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Version finale

33e législature, 1re session
(16 décembre 1985 au 8 mars 1988)

Le mardi 22 septembre 1987 - Vol. 29 N° 74

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les Etats-Unis


Journal des débats

 

(Dix heures neuf minutes)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaît!

Mesdames et messieurs, bonjour et bienvenue à cette deuxième semaine de consultation générale de la commission' de l'économie et du travail en ce qui a trait à la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis. Je vous donne immédiatement l'ordre du jour pour aujourd'hui.

D'abord, nous allons recevoir M. Daniel Turp qui est spécialiste de la question constitutionnelle; je pense qu'il est professeur à l'Université de Montréal, à la Faculté de droit. Par la suite, nous recevrons la Chambre de commerce du Québec qui sera suivie du Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail du Québec. Cet après-midi, nous reprendrons avec le Mouvement Québec français, qui sera suivi de l'Association des fabricants de meubles du Québec, puis de l'Institut canadien des textiles. En soirée, nous recevrons le Parti indépendantiste et, par la suite, Trans-Impex, et, finalement, l'Association provinciale des assureurs-vie du Québec.

M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président, il y a deux remplacements. M. Rivard (Rosemont) est remplacé par M. Lemieux (Vanier) et M. Fortin (Marguerite-Bourgeoys) est remplacé par M. Després (Limoilou).

Le Président (M. Charbonneau): Alors, s'il n'y a pas d'autres questions, les membres de la commission sont déjà habitués au rythme de cette consultation générale, alors j'accueille maintenant M. Daniel Turp. M. Turp, je pense que vous avez assisté à quelques séances, la semaine dernière, donc vous avez peut-être une idée de nos règles de fonctionnement. Je vous rappelle qu'il y a une heure de prévue avec vous ce matin. Vous avez une vingtaine de minutes, au départ, pour présenter votre point de vue; par la suite, le reste du temps est réparti, de part et d'autre, pour la discussion.

Alors, je vous cède la parole sans plus tarder.

M. Daniel Turp

M. Turp (Daniel): Merci, M. le Président. Je tiens à remercier, d'abord, les membres de la commission de l'économie et du travail de donner à un juriste l'occasion d'être associé à ses travaux et d'ainsi permettre que des questions d'ordre juridique soient évoquées dans le cadre de la présente consultation.

S'il est vrai que des considérations d'ordre économique, social et culturel ont une primauté certaine dans le présent débat, comme le révèlent éloquemment les interventions de la semaine dernière devant la commission, il ne faut pas perdre de vue, à mon avis, que les résultats de la négociation comportent des enjeux juridiques d'une importance indéniable, à la fois pour l'ordre juridique international, et l'ordre juridique canadien et québécois.

Je me propose de vous présenter quelques observations sur les enjeux qui me paraissent les plus déterminants, mais, en préliminaire, j'aimerais discuter de l'importance d'associer le Parlement au processus de conclusion de l'accord de libre-échange avec les États-Unis d'Amérique.

S'il devait être conclu, l'accord de libre-échange aura des répercussions majeures en termes juridiques et institutionnels. Cet accord nécessitera un réaménagement sans précédent de la législation québécoise, qui devra être effectué sous l'autorité du Parlement et qui constituera le début d'un processus d'intégration juridique qui ira vraisemblablement en s'accroissant, comme le démontrent les expériences d'intégration économique régionale, qu'elles soient plurilatérales comme celles de l'Association européenne de libre-échange ou bilatérales comme dans le cas de l'accord reliant l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

La souveraineté du Parlement du Québec sera par ailleurs limitée comme celle du Parlement du Canada dans l'hypothèse où un tribunal arbitral se verrait confier, comme le souhaitent en outre les premiers ministres ontarien et québécois, le pouvoir de rendre des décisions à caractère obligatoire. Un tel abandon de souveraineté mérite, à mon avis, d'être soumis à l'attention des représentants du peuple québécois réunis en Assemblée nationale. Il est donc heureux, à mon avis, que la présente commission parlementaire ait été convoquée, mais le rôle de

l'Assemblée ne doit pas s'arrêter là. Il est impérieux que le Québec imparte dans son droit public la doctrine des traités importants, la doctrine des traités dits importants, qui est une doctrine connue du droit parlementaire britannique et du droit parlementaire canadien qui veut que, lorsque des traités affectent des droits et des privilèges importants d'une Assemblée et qu'ils doivent mettre en jeu ses fonctions, qu'ils soient soumis à l'approbation du Parlement. Cela n'est pas une exigence, mais c'est plutôt une procédure qui a été notamment utilisée dans le cadre du Pacte sur l'automobile, qui est un accord de libre-échange sectoriel et qui a été soumis, avant d'être signé par le Canada, aux autorités de la Chambre des communes et du Sénat.

Le Parlement du Québec devrait donc voir à approuver le traité après que l'occasion aurait été donnée aux membres de l'Assemblée nationale d'examiner attentivement ces dispositions et d'en faire une étude approfondie. Cette proposition me paraît d'autant plus fondée qu'aucun projet de traité n'est soumis à l'attention des membres de la présente commission et que la discussion en cours pèche dans une certaine mesure par sa généralité, alors que les principes sont présentement sujets à une codification juridique qui donnera à l'accord toute sa substance. Et l'impact des délibérations de la présente commission pourrait se révéler nettement moins important que celui de la commission des institutions relative à l'accord du lac Meech qui, en raison du fait qu'un texte contenant l'entente de principe était disponible, a permis de signaler les lacunes de l'accord et a contribué à rendre plus acceptable la version définitive de celui-ci. (10 h 15)

L'impossibilité pour la présente commission de connaître le projet de traité est également regrettable pour le motif que le Québec n'a pas une voie directe dans la négociation et que le projet de traité, qui sera éventuellement paraphé par les négociateurs canadiens et américains avant l'échéance du 5 octobre, ne pourra connaître de changement en raison de la procédure accélérée, la procédure du "fast track", à laquelle l'administration américaine fait appel et qui requiert que le Congrès approuve ou désapprouve, sans pouvoir adopter de modifications, l'accord de libre-échange et, ultérieurement, toutes les lois de mise en oeuvre qui lui seront présentées par l'administration.

Il est donc, à mon avis, important que l'Assemblée demeure saisie de la question du libre-échange et qu'elle s'intéresse notamment au contenu du traité, principalement à la question du tribunal arbitral, et à la participation du Québec à la mise en oeuvre interne et internationale du traité. Je vous parlerai d'abord du contenu de l'accord de libre-échange et de la question du tribunal arbitral.

Le contenu de l'accord est aujourd'hui, je pense que tout le monde en conviendra, relativement incertain, et sa portée véritable demeure, pour cette raison, très problématique. Son contenu est pourtant important parce qu'il doit porter, pour se conformer à l'article 24 de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, sur l'essentiel des échanges. L'exemption qui est réclamée par les gouvernements fédéral et provinciaux, que ce soit sur l'agriculture, les pêches ou les industries culturelles, pourrait placer le Canada et les États-Unis dans une situation où les parties contractantes du GATT pourraient refuser d'entériner l'accord. Cette obligation internationale pourrait notamment justifier les États-Unis de refuser d'exempter certains biens de l'accord de libre-échange et d'exercer sur le Canada des pressions qui lui feront céder sur certaines exigences des États-Unis, en dépit de l'opposition de certaines provinces, y compris du Québec.

Le traitement que réservera l'accord aux procédures nationales d'imposition de droits compensateurs et de droits antidumping ainsi qu'à l'utilisation de mesures de sauvegarde ou de restrictions quantitatives, demeure également une inconnue. Pourtant, cette question est d'une extrême importance puisque les dispositions du traité à ce sujet pourront venir déroger aux procédures prévues actuellement dans l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce et tes codes adoptés dans le cadre des négociations de Tokyo, auxquels sont parties le Canada et les États-Unis.

Cette question est d'autant plus importante que c'est à l'égard du recours à ces procédures que pourrait se poser le plus grand nombre de différends qui seraient sujets à la procédure de règlement des différends contenus dans l'accord de libre-échange. Il est à prévoir, comme dans tous les autres accords de libre-échange, que des consultations devront avoir lieu avant que des recours puissent être exercés ou que des mesures intérimaires ne puissent devenir permanentes. Mais peut-on espérer obtenir l'inclusion dans l'accord d'une disposition en vertu de laquelle les différends qui n'ont pas été réglés par le biais des consultations pourront être examinés par un tribunal d'arbitrage permanent ou ad hoc, dont les décisions seront obligatoires ou plus littéralement exécutoires?

Ici, les autres expériences d'intégration économique régionale peuvent être utiles. Il y a lieu de faire remarquer - je pense que cela n'a pas encore été fait devant la commission - qu'aucun accord de libre-échange, bilatéral à tout le moins, comme celui qui lie l'Australie à la Nouvelle-Zélande et comme celui qui vous intéresse plus encore ici, celui qui lie les États-Unis et

Israël, ne prévoit la création d'un tribunal arbitral qui détiendrait le pouvoir de rendre des décisions obligatoires ou exécutoires.

L'accord avec Israël mentionne notamment que les constatations du comité ad hoc, qui est un tribunal, mais un tribunal spécial, et non pas un tribunal de nature permanente comme celui que l'on voudrait voir créé dans l'accord de libre-échange, pour reprendre les termes de l'accord lui-même, "are not binding"., Donc les décisions n'ont pas de caractère obligatoire.

Il en va de même pour l'accord de libre-échange Australie-Nouvelle-Zélande et l'accord de libre-échange entre l'Irlande et le Royaume-Uni qui a été, depuis, abrogé par le fait que l'Irlande et le Royaume-Uni sont dorénavant tous deux membres des communautés européennes, dont les mécanismes sont d'une souplesse telle qu'elle contraste avec les exigences formulées par le Canada et les provinces dans les présentes négociations. Seul l'accord créant l'Association européenne de libre-échange crée un mécanisme qui confère des pouvoirs décisionnels à une institution commune qui n'est pas un tribunal, par ailleurs, les décisions du conseil étant prises dans ce cas à la majorité des membres, ce qui ne saurait être réalisé dans un contexte de libre-échange bilatéral, bien évidemment. L'insistance pour une procédure de règlement obligatoire des différends ne me paraît donc pas s'inscrire dans l'histoire des accords de libre-échange, et, sans doute, vaudrait-il mieux trouver des formules qui heurtent moins la souveraineté des États-Unis, mais, rappelons-le aussi, celle du Canada. Peut-être pourrait-on envisager une formule d'avis consultatifs à un tribunal permanent ou ad hoc, lesquels avis devraient être tenus en compte dans un processus de consultations qui reprendraient après que le tribunal aurait rendu son avis. Une judiciarisation du contentieux du libre-échange pourrait sans doute être envisagée à une étape ultérieure, s'il s'apparaissait que les mécanismes de consultation avaient failli lamentablement à la tâche.

Quel que soit le contenu du traité de libre-échange et la formule du règlement des différends retenue par le Canada et les États-Unis, il importe que le Parlement du Québec demeure vigilant lorsqu'il évaluera le traité dans son ensemble aux fins de son approbation. Mais une vigilance certaine doit aussi être exercée en regard de la mise en oeuvre de l'accord, qui pourrait offrir l'occasion au Parlement fédérai de chercher à élargir la compétence qui lui est dévolue en matière de réglementation des échanges et du commerce, et qui pourrait voir le gouvernement fédéral s'imposer comme le seul interlocuteur des États-Unis après la conclusion de l'accord de libre-échange.

Je voudrais maintenant aborder la question de la participation du Québec à la mise en oeuvre de l'accord de libre-échange. Parmi les enjeux juridiques qui méritent d'être portés à votre attention et qui paraissent dans une certaine mesure avoir été négligés durant le présent débat se trouve celui de la participation du Parlement et du gouvernement du Québec à la mise en oeuvre interne et internationale de l'accord, au lendemain de sa conclusion.

En ce qui a trait à la mise en oeuvre interne, il faut rappeler que l'accord de libre-échange ne saura produire d'effets au Canada et au Québec que si des lois sont adoptées pour en introduire le contenu en droit québécois. Il y a lieu de souligner également que le droit constitutionnel reconnaît, depuis la célèbre affaire des conventions de travail, un partage des compétences législatives en matière de mise en oeuvre des traités, ce qui implique une participation active du Québec en matière de mise en oeuvre de ces traités. Peut-être peut-on écarter pour l'instant l'hypothèse d'une remise en question par le gouvernement fédéral de la règle dégagée dans l'affaire des conventions de travail aux fins d'autoriser le Parlement fédéral à légiférer seul pour mettre en oeuvre l'accord de libre-échange.

On doit par ailleurs s'interroger sur la possibilité que le gouvernement fédéral actuel, et peut-être surtout les gouvernements fédéraux qui lui succéderont, veuillent élargir la portée de la compétence reconnue à l'article 91, paragraphe 2 de la Loi constitutionnelle de 1867, relative, quant à elle, à la réglementation des échanges et du commerce, pour faciliter, et peut-être aussi accélérer le processus de mise en oeuvre de l'accord. Ce Parlement fédéral pourrait trouver appui dans la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada, et particulièrement dans la décision dans l'affaire Canadian National Transportation, par laquelle le juge Dickson, qui n'était pas juge en chef à l'époque, mais qui l'est aujourd'hui, a lu, comme l'avait fait ses prédécesseurs dans l'affaire Parsons, dans l'article 91, paragraphe 2, non seulement un pouvoir de légiférer en matière de commerce international et de commerce interprovincial, mais aussi, un pouvoir de légiférer en regard de la réglementation générale du commerce affectant l'ensemble du dominion.

Le gouvernement et le Parlement du Québec devraient être conscients que l'exercice d'une compétence ainsi élargie pourrait valider des lois fédérales portant notamment sur des barrières non tarifaires, à l'égard desquelles les provinces canadiennes détiennent, à ce jour, d'importantes compétences législatives.

Un assaut possible sur les compétences législatives provinciales ne me paraît devoir être exclu, à moyen ou à long terme. Sans

doute une étroite association au processus de mise en oeuvre internationale du traité pourrait être un moyen pour se prémunir contre un tel assaut. Il paraît important, à mon avis, que le Québec se taille une place dans les institutions communes qui surveilleront l'application du traité, qu'il s'agisse d'un éventuel comité des ministres, d'une commission conjointe de fonctionnaires ou du tribunal arbitral dont on souhaite la création. Le gouvernement du Québec, dans son document de mai 1987 réclame une telle présence dans les institutions communes, mais rien n'indique si le gouvernement fédéral a acquiescé et donnera son assentiment à une telle demande. Pourtant, l'assurance que le Québec pourra participer à l'élaboration des interprétations des dispositions du traité qui le concerneront, aux consultations qui porteront sur des plaintes qui seront portées contre lui et à la présentation d'arguments devant un tribunal arbitral devrait être l'une de ses conditions d'adhésion à l'accord à mon avis.

Il me semble, d'ailleurs, opportun que le gouvernement du Québec réclame - et je pense que c'est encore là quelque chose qui mérite votre attention - la codification et l'institutionnalisation du processus de consultation et de participation des provinces à la négociation de l'accord de libre-échange et que les règles suivies à ce jour soient étendues au processus de mise en oeuvre internationale de l'accord. Une entente intergouvemementale semblable à celle qui existe en matière de conclusion des traités relatifs aux droits de la personne, dont le contenu pourrait aussi s'inspirer d'un régime de coopération fédéral-provincial qui a été institué en République fédérale d'Allemagne, qui était évoqué d'ailleurs dans un débat au début de cette commission, entre le premier ministre et le chef de l'Opposition, devrait vraisemblablement être adoptée avant que le Québec adopte et consente à la ratification par le Canada de cet accord de libre-échange.

Il faut être d'accord avec le premier ministre Bourassa sur le fait que le gouvernement fédéral actuel a manifesté une grande ouverture en termes d'association des provinces à la négociation de l'accord de libre-échange. Cette ouverture est manifeste aussi dans le cas de la francophonie comme nous avons pu en témoigner, ce qui a fait en sorte que le Québec puisse être un acteur très important dans la communauté internationale francophone.

Pour que le gain des provinces - et je pense que te gain est significatif - ne soit pas éphémère, il me paraît impérieux que le Québec obtienne des garanties, même écrites, de participation au processus de mise en oeuvre internationale de l'accord de libre-échange, lesquelles devraient s'appliquer également aux négociations commerciales multilatérales ayant lieu sous les auspices du GATT.

En conclusion, qu'il me soit permis de suggérer que l'accord de libre-échange avec les États-Unis d'Amérique pourrait se révéler aussi déterminant pour l'avenir du peuple québécois, de cette société distincte, que l'accord du lac Meech. Le défi du libre-échange et les avantages économiques qu'ils procureront certainement aux Québécois ne devraient pas faire oublier au gouvernement du Québec la responsabilité particulière qui lui est dévolue pour assurer l'affirmation du Québec au sein du Canada dans ses relations avec les États-Unis et dans la communauté internationale, et rappeler aussi au Parlement du Québec qu'en cette matière, il ne doit pas abdiquer ses responsabilités. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Turpc

Je vais céder la parole au ministre du Commerce extérieur. (10 h 30)

M. MacDonaid: M. Turp, merci beaucoup d'être venu nous rencontrer. À vous écouter, il me semblerait que vous avez dû avoir l'occasion, au cours des derniers mois, de conseiller certains de nos conseillers. Ce que je veux dire, c'est que vous avez insisté sur un grand nombre d'éléments qui ont été portés à notre attention et sur lesquels, et je pense particulièrement aux officiers et hauts fonctionnaires du secrétariat aux Affaires intergouvernementales canadiennes, ou du ministère des Relations internationales, ces gens ayant insisté sur plusieurs des points que vous avez mis de l'avant.

J'étais heureux de vous entendre observer qu'en effet, nous avions, au tout départ, imposé certaines conditions comme Québécois, comme représentants de la province de Québec, quant à notre participation à cette négociation et qu'effectivement, cela s'est fait avec une ouverture, que j'appellerais très nouvelle, du moins dans les dernières décennies, dans ces relations entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral.

Revenant aux conseils qui nous ont été donnés, vous avez absolument raison de dire qu'au-delà de cette réussite qu'a été notre participation aux négociations il faut s'assurer que nous ayons une participation, et nous l'avons d'ailleurs indiqué comme une des exigences du Québec, à la mise en oeuvre et à la surveillance de l'entente. Être présent ou avoir notre mot à dire, tout au moins être participant au mécanisme - et il ne faudrait pas mal m'interpréter, je ne parle pas d'avoir un siège, je ne voudrais pas tomber dans ces détails techniques qui ne sont pas les miens - c'est certainement être capable, dans ce processus de surveillance des institutions qui vont régir ou contrôler

cette entente, de ne pas être étrangers à ce qui se passera.

Je retrouve dans votre présentation des principes qui sont devenus les nôtres, des mises en garde que nous allons retenir, que nous avions retenues pour certaines et que nous allons retenir peut-être encore plus, vu l'insistance et les détails avec lesquels vous les avez présentées.

Par contre, j'aimerais vous poser une question. Je croyais que, dans votre exposé, peut-être que vous êtes allé un peu trop vite. C'est toujours cette fameuse notion d'un tribunal exécutoire pour régler les différends qu'on peut avoir à la frontière. Vous avez soulevé la question de la souveraineté, souveraineté qui pourrait être atteinte des deux côtés de la frontière, et vous avez parlé de formule de rechange qui pourrait être satisfaisante. Seriez-vous assez gentil de nous en parler un peu plus longuement?

M. Turp: Si on veut aller au-delà de ce qui existe déjà, je pense qu'il vaut la peine pour le Québec de demander au Canada d'insister d'aller au-delà des formules très classiques qui sont utilisées dans les accords de libre-échange bilatéraux. Il y en a quelques-uns, mais ces accords se sont arrêtés généralement à une procédure de règlement des différends qui prend la forme de consultations entre les parties, des consultations qui cherchent à amener les parties à se rapprocher et à régler en définitive à l'amiable les différends qu'ils ont, par exemple, en regard de l'imposition de droits compensateurs, de droits antidumping ou de la légalité du recours à des clauses de sauvegarde ou à des restrictions quantitatives.

Ces procédures sont très souples. Elles peuvent être très efficaces, même plus efficaces que des procédures judiciaires, mais, dans une relation comme celle du Canada et des États-Unis, où vraiment la puissance économique favorise certainement les États-Unis, il ne serait pas sans intérêt d'avoir une procédure beaucoup moins souple et beaucoup plus judiciarisée.

Si les États-Unis, comme cela semble être le cas, refusent obstinément une procédure qui ferait en sorte qu'un comité ou un tribunal se verrait conférer des compétences de rendre des décisions à caractère obligatoire, il faut penser qu'ils vont être assez logiques avec eux-mêmes. Ils ont refusé de conférer de telles compétences aux comités ad hoc qui sont créés dans l'accord de libre-échange Israël-États-Unis. Cela suggère qu'ils ne voudront peut-être pas en créer dans l'accord canado-américain, puisque leurs partenaires antérieurs ou postérieurs vont réclamer l'institution d'un tel tribunal.

À mon avis, il faudrait peut-être penser à une formule qui ferait intervenir un tribunal dont les décisions, les constatations il s'agirait peut-être plutôt de constatations que de décisions - régleraient des questions juridiques qui n'ont pas été réglées entre les parties, des questions qui, ainsi réglées, seraient soumises aux parties qui devraient poursuivre leurs consultations, mais avec une interprétation de leurs obligations respectives, qui auraient été faites par des experts, y compris des juristes et des économistes, qui auront pu les éclairer.

Je pense qu'on pourrait envisager une formule d'avis consultatifs ou de renvois; la procédure existe en droit interne. Le gouvernement du Québec peut faire des renvois à la Cour d'appel et, sans être liée par les avis de la Cour d'appel, en tient compte généralement. Le gouvernement du Canada peut faire la même chose. Les États peuvent faire la même chose à la Cour internationale de justice. On pourrait songer à cette formule, et on pourrait même songer à une formule un peu plus agressive qui voudrait que, si, à la suite d'un avis, les parties ne se sont pas entendues après de nouvelles consultations, l'avis devienne même obligatoire. C'est une formule que vous négociez peut-être avec vos collègues américains, mais il me semble que l'insistance sur un mécanisme qui donnerait lieu à des décisions obligatoires va peut-être mettre en péril toute l'entreprise. Et, à mon avis, c'est une entreprise qui est très valable. Les coûts de cette insistance ne sont peut-être pas proportionnels aux coûts que subirait le Québec dans le cas de l'échec des négociations du libre-échange.

M. MacDonald: Est-ce que je pourrais aller en complémentaire, M. le député?

Une voix: Oui.

M. MacDonald: Si je comprends bien, vous suggérez qu'il y ait, avant une décision ou un processus exécutoire, un mécanisme beaucoup plus précis de consultation. Mais, en tout dernier lieu, je vous ai entendu suggérer qu'après discussion, etc., l'avis, qui pourrait provenir de cet organisme qui entendrait ou qui contrôlerait les consultations, deviendrait exécutoire.

M. Turp: On pourrait envisager cette formule. On pourrait proposer une formule qui rendrait, en définitive, un avis obligatoire, mais ce serait une procédure supplémentaire et une procédure qui risque, encore là, d'être inacceptable aux yeux des Américains parce qu'en fin de compte, il y aurait effectivement une décision, un avis devenant obligatoire, qui résulterait en un abandon de souveraineté de la part des États-Unis et du Canada. On sait que les

Américains n'aiment pas les abandons de souveraineté. Ils ont même retiré récemment leur déclaration d'acceptation de la compétence obligatoire de la Cour internationale de justice, qui était un abandon de souveraineté au profit d'un tribunal international. La logique, qui est peut-être un peu différente dans un cadre bilatéral, pourrait s'imposer.

Il faut peut-être comprendre les négociateurs américains de vouloir être logiques avec la position de l'administration en regard des compétences des tribunaux internationaux. Ce n'est pas tout à fait la même chose ici. Si on veut comparer la Cour internationale de justice avec un tribunal arbitral, les États-Unis, à la Cour internationale de justice, ont un juge sur quinze. Ils ont déjà reproché - Mme Kirk Patrick était celle qui l'a fait - que c'était un tribunal vraiment étranger. Alors que le tribunal arbitral qui serait créé serait un tribunal dont les membres seraient nommés, si on veut prendre l'exemple d'un tribunal à trois, un par le Canada, un par les États-Unis et un troisième arbitre qui serait nommé conjointement par les deux autres. Donc, la souveraineté est beaucoup moins en péril dans un processus comme celui-là, dans une institution comme celle-là.

M. MacDonald: Je vais vous revenir.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Turp, merci beaucoup de cette présentation. Je constate qu'à dix heures, le matin, ce n'est pas facile pour tout le monde de déjeuner avec l'aspect constitutionnel. Je pense qu'il est fort important d'apporter toute la lumière du côté de cet accord parce que, comme vous l'avez si bien mentionné, M. Turp, l'accord du libre-échange est tout aussi important, voire même plus, sous certains aspects, que l'a été celui du lac Meech. Les règles du jeu concernant l'avenir économique du Québec risquent d'être passablement chambardées.

Je déplore un peu auprès du ministre du Commerce extérieur, présent ici ce matin, que son collègue, le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes ne soit pas là. C'est certainement la personne qui pourrait nous éclairer davantage. Cependant, je pense que le ministre pourra apporter certains éclaircissements. À quelque dix ou onze jours, ce matin, de la ratification possible d'une entente, on est toujours dans la grande noirceur. D'une part, vous nous dîtes, M. Turp, que - ce sont des choses qui ont déjà été affirmées aussi par d'autres, mais vous nous le dites très clairement - en vertu du droit constitutionnel canadien, les provinces n'ont pas à ratifier un futur traité de libre-échange. Alors, si, dans un premier temps, on sait que le Canada, le gouvernement canadien, quel qu'il soit, là il faut faire attention parce que vous sembliez apporter une certaine nuance et avec raison, à savoir qu'actuellement les relations peuvent être bonnes entre le gouvernement canadien et le gouvernement du Québec, mais qu'on sait que cela peut changer. Nul n'est à l'abri de quelque changement que ce soit, à quelque niveau que ce soit. Donc, vous aviez tout à fait raison de spécifier qu'on devrait avoir des ententes écrites pour s'assurer, d'une part, que le gouvernement du Québec est bel et bien impliqué dans le processus et s'assurer, d'autre part, que le gouvernement du Québec aura son mot à dire, pour autant que le gouvernement du Canada pourra assurer qu'il va le soumettre aux provinces afin de le faire ratifier, parce qu'il n'est pas obligé de le faire. Je pense que cela est clair. Il faut retenir que le gouvernement canadien peut agir, à la limite, unilatéralement.

Deuxièmement, une fois que le gouvernement québécois est assuré d'être dans le processus - j'espère que le ministre pourra nous confirmer de nouveau qu'il y a des engagements fermes de ce côté-là - il n'est pas obligé, à son tour, d'aller vers une ratification auprès de sa population. Tout au plus, le gouvernement du Québec, selon ce que j'ai compris sur le plan interne, en vertu de l'article 15 de la loi de son ministère des Relations internationales, pourrait ratifier, par décret tout simplement au Conseil des ministres, le traité du libre-échange. Je pense qu'il nous faut absolument obtenir de la part du ministre, de la part du gouvernement, un engagement ferme qu'il y aura une ratification qui va aller bien au-delà du Conseil des ministres seulement.

Je me souviens très bien que le ministre a répondu en Chambre à l'une des questions que je lui avais posées en mai dernier qu'il ne verrait pas que cela se ferait autrement que d'aller en consultation et que l'Assemblée nationale puisse finalement se prononcer sur ledit traité. Cela me semble important et fondamental qu'on ait ces éclaircissements ce matin.

M. Turp, dans ce cadre-là, pourriez-vous nous préciser quel serait pour vous le rôle exact ou plus exact que l'Assemblée nationale pourrait jouer dans ce processus de ratification de l'accord du libre-échange?

M. Turp: Comme vous l'avez rappelé, je pense que, dans notre système parlementaire, ce sont les gouvernements qui sont responsables de la conclusion des traités. Au Canada, le gouvernement fédéral conclut des traités au nom de la Fédération, bien que le gouvernement du Québec, et, je pense, même le gouvernement actuel, prétend, selon une thèse qu'il a, qu'il peut lui-même conclure

des traités internationaux de façon assez autonome. Mais il demeure que c'est te gouvernement, donc l'exécutif, qui détient le pouvoir de conclure des traités, donc de les négocier, de les signer et de les ratifier. Dans ce processus, le Parlement ne doit pas intervenir et, en général, n'intervient pas. Mais on a voulu, en droit parlementaire britannique, et cela a été importé au Canada en vertu du préambule de la constitution, soumettre au Parlement les traités importants afin que le Parlement les approuve avant qu'ils ne soient signés et ratifiés par le gouvernement. C'est une pratique qui, je le suggère, devrait être importée au Québec. (10 h 45)

Le Québec n'a jamais fait cela. Il ne s'intéresse que depuis une vingtaine d'années à la ratification, comme il le dit dans sa Loi sur le ministère des Relations internationales, des traités conclus par le Canada qui sont relatifs à ses compétences constitutionnelles, qui ressortissent de ses compétences constitutionnelles. II n'a pas soumis au Parlement des traités importants parce que, depuis 1960 ou 1965, il n'y a pas eu de traité aussi important, à ma connaissance, que le traité de libre-échange. À mon avis, ce serait une nouveauté et quelque chose qui serait très respectueux du droit parlementaire de type britannique et des institutions parlementaires de l'Assemblée nationale que de lui présenter ce traité important afin que son contenu, qui ne peut pas être débattu ici, si j'ai bien compris... Il n'y a pas de projet traité devant nous, on ne peut pas examiner ces dispositions, qui sont fort importantes parce que ce sont elles qui vont délimiter le contenu, la portée de l'accord et les obligations que le Québec devra respecter pour une durée indéterminée, vraisemblablement.

Je pense que l'Assemblée nationale devrait, à tout le moins, être saisie de ce traité qui aura déjà été paraphé et signé par les négociateurs canadiens et américains aux fins d'un examen attentif qui permettrait à la fais au gouvernement et à l'Opposition, lors d'une nouvelle commission parlementaire, éventuellement, de se pencher sur le contenu du traité. Il faut dire que l'approbation du traité, pour être bien réaliste, sera chose acquise. Dans notre système parlementaire, le gouvernement contrôle l'Assemblée, et il est bien sûr qu'il serait approuvé par l'Assemblée. Même s'il n'était pas approuvé par l'Assemblée, hypothèse qui est tout à fait invraisemblable dans les circonstances, le gouvernement pourrait quand même aller signer le traité et le ratifier puisqu'il lui appartient, en dernier ressort, d'exercer la compétence de conclusion des traités. Mais je pense que cela permettrait au gouvernement, entre autres, d'élargir le débat, de poursuivre un débat qui, à mon avis, est ici assez général, peut-être trop général.

Pour l'accord du lac Meech, j'étais un peu pessimiste sur l'intérêt d'une commission parlementaire, et je pense que la commission parlementaire a réussi à éclairer les négociateurs dans une importante mesure et que l'accord a été enrichi à la suite de la commission. Mais on avait devant nous un texte, on avait des principes qui étaient déjà assez clairs. Par exemple, la clause de la société distincte, c'était déjà très juridique, malgré ce qu'on a pu dire du caractère juridique ou non juridique des textes. Nous n'avons pas devant nous ces clauses de sauvegarde. On n'a pas devant nous les clauses de règlement des différends sur lesquels on devrait pouvoir se pencher pour conseiller le gouvernement, pour que le peuple puisse vraiment être entendu sur ces questions fondamentales.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. MacDonald: J'aimerais, le plus rapidement possible, vous rassurer et rassurer le député de Bertrand en me référant à cette réponse que j'avais donnée à un commentaire du président de la commission parlementaire la semaine dernière sur toute cette question de consultations au lendemain d'une entente. Il est évident - je répète ce que j'ai dit en Chambre - qu'un traité qui a une importance capitale pour l'avenir économique du Canada et du Québec doit être soumis aux représentants du peuple. Ce n'est, à mon avis, qu'une convenance.

Maintenant, pour être beaucoup plus pratique, il est évident, comme vous l'avez mentionné, qu'un tel traité apporterait des changements majeurs à certaines de nos lois et à plusieurs de nos règlements. Cela étant dit, encore une fois, il est évident qu'on devra aller devant l'Assemblée nationale pour effectuer ces changements.

Je reconnais avec vous que, n'ayant pas aujourd'hui le texte final - et celui-ci, à ma connaissance, n'existe pas, c'est-à-dire que les négociations vont bon train, mais on en a encore jusqu'au 4 octobre - nous ne pouvons pas faire cette étude en profondeur. J'irai même plus loin et je dirai en réponse à une question qui m'a été posée par M. Charbonneau, président de la CEQ, désirant savoir si te gouvernement serait disposé à poursuivre cette commission parlementaire pour entendre les représentations sur un texte final... J'ai dit que cela serait une excellente façon d'informer le public et d'informer tous et chacun sur ce dossier. Un dossier de cette importance ne peut qu'être le plus transparent possible et c'est ce qu'on a essayé de faire dans les circonstances d'une négociation confidentielle. Lorsqu'il y aura un texte, il est évident que ce sera encore d'une plus grande transparence.

Revenant sur la question... peut-être qu'il y aurait redondance, mais je suis parfaitement d'accord, et on l'a mentionné ici, que le gouvernement fédéral en vertu de ses pouvoirs de l'acte constitutionnel pourrait intervenir dans un dossier comme celui qu'on discute. Mais vous savez comme moi qu'on a ajouté à cette négociation de nouveaux sujets qui, généralement parlant, n'étaient pas considérés comme faisant partie de négociations commerciales. Je parle particulièrement des services, de la propriété intellectuelle, des investissements. Ces sujets s'ajoutent à ceux qu'on pourrait qualifier de compétence provinciale.

Sur un plan que j'appellerais de jurisprudence, votre expertise dans ces relations fédérales-provinciales, voyez-vous une mise en garde additionnelle à laquelle on devrait faire face, compte tenu que, de toute façon, comme je l'ai mentionné, la partie américaine n'interviendrait pas dans un traité quelconque où le traité ne pourrait pas être exécuté par l'une ou plusieurs des parties importantes, c'est-à-dire les provinces canadiennes? Le point où je veux en venir, c'est que, oui, c'est vrai, si on prend la loi au pied de la lettre, le fédéral pourrait intervenir, mais il faut tout de même être pratique aussi. De façon pratique, il ne saurait être de traité si les parties importantes n'y adhéraient pas.

M. Turp: Alors, si je comprends bien, la question est: Est-ce que le fédéral pourrait utiliser le traité, comme je le suggérais, pour éventuellement faire élargir ses compétences dans la réglementation des échanges et du commerce?

M. MacDonald: Non. M. Turp: Non?

M. MacDonald: Je n'ai pas suggéré cela, M. Turp. En fait, vous avez bien souligné qu'on devra toujours être très vigilants sur cet aspect. Je voulais dire dans un sens pratique: Voyez-vous la possibilité que le gouvernement fédéral aille signer une entente, compte tenu des réserves que j'ai mentionnées, alors qu'une ou des provinces auraient des objections majeures?

M. Turp: Je pense que le gouvernement fédéral actuel, à cause de la dynamique qu'il a créée, et je pense que cela est un grand acquis pour le fédéralisme canadien, a créé une situation dans laquelle il ne pourrait pas aller conclure un traité qui ne recevrait pas l'assentiment des dix provinces ou presque. C'est presque vivre une situation où même l'Île-du-Prince-Édouard s'opposant, il pourrait trouver difficile de conclure l'entente ou retarderait sa conclusion pour vraiment obtenir un assentiment. Dans cette perspective, j'ai souligné qu'il faudrait essayer de codifier ce gain, de le cristalliser dans une entente intergouvernementale dont la conclusion a été évoquée récemment dans le cadre d'une éventuelle application du processus d'amendement constitutionnel ou du processus de conclusion des traités. Je pense que ce serait quelque chose d'intéressant à faire, mais il faudrait y ajouter les aspects de participation des provinces aux négociations et même à la procédure de conclusion.

À mon avis, ce n'est pas de cela dont on doit s'inquiéter maintenant, c'est de la mise en oeuvre. Le gouvernement fédéral actuel est très sensible à l'importance d'associer les provinces. Je ne suis pas certain si un gouvernement libéral, ou un gouvernement néo-démocrate... Il y a des risques, j'ai l'impression, qu'on ait un gouvernement libéral ou un gouvernement néo-démocrate, ou à tout le moins un gouvernement composé de parlementaires et de ministres de ces deux formations. Je ne suis pas certain du tout qu'on voudrait alors associer de façon aussi intime les provinces à la mise en oeuvre internationale. Si on codifie les acquis, ces gouvernements n'auront pas d'autre choix que de continuer ce processus de coopération fédérale et provinciale, qui est finalement très sain et qui, apparemment, fonctionne bien. Ce n'est pas tellement le fait d'un gouvernement fédéral ne voulant pas retenir ou obtenir l'assentiment des provinces qui m'inquiète, c'est ce qui va arriver après que le traité aura été conclu.

M.MacDonald: C'est une mise en garde que vous avez faite.

M. Parent (Bertrand): M. le Président. D'abord, je remercie le ministre pour l'engagement formel qu'il a pris d'amener devant l'Assemblée nationale toute ratification de cette entente de libre-échange et aussi Ja tenue d'une commission parlementaire, si on peut dire, élargie, une commission parlementaire permanente. Elle prendra une forme dans laquelle tous les élus de l'Assemblée nationale et tous ceux qui voudront suivre tes débats, pourront analyser en profondeur ce qu'on aura dans ce fameux traité. Je pense qu'il est bien important que ce soit clair pour tout le monde.

Ceci dit, M. Turp, on sait que le gouvernement du Québec a dressé une liste des conditions d'appui au libre-échange. Le gouvernement du Québec a aussi, dans cette liste, mis quelques objections ou quelques exemptions. Je pense tout particulièrement à tout ce qui touche l'industrie de la culture et l'industrie de l'agriculture et tout ce qui y est relié. Est-ce que vous croyez, par votre expertise, votre expérience, que ces exemptions, ces exclusions que le gouverne-

ment du Québec a mises sur la table, elles soient permises dans le cadre du contexte d'un accord de libre-échange et que ce soit conforme au GATT?

M. Turp: Non. Il ne faut pas oublier que cet accord de libre-échange s'inscrit et doit nécessairement s'inscrire dans le cadre de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce - le GATT, comme on le connaît bien - dont l'article 24 prévoit les conditions dans lesquelles un accord de libre-échange doit être négocié et conclu pour qu'il soit conforme au GATT. J'ai mentionné une des conditions importantes, c'est qu'il porte sur l'essentiel des échanges.

En théorie, si on devait exclure l'agriculture et les pêches - ce qui a causé des problèmes à l'Association européenne de libre-échange, dont on n'a jamais dit que l'accord était conforme au GATT - et aussi les industries culturelles, il pourrait y avoir un problème de compatibilité de l'accord de libre-échange avec l'accord général, avec le GATT. Je pense que cela est évident. Mais, il faut ajouter, pour être bien honnête, que la pratique des parties contractantes du GATT a été très tolérante à l'égard des accords de libre-échange; peut-être trop tolérante. Est-ce qu'elle le demeurera encore? C'est une inconnue et l'humeur est peut-être à être moins tolérant qu'avant.

Le point que je voulais faire en soulevant cette question, n'est pas qu'il faut vraiment s'inquiéter de ce que les parties contractantes du GATT vont faire avec l'accord de libre-échange. J'ai l'impression qu'ils vont l'avaliser, soit en disant d'accord, ou en conférant des exemptions prévues par l'article 24 ou même l'article 25, ou qui vont, tout simplement, ne rien dire puis laisser l'accord de libre-échange produire des effets, comme ils l'ont fait pour la plupart des accords de libre-échange controversés. Ce que cela pourrait amener les États-Unis à faire - c'est cela le point important, à mon avis - c'est de dire: Écoutez, vous voulez exclure ou exempter l'agriculture, les pêches, les industries culturelles, notre accord ne sera pas conforme à l'accord général. On pourrait, pour cette raison, dire: Oui, il faut inclure quelque chose, il faut inclure une partie, à tout le moins, de ce qui concerne l'agriculture et les pêches ou il faut, à tout le moins, faire une déclaration qui nous engagera à continuer de discuter de l'inclusion éventuelle de l'agriculture, des pêches et des industries culturelles. (11 heures)

Je ne sais pas si le Québec et le Canada souhaitent ça, parce que si les industries culturelles font l'objet d'une attention continue des parties à l'accord de libre-échange, j'ai l'impression que ça pourrait mettre en péril la souveraineté culturelle du Québec. La spécificité culturelle du Québec serait en péril de façon continue parce qu'on ne saurait pas si les industries culturelles vont faire partie ou vont devenir sujettes au régime de libre-échange. N'étant pas dans le secret des dieux et des négociations - j'aimerais bien l'être pour donner une opinion plus éclairée encore - je vous fais observer seulement que c'est un autre danger qu'il faut guetter. Je pense que c'est quelque chose dont on doit un petit peu s'inquiéter où on doit être prudent et où cette commission et l'Assemblée doivent chercher à être informées vraiment de ce qui se passe à la table des négociations en cette matière.

M. MacDonald: Si vous me le permettez, M. le Président, je ferais l'observation suivante. Je pense qu'on est venu et revenu sur la question de la protection de la souveraineté culturelle du Québec et je ne ferai que répéter que ce n'est pas un enjeu et que ce n'est pas à discuter.

Deuxièmement, sur cette acceptation ou plutôt cette attitude passive du GATT, c'est un aspect que nous avons regardé de très près et, comme vous l'avez dit vous-même, dans des situations qui auraient appelé peut-être un arbitraire plus précis, le GATT a souvent été très tolérant sur une foule de choses. Nous n'y voyons réellement aucune inquiétude dans le contexte dans lequel les négociations se font et vis-à-vis les mandats qui existent à l'intérieur de la négociation pour en arriver à une entente.

Cela étant dit, j'aimerais passer à mon collègue, le député de Vanter, qui aurait une dernière question. Je pense qu'il ne nous reste pas beaucoup de temps, M. le Président, mais le député de Vanier voudrait tout de même poser une question.

Le Président (M. Charbonneau): Non, quelques instants.

M. Lemieux: Brièvement. À mon avis, le libre-échange c'est beaucoup plus qu'une implication en termes d'emplois et peut-être beaucoup plus qu'une politique commerciale, mais regardons peut-être davantage non pas l'aspect économique mais peut-être l'aspect politique, eu égard à la constitution. Ma question est assez simple. Est-ce qu'il y a un danger pour nous, eu égard aux pouvoirs qui nous sont conférés par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, d'une diminution de nos pouvoirs et, a contrario, est-ce que le gouvernement fédéral ne risque pas d'augmenter certains de ses pouvoirs? Pensez à la théorie des champs inoccupés ou au pouvoir de dépenser dans le cadre de la signature d'un traité de libre-échange. Est-ce qu'il y a un danger pour le Québec? Est-ce qu'il y a un danger pour le fédéral de voir justement augmenter certains des pouvoirs

qui lui ont déjà été conférés par la Cour suprême sans que ce soit explicitement, vous le savez fort bien, reconnu dans les textes comme tels de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique?

M. Turp: Je pense qu'il y a un danger potentiel d'expansion très subtile des pouvoirs et des compétences législatives du fédéral par une interprétation de la clause de commerce, l'article 91.2 qui dit que le fédéral a des compétences exclusives en matière de réglementation des échanges et du commerce. C'est une clause qui aurait pu être très centralisatrice, une clause qui a été interprétée par le Comité judiciaire du Conseil privé de Londres d'une façon très très favorable aux provinces. Si on n'avait pas été à ce point favorable aux provinces, les assurances ne relèveraient pas des provinces aujourd'hui, elles relèveraient totalement du fédérai.

J'ai l'impression qu'un accord de libre-échange pourrait permettre à un gouvernement fédéral qui le voudrait, c'est là le problème, de donner à la clause de commerce toute sa potentialité. Cela veut dire de permettre, au nom du commerce international, du commerce interprovincial et même du commerce intraprovincial qui a été protégé dans une certaine mesure par les juges, de donner au fédéral le pouvoir de légiférer en la matière.

Je pense que c'est quelque chose qui est possible à la lumière d'un arrêt récent du juge Dickson dans une affaire où il est vraiment revenu un peu à l'arrière. Il a dit, bien l'article 91.2 porte peut-être aussi sur les échanges et le commerce qui affectent "affecting the whole Dominion". Là on a un traité de libre-échange qui a comme intérêt d'affecter tout le dominion. C'est bien sûr, c'est un traité qui s'appliquera sur l'ensemble du territoire. Je ne pense pas qu'il y aura clause fédérale qui va exempter une partie du territoire québécois de l'application de l'accord. J'ai l'impression que, s'appliquant à tout le territoire, cet accord pourrait être invoqué par le fédéral pour vouloir régir des questions commerciales même si elles ont un aspect plus local, l'aspect local étant protégé par l'article 92.16 de la loi constitutionnelle qui confère aux provinces le pouvoir d'adopter des lois de nature locale.

J'ai l'impression qu'il y a là un danger. S'ajoutant à cela, le danger que les mêmes juges viennent à permettre, en invoquant le même article 91.2, au Parlement fédéral de légiférer pour mettre en oeuvre des traités portant sur le commerce international. On ferait indirectement ce qu'on n'a jamais voulu faire directement. Vous savez, l'affaire des conventions de travail est une affaire qui était très contestée par la doctrine en tout cas et qui veut que les provinces mettent en oeuvre des traités qui sont dans le domaine de leurs compétences, qui empêchent le fédéral de faire des traités comme il le veut. Il faut toujours qu'il obtienne l'assentiment des provinces.

On a remis en cause cette jurisprudence dans des affaires récentes à la Cour suprême, l'affaire MacDonald, l'affaire Schneider. Il ne serait pas impossible qu'on fasse ce qu'on n'a pas encore fait tout à fait mais seulement pour les traités en matière de commerce international. Vos juristes, M. MacDonald, vous ont peut-être déjà conseillé là-dessus mais il faut vraiment être attentif parce que la mise en oeuvre des traités, c'est drôlement important. On a un système dualiste ici où le Québec met en oeuvre lui-même des lois qui relèvent de sa compétence constitutionnelle. Si les juges de la Cour suprême venaient à dire: Les traités en matière de commerce international, eux, le fédéral peut les mettre en oeuvre, il peut adopter toutes les lois qu'il faut - M. Bernier, le doyen de Laval nous annonçait déjà cela il y a quelques années - s'ils font cela, c'est un pan complet des compétences du Québec en matière commerciale, en droit des compagnies, en droit fiscal, dans le domaine de la propriété intellectuelle à certains égards qui s'en vont. Je pense qu'il faut prendre ses précautions, préparer l'avenir, maîtriser l'avenir dans ces domaines.

Le Président (M. Charbonneau): Est-ce que... Cela va? Cela complète les demandes. Alors, M. le ministre, vous vouliez...

M. MacDonald: À titre de conclusion...

Le Président (M. Charbonneau): Ah! Je m'excuse.

M. MacDonald: Allez-y.

Le Président (M. Charbonneau): II reste quelques minutes au député de Bertrand. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Vous n'allez pas m'enlever mon temps ce matin, M. le ministre.

M. MacDonald: II n'en est pas question.

M. Parent (Bertrand): Alors, M. Turp, par rapport à vos derniers commentaires à la suite de la question de mon collègue, le député de Vanier, je trouve fort impartant tout cet aspect et ce danger d'empiétement du gouvernement fédéral par rapport à l'interprétation qu'il pourra faire de façon très large de ses compétences, surtout en matière d'échange et de commerce. Ce que je me demande essentiellement, c'est si, au gouvernement du Québec, on a pris à ce jour ou si on est prêt à prendre les mesures

nécessaires pour se prémunir contre cet envahissement normal qu'on veut au gouvernement fédéral? Je pense qu'on se doit en tout cas de passer le message très clair ce matin.

Puisque le temps est déjà très avancé, ma dernière question c'est cet autre aspect de l'attitude du gouvernement américain face au traité de libre-échange. Je fais référence à l'étude qui a été rendue publique la semaine dernière, l'étude d'une firme très prestigieuse de Washington, Arnold and Porter qui disait essentiellement ceci - et j'aimerais savoir, M. Turp, si vous êtes d'accord avec cela et j'aimerais aussi que vous apportiez vos commentaires. Ce qu'ils disaient essentiellement c'est qu'en droit américain, comme en droit international, le type d'entente qui pourrait être signée entre le Canada et les États-Unis serait équivalent à un traité et, selon la constitution américaine qui a, aujourd'hui, quelque 200 ans, les traités sont comme des lois fédérales et la constitution, ils sont la loi suprême du pays.

Alors, les tribunaux ont convenu que les accords internationaux, une fois appliqués, avaient le même statut que (es lois fédérales. Ils ont donc préséance sur les lois passées du Congrès et sur toutes celles passées et futures qui seront adaptées par les États. Toujours selon cette étude de Arnold and Porter, il est aussi bien établi, en droit américain, qu'un accord international n'a pas préséance sur les lois postérieures adoptées par le Congrès. En d'autres mots, cela veut dire que rien n'interdirait au Congrès américain d'adopter un jour, dans quelque temps, une loi qui serait carrément incompatible avec le présent accord de libre-échange qu'on s'apprête à signer. Dans un tel cas, les tribunaux américains seraient obligés de faire respecter cette loi. Cela ne veut pas dire que les États-Unis, en tant que pays, seraient pour autant libérés de l'obligation qu'ils auraient envers le Canada. Face au droit international, l'accord resterait valide. Alors, les Canadiens pourraient, de leur côté, user de représailles contre les États-Unis et de là on s'embarque dans tout le mécanisme.

Cela me semble un petit peu aberrant de voir qu'on se ramasserait possiblement dans une telle situation. On l'a vu dans le passé, que ce soit avec Israël ou autres, où il peut y avoir des lois américaines qui sont adoptées et qui viennent à l'encontre du traité qui est signé.

Face à cette déclaration de l'étude Arnold and Porter est-ce que vous pouvez me donner votre réflexion ou vos commentaires?

M. Turp: Ce mini-cours de droit constitutionnel américain - je ne me prétends pas non plus un spécialiste de droit constitutionnel américain - que vous venez de nous donner entre les rapports sur les rapports entre le droit international et le droit constitutionnel américain... Il faut dire d'ailleurs qu'au Canada, c'est la même chose. On peut adopter un traité, on peut le mettre en oeuvre par des lois, mais on peut adopter des lois postérieures qui seraient contraires aux lois antérieures mettant en oeuvre le traité et les lois postérieures l'emporteraient, à moins que les lois de mise en oeuvre ne disent qu'elles ont préséance sur toutes les lois, y compris les lois postérieures qu'on peut faire.

