d'échanges avec M. Godbout, de la FTQ, concernant le projet de loi 116. Tout simplement pour vous dire également qu'on avait même eu un texte qui nous avait été envoyé par la FTQ, justement, sur ce projet de loi, qui disait, dans le fond, que le projet de loi 116 n'entraînera pas la fin du syndicalisme au Québec. «Si je me fie à ce qui se passe ailleurs au Canada, aux États-Unis et en Europe, le fait d'enlever la limite maximum de trois ans aux conventions collectives ne devrait pas être une catastrophe pour les syndicats québécois» affirme le secrétaire général, M. Godbout. Et, naturellement, il indique également qu'il serait bien important, pour la première convention collective, par exemple, qu'il y ait peut-être un plafonnement de trois ans.

Donc, ceci dit, je voudrais aussi revenir au CCTM pour vous informer également que, avant que le projet de loi 116 soit déposé, il y a eu discussions, à ce comité, de septembre 1993 jusqu'en janvier 1994 et, disons, après le dépôt du projet de loi également. Il y a eu même des sessions spéciales qui ont été organisées par le CCTM, la commission consultative du travail et de la main-d'oeuvre, et même provoquées, souvent, par la CSN ou d'autres parties, spécifiquement sur la loi 116. Donc, il y a eu beaucoup de discussions, sauf qu'il ne s'est jamais dégagé un consensus. Donc, les parties sont campées sur une position, et c'est assez difficile de dégager un consensus.

Donc, ce que j'ai compris tantôt, dans votre exposé, c'est que vous ne vous objectez pas au déplafonnement, sauf que vous voulez absolument, par exemple, que la... Vous proposez que, à la première convention, il y ait un délai, un plafonnement, du moins pour la première convention. C'est ça?

M. Massé (Henri): C'est ça, mais il faut nuancer, dans le sens qu'on a toujours proposé, à la FTQ, de trouver un moyen de donner des assises, une portée juridique à nos conventions qui sont plus longues, mais on ne voudrait pas nécessairement en faire une règle générale. Bon, je peux vous dire qu'il y a eu de longues discussions au niveau du bureau de la FTQ. Le monde souhaite, en général, qu'on signe des conventions collectives de trois ans, trois ans et moins. Mais ils disent, par contre: Dans certaines situations, on est obligés d'en signer. On voudrait continuer à être capables de le faire, autant pour se protéger nous, des fois, au niveau d'une entreprise qui est en difficulté, mais comment on trouve la mécanique pour le faire?

Et c'est pour ça qu'on dit, après la sentence arbitrale qui vient d'être rendue, qu'il semble y avoir des pistes, là. Il y a des choses, au départ, qu'on prétendait peut-être carrément illégales, puis ça n'avait peut-être pas de portée juridique. Mais, là, il y a des jugements qui commencent à nous dire: attention, il y a une certaine portée juridique. C'est vrai que ça ne couvre pas toute la problématique, mais on pense qu'il y a une bonne piste de solution, puis on devrait s'orienter un peu à partir de cette décision-là. Il est bien évident qu'on ne veut pas en faire une religion, nous autres, et dire qu'une convention ne peut pas avoir plus de trois ans, nécessairement, puis jamais.

Mais il faut faire attention. Il y a toute la question de la liberté syndicale. Vous avez vu que ça a fait tout un débat sur la place publique. Il y a toute la question, aussi, de la dénonciation de la convention collective. Si on regarde du côté de la liberté syndicale puis qu'on en vient à la conclusion qu'il va falloir que, de temps en temps, les travailleurs ou les travailleuses puissent pouvoir changer d'allégeance syndicale, qu'est-ce qu'on fait avec toute la question de la convention qui, elle, ne pourrait pas être dénoncée?

C'est vrai que, dans le reste du pays, au niveau du code fédéral, puis tout ça, il n'y a pas de limite aux conventions. Par contre, aux trois ans — au niveau du fédéral, en tout cas — puis, après ça, à chaque année, il y a une possibilité d'allégeance syndicale, il y a une possibilité de dénoncer la convention. On ne veut pas, non plus, se retrouver dans cette situation-là, parce que je pense que ce n'est pas plus... Parce que le problème qu'on essaie de régler, puis de se donner un peu de stabilité à la source, si on tombe dans les dispositions du code fédéral, ça ne veut pas dire qu'on va se donner cette stabilité-là qu'on voulait se donner.

Mais, encore une fois, on pense qu'on devrait, au lieu de partir d'une règle générale, regarder, à partir des jugements qui viennent d'être rendus, comment on peut donner une assise juridique à une convention qui pourrait être plus longue.

M. Marcil: Tantôt, vous avez parlé, justement, du dossier du Journal de Montréal. On sait, selon les groupes qui sont intervenus, qu'il y a un conflit apparent de décision. D'abord, en Cour supérieure, on donnait raison au journal, puis, au niveau de l'arbitrage, ça a été une décision différente. Vous ne trouvez pas qu'une intervention législative soit souhaitable, dans ce cas-là, justement, pour bien camper le problème?

M. Massé (Henri): On ne dit pas qu'elle ne sera pas souhaitable, M. le ministre. Ce qu'on pense, c'est qu'on devrait prendre le temps de regarder ça comme il le faut, puis de voir comment la rendre, la disposition législative.

