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(Dix heures deux minutes)
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Bonjour tout le monde. La commission de l'économie et du travail
reprend, ce matin, sa consultation générale en ce qui a trait
à la libéralisation des échanges commerciaux entre le
Canada et les États-Unis.
Pour cette journée de vendredi, voici l'ordre du jour. Nous
accueillerons d'abord M. Jean Blouin qui, si je ne m'abuse, est auteur d'un
volume sur le libre-échange; si je me trompe, on me corrigera. Par la
suite, on accueillera l'Association des manufacturiers canadiens, qui sera
suivie de l'Association des éditeurs canadiens et la
Société des éditeurs de manuels scolaires du
Québec. Cet après-midi, l'Institut québécois du
cinéma débutera et sera suivi par l'Association du disque et de
l'industrie du spectacle québécois, par l'Union des
écrivains québécois et, finalement, par la
Société nationale des Québécois de
Lanaudière.
Est-ce qu'il y a des remplacements?
M. Théorêt: Oui, M. le Président. M. Farrah
(Îles-de-la-Madeleine) est remplacé par M, Després
(Limoilou), M. Hétu (Labelle) est remplacé par M. Gauvin
(Montmagny-L'Islet), M. Rivard (Rosemont) est remplacé par M. Lemieux
(Vanier).
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le
vice-président. En fait, je voudrais indiquer à M. Blouin qu'il y
a une heure de réservée pour la présentation et la
discussion; d'abord, il y a une première partie de 20 minutes qui sera
consacrée à la présentation de votre ou de vos points de
vue et le reste du temps sera être réparti, à part
égale, pour des échanges avec vous.
Sans plus tarder, je vous laisse la parole.
M. Jean Blouin
M. Blouin (Jean): J'aimerais d'abord situer les paramètres
à l'intérieur desquels se place mon intervention ici, ce matin.
D'une part, je dois dire que je ne suis pas un spécialiste du
libre-échange, ni comme concept global, ni sous l'une ou l'autre de ses
dimensions. J'ai abordé cette question comme journaliste, d'abord pour
une chronique à L'Actualité et, sur cette lancée,
j'ai fait un livre qui a paru en septembre dernier et qui reste paradoxalement
très à jour parce qu'il n'y a pas eu beaucoup d'évolution
publique sur la question.
Ma spécialité, c'est de rendie accessibles au grand public
des sujets que des gens, des élites peuvent vouloir garder un petit peu
sous le manteau. C'est mon métier» ce sont mes
intérêts aussi.
Le deuxième paramètre, je ne suis pas partisan dans cette
question: Depuis 18 mois, l'on m'invite généralement dans les
débats contradictoires entre un pour et un contre. Je deviens même
régulièrement le synthétiseur d'idées - ce qui est
beaucoup moins payant que d'être le synthétiseur de son pour
Madonna! - mais je reste non partisan. D'ailleurs, sur cette question, je
relève un premier parallèle qu'on peut faire avec une question
qui a été beaucoup débattue dans le passé, je pense
qu'on peut faire une impressionnante série d'arguments pour le
libre-échange et contre le libre-échange. Là n'est pas la
question. Pour ma part, j'aime bien questionner le silence des protagonistes
parce que, dans cette question, les silences sont nombreux. Quand on
connaît la valeur de ce qui est caché souvent, c'est
important.
Bref, je me situe carrément sur le terrain sociopolitique du
sujet.
Une première chose me saute aux yeux, c'est le caractère
très peu démocratique et même antidémocratique de
l'ensemble du processus: depuis l'offre de négocier une entente de
libre-échange jusqu'à cette commission parlementaire que je
trouve pour le moins tardive, en passant par toute la cachotterie qui a
entouré tout ce débat et cette organisation.
Je passe rapidement sur la mise en marche de cette offre de
négocation. Je la trouve improvisée. Le premier ministre Mulroney
n'avait même pas obtenu l'accord des provinces ou ne les avait même
pas consultées et n'avait pas consulté les grands agents de
l'économie. Je pense qu'on ne lance pas une négociation de cette
nature sans une consultation et un consensus minimaux. Par ailleurs, le chef du
Parti conservateur n'avait pas non plus obtenu de mandat populaire aux
élections de septembre 1984. Cela n'avait même pas
été souligné d'une manière ou d'une autre dans les
programmes politiques de l'époque de telle
sorte que le débat a été mal lancé, à
mon sens, parce qu'il a tout de suite épousé des clivages de
partis politiques ou des clivages idéologiques de telle sorte
qu'aujourd'hui on s'aperçoit que l'opinion en faveur du
libre-échange décroît au fur et à mesure que la
popularité du Parti conservateur décroît.
Par ailleurs} je trouve que ces négociations sont menées
depuis le début par une poignée de technocrates qui sont, par
essence, des gens peu enclins au débat démocratique. C'est une
engeance que je respecte beaucoup, mais qui affectionne surtout les jeux de
coulisses et d'ombre. Pour les technocrates, les parlements sont des
empêcheurs de négocier - je n'ose pas dire négocier en rond
- ils sont peuplés par des gens qui ne connaissent pas grand-chose
à cela. Je pense qu'ils ont la même opinion, d'ailleurs, des
journalistes de la presse écrite ou électronique qu'ils
considèrent comme un mal nécessaire. Par ailleurs, ces
technocrates peuvent s'entourer de conseillers qui sont des clercs ou
généralement des économistes et cela n'élargit pas
la base démocratique de l'organisation.
Le résultat de ce que j'appellerais une
récupération technocratique, c'est que les politiciens
eux-mêmes ont évacué le sujet. J'ai prononcé
plusieurs conférences Tan dernier sur le libre-échange. J'ai eu
l'occasion de rencontrer des députés du Parti conservateur
à Ottawa, des gens pourtant, qui devraient être au courant et qui
m'ont avoué carrément qu'ils ne savaient rien sur le sujet, que
je leur ai appris, semble-t-il, ce qu'était le libre-échange -
j'étais très honoré de tout cela - et qu'ils
n'étaient pas au courant de ce qui se passait. Je trouve cela
très anormal. Les politiciens qui en ont parlé l'ont fait en
technocrates, je trouve. Je ne sais pas si c'est un cas typique de
contamination par contacts, mais ils l'ont fait en des termes tellement vagues,
ennuyants, démobilisateurs que cela a contribué à la
désaffection de la population plutôt qu'à
l'intéresser. Je vous dis, quant è moi, que, dans la population,
on n'y comprend rien. J'ai fait le tour d'universités, de cégeps,
de chambres de commerce, de clubs Richelieu, je vous jure que c'est la grande
noirceur.
Pour ce qui est de la commission parlementaire, je la trouve un peu
inutile et, par certains côtés, je la trouve un peu caricaturale.
Je vais m'expliquer. Je pense que cette commission aurait dû se tenir
dès le début, il y a deux ans. Je pense même qu'elle aurait
peut-être dû se transformer en commission permanente. Il me semble
aussi qu'il y avait là un sujet assez important pour qu'on lui consacre
beaucoup de temps. Inutile aussi parce que je sais que le gouvernement
québécois a déjà fait son lit sur la question.
Le côté caricatural de la commission, c'est que, à
deux ou trois semaines de l'échéance des négociations, que
pensez-vous que les organisations vont venir vous soumettre comme position?
D'ailleurs, plusieurs viennent vous soumettre le même mémoire
qu'elles ont soumis au groupe Warren aux mois de novembre et décembre
derniers. On va vous soumettre des positions tranchées, sans nuance,
parce que trop près de l'échéance. Je pense que vous aurez
couru après parce que, si près de l'échéance, vous
ne faites pas appel à leur intelligence, mais à leur instinct de
conservation. Ce sont des gens qui vont venir négocier à partir
d'une position idéale.
Par ailleurs, l'opposition générale - tout le monde la
connaît là-dedans - me rappelle le titre d'une chanson de Petula
Clark: Tout le monde veut aller au ciel, mais personne ne veut mourir. En gros,
c'est cela.
Pour ce qui est des positions particulières de chaque
organisation, j'ai consulté la liste des intervenants. Je vous jure que
j'aurais pu vous les résumer très facilement en dix lignes. Ce
que le futurs perdants veulent savoir, que ce soit des régions ou des
secteurs, c'est ce qui les attend après. Est-ce que c'est un suicide
collectif à la Jonestown ou est-ce que ce sont des mesures de transition
quelconques? Si ce sont des mesures de transition, lesquelles? Dans cette
question du libre-échange, l'acceptation ou le rejet d'une entente de
libre-échange dépendra énormément de ces mesures
que les gouvernements vont mettre en place avec le secteur privé pour
relancer ou pour convertir les secteurs ou les régions qui seront
perdants dans cette question-là.
De telle sorte que je vous dis qu'il faut que le pouvoir politique
rapatrie d'urgence les règles du jeu et, par pouvoir politique,
j'entends les législateurs. Je suis un peu fatigué d'entendre
parler du secret des négociations, c'est un mot qui commence à me
rendre agressif, aussi agressif que le mot culture rendait agressif Goebbels
qui voulait sortir son revolver chaque fois qu'il l'entendait. Nous
voilà à la fin du mois de septembre, à deux semaines de la
victoire totale de l'oligarchie technocratique. Ce n'est pas mon modèle
de société.
Je pense qu'à ce stade-ci il faut que l'antidote soit
proportionnel au mal et je propose qu'il y ait consultation du public sur cette
question sous forme de référendum. Il faut qu'on cesse de jouer
au chat et à la souris avec la population. Un référendum
obligerait tes élus à s'y intéresser, à consulter
la population, à se faire le porte-parole des craintes des gens,
impliquer le public là-dedans. L'information doit circuler et la
population décidera, dans un deuxième temps, à moins que
le gouvernement ne croie que ce n'est pas une question sérieuse ou que
cela ne dépasse l'entendement des simples citoyens. Je n'ose pas croire
cela.
Ce traité doit avoir, c'est certain, s'il y a entente, des
conséquences beaucoup plus importantes que le simple mandat de
négocier un accord de souveraineté culturelle qui avait
été demandé par le précédent gouvernement
et, pourtant, il avait fait un référendum sur le sujet. On est
devant un choix de société et non pas devant une simple option
économique. Ultimement, l'économie est subordonnée au
social et non l'inverse. Si le Québec ou le Canada veut qu'une plus
grande partie de sa richesse collective serve à aider les
miséreux, c'est de ses affaires; ce n'est pas une loi économique
qui va empêcher cela. Quand la population décide, elle sait
compter généralement. Par ailleurs, j'entends souvent l'argument
que c'est inéluctable qu'on se dirige vers cela. Je vous rappelle qu'en
histoire il n'y a rien d'inéluctable, surtout pas les lois
économiques. Celles-ci peuvent nous crier qu'on s'en va dans tel sens,
c'est à la société de rester maître de joindre ou
non le peloton et de le faire à ses conditions.
Par ailleurs, je trouve que les économistes ont pris dans ce
débat une importance démesurée. Jusqu'à maintenant,
je les qualifierais de vrais gagnants des négociations. On en a fait les
grands devins, les conseillers de la reine. On les engage pour faire des
études de toutes sortes et je vous jure que ces gens écrivent
mal. Il me semble qu'il y a là une surappréciation des
économistes qui doit faire se retourner dans sa tombe M. Caouette qui
disait: Présentez-moi un économiste qui dit blanc; je vais en
trouver deux autres qui vont dire noir tout de suite, sur-le-champ.
C'était la façon créditiste de nous rappeler que
l'économique est une science humaine faillible, idéologique. Par
ailleurs, vous n'avez qu'à écouter deux économistes un
à la suite de l'autre et vous verrez ce que cela va donner sur une
même question. Vous allez entendre l'Association des manufacturiers
canadiens ce matin. Leurs économistes ne vont pas dans le même
sens que ceux de la CSN.
Je pense qu'il faut rappeler que la science économique est
impuissante pour des enjeux globaux et à moyen terme et relativement
impuissante aussi pour le court terme. Ces gens peuvent photographier le
présent, mais ne peuvent pas aller bien au-delà de cela.
Donc, on se retrouve ce matin avec Simon et Peter dans leur tour
d'ivoire technocratique avec la bénédiction des gouvernements,
une absence de débat dans la population où l'indifférence
le dispute à l'ignorance. Je pense qu'on se dirige simplement vers un
cul-de-sac. Actuellement, c'est le préjugé et le slogan qui
tiennent lieu de jugement collectif et je pense que les élus en sont
responsables; ils ont gardé sous le manteau cet important débat.
Je pense qu'il faut lancer le débat et le baliser de façon
intelligente, même s'il faut pour cela contrebalancer les groupes de
pression. (10 h 15)
J'aimerais souligner rapidement quelques vérités
élémentaires qu'il faudrait rappeler constamment dans ce
débat ainsi que des leurres et omissions qu'il faudrait corriger
à mesure qu'ils sortent dans le public.
Par exemple, c'est sûr qu'idéalement tout le monde devrait
vivre en autarcie, mais ce n'est plus possible au plan international, encore
moins entre le Canada et les États-Unis qui forment la plus grande zone
bilatérale de commerce au monde. Vous savez comme moi que le plus grand
client après le Canada, pour les États-Unis, ce n'est pas le
Japon, mais l'Ontario. Donc, ce sont deux pays qui - je m'excuse du
néologisme pas très heureux - se "siamoisissent".
L'intégration économique est très avancée,
alors que les deux pays ont toujours voulu le contraire. La seule politique
économique qu'on avait au XIX siècle jusqu'à la
dernière guerre mondiale, c'est une politique protectionniste des deux
côtés. La seule politique que le Canada s'est donnée
après, c'est celle de M. Trudeau, dite de la "troisième option",
qui voulait diversifier nos échanges commerciaux, et il faut entendre
par là diminuer ceux avec les Américains. Or, pendant que cette
politique de M.Trudeau était en vigueur, les échanges
avec les Américains ont augmenté de 70 % à 80 %. Autrement
dit, les échanges Nord-Sud sont d'un naturel absolument effarant.
Dans le mariage entre les deux pays, c'est le Canada qui est le plus
dépendant des deux parce qu'il dépend davantage du commerce
extérieur et parce que c'est avec les États-Unis qu'il effectue
le maximum de ses échanges. On peut bien décider, demain matin,
de fermer la frontière, j'entends des groupes dire qu'on va consommer
québécois et canadien, et décréter que c'est fini,
les échanges avec les autres pays et les Américains, le fait est
que la riposte de Goliath sera de même nature, et on n'a pas de
marché intérieur pour répliquer à ce que les
Américains pourraient faire.
Devant ces faits, il me semble que les deux seules questions
intelligentes que l'on puisse se poser sans basculer dans l'idéologie
creuse sont les suivantes: Faut-il coiffer cette intégration croissante
et rendue à un stade très avancé d'une entente formelle et
globale de libre-échange? Deuxièmement, faut-il le faire à
ce moment-ci?
Je dis qu'aucune des réponses n'a le monopole de la vertu. Il
s'agit d'un choix et le libre-échange ne représente ni une
réincarnation du diable ni la panacée tant attendue à nos
maux économiques. Cela ne transférera pas non plus le soleil de
la
Floride sur le lac Saint-Jean. C'est un moyen et tout est relatif et
conjoncturel.
J'ai écrit que le libre-échange constituait une politique
économique par défaut, c'est-à-dire qu'on compte sur la
concurrence directe avec les entreprises américaines pour que s'effectue
une espèce de sélection naturelle des entreprises canadiennes.
Autrement dit, seules les meilleures survivraient. Je dis que, d'une part,
c'est vrai qu'on n'a pas de politique économique au Canada ni au
Québec, peut-être que, faute d'une vraie politique,
celle-là est mieux que rien. Mais je dis qu'indépendamment du
libre-échange les entreprises canadiennes vont faire face à une
concurrence accrue, parce que le contexte international s'y prête, et
vont devoir finalement prendre des décisions radicales concernant leur
spécialisation, leur fusion et l'acquisition d'autres entreprises. Mais
il faut dire aux adversaires du libre-échange que le temps des serres
chaudes est terminé. C'est très important de le dire, entre
autres, aux syndicats et aux secteurs mous.
J'entends le Nouveau parti démocratique et le mouvement syndical
-c'est presque tout un, on le sait - qui proposent une série d'accords
sectoriels comme solution de rechange au libre-échange qu'ils ont
rejeté a priori; ce que je trouve inintelligent. Autrement dit, ils
veulent faire à la pièce l'opération plutôt que de
la faire globalement. Or, je remarque, d'une part, qu'ils écartent le
statu quo comme solution -ce qui est déjà un début
d'intelligence -mais je pense qu'il faudrait que ces gens-là annoncent
par quelle pièce ils vont commencer, puis, qu'ils aillent proposer aux
Américains leur programme pièce par pièce. Je n'ai pas
l'impression que les Américains vont accepter un autre pacte de l'auto
dans d'autres secteurs de l'économie à court terme. Au moins,
dans un cadre global, il y a moyen de compenser les pertes dans un secteur par
des gains dans un autre, mais non dans une approche à la
pièce.
Je prends toujours avec un grain de sel l'opposition de ces groupes,
parce qu'il me semble qu'il y a un antiaméricanisme latent
là-dedans. Le Nouveau parti démocratique serait peut-être
plus porté vers une entente de libre-échange s'il avait affaire
à une grosse Suède au sud et la CSN, si le président
Reagan était maoïste, mais en tout cas... Je prends cela avec un
grain de sel parce que le NPD et le Congrès du travail du Canada ont
été les plus féroces opposants au pacte de l'auto dans les
années soixante et en sont devenus les plus grands défenseurs.
Quand j'entends MM.
Charbonneau, Laberge et Pépin - ce dernier, à
l'université - se déclarer les grands défenseurs du
système, je n'oublierai jamais qu'au début des années
soixante-dix ces mêmes personnes nous invitaient à casser le
système. Alors, est-ce qu'il faut les croire maintenant ou est-ce qu'il
faut les croire dans ce qu'ils disaient en 1970?
Chose certaine, je pense - et c'est une affaire de bon sens - que cela
devient de plus en plus difficile de gérer des échanges
commerciaux qui atteignent 150 000 000 000 $ par année. Peut-être
que tout ce qui va sortir des négociations sera un mécanisme des
règlements, un tribunal d'arbitrage. Ce sera un petit détour,
mais c'est peut-être mieux que rien. Par ailleurs, je ne pense pas que,
par ce mécanisme-là, les Américains aliènent
complètement leur pouvoir d'intervention. Je ne pense pas
nécessairement que tous les secteurs seront touchables par ce
mécanisme-là, en tout cas, c'est peut-être mieux que rien,
mais il faut mettre fin à la rhétorique du tout ou du rien. Je ne
pense pas qu'il y ait de problème non plus pour s'entendre sur les
tarifs. Cela diminue au plan mondial. On va juste prendre cette
lancée-là. Par ailleurs, peut-être qu'il y aura un code de
subvention qui sortira des négociations.
Quelques remarques rapides. Il me reste à peine cinq minutes,
n'est-ce pas, M. le Président? Dire que le libre-échange
signifierait la fin de la souveraineté du Canada ou du Québec
comme société distincte, ce sont des histoires de Bonhomme Sept
Heures. On ne connaît pas de cas d'assimilation culturelle dans les
autres régimes de libre-échange qui existent à travers le
monde. Il me semble que c'est jouer avec les nerfs des gens. Il faut rappeler
aux gens aussi que, s'il y a une entente, cela me paraît fondamental,
elle va se situer entre le statu quo et une ouverture totale des
frontières. Alors, avant de crier que c'est dangereux pour un secteur,
pour la culture canadienne ou québécoise, il faut attendre de
voir quelle est l'entente et juger à la pièce, vraiment juger
à partir de la réalité.
Il ne faut pas non plus leurrer le public en lui disant qu'un accord de
libre-échange va ouvrir le marché américain de
façon absolue aux entreprises canadiennes ou québécoises.
Le Canada ou le Québec ne seront jamais de gros Wyoming aux
États-Unis. Cet accès sera toujours limité et
réglementé. Le cas de l'entente de libre-échange avec
Israël est très révélateur. Israël n'a pas
obtenu cet accès absolu ni une préséance du traité
sur les lois protectionnistes américaines. Il faut le dire aux gens. Si
les Américains ne l'ont pas accordé à Israël qui est
un petit pays lointain, ils ne vont pas l'accorder à leur gros voisin
avec qui ils font 150 000 000 000 $ d'affaires par année.
