Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.
(Dix heures neuf minutes)
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Mesdames et messieurs, bonjour et bienvenue à cette
deuxième semaine de consultation générale de la
commission' de l'économie et du travail en ce qui a trait à la
libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les
États-Unis. Je vous donne immédiatement l'ordre du jour pour
aujourd'hui.
D'abord, nous allons recevoir M. Daniel Turp qui est spécialiste
de la question constitutionnelle; je pense qu'il est professeur à
l'Université de Montréal, à la Faculté de droit.
Par la suite, nous recevrons la Chambre de commerce du Québec qui sera
suivie du Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail du
Québec. Cet après-midi, nous reprendrons avec le Mouvement
Québec français, qui sera suivi de l'Association des fabricants
de meubles du Québec, puis de l'Institut canadien des textiles. En
soirée, nous recevrons le Parti indépendantiste et, par la suite,
Trans-Impex, et, finalement, l'Association provinciale des assureurs-vie du
Québec.
M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?
Le Secrétaire: Oui, M. le Président, il y a deux
remplacements. M. Rivard (Rosemont) est remplacé par M. Lemieux (Vanier)
et M. Fortin (Marguerite-Bourgeoys) est remplacé par M. Després
(Limoilou).
Le Président (M. Charbonneau): Alors, s'il n'y a pas
d'autres questions, les membres de la commission sont déjà
habitués au rythme de cette consultation générale, alors
j'accueille maintenant M. Daniel Turp. M. Turp, je pense que vous avez
assisté à quelques séances, la semaine dernière,
donc vous avez peut-être une idée de nos règles de
fonctionnement. Je vous rappelle qu'il y a une heure de prévue avec vous
ce matin. Vous avez une vingtaine de minutes, au départ, pour
présenter votre point de vue; par la suite, le reste du temps est
réparti, de part et d'autre, pour la discussion.
Alors, je vous cède la parole sans plus tarder.
M. Daniel Turp
M. Turp (Daniel): Merci, M. le Président. Je tiens
à remercier, d'abord, les membres de la commission de l'économie
et du travail de donner à un juriste l'occasion d'être
associé à ses travaux et d'ainsi permettre que des questions
d'ordre juridique soient évoquées dans le cadre de la
présente consultation.
S'il est vrai que des considérations d'ordre économique,
social et culturel ont une primauté certaine dans le présent
débat, comme le révèlent éloquemment les
interventions de la semaine dernière devant la commission, il ne faut
pas perdre de vue, à mon avis, que les résultats de la
négociation comportent des enjeux juridiques d'une importance
indéniable, à la fois pour l'ordre juridique international, et
l'ordre juridique canadien et québécois.
Je me propose de vous présenter quelques observations sur les
enjeux qui me paraissent les plus déterminants, mais, en
préliminaire, j'aimerais discuter de l'importance d'associer le
Parlement au processus de conclusion de l'accord de libre-échange avec
les États-Unis d'Amérique.
S'il devait être conclu, l'accord de libre-échange aura des
répercussions majeures en termes juridiques et institutionnels. Cet
accord nécessitera un réaménagement sans
précédent de la législation québécoise, qui
devra être effectué sous l'autorité du Parlement et qui
constituera le début d'un processus d'intégration juridique qui
ira vraisemblablement en s'accroissant, comme le démontrent les
expériences d'intégration économique régionale,
qu'elles soient plurilatérales comme celles de l'Association
européenne de libre-échange ou bilatérales comme dans le
cas de l'accord reliant l'Australie et la Nouvelle-Zélande.
La souveraineté du Parlement du Québec sera par ailleurs
limitée comme celle du Parlement du Canada dans l'hypothèse
où un tribunal arbitral se verrait confier, comme le souhaitent en outre
les premiers ministres ontarien et québécois, le pouvoir de
rendre des décisions à caractère obligatoire. Un tel
abandon de souveraineté mérite, à mon avis, d'être
soumis à l'attention des représentants du peuple
québécois réunis en Assemblée nationale. Il est
donc heureux, à mon avis, que la présente commission
parlementaire ait été convoquée, mais le rôle de
l'Assemblée ne doit pas s'arrêter là. Il est
impérieux que le Québec imparte dans son droit public la doctrine
des traités importants, la doctrine des traités dits importants,
qui est une doctrine connue du droit parlementaire britannique et du droit
parlementaire canadien qui veut que, lorsque des traités affectent des
droits et des privilèges importants d'une Assemblée et qu'ils
doivent mettre en jeu ses fonctions, qu'ils soient soumis à
l'approbation du Parlement. Cela n'est pas une exigence, mais c'est
plutôt une procédure qui a été notamment
utilisée dans le cadre du Pacte sur l'automobile, qui est un accord de
libre-échange sectoriel et qui a été soumis, avant
d'être signé par le Canada, aux autorités de la Chambre des
communes et du Sénat.
Le Parlement du Québec devrait donc voir à approuver le
traité après que l'occasion aurait été
donnée aux membres de l'Assemblée nationale d'examiner
attentivement ces dispositions et d'en faire une étude approfondie.
Cette proposition me paraît d'autant plus fondée qu'aucun projet
de traité n'est soumis à l'attention des membres de la
présente commission et que la discussion en cours pèche dans une
certaine mesure par sa généralité, alors que les principes
sont présentement sujets à une codification juridique qui donnera
à l'accord toute sa substance. Et l'impact des
délibérations de la présente commission pourrait se
révéler nettement moins important que celui de la commission des
institutions relative à l'accord du lac Meech qui, en raison du fait
qu'un texte contenant l'entente de principe était disponible, a permis
de signaler les lacunes de l'accord et a contribué à rendre plus
acceptable la version définitive de celui-ci. (10 h 15)
L'impossibilité pour la présente commission de
connaître le projet de traité est également regrettable
pour le motif que le Québec n'a pas une voie directe dans la
négociation et que le projet de traité, qui sera
éventuellement paraphé par les négociateurs canadiens et
américains avant l'échéance du 5 octobre, ne pourra
connaître de changement en raison de la procédure
accélérée, la procédure du "fast track", à
laquelle l'administration américaine fait appel et qui requiert que le
Congrès approuve ou désapprouve, sans pouvoir adopter de
modifications, l'accord de libre-échange et, ultérieurement,
toutes les lois de mise en oeuvre qui lui seront présentées par
l'administration.
Il est donc, à mon avis, important que l'Assemblée demeure
saisie de la question du libre-échange et qu'elle s'intéresse
notamment au contenu du traité, principalement à la question du
tribunal arbitral, et à la participation du Québec à la
mise en oeuvre interne et internationale du traité. Je vous parlerai
d'abord du contenu de l'accord de libre-échange et de la question du
tribunal arbitral.
Le contenu de l'accord est aujourd'hui, je pense que tout le monde en
conviendra, relativement incertain, et sa portée véritable
demeure, pour cette raison, très problématique. Son contenu est
pourtant important parce qu'il doit porter, pour se conformer à
l'article 24 de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le
commerce, sur l'essentiel des échanges. L'exemption qui est
réclamée par les gouvernements fédéral et
provinciaux, que ce soit sur l'agriculture, les pêches ou les industries
culturelles, pourrait placer le Canada et les États-Unis dans une
situation où les parties contractantes du GATT pourraient refuser
d'entériner l'accord. Cette obligation internationale pourrait notamment
justifier les États-Unis de refuser d'exempter certains biens de
l'accord de libre-échange et d'exercer sur le Canada des pressions qui
lui feront céder sur certaines exigences des États-Unis, en
dépit de l'opposition de certaines provinces, y compris du
Québec.
Le traitement que réservera l'accord aux procédures
nationales d'imposition de droits compensateurs et de droits antidumping ainsi
qu'à l'utilisation de mesures de sauvegarde ou de restrictions
quantitatives, demeure également une inconnue. Pourtant, cette question
est d'une extrême importance puisque les dispositions du traité
à ce sujet pourront venir déroger aux procédures
prévues actuellement dans l'Accord général sur les tarifs
douaniers et le commerce et tes codes adoptés dans le cadre des
négociations de Tokyo, auxquels sont parties le Canada et les
États-Unis.
Cette question est d'autant plus importante que c'est à
l'égard du recours à ces procédures que pourrait se poser
le plus grand nombre de différends qui seraient sujets à la
procédure de règlement des différends contenus dans
l'accord de libre-échange. Il est à prévoir, comme dans
tous les autres accords de libre-échange, que des consultations devront
avoir lieu avant que des recours puissent être exercés ou que des
mesures intérimaires ne puissent devenir permanentes. Mais peut-on
espérer obtenir l'inclusion dans l'accord d'une disposition en vertu de
laquelle les différends qui n'ont pas été
réglés par le biais des consultations pourront être
examinés par un tribunal d'arbitrage permanent ou ad hoc, dont les
décisions seront obligatoires ou plus littéralement
exécutoires?
Ici, les autres expériences d'intégration
économique régionale peuvent être utiles. Il y a lieu de
faire remarquer - je pense que cela n'a pas encore été fait
devant la commission - qu'aucun accord de libre-échange,
bilatéral à tout le moins, comme celui qui lie l'Australie
à la Nouvelle-Zélande et comme celui qui vous intéresse
plus encore ici, celui qui lie les États-Unis et
Israël, ne prévoit la création d'un tribunal arbitral
qui détiendrait le pouvoir de rendre des décisions obligatoires
ou exécutoires.
L'accord avec Israël mentionne notamment que les constatations du
comité ad hoc, qui est un tribunal, mais un tribunal spécial, et
non pas un tribunal de nature permanente comme celui que l'on voudrait voir
créé dans l'accord de libre-échange, pour reprendre les
termes de l'accord lui-même, "are not binding"., Donc les
décisions n'ont pas de caractère obligatoire.
Il en va de même pour l'accord de libre-échange
Australie-Nouvelle-Zélande et l'accord de libre-échange entre
l'Irlande et le Royaume-Uni qui a été, depuis, abrogé par
le fait que l'Irlande et le Royaume-Uni sont dorénavant tous deux
membres des communautés européennes, dont les mécanismes
sont d'une souplesse telle qu'elle contraste avec les exigences
formulées par le Canada et les provinces dans les présentes
négociations. Seul l'accord créant l'Association
européenne de libre-échange crée un mécanisme qui
confère des pouvoirs décisionnels à une institution
commune qui n'est pas un tribunal, par ailleurs, les décisions du
conseil étant prises dans ce cas à la majorité des
membres, ce qui ne saurait être réalisé dans un contexte de
libre-échange bilatéral, bien évidemment. L'insistance
pour une procédure de règlement obligatoire des différends
ne me paraît donc pas s'inscrire dans l'histoire des accords de
libre-échange, et, sans doute, vaudrait-il mieux trouver des formules
qui heurtent moins la souveraineté des États-Unis, mais,
rappelons-le aussi, celle du Canada. Peut-être pourrait-on envisager une
formule d'avis consultatifs à un tribunal permanent ou ad hoc, lesquels
avis devraient être tenus en compte dans un processus de consultations
qui reprendraient après que le tribunal aurait rendu son avis. Une
judiciarisation du contentieux du libre-échange pourrait sans doute
être envisagée à une étape ultérieure, s'il
s'apparaissait que les mécanismes de consultation avaient failli
lamentablement à la tâche.
Quel que soit le contenu du traité de libre-échange et la
formule du règlement des différends retenue par le Canada et les
États-Unis, il importe que le Parlement du Québec demeure
vigilant lorsqu'il évaluera le traité dans son ensemble aux fins
de son approbation. Mais une vigilance certaine doit aussi être
exercée en regard de la mise en oeuvre de l'accord, qui pourrait offrir
l'occasion au Parlement fédérai de chercher à
élargir la compétence qui lui est dévolue en
matière de réglementation des échanges et du commerce, et
qui pourrait voir le gouvernement fédéral s'imposer comme le seul
interlocuteur des États-Unis après la conclusion de l'accord de
libre-échange.
Je voudrais maintenant aborder la question de la participation du
Québec à la mise en oeuvre de l'accord de libre-échange.
Parmi les enjeux juridiques qui méritent d'être portés
à votre attention et qui paraissent dans une certaine mesure avoir
été négligés durant le présent débat
se trouve celui de la participation du Parlement et du gouvernement du
Québec à la mise en oeuvre interne et internationale de l'accord,
au lendemain de sa conclusion.
En ce qui a trait à la mise en oeuvre interne, il faut rappeler
que l'accord de libre-échange ne saura produire d'effets au Canada et au
Québec que si des lois sont adoptées pour en introduire le
contenu en droit québécois. Il y a lieu de souligner
également que le droit constitutionnel reconnaît, depuis la
célèbre affaire des conventions de travail, un partage des
compétences législatives en matière de mise en oeuvre des
traités, ce qui implique une participation active du Québec en
matière de mise en oeuvre de ces traités. Peut-être peut-on
écarter pour l'instant l'hypothèse d'une remise en question par
le gouvernement fédéral de la règle dégagée
dans l'affaire des conventions de travail aux fins d'autoriser le Parlement
fédéral à légiférer seul pour mettre en
oeuvre l'accord de libre-échange.
On doit par ailleurs s'interroger sur la possibilité que le
gouvernement fédéral actuel, et peut-être surtout les
gouvernements fédéraux qui lui succéderont, veuillent
élargir la portée de la compétence reconnue à
l'article 91, paragraphe 2 de la Loi constitutionnelle de 1867, relative, quant
à elle, à la réglementation des échanges et du
commerce, pour faciliter, et peut-être aussi accélérer le
processus de mise en oeuvre de l'accord. Ce Parlement fédéral
pourrait trouver appui dans la jurisprudence récente de la Cour
suprême du Canada, et particulièrement dans la décision
dans l'affaire Canadian National Transportation, par laquelle le juge Dickson,
qui n'était pas juge en chef à l'époque, mais qui l'est
aujourd'hui, a lu, comme l'avait fait ses prédécesseurs dans
l'affaire Parsons, dans l'article 91, paragraphe 2, non seulement un pouvoir de
légiférer en matière de commerce international et de
commerce interprovincial, mais aussi, un pouvoir de légiférer en
regard de la réglementation générale du commerce affectant
l'ensemble du dominion.
Le gouvernement et le Parlement du Québec devraient être
conscients que l'exercice d'une compétence ainsi élargie pourrait
valider des lois fédérales portant notamment sur des
barrières non tarifaires, à l'égard desquelles les
provinces canadiennes détiennent, à ce jour, d'importantes
compétences législatives.
Un assaut possible sur les compétences législatives
provinciales ne me paraît devoir être exclu, à moyen ou
à long terme. Sans
doute une étroite association au processus de mise en oeuvre
internationale du traité pourrait être un moyen pour se
prémunir contre un tel assaut. Il paraît important, à mon
avis, que le Québec se taille une place dans les institutions communes
qui surveilleront l'application du traité, qu'il s'agisse d'un
éventuel comité des ministres, d'une commission conjointe de
fonctionnaires ou du tribunal arbitral dont on souhaite la création. Le
gouvernement du Québec, dans son document de mai 1987 réclame une
telle présence dans les institutions communes, mais rien n'indique si le
gouvernement fédéral a acquiescé et donnera son
assentiment à une telle demande. Pourtant, l'assurance que le
Québec pourra participer à l'élaboration des
interprétations des dispositions du traité qui le concerneront,
aux consultations qui porteront sur des plaintes qui seront portées
contre lui et à la présentation d'arguments devant un tribunal
arbitral devrait être l'une de ses conditions d'adhésion à
l'accord à mon avis.
Il me semble, d'ailleurs, opportun que le gouvernement du Québec
réclame - et je pense que c'est encore là quelque chose qui
mérite votre attention - la codification et l'institutionnalisation du
processus de consultation et de participation des provinces à la
négociation de l'accord de libre-échange et que les règles
suivies à ce jour soient étendues au processus de mise en oeuvre
internationale de l'accord. Une entente intergouvemementale semblable à
celle qui existe en matière de conclusion des traités relatifs
aux droits de la personne, dont le contenu pourrait aussi s'inspirer d'un
régime de coopération fédéral-provincial qui a
été institué en République fédérale
d'Allemagne, qui était évoqué d'ailleurs dans un
débat au début de cette commission, entre le premier ministre et
le chef de l'Opposition, devrait vraisemblablement être adoptée
avant que le Québec adopte et consente à la ratification par le
Canada de cet accord de libre-échange.
Il faut être d'accord avec le premier ministre Bourassa sur le
fait que le gouvernement fédéral actuel a manifesté une
grande ouverture en termes d'association des provinces à la
négociation de l'accord de libre-échange. Cette ouverture est
manifeste aussi dans le cas de la francophonie comme nous avons pu en
témoigner, ce qui a fait en sorte que le Québec puisse être
un acteur très important dans la communauté internationale
francophone.
Pour que le gain des provinces - et je pense que te gain est
significatif - ne soit pas éphémère, il me paraît
impérieux que le Québec obtienne des garanties, même
écrites, de participation au processus de mise en oeuvre internationale
de l'accord de libre-échange, lesquelles devraient s'appliquer
également aux négociations commerciales multilatérales
ayant lieu sous les auspices du GATT.
En conclusion, qu'il me soit permis de suggérer que l'accord de
libre-échange avec les États-Unis d'Amérique pourrait se
révéler aussi déterminant pour l'avenir du peuple
québécois, de cette société distincte, que l'accord
du lac Meech. Le défi du libre-échange et les avantages
économiques qu'ils procureront certainement aux Québécois
ne devraient pas faire oublier au gouvernement du Québec la
responsabilité particulière qui lui est dévolue pour
assurer l'affirmation du Québec au sein du Canada dans ses relations
avec les États-Unis et dans la communauté internationale, et
rappeler aussi au Parlement du Québec qu'en cette matière, il ne
doit pas abdiquer ses responsabilités. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Turpc
Je vais céder la parole au ministre du Commerce extérieur.
(10 h 30)
M. MacDonaid: M. Turp, merci beaucoup d'être venu nous
rencontrer. À vous écouter, il me semblerait que vous avez
dû avoir l'occasion, au cours des derniers mois, de conseiller certains
de nos conseillers. Ce que je veux dire, c'est que vous avez insisté sur
un grand nombre d'éléments qui ont été
portés à notre attention et sur lesquels, et je pense
particulièrement aux officiers et hauts fonctionnaires du
secrétariat aux Affaires intergouvernementales canadiennes, ou du
ministère des Relations internationales, ces gens ayant insisté
sur plusieurs des points que vous avez mis de l'avant.
J'étais heureux de vous entendre observer qu'en effet, nous
avions, au tout départ, imposé certaines conditions comme
Québécois, comme représentants de la province de
Québec, quant à notre participation à cette
négociation et qu'effectivement, cela s'est fait avec une ouverture, que
j'appellerais très nouvelle, du moins dans les dernières
décennies, dans ces relations entre les gouvernements provinciaux et le
gouvernement fédéral.
Revenant aux conseils qui nous ont été donnés, vous
avez absolument raison de dire qu'au-delà de cette réussite qu'a
été notre participation aux négociations il faut s'assurer
que nous ayons une participation, et nous l'avons d'ailleurs indiqué
comme une des exigences du Québec, à la mise en oeuvre et
à la surveillance de l'entente. Être présent ou avoir notre
mot à dire, tout au moins être participant au mécanisme -
et il ne faudrait pas mal m'interpréter, je ne parle pas d'avoir un
siège, je ne voudrais pas tomber dans ces détails techniques qui
ne sont pas les miens - c'est certainement être capable, dans ce
processus de surveillance des institutions qui vont régir ou
contrôler
cette entente, de ne pas être étrangers à ce qui se
passera.
Je retrouve dans votre présentation des principes qui sont
devenus les nôtres, des mises en garde que nous allons retenir, que nous
avions retenues pour certaines et que nous allons retenir peut-être
encore plus, vu l'insistance et les détails avec lesquels vous les avez
présentées.
Par contre, j'aimerais vous poser une question. Je croyais que, dans
votre exposé, peut-être que vous êtes allé un peu
trop vite. C'est toujours cette fameuse notion d'un tribunal exécutoire
pour régler les différends qu'on peut avoir à la
frontière. Vous avez soulevé la question de la
souveraineté, souveraineté qui pourrait être atteinte des
deux côtés de la frontière, et vous avez parlé de
formule de rechange qui pourrait être satisfaisante. Seriez-vous assez
gentil de nous en parler un peu plus longuement?
M. Turp: Si on veut aller au-delà de ce qui existe
déjà, je pense qu'il vaut la peine pour le Québec de
demander au Canada d'insister d'aller au-delà des formules très
classiques qui sont utilisées dans les accords de libre-échange
bilatéraux. Il y en a quelques-uns, mais ces accords se sont
arrêtés généralement à une procédure
de règlement des différends qui prend la forme de consultations
entre les parties, des consultations qui cherchent à amener les parties
à se rapprocher et à régler en définitive à
l'amiable les différends qu'ils ont, par exemple, en regard de
l'imposition de droits compensateurs, de droits antidumping ou de la
légalité du recours à des clauses de sauvegarde ou
à des restrictions quantitatives.
Ces procédures sont très souples. Elles peuvent être
très efficaces, même plus efficaces que des procédures
judiciaires, mais, dans une relation comme celle du Canada et des
États-Unis, où vraiment la puissance économique favorise
certainement les États-Unis, il ne serait pas sans intérêt
d'avoir une procédure beaucoup moins souple et beaucoup plus
judiciarisée.
Si les États-Unis, comme cela semble être le cas, refusent
obstinément une procédure qui ferait en sorte qu'un comité
ou un tribunal se verrait conférer des compétences de rendre des
décisions à caractère obligatoire, il faut penser qu'ils
vont être assez logiques avec eux-mêmes. Ils ont refusé de
conférer de telles compétences aux comités ad hoc qui sont
créés dans l'accord de libre-échange
Israël-États-Unis. Cela suggère qu'ils ne voudront
peut-être pas en créer dans l'accord canado-américain,
puisque leurs partenaires antérieurs ou postérieurs vont
réclamer l'institution d'un tel tribunal.
À mon avis, il faudrait peut-être penser à une
formule qui ferait intervenir un tribunal dont les décisions, les
constatations il s'agirait peut-être plutôt de constatations que de
décisions - régleraient des questions juridiques qui n'ont pas
été réglées entre les parties, des questions qui,
ainsi réglées, seraient soumises aux parties qui devraient
poursuivre leurs consultations, mais avec une interprétation de leurs
obligations respectives, qui auraient été faites par des experts,
y compris des juristes et des économistes, qui auront pu les
éclairer.
Je pense qu'on pourrait envisager une formule d'avis consultatifs ou de
renvois; la procédure existe en droit interne. Le gouvernement du
Québec peut faire des renvois à la Cour d'appel et, sans
être liée par les avis de la Cour d'appel, en tient compte
généralement. Le gouvernement du Canada peut faire la même
chose. Les États peuvent faire la même chose à la Cour
internationale de justice. On pourrait songer à cette formule, et on
pourrait même songer à une formule un peu plus agressive qui
voudrait que, si, à la suite d'un avis, les parties ne se sont pas
entendues après de nouvelles consultations, l'avis devienne même
obligatoire. C'est une formule que vous négociez peut-être avec
vos collègues américains, mais il me semble que l'insistance sur
un mécanisme qui donnerait lieu à des décisions
obligatoires va peut-être mettre en péril toute l'entreprise. Et,
à mon avis, c'est une entreprise qui est très valable. Les
coûts de cette insistance ne sont peut-être pas proportionnels aux
coûts que subirait le Québec dans le cas de l'échec des
négociations du libre-échange.
M. MacDonald: Est-ce que je pourrais aller en
complémentaire, M. le député?
Une voix: Oui.
M. MacDonald: Si je comprends bien, vous suggérez qu'il y
ait, avant une décision ou un processus exécutoire, un
mécanisme beaucoup plus précis de consultation. Mais, en tout
dernier lieu, je vous ai entendu suggérer qu'après discussion,
etc., l'avis, qui pourrait provenir de cet organisme qui entendrait ou qui
contrôlerait les consultations, deviendrait exécutoire.
M. Turp: On pourrait envisager cette formule. On pourrait
proposer une formule qui rendrait, en définitive, un avis obligatoire,
mais ce serait une procédure supplémentaire et une
procédure qui risque, encore là, d'être inacceptable aux
yeux des Américains parce qu'en fin de compte, il y aurait effectivement
une décision, un avis devenant obligatoire, qui résulterait en un
abandon de souveraineté de la part des États-Unis et du Canada.
On sait que les
Américains n'aiment pas les abandons de souveraineté. Ils
ont même retiré récemment leur déclaration
d'acceptation de la compétence obligatoire de la Cour internationale de
justice, qui était un abandon de souveraineté au profit d'un
tribunal international. La logique, qui est peut-être un peu
différente dans un cadre bilatéral, pourrait s'imposer.
Il faut peut-être comprendre les négociateurs
américains de vouloir être logiques avec la position de
l'administration en regard des compétences des tribunaux internationaux.
Ce n'est pas tout à fait la même chose ici. Si on veut comparer la
Cour internationale de justice avec un tribunal arbitral, les
États-Unis, à la Cour internationale de justice, ont un juge sur
quinze. Ils ont déjà reproché - Mme Kirk Patrick
était celle qui l'a fait - que c'était un tribunal vraiment
étranger. Alors que le tribunal arbitral qui serait créé
serait un tribunal dont les membres seraient nommés, si on veut prendre
l'exemple d'un tribunal à trois, un par le Canada, un par les
États-Unis et un troisième arbitre qui serait nommé
conjointement par les deux autres. Donc, la souveraineté est beaucoup
moins en péril dans un processus comme celui-là, dans une
institution comme celle-là.
M. MacDonald: Je vais vous revenir.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Turp,
merci beaucoup de cette présentation. Je constate qu'à dix
heures, le matin, ce n'est pas facile pour tout le monde de déjeuner
avec l'aspect constitutionnel. Je pense qu'il est fort important d'apporter
toute la lumière du côté de cet accord parce que, comme
vous l'avez si bien mentionné, M. Turp, l'accord du libre-échange
est tout aussi important, voire même plus, sous certains aspects, que l'a
été celui du lac Meech. Les règles du jeu concernant
l'avenir économique du Québec risquent d'être passablement
chambardées.
Je déplore un peu auprès du ministre du Commerce
extérieur, présent ici ce matin, que son collègue, le
ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes ne soit pas là.
C'est certainement la personne qui pourrait nous éclairer davantage.
Cependant, je pense que le ministre pourra apporter certains
éclaircissements. À quelque dix ou onze jours, ce matin, de la
ratification possible d'une entente, on est toujours dans la grande noirceur.
D'une part, vous nous dîtes, M. Turp, que - ce sont des choses qui ont
déjà été affirmées aussi par d'autres, mais
vous nous le dites très clairement - en vertu du droit constitutionnel
canadien, les provinces n'ont pas à ratifier un futur traité de
libre-échange. Alors, si, dans un premier temps, on sait que le Canada,
le gouvernement canadien, quel qu'il soit, là il faut faire attention
parce que vous sembliez apporter une certaine nuance et avec raison, à
savoir qu'actuellement les relations peuvent être bonnes entre le
gouvernement canadien et le gouvernement du Québec, mais qu'on sait que
cela peut changer. Nul n'est à l'abri de quelque changement que ce soit,
à quelque niveau que ce soit. Donc, vous aviez tout à fait raison
de spécifier qu'on devrait avoir des ententes écrites pour
s'assurer, d'une part, que le gouvernement du Québec est bel et bien
impliqué dans le processus et s'assurer, d'autre part, que le
gouvernement du Québec aura son mot à dire, pour autant que le
gouvernement du Canada pourra assurer qu'il va le soumettre aux provinces afin
de le faire ratifier, parce qu'il n'est pas obligé de le faire. Je pense
que cela est clair. Il faut retenir que le gouvernement canadien peut agir,
à la limite, unilatéralement.
Deuxièmement, une fois que le gouvernement
québécois est assuré d'être dans le processus -
j'espère que le ministre pourra nous confirmer de nouveau qu'il y a des
engagements fermes de ce côté-là - il n'est pas
obligé, à son tour, d'aller vers une ratification auprès
de sa population. Tout au plus, le gouvernement du Québec, selon ce que
j'ai compris sur le plan interne, en vertu de l'article 15 de la loi de son
ministère des Relations internationales, pourrait ratifier, par
décret tout simplement au Conseil des ministres, le traité du
libre-échange. Je pense qu'il nous faut absolument obtenir de la part du
ministre, de la part du gouvernement, un engagement ferme qu'il y aura une
ratification qui va aller bien au-delà du Conseil des ministres
seulement.
Je me souviens très bien que le ministre a répondu en
Chambre à l'une des questions que je lui avais posées en mai
dernier qu'il ne verrait pas que cela se ferait autrement que d'aller en
consultation et que l'Assemblée nationale puisse finalement se prononcer
sur ledit traité. Cela me semble important et fondamental qu'on ait ces
éclaircissements ce matin.
M. Turp, dans ce cadre-là, pourriez-vous nous préciser
quel serait pour vous le rôle exact ou plus exact que l'Assemblée
nationale pourrait jouer dans ce processus de ratification de l'accord du
libre-échange?
M. Turp: Comme vous l'avez rappelé, je pense que, dans
notre système parlementaire, ce sont les gouvernements qui sont
responsables de la conclusion des traités. Au Canada, le gouvernement
fédéral conclut des traités au nom de la
Fédération, bien que le gouvernement du Québec, et, je
pense, même le gouvernement actuel, prétend, selon une
thèse qu'il a, qu'il peut lui-même conclure
des traités internationaux de façon assez autonome. Mais
il demeure que c'est te gouvernement, donc l'exécutif, qui
détient le pouvoir de conclure des traités, donc de les
négocier, de les signer et de les ratifier. Dans ce processus, le
Parlement ne doit pas intervenir et, en général, n'intervient
pas. Mais on a voulu, en droit parlementaire britannique, et cela a
été importé au Canada en vertu du préambule de la
constitution, soumettre au Parlement les traités importants afin que le
Parlement les approuve avant qu'ils ne soient signés et ratifiés
par le gouvernement. C'est une pratique qui, je le suggère, devrait
être importée au Québec. (10 h 45)
Le Québec n'a jamais fait cela. Il ne s'intéresse que
depuis une vingtaine d'années à la ratification, comme il le dit
dans sa Loi sur le ministère des Relations internationales, des
traités conclus par le Canada qui sont relatifs à ses
compétences constitutionnelles, qui ressortissent de ses
compétences constitutionnelles. II n'a pas soumis au Parlement des
traités importants parce que, depuis 1960 ou 1965, il n'y a pas eu de
traité aussi important, à ma connaissance, que le traité
de libre-échange. À mon avis, ce serait une nouveauté et
quelque chose qui serait très respectueux du droit parlementaire de type
britannique et des institutions parlementaires de l'Assemblée nationale
que de lui présenter ce traité important afin que son contenu,
qui ne peut pas être débattu ici, si j'ai bien compris... Il n'y a
pas de projet traité devant nous, on ne peut pas examiner ces
dispositions, qui sont fort importantes parce que ce sont elles qui vont
délimiter le contenu, la portée de l'accord et les obligations
que le Québec devra respecter pour une durée
indéterminée, vraisemblablement.
Je pense que l'Assemblée nationale devrait, à tout le
moins, être saisie de ce traité qui aura déjà
été paraphé et signé par les négociateurs
canadiens et américains aux fins d'un examen attentif qui permettrait
à la fais au gouvernement et à l'Opposition, lors d'une nouvelle
commission parlementaire, éventuellement, de se pencher sur le contenu
du traité. Il faut dire que l'approbation du traité, pour
être bien réaliste, sera chose acquise. Dans notre système
parlementaire, le gouvernement contrôle l'Assemblée, et il est
bien sûr qu'il serait approuvé par l'Assemblée. Même
s'il n'était pas approuvé par l'Assemblée,
hypothèse qui est tout à fait invraisemblable dans les
circonstances, le gouvernement pourrait quand même aller signer le
traité et le ratifier puisqu'il lui appartient, en dernier ressort,
d'exercer la compétence de conclusion des traités. Mais je pense
que cela permettrait au gouvernement, entre autres, d'élargir le
débat, de poursuivre un débat qui, à mon avis, est ici
assez général, peut-être trop général.
Pour l'accord du lac Meech, j'étais un peu pessimiste sur
l'intérêt d'une commission parlementaire, et je pense que la
commission parlementaire a réussi à éclairer les
négociateurs dans une importante mesure et que l'accord a
été enrichi à la suite de la commission. Mais on avait
devant nous un texte, on avait des principes qui étaient
déjà assez clairs. Par exemple, la clause de la
société distincte, c'était déjà très
juridique, malgré ce qu'on a pu dire du caractère juridique ou
non juridique des textes. Nous n'avons pas devant nous ces clauses de
sauvegarde. On n'a pas devant nous les clauses de règlement des
différends sur lesquels on devrait pouvoir se pencher pour conseiller le
gouvernement, pour que le peuple puisse vraiment être entendu sur ces
questions fondamentales.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.
M. MacDonald: J'aimerais, le plus rapidement possible, vous
rassurer et rassurer le député de Bertrand en me
référant à cette réponse que j'avais donnée
à un commentaire du président de la commission parlementaire la
semaine dernière sur toute cette question de consultations au lendemain
d'une entente. Il est évident - je répète ce que j'ai dit
en Chambre - qu'un traité qui a une importance capitale pour l'avenir
économique du Canada et du Québec doit être soumis aux
représentants du peuple. Ce n'est, à mon avis, qu'une
convenance.
Maintenant, pour être beaucoup plus pratique, il est
évident, comme vous l'avez mentionné, qu'un tel traité
apporterait des changements majeurs à certaines de nos lois et à
plusieurs de nos règlements. Cela étant dit, encore une fois, il
est évident qu'on devra aller devant l'Assemblée nationale pour
effectuer ces changements.
Je reconnais avec vous que, n'ayant pas aujourd'hui le texte final - et
celui-ci, à ma connaissance, n'existe pas, c'est-à-dire que les
négociations vont bon train, mais on en a encore jusqu'au 4 octobre -
nous ne pouvons pas faire cette étude en profondeur. J'irai même
plus loin et je dirai en réponse à une question qui m'a
été posée par M. Charbonneau, président de la CEQ,
désirant savoir si te gouvernement serait disposé à
poursuivre cette commission parlementaire pour entendre les
représentations sur un texte final... J'ai dit que cela serait une
excellente façon d'informer le public et d'informer tous et chacun sur
ce dossier. Un dossier de cette importance ne peut qu'être le plus
transparent possible et c'est ce qu'on a essayé de faire dans les
circonstances d'une négociation confidentielle. Lorsqu'il y aura un
texte, il est évident que ce sera encore d'une plus grande
transparence.
Revenant sur la question... peut-être qu'il y aurait redondance,
mais je suis parfaitement d'accord, et on l'a mentionné ici, que le
gouvernement fédéral en vertu de ses pouvoirs de l'acte
constitutionnel pourrait intervenir dans un dossier comme celui qu'on discute.
Mais vous savez comme moi qu'on a ajouté à cette
négociation de nouveaux sujets qui, généralement parlant,
n'étaient pas considérés comme faisant partie de
négociations commerciales. Je parle particulièrement des
services, de la propriété intellectuelle, des investissements.
Ces sujets s'ajoutent à ceux qu'on pourrait qualifier de
compétence provinciale.
Sur un plan que j'appellerais de jurisprudence, votre expertise dans ces
relations fédérales-provinciales, voyez-vous une mise en garde
additionnelle à laquelle on devrait faire face, compte tenu que, de
toute façon, comme je l'ai mentionné, la partie américaine
n'interviendrait pas dans un traité quelconque où le
traité ne pourrait pas être exécuté par l'une ou
plusieurs des parties importantes, c'est-à-dire les provinces
canadiennes? Le point où je veux en venir, c'est que, oui, c'est vrai,
si on prend la loi au pied de la lettre, le fédéral pourrait
intervenir, mais il faut tout de même être pratique aussi. De
façon pratique, il ne saurait être de traité si les parties
importantes n'y adhéraient pas.
M. Turp: Alors, si je comprends bien, la question est: Est-ce que
le fédéral pourrait utiliser le traité, comme je le
suggérais, pour éventuellement faire élargir ses
compétences dans la réglementation des échanges et du
commerce?
M. MacDonald: Non. M. Turp: Non?
M. MacDonald: Je n'ai pas suggéré cela, M. Turp. En
fait, vous avez bien souligné qu'on devra toujours être
très vigilants sur cet aspect. Je voulais dire dans un sens pratique:
Voyez-vous la possibilité que le gouvernement fédéral
aille signer une entente, compte tenu des réserves que j'ai
mentionnées, alors qu'une ou des provinces auraient des objections
majeures?
M. Turp: Je pense que le gouvernement fédéral
actuel, à cause de la dynamique qu'il a créée, et je pense
que cela est un grand acquis pour le fédéralisme canadien, a
créé une situation dans laquelle il ne pourrait pas aller
conclure un traité qui ne recevrait pas l'assentiment des dix provinces
ou presque. C'est presque vivre une situation où même
l'Île-du-Prince-Édouard s'opposant, il pourrait trouver difficile
de conclure l'entente ou retarderait sa conclusion pour vraiment obtenir un
assentiment. Dans cette perspective, j'ai souligné qu'il faudrait
essayer de codifier ce gain, de le cristalliser dans une entente
intergouvernementale dont la conclusion a été
évoquée récemment dans le cadre d'une éventuelle
application du processus d'amendement constitutionnel ou du processus de
conclusion des traités. Je pense que ce serait quelque chose
d'intéressant à faire, mais il faudrait y ajouter les aspects de
participation des provinces aux négociations et même à la
procédure de conclusion.
À mon avis, ce n'est pas de cela dont on doit s'inquiéter
maintenant, c'est de la mise en oeuvre. Le gouvernement fédéral
actuel est très sensible à l'importance d'associer les provinces.
Je ne suis pas certain si un gouvernement libéral, ou un gouvernement
néo-démocrate... Il y a des risques, j'ai l'impression, qu'on ait
un gouvernement libéral ou un gouvernement néo-démocrate,
ou à tout le moins un gouvernement composé de parlementaires et
de ministres de ces deux formations. Je ne suis pas certain du tout qu'on
voudrait alors associer de façon aussi intime les provinces à la
mise en oeuvre internationale. Si on codifie les acquis, ces gouvernements
n'auront pas d'autre choix que de continuer ce processus de coopération
fédérale et provinciale, qui est finalement très sain et
qui, apparemment, fonctionne bien. Ce n'est pas tellement le fait d'un
gouvernement fédéral ne voulant pas retenir ou obtenir
l'assentiment des provinces qui m'inquiète, c'est ce qui va arriver
après que le traité aura été conclu.
M.MacDonald: C'est une mise en garde que vous avez faite.
M. Parent (Bertrand): M. le Président. D'abord, je
remercie le ministre pour l'engagement formel qu'il a pris d'amener devant
l'Assemblée nationale toute ratification de cette entente de
libre-échange et aussi Ja tenue d'une commission parlementaire, si on
peut dire, élargie, une commission parlementaire permanente. Elle
prendra une forme dans laquelle tous les élus de l'Assemblée
nationale et tous ceux qui voudront suivre tes débats, pourront analyser
en profondeur ce qu'on aura dans ce fameux traité. Je pense qu'il est
bien important que ce soit clair pour tout le monde.
Ceci dit, M. Turp, on sait que le gouvernement du Québec a
dressé une liste des conditions d'appui au libre-échange. Le
gouvernement du Québec a aussi, dans cette liste, mis quelques
objections ou quelques exemptions. Je pense tout particulièrement
à tout ce qui touche l'industrie de la culture et l'industrie de
l'agriculture et tout ce qui y est relié. Est-ce que vous croyez, par
votre expertise, votre expérience, que ces exemptions, ces exclusions
que le gouverne-
ment du Québec a mises sur la table, elles soient permises dans
le cadre du contexte d'un accord de libre-échange et que ce soit
conforme au GATT?
M. Turp: Non. Il ne faut pas oublier que cet accord de
libre-échange s'inscrit et doit nécessairement s'inscrire dans le
cadre de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce
- le GATT, comme on le connaît bien - dont l'article 24 prévoit
les conditions dans lesquelles un accord de libre-échange doit
être négocié et conclu pour qu'il soit conforme au GATT.
J'ai mentionné une des conditions importantes, c'est qu'il porte sur
l'essentiel des échanges.
En théorie, si on devait exclure l'agriculture et les
pêches - ce qui a causé des problèmes à
l'Association européenne de libre-échange, dont on n'a jamais dit
que l'accord était conforme au GATT - et aussi les industries
culturelles, il pourrait y avoir un problème de compatibilité de
l'accord de libre-échange avec l'accord général, avec le
GATT. Je pense que cela est évident. Mais, il faut ajouter, pour
être bien honnête, que la pratique des parties contractantes du
GATT a été très tolérante à l'égard
des accords de libre-échange; peut-être trop tolérante.
Est-ce qu'elle le demeurera encore? C'est une inconnue et l'humeur est
peut-être à être moins tolérant qu'avant.
Le point que je voulais faire en soulevant cette question, n'est pas
qu'il faut vraiment s'inquiéter de ce que les parties contractantes du
GATT vont faire avec l'accord de libre-échange. J'ai l'impression qu'ils
vont l'avaliser, soit en disant d'accord, ou en conférant des exemptions
prévues par l'article 24 ou même l'article 25, ou qui vont, tout
simplement, ne rien dire puis laisser l'accord de libre-échange produire
des effets, comme ils l'ont fait pour la plupart des accords de
libre-échange controversés. Ce que cela pourrait amener les
États-Unis à faire - c'est cela le point important, à mon
avis - c'est de dire: Écoutez, vous voulez exclure ou exempter
l'agriculture, les pêches, les industries culturelles, notre accord ne
sera pas conforme à l'accord général. On pourrait, pour
cette raison, dire: Oui, il faut inclure quelque chose, il faut inclure une
partie, à tout le moins, de ce qui concerne l'agriculture et les
pêches ou il faut, à tout le moins, faire une déclaration
qui nous engagera à continuer de discuter de l'inclusion
éventuelle de l'agriculture, des pêches et des industries
culturelles. (11 heures)
Je ne sais pas si le Québec et le Canada souhaitent ça,
parce que si les industries culturelles font l'objet d'une attention continue
des parties à l'accord de libre-échange, j'ai l'impression que
ça pourrait mettre en péril la souveraineté culturelle du
Québec. La spécificité culturelle du Québec serait
en péril de façon continue parce qu'on ne saurait pas si les
industries culturelles vont faire partie ou vont devenir sujettes au
régime de libre-échange. N'étant pas dans le secret des
dieux et des négociations - j'aimerais bien l'être pour donner une
opinion plus éclairée encore - je vous fais observer seulement
que c'est un autre danger qu'il faut guetter. Je pense que c'est quelque chose
dont on doit un petit peu s'inquiéter où on doit être
prudent et où cette commission et l'Assemblée doivent chercher
à être informées vraiment de ce qui se passe à la
table des négociations en cette matière.
M. MacDonald: Si vous me le permettez, M. le Président, je
ferais l'observation suivante. Je pense qu'on est venu et revenu sur la
question de la protection de la souveraineté culturelle du Québec
et je ne ferai que répéter que ce n'est pas un enjeu et que ce
n'est pas à discuter.
Deuxièmement, sur cette acceptation ou plutôt cette
attitude passive du GATT, c'est un aspect que nous avons regardé de
très près et, comme vous l'avez dit vous-même, dans des
situations qui auraient appelé peut-être un arbitraire plus
précis, le GATT a souvent été très tolérant
sur une foule de choses. Nous n'y voyons réellement aucune
inquiétude dans le contexte dans lequel les négociations se font
et vis-à-vis les mandats qui existent à l'intérieur de la
négociation pour en arriver à une entente.
Cela étant dit, j'aimerais passer à mon collègue,
le député de Vanter, qui aurait une dernière question. Je
pense qu'il ne nous reste pas beaucoup de temps, M. le Président, mais
le député de Vanier voudrait tout de même poser une
question.
Le Président (M. Charbonneau): Non, quelques instants.
M. Lemieux: Brièvement. À mon avis, le
libre-échange c'est beaucoup plus qu'une implication en termes d'emplois
et peut-être beaucoup plus qu'une politique commerciale, mais regardons
peut-être davantage non pas l'aspect économique mais
peut-être l'aspect politique, eu égard à la constitution.
Ma question est assez simple. Est-ce qu'il y a un danger pour nous, eu
égard aux pouvoirs qui nous sont conférés par l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, d'une diminution de nos pouvoirs et, a
contrario, est-ce que le gouvernement fédéral ne risque pas
d'augmenter certains de ses pouvoirs? Pensez à la théorie des
champs inoccupés ou au pouvoir de dépenser dans le cadre de la
signature d'un traité de libre-échange. Est-ce qu'il y a un
danger pour le Québec? Est-ce qu'il y a un danger pour le
fédéral de voir justement augmenter certains des pouvoirs
qui lui ont déjà été conférés
par la Cour suprême sans que ce soit explicitement, vous le savez fort
bien, reconnu dans les textes comme tels de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique?
M. Turp: Je pense qu'il y a un danger potentiel d'expansion
très subtile des pouvoirs et des compétences législatives
du fédéral par une interprétation de la clause de
commerce, l'article 91.2 qui dit que le fédéral a des
compétences exclusives en matière de réglementation des
échanges et du commerce. C'est une clause qui aurait pu être
très centralisatrice, une clause qui a été
interprétée par le Comité judiciaire du Conseil
privé de Londres d'une façon très très favorable
aux provinces. Si on n'avait pas été à ce point favorable
aux provinces, les assurances ne relèveraient pas des provinces
aujourd'hui, elles relèveraient totalement du fédérai.
J'ai l'impression qu'un accord de libre-échange pourrait
permettre à un gouvernement fédéral qui le voudrait, c'est
là le problème, de donner à la clause de commerce toute sa
potentialité. Cela veut dire de permettre, au nom du commerce
international, du commerce interprovincial et même du commerce
intraprovincial qui a été protégé dans une certaine
mesure par les juges, de donner au fédéral le pouvoir de
légiférer en la matière.
Je pense que c'est quelque chose qui est possible à la
lumière d'un arrêt récent du juge Dickson dans une affaire
où il est vraiment revenu un peu à l'arrière. Il a dit,
bien l'article 91.2 porte peut-être aussi sur les échanges et le
commerce qui affectent "affecting the whole Dominion". Là on a un
traité de libre-échange qui a comme intérêt
d'affecter tout le dominion. C'est bien sûr, c'est un traité qui
s'appliquera sur l'ensemble du territoire. Je ne pense pas qu'il y aura clause
fédérale qui va exempter une partie du territoire
québécois de l'application de l'accord. J'ai l'impression que,
s'appliquant à tout le territoire, cet accord pourrait être
invoqué par le fédéral pour vouloir régir des
questions commerciales même si elles ont un aspect plus local, l'aspect
local étant protégé par l'article 92.16 de la loi
constitutionnelle qui confère aux provinces le pouvoir d'adopter des
lois de nature locale.
J'ai l'impression qu'il y a là un danger. S'ajoutant à
cela, le danger que les mêmes juges viennent à permettre, en
invoquant le même article 91.2, au Parlement fédéral de
légiférer pour mettre en oeuvre des traités portant sur le
commerce international. On ferait indirectement ce qu'on n'a jamais voulu faire
directement. Vous savez, l'affaire des conventions de travail est une affaire
qui était très contestée par la doctrine en tout cas et
qui veut que les provinces mettent en oeuvre des traités qui sont dans
le domaine de leurs compétences, qui empêchent le
fédéral de faire des traités comme il le veut. Il faut
toujours qu'il obtienne l'assentiment des provinces.
On a remis en cause cette jurisprudence dans des affaires
récentes à la Cour suprême, l'affaire MacDonald, l'affaire
Schneider. Il ne serait pas impossible qu'on fasse ce qu'on n'a pas encore fait
tout à fait mais seulement pour les traités en matière de
commerce international. Vos juristes, M. MacDonald, vous ont peut-être
déjà conseillé là-dessus mais il faut vraiment
être attentif parce que la mise en oeuvre des traités, c'est
drôlement important. On a un système dualiste ici où le
Québec met en oeuvre lui-même des lois qui relèvent de sa
compétence constitutionnelle. Si les juges de la Cour suprême
venaient à dire: Les traités en matière de commerce
international, eux, le fédéral peut les mettre en oeuvre, il peut
adopter toutes les lois qu'il faut - M. Bernier, le doyen de Laval nous
annonçait déjà cela il y a quelques années - s'ils
font cela, c'est un pan complet des compétences du Québec en
matière commerciale, en droit des compagnies, en droit fiscal, dans le
domaine de la propriété intellectuelle à certains
égards qui s'en vont. Je pense qu'il faut prendre ses
précautions, préparer l'avenir, maîtriser l'avenir dans ces
domaines.
Le Président (M. Charbonneau): Est-ce que... Cela va? Cela
complète les demandes. Alors, M. le ministre, vous vouliez...
M. MacDonald: À titre de conclusion...
Le Président (M. Charbonneau): Ah! Je m'excuse.
M. MacDonald: Allez-y.
Le Président (M. Charbonneau): II reste quelques minutes
au député de Bertrand. M. le député de
Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Vous n'allez pas m'enlever mon temps ce
matin, M. le ministre.
M. MacDonald: II n'en est pas question.
M. Parent (Bertrand): Alors, M. Turp, par rapport à vos
derniers commentaires à la suite de la question de mon collègue,
le député de Vanier, je trouve fort impartant tout cet aspect et
ce danger d'empiétement du gouvernement fédéral par
rapport à l'interprétation qu'il pourra faire de façon
très large de ses compétences, surtout en matière
d'échange et de commerce. Ce que je me demande essentiellement, c'est
si, au gouvernement du Québec, on a pris à ce jour ou si on est
prêt à prendre les mesures
nécessaires pour se prémunir contre cet envahissement
normal qu'on veut au gouvernement fédéral? Je pense qu'on se doit
en tout cas de passer le message très clair ce matin.
Puisque le temps est déjà très avancé, ma
dernière question c'est cet autre aspect de l'attitude du gouvernement
américain face au traité de libre-échange. Je fais
référence à l'étude qui a été rendue
publique la semaine dernière, l'étude d'une firme très
prestigieuse de Washington, Arnold and Porter qui disait essentiellement ceci -
et j'aimerais savoir, M. Turp, si vous êtes d'accord avec cela et
j'aimerais aussi que vous apportiez vos commentaires. Ce qu'ils disaient
essentiellement c'est qu'en droit américain, comme en droit
international, le type d'entente qui pourrait être signée entre le
Canada et les États-Unis serait équivalent à un
traité et, selon la constitution américaine qui a, aujourd'hui,
quelque 200 ans, les traités sont comme des lois fédérales
et la constitution, ils sont la loi suprême du pays.
Alors, les tribunaux ont convenu que les accords internationaux, une
fois appliqués, avaient le même statut que (es lois
fédérales. Ils ont donc préséance sur les lois
passées du Congrès et sur toutes celles passées et futures
qui seront adaptées par les États. Toujours selon cette
étude de Arnold and Porter, il est aussi bien établi, en droit
américain, qu'un accord international n'a pas préséance
sur les lois postérieures adoptées par le Congrès. En
d'autres mots, cela veut dire que rien n'interdirait au Congrès
américain d'adopter un jour, dans quelque temps, une loi qui serait
carrément incompatible avec le présent accord de
libre-échange qu'on s'apprête à signer. Dans un tel cas,
les tribunaux américains seraient obligés de faire respecter
cette loi. Cela ne veut pas dire que les États-Unis, en tant que pays,
seraient pour autant libérés de l'obligation qu'ils auraient
envers le Canada. Face au droit international, l'accord resterait valide.
Alors, les Canadiens pourraient, de leur côté, user de
représailles contre les États-Unis et de là on s'embarque
dans tout le mécanisme.
Cela me semble un petit peu aberrant de voir qu'on se ramasserait
possiblement dans une telle situation. On l'a vu dans le passé, que ce
soit avec Israël ou autres, où il peut y avoir des lois
américaines qui sont adoptées et qui viennent à l'encontre
du traité qui est signé.
Face à cette déclaration de l'étude Arnold and
Porter est-ce que vous pouvez me donner votre réflexion ou vos
commentaires?
M. Turp: Ce mini-cours de droit constitutionnel américain
- je ne me prétends pas non plus un spécialiste de droit
constitutionnel américain - que vous venez de nous donner entre les
rapports sur les rapports entre le droit international et le droit
constitutionnel américain... Il faut dire d'ailleurs qu'au Canada, c'est
la même chose. On peut adopter un traité, on peut le mettre en
oeuvre par des lois, mais on peut adopter des lois postérieures qui
seraient contraires aux lois antérieures mettant en oeuvre le
traité et les lois postérieures l'emporteraient, à moins
que les lois de mise en oeuvre ne disent qu'elles ont préséance
sur toutes les lois, y compris les lois postérieures qu'on peut
faire.
Mais ce que cela a comme conséquence, c'est d'amener les
négociateurs, peut-être canadiens surtout, à insister pour
qu'il y ait un tribunal arbitral qui rende des décisions obligatoires.