Peut-être une disposition législative qui dirait, par exemple, qu'il peut y avoir deux conventions collectives successives, puis comment faire, entre deux conventions de trois ans, par exemple, pour rendre légaux les mécanismes que les parties se donneraient. Je pense à l'arbitrage, par exemple. Si les parties conviennent que ça pourrait être prolongé par arbitrage et que ces mécanismes-là pourraient être légaux dans une convention collective, c'est une voie, ça. C'est une voie, parce que je dirais que, dans la plupart des conventions collectives de longue portée qu'on a signées à la FTQ — puis on n'en a pas signé beaucoup; c'est habituellement deux conventions collectives de trois ans, bout à bout, avec un

mécanisme entre les deux qui dit comment ça va se renouveler, qui encadre le renouvellement — c'est là qu'il reste une petite zone grise, au niveau de l'arbitrage, s'il n'y a pas de droit de lock-out ou de droit de grève comme tel, du tout, et il me semble qu'on devrait regarder ces pistes-là.

M. Marcil: Vous avez signé quelques conventions collectives de longue durée. Vous en avez déjà signé quelques-unes. Je donne un exemple: Good Year, à Valleyfleld, c'est un exemple, je ne dirais pas modèle, mais c'est un bon exemple. C'est quoi, l'expérience, jusqu'à maintenant, des conventions de longue durée que la FTQ a signées avec ses partenaires? Dans quel genre d'entreprises ça s'est fait? Et puis, pour vous autres, comme première évaluation, c'est quoi, comme résultats? Est-ce qu'il y a des résultats positifs, ou si ça a complètement dégénéré en conflits, ou si c'est des expériences qu'il ne faut pas revivre, ou, au contraire, c'est des expériences qu'on devrait mettre de l'avant? (12 h 30)

M. Massé (Henri): Je vais demander à mes deux confrères de compléter. C'est des conventions collectives qu'on n'a pas signées depuis bien, bien des années. Il est peut-être un peu tôt pour tirer toutes les conclusions qui s'imposent, mais ce qu'on peut vous dire, au moment où on se parle, c'est qu'on n'a pas eu de regret de les avoir signées, non plus. On les a signées parce qu'il y avait des situations très particulières. On pense qu'on se devait de les signer. Maintenant, on va le voir un peu avec le temps. Je peux vous souligner, entre autres, qu'aux États-Unis il y a eu beaucoup de conventions collectives de longue durée de signées, entre autres dans l'acier, à cause de la situation très particulière. Et c'est les employeurs, aujourd'hui, aux États-Unis qui disent: Des conventions collectives de longue portée, on ne veut plus en signer. Ils essaient de rouvrir des conventions collectives de longue portée qui ont été signées.

Donc, nous autres, on est au début. On ne peut pas vous dire que ça a été dramatique. Je pense que... en tout cas, dans Le Journal de Montréal, à The Gazette, c'est nous autres qui se bat pour que l'assise juridique de ces conventions-là soit respectée, parce qu'on a négocié des clauses, encore une fois, sur des changements technologiques, etc., etc., puis des questions qui ne peuvent pas se régler, malheureusement, sur une période de trois ans. Mais pour vous dire de tendance générale... Mais ce que je peux vous dire, c'est qu'à la FTQ il est clair qu'on ne proposera pas, en général, des conventions collectives de longue durée. Mais, encore une fois, celles qui sont là, au moment où on se parle, je ne pense pas qu'il y ait de drame. Yvon, vous avez signé...

Le Président (M. Joly): M. Bellemare, s'il vous plaît, oui.

M. Bellemare (Yvon): Moi, dans le secteur où on est comme syndicat, c'est l'alimentation et le commerce. C'est tant les magasins d'alimentation que les industries qui sont dans le secteur de la fabrication, de la transformation et de l'abattage. Nous, on a des conventions collectives qu'on a signées de longue durée avec, entre autres, Métro-Richelieu. Vous vous souviendrez de la vente de Steinberg, il y avait un achat conditionnel de Métro au niveau de Steinberg, c'était d'avoir une convention collective conclue avec le syndicat; à ce moment-là, il y avait transaction au niveau des deux entreprises et la convention devait être de longue durée. On a négocié une convention de longue durée avec un mécanisme qui enlève le droit de grève aux deux parties, le droit de grève et de lock-out aux deux parties, sauf qu'il y a l'arbitre de différends qui est nommé après une négociation traditionnelle et, s'il n'y a pas d'entente, effectivement, l'arbitre tranche.

On a renégocié par après d'autres conventions collectives de long terme, une autre avec Métro dans Boeuf mérite. Celle-là est à peu près la même chose, sauf qu'on avait une garantie, au niveau de la convention collective, dans des textes, d'un investissement de 8 000 000 $, sinon il y avait possibilité de fermeture du secteur qui est le secteur où on fait la charcuterie, les jambons. À ce moment-là, les gens ont accepté une convention collective de longue durée, sauf qu'à l'intérieur de la convention le processus d'arbitrage est un peu différent. Le processus d'arbitrage prévoit qu'effectivement l'arbitre a juridiction pour déterminer le contenu de la convention collective, mais il ne peut effectivement baisser les conditions, tant les bénéfices marginaux que les salaires des gens.

On a signé une autre entente à long terme avec la compagnie Olymel. Olymel, c'était pour consolider des emplois parce que, effectivement... L'usine où on est, c'est une usine qui travaille les fesses de porc, donc c'est un commerce où 90 %, 95 % de la production est vendue aux États-Unis, pour permettre, effectivement, que l'entreprise puisse être capable de vendre sur le marché américain et, à ce moment-là, les gens ont effectivement accepté des conventions à long terme.

Le problème qu'on a, c'est peut-être un peu plus spécifique pour nous parce qu'à partir de la décision du Journal de Montréal, c'est peut-être le point qui est nébuleux actuellement, c'est les conventions où les gens ont renoncé volontairement à leur droit de grève ou à leur droit de lock-out. Actuellement, il n'y a rien. C'est pour ça qu'on dit que le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre doit se prononcer rapidement et on pense que les gens devraient facilement faire un consensus sur ce genre de convention collective là.