Par ailleurs, il y a un aspect qu'on touche de moins en moins - c'est
bizarre, parce que M. Bourassa l'abordait de front quand ii était chef
de l'Opposition - c'est la
question de la monnaie. Moi, j'ai posé la question au consul
américain à Québec, l'an dernier, et il m'a juste souri.
Je vous refile la question. Je lui ai demandé: Pensez-vous
sérieusement que les producteurs américains vont longtemps
tolérer un dollar canadien à 0,75 $? Il ne m'a pas
répondu.
Le principal obstacle au commerce, ce sont les barrières non
tarifaires, on le sait, et dans ce secteur, les deux pays ont les leurs. Vous
connaissez le cas de Bombardier et les problèmes qu'elle a eus à
s'installer aux États-Unis. Ces barrières non tarifaires peuvent
englober les programmes sociaux quand ceux-ci servent de subventions
déguisées à un groupe de travailleurs. Il y a eu l'exempte
des pêcheurs des Maritimes. Même l'assurance-maladie est une
subvention déguisée, parce que cela libère les entreprises
de ce coût. Cela coûte moins cher de construire une voiture au
Canada qu'aux États-Unis. C'est donc un engrenage qui peut nous mener
loin. Or, ces barrières non tarifaires sont les outils de base de la
stratégie économique des États modernes, c'est un attribut
de leur souveraineté politique. Alors, moi, je vous dis qu'on se trouve
devant un beau dilemme cornélien. Le fait est que les Américains
trouvent cela "unfair" et menacent de surtaxer les produits qui sont coupables
d'aller à l'encontre d'une saine concurrence. On peut toujours leur dire
qu'ils doivent regarder la poutre dans leur oeil, le fait est qu'ils ont le
gros bout du bâton et qu'à ce jeu on sort toujours perdant parce
qu'on est le plus petit. On a déjà commencé à
recevoir sur la tête une pluie acide de lois protectionnistes qui a
touché différents secteurs. Il ne faut pas jouer à la
vierge offensée, mais il faut négocier avec ces gens-là et
peut-être qu'une entente de libre-échange est une façon de
le faire.
Voilà! Je voulais parler de souveraineté politique et
d'autonomie culturelle. Je voulais aborder la question du Québec, plus
précisément. Ensuite, je voulais faire une conclusion qui disait
qu'il faut absolument qu'il y ait consultation sur le sujet. Si les
députés sont intéressés, on pourra les aborder plus
tard.
Le Président (M. Charbonneau): On m'indique ici, et je
pense que c'est la même chose de l'autre côté, qu'on serait
disposé à vous laisser terminer votre intervention.
M. Blouin: D'accord.
Le Président (M. Charbonneau): Pour environ combien de
temps en avez-vous?
M. Blouin: Pas cinq minutes.
Le Président (M. Charbonneau): Ah!
Parfait. Il n'y a pas de problème.
M. Blouin: Qu'en sera-t-il de la souveraineté politique et
de l'autonomie culturelle du Canada et du Québec advenant une entente de
libre-échange? J'ai toujours posé la question au présent.
Qu'en est-il de cette entente, maintenant? Or, il me semble que l'une et
l'autre n'en mènent pas large actuellement. À moins qu'on ne
considère comme des manifestations de souveraineté politique
notre quémandage hebdomadaire à Washington, où on va
demander aux Américains d'être exclus des lois protectionnistes
qu'ils prévoient pour l'ensemble de leurs partenaires commerciaux. Pour
ce qui est de la culture, on consomme américain "à la planche",
et même en français.
Voilà qui devrait au moins dégonfler la catastrophe
appréhendée par tous les lobbies canadiens de la culture et par
les nationalistes canadiens-anglais aussi, ontariens surtout. Je vais ouvrir
une petite parenthèse parce que je me souviens du débat autour du
référendum. Je suis allé un peu au Canada anglais pour mon
travail journalistique. Je trouve cela très ironique qu'on entende les
nationalistes ontariens enfourcher le cheval de la culture et de
l'identité canadienne alors que, en 1980, je me souviens que certains
traitaient cela de fascisant dans sa version québécoise. Il me
semble que c'est un ironique retour de l'histoire.
Par ailleurs, les biens culturels circulent déjà en
franchise des deux côtés: le litige concerne, encore une fois, les
politiques gouvernementales d'intervention: propriété publique,
subventions, pourcentage de contenu canadien obligatoire dans les
médias, etc. Les Américains, aussi, ont une politique culturelle,
j'en ai parlé dans mon livre. Mais je pense qu'il faut vraiment
distinguer deux choses: le droit de subventionner le secteur culturel et,
deuxièmement, empêcher les industries culturelles
américaines de pénétrer le marché canadien. Je
pense qu'on peut continuer à subventionner les industries et, en
même temps, permettre aux Américains peut-être de franchir
la frontière avec leurs propres produits. Je pense que ce sont deux
choses très différentes.
Je veux vous dire que je ne nie pas les dangers que
représenterait une entente de libre-échange avec les
Américains aux plans politique et culturel, mais je veux signifier que
le danger appréhendé ne peut qu'être proportionnel à
la souveraineté politique et culturelle existante. Or, celle du Canada,
de même que celle du Québec, n'est pas très large. Elle me
paraît plutôt rabougrie. Je dis qu'il faut la conserver et
l'élargir. Il faut cesser la rhétorique du tout comme si,
maintenant, on avait une totale autonomie politique et culturelle et la
rhétorique du rien qui dirait que, sous une entente de
libre-échange, on tombe à zéro. Je pense que
cela est faux.
Le principal danger me semble menacer davantage le Québec comme
société distincte du Canada sur un plan très
précis. Je pense qu'un accord de libre-échange à court
terme obligera à transférer des pouvoirs provinciaux vers le
gouvernement central. Il n'est pas question pour les Américains,
même s'ils mettent cela sous le boisseau au départ, de se buter
à une série de particularismes régionaux. Or, le
libre-échange n'existe même pas entre les provinces canadiennes,
car les provinces ont un pouvoir de réglementation dans beaucoup de
domaines. Du point de vue du Québec, ces pouvoirs servent à
affirmer sa personnalité propre.
Dans cet engrenage, est-ce que la loi 101, par exemple, ne va pas se
retrouver, un jour ou l'autre, parmi les barrières non tarifaires?
D'autant plus que le libre-échange s'Inscrit, selon ses promoteurs - je
pense à la commission MacDonald entre autres - dans un retour à
la loi du marché. Dans ce retour, le rôle de l'État devrait
s'effacer selon eux, évidemment, dans ce contexte. Ce râle est
plus important au Québec que dans le reste du Canada et plus important
au Canada qu'aux États-Unis. C'est sûr que le libre-échange
va entraîner de nouvelles règles du jeu socio-économiques.
Il faut au moins le savoir.
Pour terminer, je dirais que, en tant que citoyen, je ne peux pas
être intelligemment pour ou contre le libre-échange tant que je
n'aurai pas vu le texte de l'entente négociée, qui va se situer
entre deux extrémités. Pour l'instant, de mon point de vue, c'est
le noir total, je ne le sais pas. De ce qui en filtre, en tout cas, je remarque
que les Américains semblent de plus en plus gourmands. J'ai vu leur
insistance sur la question des investissements, entre autres; là, ils
veulent ouvrir le pacte de l'auto. Chose certaine, je réitère que
je veux être consulté à point nommé. Cet accord,
qu'il soit total ou partiel, a beau s'inscrire dans l'évolution normale
entre les deux pays, il constitue un sérieux coup de pouce à
l'histoire et il nous enfonce davantage le pied, je pense, dans le giron
américain. C'est peut-être pour le mieux, mais je ne veux pas d'un
paternalisme d'État qui consisterait à le faire pour mon bien,
mais à mon corps défendant. Je pense que ce qui va toujours
distinguer une démocratie d'une république d'experts, c'est la
possibilité, que s'offre une véritable démocratie, de
consulter les gens touchés par les politiques des gouvernements.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Blouin, pour cet
exposé pour le moins très clair, M. le ministre du Commerce
extérieur.
M. MacDonald: M. Blouin, merci pour votre présentation;
merci, aussi, pour avoir été une des rares personnes - on a eu le
plaisir, hier, de recevoir M. Landry - qui se sont penchées sur le
sujet, qui ont émis des opinions, qui ont écrit des textes et qui
ont cherché à informer. Je reconnais avec vous que,
effectivement, même si le dossier a connu ses débuts en mars 1985,
cela a pris beaucoup de temps, beaucoup d'efforts de la part des gens
responsables du dossier pour créer un certain intérêt, une
certaine animation. Dans la presse écrite, on a retrouvé un
certain nombre d'articles en progression croissante, mais la presse
électronique, par exemple, dont vous connaissez la capacité
d'informer et l'influence, a pris beaucoup de temps.
J'aimerais revenir, effectivement, sur la fin de votre
présentation pour commenter un peu et avoir vos réactions sur une
affirmation que vous faites et où vous dites que le principal danger
à une entente me semble davantage menacer le Québec comme
société distincte du Canada. Vous précisez que vous croyez
que, dans l'administration, dans la gestion de l'entente, il y aurait tendance
à une croissance ou à une "recroissance" de la centralisation des
pouvoirs vers Ottawa. (10 h 30)
Je crois que vous êtes beaucoup plus au courant de la situation
que l'exposé modeste que vous avez fait sur le sujet, à savoir
que les États américains, leur législation et leur
réglementation posent probablement pour nous, Canadiens et
Québécois, l'obstacle majeur à la réalisation d'une
entente valable... Effectivement, les barrières non tarifaires dans ces
États par cette réglementation et cette législation font
que je croirais que, généralement parlant et dans un plus grand
nombre de sujets, il va être difficile, s'il y a entente, de la mettre en
application.
Conséquemment, il faut aussi mettre en lumière que la
volonté politique canadienne exprimée unanimement par les dix
provinces et par le gouvernement fédéral en est actuellement une
de décentralisation. Je serais très surpris, au cours des
prochaines années, qu'on veuille renverser la vapeur. Alors,
vis-à-vis de cette réalité américaine, de cette
énormité d'influences, de cette tendance politique canadienne
avouée et prouvée par l'entente du lac Meech, seriez-vous assez
gentil de me réconcilier les deux et de traiter un peu plus longuement
de ce paragraphe?
M. Blouin: D'abord, je dois vous dire que je suis d'accord avec
vous quand vous affirmez que le marché américain est un
marché drôlement balisé et drôlement
réglementé entre les États. J'ai assisté, l'hiver
dernier, à Montréal, à des rencontres provoquées
par un groupe d'États américains pour attirer les exportateurs
québécois. Ceux
qui se sont présentés à la rencontre ont vu qu'on
ne rentrait pas aux États-Unis, on rentrait dans un État ou deux
et, de là, on pouvait essayer de rayonner un peu. C'est clair que, du
côté américain, l'entente de libre-échange avec le
Canada est d'une importance économique très secondaire. Elle est
d'une importance politique plus grande. Les Américains ont des preuves
à faire qu'il est possible de s'entendre avec eux. Ou côté
canadien, elle est importante sur le plan économique. Or, les
États américains n'ont pas avantage, économiquement
parlant, à mettre fin à un certain nombre de barrières non
tarifaires entre eux. Donc, ils vont s'appliquer aux exportations canadiennes
parce qu'ils n'ont pas un avantage économique à cette entente et
c'est l'indifférence totale.
Au Canada, au contraire, ces aspects sont primordiaux. Sur le plan
économique au Canada, ce qu'on dit, c'est qu'un des obstacles à
la croissance économique canadienne ce sont les barrières non
tarifaires entre les provinces et peut-être même qu'avoir
travaillé cet aspect de l'élimination des barrières non
tarifaires entre les provinces aurait été un stimulant
économique plus grand que, dans un premier temps, essayer de conclure
une entente de libre-échange avec les Américains. Je dis que le
scénario a été mené à l'envers. Il aurait
d'abord fallu poser cette question à laquelle je n'ai pas une
réponse de devin, la poser aux provinces: Qu'est-ce que vous êtes
prêtes à coordonner et à harmoniser entre vous avant qu'on
se retourne du côté des Américains? Et non pas lancer
à un party à Québec, en mars 1985, cette idée
d'aller conclure une entente et puis se retourner vers les provinces et dire:
Comment pourrait-on s'organiser maintenant? Ma grosse réticence porte
sur le plan du déroulement du scénario. La commission MacDonald
prévoyait, je pense - vous me corrigerez là -un scénario
en deux temps où, d'abord, il y aurait une tentative de créer le
libre-échange au Canada et ensuite le faire avec les
Américains.
M. MacDonald: Si mon collègue me le permet, je suis
d'accord avec vous qu'il y a beaucoup d'ordre à mettre dans le mouvement
libre des personnes et des biens au Canada, c'est évident. Je pense par
contre que, dans les débuts des études de la commission
MacDonald, lorsqu'on s'est formé une idée - quand je dis "on",
c'est la commission - sur le sujet, la progression géométrique
absolument effarante des mesures de protection et ce versement des
États-Unis à un État débiteur ce n'était pas
encore concret à ce moment. Alors, on a vu un scénario se changer
complètement.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Blouin,
merci d'être là malgré vos autres occupations, tant sur le
plan professoral que sur le plan du journaliste. Je pense que le fait d'avoir
accepté de répondre à l'invitation et de venir nous
dire, dans un langage on ne peut plus clair, votre façon de voir le
libre-échange... J'ai pris connaissance de votre volume, il y a
maintenant plusieurs mois, dès sa parution sur le marché, et je
dois dire que c'est le seul document de vulgarisation qui existe, à ma
connaissance. Vous vous êtes décrit, tantôt, comme un
non-spécialiste en la matière. Si vous n'êtes pas un
spécialiste, vous êtes un excellent vulgarisateur et je vous en
félicite! Si, depuis la dernière année, plus de gens
avaient parlé ce langage et l'avaient porté tout haut dans tous
les médias, on n'en serait peut-être pas là. C'est la
partie de ceux qui ont véhiculé le message et si nos politiciens
d'Ottawa et de Québec avaient mieux fait leur devoir, on n'en serait pas
là, non plus. Par contre, j'ai déjà dit amplement ce que
je pensais là-dessus et pourquoi on se retrouve à cette
commission parlementaire depuis le 15 septembre. C'est un peu utopique, vous
avez raison, sauf que, entre le choix de ne pas avoir de débat ou d'en
avoir un, je pense que c'est mieux d'en avoir un. Si cet exercice permet au
moins à une plus grande partie de la population d'être
sensibilisée, je pense qu'on aura accompli une partie du travail.
Parmi les parlementaires ici à Québec comme à
Ottawa, je peux vous dire que, il y a six mois, il y en a peu qui connaissaient
cela; moi, le premier. On connaissait les grandes prémisses et les
règles du jeu, mais on ne connaissait pas cela. Je vous parle, ce matin
- Nous sommes le 18 septembre - et je vous dis que je connais encore peu de
choses. Pourtant, on y travaille ardemment de même que mes
collègues ici. Cela est inquiétant.
On a très souvent l'impression que le libre-échange va
devenir la solution à tous les maux et à tous les
problèmes actuels et on a souvent l'impression que, les barrières
tombant, finalement, le marché va s'ouvrir tout grand. Mais on est
déjà très présents de façon
intéressante aux États-Unis et je trouve que le passage dans
votre volume, à la page 49, est intéressant et je me permets de
le lire pour, finalement, sensibiliser les gens à cette présence
québécoise. Vous dites: "La présence
québécoise, outre le 45e parallèle, est très
visible. Les autorités américaines aiment bien faire allusion
à une copie du New York Times imprimée sur du papier
journal provenant de la Gaspésie et dont les presses sont
alimentées par de l'énergie électrique de la Baie James,
vendue par Hydro-Québec,
et lue dans les rames de métro construites par Bombardier. Une
réclame publicitaire publiée dans ce même New York Times
vantait l'avion Challenger, construit par Canadair à Ville Saint-Laurent
et l'équipement de communication fabriqué par Northern Telecom,
une filiale des Entreprises Bell dont le siège social est situé
à Montréal."
Je trouve que l'image que vous en faites... d'ailleurs, tout votre livre
est teinté de la même façon, et démontre bien que,
oui, on est déjà aux États-Unis et ce n'est pas le matin
du 6 octobre, le lendemain d'une entente possible, que tout va changer.
Vous décrivez aussi dans votre volume, et cette analyse
étant faite il y a un an déjà... J'aimerais savoir comme
première question si vous êtes toujours d'accord avec cela.
L'analyse que vous avez faite aux pages 133 et 134, donc, les deux
dernières pages de votre volume, il y a un an, m'apparaît,
à moi tout au moins, comme déjà le scénario qui
s'annonce, maintenant qu'on est rendu à quelques jours... Comme le
ministre disait tantôt, je pense que vous aviez non seulement un
excellent flair, mais vous avez aussi été capable de bien jauger
non seulement la problématique, mais l'issue. J'aimerais savoir si,
aujourd'hui, vous êtes toujours d'accord avec cela quand vous dites: "II
est plus vraisemblable cependant qu'on arrive, pour sauver la face, à la
mise en place d'un mécanisme de coordination des relations commerciales,
une espèce de solution intermédiaire entre le statu quo et ce que
recouvre généralement le vocable de "libre-échange". Ce
serait déjà un progrès."
Vous avez écrit cela il y a un an; dans quelques jours, il y aura
une entente ou ce sera le statu quo. Est-ce que vous êtes toujours
d'accord avec cela? Si oui, quelle formule ou quel cadre, d'après vous,
à partir de l'analyse, de la photographie que vous en faites aujourd'hui
le 18 septembre, prendrait cette entente, même si on est dans la plus
grande noirceur?
M. Blouin: D'abord, je vais vous répondre comme un
non-spécialiste et non pas comme un spécialiste. Il me semble,
étant donné la seule façon dont ia négociation a
été annoncée et lancée, qu'on pouvait
déjà déduire tout ce qui se passerait après. On ne
peut pas lancer une négociation commerciale avec un voisin aussi
puissant, aussi protectionniste, aussi près de ses intérêts
à l'occasion d'un sommet de fin de semaine à Québec, qui
était beaucoup plus un sommet de retrouvailles entre deux
personnalités qui s'entendent qu'une vraie session de travail. On ne
peut pas faire ça. Cela a été lancé dans la
population comme une espèce de miroir aux alouettes.
Le marché américain, c'est un miroir aux alouettes dans un
certain sens, parce qu'on ne l'aura jamais au complet: ils sont là en
partie et cela va être difficile... Quand on va de l'autre
côté, on va avoir ia concurrence et ce ne sera pas le Pérou
non plus. Alors, de la façon que cela a été lancés
cela m'a mis la puce à l'oreille.
Par ailleurs, ce débat m'aurait paru intéressant, mais il
n'a pas eu lieu. Il m'aurait paru tout aussi intéressant que le
débat sur le référendum. C'est comme cela que les
sociétés se mesurent les unes aux autres. Là, on
était en situation de dire; Oui ou non, est-ce qu'on conclut, est-ce
qu'on appuie une entente de libre-échange avec les États-Unis?
Cela veut dire: Qu'est-ce qu'on vaut sur le plan économique, que vaut
noire vitalité politique, que vaut notre vitalité culturelle?
Cela entraîne la nécessité de se regarder et de se
comparer. C'est un exercice très sain pour moi et j'espérais que
l'exercice ait lieu. Il n'a pas eu lieu. Comme je trouvais très sain
quand je rencontrais, dans des colloques ou des conférences, des hommes
d'affaires de certaines régions - je pense en particulier au
Saguenay-Lac-Saint-Jean - qui me disaient: Nous n'avons pas peur de cela, le
libre-échange. Les Américains, on est capables de les affronter
et on va aller chez eux.