Pourquoi? Parce que si, effectivement, il peut y avoir des lois
postérieures contraires et qu'il y a un tribunal arbitral qui ne peut
pas rendre de décisions obligatoires, qu'est-ce qu'on fait? On subit les
lois postérieures qui sont contraires à l'accord. On peut se
consulter longuement sur la violation par les États-Unis du
traité de libre-échange, mais cette violation pourra demeurer
lettre morte s'il n'y a pas un arbitre qui vient décider que les lois
étaient vraiment contraires au traité et qu'il y a une violation
qui permet de déclencher les mécanismes de mise en oeuvre qui
pourraient amener un tribunal à dire: Vous avez violé le
traité, donc le Canada a le droit de prendre des mesures comme des
droits compensateurs ou des mesures de même nature.
À mon avis, ce danger existe parce que, dans les ordres
juridiques nationaux, ce n'est pas toujours le cas, il y en a qui disent encore
que les lois sont supérieures au traité et que celles-ci seront
appliquées de façon prioritaire par les tribunaux, même si
elles sont contraires au droit international. Cela existe. On vit dans un monde
où les États ont une souveraineté qui leur permet de faire
cela et qui les met dans une situation de violation du droit international,
mais dans une situation où il n'y a peut-être pas toujours de
sanctions qui les amènent à modifier leur comportement, à
abroger les lois ou à indemniser ceux qui ont été
lésés par leurs actions contraires à des traités.
(11 h 15)
M. Parent (Bertrand): En terminant, M. le Président, de
mon côté, je tiens à remercier M. Turp pour cet
exposé et aussi pour les réponses assez claires qu'il a
apportées à toutes nos questions et lui dire que ce matin, en
à peine une heure on s'est rendu compte que même si tout le monde
est de bonne foi dans des négociations, il y a les lois et les pouvoirs.
Tout pourra être remis en question au-delà de la bonne foi. Je
trouve dommage qu'on n'ait pas pu en discuter plus longuement
Certainement l'apport que vous avez fait à cette commission a
été grandement apprécié et je vous en remercie.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre, vous
vouliez ajouter quelque chose.
M. MacDonald: Oui, je vous remercie. J'aimerais penser que, s'il
y a lieu de tenir une poursuite de cette commission parlementaire après
le 5 octobre, vous nous ferez le plaisir de vous joindre à nous.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, sur cette invitation
à revenir nous rencontrer, M. Turp, je voudrais vous remercier aussi
d'avoir participé à cet exercice. En espérant qu'on aura
d'autres occasions de vous entendre à la commission de l'économie
et du travail. Merci et bon retour.
M. Turp: Merci.
Le Président (M. Charbonneau): J'invite maintenant la
Chambre de commerce du Québec à prendre place à la table
des invités.
Je reconnais quelques visages familiers: Mme Saucier, M.
Létourneau, lequel est presque une institution à lui seul. Alors,
tout le monde s'installe! Mesdames et messieurs, bienvenue à nouveau
à la commission de l'économie et du travail. Je crois que vous
connaissez un peu les règles du jeu, étant des familiers de cette
commission parlementaire. Néanmoins, je vous indique que nous avons une
heure pour la discussion et la présentation. Cette présentation
devrait d'abord se faire dans un délai d'une vingtaine de minutes et par
la suite ta discussion va s'engager entre les membres de la commission et vous
de part et d'autre selon les interventions et les questions qui pourront
surgir.
Mme Saucier, avant de commencer la présentation de votre
mémoire - merci, mon cher collègue - je vous demanderais de bien
vouloir présenter les personnes qui vous accompagnent entre autres pour
le Journal des débats.
Chambre de commerce du Québec
Mme Saucier (Guylaine): Oui, M. le Président. Je vous
remercie. À ma droite, M. Mark Toivanen, vice-président,
opération et développement commercial de Miniraux Noranda Inc.;
comme vous dites, M. Létourneau, c'est inutile de le présenter;
à ma gauche, M. Serge Racine, président-directeur
général de Shermag; M. Lemieux, de la Chambre de commerce et M.
Jean-Claude Riendeau, de la Chambre de commerce également.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, vous pouvez y
aller.
Mme Saucier: Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Le ministre du Commerce
extérieur m'a indiqué qu'il arrivait.
Mme Saucier: II arrive.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, allons-y!,
Mme Saucier: Au cours des dernières années, la
Chambre de commerce du Québec est intervenue fréquemment dans
l'important débat sur la libéralisation des échanges avec
les États-Unis. Le commerce international joue un rôle
irremplaçable dans notre économie. Un simple coup d'oeil sur la
liste des produits exportés et importés entre le Québec et
les États-Unis suffit à montrer l'importance de ces
échanges pour nos entreprises.
Nous observons depuis deux ans, à la Chambre de commerce,
l'émergence dans toutes les régions du Québec, d'une
nouvelle génération d'entrepreneurs, une génération
qu'on ne retrouve ni aux États-Unis, ni ailleurs au Canada. Ces
entrepreneurs travaillent sur les bases appropriées de qualité,
de productivité, qu'on parle de gestion participative, de formation
continue, de recherche et de développement ou de marketing. Ce nouveau
phénomène de l'entrepreneurship québécois s'est
même fait remarquer par les leaders d'opinion canadiens de
l'extérieur du Québec, et je cite: "Le catalyseur de cette
croissance économique soutenue sera l'émergence spectaculaire de
petites entreprises, cette émergence étant elle-même le
résultat d'une explosion sans précédent du
phénomène d'entrepreneurship québécois."
Ces petites et moyennes entreprises en effervescence partout au
Québec foncent déjà vers de nouveaux marchés plus
vastes. Même dans les secteurs soumis à de forts tarifs, comme les
secteurs qu'on appelle mous, ces entreprises souhaitent une
libéralisation des échanges qui créera un contexte
éminemment plus proprice à la compétitivité de
l'industrie canadienne et à l'assurance de son accès au
marché de nos partenaires. Consommateurs et producteurs profitent tous
de la spécialisation dans la production des marchés plus vastes
et des économies d'échelles qui s'ensuivent ainsi que de la
concurrence et de la productivité accrue qu'entraîne une ouverture
des frontières.
L'ouverture du marché nord-américain permettra aux
entreprises de fabriquer, par exemple, un ou deux produits pour un
marché
de 250 000 000 d'habitants au lieu de six ou huit pour un marché
de 25 000 000 d'où une plus grande capacité concurrentielle.
Quant aux craintes exprimées sur les risques inhérents au
libre-échange, comme les pertes d'emplois éventuelles, nous
croyons que le sentiment protectionniste qui règne à l'heure
actuelle aux États-Unis rend justement impérieuse la conclusion
d'une entente sur le libre-échange. La vraie question n'est pas de
savoir combien d'emplois seraient menacés par une entente de
libre-échange, mais plutôt combien d'emplois seront
détruits par le protectionnisme montant.
La législation actuelle fournit au gouvernement des
États-Unis et aux lobbies de ce pays plusieurs armes protectionnistes:
les mesures de sauvegarde, les dispositions antidumping et les droits
compensatoires ainsi que les mesures de représailles commerciales.
Enfin, un grand nombre d'actions protectionnistes ont été
menées récemment, je ne fais que citer simplement le bois
d'oeuvre. De plus, des projets de loi présentement à
l'étude au Congrès américain accroissent encore davantage
le danger protectionniste et l'insécurité des exportateurs
québécois. Afin de permettre aux industries et aux individus de
s'adapter au nouvel environnement concurrentiel, le traité de
libre-échange devra évidemment prévoir des périodes
de transition.
Certainement que dans les négociations actuelles plusieurs
difficultés restent à surmonter, notamment certaines craintes
canadiennes, les subventions aux entreprises, l'agriculture, le commerce des
services, les investissements, les préférences des marchés
d'États, l'implication des provinces et surtout l'arbitrage des
différends. Mais des solutions raisonnables peuvent et doivent
être trouvées. Dans la recherche d'un consensus final, il faut se
rappeler qu'une entente imparfaite serait préférable à
l'absence d'entente.
Il faut réaliser que le libre-échange est un défi
que nous sommes déjà en train de relever au Québec. Nous
avons une main-d'oeuvre qualifée, une structure industrielle
diversifiée, nous avons aussi des chefs d'entreprise dynamiques. Le
moins que le gouvernement puisse faire, c'est de nous faciliter l'accès
pour utiliser ce potentiel au maximum.
M. Racine (Serge): M. le Président, messieurs les
ministres et membres de la commission. La Chambre de commerce du Québec
est la fédération d'environ 230 chambres de commerce locales qui
regroupent plus de 60 000 membres au Québec; de plus, près de
6000 entreprises y adhèrent directement. Cette présence dominante
dans le monde des affaires québécois a amené la chambre
à prendre position rapidement et fréquemment dans le débat
sur le libre- échange avec les États-Unis. Les interventions de
la chambre au cours des dernières années incluent, entre autres
les suivantes: En janvier 1985, la chambre réalisait un sondage parmi
ses entreprises membres pour connaître leur opinion sur le
libre-échange international. Neuf entreprises sur dix ont exprimé
une opinion favorable.
Deuxièmement, le 27 février 1985, la chambre adressait une
longue lettre au ministre du Commerce extérieur du Canada pour appuyer
le projet d'un traité de libre-échange avec les
États-Unis.
Troisièmement, le 24 avril 1985, la chambre soumettait un
mémoire en ce sens au gouvernement fédéral.
Quatrièmement, le 3 octobre 1985, la chambre félicitait le
premier ministre du Canada pour avoir amorcé avec le gouvernement des
États-Unis le processus de négociation en vue d'un
libre-échange entre les deux pays.
Cinquièmement, le 10 avril 1986, à Toronto et le 2 octobre
1986, à Montréal, les conseils exécutifs de la Chambre de
commerce du Québec et de la Chambre de commerce de l'Ontario se
réunissaient pour discuter du libre-échange Canada-USA, organiser
une stratégie commune d'appui aux négociations, recommander
à nos gouvernements provinciaux respectifs de diminuer, en un premier
temps, les barrières commerciales entre les provinces et rencontrer des
officiels impliqués dans les négociations.
Sixièmement, le 21 mai 1986, la chambre faisait du
libre-échange international le thème principal de son
mémoire annuel au gouvernement du Québec, thème repris
sous le titre "Le libre-échange, plus que jamais", dans le
mémoire annuel du 20 mai 1987, récemment.
Septièmement, les 8 et 9 octobre 1986, l'assemblée
générale annuelle de la Chambre de commerce du Québec se
tenait sous le thème du libre-échange. Ce congrès
réunissait plus de 700 délégués de tous les coins
du Québec, représentant tous les secteurs de l'activité
économique.
L'an dernier, le vice-président exécutif de la chambre a
effectué un voyage d'étude de trois semaines aux
États-Unis, dans le cadre de sa recheche sur le libre-échange. Le
28 juillet 1987, la chambre manifestait publiquement son intention de
participer à la commission parlementaire dont la tenue venait
d'être annoncée par le premier ministre du Québec. Enfin,
le 27 août 1987, la présidente de la chambre, Mme Saucier,
émettait une déclaration rappelant que, nonobstant certains
rapports de presse, le monde des affaires s'intéresse activement aux
négociations de libre-échange avec les États-Unis et
désire, dans une large majorité, que des négociations
aboutissent à un accord. Dans cette déclaration, Mme Saucier
affirmait que la question la plus importante
n'est pas combien nous perdrons d'emplois avec ce traité, mais
combien nous en perdrons si nous ne l'avons pas.
M. le Président, j'ai eu la gracieuse permission de ma
présidente de sortir un peu du texte lorsqu'il me semblait
approprié de le faire, et c'est le premier endroit où je vaudrais
en sortir. Lorsqu'on parle du "tradeoff" entre les emplois qu'on perd et les
emplois qu'on gagne, dans cette grande équation, je crois que nous
faisons essentiellement et collectivement une erreur méthodologique dans
notre approche aux décisions sur le libre-échange. La question
qui semble se poser publiquement aujourd'hui, depuis la polarisation
essentiellement en deux temps sur la question, c'est de savoir qui est en
faveur ou contre le statu quo dans nos relations commerciales avec les
États-Unis. Cela semble être la seule question sur la table.
Une très grande majorité de Canadiens devraient
répondre très positivement à cette question parce que,
actuellement, le statu quo nous favorise grandement. Si la question du statu
quo est la seule sur la table, nous devons être pour. Nous avons 80 % des
échanges qui se font actuellement en franchise avec les
Américains. Nous avons des tarifs qui se sont réduit
graduellement depuis les 40 dernières années,
particulièrement depuis 1977, de sorte qu'il n'y a plus que 20 % de nos
exportations qui se font sous le couvert des tarifs. Nous avons un surplus de
plus de 20 000 000 000, $ avec les Américains, dans la formule du statu
quo. Nous investissons récemment plus aux États-Unis que les
États-Unis investissent au Canada. Les Québécois adorent
la concurrence américaine, naturellement, lorsqu'ils la connaissent.
En ce qui me concerne, je dirige une compagnie qui, en 1985, a
exporté 529 000 $ de production. En 1986, elle a exporté 2 900
000 $ et cette année, Shermag exportera 10 000 000 $ aux
États-Unis. Donc, vive le statu quo! Le problème, c'est que cela
va trop bien et que les Américains ne veulent plus et ne peuvent plus
supporter le déficit annuel de 165 000 000 000 $ et qu'il est dans
l'intérêt de la communauté internationale de
rééquilibrer la balance américaine. Comment? Enrayer le
protectionnisme américain. La seule solution qui apparaît viable
sur le marché, c'est de négocier un ensemble de conditions qui
apparaîtraient donner des avantages à la fois aux
États-Unis, sans enlever les avantages que nous possédons dans le
statu quo. C'est une solution de "win-win" et ça ne peut venir que par
un accès plus grand à nos marchés mutuels. C'est ce qu'on
appelle, peut-être d'un mauvais vocable, des négociations sur le
libre-échange. (11 h 30)
En somme, si l'on veut avoir un débat sur le
libre-échange, il ne faudra pas opposer les protagonistes du statu quo
et les antagonistes du statu quo. Le débat ne durerait pas et nous nous
retrouverions tous du même côté. Il faut plutôt
demander à tout le monde comment faire pour enrayer le protectionnisme
américain et diviser les deux camps entre, premièrement, ceux qui
proposeraient de ne rien faire ou peut-être qui ne proposeraient rien,
d'une part, et ceux, d'autre part, qui proposeraient de travailler sur des
conditions de stabilité dans les rapports commerciaux avec les
Américains.
Je reviens au texte à la page 3. Le commerce international joue
un rôle irremplaçable dans notre économie, comme nous le
rappelle d'ailleurs l'étude du gouvernement du Québec
publiée récemment sur le libre-échange.
Les exportations québécoises comptent pour plus de 40 % du
produit intérieur brut québécois, ce qui fait du
Québec une des économies les plus ouvertes au monde. Environ la
moitié de ses exportations va vers l'extérieur du Canada et
près de 40 % vers les États-Unis. En 1986, les marchandises
exportées du Québec vers les États-Unis atteignaient 15
500 000 000 $. Environ la moitié des importations au Québec
viennent des États-Unis. Un simple coup d'oeil sur la liste des produits
exportés et importés entre le Québec et les
États-Unis suffit à montrer l'importance de ces échanges
pour nos entreprises et nous avons en annexe la liste en question.
Les principaux produits exportés aux États-Unis par des
entreprises québécoises incluent le papier d'imprimerie, les
automobiles, pièces et châssis d'automobile, l'aluminium et ses
alliages, les avions, moteurs et pièces d'avion, le bois d'oeuvre, les
tubes électroniques, les semi-conducteurs, l'électricité,
le matériel commercial de télécommunication, les viandes,
les minerais, concentrés et déchets de fer, les pâtes et
papiers, le cuivre et ses alliages, le mazout, le zinc et ses alliages, les
meubles, la quincaillerie, les journaux, revues et périodiques, les
vêtements divers, les métaux précieux et ses alliages, les
machines et le matériel de bureau, l'essence, le matériel
électronique et les équipements connexes, le matériel
roulant de chemin de fer, etc.
Il y a aussi une liste importante d'importations qui ont un impact
très grand sur nos coûts puisque nous utilisons en intrants
beaucoup de produits américains pour produire les biens qui sont vendus
au Canada même. Le marché international, surtout le marché
américain, offre un débouché indispensable à nos
entreprises. Cela est dû certainement à l'exiguïté du
marché québécois et canadien. Contrairement aux
États-Unis, au Japon et à la CEE, nous ne disposons pas d'un
marché de 100 millions
d'habitants et plus. Il y a donc nécessité d'une entente
de libre-échange.
Le sentiment protectionniste actuel aux États-Unis rend
impérieuse la conclusion d'une entente de libre-échange. La vraie
question, comme je l'ai dit tantôt, n'est pas de savoir combien d'emplois
seraient possiblement menacés par une telle entente, mais plutôt
combien d'emplois seraient détruits par le protectionnisme montant.
Il y a certainement plus d'emplois québécois
menacés par le protectionnisme américain qu'il y en aurait de mis
en cause par la libéralisation des échanges. Selon les
estimations mêmes du gouvernement du Québec - je ne vous apprends
rien - il y a 540 000 emplois qui dépendent directement ou indirectement
des exportations totales du Québec. Comme près de 40 % de
celles-ci vont vers les Etats-Unis, c'est plus de 200 000 emplois
québécois qui dépendraient des exportations vers ce
pays.
Le danger du protectionnisme américain. On ne doit pas
sous-estimer le sentiment protectionniste actuel aux États-Unis. Il se
manifeste dans plusieurs actions réglementaires et législatives
qui, même si elles ne sont pas toujours dirigées contre nous, ont
affecté ou pourraient affecter les exportateurs canadiens.
La législation actuelle fournit au gouvernement des
États-Unis et aux lobbies de ce pays plusieurs armes protectionnistes.
Nous portons à votre attention des choses que vous savez
déjà, les mesures qui sont des menaces à notre
accès libre aux États-Unis. Les tarifs canadiens sont en
général plus élevés que les tarifs
américains: 11.2 %, contre 6.5 % sur les marchandises taxées, et
3.8 % contre 2.3 %, en moyenne, sur l'ensemble du commerce entre les
États-Unis. Toutefois les obstacles douaniers, non tarifaires, sont plus
nombreux aux États-Unis et se sont multipliés
récemment.
Depuis 1980, 42 opérations légales ont été
lancées contre les exportateurs canadiens: 6, en vertu des dispositions
de sauvegarde, 22 actions antidumping et 14 en droits compensatoires. Selon
certaines estimations, ces actions auraient déjà touché 5
% des exportations canadiennes vers les États-Unis. Plusieurs produits
que nous fabriquons et exportons sont en bonne place dans cette liste.
En plus de la législation existante et des nombreuses mesures
protectionnistes imposées par le gouvernement américain à
l'encontre des producteurs canadiens au cours des dernières
années, de nouvelles lois sont en préparation aux
États-Unis qui accroîtraient encore le danger protectionniste et
l'insécurité des exportateurs québécois. Qu'il
suffise de rappeler la menace du "U.S. Trade Bill" qui vise essentiellement,
premièrement, à rendre obligatoire et à faciliter
l'imposition de droits compensateurs ou de mesures antidumping dès
qu'une concurrence, qui leur apparaît déloyale semble être
démontrée; deuxièmement, imposer des représailles
protectionnistes contre les pays qui montrent un surplus commercial avec les
USA, qui imposent, de manière générale, des
barrières au commerce ou qui appliquent certaines autres politiques
à effet protectionniste; troisièmement, de soumettre à des
négociations commerciales les pays qui n'offrent pas de
réciprocité dans la protection de la propriété
intellectuelle ou le commerce de télécommunications.
Il y a d'autres projets aussi qui sont devant la chambre et qui vous
sont connus. La chambre souhaite donc que le gouvernement du Québec,
comme le gouvernement du Canada, prenne toutes les mesures nécessaires
pour contrer la menace du protectionnisme américain et pour assurer
à nos producteurs un accès continu et sûr au marché
américain.
Le Président (M. Charbonneau): On a un petit
problème de...
M. Racine: De temps.
Le Président (M. Charbonneau): De temps.
M. Racine: Bon.
Le Président (M. Charbonneau): Sans doute, les ex parte,
vos commentaires hors texte, vous ont amené à utiliser plus de
temps que prévu. Il y a peut-être moyen, soit de
synthétiser... On peut vous donner un peu plus de temps, mais, on ne
peut pas vous donner tout le temps, parce qu'il reste encore un autre groupe
avant l'heure du diner.
M. Racine: Est-ce que je peux demander à messieurs les
membres de la commission de me poser des questions sur ce que je pense du
caractère concurrentiel des entreprises québécoises et de
me prononcer aussi sur les sophismes qui circulent quant au changement possible
des taux de change, ce qu'on pense des relations de bénéfices
marginaux entre les deux pays et finalement de ce que l'on pense de la force
relative de nos syndicats québécois, par rapport aux syndicats
américains.
Le Président (M. Charbonneau): Sur ces suggestions de
questions, je suis convaincu que les membres de la commission vont se faire un
plaisir d'en reprendre au moins quelques-unes, ajoutées à celles
qu'ils voulaient déjà vous poser. 5i je comprends bien, cela
mettrait fin à votre présentation?
M. Racine: J'aimerais, M. le Président,
lire deux paragraphes de conclusion, si vous me permettez.
Le Président (M. Charbonneau): Allez-y.
M. Racine: La Chambre de commerce du Québec, donc,
attendra évidemment le texte final du traité de
libre-échange avant de porter un jugement définitif. Mais les
avantages de la libéralisation des échanges sont tellement
massifs pour les entreprises et pour toute la population du Québec, que
nous retirerions notre accord de principe seulement si le traité
arborait trop d'exceptions et n'était pas assez efficace pour
protéger l'accès à notre principal marché
extérieur.
Enfin, la chambre encourage le gouvernement du Québec à
continuer d'appuyer la réalisation du libre-échange
canado-américain et exprime son appui aux gouvernements du Canada et du
Québec dans la poursuite de l'objectifs de la conclusion rapide d'une
entente. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Sur cette conclusion et sur
les questions téléguidées. Je vais immédiatement
céder la parole au ministre du Commerce extérieur»
M. MacDonald: Mme la présidente, messieurs, merci de cette
présentation qu'on a malheureusement été obligé
d'abréger, mais je pense que je puis vous assurer que du
côté du gouvernement - et je dirais la même chose du
côté de chez mon collègue, le député de
Bertrand - on avait déjà pris connaissance de vos
mémoires. Vous vous rappellerez également que aviez
déposé un mémoire et répondu à plusieurs
questions lorsque vous vous êtes présentés devant le
comité Warren, en 1986. Nous connaissions donc votre position.
Je vais aller directement au but et désappointer peut-être
un peu M. Racine. J'ai posé une question aux gens qui se sont
catégoriquement déclarés contre une négociation sur
la libéralisation des échanges avec les États-Unis. J'ai
posé sensiblement la même question à des gens qui
étaient pour, avec plus ou moins certaines réserves. Il est
ressorti des témoignages qu'on a entendus ici que le statu quo pouvait
nous être favorable, surtout de la façon dont vous l'avez
décrit, mais qu'il ne saurait être de statu quo, compte tenu de la
situation de nos voisins du Sud. Vis-à-vis ceci, des gens se sont dits
catégoriquement contre non seulement une entente mais contre la
négociation d'une entente. Vous dites que vous êtes pour et on
pourrait qualifier.
Dans l'éventualité d'un statu quo, et c'est possible dans
le sens qu'il n'y aurait pas d'entente convenue le 4 octobre 1987,
vous-mêmes M. Racine et Mme Saucier qui êtes dans le feu de
l'action - Mme Saucier, je crois que vous avez vécu les
péripéties du bois d'oeuvre en particulier - d'une part, quel
scénario voyez-vous sans entente? Et, s'il n'y avait pas d'entente, que
nous suggérez-vous comme plan d'action?
M. Racine: Sans entente, la question d'un statu quo demeure
tellement hypothétique que je crois que le scénario serait un
élan progressif. Puisque certains secteurs américains ont
démontré leur capacité d'obtenir des pouvoirs de barrer
l'entrée des produits aux États-Unis, je pense que cela a
donné le goût à d'autres de faire de même. Et puisque
la démarche est entreprise et a démontré, du point de vue
protectionniste, son succès, je pense que cette machine-là ne
peut pas s'arrêter. Il y a présentement 400 projets de loi face au
Congrès et cela monte de jour en jour, un projet de loi omnibus se
prépare par le Parti démocrate et cela ne peut pas
s'arrêter. Le statu quo, cela veut dire continuer à se
détériorer, au fond, d'une certaine façon. Entendons-nous
sur le mot "statu quo". Cela devrait demeurer exactement comme on l'a connu
depuis deux ans, à l'exception des malheureux excès dans le bois
d'oeuvre et d'autres qu'on a mentionnés. Pour ma part, je n'ose
répondre à la question du statu quo puisque c'est une question
hautement hypothétique. Cela répond, par le fait même,
à votre deuxième question à savoir quel scénario
voyez-vous s'il n'y a pas statu quo. Il y aurait une
détérioration continue dans nos rapports avec tout ce que cela
implique.
Mme la présidente, vous me permettrez d'ajouter que j'ai
questionné plusieurs entrepreneurs sur la question, des gens qui sont
très connus et qui investissent beaucoup beaucoup d'argent au
Québec et ailleurs dans le monde. Il y a un attentisme de la part de
l'entreprise privée présentement. On se dit que s'il y a
libre-échange, nos investissements se feront au Québec puisque
nous sommes convaincus qu'au Québec nous sommes concurrentiels par
rapport aux Américains. S'il n'y a pas de libre-échange, pour ma
part je ne perdrai pas mon marché que j'ai développé aux
États-Unis, qui représente aujourd'hui 10 000 000 $ et qui
représentera 20 000 000 $ l'an prochain. Je ne perdrai pas ce
marché-là. Si les tarifs me rendent non concurrentiel, je ferai
mes investissements aux États-Unis avec les implications que cela a.
M. MacDonald: C'est très intéressant.
Mme Saucier: Vous me permettez, M. le ministre?
Le Président (M. Charbonneau): Oui.
Mme Saucier: II y en a d'autres qui voudraient intervenir.
M. Toivanen (Mark): M. le Président, je voudrais ajouter
quelques commentaires concernant la compagnie que je représente, Zinc
Électrolytique du Canada Ltée, une filiale de Noranda. Notre
compagnie a bénéficié de marchés relativement
libres et, conséquemment, nous avons fait plus d'expansion au cours de
l'histoire de notre usine, de quelque 25 années. (11 h 45)
Mais, dans le contexte actuel, avec le protectionnisme américain,
ces décisions d'expansion auraient été très
difficiles. Aujourd'hui même, nous sommes en face d'une autre
décision de modernisation majeure. Nous considérons aujourd'hui
que notre compagnie est une des plus compétitives dans le monde. Nous
voyons un besoin de modernisation continuelle de notre usine. Mais aujourd'hui,
nous avons cette incertitude d'axer un marché américain.
Deuxièmement, naturellement le projet de modernisation possède
les économies relativement faibles que le résultat des
technologies qui sont de plus en plus matures et qui ont une tendance à
la diminution dans le prix de toutes les commodités d'un marché
international, y compris le métal de zinc.
Si nous n'avions pas eu cet accès au marché
américain, les conséquences, je crois, seraient que le Canada
aujourd'hui, ne serait peut-être pas le deuxième plus grand dans
le monde, peut-être pas le plus compétitif dans lé* monde.
Et quelle serait la conséquence sur notre industrie minière au
Québec? C'est une question qui est très difficile d'estimer mais
nous avons certainement ici au Québec une industrie qui a eu un
accès relativement libre vers les États-Unis.
Le Président (M. Charbonneau): Un autre commentaire
additionnel?
M. Létourneau (Jean-Paul): Si vous me permettez, M. le
Président, un complément de réponse à la situation
hypothétique s'il n'y avait pas d'entente. Lors de mon récent
voyage aux États-Unis, à Washington et à travers le pays,
j'ai constaté premièrement que le sentiment protectionniste
très fort qui existe aux États-Unis est surtout suscité
par l'attitude des Japonais, des Européens et de certains pays
asiatiques. Les Américains ont l'impression de ne pas avoir là ce
qu'on appelle le "fair-trade". Quand on examine attentivement la
législation que le Sénat et que le Congrès sont en train
de fusionner, le "Trade Act", on se rend compte que c'est beaucoup une
législation qui cherche à donner la leçon à ceux
qui ne savent pas ou qui ne veulent pas faire ce que les Américains
appellent le "fair-trade". Ils sont frustrés de ce
côté.
D'après les observations entendues, il semble qu'ils n'ont pas ce
sentiment à l'égard du Canada. Donc, une des actions à
prendre dans cette éventualité serait peut-être de
bénéficier le plus rapidement possible de ce
préjugé favorable qui existe envers le Canada et de faire notre
lobby immédiatement de telle sorte que lorsque les Américains
prendront des mesures protectionnistes à l'égard de ce qu'on
présume être des actions menées ou des façons de
faire menées par les Japonais ou les Européens, qu'on fasse bien
attention pour que nous ne soyons pas pris dans ce chassé-croisé,
c'est-à-dire que nos produits, nos échanges soient le moins
possible affectés. Nous aurons certainement un gros travail de lobbying
à faire à ce moment.
Le Président (M. Charbonneau): Cela va? Alors, M. le
député de Bertrand, s'il vous plaît!
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Mme Saucier,
de même que MM. les représentants de la Chambre de commerce du
Québec, je vous remercie d'être là ce matin et d'apporter
un point de vue qui, en soi, n'est pas différent de ce que le milieu des
affaires en général a pu apporter jusqu'à maintenant. Mais
il est différent de par l'approche que vous y prenez, à savoir:
Est-ce qu'on peut se payer le statu quo ou est-ce que le statu quo est
payé? Sur la question des emplois, est-ce qu'il faut se poser la
question, à savoir combien d'emplois on va perdre? Alors, vous posez la
question différemment et je pense que vous avez des réponses qui
sont intéressantes.
Je trouve que le travail qu'a fait la Chambre de commerce... Pour avoir
suivi de très près vos activités ces deux dernières
années particulièrement en ce qui a trait au
libre-échange, je sais que la Chambre de commerce du Québec a
été l'organisation certainement la plus représentative non
seulement ici au Québec, mais je pense que vous avez fait vos
représentations aussi à Ottawa. Je vous en félicite, je
pense que vous avez fait un excellent travail de ce côté.
Le voyage effectué par M. Létourneau et quelques autres
collègues au cours de l'été, je pense en juillet ou en
août, si on avait plus de temps, j'aimerais cela en entendre parler
beaucoup plus longuement; c'est sûrement très intéressant
d'être allé sur le terrain pour être capable de nous
rapporter un peu ce qui se passe là-bas. Toutefois, ce matin, on est
limité par le temps. Je peux vous dire, pour ma part, que je suis
d'accord avec l'essentiel de votre mémoire. Ce que j'aimerais quand
même comprendre, c'est certains petits passages de votre mémoire
que je comprends moins bien et peut-être que les éclaircissements
que vous allez m'apporter me permettront de comprendre.
D'abord, je vaudrais souligner le succès formidable qu'a connu,
par exemple, la compagnie Shermag et M. Racine dans un domaine qu'on appelait
des secteurs mous ou des secteurs en déclin. Je l'ai dit à cette
commission et sur toutes les tribunes à tous ceux qui voulaient
l'entendre que vous êtes l'exemple vivant, M. Racine que même dans
un secteur en particulier où on a dit qu'il n'y avait plus rien à
faire - les entreprises fermaient en 1981 et 1982... Vous, vous avez connu une
poussée fulgurante»
Si on analyse le cas typique d'une PME d'il y a quelques années,
qui est devenue maintenant... Ce n'est plus une PME, mais une moyenne
certainement et sur le point d'être une grande entreprise, et
essentiellement vous avez fait deux choses. Je pense que vous avez
poussé à fond l'aspect recherche et développement pour
vous diversifier avec de nouveaux créneaux de marché et aussi
vous avez poussé l'exportation, comme vous le disiez, avec 10 000 000 $
cette année et probablement 20 000 000 $ l'année prochaine, du
côté américan. Cela, il fallait le faire et c'était
osé.
Sauf que lorsque je regarde le contexte québécois de 1987,
je regarde ce que vous représentez, madame et messieurs de la Chambre de
commerce du Québec, vous représentez finalement pas mal toutes
les grosseurs d'entreprises et tous les secteurs d'activité. Je me dis:
le Québec, c'est essentiellement encore une structure de PME;
malheureusement, on n'a pas tous des Shermag, comme on n'a pas tous aussi des
entreprises de produits forestiers Saucier et les autres entreprises que vous
représentez, mais il y a toutes celles qui sont encore à leurs
premières démarches sur des marchés extérieurs dans
le but de faire des percées. Dans ce sens, il me semble important que
vous puissiez nous dire de quelle façon vous voyez l'aide
gouvernementale pour soutenir cette structure, ces PME pour qu'elles soient
capables d'aller faire face au libre-échange alors que, à la page
13 de votre mémoire, vous recommandez, à toutes fins utiles,
d'éliminer, de supprimer la question des subventions aux
entreprises.
Je termine en vous disant qu'il serait important de clarifier cette
dimension ou cette explication de subvention aux entreprises. Est-ce que le
coffre d'outils qui doit accompagner les entreprises pour faire face au
libre-échange dans les prochaines années ne doit pas comporter
certaines aides, peut-être très différentes par rapport
à ce qu'on a connu dans le passé, mais certaines aides,
particulièrement sur deux volets, celui de la recherche et du
développement et celui de l'aide à l'exportation et de s'assurer
que les entreprises québécoises en générai puissent
avoir accès à ce coffre d'outils qui est nécessaire, qui
est une forme d'intervention du gouvernement, mais qui est une forme, à
mon avis, vraiment importante si on veut réussir ce qu'on appelle le
libre-échange qui est en train de s'implanter chez nous, qu'on le
veuille ou qu'on ne le veuille pas.
Mme Saucier: Je pense, M. le Président, qu'on a quand
même des réponses qui font partie du discours habituel de la
chambre de commerce.. Je vais en faire un bout et M. Racine va poursuivre.
Ce que nous avons mentionné jusqu'à présent comme
chambre de commerce, c'est que nous préférons de beaucoup
l'incitatif fiscal aux subventions. Je pense que nous maintenons ce point de
vue parce qu'un incitatif fiscal, c'est aider les entreprises performantes
à être plus performantes. C'est ce que nous voulons. Je pense que
c'est comme cela qu'on construit un Québec économiquement
fort.
Deuxièmement, je pense qu'il faut quand même faire
confiance à l'entrepreneurship québécois et faire
confiance aux employés de ces entrepreneurs. Il faut réaliser
qu'à l'heure actuelle, au Québec, nous avons une force par le
regroupement employeur-employés qu'on n'a jamais eue et qu'il n'y a pas
ailleurs au Canada et aux États-Unis. Les gens comprennent que nous
avons un objectif commun, c'est d'être concurrentiel sur le marché
international. Je pense que cela se comprend, à l'heure actuelle,
à tous les niveaux de la population. Peut-être que je suis
optimiste de nature mais il faut essentiellement faire confiance à cette
nouvelle forme de participation employeur-employés pour atteindre un
objectif: l'internationalisation de nos marchés.
Est-ce qu'il y a de l'aide à l'exportation directe?
Écoutez, personnellement je pense qu'on est capable de faire un grand
bout de chemin. Ce qui est important c'est que le cadre législatif du
Québec nous permette d'être concurrentiels et ne nous encadre pas
de façon trop stricte.
M. Racine: M. Parent, je trouve votre question très
intéressante. Je crois que, actuellement ce qu'on peut appeler la
révolution des émergences ou des émergents - il y a toutes
sortes de vocabulaires qui remplacent les anciens mots "capitalisme",
"socialisme" etc., présentement et d'autres "ismes" semblables - la
révolution du Québec actuellement sur le plan économique
se fait par la voie de l'entrepreneurship. C'est d'abord et avant tout une
question d'entrepreneurs. Il y a deux à trois cents bons entrepreneurs
au Québec. Cela fait boule de neige. Il y a des périodes d'or
comme cela. On dit que le succès vient en grappes mais peut-être
pas à mon âge, mais quand j'ai fait mes humanités on
parlait de
la période d'or de Périclès où on a vu
toutes les choses venir en même temps et générer le
succès par le succès.
On a aussi la Renaissance. Je crois que c'est une forme de renaissance
qui se produit au Québec présentement et que ce que les
entrepreneurs ont compris, c'est qu'il y avait trois pôles importants de
succès dans l'entreprise. Ce qui nous rend condamnés à
réussir probablement sur la scène internationale c'est la
réalisation de ces trois choses. Premièrement, on a accès
à la technologie. Les Américains n'ont pas plus accès
à la technologie que nous. Nos machines sont aussi bonnes que les leurs
et disons que, sur une base limitée, nous avons autant accès au
capital pour acheter cette technologie. Encore faut-il le faire! C'est
l'entrepreneur qui le fait.
Le deuxième pôle c'est le développement des
ressources humaines. L'explication de Mme Saucier est complète à
ce sujet. Encore là, c'est l'entrepreneur qui décide de prendre
des risques sur ses planchers d'usine et de confier en quelque sorte plus de
responsabilités à ses travailleurs "et de les impliquer davantage
à cette sentence de succès dont j'ai parlé.
Finalement, il nous manque une chose: Si c'est vrai que notre
technologie est la même que celle des Américains, si c'est vrai
que nos ressources humaines, à mon avis, sont meilleures qu'aux
États-Unis, il nous manque les dimensions, le marché et tout ce
qui vient avec la dimension. Il nous manque les économies de dimension
lorsqu'on produit avec des plus grosses machines possible et il nous manque les
dimensions lorsqu'on achète la marchandise pour avoir les meilleurs prix
possible et il nous manque les dimensions lorsqu'on embauche du monde pour
avoir les meilleurs possible. Alors, il est en train de se produire, à
cause de ces nécessités, un changement secondaire mais
très important au Québec où on restructure nos secteurs
industriels.
Que ce soit par un effet secondaire du REA ou autrement, nous avons
maintenant de l'argent. Avec l'argent nous pouvons investir et l'investissement
dans de la machinerie plus sophistiquée permet ce qu'on appelle en
termes d'économiste un profit additionnel, un profit qui dépasse
la simple rémunération des administrateurs, un profit qui peut
être totalement réinvesti dans l'entreprise. Nous avons
accès à cela. C'est l'entrepreneur qui le fait. Ces 200 ou 300
entrepreneurs doivent devenir avec le temps 2000 et 3000. Je vous assure que de
ce côté on est en avant de tout le monde. (12 heures)
Quant à la question précise, ma recommandation c'est bien
sûr une recommandation que vous considérerez un peu de droite
comme à l'exemple de Mme Saucier, c'est de ne pas faire grand-chose sur
le plan gouvernemental si ce n'est de mettre en place un institut de recherche
sur l'entrepreneurship. Oonnez-nous cela. Il y a toutes sortes d'instituts de
recherche sur la technologie etc. La technologie, les ressources humaines, les
économies de dimension et ces choses-là vont venir lorsqu'on aura
compris ce qu'est un entrepreneur et qu'on pourra en former des milliers au
Québec.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de
l'Industrie et du Commerce.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Oui, merci, M. le
Président. Madame, messieurs, tout à l'heure vous avez
insisté beaucoup pour dire que, quel que soit le cadre qui peut exister
en matière d'échanges internationaux avec les États-Unis,
il demeure central à la performance de l'économie du
Québec que les entreprises elles-mêmes soient concurrentielles. M.
Racine a suggéré subtilement les questions qu'on pourrait lui
poser afin qu'il termine la démonstration sur laquelle il s'était
engagé. Je vais tenter, d'une part, de répondre à vos
attentes mais surtout essayer de voir pourquoi on ne devrait pas continuer
à avoir ce que mon collègue de Bertrand appelle souvent un coffre
à outils, une capacité d'intervention ad hoc pour appuyer les
secteurs les plus performants et où on identifie les chances de
croissance meilleures que dans d'autres secteurs. Mme Saucier en a
déjà fait état, on le voit dans le mémoire, par des
citations dans certaines de ses interventions sur ce fait central, que nos
entreprises soient concurrentielles.
Par ailleurs, tout à l'heure vous avez évoqué,
madame, que les subventions devraient disparaître graduellement pour
être remplacées par le crédit d'impôt. Je vous ferais
observer qu'il n'est pas évident qu'on aide, par crédit
d'impôt, au moment où elles en ont besoin, les entreprises qui
peuvent être performantes, le crédit d'impôt n'étant
disponible et monnayable qu'au moment où on peut l'appliquer contre des
profits qui, par ailleurs, seraient là ou alors s'il est remboursable,
par opposition aux déductions pour fins d'impôt, on peut attendre
18, 24 mois ou plus longtemps avant de toucher ces sommes qui réduisent
le coût d'investissement du programme. Ne reste-t-il pas dans votre
esprit des interventions financières, monnayables, de l'argent que les
gouvernements peuvent injecter dans des secteurs particuliers, que ce soit dans
des secteurs, selon vous, ou que ce soit dans des activités de quelque
secteur que ce soit. Je pense tout de suite évidemment à la
recherche et au développement.
M. Racine: La question des subventions, c'est simplement pour
nous conserver un
degré de concurrentialité avec notre contrepartie. Si les
Américains continuent à subventionner leurs entreprises de
façon très subtile, il faut que vous les neutralisiez et
là, on est bien obligé d'embarquer et de dire qu'il y alà un élément de concurrence déloyale.
Selon mon expérience personnelle, je peux dire que j'ai
actuellement une offre d'investir aux États-Unis avec une subvention
d'environ 40 % qui viendrait du gouvernement du Massachusetts. Tant que la
existera là-bas, il va falloir que vous nous mettiez sur un "even keel"
comme on dit en anglais, sur un pied d'égalité.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): II faudrait que je vous offre
41 %.
M. Racine: On pourrait négocier. Peut-être qu'ils
offriraient 42 % à ce moment-là. Donc, il faut neutraliser les
gestes qui se posent de l'autre côté.
D'autre part, en ce qui concerne la recherche et le
développement, je rêve au moment où les universités
pourront pourvoir à nos efforts personnels par un bon appui et auront
naturellement, elles, les instruments pour faire une recherche et un
développement appliqués et applicables. Je crois que c'est plus,
si vous parlez de petite et de moyenne entreprises, cela devient un peu farfelu
de penser qu'une usine qui fait 1 800 000 $ de chiffre d'affaires par
année aura son département de recherche et développement.
Alors, "poolons" cela, comme on l'a fait dans les secteurs de la santé
par exemple, et essayons d'aller chercher des économies de dimension
là aussi, soit par des instituts spécialisés ou des
universités etc. Je crois qu'on aurait tous plus avantage à faire
cela et une meilleure appropriation de nos deniers.
Mme Saucier: Si vous permettez, M. le Président, je pense
que, dans ces cas-là, il faut faire de la recherche, il faut qu'on ait
des organismes de recherche, mais il faut aussi s'assurer qu'il y ait des
mécanismes de transfert de cette recherche à la PME et ceci, dans
toutes les régions de la province.
Le Président (M. Charbonneau): Cela va, madame? Alors, M.
le député de Roberval.
M. Gauthier: Merci, M. le Président. Il y a une question
qui nous préoccupe particulièrement depuis le début de
cette commission, et presque tous les intervenants ont fini par en parler.
C'est la question de l'échéancier d'implantation. J'ai cru
remarquer que, selon le fait qu'on soit plus ou moins pour un traité de
libre-échange, on justifiait ou, à tout le moins, on adoucissait
la position en parlant, en définitive, d'échéancier.
L'échéancier peut être modifié en fonction d'un
certain nombre de critères, dont l'état de préparation des
entreprises. Quand on pense à une entreprise comme Shermag, probablement
que le président a envie de dire: Oui, tout de suite demain matin,- j'en
fais déjà, laissez-moi fonctionner. Mais il peut y avoir des
entreprises où le degré de préparation à envahir le
marché américain n'est pas le même. Je pense qu'on en
conviendra.
Il y a également les secteurs qui influencent. Il y a des
secteurs de notre activité économique, qui pour une raison ou
pour une autre, au moment où l'on se parle, demandent une période
d'adaptation plus longue. J'aimerais savoir - c'est ma question à la
chambre de commerce - compte tenu du fait que vous avez une étude fort
intéressante et assez poussée sur le sujet qui démontre
bien. que vos 60 000 membres ont été consultés, j'aimerais
savoir si vous possédez des données ou si vous avez poussé
l'étude quant au fait de l'échéancier par rapport au
secteur ou par rapport à un certain nombre de critères qu'il
faudrait respecter dans la mise sur pied d'un accord de libre-échange.
Est-ce que vous possédez quelque chose dans ce sens?
Mme Saucier: Je pense que l'information qu'on a de nos
différents membres, c'est que l'échéancier devrait
comprendre une période d'à peu près dix ans, globalement,
mais on n'a pas d'étude de faite par secteur, on ne pourrait pas vous
fournir l'information, à ce moment-là.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Vanier.
M. Lemieux: Excusez-moi, mon cher ministre de l'Industrie et du
Commerce.
Mme la présidente, i! y a un aspect plus particulier de votre
mémoire qui attire mon attention, à la page 15, lorsque vous
dites: "Le marché d'État, marché où les
gouvernements et organismes publics acheteurs imposent des critères de
préférence nationale ou régionale devront être
limités. II est dans notre intérêt de trouver des moyens de
supprimer graduellement les contraintes de cette politique." J'ai dans mon
comté, dans le comté de Vanier, beaucoup d'entreprises et
beaucoup de PME qui font preuve d'un certain dynamisme et qui ont
peut-être des problèmes au niveau des investissements sur le plan
de la recherche, du développement, et peut-être aussi certains
problèmes de sous-capitalisation.
Ce que je comprends de ce qui est écrit à la page 15,
c'est que vous nous dites que les politiques préférentielles dans
les achats gouvernementaux devraient être supprimées
graduellement. Première question:
Est-ce à dire que vous souhaitez la disparition de la politique
d'achat chez nous du gouvernement québécois et quel est le
rôle que vous aimeriez voir attribuer à la SDI ou à la
Caisse de dépôt comme outil de développement?
Troisième question: Doit-on maintenir le Régime
d'épargne-actions?
Je terminerai en soulignant, puisque mon confrère citait le
dynamisme dans l'entreprise de M. Michaud, tout le dynamisme, toute l'ouverture
d'esprit du groupe Saucier, sous la présidence de Mme. Saucier. C'est un
obiter dictum, Mme la présidente.
Mme Saucier: Je vous remercie beaucoup. Quant à votre
première remarque, je pense qu'on ne peut pas non plus demander, que ce
soit aux autres provinces, que ce soit aux États américains,
d'ouvrir leur marché à nos entreprises sans leur offrir la
contrepartie. Nous disons que, relativement, on a un intérêt
à se voir ouvrir les portes du marché des États
américains, des autres provinces, je pense que c'est dans
l'intérêt de toutes nos entreprises. II faut quand même
être équitable dans nos propositions; il faudra leur offrir la
contre-partie. Je pense qu'on a réellement à y gagner.
Voulez-vous ajouter quelque chose, M. Létourneau, là-dessus?
M. Létourneau: D'accord, madame. La chambre a toujours
défendu la position que la première politique d'achat chez nous
la plus efficace qui devrait être appliquée, c'est celle d'acheter
québécois à qualité, prix et service égaux,
mais d'avoir ce réflexe automatique chaque fois qu'on achète.
Malheureusement, il arrive encore que ce réflexe ne soit pas
automatique. À ce moment-là, on ne contrevient à aucune
règle du jeu de commerce international. C'est la première chose
qu'on devrait se convaincre de faire tous ensemble. Je pense qu'on pourrait
avancer encore plus dans le développement de nos entreprises avec ce
réflexe automatique.
M. Racine: Je pourrais peut-être vous faire part de mes
réflexions rapides sur le REA. À la question: Est-ce que cela
doit être maintenu? C'est évident que cela doit être
maintenu. On aurait peut-être envie de dire: Une fois qu'on y a
déjà passé, ne le donnez pas aux autres. Mais c'est
évident que cela a produit tellement de bien pour ceux qui sont
passés au REA et qui ont peut-être envie d'y revenir, cela a
coûté cher au gouvernement, c'est la contrepartie, il y a un
"trade-off" entre ce que cela coûte et ce que cela rapporte, mais j'ai
l'impression qu'on atteint à peu près le pool de compagnies qui,
de toute façon sont allées ou iront au REA. J'ai l'impression
qu'avec à peu près 300 compagnies qui sont déjà
passées, il en reste encore de très bonnes, mais il n'en reste
pas autant, il n'y aura pas autant d'afflux vers les REA qu'il y en a eu dans
le passé et il faut maintenir cette culture non seulement de la part de
l'investisseur à l'épargne et à l'encouragement à
la croissance de son économie, mais il faut aussi maintenir le
phénomène d'éducation que produit le REA aussi de la part
de ceux qui deviennent REA, donc, les compagnies "réates", si on peut
les appeler ainsi. Je crois que vous devez le maintenir en pensant que cela ne
sera jamais l'afflux de 1986.
Le Président (Me Charbonneau): Ça va.
M. le député de Vanier.
M. Lemieux: ...concernant la SDI et la Caisse de
dépôt comme outils de développement.
Mme Saucier: Remarquez que c'est une opinion tout à fait
personnelle à ce stade-ci parce que je ne pense pas que la chambre se
soit prononcée ni dans un cas ni dans l'autre, mais il me semble au
premier abord que la SDI a plus un rôle de développement que la
Caisse de dépôt. Celle-ci doit, premièrement, s'assurer de
bien gérer, entre autres nos fonds de retraite et s'assurer d'avoir un
bon retour sur l'investissement; je pense que c'est notre placement collectif
à long terme. Il me semble, en tout cas à première vue,
que la SDI a plus un mandat de développement. Est-ce que vous avez
d'autres remarques à faire?
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Roberval.
M. Gauthier: Oui, une question assez bizarrement sur
l'agriculture. Je remarque qu'à la page 14 de votre mémoire, vous
prenez une position assez révolutionnaire au sujet de l'agriculture,
c'est le moins qu'on puisse dire. Je me demande dans quelle mesure... Puisque
les intervenants du monde agricole sont venus nous faire part de toutes leurs
hésitations pour ne pas dire leur opposition systématique
à être inclus dans un traité de libre-échange, je
voudrais savoir à partir de quoi la Chambre de commerce du Québec
peut proposer pour l'agriculture quelque chose d'aussi révolutionnaire
que de s'associer à la proposition du président Reagan de
supprimer multilatéralement toutes les subventions à
l'agriculture d'ici l'an 2000. J'avoue que c'est peut-être un peu
séduisant comme idée à long terme, mais est-ce que la
chambre a l'expertise suffisante dans ce domaine ou a suffisamment
étudié la question pour y aller aussi franchement et de
façon aussi draconienne?
M. Létourneau: Si vous me permettez, M. le
Président. La question des subventions aux produits agricoles, au niveau
mondial, est devenue vraiment un cul-de-sac. Cela n'a plus de sens. Afin de
pouvoir vendre leur blé sur le marché international, les
Américains ont dû, l'an dernier, injecter, au-delà de 1 000
000 000 $ en subventions à la vente du blé américain. Au
niveau européen, cela n'a plus de sens non plus. On en est rendu
à un point où on dit que 70 % du budget de la communauté
européenne va è des subventions aux produits agricoles, pour leur
vente sur le marché international. (12 h 15)
On dit - petit exemple bien spécifique qui a été
rapporté dans la revue The Economist - qu'un producteur de soya
européen va recevoir, en vertu des subventions disponibles, à peu
près 450 $ la tonne pour la production de soya, alors que le prix
international du soya est de 150 $ la tonne. On encorage, par le biais des
subventions, des productions qui, évidemment, vont grandir, parce qu'on
les subventionne souvent en fonction du coût du producteur marginal et
non pas du producteur le plus efficace. Il y a une surenchère dans tout
le monde qui continue. À ce moment-là, évidemment, il faut
bien comprendre que le Canada est très mal placé quand il arrive
pour mettre son blé en vente sur le marché. Il va l'être de
plus en plus, si cela continue.
Il n'y a qu'une façon de revenir à quelque chose de
raisonnable, c'est de viser la diminution et éventuellement
l'élimination de ces subventions. Évidemment, c'est un projet qui
n'est pas à court terme. Il ne serait pas réaliste de penser que
cela peut se passer du jour au lendemain. Mais, il va certainement falloir que
cela diminue, que cela cesse, cela ne peut pas continuer d'augmenter comme
cela. C'est trop lourd, cela n'a plus de sens. Cela devient quasiment une folie
furieuse. Le président Reagan a, disons, proposé cet objectif
multilatéral.
Évidemment, il n'est pas question pour quiconque d'être le
dindon de la farce, de dire soudainement: Moi, je n'en fais plus aucun.
À ce moment-là, il va mettre son secteur agricole en
péril, cela va de soi. Mais, il faut négocier, sur une base
multilatérale, la diminution des subventions à l'agriculture pour
revenir à des prix de marché, pour revenir à des
productions qui répondent aux besoins du marché et non pas
accumuler des surplus qui coûtent les yeux de la tête aux
consommateurs, aux contribuables.
Le Président (M. Charbanneau): II ne reste plus de temps,
M. le député de Frontenac.
M. Lefebvre: M. le Président, avec votre permission. Ma
question s'adresserait à
M. Racine.
Le Président (M. Charbonneau): Une brève question
et si possible une brève réponse, parce qu'on a un autre
groupe.
