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Version finale

33e législature, 1re session
(16 décembre 1985 au 8 mars 1988)

Le mercredi 23 septembre 1987 - Vol. 29 N° 75

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les Etats-Unis


Journal des débats

 

(Dix heures neuf minutes)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission de l'économie et du travail reprend, ce matin, sa consultation générale en ce qui a trait à la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis. Je vous fais part de l'ordre du jour pour aujourd'hui.

Nous recevrons, d'abord, M. Rodrigue Tremblay, économiste à l'Université de Montréal et président de la North American Economic and Finance Association; par la suite, la Société d'électrolyse et de chimie Alcan Ltée, ainsi que l'Association des manufacturiers de bois de sciage. Au retour, cet après-midi, nous rencontrerons l'Association des mines de métaux du Québec, puis le Syndicat des producteurs de bois du Bas-Saint-Laurent, suivi du Comité des jeunes du Parti québécois; en soirée, nous accueillerons l'Association professionnelle des meuniers du Québec et le Parti communiste du Québec.

Est-ce qu'il y a des remplacements, M. le secrétaire?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président, il y a quatre remplacements. M. Farrah (Îles-de-la-Madeleine) est remplacé par M. Hamel (Sherbrooke), M. Fortin (Marguerite-Bourgeoys) est remplacé par M. Doyon (Louis-Hébert), M. Rivard (Rosemont) est remplacé par M. Lemieux (Vanier) et M. Théorêt (Vimont) est remplacé par M. Lemire (Saint-Maurice).

Le Président (M. Charbonneau): Ces remplacements étant faits, je voudrais maintenant accueillir M. Tremblay, un ex-collègue de l'Assemblée nationale dont sa présence ici doit lui rappeler quelques souvenirs. J'espère que quelques-uns parmi ces souvenirs sont agréables.

M. Tremblay, bienvenue à la commission. Je vous rappelle un peu les règles du jeu qu'on s'est données pour cette consultation générale. On a approximativement une heure, dont une vingtaine de minutes pour une présentation, cela peut déborder un peu si c'est nécessaire. Par la suite, le reste du temps est consacré aux membres de la commission pour un échange avec vous sur des questions qui auront été soulevées sans doute ou suscitées par votre présentation.

Sans plus tarder, je vous cède la parole.

M. Rodrigue Tremblay

M. Tremblay (Rodrigue): Merci, M. le Président. M. le ministre, MM. les membres de la commission, je voudrais, tout d'abord, remercier la commission et le ministre de m'avoir invité à venir témoigner devant vous, ce matin, sur un sujet qui m'est extrêmement cher, étant donné que j'ai étudié cette question depuis de nombreuses années. Je voudrais aussi féliciter le gouvernement de tenir ces audiences publiques, même si les négociations sont encore en cours et que cela représente certains risques lorsqu'on est en négociation. Mais, comme vous l'avez déjà indiqué, il y a un travail éducationnel nécessaire dans une démocratie et je pense que le gouvernement doit être félicité de discuter ouvertement de ces choses.

Sur la question du libre-échange, ma position est marquée du sceau de la prudence, du réalisme, mais aussi de l'optimisme. Comme cette question est tellement complexe, j'ai pensé organiser mes réflexions et mes commentaires autour de certains grands thèmes; il y a deux thèmes principaux que je veux vous communiquer avec d'autres observations qui viendront, soit à l'occasion de la présentation, soit à l'occasion des questions et de la discussion.

Le premier thème a trait aux types d'ententes commerciales optimales qu'un petit pays comme le Canada devrait négocier avec un grand pays comme les États-Unis.

L'autre thème, qui vous concerne encore peut-être davantage, c'est le rôle et la position que le gouvernement du Québec devrait adopter face à ces négociations et face à une telle entente avec toutes les ramifications qui en découleraient.

J'en viens aux types d'ententes. Ici, ce qui est important, c'est de distinguer entre les prises de position de négociations que l'on entend de part et d'autre, venant des ministres fédéraux, des sénateurs américains ou des négociateurs, et des objectifs vraiment poursuivis. Ici, il y a peut-être un danger que la population prenne trop sérieusement au mot certaines déclarations. L'objectif optimal du Canada, c'est de créer une zone de libre-échange, c'est-à-dire une zone où les produits et les services puissent

circuler librement sans discrimination par les réglementations et par les lois - on appelle cela le traitement national - avec certains codes de conduite et certaines règles de conduite, et d'obtenir, parallèlement à cela, un statut particulier pour régler de façon bilatérale les différends qui -peuvent survenir.

Donc, on n'a jamais parlé, je pense, depuis de nombreuses années que les choses se discutent, de former, comme en Europe, un marché commun ou une union douanière ou une union économique, lesquels, pour bien fonctionner, ont besoin d'être chapeautés par un organisme politique. L'objectif est plus limité même si certaines personnes, y compris M. Simon Reisman, le négociateur canadien, déclare qu'il nous faut une entente très vaste. Il faut tout de même que cette entente respecte les limites des risques dans lesquelles se trouve le Canada. C'est plutôt une entente, comme je la vois, qui se situerait entre l'entente de la CEE en Europe, la Communauté économique européenne, et la zone européenne de libre-échange qui est rattachée au marché commun européen par un traité de libre-échange, mais qui ne fait pas partie du traité de Rome - ces pays sont au nombre de six, les quatre pays Scandinaves plus la Suisse et l'Autriche.

Le danger d'aller plus loin, c'est qu'il nous faut avoir des institutions politiques communes. C'est toujours là le grand risque, lorsqu'on fait une entente avec un pays plus grand que le nôtre, soit que les avantages sont économiques mais les risques sont politiques. Historiquement, ce fut toujours sur la pierre d'achoppement politique que les négociations ou même les ententes ont échoué entre le Canada et les États-Unis. II y a eu un pacte de réciprocité commerciale entre le Canada et les États-Unis. Il y a eu un pacte de réciprocité commerciale entre 1854 et 1866 qui a été très profitable au Canada. Évidemment, il y avait la guerre de Sécession aux États-Unis de sorte que le Canada a vendu beaucoup de bois, beaucoup de denrées et de commodités à ce moment-là. Mais le traité a été abrogé par les États-Unis en représailles contre l'appui que la Grande-Bretagne avait accordé aux sécessionnistes du Sud.

Donc, on voit qu'il y a eu une expérience dans l'histoire du Canada où le côté politique était important. Lorsque, en 1911, le Canada a refusé de parapher l'entente qui avait été négociée avec le président Taft, c'est parce que M. Borden avait défait M. Laurier lors des élections de septembre 1911 et que le thème de l'élection était le libre-échange, les conservateurs disant qu'il ne fallait pas échanger ou trafiquer avec les Yankees. Peut-être que nous aurons, M. le Président, une prochaine élection dans quelques mois ou dans une année qui portera sur le même thème que celui de 1911.

Je rappelle que lorsque M. Mackenzie King avait refusé, en 1948, d'aller plus loin dans les négociations qui avaient été entreprises avec M. Truman, c'était à cause de la crainte politique que le Canada entretenait face aux États-Unis qui, étant une superpuissance politique, pouvait porter ombrage à un pays relativement plus petit comme le Canada. De sorte que lorsque l'on parle d'un mécanisme d'arbitrage obligatoire ou légal entre le Canada et les États-Unis dans une zone de libre-échange, il faut faire bien attention à ce que l'on entend par "arbitrage" et ce qu'on entend par "obligatoire". Je pense que le gouvernement canadien a pris une position de négociation mais que l'objectif n'est pas d'obtenir un mécanisme légal qui exigerait une intégration politique beaucoup plus poussée avec les États-Unis. Le mot "obligatoire" signifie, à mon avis, que tout différend commercial entre le Canada et les États-Unis doit être obligatoirement soumis à une commission de conciliation ou une commission de surveillance bilatérale avant que des politiques unilatérales, discrétionnaires puissent être embranchées, mises de l'avant.

Si on considère cette demande canadienne - et je pense qu'il y a de fortes chances de l'obtenir - d'avoir un mécanisme de conciliation, un mécanisme de surveillance, un mécanisme dilatoire pour éviter que les États-Unis puissent appliquer leur loi commerciale à notre détriment, je pense que nous aurions quelque chose de très acceptable compte tenu de nos craintes politiques. Donc, il n'est pas nécessaire d'avoir d'institutions politiques composées, comme en Europe, d'un conseil des ministres. En Europe, comme vous le savez, il y a même un Parlement européen.

Ma première conclusion, c'est donc de faire attention pour nous, du Canada, de devenir l'Hawai du Nord et d'entrer avec les États-Unis dans une sorte d'union économique qui serait chapeautée par des institutions politiques. Je pense que cela est trop dangereux. Il vaut mieux se limiter à une zone de libre-échange, du moins, pour les 20 ou 25 prochaines années. Si, par après, on voulait aller plus loin, il serait toujours possible d'y aller.

Mais quand on parle d'institution, il serait nécessaire d'avoir un secrétariat permanent nord-américain de l'entente associé à une commission bilatérale de conciliation et de surveillance appliquant les règles qui auraient été négociées et jugeant avec un poids moral - on parie de pays souverains, donc, même la Cour internationale de justice ne peut pas imposer ses jugements si les parties ne sont pas consentantes - pour éviter que les lobbies économiques au Canada comme aux États-Unis puissent forcer les pays à prendre des

positions unilatérales qui, elles, évidemment, mettent en péril la continuation d'une entente fondée sur la bonne foi.

Le deuxième grand thème que je veux souligner et soulever avec vous et qui peut peut-être choquer certains d'entre vous, peut-être au premier titre le ministre du Commerce extérieur, c'est que moins les gouvernements provinciaux seront impliqués formellement dans l'entente, mieux ce sera pour eux.

Je m'explique. Il est évident que pour les premiers ministres et les ministres du commerce des provinces, c'est très intéressant d'être impliqué dans ces négociations et cela n'est pas mauvais. Cela amène prestige, satisfaction, information, coordination, etc. Par contre, il y aura des principes qui vont être entérinés par l'entente et qui peuvent empêcher le gouvernement fédéral d'entreprendre dans l'avenir des politiques qu'un gouvernement provincial pourrait vouloir entreprendre.

Comme les États américains - même si la loi américaine va les lier s'il s'agit d'un traité - ne seront pas nécessairement impliqués dans l'entente, du moins, dans tous ses points, il serait préférable que les gouvernements provinciaux gardent une marge de manoeuvre concernant certains principes qui vont Être énoncés.

La position canadienne a été un peu affaiblie, dès le départ, face aux États-Unis dans le sens qu'on a laissé tomber des politiques qui auraient pu être négociées avec contrepartie. On les a laissé tomber sans contrepartie. Il y a eu la politique de l'énergie qui a été abandonnée sans contrepartie. On a changé l'Agence de tamisage des investissements étrangers en limitant pratiquement uniquement son intervention pour les prises de contrôle de 5 000 000 $ et plus. On a aussi ouvert les marchés financiers, surtout de l'Ontario, sans trop de contrepartie américaine.

Donc, la position de négociation du Canada n'est pas partie sur un très bon pied et il est dangereux que les principes qui seront dans l'entente, surtout en ce qui concerne les subventions industrielles, placent l'ensemble du Canada dans une position de vulnérabilité.

Aux États-Unis, les subventions industrielles se font indirectement plutôt que directement. Le budget du Pentagone, le budget de programmes comme la Strategic Defense Initiative, Star War, sont des budgets qui stimulent le développement industriel dans les industries de haute pointe. On a moins d'occasions au Canada d'avoir de ces politiques industrielles détournées ou indirectes. Si le gouvernement fédéral doit se retirer de la grande stratégie industrielle -quand je dis "doit se retirer", c'est un peu généreux de ma part puisque mon bon ami Robert de Cotret disait hier dans le journal qu'à Ottawa, il n'y avait plus de politique industrielle depuis quelques années, de toute façon - il y aura sans doute un morcellement additionnel; il faut s'attendre à cela.

Donc, pour le Québec et pour les autres provinces - mais surtout pour le Québec - il y a un besoin de conserver le maximum de marge de manoeuvre sur le plan économique. C'est évident qu'en termes d'harmonisation des réglementations, si on a le traitement national sur le plan commercial, il faudra qu'il y ait harmonisation des politiques d'achat et pour ce que la Société des alcools devra faire quant aux vins californiens et new-yorkais. C'est évident que les provinces seront impliquées. Mais avant de passer une grande résolution à l'Assemblée nationale entérinant tout ce qui est dans l'accord, je réfléchirais deux fois. On peut entériner les parties qui impliquent les gouvernements provinciaux directement, mais entériner les principes généraux, cela pourrait être dangereux.

C'est la raison pour laquelle un organisme comme la SDI, à mon avis, devrait prendre une importance grandissante lors d'une entente de libre-échange avec les États-Unis. Il y aura un besoin de réorganisation industrielle, un besoin de modernisation industrielle, des fusions d'entreprises et des promotions d'exportation, surtout pour les PME, que le gouvernement provincial sera plus en mesure de mettre de l'avant que fe gouvernement fédéral. Le gouvernement provincial devra jouer un rôle industriel, à mon avis, plus important dans le cadre d'une telle entente qu'il ne le joue présentement. Ce sera la même chose du côté de la fiscalité, elle deviendra très importante. La question des sociétés mixtes deviendra importante et je dirais même le domaine de l'éducation au Québec devra être repensé en fonction de l'objectif de cette stratégie industrielle d'ouverture sur les marchés qui va nécessairement découler de la signature d'une telle entente. il faudrait peut-être conclure là-dessus, M. le Président. Je m'interroge sur le temps, je ne sais pas au juste le temps qu'il nous reste.

Le Président (M. Charbonneau): Vous avez encore au moins cinq minutes, M. Tremblay.

M. Tremblay (Rodrigue): En cinq minutes, on peut donc confesser beaucoup de choses.

Le Président (M. Charbonneau): C'est cela. Vous vous rappellerez que c'était parfois la période limite pour un mini-débat à l'Assemblée.

M. Tremblay (Rodrigue): On en faisait plusieurs, mais des petits.

Le Président (M. Charbonneau): Oui, voilà!

M. Tremblay (Rodrigue): La troisième observation que je veux faire se rattache à ce que je viens de dire. Sans surestimer cette entente parce que c'est une entente qui aura des résultats non pas immédiatement - d'ailleurs, elle n'entrera pas en vigueur avant janvier 1989 mais elle aura des impacts sur le prochain quart de siècle - ce sera quand même une entente qui bouleversera considérablement l'image industrielle du Canada.

On a créé certains parallélismes entre l'entente du lac Meech et une entente de libre-échange et, jusqu'à un certain point, c'est justifié. C'est vraiment une opération qui décentralisera le développement industriel au Canada et aussi les politiques industrielles au Canada. C'est ni plus ni moins qu'un changement d'une stratégie industrielle que le Canada a adoptée il y a 113 ans, en 1874, quand John A. Macdonald avait adopté la "National Policy", la politique nationale d'industrialisation après qu'on ait échoué dans une tentative de négocier avec les Américains, après la formation du Canada en 1867, un traité de réciprocité ou de libre-échange avec les Américains.

Cette politique, je vous le rappelle rapidement, reposait sur trois piliers. C'était une politique qui exigeait qu'on crée un marché captif au Canada, un petit marché à l'époque, pour les industries. C'était un marché qui exigeait qu'on développe les moyens de transport, donc les chemins de fer. Le Canada comprend 500 000 kilomètres par 200 ou 300 kilomètres de large. Comme on n'avait pas la technologie et les capitaux, il fallait avoir une politique de porte ouverte aux investissements étrangers.

Une stratégie continentale d'industrialisation renverse cette stratégie industrielle. On permet une déconcentration industrielle: la Colombie britannique commerçant davantage avec la Californie et l'Oregon, les Maritimes davantage avec les États de la Nouvelle-Angleterre, le Québec davantage avec le Midwest et avec l'État de New York, etc. Donc, on déconcentre géographi-quement le développement industriel. L'Ontario cesse d'être le seul pôle industriel parce que présentement, dans le Canada, l'Ontario se trouve être un peu au creux de la soucoupe. Ils vendent à l'Ouest, ils vendent à l'Est et tout se concentre naturellement en Ontario. Mais dans un contexte nord-américain, la décentralisation est plus naturelle; comme c'est le cas aux États-Unis. Vous avez des pôles de croissance à New York, à Détroit, à Dallas, à San Francisco. Le développement industriel aux États-Unis est beaucoup plus déconcentré qu'au Canada et c'est ce à quoi il faut s'attendre dans 20, 25 ou 30 ans si le

Canada signe une entente de libre-échange avec les États-Unis.

Le contrôle étranger devrait aussi diminuer graduellement dans le sens que les entreprises canadiennes, les PME, devraient grossir dans un contexte où leurs racines peuvent s'établir sur l'ensemble du continent. Donc, le contrôle étranger devrait être quelque peu diminué.

En deux mots, nous aurons une stratégie industrielle au lieu de substituer aux importations une stratégie qui va promouvoir les exportations, une stratégie agressive plutôt qu'une stratégie défensive comme celle que nous avons eue jusqu'à maintenant. Il ne faut pas minimiser les choses en disant que cette entente ne changera pas grand-chose. Elle va changer beaucoup de choses. Cela fait 113 ans que l'on poursuit une stratégie et on est en train d'élaborer une stratégie pour le XXIe siècle qui sera orientée vers les exportations.

J'ai quelques remarques additionnelles qui sont plutôt ponctuelles. Le gouvernement fédéral vient de décentraliser l'ancien MEER, l'ancien ministère de l'Expansion économique régionale. Il a créé un office de développement régional dans l'Ouest et un office de développement régional dans l'Est. Évidemment, il y a des raisons politiques pour l'avoir fait mais il y a peut-être aussi des raisons de décentralisation des subventions au développement régional.

Dans une perspective d'une zone de libre-échange nord-américaine, il serait très important que le gouvernement du Québec fasse des pressions sur le gouvernement fédéral, soit dans le cadre d'une entente fédérale-provinciale ou par les mécanismes déjà existants, pour qu'il y ait un office de développement régional conjoint pour le Québec. Il y a un danger que le gouvernement du Québec doive assumer uniquement avec ses propres impôts l'effort de développement régional si le fédéral devait se retirer officiellement de ce secteur.

Je n'attendrais pas trop longtemps, si j'étais M. Bourassa et M. MacDonald, avant de contacter le fédéral et d'obtenir pour le Québec - ou au moins pour certaines régions du Québec - les fonds qui sont en partie consacrés au développement de l'Ouest et au développement des Maritimes. (10 h 30)

Sur la question des prises de contrôle, j'ai mentionné que l'agence de tamisage fédérale a été beaucoup amoindrie dans ses interventions. Pendant la période d'ajustement qui va durer de 10, 15 ou peut-être 20 ans selon les secteurs, comme nos industries et nos entreprises sont plus petites que les entreprises américaines en général - l'Alcan est aussi grosse que l'ALCOA - dans certains secteurs manufacturiers et dans certains secteurs des services, il serait naïf pour le Canada d'abolir toute surveillance sur les

prises de contrôle d'entreprises canadiennes par les entreprises étrangères, y compris les entreprises américaines. Dans une période d'ajustement, certaines entreprises peuvent adopter un comportement stratégique d'évincer un concurrent éventuel, en prenant son contrôle afin de conserver ou de raffermir un marché. Alors, la réalité économique, M. le Président, ce n'est pas à moi à vous le rappeler, n'est pas parfaite. Et le Canada peut être vulnérable dans certains secteurs pendant cette période d'ajustement.

La question des travailleurs déplacés -je suis certain que plusieurs intervenants ont soulevé des craintes à ce sujet - ne m'apparaît pas suffisamment bien traitée. Lorsqu'on a créé le pacte de l'automobile en 1965, il s'agissait d'une industrie surtout localisée en Ontario. L'usine de Sainte-Thérèse, General Motors, était au début de sa production. Le gouvernement fédéral a mis sur pied un programme qui s'appelait le programme d'avantages transitoires - en anglais, on l'appelait TAB Transitional Assistance Benefits - qui a bénéficié à 3000 travailleurs qui ont dû être recyclés ou réorientés d'une entreprise à l'autre à la suite du pacte.

Comme l'entente de libre-échange devrait bénéficier à l'ensemble de la population canadienne au cours d'une période suffisamment longue, il serait normal que les travailleurs qui vont être impliqués - et on ne parle pas de grands chiffres; on pourra en discuter tout à l'heure - par un besoin de modernisation de leurs usines, par un besoin de fusion de leurs entreprises, etc., soient dédommagés soit par des programmes d'entraînement, de recyclage ou un dédommagement pécuniaire. Je sais que les fonctionnaires fédéraux ne sont pas tellement entichés de cette idée à cause de la complexité de l'opération, étant donné qu'on parle ici d'une entente très grande. Mais quand même, sur le plan économique, il y a justification pour compensation. Et le gouvernement du Québec devrait peut-être faire des représentations à cet égard, étant donné qu'une bonne partie de l'ajustement va se faire dans certains secteurs en Ontario et au Québec.

Il y a aussi la question de la valeur du dollar canadien. Nous bénéficions au Canada, présentement, d'une période très intéressante pour ce qui est de la compétitivité étant donné que notre dollar s'est déprécié depuis une dizaines d'années. Et il s'est déprécié en termes réels, c'est-à-dire que la monnaie est tombée beaucoup plus rapidement que les salaires ont augmenté. Quand la monnaie se déprécie, il y a une hausse des prix, mais les salaires ont augmenté moins rapidement. Cela est dû en grande partie au fait que le prix du pétrole et des matières premières s'est effondré avec la récession de 1981. Mais il faut songer que dans l'avenir, il est possible que le dollar canadien revienne très fort et il y aura danger que la compétitivité de certains secteurs industriels canadiens soit diminuée. De sorte que la banque du Canada va avoir un rôle important à jouer afin d'éviter que ie dollar canadien subisse des fluctuations trop violentes et mette en péril, pendant quelques années, la position concurrentielle de certaines industries.

Donc, je vais terminer sur les questions d'optimisme qui me guident face... Enfin, un optimisme réaliste, comme je le mentionnais. Il y a plusieurs espoirs dans toute cette opération. Un premier espoir, c'est de dépolitiser ou du moins de civiliser les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis. Ce sont les deux partenaires commerciaux les plus importants au monde et, tel que cela fonctionne présentement, par gestes unilatéraux, contraires au GATT d'ailleurs, cela n'est pas sain pour le bien-être de la population canadienne au premier titre, mais aussi de la population américaine.

En ce qui concerne le développement du Canada, il n'est pas sain non plus que l'Ontario soit le seul pôle industriel du Canada. Il est tout à fait légitime que l'Ouest canadien puisse se développer et s'industrialiser, les Maritimes aussi et, au premier titre, le Québec qui a besoin d'avoir une base industrielle très forte pour supporter sa population et un niveau de vie élevé.

En ce qui concerne les ressources naturelles, la discrimination que nos produits reçoivent aux États-Unis en n'étant pas taxés lorsqu'ils ne sont pas transformés, mais taxés lorsqu'ils sont transformés, n'est pas acceptable. Le Canada ne peut pas être un réservoir de matières premières et de ressources énergétiques pour les États-Unis. 11 nous faut pouvoir exporter de la valeur ajoutée, de la main-d'oeuvre et non pas simplement exporter des ressources, même si ce sont des ressources aussi intéressantes, me dirait M. Ciaccia, que l'électricité. Nous voulons exporter des emplois et de la valeur ajoutée.

Le Canada devrait être capable aussi d'entrer dans la course technologique qui est déjà lancée mais qui va s'intensifier dans les prochaines années. Il est évident que pour être dans la course technologique pour les nouveaux produits et les nouvelles industries qui vont être développés dans l'avenir, les entreprises canadiennes ont besoin d'avoir un environnement économique qui soit semblable à l'environnement qu'ont les entreprises européennes dans ce grand marché de 325 000 000 en Europe, l'environnement japonais aussi, qui est un environnement particulier et l'environnement des entreprises américaines. Donc, il y a un espoir que nos entreprises soient traitées et placées sur le même pied que nos concurrents.

Évidemment, je reviens, pour terminer,

à ce que disait Jacques Chirac, le premier ministre français, il y a quelques semaines; il disait qu'au Québec, les entreprises françaises trouvaient une tête de pont sur l'Amérique du Nord. Je pense qu'au Québec, nous avons une position stratégique: le fait d'être Européens de culture et Américains de technologie, le fait d'être bien situés géographiquement. Nous devrions jouer cette carte de tête de pont et profiter de cette position stratégique pour moderniser notre économie et augmenter le niveau de vie et l'emploi de nos citoyens. Je pense qu'il s'agit de la voie du XXle siècle. On est un peu en retard, je crois, parce qu'on ne l'a pas fait auparavant. Nous avons une occasion rêvée. Il serait tragique de répéter les erreurs, du moins les échecs de 1911 et de 1948, en 1987. Je suis optimiste, je crois que les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral avec le gouvernement américain vont parvenir à cette entente historique. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Tremblay, de cette présentation. Immédiatement, je vais céder la parole au ministre du Commerce extérieur. M, le ministre.

M. MacDonald: M. Tremblay, je vous remercie très sincèrement d'avoir accepté notre invitation. Je vous remercie doublement de la présentation que vous nous avez faite.

Vous avez couvert plusieurs choses, certaines sur lesquelles j'aimerais revenir. J'aimerais tout de même, en premier lieu, peut-être vous rassurer. C'est une chose sur laquelle on m'a attaqué, dans certains cas, parce que l'on a souligné que je le faisais auprès des témoins. Je reprends, par exemple, le point que vous avez mentionné quand vous avez utilisé le mot "danger". Vous avez aussi dit qu'en période de réadaptation, de transition, il y aurait des montants importants à y consacrer, tant vis-à-vis de la modernisation des entreprises que du recyclage de la main-d'oeuvre sous différentes formes. Vous avez dit qu'il fallait surveiller les mécanismes de prises de contrôle. Sur ce dernier point, vous pouvez constater comme moi que les Canadiens, depuis un certain nombre d'années, sont beaucoup plus actifs sur les prises de contrôle et les investissements américains. Je crois que quelqu'un parlait de cinq pour un au rythme actuel des investissements canadiens faits aux États-Unis par rapport aux investissements américains faits au Canada. Au-delà de ces chiffres, je vous rassure sur ceci: d'une part, fait partie très importante de nos négociations continuelles avec le gouvernement fédéral tout ce que vous avez mis sous le chapitre transition et, d'autre part, fait partie de nos préoccupations tant sur le plan peut-être plus étroit de la province que dans une perspective canadienne la question des prises de contrôle. Je ne reviendrai pas sur tous vos sujets.

Vous avez abordé la question des mécanismes de règlement. J'aime cette explication que vous avez donnée d'une commission de surveillance ou d'un mécanisme de conciliation, etc. Effectivement, tout n'est pas blanc et tout n'est pas noir et quelque part il faut se retrouver -pour citer vos mots que j'ai utilisés à plusieurs reprises - et trouver le moyen de "civiliser" nos relations commerciales avec notre principal partenaire.

J'aimerais profiter de votre présence et de votre connaissance du dossier et surtout de votre formation économique pour regarder ce que sera la situation américaine au cours des cinq ou dix prochaines années. Je ne voudrais pas que vous vous arrêtiez à ces normes de cinq ou de dix ans. De quelle façon vont se comporter les secteurs industriels et commerciaux américains? De quelle façon va se comporter la gouvernement américain vis-à-vis de cette réalité, le déficit de la balance commerciale, mais comme je l'ai mentionné souvent, pire encore le fait qu'ils sont rendus débiteurs et doivent compter sur l'intervention massive à l'heure actuelle des Japonais pour financer leurs bons du trésor chaque semaine? D'après vous et la connaissance que vous avez de cette économie américaine et de ces réalités qui sont à la base même, entre autres raisons, du protectionnisme tel qu'on le connaît, on en a pour combien de temps? De quelle façon voyez-vous les Américains réagir quant aux mesures actuelles qu'ils ont prises? Je comprends que je vous demande de regarder dans une boule de cristal mais il y a tout de même dans le modèle certains paramètres que vous pourriez préciser. La question nécessairement s'associe à cette recherche que je fais. Le protectionnisme américain, j'ai souvent dit que j'avais l'impression que cela allait "s'empironner avant de s'emmieuter". Cela va durer combien de temps?

M. Tremblay (Rodrigue): Merci, M. le ministre. Vous avez soulevé des points extrêmement intéressants et très importants. Avant de répondre à votre dernier point de jouer au devin etc., j'aimerais dire quelques mots sur la question des prises de contrôle. Vous avez fait allusion au fait que, depuis quelques années, les Campeau, les Conrad Black, les Reichman etc., achètent beaucoup aux États-Unis. C'est dans un rapport de cinq contre un. C'est une manifestation de deux choses. En période de récession ou de ralentissement économique international, le Canada est un endroit moins intéressant où investir, puisque le domaine des ressources

naturelles et surtout du pétrole devient moins intéressant. D'autre part, le fait que le Canada ne soit pas dans une zone commerciale plus grande donne moins d'occasions d'expansion. Il y a aussi le fait que le dollar américain s'étant déprécié depuis quelques années, il y a eu un attrait pour les investissements étrangers, japonais, allemands et anglais, mais aussi canadiens. Donc, ce que vous dites renforce l'idée qu'il est bon de garder nos capitaux ici pour créer des emplois plutôt que de les expatrier aux États-Unis. Par contre, en termes de stock, il faut placer les choses dans leur perspective, les Américains ont quant même encore trois fois plus de capitaux directs au Canada que nous n'en avons aux États-Unis. Donc, nous sommes encore déficitaires en termes d'intérêts et de dividendes que nous devons verser aux étrangers dont une bonne partie vont aux États-Unis.

En ce qui concerne l'évolution des États-Unis, il faut constater ici une certaine asymétrie entre les positions canadiennes et les positions américaines selon la conjoncture internationale. Quand tout va bien sur le plan économique international, les États-Unis sont libre-échangistes, ce sont des promoteurs de Kennedy Round, de Tokyo Round, ils sont multilatérailstes, etc. Par contre, quand tout va bien, le Canada n'est pas tellement intéressé à sacrifier une partie de sa souveraineté politique en entrant dans une entente commerciale avec les États-Unis pour garantir l'accès au marché américain. C'est ce qui explique que, dans les années soixante-dix, quand tout allait bien pour nous, le prix des matières premières montaient, notre dollar était fort, M. Michael Sharp, qui était le ministre de l'Industrie au gouvernement fédéral, parlait de la troisième option, c'est-à-dire qu'il fallait multilatéraliser nos échanges et on ne parlait pas tellement aux Américains, sauf à l'intérieur du GATT.

Quand cela va mai comme cela allait mal en 1874, en 1910, quand cela n'allait pas très bien après la guerre en 1947-1948, le Canada recherche pour ses entreprises une position préférentielle. Nous avions cette position préférentielle - remarquez bien -avec le Commonwealth et le marché britannique avant que la Grande-Bretagne n'entre dans le marché commun en 1972. Donc, quand cela va mai, le Canada est beaucoup plus disposé à faire une entente avec les Américains, mais quand cela va mal sur le plan international, le chômage est plus élevé aux États-Unis, la concurrence étrangère est plus forte et les Américains sont protectionnistes et c'est la période dans laquelle nous vivons présentement. C'est pour cela que si cette entente est paraphée, ce sera un coup de maître parce qu'il faut dire qu'il y a beaucoup de pression du côté des démocrates aux États-Unis pour capitaliser sur le ralentissement dans plusieurs secteurs industriels américains qui ont été frappés par la récession internationale et par la surenchère du dollar américain, tout le secteur de l'agriculture est en pleine récession aux États-Unis, le secteur des mines est en pleine récession - il faut dire par contre que, depuis les mois de juillet et août, les prix montent assez rapidement - le secteur du pétrole aussi. Donc, tous ces secteurs sont en déclin et les Américains sont protectionnistes. Donc, cette raison est conjoncturelle et devrait passer une fois ce cycle de désinflation que nous sommes en train de terminer. (10 h 45)

D'autre part, la concurrence internationale pour les industries de haute technologie - on le voit avec Airbus dans le domaine de l'avionnerie face à Boeing, on le voit pour les contrats, militaires au Japon pour la construction de leurs avions militaires - c'est beaucoup intensifiée.

Il y a maintenant beaucoup de concurrents aguerris dans ces domaines industriels. Il y a une concurrence féroce qui se joue entre les entreprises européennes, les entreprises américaines et canadiennes, parce que nous sommés très intégrés pour les pièces - nous avons Spar, par exemple, à Sainte-Anne-de-Bellevue qui produit des pièces pour les satellites - et les entreprises japonaises et, jusqu'à un certain point, taiwanaises et coréennes.

Cette concurrence, à mon avis, va durer jusqu'à la fin du siècle et va s'intensifier, de sorte que le Canada est un peu entre l'écorce et l'arbre. La concurrence américaine avec l'Europe et le Japon va demeurer importante et les relations commerciales vont être plus tendues, même après cet ajustement conjoncturel auquel j'ai fait allusion tout à l'heure parce que la concurrence est une réalité et chaque grand bloc économique va essayer de conserver le haut du pavé.

Cela renforce davantage la nécessité pour le Canada d'avoir un accès au marché américain pour que, dans ce domaine stratégique des industries de haute technologie, nous ne soyons pas laissés pour compte. On a le bénéfice d'avoir un président présentement aux États-Unis - je ne veux pas défendre le président Reagan parce que, sous bien des aspects, il est très critiquable - qui, au moins, en matières commerciale, a une ouverture d'esprit.

Après les prochaines élections américaines, qui sait si la même ouverture va exister. Donc, nous avons une occasion historique. Un homme d'affaires de la Nouvelle-Zélande qui a une zone de libre-échange avec l'Australie le disait, hier. Je lisais cela dans le journal ce matin: Vous, les Canadiens, saisissez l'occasion. Il ne s'agit pas de négocier n'importe quoi, mais je

pense que nous avons une occasion historique et si elle est manquée, il y aura beaucoup d'effets négatifs que nous pourrons discuter plus amplement.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Tremblay, cela nous fait plaisir de vous accueillir à la tribune des experts à 10 heures le matin. Votre expériences votre expertise peut apporter et a déjà apporté ce matin beaucoup de lumière.

Vous avez mentionné beaucoup de choses qui méritent d'être soulignées. D'abord, vous dites oui avec une très grande prudence et je pense que, là-dessus, on est d'accord. Vous nous dites par la suite que le débat doit être dépolitisé. Je suis bien d'accord, sauf que j'ai un peu l'impression que c'est mal parti. Je pense que vous en conviendrez. D'abord, le premier ministre canadien s'est placé en position de demandeur et, par la suite, le fait que les premiers ministres des provinces ne soient pas nécessairement tous sur la même longueur d'onde et qu'il n'y ait pas eu vraiment de négociations pour essayer de rapatrier ce que vous avez appelé "certaines enveloppes" pour qu'on puisse travailler après une entente de libre-échange...

Cela me préoccupe beaucoup, parce que j'ai un peu l'impression que le débat est déjà politisé, malheureusement, et trop politisé. Du côté des États-Unis, le président Reagan a une très grande volonté d'en venir à une entente, mais certains experts et certains organismes sont venus nous dire que là-bas, aux États-Unis, les agents économiques, les principaux intervenants qui seront touchés par cela, n'ont pas nécessairement le même désir d'en venir à une entente. L'opinion que j'apporte - vous pourrez la commenter par la suite - c'est de dire oui à la dépolitisation du débat, cela faisait partie des prémisses que nous avions mises sur la table, de notre côté, mais je pense qu'il est malheureusement déjà très politisé.

Deuxièmement, vous soulignez l'importance tout à fait justifiée, face à la structure industrielle du Québec, du rôle qu'aura à jouer le gouvernement, et vous avez parlé de façon très précise du rôle qu'aura à jouer la SDI, la Société de développement industriel du Québec, un rôle grandissant que je croîs être très important puisque, comme vous l'avez bien mentionné, les entreprises, les PME auront besoin d'outils par la suite. Dès 1984, dans Le Devoir du 10 avril 1984, vous apportiez beaucoup d'éclaircissements - je suppose que cela fait toujours partie de vos recommandations, mais j'aimerais en porter deux ou trois à l'attention de la commission - sur les fameux programmes de soutien auxquels vous accordiez de l'importance. J'aimerais savoir si cela fait toujours partie de ce que vous avez appelé le rôle grandissant que pourrait jouer, entre autres, la Société de développement industriel.

Dans un premier temps, vous dites que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux devront s'assurer que la fiscalité des sociétés, la réglementation et la législation du travail ne défavorisent pas les entreprises. Deuxièmement, que des règles spéciales d'amortissement accéléré pour ces investissements pourraient prendre forme d'assistance fiscale? je trouve cela intéressant. Troisièmement, le domaine de la coopération gouvernementale et celui du marketing. Plusieurs entreprises dans les domaines du textile et du meuble sont venues nous dire hier qu'elles auront besoin d'un coup de pouce de ce côté-là durant la période de transition. Quatrièmement, vous mentionnez que les consommateurs canadiens profiteront de cette consolidation du marché, et vous dites qu'il est vraisemblable que les programmes de relocalisation de même que de subventions des salaires soient nécessaires pour que certaines industries, certaines villes puissent survivre.

J'aimerais que vous nous disiez, M. Tremblay, ce matin, concernant le rôle grandissant de la SDI ou de tout autre organisme qui pourrait jouer ce rôle de coffre à outils dont les entreprises auront besoin, si les points que j'ai soulevés, ceux que vous apportiez en 1984, sont toujours les mêmes? Si oui, est-ce que la stratégie... Actuellement, on n'a pas de politique industrielle, on n'a pas de stratégie de développement industriel. Cette nouvelle stratégie de développement industriel qui pourrait s'établir au Québec, dans quel sens devrait-elle aller? C'est vraiment important, de nouvelles règles du jeu s'imposent et je pense qu'il devrait y avoir une politique de développement industriel au Québec. Quel serait, dans tout cela, le rôle de la Société de développement industriel?

M. Tremblay (Rodrigue): Je vous remercie beaucoup, M. Parent, de vos observations et de vos questions, elles sont très pertinentes et très fondamentales. Concernant la dépolitisation du débat, il faut bien s'entendre, je crois qu'il est tout à fait normal qu'il y ait des positions idéologiques et même stratégiques au Canada et aussi aux États-Unis de la part des sénateurs et des "congressmen" américains concernant une chose aussi importante. Je n'en ai pas du tout sur le fait que des partis politiques, des politiciens ou des groupes d'intérêts prennent des positions, c'est tout à fait normal et c'est sain, dans une démocratie, pour animer le débat.

Je faisais surtout allusion à la dépolitisation à long terme, comme on l'a

fait un peu en Europe - on a fait beaucoup en Europe - afin que les relations commerciales ne deviennent pas des ballons politiques dont on se sert tous les deux ans, à cause des élections de la Chambre des représentants aux États-Unis, ou tous les quatre ans, ici au Canada, alors que les entreprises se trouvent pénalisées par un changement brusque de leur environnement économique* Les hommes d'affaires aiment bien planifier leurs investissements 20 et 30 ans à l'avance. On ne peut pas investir 20 à 30 ans d'avance si l'environnement, le marché peut être brusquement coupé par un projet de loi discriminatoire, par des droits compensatoires ou l'application unilatérale d'une mesure antidumping qui n'est pas justifiée par les faits. Donc, c'est cet élément qui me paraît stratégique pour le Canada de dépolitiser nos relations commerciales afin qu'elles soient plus stables et que cela soit soumis à une conciliation bilatérale plutôt qu'unilatérale. Dans le fond, c'est d'appliquer les principes du GATT qui, malheureusement, tend à s'effriter depuis quelques années. Au moins, sauver les meubles en Amérique du Nord même si au niveau international, le GATT a beaucoup moins d'influence qu'il en avait dans le passé.

En ce qui concerne le rôle du gouvernement du Québec que vous soulevez et que je trouve extrêmement fondamental pour l'avenir, il est évident que les PME bénéficieront beaucoup d'un élargissement des marchés pour les raisons suivantes: Les tarifs qui existent à la frontière et même les obstacles non tarifaires peuvent être contournés par les grandes multinationales en plaçant des usines un peu partout de part et d'autre de la frontière. Donc, les grandes entreprises réussissent à s'accommoder de ces obstacles parce qu'elles ont un marché très grand, un produit qui se vend beaucoup et elles investissent de part et d'autre de la frontière de sorte qu'elles neutralisent en quelque sorte la barrière.

Une petite entreprise est vraiment handicapée par cette paperasserie et par cette taxe qui la désavantage. L'entreprise ne peut pas toujours établir des usines de l'autre côté de la frontière ou avoir un réseau d'après vente de chaque côté de la frontière, etc., de sorte qu'enlever ces taxes - parce que c'est de ce dont on parle -cachées ou pas, à la frontière, bénéficiera beaucoup aux petites et moyennes entreprises. Par contre, les petites et moyennes entreprises ont moins de spécialistes, moins d'apprentissage dans ces relations qui demeurent quand même internationales même si les États-Unis sont le pays voisin avec des règles qui ressemblent à celles que nous avons et il y a nécessité d'un apprentissage à exporter. Avoir confiance; on le fait déjà beaucoup au

Québec et je pense que les gouvernements au Québec, depuis quelques années, ont beaucoup aidé les entreprises en plus du dynamisme naturel que nous constatons dans le domaine industriel au Québec. Il y aura cependant nécessité de ne pas manquer le bateau quand le marché s'ouvrira. Je me rappelle toujours ce que me disait Jean Labonté, l'ancien président de la SOI: Parfois, il faut prendre la main d'un petit industriel pour lui montrer que ce n'est pas si sorcier que cela exporter. Une fois que l'apprentissage est fait, la croissance se fait d'elle-même et les exportations se font d'elles-mêmes. Donc, sur ce plan-là, la SDl peut jouer un rôle important.

En ce qui concerne la stratégie industrielle, j'ai mentionné qu'il y aura, par définition, je pense, une certaine fragmentation ou un morcellement de la stratégie industrielle pancanadienne. C'est déjà commencé avec des organismes régionaux que le fédéral est en train de créer. Cela me fait peur un peu au niveau fédéral. Je pense qu'il devrait y avoir, même au niveau fédéral, une stratégie industrielle parce que le commerce et l'industrie sont un peu les deux gants de la même paire pour atteindre un même objectif de créer les emplois rémunérateurs, etc.

Au niveau du Québec, c'est encore plus vrai, parce que nos intérêts sont plus faciles à identifier. Il faudra faire peut-être un peu ce que font les Japonais avec un petit MITI, un petit ministère qui, au lieu de saupoudrer dans toutes les directions, choisit des domaines dans lesquels nous voulons obtenir une place importante. Pas nécessairement évincer tout le monde de ces domaines, on est trop petit, mais, au moins, développer des créneaux où on a des chances de croître de façon cumulative. Cela exige une coordination de la politique commerciale, de la politique industrielle et aussi d'autres politiques réglementaires et même touchant aux relations de travail comme vous l'avez mentionné.

Donc, ma recommandation à vous, au ministre et au gouvernement, serait que le gouvernement du Québec songe maintenant à se doter de ce point de stratégie afin d'être à l'avant-garde des changements qui se produiront et des occasions qui se présenteront en collaboration avec le monde du travail et avec le monde des affaires. (11 heures)

Donc, il ne faut pas être trop passif, à mon avis, Ce!a ne veut pas dire être interventionniste et empêcher les hommes d'affaires de faire ce qu'ils font naturellement: rechercher un profit partout où ils pensent le trouver, mais c'est de leur montrer les possibilités et de les appuyer par des programmes assortis ou adaptés.

Par contre, comme je l'ai mentionné, l'entente va rendre certaines subventions

illégales. Il va y avoir une liste de subventions dans un livre rouge qui vont être surveillées. Il va falloir être habile et faire comme le font les Américains, indirectement, jusqu'à un certain point. Il ne s'agit pas de contourner un accord. Prenez les politiques d'achats, je pense qu'au Québec on a été un peu naïf de consigner dans des réglementations connues ce que faisaient les autres gouvernements provinciaux de façon informelle avec le même résultat. Les Américains le font avec le ministère de la Défense aux États-Unis avec toutes sortes de programmes. Il ne faudrait pas nous désarmer de façon naïve sur le plan industriel alors que vous pouvez être bien certains que les Américains ne désarmeront pas sur le plan industriel. Les Américains savent que le développement industriel, surtout dans la haute technologie, est absolument essentiel pour l'avenir. Ils vont certainement pousser très fort dans cette direction dans les prochaines années.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. MacDonald: M. Tremblay, je suis sûr que vous savez que je partage totalement et entièrement votre opinion sur la question du développement des hautes technologies et de tout l'ensemble industriel nécessaire entourant cela. Je le disais encore cette semaine, le Canada et le Québec ne font pas assez. Il y a énormément à faire et il faut le faire assez rapidement.

En revenant sur cette fameuse contrainte de temps, on m'a avisé qu'il me restait dix minutes, questions et réponses, vous et moi. Mon collègue, M. Ciaccia, aurait une question à vous poser et j'en aurais deux petites après lui. Pour le moment, je cède la parole au ministre de l'Énergie et des Ressources.

M. Ciaccia: Je remercie mon collègue. M. le Président...

Le Président (M. Charbonneau): Simplement pour s'entendre, il faut que les réponses qui sont comptabilisées dans le temps puissent permettre la discussion. Je pense qu'on pourra toujours ajouter quelques instants, comme on l'a déjà fait, mais on n'a pas deux heures devant nous. Alors, allons-y.

M. MacDonald: Mieux vaut prévenir que guérir.

Le Président (M. Charbonneau): Voilà:

M. Ciaccia: Je serai très bref. M. Tremblay, vous avez parlé de l'importance du développement régional et des mesures que le gouvernement fédéral prenait pour décentraliser le développement régional. Vous avez aussi indiqué qu'on devrait faire des pressions auprès du gouvernement fédéral pour un office de développement régional conjoint entre le Québec et le gouvernement fédéral. Est-ce que vous pourriez expliquer un peu ce concept?

M. Tremblay (Rodrigue): Certainement, M. Ciaccia. Les subventions fédérales pour une industrie en particulier vont être sans doute proscrites dans le cadre d'une entente de libre-échange. Par contre, les subventions au développement régional vont sans doute encore être permises. Je donne l'exemple de l'Europe. En Europe, on est allé beaucoup plus loin. On est pratiquement près d'une union économique. On souhaite même, dans certains pays, une union politique.