Mais ce que cela a comme conséquence, c'est d'amener les négociateurs, peut-être canadiens surtout, à insister pour qu'il y ait un tribunal arbitral qui rende des décisions obligatoires. Pourquoi? Parce que si, effectivement, il peut y avoir des lois postérieures contraires et qu'il y a un tribunal arbitral qui ne peut pas rendre de décisions obligatoires, qu'est-ce qu'on fait? On subit les lois postérieures qui sont contraires à l'accord. On peut se consulter longuement sur la violation par les États-Unis du traité de libre-échange, mais cette violation pourra demeurer lettre morte s'il n'y a pas un arbitre qui vient décider que les lois étaient vraiment contraires au traité et qu'il y a une violation qui permet de déclencher les mécanismes de mise en oeuvre qui pourraient amener un tribunal à dire: Vous avez violé le traité, donc le Canada a le droit de prendre des mesures comme des droits compensateurs ou des mesures de même nature.

À mon avis, ce danger existe parce que, dans les ordres juridiques nationaux, ce n'est pas toujours le cas, il y en a qui disent encore que les lois sont supérieures au traité et que celles-ci seront appliquées de façon prioritaire par les tribunaux, même si elles sont contraires au droit international. Cela existe. On vit dans un monde où les États ont une souveraineté qui leur permet de faire cela et qui les met dans une situation de violation du droit international, mais dans une situation où il n'y a peut-être pas toujours de sanctions qui les amènent à modifier leur comportement, à abroger les lois ou à indemniser ceux qui ont été lésés par leurs actions contraires à des traités. (11 h 15)

M. Parent (Bertrand): En terminant, M. le Président, de mon côté, je tiens à remercier M. Turp pour cet exposé et aussi pour les réponses assez claires qu'il a apportées à toutes nos questions et lui dire que ce matin, en à peine une heure on s'est rendu compte que même si tout le monde est de bonne foi dans des négociations, il y a les lois et les pouvoirs. Tout pourra être remis en question au-delà de la bonne foi. Je trouve dommage qu'on n'ait pas pu en discuter plus longuement

Certainement l'apport que vous avez fait à cette commission a été grandement apprécié et je vous en remercie.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre, vous vouliez ajouter quelque chose.

M. MacDonald: Oui, je vous remercie. J'aimerais penser que, s'il y a lieu de tenir une poursuite de cette commission parlementaire après le 5 octobre, vous nous ferez le plaisir de vous joindre à nous.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, sur cette invitation à revenir nous rencontrer, M. Turp, je voudrais vous remercier aussi d'avoir participé à cet exercice. En espérant qu'on aura d'autres occasions de vous entendre à la commission de l'économie et du travail. Merci et bon retour.

M. Turp: Merci.

Le Président (M. Charbonneau): J'invite maintenant la Chambre de commerce du Québec à prendre place à la table des invités.

Je reconnais quelques visages familiers: Mme Saucier, M. Létourneau, lequel est presque une institution à lui seul. Alors, tout le monde s'installe! Mesdames et messieurs, bienvenue à nouveau à la commission de l'économie et du travail. Je crois que vous connaissez un peu les règles du jeu, étant des familiers de cette commission parlementaire. Néanmoins, je vous indique que nous avons une heure pour la discussion et la présentation. Cette présentation devrait d'abord se faire dans un délai d'une vingtaine de minutes et par la suite ta discussion va s'engager entre les membres de la commission et vous de part et d'autre selon les interventions et les questions qui pourront surgir.

Mme Saucier, avant de commencer la présentation de votre mémoire - merci, mon cher collègue - je vous demanderais de bien vouloir présenter les personnes qui vous accompagnent entre autres pour le Journal des débats.

Chambre de commerce du Québec

Mme Saucier (Guylaine): Oui, M. le Président. Je vous remercie. À ma droite, M. Mark Toivanen, vice-président, opération et développement commercial de Miniraux Noranda Inc.; comme vous dites, M. Létourneau, c'est inutile de le présenter; à ma gauche, M. Serge Racine, président-directeur général de Shermag; M. Lemieux, de la Chambre de commerce et M. Jean-Claude Riendeau, de la Chambre de commerce également.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, vous pouvez y aller.

Mme Saucier: Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Le ministre du Commerce extérieur m'a indiqué qu'il arrivait.

Mme Saucier: II arrive.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, allons-y!,

Mme Saucier: Au cours des dernières années, la Chambre de commerce du Québec est intervenue fréquemment dans l'important débat sur la libéralisation des échanges avec les États-Unis. Le commerce international joue un rôle irremplaçable dans notre économie. Un simple coup d'oeil sur la liste des produits exportés et importés entre le Québec et les États-Unis suffit à montrer l'importance de ces échanges pour nos entreprises.

Nous observons depuis deux ans, à la Chambre de commerce, l'émergence dans toutes les régions du Québec, d'une nouvelle génération d'entrepreneurs, une génération qu'on ne retrouve ni aux États-Unis, ni ailleurs au Canada. Ces entrepreneurs travaillent sur les bases appropriées de qualité, de productivité, qu'on parle de gestion participative, de formation continue, de recherche et de développement ou de marketing. Ce nouveau phénomène de l'entrepreneurship québécois s'est même fait remarquer par les leaders d'opinion canadiens de l'extérieur du Québec, et je cite: "Le catalyseur de cette croissance économique soutenue sera l'émergence spectaculaire de petites entreprises, cette émergence étant elle-même le résultat d'une explosion sans précédent du phénomène d'entrepreneurship québécois."

Ces petites et moyennes entreprises en effervescence partout au Québec foncent déjà vers de nouveaux marchés plus vastes. Même dans les secteurs soumis à de forts tarifs, comme les secteurs qu'on appelle mous, ces entreprises souhaitent une libéralisation des échanges qui créera un contexte éminemment plus proprice à la compétitivité de l'industrie canadienne et à l'assurance de son accès au marché de nos partenaires. Consommateurs et producteurs profitent tous de la spécialisation dans la production des marchés plus vastes et des économies d'échelles qui s'ensuivent ainsi que de la concurrence et de la productivité accrue qu'entraîne une ouverture des frontières.

L'ouverture du marché nord-américain permettra aux entreprises de fabriquer, par exemple, un ou deux produits pour un marché

de 250 000 000 d'habitants au lieu de six ou huit pour un marché de 25 000 000 d'où une plus grande capacité concurrentielle.

Quant aux craintes exprimées sur les risques inhérents au libre-échange, comme les pertes d'emplois éventuelles, nous croyons que le sentiment protectionniste qui règne à l'heure actuelle aux États-Unis rend justement impérieuse la conclusion d'une entente sur le libre-échange. La vraie question n'est pas de savoir combien d'emplois seraient menacés par une entente de libre-échange, mais plutôt combien d'emplois seront détruits par le protectionnisme montant.

La législation actuelle fournit au gouvernement des États-Unis et aux lobbies de ce pays plusieurs armes protectionnistes: les mesures de sauvegarde, les dispositions antidumping et les droits compensatoires ainsi que les mesures de représailles commerciales. Enfin, un grand nombre d'actions protectionnistes ont été menées récemment, je ne fais que citer simplement le bois d'oeuvre. De plus, des projets de loi présentement à l'étude au Congrès américain accroissent encore davantage le danger protectionniste et l'insécurité des exportateurs québécois. Afin de permettre aux industries et aux individus de s'adapter au nouvel environnement concurrentiel, le traité de libre-échange devra évidemment prévoir des périodes de transition.

Certainement que dans les négociations actuelles plusieurs difficultés restent à surmonter, notamment certaines craintes canadiennes, les subventions aux entreprises, l'agriculture, le commerce des services, les investissements, les préférences des marchés d'États, l'implication des provinces et surtout l'arbitrage des différends. Mais des solutions raisonnables peuvent et doivent être trouvées. Dans la recherche d'un consensus final, il faut se rappeler qu'une entente imparfaite serait préférable à l'absence d'entente.

Il faut réaliser que le libre-échange est un défi que nous sommes déjà en train de relever au Québec. Nous avons une main-d'oeuvre qualifée, une structure industrielle diversifiée, nous avons aussi des chefs d'entreprise dynamiques. Le moins que le gouvernement puisse faire, c'est de nous faciliter l'accès pour utiliser ce potentiel au maximum.

M. Racine (Serge): M. le Président, messieurs les ministres et membres de la commission. La Chambre de commerce du Québec est la fédération d'environ 230 chambres de commerce locales qui regroupent plus de 60 000 membres au Québec; de plus, près de 6000 entreprises y adhèrent directement. Cette présence dominante dans le monde des affaires québécois a amené la chambre à prendre position rapidement et fréquemment dans le débat sur le libre- échange avec les États-Unis. Les interventions de la chambre au cours des dernières années incluent, entre autres les suivantes: En janvier 1985, la chambre réalisait un sondage parmi ses entreprises membres pour connaître leur opinion sur le libre-échange international. Neuf entreprises sur dix ont exprimé une opinion favorable.

Deuxièmement, le 27 février 1985, la chambre adressait une longue lettre au ministre du Commerce extérieur du Canada pour appuyer le projet d'un traité de libre-échange avec les États-Unis.

Troisièmement, le 24 avril 1985, la chambre soumettait un mémoire en ce sens au gouvernement fédéral.

Quatrièmement, le 3 octobre 1985, la chambre félicitait le premier ministre du Canada pour avoir amorcé avec le gouvernement des États-Unis le processus de négociation en vue d'un libre-échange entre les deux pays.

Cinquièmement, le 10 avril 1986, à Toronto et le 2 octobre 1986, à Montréal, les conseils exécutifs de la Chambre de commerce du Québec et de la Chambre de commerce de l'Ontario se réunissaient pour discuter du libre-échange Canada-USA, organiser une stratégie commune d'appui aux négociations, recommander à nos gouvernements provinciaux respectifs de diminuer, en un premier temps, les barrières commerciales entre les provinces et rencontrer des officiels impliqués dans les négociations.

Sixièmement, le 21 mai 1986, la chambre faisait du libre-échange international le thème principal de son mémoire annuel au gouvernement du Québec, thème repris sous le titre "Le libre-échange, plus que jamais", dans le mémoire annuel du 20 mai 1987, récemment.

Septièmement, les 8 et 9 octobre 1986, l'assemblée générale annuelle de la Chambre de commerce du Québec se tenait sous le thème du libre-échange. Ce congrès réunissait plus de 700 délégués de tous les coins du Québec, représentant tous les secteurs de l'activité économique.

L'an dernier, le vice-président exécutif de la chambre a effectué un voyage d'étude de trois semaines aux États-Unis, dans le cadre de sa recheche sur le libre-échange. Le 28 juillet 1987, la chambre manifestait publiquement son intention de participer à la commission parlementaire dont la tenue venait d'être annoncée par le premier ministre du Québec. Enfin, le 27 août 1987, la présidente de la chambre, Mme Saucier, émettait une déclaration rappelant que, nonobstant certains rapports de presse, le monde des affaires s'intéresse activement aux négociations de libre-échange avec les États-Unis et désire, dans une large majorité, que des négociations aboutissent à un accord. Dans cette déclaration, Mme Saucier affirmait que la question la plus importante

n'est pas combien nous perdrons d'emplois avec ce traité, mais combien nous en perdrons si nous ne l'avons pas.

M. le Président, j'ai eu la gracieuse permission de ma présidente de sortir un peu du texte lorsqu'il me semblait approprié de le faire, et c'est le premier endroit où je vaudrais en sortir. Lorsqu'on parle du "tradeoff" entre les emplois qu'on perd et les emplois qu'on gagne, dans cette grande équation, je crois que nous faisons essentiellement et collectivement une erreur méthodologique dans notre approche aux décisions sur le libre-échange. La question qui semble se poser publiquement aujourd'hui, depuis la polarisation essentiellement en deux temps sur la question, c'est de savoir qui est en faveur ou contre le statu quo dans nos relations commerciales avec les États-Unis. Cela semble être la seule question sur la table.

Une très grande majorité de Canadiens devraient répondre très positivement à cette question parce que, actuellement, le statu quo nous favorise grandement. Si la question du statu quo est la seule sur la table, nous devons être pour. Nous avons 80 % des échanges qui se font actuellement en franchise avec les Américains. Nous avons des tarifs qui se sont réduit graduellement depuis les 40 dernières années, particulièrement depuis 1977, de sorte qu'il n'y a plus que 20 % de nos exportations qui se font sous le couvert des tarifs. Nous avons un surplus de plus de 20 000 000 000, $ avec les Américains, dans la formule du statu quo. Nous investissons récemment plus aux États-Unis que les États-Unis investissent au Canada. Les Québécois adorent la concurrence américaine, naturellement, lorsqu'ils la connaissent.

En ce qui me concerne, je dirige une compagnie qui, en 1985, a exporté 529 000 $ de production. En 1986, elle a exporté 2 900 000 $ et cette année, Shermag exportera 10 000 000 $ aux États-Unis. Donc, vive le statu quo! Le problème, c'est que cela va trop bien et que les Américains ne veulent plus et ne peuvent plus supporter le déficit annuel de 165 000 000 000 $ et qu'il est dans l'intérêt de la communauté internationale de rééquilibrer la balance américaine. Comment? Enrayer le protectionnisme américain. La seule solution qui apparaît viable sur le marché, c'est de négocier un ensemble de conditions qui apparaîtraient donner des avantages à la fois aux États-Unis, sans enlever les avantages que nous possédons dans le statu quo. C'est une solution de "win-win" et ça ne peut venir que par un accès plus grand à nos marchés mutuels. C'est ce qu'on appelle, peut-être d'un mauvais vocable, des négociations sur le libre-échange. (11 h 30)

En somme, si l'on veut avoir un débat sur le libre-échange, il ne faudra pas opposer les protagonistes du statu quo et les antagonistes du statu quo. Le débat ne durerait pas et nous nous retrouverions tous du même côté. Il faut plutôt demander à tout le monde comment faire pour enrayer le protectionnisme américain et diviser les deux camps entre, premièrement, ceux qui proposeraient de ne rien faire ou peut-être qui ne proposeraient rien, d'une part, et ceux, d'autre part, qui proposeraient de travailler sur des conditions de stabilité dans les rapports commerciaux avec les Américains.

Je reviens au texte à la page 3. Le commerce international joue un rôle irremplaçable dans notre économie, comme nous le rappelle d'ailleurs l'étude du gouvernement du Québec publiée récemment sur le libre-échange.

Les exportations québécoises comptent pour plus de 40 % du produit intérieur brut québécois, ce qui fait du Québec une des économies les plus ouvertes au monde. Environ la moitié de ses exportations va vers l'extérieur du Canada et près de 40 % vers les États-Unis. En 1986, les marchandises exportées du Québec vers les États-Unis atteignaient 15 500 000 000 $. Environ la moitié des importations au Québec viennent des États-Unis. Un simple coup d'oeil sur la liste des produits exportés et importés entre le Québec et les États-Unis suffit à montrer l'importance de ces échanges pour nos entreprises et nous avons en annexe la liste en question.

Les principaux produits exportés aux États-Unis par des entreprises québécoises incluent le papier d'imprimerie, les automobiles, pièces et châssis d'automobile, l'aluminium et ses alliages, les avions, moteurs et pièces d'avion, le bois d'oeuvre, les tubes électroniques, les semi-conducteurs, l'électricité, le matériel commercial de télécommunication, les viandes, les minerais, concentrés et déchets de fer, les pâtes et papiers, le cuivre et ses alliages, le mazout, le zinc et ses alliages, les meubles, la quincaillerie, les journaux, revues et périodiques, les vêtements divers, les métaux précieux et ses alliages, les machines et le matériel de bureau, l'essence, le matériel électronique et les équipements connexes, le matériel roulant de chemin de fer, etc.

Il y a aussi une liste importante d'importations qui ont un impact très grand sur nos coûts puisque nous utilisons en intrants beaucoup de produits américains pour produire les biens qui sont vendus au Canada même. Le marché international, surtout le marché américain, offre un débouché indispensable à nos entreprises. Cela est dû certainement à l'exiguïté du marché québécois et canadien. Contrairement aux États-Unis, au Japon et à la CEE, nous ne disposons pas d'un marché de 100 millions

d'habitants et plus. Il y a donc nécessité d'une entente de libre-échange.

Le sentiment protectionniste actuel aux États-Unis rend impérieuse la conclusion d'une entente de libre-échange. La vraie question, comme je l'ai dit tantôt, n'est pas de savoir combien d'emplois seraient possiblement menacés par une telle entente, mais plutôt combien d'emplois seraient détruits par le protectionnisme montant.

Il y a certainement plus d'emplois québécois menacés par le protectionnisme américain qu'il y en aurait de mis en cause par la libéralisation des échanges. Selon les estimations mêmes du gouvernement du Québec - je ne vous apprends rien - il y a 540 000 emplois qui dépendent directement ou indirectement des exportations totales du Québec. Comme près de 40 % de celles-ci vont vers les Etats-Unis, c'est plus de 200 000 emplois québécois qui dépendraient des exportations vers ce pays.

Le danger du protectionnisme américain. On ne doit pas sous-estimer le sentiment protectionniste actuel aux États-Unis. Il se manifeste dans plusieurs actions réglementaires et législatives qui, même si elles ne sont pas toujours dirigées contre nous, ont affecté ou pourraient affecter les exportateurs canadiens.

La législation actuelle fournit au gouvernement des États-Unis et aux lobbies de ce pays plusieurs armes protectionnistes. Nous portons à votre attention des choses que vous savez déjà, les mesures qui sont des menaces à notre accès libre aux États-Unis. Les tarifs canadiens sont en général plus élevés que les tarifs américains: 11.2 %, contre 6.5 % sur les marchandises taxées, et 3.8 % contre 2.3 %, en moyenne, sur l'ensemble du commerce entre les États-Unis. Toutefois les obstacles douaniers, non tarifaires, sont plus nombreux aux États-Unis et se sont multipliés récemment.

Depuis 1980, 42 opérations légales ont été lancées contre les exportateurs canadiens: 6, en vertu des dispositions de sauvegarde, 22 actions antidumping et 14 en droits compensatoires. Selon certaines estimations, ces actions auraient déjà touché 5 % des exportations canadiennes vers les États-Unis. Plusieurs produits que nous fabriquons et exportons sont en bonne place dans cette liste.

En plus de la législation existante et des nombreuses mesures protectionnistes imposées par le gouvernement américain à l'encontre des producteurs canadiens au cours des dernières années, de nouvelles lois sont en préparation aux États-Unis qui accroîtraient encore le danger protectionniste et l'insécurité des exportateurs québécois. Qu'il suffise de rappeler la menace du "U.S. Trade Bill" qui vise essentiellement, premièrement, à rendre obligatoire et à faciliter l'imposition de droits compensateurs ou de mesures antidumping dès qu'une concurrence, qui leur apparaît déloyale semble être démontrée; deuxièmement, imposer des représailles protectionnistes contre les pays qui montrent un surplus commercial avec les USA, qui imposent, de manière générale, des barrières au commerce ou qui appliquent certaines autres politiques à effet protectionniste; troisièmement, de soumettre à des négociations commerciales les pays qui n'offrent pas de réciprocité dans la protection de la propriété intellectuelle ou le commerce de télécommunications.

Il y a d'autres projets aussi qui sont devant la chambre et qui vous sont connus. La chambre souhaite donc que le gouvernement du Québec, comme le gouvernement du Canada, prenne toutes les mesures nécessaires pour contrer la menace du protectionnisme américain et pour assurer à nos producteurs un accès continu et sûr au marché américain.

Le Président (M. Charbonneau): On a un petit problème de...

M. Racine: De temps.

Le Président (M. Charbonneau): De temps.

M. Racine: Bon.

Le Président (M. Charbonneau): Sans doute, les ex parte, vos commentaires hors texte, vous ont amené à utiliser plus de temps que prévu. Il y a peut-être moyen, soit de synthétiser... On peut vous donner un peu plus de temps, mais, on ne peut pas vous donner tout le temps, parce qu'il reste encore un autre groupe avant l'heure du diner.

M. Racine: Est-ce que je peux demander à messieurs les membres de la commission de me poser des questions sur ce que je pense du caractère concurrentiel des entreprises québécoises et de me prononcer aussi sur les sophismes qui circulent quant au changement possible des taux de change, ce qu'on pense des relations de bénéfices marginaux entre les deux pays et finalement de ce que l'on pense de la force relative de nos syndicats québécois, par rapport aux syndicats américains.

Le Président (M. Charbonneau): Sur ces suggestions de questions, je suis convaincu que les membres de la commission vont se faire un plaisir d'en reprendre au moins quelques-unes, ajoutées à celles qu'ils voulaient déjà vous poser. 5i je comprends bien, cela mettrait fin à votre présentation?

M. Racine: J'aimerais, M. le Président,

lire deux paragraphes de conclusion, si vous me permettez.

Le Président (M. Charbonneau): Allez-y.

M. Racine: La Chambre de commerce du Québec, donc, attendra évidemment le texte final du traité de libre-échange avant de porter un jugement définitif. Mais les avantages de la libéralisation des échanges sont tellement massifs pour les entreprises et pour toute la population du Québec, que nous retirerions notre accord de principe seulement si le traité arborait trop d'exceptions et n'était pas assez efficace pour protéger l'accès à notre principal marché extérieur.

Enfin, la chambre encourage le gouvernement du Québec à continuer d'appuyer la réalisation du libre-échange canado-américain et exprime son appui aux gouvernements du Canada et du Québec dans la poursuite de l'objectifs de la conclusion rapide d'une entente. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Sur cette conclusion et sur les questions téléguidées. Je vais immédiatement céder la parole au ministre du Commerce extérieur»

M. MacDonald: Mme la présidente, messieurs, merci de cette présentation qu'on a malheureusement été obligé d'abréger, mais je pense que je puis vous assurer que du côté du gouvernement - et je dirais la même chose du côté de chez mon collègue, le député de Bertrand - on avait déjà pris connaissance de vos mémoires. Vous vous rappellerez également que aviez déposé un mémoire et répondu à plusieurs questions lorsque vous vous êtes présentés devant le comité Warren, en 1986. Nous connaissions donc votre position.

Je vais aller directement au but et désappointer peut-être un peu M. Racine. J'ai posé une question aux gens qui se sont catégoriquement déclarés contre une négociation sur la libéralisation des échanges avec les États-Unis. J'ai posé sensiblement la même question à des gens qui étaient pour, avec plus ou moins certaines réserves. Il est ressorti des témoignages qu'on a entendus ici que le statu quo pouvait nous être favorable, surtout de la façon dont vous l'avez décrit, mais qu'il ne saurait être de statu quo, compte tenu de la situation de nos voisins du Sud. Vis-à-vis ceci, des gens se sont dits catégoriquement contre non seulement une entente mais contre la négociation d'une entente. Vous dites que vous êtes pour et on pourrait qualifier.

Dans l'éventualité d'un statu quo, et c'est possible dans le sens qu'il n'y aurait pas d'entente convenue le 4 octobre 1987, vous-mêmes M. Racine et Mme Saucier qui êtes dans le feu de l'action - Mme Saucier, je crois que vous avez vécu les péripéties du bois d'oeuvre en particulier - d'une part, quel scénario voyez-vous sans entente? Et, s'il n'y avait pas d'entente, que nous suggérez-vous comme plan d'action?

M. Racine: Sans entente, la question d'un statu quo demeure tellement hypothétique que je crois que le scénario serait un élan progressif. Puisque certains secteurs américains ont démontré leur capacité d'obtenir des pouvoirs de barrer l'entrée des produits aux États-Unis, je pense que cela a donné le goût à d'autres de faire de même. Et puisque la démarche est entreprise et a démontré, du point de vue protectionniste, son succès, je pense que cette machine-là ne peut pas s'arrêter. Il y a présentement 400 projets de loi face au Congrès et cela monte de jour en jour, un projet de loi omnibus se prépare par le Parti démocrate et cela ne peut pas s'arrêter. Le statu quo, cela veut dire continuer à se détériorer, au fond, d'une certaine façon. Entendons-nous sur le mot "statu quo". Cela devrait demeurer exactement comme on l'a connu depuis deux ans, à l'exception des malheureux excès dans le bois d'oeuvre et d'autres qu'on a mentionnés. Pour ma part, je n'ose répondre à la question du statu quo puisque c'est une question hautement hypothétique. Cela répond, par le fait même, à votre deuxième question à savoir quel scénario voyez-vous s'il n'y a pas statu quo. Il y aurait une détérioration continue dans nos rapports avec tout ce que cela implique.

Mme la présidente, vous me permettrez d'ajouter que j'ai questionné plusieurs entrepreneurs sur la question, des gens qui sont très connus et qui investissent beaucoup beaucoup d'argent au Québec et ailleurs dans le monde. Il y a un attentisme de la part de l'entreprise privée présentement. On se dit que s'il y a libre-échange, nos investissements se feront au Québec puisque nous sommes convaincus qu'au Québec nous sommes concurrentiels par rapport aux Américains. S'il n'y a pas de libre-échange, pour ma part je ne perdrai pas mon marché que j'ai développé aux États-Unis, qui représente aujourd'hui 10 000 000 $ et qui représentera 20 000 000 $ l'an prochain. Je ne perdrai pas ce marché-là. Si les tarifs me rendent non concurrentiel, je ferai mes investissements aux États-Unis avec les implications que cela a.

M. MacDonald: C'est très intéressant.

Mme Saucier: Vous me permettez, M. le ministre?

Le Président (M. Charbonneau): Oui.

Mme Saucier: II y en a d'autres qui voudraient intervenir.

M. Toivanen (Mark): M. le Président, je voudrais ajouter quelques commentaires concernant la compagnie que je représente, Zinc Électrolytique du Canada Ltée, une filiale de Noranda. Notre compagnie a bénéficié de marchés relativement libres et, conséquemment, nous avons fait plus d'expansion au cours de l'histoire de notre usine, de quelque 25 années. (11 h 45)

Mais, dans le contexte actuel, avec le protectionnisme américain, ces décisions d'expansion auraient été très difficiles. Aujourd'hui même, nous sommes en face d'une autre décision de modernisation majeure. Nous considérons aujourd'hui que notre compagnie est une des plus compétitives dans le monde. Nous voyons un besoin de modernisation continuelle de notre usine. Mais aujourd'hui, nous avons cette incertitude d'axer un marché américain. Deuxièmement, naturellement le projet de modernisation possède les économies relativement faibles que le résultat des technologies qui sont de plus en plus matures et qui ont une tendance à la diminution dans le prix de toutes les commodités d'un marché international, y compris le métal de zinc.

Si nous n'avions pas eu cet accès au marché américain, les conséquences, je crois, seraient que le Canada aujourd'hui, ne serait peut-être pas le deuxième plus grand dans le monde, peut-être pas le plus compétitif dans lé* monde. Et quelle serait la conséquence sur notre industrie minière au Québec? C'est une question qui est très difficile d'estimer mais nous avons certainement ici au Québec une industrie qui a eu un accès relativement libre vers les États-Unis.

Le Président (M. Charbonneau): Un autre commentaire additionnel?

M. Létourneau (Jean-Paul): Si vous me permettez, M. le Président, un complément de réponse à la situation hypothétique s'il n'y avait pas d'entente. Lors de mon récent voyage aux États-Unis, à Washington et à travers le pays, j'ai constaté premièrement que le sentiment protectionniste très fort qui existe aux États-Unis est surtout suscité par l'attitude des Japonais, des Européens et de certains pays asiatiques. Les Américains ont l'impression de ne pas avoir là ce qu'on appelle le "fair-trade". Quand on examine attentivement la législation que le Sénat et que le Congrès sont en train de fusionner, le "Trade Act", on se rend compte que c'est beaucoup une législation qui cherche à donner la leçon à ceux qui ne savent pas ou qui ne veulent pas faire ce que les Américains appellent le "fair-trade". Ils sont frustrés de ce côté.

D'après les observations entendues, il semble qu'ils n'ont pas ce sentiment à l'égard du Canada. Donc, une des actions à prendre dans cette éventualité serait peut-être de bénéficier le plus rapidement possible de ce préjugé favorable qui existe envers le Canada et de faire notre lobby immédiatement de telle sorte que lorsque les Américains prendront des mesures protectionnistes à l'égard de ce qu'on présume être des actions menées ou des façons de faire menées par les Japonais ou les Européens, qu'on fasse bien attention pour que nous ne soyons pas pris dans ce chassé-croisé, c'est-à-dire que nos produits, nos échanges soient le moins possible affectés. Nous aurons certainement un gros travail de lobbying à faire à ce moment.

Le Président (M. Charbonneau): Cela va? Alors, M. le député de Bertrand, s'il vous plaît!

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Mme Saucier, de même que MM. les représentants de la Chambre de commerce du Québec, je vous remercie d'être là ce matin et d'apporter un point de vue qui, en soi, n'est pas différent de ce que le milieu des affaires en général a pu apporter jusqu'à maintenant. Mais il est différent de par l'approche que vous y prenez, à savoir: Est-ce qu'on peut se payer le statu quo ou est-ce que le statu quo est payé? Sur la question des emplois, est-ce qu'il faut se poser la question, à savoir combien d'emplois on va perdre? Alors, vous posez la question différemment et je pense que vous avez des réponses qui sont intéressantes.

Je trouve que le travail qu'a fait la Chambre de commerce... Pour avoir suivi de très près vos activités ces deux dernières années particulièrement en ce qui a trait au libre-échange, je sais que la Chambre de commerce du Québec a été l'organisation certainement la plus représentative non seulement ici au Québec, mais je pense que vous avez fait vos représentations aussi à Ottawa. Je vous en félicite, je pense que vous avez fait un excellent travail de ce côté.

Le voyage effectué par M. Létourneau et quelques autres collègues au cours de l'été, je pense en juillet ou en août, si on avait plus de temps, j'aimerais cela en entendre parler beaucoup plus longuement; c'est sûrement très intéressant d'être allé sur le terrain pour être capable de nous rapporter un peu ce qui se passe là-bas. Toutefois, ce matin, on est limité par le temps. Je peux vous dire, pour ma part, que je suis d'accord avec l'essentiel de votre mémoire. Ce que j'aimerais quand même comprendre, c'est certains petits passages de votre mémoire que je comprends moins bien et peut-être que les éclaircissements que vous allez m'apporter me permettront de comprendre.

D'abord, je vaudrais souligner le succès formidable qu'a connu, par exemple, la compagnie Shermag et M. Racine dans un domaine qu'on appelait des secteurs mous ou des secteurs en déclin. Je l'ai dit à cette commission et sur toutes les tribunes à tous ceux qui voulaient l'entendre que vous êtes l'exemple vivant, M. Racine que même dans un secteur en particulier où on a dit qu'il n'y avait plus rien à faire - les entreprises fermaient en 1981 et 1982... Vous, vous avez connu une poussée fulgurante»

Si on analyse le cas typique d'une PME d'il y a quelques années, qui est devenue maintenant... Ce n'est plus une PME, mais une moyenne certainement et sur le point d'être une grande entreprise, et essentiellement vous avez fait deux choses. Je pense que vous avez poussé à fond l'aspect recherche et développement pour vous diversifier avec de nouveaux créneaux de marché et aussi vous avez poussé l'exportation, comme vous le disiez, avec 10 000 000 $ cette année et probablement 20 000 000 $ l'année prochaine, du côté américan. Cela, il fallait le faire et c'était osé.

Sauf que lorsque je regarde le contexte québécois de 1987, je regarde ce que vous représentez, madame et messieurs de la Chambre de commerce du Québec, vous représentez finalement pas mal toutes les grosseurs d'entreprises et tous les secteurs d'activité. Je me dis: le Québec, c'est essentiellement encore une structure de PME; malheureusement, on n'a pas tous des Shermag, comme on n'a pas tous aussi des entreprises de produits forestiers Saucier et les autres entreprises que vous représentez, mais il y a toutes celles qui sont encore à leurs premières démarches sur des marchés extérieurs dans le but de faire des percées. Dans ce sens, il me semble important que vous puissiez nous dire de quelle façon vous voyez l'aide gouvernementale pour soutenir cette structure, ces PME pour qu'elles soient capables d'aller faire face au libre-échange alors que, à la page 13 de votre mémoire, vous recommandez, à toutes fins utiles, d'éliminer, de supprimer la question des subventions aux entreprises.

Je termine en vous disant qu'il serait important de clarifier cette dimension ou cette explication de subvention aux entreprises. Est-ce que le coffre d'outils qui doit accompagner les entreprises pour faire face au libre-échange dans les prochaines années ne doit pas comporter certaines aides, peut-être très différentes par rapport à ce qu'on a connu dans le passé, mais certaines aides, particulièrement sur deux volets, celui de la recherche et du développement et celui de l'aide à l'exportation et de s'assurer que les entreprises québécoises en générai puissent avoir accès à ce coffre d'outils qui est nécessaire, qui est une forme d'intervention du gouvernement, mais qui est une forme, à mon avis, vraiment importante si on veut réussir ce qu'on appelle le libre-échange qui est en train de s'implanter chez nous, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas.

Mme Saucier: Je pense, M. le Président, qu'on a quand même des réponses qui font partie du discours habituel de la chambre de commerce.. Je vais en faire un bout et M. Racine va poursuivre.

Ce que nous avons mentionné jusqu'à présent comme chambre de commerce, c'est que nous préférons de beaucoup l'incitatif fiscal aux subventions. Je pense que nous maintenons ce point de vue parce qu'un incitatif fiscal, c'est aider les entreprises performantes à être plus performantes. C'est ce que nous voulons. Je pense que c'est comme cela qu'on construit un Québec économiquement fort.

Deuxièmement, je pense qu'il faut quand même faire confiance à l'entrepreneurship québécois et faire confiance aux employés de ces entrepreneurs. Il faut réaliser qu'à l'heure actuelle, au Québec, nous avons une force par le regroupement employeur-employés qu'on n'a jamais eue et qu'il n'y a pas ailleurs au Canada et aux États-Unis. Les gens comprennent que nous avons un objectif commun, c'est d'être concurrentiel sur le marché international. Je pense que cela se comprend, à l'heure actuelle, à tous les niveaux de la population. Peut-être que je suis optimiste de nature mais il faut essentiellement faire confiance à cette nouvelle forme de participation employeur-employés pour atteindre un objectif: l'internationalisation de nos marchés.

Est-ce qu'il y a de l'aide à l'exportation directe? Écoutez, personnellement je pense qu'on est capable de faire un grand bout de chemin. Ce qui est important c'est que le cadre législatif du Québec nous permette d'être concurrentiels et ne nous encadre pas de façon trop stricte.

M. Racine: M. Parent, je trouve votre question très intéressante. Je crois que, actuellement ce qu'on peut appeler la révolution des émergences ou des émergents - il y a toutes sortes de vocabulaires qui remplacent les anciens mots "capitalisme", "socialisme" etc., présentement et d'autres "ismes" semblables - la révolution du Québec actuellement sur le plan économique se fait par la voie de l'entrepreneurship. C'est d'abord et avant tout une question d'entrepreneurs. Il y a deux à trois cents bons entrepreneurs au Québec. Cela fait boule de neige. Il y a des périodes d'or comme cela. On dit que le succès vient en grappes mais peut-être pas à mon âge, mais quand j'ai fait mes humanités on parlait de

la période d'or de Périclès où on a vu toutes les choses venir en même temps et générer le succès par le succès.

On a aussi la Renaissance. Je crois que c'est une forme de renaissance qui se produit au Québec présentement et que ce que les entrepreneurs ont compris, c'est qu'il y avait trois pôles importants de succès dans l'entreprise. Ce qui nous rend condamnés à réussir probablement sur la scène internationale c'est la réalisation de ces trois choses. Premièrement, on a accès à la technologie. Les Américains n'ont pas plus accès à la technologie que nous. Nos machines sont aussi bonnes que les leurs et disons que, sur une base limitée, nous avons autant accès au capital pour acheter cette technologie. Encore faut-il le faire! C'est l'entrepreneur qui le fait.

Le deuxième pôle c'est le développement des ressources humaines. L'explication de Mme Saucier est complète à ce sujet. Encore là, c'est l'entrepreneur qui décide de prendre des risques sur ses planchers d'usine et de confier en quelque sorte plus de responsabilités à ses travailleurs "et de les impliquer davantage à cette sentence de succès dont j'ai parlé.

Finalement, il nous manque une chose: Si c'est vrai que notre technologie est la même que celle des Américains, si c'est vrai que nos ressources humaines, à mon avis, sont meilleures qu'aux États-Unis, il nous manque les dimensions, le marché et tout ce qui vient avec la dimension. Il nous manque les économies de dimension lorsqu'on produit avec des plus grosses machines possible et il nous manque les dimensions lorsqu'on achète la marchandise pour avoir les meilleurs prix possible et il nous manque les dimensions lorsqu'on embauche du monde pour avoir les meilleurs possible. Alors, il est en train de se produire, à cause de ces nécessités, un changement secondaire mais très important au Québec où on restructure nos secteurs industriels.

Que ce soit par un effet secondaire du REA ou autrement, nous avons maintenant de l'argent. Avec l'argent nous pouvons investir et l'investissement dans de la machinerie plus sophistiquée permet ce qu'on appelle en termes d'économiste un profit additionnel, un profit qui dépasse la simple rémunération des administrateurs, un profit qui peut être totalement réinvesti dans l'entreprise. Nous avons accès à cela. C'est l'entrepreneur qui le fait. Ces 200 ou 300 entrepreneurs doivent devenir avec le temps 2000 et 3000. Je vous assure que de ce côté on est en avant de tout le monde. (12 heures)

Quant à la question précise, ma recommandation c'est bien sûr une recommandation que vous considérerez un peu de droite comme à l'exemple de Mme Saucier, c'est de ne pas faire grand-chose sur le plan gouvernemental si ce n'est de mettre en place un institut de recherche sur l'entrepreneurship. Oonnez-nous cela. Il y a toutes sortes d'instituts de recherche sur la technologie etc. La technologie, les ressources humaines, les économies de dimension et ces choses-là vont venir lorsqu'on aura compris ce qu'est un entrepreneur et qu'on pourra en former des milliers au Québec.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de l'Industrie et du Commerce.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Oui, merci, M. le Président. Madame, messieurs, tout à l'heure vous avez insisté beaucoup pour dire que, quel que soit le cadre qui peut exister en matière d'échanges internationaux avec les États-Unis, il demeure central à la performance de l'économie du Québec que les entreprises elles-mêmes soient concurrentielles. M. Racine a suggéré subtilement les questions qu'on pourrait lui poser afin qu'il termine la démonstration sur laquelle il s'était engagé. Je vais tenter, d'une part, de répondre à vos attentes mais surtout essayer de voir pourquoi on ne devrait pas continuer à avoir ce que mon collègue de Bertrand appelle souvent un coffre à outils, une capacité d'intervention ad hoc pour appuyer les secteurs les plus performants et où on identifie les chances de croissance meilleures que dans d'autres secteurs. Mme Saucier en a déjà fait état, on le voit dans le mémoire, par des citations dans certaines de ses interventions sur ce fait central, que nos entreprises soient concurrentielles.

Par ailleurs, tout à l'heure vous avez évoqué, madame, que les subventions devraient disparaître graduellement pour être remplacées par le crédit d'impôt. Je vous ferais observer qu'il n'est pas évident qu'on aide, par crédit d'impôt, au moment où elles en ont besoin, les entreprises qui peuvent être performantes, le crédit d'impôt n'étant disponible et monnayable qu'au moment où on peut l'appliquer contre des profits qui, par ailleurs, seraient là ou alors s'il est remboursable, par opposition aux déductions pour fins d'impôt, on peut attendre 18, 24 mois ou plus longtemps avant de toucher ces sommes qui réduisent le coût d'investissement du programme. Ne reste-t-il pas dans votre esprit des interventions financières, monnayables, de l'argent que les gouvernements peuvent injecter dans des secteurs particuliers, que ce soit dans des secteurs, selon vous, ou que ce soit dans des activités de quelque secteur que ce soit. Je pense tout de suite évidemment à la recherche et au développement.

M. Racine: La question des subventions, c'est simplement pour nous conserver un

degré de concurrentialité avec notre contrepartie. Si les Américains continuent à subventionner leurs entreprises de façon très subtile, il faut que vous les neutralisiez et là, on est bien obligé d'embarquer et de dire qu'il y alà un élément de concurrence déloyale.

Selon mon expérience personnelle, je peux dire que j'ai actuellement une offre d'investir aux États-Unis avec une subvention d'environ 40 % qui viendrait du gouvernement du Massachusetts. Tant que la existera là-bas, il va falloir que vous nous mettiez sur un "even keel" comme on dit en anglais, sur un pied d'égalité.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): II faudrait que je vous offre 41 %.

M. Racine: On pourrait négocier. Peut-être qu'ils offriraient 42 % à ce moment-là. Donc, il faut neutraliser les gestes qui se posent de l'autre côté.

D'autre part, en ce qui concerne la recherche et le développement, je rêve au moment où les universités pourront pourvoir à nos efforts personnels par un bon appui et auront naturellement, elles, les instruments pour faire une recherche et un développement appliqués et applicables. Je crois que c'est plus, si vous parlez de petite et de moyenne entreprises, cela devient un peu farfelu de penser qu'une usine qui fait 1 800 000 $ de chiffre d'affaires par année aura son département de recherche et développement. Alors, "poolons" cela, comme on l'a fait dans les secteurs de la santé par exemple, et essayons d'aller chercher des économies de dimension là aussi, soit par des instituts spécialisés ou des universités etc. Je crois qu'on aurait tous plus avantage à faire cela et une meilleure appropriation de nos deniers.

Mme Saucier: Si vous permettez, M. le Président, je pense que, dans ces cas-là, il faut faire de la recherche, il faut qu'on ait des organismes de recherche, mais il faut aussi s'assurer qu'il y ait des mécanismes de transfert de cette recherche à la PME et ceci, dans toutes les régions de la province.

Le Président (M. Charbonneau): Cela va, madame? Alors, M. le député de Roberval.

M. Gauthier: Merci, M. le Président. Il y a une question qui nous préoccupe particulièrement depuis le début de cette commission, et presque tous les intervenants ont fini par en parler. C'est la question de l'échéancier d'implantation. J'ai cru remarquer que, selon le fait qu'on soit plus ou moins pour un traité de libre-échange, on justifiait ou, à tout le moins, on adoucissait la position en parlant, en définitive, d'échéancier. L'échéancier peut être modifié en fonction d'un certain nombre de critères, dont l'état de préparation des entreprises. Quand on pense à une entreprise comme Shermag, probablement que le président a envie de dire: Oui, tout de suite demain matin,- j'en fais déjà, laissez-moi fonctionner. Mais il peut y avoir des entreprises où le degré de préparation à envahir le marché américain n'est pas le même. Je pense qu'on en conviendra.

Il y a également les secteurs qui influencent. Il y a des secteurs de notre activité économique, qui pour une raison ou pour une autre, au moment où l'on se parle, demandent une période d'adaptation plus longue. J'aimerais savoir - c'est ma question à la chambre de commerce - compte tenu du fait que vous avez une étude fort intéressante et assez poussée sur le sujet qui démontre bien. que vos 60 000 membres ont été consultés, j'aimerais savoir si vous possédez des données ou si vous avez poussé l'étude quant au fait de l'échéancier par rapport au secteur ou par rapport à un certain nombre de critères qu'il faudrait respecter dans la mise sur pied d'un accord de libre-échange. Est-ce que vous possédez quelque chose dans ce sens?

Mme Saucier: Je pense que l'information qu'on a de nos différents membres, c'est que l'échéancier devrait comprendre une période d'à peu près dix ans, globalement, mais on n'a pas d'étude de faite par secteur, on ne pourrait pas vous fournir l'information, à ce moment-là.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Vanier.

M. Lemieux: Excusez-moi, mon cher ministre de l'Industrie et du Commerce.

Mme la présidente, i! y a un aspect plus particulier de votre mémoire qui attire mon attention, à la page 15, lorsque vous dites: "Le marché d'État, marché où les gouvernements et organismes publics acheteurs imposent des critères de préférence nationale ou régionale devront être limités. II est dans notre intérêt de trouver des moyens de supprimer graduellement les contraintes de cette politique." J'ai dans mon comté, dans le comté de Vanier, beaucoup d'entreprises et beaucoup de PME qui font preuve d'un certain dynamisme et qui ont peut-être des problèmes au niveau des investissements sur le plan de la recherche, du développement, et peut-être aussi certains problèmes de sous-capitalisation.

Ce que je comprends de ce qui est écrit à la page 15, c'est que vous nous dites que les politiques préférentielles dans les achats gouvernementaux devraient être supprimées graduellement. Première question:

Est-ce à dire que vous souhaitez la disparition de la politique d'achat chez nous du gouvernement québécois et quel est le rôle que vous aimeriez voir attribuer à la SDI ou à la Caisse de dépôt comme outil de développement? Troisième question: Doit-on maintenir le Régime d'épargne-actions?

Je terminerai en soulignant, puisque mon confrère citait le dynamisme dans l'entreprise de M. Michaud, tout le dynamisme, toute l'ouverture d'esprit du groupe Saucier, sous la présidence de Mme. Saucier. C'est un obiter dictum, Mme la présidente.

Mme Saucier: Je vous remercie beaucoup. Quant à votre première remarque, je pense qu'on ne peut pas non plus demander, que ce soit aux autres provinces, que ce soit aux États américains, d'ouvrir leur marché à nos entreprises sans leur offrir la contrepartie. Nous disons que, relativement, on a un intérêt à se voir ouvrir les portes du marché des États américains, des autres provinces, je pense que c'est dans l'intérêt de toutes nos entreprises. II faut quand même être équitable dans nos propositions; il faudra leur offrir la contre-partie. Je pense qu'on a réellement à y gagner. Voulez-vous ajouter quelque chose, M. Létourneau, là-dessus?

M. Létourneau: D'accord, madame. La chambre a toujours défendu la position que la première politique d'achat chez nous la plus efficace qui devrait être appliquée, c'est celle d'acheter québécois à qualité, prix et service égaux, mais d'avoir ce réflexe automatique chaque fois qu'on achète. Malheureusement, il arrive encore que ce réflexe ne soit pas automatique. À ce moment-là, on ne contrevient à aucune règle du jeu de commerce international. C'est la première chose qu'on devrait se convaincre de faire tous ensemble. Je pense qu'on pourrait avancer encore plus dans le développement de nos entreprises avec ce réflexe automatique.

M. Racine: Je pourrais peut-être vous faire part de mes réflexions rapides sur le REA. À la question: Est-ce que cela doit être maintenu? C'est évident que cela doit être maintenu. On aurait peut-être envie de dire: Une fois qu'on y a déjà passé, ne le donnez pas aux autres. Mais c'est évident que cela a produit tellement de bien pour ceux qui sont passés au REA et qui ont peut-être envie d'y revenir, cela a coûté cher au gouvernement, c'est la contrepartie, il y a un "trade-off" entre ce que cela coûte et ce que cela rapporte, mais j'ai l'impression qu'on atteint à peu près le pool de compagnies qui, de toute façon sont allées ou iront au REA. J'ai l'impression qu'avec à peu près 300 compagnies qui sont déjà passées, il en reste encore de très bonnes, mais il n'en reste pas autant, il n'y aura pas autant d'afflux vers les REA qu'il y en a eu dans le passé et il faut maintenir cette culture non seulement de la part de l'investisseur à l'épargne et à l'encouragement à la croissance de son économie, mais il faut aussi maintenir le phénomène d'éducation que produit le REA aussi de la part de ceux qui deviennent REA, donc, les compagnies "réates", si on peut les appeler ainsi. Je crois que vous devez le maintenir en pensant que cela ne sera jamais l'afflux de 1986.

Le Président (Me Charbonneau): Ça va.

M. le député de Vanier.

M. Lemieux: ...concernant la SDI et la Caisse de dépôt comme outils de développement.

Mme Saucier: Remarquez que c'est une opinion tout à fait personnelle à ce stade-ci parce que je ne pense pas que la chambre se soit prononcée ni dans un cas ni dans l'autre, mais il me semble au premier abord que la SDI a plus un rôle de développement que la Caisse de dépôt. Celle-ci doit, premièrement, s'assurer de bien gérer, entre autres nos fonds de retraite et s'assurer d'avoir un bon retour sur l'investissement; je pense que c'est notre placement collectif à long terme. Il me semble, en tout cas à première vue, que la SDI a plus un mandat de développement. Est-ce que vous avez d'autres remarques à faire?

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Roberval.

M. Gauthier: Oui, une question assez bizarrement sur l'agriculture. Je remarque qu'à la page 14 de votre mémoire, vous prenez une position assez révolutionnaire au sujet de l'agriculture, c'est le moins qu'on puisse dire. Je me demande dans quelle mesure... Puisque les intervenants du monde agricole sont venus nous faire part de toutes leurs hésitations pour ne pas dire leur opposition systématique à être inclus dans un traité de libre-échange, je voudrais savoir à partir de quoi la Chambre de commerce du Québec peut proposer pour l'agriculture quelque chose d'aussi révolutionnaire que de s'associer à la proposition du président Reagan de supprimer multilatéralement toutes les subventions à l'agriculture d'ici l'an 2000. J'avoue que c'est peut-être un peu séduisant comme idée à long terme, mais est-ce que la chambre a l'expertise suffisante dans ce domaine ou a suffisamment étudié la question pour y aller aussi franchement et de façon aussi draconienne?

M. Létourneau: Si vous me permettez, M. le Président. La question des subventions aux produits agricoles, au niveau mondial, est devenue vraiment un cul-de-sac. Cela n'a plus de sens. Afin de pouvoir vendre leur blé sur le marché international, les Américains ont dû, l'an dernier, injecter, au-delà de 1 000 000 000 $ en subventions à la vente du blé américain. Au niveau européen, cela n'a plus de sens non plus. On en est rendu à un point où on dit que 70 % du budget de la communauté européenne va è des subventions aux produits agricoles, pour leur vente sur le marché international. (12 h 15)

On dit - petit exemple bien spécifique qui a été rapporté dans la revue The Economist - qu'un producteur de soya européen va recevoir, en vertu des subventions disponibles, à peu près 450 $ la tonne pour la production de soya, alors que le prix international du soya est de 150 $ la tonne. On encorage, par le biais des subventions, des productions qui, évidemment, vont grandir, parce qu'on les subventionne souvent en fonction du coût du producteur marginal et non pas du producteur le plus efficace. Il y a une surenchère dans tout le monde qui continue. À ce moment-là, évidemment, il faut bien comprendre que le Canada est très mal placé quand il arrive pour mettre son blé en vente sur le marché. Il va l'être de plus en plus, si cela continue.

Il n'y a qu'une façon de revenir à quelque chose de raisonnable, c'est de viser la diminution et éventuellement l'élimination de ces subventions. Évidemment, c'est un projet qui n'est pas à court terme. Il ne serait pas réaliste de penser que cela peut se passer du jour au lendemain. Mais, il va certainement falloir que cela diminue, que cela cesse, cela ne peut pas continuer d'augmenter comme cela. C'est trop lourd, cela n'a plus de sens. Cela devient quasiment une folie furieuse. Le président Reagan a, disons, proposé cet objectif multilatéral.

Évidemment, il n'est pas question pour quiconque d'être le dindon de la farce, de dire soudainement: Moi, je n'en fais plus aucun. À ce moment-là, il va mettre son secteur agricole en péril, cela va de soi. Mais, il faut négocier, sur une base multilatérale, la diminution des subventions à l'agriculture pour revenir à des prix de marché, pour revenir à des productions qui répondent aux besoins du marché et non pas accumuler des surplus qui coûtent les yeux de la tête aux consommateurs, aux contribuables.