M. Lefebvre: Oui, M. le Président. M. Racine, vous avez
résumé de façon assez précise les points forts qui
nous permettraient, et qui nous permettent, selon vou3 et les femmes et hommes
d'affaires du Québec, de considérer que nous sommes et que nous
serions concurrentiels avec les Américains dans le cadre d'une
libéralisation des échanges. J'imagine cependant, et vous en
parlez aux pages 13 et suivantes de votre mémoire, que vous avez
identifié nos points faibles. J'aimerais, M. Racine, que vous
résumiez très rapidement les points faibles sur lesquels ii
faudrait s'attarder et travailler Je pense au gouvernement du Québec
plus particulièrement et aux entreprises. J'aimerais que vous nous
résumiez de quelle façon vous voyez ces points faibles et quelles
solutions on pourrait y apporter,
M. Racine: Du point de vue de l'entreprise, j'aimerais que Mme
Saucier réponde à la question à savoir quels seraient les
points faibles du point de vue politique ou de politique de
développement économique.
Du point de vue de l'entreprise, la difficulté principale
à surmonter présentement est la rapidité avec laquelle on
restructurera nos secteurs économiques. Je m'explique en prenant un
exemple qui est celui que je connais mais qui n'est pas différent dans
les autres secteurs. II y a actuellement 975 manufacturiers de meubles au
Canada qui produisent 1 400 000 000 $ de produits en gros. Si vous faites le
compte, cela représente à peu près 1 600 000 $ par
entreprise qui fabrique des meubles au Canada. On ne peut pas faire une
industrie forte avec des secteurs industriels aussi morcelés. Il faut
donc que des consolidations et de la rationalisation soient faites.
J'ai tout un dictionnaire de mots pour vous expliquer ce qu'il faut
faire et cela se résume à une chose, il faut devenir plus gros,
il faut atteindre rapidement la masse critique, dans chacune de nos
entreprises, pour être capable d'être au moins aussi gros que le
producteur moyen américain. La preuve est faite qu'on peut le faire. Le
succès de notre libre-échange ne se fera pas sur le plan
macro-économique. C'est une guerre de tranchées, une guerre d'une
entreprise ou d'une industrie d'abord qui est en concurrence avec une autre
industrie de l'autre côté de la frontière, une guerre d'une
entreprise qui est en concurrence avec une autre entreprise de l'autre
côté qui est sur
la même niche. C'est donc une guerre de tranchées qui se
fait au niveau des entreprises.
Il faut que nos entreprises se reconsolident, il faut des fusions
rapides. Je pense que la' grande difficulté, si on parlait
d'échéancier de dix ans, comme on l'a dit tantôt, si c'est
dix ans, tant mieux, cela nous aidera à passer à travers cette
difficulté de la dimension restreinte de nos entreprises et de devenir
gros. Il faut donc voir comme extrêmement encourageant que les REA
consolident partout actuellement et achètent d'autres entreprises. Cela
protège tout le monde et, je dois le dire, même ceux qui vendent
à ceux qui existent déjà ou ceux qui ont envie de grossir
ne sont pas malheureux de cette situation, au contraire. Je pense donc que
cette difficulté sur le plan micro-économique de consolider tous
nos secteurs industriels n'est pas surmontée à ce moment-ci.
Peut-être qu'il y aurait là des discussions possibles sur le plan
des encouragements gouvernementaux, non pas sous forme de subvention mais
d'incitation ou même simplement d'éducation pour que les secteurs
industriels grossissent.
Mme Saucier: Je pense que dans le cas d'une libéralisation
des échanges avec les États-Unis et dans le cas de
l'internationalisation de nos marchés, on l'a
répété et on le répète, ce qui est important
pour nous c'est que nos entreprises soient concurrentielles. Alors, je pense
que tous les efforts de déréglementation, d'allégement de
tout l'appareil législatif que le gouvernement peut faire pour aider nos
entreprises à rester et à devenir de plus en plus
concurrentielles seront les bienvenus. Tous les efforts que le gouvernement
peut faire pour diminuer le fardeau fiscal des entreprises par
l'intermédiaire de coupures de dépenses gouvernementales, cela
aussi sera bienvenu. Je vous remercie.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Face
à l'intervention que vous venez de faire, M. Racine et aux
réponses qui m'ont été fournies précédemment
concernant l'aide, l'intervention du gouvernement, ce que j'aimerais vous dire
d'une part, c'est qu'il y aurait lieu de se poser des questions parce que je
trouvais l'analyse que vous en avez faite tantôt pas mal extraordinaire,
à savoir que si on a aujourd'hui un entrepreneurship
québécois qui se porte bien, c'est peut-être parce qu'on
arrive dans une bonne période.
La question que je me pose, que je vous pose et que je pense qu'en tant
que société on doit se poser c'est qu'est-ce qui a fait qu'on en
est là aujourd'hui? Une partie de la réponse, je pense qu'elle
est le genre de support, le genre d'intervention qu'ont connu les entreprises
et les chefs d'entreprise québécois au cours de ces
dernières années. Je dis bien une partie.
Si le gouvernement du Québec n'avait pas, et c'est au-dessus de
la politique, mais si le gouvernement des dernières années, si
les gouvernements des dernières années n'avaient pas mis
certaines politiques de l'avant, certains supports, par exemple,
l'accessibilité au régime d'épargne-actions,
l'accessibilité à la bourse, on ne connaîtrait pas
aujourd'hui ce qu'on connaît. Il y avait une barrière. Vous avez
dit tantôt qu'il y a une éducation à faire. Je suis
totalement d'accord avec vous. C'est le rôle du gouvernement d'être
capable d'inciter les entreprises. Le rôle que le gouvernement du
Québec se doit d'avoir à mon avis, se doit de continuer d'avoir,
c'est d'être incitatif. Si aujourd'hui on a des PME, des dirigeants de
PME qui ont pensé avoir accès au capital et aller à la
Bourse, c'est parce qu'un jour on les a aidés, on les a aidés
avec différents moyens.
Je conviens d'une part que les moyens peuvent changer parce qu'on est
rendu dans une autre étape. Je suis d'accord avec vous, sauf que le
gouvernement, à mon avis, l'État québécois se doit
de continuer à jouer un rôle important et, entre guillemets,
interventionniste.
Si, pour la recherche et le développement, le gouvernement, par
des politiques, comme vous l'avez mentionné, d'ordre fiscal, oui, mais
aussi par d'autres politiques vraiment incitatives pour faire en sorte qu'on
aille augmenter l'argent de tout le monde finalement pour pousser la recherche
et le développement... On n'y arrivera pas si on demande, comme vous le
disiez tantôt, à la petite entreprise, qui fait 1 800 000 $ de
chiffre d'affaires, d'aller investir 300 000 $, 400 000 $ ou 500 000 $ dans la
recherche et le développement. Sauf que ceux qui ont réussi,
normalement, c'est par là qu'ils ont passé. On ne réussira
pas, à mon point de vue, si on ne fait pas jouer un rôle actif
à la Société de développement industriel, comme
dans les années 1981 à 1985 plus particulièrement, si on
ne réussît pas à faire jouer un rôle actif à
la Caisse de dépôt et placement du Québec et à la
Société générale de financement... On ne serait pas
ce qu'on est aujourd'hui en tant que Québécois dans les
différentes sociétés, dans le domaine des pâtes et
papiers que madame connaît très bien, on ne serait pas aussi bien
positionné si on n'avait pas eu ce support.
Ce que je veux vous laisser comme message, je pense qu'il y a eu
assurément des apports qui ont été faits, qui ont fait
qu'on est ce qu'on est aujourd'hui, plus le fait que les
Québécois commencent à développer un sentiment de
fierté. Ils n'ont
plus peur, comme ils avaient peur il y a à peine cinq ans, et je
pense que cela est extraordinaire. Là-dessus, je vous demanderais vos
commentaires puisque la parole ne me reviendra pas, je n'ai plus de temps.
À la page 15 - c'est un autre volet, mais il est impartant pour
la réussite du libre-échange - de votre mémoire, vous
mentionnez que pour être capable de réussir très bien et
très rapidement le libre-échange, il va falloir abolir les
barrières interprovinciales et, si possible, que cela soit fait avant
qu'entre en vigueur comme tel le libre-échange, c'est-à-dire
avant les périodes de transition. Là-dessus, j'aimerais vous
entendre parce que c'est drôlement important. Toutes ces barrières
tarifaires interprovinciales, Dieu sait si on en a plusieurs à abattre
et je me demande même si le gouvernement a commencé à
négocier de ce côté. Merci.
Mme Saucier: Je pense, M. Parent, que nous reconnaissons
volontiers le rôle de l'accès au capital qu'ont eu nos
entrepreneurs au Québec, de façon à acquérir de
nouvelles technologies. Je pense qu'on reconnaît cela et c'est un fait.
Mais il y a un élément qui, je pense, est oublié dans tout
ce discours. C'est que le Régime d'épargne-actions du
Québec a joué un autre rôle aussi, celui d'éducation
économique de notre population. Je pense que cela a fait qu'aujourd'hui
notre population, de façon générale, est beaucoup mieux
informée du fait économique. Quand nous discutons avec nos
employés, on peut, aujourd'hui, parler le même langage. Ils
comprennent nos objectifs et ils les partagent. Je pense qu'il y a le capital
argent qui est un fait, mais il y a aussi le capital humain qui est une
ressource qu'on commence à utiliser, mais dans un sens très noble
au Québec. Je pense que cela est une ressource fondamentale sur laquelle
on doit se baser pour continuer à prendre de l'expansion.
Cette ressource humaine comprend nos entrepreneurs. Sans eux, je pense,
c'est bien beau avoir accès au capital, c'est bien beau avoir des gens
bien formés mais il faut aussi qu'il y ait quelque part un entrepreneur,
un leader qui ait une étincelle et qui soit capable de mettre tout cela
ensemble pour réussir un projet. Je m'excuse, je crois qu'effectivement
les différents organismes gouvernementaux peuvent, à plus ou
moins court terme, jouer un rôle dans le développement du
Québec. Ce qui fait la force du développement du Québec
aujourd'hui ce sont nos entrepreneurs dans toutes les régions.
M. Racine: M. Parent, savez-vous que, dans la plupart des
secteurs industriels au Canada, il y a eu plus de retraits en dividendes qu'il
y a eu de subventions accordées aux mêmes entreprises. Autrement
dit, la masse de subventions du MEER c'est comme si elle était
passée à travers un panier percé, puisque les
entrepreneurs se sont voté autant de dividendes qu'il y a eu de
subventions versées. Cela met en doute l'efficacité du
régime de subventions.
II y a une chose différente qui s'est produite au Québec.
Les gens ont compris l'importance de réinvestir leurs dividendes. Je
pense que le REA - on pourra en discuter longtemps - je suis sûr que le
REA est la forme d'éducation dont on avait besoin pour garder l'argent
dans notre entreprise. D'autant plus qu'on a une alternative, si on veut de
l'argent; c'est de vendre nos papiers à d'autres. Alors, on laisse
l'argent de nos entreprises fonctionner. J'appartiens à un secteur
où, l'an passé, il y a moins de 2 % du chiffre de vente de
réinvestis dans la technologie. Chez nous, on a réinvesti 21 % de
notre chiffre de vente l'an passé. L'éducation qu'on a prise -
cela revient souvent à cela - est très importante. (12 h 30)
Je dois vous souligner aussi que les secteurs les moins
subventionnés au Canada sont ceux qui exportent davantage
présentement. Notre tableau no 1 vous permettra de juger de la
véracité de cette assertion. Enfin, je dois vous dire qu'il y a
eu d'autres facteurs. Tout ce que vous avez souligné, c'est vrai. On a
toujours un élément de vérité lorsqu'on fait une
bonne analyse comme celle que vous faites et votre élément de
vérité est important.
II y a une chose qui n'a pas été mentionnée ici. Je
vais prendre un chapeau qui est complètement différent de celui
du vice-président de la Chambre de commerce parce que je ne suis pas
sûr que, comme groupe, je serai supporté là-dessus. On a
aussi une énorme évolution du côté syndical au
Québec. Les syndicats maintenant font partie du développement
économique de notre système. Je rends souvent hommage à la
plupart des centrales syndicales de prendre une approche aussi - comment je
dirais? -compréhensive, aussi économique et aussi pragmatique,
face aux difficultés auxquelles on fait face.
Lorsqu'on parle de gestion participative, c'est un nouveau vocabulaire
pour dire, on n'est plus seuls à mener les entreprises, on les
mène avec nos employés et nos employés sont
organisés avec leurs syndicat. On le fait dans le plus grand respect des
dénominations et des prérogatives des syndicats. Ce genre, encore
là, d'approche, est nouveau et je peux vous assurer qu'il n'y a pas
beaucoup d'Américains, à part ceux qui écrivent des
livres, qui prennent une attitude comme celle-là aux États-Unis.
J'ai deux usines semblables et je fais la même production dans les deux
usines. Là-bas, j'ai le
stationnement du "boss", j'ai le bureau du "boss", j'ai tout ce qu'il
faut du "boss". Cela n'existe pas ici. On est démocratique et on traite
nos employés comme du monde. C'est un peu tous ces facteurs qu'il
faudrait analyser et est-ce que je peux me permettre de revenir à ma
marotte de créer un institut d'entrepreneurship pour qu'on examine
toutes ces affaires-là et qu'on en fasse des éléments
culturels à moyen terme.
Le Président (M. Charbonneau): Sur cette suggestion, je
vais demander au ministre du Commerce extérieur de conclure.
M. MacDonald: Mme la présidente, messieurs, il y en a qui
avaient suggéré au départ de cette commission
parlementaire qu'on n'apprendrait pas grand-chose. Eh bien, moi, j'en ai appris
ce matin comme j'en ai appris la semaine dernière et s'il y en a qui
n'ont rien appris, c'est parce qu'ils n'ont pas compris.
Si jamais vous suggérez d'adopter une autre marotte, le discours
que vous avez tenu devrait, à mon avis, et c'est mon appartenance,
à ce groupement qui est le vôtre aujourd'hui et le monde des
affaires dans lequel j'ai été... Ce que vous avez expliqué
n'est pas assez expliqué à l'intérieur même des
entreprises. S'il y avait une marotte - j'utilise votre terme - que j'aimerais
vous voir adopter avec vos collègues, ce serait celle de dialoger plus,
d'expliquer plus effectivement et de parler de libre-échange et de
libéralisation des échanges et les sujets connexes que vous avez
mentionnés aujourd'hui, à l'intérieur des entreprises que
vous représentez.
Je vous remercie beaucoup de votre présence. Bonjourl
Le Président (M. Charbonneau): Alors madame, messieurs, il
ne me reste qu'à vous remercier au nom des membres de la commission
d'avoir participé à cet exercice. Dans votre cas comme dans le
cas de quelques organismes particuliers, ce n'est qu'un au revoir parce que je
suis convaincu qu'on aura une autre consultation particulière sur un
autre sujet d'ordre économique où la Chambre de commerce sera
à nouveau à la table des invités. Merci beaucoup et bon
retour.
J'invite maintenant le dernier pour cet avant-midi, le Conseil
d'intervention pour l'accès des femmes au travail du Québec.
Alors, on va suspendre quelques instant, le temps que nos invités
prennent place.
(Suspension de la séance à 12 h 34)
(Reprise à 12 h 4l)
Le Président (M. Charbonneau): Alors nous accueillons
maintenant le Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail
du Québec Inc. Mesdames, bonjour. Comme vous le savez sans doute nous
avons des règles du jeu particulières qui, malheureusement, sont
toujours un peu enfreintes, heureusement pour les invités d'ailleurs.
Alors on a une heure globalement pour la discussion, une vingtaine de minutes
au départ pour la présentation de votre point de vue et par la
suite le reste du temps est réparti de part et d'autre pour la,
discussion avec les membres de la commission.
Alors je demanderais à la responsable de la
délégation, je ne sais pas laquelle d'entre vous va agir comme
responsable, de présenter sa compagne et immédiatement engager la
présentation du mémoire.
CIAFT
Mme Simard (Micheline): Je me présente, Micheline Simard
et ma compagne du Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au
travail du Québec Inc., Mme Lise Leduc.
Alors, le Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au
travail du Québec Inc., le CIAFT, apprécie l'opportunité
qui lui est offerte de faire connaître son point de vue sur la
libéralisation des échanges avec les États-Unis. Dans un
premier temps Lise nous présentera brièvement notre association,
ses objectifs et rappellera les principaux dossiers dans lesquels CIAFT est
intervenu. Dans un deuxième temps elle vous fera part de nos
réflexions sur un éventuel accord de libre-échange entre
le Canada et les États-Unis et les conséquences
qu'entraînerait une telle entente pour les Québécoises. Et
enfin je soulignerai quelques aspects essentiels sur lesquels les gouvernements
ne devraient ni céder des pouvoirs ni réduire des marges de
manoeuvre, sinon les travailleuses et les femmes en générai
verront perdus ou érodés les quelques acquis des dernières
années.
Mme Leduc (Lise): Alors n'étant pas tout à fait
aussi connu que les intervenants qui nous ont précédées,
je vais situer le CIAFT. C'est un regroupement provincial d'intervenantes qui
travaille à l'intégration des femmes au marché du travail.
Le CIAFT compte environ 150 membres individuels et quelque 30 membres, groupes
associés. Par le biais de ses membres il est en contact régulier
avec quatre ou cinq femmes annuellement. Notre philosophie d'intervention est
fondée sur le fait que l'autonomie des femmes passe d'abord par
l'autonomie financière et que celle-ci s'acquiert par un accès
permanent au marché du travail. Depuis cinq ans, le CIAFT intervient de
façon continue et soutenue dans les champs d'action reliés au
travail, à l'éducation et à
l'économie. Toutes ses interventions visent à promouvoir
l'accès des femmes au travail.
L'histoire et nos interventions antérieures, tant dans le dossier
de l'accès à l'égalité, de la formation
professionnelle et des changements technologiques nous ont
démontré que les femmes ne peuvent compter sur un
équilibre naturel qui guidera les forces de la société,
dont font partie les forces du marché, afin de leur permettre de prendre
leur juste place dans la vie économique du pays. Elles doivent
plutôt compter sur des interventions qui changent les règles du
jeu en leur faveur. Un accord de libre-échange qui limiterait les
possibilités de telles interventions ne pourrait qu'être nuisible,
à notre avis, à l'avancement des conditions de vie
économique des Québécoises.
C'est à partir de ces constatations que le CIAFT a voulu
présenter à la commission de l'économie et du travail le
fruit de ses travaux et de ses réflexions. Nous souhaitons que le
gouvernement québécois tienne compte des besoins particuliers des
femmes dans le développement de sa position concernant les
négociations sur la libéralisation des échanges
commerciaux entre le Canada et les États-Unis. Les positions
émises dans le présent mémoire ont reçu l'appui de
divers groupes de femmes du Québec dont la Fédération des
femmes du Québec, l'Ère des centres de femmes du Québec,
le Comité de condition féminine de la CSN, la
Fédération des familles monoparentales et autres.
Alors, entrons maintenant dans le vif du sujet. Certaines instances
économiques de même qu'une partie de la société en
général voient dans le libre-échange une recette magique
pour résoudre l'essentiel des problèmes économiques
actuels. Ce sentiment repose sur l'idée qu'une entente de
libre-échange permettrait aux entreprises canadiennes et
québécoises d'augmenter leur productivité par
l'accès à un marché de 100 000 000 de consommateurs. Or,
il existe aux États-Unis des disparités régionales qui ne
se résorbent pas même si à l'intérieur du pays le
libre-échange existe et fonctionne sans entrave majeure.
Par le présent mémoire, le CIAFT veut attirer l'attention
sur d'autres pistes de réflexion moins hasardeuses, à notre avis,
que le libre-échange et plus susceptibles d'améliorer la
situation des travailleurs et des travailleuses et qui pourraient tout autant
améliorer la situation économique québécoise et
canadienne.
Avant tout, le CIAFT croit fermement à une politique de
plein-emploi mettant en place un ensemble d'institutions, de programmes et de
mesures visant à assurer un emploi à toute personne qui
désire travailler. Par emploi, nous entendons un emploi productif,
librement choisi, faisant appel aux compétences déjà
acquises ou qui peuvent être développées grâce
à une formation appropriée. D'ailleurs, des pays comme
l'Autriche, la Norvège, la Suède ont réussi à
résorber le chômage et à démontrer qu'une politique
de plein emploi est loin d'être une utopie.
La reconnaissance de la valeur primordiale du travail
rémunéré en tant que moyen privilégié de
réalisation personnelle et sociale permet de relier les citoyens les uns
aux autres. Le travail s'avère aussi la meilleure façon d'obtenir
un développement économique dynamique et harmonieux, de
même qu'une croissance constante de la richesse collective et une plus
juste répartition de celle-ci. Pour développer une telle
politique, il est important que le gouvernement ait une approche plus
interventionniste sous forme de mesures fermes, de nature légale ou
réglementaire, afin que les travailleurs et particulièrement les
travailleuses puissent occuper la place qui leur est due. Un recours exclusif
aux forces du marché et aux vertus de la concurrence n'est pas une
politique de plein emploi et ne règle pas systématiquement tous
les problèmes économiques. Nous craignons qu'une politique
économique axée sur le libre jeu des forces du marché ne
contribue qu'à accroître le niveau de pauvreté des
femmes.
Pour illustrer ce que nous entendons par des mesures interventionnistes,
qu'il nous suffise de rappeler ce que le CIAFT a toujours revendiqué
pour les travailleuses: des programmes d'accès à
l'égalité, des modifications à la Loi sur l'aide sociale,
des mesures d'accès à la formation professionnelle et
l'application de l'obligation contractuelle. Rappelons aussi que ces
revendications visent essentiellement la participation active de toutes les
femmes à l'amélioration de la vie économique
canadienne.
À l'encontre d'une politique de libre-échange dont la
philosophie risque de mettre en cause divers programmes sociaux, nous
préconisons l'augmentation de ces mesures en établissant, entre
autres, un réseau universel et subventionné de garderies. Un tel
réseau répondrait aux besoins depuis si longtemps exprimés
par celles qui pourraient ainsi participer plus activement à la vie
économique du pays.
Dans le même ordre d'idées, une interrogation subsiste,
à savoir si la philosophie sous-jacente au libre-échange pourrait
entraver l'octroi de subventions nécessaires à la mise en place
de programmes d'accès à l'égalité. Ces subventions
pourraient-elles être considérées comme un soutien
déloyal à la production canadienne tout comme le furent les
programmes d'aide aux pêcheurs de fond? De plus, les législations
nécessaires ne s'inscrivent pas dans une perspective non
interventionniste.
Les gouvernements ont aussi tendance à remettre en question trop
rapidement la pertinence de maintenir l'ensemble des programmes sociaux dans
leur forme actuelle. L'inclination en matière de protection et de
justice sociale depuis environ une décennie va dans le sens d'une
érosion progressive de plusieurs des caractéristiques qui furent
à la base de leur construction. Par exemple, on remet en cause de plus
en plus l'universalité des programmes et, particulièrement, celui
des allocations familiales qui touchent les femmes. On remet en cause un
système d'aide sociale basé sur le besoin, mais on veut lui
substituer un système d'aide sociale basé sur le mérite.
Inutile de souligner que, dans de telles perspectives, les femmes seront les
premières perdantes en tant que bénéficiaires majoritaires
de ces services.
Afin d'appuyer notre point de vue sur le sujet, nous constatons que,
depuis dix ans, le régime de sécurité de la vieillesse et
l'aide aux familles deviennent de plus en plus sélectifs. Les
récentes dispositions qui élargissent les conditions
régissant les REER et les régimes privés de retraite
illustrent bien que la protection du revenu à la retraite devient de
plus en plus une question de responsabilité individuelle plutôt
que collective. Soulignons encore que les femmes sont les premières
perdantes dans une telle politique. Il faut se rappeler que trois femmes sur
cinq âgées de 65 ans et plus vivent sous le seuil de la
pauvreté. En outre, seulement 1 % des femmes qui ont travaillé
à temps plein ont accès à un régime
privé.
Pour ce qui est du programme d'assurance-chômage, nous avons connu
des resserrements successifs depuis 1975. Le débat public qu'a
suscité la commission Forget laisse planer une probabilité non
négligeable d'un régime canadien se rapprochant davantage de
celui des Américains. Cela pourrait signifier, entre autres, un
resserrement des conditions d'admissibilité, une baisse du taux de
remplacement du revenu, l'adoption d'une formule de financement avec
cotisations modulées en fonction du risque de chômage. Cette
perspective illustre bien à la fois la tendance actuelle des pouvoirs
économiques et l'influence de la philosophie sociale américaine
sur la tradition canadienne.
Le CIATF réaffirme donc qu'une politique de plein-emploi est le
meilleur moyen pour rééquilibrer l'ensemble de notre
économie. La situation actuelle d'une grande majorité de femmes
faisant partie de la population active démontre qu'elles sont peu
scolarisées, ou avec une scolarité non pertinente ou non
transférable, et dépendantes des sources gouvernementales. Ces
dernières occupent des emplois mal rémunérés,
précaires dans des secteurs en perte de vitesse. Alors, peu importe les
secteurs qui subiront les pertes d'emplois, ce seront les femmes qui seront les
plus affectées.
L'analyse du profil actuel des travailleuses canadiennes
révèle que 64 % des travailleurs et travailleuses- au salaire
minimum sont des femmes, que 70 % des travailleurs et travailleuses à
temps partiel sont aussi des femmes et que 66 % des femmes occupent des emplois
dans seulement dix professions, quand on sait qu'il y a 500 professions
où elles pourraient être présentes. Nous savons aussi que
moins de 1 % de la main-d'oeuvre féminine, en 1981 comme en 1971,
occuppait des métiers relativement bien rémunérés
comme mécanicien ou mécanicienne. Tous ces faits nous font douter
très fortement des possibilités pour les femmes d'accéder
aux emplois de haute technologie qui seraient créés,
paraît-il, à la suite de l'accord de libre-échange.
Je vais maintenant céder la parole à Micheline pour le
deuxième volet de notre intervention.
Mme Simard: Même si le CIAFT s'oppose globalement à
l'établissement du libre-échange, particulièrement parce
qu'il rejette la vision sociale qui y est sous-jacente, il propose, dans la
perspective où cela sera, quelques éléments que le
gouvernement québécois devrait soutenir dans sa position afin que
les travailleuses québécoises soient protégées par
un éventuel accord de libre-échange. N'oublions pas que nous
formons 47 % de la population active du Canada.
Tout d'abord, il ne faut pas éliminer les séries de
mesures mises au point par les divers gouvernements canadiens pour aider les
régions défavorisées ou pour aider certains secteurs, soit
à surmonter des difficultés passagères, soit à
émerger vers de nouveaux domaines. Il y a là une question de
justice sociale qui seule peut maintenir une paix sociale nécessaire
à l'évolution économique.
Les interventions de l'État visant à orienter le
développement économique de façon à mieux
répartir la richesse entre les individus et à lutter contre les
disparités régionales sont en lien direct avec l'évolution
de la situation économique des femmes et leur accès au
marché du travail. Cela mérite explication. Dans les situations
où les disparités régionales s'accentuent, les
travailleurs doivent changer de coin de pays ou de province pour trouver des
emplois. Ainsi, les femmes mariées qui travaillent doivent le plus
souvent quitter leur emploi pour suivre leur conjoint parce que le salaire de
ce dernier est plus élevé que le leur. Pour la même raison,
elles ne peuvent songer à se relocaliser si elles perdent leur emploi.
Les partisans du libre-échange répondent à ces
inquiétudes en parlant de comportements d'adaptation que les
travailleurs doivent
développer. À cela, il faut rétorquer que pour les
femmes cela signifie s'adapter à des salaires inférieurs et
à des conditions de travail allant en se détériorant ou au
retour à la dépendance économique vis-à-vis du
conjoint ou vis-à-vis de l'État.
Également, il ne faut pas éliminer les subventions
nécessaires à l'orientation du développement industriel.
Au Québec, le phénomène est maintenant bien connu, le
dynamisme économique repose en grande partie sur la PME. C'est là
que se crée un nombre important d'emplois et il est admis aussi que
c'est là que les femmes trouvent du travail. On y retrouve, d'ailleurs,
de plus en plus de femmes dirigeantes, sans tomber dans l'euphorie
nécessairement. Alors, céder aux Américains, qui demandent
la disparition de toute intervention gouvernementale susceptible d'être
vue comme un moyen de concurrence déloyale, c'est créer des
difficultés plus que sérieuses aux PME, car ce sont elles qui
auraient le plus de mai à s'ajuster à la concurrence
américaine; qu'on pense aux économies d'échelle. Les
gouvernements québécois et canadien doivent donc préserver
leur droit d'orienter le développement industriel. C'est une
particularité qui fait consensus auprès de la population et des
développeurs économiques.
Il faut être particulièrement attentif à la place
des femmes dans les mesures de recyclage. Il est admis qu'advenant une entente
sur le libre-échange un grand nombre de travailleurs et de travailleuses
devront se recycler à la suite de la disparition de leur emploi. Il est
aussi connu que les femmes, particulièrement celles qui font partie du
secteur perdant, bénéficient peu des programmes actuels de
recyclage, soit parce qu'elles ne sont pas suffisamment scolarisées,
soit parce que leur rôle familial leur laisse peu de marge de manoeuvre
pour respecter les horaires établis, soit parce qu'on les incite peu ou
pas à s'orienter vers les secteurs où elles n'ont point coutume
d'aller, soit, enfin, parce qu'on les considère trop âgées
pour subir un recyclage majeur. Le gouvernement devra donc trouver des
solutions à ces difficultés et s'assurer que les femmes ne soient
plus, encore une fois, les grandes perdantes.
Être particulièrement attentif à la situation des
femmes dans la mise en place des mesures de recyclage relève du fait
qu'elles seraient les plus durement touchées par les pertes d'emplois.
En effet, rappelons qu'elles occupent plus de 65 % des emplois dans le secteur
manufacturier, lequel sera particulièrement affecté par les
pertes d'emplois.
Une autre inquiétude concernant le volet du recyclage
réside dans le fait qu'ici au Québec le gouvernement joue un
rôle premier et nécessaire en ce domaine par ses politiques et ses
actions de formation professionnelle. Or, aux États-Unis c'est en grande
partie laissé aux entreprises elles-mêmes, toujours sous
prétexte de laisser jouer les forces du marché. Ainsi, puisque
les entreprises américaines en assument les coûts, elles
pourraient considérer comme déloyal le fait que les gouvernements
canadien et québécois paient en grande partie cette note. Sans
revenir sur les raisons énumérées ci-dessus qui
démontrent comment les femmes éprouvent des difficultés
considérables à profiter des mesures de recyclage, il
apparaît clairement que les travailleuses seraient nettement perdantes si
les gouvernements québécois et canadien ne défendaient
plus le pouvoir d'orienter, de planifier et de soutenir de façon
importante les mesures de recyclage et de formation professionnelle. Nous
croyons que l'intérêt des femmes dans ce domaine est plus
susceptible d'être protégé par les gouvernements que par
les entreprises privées.
Maintenant, il faut être prudent aussi quant aux ententes portant
sur le secteur des services. Peu d'informations sont connues sur la teneur des
ententes éventuelles concernant les services. Pourtant, il s'agit
là d'un domaine où il faut être extrêmement prudent.
On ne doit pas libéraliser les échanges avant de pousser au
maximum l'étude et l'analyse. Cette prudence tient essentiellement aux
quelques éléments suivants. L'économie américaine
est de plus en plus axée sur la production de services, les entreprises
de production de biens ayant tendance à déplacer leurs
activités vers des pays où la main-d'oeuvre coûte moins
cher. Par voie de conséquence, les Américains vont chercher
à s'ouvrir de nouveaux marchés pour exporter ces services sous
peine de voir leur déficit commercial s'accentuer gravement. Or, au
Québec, une femme sur deux travaille dans les secteurs des services
socioculturels, commerciaux, personnels, des finances, des assurances et des
affaires immobilières. Entre 1981 et 1983, par exemple, 89 % des emplois
créés dans ces secteurs ont été occupés par
des femmes.
Pour éviter un développement anarchique dans le domaine
des services, les gouvernements interviennent sans cesse soit en exigeant des
licences professionnelles, soit en installant des politiques d'achat
préférentielles pour les entreprises de services locales, soit en
imposant des restrictions aux banques et aux compagnies d'assurances
étrangères ou soit en limitant l'exploitation des entreprises
étrangères de transport et de communication. Cela illustre assez
bien la nécessité d'intervenir en ce domaine et de ne pas faire
table rase des interventions gouvernementales sans s'assurer des effets d'une
telle entreprise.
En résumé, prudence et études sérieuses sont
nécessaires avant d'inclure le secteur
des services dans des ententes de libre-échange.
Pour conclure, le présent mémoire ne vise pas à
affiner des études déjà faites par des
spécialistes, ni à présenter une avalanche de faits et de
chiffres. Essentiellement, il veut aller au fond des choses et élargir
le débat en situant les discussions actuelles sur le plan d'une vision
sociale qui considère la femme comme l'égale de l'homme. Une
telle vision est une condition indispensable à l'évolution de la
société québécoise et canadienne. C'est pourquoi il
est considéré comme plus important d'établir une politique
de plein-emploi que des ententes de libre-échange. En soi, le
plein-emploi et le libre-échange ne s'opposent pas. Us s'opposent en
Amérique du Nord parce qu'ils relèvent de deux conceptions
sociales opposées. Pour réaliser une politique de plein-emploi,
il faut consentir à accepter un gouvernement interventionniste, alors
que, pour se lier davantage aux États-Unis il faut accepter un jeu de
forces où le gouvernement intervient le moins possible.
Cependant, si des ententes de libre-échange étaient
inévitables, elles ne devraient pas l'être à tout prix. Il
est essentiel que des pouvoirs d'intervention soient maintenus et
défendus avec fermeté. Cela est important pour la
société québécoise et canadienne. Cela est
essentiel pour les Québécoises et les Canadiennes. (13
heures)
Le Président (M. Charbonneau): Merci beaucoup. Je vais
d'abord céder le fauteuil présidentiel au député
des Îles-de-la-Madeleine qui va me remplacer jusqu'à la fin de la
séance. Par la suite, le ministre du Commerce extérieur va
immédiatement engager la discussion. M. le ministre.
M. MacDonald: Merci. Mesdames, merci beaucoup de votre
présentation et de votre présence ici que je considère
particulièrement importante. On m'a avisé que nous attendions la
représentation de deux groupes de femmes et il semble que vous serez le
seul. Je crois que vous avez votre place dans ce débat et je suis
content que vous soyez ici aujourd'hui.
J'aimerais bien être capable de ne pas réciter les litanies
que j'ai récitées la semaine dernière et j'en ai
répété quelques-unes aujourd'hui, mais, malheureusement,
je dois chercher en quelque sorte à vous réconforter - rassurer
est probablement un meilleur terme - vu certaines inquiétudes qui sont
les vôtres face à une entente éventuelle sur la
libéralisation des échanges avec les États-Unis.
Nous pourrions discuter - peut-être qu'on pourra le faire plus
tard - des avantages et des désavantages d'une politique de plein-emploi
avec intervention gouvernementale massive vis-à-vis des forces du
marché. Mais je pense que je vais revenir plutôt en arrière
et vous dire que vos préoccupations majeures, qui se retrouvent,
d'ailleurs, dans vos conclusions, visent les éléments non
négociables qui avaient été identifiés par le
gouvernement canadien et dont je vous ai fais parvenir copie dans les
conditions de l'appui du Québec à un accord de
libre-échange. Sur l'ensemble des inquiétudes que vous avez, je
ne peux que vous assurer que nous avons fait nos devoirs. Nous avons
consulté à l'intérieur comme à l'extérieur
du gouvernement. Nous sommes encore en consultation, nous avons encore appris
des choses aujourd'hui qui peuvent servir dans la finalisation et les
détails de la position du Québec. J'aimerais me sentir
rassuré et savoir que j'ai pu éliminer certaines de vos
inquiétudes au moment où vous allez sortir de cette enceinte.
J'aimerais, par contre, vous demander si vous avez pris en
considération toute cette politique de protectionnisme qui se
développe aux États-Unis à un rythme effarant. La raison
principale pour laquelle le Canada s'est inscrit dans une négociation
avec les États-Unis et pour laquelle les provinces et le Québec
ont décidé de s'y associer, c'est afin de se protéger en
grande partie contre les effets négatifs que ce protectionnisme peut
avoir, c'est-à-dire la menace directe aux "jobs" actuelles
détenues par des Québécoises et des
Québécois.
Vous avez vu l'usage de façon quasi cavalière que certains
organismes ont fait de leurs "Trade Remedy Laws", particulièrement des
inscriptions de causes en droit compensatoire. Il y a là-bas une
façon de faire qui nous dicte qu'il ne peut y avoir de statu quo.
Après avoir fait nos devoirs, après avoir regardé et
écouté, nous en avons conclu qu'à l'intérieur des
paramètres principaux que je vous ai donnés il y avait lieu
d'entamer avec les États-Unis une négociation visant à
protéger nos acquis. Si on pouvait en ressortir également avec
une plus grande libéralisation de nos échanges et une plus grande
protection des actions unilatérales, on serait gagnant. Mais cela peut
ne pas marcher et il se peut que l'on se retrouve le 5 octobre...
En dehors de cette politique de plein-emploi, auriez-vous une ou des
suggestions -et vous admettrez que j'ai posé exactement la même
question à ceux qui vous ont précédés - qui
pourraient nous permettre en dedans d'un délai, si on tient pour
acquis... Tout le monde est à peu près d'accord qu'avec le
déficit de la balance commerciale qu'ils ont et vu qu'ils sont
maintenant débiteurs, on en a encore pour plusieurs années avant
d'être à l'abri de ce réflexe protectionniste des
Américains. Pour nous protéger de ceci, auriez-vous des
recommandations quelconques que vous pourriez nous faire?
Mme Simard: L'ensemble du mémoire qu'on vient de
déposer apporte déjà une piste de solution en dirigeant
les orientations vers une politique de plein-emploi.
Je voudrais, quand même, vous sécuriser en disant: Nous
sommes conscientes, nous des groupes de femmes, des difficultés
économiques dans lesquelles se situe présentement le Canada. Nous
sommes conscientes des pertes de marché international qu'il a subies ces
dernières années. Nous sommes conscientes aussi que le
gouvernement faisait de grands efforts pour essayer de contrer ces pertes de
marché et la solution qui a été envisagée a
été celle de la libéralisation des échanges entre
les États-Unis et le Canada.
Nous disons: C'était une solution, mais il y en avait d'autres.
En particulier, il y avait celle de dire: On va avoir un gouvernement,
finalement, plus interventionniste encore, mais, cette fois, en changeant les
cibles. Autrefois, ces interventions étaient particulièrement
dirigées soit vers les entreprises, soit vers les bien-nantis. On se
dit: Pour enrayer le taux de chômage, il serait peut-être
nécessaire d'orienter directement ces interventions vers la
création directe d'emplois. Par la création directe d'emplois et
l'aide aux entreprises et au développement régional, on finirait
par créer des entreprises dynamiques capables de s'ouvrir sur un
marché mondial d'exportation.
Mme Leduc: Est-ce que je pourrais rajouter là-dessus que
la peur du protectionnisme n'est pas mieux que la peur du grand marché
et de la concurrence? Ce n'est pas parce qu'on a peur des mesures
protectionnistes qui vont venir qu'on ne doit pas voir d'autres issues.
Évidemment, notre étude du libre-échange s'est
limitée un peu aux effets sur les femmes. On ne prétend pas
être expertes, etc. Seulement, je pense que, dans les lectures que nous
avons faites et les documents que nous avons consultés, il y en avait
qui disaient que la politique de libre-échange ne protégerait pas
nécessairement contre toutes les mesures protectionnistes et qu'on
pourrait se retrouver avec une politique de libre-échange et quand
même avoir des mesures protectionnistes dans divers domaines, et que les
Américains les demanderaient. C'est dans ce sens qu'on se dit qu'on ne
serait pas nécessairement protégé du protectionnisme par
le libre-échange, quand on nous dit que c'est la raison pour laquelle on
devrait à tout prix privilégier cette solution.
M. MacDonald: Je suis content que vous ayez qualifié vos
dernières paroles, parce qu'on est d'accord: il n'est pas question de
verser dans une entente quelconque à tout prix.
Le président (M. Charbonneau: m. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Je tiens, d'abord, à remercier Mme
Simard et Mme Leduc pour cette excellente présentation. Malheureusement,
vous serez probablement le seul groupe qui viendra nous donner ce son de
cloche, mais je trouve intéressant qu'à la commission, au
gouvernement et à tous ceux qui suivent les débats sur le
libre-échange et qui veulent y apporter des éléments
positifs pour faire en sorte qu'on vive les meilleures conditions possible vous
puissiez apporter ie son de cloche que vous apportez ce matin.
Si on se souvient de l'exposé d'ouverture que j'ai fait
moi-même à cette commission mardi dernier cela va exactement dans
le même sens que ce que nous avons préconisé de ce
côté-ci, en tant qu'Opposition à l'Assemblée
nationale et non pas en tant qu'opposition au libre-échange; c'est bien
différent. Ce que nous avons préconisé, essentiellement,
c'était d'aller de l'avant avec une politique globale de plein-emploi.
Vous y rajoutez un élément important, cette dimension de
l'accessibilité pour les femmes tant sur le plan du recyclage que de la
formation professionnelle. Je trouve cela important parce que, de plus en plus,
la femme prend sa place, ici au Québec, sur le marché du
travail.
Je déplore l'absence de Mme la ministre
déléguée à la Condition féminine, mais je
suis persuadé que le ministre va s'assurer que votre mémoire lui
parviendra pour qu'elle connaisse toutes vos préoccupations. Vous savez,
c'est beau, l'exercice qu'on fait, mais s'il ne va pas au-delà, cela
restera des belles paroles. Lorsque vous mentionnez que vos
préoccupations sont à l'égard particulièrement de
cette politique de l'emploi qu'on n'a pas, je vous dis: II faut le dire tout
haut, il faut prendre toutes les tribunes qui vous sont accessibles, il vous
faut faire positivement le meilleur lobbying possible, bien sûr, au
Québec, mais vous comprendrez aussi que, dans ce domaine, on n'a pas
tous les outils pour agir.
Ma préoccupation - je l'ai déjà mentionnée
à cette commission et je la répète ce matin parce qu'elle
est impartante - c'est que, si le gouvernement du Québec ne va pas
négocier rapidement auprès du gouvernement d'Ottawa les outils
d'intervention et la capacité financière qu'on se doit d'aller
récupérer pour être capable de faire cette formation, je
pense qu'on va manquer littéralement le bateau. J'avais un peu
l'impression que, si on voulait signer une entente - quand je dis "on", je veux
dire le gouvernement fédéral - au plus tard le 4 octobre, les
provinces et le Québec auraient dû revendiquer, en matière
de main-d'oeuvre et de formation de la main-d'oeuvre, des choses très
particulières pour être en
position de force dans les négociations. Une fois que ce sera
signé et qu'on aura donné notre oui de principe - ce qui risque
de se passer dans les prochains jours, voire dans les prochaines heures - je
trouve qu'on sera bien mal placé pour revendiquer des enveloppes
budgétaires, oui, d'une part, mais plus que cela, je pense qu'il va
falloir restructurer et mettre sur pied toute cette politique globale du
plein-emploi.
Vous le dites à la toute fin de votre mémoire et je trouve
cela très bien. Je cite votre phrase à la page 13: "Cela illustre
assez bien la nécessité d'intervenir en ce domaine et de ne pas
faire table rase des interventions gouvernementales." D'autre part, vous nous
dites qu'il y a un dilemme particulier et c'est là-dessus que va porter
ma question. "Pour réaliser une politique de plein-emploi, il faut
consentir à accepter un gouvernement interventionniste, alors que, pour
se lier davantage aux États-Unis, il faut accepter un jeu de forces
où le gouvernement intervient le moins passible." Il y a un dilemme et
vous posez très bien votre problématique.
Je pense qu'on a devant nous un gouvernement qui se veut, en vertu de
ses politiques, non interventionniste et à la lumière de ce qu'on
a, à moins que vous n'ayez des informations que nous n'avons pas, je me
demande comment, pour réussir vraiment le libre-échange et
réussir* ce que vous appelez une politique de plein-emploi, si le
gouvernement n'intervient pas, il va être capable d'aller de l'avant et
de réussir une politique de plein-emploi s'il se veut non
interventionniste. En tant que groupe, qui représentez quelque 150
personnes, plus une trentaine d'entreprises, groupes ou associations, est-ce
que vous avez fait vos démarches, par exemple au cours des derniers
mois, auprès du gouvernement, auprès des ministres responsables
autant de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu que de la
Condition féminine, pour porter ce message? Est-ce que vous avez eu des
réponses satisfaisantes à ce sujet pour vous assurer qu'on va
aller dans ce sens?
Mme Simard: Pour répondre à votre question,
à savoir si les groupes de femmes se sont penchés sur le sujet,
je dirai que le CIAFT s'est penché depuis ses débuts sur une
politique de plein-emploi. Vous savez, nos moyens sont assez limités; on
n'a pas les moyens de faire un lobbying très important ou très
structuré, comme certaines grandes entreprises ou grands groupes
canadiens. Par contre, on est toujours à l'affût de tout ce qui
sort au sujet du plein-emploi et on a fait des pressions auprès des
ministres tant québécois que canadiens en vue de
l'établissement d'une politique de plein-emploi. (13 h 15)
Pour nous du CIAFT en particulier, il y a une idéologie qui
sous-tend une politique de plein-emploi. De tout temps, les femmes ont choisi
une société juste, donc, une société axée
sur des riches moins riches et sur des pauvres moins pauvres. C'est ce qu'a
donné, à l'heure actuelle, la société canadienne.
Lorsqu'on se promène à l'intérieur du pays, je pense que
le lien qui unit les Canadiens ensemble, c'est cette société avec
une justice plus grande, si on se compare, à l'heure actuelle, aux
États-Unis où on va voir des disparités beaucoup plus
grandes en ce qui concerne les richesses et la répartition des mesures
sociales.
Je vous remercie beaucoup pour l'appui que vous nous accordez en ce qui
concerne une politique globale de plein-emploi et soyez certain qu'on va
continuer à la demander et à faire des pressions pour que, s'il y
a accord de libre-échange, on respecte quand même les femmes,
qu'on considère l'importance des femmes sur le marché du travail
et qu'elles ne soient pas les premières perdantes dans cette signature
éventuelle.
Est-ce que tu veux ajouter quelque chose?
Mme Leduc: Je voudrais ajouter ceci sur la première partie
de l'intervention. Dans le fond, vous nous informez qu'on est le seul groupe de
femmes qui se présente devant vous. On le savait un peu et cela tient,
selon une remarque que Micheline vient de faire, aux ressources humaines et
financières. C'est pour cela que nous avons envoyé notre
mémoire parce qu'il faut faire avec les moyens du bord. Les autres
groupes de femmes qui ne sont pas ici sont représentés par notre
intermédiaire. J'ai mentionné tantôt la
Fédération des femmes du Québec, la
Fédération des familles monoparentales. Nous avons, quand
même, reçu l'appui de divers groupes provinciaux de femmes qui ne
pouvaient pas se permettre de se présenter en commission parlementaire.
C'est par ce biais que nous suppléons au manque de moyens et autres.
Cela aurait été très intéressant, pour nous aussi,
que d'autres groupes de femmes se présentent parce qu'elles auraient
probablement, selon leur spécificité, apporté une autre
lumière. Nous, c'est vraiment l'accès au travail. Alors, on s'est
penché beaucoup plus sur ce volet dans notre intervention. Elles
auraient pu parler beaucoup plus en profondeur des programmes sociaux et de
tout le reste parce que, quelquefois, c'est leur problématique.
Je voudrais aussi dire que nous avons fait parvenir une copie de notre
mémoire au cabinet de Mme Gagnon-Tremblay. Elle en est informée,
elle est au courant de notre présentation.
Le Président (M. Farrah): Merci, Mme
Leduc.
M. le ministre.
M. MacDonald: Je vais vous livrer un petit secret qui ne sera pas
un secret longtemps: Mme Gagnon-Tremblay aurait bien aimé être
ici. Ce n'est pas la première fois que je la représente car,
lorsqu'elle est en dehors du pays, c'est moi qui suis le ministre
délégué à la Condition féminine. Je suis un
peu sensible à l'existence du CIAFT et à votre position.
Fondamentalement, au départ, et vous avez raison, nous avons des
philosophies différentes pour tendre vers le plein-emploi. Notre
orientation ou notre façon de faire est différente, mais notre
objectif est exactement le même, et je pense que vous êtes d'accord
avec moi. Également - je suis obligé de le faire depuis
très longtemps, d'ailleurs - je veux rassurer mon collègue du
comté de Bertrand en lui disant qu'il n'est absolument pas question pour
le gouvernement de sacrifier tous ses moyens d'intervention. Je vous
réfère au document que je vous ai livré; au paragraphe 3
des conditions de l'appui du Québec, on dit: "Maintient sa marge de
manoeuvre nécessaire pour atteindre les objectifs de modernisation et de
développement de son économie dans toutes les régions,
etc."
J'aimerais conclure en vous disant qu'effectivement il faut être
vigilant pour s'assurer, advenant une entente, que les femmes ne ressortent pas
dans une position pire que les hommes. Il faut, en fait, que toutes les
personnes soient respectées dans la conclusion d'une entente. Je puis
vous assurer que ceux qui sont chargés de ce dossier, Mme
Gagnon-Tremblay et ses collègues, n'ont jamais manqué, en cours
de discussion et d'élaboration de notre dossier, de notre position, de
nous rappeler cet élément. On ne l'a pas oublié et il
n'est pas question, non plus, de l'oublier. Merci beaucoup de votre
présentation.
Le Président (M. Farrah): Merci, M. le ministre.
M. le député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Je prends bonne note des propos du
ministre. Encore une fois, je dis qu'il faut croire en la bonne foi puisque le
ministre nous demande depuis une semaine de croire en lui. Tout ce que je puis
dire, c'est que le débat ne fait que commencer parce qu'on aura beaucoup
de suivi de dossiers.
En ce qui a trait à votre représentativité, je
pense que c'est bien que vous ayez apporté des commentaires
tantôt. Ce n'était pas négatif dans le sens de dire que
vous êtes les seules, je pense que vous venez au nom de plusieurs groupes
et cela est important parce que la voix que vous apportez est une voix multiple
qui fait un large consensus de ce côté-là, si je comprends
bien.
Un volet que vous ne touchez pas ou que vous effleurez à peine et
sur lequel j'aimerais peut-être entendre vos propos, c'est celui de
l'entrepreneurship féminin qui s'affirme de plus en plus. Il y a de
mémoire, trois ans, je participais à un premier colloque sur
l'entrepreneurship féminin qui était mis sur pied par Dina
Lavoie, de l'École des hautes études commerciales. On prenait
conscience, finalement, qu'il y avait de ce côté-là une
prise en charge importante des femmes qui avaient le goût de faire leur
marque en affaires, de s'affirmer et de réussir. Les statistiques
démontrent, d'ailleurs, un très haut pourcentage, beaucoup plus
haut que les hommes qui démarrent du côté des affaires,
probablement à cause de cette détermination et de cette
ténacité qui caractérisent très souvent les femmes.
Je pense que vous auriez certainement avantage à être capables de
préciser davantage le genre de soutien auquel vous vous attendez, ce que
je me plais à appeler, comme marotte si on veut, le coffre d'outils dont
les femmes auront besoin.
Au niveau de l'entrepreneurship féminin, il y a eu des choses
d'enclenchées depuis quelques années, c'est tout récent,
mais beaucoup reste à faire. Je pense, pour en rencontrer
régulièrement qui sont dans le milieu des affaires, qu'elles sont
dans une jungle. Je peux vous dire que, sans l'interventionnisme bien
placé et bien structuré du gouvernement, elles ne pourront pas
passer à travers, pas plus que les hommes. Mais vu que c'est plus
fragile, que c'est dans un état de démarrage et les conditions
sont parfois difficiles, je pense que ce serait impartant que vous puissiez
avoir de l'aide en tant que groupe dans ce secteur d'activité, en plus
de toutes les travailleuses dans les différents secteurs.
Vous mentionnez aussi que la structure québécoise, ce sont
des PME. Vous dites que les femmes ont une importance au niveau du travail dans
ces petites et moyennes entreprises. Je pense que les syndicats ont, de plus en
plus, une préoccupation et je vous encourage aussi de ce
côté à faire en sorte que vos messages de revendication
passent bien par cette porte parce que je pense qu'ils peuvent être aussi
d'excellents défenseurs et porte-parole de votre cause.
Alors, mes commentaires de la fin -parce que je ne voudrais pas, non
plus, abuser du temps, on se doit de reprendre cet après-midi - c'est de
vous remercier pour ce que vous avez apporté, de vous être
déplacées, d'avoir bâti ce mémoire. Vous savez, il y
a quelques personnes dans cette enceinte du salon rouge, mais les moyens de la
télévision nous permettent maintenant de véhiculer nos
idées et de rejoindre beaucoup
plus de personnes. Je pense qu'aujourd'hui vous avez fait un travail
important et je vous encourage à continuer. J'espère que vous
recevrez l'appui du gouvernement et tout le soutien dont vous avez besoin.