On a un fonds de développement régional avec possibilité de bonifier le rendement financier d'un investissement dans un projet donné. Je sais que vous avez été très intimement lié à un projet dans ma ville natale, Matane, en Gaspésie et je connais les réticences de l'ancien MEER reliées à ce projet. Mais on concevrait qu'un fonds de développement régional de cette nature, administré conjointement par le gouvernement du Québec et par le gouvernement fédéral, puisse fonctionner tout en étant respectueux des règles globales antisubventions directes contenues dans l'accord.

C'est pour cela que je disais que le gouvernement provincial doit garder cette responsabilité de promouvoir le développement régional à l'intérieur du Québec mais aussi que le Québec, comme région industrielle, doit maintenir un statut industriel dans l'ensemble du Canada. Le gouvernement du Québec doit être prudent et prendre des engagements comme quoi il pourrait diminuer son intérêt pour ce genre de politique. Nous vivons dans des pays civilisés et il n'est pas bon d'avoir des concentrations industrielles qui vident les régions de leur population avec les coûts sociaux que cela représente, etc. On a compris cela en Europe et on l'a compris au Canada aussi. Je pense que c'est bien admis et je suis certain que le gouvernement fédéral et les négociateurs canadiens n'abdiqueront pas dans une entente de libre-échange cette responsabilité dans le domaine du développement régional.

M. Ciaccia: Je vous remercie. Spécialement en vue du projet que vous-même avez mentionné, l'aspect conjoint gouvernement fédéral et Québec me rend un peu sceptique vu la performance dans le passé de certains projets que le Québec favorisait. Je vous remercie pour vos commentaires.

M. Tremblay (Rodrigue): La politique rend sceptique, M. Ciaccia.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Roberval.

M. Gauthier (Roberval): Merci, M. le Président. M. Tremblay, il y a plusieurs aspects qu'on voudrait avoir la chance de traiter avec vous mais évidemment, le temps nous en empêche. Il y a deux choses que je retiens à ce stade-ci et même si elles ne sont pas nécessairement reliées, je vais vous lancer les deux questions en espérant pouvoir obtenir des commentaires de votre part sur les deux aspects.

Le premier aspect, c'est l'aspect politique que vous avez très légèrement abordé tout à l'heure et sur lequel personne ne nous a donné, à ce stade-ci, d'éclaircissement. Il s'agit du pouvoir du gouvernement fédéral, à ce moment-ci, pour entreprendre une négociation, d'utiliser son droit constitutionnel à organiser le commerce international et à négocier avec les Américains, mais à négocier en s'arrogeant -sans qu'il n'en soit question sur la place publique - des pouvoirs qui peuvent appartenir aux entités canadiennes que sont les provinces. C'est bien intéressant, un fonctionnement comme celui-là, mais plusieurs personnes se demandent après coup, après le fait et après que l'entente soit signée - si d'aventure on en signe une - Est-ce que l'ordre et le partage délicat des pouvoirs entre le fédéral et les gouvernements provinciaux pourront demeurer les . mêmes dans le contexte d'une entente de libre-échange avec les États-Unis au s'il ne faudra pas prévoir une récupération de pouvoir à jamais au niveau fédéral? Ça, c'est ma première question. Je ne sais pas si vous avez étudié tout cet aspect mais j'apprécierais vos commentaires.

La deuxième, c'est que vous avez parlé des prises de contrôle et c'est un aspect qui nous préoccupe au plus haut point. Il y a effectivement un danger dans une entente de libre-échange qu'au départ, la réorganisation industrielle se fasse à partir de prises de contrôle de grosses entreprises américaines pour lesquelles ce serait peut-être plus possible de faire des mouvements intéressants que les petites entreprises canadiennes ou québécoises. Vous avez parlé de la nécessité de surveiller cet aspect des choses. J'aimerais savoir si vous avez songé à un mécanisme quelconque, à une forme d'arbitrage ou d'évaluation de ces situations et comment cela pourrait fonctionner? Comment cela devrait-il être inclus ou quel mouvement législatif ou autre devrait être fait au Canada pour mettre en place une structure de surveillance qui soit efficace et qui nous évite des problèmes importants?

M. Tremblay (Rodrigue): Oui, M. le député. Très rapidement, parce que le président nous a avertis qu'il ne nous restait pas tellement de temps. Votre préoccupation, c'est un peu la mienne aussi concernant la jurisprudence qui est en train de s'établir à la suite de la nouvelle constitution canadienne de 1982 et concernant le pouvoir fédéral à appliquer des traités à l'intérieur du Canada une fois que ces traités ont été adoptés. Et contrairement aux États-Unis, c'est un peu flou au Canada. Je ne suis pas un expert constitutionnel, mais aux États-Unis les traités lient les citoyens américains, y compris les États. Au Canada, l'article 92 de l'ancien Acte de l'Amérique du Nord britannique définit des champs de juridiction uniques aux provinces, exclusifs, et l'article 91 donne au gouvernement fédéral d'autres champs de sorte que je pense que le gouvernement fédéral ne peut pas forcer les gouvernements provinciaux à suivre des directives qu'il aurait imbriquées dans un traité international. C'est mon impression mais il faut être prudent à ce niveau-là. C'est pour cela que je pense qu'il est tout à fait nécessaire que les gouvernements provinciaux acceptent les points de l'entente qui les touchent directement. Lorsqu'il y aura un changement de réglementations, un changement de lois qui sont des lois provinciales, il va être nécessaire que les gouvernements provinciaux acceptent par définition puisqu'ils ont un veto de facto, comme on l'a déjà dit. Ce contre quoi j'en avais dans mes remarques préliminaires, c'est que les Législatures provinciales adoptent l'ensemble de l'entente et la fassent leur. Je pense que ce doit être l'entente du gouvernement fédéral canadien avec le gouvernement fédéral américain et qu'on doit laisser ces deux instances gouvernementales appliquer l'entente. Donc, les provinces doivent être prudentes à ce sujet.

En ce qui concerne la prise de contrôle, il va y avoir une clause concernant le traitement national dans cette entente. Pour les nouveaux investissements - c'est un point sur lequel les États-Unis sont demandeurs - le risque est beaucoup moins grand. Le risque est beaucoup plus grand lorsqu'on parle de prise de contrôle d'entreprises existantes, surtout lorsqu'il s'agit de petites entreprises en pleine croissance, en train de décoller. À ce moment-là, je pense que le fédéral ne devrait pas réduire davantage la responsabilité de l'Agence fédérale de tamisage des investissements étrangers mais peut-être la resserrer pendant la période de transition, quitte, lorsqu'on sera aguerri, à l'enlever. Peut-être que le gouvernement du Québec devrait aussi avoir un rôle plus grand à jouer dans ce domaine, comme on en avait... Lorsque j'étais ministre de l'Industrie, on a transféré au fédéral le soin d'approuver les dossiers, peut-être pas les petits dossiers.

Mais quand cela dépasse 5 000 000 $, je pense que le gouvernement du Québec devrait avoir son mot à dire et demander au gouvernement fédéral, pendant la période de transition, d'être impliqué, sans créer de nouveaux organismes ou de nouvelles lois, je pense qu'on les a déjà.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. MacDonald: M. Tremblay, il nous reste, comme vous le disiez, quelques minutes. II y a des collègues qui auraient aimé vous poser des questions et j'aimerais aborder avec vous, peut-être à un autre moment, toute la question des services, la question des entreprises dites traditionnelles ou secteurs mous. Il ne me reste, en fait, qu'une seule question. Alors, je vais la poser de la façon suivante: Vous avez été ministre de l'Industrie et du Commerce. Vous avez été consultant auprès d'entreprises. Vous avez le pouls et vous êtes obligé, dans votre fonction, de l'avoir sur ce qui se passe dans le secteur de la fabrication et dans de multiples secteurs du Québec.

Il y a, comme on a pu le voir, des gens qui sont contre, certains avec des balises, d'autres totalement, entièrement et complètement contre toute négociation et nécessairement contre toute entente de libéralisation des échanges avec les États-Unis. La coalition qui s'est présentée devant nous était essentiellement composée de membres représentants des employés syndiqués de la province.

Est-ce que vous pourriez me donner votre interprétation des raisons de cette opposition catégorique de la part de cette coalition? Est-ce qu'il y a quelque chose qui est mal expliqué ou qui est trop facilement apparent? Quelle est votre impression sur ce sujet?

M. Tremblay (Rodrigue): M. le ministre, vous voulez m'amener sur un terrain glissant.

M. MacDonald: Vous êtes habitué.

M. Tremblay (Rodrigue): Ma position, comme celle d'un grand nombre d'entre vous, c'est qu'on ne peut pas jouer à l'autruche et dire que les États-Unis ne sont pas nos voisins. Les États-Unis sont là et je pense que c'est à la fois une menace sur le plan politique, dans un sens, mais ce n'est pas une menace comme on pourrait en avoir provenant d'autres pays, mais c'est aussi une grande occasion économique et industrielle et on doit en profiter.

Maintenant, dans un débat, comme le mentionnait M. Parent, il y a des positions idéologiques et stratégiques qui sont prises. C'est normal. Je dois vous dire qu'il y a bien des sénateurs qui font des déclarations présentement aux États-Unis pour renforcer la position de négociation de M. Murphy. Je crois que M. Peterson, le premier ministre de l'Ontario, a fait des déclarations qui étaient intelligentes afin de renforcer la position de nos négociateurs. Je crois que vous-même avez pris des positions en posant des conditions afin de renforcer notre position de négociation. C'est tout à fait dans l'ordre.

Mais on peut aller plus loin et dire qu'idéologiquement, on ne veut rien faire avec les États-Unis parce que c'est un pays capitaliste qui croit à la liberté d'entreprise et au fonctionnement des marchés, etc., et que nous, nous sommes peut-être des socialistes ou des communistes qui aimons bien tout planifier avec un gouvernement central très fort, etc. Cela est une position idéologique; pour autant qu'elle est présentée sous cette forme, il n'y a pas d'objection. On peut la discuter et la discuter à son mérite.

Il y a aussi des positions stratégiques qu'on va prendre lorsqu'on veut avoir, par exemple, des programmes de recyclage et de compensations financières. Je pense que les chefs syndicaux sont tout à fait bien intentionnés dans leur demande, soit qu'on ne sacrifie pas certains travailleurs en nombre limité pour le bien-être du grand nombre. Je pense que le grand nombre va bénéficier de l'entente: les consommateurs vont en bénéficier, les travailleurs vont en bénéficier et les jeunes vont en bénéficier. Mais il ne faudrait pas qu'on piétine en cours de transition des travailleurs rendus à 50 ou à 60 ans et qu'on les mette à la retraite avec une pension limitée, etc. Ce sont des préoccupations tout à fait légitimes. Je n'ai absolument rien contre les chefs syndicaux qui exigent qu'an respecte les droits des individus. Toute l'opération, c'est d'élever le niveau de vie des gens et de revaloriser les travailleurs. Car finalement, pour qui fonctionne une économie si ce n'est pour les travailleurs?

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci. D'ailleurs, sur ce point, vous disiez récemment qu'aucune étude empirique ne conclut à une baisse possible du niveau de vie canadien avec la consolidation des marchés nord-américains. Alors, je trouve cela intéressant parce que cela fait partie de la préoccupation d'à peu près tout le monde. Est-ce que cela va changer? Est-ce que cela va améliorer ou si cela va baisser notre niveau de vie?

En terminant, M. Tremblay, j'ai deux questions à poser sur deux domaines qui me tracassent beaucoup et particulièrement avec les consultations que nous avons eues depuis

une semaine. Il s'agit du domaine de l'agriculture et du domaine du textile. Dans une entrevue que vous accordiez à Finance le 25 mars 1985, de façon générale vous déclariez que le libre-échange permettrait une augmentation de 48,2 % de la production manufacturière au Québec. C'est le contexte général à partir des scénarios et des simulations que vous avez faits. J'aimerais que vous puissiez nous dire un peu si cette augmentation prévisible de 18 % selon vos scénarios tient toujours. Dans le cas particulier de l'industrie du vêtement et de l'industrie du textile, vous dites que pour un certain nombre d'industries, il existerait une possibilité de doubler leur dimension actuelle. C'est le cas de l'équipement de transport, du textile et des produits de papier. L'industrie du vêtement - et je vous cite - pourrait s'accroître des deux tiers. Cela me fait poser beaucoup de questions. Quant au secteur agricole, vous disiez: C'est un autre secteur qui est menacé par le protectionnisme américain. Et ici, on en a parlé largement. Cependant, vous dites un peu plus loin: II pourrait s'accroître de 60 % dans l'hypothèse de concurrence imparfaite ou parfaite. Or, vous dîtes que cela pourrait s'accroître de 50 % à 60 %. Le libre-échange signifierait simplement l'accès garanti au marché américain dans ces secteurs. Alors, sur la question agricole, on connaît les préoccupations que les gens de l'UPA nous ont amenées, on connaît la position du gouvernement et la nôtre. On a beaucoup de préoccupations même à inclure la question de l'agriculture. Vous, vous semblez, de ce côté du moins, beaucoup moins préoccupé. J'aimerais que vous puissiez commenter les questions du textile et aussi les questions de l'agriculture.

M. Tremblay (Rodrigue): M. Parent, vous ouvrez toute une porte à la toute fin de notre conversation qui exigerait peut-être encore trois quarts d'heure de discussion. Rapidement, je dirais simplement ceci: lorsqu'on enlève des taxes - c'est de cela dont on parle - de part et d'autre, on ne peut pas faire autrement qu'encourager l'activité économique. S'il y avait des taxes entre Québec et Montréal et qu'on enlevait ces taxes, cela encouragerait l'activité au Québec. S'il y avait des taxes entre le Québec et l'Ontario et qu'on enlevait ces taxes, cela encouragerait l'activité dans les deux provinces. Maintenant, on fait la même chose entre le Canada et les États-Unis. Il n'y a rien de sorcier. Depuis l'après-guerre, on l'a fait à sept occasions dans le cadre du GATT. On avait des tarifs de 30 % à 40 % après la guerre, maintenant on est rendu à des tarifs de moins de 10 % et qui vont en décroissant. Donc, en termes d'effets économiques positifs, je pense que c'est absolument indiscutable. Par contre, vous soulevez le point du domaine de l'agriculture et jusqu'à un certain point le domaine du textile. Dans le domaine de l'agriculture, il y a un aspect industriel et il y a un aspect social. Nous avons toutes sortes de programmes en agriculture qui sont de nature sociale, qui visent à stabiliser les revenus par la stabilisation des prix et qui visent à contrôler la production, etc., etc. C'est pour cela que dans bien des régions, quand on a créé des zones de libre-échange, on a exclu l'agriculture. Dans la zone de libre-échange en Europe, on l'a exclue. Dans le marché commun, étant donné que c'est un marché commun européen plus intégré, on a une politique agricole commune, mais qui reçoit des tiraillements parce que c'est tellement complexe.

Dans le cas qui nous préoccupe, la relation entre le Canada et les États-Unis, il serait sage que ce secteur soit traité à part parce que, aux États-Unis, ils ont toutes sortes de subventions dans le domaine de l'agriculture. Les sénateurs dont les États produisent des arachides ont des subventions, ceux qui produisent du tabac, ceux qui produisent du coton et ceux qui produisent du sucre ont des subventions; ceux qui produisent toutes sortes de denrées comme celles-là ont des subventions. C'est un domaine extrêmement complexe. C'est un marécage qu'on n'est pas prêt, quand on a toutes sortes d'autres problèmes plus faciles à résoudre, à régler dans les prochaines années. C'était ma recommandation.

En ce qui concerne le domaine du textile, je suis beaucoup plus optimiste. Il y a des sous-secteurs du textile qui sont peut-être moins concurrentiels que d'autres, mais la position du textile en général est assez bonne face au marché nord-américain. Il est plutôt menacé par des importations en provenance du Brésil, de Taiwan, de Singapour. Mais face aux Américains, nous sommes assez bien placés concernant le vêtement, Montréal a une vocation de leader dans le vêtement haut de gamme en Amérique du Nord et dans le monde. Donc, Montréal en particulier et d'autres villes du Québec sont très bien placées de sorte que ce secteur... Ce n'est pas la même chose pour la bonneterie, par exemple, et d'autres petits secteurs qui ont moins de technologie et de design dans leurs produits, mais pour le textile et le vêtement, je pense que le secteur est bien placé.

Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse, M. Tremblay, il ne me reste, au nom des membres de la commission, qu'à vous remercier d'avoir participé à notre consultation générale. Je crois que je me fais le porte-parole de tout le monde pour dire qu'on a tous apprécié la discussion que nous avons eue avec vous. Je crois que cela a aussi permis aux gens qui suivent les

travaux de la commission, notamment à la télévision, d'améliorer leurs connaissances ou leur intérêt à l'égard de ce dossier. Je vous remercie et j'espère qu'on aura d'autres occasions de vous revoir à la commission de l'économie et du travail.

M. Tremblay (Rodrigue): Merci beaucoup, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Merci. Bon retour.

Nous allons recevoir maintenant la Société d'électrolyse et de chimie Alcan Ltée, mais auparavant, nous ferons une pause de quelques instants. Au retour, la députée de Mégantic-Compton présidera les travaux pour un certain temps. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 11 h 23)

(Reprise à 11 h 31)

La Présidente (Mme Bélanger): La commission de l'économie et du travail reprend ses travaux.

Nous avons le plaisir d'accueillir la Société d'électrolyse et de chimie Alcan Ltée. Les membres de la commission vous souhaitent la bienvenue. Permettez-moi de vous rappeler les règles du jeu. Vous avez une heure pour votre audition, répartie comme suit: 20 minutes pour faire votre exposé, 20 minutes de discussions avec le côté ministériel et 20 minutes de discussion avec l'Opposition. Vous voudriez bien, pour les fins du Journal des débats, vous présenter» Vous avez la parole.

Société d'électrolyse et de chimie Alcan Ltée

M. Sénécal-Tremblay (François): Mme la Présidente, mon nom est François Sénécal-Tremblay. Je suis président de la Société d'électrolyse et de chimie Alcan, une des grandes filiales d'Alcan qui oeuvre tant au Québec que dans le reste du Canada.

Il me fait plaisir d'être devant vous ce matin pour exposer les positions de notre entreprise sur la grande question du libre-échange. Pour ce faire, je suis accompagné de Jacques Fortin, directeur des affaires gouvernementales pour le Québec et de Gilles Proulx, chef économiste, expansion commerciale. Ces derniers m'assisteront dans ma présentation et dans les réponses aux questions qu'elle pourrait soulever.

Permettez-moi d'abord de préciser qu'Alcan est heureuse de répondre à l'invitation du gouvernement du Québec de présenter ses vues sur la libéralisation des échanges entre le Canada et les États-Unis. Le libre-échange avec les Américains est devenu un enjeu fondamental pour l'avenir de plusieurs régions de ce pays dont la santé économique dépend de la mise en valeur des ressources naturelles et de l'accès aux marchés extérieurs.

Le libre-échange est aussi une question vitale pour l'industrie canadienne de l'aluminium. Au Québec, l'aluminium vient au troisième rang des produits d'exportation avec une valeur prévue de près de 2 000 000 000 $ canadiens en 1987. Si vous regardez le premier graphique, vous pouvez voir comment et avec quelle rapidité depuis 1982 les exportations québécoises ont augmenté, passant de 500 000 000 $ en 1932 è tout près de 2 000 000 000 $ en 1986. C'est la raison pour laquelle Alcan croit important de se prononcer devant les membres de cette commission.

Premier producteur d'aluminium au monde, Alcan a son siège social à Montréal. Entreprise intégrée, elle est impliquée dans toutes les étapes de la production depuis l'extraction de la bauxite jusqu'à la vente d'une gamme de produits finis.

En 1986, la société a réalisé un chiffre d'affaires de plus de 6 000 000 $ américains, soit l'équivalent d'à peu près 8 000 000 $ canadiens, dont environ 33 % étaient constitués de ventes à des tiers aux États-Unis.

La participation d'Alcan à l'économie québécoise est fort importante. Ses usines et bureaux emploient près de 10 000 personnes au Québec, dont la moitié est affectée aux activités d'électrolyse et de coulage. Près de 4000 personnes se retrouvent d'abord dans les activités de la chimie, celles de l'énergie, du transport, des services et du siège social de la Société d'électrolyse et de chimie à Montréal. Quant aux activités de transformation, elles emploient 700 personnes et, finalement, 500 personnes sont affectées au service de recherche et au siège social international, toujours à Montréal.

Pour chacun de ces emplois directs, on compte deux emplois indirects. Au total, la valeur annuelle des salaires, des immobilisations et dépenses d'Alcan au Québec approche 1 000 000 000 $.

Depuis ses origines, Alcan voit le Québec comme une excellente terre d'accueil pour ses activités, parce qu'il offre des ressources hydroélectriques à bon prix. L'industrie de l'aluminium est une grande consommatrice d'énergie, comme vous le savez. Pour demeurer concurrentielle, elle a besoin d'oeuvrer sur des territoires offrant les sources d'énergie les moins coûteuses. Or, le Québec est l'une des quatre régions du monde où c'est le plus avantageux de produire de l'aluminium, les autres étant le Brésil, le Venezuela et l'Australie.

À cause du potentiel hydroélectrique du Québec, Aican a choisi de s'établir à Shawinigan où, en 1901, elle coulait les premiers lingots d'aluminium canadiens.

Aujourd'hui, l'usine de Shawinigan produit près de 85 000 tonnes de métal par année. L'établissement d'Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean, durant les années vingt, tient au même contexte. Dans cette région, Alcan produit de l'alumine, à partir de bauxite importé, dans son usine Vaudreuil située à Jonquière. Elle produit son aluminium primaire, métal en lingot, dans différentes usines de la province dont à Jonquière, La Baie, Aima, Shawinigan et Beauharnois. Elle exploite aussi une usine à Kitimat, en Colombie britannique. Mais les trois quarts de la capacité canadienne de production d'aluminium primaire d'Alcan, soit 800 000 tonnes sur environ 1 100 000 tonnes, sont concentrés au Québec.

Rappelons qu'à l'aube des années quatre-vingt, l'augmentation sensible des coûts énergétiques a entraîné d'importants ajustements dans l'industrie. Cette conjoncture énergétique mondiale a, par exemple, été responsable de la disparition presque complète de l'industrie d'aluminium primaire au Japon. Aux États-Unis, la production d'aluminium a été réduite du tiers depuis le début de la décennie, passant de 4 600 000 tonnes, à 3 200 000 tonnes présentement.

Les ressources hydroélectriques abondantes et économiques et l'existence d'un complexe industriel intégré ont permis à Alcan de renforcer sa position concurrentielle durant la crise énergétique et de maintenir un haut niveau de production malgré la récession. C'est ainsi que les installations d'Alcan ont fonctionné à près de 90 % de leur capacité de production, alors que le reste de l'industrie de l'aluminium a fonctionné à des taux beaucoup plus faibles.

La conjoncture énergétique a tourné à l'avantage de l'industrie canadienne de fabrication de métal primaire. Depuis le début des années quatre-vingt, le Canada a vu sa part du marché des pays non socialistes passer de 7,6 % à 11,3 %. L'augmentation a été concentrée au Québec. Notre province a augmenté sa capacité de production de plus de 500 000 tonnes, soit de 50 %, au cours des dix dernières années.

Cette croissance de l'industrie au Québec s'explique, entre autres, par l'utilisation de l'énergie hydroélectrique, une ressource renouvelable et abondante, durant la crise énergétique mondiale. Sa position concurrentielle s'est aussi améliorée grâce à la baisse réelle de la valeur du dollar canadien. Toutefois, la raison principale de cette croissance demeure la décision du gouvernement du Québec et d'Hydro-Québec d'utiliser l'hydroélectricité comme levier de développement économique en offrant des tarifs avantageux aux utilisateurs d'énergie.

Ces conditions favorables ont incité de grands producteurs à investir dans de nouvelles installations. Alcan a construit une nouvelle aluminerie à Grande-Baie, à ta fine pointe de la technologie, de 170 000 tonnes de capacité annuelle. Reynolds a agrandi son usine de Baie-Comeau, ajoutant environ 113 000 tonnes. Comme vous le savez tous, le groupe composé de Pechiney, Reynolds, Alumax et de la Société générale de financement a construit une nouvelle aluminerie à Bécancour, 230 000 tonnes de capacité. D'autres producteurs étudient périodiquement la possibilité de construire des installations au Québec.

J'aimerais maintenant faire une analyse très rapide du marché et, en particulier, du marché américain de l'aluminium. Le marché est international. En effet, Alcan ne vend au Canada qu'environ 20 % de sa production canadienne; le reste de sa production est exporté aux États-Unis, 50 % du total, et ailleurs dans le monde pour 30 %. On verra dans quelques instants que la production québécoise est encore davantage orientée vers le marché américain.

L'industrie canadienne de l'aluminium primaire a progressé presque essentiellement grâce aux marchés étrangers où elle vend pratiquement toute sa production. Son expansion dépend donc, dans une large mesure, des politiques commerciales de ses pays clients actuels et potentiels, de même que de celles du Canada. Pour Alcan, qui vend près des deux tiers de sa production québécoise aux États-Unis, l'accès au marché américain est une question vitale.

Si vous jetez un coup d'oeil sur l'illustration no 2, vous voyez que, de la production totale québécoise, 65 % s'en va vers les États-Unis alors que 25 %, grossièrement, reste au Canada et que 11 % se dirige vers le reste du monde. Nous sommes très lourdement orientés vers l'exportation aux Etats-Unis.

Sans ses exportations aux États-Unis, l'Alcan serait fort différente car la taille du marché canadien ne justifie pas des installations comme celle du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Plus de 6000 personnes y sont employées et on y produit plus de 5 % de la production mondiale d'aluminium primaire. Le Canada tout entier ne consomme, sous toutes ses formes, que 500 000 tonnes d'aluminium par année. La production d'Alcan au Québec s'élève à 800 000 tonnes auxquelles s'ajoutent les 270 000 tonnes produites à Kitimat et destinées en quasi-totalité au marché asiatique.

Les États-Unis sont à la fois le plus grand producteur et le plus grand consommateur d'aluminium. C'est donc le marché le plus convoité au monde. Alcan a donc dû travailler ferme pour s'y implanter. Elle l'a fait de deux manières, soit en grugeant des parts de marché par un excellent réseau de distribution de ses lingots produits au Québec, soit par l'acquisition pure et simple d'installations de production

et de transformation situées sur le territoire américain.

Comme on peut le voir sur l'illustration 3, en 1986, les importations canadiennes sur le marché américain de l'aluminium comptaient pour 15 % d'un total d'importations s'établissant à 22 %. Les importations canadiennes comptaient donc, cette année-là, pour 68 % des importations totales de lingots d'aluminium aux États-Unis et Alcan faisait les deux tiers des importations en provenance du Canada.

Voyons maintenant quelques caractéristiques importantes du commerce de l'aluminium. Depuis le 1er janvier dernier, l'aluminium en lingot, qui est le principal produit d'exportation d'Alcan, est libre de tout droit à l'entrée aux États-Unis et au Canada. L'abolition des droits à l'entrée pour le métal en lingot constituait la dernière étape d'une élimination progressive consentie lors des derniers accords du GATT et commencée en 1980 par le Tokyo Round. Le libre-échange existe donc bel et bien pour l'aluminium en lingot. Le commerce canado-américain des matières premières comme l'alumine est aussi libre de tout droit à l'entrée.

Pour ce qui concerne les produits transformés, des droits à l'entrée américains subsistent. Le Canada impose aussi des droits à l'entrée qui sont un peu plus élevés. Ces protections ont cependant été réduites substantiellement à la suite des accords du Tokyo Round. Les droits à l'entrée au Canada varient entre 2,1 % et 10,2 % selon la classe de produits, alors que, du côté américain, les droits se situent entre 2,6 % et 5,7 %.

Malgré cette élimination des barrières tarifaires pour le commerce de l'aluminium en lingot, une menace demeure: celle de voir l'industrie américaine de l'aluminium obtenir de nouvelles. protections contre les importations d'aluminium, actions entreprises en vertu des lois commerciales américaines, soit l'imposition de droits compensateurs, de droits antidumping, de mesures de sauvegarde ou d'autres mesures du genre.

L'enjeu majeur pour nous a donc trait à la montée du protectionnisme américain. Des produits d'autres secteurs de l'économie canadienne, la potasse, le bardeau, le bois d'oeuvre, l'acier, ont récemment été menacés ou touchés par des actions en ce sens. L'aluminium n'est pas à l'abri d'une telle procédure. (11 h 45)

Que faut-il faire? Quelles sont nos meilleures protections? D'après nous, la signature d'un accord de libre-échange entre les États-Unis et le Canada réduirait sensiblement l'incertitude. L'industrie canadienne de l'aluminium a besoin d'un accès garanti au marché américain. Le libre-échange réduirait substantiellement les risques d'impacts négatifs sur la production de métal primaire au Canada.

L'accès garanti au marché américain est d'autant plus nécessaire car, en plus de la concurrence des producteurs américains, Alcan fait de plus en plus face à la concurrence de jeunes producteurs dans l'industrie de l'aluminium. Ces nouveaux venus qui sont l'Australie, le Brésil et le Venezuela, bénéficient de deux avantages importants sur leur territoire respectifs d'abord, ils utilisent une énergie abondante et économique, comme nous le faisons; ensuite, ils ont accès à des gisements de bauxite sur leur propre territoire, ce que nous n'avons pas. Forts de ces deux avantages, ces nouveaux producteurs se révèlent des concurrents de plus en plus vigoureux.

En dix ans, la part de la production mondiale d'aluminium détenue par ce qu'on appelle les îlots d'énergie, comprenant notamment le Canada, le Brésil, le Venezuela et l'Australie, est passée de 20 % à 40 %. Cette part a donc doublé. Cela est d'autant plus remarquable et menaçant à la fois que le marché de l'aluminium est un marché mature depuis 1973. En d'autres mots, ce marché est en croissance lente. On assiste maintenant à un déplacement de parts de marché à la suite surtout de l'apparition des jeunes producteurs.

Sur les illustrations 4 et 5, vous pouvez voir facilement les changements notables qui se sont produits entre 1980 et 1987. Les colonnes en bleu indiquent le niveau de production des différents pays en 1980, tandis que le sommet de la colonne en rouge indique la croissance qui s'est faite entre 1980 et 1987. II est clair que la croissance au Canada est assez importante, 43 %. Au Québec, cela a atteint presque 60 % avec l'arrivée de Bécancour, avec la nouvelle usine de Grande-Baie. L'Australie a augmenté sa production de près de 250 % et c'est la même chose au Brésil. L'augmentation semble beaucoup plus faible au Venezuela, mais ce qu'il faut comprendre, c'est qu'avant 1980, au Venezuela, la production d'aluminium était à peu près nulle. Tout s'est produit entre, disons, 1978 et 1980 et entre 1980 et 1987. D'une part, c'est la situation pour les pays qui, eux, ont réussi à augmenter leur production de façon considérable.

Voyons l'impact que cela a eu ailleurs. Ici, les deux premières colonnes de l'illustration vous donnent le total combiné d'accroissement au Canada, en Australie, au Brésil et au Venezuela. Faisant pendant à cela, vous avez la diminution de production très importante des États-Unis, qui a baissé de 30 %, et du Japon, où effectivement la production de l'aluminium primaire a presque totalement disparu, ayant diminué de 97 % par rapport au niveau de 1980.

Alors, il y a un changement important

qu'on retrouve aussi ailleurs. Par exemple, vous retrouvez un phénomène semblable en Europe au bénéfice des jeunes producteurs et du Canada, qu'on ne peut pas appeler exactement un jeune producteur tout en se rappelant que le pays demeure quand même très jeune.

Pour conclure, je vous réitère trois points importants qui justifient notre prise de position. Premièrement, Alcan estime que la signature d'un accord serait favorable et protégerait ses opérations canadiennes et québécoises contre un protectionnisme américain de plus en plus menaçant. Le libre-échange, c'est l'assurance contre les accidents de parcours dans les relations commerciales entre nos deux pays.

Deuxièmement, pour assurer une transition harmonieuse et sans douleur entre la situation actuelle et celle du libre-échange, les gouvernements canadien et américain devraient s'entendre sur une élimination progressive, au cours des dix prochaines années, par exemple, des droits et autres barrières à l'importation. Par ailleurs, ils devraient s'entendre aussi sur les institutions et les mécanismes de l'accord qui assureront, sur une base bilatérale, l'exemption face aux mesures protectionnistes que chacun des deux signataires pourrait vouloir prendre.

Troisièmement, les négociations avec les États-Unis demeurent une priorité importante à l'heure actuelle. Plusieurs régions dépendent, pour leur avenir économique, de la mise en valeur de leurs ressources naturelles. C'est le cas, entre autres, du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Pour ces régions, la conclusion d'une entente de libre-échange est primordiale.

Ce matin, Mme la Présidente, j'ai tenté de vous démontrer que l'établissement de l'industrie de l'aluminium au Québec et son développement ont reposé sur deux conditions essentielles: d'abord, un approvisionnement accessible et continu en énergie; ensuite, comme le marché intérieur est limité, un accès facile aux marchés extérieurs. Je vous signale, sur ce plan, que l'industrie de l'aluminium a plusieurs points en commun avec de nombreuses industries canadiennes.

Je vous ai informé que, dans son ensemble, l'industrie canadienne accueille favorablement l'initiative des gouvernements canadien et américain de négocier un accord de libre-échange. Cette situation prévaut, parce que nous pensons qu'une telle entente apporterait plus de sécurité dans les relations commerciales, augmenterait les échanges commerciaux, assurerait une meilleure efficacité à l'industrie et serait bénéfique aux consommateurs des deux côtés de la frontière.

Je terminerai, Mme la Présidente, en répétant que la société Alcan croit au libre-échange. Elle y croit parce qu'elle peut miser sur une bonne gestion des ressources naturelles au Québec et sur l'excellence de son personnel pour son développement international. Je vous remercie de votre attention.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci Monsieur, pour votre exposé. Je cède maintenant la parole au ministre du Commerce extérieur. M. le ministre.

M. MacDonald: Mme la Présidente, Messieurs. En fait, je vais me permettre de dire que l'Alcan nous a habitués, généralement, en faisant bien les choses et je crois que vous ne vous êtes pas démentis ce matin. Vous avez démontré un intérêt tout au long de la progression de ce dossier. Je tiens particulièrement à vous souligner, M. le président, que nous avons remarqué la présence de M. Fortin, votre collègue, qui a assisté à la majorité sinon la presque totalité des auditions, ici, et cela ne fait que souligner cet intérêt. Vous rappelant que nous avons 20 minutes de questions, de part et d'autre, c'est-à-dire l'Opposition et le gouvernement, et que mon collègue, M. Ciaccia, voudrait également vous poser un cerain nombre de questions, je vais m'en permettre une première, en espérant que je pourrai revenir, à la fin, avec d'autres.

Dans votre conclusion, vous dites, premièrement: "Alcan estime donc que la signature d'un accord serait favorable et protégerait ses opérations canadiennes et québécoises contre un protectionnisme américain de plus en plus menaçant." Je regarde les chiffres que vous nous avez donnés, le Canada, à l'heure actuelle exporte de l'aluminium jusqu'à concurrence de 15 % de la consommation américaine et, pour le Québec, particulièrement, l'Alcan nous parle d'un chiffre qui serait environ les deux tiers de sa production nationale et qui ressemble à quelque chose comme 10 % de l'ensemble des exportations canadiennes vers les États-Unis. C'est une très grosse part de marché et, en y allant directement, est-ce que c'est une part de marché qui a commencé à inquiéter certains producteurs américains? Quand vous parlez de protectionnisme, avez-vous des indications quelconques que, advenant qu'il n'y ait pas entente de libéralisation des échanges, cela pourrait se traduire par une action quelconque de la partie américaine?

M. Sénécal-Tremblay: M. le ministre, non, nous n'avons pas d'indication précise. L'industrie américaine de l'aluminium n'a pas pris position de façon formelle et certainement pas de façon négative. Je crois qu'elle reconnaît que, pour les années à venir, elle va dépendre des importations de métal de l'étranger. Par contre, elle s'inquiète de certaines activités des jeunes producteurs, accusant le Venezuela de dumping sur ses

marchés et ainsi de suite. Et, ce qui nous inquiète beaucoup, en l'absence d'un accord de libre-échange, c'est que, par l'action plus ou moins réfléchie de certains nouveaux-nés dans l'industrie de l'aluminium, la réaction de l'industrie américaine soit de se protéger contre l'ensemble des exportateurs, dans son territoire. Elle peut difficilement se payer le luxe d'y aller avec un fusil de précision. Habituellement, ce qu'on fait, c'est qu'on étudie l'ensemble du dossier. À ce moment-là, les conséquences pour nous pourraient être négatives. C'est dans cet esprit de vouloir protéger ce que nous avons déjà et de pouvoir capitaliser sur ce que cela pourrait nous apporter que nous jugeons que, pour nous, le libre-échange est d'une importance capitale.

M. MacDonald: Comme vous le savez, c'est dans cet esprit que la province de Québec s'est associée au Canada pour aborder cette négociation, c'est-à-dire cette protection de nos marchés, cette vulnérabilité.

Je passe la parole à mon collègue.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le ministre de l'Énergie et des Ressources.

M. Ciaccia: Merci, Mme la Présidente. M. Sénécal-Tremblay, c'est avec le plus grand intérêt que nous avons entendu le témoignage de la compagnie Alcan. Ce témoignage est pertinent à plusieurs points de vue, je voudrais vous en souligner deux. D'une part, il brosse de façon claire la position de notre industrie de l'aluminium, l'importance d'un accord sur le libre-échange pour votre secteur qui, je crois, est évidente. D'autre part, il est le reflet de ta situation de la plupart des entreprises qui exploitent ou qui transforment les ressources naturelles au Québec.

Vous me permettrez de faire quelques remarques sur le mémoire que vous avez présenté. J'aurai quelques brèves questions. Premièrement, je voudrais souligner l'importance des ressources naturelles pour le Québec. L'exploitation et la première transformation des ressources minières, forestières, hydrauliques et énergétiques ont ajouté directement une valeur de 10 300 000 000 $ à l'économie québécoise. Cela représente 12 % de la production totale et plus de 191 000 emplois. Cette production marque, par sa présence, les économies des régions périphériques, comme vous l'avez souligné. En effet, les ressources naturelles produisent plus de 40 % des emplois directs dans l'activité primaire et manufacturière à l'extérieur de la région de Montréal. Pour quatre régions du Québec, la proportion passe au-delà de 50 %: sur la Côte-Nord, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, en Abttibi-Témiscamingue et dans l'Outaouais. Tout comme pour l'Alcan, les autres entreprises qui transforment les ressources naturelles sont de grandes consommatrices d'énergie. En 1985, pour chaque dollar en valeur ajoutée, ces industries dépensaient 0,21 $ pour l'énergie. Ailleurs, dans les industries manufacturières, il se dépense 0,04 $,

Le fait que le Québec puisse produire à prix avantageux l'électricité donne un double avantage à nos entreprises. En effet, leurs coûts de production en sont réduits d'autant. De plus, elles n'ont pas à craindre d'interruption dans leur approvisionnement.

M. Sénécal-Tremblay, vous parliez d'autres pays qui sont en concurrence avec votre industrie. La question de la fiabilité avait déjà été soulevée, même dans un article du Globe & Mail d'hier qui démontrait que même si ces pays, en termes d'hydroélectricité, peuvent concurrencer le Québec, il y a l'aspect de la fiabilité que nous avons et que d'autres pays, comme le Brésil, ne semblent pas avoir. Comme le mentionnait si bien le US General Accounting Office, en avril 1986, l'hydroélectricité offre une structure de coûts avantageuse par rapport au pétrole, au charbon ou à l'atome en raison de l'absence de coûts pour le combustible et en raison des coûts de construction inférieurs. Dans ce contexte, il est tout à fait normal que les entreprises qui se sont implantées au Québec puissent profiter de l'avantage comparatif de notre hydroélectricité. Un accord de libre-échange ne pourra remettre en cause un tel avantage pour le Québec.

D'autre part, comme les ressources hydrauliques sont abondantes sur notre territoire, nous avons la possibilité d'en exporter aux États-Unis. Cela contrebalance, dans une certaine mesure, nos importations obligatoires de pétrole. Le marché américain, comme vous l'avez souligné, est d'une grande importance pour tous les secteurs de l'économie associés à l'exploitation et à la transformation des ressources naturelles. M. Sénécal-Tremblay nous mentionnait que les deux tiers de sa production de métal primaire sont exportés aux États-Unis; près de la moitié des produits de papier sont aussi exportés vers les États-Unis. De plus, 25 % de nos expéditions de fer, au moins 20 % de notre cuivre et 18 % de notre amiante partent vers les marchés américains. Nous pouvons ajouter à ce bilan l'exportation vers les États-Unis de 52 % de zinc et de 38 % de notre ciment. Presque toute notre production d'or y est exportée. Enfin, j'aimerais ajouter qu'actuellement, 8 % de la production québécoise d'électricité est exportée vers ce marché. En conséquence, on ne peut que constater que le marché américain est vital; il justifie la taille actuelle de plusieurs de nos industries et permet à un très grand nombre de nos citoyens d'y travailler.

(12 heures)

Vous nous avez démontré l'aspect important et vital, pour votre industrie, du marché américain. Le contexte commercial actuel des échanges canado-américains des produits de l'énergie en est un pratiquement de libre-échange. À l'heure actuelle, le Canada n'impose pas de tarifs douaniers à l'importation de produits énergétiques quant aux barrières dites non tarifaires telles que les réglementations spécifiques, pour les contrôles ou les permis à l'importation de produits énergétiques, le Canada ne s'en prévaut pas non plus. En général, les produits énergétiques entrent en franchise de droit aux États-Unis. L'électricité et le gaz naturel sont exempts de tarif. Par contre, les États-Unis appliquent des tarifs douaniers aux importations de pétrole brut et aux importations de certains produits pétroliers dont l'essence et le carburéacteur. Les taxes américaines à l'importation sont des mesures protectionnistes favorables aux raffineurs américains. De plus, nous ne pouvons nier l'existence active du lobby du charbon aux États-Unis qui vise a limiter nos exportations d'électricité. Pourtant nos prix sont concurrentiels et sont, avant tout, le résultat de nos faibles coûts de production et non de subventions. Le protectionnisme américain est une réalité présente et inquiétante pour tous nos secteurs.

Enfin, je tiens à rappeler que nous avons affirmé, tout au long des négociations, l'importance de maintenir notre soutien aux économies régionales. M. Sénécal-Tremblay, vous avez aussi souligné cette importance pour certaines régions particulières.

En terminant, je voudrais remercier l'Alcan de nous avoir exposé de façon claire et concise l'importance de la signature d'un accord de libre-échange pour son entreprise. Je ne peux qu'appuyer sa position puisqu'elle correspond au besoin d'accès au marché qui caractérise l'ensemble des industries et des ressources naturelles.

M, Sénécal-Tremblay, comme vous pouvez le constater, nous nous entendons bien sur la nécessité de contrer la montée du protectionnisme américain. Vous mentionnez précisément, dans la conclusion au paragraphe 26, à la page 11 de votre mémoire, l'importance d'une entente pour les régions des ressources naturelles. Vous dites: "C'est le cas, entre autres, du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Pour ces régions, la conclusion d'une entente de libre-échange est primordiale." Brièvement, est-ce que vous pourriez nous dire les conséquences possibles, si on ne conclut pas une entente sur le libre-échange, pour une région périphérique comme celle du Lac-Saint-Jean ou d'autres qui dépendent du développement des ressources naturelles?

M. Sénécal-Tremblay: Voici, on touche évidemment au domaine hypothétique. Ce qu'on suppose, M. le ministre, c'est que, dans certaines situations de cycles économiques, où l'industrie américaine et le Congrès américain prennent des mesures pour maintenir un niveau d'emplois plus élevé chez eux, cela pourrait se faire autrement. Une réduction qui ne serait pas énorme des importations de l'aluminium aux États-Unis, si on la compare à la dimension du marché américain ou de la consommation annuelle américaine, pourrait avoir, chez nous, un impact de l'ordre de 25 % ou 30 % même de notre production québécoise ou canadienne. À ce moment, il y aurait des mises à pied qui se mesureraient non pas en centaines d'employés mais en milliers d'employés.

C'est l'une de ces situations hypothétiques que nous avons connue, par exemple, à certains moments, dans les derniers 35 ans. Il y a eu des cycles économiques où nous nous sommes retrouvés avant d'avoir établi notre infrastructure de réseaux de distribution, qui ont rendu ce genre de repli beaucoup plus difficile, dans le monde et aussi aux États-Unis. Je pense aux cycles économiques de 1957-1959 où on s'est retrouvés avec une baisse dans la production saguenéenne laquelle baisse, je pense, si ma mémoire est bonne, était à peu près de 22 % ou 23 %. Donc, nous nous sommes retrouvés avec des fermetures d'usine assez considérables. C'était d'ailleurs un peu à la suite d'événements comme ceux-là que l'action à l'Alcan s'est accélérée pour assurer un marché captif tant aux États-Unis qu'en Europe et, il y a eu une évolution vers une prépondérance du marché américain en ce qui concerne la production québécoise. Est-ce que cela répond un peu à votre question?

M. Ciaccia: Oui, merci. Vous nous dites que cela peut représenter des milliers d'emplois et que ce chômage ou ce manque d'emplois se ferait ressentir dans les régions qui dépendent du développement de cette ressource et où le remplacement de ces emplois serait très difficile parce que plus de 50 % des emplois dépendent du développement des ressources naturelles.

À la suite de la signature d'un accord sur le libre-échange, entrevoyez-vous des possibilités de développer davantage au Québec la production de produits d'aluminium transformés?

M. Sénécal-Tremblay: Dans un avenir immédiat, disons à court terme, c'est peu probable, mais la logique des choses est telle que, dans les créneaux où quelque entrepreneur que ce soit, que ce soit l'Alcan, Reynolds ou que ce soit en dehors du marché de l'aluminium, mais dans les créneaux où quelqu'un a un avantage soit technologique,

soit, effectivement, de qualité, il est évident que le libre accès à un marché de 10 ou 20 fois supérieur à celui auquel, il accède dans le moment ne peut qu'accélérer son expansion ou ne peut qu'accélérer l'augmentation de sa capacité de production de même que l'emploi qui s'ensuit.

Je pense, par exemple, à une usine comme celle du Saguenay qui prend le métal chaud à partir de nos usines et qui le transforme en tôle mincef cette tôle est distribuée sur le marché canadien et une partie de cette production s'en va sur le marché américain. L'un des problèmes associés à l'augmentation de la capacité de cette usine, ce sont les tarifs qui sur les tôles minces qui n'existent pas sur les lingots. II est évident que, dans un contexte de libre-échange, nous pourrions, avec beaucoup plus de facilité, augmenter la capacité... Ce serait plutôt d'augmenter la production de cette usine et, éventuellement, en augmenter la capacité. C'est un peu le contexte dans lequel je vois les choses, mais il est évident que ce serait un processus progressif, mais dans lequel on peut voir beaucoup de choses intéressantes, je pense.