Je trouvais cela très sain comme société de dire
cela. Ce n'est pas là-dessus qu'on appuie une politique, mais je
trouvais que le seul exercice démocratique était ce qu'il fallait
mettre de l'avant. Les considérations économiques, pour moi,
c'est secondaire dans la mesure où, une fois qu'on l'a dit, on l'a 'dit
et, à partir des mêmes chiffres, on peut avoir deux options
différentes.
J'avais, la semaine dernière... D'ailleurs, la
véracité des chiffres économiques me fait toujours rire.
De toute façon, j'en parlerai une autre fois. Alors, le débat n'a
pas eu lieu; c'est cela qui fait que, comme je l'ai un peu prévu dans le
livre, on va se retrouver quelque part entre les deux, mais on n'aura pas
participé à un débat dans lequel on se sera situé
collectivement quelque part entre les deux. On aura dit: Bien, on ne va pas
plus loin que cela parce que... Cela n'a pas eu lieu et je trouve ça
déplorable.
M. Parent (Bertrand): Est-ce que vous me permettez?
Le Président (M. Charbonneau): Oui, allez.
M. Parent (Bertrand): Je vais continuer. En décembre 1986,
M. Blouin, en tant que journaliste, vous avez eu la chance d'interviewer M.
Jake Warren dans un reportage que vous avez passé dans
L'Actualité. La grande déclaration de M.
Warren était la suivante: II n'y aura pas d'entente si tout le
monde n'y trouve pas son compte. Je trouve cela extrêmement important et
rassurant. Par contre, je me demande comment ce bonhomme, ce grand
négociateur, très reconnu, et pour qui je pense que tout le monde
a beaucoup d'estime, pourra arriver... Selon vous, est-ce qu'il pourra arriver
à une entente dans laquelle tout le monde va y trouver son compte?
Comment pensez-vous, selon l'analyse que vous en faites aujourd'hui, que
M. Warren va être capable de satisfaire ce "commitment" que vous avez
réussi à lui faire dire en tant que journaliste?
M. Blouin: D'abord, je dois vous dire que M. Warren était
très gentil et très disponible. Quand il m'a dit cela - si vous
allez un peu plus loin dans mon reportage -M. Warren a aussi dit qu'il
prévoyait du brasse-camarades entre les provinces. Alors, vous voyez. Si
tout le monde parvient à y trouver son compte, ce sera probablement par
suite d'un petit brasse-camarades, qu'est-ce que vous voulez? Il y a des
provinces... Vous voyez l'Ontario maintenant.
On savait fort bien que les Américains ouvriraient le pacte de
l'auto. Écoutez, ils ne vont pas mettre de côté quelque
chose qui représente 50 % des emplois manufacturiers en Ontario ou
quelque chose comme cela. Ils ne vont pas mettre cela de côté et
dire: On va tout négocier sauf le pacte de l'auto. Il faut être
enfant pour penser à ça. (10 h 45)
Alors, on savait qu'ils ouvriraient cela et on savait que certains des
points d'entente auraient des répercussions plus précises dans
certaines provinces que dans d'autres et M. Warren me disait qu'il y aurait du
brasse-camarades entre les provinces aussi. Alors, ces deux phrases-là
sont à mettre ensemble, si vous voulez. Cela ne laisse pas
présager nécessairement que ce sera doré à la
prochaine réunion des premiers ministres, s'ils ont quelque chose
à se mettre sous la dent.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Vimont.
M. Théorêt: Oui, merci, M. te Président. M.
Blouin, j'ai beaucoup de difficulté à concilier deux remarques
que vous avez faites dans vos interventions et qui me semblent assez
contradictoires. D'une part, vous nous dites que la population a
été gardée dans la grande noirceur et que plusieurs
députés ne savaient même pas ce qu'était le
libre-échange. Vous nous dites que la commission parlementaire qui a
débuté cette semaine est à toutes fins inutile.
Quand on regarde les travaux de la commission depuis le début,
toute cette couverture de presse écrite et électronique de tous
les débats de cette consultation, quand on regarde également ce
que nous ont appris tous les intervenants, y inclus vous aujourd'hui, sur les
besoins, les préoccupations et les recommandations des gens
concernés dans chacun de leur secteur, j'ai de la difficulté
à dire que cette commission parlementaire n'apporte effectivement rien,
alors que moi-même, comme député, tout comme, j'en suis
sûr, certains de mes collègues, avons appris
énormément. Je suis certain également que la population
n'a jamais, depuis mardi, autant entendu parler des conséquences
possibles, favorables ou non, et des préoccupations des gens du milieu
sur un éventuel libre-échange.
D'autre part, vous dites qu'il est également trop tard parce que
les gens viennent aujourd'hui nous donner leur position qui est une position
conservatrice de défense. Mais croyez-vous sincèrement que, si on
avait fait cette consultation il y a six mois ou un an, la position ou
l'intervention de l'association des brasseurs, des syndicats, des chambres de
commerce, du Conseil du patronat ou même de l'UPA aurait
été différente? On sait fort bien que, même si on
avait tenu cette consultation il y a six mois ou un an, on n'aurait pas pu, de
toute façon, mettre en place des mécanismes sans connaître
les conditions de l'entente qui sera signée ou non.
J'aimerais que vous m'expliquiez cela un peu mieux, car vous nous dites
que l'on est dans la noirceur, mais il me semble que vous nous reprochez
également d'informer la population et de vraiment faire une
lumière beaucoup plus éclairée que s'il n'y avait pas eu
cette consultation générale.
M. Blouin: J'ai envie de vous retourner votre question. Compte
tenu de l'impact que peut avoir une commission comme celle-ci dans la
population, pourquoi ne l'avez-vous pas faite avant? Pourquoi? J'ai beau
fouiller, je ne trouve aucune raison. Ne me dites pas que les études
n'étaient pas finies. On n'a jamais eu les études.
L'Actualité en a rendu publique l'an dernier, mais, ma foi,
c'était plus difficile que de prendre un document secret du Pentagonel
Cela été obtenu par des informateurs - ce n'est pas le bon mot,
mais en tout cas comme le disait M. Charbonneau hier ou avant-hier - de
façon très très difficile.
Je sais que, sous l'égide du groupe Warren, une centaine
d'études ont été faites dans les ministères
québécois à vocation économique ou dans les
secteurs des ministères qui ont une implication économique
quelconque. Cela a été fait, mais on ne les a jamais vues. Il n'y
avait pas de raison de ne pas tenir la commission avant. Je vais vous dire
pourquoi cela aurait été
meilleur encore comme effet d'entraînement dans la population.
Imaginez une association qui vient ici défendre une position très
carrée. Les brasseurs défendent une position carrée depuis
le début, c'est un cas extrême. Mais prenons une association comme
celle des manufacturiers. Elle va défendre une position pour le
libre-échange, parce que tout le monde est pour le libre-échange
dans un premier temps, mais elle veut que vous ne "maganiez" pas trop ses
éléments faibles, par exemple. Quand on vient déposer
publiquement devant une commission comme celle-ci et qu'on retourne ensuite
auprès de ses membres et qu'on vient défendre une position en
disant qu'on est pour, c'est là que le brasse-camarades se fait. L'effet
d'entraînement se fait dans les milieux concernés mêmes.
Je connais un peu cette dynamique des milieux. Quand on retourne devant
ses mandataires, je vous jure qu'on se fait parler. Alors, il me semble que la
vocation pédagogique de la commission aurait été bien plus
forte si on l'avait faite avant plutôt qu'à la dernière
minute comme maintenant, je pense.
Je vous dis sans méchanceté que, de l'extérieur,
quand on a su qu'il y avait une commission deux semaines avant la fin des
négociations, on a trouvé cela très drôle. De
l'intérieur, c'est peut-être autre chose, mais de
l'extérieur, on a ri.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Roberval.
M. Gauthier: Merci, M. le Président. M. Blouin, je dois
vous dire, que depuis le début de cette commission parlementaire, on a
eu toutes sortes de mémoires, évidemment, et on a toujours senti
que les gens qui se présentaient devant nous le faisaient avec ta ferme
conviction que leur point de vue était le meilleur. Je peux vous dire
que ce matin votre témoignage m'a particulièrement plu, autant
par le style dans lequel il est fait que par le fait que finalement vous posez
une série de questions que tout le monde se pose et auxquelles personne
n'a de réponse, finalement, à ce stade-ci. Et d'essayer d'en
trouver peut être prématuré.
Il y a quand même quelques éléments dans le texte
qui soulèvent la curiosité et c'est pour cela que je
désire vous poser une ou deux questions. Le premier
élément est celui-ci. J'ai cru remarquer - quoique j'ai de la
difficulté à le retrouver; je ne sais pas si je l'ai compris
ainsi ou si vous l'avez dit vraiment - qu'il fallait en quelque sorte mettre
fin à la stratégie du tout ou rien dans le libre-échange,
cesser de dire au monde: On va avoir un traité de libre-échange
ou on n'en aura pas. Il faut rejeter le statu quo, donc, il faut chercher
à en avoir un. C'est à peu près la dialectique dans
laquelle on fonctionne depuis un certain temps. D'autre part, vous parlez de la
stratégie syndicale et du NPD que vous associez en disant: Ces
gens-là, par contre, ce n'est pas mieux, ils proposent d'y aller par
morceau. Qu'ils annoncent donc leur programme. Alors, je ne vous sens pas
sympatique à l'une ou l'autre des façons de procéder et
j'aimerais que vous vous expliquiez un peu là-dessus. J'ai de la
misère à comprendre le lien entre les deux affirmations.
M. Blouin: Ce contre quoi j'en ai, c'est comme citoyen. J'en ai
contre le fait que, lorsque les négociations ont été
lancées, ce que l'on a fait miroiter devant les gens, c'est une entente
globale de libre-échange dans le sens d'une abolition des tarifs et des
barrières non tarifaires très avancées, dans le sens que
les entreprises canadiennes et québécoises auraient un
accès au marché américain, un accès vraiment
absolu. On a lancé cela de cette manière et j'en ai contre cette
façon de faire, parce que moi-même, dès le départ,
sans être d'aucune manière un expert, je savais qu'on
n'atteindrait jamais cela. C'est impossible, c'est trop complexe. On a
leurré la population dans ce sens-là. Voilà pour la
première question que vous posez.
La stratégie syndicale d'y aller par pièce, je trouve
qu'au moins dans la volonté d'en arriver à une entente de
libre-échange, on peut faire quelque chose de cohérent sur le
plan économique, c'est-à-dire que l'on sait qu'il y a des
secteurs qui vont perdre, on les connaît. On sait qu'il y a des secteurs
qui vont gagner, des régions qui vont souffrir, d'autres qui vont
progresser. On sait cela parce que déjà les tendances sont
là, pas besoin d'économistes pour nous le dire.
Alors, quand on a une entente globale, on peut toujours jouer avec des
pions comme cela, c'est-à-dire on peut toujours prévoir qu'une
mesure de conversion économique dans une région est
nécessaire, puis ce sera contrebalancé par une région plus
florissante. Les ententes à la pièce, c'est impossible. Alors,
quand on parle des ententes à la pièce, je trouve cela
très drôle. J'imagine demain matin les négociateurs
canadiens qui arrivent à Washington, qui s'assoient et qui disent: On
négocie à la pièce. On commence par quelle pièce?
Cela sera une farce, une pièce de théâtre, effectivement,
et non pas une négociation à la pièce. Ils ne pourront
jamais s'entendre sur la pièce à aller chercher, parce que les
Américains et les Canadiens vont vouloir aller chercher chacun une
pièce favorable et ils vont se battre pièce contre pièce.
Je trouve cela un peu simpliste comme façon de voir.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Roberval.
M. Gauthier: Je peux revenir après, cela ne me fait
rien.
Le Président (M. Charbonneau): II y a quelques autres
collègues qui voudraient poser...
M. Gauthier: Oui, j'ai d'autres questions.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, allez-y avec une
autre.
M. Gauthier: Notre temps est écoulé. M. le
Président, mon collègue de Bertrand qui conduit cette commission
du côté de notre formation politique m'informe à regret que
notre temps est écoulé. Alors, je me priverai de ce
plaisir...
Le Président (M. Charbonneau): II reste un peu de temps,
en fait, parce qu'il y a un collègue de l'autre côté... Je
sais que le député de Bertrand voulait aussi intervenir un peu.
Donc, il y» a moyen mais à la condition que, de part et d'autre,
les questions soient bien ciblées et les réponses
brèves.
M. MacDonald: Nous, on a terminé. Si le
député de Bertrand veut terminer, il n'y a pas de
problème.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, une autre
brève?
M. Gauthier: D'accord. J'y vais?
Le Président (M. Charbonneau): Oui, une brève.
M. Gauthier: Merci, M. le Président. Une brève. M.
Blouin, dans votre mémoire, à la page 6, vous faites le constat
que l'intégration des deux économies est une chose faite pour
l'essentiel. Donc, je sens dans votre texte que, dans le fond, vous
démontrez par là la futilité de tout le débat
actuel. J'aurais cru que ce constat que vous faisiez vous amènerait
à la logique suivante: Étant donné que nos
économies - et c'est ce qui a conduit les gens à être
d'aussi farouches partisans du libre-échange - sont aussi liées
et qu'il y a un courant protectionniste aux États-Unis qui pourrait
à la limite nous faire du tort, il est important qu'on bâcle toute
cette question une fois pour toutes. C'est à peu près la logique
que j'ai comprise des gens qui se battent dans cette question tandis que vous
faites la même constatation et on sent que vous arrivez à une
conclusion différente: IL n'y a pas de problème pour le
libre-échange, ne nous énervons pas, c'est vrai qu'on est
intégrés, on va continuer de l'être et essayons que cela
soit viable pour le Canada et le Québec. J'ai de la difficulté
à comprendre que vous arriviez à des points de vue tellement
opposés à partir de la même prémisse.
M. Blouin: Écoutez, mot aussi, j'essaie de me
reconnaître dans toute cette question et j'avoue que ce n'est pas
toujours facile. Je vais vous faire deux séries de remarques.
La première, c'est que je crois que jamais un débat
politique n'est futile; jamais, jamais, jamais! C'est ce que je reproche
à la situation actuelle. Si on faisait une entente de
libre-échange formelle, ce serait rendre structurel ce qui est
maintenant un peu dû à l'évolution historique des deux
pays. Je pense qu'on change la nature même de la situation et cela vaut
tout un débat. Une fois le pied dans le giron, attention! Là, on
reste quand même formellement à l'extérieur, mais une fois
dans le giron, on tombe dans une nouvelle situation, d'où la
nécessité d'un débat. Qu'est-ce que je propose? Quelles
sont mes conclusions à partir des prémisses que vous dites?
Qu'est-ce que vous voulez? Moi, je dis: Au moins, arrêtons les hauts cris
contre le libre-échange en disant que cela va être
épouvantable et que cela va changer toute la situation quand on sait
que, sur le plan économique, c'est très intégré,
sur le plan culturel, on consomme américain "à la planche". Je
dis: Au moins, baissons d'un cran et discutons sereinement en hommes et en
femmes intelligents et non pas avec des positions comme si on passait du noir
au blanc. Je trouve cela très ridicule. Je trouve aussi ridicule et
inintellligent d'être a priori pour ou contre. On ne peut pas être
a priori pour ou contre, il n'y a pas de vertu là. Selon l'entente, on
pourra être pour ou contre. Si, à notre sens, c'est trop
près du statu quo, on pourra être contre ou pour; si c'est trop
près de l'intégration totale, on pourrait être pour ou
contre, mais au moins on aurait une raison alors que» là, on n'a
rien.
Le Président (M. Charbonneau): J'ai une brève
question avant de céder la parole à mon collègue de
Bertrand. Vous avez dit une chose qui, à mon avis, est fondamentale.
Vous avez dit qu'il n'y a pas de politique économique ni au Canada ni au
Québec.
Une voix: Depuis une dizaine d'années.
Le Président (M. Charbonneau): Je ne suis pas sûr
que c'est ce qu'il a dit, mais je vais le laisser...
Une voix: C'est ce qu'on constate.
Des voix: ...
Une voix: Chut! Chut!
Une voix: À l'ordre, s'il vous plaît! Cela va
prendre un nouveu président.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, si mes
collègues veulent me laisser continuer. Ce serait quoi, à votre
avis, une politique économique dans la mesure où vous pouvez dire
qu'il n'y en a pas? Vous devez avoir une idée de ce que cela devrait
être. Quel est l'objectif que cette politique devrait viser? Est-ce que
cette politique, on devrait se la donner avant l'établissement d'un
traité de libre-échange, en même temps ou après?
Éventuellement, quelles seront les conséquences d'un
traité de libre-échange qui ne serait pas accompagné d'une
politique? Si j'ai bien compris, c'est une politique avec un grand "P", et
c'est plutôt le terme "stratégie" qu'on devrait utiliser. Mais on
ne se chicanera pas sur le vocabulaire, je pense qu'on se comprend.
Voilà un peu l'essence de mon intervention.
M. Blouin: D'accord, mais je vous réponds en
généraliste.
Le Président (M. Charbonneau): Je me méfie des gens
qui disent qu'ils ne sont pas experts et qui écrivent des livres. Je
pense que vous êtes, parmi les gens qui sont venus ici, l'un de ceux qui
savent le mieux s'exprimer et qui ont fait le tour de la question avec le plus
de clarté. C'est la seule chose sur laquelle on ne serait
peut-être pas d'accord. J'ai l'impression que vous êtes beaucoup
plus expert que vous voulez bien le prétendre. Ce n'est peut-être
pas une mauvaise chose pour vous, d'ailleurs. (11 heures)
M. Blouin: Je vous dis simplement qu'il n'y a pas de politique
économique au Québec et au Canada, c'est évident. Je
demanderais au gouvernement quelle est sa politique de la main-d'oeuvre, qui
est une composante d'une politique... Il n'y a pas de politique de
main-d'oeuvre au Québec. Quelle est la relation entre l'éducation
au Québec et l'industrie? Souvent, il n'y en a pas.
Pour moi, une politique économique, cela veut dire simplement
qu'un gouvernement, dans une optique de planification, va dire: D'ici dix ans,
voilà les secteurs qu'on privilégie et les secteurs qu'on
convertit. Ce serait un peu une politique à la japonaise. C'est comme
cela que je vois une politique économique.
Ici, on éteint des feux et on essaie de suivre l'évolution
du marché et de corriger à mesure, mais tout en maintenant tout.
On est d'accord avec les secteurs mous, d'accord avec les secteurs
technologiques. Je pense, que dans ce sens, il n'y a pas de politique
économique.
Maintenant, vous me demandez s'il faut la faire avant, après ou
pendant. J'ai simplement observé que, pour le gouverne- ment
conservateur à Ottawa qui est un gouvernement près des lois du
marché libre, une entente de libre-échange tiendrait lieu de
politique économique, c'est-à-dire que cela aurait l'effet qu'une
politique économique pourrait avoir, à savoir que la concurrence
directe pourrait faire comprendre à des entreprises canadiennes qu'elles
n'ont pas l'épine dorsale pour continuer et il y aurait une
espèce d'élimination et de rajustement comme cela. J'ai compris
cela. Il me semble qu'un pays devrait avoir une politique économique. Il
me semble que cela va de soi; mais il semble que, dans les pays à
philosophie libérale, en Amérique du Nord en tout cas, ce n'est
pas le cas.
Le Président (M. Charbonneau): Merci. M. le
député de Bertrand. Et je pense que cela va être la
dernière intervention.
M. Parent (Bertrand): Peut-être une dernière
intervention, une dernière question parce que, malheureusement, on est
obligé de respecter cet horaire.
J'aimerais savoir, M. Blouin, si à ce stade-ci vous partagez la
même analyse de la situation que j'en fais. Quand on négocie, que
ce soit une convention collective, une transaction immobilière ou un
achat d'entreprise, peu importe, on a un objectif en tant que
négociateur, on a une fin qu'on veut atteindre et on a un plan de
stratégie. Dans votre livre, vous dites d'abord que la
problématique a été mal posée et qu'il y a eu une
absence de stratégie de la part du gouvernement canadien. Je suis
d'accord avec vous.