Le Président (M. Charbanneau): II ne reste plus de temps, M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: M. le Président, avec votre permission. Ma question s'adresserait à

M. Racine.

Le Président (M. Charbonneau): Une brève question et si possible une brève réponse, parce qu'on a un autre groupe.

M. Lefebvre: Oui, M. le Président. M. Racine, vous avez résumé de façon assez précise les points forts qui nous permettraient, et qui nous permettent, selon vou3 et les femmes et hommes d'affaires du Québec, de considérer que nous sommes et que nous serions concurrentiels avec les Américains dans le cadre d'une libéralisation des échanges. J'imagine cependant, et vous en parlez aux pages 13 et suivantes de votre mémoire, que vous avez identifié nos points faibles. J'aimerais, M. Racine, que vous résumiez très rapidement les points faibles sur lesquels ii faudrait s'attarder et travailler Je pense au gouvernement du Québec plus particulièrement et aux entreprises. J'aimerais que vous nous résumiez de quelle façon vous voyez ces points faibles et quelles solutions on pourrait y apporter,

M. Racine: Du point de vue de l'entreprise, j'aimerais que Mme Saucier réponde à la question à savoir quels seraient les points faibles du point de vue politique ou de politique de développement économique.

Du point de vue de l'entreprise, la difficulté principale à surmonter présentement est la rapidité avec laquelle on restructurera nos secteurs économiques. Je m'explique en prenant un exemple qui est celui que je connais mais qui n'est pas différent dans les autres secteurs. II y a actuellement 975 manufacturiers de meubles au Canada qui produisent 1 400 000 000 $ de produits en gros. Si vous faites le compte, cela représente à peu près 1 600 000 $ par entreprise qui fabrique des meubles au Canada. On ne peut pas faire une industrie forte avec des secteurs industriels aussi morcelés. Il faut donc que des consolidations et de la rationalisation soient faites.

J'ai tout un dictionnaire de mots pour vous expliquer ce qu'il faut faire et cela se résume à une chose, il faut devenir plus gros, il faut atteindre rapidement la masse critique, dans chacune de nos entreprises, pour être capable d'être au moins aussi gros que le producteur moyen américain. La preuve est faite qu'on peut le faire. Le succès de notre libre-échange ne se fera pas sur le plan macro-économique. C'est une guerre de tranchées, une guerre d'une entreprise ou d'une industrie d'abord qui est en concurrence avec une autre industrie de l'autre côté de la frontière, une guerre d'une entreprise qui est en concurrence avec une autre entreprise de l'autre côté qui est sur

la même niche. C'est donc une guerre de tranchées qui se fait au niveau des entreprises.

Il faut que nos entreprises se reconsolident, il faut des fusions rapides. Je pense que la' grande difficulté, si on parlait d'échéancier de dix ans, comme on l'a dit tantôt, si c'est dix ans, tant mieux, cela nous aidera à passer à travers cette difficulté de la dimension restreinte de nos entreprises et de devenir gros. Il faut donc voir comme extrêmement encourageant que les REA consolident partout actuellement et achètent d'autres entreprises. Cela protège tout le monde et, je dois le dire, même ceux qui vendent à ceux qui existent déjà ou ceux qui ont envie de grossir ne sont pas malheureux de cette situation, au contraire. Je pense donc que cette difficulté sur le plan micro-économique de consolider tous nos secteurs industriels n'est pas surmontée à ce moment-ci. Peut-être qu'il y aurait là des discussions possibles sur le plan des encouragements gouvernementaux, non pas sous forme de subvention mais d'incitation ou même simplement d'éducation pour que les secteurs industriels grossissent.

Mme Saucier: Je pense que dans le cas d'une libéralisation des échanges avec les États-Unis et dans le cas de l'internationalisation de nos marchés, on l'a répété et on le répète, ce qui est important pour nous c'est que nos entreprises soient concurrentielles. Alors, je pense que tous les efforts de déréglementation, d'allégement de tout l'appareil législatif que le gouvernement peut faire pour aider nos entreprises à rester et à devenir de plus en plus concurrentielles seront les bienvenus. Tous les efforts que le gouvernement peut faire pour diminuer le fardeau fiscal des entreprises par l'intermédiaire de coupures de dépenses gouvernementales, cela aussi sera bienvenu. Je vous remercie.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Face à l'intervention que vous venez de faire, M. Racine et aux réponses qui m'ont été fournies précédemment concernant l'aide, l'intervention du gouvernement, ce que j'aimerais vous dire d'une part, c'est qu'il y aurait lieu de se poser des questions parce que je trouvais l'analyse que vous en avez faite tantôt pas mal extraordinaire, à savoir que si on a aujourd'hui un entrepreneurship québécois qui se porte bien, c'est peut-être parce qu'on arrive dans une bonne période.

La question que je me pose, que je vous pose et que je pense qu'en tant que société on doit se poser c'est qu'est-ce qui a fait qu'on en est là aujourd'hui? Une partie de la réponse, je pense qu'elle est le genre de support, le genre d'intervention qu'ont connu les entreprises et les chefs d'entreprise québécois au cours de ces dernières années. Je dis bien une partie.

Si le gouvernement du Québec n'avait pas, et c'est au-dessus de la politique, mais si le gouvernement des dernières années, si les gouvernements des dernières années n'avaient pas mis certaines politiques de l'avant, certains supports, par exemple, l'accessibilité au régime d'épargne-actions, l'accessibilité à la bourse, on ne connaîtrait pas aujourd'hui ce qu'on connaît. Il y avait une barrière. Vous avez dit tantôt qu'il y a une éducation à faire. Je suis totalement d'accord avec vous. C'est le rôle du gouvernement d'être capable d'inciter les entreprises. Le rôle que le gouvernement du Québec se doit d'avoir à mon avis, se doit de continuer d'avoir, c'est d'être incitatif. Si aujourd'hui on a des PME, des dirigeants de PME qui ont pensé avoir accès au capital et aller à la Bourse, c'est parce qu'un jour on les a aidés, on les a aidés avec différents moyens.

Je conviens d'une part que les moyens peuvent changer parce qu'on est rendu dans une autre étape. Je suis d'accord avec vous, sauf que le gouvernement, à mon avis, l'État québécois se doit de continuer à jouer un rôle important et, entre guillemets, interventionniste.

Si, pour la recherche et le développement, le gouvernement, par des politiques, comme vous l'avez mentionné, d'ordre fiscal, oui, mais aussi par d'autres politiques vraiment incitatives pour faire en sorte qu'on aille augmenter l'argent de tout le monde finalement pour pousser la recherche et le développement... On n'y arrivera pas si on demande, comme vous le disiez tantôt, à la petite entreprise, qui fait 1 800 000 $ de chiffre d'affaires, d'aller investir 300 000 $, 400 000 $ ou 500 000 $ dans la recherche et le développement. Sauf que ceux qui ont réussi, normalement, c'est par là qu'ils ont passé. On ne réussira pas, à mon point de vue, si on ne fait pas jouer un rôle actif à la Société de développement industriel, comme dans les années 1981 à 1985 plus particulièrement, si on ne réussît pas à faire jouer un rôle actif à la Caisse de dépôt et placement du Québec et à la Société générale de financement... On ne serait pas ce qu'on est aujourd'hui en tant que Québécois dans les différentes sociétés, dans le domaine des pâtes et papiers que madame connaît très bien, on ne serait pas aussi bien positionné si on n'avait pas eu ce support.

Ce que je veux vous laisser comme message, je pense qu'il y a eu assurément des apports qui ont été faits, qui ont fait qu'on est ce qu'on est aujourd'hui, plus le fait que les Québécois commencent à développer un sentiment de fierté. Ils n'ont

plus peur, comme ils avaient peur il y a à peine cinq ans, et je pense que cela est extraordinaire. Là-dessus, je vous demanderais vos commentaires puisque la parole ne me reviendra pas, je n'ai plus de temps.

À la page 15 - c'est un autre volet, mais il est impartant pour la réussite du libre-échange - de votre mémoire, vous mentionnez que pour être capable de réussir très bien et très rapidement le libre-échange, il va falloir abolir les barrières interprovinciales et, si possible, que cela soit fait avant qu'entre en vigueur comme tel le libre-échange, c'est-à-dire avant les périodes de transition. Là-dessus, j'aimerais vous entendre parce que c'est drôlement important. Toutes ces barrières tarifaires interprovinciales, Dieu sait si on en a plusieurs à abattre et je me demande même si le gouvernement a commencé à négocier de ce côté. Merci.

Mme Saucier: Je pense, M. Parent, que nous reconnaissons volontiers le rôle de l'accès au capital qu'ont eu nos entrepreneurs au Québec, de façon à acquérir de nouvelles technologies. Je pense qu'on reconnaît cela et c'est un fait. Mais il y a un élément qui, je pense, est oublié dans tout ce discours. C'est que le Régime d'épargne-actions du Québec a joué un autre rôle aussi, celui d'éducation économique de notre population. Je pense que cela a fait qu'aujourd'hui notre population, de façon générale, est beaucoup mieux informée du fait économique. Quand nous discutons avec nos employés, on peut, aujourd'hui, parler le même langage. Ils comprennent nos objectifs et ils les partagent. Je pense qu'il y a le capital argent qui est un fait, mais il y a aussi le capital humain qui est une ressource qu'on commence à utiliser, mais dans un sens très noble au Québec. Je pense que cela est une ressource fondamentale sur laquelle on doit se baser pour continuer à prendre de l'expansion.

Cette ressource humaine comprend nos entrepreneurs. Sans eux, je pense, c'est bien beau avoir accès au capital, c'est bien beau avoir des gens bien formés mais il faut aussi qu'il y ait quelque part un entrepreneur, un leader qui ait une étincelle et qui soit capable de mettre tout cela ensemble pour réussir un projet. Je m'excuse, je crois qu'effectivement les différents organismes gouvernementaux peuvent, à plus ou moins court terme, jouer un rôle dans le développement du Québec. Ce qui fait la force du développement du Québec aujourd'hui ce sont nos entrepreneurs dans toutes les régions.

M. Racine: M. Parent, savez-vous que, dans la plupart des secteurs industriels au Canada, il y a eu plus de retraits en dividendes qu'il y a eu de subventions accordées aux mêmes entreprises. Autrement dit, la masse de subventions du MEER c'est comme si elle était passée à travers un panier percé, puisque les entrepreneurs se sont voté autant de dividendes qu'il y a eu de subventions versées. Cela met en doute l'efficacité du régime de subventions.

II y a une chose différente qui s'est produite au Québec. Les gens ont compris l'importance de réinvestir leurs dividendes. Je pense que le REA - on pourra en discuter longtemps - je suis sûr que le REA est la forme d'éducation dont on avait besoin pour garder l'argent dans notre entreprise. D'autant plus qu'on a une alternative, si on veut de l'argent; c'est de vendre nos papiers à d'autres. Alors, on laisse l'argent de nos entreprises fonctionner. J'appartiens à un secteur où, l'an passé, il y a moins de 2 % du chiffre de vente de réinvestis dans la technologie. Chez nous, on a réinvesti 21 % de notre chiffre de vente l'an passé. L'éducation qu'on a prise - cela revient souvent à cela - est très importante. (12 h 30)

Je dois vous souligner aussi que les secteurs les moins subventionnés au Canada sont ceux qui exportent davantage présentement. Notre tableau no 1 vous permettra de juger de la véracité de cette assertion. Enfin, je dois vous dire qu'il y a eu d'autres facteurs. Tout ce que vous avez souligné, c'est vrai. On a toujours un élément de vérité lorsqu'on fait une bonne analyse comme celle que vous faites et votre élément de vérité est important.

II y a une chose qui n'a pas été mentionnée ici. Je vais prendre un chapeau qui est complètement différent de celui du vice-président de la Chambre de commerce parce que je ne suis pas sûr que, comme groupe, je serai supporté là-dessus. On a aussi une énorme évolution du côté syndical au Québec. Les syndicats maintenant font partie du développement économique de notre système. Je rends souvent hommage à la plupart des centrales syndicales de prendre une approche aussi - comment je dirais? -compréhensive, aussi économique et aussi pragmatique, face aux difficultés auxquelles on fait face.

Lorsqu'on parle de gestion participative, c'est un nouveau vocabulaire pour dire, on n'est plus seuls à mener les entreprises, on les mène avec nos employés et nos employés sont organisés avec leurs syndicat. On le fait dans le plus grand respect des dénominations et des prérogatives des syndicats. Ce genre, encore là, d'approche, est nouveau et je peux vous assurer qu'il n'y a pas beaucoup d'Américains, à part ceux qui écrivent des livres, qui prennent une attitude comme celle-là aux États-Unis. J'ai deux usines semblables et je fais la même production dans les deux usines. Là-bas, j'ai le

stationnement du "boss", j'ai le bureau du "boss", j'ai tout ce qu'il faut du "boss". Cela n'existe pas ici. On est démocratique et on traite nos employés comme du monde. C'est un peu tous ces facteurs qu'il faudrait analyser et est-ce que je peux me permettre de revenir à ma marotte de créer un institut d'entrepreneurship pour qu'on examine toutes ces affaires-là et qu'on en fasse des éléments culturels à moyen terme.

Le Président (M. Charbonneau): Sur cette suggestion, je vais demander au ministre du Commerce extérieur de conclure.

M. MacDonald: Mme la présidente, messieurs, il y en a qui avaient suggéré au départ de cette commission parlementaire qu'on n'apprendrait pas grand-chose. Eh bien, moi, j'en ai appris ce matin comme j'en ai appris la semaine dernière et s'il y en a qui n'ont rien appris, c'est parce qu'ils n'ont pas compris.

Si jamais vous suggérez d'adopter une autre marotte, le discours que vous avez tenu devrait, à mon avis, et c'est mon appartenance, à ce groupement qui est le vôtre aujourd'hui et le monde des affaires dans lequel j'ai été... Ce que vous avez expliqué n'est pas assez expliqué à l'intérieur même des entreprises. S'il y avait une marotte - j'utilise votre terme - que j'aimerais vous voir adopter avec vos collègues, ce serait celle de dialoger plus, d'expliquer plus effectivement et de parler de libre-échange et de libéralisation des échanges et les sujets connexes que vous avez mentionnés aujourd'hui, à l'intérieur des entreprises que vous représentez.

Je vous remercie beaucoup de votre présence. Bonjourl

Le Président (M. Charbonneau): Alors madame, messieurs, il ne me reste qu'à vous remercier au nom des membres de la commission d'avoir participé à cet exercice. Dans votre cas comme dans le cas de quelques organismes particuliers, ce n'est qu'un au revoir parce que je suis convaincu qu'on aura une autre consultation particulière sur un autre sujet d'ordre économique où la Chambre de commerce sera à nouveau à la table des invités. Merci beaucoup et bon retour.

J'invite maintenant le dernier pour cet avant-midi, le Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail du Québec.

Alors, on va suspendre quelques instant, le temps que nos invités prennent place.

(Suspension de la séance à 12 h 34)

(Reprise à 12 h 4l)

Le Président (M. Charbonneau): Alors nous accueillons maintenant le Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail du Québec Inc. Mesdames, bonjour. Comme vous le savez sans doute nous avons des règles du jeu particulières qui, malheureusement, sont toujours un peu enfreintes, heureusement pour les invités d'ailleurs. Alors on a une heure globalement pour la discussion, une vingtaine de minutes au départ pour la présentation de votre point de vue et par la suite le reste du temps est réparti de part et d'autre pour la, discussion avec les membres de la commission.

Alors je demanderais à la responsable de la délégation, je ne sais pas laquelle d'entre vous va agir comme responsable, de présenter sa compagne et immédiatement engager la présentation du mémoire.

CIAFT

Mme Simard (Micheline): Je me présente, Micheline Simard et ma compagne du Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail du Québec Inc., Mme Lise Leduc.

Alors, le Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail du Québec Inc., le CIAFT, apprécie l'opportunité qui lui est offerte de faire connaître son point de vue sur la libéralisation des échanges avec les États-Unis. Dans un premier temps Lise nous présentera brièvement notre association, ses objectifs et rappellera les principaux dossiers dans lesquels CIAFT est intervenu. Dans un deuxième temps elle vous fera part de nos réflexions sur un éventuel accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et les conséquences qu'entraînerait une telle entente pour les Québécoises. Et enfin je soulignerai quelques aspects essentiels sur lesquels les gouvernements ne devraient ni céder des pouvoirs ni réduire des marges de manoeuvre, sinon les travailleuses et les femmes en générai verront perdus ou érodés les quelques acquis des dernières années.

Mme Leduc (Lise): Alors n'étant pas tout à fait aussi connu que les intervenants qui nous ont précédées, je vais situer le CIAFT. C'est un regroupement provincial d'intervenantes qui travaille à l'intégration des femmes au marché du travail. Le CIAFT compte environ 150 membres individuels et quelque 30 membres, groupes associés. Par le biais de ses membres il est en contact régulier avec quatre ou cinq femmes annuellement. Notre philosophie d'intervention est fondée sur le fait que l'autonomie des femmes passe d'abord par l'autonomie financière et que celle-ci s'acquiert par un accès permanent au marché du travail. Depuis cinq ans, le CIAFT intervient de façon continue et soutenue dans les champs d'action reliés au travail, à l'éducation et à

l'économie. Toutes ses interventions visent à promouvoir l'accès des femmes au travail.

L'histoire et nos interventions antérieures, tant dans le dossier de l'accès à l'égalité, de la formation professionnelle et des changements technologiques nous ont démontré que les femmes ne peuvent compter sur un équilibre naturel qui guidera les forces de la société, dont font partie les forces du marché, afin de leur permettre de prendre leur juste place dans la vie économique du pays. Elles doivent plutôt compter sur des interventions qui changent les règles du jeu en leur faveur. Un accord de libre-échange qui limiterait les possibilités de telles interventions ne pourrait qu'être nuisible, à notre avis, à l'avancement des conditions de vie économique des Québécoises.

C'est à partir de ces constatations que le CIAFT a voulu présenter à la commission de l'économie et du travail le fruit de ses travaux et de ses réflexions. Nous souhaitons que le gouvernement québécois tienne compte des besoins particuliers des femmes dans le développement de sa position concernant les négociations sur la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis. Les positions émises dans le présent mémoire ont reçu l'appui de divers groupes de femmes du Québec dont la Fédération des femmes du Québec, l'Ère des centres de femmes du Québec, le Comité de condition féminine de la CSN, la Fédération des familles monoparentales et autres.

Alors, entrons maintenant dans le vif du sujet. Certaines instances économiques de même qu'une partie de la société en général voient dans le libre-échange une recette magique pour résoudre l'essentiel des problèmes économiques actuels. Ce sentiment repose sur l'idée qu'une entente de libre-échange permettrait aux entreprises canadiennes et québécoises d'augmenter leur productivité par l'accès à un marché de 100 000 000 de consommateurs. Or, il existe aux États-Unis des disparités régionales qui ne se résorbent pas même si à l'intérieur du pays le libre-échange existe et fonctionne sans entrave majeure.

Par le présent mémoire, le CIAFT veut attirer l'attention sur d'autres pistes de réflexion moins hasardeuses, à notre avis, que le libre-échange et plus susceptibles d'améliorer la situation des travailleurs et des travailleuses et qui pourraient tout autant améliorer la situation économique québécoise et canadienne.

Avant tout, le CIAFT croit fermement à une politique de plein-emploi mettant en place un ensemble d'institutions, de programmes et de mesures visant à assurer un emploi à toute personne qui désire travailler. Par emploi, nous entendons un emploi productif, librement choisi, faisant appel aux compétences déjà acquises ou qui peuvent être développées grâce à une formation appropriée. D'ailleurs, des pays comme l'Autriche, la Norvège, la Suède ont réussi à résorber le chômage et à démontrer qu'une politique de plein emploi est loin d'être une utopie.

La reconnaissance de la valeur primordiale du travail rémunéré en tant que moyen privilégié de réalisation personnelle et sociale permet de relier les citoyens les uns aux autres. Le travail s'avère aussi la meilleure façon d'obtenir un développement économique dynamique et harmonieux, de même qu'une croissance constante de la richesse collective et une plus juste répartition de celle-ci. Pour développer une telle politique, il est important que le gouvernement ait une approche plus interventionniste sous forme de mesures fermes, de nature légale ou réglementaire, afin que les travailleurs et particulièrement les travailleuses puissent occuper la place qui leur est due. Un recours exclusif aux forces du marché et aux vertus de la concurrence n'est pas une politique de plein emploi et ne règle pas systématiquement tous les problèmes économiques. Nous craignons qu'une politique économique axée sur le libre jeu des forces du marché ne contribue qu'à accroître le niveau de pauvreté des femmes.

Pour illustrer ce que nous entendons par des mesures interventionnistes, qu'il nous suffise de rappeler ce que le CIAFT a toujours revendiqué pour les travailleuses: des programmes d'accès à l'égalité, des modifications à la Loi sur l'aide sociale, des mesures d'accès à la formation professionnelle et l'application de l'obligation contractuelle. Rappelons aussi que ces revendications visent essentiellement la participation active de toutes les femmes à l'amélioration de la vie économique canadienne.

À l'encontre d'une politique de libre-échange dont la philosophie risque de mettre en cause divers programmes sociaux, nous préconisons l'augmentation de ces mesures en établissant, entre autres, un réseau universel et subventionné de garderies. Un tel réseau répondrait aux besoins depuis si longtemps exprimés par celles qui pourraient ainsi participer plus activement à la vie économique du pays.

Dans le même ordre d'idées, une interrogation subsiste, à savoir si la philosophie sous-jacente au libre-échange pourrait entraver l'octroi de subventions nécessaires à la mise en place de programmes d'accès à l'égalité. Ces subventions pourraient-elles être considérées comme un soutien déloyal à la production canadienne tout comme le furent les programmes d'aide aux pêcheurs de fond? De plus, les législations nécessaires ne s'inscrivent pas dans une perspective non interventionniste.

Les gouvernements ont aussi tendance à remettre en question trop rapidement la pertinence de maintenir l'ensemble des programmes sociaux dans leur forme actuelle. L'inclination en matière de protection et de justice sociale depuis environ une décennie va dans le sens d'une érosion progressive de plusieurs des caractéristiques qui furent à la base de leur construction. Par exemple, on remet en cause de plus en plus l'universalité des programmes et, particulièrement, celui des allocations familiales qui touchent les femmes. On remet en cause un système d'aide sociale basé sur le besoin, mais on veut lui substituer un système d'aide sociale basé sur le mérite. Inutile de souligner que, dans de telles perspectives, les femmes seront les premières perdantes en tant que bénéficiaires majoritaires de ces services.

Afin d'appuyer notre point de vue sur le sujet, nous constatons que, depuis dix ans, le régime de sécurité de la vieillesse et l'aide aux familles deviennent de plus en plus sélectifs. Les récentes dispositions qui élargissent les conditions régissant les REER et les régimes privés de retraite illustrent bien que la protection du revenu à la retraite devient de plus en plus une question de responsabilité individuelle plutôt que collective. Soulignons encore que les femmes sont les premières perdantes dans une telle politique. Il faut se rappeler que trois femmes sur cinq âgées de 65 ans et plus vivent sous le seuil de la pauvreté. En outre, seulement 1 % des femmes qui ont travaillé à temps plein ont accès à un régime privé.

Pour ce qui est du programme d'assurance-chômage, nous avons connu des resserrements successifs depuis 1975. Le débat public qu'a suscité la commission Forget laisse planer une probabilité non négligeable d'un régime canadien se rapprochant davantage de celui des Américains. Cela pourrait signifier, entre autres, un resserrement des conditions d'admissibilité, une baisse du taux de remplacement du revenu, l'adoption d'une formule de financement avec cotisations modulées en fonction du risque de chômage. Cette perspective illustre bien à la fois la tendance actuelle des pouvoirs économiques et l'influence de la philosophie sociale américaine sur la tradition canadienne.

Le CIATF réaffirme donc qu'une politique de plein-emploi est le meilleur moyen pour rééquilibrer l'ensemble de notre économie. La situation actuelle d'une grande majorité de femmes faisant partie de la population active démontre qu'elles sont peu scolarisées, ou avec une scolarité non pertinente ou non transférable, et dépendantes des sources gouvernementales. Ces dernières occupent des emplois mal rémunérés, précaires dans des secteurs en perte de vitesse. Alors, peu importe les secteurs qui subiront les pertes d'emplois, ce seront les femmes qui seront les plus affectées.

L'analyse du profil actuel des travailleuses canadiennes révèle que 64 % des travailleurs et travailleuses- au salaire minimum sont des femmes, que 70 % des travailleurs et travailleuses à temps partiel sont aussi des femmes et que 66 % des femmes occupent des emplois dans seulement dix professions, quand on sait qu'il y a 500 professions où elles pourraient être présentes. Nous savons aussi que moins de 1 % de la main-d'oeuvre féminine, en 1981 comme en 1971, occuppait des métiers relativement bien rémunérés comme mécanicien ou mécanicienne. Tous ces faits nous font douter très fortement des possibilités pour les femmes d'accéder aux emplois de haute technologie qui seraient créés, paraît-il, à la suite de l'accord de libre-échange.

Je vais maintenant céder la parole à Micheline pour le deuxième volet de notre intervention.

Mme Simard: Même si le CIAFT s'oppose globalement à l'établissement du libre-échange, particulièrement parce qu'il rejette la vision sociale qui y est sous-jacente, il propose, dans la perspective où cela sera, quelques éléments que le gouvernement québécois devrait soutenir dans sa position afin que les travailleuses québécoises soient protégées par un éventuel accord de libre-échange. N'oublions pas que nous formons 47 % de la population active du Canada.

Tout d'abord, il ne faut pas éliminer les séries de mesures mises au point par les divers gouvernements canadiens pour aider les régions défavorisées ou pour aider certains secteurs, soit à surmonter des difficultés passagères, soit à émerger vers de nouveaux domaines. Il y a là une question de justice sociale qui seule peut maintenir une paix sociale nécessaire à l'évolution économique.

Les interventions de l'État visant à orienter le développement économique de façon à mieux répartir la richesse entre les individus et à lutter contre les disparités régionales sont en lien direct avec l'évolution de la situation économique des femmes et leur accès au marché du travail. Cela mérite explication. Dans les situations où les disparités régionales s'accentuent, les travailleurs doivent changer de coin de pays ou de province pour trouver des emplois. Ainsi, les femmes mariées qui travaillent doivent le plus souvent quitter leur emploi pour suivre leur conjoint parce que le salaire de ce dernier est plus élevé que le leur. Pour la même raison, elles ne peuvent songer à se relocaliser si elles perdent leur emploi. Les partisans du libre-échange répondent à ces inquiétudes en parlant de comportements d'adaptation que les travailleurs doivent

développer. À cela, il faut rétorquer que pour les femmes cela signifie s'adapter à des salaires inférieurs et à des conditions de travail allant en se détériorant ou au retour à la dépendance économique vis-à-vis du conjoint ou vis-à-vis de l'État.

Également, il ne faut pas éliminer les subventions nécessaires à l'orientation du développement industriel. Au Québec, le phénomène est maintenant bien connu, le dynamisme économique repose en grande partie sur la PME. C'est là que se crée un nombre important d'emplois et il est admis aussi que c'est là que les femmes trouvent du travail. On y retrouve, d'ailleurs, de plus en plus de femmes dirigeantes, sans tomber dans l'euphorie nécessairement. Alors, céder aux Américains, qui demandent la disparition de toute intervention gouvernementale susceptible d'être vue comme un moyen de concurrence déloyale, c'est créer des difficultés plus que sérieuses aux PME, car ce sont elles qui auraient le plus de mai à s'ajuster à la concurrence américaine; qu'on pense aux économies d'échelle. Les gouvernements québécois et canadien doivent donc préserver leur droit d'orienter le développement industriel. C'est une particularité qui fait consensus auprès de la population et des développeurs économiques.

Il faut être particulièrement attentif à la place des femmes dans les mesures de recyclage. Il est admis qu'advenant une entente sur le libre-échange un grand nombre de travailleurs et de travailleuses devront se recycler à la suite de la disparition de leur emploi. Il est aussi connu que les femmes, particulièrement celles qui font partie du secteur perdant, bénéficient peu des programmes actuels de recyclage, soit parce qu'elles ne sont pas suffisamment scolarisées, soit parce que leur rôle familial leur laisse peu de marge de manoeuvre pour respecter les horaires établis, soit parce qu'on les incite peu ou pas à s'orienter vers les secteurs où elles n'ont point coutume d'aller, soit, enfin, parce qu'on les considère trop âgées pour subir un recyclage majeur. Le gouvernement devra donc trouver des solutions à ces difficultés et s'assurer que les femmes ne soient plus, encore une fois, les grandes perdantes.

Être particulièrement attentif à la situation des femmes dans la mise en place des mesures de recyclage relève du fait qu'elles seraient les plus durement touchées par les pertes d'emplois. En effet, rappelons qu'elles occupent plus de 65 % des emplois dans le secteur manufacturier, lequel sera particulièrement affecté par les pertes d'emplois.

Une autre inquiétude concernant le volet du recyclage réside dans le fait qu'ici au Québec le gouvernement joue un rôle premier et nécessaire en ce domaine par ses politiques et ses actions de formation professionnelle. Or, aux États-Unis c'est en grande partie laissé aux entreprises elles-mêmes, toujours sous prétexte de laisser jouer les forces du marché. Ainsi, puisque les entreprises américaines en assument les coûts, elles pourraient considérer comme déloyal le fait que les gouvernements canadien et québécois paient en grande partie cette note. Sans revenir sur les raisons énumérées ci-dessus qui démontrent comment les femmes éprouvent des difficultés considérables à profiter des mesures de recyclage, il apparaît clairement que les travailleuses seraient nettement perdantes si les gouvernements québécois et canadien ne défendaient plus le pouvoir d'orienter, de planifier et de soutenir de façon importante les mesures de recyclage et de formation professionnelle. Nous croyons que l'intérêt des femmes dans ce domaine est plus susceptible d'être protégé par les gouvernements que par les entreprises privées.

Maintenant, il faut être prudent aussi quant aux ententes portant sur le secteur des services. Peu d'informations sont connues sur la teneur des ententes éventuelles concernant les services. Pourtant, il s'agit là d'un domaine où il faut être extrêmement prudent. On ne doit pas libéraliser les échanges avant de pousser au maximum l'étude et l'analyse. Cette prudence tient essentiellement aux quelques éléments suivants. L'économie américaine est de plus en plus axée sur la production de services, les entreprises de production de biens ayant tendance à déplacer leurs activités vers des pays où la main-d'oeuvre coûte moins cher. Par voie de conséquence, les Américains vont chercher à s'ouvrir de nouveaux marchés pour exporter ces services sous peine de voir leur déficit commercial s'accentuer gravement. Or, au Québec, une femme sur deux travaille dans les secteurs des services socioculturels, commerciaux, personnels, des finances, des assurances et des affaires immobilières. Entre 1981 et 1983, par exemple, 89 % des emplois créés dans ces secteurs ont été occupés par des femmes.

Pour éviter un développement anarchique dans le domaine des services, les gouvernements interviennent sans cesse soit en exigeant des licences professionnelles, soit en installant des politiques d'achat préférentielles pour les entreprises de services locales, soit en imposant des restrictions aux banques et aux compagnies d'assurances étrangères ou soit en limitant l'exploitation des entreprises étrangères de transport et de communication. Cela illustre assez bien la nécessité d'intervenir en ce domaine et de ne pas faire table rase des interventions gouvernementales sans s'assurer des effets d'une telle entreprise.

En résumé, prudence et études sérieuses sont nécessaires avant d'inclure le secteur

des services dans des ententes de libre-échange.

Pour conclure, le présent mémoire ne vise pas à affiner des études déjà faites par des spécialistes, ni à présenter une avalanche de faits et de chiffres. Essentiellement, il veut aller au fond des choses et élargir le débat en situant les discussions actuelles sur le plan d'une vision sociale qui considère la femme comme l'égale de l'homme. Une telle vision est une condition indispensable à l'évolution de la société québécoise et canadienne. C'est pourquoi il est considéré comme plus important d'établir une politique de plein-emploi que des ententes de libre-échange. En soi, le plein-emploi et le libre-échange ne s'opposent pas. Us s'opposent en Amérique du Nord parce qu'ils relèvent de deux conceptions sociales opposées. Pour réaliser une politique de plein-emploi, il faut consentir à accepter un gouvernement interventionniste, alors que, pour se lier davantage aux États-Unis il faut accepter un jeu de forces où le gouvernement intervient le moins possible.

Cependant, si des ententes de libre-échange étaient inévitables, elles ne devraient pas l'être à tout prix. Il est essentiel que des pouvoirs d'intervention soient maintenus et défendus avec fermeté. Cela est important pour la société québécoise et canadienne. Cela est essentiel pour les Québécoises et les Canadiennes. (13 heures)

Le Président (M. Charbonneau): Merci beaucoup. Je vais d'abord céder le fauteuil présidentiel au député des Îles-de-la-Madeleine qui va me remplacer jusqu'à la fin de la séance. Par la suite, le ministre du Commerce extérieur va immédiatement engager la discussion. M. le ministre.

M. MacDonald: Merci. Mesdames, merci beaucoup de votre présentation et de votre présence ici que je considère particulièrement importante. On m'a avisé que nous attendions la représentation de deux groupes de femmes et il semble que vous serez le seul. Je crois que vous avez votre place dans ce débat et je suis content que vous soyez ici aujourd'hui.

J'aimerais bien être capable de ne pas réciter les litanies que j'ai récitées la semaine dernière et j'en ai répété quelques-unes aujourd'hui, mais, malheureusement, je dois chercher en quelque sorte à vous réconforter - rassurer est probablement un meilleur terme - vu certaines inquiétudes qui sont les vôtres face à une entente éventuelle sur la libéralisation des échanges avec les États-Unis.

Nous pourrions discuter - peut-être qu'on pourra le faire plus tard - des avantages et des désavantages d'une politique de plein-emploi avec intervention gouvernementale massive vis-à-vis des forces du marché. Mais je pense que je vais revenir plutôt en arrière et vous dire que vos préoccupations majeures, qui se retrouvent, d'ailleurs, dans vos conclusions, visent les éléments non négociables qui avaient été identifiés par le gouvernement canadien et dont je vous ai fais parvenir copie dans les conditions de l'appui du Québec à un accord de libre-échange. Sur l'ensemble des inquiétudes que vous avez, je ne peux que vous assurer que nous avons fait nos devoirs. Nous avons consulté à l'intérieur comme à l'extérieur du gouvernement. Nous sommes encore en consultation, nous avons encore appris des choses aujourd'hui qui peuvent servir dans la finalisation et les détails de la position du Québec. J'aimerais me sentir rassuré et savoir que j'ai pu éliminer certaines de vos inquiétudes au moment où vous allez sortir de cette enceinte.

J'aimerais, par contre, vous demander si vous avez pris en considération toute cette politique de protectionnisme qui se développe aux États-Unis à un rythme effarant. La raison principale pour laquelle le Canada s'est inscrit dans une négociation avec les États-Unis et pour laquelle les provinces et le Québec ont décidé de s'y associer, c'est afin de se protéger en grande partie contre les effets négatifs que ce protectionnisme peut avoir, c'est-à-dire la menace directe aux "jobs" actuelles détenues par des Québécoises et des Québécois.

Vous avez vu l'usage de façon quasi cavalière que certains organismes ont fait de leurs "Trade Remedy Laws", particulièrement des inscriptions de causes en droit compensatoire. Il y a là-bas une façon de faire qui nous dicte qu'il ne peut y avoir de statu quo. Après avoir fait nos devoirs, après avoir regardé et écouté, nous en avons conclu qu'à l'intérieur des paramètres principaux que je vous ai donnés il y avait lieu d'entamer avec les États-Unis une négociation visant à protéger nos acquis. Si on pouvait en ressortir également avec une plus grande libéralisation de nos échanges et une plus grande protection des actions unilatérales, on serait gagnant. Mais cela peut ne pas marcher et il se peut que l'on se retrouve le 5 octobre...

En dehors de cette politique de plein-emploi, auriez-vous une ou des suggestions -et vous admettrez que j'ai posé exactement la même question à ceux qui vous ont précédés - qui pourraient nous permettre en dedans d'un délai, si on tient pour acquis... Tout le monde est à peu près d'accord qu'avec le déficit de la balance commerciale qu'ils ont et vu qu'ils sont maintenant débiteurs, on en a encore pour plusieurs années avant d'être à l'abri de ce réflexe protectionniste des Américains. Pour nous protéger de ceci, auriez-vous des recommandations quelconques que vous pourriez nous faire?

Mme Simard: L'ensemble du mémoire qu'on vient de déposer apporte déjà une piste de solution en dirigeant les orientations vers une politique de plein-emploi.

Je voudrais, quand même, vous sécuriser en disant: Nous sommes conscientes, nous des groupes de femmes, des difficultés économiques dans lesquelles se situe présentement le Canada. Nous sommes conscientes des pertes de marché international qu'il a subies ces dernières années. Nous sommes conscientes aussi que le gouvernement faisait de grands efforts pour essayer de contrer ces pertes de marché et la solution qui a été envisagée a été celle de la libéralisation des échanges entre les États-Unis et le Canada.

Nous disons: C'était une solution, mais il y en avait d'autres. En particulier, il y avait celle de dire: On va avoir un gouvernement, finalement, plus interventionniste encore, mais, cette fois, en changeant les cibles. Autrefois, ces interventions étaient particulièrement dirigées soit vers les entreprises, soit vers les bien-nantis. On se dit: Pour enrayer le taux de chômage, il serait peut-être nécessaire d'orienter directement ces interventions vers la création directe d'emplois. Par la création directe d'emplois et l'aide aux entreprises et au développement régional, on finirait par créer des entreprises dynamiques capables de s'ouvrir sur un marché mondial d'exportation.

Mme Leduc: Est-ce que je pourrais rajouter là-dessus que la peur du protectionnisme n'est pas mieux que la peur du grand marché et de la concurrence? Ce n'est pas parce qu'on a peur des mesures protectionnistes qui vont venir qu'on ne doit pas voir d'autres issues. Évidemment, notre étude du libre-échange s'est limitée un peu aux effets sur les femmes. On ne prétend pas être expertes, etc. Seulement, je pense que, dans les lectures que nous avons faites et les documents que nous avons consultés, il y en avait qui disaient que la politique de libre-échange ne protégerait pas nécessairement contre toutes les mesures protectionnistes et qu'on pourrait se retrouver avec une politique de libre-échange et quand même avoir des mesures protectionnistes dans divers domaines, et que les Américains les demanderaient. C'est dans ce sens qu'on se dit qu'on ne serait pas nécessairement protégé du protectionnisme par le libre-échange, quand on nous dit que c'est la raison pour laquelle on devrait à tout prix privilégier cette solution.

M. MacDonald: Je suis content que vous ayez qualifié vos dernières paroles, parce qu'on est d'accord: il n'est pas question de verser dans une entente quelconque à tout prix.

Le président (M. Charbonneau: m. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Je tiens, d'abord, à remercier Mme Simard et Mme Leduc pour cette excellente présentation. Malheureusement, vous serez probablement le seul groupe qui viendra nous donner ce son de cloche, mais je trouve intéressant qu'à la commission, au gouvernement et à tous ceux qui suivent les débats sur le libre-échange et qui veulent y apporter des éléments positifs pour faire en sorte qu'on vive les meilleures conditions possible vous puissiez apporter ie son de cloche que vous apportez ce matin.

Si on se souvient de l'exposé d'ouverture que j'ai fait moi-même à cette commission mardi dernier cela va exactement dans le même sens que ce que nous avons préconisé de ce côté-ci, en tant qu'Opposition à l'Assemblée nationale et non pas en tant qu'opposition au libre-échange; c'est bien différent. Ce que nous avons préconisé, essentiellement, c'était d'aller de l'avant avec une politique globale de plein-emploi. Vous y rajoutez un élément important, cette dimension de l'accessibilité pour les femmes tant sur le plan du recyclage que de la formation professionnelle. Je trouve cela important parce que, de plus en plus, la femme prend sa place, ici au Québec, sur le marché du travail.

Je déplore l'absence de Mme la ministre déléguée à la Condition féminine, mais je suis persuadé que le ministre va s'assurer que votre mémoire lui parviendra pour qu'elle connaisse toutes vos préoccupations. Vous savez, c'est beau, l'exercice qu'on fait, mais s'il ne va pas au-delà, cela restera des belles paroles. Lorsque vous mentionnez que vos préoccupations sont à l'égard particulièrement de cette politique de l'emploi qu'on n'a pas, je vous dis: II faut le dire tout haut, il faut prendre toutes les tribunes qui vous sont accessibles, il vous faut faire positivement le meilleur lobbying possible, bien sûr, au Québec, mais vous comprendrez aussi que, dans ce domaine, on n'a pas tous les outils pour agir.

Ma préoccupation - je l'ai déjà mentionnée à cette commission et je la répète ce matin parce qu'elle est impartante - c'est que, si le gouvernement du Québec ne va pas négocier rapidement auprès du gouvernement d'Ottawa les outils d'intervention et la capacité financière qu'on se doit d'aller récupérer pour être capable de faire cette formation, je pense qu'on va manquer littéralement le bateau. J'avais un peu l'impression que, si on voulait signer une entente - quand je dis "on", je veux dire le gouvernement fédéral - au plus tard le 4 octobre, les provinces et le Québec auraient dû revendiquer, en matière de main-d'oeuvre et de formation de la main-d'oeuvre, des choses très particulières pour être en

position de force dans les négociations. Une fois que ce sera signé et qu'on aura donné notre oui de principe - ce qui risque de se passer dans les prochains jours, voire dans les prochaines heures - je trouve qu'on sera bien mal placé pour revendiquer des enveloppes budgétaires, oui, d'une part, mais plus que cela, je pense qu'il va falloir restructurer et mettre sur pied toute cette politique globale du plein-emploi.

Vous le dites à la toute fin de votre mémoire et je trouve cela très bien. Je cite votre phrase à la page 13: "Cela illustre assez bien la nécessité d'intervenir en ce domaine et de ne pas faire table rase des interventions gouvernementales." D'autre part, vous nous dites qu'il y a un dilemme particulier et c'est là-dessus que va porter ma question. "Pour réaliser une politique de plein-emploi, il faut consentir à accepter un gouvernement interventionniste, alors que, pour se lier davantage aux États-Unis, il faut accepter un jeu de forces où le gouvernement intervient le moins passible." Il y a un dilemme et vous posez très bien votre problématique.

Je pense qu'on a devant nous un gouvernement qui se veut, en vertu de ses politiques, non interventionniste et à la lumière de ce qu'on a, à moins que vous n'ayez des informations que nous n'avons pas, je me demande comment, pour réussir vraiment le libre-échange et réussir* ce que vous appelez une politique de plein-emploi, si le gouvernement n'intervient pas, il va être capable d'aller de l'avant et de réussir une politique de plein-emploi s'il se veut non interventionniste. En tant que groupe, qui représentez quelque 150 personnes, plus une trentaine d'entreprises, groupes ou associations, est-ce que vous avez fait vos démarches, par exemple au cours des derniers mois, auprès du gouvernement, auprès des ministres responsables autant de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu que de la Condition féminine, pour porter ce message? Est-ce que vous avez eu des réponses satisfaisantes à ce sujet pour vous assurer qu'on va aller dans ce sens?

Mme Simard: Pour répondre à votre question, à savoir si les groupes de femmes se sont penchés sur le sujet, je dirai que le CIAFT s'est penché depuis ses débuts sur une politique de plein-emploi. Vous savez, nos moyens sont assez limités; on n'a pas les moyens de faire un lobbying très important ou très structuré, comme certaines grandes entreprises ou grands groupes canadiens. Par contre, on est toujours à l'affût de tout ce qui sort au sujet du plein-emploi et on a fait des pressions auprès des ministres tant québécois que canadiens en vue de l'établissement d'une politique de plein-emploi. (13 h 15)

Pour nous du CIAFT en particulier, il y a une idéologie qui sous-tend une politique de plein-emploi. De tout temps, les femmes ont choisi une société juste, donc, une société axée sur des riches moins riches et sur des pauvres moins pauvres. C'est ce qu'a donné, à l'heure actuelle, la société canadienne. Lorsqu'on se promène à l'intérieur du pays, je pense que le lien qui unit les Canadiens ensemble, c'est cette société avec une justice plus grande, si on se compare, à l'heure actuelle, aux États-Unis où on va voir des disparités beaucoup plus grandes en ce qui concerne les richesses et la répartition des mesures sociales.

Je vous remercie beaucoup pour l'appui que vous nous accordez en ce qui concerne une politique globale de plein-emploi et soyez certain qu'on va continuer à la demander et à faire des pressions pour que, s'il y a accord de libre-échange, on respecte quand même les femmes, qu'on considère l'importance des femmes sur le marché du travail et qu'elles ne soient pas les premières perdantes dans cette signature éventuelle.

Est-ce que tu veux ajouter quelque chose?

Mme Leduc: Je voudrais ajouter ceci sur la première partie de l'intervention. Dans le fond, vous nous informez qu'on est le seul groupe de femmes qui se présente devant vous. On le savait un peu et cela tient, selon une remarque que Micheline vient de faire, aux ressources humaines et financières. C'est pour cela que nous avons envoyé notre mémoire parce qu'il faut faire avec les moyens du bord. Les autres groupes de femmes qui ne sont pas ici sont représentés par notre intermédiaire. J'ai mentionné tantôt la Fédération des femmes du Québec, la Fédération des familles monoparentales. Nous avons, quand même, reçu l'appui de divers groupes provinciaux de femmes qui ne pouvaient pas se permettre de se présenter en commission parlementaire. C'est par ce biais que nous suppléons au manque de moyens et autres. Cela aurait été très intéressant, pour nous aussi, que d'autres groupes de femmes se présentent parce qu'elles auraient probablement, selon leur spécificité, apporté une autre lumière. Nous, c'est vraiment l'accès au travail. Alors, on s'est penché beaucoup plus sur ce volet dans notre intervention. Elles auraient pu parler beaucoup plus en profondeur des programmes sociaux et de tout le reste parce que, quelquefois, c'est leur problématique.

Je voudrais aussi dire que nous avons fait parvenir une copie de notre mémoire au cabinet de Mme Gagnon-Tremblay. Elle en est informée, elle est au courant de notre présentation.

Le Président (M. Farrah): Merci, Mme

Leduc.

M. le ministre.

M. MacDonald: Je vais vous livrer un petit secret qui ne sera pas un secret longtemps: Mme Gagnon-Tremblay aurait bien aimé être ici. Ce n'est pas la première fois que je la représente car, lorsqu'elle est en dehors du pays, c'est moi qui suis le ministre délégué à la Condition féminine. Je suis un peu sensible à l'existence du CIAFT et à votre position.

Fondamentalement, au départ, et vous avez raison, nous avons des philosophies différentes pour tendre vers le plein-emploi. Notre orientation ou notre façon de faire est différente, mais notre objectif est exactement le même, et je pense que vous êtes d'accord avec moi. Également - je suis obligé de le faire depuis très longtemps, d'ailleurs - je veux rassurer mon collègue du comté de Bertrand en lui disant qu'il n'est absolument pas question pour le gouvernement de sacrifier tous ses moyens d'intervention. Je vous réfère au document que je vous ai livré; au paragraphe 3 des conditions de l'appui du Québec, on dit: "Maintient sa marge de manoeuvre nécessaire pour atteindre les objectifs de modernisation et de développement de son économie dans toutes les régions, etc."

J'aimerais conclure en vous disant qu'effectivement il faut être vigilant pour s'assurer, advenant une entente, que les femmes ne ressortent pas dans une position pire que les hommes. Il faut, en fait, que toutes les personnes soient respectées dans la conclusion d'une entente. Je puis vous assurer que ceux qui sont chargés de ce dossier, Mme Gagnon-Tremblay et ses collègues, n'ont jamais manqué, en cours de discussion et d'élaboration de notre dossier, de notre position, de nous rappeler cet élément. On ne l'a pas oublié et il n'est pas question, non plus, de l'oublier. Merci beaucoup de votre présentation.

Le Président (M. Farrah): Merci, M. le ministre.

M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Je prends bonne note des propos du ministre. Encore une fois, je dis qu'il faut croire en la bonne foi puisque le ministre nous demande depuis une semaine de croire en lui. Tout ce que je puis dire, c'est que le débat ne fait que commencer parce qu'on aura beaucoup de suivi de dossiers.

En ce qui a trait à votre représentativité, je pense que c'est bien que vous ayez apporté des commentaires tantôt. Ce n'était pas négatif dans le sens de dire que vous êtes les seules, je pense que vous venez au nom de plusieurs groupes et cela est important parce que la voix que vous apportez est une voix multiple qui fait un large consensus de ce côté-là, si je comprends bien.

Un volet que vous ne touchez pas ou que vous effleurez à peine et sur lequel j'aimerais peut-être entendre vos propos, c'est celui de l'entrepreneurship féminin qui s'affirme de plus en plus. Il y a de mémoire, trois ans, je participais à un premier colloque sur l'entrepreneurship féminin qui était mis sur pied par Dina Lavoie, de l'École des hautes études commerciales. On prenait conscience, finalement, qu'il y avait de ce côté-là une prise en charge importante des femmes qui avaient le goût de faire leur marque en affaires, de s'affirmer et de réussir. Les statistiques démontrent, d'ailleurs, un très haut pourcentage, beaucoup plus haut que les hommes qui démarrent du côté des affaires, probablement à cause de cette détermination et de cette ténacité qui caractérisent très souvent les femmes. Je pense que vous auriez certainement avantage à être capables de préciser davantage le genre de soutien auquel vous vous attendez, ce que je me plais à appeler, comme marotte si on veut, le coffre d'outils dont les femmes auront besoin.

Au niveau de l'entrepreneurship féminin, il y a eu des choses d'enclenchées depuis quelques années, c'est tout récent, mais beaucoup reste à faire. Je pense, pour en rencontrer régulièrement qui sont dans le milieu des affaires, qu'elles sont dans une jungle. Je peux vous dire que, sans l'interventionnisme bien placé et bien structuré du gouvernement, elles ne pourront pas passer à travers, pas plus que les hommes. Mais vu que c'est plus fragile, que c'est dans un état de démarrage et les conditions sont parfois difficiles, je pense que ce serait impartant que vous puissiez avoir de l'aide en tant que groupe dans ce secteur d'activité, en plus de toutes les travailleuses dans les différents secteurs.

Vous mentionnez aussi que la structure québécoise, ce sont des PME. Vous dites que les femmes ont une importance au niveau du travail dans ces petites et moyennes entreprises. Je pense que les syndicats ont, de plus en plus, une préoccupation et je vous encourage aussi de ce côté à faire en sorte que vos messages de revendication passent bien par cette porte parce que je pense qu'ils peuvent être aussi d'excellents défenseurs et porte-parole de votre cause.

Alors, mes commentaires de la fin -parce que je ne voudrais pas, non plus, abuser du temps, on se doit de reprendre cet après-midi - c'est de vous remercier pour ce que vous avez apporté, de vous être déplacées, d'avoir bâti ce mémoire. Vous savez, il y a quelques personnes dans cette enceinte du salon rouge, mais les moyens de la télévision nous permettent maintenant de véhiculer nos idées et de rejoindre beaucoup

plus de personnes. Je pense qu'aujourd'hui vous avez fait un travail important et je vous encourage à continuer. J'espère que vous recevrez l'appui du gouvernement et tout le soutien dont vous avez besoin. Merci.