M. Ciaccia: Merci.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, Mme la Présidente. M. Sénécal-Tremblay, M. Proulx, M. Fortin, merci d'être là. Votre présentation illustrée de graphiques montre bien l'importance et aussi la clarté pour la société Alcan de l'envergure que prendrait le libre-échange. Vous mentionnez que depuis janvier dernier, dans le domaine de l'aluminium en lingots, vous vivez déjà ce libre-échange; par contre, en ce qui regarde les produits transformés, là on parle de barrières tarifaires.

On a beaucoup de préoccupations de ce côté-ci parce que, d'un côté, Mme Pat Carney a déclaré en septembre 1986 que l'électricité ne ferait- pas partie du libre-échange et, d'un autre côté, toujours en septembre 1986, M. Peter Murphy, le négociateur américain, lui, a promis de parler d'électricité. L'électricité étant certes le coeur du problème, puisqu'elle est la source qui vous permet d'améliorer cette alimentation au niveau de votre ressource naturelle. On sait aussi que le produit fabriqué à même la ressource naturelle, lorsqu'il se vend à prix moindre qu'aux États-Unis, elle risque de se retrouver dans une situation où il y aurait une mesure compensatoire, des droits compensatoires. On l'a vécu dans d'autres domaines, an n'a qu'à penser au bois d'oeuvre et à des domaines similaires. Est-ce que vous avez - ce sera ma seule question, j'en aurais d'autres, mais je voudrais absolument que mon collègue, le député de Roberval et critique en matière énergétique puisse poser plusieurs questions; il est très soucieux de ce dossier - au moment où on se parle, septembre 1987, à quelques jours de la conclusion d'une entente, quelques échos, soit directement d'Ottawa ou directement de Québec, face à cette situation? Comment sera interprétée l'électricité comme ressource naturelle? Quels sont les dangers que l'on court de voir interpréter l'électricité comme une mesure jugée déloyale ou une subvention détournée de la part du gouvernement du Québec?

Est-ce que vous avez des indices à cet effet? Parce que vous avez certainement entretenu des relations et un bon lobbying de ce côté-là. J'aimerais savoir si, aujourd'hui, vous avez plus d'indices sur la tournure que cela va prendre. On aura beau évoquer un tribunal ou quelque formule que ce soit pour qu'on tranche ces questions, mais il reste que ce seraient là des questions vraiment épineuses qui viendraient toucher de beaucoup, certes, votre entreprise.

M. Sénécai-Tremblay: À cet égard, je pense que dans les derniers jours, pour des raisons structurelles, M. Proulx serait plus susceptible d'avoir eu des indices de la part d'Ottawa.

M. Proulx (Gilles): On n'a aucun indice. On ne connaît pas la nature de ces discussions, si elles ont lieu et quelle est leur portée.

M. Parent (Bertrand): Si je comprends bien, vous aussi, vous êtes dans la noirceur.

M. Sénécal-Tremblay: Oui, et un peu inquiets à ce chapitre. Bien que l'électricité soit un élément très important dans la fabrication de l'aluminium, il faut se rappeler aussi que les matières premières importées de l'étranger comptent pour près de 40 % du coût de l'aluminium qui est fabriqué.

Donc, ce n'est pas à un seul bloc que l'on s'adresse. Je pense qu'il faut faire attention de ne pas mettre plus d'importance là-dessus que sur certains des autres éléments qui sont très importants.

M. Parent (Bertrand): Vous parlez de la bauxite particulièrement?

M. Sénécal-Tremblay: Voilà.

M. Parent (Bertrand): Je laisserai à mon collègue...

La Présidente (Mme Bélanger): M. le député de Roberval.

M. Gauthier (Roberval): Merci, Mme la

Présidente. MM. Sénécal-Tremblay, Proulx et Fortin, dans le mémoire que vous nous présentez ce matin, j'ai l'impression j'aimerais que vous me corrigiez si je me trompe et mon collègue l'a soulevé qu'effectivement, ce que vous dites, c'est-à-dire un appui très large au libre-échange - je pense que cela se comprend très bien dans ce que vous expliquez - j'ai aussi l'impression qu'il y a une chose qui n'est pas dite et c'est cette question des tarifs hydroélectriques.

Je vais reprendre la question de mon collègue de façon un peu différente. Évidemment, comme nous tous, vous n'avez pas eu d'indication en ce sens que cela pourrait être un élément pouvant justifier les Américains de mettre en place des droits compensateurs, le fait que les tarifs d'électricité sont différents ici. Est-ce que, pour l'Alcan, c'est une préoccupation? Il me semble que c'est la préoccupation que je sens dans votre mémoire, mais qui n'est pas explicite. Est-ce que je fais erreur dans cette interprétation?

M. Sénécal-Tremblay: Jusqu'à un certain point, M. le député. Je pense que ce qui nous préoccupe davantage, ce sont des réactions intempestives soit de l'industrie de l'aluminium devant des concurrences provenant autant du Canada que d'ailleurs ou du Congrès américain pour des raisons politiques touchant l'ensemble de l'industrie de l'aluminium. (12 h 15)

Je pense que c'est notre préoccupation principale. En ce qui concerne la préoccupation spécifique des coûts énergétiques au Canada comparativement à ce que les producteurs américains ont à payer, je crois que nous pouvons faire la démonstration qu'il est tout à fait normal que les coûts de production d'électricité au Québec - où les rivières, la surabondance de l'énergie hydro-électrique, la nature des infrastructures qui, dans notre cas, ont déjà un certain âge, donc, ont été dépréciées très largement, même si dans les dix années qui s'en viennent, nous aurons à investir environ 150 000 000 $ pour les remettre parfaitement à point - arrivent à un degré nettement inférieur à celui qui prévaut aux États-Unis. L'inquiétude serait une mauvaise interprétation de la part du Congrès américain, par exemple, qui verrait là une situation de subventions gouvernementales, alors que nous, ce n'est certainement pas notre avis. On peut attaquer différents volets de ce dossier, mais je ne pense pas que ce soit ici qu'on doive le faire. Si on analyse les différents éléments de coût de production en ce qui concerne Alcan, si on analyse les différents éléments de coût de production en ce qui concerne la production d'Hydro-

Québec, il y a des éléments inhérents au Québec qui expliquent les différences considérables que la Pacific Mid-West rencontre ou que Bonneville Authority rencontre et qui fait que la production d'énergie à partir du nucléaire ou de l'huile aux États-Unis se retrouve dans une économique totalement différente.

M. Gauthier (Roberval): M. Sénécal-Tremblay, dans la même veine, il est évident que l'électricité qui est produite par Alcan elle-même ne peut être interprétée par quiconque - je ne le pense pas - comme étant une forme de subvention. Est-ce que je fais erreur quand j'affirme la chose suivante, soit que pour l'essentiel, Alcan produit toute son électricité et n'en achète pas, sinon des quantités marginales dans certaines situations, comme actuellement, quand le niveau du lac Saint-Jean est un peu trop bas parce qu'on n'a pas eu suffisamment de pluie cet été? C'est le point de vue de ceux qui font l'électricité, mais enfin!

M. Sénécal-Tremblay: Cela vous a fait un bel été, par exemple.

M. Gauthier (Roberval): Cela nous a fait un très bel été. Est-ce que c'est exact qu'Alcan n'achète à peu près pas d'électricité, finalement, donc que cela ne peut pas être pris en considération par nos voisins américains?

M. Sénécal-Tremblay: Effectivement, en période normale, notre production au Québec est suffisante pour toute notre production d'aluminium, laissant un léger excédent, par entente avec Hydro-Québec, dont on dispose. La situation courante ne correspond pas à ce critère, mais c'est la première fois depuis mon affectation chez Alcan.

M. Gauthier (Roberval): D'ailleurs, c'est le premier bel été depuis bien des années au Lac-Saint-Jean.

Mes autres questions s'adresseront plutôt au ministre, mais concernent Alcan et d'autres entreprises. On a soulevé aujourd'hui, Mme la Présidente, peut-être accidentellement, le problème que les Américains considèrent nos faibles tarifs d'électricité comme une forme de subvention déguisée. Il y a d'autres entreprises qui ne sont pas dans la même situation qu'Alcan, qui ne sont pas productrices d'électricité et qui profitent effectivement de tarifs d'électricité réduits, dans le domaine de l'aluminium, entre autres, mais dans d'autres types d'entreprise.

Ma question s'adressera au ministre. J'aimerais savoir si le ministre a abordé cette question, sachant que des négociations dont il n'est pas au courant se déroulaient au niveau canadien-américain sur le libre-

échange? Est-ce que le ministre a quand même abordé, avec ses homologues fédéraux, Masse et Carney, la question de l'électricité québécoise?

M. Ciaccia: Mme la Présidente, la position que prend le Québec est peu démontrée. L'électricité n'est pas subventionnée. HydroQuébec se comporte à plusieurs égards comme une entreprise qui serait comparable à une société américaine dans le domaine de l'énergie. C'est clair qu'il y a des montées de protectionnisme parce que le lobby du charbon veut vendre son produit et il fait des pressions. C'est pour cela que le libre-échange est important. Mais la réalité, c'est que cela coûte moins cher de faire de l'électricité avec nos rivières qu'avec le charbon ou l'énergie nucléaire. C'est cela, la base des échanges commerciaux et du libre-échange. On peut fabriquer ou manufacturer un produit sans subvention, moins cher qu'un autre pays peut le faire.

Si New-York ou la Nouvelle-Angleterre avait la rivière La Grande dans leur Etat, on ne pourrait pas exporter l'électricité parce qu'ils pourraient produire l'électricité à meilleur prix. C'est la réalité. On n'a pas d'oranges au Québec, et eux n'ont pas la rivière La Grande en Nouvelle-Angleterre. C'est cela, la situation. Nous avons l'appui de la Nouvelle-Angleterre, des gouverneurs, des consommateurs, des dirigeants des sociétés d'énergie pour maintenir cette situation de libre-échange de ne pas taxer l'électricité. C'est la position. Jusqu'à maintenant, en dehors de ce lobby du charbon, c'est la position qui...

M. Gauthier (Roberval): Je comprends maintenant davantage la réponse du ministre. Je pense qu'il y a eu un problème de communication entre nous deux...

La Présidente (Mme Bélanger): Si vous voulez m'excuser, disons que le débat ne doit pas se faire entre parlementaires mais avec nos invités. Je pense qu'il y a eu entente au début...

M. Gauthier (Roberval): Mme la Présidente, je ne veux pas soulever un débat qui soit négatif pour nos invités mais il n'y a pas de règle parlementaire, je m'excuse, qui empêche... Au contraire, les règles parlementaires permettent et favorisent les échanges avec nos invités, évidemment, et aussi, par voie de conséquence, quand des problèmes sont soulevés par nos invités, les échanges peuvent se faire entre parlementaires. C'est l'usage dans cette enceinte de procéder ainsi. Je veux simplement vous rassurer, je n'ai pas l'intention d'ouvrir un grand débat à ce sujet-là devant nos invités. Je voudrais simplement poser une dernière question au ministre et je suis certain que vous la tolérerez, que vous ferez preuve d'ouverture à mon endroit, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le député de Robervai, si le ministre consent, on va le permettre mais je pense que ce n'est pas...

M. Gauthier (Roberval): Mais voyons!

La Présidente (Mme Bélanger): ...le genre de débat à tenir quand on reçoit des invités.

M. le ministre de l'Énergie et des Ressources, est-ce que vous consentez à répondre à une autre question du député de Roberval?

M. Gauthier (Robervai): Même s'il ne consent pas.

M. Ciaccia: Je consens si nos intervenants consentent aussi parce que ce sont nos invités. S'ils n'ont pas d'objection, je n'ai pas d'objection à répondre au député.

La Présidente (Mme Bélanger): Vos réponses comptent sur le temps de l'Opposition, M. le ministre.

M. Gauthier (Roberval): Mme la Présidente, vous avez une façon plutôt spéciale d'interpréter les règles, mais enfin, disons que le ministre sait très bien que j'ai le privilège de lui poser cette question. Ce n'est pas un mauvais tour que je veux jouer au ministre et cela concerne nos invités et ceux qui sont venus avant et qui sont-concernés par ce qui risque d'être un problème.

Je le sais bien, le ministre n'a pas à m'expliquer que l'électricité du Québec n'est pas subventionnée. Je ne le sais peut-être pas autant que lui, mais je sais un peu comment cela se produit, combien cela coûte et à quel prix cela se vend aussi. Dans le but de rassurer nos invités et d'autres entreprises qui peuvent être concernées par un problème qu'on a soulevé aujourd'hui, concernées davantage que l'AIcan ne l'est -parlons de Pechiney par exemple - est-ce que le ministre s'est assuré, avec ses homologues fédéraux, qu'au coeur de la négociation, il puisse y avoir une prévision faite à savoir que les tarifs de l'électricité québécoise ne puissent pas être interprétés, à tort, j'en conviens, mais tout de même, comme une forme de subvention à l'entreprise québécoise? Comme vous le voyez, la question concerne l'ensemble des entreprises du Québec mais aussi, par voie de conséquence, même si c'est à un autre palier, nos invités qui sont ici aujourd'hui. On veut savoir si vous vous êtes occupé de la question du tarif hydroélectrique pour les

entreprises du Québec dans le cadre du libre-échange. Ce n'est pas compliqué.

M. Ciaccia: Mme la Présidente, je peux assurer le député de Roberval qu'on s'en est occupé, qu'on s'en occupe et qu'on continuera de s'en occuper. Je pourrais peut-être céder la parole à mon collègue du Commerce extérieur pour donner au député de Roberval un peu plus de lumière sur ce sujet.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: Comme vous en avez sûrement pris connaissance, M. le député de Roberval, il y a un groupe protectionniste du Mid-West américain qui a soulevé, peut-être avec un peu plus de passion, si je peux employer le terme, la question des importations américaines de l'énergie canadienne sous toutes ses formes. Il est évident que lorsque vous avez un lobby comme celui des charbonniers qui voient diminuer leur part de marché et qui se voient attaqués même de l'intérieur sur des questions concernant l'environnement, cela suscite un certain intérêt.

Or, que cela s'appelle potasse, bois de sciage, aluminium ou quoi que ce soit qui occupe une part le moindrement importante dans le marché américain et qui suscite l'intérêt d'un lobby quelconque qui y verrait son profit à voir un droit compensatoire s'imposer, que ce soit n'importe quel sujet et particulièrement ceux qui touchent le Québec, vous pouvez être assuré qu'on s'en occupe à partir de ma responsabilité et celle que j'ai en collaboration avec mes collègues ministres qui ont plus de responsabilités spécifiques. Ce sont des sujets qui font l'objet de nos discussions avec les autorités fédérales et, permettez-moi de rajouter, les autres provinces qui également s'en inquiètent.

M. Gauthier (Roberval}: Mon collègue a également d'autres questions.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Mme la Présidente, je ne veux pas avoir l'impression de jeter une douche d'eau froide ni au ministre ni à cette commission, on m'apprend qu'il y a peut-être cinq minutes on annonçait aux nouvelles que toutes les négociations seraient rompues. Je ne peux pas donner suite à cela, mais, apparemment, cela vient d'être annoncé en primeur.

De toute façon, je pense qu'on se doit d'espérer que cela va se continuer. Dans le cadre de votre présentation, vous faites allusion à la production d'aluminium américaine qui a été réduite du tiers, d'environ 33 % depuis le début de la décennie, donc qui est passée de 4 600 000 tonnes à 3 200 000. Selon vous, quelle est la cause de cette diminution de la production américaine? Est-ce principalement à cause de la meilleure compétitivité de votre groupe et des sociétés canadiennes, québécoises? Est-ce à cause de problèmes d'approvisionnement? C'est ce que j'essaie de cerner et de comprendre. Est-ce que cette décroissance de la production américaine va continuer à s'accentuer? D'après vous, quelle est la cause exacte, depuis le début de la décennie, de cette baisse de la productivité américaine dans le domaine de l'aluminium?

M. Sénécal-Tremblay: La raison principale qui explique cette baisse chez les Américains a été l'augmentation du coût d'énergie, du coût de l'électricité, principalement dans l'Ouest des États-Unis où on avait attiré, il y a déjà plusieurs années, durant la période où le pétrole était bon marché, des industries avec effectivement l'espoir de... D'abord, toute la kyrielle d'infrastructures industrielles et d'impacts sur les communautés dans lesquelles ces alumineries s'installaient...

Avec les crises du pétrole successives, la dernière, une augmentation du coût de l'électricité s'imposait et la situation économique de la majorité de ces États avait changé, c'est-à-dire que ces États étaient devenus un peu moins dépendants de la présence de ces grandes alumineries. Il y avait aussi les problèmes environnementaux que certaines de ces alumineries suscitaient. On s'est senti en 1980 beaucoup plus intransigeant vis-à-vis de ces grands centres de production et on a augmenté le coût de l'électricité.

Cela a coincide avec une période de stagnation dans l'industrie et l'arrivée sur le marché de nouvelles sources de production peu coûteuses ou moins coûteuses, si on veut, le Venezuela, le Brésil et ainsi de suite, dans certains cas même des centres comme Grande-Baie. L'effet a été de rendre totalement non rentables certaines de ces usines qui ont dû fermer leurs portes. Il y a eu je ne sais pas combien d'usines, mais je pense que c'est environ une vingtaine de différentes grosseurs qui ont fermé leurs portes aux États-Unis, les unes pour de bon, c'est-à-dire qu'elles ne reverront jamais le jour, les autres attendant peut-être une situation qui leur permettrait de rouvrir leurs portes dans un contexte où soit le prix de l'aluminium le permettrait ou dans un contexte où elles seraient arrivées à faire des réaménagements avec les fournisseurs d'électricité.

Quand les Américains s'inquiètent du coût faible de l'électricité au Québec et qu'ils tentent d'y voir une forme cachée de

subvention, il faudrait qu'ils se rappellent que certains des trucs qu'ils font pour ressusciter de vieilles usines moribondes sentent beaucoup plus les subventions que ce qui se passe chez nous.

La Présidente (Mme Bélanger): Votre temps est écoulé, M. le député de Bertrand. Je cède la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: Ma dernière question, M. Sénécal-Tremblay, toucherait les relations que vous avez avec vos employés, avec l'ensemble de l'Alcan. Vous nous avez dit que vous aviez 10 000 employés et je crois comprendre qu'il y en aurait environ 8 800 qui appartiendraient à une unité syndicale quelconque. Quelle est la principale centrale qui représente vos employés?

M. Sénécal-Tremblay: Au Québec, la principale centrale est la FSSA, la Fédération des syndicats du secteur de l'aluminium...

M. MacDonald: ...qui appartient à une centrale...

M. Sénécal-Tremblay: Non, indépendante.

M. MacDonald: Non. Parfait.

M. Sénécal-Tremblay: Très fière de son indépendance d'ailleurs.

M. MacOonald: D'accord.

M. Sénécal-Tremblay: Dans l'Ouest, évidemment la principale centrale est CASAW qui est aussi une centrale indépendante. Nous avons ces deux-là, plus des affiliations avec d'autres; à Shawinigan, par exemple c'est la CSN.

M. MacDonald: Sachant très bien que vous n'êtes pas le porte-parole de vos syndicats, je peux tout de même vous poser la question suivante. Vous avez discuté de cette négociation, des effets d'une réussite ou d'un échec; quelle est l'ambiance? Quelle est l'attitude de vos regroupements d'employés face à l'une ou l'autre de ces éventualités?

M. Sénécal-Tremblay: Je ne peux pas prétendre que, dans les dernières semaines où l'attention s'est portée de plus en plus sur les négociations du libre-échange, nous nous sommes assis avec les représentants syndicaux. Effectivement, dans le moment, nous sommes en négociation, ce qui pousse l'intérêt peut-être sur un autre sujet. Mais il est sûr que dans les contacts que nous avons eus au cours de la dernière année, une des choses que je peux dire, sans parler pour eux, c'est qu'ils sont extrêmement au fait que la majeure partie de notre production au Québec s'en va vers des marchés étrangers, vers le marché américain, mais vers des marchés étrangers généralement. Les officiers syndicaux sont conscients de l'impact que pourrait avoir une attitude plus protectionniste de la part des Américains. Nous tenons bien au courant et bien informés nos employés des enjeux, de nos principaux marchés, des problèmes que nous rencontrons sur ces marchés-là. Chez nous, tout le monde sait à quel point nous dépendons des exportations d'abord et, pour le Québec, du marché américain en deuxième lieu. Et leur prêtant certainement le même sens commun que je peux prétendre, je suis sûr qu'ils voient la situation à peu près de la même façon.

M. MacDonald: Je vous remercie, M. le président, et vos collègues. L'annonce qu'on vient de faire mérite nécessairement d'être vérifiée et contre-vérifiée. Je crois que vous avez fait ressortir, entre autres, très bien que les effets néfastes, le côté négatif de l'absence d'une entente méritent d'être étudiés attentivement et d'être considérés comme la réussite d'une entente. Quels que soient ces effets ou ces conséquences, votre présence ici a été très utile et il sera utile de recevoir les invités qui vont vous suivre. Merci.

M. Sénécal-Tremblay: Merci, M. le ministre.

Une voix: Oui.

M. Parent (Bertrand): Si vous me permettez, je voudrais, au nom de ma formation politique, remercier M. Sénécal-Tremblay, de même que MM. Proulx et Fortin qui l'accompagnent pour cette excellente présentation et vous dire en terminant que le slogan que vous avez, la devise que vous avez de viser l'excellence, signifie bien que vous êtes sur la bonne voie. Continuez à prendre des marchés sur les Américains. Merci.

M. Sénécal-Tremblay: Merci, monsieur.

La Présidente (Mme Bélanger): Messieurs, les membres de la commission vous remercient de votre participation à nos travaux et vous souhaitent un bon retour.

J'appelle maintenant l'Association des manufacturiers de bois de sciage. Si vous voulez bien prendre place.

(Suspension de la séance 12 h 35)

(Reprise à 12 h 38)

La Présidente (Mme Bélanger): À l'ordre, s'il vous plaît!

Nous recevons maintenant l'Association des manufacturiers de bois de sciage. Messieurs, les membres de la commission de l'économie et du travail vous souhaitent la bienvenue. Permettez-moi de vous rappeler les règles du jeu. Vous avez une heure pour votre audition qui sera répartie comme suit: vingt minutes pour votre exposé qui sera suivi d'un échange de vingt minutes avec les membres du côté ministériel et de vingt minutes avec les membres de l'Opposition. Sans plus tarder, je vous cède la parole. Pour le Journal des débats, je demanderais aux membres de la délégation de s'identifier, s'il vous plaît.

M. Tremblay (André): Mme la Présidente, MM. les membres de la commission, l'association est représentée, ce matin, par M, Gilbert Tardif, vice-président, M. Guildo Deschênes, à ma droite, président ex officio de l'association, M. Richard Lacasse, directeur général et moi-même, André Tremblay, président de l'association.

La Présidente (Mme Bélanger): Alors, vous pouvez commencer votre exposé.

Association des manufacturiers de bois de sciage du Québec

M. Tremblay (André): L'Association des manufacturiers de bois de sciage du Québec désire tout d'abord remercier la commission de lui permettre d'exprimer son point de vue seur la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.

Frappée d'une taxe sur ses exportations aux États-Unis, l'industrie du sciage voit présentement une situation unique au pays et c'est de cette situation que nous voulons vous entretenir aujourd'hui.

Il n'est donc pas de notre intention de présenter notre point de vue sur l'ensemble du dossier de la libéralisation des échanges avec les États-Unis. Nous traiterons brièvement cependant du projet de loi omnibus que le Sénat américain envisage d'adopter au cours des prochaines semaines.

Sauf en 1961, alors que nos exportations furent frappées temporairement d'une taxe d'environ 5 %, nos produits ont toujours bénéficié d'une entrée libre aux États-Unis.

Notre bois d'oeuvre y était généralement le bienvenu, sauf en certains États où il était banni des constructions financées à même les deniers publics. Assez curieusement, l'État du Connecticut menait la guerre aux bois canadiens et, rares étaient les scieurs québécois pouvant vendre dans cet État.

Depuis le début du siècle, les

Américains ont toujours vu le Canada comme un pays riche en ressources naturelles et c'est par milliards de dollars qu'ils y ont investi dans la fabrication du papier journal, du bois d'oeuvre et du contreplaqué. Ce faisant, nos voisins du Sud y voyaient là une excellente façon de protéger leurs ressources forestières car, de temps à autre, des forestiers avertis et même des politiciens brandissaient le spectre de la surexploitation de leurs forêts. Au cours des années soixante-dix, le gouvernement américain a même fait parvenir une note diplomatique au gouvernement canadien l'invitant à promettre aux Américains qu'ils pourraient compter sur les bois canadiens pour combler leurs besoins.

Au cours des années cinquante et soixante, le Canada a régulièrement augmenté sa part du marché américain, à tel point qu'en 1970 il franchissait le cap du 20 %.

On pourrait qualifier la décennie suivante comme la période de vaches grasses de l'industrie canadienne du sciage. En facilitant l'accès à d'immenses forêts parvenues à maturité, les gouvernements des provinces permirent à notre industrie de doubler sa production entre 1970 et 1980.

Du même coup, les exportations aux États-Unis grimpèrent d'une façon dramatique pour atteindre en 1981 environ 28 % du marché américain. C'est alors que commencèrent nos problèmes.

Une quarantaine de petites usines de sciage de la côte ouest des États-Unis allèrent se plaindre à Washington de la concurrence déloyale des scieurs de la Colombie britannique et les accusèrent d'être la cause de leurs déboires financiers. Ils prétendaient que les généreuses subventions gouvernementales et les faibles taux de droits de coupe de cette province expliquaient leur succès sur les marchés américains.

La vérité était tout autre: la construction chutait aux États-Unis, les prix étaient à la baisse et le coût de leurs matières premières atteignait un niveau exorbitant. Néanmoins, l'administration américaine et la Commission du commerce international firent enquête dans toute l'industrie canadienne et, en mars 1983, elles conclurent que les subventions en question équivalaient à moins de 0,5 % du prix de vente et elles déboutèrent ainsi l'industrie américaine.

En 1986, l'industrie canadienne fut encore l'objet d'une autre attaque des Américains après que notre part du marché des États-Unis eut atteint, en 1985, près de 33 %. Vous connaissez tous la suite de cette histoire qui se termina par une taxe de 15 % négociée entre les deux gouvernements sur nos exportations de bois d'oeuvre. Nous avons toujours cru en la jutesse de notre argumentation et en l'honnêteté des

enquêteurs américains, mais le gouvernement canadien soutenait que le contexte politique aux États-Unis nous était défavorable et qu'il fallait éviter à l'industrie un droit compensatoire désastreux. À noter que la taxe de 15 % imposée le 30 décembre 1986 équivaut à une taxe d'environ 20 % aujourd'hui lorsque l'on considère la variation du taux de change. La différence entre le dollar canadien et américain est une question vitale non seulement pour notre industrie mais pour tous les secteurs exportateurs, de sorte que les négociations en cours à Ottawa devraient viser à conserver un écart significatif.

Mme la Présidente, si nous avons tenu à faire cette courte rétrospective de l'évolution de notre commerce avec les Américains c'est pour vous en démontrer la fragilité grandissante. Le contexte des échanges commerciaux avec les États-Unis n'est plus ce qu'il était et il ne semble pas vouloir s'améliorer en notre faveur pour des raisons maintes fois analysées et expliquées au cours des dernières années.

La situation que notre industrie vit présentement risque de se répéter dans d'autres secteurs, à très court terme, s'il n'y a pas une volonté politique très ferme dans les deux pays de mettre fin à une escalade protectionniste naissante.

Nos lobbyistes à Washington nous tiennent régulièrement informés sur le dépôt et le cheminement de tous les projets de loi à caractère protectionniste au Congrès et au Sénat américains. De plus, leur tâche consiste à influencer en notre faveur leur évolution, soit au niveau du comité des finances du Sénat, sait au niveau des politiciens et des groupes de pression antiprotectionnistes. Malheureusement, notre secteur industriel est le seul au Canada à effectuer un tel lobby et il nous arrive même d'éveiller l'attention des fonctionnaires canadiens à Washington sur des projets de loi apparemment inoffensifs.

Notre industrie s'inquiète plus spécialement du projet de loi HR-3 présentement devant le Congrès et dont le projet compagnon sera étudié par le Sénat dans les prochaines semaines. Le projet HR-3 vise notamment le bois d'oeuvre. En effet, selon le libellé actuel, un produit fabriqué à partir d'une ressource naturelle de juridiction gouvernementale peut être l'objet d'un droit compensatoire s'il est prouvé que le prix de ladite ressource dans les pays d'origine est inférieur au prix de la ressource aux États-Unis. Cela vise non seulement le bois d'oeuvre, mais tous les produits forestiers, les minerais, les métaux, la potasse, etc. Le texte final proposé au Sénat par le Comité des finances est tel qu'il sera beaucoup plus facile qu'auparavant de prouver qu'un produit importé aux États-Unis est subventionné.

Mme la Présidente, cela se passe au

Sénat au moment même pu le mandat des négociateurs tire à sa fin. L'AMBSQ recommande fortement aux gouvernements du Québec et du Canada d'utiliser tous les moyens possibles pour influencer le Sénat américain ou tout au moins pour faire soustraire à cette future législation protectionniste américaine les exportations québécoises basées sur les ressources comme le bois d'oeuvre.

Nous désirons maintenant vous expliquer notre point de vue sur le traitement de la taxe de 15 % imposée par le gouvernement du Canada. Disons tout d'abord qu'en accord avec l'industrie des principales provinces, l'AMBSQ recommande que l'actuelle taxe de 15 % demeure une taxe fédérale, mais que les bénéfices soient transférés aux provinces. Selon nous, la taxe doit demeurer visible si on veut la renégocier à la baisse en proportion de l'augmentation des droits de coupe dans les différentes provinces ou même l'éliminer complètement. Autrement, si la taxe devient du domaine provincial, elle prendra des formes qui éveilleront peut-être l'attention des Américains avec le bris unilatéral toujours possible de l'entente s'ils perdent confiance dans les administrations canadienne et provinciale.

Depuis plus de huit mois, le gouvernement du Canada n'a pu s'entendre avec les provinces pour leur transférer la responsabilité de percevoir cette taxe à l'exportation. L'impasse semble totale et il est fort probable qu'on ne puisse trouver un mécanisme qui satisfasse toutes les parties.

Le gouvernement du Québec prétend qu'en transférant au ministre de l'Énergie et des Ressources le pouvoir de gérer la taxe de 15 %, il pourra exiger d'Ottawa l'application des règles de péréquation et ainsi récupérer une somme évaluée entre 75 000 000 $ et 100 000 000 $. L'AMBSQ se montre sceptique sur les chances de succès de cette opération lorsqu'elle constate qu'au cours des 20 dernières années, Ottawa a plutôt manipulé les règles de péréquation à son profit. D'ailleurs, à cet égard, la porte est présentement close puisque le projet de loi C-37 stipule clairement que les revenus de la taxe ne sont pas "péréquatables".

Nous disons, Mme la Présidente, qu'Ottawa devrait continuer à percevoir la taxe et qu'il devrait en transférer les revenus aux provinces. Parmi ces dernières, on sait que le Québec a déjà haussé substantiellement les taux des droits de coupe et que d'autres provinces s'apprêtent à l'imiter, notamment la Colombie britannique. Lorsque les provinces auront ainsi ajusté leur taux de façon à refléter la juste valeur économique des bois sur pied, elles pourront alors convaincre Ottawa qu'il est temps de renégocier avec Washington une diminution de la taxe. D'ici là, il est important que le décret 623-87 continue de s'appliquer de

façon à éviter à l'industrie une double imposition, soit l'accroissement des droits de coupe et la taxe de 15 %,

En terminant, nous désirons remercier les membres de la commission d'avoir accepté de nous entendre expliquer quelques facettes de notre commerce avec les États-Unis. Merci.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. Tremblay. M. le ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: Bonjour, messieurs. Merci d'être revenus devant nous compte tenu de cette déposition que vous avez déjà faite devant le comité Warren et dont j'avais reçu rapport et commentaires de mes collègues.

Ce matin, si vous me permettez de noter, vous vous adressez tout particulièrement à ce qui est, en partie, de l'histoire, c'est-à-dire cette imposition de 15 % qui, finalement, finit comme une taxe et non pas comme un droit compensatoire perçu aux États-Unis. Vous n'avez pas abordé - je me permettrais de le faire avec vous, si vous voulez - la macroperspective d'une entente de libéralisation des échanges pour ce qui touche l'ensemble de votre industrie, mais j'aimerais peut-être l'étendre également à l'ensemble de la foresterie.

Je pense qu'on peut dire que vous y avez goûté. Je pense que je peux dire - je vois M. Lacasse à qui je parlais au téléphone durant le cours des négociations, etc., -qu'on y a goûté ensemble. Peut-être que les gens de la province de Québec, et sur le plan de ce que peut être le protectionnisme américain, avez la plus grande sensibilité.

À notre avis, ce n'est pas terminé et, à votre avis, cela ne l'est pas non plus. Vous parlez du projet HR-3. Vous connaissez l'ambiance du milieu. Vous avez sûrement entendu parler des menaces plus ou moins proférées officiellement ou officieusement pour ce qui a trait à d'autres produits de la foresterie canadienne distinés aux États-Unis.

Bien que vous nous faites la suggestion de ce que je pourrais appeler une approche très sectorielle, bien précise et axée sur 15 %, j'aimerais vous entendre un peu plus longuement sur l'aval d'une entente ou de l'absence d'une entente avec les États-Unis, particulièrement touchant tout cet aspect des richesses naturelles qu'ils considèrent, eux -si appartenance à l'État, pour eux, égale subventions - attaquable?

Je passerai ensuite - nous avons discuté ensemble des questions de temps - la parole à mon collèque, M. Ciaccia, et je crois qu'il y a également le député de Saguenay qui aurait un certain nombre de questions à vous poser.

Ma première question est - le plus brièvement possible - une entente, pas d'entente, cela veut dire quoi pour vous? Qu'est-ce que vous voyez en avant?

M. Tremblay (André): On peut penser à donner une partie de réponse. Si on parle d'une entente, évidemment, pour nous, cela veut dire l'abolition du tarif actuel de 15 %, donc, de revenir à la situation qu'on connaissait avant le mois de janvier 1987.

Évidemment, nous avons des inquiétudes sérieuses sur la possibilité de voir cette entente abolie dans le processus de négociations sur le libre-échange. Nous avons certaines informations qui sont en ce sens que le gouvernement américain se serait compromis avec l'industrie américaine, à savoir que l'entente actuelle imposant 15 % était un droit acquis et serait reconduite. Telle quelle dans un traité de libre-échange, ce qui nous permettrait de ne rien gagner par rapport à la situation que nous vivons. Là-dessus, je dois vous dire que nous avons des inquiétudes sérieuses. Je ne sais pas si M. Lacasse veut compléter sur un aperçu plus macro.

M, Lacasse (Richard): Si nous conservons cette taxe de 15 %, M. le ministre, j'ai des inquiétudes sérieuses sur l'avenir de l'industrie du sciage au Québec et cela pourra entraîner des difficultés dans tout le domaine forestier. Il y a des journaux qui ont fait état, il y a quelque temps, que la taxe à l'exportation n'avait pas tellement nui à l'industrie du sciage. Je dois dire que nous avons été chanceux, depuis le 8 janvier 1987, date à laquelle nous avons commencé à payer la taxe, les forces du marché ont fait que les prix se sont accrus substantiellement. Mais on note une baisse depuis quelques semaines.

Si on regarde un tant soit peu l'évolution des prix au cours des dix dernières années, on s'aperçoit que c'est cyclique. Pourquoi est-ce cyclique? C'est parce que les taux d'intérêt sont cycliques et l'industrie de la construction aussi. Malgré que nous ayons réussi à traverser cette période de huit ou neuf mois, je suis inquiet pour les années qui suivront, l'année prochaine et l'année suivante, parce qu'on va inévitablement connaître une baisse des prix, une baisse de la construction, une baisse de la rénovation. À ce moment-ià, on aura un surplus d'offre. Il y a toujours un ajustement, un surplus d'offre, et quand il y a un surplus d'offre, les prix baissent sur le marché. Je pense que si on conserve cette taxe, ce sera énormément difficile pour notre industrie.

Ce qu'on souhaite, c'est l'élimination pure et simple de la taxe et s'asseoir, par la suite, avec le ministre de l'Énergie et des Ressources pour discuter de la valeur économique des bois sur pied. On sépare ces deux dossiers complètement; la taxe, c'est une chose, et les droits de coupe, autre

chose. On a tendance actuellement, au gouvernement, à mélanger les deux et nous aimerions, à ce moment-là, si nous étions libérés de cette taxe, pouvoir discuter honnêtement avec le ministre Ciaccia et son ministre délégué aux Forêts, M. Côté, de la juste valeur des bois sur pied.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le ministre.

M. MacDonald: Vous vous êtes centrés directement sur la taxe de 15 %, en espérant qu'elle disparaisse. Ma question, c'était: Pour votre industrie en général, abstraction faite des 15 % pour le moment, s'il n'y a pas d'entente, c'est quoi; s'il y a une entente, c'est quoi?

M. Deschênes (Guildo): Notre industrie est pour le libre-échange, c'est sûr, mais à certaines conditions. Si, par exemple, l'article 301 demeure et qu'on a cette guillotine au-dessus de la tête, cela ne change rien, avec le protectionnisme américain qu'on connaît aujourd'hui. Dans un libre-échange, on veut revenir comme on était avant la taxe de 15 %.

Une voix: Cela va aller à l'Opposition.

La Présidente (Mme Bélanger): À l'Opposition avant? M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci beaucoup, Mme la Présidente. MM. Tremblay, Lacasse, Deschênes et Tardif, il me fait plaisir de vous accueillir. Vous êtes parmi les gens qui ont goûté déjà à des mesures de représailles, si on peut dire, et je pense que vous êtes bien placés aujourd'hui pour savoir ce que veut dire le protectionnisme américain. Toutefois, concernant cette fameuse mesure de 15 % sur te bois d'oeuvre, j'aimerais savoir, dans un premier temps, à la suite de déclarations que le ministre du Commerce extérieur et responsable de ce dossier faisait le 8 janvier dernier, qu'est-ce que cela signifie pour vous et si cela a toujours plein sens? Lorsque j'avais pris connaissance de ces déclarations, j'étais un petit peu surpris et je me demandais jusque dans quelle mesure cela pouvait être vrai.

Le ministre MacDonald avait déclaré, à ce moment-là, à la suite d'une rencontre qu'il avait eue avec Mme Pat Carney à Montréal, que ce sont les consommateurs américains qui se sont fait avoir. Il a souligné que l'entente qui prévoit une hausse de 15 % sur le prix du bois d'oeuvre canadien exporté aux États-Unis conduira à une augmentation moyenne de 1000 $ sur le prix des maisons unifamiliales aux États-Unis.

En définitive, le ministre disait, en fin de compte, que ce ne sont pas les consommateurs d'ici mais les consommateurs américains qui paieront. Cette interprétation que je faisais de la réaction du ministre, j'aimerais savoir si vous la faites aussi c'est-à-dire qu'à toutes fins utiles, il n'y avait pas vraiment de pénalité et, s'il y avait pénalité, elle se trouverait de l'autre côté de la frontière.

Premièrement, j'aimerais connaître votre réaction par rapport à cela et ce que c'est dans les faits pour qu'on soit bien éclairés. Deuxièmement, un comité avait été mis sur pied - Ottawa et les provinces - en date du 13 ou 14 janvier dernier, qui devait décider - on est déjà neuf mois plus tard -justement de la redistribution du produit de la taxe entre les provinces puisque, d'une part, Mme Carney disait elle-même que cet argent devait appartenir aux provinces et devait être redistribué, entre autres, dans des programmes de reboisement. Vous demandez, aujourd'hui, en septembre 1987, qu'on puisse en avoir un transfert dans les provinces. Est-ce que cela veut dire, d'une part, que neuf mois après la formation, la mise sur pied de ce comité en janvier dernier, on est toujours dans une situation dont on ne connaît pas l'issue, puisque vous êtes encore en demande?

J'aimerais d'abord avoir des éclaircissements sur ces deux points-là.

M. Tremblay (André): Pour répondre à votre première question, M. le député, je crois qu'il est bon de souligner que le mécanisme de la fixation des prix du bois d'oeuvre est indépendant de la volonté des producteurs. C'est l'offre et la demande qui font que le prix fluctue. Le bois canadien occupe à peu près 28 % du marché américain alors qu'il en a déjà occupé 33 %. Vous comprenez qu'on ne peut pas fixer notre prix et que l'on doit suivre le prix en fonction de la demande américaine.

On a fait un petit calcul pour essayer de résumer quel est l'impact actuel de la taxe. Je demanderais à M. Lacasse d'essayer de nous donner quelques chiffres, bien que ce soit assez difficilement cernable, compte tenu de ce qu'on a exposé tout à l'heure. On sait qu'aux États-Unis, il y a eu une année importante de mise en chantier, une année record de rénovation et qu'au Canada, on a connu une activité dans la construction comme on n'en avait pas connu depuis de nombreuses années, ce qui a permis à l'industrie du bois d'oeuvre d'avoir quand même une année, en 1987, où la demande était bonne. M. Lacasse.

M. Lacasse: Oui. Si on compare les prix, par exemple, le prix du deux-par-quatre sec livré à Boston, au mois de décembre 1986, au moment où la taxe a été négociée, si on regarde le même prix aujourd'hui, on regarde un prix à Boston au moment où on n'avait pas de taxe et on regarde ce prix au

moment où il a fallu payer une taxe, la différence dans nos poches, c'est 8 % de moins. Si vous prenez d'autres exemples, vous pouvez aller jusqu'à 15 % de moins, c'est-à-dire, à ce moment-là, que l'industrie absorbe la taxe. On peut prendre d'autres exemples où il n'y aura pas de différence entre l'an passé et cette année. Il y a une chose qu'il faut dire, nous ne fixons pas les prix du marché, nous les subissons. Ce sont les forces du marché qui établissent les prix. C'est la même chose au Canada, nous absorbons toujours une partie importante de la taxe. On divise la taxe entre le producteur canadien et le consommateur américain. (13 heures)

M. Parent (Bertrand): L'effet net, c'est 8 % pour vous.

M. Tremblay (André): En moyenne, pour le deux-par-quatre qui est un article étalon dans notre industrie.

M. Parent (Bertrand): C'est au tour du ministre.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le ministre de l'Énergie et des Ressources.

M. Ciaccia: Merci, Mme la Présidente. Premièrement, je voudrais souligner qu'on est parfaitement d'accord avec vous pour dire que le climat de protectionnisme américain constitue une menace non seulement pour votre industrie, mais pour beaucoup d'autres. Votre mémoire représente l'exemple même de ce à quoi on veut arriver avec les négociations. Le but, c'est d'éviter les impositions unilatérales. C'est ce qu'on a eu dans le passé. Avec une entente de libre-échange, il devrait y avoir un mécanisme pour entendre les différends, les divergences d'opinions, la position de chaque partie. Cela pourrait éviter exactement ce qu'il vous est arrivé avec la taxe de 15 %.

En ce qui concerne votre représentation sur le décret 623-87, qui permet un rabattement du droit de coupe, vous demandez que cela continue. Je pense que le principe est acquis. Il se peut que les modalités changent, selon ce qui arrive avec la façon dont la taxe est perçue. Vous mentionnez que vous voulez que ce soit le gouvernement fédéral qui continue à percevoir la taxe et que, d'après la loi C-37, il ne peut y avoir péréquation. Vous allez comprendre que si c'était le gouvernement du Québec qui recevait les produits de la taxe, cela pourrait représenter de 75 000 000 $ à 100 000 000 $. Nous examinons cela et peut-être, à ce moment-là, que cela n'entre pas dans la péréquation maintenant parce que c'est le gouvernement fédéral qui la perçoit, qui l'impose, mais si c'était nous, il est possible que cela entre dans la péréquation.

La question que je voudrais vous poser est la suivante: Originairement, je pense qu'en février 1987, dans votre mémoire soumis devant le comité législatif sur la loi C-37, vous avez appuyé la proposition fédérale visant à faire percevoir la taxe par le gouvernement du Québec. Aujourd'hui, vous soumettez que la taxe devrait continuer à être imposée par le gouvernement fédéral. Est-ce que votre position est strictement une position de visibilité, si vous avez d'autres raisons pour que ce soit le fédéral qui continue à imposer et à percevoir la taxe?

M, Tremblay (André): M. le ministre, je pense qu'effectivement, au fur et à mesure qu'on voit avancer les négociations sur le libre-échange, il est devenu de plus en plus important, pour nous, d'être en mesure de visualiser où en est cette taxe. Si on veut pouvoir en discuter à une table de négociations, il nous semble qu'il est plus facile de l'identifier lorsqu'elle demeure une taxe fédérale perçue par le fédéral. Alors que si elle devient perçue par les provinces à travers différents mécanismes, vous comprendrez avec nous qu'avec les années, il est beaucoup plus difficile d'identifier où en est rendue la taxe de 15 %. La crainte que les Américains veuillent conserver ce 15 % dans l'entente sur le libre-échange fait en sorte que si on veut pouvoir en discuter, il faut qu'elle soit identifiable. Si elle constitue un droit acquis pour l'industrie américaine, il nous semble que, pour que ce droit acquis puisse être mis sur la table de la négociation, elle doit être perçue par le fédéral. Ce sont les raisons qui nous amènent à modifier la position qu'on avait exposée devant le conseil canadien des ministres.

M. Ciaccia: Peut-être qu'on pourrait en discuter plus longuement et vous démontrer les avantages, pour le gouvernement du Québec, si au lieu du gouvernement fédéral qui perçoit cette taxe de 75 000 000 $ à 100 000 000 $, disons, c'était le gouvernement du Québec, avec toutes les protections additionnelles que vous mentionnez. Mais si la taxe était reçue par le Québec, pour que ce soit une taxe ou une redevance, cela pourrait être calculé dans la péréquation. Il y aurait beaucoup d'avantages pour nous de percevoir la taxe plutôt que de laisser le gouvernement fédéral le faire, avec les difficultés qui existent en termes d'entente entre les provinces. On pourrait continuer nos discussions sur ce sujet. Je vous remercie.

