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Version finale

33e législature, 1re session
(16 décembre 1985 au 8 mars 1988)

Le jeudi 24 septembre 1987 - Vol. 29 N° 76

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les Etats-Unis


Journal des débats

 

(Dix heures huit minutes)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission de l'économie et du travail reprend ce matin sa consultation générale en ce qui a trait à la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.

Je vous donne, d'abord, l'ordre du jour pour aujourd'hui. Nous recevrons, d'abord, M. André Raynauld, économiste de l'Université de Montréal et ancien membre de l'Assemblée nationale du Québec, puis le Conseil conjoint 91 des Teamsters du Québec, qui sera suivi de l'Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec.

En après-midi, nous recevrons l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes et le Nouveau parti démocratique, suivis de M. Jean Lambert. Finalement, à 20 heures , nous recevrons le Parti québécois du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine et la Coalition solidarité populaire du Québec.

M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Baril (Rouyn-Noranda-Témiscamingue) est remplacé par M. Audet (Beauce-Nord); M. Farrah (Îles-de-la-Madeleine) est remplacé par M. Hamel (Sherbrooke); M. Fortin (Marguerite-Bourgeoys) est remplacé par M. Doyon (Louis-Hébert); M. Rivard (Rosemont) est remplacé par M. Lemieux (Vanier) et M. Théorêt (Vimont) est remplacé par M. Lemire (Saint-Maurice).

Le Président (M. Charbonneau): Merci. Je crois que le ministre et le député de Bertrand, critique de l'Opposition, voulaient faire de brefs commentaires avant de céder la parole à notre premier invité. M. le ministre.

M. MacDonald: M. le Président, nous avons tous pris connaissance, hier, de la déclaration de M. Reisman, l'ambassadeur canadien aux négociations bilatérales, disant que les négociations étaient dans une impasse. Depuis ce temps, nous avons fait état des termes et conditions canadiens qui ne semblaient, pas recevoir la compréhension des Américains et sur lesquels on n'avait, tout au moins, pas de réponse satisfaisante.

Nous notons, cependant, que c'est une impasse et que les négociations sont suspendues et non pas terminées. C'est dans ce contexte que, avec l'accord du représentant de l'Opposition, nous croyons que la commission parlementaire est encore très pertinente. Il y a des témoins que nous avons convoqués et que nous voulons entendre. Nous allons poursuivre aujourd'hui cette commission avec le sérieux et selon l'objectif visé dès le départ.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le ministre. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Oui, M. le Président. Brièvement, on a compris, dans ce qui se passait, que cela allait comme cela va très souvent à la fin des négociations, c'est-à-dire que ce sont des positions très serrées. Pour notre part, tout en étant préoccupés, on espère une chose, et je l'ai mentionné hier, c'est que, effectivement, il n'y aura pas, à cause de cette grande volonté politique, de prix à payer, de concessions trop importantes. Nous avons déjà mentionné que les décisions finales seront des décisions hautement politiques. Je pense que c'est ce qui est en train de ressortir. On espère que le gouvernement canadien ne laissera rien aller et, particulièrement, en ce qui regarde les demandes très spécifiques du Québec, qu'aucun morceau ne sera abandonné. Cela fait partie de nos préoccupations.

Bien sûr, quoi qu'il arrive, la commission parlementaire que nous tenons a toujours son plein sens et je pense que plus on avance, plus on en apprend; alors, je pense qu'elle est toujours d'appoint. Moi aussi, je suis d'accord pour qu'on continue ce travail. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le député de Bertrand. De toute façon, comme je l'ai indiqué hier, on a un mandat de l'Assemblée nationale. On n'a pas d'avis que ce mandat soit conditionnel au déroulement proprement dit des négociations. Ce n'est pas parce qu'il arrive un certain nombre d'événements dans les négociations entre Ottawa et Washington que le mandat de la commission, pour autant, est changé.

Sur ces commentaires, je vais maintenant céder la parole au premier invité, M. Raynauld, en lui rappelant que nous avons

une heure pour sa présentation et la discussion. D'abord, il y aura une vingtaine de minutes d'exposé de votre part, et par la suite, le temps sera utilisé, avec vous, par les membres de la commission pour des discussions. Alors, M. Raynauld.

M. André Raynauld

M. Raynauld (André); Merci beaucoup, M. le Président. MM, les ministres, MM. les députés, je dois dire, au point de départ,, que c'est un honneur, rempli aussi de souvenirs qui me sont chers, d'avoir été invité à me présenter devant vous ce matin. Je crains seulement qu'après la longue liste d'experts que vous avez déjà entendus, il soit difficile d'apporter des idées neuves que vous espérez sans doute obtenir. Je ne voudrais pas reprendre les arguments que vous avez déjà entendus. Je voudrais, cependant, dans le temps qui m'est imparti, essayer de faire un peu une synthèse des arguments présentés et, si vous voulez, sans entrer dans tous les détails. J'ai préparé une petite note à votre intention où j'ai simplement indiqué les points que je voulais soulever devant vous.

Auparavant, je voudrais aussi vous dire que j'ai été profondément déçu d'apprendre, hier, la suspension des négociations. Il me semble qu'il devient plus urgent que jamais, pour le Québec, d'intervenir auprès du gouvernement canadien pour faire valoir l'importance historique d'une éventuelle entente de libre-échange et trouver les voies d'un compromis honorable qui puisse débloquer ces négociations. J'espère, comme M. le ministre vient de le dire, qu'il s'agit d'une suspension, d'un repli stratégique de négociateurs, parce qu'il me semble que, si ces négociations devaient conduire à un échec, on serait dans une situation pire que si on n'avait pas commencé les négociations, si on n'avait pas ouvert la voie. En plus, si ce sont les Canadiens qui se retirent, cela va rappeler des souvenirs qui remontent à très loin. Il faut, je pense, se remémorer le fait que, au cours des 60 ou 70 dernières années, il est arrivé à deux reprises que le Canada entame des négociations avec les États-Unis et c'est le Canada lui-même qui s'est retiré les deux fois. Je pense qu'il faudrait vraiment faire des efforts pour faire avancer cette négociation.

En effet - et vous ne serez pas surpris, je pense, de l'entendre de ma bouche - sur un sujet comme le libre-échange; les économistes sont dans une situation très confortable parce que, pour une fois, ils sont unanimes ou presque à vanter les mérites et les avantages du libre-échange et cela, depuis au moins deux ou trois siècles. Les économistes se fondent sur un certain nombre de considérations pour appuyer le libre-échange. En gros, j'ai inscrit, dans la petite note de présentation, les considérations économiques qui sont en faveur de la libéralisation des échanges.

Au point de départ, on doit considérer les tarifs douaniers, par exemple, comme on considère les impôts. Ces tarifs sont un poids qui augmente les prix des biens et je suis toujours surpris qu'on ne comprenne pas d'emblée qu'une réduction de prix augmente le revenu réel des consommateurs. Un abaissement des tarifs et des barrières non tarifaires conduit à une baisse des prix non seulement des produits importés, mais de tous les produits qui sont substituts aux importations et qui sont fabriqués sur place. Ceci augmente donc le revenu réel des consommateurs. Cette réduction de prix est encore plus marquée lorsqu'il s'agit non seulement des tarifs canadiens, mais aussi de l'abaissement des tarifs étrangers ou des tarifs américains, dans le cas qui nous occupe. Lorsqu'il s'agit d'un impôt canadien,' on peut toujours argumenter en disant; Oui, les consommateurs paient plus cher pour leurs produits, mais, comme il y a un droit de douane qui s'en va au gouvernement, le gouvernement reçoit le produit de cette taxe et, par conséquent, on peut recouvrer, si je peux dire, l'augmentation du prix initial. Mais dans le cas d'un abaissement des tarifs étrangers, on n'a pas de compensation. C'est une pure perte que d'avoir, dans le cas d'un pays comme le Canada, à payer non seulement les tarifs canadiens, mais également les tarifs américains et, cette fois-là, sans aucune compensation.

Or, c'est cela qui est le problème, en ce sens que le Canada est un petit pays sur le plan économique. Ce n'est pas lui qui fixe les prix, les prix sont fixés par les Américains ou par le marché international et, lorsque les Américains imposent un droit de douane - d'ailleurs, dans tous les cas où il y a eu, par exemple, des droits compensateurs qui ont été érigés, on l'a vu immédiatement - les producteurs canadiens sont obligés d'absorber l'augmentation de ce droit. Si les Américains imposent un droit de 10 %, c'est presque automatique que les producteurs canadiens doivent abaisser leurs prix de 10 % pour rester sur le marché. Par conséquent, ce sont les Canadiens qui paient à la fois le tarif américain et le tarif canadien et, dans le cas du tarif américain, encore une fois, sans compensation. Donc, c'est cela, l'origine ou la base même de l'avantage qu'il y a à une libéralisation des échanges.

Ensuite, on arrive à des considérations plus standard, si je peux dire, où on peut faire état de gains de spécialisation. Lorsqu'on a accès à un marché beaucoup plus vaste, il y a une spécialisation des activités et ceci remonte, sur le plan économique, à des auteurs les plus anciens qui ont montré, hors de tout doute, que cette spécialisation était avantageuse pour l'ensemble de la

population.

Ces gains de spécialisation, on peut les voir, d'ailleurs, dans le cas du pacte de l'automobile. Le pacte de l'automobile a, justement, produit cette spécialisation à l'échelle continentale. Ce pacte de l'automobile est un bon exemple du genre d'adaptation qui se fait lorsqu'on a accès à un marché vaste comme celui des États-Unis, c'est-à-dire qu'il y a une spécialisation dans certaines lignes de production, plutôt que d'essayer de tout produire, mais à très petite échelle. On a donc une production nord-américaine pour certains produits et on a abandonné la production d'autres produits. C'est cela, la spécialisation. Ceci a permis une augmentation de productivité considérable et, par conséquent, une augmentation du bien-être.

Ces gains de spécialisation ont été estimés à plusieurs reprises. Vous avez dû entendre de ces estimations statistiques qui ont été faites. On dit que c'est autour de 2 %, disons, du produit national brut. Je ne veux pas m'arrêter aux chiffres en tant que tels, mais simplement donner un ordre de grandeur.

En outre de ces gains de spécialisation qui sont des gains traditionnels de la libéralisation des échanges, il y a, évidemment, les gains d'échelle, les économies d'échelle qui ne s'appliquent pas toujours à toutes les productions, mais à un certain nombre d'entre elles. Lorsqu'il y a des gains d'échelle, évidemment, les avantages que nous recevons de cette libéralisation des échanges sont décuplés. Ce sont surtout ces gains d'échelle qui sont les plus importants, d'après toutes les estimations qui ont été faites. Encore une fois, cela ne s'applique pas dans toutes les industries, mais, là où cela s'applique, ces gains d'échelle sont considérables.

Ensuite, il y a des gains de concurrence. Lorsqu'on ouvre un marché, la concurrence est plus vive, surtout, encore une fois, lorsqu'on compare les dimensions, la taille des économies respectives du Canada et des États-Unis, ces gains de concurrence sont considérables à mon avis, même si on ne peut pas les quantifier. Il suffirait de dire que, lorsqu'on est dans une économie relativement petite et qu'il existe des économies d'échelle, cela veut dire que les entreprises, dans beaucoup de cas, ont des coûts décroissants, c'est-à-dire qu'elles auraient avantage à produire plus pour abaisser les coûts, mais cela veut dire aussi qu'il y a des prix qui sont plus élevés qu'ils ne le seraient. Ces gains de concurrence, c'est ce que cela veut dire. Cela permet donc d'accroître l'échelle de production et d'abaisser les prix sous l'influence d'une concurrence accrue.

Enfin, il y a des gains d'innovation qui, là non plus, ne sont pas quantifiables.

J'entends par gains d'innovation tous les aspects, disons, dynamiques, toutes les choses qu'on ne peut pas prévoir vraiment, mais qui sont probablement plus importantes que tout ce qu'on peut mesurer. C'est toujours une chose qui me frappe que, lorsque nous faisons des études d'impact en sciences économiques, les chiffres sont toujours relativement petits. Même un gain de 5 % du PNB en 1991, on ne peut pas dire que cela va faire une révolution. Je me souviens d'un auteur américain, qui s'appelle Klein, qui a fait des études en commerce international pendant 30 ou 40 ans et qui a dit, un jour: Quand je regarde les études économiques d'impact, je sais que ce sont des mesures très statiques qui sont prises à un moment donné. J'ai pris l'habitude, chaque fois que je vois un chiffre, de le multiplier par cinq. Cela donne un bon ordre de grandeur des avantages réels qu'on va recevoir, même si, encore une fois, on ne peut pas les quantifier. Évidemment, c'était une blague qu'il faisait, mais lorsque nous parlons, avec les études que nous avons actuellement, d'une augmentation, comme le Conseil économique, de 3,3 % du produit national brut, évidemment, si on multipliait par cinq, on aurait probablement une vue plus adéquate de ce qui va se produire. Encore une fois, on ne peut pas le prouver, on voit cela après coup.

Enfin, j'ai mentionné qu'il y avait des gains d'emplois. La libéralisation des échanges n'est pas une politique de l'emploi, c'est une politique de productivité, essentiellement. C'est une politique de rationalisation de l'industrie, mais, dans à peu peu près toutes les études qui ont été faites sur la libéralisation des échanges, il existe aussi des gains d'emplois. C'est un peu une cerise sur le gâteau, dans un certain sens. Il existe des gains d'emplois, même dans le secteur manufacturier. Cette libéralisation des échanges, à mon avis, ne peut pas faire de doute quant à son bien-fondé et quant aux avantages que nous avons à retirer d'une telle politique.

Je voudrais mentionner là-dessus que, quand on essaie de faire avancer une économie, on n'a pas beaucoup d'instruments. Il n'y a pas beaucoup de politiques dont on peut dire: Bon, on va établir cette politique et on va avoir un résultat marqué, un résultat évident. C'est très rare. Dennison, il y a plusieurs années, avait calculé les facteurs de croissance économique. Il disait: Voilà, la croissance économique américaine dépend de l'accroissement de la main-d'oeuvre, cela dépend de ceci, de cela, de tous les facteurs possibles et imaginables. Il disait aussi: Si on voulait augmenter la croissance économique de 0,1%, par exemple, il faudrait probablement doubler le nombre d'heures de travail dans une semaine.

Évidemment, c'était un exemple, une

illustration exagérée, mais le message qui est derrière cela, c'est qu'il n'y a pas beaucoup de politiques à la disposition d'un gouvernement et d'une société pour changer vraiment le cours de la croissance économique d'un pays. Par conséquent, il est d'autant plus important, lorsqu'on a un instrument comme celui de la libéralisation des échanges, de se rendre compte de son importance, en termes économiques, pour faire avancer les choses.

J'ai ensuite pensé à vous rapporter très brièvement ce que j'appelle les enseignements de l'histoire. Encore une fois, les mesures statiques d'impact économique sur des gains d'échelle, des gains de spécialisation sont toutes dans la bonne direction, si je puis dire. Ces gains ne sont pas aussi considérables que certains le voudraient, mais en dehors de ces études d'impact, il y a ce que j'appelle des études historiques qui ont été faites.

Je voudrais dire quelques mots de Mancur Oison qui a écrit un livre absolument fascinant qui s'appelle The Rise and Decline of Nations. La thèse du professeur Oison est la suivante. S'il est vrai que la libéralisation des échanges entre pays est aussi avantageuse, on devrait voir ces avantages d'une façon encore plus claire et plus facile si on regardait les moments où les pays se sont intégrés, les moments où les États-Unis, par exemple, sont devenus un marché commun à l'intérieur du pays, les moments où certains autres pays, comme l'Allemagne, sont devenus un pays par opposition à un grand nombre de villes plus ou moins indépendantes. Il passe en revue trois ou quatre cas. Encore une fois, je ne voudrais pas m'étendre trop longtemps là-dessus parce que le temps passe. Il fait état, par exemple, de l'intégration de ce qu'il appelle les "peuples germains" où il y avait une trentaine de principautés, de villes et de régions qui ont été unifiées, vers 1871, en Allemagne, et il rappelle que, jusqu'à ce moment-là, les "peuples germains", comme il les appelle, étaient perçus par les gens comme étant des peuples voués à la pauvreté pour très longtemps et, tout à coup, à cause de cette intégration des marchés où on a éliminé toutes les barrières tarifaires à l'intérieur du pays, l'avenir de l'Allemagne a été complètement changé.

Il dit la même chose du Japon. Là aussi, je vous fais grâce des détails. Autour de 1860, il y avait apparemment au Japon 300 unités politiques indépendantes, chacune avec ses péages, comme on les appelait, ou ses tarifs. A l'occasion d'un changement politique important, l'avènement des Meiji au Japon, ce pays a été intégré. On a éliminé toutes ses barrières tarifaires et, là encore, le Japon qui était, à ce moment-là, un des pays les plus pauvres du monde, a pu prendre une expansion sans précédent.

Olson insiste également sur l'histoire des États-Unis proprement dite et il prétend que même pour les États-Unis, on pourrait faire la même preuve.

Enfin, il y a l'exemple du marché de ia Communauté économique européenne qui me paraît tout à fait pertinent, encore une fois, sur le plan de l'histoire. Là encore, on n'est pas capable de mesurer les impacts de la formation de cette communauté, mais ce qui me surprend et m'étonne, c'est qu'après des luttes séculaires en Europe on soit parvenu à former une communauté économique d'abord et maintenant qu'on s'en aille vers une autre étape; on veut avoir ce qui s'appelle le marché unique d'ici 1991. (10 h 30)

J'ai vu un livre blanc qui a été publié par la communauté en mai 1986. Je voudrais simplement vous lire les trois titres principaux de cette publication, tellement ils paraissent irréels. Le premier titre: L'élimination des frontières physiques. Il n'y aurait plus de frontières physiques entre les pays européens si on s'en tient à ceci. Le deuxième titre: L'élimination des frontières techniques. Et, le troisième titre: L'élimination des frontières fiscales. On est loin de là et on n'aspire pas à un arrangement comme celui-là, mais c'est pour dire que, si on considère fondamental et impérieux le besoin d'une intégration économique aussi poussée, d'une intégration même politique, il doit bien y avoir des raisons. Là encore, dans la perspective de l'histoire de Olson, on comprend très bien que c'est une croissance économique, une expansion générale qui sont à l'origine de ces efforts d'intégration.

Somme toute, si on essaie de résumer un peu ces avantages qui existent de la libéralisation des échanges, je dirai qu'au-delà, encore une fois, de toutes les précisions techniques, au fond, la libéralisation des échanges, pour le Canada est essentielle pour relever le défi technologique de notre temps, pour rester dans la course, c'est-à-dire pour continuer à avoir des carrières valorisantes dans un pays comme ici, à avoir des centres de décision qui préféreront rester ici plutôt que de s'en aller à l'étranger et aussi, évidemment, pour continuer de valoriser des règles de fonctionnement d'une économie qui ont fait leurs preuves dans le passé. Je pense ici aux règles de marché, aux règles de concurrence qui se sont avérées beaucoup plus efficaces pour augmenter le niveau de vie des populations que les protections, les privilèges qui se sont créés au cours des années.

Cela étant dit, je voudrais m'arrêter quelque peu sur la question des tarifs et des barrières non tarifaires. Évidemment, dans un certain sens, on est à peu près tou3 d'accord pour dire qu'il faut réduire les tarifs, mais on est beaucoup plus hésitant lorsqu'il s'agit

des barrières non tarifaires et des subventions à l'entreprise, par exemple.

Je voudrais simplement dire en quelques mots là-dessus qu'il est impensable que l'on puisse, s'attaquer à l'ensemble de ces problèmes au cours d'une négociation comme celle qui s'est faite jusqu'à maintenant. Je crois qu'on ne sait pas, qu'on ne peut pas savoir à l'avance quelles sont les implications sur les échanges, sur les importations et les exportations de l'ensemble de ces barrières non tarifaires. Il faut les examiner une à une. Je suis toujours surpris de la facilité avec laquelle les gens généralisent à partir de ces barrières non tarifaires en disant, d'un côté, pour ceux qui s'y opposent qu'on va être obligé de changer tous nos programmes sociaux et, de l'autre, que cela ne changera pas grand-chose.

Je crois que ces barrières non tarifaires n'ont pas été résolues encore sur le plan international. Il y a quelques codes et quelques protocoles qui ont été examinés et qui ont été adoptés mais on a fait très peu de chemin là-dessus en dehors donc des barrières tarifaires proprement dites. Je pense qu'il faut se donner du temps pour définir ce que nous devrions faire en ce qui concerne le Canada et les États-Unis.

Je favorise donc une entente-cadre qui va permettre par la suite de poursuivre des négociations sur ces barrières non tarifaires dont certaines, d'ailleurs, sont très difficiles à évaluer et à estimer.

D'ailleurs, je voudrais mentionner que c'est exactement ce qui est arrivé dans le cas de l'initiative américaine vis-à-vis des pays des Antilles, le "Caribbean Initiative". Là-dedans, je voyais justement qu'on a eu un protocole sur des subventions, mats surtout, après avoir donc exempté des tarifs avec des restrictions d'ailleurs, tout de suite après, on a voulu faire un cadre de négociation pratiquement permanente et qui va durer pendant des années. Je pense que ce serait la même chose ici.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Raynauld...

M. Raynauld: C'est pour cela que j'avais imaginé ce que j'ai appelé un scénario du possible...

Le Président (M. Charbonneau): II vous reste combien de temps à peu près?

M. Raynauld: Deux minutes.

Le Président (M. Charbonneau): Deux minutes. Alors, cela va aller, il n'y a pas de problème.

M. Raynauld: S'il vous plaît! J'avais imaginé un scénario du possible où l'entente dont nous parlons actuellement aurait porté sur les tarifs dans le secteur manufacturier seulement. Elle aurait peut-être touché à des barrières non tarifaires, mais parmi celles qui sont évidentes, celles qui ont déjà fait l'objet de négociations sur le plan international, comme les achats publics. Ensuite, j'imaginais une période de transition de cinq à dix ans. Et on arrive à ce fameux règlement des différends. Je dois dire sur ce point que je partage l'avis que M. Parizeau a émis ici selon lequel il est illusoire de penser qu'on puisse obtenir un tribunal exécutoire compte tenu non seulement des États-Unis ou du gouvernement américain ou du Congrès américain, puisqu'on parle toujours du Congrès américain, mais même du point de vue du Canada et du Québec. Je trouve très surprenant que l'on soit obligé d'appeler cela une concession, de dire que ce serait simplement une commission d'évaluation des faits, un "fact finding board", par exemple. Personnellement, je serais complètement satisfait d'une commission comme celle-là qui serait bipartite, qui serait formée d'experts et qui ferait des évaluations objectives des faits. Quant aux décisions par la suite, il me semble qu'elles appartiennent aux gouvernements des deux côtés. Je ne vois pas pourquoi on serait prêt à suspendre, sinon à abandonner les avantages associés au libre-échange pour une raison comme celle-ci. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Raynauld, je vous remercie. Vos derniers propos nous amènent dans l'actualité brûlante, si on peut utiliser cette expression. Alors, je cède maintenant la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: M. Raynauld, merci beaucoup. Vous avez eu la chance d'explorer toutes ces relations commerciales entre le Canada et les États-Unis bien avant ce matin. Vous l'avez fait comme président du Conseil économique du Canada, vous l'avez fait comme professeur et vous l'avez fait comme homme politique. Vous avez très bien démontré votre connaissance approfondie du domaine ce matin.

Vous ne m'en voudrez pas si je ne m'arrête pas à des questions traditionnelles. Je voudrais réellement profiter de votre présence et de votre expérience pour parler d'un problème qui n'a pas reçu peut-être toute l'attention qu'on aurait dû lui apporter. C'est celui de la situation économique américaine. Les États-Unis sont ce qu'ils sont, ils ont une opinion importante de ce que doit être le bien des États-Unis. Le protectionnisme a littéralement toujours existé chez eux, mais il s'est créé une situation économique autour du déficit de leur balance commerciale particulièrement désastreuse pour certains à cause de l'état

de leur bilan, c'est-à-dire qu'ils sont devenus débiteurs et de plus en plus chaque jour. C'est certainement cette situation financière - une question de gros sous, à toutes fins utiles et une question de "jobs" - qui fait qu'on retrouve chez leurs hommes politiques cette violente poussée protectionniste.

Mais les économies changent, cela évolue. Il y a des cycles économiques. On a passé è travers une récession en 1981; on y a assez goûté ici au Québec qu'on sait de quoi on parle. On pourrait prétendre que les Etats-Unis ne seront pas toujours victimes d'un déficit de leur balance commerciale semblable et que peut-être ils pourraient redevenir suffisamment "balancés" dans leurs états financiers pour recommencer à prêter à d'autres pays qui en ont plus besoin. Mai3 d'ici là, il est évident que nous allons connaître un protectionnisme. C'est vis-à-vis de ceci que la décision a été prise de chercher à se protéger le mieux possible, entre autres raisons pour négocier avec eux. Vous, comme économiste et sans vouloir vous faire puiser dans votre boule de cristal, mais en regardant des chiffres et l'évolution normale des économies du monde et particulièrement celle des États-Unis vis-à-vis de nous, pendant combien de temps allons-nous avoir cette situation aux États-Unis? Pendant combien de temps pensez-vous qu'on va subir cette pression ou que d'autres vont subir cette pression?

M. Raynauld: Oui, M. le ministre. Effectivement, je n'ai pas de boule de cristal et dans ce cas particulier, c'est encore plus difficile à prévoir parce que, à mon avis, la situation ne changera pas sans que des politiques soient changées. Cela va bien au-delà de la conjoncture. Cela va au-delà des cycles économiques. Â mon avis, l'origine du problème américain, si on peut l'appeler comme cela, tient à une politique fiscale qui a été désastreuse et qui a entraîné des déficits insoutenables à partir des ressources internes américaines. Ceci a eu pour résultat qu'il fallait faire financer ce déficit budgétaire par l'étranger, cela voulait dire une entrée de capitaux et une demande de dollars américains qui a fait monter le prix du dollar américain de façon considérable, qui a fait monter en même temps, pour pouvoir attirer ces capitaux, les taux d'intérêt réels aux États-Unis. Comme conséquence, avec cette hausse de taux d'intérêt réels, la demande intérieure américaine est faible et, avec l'entrée des capitaux, le dollar a été surévalué pendant longtemps et l'est encore, en dépit de la baisse considérable qui s'est produite depuis deux ans. Mais il est encore surévalué à cause de cette entrée de capitaux.

Les États-Unis, comme vous l'avez dit, sont devenus des débiteurs nets; c'est le plus gros emprunteur dans le monde et de loin, alors que traditionnellement et compte tenu de la richesse d'un pays comme celui-là, il devrait être créditeur, il devrait prêter au reste du monde. Mais il emprunte et il attire, en fait, tous les capitaux extérieurs disponibles. Par conséquent, aussi longtemps que cette situation va durer, j'ai effectivement l'impression que les pressions protectionnistes aux États-Unis vont être très élevées.

Je dois dire qu'un certain nombre d'économistes commencent à se poser des questions à savoir comment il se fait qu'avec une baisse de la valeur du dollar américain de 40 % en deux ans les exportations n'aient pas repris aux États-Unis. Ceci donne à penser qu'on aurait dû voir une certaine amélioration de la situation américaine. On n'a pas vu vraiment encore cette amélioration. J'ai l'impression que c'est la combinaison des deux ou trois facteurs que j'ai mentionnés qui fait qu'on n'a pas de résultats très positifs.

Ayant expliqué la situation dans ces termes-là, cela veut dire qu'elle risque de se perpétuer aussi longtemps que le Congrès américain ne parviendra pas à prendre des mesures du côté fiscal de façon à réduire ce déficit fiscal parce que c'est lui qui est à l'origine de toutes les autres conséquences qui s'ensuivent. Là, je ne suis pas plus devin que d'autres et, étant donné qu'il s'agit de mesures plus ou moins discrétionnaires qui sont prises par le Congrès américain, le président et peut-être l'ensemble de la société, je ne peux pas savoir combien de temps cela va prendre pour qu'on arrive à trouver une solution à ce problème-là. Pour l'instant, l'impression que j'ai, c'est qu'on attend que l'expansion soit suffisamment rapide pour que le problème se règle de lui-même. Or, je pense que c'est une attitude très inefficace compte tenu des circonstances. C'est ce que je dirais là-dessus. Ces pressions protectionnistes, on les comprend dans la situation actuelle. Le déficit extérieur est considérable. Il est vrai que les entreprises américaines sont plus concurrentielles, mais, à mon avis, tout cela doit être relié à la politique budgétaire initiale. Lorsqu'on prendra des positions, qu'on trouvera des solutions au problème du déficit budgétaire, je pense que tout le reste va s'ensuivre.

M. MacDonald: Donc, ce n'est pas pour demain? (10 h 45)

M. Raynauld: Je dirais: Pas d'ici un an.

M. MacDonald: Ce serait une sorte de virage.

M. Raynauld: Oui.

M. MacDonald: D'accord.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Raynauld, cela nous fait plaisir de vous accueillir ce matin à cette tribune de 10 heures, la tribune des spécialistes. Après les Parizeau, Landry, Blouin, Turp et Tremblay, vous venez noua apporter un éclairage additionnel.

Sur ce que vous avez mentionné ce matin, je n'ai pas de question précise. Là où j'ai beaucoup de questions, c'est sur les écrits dont j'ai eu la chance de prendre connaissance et qui vont un peu plus loin que ce que vous nous avez dit ce matin. Ils méritent certainement qu'on profite de cette tribune pour se faire éclairer un peu, parce que je ne suis pas sûr qu'après avoir dit que vous êtes totalement pour le libre-échange on soit sur la même longueur d'onde lorsqu'on entre un peu dans les détails.

Je m'explique. D'abord, vous disiez, dans la revue L'analyste en décembre 1985 -je pense que ce sont toujours des propos que vous tenez aujourd'hui - que vous êtes favorable à une libéralisation aussi complète que possible. Vous l'appelez une libéralisation globale. Vous dites: "Ma préférence va à une approche de type globale vis-à-vis des États-Unis plutôt qu'à une approche dite sectorielle. Mais les modalités de transition et d'application pourraient comporter certaines mesures de type sectoriel ou l'abandon plus progressif de certaines politiques restrictives."

Dans votre politique globale que j'aimerais que vous puissiez nous définir, je retrouve ailleurs dans vos écrits, toujours à la même époque, l'automne 1985, que vous mentionnez être en faveur de l'inclusion de l'agriculture dans ce traité global et je vous cite: "J'espère que tous les produits agricoles ne seraient pas exclus. Après avoir parié des possibilités d'exclure, vous souhaitiez grandement que tout ne soit pas exclu.

J'ai cru comprendre de tous les intervenants qui sont passés, ici, à cette tribune et qui touchaient à ce secteur que l'attitude gouvernementale et notre attitude à nous était de voir à protéger cela au maximum et même d'exclure le secteur de l'agriculture, et tout ce qui touche à l'agriculture, c'est-à-dire les différentes infrastructures y afférant.

Ma première question, M. Raynauld, c'est: Comment définissez-vous cette libéralisation de type approche globale et comment expliquez-vous, si c'est le cas encore aujourd'hui, que vous favorisiez l'inclusion de l'agriculture ou d'une bonne partie des secteurs de l'agriculture?

M. Raynauld: En fait, l'approche globale s'opposait vraiment, dans cet article aujourd'hui, on en parle un peu moins - à ce qu'on appelait alors une approche sectorielle. Même M. le ministre y faisait allusion tout à l'heure. Dans l'étude du conseil économique de 1975, on voulait travailler sur tous les fronts en même temps. Donc, on travaillait sur les fronts sectoriels, tarifaires. Ensuite, on soulevait également les questions du GATT sur lesquelles je pourrai revenir dans un instant.

Alors, cette approche globale s'oppose à une approche sectorielle où on dirait: Voilà, il y a l'automobile d'un côté et, après cela, il y a les métaux non ferreux de l'autre et il y a le papier en troisième lieu. J'ai toujours pensé que ces approches sectorielles étaient moins avantageuses qu'une approche globale, une approche où tous les secteurs sont mis sur le même pied dans le sens où cela nous permet, lorsque tous les secteurs sont mis sur le même pied, d'envisager une spécialisation.

Donc, il y a certains secteurs qui pourraient se restreindre et d'autres secteurs qui pourraient prendre beaucoup d'expansion. Lorsque vous avez une approche sectorielle, vous dites: C'est seulement ce secteur; il n'y a pas de retombées autant sur les autres secteurs. Donc, je n'excluais pas nécessairement une approche sectorielle, mais je disais que je préférais une approche globale.

Un autre sens dans lequel j'entends cette notion d'approche globale, c'est de dire, par exemple: Envisageons d'enlever tous les tarifs plutôt que de voir cela, encore une fois, sur une base sectorielle. Une approche globale, ce serait tous les tarifs. Cela serait global mais ça ne serait pas nécessairement toutes les barrières non tarifaires d'un coup, par exemple.

De là ma réticence un peu, à un moment donné, lorsqu'on dit: Bien, est-ce que c'est aussi global que cela en a l'air? Quand je dis ça, je dis simplement que ce n'est pas parce que je n'y suis pas favorable; c'est parce que je prétends qu'il est excessivement difficile de procéder à la réduction progressive et à l'abandon de l'ensemble des politiques qui peuvent avoir un effet sur le commerce extérieur d'un pays. Et il y a beaucoup de politiques que nous avons qui n'ont aucun impact. Par conséquent, elles ne devraient pas être touchées ou même examinées. Je pense à des programmes de santé, par exemple. J'ai déjà eu des débats avec des gens qui disaient qu'on serait obligé d'adopter le régime de santé américain, ce que je trouvais absolument stupide. Cela n'a pas d'impact direct sur les échanges. Mais encore faut-il le prouver, cela dans chacun des cas. Dans quelle mesure une subvention de développement régional, par exemple, pourrait avoir un impact sur les échanges, sur les importations et les exportations? Dans quelle mesure est-ce discriminatoire, autrement dit? Et ça, ce n'est pas facile. Cela fait des années que les

gens essaient de mesurer cela et on n'a pas encore réussi.

En ce qui concerne l'agriculture, il est vrai que j'ai été parmi ceux qui disaient qu'il n'était pas indispensable de dire qu'il fallait, absolument et tout le temps, que l'agriculture soit une exception. Ceci ne veut pas dire qu'on pourrait traiter l'agriculture comme tous les autres secteurs. Mais dire qu'a priori on ne doit pas toucher à l'agriculture, même pas la regarder, je trouve ça excessif. C'est pour ça que j'ai pris un petit peu cette contrepartie.

Toujours en ce qui concerne l'agriculture, il y a une étude qui a été faite par l'UPA. J'ai aussi entendu des entrevues avec M. Proulx, le président de l'UPA. Mais M. le président de l'UPA aurait pu aussi suivre M. Proulx qui était son économiste à l'UPA et cet économiste-là, lui, il dit la chose suivante après avoir examiné l'agriculture du Québec, et je le cite: "II y a au Québec plus de production compétitive que non compétitive en agriculture. Le résultat net pour l'ensemble du secteur devrait être en principe positif". Cela ce n'est quand même pas la fin du monde. Là, il identifie effectivement les secteurs où le Québec est compétitif et la grosse exception, évidemment, où on ne l'est pas, c'est le secteur des oeufs et de la volaille.

Maintenant, encore une fois, quand on regarde une politique d'ensemble comme celle-là, je dis: Bien, ça ne serait peut-être pas si catastrophique que ça d'avoir le libre-échange en agriculture, mais il faudrait accepter, à ce moment-là, qu'il y ait, là aussi, comme dans toutes les autres industries, une certaine rationalisation et une certaine adaptation. C'est pour ça qu'on demande une période de transition et c'est aussi pour ça que les gouvernements devront essayer d'aménager cette transition-là de la façon la plus efficace possible.

Bon, alors, encore une fois, je pense qu'à l'heure actuelle à peu près tout le monde est d'accord pour dire qu'on . va reporter ça à un autre moment. On en a assez sur la table. Je n'ai pas l'impression qu'il va y avoir de très grosses pressions de part et d'autre en ce qui concerne l'agriculture, dans son ensemble. Sauf que dans l'agriculture il pourrait y avoir des protocoles sur certaines subventions, par exemple, qui pourraient être déclarées inadmissibles dans un régime comme celui-là et ça pourrait s'appliquer indirectement à l'agriculture.

M. Parent (Bertrand): Mais si je comprends bien cet aspect de l'agriculture bien spécifique, M. Raynauld, aujourd'hui, en septembre 1987, vous êtes toujours d'accord, même si à peu près tout le monde veut l'exclure parce qu'il y en a beaucoup sur la table et parce que c'est dangereux, pour l'inclure, du moins une bonne partie.

M. Raynauld: Ma position est que je ne voudrais pas l'exclure a priori. Mais je sais que, lorsqu'on va vouloir l'inclure, il va y avoir beaucoup de problèmes. À ce momenf-là, je me dis que ça serait peut-être sage de reporter, si on veut, l'inclusion de l'agriculture à une étape ultérieure. C'est ça, au fond, que je dis. Je dis qu'il ne faudrait pas exclure l'agriculture a priori et pour toujours. L'agriculture est, quand même, un secteur très important et nous avons beaucoup d'avantages à gagner là aussi, comme dans d'autres industries. Si on veut conserver, par exemple, l'accès au marché américain pour le porc, il ne faut pas s'imaginer qu'on va être capable de vendre tout le porc que l'on veut aux États-Unis et qu'après cela, quand il s'agira d'un autre produit qu'on va importer, on diras Non, on n'importe rien. On ne peut pas jouer sur les deux tableaux. C'est un peu pour sauvegarder les secteurs en expansion en agriculture que je dis cela pour sauvegarder ceux qui sont concurrentiels et ne pas les mettre en danger.

M. Parent (Bertrand);:Je vous remercie. Je reviendrai tantôt.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre des Relations internationales et ministre délégué aux Affaires intergouvemementales canadiennes.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. M. Raynauld, je veux tout d'abord vous remercier d'avoir accepté de venir témoigner devant nous ce matin. De par votre expérience comme économiste, comme président du Conseil économique du Canada et comme professeur d'économie, vous êtes particulièrement bien placé pour nous livrer vos commentaires sur les possibilités de libre-échange avec les États-Unis. Vous nous avez démontré avec beaucoup de conviction que vous êtes favorable à un tel traité de libre-échange entre les États-Unis et le Canada et que, pour vous, l'avenir économique du Canada d'une façon générale et du Québec d'une façon plus particulière passe par un tel traité, une telle entente de libre marché entre les États-Unis et le Canada, incluant, bien sûr, une période de transition sur laquelle vous avez insisté.

M. Raynauld, j'aimerais vous poser une question qui, je vous l'avoue, me tracasse un peu et qui est peut-être dans la suite de cette question que vous a posée au tout début mon collègue, le ministre du Commerce extérieur, M. MacDonald. On sait que - vous avez insisté sur ce point - le libre-échange avec les États-Unis signifie, bien sûr, en premier lieu, que nos industries doivent être capables d'être en concurrence,

en compétition avec les industries américaines tant sur le terrain américain que sur le terrain canadien et québécois. Être en compétition veut dire être productif, avoir une production de qualité, à bon compte. Mais dans ce cadre, j'aimerais vous poser une question concernant le taux de change entre nos monnaies, la monnaie canadienne et la monnaie américaine.

M. Raynauld, comment voyez-vous l'évolution de ce taux de change dans les prochaines années? C'est-à-dire que maintenant, nous en sommes environ à 0,25 $ de différence entre le dollar canadien et le dollar américain. Il n'y a quand même pas tellement longtemps, c'était 0,30 $ et même un peu plus. On sait à quel point cela peut être important pour, justement, cet élément de concurrence que nous pouvons établir, entre autres, dans le secteur primaire, dans le secteur mou. Comment peut-on voir l'évolution de ce taux de change en fonction de ce que vous avez dit tout à l'heure concernant ce déficit important - de plus en plus important - du commerce extérieur des États-Unis et ses conséquences, justement, sur la valeur du dollar américain qui perd de la valeur? Comment prévoir cette évolution du taux de change et quelle conséquence cette évolution du taux de change entre les deux monnaies pourrait-elle avoir sur la possibilité pour nos entreprises d'être concurrentielles avec l'entreprise américaine?

M. Raynauld: Je vous remercie, M. le ministre. C'est une question très vaste. Ma réaction spontanée à votre question, c'est de dire que le taux de change est un résultat. Je pense qu'il ne faut pas voir le taux de change comme une variable de départ sur laquelle on va agir pour obtenir tel ou tel résultat. Le grand intérêt du taux de change c'est que, si cela va mal et qu'on a de la difficulté à concurrencer les entreprises américaines, cela veut dire qu'on va vendre moins et importer davantage. (11 heures)

Je mets de côté les mouvements de capitaux pour l'instant. Si je vends moins et que j'importe davantage, cela veut dire que le taux de change va baisser et va permettre aux entreprises de redevenir concurrentielles sur le marché américain. Si ça va bien et qu'on se met à vendre plus qu'on n'achète, la valeur du dollar canadien va monter et va permettre aux Américains d'être plus concurrentiels vis-à-vis de nous qu'ils ne l'étaient. Oonc, le taux de change, c'est la variable d'ajustement, d'adaptation qui permet aux équilibres de rester des équilibres. C'est rassurant de poser le problème de cette manière dans le sens où il est impossible - il y a des gens qui craignent cela - que tout à coup les Américains nous envahissent et qu'on ne soit vraiment pas capables de leur faire concurrence. Ce n'est pas comme cela que cela se passe. Le prix qui change lorsqu'une situation comme celle-là se produit, c'est précisément le taux de change.

Cela dit, il y a des études économiques qui ont été faites pour essayer de voir quelles seraient les tendances du taux de change, compte tenu de tous les autres impacts. Une récente étude du Conseil économique du Canada démontre que le taux de change augmenterait légèrement. Dans la première étude qu'on avait faîte au Conseil, au contraire, le taux de change baissait légèrement aussi. Il y avait une certaine compensation, mais en 1975, c'était basé sur des données beaucoup plus anciennes, le Canada était moins compétitif qu'il ne l'est maintenant vis-à-vis des États-Unis. C'est la raison pour laquelle on envisageait que le taux de change allait baisser au début des années 1970. Effectivement, peut-être qu'on pourrait dire qu'on avait raison, c'est exactement ce qui s'est produit à partir de 1976. On a publié notre étude en 1975 et on avait dit à ce moment-là que le taux de change devrait baisser au Canada; il a baissé, mais il a probablement baissé plus que ce qu'on avait prévu.

Cela dit, je réponds en disant: Le taux de change, c'est la variable qui va s'adapter à la situation, qui va compenser pour des déséquilibres éventuels qui pourraient se produire. Finalement, encore une fois, si on se fie aux études d'impact qui ont été faites, on pense que le taux de change n'aurait pas besoin de baisser pour s'adapter à cette situation et qu'au contraire il pourrait monter légèrement.