Le Président (M. Farrah): Alors, Mmes Leduc et Simard, du Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail du Québec Inc., c'est avec plaisir qu'on vous a entendues ce matin. Au nom des membres de la commission, je vous remercie de vous être déplacées.

Sur ce, je suspends les travaux jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 13 h 24)

(Reprise à 15 h 7)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaît!

Bon après-midi, mesdames, messieurs. La commission de l'économie et du travail reprend sa consultation générale sur la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis. Cet après-midi, nous recevrons, d'abord, le Mouvement Québec français, qui sera suivi de l'Association des fabricants de meubles du Québec et de l'Institut canadien des textiles. En soirée, nous recevrons le Parti indépendantiste, puis Trans-Impex et, finalement, l'Association provinciale des assureurs-vie du Québec.

M. le secrétaire de la commission, y a-t-il des remplacements? M. le député.

M. Cannon: M. le Président, s'il y a consentement de mes collègues, M. Lemire, député de Saint-Maurice, remplacerait M. Ghislain Maltais, le député de Saguenay.

Le Président (M. Charbonneau): Nous sommes convaincus que nous faisons une grande acquisition à la commission de l'économie et du travail.

M. MacDonald: II faut se rendre à l'évidence.

Le Président (M. Charbonneau): Voilà. Je vois que le ministre est d'accord avec moi. On est souvent d'accord. Sans plus tarder, nous allons inviter le Mouvement Québec français. Si les porte-parole du Mouvement Québec français veulent prendre place à la table des invités. Je reconnais un visage qui nous est familier, M. Bouthillier. M- Bouthillier et vos collègues, bienvenue.

M. Bouthillier (Guy): Merci.

Le Président (M. Charbonneau): J'imagine que vous connaissez un peu les airs de la maison. Pour vous les rappeler, nous avons une heure d'échanges cet après-midi; d'abord, 20 minutes pour la présentation de votre point de vue ou de votre mémoire et, par la suite, le reste du temps sera réparti entre les membres de la commission pour la discussion. Ce que je vous demanderais de faire avant de commencer l'exposé, c'est présenter les gens qui vous accompagnent et, par la suite, engager la présentation.

Mouvement Québec français

M. Bouthillier: Je vous remercie, M. le Président. Mesdames et messieurs les ministres, M. le représentant de l'Opposition officielle, mesdames et messieurs les députés, je veux d'abord vous présenter, si vous voulez, ceux qui ne sont pas ici, c'est paradoxal. Vous savez que le MQF est composé de dix organismes; on ne se déplace pas toujours les dix à la fois. Cinq de nos organismes ne sont pas ici aujourd'hui; je vous en rappelle les noms: l'Alliance des professeurs de Montréal, la FTQ, le Mouvement national des Québécois, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, l'Union des artistes. Ceux qui sont ici - et là je vous présente mes amis - à mon extrême gauche, donc à votre extrême droite, M. André Gaulin, qui représente l'Association québécoise des professeurs de français; M. Henri Laberge, qui représente la Centrale de l'enseignement du Québec; M. Maurice Boucher, ici à mon immédiate gauche, qui représente la CSN; M. Léo Vigneault, à mon immédiate droite, qui représente l'UPA, l'Union des producteurs agricoles et, à l'extrême droite, c'est-à-dire à votre extrême gauche, M. Guy Cloutier, qui représente l'Union des écrivains du Québec.

On a fait parvenir au service de l'Assemblée nationale, il y a huit ou dix jours, un texte auquel on a substitué cette version définitive. J'en ai confié 25 exemplaires à M. Bédard, le secrétaire de votre commission. C'est ce texte que je vais vous présenter, bien entendu. Sans plus tarder, si vous voulez, je vous le présente. On pourra passer à la...

Le Président (M. Charbonneau): Dans la mesure où vous le pouvez, essayez de vous limiter au délai.

M. Bouthillier: Dans les 20 minutes?

Le Président (M. Charbonneau): Bon, parfait!

M. Bouthillier: Dans les 20 minutes.

Le Président (M. Charbonneau): C'est cela, merci.

M. Bouthillier: Le peuple du Québec, vous le savez, lutte depuis toujours pour sa

langue. Dans ce combat inégal, il revient de loin. Mais, on le sait aussi, il a, ces dernières années, marqué des points. Les points qu'il a marqués, c'est, bien entendu, grâce à l'action de l'État qu'il les a marqués, cet État qui a mis enfin la force du droit du bon côté de la balance dans le rapport de forces qui nous oppose au quart de milliard d'anglophones, que vous connaissez.

En première ligne de ce combat qui dure depuis deux siècles, c'est, bien entendu, le Québec français et le Canada anglais qui s'affrontent. Mais les États-Unis sont là aussi, qui pèsent de leur poids si lourd et si naturellement unilatéral. Comment pourrait-il en être autrement, eux qui sont si près de nous et nous si près d'eux, et probablement pas seulement par la géographie?

Or, voici qu'on voudrait, par quelque projet de libre-échange, resserrer un petit peu plus encore les liens qui unissent notre économie à la leur. Ajouté aux autres liens si nombreux et si divers qui nous unissent déjà aux Américains, cela ne pourrait pas ne pas engager notre être tout entier, c'est-à-dire notre langue, notre culture, notre identité. C'est précisément pour cette raison que le MQF est ici devant vous et il vous remercie de bien vouloir l'entendre.

On ne connaît pas le détail du texte d'un éventuel accord; on nous permettra de le regretter. Mais je crois qu'au-delà des versions possibles d'un éventuel texte il y a des vérités fortes, des réalités et des facteurs lourds. Et, de ceux-là, on peut en discuter parce qu'ils existent* Nous voudrions ici attirer votre attention sur deux d'entre eux. Le premier: ce projet de libre-échange s'annonce au nom du "moins de frontières", bien entendu, c'est-à-dire au nom de l'affaiblissement de ce qui nous sépare d'un pays avec lequel nous avons déjà si peu de frontières. Surtout, ce projet de libre-échange est annoncé au nom du "moins d'État", c'est-à-dire - j'attire votre attention là-dessus - au nom de l'affaiblissement de cet instrument qui a si puissamment contribué à renforcer l'armature sociale et économique de notre langue et de notre culture, à aider notre peuple à prendre enfin prise sur la réalité moderne et nos artistes, nos écrivains, nos créateurs à exprimer cette réalité et cette vision des choses.

Deuxième facteur lourd sur lequel nous attirons votre attention: si nous, en tant que Québécois, nous avons notre histoire à nous des rapports des langues et des cultures, les États-Unis, eux aussi, ont la leur et elle est caractérisée par deux traits: à l'extérieur, par une volonté expansionniste servie par la puissance et, bien entendu, par la bonne conscience que l'on sait et, à l'intérieur, par une mise en subordination naturelle de toutes les autres langues et de toutes les autres cultures, réduites sinon au néant, en tout cas, à l'insignifiance sociale et politique.

Cette histoire, cette réalité d'aujourd'hui aux États-Unis ont façonné chez eux un comportement de masse inhospitalier - c'est une litote - aux choses de l'étranger. De toute évidence, l'esprit de 177é, le message de la statue de la Liberté, s'ils s'adressent aux individus, ne s'adressent pas, en tout cas, aux langues et aux cultures. Cet inintérêt - et là aussi, je suis poli - cette fermeture aux choses de l'étranger, notre Ti-Coq national l'a apprise hier à ses dépens, tout comme aujourd'hui l'auteur du Déclin qui ne pourra faire franchir efficacement la frontière à son oeuvre qu'en laissant les Américains la naturaliser, c'est-à-dire au fond la dénaturer. Et ce n'est évidemment pas ce M. André-Philippe Gagnon qui viendra nous contredire, lui qu'on ne laisse passer que parce qu'il leur apporte ce qu'ils ont déjà. (15 h 15)

Cette incompréhension, cette réduction à la caricature, le Québec français, mais aussi le Canada anglais en ont souffert, en particulier aux mains de cette puissance qui s'appelle Hollywood. Pierre Berton a écrit là-dessus un ouvrage capital qu'il faudrait tous aujourd'hui prendre le temps de relire. Cette attitude profonde des Américains, façonnée par l'expansionnisme extérieur et le laminage à l'intérieur et que ne changent pas fondamentalement les bons mots que l'on entend actuellement sur le thème du pluralisme culturel aux États-Unis, cette attitude profonde, dis-je, s'exprimerait avec d'autant plus de vigueur, d'autant plus de naturel, d'autant plus de bonne conscience à notre endroit que les Américains auraient demain moins qu'aujourd'hui encore le sentiment qu'une frontière existe entre eux et nous. Décidément, ce n'est pas demain la veille que les Américains vont se transformer en consommateurs de biens culturels québécois.

Cette difficulté que les Américains ont d'accepter notre différence, quand cette différence est réelle, qu'elle dérange et qu'elle n'est pas purement folklorique, les auteurs de la 101 en savent déjà quelque chose et, avant eux, les lecteurs du rapport Fantus. Mais elle est beaucoup plus ancienne, elle remonte même aux origines de nos deux peuples. The Quebec Act de 1774 a provoqué la réaction que l'on sait chez les révolutionnaires de 1776 et, plus près de nous, on sait la conséquence qu'a eue, aussi bien en 1917 qu'en 1941, l'entrée en guerre des États-Unis sur l'affrontement qui opposait Canadiens français et Canadiens anglais sur la question de la conscription.

Moins d'État, moins de frontières, plus grande intimité avec le grand voisin si massivement anglophone et si bien claquemuré dans ses propres habitudes culturelles. C'est bien entendu, toute notre

armature culturelle, c'est l'ensemble de nos industries culturelles, c'est-à-dire ces industries porteuses de notre langue que sont la radio, la télé, le cinéma, le disque, le livre, etc., qui se trouveraient ainsi mises à découvert. Non seulement, en effet, ces industries culturelles ne profiteraient-elles, dans cet arrangement, d'aucun débouché nouveau à l'extérieur, mais encore et surtout elles se verraient confrontées à un renforcement de la concurrence extérieure, pourtant déjà assez forte, on le sait, et dont même le Canada anglais sait, au moins, depuis la commission Aird de 1929, qu'elle doit être contrée et que seul l'État chez nous a les moyens de le faire.

Menace, venons-nous de dire, pour notre armature culturelle, mais menace aussi pour notre langue et sa charte de 1977, notamment pour les dispositions comme celles sur l'étiquetage qui ont trait à l'échange de biens ou encore comme celles qui ont trait à l'établissement des personnes (langue d'enseignement, langue des professionnels) comme celles enfin, celles surtout - nous attirons votre attention là-dessus - sur la langue du travail.

S'imagine-t-on que c'est en ouvrant un peu plus notre système politique à la pression des entreprises et des pouvoirs publics américains, croit-on vraiment que c'est en faisant s'aboucher un peu plus directement encore nos cadres et nos administrations avec ceux de nos voisins, pense-t-on sincèrement que c'est en installant un peu plus profondément encore dans nos esprits l'idée que c'est de là-bas et de là-bas seulement que coule le Pactole, bref, s'imagine-t-on que c'est par une de ces formules de libre-échange avec les États-Unis que l'on va donner quelque consistance et quelque assurance aux positions encore incertaines et fragiles de notre langue comme langue du travail, de l'encadrement et du commandement économique?

Cette menace sur notre langue et sur notre culture, c'est de deux façons qu'elle pèserait sur notre législation linguistique. D'abord, elle pèserait sur l'État sans lequel cette loi n'aurait pas vu le jour, lequel, même s'il ne voyait pas nier les compétences qui sont les siennes, se verrait du moins confronté à une nouvelle et puissante source de pression qui, conjuguée à quelque intérêt intérieur - il s'en trouverait bien - viendrait l'affaiblir dans son action et peut-être même - pourquoi pas? - le paralyser dans sa volonté.

Mais, plus fondamentalement encore, ce resserrement des économies, cette fusion des marchés, cette intimité plus grande entre eux et nous, joints aux autres choses que nous avons déjà en commun avec eux, ne risquent-ils pas, en nous décentrant un peu plus encore du Québec, d'altérer les attitudes profondes d'identité et d'appartenance qui sont à la source même de notre loi 101? Ce serait une menace d'autant plus grave qu'elle n'agirait qu'à long terme, c'est-à-dire insidieusement, mais qui pourrait fort bien faire dire, un jour, à nos enfants, selon le titre qui a coiffé une réflexion de Fernand Dumont, "Parlons américain si nous le sommes devenus".

Dans cette affaire et devant ce tableau, le Mouvement Québec français tire les conclusions et propose les perspectives suivantes. Premièrement, à l'évidence, le libre-échange avec les États-Unis constitue une menace trop grave pour notre langue, pour notre culture et pour notre identité nationale. Le peuple du Québec ne doit donc pas laisser les gouvernements du Québec et du Canada l'entraîner dans cette voie. Deuxièmement, plutôt que de se fourvoyer dans cette voie, les gouvernements du Québec et du Canada devraient s'engager résolument à renforcer, aussi bien aux frontières qu'à l'intérieur, toutes ces industries de la culture et de la communication qui constituent l'armature de notre identité nationale et de notre langue. Troisièmement, pour sa part, plus directement, le gouvernement du Québec, lui, doit s'employer à renforcer la législation linguistique en prenant, notamment, les dispositions suivantes.

Premièrement, sur le plan de la langue des échanges commerciaux, étiquetage, mais aussi tout le reste: documentation, publicité, etc., trop d'entreprises, on le sait, celles de l'extérieur, bien entendu, mais même aussi celles de l'intérieur, se comportent impunément comme si cette disposition était lettre morte ou allait bientôt le devenir. Le gouvernement doit donc renforcer le dispositif d'application de ces articles en reconnaissant à tout citoyen québécois, comme, du reste, vous le savez, cela avait été fait en ce qui concerne l'étiquetage des produits alimentaires, le droit de dénoncer directement toute contravention à un tribunal pénal sans avoir à passer par un appareil bureaucratique qui, de toute façon, serait très vite engorgé.

Deuxième élément de renforcement de l'appareil linguistique: sur le plan scolaire, les courants d'immigration, qui se renforceraient éventuellement dans l'hypothèse d'un livre-échange, qui existent déjà en provenance des États-Unis et d'autres pays anglophones conduiront tôt ou tard les anglophones de ces pays à réclamer pour leurs enfants exactement le même droit à l'école anglaise que celui qui est actuellement reconnu aux anglophones du Canada anglais. Pour parer à cette éventualité, à cette menace, comment plus naturellement canaliser vers l'école française ces futurs immigrants qu'en ne reconnaissant plus d'exception pour quiconque viendrait s'installer à demeure ici, c'est-à-dire - vous

l'avez reconnu - en rétablissant la clause Québec?

Troisième élément d'un renforcement d'une politique linguistiques le nécessaire message que le Québec français adresse au monde entier sera d'autant plus efficace qu'il sera dit, qu'il sera porté sans ambiguïté. Il sera d'autant moins ambigu qu'il ne sera plus contredit par cet article 133 qui n'est pas du tout anodin, ni innocent, car, en plaçant l'anglais là où il le place, c'est-à-dire au sommet même de l'État, là où vous vous trouvez, messieurs, dames, il vient atténuer la portée de ce message quand il n'annonce pas une prochaine extension de l'usage de cette langue. C'est pourquoi il faut - la commission Pépin-Robarts elle-même l'envisageait il n'y a pas si longtemps -dégager le Québec de l'emprise de cet article. Le monde, enfin, saura qu'il y a, au nord du Rio Grande, un État - un seul, bien sûr, mais ce sera le nôtre - où l'anglais n'est pas langue des lois et langue des tribunaux.

Quatrième élément d'un renforcement d'une politique linguistiques plutôt que de s'enfoncer dans la voie d'un libre-échange qui ne ferait qu'affaiblir encore plus les positions de notre langue comme langue de notre économie, le gouvernement du Québec doit donner le vigoureux coup de barre qui s'impose pour renforcer le français dans nos usines, dans noss bureaux et au sein de nos professions.

Quatrième et dernier élément de nos conclusions: dans cette affaire, le gouvernement du Québec - nous nous permettons de le dire respectueusement - et, bien entendu, aussi celui du Canada ne nous inspirent guère confiance. En effet, tout ce que ces gouvernements trouvent à répondre à ceux qui, à juste titre, comme nous, dénoncent les dangers que l'on sait pour notre langue et notre culture, ce sont de belles phrases vagues, vides et, permettez-moi le mot, creuses, exactement, du reste, comme par hasard sans doute, comme dans l'affaire du lac Meech où les belles phrases ne sont là que pour masquer le vide législatif au profit du Québec.

Entendrions-nous le gouvernement du Québec dire, du point de vue libre-échangiste qui est le sien, qu'il entend exiger d'un éventuel traité une reconnaissance formelle de la part des États-Unis, ainsi que des garanties précises pour ses compétences en matière de langue et de culture, verrions-nous le gouvernement du Québec engager une action en direction de l'opinion publique américaine, en direction des dirigeants de ce pays pour désarmer leurs préjugés et leur faire comprendre que le français ici n'est pas un quelconque "ethnic language" dont les locuteurs n'aspireraient qu'à vivre en étroite intimité avec l'anglais, mais que c'est, au contraire, la langue d'un peuple, que ce peuple fait de sa langue sa langue normale et habituelle et qu'il entend combattre pour qu'il en soit ainsi, bref, verrions-nous le gouvernement du Québec adopter ce comportement que cela ne modifierait pas notre position fondamentale, mais, du moins, cela aurait-il le mérite de donner quelque apparence de crédibilité aux propos que le gouvernement dispense relativement à son intérêt, à son inquiétude pour la langue, la culture et l'identité? Mais ce comportement, malheureusement, tout indique que le gouvernement ne l'adoptera pas»

Mesdames et messieurs, M. le Président, je vous remercie d'avoir bien voulu nous écouter, sinon nous entendre.

Le Président (M. Cbarbonneau):

Écoutez, sur cette écoute, nous allons passer maintenant à la période du dialogue. Je vais laisser la parole au ministre du Commerce extérieur,

M. MacDonald: Messieurs, on vous remercie d'être venus devant nous pour nous présenter votre point de vue. On doit dire que, compte tenu des organismes que représentent ceux qui vous accompagnent, il est évident que nous connaissions votre position de base.

Je trouve malheureux, par contre, qu'à la toute fin de votre mémoire vous jugiez bon d'utiliser ce genre de langage, que je dois accepter, car c'est votre droit, quand vous dites que le gouvernement du Québec ne vous inspire pas confiance et que vous traitez les paroles que l'on peut avoir dites et qui sont l'expression sincère d'un travail sérieux comme étant des belles phrases vides et creuses. Je ne m'embarquerai pas avec vous dans un concours d'adjectifs, mais je crois que c'est une attitude pour le moins pompeuse et prétentieuse de se présenter aux Québécois comme ayant le monopole de la défense de la réalité française, de la spécificité québécoise. Je l'ai dit, à quelques occasions, mais on n'est pas ici pour faire état de nos traits de caractère personnels. Je suis un Québécois dans les tripes, également fier d'être un Canadien. Je suis un francophone qui vit au Québec par choix et je me sens aussi nationaliste et défenseur de ce que mes aïeux ont défendu pendant des années et encore aujourd'hui. Mes collègues au gouvernement font aussi bien que vous et peut-être avec un peu moins d'éclat et de faste.

Vous avez terminé en disant: Je vous remercie de nous avoir écoutés, sinon entendus. Je pourrais vous remettre la pareille parce que, lorsque vous dites que vous ne faites pas confiance au gouvernement, il est nécessairement très clair que vous ne nous avez pas entendus ou pis encore, que vous ne voulez pas nous entendre. Cela étant dit, je ne suis pas le

ministre responsable des Affaires culturelles ou du dossier de la langue. Je suis le ministre responsable en général du dossier de négociation de la libéralisation des échanges et tout l'aspect culturel du Québec y a été représenté dès les premières minutes et continue de l'être en cours de négociation. Mme la vice-première ministre saura sûrement, soit répondre à vos questions, si vous en avez, et j'aimerais bien penser que vous pourrez également répondre aux siennes. (15 h 30)

Revenant plus spécifiquement dans cette sphère de responsabilité qui est la mienne, je vous vois, à l'exemple d'autres qui vous ont précédés, catégoriquement contre, à toutes fins utiles, une négociation de libéralisation des échanges. J'ai cherché, mais je n'ai retrouvé qu'à la page 8, ici, une alternative à cette formule que l'on a adoptée pour faire face à ce protectionnisme montant, menaçant, qui a déjà sérieusement mis en péril certaines de nos entreprises et qui le fera encore plus si on en juge par ce qu'on peut observer aux États-Unis. À cette même page 8, vous dites: "Plutôt que de s'enfoncer dans la voie d'un libre-échange qui ne ferait qu'affaiblir encore les positions de notre langue comme langue de notre économie, le gouvernement du Québec doit donner le vigoureux coup de barre qui s'impose pour renforcer le français dans nos usines, dans nos bureaux et au sein de nos professions.

J'aimerais que vous m'expliquiez - je suis très prêt à vous entendre - de quelle façon cette solution, qui est la solution unique que vous proposez, nous permettrait comme gouvernement responsable d'aider nos entreprises à faire face à cette menace qui ne vise pas seulement les entreprises ou les propriétaires d'entreprises, mais tous les travailleurs et travailleuses qui en font partie.

M. Bouthillier: Merci, M. le ministre de nous poser des questions et de dialoguer. Vous parlez du protectionnisme économique américain. Dans le mémoire, nous vous parlons ici du protectionnisme culturel américain, de la mentalité, si vous voulez. Dans un dialogue éventuel que tel ou tel gouvernement du Québec ou du Canada souhaiterait engager, plus intimement avec le gouvernement et le pays des États-Unis, je pense qu'il faut aussi voir cet aspect extrêmement réel et très lourd dont personne, me semble-t-il - et je le dis sans prétention, mais je suis bien obligé de le constater - ne parle, ce protectionnisme culturel et linguistique, etc., cette habitude très forte des États-Unis, du peuple américain, des entreprises, enfin de cette immense machine, si vous voulez, qui s'appelle la société américaine de ne pas s'intéresser, de ne pas faire autre chose sur le plan de la planète que de diffuser sa langue et de rester fermée à la langue et à la culture des autres. Quand on songe à s'engager dans un dialogue avec un État comme celui-là, je pense qu'il faut s'interroger non seulement sur le protectionnisme économique qui est, bien sûr, réel et qui peut être traité autrement, notamment dans le cadre du GATT, mais il faut aussi s'interroger - et cela, me semble-t-il, doit être fait - sur ce protectionnisme culturel.

Compte tenu des silences du gouvernement dont vous faites partie, monsieur et madame, sur la question qui nous occupe et qui nous amène ici, compte tenu que vous, ainsi que d'autres qui ne font pas partie du gouvernement ou qui ont pu faire partie d'un gouvernement précédent, vous dites: Oui, bien sûr, il faudra s'occuper de la culture et de la langue, je dis: Très bien. Mais, une fois que vous avez dit cela, qu'est-ce qu'on entend sur le plan de la langue et de la culture? On laissera cela de côté. Ce sera exclu d'un éventuel traité, comme si on pouvait exclure la langue et la culture de quoi que ce soit. La langue et la culture, ce n'est pas comme la viande kasher, cela ne se distingue pas, c'est dans tout. Je vous donne cet exemple, voyez pourquoi. Parce qu'effectivement, dans tel ouvrage des chantres du libre-échange, on donne cet exemple de ce que les Israéliens ont fait pour protéger et sauvegarder leur viande kasher dans leurs rapports avec les Américains. Toute langue, en l'espèce la langue française pour les Québécois, n'a aucune commune mesure avec cet aspect de la culture, de la tradition juive ou israélienne.

Quand vous dites: Oui, bien sûr, il faudra faire quelque chose, vous ne nous dites pas quoi. Personne ne nous le dit, ni vous ni M. Mulroney. J'ai relu encore M. Mulroney. Que dit-il? Il dit: Cela sera exclu. On a une réponse. Vous vous rappelez que, quand il est allé, le 4 décembre 1985, lancer l'opération qui fait qu'on est ici aujourd'hui, à l'"University of Chicago" devant le "Time Speakers Association", il a dit: Voilà cinq conditions pour faire un bout de chemin avec vous sur Le plan du libre-échange et que vous soyez conscients de notre particularité linguistique et de notre souveraineté culturelle. Tiens, voilà une expression que nous avons déjà entendue dans des cieux plus rapprochés du nôtre!

Boni Mais comment le fera-t-il? Cela, personne ne nous le dit. Qu'il ne le fasse pas, lui, à la rigueur, que Mulroney et que le gouvernement du Canada aient d'autres chats à fouetter, qu'ils soient moins, si vous voulez, que d'autres préoccupés, absorbés, passionnés par la défense du Québec français, je le comprendrais. Mais je m'adresse au gouvernement du Québec et je me dis: Lui,

qu'est-ce qu'il nous dit? Une fois que vous nous avez dit: Bien sûr, on va protéger la langue, on va protéger la culture, qu'est-ce que vous allez faire? Comment allez-vous vous y prendre? Qu'est-ce que vous dites à M. Simon Reisman? Je ne veux pas que vous dévoiliez de secrets d'État, mais, enfin, qu'est-ce que vous lui dites? Qu'est-ce que vous exigez de lui? Qu'est-ce que vous exigez qu'il obtienne de ses vis-à-vis que vous connaissez pour continuer à marcher dans cette voie-là? Peut-être serait-ce l'occasion pour vous de nous le dire, à nous et à l'opinion publique du Québec. Et là, on sortirait de ce que j'ai appelé brutalement -mais je vois l'utilité de l'avoir fait, pu moins, cela permet, justement, d'en sortir -ces belles phrases qui sont un peu comme le vent, c'est-à-dire un peu vides.

Vous dites que nous avons le monopole. Nous ne demandons qu'une chose et nous vous supplions, si vous voulez, de prendre votre part dans cette défense du français. Nous n'avons pas du tout la prétention d'avoir le monopole et nous ne souhaiterions qu'une chose, c'est que d'autres - et il y en a d'autres - mais vous notamment, messieurs, dames du gouvernement, vous preniez votre part dans ce fardeau qui est très lourd. Ce n'est pas facile, tout le monde le sait, mais je ne veux pas continuer là-dedans, c'est très lourd de défendre le français, enfin, etc. Mais quelle part, directement, allez-vous prendre? C'est la question que je me permettais de vous poser en réponse à la vôtre.

Le Président (M. Lemieux): M. le ministre.

M. MacDonald: Eh bien, je n'ai pas eu de réponse à ma question et vous allez prétendre ne pas avoir eu de réponse à la vôtre.

M. Bouthillier: Oui.

M. MacDonald: Je vous dis que la culture a été mentionnée comme un sujet non discutable par le premier ministre du Canada. Je peux vous dire que, dans ia position claire, nette et sans équivoque du Québec pour adhérer à cette équipe de négociation - si je peux employer le terme -c'est-à-dire ce regroupement des provinces et du gouvernement canadien, c'est devenu une condition sine qua non encore dix fois plus soulignée, si on peut me permettre l'image. Comme vous le savez très bien, les paroles exactes, le contenu des négociations sur bien des aspects, je ne peux vous les révéler. Mais, sur cet aspect, je vous répondrai tout simplement ce que le conseiller principal du gouvernement a commenté ou explicité devant M. Reisman à un moment donné, et ce n'est pas révéler des secrets. La réalité francophone au Québec et tout ce que cela veut dire, ce n'est pas négociable. Ne nous demandez pas ce qu'on veut ou ce qu'on ne veut pas. C'est cela, et on ne veut aucune modification. On n'est pas prêt à reculer d'un iota quelconque. Je l'ai dit ici et je le redis. Je ne pense pas que ce soit vide ou creux. Je ne pense pas que ce soit vague ou nébuleux. Je pense que c'est clair et précis.

Quand vous me mentionnez, monsieur, que vous voulez nous mettre en garde contre cet expansionnisme américain, vous avez raison,, Par la simple réalité des 250 000 000, du gros éléphant à côté de la petite souris, il est évident que qui que ce soit qui négocie quoi que ce soit avec les États-Unis doit prendre en considération non seulement les États-Unis avec le signe de piastre, mais la réalité des États-Unis. C'est ce qu'on a fait.

Permettez-moi de revenir et de vous dire que ma responsabilité dans le dossier m'amène plus précisément à faire face à cette réalité économique qui est la menace que les travailleurs et les travailleuses du Québec ont à subir à cause du protectionnisme américain. Auriez-vous une meilleure solution à nous suggérer pour y faire face que celle d'avoir entrepris des négociations conditionnelles et incluant les conditions qui sont les plus chères à votre coeur et au mien? Avez-vous une meilleure suggestion à me faire?

M. Bouthillier: Je vous remercie, monsieur. Vous nous dites ici et cela a été effectivement dit, y compris à Chicago, par Brian Mulroney: Ce n'est pas négociable. Rappelez-vous la réponse de l'ambassadeur des États-Unis: "This is an artificial question." Qu'est-ce qu'il voulait dire exactement par "artificial question"? Est-ce que c'est la distinction culturelle qui lui paraissait artificielle entre les deux pays? Possible. "This is an artificial question", répond l'ambassadeur des États-Unis, en décembre 1985, en voulant dire: Mais, enfin, ils veulent protéger une chose qui est distincte. En quoi se distingue-t-elle de nous, . pense-t-on aux États-Unis?

En ce qui concerne la langue, vous nous dites: Bon, très bien, ce n'est pas négociable. Mais que voulez-vous obtenir et qu'exigez-vous? On ne vous entend pas dans le détail. Et vous nous dites: Ce n'est pas négociable. J'ai vu un gouvernement du Québec dont vous faites partie, M. MacDonald et vous Mme Bacon, au fond, négocier la question du français au Québec depuis que vous êtes au pouvoir. Il y a eu une certaine quantité d'eau qui a été mise dans le vin du français depuis que vous êtes là. Est-ce que c'est le ton que vous comptez avoir et adopter vis-à-vis de nos voisins américains?

On vous a dit, à fleuret moucheté, que la confiance ne régnait pas entre vous et nous. Il faut se demander pourquoi. On a vu

un certain nombre d'actes posées, un certain nombre de gestes, un certain nombre de déclarations, un certain nombre de comportements de la part du gouvernement - je ne ferai pas de personnalités - de la part de l'Assemblée nationale, de sa majorité qui a adopté des textes, qui a été tentée d'en adopter d'autres. Je pense à ceux de l'automne dernier relativement aux idées du rapport Lalande. Je sais qu'en ce moment il se discute encore des moyens d'altérer la législation. Ce gouvernement, qui semble avoir une difficulté extrême à résister à la pression de ce qu'il appelle lui-même la minorité anglophone du Québec, comment résisterait-il demain à la pression d'un continent tout entier alors qu'il aurait ajouté aux très nombreux liens qui le lient déjà à cette majorité les liens d'un libre-échange?

Le Président (M. Lemieux): II vous reste environ trois minutes, M. le ministre.

M. MacDonald: Oui. Je vais tout simplement dire que, premièrement, vous n'avez pas encore répondu à ma question, à l'exemple de ceux à qui je l'ai déjà posée et qui avaient des positions semblables à la vôtre. Deuxièmement, il y a au moins une chose sur laquelle on est d'accord: 11 semblerait qu'on n'est pas capable de se mettre d'accord, monsieur.

Le Président (M. Lemieux): Merci, M. le ministre. M. le député de Bertrand, vous avez la parole. (15 h 45)

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Messieurs du Mouvement Québec français, on vous souhaite la bienvenue. Dans votre mémoire et surtout à la façon dont vous l'avez exprimé, on sentait un message livré du plus profond de vous-même. C'est la première fois depuis le début de cette commission, donc après que quelque 30 groupes ou organismes se sont présentés devant cette commission, que le ministre n'est pas d'accord. Le ministre avait réussi, même avec la coalition syndicale, à nous dire qu'il était d'accord sur certains points, mais cet après-midi, vous l'avez' eu. Essentiellement, le ministre n'est pas d'accord parce qu'il a l'impression - j'ai tout lieu de croire qu'il est sincère - que ce que vous dites, il l'a déjà fait, c'est-à-dire qu'il a demandé que la culture, que la langue, que tout cela soit exclu.

Là où nous, de ce côté-ci, et le gouvernement ne nous comprenons pas - vous l'avez très bien souligné - c'est sur toute cette question de non seulement le dire, mais de le faire. Je pense que, autant pour Mme la ministre... D'ailleurs, je suis très content qu'elle soit ici aujourd'hui, parce que ce sont des questions qui lui tiennent à coeur.

Le Président (M. Lemieux): J'aimerais dire au député de Bertrand qu'elle a toujours été ici.

M. Parent (Bertrand): Elle a toujours été ici, oui, au moment où ces groupes comparaissent, par opposition à d'autres ministres qui n'étaient pas là. Je me dois de souligner la présence de Mme la ministre.

Les comportements, l'attitude du gouvernement jusqu'à maintenant face à ces questions, la protection de la culture et la protection de la langue, ont été, d'une part, de dire: Oui, nous sommes d'accord pour les protéger mais, d'autre part, dans les faits, ils ne l'ont pas été. On n'a qu'à penser à la loi sur l'affichage, on n'a qu'à penser à la loi 101. Je pense qu'on est encore dans l'ambiguïté après deux ans. D'ailleurs, Mme la ministre disait il y a deux jours qu'elle doit trancher cette question d'ici la fin de l'année.

Quand vous dites que la culture, la langue se retrouvent un peu partout, je pense que c'est cela essentiellement qu'il faut bien comprendre. II ne s'agit pas de dire que c'est un domaine en particulier. Bien sûr, il y a les industries culturelles, mais moi, je suis très préoccupé par la langue au travail, par l'étiquetage, comme vous l'avez si bien mentionné. La journée où les Américains rentreront davantage ici avec leurs produits, je pense qu'on aura de la difficulté à contrôler. S'il y a un message que je veux bien livrer au gouvernement, c'est de dire que les lois actuelles ne suffiront pas. Je pense qu'il faudra augmenter ce qu'on pourrait appeler, nous, ce protectionnisme du côté de la culture. Si les Américains ont des projets de loi qui s'ajoutent de jour en jour pour augmenter leur protectionnisme, je pense que nous devrions en avoir. Au contraire, on n'en a pas et on sent même, de ce côté, une certaine faiblesse.

D'ailleurs, la façon dont les Américains se comportent vis-à-vis non seulement des Canadiens, mais particulièrement des Québécois, elle a été rapportée dans plusieurs mémos qui ont pu transpirer et que j'ai eu la chance de rapporter à l'Assemblée nationale. Plus près de nous, en avril 1987, le sénateur américain, Matsuanga, selon un reportage publié dans le Kitchener Waterloo Record, aurait déclaré, devant une délégation de parlementaires ontariens en visite à Washington, que les relations canado-américaines seraient sensiblement améliorées si la culture canadienne pouvait se confondre avec celle des Américains. Le sénateur a aussi souligné que les relations seraient davantage facilitées du fait que les deux peuples parlent la même langue. Lorsqu'on lui a rappelé que le Canada était officiellement bilingue et qu'on s'exprimait en français, le sénateur a répliqué que, de toute façon, les francophones parlent l'anglais.

Bien sûr, on n'ira pas changer demain matin l'attitude comme telle des Américains, mais c'est inquiétant de voir de quelle façon ils nous perçoivent et de quelle façon ils vont interpréter la dimension culturelle, la dimension linguistique.

M. Bouthillier, dans votre mémoire, à la page 9, en haut, vous dites: "Le gouvernement du Québec doit donner le vigoureux coup de barre qui s'impose pour renforcer le français dans nos usines, dans nos bureaux et au sein de nos professions." Avec les dix organismes que vous représentez, avec le travail que vous faites, vous avez certainement des séries de recommandations quant à des lois ou à des renforcements par rapport à ce qu'on a actuellement qui mériteraient d'être portées à l'attention du gouvernement et j'imagine que vous l'avez déjà fait. Face à cette préoccupation constante qu'on a lorsqu'on va dans les bureaux, pour prendre l'aspect des entreprises de services, mais aussi dans les entreprises commerciales du centre-ville de Montréal, parce que c'est peut-être plus flagrant, où, de plus en plus, on a de la difficulté à se faire servir en français, est-ce que, concernant la langue du travail, la langue dans les usines, dans les bureaux, dans les commerces, vous avez des recommandations bien précises? Sinon, êtes-vous prêts à en faire pour s'assurer qu'on puisse non seulement conserver ce qu'on a, mais se donner des forces face à la venue en plus grand nombre autant des produits que de tout ce qui arrive en provenance des États-Unis?

Le Président (M. Lemieux): M.

Bouthillier, s'il vous plaît! Avez-vous terminé, M. le député de Bertrand?

M. Parent (Bertrand): Oui.

Le Président (M. Lemieux): M.

Bouthillier.

M. Bouthillier: Merci, M. le Président. Pour l'essentiel, bien sûr, nous avons déjà évoqué la chose, mais nous n'avons pas fait récemment de propositions ou de recommandations très précises sur la stricte question de la langue du travail, du français comme langue de la production. Cela dit, je crois que la recommandation essentielle, si on en faisait une demain matin, serait peut-être - il y en aurait, bien sûr, des éléments - moins le renforcement du texte législatif, moins un amendement à apporter à la charte que vous connaissez qu'une manière de l'appliquer, une manière de faire comprendre, je dis bien urbi et orbi, c'est-à-dire à l'intérieur et, pour ce qui nous concerne ici, à l'extérieur, que cette question est une question fondamentale.

Prenez l'affichage qui est, évidemment, tout à fait visible. Il suffit, vous le disiez vous-même, de circuler dans les rues pour voir ce qui se passe. L'affichage se fait de plus en plus... Et, sur cette lancée, il se pourrait que de plus en plus on voie apparaître un comportement d'entreprises, d'individus qui font fi des dispositions actuelles simplement parce que l'appareil bureaucratique - mais il ne faut pas se faire d'illusions, derrière l'appareil bureaucratique, il y a évidemment l'État, le gouvernement -n'exprime pas ou ne veut pas exprimer la volonté qui devrait être la sienne de faire appliquer et rapidement ces dispositions.

Langue du travail, langue de la consommation, langue d'affichage, etc., on voit un État, un gouvernement qui, bien sûr, donne des gages, bien sûr, dit qu'il fait des choses, bien sûr, fait de temps en temps un procès ici et là, mais on n'a pas l'impression d'être en présence d'un pouvoir politique, d'une force politique décidée à régler cette question une fois pour toutes. Une fois qu'on aura réglé cette question, pourquoi pas, on est sur la lancée...

Regardez le problème de la langue du travail. Le français langue du travail, langue de l'encadrement, langue du commandement économique, nous revenons de très loin sur ce plan, vous êtes bien d'accord avec moi. Des progrès ont été faits depuis 10, 15 ou 20 ans, mais nous revenons de très loin. Mais voilà - c'est cela, le drame dans lequel nous nous trouvons, c'est cela le drame dans lequel ces projets ou ces idées de libre-échange nous placeraient - à peine avons-nous commencé - je dis bien que c'est un tout début, si vous regardez l'histoire du Québec sur une longue période - à introduire notre langue comme langue de la réalité: la langue du travail, la langue de l'encadrement, la langue du commandement et de la conception économiques, à peine avons-nous commencé qu'on dit: Voilà, on va vous proposer un changement de décor important et capital, il ne faut pas se faire d'illusions, qui va vous jeter dans la situation que vous savez, enfin celle que nous vous proposons. Comment cela pourrait-il ne pas avoir un effet sur ce début de vie, si vous voulez, du français langue du travail? Il sort des langes, ce français langue du travail, et on va lui opposer, si vous voulez, un géant incroyable. Encore, si on avait un gouvernement qui nous démontrait que, précisément parce qu'il a lui-même reconnu que la menace allait être plus grande, il agirait, il renforcerait l'appareil. À risques plus grands, à menaces plus grandes, appareil de défense plus grand. Non, on ne voit cela nulle part.

Mais attentionl Rappelons que, dans notre mémoire et de la façon dont nous avons analysé la situation, s'il est vrai que tel ou tel aspect de la législation linguistique pourrait être affaibli, atténué, contré, contredit, paralysé par tel ou tel élément, tel ou tel article d'un éventuel traité de

libre-échange, ce qui m'apparaît encore plus grave, c'est le risque d'affaiblissement de la volonté politique. Même si un éventuel traité n'enlevait pas au Québec le droit d'exercer ses compétences même limitées - on sait qu'elles sont limitées - dans les domaines qui nous intéressent, on a vraiment l'impression, le sentiment - c'est, en tout cas, ce qui se dégage de la ligne de conduite du gouvernement depuis quelque temps - qu'il ne pourrait pas, qu'il ne saurait pas résister à cette immense pression. Quand on n'a pas pu résister à la pression d'Alliance Québec, pourquoi pourrions-nous résister à celles de Washington, de Chicago et d'Hollywood réunies?

M. Parent (Bertrand): Une dernière question, un dernier commentaire, M. Bouthillier. Vous dites que des lois additionnelles ou le raffermissement de ce que nous avons seraient nécessaires, mais ne pensez-vous pas qu'en plus l'attitude et le comportement d'un gouvernement font en sorte que cela devient incitatif, positivement ou négativement, sur l'application? Je veux dire que, si le gouvernement actuel, face à la loi 101, face à la protection de notre langue, par exemple sur l'affichage, puisque c'est une question d'actualité, ne se montre pas déterminé à protéger à tout prix et à prendre les mesures nécessaires, cela devient très incitatif à la désobéissance. Si le gouvernement ne prêche pas par une certaine austérité, si le gouvernement n'applique pas sévèrement les lois actuelles et ne se montre pas déterminé, sans ambiguïté, c'est, à toutes fins utiles, s'ouvrir pour montrer à la communauté anglophone, d'une part, mais éventuellement, vu que de plus en plus de commerce et d'échanges se feront avec les Américains, une certaine facilité pour eux de faire leurs choses sans entraves. C'est beaucoup plus une question de comportement.

M. Bouthillier: Vérité d'option, vérité et détermination, vérité à l'intérieur, mais vérité qu'il faut faire connaître à l'extérieur. Quelle action le gouvernement du Québec entend-il entreprendre, notamment par le biais de ses délégations générales du Québec, pour faire comprendre non seulement la législation, mais la réalité linguistique? Qu'est-ce que le gouvernement du Québec entend faire - je sais bien que c'est difficile, c'est pour cela que je pose la question -pour surmonter, si je puis dire, des générations et des générations d'habitudes acquises, d'idées reçues, de préjugés appelez-les comme vous voudrez - des États-Unis à l'endroit de toutes sortes de petites cultures, de toutes sortes de petites langues, y compris la culture et la langue du Québec? Qu'est-ce qu'il entend faire pour contrer cela?

La détermination à l'intérieur. Aurions- nous un État... Vous savez, des petits peuvent traiter avec des grands, quoique tous les petits ne l'ont pas fait. Regardez quel a été le comportement de la Norvège quand est venu le moment pour elle de ne pas entrer précisément dans le marché commun. Elle a décidé de le faire, elle a trouvé ses réponses. Peut-être M. MacDonald en trouvera-t-il du côté de ses amis norvégiens. Un petit peut traiter effectivement sur le plan qui nous intéresse ici, à la condition qu'il sache lui-même qui il est, qu'il soit déterminé à le rester et qu'il fasse comprendre et savoir aux gens d'en face qui il est et qu'est-ce qu'il entend faire pour continuer de l'être. (16 heures)

Vous savez, les Israéliens, petits, minuscules, etc., sont entrés dans des rapports de libre-échange avec le géant dont nous parlons aujourd'hui et dont nous ne mentionnerons pas le nom. Bon, très bien! Personne aux États-Unis ne doutait de la détermination du peuple israélien, de la détermination des dirigeants de ce pays, de ce qu'ils étaient, de ce qu'ils voulaient être, de ce qu'ils voulaient continuer d'être, de la détermination et des moyens qu'ils prenaient pour l'être. Mais enfin, il y a là une tradition, une réalité politique.

Est-ce que nous sommes en présence de la même détermination? Est-ce que nous sommes en présence de la même réalité? Je poserais la question brutalement: Quand je regarde nos dirigeants politiques, est-ce que j'ai vraiment l'impression d'être devant un David Ben Gourion? Je n'en suis pas exactement certain. Merci.

M. Parent (Bertrand): Merci beaucoup et je puis vous dire que, de ce côté-ci, votre message est entendu et compris.

Le Président (M. Lemieux): Je vous remercie, M. le député de Bertrand. Mme la vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles, vous avez la parole.

Mme Bacon: Merci, M. le Président. On a l'habitude ici de traiter les gens avec respect. Ce n'est pas parce qu'on est politicien qu'on doit avoir moins de respect des gens qui viennent nous rencontrer pour discuter. Alors, je vais tenter, avec le respect que nous devons à nos invités, de ne pas poser les questions que j'aurais envie de poser en ce moment. Les questions que j'aurais envie de poser, ce serait: Où étiez-vous, il y a quelques années, quand on avait au Québec de l'affichage unilingue? Où étiez-vous, il y a quelques années, quand on avait au Québec de l'affichage bilingue? Où étiez-vous, il y a quelques années, quand au Québec on a arrêté le processus normal du traitement des plaintes? Et où étiez-vous, il y a quelques années, quand un président de

la Commission de protection de la langue française restait littéralement assis 3ur 4886 plaintes? Ce sont des questions que je me pose et que je vous pose. Ce sont quelques éléments, je pourrais en ajouter beaucoup d'autres. M. le Président, le Mouvement Québec français, qui souhaitait qu'un large débat s'engage sur la libéralisation des échanges commerciaux, parce que c'est de cela qu'il s'agit, est vraiment exaucé par la tenue de cette commission parlementaire. Je comprends qu'il faille demeurer vigilant quand il s'agit de notre patrimoine culturel et de notre patrimoine linguistique. Notre gouvernement l'est et notre gouvernement entend continuer de l'être. Que cela sonne creux pour votre mouvement, pour nous, c'est ce que nous avons dans les tripes, c'est ce que nous avons dans le coeur. Être vigilant, cela ne veut pas dire, pour autant, devenir pessimiste à tous crins. Je pense que cela a été ce qu'on a entendu depuis le début.

Je vous référerais à un livre de Claude Hagège, Le français et les siècles. - vous avez peut-être lu ce livre - qui estime avec justesse que la puissance de domination de l'anglo-américain dans le monde d'aujourd'hui est telle qu'il n'est pas évident - comme vous semblez le prétendre - qu'elle doive se maintenir indéfiniment à son niveau actuel. Et Hagège considère qu'on prend conscience aux États-Unis de l'avenir du plurilinguisme et de la vanité des chimères unitaires. Et j'ajouterai qu'au terme de son analyse qui est suffisamment rigoureuse, le professeur Hagège mentionne que tous attestent que la domination de l'Anglo-Américain n'a nullement entamé - et là je voudrais qu'on m'entende bien - l'attachement nationaliste des peuples les plus divers à leur langue comme lieu définissant leur personnalité politique et culturelle. C'est avec un sain réalisme que notre gouvernement a signifié au départ, comme condition préalable aux négociations qui sont en cours - et mon collègue vous l'a dit - la ferme intention d'exclure les questions qui ont trait au domaine des affaires culturelles et des affaires linguistiques. Comme le disait mon collègue, cela a été une condition sine qua non. Nous n'aurions pas discuté si nous n'avions pas exclu et la culture et tout le domaine linguistique.

Je pense que la réalité linguistique a fait l'objet de discussions publiques. On a exposé aussi les volontés et une détermination du présent gouvernement lors de l'étude des crédits accordés à la politique linguistique et à la politique culturelle. Je pense avoir suffisamment démontré, comme mon collègue l'a fait tout à l'heure, la préoccupation, mais aussi en même temps l'attachement que nous avons à cette culture québécoise, à ce patrimoine culturel et linguistique et à la protection que nous devons en faire.

Je sais que cela ne vous plaît pas d'entendre des choses comme cela venant des membres du gouvernement. Ce n'est pas supposé, et surtout quand ils sont du côté libéral. Mais si vous regardez ce qui s'est fait... Et je reviens aux questions que je vous posais tout à l'heure: Où étiez-vous à ce moment? Quelles plaintes avez-vous faites à la Commission de protection de la langue française comme vous en faites maintenant? Les mêmes annonces et le même affichage, il y a quelques années, qui existent encore. Où étiez-vous? C'est la question que je vous pose.

Le Président (M. Lemieux): Merci, Mme la vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles. M. Bouthillier, s'il vous plaît.

M. Bouthillier: Merci, M. le Président et Mme la ministre.

Le Président (M. Lemieux): II vous reste très peu de temps, s'il vous plaît, quelques minutes seulement.

M. Bouthillier: Juste en additif à Claude Hagège, je vous renverrais à l'interview qu'il a accordée au journal LeDevoir, en fin de semaine, où il disait: La survie du français au Québec passe par l'uniiinguisme et toute politique qui accepterait et qui étendrait l'affichage bilingue est une politique qui renforcerait les mentalités bilinguistes, affaiblirait les mentalités unilinguistes et risquerait de compromettre le français. Voilà pour Claude Hagège.

Vous nous parlez des tripes et des coeurs. Vous n'êtes pas la seule à l'avoir fait; monsieur votre collègue, tout à l'heure, nous a parlé des tripes et des coeurs. C'est très beau. On ne fait pas de politique avec des tripes, on ne fait pas de politique avec les coeurs. On fait des politiques avec des volontés, an fait des politiques avec des textes, on fait des politiques avec une affirmation. Où est-elle, cette affirmation? Apportez vos tripes, apportez votre coeur à Simon Reisman et à l'autre en face, vous verrez ce qu'il en fera. "Artificial question", vous répondra-t-on fort probablement.

Vous dites que c'est une question sine qua non. J'ai bien hâte de voir quel sens vous attribuez au sine qua non dont vous venez de parler. J'ai bien hâte de voir, n'est-ce pas, sur quel article de la loi 101 vous allez faire achopper les négociations canado-américaines sur le libre-échange. Je suis très curieux et vous me permettrez de témoigner de ma curiosité ici.

Toute votre stratégie concernant cette histoire consiste à exclure, comme si on pouvait exclure langue et culture. Nous, on

dit non. Il ne s'agit pas d'exclure vis-à-vis des Américains; il s'agit de renforcer à l'intérieur la langue, l'attitude, la mentalité et le sentiment d'appartenance. On ne voit pas ce que vous faites sur ce plan-là; c'est pourquoi nous sommes extrêmement inquiets. On me dit de m'arrêter.

Le Président (M. Lemieux): Non, on ne vous dit pas de vous arrêter, mais je dois faire respecter des règles et M. le secrétaire me fait signe que vous n'avez plus de temps disponible. Alors, je me dois de faire respecter ce règlement qui est celui de l'Assemblée nationale.

Mme la vice-première ministre, est-ce que vous avez quelque chose à ajouter?

Mme Bacon: C'était une question que j'avais posée et je n'ai pas eu de réponse.

Le Président (M. Lemieux): Je vous remercie, Mme la vice-première ministre.