M. Tremblay (André): M. Tardif.

M. Tardif (Gilbert): Je pense, M. le ministre, que la prise de position de l'AMBSQ vise... Et on se place toujours dans l'hypothèse où cette taxe doit être abolie,

peut-être, dans le cadre du libre-échange. Si on veut qu'elle soit bien discutée, on croit qu'il faut qu'elle soit bien identifiée et qu'on sache où elle est. C'est dans cette perspective-là, finalement, que notre prise de position est faite.

M. Ciaccia: Écoutez, on vous appuie pour ce qui est de l'abolition de la taxe pour les fins de discussions du libre-échange, on n'a pas de difficulté; on voit le problème de la même façon que vous, parce que cela impose une surcharge à votre industrie qu'il serait bon que vous n'ayez pas. Alors, dans ce sens-là, on appuie les démarches pour abolir la taxe. Entre-temps, si elle continue ou si elle existe, plutôt que d'être perçue par le fédéral, peut-être qu'il y aurait d'autres moyens de le faire tout en satisfaisant l'industrie et les avantages que nous y voyons.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le député de Roberval.

M. Gauthier (Roberval): Mme la Présidente, pour vous montrer comment le ministre et moi, à l'occasion, sommes sur la même longueur d'onde, il vient de poser exactement la question que j'avais en tête. Alors, mon collègue va poursuivre, si vous permettez, ses questions.

M. Ciaccia: Les grands esprits pensent de la même façon.

M. Gauthier (Roland): Se rencontrent à l'occasion. Ha! Ha! Ha!

M. Ciaccia: C'est cela.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Alors, si cela ne vous dérange pas, nous, nous allons poser des questions.

Je reviens sur. la question du comité qui avait été mis sur pied, à la suite de cette taxe sur le bois d'oeuvre. Quant à la proposition avancée par Mme Carney du fédéral, est-ce que vous endossez cette attitude, cette vision de voir selon laquelle l'argent pourrait non seulement revenir aux provinces, mais aller dans des formules le reboisement et aider les travailleurs qui perdent leur emploi? Est-ce que cela a été examiné, analysé par votre association, j'imagine?

M. Tremblay (André): Évidemment, notre position a toujours été que le produit de la taxe de 15 % devrait être utilisé exclusivement pour aider le secteur forestier. On a déjà soumis différents mémoires où on disait qu'une partie de la taxe pourrait être utilisée pour le reboisement, on a soumis une liste d'exemples où on pourrait investir de l'argent - on parlait de la recherche, de la protection des incendies - on a donné une série d'exemples qui font en sorte qu'on pourrait, à notre sens, utiliser la totalité du produit de la taxe afin d'aider l'industrie du sciage qui, évidemment, doit payer cette taxe-là.

M. Parent (Bertrand): Est-ce que vous avez pu calculer l'impact qu'a eu, sur les emplois, cette fameuse imposition de 15 %? Parce que vous nous avez mentionné tantôt que cela a eu effectivement un impact direct et, bien sûr, des impacts indirects difficiles à cerner et à calculer. J'aimerais savoir, dans un premier temps, si vous avez des chiffres, ou un ordre de grandeur, sur cet impact-là, ce qu'il a eu en ce qui concerne les emplois parce qu'il y a eu des entreprises très vulnérables face à cela. De plus, j'aimerais savoir quant à cette autre dimension qui vous préoccupe beaucoup qui est celle du taux de change, sur lequel nous n'avons aucun contrôle, mais qui, comme pour d'autres entreprises mais dans votre domaine particulièrement, vous rend très vulnérable, jusqu'à quel point votre compétitivité demeure vulnérable par rapport à ce fameux taux de change? S'il variait de 3 %, 5 %, 10 %, vous deviendriez à ce moment-là beaucoup moins compétitifs face aux règles du jeu actuellement.

M. Tremblay (André): Sur le premier volet de votre question, en termes d'emplois, on vit l'imposition de la taxe depuis le mois de janvier 1987. On a exposé, tout à l'heure, des conditions économiques qui sont favorables à l'industrie du sciage et qui font que, dans une industrie cyclique comme la nôtre, on peut considérer qu'on est dans le haut de la vague du cycle présentement, compte tenu des mises en chantier et des rénovations. Il nous est donc difficile - vous savez, nous n'avons pas de chiffres précis -et on ne pense pas, à l'association du moins, notre expérience ne nous permet pas de le dire, qu'il y a eu des pertes d'emplois actuellement rattachées à l'imposition de la taxe. Sauf que, compte tenu des chiffres que M. Lacasse vous a donnés, on sait que, dans des années normales, cette taxe-là va venir manger les marges bénéficiaires déjà très réduites des industriels du sciage. On ne parle pas des années 1986-1987, mais, dans des années normales, il est évident que la taxe va entraîner des difficultés très sérieuses à plusieurs industriels du sciage.

Maintenant, sur le deuxième aspect, le taux de change, je laisserai peut-être M. Lacasse répondre.

M. Lacasse: Nous avons maintenu et même accru notre part de marché aux États-

Unis. Si nous l'avons fait, c'est dû en partie au taux de change. Je pense qu'il y a d'autres secteurs industriels qui ont dit la même chose à cette tribune, dans le cadre de cette commission. Entre le mois de décembre 1986, par exemple, et aujourd'hui, cette semaine, la différence de taux de change a varié contre nous. Le dollar apris de la force et est passé de 0,72 $ à 0,76 $ ce qui fait une augmentation de 4.8 %. Alors, naturellement, cela vient miner nos profits. C'est la raison pour laquelle on demande qu'on tente de maintenir, par la négociation entre les deux pays, un certain écart.

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le député du Saguenay.

M. Maltais Merci, Mme la Présidente. Je suis heureux de pouvoir m'entretenir avec l'Association des manufacturiers de bois de sciage du Québec. D'autant plus, faut-il souligner l'importance de cette industrie en régions périphériques puisqu'elle est productrice de 20 000 à 25 000 emplois et que la majorité de ses opérations est en régions au Québec.

L'an passé, lorsque le gouvernement américain a imposé, par la force, une surtaxe de 15 %, dans l'ensemble des médias et dans l'ensemble, il y avait une espèce de rumeur qui circulait parmi les gens d'affaires selon laquelle, finalement, ce n'était pas si pire que cela, que, pour le bois de sciage, il y avait les marchés européens, il y avait de grands marchés à l'extérieur, à l'intérieur du Canada, en Europe et au Moyen-Orient et que, finalement, cette taxe-là passerait presque inaperçue dans vos états financiers. Moi, j'aimerais qu'on établisse ensemble où sont vos marchés de la totalité de votre production. Vous vendez à qui et pour quel pourcentage?

M. Tremblay (André): M. Lacasse peut peut-être nous donner les chiffres les plus précis possible. Evidemment, pour l'année 1987, il y a une partie spéculative, puisque l'année n'est pas terminée, mais on a, pour 1986...

M. Lacasse: Enfin, même pour 1987, il y a des estimations, Mme la Présidente, qui ont été faites. Nous croyons que les exportations aux États-Unis seront d'environ 70 % de notre production totale. Il y en aura environ 25 % qui sera consommé ici au Canada, au Québec et en Ontario surtout, et environ 5 %, exporté outre-mer. Et le 5 % outre-mer, je dois mentionner que c'est le double de ce que nous avons exporté l'an dernier.

M. Maltais: On ne peut pas dire que le marché européen est une grande ouverture pour vous et qu'il pourrait vous épargner la taxe de 15 %. Si vous pouviez transférer 70 % au marché européen et 5 % au marché américain, cela vous ferait moins mal.

En partant de ce principe-là, on sait que, cette année, les prix du bois ont été bons à cause du boom de la construction qu'on n'a pas vu au Québec ou au Canada depuis une dizaine d'années. Cela a permis un peu d'augmenter. Advenant qu'il n'y ait pas d'entente sur le libre-échange, vous demeurez avec la taxe de 15 % et une baisse du prix du marché. Est-ce que l'on peut prévoir aujourd'hui que, dans cinq ans, la construction va demeurer au même rythme et que vous allez pouvoir écouler beaucoup de votre production ici? Quel est l'avenir de l'industrie du bois de sciage? S'il n'y a pas d'entente, que vous demeurez avec la taxe de 15 %, en présumant que ce ne sera pas toujours d'aussi bonnes années dans la construction, qu'est-ce qu'il peut arriver pour vous?

M. Lacasse: Toujours dans l'optique, naturellement, où la taxe demeure et qu'il n'y a pas d'entente et puis...

M. Maltais: Cela fait deux semaines qu'on parle d'hypothèses. Mais vous l'avez vécu, j'aime en parler avec vous. Vous êtes les seuls qui soyez passés à la caisse, les autres passent hypothétiquement à la caisse, ou y passeront.

M. Lacasse: Comme je l'ai expliqué antérieurement, nous vivons des cycles et nous ne sommes pas ceux qui dictent l'allure de ces cycles. Ce sont plutôt les forces du marché. Si on se fie au passé, on a connu des cycles à la hausse et des cycles à la baisse. Juste pour vous donner un exemple, en 1987 - et c'était à peu près la même chose en 1986 - la production de bois d'oeuvre du Québec était de l'ordre de 4 300 000 000 de pieds de planche. Il n'y a pas si longtemps, en 1982, notre production était seulement de 2 600 000 000. On a presque doublé notre production. Pourquoi? Parce qu'en 1982, c'était la crise des taux d'intérêt: 20 % à 22 %. Nous sommes énormément dépendants des taux d'intérêt et par conséquent de l'activité de la construction à la hausse ou à la baisse.

Si la taxe demeure, il y a une chose certaine, elle sera là et nous serons toujours obligés de payer - que ce soit à Ottawa ou à Québec, oublions cela pour le moment -d'envoyer un chèque de 15 % de notre prix de vente à Ottawa ou à Québec. Les Américains, eux, n'auront pas à faire ce chèque. Les prix que l'on connaîtra à ce moment-là leur permettront de faire des profits très substantiels comme ils en font

présentement. Cela leur permettra de rajeunir leur équipement de production et de moderniser leurs usines. Cela pourra même tenter des gens qui avaient fermé des usines de les rouvrir, comme c'est une situation qu'on connaît cette année en 1987. On estime qu'il y a 600 usines aux États-Unis qui étaient fermées et qui ont rouvert leurs portes; ou on les a rénovées. On connaît aussi des constructions nouvelles aux États-Unis, C'est ce qui nous guette. À ce moment-là, nous aurons moins d'argent pour renouveler nos équipements et nous deviendrons moins productifs. Les gouvernements nous offriront des subventions à gauche et à droite, si elles sont toujours permises par le libre-échange. S'il n'y en a pas, cela sera la catastrophe. S'il y a des subventions, on se fera encore attaquer par les Américains en vertu de l'article 301 de ta loi américaine sur le commerce. Ce sera un cercle vicieux. Nous serons moins compétitifs, nous ne pourrons pas avoir d'octrois pour nous moderniser et on laissera les forêts inexploitées. Les gens dans les régions seront en chômage et on utilisera la forêt pour la chasse, pour la pêche et pour la protection de l'atmosphère.

La Présidente (Mme Bélanger): C'est terminé, M. le député. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, Mme la Présidente. J'aimerais, avec le peu de temps qu'il me reste, aborder un domaine qui me préoccupe face à l'avenir. Avec ou sans libre-échange - et surtout s'il y a libre-échange - c'est la préoccupation que j'ai quant à cette matière première dans laquelle nous devons peut-être investir davantage, soit la repousse. J'ai pris connaissance de l'éditorial de François Roberge dans le journal Finance le 12 janvier dernier. Il disait, pour bien résumer la situation - et je vais vous le citer - en parlant des Américains: Ils oublient que les producteurs canadiens de bois d'oeuvre, au Québec en particulier, paient bon marché les droits de coupe mais que la forêt à laquelle ils ont ainsi accès est relativement chétive, que les arbres sont de plus en plus clairsemés et petits et que, pour les couper, il faut construire et pratiquer des routes de bois longues, très coûteuses et ainsi difficiles à utiliser. Il donne quelques exemples assez frappants. Par exemple, en Abitibi, il faut 35 ans pour amener une belle épinette à maturité et à Matagami, il faut 50 ans. Et il continue comme cela. Tandis que vers le Sud des États-Unis, les sylviculteurs obtiennent des repousses complètes sur des périodes de sept ans pour les feuillus et de quinze pour les résineux. Je constate, sans être expert dans le domaine, que notre technologie, notre recherche et développement ne semblent pas être au même diapason que celles des Américains, et cela m'inquiète beaucoup. J'aimerais savoir, de votre part, quelle pression on doit mettre sur le gouvernement pour qu'on puisse avoir justement la préoccupation de bâtir la forêt de demain avec toutes les mesures pour accélérer soit la repousse en sylviculture ou prendre tous les autres moyens de façon qu'on ne se ramasse pas dans une situation où on conserve notre marché et où on a des problèmes d'approvisionnement, éventuellement, sur une période de plusieurs années. C'est là-dessus que je voudrais vous entendre, sur toute cette importance en ce qui concerne...

M. Tremblay (André): M, Tardif.

M. Tardif: Vous savez sans nul doute, M. le député, qu'il y a une nouvelle loi, la la loi 150, qui institue un nouveau régime forestier au Québec. Cette loi a comme objectif de ramener, en fin de compte, l'exploitation de nos forêts sur une base de rendement soutenu et également de favoriser et d'implanter des mesures d'aménagement plus intensif de la forêt. Mais tout de même, il ne faudrait pas crier au miracle. Parce qu'il y a une nouvelle loi, cela ne fera pas croître les arbres plus rapidement. Il faut apporter tous les soins voulus et les efforts pour favoriser cet aménagement intensif. Lorsque M. le journaliste citait des périodes de croissance de 35 ans pour faire pousser une belle épinette blanche, monsieur avait présumé d'une technologie à venir et non celle qui existe présentement. Pour qu'une épinette au Québec... Si on se place dans une région disons même assez favorable, il faut au moins 50 ans et peut-être au-delà de 60 ans pour avoir une épinette de taille voulue pour le sciage. Lorsqu'il parle de 35 ans, il est un peu trop optimiste, sinon mal renseigné.

Actuellement, non seulement on s'inquiète à juste titre - il faut améliorer notre aménagement et diminuer peut-être les rotations - mais il faut savoir qu'on vit dans un climat nordique rigoureux et que les sols sont relativement pauvres et minces. On ne peut pas faire croître seulement par le développement de la technologie, en faisant avancer la croissance de façon extrêmement marquée. Il y aura toujours des périodes de croissance assez longues. Et c'est pour cela que c'est plus coûteux de faire croître des forêts et de les exploiter au Québec que cela peut l'être dans le Sud des États-Unis.

Par contre, ce sont des produits qui ont peut-être une plus grande valeur, qui sont fortement recherchés par les Américains eux-mêmes pour la construction. C'est un fait que si on peut exporter notre épinette et notre sapin aux États-Unis à des prix à peu près égaux ou sinon plus élevés qu'aux États-

Unis, c'est que le menuisier américain préfère notre bois au pin du Sud. Et cela est un des facteurs importants qu'il faut considérer. Les papetiers également préfèrent jusqu'à un certain point nos essences à celles des États-Unis. Alors, c'est un avantage.

Donc, si on combine la taxe de 15 % et les exigences d'avoir une amélioration à nos méthodes de gestion et des aménagements plus intensifs, l'industrie du sciage au Québec s'inquiète face à ces deux exigences qui s'imposent à elle. Et malgré leur forte "resilience", on sait que les scieries manifestent même pendant les périodes de bas cycles, difficiles, une grande résistance pour survivre à des conditions difficiles. Elles l'ont fait en 1982 mais si on ajoute aux cycles normaux en plus une taxe de 15 %, vous pouvez vous attendre à des pertes d'emplois et à des fermetures d'usine.

M. Parent (Bertrand): En terminant - il me reste un peu de temps, Mme la Présidente - la nouvelle taxe de janvier 1987 a touché particulièrement quatre provinces: le Québec, l'Ontario, l'Alberta et la Colombie britannique. Est-ce que le Québec, dans cette situation que vous avez déplorée et qu'on trouve tous déplorable, se trouve quand même sur une base comparative égale par rapport aux trois autres provinces pénalisées avec le 15 % ou s'il y a plus de pénalités - si je peux m'exprimer ainsi - de la part des entreprises de bois de sciage du Québec par rapport aux autres provinces canadiennes?

M. Tremblay (André): M. le député, nous sommes heureux que vous souleviez ce point. Effectivement, c'est un point sur lequel l'AMBSQ a fait plusieurs revendications. Si on compare la situation avant la taxe avec la situation après la taxe, on se trouve défavorisé sous deux aspects.

Premièrement, la taxe, c'est une taxe ad valorem, donc sur la valeur du bois pris à l'usine. Et on sait que les producteurs de la Colombie britannique ont un coût à l'usine moins élevé que les producteurs québécois. Cela veut dire que déjà là, il y a un avantage d'environ 8 $ à 10 $.

Deuxièmement, il y a depuis de nombreuses années mais particulièrement cette année des subventions au transport ferroviaire qui nous défavorisent par rapport au prix payé antérieurement d'environ encore 15 $. C'est dire qu'en gros, quant à la situation que nous vivions avant l'imposition de la taxe au mois de janvier 1987 par rapport aux producteurs de l'Ouest, nous sommes dans une situation défavorable d'environ 25 $ à 26 $ sur le coût de production. On a donc perdu un avantage relatif très important.

M. Parent (Bertrand): Est-ce que ce déséquilibre, ces revendications-là ont été portées à l'attention du gouvernement du Québec?

M. Tremblay (André): Oui. Effectivement, on a produit des mémoires au gouvernement du Québec et au gouvernement fédéral, et particulièrement au gouvernement fédérai pour ce qui est des tarifs ferroviaires, bien sûr.

M. Parent (Bertrand): Alors, il me reste, de mon côté, à vous remercier pour cette excellente présentation, en espérant que vos revendications et vos préoccupations seront entendues en haut lieu de la part du gouvernement. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le ministre du Commerce extérieur, pour le mot de la fin.

M. MacDonald: Je l'ai mentionné et M. Maltais l'a mentionné: vous autres, vous y avez goûté. Ensemble, on est très sensible à ce que peuvent représenter les menaces futures. Soyez assurés que nous allons être vigilants avec vous. Je vous remercie de votre présentation.

M. Tremblay (André): Mme la Présidente et messieurs les membres de la commission, nous vous remercions.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci. Les membres de la commission vous remercient pour votre participation et vous souhaitent un bon retour.

La commission de l'économie et du travail suspend ses travaux jusqu'à 15 hOO.

(Suspension de la séance à 13 h 27)

(Reprise à 15 h 10)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaît! Nous reprenons cet après-midi la consultation générale sur la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.

Nous recevons en premier lieu l'Association des mines de métaux du Québec. Je prierais le représentant de bien vouloir prendre place à la table des invités. M. le député de Bertrand, vous vouliez intervenir?

M. Parent (Bertrand): Oui. Avant de débuter, avec votre permission, M. le Président...

Le Président (M. Charbonneau): Oui.

M. Parent (Bertrand): ...et celle de M. le ministre, à la suite de ce que l'on a

entendu aux nouvelles de midi quinze à CKCV, ce que l'on a porté à votre attention, à savoir qu'il y aurait peut-être eu interruption des négociations, tout ce que je voudrais dire, puisque c'est moi qui en ai fait mention, c'est qu'on espère, d'une part, que cela va reprendre afin que tout le travail fait au cours des 18 derniers mois n'aboutisse pas dans une situation qui pourrait être un échec et d'autre part, je pense que la commission parlementaire - le ministre sera d'accord avec moi - qu'on tient ici doit se continuer quoi qu'il arrive parce que l'exercice qu'on fait est fort valable. Je tenais à faire cette mise au point.

Le Président (M. Charbonneau): Cela va. De toute façon, on a un mandat de l'Assemblée nationale. Je crois qu'on va finir d'exécuter ce mandat, d'autant plus qu'on a des invités qui ont pris le temps de préparer des mémoires et qui nous les ont soumis. Si jamais, par hasard, selon un concours de circonstances, les négociations qui se déroulent à un autre palier achoppaient ou étaient interrompues, je pense néanmoins que l'exercice qu'on fait ici peut être utile, sinon pour le présent peut-être pour l'avenir.

M. Roberge, je crois, qui est le représentant de l'Association des mines de métaux du Québec, bienvenue. Je ne sais pas si vous connaissez les règles du jeu, mais je vous les répète brièvement pour faciliter les choses. D'abord, on a au total une heure, une première tranche d'une vingtaine de minutes pour la présentation de votre mémoire et, par la suite, la discussion va s'engager entre vous et les membres de la commission. Sans plus tarder, je vous laisse la parole.

Association des mines de métaux du Québec Inc.

M. Roberge (Jean): Merci, M. le Président. D'abord, je tiens à remercier les membres de la commission parlementaire de donner l'occasion à tous ceux que cela intéresse de venir discuter et donner leur point de vue sur la question du libre-échange.

Si je suis seul ici, ce n'est pas parce que nos membres ou l'association se désintéressent. Au contraire, ils sont très intéressés au libre-échange. C'est parce que concurremment à vos travaux, des activités très importantes pour l'association et ses membres se tiennent à Rouyn. Il s'agit des jours de sécurité où on traite de prévention et de sécurité dans les mines. C'est la vingt-troisième édition, les collaborateurs, les directeurs de mines, les contremaîtres et les superviseurs se rencontrent actuellement. Alors, je représente l'association tout de même.

Permettez-moi tout d'abord de vous décrire brièvement ce qu'est l'Association des mines de métaux du Québec que je représente.

L'association regroupe la presque totalité des mines productrices de métaux au Québec. En 1986, la valeur de la production minérale était de 2 278 000 000 $ en termes de production et 1 150 000 000 $ en minéraux métalliques. Les retombées économiques de l'industrie minérale peuvent s'évaluer comme suit; 20 000 emplois environ et des dépenses de près de 1 400 000 000 $ en investissements, en salaires, en immobilisations, en frais d'exploration, etc.

Pour l'Association des mines de métaux du Québec Inc., la question de savoir si nous sommes en faveur ou non du libre-échange équivaut è se demander si le statu quo nous convient ou si nous désirons plutôt obtenir des ouvertures plus grandes sur des marchés actuellement existants.

Pour y répondre, nous croyons qu'il faut examiner la situation économique au niveau mondial et tenter de voir où on se place.

Le tableau que je peux vous brosser est sommaire, mais à mon avis, réaliste.

En effet, dans le monde, de plus en plus de pays s'industrialisent et prennent des marchés avec des prix très concurrentiels. Dans le domaine des mines particulièrement, des pays ont nationalisé des entreprises minières et sont devenus des concurrents importants. Ce qui a occasionné, par exemple, la fermeture de certaines entreprises minières aux États-Unis et même au Canada.

Le Canada - et le Québec en particulier - a donc des compétiteurs sérieux. À cette concurrence s'ajoutent trois autres facteurs: le bas niveau des prix dans les métaux; la vigueur relative du dollar canadien par rapport aux monnaies étrangères et des coûts de production très inférieurs aux nôtres dans d'autres pays producteurs.

Un autre élément impartant dont il faut tenir compte, ce sont les produits de remplacement qui font également une chaude lutte aux métaux usuels.

La possibilité de garder nos marchés actuels dans le même état diminue donc et nous avons besoin de plus de marchés et aussi de certaines garanties d'accès à des marchés actuellement existants ou à développer.

Il est évident pour l'Association des mines de métaux du Québec Inc., que la possibilité d'avoir de plus grandes ouvertures sur les marchés...

Le Président (M. Charbonneau): M.

Roberge, pouvez-vous vous rapprocher un peu du micro, s'il vous plaît?

M. Roberge: Bien sûr.

Le Président (M. Charbonneau): On vous

entend mal. On me disait que peut-être si vous vous déplaciez... Avec un autre micro, cela simplifierait, je pense, les choses. Vous êtes toujours en ligne directe.

M. Roberge: D'accord, merci. Je suis bien d'accord pour qu'il y ait une meilleure communication.

Le Président (M. Charbonneau): Oui.

M. Roberge: Nous croyons donc que les discussions en vue d'un libre-échange sont toutes naturelles avec les États-Unis. En effet, ces deux pays, le Canada et les États-Unis, sont des voisins ayant des échanges commerciaux très importants et même très cordiaux. De plus, une première entente avec les États-Unis pourrait permettre de tenter l'expérience pour le Canada avec d'autres pays dans les années futures.

Je voudrais dresser un bref tableau des statistiques sur les exportations canadiennes vers les États-Unis. Globalement, par rapport au produit national brut canadien, 30 % de notre production sont exportés vers les États-Unis, ce qui représente environ 3 000 000 d'emplois dans tous les domaines. 70 % des exportations canadiennes vont vers les États-Unis alors que 10 % seulement vont au Royaume-Uni et 20 % dans d'autres pays comme le Japon, l'Allemagne, etc.

Pour la situation du minerai, nous sommes également de grands exportateurs. Par rapport à toute la production réalisée au Québec, 80 % sont exportés et encore là 53 % vers les États-Unis, 14 % vers l'Europe, 14 % supplémentaires vers le Japon et le solde de 20 % vers d'autres pays.

L'exportation de notre minerai étant si importante, on réalise que le seul marché canadien est relativement petit et que de nouveaux marchés ou une garantie d'accès à des marchés seraient vraiment souhaitables.

Deux sortes de barrières sont discutées au cours de ces échanges sur le libre-échange: les barrières tarifaires et les barrières non tarifaires. Pour ce qui est des barrières tarifaires, l'industrie minière se trouve presque en situation de libre-échange. En effet, les tarifs sont de 0 % à 2 % dans une grande proportion tandis que les métaux ouvrés ou sous forme d'alliage ont des tarifs douaniers de 5 % à 9 % en général.

Les importations canadiennes de minéraux sont transigées dans 90 % des cas sans tarif tandis que 3 % des minéraux seulement ont des tarifs de plus de 5 %.

Les importations américaines de minéraux canadiens sont transigées à 85 % sans tarif et 1,4 % des minéraux sont affectés d'un tarif d'environ 5 %. C'est ce qui nous fait dire que dans le domaine des minéraux, nous sommes presque en situation de libre-échange. Il n'en est pas de même dans le cas des barrières non tarifaires comme le "Buy America Act", le "Surface Transportation Act" et diverses lois antidumping, car celles-ci sont de nature à couper des marchés qui, autrement, seraient disponibles.

L'association croit que le libre-échange en vue de faire disparaître les barrières tarifaires et non tarifaires serait souhaitable, compte tenu du contexte économique mondial et de la nécessité de s'assurer des marchés.

De plus, une telle entente de libre-échange pourrait avoir comme conséquence une augmentation de la transformation des minéraux concentrés en produits finis puisque les droits et tarifs sont plus élevés pour les minéraux transformés. Je peux vous donner un exemple. Dans le cas du cuivre, le minerai se vend un certain prix et pour que ce cuivre soit vendable sous forme de tuyaux ou de barres de cuivre, la plus-value ajoutée à ce minerai équivaut à 0,04 $. Une taxe ou un tarif de 0,01 $ la livre équivaut donc à 0,01 $ sur 0,04 $. Alors, cela représente une tarification de 25 %.

Par contre, 0,01 $ sur une livre, cela ne représente peut-être pas grand-chose comme image, mais quand on sait que la plus-value entre minerai et produit fini est une plus-value de 0,04 $ seulement, de là l'importance que la tarification douanière ne s'applique pas.

Cependant, il est bien sûr que, à court terme, il peut y avoir certains risques. Mais les possibilités que cela peut représenter sont, à long terme, intéressantes. Le statu quo, à notre avis, serait nuisible pour les économies des deux pays. Dans le libre-échange, nous croyons également qu'il faudra surveiller l'application de la notion de la nation la plus avantagée, qui fait en sorte qu'un pays participant au GATT demanderait les mêmes avantages accordés au Canada, par exemple.

Cependant, le libre-échange, tel que proposé, faciliterait, pour l'économie canadienne, l'accès aux marchés américains. Cela devra cependant se faire avec prudence. Une période de transition sera nécessaire au cours de laquelle il y aurait réduction des barrières tarifaires et non tarifaires et même, peut-être, selon certains secteurs.

De plus, il y aurait certainement possibilité d'identifier un critère de perturbation, de façon à prévenir tout problème particulier. Les échanges économiques entre les pays répondent à l'offre et à la demande. Ils réagissent comme des vases communicants. Aussi, le libre-échange appellera certainement une restructuration des économies et une meilleure rationalisation des activités.

Mais il faudra penser à améliorer la mobilité des emplois et probablement qu'un recyclage de la main-d'oeuvre ou des industries sera nécessaire. L'industrie minière est déjà sur le marché mondial et la

discussion sur le libre-échange représente des possibilités d'amélioration. Nous sommes donc en faveur, mais des discussions et analyses en profondeur devront avoir lieu, de même qu'un mode d'arbitrage indépendant et efficace en cas de divergences.

L'économie québécoise, à notre point de vue, est prête et apte à conquérir de nouveaux marchés. Elle doit prendre cette occasion pour continuer à bénéficier de notre statut de "fair trader" et ne pas en venir à être considérée comme tout autre fournisseur. Merci.

Le Président (M. Charbonneau); Merci, M. Roberge. Je vais maintenant céder la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: Bon après-midi. Merci, malgré les occupations nombreuses de votre association que vous nous avez décrites d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer, aujourd'hui. Je constate, à la lecture de votre mémoire, que vous rejoignez essentiellement la position du gouvernement du Québec et que vous avez d'ailleurs déjà exposé cette position devant le comité consultatif Warren, le 26 février 1987. D'ailleurs, je n'y vois pas, à moins que j'ai mal perçu, de changements.

Nous constatons, en effet, que ce n'est pas seulement dans le domaine des mines, des mines de métaux, mais dans plusieurs domaines, où les tarifs sont quelque chose qu'on nous dit être capables de gérer. Quelqu'un, hier, s'est présenté devant nous et a dit - et c'était une personne, on va l'appeler maintenant par le nom qu'on nous indiquait, venant d'un secteur traditionnel, le secteur des textiles - que l'équation nette du différentiel tarifaire était de 12 %. Et réduisant ou arrondissant ceci à 10 %, ce président de société nous a dit: 1 % par année pendant 10 ans, je crois que, de concert avec nos employés, on est capables de faire face à ça et, effectivement, c'est peut-être un incitatif à se moderniser davantage. Mais les barrières non tarifaires, il ne les a pas mentionnées spécifiquement à ce moment-là. Mais, pour lui comme pour votre industrie, si des barrières non tarifaires sont appliquées de façon plus ou moins subtile, là vous pouvez avoir des empêchements majeurs à un libre commerce entre Ies frontières.

Je pense que je serais intéressé à ce que nous puissions vous adresser un certain nombre de questions techniques et, pour ce faire, j'aimerais passer la parole à mon collègue M. Ciaccia et je crois que M. Baril, qui est de la région des mines, comme vous le savez bien, de Rouyn-Noranda-Témiscamingue, aurait également quelques questions à poser plus tard. Alors, je passe immédiatement la parole à mon collègue, M. Ciaccia.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de l'Énergie et des Ressources.

M. Ciaccia: Je tiens tout d'abord à remercier l'Association des mines de métaux du Québec pour son témoignage devant cette commission» Personne n'ignore l'importance de notre industrie minière, par exemple, pour la balance commerciale du Québec et pour l'emploi dans nos régions. L'industrie minière québécoise emploie au-delà de 20 Q00 personnes, soit 16 000 dans le secteur de l'extraction et le reste dans la transformation primaire des minéraux. Comme vous l'avez signalé, à peu près la moitié de notre production est exportée. Cependant, vous démontrez, avec raison, une inquiétude envers la montée du protectionnisme américain. On sait que la production des métaux aux États-Unis se fait à des coûts moyens et mêmes élevés à l'échelle internationale et c'est d'ailleurs pour cela que les Américains ont mené des enquêtes très approfondies sur le cuivre et l'acier. Il me semble que, d'après votre mémoire et mes discussions avec votre association, c'est important de rappeler que l'industrie québécoise est généralement concurrentielle par rapport aux producteurs américains. Ainsi, l'Association des mines et métaux est favorable à un accord de libre-échange qui viendrait éliminer toute menace d'imposition de barrière commerciale de la part des États-Unis.

Ce matin, on a fait référence à la transformation des produits primaires au Québec. Est-ce que, avec le libre-échange, cela peut vous aider? Est-ce que vous voyez plus de possibilités dans le secteur de la transformation si on pouvait arriver à une entente sur le libre-échange?

M. Roberge: Oui. Une entente de libre-échange voudrait dire que des produits manufacturés et transformés, comme dans les minéraux, n'auraient pas de barrières tarifaires, et les barrières non tarifaires tomberaient également. Donc, la "compétitivité" que l'on a actuellement, qui nous permet de garder certains marchés, serait d'autant plus grande. Cela favoriserait également des investissements américains au Canada et au Québec pour utiliser nos ressources. Ce serait créateur d'emplois si de nouveaux investissements faisaient en sorte que, au Québec et au Canada, des investissements pour extraire, transformer... Par exemple, dans l'Outaouais, on m'a dit qu'on a une bonne valeur en graphite. Peut-être que les États-Unis ou des capitaux canadiens seraient plus enclins à exploiter le graphite qui se trouve dans l'Outaouais. Dans les autres métaux, les minéraux également, il y aurait plus d'avantages.

Notre plus grand avantage, ce n'est pas seulement d'éliminer des menaces, c'est que,

dans le contexte mondial des minéraux, il y a de nouveaux et de bons producteurs, comme au Brésil, en Afrique et au Chili. La qualité de leurs produits peut s'équivaloir, mais le Québec et le Canada ont pu demeurer concurrentiels et conserver ces marchés. L'Europe aussi produit de l'acier, du fer. Une fois que tous ces marchés domestiques auront été comblés, ils vont certainement chercher à exporter chez d'autres consommateurs, comme les États-Unis, et, si le Québec et le Canada peuvent se placer en situation préférentielle dans le cadre d'un libre-échange, évidemment, j'ai l'impression qu'on aurait la préférence plutôt que des tiers fournisseurs.

L'Australie a conclu un contrat de cinq ans avec la Chine pour l'approvisionner en minéraux de fer. Une fois les cinq ans terminés, peut-être que l'Australie sera intéressée à aller vendre aux États-Unis, mais peut-être que, avec une entente de libre-échange, on aura pris une place qu'ils ne pourront pas nous ravir. Ce sont des occasions de cette sorte dont il faut profiter. Plutôt que d'être considéré comme un tiers fournisseur assimilable à tout autre tiers fournisseur dans le monde, il est préférable de prendre l'attitude ou se mettre en situation d'être un fournisseur traité dans le cadre d'un libre-échange. C'est beaucoup plus favorable.

M. Ciaccia: Merci. Quant à l'annonce selon laquelle les négociations sont suspendues, espérons qu'elles reprendront le plus tôt possible. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Jean Roberge, bonjour. Merci d'être là. Votre mémoire nous fait part de l'importance du domaine minier et des métaux au Québec. Quand vous nous mentionnez que, déjà 53 % de votre production de minerai sont exportés aux États-Unis, quel pourcentage êtes-vous capable d'aller chercher, en termes de pénétration accrue, dans le cadre d'un libre-échange? Croyez-vous qu'il y aurait une augmentation sensible puisque les barrières tarifaires ne sont pas vraiment un obstacle, étant de l'ordre de 2 % ou 3 %? Qu'est-ce qui permettrait, tout d'un coup, par suite d'une entente de libre-échange, une pénétration accrue de l'exportation canadienne et québécoise sur les marchés américains particulièrement? (15 h 30)

M. Roberge: Tout d'abord, il faut nuancer. Le 53 % des exportations de minerai vers les États-Unis sont des exportations de minerai à être transformé là-bas. Pour ces minerais, il faut tenir compte du fait qu'il y a une concurrence mondiale et qu'il y a d'autres pays qui peuvent vendre aussi aux États-Unis. Je ne crois pas que les 53 % qui sont transigés à 85 % sans tarifs douaniers puissent augmenter. Cependant, ce qui pourrait augmenter, ce sont les produits transformés au Québec et au Canada. C'est-à-dire que le cuivre en fil, en tuyau, et le zinc ou le fer transformé ont une meilleure pénétration avec l'abaissement des tarifs. Eux, ont des tarifs variant entre 5 % et 9 %. L'exportation de ces produits pourrait augmenter. Ensuite, des investisseurs américains intéressés à nos ressources seraient peut-être aussi intéressés à venir investir au Canada et au Québec, pour développer de nouveaux gisements, ou même développer de nouvelles usines de transformation. Tout le monde sait actuellement que Norsk Hydro est intéressée à venir au Québec - j'espère que ce sera pour bientôt - cela va certainement hausser le niveau des exportations. Ensuite, l'Australie s'intéresse aussi à nos minéraux. On a lu, dans des journaux spécialisés, que l'Australie pense à investir beaucoup au Canada et au Québec aussi, j'imagine. Cette pénétration fera en sorte que les produits manufacturés ou transformés auraient un meilleur accès au marché américain. De plus, des pays tiers qui n'ont pas un accès aussi facile que nous aux États-Unis pourraient peut-être trouver avantage à venir s'installer ici et vendre leurs produits aux Américains et aussi à d'autres pays. Évidemment, vendre sur le marché américain n'est pas la panacée, mais c'est le sujet de la discussion.

M. Parent (Bertrand): Si vous me le permettez, je poserai une question additionnelle à cet égard. Quand vous dites que les Américains seraient intéressés à investir davantage dans des usines de transformation puisqu'il y aurait le minerai au Québec, est-ce que vous croyez qu'on a actuellement, ici, les capitaux de risque - dans certains cas, il s'agit d'aller vers l'extraction ou même la transformation des produits qui peuvent parfois demander de la technologie ou autre ou si les Américains pourraient être davantage intéressés, à cause du produit fini, à implanter ici une usine de transformation? Est-ce une question de capitaux qui ne seraient pas disponibles ici ou simplement une question de produits finis qui attireraient les Américains?

M. Roberge: Ce serait plutôt pour fins de produits finis. Pour produire au Québec et au Canada des produits finis avec des minéraux proches et aussi à partir desquels il est facile de transporter sur d'autres marchés, qu'ils soient européens ou africains. Peut-être que les Américains ont aussi des montants en investissements à consacrer quelque part et qu'ils ne veulent pas le faire

aux États-Unis et qu'ils le feraient ici, si cela vaut la peine. Probablement que cela vaut la peine, compte tenu de la valeur relative du dollar canadien. Je croirais que c'est principalement pour fins de la production de produits finis.

M. Parent (Bertrand): Cela va pour l'instant.

Le Président (M. Charbonneau): Cela va?

M. le ministre: Le député de...

M. MacDonald: Je crois que c'est le député de Rouyn-Noranda-Témiscamingue...

Le Président (M. Charbonneau): ...Rouyn-Noranda-Témiscamingue qui voulait intervenir auparavant.

M. le député de Rouyn-Noranda-Témiscamingue.

M. Baril: Merci, M. le Président. Je vous remercie d'être ici aujourd'hui, M. Roberge. Naturellement, je suis intéressé au dossier des mines compte tenu du contexte dans lequel nous vivons en Abitibi-Témiscamingue, aujourd'hui, où on enregistre des records d'emplois. Comme vous le savez, on est parti d'un indice de chômage de 23 % et on est rendu à moins de 7 % et cela est dû principalement à nos mines dans les régions de l'Abitibi-Témiscamingue. On sait aussi, aujourd'hui, que beaucoup de gens investissent dans les mines parce que la tendance internationale est que le prix semble s'améliorer pour les métaux. On dit que le cuivre est à 0,80 $ US et que, au printemps prochain, il devrait être à 0,90 $; même chose pour le nickel, qui devrait être à 2,45 $. En page 5 de votre mémoire vous mentionnez qu'il faudrait surveiller l'application de la nation la plus favorisée. En fait, vous semblez vous inquiéter de ce que les garanties d'accès au marché américain consenties au Canada soient étendues à d'autres pays. Pourriez-vous nous expliquer un petit peu la teneur de ce que vous voulez dire dans ce paragraphe?

M. Roberge: À ma connaissance, dans l'entente du GATT qui porte sur les tarifs, il y a une clause disant que, si un pays se favorise par rapport aux autres, cette clause de faveur faite à un deuxième pays devrait aussi être appliquée aux autres pays. C'est ce qu'on appelle la clause de la nation la plus favorisée. Par contre, les négociations sur le GATT sont actuellement en cours. Alors, peut-être que cette clause-là sera mise en perspective. Il peut y avoir des avantages ou des traitements de faveur entre deux nations signataires de l'entente si c'est dans une zone particulière plutôt que "at large". Alors, peut-être que la clause ne s'appliquerait pas. Ce que je voulais soulever, c'est le fait d'y penser à cette clause-là, de façon que l'ouverture qu'on fait ou que les Américains nous font avec le libre-échange ne soit pas, non plus, offerte à tout le monde, tout de suite comme ça parce que les bénéfices ou avantages qu'on pourrait en retirer seraient aussi retirés par tout le monde au même moment. Alors, il faudrait que cela soit nous, en premier, si c'est valable pour d'autres pays aussi, mais, protéger cet avantage qu'on aurait.

M. Baril: Vous dites aussi, M. Roberge, que, si le statu quo demeurait, ce serait nuisible pour les deux pays. Est-ce que vous pourriez préciser votre pensée un peu lorsque vous dites que ce serait nuisible pour les deux pays, présentement?

M. Roberge: Oui, c'est que les discussions sur le libre-échange visent à favoriser de meilleurs échanges entre les deux pays, tandis que le statu quo, ce serait la situation actuelle, mais c'est une situation qui évolue, tout de même. Ce n'est pas une situation gelée, aujourd'hui, et qui va continuer comme cela. Sur cela - c'est un peu la réflexion que je me suis faite - si Mme Vachon, de Sainte-Marie, en 1950, s'était demandé; Est-ce que je vais aller vendre mes gâteaux à Québec ou à Montréal ou si je vais rester au statu quo? Peut-être que les petits gâteaux Stuart auraient pris le marché avant ceux de Mme Vachon. C'est un peu la même question qu'on a à se poser. Est-ce qu'on va en ville vendre nos produits et démontrer qu'an est capables ou si on reste chez nous pendant que d'autres pays producteurs de minerai se développent et que des produits sont manufacturés en remplacement de métaux de base. L'Europe se demande actuellement: Est-ce qu'on va diminuer de 30 000 000 de tonnes notre production d'acier, d'ici à trois ans et mettre 80 000 personnes en chômage ou non? Alors, il y a des capacités de production qui sont là quelque part et que, si on ne s'occupe pas de protéger ou de se garantir des marchés, d'autres vont être disposés à le faire.

M. Baril: Je comprends bien aussi que vous avez mentionné que, si on parvenait à une entente sur le libre-échange avec les Américains, nous aurions des facilités à avoir des investissements pour, justement, ne pas introduire seulement du concentré de minerai aux États-Unis, mais bel et bien pour avoir la possibilité de produire des produits finis ici. C'est cela?

M. Roberge: Oui, parce qu'un investissement américain pour transformer une tonne de minerai de cuivre, de zinc, de plomb ou d'argent va coûter un certain prix

aux États-Unis. Avec le libre-échange, peut-être que cela va coûter moins compte tenu que notre main-d'oeuvre aura un meilleur indice de production ou que le climat sera préférable, ou c'est plus près des marchés pour eux, ou il y aura un site disponible, de l'électricité disponible, une main-d'oeuvre qualifiée en place. Alors, le choix pour eux, ce ne sera pas de choisir entre deux pays avec des barrières tarifaires ou non tarifaires. Le choix sera de dire: Avec mes 100Q $ d'investissement et vos 1250 $ au Canada et puis la production, cela a l'air de bien aller, la situation économique et politique va bien. Ce sera peut-être plus intéressant pour un investisseur de venir produire ses lingots de zinc ou ses barres de cuivre ici, plutôt qu'aux États-Unis. Dans d'autres cas, peut-être que la réflexion va être différente, mais, entre les deux situations ou entre les deux possibilités, je préfère celle qui va nous faire faire un pas en avant, plutôt que celle qui nous laissera sur notre appétit pendant qu'on regardera passer le train.

M. Baril: Merci, j'aurais d'autres questions, mais je vais laisser la chance à M. le ministre de continuer.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Oui, M. Roberge, vous mentionnez que le Canada et le Québec en particulier, ont des concurrents sérieux et, à cette compétition-là, s'ajoutent trois facteurs, dont le bas niveau du prix des métaux, la vigueur relative du dollar canadien et les coûts de production très inférieurs aux nôtres dans d'autres pays producteurs. Qu'est-ce qui ferait en sorte que votre productivité et votre coût de revient pourraient être améliorés? Quels seraient les principaux éléments que le gouvernement du Québec, entre autres, dans le cadre de ce libre-échange, pourrait vous apporter? Quels outils additionnels, afin de vous permettre d'être en situation de plus grande force sur ce marché et améliorer votre production, pourrait-il vous apporter?

M. Roberge: Améliorer notre productivité, c'est... L'industrie minière, dans certains cas, fait vraiment des miracles. Par exemple, le Brésil prend son minerai de fer à la pelle en surface avec une température plus agréable que dans les terres du Nord ou sur la Côte-Nord où notre minerai de fer est pris. La concentration du minerai de fer au Brésil est autour de 66 %. Ce qui fait que ces gens n'ont pas à le concentrer davantage. Il est prêt à être vendu, c'est un produit vendable tel quel. Des entreprises du Québec, pour faire la même chose, prennent du minerai, des fois dans un sol gelé et des fols dans un sol souterrain à un niveau peut-être de 8 %, de 10 % ou de 12 %. Elles doivent remonter la concentration en boulettes jusqu'à 66 % pour que le produit soit vendable et, tout de même, on demeure concurrentiel. Il y a eu des périodes difficiles et plus difficiles. Mais les producteurs demeurent concurrentiels dans d'autres minéraux. Ce qui fait que nous pouvons demeurer concurrentiels, c'est la capacité de production ou la qualité de la production ou le coût de production; ce qui fait qu'en termes de coûts dans les emplois ou dans les investissements, c'est relativement stable avec le prix du dollar qui est inférieur à celui des États-Unis. Nos produits pourraient se vendre sur les marchés américains même si le produit du marché américain était plus bas.