Je ne sais pas si cela répond à votre question. J'ai, évidemment, laissé de côté les mouvements de capitaux qui sont autre chose, mais, à mon avis, si j'essaie d'introduire les mouvements de capitaux là-dedans, ce serait probablement un facteur de baisse du taux de change dans le sens où il me paraît nécessaire qu'il y ait davantage d'exportations de capitaux aux États-Unis de la part des Canadiens, de façon à mettre sur pied des circuits de distribution et à profiter, pour une fois, de cet accès au marché américain qu'il ne va y avoir de capitaux qui vont venir des États-Unis au Canada. Par conséquent, cela devrait accentuer les tendances des cinq ou dix dernières années où ce sont des entrepreneurs canadiens surtout qui essaient d'aller aux États-Unis; ceci est une sortie de capital et, par conséquent, une force à la baisse sur le taux de change.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Raynauld, lorsqu'on parle de

libre-échange avec les États-Unis, la principale préoccupation d'à peu près tous les groupes, quels que soient les secteurs, c'est le type de structures industrielles que nous avons, c'est-à-dire formées pour la plupart de petites et moyennes entreprises. Ces PME sont davantage vulnérables par rapport à la grande entreprise qui, elle, a les moyens de se défendre face à une plus grande compétitivité.. La structure industrielle du Québec devra certainement prévoir des mécanismes et le gouvernement devra s'assurer qu'il donnera - la plupart des intervenants étaient d'accord là-dessus - des coffres d'outils importants. Là où on se mettait davantage d'accord, c'était sur la recherche et le développement où il faut augmenter l'aide.

L'autre point sur lequel la plupart des intervenants ont été d'accord - j'ai compris aussi que le gouvernement était d'accord sur ce point - c'était d'augmenter l'aide et les outils pour l'exportation, ouvrir de nouveaux marchés, aller chercher des réseaux, des plans de marketing et tout ce que cela peut comporter. Or, avec cette toile de fond qui nous anime aujourd'hui, je suis très préoccupé par vos propos face à la structure industrielle et particulièrement face à l'aide aux PME que vous qualifiez comme n'étant peut-être pas tellement nécessaire.

En mars 1984, vous déclariez que la seule stratégie susceptible de réussir, dans l'exportation comme ailleurs, consiste à se doter d'entreprises suffisamment concurrentielles pour pouvoir se dispenser de l'assistance de l'État. Jusque-là, je vous comprends et je vous suis. Par contre, vous dites dans le numéro du printemps 1984 de L'Analyste que "dans le domaine des exportations, on a invoqué à l'appui des programmes d'aide le bien-être des petites et moyennes entreprises et le développement régional. Pour ce qui concerne les PME, on m'excusera une fois de plus si je suis iconoclaste, je ne vois pas l'intérêt de les privilégier dans l'aide à l'exportation." Vous continuez en expliquant pourquoi. Est-ce que vous avez toujours cette approche, cette philosophie où vous ne voyez pas qu'on ait à privilégier les PME dans l'aide à l'exportation, toujours face au défi qui nous attend actuellement d'aller conquérir, justement, le marché américain?

M. Raynauld: Je vous remercie pour la question. Mais, j'ajouterai tout de suite que, dans l'article que vous citez, le contexte était complètement différent de celui dont nous parlons aujourd'hui. L'aide à l'exportation, dont je parlais à ce moment-là, était dans le contexte de l'aide à l'exportation pour les pays en voie de développement essentiellement. C'était dans le contexte des politiques canadiennes d'aide à l'exportation et, en particulier, des activités de la Société pour l'expansion des exportations.

Donc, dans ce contexte-là, je maintiens ce que je disais à ce moment-là que je ne vois pas pourquoi on privilégerait des PME plutôt que de grandes entreprises pour aller exporter dans les principaux pays d'Afrique ou d'Amérique latine, là où les risques sont beaucoup plus élevés. Je n'affirmerais pas la même chose s'il s'agissait de commerce avec les États-Unis parce que là les relations sont beaucoup plus faciles, les marchés sont mieux connus, les gens se connaissent, les risques de non-paiement sont beaucoup inférieurs à ceux qu'on peut imaginer pour les pays en voie de développement. Par conséquent, je ferais donc une distinction importante.

Mais je maintiens effectivement que, si on veut avoir une politique d'aide à l'exportation il faut essayer de mettre les cartes de notre côté. Pourquoi dire, au point de départ: On n'aide pas les entreprises qui seraient les plus susceptibles de faire cette exportation parce qu'elles sont supposément grandes et, après, aller mettre tous nos oeufs pour essayer de favoriser des PME alors que ce sera très difficile, sinon impossible? Encore une fois, je parlais des pays en voie de développement. II faut bien se rendre compte que lorsqu'on parle de ces pays-là, on parle de périodes très longues. II faut que les PME puissent faire des investissements pendant cinq ans de suite avant de commencer à voir le premier bout d'un achat payé, etc. C'était donc dans ce contexte-là. Encore une fois, dans le contexte américain, je ne dirais pas du tout la même chose.

Cela pose un autre problème. L'aide, identifiée et authentique, à l'exportation proprement dite, à mon avis, dans un régime de libre-échange entre les deux pays, ce sera très difficile à faire parce que, s'il y a quelque chose de discriminatoire, c'est bien cela sur les échanges. Je disais au début, dans ma présentation, que les premières mesures qui seront touchées dans le domaine non tarifaire, les plus évidentes, à mon avis, c'est l'aide à l'exportation, l'aide directe sous forme de subventions à l'exportation. S'il y a quelque chose où on dit carrément que c'est pour exporter et pour empêcher les importations des autres pays, à ce moment c'est nettement discriminatoire. J'ai l'impression que cela serait difficile à faire sous la forme actuelle. Je sais qu'on peut imaginer bien d'autres façons d'aider les entreprises à l'exportation. Mais, quand on parle d'aide proprement dite, de subventions, je ne pense pas qu'on soit capable de faire cela dans un régime de libre-échange.

Le Président (M, Charbonneau): M. le député de La Peltrie.

M. Cannon: Merci, M. le Président. Au tout début de votre intervention, M. Raynauld, vous avez indiqué votre déception profonde quant à l'interruption des négociations qui sont en cours sur une plus grande libéralisation des échanges avec les Américains. Je comprends, évidemment, à la suite de vos propos, vous qui êtes une personne qui favorise un plus grand échange avec les Américains, votre déception dans ces circonstances.

Par ailleurs, tout au long de la commission parlementaire, nous avons entendu des personnes qui ont été appelées à commenter l'option statu quo. Je pense qu'aujourd'hui vous l'avez commentée à la suite d'une question du ministre MacOonald en disant: Écoutez, ce n'est pas une option parce que, finalement, c'est une détérioration de nos relations avec les Américains si cette situation continue*

Vous avez également parlé de ce que l'histoire nous enseigne. Je pense que c'est le troisième ou le quatrième point de votre propos. J'aimerais vous entendre commenter la troisième option qui avait été proposée durant les années soixante-dix, au tout début des années soixante-dix, par le gouvernement Trudeau sous la direction de Mitchell Sharp. C'était là une alternative à notre capacité d'exporter sur les marchés étrangers et qui était "saupoudrée", entre guillemets, d'une agence de tamisage des investissements étrangers dirigée notamment vers les Américains qui, depuis des années, se sont opposés à ce phénomène. J'aimerais vous entendre sur ces questions et surtout sur l'aspect pratique de ce que nous devrions faire advenant un échec dans ces « négociations.

M. Raynauld: Je vous remercie de cette question. Cela me permet de combler un vide. Parallèlement aux négociations que nous avons avec les États-Unis, nous devrions, à mon avis, poursuivre des négociations très actives au sein du GATT, donc des négociations multilatérales. C'est un autre volet de la politique commerciale canadienne qu'il ne faut pas négliger. Votre question m'amène, justement, à souligner l'importance de cet autre volet. Il ne faut pas être exclusivement branché sur la libéralisation des échanges avec les États-Unis, mais il faut aussi ouvrir d'autres marchés.

Cela dit, pour moi, la libéralisation des échanges avec les États-Unis a toujours été la condition pour aller à l'autre. La troisième option de M. Mitchell Sharp et du gouvernement fédéral avait ce défaut d'essayer de réorienter, de restructurer notre économie en fonction de marchés qui n'étaient pas de l'Amérique du Nord, donc essayer de développer des échanges avec l'Europe, avec le Japon, mais surtout avec l'Europe et ceci en l'absence d'un effort sur notre principal marché qui est celui des États-Unis. Je pense que c'était voué à l'échec.

C'est un peu comme cela que j'ai perçu cette troisième option dans le temps et, encore aujourd'hui, je la perçois comme une espèce de voeu pieux disant: il faut qu'on diversifie nos marchés, il faut qu'on puisse vraiment faire affaire avec d'autres pays que les États-Unis, cette relation exclusive que l'on a avec les États-Unis n'est pas saine. En théorie, c'est tout à fait exact, sauf que, si ce n'est pas disponible, à ce moment, il faut bien se contenter de ce qu'on a.

Il semblait que des relations sur notre principal marché pouvaient être développées davantage. Les échanges avec les tierces parties se sont toujours révélés très difficiles à développer. Il faut rappeler encore que la Communauté économique européenne représente à peu près 7 % de nos exportations, les pays en voie de développement, 10 %, puis il y a 5 % ou 6 % au Japon et tout le reste, aux États-Unis. C'est à peu près 75 % à 80 %, selon les années. (11 h 15)

Ces proportions inférieures à 10 % sur les marchés européens ou japonais semblent très difficiles à modifier. Encore une fois, il se peut que ce soit à cause de la construction de la Communauté économique européenne qui n'était pas propice, à ce moment, à une ouverture plus grande vis-à-vis d'un pays comme le Canada ou inversement. Il se peut que la conjoncture aussi, étant donné le taux de change dont nous parlions tout à l'heure qui s'est apprécié vis-à-vis des devises tierces et qui s'est déprécié par rapport au dollar américain, évidemment, ait eu pour effet une concentration accrue, encore une fois, des échanges avec les États-Unis. Cela peut être conjoncturel. Il reste que, si on veut être capable d'être concurrentiel sur d'autres marchés, il faut d'abord, à mon avis, être concurrentiel sur le marché américain. C'est un des avantages que nous avons. Si on peut obtenir la libéralisation des échanges avec les États-Unis, cela va permettre à nos entreprises d'être plus concurrentielles et, après cela, de s'attaquer à d'autres pays, à d'autres marchés beaucoup plus difficiles.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Raynauld. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Oui, M. le Président. Je pense qu'il nous reste peu de temps, peut-être le temps de vous poser une dernière question. Malheureusement, on en aurait eu beaucoup d'autres. Dans les raisons qui vous amènent à être tout à fait pour une très grande libéralisation des échanges, voire une entente globale, vous dites que le Canada est plus vulnérable que les autres pays face à cette mondialisation des

activités et ce, pour deux raisons principales: d'une part, parmi les pays avancés, le Canada est l'un des rares qui n'ait pas encore un accès garanti à un marché important. Je suis d'accord avec vous, mais est-ce que vous croyez que l'accès garanti au marché américain, incluant la Défense nationale, sera quelque chose d'acceptable par les Américains? Est-ce qu'ils nous laisseront aller? Est-ce qu'ils nous donneront cet accès garanti à leur marché et à leur marché global?

M. Raynauld: Cela, je n'en sais rien. Vous soulevez le problème de la Défense nationale. C'est un produit tout à fait particulier.

M. Parent (Bertrand): Oui, mais important en termes de...

M. Raynauld: Oui, très importante II ne faudrait pas, non plus, sacrifier ou oublier tout le reste. Je pense que la défense va être sûrement traitée sur une base ad hoc. On ne pourrait pas imaginer un pays qui dirait: Pour tous les produits de la défense, il n'y aura vraiment aucune restriction, d'aucune sorte. Je pense que ce serait rêver en couleur. Mais, un accès garanti à tout le reste ne serait pas négligeable, non plus. Même si on n'a pas un accès garanti sans aucune restriction aux produits de la défense, cela ne veut pas dire qu'on ne pourrait pas avoir accès à tous ies autres marchés. Par conséquent, cet accès garanti me paraît effectivement très important.

Je vais même aller plus loin que cela. Moi, je prétends que, depuis 15 ou 20 ans, on a abaissé de façon considérable les tarifs vis-à-vis des États-Unis. Les Américains ont aussi abaissé leurs tarifs vis-à-vis du Canada, mais on n'a pas été capable d'en bénéficier, c'est-à-dire qu'on a perdu sur les deux tableaux. On a perdu la protection et on n'a pas eu l'avantage de la libéralisation des échanges. Un accès garanti pour moi, cela veut dire que cela permet à un homme d'affaires de dire: Je veux rentrer sur le marché américain. Il faut que je construise trois usines, il faut que j'aie un circuit de distribution, il faut que je dépense 1 000 000 000 $. Il ne va pas dépenser 1 000 000 000 $ s'il se dit: Ah, bien oui, mais demain matin, tout à coup qu'une décision américaine me ferme mon marché. Alors, on ne fait pas les investissements nécessaires pour aller sur le marché américain aussi longtemps qu'on n'a pas cet accès garanti. C'est là qu'est vraiment ta différence.

Sûrement que plusieurs vous l'ont déjà dit, il y en a qui prétendent cela et qui disent: On n'a pas grand-chose à gagner. De toute façon, les tarifs sont rendus à 2 % ou à 3 %. C'est vrai, cela, sauf qu'on n'a pas l'accès garanti. Alors, c'est comme si on n'en avait pas. C'est comme si les tarifs étaient à 15 % ou à 20 % comme ils l'étaient dans les années soixante. Il faut que non seulement ies tarifs baissent et que des obstacles s'enlèvent, mais il faut, en plus, un mécanisme qui va nous assurer d'une pérennité ou du temps nécessaire pour qu'un homme d'affaires puisse faire de3 investissements.

M. Parent (Bertrand): Je comprends très bien, M. le Président, en terminant, et je suis d'accord qu'il faut exiger cet accès garanti. Mais, si le gouvernement américain, le gouvernement Reagan décidait, M. Raynauld, de ne pas donner cet accès garanti que le Canada réclame, croyez-vous que ceci pourrait être un aspect majeur pour faire achopper les négociations?

M. Raynauld: Oui. Mais, pour moi, c'est l'essentiel de l'entente. Alors, quand vous dites cela, c'est comme si vous me disiez: S'il n'y a pas d'entente, qu'est-ce qu'on fait? Pour moi, cette entente a, justement, pour objet d'assurer cet accès garanti et de connaître les conditions avec lesquelles il pourrait y avoir des problèmes. Mais c'est celâ, l'essentiel de l'entente. Donc, s'il n'y a pas d'entente, à ce moment-là, c'est un tout autre problème.

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. MacDonald: Je crois que vous avez terminé sur la bonne note, c'est-à-dire que vous avez repris la cause même qui nous a amenés à embarquer dans une négociation avec les États-Unis, c'est-à-dire cet accès au marché qui peut nous donner la perspective des investissements qui vont créer les jobs. Merci beaucoup d'être venu, M. Raynauld.

M. Raynauld: Bienvenue.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Raynauld, il ne me reste qu'à vous remercier, au nom des membres de la commission, d'avoir participé à cet exercice. Je pense que les gens l'ont apprécié. J'espère que ce retour à l'Assemblée nationale pourra se répéter à d'autres occasions, tout au moins à la commission de l'économie et du travail.

M. Raynauld: Merci beaucoup. Avec plaisir.

Le Président (M. Charbonneau): Merci. Nous allons suspendre pour cinq minutes avant de passer à l'audition du prochain groupe.

(Suspension de ta séance à 11 h 22)

(Reprise à 11 h 31)

Le Président (M. Cannon): Nous reprenons les audiences et nous avons le plaisir d'accueillir le Conseil conjoint 91 des Teamsters du Québec. Je vous rappelle, messieurs, les règles du jeu. Vous avez une heure pour faire votre présentation. On vous consacre 20 minutes et il y a une discussion de 20 minutes, de part et d'autre. Alors, sans plus tarder, je vous demanderais de vous identifier pour les fins du procès-verbal.

Conseil conjoint 91 des Teamsters du Québec

M. Saint-Onge (Patrice): Mon nom est Patrice Saint-Onge. Je suis conseiller syndical au Conseil conjoint 91. Je vous présente Louis Lacroix, président du syndicat au Québec; François Laporte, directeur des communications pour le syndicat au Québec et il manque Pierre Soucisse, qui devrait arriver bientôt, qui est un agent d'affaires.

Le Président (M. Cannon): On vous écoute.

M. Lacroix (Louis): M. et Mmes les commissaires, nous aimerions vous remercier, tout d'abord, nous donner l'occasion de présenter notre point de vue. Le syndicat des Teamsters du Québec représente des milliers de travailleurs issus de tous les secteurs de l'industrie.

Le but du présent exercice est d'évaluer si l'impact positif d'un accord de libre-échange Canada--États-Unis sera contrebalancé par une myriade d'éléments négatifs. À la suite de l'analyse des conséquences probables d'un accord sur les industries de la bière, des liqueurs douces et du transport routier de matériel, nous en sommes venus à la conclusion qu'il serait néfaste pour le Québec.

L'accroissement certain du chômage dans presque tous les secteurs de l'économie, l'absence de mesures de recyclage des travailleurs ainsi déplacés, les problèmes structurels de l'industrie canadienne et la différence marquée entre les systèmes fiscaux et sociaux des deux pays nous portent à croire que les grands perdants de cet accord seraient les travailleurs et la population. C'est pourquoi nous nous opposons à la conclusion de tout accord global de libre-échange Canada-États-Unis.

L'organisation des Teamsters du Québec représente près de 32 000 membres répartis dans des domaines aussi diversifiés que les brasseries, les liqueurs douces, les buanderies, le transport de matériel et de passagers, les produits laitiers et les produits phar- maceutiques. L'impact que pourrait avoir un accord de libre-échange sur ces industries suscite chez nos membres des craintes et des appréhensions. Prendre position pour ou contre le libre-échange, au stade actuel des négociations, n'est pas chose aisée. Le secret qui entoure les tractations de MM. Reisman et Murphy, l'ignorance dans laquelle est laissée la population quant à leur contenu et à leur portée nous empêche de porter un jugement global sur un possible accord. En effet, s'agit-il simplement de négocier l'abolition des barrières tarifaires? Le but recherché est-il d'établir un marché commun? De ces questions en découlent d'autres: quel sera l'impact d'un accord sur nos lois, sur nos programmes sociaux et sur notre système de taxation?

Le manque d'information nous oblige à prendre position en tentant d'évaluer l'effet qu'aura l'accord sur certaines industries représentatives du marché de production de biens et services.

L'industrie de la bière. Structure de l'industrie. Il est nécessaire, pour bien comprendre l'impact d'un accord de libre-échange de replacer les données que nous possédons dans leur contexte.

L'industrie de la bière au Canada présente une structure régionale. En effet, il existe actuellement 39 brasseries réparties dans toutes les provinces, sauf l'Île-du-Prince-Édouard. Le Québec, pour sa part, en compte trois. Cette structure est due, tant au facteur historique de la difficulté de transporter la bière sur de grandes distances qu'à la réglementation provinciale. En effet, les provinces ont juridiction sur la vente et la distribution de biens. Chacune a donc dressé une série de mesures protectionnistes dans le but de préserver son marché et de créer de l'emploi chez elle.

La plus importante de ces mesures est certes celle qui édicté que, pour vendre sa bière dans une province, une brasserie doit y exercer son activité. L'industrie canadienne est donc décentralisée à l'extrême. Au Québec, la concentration de l'industrie a permis de limiter la répartition du marché entre trois brasseurs.

La situation de l'industrie aux États-Unis est tout à fait différente. L'absence de barrières protectionnistes entre les États a permis d'établir de grands centres de production qui desservent plusieurs régions; qui dit grand centre dit aussi économie d'échelle. Pour être en mesure de concurrencer efficacement l'industrie américaine, les brasseurs canadiens seront forcés de rationaliser leur production, c'est-à-dire qu'ils devront fermer une grande partie des usines existantes afin de concentrer leur production dans de vastes centres. L'industrie de la bière se retirera donc de certaines régions, provoquant une recrudescence de chômage à ces endroits.

Production et situation du marché. L'industrie canadienne de la bière produit actuellement à environ 83 % de sa capacité. Celle du Québec produit, pour sa part, à environ 65 % de sa capacité. En termes de marchés, la production excédentaire canadienne pourrait desservir un nouveau marché qui correspondrait à la moitié de la population du Québec L'excédent de l'industrie québécoise pourrait, pour sa part, couvrir une région équivalente aux Maritimes.

De son côté, l'industrie américaine ne produit qu'à 75 % de sa capacité. Les 25 % excédentaires représentent trois fois la consommation canadienne. En d'autres termes, l'industrie américaine pourrait, du jour au lendemain, sans hausser ses frais de production, inonder le marché canadien de ses produits. Il y a donc un danger imminent de dumping auquel l'industrie canadienne n'est pas prête à faire face. Une telle éventualité mettrait en péril la rentabilité, voire l'existence même, des brasseries québécoises et, par voie de conséquence, les quelque 6 000 emplois directs qui s'y rattachent, sans compter les milliers d'emplois indirects.

Taxation et programmes sociaux. Les systèmes fiscaux américain et canadien sont des éléments qu'il faut aussi considérer lorsqu'on examine la rentabilité de l'industrie. D'une part, les brasseries canadiennes font partie des industries les plus largement taxées. Les deux paliers de gouvernement tirent d'impartantes sources de revenus de la taxation directe et indirecte des compagnies et de leurs produits., De même, l'imposition des revenus des salariés de l'industrie de la bière, qui font partie des travailleurs ayant les meilleurs revenus de l'industrie, procure de larges revenus à l'État. D'autre part, les brasseries américaines bénéficient du système fiscal américain, qui épargne, dans une large mesure, les compagnies.

Advenant un accord de libre-échange, les compagnies canadiennes seraient désavantagées, le prix unitaire de leurs produits étant supérieur à celui des produits américains. Dans un tel cas, les gouvernements fédéral et provinciaux accepteront-ils de réduire leurs revenus pour permettre à l'industrie canadienne de demeurer concurrentielle? Et, en cas de réponse affirmative, dans quelle mesure cette diminution des revenus gouvernementaux affectera-t-elle les services sociaux auxquels est habituée la population tant canadienne que québécoise?

D'autre part, si les niveaux de taxation sont maintenus à leurs taux actuels, il est difficile de croire que l'industrie canadienne conservera bien longtemps sa part du marché, auquel cas nous prévoyons, encore une fois, des pertes d'emplois.

Période de transition. Une période de transition d'une dizaine d'années pourrait sans doute permettre à l'industrie canadienne de prendre les moyens pour survivre. Cependant, le coût des modifications qu'il y aurait lieu d'apporter à l'industrie est évalué par l'association des brasseurs à 2 000 000 000 $. L'industrie étant actuellement incapable de débourser une telle somme, il est à prévoir qu'une aide gouvernementale sera demandée. D'autre part, comme nous le mentionnions plus haut, la seule réelle méthode de rationalisation consiste à fermer des usines dans certaines régions. Qu'adviendra-t-il des travailleurs qui perdront leur emploi? Quel niveau de gouvernement prendra en main le programme de recyclage qu'il sera essentiel de mettre en place? Qui en assumera les coûts? À l'heure actuelle, on ignore encore tous les éléments qui doivent composer la solution à ce problème. La seule instance à s'être prononcée sur le sujet, la commission MacDonald, proposait d'utiliser les 4 000 000 000 $ de fonds d'assurance-chômage pour financer les programmes de recyclage, ce qui, selon nous, ne constitue pas une solution réaliste.

Les gouvernements et les économistes s'entendent pour dire que l'une des conséquences d'un accord de libre-échange sera la perte de milliers d'emplois. Cependant, on nous promet la création de centaines de milliers de nouveaux emplois. Jamais personne, ni les gouvernements ni les spécialistes n'ont pu . promettre aux travailleurs qui perdront leur emploi qu'ils pourront s'en trouver un nouveau qui respectera les mêmes conditions de travail. Prenons un exemple. Un travailleur de chez Labatt ou Molson perd son emploi en raison de la restructuration de l'industrie qui découle du libre-échange. Ce travailleur ne possède aucune garantie qu'il se trouvera du travail parmi les nouveaux postes créés. De plus, s'il se trouve un nouvel emploi, arrivera-t-il à trouver des conditions similaires à celles dont il bénéficiait avant? Les conditions étant généralement dues à de longues luttes syndicales, devra-t-il reprendre les négociations au bas de l'échelle pour retrouver son statut d'antan?

On se rend rapidement compte, à l'analyse, que les perdants d'un accord de libre-échange le seront sur toute la ligne. Il ne s'agit pas ici de protéger les emplois, mais bien de protéger les travailleurs qui les détiennent et de veiller sur leur avenir. Tant qu'un plan réaliste et bien étoffé n'aura pas été élaboré, il est impensable de songer à conclure un accord avec les États-Unis.

L'industrie de la boisson gazeuse. L'industrie de la boisson gazeuse nous permet d'aborder un autre aspect des conséquences que pourrait entraîner un accord de libre-échange. De 1978 à 1985, le Québec est passé du deuxième au neuvième rang des

consommateurs de boissons gazeuses au Canada. Durant la même période, sa part de production canadienne est passée de 36,6 % à 23,2 %. Quelles seraient les conséquences du libre-échange sur cette industrie? Les usines d'embouteillage des deux principales entreprises, Coke et Pepsi, sont implantées de part et d'autre de la frontière Canada-États-Unis. Ces deux compagnies ont déjà amorcé la centralisation de leur production dans de grands complexes industriels. Devant la baisse de consommation au Québec, le danger de voir la production transférée de ce côté à l'autre côté de la frontière est imminent. Les seules infrastructures qu'il serait alors nécessaire de conserver au Québec se composeraient essentiellement de centres d'entreposage, d'où la perte de centaines d'emplois. Les considérations exprimées ci-haut quant au recyclage peuvent trouver application pour ces travailleurs aussi.

Le transport routier de marchandises. Le transport de marchandise par camion est un rouage essentiel de l'industrie nord-américaine. Au Québec, ce secteur représente, avec ses 4 000 000 000 $ de chiffre d'affaires, l'un des plus importants dans notre économie. Historiquement, le transport a toujours été régi par une abondante réglementation.

La situation aux États-Unis. En 1980, le gouvernement Reagan procéda à une déréglementation partielle de l'industrie du transport, ouvrant ainsi les portes de ce secteur à toute une catégorie d'artisans. Il s'ensuivit une guerre de prix féroce pendant laquelle tous les concurrents n'ont eu qu'un objectif: réduire leurs coûts d'exploitation. Parmi les moyens employés, on note, entre autres, une transgression systématique des règlements ayant trait à ta sécurité routière. Malgré un récent resserrement des contrôles, la qualité de l'industrie ne reviendra que dans quelques années à son niveau d'avant 1980.

On note aussi certaines lois qui ont un impact certain sur le fonctionnement des compagnies de transport. Ce type de loi ne régit pas précisément le transport, mais il génère des conséquences qui influencent la façon de procéder des compagnies. Citons, à titre d'exemple, les dispositions de la Loi sur l'immigration, qui empêchent un travailleur québécois d'exécuter un mouvement originant et destiné à l'intérieur des États-Unis. De telles mesures entraînent une augmentation des coûts d'exploitation.

Au Québec, on n'a pas encore assisté à une déréglementation systématique de l'industrie du transport, les normes existent donc toujours. On assiste même, depuis un certain temps, à une tentative d'application plus rigoureuse de la loi.

Comme chez notre voisin, de nombreuses lois touchent de près ou de loin l'industrie du camionnage, notamment la Loi sur l'immigration canadienne.

Reste à déterminer l'impact d'un accord de libre-échange sur la législation qui régit le secteur du camionnage. De ce que nous avons exposé ci-haut, nous pouvons retenir que le respect de la réglementation par les compagnies québécoises entraîne pour elles des coûts d'exploitation beaucoup plus élevés que pour les compagnies américaines. Elles ne seront donc pas en mesure de soutenir la concurrence. Si le gouvernement ne procède pas à un réajustement à la baisse des normes, ce à quoi nous sommes opposés de toute façon pour des raisons sécuritaires, on pourra s'attendre, à plus ou moins brève échéance, à la fermeture de nombreuses compagnies et à de massives mises à pied de travailleurs. (11 h 45)

D'autre part, si le gouvernement modifie sa réglementation afin de permetttre aux compagnies de diminuer leurs coûts de production, on peut aisément prévoir une détérioration des conditions de travail des camionneurs. Quelle que soit la position adoptée par le gouvernement dans ce secteur de l'économie, on peut s'attendre que ce soient les travailleurs qui en fassent les frais.

L'étude sommaire que nous venons de faire nous permet d'envisager ce que sera l'avenir si un accord de libre-échange est convenu. L'effet premier sera de mettre en concurrence des industries qui ne peuvent être comparées. On peut donc s'attendre à la perte de milliers d'emplois.

Par ailleurs, on ne connaît pas encore les mesures qui seront mises en oeuvre pour aider les travailleurs qui seront victimes du libre-échange. De même, on peut entrevoir que le choc des régimes fiscaux des États-Unis et du Canada entraînera, soit la fermeture d'usines au Québec, soit une diminution des services sociaux auxquels nous sommes habitués.

Dans tous ces cas, les travailleurs et la population en général auront à supporter les conséquences négatives d'un accord. En tant que mouvement syndical, nous ne pouvons être en accord avec de telles conséquences. C'est pourquoi nous nous prononçons contre un éventuel accord global de libre-échange Canada-États-Unis.

M. le Président, contrairement à l'intervenant précédent qui a exprimé ses regrets à l'égard des problèmes qui surgissent dans les négociations sur le libre-échange, pour notre part, on s'en réjouit et on souhaite ne plus en entendre parler.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, sur ce commentaire pour le moins clair et explicite, je cède la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: Bonjour, messieurs! Merci d'être venus et de nous avoir présenté votre mémoire. Comme vous le savez très bien, sont venues devant nous pour traiter d'un sujet qui vous intéresse l'Association des propriétaires d'autobus du Québec, l'Association des camionneurs et l'Association des brasseurs du Québec. La majorité des points que vous avez soulevés, sinon la totalité, ont été abordés d'Une façon plus ou moins approfondie, ce qui nous permettra de vous poser quelques questions. Vous comprendrez également que nous ne poserons pas les mêmes questions auxquelles on a déjà eu des réponses.

Je dois commenter certaines de vos déclarations de la façon suivante. Lorsque vous parlez des mesures de transition, vous dites: On ne nous a pas dit et on ne voit pas la possibilité pour un employé de se retrouver avec la garantie de retrouver un emploi avec les mêmes conditions qu'il avait auparavant. Aujourd'hui, il n'y a pas d'entente de libre-échange et à peu près 30 % ou 31 % des travailleurs et travailleuses canadiens changent de "job" chaque année, une personne sur trois. Des programmes de transition sans traité de libéralisation des échanges n'existent pas dans un climat économique où, de toute façon, et à un rythme ou à une progression quasi géométrique, les gens changent de "job" de plus en plus souvent à cause de la transformation des industries.

En touchant une industrie que vous avez traitée plus particulièrement, celle des boissons gazeuses, vous avez vous-même cité les chiffres de diminution - dramatique, en fait - de livraison ou de part de marché des boissons gazeuses. Ce n'est pas le libre-échange ou la libéralisation d'échanges qui a amené ces changements dans les habitudes des consommateurs. Ce n'est pas non plus la libéralisation des échanges qui a amené et amène chaque jour des changements technologiques.

Je dois indiquer que les gouvernements, particulièrement le gouvernement du Québec qui a insisté là-dessus, ont exigé que, s'il y avait entente de libéralisation, s'il y avait des secteurs qui étaient plus affectés que d'autres - c'est évident qu'il y en aurait -non seulement on voulait des périodes de transition, mais des mesures de transition pour le recyclage des employés et des mesures pour que les entreprises puissent améliorer leur compétitivité pour demeurer dans le marché. À l'heure actuelle, il n'y a pas de cela, mais le marché change, qu'il y ait entente ou non. Pour moi, des mesures vis-à-vis des changements qui, de toute façon, vont se produire, la différence à l'intérieur d'une entente de libéralisation, on a la période définie où il faut s'ajuster...

Vous avez également traité des effets de la déréglementation américaine sur la sécurité et, sur ce plan, j'abonde dans le même sens que vous. Une déréglementation totale et complète ne me semble pas avoir donné, sur tous les plans, des résultats favorables et je n'ai pas d'argument, je vous appuie entièrement dans cette approche-là.

J'aurais deux questions à vous poser. Premièrement, vous êtes totalement contre et vous souhaitez, comme vous l'avez dit, ne plus en entendre parler. Dans le secteur qui vous préoccupe particulièrement, je suis sympathique et je suis capable de comprendre. J'ai entendu vos représentations et celles de vos prédécesseurs sur le domaine et je vois qu'on compare des oignons à des carottes, qu'on ne compare pas des dimensions et qu'on ne peut pas, du jour au lendemain, se garrocher ouverts, en proie à une concurrence de ce genre-là.

Mais il y a cependant d'autres secteurs et sûrement que vous débordez, dans vos considérations générales, le secteur de travail des Teamsters purement et simplement. N'y voyez-vous pas, quelque part, sous une forme quelconque, un avantage à négocier, premièrement, une protection de l'accès qu'on a déjà aux États-Unis sur certains marchés, et, si on pouvait la réussir, une plus grande ouverture de marchés.

M. Lacroix: Je vais répondre à une partie de la question et je laisserai mon confrère répondre à l'autre. Vous mentionnez qu'un Canadien sur trois change d'emploi. Il faut comprendre que, quand on parle de l'industrie de la bière, ce n'est pas tout à fait vrai. Il n'y a pas de travailleur qui change d'emploi dans l'industrie de la bière. La moyenne serait peut-être de 1 sur 1000 qui, volontairement, quitte son emploi dans l'industrie de la bière. On parle de salaire de 38 000 $ par année en moyenne, avec tous les avantages reliés à cela. On parle aussi d'une industrie où, depuis plusieurs années, on n'a pas de mises à pied, avec des plans qui protègent en cas de mise à pied, avec un revenu garanti, etc. On ne vit pas, dans l'industrie de la bière, de changement d'emploi. On connaît, dans ce secteur en particulier, les conséquences directes qu'aurait une entente de libre-échange, demain matin.

Encore une fois, j'ai suivi, moi aussi, avec intérêt la présentation de l'industrie de la bière face au comité. Nous n'avons peut-être pas tout à fait les mêmes préoccupations. On est assez grands pour savoir que, demain matin, s'il y avait une période de transition de cinq ou dix ans et même s'il n'y en avait pas, les brasseries s'arrangeraient pour survivre. Même si cela signifie qu'elles devraient acheter des brasseries aux États-Unis ou faire affaire à partir de Plattsburgh ou d'ailleurs, les conséquences seraient que les brasseries seraient toujours en vie d'une façon ou d'une

autre et continueraient à faire des profits d'une façon ou d'une autre. Par contre, ce ne serait pas la même situation pour les travailleurs au Québec. Nous, les travailleurs, ne pourrions pas nous recycler ailleurs aux États-Unis dans l'industrie de la bière. Si des emplois sont créés conséquemment au libre-échange, ce ne seraient certainement pas des emplois à 38 000 $ par année les avantages et la protection que nous retrouvons dans nos conventions collectives. Oe toute façon, s'il y avait des emplois plus rémunérateurs ou aussi rémunérateurs, on doute énormément que ce seraient les employés qui perdraient leur emploi dans l'industrie de la bière qui auraient l'occasion de les occuper. Pour nous, dans l'industrie de la bière, c'est clair qu'on a tout à perdre et pas grand-chose à gagner dans cela. En fait, on n'a rien à gagner.

Dans le secteur des boissons gazeuses, c'est vrai que, contrairement à l'industrie de la bière, on a subi d'importantes mises à pied parce qu'il y a eu rationalisation des centres de production, etc. Encore une fois, on pense que, si le libre-échange devait se faire, c'est un domaine où on pourrait subir de plus grandes mises à pied qu'on en a subi jusqu'à présent sans possibilité de recyclage avec des salaires et des conditions équivalents.

Quant à l'autre question que vous avez soulevée, je vais laisser Pierre répondre.

M. Soucisse (Pierre): Sur l'objectif final du libre-échange, ce n'est pas une question de dire... On ne s'est pas réellement prononcés là-dessus en disant qu'on est pour ou qu'on est contre. Ce qu'on reproche principalement au gouvernement fédéral dans ses négociations, c'est l'herméticité des négociations. C'est le "gardé secret". Ce sont les emplois, les gens qui nous préoccupent avant tout. Ce n'est pas de dire que, globalement, économiquement, ce sera profitable. C'est beau en théorie, c'est beau sur papier sauf que nos préoccupations ne sont pas là. Nos préoccupations sont à savoir ce qui arrive aux travailleurs en place. Dans les discussions portant sur le libre-échange, ces choses-là sont secondaires. On verra que cela fait du plus ou du moins, on perdra des emplois, on en gagnera. Sauf que, derrière ces emplois, il y a des individus et c'est notre préoccupation. Notre principal reproche à l'égard des négociations, jusqu'à présent, porte justement sur le manque d'information aux principales parties en cause. On se demande finalement quels secteurs seront sacrifiés au bénéfice de tel autre secteur. C'est le genre de questions qu'on se pose et on est en droit de se les poser pour ne pas dire, le lendemain de la signature sur le libre-échange, que les effets vont traîner pendant cinq ans, dix ans. Quel est le processus? Quelles sont les principales industries qu'on peut pointer? Nous, on en pointe deux, trois. Sûrement que d'autres en ont pointé dans le domaine du bois d'oeuvre, pour les poules, etc., chez les agriculteurs et il y a d'autres secteurs susceptibles d'être touchés. Au fond, ce sont les personnes derrière ces secteurs qui nous préoccupent. Ce n'est pas la vision globale de dire: Économiquement, cela va permettre à un investisseur québécois ou canadien d'aller investir 1 000 000 000 $ dans le centre des États-Unis. Cela ne nous apporte aucun emploi. C'est peut-être beau économiquement, mais cela ne nous donne pas un emploi de plus si notre intervention est dans ce sens.

M. MacDonald: Je suis content que vous ayez apporté l'exemple du bois d'oeuvre et des poules. Le point que je voulais soulever et sur lequel, je pense, je suis d'accord, c'est que, pour le créneau particulier qui intéresse directement les membres des Teamsters, vous avez de fortes appréhensions. En fait, vous aimeriez mieux qu'il n'y ait pas d'entente vous touchant. S'il y avait une entente, vous voudriez être complètement à part et ne pas être touchés par les répercussions que cela pourrait avoir sur votre emploi. Je comprends cela.

Cependant, si je prends ce que vous m'avez dit aussi, il y a d'autres secteurs chez qui cela pourrait être avantageux. Vous aimeriez avoir beaucoup plus d'information, mais il y a des secteurs, par exemple, comme le bois d'oeuvre où les gens se sont présentés devant nous. Eux, ils ont goûté au protectionnisme américain. Ils veulent l'avoir, le libre-échange, ils l'ont déjà eu. Ils veulent justement s'assurer d'être protégés d'une fermeture encore plus grande sur l'exportation de leurs produits.

Je présume que vous n'êtes donc pas contre cette position des travailleurs en forêt, mais, par contre, que vous vous préoccupez pour les Teamsters ou pour les gens qui sont dans la production de poules. C'est cela?

M. Lacroix: Ce qu'on se dit, finalement, c'est qu'il y en a qui sont pour parce qu'ils en retireraient des avantages, mais nous, on est contre. On se met un peu par rapport à des secteurs où on sait qu'on serait affectés d'une façon directe avec de lourdes conséquences. On se dit que, dans une négociation, il y en a qui sont pour et d'autres qui sont contre. Finalement, il va falloir que les pour aillent avec les contre. Alors, on va en subir inévitablement les conséquences.

J'ai du mal à percevoir une entente où on aurait seulement des avantages. Une entente sur le libre-échange, c'est bien évident que, si on prend le bon côté, il va falloir qu'on prenne le mauvais côté. Cela s'adonne que, dans les brasseries, c'en est un

mauvais côté pour nous autres. C'est clair, c'est net. On sait ce qui va nous arriver. C'est dans ce sens qu'on dit qu'on aimerait autant ne pas entendre parler d'une entente parce qu'on est assez réalistes pour savoir qu'il n'y aura pas que de bons côtés dans une entente sur le libre-échange.

M. MacDonald: Je comprends ce que vous voulez dire. Pour nous, la position a été qu'il y a de mauvais et de bons côtés. Donc, il y a de mauvais côtés et on pose des conditions. On est pour une entente, mais pas à n'importe quelle condition. Je pense que l'impasse, hier, à Washington, démontre très bien que, justement, on a des conditions et qu'on n'a pas l'intention de revenir dessus.

M. Lacroix: Oui...

M. MacDonald: À toutes fins utiles, probablement qu'on parie le même langage.

M. Lacroix: Écoutez, encore là, on est habitués aux négociations. On se demande si ce n'est pas un scénario pour permettre l'intervention du grand parrain qui va venir comme sauveur avec le président des États-Unis conclure une entente et amoindrir les difficultés. Il ne faudrait quand même pas... L'avenir nous dira ce qu'il en est de cette question.

De toute façon, on aimerait que les politiciens à Ottawa ou à Québec... On va avoir quelques centaines de travailleurs représentant Labatt et Molson devant l'Hôtel du Parlement à 15 heures. On aimerait que vous veniez leur dire ou que vous leur donniez la garantie de ne pas s'inquiéter et que, si jamais il y a perte d'emplois par une entente dans le libre-échange, quelqu'un va leur garantir le salaire et les avantages qu'ils avaient ou qu'ils ont présentement. C'est tout ce qu'on demande: une garantie de protéger ce qu'on a acquis pendant dix ans, quinze ans, vingt ans de luttes. Si on avait cela, si les travailleurs avaient cela par écrit, peut-être qu'on pourrait regarder cela différemment.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Lacroix, de même que vos collègues, merci d'être là et d'apporter cet éclairage sur vos préoccupations. Je suis persuadé que le ministre sera devant le Parlement à 15 heures. On va même retarder les travaux de cinq minutes s'il le faut. (12 heures)

Je comprends et je partage vos préoccupations parce que ce que vous dites essentiellement, c'est que, pour vous, les jobs, le monde, c'est ce qui vous préoccupe et vous n'avez pas les assurances nécessaires.

Je vous rappellerai que, dès l'ouverture de cette commission, le 15 septembre, j'ai mentionné, dans le discours d'ouverture, que, pour nous aussi de ce côté, l'enjeu, c'était l'emploi. Nous réclamons à grands renforts des mesures très spécifiques de la part du gouvernement et une politique de plein emploi, des politiques globales concernant le recyclage et la formation. Nous n'avons pas de plan précis actuellement.

À la page 2 de votre exposé, vous mentionnez très clairement que le manque d'information vous oblige à prendre position contre le libre-échange. Le gouvernement fédéral est le premier coupable, je pense, et le gouvernement provincial a suivi dans la même foulée, il n'y a pas d'information de leur part. Pour ma part, je suis persuadé que les Teamsters ou la Coalition québécoise d'opposition au libre-échange n'auraient pas cette position, aujourd'hui, si on avait plus d'information. Si, au lieu d'être à six jours d'une conclusion d'une entente comme on l'est aujourd'hui, on avait été à six mois et qu'on tenait cette commission parlementaire, je pense que les règles du jeu seraient probablement différentes. Un coup qu'on a dit cela, on n'a rien réglé parce que cette information n'a pas eu lieu pour toutes sortes de raisons. Nous avons réclamé cette commission parlementaire et ce débat public; je suis content qu'ils se tiennent et je suis heureux que vous soyez là.