M. le député de Frontenac, je m'excuse, mais je n'ai plus de temps disponible.

M. Lefebvre: Je n'ai pas eu de réponse à ma question, non plus.

Le Président (M. Lemieux): M. le député de Frontenac, s'il vous plaîtl

Nous vous remercions de vous être présentés cet après-midi devant cette commission parlementaire. Le débat fut effectivement très enrichissant. Maintenant, je demanderais à l'Association des fabricants de meubles du Québec de bien vouloir prendre place, s'il vous plaît. Je vous souhaite une bonne fin d'après-midi, messieurs.

Nous reprenons cette consultation générale avec la présence de l'Association des fabricants de meubles du Québec. Je reconnais certains visages qui me sont familiers sinon sympathiques, des gens de mon comté, d'ailleurs. Je crois que c'est M. Boisvert qui préside la délégation. M. Boisvert, je vous rappelle, ainsi qu'à vos collègues, que vous avez approximativement une heure pour la présentation globale et la discussion. D'abord, environ 20 minutes pour l'exposé et le reste du temps est réparti de part et d'autre aux membres de la commission pour les échanges.

Je vous demanderais d'abord de présenter les collègues qui vous accompagnent et d'engager immédiatement la présentation de votre mémoire. Merci.

Association des fabricants de meubles du Québec

M. Boisvert (Jean-Yves): M. le Président, mon nom est Jean-Yves Boisvert. Je suis président de l'Association des fabricants de meubles du Québec et président et chef de la direction de Valtec, division Henri-Vallières, à Nicolet.

Permettez-moi d'abord de vous remercier d'avoir bien voulu nous recevoir comme représentants de l'industrie du meuble au Québec. La fabrication du meuble au Québec a une histoire aussi longue que celle de la Nouvelle-France. Cette activité, considérée comme traditionnelle, est quasiment inscrite dans notre patrimoine historique en raison des vastes territoires boisés du Québec. (16 h 15)

D'artisanale qu'elle était, la fabrication du meuble a franchi l'étape de l'industrialisation à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, l'industrie du meuble demeura jusqu'à l'époque actuelle une industrie de petite taille. Autrefois, les entreprises de meubles s'établissaient près des scieries et de leurs sources d'approvisionnement, en bois plus particulièrement. Aujourd'hui, elles ont tendance à s'implanter près des grands centres où se trouvent les marchés importants. Cependant, bon nombre d'entre elles sont encore dispersées dans plus d'une centaine de localités du Québec. Dans bien des cas, elles sont le principal ou même le seul employeur de l'endroit. Elles contribuent donc largement à maintenir l'équilibre économique dans les régions.

L'industrie québécoise du meuble représente une part importante de l'activité canadienne dans ce domaine. En fait, elle emploie plus de 15 000 travailleurs, a une masse salariale de 230 000 000 $ et produit un chiffre d'affaires de 1 050 000 000 $. Son champ d'activité se répartit entre les sous-secteurs de la fabrication des meubles de maison, des meubles de bureau et d'articles d'ameublement divers.

L'industrie des meubles de maison, avec une production de 875 000 000 $, est de loin le sous-secteur le plus important. Ce sous-secteur regroupe des usines de fabrication de meubles en bois et en métal, non rembourrés et rembourrés, des bâtis de meubles, des pièces finies de meubles, meubles de maison, de chalet, de parterre et de véranda. Près des trois quarts de l'activité de l'industrie du meuble est attribuable à ce sous-secteur.

Il est suivi, en termes d'importance, par l'industrie des meubles de bureau qui produit un chiffre d'affaires de plus de 175 000 000 $. Ce sous-secteur regroupe les meubles de bureau proprement dits et le matériel de classement.

Enfin, les articles d'ameublement divers constituent le dernier segment en importance de l'industrie des meubles et des articles d'ameublement. Ce dernier segment est constitué d'usines fabriquant des meubles d'hôpitaux, des meubles destinés à des usages

spéciaux, des installations fixes d'hôtels, de restaurants, de magasins et de bureaux, des étagères et des armoires, des matelas, des meubles et des appareils fixes et des cadres pour tableaux et photographies.

Quelques dernières statistiques. L'industrie du meuble exporte entre 10 % et 15 % de sa productions 95 % des entreprises québécoises sont propriété canadienne et québécoise. Véritable pivot de l'industrie du meuble du Québec, l'Association des fabricants de meubles du Québec, fondée en 1942, regroupe aujourd'hui près de 140 fabricants de meubles de tous les secteurs de l'industrie - maisons, bureaux, contrats - qui détiennent à leur actif la majeure partie de la production et des ventes de meubles de la province. L'Association des fabricants de meubles du Québec est reconnue comme un dynamique dispensateur de services destinés à ses membres. Ces services constituent des outils de haut calibre permettant aux fabricants d'améliorer leur fonctionnement et d'accroître leur part du marché. Pour ne mentionner que les principaux services: les salons du meuble de Montréal et de Toronto, les services de marketing et d'exportation, les services de relations industrielles et de santé et sécurité au travail, les services d'information de crédit, les services de consolidation de transport (Consolidex).

J'aimerais maintenant vous présenter les autres représentant qui se sont joints à moi aujourd'hui. À mon extrême gauche, M. Claude Godard, ex-président consultant et président des Meubles Nordec à Sainte-Véronique; à ma droite, Fernand Fontaine, premier vice-président de l'association et président-directeur général de Dutailier Inc. situé à Saint-Pie de Bagot, et, à ma gauche, M. Claude Jutras, vice-président exécutif de l'association, à qui je laisse immédiatement la parole sur d'autres sujets.

M. Jutras (Claude): Merci, M. Boisvert.

La partie qu'on m'a laissée est peut-être la partie la plus statistique au chapitre de la comparaison de ce qui se fait entre le Québec et les États-Unis. Quelquefois, bien sûr, quelques statistiques se situent sur le plan canadien. Il faut tenir pour acquis que le mémoire que vous avez présentement entre les mains a été fait il y a deux ans déjà, en 1985. Donc, il peut y avoir quelques statistiques qui pourraient être ajoutées ou mises un peu plus à l'heure. Le deuxième prérequis que l'on a fait, même au moment où on a fait l'étude, était que le dollar resterait tel qu'il est présentement. Dans l'étude, il est dit quelque part qu'à un moment donné un jeu de pourcentage dans le dollar pourrait influencer la non-rentabilité ou la rentabilité de l'industrie du meuble quand on parle de libre-échange.

Une des choses qui frappent dans l'industrie du meuble, c'est que, d'une part, comme le disait M. Boisvert, elle est excessivement dispersée au Québec. Elle est la deuxième industrie de meubles au Canada après l'Ontario et elle regroupe environ 14 000 emplois au Québec. Une des choses, quand on parle de diversifier, c'est que la moyenne de l'industrie québécoise est de 20 personnes et, si on la compare à la même chose pour le secteur résidentiel américain, elle est de 45. C'est donc dire que 71 % des industries de meubles au Québec ont moins de 20 employés. Si on touche celle du bureau, elle est à peu près le double, c'est-à-dire 40 contre 85, Québec-USA.

Mais il y a plus. Si on regarde la répartition des usines américaines Je meubles, elles sont réparties à la grandeur du pays. Cependant, il semble y avoir au niveau résidentiel une concentration dans quatre États, c'est-à-dire New York, Caroline du Nord, Californie et Floride. Si on regarde la Caroline du Nord, on a 73 000 employés en Caroline du Nord. Je pense que ce n'est certainement pas à négliger, compte tenu des distances et des difficultés de transport que l'on a au Canada. Si on regarde le meuble de bureau, on a à peu près la même chose à l'exception que la concentration semble être en Californie. Si on regarde la Pennsylvanie, par exemple, vous avez exactement le double des employés que vous avez pour tout le Québec.

En ce qui concerne la production maintenant, en d'argent, le Canada a une moyenne par usine d'environ 1 200 000 $, le Québec a 1 000 000 $, les États-Unis, 3 000 000 $, toujours pour le secteur résidentiel. Si on parle de meubles de bureau, on a 3 500 000 $ pour le Canada, 3 800 000 $ pour le Québec et 9 000 000 $ de moyenne pour les Américains.

Notre principal partenaire, bien sûr, quand on parle d'exportation dans le meuble, ce sont les États-Unis. D'ailleurs, de 1979 à 1984, on a augmenté nos exportations au Québec de 181 %. Cependant, il faut faire excessivement attention à cette statistique parce que le fait que nous sommes excédentaires dans le meuble de résidence, si l'on compare le Canada et même le Québec avec les États-Unis, est relativement récent. Effectivement, pour le Québec, cela date de 1982 ou 1983 et le Canada, de 1984. Si on regarde la dernière statistique que l'on a, c'est-à-dire en 1984, on a un excédent de 16 000 000 $. Mais ce qui fait la différence, c'est que très souvent les Américains disent: II y a énormément de meubles canadiens qui inondent notre marché et c'est bien sûr l'ameublement de bureau, qui a un excédent de 230 000 000 $ contre 16 000 000 $. C'est donc dire que la grande part du marché canadien de meubles est celui de bureau. Je ne dis pas cela pour m'en plaindre, M. le Président, loin de là. Mais c'est simplement une constatation qui,

à un moment donné, pourrait jouer parce que... Là, c'est une théorie que, bien sûr, on ne peut expliquer et à laquelle on ne peut donner une réponse affirmative, à savoir que dans le meuble de bureau vous avez énormément d'industries qui sont des filiales américaines. Advenant le libre-échange, est-ce qu'on demeurera une filiale américaine ou, tout simplement, on déménagera la production aux États-Unis? C'est une question à laquelle on ne peut pas répondre mais qui, à un moment donné, peut avoir drôlement une implication.

Les meubles de résidence s'expédient surtout dans l'Est des États-Unis. Si on compare cela au bureau, celui-ci n'a que 25 % des meubles qui vont aux États-Unis, le reste va à l'extérieur dans le monde entier. Cependant, quand on regarde les statistiques en ce qui regarde le pourcentage, le montant de meubles qu'on exporte aux États-Unis ne correspond qu'à 0,04 % de 1 % de la masse de meubles dont les Américains vont se servir. Ce que les Américains envoient ici correspond à 3,4 % de notre marché. C'est donc dire le poids qu'un pays comme les États-Unis peut avoir à ce niveau.

En ce qui concerne la main-d'oeuvre, si on parle de salaires, on est plus ou moins sur la même base. Cependant, il semblerait que les autres charges ont une influence positive pour les États-Unis. Effectivement, si on regarde le coût par meuble pour le pourcentage, le coût de la main-d'oeuvre pour le Québec est d'environ 31,4 %; pour le Canada, il est de 29,6 %. Aux États-Unis, le coût de la main-d'oeuvre pour chaque meuble fabriqué, en moyenne, bien sûr, est de presque 24 %, c'est-à-dire 23,9 %. C'est donc dire qu'on a un jeu d'environ 7 %. Nous pensons que ces choses-là viennent dans "autres charges". On y reviendra un peu plus tard.

Sur le plan de la productivité, notre mémoire dit que la productivité entre les Américains et les Québécois est d'environ 39 % en faveur des Américains. Cela vient surtout, au Québec, des heures non travaillées et payées, de l'absentéisme. Bien souvent, nous allons l'admettre, compte tenu de nos difficultés de climat, compte tenu de la grandeur de ce pays et de la grandeur de ses usines... Au lieu de fabriquer 50 morceaux d'un modèle, on en fabriquera 100 ou 150, donc, économie d'échelle. Les matières premières sont presque entièrement américaines, à 60 %, 70 %. On pense que c'est plus, mais on est sûr de 60 %, 70 %; entre autres dans le bois, on est à peu près à 80 %.

Les barrières tarifaires, la différence entre les deux est d'environ 12 % et, je le répète, le taux de change, à un moment donné, peut avoir une implication. Effectivement, une variation de 10 %, pensons-nous, pourrait annuler l'avantage que l'on peut avoir de concurrencer avec les États-Unis. S'il y avait une libéralisation immédiate, nous pensons qu'on aurait des difficultés sur le plan de la taille des entreprises, de la productivité, bien sûr - on y a touché - de la capacité installée non utilisée. Saviez-vous que, si les Américains prenaient 7 % de la capacité non utilisée de leur usine, ils produiraient plus de meubles que tout le Québec? Dieu sait que cette partie ne coûterait rien parce que les frais d'administration ont déjà été amortis.

Le coût de transport, on y reviendra. Dans notre mémoire, nous disons que, s'il y avait le libre-échange dans l'industrie du meuble, il y aurait une réduction des prix d'environ 12 %. Quand on pense que le ratio moyen des profits dans l'industrie du meuble a été, dans les dernières années, de 2,1 %, on peut imaginer où on en serait si une telle chose arrivait. On pense que, globalement, si le libre-échange était effectif, dans quelques mois, on pourrait perdre entre 3000 et 5000 emplois.

Cependant, nous recommandons certaines choses. D'une part, on dit dans nos recommandations qu'il faudrait comparer deux choses égales. Il y a certaines choses au Canada qui sont carrément inégales si on compare avec les États-Unis, entre autres le climat. Bien sûr, il n'y a pas lieu de prendre le Canada et de l'envoyer en Floride, mais je pense que c'est quand même un aspect dont il faut tenir compte parce que ça inclut des coûts supplémentaires ne serait-ce qu'en chauffage, en absentéisme - on l'a vu tantôt - en coût d'assurances qui sont peut-être difficiles à quantifier en pourcentage réel, mais qui sont là quand même.

On a aussi un problème de faible densité de population. Si on prend un camion de meubles à Montréal, par exemple, te seul endroit où on peut le vider, c'est à Toronto, 450 milles plus loin. Aux États-Unis, on n'a pas ce problème, on a peut-être passé cinq, six, sept ou huit villes de même proportion, là où vous pouvez laisser vos meubles. Il y a une difficulté, sur le plan de la densité de population, qui se répercute sur les coûts de transport. Savez-vous qu'il est plus avantageux de prendre un meuble à Montréal, de l'envoyer aux États-Unis et de le ramener à Vancouver? Cela revient meilleur marché que de l'envoyer par notre pays. Bien sûr, il y a une déréglementation du transport aux États-Unis qui joue et qui n'est certainement pas négligeable. (16 h 30)

II y a, bien sûr, certaines lois en relations du travail qui doivent être, à un moment donné, équilibrées pour pouvoir comparer les mêmes choses. Dans ce contexte, nous disons que le libre-échange, nous pouvons le réaliser si certains critères sont suivis; sinon, nous aurions énormément

de difficulté à survivre. Un des critères, notre première recommandation, c'est que les tarifs douaniers entre les États-Unis et le Canada ne soient abaissés que progressivement et sur une période d'au moins dix ans. Une deuxième, c'est qu'on suggère au gouvernement de procurer une aide technique, peut-être financière aussi, mais surtout technique afin de favoriser et développer la productivité et la compétitivité des entreprises québécoises, un programme du type OCRI. Je pense qu'au cours des dernières années, entre autres, si on parle de la compétitivité, il y a eu un fort pourcentage des membres de notre association qui a investi dans le renouvellement de la machinerie, dans la modernisation de la machinerie. On ne doit pas se leurrer, la modernisation est bonne pour les Américains, pour les Canadiens, pour les Québécois et elle est à la portée de tous. Je ne pense pas que cela relève de la taille de l'entreprise, mais il y a lieu de regarder cela dans la perspective du nombre d'employés.

On pense aussi que des mesures rigoureuses devraient être prises pour l'application des lois antidumping afin d'éviter que les entreprises américaines vendent à perte sur le marché canadien. Présentement, cela se produit. Malheureusement, on ne peut peut-être pas le prouver, mais on peut vous dire que, par exemple, très souvent, au moment où vous arrivez avec un camion aux douanes américaines, on va vous dire: Donnez-nous votre connaissement, on vérifie la première boîte, on dit: Très bien, je veux en vérifier une deuxième mais en avant du camion. Vous imaginez les coûts additionnels que cela peut causer aux fabricants.

Bien sûr, la quatrième serait la déréglementation du transport et on pense qu'elle devrait être analysée de façon très positive et de très près puisque cela cause énormément de problèmes de concurrence dans l'industrie du meuble. M. le Président, c'est ce que j'avais à dire au sujet des statistiques en général.

Le Président (M. Charbonneau): Est-ce qu'il y a d'autres commentaires sur la présentation? Non. Cela complète, si je comprends bien, la présentation initiale. On va maintenant passer à la période de discussion.

M. le ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: Messieurs, merci d'être présents. Nous avons voulu à cette commission parlementaire être capables de présenter non seulement les impressions mais les études de fond de plusieurs organismes. Vous représentez un de ces organismes et je suis d'autant plus heureux de vous voir ici que, de toute façon, vous vous étiez déjà présentés devant le comité Warren et aviez discuté longuement. Je crois que mon adjoint parlementaire, M. Cannon, avait rencontré votre association. Si je ne m'abuse, je crois que vous avez également eu des discussions avec M. Johnson, ministre de l'Industrie et du Commerce.

Je vais résumer rapidement en disant: Nous avons déjà traité avec vous des quatre grandes conditions que vous avez mentionnées. Je crois qu'on a répondu que nous sommes d'accord. D'ailleurs, à vous comme à d'autres secteurs industriels, nous avons posé la questions Vis-à-vis d'un traité de libéralisation, vis-à-vis d'une réduction progressive des tarifs - deux hypothèses -combien de temps cela vous prendrait-il pour vous ajuster? Je dois vous dire que les réponses ont varié entre deux ans jusqu'aux dix ans que vous mentionniez, selon l'état de préparation à cet abaissement.

Au sujet des programmes de transition qui doivent toucher non seulement le recyclage de la main-d'oeuvre, mais la modernisation et l'augmentation de la compétitivité des entreprises, on a déjà mentionné que c'est une condition fondamentale. Sur la question de la protection des ventes à perte, du dumping, un traité de libéralisation ne veut pas dire un traité de frontières totalement ouvertes sans aucune mesure pour se prémunir contre des choses semblables et le GATT, dans l'esprit duquel cette entente se ferait, prévoit toutes sortes de procédures en dehors même de ce qui pourrait être l'entente bilatérale. Finalement, vous avez mentionné la question du transport, sur laquelle, peut-être, vous voudrez parler plus longuement.

Avant de céder la parole à mon collègue, le ministre de l'Industrie et du Commerce qui, je le sais, voudrait intervenir sur certains sujets, il y a deux points sur lesquels j'aimerais vous entendre. Il s'est fait, comme vous l'avez dit, M. le vice-président exécutif, beaucoup de modernisation chez plusieurs de vos membres. Il y a des gens qui ont fait des percées absolument spectaculaires sur le marché américain parce qu'ils étaient compétitifs, parce qu'ils se sont donné les moyens d'être compétitifs tant sur le produit qu'ils avaient que sur la façon de le faire et sur le marketing. Dans votre industrie - votre rapport est daté de février 1985; alors 29 mois ont passé - il s'est fait une consolidation d'entreprises. Voici ma première question. Qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas de traité de libéralisation des échanges, est-ce que votre industrie n'est pas dans une période, dans un mouvement de consolidation, de modernisation qui fonctionne quasiment à progression géométrique? N'êtes-vous pas en train de vous donner et ne vous êtes-vous pas déjà donné plusieurs outils chez plusieurs de vos membres pour faire face à cette possibilité d'une réduction tarifaire? C'est ma première question; j'en aurai une

autre ensuite.

M. Godard (Claude): M. MacDonald, notre industrie, je dirais, depuis cinq ans, a investi beaucoup. Je suis moi-même un fabricant, à Sainte-Véronique, dans les Laurentides, un beau petit pays représenté par mon député ici présent, un pays extraordinaire, mais qui ne compte pas beaucoup d'industries. C'est la seule industrie dans un village éloigné qui compte une soixantaine d'employés. Depuis environ deux ans, on investit. On rentre de la machinerie de plus en plus et on se prépare. Ce qui nous faisait travailler dans ce sens-là, c'étaient les ententes du GATT. Les ententes multilatérales, veux veux pas, les tarifs des douanes diminuent et, déjà, c'était, je ne sais pas le pourcentage d'il y a quelques années, et on est rendu à 16-4 à peu près...

Une voix: 15-3.

M. Godard: 15-3. On est rendu à environ 12 %. On est en train de s'organiser, de s'améliorer. Ceux qui ont visité nos salons du meuble depuis quelques années auront remarqué que le design s'est beaucoup amélioré. Je pense qu'on peut dire qu'on est en train de révolutionner le design, mais on a encore beaucoup de chemin à parcourir. Ce ne seront plus les Américains tout à l'heure. Ce sera Taiwan. Ce seront les Chinois, tes Japonais. Ce seront d'autres pays. Alors, veux veux pas, il faut s'organiser, il faut améliorer parce que, sans cela, tout à l'heure, on va être pris dans le système. C'est pour cela que, présentement, nous étudions le système japonais "Just in time". J'espère qu'on va arriver "just in time". C'est pour cela qu'on vous demande dix ans.

M. Boisvert: Si vous me le permettez, M. MacDonald...

M. MacDonald: Oui.

M. Boisvert: ...je crois qu'à l'association, depuis au-delà de deux ans et peut-être plus, trois ans, on fait en sorte de renseigner nos membres dans le sens qu'ils doivent aller dans cette direction, se moderniser, se consolider, se concerter, peut-être aussi aller vers un consortium... C'est la voie que les membres ont prise depuis quelques années et on le voit jusqu'à présent par les résultats.

M. MacDonald: J'ai une deuxième question. Comme vous l'avez dit vous-même, plusieurs entreprises ont dépensé des millions de dollars en équipement CAO-FAO, en toutes sortes de choses. Advenant une entente - je prends l'exemple d'une de vos recommandations - comment traitera-t-on les entreprises qui ont déjà fait des investisse- ments majeurs et qui sont déjà compétitives par rapport à certaines qui, pour toutes sortes de raisons très légitimes ou moins, ne l'auraient pas fait? Vous nous parlez d'un programme du genre OCRI. Nous sommes d'accord qu'il devra y avoir des mesures et des moyens pour mieux "transitionner" ou mieux passer cette période de baisse. Est-ce que vous avez des suggestions eu égard à ces hypothèses que j'ai mentionnées?

M. Jutras: M. MacDonald, l'expérience, en tout cas dans l'industrie du meuble et je pense que cela vaut aussi pour d'autres industries, veut qu'au moment où on peut faire un projet plus ou moins "at large" pour à peu près toutes les industries... Bien sûr, vous allez aider une industrie qui, à un moment donné, pourrait, compte tenu de l'économie, être en difficulté et lui donner un dernier coup de pouce, un dernier souffle qui lui permette de faire le saut, mais je ne connais pas d'industries, les meilleures, qui n'en ont pas aussi profité. J'étais là quand, il y a quelques années, le gouvernement du Québec a investi un certain nombre de millions de dollars dans un programme qui s'appelait Innovation meuble. Cela avait permis à certaines entreprises de prendre un envol qu'elles n'avaient pas, mais je peux vous dire que celles qui avaient déjà un envol ont continué leur envol et en ont bénéficié - je ne voudrais pas être taxé... -mais en ont peut-être encore plus bénéficié parce qu'elles étaient peut-être encore plus près de l'avoir, et tant mieux pour ça. Et si aujourd'hui l'industrie est relativement bien, dans ces semaines-ci ou dans ces mois-ci, je pense que c'est tout ça mis ensemble. Je pense que c'est cette modernisation, cette consolidation, c'est cette vision qui font que l'on avance. Ce que l'on dit aujourd'hui, c'est: Faites attention pour ne pas nous couper les ailes au moment où on prend un envoi.

Le Président (M. Charbonneau): Une dernière réponse, monsieur...

M. Godard: Là-dessus j'aimerais ajouter qu'il faudrait faire attention aussi parce que peut-être certains des membres, certains fabricants ont bénéficié largement de subventions vers 1983 à la suite de la baisse, si vous voulez, du meuble, ont eu des subventions pour acheter d'autres usines et là ça sera peut-être ces gens-là qui vont dire: Bien, arrêtez les subventions. Il faudrait peut-être prendre ça en ligne de compte. Il faut faire attention à cela. Cela arrive souvent. Maintenant qu'on en a eu nous autres, plus de subventions, c'est fini. Il faudrait peut-être étudier cas par cas et regarder ce qu'ils ont eu ceux qui disent ça des fois et, pour ceux qui en ont besoin, faire une réserve.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Alors, messieurs de l'Association des fabricants de meubles du Québec, on vous souhaite la bienvenue. À écouter vos propos j'aurais dû retenir vos services avant parce que j'ai de la misère à convaincre le gouvernement qu'il faut continuer à donner un coup de pouce à nos entreprises.

Le son de cloche que vous nous donnez au nom de chefs d'entreprises, au nom de dirigeants d'entreprises, aujourd'hui, est un son de cloche quelque peu différent de ce que j'ai entendu du Conseil du patronat du Québec, de la Chambre de commerce du Québec, qui encore ce matin venait nous dire essentiellement le message suivant: On veut de moins en moins d'interventions, on n'en veut plus, point à la ligne. Et c'est textuellement ce que la Chambre de commerce du Québec a dit ce matin dans son mémoire, à la page 15, je crois qu'ils ne voulaient plus voir de subventions de la part du gouvernement.

Moi, je vous dis: Les propos que vous tenez sont rassurants. Parce que je pense que vous êtes représentatifs des PME. M. Jutras nous disait précédemment que l'entreprise type dans votre association c'est quelque part aux alentours de 20 employés, 1 000 000 $, 1 500 000 $ de chiffre d'affaires; bien sûr, il y en a qui en font 10 000 000 $, tant mieux pour eux. Je comprends aussi que les propos que vous tenez ce sont des propos qui veulent aussi passer le message au gouvernement que les lois peuvent changer le comportement en ce qui concerne le marché. Ce qui se faisait il y a dix ans, il y a cinq ans est maintenant peut-être différent. Mais l'exemple que vous avez donné tantôt du programme Innovation meuble est un exemple parfait qui s'applique à vous mais qui s'est appliqué aussi dans d'autres entreprises. Et je pense que les entreprises du meuble aujourd'hui qui ont réussi à passer à travers des périodes de crise, d'autres qui ont réussi à entrer sur les marchés d'exportation l'ont fait grâce à leur dynamisme - je le conçois - mais aussi grâce aux coups de pouce. Aujourd'hui, moi je voudrais m'assurer que cette voix que vous portez soit portée bien haut parce que je pense que les coups de pouce doivent continuer à venir de la part du gouvernement. Pas des subventions, comme certains ont dit, "at large". On achète une machine et on vous donne 10 %, 12 %, 15 % par automatisme, on se comprend là-dessus. Mais vraiment l'appui gouvernemental à tout point de vue. Sur le plan technique, je pense que dans votre cas recherche et développement, design, c'est très impartant et je pense qu'il devrait y avoir certainement des programmes précis concernant l'appui que vous pourriez avoir de ce côté-là. Parce que - je ne sais pas si vous serez d'accord - si les gens de votre association, si les entreprises qui font partie de votre groupement n'ont pas ce coup de pouce, certains vont aller de l'avant mais d'autres n'y iront pas parce qu'il y a une limite à réinvestir les profits et on ne réinvestit que ce qu'on a. Il y a des bonnes et des mauvaises années. Lorsqu'il y a un incitatif de la part du gouvernement, je pense que c'est de l'argent bien placé, , particulièrement lorsqu'on parle de poussée au chapitre de la recherche et du développement sur le produit et aussi sur les façons de fabriquer. (16 h 45)

J'aimerais vous entendre sur l'autre dimension en plus de l'aide financière, sur l'aide technique, particulièrement sur la formation de la main-d'oeuvre. Dans vos entreprises, et l'un d'entre vous le mentionnait tantôt, on est en train de moderniser. Certains, dans certaines industries du meuble que j'ai visitées, ont commencé à avoir des secteurs robotisés. Je sais que ce n'est pas possible dans tous les créneaux, mais vous avez besoin d'aide technique en ce qui concerne la formation de la main-d'oeuvre. C'est que la main-d'oeuvre dont vous avez besoin, dont vous aurez besoin dans trois ans et dans cinq ans, il va falloir avoir un coup de pouce en ce qui concerne les ressources humaines et pour cela je pense qu'on a peu d'outils actuellement. Les entreprises, de façon conventionnelle, fabriquaient d'une certaine façon mais, aujourd'hui, on doit former ce monde-là. Les grandes entreprises, qu'elles soient dans le meuble ou ailleurs, ont les moyens de se payer ce qu'on peut appeler une école de formation, prendre le temps de former les gens. L'ensemble des PME, particulièrement dans les secteurs qui vous touchent, n'a pas cette possibilité-là. Un intervenant ce matin parlait possiblement d'avoir des "pools" ou d'avoir des écoles de formation et je trouve cela intéressant.

J'aimerais vous entendre davantage sur le genre d'aide technique que vous aimeriez en ce qui regarde l'aspect de la modernisation de vos entreprises et en ce qui regarde aussi l'aspect des ressources humaines.

M. Jutras: M. Parent, je suis heureux que vous posiez cette question-là. J'aimerais répondre un peu à votre commentaire avant.

Une des raisons pour lesquelles on exporte beaucoup - j'ai dit dans mon texte que c'était relativement récent même pour le meuble de résidence, je dirais même 1982 au Québec, 1984 ou 1985 pour le reste du Canada - une des raisons, vous savez, cela a peut-être été à un moment donné un coup de pouce, je l'admets, cependant, la grande raison c'est quarante cents dans le dollar. Je

pense qu'il ne faut pas se leurrer. Notre mémoire dit, déplacez cela de quarante à trente et notre moyen d'être compétitif diminue presqu'à néant. Vous savez, dans le meuble, le libre-échange, on l'a nous autres. Qu'est-ce que vous voulez, on a quarante cents sur le dollar plus 12 % de frais de douane, donc, cela fait 0,52 $ de différence. Vous savez, cela est un très gros coup de pouce, je dirais même que c'est un coup de poing pour exporter. Je pense que cela est une des choses.

Quand on parle de formation, oui. Bien sûr, on est parfaitement d'accord d'ailleurs, l'association patronne deux centres de recherche, un qui s'appelle le CRIMBO, le Centre de recherche de l'industrie du meuble et du bois ouvré, qui est localisé à Victoriaville et qui s'est spécialisé surtout, si l'on veut, dans les ordinateurs CAO-FAO, la production, la productivité, ce type d'opération, et un deuxième qui s'appelle le centre MBO ou le Centre du meuble et du bois ouvré, qui est localisé à Montréal et qui développe beaucoup plus des plans de marketing, des plans de design, etc. C'est donc dire qu'à ce niveau-là, je pense que l'industrie du meuble, l'Association des fabricants de meubles est excessivement sensible à la formation et a ce besoin de formation. D'ailleurs, nos membres nous disent, formez-nous du monde, puis on va être capable de les engager parce qu'il y a une expression anglaise d'un vieux sénateur comme nous on l'appelle dans l'industrie du meuble qui dit: L'industrie du meuble, "it is a people's industry". On a juste à regarder, les coûts de main-d'oeuvre sont excessivement élevés dans l'industrie du meuble; une des raisons, c'est qu'il y a énormément de monde qui travaille dans l'industrie du meuble par rapport à la machinerie. On ne peut pas avoir des industries du meuble, à toutes fins utiles, entièrement automatisées. Cela n'est pas possible. On peut les améliorer, on peut améliorer certaines machines, mais on ne pourra pas automatiser à 100 %. En tous les cas, certainement pas dans les cinq prochaines années.

M. MacDonald: Avant de passer la parole au ministre de l'Industrie et du Commerce, j'aimerais mentionner que je ne peux pas laisser passer cette suggestion de ce qui était l'intention de la Chambre de commerce du Québec concernant les subventions. Je le rappellerai à M. le député de Bertrand et à tous nous autres, d'abord c'est à la page 13 et, deuxièmement, je cite ce qu'on disait: "Les gouvernements en présence - canadien, américain, pas le gouvernement du Québec pris en isolation, les gouvernements du côté canadien, le gouvernement américain doivent accepter de limiter et éventuellement supprimer les subventions aux entreprises. Cette mesure permettrait d'accroître l'efficacité domestique des entreprises en plus de faciliter la bonne entente commerciale entre les pays. La difficulté consiste à adopter une définition des subventions qui soit à la fois raisonnable et suffisamment imperméable - on parle des subventions - mais nous croyons qu'une fois le principe acquis on devrait pouvoir s'entendre sur une définition qui sera imparfaite mais utile. L'important est de ne pas s'entêter à perpétuer un système qui, en fin de compte, nuit à tout le monde", en parlant des subventions en général. Alors, pour nous, il n'est pas question, en aucune façon, d'un désarmement unilatéral et d'abolir toute intervention si l'autre se garde les mécanismes qu'on connaît très bien qui sont quelquefois plus déguisés ou maquillés que les nôtres, mais qui sont tout de même très présents, et vous les connaissez comme il faut.

L'autre point que j'ai, par contre, M. le vice-président exécutif, M. Jutras, c'est que, quand vous avez préparé votre mémoire, nous avions un dollar, par rapport au dollar américain, où il y avait un écart de 0,40 $. Nous avons actuellement un écart de 0,30$ et vous faites une pénétration extraordinaire. Le dollar est à 0,75 $, 0,76 $ et varie, si vous regardez l'écart. Ce que je veux dire, c'est qu'on peut s'obstiner sur 100 points de base ou 200 points, le point important, c'est qu'il y a eu une diminution de votre avantage au cours des deux dernières années - moins de deux ans - d'à peu près 7 % à 8 %, sinon 9 %. Je regardais les résultats spectaculaires qu'un de vos membres nous citait ce matin, vous continuez à faire une pénétration qui est sûrement le résultat de votre modernisation, de votre agressivité et de votre savoir-faire. Il y a une limite à cela. Je ne remets pas en cause votre argumentation sur ia période de transition. Je dis que vous démontrez à l'heure actuelle que le genre d'entrepreneurship qu'on retrouve au Québec, et particulièrement chez vous, est capable d'entrer en concurrence si on lui donne le temps et les moyens.

M. Jutras: Vous avez raison, M. MacDonald, cependant, il faut faire attention quand on dit cela. Nous avons basé notre mémoire sur le fait que le dollar reste où il est. Nous ne pensions pas qu'il serait à 0,40 $, à 0,35 $, à 0,30 $, à 0,25 $ dans les prochaines années. Nous n'avions pas cela à l'esprit. Mais on sait que le dollar peut bouger rapidement. Vous avez raison, il a été à 0,40 $; j'ai pris 0,40 $ comme comparaison, tout à l'heure, j'aurais dû prendre 0,30 $. Il n'a pas été très longtemps à 0,40 $, entre vous et moi. Cela a varié sur douze ou treize ou quatorze mois. Je ne crois pas que c'est ce qui a influencé. D'ailleurs, certains de nos membres qui exportaient à ce moment-là ont tellement eu

peur que cela bouge à nouveau qu'ils ont ce qu'on appelle vendu leur argent six mois d'avance. Ils ont peut-être perdu là. Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose, M. Fontaine?

M. Fontaine (Fernand): Oui, pour ajouter à ce que M, Jutras disait tantôt, concernant la vente aux Américains, je suis président et propriétaire d'une entreprise qui exporte pour 25 % du chiffre d'affaires aux Américains,, Nous nous rendons compte, plus nous essayons de pénétrer le marché... Je parle bien d'une pénétration de masse, parce que 25 % d'une entreprise où il y a 150 employés, dans le marché américain, c'est une très petite goutte d'eau dans un grand fleuve. Pour réussir à pénétrer le marché américain, il y a beaucoup plus que le taux de change qui fait la différence. Il y a le nationalisme américain et nous devons, tous les jours, combattre ceci. Pour pouvoir combattre ceci, cela nous prend des avantages. L'avantage, nous l'avons par le dollar présentement, et nous l'avons par le taux de change. Si nous devions perdre les deux en même temps, je ne sais ce qui arriverait des percées spectaculaires, que mentionnait M. MacDonald, de l'entreprise québécoise sur le marché américain. Je pense que la seule raison pour laquelle nous réussissons à pénétrer le marché américain, c'est une économie de 35 % à 40 % que l'on retrouve en transigeant avec le dollar américain, chose que les Américains ont malheureusement à combattre quand ils entrent au Canada. Avec parité, cela serait tout à fait différent.

M. Parent (Bertrand): Je suis d'accord avec vous.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Johnson.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Oui, merci, M. le Président. Messieurs, votre présentation est en train de faire mentir la description habituelle de votre secteur comme étant un secteur mou. On voit que vous...

M. Jutras: Nous ne sommes pas un secteur mou, nous sommes un secteur traditionnel.

Le Président (M. Charbonneau): Nuance!

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): ...associé, quant à son avenir, à ce qu'on appelle d'habitude les secteurs mous qui sont soit en déclin soit ouverts sur un marché où la concurrence est tellement féroce qu'il n'y a pas de chance de succès. Vous avez démontré le contraire par des investissements, par la formation de vos membres et leur information. Bien au-delà du taux de change, il y a quand même des données fondamentales dans votre industrie qui, sur la tradition, a su bâtir des choses extrêmement modernes.

Il n'en reste pas moins que c'est toujours le fait de quelques leaders, dans l'industrie, cette facilité de pénétrer un marché. On espère chaque fois que cela donnera l'exemple à d'autres, et la modernisation que certains de vos membres ont emprunté se répercute. Il n'en reste pas moins qu'il y a encore beaucoup d'emplois, il y a beaucoup de poches et beaucoup de secteurs, dans cette industrie, qui demeurent vulnérables; on ne se le cache pas.

À partir du moment où l'on constate cela, cela vous amène à suggérer la plus longue période de transition possible. C'est parfaitement légitime et c'est d'ailleurs dans cet esprit que nous avons des consultations et que nous aurions des consultations, dans l'éventualité de la conclusion d'un accord, avec les différents groupes industriels pour voir comment aménager un régime qui permet d'assurer la transition. À l'occasion de ces discussions et dans un mode de transition comme celui qu'on envisage, j'aimerais vous entendre faire des suggestions sur les cibles particulières qu'on devrait viser afin de renforcer votre secteur et lui permettre, justement, de s'ajuster à une concurrence internationale ouverte qui présumerait une réduction de l'écart, éventuellement. C'est possible. Plus cela va bien, plus on pourrait envisager que le dollar canadien se raffermisse. Donc, cela nous permettrait, comme gouvernements - je le dirais au pluriel, le fédéral étant évidemment mis à contribution de façon subtantielle, je me plais à dire que c'est beaucoup son dossier...

Quelles sont les dimensions de votre industrie qui appelleraient un soutien particulier? Cela peut être un soutien financier dans la modernisation, dans la recherche de nouveaux produits et de nouveaux matériaux. Cela peut être un soutien technique quant à l'instauration d'un contrôle de la qualité. Cela peut être un soutien technique et de formation quant à la recherche d'un meilleur design et d'une définition de vos produits qui les rend encore plus uniques et distinctifs. On le sait, on en a déjà parlé, c'est une façon d'être concurrentiel que d'être unique. De tout petits pays comme ceux de la Scandinavie nous l'ont montré. Ils envahissent nos marchés. Il sont dans des créneaux particuliers. Pourquoi? Design, qualité. Est-ce que vous pourriez donner un ordre de priorités? Je comprends que toutes ces choses sont bonnes et belles. Est-ce que vous pourriez donner un ordre de priorités?

M. Fontaine: Je crois que les lois déjà

en vigueur, au chapitre de la fiscalité concernant la recherche et le développement, ne permettent pas à l'industrie du meuble de déduire des frais de recherche et de développement de ses impôts. Je pense qu'il faudrait revoir en priorité le secteur recherche et développement. Encore là, nous ne demandons pas de subvention. Nous demandons de revoir les lois. La recherche et le développement, ce n'est pas nécessairement un homme en sarrau blanc dans un laboratoire, avec des bouteilles fumantes. Cela peut être un homme qui, rabot en main, essaie de courber un meuble pour lui donner un design. Les gens de la fiscalité n'ont pas encore compris cela. Je pense qu'en priorité la recherche et le développement seraient, pour nous, très avantageux, et, bien sûr, le design.

Le deuxième point, à mon avis, c'est le marketing. Étant des PME, des entreprises à propriétaire unique dont, la plupart du temps, le capital est relativement limité, nous n'avons pas les moyens de faire des campagnes de publicité à la télévision, à la radio et dans les médias. Nous n'avons même pas les moyens d'avoir le vrai directeur de marketing que tous convoitent, parce que cela coûte trop cher. Alors, le gouvernement pourrait aider d'une façon quelconque - je ne connais pas le mécanisme et je n'oserais pas avancer quelque chose cet après-midi l'industrie à se développer sur le plan du marketing pour aller savoir ce que les Américains veulent. Si on doit vivre dans un contexte de libre-échange d'ici quelques années, il faut savoir quel produit ils désirent pour fabriquer le produit qu'ils désirent et non pas faire comme an a fait depuis plusieurs années, aller vendre le produit qu'on fabrique. S'ils n'en veulent pas, on ne le vend pas. Tout cela est une question de marketing. Alors, en ce qui nous concerne, recherche, développement et marketing sont les priorités. (17 heures)

M. Godard: J'aimerais ajouter cela, soit dans un domaine qui est assez "touchy", comme on dit, et ce sont les avantages sociaux. Est-ce que vous allez négocier - je ne sais pas si cela va être très difficile -avec les Américains parce que je pense qu'on est pas mal au-dessus des avantages sociaux des Américains? Si cela nous coûte 6 %, 7 % ou 8 % de plus en avantages sociaux -comme on voit dans notre rapport, nos profits sont de 2,1 % - et si on enlève les taxes - le conseil canadien dit que les prix vont baisser de 7 % - je vous dis qu'on va être obligé d'aiguiser nos crayons. On va être obligé d'améliorer notre productivité.

Un autre point avant de terminer. J'aimerais attirer l'attention de votre gouvernement sur la plantation des feuillus. C'est un autre domaine. On en a parlé lors de rencontres. On sait qu'il se dépense 300 000 000 $ au Québec pour la plantation de... Je pense que ce sont tous des conifères. Mais les feuillus, le chêne, le merisier, tous ces arbres, on n'en fait à peu près pas. Comment cela se fait que nos ancêtres... Comment cela se fait-il que nous ne pensons pas à cela? Je me le demande. La plupart du bois, dans le moment, est importé des États-Unis. Si les Américains décidaient, je ne sais pas, pour une raison ou une autre, de le taxer davantage ou de ne pas nous en donner, où serait-on? Il y a plusieurs usines qui seraient bien mal prises. J'aimerais que nos gouvernants commencent à penser à planter des petits arbres, des petits arbres avec des feuilles pour faire des petits meubles.

Le Président (M. Charbonneau): Sur cette suggestion intéressante, je vais laisser la parole au député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci. Je pense que c'est un excellent point que vous apportez là.

M. Fontaine, vous avez mentionné dans votre réponse tantôt, et j'ai trouvé cela fort intéressant, que la recherche-développement et le marketing étaient les deux axes où il faut avoir un coup de pouce, une aide, une formule quelconque. Je pense que la question du ministre portait aussi sur le volet des aides sous la forme fiscale, si on veut. Est-il exact que ce genre d'aide dans la recherche et le développement, avec laquelle vous ne pouvez finalement obtenir un rendement qu'un an, deux ans ou trois ans plus tard parfois, n'est pas exactement ce que vous cherchez par la formule de la fiscalité et que ce qui serait recherché davantage dans vos entreprises, ce serait, encore une fois -c'est une expression que je me plais à utiliser - un coffre d'outils qui va vous permettre rapidement au cours des prochains mois, au cours de la prochaine année d'aller analyser davantage le marché américain dans certains secteurs pour connaître davantage les créneaux, les marchés, ce que les gens veulent exactement pour pouvoir vous retourner de bord ici et faire les recherches . en conséquence et produire le produit qui va correspondre là-bas? Je pense que, de la façon que je le comprends et j'aimerais que vous puissiez le confirmer, ce que vous recherchez davantage, ce sont les genres de programmes comme il y en avait il y a deux ou trois ans. M. le ministre s'en souvient. C'était un outil assez magnifique pour le marketing des PME et qui a permis l'accessibilité à plusieurs petites et moyennes entreprises du Québec, pas seulement dans votre secteur. C'était des politiques globales. Je pense que cela va être important parce que ce qui vous affecte dans le meuble, entre autres, c'est aussi la même chose dans d'autres domaines. Donc, il faut des

politiques qui vont faire en sorte qu'on va être capable de donner à nos dirigeants d'entreprises ce que j'appelle l'ensemble de soutien à l'entrepreneurship, à savoir des outils pour être capable d'aller faire faire ces études, de vous donner les moyens nécessaires pour être capable... Très souvent, les dirigeants d'entreprises, surtout lorsqu'ils font 1 000 000 $, 2 000 000 $ ou 3 000 000 $ de chiffre d'affaires, dans nette envergure... C'est le président-directeur général qui fait tout cela et qui s'occupe d'exportation et il n'a pas le temps d'aller passer un mois aux États-Unis. Je pense que cela serait important qu'on ait des mesures tangibles du côté marketing particulièrement, de la pénétration de marchés.

L'autre volet de ma question, c'est l'ouverture des marchés. Il existe déjà des programmes actuellement au ministère du Commerce extérieur et du Développement technologique ou à la SDI-exportation pour vous aider à faire vos pénétrations de marchés. Une fois que vous avez le produit, il faut être capable d'aller vendre les meubles que vous fabriquez, être capable d'aller les vendre sur tel marché dans l'Est américain ou peu importe, dans n'importe quelle région, lorsque vous avez identifié votre créneau. Il y a cette possibilité, la capacité de rentrer dans des réseaux de distribution. Ce n'est pas juste exposer dans une grande foire à New York, à Boston ou à Chicago, je pense qu'il faut, par la suite, entrer dans des réseaux de distribution.

Très souvent, on ne pense pas fournir les outils pour aider à entrer dans les réseaux. J'aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce que les outils existant actuellement au ministère du Commerce extérieur sont suffisants ou s'il n'y a pas lieu d'en avoir d'autres plus concrets, plus pratiques pour vous donner des outils qui vous permettraient d'atteindre de meilleurs succès, toujours face au libre-échange?

M. Fontaine: Je continue de suivre l'ordre des priorités que j'avais donné parce que ce n'est pas dans notre mémoire, ce sont des commentaires que j'apporte. Je dis que la recherche et le développement, c'est très important parce que ce sont des crédits d'impôt. Selon le mécanisme qu'on connaît présentement, les crédits d'impôt, habituellement, les gouvernements remettent cela à des entreprises qui ont de l'impôt à payer et non pas à des entreprises qui seraient en train de chavirer à qui ce gouvernement injecte des millions de dollars pour nous concurrencer et nous affaiblir, pour nous empêcher de faire le marketing qu'on veut faire aux États-Unis. Sur le plan de la recherche-développement, afin de préciser ce que j'ai dit tantôt, ce que nous voyons, ce sont des crédits d'impôt. Sur le plan du marketing, j'ai été très prudent tantôt, j'ai dit: Je ne veux rien énoncer ici. Je connais tous les programmes que le ministère du Commerce extérieur offre présentement. Plusieurs de ces programmes sont très complexes. Ils demandent d'une façon très ponctuelle d'assister à une exposition. La preuve est faite, je l'ai fait moi-même, cela ne vaut rien du tout sur le plan pénétration d'un marché, à moins d'être bien chanceux. C'est un travail de très longue haleine qui demande deux ou trois ans. Les programmes actuels sont essoufflés après deux ou trois ans»

Vous l'avez si bien dit, M. Parent, ce qui est très important, c'est de toucher au réseau de distribution. C'est ce que nous, les Canadiens français, quand on arrive à Chicago avec un "french accent", déjà on a une prise contre nous, pour ne pas dire une "strike" et, en plus, on n'a pas de réseau de distribution. Là, il faut se mettre à la recherche. Là, les programmes ne sont pas très bavards. Il faut que ce soit plus concret. Il faudrait que notre projet soit complètement monté et réussi pour que les programmes actuels nous aident vraiment. Je pense qu'il faut aller à la pêche, et on risque que ça ne morde pas. Là, les programmes sont... En tout cas, je précise un peu dans le sens des programmes qu'on a au ministère du Commerce extérieur. Je pense que le marketing est très important, je ne connais pas les instruments ou les mécanismes en place, mais ce qui est en place présentement, je n'appelle pas cela du marketing, c'est - j'hésite à le dire - une forme de bien-être social à l'entreprise, et là-dessus je ne suis pas d'accord. Il faut aller un peu plus loin.

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie beaucoup, M. Fontaine, des éclaircissements que vous apportez. Je pense que ce sera important, libre-échange ou non - il y a tout lieu de croire qu'on risque d'en avoir, mats davantage avec le libre-échange - qu'on puisse adopter de façon plus pragmatique les programmes existants. Je pense que cela a été dit dans le passé, il y a eu des mesures apportées et corrigées, mais je pense qu'il y a encore beaucoup... Les programmes auxquels vous référiez tantôt, le programme APEX, je pense que, dans certains cas, ils peuvent être excellents, mais, dans d'autres cas, ils ne donnent pas les résultats attendus. Je vous encourage, en tant qu'organisme, en tant qu'association, à coucher sur papier les messages que vous avez à passer, ce que vous verriez exactement comme programmes, les acheminer aux ministres de l'Industrie et du Commerce et du Commerce extérieur, comment vous verriez cela. Je pense que, si on veut vraiment être capable non seulement de porter une critique mais de faire des choses davantage constructives, vous êtes bien placés, c'est vous et d'autres organismes

tels que le vôtre. C'est vous qui pouvez dire: Dans notre secteur, voici ce que ça prend. Si on avait cela pour développer nos réseaux -c'est un problème majeur... Je pense que cela mériterait certainement d'être reçu par le gouvernement.

Le temps file rapidement et j'aimerais vous poser une question sur une dimension qui touche la productivité et les salaires. Les études que j'ai entre les mains, sensiblement les mêmes que les vôtres, démontrent qu'en Ontario, au Canada et au Québec la comparaison fait en sorte qu'au Québec les salaires sont plus bas. Les chiffres que je cite: 6,48 $ l'heure, comparativement à 6,92 $, 6,78 $. Ce sont des chiffres de 1981 dans les études statistiques. Sur le plan de la productivité, encore là, la productivité au Québec est plus basse que celle de l'Ontario et de la moyenne canadienne. Ces chiffres remontent, semble-t-il, à 1984. J'ai ici une étude de juillet 1985 du ministère de l'Industrie et du Commerce qui reflète sensiblement les mêmes chiffres que vous nous avez donnés tantôt. Est-ce qu'en 1987, M. Boisvert, M. Jutras, peu importe, cette productivité tend à augmenter? Sinon, qu'est-ce qui pourrait être fait pour vous aider à augmenter la productivité dans vos entreprises?