Le Président (M. Joly): Merci, monsieur... M. Marcil: Vous aviez soulevé tantôt...

Le Président (M. Joly): Excusez, M. le ministre, je pense que M. Ducharme avait quelque chose à ajouter.

M. Ducharme (Claude): Oui, merci, M. le Président. M. le ministre, tout à l'heure, vous avez dit quelque chose d'une extrême importance, quand vous avez mentionné qu'au CCTM il n'y a pas consensus. Puis, pour qu'on change un consensus qui existe à l'heure actuelle, autant au Québec, autant au niveau canadien, autant au niveau américain, autant au niveau international... Le grand consensus dans le domaine de la négociation collective, c'est trois ans. On a dépassé trois ans pour des exceptions, et ces exceptions-là sont temporaires.

Prenez toute la grande industrie, prenez la métallurgie au niveau mondial, les seuls groupes qui sont allés sur des conventions de cinq ans, c'est l'acier. Pourquoi? Il est arrivé une exception dans le monde où on a dit, aux États-Unis, pour se racheter, pour trouver les moyens de compétitionner: On va se donner des mécanismes bien précis. Puis on est allés vers cinq ans. En cours de route maintenant, on remet en question toute cette entente de cinq ans.

Prenez l'automobile, il n'y a pas de convention collective plus longue que trois ans. Les grands de l'automobile, y a-t-il une compagnie plus puissante que GM?

M. Marcil: Je vous arrête tout de suite. M. Ducharme (Claude): Oui.

M. Marcil: Je vous arrête tout de suite. Je ne mets pas ça en doute. Je ne mets pas ça en doute que le consensus, peut-être aux États-Unis ou partout en Amérique du Nord, en général, est de trois ans. Ça, je comprends ça, sauf qu'il n'y a pas de loi qui plafonne à trois ans des conventions.

M. Ducharme (Claude): Non, mais ce n'est pas une question...

M. Marcil: Ce que je veux dire, c'est que les gens, de bonne foi, négocient des conventions de trois ans.

M. Ducharme (Claude): Oui, oui, justement. M. Marcil: C'est dans ce sens-là.

M. Ducharme (Claude): Mais c'est ça qui est important. Parce que, là, remarquez bien que les partenaires sociaux qui sont là vont se retrouver aux tables de négociation et, à l'heure actuelle, il y a eu des tentatives d'entreprises qui voulaient des conventions de cinq ans puis qui n'en avaient pas besoin. Puis je peux vous en nommer une, elle est tout près d'ici; elle avait même une vente dans sa poche de plusieurs centaines de millions. Puis il a fallu aller à la table les convaincre que leur avenir était au Québec, que leur avenir n'était pas à l'extérieur du Québec, puis on le leur a démontré et, finalement, on s'est entendus, il y a eu un consensus, on a une convention de trois ans.

Il ne faut pas rejeter non plus du revers de la main tous les mécanismes de négociation, à ce moment-là, qui se font en cours de convention collective. On a commencé dans des modes nouveaux pour adapter des programmes de qualité, des programmes de productivité, des programmes, à ce moment-là, d'équipes de travail, et les parties se sont dit: On va se donner des conventions collectives dynamiques, on va se donner des conventions collectives où il va y avoir une amélioration continue en cours de convention. Et, si on arrive avec des mécanismes maintenant, où les employeurs vont changer de cap, ce n'est pas toujours les bons employeurs qui vont s'amener avec des mécanismes nouveaux. Alors, si on dépense de l'énergie maintenant sur la durée de nos conventions alors qu'on a établi des traditions dans un mode de stabilité, dans un mode de paix industrielle, il va arriver quoi? C'est à ça que vous devez penser.

Une autre chose aussi sur laquelle je veux attirer votre attention. N'allez pas croire et ne prenez pas pour acquis que, tout ce qui s'implante avec la nouvelle technologie, c'est facile de syndiquer ces entreprises-là. Vous allez les compter sur le bout de vos doigts; vous allez arrêter sur le premier doigt. Tout ce qui s'est implanté depuis cinq ans avec la nouvelle technologie, malgré les efforts que les syndicats ont faits, malgré leur présence dans ces secteurs-là, on n'arrive pas à les syndiquer. Alors, ça, c'est important aussi ce qui va arriver de ces nouvelles entreprises qui s'implantent: Hyundai, Bell Helicopter, Norsk Hydro, tout ce qu'on a amené ici chez nous. Et, si, ces secteurs-là, il n'y a pas de syndicats à l'intérieur, ça devient très grave. Parce que, dans les autres pays, que ce soit l'Allemagne, que ce soit la Suède, que ce soit, à ce moment-là, la Communauté européenne, que ce soit les États-Unis, le mouvement syndical, les syndicats sont omniprésents, participent aux grandes lignes de décisions. Pensez-vous pour deux minutes, M. le ministre, que l'usine de GM, à Boisbriand, serait là s'il n'y avait pas eu un syndicat, qu'on aurait les méthodes de travail là-dedans parmi les plus modernes au monde, où il y a eu plus de 1 000 000 000 $ d'investissements, 3400 travailleurs à l'heure actuelle à plein temps, plus d'autres qui vont probablement s'ajouter?

Alors, tout ça, M. le ministre, il faut y penser parce que, si on ouvre, à un moment donné, puis si on «débalise» alors qu'il n'y a pas un consensus parmi les partenaires sociaux, il va y avoir des problèmes dans le champ. Alors, nous, on n'est pas fermés. Quand les partenaires sont à la table de négociation et que les partenaires disent, parce qu'on a un cas bien particulier: Allons sur cinq ans, allons sur six ans — c'est arrivé dans des conventions collectives en cours de route... Les régimes de retraite, c'est des exemples; ils font partie de nos conventions, puis on signe des ententes de six ans. D'autres sur le temps supplémentaire; c'est arrivé dernièrement à Air Canada, on est allés sur une période de cinq ans sur le temps supplémentaire, sur des mécanismes à l'intérieur parce qu'il y avait des problèmes particuliers à régler. Mais on ne peut pas faire d'une règle

d'exception, M. le ministre, de dire: On fait sauter le trois ans, on arrive à un an...