Il y a d'autres éléments comme le transport qui est un facteur très important. Dans le domaine du transport, il y a principalement le train et la voie maritime, deux éléments utilisés sur une grande échelle pour le transport des minerais et des concentrés. Une hausse dans le domaine du transport par train ou par navire pourrait signifier la perte de marché. Dans un autre débat concernant la tarification des services maritimes c'est justement ce point qu'on soulève. Des fois, dans certains minéraux, ce n'est pas le produit ou le prix du produit qui fait la différence, mais ce sont les à-côtés: le prix du transport, le prix de l'électricité, le prix de la main-d'oeuvre, la quantité et la qualité. Ce sont ces éléments qui font que notre produit est vendable. Un produit se vendant, par exemple, 9 $ ou 10 $ la tonne aux États-Unis se vend au Canada 15 $ la tonne, par contre, le prix de transport nous avantage dans certains cas, le transport par train, par camion ou par navire. Ce sont ces facteurs accessoires sur lesquels il faut travailler. Le coût de production comprend -je parlais de l'élément de transport -l'électricité, la main-d'oeuvre et toutes les mesures sociales. Là, je ne veux pas embarquer dans les débats du coût de la CSST ou les autres coûts indirects. C'est un ensemble de facteurs qui font qu'on est concurrentiels ou qu'on ne l'est pas.

M. Parent (Bertrand): Si je comprends bien, la qualité des richesses naturelles y fait pour beaucoup. Si on prend l'exemple qu'on vit depuis la dernière année en ce qui a trait au prix des métaux, le prix de l'or montant quelque peu, les mines ou les richesses naturelles souterraines en Abitibi deviennent beaucoup plus intéressantes. Par exemple, qu'est-ce qui ferait en sorte que dans le domaine de l'or précisément, le Québec pourrait devenir beaucoup plus actif sur le plan de la recherche et de l'extraction par rapport aux États-Unis? Le prix des métaux montant pour tout le monde, selon

les métaux, j'imagine qu'il y a des domaines plus attrayants; quant à la question de la main-d'oeuvre, vous me dites que déjà on fait ce qu'on pourrait appeler des miracles souvent parce qu'on n'a pas une aussi bonne concentration. L'exemple de l'or que j'ai en tête, il me semble qu'il y a un intérêt marqué de ce côté. J'imagine que l'intérêt qu'on a ici se manifeste certainement ailleurs où il y a des gisements à travers le monde,

M. Roberge: Oui, d'autres pays ont de l'or également. Pour s'assurer une sécurité et une pérennité de l'industrie minière, il faudrait encourager la recherche et le développement et encourager les investissements. Évidemment, pour maintenir une industrie minière au Québec... L'industrie de l'amiante existe depuis 100 ans déjà. Quant aux autres métaux, c'est environ 50 ans. D'ailleurs, l'association fêtait son cinquantième anniversaire l'année dernière. Pour continuer et s'assurer de 50 autres années, il faut trouver des gisements et de nouveaux usages de nos. métaux ou de nouveaux champs d'intérêt, (15 h 45)

II y a des métaux qui ne sont pas encore suffisamment recherchés ou exploités mais qui vont le devenir avec le temps. Je pense par exemple, à l'yttrium, au vanadium ou au platine qui prennent de la vogue. Il faut rechercher ces métaux et métalloïdes, il faut savoir où ils se trouvent, dans quelle condition ils se trouvent, combien cela va coûter pour les extraire, pour les exploiter. Le volet des actions accréditives justement et la réforme fiscale, on va en faire grand état parce que les réserves connues avec le tonnage, la concentration etc., selon le marché actuel... Un représentant du ministère nous disait qu'on a des gisements ou des minéraux pour quinze ans peut-être, mais après cela, qu'est-ce qu'on fait? C'est tout de suite qu'il faut s'assurer d'avoir de nouveaux gisements, d'avoir de nouveaux minéraux et de nouveaux métaux et de nouveaux usages pour eux. Si on ne s'en occupe pas, évidemment d'ici un certain nombre d'années, les possibilités vont diminuer.

Ce qui est important dans le domaine de l'économie tant nationale qu'internationale ou pour les entreprises, c'est la sécurité des approvisionnements, la qualité et tout cela. Si on peut garantir par nos recherches, par notre exploration et notre prospection que nous avons des gisements, des minéraux ou des métaux valables, utilisables et de qualité pour plus de quinze ans, pour vingt ou cinquante ans, cela nous met sur le marché d'une façon plus sûre, plus sécuritaire.

M. Parent (Bertrand): Pour favoriser cette recherche et ce développement - je suis content de vous l'entendre dire parce que c'est d'une importance capitale - croyez-vous que les mesures, les avantages fiscaux actuels sont la bonne formule? Est-ce qu'on devrait l'accélérer? Et est-ce qu'on devrait en avoir d'autres pour faire en sorte que les gens puissent y trouver un avantage et qu'on puisse mettre l'accent beaucoup plus qu'on ne le met actuellement dans la recherche et le développement? C'est vrai dans tous les domaines, mais dans ce domaine, c'est encore plus vrai parce que si l'investissement ne se fait pas aujourd'hui dans la recherche et le développement, ce n'est pas dans dix ans qu'on aura les répercussions.

M. Roberge: Oui, vous avez tout à fait raison. Les avantages fiscaux que l'on donne sur la recherche et le développement seront probablement très avantageux parce qu'il nous faut trouver de nouvelles techniques de minage les moins coûteuses. Avec le genre de minerai que l'on trouve au Québec, surtout du type filonien, dans le secteur de l'or, par exemple, il faut avoir des équipements et une technique de minage qui soit la moins coûteuse possible, qui apporte le plus de sécurité aussi. Dans le cas des actions accréditives, la diminution que voudrait faire M. Wilson de l'avantage que peut représenter cet abri fiscal, pour nous part, nous croyons que c'est une erreur parce que, dans une région donnée, par exemple, vous dites aux citoyens: Si vous investissez pour développer votre économie... La preuve est que cela crée des emplois - M. Baril le mentionnait -et que le niveau du chômage a baissé. Au lieu de faire travailler le potentiel économique et financier dans un secteur, le gouvernement veut le prendre, le mettre dans ses coffres et s'en servir à d'autres fins. Nous croyons que c'est une erreur parce que, si le même capital, prenons 350 000 000 $, dans une année qui n'est pas utilisé dans l'industrie minière pour trouver des gisements est utilisé à d'autres fins que le gouvernement trouve raisonnables, ces 350 000 000 $ vont servir une seule fois, tandis que, si les 350 000 000 $ sont utilisés pour rechercher, explorer et trouver des gisements, cela va faire travailler des Canadiens, des Québécois. Ces Canadiens et Québécois vont en faire travailler d'autres et, au lieu de faire une ponction une fois de 350 000 000 $, par exemple, la ponction va se faire plusieurs fois à plusieurs étapes. Le 1 $ va servir plusieurs fois, tandis que le gouvernement voudrait diminuer l'"avantage" - on le dit entre guillemets - cet encouragement à l'investissement chez nous, à s'assurer une pérennité dans le domaine des minéraux. C'est comme si on disait, pour les REA: On a assez développé de PME, on va arrêter et on va les laisser voguer à leur triste sort. Ce ne serait peut-être pas une bonne mesure. On croit que le capital investi

et actif devrait continuer à l'être plutôt que de retourner dans les coffres du gouvernement fédéral ou du gouvernement provincial et de servir une seule fois à d'autres fins et qui seraient, en particulier, de donner des allocations de chômage ou des prestations d'aide sociale.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le ministre de l'Énergie et des Ressources.

M. Ciaccia: Merci. Vu qu'à votre avis le statu quo serait nuisible - vous avez expliqué pourquoi à la suite de la question de mon collègue - pourriez-vous préciser ce que vous entendez par les risques à court terme et les risques et opportunités a long terme du libre-échange?

M. Roberge: Le risque du statu quo, comme je le mentionnais, ce n'est pas un statu quo qui fige dans le béton une situation qui existe, c'est un statu quo qui va en évoluant. Les économies et les entreprises, qu'elles soient manufacturières ou de transformation, à l'échelle du monde, se sont attardées depuis la dernière guerre mondiale à satisfaire un marché domestique.

Certaines économies ont pu aller également en exportation. La preuve en est faite. Plusieurs autres pays sont prêts à faire de l'exportation. La Corée ou Taiwan ou divers autres pays sont prêts à en faire en faisant parfais même du dumping. Ce genre de situation fait en sorte que les Américains, que l'économie américaine croient qu'on devrait imposer aux fournisseurs une barrière qui s'appelle des lois anti-dumping, des barrières tarifaires ou non tarifaires.

Avec le Canada et le Québec, ils sont d'accord pour avoir un libre-échange. Il me semble que c'est un avantage qui pourra faire en sorte qu'à moyen et à long terme, nos économies pourront davantage se développer. C'est une possibilité d'avoir des marchés plus importants avec les États-Unis, la possibilité d'avoir des investissements des États-Unis ou de tiers pays pour investir au Québec, au Canada, parce que, par la suite, les produits sortant des usines pourront aller se vendre sans tarif aux États-Unis.

Bien sûr, il y a des craintes - on en lit dans les journaux - que le marché américain inonde le marché québécois ou canadien de certains produits. Si des entreprises américaines viennent inonder un marché de 6 000 000 d'habitants, il y a des entreprises québécoises et canadiennes - elles en ont fait la preuve, dans certains cas - qui sont capables d'accaparer des marchés de quelques millions d'habitants aux États-Unis ou ailleurs.

Il me semble que c'est dans les deux sens que ce raisonnement vaut. On serait sur le même pied pour travailler à l'économie commune et les autres pays verraient un avantage à venir investir au Canada.

M. Ciaccia: Est-ce que vous me dites qu'à court terme, il peut avoir un envahissement, un danger d'avoir des...

M. Roberge: À court terme, probablement qu'il y aura plus de tentatives de la part d'entreprises ou de manufactures américaines qui viendraient tenter d'accaparer un marché. Mais ce n'est pas certain qu'elles vont l'acquérir tel quel. Évidemment, il y a des cas où cela va se produire. Si le consommateur veut acheter Mlle Barbie plutôt que la poupée faite au Canada ou au Québec, on ne pourra rien faire.

Mais ce sont des situations qui vont se présenter, une des situations que le gouvernement devrait peut-être prévoir par des programmes de recyclage d'emplois ou d'industries.

M. Ciaccia: Vous parlez d'autres secteurs. Mais dans le secteur...

M. Roberge: Des mines?

M. Ciaccia: ...des mines, est-ce qu'il y a le même...

M. Roberge: Non, je ne crois pas, non, pas dans les mines de métaux. Je ne crois pas qu'il y ait d'envahissement.

M. Ciaccia: Dans le secteur des forêts, comme vous le savez, les Américains ont imposé une taxe à cause de notre façon d'octroyer les droits de coupe. Vous avez senti un même mouvement dans les droits miniers. Est-ce que la même chose pourrait arriver avec les droits miniers?

M. Roberge: Je ne crois pas que cela arrive quoiqu'on ait l'exemple de la Saskatchewan pour la potasse. Mais je ne crois pas que cela arrive, parce que nos produits... Dans quelques produits, il y a une compétition avec les Américains, mais la plupart de nos produits n'ont pas le même genre de compétition. Le minerai de fer, les États-Unis, généralement, l'achètent ailleurs. Les marchés que nous avons dans le zinc et le cuivre ne sont pas des marchés qu'ils veulent nécessairement accaparer... La situation américaine, de même qu'européenne, n'est pas la même, en ce sens que pour avoir le même coût de production, ils devraient réinvestir et restructurer leurs industries qui sont plus âgées que les nôtres.

La restructuration, cela coûte des millions et des millions si ce n'est pas des milliards. Plutôt que d'investir pour restructurer, ce qui prend parfois quelques années, ils vont trouver certainement plus avantageux de venir investir ici et de le

faire ou d'acheter tout simplement, carrément, nos produits qui sont déjà là, disponibles. Je ne crois qu'il y ait le même genre de réaction à l'égard de nos produits.

M. Ciaccia: Je vous remercie.

Le Président (M. Charbonneau)?: M. le député de Bertrand, il vous reste encore quelques instants.

M. Parent (Bertrand): M. le Président, menai. En voyant vos statistiques concernant les exportations, M. Roberge, 14 % de notre minerai qui s'en vont au Japon, cela me rappelle de bons souvenirs. Lorsque j'avais mon entreprise, j'étais obligé d'acheter ma matière première, qui était du fil de fer, au Japon à partir du minerai qui venait du Québec, ce qui est totalement un non-sens. Mais pour avoir la qualité de fil de fer pour fabriquer des vis à "gyprock", comme on les appelle communément, on a été obligé de s'approvisionner au Japon.

Quant à vous, en tant que représentant de l'Association des mines de métaux du Québec - on parlait de produits de transformation tantôt - qu'est-ce qui devrait être fait? Où l'accent devrait-il être mis afin que ce minerai-là... Je prends le Japon parce que c'est un exemple. On pourrait prendre l'Europe ou on pourrait prendre ces 50 % ou 53 % qui s'en vont aux États-Unis. Qu'est-ce qui devrait être fait pour que ces usines de transformation soient établies ici au Québec? Peut-être qu'on aurait un peu moins d'exportations mais on aurait une main-d'oeuvre qui serait accrue. Pour vous, est-ce qu'il y a des mesures qui devraient être prises justement pour encourager davantage et stimuler cet investissement ici dans les usines de transformation?

M. Roberge: L'abaissement ou l'enlèvement des barrières tarifaires et non tarifaires dont on parle serait déjà un facteur très important pour faire en sorte que cette production se fasse ici et se vende aux États-Unis plutôt que de se vendre via le Japon. Évidemment, ça fait l'objet de longs débats, le fait que notre minerai s'en aille ailleurs pour nous revenir sous une forme ou sous une autre. C'est dommage que notre industrie soit demeurée comme ça longtemps. Mais un des facteurs serait justement cette possibilité, dans le libre-échange de ne pas avoir de barrières tarifaires et non tarifaires. Cela serait un facteur très important.

M. Parent (Bertrand): Est-ce qu'il me reste du temps, M. le Président? Oui.

Vous mentionnez à la page 6, à la toute fin de votre mémoire: "II faudra penser à améliorer la mobilité des emplois et probablement qu'un recyclage de la main- d'oeuvre et des entreprises sera nécessaire", et tout ça dans le cadre du libre-échange que vous favorisez. De quel genre d'outils avez-vous besoin? C'est-à-dire que la main-d'oeuvre que vous avez actuellement est une main-d'oeuvre, j'imagine, qui évolue ou qui change selon la technologie qu'il y a dans ce domaine-là. Mais de quel genre d'outils auriez-vous besoin et auxquels il faut penser déjà en fonction du recyclage de la main-d'oeuvre que vous mentionnez ici? À quoi faites-vous allusion? Vous avez des choses particulières auxquelles vous référez à propos de la main-d'oeuvre. On a un problème là. J'imagine que comme dans les autres domaines, vous avez aussi des problèmes d'approvisionnement de main-d'oeuvre même si le taux de chômage est élevé. Alors, ça c'est très préoccupant Qu'est-ce que vous suggérez, vous, pour améliorer cela?

M. Roberge: Dans le domaine des mines, pour demeurer compétitif, le coût de production est très important. Pour abaisser un coût de production, il peut s'avérer opportun d'utiliser de nouvelles techniques de forage ou des techniques d'extraction. Mais il faut avoir le personnel qualifié pour cela aussi. L'équipement en question peut coûter assez cher, mais si on le met en marche, peut-être que ça va être plus productif et meilleur. Mais cependant, il faut avoir l'expertise ou le personnel qualifié pour faire fonctionner ces équipements-là. Alors, l'aide pour la mobilité de l'emploi, évidemment ce sont des cours ou ce sont des facilités de financer des périodes où un employé va aller prendre un cours, se perfectionner dans le domaine. Il faut penser aussi à l'échange de "know-how" dans le domaine de ta technique d'extraction minière. Je vous mentionne en passant que le 24 novembre va se tenir à Vancouver la première conférence internationale sur l'extraction et l'exploitation des minerais d'or. Cela m'a sauté aux yeux quand j'ai vu "la première". Dans le domaine des minéraux, c'est un peu comme dans d'autres domaines, mais ça se voit particulièrement là, on en est encore à nos débuts, je dirais. Tout est à développer, tant la technique de minage que les techniques de contrôle du terrain. Alors, il faudrait faciliter l'échange technologique entre les différents pays. La recherche et le développement dans ce domaine-là sont importantes. L'association participe à beaucoup de recherche pour, justement, utiliser la robotique dans les mines. Alors là, il va falloir avoir du personnel. Cela va nous permettre peut-être de diminuer les coûts de production et, par conséquent, de demeurer compétitifs.

Alors il y a un vaste champ de possibilités comme ça à développer.

M. Parent (Bertrand): Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Cela va. Alors...

Une voix: Je voudrais remercier M. Roberge.

Le Président (M. Charbonneau): Je voudrais, au nom des membres de la commission, M. Roberge, vous remercier d'avoir participé à cet exercice de consultation sur les négociations sur le libre-échange. Je pense que les membres de la commission ont apprécié votre présence et les informations ainsi que les opinions que vous leur avez communiquées. J'espère que nous aurons l'occasion de vous revoir pour une autre consultation. D'ici là, il ne me reste qu'à vous remercier et à vous souhaiter un bon retour.

M. Roberge: Bienvenue. (16 heures)

Le Président (M. Charbonneau): J'invite maintenant les représentants du Syndicat des producteurs de bois du Bas-Saint-Laurent à prendre place à la table des invités.

Messieurs, bonjour et bienvenue à la commission de l'économie et du travail. Je vous indique brièvement les règles du jeu. On a une heure pour la discussion avec vous: d'abord une vingtaine de minutes pour la présentation de votre mémoire et, par la suite, nous procéderons à la discussion avec les membres de la commission. Je crois que c'est M. Jean-Maurice Lechasseur, président, qui dirige la délégation. Je vous demanderais, M. Lechasseur, de présenter les personnes qui vous accompagnent, pour le Journal desdébats et, par la suite, de commencer votre exposé.

Syndicat des producteurs de bois du Bas-Saint-Laurent

M. Lechasseur (Jean-Maurice): Merci, M. le Président. Je voudrais d'abord vous remercier ainsi que les membres de la commission de nous recevoir aujourd'hui pour un dossier aussi important que celui du libre-échange. Bien sûr, ayant été présenté, je me dois de vous présenter mon vice-président, M. Maurice Cyr, de la Matapédia; à mes côtés, deux collègues de la ville de Matane, MM. Maurice Gauthier et Claude Canuel et à l'extrémité, Serge Lavoie, du Syndicat des producteurs de bois du Bas-Saint-Laurent.

M. le Président, la région du Bas-Saint-Laurent compte 10 000 producteurs de bois sur un territoire qui s'étend de la vallée de la Matapédia à celle du Témiscouata, et sur le littoral, de Cacouna aux Capucins. Le rôle du syndicat des producteurs de bois est bien sûr de s'occuper principalement de la mise en marché. Évidemment, on doit à l'occasion chercher des moyens pour augmenter cette mise en marché. Vous comprendrez que la forêt, chez nous, est une ressource très importante et on doit axer et intensifier les pressions à ce niveau.

La raison qui nous amène ici aujourd'hui, c'est la crainte que l'on a face au libre-échange. Nous avons à coeur le développement régional, comme organisme, comme producteurs, et nous avons voulu associer à notre démarche des représentants de la ville de Matane; c'est ce que je vous disais tout à l'heure.

Vous trouverez au cours des prochaines lignes les faits qui justifient notre opposition à la signature d'une entente de libre-échange commercial avec les États-Unis tant et aussi longtemps que nous n'aurons pas obtenu l'assurance que les programmes gouvernementaux nécessaires pour combattre les disparités régionales et relancer l'économie des régions en décroissance sur le plan économique seront protégés par le projet d'entente sur le libre-échange.

Vous me permettrez, M. le Président, de ne pas lire tout le contenu du mémoire, nous ne lirons que de brefs passages. Bien entendu, on a un taux de chômage très élevé chez nous, et on ne voudrait pas manquer l'occasion, une fois de plus, de vous le dire. Les taux de chômage qu'on observe dans cette région dépassent régulièrement le double de ceux observés au pays et le revenu disponible per capita atteint à peine 65 % du revenu national moyen. Plusieurs facteurs d'ordre historique, économique et social expliquent cette situation. Qu'il suffise de mentionner la raréfaction grandissante des ressources de base qui constituent l'épine dorsale de l'économie de la région, la dispersion de la population et l'immigration des jeunes entre autres. Tel que mentionné, le revenu disponible per capita représentait, en 1983, 65,5 % du revenu moyen canadien. Fait important, 15 % de ce revenu disponible per capita provenait directement des paiements de transfert gouvernementaux puisque le gouvernement fédéral a versé, en 1983, 263 000 000 $ en prestations de chômage, et le gouvernement du Québec, 96 000 000 $ en prestations d'aide sociale.

Au cours de la même année, le ministère de l'Emploi et Immigration a injecté 39 000 000 $ dans le cadre de ses programmes d'emplois saisonniers, ce qui représente au total 398 000 000 $, soit près de 400 000 000 $ dépensés par les deux gouvernements en une seule année dans le Bas-Saint-Laurent-Gaspésie sans créer réellement d'activités économiques. Quand une région doit compter sur des paiements de transfert de l'ordre de 15 % de son revenu disponible per capita pour atteindre 65 % du revenu moyen canadien, il est évident que nous sommes en présence d'une région qui ne pourra pas être privée de programmes de développement régional au moment où elle aura à vivre une concurrence

plus forte après une entente de libre-échange.

Comme citoyens d'une des régions les plus démunies sur le plan économique au Canada, nous constatons qu'à toutes fins utiles, il y a trois grandes catégories de régions au Canada. Il s'agit des régions autonomes sur le plan économique, de celles en perte légère d'autonomie et des régions complètement dépendantes. C'est dans celles-ci que le Bas-Saint-Laurent se retrouve.

M. le Président, les statistiques économiques sur la forêt sont très éloquentes. De façon générale, elles sont le double de la moyenne québécoise,,

Dans le Bas-Saint-Laurent, nous ne sommes pas gâtés. Chez nous, nous n'avons pas d'usines qui transforment le résineux. Nous n'avons pas d'usines, dans le territoire du Bas-Saint-Laurent, parce que F.F. Soucy, c'est quand même è l'extrémité, c'est dans le territoire de La Pocatière. Je voulais le noter et je dois vous dire que, uniquement pour supporter les inventaires de bois que l'on doit envoyer à l'extérieur de notre territoire, à la Consol, par exemple, ou à la Reed à Québec, il en coûte aux producteurs de bois de chez nous, annuellement, 1 500 000 $ à 2 000 000 $ par année. C'est seulement pour supporter des inventaires annuellement, maintenir des effectifs à la cour de Matane, etc. Donc, on pense que, demain matin si on avait une usine chez nous, on pourrait rapatrier ces montants et cela serait très important.

Le projet d'entente sur le libre-échange ne doit pas compromettre la papeterie de Matane qui, telle que présentée par la compagnie Dohonue, prévoit la fabrication de 210 000 tonnes métriques de papier super-calandré, soit un type de papier que le Canada et les États-Unis importent majoritairement des pays Scandinaves, donc un produit où notre balance commerciale avec les pays étrangers est déficitaire présentement.

Le marché du papier super-calandré est en pleine croissance depuis quelques années et l'absence d'une décision rapide sur le projet de Matane offrirait la possibilité aux pays techniquement avancés dans ce procédé d'augmenter leur part de marché et de prendre la partie du marché qui pourrait être occupée par une compagnie canadienne.

Sur le plan du développement régional ou de l'effet d'entraînement, c'est le Bas-Saint-Laurent-Gaspésie où l'impact sera le plus fort car il amène la création de 313 emplois en usine, 560 emplois reliés au travail en forêt et du domaine du transport du bois et la consolidation de 1200 emplois dans les scieries publiques de la Gaspésie et de la Matépédia, sans compter la consolidation des emplois dans les scieries privées de la Mitis et du Témiscouata.

Pour l'industrie du sciage et les producteurs de bois, la venue d'une nouvelle usine consommatrice de copeaux au Bas-Saint-Laurent-Gaspésie contribuera à rétablir un juste prix pour les copeaux en équilibrant le jeu de l'offre et de la demande, ce qui contribuera d'une part à donner aux producteurs de la région un revenu au-dessus du seuil de la pauvreté tout en éliminant le dumping pratiqué par les producteurs des autres régions du Québec, au Nouveau-Brunswick et à l'étranger pour écouler leur surplus de copeaux.

Le rétablissement d'un juste prix pour les copeaux devrait, par ailleurs, satisfaire les Américains qui se plaignent d'une concurrence déloyale des Canadiens souvent causée par la différence de la valeur de nos deux devises, mais aussi par la possibilité pour les manufacturiers d'obtenir la matière première à un prix inférieur à son coût de production.

Le projet de la papeterie régionale de Matane ne devrait pas non plus indisposer les Américains car le projet ne nécessite pas de subvention pour la compagnie, mais fait appel uniquement aux programmes de lutte aux disparités régionales comme le programme Entreprise Atlantique et le programme canadien de développement de l'Est du Québec. Les programmes d'aide au développement régional sont d'ailleurs considérés par le GATT comme des programmes n'entravant pas la libre concurrence.

En conclusion, le Syndicat des producteurs de bois du Bas-Saint-Laurent,, au nom de ses 10 000 membres et avec l'appui du regroupement pour l'implantation de la papeterie régionale de Matane, demande formellement et respectueusement à la commission de recommander au gouvernement du Québec et au premier ministre, M. Robert Bourassa, de ne pas accorder au premier ministre M. Brian Mulroney leur appui pour un accord de libre-échange commercial avec les États-Unis tant et aussi longtemps qu'ils n'auront pas l'assurance et la certitude que l'entente proposée ne met pas en danger, d'aucune manière que ce soit, le projet de la papeterie régionale de Matane ainsi que les programmes de développement régional nécessaires pour permettre au Bas-Saint-Laurent-Gaspésie de se rapprocher graduellement de la moyenne nationale sur le plan économique.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, monsieur.

Je demanderai maintenant au ministre du Commerce extérieur de prendre la parole.

M. MacDonald: Je vous remercie de votre représentation, messieurs. Je couperai au plus court et je vous rappellerai les conditions de l'appui du Québec à un accord de libre-échange dont vous pouvez avoir des

exemplaires. Je m'assurerai que vous les aurez.

La condition no 3 disait: Le maintien de sa marge de manoeuvre - celle du Québec - nécessaire pour atteindre les objectifs de modernisation et de développement de son économie dans toutes les régions. La question du développement régional est une préoccupation qui a également été formulée par le gouvernement canadien. Cela a fait partie des discussions lorsque le gouvernement du Québec a décidé d'apporter son appui à préparer ensemble une négociation face à la menace protectionniste que vous connaissez très bien et dont vous avez eu les effets dans votre région également. Je vous dirai, en gardant certaines nuances - parce que je comprends très bien ce qui vous anime et je comprends très bien le problème particulier et la frustration que vous pouvez avoir connue à propos du projet de Matane particulièrement - que si je me réfère à votre page 1 où vous dites que vous vous opposerez à la signature d'une entente de libre-échange tant et aussi longtemps que nous n'aurons pas obtenu l'assurance que les programmes gouvernementaux, etc., etc., l'esprit qui vous anime est exactement celui du gouvernement lorsqu'on a insisté pour que la capacité d'intervenir en matière de développement régional demeure une priorité gouvernementale et ne soit pas sacrifiée dans les négociations.

Vous comprendrez très bien que je ne peux pas, à cette étape-ci des négociations... Un communiqué de presse a été justement émis par le gouvernement du Canada cet après-midi et il disait entre autres: Les négociations sont présentement dans une impasse parce que les États-Unis n'ont pas bougé sur la question la plus importante de toutes, c'est-à-dire celle de créer un moyen de régler de façon satisfaisante les différends entre les deux pays. On ajoute: Ils ont en outre fait des propositions touchant le développement régional et l'aide culturelle que le gouvernement canadien ne peut accepter.

Je crois que je suis obligé de m'en tenir à ce bulletin mais si on ne peut accepter cette proposition, vous comprendrez très bien jusqu'à quel point les parties présentes tiennent à se garder cette prérogative qu'on considère essentielle dans la gestion de l'économie canadienne. il y a des éléments plus particuliers qui touchent tout ce domaine que vous représentez, la production du bois et la foresterie et, à ce titre, si vous me le permettez, M. le Président, j'aimerais céder la parole à mon collègue, le ministre de l'Énergie et des Ressources.

M. Ciaccia: Merci.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de l'Énergie et des Ressources.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Ce n'est pas la première fois qu'on se rencontre, messieurs les représentants du projet de Matane et de la région de Matane. Ce n'est pas la première fois non plus sur ce sujet particulier qui est le vôtre et le nôtre aussi, le projet de Matane. Permettez-moi d'abord de vous remercier de vous être présentés devant cette commission. Votre témoignage démontre de façon très claire l'importance de l'appui gouvernemental pour une région. La région que vous représentez est, comme vous le dites si bien, parmi les plus défavorisées. Pourtant, vous avez une richesse que vous pouvez exploiter, la forêt. Le projet de la papeterie de Matane a justement été mis de l'avant afin que vous puissiez en profiter. (16 h 15)

Dans le cadre des négociations actuelles sur le libre-échange, le gouvernement du Québec a appuyé et appuie toujours le projet de papeterie à Matane. Je souscris aux propos de mon collègue, le ministre du Commerce extérieur. Nous sommes consistants avec nous-mêmes. Une des conditions de notre adhésion à un accord de libre-échange est le maintien de notre capacité de soutenir les économies régionales. Nous avons ici un cas bien concret qui confirme que nous voulons mener de front le dossier du libre-échange et le développement régional. Tout en négociant ou en participant aux négociations du libre-échange, nous avons aussi parallèlement mené les négociations et les discussions pour le projet de Matane. Je puis vous assurer que toutes les étapes requises pour l'approbation de ce projet ont été complétées au gouvernement du Québec. En effet, nous avons toutes les approbations nécessaires du Conseil des ministres. REXFOR sera présente et les approvisionnements en bois sont garantis. Nous avons signé des ententes avec Donohue et Québécor. La réalisation du projet repose maintenant sur les épaules du gouvernement fédéral. Or, ce gouvernement reporte après la date d'une signature éventuelle d'un accord entre les deux négociateurs l'annonce de sa décision. Qu'est-ce que cela veut dire? Est-ce que l'appui aux régions sera encore remis en cause par un accord de libre-échange? D'après nous, cela ne devrait pas l'être.

Vous représentez, messieurs les représentants de Matane, une des régions les moins nanties au Canada. Je crois que le gouvernement canadien est devant un cas concret d'appui vital à une région. Pour moi, seule une réponse favorable à votre projet et ce, avant même le 4 octobre, sera la preuve de l'intérêt du gouvernement fédéral pour les régions en difficulté. Va-t-il ou non approuver votre projet? J'attends la réponse

aussi impatiemment que vous. Je ne vois aucune raison pour qu'il dise non.

Votre présence devant cette commission offre l'occasion de discuter de développement régional. Comme il s'agit d'un point soulevé à plusieurs reprises au cours de ces discussions sur le libre-échange, j'aimerais que nous en parlions un peu plus longuement. Vous venez d'une région où beaucoup d'efforts ont été faits, non seulement durant les deux dernières années où nous avons été élus comme gouvernement, mais je crois que cela fait plusieurs années - et même avant cela - que vous parlez d'une papeterie à Matane et que vous venez toujours sur le bord d'avoir une signature. Maintenant, on est arrivé, je pourrais dire, à la dernière heure. Nous avons tous les intervenants possibles. Nous avons un "développeur" du Québec, Donohue et Québécor. Nous avons l'approbation du gouvernement du Québec. Nous avons la participation de REXFOR. Tout est en place pour que cela puisse se réaliser. J'aimerais que vous nous parliez davantage du choix entre chercher à diversifier votre économie ou miser sur vos avantages, c'est-à-dire la forêt, car on parle de développement régional et on dit que le libre-échange ne doit pas compromettre, d'après nous, le développement régional.

M. Gauthier (Maurice): Je vous remercie, M. le Président. M. le ministre, je pense qu'il est important pour nous de travailler à l'intérieur de cela parce que comme vous l'avez si bien signalé, cela fait 30 ans... Nous fêtons notre trentième anniversaire de travail sur cette fameuse papeterie. Je pense que jamais, en 30 ans, on est arrivé aussi près. Vous l'avez très bien signalé aussi; tous les morceaux du puzzle sont en place. Il s'agit d'avoir une décision. Concernant cette décision, j'espère que vous nous permettez de craindre encore malgré ce que vous nous dites, parce que après 30 ans, nous avons raison de craindre. Hier soir, les 5500 à 6000 personnes de la région qui étaient assemblées ont justement démontré encore leur grand vouloir de voir arriver dans cette belle et grande région une papeterie régionale, donc un projet moteur qui pourrait nous aider. Pourquoi tablons-nous là-dessus? C'est très simple. C'est que cela fait des années que les gouvernements dépensent des sommes d'argent ici et là. Nous avons peut-être l'occasion, une fois pour toutes, d'amener un élément, de boucler la boucle. Nous avons, dans nos régions, des tas de choses. On a la matière première, on en a parlé tout à l'heure, mais comme l'a dit le président, nous sommes fatigués de voir sortir cette matière première sans qu'il y ait finition, c'est-à-dire transformation secondaire. Il est grand temps... C'est à nous cette matière-là et ce sont des centaines de milliers de tonnes qui sortent de la région pour aller justement en faire vivre d'autres. Durant ce temps-là, comme l'a si bien dit encore là M. Lechasseur, nos gens ont de la difficulté, nos gens tirent un petit peu de profit tant bien que mal, à perte même.

Une voix: Et nos jeunes s'en vont.

M. Gauthier (Maurice); En plus de cela, on a un exode. Cela fait plusieurs fois que je le répète et je pense qu'il n'est jamais mauvais de le dire, nos gens sortent de la région, nos gens n'ont pas la capacité de travailler chez eux et cela devient extrêmement difficile pour une région de se développer à ce rythme-là.

L'arrivée d'un projet moteur comme celui-là, d'un mégaprojet, permettrait à toute une région de reprendre vie et cela, nous le désirons grandement. Chez nous, ce ne sont pas des paresseux, on l'a dit souvent. Nous avons probablement une des meilleures mains-d'oeuvre qui existent au Québec et j'ai maintes fois dit qu'actuellement, on passait peut-être pour une région d'élevages on préparait des gens pour travailler ailleurs. On est fatigué de cela, on est fier et on veut aussi vivre chez nous. Un projet comme cela va nous permettre justement de nous aider à nous prendre en main. Et quand je dis "prendre en main", il faudrait signaler encore là - et les gens qui sont ici dans la salle le savent très bien - tout ce que la région a fait pour tenter de se remettre en place.

Nous avons eu le traversier-rail qui a été préparé par des gens de chez nous, qui a été financé par des gens de chez nous qui, par après, ont travaillé avec le CN pour fonctionner. Nous avons eu Le3 Entreprises Matabois ltée qui a été le départ de REXFOR et toujours là, ce sont des capitaux de gens qui avaient quand même des difficultés mais qui ont mis la main dans leurs poches pour se donner des chances.

Le gouvernement du Québec, le vôtre, a versé, il y a quelques années, 31 000 000 $ pour installer des scieries qui ne demandent pas mieux actuellement que de vivre, mais elles ont des difficultés. C'est important qu'un projet comme celui-là permette à ces scieries de reprendre vie et de demeurer dans la région. Quand on a parlé tout à l'heure d'une consolidation de 1200 emplois, cela fait partie de cela. Il y a les scieries privées aussi qui sont en place et ces scieries privées ont besoin aussi d'une consolidation. Avant cela, elles vivaient avec les produits que leur amenait l'exportation de leur bois à l'extérieur. Avec l'arrivée de la taxe de 15 %, elles ont perdu justement leurs profits. Une seule scierie: C'est-à-dire qu'un des amis du coin nous a signalé que pour lui seul, c'est une perte 1 500 000 $. L'importance, elle est là. C'est pour consolider et c'est pour cela qu'on veut d'abord voir l'implantation d'une papetière

comme celle-là.

M. Ciaccia: Merci beaucoup, M. le maire.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Je vais laisser mon collègue...

M. Gauthier (Roberval): J'avais indiqué mon intention de prendre la parole.

Le Président (M. Charbonneau}: Ah bon! Je pensais que vous étiez en deuxième ligne.

M. Parent (Bertrand): Le premier frappeur.

Le Président (M. Charbonneau): Alors je vais maintenant reconnaître comme premier frappeur de l'Opposition le député de Roberval.

M. Gauthier (Roberval): M. le Président, tout le monde aura compris que c'est grâce à la grande compréhension de mon collègue de Bertrand et je l'en remercie.

Messieurs de Matane, il me fait plaisir au nom de l'Opposition de vous accueillir ici aujourd'hui. Je dois dire que votre mémoire a été scruté, travaillé et analysé par l'ensemble de notre équipe et par les gens de nos services. Nous l'avons trouvé fort intéressant. Je voudrais d'entrée de jeu vous indiquer que s'il y a un dossier sur lequel, je pense, nous sommes convaincus et nous pensons que le gouvernement est convaincu, c'est bien le dossier de la papeterie de Matane. Cela fait plusieurs années et vous aurez battu, à cet égard, je dois vous le dire, la lutte mémorable qui s'est tenue au Lac-Saint-Jean où pendant dix-sept ans on a attendu une usine de pâtes à Saint-Félicien, pour vous rappeler des faits que vous connaissez peut-être. À cet égard, je peux vous dire que je sympathise particulièrement avec les gens de la région, qui sont passés à plusieurs occasions très près d'une réalisation mais pour qui cela s'est toujours soldé par un échec. Je comprends donc votre méfiance, je la partage et soyez sûrs que nous appuierons et nous serons derrière le ministre pour toutes les actions visant à faire en sorte que cela se règle chez vous.

Voilà, au moins, un domaine où l'unanimité du Parlement est derrière les gens, les Matanois. Il me fait plaisir également de vous indiquer que la plupart des préoccupations que vous émettez dans votre mémoire, nous les partageons; entre autres, cette recommandation qui vous fait dire au gouvernement: "...tant et aussi longtemps -je me permets de citer votre mémoire - que nous n'aurons pas l'assurance que les programmes gouvernementaux nécessaires pour combattre les disparités régionales et relancer l'économie des régions en décroissance sur le plan économique seront protégés par le projet d'entente sur le libre échange.".

Laissez-moi vous dire qu'effectivement, je crois que vous avez entièrement raison de mettre cet énoncé dans votre texte et plus encore, je me demande si les gens de Matane ne devraient pas, un peu comme on le fait et comme je le fais maintenant, revendiquer davantage: que le gouvernement nous montre que les programmes de développement régional existent vraiment, quels sont-ils et que ces programmes sont en développement.

Je dois vous dire que je m'inquiète, quand je vois l'évolution du budget du Développement régional pour le Québec, je m'inquiète un peu de cette chose-là et je pense que Vous avez raison de rappeler au ministre cette responsabilité qu'il se fera certainement un plaisir de prendre avec son collègue du Développement régional.

Cependant, il y a une chose sur laquelle je me permets de vous indiquer certaines réticences, et en même temps cela va servir probablement au gouvernement, c'est quand le gouvernement fédéral nous parle de développement régional. Je sais que le ministre du Commerce extérieur a assisté tout à l'heure à des conversations qui ont eu lieu avec le gouvernement fédéral et dans lesquelles conversations on se dit tout prêt à protéger les politiques de développement régional.

Là où je m'inquiète cependant et je voudrais savoir si vous avez cette inquiétude également, c'est sur le fait qu'au gouvernement fédéral, quand on parle de développement régional on parle, en général, de développement de la région des Maritimes, de la région du Québec, de la région de l'Ontario et de la région de l'Ouest canadien.

J'aimerais savoir si vous avez eu des informations ou si, de façon intuitive, vous partagez cette inquiétude qui est la mienne. Je crains que le gouvernement fédéral ne tienne pas le même langage que le gouvernement du Québec quand on parle de développement régional.

M. Gauthier (Maurice): Alors, en fait ce qui se produit, c'est que nous savons que les deux gouvernements ont des politiques de développement régional. Nous n'avons pas la certitude justement que ces deux gouvernements ont la même vision, mais ce que nous savons, cependant, c'est que le gouvernement fédérai, d'une part, a quand même certaines politiques. À l'intérieur du budget Wilson, il a été prévu des sommes d'argent et des crédits d'impôts qui sont attachés au projet Entreprise Atlantique, qui comprend une partie de la Gaspésie-Bas-Saint-Laurent.

C'est sûr que c'est intéressant. Ce qu'on n'est pas capables, nous, c'est de faire le joint entre les deux, mais on est quand même convaincus que tous les deux ont un certain intérêt à ce que les régions se développent. Mais nous doutons un peu, présentement, de l'effort qui pourrait, peut-être, être fait à ce chapitre et c'est pourquoi nous demandons, dans le mémoire qui a été présenté par le Syndicat des producteurs de bois du Bas-Saint-Laurent, que l'accord sur la papeterie régionale de Matane soit fait avant que cette fameuse entente soit signée. Parce que même si on nous assure, d'une part, que le gouvernement fédéral n'est pas prêt à sacrifier, sur l'autel du libre-échange, le développement régional, nous avons quand même la crainte que la papeterie de Matane pourrait être l'agneau immolé. (16 h 30)

M. Gauthier (Roberval): Vous parlez à la page 2, toujours un peu dans le même sens, d'études économiques réalisées dans le cadre des négociations et vous parlez de régions perdantes et de régions gagnantes. Est-ce que vous faites référence - parce que je comprends mal - à des études qui auraient été faites dans votre région par l'OPDQ ou par, je ne sais pas, un organisme gouvernemental quelconque? Avez-vous eu entre les mains des études démontrant que votre région pourrait être perdante ou avez-vous eu accès à l'ensemble des études qui ont été faites jusqu'à présent? Bref, avec quel outillage, avez-vous travaillé pour affirmer que la majorité des études parle de régions perdantes? Et là, je sens que...

M. Gauthier (Maurice): On est les perdants.

M. Gauthier (Roberval): Vous comprenez que vous êtes les perdants. Est-ce que ces études-là vous ont été accessibles? J'aimerais avoir des éclaircissements là-dessus.

M. Canuel (Claude): Alors, M. le député, ce qu'on a voulu surtout mentionner, c'est que l'ensemble des études... Je vous le dis tout de suite, la plupart des membres de la délégation, ici, ne sont pas des spécialistes du libre-échange, on est plutôt versé dans le quotidien des mesures de développement régional. Ce qu'on a voulu surtout indiquer, c'est plutôt le fait qu'à chaque fois qu'on parlait du libre-échange, on entendait très bien les secteurs économiques, que ce soit l'automobile, l'industrie, les secteurs mous, qu'on appelle, se défendre très bien. Et, on a eu l'impression en régions que, dans tout le débat sur le libre-échange, on s'était beaucoup plus penché sur les secteurs économiques perdants ou gagnants, et je me réfère à la revue Actualité ou la revue Commerce. Toutes les revues qui ont parlé du libre-échange parlaient toujours, au Québec, de secteurs gagnants ou secteurs perdants. Mais, il nous a semblé qu'il n'y avait pas beaucoup d'études qui avaient été faites pour décider des régions gagnantes ou perdantes.

Quand on parie d'une région comme la nôtre, on parle, à toutes fins utiles, d'une région monoindustrielle, parce que plus de 75 % du territoire est occupé par la forêt et le reste, c'est de l'eau, cela veut dire: poisson, forêt. La diversification, qu'on vous mentionnait tout à l'heure, est extrêmement difficile à faire. On a, de plus, sur le plan du leadership économique et sur le plan démographique, un trou dans la population -si vous me passez l'expression - les 20-40 ans, cela n'existe plus chez-nous. Alors, on a ou des gens à l'école, ou des gens âgés, des gens qui ont fait l'activité dans les dernières décennies et à qui on demande encore de la faire. C'est pour cela qu'on attache de l'importance au fait que les mesures spéciales de développement régional... Mais, entendons-nous par développement régional. Nous, ce qu'on vise le plus, ce sont des mesures qui cherchent à combattre les disparités entre les régions.

Notre région est continuellement à l'écart, complètement à l'autre bout, si vous voulez, du tableau. À chaque fois que la moyenne nationale se corrige au pays, sur le plan global, notre région est continuellement à l'extrémité, elle ne suit pas cette remontée-là, des fois, de la moyenne nationale. On est convaincus, et c'est pour cela que le syndicat le mentionnait dans son document, qu'à toutes fins utiles, il y a maintenant trois sortes de régions; les régions qui sont peut-être capables, par leur propre force économique, de vivre le libre-échange; les régions qui sont en perte légère d'autonomie, mais qui ont suffisamment de leadership à l'intérieur pour s'ajuster et qui auraient peut-être besoin de petites mesures d'assistance, et les régions qu'on considère complètement dépendantes, qui n'entrent jamais dans les programmes normaux et qui ne sont pas capables, n'ont plus suffisamment de leadership pour suivre la vitesse internationale.

Je vous rappellerai qu'il y a une autre observation dans le document, à titre de preuve de cela, c'est la crise économique de 1982. On a été les premiers à voir venir la crise dans la région. C'est dans notre région que les entreprises ont commencé à faire faillite les premières, dès que les taux d'intérêt ont commencé à monter et, même s'il y a reprise au pays, on ne la sent pas dans notre région. D'où, toute l'importance de maintenir des mesures au moins, qui nous apparaissent comme minimales à l'heure actuelle, comme celle du crédit d'impôt à l'investissement. Quant à celle qui a été annoncée concernant l'Entreprise Atlantique,

je partage un peu vos inquiétudes, dans le sens qu'Ottawa voit la région atlantique tellement grande, est-ce que réellement ce programme-là va bien moduler dans toutes les parties les plus dépendantes de cette grande région de l'Atlantique? Moi, je ne sais pas. On parle de Matane et du projet de la papeterie, mais, je ne vois pas comment à Gros-Morne et en bas de Sainte-Anne-des-Monts, en allant jusqu'à Rivière-au-Renard, ils puissent s'en sortir uniquement avec un programme comme cela. Alors, cela nous apparaît être des mesures minimales, il devrait s'en inventer d'autres si des régions comme la nôtre doivent vivre le libre-échange. Mais, au moins, pour l'instant, ce qui est notre préoccupation première, c'est celle de sauver, avec ces mesures-là... Parce que le promoteur, à l'heure actuelle, n'a pas demandé de subvention directe et c'est important, je pense, que la commision le sache. Le promoteur ne demande pas et personne ne demande des subventions directes pour toujours supporter l'industrie, mais des subventions, des crédits d'impôt à l'investissement tels que le gouvernement l'a confirmé. Son programme Entreprise Atlantique et les mesures, les programmes existants du fédéral sur le développement régional permettent, dès demain matin, si on a une décision, de confirmer le dossier de la papeterie régionale. Mais, pour l'ensemble des autres secteurs, il faudrait quand même garder des mesure spéciales. La papeterie régionale règle un mosus de bon cas dans le coeur de la grande région du Bas-Saint-Laurent-Gaspésie, mais il faudrait quand même des mesures pour lutter contre les disparités ou des programmes adaptés à la réalité de ces régions-là, que votre gouvernement et que le gouvernement fédéral aient toujours la possibilité, après une entente de libre-échange, de pouvoir maintenir ou d'adapter, ou d'en produire des nouvelles.