Vos préoccupations seraient les mêmes, mais de beaucoup amoindries - j'aimerais que vous me le confirmiez - si vous aviez sur la table, de la part du gouvernement, de la part du ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, un plan précis à savoir ce qui va arriver des jobs. De là à dire qu'il va vous signer des documents pour garantir les jobs à tout le monde, je ne pense pas que qui que ce soit serait prêt à le faire, mais je pense que ee que vous voulez imaginer, vous voulez avoir de la sécurité. Sur cela, je ne peux que vous endosser. C'est-à-dire que les polices d'assurance, même si le ministre nous l'a dit verbalement, je pense que ce n'est pas suffisant. Ma préoccupation c'est à partir de l'exemple que vous nous donnez en ce qui concerne les brasseries, le coût envisagé de quelque 2 000 000 000 $ dont vous faites part à la page 4 de votre mémoire, le coût des modifications à l'industrie en ce qui a trait aux brasseries s'évalue à quelque chose comme 2 000 000 000 $. On peut s'imaginer le coût global que va apporter finalement le libre-échange. Si le gouvernement du Québec - et je le répète encore aujourd'hui - avant que ne soit conclue quelque entente que ce soit, avait pu négocier - cela aurait pu se faire, certes, dans la dernière année - des sommes importantes et l'assurance que le gouvernement fédéral va nous transférer... Dans l'ensemble du Canada, on le sait, c'est

le Québec et l'Ontario qui vont être principalement touchés. Si l'Ontario protège le pacte de l'automobile, c'est le Québec qui va être le plus touché à cause de ses différents secteurs. C'est démontré dans toutes les études et tout le monde est d'accord sur cela.

À partir de ce moment, du fait que le Québec aura besoin d'investir plus d'argent, il ne faudrait pas se ramasser après une entente de libre-échange en disant: On n'a pas les moyens de mettre les montants d'argent qu'il faut, que ce soit pour la main-d'oeuvre, la modernisation des équipements, la recherche et le développement ou toute autre mesure qui pourra aider les entreprises et les travailleurs. La préoccupation, je le répète, c'est que le gouvernement fédéral va devoir faire un effort exceptionnel pour le Québec. Je suis loin d'être sûr que, si on négocie cela après que l'entente aura été signée, on va être capable, effectivement, d'avoir la même position de force.

Ceci étant dit, ma première question concerne votre dossier. Vous mentionnez quelque part - je pense que c'est à la page 3 - que les barrières interprovinciales sont des embûches importantes actuellement. Encore là, l'exemple des brasseurs fait en sorte que ces barrières interprovinciales sont déjà des embûches et ont créé, auprès des investissements dans le domaine des brasseries, une dispersion un peu partout au Canada, y étant obligés par ces lois. M. Lacroix, croyez-vous qu'une plus grande abolition des barrières tarifaires interprovinciales aurait dû ou devrait se faire en parallèle avec une entente sur le libre-échange?

M. Lacroix: D'abord, je vous remercie de vos questions. Il faut comprendre que les barrières tarifaires entre les provinces dans l'industrie de la bière, c'est une chose à laquelle, à venir jusqu'à aujourd'hui, on ne s'était pas opposés, bien au contraire. Cela signifiait qu'une brasserie qui vend sa bière dans une province pour les profits qu'elle fait dans cette province crée et maintient des emplois dans cette province.

Il faut comprendre aussi que, si on laisse de côté, pour quelques instants, les négociations sur le libre-échange, s'il n'y avait pas de barrières tarifaires au niveau de la bière entre les provinces, il n'y aurait pas non plus des brasseries dans chaque province. Il y en aurait peut-être une à Toronto, une autre à Montréal, enfin, il y en aurait quelques-unes à travers le pays. Et, selon les problèmes géographiques ou encore de négociation ou d'autre chose, c'est une situation qui pourrait changer.

La situation, telle qu'elle existe présentement dans l'industrie de la bière, avec ses limitations provinciales, a avantagé non seulement les gouvernements en place, mais aussi les travailleurs et les syndicats. Des emplois ont été créés et maintenus dans les provinces où la bière se fabrique, se vend et se consomme.

Il est sûr que si, demain - ce qu'on ne souhaite pas - il y avait une entente sur le libre-échange, il serait impensable que ces barrières-là demeurent pendant que les Américains auraient accès, de leur côté, à l'ensemble du marché canadien et que les brasseries canadiennes, elles, ne pourraient pas transporter leur bière d'une province à l'autre parce qu'elles seraient limitées par une loi. C'est impossible de penser cela, c'est un non-sens complet et total. Il est évident que, pour survivre, les brasseries, face à une possibilité de libre-échange, devraient avoir absolument de gros centres de production comparables à ceux qui existent aux États-Unis.

On donnait cet exemple. Une brasserie a été construite il y a quelques années dans l'État de New York par Schlitz; finalement, elle ne s'est jamais lancée en affaires parce que les ventes avaient baissé. La capacité de production de cette brasserie pourrait suffire à elle seule pour le marché total de la bière au Québec et en Ontario. Quand on voit cela... Un autre exemple. La bière qui se vend aux États-Unis, c'est en canette essentiellement, en bouteille non retournable. Une "ligne" de canettes emploie quatre personnes, une "ligne" de bouteilles à Montréal va employer douze personnes. On peut vous citer des exemples comme cela, on en a autant que vous en voulez.

On a visité récemment une brasserie de Budweiser, à Williamsburg où la production est de 6 000 000 de barils. Une brasserie comme la brasserie Labatt au Québec vend environ 2 000 000 de barils. Vous voyez tout de suite que les comparaisons sont...

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. MacDonald: Messieurs, vous avez exposé très bien votre situation et on la comprend. Mais je pense également que vous ne pourrez pas m'en vouloir ou en vouloir au gouvernement ou à l'Opposition d'être concernés par les travailleurs qui n'ont pas 38 000 $ garantis par année, que ce soit dans le domaine de la foresterie, que ce soit ailleurs dans des conditions canadiennes, et pour la potasse aussi, si je reviens au Québec, que ce soient des agriculteurs qui font face actuellement à des pressions dans le domaine de l'élevage du porc. Je n'ai nommé que quelques secteurs. La même chose est vraie pour ceux qui sont au salaire minimum ou ceux qui sont dans des industries comme le meuble, pour prendre un autre exemple, ou certaines industries du textile et qui sont venus nous dire que, pour eux, l'expansion de leur marché, l'expansion

de leurs entreprises, la possibilité de plus de jobs pour plus de gens, l'occasion qui pourrait être créée par une libéralisation des échanges dans le secteur, c'était une visée parfaitement légitime et c'est pour cela qu'ils soutenaient l'initiative.

Pour ce que cela peut vous dire... Vous avez parlé, par exemple, de la question de la rationalisation du commerce interprovincial avant de s'ouvrir totalement aux États-Unis, vous avez totalement raison. Il y a beaucoup d'ordre à mettre dans notre propre boîte avant même de considérer de regarder une ouverture semblable vis-à-vis des géants du Sud.

En terminant, je tiens à vous réitérer que la position du gouvernement du Québec dans la négociation - on n'a pas encore d'entente, je ne sais pas si on en aura une -en est une qui a été balisée de conditions dès le départ. Nous avons pris cette décision!et déterminé ces conditions à l'avantage de tous les Québécois, ne pouvant cerner notre position que sur l'avantage d'un créneau étroit d'activités économiques ou un petit groupe de travailleurs en particulier. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le ministre.

M. Lacroix: On aimerait peut-être, avec votre permission, M. le Président, permettre à un autre président, qui représente les employés de Labatt de la ville de LaSalle à Montréal, de même qu'au nom des employés de Labatt de la ville de Québec et des employés de Molson de la ville de Québec, de vous remettre une pétition signée par les employés de l'industrie de la bière s'opposant au libre-échange pour toutes les raisons qu'on vous a énumérées.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, faites donc, messieurs.

M. Lacroix: Cette délégation, d'ailleurs, est une délégation composée majoritairement de représentants de l'industrie de la bière qui, comme on l'a mentionné, sont très préoccupés par cette situation.

Le Président (M. Charbonneau): Le secrétaire de la commission a pris possession de cette pétition que j'ai maintenant. Alors, cela va être consigné au dossier des auditions de la commission, sur cette question.

M. Lacroix: Je vous fais remarquer que cela ne comprend pas tous les employés de la brasserie Labatt ou de Molson qu'on représente en province. On n'a pas eu le temps de tous les voir et la seule raison de leur absence de signature, c'est parce qu'on ne les a pas vus et non pas parce qu'ils ne voulaient pas signer.

Le Président (M. Charbonneau): Même si le texte n'est pas rédigé comme le prévoient les règlements de l'Assemblée nationale, de consentement, on pourra peut-être voir, de chaque côté, lorsque la session reprendra au mois d'octobre, à déposer la pétition à l'Assemblée nationale comme les pétitions peuvent y être déposées. En terminant, M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): M. le président, étant donné que le temps nous manque quelque peu, j'aurais peut-être un dernier commentaire et une dernière question à vous poser. Lorsque vous dites, dans votre mémoire, qu'advenant un accord de libre-échange les compagnies canadiennes seraient désavantagées, parce que le prix unitaire de leurs produits est grandement supérieur à celui des produits américains, c'est vrai comme prémisse à partir du moment où on prend des produits où le coût unitaire est principalement basé sur le fait de la quantité.

On sait que les entreprises américaines, même nos grandes entreprises ici - par exemple, les brasseries - sont des PME et on n'aura jamais le volume qu'elles ont, à cause, bien sûr, de la population.

Par contre, je vous laisserais comme commentaire et aussi comme question -j'aimerais savoir si vous êtes d'accord avec cela - que, si on appuie et on pousse davantage la recherche et le développement, afin de bâtir de nouveaux créneaux... Que ce soit dans le domaine des boissons gazeuses ou dans le domaine de la bière, cela peut être parfois difficile d'arriver avec de nouveaux produits, des produits de haute technologie. Ce sont peut-être de nouveaux produits avec de nouveaux goûts qui pourront être mis au point. Mais, quoi qu'il en soit, dans quelque domaine que ce soit, je suis sûr que le conseil des Teamsters touche à différents secteurs. Si le gouvernement donne les outils nécessaires pour que nos entreprises, de quelque grosseur que ce soit, puissent développer à fond des nouveaux produits et non pas essayer de se battre pour être capables d'entrer sur des marchés strictement sur l'aspect de la compétitivité, sur le volume, parce qu'on n'y arrivera pas...

L'exemple le plus patent est peut-être dans l'industrie du meuble où on a réussi des percées intéressantes. Dans le domaine informatique, c'est la même chose, on a réussi des percées intéressantes à cause des designs, à cause de l'aspect technologique. Je pense que, si l'on mettait l'accent de ce côté, on pourrait certainement permettre à nos entreprises de pénétrer les marchés américains, mais sous un angle de nouveauté de produits qui sont différents, qui se différencient.

M. Lacroix: Quand on mentionnait les

coûts d'accès aux matières premières, par exemple, ou l'accès à des coûts moindres pour les Américains que pour nous, on parlait, on avait plus précisément en tête... Encore une fois, dans l'industrie de la bière, l'accès à l'orge, aux matières nécessaires pour la fabrication de la bière ici sont contrôlées par le marché sur le blé, par le gouvernement canadien, alors qu'aux États-Unis les brasseries l'acquièrent sur un marché libre c'est-à-dire qu'ils ont accès à des coûts beaucoup moindres que nous. Le coût au Canada pour certaines des matières premières nécessaires à la fabrication de la bière revient à deux fois à peu près ce qu'il en coûte aux Américains, parce qu'ici la Commission canadienne du blé contrôle les prix tandis qu'aux États-Unis ça n'existe pas. Alors c'était ce qu'on avait plus précisément à l'esprit quand on parlait de différence de prix dans l'acquisition des biens ou matières premières. (12 h 15)

Quant à ce que vous mentionnez après, c'est sûr qu'en tant que conseil provincial des Teamsters on représente des travailleurs dans beaucoup d'industries, pas simplement dans l'industrie de la bière ou de la liqueur douce ou dans le transport et que tout ce qui peut contribuer à relever le niveau salarial des travailleurs en général travailleurs, travailleuses en général - est une chose pour laquelle on est en faveur et qu'on est prêt à regarder et à considérer. Cela va de soi. Mais, encore une fois, là on est inquiet pour ce qu'on a. Alors, c'est la première préoccupation qu'on a dans le moment présent.

M. Parent (Bertrand): M. Lacroix, je tiens à vous remercier et peut-être à dire à vos travailleurs qu'ils ont à se consoler, du moins pour l'instant, parce que le salaire moyen que vous nous avez mentionné de 38 000 $ est à peu près équivalent au salaire d'un député actuellement. C'est consolant peut-être pour eux et désolant pour nous.

M. Lacroix: Mais je vais vous laisser là-dessus. Le "turn-over", me dit-on, est plus grand parmi les politiciens.

M. MacDonald: La sécurité d'emploi n'est pas forte.

M. Parent (Bertrand): D'ailleurs j'ai déjà averti le ministre là-dessus. C'est trois ans, la moyenne.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, messieurs, je voudrais vous remercier au nom de tous les membres de la commission d'avoir participé à cette consultation générale et, indépendamment de l'avenir, on vous souhaite au moins de garder votre niveau salarial.

M. Lacroix: Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, j'invite maintenant l'Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec à prendre place à la table des invités.

Madame, messieurs, bonjour. Bienvenue à cette commission parlementaire. Vous êtes parmi les associations qui viennent régulièrement devant la commission de l'économie et du travail. Alors, on vous souhaite à nouveau la bienvenue. Je vous rappelle les règles pour cette consultation générale. On a une heure, en fait un peu moins, mais à peu près une heure. Une vingtaine de minutes de présentation et le reste du temps est réparti de part et d'autre pour la discussion avec vous. Alors, je crois que M. Roux dirige la délégation; ou madame, je ne sais pas.

Une voix: M. Richard va présenter...

Le Président (M. Charbonneau): Alors, excusez-moi. Si, dans ce cas-là, c'est M. Gabriel Richard. C'est ça? Alors, M. Richard, si vous voulez d'abord présenter les gens qui vous accompagnent et par la suite immédiatement commencer l'exposé que vous avez à faire.

Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec

M. Richard (Gabriel): M. le Président, M. le ministre, M. le député de Bertrand, membres de la commision, à mon extrême gauche, je vous présente M. Pierre Roux, président du conseil d'administration de l'Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec et président de Thiro Ltée, Me Gisèle Bourque, conseillère juridique de l'association; à mon extrême droite, M. Michel Bérubé, président-directeur général de Verreau Frontenac inc. et membre de l'exécutif de l'ACRGTQ; à ma droite, M. Claude Giroux, premier vice-président de l'association et président-directeur général de Giroux et Lessard Ltée.

Je demanderais maintenant à Me Bourque de vous présenter notre mémoire.

Mme Bourque (Gisèle): L'Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec, incorporée en 1944, regroupe sur une base volontaire quelque 600 entrepreneurs oeuvrant dans le domaine des travaux de génie civil, de voirie et de transport d'énergie, dont ils exécutent environ 90 % du volume total octroyé au secteur privé.

Parmi les donneurs d'ouvrage importants, notons Hydro-Québec, le ministère des Transports, le ministère de

l'Environnement, celui de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, la Société québécoise d'assainissement des eaux, les communautés urbaines, les municipalités. La grande majorité des contrats obtenus par les entrepreneurs le sont par le biais des soumissions publiques et sont exécutés, dans la totalité des cas, selon les plans et devis approuvés par des ingénieurs et des architectes. Plusieurs membres de notre association exécutent une bonne partie de leurs activités à l'étranger, notamment en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique du Sud ainsi que dans les Antilles, et une proportion appréciable de leur chiffre d'affaires provient de l'exécution de ces contrats.

En outre, quelques-uns de nos membres oeuvrent aux États-Unis depuis quelques années et ont ainsi acquis l'expérience nécessaire à parfaire adéquatement les travaux qu'ils exécutent dans ce pays. Afin d'être admissibles à soumissionner sur ces contrats, nos membres doivent former des raisons sociales américaines soumises aux lois existantes.

Le sujet d'actualité qu'est le libre-échange nous préoccupe grandement et, quoique nous n'ayons eu à ce stade-ci l'occasion de prendre connaissance du contenu du projet de pacte qui en fixera les paramètres, nous désirons vous faire part des appréhensions et des interrogations qu'il suscite en nous, ceci dans le meilleur intérêt et au nom de nos membres du secteur de l'industrie de la construction. À cause de ses caractéristiques particulières, l'industrie de la construction est plus concernée par le libre-échange des personnes que par celui des biens.

A priori, une entente valable de libéralisation canado-américaine des échanges semble alléchante, et nous souscrivons à l'inclusion des services à l'ordre du jour des négociations bilatérales dans la mesure où la libéralisation des échanges commerciaux contribuera à renforcer l'économie du Québec. En effet, notre marché intérieur est insuffisant à optimaliser l'utilisation de nos ressources productives et nous ne pouvons pas consommer tout ce que nous pouvons produire. Le Québec ne peut donc espérer créer de nouveaux emplois et améliorer son niveau de vie s'il n'exporte pas davantage. Cependant, il ne sera possible de déterminer les avantages précis de la libéralisation des échanges de services qu'au moment où seront connus les principes généraux, les sous-secteurs impliqués et les mesures spécifiques à mettre en oeuvre à la suite d'un accord-cadre dans ce domaine.

Dans notre mémoire, nous tenterons malgré tout de faire part à la commission, de la façon la plus éclairée possible, des répercussions éventuelles du libre-échange dans les différents domaines afférents à l'industrie de la construction au Québec.

Le libre-échange des biens. Nous ne pouvons facilement présumer que le libre-échange des biens produira une importante augmentation de la compétitivité respective des producteurs et des manufacturiers des pays participant à ce libre-échange en entraînant comme conséquence la baisse des prix de ces produits au Canada et l'amélioration qualitative desdits produits. Par ailleurs, la valeur de notre dollar canadien par rapport au dollar américain amplifie l'attrait des Américains à acquérir des biens du Canada, ce qui favorisera donc l'augmentation du volume des ventes canadiennes et, conséquemment, entraînera la création d'emplois additionnels. En outre, les entrepreneurs québécois auront un intérêt marqué à acquérir des équipements des États-Unis, car ceux-ci seront exempts des frais douaniers, contrairement à la situation qui prévaut actuellement.

Le libre-échange des personnes. Nous savons que, globalement, sous le vocable de "services de haute technologie" où sont regroupés entre autres les services de génie-conseil, d'ingénierie technique et les services professionnels divers, les services constituent le plus important domaine d'activité économique du Québec. Le Québec possède un secteur tertiaire très développé et en évolution constante: 65 % des emplois totaux en 1975, 68 % en 1980 et 71 % en 1986. Le secteur, des services contribue pour près de 67 % du produit intérieur brut au Québec alors que ce chiffre s'élève à 64 % dans l'ensemble du Canada. Dans le domaine du génie-conseil, le Québec joue un rôle important aussi bien au Canada qu'internationalement. Selon la Fédération internationale des ingénieurs-conseils, le Québec se situe au quatrième rang mondial pour l'importance des effectifs. De plus, trois des plus grandes sociétés de génie-conseil au monde ont leur siège social au Québec. Les firmes de génie-conseil établies au Québec encaissent 30 % des honoraires de l'industrie canadienne. On estime que 45 % des exportations canadiennes de génie-conseil proviennent du Québec.

Le Canada a un déficit très élevé au titre de commerce international de biens et services de haute technologie. En 1984, celui-ci se chiffrait à près de 12 000 000 000 $. Le Québec et l'Ontario sont les deux régions où se concentre la plus grande partie des activités des secteurs de production de biens et services de haute technologie.

Le libre-échange de services où celui des personnes intervient nécessairement doit tenir compte d'éléments particuliers propres à l'industrie de la construction et de l'aspect saisonnier qui la caractérise et qui différencie sa main-d'oeuvre de celle inhérente à la fabrication. Il convient en

effet de tenir compte des mesures de protectionnisme de la main-d'oeuvre adoptées par chacun des pays, des provinces et des régions par le biais des syndicats et des institutions locales, tant au Québec qu'aux États-Unis et concrétisées entre autres dans le Décret de la construction et le Règlement sur le placement des salariés dans l'industrie de la construction. Les syndicats et organismes locaux qui gèrent les systèmes de placement se veulent les protagonistes de l'utilisation de la main-d'euvre locale, principe qu'il convient de sauvegarder car le déplacement de la main-d'oeuvre, du reste, de compétence équivalente, engendre des coûts additionnels de transport et de pension injustifiés.

Actuellement les entrepreneurs québécois qui exécutent des contrats aux Etats-Unis utilisent la main-d'oeuvre ouvrière locale et une partie du personnel local pour former les équipes de direction. Cependant, les personnes qui assument les fonctions de responsables de ces équipes de direction proviennent des cadres québécois.

Dans le cadre d'un pacte de libre-échange, il importe que ces principes soient respectés car il ne serait pas adéquat de remplacer de part et d'autre une main-d'oeuvre compétente et disponible par une main-d'oeuvre provenant de l'extérieur. Toutefois, s'il fallait que le pacte signifie que le libre-échange doive se faire sans restriction aucune, il y aurait lieu d'adopter des mesures spécifiques pour empêcher les syndicats tant canadiens qu'américains d'exercer une influence indue sur le recrutement et l'embauche des ouvriers.

À titre d'exemple, au Québec il faudrait modifier les dispositions stipulées au règlement sur le placement des salariés dans l'industrie de la construction, car la mobilité de la main-d'oeuvre d'une région à l'autre ne s'effectue qu'en respectant certaines conditions précises.

La langue française. Le pacte sur le libre-échange devrait contenir des dispositions permettant de veiller au maintien et à la préservation de la langue française qui caractérise notre société distincte par rapport à I'ensemble des provinces canadiennes. Plusieurs démarches ont été effectuées et des actions concrètes ont été entamées en ce sens depuis quelques années et il convient de préserver les progrès réalisés par le Québec à ce jour. Il est recommandable que ce soit la langue du lieu où le contrat est réalisé qui prévaille tant au niveau de la rédaction du contrat qu'en ce qui a trait à la transmission des directives afférentes aux opérations.

Le système métrique. Le pacte sur le libre-échange devrait nécessairement comporter des dispositions suivant lesquelles les biens américains devant être vendus au Canada soient fabriqués en conformité avec le système métrique, ceci afin de s'assurer de la continuité de la situation qui prévaut actuellement, les Québécois n'ayant, de façon générale, aucune difficulté à s'approvisionner aux États-Unis selon le système métrique.

Les institutions et lois locales. Il existe au Québec plusieurs institutions et organismes qui veillent à ce que les activités relatives à l'industrie de la construction se déroulent dans le meilleur intérêt des entrepreneurs, des ouvriers et du public en général. Il s'agit plus particulièrement des institutions suivantes: la Régie des entreprises de construction du Québec; la Commission de la construction du Québec; la Commission du bâtiment du Québec; la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec. S'ajoutent à celles-ci des associations patronales regroupant les différentes catégories d'entrepreneurs oeuvrant au Québec. Aux États-Unis existent des institutions analogues désirant atteindre les mêmes objectifs.

Le pacte sur le libre-échange devrait contenir des dispositions suivant lesquelles les entreprises étrangères désirant faire affaires dans un autre pays soient tenues de se conformer aux exigences des institutions et associations existantes ainsi qu'à toutes les lois et règlements afférents.

Le règlement des différends. Qu'ils soient bilatéraux ou multilatéraux, les accords internationaux prévoient souvent la création d'instances responsables de surveillance et de mise en oeuvre de l'accord. En l'occurrence, l'accord canado-américain de libre-échange devrait établir un tel mécanisme susceptible de contribuer à la gestion de l'accord et à la solution des différends commerciaux. Par le biais d'une entente il serait peut-être possible de mettre en oeuvre un mécanisme alternatif de coopération pour établir des règles et des modalités de recours à un processus de règlement des différends.

Par le biais du pacte sur le libre-échange, il y aurait lieu de préconiser des moyens efficaces permettant de régler le sort des différends de façon plus expéditive que par le recours aux tribunaux de droit commun. L'arbitrage pourrait s'avérer une solution avantageuse, d'autant plus qu'à Québec et à Vancouver des centres ont été créés pour la conduite d'arbitrages internationaux. Il y a également l'Institut des arbitres du Canada à Montréal et le Canadian Arbitration Association à Toronto qui fonctionnent de façon analogue à celle de l'American Arbitration Association aux États-Unis.

En tenant compte de l'ampleur et du contenu d'un accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, on peut déjà insister sur l'importance que les provinces soient impliquées directement relativement au sujet du règlement des différends, tenant

compte de leurs intérêts respectifs.

Assurance-accidents du travail. L'article 8 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles stipule que ladite loi s'applique, sous certaines conditions, aux travailleurs victimes d'un accident du travail qui survient hors du Québec ou victimes d'une maladie du travail contractée hors du Québec. En conséquence, l'employeur doit obligatoirement souscrire à l'assurance de la CSST et, parfois, doit également souscrire à une assurance additionnelle lorsqu'il effectue des travaux à l'étranger. (12 h 30)

Cette obligation constitue une entrave à la liberté d'entreprise et empêche les entrepreneurs de mener une saine concurrence à leurs compétiteurs soumissionnaires des projets hors Québec ou internationaux où il est possible de souscrire à des assurances privées à des coûts moindres que ceux de la CSST. Pour illustrer cette assertion, prenons le cas d'une soumission comportant un montant de 5 000 000 $ représentant la main-d'oeuvre, auquel l'entrepreneur québécois doit ajouter un pourcentage de 15 % traduisant la part de sa souscription à l'assurance obligatoire de la CSST, c'est-à-dire 750 000 $ additionnels au montant initial de sa soumission, alors que la part de souscription de son homologue étranger à une asssurance privée ne peut représenter que 3 %, c'est-à-dire 150 000 $, ce qui représente un écart de 600 000 $ suffisant pour rendre le soumissionnaire québécois non compétitif.

Pour que les entrepreneurs québécois soient placés sur le même pied que leurs homologues étrangers en ce qui a trait aux soumissions, le pacte sur le libre-échange devrait considérer cet aspect et, en conséquence, le gouvernement québécois, amender l'article 8 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles précitée en annulant cette exigence qui pénalise l'entrepreneur québécois.

La Régie des rentes du Québec. Actuellement, l'employeur et l'employé contribuent à parts égales à ce régime auquel ils sont soustraits dès qu'ils exécutent des travaux à l'étranger. Ces parts manquantes de revenus pour la Régie des rentes du Québec sont non significatives pour le moment, car il s'agit d'une faible proportion de travailleurs qui oeuvrent à l'étranger. Toutefois, le pacte sur le libre-échange favorisera le travail hors du Québec, ce qui se traduira par une perte de revenus plus substantielle pour la Régie des rentes du Québec. Par ailleurs, l'employé qui oeuvre plus fréquemment à l'étranger verra sa pension réduite au bout du compte, ne contribuant à ce régime que dans une proportion minime. Dans le cadre d'un accord de libre-échange, il conviendrait de modifier la loi existante pour l'adapter aux besoins nouveaux générés par ce pacte, en rendant obligatoire en tout temps, pour l'employeur et l'employé, cette forme de prestation.

Les investissements américains.

L'avènement du libre-échange entraînant une meilleure compétitivité contribuera à une baisse des coûts de production. Les Américains, constatant qu'il leur est possible de produire des biens à de. meilleurs prix au Canada, y consentiront des investissements, ce qui leur permettra d'exporter davantage leurs produits. Ce volet de l'exportation rajoute une possibilité de vendre plus facilement à l'étranger car, de façon générale, le transport en Europe des marchandises s'effectue plus rapidement à partir du Canada que de l'Ouest des États-Unis. Les Américains bénéficieront donc de trois marchés potentiels plutôt que de deux, en ce qu'ils auront la possibilité de vendre leurs produits au Québec et au Canada, aux États-Unis et à l'Europe.

Les répercussions précises du libre-échange sur les investissements américains demeurent difficiles à évaluer car elles graviteront autour du fait que le volume des investissements sera intimement relié à la performance du dollar canadien et à l'évolution des taux d'intérêt. Par ailleurs, nous pouvons conclure que ces investissements additionnels profiteront à l'industrie de la construction qui devra réaliser les infrastructures et les constructions nécessaires à la production de nouveaux biens.

L'Association canadienne de la construction effectue chaque année des études économiques de façon à projeter des perspectives pour les années suivantes dans le domaine de la construction au Canada. L'an passé, L'ACC considéra l'impact du libre-échange sur ses perspectives, et les résultats apparaissent aux pages 21 et 22 du présent mémoire. Nous remarquons, au tableau 1 de la page 21, qu'en 1994, plus particulièrement, l'impact du libre-échange sur le volume des contrats au Canada se traduira par une augmentation de 2,2 % ou 638 000 000 $.

Finalement, il convient de faire une importante mise en garde en ce qui a trait aux investissements potentiels des Américains au Canada, à savoir qu'il faut éviter que les entreprises américaines puissent prendre le contrôle d'entreprises ou de secteurs d'activités québécois et contrôler ainsi les prix. Le pacte de libre-échange devrait donc comporter des mesures restrictives quant à la mainmise potentielle des Américains sur le regroupement des entreprises québécoises.

Les produits québécois. Le pacte sur le libre-échange impliquera que la politique québécoise faisant la promotion des produits québécois devra être modifiée en

conséquence de cet accord. Il est opportun de reconnaître que la disparition de cette politique québécoise favorisant la promotion des produits québécois affectera les fabricants du Québec chaque fois qu'un produit américain sera moins cher. Pour survivre, les fabricants québécois devront atteindre des niveaux de productivité et de coûts de production compétitifs à ceux des Américains.

Par la teneur des remarques que nous vous avons formulées dans le présent mémoire, vous constaterez que nous sommes, dans l'ensemble et à ce stade-ci, favorables à un pacte de libre-échange, dans la mesure où la libéralisation des échanges commerciaux contribuera à renforcer l'économie du Québec et à sauvegarder les intérêts des Québécois. La pleine réalisation des bénéfices d'une libéralisation bilatérale des échanges sera d'autant plus valable si elle repose sur un climat d'investissement stable et productif. À la fois pour assurer la croissance et la modernisation économiques du Québec et pour favoriser son ajustement à un espace commercial libéralisé, nous souhaitons que les négociations commerciales bilatérales contribuent à façonner un climat plus sûr, plus ouvert et plus libéral pour l'investissement.

Finalement, nous percevons les négociations commerciales comme un moyen d'atteindre les objectifs suivants permettant de moderniser la structure industrielle du Québec: faire du Québec une société productive et plus compétitive à la concurrence domestique et internationale; développer un climat d'encouragement à l'investissement, tant domestique qu'étranger; offrir à sa population active de meilleures possibilités de création d'emplois stables et qualifiés, ce qui pourrait contribuer à réduire le chômage; renforcer sa base technologique.

Bref, nous sommes favorables à ce que le Québec développe une économie dynamique, capable de s'adapter avec plus de flexibilité à son environnement et de mieux saisir les opportunités de changements qu'offre l'internationalisation de ses perspectives de marché. Merci!

Le Président (M. Charbonneau): Mme Bourque et messieurs, merci. Je vais céder la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: Madame, messieurs, merci de votre présentation. Il y a des éléments très intéressants sur lesquels je vais vouloir vous demander des explications plus longues, mais je commencerai par le début. Il y a de vos membres qui ont très bien réussi à aller travailler à l'étranger. Est-ce qu'il y en a qui réussissent ou qui ont réussi à aller travailler aux États-Unis?

M. Richard (Gabriel): Oui, M. le ministre. Il y en a quelques-uns, depuis plusieurs années, qui travaillent aux États-Unis et en particulier au cours des dernières années. Cela va très bien.

M. MacDonald: Cela va très bien. C'est un pourcentage de combien de vos membres qui font cela?

M. Richard (Gabriel): II y a quatre ou cinq membres de l'Association...

M. MacDonald: ...sur un total de 600.

M. Richard (Gabriel): ...sur un total de 600.

M. MacDonald: Une plus grande ouverture, d'après vous, en amènerait-elle plusieurs autres à le faire?

M. Richard (Gabriel): C'est l'impression que nous avons, basée aussi sur l'étude des perspectives économiques de l'Association canadienne de la construction.

M. MacDonald: Et. réciproquement, avec-vous des Américains qui viennent soumissionner pour vos contrats ici?

M. Richard (Gabriel): Pas directement, ils viennent en étant en entreprise conjointe avec des entrepreneurs québécois ou canadiens.

M. MacDonald: S'il y avait une plus grande ouverture, est-ce que vous sentiriez une compétition accrue?

M. Richard (Gabriel): Probablement.

M. MacDonald: Est-ce que cela vous fait peur?

M. Richard (Gabriel): Non.

M. Macdonald: J'ai d'autres questions, mais on a un processus d'alternance entre le député de Bertrand et moi-même. Alors, à vous la parole et je reviendrai.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci beaucoup, M. le Président. Mme Bourque, messieurs, bienvenue à la commission parlementaire sur le libre-échange. Merci d'être là!

Un mot particulier concernant votre mémoire. Je dois dire, pour être rendu au 46e intervenant dans le processus de ceux qui comparaissent devant cette commission, que vous êtes certes de ceux qui ont porté de nouveaux points à l'attention de la commission, des points de vue que d'autres

n'avaient pas considérés, de par leur marché ou leurs orientations. Vous avez fait un travail vraiment remarquable dans le sens que non seulement vous apportez de grands termes, mais aussi des choses très précises en ce qui regarde vos demandes, pour répondre vraiment à vos membres.

Vous apportez, je ne prends que quelques exemples, la dimension du système métrique. Cela n'avait pas été souligné jusqu'ici. Je pense que c'est juste. Vous avez tout â fait raison, il faut se préoccuper de ces spécificités canadiennes, entre autres, dans le cadre du marché.

Vous nous parlez de nos institutions locales et des lois concernant particulièrement les institutions dans le domaine de la construction. On est assez bien régis ici et je pense qu'il va falloir assurer certains mécanismes. À la question du règlement des différends, là aussi, vous apportez une dimension fort intéressante dans le dernier paragraphe, à la page 14, où j'ai noté que vous dites: "En tenant compte de l'ampleur et du contenu d'un accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, on peut déjà insister sur l'importance que les provinces ont impliquées directement relativement au sujet des règlements des différends." Je pense qu'on n'insistera jamais trop, à cause de la spécificité québécoise et à cause non seulement de la culture et de la langue mais de tous les autres aspects, on se doit d'être là.

La question des assurances des accidents du travail, de la CSST, des régimes de retraite, je trouve cela fort articulé et fort intéressant. Je tiens à vous féliciter pour avoir si bien étoffé un tel mémoire. Je ne le sais pas, j'imagine que oui, est-ce que vous avez comparu avec ce mémoire ou avec un mémoire semblable devant le comité Warren?

M. Richard (Gabriel): Non, monsieur.

M. Parent (Bertrand): C'est malheureux cela, M. le ministre. J'espère que plusieurs de ces points ont été pris en considération. Si M. le président me le permet, j'interpelle le ministre pour qu'on soit mieux informés. Vous comprendrez que dans le processus il y en a plusieurs qui comparaissent à cette commission et qui ont déjà, au cours des six ou douze derniers mois, comparu devant le comité Warren et porté à l'attention des choses qui ont déjà été prises en considération par le négociateur de façon que M. Reisman sache exactement ce que le Québec veut. Dans votre cas et à cause des demandes très logiques que vous faites, je suis pas mal assuré que le ministre sera d'accord avec cela aussi, si vous n'avez pas comparu devant le comité Warren, et cela nous arrive aujourd'hui, un 24 septembre, j'espère que plusieurs de ces points ont été portés à l'attention ou seront considérés, M. le ministre. Peut-être que vous pourriez me répondre sur cela. Je continuerais. Je vais vous laisser parler sur mon temps.

M. MacDonald: Continuez et je commenterai.

M. Parent (Bertrand): Cela fait partie certes de mes préoccupations.

Vous mentionnez aussi, à la page 3: "A priori, une entente valable de libéralisation canado-américaine des échanges semble alléchante et nous souscrivons à l'inclusion des services." Là, aussi, j'ai beaucoup de préoccupations parce qu'en relisant toutes les coupures de presse et tout ce qu'on a je ne sais plus si tous les services sont sur la table et s'il y a une volonté de la part du Québec de les mettre sur la table. Je sais que le premier ministre lui-même - le 31 janvier 1987 - suggérait d'exclure non seulement l'agriculture mais toute la question des services dans le but de ne pas mettre trop de choses dans la balance et de ne pas faire achopper les négociations. J'imagine que cela a été corrigé. Je pense que c'est important. Là, je rapporte les propos du journal La Presse, le 31 janvier 1987, dans un titre: "M. Bourassa suggère d'exclure l'agriculture et les services dans les négociations de libre-échange". Le texte fait foi de cela. J'espère, en tout cas, que la question des services est incluse.

La question que j'aimerais vous poser, dans un premier temps, serait: l'Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec aurait certes des avantages à trouver au libre-échange par rapport à la question des investissements, donc, des retombées économiques qu'on aurait ici et des avantages en ce qui a trait à la création d'emplois. Vous avez mentionné que vous avez fait des études d'impact. Est-ce que vous avez pu mesurer cela jusqu'à un certain point? J'aimerais avoir certaines explications sur le tableau no 1 que je n'ai pas entièrement compris, à la page 22. Ces impacts, on les a en millions de dollars par rapport aux retombées, mais aussi, en termes d'emplois, ce serait intéressant d'avoir une idée.

L'autre question que j'aimerais vous poser c'est: il y a une très grande démarcation entre les chiffres de 1994, dont vous avez fait mention particulièrement dans votre mémoire à la page 19, les chiffres prévus de 638 000 000 $ de volume de contrats au Canada, et ceux de 1988 mais aussi de 2001. Il semble y avoir une espèce de cycle où on connaîtra une baisse, d'après ce scénario, et où le total comme tel des contrats au Canada serait de 261 000 000 $, c'est-à-dire qu'il baisserait de 638 000 000 $ à 261 000 000 $ entre 1994 et 2001 pour remonter par la suite. J'aimerais, si vous le

pouvez, que vous m'expliquiez rapidement un peu l'essence même de cette prévision qui est fort intéressante. (12 h 45)

M. Richard (Gabriel): Les prévisions ont été faites par l'Association canadienne de la construction, avec son service d'économistes. L'Association canadienne de la construction réalise ces études chaque année et projette, pour les quinze ou vingt prochaines années, quelles devraient être les perspectives économiques. L'an dernier, dans le cadre du libre-échange, elle a étudié l'impact du libre-échange sur ses prévisions économiques. Le tableau que vous avez ici donne l'impact sur les prévisions pour 1988, 1994, 2001 et 2005. Si ces prévisions étaient moins fortes en 2001 que celles de 1994... C'est pour cela que les chiffres varient, c'est toujours par rapport aux prévisions économiques sans libre-échange.

En ce qui concerne les emplois, on peut se baser sur 2,2 % de 100 000 emplois au Québec; cela devrait créer 2200 emplois en 1994.

Quant aux millions, c'est difficile à dire, je crois qu'on peut conclure facilement que l'Ontario et le Québec représentent les deux tiers du montant prévu pour le Canada entier et, probablement, le tiers pour le Québec. Cela pourrait représenter 200 000 000 $ additionnels de travaux dans le domaine de la construction, au Québec, en 1994.

M. Parent (Bertrand): Comment expliquez-vous la différence par la suite, sept ans plus tard, c'est-à-dire la baisse? Avez-vous une explication par rapport à cela?

M. Richard (Gabriel): C'est probablement que les prévisions économiques, sans le libre-échange, prévoyaient déjà une baisse en 2001; c'est pour cela qu'il y en a une là. Aussi, le libre-échange, selon les renseignements que nous avons, ne se fera pas du jour au lendemain, il va s'implanter progressivement au cours des dix ou quinze prochaines années. C'est pour cela qu'en 1988 l'impact est de 47 000 000 $ et, en 1994, de 638 000 000 $.

M. Parent (Bertrand): Justement...

M. Richard (Gabriel): Et peut-être qu'après une période initiale d'investissements il y aura une accalmie et que cela reprendra par la suite.

M. Parent (Bertrand): Justement, dans cet ordre-là, vous n'avez pas de façon spécifique, j'imagine volontairement, précisé des recommandations sur l'échéancier de la période de transition qui serait... Tout le monde parle d'entre cinq et dix ans, mais vous, dans votre cas, et concernant votre association, auriez-vous, à ce stade-ci, des recommandations à faire en termes de période de temps?

M. Richard (Gabriel): II faudrait abonder dans le sens de l'Association canadienne de la construction et parler d'une période de dix ans.

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie pour l'instant. M. le ministre.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. MacDonald: Merci. L'Association des ingénieurs-conseils du Québec a comparu devant le comité Warren le 21 août 1987, je crois. Mais, avant même qu'elle ne comparaisse, je peux vous assurer que l'élément particulier du système métrique avait été couvert par les représentants du ministère de l'Industrie et du Commerce, particulièrement autour du secrétariat qui était concerné par la libéralisation des échanges, comme les gens du ministère des Affaires culturelles ont fait leurs représentations sur la langue. Vous avez effectivement soulevé un bon nombre de points. Vous êtes sensibles à cela et nous l'étions. Nous nous sommes assurés, dans la préparation non seulement de la position mais aussi des arguments accompagnant la position canadienne dans la négociation avec les États-Unis, que ce soit des choses qui, à toutes fins utiles, se rendent à l'évidence de la réalité canadienne. Comme on peut voir, et on en a parlé un peu plus dans les 24 dernières heures, il y a des conditions sur lesquelles on est inflexibles et c'est cela.

À la page 16, vous avez mentionné des chiffres qui valent la peine d'être relevés. Si j'ai bien compris, vous établissez à 15 % de la masse salariale calculée par un entrepreneur pour un contrat le coût des cotisations à la CSST exigé à un employeur. C'est une moyenne. Est-ce qu'il y en a un peu moins, un peu plus, selon le dossier de l'entrepreneur?

M. Richard (Gabriel): Cela dépend surtout du type de travaux qui est effectué. Dans le domaine de l'électricité, il y a un taux. Dans le domaine des tunnels, il y a un taux plus fort. Alors, plus les risques d'accidents sont élevés, plus le taux de la CSST est élevé.

M. MacDonald: Ma deuxième question, c'est comment expliquez-vous... il doit certainement y avoir une différence importante à quelque part, en ce sens qu'une compagnie d'assurances privées pourrait assurer le risque à 3 % et que la CSST exige 15 %. Où est la différence? Est-ce

qu'on compare des oignons avec des oignons?

M. Richard (Gabriel): On compare exactement des oignons avec des oignons.

M. MacDonald: Et comment expliquez-vous cela?

M. Richard (Gabriel): J'aimerais être capable de vous l'expliquer. Il n'y a pas d'explication autre que la CSST a un taux de cotisation applicable à tout le monde et que c'est ce taux-là qu'il faut utiliser,.

Dans les contrats étrangers - j'ai personnellement eu à m'occuper de contrats étrangers - je peux vous dire que les accidents sont beaucoup ' moindres quand nos ouvriers canadiens travaillent à l'étranger, pour toutes sortes de raisons. Probablement qu'ils sont plus prudents sachant que ce n'est pas intéressant de se faire casser une jambe en Afrique. L'expérience des assurances privées est là pour démontrer que 3 %, c'est un taux raisonnable. Les assurances privées font de l'argent avec un taux de 3 %, et je pense que c'est essentiel pour permettre aux entrepreneurs québécois, en particulier, de compétitionner à l'étranger, d'être capables de souscrire à ces assurances qui offrent la même protection que celles de la CSST.

M. MacDonald: C'est un écart effarant qui nuit considérablement à votre compétitivité, que les contrats soient à l'étranger, comme on dit, ou aux États-Unis.

M. Richard (Gabriel): Exactement.

M. MacDonald: Votre note sur la recommandation d'amender l'article 8 de la loi sur les accidents du travail, cela aussi, c'est intéressant. Je veux dire, c'est l'ensemble; on vient d'en parler. Mais allons donc à la Régie des rentes. Cela, c'est très intéressant. D'une part, vous dites: J'aimerais aller chercher dans le privé la protection de mes employés, pour la question des accidents du travail. Mais vous dites: Par contre, je voudrais m'assurer qu'on continue à accumuler adéquatement dans la caisse de retraite qui est la Régie des rentes du Québec.