M. Marcil: Je voudrais continuer à vous poser des questions, là.

M. Ducharme (Claude): Oui.

Le Président (M. Joly): Oui. Moi, je vais...

M. Marcil: C'est que, si vous parlez pendant une heure, je n'aurai pas la chance de saisir, parce que vous parlez du mouvement syndical...

Le Président (M. Joly): M. le ministre, je vais vous reconnaître une brève question et une brève réponse.

M. Marcil: ...je ne suis pas antisyndical, mais comment expliquez-vous que, dans certaines entreprises, vous ne pouvez pas syndicaliser? Puis pourquoi il faut que ce soit absolument d'importance capitale que chaque entreprise au Québec soit syndicalisme? C'est quoi, ce discours-là? Vous me dites ça, là, vous me dites que c'est très important que tout le monde soit syndicalisé, puis vous dites que, dans toutes les entreprises où on amène une modernisation, de nouvelles technologies, vous avez de la difficulté à syndicaliser les gens à l'intérieur. Pourquoi vous avez de la difficulté à les syndicaliser?

M. Ducharme (Claude): M. le ministre, je vais m'asseoir avec vous...

Le Président (M. Joly): Brièvement, s'il vous plaît, M. Ducharme.

M. Ducharme (Claude): ...puis je vais vous passer le dossier de Hyundai, et vous allez voir que c'est bien simple à l'intérieur de ça. C'est que...

M. Marcil: Mais vous avez IBM aussi, là; vous en avez d'autres dans la région de Bromont.

M. Ducharme (Claude): Bien oui! Alors, je vais m'asseoir avec vous, je vais tout vous expliquer ça. Vous allez comprendre rapidement...

M. Marcil: Ah! bien, ça vaudrait la peine parce que j'aimerais ça comprendre.

M. Ducharme (Claude): ...et voir pourquoi le Code va être obligé, un jour, d'être amendé dans ce sens-là.

Le Président (M. Joly): Parfait. Je vous remercie. Malheureusement, M. le ministre, c'est tout le temps qui vous est consenti. M. le député de Jonquière, s'il vous plaît. (12 h 40)

M. Dufour: Oui, je vous remercie. Bien sûr que, lorsqu'on voit, au début, la position de la FTQ puis qu'on échange, on se rend bien compte qu'il y avait de la place pour de la nuance. Mais, moi, ça me plaît beaucoup plus qu'on puisse regarder, il ne faut pas avoir peur, pour moi, de faire des cas par cas, parce que c'est la seule façon qu'on a trouvée, en tout cas, de pouvoir se prouver la nécessité de faire avancer les causes puis de faire avancer les conditions de travail.

En fait, vous nous parlez que, oui, il est possible d'avoir des conventions collectives plus longues, dans certaines conditions précises, et vous parlez à ce moment-ci du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre qui pourrait être l'intervenant. Qu'est-ce que vous attendez du Conseil consultatif? Si c'est consultatif, il n'a pas force de loi, à ce que je sache. Comment il opérerait, là, pour nous donner cet éclairage qui nous manque?

M. Massé (Henri): Je pense qu'à partir de la sentence arbitrale qui vient d'être rendue, encore une fois, nous, ce qu'on dit, c'est très clair... Si, à partir de cette sentence arbitrale là, puis on l'épluche chacun de notre bord et ensemble, on pense que ça fait le tour complet de la situation, bien, je pense qu'on peut dire: On va continuer à vivre comme ça. Si, à partir des conventions de longue durée qu'on a signées et de la réalité qu'on vit — je ne veux pas faire de la philosophie autour de ça; de la réalité qu'on vit, pourquoi on a signé ces conventions-là, comment elles s'appliquent, les mécanismes de renouvellement — il y a quelque chose dans cette sentence-là qui est nébuleux, on en vient à la conclusion que, non, ça va prendre un aménagement du Code pour y donner des suites, nous autres, on est prêts à continuer la discussion et à regarder ça. Mais ce qu'on pense, c'est qu'on n'est pas obligés de s'enligner dans une règle générale, tel qu'il est proposé dans le projet de loi. Puis, encore une fois, on ne veut pas faire de religion, de sémantique avec ça et dire: Des contrats de longue durée, on ne veut rien savoir de ça, et là liberté syndicale... Mais je pense qu'on est capables de bien encadrer ça, puis il me semble qu'il ne manque pas grand-chose. Il me semble qu'il ne manque pas grand-chose.

On disait ce matin: Quand il y a des mécanismes d'arbitrage puis on renonce complètement à notre droit de grève et au lock-out, peut-être qu'à partir de la sentence ce n'est pas clair. Ça peut l'être aussi. C'est ça qu'on voudrait examiner comme il faut ensemble. Si on les a, ces mécanismes-là, bien, chicanons-nous pas pour rien, parce que, là, tantôt... On sait qu'il y a des divergences, même dans le mouvement syndical. Nous, on n'y tient pas au code fédéral, soit dit en passant: trois ans un maraudage, puis un maraudage chaque année après. Parce que, quand on signe un contrat de six ans ou de 10 ans, comme je le disais au début, ce n'est pas nécessairement parce que ça va bien. Ça fait qu'il ne faut pas mettre plus de difficultés dans la machine qu'on n'en a au départ.