Le Président (M. Charbonneau): Mme la députée de Matane.

Mme Hovington: Merci, M. le Président. D'abord, je dois vous souhaiter la bienvenue à la commission sur le libre-échange et vous remercier, le Syndicat des producteurs de bois du Bas- Saint-Laurent, d'avoir bien voulu présenter ce mémoire. Laissez-moi vous dire, M. le Président, que je suis heureuse d'avoir l'occasion de traiter brièvement de la situation de l'industrie forestière en marge de la libéralisation des échanges entre le Canada et les États-Unis.

Étant députée de Matane, vous comprendrez mon implication en ce qui concerne le développement régional. Et en tant que députée de Matane, justement, hier soir, M. le Président, j'ai assisté et j'ai participé aussi à une manifestation d'appui au projet de la papeterie de Matane. Il y avait de 5 000 à 6 000 personnes au moins de réunies et non pas seulement de la ville de Matane, et vous étiez témoin, hier soir, il y en avait d'Amqui, de Mont-Joli, de Sainte-Anne-des-Monts, de Marsoui, en fait, il y en avait de toute la grande région de Matane. Et ces gens-là, c'étaient des hommes, des femmes, des jeunes étudiants qui criaient de nouveau leur volonté pour trouver du travail. Ils criaient aussi leur droit à avoir du travail chez eux. Ils ne veulent plus avoir à faire face à un taux de chômage d'au-delà de 23 %. Cette population-là veut garder les jeunes dans la région. Et je rappellerai ici que, dans mon comté, j'ai des villages où la moyenne d'âge, M. le Président, est de 55 ans. Alors, c'est la preuve qu'il y a un exode vraiment des jeunes à l'extérieur de la région. Et le projet de papeterie de Matane illustre bien l'obligation pour les gouvernements de promouvoir le développement régional et créer des emplois non pas temporaires, mais des emplois enfin permanents.

Et j'en profite ici pour rappeler certains chiffres qui sont révélateurs. Vous les avez dans votre mémoire, je crois, mais vous ne les avez pas donnés aux membres de la commission. En 1983, dans la région Bas-Saint-Laurent-Gaspésie, le fédéral a versé en prestations de chômage, 263 000 000 $ dans un an, en 1983. A cela s'ajoutent les prestations d'aide sociale de 96 100 000 $; tout cela dans la même année, en 1983. En plus de ces 263 000 000 $ de chômage, de ces 96 000 000 $ de prestations d'aide sociale, le ministère de l'Emploi et de l'Immigration a injecté 39 100 000 $ par le biais de programmes d'emplois temporaires. Ce qui nous fait un chiffre de 398 200 000 $, M. le Président, soit tout près de 400 000 000 $, dans un an, que cela coûte aux gouvernements pour maintenir ou faire travailler artificiellement une population. Tout près de 400 000 000 $ en un an, c'est presque le projet de la papeterie de Matane qui s'élève à 420 000 000$. Cela coûte 400 000 000 $ aux deux gouvernements dans un an.

La région de Matane est, après Terre-Neuve, ia plus défavorisée au Canada et, dans ce contexte, l'impact de la papeterie régionale de Matane sur l'économie et le développement régional nous paraît évident. Pour la région de Matane, il s'agit d'un investissement, comme je le disais, de 420 000 000 $, la création d'emplois en usine de 350 000 000 $, 350 000 000 $ je dis bien, 1200 emplois dans les usines et dans les forêts. Dans les usines de sciage où les emplois seraient en difficulté si le projet de la papeterie de Matane ne voyait pas le jour. Alors, cela consoliderait en même temps ces 1200 emplois dans les usines de sciage. Et sans compter presque 10 000

personnes qui jouiraient des retombées économiques de ces 3Q0 emplois créés en usine. Que ce soient les stations-services, les quincailleries, enfin, tous les commerces qui touchent une région comme la grande région de Matane.

Les gouvernements ne doivent donc pas abdiquer devant leurs engagements et leurs responsabilités. Mais le gouvernement du Québec a tenu parole et toutes les autorisations sont obtenues. Les garanties d'approvisionnement, on les a. Tout est passé devant le Conseil des ministres. Le gouvernement du Québec a mené et continue de mener de front les dossiers du libre-échange et du développement régional. Si réellement le gouvernement fédéral mène de front les dossiers du développement régional et du libre-échange, si réellement le développement économique et le libre-échange vont de pair, alors le projet de papeterie de Matane doit en faire la preuve et le gouvernement fédéral doit y donner sa réponse immédiatement. Moi aussi, j'attends la réponse, comme toute la population de la grande région de Matane qui attend la réponse du fédéral. Il faut que ce soit cet automne, très vite.

Permettez-moi de vous poser une question, M. Lechasseur ou M. Cyr, concernant les copeaux. On parle d'approvisionnement, combien êtes-vous obligés de vendre de copeaux à l'extérieur de la région? Vous avez des surplus de copeaux, vous en vendez à Trois-Rivières, à New-Chandler, peut-être même en Europe?

M. Lechasseur: C'est assez difficile de répondre à cela parce que le syndicat fait la mise en marché, mais du bois rond. On sait qu'il y a beaucoup de copeaux qui sortent de la région parce que les usines utilisatrices sont toutes à l'extérieur du territoire du Bas-Saint-Laurent. Je ne peux pas dire quel est le nombre exact de tonnes qui sortent du territoire, sauf qu'on sait fort bien que cela aiderait nos industriels du bois de sciage, qui sont souvent dans le marasme, et aussi les producteurs si on avait des usines qui consommaient davantage chez nous.

M. Gauthier (Maurice): Sur le plan des scieries privées, il y a 298 000 tonnes métriques anhydres de copeaux de bois qui sortent de la région; ce sont des scieries privées qui sont dans la région, donc les 25 scieries privées. Concernant REXFOR, il y a 81 000 tonnes métriques anhydres de copeaux qui sortent de la région. C'est incroyable.

Mme Hovington: À quel prix?

M. Gauthier (Maurice): Une tonne métrique anhydre de bois coûte, pour la produire, 102 $. Ils réussissent à la vendre entre 90 $ et 100 $ et ils sont obligés d'absorber le transport, ce qui veut dire qu'il leur reste entre les mains environ 70 $. Ce qui est encore plus grave, quand on parle de REXFOR. L'an dernier, on a exporté je ne sais pas combien de milliers de tonnes à l'extérieur de la région par bateau, c'est-à-dire du côté de l'Angleterre et de la France, le copeau se vendait à ce moment-là environ 40 $ la tonne métrique anhydre.

Le Président (M. Charbonneau): Une dernière brève question, Mme la députée.

Mme Hovington: Oui, brièvement, M. le Président, merci. Vous comprendrez mon intérêt pour le dossier.

Le Président (M. Charbonneau): Oui, je comprends votre intérêt, mais je voudrais qu'on s'en tienne au sujet de la commission, qui est le libre-échange, parce qu'autrement, on pourrait facilement déborder et faire une commission sur le dossier de la papeterie, ce qui serait peut-être dans les prérogatives de la commission, mais non pas dans le mandat actuel.

Mme Hovington: Est-ce que la papeterie régionale de Matane améliorerait cet état de fait vis-à-vis des producteurs de bois, des copeaux, du coût et des profits que cela pourrait amener?

M. Gauthier (Maurice): Absolument. Ce dont ces gens ont besoin, on l'a signalé tout à l'heure. Actuellement, ils ont un salaire qui leur permet à peine de vivre et quand ils continuent à produire du bois, c'est uniquement pour pouvoir s'assurer de bénéficier de i'assurance-chômage, d'accumuler des timbres d'assurance-chômage pour construire. En fait, M. le Président, mesdames et messieurs de la commission, depuis que nous travaillons sur ce fameux dossier de la papeterie régionale, nous avons dû attendre après la réforme fiscale du ministre Wilson, nous avons dû attendre aussi les crédits d'impôt à l'investissement pour notre région, attendre qu'ils soient maintenus, nous avons dû, par la suite, attendre que le gouvernement fédéral annonce un programme Entreprise Atlantique. Il s'agit de deux programmes fédéraux qui ont été annoncés, il y a moins d'un an, par le gouvernement fédéral, comme outils spéciaux de développement pour les régions dépendantes sur le plan économique, comme il a été signalé tout à l'heure.

Ce que nous vous demandons aujourd'hui, au nom de tous les gens de cette belle et grande région, c'est de nous assurer - j'ai encore peur là-dessus, et ce que vous nous avez dit tout à l'heure ne nous rassure pas outre mesure - que ces mesures spéciales pour combattre les disparités régionales au pays ne seront pas annulées, diminuées ou sacrifiées pour

permettre la signature de l'entente sur le libre-échange.

(16 h 45)

Les deux mesures dont je viens de vous parler, et c'est bien peu pour combattre les disparités régionales, peuvent à elles seules permettre la réalisation du projet de papeterie régionale de Matane, qui, soit dit en passant, à cause de la structure presque monoindustrielle de la région, apparaît comme la véritable clef de voûte de la relance économique du coeur de la région du Bas-Saint-Laurent~Gaspésie et principalement de son milieu rural. Il ne faut jamais oublier cela. Vous admettrez, et vous l'avez dit tout à l'heure, Mme la députée, que ce ne sont pas 39 000 000 $ dépensés par Emploi et Immigration Canada, en 1983-84 pour la création artificielle d'emplois, ce ne sont pas non plus les 263 000 000 $ qui ont été versés en assurance-chômage, ni les 96 100 000 $ qui ont été versés en prestations d'aide sociale, toujours en 1983, qui vont relancer l'économie d'un pays et d'une région, en particulier, la nôtre -permettez-moi de terminer là-dessus surtout pas dans une région où il y a beaucoup plus de boubous macoutes que de commissaires industriels.

Mme Hovington: Dites-moi, est-ce qu'il y a une compagnie papetière...

Le Président (M. Charbonneau): C'est fini. Vous avez déjà...

Mme Hovington: La dernière.

Le Président (M. Charbonneau): La dernière.

Mme Hovington: Merci, M. le Président. Est-ce que le bas prix des copeaux profite maintenant à une compagnie en particulier dans notre région?

M. Gauthier (Maurice): Dans notre région, on sait très bien que la Consohdated-Bathurst est dans la Baie des Chaleurs et qu'elle n'est pas intéressée de voir arriver l'implantation d'une papeterie qui va faire en sorte que les prix d'approvisionnement en copeaux seront difficiles. Mais ces prix en approvisionnement en copeaux vont permettre à peut-être 200 ou 300 autres personnes de cette belle région de la Baie des Chaleurs de travailler comme travailleurs forestiers.

Mme Hovington: Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, Monsieur, et Mme la députée. J'ai l'impression que le ministre est content. C'est un peu la réponse qu'il voulait entendre, si j'ai bien compris ses mimiques. M. le député de Bertrand.

M. Ciaccia: Vous voulez entendre la vérité, M. le Président?

Mme Hovington: On l'a eue.

Le Président (M. Charbonneau): Oui. Si une bonne réponse, c'est la vérité.

M. Ciaccia: Je pense que...

M. Gauthier (Maurice): C'est un bon témoignage, y compris précédemment.

Une voix: Revenons au libre-échange.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand. Je pense que ce sera le dernier intervenant.

M. Parent (Bertrand): II me reste du temps.

Le Président (M. Charbonneau): Oui.

M. Parent (Bertrand): Si Mme la députée de Matane a besoin de poser des questions, elle n'a qu'à venir s'asseoir de ce côté-ci, il nous reste encore un peu de temps.

Mme Hovington: Non, je me contenterai de ma place.

M. Parent (Bertrand): Je comprends très bien les préoccupations que vous avez, et qui ont été exprimées tout au cours de votre mémoire, face à cette entente de libre-échange possible et ce fameux projet de papeterie de Matane. D'abord, et je ne veux pas tourner le fer dans la plaie, mais je pense que le ministre sera d'accord, c'est un peu incroyable, un petit peu inconcevable et voire inacceptable que le gouvernment du Québec, l'Opposition, tout le monde ici au Québec s'entende, que tout le monde ait fait le travail qu'il y avait à faire et qu'on se trouve impuissant devant une décision qui appartient à Ottawa. Le ministre du Commerce extérieur a vécu aussi un autre dossier où on s'entend, auquel j'ai essayé de participer positivement, même si on était de l'autre côté, celui de l'Opposition, c'est l'implantation de l'agence spatiale à Montréal, et encore-là, on vit exactement la même situation. On est dans une situation où on ne peut rien faire sinon se mettre à genoux et prier.

Pour ce qui est du rôle que devront jouer les sociétés d'Etat, je pense à REXFOR, je pense à la Société de développement industriel, qui, en période de crise, a aidé plusieurs des PME de la région dans votre domaine. J'étais de l'autre côté de la table au conseil d'administration de la SDI, à ce moment-là, lorsque les différents dossiers arrivaient. Face au libre-échange,

premièrement, est-ce que vous croyez que ce travail qui est fait par les sociétés d'État et je me réfère à deux en particulier, à REXFOR et SDI, doit continuer de se faire, doit s'accentuer pour être capables d'être toujours plus concurrentiels, être capables d'investir? Deuxièmement, est-ce que, dans le cadre de votre travail que vous aviez à faire et votre appui pour le développement régional, vous avez eu de la part de l'OPDQ une aide quelconque? J'imagine que vous avez frappé è la porte et que cet organisme, qui est l'office de développement régional au Québec, a un rôle important à jouer. On sait de source sûre qu'il existe à l'OPDQ non seulement des études qui ont été faites au cours de la dernière année, mais tout un travail qui aurait pu, pourrait vous être utile ou vous a été utile. Comme deuxième volet, j'aimerais savoir si vous avez quelque collaboration de l'OPDQ ou si vous entendez frapper à sa porte si ce n'est déjà fait?

M. Gauthier (Maurice): Ce qui est important de vous répondre là-dessus, c'est que pour nous, toutes les études sont terminées. On ne veut plus rien savoir d'études. Nous nous sommes rendus à Ottawa, la semaine dernière, pour dire au ministre de Cotret et aux autres que c'était terminé, qu'on ne voulait plus rien savoir. Le gouvernement du Québec a fait sa part. Il a confirmé les approvisionnements, il a fait des négociations, il a trouvé un promoteur qui a dit oui et qui a fait, lui aussi, toutes les études voulues. Pour nous, il ne reste que la décision. C'est tout ce qu'on peut répondre là-dessus, c'est la décision qu'on veut.

M. Parent (Bertrand): D'accord. Concernant les sociétés d'État et le rôle qu'elles auraient à jouer dans le cadre du libre-échange.

M. Canuel: M. le député, il semble qu'il n'y a pas de règle absolue. Je pense que vous admettiez des deux côtés de la table, tout à l'heure, que vous souhaitiez garder le maximum d'outils pour intervenir. Je pense que ce n'est pas à nous de vous dire: Oui, le bon outil, c'est une société d'État ou ce n'en est pas une. On peut quand même admettre, dans certaines circonstances, la nécessité d'avoir des sociétés d'État comme outils spéciaux pour intervenir et dans ce sens-là lorsqu'est arrivée la crise économique de 1982 où les scieries privées fermaient l'une derrière l'autre, qu'on ait eu l'outil d'une société d'État pour les reprendre, est-ce un outil qui doit demeurer à temps plein et de façon continue? Je pense qu'on souhaite tous que cela serve un peu de levier pour donner un coup de main, mais après, quand on revient dans des circonstances normales, comme on souhaite y arriver après la papeterie de Matane, que le moteur de notre économie demeure l'entreprise privée. Je pense bien qu'on ne doit quand même pas se couper, avec le libre-échange, de toute la gamme des outils dont on aura besoin pour assurer notre développement de façon autonome et surtout la survie et le développement des régions qui en ont le plus besoin.

M. Parent (Bertrand): En terminant, puisque les dernières minutes s'écoulent de notre côté aussi, j'endosse ce que mon collègue, le député de Roberval, a mentionné tantôt et je dis aussi au ministre qu'il aura toute notre collaboration dans ce dossier dans le but de permettre d'arriver à des fins positives. S'il faut aller vers les mesures qu'on a prises dans le cas de l'agence spatiale, le ministre sait ce qu'on pourrait faire à ce moment-là. Merci beaucoup.

Le Président (M. Charbonneau): Sur cette dernière intervention je voudrais vous remercier, messieurs, d'avoir participé à cette consultation générale et de vous être déplacés. Je veux vous souhaiter bonne chance dans votre région en espérant que la prochaine fois que vous reviendrez, ce sera peut-être pour nous dire comment fonctionne la papeterie.

M. Gauthier (Maurice): Cela nous fera plaisir.

Le Président (M. Charbonneau): Bon retour et à la prochaine.

M. Lechasseur: M. le Président, on vous remercie, de même que l'ensemble de ceux de la commission qui nous ont écoutés. On se rend compte que vous êtes au courant de ce qui se passe dans le Bas-Saint-Laurent.

Le Président (M. Charbonneau): Merci. Bon retour.

J'inviterais maintenant le Comité des jeunes du Parti québécois à prendre place à la table des invités.

Mme Courville et M. Lougnarath, je vous rappelle les règles du jeu de la commission. On a une heure pour la rencontre avec vous: d'abord, une vingtaine de minutes pour la présentation de votre mémoire et, par la suite, le reste du temps est réparti de part et d'autre pour des échanges avec vous. Mme Courville, je vous demanderais de présenter votre collègue pour une meilleure compréhension du président et pour les fins du Journal des débats. Par la suite, je vous demanderais d'engager immédiatement votre exposé.

Mme Courville (Isabelle): Merci, M. le Président. Je vous présente donc le responsable du dossier au Comité national des jeunes du Parti québécois. C'est M.

Vilaysoun Lougnarath.

Le Président (M. Charbonneau): On s'excuse, M. Lougnarath.

M. Lougnarath (Vilaysoun): Vous êtes tout pardonné.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, allez-y.

Comité national des jeunes du Parti québécois

Mme Courville: Aujourd'hui, le Comité national des jeunes du Parti québécois souscrit au principe d'une libéralisation des échanges commerciaux entre le Québec et les États-Unis. Essentiellement, trois critères ont permis d'établir notre position. Comme plusieurs, nous sommes conscients que le Canada n'a pas accès à un marché de 1Q0 000 000 d'habitants et qu'à long terme, cette situation représente effectivement une condition non saine à l'économie québécoise.

Deuxièmement, le comité est d'avis qu'on ne doit pas prendre à la légère les menaces de protectionnisme que les États-Unis laissent planer sur notre économie. Finalement, la libéralisation des échanges canado-américains s'inscrirait très bien dans la foulée des efforts déployés sous l'égide du GATT afin de démanteler tous les obstacles tarifaires et non tarifaires qui entravent le commerce international. Dans ce sens, un environnement qui serait caractérisé par une fluidité croissante des échanges commerciaux est un paramètre avec lequel, tôt ou tard, il faudra composer.

L'intérêt pour le Québec et pour le Canada d'une libéralisation de leurs échanges avec les États-Unis réside, bien sûr, dans cet accès garanti à un marché aussi spacieux que nos principaux concurrents économiques. Le fait de décupler l'étendue de notre marché interne aurait un impact positif sur la compétitivité de l'industrie québécoise et canadienne puisque celle-ci serait à même de réaliser des économies d'échelle fort significatives à condition, bien sûr, de prévoir - nous en reparlerons - des mécanismes de transition qui permettraient aux compagnies québécoises de s'adapter à ce nouveau contexte économique.

Le libre-échange pourrait aussi nous permettre d'entrevoir au Québec l'émergence d'une psychologie de la gestion et de la fabrication marquée par plus d'audace et d'agressivité. Dans cette optique, l'incidence serait bénéfique, non seulement en regard du marché américain, mais aussi eu égard aux positions occupées par les entreprises québécoises et canadiennes sur l'ensemble du marché international.

La politique commerciale américaine est caractérisée, depuis quelques années, par le protectionnisme. On en parle beaucoup. Les phénomènes que l'on aperçoit actuellement ne sont probablement que la pointe de l'iceberg si un accord n'intervient pas. Nous avons eu à goûter à la médecine du protectionnisme américain. On se rappelle sans euphorie l'épisode récent sur le bois d'oeuvre canadien. On se rappellera aussi, lorsque Bombardier a enlevé le contrat du métro de New York, que son concurrent américain s'est empressé de contester la légalité de l'aide gouvernementale canadienne au financement des exportations. On peut aussi mentionner, comme exemple, les récentes protestations élevées par les usines américaines de papier contre les subventions de modernisation obtenues par l'usine québécoise Domtar. Tout cela n'est évidemment que la pointe de l'iceberg. Il faut cesser cette façon de fonctionner.

Si les recours légaux intentés par l'entreprise américaine sont parfois justifiés, ils se ramènent souvent à des manoeuvres de harcèlement ayant pour but de ralentir la pénétration des entreprises étrangères, manoeuvres dont la légitimité apparaît a tout le moins discutable. Pour les entreprises exportatrices québécoises et canadiennes, cette sorte de guérilla mine considérablement la stabilité de l'accès aux marchés américains et les empêche de développer des stratégies efficaces à long terme. Donc, une libéralisation du commerce entre les États-Unis et le Canada apparaît ici comme un élément de réponse à ce problème.

Le souci des États-Unis de libéraliser le commerce international s'est déjà traduit par la conclusion, en 1947, de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, le GATT. Les conférences tarifaires qui ont suivi ont permis de mettre progressivement au rancart des tarifs douaniers. Ainsi, en 1987, les tarifs mondiaux ne représentent plus que 3,8 % de la valeur des produits importés. Ainsi donc, comme je viens de le démontrer brièvement et comme plusieurs experts l'ont fait avant moi à cette table, le libre-échange s'inscrit donc dans une libéralisation internationale et mondiale de l'économie.

L'adhésion de notre comité des jeunes au principe de la libéralisation des échanges commerciaux ne signifie cependant pas que nous cautionnerons inconditionnellement n'importe quel traité de libre-échange.

Nous appelons le traité que nous favorisons un libre-échange à la québécoise dont plusieurs facettes vous seront expliquées aujourd'hui (17 heures)

Une de ces facettes comporte la mise en oeuvre, par le gouvernement québécois, de politiques qui visent à négocier en douceur le virage du libre-échange et aussi à répartir équitablement entre les différentes couches de la société québécoise, les bénéfices d'une

telle entreprise.

C'est en effet une des responsabilités premières, de tout gouvernement, d'aménager un environnement susceptible de favoriser l'activité économique et la création de la richesse, mais c'est un des axiomes au coeur de l'engagement politique des membres de notre comité que cette facette du rôle de l'état, se couple légalement des obligations fondamentales eu égard à la distribution de cette richesse.

À notre avis, une politique de distribution de la richesse passe, aujourd'hui, par une politique intégrée de plein emploi. L'action socio-économique que l'État québécois entend mener, lors de la phase transitoire de l'établissement d'une zone de libre-échange, devrait donc accorder autant d'importance, sinon plus, à la distribution de la richesse qu'au soutien de la croissance économique, et tout cela devra s'articuler autour d'une politique de plein emploi. De fait, noua sommes animés de la ferme conviction que la gestion socio-économique du libre-échange et une politique de plein emploi sont les faces d'une même médaille et que nous devons considérer ces deux aspects dans une même perspective.

Une attention particulière devrait être portée à des programmes de formation et de recyclage des travailleurs des secteurs industriels qui risquent de moins bien porter la concurrence américaine. D'autre part, il devrait être pris avantage de la politique fiscale pour s'assurer d'un juste partage des bénéfices du libre-échange.

Toutes ces mesures et d'autres, que le gouvernement du Québec exigera du gouvernement fédéral et des instances américaines qui négocient, permettra donc d'appeler ce traité du libre-échange, un traité à la québécoise et non un traité à la canadienne.

Le gouvernement du Québec devra donc exiger que, à l'instar des autres traités en vigueur, un accord de libre-échange prévoie des mécanismes de transition et un abaissement progressif des barrières tarifaires et non tarifaires de façon à permettre aux entreprises plus vulnérables de s'ajuster au nouvel environnement économique.

Ces mécanismes de transition ont beaucoup été traités ici et celui sur lequel nous voudrions le plus discourir - cet aspect du libre-échange à la québécoise, toujours sur lequel nous voudrions le plus nous pencher -est l'impact du libre-échange sur l'architecture fédérale canadienne et sur nos institutions politiques.

Je cède la parole à M. Lougnarath.

M. Lougnarath: Merci, Isabelle. Le Comité national des jeunes du Parti québécois se prononce en faveur du libre-échange, mais pas à n'importe quel type de libre-échange, un libre-échange à la québécoise.

Qu'est-ce qu'un libre-échange à la québécoise? Pour nous, un libre-échange à la québécoise, c'est d'abord un libre-échange où le Québec est une force agissante. C'est un libre-échange où le Québec participe è titre d'interlocuteur privilégié. Somme toute, c'est l'aménagement d'un environnement où les Québécois et Québécoises pourront affirmer leur souveraineté économique. Dans cet ordre d'idées, la séquence d'argumentation que nous aimerions proposer, maintenant, se profile comme suit. D'abord, nous pensons que le gouvernement du Québec doit être conscient qu'il y a danger que certains intérêts utilisent le libre-échange pour centraliser davantage le fédéralisme canadien et marginaliser les États provinciaux en tant que décideurs économiques.

Nous nous opposons évidemment à ce biais, mais nous pensons qu'il est possible de contrecarrer ce détournement du libre-échange en réalisant ce que nous appelons le libre-échange à la québécoise. Ce libre-échange à la québécoise s'articule autour de deux actionss d'abord, l'occupation du champ par l'État du Québec en matière de politique industrielle, et deuxièmement, une participation aux structures.

Abordons donc, si vous le voulez bien, le premier maillon de notre argumentation, la tentation centralisatrice. C'est à la page 17 du mémoire que nous vous avons soumis. Nous vous ferons d'abord remarquer que la volonté d'utiliser ou d'employer le libre-échange pour centraliser le fédéralisme canadien a déjà été exprimée. Je fais ici allusion au rapport de la commission Macdonald, portant sur l'union économique et les perspectives d'avenir. Pour la commission Macdonald, l'amplification du rôle de l'État fédéral et la réalisation d'une zone de libre-échange vont de pair. Il est concevable, à long terme, qu'un accord de libre-échange réduise le pouvoir des provinces par rapport à celui du gouvernement fédéral, clame à la page 401 du tome 1 le rapport de ladite commission. Donc, volonté politique de centraliser davantage le fédéralisme canadien à laquelle viennent se greffer des moyens ju ridiques de réaliser cette centralisation.

Le partage des pouvoirs économiques au Canada est fondé essentiellement sur une distinction entre économie interne et économie externe. Les matières inhérentes à l'économie interne relèvent du pouvoir provincial; par exemple, la production des ressources naturelles ou encore la mise en marché locale des produits alors que les domaines tributaires de l'économie externe, c'est-à-dire les tarifs douaniers, le commerce interprovincial, ressortent au pouvoir fédéral.

Or cette distinction apparaît, aujourd'hui, quelque peu dépassée puisque, comme le fait remarquer le professeur Bernier, de l'Université Laval, et je cite:

Toute initiative sur le plan interne est susceptible d'avoir des répercussions sur le plan externe et que, inversement, toute intervention sur le plan extérieur peut avoir un impact sur le plan interne. Le plus remarquable exemple de la désuétude de cette règle économie interne-économie externe est sans doute les récents déboires d'Hydro-Québec devant l'Office national de l'énergie relativement aux exportations d'énergie électrique en Nouvelle-Angleterre. On a ici ce que d'aucuns estiment le fer de lance d'une stratégie de relance ou d'une stratégie industrielle québécoise qui devient soumise au pouvoir décisionnel du gouvernement fédéral du fait que le produit -l'électricité - est destiné à des marchés d'exportation. On se rend donc compte, ici, des imbroglios politiques de même que des inconvénients pratiques qu'occasionne cette distinction.

L'inadéquation de cette distinction économie interne-économie externe risque de s'amplifier avec la réalisation d'un accord de libre-échange, puisque cet accord a pour effet d'internationaliser davantage l'économie interne.

Face à cette situation, les tribunaux pourraient tenter de délaisser cette dichotomie économie interne-économie externe et de favoriser une grille d'analyse qui, pour des raisons d'ordre fonctionnel, favoriserait, de façon marquée, le pouvoir fédéral. Donc, force politique, force juridique et la cerise sur le sundae, si vous me le permettez, c'est une pression centralisatrice de nature économique. Dans le contexte d'une zone de libre-échange, de plus en plus de décisions importantes et d'orientations seront tracées dans le cadre d'institutions bilatérales Canada-États-Unis. Or si, de notre côté, le seul joueur est l'État fédéral et si on se fie à ce qui s'est passé sur le plan des négociations, force est de constater que le seul joueur qui occupe le terrain, c'est l'État fédéral. Avant de suspendre les négociations, par exemple, cet après-midi, je pense qu'on n'a pas consulté le gouvernement du Québec ou le gouvernement de l'Ontario. On a annoncé, après coup, la décision de suspendre les négociations.

Ce genre de situation où l'État fédéral est le principal joueur risque de rehausser cette crédibilité en tant que décideur économique et de diminuer d'autant celle des provinces. Si le seul joueur à aller au bâton, c'est l'État fédéral, il est normal que ce soit à lui qu'on envoie les signaux.

Maintenant, nous ne croyons pas que cette poussée centralisatrice soit irréversible ou irrésistible. Au contraire, nous pensons qu'ii est possible de l'endiguer, de la contrecarrer par ce que nous appelons le libre-échange à la québécoise. La réponse à la tentation centralisatrice, pour nous, c'est le libre-échange à la québécoise, c'est-à-dire un projet qui s'articule autour de deux grands axes. D'abord, l'occupation du champ en matière de politique industrielle.

Nous sommes d'avis que c'est l'État québécois qui doit être le maître d'oeuvre de la politique industrielle au Québec, qui doit, surtout, être le maître d'oeuvre ou le chef d'orchestre qu'il faudra mettre en oeuvre pour permettre au Québec de négocier en douceur le virage du libre-échange. Il ne faut pas se le cacher - et cela a été répété à plusieurs occasions -l'avènement du libre-échange transformera substantiellement l'économie québécoise, la structure industrielle québécoise. Nous pensons donc que le libre-échange commande le déploiement d'un éventail de politiques, allant de la formation professionnelle au développement régional en passant par les relations de travail, la capitalisation des entreprises, la productivité des entreprises.

Or il nous semble que c'est à ces chapitres que la primauté de l'action de l'État québécois doit s'affirmer. La qualité, l'envergure des actes posés par le gouvernement du Québec vont se porter garantes de l'ordre de grandeur du rôle qu'il jouera à l'avenir sur le terrain économique, à notre avis.

Deuxième élément de ce libre-échange à la québécoise, l'implication du Québec dans l'entreprise, d'abord, par une participation à la phase des négociations. Il nous apparaît crucial - et là-dessus, je ne pense pas qu'on risque de provoquer de grosses vagues -qu'un accord de libre-échange ne soit pas signé, ne soit pas ratifié par le Canada sans l'accord des provinces. Dans ce sens, il nous apparaît plus qu'opportun de faire suite à l'engagement que prenait le premier ministre du Canada en novembre 1986 - et je vais citer ici un extrait du Devoir du 30 novembre 1986 - qui consistait "à définir au cours des prochains mois des mécanismes pour permettre aux provinces de ratifier un éventuel traité". On attend toujours et c'est à souhaiter qu'à un moment donné le chat sorte du sac.

Deuxième sous-élément de cette participation du Québec à l'entreprise du libre-échange: une participation aux structures de gestion du libre-échange. Nous pensons que le Québec devrait être impliqué dans les structures chapeautant une zone de libre-échange, que ce soit en réservant à ses représentants certains postes ou en l'associant aux nominations. Nous sommes aussi d'opinion, en ce qui a trait aux différends portant spécifiquement sur les actes du gouvernement du Québec, que ce soit à l'intérieur d'un corridor reliant directement Québec et les instances américaines concernées et que ce soit à l'instance de ce corridor que les mécanismes de règlement des différends de même que les mécanismes de conciliation soient aménagés.

Par exemple, ce sont à des instances bilatérales Québec-États-Unis ou à la limite trilatérales Québec-Ottawa-États-Unis, qu'on devrait confier la responsabilité de régler les différends relativement à un programme de subvention du Québec ou à une mesure, un programme de soutien ou de politique fiscale québécoise.

Troisièmement, nous pensons que le gouvernement du Québec devrait exiger que l'accord de libre-échange prévoie un droit de retrait pour le Québec. Ce serait là disposer d'une police d'assurance qui permette à notre peuple d'envisager l'avenir avec beaucoup plus de sérénité, sous les cieux du libre-échange.

Mme Courville: Ainsi donc, nous avons tenté de démontrer que le gouvernement fédéral possède certainement la volonté politique, les moyens juridiques et subira des pressions économiques des autres provinces pour centraliser davantage - si on ne fait pas attention - les pouvoirs économiques du gouvernement à Ottawa. Le libre-échange ne doit donc pas être l'occasion des années 2000 pour le gouvernement fédérai de s'insérer dans les champs de juridiction provinciale. Le gouvernement du Québec doit donc être extrêmement vigilant et contrecarrer cette poussée centralisatrice, ce libre-échange à la canadiennes pour mettre de l'avant un libre-échange plutôt à la québécoise, un projet collectif qui mettra l'avenir du Québec sur une bonne voie.

Nous vous remercions.

Le Président (M. Charbonneau):

Madame, monsieur, je vous remercie dé cette présentation. Je crois que le ministre du Commerce extérieur aurait quelques questions ou commentaires. M. le ministre.

M. MacDonald: Mon premier commentaire, ce sont des félicitations. Je vous ferais remarquer, en reprenant vos paroles à la page 10, où vous dites: "II lui convient d'arrêter sa position à la lumière des modestes connaissances qu'il a acquises du dossier", que des adultes qui sont passés nous voir auraient eu grandement à gagner à vous rencontrer auparavant afin pour d'apprendre à structurer une présentation. Il est évident que nous ne réconcilierons pas nos positions sur le plan constitutionnel. Il est évident qu'à l'intérieur de votre présentation, à l'occasion, ce choix que vous avez fait et que je respecte, transpire. Il n'est absolument pas question, pour moi, d'embarquer dans un débat qui aurait une connotation partisane. On s'est exempté de tout cela depuis le début de cette commission parlementaire et on va rester ainsi. Très sincèrement, vous avez une excellente présentation. Je ta trouve d'autant plus importante que vous êtes des représentants de ceux pour qui cette négociation se fait. S'il y a entente, au terme des périodes de transition, mon honorable collègue, M. Ciaccia, et moi-même serons à la retraite. C'est pour vous, effectivement, qu'aura été préparé ce climat, cette économie canadienne et québécoise et je trouve que vous avez réellement bien fait vos devoirs. (17 h 15)

Je dois, par contre, mentionner certaines choses. D'abord je suis d'accord avec la majorité des choses que vous dites, c'est-à-dire cette position qui a été la nôtre, à savoir que nous sommes d'accord avec une négociation qui a pour fins la libéralisation de3 échanges mais non pas à n'importe quelle condition. Vous avez d'ailleurs fait la liste, à toutes fins utiles, non exhaustive, mais de la majorité des points importants qu'on a posés comme conditions à une adhésion du Québec à l'équipe de négociation.

Deuxièmement, je dois dire qu'il est important pour vous de comprendre peut-être un peu mieux le mécanisme qui nous a amenés à décider de notre participation, à savoir qu'il n'était absolument pas question, pour le Québec, de rester passif, de ne pas être présent à l'élaboration du mandat au suivi de la négociation, à l'accord des parties, nous réservant toujours le droit d'accepter ou de refuser l'ensemble. Il n'est absolument pas question non plus de céder à ce que vous avez identifié comme étant une réalité de toute confédération ou fédération, c'est-à-dire à cette poussée ou ce tirage centralisateur de ce qui est normalement le gouvernement ou l'entité qui chapeaute. Et on n'a pas passé à travers les décennies qu'on a connues au Québec - et je pense qu'on peut vous l'assurer, qu'on soit de votre choix constitutionnel ou non - pour, dans ces circonstances-ci, laisser aller ce qu'on a difficilement gagné comme autonomie provinciale.

Il est important que vous compreniez aussi le mécanisme en cours. Vous avez dit, par exemple, aujourd'hui, que le gouvernement fédéral a suspendu les négociations et qu'il n'a pas consulté les provinces. Le négociateur a, avec l'approbation des provinces, la latitude de faire ce qu'il a fait aujourd'hui. C'est le négociateur qui a suspendu la négociation et qui a décidé d'aller faire rapport au premier ministre du Canada. Dès réception de cette décision et des explications, nous avons été informés ici, au Québec, par un message de la part du premier ministre du Canada au premier ministre du Québec. C'est une forme tout à fait normale mais qui rejoint vos préoccupations de vouloir que ce ne soit pas une négociation - je comprends votre point de vue - que je dirais strictement et purement canadienne ou, je devrais dire plutôt, fédérale, d'Ottawa. C'est une négociation où

les provinces, et non seulement le Québec, y prennent une part très active.

Je comprends également votre curiosité à vouloir en savoir davantage sur ce qui se passe. Mais je sais - il est évident par le sérieux que vous avez consacré à votre présentation et la façon dont vous l'avez articulée - que vous comprenez qu'on ne peut pas en cours d'une négociation aussi sérieuse, aussi importante, mettre sur la table la totalité de ce qui peut être des enjeux de négociation. Parce que, dans les enjeux de négociation, il y a non seulement cette relation Canada-États-Unis, il y a également cette relation du fédéral avec les provinces et il faut penser plus loin que cela parce que, comme vous l'avez compris sûrement, cette négociation bilatérale n'est qu'un précurseur de la négociation multilatérale qui est en cours et qui, elle aussi, va revêtir énormément d'importance pour l'avenir économique du Canada et du Québec.

Venons-en maintenant à une question. Je vous ai dit ceci. Je crois sincèrement, et c'est évident, que la résultante de ce qui se négociera sera administrée par des gens comme vous. On a parlé de périodes de transition, justement, pour préparer le Québec, ses entreprises de services ou de biens, à pouvoir entrer dans la concurrence. En parlant de périodes ou de mesures de transition, est-ce que vous voudriez commenter ce sujet et nous faire des suggestions?

Mme Courville: Merci, M. MacDonald, pour vos commentaires si positifs. De notre point de vue, on pense qu'on est devant des mesures de transition depuis le premier jour où on a parlé de ce dossier du libre-échange. C'est-à-dire que, dès maintenant, demain et après-demain, on est toujours en période de transition et il serait important pour le gouvernement du Québec de faire savoir à l'interne, aux entreprises concernées et aux groupes concernés, ce qu'il entend faire comme politique industrielle intégrée. Ce qu'on veut dire par là, c'est que cette phase de transition va certainement s'accélérer quand les termes de l'accord vont être connus. Mais on pense que, n'ayant pas les restrictions du libre-échange dans les pattes - si on peut utiliser cette expression -actuellement, ce serait certainement possible pour le gouvernement du Québec de commencer dès maintenant - c'est très impérieux dans certains secteurs - à structurer nos industries et certains de nos secteurs économiques afin de faire face à une compétition mondiale.

Que le libre-échange échoue ou qu'il n'échoue pas, dans notre perspective, cela n'a pas d'importance. On a tenté de démontrer que le commerce s'internationalisait, de toute façon. Alors, si le commerce s'internationalise, le Québec devra se préparer à cela maintenant ou plus tard. Ce n'est pas la date du début d'octobre qui est importante, c'est plutôt l'ensemble de l'avenir du Québec qui est important dans le sens où chacun des secteurs sera plus structuré, où les travailleurs auront peut-être compris qu'il faut se recycler, si on abandonne vraiment leur secteur, ou qu'ils auront compris qu'ils doivent peut-être accepter l'introduction de la robotisation et de l'automatisation. Cela peut aller jusque-là, dans certains secteurs, pour diminuer nos coûts. Alors, quand les travailleurs de ces secteurs auront entrepris le processus de modernisation, le processus d'internationalisation de leurs entreprises, peut-être qu'il y aura moins d'opposition au libre-échange parce qu'ils seront concernés, ils seront partie prenante de ce dossier.

C'est pourquoi on a intitulé notre mémoire: Le libre-échange, un projet collectif, parce que tout en comprenant que les négociations doivent rester, d'une certaine façon, sous le couvert du secret pour ne pas y nuire - ce que nous comprenons très bien - le libre-échange doit quand même être un projet collectif. Un projet collectif doit impliquer les partenaires et ces partenaires qui sont actuellement opposés gagneraient beaucoup peut-être à être informés de ce que le gouvernement entendrait faire dans leur secteur respectif.

M. MacDonald: C'est rafraîchissant de vous entendre livrer ce genre de leçon. Je vais simplement conclure et passer la parole à mon collègue, le député de Bertrand, en vous disant qu'à toutes les organisations, soient-elles pour, soient-elles contre, représentants patronaux ou représentants ouvriers, qui sont allés devant le comité Warren et, à toutes fins utiles, sont venus devant nous, nous leur avons posé une question semblable. Je peux vous dire que ma conviction profonde est la suivantes Ce n'est pas au gouvernement, aux hommes politiques ou aux fonctionnaires à pondre de leur imagination un programme quelconque. C'est pourquoi, nous avons demandé aux gens de l'industrie du meuble, pour prendre cet exemple, ce qu'ils considéraient être à la fois période de transition et méthode de transition. Nous avons eu des réponses. Nous en avons eu privément et publiquement. Nous avons eu des réponses qui étaient constructives et valables. Nous avons eu également, peut-être pas pour tout le monde, mais pour la plupart, dans des cas, d'une façon magistrale par le président de la Société d'électrolyse et de chimie Alcan, la confirmation que c'est une chose qui se faisait entre les partenaires, c'est-à-dire les employés et les patrons, et que personne ne pouvait travailler en catimini dans ce projet.

Le Président (M. Charbonneau): M. le

député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Mme Courville, M. Lougnarath, soyez les bienvenus à cette tribune. Effectivement, c'est rafraîchissant de vous entendre, d'autant plus que votre présence ici procède de votre propre initiative, de votre propre chef. Je suis content que ce soit les jeunes de cette formation politique que je représente, parce que je pense que c'est très prometteur de voir de quelle façon vous êtes capables d'articuler un mémoire, non seulement de l'articuler, mais d'en discuter et d'avoir une ouverture d'esprit. Je dois dire que c'est parmi les bons mémoires qu'on a reçus, comme l'a mentionné le ministre.

Ce n'est pas facile de saisir l'ensemble de la problématique et vous l'avez très bien fait. Le ministre mentionnait qu'il ne pouvait pas être d'accord avec tout ce qui était inclus dans votre mémoire. Je suis étonné de voir qu'il n'a pas encore adhéré tout à fait à nos idées. Par contre, ce que vous craignez, à toutes fins utiles - là-dessus, je pense que le ministre doit au moins comprendre le fond - c'est essentiellement que la centralisation des pouvoirs à Ottawa, dans le cadre du libre-échange, soit une excellente occasion pour Ottawa de s'accaparer de certains champs d'activités. Non seulement cela fait partie de vos préoccupations qui sont tout à fait légitimes, cela fait partie des préoccupations du gouvernement, sauf que quant aux moyens, je pense qu'on n'a pas la même vision, c'est-à-dire vous et nous avec le gouvernement, quant à la façon.

J'aimerais que vous puissiez nous donner quelques exemples concrets qui pourraient amener le gouvernement fédéral à vouloir prendre plus de terrain, à avoir une meilleure emprise. Tout cela, souvent, pourrait se faire de façon que l'on s'en rende plus ou moins compte. Tantôt, on discutait, juste avant votre présentation, avec le Syndicat des producteurs de bois du Bas-Saint-Laurent et on était devant une situation où il y a des décisions à prendre, avec le dossier de la fameuse papeterie de Matane que tout le monde espère obtenir, mais des décisions où on ne peut pas faire grand-chose d'autre que de faire nos devoirs et, quand on les a faits, on n'est pas sûr d'avoir encore le projet et de décider, sur son propre territoire, de ce que l'on veut avoir.

Les champs particulièrement de la main-d'oeuvre, de la formation, du recyclage, de la formation professionnelle sont certes des champs d'activités où on n'a pas toute la marge de manoeuvre et où on risque d'en perdre encore plus. Alors, j'aimerais que vous puissiez me donner, dans un premier temps, face à cette centralisation des pouvoirs à Ottawa, quels moyens vous envisagez et aussi, j'aimerais que vous donniez quelques exemples.

M. Lougnarath : D'abord, pour ce qui est de la centralisation ou de la menace qu'on utilise le libre-échange pour centraliser davantage le fédéralisme, il faut dire que cela dépend fondamentalement de la volonté politique de ceux qui tirent les cordes à Ottawa.

Disons qu'avec M. Mulroney et la doctrine de la réconciliation nationale, on peut penser peut-être qu'on a des assurances, quoiqu'il n'y a rien de vraiment sûr. Mais si, par exemple, c'étaient les libéraux de Jean Chrétien qui prenaient le pouvoir à Ottawa, ce n'est pas sûr qu'on n'essaie pas d'utiliser le libre-échange pour centraliser davantage le fédéralisme.

Donc, c'est d'abord une question de volonté politique. D'autres exemples de centralisation, mais d'abord, il faut être conscient du fait que, jusqu'ici, les négociations ont été l'apanage presque exclusif du gouvernement fédéral... On consultait surtout les provinces après coup. L'élaboration des mandats relevait essentiellement, je pense, de l'État fédéral.

Troisième élément ou troisième illustration d'une volonté de centraliser ou d'une expression de centralisation, le rapport de la Commission Macdonald qui demeure sans doute l'énoncé d'intentions, pour ce qui est du fédéral, le plus complet. À la page 18 du mémoire, on a reproduit une citation du rapport de la Commission Macdonald où, carrément, on considère que l'amplification du rôle de l'État fédéral et la réalisation du libre-échange vont de pair pour que le fédéralisme canadien, tel qu'on le perçoit surtout dans "l'établishment" canadien anglais, fonctionne efficacement.