M. Richard (Gabriel): Nous aurions pu choisir une autre façon de le dire. On aurait pu dire que ce serait adéquat, pour les travailleurs, d'avoir un régime de rentes supplétif qui va compenser pour la perte du Régime de rentes du Québec. Cela aurait été la même réponse. Comme c'est moins important que dans le cas de la CSST et que c'est plutôt destiné à protéger le travailleur lui-même, nous croyons que c'est plus facile de modifier la loi sur le régime de rentes et de garder le paiement obligatoire.

Mais aussi c'est un domaine où des changements surviendront au cours des prochaines années et la protection est meilleure pour tout le monde avec un...

M. MacDonald: Une dernière question. Ce n'est pas parce que je n'en aurais pas plusieurs, mais c'est toujours la fameuse question de temps. Est-ce qu'à l'intérieur de l'association que vous représentez l'association ou les membres individuellement ont eu un dialogue, un forum quelconque avec les syndicats représentant les employés de la construction ou un groupe de travailleurs avec lequel vous faites affaire plus régulièrement? Est-ce que les patrons et les employés de la construction se sont parlé de ce que pourrait être l'éventualité d'un traité de libéralisation des échanges?

M. Richard (Gabriel): Pas à ma connaissance.

M. MacDonald: Permettez-moi de vous le suggérer. On n'est pas ici pour sermonner personne, mais ce serait peut-être une bien bonne idée, parce qu'à ma connaissance vous faites vos contrats avec eux et les répercussions vont les toucher et vous aussi. On a déjà suggéré cela à d'autres. Vous n'êtes pas les seuls à qui on l'a suggéré.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. On sait que, dans le genre de travaux fait par les gens de votre association, la masse salariale est très importante. Il y a l'aspect technologique des différentes machineries, lorsqu'on fait des travaux sur les routes, etc. Mais, bien sûr, l'aspect de la main-d'oeuvre est très important. Est-ce que vous pourriez me dire s'il y a une différence marquée entre les coûts de la main-d'oeuvre au Québec et aux États-Unis ou dans différents États, sur une base comparative? Est-ce qu'on peut dire que ce sont sensiblement les mêmes bases salariales ou si vous avez un désavantage en partant?

M. Richard (Gabriel): Je ne peux pas vous répondre sans vous répondre pour chacun des États, parce que les taux sont différents d'un État à l'autre. Dans l'État de New York, les taux sont beaucoup plus élevés qu'ici, tandis que, dans d'autres États du centre des États-Unis, ils le sont moins. Il faut comparer État par État.

M. Parent (Bertrand): Une dernière question puisque, M. le Président, je pense que mon temps est à peu près terminé. Les contrats qui sont effectués, sauvent ici, au Québec, sont des contrats octroyés par les gouvernements ou sociétés qui dépendent des

gouvernements. Ne pensez-vous pas qu'il y aura barrière psychologique pour des entreprises québécoises qui vont aller essayer de décrocher des contrats sur les marchés américains? Vos membres, nos entreprises québécoises ne rencontreront pas un mur là? Et, s'il n'y a pas de mur, ne pensez-vous pas que les cahiers de charges, les politiques d'achat, ou toute la mécanique qui peut se faire autour d'une demande de soumission ne peut pas être, je dirais, "trafiquée" - entre guillemets - ne peut pas faire en sorte qu'on exige finalement des choses, indirectement, dans le devis qui font que nos gens ne pourront pas avoir accès à ces soumissions-là ou du moins être capables d'entrer en compétition? On sait que, dans ce domaine-là, finalement, il faut être capable de répondre à tous les critères. Et on peut jouer beaucoup sur la question des critères, en dehors des grandes normes qui pourront être inscrites dans un accord de libre-échange, incluant le fait qu'ils pourraient nous garantir, s'ils nous le garantissaient, l'accès au marché américain. Ne pensez-vous pas, selon l'expérience que vous avez ici, au Québec, et celle des quatre, cinq ou six qui ont réussi à franchir et à faire des travaux de ce côté-là, qu'il y a certaines précautions qu'on devrait prendre dans la mécanique pour s'assurer qu'on ne se fera pas fermer la porte par en arrière par ceux qui demanderont les soumissions? Je pense au gouvernement américain, à l'occasion, aux gouvernements des différents États.

M. Richard (Gabriel): Premièrement, quant à la barrière psychologique, nos entrepreneurs sont habitués d'obtenir des contrats en Afrique, au Moyen-Orient. Alors, je pense qu'en étant habitués à faire cela ils seront sûrement capables de ne pas être influencés par la barrière psychologique aux États-Unis. C'est quand même tout près du Québec.

M. Parent (Bertrand): Ce n'est pas que je sois inquiet que les Québécois ne puissent la franchir. C'est beaucoup plus parce que les Américains sont peut-être plus réfractaires.

M. Richard (Gabriel): Bien, si c'est ainsi, ce ne sera pas le libre-échange. Pour parler de votre mécanique de procédés, si, dans les appels d'offres des Américains, il y a des dispositions qui font en sorte que les entrepreneurs québécois ne sont pas capables de soumissionner équitablement, ce n'est pas le libre-échange.

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. MacDonald: Je vous remercie beaucoup. En effet, j'abonde dans le sens de mon collègue, vous avez apporté des éléments nouveaux et je vais y donner suite sans aucun doute. Mais je retiens de votre présentation que, si vous êtes appelés à jouer avec les mêmes règles du jeu, vous n'avez pas peur de la compétition, qu'au contraire vous aimez cela.

M. Richard (Gabriel): C'est cela. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Comme commentaires, je voudrais, au nom des membres de la commission, vous remercier, madame, messieurs, d'avoir participé à cet exercice de consultation. Et, dans votre cas, on n'a qu'à se dire à la prochaine, parce que je suis convaincu qu'on va vous revoir à la commission de l'économie et du travail pour, sans doute, une autre consultation. Alors, merci.

M. Richard (Gabriel): Les 27 et 28 octobre. Merci. Au revoir.

Le Président (M. Charbonneau): Bon retour. Les travaux de la commission sont ajournés jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 59)

(Reprise à 15 h 3)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaîtï

La commission de l'économie et du travail reprend ses travaux. Son mandat est de procéder à une consultation générale en ce qui a trait à la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.

Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes inc.

Nous accueillons maintenant l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes. Messieurs, bon après-midi, bienvenue à la commission de l'économie et du travail. Je reconnais, entre autres, un ancien membre de l'Assemblée nationale qui a fait sa marque dans cette salle. M. Castonguay. Je crois que c'est vous qui êtes président de la délégation. Je vous demanderais, avant de commencer votre exposé, de présenter les gens qui vous accompagnent. Je vous rappelle qu'il y a une heure à la disposition de votre groupe, dont une vingtaine de minutes, au départ, pour la présentation de votre point de vue, le reste du temps étant réparti de part et d'autre pour la discussion avec les membres de la

commission.

M. Castonguay (Claude): Merci, M. le Président. À ma gauche, M. Robert Bégin, président et chef de la direction de l'îndustrielle-Alliance, compagnie d'assurance sur la vie, et qui, jusqu'au mois de juin, était président de l'Association des compagnies d'assurances de personnes du Canada. À sa gauche, M. Claude Lamoureux, président de la Société de gestion La Métropolitaine Ltée; à ma droite, Gaétan Drolet, membre du Groupe de consultation sectoriel sur le commerce extérieur dans le secteur des services financiers et qui est aussi, à d'autres moments, vice-président de la Corporation du Groupe La Laurentienne, et Me Yves Millette, vice-président de l'ACCAP, notre association.

M. le Président, nous avons un mémoire qui a été préparé et qui est disponible, je pense. J'aimerais faire quelques commentaires en ne m'en tenant pas strictement à la structure du mémoire. D'abord, au point de départ, je pense qu'il est important de rappeler l'importance du secteur de l'assurance des personnes pour plusieurs raisons, non seulement en fonction de l'assurance que nous donnons aux gens, mais également par le fait que nous maintenons beaucoup d'emplois, des emplois stables, permanents, des emplois ayant un contenu très intéressant au point de vue fonctions et aussi par le fait que nous investissons dans l'économie. Nous investissons non seulement dans des obligations, c'est-à-dire des dettes d'entreprises ou de gouvernement, mais nous investissons aussi fortement dans des actions, soit dans la propriété des entreprises. C'est peut-être, dans le contexte de ce qui est discuté ici, une des dimensions qui est extrêmement impartante.

L'industrie de l'assurance de personnes est dominée par des entreprises contrôlées par des Canadiens. On voit, par exemple, que les sociétés canadiennes d'assurances de personnes ont perçu, en 1985, environ 8 000 000 000 $ de primes par année, alors que les sociétés américaines et leurs filiales qui font affaires au Canada percevaient environ 1 800 000 000 $. On voit que, dans ce domaine, les compagnies ou les sociétés canadiennes détiennent la plus grande part du marché. Dans cette répartition des compagnies, il y a une autre ventilation importante. Les sociétés mutuelles font à peu près 62 % du chiffre d'affaires à l'échelle canadienne contre 38 % pour les sociétés à capital-actions. En d'autres termes, Ies sociétés mutuelles sont détenues par leurs assurés. Donc, ce sont des compagnies dont le contrôle est canadien et devrait normalement demeurer au Canada. Je dis "normalement" dans le sens que, si une compagnie avait plus d'assurés à l'extérieur, il peut y avoir malgré tout un certain déplacement.

Une autre question assez importante, c'est le fait que les compagnies canadiennes d'assurances ont pris au cours des dernières années une expansion assez grande à l'étranger. Elles ne font pas affaires uniquement au Canada et, au cours des dix dernières années, de 1975 à 1985, leur progression a été plus rapide à l'extérieur qu'à l'intérieur du Canada. On constate qu'au cours de 1985 les compagnies canadiennes faisaient un chiffre d'affaires de plus de 5 000 000 000 $ à l'extérieur, la plus grande partie aux États-Unis. Dans tout ce portrait de l'industrie, il y a une caractéristique qu'il faut mentionner en ce qui a trait au Québec, c'est que l'industrie régionale de l'assurance de personnes est plus forte au Québec qu'elle ne l'est dans les autres provinces» On cite des chiffres; les revenus de primes perçues par les compagnies du Québec se sont élevés à plus de 35 %, alors que les autres sociétés canadiennes faisaient environ 46 % ici au Québec et les sociétés de l'extérieur à peu près 16 %. On voit une plus grande concentration des compagnies domiciliées ici au Québec et à charte québécoise. Sur ce plan, les sociétés et les compagnies québécoises aussi ont une autre caractéristique un peu plus prononcée, c'est que les sociétés mutuelles contrôlent à peu près 90 % du chiffre d'affaires. (Sa propriété est ancrée chez les assurés de ces compagnies.

Il faut voir ces chiffres comme étant une manifestation de la compétence des gens qui ont administré ces compagnies, qui les ont développées, mais, s'il n'y avait pas eu certaines mesures de protection, peut-être que ces chiffres-là seraient assez différents. Il faut aussi garder cela comme information. Il y a des limites à la propriété des compagnies d'assurances de personnes qui apparaissent dans les lois. Il y a eu certaines autres contraintes dans le passé. Il y a eu un mouvement, au cours des années soixante, de mutualisation des compagnies canadiennes pour faire que leurs propriétés demeurent ici-Ces mesures-là ont eu évidemment certains effets sur le portrait que nous venons de présenter.

Avant d'aller plus loin et de discuter plus spécifiquement de libre-échange, il n'est peut-être pas mauvais de rappeler que le secteur de l'assurance des personnes n'est pas un secteur d'activité isolé. C'est un secteur d'activité qui se situe dans le secteur plus grand des services financiers, c'est-à-dire les banques, les fiducies, les compagnies de courtage en valeurs mobilières, la gestion de fonds, la distribution de fonds, les fonds mutuels, la gestion de caisses de retraite, etc. Il est important de se souvenir de cette autre dimension. D'ailleurs, ici, au Québec, elle a

été reconnue depuis déjà un bon moment. Elle est reconnue de façon très explicite dans la loi depuis 1984, avec l'adoption de la loi 75 qui avait modifié à l'époque la Loi sur les assurances. Si on examine la question des assurances de personnes, je pense qu'il faut garder ce contexte en mémoire. On en a eu un exemple frappant en Ontario au mois de juin lorsqu'on a ouvert la propriété des sociétés de courtage de valeurs mobilières assez brusquement et sans obtenir quoi que ce soit, en contrepartie, de l'extérieur. Je pense qu'il a été reconnu qu'un geste trop brusque dans ce secteur-là nous a privés de certains avantages qui auraient pu être obtenus d'autre part par un échange avec les États-Unis.

Le libre-échange en matière d'assurances de personnes existe déjà dans une très large mesure entre les deux pays. On sait qu'il y a des compagnies de l'extérieur qui font affaires ici au Canada et qu'il y a des compagnies canadiennes qui font affaires aux Etats-Unis. Ce libre-échange existe même au point où les associations, l'association dont nous sommes membres - ici et les associations correspondantes aux États-Unis, se sont entendues pour reconnaître et accepter le principe du libre-échange en matière d'assurances de personnes. Elles ont relevé qu'il existe encore certaines barrières et que ces barrières ou ces contraintes devraient être levées.

Dans ce contexte-là, pour aller maintenant un peu plus loin que ce qui a été reconnu en ce qui concerne les associations, il y a deux principes que nous préconisons comme association: d'abord, la règle du traitement national. Première règle, c'est-à-dire qu'en vertu du principe ou de la règle du traitement national, les sociétés américaines qui font affaires au Canada devraient être traitées au Canada de la même manière que les sociétés canadiennes ou les sociétés à charte québécoise. D'autre part, les sociétés canadiennes devraient être traitées exactement pareil aux États-Unis, comme les sociétés américaines le sont. Donc, pas de discrimination du fait qu'ici, dans l'application de la loi, une société est américaine et vice versa. D'ailleurs, ce principe est déjà reconnu dans la Loi sur les assurances et l'article 206 de la loi québécoise sur les assurances énonce précisément ce principe-là. Alors, ce n'est pas un principe qui devrait faire des difficultés.

La deuxième grande règle, c'est le droit d'établissement. En d'autres termes, qu'une entreprise de l'extérieur puisse venir, si elle le veut, s'incorporer ici, pour autant qu'elle se soumette à toutes les normes, à toutes les règles. Donc, qu'elle puisse venir s'établir ici et que la même chose s'applique en contrepartie aux États-Unis. Ce sont les deux grands principes et je crois qu'ils ne créent pas de difficulté sur le plan théorique.

En principe, évidemment, il y a certains aspects qu'il faut considérer. On ne vit pas dans un monde abstrait. Comme je l'ai mentionné tantôt, il y a des barrières et certaines contraintes. Il y en a du côté canadien mais il y en a aussi du côté américain. (15 h 15)

Deuxièmement, je pense bien qu'on ne peut pas oublier que les États-Unis et le Canada n'ont pas la même taille et n'ont pas la même importance sur le plan économique. Si on insère aussi le secteur des assurances dans le contexte plus large des services financiers, on constate que, dans certains secteurs, il y a des différences fondamentales. Par exemple, la législation bancaire au Canada est extrêmement différente de la législation bancaire aux États-Unis. Alors, si on veut appliquer ces deux principes et en arriver à un plus large degré de libre-échange, il faut viser à l'élimination de ces barrières. Ici, au Canada, il y en a une qui est assez clairement identifiée, c'est la règle en vertu de laquelle une société canadienne ou une société québécoise d'assurance de personnes ne peut pas voir plus de 10 % de son capital-actions détenu par des non-résidents, et l'ensemble des non-résidents qui détiennent du capital-actions ne peuvent détenir plus de 25 % du capital-actions d'une entreprise. Donc, cette règle est un empêchement au contrôle de sociétés canadiennes ou québécoises d'assurances. Du côté américain, il n'y a pas de telle règle, mais nous avons constaté qu'il peut y avoir des barrières invisibles tout aussi efficaces. Personnellement, j'ai eu l'occasion d'être soumis à l'une de ces barrières invisibles lors d'une tentative d'acquisition. Alors, il y a des règles de part et d'autre ou des contraintes de part et d'autre qui devraient éventuellement ou graduellement être levées.

Il y a également dans les autres secteurs, comme je le mentionnais tantôt -je pense qu'on ne peut pas isoler totalement le secteur de l'assurance des personnes des autres secteurs - des différences. Une banque canadienne qui veut aller aux États-Unis ne peut faire affaires que dans un État. Une banque américaine qui veut venir au Canada, si elle est admise, elle fait affaires partout au pays. Si on veut avoir une certaine équivalence et surtout si on se souvient de la différence d'importance entre les deux pays, il y a des choses encore à corriger et à modifier au plan législatif. Notre position, c'est que nous sommes d'accord pour le libre-échange. Il y a deux principes clairement énoncés et il devra y avoir une certaine négociation et certains ajustements pour qu'on puisse atteindre ces objectifs. D'autant plus qu'ici, au Canada, il nous reste

en même temps un certain ménage à faire dans notre propre législation. On sait qu'un projet de loi doit être présenté bientôt à Ottawa. Si l'on veut que les entreprises canadiennes soient en mesure de concurrencer les entreprises sur le plan international il y a certaines choses qui devront être possibles. Et tout ceci est loin d'être réglé encore.

En plus de ces points qui ont été mentionnés plus spécifiquement, il y en a peut-être deux ou trois autres qu'il serait important de mentionner. D'abord, les deux règles de droit d'établissement et de traitement national n'empêchent en aucune façon le gouvernement de garder, par exemple, tous ses programmes sociaux. Je pense l'une des données qui a été établie sur le plan des négociations avec les États-Unis, le désir de garder un certain nombre de caractéristiques ou de programmes au Canada.

La deuxième question qu'il n'est peut-être pas mauvais de mentionner, c'est que, au niveau de la distribution des services, c'est-à-dire la question des intermédiaires, l'établissement des deux principes dont on vient de parler ne signifierait pas, par exemple, que l'on doive modifier profondément les règles qui s'appliquent pour la distribution, par exemple, de l'assurance-vie. On sait qu'au Canada ou au Québec, de façon générale, pour être représentant en assurance-vie, il faut le faire à temps complet. Dans certains endroits aux États-Unis, les gens peuvent le faire à temps partiel, tout en ayant d'autres occupations. Une libéralisation des échanges entre les deux pays ne nous oblige pas à ce niveau-là à changer nos règles si on tient compte, toujours, qu'il s'agit d'éviter de faire de la discrimination. Enfin, comme dans tous les autres secteurs, je pense qu'il est important qu'il y ait un certain mécanisme d'arbitrage pour régler les différends. Cela ne peut pas être laissé uniquement à la force entre les parties parce que je pense bien que, sur ce plan, on n'a pas toujours la taille requise.

En conclusion, l'association est d'accord sur le principe du libre-échange; elle énonce deux règles ou droits très clairs pour y arriver. Elle souligne qu'il reste du travail à faire, qu'il y a un certain travail à terminer. Je pense que, comme bien d'autres organismes, on souhaite que le libre-échange avec les États-Unis devienne une réalité si l'on pense à l'avenir et au monde dans lequel on s'engage de plus en plus, c'est-à-dire un monde où les frontières vont en s'estompant et où la concurrence d'autres pays devient de plus en plus vive. Merci.

Le Président (M. Cannon): Merci, M. Castonguay. Je cède la parole au ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique pour cette partie de l'échange.

M. MacDonald: M. Castonguay, messieurs, je vous remercie d'être venus nous rencontrer et de faire suite à cette rencontre de votre association devant le comité Warren en juillet 1987.

M. Castonguay, je vous écoute et, à juste titre, vous mentionnez qu'au Canada, particulièrement même au Québec, on est bien en avance sur ce qu'on pourrait appeler la déréglementation ou le décloisonnement des institutions financières. Vous mentionnez, en donnant quelques exemples, que cette déréglementation ou ce décloisonnement n'existe pas, à toutes fins utiles, aux États-Unis.

Vous concluez en disant que vous êtes favorable à une libéralisation des échanges et à une plus grande ouverture entre les deux pays en ce qui a trait particulièrement au commerce des assurances. Vous avez d'ailleurs discuté de ce sujet avec l'association américaine. Mais, comme vous l'avez abordé, il existe le Glass Steagall Act et il existe les limites de ce qu'on appelle l'"Interstate banking".

En résumé, vous nous avez fait la suggestion: Nous sommes favorables à une plus grande ouverture pour autant qu'il y a réciprocité. Or, de toute évidence, il n'y a pas réciprocité à l'heure actuelle, compte tenu également de cette structure législative et réglementaire américaine. Ici, au Canada, en matière d'institutions financières, le gouvernement fédéral a autorité sur plusieurs aspects de ces domaines, chez les quatre piliers, mais, aux États-Unis, fondamentalement, cela se retrouve au niveau - et particulièrement dans l'assurance - des États. Vous avez souligné qu'on avait un peu d'ordre à mettre dans notre propre boîte canadienne. Il me semble qu'il y a énormément d'ordre à mettre dans la boîte américaine s'il est pour y avoir réciprocité.

Est-ce qu'en conclusion on doit prévoir une entente éventuelle, mais très loin dans l'avenir, en ce qui a trait à l'ensemble des quatre piliers qui constituent le monde financier?

M. Castonguay: J'aimerais, sans m'attarder sur les mots - je pense bien que ce n'est pas le but de l'exercice - faire un ou deux petits commentaires avant d'essayer de répondre à votre question. Le principe de la réciprocité - je comprends ce que vous voulez dire - c'est qu'on doit éviter ou réduire, disons, les grandes différences entre les législations, de telle sorte que, si on s'engage dans la libéralisation des échanges, les règles du jeu soient raisonnablement les mêmes des deux côtés. Alors, si c'est cela qu'on entend par réciprocité, je pense bien qu'on est d'accord. Mais le terme a été utilisé d'autres façons et c'est pour cela que j'apporte cette clarification.

Vous avez dit que le décloisonnement

n'existait pas aux États-Unis. Je pense que c'est exact. Il n'existe pas de la même façon qu'ici, parce que la législation ne se présente pas de la même manière. Ici, on peut voir, au niveau fédéral, comme on l'a vu au niveau québécois, une législation qui vise à un décloisonnement. Aux États-Unis, les choses se font différemment. Elles se font d'abord en pratique. Il y a déjà un décloisonnement important qui s'est effectué aux États-Unis. On pourrait nommer un certain nombre d'entreprises qui y sont engagées déjà d'une façon assez importante. Merrill Lynch en est une. On pourrait en nommer d'autres. La Prudentielle et on signale Sears, par exemple. Alors, par toutes sortes de façons, on s'est engagé dans le décloisonnement et c'est là qu'on voit que c'est très important parce que ces entreprises sont très dynamiques et leur façon de faire répond au désir d'un grand nombre de consommateurs. Alors, ça se fait dans les faits. Cela ne se fait pas nécessairement de la même façon au plan de la législation. Si je mentionne cela, c'est que c'est important qu'on s'engage davantage vers le décloisonnement.

Maintenant, les négociations. On sait qu'on n'est pas au courant de tout ce qui s'est dit, de tout ce qui s'est fait au chapitre des négociations. D'ailleurs, on l'a constaté hier d'une façon assez claire. Mats ce que nous avons eu par la voie de la presse les rapports, en tous les cas, qui nous sont parvenus par la voie de la presse sont que la négociation sur les services financiers semblait moins avancée que dans d'autres secteurs, où on connaissait beaucoup mieux les façons de négocier, étant donné que les biens ont toujours fait l'objet de ce type d'entente dans le passé. C'est la première fois qu'on négocie, je pense bien, dans ce type d'entente-là, la libéralisation de l'échange de services, et c'est pour ça qu'il reste encore beaucoup de chemin à faire, semble-t-il, si on en juge par les journaux.

Alors, quelles sont les chances de succès et quand? C'est très difficile de répondre à cette question, à mon avis. Je ne sais pas si quelqu'un ici en connaît plus long sur le...

M. Lamoureux (Claude): Je voudrais ajouter quelque chose, si vous me le permettez. Un des problèmes fondamentaux, je crois, c'est qu'il ne faut pas confondre réciprocité et traitement national. Et je ne crois pas que dans le domaine des échanges comme ça, on puisse avoir les deux. Le problème qui se pose pour un pays comme le Canada, c'est que, si on négocie avec le Japon et dix autres pays des ententes qui sont négociées d'une façon réciproque, on va avoir vraiment tout un mélange dans notre législation. C'est pour ça que la plupart des pays, lorsqu'ils essaient d'avoir des ententes dans ce domaine-là, ce sont des ententes sur une base, disons, de traitement national, ce qui fait que, lorsqu'on veut s'établir dans un pays, on est obligé de suivre les lois de ce pays-là. Disons que c'est une base fondamentale de ces traités-là.

M. MacDonald: Oui, bien je pense là qu'il faudrait... M. Castonguay, particulièrement, a souligné qu'il faut s'entendre sur réciprocité et traitement national. Mais la réalité, c'est qu'aujourd'hui vous êtes des représentants de compagnies d'assurances de personnes. J'ai présenté mon argument et ma question sur la base que nous ne pouvions pas séparer, et je ne vois pas aujourd'hui... Les groupes que vous représentez vous-mêmes, particulièrement deux d'entre vous, maintenant impliqués plus que dans l'assurance, que ce soit le domaine bancaire, le domaine du courtage, etc. Alors, c'est ça. Vous pouvez avoir le traitement national sur le plan des assurances, mais, pour une partie des opérations d'un organisme canadien qui est impliqué dans le courtage ou d'une banque qui est dans le domaine financier, la réciprocité n'existerait pas.

J'aurais une autre question. Vous avez fait état des succès de compagnies en dehors du Québec: Manufacturer's Life, Great-West, Sun, qui ont connu des succès intéressants aux États-Unis, avec le résultat, comme vous l'avez mentionné, que cinq des plus grandes compagnies d'assurances parmi les 20 premières sont canadiennes.

Vous avez assisté, participé, été très actifs dans une pénétration de plus en plus grande et avec un rythme de progression quasi géométrique des activités de sociétés québécoises aux États-Unis, et il n'y avait pas de traité de libéralisation des échanges, il n'y avait pas plus d'ouverture, il n'y avait pas plus de réciprocité ou de traitement national. Vous continuez vos activités, je crois. Pour vous, dans le créneau étroit - ce n'est pas étroit parce qu'on parle de milliards - mais ne parlant que d'assurances, avez-vous besoin d'un traité de libéralisation des échanges pour poursuivre vos activités?

M. Castonguay: Comme je l'ai mentionné tantôt, il y a déjà eu une première entente entre les associations reconnaissant qu'il existe déjà dans une large mesure un libre-échange entre les deux pays. Cela a donné les résultats que vous venez de mentionner. On retrouve au Canada bon nombre d'entreprises étrangères qui font affaires au pays et bon nombre d'entreprises canadiennes qui font affaires à l'extérieur. Dans ce sens, il y a une situation à reconnaître qui est assez claire. On signale, par contre, certaines contraintes de part et d'autre, dont la règle portant sur la propriété. J'ai mentionné tantôt la règle du 10-25 du côté canadien.

Du côté américain, je rappelle que, même si cela n'apparaît pas dans la législation, il peut y avoir aussi des barrières invisibles, et je m'explique, parce que ce n'est pas expliqué de façon très détaillée dans le mémoire. Vous pouvez, par l'utilisation de la législation et des règles de prise de contrôle, vous faire bloquer très facilement aux Etats-Unis. On a eu une expérience lors d'une acquisition au Maryland. Après l'acquisition d'un bloc de 5 % des actions, vous devez vous soumettre à des audiences publiques, vous devez exposer vos objectifs. Là, on nous a fait traîner suffisamment avant de nous permettre d'aller plus loin et il est arrivé une autre entreprise qui a fait une offre et notre acquisition nous est passée sous le nez. Évidemment, toute l'affaire était bien préparée; de l'extérieur, tout a bien paru, mais c'est clair que nous avons perdu à cause de barrières invisibles, on dirait. (15 h 30)

C'est pour cela qu'il faut un certain mécanisme pour régler ces différends et s'assurer que ces barrières soient aussi enlevées. Il reste du chemin à faire des deux côtés et, dans ce sens, je pense bien que c'est du chemin qui peut être fait si on s'y attaque, évidemment.

Le Président (M. Charbanneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Oui, merci, M. le Président. M. Castonguay, M. Bégin, M, Lamoureux, M. Drolet, M. Millette, il nous fait plaisir de vous accueillir aujourd'hui. Je pense que le groupe que vous représentez, l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes, est très important même si, comme vous le dites, vous vivez déjà dans une situation, à toutes fins utiles, de libre-échange. C'est un modèle parfait pour dire que, malgré cela, vous avez beaucoup d'entraves que vous aimeriez voir éliminées.

De façon chronologique, M. Castonguay, déjà, en décembre 1986, il y avait une espèce d'entente. J'ai un reportage du Devoir du 13 décembre 1986 qui fait mention d'une entente entre les trois associations de l'industrie des assurances de personnes, soit la vôtre, l'ACCAP, l'autre du côté américain, qui est l'American Council of Life, et la Health Insurance Association of America. À toutes fins utiles, de part et d'autre, vous vous entendiez, si j'ai bien compris, pour aller davantage vers l'abolition des barrières non tarifaires ou l'abolition des différents différends qui existent entre les deux. Cela, c'était en décembre 1986. En février 1987, quelques mois plus tard, lors de la 49e assemblée annuelle de La Laurentienne, vous déclariez au sujet du libre-échange, et je cite: La taille modeste du marché canadien rend cette nécessité évidente et nous avons la capacité et la volonté de soutenir la concurrence. Quant aux récents événements, ils illustrent de façon saisissante l'urgence de préciser les règles du jeu et d'établir un cadre approprié pour nos échanges avec nos partenaires américains. Autrement, le déséquilibre dans les rapports de force conjugué aux fortes pressions protectionnistes sont toujours présents des deux côtés de la frontière et ne peuvent qu'entraîner une détérioration de la situation.

Je trouve cela excellent et j'insiste sur le fait que vous mentionniez déjà, dès février dernier, l'urgence de préciser les règles du jeu. Depuis, il y a eu votre comparution en juillet dernier devant le comité Warren et, aujourd'hui, en septembre 1987... Ce qui me préoccupe le plus, c'est qu'on est, d'une part, à huit ou neuf jours d'une possible entente qui sera signée entre les deux pays et qui sera probablement un cadre global. Mais, si on prend votre cas précis, c'est à se demander si, entre décembre 1986 - pour ne prendre que cette période - et maintenant, au cours des neuf derniers mois, il y a eu évolution par rapport à vos différentes revendications que déjà vous faisiez à ce moment-là, que vous avez répétées et pour lesquelles vous semblez voir une certaine urgence et maintenant, au moment où vous nous présentez le mémoire. On a un peu l'impression que, d'une part, on ne sait pas trop ce qu'il y a sur la table, ce qui est en train d'être négocié en matière de services, particulièrement dans votre secteur, et, d'autre part, les revendications que vous avez faites. Déjà, l'espèce d'entente de principe que vous avez avec vos homologues américains nous amène à dire: Est-ce que, vraiment, dans la négociation qui se fait actuellement sur le plan pancanadien, on est en train de revendiquer, là-bas, vos droits pour les retrouver... À moins que vous n'ayez plus d'information que nous en avons, nous avons un peu l'impression que ce n'est pas en train d'être négocié. Si c'est en train d'être négocié. Est-ce que vous avez plus d'information que nous? On trouve un peu anormal de se retrouver comme cela, sans trop savoir où on s'en va et sachant très bien qu'après le 4 octobre il y a des choses qui seront peut-être plus difficiles à négocier.

M. Castonguay: D'abord, pour faire un petit rappel à l'excellent texte que vous citiez tantôt...

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Castonguay: ...je faisais aussi référence au secteur plus large de tout le libre-échange. J'avais à l'esprit, en disant qu'il fallait établir un mécanisme des

différends, les problèmes qui ont surgi dans le bois d'oeuvre, les bardeaux, ces choses-là. Je ne pensais pas seulement au secteur des services financiers. Mais la question, évidemment, demeure malgré tout. Nous savons aussi, et j'imagine que c'est pour cela... Je ne veux pas essayer de justifier le manque d'information, mais c'est toujours difficile de négocier face au public. Cela explique peut-être pourquoi on n'a pas toute l'information qu'on pourrait souhaiter avoir, en cours de route. À tout hasard, nous avons ici Me Gaétan Drolet, qui est membre du Groupe de consultation sectoriel pour la partie des services financiers. Peut-être qu'on pourrait donner la parole à Gaétan Drôle t. Il en connaît un peu plus que nous sur cette question.

M. Drolet (Gaétan): Je pense bien que je ne peux pas donner les secrets de la négociation, mais il y a des choses qui sont publiques et connues. Vous avez mentionné tantôt le secteur des valeurs mobilières, par exemple, où, au cours de l'année, on a eu trois amendements successifs de la part de l'Ontario. M. Kwinter, qui avait pris des décisions de ne pas ouvrir son droit de propriété, a changé à trois reprises. Ceci a été conditionné par le climat international. Vous avez également vu, à plusieurs reprises, la barrière systématique du Glass, Steagali Act des Américains. Le sénateur Proxmire et d'autres ont probablement pris des engagements de l'amender et, au lieu de l'amender sur une période de cinq, six ans, aujourd'hui, on parle d'amendements à l'intérieur d'une année. Peut-être même que le sénateur ne prendra pas sa retraite avant de livrer à la succession l'amendement du système bancaire en relation avec les valeurs mobilières. Il est évident que les pressions du Merchant Banking qui contournait la loi sur les banques pour prendre possession des maisons de courtage aux États-Unis, il y a eu tellement de pressions que ceci, qui était prévu dans les cinq prochaines années, se produira pendant la prochaine année.

Alors, est-ce qu'il y a eu du chemin de fait depuis le discours de M. Castonguay? Je peux dire qu'on a certainement deux expériences dans les services financiers, soit le service bancaire et le service des valeurs mobilières, qui ont beaucoup bougé. Il est clair que, même s'il y a une entente de principe dans le domaine de l'assurance, comme l'assurance ouvre tous les secteurs financiers au Québec et au Canada, on espère que tout cela sera vu dans cette image globale. C'est pour cela, je pense, que le principe de la réciprocité a été abandonné en cours de route pour être supplanté par le principe du traitement national. Les banquiers ont vu que la réciprocité était impossible, les structures étaient trop différentes. On n'a pas de fiducie aux États-

Unis, on a des fiducies au Canada. Les courtiers sont beaucoup plus gros aux États-Unis; au Canada, c'est plus petit.

Alors, la structure était tellement différente qu'il fallait abandonner le concept de réciprocité pour se rallier à un principe de traitement national. Il reste qu'il y a une mise en garde que M. Castonguay a faite, c'est que le traitement national, on ne peut pas le faire à tout prix. On ne peut pas donner le grand , gâteau au Canada. Nous, par le traitement national mitigé qu'on aurait aux États-Unis, on serait les perdants dans cet échange. Ce sont peut-être des points qui sont assez chauds au moment où on se parle.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. MacDonald: Ce que vous dites, c'est un peu ce qu'on a entendu à plusieurs reprises ici ou qu'on a répété nous-mêmes, c'est-à-dire oui à la libéralisation de nos échanges, mais pas à n'importe quelles conditions.

Vous avez fait allusion, M. Castonguay, à la question des investissements dans des sociétés autres que des sociétés d'assurances. Vous avez dit qu'un traité de la libéralisation des échanges pourrait avoir un effet dans, et je le prends dans un sens très large, sur les bilans de ces sociétés-là et, par conséquent, sur les placements que vous pourriez y faire.

Est-ce qu'il y a de prévu... Cela a sûrement été discuté. Je ne demande pas de secrets de gestion de vos entreprises, mais il a dû ressortir, à regarder vos portefeuilles, certains secteurs qui pourraient vous amener à décider de faire telle ou telle transaction. Est-ce qu'il y a dans vos portefeuilles - c'est la nature de ma question et, encore là, je voudrais respecter entièrement, je ne vous demande pas de révéler votre portefeuille, quoique, pour la plupart, c'est très public et vous le publiez - mais est-ce qu'il y a des secteurs plus névralgiques dans l'expectative d'une entente de libre-échange? Je comprends que vous n'êtes pas privés à chaque petit détail, mais est-ce qu'il y a des secteurs qui vous semblent plus vulnérables et qui pourraient influencer votre politique de placement et d'investissement.

M. Castonguay: J'espère que je vais répondre à la question que vous posez. Il existe, si on regarde d'abord nos pouvoirs de placement vis-à-vis de l'extérieur, que ce soit en matière d'assurances, que ce soit en matière de caisses de retraite, certaines contraintes sur les placements que nous pouvons effectuer à l'extérieur. À un certain moment, c'est important de pouvoir le faire pour bénéficier d'occasions, obtenir les rendements dans des économies qui se développent dans certains secteurs. Au Canada, on ne trouve pas toutes les

occasions de placement dans certains secteurs spécialisés, par exemple, de la technologie. II y a certaines contraintes. Il y a certaines contraintes aussi pour les sociétés canadiennes ou québécoises qui veulent investir à l'extérieur dans l'acquisition, par exemple, d'autres sociétés d'assurances et cela? c'est dans notre propre législation au niveau fédéral, par exemple.

On n'a pas toute liberté d'action, loin de là. Ici, au pays, dans nos investissements, il y a énormément de concurrence présentement. Les gens qui sont responsables des placements recherchent évidemment toujours les meilleures occasions. Il y a beaucoup de capitaux disponibles. Présentement, je pense bien qu'il n'y a pas de manque de capitaux pour répondre aux besoins qui pourraient se manifester en matière de placements. Cette situation-là n'est pas nécessairement permanente et je pense que c'est ce qui est important. Comme on le mentionnait au départ, en matière de placements, il y a une donnée importante dans le fait qu'une large partie des entreprises canadiennes sont contrôlées au Canada. Des entreprises d'assurance sur la personne sont contrôlées ici par des Canadiens. Je crois que c'est important. Je pense bien qu'il est difficile, par des règles législatives et par des règlements d'orienter les placements; c'est impossible dans tel ou tel secteur d'activité. Je pense que ce qui est le plus important, c'est de s'assurer que les gens qui ont la responsabilité de ces placements aient les mêmes objectifs, les mêmes préoccupations que celles qu'on pourrait retrouver normalement au sein de la population ou dans les gouvernements.

Alors, c'est dans ce sens-là. Je pense bien que dans le moment il n'y a pas de pénurie de capitaux de placements au Canada, mais il n'est pas dit que cette situation-là est nécessairement permanente. Lorsque l'on veut faire des placements à l'extérieur, il y a des contraintes et ces contraintes-là ont été mises en relief à plusieurs reprises dans le passé. Je pense qu'elles devront, à un moment donné, disparaître ou tout le moins être atténuées.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci M. le Président. Vous mentionnez, à la fin de votre mémoire, dans une de vos conclusions, M. Castonguay, que votre association croit que les juridictions respectives des divers paliers de gouvernement doivent être respectées. On sait que dans le cadre du libre-échange il peut y avoir des tentatives de la part du gouvernement fédéral de s'approprier dans certains domaines un peu plus de pouvoir. J'aimerais vous entendre là-dessus. (15 h 45)

Quelles seraient vos recommandations pour s'assurer que le gouvernement du Québec prenne toutes les mesures nécessaires afin qu'il n'y ait pas envahissement, mais qu'au contraire il y ait possibilité d'aller chercher plus de pouvoirs de ce côté? Deuxièmement, vous parlez du mécanisme d'arbitrage que vous préconisez. Est-ce que vous êtes allés plus loin dans le scénario? Quelle serait la meilleure forme possible? Est-ce que vous verriez à assurer au Québec un siège à ce comité d'arbitrage, de façon à bien défendre les intérêts spécifiques du Québec à un comité éventuel d'arbitrage ou à un tribunal d'arbitrage?

M. Castonguay: La première question est celle de la juridiction. C'est clair qu'en matière d'assurances la juridiction est exercée aussi bien au niveau du Québec qu'au niveau fédéral. En matière de fiducie, je pense que c'est de façon prédominante au niveau provincial, mais il y a une juridiction au niveau fédéral - on me le signale. En matière bancaire, c'est au niveau fédéral et en matière de courtage des valeurs, c'est supposé être au niveau provincial, mais on a vu qu'il y a eu des hésitations au mois de juin. Je pense bien qu'il n'est pas mauvais qu'il y ait un système où les juridictions ne sont pas toutes concentrées. On est dans un pays fédérai, il y a des différences. On peut constater, de ce point de vue, que le fait qu'il y ait des juridictions différentes peut favoriser à certains moments le développement dans une région par rapport à une autre. Par exemple, le fait que la loi 75 nous ait permis de poser certains gestes nous a peut-être favorisés temporairement. On sait, par exemple, que la Colombie britannique aimerait bien voir un développement plus vigoureux de ses institutions financières.

Alors, je pense qu'il est important du point de vue du développement régional, des diverses régions et de l'équilibre du pays, que les juridictions demeurent partagées et qu'elles soient exercées à chaque niveau. Il reste, en même temps, qu'il faut être prudents et ne pas faire en sorte qu'il y ait double emploi, qu'il y ait trop de guerres de juridiction et que ce soient les institutions qui en paient le prix. Il reste que nous avons affaire, ici, au Canada, à des concurrents très puissants. Et de plus en plus, avec l'internationalisation de tout ce qui touche les marchés financiers, cette concurrence va se faire de plus en plus vive aussi bien au Canada qu'à l'extérieur.

Alors, dans ce sens, il y a sûrement un grand besoin d'harmonisation entre les deux paliers de gouvernement et un grand besoin de collaboration, et aussi entre les gouvernements des provinces. Malheureusement, on ne constate pas toujours cette harmonisation ou cette collaboration. Je vais vous donner des

exemples. Dans la loi fédérale des assurances, on reconnaît clairement les compagnies étrangères. C'est reconnu, elles peuvent venir faire affaires ici. On ne reconnaît pas sur le même pied les compagnies à charte québécoise. On a eu un exemple encore récemment. On a voulu transférer de l'Impériale, compagnie à charte fédérale, certaines affaires à La Laurentienne, compagnie à charte québécoise. C'est impossible parce que la législation fédérale ne reconnaît pas cette réalité. Elle reconnaît les compagnies de l'extérieur, mais elle ne reconnaît pas les compagnies à charte québécoise. Vous avez vu le conflit au mois de juin entre l'Ontario et le gouvernement fédéral en matière de courtage des valeurs mobilières. On voit présentement dans la législation québécoise sur les assurances et les services financiers le principe que ce sont les institutions qui devraient se réglementer elles-mêmes, s'autodiscipliner dans la conduite de leurs affaires à l'intérieur d'un certain cadre établi dans la législation, ce qui a donné d'excellents résultats à ce jour. Vous n'avez pas vu de faillites de compagnies québécoises au cours des dernières années. Malgré les faillites que l'on a vues dans les banques, les fiducies et les compagnies d'assurances à l'extérieur du Québec, le gouvernement fédéral, dans la loi qu'il se propose de présenter, veut établir un principe très différent. Il veut établir par des contraintes légales un système qui, selon lui, pourrait éliminer l'incompétence et la malhonnêteté. Nous n'y croyons pas. Nous avons fait de nombreuses représentations. Si on devait trouver ces normes et ces règles dans la législation fédérale, ce sont des entreprises comme nous, ou qui sont de plus petite taille, qui pourraient en souffrir.