Je voudrais revenir un petit peu aussi, parce que le ministre n'a plus le temps de poser des questions, mais, suite à la question qu'il a posée, les Etats-Unis puis tout ça, il faut se rappeler aussi qu'aux États-Unis ils ont un code qui est un peu moins rigide que le nôtre. Le droit de grève en tout temps existe aux États-Unis. Les parties y renoncent souvent par convention collective, mais, bien souvent, elles n'y renoncent pas totalement. Elles vont dire: Bon, sur telle, telle clause, il n'y aura plus le droit de grève. Mais, sur les questions de santé et sécurité ou d'autres questions, elles gardent le droit de grève.

Nous autres, ici, au Québec, quand on signe une convention, il faut dire qu'elle est fermée, hein, puis il n'y a pas de droit de grève, et, quand on en fait une, on en mange des maudites à chaque fois. Ça fait qu'il y a tout ça qu'il faut regarder. Il y a tout ça qu'il faut regarder. Il faut garder un petit peu de souplesse dans la machine tout en étant capable de régler ces problèmes-là, parce que, encore une fois, nous autres, on est convaincus qu'on va être obligés d'en signer, des conventions de cinq ou six ans ou peut-être plus, pour se protéger dans le cas de certains changements technologiques ou parce que l'entreprise va être dans une situation qui est assez difficile, puis on est obligés de comprendre tout ça. Mais il me semble qu'il y a une route à trouver, puis, moi, je dis: Servons-nous du jugement qui vient d'être rendu. Même s'il n'est pas rendu en Cour suprême, il n'est pas obligé de se rendre là; je pense qu'on a des bons juristes de part et d'autre, puis on est capables de trouver une porte à travers ça.

M. Dufour: Donc, vous nous dites que les conventions collectives sont peut-être plus longues dans l'état actuel des choses, mais il ne faut pas oublier que l'assise juridique... Est-ce que vous croyez que le Conseil consultatif pourrait donner des assises juridiques sans qu'il y ait un projet de loi?

M. Massé (Henri): Je ne le sais pas au moment où on se parle. Il y a des bonnes chances qu'il n'y ait pas besoin d'un projet de loi. Mais ce qu'on dit, c'est: Si ça en prend un, on regardera ça à ce moment-là. Mais on n'a pas besoin d'un projet de loi aussi large qu'on a à l'heure actuelle qui va nous entraîner, selon nous autres, des difficultés.

M. Dufour: Puis le Conseil consultatif, normalement, comment il prend de temps pour... Vous excuserez mon ignorance, mais comment ça prend de temps normalement pour donner un avis? Parce que c'est complexe, ça.

M. Massé (Henri): Je vais excuser votre ignorance puis je suis obligé d'admettre la mienne, parce que j'arrive au Conseil consultatif.

M. Dufour: Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Dufour: On est sur la même longueur d'onde, donc.

M. Massé (Henri): Donc, je devrai m'informer.

M. Marcil: J'ai déjà vu 30 mois, puis 22 mois, même, pour avoir des opinions, quand il en donne...

M. Dufour: Quand il en donne.

M. Marcil: ...parce que c'est paritaire.

M. Dufour: Mais s'ils avaient la certitude que leur avis est attendu avec impatience de la part du gouvernement, j'ai l'impression, à ce moment-là, que le Conseil consultatif irait un petit peu plus vite.

M. Massé (Henri): Ça devrait aider.

M. Dufour: Parce qu'on a tellement tendance à demander des avis pour des avis, puis à ne pas s'en occuper. Mais, moi, je comprends tous ces groupes-là qui sont sur pied actuellement, qui font des efforts pour donner des avis très éclairés, puis ça reste dans les tiroirs, puis ça reste entre deux couverts de cahier, puis on ne s'en sert pas. Moi, je trouve que l'approche que vous avez ce matin — moi, en tout cas, je vous le dis, par expérience — c'est celle-là qu'on devrait avoir, et c'est ça que le gouvernement devrait avoir, une approche: oui, dans des circonstances particulières. Des syndicats actuellement, je les écoute parler, puis on a des problèmes chez nous, et, quand on discute avec eux autres, je ne sais plus lequel est employeur ou pas. S'il ne le disait pas, si je ne le connaissais pas, puis que je ne savais pas que c'était un syndiqué puis que, l'autre, c'était l'employeur, savez-vous que je les confondrais, à toutes choses confondues. C'est exactement le même langage. Ils parlent de rationalité, ils parlent d'ISO 9000, puis 0, puis 01, puis 02. Ils sont beaucoup plus perfectionnés que moi pour en parler de ces choses-là. Et je les entends parler.

M. Massé (Henri): Mais ne le dites pas trop, vous ne nous aiderez pas.

M. Dufour: Donc, il y a eu une évolution extraordinaire. On le disait, voilà 30 ans, que le syndicat, il devrait parler avec l'employeur. C'est rendu là. Et ce n'est pas les mécanismes qu'on va mettre en place par des lois qui va améliorer cet état-là. Ce cheminement-là, vous l'avez fait pourquoi? Par nécessité, par obligation et aussi, en même temps, parce qu'il y a une situation qui demande des réponses. Je pense qu'un syndicat, comme un employeur, qui ne répond pas à ça, il mérite de disparaître. Il faut s'adapter; vous l'avez fait. Donc, on ne doit pas, parce qu'on fait des lois... Si ça ne fait pas un consensus, moi, je pense qu'on va sur une mauvaise piste. Puis, actuellement, la piste que vous avez,

moi, je trouve que c'est celle-là qu'on doit faire. J'espère que la ministre va la retenir.