Merci.
Le Président (M. Farrah): Alors, Mmes Leduc et Simard, du
Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail du
Québec Inc., c'est avec plaisir qu'on vous a entendues ce matin. Au nom
des membres de la commission, je vous remercie de vous être
déplacées.
Sur ce, je suspends les travaux jusqu'à 15 heures.
(Suspension de la séance à 13 h 24)
(Reprise à 15 h 7)
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Bon après-midi, mesdames, messieurs. La commission de
l'économie et du travail reprend sa consultation générale
sur la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et
les États-Unis. Cet après-midi, nous recevrons, d'abord, le
Mouvement Québec français, qui sera suivi de l'Association des
fabricants de meubles du Québec et de l'Institut canadien des textiles.
En soirée, nous recevrons le Parti indépendantiste, puis
Trans-Impex et, finalement, l'Association provinciale des assureurs-vie du
Québec.
M. le secrétaire de la commission, y a-t-il des remplacements? M.
le député.
M. Cannon: M. le Président, s'il y a consentement de mes
collègues, M. Lemire, député de Saint-Maurice,
remplacerait M. Ghislain Maltais, le député de Saguenay.
Le Président (M. Charbonneau): Nous sommes convaincus que
nous faisons une grande acquisition à la commission de l'économie
et du travail.
M. MacDonald: II faut se rendre à l'évidence.
Le Président (M. Charbonneau): Voilà. Je vois que
le ministre est d'accord avec moi. On est souvent d'accord. Sans plus tarder,
nous allons inviter le Mouvement Québec français. Si les
porte-parole du Mouvement Québec français veulent prendre place
à la table des invités. Je reconnais un visage qui nous est
familier, M. Bouthillier. M- Bouthillier et vos collègues,
bienvenue.
M. Bouthillier (Guy): Merci.
Le Président (M. Charbonneau): J'imagine que vous
connaissez un peu les airs de la maison. Pour vous les rappeler, nous avons une
heure d'échanges cet après-midi; d'abord, 20 minutes pour la
présentation de votre point de vue ou de votre mémoire et, par la
suite, le reste du temps sera réparti entre les membres de la commission
pour la discussion. Ce que je vous demanderais de faire avant de commencer
l'exposé, c'est présenter les gens qui vous accompagnent et, par
la suite, engager la présentation.
Mouvement Québec français
M. Bouthillier: Je vous remercie, M. le Président.
Mesdames et messieurs les ministres, M. le représentant de l'Opposition
officielle, mesdames et messieurs les députés, je veux d'abord
vous présenter, si vous voulez, ceux qui ne sont pas ici, c'est
paradoxal. Vous savez que le MQF est composé de dix organismes; on ne se
déplace pas toujours les dix à la fois. Cinq de nos organismes ne
sont pas ici aujourd'hui; je vous en rappelle les noms: l'Alliance des
professeurs de Montréal, la FTQ, le Mouvement national des
Québécois, la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal, l'Union des artistes. Ceux qui sont ici - et là je vous
présente mes amis - à mon extrême gauche, donc à
votre extrême droite, M. André Gaulin, qui représente
l'Association québécoise des professeurs de français; M.
Henri Laberge, qui représente la Centrale de l'enseignement du
Québec; M. Maurice Boucher, ici à mon immédiate gauche,
qui représente la CSN; M. Léo Vigneault, à mon
immédiate droite, qui représente l'UPA, l'Union des producteurs
agricoles et, à l'extrême droite, c'est-à-dire à
votre extrême gauche, M. Guy Cloutier, qui représente l'Union des
écrivains du Québec.
On a fait parvenir au service de l'Assemblée nationale, il y a
huit ou dix jours, un texte auquel on a substitué cette version
définitive. J'en ai confié 25 exemplaires à M.
Bédard, le secrétaire de votre commission. C'est ce texte que je
vais vous présenter, bien entendu. Sans plus tarder, si vous voulez, je
vous le présente. On pourra passer à la...
Le Président (M. Charbonneau): Dans la mesure où
vous le pouvez, essayez de vous limiter au délai.
M. Bouthillier: Dans les 20 minutes?
Le Président (M. Charbonneau): Bon, parfait!
M. Bouthillier: Dans les 20 minutes.
Le Président (M. Charbonneau): C'est cela, merci.
M. Bouthillier: Le peuple du Québec, vous le savez, lutte
depuis toujours pour sa
langue. Dans ce combat inégal, il revient de loin. Mais, on le
sait aussi, il a, ces dernières années, marqué des points.
Les points qu'il a marqués, c'est, bien entendu, grâce à
l'action de l'État qu'il les a marqués, cet État qui a mis
enfin la force du droit du bon côté de la balance dans le rapport
de forces qui nous oppose au quart de milliard d'anglophones, que vous
connaissez.
En première ligne de ce combat qui dure depuis deux
siècles, c'est, bien entendu, le Québec français et le
Canada anglais qui s'affrontent. Mais les États-Unis sont là
aussi, qui pèsent de leur poids si lourd et si naturellement
unilatéral. Comment pourrait-il en être autrement, eux qui sont si
près de nous et nous si près d'eux, et probablement pas seulement
par la géographie?
Or, voici qu'on voudrait, par quelque projet de libre-échange,
resserrer un petit peu plus encore les liens qui unissent notre économie
à la leur. Ajouté aux autres liens si nombreux et si divers qui
nous unissent déjà aux Américains, cela ne pourrait pas ne
pas engager notre être tout entier, c'est-à-dire notre langue,
notre culture, notre identité. C'est précisément pour
cette raison que le MQF est ici devant vous et il vous remercie de bien vouloir
l'entendre.
On ne connaît pas le détail du texte d'un éventuel
accord; on nous permettra de le regretter. Mais je crois qu'au-delà des
versions possibles d'un éventuel texte il y a des vérités
fortes, des réalités et des facteurs lourds. Et, de
ceux-là, on peut en discuter parce qu'ils existent* Nous voudrions ici
attirer votre attention sur deux d'entre eux. Le premier: ce projet de
libre-échange s'annonce au nom du "moins de frontières", bien
entendu, c'est-à-dire au nom de l'affaiblissement de ce qui nous
sépare d'un pays avec lequel nous avons déjà si peu de
frontières. Surtout, ce projet de libre-échange est
annoncé au nom du "moins d'État", c'est-à-dire - j'attire
votre attention là-dessus - au nom de l'affaiblissement de cet
instrument qui a si puissamment contribué à renforcer l'armature
sociale et économique de notre langue et de notre culture, à
aider notre peuple à prendre enfin prise sur la réalité
moderne et nos artistes, nos écrivains, nos créateurs à
exprimer cette réalité et cette vision des choses.
Deuxième facteur lourd sur lequel nous attirons votre attention:
si nous, en tant que Québécois, nous avons notre histoire
à nous des rapports des langues et des cultures, les États-Unis,
eux aussi, ont la leur et elle est caractérisée par deux traits:
à l'extérieur, par une volonté expansionniste servie par
la puissance et, bien entendu, par la bonne conscience que l'on sait et,
à l'intérieur, par une mise en subordination naturelle de toutes
les autres langues et de toutes les autres cultures, réduites sinon au
néant, en tout cas, à l'insignifiance sociale et politique.
Cette histoire, cette réalité d'aujourd'hui aux
États-Unis ont façonné chez eux un comportement de masse
inhospitalier - c'est une litote - aux choses de l'étranger. De toute
évidence, l'esprit de 177é, le message de la statue de la
Liberté, s'ils s'adressent aux individus, ne s'adressent pas, en tout
cas, aux langues et aux cultures. Cet inintérêt - et là
aussi, je suis poli - cette fermeture aux choses de l'étranger, notre
Ti-Coq national l'a apprise hier à ses dépens, tout comme
aujourd'hui l'auteur du Déclin qui ne pourra faire franchir efficacement
la frontière à son oeuvre qu'en laissant les Américains la
naturaliser, c'est-à-dire au fond la dénaturer. Et ce n'est
évidemment pas ce M. André-Philippe Gagnon qui viendra nous
contredire, lui qu'on ne laisse passer que parce qu'il leur apporte ce qu'ils
ont déjà. (15 h 15)
Cette incompréhension, cette réduction à la
caricature, le Québec français, mais aussi le Canada anglais en
ont souffert, en particulier aux mains de cette puissance qui s'appelle
Hollywood. Pierre Berton a écrit là-dessus un ouvrage capital
qu'il faudrait tous aujourd'hui prendre le temps de relire. Cette attitude
profonde des Américains, façonnée par l'expansionnisme
extérieur et le laminage à l'intérieur et que ne changent
pas fondamentalement les bons mots que l'on entend actuellement sur le
thème du pluralisme culturel aux États-Unis, cette attitude
profonde, dis-je, s'exprimerait avec d'autant plus de vigueur, d'autant plus de
naturel, d'autant plus de bonne conscience à notre endroit que les
Américains auraient demain moins qu'aujourd'hui encore le sentiment
qu'une frontière existe entre eux et nous. Décidément, ce
n'est pas demain la veille que les Américains vont se transformer en
consommateurs de biens culturels québécois.
Cette difficulté que les Américains ont d'accepter notre
différence, quand cette différence est réelle, qu'elle
dérange et qu'elle n'est pas purement folklorique, les auteurs de la 101
en savent déjà quelque chose et, avant eux, les lecteurs du
rapport Fantus. Mais elle est beaucoup plus ancienne, elle remonte même
aux origines de nos deux peuples. The Quebec Act de 1774 a provoqué la
réaction que l'on sait chez les révolutionnaires de 1776 et, plus
près de nous, on sait la conséquence qu'a eue, aussi bien en 1917
qu'en 1941, l'entrée en guerre des États-Unis sur l'affrontement
qui opposait Canadiens français et Canadiens anglais sur la question de
la conscription.
Moins d'État, moins de frontières, plus grande
intimité avec le grand voisin si massivement anglophone et si bien
claquemuré dans ses propres habitudes culturelles. C'est bien entendu,
toute notre
armature culturelle, c'est l'ensemble de nos industries culturelles,
c'est-à-dire ces industries porteuses de notre langue que sont la radio,
la télé, le cinéma, le disque, le livre, etc., qui se
trouveraient ainsi mises à découvert. Non seulement, en effet,
ces industries culturelles ne profiteraient-elles, dans cet arrangement,
d'aucun débouché nouveau à l'extérieur, mais encore
et surtout elles se verraient confrontées à un renforcement de la
concurrence extérieure, pourtant déjà assez forte, on le
sait, et dont même le Canada anglais sait, au moins, depuis la commission
Aird de 1929, qu'elle doit être contrée et que seul l'État
chez nous a les moyens de le faire.
Menace, venons-nous de dire, pour notre armature culturelle, mais menace
aussi pour notre langue et sa charte de 1977, notamment pour les dispositions
comme celles sur l'étiquetage qui ont trait à l'échange de
biens ou encore comme celles qui ont trait à l'établissement des
personnes (langue d'enseignement, langue des professionnels) comme celles
enfin, celles surtout - nous attirons votre attention là-dessus - sur la
langue du travail.
S'imagine-t-on que c'est en ouvrant un peu plus notre système
politique à la pression des entreprises et des pouvoirs publics
américains, croit-on vraiment que c'est en faisant s'aboucher un peu
plus directement encore nos cadres et nos administrations avec ceux de nos
voisins, pense-t-on sincèrement que c'est en installant un peu plus
profondément encore dans nos esprits l'idée que c'est de
là-bas et de là-bas seulement que coule le Pactole, bref,
s'imagine-t-on que c'est par une de ces formules de libre-échange avec
les États-Unis que l'on va donner quelque consistance et quelque
assurance aux positions encore incertaines et fragiles de notre langue comme
langue du travail, de l'encadrement et du commandement économique?
Cette menace sur notre langue et sur notre culture, c'est de deux
façons qu'elle pèserait sur notre législation
linguistique. D'abord, elle pèserait sur l'État sans lequel cette
loi n'aurait pas vu le jour, lequel, même s'il ne voyait pas nier les
compétences qui sont les siennes, se verrait du moins confronté
à une nouvelle et puissante source de pression qui, conjuguée
à quelque intérêt intérieur - il s'en trouverait
bien - viendrait l'affaiblir dans son action et peut-être même -
pourquoi pas? - le paralyser dans sa volonté.
Mais, plus fondamentalement encore, ce resserrement des
économies, cette fusion des marchés, cette intimité plus
grande entre eux et nous, joints aux autres choses que nous avons
déjà en commun avec eux, ne risquent-ils pas, en nous
décentrant un peu plus encore du Québec, d'altérer les
attitudes profondes d'identité et d'appartenance qui sont à la
source même de notre loi 101? Ce serait une menace d'autant plus grave
qu'elle n'agirait qu'à long terme, c'est-à-dire insidieusement,
mais qui pourrait fort bien faire dire, un jour, à nos enfants, selon le
titre qui a coiffé une réflexion de Fernand Dumont, "Parlons
américain si nous le sommes devenus".
Dans cette affaire et devant ce tableau, le Mouvement Québec
français tire les conclusions et propose les perspectives suivantes.
Premièrement, à l'évidence, le libre-échange avec
les États-Unis constitue une menace trop grave pour notre langue, pour
notre culture et pour notre identité nationale. Le peuple du
Québec ne doit donc pas laisser les gouvernements du Québec et du
Canada l'entraîner dans cette voie. Deuxièmement, plutôt que
de se fourvoyer dans cette voie, les gouvernements du Québec et du
Canada devraient s'engager résolument à renforcer, aussi bien aux
frontières qu'à l'intérieur, toutes ces industries de la
culture et de la communication qui constituent l'armature de notre
identité nationale et de notre langue. Troisièmement, pour sa
part, plus directement, le gouvernement du Québec, lui, doit s'employer
à renforcer la législation linguistique en prenant, notamment,
les dispositions suivantes.
Premièrement, sur le plan de la langue des échanges
commerciaux, étiquetage, mais aussi tout le reste: documentation,
publicité, etc., trop d'entreprises, on le sait, celles de
l'extérieur, bien entendu, mais même aussi celles de
l'intérieur, se comportent impunément comme si cette disposition
était lettre morte ou allait bientôt le devenir. Le gouvernement
doit donc renforcer le dispositif d'application de ces articles en
reconnaissant à tout citoyen québécois, comme, du reste,
vous le savez, cela avait été fait en ce qui concerne
l'étiquetage des produits alimentaires, le droit de dénoncer
directement toute contravention à un tribunal pénal sans avoir
à passer par un appareil bureaucratique qui, de toute façon,
serait très vite engorgé.
Deuxième élément de renforcement de l'appareil
linguistique: sur le plan scolaire, les courants d'immigration, qui se
renforceraient éventuellement dans l'hypothèse d'un
livre-échange, qui existent déjà en provenance des
États-Unis et d'autres pays anglophones conduiront tôt ou tard les
anglophones de ces pays à réclamer pour leurs enfants exactement
le même droit à l'école anglaise que celui qui est
actuellement reconnu aux anglophones du Canada anglais. Pour parer à
cette éventualité, à cette menace, comment plus
naturellement canaliser vers l'école française ces futurs
immigrants qu'en ne reconnaissant plus d'exception pour quiconque viendrait
s'installer à demeure ici, c'est-à-dire - vous
l'avez reconnu - en rétablissant la clause Québec?
Troisième élément d'un renforcement d'une politique
linguistiques le nécessaire message que le Québec français
adresse au monde entier sera d'autant plus efficace qu'il sera dit, qu'il sera
porté sans ambiguïté. Il sera d'autant moins ambigu qu'il ne
sera plus contredit par cet article 133 qui n'est pas du tout anodin, ni
innocent, car, en plaçant l'anglais là où il le place,
c'est-à-dire au sommet même de l'État, là où
vous vous trouvez, messieurs, dames, il vient atténuer la portée
de ce message quand il n'annonce pas une prochaine extension de l'usage de
cette langue. C'est pourquoi il faut - la commission Pépin-Robarts
elle-même l'envisageait il n'y a pas si longtemps -dégager le
Québec de l'emprise de cet article. Le monde, enfin, saura qu'il y a, au
nord du Rio Grande, un État - un seul, bien sûr, mais ce sera le
nôtre - où l'anglais n'est pas langue des lois et langue des
tribunaux.
Quatrième élément d'un renforcement d'une politique
linguistiques plutôt que de s'enfoncer dans la voie d'un
libre-échange qui ne ferait qu'affaiblir encore plus les positions de
notre langue comme langue de notre économie, le gouvernement du
Québec doit donner le vigoureux coup de barre qui s'impose pour
renforcer le français dans nos usines, dans noss bureaux et au sein de
nos professions.
Quatrième et dernier élément de nos conclusions:
dans cette affaire, le gouvernement du Québec - nous nous permettons de
le dire respectueusement - et, bien entendu, aussi celui du Canada ne nous
inspirent guère confiance. En effet, tout ce que ces gouvernements
trouvent à répondre à ceux qui, à juste titre,
comme nous, dénoncent les dangers que l'on sait pour notre langue et
notre culture, ce sont de belles phrases vagues, vides et, permettez-moi le
mot, creuses, exactement, du reste, comme par hasard sans doute, comme dans
l'affaire du lac Meech où les belles phrases ne sont là que pour
masquer le vide législatif au profit du Québec.
Entendrions-nous le gouvernement du Québec dire, du point de vue
libre-échangiste qui est le sien, qu'il entend exiger d'un
éventuel traité une reconnaissance formelle de la part des
États-Unis, ainsi que des garanties précises pour ses
compétences en matière de langue et de culture, verrions-nous le
gouvernement du Québec engager une action en direction de l'opinion
publique américaine, en direction des dirigeants de ce pays pour
désarmer leurs préjugés et leur faire comprendre que le
français ici n'est pas un quelconque "ethnic language" dont les
locuteurs n'aspireraient qu'à vivre en étroite intimité
avec l'anglais, mais que c'est, au contraire, la langue d'un peuple, que ce
peuple fait de sa langue sa langue normale et habituelle et qu'il entend
combattre pour qu'il en soit ainsi, bref, verrions-nous le gouvernement du
Québec adopter ce comportement que cela ne modifierait pas notre
position fondamentale, mais, du moins, cela aurait-il le mérite de
donner quelque apparence de crédibilité aux propos que le
gouvernement dispense relativement à son intérêt, à
son inquiétude pour la langue, la culture et l'identité? Mais ce
comportement, malheureusement, tout indique que le gouvernement ne l'adoptera
pas»
Mesdames et messieurs, M. le Président, je vous remercie d'avoir
bien voulu nous écouter, sinon nous entendre.
Le Président (M. Cbarbonneau):
Écoutez, sur cette écoute, nous allons passer maintenant
à la période du dialogue. Je vais laisser la parole au ministre
du Commerce extérieur,
M. MacDonald: Messieurs, on vous remercie d'être venus
devant nous pour nous présenter votre point de vue. On doit dire que,
compte tenu des organismes que représentent ceux qui vous accompagnent,
il est évident que nous connaissions votre position de base.
Je trouve malheureux, par contre, qu'à la toute fin de votre
mémoire vous jugiez bon d'utiliser ce genre de langage, que je dois
accepter, car c'est votre droit, quand vous dites que le gouvernement du
Québec ne vous inspire pas confiance et que vous traitez les paroles que
l'on peut avoir dites et qui sont l'expression sincère d'un travail
sérieux comme étant des belles phrases vides et creuses. Je ne
m'embarquerai pas avec vous dans un concours d'adjectifs, mais je crois que
c'est une attitude pour le moins pompeuse et prétentieuse de se
présenter aux Québécois comme ayant le monopole de la
défense de la réalité française, de la
spécificité québécoise. Je l'ai dit, à
quelques occasions, mais on n'est pas ici pour faire état de nos traits
de caractère personnels. Je suis un Québécois dans les
tripes, également fier d'être un Canadien. Je suis un francophone
qui vit au Québec par choix et je me sens aussi nationaliste et
défenseur de ce que mes aïeux ont défendu pendant des
années et encore aujourd'hui. Mes collègues au gouvernement font
aussi bien que vous et peut-être avec un peu moins d'éclat et de
faste.
Vous avez terminé en disant: Je vous remercie de nous avoir
écoutés, sinon entendus. Je pourrais vous remettre la pareille
parce que, lorsque vous dites que vous ne faites pas confiance au gouvernement,
il est nécessairement très clair que vous ne nous avez pas
entendus ou pis encore, que vous ne voulez pas nous entendre. Cela étant
dit, je ne suis pas le
ministre responsable des Affaires culturelles ou du dossier de la
langue. Je suis le ministre responsable en général du dossier de
négociation de la libéralisation des échanges et tout
l'aspect culturel du Québec y a été
représenté dès les premières minutes et continue de
l'être en cours de négociation. Mme la vice-première
ministre saura sûrement, soit répondre à vos questions, si
vous en avez, et j'aimerais bien penser que vous pourrez également
répondre aux siennes. (15 h 30)
Revenant plus spécifiquement dans cette sphère de
responsabilité qui est la mienne, je vous vois, à l'exemple
d'autres qui vous ont précédés, catégoriquement
contre, à toutes fins utiles, une négociation de
libéralisation des échanges. J'ai cherché, mais je n'ai
retrouvé qu'à la page 8, ici, une alternative à cette
formule que l'on a adoptée pour faire face à ce protectionnisme
montant, menaçant, qui a déjà sérieusement mis en
péril certaines de nos entreprises et qui le fera encore plus si on en
juge par ce qu'on peut observer aux États-Unis. À cette
même page 8, vous dites: "Plutôt que de s'enfoncer dans la voie
d'un libre-échange qui ne ferait qu'affaiblir encore les positions de
notre langue comme langue de notre économie, le gouvernement du
Québec doit donner le vigoureux coup de barre qui s'impose pour
renforcer le français dans nos usines, dans nos bureaux et au sein de
nos professions.
J'aimerais que vous m'expliquiez - je suis très prêt
à vous entendre - de quelle façon cette solution, qui est la
solution unique que vous proposez, nous permettrait comme gouvernement
responsable d'aider nos entreprises à faire face à cette menace
qui ne vise pas seulement les entreprises ou les propriétaires
d'entreprises, mais tous les travailleurs et travailleuses qui en font
partie.
M. Bouthillier: Merci, M. le ministre de nous poser des questions
et de dialoguer. Vous parlez du protectionnisme économique
américain. Dans le mémoire, nous vous parlons ici du
protectionnisme culturel américain, de la mentalité, si vous
voulez. Dans un dialogue éventuel que tel ou tel gouvernement du
Québec ou du Canada souhaiterait engager, plus intimement avec le
gouvernement et le pays des États-Unis, je pense qu'il faut aussi voir
cet aspect extrêmement réel et très lourd dont personne, me
semble-t-il - et je le dis sans prétention, mais je suis bien
obligé de le constater - ne parle, ce protectionnisme culturel et
linguistique, etc., cette habitude très forte des États-Unis, du
peuple américain, des entreprises, enfin de cette immense machine, si
vous voulez, qui s'appelle la société américaine de ne pas
s'intéresser, de ne pas faire autre chose sur le plan de la
planète que de diffuser sa langue et de rester fermée à la
langue et à la culture des autres. Quand on songe à s'engager
dans un dialogue avec un État comme celui-là, je pense qu'il faut
s'interroger non seulement sur le protectionnisme économique qui est,
bien sûr, réel et qui peut être traité autrement,
notamment dans le cadre du GATT, mais il faut aussi s'interroger - et cela, me
semble-t-il, doit être fait - sur ce protectionnisme culturel.
Compte tenu des silences du gouvernement dont vous faites partie,
monsieur et madame, sur la question qui nous occupe et qui nous amène
ici, compte tenu que vous, ainsi que d'autres qui ne font pas partie du
gouvernement ou qui ont pu faire partie d'un gouvernement
précédent, vous dites: Oui, bien sûr, il faudra s'occuper
de la culture et de la langue, je dis: Très bien. Mais, une fois que
vous avez dit cela, qu'est-ce qu'on entend sur le plan de la langue et de la
culture? On laissera cela de côté. Ce sera exclu d'un
éventuel traité, comme si on pouvait exclure la langue et la
culture de quoi que ce soit. La langue et la culture, ce n'est pas comme la
viande kasher, cela ne se distingue pas, c'est dans tout. Je vous donne cet
exemple, voyez pourquoi. Parce qu'effectivement, dans tel ouvrage des chantres
du libre-échange, on donne cet exemple de ce que les Israéliens
ont fait pour protéger et sauvegarder leur viande kasher dans leurs
rapports avec les Américains. Toute langue, en l'espèce la langue
française pour les Québécois, n'a aucune commune mesure
avec cet aspect de la culture, de la tradition juive ou israélienne.
Quand vous dites: Oui, bien sûr, il faudra faire quelque chose,
vous ne nous dites pas quoi. Personne ne nous le dit, ni vous ni M. Mulroney.
J'ai relu encore M. Mulroney. Que dit-il? Il dit: Cela sera exclu. On a une
réponse. Vous vous rappelez que, quand il est allé, le 4
décembre 1985, lancer l'opération qui fait qu'on est ici
aujourd'hui, à l'"University of Chicago" devant le "Time Speakers
Association", il a dit: Voilà cinq conditions pour faire un bout de
chemin avec vous sur Le plan du libre-échange et que vous soyez
conscients de notre particularité linguistique et de notre
souveraineté culturelle. Tiens, voilà une expression que nous
avons déjà entendue dans des cieux plus rapprochés du
nôtre!
Boni Mais comment le fera-t-il? Cela, personne ne nous le dit. Qu'il ne
le fasse pas, lui, à la rigueur, que Mulroney et que le gouvernement du
Canada aient d'autres chats à fouetter, qu'ils soient moins, si vous
voulez, que d'autres préoccupés, absorbés,
passionnés par la défense du Québec français, je le
comprendrais. Mais je m'adresse au gouvernement du Québec et je me dis:
Lui,
qu'est-ce qu'il nous dit? Une fois que vous nous avez dit: Bien
sûr, on va protéger la langue, on va protéger la culture,
qu'est-ce que vous allez faire? Comment allez-vous vous y prendre? Qu'est-ce
que vous dites à M. Simon Reisman? Je ne veux pas que vous
dévoiliez de secrets d'État, mais, enfin, qu'est-ce que vous lui
dites? Qu'est-ce que vous exigez de lui? Qu'est-ce que vous exigez qu'il
obtienne de ses vis-à-vis que vous connaissez pour continuer à
marcher dans cette voie-là? Peut-être serait-ce l'occasion pour
vous de nous le dire, à nous et à l'opinion publique du
Québec. Et là, on sortirait de ce que j'ai appelé
brutalement -mais je vois l'utilité de l'avoir fait, pu moins, cela
permet, justement, d'en sortir -ces belles phrases qui sont un peu comme le
vent, c'est-à-dire un peu vides.
Vous dites que nous avons le monopole. Nous ne demandons qu'une chose et
nous vous supplions, si vous voulez, de prendre votre part dans cette
défense du français. Nous n'avons pas du tout la
prétention d'avoir le monopole et nous ne souhaiterions qu'une chose,
c'est que d'autres - et il y en a d'autres - mais vous notamment, messieurs,
dames du gouvernement, vous preniez votre part dans ce fardeau qui est
très lourd. Ce n'est pas facile, tout le monde le sait, mais je ne veux
pas continuer là-dedans, c'est très lourd de défendre le
français, enfin, etc. Mais quelle part, directement, allez-vous prendre?
C'est la question que je me permettais de vous poser en réponse à
la vôtre.
Le Président (M. Lemieux): M. le ministre.
M. MacDonald: Eh bien, je n'ai pas eu de réponse à
ma question et vous allez prétendre ne pas avoir eu de réponse
à la vôtre.
M. Bouthillier: Oui.
M. MacDonald: Je vous dis que la culture a été
mentionnée comme un sujet non discutable par le premier ministre du
Canada. Je peux vous dire que, dans ia position claire, nette et sans
équivoque du Québec pour adhérer à cette
équipe de négociation - si je peux employer le terme
-c'est-à-dire ce regroupement des provinces et du gouvernement canadien,
c'est devenu une condition sine qua non encore dix fois plus soulignée,
si on peut me permettre l'image. Comme vous le savez très bien, les
paroles exactes, le contenu des négociations sur bien des aspects, je ne
peux vous les révéler. Mais, sur cet aspect, je vous
répondrai tout simplement ce que le conseiller principal du gouvernement
a commenté ou explicité devant M. Reisman à un moment
donné, et ce n'est pas révéler des secrets. La
réalité francophone au Québec et tout ce que cela veut
dire, ce n'est pas négociable. Ne nous demandez pas ce qu'on veut ou ce
qu'on ne veut pas. C'est cela, et on ne veut aucune modification. On n'est pas
prêt à reculer d'un iota quelconque. Je l'ai dit ici et je le
redis. Je ne pense pas que ce soit vide ou creux. Je ne pense pas que ce soit
vague ou nébuleux. Je pense que c'est clair et précis.
Quand vous me mentionnez, monsieur, que vous voulez nous mettre en garde
contre cet expansionnisme américain, vous avez raison,, Par la simple
réalité des 250 000 000, du gros éléphant à
côté de la petite souris, il est évident que qui que ce
soit qui négocie quoi que ce soit avec les États-Unis doit
prendre en considération non seulement les États-Unis avec le
signe de piastre, mais la réalité des États-Unis. C'est ce
qu'on a fait.
Permettez-moi de revenir et de vous dire que ma responsabilité
dans le dossier m'amène plus précisément à faire
face à cette réalité économique qui est la menace
que les travailleurs et les travailleuses du Québec ont à subir
à cause du protectionnisme américain. Auriez-vous une meilleure
solution à nous suggérer pour y faire face que celle d'avoir
entrepris des négociations conditionnelles et incluant les conditions
qui sont les plus chères à votre coeur et au mien? Avez-vous une
meilleure suggestion à me faire?
M. Bouthillier: Je vous remercie, monsieur. Vous nous dites ici
et cela a été effectivement dit, y compris à Chicago, par
Brian Mulroney: Ce n'est pas négociable. Rappelez-vous la réponse
de l'ambassadeur des États-Unis: "This is an artificial question."
Qu'est-ce qu'il voulait dire exactement par "artificial question"? Est-ce que
c'est la distinction culturelle qui lui paraissait artificielle entre les deux
pays? Possible. "This is an artificial question", répond l'ambassadeur
des États-Unis, en décembre 1985, en voulant dire: Mais, enfin,
ils veulent protéger une chose qui est distincte. En quoi se
distingue-t-elle de nous, . pense-t-on aux États-Unis?
En ce qui concerne la langue, vous nous dites: Bon, très bien, ce
n'est pas négociable. Mais que voulez-vous obtenir et qu'exigez-vous? On
ne vous entend pas dans le détail. Et vous nous dites: Ce n'est pas
négociable. J'ai vu un gouvernement du Québec dont vous faites
partie, M. MacDonald et vous Mme Bacon, au fond, négocier la question du
français au Québec depuis que vous êtes au pouvoir. Il y a
eu une certaine quantité d'eau qui a été mise dans le vin
du français depuis que vous êtes là. Est-ce que c'est le
ton que vous comptez avoir et adopter vis-à-vis de nos voisins
américains?
On vous a dit, à fleuret moucheté, que la confiance ne
régnait pas entre vous et nous. Il faut se demander pourquoi. On a
vu
un certain nombre d'actes posées, un certain nombre de gestes, un
certain nombre de déclarations, un certain nombre de comportements de la
part du gouvernement - je ne ferai pas de personnalités - de la part de
l'Assemblée nationale, de sa majorité qui a adopté des
textes, qui a été tentée d'en adopter d'autres. Je pense
à ceux de l'automne dernier relativement aux idées du rapport
Lalande. Je sais qu'en ce moment il se discute encore des moyens
d'altérer la législation. Ce gouvernement, qui semble avoir une
difficulté extrême à résister à la pression
de ce qu'il appelle lui-même la minorité anglophone du
Québec, comment résisterait-il demain à la pression d'un
continent tout entier alors qu'il aurait ajouté aux très nombreux
liens qui le lient déjà à cette majorité les liens
d'un libre-échange?
Le Président (M. Lemieux): II vous reste environ trois
minutes, M. le ministre.
M. MacDonald: Oui. Je vais tout simplement dire que,
premièrement, vous n'avez pas encore répondu à ma
question, à l'exemple de ceux à qui je l'ai déjà
posée et qui avaient des positions semblables à la vôtre.
Deuxièmement, il y a au moins une chose sur laquelle on est d'accord: 11
semblerait qu'on n'est pas capable de se mettre d'accord, monsieur.
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. le ministre. M. le
député de Bertrand, vous avez la parole. (15 h 45)
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Messieurs du
Mouvement Québec français, on vous souhaite la bienvenue. Dans
votre mémoire et surtout à la façon dont vous l'avez
exprimé, on sentait un message livré du plus profond de
vous-même. C'est la première fois depuis le début de cette
commission, donc après que quelque 30 groupes ou organismes se sont
présentés devant cette commission, que le ministre n'est pas
d'accord. Le ministre avait réussi, même avec la coalition
syndicale, à nous dire qu'il était d'accord sur certains points,
mais cet après-midi, vous l'avez' eu. Essentiellement, le ministre n'est
pas d'accord parce qu'il a l'impression - j'ai tout lieu de croire qu'il est
sincère - que ce que vous dites, il l'a déjà fait,
c'est-à-dire qu'il a demandé que la culture, que la langue, que
tout cela soit exclu.
Là où nous, de ce côté-ci, et le gouvernement
ne nous comprenons pas - vous l'avez très bien souligné - c'est
sur toute cette question de non seulement le dire, mais de le faire. Je pense
que, autant pour Mme la ministre... D'ailleurs, je suis très content
qu'elle soit ici aujourd'hui, parce que ce sont des questions qui lui tiennent
à coeur.
Le Président (M. Lemieux): J'aimerais dire au
député de Bertrand qu'elle a toujours été ici.
M. Parent (Bertrand): Elle a toujours été ici, oui,
au moment où ces groupes comparaissent, par opposition à d'autres
ministres qui n'étaient pas là. Je me dois de souligner la
présence de Mme la ministre.
Les comportements, l'attitude du gouvernement jusqu'à maintenant
face à ces questions, la protection de la culture et la protection de la
langue, ont été, d'une part, de dire: Oui, nous sommes d'accord
pour les protéger mais, d'autre part, dans les faits, ils ne l'ont pas
été. On n'a qu'à penser à la loi sur l'affichage,
on n'a qu'à penser à la loi 101. Je pense qu'on est encore dans
l'ambiguïté après deux ans. D'ailleurs, Mme la ministre
disait il y a deux jours qu'elle doit trancher cette question d'ici la fin de
l'année.
Quand vous dites que la culture, la langue se retrouvent un peu partout,
je pense que c'est cela essentiellement qu'il faut bien comprendre. II ne
s'agit pas de dire que c'est un domaine en particulier. Bien sûr, il y a
les industries culturelles, mais moi, je suis très
préoccupé par la langue au travail, par l'étiquetage,
comme vous l'avez si bien mentionné. La journée où les
Américains rentreront davantage ici avec leurs produits, je pense qu'on
aura de la difficulté à contrôler. S'il y a un message que
je veux bien livrer au gouvernement, c'est de dire que les lois actuelles ne
suffiront pas. Je pense qu'il faudra augmenter ce qu'on pourrait appeler, nous,
ce protectionnisme du côté de la culture. Si les Américains
ont des projets de loi qui s'ajoutent de jour en jour pour augmenter leur
protectionnisme, je pense que nous devrions en avoir. Au contraire, on n'en a
pas et on sent même, de ce côté, une certaine faiblesse.
D'ailleurs, la façon dont les Américains se comportent
vis-à-vis non seulement des Canadiens, mais particulièrement des
Québécois, elle a été rapportée dans
plusieurs mémos qui ont pu transpirer et que j'ai eu la chance de
rapporter à l'Assemblée nationale. Plus près de nous, en
avril 1987, le sénateur américain, Matsuanga, selon un reportage
publié dans le Kitchener Waterloo Record, aurait
déclaré, devant une délégation de parlementaires
ontariens en visite à Washington, que les relations
canado-américaines seraient sensiblement améliorées si la
culture canadienne pouvait se confondre avec celle des Américains. Le
sénateur a aussi souligné que les relations seraient davantage
facilitées du fait que les deux peuples parlent la même langue.
Lorsqu'on lui a rappelé que le Canada était officiellement
bilingue et qu'on s'exprimait en français, le sénateur a
répliqué que, de toute façon, les francophones parlent
l'anglais.
Bien sûr, on n'ira pas changer demain matin l'attitude comme telle
des Américains, mais c'est inquiétant de voir de quelle
façon ils nous perçoivent et de quelle façon ils vont
interpréter la dimension culturelle, la dimension linguistique.
M. Bouthillier, dans votre mémoire, à la page 9, en haut,
vous dites: "Le gouvernement du Québec doit donner le vigoureux coup de
barre qui s'impose pour renforcer le français dans nos usines, dans nos
bureaux et au sein de nos professions." Avec les dix organismes que vous
représentez, avec le travail que vous faites, vous avez certainement des
séries de recommandations quant à des lois ou à des
renforcements par rapport à ce qu'on a actuellement qui
mériteraient d'être portées à l'attention du
gouvernement et j'imagine que vous l'avez déjà fait. Face
à cette préoccupation constante qu'on a lorsqu'on va dans les
bureaux, pour prendre l'aspect des entreprises de services, mais aussi dans les
entreprises commerciales du centre-ville de Montréal, parce que c'est
peut-être plus flagrant, où, de plus en plus, on a de la
difficulté à se faire servir en français, est-ce que,
concernant la langue du travail, la langue dans les usines, dans les bureaux,
dans les commerces, vous avez des recommandations bien précises? Sinon,
êtes-vous prêts à en faire pour s'assurer qu'on puisse non
seulement conserver ce qu'on a, mais se donner des forces face à la
venue en plus grand nombre autant des produits que de tout ce qui arrive en
provenance des États-Unis?
Le Président (M. Lemieux): M.
Bouthillier, s'il vous plaît! Avez-vous terminé, M. le
député de Bertrand?
M. Parent (Bertrand): Oui.
Le Président (M. Lemieux): M.
Bouthillier.
M. Bouthillier: Merci, M. le Président. Pour l'essentiel,
bien sûr, nous avons déjà évoqué la chose,
mais nous n'avons pas fait récemment de propositions ou de
recommandations très précises sur la stricte question de la
langue du travail, du français comme langue de la production. Cela dit,
je crois que la recommandation essentielle, si on en faisait une demain matin,
serait peut-être - il y en aurait, bien sûr, des
éléments - moins le renforcement du texte législatif,
moins un amendement à apporter à la charte que vous connaissez
qu'une manière de l'appliquer, une manière de faire comprendre,
je dis bien urbi et orbi, c'est-à-dire à l'intérieur et,
pour ce qui nous concerne ici, à l'extérieur, que cette question
est une question fondamentale.
Prenez l'affichage qui est, évidemment, tout à fait
visible. Il suffit, vous le disiez vous-même, de circuler dans les rues
pour voir ce qui se passe. L'affichage se fait de plus en plus... Et, sur cette
lancée, il se pourrait que de plus en plus on voie apparaître un
comportement d'entreprises, d'individus qui font fi des dispositions actuelles
simplement parce que l'appareil bureaucratique - mais il ne faut pas se faire
d'illusions, derrière l'appareil bureaucratique, il y a
évidemment l'État, le gouvernement -n'exprime pas ou ne veut pas
exprimer la volonté qui devrait être la sienne de faire appliquer
et rapidement ces dispositions.
Langue du travail, langue de la consommation, langue d'affichage, etc.,
on voit un État, un gouvernement qui, bien sûr, donne des gages,
bien sûr, dit qu'il fait des choses, bien sûr, fait de temps en
temps un procès ici et là, mais on n'a pas l'impression
d'être en présence d'un pouvoir politique, d'une force politique
décidée à régler cette question une fois pour
toutes. Une fois qu'on aura réglé cette question, pourquoi pas,
on est sur la lancée...
Regardez le problème de la langue du travail. Le français
langue du travail, langue de l'encadrement, langue du commandement
économique, nous revenons de très loin sur ce plan, vous
êtes bien d'accord avec moi. Des progrès ont été
faits depuis 10, 15 ou 20 ans, mais nous revenons de très loin. Mais
voilà - c'est cela, le drame dans lequel nous nous trouvons, c'est cela
le drame dans lequel ces projets ou ces idées de libre-échange
nous placeraient - à peine avons-nous commencé - je dis bien que
c'est un tout début, si vous regardez l'histoire du Québec sur
une longue période - à introduire notre langue comme langue de la
réalité: la langue du travail, la langue de l'encadrement, la
langue du commandement et de la conception économiques, à peine
avons-nous commencé qu'on dit: Voilà, on va vous proposer un
changement de décor important et capital, il ne faut pas se faire
d'illusions, qui va vous jeter dans la situation que vous savez, enfin celle
que nous vous proposons. Comment cela pourrait-il ne pas avoir un effet sur ce
début de vie, si vous voulez, du français langue du travail? Il
sort des langes, ce français langue du travail, et on va lui opposer, si
vous voulez, un géant incroyable. Encore, si on avait un gouvernement
qui nous démontrait que, précisément parce qu'il a
lui-même reconnu que la menace allait être plus grande, il agirait,
il renforcerait l'appareil. À risques plus grands, à menaces plus
grandes, appareil de défense plus grand. Non, on ne voit cela nulle
part.
Mais attentionl Rappelons que, dans notre mémoire et de la
façon dont nous avons analysé la situation, s'il est vrai que tel
ou tel aspect de la législation linguistique pourrait être
affaibli, atténué, contré, contredit, paralysé par
tel ou tel élément, tel ou tel article d'un éventuel
traité de
libre-échange, ce qui m'apparaît encore plus grave, c'est
le risque d'affaiblissement de la volonté politique. Même si un
éventuel traité n'enlevait pas au Québec le droit
d'exercer ses compétences même limitées - on sait qu'elles
sont limitées - dans les domaines qui nous intéressent, on a
vraiment l'impression, le sentiment - c'est, en tout cas, ce qui se
dégage de la ligne de conduite du gouvernement depuis quelque temps -
qu'il ne pourrait pas, qu'il ne saurait pas résister à cette
immense pression. Quand on n'a pas pu résister à la pression
d'Alliance Québec, pourquoi pourrions-nous résister à
celles de Washington, de Chicago et d'Hollywood réunies?
M. Parent (Bertrand): Une dernière question, un dernier
commentaire, M. Bouthillier. Vous dites que des lois additionnelles ou le
raffermissement de ce que nous avons seraient nécessaires, mais ne
pensez-vous pas qu'en plus l'attitude et le comportement d'un gouvernement font
en sorte que cela devient incitatif, positivement ou négativement, sur
l'application? Je veux dire que, si le gouvernement actuel, face à la
loi 101, face à la protection de notre langue, par exemple sur
l'affichage, puisque c'est une question d'actualité, ne se montre pas
déterminé à protéger à tout prix et à
prendre les mesures nécessaires, cela devient très incitatif
à la désobéissance. Si le gouvernement ne prêche pas
par une certaine austérité, si le gouvernement n'applique pas
sévèrement les lois actuelles et ne se montre pas
déterminé, sans ambiguïté, c'est, à toutes
fins utiles, s'ouvrir pour montrer à la communauté anglophone,
d'une part, mais éventuellement, vu que de plus en plus de commerce et
d'échanges se feront avec les Américains, une certaine
facilité pour eux de faire leurs choses sans entraves. C'est beaucoup
plus une question de comportement.
M. Bouthillier: Vérité d'option,
vérité et détermination, vérité à
l'intérieur, mais vérité qu'il faut faire connaître
à l'extérieur. Quelle action le gouvernement du Québec
entend-il entreprendre, notamment par le biais de ses délégations
générales du Québec, pour faire comprendre non seulement
la législation, mais la réalité linguistique? Qu'est-ce
que le gouvernement du Québec entend faire - je sais bien que c'est
difficile, c'est pour cela que je pose la question -pour surmonter, si je puis
dire, des générations et des générations
d'habitudes acquises, d'idées reçues, de préjugés
appelez-les comme vous voudrez - des États-Unis à l'endroit de
toutes sortes de petites cultures, de toutes sortes de petites langues, y
compris la culture et la langue du Québec? Qu'est-ce qu'il entend faire
pour contrer cela?
La détermination à l'intérieur. Aurions- nous un
État... Vous savez, des petits peuvent traiter avec des grands, quoique
tous les petits ne l'ont pas fait. Regardez quel a été le
comportement de la Norvège quand est venu le moment pour elle de ne pas
entrer précisément dans le marché commun. Elle a
décidé de le faire, elle a trouvé ses réponses.
Peut-être M. MacDonald en trouvera-t-il du côté de ses amis
norvégiens. Un petit peut traiter effectivement sur le plan qui nous
intéresse ici, à la condition qu'il sache lui-même qui il
est, qu'il soit déterminé à le rester et qu'il fasse
comprendre et savoir aux gens d'en face qui il est et qu'est-ce qu'il entend
faire pour continuer de l'être. (16 heures)
Vous savez, les Israéliens, petits, minuscules, etc., sont
entrés dans des rapports de libre-échange avec le géant
dont nous parlons aujourd'hui et dont nous ne mentionnerons pas le nom. Bon,
très bien! Personne aux États-Unis ne doutait de la
détermination du peuple israélien, de la détermination des
dirigeants de ce pays, de ce qu'ils étaient, de ce qu'ils voulaient
être, de ce qu'ils voulaient continuer d'être, de la
détermination et des moyens qu'ils prenaient pour l'être. Mais
enfin, il y a là une tradition, une réalité politique.
Est-ce que nous sommes en présence de la même
détermination? Est-ce que nous sommes en présence de la
même réalité? Je poserais la question brutalement: Quand je
regarde nos dirigeants politiques, est-ce que j'ai vraiment l'impression
d'être devant un David Ben Gourion? Je n'en suis pas exactement certain.
Merci.
M. Parent (Bertrand): Merci beaucoup et je puis vous dire que, de
ce côté-ci, votre message est entendu et compris.
Le Président (M. Lemieux): Je vous remercie, M. le
député de Bertrand. Mme la vice-première ministre et
ministre des Affaires culturelles, vous avez la parole.
Mme Bacon: Merci, M. le Président. On a l'habitude ici de
traiter les gens avec respect. Ce n'est pas parce qu'on est politicien qu'on
doit avoir moins de respect des gens qui viennent nous rencontrer pour
discuter. Alors, je vais tenter, avec le respect que nous devons à nos
invités, de ne pas poser les questions que j'aurais envie de poser en ce
moment. Les questions que j'aurais envie de poser, ce serait: Où
étiez-vous, il y a quelques années, quand on avait au
Québec de l'affichage unilingue? Où étiez-vous, il y a
quelques années, quand on avait au Québec de l'affichage
bilingue? Où étiez-vous, il y a quelques années, quand au
Québec on a arrêté le processus normal du traitement des
plaintes? Et où étiez-vous, il y a quelques années, quand
un président de
la Commission de protection de la langue française restait
littéralement assis 3ur 4886 plaintes? Ce sont des questions que je me
pose et que je vous pose. Ce sont quelques éléments, je pourrais
en ajouter beaucoup d'autres. M. le Président, le Mouvement
Québec français, qui souhaitait qu'un large débat s'engage
sur la libéralisation des échanges commerciaux, parce que c'est
de cela qu'il s'agit, est vraiment exaucé par la tenue de cette
commission parlementaire. Je comprends qu'il faille demeurer vigilant quand il
s'agit de notre patrimoine culturel et de notre patrimoine linguistique. Notre
gouvernement l'est et notre gouvernement entend continuer de l'être. Que
cela sonne creux pour votre mouvement, pour nous, c'est ce que nous avons dans
les tripes, c'est ce que nous avons dans le coeur. Être vigilant, cela ne
veut pas dire, pour autant, devenir pessimiste à tous crins. Je pense
que cela a été ce qu'on a entendu depuis le début.
Je vous référerais à un livre de Claude
Hagège, Le français et les siècles. - vous avez
peut-être lu ce livre - qui estime avec justesse que la puissance de
domination de l'anglo-américain dans le monde d'aujourd'hui est telle
qu'il n'est pas évident - comme vous semblez le prétendre -
qu'elle doive se maintenir indéfiniment à son niveau actuel. Et
Hagège considère qu'on prend conscience aux États-Unis de
l'avenir du plurilinguisme et de la vanité des chimères
unitaires. Et j'ajouterai qu'au terme de son analyse qui est suffisamment
rigoureuse, le professeur Hagège mentionne que tous attestent que la
domination de l'Anglo-Américain n'a nullement entamé - et
là je voudrais qu'on m'entende bien - l'attachement nationaliste des
peuples les plus divers à leur langue comme lieu définissant leur
personnalité politique et culturelle. C'est avec un sain réalisme
que notre gouvernement a signifié au départ, comme condition
préalable aux négociations qui sont en cours - et mon
collègue vous l'a dit - la ferme intention d'exclure les questions qui
ont trait au domaine des affaires culturelles et des affaires linguistiques.
Comme le disait mon collègue, cela a été une condition
sine qua non. Nous n'aurions pas discuté si nous n'avions pas exclu et
la culture et tout le domaine linguistique.
Je pense que la réalité linguistique a fait l'objet de
discussions publiques. On a exposé aussi les volontés et une
détermination du présent gouvernement lors de l'étude des
crédits accordés à la politique linguistique et à
la politique culturelle. Je pense avoir suffisamment démontré,
comme mon collègue l'a fait tout à l'heure, la
préoccupation, mais aussi en même temps l'attachement que nous
avons à cette culture québécoise, à ce patrimoine
culturel et linguistique et à la protection que nous devons en
faire.
Je sais que cela ne vous plaît pas d'entendre des choses comme
cela venant des membres du gouvernement. Ce n'est pas supposé, et
surtout quand ils sont du côté libéral. Mais si vous
regardez ce qui s'est fait... Et je reviens aux questions que je vous posais
tout à l'heure: Où étiez-vous à ce moment? Quelles
plaintes avez-vous faites à la Commission de protection de la langue
française comme vous en faites maintenant? Les mêmes annonces et
le même affichage, il y a quelques années, qui existent encore.
Où étiez-vous? C'est la question que je vous pose.
Le Président (M. Lemieux): Merci, Mme la
vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles. M.
Bouthillier, s'il vous plaît.
M. Bouthillier: Merci, M. le Président et Mme la
ministre.
Le Président (M. Lemieux): II vous reste très peu
de temps, s'il vous plaît, quelques minutes seulement.
M. Bouthillier: Juste en additif à Claude Hagège,
je vous renverrais à l'interview qu'il a accordée au journal
LeDevoir, en fin de semaine, où il disait: La survie du
français au Québec passe par l'uniiinguisme et toute politique
qui accepterait et qui étendrait l'affichage bilingue est une politique
qui renforcerait les mentalités bilinguistes, affaiblirait les
mentalités unilinguistes et risquerait de compromettre le
français. Voilà pour Claude Hagège.
Vous nous parlez des tripes et des coeurs. Vous n'êtes pas la
seule à l'avoir fait; monsieur votre collègue, tout à
l'heure, nous a parlé des tripes et des coeurs. C'est très beau.
On ne fait pas de politique avec des tripes, on ne fait pas de politique avec
les coeurs. On fait des politiques avec des volontés, an fait des
politiques avec des textes, on fait des politiques avec une affirmation.
Où est-elle, cette affirmation? Apportez vos tripes, apportez votre
coeur à Simon Reisman et à l'autre en face, vous verrez ce qu'il
en fera. "Artificial question", vous répondra-t-on fort
probablement.
Vous dites que c'est une question sine qua non. J'ai bien hâte de
voir quel sens vous attribuez au sine qua non dont vous venez de parler. J'ai
bien hâte de voir, n'est-ce pas, sur quel article de la loi 101 vous
allez faire achopper les négociations canado-américaines sur le
libre-échange. Je suis très curieux et vous me permettrez de
témoigner de ma curiosité ici.
Toute votre stratégie concernant cette histoire consiste à
exclure, comme si on pouvait exclure langue et culture. Nous, on
dit non. Il ne s'agit pas d'exclure vis-à-vis des
Américains; il s'agit de renforcer à l'intérieur la
langue, l'attitude, la mentalité et le sentiment d'appartenance. On ne
voit pas ce que vous faites sur ce plan-là; c'est pourquoi nous sommes
extrêmement inquiets. On me dit de m'arrêter.
Le Président (M. Lemieux): Non, on ne vous dit pas de vous
arrêter, mais je dois faire respecter des règles et M. le
secrétaire me fait signe que vous n'avez plus de temps disponible.
Alors, je me dois de faire respecter ce règlement qui est celui de
l'Assemblée nationale.
Mme la vice-première ministre, est-ce que vous avez quelque chose
à ajouter?
Mme Bacon: C'était une question que j'avais posée
et je n'ai pas eu de réponse.
Le Président (M. Lemieux): Je vous remercie, Mme la
vice-première ministre.
M. le député de Frontenac, je m'excuse, mais je n'ai plus
de temps disponible.
M. Lefebvre: Je n'ai pas eu de réponse à ma
question, non plus.