Il y a peut-être aussi une raison plus théorique, je pense, à ces velléités centralisatrices. Le fédéralisme canadien, fondamentalement, est une structure politique qui vient chapeauter un projet économique, à savoir la constitution d'une entité économique distincte qui se définit par rapport et par opposition à l'espace économique américain. Or, avec le libre-échange, cette raison d'être économique du fédéralisme canadien tombe, s'estompe. Or, à notre avis, il y a lieu d'appréhender que le nationalisme canadien anglais qui, dans sa perspective, se justifie probablement fort bien - mais dans une perspective qui n'est pas la nôtre, Québécois francophones ou Québécois - cherche à se protéger, cherche à pallier les insuffisances ou les carences de son infrastructure économique par des remèdes d'ordre politique qui prendraient la forme d'une centralisation accrue du fédéralisme et ce, sans nécessaire considération pour la dualité linguistique et la spécificité du Québec.

(17 h 30)

Sur le plan juridique, je ferai état de deux décisions de la Cour suprême, mais j'en fais état en toute déférence, d'abord, l'arrêt CIGOL contre le gouvernement de la Saskatchewan, une décision qui a été rendue au cours des années soixante-dix. Étaient mis en cause dans cette affaire, une surtaxe et un impôt minier sur les revenus associés à la production de gaz naturel et de pétrole. Il s'agit d'une activité, la production, qui fait partie inhérente, de prime abord, de ce qu'on a appelé tantôt l'économie interne, malgré ceia et parce que le pétrole et le gaz naturel en question étaient destinés au marché d'exportation, la Cour suprême statua qu'il s'agissait d'une forme de réglementation du commerce interprovincial, international, ce qui est un domaine de compétence fédérale exclusive et décida que ces taxes étaient ultra vires.

Dans le même ordre d'idée et appliquant le même raisonnement, la décision Central Canada Potash contre le gouvernement de la Saskatchewan. Ce qui faisait l'objet de l'examen des tribunaux, c'était un programme de contingentement sur ia potasse. La potasse étant destinée quasi essentiellement à l'exportation, ia cour statua qu'il s'agissait effectivement ici d'un programme inconstitutionnel.

Finalement, on fait état, dans le mémoire, de la question des clauses protégeant les industries naissantes. Il s'agit de clauses qui existent, par exemple, dans le traité entre Israël et les États-Unis et qui cherchent à protéger les nouvelles industries, les nouvelles technologies, comme par exemple, la biotechnologie, pour permettre de créer une industrie nationale, pour protéger ou permettre leur incubation. Or, il s'agit de nouvelles industries. Donc, souvent, la question qui se pose, c'est qui va réglementer, qui va faire les lois relativement à ces industries? Nous pensons que le gouvernement fédéral pourrait, je dis bien, s'il avait des intentions machiavéliques, ce qui n'est pas nécessairement le cas, mais ce qui pourrait l'être, utiliser un tel traité ou une telle clause pour s'accaparer le champ. Je dois vous dire qu'il existe un précédent, je fais allusion à l'affaire Johannesson contre West St-Paul Municipality, une décision de la Cour suprême rendue en 1952 où on s'est autorisé de la convention de Chicago sur l'aviation civile, et c'était sous la plume du Juge Rinfret, pour soutenir et étayer l'arqument indiquant que l'aéronautique était une matière de dimension nationale et, par conséquent, que c'était une juridiction qui relevait de l'état fédéral. Donc, je ne sais pas si j'ai répondu à votre question, mais il s'agit ici de plusieurs éléments ou exemples, ou expressions de centralisation*

Pour en venir au deuxième volet de votre question: comment réagir à cela? Je serai très bref. Simplement, je referai état des deux grands piliers de ce qu'on estime être un libre-échange à la québécoise, occupation du champ en matière de politique industrielle. Écoutez, on n'est pas des spécialistes, moi, je ne suis qu'un étudiant, je ne peux vraiment pas donner la leçon à quiconque, mais disons que je peux peut-être remémorer la comparution de M. Parizeau qui a fait état, si je m'en fie à l'article du Devoir du 17 septembre dernier, d'une série de mesures, d'éléments de politique industrielle qui permettraient au Québec de développer une stratégie industrirelle cohérente afin d'aider nos industries à pénétrer le marché américain, ce qui est le premier élément, à mon avis, d'une stratégie relativement au libre-échange et, le deuxième élément, c'est une question de répartition des bénéfices de l'entreprise.

On dit que le libre-échange va résulter en un taux de croissance plus élevé pour le Québec. C'est très bien, mais il faut aussi veiller à ce que les bénéfices soient répartis. Parce que, vous savez, dans les années soixante-dix, il y avait des pays, comme le Brésil ou le Mexique, qui connaissaient des taux de croissance faramineux. Ce n'est pas évident que la richesse ou que les bénéfices ou les fruits de cette croissance étaient partagés. Moi, je n'aimerais pas que le Québec devienne un nouveau Brésil ou un nouveau Mexique.

M. Parent (Bertrand): Vous avez très bien répondu à ma question. Vous en avez même donné plus que je n'en demandais. Comme vous le dites, même si vous êtes un simple étudiant, je peux vous dire qu'il y en a plusieurs qui auraient certainement avantage à retourner aux études. Je pourrais dire au ministre que la relève est prête. Il peut maintenant prendre sa retraite.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

Le Président (M. Charbonneau): Le député de Frontenac voulait s'essayer. M. le député.

M. Lefebvre: Je prends note de la remarque du député de Bertrand à savoir que vous êtes prêt à prendre la relève du ministre MacDonald. Je comprends donc que vous en venez à la conclusion que vous deviendriez un bon ministre libéral.

M. Parent (Bertrand): Comme d'habitude, il n'a pas compris.

M. Lefebvre: Mme Courville, M. Lougnarath, vous pointez du doigt dans votre mémoire - je ne reprendrai pas les compliments qu'on vous a faits, effectivement, c'est très bien fait et je me rallie à tout ce qui a été dit jusqu'à maintenant -

des secteurs très particuliers. À la page 15, vous nous parlez abondamment de la protection de la langue, de la culture et de ce qui est névralgique: les communications. Vous soulignez également, aux pages 26 et suivantes, qu'il y a lieu de protéger notre souveraineté économique.

Vous connaissez sûrement, j'en suis convaincu, la teneur des conditions qui ont été mises sur la table par le Québec pour qu'on donne un accord à un traité éventuel de libre-échange avec les États-Unis. Je pose la question à tous les deux, quant aux conditions qu'on retrouve dans un document qui a été remis à tous les participants de la commission - je pense évidemment aux députés - où on dit, au paragraphe 2 du document en question, qu'on exige le respect intégral de ses lois, de ses programmes - je pense évidemment à la province de Québec -et politiques dans les domaines de la politique sociale, des communications, de la langue et de la culture. En partant de ce qui a été donné comme explication de cet énoncé de principe par les différents ministres du gouvernement du Québec qui ont participé aux travaux de la commission jusqu'à maintenant, est-ce que cette condition ne couvre pas les commentaires que vous faites, aux pages 15 et suivantes de votre mémoire, qui traitent spécifiquement de la langue, de la culture et des communications? C'est ma première question.

Ma deuxième question ou mon deuxième commentaire a trait au même document auquel j'ai fait référence mais à son paragraphe 3 où on dit que le Québec appuiera un traité de libre-échange pour autant qu'il y aura un maintien de sa marge de manoeuvre nécessaire pour atteindre les objectifs de modernisation et de développement de son économie dans toutes les régions du Québec. Est-ce que cette condition additionnelle ne répand pas aux remarques, commentaires et mises en garde que vous faites, à partir des pages 25 et suivantes du document que vous nous avez remis, où vous parlez particulièrement de la souveraineté économique du Québec et, entre autres, à la page 27, où vous dites textuellement que votre "adhésion au principe d'une libéralisation des échanges Canada-américains se double donc d'une volonté d'assurer la prépondérance de l'État québécois au regard des orientations économiques et de la politique industrielle ou, à tout le moins, le maintien des acquis"?

C'est la question que je vous pose sur ces deux secteurs d'activité très particuliers: la langue, la culture, les communications et l'activité économique. Est-ce que vous êtes rassurés lorsque vous comprenez que, effectivement, ces conditions, c'est-à-dire ce qui apparaît dans votre mémoire relativement à ces points ont fait l'objet de conditions très précises, de conditions sine qua non de l'appui du Québec au Canada dans la mise en place d'un traité de libre-échange avec les Américains?

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le député de Frontenac.

Mme Courville: Deux réponses à votre question. Évidemment, dans notre mémoire on a fait mention de plusieurs secteurs qu'on devrait protéger tout en se disant non-experts dans le domaine mais en reprenant des avis d'experts, pour ce qui est des sociétés d'État, de l'aide gouvernementale, de tous ces programmes qui aident, entre autres, l'emploi pour les jeunes, ce genre de programmes qui sont souvent des subventions à l'entreprise.

Tous ces programmes doivent être protégés. Nous ne sommes pas les premiers intervenants. De ce point de vue là, les conditions qui ont été mises dans les documents que je n'ai pas vus sont probablement très correctes.

Quant aux secteurs économiques complets à exclure du traité, je pense que beaucoup d'agriculteurs sont venus devant vous et ont discuté de ces problèmes. Ce n'est pas à nous ici de discuter de l'exclusion de tels secteurs, bien qu'on pense qu'une étude importante sectorielle des problèmes économiques dus au libre-échange devrait être faite par chacun de ces lecteurs. Ce n'est pas à nous de donner ces réponses»

Mais on peut donner une réponse» Est-ce qu'on est rassuré par les conditions que vous mettez quant à l'adhésion du Québec à cet accord de libre-échange? Je vous répondrai ceci; On sera rassuré quand on aura l'impression - et ce n'est peut-être qu'une impression - que le gouvernement du Québec est de plain-pied dans l'aire du libre-échange. C'est très simple. Pour que le gouvernement du Québec semble et soit de plain-pied dans l'aire du libre-échange, il faudra qu'il pose des actions concrètes pour aider les entreprises et les travailleurs de certains secteurs à prendre ce virage technologique. Je ne sais pas quel virage chacun des secteurs doit prendre, mais il faut prendre les virages qui s'imposent pour faire face au libre-échange.

Oui, c'est sûr que c'est important de mettre des conditions par écrit et de les fournir au gouvernement fédéral. C'est extrêmement important, c'est le rôle du gouvernement. Quand le gouvernement du Québec aura établi des mesures et des politiques importantes dans les différents secteurs qui seront touchés - cela fait longtemps qu'on sait quels secteurs au Québec vont être touchés par le libre-échange et qu'on aurait pu prendre des actions - quand ces actions seront prises, on se sentira rassuré. Je suis sûre que beaucoup

de travailleurs se sentiront rassurés. Ils se diront: Le gouvernement du Québec ne va pas nous laisser tous crever sur l'autel du libre-échange, comme on l'entend dire. Je reprends les paroles de syndicalistes connus ou de travailleurs connus. Oui, nous sommes rassurés par les conditions que vous mettez, pour autant qu'il y ait des actions qui suivront.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Frontenac, vous voulez vous essayer à nouveau? Allez-y.

M. Lefebvre: Mme Courville, cela pourrait peut-être vous rassurer si j'ajoutais à tout ce que j'ai dit tout à l'heure, soit que le Québec a soumis une autre condition à son accord de signature de traité de libre-échange avec le gouvernement américain, à savoir qu'on exige qu'il y ait des périodes de transition et de mise sur pied de programmes d'assistance pour les entreprises et pour les travailleurs dans les secteurs moins concurrentiels. Cette condition étant également une exigence du Québec à un accord avec le Canada au traité en question, est-ce que cela répond en partie, à tout le moins, à ce vous venez de faire comme commentaire?

M. Lougnarath: Voyez-vous, M. le député, ce qui nous inquiète le plus, ce n'est pas que le gouvernement du Québec ait imposé des conditions. Il est vrai que les conditions que vous avez posées recoupent en grande partie celles dont nous avons fait état dans notre mémoire. Ce qui nous inquiète le plus, c'est qu'on ne tienne pas compte de ces conditions à Ottawa quand viendra le temps de signer un accord de libre-échange. Imaginez-vous que demain, on arrive à un accord de libre-échange, mais il s'avère qu'une de nos conditions n'a pas été respectée, pensez-vous que le gouvernement fédéral - après quoi? deux ans, trois ans de négociations - va dire: Non, écoutez, on va repenser à cela, il y a une province qui est récalcitrante, alors que cela va être devant le Congrès américain et que le Congrès américain a le choix de dire oui ou non? Je pense que c'est plus ou moins réaliste. Il faut se mettre dans le contexte pour ne pas se faire avoir comme en 1982 où on pensait avoir un droit de veto et on s'est retrouvé avec rien sous les pieds à un moment donné.

Le deuxième élément... Les mots me font défaut, je voulais dire quelque chose mais... Pourriez-vous me rappeler votre question?

M. Lefebvre: Alors, j'ai fait un commentaire à Mme Courville qui signalait les inquiétudes relativement, si j'ai bien compris...

M. Lougnarath: Oui, d'accord. Cela me revient.

M. Lefebvre: ...à la période de transition.

M. Lougnarath: Cela me revient. Vous dites qu'on pose des conditions...

M. Lefebvre: Oui.

M. Lougnarath: ...au gouvernement fédéral relativement à l'assistance des entreprises.

M. Lefebvre: C'est ça.

M. Lougnarath: Mais voyons dor.cl Pourquoi est-ce qu'on a besoin de poser des conditions pour l'assistance des entreprises au gouvernement fédéral? C'est en plein dans le champ de nos juridictions. C'est en plein le champ de nos compétences. On n'a pas à demander à Ottawa d'assister nos entreprises. On peut déjà mettre sur pied à l'intérieur de nos compétences un programme cohérent, une politique intégrée pour venir en aide aux entreprises, pour venir en aide aux secteurs qui risquent de payer pour le libre-échange et surtout de venir en aide aux travailleurs pour faire en sorte... Et c'est là le principe que l'on fait ressortir dans notre mémoire. On s'en tient à de grands énoncés de principe, on n'est pas spécialiste. Oui au libre-échange parce que ça va être bon pour la croissance économique du Québec. On va créer de la richesse, mais attentionl, il faut aussi distribuer la richesse, créer mais aussi distribuer la richesse. (17 h 45)

M. Lefebvre: On est d'accord avec vous là-dessus, monsieur.

M. Lougnarath: Excellent.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, sur cette entente, M. le député de Roberval.

Une voix: Je reviendrai sur ça.

M. Gauthier (Roberval): Oui, merci, M. le Président. C'est avec beaucoup de plaisir et de fierté que je participe aujourd'hui à cette présentation. Je l'avoue bien sincèrement.

Il y a un élément... J'ai une question et un commentaire à faire. La question, d'abord, porte sur la paqe 15 de votre mémoire où je me permets de diverger quelque peu d'opinion avec vous. Et j'exprime mon inquiétude. Vous indiquez, à la toute fin de la page 15, que son droit d'intervention pour des fins de protection linguistique - on parle du droit du Québec - soit expressément stipulé dans un éventuel traité. Je me permets de porter à votre attention la réflexion suivante. Il n'y a pas, à mon avis,

d'inquiétude sur le fait que le Québec est tout à fait légitimé et possède tous les pouvoirs. Et je reprends en cela un peu les arguments que vous venez de donner en réponse à la question qui vous était posée. Il me semble qu'il appartient de plein droit actuellement au Québec et qu'on n'a pas à remettre cette chose en question même si la façon de le remettre en question, c'est de stipuler qu'on a le droit, le plein de droit de légiférer. Je me serais attendu, parce que je suis préoccupé tout comme vous - et on nous l'a fait remarquer d'ailleurs en commission -au problème qui se pose quand on parle d'intégration économique plus grande avec une entité comme celle dont il est question, c'est-à-dire les États-Unis... Une intégration économique plus grande va certainement amener une pression supplémentaire quant à la langue de travail entre autres, pour ne citer que cet exemple-là, et aussi quant à la langue d'affichage parce que cela en découle. On peut penser que les rapports avec les États-Unis, les rapports avec nos voisins du Sud en tant que représentants d'entreprises qui feront peut-être plus d'affaires au Québec que dans le passé - on le souhaite d'une certaine façon - que la venue de ces gens-là fasse davantage pression sur le gouvernement pour qu'il décide d'afficher sur nos routes de façon bilingue et tout ça. Or, je me serais attendu, au lieu de recommander - c'est là en même temps ma question et la remarque qui exprime mon désaccord - d'indiquer dans le traité qu'on ait pleine et entière compétence pour légiférer, que vous puissiez faire des recommandations précises au gouvernement dans le sens de renforcer la loi 101, dans le sens de baliser davantage et de la nécessité de baliser davantage et quant à la nécessité de baliser davantage compte tenu de la plus grande pression qui sera exercée. Avez-vous le goût de m'expliquer ce choix que vous avez fait ou si vous ne vous êtes pas posé la question sous l'angle sous lequel je vous la pose actuellement?

Mme Courville: Vous amenez là tout un aspect du libre-échange qui n'est pas traité dans notre mémoire. C'est sûr qu'on étudie beaucoup et que, dans cette commission, plusieurs intervenants ont dû étudier avec vous l'aspect économique de la libéralisation des échanges avec les États-Unis, mais il y a tout cet aspect social auquel vous avez entrouvert la porte à l'instant, c'est-à-dire tout cet aspect de notre langue et de notre culture si particulier au Québec.

Je répondrai très brièvement à votre question. Je crois qu'autant tout à l'heure nous revendiquions le besoin que le gouvernement du Québec donne un vrai coup de main à ces entreprises, à ces travailleurs pour que, tous ensemble, nous soyons plus forts face aux États-Unis quand viendra le temps du libre-échange, autant, dans le domaine social, le Québec devra se renforcer et, entre autres, promouvoir la loi 101, l'améliorer même en tant que langue de travail où elle est particulièrement faible, continuer à en faire la promotion, ce qui serait un instrument pour assurer la stabilité linguistique du Québec dans une entreprise de libre-échange avec les États-Unis.

Avez-vous quelque chose à ajouter là-dessus?

M. Lougnarath: Oui. Votre remarque était tout à fait judicieuse et pertinente. Je dois reconnaître que l'aspect contrainte ou induction pour plus d'anglais au Québec que pourrait amener le libre-échange nous avait quelque peu échappé. Nous considérions la question de la langue d'une façon plus technique en ce sens qu'on avait peur - bien que je ne croie pas que ce soit une appréhension à tout casser - qu'à un moment donné des producteurs américains arrivent en disant: Écoutez, l'étiquetage en français seulement, pour nous qui ne parlons pas français, ce n'est pas loyal; c'est une barrière non tarifaire qui nous empêche de pénétrer votre marché. Qu'est-ce que c'est que cela?

C'est le genre d'appréhension qu'on avait et on disait que la meilleure façon de régler cela, dès le départ, c'est de prendre une police d'assurance, d'y inscrire une clause qui reconnaît de façon non équivoque le droit pour l'État québécois de légiférer en matière linguistique, un peu comme dans le traité Israël-États-Unis où on a inclus une clause relative à la viande "kosher". C'est un peu le même type d'idée et je ne pense pas que ce genre de clause soulève des débats et des batailles dans les autobus. C'est simplement une garantie supplémentaire.

M. Gauthier (Roberval): J'ai un petit commentaire, en terminant.

Le Président (M. Charbonneau): Un petit commentaire rapide, oui, d'accord.

M. Gauthier (Roberval): Je veux simplement exprimer ma fierté - je l'ai fait tout à l'heure - quant à la qualité du mémoire. Je sais que le ministre me permettra d'être un tantinet partisan, l'ayant lui-même fait. Je suis particulièrement impressionné aussi par la densité de ce mémoire qui touche l'ensemble du problème. Comme on vous le disait tout à l'heure, plusieurs gens et plusieurs groupes auraient peut-être eu avantage à s'inspirer de cette façon de faire qui a été la vôtre. Je voudrais vous remercier et vous dire que cela me fait particulièrement plaisir, puisqu'il fut un temps pas si lointain où les jeunes libéraux étaient de tous les débats et que les jeunes péquistes étaient bien silencieux. Ce temps,

c'était avant le moment où ils se préparaient à prendre le pouvoir et nous, l'Opposition, et je m'aperçois maintenant que les jeunes péquistes sont de tous les débats et que les jeunes libéraux sont bien silencieux. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Peut-être est-ce la rançon du pouvoir? De toute façon, je vais laisser une autre intervention au ministre.

M. MacDonald: Je ne fais pas de politique ici, alors je n'embarquerai pas dans ce domaine.

Des voix: Ha! Ha!

M. MacDonald: J'aimerais, par contre... J'ai dû m'absenter quelques secondes et je n'ai attrapé que la fin de la réponse de monsieur concernant les programmes de transition. Je crois que vous avez soulevé le point que vous voudriez que le Québec garde une indépendance dans l'administration de ses programmes. Moi, c'est peut-être ma formation de personne d'affaires ou de banquier mais... C'est le gouvernement fédéral qui a amorcé cette négociation. C'est lui qui nous a entraînés dans cette négociation. Lorsqu'on parle de programmes de recyclage, de programmes de formation de main-d'oeuvre - d'ailleurs, le gouvernement fédéral est déjà présent en ce qui concerne les programmes de formation de main-d'oeuvre - de mesures pour s'adapter sur le plan de la productivité, moi, comme Québécois, je paie 0.25 $ dans la piastre pour des taxes qui sont perçues et c'est mon intention de voir qu'étant à l'initiative de ce projet, qu'on s'assure qu'il paie la facture qui est la sienne, si facture il y a à payer.

Vous avez soulevé la question de l'inclusion d'une clause. Il y a deux thèses, comme vous le savez probablement. Votre connaissance de la jurisprudence m'a fortement impressionné. Sur le plan légal, il y a la thèse aussi qui dit que si vous n'incluez pas dans un contrat une clause où nommément vous avez fait allusion à un sujet, ce sujet n'est pas sujet à débat, à jugement, à considération ou à discussion par un tribunal ou par un organisme habilité à passer des jugements ou des observations. À cette étape, pour nous, le français, ce n'est pas négociable. La réalité québécoise, la spécificité québécoise sur ce plan, c'est une société distincte, comme mon collègue me le mentionne, et ce n'est pas négociable.

Finalement, j'aimerais revenir à cette jurisprudence que vous avez citée à propos de la Saskatchewan et également à l'allusion que vous faites au rapport Macdonald. Ce rapport, comme vous le savez très bien, est basé sur l'ambiance, sur le climat canadien du début des années quatre-vingt. Il a été, à toutes fins utiles, rédigé dans sa forme à la fin de 1984, etc., Beaucoup de choses ont changé depuis ce temps, y compris, si vous voulez, le lac Meech et l'ouverture du fédéral sur cette nouvelle réalité. Finalement, lorsque vous citiez votre jurisprudence sur la Saskatchewan, vous aviez raison, mais c'était avant 1982. En 1982, il y a eu changement à la constitution canadienne et depuis ce temps, comme vous le savez très bien, les provinces peuvent agir en matière d'exportation, de taxation et en matière énergétique.

Mais je termine en vous disant encore une fois que - et je me joins à mes collègues - je trouve votre mémoire, votre document, probablement un des meilleurs nui nous ont été soumis. Je vais certainement en relire des parties. J'aimerais penser que, s'il y a succès aux négociations et si, comme on en avait parlé ici, il y avait une nouvelle commission parlementaire pour regarder le projet tel qu'il aurait été entendu, vous nous ferez le plaisir d'être présents et de venir nous faire part de vos commentaires à ce moment-là. Merci beaucoup madame, merci monsieur.

Le Président (M. Charbonneau): Avant de céder la parole au député de Bertrand qui voudrait aussi ajouter un commentaire final, j'aurais juste une question à vous poser de mon côté. Vous avez, comme d'autres groupes qui sont venus ici, abordé la question du plein emploi comme objectif sociopolitique et socio-économique à atteindre et comme une des conditions du succès d'une entente éventuelle de libre-échange, finalement. J'aimerais qu'on se comprenne. J'ai posé la question à d'autres groupes à un moment donné. J'aimerais pouvoir éventuellement comparer votre réponse avec celles qu'on a déjà eues. Dans votre esprit, quel est l'objectif du plein emploi? Tout le monde est pour la vertu. Tout le monde nous dit: On est d'accord pour plus d'emplois. Le gouvernement libéral et le ministre lui-même nous a dit à un moment donné durant la commission: Nous pensons qu'il faut que le libre-échange se traduise par plus d'emplois. Est-ce qu'il y a une différence, à votre avis, entre les objectifs économiques de croissance qui s'orientent vers l'emploi et une dynamique de plein emploi ou une stratégie et un objectif de plein emploi? Quelle est la nuance que vous faites, vous qui utilisez comme nous - d'ailleurs, nous sommes de la même formation politique - l'expression de "plein emploi"?

Mme Courville: Voici un autre large débat qui s'ouvre à l'instant.

Le Président (M. Charbonneau): On n'a pas beaucoup de temps, malheureusement.

Mme Courville: Je vais essayer de me

faire brève. C'est sûr que lorsqu'on parle de plein emploi, il y a certains livres comme l'Utopie du plein emploi, par exemple, pour citer celui de Mme Beilemare et Mme Simon Poulin. Ce qui est décrit dans ce livre, c'est que le plein emploi total, 0 % de chômage, cela va être une utopie. Et je pense qu'on s'entend là-dessus. C'est quelque chose qui doit être mis de l'avant comme principe général, mais ce n'est pas une réalité qu'on va vivre un jour.

Si vous me permettez de revenir sur le libre-échange, dans ce cadre-là, le lien qu'on fait avec le plein emploi, c'est que si un gouvernement a une stratégie de plein emploi, un objectif de plein emploi, tous les projets qui lui sont soumis et, entre autres, ce grand projet du libre-échange, doivent être, à notre point de vue, étudiés dans cette optique. C'est-à-dire que ce n'est pas demain matin, ce n'est pas en faisant aujourd'hui une stratégie globale de penseurs au gouvernement du Québec qu'on va appliquer le plein emploi à l'ensemble des secteurs économiques. Je pense que c'est, pour le gouvernement du Québec du moins, à chacun des grands projets comme celui-là dont il a la charge et la responsabilité de bien mener à terme, de faire en sorte, en ayant une perspective d'un emploi supérieur, d'un plein emploi, d'ajuster par exemple que ce soit les lois, les lois et les règlements ou tout le processus légal à ce nouveau projet-là et en même temps sa perspective de plein emploi. Nous, quand on dit que le plein emploi et le libre-échange sont sur la même face de la médaille, ils ne sont pas sur une face ou l'autre. Cela veut dire qu'on peut aller dans les deux directions en même temps. Cela veut dire que ce n'est pas vrai qu'on va aller dans le libre-échange sans s'occuper de plein emploi mais ce n'est pas vrai qu'on va aller dans le plein emploi non plus sans s'occuper de libre-échange. Alors, on relie ce genre de dossier-là et c'est seulement, d'après nous, une stratégie qui va viser à intégrer ces projets-là et une optique de plein emploi qui mènera à des solutions intéressantes.

Le Président (M. Charbonneau): Je vous remercie. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Qui, en conclusion et rapidement. Le ministre comprendra que je lui avais demandé de ne pas faire de politique à cette commission, mais que je ne lui en demandais pas autant qu'il en a fait. Je le remercie quand même pour sa sincérité. Je pense que c'est correct d'agir comme ça et que ça s'est bien passé à cette commission.

Quant à vous, je vous dis que vous avez raison de demander, d'exiger cette clause, cette police d'assurance de la présence du Québec à cette table de négociation, à cette table de pourparler, à ce tribunal, en fait ce que vous nous avez traduit comme étant cette police d'assurance. Et le ministre lui-même qui a débuté sa carrière dans l'assurance - il nous l'a avoué hier - comprendra que ce type d'assurance est nécessaire si on veut survivre au Québe. Et je vous dirai que pour nous, de ce côté-ci de la table et au Parti québécois, notre meilleure assurance pour l'avenir, c'est vous autres. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, il ne me reste, au nom des membres de la commission, qu'à vous remercier moi aussi d'avoir participé à cette consultation. Certains de mes collègues, en fait le ministre et le député de Bertrand, ont dit que de vous entendre était rafraîchissant. En ce qui me concerne, c'est surtout rassurant et je me permettrai de dire que la relève est là pour nous et qu'elle est là aussi pour toute la société québécoise. Dans la mesure où, finalement, les jeunes s'impliquent comme vous le faites dans l'action politique, c'est la vie politique du Québec en général qui est valorisée. Et je crois que si j'ai un conseil à vous donner, dans votre curriculum vitae, gardez donc une cassette de votre présentation aujourd'hui. Cela pourra toujours servir. Vous faites une bonne cassette. Merci et j'espère que nous aurons l'occasion de nous revoir.

Les travaux sont ajournés à ce soir 20 heures, alors que nous entendrons l'Association professionnelle des meuniers du Québec et le Parti communiste du Québec.

(Suspension de la séance à 18 h 1) (Reprise à 20 h 6)

La Présidente (Mme Bélanger): La commission de l'économie et du travail reprend ses travaux.

Ce soir, nous recevons l'Association professionnelle des meuniers du Québec. Messieurs, Mesdames, les membres de la commission de l'économie et du travail vous souhaitent la bienvenue.

Permettez-moi de vous rappeler les règles du jeu. Vous avez une heure pour votre audition, qui sera répartie comme suit: 20 minutes pour votre exposé, qui sera suivi d'un échange de 20 minutes avec les membres du côté ministériel et 20 minutes avec les membres de l'Opposition.

Sans plus tarder, je vous cède la parole et, pour les fins du Journal des débats, je demande au porte-parole de l'association de se présenter, s'il vous plaît.

Association professionnelle des meuniers du Québec

M. Pilon (André): Avant tout, on tient

à vous remercier de nous donner la possibilité de venir vous exposer notre point de vue, Sont présents pour l'Association des meuniers, le président, M. Montpetit; la vice-présidente, Mme Laurence Couture, et moi-même, André Pilon, directeur général de l'association.

Il serait peut-être bon de vous mentionner ce qu'est l'Association professionnelle des meuniers du Québec. Avant tout, nous représentons les meuniers indépendants. Même si nos relations sont excellentes avec le mouvement coopératif, nous ne les représentons pas. Par contre, sur le volume total des aliments pour animaux fabriqués au Québec, les meuniers indépendants représentent environ 65 % du volume global du Québec. Les meuniers du Québec sont également, pour la grande majorité, impliqués eux-mêmes dans les élevages, je dirais, industriels, commerciaux, dans certains cas, pour environ 35 % - et c'est un minimum - de tous les élevages qui se font au Québec.

Maintenant que nous avons essayé de vous indiquer qui nous sommes, qui nous représentons, et les centaines de millions de dollars d'investis par les gens d'affaires que nous représentons, nous demandons à notre président, M. Montpetit, qui lui-même, il va sans dire, est meunier, de vous faire lecture du mémoire qu'on a à vous présenter ce soir.

La Présidente (Mme Bélanger): M.

Montpetit.

M. Montpetit (Jean-Claude): Alors que nous pouvons reconnaître le bien-fondé d'une ouverture de discussions sur le libre-échange, afin de tenter d'amoindrir le risque du protectionnisme américain sur certaines productions telles le porc, la pomme de terre, le bois de sciage et le papier, nous devons également être conscients des effets négatifs sur d'autres productions. Nous nous devons donc d'évaluer également le contexte géographique, climatique, et économique et social au Québec. Avant tout, permettez-nous d'illustrer l'importance du secteur que nous représentons dans l'industrie de l'agroalimentaire.

En 1986, il y avait, au Québec seulement, 3200 emplois directs reliés à la production agricole et 58 000 reliés directement à l'agro-alimentaire, soit des usines de transformation et autres, pour un total de 142 200 emplois. D'ailleurs, l'industrie porcine, à elle seule, compte 40 000 emplois. En 1986, pour la production agricole seulement, les statistiques disponibles démontrent une hausse des emplois de 8,2 % en regard de l'année 1984. Je fais référence à l'industrie alimentaire de 1986, selon Performances économiques et nouveaux défis, publié par le MAPAQ en février 1987.

Il va sans dire que nos préoccupations premières s'adressent aux productions animales contingentées, soit le poulet, le dindon, les oeufs et le lait. Quant au porc, nous jouissons présentement, si on peut dire, d'un certain libre-échange avec les États-Unis. De fait, la qualité exceptionnelle du porc canadien est mondialement reconnue.

Il ne faut pas cependant oublier que si nous travaillons, aujourd'hui, à l'intérieur d'offices de commercialisation pour les principales productions animales, sauf le porc, c'est qu'il y avait un besoin et que les gouvernements, tant provinciaux que fédéral ont décidé de s'impliquer pour assurer une régularité des approvisionnements et cela à des prix équilibrés. Rappelons-nous que, avanc la mise en place des plans conjoints, le Canada vivait en dents de scie quant aux approvisionnements et aux prix. En même temps que nous devons reconnaître que nous connaissons des coûts de production supérieurs à ceux de nos voisins du Sud, il nous faut également reconnaître que nous devons obtenir, comme tout pays qui veut éviter des périodes de rationnement et de coûts très élevés pour les denrées, une certaine autosuffisance dans les approvisionnements des denrées et à des coûts plutôt stables. On sait pertinemment bien que, si les frontières étaient ouvertes, les États-Unis pourraient faire mourir toutes les productions contingentées au Canada. Bien sûr que certains intervenants favorisent le libre-échange mais, encore là, nous devons en comprendre les raisons. Pensons simplement aux chaînes d'alimentation qui pourraient s'approvisionner à des prix sensiblement plus bas. Des coûts récents fournis par certains abattoirs impliqués dans l'élevage nous laissent entrevoir l'ampleur de la catastrophe. Présentement, on pourrait acheter du poulet éviscéré en provenance des États-Unis pour 0,50 $ la livre. Si on ajuste ces prix au facteur de change qui est d'environ 1,33 , le prix payé serait alors de 0,66 $ la livre. Le coût avant profit aux abattoirs avicoles du Québec se situe à au-delà de 0,90 $ la livre pour le même poulet éviscéré.

Évidemment, la situation est la même pour le dindon. Quant aux oeufs, le différentiel pour environ dix mois sur douze se situe entre 0,15 $ et 0,20 $ la douzaine, basé toujours sur un taux de change de 1,33 . On peut également entrevoir la majoration du différentiel si le dollar canadien venait à se rapprocher de la devise américaine. C'est donc dire que les intermédiaires y voient déjà un avantage marqué en fournissant, plus souvent qu'autrement, de la viande et des oeufs à des prix aux consommateurs semblables à ce qu'ils paient présentement, mais surtout avec des profits plus élevés pour eux-mêmes. De fait, il faut être conscient de notre situation

géographique et de nos coûts de production, incluant la main-d'oeuvre.

Rappelons-nous ce qui est advenu, à titre d'exemple, dans l'aviculture dans les États du Maine, du Vermont, du New Hampshire et de la Nouvelle-Angleterre. Ces régions du nord-ouest des États-Unis présentent certaines similitudes. Le coût des élevages est plus élevé à cause des constructions. Également, les coûts d'exploitation, comme le chauffage, la main-d'oeuvre, le transport des grains, sont aussi plus élevés.

Pourtant, ils étaient à proximité des plus grands marchés de consommation, soit l'État de New York. Malgré tout cela, il ne reste pratiquement plus d'aviculture dans ces États, car elle s'est déplacée dans une région où le climat et les coûts sont plus avantageux. Dans ce contexte, comment, nous qui sommes encore plus au nord, pensons-nous pouvoir demeurer concurrentiels et pouvoir survivre?

Les quotas. Oans un contexte de libre-échange et après l'énoncé précédent, qu'arrivera-t-il de la valeur des quotas? Pensons seulement au niveau d'endettement des producteurs et à leurs créanciers qui, dans bien des cas, ont attribué une certaine valeur aux quotas pour ensuite les prendre en garantie. On pourrait donc s'attendre à de nombreuses faillites, il ne faut pas non plus oublier que le libre-échange n'existe pas à l'intérieur des provinces canadiennes.

Les coûts pour le consommateur. Comme on le sait, certains offices de commercialisation sont en place depuis près de 20 ans, et ceci, pour le bénéfice des consommateurs. De fait, si on examine l'indice des prix à la consommation depuis l'année 1981 jusqu'en mars 1987, on peut voir dans le tableau que, pour l'ensemble des industries, en 1986 par rapport à 1981, qui était à 100, on est présentement, en 1986, à 132,4 et, en 1987, à 135,8. Dans l'alimentation, c'est 134 contre 137. Si on prend les productions contingentées, comme le poulet, on se rend compte que les taux sont inférieurs aux taux de l'industrie en général et de l'alimentation, les oeufs, de beaucoup inférieur, le dindon, légèrement supérieur. Le porc est supérieur, mais ce n'est pas une production contingentée. Ces chiffres proviennent d'Agriculture Canada dans la Revue du marché noir alimentaire, juin 1987.

Il est donc évident que les offices de commercialisation ont atteint des objectifs, soit l'amélioration de la productivité, la croissance économique, des bases solides pour les segments connexes, une excellente source d'investissement, des prix équitables pour le consommateur et, en plus, aucun financement gouvernemental. Le présent système de commercialisation en est un de contrôle des prix, des besoins du marché et des importations. Éliminer un des trois contrôles rendrait le système inefficace, inopérant et serait sûrement un pas en arrière pour le Canada.

Les effets du libre-échange. Les effets seraient négatifs pour l'industrie agricole canadienne, pour les consommateurs et pour toute l'économie du pays. Nous connaîtrions une augmentation significative des importations en provenance des États-Unis due à des coûts de structure plus bas en raison soit des coûts d'intérêt et des salaires moins élevés. Conséquemment, les productions animales canadiennes diminueraient considérablement et, par la suite, les prix aux consommateurs fluctueraient régulièrement à cause du manque de système de production aux États-Unis. Cette situation déclencherait à nouveau une poussée vers l'intégration verticale et horizontale, ce qui est contraire à la législation et aux engagements des provinces.

Les effets négatifs consisteraient en une réduction des emplois dans les fermes, les couvoirs, les abattoirs, etc., réduction des emplois dans les meuneries; donc, moins de salaires, réduction du surplus commercial du Canada et réduction des investissements.

De plus, il n'y a aucune assurance que les consommateurs canadiens connaîtraient de meilleurs prix et, de façon cyclique, on pourrait connaître une rareté dans certains produits.

Les productions contingentées. À chaque année, le gouvernement fédéral et les provinces votent plusieurs millions de dollars pour soutenir l'agriculture. Or, il est extrêmement important de reconnaître que les productions contingentées ne grugent aucunement ces budgets de par leur rentabilité. Il va sans dire de plus que les producteurs impliqués dans les productions contingentées sont de bons contribuables et qu'ils contribuent à réduire les déficits tant des gouvernements fédéral que provinciaux.

De fait, il serait sûrement souhaitable de voir, dans les années à venir, une proportion toujours grandissante des budgets agricoles des gouvernements, orientés vers le développement et la recherche plutôt que vers des programmes de subvention.

Quant à l'étude qui a été faite aux États-Unis concernant le libre-échange avec le Canada, même si nos voisins ont été prudents dans leur rapport par suite de l'analyse sur le libre-échange avec le Canada, voici leurs conclusions relativement au libre-échange en agriculture.

On a la version française sur la page suivante. Même en l'absence de tarifs et de non-tarifs douaniers, les échanges seraient affectés de façon significative par des facteurs autres que l'efficacité relative des secteurs agricoles. Le présent taux de change offrirait un avantage temporaire au Canada dans leurs exportations de certaines

commodités qui sont présentement contrôlées. D'un autre côté, le potentiel gigantesque du marché d'exportation des États-Unis se tient prêt à engloutir ce plus petit marché canadien, si le Canada lève ses barrières tarifaires.

Pour ajouter à ces commentaires, n'oublions pas que les États-Unis occupaient la première place avec 53 % de toutes les exportations de céréales dans le monde. Or on sait que ces marchés d'exportation diminuent d'année en année à cause des objectifs d'autosuffisance des pays acheteurs jusqu'à maintenant. Qu'arrivera-t-il à ces céréales non vendues sinon de les transformer en viande à des coûts défiant toute concurrence. En connaissance de la situation critique de l'agriculture aux États-Unis, est-il réaliste de croire que, dans les accords de libre-échange, l'agriculture pourra être exclue?

Conclusion. En raison des centaines de millions de dollars investis comme industriels transformateurs, éleveurs et fournisseurs de produits et services, vos décisions auront pour nous un impact important et notre survie en dépend. Merci.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. Montpetit, pour votre exposé. Je cède maintenant la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: M. le président, madame et monsieur, je pense que je pourrais qualifier votre intervention en disant que, à toutes fins utiles, elle est très proche sinon identique à celle du gouvernement du Québec et que les préoccupations et les réserves que vous nous signalez sont également les nôtres.

Nous avons toujours dit, dès le départ, que l'agriculture devait recevoir un traitement spécial. Ce traitement spécial est très vaste. Il a été dit, ici, pendant presque toute une journée durant laquelle les intervenants du milieu se sont présentés, qu'il n'était pas question de remettre en cause les programmes de stabilisation ni les offices de commercialisation, qu'il n'était pas question, à toutes fins utiles, de menacer la particularité du caractère saisonnier rattaché aux produits horticoles et que quelqu'arrangement ou ouverture qui pourrait se faire au chapitre des tarifs, s'il y avait une telle ouverture, on devrait prendre bien note de cette question qui préoccupe les horticulteurs.

Il a aussi été dit, par contre, qu'il y avait des éléments relatifs aux règlements techniques et aux questions de standardisation d'irritants comme l'étiquetage, l'emballage, le choix de format et l'unité de mesure, qui peuvent faire partie de la négociation sous le couvert dit "agriculture". Quant à la question des subventions directes à l'exportation, tout le monde est d'accord que cela n'a ni queue ni tête et que cela coûte une fortune au pays qui s'y engage éperdument, particulièrement les États-Unis et la Communauté européenne. Nous aussi, on souffre directement de cette rivalité qui coûte des montants que notre trésorerie ne pourrait généralement se permettre. Mais, tout de même, on a cette vocation canadienne et québécoise de ne pas laisser en perdition certains secteurs ou certains segments de notre agriculture.

Je vois, par contre, en vous une ouverture d'esprit que je n'ai pas remarquée chez d'autres intervenants du domaine de l'agriculture. En effet, l'UPA s'est présentée à nous et a tenu une position qui était catégoriquement contre la négociation et nécessairement contre ce qui serait le succès d'une négociation, c'est-à-dire une entente quelconque. Vous, vous semblez avoir cette ouverture d'esprit, vous réalisez qu'il y a des domaines - et vous en nommez un certain nombre - où, effectivement, il y a avantage pour le Canada de bien garantir, de protéger cet accès au marché, de se munir, de se prémunir contre ce protectionnisme américain. Mais tout de même, vous êtes des gens du milieu. Voici la question que j'aimerais vous poser: Pourriez-vous essayer de nous éclairer un peu. plus, étant vous-même du milieu, sur cette objection catégorique, qui est celle de l'UPA, à toute forme quelconque de négociation ou d'entente?

M. Montpetit: II est sûr qu'on ne peut pas s'opposer d'une façon catégorique parce que quand même, dans le porc, on a besoin du marché américain, et surtout le Québec parmi les provinces canadiennes. Il y a pratiquement 50 % de la production porcine du Québec qui est exportée vers les États-Unis.

M. MacDonald: Environ 60 % maintenant, d'après ce qu'on m'a dit. Oui?

M. Montpetit: C'est quand même... En ce qui nous concerne, la majorité de nos membres sont impliqués dans cette production de sorte qu'on serait dans une très mauvaise position si demain matin ce marché nous échappait. Et cela pourrait coûter beaucoup de dollars à l'industrie agricole. La production porcine est la deuxième industrie après l'industrie laitière, comme source de revenus au Québec. C'est pourquoi on considère quand même qu'il est important de discuter et on ne peut pas fermer complètement les frontières, parce que cela risque de nous coûter cher.

M. MacDonald: Oui, vous mentionnez la question de l'élevage de porc en particulier, Étes-vous bien au fait de cette menace non pas d'appel au droit compensatoire mais

plutôt de mesure législative qui est en attente pour être déposée au Congrès à propos d'une surcharge, un moyen de contrer ces importations canadiennes?

M. Montpetit: Oui.

M. MacDonald: Advenant... Si vous me le permettez, M. le député de Bertrand, je poursuivrais ce créneau pour quelques secondes. S'il n'y avait pas d'entente le 5 octobre, quelle serait votre évaluation de la situation? Comment voyez-vous cette évolution? Est-ce que vous y voyez un très grand danger pour les éleveurs de porc et conséquemment pour les producteurs de moulée?

M. Montpetit: Sûrement qu'il y a un danger, parce que tout droit compensatoire qui serait imposé devrait être absorbé par les producteurs de porc. L'industrie porcine, depuis disons un peu plus d'un an, assurait une bonne rentabilité mais c'est quand même une industrie qui est cyclique et qui connaît des temps difficiles. Si on traversait une période difficile pour ce qui est des prix et qu'en plus il y avait un droit compensatoire d'imposé, ça serait doublement douloureux pour cette industrie-là. C'est une industrie qui risquerait de nous échapper. C'est un volume qu'on risquerait de perdre. Ce sont plusieurs millions de dollars que cela peut représenter.

M. MacDonald: Oui, M. Pilon.

M. Pilon: Pour ajouter peut-être à ce que M. Montpetit dit, évidemment que si on reste à l'intérieur de notre boîte, dans l'éventualité où ça se produirait, toujours dans le domaine agricole, il reste quand même que les importations de volailles américaines, ça serait à ce moment-là en fait un recours, si on peut dire, que le Canada imposerait de son côté. Il réagirait de la même façon, si vous vouiez, à la position des Américains dans l'agriculture. Évidemment que la balance ne serait pas égale. Mais encore une fois, ce serait à notre tour de réagir de façon à essayer peut-être d'équilibrer les choses. Pour eux, les Américains, la quantité de poulets, les dindons, qui entrent ici, c'est quand même assez important. Cela ne se compare pas du tout, comme M. Montpetit le disait, au porc. Mais il resterait à chacune des différentes productions agricoles d'essayer de voir à quel endroit on pourrait, nous aussi, réagir ou imposer des mesures protectionnistes.