Quand vous demandez, pour les services publics, vous dites: On a... bon, parce qu'il y a les services essentiels à travers tout ça, là... Dans les services essentiels, vous dites: On ne devrait pas légiférer ou les augmenter, la capacité. Moi, j'aimerais que vous m'en parliez un petit peu plus, parce qu'on sait que les services essentiels ça existe pour les services publics. Quand on parle de vidanges, d'enfouissement sanitaire, etc., c'est un service public, mais il y a des municipalités qui confient ça à l'entreprise privée. Je comprends que, pour certaines personnes, elles favorisent l'entreprise privée à tout prix. Moi, je dis, je fais attention, parce que l'entreprise publique, dans les mêmes conditions, fait aussi bien que l'entreprise privée. Ce n'est pas juste une question d'économie, à mon point de vue. Comment, vous autres... Est-ce que vous pourriez élaborer quelque peu par rapport à ça?

M. Massé (Henri): C'est parce que, au niveau des services publics, il faut reconnaître que c'est une situation de monopole. Il est évident qu'on a toujours accepté qu'au niveau de la santé puis de la sécurité de la population il devait y avoir des dispositions. On aurait souhaité que ce ne soit pas aussi encadré, parce que je pense qu'on a quand même démontré certaines responsabilités. Par contre, des fois, il s'agit d'un ou deux cas qui accrochent pour les porter sur la place publique, puis les monter en épingle, puis nuire à l'ensemble des actions qu'on a posées là-dedans.

Mais, quand on s'en va vers le secteur privé, ce qu'on prétend, c'est que, là, il n'y a pas de situation de monopole. Et, souvent, dans les entreprises qui disposent soit des ordures ménagères ou d'équarrissage, il y a des clauses où l'employeur peut mettre fin à son contrat s'il y a un conflit et, à ce moment-là, une autre entreprise peut rentrer. Donc, on n'a pas le problème du monopole qu'on retrouve dans les services publics.

M. Dufour: Ça va.

Le Président (M. Joly): Oui? Parfait. M. le député de Drummond, s'il vous plaît.

M. St-Roch: Oui, merci, M. le Président. Vous n'étiez pas ici ce matin, malheureusement, lorsqu'on a fait les remarques préliminaires, mais vous avez rejoint les préoccupations au niveau des premières conventions collectives. Je partage l'avis qu'on ne doit pas faire une règle générale et étendre ces conventions-là de longue durée.

Ici, M. le Président, j'aimerais vous faire part de mon expérience personnelle, puis étant venu du côté patronal. Souvent, le patron veut avoir des choses qui vont être réalistes et plausibles. Dans le contexte économique dans lequel nous vivons, moi, je pourrais prendre une heure pour vous décrire toutes les modes qu'il y a eu du côté patronal, mais je ne le ferai pas.

Le Président (M. Joly): Je vais vous reconnaître quelques minutes, M. le député.

M. Marcil: Quelques minutes. Ha, ha, ha! Des voix: Ha, ha, ha!

M. St-Roch: Mais ce que je veux dire par là, M. le Président, c'est que souvent, à cause, aujourd'hui, des mécanismes d'investissements, des caisses de retraite et des rendements attendus, un président de compagnie va être évalué sur les modes qu'il va suivre. Or, vous pourriez avoir, aujourd'hui, une industrie où le contrat à long terme ne serait pas une nécessité, mais ça va devenir une mode, puis le président d'une compagnie qui oserait ne pas suivre cette mode-là serait dénoncé comme étant un mauvais gérant lorsque arrivera l'assemblée de ses actionnaires. Ça, c'est une préoccupation de tous les instants. (12 h 50)

L'autre question s'adresserait beaucoup plus à M. le ministre. Je sais qu'il en prendra note. Dans la foulée du jugement Hamelin, M. le ministre, avec toute l'expertise qu'il possède et avec tous ses légistes, peut-être que, d'ici avant la fin de demain, il pourrait regarder la possibilité, si on veut couper des délais, de retourner au niveau des légistes voir quelles modifications pourraient être apportées au niveau du projet de loi pour qu'on puisse harmoniser ça.

Mais, dans l'éventualité, M. le Président, où on ne serait pas capables de convaincre M. le ministre de votre approche, qui m'apparaît réaliste et pragmatique, qu'on soustrait de ce projet de loi là, par l'article 26, tout ce qui est de la fonction publique, ne croyez-vous pas qu'à ce moment-là on va créer dès le départ un débalancement entre le secteur privé et le secteur public? Parce qu'il y en a qui sont quand même régis à trois ans maximum côté public, on aura le côté privé, puis il n'y a aucun doute dans mon esprit que, si on approuve le projet de loi tel qu'il est là, par l'effet de mode, par l'effet du domino, d'ici trois ans, trois à quatre ans, toutes les conventions collectives seront de longue durée parce que ça deviendra une mode puis que les dirigeants seront forcés d'embarquer puis de suivre la parade. Alors, est-ce que cet effet-là n'est pas un danger, puis, à la longue, va débalancer, finalement, la parité, si vous voulez, au niveau des conventions collectives, au niveau des bénéfices marginaux, entre le secteur privé et le secteur public, qui est si cher à une certaine école de pensée présentement?

M. Massé (Henri): II peut y avoir des tensions. Il peut y avoir des tensions. Maintenant, je vous dirais qu'au niveau de la FTQ on ne veut pas dramatiser là-dessus non plus parce qu'on pense que, effectivement, il y a des secteurs où il y aura des pressions assez fortes puis qu'il y aura peut-être des conventions collectives de longue durée, si on le rouvre trop large, qu'il n'y aurait pas normalement. Mais, encore une fois, puis on l'a déjà

dit, puis on ne reviendra pas sur cette position-là, ce n'est pas ça qui nous défrise au maximum, parce qu'on pense que les syndicats sont capables aussi de signer des conventions collectives d'une durée plus courte. Mais il pourrait y avoir un petit déséquilibre. Mais on vous rappelle, dans le secteur public, en passant, qu'on a déjà signé des conventions de quatre ans et demi et de cinq ans avec le gouvernement du Québec.