J'ai l'impression, après ce que j'ai entendu et compris
déjà depuis une trentaine d'heures d'audiences en commission ici,
que le gouvernement du Québec non seulement n'avait pas de
stratégie, mais qu'il ne sait pas vraiment ce à quoi il devait
s'attendre puisqu'il n'est pas, d'une part, à la table de
négociation et, d'autre part, le premier ministre lui-même, en
Chambre, le 22 juin, si ma mémoire est bonne, dernière
journée que nous avons siégé, a dit qu'il attendait de
voir ce que les autres avaient à nous proposer. Donc, on a
été dans une attitude d'attente. C'est probablement là
l'erreur de stratégie, si stratégie il y avait, parce que,
actuellement, on est encore en attente de voir ce qui va se passer le 5 octobre
comme si le 6 octobre on commençait une nouvelle étape. Mais on
devrait savoir minimalement ce qu'il va y avoir et ce qu'il n'y aura pas
dedans. Si on avait mis dans nos conditions particulières... Je sais
qu'on a mis sept conditions, mais plus spécifique que telle ou telle
chose, cela ne devrait pas entrer dans la négociation. J'ai l'impression
que actuellement, tout est sous la table. Cela qui fait que personne ne peut
vraiment parler, de là votre analyse de dire: On n'est ni pour ni
contre. Et je pense que vous avez raison.
Mais cette absence de stratégie fait en sorte qu'on se retrouve
dans une situation où on ne contrôle absolument rien actuellement.
Tout est entre les mains d'Ottawa et tout est au niveau politique avec une
volonté politique de la part d'un premier ministre qui a
décidé d'en faire un dossier politique et de régler cela
sur une base politique. J'aimerais savoir si vous êtes d'accord et si
vous avez des commentaires par rapport à cela.
M. Blouin: Je pense que cela renvoie au type même de
négociations qui ont été faites jusqu'à maintenant.
Cela a été fait à un niveau politique très
élevé et cela a été remis entre les mains de
technocrates qui sont de très bons technocrates, M. Reisman, M. Warren.
Cela s'est fait à ce niveau. Le reproche que je fais, c'est que je
conçois le secret des négociations commerciales mais, secret
à ce point, je ne peux pas, comme citoyen, l'accepter.
Par ailleurs, je suis convaincu que le gouvernement du Québec
sait exactement où il s'en va là-dedans. J'en suis convaincu. Il
ne le déclare pas publiquement. Je suis convaincu qu'il a fait son lit.
Cela ajoute d'ailleurs au caractère inutile un peu de la commission.
Mais il a fait son lit. Ces gens ont fait des études et ils ont
établi une stratégie. J'en suis convaincu.
Ce qui me déplaît, c'est que tout cela se fait
derrière le rideau, en coulisse. Cela n'est pas mon modèle de
société.
M. Parent (Bertrand): Je vous remercie beaucoup, M. Blouin.
Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse,
M. Blouin, il ne me reste, au nom des membres de la commission, qu'à
vous remercier d'avoir participé à cet exercice. Encore une fois,
vous pouvez toujours continuer à prétendre que vous n'êtes
pas un expert, mais j'ai l'impression que vous avez fait la
démonstration ce matin que vous êtes un de ceux qui au
Québec connaissent bien le sujet du libre-échange. En plus, non
seulement vous vous exprimez avec beaucoup de clarté, mais avec une
indépendance d'esprit, une approche avec nuance qui, tout compte fait,
est à votre honneur. En tout cas, je vous remercie et je pense que les
membres de la commission, de part et d'autre, ont apprécié votre
communication et votre collaboration. Sur ce, j'invite maintenant les
représentants de l'Association des manufacturiers canadiens à
prendre place.
Association des manufacturiers canadiens
Alors, messieurs et madame, bonjour. Vous aussi êtes des
habitués, d'une certaine façon, de la commission de
l'économie et du travail, en fait, des consultations publiques.
Néanmoins, je vous indique, comme à chaque consultation, qu'il y
a des règles du jeu. Celles-ci sont souples, comme vous avez pu le
constater si vous avez suivi nos travaux cette semaine. On a des balises et,
aujourd'hui encore, on a un horaire assez chargé. Donc, on vous
demanderait de vous en tenir à une présentation de 20 minutes et,
par la suite, le reste du temps va être réparti
équitablement de chaque côté de la table pour des
interventions et des échanges avec les membres de la commission.
M. Thibault, je crois, si vous voulez présenter les personnes qui
vous accompagnent avant de commencer votre exposé. Ou madame, je ne sais
pas lequel ou laquelle va...
Mme Fecteau (Louise): Si vous permettez, je le ferai et je
passerai ensuite la parole à M. Thibault.
M. le Président, MM. les ministres et MM. les
députés, madame, d'abord, je tiens à remercier les gens
responsables de cette commission d'avoir acquiescé à notre
demande pour que l'on puisse être entendus aujourd'hui. D'abord, je vous
présenterai les gens qui m'entourent: à mon extrême droite,
M. Hubert Lavigne, vice-président et directeur général de
Ciments Canada Lafarge; plus à ma droite, M. Laurent Thibault, qui est
président de l'Association des manufacturiers canadiens et qui aura
à faire la présentation; à ma gauche, M. André
Sarrazin, vice-président des exploitations de Reed Inc. Je suis Louise
Fecteau, responsable de la division de Québec.
Sur ce, je cède la parole à M. Thibault. Ce sera un court
exposé, on ne lira pas le document puisque je pense que vous l'avez
tous. On procédera plutôt à la période de questions
de façon...
Le Président (M. Charbonneau):
D'accord. Je vous indique tout de suite qu'à un moment
donné le vice-président va prendre la barre quelques instants, le
temps que je puisse...
Mme Fecteau: Très bien.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. Thibault.
M. Thibault (Laurent): Merci de nous donner cette occasion de
vous faire part de la façon dont on voit cette question importante du
point de vue du secteur manufacturier. Comme Louise l'a dit, vous avez
reçu la documentation. Alors, vous connaissez grosso modo la position
que nous avons prise. J'ai pensé qu'il serait peut-être utile et
intéressant de passer quelques minutes pour vous expliquer comment
l'association est arrivée à cette position.
Vous savez peut-être que le début du protectionnisme au
Canada a commencé avec l'Association des manufacturiers canadiens. Dans
nos archives, on note que vers 1871, le comité des douanes de
l'Association des manufacturiers canadiens a rédigé une
"cédule" de douanes protectionnistes qui a été
proposée au gouvernement de M. Macdonald et qui a été
acceptée plus ou moins d'emblée. Alors, le protectionnisme, c'est
une question qui est très bien ancrée dans l'histoire de
l'association.
Évidemment, dans les décennies qui ont suivi, dans les
années trente et quarante -on connaît l'histoire - on a
surchargé les douanes, une par-dessus l'autre et, finalement, on a
quasiment étranglé l'économie mondiale. Dans la
période de l'après-guerre, avec le GATT, on a vu une
transformation graduelle et assez fondamentale dans l'opinion du secteur
manufacturier, de sorte qu'on appuyait, d'une étape à l'autre,
chacune des négociations multilatérales de façon plus ou
moins enthousiaste. On peut se demander ce qui est arrivé pour qu'en
1986-1987 une association comme la nôtre appuie la notion de
négocier avec les Américains pour avoir plus ou moins une entente
sur le libre-échange.
Alors, je crois que, surtout récemment, dans notre position
courante, le point de départ serait peut-être en 1982, au fond de
la récession ou de la dépression la plus sévère
qu'on ait eue depuis les années trente où on a fait un examen de
conscience et certaines constatations. Il y a eu des changements très
fondamentaux dans la façon de penser, dans le secteur manufacturier. On
est arrivé à comprendre de façon assez pénible que
la priorité la plus importante, c'est qu'on devait être
concurrentiel au niveau mondial. Alors, il y avait beaucoup de choses qu'on
devait faire comme manufacturiers. Ces changements sont en cours pour ce qui
est de la technologie, de la main-d'oeuvre, des investissements, etc. Il y a
beaucoup de choses qu'on doit faire au niveau domestique, en ce qui a trait
à nos politiques fédérales et provinciales, pour se
rentabiliser. Il y a un élément clé pour le secteur
manufacturier, c'est que nous devons avoir accès à un
marché suffisant pour rentabiliser nos usines et justifier les
investissements tellement nécessaires aujourd'hui pour rester à
la fine pointe de la technologie. Dans cette optique, la question d'avoir
accès à un marché suffisant est une
nécessité. Ce n'est pas suffisant, mais c'est
nécessaire.
C'est dans cette optique que, dans les délibérations
très extensives qu'on a faites au sein de l'association d'un bout
à l'autre du pays, il y a eu des débats assez chauds. Finalement,
on en est arrivé à un consensus très clair, très
net et très fort qui dit que, stratégiquement, dans le moment,
dans la situation où l'on se trouve maintenant, surtout avec la menace
d'un protectionnisme américain très sévère, la
meilleure stratégie est d'entrer en négociation avec les
Américains pour voir si on peut s'entendre sur les règles du jeu
et essayer d'établir de façon assez prévisible notre
accès à ce marché. Finalement, pour le secteur
manufacturier, vous pouvez vous imaginer que, si vous allez mettre 1 000 000 $
ou 100 000 000 $ dans une usine, vous devez avoir un certain volume pour
rentabiliser cette usine; il est absolument essentiel d'avoir une certitude
plus ou moins bonne, si vous voulez, pour autant qu'on puisse l'obtenir, qu'on
va au moins avoir accès au marché. Ensuite, il faut faire
concurrence, bien sûr. II n'y a rien de garanti, mais il faut au moins
avoir l'accès. C'est dans cette optique que le débat s'est
mené. Finalement, le consensus a été établi
clairement dans l'association que nous devrions appuyer cette démarche.
Maintenant, il va falloir voir quelle sorte d'entente on va obtenir,
finalement. Comme tout le monde, on va l'examiner de façon très
détaillée pour savoir si on a eu quelque chose qui en vaut la
peine. Mais nous appuyons certainement fortement la démarche.
C'est à peu près le point où on en est. Vous avez
le document qui résume notre position. Comme plusieurs autres
organisations, l'opinion de l'Association des manufacturiers canadiens n'est
pas unanime. Je crois que dans son rapport, qui vous a été soumis
plus tôt, le 11 septembre, si je me souviens de la date, M. Warren a
assez bien capté l'essence et le résumé de la
pensée du secteur manufacturier, globalement. Tout le monde n'est pas
unanime, évidemment, mais ce que tout le monde comprend bien, c'est
qu'il faut absolument s'engager dans l'économie mondiale. Il faut y
participer. Il n'est pas question de se cacher parce que, vraiment, ce n'est
pas une politique rentable. L'appui est là et on verra ce que cela
donnera. M. le Président, avec ces commentaires d'ouverture,
peut-être qu'on pourrait entamer le dialogue. Merci.
Le Président (M. Théorêt): Je vous remercie,
M. Thibault. Je vais céder la parole maintenant au ministre du Commerce
extérieur.
M. MacDonald: M. le Président, Mme Fecteau, messieurs,
merci d'être venus devant nous. Si mon collègue d'en face est
d'accord, j'aurais une série de petites questions à vous poser
qui chercheraient à situer un peu plus l'Association des manufacturiers
canadiens quant à son importance et à sa
représentativité tant au Canada qu'au Québec. (11 h
15)
Pourriez-vous nous donner ce que serait
en quelque sorte cette balance? Hier, les représentants de la
Coalition québécoise d'opposition au libre-échange, qui
représentait un peu moins de 30 % des travailleurs du Québec,
amputée du syndicat de la CSD, la Centrale des syndicats
démocratiques, qui, elle, a une attitude différente, ont
très bien statué leur cas clairement et honnêtement. Mais
plusieurs des employeurs de ces gens-là, c'est vous qui les
représentez. L'Association des manufacturiers canadiens a combien de
membres au Canada, au Québec? Combien d'employés regroupe-t-elle
au Québec?
M. Thibault: Je peux commencer par faire un commentaire au plan
national et demander à Mme Fecteau de faire le point sur...
M. MacDonald: Oui.
M. Thibault: ...notre présence au Québec. Au plan
national, l'association a un bureau ou une présence dans toutes les
provinces. Nous avons une division dans chaque province, avec un
exécutif et des membres très actifs. Nous avons une portée
nationale très bien établie depuis le début des temps, je
suppose. Nos membres sont très diversifiés. On rejoint
mensuellement, selon notre liste de postes, environ 8000 individus dans tout le
pays et environ 3500 entreprises. C'est une base très large, des plus
grandes entreprises, à partir de General Motors jusqu'à la
majorité de nos membres; il y en a des milliers, évidemment. Nous
constatons que les trois quarts de nos membres, finalement, emploient moins de
100 individus. Alors, ce n'est simplement que le reflet de la structure
manufacturière au pays. Nous rejoignons les entreprises dans presque
toutes les industries: le ciment, les pâtes et papiers, les meubles, le
plastique, l'automobile, la chimie et tout ce que vous pouvez imaginer. Nous
estimons, en somme, que nos membres représentent environ les trois
quarts de la production totale et de l'emploi au pays. Alors, au
Québec...
Mme Fecteau: Je crois que le portrait que vient de faire M,
Thibault se situe également au Québec. On représente
environ 75 % de la capacité manufacturière. Nous
représentons également des industries de toutes sortes, de toutes
natures, c'est-à-dire de tous les secteurs d'activité. Nous avons
un bureau à Montréal et six sections au Québec; donc, on a
des représentants dans tout le Québec. Finalement, il s'agit
aussi de la petite et moyenne entreprise puisqu'on sait que ce qui compose le
Québec, c'est en majorité la petite et moyenne entreprise,
surtout la moyenne. Forcément, nous représentons plusieurs
grandes entreprises au Québec. Sur 40 entreprises qui comportent
au-delà de 1000 employés, nous en représentions 22
jusqu'à récemment; les autres sont des moyennes et petites
entreprises. Lorsque je fais un envoi au Québec, c'est pour 1200
individus. Lorsque nous faisons un envoi aux entreprises elles-mêmes,
cela constitue 420 entreprises en tout et partout.
M. MacDonald: ...manufacturières. Mme Fecteau: Oui,
tout à fait.
M. MacDonald: Seriez-vous assez gentille de préciser un
peu plus, quand à la tenue de forums, de colloques, d'enquêtes, le
processus de consultation par lequel vous êtes passés
auprès de vos membres pour faire ressortir les conclusions que vous nous
avez exposées?
Mme Fecteau: Je vais procéder pour le Québec
D'abord, c'est un dossier auquel on travaille depuis fort longtemps au plan
national, comme M. Thibault vient de le dire, surtout après la
récession de 1982 et, que je sache, cela fait au moins trois ans qu'on
travaille à ce dossier pour ce qui est de la division du Québec.
Ce qu'on a fait plus particulièrement, c'est un sondage par écrit
et des visites dans les sections pour étaler notre position devant les
manufacturiers, de même que les questions, les résultats, les
effets positifs ou négatifs qu'un accord de libre-échange
pourrait comporter. Évidemment, on a organisé,
parallèlement, des séminaires sur cette question. Et, lorsqu'en
mai 1985 ou 1986, je crois, M. Warren a tenu sa commission, lorsqu'il a entendu
les gens en question, nous sommes allés également
présenter une position devant le comité Warren.
Je peux ajouter que le fait de faire des sondages, le fait
également de visiter les entreprises dans tout le Québec a permis
de constater qu'un certain nombre d'entreprises n'étaient pas au courant
des effets positifs d'un accord de libre-échange. Cela a permis
également de démystifier une question qui n'est pas facile
à comprendre, soit dit en passant. Ce n'est pas permis à tout le
monde que d'aller rencontrer le comité Warren, c'est accessible à
tous, mais ce n'est pas tout le monde qui y va.
Donc, cet exercice a permis à l'Association des manufacturiers
canadiens de mieux informer ses membres.
M. MacDonald: Une dernière question, si vous me permettez.
Vous avez des compilations statistiques de vos questionnaires, de vos
enquêtes, de vos recherches, etc. Les avez-vous rendues publiques?
Mme Fecteau: M. Thibault, a fait un sondage national. Le
nôtre, nous l'avons pour
nous, mais nous ne l'avons pas rendu public. Cependant, si vous voulez
obtenir ce document, cela nous ferait plaisir de vous le transmettre. Je n'ai
pas les données avec moi} c'est malheureux.
M. MacDonald: C'est évident qu'il y a de partout des
demandes pour essayer de se documenter le mieux possible sur le sujet et,
certainement, si vous étiez capables de rendre public le résultat
de vos recherches, tout le monde serait reconnaissant.
Mme Fecteau: Mais le résultat était le suivant: que
les entreprises que nous représentions, en fin de compte, étaient
favorables à la négociation sur le libre-échange.
M. MacDonald: On a lu les conclusions, mais l'analyse
elle-même et la méthodologie utilisées, c'est quelque chose
qui nous permet de faire la balance entre toutes ces études. M. le
député.
Le Président (M. Théorêt): Merci. M. le
député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Thibault,
Mme Fecteau et les différents responsables, M. Lavigne, de même
que M. Sarrazin, cela me fait plaisir de vous accueillir ce matin. Le ministre
vous a permis d'exposer davantage ce qu'est l'Association des manufacturiers
canadiens dans le but de démontrer clairement que c'est un organisme
très représentatif à l'échelle du Canada. Je le
crois et je pense que vous êtes un des rares organismes qui ait fait
aussi bien son travail.
Je me souviens d'avoir participé à un colloque, ici,
à Québec, avec vos membres; j'avais assisté à une
partie de ce colloque où M. Pierre Marc Johnson avait fait un
exposé sur le libre-échange, en mars ou avril dernier. J'avais eu
la chance de parler avec plusieurs de vos membres manufacturiers qui,
effectivement, se sentaient consultés. Je tiens à vous dire
publiquement que je pense que c'est un travail de fond important que vous avez
fait.
Vous avez déclaré, vous aussi, que vous souffriez beaucoup
du manque d'études et de rapports dans ce dossier. Ce matin, le ministre
vous demande de rendre vos études publiques. Il faudrait peut-être
lui demander de rendre les siennes publiques. Mais, tout compte fait, on sait
qu'il ne les rendra pas publiques. On ne peut pas demander aux autres ce qu'on
n'est pas capable de livrer soi-même, M. le ministre.
Vous avez donné une conférence de presse, M. Thibault,
comme président, le 1er juin 1987. Vous avez publié un document
qui s'intitulait: "L'importance des négociations commerciales", dans
lequel vous avez présenté plusieurs conditions où vous
demandiez, à toutes fins utiles, au nom de l'AMC, de connaître ce
que devrait contenir l'entente. J'imagine que vous avez présenté
cela en haut lieu par le biais du comité Warren ou autrement. J'aimerais
savoir, dans un premier temps, M. Thibault, Mme Fecteau ou qui que ce soit
d'autre: Est-ce que vous avez eu - en plus de l'accusé de
réception -des commentaires, surtout de la part du gouvernement du
Québec, parce que c'est à ce niveau-ci qu'on doit se
préoccuper du problème? Est-ce que vous avez eu l'assurance que
non seulement ces points-là seraient pris en considération, mais
qu'il y avait de bonnes chances que vous puissiez obtenir les différents
points que l'AMC défendait comme conditions minimales ou acceptables,
afin de protéger vos entreprises selon les secteurs, certaines
étant plus vulnérables que d'autres, autant par leur taille que
par leur secteur? Est-ce que vous avez pu avoir du gouvernement du
Québec toutes les assurances de façon que vous puissiez nous dire
aujourd'hui, le 18 septembre, si vous êtes bien sûrs que vos
revendications, que les préoccupations que vous incluez dans votre
"oui", ce que je comprends très bien et qui est fondé... Je parle
de . vos préoccupations dans votre "oui, mais", de vos conditions.
Mme Fecteau: Oui, il est vrai que ces documents ont
été rendus publics et il est vrai qu'ils contiennent des
conditions que nous considérons comme essentielles. Il est vrai que nous
les avons transmises tant à M. Warren qu'à M. MacDonald.
Cependant, on n'a pas reçu de commentaires, à savoir que M.
MacDonald nous promettait que ces conditions seraient négociées
avec Ottawa ou autrement. Si on avait eu un oui de sa part, c'est
évident qu'on aurait fait comme vous, on aurait fait une
conférence de presse pour dire: Le gouvernement nous promet que nos
conditions seront incluses.