Le Président (M. Lemieux): M. le député de
Frontenac, s'il vous plaîtl
Nous vous remercions de vous être présentés cet
après-midi devant cette commission parlementaire. Le débat fut
effectivement très enrichissant. Maintenant, je demanderais à
l'Association des fabricants de meubles du Québec de bien vouloir
prendre place, s'il vous plaît. Je vous souhaite une bonne fin
d'après-midi, messieurs.
Nous reprenons cette consultation générale avec la
présence de l'Association des fabricants de meubles du Québec. Je
reconnais certains visages qui me sont familiers sinon sympathiques, des gens
de mon comté, d'ailleurs. Je crois que c'est M. Boisvert qui
préside la délégation. M. Boisvert, je vous rappelle,
ainsi qu'à vos collègues, que vous avez approximativement une
heure pour la présentation globale et la discussion. D'abord, environ 20
minutes pour l'exposé et le reste du temps est réparti de part et
d'autre aux membres de la commission pour les échanges.
Je vous demanderais d'abord de présenter les collègues qui
vous accompagnent et d'engager immédiatement la présentation de
votre mémoire. Merci.
Association des fabricants de meubles du Québec
M. Boisvert (Jean-Yves): M. le Président, mon nom est
Jean-Yves Boisvert. Je suis président de l'Association des fabricants de
meubles du Québec et président et chef de la direction de Valtec,
division Henri-Vallières, à Nicolet.
Permettez-moi d'abord de vous remercier d'avoir bien voulu nous recevoir
comme représentants de l'industrie du meuble au Québec. La
fabrication du meuble au Québec a une histoire aussi longue que celle de
la Nouvelle-France. Cette activité, considérée comme
traditionnelle, est quasiment inscrite dans notre patrimoine historique en
raison des vastes territoires boisés du Québec. (16 h 15)
D'artisanale qu'elle était, la fabrication du meuble a franchi
l'étape de l'industrialisation à la fin de la Seconde Guerre
mondiale. Toutefois, l'industrie du meuble demeura jusqu'à
l'époque actuelle une industrie de petite taille. Autrefois, les
entreprises de meubles s'établissaient près des scieries et de
leurs sources d'approvisionnement, en bois plus particulièrement.
Aujourd'hui, elles ont tendance à s'implanter près des grands
centres où se trouvent les marchés importants. Cependant, bon
nombre d'entre elles sont encore dispersées dans plus d'une centaine de
localités du Québec. Dans bien des cas, elles sont le principal
ou même le seul employeur de l'endroit. Elles contribuent donc largement
à maintenir l'équilibre économique dans les
régions.
L'industrie québécoise du meuble représente une
part importante de l'activité canadienne dans ce domaine. En fait, elle
emploie plus de 15 000 travailleurs, a une masse salariale de 230 000 000 $ et
produit un chiffre d'affaires de 1 050 000 000 $. Son champ d'activité
se répartit entre les sous-secteurs de la fabrication des meubles de
maison, des meubles de bureau et d'articles d'ameublement divers.
L'industrie des meubles de maison, avec une production de 875 000 000 $,
est de loin le sous-secteur le plus important. Ce sous-secteur regroupe des
usines de fabrication de meubles en bois et en métal, non
rembourrés et rembourrés, des bâtis de meubles, des
pièces finies de meubles, meubles de maison, de chalet, de parterre et
de véranda. Près des trois quarts de l'activité de
l'industrie du meuble est attribuable à ce sous-secteur.
Il est suivi, en termes d'importance, par l'industrie des meubles de
bureau qui produit un chiffre d'affaires de plus de 175 000 000 $. Ce
sous-secteur regroupe les meubles de bureau proprement dits et le
matériel de classement.
Enfin, les articles d'ameublement divers constituent le dernier segment
en importance de l'industrie des meubles et des articles d'ameublement. Ce
dernier segment est constitué d'usines fabriquant des meubles
d'hôpitaux, des meubles destinés à des usages
spéciaux, des installations fixes d'hôtels, de restaurants,
de magasins et de bureaux, des étagères et des armoires, des
matelas, des meubles et des appareils fixes et des cadres pour tableaux et
photographies.
Quelques dernières statistiques. L'industrie du meuble exporte
entre 10 % et 15 % de sa productions 95 % des entreprises
québécoises sont propriété canadienne et
québécoise. Véritable pivot de l'industrie du meuble du
Québec, l'Association des fabricants de meubles du Québec,
fondée en 1942, regroupe aujourd'hui près de 140 fabricants de
meubles de tous les secteurs de l'industrie - maisons, bureaux, contrats - qui
détiennent à leur actif la majeure partie de la production et des
ventes de meubles de la province. L'Association des fabricants de meubles du
Québec est reconnue comme un dynamique dispensateur de services
destinés à ses membres. Ces services constituent des outils de
haut calibre permettant aux fabricants d'améliorer leur fonctionnement
et d'accroître leur part du marché. Pour ne mentionner que les
principaux services: les salons du meuble de Montréal et de Toronto, les
services de marketing et d'exportation, les services de relations industrielles
et de santé et sécurité au travail, les services
d'information de crédit, les services de consolidation de transport
(Consolidex).
J'aimerais maintenant vous présenter les autres
représentant qui se sont joints à moi aujourd'hui. À mon
extrême gauche, M. Claude Godard, ex-président consultant et
président des Meubles Nordec à Sainte-Véronique; à
ma droite, Fernand Fontaine, premier vice-président de l'association et
président-directeur général de Dutailier Inc. situé
à Saint-Pie de Bagot, et, à ma gauche, M. Claude Jutras,
vice-président exécutif de l'association, à qui je laisse
immédiatement la parole sur d'autres sujets.
M. Jutras (Claude): Merci, M. Boisvert.
La partie qu'on m'a laissée est peut-être la partie la plus
statistique au chapitre de la comparaison de ce qui se fait entre le
Québec et les États-Unis. Quelquefois, bien sûr, quelques
statistiques se situent sur le plan canadien. Il faut tenir pour acquis que le
mémoire que vous avez présentement entre les mains a
été fait il y a deux ans déjà, en 1985. Donc, il
peut y avoir quelques statistiques qui pourraient être ajoutées ou
mises un peu plus à l'heure. Le deuxième prérequis que
l'on a fait, même au moment où on a fait l'étude,
était que le dollar resterait tel qu'il est présentement. Dans
l'étude, il est dit quelque part qu'à un moment donné un
jeu de pourcentage dans le dollar pourrait influencer la non-rentabilité
ou la rentabilité de l'industrie du meuble quand on parle de
libre-échange.
Une des choses qui frappent dans l'industrie du meuble, c'est que, d'une
part, comme le disait M. Boisvert, elle est excessivement dispersée au
Québec. Elle est la deuxième industrie de meubles au Canada
après l'Ontario et elle regroupe environ 14 000 emplois au
Québec. Une des choses, quand on parle de diversifier, c'est que la
moyenne de l'industrie québécoise est de 20 personnes et, si on
la compare à la même chose pour le secteur résidentiel
américain, elle est de 45. C'est donc dire que 71 % des industries de
meubles au Québec ont moins de 20 employés. Si on touche celle du
bureau, elle est à peu près le double, c'est-à-dire 40
contre 85, Québec-USA.
Mais il y a plus. Si on regarde la répartition des usines
américaines Je meubles, elles sont réparties à la grandeur
du pays. Cependant, il semble y avoir au niveau résidentiel une
concentration dans quatre États, c'est-à-dire New York, Caroline
du Nord, Californie et Floride. Si on regarde la Caroline du Nord, on a 73 000
employés en Caroline du Nord. Je pense que ce n'est certainement pas
à négliger, compte tenu des distances et des difficultés
de transport que l'on a au Canada. Si on regarde le meuble de bureau, on a
à peu près la même chose à l'exception que la
concentration semble être en Californie. Si on regarde la Pennsylvanie,
par exemple, vous avez exactement le double des employés que vous avez
pour tout le Québec.
En ce qui concerne la production maintenant, en d'argent, le Canada a
une moyenne par usine d'environ 1 200 000 $, le Québec a 1 000 000 $,
les États-Unis, 3 000 000 $, toujours pour le secteur
résidentiel. Si on parle de meubles de bureau, on a 3 500 000 $ pour le
Canada, 3 800 000 $ pour le Québec et 9 000 000 $ de moyenne pour les
Américains.
Notre principal partenaire, bien sûr, quand on parle d'exportation
dans le meuble, ce sont les États-Unis. D'ailleurs, de 1979 à
1984, on a augmenté nos exportations au Québec de 181 %.
Cependant, il faut faire excessivement attention à cette statistique
parce que le fait que nous sommes excédentaires dans le meuble de
résidence, si l'on compare le Canada et même le Québec avec
les États-Unis, est relativement récent. Effectivement, pour le
Québec, cela date de 1982 ou 1983 et le Canada, de 1984. Si on regarde
la dernière statistique que l'on a, c'est-à-dire en 1984, on a un
excédent de 16 000 000 $. Mais ce qui fait la différence, c'est
que très souvent les Américains disent: II y a
énormément de meubles canadiens qui inondent notre marché
et c'est bien sûr l'ameublement de bureau, qui a un excédent de
230 000 000 $ contre 16 000 000 $. C'est donc dire que la grande part du
marché canadien de meubles est celui de bureau. Je ne dis pas cela pour
m'en plaindre, M. le Président, loin de là. Mais c'est simplement
une constatation qui,
à un moment donné, pourrait jouer parce que... Là,
c'est une théorie que, bien sûr, on ne peut expliquer et à
laquelle on ne peut donner une réponse affirmative, à savoir que
dans le meuble de bureau vous avez énormément d'industries qui
sont des filiales américaines. Advenant le libre-échange, est-ce
qu'on demeurera une filiale américaine ou, tout simplement, on
déménagera la production aux États-Unis? C'est une
question à laquelle on ne peut pas répondre mais qui, à un
moment donné, peut avoir drôlement une implication.
Les meubles de résidence s'expédient surtout dans l'Est
des États-Unis. Si on compare cela au bureau, celui-ci n'a que 25 % des
meubles qui vont aux États-Unis, le reste va à l'extérieur
dans le monde entier. Cependant, quand on regarde les statistiques en ce qui
regarde le pourcentage, le montant de meubles qu'on exporte aux
États-Unis ne correspond qu'à 0,04 % de 1 % de la masse de
meubles dont les Américains vont se servir. Ce que les Américains
envoient ici correspond à 3,4 % de notre marché. C'est donc dire
le poids qu'un pays comme les États-Unis peut avoir à ce
niveau.
En ce qui concerne la main-d'oeuvre, si on parle de salaires, on est
plus ou moins sur la même base. Cependant, il semblerait que les autres
charges ont une influence positive pour les États-Unis. Effectivement,
si on regarde le coût par meuble pour le pourcentage, le coût de la
main-d'oeuvre pour le Québec est d'environ 31,4 %; pour le Canada, il
est de 29,6 %. Aux États-Unis, le coût de la main-d'oeuvre pour
chaque meuble fabriqué, en moyenne, bien sûr, est de presque 24 %,
c'est-à-dire 23,9 %. C'est donc dire qu'on a un jeu d'environ 7 %. Nous
pensons que ces choses-là viennent dans "autres charges". On y reviendra
un peu plus tard.
Sur le plan de la productivité, notre mémoire dit que la
productivité entre les Américains et les Québécois
est d'environ 39 % en faveur des Américains. Cela vient surtout, au
Québec, des heures non travaillées et payées, de
l'absentéisme. Bien souvent, nous allons l'admettre, compte tenu de nos
difficultés de climat, compte tenu de la grandeur de ce pays et de la
grandeur de ses usines... Au lieu de fabriquer 50 morceaux d'un modèle,
on en fabriquera 100 ou 150, donc, économie d'échelle. Les
matières premières sont presque entièrement
américaines, à 60 %, 70 %. On pense que c'est plus, mais on est
sûr de 60 %, 70 %; entre autres dans le bois, on est à peu
près à 80 %.
Les barrières tarifaires, la différence entre les deux est
d'environ 12 % et, je le répète, le taux de change, à un
moment donné, peut avoir une implication. Effectivement, une variation
de 10 %, pensons-nous, pourrait annuler l'avantage que l'on peut avoir de
concurrencer avec les États-Unis. S'il y avait une libéralisation
immédiate, nous pensons qu'on aurait des difficultés sur le plan
de la taille des entreprises, de la productivité, bien sûr - on y
a touché - de la capacité installée non utilisée.
Saviez-vous que, si les Américains prenaient 7 % de la capacité
non utilisée de leur usine, ils produiraient plus de meubles que tout le
Québec? Dieu sait que cette partie ne coûterait rien parce que les
frais d'administration ont déjà été amortis.
Le coût de transport, on y reviendra. Dans notre mémoire,
nous disons que, s'il y avait le libre-échange dans l'industrie du
meuble, il y aurait une réduction des prix d'environ 12 %. Quand on
pense que le ratio moyen des profits dans l'industrie du meuble a
été, dans les dernières années, de 2,1 %, on peut
imaginer où on en serait si une telle chose arrivait. On pense que,
globalement, si le libre-échange était effectif, dans quelques
mois, on pourrait perdre entre 3000 et 5000 emplois.
Cependant, nous recommandons certaines choses. D'une part, on dit dans
nos recommandations qu'il faudrait comparer deux choses égales. Il y a
certaines choses au Canada qui sont carrément inégales si on
compare avec les États-Unis, entre autres le climat. Bien sûr, il
n'y a pas lieu de prendre le Canada et de l'envoyer en Floride, mais je pense
que c'est quand même un aspect dont il faut tenir compte parce que
ça inclut des coûts supplémentaires ne serait-ce qu'en
chauffage, en absentéisme - on l'a vu tantôt - en coût
d'assurances qui sont peut-être difficiles à quantifier en
pourcentage réel, mais qui sont là quand même.
On a aussi un problème de faible densité de population. Si
on prend un camion de meubles à Montréal, par exemple, te seul
endroit où on peut le vider, c'est à Toronto, 450 milles plus
loin. Aux États-Unis, on n'a pas ce problème, on a
peut-être passé cinq, six, sept ou huit villes de même
proportion, là où vous pouvez laisser vos meubles. Il y a une
difficulté, sur le plan de la densité de population, qui se
répercute sur les coûts de transport. Savez-vous qu'il est plus
avantageux de prendre un meuble à Montréal, de l'envoyer aux
États-Unis et de le ramener à Vancouver? Cela revient meilleur
marché que de l'envoyer par notre pays. Bien sûr, il y a une
déréglementation du transport aux États-Unis qui joue et
qui n'est certainement pas négligeable. (16 h 30)
II y a, bien sûr, certaines lois en relations du travail qui
doivent être, à un moment donné, équilibrées
pour pouvoir comparer les mêmes choses. Dans ce contexte, nous disons que
le libre-échange, nous pouvons le réaliser si certains
critères sont suivis; sinon, nous aurions énormément
de difficulté à survivre. Un des critères, notre
première recommandation, c'est que les tarifs douaniers entre les
États-Unis et le Canada ne soient abaissés que progressivement et
sur une période d'au moins dix ans. Une deuxième, c'est qu'on
suggère au gouvernement de procurer une aide technique, peut-être
financière aussi, mais surtout technique afin de favoriser et
développer la productivité et la compétitivité des
entreprises québécoises, un programme du type OCRI. Je pense
qu'au cours des dernières années, entre autres, si on parle de la
compétitivité, il y a eu un fort pourcentage des membres de notre
association qui a investi dans le renouvellement de la machinerie, dans la
modernisation de la machinerie. On ne doit pas se leurrer, la modernisation est
bonne pour les Américains, pour les Canadiens, pour les
Québécois et elle est à la portée de tous. Je ne
pense pas que cela relève de la taille de l'entreprise, mais il y a lieu
de regarder cela dans la perspective du nombre d'employés.
On pense aussi que des mesures rigoureuses devraient être prises
pour l'application des lois antidumping afin d'éviter que les
entreprises américaines vendent à perte sur le marché
canadien. Présentement, cela se produit. Malheureusement, on ne peut
peut-être pas le prouver, mais on peut vous dire que, par exemple,
très souvent, au moment où vous arrivez avec un camion aux
douanes américaines, on va vous dire: Donnez-nous votre connaissement,
on vérifie la première boîte, on dit: Très bien, je
veux en vérifier une deuxième mais en avant du camion. Vous
imaginez les coûts additionnels que cela peut causer aux fabricants.
Bien sûr, la quatrième serait la
déréglementation du transport et on pense qu'elle devrait
être analysée de façon très positive et de
très près puisque cela cause énormément de
problèmes de concurrence dans l'industrie du meuble. M. le
Président, c'est ce que j'avais à dire au sujet des statistiques
en général.
Le Président (M. Charbonneau): Est-ce qu'il y a d'autres
commentaires sur la présentation? Non. Cela complète, si je
comprends bien, la présentation initiale. On va maintenant passer
à la période de discussion.
M. le ministre du Commerce extérieur.
M. MacDonald: Messieurs, merci d'être présents. Nous
avons voulu à cette commission parlementaire être capables de
présenter non seulement les impressions mais les études de fond
de plusieurs organismes. Vous représentez un de ces organismes et je
suis d'autant plus heureux de vous voir ici que, de toute façon, vous
vous étiez déjà présentés devant le
comité Warren et aviez discuté longuement. Je crois que mon
adjoint parlementaire, M. Cannon, avait rencontré votre association. Si
je ne m'abuse, je crois que vous avez également eu des discussions avec
M. Johnson, ministre de l'Industrie et du Commerce.
Je vais résumer rapidement en disant: Nous avons
déjà traité avec vous des quatre grandes conditions que
vous avez mentionnées. Je crois qu'on a répondu que nous sommes
d'accord. D'ailleurs, à vous comme à d'autres secteurs
industriels, nous avons posé la questions Vis-à-vis d'un
traité de libéralisation, vis-à-vis d'une réduction
progressive des tarifs - deux hypothèses -combien de temps cela vous
prendrait-il pour vous ajuster? Je dois vous dire que les réponses ont
varié entre deux ans jusqu'aux dix ans que vous mentionniez, selon
l'état de préparation à cet abaissement.
Au sujet des programmes de transition qui doivent toucher non seulement
le recyclage de la main-d'oeuvre, mais la modernisation et l'augmentation de la
compétitivité des entreprises, on a déjà
mentionné que c'est une condition fondamentale. Sur la question de la
protection des ventes à perte, du dumping, un traité de
libéralisation ne veut pas dire un traité de frontières
totalement ouvertes sans aucune mesure pour se prémunir contre des
choses semblables et le GATT, dans l'esprit duquel cette entente se ferait,
prévoit toutes sortes de procédures en dehors même de ce
qui pourrait être l'entente bilatérale. Finalement, vous avez
mentionné la question du transport, sur laquelle, peut-être, vous
voudrez parler plus longuement.
Avant de céder la parole à mon collègue, le
ministre de l'Industrie et du Commerce qui, je le sais, voudrait intervenir sur
certains sujets, il y a deux points sur lesquels j'aimerais vous entendre. Il
s'est fait, comme vous l'avez dit, M. le vice-président exécutif,
beaucoup de modernisation chez plusieurs de vos membres. Il y a des gens qui
ont fait des percées absolument spectaculaires sur le marché
américain parce qu'ils étaient compétitifs, parce qu'ils
se sont donné les moyens d'être compétitifs tant sur le
produit qu'ils avaient que sur la façon de le faire et sur le marketing.
Dans votre industrie - votre rapport est daté de février 1985;
alors 29 mois ont passé - il s'est fait une consolidation d'entreprises.
Voici ma première question. Qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas de
traité de libéralisation des échanges, est-ce que votre
industrie n'est pas dans une période, dans un mouvement de
consolidation, de modernisation qui fonctionne quasiment à progression
géométrique? N'êtes-vous pas en train de vous donner et ne
vous êtes-vous pas déjà donné plusieurs outils chez
plusieurs de vos membres pour faire face à cette possibilité
d'une réduction tarifaire? C'est ma première question; j'en aurai
une
autre ensuite.
M. Godard (Claude): M. MacDonald, notre industrie, je dirais,
depuis cinq ans, a investi beaucoup. Je suis moi-même un fabricant,
à Sainte-Véronique, dans les Laurentides, un beau petit pays
représenté par mon député ici présent, un
pays extraordinaire, mais qui ne compte pas beaucoup d'industries. C'est la
seule industrie dans un village éloigné qui compte une
soixantaine d'employés. Depuis environ deux ans, on investit. On rentre
de la machinerie de plus en plus et on se prépare. Ce qui nous faisait
travailler dans ce sens-là, c'étaient les ententes du GATT. Les
ententes multilatérales, veux veux pas, les tarifs des douanes diminuent
et, déjà, c'était, je ne sais pas le pourcentage d'il y a
quelques années, et on est rendu à 16-4 à peu
près...
Une voix: 15-3.
M. Godard: 15-3. On est rendu à environ 12 %. On est en
train de s'organiser, de s'améliorer. Ceux qui ont visité nos
salons du meuble depuis quelques années auront remarqué que le
design s'est beaucoup amélioré. Je pense qu'on peut dire qu'on
est en train de révolutionner le design, mais on a encore beaucoup de
chemin à parcourir. Ce ne seront plus les Américains tout
à l'heure. Ce sera Taiwan. Ce seront les Chinois, tes Japonais. Ce
seront d'autres pays. Alors, veux veux pas, il faut s'organiser, il faut
améliorer parce que, sans cela, tout à l'heure, on va être
pris dans le système. C'est pour cela que, présentement, nous
étudions le système japonais "Just in time". J'espère
qu'on va arriver "just in time". C'est pour cela qu'on vous demande dix
ans.
M. Boisvert: Si vous me le permettez, M. MacDonald...
M. MacDonald: Oui.
M. Boisvert: ...je crois qu'à l'association, depuis
au-delà de deux ans et peut-être plus, trois ans, on fait en sorte
de renseigner nos membres dans le sens qu'ils doivent aller dans cette
direction, se moderniser, se consolider, se concerter, peut-être aussi
aller vers un consortium... C'est la voie que les membres ont prise depuis
quelques années et on le voit jusqu'à présent par les
résultats.
M. MacDonald: J'ai une deuxième question. Comme vous
l'avez dit vous-même, plusieurs entreprises ont dépensé des
millions de dollars en équipement CAO-FAO, en toutes sortes de choses.
Advenant une entente - je prends l'exemple d'une de vos recommandations -
comment traitera-t-on les entreprises qui ont déjà fait des
investisse- ments majeurs et qui sont déjà compétitives
par rapport à certaines qui, pour toutes sortes de raisons très
légitimes ou moins, ne l'auraient pas fait? Vous nous parlez d'un
programme du genre OCRI. Nous sommes d'accord qu'il devra y avoir des mesures
et des moyens pour mieux "transitionner" ou mieux passer cette période
de baisse. Est-ce que vous avez des suggestions eu égard à ces
hypothèses que j'ai mentionnées?
M. Jutras: M. MacDonald, l'expérience, en tout cas dans
l'industrie du meuble et je pense que cela vaut aussi pour d'autres industries,
veut qu'au moment où on peut faire un projet plus ou moins "at large"
pour à peu près toutes les industries... Bien sûr, vous
allez aider une industrie qui, à un moment donné, pourrait,
compte tenu de l'économie, être en difficulté et lui donner
un dernier coup de pouce, un dernier souffle qui lui permette de faire le saut,
mais je ne connais pas d'industries, les meilleures, qui n'en ont pas aussi
profité. J'étais là quand, il y a quelques années,
le gouvernement du Québec a investi un certain nombre de millions de
dollars dans un programme qui s'appelait Innovation meuble. Cela avait permis
à certaines entreprises de prendre un envol qu'elles n'avaient pas, mais
je peux vous dire que celles qui avaient déjà un envol ont
continué leur envol et en ont bénéficié - je ne
voudrais pas être taxé... -mais en ont peut-être encore plus
bénéficié parce qu'elles étaient peut-être
encore plus près de l'avoir, et tant mieux pour ça. Et si
aujourd'hui l'industrie est relativement bien, dans ces semaines-ci ou dans ces
mois-ci, je pense que c'est tout ça mis ensemble. Je pense que c'est
cette modernisation, cette consolidation, c'est cette vision qui font que l'on
avance. Ce que l'on dit aujourd'hui, c'est: Faites attention pour ne pas nous
couper les ailes au moment où on prend un envoi.
Le Président (M. Charbonneau): Une dernière
réponse, monsieur...
M. Godard: Là-dessus j'aimerais ajouter qu'il faudrait
faire attention aussi parce que peut-être certains des membres, certains
fabricants ont bénéficié largement de subventions vers
1983 à la suite de la baisse, si vous voulez, du meuble, ont eu des
subventions pour acheter d'autres usines et là ça sera
peut-être ces gens-là qui vont dire: Bien, arrêtez les
subventions. Il faudrait peut-être prendre ça en ligne de compte.
Il faut faire attention à cela. Cela arrive souvent. Maintenant qu'on en
a eu nous autres, plus de subventions, c'est fini. Il faudrait peut-être
étudier cas par cas et regarder ce qu'ils ont eu ceux qui disent
ça des fois et, pour ceux qui en ont besoin, faire une
réserve.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Alors,
messieurs de l'Association des fabricants de meubles du Québec, on vous
souhaite la bienvenue. À écouter vos propos j'aurais dû
retenir vos services avant parce que j'ai de la misère à
convaincre le gouvernement qu'il faut continuer à donner un coup de
pouce à nos entreprises.
Le son de cloche que vous nous donnez au nom de chefs d'entreprises, au
nom de dirigeants d'entreprises, aujourd'hui, est un son de cloche quelque peu
différent de ce que j'ai entendu du Conseil du patronat du
Québec, de la Chambre de commerce du Québec, qui encore ce matin
venait nous dire essentiellement le message suivant: On veut de moins en moins
d'interventions, on n'en veut plus, point à la ligne. Et c'est
textuellement ce que la Chambre de commerce du Québec a dit ce matin
dans son mémoire, à la page 15, je crois qu'ils ne voulaient plus
voir de subventions de la part du gouvernement.
Moi, je vous dis: Les propos que vous tenez sont rassurants. Parce que
je pense que vous êtes représentatifs des PME. M. Jutras nous
disait précédemment que l'entreprise type dans votre association
c'est quelque part aux alentours de 20 employés, 1 000 000 $, 1 500 000
$ de chiffre d'affaires; bien sûr, il y en a qui en font 10 000 000 $,
tant mieux pour eux. Je comprends aussi que les propos que vous tenez ce sont
des propos qui veulent aussi passer le message au gouvernement que les lois
peuvent changer le comportement en ce qui concerne le marché. Ce qui se
faisait il y a dix ans, il y a cinq ans est maintenant peut-être
différent. Mais l'exemple que vous avez donné tantôt du
programme Innovation meuble est un exemple parfait qui s'applique à vous
mais qui s'est appliqué aussi dans d'autres entreprises. Et je pense que
les entreprises du meuble aujourd'hui qui ont réussi à passer
à travers des périodes de crise, d'autres qui ont réussi
à entrer sur les marchés d'exportation l'ont fait grâce
à leur dynamisme - je le conçois - mais aussi grâce aux
coups de pouce. Aujourd'hui, moi je voudrais m'assurer que cette voix que vous
portez soit portée bien haut parce que je pense que les coups de pouce
doivent continuer à venir de la part du gouvernement. Pas des
subventions, comme certains ont dit, "at large". On achète une machine
et on vous donne 10 %, 12 %, 15 % par automatisme, on se comprend
là-dessus. Mais vraiment l'appui gouvernemental à tout point de
vue. Sur le plan technique, je pense que dans votre cas recherche et
développement, design, c'est très impartant et je pense qu'il
devrait y avoir certainement des programmes précis concernant l'appui
que vous pourriez avoir de ce côté-là. Parce que - je ne
sais pas si vous serez d'accord - si les gens de votre association, si les
entreprises qui font partie de votre groupement n'ont pas ce coup de pouce,
certains vont aller de l'avant mais d'autres n'y iront pas parce qu'il y a une
limite à réinvestir les profits et on ne réinvestit que ce
qu'on a. Il y a des bonnes et des mauvaises années. Lorsqu'il y a un
incitatif de la part du gouvernement, je pense que c'est de l'argent bien
placé, , particulièrement lorsqu'on parle de poussée au
chapitre de la recherche et du développement sur le produit et aussi sur
les façons de fabriquer. (16 h 45)
J'aimerais vous entendre sur l'autre dimension en plus de l'aide
financière, sur l'aide technique, particulièrement sur la
formation de la main-d'oeuvre. Dans vos entreprises, et l'un d'entre vous le
mentionnait tantôt, on est en train de moderniser. Certains, dans
certaines industries du meuble que j'ai visitées, ont commencé
à avoir des secteurs robotisés. Je sais que ce n'est pas possible
dans tous les créneaux, mais vous avez besoin d'aide technique en ce qui
concerne la formation de la main-d'oeuvre. C'est que la main-d'oeuvre dont vous
avez besoin, dont vous aurez besoin dans trois ans et dans cinq ans, il va
falloir avoir un coup de pouce en ce qui concerne les ressources humaines et
pour cela je pense qu'on a peu d'outils actuellement. Les entreprises, de
façon conventionnelle, fabriquaient d'une certaine façon mais,
aujourd'hui, on doit former ce monde-là. Les grandes entreprises,
qu'elles soient dans le meuble ou ailleurs, ont les moyens de se payer ce qu'on
peut appeler une école de formation, prendre le temps de former les
gens. L'ensemble des PME, particulièrement dans les secteurs qui vous
touchent, n'a pas cette possibilité-là. Un intervenant ce matin
parlait possiblement d'avoir des "pools" ou d'avoir des écoles de
formation et je trouve cela intéressant.
J'aimerais vous entendre davantage sur le genre d'aide technique que
vous aimeriez en ce qui regarde l'aspect de la modernisation de vos entreprises
et en ce qui regarde aussi l'aspect des ressources humaines.
M. Jutras: M. Parent, je suis heureux que vous posiez cette
question-là. J'aimerais répondre un peu à votre
commentaire avant.
Une des raisons pour lesquelles on exporte beaucoup - j'ai dit dans mon
texte que c'était relativement récent même pour le meuble
de résidence, je dirais même 1982 au Québec, 1984 ou 1985
pour le reste du Canada - une des raisons, vous savez, cela a peut-être
été à un moment donné un coup de pouce, je
l'admets, cependant, la grande raison c'est quarante cents dans le dollar.
Je
pense qu'il ne faut pas se leurrer. Notre mémoire dit,
déplacez cela de quarante à trente et notre moyen d'être
compétitif diminue presqu'à néant. Vous savez, dans le
meuble, le libre-échange, on l'a nous autres. Qu'est-ce que vous voulez,
on a quarante cents sur le dollar plus 12 % de frais de douane, donc, cela fait
0,52 $ de différence. Vous savez, cela est un très gros coup de
pouce, je dirais même que c'est un coup de poing pour exporter. Je pense
que cela est une des choses.
Quand on parle de formation, oui. Bien sûr, on est parfaitement
d'accord d'ailleurs, l'association patronne deux centres de recherche, un qui
s'appelle le CRIMBO, le Centre de recherche de l'industrie du meuble et du bois
ouvré, qui est localisé à Victoriaville et qui s'est
spécialisé surtout, si l'on veut, dans les ordinateurs CAO-FAO,
la production, la productivité, ce type d'opération, et un
deuxième qui s'appelle le centre MBO ou le Centre du meuble et du bois
ouvré, qui est localisé à Montréal et qui
développe beaucoup plus des plans de marketing, des plans de design,
etc. C'est donc dire qu'à ce niveau-là, je pense que l'industrie
du meuble, l'Association des fabricants de meubles est excessivement sensible
à la formation et a ce besoin de formation. D'ailleurs, nos membres nous
disent, formez-nous du monde, puis on va être capable de les engager
parce qu'il y a une expression anglaise d'un vieux sénateur comme nous
on l'appelle dans l'industrie du meuble qui dit: L'industrie du meuble, "it is
a people's industry". On a juste à regarder, les coûts de
main-d'oeuvre sont excessivement élevés dans l'industrie du
meuble; une des raisons, c'est qu'il y a énormément de monde qui
travaille dans l'industrie du meuble par rapport à la machinerie. On ne
peut pas avoir des industries du meuble, à toutes fins utiles,
entièrement automatisées. Cela n'est pas possible. On peut les
améliorer, on peut améliorer certaines machines, mais on ne
pourra pas automatiser à 100 %. En tous les cas, certainement pas dans
les cinq prochaines années.
M. MacDonald: Avant de passer la parole au ministre de
l'Industrie et du Commerce, j'aimerais mentionner que je ne peux pas laisser
passer cette suggestion de ce qui était l'intention de la Chambre de
commerce du Québec concernant les subventions. Je le rappellerai
à M. le député de Bertrand et à tous nous autres,
d'abord c'est à la page 13 et, deuxièmement, je cite ce qu'on
disait: "Les gouvernements en présence - canadien, américain, pas
le gouvernement du Québec pris en isolation, les gouvernements du
côté canadien, le gouvernement américain doivent accepter
de limiter et éventuellement supprimer les subventions aux entreprises.
Cette mesure permettrait d'accroître l'efficacité domestique des
entreprises en plus de faciliter la bonne entente commerciale entre les pays.
La difficulté consiste à adopter une définition des
subventions qui soit à la fois raisonnable et suffisamment
imperméable - on parle des subventions - mais nous croyons qu'une fois
le principe acquis on devrait pouvoir s'entendre sur une définition qui
sera imparfaite mais utile. L'important est de ne pas s'entêter à
perpétuer un système qui, en fin de compte, nuit à tout le
monde", en parlant des subventions en général. Alors, pour nous,
il n'est pas question, en aucune façon, d'un désarmement
unilatéral et d'abolir toute intervention si l'autre se garde les
mécanismes qu'on connaît très bien qui sont quelquefois
plus déguisés ou maquillés que les nôtres, mais qui
sont tout de même très présents, et vous les connaissez
comme il faut.
L'autre point que j'ai, par contre, M. le vice-président
exécutif, M. Jutras, c'est que, quand vous avez préparé
votre mémoire, nous avions un dollar, par rapport au dollar
américain, où il y avait un écart de 0,40 $. Nous avons
actuellement un écart de 0,30$ et vous faites une
pénétration extraordinaire. Le dollar est à 0,75 $, 0,76 $
et varie, si vous regardez l'écart. Ce que je veux dire, c'est qu'on
peut s'obstiner sur 100 points de base ou 200 points, le point important, c'est
qu'il y a eu une diminution de votre avantage au cours des deux
dernières années - moins de deux ans - d'à peu près
7 % à 8 %, sinon 9 %. Je regardais les résultats spectaculaires
qu'un de vos membres nous citait ce matin, vous continuez à faire une
pénétration qui est sûrement le résultat de votre
modernisation, de votre agressivité et de votre savoir-faire. Il y a une
limite à cela. Je ne remets pas en cause votre argumentation sur ia
période de transition. Je dis que vous démontrez à l'heure
actuelle que le genre d'entrepreneurship qu'on retrouve au Québec, et
particulièrement chez vous, est capable d'entrer en concurrence si on
lui donne le temps et les moyens.
M. Jutras: Vous avez raison, M. MacDonald, cependant, il faut
faire attention quand on dit cela. Nous avons basé notre mémoire
sur le fait que le dollar reste où il est. Nous ne pensions pas qu'il
serait à 0,40 $, à 0,35 $, à 0,30 $, à 0,25 $ dans
les prochaines années. Nous n'avions pas cela à l'esprit. Mais on
sait que le dollar peut bouger rapidement. Vous avez raison, il a
été à 0,40 $; j'ai pris 0,40 $ comme comparaison, tout
à l'heure, j'aurais dû prendre 0,30 $. Il n'a pas
été très longtemps à 0,40 $, entre vous et moi.
Cela a varié sur douze ou treize ou quatorze mois. Je ne crois pas que
c'est ce qui a influencé. D'ailleurs, certains de nos membres qui
exportaient à ce moment-là ont tellement eu
peur que cela bouge à nouveau qu'ils ont ce qu'on appelle vendu
leur argent six mois d'avance. Ils ont peut-être perdu là. Est-ce
que vous voulez ajouter quelque chose, M. Fontaine?
M. Fontaine (Fernand): Oui, pour ajouter à ce que M,
Jutras disait tantôt, concernant la vente aux Américains, je suis
président et propriétaire d'une entreprise qui exporte pour 25 %
du chiffre d'affaires aux Américains,, Nous nous rendons compte, plus
nous essayons de pénétrer le marché... Je parle bien d'une
pénétration de masse, parce que 25 % d'une entreprise où
il y a 150 employés, dans le marché américain, c'est une
très petite goutte d'eau dans un grand fleuve. Pour réussir
à pénétrer le marché américain, il y a
beaucoup plus que le taux de change qui fait la différence. Il y a le
nationalisme américain et nous devons, tous les jours, combattre ceci.
Pour pouvoir combattre ceci, cela nous prend des avantages. L'avantage, nous
l'avons par le dollar présentement, et nous l'avons par le taux de
change. Si nous devions perdre les deux en même temps, je ne sais ce qui
arriverait des percées spectaculaires, que mentionnait M. MacDonald, de
l'entreprise québécoise sur le marché américain. Je
pense que la seule raison pour laquelle nous réussissons à
pénétrer le marché américain, c'est une
économie de 35 % à 40 % que l'on retrouve en transigeant avec le
dollar américain, chose que les Américains ont malheureusement
à combattre quand ils entrent au Canada. Avec parité, cela serait
tout à fait différent.
M. Parent (Bertrand): Je suis d'accord avec vous.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Johnson.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Oui, merci, M. le
Président. Messieurs, votre présentation est en train de faire
mentir la description habituelle de votre secteur comme étant un secteur
mou. On voit que vous...
M. Jutras: Nous ne sommes pas un secteur mou, nous sommes un
secteur traditionnel.
Le Président (M. Charbonneau): Nuance!
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): ...associé, quant
à son avenir, à ce qu'on appelle d'habitude les secteurs mous qui
sont soit en déclin soit ouverts sur un marché où la
concurrence est tellement féroce qu'il n'y a pas de chance de
succès. Vous avez démontré le contraire par des
investissements, par la formation de vos membres et leur information. Bien
au-delà du taux de change, il y a quand même des données
fondamentales dans votre industrie qui, sur la tradition, a su bâtir des
choses extrêmement modernes.
Il n'en reste pas moins que c'est toujours le fait de quelques leaders,
dans l'industrie, cette facilité de pénétrer un
marché. On espère chaque fois que cela donnera l'exemple à
d'autres, et la modernisation que certains de vos membres ont emprunté
se répercute. Il n'en reste pas moins qu'il y a encore beaucoup
d'emplois, il y a beaucoup de poches et beaucoup de secteurs, dans cette
industrie, qui demeurent vulnérables; on ne se le cache pas.
À partir du moment où l'on constate cela, cela vous
amène à suggérer la plus longue période de
transition possible. C'est parfaitement légitime et c'est d'ailleurs
dans cet esprit que nous avons des consultations et que nous aurions des
consultations, dans l'éventualité de la conclusion d'un accord,
avec les différents groupes industriels pour voir comment
aménager un régime qui permet d'assurer la transition. À
l'occasion de ces discussions et dans un mode de transition comme celui qu'on
envisage, j'aimerais vous entendre faire des suggestions sur les cibles
particulières qu'on devrait viser afin de renforcer votre secteur et lui
permettre, justement, de s'ajuster à une concurrence internationale
ouverte qui présumerait une réduction de l'écart,
éventuellement. C'est possible. Plus cela va bien, plus on pourrait
envisager que le dollar canadien se raffermisse. Donc, cela nous permettrait,
comme gouvernements - je le dirais au pluriel, le fédéral
étant évidemment mis à contribution de façon
subtantielle, je me plais à dire que c'est beaucoup son dossier...
Quelles sont les dimensions de votre industrie qui appelleraient un
soutien particulier? Cela peut être un soutien financier dans la
modernisation, dans la recherche de nouveaux produits et de nouveaux
matériaux. Cela peut être un soutien technique quant à
l'instauration d'un contrôle de la qualité. Cela peut être
un soutien technique et de formation quant à la recherche d'un meilleur
design et d'une définition de vos produits qui les rend encore plus
uniques et distinctifs. On le sait, on en a déjà parlé,
c'est une façon d'être concurrentiel que d'être unique. De
tout petits pays comme ceux de la Scandinavie nous l'ont montré. Ils
envahissent nos marchés. Il sont dans des créneaux particuliers.
Pourquoi? Design, qualité. Est-ce que vous pourriez donner un ordre de
priorités? Je comprends que toutes ces choses sont bonnes et belles.
Est-ce que vous pourriez donner un ordre de priorités?
M. Fontaine: Je crois que les lois déjà
en vigueur, au chapitre de la fiscalité concernant la recherche
et le développement, ne permettent pas à l'industrie du meuble de
déduire des frais de recherche et de développement de ses
impôts. Je pense qu'il faudrait revoir en priorité le secteur
recherche et développement. Encore là, nous ne demandons pas de
subvention. Nous demandons de revoir les lois. La recherche et le
développement, ce n'est pas nécessairement un homme en sarrau
blanc dans un laboratoire, avec des bouteilles fumantes. Cela peut être
un homme qui, rabot en main, essaie de courber un meuble pour lui donner un
design. Les gens de la fiscalité n'ont pas encore compris cela. Je pense
qu'en priorité la recherche et le développement seraient, pour
nous, très avantageux, et, bien sûr, le design.
Le deuxième point, à mon avis, c'est le marketing.
Étant des PME, des entreprises à propriétaire unique dont,
la plupart du temps, le capital est relativement limité, nous n'avons
pas les moyens de faire des campagnes de publicité à la
télévision, à la radio et dans les médias. Nous
n'avons même pas les moyens d'avoir le vrai directeur de marketing que
tous convoitent, parce que cela coûte trop cher. Alors, le gouvernement
pourrait aider d'une façon quelconque - je ne connais pas le
mécanisme et je n'oserais pas avancer quelque chose cet
après-midi l'industrie à se développer sur le plan du
marketing pour aller savoir ce que les Américains veulent. Si on doit
vivre dans un contexte de libre-échange d'ici quelques années, il
faut savoir quel produit ils désirent pour fabriquer le produit qu'ils
désirent et non pas faire comme an a fait depuis plusieurs
années, aller vendre le produit qu'on fabrique. S'ils n'en veulent pas,
on ne le vend pas. Tout cela est une question de marketing. Alors, en ce qui
nous concerne, recherche, développement et marketing sont les
priorités. (17 heures)
M. Godard: J'aimerais ajouter cela, soit dans un domaine qui est
assez "touchy", comme on dit, et ce sont les avantages sociaux. Est-ce que vous
allez négocier - je ne sais pas si cela va être très
difficile -avec les Américains parce que je pense qu'on est pas mal
au-dessus des avantages sociaux des Américains? Si cela nous coûte
6 %, 7 % ou 8 % de plus en avantages sociaux -comme on voit dans notre rapport,
nos profits sont de 2,1 % - et si on enlève les taxes - le conseil
canadien dit que les prix vont baisser de 7 % - je vous dis qu'on va être
obligé d'aiguiser nos crayons. On va être obligé
d'améliorer notre productivité.
Un autre point avant de terminer. J'aimerais attirer l'attention de
votre gouvernement sur la plantation des feuillus. C'est un autre domaine. On
en a parlé lors de rencontres. On sait qu'il se dépense 300 000
000 $ au Québec pour la plantation de... Je pense que ce sont tous des
conifères. Mais les feuillus, le chêne, le merisier, tous ces
arbres, on n'en fait à peu près pas. Comment cela se fait que nos
ancêtres... Comment cela se fait-il que nous ne pensons pas à
cela? Je me le demande. La plupart du bois, dans le moment, est importé
des États-Unis. Si les Américains décidaient, je ne sais
pas, pour une raison ou une autre, de le taxer davantage ou de ne pas nous en
donner, où serait-on? Il y a plusieurs usines qui seraient bien mal
prises. J'aimerais que nos gouvernants commencent à penser à
planter des petits arbres, des petits arbres avec des feuilles pour faire des
petits meubles.
Le Président (M. Charbonneau): Sur cette suggestion
intéressante, je vais laisser la parole au député de
Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci. Je pense que c'est un excellent
point que vous apportez là.
M. Fontaine, vous avez mentionné dans votre réponse
tantôt, et j'ai trouvé cela fort intéressant, que la
recherche-développement et le marketing étaient les deux axes
où il faut avoir un coup de pouce, une aide, une formule quelconque. Je
pense que la question du ministre portait aussi sur le volet des aides sous la
forme fiscale, si on veut. Est-il exact que ce genre d'aide dans la recherche
et le développement, avec laquelle vous ne pouvez finalement obtenir un
rendement qu'un an, deux ans ou trois ans plus tard parfois, n'est pas
exactement ce que vous cherchez par la formule de la fiscalité et que ce
qui serait recherché davantage dans vos entreprises, ce serait, encore
une fois -c'est une expression que je me plais à utiliser - un coffre
d'outils qui va vous permettre rapidement au cours des prochains mois, au cours
de la prochaine année d'aller analyser davantage le marché
américain dans certains secteurs pour connaître davantage les
créneaux, les marchés, ce que les gens veulent exactement pour
pouvoir vous retourner de bord ici et faire les recherches . en
conséquence et produire le produit qui va correspondre là-bas? Je
pense que, de la façon que je le comprends et j'aimerais que vous
puissiez le confirmer, ce que vous recherchez davantage, ce sont les genres de
programmes comme il y en avait il y a deux ou trois ans. M. le ministre s'en
souvient. C'était un outil assez magnifique pour le marketing des PME et
qui a permis l'accessibilité à plusieurs petites et moyennes
entreprises du Québec, pas seulement dans votre secteur. C'était
des politiques globales. Je pense que cela va être important parce que ce
qui vous affecte dans le meuble, entre autres, c'est aussi la même chose
dans d'autres domaines. Donc, il faut des
politiques qui vont faire en sorte qu'on va être capable de donner
à nos dirigeants d'entreprises ce que j'appelle l'ensemble de soutien
à l'entrepreneurship, à savoir des outils pour être capable
d'aller faire faire ces études, de vous donner les moyens
nécessaires pour être capable... Très souvent, les
dirigeants d'entreprises, surtout lorsqu'ils font 1 000 000 $, 2 000 000 $ ou 3
000 000 $ de chiffre d'affaires, dans nette envergure... C'est le
président-directeur général qui fait tout cela et qui
s'occupe d'exportation et il n'a pas le temps d'aller passer un mois aux
États-Unis. Je pense que cela serait important qu'on ait des mesures
tangibles du côté marketing particulièrement, de la
pénétration de marchés.
L'autre volet de ma question, c'est l'ouverture des marchés. Il
existe déjà des programmes actuellement au ministère du
Commerce extérieur et du Développement technologique ou à
la SDI-exportation pour vous aider à faire vos
pénétrations de marchés. Une fois que vous avez le
produit, il faut être capable d'aller vendre les meubles que vous
fabriquez, être capable d'aller les vendre sur tel marché dans
l'Est américain ou peu importe, dans n'importe quelle région,
lorsque vous avez identifié votre créneau. Il y a cette
possibilité, la capacité de rentrer dans des réseaux de
distribution. Ce n'est pas juste exposer dans une grande foire à New
York, à Boston ou à Chicago, je pense qu'il faut, par la suite,
entrer dans des réseaux de distribution.
Très souvent, on ne pense pas fournir les outils pour aider
à entrer dans les réseaux. J'aimerais vous entendre
là-dessus. Est-ce que les outils existant actuellement au
ministère du Commerce extérieur sont suffisants ou s'il n'y a pas
lieu d'en avoir d'autres plus concrets, plus pratiques pour vous donner des
outils qui vous permettraient d'atteindre de meilleurs succès, toujours
face au libre-échange?
M. Fontaine: Je continue de suivre l'ordre des priorités
que j'avais donné parce que ce n'est pas dans notre mémoire, ce
sont des commentaires que j'apporte. Je dis que la recherche et le
développement, c'est très important parce que ce sont des
crédits d'impôt. Selon le mécanisme qu'on connaît
présentement, les crédits d'impôt, habituellement, les
gouvernements remettent cela à des entreprises qui ont de l'impôt
à payer et non pas à des entreprises qui seraient en train de
chavirer à qui ce gouvernement injecte des millions de dollars pour nous
concurrencer et nous affaiblir, pour nous empêcher de faire le marketing
qu'on veut faire aux États-Unis. Sur le plan de la
recherche-développement, afin de préciser ce que j'ai dit
tantôt, ce que nous voyons, ce sont des crédits d'impôt. Sur
le plan du marketing, j'ai été très prudent tantôt,
j'ai dit: Je ne veux rien énoncer ici. Je connais tous les programmes
que le ministère du Commerce extérieur offre présentement.
Plusieurs de ces programmes sont très complexes. Ils demandent d'une
façon très ponctuelle d'assister à une exposition. La
preuve est faite, je l'ai fait moi-même, cela ne vaut rien du tout sur le
plan pénétration d'un marché, à moins d'être
bien chanceux. C'est un travail de très longue haleine qui demande deux
ou trois ans. Les programmes actuels sont essoufflés après deux
ou trois ans»
Vous l'avez si bien dit, M. Parent, ce qui est très important,
c'est de toucher au réseau de distribution. C'est ce que nous, les
Canadiens français, quand on arrive à Chicago avec un "french
accent", déjà on a une prise contre nous, pour ne pas dire une
"strike" et, en plus, on n'a pas de réseau de distribution. Là,
il faut se mettre à la recherche. Là, les programmes ne sont pas
très bavards. Il faut que ce soit plus concret. Il faudrait que notre
projet soit complètement monté et réussi pour que les
programmes actuels nous aident vraiment. Je pense qu'il faut aller à la
pêche, et on risque que ça ne morde pas. Là, les programmes
sont... En tout cas, je précise un peu dans le sens des programmes qu'on
a au ministère du Commerce extérieur. Je pense que le marketing
est très important, je ne connais pas les instruments ou les
mécanismes en place, mais ce qui est en place présentement, je
n'appelle pas cela du marketing, c'est - j'hésite à le dire - une
forme de bien-être social à l'entreprise, et là-dessus je
ne suis pas d'accord. Il faut aller un peu plus loin.
M. Parent (Bertrand): Je vous remercie beaucoup, M. Fontaine, des
éclaircissements que vous apportez. Je pense que ce sera important,
libre-échange ou non - il y a tout lieu de croire qu'on risque d'en
avoir, mats davantage avec le libre-échange - qu'on puisse adopter de
façon plus pragmatique les programmes existants. Je pense que cela a
été dit dans le passé, il y a eu des mesures
apportées et corrigées, mais je pense qu'il y a encore
beaucoup... Les programmes auxquels vous référiez tantôt,
le programme APEX, je pense que, dans certains cas, ils peuvent être
excellents, mais, dans d'autres cas, ils ne donnent pas les résultats
attendus. Je vous encourage, en tant qu'organisme, en tant qu'association,
à coucher sur papier les messages que vous avez à passer, ce que
vous verriez exactement comme programmes, les acheminer aux ministres de
l'Industrie et du Commerce et du Commerce extérieur, comment vous
verriez cela. Je pense que, si on veut vraiment être capable non
seulement de porter une critique mais de faire des choses davantage
constructives, vous êtes bien placés, c'est vous et d'autres
organismes
tels que le vôtre. C'est vous qui pouvez dire: Dans notre secteur,
voici ce que ça prend. Si on avait cela pour développer nos
réseaux -c'est un problème majeur... Je pense que cela
mériterait certainement d'être reçu par le
gouvernement.
Le temps file rapidement et j'aimerais vous poser une question sur une
dimension qui touche la productivité et les salaires. Les études
que j'ai entre les mains, sensiblement les mêmes que les vôtres,
démontrent qu'en Ontario, au Canada et au Québec la comparaison
fait en sorte qu'au Québec les salaires sont plus bas. Les chiffres que
je cite: 6,48 $ l'heure, comparativement à 6,92 $, 6,78 $. Ce sont des
chiffres de 1981 dans les études statistiques. Sur le plan de la
productivité, encore là, la productivité au Québec
est plus basse que celle de l'Ontario et de la moyenne canadienne. Ces chiffres
remontent, semble-t-il, à 1984. J'ai ici une étude de juillet
1985 du ministère de l'Industrie et du Commerce qui reflète
sensiblement les mêmes chiffres que vous nous avez donnés
tantôt. Est-ce qu'en 1987, M. Boisvert, M. Jutras, peu importe, cette
productivité tend à augmenter? Sinon, qu'est-ce qui pourrait
être fait pour vous aider à augmenter la productivité dans
vos entreprises?