On dit qu'il faudrait qu'il y ait beaucoup plus de concertation entre les provinces et le gouvernement fédéral, et entre les provinces elles-mêmes aussi. On sait qu'à certaines occasions il y a des conflits entre les commissions de valeurs mobilières; on a été la victime de l'un de ces conflits, au printemps, entourant justement la question plus large des modifications en Ontario. On nous a demandé d'adopter des règles comptables différentes de celles que nous impose le Surintendant fédéral des assurances dans la présentation de nos états financiers. D'une part, on nous dit: Préparez vos états comme cela et, d'autre part, en Ontario, on a dit: Non, il faut que vous les prépariez d'une autre façon. Avant de débloquer l'imbroglio, les marchés avaient évolué et c'est nous qui avons payé la note.

Il y a donc un grand besoin. Même si nous n'avions pas la libéralisation des échanges avec les États-Unis dans le contexte d'internationalisation dans lequel on s'engage, il va devenir de plus en plus important, d'autant plus que, bien souvent, ce qui va déterminer les règles du jeu, ce sera la concurrence qui va nous venir de l'extérieur et non pas celle de l'intérieur. Il va falloir comprendre de plus en plus dans l'avenir que ce ne sont pas seulement les lois qui sont faites à l'intérieur du pays dont on devra tenir compte, mais également celles faites à l'extérieur du pays. Sur ce plan-là encore, la loi fédérale qui est annoncée nous rend très inquiets; elle voudrait bannir, par exemple, le lien entre les entreprises dans le domaine des services financiers et les entreprises à caractère commercial. En d'autres termes, il faudrait être uniquement dans le secteur des services financiers. On sait que c'est un secteur qui demande beaucoup de capitaux. Dès que vous augmentez votre taille, vous devez ajouter à votre capitalisation. On n'est déjà pas tellement gros au Canada, si on nous prive de moyens de financement, on sera encore plus vulnérables. Si vous regardez à l'extérieur, la plupart des grandes entreprises, dans le domaine des grandes banques, les grands assureurs à l'extérieur, qu'ils viennent du Japon, de l'Allemagne ou de la France, sont généralement liés à des intérêts commerciaux qui peuvent les alimenter en capitaux. Il va aussi falloir s'habituer à cette dimension. Comment réaliser cette harmonisation des lois aux deux niveaux ou des réglementations? Je pense bien qu'il va falloir que les gouvernements reconnaissent qu'ils vont devoir travailler sur cela; au lieu d'essayer uniquement de parfaire leurs propres lois, les détailler le plus possible. Il y a une nouvelle dimension et c'est celle que vous mentionnez. Je pense que c'est seulement en travaillant ensemble qu'on va atteindre cet objectif.

M. Parent (Bertrand): J'aimerais, si M. le ministre me le permet, terminer le temps qu'il me reste. Face à ce que vous dites, M. Castonguay, cela m'inquiète beaucoup de voir, d'une part, la façon dont le gouvernement fédéral agit actuellement et le fait qu'il retarde énormément toute la question du décloisonnement auquel vous êtes aux prises vous-mêmes avec La Laurentienne. Vous-même, en tant que conférencier à la Chambre de commerce de Montréal le 14 avril dernier, vous dénonciez cette situation et je pense qu'elle n'a pas changé. C'est aussi ce même gouvernement qui est assis avec Washington en train de négocier une partie des secteurs des services. En tout cas, cela me préoccupe et je pense que vous avez lieu d'être inquiet. Ce qui se passe quant à l'internationalisation des services, c'est que, finalement, comme vous l'avez déjà mentionné, les grands géants mondiaux sont en train de s'allier. On pense à la Nippon Life, à Sherson Lemon et à American Express qui se mettent ensemble et qui

s'organisent pour prendre le contrôle du marché.

La dernière question que j'aimerais vous poser, puisque mon temps est presque terminé: M. Castonguay, avez-vous fait, à l'intérieur de l'association canadienne, certaines études d'impact pour voir st ces barrières non tarifaires, ou ces barrières invisibles, et ces embûches qui existent actuellement, lorsqu'elles seront abolies, à toutes fins utiles... Avez-vous fait des projections de la possibilité que vous pourriez aller chercher? À la page 6 de votre mémoire, vous mentionnez qu'actuellement 40 % des revenus, des primes des sociétés d'assurances canadiennes proviennent de l'extérieur et en majeure partie des États-Unis. Avez-vous des études d'impact qui pourraient vous amener à dire: Voici ce qui va se passer? Est-ce que vous avez ce genre de chiffres ou si vous n'en avez pas?

M. Castonguay: Je ne le crois pas. Je ne sais pas si ce serait possible de faire de telles études. Il reste que...

M. Parent (Bertrand): ...

M. Castonguay: Oui, il reste aussi qu'on est dans le domaine de la concurrence. Cela m'apparaît assez difficile. Mais, pour repondre précisément à votre question, M. Millette m'a dit qu'il n'y a pas de telles études qui ont été faites au sein de l'ACCAP.

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie beaucoup, M. Castonguay.

Le Président (M. Charbonneau): M. le députe de Vanier, il ne reste pas grand temps.

M. Lemieux: Rapidement, M.

Castonguay, à la page 12 de votre mémoire, le haut de la page 12 de votre mémoire attire particulièrement mon attention lorsqu'on constate que l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes nous dit qu'elle reconnaît que l'entente sur le libre-échange ne doit pas viser à influer sur tes programmes sociaux des gouvernements, tels les régimes d'assurance-chômage, de rentes et d'assurance-maladie qui comportent des droits spécialement réservés et propres à chaque pays, à chacune des juridictions qui les composent. D'abord, cela a frappé mon imagination et cela a aiguisé un peu ma curiosité, puisque je rne dis: Voilà quelqu'un qui a écrit des centaines de pages, qui a émis un rapport sur le sujet... Je ne dis pas que votre résumé n'est pas bon, mais je retrouve à peu près en trois lignes et demie ce qui semble être une de vos préoccupations.

J'aimerais savoir ce que vous aviez à l'esprit en écrivant ces quelques lignes. Qu'est-ce que ce mémoire a a l'esprit?

M. Castonguay: D'abord, je n'ai pas été le seul à l'écrire...

M. Lemieux: J'en conviens.

M. Castonguay: Malgré que c'est flatteur de penser que vous aviez pensé cela. C'est une préoccupation qui a été exprimée par plusieurs, étant donné les différences assez profondes qui existent entre la législation sociale aux États-Unis et celle qui existe au Canada. On sait, par exemple, qu'aux Etats-Unis il n'y a pas d'assurance-maladie universelle comme nous la connaissons ici. Dans bien des États, il n'y a pas d'assurance-chômage comme nous la connaissons ici. Alors, ce sont ces grands programmes sociaux qui font partie aujourd'hui de la structure, de la culture même de notre pays qui apparaissent comme ne devant pas faire l'objet de négociations dans la libéralisation des échanges sur le plan de l'économie.

Alors, c'est ce rappel que l'association voulait faire. Elle est d'accord avec ce principe que l'on libéralise les échanges sur le plan commercial, mais que l'on ne touche pas, par contre, à la souveraineté des pays en matière de politiques sociales ou culturelles.

Le Président (M. Charbonneau): Cela va? M. le ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: Même si on connaît de quelle façon l'assurance se vend, soit par les agents ou par les courtiers, cela revient toujours à des personnes qui vendent. Il y a différentes formes de licenciements d'agents habilités à vendre de l'assurance. Vous semblez avoir une affinité avec l'association américaine. Est-ce que les conversations sont allées au point de prévoir une possibilité pour un agent canadien de vendre aux Etats-Unis et un agent américain de vendre au Canada, dans quelque province que ce soit? Je fais la réserve qu'il y a législation et réglementation provinciale là-dessus, mais en avez-vous parle?

M. Castonguay: D'abord, j'aimerais juste établir un point et, après cela, je poserai la question. À ma connaissance, une personne, pour agir comme représentante ou vendre de l'assurance, doit obtenir un permis, peu importe la juridiction dans laquelle elle se trouve. Alors, pour que, par exemple, un Québécois vende en Ontario, il faut qu'il obtienne une licence de l'Ontario. S'il veut aller vendre dans l'Etat de New York, j'imagine que c'est la même chose. Ce qu'il faudrait regarder, c'est: Est-ce que dans ces

lois sur le licenciement des représentants, il y aurait de la discrimination contre les non-résidents? Je ne sais pas si cela a été examiné. Si oui, est-ce qu'on a abordé le sujet? Je ne suis pas en mesure de répondre.

M Millette (Yves): Je pense que c'est l'une des principales raisons du traitement national. Finalement, ce genre de chose qui fait part de la compétence personnelle des individus, c'est quelque chose qui, finalement, n'est pas considéré comme négociable. Cela fait partie des politiques d'un pays, des politiques de formation professionnelle, etc. Je pense qu'à ce moment-là ce n'est pas véritablement quelque chose qui peut être mis en réciprocité; c'est vraiment quelque chose qui est du traitement national. On parlait tantôt du travail à temps partiel. Aucune juridiction au Canada ne le reconnaît et je ne pense pas qu'on veuille changer cette situation.

M. Castonguay: Mais, en même temps, il ne faut pas qu'il y ait de discrimination dans le traitement national. C'est le principe.

M. MacDonald: Eh bien, pour ma part, je vous remercie beaucoup. Vous nous avez éclairés sur un certain nombre de sujets. Merci, messieurs.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Oui. En terminant, M. Castonguay et vos collègues, moi aussi je tiens à vous remercier au nom de l'Opposition officielle, pour ce mémoire et cette présentation que vous avez faite. On n'a pas eu le temps de toucher à un secteur important qui est l'effet, comme tel, du libre-échange sur les personnes, c'est-à-dire les consommateurs. En terminant, j'aurais aimé avoir un petit mot, à savoir si cela aura un effet bénéfique. Est-ce que cela risque d'aider les consommateurs?

M. Castonguay: Si le temps le permet, je peux faire un bref commentaire. Dans la mesure où on s'engage davantage vers le libre-échange, il devrait y avoir davantage de concurrence et, nous, nous croyons que plus il y a de concurrence, plus le consommateur est susceptible d'en bénéficier. Alors, dans ce sens-là, à plus long terme, je dirais que la réponse est oui. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse, messieurs, merci beaucoup de votre présence à cette consultation générale, et peut-être à une prochaine fois. Nous allons suspendre la séance, quelques instants et j'invite, pendant cette période, les représentants du Nouveau parti démocratique à prendre place à la table des invités.

(Suspension de la séance à 16 h 2)

(Reprise à 16 h 7)

Le Président (M. Charbonneau): Nous reprenons cette consultation. Nous accueillons maintenant le Nouveau parti démocratique. M. Harney, vous devez connaître un peu nos règles du jeu. Nous avons une heure pour votre groupe, une vingtaine de minutes pour la présentation du mémoire et le reste est consacré, avec les membres de la commission, à des discussions.

Je vous demanderais, avant de commencer votre exposé, de présenter les personnes qui vous accompagnent et, par la suite, d'y aller allègrement.

Nouveau parti démocratique du Québec

M. Harney (Jean-Paul): Merci beaucoup, M. Charbonneau. M. le Président, honorables membres de la commission, j'aimerais commencer en vous présentant la personne qui n'est pas ici, Mme Ruth Rose Lizée, qui a beaucoup aidé à la préparation du mémoire, qui aurait bien voulu être ici, mais depuis qu'on a changé d'horaire, il lui était impossible de revenir de Montréal, après son cours. On aurait certainement dû avoir cette présence, puisqu'elle nous a beaucoup aidés, une présence féminine, qui est très importante. M. Pierre Graveline est le porte-parole du parti, surtout en matière de politique linguistique et culturelle. Justement, nous allons nous partager la lecture du document. Mon collègue s'attardera surtout aux éléments qui portent sur les acquis sociaux et sur l'aspect de la politique culturelle, les effets d'une politique de libre-échange sur la politique culturelle.

M. le Président, je ne ferai pas lecture de l'introduction, vous l'avez tous lue, j'irai directement à la page 2, où on commence en matière. Le NPD-Québec conteste la légitimité du gouvernement dans ce dossier. Quand a-t-il reçu le mandat de la population d'engager le Québec dans un projet de libre-échange avec les États-Unis? Au contraire, il faut se rappeler que le Parti libéral et son chef, Robert Bourassa, exprimaient les plus grandes réserves face à ce projet au moment de la campagne électorale de 1985, alors que ie Parti québécois s'en faisait le défenseur acharné. On a vu dernièrement que quelques anciens membres du gouvernement du Parti québécois se sont présentés devant votre commission pour soutenir essentiellement la même thèse.

Non seulement ce projet de libre-échange s'élabore-t-il de manière non

démocratique, mais ce projet repose sur une stratégie de négociation bilatérale qui soulève des inquiétudes profondes et qui comporte des risques inacceptables pour une société qui prétend demeurer distincte. Le Nouveau Parti démocratique du Québec s'oppose au projet de libre-échange. Il considère que ce projet, s'il devait se concrétiser, entraînera des conséquences désastreuses pour l'emploi, les acquis sociaux, l'identité culturelle de la population québécoise et, ultimement, pour l'autonomie politique de l'État québécois. Le NPD-Québec invite le gouvernement du Québec à se prononcer contre ce projet de libre-échange, à favoriser plutôt la négociation d'accords multilatéraux et à mettre en oeuvre une stratégie de développement économique pour réduire notre dépendance à l'égard des États-Unis et diversifier nos partenaires commerciaux.

Discuter de cette question aujourd'hui, après les nouvelles d'hier, c'est un peu s'acharner à changer de place les chaises sur le pont du Titanic après qu'il a frappé l'iceberg. Le sujet est quand même peut-être devant nous, peut-être qu'on a vu hier une espèce de mise en scène, peut-être que le fond de la question reste pour nous.

Le principe généralement admis qui guide toute négociation commerciale, en particulier celle du GATT, est que les résultats d'une négociation doivent faire en sorte que, pour chaque pays, les pertes d'emplois découlant de l'ouverture accrue aux importations étrangères soient compensées par des gains d'emplois équivalents provenant d'exportations accrues sur les marchés étrangers désormais plus ouverts. Rien n'indique à ce jour que le projet de libre-échange actuellement négocié garantira une telle réciprocité.

Certes, le gouvernement Mulroney évoque avec beaucoup d'emphase les projections théoriques établies par le Conseil économique du Canada qui prétend que plus de 370 000 emplois pourraient être créés au Canada, d'ici 1995, à la suite d'un accord de libre-échange avec les États-Unis, et qu'à l'inverse plus de 500 000 emplois pourraient être perdus en l'absence d'un tel accord. Le moins qu'on puisse dire est que ces projections sont très contestables et reposent sur des fondements peu convaincants. Quand j'ai lu le rapport du conseil, je me suis rappelé un peu les lectures que je faisais des aventures récits du baron Münchhausen. Quel lien cela a-t-il avec la réalité vécue par les Canadiens et Canadiennes? me suis-je demandé. Ou encore une autre lecture que j'ai faite étant jeune, Les voyages de Gulliver. Est-ce qu'ils sont dans l'exactitude quand ils proposent ces études? Ainsi, pour qu'il y ait une perte de plus de 500 000 emplois en cas de non-signature d'un traité de libre-échange, il faudrait que nos exportations de marchandises en direction des États-Unis baissent du tiers, soit d'environ 33 000 000 000 $, puisque, selon les données mêmes du gouvernement fédéral, chaque milliard de dollars d'exportations correspond à 15 000 emplois. Or, au cours des 20 dernières années, nos exportations n'ont jamais cessé de croître, passant de 11 000 000 000 $ en 1970 à 93 000 000 000 $ en 1986 et cela, en dépit de la crise économique et de plusieurs mesures protectionnistes américaines.,

D'autre part, les projections du Conseil économique du Canada sont contredites par plusieurs autres études qui concluent plutôt à des pertes d'emplois importantes, particulièrement au Québec, en cas de libre-échange. La commission Macdonald affirmait que plus de 300 000 emplois québécois seraient affectés par un accord de libre-échange. Selon une analyse du ministère de l'Industrie et du Commerce du Québec, réalisée en 1985, le libre-échange aurait un impact négatif sur douze secteurs représentant 260 000 emplois et un effet positif sur à peine quatre secteurs représentant 30 000 emplois. Une étude de l'Université du Maryland désigne nommément le Québec comme le grand perdant d'un accord de libre-échange. Enfin, une série d'études sectorielles menées par la FTQ, la CEQ, la CSN et l'UPA confirment la menace réelle qui planerait sur de nombreux emplois au Québec.

On ne doit d'ailleurs pas se surprendre du résultat de ces études, puisque les tarifs douaniers ne posent pas de problème à notre accès au marché américain, 85 % de nos exportations y entrant déjà en franchise. À l'opposé, toutefois, les entreprises américaines exportant vers le Canada font face à des barrières tarifaires deux fois plus élevées. Il n'est donc pas surprenant de constater que le nombre de perdants potentiels au Québec soit beaucoup plus élevé que celui des éventuels gagnants. La logique est assez limpide: c'est plus avantageux pour les Américains de se débarrasser des barrières tarifaires.

Le Président (M. Charbonneau): Je veux seulement vous signaler qu'au rythme où vous présentez votre mémoire vous n'aurez pas assez de 20 minutes. Il n'est pas long, mais il est dense, vous lisez avec un rythme correct, mais vous faites des commentaires additionnels. Tout cela fait que vous êtes rendu seulement à la page 4 et il y a déjà plusieurs minutes d'écoulées. Je voulais seulement vous signaler qu'on va avoir un problème de temps si vous ne compressez pas, ne résumez pas ou si vous n'accélérez pas te rythme. Vous avez le choix. On veut se garder du temps pour pouvoir discuter avec vous, autrement on va prendre l'heure et demie pour vous écouter, ce qui ne serait

pas...

(16 h 15 )

M. Harney: Je sais qu'il est dense, mais j'espère qu'il est clair. Je vais essayer d'accélérer mon débit.

Dans ses projections optimistes, le gouvernement fédéral ne semble pas tenir compte du fait que les industries menacées sont concentrées au Québec, que notre capacité à concurrencer l'industrie américaine est limitée, notamment à cause de la faiblesse de notre structure industrielle, de notre productivité moindre, de nos coûts de production plus élevés. Il ne paraît pas considérer non plus que nos industries d'exportation dynamiques bénéficient largement d'un soutien étatique perçu comme déloyal par les Américains et dont ils exigeraient l'arrêt dans le cadre du libre-échange. Là, je saute un petit bout pour arriver à un paragraphe très important.

Le gouvernement Bourassa est-il en mesure de garantir aux centaines de milliers de travailleurs et de travailleuses dont les emplois sont liés aux 20 000 000 000 $ d'exportation que nous faisons dans les autres provinces canadiennes que l'ouverture de ce marché aux Américains ne sera pas catastrophique pour notre industrie? A-t-il réalisé des études d'impact à ce sujet? Si je peux ajouter un autre chiffre à ces 20 000 000 000 $, je demande à la commission si elle est consciente du fait que notre client le plus important n'est pas les États-Unis - ce ne sont pas les États-Unis globalement - mais l'Ontario, Ici je parle surtout de produits manufacturés au Québec. 14 000 000 000 $ de notre production sont écoulés en Ontario. Cela dépasse de beaucoup notre exportation de produits manufacturés aux États-Unis. Je fais référence aux chiffres qui sont produits par le Bureau de la statistique du Québec pour les années 1982-1984. Je fais référence à la page 9, ce sont les chiffres produits par le gouvernement. On écoule beaucoup plus en Ontario qu'on écoule aux États-Unis, globalement. C'est un facteur extrêmement important dans notre considération politique.

Le gouvernement Bourassa a-t-il envisagé le risque que de nombreuses filiales américaines établies ici pour contourner les barrières tarifaires et pour profiter des politiques d'achat préférentielles, déménagent leur production au sud quand les unes et les autres auront disparu à la suite d'un accord de libre-échange? A-t-il envisagé le danger que bon nombre d'entreprises canadiennes et québécoises, dans un contexte de libre circulation des capitaux et des produits, transfèrent leurs activités aux États-Unis pour être plus près des grands marchés et pour bénéficier des coûts de production moins élevés? La jeunesse québécoise devra-t-elle s'expatrier en Alabama pour avoir un emploi chez Bombardier?

Ici, je saute deux paragraphes pour donner la parole à mon confrère, Pierre Graveline, qui va parler de l'effet de ce programme sur les acquis sociaux et sur la politique culturelle.

M. Graveline (Pierre): Je pense qu'il est important, quand on discute du libre-échange, de regarder l'impact sur les acquis sociaux et de se poser la question s'il ne conduit pas au sacrifice de ces acquis qui font de la société québécoise une entité vraiment distincte par rapport aux États-Unis. Qu'ils soient considéré ou non comme des barrières non tarifaires, qu'ils fassent l'objet ou non de discussions formelles à la table de négociation, on sait que ces acquis sociaux sont perçus souvent par le patronat comme des entraves au commerce et à la libre concurrence. Dans un contexte de libre-échange, il faudrait que nos coûts de production dans lesquels sont inclus les coûts sociaux soient équivalents de part et d'autre de la frontière. Or, il est notoire que le Québec et le Canada ont mis en oeuvre des politiques sociales et des services publics supérieurs à ceux des Américains, notamment pour se prémunir des effets déstabilisateurs de notre trop grande dépendance à l'égard des fluctuations de l'économie américaine. Il est certain que, à la suite d'un accord de libre-échange, des pressions énormes seront exercées pour niveler à la baisse les pharges sociales et pour égaliser le terrain de jeu sur lequel s'affronteront les entreprises. Déjà, les Américains s'en prennent à certains programmes qu'ils considèrent comme des subventions déloyales.

Dans un contexte de libre-échange, la question se pose: qu'adviendra-t-il de nos programmes universels et publics d'allocations familiales, de pensions, d'assurance-maladie et d'assurance santé qui n'ont pas leurs équivalents aux États-Unis? Leur érosion et, conséquemment, l'accentuation des inégalités de la pauvreté ne seront-ils pas le prix à payer pour assurer la survie des entreprises canadiennes et québécoises?

La liberté de commerce, si elle devait se réaliser, y compris dans le secteur des services, ne conduirait-elle pas à une remise en cause de nos services publics, à leur diminution et à leur privatisation? L'exigence de compétitivité ne deviendrait-elle pas le prétexte du patronat non seulement pour exiger la réduction de ses contributions aux régimes de rentes, à l'assurance chômage, à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, par exemple, mais également pour limiter les salaires, restreindre les avantages sociaux, alléger les normes de santé-sécurité et attaquer les droits syndicaux mieux protégés ici qu'aux États-Unis? Le gouvernement Bourassa accepterait-il, par exemple, le remplacement de la formule Rand par une version québécoise du "Right to Work" qui

restreint considérablement la syndicalisation dans plus de la moitié des États américains?

La question se pose aussi de l'impact du libre-échange sur la situation spécifique des femmes. On sait que ce sont les secteurs d'emplois massivement occupés par les femmes qui seront touchés. Par exemple, les industries du textile, du vêtement et de la chaussure. On sait également que toute réduction des programmes sociaux, des conditions minimales de travail affecterait particulièrement les conditions de vie des femmes qui sont les principales victimes des inégalités et de la pauvreté dans notre société.

Enfin, il est bien connu que notre société a consenti des efforts beaucoup plus considérables que la société américaine pour la protection de l'environnement: le nivellement par le bas se ferait-il là aussi? Toujours au nom de la concurrence, les normes antipollution devront-elles s'ajuster sur les normes moins sévères de certains États américains? Qu'adviendra-t-il du contrôle de la circulation des substances toxiques? Les programmes de l'État québécois, par exemple, en matière d'activités de reboisement, de récupération, de subventions à l'achat d'équipements antipollution seront-ils remis en cause?

Sur le plan culturel, certaines questions se posent aussi. Les déclarations du gouvernement Mulroney selon lesquelles les politiques et les industries culturelles ne feraient pas partie des négociations commerciales avec les États-Unis et ne seraient pas touchées par un accord de libre-échange ne suffisent pas à lever nos inquiétudes à cet égard. Ces déclarations ont été formellement contredites par le négociateur américain qui a affirmé à plusieurs reprises qu'il ne voyait pas pourquoi la libre circulation des investissements et des produits dans le secteur culturel et dans celui des communications serait exclue des pourparlers. Le gouvernement Bourassa lui-même a ouvert la porte à une participation américaine à la propriété des entreprises de communication au Québec. Nul besoin de faire la démonstration que nous subissons déjà l'envahissement des produits culturels américains et cela, malgré un ensemble de mesures protectionnistes, essentielles bien qu'insuffisantes, que nos gouvernements ont établies au cours des années. Je vous cite comme exemple: les tarifs douaniers sur les enregistrements sonores et audiovisuels, un minimum de contenu canadien et francophone dans les programmations télévisuelles et radiophoniques. Ces mesures sont-elles considérées comme des barrières nontarifaires ou des avantages déloyaux qui devraient disparaître?

Par ailleurs, les Américains ont été très clairs et explicites quant à leur volonté de libéraliser la circulation des capitaux et des investissements entre les deux pays, y compris dans le domaine de la culture et des communications. Si une telle liberté d'investissement leur était concédée, comment les gouvernements canadien et québécois pourraient-ils régir la propriété étrangère dans ces secteurs et protéger le caractère national de ces industries? Par exemple, actuellement, la réglementation canadienne limite à 20% la part des capitaux étrangers dans les entreprises de radiodiffusion. Dans un contexte de libre-échange, qu'est-ce qui aurait pu, par . exemple, empêcher l'une ou l'autre des grandes chaînes de télévision américaines de s'approprier Télé-Métropole, qui était en vente, on le sait, il n'y a pas tellement longtemps?

Par ailleurs, je souligne que, selon l'avis même du Conseil de la langue française, il ne faudrait pas sous-estimer l'impact du libre-échange sur toute la question de la langue au Québec, des dispositions linguistiques, en ce qui concerne l'étiquetage des produits, etc. Le gouvernement Bourassa est-il en mesure de garantir à la population que ni la langue française, ni les industries de culture et de communication ne seront menacées directement ou indirectement par un éventuel accord de libre-échange?

Je termine en posant cette question: À quoi aurait servi d'affirmer le caractère distinct de notre société dans un vague préambule constitutionnel si l'on s'apprête aujourd'hui à le diluer dans le melting-pot américain?

M. Harney: M. le Président, je vais vous faire grâce de la lecture des dernières pages, mais j'aimerais bien quand même lire le paragraphe où on propose une politique différente et on le trouve à la page 15: Le NPD-Québec considère qu'il vaudrait mieux rechercher une libéralisation des échanges dans le cadre multilatéral du GATT. Historiquement, le Canada et le Québec ont pu y négocier avec leurs partenaires commerciaux, entre autres - les États-Unis, des ententes mutuellement avantageuses. Ce forum est plus approprié puisqu'il nous est possible d'y faire jouer à notre avantage la force de négociation de la CEE et du Japon pour contrebalancer la puissance américaine et en obtenir des concessions. Le mécanisme de règlement des différends que nous recherchons avec les États-Unis existe déjà dans le GATT. Renforçons-le, c'est ainsi que nous remplacerons la loi du plus fort par la règle du droit qui est le meilleur atout du Québec.

Ici, je termine sur un commentaire, M. le Président, qui englobe un peu notre plus grand souci. Notre partenaire commercial le plus considérable maintenant, à part l'Ontario, ce sont les États-Unis. On écoule

une très bonne partie de notre production de ce côté-là. À peu près 80 % de la production canadienne, prise globalement, s'en va vers Ies États-Unis. Il y a 50 ans, quand j'étais petit garçon, cela se situait autour de 33 %, 35 %. Proposer maintenant de libéraliser davantage les échanges, et ils sont déjà assez libres entre le Canada et les États-Unis, c'est placer le Canada dans une situation où il n'aura qu'un client et ce qui est vrai pour le Canada devient encore plus vrai pour le Québec. Je vous avoue que notre souci est foncièrement politique mais nous sommes, après tout, un parti politique et nous cherchons à englober non seulement ce qui nous concerne sur le plan économique, mais ce qui concerne tout l'avenir de notre collectivité. Je termine, M. le Président, sur ce point-là, espérant qu'il va y avoir des questions.

Le Président (M. Charbonneau): Écoutez, je vous remercie de votre collaboration, qui nous a permis de rentrer dans le temps qui était prévu pour l'exposé. Alors, sans plus tarder, je cède la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: Merci, M. Harney, M. Graveline, d'être avec nous et merci de nous avoir présenté votre position. Je suis content que, d'une certaine façon, vous ayez qualifié, à la fin, votre position de position politique et je comprends très bien, j'admire et je respecte votre honnêteté de l'avoir fait. Mais, ici, pour la conduite de la commission parlementaire, dans une entente, qui, d'ailleurs, a été très respectée, entre l'Opposition et le gouvernement, on a convenu que le sujet était éminemment trop important pour qu'il soit habillé, qu'il soit balisé principalement ou strictement par des considérations purement politiques et partisanes. Nous avons conduit nos discussions avec les témoins qui sont passés en regardant l'aspect technique du problème de la libéralisation des échanges. Il est évident que vous n'avez pas tenu compte, en aucune façon, de ces balises, de ces exigences que nous avons formulées en tant que gouvernement québécois participant également à ces négociations avec le gouvernement du Canada qui, lui aussi, avait posé des conditions fondamentales et qui se devaient d'être présentes, sans quoi le Québec n'aurait pas embarqué dans cette négociation avec le fédéral et les autres provinces, si lesdites conditions n'avaient pas été présentes. (16 h 30)

Je ne peux pas vous révéler plus que ce que vous avez lu, mais je crois qu'il a été déclaré carrément, sans réserve à toutes fins utiles, que, parmi les problèmes majeurs de l'impasse actuelle avec les États-Unis, il y avait justement cette objection ou cette incapacité des Américains de comprendre que, pour des Canadiens et pour des Québécois, la culture ce n'est pas de l'"entertamment", que cela fait partie de nous-mêmes, c'est viscéral et c'est une condition sine qua non, au même titre que la capacité des gouvernements du Canada d'intervenir lorsqu'ils le jugent approprié vis-à-vis des problèmes de développement régional. Si cela n'avait pas été présent, nous n'aurions pas été présent, comme gouvernement du Québec, à cette équipe de négociation. Ce sont deux des trois éléments majeurs qui achoppent et pour lesquels le négociateur, l'ambassadeur Reisman, s'est levé de la table et est retourné revoir son premier ministre, devant demeurer à l'intérieur des balises de la fourchette qui lui a été donnée pour négocier. Si vous mettez en doute ces conditions, la crédibilité du gouvernement - en fait, c'est votre droit, on est en démocratie - à ce moment-là, il n'y a certainement pas de place pour s'entendre sur quoi que ce soit.

Vous déclarez carrément que vous ne croyez pas à l'étude du Conseil économique du Canada. Vous citez, dans votre mémoire... Il faudrait que je retrouve le texte exact, mais je pense être fidèle à ce que vous avez dit, à savoir que ce n'est pas le document sur lequel vous voulez baser vos estimations de perte d'emplois ou de création d'emplois, etc. Je ne veux pas vous faire dire ce que vous n'avez pas dit. Mais il y a de multiples experts reconnus, quel que soit le parti politique auquel on adhère, comme étant, dans leur profession d'économiste, des gens très compétents qui ont tous dit, avec les réserves qu'on accorde à n'importe quel modèle économétrique, que cette étude du Conseil économique du Canada était la plus poussée, la plus élaborée, la plus crédible, la plus valable dans le contexte de cette négociation de traité.

Si je voulais aller précisément à l'encontre de ce que vous prétendez... Quand on examine le tableau 3 de cette étude, il ressort et je lis textuellement, "que la production et l'emploi augmentent dans tous les secteurs industriels du Québec pour le scénario 2 et, au pire, n'augmentent pas pour certains secteurs dans le scénario 1." Ce sont 6 des 30 secteurs. Encore là, cela ne nous sert pas beaucoup de discuter de la valeur de cette étude ou d'autres études si ce n'est que, peut-être, nous pourrions comparer celle du Conseil économique du Canada avec la vôtre, si vous en avez une. Sûrement, si vous pouvez déclarer ouvertement comme cela qu'il y aurait perte de jobs, que le Québec est le plus menacé dans cette perte éventuelle de jobs... Si je me rappelle, je crois avoir lu que M. Bob Rae, votre contrepartie ontanenne, a dit la même chose pour l'Ontario, que l'Ontario était beaucoup plus menacé que le Québec en perte de jobs. Cela a d'ailleurs été répété

par un certain nombre d'experts qui sont venus ici, mais enfin! Si on pouvait faire la comparaison technique - si vous l'avez, j'aimerais l'avoir et je vous promets qu'on va le faire - du modèle économétrique qui a pu vous servir pour faire les prévisions que vous avez, je ferai faire le plus sérieusement possible la comparaison entre les deux et je la remettrai à cette assemblée parlementaire pour qu'on puisse être capable d'évaluer les deux côtés.

En allant plus loin, je vous poserai cette question, à ce moment-là. Vous dites que le GATT serait le véhicule par lequel nous devrions assurer l'expansion de nos activités commerciales internationales. Mais le GATT a une façon de traiter les plaintes de commerce déloyal qui, comme cela est connu... Peut-être que vous pourriez nous l'expliquer et en faire une comparaison parce que si vous optez pour le GATT comme étant la formule, par rapport à ce qui est suggéré d'avoir un traité avec les Américains et se mettre plus à l'abri de leurs mesures unilatérales, peut-être qu'il y a quelque chose que je n'ai pas compris. Mais de l'avis de ceux qui m'ont conseillé, la menace, c'est la menace américaine. La menace, ce n'est pas l'Ontario, notre principal partenaire, comme vous le disiez. Il n'y a pas de problème. Ils ne prennent aucune action de droits compensatoires contre nous, ils ne nous accusent pas d'antidumping, ils ne nous imposent pas de droits ou de taxes et il n'y a pas de lois en Ontario pour interdire le commerce avec le Québec. Mais il y en a, et un méchant paquet, aux États-Unis. C'est là qu'est la menace. Ce qu'on dit, après avoir fait l'analyse de tous les paramètres, c'est qu'entrer dans une négociation avec les Américains - et non pas à n'importe quelle condition, et c'est évident avec l'impasse qu'on voit - était une formule plus valable pour protéger des dizaines de milliers d'emplois de Canadiens et de Québécois contre une menace de chaque jour et une procédure légale et réglementaire qui nous exécute d'un coup de hache sur la tête, d'un coup sec, plutôt que de strictement se baser sur le GATT qui, lui - j'en suis, on est partie du GATT et on veut rester partie du GATT- a une procédure beaucoup plus lente qui ne règle rien pendant que les jobs se perdent.

Ayant dit ceci, c'est notre attitude. Vous êtes contre la libéralisation des échanges. Vous avez le droit. J'aimerais, à moins que vous ne réfutiez mon argument sur cette lenteur du GATT, que vous me proposiez des méthodes pour être capable de réagir rapidement aux mesures unilatérales américaines, une méthode qui serait autre que de chercher à avoir un traité de libéralisation, mais pas à n'importe quelle condition.

Le Président (M. Charbonneau): M. Harney.

M. Harney: Eh bien, M. le Président, j'ai déclaré tout à l'heure que, .carrément, notre intervention était d'ordre politique. Nous sommes un parti politique. Nous ne sommes pas un amalgame d'experts. Nous ne faisons que chercher à représenter les gens ordinaires, vous comprenez. Parce que des études approfondies, des modèles économétriques, on n'en a pas. Ah! on n'en a pas, mais je trouve qu'il est aussi valable de se pencher sur notre constat de la réalité que de se pencher sur des modèles économétriques qui, parfois, faussent fortement la réalité.

Le modèle du Conseil économique du Canada n'inclut pas le secteur des services. Est-ce qu'on peut parler d'une réalité totale, d'une correspondance à une réalité quand on a un modèle qui ne prend pas en considération le secteur des services? Même si on n'a pas de modèle, on peut étudier celui des autres. Le modèle du Conseil économique du Canada ne prend pas en considération l'effet de la cessation des subventions. Peut-on essayer de comprendre une économie québécoise sans participation étatique dans le développement de cette économie-là? Moi, je trouve difficile ce repos que le ministre se donne. Je trouve difficile à accepter qu'il puisse se reposer sur une étude qui est quand même schématique et qui n'est pas vraiment représentative de la réalité économique.

Je fais une distinction - M. le ministre l'a faite tout à l'heure - entre une approche politique et une approche partisane. Moi, j'accepte avec difficulté qu'une Chambre qui est composée de députés qui ont été élus par le truchement d'une campagne électorale très partisane devienne tout è coup non partisane et qu'on étudie un sujet très important seulement sous l'aspect technique. Comme de raison, nous sommes partisans. Il faut être partisan, parce que ce sont des questions de valeur qui sont devant nous. Et la triste science de l'économie n'est pas la totalité du vécu humain.

Pour ce qui est du GATT comme de raison, c'est lent. On se rappelle très bien le Kennedy Round. Cela a pris des années à préparer le Kennedy Round. Cela a pris des années à passer à travers. Comme cela a pris bien du temps à en arriver à l'accord du Dunbarton Oaks en 1947-1948. Cela a pris peine et misère, guerre, etc. pour y arriver. Mais on a établi l'accord du Dunbarton Oaks. On a passé à travers le Kennedy Round. Après cela, on a préparé le round japonais. Cela a pris du temps. Puis on a passé au travers. Il y a eu des améliorations. Mais c'est l'internationalisation de ce sujet qui est importante et c'est important sur le plan économique et sur le plan politique pour les

Québécois et les Québécoises. Et, ici, c'est évident, M. le Président, qu'on ne partage pas avec le ministre - peut-être aussi avec les représentants du Parti québécois - cet engouement pour une continentalisation de notre économie. On se dit très clairement: Faites attention. Si vous voulez non seulement survivre mais croître ici, en Amérique du Nord, il va falloir se développer de l'intérieur avec nos propres moyens et chercher à augmenter notre commerce intérieur au lieu de toujours chercher à vendre, presque à tout prix à l'extérieur.

Pour ce qui est de modèles, comme de raison, je propose des négociations multilatérales, mais aussi qu'il y ait des négociations sectorielles et ponctuelles avec les Etats-Unis pour chercher à limiter les effets que cause une concurrence qu'ils trouvent peut-être, dans certaines occasions, néfastes pour eux. Cela, on peut le faire. On l'a fait dans le passé et ce qu'on y fait, nous présente aujourd'hui ce qui existe: toute une série de traités, d'accords ou d'engagements qui mènent aux échanges qu'on a maintenant avec les États-Unis. Il ne faut pas présenter à la population ce choix qui me semble être faux. C'est-à-dire le libre-échange ou rien. C'est déjà le cas. Le Canada exporte à l'extérieur de ses frontières à lui; 80 % de son produit est exporté aux États-Unis. On est déjà lié de très près à ces gens-ià.

M. Graveline: Si vous permettez, je voudrais ajouter quelques mots à propos des commentaires du ministre, à savoir qu'il faudrait discuter des aspects techniques. Nous pensons qu'il est important de poser ce problème-là en termes politiques également, non pas dans le sens partisan, mais dans le sens politique du terme. Si, pour arriver à un accord de libre-échange avec les États-Unis, le gouvernement du Québec accepte de sacrifier ou s'engage à ne pas utiliser certains des pouvoirs dont il dispose actuellement... Il ne s'agit pas de partisanerie. Il s'agit de la capacité de voir jusqu'à quel point le gouvernement du Québec accepte de sacrifier sa capacité d'établir des politiques et des programmes propres.

Au NPD-Québec, par exemple, on fait de la question de l'objectif du plein emploi le coeur du développement économique et social pour le Québec. Alors, comment concevoir la mise en oeuvre d'une politique de plein emploi, ici, si, dans le cadre d'un accord sur le libre-échange, le gouvernement du Québec s'est engagé à ne pas utiliser certains de ses pouvoirs majeurs d'intervention économique? Je pense par exemple à la réglementation des investissements, aux politiques préférentielles d'achat qui favorisent les productions locales, aux politiques de subventions directes aux entreprises et même à l'imposition de tarifs pour protéger les secteurs faibles et subventionner leur modernisation. Dans ce sens, on ne peut pas poser la question strictement en termes techniques et en termes de modalités et se demander quelles seraient les meilleures modalités d'échange. Il y a une question de politique de fond là-dedans. On soulève également, des questions par rapport aux acquis sociaux et à la culture. On peut bien nous dire que, directement, il n'est pas question des programmes sociaux à la table des négociations mais cela n'empêche absolument pas l'impact du libre-échange en s'engageant dans cette voie-là. II n'y aura peut-être pas une pression qui se produira à la table des négociations mais après, cela conduit à une situation où l'ensemble, le partenaire, le patronat, les entreprises... Ce partenaire, au nom de la nécessaire compétitivité dans un marché libéralisé à ce point, dira, par exemple: Les normes antipollution qu'on a ici dans nos industries, elles n'existent pas ou elles existent beaucoup moins dans tel ou tel État américain. Il faut donc diminuer les nôtres qui nous imposent des coûts supplémentaires et qui nous rendent moins compétitifs. C'est dans cet esprit-là qu'on pose la question. Au niveau de la culture, si vous permettez un dernier commentaire, c'est la même chose. On peut nous dire que les industries culturelles comme telles, les politiques culturelles, ne sont pas affectées. Mais, si on accepte la liberté totale de circulation des capitaux et des investissements américains ici, cela nous conduit directement sur la... De toute façon, le risque est grand. II existe un risque de voir certains instruments culturels majeurs appropriés par les Américains. (16 h 45)

M. MacDonald: Je vais passer la parole à mon collègue, le député de Bertrand, mais je dois noter que je vous ai posé une question et que je n'ai pas eu de réponse. J'espère, s'il me reste quelques minutes, que je pourrai reformuler ma question pour qu'on essaie de se comprendre. J'aimerais obtenir une réponse.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Harney, M. Graveline, je vous remercie drêtre venus à cette commission parlementaire. Je pense que beaucoup de gens, parfois, veulent véhiculer leurs idées et la meilleure place pour le faire est peut-être sur la place publique. Vous véhiculez dans votre mémoire plusieurs préoccupations et vous prenez une position claire contre le libre-échange. Je vous dis d'abord que plusieurs des questions... J'ai relu votre mémoire à quelques reprises et vous-même,

M. Harney, qui avez suivi les débats depuis le début pour voir ce qui se passait, avez dû vous rendre compte que la plupart de ces questions, nous les avons posées au gouvernement. Je mentionne cela parce que vous avez dit tantôt que le gouvernement et l'Opposition, le Parti québécois, avaient un engouement. Je vous dis qu'il faudrait peut-être faire attention avant de nous embarquer dans des engouements. Notre position est claire. Nous sommes conscients des problèmes, nous sommes conscients que le débat est mal engagé? nous sommes conscients des pertes d'emplois et nous sommes conscients qu'il n'y a pas eu d'études d'impact; elles ont été faites mais elles n'ont pas été publiées. Nous sommes conscients des préoccupations sur le plan de la langue, de la culture, de la non-transparence du gouvernement fédéral et du gouvernement provincial, de la spécificité québécoise, et j'en passe.

Une fois qu'on a vu cela et au-delà de tout cela, qu'est-ce qu'on fait et où va-t-on? C'est là qu'on diverge peut-être d'opinion, malgré que si on passait quelques heures ensemble il y aurait peut-être des échanges d'idées qui nous amèneraient â partager les mêmes points de vue. Voilà une soixantaine d'heures qu'on passe ici en commission pour écouter plusieurs intervenants.