Je céderai la parole à M. Thibault pour qu'il nous parle
de ces conditions essentielles que nous demandons au gouvernement
fédéral dans la négociation du traité de
libre-échange.
M. Thibault: Si vous voulez que je parle des conditions, je peux
expliciter davantage, mais votre question visait surtout à savoir si on
avait été écoutés.
M. Parent (Bertrand): Alors, si je comprends bien, c'est non.
Vous n'avez pas reçu l'assurance du gouvernement du Québec que
cela avait bel et bien été pris en considération.
Mme Fecteau: Non, on a pris le document en considération,
mais jamais on ne nous a fait une promesse disant que les
considérations seraient entendues ou écrites dans un
accord.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
député de Bertrand. M. le ministre de l'Industrie et du
Commerce.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Je vous remercie, M. le
Président. Madame, messieurs, dans votre présentation, vous
reconnaissez, tout en plaidant qu'il est important de prévoir une
période d'ajustement ou de transition... Pour ne pas allonger la
question, on sait tous de quoi on parle. On sait également que c'est
dans un contexte de consultation avec les secteurs industriels qu'on pourra
aménager des périodes de transition pour chacun.
Quel rôle voyez-vous les gouvernements jouer au titre de leur
participation éventuelle aux programmes d'ajustement qu'il faudra mettre
sur pied? Envisagez-vous des programmes spéciaux, qui peuvent varier,
évidemment, selon les secteurs que vous représentez? Croyez-vous
aujourd'hui que les programmes de soutien au recyclage de la main-d'oeuvre et
de formation, par exemple, certains programmes d'aide financière
à la recapitalisation et à la modernisation des entreprises, que
les programmes courants sont suffisants? Envisagez-vous d'autres modèles
ou souhaitez-vous même la présence du gouvernement
là-dedans? Ne souhaitez-vous pas que vos membres, comme entreprises
privées philosophiquement peu enclines à demander l'aide
gouvernementale, s'occupent eux-mêmes des ajustements que les nouvelles
conditions commerciales pourraient créer?
M. Lavigne (Hubert): Je vais faire quelques commentaires sur
votre question. Ce que nous souhaitons, ce n'est pas nécessairement une
intervention directe du gouvernement; c'est beaucoup plus une forme
d'encouragement qu'on voudrait voir dans ce sens-là. Vous avez
parlé, par exemple, du recyclage de la main-d'oeuvre, qui est un domaine
extrêmement important dans le cadre de l'évolution de ce dossier,
à moyen terme surtout.
L'industrie dans laquelle j'oeuvre a vécu le libre-échange
depuis un certain nombre d'années et c'est grâce à cela que
nous avons réussi à devenir très compétitifs.
D'ailleurs, je pense que notre industrie a progressé. Je voyais l'autre
jour les syndicats qui ont peur du libre-échange, mais je pense que
c'est ce qui nous a permis d'avoir une industrie où les salaires sont
les meilleurs et les productivités les meilleures de, peut-être,
la majorité des industries au Québec.
Donc, c'est beaucoup plus sous forme d'un encouragement en ce sens. Je
pense à la formation, à la recherche aussi et au
développement. Aux États-Unis, si on veut y arriver, il faudra
avoir une technologie supérieure à celle que nous avons
actuellement dans beaucoup de domaines. Encore là, beaucoup d'aide
pourra sûrement provenir des gouvernements dans ce sens. Il y atout l'aspect fiscal qui pourrait être utilisé plutôt
que la subvention directe, comme c'est souvent mis de l'avant et comme cela a
souvent été mis de l'avant dans le passé par la
majorité des gouvernements canadiens, avec nos tendances peut-être
un peu trop socialisantes, si on peut dire. C'est un commentaire. Je ne sais
pas si mes confrères ont d'autres points.
Une voix: André, est-ce que tu vouiais ajouter quelque
chose?
M. Sarrazin (André): Je souscris à ce que vous
dites, principalement quant à l'aspect discrétionnaire. Les
subventions elles-mêmes sont normalement adressées à des
personnes très spécifiques et pour des besoins très
spécifiques. Souvent, elles ne sont pas transmissibles à d'autres
personnes qui sont concurrentes de celles qui en reçoivent. (11 h
30)
Cette sélection, qui est faite pour des raisons qui ne sont pas
toujours économiques, cause des problèmes dans la
compréhension, par exemple, des Américains qui, eux, peuvent
percevoir qu'il y a des montants d'argent qu'une compagnie en particulier peut
recevoir pour produire un produit qui est en concurrence avec des produits
américains. S'il y a des effets comme les douanes spéciales
prélevées à cause de cette aide discrétionnaire,
les concurrents de cette compagnie, qui eux aussi envoient aux
États-Unis les mêmes produits et n'ont pas reçu de
subvention, subissent quelque chose.
Alors, dans l'ensemble, ce que je vois comme solution à cette
problématique, c'est que l'aide soit générale et
applicable à tout le monde, surtout du point de vue fiscal. Du
côté de la main-d'oeuvre, par exemple, s'il y a une aide
formulée, qu'elle soit universelle et générale dans
l'ensemble des industries. À ce moment-là, cette aide, du
côté américain, sera bien reçue, comparativement
à une situation où elle serait exclusive à une industrie
particulière qui voudrait s'établir avec difficulté dans
un secteur et qui, elle, recevrait une subvention très lucrative. Cela
pourrait lui causer des problèmes lorsqu'elle va commencer à
fabriquer ses produits et pourrait causer d'autres problèmes à
ses concurrents canadiens.
M. Thibault: Je voudrais ajouter quelque chose à cette
question, parce que c'est un élément très impartant. Je
crois que vous, comme législateurs, ici, à Québec autant
que dans les autres provinces et au gouvernement fédéral, vous
devez saisir ce que veut le
secteur manufacturier.
Comme le disaient mes confrères, ce n'est pas tellement une
question de programmes, de subventions. Il y a peut-être des
éléments, surtout dans le recyclage, par exemple, où on
doit faire un travail d'équipe, mais il y a des éléments
clés qui affectent beaucoup la compétitivité du secteur
manufacturier. Je pense, par exemple, au programme qu'on a maintenant au Canada
pour déréglementer le domaine des transports. Si on veut
être concurrentiels au plan nord-américain, il faut absolument se
doter d'un environnement, d'un règlement sur la transport qui va nous
permettre de transporter nos produits de façon très
concurrentielle. Maintenant, la loi fédérale est en place. Il y a
une certaine urgence, au plan provincial, à implanter la
législation complémentaire, surtout dans le domaine du camionnage
et, ici, au Québec, je sais qu'on traîne la patte un peu à
ce sujet. Je vous demanderais d'accélérer le pas. Cela nous
aiderait beaucoup comme manufacturiers à concurrencer les
Américains.
Il y a évidemment la question des barrières
interprovincialeso Dans certains domaines, comme vous le savez, certaines
industries ont des problèmes majeurs pour faire face à la
concurrence nord-américaine à cause des lois et des
règlements qui les embarrent dans chacune de leur province et ne leur
permettent pas d'être concurrentielles. Il y a beaucoup d'autres
industries où le même problème n'est peut-être pas
aussi visible, mais c'est à nous, je crois, comme Canadiens, à
nous situer pour être capables de faire concurrence et de prendre
avantage de l'accès au marché pour lequel nous travaillons si
fort.
Je mentionnerais une autre politique globale. M. Sarrazin a
mentionné l'aspect fiscal. Comme vous le savez, nous sommes en pleine
réforme fiscale, au moins du point de vue fédéral. Il y a
certains éléments clés là-dedans auxquels je vous
demanderais de porter attention, parce qu'on est en train, au
fédéral, de diluer les déductions disponibles en termes
d'investissements, on est en train de diluer les encouragements à la
recherche et au développement. D'autre part, on a un délai encore
très substantiel, dans l'implantation d'une nouvelle forme de taxe
à la consommation pour remplacer la taxe fédérale sur les
produits manufacturés et, encore ià, c'est un
élément qui aiderait beaucoup à la réforme de tout
ce système et qui aiderait le secteur manufacturier à être
concurrentiel, parce que, dans le moment, les importations sont
avantagées et cela augmente nos coûts de fabrication.
Alors, il y a certains éléments globaux de politique
économique qui sont très importants pour aider le secteur
manufacturier à être concurrentiel. Je vous demanderais
d'élargir, si vous le voulez, votre discussion; non seulement de vous
pencher sur les aspects du libre-échange comme tel, comme
événement, mais de bien comprendre toutes les implications que
cela aura dans les politiques gouvernementales qui doivent être
évaluées dans cette nouvelle optique.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Johnson (Vaudreuil-Souianges): M. le Président, une
petite courte»
Le Président (M. Charbonneau): Une petite vite.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Une petite vite. Pour ce qui
est de la question, il n'y a pas de problème, mais pour ce qui est de la
réponse...
Le Président (M. Charbonneau): On verra.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): ...on laisse cela à nos
témoins. Non, vous, cela ne vous dérange pas, c'est sur notre
enveloppe de temps.
M. Parent (Bertrand): Contrairement à hier.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci. Assez brièvement,
à l'égard de l'accès au marché public, vous
souhaitez que vos membres et firmes canadiennes aient accès à des
contrats gouvernementaux américains. Il est évident que dans le
libre-échange, on doit offrir le même genre de concessions, si
vous voulez. Est-ce que vous pourriez compléter à ce que vous
nous avez indiqué tout à l'heure quant au seuil qu'il serait
réaliste de considérer en deçà duquel la
règle d'ouverture totale ne s'appliquerait pas, simplement à
titre de protection minimale maintenue de certaines commandes gouvernementales
qui pourraient être dirigées de façon
privilégiée vers des firmes canadiennes et par les
Américains, évidemment, chez eux? Je ne pense pas qu'on puisse
dire, et personne ne le dit, que cela devrait être ouvert. On cherche
probablement un seuil quelque part ou des exclusions de certains secteurs.
Est-ce que vous avez des commentaires là-dessus?
M. Thibault: Le concept du seuil est assez bien établi au
GATT. Comme vous le savez, dans la dernière négociation, c'est
l'approche qu'on a suivie et qui semble être relativement acceptable par
tout le monde. Je crois que quelque chose peut être fait en ce sens. Cela
permet une certaine flexibilité au plan local qui semble être
acceptable pour tout le monde, mais je crois que ce
n'est pas la question fondamentale- La question fondamentale, c'est:
Est-ce qu'on y a accès, est-ce qu'on peut soumissionner même?
C'est surtout cela, la question. C'est l'attitude et la réglementation
qui permettraient aux Canadiens d'aller chercher des contrats aux
États-Unis. Évidemment, il faudrait accepter l'inverse, bien
sûr, mais les occasions sur le marché américain sont
absolument énormes; je crois qu'on parle d'un chiffre de 500 000 000 000
$ ou 700 000 000 000 $. Si on peut en obtenir 1 % ou 2 %, ce sont des chiffres
d'affaires énormes pour le secteur manufacturier canadien. C'est surtout
une question d'accès. Je vous dirai que, dans ce contexte, le
problème qu'on a maintenant au Canada, c'est que, souvent, on n'a pas
accès d'une province à l'autre* Oans nos divisions de l'Ouest, un
comité a été formé tout récemment pour faire
valoir dans les provinces voisines, aux premiers ministres, qu'il y avait
certaines difficultés en Alberta et en Saskatchewan, par exemple,
à cause de la baisse des prix du pétrole. Pour essayer de
survivre, il n'était même pas permis d'aller soumissionner au
Manitoba ou en Colombie britannique. Ils disaient: Comment voulez-vous qu'on
survive et qu'on fasse face aux Américains ou à qui que ce soit
si vous ne nous permettez même pas de nous rentabiliser au sein de notre
propre pays? Alors, nous-mêmes, on a du travail à faire dans le
domaine.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci. Avec la permission de M. le
ministre, moi aussi, deux ou trois petites vîtes... À la suite de
la question que vous posait le ministre, M. Lavigne, de même que MM.
Sarrazin et Thibault, lorsqu'il vous demandait si, dans le cadre du
libre-échange, vous auriez besoin d'aide gouvernementale, de subventions
ou de quoi que ce soit, si j'ai bien compris votre réponse, M. Lavigne a
dit non, essentiellement. Son avis a été entériné
autant par M. Sarrazin que par M. Thibault. Moi, j'aimerais faire une mise au
point, parce que ce n'est pas la première fois que j'entends cela, et
particulièrement depuis un an. Est-ce que quelqu'un peut me dire
rapidement, en une minute ou deux, ce que vous entendez par une subvention? Je
n'ai pas l'impression qu'on parle de la même chose. Une subvention, pour
moi - si vous êtes d'accord avec cela, vous me le direz et, si vous ne
l'êtes pas, vous me le direz aussi - c'est une aide, un appui
gouvernemental quelconque. Une subvention n'égale pas
nécessairement une formule particulière, mais c'est une aide.
Lorsqu'on aide une entreprise en recherche et développement, on va lui
apporter, à mon avis, une subvention. Peut-être que la forme de
subvention d'il y a cinq ans, dix ans a évolué et changé.
Peut-être qu'on a dépassé le stade, aujourd'hui, de dire:
Quand vous achetez une bâtisse ou une "machine", on va vous donner 10 %,
12 %, 15 % de subvention gratuite pour vous aider. Je suis d'accord quant
à la forme. Mais une subvention, une aide gouvernementale, une
intervention gouvernementale, il faut s'entendre sur les termes parce que c'est
important. On a eu le même dilemme hier avec le Conseil du patronat.
Ghislain Dufour dit carrément: On ne veut plus de subventions, on ne
veut plus d'aide, on ne veut plus d'intervention du gouvernement, mais,
attention! pour l'exportation, on aimerait continuer à être
appuyés. Le ministre du Commerce extérieur est là. En
recherche et développement, on aimerait être appuyés et
c'est important. Là-dessus, par exemple, on veut avoir des
subventions.
Écoutez, je voudrais seulement qu'on s'entende sur le langage.
Quand Mme Fecteau déclare dans la revue PME de ce mois-ci, et je pense
qu'elle sait de quoi elle parle: De plus, l'AMC demande la mise sur pied de
programmes d'assistance aux entreprises et aux travailleurs pour faciliter les
ajustements, recyclages, l'établissement des nouvelles règles
d'origine, etc.; dans mon langage, ce que vous demandez, effectivement, c'est
un apport, un appui qui n'est pas négatif, mais qui est un appui de la
part du gouvernement parce que je ne crois pas que l'entreprise pourra
elle-même se débrouiller seule. Peut-être la grande, la
moyenne, moins et la petite, sûrement pas. Vous représentez tous
ces stades.
Je pense qu'il est important qu'on s'entende sur le langage. On ne peut
pas dire: On ne veut pas d'aide gouvernementale, on ne veut pas d'intervention
du gouvernement et on va s'arranger seuls parce que, maintenant, c'est la
nouvelle façon de faire, et, de l'autre côté, dire: Oui, on
va avoir besoin d'appui en recherche et développement, oui, on va avoir
besoin d'un peu d'appui pour exporter. Quand il y a eu abolition de
règles du GATT dans le secteur du meuble, dans le secteur de la
chaussure, et vous le savez, qu'est-ce qui a permis à des entreprises,
à des secteurs particuliers de survivre? Et, s'il y a un organisme qui
représente bien le monde patronal, qui représente bien les chefs
d'entreprises, c'est bien le vôtre, sur le plan sectoriel, au
Québec, au Canada. Il y a des entreprises qui ont applaudi des
programmes, dans le passé, pour avoir des mesures de transition et faire
face aux nouvelles règles du jeu, je pense que cela a été
drôlement apprécié. Je ne dis pas qu'il faudrait que cela
soit du même ordre, mais je dis qu'il va falloir de l'intervention.
L'intervention aussi, et je termine là-dessus, à mon point de
vue, va dans le sens de ce que disait M. Thibault ou
l'un d'entre vous tantôt... Non, je pense que c'est M. Sarrazin
qui a dit cela. Cela va prendre des politiques quant à la main-d'oeuvre,
des politiques plus générales. Une politique ne doit pas
être nécessairement spécifique quant à la
main-d'oeuvre, au recyclage, à la formation de la main-d'oeuvre. Je
pense qu'on devrait avoir une politique globale au Québec. On n'en a
pas. j'aimerais que vous puissiez me clarifier cela. Même si je sortais
d'ici avec simplement un éclaircissement là-dessus, je pense
qu'on aurait fait avancer le débat en ce qui me concerne.
M. Sarrazin: En ce qui concerne tes subventions, dans leur forme
pure et simple elles traduisent un privilège que quelqu'un
reçoit. Si tout le monde reçoit le même privilège,
est-ce qu'on peut appeler cela une subvention? Je ne le croirais pas. Si une
personne en particulier, qui est concurrente d'autres personnes, reçoit
une subvention alors que les autres ne la reçoivent pas, eh bien, il
faut qu'il y ait une raison. Si la raison est qu'il y a, dans ce cas, un risque
accru que les autres n'ont pas et que c'est pour couvrir ce risque afin de
faciliter un démarrage particulier, il y a une justification. Il est
difficile d'expliquer quelque chose comme cela sans avoir un exemple
précis, chose à laquelle je ne voudrais certainement pas me
risquer.
Il demeure tout de même un fait, que le facteur risque existe, et,
s'il y a subvention pour pallier ce facteur de risque, est-ce qu'on peut penser
qu'avec le temps ce risque va se dissiper parce qu'avec la subvention, cette
industrie aura pu démarrer et, après, voguer de ses propres
forces? C'est la grosse question. Si on subventionne une chose pour la
démarrer et que, par la suite, elle a des problèmes pendant
plusieurs années, eh bien, on peut se poser des questions sur les
subventions. Le domaine du sciage a été assujetti à des
choses comme celles-là, de même que celui des pâtes et
papiers. (11 h 45)
Ce qu'on prône présentement, c'est d'arrêter
d'être discriminatoire dans les aides qui sont fournies et de
considérer des palliatifs universels du côté des taxes, des
aides indirectes, entre guillemets, comme je les appelle, et qui seraient
celles, par exemple, de la main-d'oeuvre et les aides reliées à
la recherche pour développer des produits qui deviendront plus
concurrentiels.
Si on attire ces commentaires sur le libre-échange, eh bien, il
va y avoir des domaines où déjà on sera prêts
à procéder au libre-échange, alors que dans d'autres
domaines on ne le sera pas. Mais est-ce qu'on doit attendre que tout le monde
soit prêt pour commencer ou si l'on doit regarder s'il y en a assez qui
sont prêts pour que cela vaille ia peine? Une chose est certaine, comme
M. Thibault le mentionnait, il y a beaucoup d'investissements qui peuvent
être faits au Canada par nos propres banquiers, avec notre propre
rentabilité - on a prouvé qu'on était capable de faire
quelque chose de façon adéquate - et avec la main-d'oeuvre qu'on
a. Dans ce contexte, on peut devenir concurrentiels avec les États-Unis,
mais il est clair que, surtout dans la province de Québec, nous sommes
des exportateurs. Nous ne consommons pas tous les biens que nous produisons.
Faisant face à une population comme celle des États-Unis, il faut
qu'on soit capable d'attirer vers elle ce qu'on produit en surplus.
Maintenant, si les fabricants des États-Unis s'aperçoivent
qu'on est compétitifs avec de l'aide gouvernementale précise,
attachée à une compagnie particulière - si on veut le
mentionner aussi précisément que cela - ils vont mai comprendre
comment on peut accepter que ces produits soient vendus avec des
échanges de monnaie - ce qui, aujourd'hui, cause beaucoup plus de
problèmes que le libre-échange - qui nous sont favorables
présentement dans le secteur manufacturier. Lorsqu'ils s'en vont aux
États-Unis, ils vont dire: On va établir un blocus, c'est du
dumping ou c'est quelque chose d'autre. Si on achète quelque chose de
l'extérieur, qu'on le transforme un peu au Canada et qu'on l'envoie aux
États-Unis grâce à ces ouvertures tarifaires, ils vont
dire: Attention!, M. Iaccoca, qui est venu ici, au Château Frontenac lors
de sa dernière visite, ne s'est pas gêné pour nous dire:
Attention, les gars, les Japonais entrent par le Canada pour
pénétrer aux États-Unis. Donc, il faut faire attention
à ces choses et je pense qu'il faut bien s'étoffer.