M. Jutras: Si on élimine tout l'aspect de la
mécanisation et qu'on parle simplement d'emplois, d'employés dans
ce sens, c'est bien sûr qu'on est parti sur une certaine courbe, qu'on
aime cela ou non, et c'est peut-être à cela que dans notre
mémoire on a fait allusion en disant qu'il faudrait comparer deux choses
égales avec les États-Unis. Vous nous dites: On a augmenté
le salaire minimum, mais on a attendu que les Ontariens l'augmentent et on l'a
fait en même temps - donc, on est correct. Moi, je vous dis: C'est
correct. Quand on vend en Ontario - j'avoue carrément
qu'énormément de nos membres vendent en Ontario - je dis:
Ça va. Mais, si on compare cela avec ce qui se fait, par exemple, en
Caroline du Nord, on est drôlement désavantagés et cela
peut être très coûteux. Mais quand on parle de la
productivité des personnes, ce n'est pas au sujet du salaire horaire,
mais très souvent au sujet des avantages sociaux, des autres frais qu'on
ne voit pas, un congé férié additionnel qu'on donne, par
exemple. Si on donne un congé férié additionnel dans une
entreprise de 200 employés, c'est une année-homme qu'on vient de
donner. Cela peut être la CSST, cela peut être d'autres lois qui
nous forcent à jouer avec notre productivité, ce qui fait qu'au
bout de la ligne on est peut-être un peu moins productifs; c'est
peut-être un peu plus difficile. Il est bien sûr, M. le
député de Bertrand, que, si on avait su - je pense à ceux
qui m'ont précédé à cette table et ceux qui vont me
suivre - réelle- ment de quelle façon le dossier du
libre-échange avait été mené à Ottawa, on
n'aurait peut-être même pas besoin d'une commission parlementaire,
parce qu'elle est drôlement en retard, la commission parlementaire au
Québec, mais, à Ottawa, on ne sait pas ce qui se passe
présentement. Une journée, c'est blanc et l'autre journée,
c'est noir. Est-ce qu'ils vont faire cela ou s'ils vont faire autre chose?
C'est dans cet esprit qu'on est venus ici, c'est dans cet esprit qu'il y a
quelques années on a fait notre mémoire pour dire: Compte tenu
de... voici ce qu'on pense. Il est évident que si on dit: D'accord, on
vous donne dix ans, on vous donne ceci, on vous donne cela... Cependant, si les
États-Unis décidaient, demain matin, de mettre une surtaxe de 20
% sur le meuble, il n'y a aucun moyen pour qu'on puisse se plaindre,
excepté que le gouvernement fédéral pourrait dire: On va
faire la même chose avec la culture, par exemple. Je pense que cela ne
peut pas fonctionner. Mais, si on était sûr d'un mécanisme
quelconque, il y a peut-être des choses qu'on aurait changées dans
notre mémoire, il y a peut-être des optiques pour lesquelles on
mettrait certaines variantes, mais on est tellement dans le noir qu'on est
obligé d'aller à l'extrême pour s'assurer qu'à un
moment donné, au moment où cela sortira, on sera dans le juste
milieu. Je pense que c'est cela. Mais on a essayé au niveau des
statistiques d'être le plus réaliste possible. Je ne pense pas
qu'il y ait de statistiques gonflées là-dedans. Je me souviens
l'avoir vu, revu, écrit, etc., et je ne pense pas qu'il y en ait. En
tout cas, cela n'a certainement pas été notre intention.
Le Président (M. Charbonneau): Un dernier commentaire.
M. Godard: Oui, au sujet des coûts, il y a d'autres
facteurs aussi, le facteur productivité. Je suis allé visiter
quelques usines américaines. Quand on dit qu'on produit 2000
ameublements de chambre à coucher en même temps, vous imaginez
que, nous, on en coupe 100 ou 200, il y a les coûts de la machinerie - il
faut la replacer chaque fois - et la perte de temps sur les achats aussi. Quand
vous achetez pour 2000 ameublements, ce n'est pas tout à fait le
même prix que pour 100 ou 200. Il y en a qui en font 50. C'est un facteur
qui joue beaucoup dans la balance, de plusieurs points de pourcentage. (17 h
15)
M. Jutras: Ils peuvent inonder notre marché. Dans notre
mémoire, c'est écrit. S'ils augmentaient leur capacité non
utilisée de leur usine de 7 %, ils produiraient plus de meubles qu'au
Québec, et cela ne coûte rien. Vous pouvez, à ce
moment-là, les envoyer à 15 %, 20 %, 30 % en bas du prix
que vous le vendez parce que votre marché est un marché
américain. De ce montant que vous envoyez à 30 % ou 25 % en bas
du prix, il reste quand même du profit parce que votre machine, les
coûts de production sont ailleurs. C'est de tout cela qu'on a peur.
Comment vont-ils réagir à ce chapitre?
M. Godard: Dans 75 % des cas, nos usines - on le dit dans le
rapport - sont situées dans des petites places. C'est la seule qui
emploie des gens. Vous pouvez vous imaginer, au niveau social, ce que cela
ferait. Cela ferait plus de bien-être social.
Le Président (M. Charbonneau): C'est tout le temps qui
nous était imparti. M. le ministre, est-ce que vous vouliez...
M. MacDonald: Je ne peux que conclure, comme je l'ai fait
à maintes reprises, que vous voyez vous aussi le bien-fondé de
négocier une entente sur la libéralisation, mais pas à
n'importe quelle condition.
M. Jutras: Pas à n'importe quel prix.
M. MacDonald: Et nous sommes d'accord.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): En terminant, je veux aussi vous remercier
pour l'excellente présentation que vous nous avez faite aujourd'hui.
Dans un secteur qui est très vulnérable face au
libre-échange, je vous trouve très optimistes et je suis
très content de voir que vous allez, en tout cas avec les mesures que
vous préconisez, si le gouvernement vous donne les coffres d'outils,
être capables de viser l'excellence. S'il y a un domaine dans lequel vous
allez réussir, c'est par cette recherche de la créativité,
cette recherche du design nouveau, cette recherche pour améliorer les
produits qu'on a présentement. Continuez et, encore une fois,
félicitations.
M. Boisvert: M. le Président, au nom de l'association, je
vous remercie encore une fois de nous avoir donné l'occasion de venir
vous dire ce qu'on avait à vous dire sur le libre-échange. Je
pense bien que l'association sera là dans l'avenir pour continuer
à collaborer avec vous.
Le Président (M. Charbonneau): II me reste, au nom de
tous les autres membres de la commission, à vous remercier d'avoir
participé à cet exercice. Je pense que tout le monde aura
apprécié les discussions avec vous. Je suis convaincu que vous
reviendrez en commission parlementaire de l'économie et du travail pour
discuter d'un autre sujet ou d'un sujet semblable. Je vous souhaite un bon
retour.
J'invite le prochain groupe, l'Association provinciale des...
Une voix: Non.
Le Président (M. Charbonneau): L'Institut canadien des
textiles. On était déjà rendu, peut-être par
anticipation, à 22 heures.
Messieurs, bonjour, sinon bonsoir. Je pense que vous connaissez un peu
les règles du jeu mais je vous les rappelle pour être certain
qu'on se comprend bien. On a envircn une heure pour la discussion et la
présentation. Cela commence par la présentation de votre
mémoire, d'une durée d'une vingtaine de minutes, et par la suite
la discussion va s'engager avec les membres de la commission.
Je demanderais au représentant responsable de la
délégation, je crois que c'est M. Dionne, s'il voulait, avant de
commencer la présentation du mémoire présenter les
personnes qui l'accompagnent, pour les fins du Journal des débats, et
par la suite immédiatement commencer l'exposé. On a
déjà un peu de retard.
Institut canadien des textiles
M. Dionne (Jean-Guy): M. le Président, honorables
ministres, je suis très fier, comme président du conseil
d'administration de l'Institut canadien des textiles ainsi que président
de Textiles Dionne, de vous présenter notre délégation
aujourd'hui. Tout d'abord nous avons, à ma droite ici, M. Picard, qui
est président du conseil d'administration de SATEXIL, M. Biais, qui est
de Tricots Somerset, à Plessisvilie. À ma gauche, ici, M.
André Côté, vice-président, Dominion Textile, M.
Paul-Émile Boudreau, président de la section des tissus de
Dominion Textile, M. Robert Thompson, qui est directeur des opérations
corporatives chez Consoltex, et M. Eric Barry, président de l'Institut
canadien des textiles.
Le gouvernement fédéral actuel s'est clairement
engagé à négocier un accord de libre-échange avec
les Etats-Unis. Le Canada a pour objectifs d'assurer, d'accroître et de
conserver l'accès de nos produits aux marchés américains.
Cet accès élargi supposera une libéralisation
considérable et ordonnée du commerce, grâce à la
suppression des tarifs et des contingents dans un délai raisonnable,
moyennant des dispositions adéquates de transition et d'adaptation.
L'incidence d'un accord de libre-échange sur l'industrie du
textile est un sujet controversé. Y gagnera-t-elle, y perdra-t-elle? On
a souvent peur de l'inconnu. Au sein de l'industrie les opinions
diffèrent et
vont d'un extrême à l'autre en passant par toutes les
nuances. Elles varient d'une compagnie à l'autre et même à
l'intérieur d'une même compagnie.
Le textile constitue une grande industrie. La valeur de ses
expéditions en 1966 était de 5 600 000 000 $ dont 51 %
provenaient des entreprises du Québec. Le textile constitue un gros
employeur qui procure directement du travail à 80 000 Canadiens et
Canadiennes et génère indirectement 100 000 autres emplois.
Environ 40 % de ces emplois se trouvent au Québec. Si l'on combine
l'industrie du textile à celle du vêtement, son plus gros client,
ce secteur vient au second rang des employeurs dans la fabrication, au Canada,
et fournit en tout plus de 170 000 emplois. En 1983, il employait plus de
personnes que les industries des véhicules automobiles et des
accessoires ou que celles des pâtes et papiers ou encore de la
sidérurgie.
Le secteur du textile et du vêtement fournit un emploi sur cinq
dans la fabrication au Québec et un sur dix au Canada. Le textile et les
produits du textile se retrouvent partout dans l'économie. Environ 40 %
de ce que nous fabriquons est vendu à l'industrie du vêtement.
Environ 30 % est vendu pour le foyer sous forme de tissus pour les meubles, de
tentures, de tapis et de linge de lit. Le reste est utilisé par plus de
150 industries dans le secteur des ressources, l'agriculture, les services et
la fabrication. En 1985, l'industrie du textile a versé 1 200 000 000 $
en salaires, acheté des matériaux et des fournitures d'une valeur
de 2 800 000 000 $ et apporté 2 300 000 000 $ de valeur ajoutée
à l'économie nationale.
L'industrie du textile a une solide réputation de relations du
travail cons-tructives. Le temps perdu à cause des conflits de travail
est beaucoup moins élevé dans cette industrie que dans l'ensemble
de la fabrication. L'industrie du textile donne le ton en matière de
santé et de sécurité au travail et dans la conservation de
l'énergie. L'industrie du textile maintient des prix tout à fait
concurrentiels. L'augmentation des prix de ses produits à la sortie de
l'usine est toujours demeurée proportionnellement inférieure
à celle de l'ensemble de la fabrication.
L'industrie du textile est un important investisseur. De 1975 à
1984, ses investissements ont totalisé 2 400 000 000 $. Pour situer ce
chiffre dans une juste perspective, précisons que c'est là trois
fois plus que les investissements de l'aérospatiale canadienne pour les
mêmes années. En fait, les investissements par travailleur du
textile sont de 11 % plus élevés que les investissements par
travailleur de l'aérospatiale. Plus de 85 % de ces investissements ont
été générés par l'industrie elle-même,
sans soutien gouvernemental. L'industrie s'en est servie pour demeurer à
la fine pointe de la technologie. Les compagnies du textile projetaient
d'investir à peu près 388 000 000 $ en 1986, montant le plus
élevé pour une année jusqu'ici. Cela prouve à quel
point l'industrie veut accroître sa productivité et
posséder la technologie la plus moderne et la plus
perfectionnée.
Il y a quatre autres points à souligner au sujet des
investissements. D'abord, si vous additionnez tous les investissements dans le
textile, la bonneterie et le vêtement, le textile représente plus
de 80 %. Deuxièmement, la montée de nos investissements depuis
1981 est plus marquée que dans l'ensemble de la fabrication.
Troisièmement, les subventions fédérales fournies depuis
1982 par l'intermédiaire de l'Office canadien pour un renouveau
industriel ont aidé, mais ne représentent qu'un faible
pourcentage du total. Nous avons généré la plus forte
partie nous-mêmes, ou nous l'avons recueillie sur les marchés des
capitaux ordinaires. Quatrièmement, nous avons fait ces progrès
malgré une récession et malgré une concurrence très
forte des marchés extérieurs.
L'industrie canadienne du textile est un secteur d'activité
important, mais il est loin de rivaliser avec celui des États-Unis.
Abstraction faite du taux de change, la valeur des importations
américaines de produits textiles est quatorze fois supérieure
à celle du Canada. L'industrie américaine du textile et du
vêtement compte un effectif douze fois supérieur à celui du
Canada. C'est ce qui lui confère le titre de principal employeur aux
États-Unis.
Les négociations dont fait l'objet actuellement la signature
éventuelle d'un accord de libre-échange entre le Canada et les
États-Unis seront au centre de nos préoccupations cette
année. La question de savoir si cet accord sera profitable au Canada
suscite des débats passionnés, tant au sein de l'industrie
textile que dans d'autres secteurs d'activité économique.
Toutefois, je ne pense pas que l'industrie textile dans son ensemble parviendra
à prendre une position définitive à cet égard. Elle
est beaucoup trop vaste et diversifiée pour que cela constitue un
objectif réaliste.
De plus en plus d'entreprises sont favorables au libre-échange.
Elles ont mesuré les avantages et les possibilités qui pouvaient
s'offrir à elles et sont prêtes à accepter les risques que
cela suppose, plutôt que d'observer le statu quo. Une majorité
croissante d'entreprises estiment pouvoir maintenir un niveau d'activité
honorable dans un contexte libre-échangiste, à condition
toutefois de bénéficier, au préalable, de conditions
d'ajustement et de transition satisfaisantes. Un certain nombre d'autres
entreprises manifestent leur opposition au libre-échange pour de
multiples raisons.
Quoi qu'il en soit, nous nous sommes clairement mis d'accord sur ce que
nous entendions par conditions d'ajustement et de transition satisfaisantes.
Nous savons pertinemment que l'avis que nous émettrons sur la notion du
libre-échange avec les Américains, qu'il soit positif ou
négatif, n'aura aucune influence notoire sur la décision finale.
Si le Canada décide de signer un accord de libre-échange avec les
États-Unis à l'issue de négociations satisfaisantes,
certaines conditions de transition et d'ajustement n'en demeurent pas moins
essentielles à nos yeux. Le gouvernement fédéral a
déjà pris connaissance de notre position dans ce domaine.
À ce moment-ci, M. le Président, je demanderais à
M. André Côté, qui s'occupe des dossiers du
libre-échange à l'Institut canadien des textiles, de nous
expliquer ces mesures d'ajustement que nous demandons. (17 h 30)
M. Côté (André): Merci, M. Dionne.
Je me fais ici le porte-parole de l'Institut canadien des textiles pour
vous donner un synopsis des principales recommandations que l'institut a faites
au gouvernement fédéral, à la fin de 1986. Il y a une
constante qui ressort de toutes les études qui ont été
publiées sur le sujet du libre-échange entre le Canada et les
États-Unis, notamment par la commission Macdonald, par la Commission du
textile et du vêtement sur les effets du libre-échange entre le
Canada et les États-Unis. Cette constante, c'est que, dans
l'éventualité d'une telle entente, des ajustements
appropriés sont absolument nécessaires, non seulement pour
l'industrie textile, mais pour la plupart des industries canadiennes.
L'industrie du textile se rallie certainement à cette constante et a
concentré ses recommandations sur ces méthodes d'ajustement qui
doivent être implantées pour permettre de s'intégrer au
marché nord-américain. Je rejoins ici un peu ce que nos
collègues du meuble ont dit tout à l'heure - ce sont des
statistiques que vous allez reconnaître - l'industrie textile, dans un
contexte de libre-échange, va avoir à faire face à un
marché un peu beaucoup inconnu, le vaste marché américain.
Il devra donc trouver des créneaux de marché et trouver aussi des
systèmes de distribution qui ne lui sont pas présentement
disponibles et souvent lui sont inconnus. Il est important de noter - et ici je
reconnais des statistiques qui ont été données tout
à l'heure - que la production entière de l'industrie textile
canadienne ne pourrait répondre qu'à 7 % ou 8 % du marché
américain. À l'inverse, 7 % ou 8 % de la production
américaine pourrait répondre aux demandes complètes du
marché canadien. Ce sont à peu près les mêmes
pourcentages qui ont été notés par l'industrie du meuble
et, je suis sûr, par plusieurs autres industries. De là, donc, la
nécessité d'avoir des mesures d'ajustement qui sont très
précises et dont le thème principal est qu'elles ne devraient
certainement pas être désavantageuses pour le Canada.
À partir de ce thème, nous avons six recommandations
majeures que nous avons faites au gouvernement fédérai et qui
sont comme suit. Nous recommandons que les tarifs sur les textiles soient
réduits d'une façon qui ne soit pas désavantageuse pour le
Canada, par exemple, que les tarifs américains soient
éliminés jusqu'à zéro sur une période de
cinq ans, et que les tarifs canadiens diminuent jusqu'à zéro sur
une période de dix ans. Je dois noter ici - M. Dionne l'a
mentionné tout à l'heure - que certains secteurs de l'industrie
du textile font exception à cette recommandation. Nous recommandons -
c'est un point un peu plus technique - que le "drawback" sur les droits de
douane... Je devrais peut-être noter au début qu'à
l'intérieur du GATT il y a un système qui permet d'importer du
matériel de l'extérieur du Canada, de modifier ce
matériel, de le réexporter, soit vers les États-Unis ou
ailleurs, et de pouvoir retirer les droits de douane qui ont été
payés au moment de l'importation. C'est ce qui s'appelle le "drawback"
sur les droits de douane. Il est important que le "drawback" sur les droits de
douane continue à être disponible pour les produits qui seront
qualifiés à l'intérieur du libre-échange avec les
États-Unis, durant la période de transition, jusqu'à ce
que les droits sur ces produits-là soient éliminés
à la fin de la période de transition. Nous avons aussi
recommandé que le "drawback" sur les droits de douane soit maintenu sur
les produits exportés vers les États-Unis qui ne sont pas
qualifiés pour le libre-échange. Cela même après la
période de transition. Évidemment, le "drawback" tel
qu'appliqué au commerce international en dehors de la zone de
libre-échange devra, en tout temps, être maintenu selon les lois
du GATT. Encore ici, je dois noter qu'il y a des exceptions pour certains
secteurs dans l'industrie textile.
La troisième recommandation fait état de la manière
de réduire les tarifs pour tous les secteurs de l'industrie du textile
et nous demandons que la réduction des tarifs se fasse de manière
égale pour tous les secteurs du complexe textiles-vêtements. Nous
recommandons donc que l'élimination des tarifs se fasse de façon
égale pour tous les niveaux de production, fibres, fils, tissus,
articles fabriqués et vêtements, et que cette réduction se
fasse sur la même période de temps pour tous ces secteurs. La
quatrième recommandation, qui elle aussi est de nature très
technique, a trait aux règles d'origine. Nous avons fait des
recommandations au gouvernement sur une méthodologie afin
d'établir des règles d'origine qui qualifient un article produit
au Canada ou aux États-Unis.
En général, cette recommandation est à l'effet
d'établir des règles d'origine claires, compréhensibles et
prévisibles, je devrais ajouter qui peuvent être
administrées d'une façon facile par les agents de la douane, et
que les produits, pour être qualifiés, devraient subir des
transformations substantielles au Canada et aux Etats-Unis afin d'être
reconnus d'origine nord-américaine.
Nous recommandons ensuite que des mesures compensatoires soient
établies pour contrecarrer les pratiques commerciales reliées au
dumping ou aux prix qui pourraient être abusivement bas. Même si,
par définition, à l'intérieur d'une zone de
libre-échange, le dumping ne devrait pas exister, il n'en demeure pas
moins que les conditions très différentes des deux industries du
textile dans les deux pays font que les menaces ou les possibilités de
dumping existent. Pour ne mentionner qu'un fait, les fins de saison, dans les
industries du textile et du vêtement, pour des raisons climatiques,
arrivent plus tôt aux États-Unis - un mois et demi, deux mois,
trois mois plus tôt - qu'au Canada. Cela pourrait permettre aux
manufacturiers américains de textile et de vêtement de faire des
ventes de fin de saison ou d'écouler leur marchandise de fin de saison
sur le marché canadien au moment où nous sommes en pleine saison,
ce qui minerait la production canadienne de ces produits. Quoique le dumping,
par définition, n'existe pas dans une zone de libre-échange, nous
croyons que le gouvernement devrait être très au fait de la
possibilité que nous venons de mentionner.
Une sixième recommandation qui a été
mentionnnée dans les journaux hier ou avant-hier a trait à la
possibilité de fournir les organismes gouvernementaux
fédéraux et d'État aux États-Unis. Nous ne nous
faisons pas d'illusion sur la difficulté qu'il y a de percer un
marché comme le marché gouvernemental. La qualification des
fournisseurs, la qualification des produits, etc., est un travail immense.
Cependant, il est important qu'à long terme le Canada, certainement dans
le secteur du textile, ait la possibilité de fournir l'État
américain, le Département de la défense américaine,
etc. Nous espérons que ce que nous avons lu dans les journaux, au cours
des 48 dernières heures, reste encore à être
vérifié.
Le septième point a peut-être été
mentionné ici lors d'une audition, la semaine dernière. Il a
trait à des mesures d'ajustement nécessaires pour les
travailleurs qui seraient affectés négativement dans toute cette
période d'ajustement et de réajustement en vue du
libre-échange. Nous avons fait une série de recommandations qui a
trait à l'entraînement, à la façon dont les
employés devraient être traités si, par malheur, les
ajustements qu'on devrait faire ici, au Canada, devaient les affecter.
Cela résume les recommandations principales sur lesquelles nous
avons surtout insisté lors des derniers mois. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, messieurs. Je
cède maintenant la parole au ministre du Commerce extérieur.
M. MacDonald: M. le président, messieurs, je suis
très heureux que vous soyez venus nous voir. Je pense qu'à
l'exemple peut-être - mais encore plus - de ceux qui vous ont
précédés, c'est-à-dire les représentants de
l'Association des fabricants de meubles, ce qu'il pourrait résulter
comme conséquences dans votre secteur, secteur qu'on a souvent
catalogué de mou, a été charrié de part et d'autre.
Il est intéressant de voir que vous avez très bien situé
votre industrie. Vous nous avez démontré ce que vous avez
réalisé au cours des dernières années, et,
pourtant, devant une compétition féroce. Vous transpirez
d'optimisme pour l'avenir, malgré que vous nous mettiez en garde contre
un certain nombre de sujets, d'écueils qu'il faudrait très bien
surveiller, et je suis totalement d'accord avec vous.
Vous avez dit une parole... Je parlais de charriage, et je
réfère à votre page 6, par exemple, où vous dites
carrément: "Un certain nombre d'emplois seront, quoi qu'il en soit,
appelés à disparaître en raison même des
modifications technologiques qui vont être apportées à ce
secteur d'activité." J'aurais deux questions à vous poser. La
première: Vous semblez dire, à l'intérieur des balises que
vous avez établies, que vous abordez déjà très bien
le marché américain, que vous avez doublé vos
exportations, tant en textiles qu'en vêtements, alors que sur le plan des
textiles les Américains ont été plutôt en
stagnation, gardant sensiblement les mêmes montants au cours des cinq
dernières années, mais les pourcentages ont diminué. Les
pourcentages ont diminué à cause principalement des gestes
posés par les tiers pays. En vous rassurant sur le fait que nous sommes
parfaitement conscients du besoin de surveiller, comme vous le mentionnez dans
votre troisième recommandation, je crois, c'est-à-dire le besoin
d'avoir des règlements efficaces sur la notion du pays d'origine des
produits, j'aimerais en savoir un peu plus long, si vous le voulez, concernant
cette menace, qui s'est concrétisée à maintes reprises, de
la capacité des tiers marchés de pénétrer les
nôtres, des tiers producteurs de pénétrer les nôtres.
Où se situe-t-on à l'heure actuelle? Est-ce que cela va en
s'amplifiant? De quelle façon êtes-vous organisés ou vous
organisez-vous pour y faire face? Vous sentez-vous munis des armes
nécessaires pour y faire face? Est-ce qu'il y a quelque chose d'autre
qu'on devrait faire
là-dedans? Ici, on a pris en isolation la réalité
de cette entente bilatérale. Mais je ne pense pas qu'on peut regarder
les textiles strictement et purement dans le créneau étroit de
l'entente bilatérale. C'est pour cela que je me permets d'ouvrir un peu
plus.
Une voix: M. Picard.
M. Picard (Jean-H.): M. le Président, quand vous parlez
des tiers, il y a deux dangers qui existent et qui sont bien distincts. Le
premier dont je vais parler, c'est le danger des importations qui viennent des
pays communistes, des pays de l'Est et, maintenant, la Chine. Comme vous le
savez, la notion de coût n'existe pas dans un pays communiste. De la
manière qu'ils voient les choses, c'est la différence entre ce
qu'ils doivent importer pour faire un certain produit et le prix qu'ils
obtiennent pour exporter ce produit qu'ils ont transformé. On arrive
dans ce domaine à des choses ahurissantes. Là est un danger
auquel il est extrêmement difficile, sinon impossible, de faire face
puisque les cartes ne sont plus les mêmes, le langage - je ne parle pas
de langage parlé, je parle de la manière dont les affaires sont
menées - est entièrement différent. Ce danger nous
préoccupe énormément. Ce n'est d'ailleurs pas un danger
qui menace seulement l'industrie textile canadienne, mais l'industrie textile,
je dirais, occidentale.
La deuxième chose, ce sont les pays en voie de
développement. Là, on parle de quelque chose de différent.
Il faut peut-être vous expliquer que, comme l'a dit notre
président, l'industrie textile, qui était à l'origine une
industrie où la main-d'oeuvre était prédominante, est
devenue une industrie où l'investissement, la partie du capital est
majeure. D'une manière très rapide, le pourcentage de la
main-d'oeuvre dans le coût d'un produit textile, dans la mesure où
celui qui le fait s'est modernisé, a diminué d'une manière
radicale. Donc, de ce côté-là, on peut espérer
pouvoir s'en sortir pour deux raisons: pour la raison que je viens de
mentionner et également pour le fait que l'équipement devient de
plus en plus cher. Enfin, il nécessite aussi - c'est très
important - une main-d'oeuvre très bien expérimentée et
même, dans certains cas, des talents assez particuliers.
Voilà, M. le Président, MM. les ministres, la
manière dont nous envisageons de nous défendre.
M. MacDonald: Une deuxième question qui touche
l'importance que votre industrie représente comme employeur. La
Coalition contre le libre-échange qui s'est présentée
devant nous a cherché à démontrer un front quasi commun,
global, que les travailleurs et les travailleuses du Québec seraient
contre le libre-échange. En prenant la notion, au départ, que
même s'il y avait unanimité au sein du monde syndical - ce qui
n'est pas le cas, ils ne représentent que 30 % des travailleurs du
Québec... Deuxièmement, je crois avoir entendu à maintes
reprises, de la part de représentants de compagnies, de secteurs, qu'eux
se sentaient parfaitement à l'aise avec leurs employés pour faire
face à la compétition. (17 h 45)
J'aimerais savoir - je m'adresse directement à M. Dionne dont la
réputation n'est pas à faire, avec le succès que vous avez
eu avec vos entreprises, je pense que je pourrais vous appeler de la base, si
vous me permettez d'utiliser cette expression - quelle est l'atmosphère
à l'intérieur de vos usines et chez vos travailleurs. Si vos
collègues pouvaient y répondre, je l'apprécierais
également. Sont-ils au courant des implications de la négociation
en cours? Comprennent-ils? Avez-vous eu des programmes d'information? Quelle
est leur attitude vis-à-vis de ce défi de la
libéralisation des échanges?
M. Dionne: M. le Président, je crois qu'on revient encore
au fait que nous sommes très peu informés de la
négociation qui se passe à Ottawa. On est tous un peu dans le
néant, on se demande ce qui va se passer. Une chose qu'on sait, c'est
que les Américains, leur balance de paiement est rendue astronomique. On
sait que les Américains vont bientôt sortir la hache pour
commencer à baisser ce déficit. À ce moment-là, il
n'y aura pas de pitié. On sera pris à peu près comme dans
la négociation qu'on a eue sur le bardeau, ce sera toujours une
négociation pour chaque article, on n'en finira plus, on va
dépenser de l'argent, du temps, pour aboutir à quoi?
Je ne suis pas le porte-parole de tous les employés chez nous,
ils se fient plutôt à nous pour les guider; on les a guidés
et, jusqu'à maintenant, cela a bien été. Alors, je pense
qu'ils se fient à nous. Nous, on dit qu'il doit certainement y avoir
moyen de passer au travers. L'inconnu est là, c'est vrai, il va se
passer des changements dans notre comportement, il va falloir penser à
produire sur une grande échelle, chose qu'on ne faisait pas avant. Il va
falloir penser aussi à rapprocher certaines de nos fabrications. Par
exemple, si on veut vendre du coton aux États-Unis, on ne fera pas
monter le coton brut au Canada pour faire du fil et l'envoyer là-bas. II
faudra recycler nos usines ici, probablement faire du fil synthétique,
autre chose, et se transporter comme les Américains, se rapprocher des
champs de coton pour prendre le coton dans le champ et... D'abord, ils l'ont
tous fait, ils sont tous rendus dans le sud américain. Cela sera une
possibilité mais on n'est pas rendu là. Peut-être qu'on
n'aura pas besoin de le
faire, peut-être qu'il y aura autre chose. Cela reste encore dans
l'inconnu. Moi, je suis optimiste. Quant à mes collègues, on peut
peut-être demander à M. Boudreau.
M. Boudreau (Paul-Émile): J'aimerais dire quelques mots
là-dessus. Pour répondre à votre question, j'aimerais dire
que j'ai rencontré plusieurs de mes employés dernièrement
et certainement qu'ils sont soucieux des discussions en cours. La façon
dont ils expriment leur souci, c'est qu'ils ont très peur qu'un pacte de
libre-échange avec les États-Unis force les compagnies textiles
à fermer d'autres usines. Alors, on peut comprendre que ces
gens-là ont une préoccupation qui est fondée. Pourquoi ce
souci? On tient nos employés informés des situations
compétitives dans le monde. Dans le contexte actuel du dollar canadien
à 0,75 $ ou 0,76 $, d'une façon générale, nos
coûts de production textile au Canada sont d'environ 10 % plus
élevés qu'ils le sont aux États-Unis. Nos travailleurs
sont au courant de cela, ils savent que c'est important d'être
compétitif quand on a un produit à mettre sur le marché.
C'est un problème, c'est un défi qu'il faut relever. L'approche
que j'ai prise, que plusieurs de mes collègues ont prise avec nos
ouvriers, c'est que le défi de 10 % de coûts à
rétablir ou à réajuster n'est pas une montagne
insurmontable. On a recommandé au gouvernement une période
d'ajustement de dix ans. Alors, l'exemple que j'employais avec certains des
employés d'une de mes usines dernièrement, c'est que, si on a 10
% à rattraper sur dix ans, c'est 1 % par année. Je pense qu'en
s'assoyant à table on sera capable d'établir des façons
d'améliorer nos coûts de production et de continuer à faire
face à la musique. De cette façon, il y a un dialogue
d'engagé avec nos travailleurs. La question est froidement sur la table
et on attend que les règles du jeu soient mieux connues pour savoir
exactement ce qu'il faut faire.
On a parlé d'avantages sociaux qui sont plus coûteux au
Canada. Nos employés savent cela et je crois que c'est l'une des raisons
qui les amènent à prendre les positions qu'ils prennent. Encore
une fois, ce n'est pas une situation insurmontable. On a parlé de
productivité également. La productivité chez nos
travailleurs, quand ils sont au travail, je pense qu'on n'aurait pas peur de la
comparer à n'importe quel travailleur du textile des États-Unis.
Par contre on a ici, je pense, le résultat ou la cause des avantages
sociaux élevés. On a plus de congés payés. On a
plus de vacances payées. On travaille moins d'heures par année.
Cela rentre dans le coût du produit. Si notre produit n'est pas
compétitif, on n'a pas d'opérations rentables. Mais je pense que
l'attitude est positive chez nos gens et puis on va s'asseoir - on leur a dit
qu'on s'assoirait avec eux - pour examiner ça en profondeur.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci beaucoup, M. le Président. M.
Dionne, messieurs, ça me fait plaisir que vous soyez là parce que
l'industrie du textile et des vêtements a été la cause de
beaucoup de nos préoccupations à cause des études qui
étaient connues, à cause du nombre d'emplois qui étaient
perceptibles comme étant dans un secteur beaucoup plus vulnérable
que d'autres, toutes proportions gardées, et je pense qu'aujourd'hui
vous nous apportez des éclaircissements intéressants. J'en
profite pour saluer de façon particulière M. Picard, avec qui
j'ai eu le plaisir de travailler pendant quelques années à la SDI
et qui m'a apporté beaucoup d'expérience. Cela me fait plaisir de
le saluer.
En juillet 1985, le 22 juillet, M. Brady, premier vice-président
chez Dominion Textile, accordait une entrevue à un journaliste, M.
Emery, du journal Finance, et il apportait deux points qui, à la lecture
et à partir de ce que vous avez mentionné, me fascinent quelque
peu. J'aimerais peut-être avoir, face à ces déclarations,
vos commentaires. D'abord depuis dix ans, dit-il - et on était en 1985,
il y a deux ans -depuis dix ans l'industrie du textile canadienne a investi
quelque chose comme 2 000 000 000 $ et, disait-il, dans les dix prochaines
années on devra en investir entre 3 000 000 000 $ et 4 000 000 000 $.
C'est donc dire qu'entre 1985 et 1995 on parlait de doubler les investissements
des dix dernières années et ceux-ci, pour la plupart, sont faits,
comme vous l'avez mentionné dans votre mémoire si j'ai bien
compris, de façon autonome. II y a eu de l'aide gouvernementale mais,
toutes proportions gardées, très faible. Peut-être
pourriez-vous apporter des éclaircissements là-dessus.
Face à la libéralisation des échanges, face
à ce qui s'en vient, votre secteur doit continuer à investir de
façon massive, doit continuer à moderniser, se mettre à la
fine pointe, pour augmenter, si on veut, sa productivité, sa
compétitivité. De quelle façon voyez-vous le gouvernement
du Québec, il y a bien sûr le gouvernement canadien de qui on doit
s'assurer aussi d'avoir la collaboration, mais, ce qui nous préoccupe
plus aujourd'hui, de quelle façon voyez-vous le gouvernement du Quebec
apporter son aide? J'ai un peu l'impression que, contrairement à
l'industrie des fabricants de meubles qui a précédé, dans
votre industrie il n'y a pas beaucoup de PME. La moyenne des industries du
meuble dont on parlait tantôt était peut-être de 20
employés; la structure dans le domaine du textile est quelque peu
différente. On parle
d'entreprises de plus grande taille. Alors, de quelle façon
avez-vous besoin d'appui, d'outils, sur l'aspect des investissements et,
deuxièmement, sur l'aspect de la recherche et du développement?
J'aimerais d'abord vous entendre là-dessus. J'aurai tantôt
d'autres questions.
M. Dionne: M. Parent, sur le sujet dont vous parlez, je crois que
dans l'industrie du textile, au point de vue des investissements, l'assistance
gouvernementale pourrait peut-être s'orienter plus vers de l'aide durant
la transition pour établir des marchés aux États-Unis.
L'industrie textile au Canada, l'industrie primaire, c'est Dominion Textile et
d'autres petits. Dominion, naturellement, ils sont déjà
installés aux Etats-Unis. Nous ne le sommes pas. Il n'y en a pas
d'autres non plus que je connaisse qui sont installés aux
États-Unis. Alors, il va certainement se passer une période
où il va falloir faire un "blitz" et s'en aller aux États-Unis et
travailler. Cela va demander beaucoup d'argent. Pour cela probablement qu'on
aurait besoin d'assistance dans cela.
M. Parent (Bertrand): Mais on veut dire, si vous permettez, M. le
Président, on veut dire, M. Dionne, la pénétration de
marchés, les réseaux. C'est cela que vous voulez dire qui va
avoir besoin d'aide.
M. Dionne: Oui, oui, pénétration aux
États-Unis parce qu'on n'est pas organisé. Les Américains
sont prêts, eux. Ils ont seulement à dire: Bon, le
libre-échange est là, partez et allez vendre. Ils montent leur
production de 10 % dans leurs usines et c'est final. Tandis que nous ça
va demander des gros investissements, beaucoup d'investissements. On l'a dit,
c'est du capital intensif maintenant le textile, très intensif. Nous
autres, à Drurnmondville, on est rendu à 11 000 000 $ de
dépensés depuis cinq ans. On a modernisé une usine qui
était ultra-moderne en 1981, et on est en train de faire encore des
grands changements. Alors, il n'y a pas de fin là-dedans. Surtout si on
parle d'offrir la marchandise aux États-Unis, il faut penser l'offrir en
gros volume. Moi, je ne peux pas, si je développe un nouveau produit...
Nous autres, on a fait notre vocation avec des développements de
filés: Les coûts ne sont pas tellement élevés mais
ils sont là tout de même, et puis on l'offre à nos clients
et le client dit: Bon, je vais en prendre 50 000 kilos mais, si on va offrir la
même chose aux États-Unis, le gars dit: Cela me prend 1 000 000 de
kilos. Si on ne peut pas les lui offrir, il va dire: Ne viens pas me
déranger si tu ne peux pas le faire. C'est une période qui va
être très difficile mais, comme les autres, on pense qu'on serait
capable de passer à travers.
Maintenant, sur le côté des recherches, peut-être
qu'on peut demander...
M. Boudreau: J'aimerais apporter une clarification. Vous avez
mentionné dans votre question - évidemment, je comprends qu'on
parle ici de Dominion Textile, Consoltex, on parle de grosses compagnies et il
y a peut-être peu de PME dans le genre d'industries qu'on a. Par contre,
nos clients sont des PME. Chez Dominion Textile, on demeure encore en
majorité les fournisseurs de tissu à vêtement. Alors, je
pense que dans ce domaine-là il y a énormément de PME et
de petites entreprises. Certaines d'entre elles ont déjà
commencé à percer sur le marché américain. Je pense
que ces PME auraient certainement besoin d'aide pour le marketing si elles sont
pour pénétrer le marché américain. Si, nous, on
n'en a pas besoin parce qu'on est déjà installés, nos
clients en auraient besoin.
M. Côté (André): J'aimerais peut-être
amplifier la réponse que M. Picard a donnée au ministre MacDonald
tout à l'heure en ce qui a trait aux perspectives du textile
aujourd'hui, de l'environnement dans lequel nous vivons et relier cela un peu
à l'aide que le gouvernement québécois peut apporter. (18
heures)
Comme vous le savez très bien, l'industrie du textile est
réglementée à l'échelle mondiale par l'Accord
multifibres qui a été renouvelé pour cinq ans, le 1er
août 1986. À la suite de cela, le gouvernement canadien a
négocié des ententes bilatérales au nombre de 25
maintenant, je crois, avec la plupart des pays exportateurs. Au cours des cinq
dernières années il y a eu un accroissement très
considérable des importations de vêtements, et aussi dans
plusieurs secteurs du textile, qui a fait que l'industrie canadienne du textile
a fait des représentations auprès du gouvernement
fédéral pour que des quotas, des restrictions soient
négociés avec plusieurs de ces pays-là. En
général, je crois que cela a été fait d'une
façon satisfaisante. Il demeure cependant qu'il y a encore beaucoup
d'autres pays exportateurs qui cognent à la porte du marché
canadien, à la porte des marchés des pays
développés et que, même dans les pays avec lesquels nous
avons des ententes, il y a d'autres produits qui sont manufacturés.
Ceci, pour en venir à dire que l'industrie canadienne fait toujours face
à la prospective d'avoir une augmentation considérable
d'importations d'un pays ou de l'autre. Nous travaillons constamment avec le
gouvernement fédéral pour faire un guet contre cette
possibilité. Je crois que le gouvernement québécois,
certainement dans son secteur textile - c'est au centre des
préoccupations du commerce international -peut appuyer le point de vue
de l'industrie textile canadienne québécoise lorsqu'elle a
à
faire face à des croissances rapides d'importations, qui sont des
plus dommageables. Lorsque les importations augmentent de façon
très rapide, cela bloque tout le circuit de production canadien.
M. Picard: Pour répondre à votre question, M.
Parent, il y a, par exemple, un domaine où vous pourriez nous aider, ou
le gouvernement pourrait nous aider. C'est le domaine de ce que j'appellerais
l'éducation permanente. Il existe une école, le cégep de
Saint-Hyacinthe, et j'ai eu l'occasion de le visiter, il n'y a pas très
longtemps. Je crois que là il y aurait un très gros effort
à faire dans le domaine de l'équipement qui se trouve dans cette
école. Je pense aussi qu'il existe des expositions, par exemple, comme
celle qui va avoir lieu le mois prochain, qui a lieu tous les quatre ans et qui
est une exposition mondiale d'équipement. Je sais que chacune des
entreprises envoie un certain nombre de personnes. Je n'ai pas besoin de vous
dire que ce genre de voyage - surtout lorsque cette exposition a lieu à
Paris - est très coûteux. Cependant, il faut le faire, parce qu'il
faut que nos dirigeants et même nos contremaîtres soient
exposés à ce que va être l'industrie demain. Il existe
aussi la nécessité d'envoyer à nouveau nos cadres, nos
contremaîtres - pas seulement les dirigeants - dans des usines, pas
seulement aux États-Unis, mais en Europe, ou même voir ce qui se
passe ailleurs, au Japon, dans les pays d'Extrême-Orient. Tout cela
coûte très cher, en temps et en argent. Il faudrait aussi - je
sais que c'est déjà fait - faire davantage pour recycler les
gens. Notre industrie est en pleine transformation, elle change à une
vitesse extraordinaire. Le genre de personnes dont nous aurons besoin va
être aussi différent. Je sais qu'il y a une commission de
l'immigration et de l'emploi du gouvernement fédéral qui a fait
une étude - quelqu'un posait la question, il n'y a pas longtemps - et
qui va donner son rapport. Je me permets, en répondant à votre
question, d'insister sur ce côté dramatique des changements qui
ont lieu et donc sur l'éducation des personnes qui devront être
demain celles employées dans l'industrie textile. Merci.
M. Dionne: Pour renchérir sur ce que M. Picard dit, je
voudrais vous dire qu'on aura bientôt, à l'Université de
Sherbrooke, une chaire en textile. Demain, nous rencontrons des personnes pour
établir les bases. L'industrie s'est engagée à fournir 150
000 $ par année, pendant cinq ans, pour l'établissement de cette
chaire. Je crois que le gouvernement fédérai va fournir 1,40 $
pour chaque dollar que l'industrie met. Cela veut dire qu'on est assuré
actuellement d'avoir cette chaire en textile. Depuis que cela prend forme, se
cristallise, cette année on a eu la plus grosse inscription jamais vue
à Saint-Hyacinthe, soit 55 étudiants; c'est un record. Avant
cela, les étudiants diplômés faisaient l'interview des
employeurs. Ils disaient: Ah! Vous offrez cela? Demain, un autre employeur
vient, je vais regarder ce qu'il offre et, ensuite, je vous reparlerai.
Aujourd'hui, avec cela, cela va probablement nous aider. C'est un frein
à notre expansion. Dans le domaine du textile, l'éducation n'est
pas avancée.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de
l'Industrie et du Commerce.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président.
D'abord, félicitations pour cet exemple concret de coopération
entre l'université, lieu académique, et un secteur industriel qui
est en voie de se moderniser et qui cherche tous les moyens de le faire.
Deuxièmement, j'ai noté le souhait de M. Picard à
l'égard du besoin de modernisation, de remplacement des
équipements à Saint-Hyacinthe. Comme vous le savez, je suis en
partie responsable, avec d'autres collègues, de voir à ce que la
participation gouvernementale s'exprime d'une façon qui réponde
aux désirs de l'entreprise. J'ai noté là une demande
presque en bonne et due forme que vous venez de nous faire et j'entends bien y
répondre.
Par ailleurs, durant les quelques minutes qui nous restent, j'aurais une
ou deux questions, quant au contenu du mémoire que vous nous avez
soumis, sur les points qui sont exprimés comme étant les
troisième et quatrième de vos conclusions. Quant au
troisième, où vous souhaitez des règlements efficaces sur
l'origine des produits afin d'éviter des détournements... Ce qui
semble vous préoccuper dans les troisième et quatrième
points, ce sont les détournements de ce qu'est le libre-échange
comme on doit le comprendre et surtout le pratiquer.
Règlements efficaces sur l'origine des produits. Comme vous le
savez, en cette matière il y a le test du pourcentage du contenu ou
alors de la transformation substantielle. J'aurais peut-être aimé
vous entendre sur le choix que vous nous suggérez de faire en cette
matière, y compris le double choix, selon les produits qui sont en
cause.
Quant au point suivant, le quatrième, vous évoquiez tout
à l'heure la nécessité d'une protection contre des
pratiques de dumping. Comme vous le dites, en matière de
libre-échange il n'y a pas vraiment de dumping, mais il peut y avoir des
pratiques commerciales répréhensibtes, que vous appelez
inéquitables. Comme vous le savez, c'est plutôt la loi nationale
sur la concurrence qui, à ce moment-là, doit être mise
à contribution pour contrer ces comportements. Est-ce que je me trompe
en présumant que votre commentaire dénonce
des faiblesses de la Loi sur la concurrence du Canada quant à son
efficacité à vous protéger de pratiques commerciales comme
celles que vous avez dénoncées?
M. Côté (André): M. le ministre, je vais
commencer par le deuxième point- Non, je ne crois pas que ce soit une
dénonciation des lois actuelles. C'est une constatation du danger
possible. Par exemple, en ce qui concerne l'exemple que j'ai donné, les
fins de saison, si cette enventualité se produit, cela se fera
très rapidement et il n'y a rien qu'on puisse y faire, en fait. Il faut
que le gouvernement soit très au fait du danger et soit prêt et
équipé pour arrêter cette situation au moment où
elle a lieu. Même si l'on a les lois nationales les meilleures, si le
fait se produit d'une façon tellement rapide qu'on ne peut rien y faire,
qu'on ne peut pas le contrer, on espère qu'il y aura un régime
d'anticipation - si je puis dire - qui permettra au moins d'être au
courant de ce qui peut se passer. On l'a vécu avec les pays en voie de
développement dans certains secteurs où il y a eu des arrivages
extraordinaires de produits. Lorsque ces produits entrent dans les
établissements de détail, cela bloque le système de
production canadien; on l'a vu dans un exemple récent.
Sur le deuxième point, la réponse que je dois vous donner,
c'est que nous préférons un système de règles
d'origine qui est basé sur des règles de transformation
comparativement à la valeur ajoutée. Alors, nos recommandations
portent sur la détermination, la définition de transformations
qui doivent prendre place pour conférer l'origine.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand, quelques instants.
M. Parent (Bertrand): M. le Président, je suis très
content de ce qu'on nous a annoncé tantôt concernant la mise sur
pied finalement de quelque chose de concret à l'Université de
Sherbrooke, soit la mise sur pied d'une chaire. Si j'ai bien compris, votre
institut est allé chercher de l'aide du gouvernement
fédéral. J'ose espérer que le gouvernement provincial va
pouvoir vous donner un coup de pouce parce que je pense que tout ce
problème de formation de main-d'oeuvre est tout à fait
réel. M. Picard disait tantôt, et cela m'a frappé: Les
travailleurs de demain ne sont pas encore formés. Ils sont à
être formés. Essentiellement, c'est une image pour montrer que
cela évolue. Je pense qu'on se doit d'investir beaucoup pour la
main-d'oeuvre.
En terminant, puisque le temps est à peu près
écoulé, j'ai deux questions et j'aimerais que vous puissiez me
répondre. Entre le statu quo et une entente de libre-échange,
qu'est-ce que vous favorisez face à tout ce que vous nous avez dit?
Deuxièmement, en ce qui concerne les barrières tarifaires, vous
avez été très clair. C'est une période
d'échéance de dix ans en ce qui regarde nos barrières et
cinq ans en ce qui regarde les leurs. Mais, dans le cas des barrières
non tarifaires, dans toutes les autres barrières qui entravent, si on
veut, notre marché avec les États-Unis, quels seraient les
principaux points les plus agaçants en ce qui regarde les
barrières non tarifaires?
M. Boudreau: J'aimerais peut-être répondre à
la première question. Je suis content de la question en ce qui concerne
le statu quo. Cela nous permet de préciser un point. Si on regarde le
vêtement, qui est tout de même encore un des produits principaux de
notre fabrication en textiles au Canada, 75 % des vêtements qui se
portent au Canada, qui se consomment au Canada sont importés, soit en
vêtements, soit en tissus. Alors, on peut s'imaginer que dans un
marché de 25 000 000 les économies d'échelle n'existent
plus. C'est aussi simple que cela. Notre marché est déjà
érodé à 75 %. Alors, le statu quo n'est absolument pas
désirable pour cette condition. Je pense que c'est ce qui fait que,
finalement, en dépit des problèmes qu'on a tous identifiés
du côté de notre industrie avec un pacte de libre-échange,
en dépit de ces problèmes, le statu quo demeure une situation qui
n'est certainement pas désirable. Alors, c'est pour cela que notre appui
à cette entente doit se faire tout de même d'une façon
ordonnée.
M. Dionne: Je vous ferai remarquer qu'il y a différents
genres d'exportations. Par exemple, je vais offrir un vêtement chez
Bonwitt Teller à New York et je dis: Regarde ce vêtement comme il
est beau. On répond: Je le prends en exclusivité. Mais, lorsque
vous allez vendre du fil, c'est du fil. S'il n'a pas une qualité
extraordinaire, si ce n'est pas le prix qu'ils veulent, à ce
moment-là, ils vont regarder ailleurs. Plus on avance dans la
fabrication d'un tissu, plus on avance vers le produit final, plus il y a de
l'attrait. Au début, c'est comme une scierie- On fait de la planche. La
planche, c'est le fil et on vend cela simplement. Est-ce que c'est
terminé?
Le Président (M. Charbonneau): Je pense que cette
réponse termine la présentation et la discussion.
M. Dionne: Je voudrais remercier la commission et le ministre de
nous avoir donné l'occasion de vous exprimer ici en public. Je remercie
l'honorable ministre MacDonald pour ses bonnes paroles à notre
égard. C'est ma 46e année dans le textile. Alors, je n'ai pas
perdu mon temps. Je n'ai
jamais fait autre chose que du textile pendant 46 ans et espérons
que je vais en faire encore longtemps.
Le Président (M. Charbonneau): Messieurs, tous membres de
la commission ont apprécié votre présence aujourd'hui et
votre participation. Je pense que, dans l'optique de la consultation
générale, votre éclairage a été important et
significatif. On vous remercie et bon retour. À la prochaine, sans
doute.
Les travaux de la commission sont suspendus jusqu'à 2Q heures
alors que nous reprendrons avec trois autres groupes ce soir.
(Suspension de la séance à 16 h 15)
(Reprise à 20 h 8)
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Nous reprenons notre consultation générale sur la
libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les
États-Unis.
Parti indépendantiste
Nous accueillons ce soir, pour commencer, le Parti
indépendantiste représenté par MM. de Bellefeuille,
Rhéaume et Monière.
Messieurs, bonsoir, et un bonsoir particulier à notre
ex-collègue de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille, vous êtes bien au courant des règles du
jeu en cette enceinte. Nous avons approximativement une heure: un maximum de 20
minutes pour la présentation du mémoire et le reste du temps sera
consacré, à parts égales, à des discussions avec
les membres de la commission
Sans plus tarder, je vous cède la parole.
M. de Bellefeuille (Pierre): Merci, M. le Président. La
liberté des échanges commerciaux et son corollaire, l'abolition
des barrières tarifaires et autres, constituent, depuis la Seconde
Guerre mondiale, un des principaux objectifs que professe le monde occidental.
Déjà, à Genève, en 1947, les puissances
victorieuses, poussées par l'élan de vertu planétaire qui
avait présidé à la naissance des Nations unies, signaient
les accords du GATT, General Agreement on Tariffs and Trade. Ces accords
devaient permettre de libéraliser les échanges commerciaux.
Pour les économies nationales dominées,
singulièrement celles de ce qui allait bientôt s'appeler le tiers
monde, le GATT ouvrait des perspectives nouvelles sur l'accès aux
marches mondiaux. De nombreux pays que l'époque coloniale avait
condamnés à la monoculture - café, coton, sucre, etc.
-aspiraient à écouler leur production, à bon compte, dans
les pays riches. Ceux-ci, pour leur part, acceptaient officiellement le jeu de
la concurrence et de l'émulation.
Durant les quinze années qui ont suivi, des douzaines de pays
sont nés de l'effondrement des empires. Mais l'émancipation
économique n'a pas nécessairement accompagné la
souveraineté. Les monopoles, les oligopoles et les grands centres
financiers ont conservé la maîtrise des mécanismes
essentiels, comme les prix des denrées et le marché des devises,
a l'avantage des pays nantis et au détriment des pays qu'on dit en voie
de développement, mais dont le problème est
précisément qu'ils le sont peu ou pas. Le Fonds monétaire
international, fondé avant même la fin de la guerre, en 1944, a
exercé une action modératrice qui n'a cependant pas
modifié les rapports de forces entre pays nantis et pays
démunis.
Ainsi, les rondes périodiques de négociation dans le cadre
du GATT ont eu tendance à maintenir l'ancien ordre économique
plutôt qu'à instaurer le nouvel ordre économique mondial
réclamé à cor et à cri par les pays du tiers monde.