M. Harney, nous aussi sommes inquiets. Il aurait été beaucoup plus simple, comme Opposition à l'Assembée nationale et en tant que parti politique, de dire au gouvernements Nous sommes contre. Et, comme ils sont pour, là on se bat. Je pense qu'il ne faut pas être contre pour être contre, il ne faut pas être contre juste pour servir une clientèle. Tout le monde a une clientèle à servir: eux ont des fins politiques, nous en avons, vous en avez et le gouvernement fédéral en a. Je pense que, si on regarde le bien-être du Québec, on se doit de prendre ce qu'on a comme conviction profonde de ce qui est le mieux pour le Québec de l'an 2000 et après.

Je vous ai dit cela et je vous dis que notre engouement est loin d'être celui du gouvernement. C'est oui à une libéralisation des échanges mais avec une très grande prudence. Nous avons l'intention, comme nous l'avons fait jusqu'à maintenant, dans un esprit positif, de harceler le gouvernement et de faire notre travail, mais en assurant le maximum de protection pour le Québec. Le système dans lequel nous vivons, le système dans lequel les décisions sont en train d'être prises à Ottawa sans que le Québec soit à la table de négociation, on n'y peut rien. Ni vous ni moi n'y pouvons rien. Le système fait en sorte que ce n'est pas M. MacDonald ou M. Robert Bourassa qui est en train de négocier, c'est un mandataire négociateur pour le gouvernement fédéral, et nous avons à passer dans le canal. Nous vivons avec cela.

Je donne quelques exemples. Quand vous parlez du cas de Bombardier - je pense que c'est à la page 5 - cela m'a frappé un peu, vous dites: "La jeunesse québécoise devra-t-elle s'expatrier en Alabama pour avoir un emploi chez Bombardier?" On a vécu le contrat de Bombardier pour le métro de New York et on n'était pas dans la situation du libre-échange. C'était en 1985-1986 et, à cause des politiques d'achat américaines, des contraintes et des barrières tarifaires, Bombardier a été obligée de faire de la fabrication et de l'assemblage aussi du côté américain. Je vous dis, quant à cet exemple précis, que: s'il y a effectivement une entente de libre-échange faite dans les règles que nous demandons - moi non plus, je ne sais pas si on va obtenir gain, de cause -Bombardier risque d'avoir beaucoup plus d'expansion ici au Québec et peut-être aux États-Unis. Le résultat net, ce serait cela.

Je termine en vous parlant de la question des emplois. Bien sûr, nous avons aussi déclaré que la préoccupation que nous avons, l'enjeu, ce sont les emplois. Ce que nous demandons au gouvernement, je ne le vois pas dans votre mémoire comme tel et j'aimerais peut-être vous entendre là-dessus, c'est ce coffre d'outils, d'abord le coffre d'outils que le gouvernement doit fournir aux entreprises québécoises pour les aider à traverser cette période de transition. Bien sûr, si on tient pour acquis que vous êtes contre, vous dites qu'on n'a pas besoin d'outils. Mais je vous demande: S'il y avait un accord de libre-échange, est-ce que le gouvernement devrait s'engager dans une voie où il laisse les entreprises, dans une situation de libre marché, se débrouiller à peu près seules ou si on doit fournir des coffres d'outils? Est-ce qu'on doit fournir aussi des politiques au niveau de l'emploi? Votre collègue a mentionné tantôt la politique de plein emploi. Quelle va être exactement la position du gouvernement du Québec et qu'est-ce que nous, d'un côté, et vous, de l'autre, on doit exiger de la part du gouvernement afin que les emplois qui sont prévisibles... En septembre 1985, M. Harney, nous les avions, les études. Elles avaient été produites juste à la fin du mandat. Elles montraient des pertes d'emplois dans différents secteurs, et cela nous préoccupe. Mais, une fois qu'on voit ce qui risque de se produire, on doit aussi se poser des questions, à savoir: Qu'est-ce qu'on fait et de quelle façon va-t-on s'en sortir? J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Harney: Eh bien, on a tous des questions. Je suis désolé de ne pas avoir répondu à toutes les questions du ministre. Il y en avait plusieurs, j'ai cru y répondre, mais ma mémoire a fait défaut. Si on a le temps de reprendre, je serais prêt à répondre

à la question à laquelle je n'ai pas répondu. M. le député de Bertrand... Pardon?

Une voix: ...

M. Harney: Oui. M. le député, il est évident qu'on est dans une situation un peu hypothétique. Vous n'avez pas un engouement, c'est peut-être le cas...

M. Parent (Bertrand): ...pas excité.

M. Harney: Pas un engouement de ce côté-là et pas un envoûtement de l'autre côté. Il serait bien quand même qu'on soit tous assurés que, s'il y a une proposition concrète d'accord de libre-échange après toute cette mise en scène qu'on voit ces jours-ci, il y ait des auditions devant une nouvelle commission parlementaire. Il est très difficile de répondre à votre question. En répondant à votre question, je semblerais donner mon aval à une politique avec laquelle je ne suis pas d'accord. Cela me met dans une situation un peu difficile. S'il y avait une proposition concrète et si nous étions rassemblés ici, je n'hésiterais pas à commenter les propositions du projet de libre-échange. Mais, moi, je demanderais à l'Opposition qu'elle demande au gouvernement qu'on ait des auditions devant cette commission après une proposition de libre-échange, s'il y en a une. On ne voudrait pas se faire "lacmeechifier" encore une fois. Vous comprenez, on a comparu avant de connaître l'accord du lac Meech. On a parlé, on s'est amusé, on a dit des choses qui nous tenaient à coeur, mais après que l'accord fut déposé, là, plus de chance. Ne répétons pas cette expérience. Je serais prêt à l'occasion à répondre à votre question, M. le député de Bertrand, je la trouve importante, mais je ne veux pas donner contenance à cette politique en préparant mes effets pour un voyage que je ne veux pas entreprendre. Vous comprenez?

M. Parent (Bertrand): Mais, rassurez-vous, M. Harney, le ministre a pris l'engagement de tenir une commission parlementaire lorsqu'on aura ce qu'il faut. Alors, vous aurez certainement la chance de venir répondre à mes questions.

M. Harney: C'est rassurant, c'est rassurant.

Le Président (M. Charbonneau): En ce qui me concerne, M. Harney, ce n'est pas une question d'être rassuré ou non, mais ce qui m'étonne, c'est que vous n'avez nulle part dans votre mémoire parlé de l'objectif dont votre collègue a parlé, c'est-à-dire de l'objectif du plein emploi. Vous avez parlé du problème de l'emploi et des conséquences éventuelles du libre-échange. On est tous préoccupés ici, de part et d'autre, par le problème de l'emploi, mais ce qui est fondamental, à mon avis, et ce qui est notre position, c'est qu'il n'y aura pas de retombées positives suffisantes et significatives pour le Québec si on n'adopte pas au Québec une stratégie de plein emploi comme on le fait dans des pays sociaux-démocrates d'Europe. Ce qui est étonnant, par ailleurs, quand on regarde ce qui se fait dans ces pays, c'est qu'on se rend compte qu'on est libre-échangiste dans ces pays. Ces pays vivent dans des situations de libre-échange avec leurs partenaires économiques européens. Cela met une balise. On peut très bien être en faveur d'un objectif de plein emploi et être aussi en faveur d'une libéralisation des échanges. Pour moi, le problème actuellement, depuis un certain nombre d'années, n'est plus, comme il y a une vingtaine d'années, tant le problème de la dépendance économique unique face aux États-Unis que le problème de la sous-utilisation des ressources humaines au Québec et d'une espèce de perpétuation d'un sous-emploi chronique par rapport à nos voisins, à notre potentiel et à nos capacités. C'est cela le véritable enjeu des discussions. Ce n'est pas de savoir si on est trop liés avec les Américains, avec qui on est déjà beaucoup liés. D'autant plus que, depuis un certain nombre d'années, nos gens d'affaires ici ont commencé à prendre le contrôle de l'économie québécoise, entre autres avec l'aide de l'État québécois, de l'interventionnisme de l'État québécois.

Donc, le problème de la dépendance économique n'est peut-être plus le problème numéro un. Le problème numéro un, c'est le chômage qui se perpétue encore pour un trop grand nombre de personnes. C'est là que, du côté de l'Opposition, du Parti québécois, on a une différence d'approche fondamentale avec le gouvernement. Nous croyons, nous, que le plein emploi est un objectif de société, un objectif politique, un objectif économique. Le plein emploi est le premier critère de décisions qui doivent être des décisions politiques, bien sûr - on s'entend avec vous - mais aussi des décisions économiques. Alors que, pour d'autres qui ont plus une approche libérale traditionnelle, l'emploi est une conséquence de la croissance économique. Pour nous, ce n'est pas cette approche. À cet égard-là, si on se rejoint, tant mieux, sauf qu'il faut être clair. On peut très bien avoir une approche dans ce sens et être en faveur du libre-échange. Il y a des représentants syndicaux qui sont venus nous dire ici qu'eux aussi partageaient nos préoccupations et notre objectif de plein emploi, mais qu'ils étaient plutôt réticents à s'engager dans une approche libre-échangiste. Autrement dit, des approches social-démocrates ayant comme objectif le plein emploi et non pas l'emploi résultant d'une

croissance économique additionnelle ou d'investissement additionnel peuvent très bien être partagées par des gens qui ont des approches différentes ou des opinions différentes sur le libre-échange,

II est entendu aussi qu'il peut y avoir une troisième voix, c'est-à-dire la voix de gens qui ne sont à priori pas nécessairement contre mais qui ne sont pas enthousiasmés non plus. Ils sont plus prudents, craintifs parce que, effectivement, en fin de compte, c'est du monde. Il y a des gens qui l'ont bien dit au cours de ces deux dernières semaines: C'est cela, notre préoccupation à tous, chacun d'une façon différente, les gens qui vont subir les conséquences. Les pères et les mères de famille qui ont des emplois dans des secteurs qui risquent d'être plus menacés, eux, ils sont plus angoissés. C'est à eux qu'il faut penser, c'est à eux et aussi à leurs enfants. Eux, parce qu'ils ont des emplois, parce qu'ils ont des responsabilités à assumer, parce qu'ils ont leur vie à vivre, n'ont pas le goût de la vivre dans la dépendance de l'État. Mais il y a aussi des gens qui n'ont pas encore d'emploi. Et on doit mettre en évidence le défi du plein emploi. On peut très b'ien dire qu'on est d'accord avec le plein emploi, mais où nous avons une approche différente, c'est que pour moi, contrairement à ce que vous avez présenté dans votre mémoire et la conclusion sur laquelle vous avez insisté, ce n'est pas d'abord la dépendance économique avec les Américains qui est la préoccupation de notre côté. Notre préoccupation premières c'est qu'il y a des gens en chômage. Il y a une approche qu'il va falloir changer. Je l'ai déjà dit à l'Assemblée nationale, nous-mêmes nous avons changé de trajectoire au cours des dernières années. Il est évident que le Parti québécois, lorsqu'il a assumé les responsabilités de l'État, n'a pas toujours eu une approche qui était cohérente avec cet objectif. D'ailleurs, cet objectif à l'intérieur du parti est un objectif qui est plus récent. On a une approche à cet égard qui, je pense, est celle d'un parti politique qui a, dans son programme politique, le plein emploi comme objectif. (17 heures)

M. Harney: M. le Président, vous avez fait une intervention largement politique et moi, je l'accueille. C'est normal, dans cette enceinte. Ce sont des choix politiques qu'on fait et on les exprime. On vous a fait grâce, cet après-midi, de la lecture de notre programme où se situe le plein emploi comme objectif principal. Je tenais cela pour acquis.

J'aurais un commentaire ou deux sur vos commentaires. Comme de raison, le modèle de la CEE, cela nous intéresse beaucoup. Oui, on désire le libre-échange internationalisé. C'est exactement ce qui se passe...

Le Président (M. Charbonneau): Je parlais de ce qui se fait pas nécessairement dans la Communauté économique européenne mais dans les pays Scandinaves où il y a une entente de libre-échange formelle. Ce n'est pas une entente internationale avec le monde entier, c'est avec quelques pays très limités.

M. Harney: Avec des économies qui se comparent plus ou moins, des populations qui se comparent plus ou moins, ces pays peuvent s'affronter sur le plan commercial sans se menacer l'un l'autre. C'est M. le ministre tout à l'heure qui a parlé de menace venant du côté américain; de menacel Je ne sais pas si, dans son envoûtement pour le libre-échange, il a oublié ce qu'il a dit mais, nous, on trouve qu'il y a un danger sensible de se diriger non pas vers le libre-échange mais vers la continentalisation - c'est un gros mot, je m'enfarge toujours sur ce mot-là - de se lancer dans une économie qui est purement et largement continentale. Ce qu'on veut, on veut une économie qui se dirige vers le monde autant que possible. Le Canada est en situation de déficit commercial avec bien des pays: la communauté européenne, Taiwan, l'Ontario. C'est avec eux qui nous vendent plus qu'on vend chez eux qu'on peut exiger de nouveaux accords pour arriver à écouler nos produits à l'étranger. Cela va être extrêmement difficile aux États-Unis, ils sont en déficit envers nous. On vend chez eux deux fois plus qu'ils nous vendent. Il faut comprendre que la situation est inélastique. Il n'y a presque rien à aller chercher de ce côté-là. II nous faut, pour créer ce régime de plein emploi, commencer à se lancer ailleurs dans le monde que dans l'étreinte des États-Unis.

M. Graveline: Si vous me le permettez, juste un ajout très bref.

Le Président (M. Charbonneau): Très brièvement, parce que le ministre voudrait intervenir.

M. Graveline: Juste un commentaire très bref. C'est que le ministre nous pose une question et nous demande d'y répondre. Dans notre mémoire, nous posons une bonne vingtaine de questions, et certaines, je pense, très importantes, qui demandent réponse et qui sont importantes pour la population. Par exemple, on pose la question très clairement: Est-ce qu'il y a eu des études d'impact sur le danger qu'un certain nombre de filiales de multinationales américaines décident de transférer leurs opérations au sud dans un cadre de libre-échange? On n'a pas eu de réponse à cela. La population n'en n'a pas eu non plus. C'est au gouvernement qui porte la responsabilité de la chose publique de répondre à ces questions-là.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: La réponse, monsieur, est oui, il y a eu des études d'impact. Et, si vous en voulez une copie, regardez en arrière, il y en a de disponibles. Il n'y a pas un gouvernement, soit-il d'un État américain, fédéral américain, provincial canadien ou fédéral canadien, qui a publié autant, qui a clarifié sa position, qui a donné des chiffres et qui a statué dans un volume comme celui-ci les enjeux. Il faut nécessairement le lire et vouloir le comprendre pour pouvoir réellement recevoir notre réponse.

J'écoutais le président de la commission et, effectivement, je me permettrai de reprendre son exemple. C'est que vous avez une énorme charrue pesante qui est cette relation commerciale avec les États-Unis et la seule chose qui nous différencie avec le PQ, à l'heure actuelle, c'est que, nous, on dit qu'on devrait tirer la charrue et eux disent qu'ils devraient avoir la charrue et la pousser. Mais il y a une affaire certaine, c'est que la charrue ne peut pas rester stationnaire, il faut qu'elle bouge. Le statu quo n'est pas acceptable avec la menace sur les jobs qu'on connaît.

Je reviens donc à ma question. Hypothétiquement, s'il n'y a pas d'entente, des témoins ici ont déclaré qu'il pourrait y avoir des actions américaines prises contre, par exemple, l'industrie des pâtes et papiers, 42 000 emplois dans la province de Québec, en utilisant les mêmes arguments qui ont été utilisés pour le bois de sciage, c'est-à-dire que, si la ressource appartient à l'État, il y a donc subvention. Cela a déjà reçu une oreille sympathique du Département du commerce américain et de ses agences. Pour rendre la chose pire, vous avez un projet de loi HR-3 qui a passé à la Chambre des représentants et au Congrès et qui rend encore plus libérale l'interprétation qu'on peut donner au terme "subvention".

On a mentionné également ici que 17 000 producteurs de porc au Québec expédient plus de 60 % de leur production aux ' États-Unis pour 300 000 000 $. Non seulement on pense prendre une action en droits compensatoires contre eux mais un projet de loi - non seulement un appel à un droit temporaire - circule à Washington pour réduire les importations américaines de porc québécois. Seriez-vous assez gentils... C'est la question que je vous pose, à moins que vous ne soyez capables de me démontrer que le processus d'appel du GATT pourrait répondre à temps pour sauver ces exportations ou les jobs dont on parle. Je prétends que non, je prétends que la façon de procéder est beaucoup trop longue vis-à-vis de la possibilité - ce n'est pas moi qui en fait état, ce sont les gens qui ont témoigné ici - d'action contre des jobs spécifiques. Ce n'est pas de la politique, ce n'est pas de la spéculation que je fais, je vous parle des témoignages qui ont été faits. Avez-vous, s'il vous plaît, des suggestions à nous faire comme gouvernement du Québec? Que va-t-on faire pour aider ces gens qui vont être menacés directement, rapidement et avec une très courte période pour répondre?

M. Harvey: C'est-à-dire, M. le Président, que le ministre avait développé et proposé une politique commerciale avant d'entendre les témoins. Comme de raison, pour répondre à la question et aux commentaires du ministre, si vous permettez, j'ai lu le document La libéralisation des échanges avec les États-Unis: une perspective québécoise.C'est une étude d'impact? Cela se peut peut-être, enfin, on ne va pas argumenter sur les mots. Je l'ai lu parce que c'est là que j'ai trouvé les chiffres qui me disaient que le client le plus important pour le Québec, c'était l'Ontario et non les États-Unis. Et vous étiez un peu surpris d'apprendre cela tout à l'heure, vous l'avez appris vous-même. J'ai fait la lecture de vos textes et je demanderais à la députation ici de se pencher sur ce fait très important pour les travailleurs et les travailleuses québécois. Pour courir le lapin du libre-échange - on va échanger le cheval contre le lapin - on peut mettre en risque des relations commerciales avec un partenaire très important et avec lequel on peut traiter sur une base politique et législative.

Je me demande quelle sorte d'impact on peut avoir sur les États-Unis pris globalement. J'ai regardé de près non seulement les procédures de cette commission, hier, à la télévision, mais j'ai bien regardé les nouvelles après qu'on a eu rompu les négociations. Et cet événement a accaparé à peu près 50 % de la nouvelle québécoise et canadienne, d'accord? Après cela, j'ai "pitonné" et j'ai regardé les émissions américaines. On ne l'a pas mentionné du tout, ce n'est pas important pour eux, ce n'est pas très important. Il ne faut pas se leurrer quand même.

Pour ce qui est des politiques plus ponctuelles, qu'est-ce qu'on fait dans des cas particuliers? On réagit et on se prépare aussi pour les cas particuliers. Dans la question du bois de sciage, il aurait été possible, et cela s'est fait aussi, de se liguer avec des intérêts américains qui aiment avoir... Oui, le consommateur américain, le constructeur américain veut avoir du bois de sciage à un prix qui lui convient pour qu'il puisse construire des maisons, les vendre, les hypothéquer, les louer, les acheter. C'est comme cela qu'on négocie et, s'il y a des problèmes particuliers, une menace particulière des États-Unis, ou bien si leur marché se désorganise... C'est là, le

problème, M. le Président. C'est la désorganisation de tout le marché américain. Si cela se désorganise dans un secteur où on est impliqué, surtout venant du Québec... Dernièrement, ils ont eu des problèmes a cause de la potasse; leur producteur, le Texas, ne pouvait pas concurrencer avec la Saskatchewan. D'accord, il faut s'asseoir à la table et négocier des limitations volontaires, s'il le faut, leur offrir des limitations volontaires, s'il le faut, tout en sachant qu'il y a toujours moyen de faire appel à des intérêts chez eux pour mitiger l'effet des demandes des gens qui sont protectionnistes chez eux. Je répète, M. le Président, qu'il n'est pas nécessaire, pour y arriver, de se jeter encore plus dans un système économique qui nous laisse maintenant si peu de libertés que la moindre menace de changement nous épouvante.

Le Président (M. Charbonneau): M. ie ministre.

M. MacDonald: Avec tout le respect que je vous dois, je ne peux pas faire autrement que de qualifier de naïve cette approche. J'ose espérer que, lorsque viendra le temps de faire face à une action en droits compensatoires, on saura trouver des moyens ou qu'on aura su trouver des moyens qui vont convaincre un peu plus les travailleurs qu'on fait quelque chose pour leurs jobs. Merci d'être venu tout de même. Vous avez le droit, on est en démocratie. Je suis content que vous ayez pu déposer votre position, de toute façon.

M. Harney: On a plus que le droit de se présenter devant vous, M. le ministre.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand aurait des questions additionnelles, des commentaires additionnels. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Oui, certainement. En conclusion, puisqu'il nous reste peu de temps, j'aimerais juste apporter un éclaircissement pour les fins de la commission et je pense que le ministre sera aussi d'accord avec moi. Lorsque le ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique a déposé la fameuse perspective québécoise, le 5 mai 1987, il a aussi dit en Chambre, à l'Assemblée nationale - et j'ai les galées avec moi - que les annexes de ce document seraient les études d'impact. Alors, les vraies études d'impact ne sont pas arrivées.

Cela étant dit - cela a déjà été dit et redit - M. Harney et votre collègue dont j'ai oublié le nom, je tiens à vous remercier d'être venus. Je tiens à vous faire deux commentaires en terminant. C'est vrai qu'on fait un commerce important avec l'Ontario, mais il faut prendre conscience que le commerce qu'on fait s'adresse à une clientèle de 8 000 000 ou 9 000 000 de personnes en Ontario et on ne pourra pas l'augmenter beaucoup, quand on compare au marché américain. Alors, il ne s'agit pas de regarder que ce qui est actuellement, c'est le marché potentiel, et dans ce sens les 100 000 000 dans un rayon de 1000 kilomètres ou les 250 000 000 du territoire américain sont intéressants en termes de marché et de perspectives. C'est bien sûr que l'Ontario deviendra vite limité. Je pense qu'on se comprend là-dessus.

Deuxièmement, je vous dirai que l'approche que vous avez proposée dans la négociation, s'il n'y avait pas d'entente de libre-échange, serait une approche sectorielle. Je vous dis que je ne pense sincèrement pas que le Québec... D'abord, il est dommage que le Québec n'ait pas actuellement de politique, de stratégie de développement économique. Si on se doit d'en avoir une, on se doit d'en avoir une globale qui soit orientée avec des objectifs très précis. On ne pourra pas fonctionner sur un développement basé strictement sur le sectoriel. Je voulais apporter ces deux commentaires en terminant et vous remercier aussi au nom de ma formation politique.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Graveline, vous voulez ajouter un dernier mot?

(17 h 15)

M. Graveline: Un petit mot. Il me semble que c'est important de le dire. Le ministre nous dit que nous ne prenons pas suffisamment en compte le danger des mesures protectionnistes américaines. II dit que nous avançons des solutions naïves. Il nous traite de naïfs face à cette question. Je veux juste lui rappeler une chose: le principal négociateur américain lui-même a déclaré qu'il serait naïf et illusoire -puisqu'on parle de naïveté - pour les Canadiens de penser que le libre-échange constitue une garantie contre le protectionnisme américain et qu'il ne saurait être question de soustraire le Canada aux politiques des États-Unis en ce sens. C'est le principal négociateur américain qui a déclaré ça. Et on voit que ça se concrétise dans le refus du gouvernement américain d'accepter un tribunal d'arbitrage décisionnel et de perdre ainsi ses pouvoirs. On sait aussi que le Sénat s'oppose particulièrement à ça. Or le négociateur lui-même nous dit que l'accord de libre-échange en négociation ne nous protège pas contre le protectionnisme...

Le Président (M. Charbonneau): M.

Harney.

M. Harney: Alors, M. le Président, études d'impact... Moi, j'aurais une dernière

question. Je ne m'attends pa9 à une réponse. Pour moi, c'est une question importante.

Le Président (M. Charbonneau): Vous n'êtes pas encore en Chambre, M. Harney.

M. Harney: C'est pour ça que j'essaie de dire bonjour en même temps, M. le Président. C'est un discours de clôture. On connaît la technique.

Études d'impact. Est-ce qu'on sait s'il y a eu des études par rapport à l'effet d'une telle politique sur la construction navale comme on fait à Lauzon, de l'autre côté du fleuve? Est-ce qu'on sait si le négociateur, M. Reisman, a demandé aux Américains si on pouvait, nous, avoir une entrée libre de notre production navale aux États-Unis? Est-ce que le gouvernement du Québec le sait? Je crois que vous ne le savez pas. Comme ça, si vous parlez de naïveté - moi je peux être accusé d'être naïf - de votre côté, je pense que c'est un envoûtement pour une thèse qui vous emporte. Comme ça, bon, d'accord je retire le mot "envoûtement", vous allez retirer le mot "naïf" et je vais retirer le mot - c'était quoi tout à l'heure? - "engouement", pour le Parti québécois. Il y a des questions extrêmement concrètes et extrêmement sérieuses et cela en est une. Et je l'ajoute aux 20 questions qu'on a posées. Et j'espère que la prochaine fois qu'on va se rencontrer on va tous recevoir des réponses assez concrètes, s'il y a lieu, d'un traité proposé par le gouvernement fédéral sur le libre-échange.

Le Président (M. Charbonneau): Je comprends que vous avez été provoqué. Cela devient réciproque. Vous rembarquez. Alors, je sais que le ministre voudrait ajouter son dernier commentaire. Cela va être la fin par la suite.

M. MacDonald: À la première question sur l'étude d'impact de construction navale, la réponse c'est oui. À votre deuxième question, vous abordez un contenu des négociations que je n'ai pas traité et que je ne peux pas traiter et vous comprendrez pourquoi.

M. Harney: On va tous revenir pour en discuter.

M. MacDonald: Ah! s'il y a lieu. Oui.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, sur cette discussion fort intéressante, nous vous remercions d'avoir participé à cette consultation et à la prochaine fois.

Immédiatement, je poursuis avec le dernier intervenant, puisque nous avons un peu de retard dans notre horaire. Alors, j'invite M. Jean Lambert à prendre place à la table des invités.

Une voix: M. le Président, est-ce que ce serait possible de distribuer le nouveau document?

Le Président (M. Charbonneau): Pas de problème.

Une voix: ...

Le Président (M. Charbonneau): Alors, on va suspendre pendant quelques instants. On me fait signe qu'il y a des membres de la commission qui voudraient prendre une pause-santé. Alors, quelques instants de suspension.

(Suspension de la séance 17 h 19)

(Reprise à 17 h 23)

Le Président (M. Charbonneau): Alors, si j'ai bien compris, M. Thibault me laisse l'antenne. Je le remercie infiniment. Je veux maintenant, à mon tour, céder la parole à M. Lambert, mais, auparavant, je veux lui rappeler qu'on a une heure et que la première partie de cette heure-là, une vingtaine de minutes, est consacrée à la présentation de votre mémoire. Le reste du temps va être consacré aux membres de la commission. J'aimerais que vous nous indiquiez dans quel cadre... Il y a des gens qui sont venus ici à titre personnel. Ce sont peut-être des économistes, des gens de l'Université de Montréal ou d'une autre université. Vous êtes lié à quelle entreprise ou à quel titre êtes-vous engagé dans cette réflexion?

M. Jean Lambert

M. Lambert (Jean): En fait, je me présente comme simple citoyen ayant des connaissances en gestion internationale, en économie internationale, en sociologie, en psychologie et en criminologie.

Le Président (M. Charbonneau): Ah bien! là, on va se retrouver.

M. Lambert: On va se retrouver.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, écoutez, ce qu'on voulait savoir, c'est un peu... Finalement, vous avez fait une réflexion.

Une voix: ...

Des voix: Ha! Ha! Ha!

Le Président (M. Charbonneau): Non, ça va très bien, M. le député. Mais ce n'est pas une commission au cours de laquelle on va parler de problèmes de criminologie, bien

que, éventuellement, il pourrait y avoir des conséquences sur le taux de délinquance, selon les attitudes qu'on pourrait adopter au plan économique. De toute façon, je vous laisse la parole, M. Lambert.

M. Lambert: M. le Président, messieurs, mesdames, j'ai voulu présenter dans ce mémoire un aperçu global du problème qui nous préoccupe et, si mes propos peuvent souffrir d'embonpoint, c'est peut-être parce qu'il manque un peu de transparence dans les résultats des négociations. Quelques mots d'abord sur le commerce extérieur du Canada. Le commerce extérieur du Canada se caractérise par une forte ouverture aux échanges internationaux et par sa faible part au sein du commerce mondial. Il connaît une forte croissance depuis 1960, mais cette hausse est inégalement répartie entre les provinces canadiennes.

Actuellement, 30 % de la production nationale brute canadienne est destinée à l'exportation. Les importations comptent pour environ 26 % du PNB canadien. Le Canada reçoit aussi la plus large part des exportations américaines, soit 21,7 % en 1985, surpassant dans ce domaine la Communauté économique européenne, l'entière Amérique latine et le Japon. Sa faible part au sein du commerce mondial -dernier rang avec 5 % au sein des sept pays les plus industrialisés - place le Canada dans une position de preneur de prix, c'est-à-dire qu'il n'exerce pas d'influence sur le prix mondial. Cependant, il faut ajouter que le Canada est, à la suite des accords avec la CEE et l'Association européenne de libre-échange, le seul pays industrialisé à ne pas avoir d'accès direct à un marché d'au moins 100 000 000 d'habitants.

Deux traits marquent la composition du commerce extérieur du Canada: le surplus régulier du commerce de marchandises, qui s'oppose au déficit chronique des échanges et services, la forte part dans les exportations nettes des produits bruts et traités, intensifs en ressources naturelles, avec un taux de couverture d'environ 3,65, versus le poids des produits finis (le taux de couverture, environ 50 % dans les produits manufacturés à haute et moyenne technologie). Entre 75 % et 80 %, en 1985, 78,1 % des exportations totales canadiennes sont dirigés vers le marché américain. Ce qui fait des États-Unis un partenaire commercial et politique non négligeable qui exerce une influence très significative au plan des politiques financière, fiscale et budgétaire des gouvernements canadiens.

Dans l'histoire des ouvertures économiques dont le but est d'accroître les échanges internationaux, notons quatre principaux types d'ententes...

Le Président (M. Charbonneau): M.

Lambert, Je vous suggérerais, si vous êtes d'accord avec moi, d'aller immédiatement aux avantages parce que cette partie est assez didactique, on l'a déjà entendue, et je vous conseille... Je regarde la longueur de votre mémoire et le temps qu'on a...

M. Lambert: Je comprends. Avec le nombre d'organismes qui se sont présentés...

Le Président, (M. Charbonneau): C'est pour cela que je vous dis que vous êtes mieux d'aller immédiatement à votre point de vue et de nous dire quels sont les avantages et les inconvénients, selon le développement que vous avez fait, ainsi que les contraintes. Parce que la description que vous faites dans les prochaines lignes va vous faire perdre du temps inutilement, pour dire des choses qu'on a entendues à plusieurs reprises.

M. Lambert: M. le Président, les avantages. Les bénéfices découlant des avantages comparés sont des gains de productivité qui résultent de la réallocation des investissements vers les secteurs les plus productifs, une baisse des prix qui résulte des gains de productivité et qui découle de la substitution de produits importés aux biens des industries les moins productives, des gains de productivité permis par l'obtention des économies d'échelle à la suite de la spécialisation de la production par les firmes qui doivent approvisionner un marché plus grand, un accroissement des activités d'innovation et de la rapidité des firmes à adopter le changement technologique pour faire face à une concurrence plus forte et, enfin, une tendance vers un transfert technologique bilatéral.

À cause du danger croissant du protectionnisme américain, un marché qui reçoit de 75 % à 80 % des exportations canadiennes, le gouvernement canadien espère l'abolition des barrières entre les deux pays, n'ayant pas d'alternative réelle et viable à court terme. Cette politique d'ouverture favoriserait l'accès à un marché de 255 000 000 de consommateurs, versus des accords régionaux déjà existants qui ont un accès direct à des marchés importants.

Les contraintes et réserves sur l'accord. Concernant la transformation structurelle du secteur industriel, le libre-échange va créer une nécessité de changement dans la structure industrielle au plan de sa réorganisation technique et une aide gouvernementale à la transition pour le recyclage, le positionnement et le repositionnement des autres industries (soutien aux industries) qui ont un avantage comparé. Cette transformation amènera des problèmes liés aux développements régional et provincial qui voudront avoir une partie du transfert des industries rentables vers leurs régions respectives

(problèmes politiques interprovinciaux et interrégionaux). Ce qui amène plus de dépenses gouvernementales dans les secteurs spécifiques pour l'aide importante et croissante à la promotion de secteurs de production spécifiques et conduit à une diminution des dépenses gouvernementales dans les programmes sociaux qui seront la source des transferts budgétaires.

Les témoignages de nombreux spécialistes confirmeront qu'il est illusoire de penser que les entreprises privées pourront se passer de l'aide de l'État pour soutenir la concurrence américaine. Cette aide devra être très substantielle pour passer d'un marché de 25 000 000 à celui de 255 000 000. D'après ce qu'on entend, la marge de manoeuvre serait suffisamment grande pour permettre aux gouvernements de mettre en application des programmes de reconversion industrielle, de pénétration du marché américain et de réadaptation de la main-d'oeuvre. Un doute subsiste: il n'y a pas si longtemps, les gouvernements s'étonnaient de l'étroitesse de cette marge de manoeuvre. Si elle existe réellement, il est impardonnable de laisser les économistes concevoir un taux de chômage naturel aussi élevé.

Cependant, il n'est pas étonnant de retrouver, dans les sondages s'adressant au secteur privé, une proportion croissante de réponses favorables au libre-échange en relation avec la taille des entreprises. En effet, 44,5 % sont favorables pour celles ayant 100 employés et plus. La plupart bénéficient déjà d'importantes économies d'échelle, d'un bon niveau de productivité et leur impact actuel sur l'économie régionale leur laisse présager des soutiens gouvernementaux en situation de besoin.

Dans le domaine de la fiscalité, d'après la coalition de 700 entreprises travaillant dans des secteurs de haute technologie, la réforme fiscale leur cause un grave préjudice, plus particulièrement advenant un accord de libre-échange qui ouvrirait le marché canadien à la concurrence américaine en détruisant le seul levier dont elles disposent pour soutenir leur programme de recherche et de développement.

Cependant, nous devons féliciter les gouvernements canadien et québécois pour leur politique favorisant la collaboration entre le secteur privé et les chercheurs des universités. Ottawa verse aux organismes subventionnaires un montant équivalent à celui que les entreprises donnent aux universités avec qui elles concluent des contrats de recherche. De plus, le gouvernement canadien accorde des subventions directes de contrepartie avec un crédit d'impôt d'environ 20 % pour des programmes spécifiques de recherche.

Pour sa part, le gouvernement du Québec consent un crédit d'impôt de 40 % aux entreprises qui se lancent, conjointement avec les universités, dans la recherche. Même les contribuables qui veulent investir dans la recherche universitaire peuvent obtenir une déduction fiscale de 66,6 %. Ces mesures placent le Québec au premier rang pour les avantages fiscaux en faveur de la recherche. Mais ces incitatifs gouvernementaux ne semblent pas venir à bout des réticences du secteur privé. L'une d'elles, bien légitime, porterait sur le secret industriel, facteur très important en milieu de forte concurrence. D'autres questions concernent le renouvellement rapide des équipements industriels pour faire face à une concurrence plus vive et à un plus large marché. Pour ce faire, les entreprises canadiennes devront-elles s'adresser aux producteurs d'équipements américains ou d'autres pays? Dans de tels cas, n'y a-t-il pas risque de compromettre nos avantageux surplus de la balance commerciale? Où trouver les capitaux nécessaires devant une mentalité bancaire déjà peu encline aux risques, surtout envers les PME? Quelle sera la définition de subvention gouvernementale telle qu'elle devra être communément - adoptée par les États-Unis et le Canada, advenant un accord?

Concernant les secteurs ayant un avantage comparé qui bénéficient déjà d'un tarif douanier progressif, c'est-à-dire d'un tarif plus élevé à mesure qu'on se dirige des matières premières vers les produits finis, le Canada, ayant sa force dans les matières premières jusqu'aux produits semi-finis, va perdre là où il n'a pas d'avantage comparé tandis qu'il y aura peu de hausse dans les secteurs où il possède un avantage comparé. Car il y a peu de droits de douane américains dans des secteurs tels les mines, le bois, etc. À court terme, la perte des industries qui n'ont pas d'avantage comparé ne sera pas compensée par les gains des industries qui ont un avantage comparé.

Après trois rondes de négociations du GATT, la très grande majorité des matières premières et des matières partiellement transformées se transige, aujourd'hui, en franchises, avec le résultat que 80 % des biens canadiens exportés aux États-Unis entrent sans tarif douanier. Sur les 20 % restants, le tarif moyen est d'environ 5 %. Parce que le Canada importe beaucoup de produits manufacturés finis, il reste encore 35 % des importations canadiennes provenant des États-Unis sur lesquelles le gouvernement impose un tarif moyen d'environ 10 %. Nous devons souligner que, même avec un différentiel de taux de change de 30 % auquel on ajoute la protection des barrières tarifaires, les entreprises canadiennes concurrencent difficilement les entreprises américaines sur leur propre marché canadien, ce qui vaut autant pour l'agro-alimentation, la chaussure, le textile, le meuble, la

métallurgie et la machinerie que pour les produits électriques et l'informatique.

Les secteurs bénéficiant d'un avantage comparé sont mal préparés à une forte et rapide croissance de la production. On parle de sous-sol, de forêt, d'agro-alimentation. Il y a des problèmes liés à l'environnement, comme l'acidité des sols, l'exploitation intensive, qui entraînent la désertification par érosion du sol. Nous pouvons facilement reconnaître la faible influence qu'exerce le Canada sur son partenaire commercial américain à propos des problèmes environnementaux. Sur le plan économique, les pluies acides menacent des industries comme la pêche, le tourisme, l'agriculture et les forêts dans l'est du Canada, sur une superficie de 2 600 000 kilomètres carrés. Les érables sont déjà touchés à plus de 50 %. Que doit-on attendre d'un plus grand partenariat avec un pays qui rebute à prendre les mesures qui s'imposent devant l'urgence d'intervenir? Une société responsable ne satisfait-elle pas ses besoins sans diminuer les perspectives de la génération suivante?

Les biens énergétiques. Le libre-échange ne fixe aucune limite à l'exportation et conduit au rapprochement d'un même prix au Canada et aux États-Unis. L'Office national de l'énergie doit faire en sorte que les besoins nationaux soient assurés pour une trentaine d'années. Avec le libre-échange, il ne pourra plus contrôler l'exportation, mettant ainsi en danger la suffisance canadienne. Il y a un risque pour les biens non renouvelables d'un épuisement relatif des ressources énergétiques.

Le libre-échange engage les deux gouvernements centraux. Les 10 provinces et les 52 États américains, qui ont des compétences partagées, sinon exclusives, ne sont pas tenus de respecter tous les accords. Aux États-Unis, une grande partie des barrières non tarifaires sont mises par les États indépendants (équipement de transport, traitement des eaux, équipements médicaux, la sécurité, tous les achats gouvernementaux). Le problème est d'amener les 52 États et les 10 provinces à faire disparaître toutes les barrières.

Les services, alors qu'ils seront moins touchés dans leur ensemble que les biens, la plupart du temps, les entreprises s'adresseront aux entreprises de services américaines, surtout les services à l'industrie - services de consultation - qui détiennent plus d'information et des techniques plus sophistiquées d'études de vastes marchés. On pourrait parler des grandes banques de données informatisées.

Le chantage politique de la part d'un pays ou de l'autre. Le poids américain sera davantage important contre un Canada déjà assez vulnérable. Si les États-Unis tentent d'instaurer le libre-échange avec un tiers, comme le Brésil ou le Mexique - je parle après d'éventuelles ententes avec le Canada - le président Reagan, lors de sa première campagne présidentielle a parlé, lui, d'un marché commun États-Unis-Canada-Mexique -ou encore, si les États-Unis obtiennent un accord avec un quelconque pays qui présente les mêmes avantages comparés pour le ou les mêmes biens ou services que le Canada, il faudra que ce dernier renouvelle ses équipements pour s'ajuster à un pays où les économies d'échelle peuvent être plus élevées, à cause des moindres coûts de la main-d'oeuvre et de beaucoup de facteurs. Cela nécessitera des ajustements sociaux et techniques, c'est-à-dire une augmentation des coûts.

Au Canada, le libre-échange causera un exil rural et des petits centres urbains ou même des régions éloignées comme Terre-Neuve, la Gaspésie, la Côte-Nord, sauf dans les régions où l'on exploitera intensivement une richesse naturelle. Mais c'est dans le secteur des services de produits finis ou semi-finis que sont générées les plus hautes qualifications et la plus grande masse d'argent, en plus des revenus gouvernementaux. La mobilité démographique ou de la main-d'oeuvre n'est pas aussi parfaite que se plaisent à le laisser entendre certains économistes réputés. Cependant, les entreprises canadiennes qui devront bénéficier d'économies d'échelle s'approcheront obligatoirement des grands centres urbains ou bien choisiront d'investir directement aux États-Unis.

Il n'existe pas ou très peu de programmes de recyclage de la main-d'oeuvre. Ceux-ci, avec le libre-échange, deviendront rapidement nécessaires et entraîneront rapidement des coûts élevés que les entreprises ou les gouvernements ne peuvent actuellement absorber. Si aucun, ou peu de programmes ne sont conçus dans ce domaine, ou encore s'il y a des retards quant à leur application, le processus conduira à une détérioration irréversible du tissu socio-économique. Il est tellement facile de parler, au niveau macro-économique, de création d'un nombre d'emplois qui compensent la perte de tel nombre d'emplois, mais il faudra en parler directement au père ou à la mère de famille qui vient de perdre son emploi, ses revenus, sans possibilité réelle de recyclage, en lui disant que tout ira pour le mieux dans l'économie.

L'investissement étranger. À ce chapitre, la libéralisation des échanges entre le Canada et les États-Unis pourrait être très bénéfique pour le Canada si les entreprises étrangères de production décidaient de se servir de l'ouverture canadienne pour accéder à l'immense marché américain. Mais il semble que les entrepreneurs étrangers préfèrent investir directement aux États-Unis, ce qui fait dire à un économiste réputé du MIT, M. Paul

Krugman: The political issue of the 1990's is going to be the foreign invasion of the US.

M. Lawrence Brainard, l'économiste international en chef au Manhattan's Bankers Trust, confirme cette tendance. Les investisseurs étrangers profitent de la baisse de 40 % du dollar américain par rapport aux devises fortes, le yen, le mark ou la livre anglaise. Ils profitent également de taux de taxation des corporations plus avantageux que partout ailleurs. L'investissement direct étranger a augmenté de 25 % en 1986, aux États-Unis, pour se porter à 1 300 000 000 000 $ américains. Bien qu'une grande part de ces investissements ait visé des immobilisations et les acquisitions d'entreprises, les "takeovers", une bonne partie a servi à créer de nouvelles entreprises, à implanter des filiales d'entreprises étrangères et ...

La Présidente (Mme Bélanger): Je m'excuse, M. Lambert, il vous reste deux minutes pour votre exposé. Si vous voulez conclure...

M. Lambert: II me reste deux pages, cela va être beaucoup plus clair pour les questions par la suite.

La Présidente (Mme Bélanger): C'est parce que vous avez vingt minutes pour faire votre exposé, il vous reste deux minutes, alors, si vous voulez résumer et en venir à la conclusion.

M. Lambert: Je vais parler de l'importante ingérence américaine dans les affaires canadiennes, les politiques économiques, les relations internationales, la politique étrangère, concernant des accords politiques ou commerciaux avec un tiers pays que le gouvernement canadien voudrait privilégier ou encore sur une aide gouvernementale spécifique à une de ces industries canadiennes. Perte significative de l'autonomie dans les relations internationales sur les ententes avec les pays tiers alors que le contenu des biens importés devra être réglementé car les Américains voudront éviter l'invasion de produits étrangers sur leur marché via le Canada. Cette espèce d'intégration économique significative que cause une plus grande libéralisation des échanges nécessite une plus large sphère de décision politique commune et nous connaissons le pouvoir d'influence du Canada envers les États-Unis.