M. MacDonald: Je vais passer la parole à mon collègue, le député de Bertrand. Mais mon collègue le député de Frontenac voudrait peut-être revenir et connaître un peu vos impressions sur l'éventualité d'un statu quo, l'éventualité où il n'y aurait pas d'entente. Là, on s'est arrêté sur la question de l'élevage porcin, mais j'aimerais peut-être parler d'une façon plus étendue des domaines pour lesquels vous êtes fournisseurs. Je vais passer la parole au député. (20 h 30)

La Présidente (Mme Bélanger)? Merci, M. le ministre. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Mme la Présidente, merci. Alors, messieurs, merci beaucoup d'être là. Je pense que le son de cloche que vous venez de nous donner est fort important puisqu'il se situe très bien dans toute la panoplie des intervenants. Et on voudrait avoir le maximum d'éclairage par rapport à vos préoccupations.

L'exemple que vous donnez dans votre mémoire, à la page 3 particulièrement, est assez révélateur d'une situation peut-être de non-sens. Vous dites que l'aviculture dans les États du Maine et du Vermont, enfin, dans les États de la Nouvelle-Angleterre, toute cette région offre une certaine similitude par rapport à nous et dans le fond, le marché de New York, l'État de New York, leur a échappé. Et vous posez comme question: Dans ce contexte, comment pouvons-nous, nous qui sommes plus au Nord, être capables de survivre? Ceci m'amène à vous poser une question. Je connais un peu ce marché, j'ai visité quelques entreprises dans le domaine de l'abattage de poulets, par exemple, et ce sont, j'imagine, des clients à vous en tant que meuniers. Est-ce que la question de la disponibilité des stocks et la question de la proximité du marché ne font pas en sorte que cela constitue une force pour les entreprises québécoises d'abord sur leur marché, ce qui est un avantage pour nous? Je m'explique. Actuellement, si le client en bout de ligne désire s'approvisionner en poulets, disons que les chaînes de restaurants que l'on connaît très bien désirent s'approvisionner en poulets, donc de produits finis, elles désirent de façon régulière avoir de la marchandise fraîche, "just in time", un peu à la méthode japonaise. Donc, elles ne veulent pas faire d'entreposage, et de leur côté, ceux qui sont dans ce domaine particulier... Et j'imagine que c'est la même chose même s'il y a la congélation. Mais pour ce qui est de ces viandes, de ces poulets, on voudrait avoir de la marchandise fraîche. Donc, la proximité du marché et la disponibilité font en sorte que la concurrence américaine - vous pourrez me le confirmer -serait mal placée pour venir s'introduire ici à cause de ces facteurs et aussi à cause des facteurs de transport, parce que j'ai l'impression que les coûts de transport deviennent énormes à ce moment-là.

Lorsque l'on doit être capable de fournir sur une base régulière tel nombre de livres, de têtes ou de pièces par jour ou par

semaine, j'imagine que cela deviendrait difficile à cause de ce type de produit. J'aimerais que vous me donniez votre point de vue qui est exactement l'expérience du marché par rapport à cette concurrence. J'ai un peu l'impression qu'on est déjà protégé par rapport à ce type de marché, par rapport à l'incursion américaine.

M. Montpetit: Dans notre texte, à la page 3, on fait référence à cela et on mentionne entre autres l'État du Maine qui est très près du marché de New York et qui l'a quand même perdu en ce qui concerne les productions avicoles. Et on présume que ce sera la même chose pour le Québec.

Les centres de production se déplaceraient vers les endroits où se produisent les grains parce que cela coûte moins cher de transporter le produit fini que de transporter les matières premières pour les transformer sur place. Regardons ce qui s'est produit. Quand vous mentionnez le Nord des États-Unis, les producteurs étaient près des marchés, des consommateurs, mais ils ont quand même perdu ces marchés, la production s'est quand même déplacée.

M. Pilon: J'aimerais ajouter un mot à ce que M, Montpetit a dit. À la page 2, on dit que présentement nous pourrions recevoir ici, au Québec, du poulet américain à 0,50 $ la livre, éviscéré, comparativement à du poulet québécois, si on peut dire, à 0,95 $ la livre. Vous voyez quand même la différence entre 0,65 $ et 0,95 $. Comme le président le disait, transporter un produit fini comparativement à du grain, c'est certainement plus économique. Si on parlait de porc canadien qui viendrait des Prairies, cela prendrait un char de porc pour quatre wagons de grain pour les faire ici au Québec. C'est juste pour vous donner un parallèle.

Avant que le Québec soit aussi autosuffisant dans la production avicole... À titre d'exemple, on a des abattoirs et avant que les plans conjoints existent, évidemment, il y avait une rareté de poulet ici au Québec. On avait quand même en place des usines de transformation qui avaient un manque à gagner et qui manquaient de produit. À ce moment-là, il rentrait énormément de poulet, des "vans" complètes de poulets vivants des États-Unis et qui étaient abattus aussi loin qu'à La Malbaie dans Charlevoix. Je ne sais pas si on a répandu à votre question.

M. Parent (Bertrand): Je comprends que vous me dites que la différence de prix que les Américains peuvent entrer ici leur donne un avantage. Ce que je vois, c'est que - et on parle strictement du domaine avicole - ce type de produit, de façon générale, est requis auprès des clients. Je pense à de grandes rôtisseries, je pense à des clients qui veulent avoir le produit le plus frais possible. Dans ce type de marché, comment les Américains pourront-ils être compétitifs? Au même titre, nous aurions de la difficulté à aller conquérir ces marchés. C'est bien sûr qu'il y a un avantage marqué du côté américain à cause du volume qu'ils peuvent abattre, à cause probablement du type d'entreprise qu'ils ont, de l'expertise et de la mécanisation que ces gens ont. On ne peut pas faire rivaliser nos PME québécoises avec eux. Mais là où nous pouvons rivaliser, c'est probablement à cause de notre proximité.

M. Pilon: Ce n'est plus vraiment un handicap avec la rapidité du transport aujourd'hui. On parlait tantôt de fraîcheur de produit; les rôtisseries ou les restaurants "à chaîne" pourraient avoir un poulet aussi frais aussi bien en provenance même des États du Sud des États-Unis, dans le Midwest américain, que d'ici. Imaginez-vous qu'on peut le faire avec des volailles vivantes, elles peuvent partir de l'État de New York ou même de plus bas pour venir se faire abattre au Québec. On le faisait dans le passé. C'est pour dire qu'on va garantir un poulet frais, de qualité, peu importe qu'il parte de l'Etat de la Géorgie ou ailleurs, cela n'a pas d'importance. Ce n'est plus un facteur.

M. Montpetit: Ce qui pourrait rester, cela serait bien marginal. Le gros du volume, ce n'est pas un problème de le faire transporter. Les distances pour le gros du volume ne sont pas importantes. Pour de petites quantités, peut-être que la distance pourrait compter, mais cela serait un volume qui serait très marginal. Le gros de la consommation pourrait...

M. Parent (Bertrand): Donc on devient très vulnérable, même dans ce domaine.

M. Montpetit: Oui.

M. Parent (Bertrand): Merci.

M. Montpetit: Actuellement, il ne faut pas oublier que même pour ce dont on parlait tantôt, la production porcine et le marché qu'on a pris aux États-Unis depuis huit ans, il ne faut pas oublier que c'est surtout à cause du taux de change. Ce ne sont pas les négociations ou le libre-échange, qu'il y ait négociation ou pas, si le taux de change devenait au pair demain matin, je ne crois pas qu'on resterait longtemps en compétition pour la production porcine et qu'on pourrait garder notre marché bien longtemps.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Merci, Mme la Présidente. M. Pilon, M. Montpetit, à des questions ou des remarques qui vous ont été faites tout à l'heure par M. le ministre et également par des collègues de l'Opposition, vous avez, jusqu'à un certain point, situé le débat en soulignant les conséquences d'un statu quo. On sait que les mesures protectionnistes américaines, au cours des dernières années, ont été de plus en plus agressives et si le Canada n'en venait pas à une entente avec nos voisins du Sud, les Américains, on a des raisons de croire qu'il y aurait des mesures protectionnistes encore plus radicales et plus nombreuses. Des intervenants nous ont dit à ce jour qu'une entente sur le libre-échange, même imparfaite, serait plus rassurante que la situation actuelle. Est-ce que, dans votre secteur précis, le commerce des meuniers, dans vos opérations avec nos voisins américains, vous considérez qu'une entente, même imparfaite, comme je viens de le souligner, est plus rassurante, plus souhaitable que ce qui se passe présentement? Est-ce qu'on peut évaluer ce qui pourrait arriver au cours des prochaines années? J'aimerais, entre autres, que vous précisiez ce point si c'est possible. Qu'est-ce que vous prévoyez que les Américains nous enverrons dans les pattes au cours des prochaines années comme mesures protectionnistes dans votre secteur d'activité et dans d'autres, si vous êtes en mesure de la préciser?

M. Montpetit: Dans notre secteur, ils ne peuvent nous toucher avec des mesures protectionnistes que pour le porc. Comme on le disait, même en dehors des ententes protectionnistes qui pourraient nous toucher, il y a le taux de change. Si l'argent venait au pair, même sans aucune mesure protectionniste, ce marché serait vulnérable.

Lorsqu'on parle d'une entente imparfaite, cela dépend toujours de ce que l'on entend par "imparfaite". Si cela épargne l'agriculture comme on le mentionnait tantôt et si cela épargne les productions contingentées, on peut dire d'accord, on n'a pas d'objection.

M. Lefebvre: Autrement dit, est-ce que vous considérez que c'est mieux d'essayer de discuter ouvertement du problème, de tenter d'arriver à une entente avec les Américains même si tout le monde est conscient que dans différents secteurs entre autres ce n'est pas facile? Est-ce que vous considérez que c'est mieux d'aborder le problème de front que de vivre ce qu'on vit présentement, évidemment en tenant compte de ce qui peut arriver au cours des prochaines années?

M. Pilon: II est bien certain qu'on aurait avantage à s'asseoir avec eux, à discuter et à évaluer la situation. Mais comme notre président vient de vous le dire, le seul endroit où on risque d'être touché dans notre industrie, c'est dans l'industrie porcine. Même là, encore une fois, je le répète, c'est que le taux de change peut faire en sorte qu'on va perdre ce marché.

Par contre, il est bien certain que s'il y avait un libre-échange dans toutes les productions contingentées, nous serions très affectés. J'ai eu l'occasion d'être ici la semaine dernière avec un autre groupe d'intervenants et on posait à un moment donné la question - il y en a peut-être qui n'étaient pas présents: Quelle serait la période de transition dans le cas de libre-échange? Je dois vous dire qu'en ce qui ncus concerne, dans les productions contingentées, ce ne sera pas une période de transition. Cela va être une période de mutation. C'est certain qu'on ne pourra pas rivaliser avec eux en raison de leurs coûts: leur coût de main-d'oeuvre, leur coût d'installation, leur coût d'exploitation et, en plus de cela, l'ampleur de leur activité.

Je reste dans le secteur agricole. Regardons ici les usines de transformation pour volailles. Quand on dit qu'une usine va transformer 200 000 ou 250 000 poulets par semaine, elle se classe parmi les plus importantes alors que là-bas des usines de 1 000 000, 1 500 000 ou 2 000 000 par semaine, je ne dis pas que cela est très courant mais c'est quand même quelque chose d'assez fréquent. On peut tout de suite réaliser les coûts de production.

Conséquemment, dans le domaine des productions contingentées, nous disparaîtrons de la même façon que tous les producteurs en aviculture des États de la Nouvelle-Angleterre sont disparus, par un mouvement qui s'est fait dans le Midwest américain.

Par contre, nos représailles peuvent se situer dans l'éventualité où on dit: Bien écoutez, on se fait lancer des pierres, il faut bien en lancer nous aussi.

M. Lefebvre: II faut riposter.

M. Pilon: Nous savons évidemment que le seul marché que nous sommes exposés à perdre, c'est celui du porc. Remarquez que nous l'avons contesté parce qu'on s'est dit: On jette de l'huile sur le feu. On a déjà mis des barrières tarifaires au fédéral en novembre dernier sur le mais américain. Il fut un temps où il entrait près de 1 500 000 tonnes de grain américain au Canada. Même si, par notre autosuffisance, on était rendu à en prendre moins d'eux, on jouait quand même avec des importations dans les céréales de 300 000 à 400 000 tonnes par année. On a imposé une barrière tarifaire, une douane sur le ma¸is américain. Je peux vous dire que notre association est allée à Ottawa à deux reprises, au Tribunal canadien des importations, en février dernier et en

juillet, pour faire lever cette douane parce qu'on savait que cela créerait un mauvais climat avec les Américains et que, dans l'ensemble, on ne serait pas gagnant.

Ce sont quand même des représailles. Si on dit: Bien, écoutez, on tranche la question: il n'y a pas de libre-échange dans le domaine agricole, alors nous imposons des restrictions. Alors, ce sera à nous, au Canada, à en imposer.

M. Montpetit: On parle de libre-échange dans l'agriculture, comme on l'a mentionné dans notre texte, même à l'intérieur du Canada. On parle du libre-échange avec les États-Unis mais on n'a pas réussi à négocier à l'intérieur du Canada un libre-échange. Même à l'intérieur de la province, il y a des frontières. Prenez l'industrie laitière; en Abitibi, certaines régions ont voulu se protéger pour ne pas perdre leur production agricole parce qu'à un moment donné, les quotas se déplaçaient à l'intérieur de la province. On a eu d'autres exemples dans des régions du Bas-du-Fleuve, dans le Lac-Saint-Jean pour d'autres productions avicoles aussi où les contingentements sont restreints à des régions. On n'a pas le libre-échange à l'intérieur de la province. Il reste que pour ce qui est de l'agriculture, je considère que c'est un monde un peu à part dans le sens qu'il y aura toujours une question de volonté politique. Si on veut* maintenir l'agriculture et si on considère que c'est important au point de vue économique comme apport dans une province, le gouvernement, quel qu'il soit, devra prendre des mesures pour la protéger. À l'intérieur des régions, on a dû prendre des mesures. On a eu à le vivre. (20 h 45)

M. Lefebvre: Une très courte dernière question. J'imagine que la réponse peut être aussi courte. Quel est environ le pourcentage du volume d'affaires que l'Association professionnelle des meuniers fait aux États-Unis par rapport à l'ensemble de ses activités?

M. Montpetit: Ce que l'association fait aux États-Unis?

M. Lefebvre: Oui.

M. Montpetit: Les exportations de porc?

M. Lefebvre: Les meuniers en générai, si vous voulez.

M. Montpetit: C'est beaucoup par l'exportation du porc.

M. Lefebvre: Oui.

M. Montpetit: C'est 50 % à peu près de la production.

M. Lefebvre: C'est 50 % aux États-Unis.

M. Montpetit: On disait tantôt que c'était 60 % de la production porcine qui est exportée aux États-Unis.

M. Lefebvre: Merci.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le député. M. le député de Roberval.

M. Gauthier (Roberval): Merci, Mme la Présidente. M. Montpetit, M. Pilon, madame. Votre mémoire ne m'étonne pas, en ce sens qu'il va dans la même direction que les mémoires de gens qui sont dans le domaine agricole ou para-agricole, dans l'industrie de la transformation. Il étonne peut-être par une chose, c'est qu'on sent une certaine ouverture par rapport à des positions beaucoup plus draconniennes qui ont été prises par des gens du monde agricole qui vous ont précédés. Cependant, nous ne voyons pas là la possibilité de vous passer une petite vite, comme on pourrait dire. On voit simplement là la marque de personnes qui ont le goût de discuter un problème qui risque de se poser dans les prochaines semaines.

J'ai quelques questions à votre endroit et ce sont surtout des questions d'information. Je suis certain que vous allez être en mesure de m'apporter l'éclairage nécessaire. Ma première question, dont je connais peut-être la réponse, mais j'ai le goût de vous la faire dire, s'inspire de la page 5 de votre mémoire, quand on parle des effets du libre-échange. Il y a une petite phrase qui m'a un peu frappé. J'ai l'impression qu'elle est incomplète. Dans le dernier paragraphe, deuxième phrase: "Nous connaîtrions une augmentation significative des importations en provenance des États-Unis due à des coûts de structures plus bas en raison des bas coûts d'intérêt et des salaires moins élevés." J'ai comme l'impression que votre phrase n'est pas complète. J'ai de la difficulté à comprendre, d'autant plus qu'on a déjà eu l'occasion de discuter avec des intervenants agricoles. Il ne me semble pas que les coûts d'intérêt et les salaires moins élevés soient les facteurs les plus déterminants dans cette différence de coûts. J'aimerais que vous m'expliquiez.

M. Montpetit: Lorsqu'on parle de salaires, c'est surtout l'économie d'échelle dans le sens que les entreprises aux États-Unis sont beaucoup plus importantes en volume...

M. Gauthier (Roberval): D'accord.

M. Montpetit: ...et que ce n'est pas nécessairement le salaire horaire, ce sont les

frais de main-d'oeuvre rattachés à cause des économies d'échelle, dans un premier temps. Ensuite, c'est sûr qu'il faudrait ajouter les autres frais, que ce soit l'électricité ou le chauffage.

M. Gauthier (Roberval): D'accord. Cela va. C'est que pour les mots "salaires moins élevés", j'avais pris l'interprétation stricte du terme salaire et je trouvais cela un peu bizarre.

M. Montpetit: Le salaire, c'est dans le sens d'économie d'échelle.

M. Gauthier (Roberval): On se comprend bien.

J'ai une autre question d'éclaircissement. Un peu plus loin, vous parlez de la possibilité... C'est immédiatement après cela; "Conséquemment, les productions animales canadiennes diminueraient considérablement et par la suite les prix aux consommateurs fluctueraient régulièrement à cause du manque de système de production aux États-Unis." J'aimerais que vous m'expliquiez cela. Depuis quelques jours, on nous fait savoir que la production agricole américaine est tellement élevée que les petits surplus de production ou les oeufs que l'on casse dans le transport - je pense que vous étiez là quand on a parlé de cela - bref, une production à la marge serait suffisante pour nourrir tout le Canada. Or, vous nous présentez cela différemment en disant; II pourrait y avoir un manque de production aux États-Unis et cela pourrait amener des problèmes de prix. J'aimerais que vous clarifiiez cela, s'il vous plaît.

M. Montpetit: Oui. On sait à quel point, aux États-Unis, la production est quand même intégrée. Qu'on prenne la production d'oeufs, entre autres, elle est contrôlée par à peine une dizaine de producteurs. Si, à un moment donné, le marché leur appartenait, ils pourraient créer une rareté pour faire monter les prix. On serait quand même à la merci d'un système de géants qui pourraient prendre éventuellement le contrôle d'une production par l'élimination de la compétition. Par la suite, ils pourraient en venir à créer des raretés dans le but de faire monter les prix.

M. Gauthier (Roberval): D'accord. Là, c'est une hypothèse que vous faites en disant qu'une rareté pourrait être créée de façon volontaire.

M. Montpetit: Comme on fait exactement, on parle de dents de scie dans une production qui n'est pas contingentée. Dans le domaine du porc, présentement, si on prend le cycle depuis vingt ans, on peut voir les cycles de production où on a eu des hausses et des baisses de prix de sorte qu'après une période de deux ou trois ans, la production diminue à un point où on crée une rareté et on finit par faire remonter les prix par la compétition en éliminant des producteurs.

M. Gauthier (Roberval): D'accord. À toutes fins utiles, un peu plus loin dans votre mémoire, vous parlez des effets négatifs du libre-échange en réduction des emplois, réduction des salaires etc., ce que je comprends de cela, dites-moi si mon interprétation est exagérée, de ce qu'on a entendu avant vous et vous me semblez modeste quand vous parlez de réduction, finalement qe qu'on a compris, c'est que ce serait une disparition d'un secteur comme le vôtre. Je ne sais pas si j'exagère les choses. La compréhension que j'ai de ce qu'on nous avait dit est qu'il ne s'agissait pas finalement de réduction, il s'agissait de disparition, à toutes fins utiles. Est-ce exact?

M. Montpetit: C'est réaliste. André Pilon en a fait mention tantôt. On ne peut pas parler d'une période d'adaptation, c'est une période de disparition à un moment donné parce que c'est sûr qu'on ne pourra pas être concurrentiels à court ou à moyen terme.

M. Gauthier (Roberval): Peut-être une question...

La Présidente (Mme Bélanger): Deux minutes.

M. Gauthier (Roberval): II me reste deux minutes, alors j'ai le temps de vous poser ma question et le temps de réponse sera pris à la bonne volonté du ministre. Il y a une chose que j'ai trouvée extrêmement intéressante dans votre mémoire. C'est la première fois, en tout cas, à ma connaissance, qu'on la suggère. Au bas de la page 6, vous dites, je vous cite: "De fait, il serait sûrement souhaitable de voir, dans les années à venir, une proportion toujours grandissante des budgets agricoles des gouvernements orientées vers le développement et la recherche plutôt que vers des programmes de subvention." Je vous avoue que cela me frappe et je trouve cela original et rafraîchissant comme suggestion. J'aimerais que vous me l'expliquiez, parce qu'il y a d'autres groupes avant vous qui m'ont expliqué à peu près le contraire.

M. Montpetit: Quand on parle de développement et recherche. On parle seulement des productions agricoles alors, si on regarde les marchés qui se sont développés depuis les sept ou huit dernières années à la suite de recherches, de nouvelles

mises en marché, d'améliorations, qu'on pense à la production porcine, aux améliorations qui pourraient être faites pour faire connaître davantage ce produit-là aux consommateurs, améliorer différentes formes de présentation, qu'on pense dans le domaine du lait à toutes les formes de yogourt, aux différentes découvertes de marché à la suite de recherches, etc., c'est dans ce sens-là qu'on parle de recherche, dans le sens que des investissements pourraient faire augmenter la consommation et pourraient améliorer l'industrie agricole en général dans la province.

M. Gauthier (Roberval): Est-ce que vous me permettez une toute petite question additionnelle?

La Présidente (Mme Bélanger): Oui, M. le député de Roberval.

M. Gauthier (Roberval): Malgré qu'on ait fait preuve de tolérance jusqu'à présent. Je comprends bien votre réponse M. Montpetit mais, cela m'apparaît... Bon d'accord! En ce qui concerne les principes, on ne peut pas être contre la vertu et la tarte aux pommes, a-t-on l'habitude de dire mais, je n'ai pas l'impression... Je ne sais pas si vous croyez que les intervenants autres que vous, du monde agricole, cautionnent aussi facilement cet énoncé. Je comprends bien que la recherche dans le domaine des produits de transformation, que la publicité dans le domaine de la consommation pourraient donner un coup de pouce à l'agriculture mais, vous allez plus loin que cela: qu'une proportion toujours grandissante des budgets soit orientée vers le développement plutôt que vers les subventions. En tout cas, cela m'apparaît très révolutionnaire. Je ne sais pas si vous avez d'autre chose à ajouter là-dessus, je trouve cela intéressant par ailleurs, mais un peu loin de ce que j'ai entendu jusqu'à présent.

M. Pilon: Évidemment, on parle de recherche et de développement de produit, de nouvelle mise en marché mais, on parle également, nous, d'une nouvelle lignée, de nouvelles races, d'amélioration des élevages, que ce soit par la génétique ou par les facilités de bâtiments. La même recherche, on l'applique également... Vous allez dire que l'industrie privée s'en charge, mais en ce qui concerne la fabrication des aliments, il faut penser que ce ne sont pas toutes les usines aujourd'hui et même encore moins demain, du moins on l'espère, qui seront en mesure de donner la même qualité de produit qui va donner le même rendement, la même qualité d'un produit fini à des coûts semblables. Quand on parle de recherche, en fait, c'est dans le mot efficacité.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le député de Roberval. M. le député de Vanier.

M. Lemieux: Merci, Mme la Présidente. Alors, M. le président ou M. le directeur général, vous semblez croire que, dans le cadre de votre mémoire, le libre-échange pourrait avoir certains effets négatifs sur l'agriculture. Vous dites qu'il est loin d'être certain que le consommateur pourra bénéficier de meilleurs prix et que le libre-échange aura un impact important sur tout le secteur de l'agriculture; vous semblez vous interroger vivement sur ce fait et vous nous demandez s'il est réaliste de croire que l'agriculture pourrait être exclue de l'accord.

Dans ce cadre, advenant un traité de libre-échange, pour protéger votre secteur d'activité à vous, quelle mesure vous semble la plus essentielle et non négociable? Première question. A contrario - en sens contraire - si ce traité n'existe pas, pouvez-vous nous dire, advenant le cas que ce traité ne soit pas signé, quel est l'élément que vous jugez, actuellement, le moins acceptable? Quel élément vous fait actuellement le plus mal dans votre secteur d'activité? Je veux bien vulgariser le sens de ma question. Comprenez-vous bien le sens de ma question? Cela vous va?

M. Pilon: Je me demande justement si j'ai bien compris le sens de votre question. Je vais essayer d'y répondre de la façon dont je l'ai comprise. Avec le libre-échange, je pense qu'on sait ce qui nous attend.

M. Lemieux: Explicitez, s'il vous plaît.

M. Pilon: Nous ne pourrons certainement pas être concurrentiels, et les faits sont là. Si on regarde du côté du consommateur, on vous donne cet exemple frappant qui peut porter les gens à s'interroger. Si, aujourd'hui, le poulet est à 0,95 $ la livre, alors que pour les usines, il n'y a aucune marge, c'est leur prix coûtant, et si on peut amener du poulet ici à 0,65 $ après avoir payé t'échange d'argent, si on nous le livre ici à 0,65 $, il faut en déduire que la marge de profit est prise. Alors, on ne parle plus de 0,30 $ la livre, mais de 0,40 $ ou 0,45 $ la livre.

M. Montpetit vous disait tantôt que, dans l'éventualité d'un accord de libre-échange, de fausses raretés seraient créées, à un moment donné. C'est indiscutable. Avant qu'on ait notre autosuffisance au Québec, au Canada, nous avons vécu de fausses raretés, de façon cyclique, c'est-à-dire que les entreposages augmentaient aux États-Unis pendant qu'on nous laissait croire, durant la période des fêtes par exemple -prenons le dindon qu'on consomme presque seulement à ce temps de l'année - qu'il y

avait une rareté de dindon et on payait le dindon à gros prix, et non pas parce qu'il était rare.

Les productions animales au Canada représentent environ 10 % des productions américaines. Qu'il y ait, à un moment donné, une épidémie quelconque ou qu'il y ait des quarantaines dans des bâtiments, on peut, à ce moment-là, réaliser quels seront les premiers à subir le manque de produits. C'est sûr que les Américains vont commencer par s'alimenter. Cela revient au même principe, du moins, je le pense, qu'un pays doive avoir, dans l'alimentation et à n'importe quel prix, un bon degré d'autosuffisance.

M. Lemieux: Pour reprendre la deuxième partie de la question, dans le cadre actuel, quelles mesures vous favoriseraient le mieux, si on avait à en prendre une, sans que ce soit nécessairement le statu quo?

M. Pilon: Notre président vous a dit tantôt que, dans l'éventualité d'un libre-échange total, ce serait sûrement une question de temps pour qu'il ne se fasse plus d'élevage ici. Je ne sais pas ce qu'on pourrait négocier pour l'agriculture, mais je pense qu'on est exposé sur tous les plans. Si on parle de "bargaining power" avec eux, ce serait peut-être de les laisser entrer du maïs ou d'autres céréales. Mais je pense bien qu'à ce moment-là, une autre fédération à l'intérieur de l'UPA dirait: Arrêtez un peu. Nous, cela nous dérange; vous autres, cela vous avantage, mais, nous, cela nous dérange.

M. Lemieux: Je vous remercie.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le député. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Notre temps est écoulé. M. Montpetit, M. Pilon et Mme Couture, merci d'être venus. Je terminerai par un langage que vous connaissez bien: II va falloir prendre nos précautions si on ne veut pas être le dindon de la farce. (21 heures)

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie.

M. MacDonald: Des lettres.

M. Lefebvre: Je trouve cela original.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

Une voix: Et nous restâmes médusés.

La Présidente (Mme Bélanger): À l'ordre, s'il vous plaît!

Une voix: Ce n'est pas à tout le monde...

La Présidente (Mme Bélanger): M. te ministre du Commerce extérieur, pour le mot de la fin.

M. MacDonald: Eh bien, je ne suis pas poète, mais je peux mettre autant de sincérité que mon collègue pour vous remercier de votre présentation.. Merci.

La Présidente (Mme Bélanger): Alors, Mme Couture, M. Pilon et M. Montpetit, les membres de la commission vous remercient pour votre participation et vous souhaitent un bon retour.

Une voix: Merci bien.

La Présidente (Mme Bélanger): Maintenant, je prie le Parti communiste du Québec de bien vouloir prendre place.

Les membres de la commission de l'économie et du travail vous souhaitent la bienvenue. Permettez-moi de vous rappeler les règles du jeu. Vous avez une heure pour votre audition qui sera répartie comme suit: 20 minutes pour votre exposé qui sera suivi d'un échange de 20 minutes avec les membres du côté ministériel et 20 minutes avec les membres de l'Opposition. Sans plus tarder, Mme Roy, je vous cède la parole.

Parti communiste du Québec

Mme Roy (Marianne): Merci. Bonsoir tout le monde. Premièrement, j'aimerais seulement dire que, comme vous, cet après-midi, nous avons tous appris que les négociations sur le libre-échange ont été suspendues. Le Parti communiste aimerait profiter de cette occasion pour vraiment féliciter la population québécoise et canadienne, dans son ensemble, d'avoir réussi à exercer assez de pressions pour sauvegarder le pacte de l'automobile, les programmes sociaux et l'indépendance canadienne. Je pense que c'est une bonne indication de ce qu'on peut réussir à faire quand les intérêts de l'ensemble de la population sont en danger.

Le libre-échange entre les États-Unis et le Canada comporte de graves dangers pour la population du Québec dans les domaines économique, politique, social et culturel. Il y aurait une restructuration majeure dont les conséquences négatives seront subies par les travailleurs et les travailleuses.

Le capital, extrêmement mobile, se déplacera rapidement à la recherche d'un profit maximal sans tenir compte des coûts sociaux. Les mécanismes d'un marché libre pourront forcer l'alignement, non seulement des politiques économiques, mais aussi des politiques sociales canadiennes sur le modèle états-unien.

Des mesures de protection aussi bien que de promotion des activités et des produits culturels québécois sont essentielles. Or, elles pourront être interdites ou limitées dans le cadre d'un accord sur le libre-échange.

Les États-Unis s'efforcent d'éliminer leur grand déficit. Il est illusoire de penser que les États-Unis accepteraient un accord qui puisse impliquer une amélioration de la balance commerciale canadienne. Leur objectif est plutôt d'exporter plus au Canada et d'en importer moins.

Sur le plan économique, les États-Unis cherchent à élargir encore plus leur base pour faire face à des assauts commerciaux et économiques d'autres pays, tels que le Japon, la Communauté économique européenne, les pays socialistes et le tiers monde.

L'objectif principal des États-Unis est sans doute politique et stratégique. Ils veulent s'assurer que l'économie canadienne et l'économie québécoise seront tellement dépendantes de celle des États-Unis qu'aucun geste indépendant en politique étrangère ne serait possible à l'avenir.

Le Parti communiste du Québec est convaincu que les négociations sur le libre-échange bilatéral entre les États-Unis et le Canada comportent de graves dangers pour la population canadienne et particulièrement pour celle du Québec, non seulement, comme je l'ai dit, dans le domaine économique mais encore plus dans les domaines politique, social et culturel.

Plusieurs études ont relevé le fait que certaines industries importantes pour l'économie québécoise seront frappées sévèrement: vêtement, textile, chaussure, alimentation, etc. parmi d'autres.

L'élimination des barrières douanières et d'autres obstacles permettra aux multinationales états-uniennes de profiter des économies d'échelle ainsi que de leur puissance pour étendre leur domination commerciale et économique sur l'économie canadienne. La rationalisation à leur façon amènera des fermetures d'usine et des mises à pied massives dans notre économie. Si certaines entreprises québécoises pouvaient profiter d'une plus grande ouverture au marché états-unien - ce qui n'a pas encore été démontré il y aurait une restructuration majeure dont les conséquences négatives seront subies par les travailleuses et les travailleurs. Le capital, extrêmement mobile - comme je pense que les personnes qui sont intervenues avant moi l'ont bien démontré avec des exemples très concrets -se déplacera rapidement à la recherche d'un profit maximal sans tenir compte, on le répète, des coûts sociaux.

Cependant les effets de cette restructuration seront beaucoup plus profonds, dû à la pression économique de la concurrence sauvage sur les coûts de production: dans le domaine des relations industrielles, la pression des bas salaires, surtout ceux versés au Sud des États-Unis, le Code du travail, les droits syndicaux, le taux de syndicalisation qui est plus bas aussi aux États-Unis. Face aux impôts, les entreprises insisteront pour une harmonisation sur la base de la réforme fiscale états-unienne; baisse d'impôt pour les particuliers à revenu élevé et pour les sociétés, élimination d'autres coûts reliés à la sécurité-santé au travail, au financement du régime d'assurance-santé, etc.

Même si on insiste pour que les politiques sociales canadiennes ne soient pas sujettes à la négociation les mécanismes d'un marché libre pourront forcer l'alignement, non seulement des politiques économiques, mais aussi des politiques sociales canadiennes sur le modèle états-unien.

Un autre volet de cette pression sera l'insistance des entreprises et du gouvernement des États-Unis pour que soient éliminées toutes les politiques canadiennes qu'ils considéreront déloyales: les subventions et d'autres formes d'aide au développement régional, certaines dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage, telles les prestations payées aux travailleurs et travailleuses saisonniers, par exemple, les pêcheurs.

En général, l'harmonisation découlant inévitablement de l'élimination de protections douanières aura des effets en profondeur sur la vie canadienne, allant de pair avec la déréglementation et la privatisation d'entreprises et de services. Le Canada et le Québec ont toujours fait appel à l'État -historiquement, ceci depuis déjà le XIXe et le XXe siècle, y compris pour le développement économique - au gouvernement et à des services collectifs pour promouvoir leur bien-être beaucoup plus que ce n'est le cas aux États-Unis. L'alignement sur le modèle états-unien signifiera la fin de cette spécificité canadienne et, à l'intérieur du Canada, de la spécificité québécoise. De plus, ce modèle comporte des déficiences notoires en ce qui concerne ia protection de la population desservie.

Il est difficile d'exagérer les dangers que le libre-échange représente pour la culture québécoise. L'influence de la culture états-unienne sur la culture au Canada est déjà trop forte. Les activités des industries culturelles sont particulièrement sujettes à des économies d'échelle et ce, dans beaucoup de domaines: films, livres, programmes de télévision, journaux. Les coûts de production du produit original sont considérables, mais les coûts de reproduction et de distribution sont beaucoup moindres ce qui permet aux produits états-uniens d'envahir, et dans certains domaines, de dominer le marché canadien et même québécois. Des mesures de protection aussi bien que de promotion des

activités et des produits culturels québécois sont essentielles. Or, elles pourront être interdites ou limitées dans le cadre d'un accord sur le libre-échange. Le contrôle des média au Québec est déjà très centralisé dans le secteur privé. Il le deviendra de plus en plus et risque d'être dominé par les USA avec toutes les conséquences culturelles et idéologiques qui en découleront.

En somme, il y a des différences fondamentales de philosophie sociale entre les Etats-Unis et le Canada et encore plus avec le Québec. Il ne faut pas laisser entrer ce modèle par une porte grande ouverte. D'ailleurs, elle est déjà entrouverte. Ce qu'il faut, c'est la fermer.

Il faut souligner que ce dont il est question ici n'est pas le libre-échange auquel certains économistes attribuent des qualités mirobolantes, à partir du fonctionnement d'un marché où tous les participants multiples agissent librement., Il s'agit plutôt d'une tentative d'établir une union commerciale entre deux pays seulement, à l'exclusion des autres. Or, beaucoup d'arguments qui pourraient, non sans question en tout cas, justifier la réduction ou l'élimination de barrières dans le domaine du commerce international, par exemple, dans le cas du GATT ou de la conférence des Nations-Unies pour le commerce et le développement, perdent de leur crédibilité dans le cas d'un accord bilatéral. Cela peut bien déformer encore plus les courants des échanges internationaux. Il y a beaucoup de différences entre la danse d'un corps de ballet international et celle d'un pas de deux. Surtout quand un des deux est un éléphant et l'autre un castor.

En négociation, il faut bien cerner les objectifs de l'autre partie. Or, quels sont les objectifs des États-Unis à travers toutes les contradictions des différents groupes d'intérêt là-bas?

En se limitant, premièrement, aux questions commerciales, les États-Unis s'efforcent d'éliminer leur grand déficit, y inclus le déficit commercial de plusieurs milliards de dollars avec le Canada. Il est donc illusoire de penser que les États-Unis accepteraient un accord qui puisse impliquer une amélioration de la balance commerciale canadienne. Leur objectif est d'exporter plus au Canada et d'en importer moins. Or, le Canada perd tellement par rapport aux États-Unis à d'autres titres, surtout la sortie de profits et de dividendes où on a 61 000 000 000 $ de déficit et les paiements pour les services plus de 2 000 000 000 $ de déficit sur les brevets pharmaceutiques, les assurances, le transport, etc., que notre balance de paiement est défavorable. La situation avec le libre-échange serait encore pire.

Au niveau économique, les États-Unis cherchent à élargir encore plus leur base pour faire face à des assauts commerciaux et économiques d'autres pays: le Japon, le CEE, les pays socialistes, le tiers monde. En s'associant plus étroitement aux États-Unis, le Canada s'accrocherait à une étoile en déclin, car l'économie états-unienne pèse de moins en moins lourd dans le monde et le dollar US est extrêmement fragile.

Mais l'objectif principal des États-Unis est sans doute politique et stratégique. En plus de renforcer sa position économique en avalant le satellite canadien, ils veulent s'assurer que l'économie canadienne et l'économie québécoise soient tellement dépendantes de celle des États-Unis qu'aucun geste important en politique étrangère ne serait possible à l'avenir. L'Institut nord-sud a d'ailleurs bien signalé ce danger.

Les États-Unis veulent être assurés de pouvoir disposer de nos matières premières, de notre espace et de notre situation géographique. Il est évident aussi que cette domination économique, stratégique et militaire sera renforcée par le poids énorme du budget militaire des États-Unis.

Quelques alternatives au libre-échange que notre parti propose: Mettre fin à la dépendance économique du Canada à l'égard des États-Unis en diversifiant nos échanges commerciaux avec les pays socialistes, le CEE, les pays en voie de développement, le Japon, etc.;

Renforcer l'indépendance canadienne en nationalisant les filiales des multinationales états-uniennes au pays et en les plaçant sous contrôle démocratique;

Protéger et promouvoir les activités culturelles québécoises et canadiennes. Augmenter les budgets de Radio-Québec, de Radio-Canada, de l'Office national du film et aussi de l'aide financière aux arts;

Freiner la centralisation des médias privés dans les mains d'une poignée d'individus;

Protéger nos industries valables et viables, mais qui sont présentement soumises à une concurrence déloyale, à cause de bas salaires ou de taux d'exploitation faramineux;

Restreindre les investissements états-uniens et la fuite des profits qui saignent notre économie.

Le libre-échange entre le Canada et les États-Unis est un programme des multinationales états-uniennes les plus puissantes, y compris le complexe militaro industriel. Il ne peut qu'être nuisible aux intérêts des travailleuses et des travailleurs et de la population québécoise en général. Ce qu'il nous faut plutôt, c'est une politique de développement économique indépendante. Merci.

La Président (Mme Bélanger): M. le ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: Merci, Mme Roy. Je me

dois d'abord de souligner le respect que j'ai pour la position que vous exposez et que vous avez voulu exposer. Vous en avez le droit et je respecte cela. Mais je dois dire personnellement et au nom du gouvernement que je représente que je considère que votre position est à la fois biaisée parce qu'elle exagère considérablement les dangers que vous vouiez mettre en relief ou la façon dont vous percevez les dangers d'un accord éventuel de libéralisation des échanges. Vous faites totalement et entièrement fi des réserves, des conditions, des sine qua non que nous avons posés en tant que gouvernement responsable pour participer à cette négociation. Votre exposé est également éminemment politique et défend une philosophie qui est la vôtre, mais qui n'est pas la nôtre. Cette appréciation de nos partenaires ou d'un de nos partenaires commerciaux et de cette relation que nous avons avec les États-Unis, philosophie encore, dis-je, n'est pas la nôtre. Mais, vous et moi avons le privilège de vivre en démocratie, et ce genre de gouvernement est aux antipodes, effectivement, du mode de gestion de gouvernement communiste au pouvoir. Dans notre démocratie, vous aviez le droit et vous avez pris le privilège de vous exprimer et, comme vous avez pu voir, avec mes collègues, nous avons entendu ce que vous aviez à dire. Je suis content qu'on puisse encore le faire au Canada et je présume que vous partagez mon opinion. Je n'ai pas de questions à vous poser.

La Président (Mme Bélanger): Merci, M. le ministre. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Oui, merci, Mme la Présidente. Mme Roy, merci d'être là et d'apporter un point de vue différent quelque peu de ce qu'on a entendu à ce jour. Je dois d'abord dire qu'il y a plusieurs points de votre analyse qui sont exacts et, si on poussait à la limite le libre-échange, sans barrières, sans précautions, il y aurait effectivement une assimilation totale. Sauf que ce n'est pas ce que nous vivons et je ne pense pas, du moins je l'espère, que c'est ce qu'on va vivre.. Vos préoccupations sont basées sur des prémisses qui font en sorte que vous voyez l'ultime but des Américains. Je vous dis, là-dessus qu'on peut voir les choses quelque peu différemment. En début de page 2, vous dites: "En somme, il y a des différences fondamentales de philosophie sociale entre les États-Unis et le Canada et bien sûr encore plus avec le Québec. Il ne faut pas laisser entrer ce modèle par une porte grande ouverte qui est déjà entrouverte; ce qu'il faut, c'est la fermer". Mon seul commentaire - et si vous voulez apporter des commentaires, je l'apprécierais - c'est vrai qu'il faut être conscient qu'on vit en Amérique du Nord, qu'on vit dans un contexte nord-américain et que, déjà, plus de 80 %, 82 % des échanges qui se font actuellement entre le Canada et les États-Unis sont déjà en situation de libre-échange. Il ne s'agit pas de proposer une nouvelle démarche commerciale avec un nouveau pays, on y est déjà. Quand vous nous dites - là, je ne suis pas d'accord - à la première page de votre mémoire qu'il n'y a pas d'entreprises qui ont pu se démarquer ou qui ont pu vraiment franchir et réussir du côté américain, je vous dirais que, oui, il y a des entreprises canadiennes et même des entreprises québécoises qui ont réussi à aller... On a eu des exemples hier, et aujourd'hui - dans l'industrie du meuble, pour ne prendre qu'un exemple - d'entreprises québécoises qui réussissent à exporter quelque chose comme 75 % à 80 % de leur production québécoise. Effectivement, ce marché est à la portée de certaines entreprises pour autant que les outils soient là. Cela fait partie de nos grandes préoccupations.

Je termine en vous disant que, quant aux danqers du côté de la culture et de l'assimilation dont vous parlez, pour ma part, je vous dis que je suis conscient que cela nous guette. Je pense qu'on en est tous conscients. Mais le jour où le gouvernement, tant québécois que canadien, ne défendra pas cela avec acharnement, je pense qu'un mauvais sort lui est réservé quant à l'avenir.

Cependant, je ne peux pas partager la conclusion à laquelle vous arrivez, et selon laquelle il faut vraiment se refermer, se retirer. J'essaie de voir de quelle façon, en 1987 ou en 1988, on pourrait vraiment se retirer complètement du marché américain qui est, à toutes fins utiles, ce marché nord-sud peut-être plus normal parfois, que le marché est-ouest.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le député. Mme Roy.

Mme Roy: Oui. Premièrement, je ne vais pas regarder de nouveau le document. Notre conclusion n'est pas du tout de se refermer ou de se retirer. C'est peut-être mal exprimé.

Comme vous l'avez dit, déjà notre économie est dépendante à plus de 80 % des États-Unis. Ce que nous croyons - et je pense que plusieurs sont d'accord avec nous aussi - c'est que cet état de fait a déjà causé énormément des problèmes au Canada et au Québec. Ce qu'il faut plutôt faire, c'est de diversifier beaucoup plus, ne plus dépendre à 80 % de l'économie des États-Unis, mais plutôt de diversifier davantage notre économie, notre commerce avec tous les autres pays du monde. Ce n'est pas du tout pour se refermer ou se retirer du commerce international.

Cependant, on croit qu'il faut

absolument développer notre propre économie beaucoup plus qu'elle ne l'est présentement. On sait qu'on vit un processus de désindustrialisation tant au Québec qu'au Canada dans plusieurs entreprises et dans plusieurs domaines.

Par rapport aux différences qui existent quand on parle de différences entre certaines philosophies de vie aux États-Unis par rapport au Canada et au Québec, je pense que toutes les Québécoises et tous les Québécois et tous les Canadiens les ressentent. On ne se sent pas comme des gens des États-Unis, États-Uniens, pour utiliser ce terme. On a gagné certaines choses depuis des dizaines d'années, comme l'assurance-maladie. On sait que quand les gens tombent malades et sont obligés d'aller à l'hôpital, aux États-Unis, toutes leurs épargnes y passent. Ce n'est pas le cas au Canada.

Quant à l'assurance-chômage, on a une bien meilleure couverture au Canada. Tout cela, c'est grâce à des raisons historiques qui ont fait que, entre autres, le mouvement syndical au Canada a été plus fort pendant des dizaines d'années et, avec l'appui d'autres organisations et d'autres mouvements populaires, on a réussi à gagner ce genre de programmes sociaux qu'ils n'ont pas aux États-Unis et les gens souffrent terriblement aux États-Unis de ne pas les avoir. Plusieurs d'entre vous voyagent aux États-Unis de temps à autres et vous avez pu y voir la pauvreté.

Donc, c'est ce genre de différences qu'il faut protéger. Je suis sûre que, comme vous, on aimerait que cela aille mieux pour le peuple américain aussi. Mais, en ce qui nous concerne présentement, il nous faut essayer de préserver ce que l'on a et l'améliorer encore plus. À notre avis, il faut développer l'économie québécoise et canadienne, avoir beaucoup plus d'échanges avec toutes sortes d'autres pays, mais ne pas être dépendant comme on l'est maintenant pour que cela affecte même la politique étrangère du pays.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): En conclusion, Mme Roy, je vous remercie d'être venue donner votre point de vue et je vous dis: Oui, il y a une différence, heureusement, et vive la différence!

La Présidente (Mme Bélanger): Mme

Roy, les membres de la commission vous remercient pour votre participation et vous souhaitent un bon retour.

Mme Roy: Merci.

La Présidente (Mme Bélanger): La commission de l'économie et du travail ajourne ses travaux à 10 heures demain matin.

(Fin de la séance à 21 h 26)

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