Le dialogue nord-sud, dont les dirigeants. les plus lucides dans le monde
occidental perçoivent l'urgente nécessité, n'est que
balbutiements. Aussi bien l'Union soviétique que les États-Unis
poursuivent des politiques hégémoniques, à l'enseigne d'un
protectionnisme impénitent.
Les échanges canado-améncains? Comme devait le
reconnaître Pierre Elliott Trudeau, le Canada a été
bâti contre tout bon sens géographique et économique.
L'idée maîtresse de cette fédération a man usque ad
mare consiste à bloquer les courants nord-sud que la géographie
du continent favorise pour imposer des liens est-ouest largement artificiels.
C'est ainsi que la construction des chemins de fer transcontinentaux, avec son
cortège de corruption et de scandales, a revêtu une importance
politique suprême, bien au-delà des impératifs
économiques qui, dans le sens est-ouest, restaient modestes.
Dès la fin du XVIIIe siècle, le Canada, divisé en
deux provinces en vertu de l'Acte constitutionnel, a érigé des
barrières tarifaires. Ce protectionnisme n'a pas cessé depuis
lors d'être un enjeu majeur de la politique canadienne en opposant
souvent les parties du pays qu'il était pourtant censé unir. Au
début du XIXe siècle, la querelle à propos du partage des
douanes entre le Haut et le Bas-Canada donne une forte impulsion au mouvement
réclamant l'union des deux provinces. Ce mouvement, appuyé par
Lord Durham, devient irrésistible après les rébellions de
1837 et 1838.
Le Canada uni reste protectionniste, comme le sera la
Confédération de 1867. Il
s'agit maintenant de protéger l'industrialisation naissante.
Celle-ci, malgré quelques cas comme celui de la sidérurgie
implantée en Nouvelle-Écosse, est essentiellement un
phénomène centripète. Dès lors, les politiques
dites canadiennes ou nationales servent les intérêts de l'Ontario.
Le reste du pays est défavorisé. À certains moments, le
Québec est moins défavorisé que l'est ou l'ouest. À
d'autres moments, c'est l'inverse, mais l'Ontario joue toujours gagnant, ou
presque.
En 1910, le premier ministre Wilfrid Laurier constate que les politiques
protectionnistes nuisent à l'écoulement du blé de l'Ouest.
Il propose au gouvernement des États-Unis d'instaurer le
libre-échange pour les produits agricoles, le poisson et certains
produits manufacturés. Bay Street s'émeut. L'industrie ontarienne
domine le marché pancanadien. Le libre-échange menace son
hégémonie. Les compagnies ferroviaires auxquelles le
protectionnisme assure une fragile rentabilité s'opposent au
développement des liaisons nord-sud. Les milieux d'affaires appuient le
parti conservateur qui prend le pouvoir aux élections de 1911. (20 h
15)
Après Laurier, aucun premier ministre du Canada jusqu'à
Brian Mulroney n'ose proposer le libre-échange. Cette fois encore,
l'Ontario s'oppose.
Pour qui Ottawa négocie-t-il? Dès le départ, le
gouvernement Mulroney a annoncé en toute franchise que les provinces
n'auraient pas voix au chapitre dans les négociations sur le
libre-échange. Le gouvernement central entend donc conserver le
rôle d'arbitre qu'il s'est arrogé en matière
économique. Bien sûr, les provinces peuvent faire toutes les
représentations qu'elles veulent, mais elles ne s'assoient pas à
la table des négociations. La question cruciale qui se pose, dans ces
circonstances, c'est de savoir quels intérêts Ottawa
défend.
Le centre du Canada, comme nous l'avons vu, c'est l'Ontario. Les gens de
l'Ouest et les gens de l'Atlantique sont portés à croire que le
Québec est aussi au centre, mais ce n'est qu'une illusion. Le
gouvernement central ne peut permettre au Québec de menacer
l'hégémonie de l'Ontario dont l'appui lui est absolument
indispensable. L'appui du Québec est évidemment souhaitable, mais
pas indispensable. On n'a qu'à se rappeler, il n'y a pas si longtemps,
la stratégie électorale de John Diefenbaker. Comme, de toute
évidence, un développement économique vigoureux du
Québec comporterait un volet industriel qui le mettrait en concurrence
directe avec l'Ontario, c'est la portion congrue qu'on réserve au
Québec: les miettes.
L'affaire récente du centre bancaire international montre bien de
quel côté la balance fédérale penche. Ce projet a
été conçu dans les milieux d'affaires de Montréal.
À Toronto, dès qu'on a eu vent de l'intérêt
hésitant qu'Ottawa portait au projet, on a fait jouer le réseau
d'influence habituel. Résultat: le projet a été
modifié au point d'être méconnaissable. Il n'offre plus
pour Montréal Jes avantages qui avaient été
envisagés. Même scénario dans le cas de l'agence spatiale
fédérale qui ne sera pas établie à Montréal,
dont la vocation dans l'industrie aérospatiale ne se réalisera
que très partiellement. Les défenseurs du système
invoqueront sans doute le contrat d'entretien des F-18 que Montréal a
obtenu. Dans cette affaire, le gouvernement central a été d'une
maladresse telle, violant sa propre procédure d'appel d'offres, qu'il a
rendu suspect tout geste favorable au Québec. Était-ce maladresse
ou cynisme?
En ce qui concerne les contrats de recherches scientifiques et
technologiques, la part du Québec durant le dernier exercice financier a
été de moins de 10 %, selon les données obtenues par Le
Devoir en avril dernier. Au début de l'année dernière, Mme
Suzanne Blais-Grenier, ex-ministre de l'Environnement, a dénoncé
le fait que les francophones sont à peu près exclus des postes de
commande dans la fonction publique fédérale. Elle a
également affirmé que des ambassades canadiennes ont pour
politique de dissuader les investisseurs étrangers de choisir le
Québec.
Sous Pierre Elliott Trudeau, l'industrie pétrochimique
montréalaise s'est fait couper les ailes dans le cadre de la politique
nationale de l'énergie. On voit que plus cela change, plus c'est la
même chose. D'ailleurs, l'actuel gouvernement du Québec s'est
plaint amèrement des politiques budgétaires du gouvernement
central qui réduit unilatéralement ses contributions au
financement de la santé et de l'enseignement postsecondaire au
Québec. Dans la lettre qu'il a adressée à son homologue
fédéral le 4 février dernier, M. Gérard D.
Levesque, ministre des Finances, dénonçait le
"fédéralisme prédateur" pratiqué par le
gouvernement central. C'est à ces gens-là qu'il faudrait faire
confiance pour négocier pour nous, sans que nous ayons voix au chapitre,
le libre-échange avec les États-Unis. Il nous semble
évident que le Québec doit négocier pour lui-même et
que toute autre formule est extrêmement dangereuse.
L'indispensable protection. En somme, on demande au Québec de
renoncer à toute protection, sauf pour tes miettes qui pourraient tomber
de la table des négociateurs. À maintes reprises, l'ambassadeur
Murphy, négociateur américain, a exigé qu'aucun secteur ne
soit exclu des discussions. On peut donc prévoir, comme l'indiquaient
les études divulguées par le gouvernement central le 21 mai 1986,
que l'éventuel traité de libre-échange menacera
directement de nombreux secteurs de
l'économie québécoise, notamment les suivants:
1° l'agriculture; 2° le textile et le vêtement; 3° les
produits électriques; 4° le meuble; 5° les industries
culturelles. Ces secteurs sont tous importants. Des dizaines de milliers
d'emplois sont en cause. Les industries culturelles constituent cependant un
enjeu particulier. Depuis la création du ministère des Affaires
culturelles, en 1961, les gouvernements du Québec du Parti
libéral, de l'Union Nationale et du Parti québécois ont
établi des politiques et fait adopter des lois qui assurent un minimum
de sécurité à nos industries culturelles, notamment celles
du livre et du cinéma. À notre avis, il est hors de question de
renoncer à cette protection. Nous croyons en effet que l'essor de nos
industries culturelles est une condition de notre survie comme peuple.
Bref, notre économie a besoin de protection. En cela, elle n'est
pas différente des autres économies. On n'a qu'à voir, par
exemple, toutes les mesures tarifaires et autres que prennent les
États-Unis eux-mêmes pour se protéger contre la concurrence
japonaise. Ce serait pure folie que de livrer l'économie
québécoise pieds et poings liés aux caprices de deux
négociateurs qui ne se soucient guère de nous.
Recommandation. Dès son préambule, le programme du Parti
indépendantiste rappelle que le Québec a tissé des liens
à travers le monde et 'affirme que les Québécois et les
Québécoises aspirent à traiter d'égal à
égal avec les autres peuples, sans intermédiaire imposé.
Le programme déclare, à propos des relations économiques
internationales: "Le Québec indépendant développera
intensément son commerce extérieur. Il s'impliquera dans les
travaux du GATT et militera en faveur de la réduction des
barrières tarifaires. Toutefois, il protégera sa
souveraineté économique et évitera de s'engager dans
quelque intégration économique que ce soit. Ainsi, le
Québec abordera avec la plus grande prudence les discussions à
l'enseigne du libre-échange."
Une plus grande prudence encore s'impose du fait de notre
sujétion qui perdure dans le régime fédéral. En
conséquence, nous recommandons que le gouvernement du Québec
dénonce les négociations sur le libre-échange qui se
déroulent sans sa participation et rejette tout traité pouvant
éventuellement en résulter. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. de Bellefeuille.
M. le ministre du Commerce extérieur.
M. MacDonald: M. de Bellefeuille, messieurs, il est
évident qu'il serait inutile, sur le plan politique, de commencer une
discussion pour chercher à se rapprocher sur notre interprétation
du bien-fondé ou de l'absence de tout bien de la
fédération canadienne. Je m'en tiendrai plutôt au
problème particulier de la libéralisation des échanges,
plus particulièrement de la négociation en cours.
Je dirai d'abord, encore une fois, qu'il y a des choses dans votre
document avec lesquelles je suis parfaitement d'accord, si je les isole, d'une
certaine façon. Quand vous dites, par exemple, qu'il est hors de
question de renoncer à cette protection, eu égard aux industries
culturelles, et que vous croyez en effet que l'essor de ces industries est une
condition de notre survie comme peuple, je suis parfaitement d'accord. Je crois
qu'il n'y a personne au gouvernement du Québec qui ne partage pas votre
opinion sur cela.
Quand vous dites, par contre, que ce serait pure folie que de livrer
l'économie québécoise pieds et poings liés aux
caprices des deux négociateurs qui ne se soucient guère de nous,
encore là, si je prends cela intégralement, vous avez totalement
et entièrement raison. Mais ce n'est pas le cas et, si tel était
le cas, je serais le premier à avoir recommandé, ou
suggéré, ou déclaré ouvertement qu'il ne saurait
être question que le Québec participe à cette
négociation. Des garanties ont été exprimées
publiquement par le gouvernement canadien et nous avons confiance en ces
garanties. J'élaborerai un peu plus loin sur l'aspect participation et,
également, sur les conditions additionnelles posées par le
Québec pour adhérer à ce regroupement des provinces avec
le gouvernement fédéral pour préparer la
négociation et la conduire. C'est sur la base de ces
éléments dits non négociables ou de ces conditions d'appui
qu'on a embarqué dans le dossier.
Je dois dire aussi - encore là, c'est votre
interprétation; nous avons la nôtre et nous avons cherché
à la démontrer fréquemment - que nous faisons
malgré... Vous avez cité, à un moment donné, le
premier ministre Mulroney et vous dites: "Dès le départ, le
gouvernement Mulroney a annoncé en toute franchise que les provinces
n'auraient pas voix au chapitre dans les négociations sur le
libre-échange." Ce n'est pas du tout ce que j'ai compris lorsque le
premier ministre Johnson est allé à Halifax, en décembre
1985. C'est à ce moment-là que le gouvernement du Canada a
annoncé le principe de la pleine participation aux négociations
pour les provinces. Je n'ai d'autre chose à vous offrir que la
crédibilité qui entoure ma vie professionnelle, ou ma vie
personnelle, et de vous dire que le processus de participation des provinces
dans la préparation des mandats et dans la conduite de la
négociation est une première et que, de toute façon, le
gouvernement fédéral n'avait pas le choix d'associer les
provinces parce que, dans le traité qu'on
cherchait à préparer, il y avait de multiples domaines de
juridiction provinciale où, même en se prévalant de ses
droits comme responsable des traités de commerce international, le
gouvernement fédéral ne pouvait espérer faire respecter le
traité qu'il aurait à signer sans l'accord des provinces dans les
domaines tout au moins de juridiction provinciale. Dans ce contexte-là,
je vous le répète, nous avons été partie non
seulement à la préparation de la position de négociation
canadienne en ce qui a trait aux domaines de juridiction provinciale, mais
également à tous les domaines dans lesquels on trouvait que le
Québec avait intérêt, même si c'était de
juridiction fédérale. Je dois donc être en désaccord
complet avec votre prémisse sur l'isolation ou l'absence du
Québec dans la négociation.
Vous faites abstraction complètement dans votre rapport de la
cause première de ladite négociation qui est ce mouvement
protectionniste des Américains qui cherchent à mettre le
blâme sur les autres pour le déficit de leur balance commerciale,
pire encore, de leur état débiteur, plutût que de regarder
les causes internes qu'eux-mêmes, très souvent, ont
provoquées et qui sont la source de leurs problèmes.. Mais, la
réalité, c'est qu'ils veulent en faire porter le fardeau sur
leurs partenaires commerciaux, et non seulement sur le Canada. Ce sont des
milliers d'emplois qui, directement ou indirectement, se voient menacés
chaque jour par le dépôt régulier de dizaines et de
dizaines de propositions protectionnistes qui circulent autour du
Congrès; à l'heure actuelle, les derniers chiffres qui nous ont
été donnés sont à peu près de 600. En
gouvernement responsable et en étudiant la situation, nous en sommes
venus à la conclusion qu'il fallait trouver un moyen quelconque de faire
face à cette menace, à cette menace croissante, et que, sans
rejeter, comme vous le suggérez - et je suis parfaitement d'accord avec
vous - le véhicule du GATT, le problème était pressant au
point qu'il y avait avantage, à l'intérieur de certaines
prémisses, de certaines balises, à participer à une
négociation qui protégerait l'accès des marchés que
nous possédons déjà et, s'il y avait lieu - on
l'espérait - qui pourrait élargir, améliorer nos
marchés.
Vous n'avez pas fait mention de ça, vous avez sûrement vos
raisons, mais je pense que tout le monde ici, y compris la coalition contre,
qui avait des documents très bien préparés, a fait
état, a réalisé qu'il y avait cette ère de
protectionnisme, qu'il y avait cette menace. Or, vis-à-vis de votre
rejet complet de la négociation, avant même de parler de
traité, je vous demanderais ce que j'ai demandé à
d'autres: Vis-à-vis de cette acceptation de toutes les parties de ladite
menace, qu'auriez-vous à nous suggérer comme moyen à
utiliser pour protéger les milliers d'emplois des travailleurs et
travailleuses du Québec dont je parle?
M. de Bellefeuitle: Merci, M. le Président. Vous me
permettrez, M. le Président, de m'adresser directement à M. le
ministre. M. le ministre, je suis un peu étonné de vous entendre
exprimer une très grande confiance dans l'expression "pleine
participation" que le gouvernement Mulroney a forgée pour décrire
le rôle qu'il réservait aux provinces» Dana le contexte dans
lequel cette expression a été lancée par M. Mulroney, il
était absolument clair que l'expression "pleine participation" voulait
dire que les provinces étaient exclues de toute voie
décisionnelle, (20 h 30)
La question qui était posée à ce moment-là
était de savoir qui aurait pouvoir décisionnel. Ce que M.
Mulroney a décidé et la notion qu'il a accréditée,
c'est que seul te gouvernement fédéral avait pouvoir
décisionnel et que les provinces pouvaient dire ce qu'elles voulaient,
qu'elles avaient pleine participation pour dire ce qu'elles voulaient. C'est ce
que nous disons dans notre mémoire. Les provinces, le Québec
comme les autres, peuvent dire ce qu'elles veulent. Cela a l'importance que le
gouvernement fédéral accordera aux propos des provinces. Seul le
gouvernement fédéral a un pouvoir décisionnel et,
évidemment, chacun fait ses choix, mais je m'étonne de la
confiance que vous manifestez envers un gouvernement... Et il ne s'agit pas de
celui de M. Mulroney, il s'agit de l'institution, du gouvernement central, du
gouvernement fédérai, un gouvernement qui, depuis que la
confédération existe, a, somme toute, régulièrement
desservi les intérêts du Québec, et vous le savez comme
nous. Le Québec, parfois, a réussi à grignoter, à
arracher des lambeaux, à faire tomber des miettes de la table, mais vous
ne pouvez pas soutenir que le jeu de la confédération sur le plan
économique a vraiment servi les intérêts du Québec.
Comment se fait-il que le Québec soit en retard sur l'Ontario? Il y a
une raison pour laquelle le Québec est en retard sur l'Ontario, une
raison de fond, c'est que le régime fédéral a
été conçu pour favoriser le développement de
l'Ontario avant tout, et le Québec en a souffert comme les autres
régions du Canada qui ne sont pas l'Ontario.
Vous parlez du protectionnisme US. Comment imaginer qu'Ottawa va vouloir
nous protéger, nous, prioritairement, contre le protectionnisme US? Seul
Ottawa a pouvoir décisionnel dans ces négociations. Alors, je ne
vois pas, là non plus, comment ce protectionnisme US tout à coup
disparaîtrait par la grâce de négociations auxquelles nous
n'aurions pas participé.
Votre dernière question: Quoi faire? Je
pense que vous connaissez la réponse, M. le ministre. À
notre avis, ce qu'il faut faire, c'est que le Québec s'assume
totalement. Il faut que le Québec, puisqu'il s'est fait
reconnaître comme société distincte, fasse les pas qui sont
dans cette logique. Excusez-moi d'évoquer M. Trudeau, mais,
là-dessus, il a raison. Dans la logique de la société
distincte, le Québec doit faire un pas de plus, deux pas de plus, et
devenir souverain, devenir indépendant. Lorsque le Québec sera
indépendant, il négociera pour lui-même, et Dieu sait si,
de nos jours, dans les questions économiques et internationales, il est
important de négocier pour soi-même! Si on ne négocie pas
pour soi-même, on est certain de se faire avoir, de se faire rouler, et
vous devinez quels autres mots je pourrais employer. Il y a une seule
façon d'assurer au Québec un véritable
développement économique dont il soit maître, c'est
d'assumer la plénitude des pouvoirs politiques.
M. MacDonald: M. de Belle feuille, comme je vous l'ai dit au
départ, sur la question du choix constitutionnel canadien, on a des
positions inconciliables, et ce n'est pas ici ce soir que nous pourrons
régler cela. Je dois vous dire que j'observe que la majorité de
la population du Québec n'a pas témoigné de votre choix
constitutionnel, tout au moins à la dernière élection,
qu'elle nous a confié un mandat d'administrer l'économie du
Québec et le Québec en général, et c'est le mandat
que nous cherchons à assumer le mieux possible.
Malgré la question du choix constitutionnel, je ne comprends pas
-remarquez bien que je suis ici pour essayer de voir plus clair dans une foule
de choses et je suis prêt à écouter - je ne vois pas et je
ne perçois pas qu'étant indépendants, les
Américains retrouveraient une sympathie et mettraient à
l'épreuve nos manufacturiers de bois de sciage, nos usines de
pâtes et papiers ou tout autre secteur industriel ou commercial que nous
avons, que ces secteurs se retrouveraient soudainement à
l'épreuve de cette montée protectionniste. J'aimerais beaucoup le
voir, mais il y a 6Q0 mesures législatives et autres. Ce qui me
préoccupe, c'est que nous savons à l'heure actuelle que, s'il n'y
a pas moyen - je ne parle pas d'avoir une grande entente comme les journalistes
ont pu en traiter - de baliser le protectionnisme américain, le 6
octobre, nous pourrions nommer - et on en a eu des exemples ici - plusieurs
secteurs où des milliers de jobs vont être en péril parce
que sont en attente, en coulisse, pas seulement des requêtes en droits
compensatoires, mais des propositions de législation directement
reliées à des secteurs importants de l'activité
économique québécoise. Je regrette, indépendants ou
non, je ne pense pas que cela attirerait plus de sympathie. Comme je l'ai dit,
je pense que, sur le plan constitutionnel, on pourrait en parier toute la
soirée, mais nos positions sont plutôt inconciliables dans ce
domaine. Je fais appel à ce moment-ci, me réservant le droit de
revenir, à l'alternance qui a été la nôtre et je
cède la parole à mon collègue, le député de
Bertrand.
Le Président (M. Charbonneau): Est-ce que vous aviez des
commentaires à formuler avant que je cède la parole au
député de Bertrand? Non? Alors, M. le député de
Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Si vous avez des commentaires, vous pouvez
les faire maintenant, sans cela vous allez les faire sur mon temps. Faites-les
sur le temps du ministre.
Des voix: ...
M. Monière (Denis): M. le ministre, je pense que vous avez
raison de souligner qu'il y a cette menace protectionniste aux
États-Unis, mais vous allez sans doute être d'accord avec moi pour
reconnaître que, lorsqu'on veut être en position de force, il faut
essayer d'effrayer son adversaire. Je pense que c'est une très bonne
stratégie de la part des Américains, pour faire monter les
enchères, que de sortir ces menaces à la veille ou durant un
processus de négociation. Mais, M. le ministre, vous reconnaîtrez
aussi avec moi qu'aujourd'hui, dans le monde moderne, nous sommes dans une
économie internationale. Nous ne sommes pas dans une économie
bilatérale. Nous n'avons pas que des relations avec les
États-Unis. Si les Américains étaient sérieux dans
leur volonté protectionniste, je pense que leur économie en
souffrirait énormément parce qu'il y a quand même des
institutions internationales. Le GATT est une institution internationale.
Comment le Japon répondrait-il au protectionnisme américain,
alors que les Américains demandent aux Japonais d'abolir leurs propres
barrières tarifaires et leur propre protection? Il y a là une
dynamique internationale et je pense que les Américains, et c'est de
bonne guerre, tentent de gagner le maximum dans cette négociation en
mettant de l'avant ces mesures de protection.
Je pense que dans ce débat il y a beaucoup de poudre aux yeux qui
est jetée parce que c'est un débat qui, pour le grand public en
tout cas, est surtout théorique. D'ailleurs, à cet égard,
M. Bourassa nous étonnera toujours. Lui qui est reconnu pour être
un homme pragmatique, un homme de chiffres, il nous lance une commission
parlementaire avant que les termes de l'entente ne soient connus, ce qui nous
oblige à
discuter un peu dans le vide, devant une boîte de Pandore
fermée, c'est-à-dire qu'on ne sait pas ce qui sortira de cette
boîte de Pandore.
Je fais ce long préambule simplement pour dire qu'il y a beaucoup
de poudre aux yeux puisqu'on nous promet énormément de choses.
Or, M. le ministre, vous savez comme moi qu'en vertu d'une logique d'analyse
qui est celle de l'école du "public choice", lorsqu'un consommateur doit
faire un choix, il ne s'appuie pas sur des promesses à venir. Son choix
doit reposer sur une évaluation des performances passées, soit du
produit, soit du parti politique, s'il s'agit d'un électeur.
Dans la situation où nous nous trouvons comme citoyens, nous,
Québécois, nous n'avons rien pour débattre
sérieusement cette question. Nous ne savons pas quel est l'avenir et
nous devons donc nous reposer sur l'expérience du passé, examiner
la performance du fédéral comme négociateur au GATT
précisément où, encore une fois, le Québec a
souvent été défavorisé au profit de l'Ontario.
C'est pour cela que notre rapport insiste beaucoup sur l'expérience
passée parce que c'est la seule façon pour un consommateur
rationnel, comme pour un électeur rationnel, de faire un choix.
Regardons ce qui a été fait dans le passé et non pas ce
qu'on nous promet pour l'avenir. Et vous, comme beaucoup d'autres, vous tombez
dans ce piège, vous promettez des emplois à
répétition. Peut-être, mais peut-être que non. Si on
affirme que le libre-échange est la voie de l'avenir pour la
création d'emplois, ce qui est une possibilité, examinons une
situation où il y a effectivement libre-échange. Ce
libre-échange est tout près de nous, il est aux
États-Unis. Entre les États de la fédération
américaine, il y a libre-échange, et il y a aussi aux
États-Unis des États limitrophes au nôtre. Je veux parier
du Maine et du Vermont. Dans ces États limitrophes, est-ce que le
libre-échange a créé des emplois? Est-ce qu'il a permis,
à l'intérieur même des États-Unis, d'abolir les
disparités régionales dans l'emploi et dans le
développement économique? Pas du tout. On peut donc
prévoir, sur la base de ces faits, par un raisonnement logique, que la
création d'emplois demeure problématique, même dans une
perspective de libre-échange.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Monière.
M. le député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. de
Bellefeuille, M. Rhéaume, M. Monière, on vous remercie de vous
être déplacés et d'être venus à cette
commission. Comme on l'a déjà mentionné
précédemment, c'est vrai que cela se passe tard. On a
réclamé cette commission et, même si elle a commencé
le 15 septembre, je pense que le fait de faire l'exercice, même si cela
ne change rien actuellement dans le débat puisqu'on n'est pas à
la table des négociations, d'une part, et, d'autre part, je ne pense pas
que les discussions ici puissent actuellement influencer de très
près les décisions prises au cours des prochains jours, il reste
que l'exercice qui se fait actuellement en au moins un exercice de
sensibilisation importante.
Vous mentionnez dans votre mémoire plusieurs de vos
préoccupations. À la page 4, je résume cela de la
façon suivante: "Bref, notre économie a besoin de protection. En
cela, elle n'est pas différente des autres économies." Dans le
fond, ce que vous nous dites, c'est que, à toutes fins utiles, il faut
continuer à se protéger face à ce qui se passe
actuellement.
Ma première question: Connaissant votre position bien
énoncée, entre une entente quelconque et le statu quo, qu'est-ce
que vous préconisez si on avait le choix de ne pas faire une entente
actuellement?
M. Rhéaume (Gilles): Nous recommandons, bien sûr, de
ne pas procéder à la signature de l'entente, signature qui se
fera par le gouvernement fédéral et non par le gouvernement
québécois, pour toutes les raisons qui sont là. Nous
dénonçons et la forme et le fond du processus. La forme puisque,
comme on l'a dit, on n'est pas impliqués dans la discussion. Et le fond
parce que, pour nous, il est essentiel, avant de procéder à un
tel changement, que nous fassions le bilan dans chacun des secteurs. Ce bilan
n'est pas fait. Ce n'est pas la commission parlementaire actuelle,
malgré toutes ses qualités, qui peut prétendre faire ce
bilan. Un bilan dans tous les secteurs de notre activité
économique, nous ne l'avons pas. Comme d'autres, nous
dénonçons le fait que plusieurs études n'ont pas
été rendues complètement publiques, même si les
raisons pour ce faire peuvent être compréhensibles et quelquefois
légitimes.
Nous nous inquiétons également, comme la population. On
nous dit que la population dans son ensemble semble favorable. Peut-être,
mais cela diminue à chaque sondage. Cependant, lorsque la population
sera informée, comme dans tous les dossiers, d'ailleurs... C'est comme
la langue. La langue n'intéresse pas les gens, mais, lorsqu'il en est
beaucoup question, les sondages démontrent que la population a toujours
un attachement et les gouvernements, quelquefois, hésitent avant de
poser des gestes. Nous disons que ce serait la même chose dans le dossier
du libre-échange. On parle de gain ou de perte d'emplois. Quel genre
d'emplois? Emplois permanents? Quel genre de sécurité d'emploi?
Quelle protection aux travailleurs? Quelles conséquences dans
les avantages sociaux que nous avons actuellement dans certaines
activités de travail qui sont les nôtres?
Donc, nous dénonçons le fond, la forme et nous demandons
au gouvernement d'avoir l'intelligence du doute, de douter un peu de cette
proposition, toute manipulée par Washington, puisque lui-même, le
ministre, et il n'est pas le seul, vient de reconnaître que devant la
force américaine il n'y a rien d'autre à faire que de s'incliner.
Les indépendantistes n'ont habituellement pas ce genre de
réaction. On n'a pas à s'incliner devant le pouvoir d'un
État si grand, si puissant soit-il. Nous devons tenter d'être
nous-mêmes et de voir s'il n'y a pas d'autres éléments
comme ceux qui ont été suggérés. Les
États-Unis sont un des plus grands pays du monde. Nous l'aimons, nous
l'apprécions, nous sommes ses voisins. Mais ce n'est pas une raison pour
faire ses quatre volontés et ce n'est pas une raison pour se laisser
influencer par quelque menace qu'ils pourraient bien proférer. (20 h
45)
Donc, nous demandons au gouvernement d'avoir l'intelligence du doute, et
l'intelligence du doute suggère actuellement, avant d'aller plus loin,
de procéder à ce bilan exhaustif dans chacun des secteurs. On ne
peut pas s'embarquer à la légère lorsqu'on est aussi loin
d'un dossier, comme c'est le cas maintenant. Le dossier du
libre-échange, c'est l'affaire du gouvernement fédéral,
c'est l'affaire du gouvernement américain et c'est l'affaire, de
très loin - mais de très très loin - de cette petite
officine municipale qu'est le gouvernement québécois à
l'intérieur de la confédération.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. Rhéaume. Ce que je
comprends très clairement, c'est que vous êtes, entre le statu quo
et une proposition qu'on ne connaît pas, mais une proposition de
libre-échange, vous êtes absolument contre toute forme de
signature. J'ai pris connaissance d'un volume de décembre 1985 qui
s'appelle L'action nationale, plus précisément le volume 4
du 4 décembre 1985, dans lequel j'ai trouvé fort
intéressant l'exposé, M. Monière, que vous faisiez
à ce moment-là - donc, on retourne deux ans en arrière -
et où, pendant quatre ou cinq pages, à partir de la page 331,
vous exposez de façon très claire plusieurs questions qui sont
encore d'actualité, soit dit en passant, sur le libre-échange et
les dangers qu'on peut y courir.
Vous terminez cet article - et c'est là que j'ai besoin que vous
m'éclairiez... À la fin de cet article, à la page 334, je
cite vos dernières phrases et j'aimerais que vous me les explicitiez un
peu: "Pour nous, indépendantistes, le libre-échange ne devrait
pas aller au-delà de l'abolition des barrières tarifaires, car
une intégration plus poussée serait une menace à notre
liberté collective et, de plus, nous estimons que le Québec
devrait être associé comme partenaire distinct aux
négociations qui s'amorcent." Je comprenais par: "le
libre-échange ne devrait pas aller au-delà de l'abolition des
barrières tarifaires", que vous étiez... Est-ce que vous
êtes toujours d'accord avec cette partie de l'abolition des
barrières tarifaires, comme c'était précisé
à ce moment-là, par rapport à la position que vous prenez
maintenant? Est-ce que vous pourriez juste expliciter là-dessus, M.
Monière?
M. Monière: Oui. Personnellement, je suis toujours
d'accord avec ce que j'ai écrit en 1985. Il faut quand même situer
cette prise de position dans un contexte plus général en ce sens
que les négociations doivent se faire de façon
multilatérale, premièrement, et non de façon
bilatérale, et ces négociations doivent strictement porter sur
les tarifs protectionnistes. Dans mon esprit, il n'est pas question, dans un
accord de libre-échange, de toucher à la politique fiscale,
à la politique de développement industriel, à la politique
de développement régional, à la politique sociale, ni
à toute autre forme de politique, puisque cela constitue une atteinte
à la souveraineté de l'État. Cela hypothèque les
choix qui sont réservés aux citoyens dans l'avenir. Donc, le
libre-échange ne devrait se limiter qu'à l'abolition des 12 % ou
13 % d'articles qui sont encore soumis à des tarifs
protectionnistes.
M. Parent (Bertrand): Dans cette foulée, M.
Monière, s'il y avait abolition, à toutes fins utiles, c'est la
continuité des négociations du GATT. Mais, dans ce cadre, si
elles avaient lieu dans un bloc, donc, que la partie barrières
tarifaires soit négociée, est-ce que vous avez des
recommandations à faire quant à la période et aux outils
qui devraient les accompagner afin de protéger notre structure
industrielle, nos entreprises?
M. Monière: II faut savoir que l'abolition des
barrières tarifaires ne s'est jamais faite d'un bloc. Cela se fait
toujours de façon progressive, en fonction des intérêts
mutuels des partenaires ou des cosignataires d'une entente. Donc, il faudrait
échelonner cela dans le temps, avec des mesures compensatoires pour les
industries qui seraient touchées par l'abolition stricto sensu des
tarifs.
M. de Bellefeuille: M. le Président, est-ce que je peux
poser une question à M. Parent?
Le Président (M. Charbonneau): Oui, c'est sur son temps et
sur le vôtre.
M. de Bellefeuille: Si M. Parent est d'accord.
M. Parent (Bertrand): Oui.
M. de Bellefeuille: Nous, nous soutenons que le Québec
doit négocier pour lui-même. Le ministre, si j'interprète
bien ses propos, est disposé à faire confiance au gouvernement
fédéral pour négocier d'une façon qui soit à
l'avantage du Québec. J'aimerais savoir laquelle de ces deux options M.
Parent choisit.
M. Parent (Bertrand): En fait, notre position a été
très claire dès le début. Oui, s'il y en a qui ne l'ont
pas comprise... D'abord, nous sommes inquiets parce que nous ne sommes pas
à la table des négociations. La question que vous me posez est la
suivante: Est-ce qu'on doit faire confiance au gouvernement du Québec
actuel? Je l'ai dit et je l'ai répété au cours de la
dernière semaine, ici, à cette assemblée, on est
très inquiets parce que, d'une part, on ne pense pas avoir
l'écoute nécessaire au gouvernement d'Ottawa pour être
capables de revendiquer la spécificité québécoise.
Je pense que dans cet esprit on est plus que préoccupés. Le
ministre nous dit et nous répète, ainsi que les différents
ministres qui sont venus ici: Faites-nous confiance, ayez foi en nous. Et,
nous, nous sommes très préoccupés par rapport à
cela.
Encore là, vous le dénonciez tantôt, cette
commission se tient beaucoup trop tard ou ne devrait peut-être pas se
tenir. Nous pensons qu'on a essayé d'avoir de l'éclairage, on a
essayé d'avoir davantage de lumière sur ce qui est en train de se
négocier avant le 4 octobre. Je peux vous dire que, depuis une semaine,
sur cet aspect, on n'en a pas su plus, pour des raisons que le ministre a
avancées, qu'on n'a pas à mettre sur la table ce qui est en train
de se négocier et cela nous préoccupe au plus haut point. Sur ce
point, on est exactement dans la même situation que vous. On est
préoccupés et soucieux par rapport à ce qui est en train
de se passer actuellement un peu à notre insu.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre, est-ce que
vous avez quelque chose à ajouter?
M. MacDonald: J'aurais une intervention à faire.
Le Président (M. Charbonneau): Allez-y, je reviendrai
ensuite.
M. MacDonald: Je pense que, sans vouloir répondre pour le
député de Bertrand, si vous avez suivi le dossier, le chef de
l'Opposition, M. Johnson, et M. Parent ont régulièrement
déclaré qu'ils étaient en faveur d'une négociation
de la libéralisation des échanges, mais pas à n'importe
quelle condition. En cela, on se retrouvait très bien. Je pense que cela
répond directement à votre question. Il y a d'autres personnes,
vos anciens collègues, qui partagent votre option constitutionnelle,
qui, d'une façon beaucoup plus éloquente que je ne peux le '
faire, sont venus parler en faveur d'une libéralisation des
échanges, mais pas à n'importe quelle condition non plus et je me
réfère à M. Parizeau et à M. Landry.
Je suis obligé de reprendre la suggestion que vous nous faites,
qui .est celle de l'intelligence du doute. J'aimerais vous rassurer. Dans des
dossiers comme celui-ci, mes collègues et moi-même avons eu, avons
encore et espérons garder l'intelligence du doute dans n'importe quelle
négociation qui implique l'avenir économique du Québec
Nous ne prenons pas, comme vous le dites -vou3 utilisez les adjectifs
très librement - la chose à la légère. Je ne crois
pas non plus que négocier avec les Américains, c'est faire leurs
quatre volontés. Ce n'est pas du tout dans cette position qu'on s'est
placés, tout au moins comme Québécois. Je n'ai pas
observé la position canadienne comme étant une position de gens
qui veulent faire les quatre volontés de la partie de l'autre
côté.
Quant à vous, M. Monière, je ne sais pas quelle est
l'étendue des études ou des lectures que vous avez pu faire sur
la question du commerce international, mais j'aimerais vous rappeler que, dans
le Tokyo Round réalisé au moment où un gouvernement vous
professait sûrement son préjugé favorable, il y a eu neuf
ententes non tarifaires et que le gouvernement du Québec, à la
signature du Tokyo Round, s'est dit parfaitement heureux des conclusions de
cette entente. Je n'ai entendu personne, à ce moment-là, dire que
c'est l'Ontario ou quelque autre province qui avait été
favorisée, mais le Québec était pleinement satisfait.
Je pense que vouloir négocier strictement des mesures tarifaires,
qu'on le fasse au plan bilatéral ou qu'on le fasse au plan
multilatéral, est totalement irréaliste vis-à-vis de la
plus élémentaire base du commerce international. Le harassement
douanier n'est pas tarifaire. Les mesures de standardisation des questions
d'hygiène en matière d'agriculture, ce n'est pas tarifaire. Les
politiques préférentielles d'achat très souvent hypocrites
et non annoncées d'un État ou d'un secteur industriel d'un
État, ce n'est pas tarifaire. Il me semble tout à fait
élémentaire et je ne sais pas où vous avez pris cette
notion, mais je vais conclure en vous disant et en répétant ici
qu'un traité de libéralisation des échanges avec les
États-Unis, ce n'est pas une baguette magique, ce n'est pas une
panacée, pas du tout. Une négociation sur les relations
commerciales,
que ce soit au plan bilatéral ou multilatéral, c'est un
processus continuel qui va devoir préoccuper les gouvernements tant et
aussi longtemps qu'on voudra continuer à faire affaires et même
après. Mais, dans le cas présent, entre ce que vous
préconisez, c'est-à-dire le statu quo et, passivement, laisser
des mesures en droit compensatoire ou autres mesures punitives, ou des lois
s'adopter et regarder les jobs menacés ou disparaître, et le choix
que nous avons fait, compte tenu de nos responsabilités, je dois vous
dire que je me sens très à l'aise avec notre choix, surtout que
nous sommes appuyés à l'intérieur de certains
paramètres par l'Opposition et par la très grande majorité
des gens qui se sont impliqués dans le dossier et qui sont venus
présenter leur cas.
Je vous remercie tout de même d'être venus. Dieu merci, on
vit dans une démocratie. Tout le monde a le droit de s'exprimer. Vous
l'avez fait et vous l'avez bien fait.
M. Monière: M. le Président, je voudrais simplement
rassurer M. le ministre sur la qualité de mes sources. Vous savez sans
doute, M. le ministre, qu'il y a eu la commission MacDonald qui a publié
non seulement ses rapports, mais ses études, et les hypothèses
que j'ai évoquées devant vous, je les ai tirées de
certaines études publiées par la commission MacDonald, c'est
tout.
M. MacDonald: Les hypothèses. M. Monière:
Bien sûr.
Le Président (M. Charbonneau): Je veux simplement ajouter
un commentaire. Cela donne l'impression, quand on vous écoute, que les
indépendantistes sont tous unanimes à s'engager contre le
libre-échange et qu'on n'est pas un vrai indépendantiste si on ne
partage pas l'approche que vous avez développée. J'ai
plutôt l'impression que... On a entendu des indépendantistes ici
qui étaient pour et d'autres qui étaient contre, comme vous, et
des gens aussi qui se posent des questions. De notre côté, il y a
des gens qui sont plus pour, d'autres qui sont plus contre, mais la
majorité, de toute façon, est incertaine dans la mesure où
il y a un certain nombre de paramètres qui sont difficilement cernables
actuellement. Je pense qu'on s'entend tous sur cela. On n'a pas d'entente
actuellement. On tient une commission parlementaire à un moment
où les derniers moments d'une négociation s'achèvent, une
négociation qui est secrète et qui se déroule sans qu'on
ait directement d'interlocuteur, bien qu'on puisse penser que le gouvernement
du Québec, dans le contexte constitutionnel, fait le maximum.
Indépendamment de cela, il est clair qu'il peut y avoir des
inquiétudes et des incertitudes.
Il y a une autre chose que j'aurais le goût de dire, c'est que je
n'ai pas l'impression - en tout cas, personnellement -qu'une intégration
économique plus grande signifie nécessairement pour des
États moins de souveraineté ou que ces États ne sont plus
des États autonomes. Je pense qu'il y a des pays indépendants en
Europe qui vivent non seulement dans des systèmes d'intégration
économique, mais d'intégration politique et qui conservent
néanmoins la plénitude de leur souveraineté politique, de
leur indépendance politique. À cet égard, on pourrait
penser à la fois aux pays Scandinaves et aux pays de la
Communauté économique européenne. Donc, ce n'est pas
nécessairement automatique que, parce que des pays ont une
intégration économique plus ou moins poussée, selon les
situations, qu'automatiquement ces pays ne sont plus des pays et que ce sont
des espèces d'entité politique plus ou moins sous la
dépendance d'autres.
Ce sont les commentaires que j'avais le goût de faire. Je pense
que, à moins qu'il n'y ait d'autres commentaires, je voudrais, au nom de
mes... Ou;, monsieur...
M. de Bellefeuille: M. le Président, je voudrais ajouter
quelques mots pour éviter qu'il y ait des malentendus parce qu'aussi
bien le ministre que vous-même semblez avoir mal compris notre position.
Nous ne sommes pas opposés à la libéralisation des
échanges, M. le Président. Je pense que notre mémoire
indique clairement que nous considérons la libéralisation des
échanges comme faisant partie des idéaux internationaux que le
monde libre s'est proposés depuis la guerre. Mais cet idéal s'est
heurté à des réalités, à des
égoïsmes, à toutes sortes de conflits qui sont
inévitables apparemment dans le monde. Alors, ce à quoi nous nous
opposons, ce n'est ni à la libéralisation des échanges, ni
au fait que le Canada cherche à en venir à un accord avec les
États-Unis sur le libre-échange. Ce à quoi nous nous
opposons, c'est au fait que le Québec ne négocie pas
lui-même sa participation à la libéralisation des
échanges et il n'y a à cela qu'une seule solution - M. le
ministre l'a parfaitement compris - il n'y a à cela qu'une seule
solution, ce serait l'indépendance du Québec. Or, ce n'est pas un
objectif qu'il poursuit. Comme ce n'est pas un objectif qu'il poursuit, je ne
vais pas chercher plus longtemps à le convaincre, mais, à notre
avis, toute la question est là. Dans le régime
fédéral, le Québec ne peut pas négocier pour
lui-même; donc, ce sont d'autres qui négocient pour lui et nous
estimons qu'il faut être terriblement naïfs pour penser que d'autres
vont négocier pour nous aussi bien que nous le ferions
nous-mêmes.
Enfin, M. le Président, je note que, du côté de
l'Opposition officielle, on ne prend pas très clairement position. On
exprime bien sûr une inquiétude, mais une inquiétude qui
est assez molle, qui n'a pas plus de vigueur que l'affirmation nationale. C'est
une espèce d'inquiétude nationale dans la même veine que
l'affirmation nationale. J'aurais aimé entendre M. Parent nous dire que
lui aussi croit que le Québec devrait négocier pour
lui-même. Je regrette que ce ne soit pas le cas.
Le Président (M. Charbonneau);: M. de
Bellefeuille, j'aurais presque le goût de vous répondre
à cette dernière intervention en vous disant que c'est un peu
facile, finalement, de conclure de cette façon-là. On peut
très bien espérer et souhaiter - en tout cas, c'est notre cas de
notre côté - comme vous que le Québec soit un jour un pays
et qu'il puisse procéder de cette façon-là à des
négociations d'État à État ou de pays à
pays, mais ce n'est pas le cas et on a vécu tout le monde les
résultats du référendum. La réalité, c'est
qu'on fonctionne dans un système où les Québécois
se sont prononcés pendant un certain nombre d'années et ce n'est
pas parce qu'on est d'accord avec ce choix-là qu'on n'est pas capable
d'agir politiquement dans cette société pour qu'un gouvernement
qui, lui, a une foi fédéraliste et qu'on respecte fasse le moins
d'erreurs possible dans l'intérêt du Québec. On peut par
ailleurs différer d'opinions, mais je pense qu'on pourrait
s'étendre longtemps ce soir sur ça. Néanmoins, sur cette
dernière remarque - je voulais me garder le mot de la fin - je voudrais
au nom de tous mes collègues de part et d'autre vous remercier d'avoir
participé à cet exercice de consultation générale
sur le libre-échange. Je pense qu'on a tous apprécié cet
échange et cette cordialité que néanmoins nous avons eus
ce soir. Alors, merci et à la prochaine. Bon retour.
Je voudrais inviter maintenant, pendant qu'on va faire une pause de
quelques instants, Ies gens de Trans-Impex à prendre place à la
table des invités, s'il vous plaît!
(Suspension de la séance à 21 h 4)
(Reprise à 21 h 6)
Le Président (M. Charbonneau):
Messieurs, bonsoir. Les sourires que vous voyez sur nos visages sont des
sourires de gens qui essaient de faire leur travail avec le plus
d'agrément possible. Alors, nous vous accueillons dans la poursuite de
notre consultation générale sur la libéralisation des
échanges. Je vous rappelle les règles. On a environ une heure et,
parfois, quelques instants de plus pour avoir une discussion avec vous.
D'abord, une vingtaine de minutes pour la présentation du mémoire
et le reste du temps est consacré de part et d'autre à des
échanges de points de vue. Je crois que c'est M. Byrne qui...
Pardon?
M. Lemay (Roland): Roland Lernay.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Roland Lemay. Excusez-moi. J'avais votre nom, mais je ne savais pas
lequel d'entre vous agirait comme représentant. Je vous demanderais,
pour le Journal des débats, de présenter la personne qui vous
accompagne et de commencer immédiatement votre présentation.
Trans-Impex
M. Lemay: Avec plaisir, M. le Président.
Nous remercions les membres de la commission de nous donner l'occasion
de nous faire entendre. J'aimerais vous montrer qu'on est complètement
à l'aise et vous présenter mon confrère, M. Julien
Carignan, qui est conseiller en transport pour les chemins de fer nationaux
pour l'est de Montréal. M. Carignan a agi comme président d'un
groupe très connu à Québec. Il a organisé la
journée du camionnage l'an passé et il faisait partie comme
président du club du trafic de Québec. C'est un curriculum vitae
très court, mais cela vous fait connaître M. Carignan qui
m'accompagne. Je dois dire que nous entendons faire savoir à ceux qui ne
parlent pas que la sévérité de ce mémoire - nous
considérons notre mémoire assez sévère -pourra
renseigner ceux qui parlent pour savoir. Ce sont des paroles que je
répète, qui ont été dites la semaine
dernière, mais dans un autre sens.
Les discussions sur le libre-échange nous préoccupent
grandement. Seront-elles à notre avantage ou à notre
désavantage? Nul ne le sait.
Posons-nous donc les questions suivantes: La valeur du dollar canadien
sera-t-elle au pair avec celle du dollar américain? Notre voisin
américain va-t-il respecter nos droits acquis sur l'étiquetage
bilingue et sur les mesures et poids en métrique? Des choses qui
marquent l'identité propre du Canada. Le pourquoi de ces questions?
Très souvent, nos producteurs sont protégés par ces deux
particularités très importantes.
M. David Peterson, premier ministre de l'Ontario, a qualifié les
négociations qui ont mené à l'entente sur le nouvel accord
avec les États-Unis sur le bois d'oeuvre d'affaire mal conduite.
L'entente permet aux États-Unis de surveiller le respect de l'accord et
les 600 000 000 $ que rapportera la taxe imposée, ou taxe compensatoire,
par le Canada sur le bois d'oeuvre ne pourront être réinvestis
dans l'industrie canadienne afin de
venir en aide aux compagnies ou aux travailleurs en difficulté
dans ce secteur. M. Peterson ajoute que les concessions faites par le Canada
encourageront d'autres industries américaines à serrer la vis
pour voir ce qu'elles peuvent obtenir. C'est toujours à cause du
protectionnisme américain, M. le Président. Je le dis hors
texte.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Lemay, je me rends compte que votre texte n'est peut-être pas
long, mais très dense.
M. Lemay: Oui, je vais activer ma lecture.
Le Président (M. Charbonneau): Donc, au rythme où
vous le lisez, je suis convaincu que cela va prendre plus que 20 minutes pour
en livrer le contenu. De deux choses l'une: ou vous trouvez un débit et
vous...
M. Lemay: ...accélérez.
Le Président (M. Charbonneau):: ...accélérez
ou vous faites une synthèse.
Nous sommes prêts à vous donner un peu plus de temps, mais
si on veut avoir le temps de discuter un peu...
M. Lemay: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Je vous en prie.
M. Lemay: Nous savons fort bien que les pressions assidues des
compagnies Georgia Pacific Corporation, International Paper -c'est la maison
mère du CIP - North Pacific Lumber, American International Industrial
Forest Products, et de quelqu'un en particulier - je suis obligé de
mentionner son nom; c'est lui qui en a été l'instigateur, le
sénateur Bob Packwood, de l'État de l'Oregon, qui a
dépensé 7 000 000 $ lors d'une campagne électorale; c'est
lui qui a fait le lobbying pour amener cette surtaxe qu'on a imposée
aujourd'hui - auprès du gouvernement américain par l'entremise
des sénateurs des États de l'Idaho, de l'Oregon et de Washington
- ce sont les trois États en question qui nous combattent - ont
largement contribué à forcer le gouvernement Reagan à
exiger que Mme Pat Carney, ministre canadienne du Commerce extérieur,
impose une surtaxe de 15 % sur le prix de vente du bois d'oeuvre canadien
exporté aux États-Unis.
La brutalité réaliste est que l'empire américain
est en déclin; cet empire qui avait atteint son apogée de
puissance et d'influence durant les années cinquante et soixante est
menacé à la fois par la Communauté économique
européenne et par le Japon, sans parler de ses propres problèmes
intérieurs.
Durant les années quatre-vingt, les États-Unis
connaissaient des déficits budgétaires grandissants, ils voyaient
leurs industries péricliter pendant que de nouvelles usines se
construisaient au Japon, en Corée et à Taiwan et non aux
États-Unis. C'est eux qui le voulaient ainsi. Pendant ce temps, leur
déficit augmente sans cesse.
Nous croyons beaucoup plus à des ententes dûment
signées et approuvées qu'à une libre concurrence entre
deux pays de coutumes différentes, de manières différentes
de vivre et de se nourrir, et une façon de faire contrepoids à la
culture américaine et de protéger ainsi une identité
déjà menacée consiste à organiser des sommets
francophones - comme celui qu'on a eu -propices à la recherche de
consensus sur les grands problèmes politiques et économiques pour
stimuler les échanges économiques où le Québec a
quelque chose de spécial à offrir.
Depuis quand les États-Unis ont-ils avantage à
atténuer la concurrence avec le Canada? Nous n'avons qu'à les
suivre dans leur façon de nous traiter comme voisins concernant les
pluies acides, le respect de nos frontières, de nos eaux territoriales.
Je peux me permettre de dire que ce n'est pas réglé, la question
des 200 milles. Un arbitre a déjà été nommé
et on parle d'arbitre plus loin; on en demande. Commençons par
établir un juste équilibre avec ces derniers.
Le premier ministre Mulroney croit que le Canada peut s'attendre
à un traitement préférentiel des États-Unis parce
qu'il entretient de bonnes relations personnelles avec le président
Reagan et que les pourparlers commerciaux sont empreints de politesse et de
décorum entre l'ambassadeur du Canada, M. Simon Reisman, et M. Peter
Murphy, ambassadeur américain, lequel relève du
représentant au commerce des États-Unis, M. Clayton Yeutter. (21
h 15)
Les Américains livrent également une très
importante guerre commerciale à la Communauté économique
européenne en accordant d'importantes subventions à l'exportation
des produits alimentaires. Le Canada, qui dispose de moyens plus
limités, n'est pas de taille pour combattre. Le ministre de
l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, M. Michel Pagé,
estime que le président américain Ronald Reagan bluffe lorsqu'il
prétend vouloir l'élimination des subsides dans le secteur
agricole d'ici dix ans. C'est facile de le dire, mais il a mis 37 000 000 000 $
pour soutenir ses producteurs de céréales, ce qui a
entraîné un effondrement des prix. Nous comprenons les
inquiétudes de l'UPA qui a demandé récemment au premier
ministre canadien, Bryan Mulroney, de retirer son appui à M. Reagan sur
les questions agricoles débattues devant le GATT et qui
s'inquiète toujours
des négociations sur le libre-échange avec les
États-Unis. Voilà pourquoi notre commerce avec notre voisin
connaît des difficultés. Le sentiment protectionniste se renforce
aux États-Unis et un grand nombre d'exportations canadiennes souffrent
directement et indirectement des mesures de protection exceptionnelle
américaines.