M. Jutras: Si on élimine tout l'aspect de la mécanisation et qu'on parle simplement d'emplois, d'employés dans ce sens, c'est bien sûr qu'on est parti sur une certaine courbe, qu'on aime cela ou non, et • c'est peut-être à cela que dans notre mémoire on a fait allusion en disant qu'il faudrait comparer deux choses égales avec les États-Unis. Vous nous dites: On a augmenté le salaire minimum, mais on a attendu que les Ontariens l'augmentent et on l'a fait en même temps - donc, on est correct. Moi, je vous dis: C'est correct. Quand on vend en Ontario - j'avoue carrément qu'énormément de nos membres vendent en Ontario - je dis: Ça va. Mais, si on compare cela avec ce qui se fait, par exemple, en Caroline du Nord, on est drôlement désavantagés et cela peut être très coûteux. Mais quand on parle de la productivité des personnes, ce n'est pas au sujet du salaire horaire, mais très souvent au sujet des avantages sociaux, des autres frais qu'on ne voit pas, un congé férié additionnel qu'on donne, par exemple. Si on donne un congé férié additionnel dans une entreprise de 200 employés, c'est une année-homme qu'on vient de donner. Cela peut être la CSST, cela peut être d'autres lois qui nous forcent à jouer avec notre productivité, ce qui fait qu'au bout de la ligne on est peut-être un peu moins productifs; c'est peut-être un peu plus difficile. Il est bien sûr, M. le député de Bertrand, que, si on avait su - je pense à ceux qui m'ont précédé à cette table et ceux qui vont me suivre - réelle- ment de quelle façon le dossier du libre-échange avait été mené à Ottawa, on n'aurait peut-être même pas besoin d'une commission parlementaire, parce qu'elle est drôlement en retard, la commission parlementaire au Québec, mais, à Ottawa, on ne sait pas ce qui se passe présentement. Une journée, c'est blanc et l'autre journée, c'est noir. Est-ce qu'ils vont faire cela ou s'ils vont faire autre chose? C'est dans cet esprit qu'on est venus ici, c'est dans cet esprit qu'il y a quelques années on a fait notre mémoire pour dire: Compte tenu de... voici ce qu'on pense. Il est évident que si on dit: D'accord, on vous donne dix ans, on vous donne ceci, on vous donne cela... Cependant, si les États-Unis décidaient, demain matin, de mettre une surtaxe de 20 % sur le meuble, il n'y a aucun moyen pour qu'on puisse se plaindre, excepté que le gouvernement fédéral pourrait dire: On va faire la même chose avec la culture, par exemple. Je pense que cela ne peut pas fonctionner. Mais, si on était sûr d'un mécanisme quelconque, il y a peut-être des choses qu'on aurait changées dans notre mémoire, il y a peut-être des optiques pour lesquelles on mettrait certaines variantes, mais on est tellement dans le noir qu'on est obligé d'aller à l'extrême pour s'assurer qu'à un moment donné, au moment où cela sortira, on sera dans le juste milieu. Je pense que c'est cela. Mais on a essayé au niveau des statistiques d'être le plus réaliste possible. Je ne pense pas qu'il y ait de statistiques gonflées là-dedans. Je me souviens l'avoir vu, revu, écrit, etc., et je ne pense pas qu'il y en ait. En tout cas, cela n'a certainement pas été notre intention.

Le Président (M. Charbonneau): Un dernier commentaire.

M. Godard: Oui, au sujet des coûts, il y a d'autres facteurs aussi, le facteur productivité. Je suis allé visiter quelques usines américaines. Quand on dit qu'on produit 2000 ameublements de chambre à coucher en même temps, vous imaginez que, nous, on en coupe 100 ou 200, il y a les coûts de la machinerie - il faut la replacer chaque fois - et la perte de temps sur les achats aussi. Quand vous achetez pour 2000 ameublements, ce n'est pas tout à fait le même prix que pour 100 ou 200. Il y en a qui en font 50. C'est un facteur qui joue beaucoup dans la balance, de plusieurs points de pourcentage. (17 h 15)

M. Jutras: Ils peuvent inonder notre marché. Dans notre mémoire, c'est écrit. S'ils augmentaient leur capacité non utilisée de leur usine de 7 %, ils produiraient plus de meubles qu'au Québec, et cela ne coûte rien. Vous pouvez, à ce moment-là, les envoyer à 15 %, 20 %, 30 % en bas du prix

que vous le vendez parce que votre marché est un marché américain. De ce montant que vous envoyez à 30 % ou 25 % en bas du prix, il reste quand même du profit parce que votre machine, les coûts de production sont ailleurs. C'est de tout cela qu'on a peur. Comment vont-ils réagir à ce chapitre?

M. Godard: Dans 75 % des cas, nos usines - on le dit dans le rapport - sont situées dans des petites places. C'est la seule qui emploie des gens. Vous pouvez vous imaginer, au niveau social, ce que cela ferait. Cela ferait plus de bien-être social.

Le Président (M. Charbonneau): C'est tout le temps qui nous était imparti. M. le ministre, est-ce que vous vouliez...

M. MacDonald: Je ne peux que conclure, comme je l'ai fait à maintes reprises, que vous voyez vous aussi le bien-fondé de négocier une entente sur la libéralisation, mais pas à n'importe quelle condition.

M. Jutras: Pas à n'importe quel prix.

M. MacDonald: Et nous sommes d'accord.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): En terminant, je veux aussi vous remercier pour l'excellente présentation que vous nous avez faite aujourd'hui. Dans un secteur qui est très vulnérable face au libre-échange, je vous trouve très optimistes et je suis très content de voir que vous allez, en tout cas avec les mesures que vous préconisez, si le gouvernement vous donne les coffres d'outils, être capables de viser l'excellence. S'il y a un domaine dans lequel vous allez réussir, c'est par cette recherche de la créativité, cette recherche du design nouveau, cette recherche pour améliorer les produits qu'on a présentement. Continuez et, encore une fois, félicitations.

M. Boisvert: M. le Président, au nom de l'association, je vous remercie encore une fois de nous avoir donné l'occasion de venir vous dire ce qu'on avait à vous dire sur le libre-échange. Je pense bien que l'association sera là dans l'avenir pour continuer à collaborer avec vous.

Le Président (M. Charbonneau): II me reste, au nom de tous les autres membres de la commission, à vous remercier d'avoir participé à cet exercice. Je pense que tout le monde aura apprécié les discussions avec vous. Je suis convaincu que vous reviendrez en commission parlementaire de l'économie et du travail pour discuter d'un autre sujet ou d'un sujet semblable. Je vous souhaite un bon retour.

J'invite le prochain groupe, l'Association provinciale des...

Une voix: Non.

Le Président (M. Charbonneau): L'Institut canadien des textiles. On était déjà rendu, peut-être par anticipation, à 22 heures.

Messieurs, bonjour, sinon bonsoir. Je pense que vous connaissez un peu les règles du jeu mais je vous les rappelle pour être certain qu'on se comprend bien. On a envircn une heure pour la discussion et la présentation. Cela commence par la présentation de votre mémoire, d'une durée d'une vingtaine de minutes, et par la suite la discussion va s'engager avec les membres de la commission.

Je demanderais au représentant responsable de la délégation, je crois que c'est M. Dionne, s'il voulait, avant de commencer la présentation du mémoire présenter les personnes qui l'accompagnent, pour les fins du Journal des débats, et par la suite immédiatement commencer l'exposé. On a déjà un peu de retard.

Institut canadien des textiles

M. Dionne (Jean-Guy): M. le Président, honorables ministres, je suis très fier, comme président du conseil d'administration de l'Institut canadien des textiles ainsi que président de Textiles Dionne, de vous présenter notre délégation aujourd'hui. Tout d'abord nous avons, à ma droite ici, M. Picard, qui est président du conseil d'administration de SATEXIL, M. Biais, qui est de Tricots Somerset, à Plessisvilie. À ma gauche, ici, M. André Côté, vice-président, Dominion Textile, M. Paul-Émile Boudreau, président de la section des tissus de Dominion Textile, M. Robert Thompson, qui est directeur des opérations corporatives chez Consoltex, et M. Eric Barry, président de l'Institut canadien des textiles.

Le gouvernement fédéral actuel s'est clairement engagé à négocier un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Le Canada a pour objectifs d'assurer, d'accroître et de conserver l'accès de nos produits aux marchés américains. Cet accès élargi supposera une libéralisation considérable et ordonnée du commerce, grâce à la suppression des tarifs et des contingents dans un délai raisonnable, moyennant des dispositions adéquates de transition et d'adaptation.

L'incidence d'un accord de libre-échange sur l'industrie du textile est un sujet controversé. Y gagnera-t-elle, y perdra-t-elle? On a souvent peur de l'inconnu. Au sein de l'industrie les opinions diffèrent et

vont d'un extrême à l'autre en passant par toutes les nuances. Elles varient d'une compagnie à l'autre et même à l'intérieur d'une même compagnie.

Le textile constitue une grande industrie. La valeur de ses expéditions en 1966 était de 5 600 000 000 $ dont 51 % provenaient des entreprises du Québec. Le textile constitue un gros employeur qui procure directement du travail à 80 000 Canadiens et Canadiennes et génère indirectement 100 000 autres emplois. Environ 40 % de ces emplois se trouvent au Québec. Si l'on combine l'industrie du textile à celle du vêtement, son plus gros client, ce secteur vient au second rang des employeurs dans la fabrication, au Canada, et fournit en tout plus de 170 000 emplois. En 1983, il employait plus de personnes que les industries des véhicules automobiles et des accessoires ou que celles des pâtes et papiers ou encore de la sidérurgie.

Le secteur du textile et du vêtement fournit un emploi sur cinq dans la fabrication au Québec et un sur dix au Canada. Le textile et les produits du textile se retrouvent partout dans l'économie. Environ 40 % de ce que nous fabriquons est vendu à l'industrie du vêtement. Environ 30 % est vendu pour le foyer sous forme de tissus pour les meubles, de tentures, de tapis et de linge de lit. Le reste est utilisé par plus de 150 industries dans le secteur des ressources, l'agriculture, les services et la fabrication. En 1985, l'industrie du textile a versé 1 200 000 000 $ en salaires, acheté des matériaux et des fournitures d'une valeur de 2 800 000 000 $ et apporté 2 300 000 000 $ de valeur ajoutée à l'économie nationale.

L'industrie du textile a une solide réputation de relations du travail cons-tructives. Le temps perdu à cause des conflits de travail est beaucoup moins élevé dans cette industrie que dans l'ensemble de la fabrication. L'industrie du textile donne le ton en matière de santé et de sécurité au travail et dans la conservation de l'énergie. L'industrie du textile maintient des prix tout à fait concurrentiels. L'augmentation des prix de ses produits à la sortie de l'usine est toujours demeurée proportionnellement inférieure à celle de l'ensemble de la fabrication.

L'industrie du textile est un important investisseur. De 1975 à 1984, ses investissements ont totalisé 2 400 000 000 $. Pour situer ce chiffre dans une juste perspective, précisons que c'est là trois fois plus que les investissements de l'aérospatiale canadienne pour les mêmes années. En fait, les investissements par travailleur du textile sont de 11 % plus élevés que les investissements par travailleur de l'aérospatiale. Plus de 85 % de ces investissements ont été générés par l'industrie elle-même, sans soutien gouvernemental. L'industrie s'en est servie pour demeurer à la fine pointe de la technologie. Les compagnies du textile projetaient d'investir à peu près 388 000 000 $ en 1986, montant le plus élevé pour une année jusqu'ici. Cela prouve à quel point l'industrie veut accroître sa productivité et posséder la technologie la plus moderne et la plus perfectionnée.

Il y a quatre autres points à souligner au sujet des investissements. D'abord, si vous additionnez tous les investissements dans le textile, la bonneterie et le vêtement, le textile représente plus de 80 %. Deuxièmement, la montée de nos investissements depuis 1981 est plus marquée que dans l'ensemble de la fabrication. Troisièmement, les subventions fédérales fournies depuis 1982 par l'intermédiaire de l'Office canadien pour un renouveau industriel ont aidé, mais ne représentent qu'un faible pourcentage du total. Nous avons généré la plus forte partie nous-mêmes, ou nous l'avons recueillie sur les marchés des capitaux ordinaires. Quatrièmement, nous avons fait ces progrès malgré une récession et malgré une concurrence très forte des marchés extérieurs.

L'industrie canadienne du textile est un secteur d'activité important, mais il est loin de rivaliser avec celui des États-Unis. Abstraction faite du taux de change, la valeur des importations américaines de produits textiles est quatorze fois supérieure à celle du Canada. L'industrie américaine du textile et du vêtement compte un effectif douze fois supérieur à celui du Canada. C'est ce qui lui confère le titre de principal employeur aux États-Unis.

Les négociations dont fait l'objet actuellement la signature éventuelle d'un accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis seront au centre de nos préoccupations cette année. La question de savoir si cet accord sera profitable au Canada suscite des débats passionnés, tant au sein de l'industrie textile que dans d'autres secteurs d'activité économique. Toutefois, je ne pense pas que l'industrie textile dans son ensemble parviendra à prendre une position définitive à cet égard. Elle est beaucoup trop vaste et diversifiée pour que cela constitue un objectif réaliste.

De plus en plus d'entreprises sont favorables au libre-échange. Elles ont mesuré les avantages et les possibilités qui pouvaient s'offrir à elles et sont prêtes à accepter les risques que cela suppose, plutôt que d'observer le statu quo. Une majorité croissante d'entreprises estiment pouvoir maintenir un niveau d'activité honorable dans un contexte libre-échangiste, à condition toutefois de bénéficier, au préalable, de conditions d'ajustement et de transition satisfaisantes. Un certain nombre d'autres entreprises manifestent leur opposition au libre-échange pour de multiples raisons.

Quoi qu'il en soit, nous nous sommes clairement mis d'accord sur ce que nous entendions par conditions d'ajustement et de transition satisfaisantes. Nous savons pertinemment que l'avis que nous émettrons sur la notion du libre-échange avec les Américains, qu'il soit positif ou négatif, n'aura aucune influence notoire sur la décision finale. Si le Canada décide de signer un accord de libre-échange avec les États-Unis à l'issue de négociations satisfaisantes, certaines conditions de transition et d'ajustement n'en demeurent pas moins essentielles à nos yeux. Le gouvernement fédéral a déjà pris connaissance de notre position dans ce domaine.

À ce moment-ci, M. le Président, je demanderais à M. André Côté, qui s'occupe des dossiers du libre-échange à l'Institut canadien des textiles, de nous expliquer ces mesures d'ajustement que nous demandons. (17 h 30)

M. Côté (André): Merci, M. Dionne.

Je me fais ici le porte-parole de l'Institut canadien des textiles pour vous donner un synopsis des principales recommandations que l'institut a faites au gouvernement fédéral, à la fin de 1986. Il y a une constante qui ressort de toutes les études qui ont été publiées sur le sujet du libre-échange entre le Canada et les États-Unis, notamment par la commission Macdonald, par la Commission du textile et du vêtement sur les effets du libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Cette constante, c'est que, dans l'éventualité d'une telle entente, des ajustements appropriés sont absolument nécessaires, non seulement pour l'industrie textile, mais pour la plupart des industries canadiennes. L'industrie du textile se rallie certainement à cette constante et a concentré ses recommandations sur ces méthodes d'ajustement qui doivent être implantées pour permettre de s'intégrer au marché nord-américain. Je rejoins ici un peu ce que nos collègues du meuble ont dit tout à l'heure - ce sont des statistiques que vous allez reconnaître - l'industrie textile, dans un contexte de libre-échange, va avoir à faire face à un marché un peu beaucoup inconnu, le vaste marché américain. Il devra donc trouver des créneaux de marché et trouver aussi des systèmes de distribution qui ne lui sont pas présentement disponibles et souvent lui sont inconnus. Il est important de noter - et ici je reconnais des statistiques qui ont été données tout à l'heure - que la production entière de l'industrie textile canadienne ne pourrait répondre qu'à 7 % ou 8 % du marché américain. À l'inverse, 7 % ou 8 % de la production américaine pourrait répondre aux demandes complètes du marché canadien. Ce sont à peu près les mêmes pourcentages qui ont été notés par l'industrie du meuble et, je suis sûr, par plusieurs autres industries. De là, donc, la nécessité d'avoir des mesures d'ajustement qui sont très précises et dont le thème principal est qu'elles ne devraient certainement pas être désavantageuses pour le Canada.

À partir de ce thème, nous avons six recommandations majeures que nous avons faites au gouvernement fédérai et qui sont comme suit. Nous recommandons que les tarifs sur les textiles soient réduits d'une façon qui ne soit pas désavantageuse pour le Canada, par exemple, que les tarifs américains soient éliminés jusqu'à zéro sur une période de cinq ans, et que les tarifs canadiens diminuent jusqu'à zéro sur une période de dix ans. Je dois noter ici - M. Dionne l'a mentionné tout à l'heure - que certains secteurs de l'industrie du textile font exception à cette recommandation. Nous recommandons - c'est un point un peu plus technique - que le "drawback" sur les droits de douane... Je devrais peut-être noter au début qu'à l'intérieur du GATT il y a un système qui permet d'importer du matériel de l'extérieur du Canada, de modifier ce matériel, de le réexporter, soit vers les États-Unis ou ailleurs, et de pouvoir retirer les droits de douane qui ont été payés au moment de l'importation. C'est ce qui s'appelle le "drawback" sur les droits de douane. Il est important que le "drawback" sur les droits de douane continue à être disponible pour les produits qui seront qualifiés à l'intérieur du libre-échange avec les États-Unis, durant la période de transition, jusqu'à ce que les droits sur ces produits-là soient éliminés à la fin de la période de transition. Nous avons aussi recommandé que le "drawback" sur les droits de douane soit maintenu sur les produits exportés vers les États-Unis qui ne sont pas qualifiés pour le libre-échange. Cela même après la période de transition. Évidemment, le "drawback" tel qu'appliqué au commerce international en dehors de la zone de libre-échange devra, en tout temps, être maintenu selon les lois du GATT. Encore ici, je dois noter qu'il y a des exceptions pour certains secteurs dans l'industrie textile.

La troisième recommandation fait état de la manière de réduire les tarifs pour tous les secteurs de l'industrie du textile et nous demandons que la réduction des tarifs se fasse de manière égale pour tous les secteurs du complexe textiles-vêtements. Nous recommandons donc que l'élimination des tarifs se fasse de façon égale pour tous les niveaux de production, fibres, fils, tissus, articles fabriqués et vêtements, et que cette réduction se fasse sur la même période de temps pour tous ces secteurs. La quatrième recommandation, qui elle aussi est de nature très technique, a trait aux règles d'origine. Nous avons fait des recommandations au gouvernement sur une méthodologie afin d'établir des règles d'origine qui qualifient un article produit au Canada ou aux États-Unis.

En général, cette recommandation est à l'effet d'établir des règles d'origine claires, compréhensibles et prévisibles, je devrais ajouter qui peuvent être administrées d'une façon facile par les agents de la douane, et que les produits, pour être qualifiés, devraient subir des transformations substantielles au Canada et aux Etats-Unis afin d'être reconnus d'origine nord-américaine.

Nous recommandons ensuite que des mesures compensatoires soient établies pour contrecarrer les pratiques commerciales reliées au dumping ou aux prix qui pourraient être abusivement bas. Même si, par définition, à l'intérieur d'une zone de libre-échange, le dumping ne devrait pas exister, il n'en demeure pas moins que les conditions très différentes des deux industries du textile dans les deux pays font que les menaces ou les possibilités de dumping existent. Pour ne mentionner qu'un fait, les fins de saison, dans les industries du textile et du vêtement, pour des raisons climatiques, arrivent plus tôt aux États-Unis - un mois et demi, deux mois, trois mois plus tôt - qu'au Canada. Cela pourrait permettre aux manufacturiers américains de textile et de vêtement de faire des ventes de fin de saison ou d'écouler leur marchandise de fin de saison sur le marché canadien au moment où nous sommes en pleine saison, ce qui minerait la production canadienne de ces produits. Quoique le dumping, par définition, n'existe pas dans une zone de libre-échange, nous croyons que le gouvernement devrait être très au fait de la possibilité que nous venons de mentionner.

Une sixième recommandation qui a été mentionnnée dans les journaux hier ou avant-hier a trait à la possibilité de fournir les organismes gouvernementaux fédéraux et d'État aux États-Unis. Nous ne nous faisons pas d'illusion sur la difficulté qu'il y a de percer un marché comme le marché gouvernemental. La qualification des fournisseurs, la qualification des produits, etc., est un travail immense. Cependant, il est important qu'à long terme le Canada, certainement dans le secteur du textile, ait la possibilité de fournir l'État américain, le Département de la défense américaine, etc. Nous espérons que ce que nous avons lu dans les journaux, au cours des 48 dernières heures, reste encore à être vérifié.

Le septième point a peut-être été mentionné ici lors d'une audition, la semaine dernière. Il a trait à des mesures d'ajustement nécessaires pour les travailleurs qui seraient affectés négativement dans toute cette période d'ajustement et de réajustement en vue du libre-échange. Nous avons fait une série de recommandations qui a trait à l'entraînement, à la façon dont les employés devraient être traités si, par malheur, les ajustements qu'on devrait faire ici, au Canada, devaient les affecter.

Cela résume les recommandations principales sur lesquelles nous avons surtout insisté lors des derniers mois. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, messieurs. Je cède maintenant la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: M. le président, messieurs, je suis très heureux que vous soyez venus nous voir. Je pense qu'à l'exemple peut-être - mais encore plus - de ceux qui vous ont précédés, c'est-à-dire les représentants de l'Association des fabricants de meubles, ce qu'il pourrait résulter comme conséquences dans votre secteur, secteur qu'on a souvent catalogué de mou, a été charrié de part et d'autre. Il est intéressant de voir que vous avez très bien situé votre industrie. Vous nous avez démontré ce que vous avez réalisé au cours des dernières années, et, pourtant, devant une compétition féroce. Vous transpirez d'optimisme pour l'avenir, malgré que vous nous mettiez en garde contre un certain nombre de sujets, d'écueils qu'il faudrait très bien surveiller, et je suis totalement d'accord avec vous.

Vous avez dit une parole... Je parlais de charriage, et je réfère à votre page 6, par exemple, où vous dites carrément: "Un certain nombre d'emplois seront, quoi qu'il en soit, appelés à disparaître en raison même des modifications technologiques qui vont être apportées à ce secteur d'activité." J'aurais deux questions à vous poser. La première: Vous semblez dire, à l'intérieur des balises que vous avez établies, que vous abordez déjà très bien le marché américain, que vous avez doublé vos exportations, tant en textiles qu'en vêtements, alors que sur le plan des textiles les Américains ont été plutôt en stagnation, gardant sensiblement les mêmes montants au cours des cinq dernières années, mais les pourcentages ont diminué. Les pourcentages ont diminué à cause principalement des gestes posés par les tiers pays. En vous rassurant sur le fait que nous sommes parfaitement conscients du besoin de surveiller, comme vous le mentionnez dans votre troisième recommandation, je crois, c'est-à-dire le besoin d'avoir des règlements efficaces sur la notion du pays d'origine des produits, j'aimerais en savoir un peu plus long, si vous le voulez, concernant cette menace, qui s'est concrétisée à maintes reprises, de la capacité des tiers marchés de pénétrer les nôtres, des tiers producteurs de pénétrer les nôtres. Où se situe-t-on à l'heure actuelle? Est-ce que cela va en s'amplifiant? De quelle façon êtes-vous organisés ou vous organisez-vous pour y faire face? Vous sentez-vous munis des armes nécessaires pour y faire face? Est-ce qu'il y a quelque chose d'autre qu'on devrait faire

là-dedans? Ici, on a pris en isolation la réalité de cette entente bilatérale. Mais je ne pense pas qu'on peut regarder les textiles strictement et purement dans le créneau étroit de l'entente bilatérale. C'est pour cela que je me permets d'ouvrir un peu plus.

Une voix: M. Picard.

M. Picard (Jean-H.): M. le Président, quand vous parlez des tiers, il y a deux dangers qui existent et qui sont bien distincts. Le premier dont je vais parler, c'est le danger des importations qui viennent des pays communistes, des pays de l'Est et, maintenant, la Chine. Comme vous le savez, la notion de coût n'existe pas dans un pays communiste. De la manière qu'ils voient les choses, c'est la différence entre ce qu'ils doivent importer pour faire un certain produit et le prix qu'ils obtiennent pour exporter ce produit qu'ils ont transformé. On arrive dans ce domaine à des choses ahurissantes. Là est un danger auquel il est extrêmement difficile, sinon impossible, de faire face puisque les cartes ne sont plus les mêmes, le langage - je ne parle pas de langage parlé, je parle de la manière dont les affaires sont menées - est entièrement différent. Ce danger nous préoccupe énormément. Ce n'est d'ailleurs pas un danger qui menace seulement l'industrie textile canadienne, mais l'industrie textile, je dirais, occidentale.

La deuxième chose, ce sont les pays en voie de développement. Là, on parle de quelque chose de différent. Il faut peut-être vous expliquer que, comme l'a dit notre président, l'industrie textile, qui était à l'origine une industrie où la main-d'oeuvre était prédominante, est devenue une industrie où l'investissement, la partie du capital est majeure. D'une manière très rapide, le pourcentage de la main-d'oeuvre dans le coût d'un produit textile, dans la mesure où celui qui le fait s'est modernisé, a diminué d'une manière radicale. Donc, de ce côté-là, on peut espérer pouvoir s'en sortir pour deux raisons: pour la raison que je viens de mentionner et également pour le fait que l'équipement devient de plus en plus cher. Enfin, il nécessite aussi - c'est très important - une main-d'oeuvre très bien expérimentée et même, dans certains cas, des talents assez particuliers.

Voilà, M. le Président, MM. les ministres, la manière dont nous envisageons de nous défendre.

M. MacDonald: Une deuxième question qui touche l'importance que votre industrie représente comme employeur. La Coalition contre le libre-échange qui s'est présentée devant nous a cherché à démontrer un front quasi commun, global, que les travailleurs et les travailleuses du Québec seraient contre le libre-échange. En prenant la notion, au départ, que même s'il y avait unanimité au sein du monde syndical - ce qui n'est pas le cas, ils ne représentent que 30 % des travailleurs du Québec... Deuxièmement, je crois avoir entendu à maintes reprises, de la part de représentants de compagnies, de secteurs, qu'eux se sentaient parfaitement à l'aise avec leurs employés pour faire face à la compétition. (17 h 45)

J'aimerais savoir - je m'adresse directement à M. Dionne dont la réputation n'est pas à faire, avec le succès que vous avez eu avec vos entreprises, je pense que je pourrais vous appeler de la base, si vous me permettez d'utiliser cette expression - quelle est l'atmosphère à l'intérieur de vos usines et chez vos travailleurs. Si vos collègues pouvaient y répondre, je l'apprécierais également. Sont-ils au courant des implications de la négociation en cours? Comprennent-ils? Avez-vous eu des programmes d'information? Quelle est leur attitude vis-à-vis de ce défi de la libéralisation des échanges?

M. Dionne: M. le Président, je crois qu'on revient encore au fait que nous sommes très peu informés de la négociation qui se passe à Ottawa. On est tous un peu dans le néant, on se demande ce qui va se passer. Une chose qu'on sait, c'est que les Américains, leur balance de paiement est rendue astronomique. On sait que les Américains vont bientôt sortir la hache pour commencer à baisser ce déficit. À ce moment-là, il n'y aura pas de pitié. On sera pris à peu près comme dans la négociation qu'on a eue sur le bardeau, ce sera toujours une négociation pour chaque article, on n'en finira plus, on va dépenser de l'argent, du temps, pour aboutir à quoi?

Je ne suis pas le porte-parole de tous les employés chez nous, ils se fient plutôt à nous pour les guider; on les a guidés et, jusqu'à maintenant, cela a bien été. Alors, je pense qu'ils se fient à nous. Nous, on dit qu'il doit certainement y avoir moyen de passer au travers. L'inconnu est là, c'est vrai, il va se passer des changements dans notre comportement, il va falloir penser à produire sur une grande échelle, chose qu'on ne faisait pas avant. Il va falloir penser aussi à rapprocher certaines de nos fabrications. Par exemple, si on veut vendre du coton aux États-Unis, on ne fera pas monter le coton brut au Canada pour faire du fil et l'envoyer là-bas. II faudra recycler nos usines ici, probablement faire du fil synthétique, autre chose, et se transporter comme les Américains, se rapprocher des champs de coton pour prendre le coton dans le champ et... D'abord, ils l'ont tous fait, ils sont tous rendus dans le sud américain. Cela sera une possibilité mais on n'est pas rendu là. Peut-être qu'on n'aura pas besoin de le

faire, peut-être qu'il y aura autre chose. Cela reste encore dans l'inconnu. Moi, je suis optimiste. Quant à mes collègues, on peut peut-être demander à M. Boudreau.

M. Boudreau (Paul-Émile): J'aimerais dire quelques mots là-dessus. Pour répondre à votre question, j'aimerais dire que j'ai rencontré plusieurs de mes employés dernièrement et certainement qu'ils sont soucieux des discussions en cours. La façon dont ils expriment leur souci, c'est qu'ils ont très peur qu'un pacte de libre-échange avec les États-Unis force les compagnies textiles à fermer d'autres usines. Alors, on peut comprendre que ces gens-là ont une préoccupation qui est fondée. Pourquoi ce souci? On tient nos employés informés des situations compétitives dans le monde. Dans le contexte actuel du dollar canadien à 0,75 $ ou 0,76 $, d'une façon générale, nos coûts de production textile au Canada sont d'environ 10 % plus élevés qu'ils le sont aux États-Unis. Nos travailleurs sont au courant de cela, ils savent que c'est important d'être compétitif quand on a un produit à mettre sur le marché. C'est un problème, c'est un défi qu'il faut relever. L'approche que j'ai prise, que plusieurs de mes collègues ont prise avec nos ouvriers, c'est que le défi de 10 % de coûts à rétablir ou à réajuster n'est pas une montagne insurmontable. On a recommandé au gouvernement une période d'ajustement de dix ans. Alors, l'exemple que j'employais avec certains des employés d'une de mes usines dernièrement, c'est que, si on a 10 % à rattraper sur dix ans, c'est 1 % par année. Je pense qu'en s'assoyant à table on sera capable d'établir des façons d'améliorer nos coûts de production et de continuer à faire face à la musique. De cette façon, il y a un dialogue d'engagé avec nos travailleurs. La question est froidement sur la table et on attend que les règles du jeu soient mieux connues pour savoir exactement ce qu'il faut faire.

On a parlé d'avantages sociaux qui sont plus coûteux au Canada. Nos employés savent cela et je crois que c'est l'une des raisons qui les amènent à prendre les positions qu'ils prennent. Encore une fois, ce n'est pas une situation insurmontable. On a parlé de productivité également. La productivité chez nos travailleurs, quand ils sont au travail, je pense qu'on n'aurait pas peur de la comparer à n'importe quel travailleur du textile des États-Unis. Par contre on a ici, je pense, le résultat ou la cause des avantages sociaux élevés. On a plus de congés payés. On a plus de vacances payées. On travaille moins d'heures par année. Cela rentre dans le coût du produit. Si notre produit n'est pas compétitif, on n'a pas d'opérations rentables. Mais je pense que l'attitude est positive chez nos gens et puis on va s'asseoir - on leur a dit qu'on s'assoirait avec eux - pour examiner ça en profondeur.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci beaucoup, M. le Président. M. Dionne, messieurs, ça me fait plaisir que vous soyez là parce que l'industrie du textile et des vêtements a été la cause de beaucoup de nos préoccupations à cause des études qui étaient connues, à cause du nombre d'emplois qui étaient perceptibles comme étant dans un secteur beaucoup plus vulnérable que d'autres, toutes proportions gardées, et je pense qu'aujourd'hui vous nous apportez des éclaircissements intéressants. J'en profite pour saluer de façon particulière M. Picard, avec qui j'ai eu le plaisir de travailler pendant quelques années à la SDI et qui m'a apporté beaucoup d'expérience. Cela me fait plaisir de le saluer.

En juillet 1985, le 22 juillet, M. Brady, premier vice-président chez Dominion Textile, accordait une entrevue à un journaliste, M. Emery, du journal Finance, et il apportait deux points qui, à la lecture et à partir de ce que vous avez mentionné, me fascinent quelque peu. J'aimerais peut-être avoir, face à ces déclarations, vos commentaires. D'abord depuis dix ans, dit-il - et on était en 1985, il y a deux ans -depuis dix ans l'industrie du textile canadienne a investi quelque chose comme 2 000 000 000 $ et, disait-il, dans les dix prochaines années on devra en investir entre 3 000 000 000 $ et 4 000 000 000 $. C'est donc dire qu'entre 1985 et 1995 on parlait de doubler les investissements des dix dernières années et ceux-ci, pour la plupart, sont faits, comme vous l'avez mentionné dans votre mémoire si j'ai bien compris, de façon autonome. II y a eu de l'aide gouvernementale mais, toutes proportions gardées, très faible. Peut-être pourriez-vous apporter des éclaircissements là-dessus.

Face à la libéralisation des échanges, face à ce qui s'en vient, votre secteur doit continuer à investir de façon massive, doit continuer à moderniser, se mettre à la fine pointe, pour augmenter, si on veut, sa productivité, sa compétitivité. De quelle façon voyez-vous le gouvernement du Québec, il y a bien sûr le gouvernement canadien de qui on doit s'assurer aussi d'avoir la collaboration, mais, ce qui nous préoccupe plus aujourd'hui, de quelle façon voyez-vous le gouvernement du Quebec apporter son aide? J'ai un peu l'impression que, contrairement à l'industrie des fabricants de meubles qui a précédé, dans votre industrie il n'y a pas beaucoup de PME. La moyenne des industries du meuble dont on parlait tantôt était peut-être de 20 employés; la structure dans le domaine du textile est quelque peu différente. On parle

d'entreprises de plus grande taille. Alors, de quelle façon avez-vous besoin d'appui, d'outils, sur l'aspect des investissements et, deuxièmement, sur l'aspect de la recherche et du développement? J'aimerais d'abord vous entendre là-dessus. J'aurai tantôt d'autres questions.

M. Dionne: M. Parent, sur le sujet dont vous parlez, je crois que dans l'industrie du textile, au point de vue des investissements, l'assistance gouvernementale pourrait peut-être s'orienter plus vers de l'aide durant la transition pour établir des marchés aux États-Unis. L'industrie textile au Canada, l'industrie primaire, c'est Dominion Textile et d'autres petits. Dominion, naturellement, ils sont déjà installés aux Etats-Unis. Nous ne le sommes pas. Il n'y en a pas d'autres non plus que je connaisse qui sont installés aux États-Unis. Alors, il va certainement se passer une période où il va falloir faire un "blitz" et s'en aller aux États-Unis et travailler. Cela va demander beaucoup d'argent. Pour cela probablement qu'on aurait besoin d'assistance dans cela.

M. Parent (Bertrand): Mais on veut dire, si vous permettez, M. le Président, on veut dire, M. Dionne, la pénétration de marchés, les réseaux. C'est cela que vous voulez dire qui va avoir besoin d'aide.

M. Dionne: Oui, oui, pénétration aux États-Unis parce qu'on n'est pas organisé. Les Américains sont prêts, eux. Ils ont seulement à dire: Bon, le libre-échange est là, partez et allez vendre. Ils montent leur production de 10 % dans leurs usines et c'est final. Tandis que nous ça va demander des gros investissements, beaucoup d'investissements. On l'a dit, c'est du capital intensif maintenant le textile, très intensif. Nous autres, à Drurnmondville, on est rendu à 11 000 000 $ de dépensés depuis cinq ans. On a modernisé une usine qui était ultra-moderne en 1981, et on est en train de faire encore des grands changements. Alors, il n'y a pas de fin là-dedans. Surtout si on parle d'offrir la marchandise aux États-Unis, il faut penser l'offrir en gros volume. Moi, je ne peux pas, si je développe un nouveau produit... Nous autres, on a fait notre vocation avec des développements de filés: Les coûts ne sont pas tellement élevés mais ils sont là tout de même, et puis on l'offre à nos clients et le client dit: Bon, je vais en prendre 50 000 kilos mais, si on va offrir la même chose aux États-Unis, le gars dit: Cela me prend 1 000 000 de kilos. Si on ne peut pas les lui offrir, il va dire: Ne viens pas me déranger si tu ne peux pas le faire. C'est une période qui va être très difficile mais, comme les autres, on pense qu'on serait capable de passer à travers.

Maintenant, sur le côté des recherches, peut-être qu'on peut demander...

M. Boudreau: J'aimerais apporter une clarification. Vous avez mentionné dans votre question - évidemment, je comprends qu'on parle ici de Dominion Textile, Consoltex, on parle de grosses compagnies et il y a peut-être peu de PME dans le genre d'industries qu'on a. Par contre, nos clients sont des PME. Chez Dominion Textile, on demeure encore en majorité les fournisseurs de tissu à vêtement. Alors, je pense que dans ce domaine-là il y a énormément de PME et de petites entreprises. Certaines d'entre elles ont déjà commencé à percer sur le marché américain. Je pense que ces PME auraient certainement besoin d'aide pour le marketing si elles sont pour pénétrer le marché américain. Si, nous, on n'en a pas besoin parce qu'on est déjà installés, nos clients en auraient besoin.

M. Côté (André): J'aimerais peut-être amplifier la réponse que M. Picard a donnée au ministre MacDonald tout à l'heure en ce qui a trait aux perspectives du textile aujourd'hui, de l'environnement dans lequel nous vivons et relier cela un peu à l'aide que le gouvernement québécois peut apporter. (18 heures)

Comme vous le savez très bien, l'industrie du textile est réglementée à l'échelle mondiale par l'Accord multifibres qui a été renouvelé pour cinq ans, le 1er août 1986. À la suite de cela, le gouvernement canadien a négocié des ententes bilatérales au nombre de 25 maintenant, je crois, avec la plupart des pays exportateurs. Au cours des cinq dernières années il y a eu un accroissement très considérable des importations de vêtements, et aussi dans plusieurs secteurs du textile, qui a fait que l'industrie canadienne du textile a fait des représentations auprès du gouvernement fédéral pour que des quotas, des restrictions soient négociés avec plusieurs de ces pays-là. En général, je crois que cela a été fait d'une façon satisfaisante. Il demeure cependant qu'il y a encore beaucoup d'autres pays exportateurs qui cognent à la porte du marché canadien, à la porte des marchés des pays développés et que, même dans les pays avec lesquels nous avons des ententes, il y a d'autres produits qui sont manufacturés. Ceci, pour en venir à dire que l'industrie canadienne fait toujours face à la prospective d'avoir une augmentation considérable d'importations d'un pays ou de l'autre. Nous travaillons constamment avec le gouvernement fédéral pour faire un guet contre cette possibilité. Je crois que le gouvernement québécois, certainement dans son secteur textile - c'est au centre des préoccupations du commerce international -peut appuyer le point de vue de l'industrie textile canadienne québécoise lorsqu'elle a à

faire face à des croissances rapides d'importations, qui sont des plus dommageables. Lorsque les importations augmentent de façon très rapide, cela bloque tout le circuit de production canadien.

M. Picard: Pour répondre à votre question, M. Parent, il y a, par exemple, un domaine où vous pourriez nous aider, ou le gouvernement pourrait nous aider. C'est le domaine de ce que j'appellerais l'éducation permanente. Il existe une école, le cégep de Saint-Hyacinthe, et j'ai eu l'occasion de le visiter, il n'y a pas très longtemps. Je crois que là il y aurait un très gros effort à faire dans le domaine de l'équipement qui se trouve dans cette école. Je pense aussi qu'il existe des expositions, par exemple, comme celle qui va avoir lieu le mois prochain, qui a lieu tous les quatre ans et qui est une exposition mondiale d'équipement. Je sais que chacune des entreprises envoie un certain nombre de personnes. Je n'ai pas besoin de vous dire que ce genre de voyage - surtout lorsque cette exposition a lieu à Paris - est très coûteux. Cependant, il faut le faire, parce qu'il faut que nos dirigeants et même nos contremaîtres soient exposés à ce que va être l'industrie demain. Il existe aussi la nécessité d'envoyer à nouveau nos cadres, nos contremaîtres - pas seulement les dirigeants - dans des usines, pas seulement aux États-Unis, mais en Europe, ou même voir ce qui se passe ailleurs, au Japon, dans les pays d'Extrême-Orient. Tout cela coûte très cher, en temps et en argent. Il faudrait aussi - je sais que c'est déjà fait - faire davantage pour recycler les gens. Notre industrie est en pleine transformation, elle change à une vitesse extraordinaire. Le genre de personnes dont nous aurons besoin va être aussi différent. Je sais qu'il y a une commission de l'immigration et de l'emploi du gouvernement fédéral qui a fait une étude - quelqu'un posait la question, il n'y a pas longtemps - et qui va donner son rapport. Je me permets, en répondant à votre question, d'insister sur ce côté dramatique des changements qui ont lieu et donc sur l'éducation des personnes qui devront être demain celles employées dans l'industrie textile. Merci.

M. Dionne: Pour renchérir sur ce que M. Picard dit, je voudrais vous dire qu'on aura bientôt, à l'Université de Sherbrooke, une chaire en textile. Demain, nous rencontrons des personnes pour établir les bases. L'industrie s'est engagée à fournir 150 000 $ par année, pendant cinq ans, pour l'établissement de cette chaire. Je crois que le gouvernement fédérai va fournir 1,40 $ pour chaque dollar que l'industrie met. Cela veut dire qu'on est assuré actuellement d'avoir cette chaire en textile. Depuis que cela prend forme, se cristallise, cette année on a eu la plus grosse inscription jamais vue à Saint-Hyacinthe, soit 55 étudiants; c'est un record. Avant cela, les étudiants diplômés faisaient l'interview des employeurs. Ils disaient: Ah! Vous offrez cela? Demain, un autre employeur vient, je vais regarder ce qu'il offre et, ensuite, je vous reparlerai. Aujourd'hui, avec cela, cela va probablement nous aider. C'est un frein à notre expansion. Dans le domaine du textile, l'éducation n'est pas avancée.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de l'Industrie et du Commerce.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président. D'abord, félicitations pour cet exemple concret de coopération entre l'université, lieu académique, et un secteur industriel qui est en voie de se moderniser et qui cherche tous les moyens de le faire. Deuxièmement, j'ai noté le souhait de M. Picard à l'égard du besoin de modernisation, de remplacement des équipements à Saint-Hyacinthe. Comme vous le savez, je suis en partie responsable, avec d'autres collègues, de voir à ce que la participation gouvernementale s'exprime d'une façon qui réponde aux désirs de l'entreprise. J'ai noté là une demande presque en bonne et due forme que vous venez de nous faire et j'entends bien y répondre.

Par ailleurs, durant les quelques minutes qui nous restent, j'aurais une ou deux questions, quant au contenu du mémoire que vous nous avez soumis, sur les points qui sont exprimés comme étant les troisième et quatrième de vos conclusions. Quant au troisième, où vous souhaitez des règlements efficaces sur l'origine des produits afin d'éviter des détournements... Ce qui semble vous préoccuper dans les troisième et quatrième points, ce sont les détournements de ce qu'est le libre-échange comme on doit le comprendre et surtout le pratiquer.

Règlements efficaces sur l'origine des produits. Comme vous le savez, en cette matière il y a le test du pourcentage du contenu ou alors de la transformation substantielle. J'aurais peut-être aimé vous entendre sur le choix que vous nous suggérez de faire en cette matière, y compris le double choix, selon les produits qui sont en cause.

Quant au point suivant, le quatrième, vous évoquiez tout à l'heure la nécessité d'une protection contre des pratiques de dumping. Comme vous le dites, en matière de libre-échange il n'y a pas vraiment de dumping, mais il peut y avoir des pratiques commerciales répréhensibtes, que vous appelez inéquitables. Comme vous le savez, c'est plutôt la loi nationale sur la concurrence qui, à ce moment-là, doit être mise à contribution pour contrer ces comportements. Est-ce que je me trompe en présumant que votre commentaire dénonce

des faiblesses de la Loi sur la concurrence du Canada quant à son efficacité à vous protéger de pratiques commerciales comme celles que vous avez dénoncées?

M. Côté (André): M. le ministre, je vais commencer par le deuxième point- Non, je ne crois pas que ce soit une dénonciation des lois actuelles. C'est une constatation du danger possible. Par exemple, en ce qui concerne l'exemple que j'ai donné, les fins de saison, si cette enventualité se produit, cela se fera très rapidement et il n'y a rien qu'on puisse y faire, en fait. Il faut que le gouvernement soit très au fait du danger et soit prêt et équipé pour arrêter cette situation au moment où elle a lieu. Même si l'on a les lois nationales les meilleures, si le fait se produit d'une façon tellement rapide qu'on ne peut rien y faire, qu'on ne peut pas le contrer, on espère qu'il y aura un régime d'anticipation - si je puis dire - qui permettra au moins d'être au courant de ce qui peut se passer. On l'a vécu avec les pays en voie de développement dans certains secteurs où il y a eu des arrivages extraordinaires de produits. Lorsque ces produits entrent dans les établissements de détail, cela bloque le système de production canadien; on l'a vu dans un exemple récent.

Sur le deuxième point, la réponse que je dois vous donner, c'est que nous préférons un système de règles d'origine qui est basé sur des règles de transformation comparativement à la valeur ajoutée. Alors, nos recommandations portent sur la détermination, la définition de transformations qui doivent prendre place pour conférer l'origine.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand, quelques instants.

M. Parent (Bertrand): M. le Président, je suis très content de ce qu'on nous a annoncé tantôt concernant la mise sur pied finalement de quelque chose de concret à l'Université de Sherbrooke, soit la mise sur pied d'une chaire. Si j'ai bien compris, votre institut est allé chercher de l'aide du gouvernement fédéral. J'ose espérer que le gouvernement provincial va pouvoir vous donner un coup de pouce parce que je pense que tout ce problème de formation de main-d'oeuvre est tout à fait réel. M. Picard disait tantôt, et cela m'a frappé: Les travailleurs de demain ne sont pas encore formés. Ils sont à être formés. Essentiellement, c'est une image pour montrer que cela évolue. Je pense qu'on se doit d'investir beaucoup pour la main-d'oeuvre.

En terminant, puisque le temps est à peu près écoulé, j'ai deux questions et j'aimerais que vous puissiez me répondre. Entre le statu quo et une entente de libre-échange, qu'est-ce que vous favorisez face à tout ce que vous nous avez dit? Deuxièmement, en ce qui concerne les barrières tarifaires, vous avez été très clair. C'est une période d'échéance de dix ans en ce qui regarde nos barrières et cinq ans en ce qui regarde les leurs. Mais, dans le cas des barrières non tarifaires, dans toutes les autres barrières qui entravent, si on veut, notre marché avec les États-Unis, quels seraient les principaux points les plus agaçants en ce qui regarde les barrières non tarifaires?

M. Boudreau: J'aimerais peut-être répondre à la première question. Je suis content de la question en ce qui concerne le statu quo. Cela nous permet de préciser un point. Si on regarde le vêtement, qui est tout de même encore un des produits principaux de notre fabrication en textiles au Canada, 75 % des vêtements qui se portent au Canada, qui se consomment au Canada sont importés, soit en vêtements, soit en tissus. Alors, on peut s'imaginer que dans un marché de 25 000 000 les économies d'échelle n'existent plus. C'est aussi simple que cela. Notre marché est déjà érodé à 75 %. Alors, le statu quo n'est absolument pas désirable pour cette condition. Je pense que c'est ce qui fait que, finalement, en dépit des problèmes qu'on a tous identifiés du côté de notre industrie avec un pacte de libre-échange, en dépit de ces problèmes, le statu quo demeure une situation qui n'est certainement pas désirable. Alors, c'est pour cela que notre appui à cette entente doit se faire tout de même d'une façon ordonnée.

M. Dionne: Je vous ferai remarquer qu'il y a différents genres d'exportations. Par exemple, je vais offrir un vêtement chez Bonwitt Teller à New York et je dis: Regarde ce vêtement comme il est beau. On répond: Je le prends en exclusivité. Mais, lorsque vous allez vendre du fil, c'est du fil. S'il n'a pas une qualité extraordinaire, si ce n'est pas le prix qu'ils veulent, à ce moment-là, ils vont regarder ailleurs. Plus on avance dans la fabrication d'un tissu, plus on avance vers le produit final, plus il y a de l'attrait. Au début, c'est comme une scierie- On fait de la planche. La planche, c'est le fil et on vend cela simplement. Est-ce que c'est terminé?

Le Président (M. Charbonneau): Je pense que cette réponse termine la présentation et la discussion.

M. Dionne: Je voudrais remercier la commission et le ministre de nous avoir donné l'occasion de vous exprimer ici en public. Je remercie l'honorable ministre MacDonald pour ses bonnes paroles à notre égard. C'est ma 46e année dans le textile. Alors, je n'ai pas perdu mon temps. Je n'ai

jamais fait autre chose que du textile pendant 46 ans et espérons que je vais en faire encore longtemps.

Le Président (M. Charbonneau): Messieurs, tous membres de la commission ont apprécié votre présence aujourd'hui et votre participation. Je pense que, dans l'optique de la consultation générale, votre éclairage a été important et significatif. On vous remercie et bon retour. À la prochaine, sans doute.

Les travaux de la commission sont suspendus jusqu'à 2Q heures alors que nous reprendrons avec trois autres groupes ce soir.

(Suspension de la séance à 16 h 15)

(Reprise à 20 h 8)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaît!

Nous reprenons notre consultation générale sur la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.

Parti indépendantiste

Nous accueillons ce soir, pour commencer, le Parti indépendantiste représenté par MM. de Bellefeuille, Rhéaume et Monière.

Messieurs, bonsoir, et un bonsoir particulier à notre ex-collègue de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille, vous êtes bien au courant des règles du jeu en cette enceinte. Nous avons approximativement une heure: un maximum de 20 minutes pour la présentation du mémoire et le reste du temps sera consacré, à parts égales, à des discussions avec les membres de la commission

Sans plus tarder, je vous cède la parole.

M. de Bellefeuille (Pierre): Merci, M. le Président. La liberté des échanges commerciaux et son corollaire, l'abolition des barrières tarifaires et autres, constituent, depuis la Seconde Guerre mondiale, un des principaux objectifs que professe le monde occidental. Déjà, à Genève, en 1947, les puissances victorieuses, poussées par l'élan de vertu planétaire qui avait présidé à la naissance des Nations unies, signaient les accords du GATT, General Agreement on Tariffs and Trade. Ces accords devaient permettre de libéraliser les échanges commerciaux.

Pour les économies nationales dominées, singulièrement celles de ce qui allait bientôt s'appeler le tiers monde, le GATT ouvrait des perspectives nouvelles sur l'accès aux marches mondiaux. De nombreux pays que l'époque coloniale avait condamnés à la monoculture - café, coton, sucre, etc. -aspiraient à écouler leur production, à bon compte, dans les pays riches. Ceux-ci, pour leur part, acceptaient officiellement le jeu de la concurrence et de l'émulation.

Durant les quinze années qui ont suivi, des douzaines de pays sont nés de l'effondrement des empires. Mais l'émancipation économique n'a pas nécessairement accompagné la souveraineté. Les monopoles, les oligopoles et les grands centres financiers ont conservé la maîtrise des mécanismes essentiels, comme les prix des denrées et le marché des devises, a l'avantage des pays nantis et au détriment des pays qu'on dit en voie de développement, mais dont le problème est précisément qu'ils le sont peu ou pas. Le Fonds monétaire international, fondé avant même la fin de la guerre, en 1944, a exercé une action modératrice qui n'a cependant pas modifié les rapports de forces entre pays nantis et pays démunis.