Maintenant, on n'était pas obligés d'amender le Code du travail pour ça, là. Il y a toute une série de mécanismes qui se sont faits et c'est là qu'on vous demande d'être prudents. On dit: Sans modifier l'économie générale du Code du travail au niveau de la durée, s'il y a des situations particulières qui se posent, qui s'imposent, trouvons exactement ce qu'il faut changer s'il y a lieu de changer quelque chose suite à la décision Hame-lin, puis regardons ça de façon très pragmatique, très pragmatique, puis ne soulevons pas des débats pour rien. On a vu tous les débats que ça a soulevés, sur la liberté syndicale, par exemple. Nous autres, on ne veut pas être pris dans les débats de liberté syndicale. Puis, en même temps, on ne pourra pas... Des conventions de 10 ans ne pourront pas être dénoncées, puis tout ça. Ça fait qu'il y a tout cet aspect-là. C'est pour ça qu'on dit, si on le regarde d'une façon pragmatique, qu'on pense qu'on a les éléments en main pour être capables de continuer quand la situation l'impose, autant pour les syndicats, autant pour les entreprises. On pense qu'on aurait les mécanismes en main pour le faire.

M. St-Roch: Oui. Puis la dernière va être une question, profitant de la présence de M. Bellemare, parce que je me méfie, moi, des mur à mur, parce que, en décembre 1992, on a fait un mur à mur avec les heures d'affaires, puis on était censé créer beaucoup d'emplois. Est-ce que ça a créé tous les emplois qu'on était censé créer, M. Bellemare?

M. Bellemare (Yvon): Bien, moi, je ne veux pas vous décevoir, mais il y a une chose que, nous, on sait, dans notre secteur. C'est qu'actuellement il y a des emplois, qui auraient été perdus, qui ont été créés parce que, effectivement, le magasinage aux États-Unis, peut-être à cause de la décision, peut-être aussi à cause du fait que le dollar canadien a baissé encore, en tout cas il y a eu une diminution importante. Les autres provinces canadiennes, à l'époque, ouvraient leurs frontières, et, nous, on croyait, comme syndicat, qu'on n'avait pas le choix, et on voulait faire en sorte que les emplois qui étaient perdus à cause des ventes importantes qui se faisaient à l'extérieur, puis, également, le fait que, les pharmacies, il y avait des heures d'ouverture différentes, etc. Nous, actuellement, on considère, comme syndicat, qu'effectivement on n'est sûrement pas pires qu'on était auparavant et on est à peu près persuadés qu'on a eu des emplois qu'on n'a pas perdus à cause de la décision qui avait été prise.

M. St-Roch: Merci, M. le Président.

M. Massé (Henri): Ce qu'on souhaiterait, c'est qu'on ne touche plus à ça pour le moment.

M. BeUemare (Yvon): Oui, même... Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Joly): M. le député de Drummond, ça vous donne satisfaction? Oui. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Marcil: Je vais donner peut-être un petit peu de temps à mon...

Le Président (M. Joly): M. le député de Laval-des-Rapides, oui.

M. Marcil: Je reviendrai.

M. Ménard: Je veux juste m'assurer que je comprends bien votre position. Si je comprends bien, vous êtes contre le fait que rallongement des conventions collectives deviennent la règle générale, mais vous êtes ouverts à ce qu'il y ait des cas particuliers, bien balisés, dans lesquels ce soit permis. Et ce que vous voudriez, c'est que le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre donne son opinion sur ces balises-là. Moi, au début, j'avais cru comprendre qu'il y avait vraiment très peu de cas puis qu'ils étaient reliés à l'introduction de nouveaux procédés technologiques dans l'entreprise, mais je m'aperçois que M. Ducharme donne des exemples, comme le travail supplémentaire à Air Canada, qui déborde l'introduction de la technologie. Mais je pense que je comprends à peu près que votre position, c'est ça. Pour le moment, on voudrait que la règle générale demeure les trois ans, quitte à ce qu'il y ait quelques exceptions qui soient bien balisées, et on suggère que le CCTM étudie les balises qu'on devrait accepter.

Mais, si le gouvernement n'acceptait pas cette solution-là, trouvez-vous que l'établissement de la règle générale est si dangereuse qu'entre deux maux il faut peut-être garder la règle de trois ans plutôt que d'avoir le principe général de la liberté totale de la durée des conventions collectives?

M. Massé (Henri): On a bien de la misère avec les questions hypothétiques. Ce qu'on souhaite, c'est que le gouvernement nous entende comme il faut, qu'il nous entende comme il faut. Il me semble qu'il y a des pistes, là, qu'on ne devrait pas éviter.

M. Ménard: Mais j'ai bien compris votre position?

M. Massé (Henri): O.K. M. Ménard: Oui? O.K.

M. Massé (Henri): Oui, oui.

Le Président (M. Joly): M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Ménard: Merci.

M. Marcil: C'est parce que je sais que M. Massé va participer bientôt... est devenu membre du CCTM, du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. C'est quasiment un comité paritaire, si on peut dire, où les parties patronales et les parties syndicales sont représentées, et le ministre les consulte sur des dossiers importants. Ça existe quand même depuis assez longtemps, ce comité-là. On arrive, à l'occasion, à avoir des avis clairs, nets et précis, parce que c'est difficile et il faut comprendre la mécanique, hein? Prenez juste les forêts; à un moment donné, lorsqu'on avait demandé au comité consultatif son avis parce qu'il y avait eu une modification au niveau du processus... dans le fond, ce qu'on a eu comme avis, c'est: Bien, M. le ministre, on vous avise qu'il n'y a pas de consensus. Bon. C'est des choses comme ça.