Au risque de choquer les promoteurs des échanges commerciaux naturels par rapport au relief géographique, nous croyons que ce qui fait un pays ce ne sont pas seulement ses frontières géographiques, c'est aussi la volonté de son ou ses peuples de maintenir et, dans certains cas, de défendre des valeurs. On peut citer une certaine vision des choses comme la lutte contre la famine, la protection de l'environnement, le droit de l'épanouissement des peuples, la promotion de la paix dans le monde, bref, un ensemble de valeurs à partir desquelles on est lié à un gouvernement dans l'espoir qu'il établira les meilleurs moyens pour promouvoir ces valeurs. Maintenant, répondons à cette question: Est-ce que le gouvernement américain présente la meilleure politique en ce sens?

Il y a d'autres contraintes. Au nom de la sécurité nationale, c'est un marché qui risque d'être assez étroit pour les producteurs canadiens. Pour les secteurs de haute technologie, la spécialisation entraîne des limites, car les coûts d'ajustement pour renouveler les équipements sont très élevés et la possibilité de concurrence est forte par rapport à la tendance américaine vers le conglomérat géant. Ceux-ci peuvent absorber de forts déficits temporaires, comme en période d'ajustement, par transfert de fonds dans les activités temporaires moins rentables et la proximité immédiate de vastes marchés.

Je pense qu'on a débattu longtemps la question des droits compensatoires, la nécessité de créer un tribunal, qu'on n'aura pas besoin d'y revenir. La politique de libre-échange avec les Américains anéantirait la position privilégiée du Canada dans le monde, perdant ainsi son image de pays neutre, pacifique et ouvert, de pays défenseur des droits des peuples. (17 h 45)

Libéraliser les échanges. Comme nous venons de le présenter, un accord de libre-échange avec les États-Unis est loin de ne comporter que des avantages. Nous devons retenir, avant tout, qu'il est sage pour n'importe quelle entreprise d'être solidement implantée sur son marché intérieur avant d'exercer sa capacité, à risques modérés, de percer sur des marchés extérieurs avec bénéfices. Actuellement, nos entreprises de produits manufacturés de moyenne et haute technologie semblent davantage avoir besoin de protection pour s'assurer d'une suffisante part du marché canadien. Il apparaît que le Canada retirera des bénéfices dans les secteurs où il détient des avantages comparés, les produits de richesses naturelles, alors qu'il peut être étouffé dans les secteurs de pointe. Au risque de contredire le réputé spécialiste en gestion internationale, M. Landry, qui a écrit que le commerce international est un champ de bataille pacifique et sans mentionner la plus rentable des industries mondiales ni les efforts gigantesques manifestés par des pays en proie de fléaux aggravés par la continuelle dégradation des termes de leurs échanges, nous croyons ce commerce international particulièrement turbulent, quelquefois même, violent.

La libéralisation des échanges entre le Canada et les États-Unis amènera, nous croyons, une baisse sensible mais significative des prix dans plusieurs secteurs de produits finis et semi-finis, le temps que les entreprises américaines fassent disparaître plusieurs de ces quelques producteurs canadiens dans ces domaines,. La production américaine, dans plusieurs secteurs, est tellement forte que les producteurs américains peuvent inonder notre marché avec leur surplus. C'est la loi de la concurrence et une stratégie de prise de marché. Et l'accroissement de la production américaine amènera . une pression inflationniste aux États-Unis, pression qui se fera sentir au Canada, avec un peu de retard, amenant la hausse des prix.

Devant la nécessité de soutenir le parc industriel advenant un accord, les gouvernements canadiens après leurs récentes expériences en vue de réduire les coûts et nombres de programmes sociaux, auront-ils la fermeté nécessaire pour allouer une part plus grande de leur budget à la promotion des industries canadiennes? Une infrastructure adéquate, comme l'investissement dans les programmes de recyclage, éviterait le sacrifice de milliers de travailleurs qui se retrouveront à la charge de l'État. La société canadienne peut-elle se le permettre, quand les priorités émergeront des capacités de production pour concurrencer les entreprises américaines?

Comme nous l'avons noté, le désir de promouvoir le libre-échange avec les États-Unis est lié à l'absence d'alternative réelle et viable à court terme. C'est du moins ce que laisse supposer la démarche du gouvernement canadien.

Doit-on accroître la dépendance de nos entreprises vis-à-vis du marché américain ou faire des efforts accrus de diversification de marchés? Le Japon s'est déjà étonné du peu d'intérêt manifesté par les entreprises canadiennes et québécoises envers ses marchés, surtout dans le domaine des télécommunications.

Nous nous sentons justifiés de servir ces mises en garde au moment des importantes rencontres internationales que sont les sommets de la francophonie et du Commonwealth, événements qui ressemblent davantage à des conférences Nord-Sud. Se tailler une place privilégiée auprès d'un marché de 3 000 000 000 d'individus passe-il, stratégiquement, par le biais d'une plus grande connivence avec les Américains?

Nous pouvons tendre à la libéralisation des échanges. Nous devons tout mettre en oeuvre dans cette voie. La question est de savoir si les États-Unis devront être les partenaires privilégiés du Canada. Et, dans l'affirmative, y sommes-nous adéquatement préparés?

Le Président (M. Charbonneau): Alors, merci, M. Lambert, pour cette présentation. Je vais maintenant céder la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: M. Lambert, j'avais parcouru votre premier texte et c'est sur ce premier texte que j'avais formulé quelques questions. On m'a remis, à la dernière minute, un deuxième texte que vous avez parcouru et dans lequel vous avez sauté certains éléments, à cause de la contrainte du temps. Je dois dire que vous avez abordé une foule de choses. C'est probablement le texte le plus vaste quant aux sujets couverts. Vous avez des considérations qui se veulent non seulement économiques, mais, je dirais, de politiques provinciale, nationale et internationale. Vous avez couvert des sujets qui nous intéressent fortement et sur lesquels on a entendu des présentations. Vous avez une perspective qui vous est personnelle sur le sujet. J'aimerais vous poser une question en particulier parce qu'il y a quelque chose que je ne comprends pas. Je crois que votre texte est relativement clair sur les autres sujets. C'est une question qui touche votre texte numéro un. Dans le secteur des contraintes et réserves sur l'accord, vous avez traité des biens énergétiques. C'est un domaine qui m'intéresse un peu.

M. Lambert: J'imagine.

M. MacDonald: Un peu, oui. Vous avez dit ici: "Le libre-échange ne fixe aucune limite à l'exportation et conduit au même prix au Canada et aux États-Unis."

M. Lambert: J'entends par libre-échange...

M. MacDonald: Me permettez-vous de compléter?

M. Lambert: Allez-y.

M. MacDonald: Ensuite, vous dites: "L'Office national de l'énergie doit faire en sorte que les besoins nationaux soient assurés pour une trentaine d'années. Avec le libre-échange, il ne pourra plus contrôler l'exportation, mettant ainsi en danger la suffisance canadienne." Qu'est-ce qui vous fait prétendre qu'il n'y aurait pas d'Office national de l'énergie au Canada qui continuerait à assurer la suffisance canadienne dans le domaine?

M. Lambert: Je vous rappellerais, M. le ministre, que je parlais du cas de libre-échange et non pas de libéralisation des échanges et que le libre-échange est une abolition des tarifs douaniers et des barrières non tarifaires. Je crois que toute réglementation, dans les échanges commerciaux,

est une barrière non tarifaire.

M. MacDonald: Oui, on pourrait discourir là-dessus. Mais sur une question que nous pouvons appeler de sécurité nationale, et la sécurité de la disponibilité de l'énergie en est une, on pourrait probablement parler longtemps. Ensuite, vous avez continué et vous dites: "Pour l'électricité: vendue plus cher aux États-Unis sans libre-échange." Pourquoi?

M. Lambert: Dans mon second document, j'ai évité la question de l'électricité, peut-être à cause de ma méconnaissance du dossier ou du contrat passé avec les États-Unis. On évitera de parler des différends qui opposent le Nouveau-Brunswick et le Québec.

M. MacDonald: D'accord.

M. Lambert: Je ne sais pas si cela a été réglé.

M. MacDonald: Dans ce cas-là, je vous libère de la situation. Vous l'aviez corrigée dans votre deuxième texte. Je vous remercie.

M. Lambert: Je pense que M. Murphy a mis, à un moment donné, les tarifs d'électricité sur la table des négociations. Peut-être pourriez-vous m'en parler?

M. MacDonald: Pardon?

M. Lambert: Vous pourriez me parler de ce qui a été discuté, à ce moment-là, soit les tarifs d'électricité.

M. MacDonald: Non, je ne peux pas vous en parler.

M. Lambert: Vous ne pouvez pas m'en parler?

M. MacDonald: Non, je ne peux pas vous en parier.

Je vous remercie. Comme je vous l'ai dit, vous avez couvert un grand nombre de sujets et non seulement cela vaudrait peut-être la peine, mais sûrement que mes conseillers et moi-même vaudrons revoir certaines de vos suggestions. Je vous remercie de votre déposition.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le ministre. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, Mme la Présidente.

M. Lambert, vous avez bien essayé d'avoir des réponses du ministre, mais il se fait de plus en plus discret. Vous le comprendrez, surtout avec les événements des dernières heures.

Alors, mes premières paroles seraient pour vous dire: Bravo! Parce qu'il y a peu de personnes qui se sont présentées à cette commission à titre de simple citoyen, non-expert officiel en quoi que ce soit, et je pense que vous êtes - si on ne dit pas le mot "expert" - expérimenté en tout cas dans plusieurs domaines et vous touchez, dans ce mémoire bien étoffé, à beaucoup de points. Cela a dû demander, de votre part, une excellente préparation et j'espère, et le ministre l'a souligné tantôt... Il y a plusieurs de ces points-là sur lesquels vous soulevez des questions, bien sûr, et où vous n'avez pas les réponses et, pour la plupart d'entre eux, moi non plus, je n'ai pas de réponse. Sauf que les questions qu'on se pose, dans le cadre du libre-échange et de la libéralisation des échanges, doivent aller le plus loin possible et c'est dans le questionnement qu'on trouvera probablement des réponses pour éviter peut-être des erreurs importantes.

J'ai souligné à certains endroits des choses intéressantes et particulièrement l'image que vous faites lorsque vous mentionnez qu'il va falloir de l'aide substantielle quand on passe d'un marché de 25 000 000 à 255 000 000, d'un rapport de un à dix. Il va falloir de l'aide substantielle. J'aurais aimé vous entendre peut-être davantage là-dessus, voir de quelle façon vous le voyez. Mais compte tenu du fait que vous avez préféré toucher à différents secteurs et poser beaucoup de questions, vous n'êtes pas allé en profondeur pour chacun de ces points-là.

À la toute fin de votre mémoire - et ce sera aussi mon commentaire et ma question que vous pourrez commenter - vous dites: II s'agirait de savoir d'abord si notre partenaire privilégié doit être les Américains; si oui, le Canada est-il prêt à y faire face? C'est un petit peu le thème que nous avions pris à l'ouverture de cette commission. Je pense que le libre-échange, la libéralisation des échanges, cela se prépare et qu'on est à essayer de faire la démonstration à savoir, tant pour le gouvernement canadien que le gouvernement québécois, si on y est préparés? Et vous nous dites un peu plus haut, trois paragraphes précédents: "Le désir de promouvoir le libre-échange avec les États-Unis est lié à l'absence d'alternative réelle et viable à court terme." Je parle du Canada. Ma question est la suivante. Â la suite des dernières nouvelles, hier, on a un petit peu l'impression que les négociations étaient en train d'achopper. Le Canada a mis beaucoup d'oeufs dans ce panier, au cours des deux dernières années particulièrement, pour être capable de venir à bout d'une entente. Ma première question c'est: S'il n'y a pas d'entente, s'il n'y a pas de stratégie et d'autres plans d'élaborés et d'alternative, comme vous dites, viable, à court terme, que

l'on connaisse en ce qui a trait au gouvernement du Canada, à ce moment la situation serait déplorable selon moi; j'aimerais vous entendre là-dessus. D'autre part, selon vous, à partir de toute l'analyse que vous en faites et du bagage d'expérience que vous avez, est-ce que voua croyez sincèrement que le Québec et le Canada, mais le Québec en particulier, sont prêts à faire face à une entente le 4 octobre?

M. Lambert: Je pense qu'une entente, actuellement, à la lumière de ce que j'ai écrit, serait assez difficile, pour moi, à conclure, une entente avantageuse à court, à moyen et à long termes avec les Américains. Évidemment, ce serait une tout autre chose s'il y avait un autre pays ou deux, ou trois autres pays qui étaient liés à cette entente-là, comme le Mexique, si l'entente se faisait en premier lieu, si les premières ententes se faisaient avec plusieurs pays. C'est la raison pour laquelle la Communauté économique européenne en association avec l'AELE réussit à s'en tirer quand même assez bien.

Maintenant, si les négociations achoppent avec les États-Unis, l'article 24 du GATT permet toujours de négocier certaines ententes et ces ententes pourraient être négociées par secteurs. Je ne sais pas si les Américains seraient si réticents à négocier des ententes sectorielles avec leur principal marché extérieur.

Si on parle de stratégie, je pense que cela dépasse le cadre du mandat de cette commission mais je serais quand même disposé à apporter ma contribution à un comité spécial sur la question. Je pense que, en regard de l'évolution sur l'échiquier mondial et des crises qui secouent les grandes institutions internationales comme l'UNESCO, l'ONU, où les Américains ont soutenu qu'il y avait de graves problèmes de gestion, qui a une plus ou moins grande influence dans les résolutions qui sont adoptées... Si on regarde le FMT, qui fait face à de sérieux bouleversements sur la stabilité des monnaies, à la suite du refus des grands pays endettés de payer l'intérêt de leur dette ou même carrément leur dette, et même le GATT, malgré la présente ronde de négociations qui, en fait, vise à abolir les barrières non tarifaires, je pense que c'était le but premier, au sortir de la précédente, que la négociation en Uruguay concerne la diminution des barrières non tarifaires, même là, je pense qu'on assiste à un protectionnisme assez fort du Japon et des Américains.

Comme je le disais tantôt, il est toujours possible de négocier des ententes sectorielles avec te Américains, sans inclure toute la négociation dans le cadre d'une négociation globale.

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie beaucoup au nom de ma formation politique pour ce travail et cette présentation. Je suis sûr que le ministre sera intéressé, éventuellement, à recourir à certaines de vos idées. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le député. M. le ministre, c'est parfait?

M. Lambert, les membres de la commission de l'économie et du travail vous remercient de votre participation à nos travaux et vous souhaitent un bon retour. Sur ce, la commission suspend ses travaux jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 heures)

(Reprise à 20 h 13)

Le Président (M. Charbonneau): On reprend nos auditions avec deux groupes ce soir. D'abord, le Parti québécois de la région du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, suivi de la Coalition solidarité populaire du Québec. Nous accueillons M. Paul Crête, président régional du PQ de la région du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine.

Bonsoir, M. Crête. Je présume que vous connaissez les règles du jeu, mais je vais vous les rappeler pour ce que ce soit clair. On a* une heure avec votre groupe. Une première tranche d'une vingtaine de minutes est consacrée à la présentation de votre exposé et le reste du temps va être utilisé par les membres de la commission pour un échange de vues avec vous. Alors, je vous cède immédiatement la parole.

Parti québécois du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine

M. Crête (Paul): Bonsoir. Merci beaucoup. Je veux d'abord me présenter. Moi, je suis originaire de la région de Québec. J'ai travaillé ici durant quelques années, ensuite, je suis allé travailler à Gaspé durant trois ans et maintenant je suis à La Pocatière. C'est vous dire que je connais assez bien la région dans laquelle je vis. J'ai la prétention, ce soir, de représenter le PQ du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, une région qui a été longtemps défavorisée et, dans un certain sens, toutes les régions du Québec qui sont en dehors des grands centres. Par rapport au dossier du libre-échange sur lequel on est, il y a des choses à dire au niveau des régions. C'est un peu dans ce sens que je viens livrer le message ce soir, en attirant l'attention plus particulièrement sur notre région. Je pense que c'est aussi valable pour toutes les régions du Québec qui sont en dehors des centres. Cela me paraît aussi important,

parce que notre région est une région qui a un très haut taux de chômage, de pouvoir dire qu'on est le porte-parole des gens qui sont moins bien organisés dans la société, qui n'ont pas nécessairement les moyens de se payer des représentations très officielles. On essaie par la même occasion de véhiculer ces choses.

Le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeieine connaissent depuis la nuit des temps les dangers de la compétition ouverte avec un grand marché de producteurs et de consommateurs. Cela fait longtemps qu'on nous impose des produits qui peuvent être fabriqués ailleurs et qu'on nous donne comme réponse que, nous, on ne peut pas les fabriquer parce qu'on n'a pas assez de monde pour le faire ou parce qu'on est trop loin des marchés. À petite échelle, cela peut reproduire étrangement ce qui se passe entre le Canada et les États-Unis.

Les gens de la région se méfient tout autant des approches purement rationnelles qui créent des emplois de haute technologie pour remplacer les emplois non spécialisés. Au total, cela peut, à l'occasion, faire plus d'emplois, mais ce ne sont souvent pas les mêmes travailleurs et travailleuses qui sont l'objet du recyclage approprié. Cependant, la région est ouverte à toute proposition qui permettrait de rompre le cercle vicieux du chômage chronique qui est son lot depuis tant d'années. Si le libre-échange permettait d'implanter en Gaspésie une industrie de la pêche moderne où les hautes technologies seraient monnaie courante sans pour autant couper le maigre gagne-pain de plusieurs travailleurs d'usine, s'il permettait d'accroître le marché agricole des producteurs du Bas-Saint-Laurent sans crainte d'une compétition inégale et écrasante à long terme, si les producteurs de bois pouvaient s'assurer d'éviter ainsi les soubresauts d'une taxe surprise sur le bois ouvré, alors on dit: Oui, signons un tel traité.

Mais, la population de notre région n'excusera jamais un gouvernement qui en ferait une population sacrifiée, comme elle le fut dans les années soixante-dix, par la fermeture dite, elle aussi, rationnelle des villages. Car, surtout chez nous, la rentabilité d'une société doit être économique, mais elle est aussi sociale et culturelle. Ce n'est pas le fait que la société gaspésienne n'ait pas été riche économiquement qui l'a empêchée de produire des gens que vous connaissez bien, comme M. René Lévesque et M. Gérard 6. Levesque. Donc, le Québec a intérêt à ce qu'une région comme celle-là puisse se rentabiliser, mais globalement et non pas seulement au niveau économique.

Il faudra que le traité de libre-échange ne diminue en rien le droit du Québec et du Canada de se doter d'un régime de sécurité du revenu et de travail garanti, qui s'inspire de valeurs autres que celles du modèle américain. À titre d'exemple, l'objectif du plein-emploi ne doit pas être entravé par un traité de libre-échange, comme il l'est par la répartition actuelle des pouvoirs. On a déjà assez de contraintes à ce niveau-là.

D'un autre côté les prestations de bien-être social, d'assurance-chômage ou tout régime plus bénéfique sont, pour nous, des acquis nécessaires pour l'instant. Tant qu'on n'aura pas pu se permettre d'entrer en compétition libre avec le reste de l'Amérique, on continue d'avoir besoin de ces régimes et on ne voudrait pas qu'ils soient remis en question sans être certain des avantages qui découleront des contre-propositions.

Il apparaît aussi que le Québec devra s'assurer d'un développement nord-sud du réseau des communications, ce qui a manqué si souvent au développement du Québec depuis 1867. Si le traité du libre-échange permet de développer cet axe, au lieu de faire des voies ferrées d'est en ouest comme il s'en est fait au Canada, de développer les communications du nord au sud et du sud au nord, pour vendre, par exemple, notre poisson, notre bois, si on nous garantit ces choses pendant la période de transition, on sera prêt à concéder des choses, mais on veut des garanties dans ce sens. On dit que ce réseau devra être mis en place avant que la vanne soit ouverte aux produits entrant directement en compétition avec nos produits locaux. L'État du Québec devra donc continuer d'intervenir de façon soutenue non dans des infrastructures, mais dans une implantation réelle des technologies appropriées. L'exemple récent de Quebecair nous laisse profondément songeurs.

La population de notre région s'interroge aussi sur les effets culturels qu'aura le libre-échange sur ses instruments de diffusion de la culture. Le réseau des salles de spectacles survit déjà péniblement, à titre d'exemple, grâce aux programmes de subventions provinciaux. C'est vrai que tous les politiciens nous ont promis que la culture ne serait pas sur la table de négociations, mais là, trois points sont en litige, dont la culture. On sait très bien que, dans une négociation, à la fin il y a toujours des échanges qui se font et on ne voudrait pas que, sur ce point, on nous sacrifie sur l'autel. L'autre exemple qu'on donnait, c'est celui de l'arrivée, sans contrôle, des vidéos américains, des productions américaines de tous types. Cela nous apparaît dangereux pour une région comme la nôtre qui a déjà vécu la fermeture de Radio-Québec en régions et qui a perdu des moyens de production à ce moment. On donne aussi comme exemple que la télévision a longtemps été, pour la Gaspésie, celle du Nouveau-Brunswick. On ne voudrait pas revivre cet impérialisme culturel dans les

autres secteurs.

Toutes ces interrogations, la population de notre région demande au gouvernement du Québec d'y répondre avant de s'engager dans une voie de non-retour en donnant son aval à un projet mal connu et aux impacts imprévisibles. Le Parti québécois du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine et toute la population de la région concernée ne se posent pas en spécialistes du libre-échange. Le PQ a voulu ici n'être que le porte-parole d'une région qui a vu, à quelques occasions, sa survie économique, sociale et culturelle transformée par des vents venus d'ailleurs. Cette fois, nous voudrions connaître l'itinéraire avant d'accepter de mettre le cap sur un tel défi. Dites-nous l'avenir qui nous est réservé. Après tout; c'est le nôtre.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Crête. Je vais céder la parole maintenant au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: Merci, M. Crête. Dans votre conclusion ou dans le paragraphe précédant votre conclusion, vous dites? "Toutes ces interrogations, la population de notre région demande au gouvernement du Québec d'y répondre avant de s'engager dans une voie de non-retour en donnant son aval à un projet mal connu et aux impacts imprévisibles."

Dans votre exposé, vous vous préoccupez de plusieurs choses et, si j'en oublie, je vous prierais de me les rappeler. Je veux parler principalement de cette taxe surprise que vous avez mentionnée et qui a touché particulièrement le bois d'oeuvre; vous vous rappellerez que cela a déjà touché également les pêches et le poisson de fond. Vous parlez de programmes sociaux, d'interventions en matière de développement régional. Dans les trois cas, vous êtes sûrement au courant que c'étaient des conditions, dès le départ, de la province de Québec, pour s'associer au gouvernement fédéral et aux autres provinces en vue de négocier une entente de libéralisation des échanges avec les États-Unis. Un élément essentiel, également, sur lequel on n'a pas lésiné et qui a été publicisé - ce n'est pas révéler des secrets quelconques - qui fait l'objet actuellement, si vous vouiez, de cette impasse et du fait que M. Reisman a suspendu les négociations, c'est tout l'aspect culturel.

Je crois que, sur les quatre plans que j'ai mentionnés, on se rejoint très bien et je n'ai pas de difficulté. J'espère que vous n'en avez pas avec nous. C'est une question nécessairement de crédibilité, mais je n'ai à vous offrir que notre parole et la mienne particulièrement ce soir sur ce sujet-là.

II y a quelques phrases dans votre mémoire sur lesquelles j'aimerais, s'il vous plaît, un peu plus d'explications. À la page 2, vous dites: "Les prestations de bien-être social, d'assurance-chômage ou tout régime plus bénéfique sont des acquis nécessaires à notre région - là, vous faites cette espèce de réserve sur laquelle j'aimerais, si possible, que vous me donniez des explications - tant qu'elle n'aura pu se permettre d'entrer en compétition libre avec le reste de l'Amérique." Pourriez-vous me donner plus d'explications sur cette réserve, s'il vous plaît?

M. Crête: Notre région a eu beaucoup de difficultés à se doter des équipements, des infrastructures, que ce soit au niveau des organismes ou d'autres types d'aide, nécessaires pour se développer correctement. On a hérité d'une tradition en Gaspésie, par exemple, des Robin, d'exploitation systématique des pêcheurs. On évolue là-dedans au rythme du XXe siècle qu'il faut traverser en cinq, six ans, dix ans alors que, normalement, on peut prendre cent ans. Si je prends le dossier des pêches maritimes, c'est un dossier qui s'étend à la grandeur du Canada - les pêches du Québec représentent peut-être 1 % du dossier des pêches ou de l'économie canadienne - mais, en Gaspésie, c'est une industrie majeure pour les gens qui sont là. Ce dont on veut être certain, c'est que, dans les négociations où on pourrait toucher au régime d'assurance-chômage, par exemple, ce qui peut apparaître une minorité comme les pêcheurs ne se ramassent pas, par le résultat d'une négociation sur le libre-échange, dans une situation où il ne pourrait plus y avoir de régime compensatoire pour eux parce que cela serait considéré comme une subvention indirecte.

Donc, avant d'entrer en compétition libre, comme on le disait, avec le reste de l'Amérique, on veut que le Québec se soit donné, qu'on se soit donné à nous-mêmes aussi, parce que nous ne sommes pas des quémandeurs, les moyens d'être compétitifs de façon satisfaisante. On ne demande pas à quelqu'un qui est en réhabilitation parce qu'il s'est cassé une jambe de courir le 100 mètres contre Ben Johnson. Il faut lui donner le temps de corriger la faiblesse qu'il a dans sa jambe. Nous avons encore besoin de corriger des choses et nos béquilles, s'il faut les appeler comme cela ou tout au moins, notre réhabilitation, il faudrait nous donner le temps de la mettre en place.

M. MacDonald: Je vous dirai que je suis peut-être plus généreux que vous dans l'établissement des termes et conditions en tenant pour acquis que l'orientation de notre gouvernement - je crois que c'était également celle de celui qui nous précédait - est de voir à régler ces problèmes de la Gaspésie et du Bas-du-Fleuve et de chercher à diminuer au maximum le chômage. Même

si on avait un grand succès dans ce domaine, je ne suis pas prêt du tout à sacrifier les programmes sociaux parce que l'absence totale de chômage, l'absence totale de nécessiteux, ce n'est certainement pas pendant que je vais être en fonction que je vais voir cela. Malgré qu'on tende vers l'excellence, je pense que nous allons continuer à avoir besoin de ces programmes qu'on s'est donnés. Je ne suis pas prêt à renoncer à ce qui existe.

J'aurais une deuxième question qui est intéressante parce qu'il n'y a personne qui a soulevé cela ici, sous quelque forme que ce soit, et c'est cette notion des communications nord-sud que vous avez mentionnée. Vous dites: "II faudra aussi que le Québec s'assure enfin d'un développement nord-sud du réseau de communications", et vous citez en exemple? "routes, navigation, télématique, etc, qui a manqué si souvent au développement du Québec depuis 1867. Ce réseau devra être mis en place avant que la vanne soit ouverte aux produits entrant directement en compétition avec nos produits locaux." Premièrement, j'aimerais cela avoir un peu plus de précisions et, deuxièmement, si vous créez ces voies de communication, elles vont être dans les deux sens; donc, n'allez-vous pas rendre également plus facilement accessibles vos marchés à des commerçants américains?

M. Crête: Si on traite de télématique là-dedans, c'est le côté culturel et on dit que c'est un côté qui ne peut pas être négocié. Mais on a déjà des exemples là-dedans au niveau de la radio et de la télévision; on a beau vouloir contrôler ce qu'on veut, les ondes n'ont pas de frontières. De ce côté-là, on veut que le Québec se donne une chance de développement vers la Nouvelle-Angleterre, vers des marchés qui, il y a peut-être dix ou quinze ans, n'avaient jamais été considérés comme étant vraiment les nôtres.

Donc, on veut avoir le maximum de chances que ce développement, qui se fera sûrement dans l'axe Toronto-Montréal-Québec, se rende plus loin aussi, dans un sens. Si on pense aux pêcheries, entre autres, c'est un secteur où il y a des marchés nouveaux à développer. Mais, si on laisse les choses s'ouvrir spontanément sans aucun contrôle ou sans aucune phase transitoire significative, on risque d'avoir de sérieux problèmes. C'est vrai qu'on a peut-être cette réaction d'avoir souvent peu confiance dans les gouvernements, dans nos régions.

M. MacDonald: Dans tous les gouvernements?

M. Crête: Dans les gouvernements, en régions, en général, oui. Je peux, quand même, le dire au nom des gens de chez nous: Parfois, on a peut-être été trompés et on reste avec des goûts amers. C'est pour cela qu'on veut avoir des assurances de ce côté-là.

La voie du Saint-Laurent pourrait être beaucoup plus exploitée dans un contexte de libre-échange. Présentement, elle sert surtout à l'Ontario jusqu'à Montréal. Il y a d'autres valets où elle sert, mais il y aurait moyen de faire autre chose. Mais l'axe de développement du nord au sud nous apparaît, pour le Québec globalement, de toute façon, plus intéressant que le chemin des montagnes Rocheuses. (20 h 30)

M. MacDonald: Je suis d'accord avec vous que c'est une possibilité et qu'il y a un développement à faire, mais je vous dirais qu'à l'heure actuelle, naturellement, les entreprises du Québec et pas seulement celles centrées sur Montréal, sont à développer, et d'une façon assez phénoménale dans certains cas, cet axe nord-sud vers les États de la Nouvelle-Angleterre.

Dans votre coin, particulièrement, je me rappelle avoir visité tout récemment une salaison de Matane, un succès phénoménal avec un produit de qualité. Je discutais avec le propriétaire de ses prochains marchés. Il avait déjà fait des visites dans la région de Boston pour identifier des marchés; c'était l'orientation première de ses produits. Avant même de se diriger vers l'Ouest canadien, il avait décidé qu'il regarderait l'axe nord-sud. Alors, je pense que vous avez souligné ce qui se fait de plus en plus. Mais, il y a certainement des infrastructures à développer pour faciliter cela.

M. Crête: Prenons l'exemple du poisson que vous mentionnez. C'est vrai. Si, par contre, un accord de libre-échange touchait aux programmes d'assurance des bateaux des pêcheurs, à ces choses-là, on se retrouverait avec de sérieux problèmes parce que nos pêcheurs n'auraient plus le moyen de produire leur poisson, de l'amener à Boston à un prix compétitif de façon identique, avant plusieurs années, si on ne se donnait pas une chance de ce côté-là.

M. MacDonald: Je vous remercie. Je vais laisser la parole à mon collègue.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Crête, merci d'être là et de venir nous donner ce que j'appellerais un peu un cri du coeur de la région de la Gaspésie, du Bas-Saint-Laurent et des Îles-de-la-Madeleine. J'écoutais, au cours des derniers jours et même au cours de la journée, la députée de Matane qui nous disait: S'il n'y a pas de papeterie dans notre région, c'est

catastrophique.

Je pense que c'est très significatif par rapport à ce qui se passe au Québec, quand vous, M. Crête, vous venez nous dire: On existe dans la région du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésîe et des Îles-de-la-Madeleine et on veut s'assurer que, dans cet accord sur le libre-échange qui est en train de se négocier quelque part entre Ottawa et Washington, vous pensiez à nous. Je trouve que c'est très significatif parce que c'est cela, les régions du Québec, c'est cela, la réalité québécoise. Je pense que le ministre sera d'accord avec moi: lorsqu'on parle de réalité québécoise en matière de développement régional, vous en êtes un exemple vivant. Le député de La Peltrie, qui était avec nous il y a quelques minutes, disait, le 21 mars dernier, lors d'une entrevue au Soleil, avoir sensiblement les mêmes préoccupations. Les impacts sur la région du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine sont certes au centre de vos préoccupations, M. Crête, et votre mémoire - même s'il est très succinct - se veut un peu un cri d'alarme par rapport à ce que vous êtes capables de donner. Vous lancez un cri au gouvernement du Québec en lui disant: Ne nous oubliez pas. Si vous voulez que cette région puisse être bien dynamique, bien vivante, il faut s'assurer que la dimension du développement régional de cette région soit prise en considération.

Dans ses préoccupations, M. Crête, l'Opposition a mentionné au gouvernement toute cette dimension du développement régional; il faut s'assurer auprès du gouvernement d'Ottawa que nous puissions avoir accès à toute la marge de manoeuvre nécessaire. Ainsi, lorsque le gouvernement du Québec décidera d'intervenir dans des régions pour donner les outils de développement nécessaires, il pourra avoir cette marge de manoeuvre et non pas se faire taxer de donner des subventions, de donner des aides jugées déloyales par le gouvernement américain.

Tout en vous remerciant de venir au nom de cette région, de vous donner la peine de vous déplacer pour lancer ce cri d'alarme - ce qui est important, soit dit en passant -quel est, pour vous, cet impact sur la région lorsqu'on parle de libre-échange? Qu'est-ce que cela veut dire, en termes clairs, la décision qui sera prise au cours des prochains jours? Cette décision jouera un rôle prépondérant et je pense que votre expérience personnelle dans le domaine des pêcheries pourrait nous éclairer sur le potentiel extraordinaire de cette région. Cela voudrait dire peut-être une région dynamique, si on a pris des précautions, et peut-être, si les précautions ne sont pas prises, une région où on devra, comme on l'a fait dans d'autres secteurs d'activité et dans d'autres régions du Québec, fermer des municipalités, fermer des villes. Pour vous, qu'est-ce que c'est, le libre-échange et quel est le message très clair que vous voulez passer au gouvernement du Québec pour faire en sorte que le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine profitent d'une entente sur le libre-échange? Vous y êtes favorable. Qu'est-ce que ce serait, pour vous, les précautions à prendre et les outils à vous donner pour faire en sorte que cette région ressorte grandie de la décision gouvernementale d'une entente sur le libre-échange?

M. Crête: Effectivement, la première choses le libre-échange, pour nous, c'est un bouleversement possible qui vient de l'extérieur. Les expériences passées qu'on peut avoir eues là-dessus nous laissent douter un peu des possibilités qu'on en ressorte plus forts parce que, en soi? le libre-échange, c'est le droit à la concurrence libre» Nous, on s'est souvent ramassés à avoir après les autres les informations pour pouvoir concurrencer correctement. À titre d'exemple, si le libre-échange veut dire une concurrence entre les transporteurs aériens qui nous amène un autre résultat comme Quebecair, on n'en veut pas. Là, on est passé d'un système où on avait un transport équilibré, d'un régime qui nous assurait des déplacements en régions potables, à un nouveau régime où les gens ne prennent plus l'avion parce qu'il n'est jamais à l'heure. Il n'est pas dangereux, mais pas loin. C'est un exemple qui nous vient de l'extérieur, où on dit: La libre concurrence nous permettra d'être meilleurs. Cet exemple ne nous convainc pas.

Ensuite, le libre-échange est aussi une grande interrogation. On nous a dit que des études d'impact avaient été menées précisément sur l'effet qu'aurait sur les régions le libre-échange et on n'a jamais pu connaître les résultats de ces études. Si le libre-échange permet de créer des emplois de haute technologie, on n'est pas certain que ce sera pour des gens de chez nous qui, eux, n'ont pas nécessairement de formation en haute technologie. On voudrait aussi que nos maisons d'enseignement, par exemple les cégeps, puissent former des gens dans ce secteur. Si on n'a pas suffisamment de temps pour se préparer, on va se ramasser avec une évacuation encore plus grande de nos populations vers les grands centres. Cela fait qu'on s'interroge beaucoup. Dans ce sens, on n'a pas peur de la compétition, mais on veut être sûr de la mener de façon correcte et avec les outils suffisants.

Je pense qu'il faut distinguer deux notions: la non-intervention gouvernementale et le libre-échange. Il ne faudrait pas que le libre-échange soit l'excuse pour ne plus rien faire. Il faut qu'on puisse continuer à utiliser des outils qui nous permettraient, par exemple, d'avoir un financement régional d'activités plus adéquat et non un traité de

libre-échange qui aurait des impacts, par exemple, pendant sa période de gestation et de gestion, qui feraient qu'on ne pourrait pas faire des choses au Québec pour développer nos régions parce que cela ne correspondrait pas à l'accord qui a été signé. C'est ce genre de choses qu'on veut éviter.

On sait aussi que cela prend des PME pour devenir de grandes entreprises. Mais, pour créer des PME, il faut aussi avoir une chance de faire de la compétition à des prix satisfaisants. Qu'on pense à Murdochville qui a fermé, parce qu'on n'avait aucun contrôle sur ceux qui étaient propriétaires de la mine; on veut y développer une industrie de culture de tomates en serre, mais effectivement, s'il n'y a pas d'aide... On sait que cela prend quatre, cinq ou dix ans. Le pouvoir de financement local est plus ou moins présent. Il ne faut donc pas que l'État évacue ce territoire, parce que, si on calcule seulement ia rentabilité économique, on va fermer la Gaspésie. Nous, ce n'est pas cela qu'on veut, on veut y vivre.

M. Parent (Bertrand): Avec la permission du ministre... Vous avez vécu Quebecair avec ce que j'appelle ses inconvénients parce que vous n'avez plus, aujourd'hui, le même service. Pour vous, Quebecair, c'est un peu l'autobus au coin de la rue pour être capable de vous véhiculer hors région. Vous avez vécu Radio-Québec qui est un moyen de communication où il y a eu aussi des coupures importantes qui vous privent de certaines informations. Je me demande, M. Crête, si vous pouvez nous dire concrètement si le secteur des pêcheries qui vous touche particulièrement, qui est une richesse naturelle... Ce qu'on a véhiculé jusqu'à maintenant, c'est: II faut protéger nos richesses naturelles. Lorsqu'il s'agissait soit du secteur minier, parce qu'on avait des filons importants, ou de ressources naturelles en matière hydroélectrique, on était tous d'accord. En matière de pêcheries, qu'est-ce que cela voudrait dire concrètement, chez vous, si demain matin il y a une entente de libre-échange? Si le gouvernement a pu réussir à se garder les coudées franches, qu'est-ce que cela veut dire en matière d'appui à de nouvelles entreprises, à des entreprises existantes ou à de nouveaux investissements par rapport à une richesse naturelle qui est là ou par rapport à d'autres types d'entreprises qui pourraient naître en régions? Je pense que cette réalité québécoise qu'est la région du Bas-Saint-Laurent, de ia Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine fait en sorte que vous avez des possibilités extraordinaires. J'aimerais que vous puissiez nous donner quelques exemples qui, avec l'appui gouvernemental, avec une intervention, feraient en sorte qu'on pourrait développer des choses qui n'existent pas et qui, avec l'ouverture du marché américain, pourraient nous permettre de créer des emplois même en régions.

M. Crête: Je vais répéter l'information que j'ai donnée au départ, mais qui m'apparaît importante dans un contexte de négociation. Cela peut s'appliquer dans un contexte de convention collective et c'est le même dans celui-là, je pense. L'économie des pêches du Québec est peut-être 1 % de l'économie du secteur des pêches au Canada. Cela n'a pas beaucoup d'importance, cela n'a pas de poids. On n'a jamais réussi à avoir le poids qu'on voulait. Par contre, c'est 50 % de l'économie de la Gaspésie. Il peut être facile dans un accord de libre-échange Je céder des choses sur les programmes de soutien aux pêcheries si le pêcheur qui pêche dans les Maritimes ou qui pêche en Colombie britannique n'a pas besoin de programme de soutien du même type parce qu'il est dans une économie qui vit de la pêche complètement et qui a déjà un passé plus efficace de ce côté-là. Pour nous, cela peut être important que le financement des bateaux continue d'être assuré. On vous demande d'être sûr que ces choses vont être garanties avant de signer quoi que ce soit. (20 h 45)

Je vais vous donner un autre exemple, l'exemple de la prospection minière. Une prospection minière dans tout le parc de la Gaspésie, «dans toute cette région s'est faite depuis plusieurs années. Si on veut développer les choses qui sont là, sans attendre que nécessairement cela vienne spontanément par le financement privé à 100 %, il faut qu'on ait des moyens d'intervention. Cela peut être des "joint ventures" entre la Caisse de dépôt et placement et des intérêts locaux ou d'autres types d'interventions de l'État, des programmes d'aide à la formation pour nos gens qui, avec une dixième année, ont décidé qu'ils ne pouvaient plus aller à l'école. On s'aperçoit que, si on veut leur donner des emplois un peu spécialisés, il faut qu'ils acquièrent autre chose. Il faut que ces programmes continuent d'exister. Si l'accord de libre-échange remet en question ce type d'intervention, cela va nous créer de sérieux problèmes, alors qu'on a déjà une économie qui roule lentement.

M. Parent (Bertrand): Dans quelle proportion la formation de main-d'oeuvre spécialisée par rapport à des secteurs déjà existants, de main-d'oeuvre à former par rapport à d'autres secteurs à développer, soit par rapport aux richesses naturelles ou par rapport à un potentiel déjà existant, est-elle importante pour vous? De l'autre côté ou le revers de la médaille, si ceci ne se produit pas, quel sera l'impact du libre-échange par rapport à une population qui va quitter cette région pour les grands centres pour être capable de survivre? Je me dis: Les

différentes régions existent et ce qui se passe chez vous va se passer ailleurs. Si vous étiez capable de nous donner... Vous êtes probablement une des seules régions qui vient à ce titre nous exprimer ses préoccupations. Est-ce que le fait de ne pas donner d'aide sur le plan de la main-d'oeuvre, sur le plan des investissements, sur le plan des richesses naturelles va faire en sorte que la population de votre région va déserter vers des grands centres et créer ce que j'appellerais un vide, une situation intenable dans cette région, alors que, de l'autre côté; peut-être, avec de l'argent qui pourrait être remis par le gouvernement du Québec, on pourrait être capable de former sur place une main-d'oeuvre qui veut travailler sur place et certainement répondre à une demande des entreprises qui pourraient s'y installer?

M. Crête: Je pense que, pour répondre à cela; il s'agit de donner une photographie de la réalité. On a des maisons d'enseignement collégial chez nous. Selon la définition que j'en donne, il y en a cinq à peu près dans l'Est du Québec. S'il n'y avait pas eu, par exemple, de subvention d'éloignement, de budget d'éloignement prévu pour ces maisons, plusieurs auraient disparu. Aujourd'hui, on donne à des gens des formations professionnelles et techniques adéquates pour la région. On donne le goût à des jeunes de se former là-dedans et de rester dans la région. Si ces choses n'avaient pas existé, ils ne seraient plus là.

À titre d'exemple, on a une université dans la région, c'est l'UQAR. Elle forme des spécialistes dans des secteurs intéressants. Elle ne forme pas de médecins, on n'a pas de médecins en Gaspésie. S'il n'y a pas une intervention qui permet d'amener les gens chez nous, c'est-à-dire qui permet aux gens de chez nous de se développer chez nous, eh bien, on va se ramasser avec un vacuum qui a déjà eu lieu il y a 20 ans mais qui s'est arrêté. On a arrêté l'hémorragie, mais on ne voudrait pas qu'elle recommence.

M. Parent (Bertrand): Merci. Je passe la parole au ministre, quitte à revenir un peu plus tard.

M. MacDonald: J'ai déjà posé mes questions et je suis très heureux d'avoir eu l'occasion de vous interroger et de voir cette représentation régionale. Peut-être que c'est un aspect qui n'a pas été couvert, vous l'avez, d'ailleurs, mentionné. Je peux vous dire qu'au sein de l'équipe qui a fait l'étude des différents dossiers provenant des différents ministères ou organismes la question du régionalisme a été regardée. Mais de la part des témoins qui se sont présentés, je crois que c'est réellement la première fois qu'on touche ce sujet particulier. Je vous remercie beaucoup.