Ainsi, les rondes périodiques de négociation dans le cadre du GATT ont eu tendance à maintenir l'ancien ordre économique plutôt qu'à instaurer le nouvel ordre économique mondial réclamé à cor et à cri par les pays du tiers monde. Le dialogue nord-sud, dont les dirigeants. les plus lucides dans le monde occidental perçoivent l'urgente nécessité, n'est que balbutiements. Aussi bien l'Union soviétique que les États-Unis poursuivent des politiques hégémoniques, à l'enseigne d'un protectionnisme impénitent.

Les échanges canado-améncains? Comme devait le reconnaître Pierre Elliott Trudeau, le Canada a été bâti contre tout bon sens géographique et économique. L'idée maîtresse de cette fédération a man usque ad mare consiste à bloquer les courants nord-sud que la géographie du continent favorise pour imposer des liens est-ouest largement artificiels. C'est ainsi que la construction des chemins de fer transcontinentaux, avec son cortège de corruption et de scandales, a revêtu une importance politique suprême, bien au-delà des impératifs économiques qui, dans le sens est-ouest, restaient modestes.

Dès la fin du XVIIIe siècle, le Canada, divisé en deux provinces en vertu de l'Acte constitutionnel, a érigé des barrières tarifaires. Ce protectionnisme n'a pas cessé depuis lors d'être un enjeu majeur de la politique canadienne en opposant souvent les parties du pays qu'il était pourtant censé unir. Au début du XIXe siècle, la querelle à propos du partage des douanes entre le Haut et le Bas-Canada donne une forte impulsion au mouvement réclamant l'union des deux provinces. Ce mouvement, appuyé par Lord Durham, devient irrésistible après les rébellions de 1837 et 1838.

Le Canada uni reste protectionniste, comme le sera la Confédération de 1867. Il

s'agit maintenant de protéger l'industrialisation naissante. Celle-ci, malgré quelques cas comme celui de la sidérurgie implantée en Nouvelle-Écosse, est essentiellement un phénomène centripète. Dès lors, les politiques dites canadiennes ou nationales servent les intérêts de l'Ontario. Le reste du pays est défavorisé. À certains moments, le Québec est moins défavorisé que l'est ou l'ouest. À d'autres moments, c'est l'inverse, mais l'Ontario joue toujours gagnant, ou presque.

En 1910, le premier ministre Wilfrid Laurier constate que les politiques protectionnistes nuisent à l'écoulement du blé de l'Ouest. Il propose au gouvernement des États-Unis d'instaurer le libre-échange pour les produits agricoles, le poisson et certains produits manufacturés. Bay Street s'émeut. L'industrie ontarienne domine le marché pancanadien. Le libre-échange menace son hégémonie. Les compagnies ferroviaires auxquelles le protectionnisme assure une fragile rentabilité s'opposent au développement des liaisons nord-sud. Les milieux d'affaires appuient le parti conservateur qui prend le pouvoir aux élections de 1911. (20 h 15)

Après Laurier, aucun premier ministre du Canada jusqu'à Brian Mulroney n'ose proposer le libre-échange. Cette fois encore, l'Ontario s'oppose.

Pour qui Ottawa négocie-t-il? Dès le départ, le gouvernement Mulroney a annoncé en toute franchise que les provinces n'auraient pas voix au chapitre dans les négociations sur le libre-échange. Le gouvernement central entend donc conserver le rôle d'arbitre qu'il s'est arrogé en matière économique. Bien sûr, les provinces peuvent faire toutes les représentations qu'elles veulent, mais elles ne s'assoient pas à la table des négociations. La question cruciale qui se pose, dans ces circonstances, c'est de savoir quels intérêts Ottawa défend.

Le centre du Canada, comme nous l'avons vu, c'est l'Ontario. Les gens de l'Ouest et les gens de l'Atlantique sont portés à croire que le Québec est aussi au centre, mais ce n'est qu'une illusion. Le gouvernement central ne peut permettre au Québec de menacer l'hégémonie de l'Ontario dont l'appui lui est absolument indispensable. L'appui du Québec est évidemment souhaitable, mais pas indispensable. On n'a qu'à se rappeler, il n'y a pas si longtemps, la stratégie électorale de John Diefenbaker. Comme, de toute évidence, un développement économique vigoureux du Québec comporterait un volet industriel qui le mettrait en concurrence directe avec l'Ontario, c'est la portion congrue qu'on réserve au Québec: les miettes.

L'affaire récente du centre bancaire international montre bien de quel côté la balance fédérale penche. Ce projet a été conçu dans les milieux d'affaires de Montréal. À Toronto, dès qu'on a eu vent de l'intérêt hésitant qu'Ottawa portait au projet, on a fait jouer le réseau d'influence habituel. Résultat: le projet a été modifié au point d'être méconnaissable. Il n'offre plus pour Montréal Jes avantages qui avaient été envisagés. Même scénario dans le cas de l'agence spatiale fédérale qui ne sera pas établie à Montréal, dont la vocation dans l'industrie aérospatiale ne se réalisera que très partiellement. Les défenseurs du système invoqueront sans doute le contrat d'entretien des F-18 que Montréal a obtenu. Dans cette affaire, le gouvernement central a été d'une maladresse telle, violant sa propre procédure d'appel d'offres, qu'il a rendu suspect tout geste favorable au Québec. Était-ce maladresse ou cynisme?

En ce qui concerne les contrats de recherches scientifiques et technologiques, la part du Québec durant le dernier exercice financier a été de moins de 10 %, selon les données obtenues par Le Devoir en avril dernier. Au début de l'année dernière, Mme Suzanne Blais-Grenier, ex-ministre de l'Environnement, a dénoncé le fait que les francophones sont à peu près exclus des postes de commande dans la fonction publique fédérale. Elle a également affirmé que des ambassades canadiennes ont pour politique de dissuader les investisseurs étrangers de choisir le Québec.

Sous Pierre Elliott Trudeau, l'industrie pétrochimique montréalaise s'est fait couper les ailes dans le cadre de la politique nationale de l'énergie. On voit que plus cela change, plus c'est la même chose. D'ailleurs, l'actuel gouvernement du Québec s'est plaint amèrement des politiques budgétaires du gouvernement central qui réduit unilatéralement ses contributions au financement de la santé et de l'enseignement postsecondaire au Québec. Dans la lettre qu'il a adressée à son homologue fédéral le 4 février dernier, M. Gérard D. Levesque, ministre des Finances, dénonçait le "fédéralisme prédateur" pratiqué par le gouvernement central. C'est à ces gens-là qu'il faudrait faire confiance pour négocier pour nous, sans que nous ayons voix au chapitre, le libre-échange avec les États-Unis. Il nous semble évident que le Québec doit négocier pour lui-même et que toute autre formule est extrêmement dangereuse.

L'indispensable protection. En somme, on demande au Québec de renoncer à toute protection, sauf pour tes miettes qui pourraient tomber de la table des négociateurs. À maintes reprises, l'ambassadeur Murphy, négociateur américain, a exigé qu'aucun secteur ne soit exclu des discussions. On peut donc prévoir, comme l'indiquaient les études divulguées par le gouvernement central le 21 mai 1986, que l'éventuel traité de libre-échange menacera directement de nombreux secteurs de

l'économie québécoise, notamment les suivants: 1° l'agriculture; 2° le textile et le vêtement; 3° les produits électriques; 4° le meuble; 5° les industries culturelles. Ces secteurs sont tous importants. Des dizaines de milliers d'emplois sont en cause. Les industries culturelles constituent cependant un enjeu particulier. Depuis la création du ministère des Affaires culturelles, en 1961, les gouvernements du Québec du Parti libéral, de l'Union Nationale et du Parti québécois ont établi des politiques et fait adopter des lois qui assurent un minimum de sécurité à nos industries culturelles, notamment celles du livre et du cinéma. À notre avis, il est hors de question de renoncer à cette protection. Nous croyons en effet que l'essor de nos industries culturelles est une condition de notre survie comme peuple.

Bref, notre économie a besoin de protection. En cela, elle n'est pas différente des autres économies. On n'a qu'à voir, par exemple, toutes les mesures tarifaires et autres que prennent les États-Unis eux-mêmes pour se protéger contre la concurrence japonaise. Ce serait pure folie que de livrer l'économie québécoise pieds et poings liés aux caprices de deux négociateurs qui ne se soucient guère de nous.

Recommandation. Dès son préambule, le programme du Parti indépendantiste rappelle que le Québec a tissé des liens à travers le monde et 'affirme que les Québécois et les Québécoises aspirent à traiter d'égal à égal avec les autres peuples, sans intermédiaire imposé. Le programme déclare, à propos des relations économiques internationales: "Le Québec indépendant développera intensément son commerce extérieur. Il s'impliquera dans les travaux du GATT et militera en faveur de la réduction des barrières tarifaires. Toutefois, il protégera sa souveraineté économique et évitera de s'engager dans quelque intégration économique que ce soit. Ainsi, le Québec abordera avec la plus grande prudence les discussions à l'enseigne du libre-échange."

Une plus grande prudence encore s'impose du fait de notre sujétion qui perdure dans le régime fédéral. En conséquence, nous recommandons que le gouvernement du Québec dénonce les négociations sur le libre-échange qui se déroulent sans sa participation et rejette tout traité pouvant éventuellement en résulter. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. de Bellefeuille. M. le ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: M. de Bellefeuille, messieurs, il est évident qu'il serait inutile, sur le plan politique, de commencer une discussion pour chercher à se rapprocher sur notre interprétation du bien-fondé ou de l'absence de tout bien de la fédération canadienne. Je m'en tiendrai plutôt au problème particulier de la libéralisation des échanges, plus particulièrement de la négociation en cours.

Je dirai d'abord, encore une fois, qu'il y a des choses dans votre document avec lesquelles je suis parfaitement d'accord, si je les isole, d'une certaine façon. Quand vous dites, par exemple, qu'il est hors de question de renoncer à cette protection, eu égard aux industries culturelles, et que vous croyez en effet que l'essor de ces industries est une condition de notre survie comme peuple, je suis parfaitement d'accord. Je crois qu'il n'y a personne au gouvernement du Québec qui ne partage pas votre opinion sur cela.

Quand vous dites, par contre, que ce serait pure folie que de livrer l'économie québécoise pieds et poings liés aux caprices des deux négociateurs qui ne se soucient guère de nous, encore là, si je prends cela intégralement, vous avez totalement et entièrement raison. Mais ce n'est pas le cas et, si tel était le cas, je serais le premier à avoir recommandé, ou suggéré, ou déclaré ouvertement qu'il ne saurait être question que le Québec participe à cette négociation. Des garanties ont été exprimées publiquement par le gouvernement canadien et nous avons confiance en ces garanties. J'élaborerai un peu plus loin sur l'aspect participation et, également, sur les conditions additionnelles posées par le Québec pour adhérer à ce regroupement des provinces avec le gouvernement fédéral pour préparer la négociation et la conduire. C'est sur la base de ces éléments dits non négociables ou de ces conditions d'appui qu'on a embarqué dans le dossier.

Je dois dire aussi - encore là, c'est votre interprétation; nous avons la nôtre et nous avons cherché à la démontrer fréquemment - que nous faisons malgré... Vous avez cité, à un moment donné, le premier ministre Mulroney et vous dites: "Dès le départ, le gouvernement Mulroney a annoncé en toute franchise que les provinces n'auraient pas voix au chapitre dans les négociations sur le libre-échange." Ce n'est pas du tout ce que j'ai compris lorsque le premier ministre Johnson est allé à Halifax, en décembre 1985. C'est à ce moment-là que le gouvernement du Canada a annoncé le principe de la pleine participation aux négociations pour les provinces. Je n'ai d'autre chose à vous offrir que la crédibilité qui entoure ma vie professionnelle, ou ma vie personnelle, et de vous dire que le processus de participation des provinces dans la préparation des mandats et dans la conduite de la négociation est une première et que, de toute façon, le gouvernement fédéral n'avait pas le choix d'associer les provinces parce que, dans le traité qu'on

cherchait à préparer, il y avait de multiples domaines de juridiction provinciale où, même en se prévalant de ses droits comme responsable des traités de commerce international, le gouvernement fédéral ne pouvait espérer faire respecter le traité qu'il aurait à signer sans l'accord des provinces dans les domaines tout au moins de juridiction provinciale. Dans ce contexte-là, je vous le répète, nous avons été partie non seulement à la préparation de la position de négociation canadienne en ce qui a trait aux domaines de juridiction provinciale, mais également à tous les domaines dans lesquels on trouvait que le Québec avait intérêt, même si c'était de juridiction fédérale. Je dois donc être en désaccord complet avec votre prémisse sur l'isolation ou l'absence du Québec dans la négociation.

Vous faites abstraction complètement dans votre rapport de la cause première de ladite négociation qui est ce mouvement protectionniste des Américains qui cherchent à mettre le blâme sur les autres pour le déficit de leur balance commerciale, pire encore, de leur état débiteur, plutût que de regarder les causes internes qu'eux-mêmes, très souvent, ont provoquées et qui sont la source de leurs problèmes.. Mais, la réalité, c'est qu'ils veulent en faire porter le fardeau sur leurs partenaires commerciaux, et non seulement sur le Canada. Ce sont des milliers d'emplois qui, directement ou indirectement, se voient menacés chaque jour par le dépôt régulier de dizaines et de dizaines de propositions protectionnistes qui circulent autour du Congrès; à l'heure actuelle, les derniers chiffres qui nous ont été donnés sont à peu près de 600. En gouvernement responsable et en étudiant la situation, nous en sommes venus à la conclusion qu'il fallait trouver un moyen quelconque de faire face à cette menace, à cette menace croissante, et que, sans rejeter, comme vous le suggérez - et je suis parfaitement d'accord avec vous - le véhicule du GATT, le problème était pressant au point qu'il y avait avantage, à l'intérieur de certaines prémisses, de certaines balises, à participer à une négociation qui protégerait l'accès des marchés que nous possédons déjà et, s'il y avait lieu - on l'espérait - qui pourrait élargir, améliorer nos marchés.

Vous n'avez pas fait mention de ça, vous avez sûrement vos raisons, mais je pense que tout le monde ici, y compris la coalition contre, qui avait des documents très bien préparés, a fait état, a réalisé qu'il y avait cette ère de protectionnisme, qu'il y avait cette menace. Or, vis-à-vis de votre rejet complet de la négociation, avant même de parler de traité, je vous demanderais ce que j'ai demandé à d'autres: Vis-à-vis de cette acceptation de toutes les parties de ladite menace, qu'auriez-vous à nous suggérer comme moyen à utiliser pour protéger les milliers d'emplois des travailleurs et travailleuses du Québec dont je parle?

M. de Bellefeuitle: Merci, M. le Président. Vous me permettrez, M. le Président, de m'adresser directement à M. le ministre. M. le ministre, je suis un peu étonné de vous entendre exprimer une très grande confiance dans l'expression "pleine participation" que le gouvernement Mulroney a forgée pour décrire le rôle qu'il réservait aux provinces» Dana le contexte dans lequel cette expression a été lancée par M. Mulroney, il était absolument clair que l'expression "pleine participation" voulait dire que les provinces étaient exclues de toute voie décisionnelle, (20 h 30)

La question qui était posée à ce moment-là était de savoir qui aurait pouvoir décisionnel. Ce que M. Mulroney a décidé et la notion qu'il a accréditée, c'est que seul te gouvernement fédéral avait pouvoir décisionnel et que les provinces pouvaient dire ce qu'elles voulaient, qu'elles avaient pleine participation pour dire ce qu'elles voulaient. C'est ce que nous disons dans notre mémoire. Les provinces, le Québec comme les autres, peuvent dire ce qu'elles veulent. Cela a l'importance que le gouvernement fédéral accordera aux propos des provinces. Seul le gouvernement fédéral a un pouvoir décisionnel et, évidemment, chacun fait ses choix, mais je m'étonne de la confiance que vous manifestez envers un gouvernement... Et il ne s'agit pas de celui de M. Mulroney, il s'agit de l'institution, du gouvernement central, du gouvernement fédérai, un gouvernement qui, depuis que la confédération existe, a, somme toute, régulièrement desservi les intérêts du Québec, et vous le savez comme nous. Le Québec, parfois, a réussi à grignoter, à arracher des lambeaux, à faire tomber des miettes de la table, mais vous ne pouvez pas soutenir que le jeu de la confédération sur le plan économique a vraiment servi les intérêts du Québec. Comment se fait-il que le Québec soit en retard sur l'Ontario? Il y a une raison pour laquelle le Québec est en retard sur l'Ontario, une raison de fond, c'est que le régime fédéral a été conçu pour favoriser le développement de l'Ontario avant tout, et le Québec en a souffert comme les autres régions du Canada qui ne sont pas l'Ontario.

Vous parlez du protectionnisme US. Comment imaginer qu'Ottawa va vouloir nous protéger, nous, prioritairement, contre le protectionnisme US? Seul Ottawa a pouvoir décisionnel dans ces négociations. Alors, je ne vois pas, là non plus, comment ce protectionnisme US tout à coup disparaîtrait par la grâce de négociations auxquelles nous n'aurions pas participé.

Votre dernière question: Quoi faire? Je

pense que vous connaissez la réponse, M. le ministre. À notre avis, ce qu'il faut faire, c'est que le Québec s'assume totalement. Il faut que le Québec, puisqu'il s'est fait reconnaître comme société distincte, fasse les pas qui sont dans cette logique. Excusez-moi d'évoquer M. Trudeau, mais, là-dessus, il a raison. Dans la logique de la société distincte, le Québec doit faire un pas de plus, deux pas de plus, et devenir souverain, devenir indépendant. Lorsque le Québec sera indépendant, il négociera pour lui-même, et Dieu sait si, de nos jours, dans les questions économiques et internationales, il est important de négocier pour soi-même! Si on ne négocie pas pour soi-même, on est certain de se faire avoir, de se faire rouler, et vous devinez quels autres mots je pourrais employer. Il y a une seule façon d'assurer au Québec un véritable développement économique dont il soit maître, c'est d'assumer la plénitude des pouvoirs politiques.

M. MacDonald: M. de Belle feuille, comme je vous l'ai dit au départ, sur la question du choix constitutionnel canadien, on a des positions inconciliables, et ce n'est pas ici ce soir que nous pourrons régler cela. Je dois vous dire que j'observe que la majorité de la population du Québec n'a pas témoigné de votre choix constitutionnel, tout au moins à la dernière élection, qu'elle nous a confié un mandat d'administrer l'économie du Québec et le Québec en général, et c'est le mandat que nous cherchons à assumer le mieux possible.

Malgré la question du choix constitutionnel, je ne comprends pas -remarquez bien que je suis ici pour essayer de voir plus clair dans une foule de choses et je suis prêt à écouter - je ne vois pas et je ne perçois pas qu'étant indépendants, les Américains retrouveraient une sympathie et mettraient à l'épreuve nos manufacturiers de bois de sciage, nos usines de pâtes et papiers ou tout autre secteur industriel ou commercial que nous avons, que ces secteurs se retrouveraient soudainement à l'épreuve de cette montée protectionniste. J'aimerais beaucoup le voir, mais il y a 6Q0 mesures législatives et autres. Ce qui me préoccupe, c'est que nous savons à l'heure actuelle que, s'il n'y a pas moyen - je ne parle pas d'avoir une grande entente comme les journalistes ont pu en traiter - de baliser le protectionnisme américain, le 6 octobre, nous pourrions nommer - et on en a eu des exemples ici - plusieurs secteurs où des milliers de jobs vont être en péril parce que sont en attente, en coulisse, pas seulement des requêtes en droits compensatoires, mais des propositions de législation directement reliées à des secteurs importants de l'activité économique québécoise. Je regrette, indépendants ou non, je ne pense pas que cela attirerait plus de sympathie. Comme je l'ai dit, je pense que, sur le plan constitutionnel, on pourrait en parier toute la soirée, mais nos positions sont plutôt inconciliables dans ce domaine. Je fais appel à ce moment-ci, me réservant le droit de revenir, à l'alternance qui a été la nôtre et je cède la parole à mon collègue, le député de Bertrand.

Le Président (M. Charbonneau): Est-ce que vous aviez des commentaires à formuler avant que je cède la parole au député de Bertrand? Non? Alors, M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Si vous avez des commentaires, vous pouvez les faire maintenant, sans cela vous allez les faire sur mon temps. Faites-les sur le temps du ministre.

Des voix: ...

M. Monière (Denis): M. le ministre, je pense que vous avez raison de souligner qu'il y a cette menace protectionniste aux États-Unis, mais vous allez sans doute être d'accord avec moi pour reconnaître que, lorsqu'on veut être en position de force, il faut essayer d'effrayer son adversaire. Je pense que c'est une très bonne stratégie de la part des Américains, pour faire monter les enchères, que de sortir ces menaces à la veille ou durant un processus de négociation. Mais, M. le ministre, vous reconnaîtrez aussi avec moi qu'aujourd'hui, dans le monde moderne, nous sommes dans une économie internationale. Nous ne sommes pas dans une économie bilatérale. Nous n'avons pas que des relations avec les États-Unis. Si les Américains étaient sérieux dans leur volonté protectionniste, je pense que leur économie en souffrirait énormément parce qu'il y a quand même des institutions internationales. Le GATT est une institution internationale. Comment le Japon répondrait-il au protectionnisme américain, alors que les Américains demandent aux Japonais d'abolir leurs propres barrières tarifaires et leur propre protection? Il y a là une dynamique internationale et je pense que les Américains, et c'est de bonne guerre, tentent de gagner le maximum dans cette négociation en mettant de l'avant ces mesures de protection.

Je pense que dans ce débat il y a beaucoup de poudre aux yeux qui est jetée parce que c'est un débat qui, pour le grand public en tout cas, est surtout théorique. D'ailleurs, à cet égard, M. Bourassa nous étonnera toujours. Lui qui est reconnu pour être un homme pragmatique, un homme de chiffres, il nous lance une commission parlementaire avant que les termes de l'entente ne soient connus, ce qui nous oblige à

discuter un peu dans le vide, devant une boîte de Pandore fermée, c'est-à-dire qu'on ne sait pas ce qui sortira de cette boîte de Pandore.

Je fais ce long préambule simplement pour dire qu'il y a beaucoup de poudre aux yeux puisqu'on nous promet énormément de choses. Or, M. le ministre, vous savez comme moi qu'en vertu d'une logique d'analyse qui est celle de l'école du "public choice", lorsqu'un consommateur doit faire un choix, il ne s'appuie pas sur des promesses à venir. Son choix doit reposer sur une évaluation des performances passées, soit du produit, soit du parti politique, s'il s'agit d'un électeur.

Dans la situation où nous nous trouvons comme citoyens, nous, Québécois, nous n'avons rien pour débattre sérieusement cette question. Nous ne savons pas quel est l'avenir et nous devons donc nous reposer sur l'expérience du passé, examiner la performance du fédéral comme négociateur au GATT précisément où, encore une fois, le Québec a souvent été défavorisé au profit de l'Ontario. C'est pour cela que notre rapport insiste beaucoup sur l'expérience passée parce que c'est la seule façon pour un consommateur rationnel, comme pour un électeur rationnel, de faire un choix. Regardons ce qui a été fait dans le passé et non pas ce qu'on nous promet pour l'avenir. Et vous, comme beaucoup d'autres, vous tombez dans ce piège, vous promettez des emplois à répétition. Peut-être, mais peut-être que non. Si on affirme que le libre-échange est la voie de l'avenir pour la création d'emplois, ce qui est une possibilité, examinons une situation où il y a effectivement libre-échange. Ce libre-échange est tout près de nous, il est aux États-Unis. Entre les États de la fédération américaine, il y a libre-échange, et il y a aussi aux États-Unis des États limitrophes au nôtre. Je veux parier du Maine et du Vermont. Dans ces États limitrophes, est-ce que le libre-échange a créé des emplois? Est-ce qu'il a permis, à l'intérieur même des États-Unis, d'abolir les disparités régionales dans l'emploi et dans le développement économique? Pas du tout. On peut donc prévoir, sur la base de ces faits, par un raisonnement logique, que la création d'emplois demeure problématique, même dans une perspective de libre-échange.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Monière. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. de Bellefeuille, M. Rhéaume, M. Monière, on vous remercie de vous être déplacés et d'être venus à cette commission. Comme on l'a déjà mentionné précédemment, c'est vrai que cela se passe tard. On a réclamé cette commission et, même si elle a commencé le 15 septembre, je pense que le fait de faire l'exercice, même si cela ne change rien actuellement dans le débat puisqu'on n'est pas à la table des négociations, d'une part, et, d'autre part, je ne pense pas que les discussions ici puissent actuellement influencer de très près les décisions prises au cours des prochains jours, il reste que l'exercice qui se fait actuellement en au moins un exercice de sensibilisation importante.

Vous mentionnez dans votre mémoire plusieurs de vos préoccupations. À la page 4, je résume cela de la façon suivante: "Bref, notre économie a besoin de protection. En cela, elle n'est pas différente des autres économies." Dans le fond, ce que vous nous dites, c'est que, à toutes fins utiles, il faut continuer à se protéger face à ce qui se passe actuellement.

Ma première question: Connaissant votre position bien énoncée, entre une entente quelconque et le statu quo, qu'est-ce que vous préconisez si on avait le choix de ne pas faire une entente actuellement?

M. Rhéaume (Gilles): Nous recommandons, bien sûr, de ne pas procéder à la signature de l'entente, signature qui se fera par le gouvernement fédéral et non par le gouvernement québécois, pour toutes les raisons qui sont là. Nous dénonçons et la forme et le fond du processus. La forme puisque, comme on l'a dit, on n'est pas impliqués dans la discussion. Et le fond parce que, pour nous, il est essentiel, avant de procéder à un tel changement, que nous fassions le bilan dans chacun des secteurs. Ce bilan n'est pas fait. Ce n'est pas la commission parlementaire actuelle, malgré toutes ses qualités, qui peut prétendre faire ce bilan. Un bilan dans tous les secteurs de notre activité économique, nous ne l'avons pas. Comme d'autres, nous dénonçons le fait que plusieurs études n'ont pas été rendues complètement publiques, même si les raisons pour ce faire peuvent être compréhensibles et quelquefois légitimes.

Nous nous inquiétons également, comme la population. On nous dit que la population dans son ensemble semble favorable. Peut-être, mais cela diminue à chaque sondage. Cependant, lorsque la population sera informée, comme dans tous les dossiers, d'ailleurs... C'est comme la langue. La langue n'intéresse pas les gens, mais, lorsqu'il en est beaucoup question, les sondages démontrent que la population a toujours un attachement et les gouvernements, quelquefois, hésitent avant de poser des gestes. Nous disons que ce serait la même chose dans le dossier du libre-échange. On parle de gain ou de perte d'emplois. Quel genre d'emplois? Emplois permanents? Quel genre de sécurité d'emploi? Quelle protection aux travailleurs? Quelles conséquences dans

les avantages sociaux que nous avons actuellement dans certaines activités de travail qui sont les nôtres?

Donc, nous dénonçons le fond, la forme et nous demandons au gouvernement d'avoir l'intelligence du doute, de douter un peu de cette proposition, toute manipulée par Washington, puisque lui-même, le ministre, et il n'est pas le seul, vient de reconnaître que devant la force américaine il n'y a rien d'autre à faire que de s'incliner. Les indépendantistes n'ont habituellement pas ce genre de réaction. On n'a pas à s'incliner devant le pouvoir d'un État si grand, si puissant soit-il. Nous devons tenter d'être nous-mêmes et de voir s'il n'y a pas d'autres éléments comme ceux qui ont été suggérés. Les États-Unis sont un des plus grands pays du monde. Nous l'aimons, nous l'apprécions, nous sommes ses voisins. Mais ce n'est pas une raison pour faire ses quatre volontés et ce n'est pas une raison pour se laisser influencer par quelque menace qu'ils pourraient bien proférer. (20 h 45)

Donc, nous demandons au gouvernement d'avoir l'intelligence du doute, et l'intelligence du doute suggère actuellement, avant d'aller plus loin, de procéder à ce bilan exhaustif dans chacun des secteurs. On ne peut pas s'embarquer à la légère lorsqu'on est aussi loin d'un dossier, comme c'est le cas maintenant. Le dossier du libre-échange, c'est l'affaire du gouvernement fédéral, c'est l'affaire du gouvernement américain et c'est l'affaire, de très loin - mais de très très loin - de cette petite officine municipale qu'est le gouvernement québécois à l'intérieur de la confédération.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. Rhéaume. Ce que je comprends très clairement, c'est que vous êtes, entre le statu quo et une proposition qu'on ne connaît pas, mais une proposition de libre-échange, vous êtes absolument contre toute forme de signature. J'ai pris connaissance d'un volume de décembre 1985 qui s'appelle L'action nationale, plus précisément le volume 4 du 4 décembre 1985, dans lequel j'ai trouvé fort intéressant l'exposé, M. Monière, que vous faisiez à ce moment-là - donc, on retourne deux ans en arrière - et où, pendant quatre ou cinq pages, à partir de la page 331, vous exposez de façon très claire plusieurs questions qui sont encore d'actualité, soit dit en passant, sur le libre-échange et les dangers qu'on peut y courir.

Vous terminez cet article - et c'est là que j'ai besoin que vous m'éclairiez... À la fin de cet article, à la page 334, je cite vos dernières phrases et j'aimerais que vous me les explicitiez un peu: "Pour nous, indépendantistes, le libre-échange ne devrait pas aller au-delà de l'abolition des barrières tarifaires, car une intégration plus poussée serait une menace à notre liberté collective et, de plus, nous estimons que le Québec devrait être associé comme partenaire distinct aux négociations qui s'amorcent." Je comprenais par: "le libre-échange ne devrait pas aller au-delà de l'abolition des barrières tarifaires", que vous étiez... Est-ce que vous êtes toujours d'accord avec cette partie de l'abolition des barrières tarifaires, comme c'était précisé à ce moment-là, par rapport à la position que vous prenez maintenant? Est-ce que vous pourriez juste expliciter là-dessus, M. Monière?

M. Monière: Oui. Personnellement, je suis toujours d'accord avec ce que j'ai écrit en 1985. Il faut quand même situer cette prise de position dans un contexte plus général en ce sens que les négociations doivent se faire de façon multilatérale, premièrement, et non de façon bilatérale, et ces négociations doivent strictement porter sur les tarifs protectionnistes. Dans mon esprit, il n'est pas question, dans un accord de libre-échange, de toucher à la politique fiscale, à la politique de développement industriel, à la politique de développement régional, à la politique sociale, ni à toute autre forme de politique, puisque cela constitue une atteinte à la souveraineté de l'État. Cela hypothèque les choix qui sont réservés aux citoyens dans l'avenir. Donc, le libre-échange ne devrait se limiter qu'à l'abolition des 12 % ou 13 % d'articles qui sont encore soumis à des tarifs protectionnistes.

M. Parent (Bertrand): Dans cette foulée, M. Monière, s'il y avait abolition, à toutes fins utiles, c'est la continuité des négociations du GATT. Mais, dans ce cadre, si elles avaient lieu dans un bloc, donc, que la partie barrières tarifaires soit négociée, est-ce que vous avez des recommandations à faire quant à la période et aux outils qui devraient les accompagner afin de protéger notre structure industrielle, nos entreprises?

M. Monière: II faut savoir que l'abolition des barrières tarifaires ne s'est jamais faite d'un bloc. Cela se fait toujours de façon progressive, en fonction des intérêts mutuels des partenaires ou des cosignataires d'une entente. Donc, il faudrait échelonner cela dans le temps, avec des mesures compensatoires pour les industries qui seraient touchées par l'abolition stricto sensu des tarifs.

M. de Bellefeuille: M. le Président, est-ce que je peux poser une question à M. Parent?

Le Président (M. Charbonneau): Oui, c'est sur son temps et sur le vôtre.

M. de Bellefeuille: Si M. Parent est d'accord.

M. Parent (Bertrand): Oui.

M. de Bellefeuille: Nous, nous soutenons que le Québec doit négocier pour lui-même. Le ministre, si j'interprète bien ses propos, est disposé à faire confiance au gouvernement fédéral pour négocier d'une façon qui soit à l'avantage du Québec. J'aimerais savoir laquelle de ces deux options M. Parent choisit.

M. Parent (Bertrand): En fait, notre position a été très claire dès le début. Oui, s'il y en a qui ne l'ont pas comprise... D'abord, nous sommes inquiets parce que nous ne sommes pas à la table des négociations. La question que vous me posez est la suivante: Est-ce qu'on doit faire confiance au gouvernement du Québec actuel? Je l'ai dit et je l'ai répété au cours de la dernière semaine, ici, à cette assemblée, on est très inquiets parce que, d'une part, on ne pense pas avoir l'écoute nécessaire au gouvernement d'Ottawa pour être capables de revendiquer la spécificité québécoise. Je pense que dans cet esprit on est plus que préoccupés. Le ministre nous dit et nous répète, ainsi que les différents ministres qui sont venus ici: Faites-nous confiance, ayez foi en nous. Et, nous, nous sommes très préoccupés par rapport à cela.

Encore là, vous le dénonciez tantôt, cette commission se tient beaucoup trop tard ou ne devrait peut-être pas se tenir. Nous pensons qu'on a essayé d'avoir de l'éclairage, on a essayé d'avoir davantage de lumière sur ce qui est en train de se négocier avant le 4 octobre. Je peux vous dire que, depuis une semaine, sur cet aspect, on n'en a pas su plus, pour des raisons que le ministre a avancées, qu'on n'a pas à mettre sur la table ce qui est en train de se négocier et cela nous préoccupe au plus haut point. Sur ce point, on est exactement dans la même situation que vous. On est préoccupés et soucieux par rapport à ce qui est en train de se passer actuellement un peu à notre insu.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre, est-ce que vous avez quelque chose à ajouter?

M. MacDonald: J'aurais une intervention à faire.

Le Président (M. Charbonneau): Allez-y, je reviendrai ensuite.

M. MacDonald: Je pense que, sans vouloir répondre pour le député de Bertrand, si vous avez suivi le dossier, le chef de l'Opposition, M. Johnson, et M. Parent ont régulièrement déclaré qu'ils étaient en faveur d'une négociation de la libéralisation des échanges, mais pas à n'importe quelle condition. En cela, on se retrouvait très bien. Je pense que cela répond directement à votre question. Il y a d'autres personnes, vos anciens collègues, qui partagent votre option constitutionnelle, qui, d'une façon beaucoup plus éloquente que je ne peux le ' faire, sont venus parler en faveur d'une libéralisation des échanges, mais pas à n'importe quelle condition non plus et je me réfère à M. Parizeau et à M. Landry.

Je suis obligé de reprendre la suggestion que vous nous faites, qui .est celle de l'intelligence du doute. J'aimerais vous rassurer. Dans des dossiers comme celui-ci, mes collègues et moi-même avons eu, avons encore et espérons garder l'intelligence du doute dans n'importe quelle négociation qui implique l'avenir économique du Québec Nous ne prenons pas, comme vous le dites -vou3 utilisez les adjectifs très librement - la chose à la légère. Je ne crois pas non plus que négocier avec les Américains, c'est faire leurs quatre volontés. Ce n'est pas du tout dans cette position qu'on s'est placés, tout au moins comme Québécois. Je n'ai pas observé la position canadienne comme étant une position de gens qui veulent faire les quatre volontés de la partie de l'autre côté.

Quant à vous, M. Monière, je ne sais pas quelle est l'étendue des études ou des lectures que vous avez pu faire sur la question du commerce international, mais j'aimerais vous rappeler que, dans le Tokyo Round réalisé au moment où un gouvernement vous professait sûrement son préjugé favorable, il y a eu neuf ententes non tarifaires et que le gouvernement du Québec, à la signature du Tokyo Round, s'est dit parfaitement heureux des conclusions de cette entente. Je n'ai entendu personne, à ce moment-là, dire que c'est l'Ontario ou quelque autre province qui avait été favorisée, mais le Québec était pleinement satisfait.

Je pense que vouloir négocier strictement des mesures tarifaires, qu'on le fasse au plan bilatéral ou qu'on le fasse au plan multilatéral, est totalement irréaliste vis-à-vis de la plus élémentaire base du commerce international. Le harassement douanier n'est pas tarifaire. Les mesures de standardisation des questions d'hygiène en matière d'agriculture, ce n'est pas tarifaire. Les politiques préférentielles d'achat très souvent hypocrites et non annoncées d'un État ou d'un secteur industriel d'un État, ce n'est pas tarifaire. Il me semble tout à fait élémentaire et je ne sais pas où vous avez pris cette notion, mais je vais conclure en vous disant et en répétant ici qu'un traité de libéralisation des échanges avec les États-Unis, ce n'est pas une baguette magique, ce n'est pas une panacée, pas du tout. Une négociation sur les relations commerciales,

que ce soit au plan bilatéral ou multilatéral, c'est un processus continuel qui va devoir préoccuper les gouvernements tant et aussi longtemps qu'on voudra continuer à faire affaires et même après. Mais, dans le cas présent, entre ce que vous préconisez, c'est-à-dire le statu quo et, passivement, laisser des mesures en droit compensatoire ou autres mesures punitives, ou des lois s'adopter et regarder les jobs menacés ou disparaître, et le choix que nous avons fait, compte tenu de nos responsabilités, je dois vous dire que je me sens très à l'aise avec notre choix, surtout que nous sommes appuyés à l'intérieur de certains paramètres par l'Opposition et par la très grande majorité des gens qui se sont impliqués dans le dossier et qui sont venus présenter leur cas.

Je vous remercie tout de même d'être venus. Dieu merci, on vit dans une démocratie. Tout le monde a le droit de s'exprimer. Vous l'avez fait et vous l'avez bien fait.

M. Monière: M. le Président, je voudrais simplement rassurer M. le ministre sur la qualité de mes sources. Vous savez sans doute, M. le ministre, qu'il y a eu la commission MacDonald qui a publié non seulement ses rapports, mais ses études, et les hypothèses que j'ai évoquées devant vous, je les ai tirées de certaines études publiées par la commission MacDonald, c'est tout.

M. MacDonald: Les hypothèses. M. Monière: Bien sûr.

Le Président (M. Charbonneau): Je veux simplement ajouter un commentaire. Cela donne l'impression, quand on vous écoute, que les indépendantistes sont tous unanimes à s'engager contre le libre-échange et qu'on n'est pas un vrai indépendantiste si on ne partage pas l'approche que vous avez développée. J'ai plutôt l'impression que... On a entendu des indépendantistes ici qui étaient pour et d'autres qui étaient contre, comme vous, et des gens aussi qui se posent des questions. De notre côté, il y a des gens qui sont plus pour, d'autres qui sont plus contre, mais la majorité, de toute façon, est incertaine dans la mesure où il y a un certain nombre de paramètres qui sont difficilement cernables actuellement. Je pense qu'on s'entend tous sur cela. On n'a pas d'entente actuellement. On tient une commission parlementaire à un moment où les derniers moments d'une négociation s'achèvent, une négociation qui est secrète et qui se déroule sans qu'on ait directement d'interlocuteur, bien qu'on puisse penser que le gouvernement du Québec, dans le contexte constitutionnel, fait le maximum.

Indépendamment de cela, il est clair qu'il peut y avoir des inquiétudes et des incertitudes.

Il y a une autre chose que j'aurais le goût de dire, c'est que je n'ai pas l'impression - en tout cas, personnellement -qu'une intégration économique plus grande signifie nécessairement pour des États moins de souveraineté ou que ces États ne sont plus des États autonomes. Je pense qu'il y a des pays indépendants en Europe qui vivent non seulement dans des systèmes d'intégration économique, mais d'intégration politique et qui conservent néanmoins la plénitude de leur souveraineté politique, de leur indépendance politique. À cet égard, on pourrait penser à la fois aux pays Scandinaves et aux pays de la Communauté économique européenne. Donc, ce n'est pas nécessairement automatique que, parce que des pays ont une intégration économique plus ou moins poussée, selon les situations, qu'automatiquement ces pays ne sont plus des pays et que ce sont des espèces d'entité politique plus ou moins sous la dépendance d'autres.

Ce sont les commentaires que j'avais le goût de faire. Je pense que, à moins qu'il n'y ait d'autres commentaires, je voudrais, au nom de mes... Ou;, monsieur...

M. de Bellefeuille: M. le Président, je voudrais ajouter quelques mots pour éviter qu'il y ait des malentendus parce qu'aussi bien le ministre que vous-même semblez avoir mal compris notre position. Nous ne sommes pas opposés à la libéralisation des échanges, M. le Président. Je pense que notre mémoire indique clairement que nous considérons la libéralisation des échanges comme faisant partie des idéaux internationaux que le monde libre s'est proposés depuis la guerre. Mais cet idéal s'est heurté à des réalités, à des égoïsmes, à toutes sortes de conflits qui sont inévitables apparemment dans le monde. Alors, ce à quoi nous nous opposons, ce n'est ni à la libéralisation des échanges, ni au fait que le Canada cherche à en venir à un accord avec les États-Unis sur le libre-échange. Ce à quoi nous nous opposons, c'est au fait que le Québec ne négocie pas lui-même sa participation à la libéralisation des échanges et il n'y a à cela qu'une seule solution - M. le ministre l'a parfaitement compris - il n'y a à cela qu'une seule solution, ce serait l'indépendance du Québec. Or, ce n'est pas un objectif qu'il poursuit. Comme ce n'est pas un objectif qu'il poursuit, je ne vais pas chercher plus longtemps à le convaincre, mais, à notre avis, toute la question est là. Dans le régime fédéral, le Québec ne peut pas négocier pour lui-même; donc, ce sont d'autres qui négocient pour lui et nous estimons qu'il faut être terriblement naïfs pour penser que d'autres vont négocier pour nous aussi bien que nous le ferions nous-mêmes.

Enfin, M. le Président, je note que, du côté de l'Opposition officielle, on ne prend pas très clairement position. On exprime bien sûr une inquiétude, mais une inquiétude qui est assez molle, qui n'a pas plus de vigueur que l'affirmation nationale. C'est une espèce d'inquiétude nationale dans la même veine que l'affirmation nationale. J'aurais aimé entendre M. Parent nous dire que lui aussi croit que le Québec devrait négocier pour lui-même. Je regrette que ce ne soit pas le cas.

Le Président (M. Charbonneau);: M. de

Bellefeuille, j'aurais presque le goût de vous répondre à cette dernière intervention en vous disant que c'est un peu facile, finalement, de conclure de cette façon-là. On peut très bien espérer et souhaiter - en tout cas, c'est notre cas de notre côté - comme vous que le Québec soit un jour un pays et qu'il puisse procéder de cette façon-là à des négociations d'État à État ou de pays à pays, mais ce n'est pas le cas et on a vécu tout le monde les résultats du référendum. La réalité, c'est qu'on fonctionne dans un système où les Québécois se sont prononcés pendant un certain nombre d'années et ce n'est pas parce qu'on est d'accord avec ce choix-là qu'on n'est pas capable d'agir politiquement dans cette société pour qu'un gouvernement qui, lui, a une foi fédéraliste et qu'on respecte fasse le moins d'erreurs possible dans l'intérêt du Québec. On peut par ailleurs différer d'opinions, mais je pense qu'on pourrait s'étendre longtemps ce soir sur ça. Néanmoins, sur cette dernière remarque - je voulais me garder le mot de la fin - je voudrais au nom de tous mes collègues de part et d'autre vous remercier d'avoir participé à cet exercice de consultation générale sur le libre-échange. Je pense qu'on a tous apprécié cet échange et cette cordialité que néanmoins nous avons eus ce soir. Alors, merci et à la prochaine. Bon retour.

Je voudrais inviter maintenant, pendant qu'on va faire une pause de quelques instants, Ies gens de Trans-Impex à prendre place à la table des invités, s'il vous plaît!

(Suspension de la séance à 21 h 4)

(Reprise à 21 h 6)

Le Président (M. Charbonneau):

Messieurs, bonsoir. Les sourires que vous voyez sur nos visages sont des sourires de gens qui essaient de faire leur travail avec le plus d'agrément possible. Alors, nous vous accueillons dans la poursuite de notre consultation générale sur la libéralisation des échanges. Je vous rappelle les règles. On a environ une heure et, parfois, quelques instants de plus pour avoir une discussion avec vous. D'abord, une vingtaine de minutes pour la présentation du mémoire et le reste du temps est consacré de part et d'autre à des échanges de points de vue. Je crois que c'est M. Byrne qui... Pardon?

M. Lemay (Roland): Roland Lernay.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Roland Lemay. Excusez-moi. J'avais votre nom, mais je ne savais pas lequel d'entre vous agirait comme représentant. Je vous demanderais, pour le Journal des débats, de présenter la personne qui vous accompagne et de commencer immédiatement votre présentation.

Trans-Impex

M. Lemay: Avec plaisir, M. le Président.

Nous remercions les membres de la commission de nous donner l'occasion de nous faire entendre. J'aimerais vous montrer qu'on est complètement à l'aise et vous présenter mon confrère, M. Julien Carignan, qui est conseiller en transport pour les chemins de fer nationaux pour l'est de Montréal. M. Carignan a agi comme président d'un groupe très connu à Québec. Il a organisé la journée du camionnage l'an passé et il faisait partie comme président du club du trafic de Québec. C'est un curriculum vitae très court, mais cela vous fait connaître M. Carignan qui m'accompagne. Je dois dire que nous entendons faire savoir à ceux qui ne parlent pas que la sévérité de ce mémoire - nous considérons notre mémoire assez sévère -pourra renseigner ceux qui parlent pour savoir. Ce sont des paroles que je répète, qui ont été dites la semaine dernière, mais dans un autre sens.

Les discussions sur le libre-échange nous préoccupent grandement. Seront-elles à notre avantage ou à notre désavantage? Nul ne le sait.

Posons-nous donc les questions suivantes: La valeur du dollar canadien sera-t-elle au pair avec celle du dollar américain? Notre voisin américain va-t-il respecter nos droits acquis sur l'étiquetage bilingue et sur les mesures et poids en métrique? Des choses qui marquent l'identité propre du Canada. Le pourquoi de ces questions? Très souvent, nos producteurs sont protégés par ces deux particularités très importantes.

M. David Peterson, premier ministre de l'Ontario, a qualifié les négociations qui ont mené à l'entente sur le nouvel accord avec les États-Unis sur le bois d'oeuvre d'affaire mal conduite. L'entente permet aux États-Unis de surveiller le respect de l'accord et les 600 000 000 $ que rapportera la taxe imposée, ou taxe compensatoire, par le Canada sur le bois d'oeuvre ne pourront être réinvestis dans l'industrie canadienne afin de

venir en aide aux compagnies ou aux travailleurs en difficulté dans ce secteur. M. Peterson ajoute que les concessions faites par le Canada encourageront d'autres industries américaines à serrer la vis pour voir ce qu'elles peuvent obtenir. C'est toujours à cause du protectionnisme américain, M. le Président. Je le dis hors texte.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Lemay, je me rends compte que votre texte n'est peut-être pas long, mais très dense.

M. Lemay: Oui, je vais activer ma lecture.

Le Président (M. Charbonneau): Donc, au rythme où vous le lisez, je suis convaincu que cela va prendre plus que 20 minutes pour en livrer le contenu. De deux choses l'une: ou vous trouvez un débit et vous...

M. Lemay: ...accélérez.

Le Président (M. Charbonneau):: ...accélérez ou vous faites une synthèse.

Nous sommes prêts à vous donner un peu plus de temps, mais si on veut avoir le temps de discuter un peu...

M. Lemay: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Je vous en prie.

M. Lemay: Nous savons fort bien que les pressions assidues des compagnies Georgia Pacific Corporation, International Paper -c'est la maison mère du CIP - North Pacific Lumber, American International Industrial Forest Products, et de quelqu'un en particulier - je suis obligé de mentionner son nom; c'est lui qui en a été l'instigateur, le sénateur Bob Packwood, de l'État de l'Oregon, qui a dépensé 7 000 000 $ lors d'une campagne électorale; c'est lui qui a fait le lobbying pour amener cette surtaxe qu'on a imposée aujourd'hui - auprès du gouvernement américain par l'entremise des sénateurs des États de l'Idaho, de l'Oregon et de Washington - ce sont les trois États en question qui nous combattent - ont largement contribué à forcer le gouvernement Reagan à exiger que Mme Pat Carney, ministre canadienne du Commerce extérieur, impose une surtaxe de 15 % sur le prix de vente du bois d'oeuvre canadien exporté aux États-Unis.

La brutalité réaliste est que l'empire américain est en déclin; cet empire qui avait atteint son apogée de puissance et d'influence durant les années cinquante et soixante est menacé à la fois par la Communauté économique européenne et par le Japon, sans parler de ses propres problèmes intérieurs.

Durant les années quatre-vingt, les États-Unis connaissaient des déficits budgétaires grandissants, ils voyaient leurs industries péricliter pendant que de nouvelles usines se construisaient au Japon, en Corée et à Taiwan et non aux États-Unis. C'est eux qui le voulaient ainsi. Pendant ce temps, leur déficit augmente sans cesse.

Nous croyons beaucoup plus à des ententes dûment signées et approuvées qu'à une libre concurrence entre deux pays de coutumes différentes, de manières différentes de vivre et de se nourrir, et une façon de faire contrepoids à la culture américaine et de protéger ainsi une identité déjà menacée consiste à organiser des sommets francophones - comme celui qu'on a eu -propices à la recherche de consensus sur les grands problèmes politiques et économiques pour stimuler les échanges économiques où le Québec a quelque chose de spécial à offrir.

Depuis quand les États-Unis ont-ils avantage à atténuer la concurrence avec le Canada? Nous n'avons qu'à les suivre dans leur façon de nous traiter comme voisins concernant les pluies acides, le respect de nos frontières, de nos eaux territoriales. Je peux me permettre de dire que ce n'est pas réglé, la question des 200 milles. Un arbitre a déjà été nommé et on parle d'arbitre plus loin; on en demande. Commençons par établir un juste équilibre avec ces derniers.

Le premier ministre Mulroney croit que le Canada peut s'attendre à un traitement préférentiel des États-Unis parce qu'il entretient de bonnes relations personnelles avec le président Reagan et que les pourparlers commerciaux sont empreints de politesse et de décorum entre l'ambassadeur du Canada, M. Simon Reisman, et M. Peter Murphy, ambassadeur américain, lequel relève du représentant au commerce des États-Unis, M. Clayton Yeutter. (21 h 15)

Les Américains livrent également une très importante guerre commerciale à la Communauté économique européenne en accordant d'importantes subventions à l'exportation des produits alimentaires. Le Canada, qui dispose de moyens plus limités, n'est pas de taille pour combattre. Le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, M. Michel Pagé, estime que le président américain Ronald Reagan bluffe lorsqu'il prétend vouloir l'élimination des subsides dans le secteur agricole d'ici dix ans. C'est facile de le dire, mais il a mis 37 000 000 000 $ pour soutenir ses producteurs de céréales, ce qui a entraîné un effondrement des prix. Nous comprenons les inquiétudes de l'UPA qui a demandé récemment au premier ministre canadien, Bryan Mulroney, de retirer son appui à M. Reagan sur les questions agricoles débattues devant le GATT et qui s'inquiète toujours

des négociations sur le libre-échange avec les États-Unis. Voilà pourquoi notre commerce avec notre voisin connaît des difficultés. Le sentiment protectionniste se renforce aux États-Unis et un grand nombre d'exportations canadiennes souffrent directement et indirectement des mesures de protection exceptionnelle américaines.