Sur la loi 116, depuis septembre 1993, il y a eu beaucoup de rencontres, beaucoup d'études, et je pense qu'il y en a eu une dernièrement, je pense au début de février, entre autres, qui avait été appelée par M. Larose, le président de la CSN. On connaît les positions des parties, on les connaît, et c'est difficile de les amener à changer. Puis je ne juge pas, là. Je ne juge pas les raisons pour lesquelles la partie patronale veut prendre telle position par rapport au représentant des travailleurs. Je ne veux pas porter de jugement sur ça. Sauf que c'est un comité consultatif qui est là, justement, pour donner des avis, et, à l'occasion, on a des avis et, à l'occasion, on n'en a pas d'avis, c'est-à-dire l'avis qu'on a, c'est qu'il n'y a pas d'avis: On n'a pas d'avis à vous transmettre.

Tout simplement, d'abord peut-être pour conclure pendant les deux minutes qu'il me reste, ce qu'il faut bien comprendre, c'est que la liberté syndicale est protégée mur à mur, d'abord, par le Code du travail, puis la loi 116 ne vient pas remettre en question. Ça, je pense que vous en êtes convaincus. La seule chose, dans le fond, en plus de certains mécanismes que nous proposons de modifier... J'aurais une question peut-être à vous poser, que vous avez soulevée, parce qu'on a souvent... C'est un petit peu comme la loi 142, on a mis tellement l'emphase sur la déréglementation du huit logements et moins, on a oublié aussi une grande partie de la loi 142 qui répondait aussi à des besoins, de diviser le secteur de la construction en quatre secteurs, de changer tout le processus de négociation. On a mis beaucoup d'emphase sur la déréglementation et on verra dans les semaines et les mois qui viennent... on pourra revenir sur ça et donner peut-être des résultats.

Quant à l'enquête, à l'article 47, le projet de loi 116 ne l'enlève pas, on n'enlève pas l'étape de l'enquête.

La seule différence qu'on fait, c'est qu'on ne l'oblige plus, ce n'est plus une obligation de le faire. Je voudrais savoir, pour vous, ce que ça vient changer. Pourquoi le fait d'enlever l'obligation à l'enquête peut modifier en profondeur, peut remettre en cause, je ne sais pas...

M. Massé (Henri): On n'en fait pas une question de vie ou de mort, M. le ministre.

M. Marcil: Ah bon! Ça, j'aime ça quand... Moi, j'aime ça quand je vous entends dire des choses comme ça.

M. Massé (Henri): Ça dépend des fois. Des voix: Ha, ha, ha!

M. Massé (Henri): Notre pratique, le discours de la FTQ, puis il est très clair, et, depuis deux, trois ans, on l'a fait autant au niveau de la CSST, on sait que ça devrait être déjudiciarisé, puis passablement, il y a des millions qui vont là-dedans.

M. Marcil: On va y arriver. (13 heures)

M. Massé (Henri): II y a toute la question des arbitrages, aujourd'hui, de griefs qui sont rendus de plus en plus longs: sept, puis huit, puis neuf jours, ce qu'on ne voyait pas il y a 20 ans. Il y a 20 ans, on avait une sentence qui était sur une page, une page et demie, et on réglait les problèmes beaucoup plus vite et peut-être d'une façon aussi compétente. On regarde ça aujourd'hui, ça n'a plus aucun sens, ce qui se passe à ce niveau-là. Et là c'est un élément dans le Code du travail où on dit: Nous autres, on aurait préféré qu'au niveau de l'enquêteur, plutôt que de dire: Bon, ce n'est pas possible ou c'est possible, ça devrait être une étape qui est obligatoire, puis même l'enquêteur devrait... Parce que, souvent, les enquêteurs vont dire: Ça a bien du bon sens, mais il faut pareil que ça aille plus haut, parce qu'ils n'ont pas tout à fait assez les moyens de conviction.

Et ça, ça existe dans d'autres codes du travail, en Ontario entre autres, dans les cas de congédiement, je ne parle pas par rapport aux syndicats, mais dans le cas de congédiement pour activités syndicales et autres, où les enquêteurs ont quand même un rôle beaucoup plus encadré, puis on se rend compte qu'on règle beaucoup plus de problèmes, on évite des auditions, et ce qu'on pense, avec ce que vous faites là, c'est que ça diminue un peu l'importance de l'enquêteur, et on va se ramasser probablement avec plus de causes devant le Tribunal du travail. Quand on regarde ça dans la pratique, il n'y a pas beaucoup de ces causes-là qui ont été retenues. Je pense qu'on va encombrer encore davantage, puis judiciariser. C'est juste dans ce sens-là qu'on vous dit ça. On est capables de vivre avec ça, mais on pense qu'on s'en va à l'envers de ce qu'on devrait aller.

M. Marcil: Je vous remercie beaucoup de votre présence. Je sais qu'on a déjà eu beaucoup de représentations de faites par la FTQ en ce qui concerne la loi 116, et les éléments nouveaux que vous nous avez apportés aujourd'hui, on va prendre ça en considération. Vous verrez, suite aux travaux de consultation, comment on pourrait peut-être modifier notre approche. Merci beaucoup.

M. Massé (Henri): Je vous remercie.

Le Président (M. Joly): Merci, au nom des membres de cette commission. M. Massé, M. Bellemare et M. Ducharme, merci d'avoir apporté votre contribution. Alors, nous ajournons nos travaux à demain matin, 10 heures, dans ce même salon.

(Fin de la séance à 13 h 1)

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