Mais, pour ce qui est de votre question reliée aux subventions,
si elles sont discriminatoires, je prétends qu'elles sont nuisibles. Si
elles sont universelles et bien comprises par les Américains, à
savoir dans quelle situation elles sont versées, je pense qu'on a de
bonnes chances de faire ensemble les deux choses qu'on semble dire ne pas
être équitables, soit celle de donner quelque chose à
quelqu'un pour l'aider, d'une part, et, d'autre part, être capable de
profiter de cela et s'en tirer dans la vente de nos produits aux
États-Unis. Il y a un dilemme là-dessus. Peut-être que
Laurent peut préciser.
M. Thibault: J'ajouterais juste deux points. Je pense qu'il ne
faut pas dire que les secteurs manufacturiers industriels ne veulent pas avoir
affaire avec les gouvernements parce que au départ, c'est un travail
d'équipe. Vous savez, dans une entreprise, on fait un profit et
dès le départ le gouvernement en prend la moitié. Alors,
on est dans l'équipe, qu'on le veuille ou non.
M. Sarrazin a mentionné l'élément risque. C'est un
élément important et je crois que c'est accepté que, dans
certains cas, il y a quelque chose à faire là. Il y a aussi un
élément qu'il ne faut pas perdre de vue. Il ne faut pas
être naïf, il faut égaliser le champ du jeu, si vous voulez.
C'est bien compris aux Etats-Unis, par exemple, qu'on subventionne par les
contrats de production pour la défense l'élément
militaire. Il y a énormément de subventions de recherche et de
développement. Nous, au Canada, on fait quelque chose qui est propre
à notre situation, qui est très bien accepté et
très bien reçu par le monde industriel, et qui est absolument
nécessaire. Alors, la question de . la recherche et du
développement, c'est un jeu que tous les pays jouent. Chaque
gouvernement trouve des instruments pour faire avancer, moderniser sa
structures économique; nous devons en faire autant et il ne faut pas se
gêner.
M. Parent (Bertrand): Je conclus de vos explications que, pour
autant que ce n'est pas discriminatoire, vous êtes favorables. Pour moi,
si la Société de développement industriel du Québec
prête à votre entreprise 1 000 000 $ et veut partager les risques
-pour une raison ou pour une autre, l'entreprise ne peut pas l'obtenir de la
banque - sans intérêt pendant trois ans, ce n'est pas donner de
l'argent comptant, c'est vous donner par la porte arrière 300 000 $ sur
une base de 10 % par année. C'est peut-être différent dans
la formule, mais je pense que c'est une aide gouvernementale
appréciée dans le partage du risque. Le gouvernement, en
recherche et développement, pour aider l'une de vos entreprises, dit:
Pour chaque dollar que tu vas mettre en recherche et développement cette
année, on va mettre une piastre - une piastre, c'est une formule
incitative - pour chaque piastre que vous mettrez, vous en recevrez une. La
piastre que vous recevez, vous ne la mettez pas dans vos poches, elle va payer
la recherche et le développement, mais c'est une aide gouvernementale,
c'est un soutien. Si on s'entend sur cela, moi, j'aurai éclairci un gros
point. Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. le
député de Vanier.
M. Lemieux: J'aimerais vous interroger sur un point bien
particulier de votre mémoire, soit l'établissement d'un
mécanisme de règlement. Lorsque je songe à ce
mécanisme, je pense davantage par comparaison au droit constitutionnel
canadien. Vous n'êtes pas sans savoir que, dans le droit constitutionnel
canadien, ni le pouvoir de dépenser, ni le pouvoir ancillaire ou pouvoir
résiduaire, vous ne trouvez cela écrit à l'article 91 ou
92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, mais que ces pouvoirs
ont été conférés à l'État
fédéral à la suite de décisions de la Cour
suprême. Relativement à l'établissement d'un
mécanisme de règlement, le Conseil du patronat comparaissait
devant nous et il nous disait qu'il s'imaginait mal qu'un accord se
concrétise sans mécanisme de règlement. Il nous disait que
c'était inévitable dans l'application concrète comme telle
de l'accord. M. Parizeau, par contre, croyait très peu à
l'instauration d'un tribunal d'arbitrage avec décisions
exécutoires. Il optait pour une formule de subventions, si je peux
employer l'expression, compensatoires. Par contre, lorsqu'on regarde votre
mémoire, vous parlez de l'établissement d'un mécanisme de
règlement des différends qui fonctionnerait sur la base d'avis et
de consultations.
La première question que je me pose est la suivante: Si ces avis
et ces consultations ne permettent pas d'en arriver à un
règlement, quel type de solution nous proposez-vous? Avez-vous
l'intention de laisser cela à la décision du Congrès? Un
statu quo, actuellement - c'est une sous-question - est-ce acceptable selon
vous? Mme Fecteau ou M. Thibault.
M. Thibault: Il est tout à fait clair que la situation
courante est non seulement inacceptable, mais que cela va "rempirer" avant que
cela ne "renmieute", comme on dit. C'est précisément le coeur de
l'affaire qu'on essaie de régler comme Canadiens. Alors, il y a
différentes méthodes qu'on peut concevoir pour essayer
d'établir un accès prévisible et stable à long
terme au marché américain. De préférence, si les
Américains disaient: Bon, vous, les Canadiens, on vous aime, vous
êtes différents, vous jouez le jeu de façon acceptable et
on va vous exempter de tout cela, ce serait la chose idéale. Il semble
que ce ne soit pas acceptable. Alors, à ce moment, on doit reculer et on
doit essayer de négocier quelque chose qui soit plus acceptable.
Maintenant, il y a toute une gamme de possibilités et c'est
là qu'il faut faire la négociation. Comme l'ont laissé
entendre beaucoup de participants à ce débat, si on pouvait avoir
un mécanisme qui enlève l'élément politique, si
vous voulez, de la décision pour mettre cela aux mains d'un tribunal qui
rendrait un jugement dans lequel tout le monde aurait confiance des deux
côtés, permettant ainsi une évaluation rationnelle et
objective de la situation, ce serait pour nous comme un petit pays faisant face
à un énorme pays qui a évidemment une puissance
économique énorme. Ce serait quand même pas mal comme
solution de rechange. Alors, c'est ce qu'on doit viser, je crois. II va falloir
examiner de très près ce que
l'entente va contenir. La décision, le jugement, je crois,
à savoir si ce mécanisme qui a été mis en place
dans l'entente nous donne suffisamment d'accès, de protection et de
prévisibilité, c'est la question clé à mon avis. Je
ne suis pas en mesure de vous donner les détails sur comment cela va se
dérouler et comment cela va se structurer, mais il est évident
que c'est le jugement clé de l'entente.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand, avez-vous...
M. Parent (Bertrand): Oui, certainement, M. le Président.
M. Thibault, vous avez, dans le travail des dernières années et
particulièrement de la dernière année, fait des
études que vous avez entre les mains dans les différents secteurs
donnés sur tout cet impact du libre-échange. Avez-vous
préparé jusqu'à maintenant ou avez-vous l'intention de
préparer un scénario de recommandations? Si demain matin on vous
demandait quelles sont vos recommandations pour les périodes de
transition selon les secteurs, tenant pour acquis que c'est dans le meuble,
dans les produits électriques ou dans tous les secteurs qui sont sur la
table actuellement, si on avait à faire des recommandations afin que les
périodes de transition... Normalement, l'entente
canado-américaine signée le 4 octobre devrait certainement
comprendre un scénario prévoyant une entente sur les
périodes de transition. Avez-vous, secteur par secteur, des
recommandations précises à faire' concernant ces périodes
de transition qui varieront sûrement, dans certains cas, de 18 mois,
trois ans ou dix ans? Êtes-vous allés jusque-là? Avez-vous
cela entre les mains?
M. Thibault: La réponse est non, essentiellement. Comme
organisme horizontal, global et national, nous n'avons ni les moyens ni les
mécanismes pour examiner la situation en détail dans chaque
secteur. Cependant, il y a des organismes très actifs, l'industrie du
textile, les pâtes et papiers, etc., qui, je crois, seraient en mesure de
vous donner les détails sur la situation. Des propositions très
concrètes ont été faites.
Je crois qu'un élément très encourageant de tout le
processus qu'on a eu jusqu'à maintenant, c'est justement ce processus de
consultation qui a été très bien mené. On n'a
entendu aucune critique du point de vue industriel disant qu'on n'aurait pas eu
accès ou qu'on n'aurait pu faire état de ces inquiétudes.
D'après le dernier briefing que j'ai eu récemment à Ottawa
-au point de vue tarifaire, du moins - il semble qu'il y ait une bonne
possibilité d'avoir une entente où il y aura des décalages
acceptables des deux côtés dans différentes industries. Il
semble que cet aspect des négociations peut être
réglé de façon acceptable pour les deux
côtés.
M. Parent (Bertrand): En tant que chapeau d'organismes, vous avez
des organismes sectoriels qui ont fait ce travail. Pensez-vous qu'il soit
possible d'avoir cela dans... Je fais référence
particulièrement au Soleil du 17 août dernier dans lequel l'AFMQ,
l'Association des fabricants de meubles du Québec, disait d'une part
qu'elle ne s'opposait pas au libre-échange, mais qu'il y avait des
conditions très spécifiques. C'est très clair pour eux
que, dans le cas du meuble, l'élimination des tarifs douaniers doit
s'échelonner sur une période de dix ans, que le gouvernement doit
offrir une aide financière aux fabricants pour les aider à
améliorer leur productivité et que des mesures doivent être
prises, etc. Et, là, on continue. Dans le cas des fabricants de meubles,
déjà, on a assis une position sur dix ans. Il serait
intéressant - et je ne sais pas comment on pourrait procéder -
d'avoir cette étude-là comme outil pour faire avancer cela
quelque peu - parce que cela va prendre cela à un moment donné -
auprès des différents secteurs et davantage auprès de ceux
qui ont fait ce travail. Actuellement, les gens du meuble ont pris position, si
on peut dire; Us ont annoncé leurs couleurs. Et eux, il leur faut un
minimum de dix ans. Je m'inquiète, à savoir si, d'une part, cela
a été fait. Je ne sais pas si c'est à vous qu'il faut
s'adresser, mais peut-être êtes-vous bien placés pour me
donner une réponse - si ce n'est pas aujourd'hui, elle pourra venir par
la suite - de façon que, s'il y a des recommandations, elles soient
acheminées et qu'ils soient sensibilisées, si cela n'a pas
déjà été fait. Mais la seule que j'ai pu voir dans
les secteurs ici au Québec c'est quand on a dit: Nous, ce qu'on veut,
c'est un minimum de dix ans. (12 heures)
M. Thibault: Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de
vous donner les détails de chaque industrie. Par contre, je crois qu'il
serait aussi simple de s'adresser au bureau de M. Reisman et de lui demander
quelles sortes de propositions ont été soumises et
discutées dans les discussions que nous avons eues avec
différentes industries verticales, si l'on peut utiliser le terme.
Il y a certainement des positions très claires dans beaucoup
d'industries, mais je ne peux pas me permettre de parler pour elles. Chaque
industrie doit faire ses propres représentations. Est-ce que vous
vouliez ajouter quelque chose?
M. Lavigne: Je pense que ce qui fait peur dans tout cela, c'est
beaucoup plus que les gens ont l'impression qu'il va y avoir un choc du jour au
lendemain, qu'on va se retrouver dans le libre-échange et que les
entreprises américaines vont être sur notre dos, etc. Je le
vois beaucoup plus comme un processus évolutif. Il y aura certainement,
dans certains secteurs, des comités qui vont regarder ce
problème, vont l'étudier et faire des recommandations
particulières.
Cela veut dire qu'il faut regarder cela dans un esprit de
flexibilité. C'est beaucoup plus le principe du libre-échange qui
est en question ici que le fait d'arriver à des règlements
très précis. Si on réussissait à convaincre
beaucoup d'entreprises, par exemple, des industries qui sont
particulièrement touchées ou des ouvriers, que cela peut se faire
sur un certain temps et qu'il n'y a pas de changements radicaux qui vont se
produire, je pense qu'on va avoir accompli beaucoup. Mais, quand on sait qu'on
n'a pas le choix, qu'il faut aller vers le libre-échange, sinon, comme
on l'expliquait ce matin, il y a 80 % de notre industrie, actuellement, des
expéditions manufacturières ou des exportations qui ne sont pas
touchées par le... Elles sont dans le libre-échange,
réellement. Ce sont ces 80 % qu'il faut protéger, justement, en
allant vers des ententes, parce que à un moment donné, avec
l'attitude protectionniste qu'on a aux États-Unis, ces 80 % risquent
d'être affectés à la baisse et ce sont les Canadiens qui
vont en subir les conséquences néfastes.
M. Thibault: II faudrait aussi - si je pouvais ajouter une autre
pensée - garder la question de la baisse des tarifs en perspective. Ce
n'est pas sorcier, vous savez, pour la plupart des entreprises, si on
échelonne cela à travers une période adéquate de
plusieurs années. Il y a beaucoup d'entreprises qui font face à
des changements de devises, par exemple, qui sont l'équivalent de
changer vos prix de moitié, de 50 %, 60 % ou 70 % en l'espace d'un an ou
deux. Alors, si on parle de changer un tarif de 1 % par année sur dix
ans, ce n'est pas la fin du monde. Ce n'est pas cela qui inquiète les
gens, en général.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre du Commerce
extérieur et du Développement technologique, vous vouliez en
faire une petite vite?
M. MacDonald: Une petite vite, oui, en conclusion. M. le
président et madame, j'ai retrouvé chez M. Lavigne le discours ou
l'esprit que je voulais vous laisser à la fin de votre
témoignage, à savoir cette pondération. En effet, on a
parlé de baguette magique, de cataclysme et de sauver les meubles, etc.;
il y a eu beaucoup de vocabulaire. Mais il ne faut pas partir en peur
vis-à-vis de ce que pourrait être une solution. Tout ne changera
pas du jour au lendemain.
Permettez-moi de faire appel également au fait que j'ai
déjà payé mon "membership'' à votre association il
y a plusieurs années. À ce titre, j'abuserais, en vous faisant la
suggestion suivante: Entre autres rôles, la commission parlementaire,
ici, se veut pédagogique. Elle veut également connaître les
opinions de gens qui n'en avaient pas formulé auparavant. Mais il y a
une chose qui est ressortie et qui est évidente, c'est que le public, en
général, pourrait recevoir beaucoup plus d'information.
S'il y avait une demande que j'aimerais vous formuler, tant sur le pian
canadien et particulièrement sur le plan québécois, c'est:
Que pourriez-vous faire de plus par l'entremise de vos membres pour mieux
informer vos employés qui sont vos associés? Il y aurait beaucoup
de travail à faire dans cela et je vous inviterais à le faire. Je
vous remercie d'avance pour ce que vous pourriez faire dans ce sens-là.
Merci.
M. Thibault: Juste un petit commentaire. Nous sommes très
conscients de ce que vous dites et nous avons déjà, dans nos
publications et nos bulletins d'information à nos membres, depuis un an
et demi ou deux, fait beaucoup de suggestions. Nous avons publié, par
exemple, des lettres que des présidents d'entreprises ont écrit
à leurs membres, à leurs employés pour expliquer leurs
positions. Cela se fait de plus en plus. Justement, hier, j'en lisais un autre,
un magnifique dépliant de IBM à ses 20 000 employés qui
faisait état de la position de l'entreprise envers le
libre-échange clairement et nettement. Alors, voilà
peut-être une vingtaine de milliers de Canadiens qui sont mieux
informés. II s'en fait encore pas mal. Ce n'est pas visible, mais, dans
nos entreprises, on en parle beaucoup.
Le Président (M. Charbonneau): Je sais que le
député de Bertrand m'en a également demandé une
petite vite. M. le député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Je tiens tout simplement à vous
remercier. Les échanges qu'on a eus ce matin, je les ai sentis
très fructueux et très sincères et je vous remercie pour
toute cette franchise.
Le Président (M. Charbonneau): Au nom des autres membres
de la commission qui ne vous ont pas remerciés - ils voudraient bien le
faire, mais ils ne le peuvent pas parce que le temps est limité - je
vous remercie également d'avoir bien voulu participer à cette
consultation générale. Dans votre cas comme dans d'autres, il ne
me reste qu'à vous dire à la prochaine, car je suis convaincu
qu'à un autre moment, sur un autre sujet, vous reviendrez devant la
commission de l'économie et du travail.
Merci et bon retour.
J'invite immédiatement les représentants de l'Association
des éditeurs canadiens et de la Société des
éditeurs de manuels scolaires du Québec à prendre place
à la table.
Mesdames et monsieur, bienvenue à la commission de
l'économie et du travail* Je vous indique immédiatement les
règles du jeu. Vous avez au maximum une vingtaine de minutes pour
présenter votre point de vue. Le temps qui reste, c'est-à-dire le
reste de. l'heure, sera réservé aux membres de la commission pour
un échange avec vous sur les points de vue que vous aurez
présentés.
Je demanderais è la présidente de l'organisme, Mme Levert,
de présenter les personnes qui l'accompagnent et d'aborder
immédiatement, par la suite, son exposé.
Association des éditeurs canadiens
et Société des éditeurs
de
manuels scolaires du Québec
Mme Levert (Carole): Merci, M. le Président. Je suis
aujourd'hui ici avec mes collègues, M. Hervé Foulon,
président de la Société des éditeurs de manuels
scolaires du Québec, et la directrice générale de
l'Association des éditeurs canadiens, Mme Johanne Guay-Simard.
Nous sommes reconnaissants aux membres de cette commission parlementaire
de nous accueillir ici aujourd'hui et nous apprécions vraiment cette
occasion que nous avons d'échanger avec vous sur un sujet qui nous
tient, évidemment, beaucoup à coeur. Nous savons que la position
de nos dirigeants gouvernementaux est de ne pas négocier la culture dans
le cadre du libre-échange, sans compter la reconnaissance qui nous a
été donnée, par le biais de l'accord du lac Meech, en
parlant de société distincte. Nous savons aussi que les
déclarations, entre autres, de notre vice-première ministre et
ministre des Affaires culturelles, Mme Lise Bacon, et celles aussi du ministre
québécois des Communications, M. Richard French, ont
été claires à cet effet.
Si nous sommes ici aujourd'hui, c'est en quelque sorte pour
étayer les raisons qui ont fait que, jusqu'à maintenant, nous, de
l'industrie de l'édition du livre au Québec, avons appuyé
les mesures protectionnistes à l'égard de l'industrie culturelle
dans le cadre du libre-échange.
Quelles sont ces raisons qui font que nous appuyons cette position?
Pourquoi naît l'inquiétude dans notre milieu lorsque l'on parle de
libre-échange? Nous avons cru que, pour bien comprendre, le mieux
était encore de voir quel était notre contexte de vie, dans quel
contexte vivait l'industrie du livre québécois.
Tout d'abord, nous soulignons que l'industrie québécoise
de l'édition telle que nous la connaissons aujourd'hui est jeune. On se
souviendra que c'est principalement au cours des années soixante et
soixante-dix que se multiplièrent les maisons d'édition
québécoises, tant les maisons spécialisées que les
maisons produisant des ouvrages d'intérêt grand public. Ce
mouvement a permis è de nombreux créateurs d'accéder
à leur public en même temps que se professionnalisaient les
premières générations d'éditeurs soucieux
d'augmenter leur part du marché.
Comment pouvons-nous et comment avons-nous pu augmenter notre part du
marché? En diversifiant les produits, bien sûr, en occupant tous
les créneaux commerciaux et surtout en tirant un meilleur parti des
infrastructures de l'industrie de l'édition sans laquelle
l'édition seule n'est rien.
C'est ainsi qu'au cours des années soixante-dix et quatre-vingt
s'est amorcé ce que l'on a déjà appelé une
"bataille", même si je mets le mot entre guillemets, sur l'appropriation
et la consolidation des réseaux de distribution du livre qui
jusque-là majoritairement étaient à
propriété française. Même si la situation est
aujourd'hui encore loin d'être idéale, le rachat d'importantes
agences de distribution étrangères et la croissance d'agences
nationales ont néanmoins profondément modifié le portrait
du marché du livre québécois.