Les principaux problèmes dans le secteur de notre agriculture
tiennent au protectionnisme à outrance et à la guerre des
subventions entre la communauté européenne et les
États-Unis dont les retombées affectent sérieusement nos
marchés d'exportation. La réglementation des subventions et
autres questions agricoles sont une priorité pour les
négociations du GATT. Les progrès que nous accomplirons dans nos
négociations avec les États-Unis, par exemple, sur la
définition des subventions admissibles ou la réduction des
barrières non tarifaires comme les règlements sanitaires et
techniques pourront être utiles aux négociations
multilatérales. Dans le contexte bilatéral, il ne faut pas que
les offices de commercialisation des produits agricoles soient mis en cause. Il
faut trouver des moyens d'empêcher les nations les plus puissantes,
Etats-Unis et Europe, de restreindre l'accès à leurs propres
marchés et d'envahir les marchés étrangers à l'aide
de programmes de subventions. Il faut également persuader le Japon
d'abandonner son programme de subventions intérieures excessives et de
libéraliser l'accès à son marché.
Prenons l'exemple des producteurs agricoles de la municipalité de
Fulton dans l'État de New York. Au mois d'août 1986 les grossistes
en fruits et légumes de cette région refusaient d'acheter la
laitue des producteurs de l'État de New York et alimentaient leurs
clients avec de la laitue en provenance des régions localisées au
sud de Montréal. Au détail, à l'alimentation on offrait
une pomme de laitue au prix de 0,19 $ américains. De nombreuses plaintes
furent formulées à cet effet par ces producteurs. Ces
dernières années, des commerçants canadiens ont envahi le
marché de l'État du Maine avec des patates canadiennes. Nous
avons vu aux frontières canado-américaines de nombreux
soulèvements de protestation émanant des producteurs
américains en colère. Aussi, qu'adviendra-t-il si l'argent
canadien redevient au pair et que les producteurs américains aient libre
cours chez nous, étant donné que l'État du Maine produit
plus de tubercules que le Canada tout entier? Assurément, nos
producteurs ne pourraient pas tenir le coup. Les producteurs américains
possédant des fermes très vastes, obtenant des récoltes
plus abondantes et leur coût de revient étant plus bas, ils
écraseraient nos agriculteurs canadiens en peu de temps, lesquels ne
pourraient pas soutenir cette compétition. C'est la dévaluation
du dollar canadien qui protège nos pomiculteurs du Québec de
l'envahissement de notre marché par les producteurs américains.
La pomme Mclntosh en provenance de l'État de New York est plus
colorée que celle produite dans les régions au sud de
Montréal. Au printemps la pomme Mclntosh gardée dans des
entrepôts à atmosphère contrôlée de
l'État de New York a meilleur goût que celle gardée dans
les mêmes conditions au Québec
Pour discuter de libre-échange avec les États-Unis il faut
nécessairement aborder le sujet controversé de la
déréglementation dans le transport ferroviaire, routier et
aérien. Aux États-Unis, la déréglementation a
abouti au licenciement de 300 000 camionneurs syndiqués du secteur des
transports et a provoqué des pressions sur les salaires et les
conditions de travail des autres travailleurs. Depuis, que se passe-t-il au
niveau de la sécurité? Dans le secteur américain du
camionnage la déréglementation a entraîné une
prolifération de petits camionneurs disposant de peu de capitaux et a
poussé ces camionneurs, soumis à des pressions de la part des
gros transporteurs qui accordent des rabais, à prendre des risques
supérieurs aux niveaux acceptables pour maintenir leurs véhicules
sur la route. Cette situation a mis en danger non seulement leur propre
sécurité mais celle de tous les autres usagers de la route.
Ceux qui se demandent ce qui va se produire à la suite de la
déréglementation n'ont qu'à jeter un coup d'oeil sur la
situation aux États-Unis pour voir ce que ce pays exportera chez nous.
Les bas tarifs aériens dont on parle beaucoup ne sont pas devenus une
réalité, sauf entre certaines villes importantes. Même dans
ces cas, la situation change à l'heure actuelle. Dans l'industrie
ferroviaire, des licenciements collectifs se sont produits et les
sociétés ferroviaires américaines ont abandonné des
milliers de kilomètres de voie ferrée. C'est en substance ce qui
se produira au Canada et au Québec.
Dans l'industrie du camionnage, nous serons en concurrence avec les
géants américains du camionnage dont les six entreprises les plus
considérables transportent à elles seules plus de marchandises
que tous les expéditeurs du Canada. Ces entreprises élimineront
les nôtres, à toutes fins utiles. Le gouvernement
fédéral a profondément modifié les règles du
jeu et doit accepter la responsabilité de ce qui arrivera.
Aux États-Unis, les camions sont non seulement plus nombreux sur
les routes et sur les autoroutes du pays, mais ils sont également
beaucoup plus gros. Cette situation est partiellement attribuable à la
déréglementation du camionnage commencée en 1980. Les
experts en sécurité affirment
par ailleurs que la concurrence a augmenté entre compagnies de
camionnage et camionneurs indépendants, de sorte que les camionneurs ont
tendance à gagner du temps et à épargner de l'argent en
faisant fi des limites de vitesse, en abrégeant les horaires d'entretien
des véhicules et en passant outre aux règles sur le nombre
d'heures de conduite permises entre les périodes de repos.
Entre-temps, le Insurance Institute for Highway Safety, soutient que la
tendance vers des camions plus imposants, dont ceux à double remorque, a
empiré le problème. Les camions à double remorque peuvent
peser jusqu'à 80 000 livres; ils sont cinq fois plus longs et une fois
et demie plus larges qu'une voiture de promenade.
Si le libre-échange et la déréglementation sont
institués au Canada, notre industrie de camionnage tout entière
pourrait être éliminée par les géants du camionnage
américain qui attendent le moment d'engloutir notre industrie. Aussi,
nous exprimons des doutes sérieux concernant les projets de loi C-18 et
C-19 qui visent à déréglementer l'industrie des
transports.
Il sera extrêmement facile aux transporteurs américains de
déferler chez nous et d'effacer tout avantage qui profite à
l'heure actuelle aux transporteurs canadiens. L'industrie ferroviaire
canadienne a déjà fait connaître publiquement ses
intentions par rapport à la déréglementation et à
la privatisation. Le CP déclare qu'il réduira son réseau
du tiers, qu'il cédera des tronçons de lignes à d'autres
intérêts et qu'il fera disparaître les emplois
correspondants. Le CN, comme l'a affirmé son p.-d.g., M. Lawless, se
débarrassera de 40 % de ses voies d'ici dix ans grâce au
libre-échange, à la déréglementation et à la
privatisation. Il ajoute que le CN compte réduire sa main-d'oeuvre de 18
% d'ici 1990, c'est-à-dire dans trois ans.
Le libre-échange et la déréglementation exposeront
toute l'industrie canadienne du transport aux incursions d'énormes
conglomérats américains, ce qui pourrait l'entraîner
à la ruine et la faire disparaître. La
déréglementation pourrait donner naissance à un
système ferroviaire continental allant du sud des États-Unis
à l'est et à l'ouest du Canada. Il est fort probable que cela se
produira et les Américains seront les grands gagnants dans un contexte
de transports déréglementés.
Les chemins de fer ont actuellement l'obligation de publier leurs
tarifs. Aussi, les camionneurs savent ce qu'ils facturent à leurs
clients et peuvent couper les prix. La déréglementation devrait
profiter à l'intermodal parce que les tarifs de transport ferroviaire
n'auront plus à être publiés et parce que les chemins de
fer pourront passer des contrats confidentiels avec leurs clients.
Ils disposeront ainsi d'un outil plus concurrentiel.
Le seul ennui, c'est que, si les camionneurs américains ont libre
accès au marché canadien (l'accès de ce marché est
limité pour eux actuellement parce qu'il leur faut obtenir un permis
d'exploitation provincial) une pression considérable s'exercera alors
sur l'industrie canadienne du camionnage et sur les chemins de fer canadiens
et, en particulier, en ce qui concerne le trafic transfrontalier. La plus
récente innovation du CN en matière d'envois, il s'agit des
conteneurs gerbés, c'est-à-dire l'un par dessus l'autre, d'une
longueur de 84 mètres et d'une hauteur de 4,5 mètres,
c'est-à-dire deux conteneurs placés l'un sur l'autre et
chargés sur un wagon plat. Le gerbage offre des avantages on ne peut
plus évidents: On peut ainsi acheminer le double de la charge d'un
convoi de même longueur. Dans l'ouest des États-Unis, les envois
gerbés s'effectuent depuis quelque temps déjà.
L'innovation revient au chemin de fer Burlington Northern. Le gerbage ouvre de
nouveaux horizons au transport ferroviaire, il s'agit d'un moyen efficace pour
les chemins de fer de faire face à la concurrence sur les marchés
du transport.
Les brasseries canadiennes sont un autre domaine où le
libre-échange et la déréglementation peuvent porter
atteinte à nos travailleurs. Selon les lois actuelles, un brasseur doit
avoir une brasserie dans une province donnée pour avoir le droit de
vendre de la bière sur son territoire. Si on permet au
libre-échange de se concrétiser, 30 000 emplois pourraient
être perdus. Il y aurait d'énormes ruptures d'emploi, des pertes
d'investissements considérables et de nombreux établissements
fermeraient leurs portes. Toute cette industrie canadienne, telle que nous la
connaissons, pourrait même disparaître.
Voici la situation par rapport au libre-échange et à la
déréglementation dans le domaine des brasseries. Les plus petites
provinces seraient durement frappées, car leurs brasseries sont de
petite taille, de sorte qu'elles ne pourraient concurrencer les grandes
brasseries américaines. Les producteurs canadiens d'orge pourraient
perdre jusqu'à 60 000 000 $ de ventes.
Six brasseries possèdent 95 % du marché américain.
La plus grande brasserie américaine est dix fois plus grosse que la plus
grande brasserie canadienne. La capacité de production
excédentaire américaine est suffisante pour satisfaire plusieurs
fois à la demande du marché canadien. Avec la
déréglementation et le libre-échange, nous pourrions
être en présence d'une situation où une gigantesque
brasserie située en Ontario ou au Québec pourrait fournir ou
fournirait, en fait, tout le marché canadien en bière, si
elle était évidemment en mesure de soutenir la concurrence
américaine. Imaginez le nombre d'emplois perdus au Canada.
Tout accord que nous conclurons avec les États-Unis devra
être entièrement conforme aux dispositions du GATT. Mais, comme
les négociations multilatérales que nous avons entreprises sous
l'égide du GATT sont complexes et qu'elles s'échelonneront sur
plusieurs années - exemple: le système harmonisé de
classification des commodités (Harmonized system classification), on y
reviendra si les questions nous le permettent - nos deux pays ont
décidé d'agir rapidement pour libéraliser et
élargir leur commerce réciproque en concluant, aux termes de
l'article XXIV du GATT, un accord particulier conçu pour répondre
aux besoins du plus ample commerce bilatéral au monde, tout en pensant
qu'il serait dangereux d'ignorer les forces du changement et les presssions
protectionnistes qui font obstacle à notre commerce et à notre
croissance économique.
Notre voisin est aussi notre plus gros client. Il achète 77 % de
nos exportations. Plus de 2 000 000 d'emplois dépendent de nos
échanges commerciaux avec les États-Unis. Cependant, les
Américains, qui sont confrontés à un énorme
déficit commercial, mobilisent toute leur énergie pour mettre un
terme à ce qu'ils estiment être une concurrence déloyale et
des pratiques commerciales injustes.
Le Canada a ressenti les répercussions de cette attitude
protectionniste. De nombreux secteurs de notre économie en ont souffert,
à la fois directement ou indirectement - exemple: les différends
sur les bardeaux et bardeaux fendus et sur le bois d'oeuvre, résultant
des pressions protectionnistes aux États-Unis - et ont montré
combien est vulnérable aux recours commerciaux américains cette
industrie qui est vitale pour le Québec et la Colombie britannique et
qui occupe une place importante dans les économies de l'Ontario et
d'autres provinces. Plus de la moitié de notre production totale est
exportée, dont plus de 75 % aux États-Unis. La Saskatchewan, en
particulier, a tous les motifs pour durcir le ton. Les États-Unis
s'apprêtent, en effet, à imposer un tarif, de 83 % sur les
importations de potasse provenant de cette province. 60 % de la potasse
produite en Saskatchewan a été exportée chez les
Américains. (21 h 30)
Afin de compléter le survol général des
exportations et des importations internationales du Québec, nous
fournissons les données de sept produits exportés et de six
produits importés - voir les annexes ci-jointes - exempts des tarifs de
la douane pour les années 1984-1985, à l'exception de nos
produits forestiers, du papier d'imprimerie...
Sur cela, M. le Président, permettez-moi de dire que nous avons
consulté les statistiques de Commerce international du Québec,
édition 1986. Il y a une erreur qui s'est produite concernant le papier
d'imprimerie. On cite seulement le papier d'imprimerie» Après
entente, cela sera corrigé l'an prochain. On a inclus le papier journal
dans cela., C'est pourquoi le papier d'imprimerie paraissait si haut au point
de vue de l'importation. Excusez-moi, je vous remercie. ...des panneaux
agglomérés, pressés ou gaufrés et de certains
légumes importés des Etats-Unis, le concombre, le blé
d'Inde pour consommation domestique, lesquels sont assujettis à des
tarifs douaniers canadiens pour une durée de seize semaines par
année, soit l'équivalent de la durée de nos
récoltes, ainsi que les carottes et les fèves jaunes pour une
durée de douze semaines. Sont aussi exempts des droits de douane les
importations de fruits originant des pays membres du Commonwealth britannique
comme les agrumes - ce sont les oranges, le citron et le pamplemousse de marque
Outspan, les pommes de marque Cape et Granny Smith, les prunes de marque Cape,
expédiés du Swaziland, état d'Afrique localisé
entre l'Afrique du sud et le Mozambique et dont l'origine première
serait l'Afrique du sud ou même le Godland qui veut dire en
français Terre promise. Pour sauvegarder le caractère
confidentiel des données de certains produits importés, nous
croyons qu'ils ont été groupés dans la catégorie
des transactions commerciales spéciales, lesquelles nous ont
été fournies sous réserve. Je ne lirai pas les annexes, M.
le Président, je m'en dispense. Je vous remercie beaucoup de m'avoir
écouté. J'espère que je n'ai pas dépassé la
limite.
Le Président (M. Cannon): Vous avez dépassé
quelque peu, M. Lemay.
M. Lemay: Je vous remercie de votre obligeance à notre
égard.
Le Président (M. Cannon): Sans plus tarder, je cède
la parole au ministre du Commerce extérieur et du Développement
technologique,
M. MacDonald: Messieurs, merci de votre présentation. Je
lis et j'écoute par votre lecture une mise en garde contre ce que
pourrait produire une libéralisation des échanges sans entrave,
si ce n'était pas balisé par certaines conditions, certains
engagements du gouvernement du Québec et du gouvernement canadien. Vous
soulignez particulièrement vos craintes et vos réserves pour ce
qui a trait à l'agriculture et vous faites la même chose sur le
plan du
transport et particulièrement du camionnage. J'ai retenu
également vos remarques concernant les brasseries.
Je présume, messieurs, que vous avez suivi une partie des
débats ou, tout au moins, les reportages qu'ont pu en faire les
médias. Certains des organismes industriels ou commerciaux nous ont
également souligné leurs craintes ou leurs réserves,
peut-être, dans certains cas, avec beaucoup moins de détails que
vous ne l'avez fait. Nous avons cherché à les rassurer en leur
disant que nous aussi, à partir de l'expertise disponible dans les
ministères du gouvernement québécois, expertise que nous
sommes allés rechercher à la demande du comité technique
qui a été établi sur le dossier de la
libéralisation des échanges, nous avons consulté au
gouvernement pas moins de quatorze ministères ou organismes. Vous avez
entendu l'Association québécoise des brasseries. Les gens de
l'industrie du camionnage et de l'Union des producteurs agricoles sont venus,
avec détails, nous présenter leurs réserves et ajouter
à notre dossier qui venait confirmer ou modifier la conclusion qu'on
avait pu tirer des considérations de nos hauts fonctionnaires et des
organismes gouvernementaux. Dans chacun des cas, je crois que nous avons mis
les réserves, les conditions pour nous assurer justement que ces
craintes que vous avez ne deviennent pas la réalité d'une
situation défavorable.
J'aimerais vous rassurer particulièrement pour ce qui a trait
à l'agriculture et nous avons mentionné dès le
départ que cela devait être traité comme un dossier
très spécial, que cela l'avait toujours été et que
cela devait l'être. J'aimerais vous rassurer et j'ai bien compris que M.
Carignan est un expert du domaine du transport ferroviaire et sûrement
que ses compétences débordent sur d'autres formes de transport.
Vous allez comprendre, M. Carignan - et, à la lecture des journaux, cela
n'est pas révélé - que les États-Unis, demandeurs
dans une ouverture sur le plan des services, et, le transport n'est qu'un des
services, semblent avoir une grande difficulté à livrer. Je
prends par exemple le domaine du cabotage côtier où il se fait un
lobby absolument sans merci aux États-Unis pour ne pas ouvrir, de
quelque façon que ce soit, le Jones Act. Vous avez sûrement eu
dans votre travail à apprécier les barrières non
tarifaires que peut représenter une réglementation plus ou moins
publiée des États américains et non pas du gouvernement
fédéral. Il semblerait que, dans cette négociation, le
gouvernement fédéral, quelles que soient ses bonnes intentions
d'ouvrir les portes sur le plan des services, ne serait peut-être pas
capable de livrer autant qu'il le désirerait la coopération des
États.
Alors, je crois que oui, je partage avec vous cette crainte qu'une
déréglementation, une ouverture totale de
déréglementation entre les deux pays en matière de
transport pourrait théoriquement s'avérer difficile,
particulièrement pour la partie canadienne, mais je crois qu'il est peu
probable que nous ayons cette généralisation, tout simplement
parce que cela n'est pas pratique et livrable par la partie américaine
ou parce que nous avons des réserves de notre côté sur
certains aspects.
Alors, je n'ai pas de question particulière à vous poser
sur ce sujet si ce n'est que de vous remercier. J'aimerais terminer en vous
remerciant de nous avoir une fois de plus mis en garde sur ces aspects
spécifiques du dossier. C'est une des raisons pour lesquelles cette
commission parlementaire a été conviée. Je vous remercie
très sincèrement de votre participation.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le ministre. M.
le député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Lemay, M.
Carignan, merci d'être là. J'ai une question de curiosité
personnelle. J'aimerais peut-être que vous puissiez nous dire en quelques
minutes ce que le groupe ou la société Trans-Impex
représente exactement. Je pense que cela pourrait intéresser
beaucoup de gens parce que vous nous apportez des points précis,
très spécifiques. Ce serait plaisant de savoir exactement ce que
vous représentez, dans un premier temps.
M. Lemay: M. Parent, moi-même, j'ai été
relié au transport autrefois et je continue à suivre cela. Cela
m'intéresse beaucoup et surtout l'importation et l'exportation.
Maintenant, j'ai pris une préretraite, mais je garde de très bons
contacts avec des amis qui ont aidé, qui ont soumis des genres de
"drafts", comme on les appelle - excusez le terme anglais - dont un qui
était supposé être ici ce soir et qui, malheureusement, n'y
est pas. Il est exportateur et importateur en fruits et légumes. J'en ai
un autre qui est actuellement exportateur de bois d'oeuvre. Lui aussi, il a
travaillé et fourni des données. J'en ai un autre qui a une
compagnie de trafic à Montréal. J'ai un de mes bons amis qui a
déjà été comme vous et qui l'est actuellement, soit
maire de Beloel, M. Julien Bussières - je n'ai pas honte de le dire -
qui nous a fourni de très bons renseignements et qui est
considéré comme un expert dans le transport. Alors, avec toutes
ces données, on se devait, vu que l'occasion nous était offerte,
de venir présenter un mémoire. Nous en sommes fiers. Nous sommes
heureux.
M. Parent (Bertrand): Merci de ces
éclaircissements, M. Lemay. Je pense que c'était important
pour bien situer qui vous représentez dans le débat. Ce sont des
gens impliqués dans l'import-export et aussi dans le transport. Vous
soulignez à la page 4 de votre mémoire: "Si le
libre-échange et la déréglementation sont institués
au Canada, l'industrie du camionnage tout entière pourrait être
éliminée par des géants du camionnage américains
qui attendent le moment d'engloutir notre industrie. Aussi, nous exprimons nos
doutes sérieux concernant les projets de loi C-18 et C-19..."
On sait que - et ça je pense que c'est un excellent point que
vous apportez -concernant le fameux projet de loi C-18, le ministre
québécois des Transports, Marc-Yvan Côté, a
exprimé un peu son grand désarroi le 2 avril dernier devant le
projet de loi fédéral parrainé par M. John Crosbie,
ministre fédéral des Transports et dans un mémoire qu'il
présentait à cet effet-là... Et peut-être que le
ministre pourra nous dire si, de la part de son collègue, il y a eu
évolution du dossier depuis avril dernier. Mais le ministre
Côté disait, et de là toute notre préoccupation, et
ça illustre bien le fait que nous ne sommes pas très souvent en
position de force et de négociation, alors, le ministre
Côté disait: Alors que le Canada tente de négocier un
accord de libre-échange avec un partenaire qui ne nous fait pas de
cadeau - là, il donnait quelques exemples: restriction sur le bois de
sciage, le porc, la potasse, etc. comment peut-on justifier de lui offrir sans
aucune concession de sa part un accès à notre trafic ferroviaire?
Et plus loin dans son mémoire il nous dit: Les statistiques montrent
clairement que les subventions au maintien des embranchements des Prairies
coûtent au gouvernement fédéral au moins dix fois plus que
le maintien des autres embranchements non rentables. Et il continuait en disant
que cette partie-là pour maintenir le réseau ferroviaire dans
l'ouest du pays, particulièrement dans les Prairies, coûte
tellement cher qu'on n'a pas la contrepartie ici, particulièrement les
lignes ferroviaires qui sont jugées essentielles pour, entre autres,
tout le développement régional.
De plus, le ministre Côté avait obtenu, si j'ai bien
compris, du Conseil des ministres plusieurs points ou plusieurs amendements
à apporter à ce fameux projet de loi C-18. Alors, je souligne
qu'il y a eu déjà une préoccupation de la part du
gouvernement, mais jusque dans quelle mesure ces revendications et les
préoccupations du Québec ont-elles été
considérées dans toute cette négociation-là? Moi,
je pense que le fait que vous le souleviez est un point fort valable et
j'aimerais peut-être, si tantôt le ministre a quelques minutes,
qu'il puisse nous mettre à jour ou nous éclairer par rapport
à cela.
Quant aux autres aspects de votre mémoire, je trouve que vous
faites un large tour de la question en posant plusieurs lumières rouges
comme plusieurs autres l'ont fait. Mais vous, vous le faites de façon
très précise avec chiffres et preuves à l'appui. Alors, je
pense que ceci est des plus valable. Tout ce que j'espère, c'est que les
personnes qui sont autour du ministre et qui s'assurent de toute cette
négociation, des représentations, du moins, du Québec
à Ottawa dans la négociation fédérale avec les
Américains puissent certainement prendre en considération
plusieurs de vos points. Alors, moi, je vous dis bravo! Vous vous êtes
donné la peine de présenter ce mémoire bien
étoffé et je tiens à vous en remercier et si jamais le
ministre pouvait apporter quelques éclaircissements concernant les
préoccupations du Québec face au projet de loi C-18, je pense que
ça pourrait être intéressant.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, merci, M. le
député de Bertrand. Il n'y a pas d'autres ajouts à ce
moment-ci. Alors, écoutez, il ne nous reste qu'à vous remercier
d'avoir participé à notre consultation générale sur
la libéralisation des échanges. Je pense que les remarques qui
vous ont été faites de part et d'autre témoignent de
l'intérêt qu'a suscité votre mémoire. Vous vouliez
ajouter un commentaire, oui. (21 h 45)
M. Lemay: M. le Président, concernant la taxe
compensatoire sur le bois d'oeuvre, je vais vous donner un exemple. Supposons
qu'un producteur, qu'il soit de l'Abitibi ou du Lac-5t-Jean, qui a une usine
vende à un type qui exporte qui résiderait à
Québec, à Montréal ou ailleurs. Il est obligé, par
rapport à la demande du marché américain... On va prendre
le "deux par quatre", par exemple. Il a une demande de "un par quatre". C'est
bien cela, Julien? Il fait travailler son bois ici, à Québec,
dans les usines autour de la région et le réexpédie aux
États-Unis- Qu'est-ce qui arrive? Il va payer la surtaxe de l'usine
où la transformation a été faite et, en plus, il a
été obligé de payer le transport à l'achat à
l'usine où il a acheté. C'est pour cela que j'apporte cet
argument. C'est un argument que j'ai entendu assez souvent depuis quelque
temps, que cette taxe compensatoire devrait être FOB - excusez
l'expression anglaise -devrait être FOB à l'origine, si on veut
bien se comprendre et non à l'endroit de transit où il y a eu
transformation, parce qu'à ce moment-là le type qui vend du
côté américain, soit dans le Massachussetts, soit dans
l'État de New York, est pénalisé parce qu'il a
déjà payé un transport de l'origine au point où il
fait travailler son bois et, deuxièmement, c'est lui qui subit cette
taxe par la suite. Je comprends que les
Américains - je ne les traiterai de rien, mais en tout cas -
à mon avis, ils la paient, c'est eux qui la paient, ils se
pénalisent eux-mêmes, je le comprends très bien. Il y a un
problème qui existe autour de la fameuse taxe compensatoire.
Deuxièmement, si vous permettez, les fameux bardeaux de
cèdre. II y a le bardeau rouge qui vient de la Colombie britannique, des
montagnes Rocheuses et le cèdre blanc ici au Québec.
Actuellement, il se fait un jeu. Celui de la Colombie britannique est sujet
à une taxe compensatoire. Le nôtre, pour le moment, non. Alors, on
expédie de la Colombie britannique à Montréal, à
Québec ou même à Toronto et on réexpédie aux
États-Unis pour essayer d'éviter cette surtaxe.
Un autre exemple, ce sont les scieries qui s'échelonnent sur le
territoire québécois et sur l'État du Maine. La même
chose peut exister au Nouveau-Brunswick. Certains propriétaires ont
accès à la forêt américaine pour couper leur bois
qu'ils transportent ici, qu'ils transforment et qu'ils
réexpédient du côté américain. C'est un point
de litige actuellement sur la table. Eux disent: On ne doit pas payer parce que
c'est du bois américain, c'est du "American native wood" qu'on revend
aux Américains. Il y a certaines usines à Saint-Pamphile,
à Beauceville, à Sainte-Luce-de-Beauregard ou ailleurs... Cela
arrive aussi du côté de la frontière du Nouveau-Brunswick.
Je suis certain qu'il y en a parmi les 600 000 qui, juridiquement, si c'est
bien débattu, n'auront pas à le payer. C'est un autre point que
je voulais souligner.
Le Président (M. Charbonneau): Avec ces précisions,
cela complète, je pense, la présentation que vous avez faite.
Comme je vous l'ai indiqué, je crois que les membres de la commission
ont apprécié la discussion qu'ils ont eue avec vous et la
présentation que vous avez faite. Je crois que les commentaires que le
ministre et le député de Bertrand ont formulés
témoignent de l'intérêt qu'ils ont apporté à
la lecture de votre document. Je vous remercie d'avoir participé
à cette consultation. J'espère qu'on aura une autre occasion de
vous revoir à la commission parlementaire de l'économie et du
travail. Bonsoir et bon retour.
M. Lemay: Merci beaucoup, messieurs. Bonsoir.
Le Président (M. Charbonneau): J'invite maintenant
l'Association provinciale des assureurs-vie du Québec.
M. Parent, président de l'Association provinciale des
assureurs-vie du Québec, je vous salue et vous remercie de participer
à cette consultation. Comme vous le savez sans doute, vous avez une
heure pour discuter avec les membres de la commission, un maximum de 20 minutes
pour la présentation de votre mémoire, le reste du temps
étant consacré à des échanges de vues avec la
commission.
Comme il se fait tard et que les membres de la commission ont fait une
bonne journée jusqu'à maintenant, je vous invite sans plus tarder
à présenter votre mémoire.
Association provinciale des assureurs-vie du
Québec
M. Parent (Real J.): Merci beaucoup. Je tiens à vous
remercier, comme tout le monde doit le faire, de nous entendre à cette
commission. Pour vous décrire brièvement l'Association
provinciale des assureurs-vie du Québec, c'est une association qui
regroupe 6000 membres. Une récente enquête a prouvé que
nous faisions plus de 80 % des ventes d'assurance-vie au Québec.
L'association provinciale est reconnue officiellement par le gouvernement
depuis 1962 et nous sommes l'association ayant le plus de pouvoirs parmi toutes
les associations d'assureurs-vie en Amérique du Nord. Nous en sommes
assez fiers.
Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de présenter à la
commission parlementaire sur le libre-échange le point de vue de
l'intermédiaire en assurances de personnes.
Cette libéralisation devrait toucher la circulation libre des
personnes, des marchandises ou produits, des capitaux, des services et des
entreprises. Nous avons pris connaissance des commentaires sur cette question
que vous adressait récemment l'Association canadienne des compagnies
d'assurances de personnes, avec la déclaration de principe sur
l'échange des services des sociétés d'assurances de
personnes entre les États-Unis et le Canada arrêtée, d'un
commun accord, par ladite association, l'American Counsel of Life Insurance et
la Health Insurance Association of America. Dans le même sens, l'APAVQ
s'appuie également sur le principe directeur exposé par ces
organismes, principe qui repose sur une politique non discriminatoire dans la
façon de traiter les sociétés étrangères non
résidentes.
Cependant, des systèmes de réglementation et de
surveillance distincts devraient être maintenus et continuer
d'évoluer selon les conditions de chacun des territoires juridiques
distincts.
D'autre part, la question de la fiscalité des primes d'assurance
est certainement d'importance primordiale. D'ailleurs, avec la récente
réforme fiscale, nous croyons qu'il pourrait y avoir une
équité dans ce sens-là. Il ne faudrait pas favoriser une
concurrence préjudiciable à l'industrie canadienne des assurances
en imposant ici des taxes sur les primes, ce qui inciterait le consommateur
à
souscrire ses polices aux États-Unis. Une concurrence non
équitable résulterait en une concentration des affaires là
où l'on retrouve les meilleurs coûts. Encore là, je pense
que la réforme fiscale actuelle peut amener une inéquité
pour les compagnies d'assurance-vie dont le siège social est au
Canada.
Il y a alors lieu de s'interroger sur les répercussions que le
libre-échange pourrait avoir sur les intermédiaires dans la
distribution des produits des assureurs et dans la prestation des services
financiers? à la lumière des effets qu'elles pourraient avoir sur
les consommateurs, qu'ils soient preneurs d'assurance, assurés,
bénéficiaires ou tiers concernés.
Dans notre système économique, le commerce des services
est très important. La libéralisation dans la prestation de
services d'un côté et de l'autre de la frontière
américaine différera de la libéralisation des marchandises
et des capitaux.
Toutes les formes de distribution devront être examinées et
il nous paraît difficile de concilier le besoin de protection des
assurés et le contrôle des autorités en matière
d'assurances de personnes avec la liberté de distribution directe -
"mass marketing", utilisation de la poste, etc. - des produits des assureurs
à partir des États-Unis.
Dans tout système de libre-échange, le pays destinataire
est justifié d'imposer et de contrôler le respect de ses propres
règles pour assurer la protection des consommateurs. Il faudrait, par
conséquent, exiger que la distribution directe, sans
intermédiaire, se fasse selon des conditions qui prévoient que le
consommateur pourra exercer des recours dans le territoire où il est
situé.
Cela dit, nous voulons maintenant traiter de la situation de
l'intermédiaire en assurances de personnes.
En l'absence d'une irréalisable parfaite harmonisation des
contextes juridiques, notamment en ce qui a trait au droit civil qui
régit les droits des particuliers, et de l'harmonisation des contextes
fiscaux, des restrictions à la libre circulation des
intermédiaires s'imposent.
En effet, les restrictions correspondant aux différents contextes
sont justifiées lorsqu'elles sont basées sur
l'intérêt général: besoin de protection du public et
devoir des autorités d'appliquer à tous la réglementation,
intégralement et de la même manière.
La circulation libre des intermédiaires en assurances de
personnes entre le Canada et les États-Unis évoque diverses
situations: le preneur traverse la frontière ou l'intermédiaire
se déplace ou cela se fait sans déplacement physique en utilisant
toute forme de communication. Cette libre circulation d'intermédiaires
doit être exclue.
L'intermédiaire qui ne maintient aucune présence
permanente dans l'État où il veut exercer occasionnellement
devrait plutôt avoir recours à un intermédiaire
résident dûment qualifié, lequel a satisfait aux exigences
de compétence, de solvabilité et d'intégrité. Les
règles de partage de la rémunération entre les
intermédiaires devront être assouplies pour autoriser ces
pratiques entre intermédiaires.
Actuellement au Québec, on ne peut exercer comme agent
d'assurances qu'après un an de résidence à moins d'avoir
exercé une activité similaire dans une autre province canadienne
pendant plus de 30 jours. Justifiée par le fait qu'elle est très
généralement essentielle à ce que le futur assureur-vie
soit capable d'assimiler les connaissances minimales requises pour exercer ici
en assurances de personnes, cette règle quant à la
résidence au Québec devrait être maintenue.
Quant aux assureurs-vie des autres provinces canadiennes,
l'avènement d'une certaine déréglementation et la
création d'organismes d'autoréglementation provinciaux sous forme
de conseils des assurances où les associations d'assureurs et
d'intermédiaires seront réunies, permettra sans doute
l'harmonisation nécessaire entre les provinces pour faciliter
l'accès d'un assureur-vie d'une autre province à l'exercice au
Québec, pourvu qu'il remplisse les conditions requises, notamment quant
à sa formation et à sa compétence.
Le principe visant à rendre obligatoire la seule intervention de
l'intermédiaire autorisé à exercer au Québec se
fonde sur d'importants arguments; 1. la nécessité de
vérifier la compétence de l'intermédiaire eu égard
aux règles en vigueur dans l'État où il veut pratiquer; 2.
l'efficacité des contrôles que doivent effectuer les
autorités concernées; 3. la possibilité pour le
consommateur lésé d'exercer les recours appropriés, qu'il
soit preneur, assuré, bénéficiaire ou tiers
intéressé.
Nous voulons souligner ici qu'au Québec tout assureur-vie, agent
ou courtier, doit détenir la recommandation d'un assureur. Sans cette
recommandation, les autorités de contrôle seraient sans doute
incapables d'exécuter efficacement leur mission de contrôle et la
vérification.
Les compagnies d'assurances et notre association sont, d'ailleurs,
d'accord pour que cette recommandation ait encore plus de signification de
façon à pouvoir intervenir plus efficacement lorsque
l'intermédiaire se rend coupable d'inconduite ou d'infraction aux
règlements.
En conclusion, nous vous soumettons qu'il faudrait permettre la
libéralisation des échanges dans le domaine des assurances de
personnes et imposer les restrictions justifiées par
l'intérêt générai. Ainsi, en ce qui concerne les
intermédiaires, il y a lieu d'exiger l'intervention d'un
intermédiaire autorisé à exercer au Québec. Les
intermédiaires pourront alors utiliser, lorsqu'opportun, les
possibilités d'un marché libre et varié. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Je vous remercie de cette
présentation, M. Parent. M. le ministre.
M. MacDonald: Monsieur, il me fait plaisir de vous recevoir et de
me rappeler effectivement - vous ne le saviez peut-être pas - que j'ai
commencé ma carrière professionnelle dans le monde de l'assurance
comme assureur-vie, ce que j'ai été pendant plusieurs
années. Gare à vous, vous voyez à quoi cela peut
mener.
M. Parent (Real J.): C'est, d'ailleurs, ce que je pensais. Cela
n'a pas l'air d'être trop mal.
M. MacDonald: Vous avez déposé un mémoire
devant le comité Warren en août 1987. À ce
moment-là, vous avez mis de l'avant en quasi-totalité, sinon
intégralement ce que vous nous avez présenté ce soir. Je
peux vous assurer que vos recommandations ont été prises en
considération. Il y a deux dimensions très importantes que je
dois souligner et que vous aviez mentionnées, qui ont été
discutées et qui ont provoqué une certaine réaction ou une
réaction certaine chez mes collègues. Vous vous êtes
préoccupé de la réciprocité du droit d'exercice de
la profession. Je peux vous rassurer sur le fait que nous avons
communiqué avec M. Ryan, le ministre responsable de l'Office des
professions, et que nous avons demandé l'opinion de ses experts sur ce
sujet non seulement pour ce qui a trait à la profession d'assureur-vie,
mais pour l'ensemble des professions qui pourraient être touchées
dans l'éventualité d'un traité de libéralisation
des échanges. À juste titre, vous avez mis cela de l'avant et
c'est une recherche de règlement de situation, de gestion de situation
que vous avez soulignée et que je trouve extrêmement
importante.
L'autre chose que vous avez mentionnée dans votre mémoire
et qu'on n'a pas entendue assez souvent ici, à mon avis -cela n'a pas
adonné ou ce n'était pas la première préoccupation
des groupes qui se sont présentés - c'est la question du
consommateur. J'apprécie énormément que vous ayez inscrit
cela dans votre mémoire et que vous disiez que votre association impose
un code de déontologie axé sur la protection du consommateur. (22
heures)
Dans tout ce débat sur la libéralisation des
échanges et surtout quand on parle de protectionnisme, la personne qui
écope très durement normalement et qui est la plus mal
équipée pour réagir et être
représentée, c'est le consommateur pris sur une base
individuelle. Je suis content que vous ayez apporté cette dimension. Mon
collègue, le député de Bertrand, et moi-même aurions
dû et devrions peut-être souligner cet aspect du bien-être
des consommateurs dans tout ce dossier aux témoins qui sont venus nous
voir ou aux autres qui viendront.
J'aimerais éclaircir avec vous un petit point. Vous avez dit
à une place que le déplacement des intermédiaires en
assurance des personnes entre le Canada et les États-Unis doit
être restreint. Mais, un peu plus loin dans votre mémoire, vous
avez dit: II doit être interdit. Est-ce qu'il y a une nuance que je n'ai
pas saisie? Quelle est la position ferme que vous avez sur ce sujet?
M. Parent (Real J.): La position qu'on a, c'est qu'il doit
être restreint dans le sens que n'importe qui ne pourrait pas venir, mais
il doit être interdit au niveau de l'exercice si une personne n'a pas les
qualifications nécessaires. On pense qu'on devrait toujours fonctionner
par personne interposée, surtout ici au Québec. On vit la
même chose entre le Québec et les autres provinces. Nos lois sont
différentes et beaucoup de choses sont différentes. On ne croit
pas qu'une personne soit compétente pour le faire. C'est dans ce
sens.
M. MacDonald: En deuxième lieu, aimenez-vous commenter
cette affirmation que vous faites en disant que vous croyez possible la
libéralisation du commerce des assurances entre le Québec et les
autres provinces, mais que vous ne croyez pas que cela soit possible entre le
Canada et les États-Unis'?
M. Parent (Real J.): Présentement, nous croyons que c'est
possible. Il existe un mécanisme qui est en train de prendre place, qui
s'appelle le conseil des assurances, que le ministre Fortier a annoncé
ici pour le Québec. C'est la même chose dans les autres provinces.
C'est en train de prendre place un peu partout. Il y a des échanges qui
se font et il y a des bases qui sont les mêmes. Il y a des
échanges qui peuvent se faire. On pense qu'il y a, quand même, des
restrictions qui existent entre les autres provinces, qui sont les mêmes
entre les autres provinces et le Québec qu'entre les États-Unis
et le Québec.
Quand on parle de compétence, je pense que, si une personne vient
de Colombie britannique ou du Maine, probablement qu'on devra exiger d'elle les
mêmes choses pour exercer. Sauf qu'avec les conseils des
assurances, il y a des consultations, il y a l'association nationale qui
travaille là-dessus, on travaille ensemble. Il y apeut-être des choses qui vont pouvoir s'harmoniser plus facilement
entre les différentes provinces, mais qu'on ne pourra peut-être
pas exiger des États américains compte tenu de la façon
dont ils fonctionnent actuellement.
M. MacDonald: Si vous étiez d'accord, j'aurais deux
petites questions. Après, j'aurai terminé.
M. Parent (Bertrand): Allez-y.
M. MacDonald: Merci. Est-ce que, comme association, vous avez eu
des rencontres, des discussions pour l'exploration de la situation et des
divers scénarios eu égard à une libéralisation des
échanges, entre votre association, ses représentants et les
représentants des compagnies d'assurances de personnes?
M. Parent (Réal J.): Oui. Concernant les compagnies
d'assurances de personnes, si on parle du conseil des assurances, c'est un
comité qui sera fait 50-50.
M. MacDonald: Oui. Excusez-moi. Je suis d'accord sur ce que ce
sera. Ce que je veux savoir, c'est avez-vous déjà eu l'occasion
de discuter, vous autres, les assureurs, avec les compagnies d'assurances?
M. Parent (Réal J.): Non. Ce qu'on a fait actuellement,
c'est qu'on a pris connaissance de leurs positions; elles ont pris connaissance
des nôtres. Il y a eu des échanges...
M. MacDonald: II y en a eu.
M. Parent (Réal J.): ...entre les personnes dirigeantes.
Quelques échanges, c'est tout ce qu'il y a eu. On ne peut pas dire qu'il
y a eu négociation ou des chances d'aller plus loin que cela. On les
appuie dans ce qu'elles font et elles nous appuient dans ce que nous
faisons.
M. MacDonald: Ma dernière question, c'est: Avez-vous
procédé à une forme de questionnaire à
l'intérieur de votre association pour prélever les opinions de
vos membres? Comme alternative, avez-vous ou gardez-vous un processus
d'information de cette position vers vos membres?
M. Parent (Réal J.): On a un processus d'information
versus nos membres. Dans le cas précis du libre-échange, on a
formé une commission ad hoc. On est allé chercher des personnes
de différents milieux à l'intérieur de notre association,
qui ont préparé le mémoire qui, à ce moment, a
été soumis au conseil d'administration et accepté
après.
M. MacDonald: Comme je le disais, je vous remercie beaucoup de
votre présentation. Cette présentation que vous aviez faite au
comité Warren, nous l'avons prise à sa juste valeur.
C'était une bonne présentation et nous avons tenu en
considération les points que vous nous aviez soumis. Je vous remercie
beaucoup d'être venu ce soir nous en parler.
M. Parent (Réal J.): Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Merci. M. le
député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Parent,
bienvenue. Si votre fonction dans le domaine de l'assurance peut vous amener
à la politique, comme c'est arrivé dans le cas du ministre, vous
avez aussi un nom prédestiné pour vous amener en politique.
Alors, vous n'aurez pas grand-chance de vous en sortir. Maintenant que le
ministre nous a dit ses origines dans l'assurance, je comprends beaucoup mieux
pourquoi, depuis une semaine, il nous vend cette assurance qu'il a dans la
bonne foi du libre-échange. Reste à voir maintenant s'il va
livrer la marchandise.
Votre mémoire est intéressant et vous apportez une
dimension qui n'a pas été couverte jusqu'ici dans le domaine des
services. J'aurais quelques questions à vous poser. D'abord, j'aimerais
savoir un peu plus ce que fait la chaire en assurance de l'Université
Laval. Quelle est sa fonction exactement? Est-ce qu'elle a joué un
rôle dans le cadre de l'étude sur le libre-échange?
M. Parent (Réal J.): Non, la chaire en assurance n'a pas
joué de rôle là-dedans. La chaire en assurance, c'est
beaucoup plus dans le cadre du processus d'éducation.
M. Parent (Bertrand): Dans la formation.
M. Parent (Réal J.): Ce qu'elle fait, c'est vraiment de la
formation. Elle a reçu des subventions des compagnies d'assurances de
personnes et aussi d'assurances de dommages. Il y a des sommes d'argent qui
sont là. Elle fait des recherches. Elle donne des cours en assurance
personnes, qui donnent à peu près un certificat en assurance
à l'Université Laval.
M. Parent (Bertrand): Donc, la chaire s'occupe strictement de
l'aspect formation?
M. Parent (Réal J.): C'est cela.
M. Parent (Bertrand): M. Parent, est-ce
qu'il a eu des études d'impact par les compagnies d'assurances ou
par l'Association provinciale des assureurs-vie pour voir ce que donnerait une
libéralisation des échanges avec les États-Unis?
M. Parent (Réal J.): Non, à ma connaissance - je ne
peux pas parler des compagnies d'assurances de personnes - en ce qui concerne
les intermédiaires, il n'y a pas eu d'études d'impact. Il y a eu
des réflexions, il y a eu des analyses pour voir les situations, ce qui
se passait de part et d'autre. D'ailleurs, on a assisté la semaine
dernière au Congrès américain; on a discuté de ce
qui se passait. Mais, il n'y a pas eu d'études d'impact. Je n'ai pas vu,
du côté américain, d'études d'impact
là-dessus.
M. Parent (Bertrand): Est-ce que vous avez le chiffre, le
pourcentage du contrôle québécois des compagnies
d'assurance-vie des personnes? Est-ce que vous savez à quel pourcentage
elles sont détenues par des Québécois ou par des
Canadiens?
M. Parent (Réal J.): Non. Tant qu'à vous donner des
chiffres qui ne sont pas sûrs, je préfère ne vous donner
aucun chiffre. Je ne suis pas certain là-dessus.
M. Parent (Bertrand): D'accord. M. Parent, avant d'aller vers
l'abolition de différentes barrières avec les États-Unis,
ou simultanément dépendamment de la façon dont cela va se
présenter, est-ce qu'il n'y aurait pas Heu d'aller davantage vers
l'abolition des barrières interprovinciales? Il y a des barrières
non tarifaires au niveau des réglementations qui sont
déjà, si j'ai bien compris, des entraves par rapport à
certaines entreprises, certaines compagnies venant de l'Ouest ou de
l'Ontario.
M. Parent (Réal J.): L'objection majeure qu'on retrouve,
c'est la différence entre le Code civil et la "Common Law".
L'application des lois n'est pas la même dans les autres provinces que
dans la province de Québec. Alors, concernant la
réciprocité entre les provinces, il y a toujours eu un
problème avec les surintendants des assurances à cause de cela.
Ils ont dit: Ce sont vraiment des lois différentes, donc les
compétences ne sont pas les mêmes. La personne ne peut pas
conseiller. En réalité, notre travail, en tant
qu'intermédiaires, c'est un travail de conseillers. On ne peut pas
conseiller sur quelque chose qu'on n'a jamais étudié et qu'on ne
connaît pas. Donc, il y a toujours cette chose qui dit que, quand on
travaille et qu'on veut donner des services à quelqu'un, si on veut
vraiment protéger le consommateur et le conseiller comme il faut -
très souvent, en assurance c'est assez important au niveau du patrimoine
- c'est important de connaître les lois existantes.
Donc, il n'y a aucune restriction de le faire pour quelqu'un qui peut
vraiment répondre aux compétences. Mais je pense qu'il faudra
toujours garder cet aspect si on veut vraiment protéger le consommateur
adéquatement, qu'il s'agisse de libre-échange entre les provinces
ou entre les États-Unis et le Québec.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. Parent. Comment vos 6000 membres
assureurs-vie vivraient-ils le libre-échange? Dans quelle mesure cela
deviendrait-il avantageux pour eux s'il y avait une entente sur le
libre-échange?
M. Parent (Réal J.): Je dois dire que, si on parle de nos
6000 membres, il y en a probablement 4000 ou 4500 qui sont unilingues
francophones. Si on parle d'échange de services, je ne crois pas que ces
gens apprendraient l'anglais pour aller vendre de l'assurance aux
États-Unis. Par contre, si on parle principalement des gens de la
région de Montréal, je sais qu'actuellement il y a plusieurs
personnes qui ont des clients ou des connaissances, par exemple, en Floride
où il y a plusieurs francophones; il y aurait peut-être des
échanges. Actuellement, un assureur-vie québécois ne peut
pas vendre en Floride. S'il y avait le libre-échange, n'y aurait-il pas
plusieurs assureurs-vie qui suivraient le mouvement de masse des gens du
Québec qui veulent peut-être recevoir des services en ce qui
concerne les rentes ou l'assurance-vie? Il y aurait possiblement des choses qui
se passeraient au niveau de la francophonie. Quant aux anglophones, ce serait
peut-être plus facile avec l'État de New York ou le Maine.
À ce moment-là, au niveau des frontières, il y aurait
sûrement des échanges. Je pense que ce serait plutôt
l'État de la Floride qui serait visé par les assureurs-vie
francophones québécois.
M. Parent (Bertrand): Est-ce que vous ne croyez pas qu'il y
aurait plus d'Américains qui seraient intéressés à
venir chercher cette partie de marché que de Québécois qui
pourraient aller chercher une portion de marché ou si, selon vous,
l'échange se ferait et que le résultat net de tout cela ferait en
sorte qu'à la fin on serait avec des plus gros volumes, mais
sensiblement dans les mêmes proportions qu'actuellement? C'est une
question hypothétique, mais j'essaie de voir comment des assureurs-vie
d'ici pourraient décider demain matin d'aller conquérir, si on
veut, même si ce n'était que quelques États, le
marché américain.
M. Parent (Réal J.): Je pense que, si cela se faisait, ce
ne serait pas du jour au lendemain. Je ne pense pas que présentement
il y ait beaucoup de gens près de la frontière qui
attendent. C'est une réalité. Par contre, je suis persuadé
que, s'il y avait cette libéralisation, les assureurs-vie sont, quand
même, des gens assez créateurs et, s'il y avait des
possibilités de nouveaux marchés, il y a sûrement plusieurs
assureurs-vie qui le feraient et vice versa. Les assureurs-vie du Québec
n'ont pas peur de cette chose. Je pense qu'on pourrait en sortir gagnant. Sauf
qu'on dit: On est prêt à répondre aux critères si on
va à l'extérieur, mais, si les gens viennent ici, il faut qu'ils
répondent à un critère minimum de base. Comme on sait
qu'au Québec actuellement le critère que nous exigeons et qu'on
va exiger au cours des prochaines années est supérieur à
tout ce qui existe ailleurs en Amérique du Nord, à ce
moment-là, je pense que le consommateur sera bien
protégé.
M. Parent (Bertrand}: En ce qui concerne le contrôle des
investissements, est-ce que vous croyez, M. le président, qu'il y
aurait, de la part de votre association, des recommandations à faire au
gouvernement quant au contrôle qui pourrait être pris par des
entreprises américaines sur des sociétés d'assurances
québécoises, par exemple? Est-ce que cela fait partie de vos
préoccupations? Est-ce que vous vous êtes penché
là-dessus?
M. Parent (Réal J.): Quand on a parlé avec les
compagnies d'assurances, c'est un aspect qu'on a plutôt laissé
è l'Association canadienne des compagnies d'assurances. Nous avons dit:
Nous allons toucher principalement le secteur des services, les consommateurs
et les intermédiaires. Le "mass marketing" nous intéresse aussi
parce qu'on pense que c'était peut-être un peu trop facile.
M. Parent (Bertrand): Ce sera ma dernière question. Avec
un accord sur le libre-échange, croyez-vous que les consommateurs
retireraient des bénéfices sur le plan des services, sur le plan
des contenus ou sur le plan des coûts? Est-ce que vous croyez que le
consommateur pourrait en bénéficier à la toute fin s'il y
avait une entente sur le libre-échange dans les conditions dont on a
parlé précédemment?
M. Parent (Réal J.) Si on parle strictement du secteur des
assurances, il est certain que, présentement, on se pose des questions.
Comme je vous le disais tantôt, quand on regarde la taxe qui sera
donnée aux compagnies d'assurances avec la réforme fiscale
canadienne, quand on regarde un petit peu tout cela, on se pose certaines
questions. On ne croit pas qu'il y ait un très grand changement et que
les consommateurs vont vraiment payer beaucoup moins cher que ce qu'ils paient
actuellement. Je ne pense pas que cela change parce que les compagnies
américaines sont, quand même, déjà ici. Si on prend
les grandes compagnies américaines, comme la Métropolitaine, la
Prudentielle et différentes compagnies de ce genre, elles sont
déjà ici. New York Life exerce déjà au
Québec. Donc, est-ce qu'il y a plusieurs autres compagnies qui vont
venir au Québec? C'est une question qu'il faut se poser. Je ne pense pas
que cela change beaucoup. On vit déjà avec des compagnies
américaines, des compagnies québécoises et des compagnies
canadiennes. Au niveau des intermédiaires, cela va peut-être
changer pour une certaine partie de la population, c'est tout.
M. Parent (Bertrand): Je vous remercie, monsieur.
Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse,
M. Parent, il me reste, au nom des membres de la commission, à vous
remercier d'avoir participé à cette consultation
générale. Je pense que tout le monde a apprécié
l'échange de vues et la présentation que vous avez faite. Merci
beaucoup et à une prochaine fois, sans doute.
Une voix: Bonne nuit, beaux rêves.
Le Président (M. Charbonneau): Merci. Les travaux de la
commission sont ajournés à demain matin, 10 heures, alors que
nous poursuivrons cette consultation générale avec d'autres
groupes et d'autres invités. Merci.
(Fin de la séance à 22 h 16)