Les principaux problèmes dans le secteur de notre agriculture tiennent au protectionnisme à outrance et à la guerre des subventions entre la communauté européenne et les États-Unis dont les retombées affectent sérieusement nos marchés d'exportation. La réglementation des subventions et autres questions agricoles sont une priorité pour les négociations du GATT. Les progrès que nous accomplirons dans nos négociations avec les États-Unis, par exemple, sur la définition des subventions admissibles ou la réduction des barrières non tarifaires comme les règlements sanitaires et techniques pourront être utiles aux négociations multilatérales. Dans le contexte bilatéral, il ne faut pas que les offices de commercialisation des produits agricoles soient mis en cause. Il faut trouver des moyens d'empêcher les nations les plus puissantes, Etats-Unis et Europe, de restreindre l'accès à leurs propres marchés et d'envahir les marchés étrangers à l'aide de programmes de subventions. Il faut également persuader le Japon d'abandonner son programme de subventions intérieures excessives et de libéraliser l'accès à son marché.

Prenons l'exemple des producteurs agricoles de la municipalité de Fulton dans l'État de New York. Au mois d'août 1986 les grossistes en fruits et légumes de cette région refusaient d'acheter la laitue des producteurs de l'État de New York et alimentaient leurs clients avec de la laitue en provenance des régions localisées au sud de Montréal. Au détail, à l'alimentation on offrait une pomme de laitue au prix de 0,19 $ américains. De nombreuses plaintes furent formulées à cet effet par ces producteurs. Ces dernières années, des commerçants canadiens ont envahi le marché de l'État du Maine avec des patates canadiennes. Nous avons vu aux frontières canado-américaines de nombreux soulèvements de protestation émanant des producteurs américains en colère. Aussi, qu'adviendra-t-il si l'argent canadien redevient au pair et que les producteurs américains aient libre cours chez nous, étant donné que l'État du Maine produit plus de tubercules que le Canada tout entier? Assurément, nos producteurs ne pourraient pas tenir le coup. Les producteurs américains possédant des fermes très vastes, obtenant des récoltes plus abondantes et leur coût de revient étant plus bas, ils écraseraient nos agriculteurs canadiens en peu de temps, lesquels ne pourraient pas soutenir cette compétition. C'est la dévaluation du dollar canadien qui protège nos pomiculteurs du Québec de l'envahissement de notre marché par les producteurs américains. La pomme Mclntosh en provenance de l'État de New York est plus colorée que celle produite dans les régions au sud de Montréal. Au printemps la pomme Mclntosh gardée dans des entrepôts à atmosphère contrôlée de l'État de New York a meilleur goût que celle gardée dans les mêmes conditions au Québec

Pour discuter de libre-échange avec les États-Unis il faut nécessairement aborder le sujet controversé de la déréglementation dans le transport ferroviaire, routier et aérien. Aux États-Unis, la déréglementation a abouti au licenciement de 300 000 camionneurs syndiqués du secteur des transports et a provoqué des pressions sur les salaires et les conditions de travail des autres travailleurs. Depuis, que se passe-t-il au niveau de la sécurité? Dans le secteur américain du camionnage la déréglementation a entraîné une prolifération de petits camionneurs disposant de peu de capitaux et a poussé ces camionneurs, soumis à des pressions de la part des gros transporteurs qui accordent des rabais, à prendre des risques supérieurs aux niveaux acceptables pour maintenir leurs véhicules sur la route. Cette situation a mis en danger non seulement leur propre sécurité mais celle de tous les autres usagers de la route.

Ceux qui se demandent ce qui va se produire à la suite de la déréglementation n'ont qu'à jeter un coup d'oeil sur la situation aux États-Unis pour voir ce que ce pays exportera chez nous. Les bas tarifs aériens dont on parle beaucoup ne sont pas devenus une réalité, sauf entre certaines villes importantes. Même dans ces cas, la situation change à l'heure actuelle. Dans l'industrie ferroviaire, des licenciements collectifs se sont produits et les sociétés ferroviaires américaines ont abandonné des milliers de kilomètres de voie ferrée. C'est en substance ce qui se produira au Canada et au Québec.

Dans l'industrie du camionnage, nous serons en concurrence avec les géants américains du camionnage dont les six entreprises les plus considérables transportent à elles seules plus de marchandises que tous les expéditeurs du Canada. Ces entreprises élimineront les nôtres, à toutes fins utiles. Le gouvernement fédéral a profondément modifié les règles du jeu et doit accepter la responsabilité de ce qui arrivera.

Aux États-Unis, les camions sont non seulement plus nombreux sur les routes et sur les autoroutes du pays, mais ils sont également beaucoup plus gros. Cette situation est partiellement attribuable à la déréglementation du camionnage commencée en 1980. Les experts en sécurité affirment

par ailleurs que la concurrence a augmenté entre compagnies de camionnage et camionneurs indépendants, de sorte que les camionneurs ont tendance à gagner du temps et à épargner de l'argent en faisant fi des limites de vitesse, en abrégeant les horaires d'entretien des véhicules et en passant outre aux règles sur le nombre d'heures de conduite permises entre les périodes de repos.

Entre-temps, le Insurance Institute for Highway Safety, soutient que la tendance vers des camions plus imposants, dont ceux à double remorque, a empiré le problème. Les camions à double remorque peuvent peser jusqu'à 80 000 livres; ils sont cinq fois plus longs et une fois et demie plus larges qu'une voiture de promenade.

Si le libre-échange et la déréglementation sont institués au Canada, notre industrie de camionnage tout entière pourrait être éliminée par les géants du camionnage américain qui attendent le moment d'engloutir notre industrie. Aussi, nous exprimons des doutes sérieux concernant les projets de loi C-18 et C-19 qui visent à déréglementer l'industrie des transports.

Il sera extrêmement facile aux transporteurs américains de déferler chez nous et d'effacer tout avantage qui profite à l'heure actuelle aux transporteurs canadiens. L'industrie ferroviaire canadienne a déjà fait connaître publiquement ses intentions par rapport à la déréglementation et à la privatisation. Le CP déclare qu'il réduira son réseau du tiers, qu'il cédera des tronçons de lignes à d'autres intérêts et qu'il fera disparaître les emplois correspondants. Le CN, comme l'a affirmé son p.-d.g., M. Lawless, se débarrassera de 40 % de ses voies d'ici dix ans grâce au libre-échange, à la déréglementation et à la privatisation. Il ajoute que le CN compte réduire sa main-d'oeuvre de 18 % d'ici 1990, c'est-à-dire dans trois ans.

Le libre-échange et la déréglementation exposeront toute l'industrie canadienne du transport aux incursions d'énormes conglomérats américains, ce qui pourrait l'entraîner à la ruine et la faire disparaître. La déréglementation pourrait donner naissance à un système ferroviaire continental allant du sud des États-Unis à l'est et à l'ouest du Canada. Il est fort probable que cela se produira et les Américains seront les grands gagnants dans un contexte de transports déréglementés.

Les chemins de fer ont actuellement l'obligation de publier leurs tarifs. Aussi, les camionneurs savent ce qu'ils facturent à leurs clients et peuvent couper les prix. La déréglementation devrait profiter à l'intermodal parce que les tarifs de transport ferroviaire n'auront plus à être publiés et parce que les chemins de fer pourront passer des contrats confidentiels avec leurs clients.

Ils disposeront ainsi d'un outil plus concurrentiel.

Le seul ennui, c'est que, si les camionneurs américains ont libre accès au marché canadien (l'accès de ce marché est limité pour eux actuellement parce qu'il leur faut obtenir un permis d'exploitation provincial) une pression considérable s'exercera alors sur l'industrie canadienne du camionnage et sur les chemins de fer canadiens et, en particulier, en ce qui concerne le trafic transfrontalier. La plus récente innovation du CN en matière d'envois, il s'agit des conteneurs gerbés, c'est-à-dire l'un par dessus l'autre, d'une longueur de 84 mètres et d'une hauteur de 4,5 mètres, c'est-à-dire deux conteneurs placés l'un sur l'autre et chargés sur un wagon plat. Le gerbage offre des avantages on ne peut plus évidents: On peut ainsi acheminer le double de la charge d'un convoi de même longueur. Dans l'ouest des États-Unis, les envois gerbés s'effectuent depuis quelque temps déjà. L'innovation revient au chemin de fer Burlington Northern. Le gerbage ouvre de nouveaux horizons au transport ferroviaire, il s'agit d'un moyen efficace pour les chemins de fer de faire face à la concurrence sur les marchés du transport.

Les brasseries canadiennes sont un autre domaine où le libre-échange et la déréglementation peuvent porter atteinte à nos travailleurs. Selon les lois actuelles, un brasseur doit avoir une brasserie dans une province donnée pour avoir le droit de vendre de la bière sur son territoire. Si on permet au libre-échange de se concrétiser, 30 000 emplois pourraient être perdus. Il y aurait d'énormes ruptures d'emploi, des pertes d'investissements considérables et de nombreux établissements fermeraient leurs portes. Toute cette industrie canadienne, telle que nous la connaissons, pourrait même disparaître.

Voici la situation par rapport au libre-échange et à la déréglementation dans le domaine des brasseries. Les plus petites provinces seraient durement frappées, car leurs brasseries sont de petite taille, de sorte qu'elles ne pourraient concurrencer les grandes brasseries américaines. Les producteurs canadiens d'orge pourraient perdre jusqu'à 60 000 000 $ de ventes.

Six brasseries possèdent 95 % du marché américain. La plus grande brasserie américaine est dix fois plus grosse que la plus grande brasserie canadienne. La capacité de production excédentaire américaine est suffisante pour satisfaire plusieurs fois à la demande du marché canadien. Avec la déréglementation et le libre-échange, nous pourrions être en présence d'une situation où une gigantesque brasserie située en Ontario ou au Québec pourrait fournir ou fournirait, en fait, tout le marché canadien en bière, si

elle était évidemment en mesure de soutenir la concurrence américaine. Imaginez le nombre d'emplois perdus au Canada.

Tout accord que nous conclurons avec les États-Unis devra être entièrement conforme aux dispositions du GATT. Mais, comme les négociations multilatérales que nous avons entreprises sous l'égide du GATT sont complexes et qu'elles s'échelonneront sur plusieurs années - exemple: le système harmonisé de classification des commodités (Harmonized system classification), on y reviendra si les questions nous le permettent - nos deux pays ont décidé d'agir rapidement pour libéraliser et élargir leur commerce réciproque en concluant, aux termes de l'article XXIV du GATT, un accord particulier conçu pour répondre aux besoins du plus ample commerce bilatéral au monde, tout en pensant qu'il serait dangereux d'ignorer les forces du changement et les presssions protectionnistes qui font obstacle à notre commerce et à notre croissance économique.

Notre voisin est aussi notre plus gros client. Il achète 77 % de nos exportations. Plus de 2 000 000 d'emplois dépendent de nos échanges commerciaux avec les États-Unis. Cependant, les Américains, qui sont confrontés à un énorme déficit commercial, mobilisent toute leur énergie pour mettre un terme à ce qu'ils estiment être une concurrence déloyale et des pratiques commerciales injustes.

Le Canada a ressenti les répercussions de cette attitude protectionniste. De nombreux secteurs de notre économie en ont souffert, à la fois directement ou indirectement - exemple: les différends sur les bardeaux et bardeaux fendus et sur le bois d'oeuvre, résultant des pressions protectionnistes aux États-Unis - et ont montré combien est vulnérable aux recours commerciaux américains cette industrie qui est vitale pour le Québec et la Colombie britannique et qui occupe une place importante dans les économies de l'Ontario et d'autres provinces. Plus de la moitié de notre production totale est exportée, dont plus de 75 % aux États-Unis. La Saskatchewan, en particulier, a tous les motifs pour durcir le ton. Les États-Unis s'apprêtent, en effet, à imposer un tarif, de 83 % sur les importations de potasse provenant de cette province. 60 % de la potasse produite en Saskatchewan a été exportée chez les Américains. (21 h 30)

Afin de compléter le survol général des exportations et des importations internationales du Québec, nous fournissons les données de sept produits exportés et de six produits importés - voir les annexes ci-jointes - exempts des tarifs de la douane pour les années 1984-1985, à l'exception de nos produits forestiers, du papier d'imprimerie...

Sur cela, M. le Président, permettez-moi de dire que nous avons consulté les statistiques de Commerce international du Québec, édition 1986. Il y a une erreur qui s'est produite concernant le papier d'imprimerie. On cite seulement le papier d'imprimerie» Après entente, cela sera corrigé l'an prochain. On a inclus le papier journal dans cela., C'est pourquoi le papier d'imprimerie paraissait si haut au point de vue de l'importation. Excusez-moi, je vous remercie. ...des panneaux agglomérés, pressés ou gaufrés et de certains légumes importés des Etats-Unis, le concombre, le blé d'Inde pour consommation domestique, lesquels sont assujettis à des tarifs douaniers canadiens pour une durée de seize semaines par année, soit l'équivalent de la durée de nos récoltes, ainsi que les carottes et les fèves jaunes pour une durée de douze semaines. Sont aussi exempts des droits de douane les importations de fruits originant des pays membres du Commonwealth britannique comme les agrumes - ce sont les oranges, le citron et le pamplemousse de marque Outspan, les pommes de marque Cape et Granny Smith, les prunes de marque Cape, expédiés du Swaziland, état d'Afrique localisé entre l'Afrique du sud et le Mozambique et dont l'origine première serait l'Afrique du sud ou même le Godland qui veut dire en français Terre promise. Pour sauvegarder le caractère confidentiel des données de certains produits importés, nous croyons qu'ils ont été groupés dans la catégorie des transactions commerciales spéciales, lesquelles nous ont été fournies sous réserve. Je ne lirai pas les annexes, M. le Président, je m'en dispense. Je vous remercie beaucoup de m'avoir écouté. J'espère que je n'ai pas dépassé la limite.

Le Président (M. Cannon): Vous avez dépassé quelque peu, M. Lemay.

M. Lemay: Je vous remercie de votre obligeance à notre égard.

Le Président (M. Cannon): Sans plus tarder, je cède la parole au ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique,

M. MacDonald: Messieurs, merci de votre présentation. Je lis et j'écoute par votre lecture une mise en garde contre ce que pourrait produire une libéralisation des échanges sans entrave, si ce n'était pas balisé par certaines conditions, certains engagements du gouvernement du Québec et du gouvernement canadien. Vous soulignez particulièrement vos craintes et vos réserves pour ce qui a trait à l'agriculture et vous faites la même chose sur le plan du

transport et particulièrement du camionnage. J'ai retenu également vos remarques concernant les brasseries.

Je présume, messieurs, que vous avez suivi une partie des débats ou, tout au moins, les reportages qu'ont pu en faire les médias. Certains des organismes industriels ou commerciaux nous ont également souligné leurs craintes ou leurs réserves, peut-être, dans certains cas, avec beaucoup moins de détails que vous ne l'avez fait. Nous avons cherché à les rassurer en leur disant que nous aussi, à partir de l'expertise disponible dans les ministères du gouvernement québécois, expertise que nous sommes allés rechercher à la demande du comité technique qui a été établi sur le dossier de la libéralisation des échanges, nous avons consulté au gouvernement pas moins de quatorze ministères ou organismes. Vous avez entendu l'Association québécoise des brasseries. Les gens de l'industrie du camionnage et de l'Union des producteurs agricoles sont venus, avec détails, nous présenter leurs réserves et ajouter à notre dossier qui venait confirmer ou modifier la conclusion qu'on avait pu tirer des considérations de nos hauts fonctionnaires et des organismes gouvernementaux. Dans chacun des cas, je crois que nous avons mis les réserves, les conditions pour nous assurer justement que ces craintes que vous avez ne deviennent pas la réalité d'une situation défavorable.

J'aimerais vous rassurer particulièrement pour ce qui a trait à l'agriculture et nous avons mentionné dès le départ que cela devait être traité comme un dossier très spécial, que cela l'avait toujours été et que cela devait l'être. J'aimerais vous rassurer et j'ai bien compris que M. Carignan est un expert du domaine du transport ferroviaire et sûrement que ses compétences débordent sur d'autres formes de transport. Vous allez comprendre, M. Carignan - et, à la lecture des journaux, cela n'est pas révélé - que les États-Unis, demandeurs dans une ouverture sur le plan des services, et, le transport n'est qu'un des services, semblent avoir une grande difficulté à livrer. Je prends par exemple le domaine du cabotage côtier où il se fait un lobby absolument sans merci aux États-Unis pour ne pas ouvrir, de quelque façon que ce soit, le Jones Act. Vous avez sûrement eu dans votre travail à apprécier les barrières non tarifaires que peut représenter une réglementation plus ou moins publiée des États américains et non pas du gouvernement fédéral. Il semblerait que, dans cette négociation, le gouvernement fédéral, quelles que soient ses bonnes intentions d'ouvrir les portes sur le plan des services, ne serait peut-être pas capable de livrer autant qu'il le désirerait la coopération des États.

Alors, je crois que oui, je partage avec vous cette crainte qu'une déréglementation, une ouverture totale de déréglementation entre les deux pays en matière de transport pourrait théoriquement s'avérer difficile, particulièrement pour la partie canadienne, mais je crois qu'il est peu probable que nous ayons cette généralisation, tout simplement parce que cela n'est pas pratique et livrable par la partie américaine ou parce que nous avons des réserves de notre côté sur certains aspects.

Alors, je n'ai pas de question particulière à vous poser sur ce sujet si ce n'est que de vous remercier. J'aimerais terminer en vous remerciant de nous avoir une fois de plus mis en garde sur ces aspects spécifiques du dossier. C'est une des raisons pour lesquelles cette commission parlementaire a été conviée. Je vous remercie très sincèrement de votre participation.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le ministre. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Lemay, M. Carignan, merci d'être là. J'ai une question de curiosité personnelle. J'aimerais peut-être que vous puissiez nous dire en quelques minutes ce que le groupe ou la société Trans-Impex représente exactement. Je pense que cela pourrait intéresser beaucoup de gens parce que vous nous apportez des points précis, très spécifiques. Ce serait plaisant de savoir exactement ce que vous représentez, dans un premier temps.

M. Lemay: M. Parent, moi-même, j'ai été relié au transport autrefois et je continue à suivre cela. Cela m'intéresse beaucoup et surtout l'importation et l'exportation. Maintenant, j'ai pris une préretraite, mais je garde de très bons contacts avec des amis qui ont aidé, qui ont soumis des genres de "drafts", comme on les appelle - excusez le terme anglais - dont un qui était supposé être ici ce soir et qui, malheureusement, n'y est pas. Il est exportateur et importateur en fruits et légumes. J'en ai un autre qui est actuellement exportateur de bois d'oeuvre. Lui aussi, il a travaillé et fourni des données. J'en ai un autre qui a une compagnie de trafic à Montréal. J'ai un de mes bons amis qui a déjà été comme vous et qui l'est actuellement, soit maire de Beloel, M. Julien Bussières - je n'ai pas honte de le dire - qui nous a fourni de très bons renseignements et qui est considéré comme un expert dans le transport. Alors, avec toutes ces données, on se devait, vu que l'occasion nous était offerte, de venir présenter un mémoire. Nous en sommes fiers. Nous sommes heureux.

M. Parent (Bertrand): Merci de ces

éclaircissements, M. Lemay. Je pense que c'était important pour bien situer qui vous représentez dans le débat. Ce sont des gens impliqués dans l'import-export et aussi dans le transport. Vous soulignez à la page 4 de votre mémoire: "Si le libre-échange et la déréglementation sont institués au Canada, l'industrie du camionnage tout entière pourrait être éliminée par des géants du camionnage américains qui attendent le moment d'engloutir notre industrie. Aussi, nous exprimons nos doutes sérieux concernant les projets de loi C-18 et C-19..."

On sait que - et ça je pense que c'est un excellent point que vous apportez -concernant le fameux projet de loi C-18, le ministre québécois des Transports, Marc-Yvan Côté, a exprimé un peu son grand désarroi le 2 avril dernier devant le projet de loi fédéral parrainé par M. John Crosbie, ministre fédéral des Transports et dans un mémoire qu'il présentait à cet effet-là... Et peut-être que le ministre pourra nous dire si, de la part de son collègue, il y a eu évolution du dossier depuis avril dernier. Mais le ministre Côté disait, et de là toute notre préoccupation, et ça illustre bien le fait que nous ne sommes pas très souvent en position de force et de négociation, alors, le ministre Côté disait: Alors que le Canada tente de négocier un accord de libre-échange avec un partenaire qui ne nous fait pas de cadeau - là, il donnait quelques exemples: restriction sur le bois de sciage, le porc, la potasse, etc. comment peut-on justifier de lui offrir sans aucune concession de sa part un accès à notre trafic ferroviaire? Et plus loin dans son mémoire il nous dit: Les statistiques montrent clairement que les subventions au maintien des embranchements des Prairies coûtent au gouvernement fédéral au moins dix fois plus que le maintien des autres embranchements non rentables. Et il continuait en disant que cette partie-là pour maintenir le réseau ferroviaire dans l'ouest du pays, particulièrement dans les Prairies, coûte tellement cher qu'on n'a pas la contrepartie ici, particulièrement les lignes ferroviaires qui sont jugées essentielles pour, entre autres, tout le développement régional.

De plus, le ministre Côté avait obtenu, si j'ai bien compris, du Conseil des ministres plusieurs points ou plusieurs amendements à apporter à ce fameux projet de loi C-18. Alors, je souligne qu'il y a eu déjà une préoccupation de la part du gouvernement, mais jusque dans quelle mesure ces revendications et les préoccupations du Québec ont-elles été considérées dans toute cette négociation-là? Moi, je pense que le fait que vous le souleviez est un point fort valable et j'aimerais peut-être, si tantôt le ministre a quelques minutes, qu'il puisse nous mettre à jour ou nous éclairer par rapport à cela.

Quant aux autres aspects de votre mémoire, je trouve que vous faites un large tour de la question en posant plusieurs lumières rouges comme plusieurs autres l'ont fait. Mais vous, vous le faites de façon très précise avec chiffres et preuves à l'appui. Alors, je pense que ceci est des plus valable. Tout ce que j'espère, c'est que les personnes qui sont autour du ministre et qui s'assurent de toute cette négociation, des représentations, du moins, du Québec à Ottawa dans la négociation fédérale avec les Américains puissent certainement prendre en considération plusieurs de vos points. Alors, moi, je vous dis bravo! Vous vous êtes donné la peine de présenter ce mémoire bien étoffé et je tiens à vous en remercier et si jamais le ministre pouvait apporter quelques éclaircissements concernant les préoccupations du Québec face au projet de loi C-18, je pense que ça pourrait être intéressant.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, merci, M. le député de Bertrand. Il n'y a pas d'autres ajouts à ce moment-ci. Alors, écoutez, il ne nous reste qu'à vous remercier d'avoir participé à notre consultation générale sur la libéralisation des échanges. Je pense que les remarques qui vous ont été faites de part et d'autre témoignent de l'intérêt qu'a suscité votre mémoire. Vous vouliez ajouter un commentaire, oui. (21 h 45)

M. Lemay: M. le Président, concernant la taxe compensatoire sur le bois d'oeuvre, je vais vous donner un exemple. Supposons qu'un producteur, qu'il soit de l'Abitibi ou du Lac-5t-Jean, qui a une usine vende à un type qui exporte qui résiderait à Québec, à Montréal ou ailleurs. Il est obligé, par rapport à la demande du marché américain... On va prendre le "deux par quatre", par exemple. Il a une demande de "un par quatre". C'est bien cela, Julien? Il fait travailler son bois ici, à Québec, dans les usines autour de la région et le réexpédie aux États-Unis- Qu'est-ce qui arrive? Il va payer la surtaxe de l'usine où la transformation a été faite et, en plus, il a été obligé de payer le transport à l'achat à l'usine où il a acheté. C'est pour cela que j'apporte cet argument. C'est un argument que j'ai entendu assez souvent depuis quelque temps, que cette taxe compensatoire devrait être FOB - excusez l'expression anglaise -devrait être FOB à l'origine, si on veut bien se comprendre et non à l'endroit de transit où il y a eu transformation, parce qu'à ce moment-là le type qui vend du côté américain, soit dans le Massachussetts, soit dans l'État de New York, est pénalisé parce qu'il a déjà payé un transport de l'origine au point où il fait travailler son bois et, deuxièmement, c'est lui qui subit cette taxe par la suite. Je comprends que les

Américains - je ne les traiterai de rien, mais en tout cas - à mon avis, ils la paient, c'est eux qui la paient, ils se pénalisent eux-mêmes, je le comprends très bien. Il y a un problème qui existe autour de la fameuse taxe compensatoire.

Deuxièmement, si vous permettez, les fameux bardeaux de cèdre. II y a le bardeau rouge qui vient de la Colombie britannique, des montagnes Rocheuses et le cèdre blanc ici au Québec. Actuellement, il se fait un jeu. Celui de la Colombie britannique est sujet à une taxe compensatoire. Le nôtre, pour le moment, non. Alors, on expédie de la Colombie britannique à Montréal, à Québec ou même à Toronto et on réexpédie aux États-Unis pour essayer d'éviter cette surtaxe.

Un autre exemple, ce sont les scieries qui s'échelonnent sur le territoire québécois et sur l'État du Maine. La même chose peut exister au Nouveau-Brunswick. Certains propriétaires ont accès à la forêt américaine pour couper leur bois qu'ils transportent ici, qu'ils transforment et qu'ils réexpédient du côté américain. C'est un point de litige actuellement sur la table. Eux disent: On ne doit pas payer parce que c'est du bois américain, c'est du "American native wood" qu'on revend aux Américains. Il y a certaines usines à Saint-Pamphile, à Beauceville, à Sainte-Luce-de-Beauregard ou ailleurs... Cela arrive aussi du côté de la frontière du Nouveau-Brunswick. Je suis certain qu'il y en a parmi les 600 000 qui, juridiquement, si c'est bien débattu, n'auront pas à le payer. C'est un autre point que je voulais souligner.

Le Président (M. Charbonneau): Avec ces précisions, cela complète, je pense, la présentation que vous avez faite. Comme je vous l'ai indiqué, je crois que les membres de la commission ont apprécié la discussion qu'ils ont eue avec vous et la présentation que vous avez faite. Je crois que les commentaires que le ministre et le député de Bertrand ont formulés témoignent de l'intérêt qu'ils ont apporté à la lecture de votre document. Je vous remercie d'avoir participé à cette consultation. J'espère qu'on aura une autre occasion de vous revoir à la commission parlementaire de l'économie et du travail. Bonsoir et bon retour.

M. Lemay: Merci beaucoup, messieurs. Bonsoir.

Le Président (M. Charbonneau): J'invite maintenant l'Association provinciale des assureurs-vie du Québec.

M. Parent, président de l'Association provinciale des assureurs-vie du Québec, je vous salue et vous remercie de participer à cette consultation. Comme vous le savez sans doute, vous avez une heure pour discuter avec les membres de la commission, un maximum de 20 minutes pour la présentation de votre mémoire, le reste du temps étant consacré à des échanges de vues avec la commission.

Comme il se fait tard et que les membres de la commission ont fait une bonne journée jusqu'à maintenant, je vous invite sans plus tarder à présenter votre mémoire.

Association provinciale des assureurs-vie du Québec

M. Parent (Real J.): Merci beaucoup. Je tiens à vous remercier, comme tout le monde doit le faire, de nous entendre à cette commission. Pour vous décrire brièvement l'Association provinciale des assureurs-vie du Québec, c'est une association qui regroupe 6000 membres. Une récente enquête a prouvé que nous faisions plus de 80 % des ventes d'assurance-vie au Québec. L'association provinciale est reconnue officiellement par le gouvernement depuis 1962 et nous sommes l'association ayant le plus de pouvoirs parmi toutes les associations d'assureurs-vie en Amérique du Nord. Nous en sommes assez fiers.

Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de présenter à la commission parlementaire sur le libre-échange le point de vue de l'intermédiaire en assurances de personnes.

Cette libéralisation devrait toucher la circulation libre des personnes, des marchandises ou produits, des capitaux, des services et des entreprises. Nous avons pris connaissance des commentaires sur cette question que vous adressait récemment l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes, avec la déclaration de principe sur l'échange des services des sociétés d'assurances de personnes entre les États-Unis et le Canada arrêtée, d'un commun accord, par ladite association, l'American Counsel of Life Insurance et la Health Insurance Association of America. Dans le même sens, l'APAVQ s'appuie également sur le principe directeur exposé par ces organismes, principe qui repose sur une politique non discriminatoire dans la façon de traiter les sociétés étrangères non résidentes.

Cependant, des systèmes de réglementation et de surveillance distincts devraient être maintenus et continuer d'évoluer selon les conditions de chacun des territoires juridiques distincts.

D'autre part, la question de la fiscalité des primes d'assurance est certainement d'importance primordiale. D'ailleurs, avec la récente réforme fiscale, nous croyons qu'il pourrait y avoir une équité dans ce sens-là. Il ne faudrait pas favoriser une concurrence préjudiciable à l'industrie canadienne des assurances en imposant ici des taxes sur les primes, ce qui inciterait le consommateur à

souscrire ses polices aux États-Unis. Une concurrence non équitable résulterait en une concentration des affaires là où l'on retrouve les meilleurs coûts. Encore là, je pense que la réforme fiscale actuelle peut amener une inéquité pour les compagnies d'assurance-vie dont le siège social est au Canada.

Il y a alors lieu de s'interroger sur les répercussions que le libre-échange pourrait avoir sur les intermédiaires dans la distribution des produits des assureurs et dans la prestation des services financiers? à la lumière des effets qu'elles pourraient avoir sur les consommateurs, qu'ils soient preneurs d'assurance, assurés, bénéficiaires ou tiers concernés.

Dans notre système économique, le commerce des services est très important. La libéralisation dans la prestation de services d'un côté et de l'autre de la frontière américaine différera de la libéralisation des marchandises et des capitaux.

Toutes les formes de distribution devront être examinées et il nous paraît difficile de concilier le besoin de protection des assurés et le contrôle des autorités en matière d'assurances de personnes avec la liberté de distribution directe - "mass marketing", utilisation de la poste, etc. - des produits des assureurs à partir des États-Unis.

Dans tout système de libre-échange, le pays destinataire est justifié d'imposer et de contrôler le respect de ses propres règles pour assurer la protection des consommateurs. Il faudrait, par conséquent, exiger que la distribution directe, sans intermédiaire, se fasse selon des conditions qui prévoient que le consommateur pourra exercer des recours dans le territoire où il est situé.

Cela dit, nous voulons maintenant traiter de la situation de l'intermédiaire en assurances de personnes.

En l'absence d'une irréalisable parfaite harmonisation des contextes juridiques, notamment en ce qui a trait au droit civil qui régit les droits des particuliers, et de l'harmonisation des contextes fiscaux, des restrictions à la libre circulation des intermédiaires s'imposent.

En effet, les restrictions correspondant aux différents contextes sont justifiées lorsqu'elles sont basées sur l'intérêt général: besoin de protection du public et devoir des autorités d'appliquer à tous la réglementation, intégralement et de la même manière.

La circulation libre des intermédiaires en assurances de personnes entre le Canada et les États-Unis évoque diverses situations: le preneur traverse la frontière ou l'intermédiaire se déplace ou cela se fait sans déplacement physique en utilisant toute forme de communication. Cette libre circulation d'intermédiaires doit être exclue.

L'intermédiaire qui ne maintient aucune présence permanente dans l'État où il veut exercer occasionnellement devrait plutôt avoir recours à un intermédiaire résident dûment qualifié, lequel a satisfait aux exigences de compétence, de solvabilité et d'intégrité. Les règles de partage de la rémunération entre les intermédiaires devront être assouplies pour autoriser ces pratiques entre intermédiaires.

Actuellement au Québec, on ne peut exercer comme agent d'assurances qu'après un an de résidence à moins d'avoir exercé une activité similaire dans une autre province canadienne pendant plus de 30 jours. Justifiée par le fait qu'elle est très généralement essentielle à ce que le futur assureur-vie soit capable d'assimiler les connaissances minimales requises pour exercer ici en assurances de personnes, cette règle quant à la résidence au Québec devrait être maintenue.

Quant aux assureurs-vie des autres provinces canadiennes, l'avènement d'une certaine déréglementation et la création d'organismes d'autoréglementation provinciaux sous forme de conseils des assurances où les associations d'assureurs et d'intermédiaires seront réunies, permettra sans doute l'harmonisation nécessaire entre les provinces pour faciliter l'accès d'un assureur-vie d'une autre province à l'exercice au Québec, pourvu qu'il remplisse les conditions requises, notamment quant à sa formation et à sa compétence.

Le principe visant à rendre obligatoire la seule intervention de l'intermédiaire autorisé à exercer au Québec se fonde sur d'importants arguments; 1. la nécessité de vérifier la compétence de l'intermédiaire eu égard aux règles en vigueur dans l'État où il veut pratiquer; 2. l'efficacité des contrôles que doivent effectuer les autorités concernées; 3. la possibilité pour le consommateur lésé d'exercer les recours appropriés, qu'il soit preneur, assuré, bénéficiaire ou tiers intéressé.

Nous voulons souligner ici qu'au Québec tout assureur-vie, agent ou courtier, doit détenir la recommandation d'un assureur. Sans cette recommandation, les autorités de contrôle seraient sans doute incapables d'exécuter efficacement leur mission de contrôle et la vérification.

Les compagnies d'assurances et notre association sont, d'ailleurs, d'accord pour que cette recommandation ait encore plus de signification de façon à pouvoir intervenir plus efficacement lorsque l'intermédiaire se rend coupable d'inconduite ou d'infraction aux règlements.

En conclusion, nous vous soumettons qu'il faudrait permettre la libéralisation des échanges dans le domaine des assurances de

personnes et imposer les restrictions justifiées par l'intérêt générai. Ainsi, en ce qui concerne les intermédiaires, il y a lieu d'exiger l'intervention d'un intermédiaire autorisé à exercer au Québec. Les intermédiaires pourront alors utiliser, lorsqu'opportun, les possibilités d'un marché libre et varié. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Je vous remercie de cette présentation, M. Parent. M. le ministre.

M. MacDonald: Monsieur, il me fait plaisir de vous recevoir et de me rappeler effectivement - vous ne le saviez peut-être pas - que j'ai commencé ma carrière professionnelle dans le monde de l'assurance comme assureur-vie, ce que j'ai été pendant plusieurs années. Gare à vous, vous voyez à quoi cela peut mener.

M. Parent (Real J.): C'est, d'ailleurs, ce que je pensais. Cela n'a pas l'air d'être trop mal.

M. MacDonald: Vous avez déposé un mémoire devant le comité Warren en août 1987. À ce moment-là, vous avez mis de l'avant en quasi-totalité, sinon intégralement ce que vous nous avez présenté ce soir. Je peux vous assurer que vos recommandations ont été prises en considération. Il y a deux dimensions très importantes que je dois souligner et que vous aviez mentionnées, qui ont été discutées et qui ont provoqué une certaine réaction ou une réaction certaine chez mes collègues. Vous vous êtes préoccupé de la réciprocité du droit d'exercice de la profession. Je peux vous rassurer sur le fait que nous avons communiqué avec M. Ryan, le ministre responsable de l'Office des professions, et que nous avons demandé l'opinion de ses experts sur ce sujet non seulement pour ce qui a trait à la profession d'assureur-vie, mais pour l'ensemble des professions qui pourraient être touchées dans l'éventualité d'un traité de libéralisation des échanges. À juste titre, vous avez mis cela de l'avant et c'est une recherche de règlement de situation, de gestion de situation que vous avez soulignée et que je trouve extrêmement importante.

L'autre chose que vous avez mentionnée dans votre mémoire et qu'on n'a pas entendue assez souvent ici, à mon avis -cela n'a pas adonné ou ce n'était pas la première préoccupation des groupes qui se sont présentés - c'est la question du consommateur. J'apprécie énormément que vous ayez inscrit cela dans votre mémoire et que vous disiez que votre association impose un code de déontologie axé sur la protection du consommateur. (22 heures)

Dans tout ce débat sur la libéralisation des échanges et surtout quand on parle de protectionnisme, la personne qui écope très durement normalement et qui est la plus mal équipée pour réagir et être représentée, c'est le consommateur pris sur une base individuelle. Je suis content que vous ayez apporté cette dimension. Mon collègue, le député de Bertrand, et moi-même aurions dû et devrions peut-être souligner cet aspect du bien-être des consommateurs dans tout ce dossier aux témoins qui sont venus nous voir ou aux autres qui viendront.

J'aimerais éclaircir avec vous un petit point. Vous avez dit à une place que le déplacement des intermédiaires en assurance des personnes entre le Canada et les États-Unis doit être restreint. Mais, un peu plus loin dans votre mémoire, vous avez dit: II doit être interdit. Est-ce qu'il y a une nuance que je n'ai pas saisie? Quelle est la position ferme que vous avez sur ce sujet?

M. Parent (Real J.): La position qu'on a, c'est qu'il doit être restreint dans le sens que n'importe qui ne pourrait pas venir, mais il doit être interdit au niveau de l'exercice si une personne n'a pas les qualifications nécessaires. On pense qu'on devrait toujours fonctionner par personne interposée, surtout ici au Québec. On vit la même chose entre le Québec et les autres provinces. Nos lois sont différentes et beaucoup de choses sont différentes. On ne croit pas qu'une personne soit compétente pour le faire. C'est dans ce sens.

M. MacDonald: En deuxième lieu, aimenez-vous commenter cette affirmation que vous faites en disant que vous croyez possible la libéralisation du commerce des assurances entre le Québec et les autres provinces, mais que vous ne croyez pas que cela soit possible entre le Canada et les États-Unis'?

M. Parent (Real J.): Présentement, nous croyons que c'est possible. Il existe un mécanisme qui est en train de prendre place, qui s'appelle le conseil des assurances, que le ministre Fortier a annoncé ici pour le Québec. C'est la même chose dans les autres provinces. C'est en train de prendre place un peu partout. Il y a des échanges qui se font et il y a des bases qui sont les mêmes. Il y a des échanges qui peuvent se faire. On pense qu'il y a, quand même, des restrictions qui existent entre les autres provinces, qui sont les mêmes entre les autres provinces et le Québec qu'entre les États-Unis et le Québec.

Quand on parle de compétence, je pense que, si une personne vient de Colombie britannique ou du Maine, probablement qu'on devra exiger d'elle les mêmes choses pour exercer. Sauf qu'avec les conseils des

assurances, il y a des consultations, il y a l'association nationale qui travaille là-dessus, on travaille ensemble. Il y apeut-être des choses qui vont pouvoir s'harmoniser plus facilement entre les différentes provinces, mais qu'on ne pourra peut-être pas exiger des États américains compte tenu de la façon dont ils fonctionnent actuellement.

M. MacDonald: Si vous étiez d'accord, j'aurais deux petites questions. Après, j'aurai terminé.

M. Parent (Bertrand): Allez-y.

M. MacDonald: Merci. Est-ce que, comme association, vous avez eu des rencontres, des discussions pour l'exploration de la situation et des divers scénarios eu égard à une libéralisation des échanges, entre votre association, ses représentants et les représentants des compagnies d'assurances de personnes?

M. Parent (Réal J.): Oui. Concernant les compagnies d'assurances de personnes, si on parle du conseil des assurances, c'est un comité qui sera fait 50-50.

M. MacDonald: Oui. Excusez-moi. Je suis d'accord sur ce que ce sera. Ce que je veux savoir, c'est avez-vous déjà eu l'occasion de discuter, vous autres, les assureurs, avec les compagnies d'assurances?

M. Parent (Réal J.): Non. Ce qu'on a fait actuellement, c'est qu'on a pris connaissance de leurs positions; elles ont pris connaissance des nôtres. Il y a eu des échanges...

M. MacDonald: II y en a eu.

M. Parent (Réal J.): ...entre les personnes dirigeantes. Quelques échanges, c'est tout ce qu'il y a eu. On ne peut pas dire qu'il y a eu négociation ou des chances d'aller plus loin que cela. On les appuie dans ce qu'elles font et elles nous appuient dans ce que nous faisons.

M. MacDonald: Ma dernière question, c'est: Avez-vous procédé à une forme de questionnaire à l'intérieur de votre association pour prélever les opinions de vos membres? Comme alternative, avez-vous ou gardez-vous un processus d'information de cette position vers vos membres?

M. Parent (Réal J.): On a un processus d'information versus nos membres. Dans le cas précis du libre-échange, on a formé une commission ad hoc. On est allé chercher des personnes de différents milieux à l'intérieur de notre association, qui ont préparé le mémoire qui, à ce moment, a été soumis au conseil d'administration et accepté après.

M. MacDonald: Comme je le disais, je vous remercie beaucoup de votre présentation. Cette présentation que vous aviez faite au comité Warren, nous l'avons prise à sa juste valeur. C'était une bonne présentation et nous avons tenu en considération les points que vous nous aviez soumis. Je vous remercie beaucoup d'être venu ce soir nous en parler.

M. Parent (Réal J.): Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Merci. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Parent, bienvenue. Si votre fonction dans le domaine de l'assurance peut vous amener à la politique, comme c'est arrivé dans le cas du ministre, vous avez aussi un nom prédestiné pour vous amener en politique. Alors, vous n'aurez pas grand-chance de vous en sortir. Maintenant que le ministre nous a dit ses origines dans l'assurance, je comprends beaucoup mieux pourquoi, depuis une semaine, il nous vend cette assurance qu'il a dans la bonne foi du libre-échange. Reste à voir maintenant s'il va livrer la marchandise.

Votre mémoire est intéressant et vous apportez une dimension qui n'a pas été couverte jusqu'ici dans le domaine des services. J'aurais quelques questions à vous poser. D'abord, j'aimerais savoir un peu plus ce que fait la chaire en assurance de l'Université Laval. Quelle est sa fonction exactement? Est-ce qu'elle a joué un rôle dans le cadre de l'étude sur le libre-échange?

M. Parent (Réal J.): Non, la chaire en assurance n'a pas joué de rôle là-dedans. La chaire en assurance, c'est beaucoup plus dans le cadre du processus d'éducation.

M. Parent (Bertrand): Dans la formation.

M. Parent (Réal J.): Ce qu'elle fait, c'est vraiment de la formation. Elle a reçu des subventions des compagnies d'assurances de personnes et aussi d'assurances de dommages. Il y a des sommes d'argent qui sont là. Elle fait des recherches. Elle donne des cours en assurance personnes, qui donnent à peu près un certificat en assurance à l'Université Laval.

M. Parent (Bertrand): Donc, la chaire s'occupe strictement de l'aspect formation?

M. Parent (Réal J.): C'est cela.

M. Parent (Bertrand): M. Parent, est-ce

qu'il a eu des études d'impact par les compagnies d'assurances ou par l'Association provinciale des assureurs-vie pour voir ce que donnerait une libéralisation des échanges avec les États-Unis?

M. Parent (Réal J.): Non, à ma connaissance - je ne peux pas parler des compagnies d'assurances de personnes - en ce qui concerne les intermédiaires, il n'y a pas eu d'études d'impact. Il y a eu des réflexions, il y a eu des analyses pour voir les situations, ce qui se passait de part et d'autre. D'ailleurs, on a assisté la semaine dernière au Congrès américain; on a discuté de ce qui se passait. Mais, il n'y a pas eu d'études d'impact. Je n'ai pas vu, du côté américain, d'études d'impact là-dessus.

M. Parent (Bertrand): Est-ce que vous avez le chiffre, le pourcentage du contrôle québécois des compagnies d'assurance-vie des personnes? Est-ce que vous savez à quel pourcentage elles sont détenues par des Québécois ou par des Canadiens?

M. Parent (Réal J.): Non. Tant qu'à vous donner des chiffres qui ne sont pas sûrs, je préfère ne vous donner aucun chiffre. Je ne suis pas certain là-dessus.

M. Parent (Bertrand): D'accord. M. Parent, avant d'aller vers l'abolition de différentes barrières avec les États-Unis, ou simultanément dépendamment de la façon dont cela va se présenter, est-ce qu'il n'y aurait pas Heu d'aller davantage vers l'abolition des barrières interprovinciales? Il y a des barrières non tarifaires au niveau des réglementations qui sont déjà, si j'ai bien compris, des entraves par rapport à certaines entreprises, certaines compagnies venant de l'Ouest ou de l'Ontario.

M. Parent (Réal J.): L'objection majeure qu'on retrouve, c'est la différence entre le Code civil et la "Common Law". L'application des lois n'est pas la même dans les autres provinces que dans la province de Québec. Alors, concernant la réciprocité entre les provinces, il y a toujours eu un problème avec les surintendants des assurances à cause de cela. Ils ont dit: Ce sont vraiment des lois différentes, donc les compétences ne sont pas les mêmes. La personne ne peut pas conseiller. En réalité, notre travail, en tant qu'intermédiaires, c'est un travail de conseillers. On ne peut pas conseiller sur quelque chose qu'on n'a jamais étudié et qu'on ne connaît pas. Donc, il y a toujours cette chose qui dit que, quand on travaille et qu'on veut donner des services à quelqu'un, si on veut vraiment protéger le consommateur et le conseiller comme il faut - très souvent, en assurance c'est assez important au niveau du patrimoine - c'est important de connaître les lois existantes.

Donc, il n'y a aucune restriction de le faire pour quelqu'un qui peut vraiment répondre aux compétences. Mais je pense qu'il faudra toujours garder cet aspect si on veut vraiment protéger le consommateur adéquatement, qu'il s'agisse de libre-échange entre les provinces ou entre les États-Unis et le Québec.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. Parent. Comment vos 6000 membres assureurs-vie vivraient-ils le libre-échange? Dans quelle mesure cela deviendrait-il avantageux pour eux s'il y avait une entente sur le libre-échange?

M. Parent (Réal J.): Je dois dire que, si on parle de nos 6000 membres, il y en a probablement 4000 ou 4500 qui sont unilingues francophones. Si on parle d'échange de services, je ne crois pas que ces gens apprendraient l'anglais pour aller vendre de l'assurance aux États-Unis. Par contre, si on parle principalement des gens de la région de Montréal, je sais qu'actuellement il y a plusieurs personnes qui ont des clients ou des connaissances, par exemple, en Floride où il y a plusieurs francophones; il y aurait peut-être des échanges. Actuellement, un assureur-vie québécois ne peut pas vendre en Floride. S'il y avait le libre-échange, n'y aurait-il pas plusieurs assureurs-vie qui suivraient le mouvement de masse des gens du Québec qui veulent peut-être recevoir des services en ce qui concerne les rentes ou l'assurance-vie? Il y aurait possiblement des choses qui se passeraient au niveau de la francophonie. Quant aux anglophones, ce serait peut-être plus facile avec l'État de New York ou le Maine. À ce moment-là, au niveau des frontières, il y aurait sûrement des échanges. Je pense que ce serait plutôt l'État de la Floride qui serait visé par les assureurs-vie francophones québécois.

M. Parent (Bertrand): Est-ce que vous ne croyez pas qu'il y aurait plus d'Américains qui seraient intéressés à venir chercher cette partie de marché que de Québécois qui pourraient aller chercher une portion de marché ou si, selon vous, l'échange se ferait et que le résultat net de tout cela ferait en sorte qu'à la fin on serait avec des plus gros volumes, mais sensiblement dans les mêmes proportions qu'actuellement? C'est une question hypothétique, mais j'essaie de voir comment des assureurs-vie d'ici pourraient décider demain matin d'aller conquérir, si on veut, même si ce n'était que quelques États, le marché américain.

M. Parent (Réal J.): Je pense que, si cela se faisait, ce ne serait pas du jour au lendemain. Je ne pense pas que présentement

il y ait beaucoup de gens près de la frontière qui attendent. C'est une réalité. Par contre, je suis persuadé que, s'il y avait cette libéralisation, les assureurs-vie sont, quand même, des gens assez créateurs et, s'il y avait des possibilités de nouveaux marchés, il y a sûrement plusieurs assureurs-vie qui le feraient et vice versa. Les assureurs-vie du Québec n'ont pas peur de cette chose. Je pense qu'on pourrait en sortir gagnant. Sauf qu'on dit: On est prêt à répondre aux critères si on va à l'extérieur, mais, si les gens viennent ici, il faut qu'ils répondent à un critère minimum de base. Comme on sait qu'au Québec actuellement le critère que nous exigeons et qu'on va exiger au cours des prochaines années est supérieur à tout ce qui existe ailleurs en Amérique du Nord, à ce moment-là, je pense que le consommateur sera bien protégé.

M. Parent (Bertrand}: En ce qui concerne le contrôle des investissements, est-ce que vous croyez, M. le président, qu'il y aurait, de la part de votre association, des recommandations à faire au gouvernement quant au contrôle qui pourrait être pris par des entreprises américaines sur des sociétés d'assurances québécoises, par exemple? Est-ce que cela fait partie de vos préoccupations? Est-ce que vous vous êtes penché là-dessus?

M. Parent (Réal J.): Quand on a parlé avec les compagnies d'assurances, c'est un aspect qu'on a plutôt laissé è l'Association canadienne des compagnies d'assurances. Nous avons dit: Nous allons toucher principalement le secteur des services, les consommateurs et les intermédiaires. Le "mass marketing" nous intéresse aussi parce qu'on pense que c'était peut-être un peu trop facile.

M. Parent (Bertrand): Ce sera ma dernière question. Avec un accord sur le libre-échange, croyez-vous que les consommateurs retireraient des bénéfices sur le plan des services, sur le plan des contenus ou sur le plan des coûts? Est-ce que vous croyez que le consommateur pourrait en bénéficier à la toute fin s'il y avait une entente sur le libre-échange dans les conditions dont on a parlé précédemment?

M. Parent (Réal J.) Si on parle strictement du secteur des assurances, il est certain que, présentement, on se pose des questions. Comme je vous le disais tantôt, quand on regarde la taxe qui sera donnée aux compagnies d'assurances avec la réforme fiscale canadienne, quand on regarde un petit peu tout cela, on se pose certaines questions. On ne croit pas qu'il y ait un très grand changement et que les consommateurs vont vraiment payer beaucoup moins cher que ce qu'ils paient actuellement. Je ne pense pas que cela change parce que les compagnies américaines sont, quand même, déjà ici. Si on prend les grandes compagnies américaines, comme la Métropolitaine, la Prudentielle et différentes compagnies de ce genre, elles sont déjà ici. New York Life exerce déjà au Québec. Donc, est-ce qu'il y a plusieurs autres compagnies qui vont venir au Québec? C'est une question qu'il faut se poser. Je ne pense pas que cela change beaucoup. On vit déjà avec des compagnies américaines, des compagnies québécoises et des compagnies canadiennes. Au niveau des intermédiaires, cela va peut-être changer pour une certaine partie de la population, c'est tout.

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie, monsieur.

Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse, M. Parent, il me reste, au nom des membres de la commission, à vous remercier d'avoir participé à cette consultation générale. Je pense que tout le monde a apprécié l'échange de vues et la présentation que vous avez faite. Merci beaucoup et à une prochaine fois, sans doute.

Une voix: Bonne nuit, beaux rêves.

Le Président (M. Charbonneau): Merci. Les travaux de la commission sont ajournés à demain matin, 10 heures, alors que nous poursuivrons cette consultation générale avec d'autres groupes et d'autres invités. Merci.

(Fin de la séance à 22 h 16)

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