Les mesures gouvernementales provinciales, que ce soit par le biais de
la loi 51, par les programmes de subvention à l'édition, par les
mesures d'approbation aussi du ministère de l'Éducation à
l'égard des ouvrages scolaires, ont joué un rôle important,
voire déterminant pour l'épanouissement de notre industrie du
livre.
Cela dit, nous sommes encore une industrie précaire;
précaire parce que jeune et, conséquemment, en situation de
non-contrôle par rapport à l'ensemble de son infrastructure;
précaire par manque de capital, phénomène
extrêmement difficile à contourner étant donné la
taille du marché et les économies d'échelle impossibles
à réaliser dans un tel contexte.
Les éditeurs québécois, compte tenu de la taille de
leur marché, font preuve d'un dynamisme remarquable. Toutefois,
malgré le très grand nombre d'ouvrages qu'ils publient, les
ouvrages importés représentent encore 67 % du marché
canadien des livres en français. La production des éditeurs
québécois, avec celle des éditeurs de langue
française ailleurs au Canada, n'occupe donc que 33 % du marché
national. Cependant, il est reconnu que ce sont les éditeurs nationaux
qui publient en plus grand nombre les auteurs nationaux. Cela est vrai pour les
auteurs québécois - très peu d'entre eux, en fait, sont
publiés par des éditeurs étrangers et, lorsque c'est le
cas, c'est souvent la vente de leur ouvrage au Québec qui
rentabilise l'investissement de l'éditeur étranger - comme
cela est vrai aussi pour les auteurs canadiens de langue anglaise. "85 % de
tous les titres d'auteurs canadiens sont publiés par des entreprises
appartenant à des Canadiens."
Or, l'activité de l'éditeur a besoin du dynamisme de
plusieurs intervenants, lesquels constituent, justement, l'infrastructure de
l'industrie à laquelle je faisais allusion tout à l'heure. Il
s'agit, bien sûr, des distributeurs, des libraires et aussi des
médias écrits et électroniques qui, par leur rayonnement,
atteignent le public.
Qu'en est-il de notre structure de commercialisation? Si l'on regarde du
côté des réseaux de distribution traditionnels qui sont des
agences intermédiaires entre l'éditeur et les libraires, comme
nous l'avons rappelé dans notre mémoire, pendant longtemps le
produit français a bénéficié de la mainmise des
grands groupes d'édition française sur les circuits de
distribution au Québec. Cela a constitué une véritable
barrière pour les producteurs nationaux oeuvrant dans le domaine de la
littérature générale en langue française, par
exemple. Ils n'avaient, la plupart du temps, pas d'autres recours que
d'être distribués par leurs concurrents français. (12 h
15)
En dépit du rachat des principales maisons de distribution
françaises au Québec par des capitaux nationaux, le produit
français occupe encore aujourd'hui une place très importante sur
le marché. L'antériorité des structures de
commercialisation des éditeurs français au Québec et
l'existence, encore aujourd'hui, de grandes unités de distribution
à capitaux français et, plus globalement, le poids de
l'édition française en regard de la production
québécoise favorisent encore maintenant, dans beaucoup de
secteurs, les ouvrages d'origine française. Le rachat d'agences de
distribution, la création d'agences québécoises de
distribution, tout en marquant un pas important vers l'occupation réelle
de notre marché, demeurent une démarche à poursuivre.
Au second niveau de la structure de commercialisation se retrouvent les
libraires et le réseau des petits postes de vente. Le nombre de
librairies varie entre 300 et 350. Il y a les librairies à succursales
multiples, les chaînes, qui sont au nombre de 5 regroupant environ 50
librairies. Les succès enregistrés par ces chaînes de
librairies reposent sur des techniques de mise en marché dynamiques. En
matière d'achat, on remarquera que les chaînes Coles et Smith se
vouent principalement aux livres de langue anglaise et
bénéficient donc d'économies d'échelle. La
chaîne Flammarion-Scorpion, propriété de la maison
française Flammarion, accorde une grande importance aux ouvrages
à vente rapide et c'est normal puisqu'elle emprunte aux grands de la
vente au détail les techniques de rentabilisation de l'espace. À
leur suite viennent deux plus jeunes chaînes, Demarc et
Action-Garneau.
Dans ce secteur, comme dans celui de la distribution, le
phénomène de la concentration modifie les règles du jeu.
Ainsi, le nombre des chaînes de librairies est-il passé de sept,
en 1983, à cinq, en 1986. De plus, pour tenir compte de leurs frais
d'exploitation, ces chaînes ont tendance à promouvoir les ouvrages
de vente rapide, délaissant, faute d'espace, les ouvrages dits de fond.
Cette situation ne peut pas favoriser l'épanouissement des
éditeurs québécois, la durée de vie des ouvrages
étant réduite au maximum, rendant fort difficile
l'établissement d'un fonds d'édition, lequel, bien sûr, est
nécessaire à la rentabilisation des investissements et oblige les
éditeurs à augmenter le nombre des nouveautés, lesquelles
nécessitent des investissements constamment renouvelés.
Existe également le réseau des postes de vente autres que
les librairies pharmacies, tabagies, dépanneurs et grandes surfaces -
qui compte entre 2000 et 6000 unités. Dans ce réseau, il va sans
dire que les produits favorisés sont les produits à grande vente:
en premier lieu, les ouvrages en format de poche d'origine
étrangère, les collections à grande diffusion, les grands
best-sellers étrangers, donc, des ouvrages grand public, français
ou américains, objets, entre autres, de productions
cinématographiques ou télévisuelles qui leur donnent une
visibilité très importante et, en second lieu, les ouvrages
pratiques. Ce réseau, qui est essentiel à la couverture
entière du marché, aussi bien en milieu urbain que dans les
régions éloignées des grands centres, est toutefois
coûteux à exploiter et, pour plusieurs éditeurs, il est
partiellement exploité.
Il faut ajouter à ces points de vente qui reçoivent
annuellement 10 000 nouveautés françaises en excluant les
rééditions qui sont au nombre de 14 000; les soldeurs, le
Québec, à lui seul, comptant dix entreprises commercialisant ce
"produit" comprenant des soldes d'éditeurs québécois, bien
sûr, mais en grande partie des soldes d'éditeurs français
souvent achetés directement du producteur original, ce qui occasionne,
dans certains cas, des concurrences surprenantes, un livre
coédité au Québec trouvant son pareil à prix de
solde sur le même marché.
La force de l'édition étrangère se manifeste aussi
au niveau d'un autre mode de distribution: la vente par correspondance,
incarnée ici par les clubs de livres. Presque tous les clubs de livres
au Québec, sinon la quasi-totalité, sont propriété
étrangère. Outre le fait que les retombées et les profits
de
l'exploitation de ce lucratif marché échappent aux
Québécois, les maisons d'édition québécoise
ne tirent, à proprement parler, presque aucun profit de l'existence de
ces clubs.
Bien peu de titre nationaux retiennent l'attention des clubs de livres,
qui exploitent principalement le marché avec des ouvrages publiés
majoritairement par des maisons d'édition étrangères. Pour
s'en convaincre, il suffit d'étudier les catalogues des clubs de livres.
Par exemple, le contenu québécois de Québec-Loisirs, qui
est le plus important club de Uvres de langue française sur notre
territoire, varie entre 8 % et 10 %, ce qui ne correspond guère aux
performances réelles du livre national de langue française, qui
représente, quand même, 33 % du marché. Comment expliquer
ce phénomène? Un club tel que Québec-Loisirs,
lui-même filiale à 100 % de France-Loisirs, dont la
société allemande Bertelsmann détient plus de 50 % du
capital, bénéficie, bien sûr, d'économies
d'échelle sur d'autres marchés plus vastes.
Le livre étranger, produit simultanément pour la maison
mère et sa filiale, atteint un tirage très élevé
qui lui permet d'étaler les frais fixes et, de ce fait, de
réduire le coût moyen de chaque ouvrage produit, la plus
importante économie étant, sans contredit, celle reliée
à l'impression. Cela permet d'offrir les ouvrages avec une
réduction de 30 % aux consommateurs, ce qui est en soi
appréciable, sauf dans le cas où, par absence de
réglementation en ce domaine, le livre sujet à un escompte
à l'intérieur du club se trouve en même temps mis en vente
au prix normal dans les librairies du Québec.
Cet exemple, tout comme ceux reliés aux autres secteurs de
commercialisation que nous avons évoqués, témoigne de la
difficulté de notre industrie de l'édition à contrecarrer
les offensives de l'industrie étrangère, plus forte et plus
puissante. Ces scénarios vécus avec des partenaires
français ne peuvent-ils pas se reproduire avec les partenaires
américains du libre-échange?
Le Québec a une longue expérience de l'envahissement de
son marché par l'édition étrangère. La concurrence
de l'édition française a été et demeure un souci
constant. La volonté d'occuper notre marché a poussé les
éditeurs québécois à faire preuve
d'ingéniosité. Face à notre faible taux d'exportation, les
éditeurs québécois ont amorcé la pratique de la
coédition et de la coproduction. Ces solutions permettent un faible
rééquilibrage des forces. Mais il reste encore vrai, aujourd'hui,
qu'il nous est plus facile à nous d'acheter que de vendre.
Notre expérience avec le Canada anglais est similaire. Pour
l'ensemble de nos produits, peu de nos titres sont exploités en langue
anglaise au Canada. La raison: le marché est déjà
autosuffisant et, de plus, les ouvrages américains occupent
déjà tous les créneaux. Pourquoi alors exporter des
auteurs et supporter des frais de traduction? Cette réalité
serait-elle si différente à l'intérieur d'un accord de
libre-échange?
Dans un tel contexte, comment peut-on envisager positivement de se
lancer à l'assaut du marché américain de masse alors qu'au
départ notre industrie est sous-capitalisée?
Quels sont nos rapports à ce jour avec les éditeurs
américains? Ces rapports s'effectuent, dans la plupart des cas, par le
biais d'intermédiaires localisés en France. En effet, l'achat de
droits de langue française d'ouvrages américains, ouvrages
populaires auprès de notre public, se déroule en France, le
marché français étant mathématiquement plus
important que le nôtre, sans compter que les possibilités
d'exploitation du produit en France en de multiples secteurs sont beaucoup plus
grandes que chez nous. L'achat de droits en langue française de
best-sellers américains requiert des investissements importants pour ce
qui est des à-valoir à verser. Pour rentabiliser de tels
investissements, il faut compter sur l'exploitation des droits
dérivés de l'ouvrage; vente de droits en livre de poche, en club
de livres, quand ce n'est pas la vente de droits d'adaptation
cinématographique. Pour de grands groupes d'édition, les revenus
obtenus par le biais de la vente des droits dérivés
s'avèrent parfois beaucoup plus importants que ceux engendrés par
la vente d'exemplaires mis en marché. Et voilà qu'on se retrouve
confronté à l'effet en chaîne provoqué par la
faiblesse de l'ensemble de notre industrie culturelle.
Nous vivons au coeur d'une industrie culturelle vacillante. La
sous-exploitation des droits dérivés des ouvrages
québécois s'explique par le peu de débouchés qui
s'offrent à nous. Le club de livres étrangers prendra peu de
titres nationaux à son catalogue et, quand il le fera, le revenu sera,
somme toute, modeste, le pourcentage de droits versés étant
modeste, lui aussi, à être repartagé entre l'auteur et
l'éditeur. Il existe bien des collections de poche au Québec,
mais, le tirage de ces livres étant peu élevé,
l'économie d'échelle ne peut pas être
réalisée et la marge bénéficiaire sera, en
règle générale, très faible. Bien qu'elle permette
une vie plus longue aux livres ainsi mis en marché, la solution "poche"
telle que nous la vivons ici ne peut être considérée comme
des plus rentables.
Vendre des droits de cinéma ou de télévision? C'est
possible même si c'est peu souvent probable. Mais quand c'est possible,
de récents exemples nous ont démontré à quel point
de telles opérations étaient rentables compte tenu des
retombées auprès du public lecteur. Malheureusement, de telles
productions sont peu nombreuses et nous ne pouvons compter sur une
infrastructure
mature. Cette sous-exploitation des droits dérivés
constitue donc un manque à gagner important pour tous les partenaires de
l'industrie du livre.
Les avantages d'un éventuel libre-échange, quels
seraient-ils? Nous permettre d'augmenter nos tirages et d'élargir notre
rayonnement en nous ouvrant à un nouveau marché et, par
là, avoir accès, nous aussi, à des économies
d'échelle et à l'épanouissement de notre industrie? Pour
les éditeurs québécois de langue française, il faut
avouer que, de prime abord, la marge de manoeuvre semble réduite.
Pour tirer parti du contexte du libre-échange, continuerons-nous
à publier en français et cela prioritairement?
Quelles seraient les avenues des producteurs de langue française
aux États-Unis? Répondre à la demande américaine
d'ouvrages en langue française?
Sans doute une telle demande existe-t-elle, notamment dans le secteur
scolaire, bien que l'on constate actuellement une baisse du marché
français aux États-Unis, notamment dans le marché du livre
français de langue seconde, au profit, entre autres, de celui de
l'espagnol, sans compter que, traditionnellement, en ce domaine, les
Américains se réfèrent plus souvent aux normes et sources
de France qu'à celles du Québec. Mais dans le cas où une
telle demande existerait, nos éditeurs de livres scolaires auront-ils le
capital nécessaire à investir pour attaquer ce marché et
pour répondre, par exemple, aux normes de fabrication et d'approbation
en vigueur aux États-Unis et différentes selon les États?
Dans certains États même, on exige, avant l'approbation de
l'ouvrage, une garantie de tirage minimum. Pour notre industrie scolaire, ce
type d'entreprise s'avérerait impossible.
À l'inverse, les éditeurs scolaires américains qui
auraient accès à notre marché pourraient très
facilement adapter leurs livres à nos besoins, tout en
bénéficiant du fruit des investissements antérieurs sur
leurs marchés locaux et fournir ainsi une part importante des manuels
scolaires au Québec. Tous les efforts déployés depuis
maintenant plusieurs années pour appuyer l'édition scolaire
québécoise et faire en sorte que les étudiants
québécois aient à leur portée des ouvrages
correspondant à leur contexte de vie seraient anéantis si, dans
le cadre du libre-échange, l'on modifiait les règles du jeu qui
prévalent actuellement. Et cela sans même parler des ouvrages
d'études du niveau supérieur, lorsque l'on sait que,
déjà, un grand nombre d'entre eux sont, justement, disponibles en
américain à un coût bien inférieur à celui de
leur traduction française, quand celle-ci, bien sûr, existe.
Si l'on considère les éditeurs de manuels scolaires
membres de la SEMSQ, ils totalisent, à eux seuls, un chiffre d'affaires
de plus de 40 000 000 $. C'est dire l'importance de ce secteur de notre
industrie. Les ouvrages des éditeurs scolaires québécois
occupent entre 70 % et 80 % du marché. Cette situation est meilleure
certes que celle qui prévaut ailleurs au Canada. Le ministère des
Communications du Canada constatait, en effet, en avril 1987, "que les filiales
d'entreprises étrangères réalisent 67 % des ventes de
manuels scolaires du Canada." Toutefois, il appert que, sans l'appui du
gouvernement provincial et sans des mesures protectionnistes pertinentes, notre
position s'affaiblirait.
Le Président (M. Charbonneau): Mme
Levert, est-ce que vous entendez lire l'ensemble de votre
mémoire? Je me rends compte qu'il vous en reste encore au moins le tiers
et que vous avez déjà à peu près
écoulé les vingt minutes qui vous étaient
allouées.
Mme Levert: C'est cela.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, de deux choses
l'une: il y aura moins de temps pour les échanges au vous
procédez à un résumé, une synthèse de ce qui
vous reste pour qu'on puisse engager tout de suite la discussion.
Mme Levert: D'accord. Je pense que je vais résumer la
conclusion, sachant que, d'autre part, vous avez pu recevoir le mémoire
avant, et on pourra aller aux questions.
En d'autres termes, je dirais qu'on a mesuré davantage les
risques que les promesses et que, globalement, n'étant pas en
contrôle de notre marché, ayant déjà à lutter
contre une première présence étrangère qui est
celle de la France si, en même temps, nous avions, dans notre situation
à nous protéger contre la France et courir pour nous
protéger contre l'offensive américaine, il nous semble que nous
n'y réussirons pas. À partir de là, nous croyons donc que
le terrain ne serait pas favorable au libre-échange dans ce domaine chez
nous. Je crois que cela résume l'esprit du texte.
Le Président (M. Charbonneau): Je vous remercie de cette
présentation. Je vais immédiatement céder la parole
à la vice-première ministre et ministre des Affaires
culturelles.
Mme Bacon: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier
l'Association des éditeurs canadiens et la Société des
éditeurs de manuels scolaires pour l'excellent mémoire qu'elles
nous ont présenté. (12 h 30)
On sent que l'expérience de la longue
lutte que vous avez déjà menée contre la
concurrence, d'abord, de l'industrie française vous amène
à être assez craintifs par rapport à ce dossier du
libre-échange et à la possibilité d'entente sur la
libéralisation des échanges.
Vous exprimez, dans votre mémoire, l'importance que vous avez en
tant qu'industrie culturelle, mais, aussi, le rapport que vous nous faites a
une habileté. Cette habileté-là, c'est de remonter la
chaîne de l'industrie culturelle jusqu'à la création et, de
la création, à l'identité québécoise. C'est
pour cela que le ministère des Affaires culturelles a comme position de
garder en main tous les instruments d'intervention gouvernementale qui sont
nécessaires au maintien, au renforcement de l'industrie culturelle
québécoise et aussi à ta diffusion des produits
québécois au Québec ou à l'étranger. Soyez
assurés que notre position est qu'on se doit de sauvegarder notre
capacité d'intervention et même de renforcer cette capacité
d'intervention.
Dans votre mémoire, vous précisez aussi que vous attendez,
évidemment, peu d'effets positifs d'une libéralisation des
échanges dans le cas des industries culturelles et dans le cas de
l'édition qui vous concerne, en particulier.
Votre point de vue, évidemment, je viens de le dire, rejoint le
nôtre. Étant donné que les États-Unis sont peu
réceptifs -vous-même, je pense, vous en avez fait la preuve,
chiffres à l'appui; quand on regarde votre mémoire, on sent bien
aussi que les États-Unis ne sont pas réceptifs aux produits
culturels étrangers - nos industries ont davantage à perdre de
l'abolition de l'aide gouvernementale, c'est évident, et des autres
mesures de protection que nous avons apportées à l'industrie
culturelle elles pourraient gagner en ayant, si je peux dire, un accès
théorique au marché américain.
Nous voudrions obtenir, toutefois, une précision sur ce que vous
entendez lorsque vous dites, à la page 13 de votre mémoire: "Ceux
qui voudraient se mettre en position de jouer le jeu du libre-échange
devraient s'adapter et, ce faisant, ils compromettraient nécessairement
le contenu du médialivre qui, jusqu'ici, a fortement contribué
à alimenter l'identité québécoise."
Est-ce que vous avez à l'esprit une adaptation de la production
des maisons d'édition au marché américain dans le but
d'accroître les exportations ou encore est-ce que vous pensez qu'il
s'agirait d'une adaptation de votre production pour accroître votre part
sur le marché intérieur en modifiant les contenus? Je n'aime pas
beaucoup parier de publication d'ouvrages faciles par rapport aux ouvrages
littéraires mais, est-ce que c'est ce que vouliez dire en nous parlant
de nous adapter?
Mme Levert: D'accord, la question est, de fait, très
pertinente. Le scénario qu'on faisait, c'est: A supposer que cela
arrive, à supposer qu'une maison d'édition
bénéficie de capital d'investissement important et qu'elle
veuille aller vers le marché de masse américain, elle va
peut-être vouloir continuer à produire sur son marché local
premier et, d'autre part, se dires Pour aller sur le marché de masse
américain, nous allons donc faire des produits qui correspondent
à ces besoins-là. Nous publions en français, mais rien ne
nous empêche de publier en anglais, donc, de développer des
secteurs de production en anglais pour aller du côté des maisons
américaines et, si vous voulez, se conformer aux goûts, aux
attentes du marketing des Américains.