M. Parent (Bertrand): Peut-être en terminant, si vous me le permettez, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Oui.

M. Parent (Bertrand): M. Crête, vous avez mentionné dans votre dernière intervention l'importance des mesures incitatives., Je n'insisterai jamais assez pour souligner le fait que, s'il est vrai que le domaine des petites et moyennes entreprises est vulnérable, le gouvernement doit continuer d'intervenir. Et quand je dis "continuer d'intervenir", ce n'est pas négatif d'être un gouvernement interventionniste; c'est être un gouvernement qui appuie ceux qui sont des bâtisseurs, des créateurs d'emplois. Quand j'arrive dans le domaine régional, quand j'arrive dans cette réalité québécoise, soit l'ensemble des régions qui doivent faire face à des nouvelles règles du jeu qui seront assez difficiles dans certains cas, je me dis qu'il est important, comme vous l'avez fait ce soir, M. Crête - et je vous en remercie -d'insister auprès du gouvernement pour qu'il puisse garder, d'une part, la marge de manoeuvre pour être capable d'être incitatif dans le cadre d'une intervention gouvernementale pour les industries dites locales à base des ressources naturelles et d'autre part, d'être incitatif sur la base d'une politique en ce qui concerne la formation de la main-d'oeuvre. D'un autre côté, lorsqu'on connaît des taux de chômage élevés dans les régions du Québec, on se demande souvent qui paie la facture. La facture, bien, on se dit que c'est Ottawa qui la paie parce que c'est l'assurance-chômage. Mais Ottawa, qui le paie? C'est nous qui le payons. Je me dis: Si on réussissait à avoir des transferts fiscaux, des transferts qui nous donneraient seulement la même somme d'argent, on pourrait de façon autonome, dans les régions du Québec, créer cette main-d'oeuvre et non pas de l'assistance sociale entre guillemets, et rendre nos gens productifs.

Je suis persuadé, avec l'exemple qu'on a eu au cours des derniers jours, de la dernière semaine, de gens d'affaires qui ont toutes sortes d'initiatives, qui ont le goût de créer ou de bâtir, que, dans votre région, vous avez sûrement des tas de projets qui ne demandent pas mieux que d'être appuyés si le gouvernement du Québec pouvait vous donner, si minime soit-il, un coffre d'outils pour vous permettre d'exploiter non seulement vos ressources naturelles, mais vos ressources humaines. Là-dessus, j'aimerais avoir vos commentaires et au cas où le temps me manquerait, M. Crête, je tiens à vous remercier au nom de toutes les régions du Québec d'être venu exprimer votre point de vue ce soir.

M. Crête: Rapidement, ce que je

voudrais dire sur ce point-là, c'est que nous autres, on est au niveau du rêve présentement; on rêve. Mais le rêve, c'est ce qui alimente notre avenir. On vise ce qui pourrait être du plein-emploi dans notre région. Et la façon d'en venir à du plein-emploi, c'est d'avoir des outils qui permettent d'avoir des façons originales de créer de l'emploi, d'amener les gens à être productifs. Les gens de la Gaspésie, des Îles-de-la-Madeleine et du Bas-Saint-Laurent ont le goût du travail. C'est évident. On n'a pas le goût de devenir une société qui se fait vivre par les autres. On veut que ce soit nous autres qui nous fassions vivre nous-mêmes et on pense qu'il faut s'assurer qu'on va avoir les bons outils là-dedans. On en a déjà certains, mais on en voudrait plus. Et on ne voudrait surtout pas perdre ceux qu'on a déjà. C'est à peu près ce que je voulais dire là-dessus.

En conclusion, je me permettrais de dire que tous les membres du gouvernement, qu'ils soient d'un côté ou de l'autre de la Chambre, sont invités à venir nous voir en automne et en hiver et pas seulement pendant la saison du homard.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. Crête, on vous remercie infiniment de votre présence et on espère qu'on aura d'autres occasions de vous revoir en commission parlementaire. Et si cela ne vous fait rien, transmettez nos salutations aux gens de votre région et aux militants et militantes de cette région-là également.

M. Crête: Merci beaucoup.

Le Président (M. Charbonneau): Alors...

Une voix: Un message du commanditaire.

Le Président (M. Charbonneau): Voilà! Exactement, c'est une offre que je ne pouvais pas refuser.

Nous accueillons maintenant la Coalition solidarité populaire du Québec.

Coalition solidarité populaire du Québec

Mesdames, monsieur, bienvenue à la commission de l'économie et du travail. Je vous indique immédiatement les règles du jeu. On a une heure pour la discussion avec vous. Les vingt premières minutes seront consacrées à la présentation de votre mémoire et le reste du temps sera utilisé à des discussions et des échanges avec vous. Je crois que c'est Mme Parent qui est le porte-parole du groupe. Je vous demanderais de présenter les personnes qui vous accompagnent pour le Journal des débats et d'engager immédiatement votre exposé.

Mme Parent (Madeleine): Merci, M. le Président. Mes collègues sont, à ma droite, M. Yvon Poirier, de la Coalition populaire sur les impôts et les revenus et du Conseil central des syndicats nationaux de la région de Québec; à ma gauche, Mme Jeanne Lalanne, d'Action Chômage Québec qui fait partie du Regroupement des chômeuses et chômeurs du Québec. Nous sommes de la coalition Solidarité populaire du Québec.

Solidarité populaire Québec est une coalition formée en 1985. C'est une coalition de groupes populaires, communautaires et syndicaux avec appui sur les groupes populaires soutenus par les syndicats. Il y a 43 organismes qui en font partie et la liste de ces organismes est attachée à la fin de notre mémoire.

Nous avons quatre objectifs principaux, soit de mettre un terme à la politique de coupures dans les programmes sociaux des gouvernements fédéral et québécois tels les allocations familiales, l'assurance-chômage, l'aide sociale; deuxièmement, revendiquer et promouvoir la consolidation, l'élargissement et la démocratisation des programmes sociaux; de revendiquer et promouvoir une révision de la fiscalité permettant de contrer les inégalités croissantes dans notre société et assurant un meilleur partage des richesses collectives; et finalement, de revendiquer et promouvoir la mise en place d'une politique de plein-emploi répondant aux intérêts et aux besoins de l'ensemble de la population.

Nogs croyons qu'une entente bilatérale de libre-échange entre le Canada et les États-Unis aurait des conséquences allant dans le sens contraire des objectifs que nous poursuivons. Elle ne ferait que renforcer les effets désastreux des politiques néo-conservatrices suivies par nos gouvernements depuis plusieurs années, surtout les coupures dans les programmes sociaux, les privatisations, la déréglementation et le reste. Les conséquences de ces politiques sur les pertes d'emplois, la diminution des conditions de vie et de travail et les inégalités sexuelles et régionales sont inacceptables. C'est pourquoi nous avons mené une série de consultations populaires dans la province aux mois de janvier et février 1987 où la commission populaire itinérante de Solidarité populaire a visité huit villes de la province, sait Québec, Trois-Rivières, Montréal, Rivière-du-Loup, Victoriaville, Sherbrooke, Rouyn et Hull. Nous avons entendu quelque 130 mémoires, des centaines d'interventions verbales; en tout, quelque 900 personnes sont venues à ces consultations populaires nous dire ce qu'elles pensaient des conditions actuelles; elles nous ont fait part de leurs craintes, de leurs frustations et aussi de leurs espoirs.

Dans le rapport de la commission

populaire itinérante - nous avons laissé des copies que les députés pourront consulter -on y lit: "Le projet d'une entente de libre-échange avec les États-Unis est identifié comme la carte-maîtresse du gouvernement fédéral dans sa stratégie de désengagement... Mettre les entreprises canadiennes sur le même pied que les entreprises américaines aura nécessairement des conséquences sur nos politiques sociales. Compte tenu des forces économiques en présence et du caractère relativement plus développé de nos programmes sociaux comparativement aux États-Unis, le nivellement se fera nécessairement vers le le bas. Le même raisonnement . peut s'appliquer à nos politiques environnementales, aux droits syndicaux, à notre spécificité culturelle et à notre souveraineté politique." (21 heures)

Depuis qu'il est question de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, Solidarité populaire Québec appuie les groupes qui s'y opposent, et, quand la coalition a été formée par les grandes centrales syndicales et agricoles, nous lui avons offert notre appui. Aujourd'hui, nous déclarons notre appui aux thèses contenues dans le mémoire de la coalition des quatre centrales qui a été présenté ces jours derniers devant votre commission et nous donnons aussi notre appui et nous voulons signaler le mémoire du CIAFT, le Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail, parce qu'il concerne plus particulièrement les difficultés qu'ont les femmes à obtenir de l'emploi et les difficultés qu'elles ont face aux programmes sociaux.

Lorsque le gouvernement fédéral a été converti aux thèses de la commission Macdonald, malgré l'assurance que M. Mulroney nous avait donnée au temps de la campagne électorale, le gouvernement avait pourtant promis que les programmes sociaux ne seraient pas dérangés. Par ailleurs... Je ne lis pas en ce moment. Vous avez tous des copies du mémoire. Je fais des remarques en marge. Par ailleurs, le gouvernement fédéral développait des projets pour démanteler des programmes sociaux et mettre en vente des sociétés de la couronne, étant donné qu'elles n'existent pas dans le même sens aux États-Unis. Pour nous orienter vers une plus grande série de privatisations, il s'attaquait à des programmes sociaux qui protègent la population. Par exemple, il y avait le projet du ministre fédéral des Finances, M. Wilson, de désindexer les pensions de vieillesse de 3 % par année. Les personnes âgées, voulant garder leur autonomie et appuyées par de nombreux secteurs de la population, ont finalement obligé le gouvernement fédéral à revenir sur sa décision et les pensions de vieillesse sont demeurées indexées. Ensuite, il y a eu la désindexation de 3 % par année des allocations familiales, malgré de très très nombreuses protestations de partout au pays, en particulier de la province de Québec. Puis, il y a eu la menace à notre programme d'assurance-chômage, avec la commission Forget. Il est évident que l'intention était de réduire les prestations, un peu selon les thèses de la commission Macdonald, de réduire aussi la durée des prestations, d'éliminer les travailleurs saisonniers, comme les pêcheurs, et, aussi, dans certains cas, dans la construction, d'enlever les prestations de grossesse de l'assurance-chômage aux femmes, avec une vague promesse de poser un geste dans ce sens ailleurs, mais personne ne nous a dit quelles étaient nos garanties.

La menace a suscité tellement d'opposition que M. Forget lui-même avait déjà reculé sur quelques-unes de ses intentions déclarées, au moment du dépôt du rapport. Mais son rapport était toujours très régressif et dans le sens de nous niveler vers les conditions qui prévalent aux États-Unis. À cause des protestations populaires, M. Bouchard a finalement déclaré qu'il n'y aurait aucun changement au système d'assurance-chômage. Mais il est à craindre que, plus tard, on essaiera encore de niveler nos prestations et nos garanties d'assurance-chômage vers ce qui se fait aux États-Unis, et on sait qu'elles sont inférieures.

En plus, il y a différentes restrictions, limites et refus d'accéder aux revendications des groupes communautaires, des groupes de femmes, des groupes populaires, des limites et des restrictions au fédéral et au provincial. Par exemple, il nous faut un programme de garderies à but non lucratif, de qualité et accessibles à toutes. On ne demande pas qu'elles soient gratuites, mais au moins que toutes les mères et tous les pères puissent y avoir accès selon leurs besoins. On a besoin de plus de centres d'accueil pour femmes et enfants violentés. On sait qu'il y a des abus et des accidents terribles qui se commettent aujourd'hui parce que ces femmes et leurs enfants n'ont pas d'endroit où aller pour être protégés. On veut des programmes de formation, surtout pour les femmes, pour les jeunes, des programmes de recyclage dirigés et orientés par l'État, et combien d'autres services encore qui nous manquent.

Il nous semble que ce durcissement de l'État par rapport à ces revendications et ce manque d'action sur le plan social est lié aux visées des gouvernements d'en venir à un accord Canada-États-Unis sur le libre-échange, alors que nous savons tous que les programmes sociaux, au sud, sont inférieurs aux nôtres. On vaudrait donc limiter les coûts sociaux au Canada en prévision d'une ère de forte concurrence avec le patronat américain sur un marché plus grand.

Solidarité populaire du Québec n'est pas opposée à la libéralisation plus équilibrée et

plus graduelle des échanges, surtout les échanges de marchandises, comme cela se discute aux conférences du GATT où notre pays est représenté, mais nous croyons qu'il est dangereux pour notre pays d'augmenter le pourcentage déjà trop élevé de nos échanges avec notre voisin du sud. Il y a là un danger que notre pays subisse des pertes énormes en emplois et dans ses programmes sociaux quand le gouvernement américain, aux prises avec une crise économique - et son déficit énorme nous permet de craindre que cela arrivera un jour - prendra des mesures défensives pour protéger ses industries menacées, en particulier dans le domaine de la fabrication manufacturière et des services. À ce moment, le gros risque, ce que M. Macdonald appelait "the leap of faith", aura réussi à quelques compagnies puissantes, comme la compagnie Dominion Textile ici qui aura fermé d'autres usines, parce qu'elle le fait systématiquement, et, dans certains cas, après les avoir achetées récemment pour confirmer son monopole. Elle aura fermé d'autres usines au Québec et sera relocalisée plus fortement qu'elle ne l'est encore au sud des États-Unis et ailleurs, se servant des capitaux qu'elle a accumulés ici en exploitant la main-d'oeuvre du Québec surtout et du Canada.

Lorsque des succursales américaines de compagnies en difficulté aux États-Unis fermeront leurs portes ici pour concentrer leur production au sud de nos frontières, les travailleurs, les travailleuses et les défavorisés, ici, au Québec, seront laissés pour compte. Quand on sait que dans le domaine du textile, du vêtement et des chaussures, au Québec, il y a environ - ce qu'il en reste - 100 000 travailleurs et travailleuses dont presque les deux tiers sont des femmes et dont un bon nombre, surtout dans nos grandes villes, sont des immigrantes, des femmes de couleur qui sont beaucoup moins mobiles que d'autres, on se demande comment on pourrait recycler cette main-d'oeuvre qui est aujourd'hui productive. Ce sont des personnes qui gagnent leur vie et qui en ont sûrement le droit.

La coalition des quatre centrales estime qu'il y aurait une perte de 40 000 emplois au cours des dix premières années d'une période de libre-échange Canada-États-Unis seulement dans ce secteur. Quand on regarde ce qui se passe dans l'industrie, on sait que cette estimation est très prudente. Comment trouver des emplois pour tous ces gens? Dans le domaine des services, en plus, qui emploie à peu près 70 % de la main-d'oeuvre au Québec, si le gouvernement des États-Unis gagne la partie et nous place dans un libre-échange dont les services feront partie - il semble bien évident que ce soit son intention - les industries financières, les transports, les communications, les services aux entreprises, beaucoup de secteurs semblables seront affectés et nous perdrons sûrement beaucoup d'emplois. Au fait, avec la technologie que nous avons, beaucoup de ce travail pourrait se faire de New York, de Chicago, de Pittsburg ou d'ailleurs et nous serions les consommateurs mais non les dispensateurs de ces services. Dans le secteur social, de la santé et le reste, c'est sûr que la concurrence et la nécessité de réduire les coûts pour être encore plus concurrentiels avec les États-Unis constitueraient une menace à nos acquis.

Je voudrais rappeler ici la mise en garde faite devant votre commission par M. Jacques Parizeau, dont je respecte l'intelligence et la grande compétence, même si nous ne sommes pas d'accord sur nos choix de société, parce que nos choix de société sont différents: lui favorise le libre-échange et, nous, nous sommes contre. Il disait, par exemple, qu'il y a un grand risque, dans un accord de libre-échange Canada-États-Unis. Il croit que certaines compagnies, si j'ai bien compris, passeront la rampe et réussiront dans une concurrence beaucoup plus active. Mais il disait aussi qu'il ne faudrait pas que l'État se désengage parce que les compagnies, ici, au Québec, auront besoin de beaucoup d'appuis. Elles auront besoin de faire des investissements beaucoup plus grands et il faudra que l'État et les différentes sociétés de développement soient là pour les aider à survivre et à grandir dans une société de libre-échange. Il a même dit qu'il ne faut pas que l'État se désengage des programmes sociaux, selon lui, dans l'intérêt d'une stabilité sociale, mais, selon nous, dans l'intérêt du mieux-vivre de nos populations. Il a dit aussi - c'est très important étant donné les nouvelles des dernières 24 heures - que, pour lui, la pire des solutions serait une entente minimale parce que, selon lui, elle perpétuerait le climat d'incertitude et ce serait néfaste pour les projets, les investissements et les risques. La situation économique, semble-t-il, pourrait se détériorer sérieusement.

Or, nous apprenions hier que les négociations, pour le moment, sont rompues. M. Reisman et M. Murphy se sont séparés, cela achoppe sur l'arbitrage des décisions obligatoires. Je voudrais vous rappeler que la coalition des quatre centrales ne se réjouit pas tellement de la position favorable à l'arbitrage parce que cela nous enlèverait notre souveraineté. M. Shultz lui-même, aux États-Unis, avait dit justement que le gouvernement américain était contre l'arbitrage parce qu'il n'abandonnerait pas sa souveraineté et son droit de prendre des décisions. Pourquoi abandonnerions-nous notre droit de prendre des décisions quand elles doivent être prises dans notre intérêt?

Il y a aussi, comme pierre d'achoppement, le développement régional et les industries culturelles, d'après ce qu'on nous

dit. Le scénario avait déjà été prévu, M. Reisman nous avait dit, il y a quelque temps, qu'il se pourrait que cela passe par des rencontres entre M. Reagan et M. Mulroney. Nous sommes à un moment où, de façon très dramatique, il semble qu'on nous prépare une rencontre des grands chefs d'État. (21 h 15)

Tout le monde sera en haleine pour voir ce qui va arriver et je crains que personne ne puisse le prédire au juste, du moins sûrement pas nous qui ne sommes pas dans les secrets des chefs d'État, mais je crains fort qu'après des scènes dramatiques, on nous dise: On l'a! Ce n'est pas tout ce que vous voulez, mais vous êtes chanceux. Je regrette beaucoup, nous ne serons pas chanceux, à mon avis, si nous avons une entente de libre-échange, si nous avons une entente minimale. Même M. Parizeau et beaucoup de ses amis trouvent que ce ne sera pas une chance et, nous le répétons aujourd'hui, nous demandons, comme nous l'avons demandé au début, au gouvernement du Québec de se refuser à une entente de libre-échange Canada-États-Unis et de travailler dans le sens d'échanges commerciaux plus actifs, qui se feront de façon plus graduelle, si on veut, mais sûrement plus équilibrée et plus dans le sens de nos intérêts, avec les pays du GATT. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, Mme Parent, de cette présentation. Merci d'avoir respecté le délai qu'on avait fixé. Cela va maintenant permettre à la discussion de s'engager. M. le ministre du Commerce extérieur, d'abord.

M. MacDonald: Mme Parent, mademoiselle, monsieur. Mme Parent, je dois vous dire que vous me rappelez des souvenirs lorsque j'étais étudiant et que vous étiez à ce moment... Vous avez conservé ce dynamisme et cette articulation qui étaient les vôtres pour présenter votre choix de société. Je devrais dire aussi que, contrairement à certaines personnes que vous avez citées, vous êtes très cohérente et que vous n'avez pas changé d'idée.

Cela dit, la majorité des objections que vous avez formulées à l'égard de ce projet de négociation d'une entente autour de la libéralisation des échanges, nous les avons nécessairement reçues de vos collègues de la coalition et nous y avons répondu. Nous avons cherché à donner cette assurance qui a suscité plus ou moins de crédulité ou de crédibilité, selon les gens qui la recevaient, de cette préoccupation que nous avons pour la très grande majorité des points que vous avez soulevés, même si on cherche à créer des emplois, à procurer du bien-être à notre société, ou à préserver ce bien-être, et qu'on suggère d'utiliser des moyens différents de ceux que vous préconisez. Je n'ai pas pu faire autrement que de voir votre persistance, quand vous avez évoqué cette compagnie que je vois que vous n'avez pas oubliée, la Dominion Textile, qui ne semble pas proche de votre coeur, mais proche de vos souvenirs. Nous avons eu des présentations de gens du domaine des textiles. Il nous ont démontré, entre autres choses, qu'ils n'aimaient pas se faire appeler le secteur mou, mais plutôt un secteur traditionnel. Certains des intervenants avaient très bien réussi à moderniser leur entreprise, à accroître considérablement leur capacité d'être concurrentiels en fournissant de l'emploi dans leur milieu.

Il y a un point, par contre, que vous avez souligné à nouveau et que j'ai repris au moment où le regroupement de femmes que vous avez mentionné est venu nous voir. Malheureusement, ce fut le seul regroupement de femmes qui soit venu. Vous avez raison; advenant une entente dans cette discussion que nous aurons pour ce qui est des moyens et des méthodes mis en oeuvre, la situation des femmes dans certaines industries recevra de ma part et de la part du gouvernement une attention particulière.

Pour ce qui est de votre conclusion, je ne partage pas, comme vous le savez très bien, un bon nombre de vos prémisses et votre conclusion. Nous sommes un gouvernement qui a été élu démocratiquement et je présume que vous êtes toujours en faveur de la démocratie. Nous exerçons ce pouvoir qui nous a été confié par la population avec le plus de diligence et le plus de sérieux possible. Cette menace américaine que vous avez mentionnée dans un contexte de postentente, nous, nous l'apercevons actuellement, elle est là. C'est la raison principale, d'ailleurs, pour laquelle nous croyons que la solution au problème immédiat du protectionnisme américain, c'est qu'il faut chercher à garantir nos marchés, à protéger cet accès que nous avons déjà.

Je ne rejette pas du tout, au contraire, votre recommandation de poursuivre des négociations sur un plan international, sur un plan multilatéral, mais je vous rappellerai, en terminant cet exposé, qu'au Canada, durant les années soixante-dix, M. Trudeau avait fait un choix. Il avait lui-même souligné - ce que vous avez mentionné - notre grande dépendance dans notre relation commerciale avec les États-Unis et le besoin pour le Canada de s'ouvrir sur le reste du monde. Cela s'est fait. Cela se fait encore. J'ai personnellement comme mission, comme vous le savez, d'amener des entrepreneurs, des femmes, des hommes d'affaires canadiens et québécois en pays étrangers, de leur faciliter la chose. Mais, pendant toute cette période où, en même temps qu'on refermait le Canada par l'agence de tamisage des investissements, d'autre part, par une foule

de politiques, par l'aide et le soutien de l'ACDI, de la SEE, etc., on voulait ouvrir le Canada et diversifier nos marchés. Malgré tous ces efforts, la proximité de ce marché, l'accès de ce marché a fait que la proportion de nos exportations a augmenté substantiellement avec les États-Unis par rapport è celles du reste du monde, malgré un grand effort.

Alors, comme gouvernement, on a à faire face à cette réalité. Je suis totalement d'accord avec vous qu'il faut s'ouvrir au reste du monde, mais, pour le moment, il y a des dizaines de milliers d'emplois de travailleurs et de travailleuses du Québec et du Canada qui sont menacés par cette espèce de peur collective qui amène des gestes que je dirais même intempestifs de la part des législateurs américains qui sont aiguillonnés par des créneaux industriels et qui y voient un profit immédiat dans le contexte actuel. Nous ne pouvons faire autrement que de chercher à nous donner une façon plus civilisée de régler nos différends et de ne pas être assujettis à cette action unilatérale, sauvage, que les Américains utilisent lorsqu'ils font appel à leurs "Trade Remedy Laws".

Je vous remercie très sincèrement. Comme je vous le disais, vous m'avez rappelé des souvenirs. Vous m'aviez appris certaines choses de la réalité quand j'étais étudiant. Je comprends votre position. Je respecte votre opinion et je vous remercie.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le ministre. Est-ce que vous vouliez ajouter un commentaire, madame?

Mme Parent: Oui. Je voudrais dire que, malgré ce sentiment aux États-Unis dont vous parliez, cette espèce de peur collective, en haut lieu, on n'a vraiment pas si peur. The Wall Street Journal nous disait, il y a quelque temps, que le gouvernement américain aurait tort de ne pas tout faire pour avoir une entente de libre-échange avec le Canada, que ce serait un grand avantage pour les Etats-Unis que d'aller plus tard aux discussions du GATT et de dire: Voici l'exemple du genre d'échange que nous voulons. Le modèle serait le libre-échange Canada-États-Unis où les services seraient compris, où il y aurait une intégration beaucoup plus grande et, quand il s'agit d'une intégration d'économies - et cela aura ses effets politiques aussi - entre un géant et un petit, on sait qui va dominer. Les États-Unis ont beaucoup plus de difficultés à passer la rampe et ses idées au GATT où il y a les pays de l'Europe de l'Ouest, il y a le Japon, enfin, il y a des économies très fortes qui préfèrent garder pour leur propre pays des réserves, des mesures de protection et en venir à des échanges beaucoup plus équilibrés. Je pense que, si nous tombons dans le panneau et que nous abandonnons ces droits, nous serons à la merci des États-Unis et, bien que ce soit beaucoup plus long et beaucoup plus dur d'arriver à quelque chose au GATT, nous devrions participer plutôt aux discussions de ce côté et garder tous nos droits.

M. MacDonald: Je vous ferai l'observation suivante: nous participons au GATT. Je suis moi-même allé au GATT. J'ai participé à l'ouverture du round d'Uruguay. Nous sommes présents en tant que province avec le fédéral. Je dois y retourner. C'est un véhicule qu'on ne néglige en aucune façon.

Si vous me permettez une dernière petite remarque, le Washington Post et le New York Times s'étaient associés dans ce langage qu'ils avaient, favorisant une relation commerciale convenable, meilleure, entre le Canada et les États-Unis, au moment de ce fameux litige sur le bois d'oeuvre. Mais personne, en haut lieu ou non, n'a écouté ce langage, l'épée est tombée et cette charge nous est arrivée sur la tête d'une façon sauvage et cela n'a pas changé. Je suis d'accord, et c'est réconfortant d'ailleurs de savoir qu'il y a quelques gens qui sont encore raisonnables au sud de la frontière. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le ministre. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): M. le Président, merci. Mme Parent, Mme Lalanne, M. Poirier, merci d'être là ce soir pour nous livrer ce que vous nous avez livré. Je serai très direct en vous disant que, Mme Parent, vous avez un nom prédestiné. Cela fait rire le ministre, mais il y a eu un premier ministre, Simon-Napoléon Parent, en 1901.

M. MacDonald: II y a eu un MacDonald aussi.

M. Parent (Bertrand): II y a eu un MacDonald d'ailleurs.

M. MacDonald: Lui n'était pas bilingue.

M. Parent (Bertrand): Et lui n'était pas bilingue. Je vous dirai, Mme Parent, au nom de Solidarité populaire que vous représentez, que vous êtes un excellente porte-parole.

J'ai eu la chance de prendre connaissance de votre rapport sur cette commission populaire itinérante. Par rapport aux propos que vous tenez aujourd'hui et à l'égard de ce rapport, j'aimerais faire quelques commentaires. J'aurai peu de questions. C'est davantage pour vous souligner là où je suis d'accord et là où je ne le suis pas. Je dois dire que, dans l'ensemble, je suis d'accord avec vous, sauf

que la conclusion à laquelle vous en venez, quant à votre prise de position, est un peu différente de la nôtre, mais, si je portais le chapeau que vous portez, je ne suis pas sûr que ce serait différent.

À la page 11, vous dites; "De partout, un seul cri d'alarme." Votre commission itinérante est passée par Rivière-du-Loup, Québec, Sherbrooke, Trois-Rivières, Montréal, Victoriaville, Hull et Rouyn, pour demander aux gens de venir présenter leurs idées. Mon premier commentaire, c'est de vous dires Chapeau! Vous avez fait un travail que beaucoup de gens n'ont pas fait. Votre cri d'alarme - j'espère que M. le ministre le reçoit très bien et le gouvernement aussi -se veut un cri d'alarme de la population qui est aux prises avec les problèmes de tous les jours, c'est différent des cris d'alarme qu'on a reçus ici du monde des affaires, des différentes associations qui parfais se situent, pour toutes sortes de raisons, à un autre niveau.

Je me permettrai de lire le passage de votre rapport à la page 11 parce que je trouve cela révélateur: "Un très grand nombre de personnes issues, pour la plupart, des groupes impliqués dans la défense des droits fondamentaux et légitimes du Québec populaire sont venues exprimer devant la commission leurs craintes face aux multiples formes de désengagement de l'État. "Selon ces témoignages, les Québécoises et Québécois travaillent dans des conditions de plus en plus difficiles et réussissent de moins en moins à se trouver un emploi. Quand ils en trouvent, ce sont des tâches mal protégées, mal payées, à temps partiel, de courte durée et sans guère d'espoir à moyen terme. (21 h 30) "Ces Québécoises et Québécois vivent en même temps des situations de soins de santé qui se dégradent sans cesse. Ils connaissent des conditions de vie et de loisir de plus en plus négligées. Ils se retrouvent dans des conditions de formation de plus en plus pénibles. Et ils voient la protection de leurs revenus fondre d'un rapport à l'autre, d'une décision politique à la suivante.

Femmes, jeunes, personnes âgées, personnes handicapées, résidants de régions éloignées ou des centres-villes et la liste pourrait encore s'allonger... Tous et toutes démontrent, à travers des témoignages souvent émouvants, en quoi le dégagement de l'État les touche quotidiennement.

Je trouve que c'est un message important par rapport au rôle que joue actuellement le gouvernement et, surtout face au libre-échange, par rapport à ce désengagement de l'État qui se doit, à mon avis, d'être exactement l'inverse si on veut être capables de faire face à cette nouvelle compétitivité.

Je ne citerai, dans les pages suivantes, que de grands titres qui sont révélateurs. Je pense que ce document a été publié en mille copies en mai 1987 et mille copies en août 1987. Mme Parent, je pense que ce document devrait être distribué en plus grand nombre. À la page 12, le titre est "L'emploi: une denrée de plus en plus rare". À la page 13, dans un paragaraphe que je retiens, concernant la Société générale de financement, vous dites qu'elle a joué un rôle déterminant dans le développement de notre industrie forestière. Et Dieu sait s'il y en a un qui s'est battu pour cette cause qui est celle des sociétés d'État particulièrement dans le domaine de l'industrie forestière. "Mis à part la SGF, dites-vous, il n'existe pas, dans le secteur industriel québécois, un seul "holding" susceptible d'acquérir ces sociétés en donnant des garanties de développement ayant le même effet synergique observé dans 'les investissements faits par la SGF avec Donohue et Domtar."

Je me permettrai de citer la page 19 où vous dites: "Vivre sans emploi, ce n'est pas une vie." À la page suivante: "Le libre jeu du marché équivaut à des pertes d'emplois", et ces titres-là parlent d'eux-mêmes. À la page 28: "Vivre sous le règle des Boubou-Macoutes". À la page 32: "Les femmes: toujours en reste". A la page 37: "Les jeunes: une relève laissée pour compte". À la page 40: "Un âge d'or qui n'a rien de la retraite dorée". A la page 43: "Les personnes handicapées: un espoir d'autonomie déçue". À la page 46: "La santé et les services sociaux: arrêtez l'hémorragie". À la page 50: "L'éducations des acquis collectifs remis en question". À la page 55: "Le logement: une nécessité de moins en moins accessible". À la page 62: "Le loisir, droit ou privilège?"

Mme Parent, votre message, je pense, devrait être reçu positivement de la part du gouvernement, mais, tout au moins, il est reçu de notre part très positivement. C'est facile, dans le monde dans lequel on vit, de critiquer, mais, lorsqu'on voit les nouvelles règles du jeu qui s'amorcent face au libre-échange et votre préoccupation et votre non face à toute entente qui pourrait intervenir, moi, je les crois justifiés, par rapport aux énoncés que j'ai tout simplement cités et sans vouloir charrier. Je pense que vous êtes dans votre droit lorsque vous laissez entendre ce cri d'alarme venant de toutes les couches de la société.

À la page 97, et je termine là-dessus, vous dites: "De toute évidence, l'État a fait un choix et ce n'est pas le nôtrel Le nôtre se loge du côté du plein emploi. Les témoignages sont unanimes à cet égard."

Bien sûr que, lorsqu'on assiste à une commission parlementaire comme celle que l'on vit depuis une soixantaine d'heures, on entend toutes sortes de sons de cloche, mais le vôtre est assez particulier. J'espère que le gouvernement - et j'en suis persuadé - ne

fera pas la sourde oreille face à ces préoccupations de ce qu'on se plaît à appeler aujourd'hui le monde ordinaire, le monde de tous les jours, le monde qui est aux prises avec les vrais problèmes, ce que les syndicats ont souvent appelé le vrai monde.

Vous savez, je ne prétends pas - ni moi ni ma formation politique - être le grand défenseur de tout le monde, mais j'ai certes une préoccupation. Je vais porter tout haut votre voix et je vous encourage à continuer à le faire parce que ce que vous véhiculez, c'est ce que monsieur et madame de tous les secteurs véhiculent tous les jours par rapport aux préoccupations d'un gouvernement qui n'a peut-être pas cette attention particulière par rapport à tous ces groupes de la société qui seront frappés demain par les nouvelles règles du jeu qu'on a appelées le libre-échange. Même si cette formation politique que je représente est en faveur d'une libéralisation des échanges, mais à certaines conditions: nous demandons de prendre soin de vos préoccupations, je vous dis que nous allons veiller au grain, que nous allons veiller è ce que le gouvernement, dans tous les secteurs d'activité et pour toutes les classes de la société, dans toutes les régions du Québec, s'il y a libre-échange, en fasse une réussite au Québec. Tout en comprenant vos préoccupations et la position que vous prenez par rapport aux intérêts que vous défendez, je vous dis: Continuez à vous battre pour cette cause et continuez à porter très haut les propos que vous tenez dans ce document parce que je pense qu'ils sont vraiment véridiques par rapport à ce qui se passe actuellement. Mme Parent, je vous remercie.

Le Président (M. Charbonneau): Vous vouliez ajouter un commentaire?

M. Poirier (Yvon): Oui, si cela est possible. C'est une réaction aux commentaires de M. le ministre tantôt sur le fait que, finalement, la principale raison pour laquelle les gouvernements au Canada maintiennent que le libre-échange serait intéressant, c'est la menace américaine sur nos emplois et le protectionnisme américain. Donc, d'une certaine façon, le libre-échange est vu comme une mesure défensive face au protectionnisme américain. Sans être expert de la question, j'ai suivi l'actualité depuis une vingtaine d'années et cette approche m'inquiète parce que je pense qu'il faut voir ici que le protectionnisme américain actuel est lié aux difficultés de l'économie américaine. Si je regarde ce qui se passe depuis un bout de temps, de 1945 à 1970 environ, l'économie américaine a été assez dominante dans le monde occidental. Dès 1970, elle a commencé à être moins compétitive face au Canada, à l'Europe et au Japon. Je me rappelle que M. Nixon avait imposé des tarifs de 10 % d'un coup parce que cela n'arrivait pas dans le commerce. Graduellement, depuis cette époque, ce que j'ai pu voir, c'est que la situation de l'économie américaine a continué à se détériorer au point où il y a eu un déficit commercial fantastique causé en partie par les Américains eux-mêmes parce que, d'après ce que j'ai vu dans les journaux, pratiquement la moitié des importations viennent de succursales américaines qui sont installées à Taiwan ou un peu partout.

Donc, ils sont pris eux-mêmes avec des décisions qui ont été prises ou qui n'ont pas été prises. Alors, une libéralisation poussée avec les États-Unis pourrait nous mettre à leur merci parce qu'il n'y a rien qui empêcherait le déficit américain de continuer quand même. À un moment donné, il va certainement y avoir du côté américain des mesures de prises dans les prochaines années et elles ne toucheront pas seulement le Canada. Le protectionnisme américain, on en parle face au Japon et on en parle face à l'Europe. De gros débats au plan multilatéral s'en viennent et il serait bon de s'asseoir et de regarder, avec les autres partenaires commerciaux des Américains qui sont en surplus face aux Américains, ce qu'on va faire face à cela. Je ne suis pas sûr qu'on puisse régler cela seuls avec les Américains, loin de là. C'est lié au fait qu'après qu'on aura fait le traité, on sera pris avec et les décisions de toute nature que prendront les Américains, fiscales ou autres, vont probablement nous influencer plus qu'elles ne le font déjà maintenant. Si on en arrive au fait que, sur le plan budgétaire et fiscal, an doive s'aligner encore plus sur les Américains, c'est ce qu'on a décrit et ce qui vient d'être expliqué.

Regardons la situation que le député de Bertrand a soulignée par rapport à ici: le chômage, les jeunes, etc. Mais je pense qu'entre nous on peut dire qu'aux États-Unis le niveau de pauvreté et les coupures qu'il y a eu depuis que le gouvernement américain est là sont pires. Si ce type de société se transpose ici sans que ce soient des ordres directs ou des choses comme cela, notre économie risque de devenir trop imbriquée dans l'économie américaine. Ce sont les inquiétudes qu'on peut avoir à la lecture de l'actualité et des événements des dernières années.

M. MacDonald: Je saisis vos préoccupations. Je vous suggère, si on peut vous le remettre... Il faudrait trouver un moyen; peut-être pourriez-vous le demander au secrétaire. Mais ce matin, M. André Raynauld a fait un exposé assez intéressant qui s'associe très bien à vos préoccupations et qui trouve le grand coupable des problèmes américains comme étant leur fiscalité. Je vous donne cela comme

renseignement et je suis sûr que, de la façon dont vous avez approché votre exposé, vous seriez intéressés à lire cela.

J'aimerais conclure en disant que le genre de société, si je peux employer le terme, qu'ont les États-Unis n'est pas le genre de société que nous avons. Je suis d'accord. Ce n'est pas le genre de société que je voudrais voir ici non plus. Lorsqu'on a statué au départ que les programmes sociaux, les acquis et la spécificité canadienne et québécoise n'étaient pas négociables, c'est une position sur laquelle nous n'avons pas changé. Je répète ce que j'ai mentionné à quelques reprises aujourd'hui, l'impasse dans laquelle M. Reisman se trouve avec M. Murphy est due justement à ces sine qua non canadiens et québécois dans cette négociation.

Or, je ne peux que conclure en vous disant que nous sommes disposés à protéger l'accès au marché et les jobs. Nous sommes disposés à avoir une plus grande libéralisation dans certains domaines, mais pas à n'importe quelle condition-

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand, un dernier commentaire?

M. Parent (Bertrand): En terminant, puisque notre temps est presque écoulé, Mme Parent, Mme Lalanne et M. Poirier, je vous dirai que votre message et la vivacité avec laquelle vous l'avez livré, particulièrement vous, Mme Parent, m'ont profondément touché. Je suis sincère, je pense que vous avez été assez impressionnante dans le message que vous avez livré. Soyez assurés qu'on va se battre pour que nous puissions garder ici au Québec les préoccupations qu'a mentionnées il y a quelques minutes M. Poirier, garder notre qualité de vie et que le gouvernement, quel qu'il soit - le gouvernement qui est en train de négocier à Ottawa et le gouvernement qui est en train de négocier à Québec - puisse s'assurer que nos droits acquis soient protégés et, si possible, à cause du libre-échange, que nous puissions même voir une amélioration. Cela fait partie de nos préoccupations et je suis sûr que si jamais on réussit ce que j'appelle ce tour de force, on pourra faire grandir le Québec mais au moins en gardant et conservant ce que nous avons comme acquis. Je pense qu'on pourra se revoir dans quelque temps et dire: Mission accomplie. Merci de votre participation.

Mme Parent: Si vous ie permettez, M. le Président...

Le Président (M. Charbonneau): Oui.

Mme Parent: ...Mme Lalanne voudrait dire quelques mots.

Mme Lalanne (Jeanne): Je ne voudrais pas passer ici à l'Assemblée nationale sans vous dire un mot, avec beaucoup d'émotion et de respect. Je n'ai pas grand-chose à ajouter après Mme Parent, évidemment, mais je voudrais vous dire que nous ne sommes pas contre les échanges comme tels. On pourrait même être pour les échanges planétaires si c'était à notre avantage, mais nous ne voudrions pas recevoir moins que ce que l'on donne. C'est certain que si les États-Unis nous envahissent, gros comme ils sont, cela va toucher, d'après le rapport de M. Racicot, de l'ACEF - j'espère que vous l'avez reçu ici - 840 000 personnes. Quand on considère qu'il y a déjà 600 000 assistés sociaux et 400 000 chômeurs ici, que les lois et mesures sociales sont déjà très restreintes et que ces gens-là ont de la misère à manger et à vivre, on est très inquiets de voir qu'il pourrait s'en ajouter plus à cela. C'est vraiment la classe prédominante que nous défendons ce soir et non pas la classe dominante. J'espère que vous l'avez compris, cela paraît en tout cas. On voudrait échanger, par exemple, des pommes contre des oranges avec les États-Unis, mais vraiment en quantité égale. On ne voudrait pas être envahis de...

La question qu'il faudrait se poser est: Combien cela va-t-il nous coûter pour payer moins cher sur le coup? Je pense que cela serait une bonne question. Si vous achetez une marchandise des États-Unis parce qu'il n'y a pas de douane dessus, cela ne va pas coûter cher sur le coup, mais, à la longue, les gens ne pourront pas se la payer parce qu'il va y avoir tellement de chômeurs et de chômeuses additionnels que les rares personnes qui vont encore travailler vont avoir tellement d'impôt à payer qu'elles n'auront même plus le pouvoir d'achat nécessaire pour se la payer même si c'est moins cher. C'est le dernier petit message que je vais vous laisser.

Le Président (M. Charbonneau): Madame, sur ce message, je peux vous dire -étant du côté de l'Opposition mais aussi président de cette commission parlementaire - que je pense que tous les députés qui participent à ces travaux ne veulent pas non plus avoir moins comme résultat pour le Québec. On a, bien sûr, des théories et des idéologies différentes sur un certain nombre de choses, mais je pense que l'objectif est qu'on en ait plus pour le Québec. J'ai l'impression qu'on a assisté ce soir à une espèce de rencontre de deux commissions: la nôtre, celle de personnes qui sont élues par la population et qui essaient de faire honnêtement un travail important, et aussi la vôtre, la commission populaire itinérante sur le désengagement de l'État. Quand on regarde le travail qui a été fait, j'aurais le goût de vous dire, comme ancien journaliste,

que le problème d'action des groupes populaires est souvent la façon dont ils sont couverts par les médias d'information. C'est souvent comme s'il y avait deux sociétés. Il y a tout un travail d'information, de prise de conscience et de réflexion de beaucoup de citoyens qui n'arrive pas souvent à avoir de résonance dans la grande opinion publique ou la grande actualité. Si on a pu humblement faire que vos travaux, durant ces mois, ne passent pas inaperçus auprès du grand public et que votre document puisse circuler un peu plus, ce sera cela de plus dans l'acquis que vous pourrez enregistrer à la suite de votre présence parmi nous ce soir. Tous les membres de la commission ont apprécié les discussions que nous avons eues et nous espérons avoir d'autres occasions, à la commission de l'économie et du travail, de vous recevoir et de discuter avec vous sur d'autres questions importantes. Merci beaucoup de votre participation et à la prochaine.

Les travaux de la commission sont ajournés à mardi prochain, 10 heures.

(Fin de la séance à 21 h 49)

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