Si jamais cela fonctionne, si les résultats sont bons, compte
tenu de l'importance qu'auraient des revenus venant de l'exploitation du
marché de masse américain, il se pourrait fort bien que
quelqu'un, homme ou femme d'affaires éclairé se dise: Eh bien,
finalement, c'est beaucoup plus profitable, donc, publions davantage, par
exemple, en langue anglaise, allons plus vers ce marché, donnons
beaucoup plus d'importance à ce volet de notre entreprise et mettons
davantage en veilleuse la production nationale qui, elle, requiert des
investissements très importants pour, finalement, une population de 6
000 000 et génère des bénéfices réduits.
Pour un best-seller au Québec, il y a toutes sortes de mesures,
si vous voulez. Je n'aime pas donner des chiffres, cela dépend toujours
des produits, mais on sait qu'au Québec les tirages moyens sont entre
3000 et 5000 exemplaires. Il est évident qu'en travaillant avec cette
échelle, économiquement parlant, c'est peu, alors que si, dans
une maison, on tirait, je ne sais pas, à 100 000 exemplaires, peu
importe l'ouvrage, pour aller sur le marché américain, pourquoi,
après cela, se soucier des 3000 exemplaires à côté?
Donc, certains d'entre nous pourraient s'adapter à ce premier volet
d'exploitation du libre-échange, mais est-ce que cela ne risquerait pas
de ralentir leurs activités sur le marché national?
D'autre part, vous disiez: Est-ce que C'est une adaptation des maisons
ou une adaptation de la production? Je pense que cela toucherait la production
même pour le marché local. Par exemple, dans mon entreprise, je me
dis: Bon, j'ai mon marché américain et j'ai mon marché
québécois, d'autre part. Quand je fais mon produit
québécois, je me dirais: S'il marche bien, je pourrais l'amener
aux États-Unis; donc, je vais déjà prévoir, si vous
voulez, son adaptation possible, comme, d'ailleurs, cela se fait si on regarde,
par exemple, les coproductions internationales. Admettons que
pour produire un même livre, plusieurs éditeurs de
différents pays s'entendent, disons un ici, au Québec, un en
France, un aux États-Unis, un en Italie, nous avons cinq partenaires qui
décident de faire un ouvrage pour les cinq marchés. Il est
certain que le produit qui doit convenir à ces cinq marchés sera,
si vous voulez, modifié en conséquence. Ces coproductions
auxquelles nous participons de temps à autre sont
bénéfiques parce qu'elles représentent des
économies d'échelle très importantes et nous permettent
donc de faire des livres, qui demandent de gros investissements, mais de
partager les risques. Par contre, il est certain qu'il faut que le produit soit
adapté. Adapter le produit, cela peut être quoi? Par exemple, vous
vous dites: Je fais un livre pratique de cuisine qui provient d'ici, mais je
veux éventuellement l'envoyer sur le marché américain.
L'idée est d'ici, j'ai un auteur d'ici, mais est-ce que je ne
m'adjoindrai pas, par exemple, est-ce que je n'irai pas chercher un auteur
américain de prestige, connu, pour pénétrer le
marché américain avec ce produit? Je ne veux pas parler ici de
tous les exemples d'adaptation, mais il est certain que cela toucherait
à la fois la maison d'édition et la production. Cela va, pour
ainsi dire, ensemble.
Mme Bacon: II me reste encore un peu de temps?
Le Président (M. Charbonneau):
Quelques minutes, oui.
Mme Bacon: Peut-être une dernière question: Est-ce
que la position que nous maintenons à l'égard des industries
culturelles répond aux aspirations que vous exprimez dans votre
mémoire? Je regarde à la page 16 où vous dites: "Aussi,
nous souhaitons que les autorités provinciales, et
particulièrement le ministère des Affaires culturelles du
Québec et aussi le ministère de l'Éducation, sensibles
à notre propos, à nos aspirations en même temps qu'à
nos craintes, puissent faire valoir l'importance de protéger
spécifiquement l'industrie du livre québécois pour le
mieux-être de nos créateurs et de notre population." Est-ce que la
position d'exclure totalement la culture ec tout le domaine culturel des
pourparlers sur le libre-échange vous satisfait?
Mme Levert: Jusqu'à maintenant, oui. Nous avons toujours
appuyé ces positions, compte tenu des raisons dont j'ai fait
état. Comme je vous l'ai dit d'ailleurs, c'est avec confiance que nous
venions ici. Nous demeurons vigilants, si vous voulez, et, sans doute, en
même temps que nos dirigeants aussi, pour voir comment évolue la
question et comment elle sera traitée, ayant à l'esprit le fait
que si, par exemple, on protégeait ou excluait entièrement
l'industrie de la culture québécoise du libre-échange,
mais que, disons, pour le reste du Canada, il y avait des ententes plus ou
moins ouvertes, il faudrait en mesurer aussi les effets qui sont difficiles
à évaluer maintenant parce que, de notre côté, on ne
connaît pas toutes les hypothèses possibles. Donc, oui, pour
résumer, nous sommes satisfaits de la position tout en restant vigilants
sur les multiples facettes d'application de l'entente future.
Mme Bacon: Que ce soit exclu du débat du gouvernement
canadien.
Mme Levert: Oui.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, Mme la
vice-première ministre. M. le député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Oui. Merci beaucoup, M. le
Président. Je veux aussi vous souhaiter la bienvenue au nom de ma
formation politique. On vous remercie d'être venus présenter votre
mémoire afin de nous sensibiliser, de nous informer davantage, ainsi que
tous ceux qui nous écoutent.
Je tiens, d'abord, si vous me le permettez M. le Président,
à excuser mon collègue, M. Gérald Godin,
député de Mercier, qui devait être ici ce matin, puisque
c'est le grand spécialiste en ces matières, et qui, pour des
raisons de santé, a dû se désister à la
dernière minute; il est retenu au lit ce matin.
Votre mémoire est très bien étoffé. Ce que
je retiens essentiellement, c'est qu'avec quelques différences bien
sûr, vous ressemblez un peu aux gens du marché vinicole qui nous
disaient hier: Nous, nos compétiteurs particuliers viennent de France;
on a un problème de petitesse par rapport à l'ensemble du
marché. Je pense qu'il y a plusieurs analogies à faire entre
votre milieu et celui du vin. Votre cri d'alarme, si on peut appeler cela
ainsi, le message que vous passez, finalement, c'est: On a peu à gagner,
nous, dans le libre-échange, mais on veut surtout protéger ce
qu'on a et le renforcer. Les années 1978 et 1979 ont, je pense, permis
d'apporter, avec la loi 51, un soutien, avec la SODICC et d'autres aides
gouvernementales.
À la page 18 qui est, à toutes fins utiles, la
dernière page de votre mémoire, vous parlez de votre
préoccupation concernant l'affermisssement de l'industrie de
l'édition québécoise et vous souhaitez finalement que les
mesures soient maintenues et, même, éventuellement, plus
vigoureuses.
On sait que, dans le cadre du libre-échange, les
préoccupations du gouvernement du Québec visent à essayer
de protéger les acquis de ce côté-là. Je pense qu'on
tient pour acquis qu'effectivement elles seront
protégées. Ma préoccupation, c'est de savoir de
quels outils vous auriez besoin, en plus de ce qui existe, tenant pour acquis
qu'il y aurait le maintien de l'aide, si on veut, du ministère des
Affaires culturelles. Mais face à cette nouvelle compétition qui
sera possible, dans le cadre du libre-échange, y a-t-ii des choses
précises dont vous auriez besoin? Dans votre mémoire, vous faites
allusion, comme je l'ai dit tantôt, au protectionnisme que vous voulez
conserver. Mais, quand vous parlez d'être capables de vous renforcer, non
seulement de ne pas vous laisser envahir, mais, au contraire, de prendre de
l'expansion, est-ce que vous avez des outils précis à
réclamer à ce stade? Est-ce qu'il y aurait avantage, dans le
cadre du libre-échange, à ce que d'autres mesures puissent
être prises?
Mme Levert: Est-ce que votre question consiste à savoir,
si le libre-échange incluait la culture, ce qui nous aiderait davantage?
Si, dans le cadre du libre-échange, il y avait une entente nous
touchant, évidemment, mon Dieu, ce serait tout un programme, je pense.
Je demanderai à mon collègue, Hervé Foulon, de
compléter. Ce serait tout un programme, parce que je pense qu'on aurait,
d'abord, besoin de beaucoup de capitaux d'investissements pour aller chercher
ce qu'on l'on peut du côté du marché américain. Sans
doute qu'un organisme comme la SODICC, qui met à la disposition des
industries culturelles des fonds d'investissement ou devient partenaire,
devrait être très fort. Autrement, si nous n'avions pas de capital
d'investissement, je pense que nous nous retrouverions très
sectorisés, très restreints à une action sur notre
territoire; nous n'arriverions pas à traverser la frontière. (12
h 45)
D'autre part, à plus ou moins court terme - je ne dis pas que
tout cela arriverait du jour au lendemain, non, certainement pas - pour
infiltrer te marché canadien au complet, incluant l'Est du pays aussi
bien que l'Ouest, les Américains verraient tout de suite que c'est en
achetant ou en devenant partenaires importants des infrastructures de
l'industrie, à savoir les réseaux de distribution et les
chaînes de librairies, qu'ils pourraient le mieux atteindre cet objectif.
Donc, si, à plus ou moins long terme, on se retrouvait à publier
et qu'une ou deux agences de distribution passaient aux mains
américaines, il faudrait sûrement des mesures nuancées,
plus ou moins permissives, si vous voulez, dans ce secteur. Nos produits
risqueraient d'être mis en tutelle. Je demanderai à M. Foulon de
compléter.
M. Foulon (Hervé): Je pense qu'effectivement, dans le
cadre de l'introduction de l'édition dans le libre-échange, comme
le disait Mme Carole Levert, pour ce qui est des librairies, on peut
s'apercevoir de ce qui est arrivé déjà avec des
intérêts français. Plusieurs chaînes de libraires
français se sont installées au Québec et, lorsqu'on visite
ces librairies, la place faite aux livres québécois est toujours
restreinte dans un petit coin et clairement identifiée: Livres
québécois.
Je pense que si, demain, des libraires et des chaînes de
librairies américaines s'installent au Québec, ce qui serait
certainement le cas, on se retrouverait encore certainement plus envahis
d'ouvrages en américain qui, comme on le mentionnait tantôt,
peuvent être vendus à des prix beaucoup plus bas que ceux que nous
produisons. Il suffit de regarder quand un best-seller est publié, il
est publié en français, d'abord, avec un certain retard, ce qui
est normal, c'est le délai de traduction, mais il est fréquent de
voir une différence de prix, l'édition française
étant vendue, par exemple, 25 $ et l'édition américaine,
moins de 10 $. Comme on le disait tantôt, c'est uniquement une question
d'échelle de marché. On le sait très bien,
énormément de personnes sont capables de lire aussi bien en
anglais qu'en français et le choix, quand il y a une différence
de prix telle, fait qu'on retourne assez souvent dans la langue la moins
chère.
C'est donc un problème au niveau de la distribution qui serait,
à mon avis, très dangereux. L'autre problème est celui des
investissements. Quand on parle de sous-capitalisation, le domaine scolaire est
un domaine aussi très impartant à ce chapitre-là, vu que,
pour produire des manuels scolaires, l'investissement est très important
parce que, d'abord, il y a les quantités et souvent, ce sont des
ouvrages qui nécessitent quatre couleurs, qui doivent être
accompagnés de matériel complémentaire, voire de
cassettes, etc.
On parle déjà fréquemment, pour le marché
québécois, d'investissements de l'ordre de 200 000 $, 250 000 $
pour une méthode, pour une année. Pour les Américains, il
n'y a pas de problème. On a eu l'expérience, par exemple, du
marché de l'Ouest pour le français langue seconde, qui
était détenu auparavant par des maisons
québécoises. On s'est fait souffler le marché par deux
éditeurs américains qui ont réussi à publier des
méthodes à coups de millions de dollars. Le coût, pour un
d'entre eux, était de 5 000 000 $, pour publier une méthode et la
commercialiser. À ma connaissance, il n'y a aucun éditeur
québécois, aujourd'hui, qui a les reins suffisamment solides pour
investir 5 000 000 $ et commercialiser sa méthode à travers le
pays. Il est donc certain que, dans le cas du libre-échange, on se
trouverait très nettement pénalisés.
Quand on parle, après cela, d'ouverture vers les
États-Unis pour pouvoir se permettre de publier un ouvrage scolaire
qu'on destinerait à tel ou tel État, tout d'abord, il faut
respecter, comme le disait Mme Levert dans le mémoire, les exigences
spécifiques à chaque État et qui peuvent être, par
exemple, l'exigence d'un tirage minimum; je sais que, pour un certain
État, il fallait justifier un tirage minimum, à une
époque, de 100 000 exemplaires. Donc, si par hasard votre livre n'est
pas choisi, vous vous retrouvez pris avec ce stock. D'autres exigences peuvent
aller jusqu'à l'épaisseur de la couverture ou à la
solidité de la reliure.
Tout cela, ce sont des investissements supplémentaires qu'une
maison américaine, naturellement, peut se permettre d'absorber. D'autre
part, les maisons américaines sont sur place et les contacts sont plus
faciles afin de faire approuver leurs ouvrages. Même si certains
États n'arrivaient è choisir qu'un seul livre, il serait plus que
délicat de mettre en péril la vie de maisons
québécoises dans le domaine scolaire.
L'autre point également que l'on peut soulever, c'est que
déjà, sans parler de libre-échange, on s'aperçoit
qu'il y a eu appelons cela un assouplissement ou une
détérioration, comme vous voulez, de la politique au niveau
fédéral. Auparavant, une société, pour
bénéficier éventuellement de l'aide du ministère
des Communications, devait être de propriété à 75 %
canadienne; aujourd'hui, cela ne nécessite plus que 51 % de
propriété canadienne. On a pu voir récemment une maison au
Québec, comme HRW, qui est devenue, la semaine passée ou il y a
deux semaines, je crois, maison canadienne. Ce n'est un secret pour personne
que c'est une émanation de Holt, Rinehart et que cela ne changera rien
à sa politique. Elle peut bénéficier, dans ses structures,
dans la fabrication d'ouvrages, etc., de tous les avantages que peut lui offrir
la maison mère. Alors, pour l'instant, on se réjouit de ce qui
existe au Québec où la loi exige la propriété
à 100 % pour pouvoir bénéficier au moins de l'aide du
gouvernement.
M. Parent (Bertrand): Une dernière question, M. le
Président, rapidement. J'aimerais savoir, M. Foulon ou madame, puisqu'on
bénéficie ce matin de la présence du
délégué général de France qui suit de
très près les délibérations relatives aux affaires
culturelles, comment vous réagissez à la venue possible ici, au
Québec, des fameux supermarchés, si on peut les appeler ainsi,
dans le domaine du disque et du livre, la FNAC?
Mme Levert: J'étais venue ici pour le libre-échange
et la question...
M. Parent (Bertrand): Non, mais ce que je veux dire par
là, c'est que cela viendrait affecter drôlement les règles
du jeu aussi.
Mme Levert: Oui, énormément. Très
sincèrement, pour répondre intelligemment à votre
question, je pense qu'encore une fois, tout comme dans le mémoire,
l'édition seule est une chose. Il faudrait réfléchir sur
la chaîne et il faudrait que nous voyions avec les libraires, qui sont
nos partenaires quotidiens, comment ils envisagent la chose. Il y a eu, il y a
quelques années, des discussions à ce sujet. Récemment,
j'ai entendu des réactions de libraires qui étaient
négatives, en tout cas, celles que j'ai entendues. Des rencontres seront
prévues entre nos associations pour, précisément, discuter
de la question. Je préférerais répondre une fois ces
éléments en main.
M. Parent (Bertrand): Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, le
député de Vanier m'en a demandé une petite vite. Comme
c'est l'habitude, semble-t-il, ce matin, on finit par des petites vites.
M. Lemieux: Et peut-être une réponse brève,
dans la mesure du possible. Vous n'êtes pas sans savoir que, "par la loi
51, par la création de la SODICC, par les programmes d'aide à
l'édition et à l'exportation - je cite un passage de votre
mémoire - le gouvernement du Québec a favorisé l'essor de
générations d'éditeurs animés du désir de
pouvoir conquérir leur marché." On retrouve cela à la page
18 de votre mémoire. Dans une premier temps, je vous pose la question
suivante: Ce marché ne pourrait-il pas s'étendre et ne peut-on
pas imaginer des coproductions avec les États-Unis comme il s'en
pratique, vous n'êtes pas sans le savoir, en France, à titre
d'exemple? Est-ce que votre association a déjà tenté des
expériences en ce sens?
Mme Levert: Tout d'abord, dans le mémoire, je parle de
cette possibilité. C'est-à-dire qu'on s'est demandé:
Est-ce que les Américains ne seraient pas des partenaires pour des
coproductions ou des coéditions? De fait, ils en seraient et notre
professionnalisme est tel que nous pourrions le faire. Tout ce que cela
demande, par contre, ce sont des capitaux importants à investir. Si vous
coproduisez un ouvrage à 10 000 exemplaires, c'est une chose, mais si
vous êtes avec un partenaire dans une coproduction - cela peut varier,
évidemment, je ne sais pas - votre tirage va être de 50 000
exemplaires. Le capital que vous devez y mettre comme partenaire doit donc
être en conséquence de vos tirages. Comme nous avons un
problème de capitalisation, il faudrait trouver ce capital pour le
faire. Ce que nous disons, c'est qu'en ce moment il y
a, en fait, très peu de maisons qui pourraient le faire. Il y en
a. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas, mais je dis qu'il y en aurait peu qui
pourraient se permettre cela. Pour les autres, eh bien, encore faut-il le
trouver.
D'autre part, il y aurait éventuellement aussi de l'exportation
à faire. Comme association, nous sommes soucieux de cette question et
participons déjà à des activités. Nous recevons,
d'ailleurs, de l'aide gouvernementale à ce niveau. Comme je vous le dis,
ce n'est pas que la chose est impensable, impossible ou qu'on ne la souhaite
pas quelque part, mais, j'en reviens un peu à cela, nous n'avons pas de
maisons d'édition qui ont 100 ans d'existence derrière elles, qui
ont un savoir-faire... Pour le savoir-faire, cela va toujours, disons qu'on l'a
attrapé vite. Mais le capital, lui, nous ne l'avons pas, nous ne pouvons
pas l'inventer en quelques années.
M. Lemieux: Mais c'est envisageable. Mme Levert: En
théorie. M. Lemieux: Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse,
nous allons conclure, mesdames, monsieur.
M. Gauthier: Je vous ai indiqué que j'avais quelques
questions à poser.
Le Président (M. Charbonneau): Ah bon!
M. Gauthier: Est-ce que c'est parce que le temps est
épuisé ou parce que vous êtes épuisé?
Le Président (M. Charbonneau): Non, je ne suis pas encore
épuisé. Au contraire, cela va très bien. Sauf que le temps
est épuisé, d'une part, et ce que l'on risque, c'est qu'on soit
épuisé à la fin de la journée si on ne se garde pas
au moins quelques instants pour aller dîner.
M. Lemieux: Comme les décisions du président sont
des ordres...
Le Président (M. Charbonneau): Mais, si vous y tenez
absolument, M. le député de Roberval, je ne voudrais pas que vous
quittiez la séance frustré. Alors, connaissant votre
intérêt, je peux vous en laisser une petite vite
également.
M. Gauthier: Oui. De fait, j'aurais eu plusieurs petites vites
à poser.
Le Président (M. Charbonneau): Vous pouvez faire une
petite vite à quelques volets.
M. Gauthier: Non. Il y en a juste une, quand même, qui me
préoccupe parce que c'est le seul point dans le mémoire avec
lequel je ne suis pas en accord. C'est pour cela que je voudrais le clarifier.
Vous parlez de la précarité de l'industrie de l'édition et
vous la justifiez par le non-contrôle de son infrastructure. Or, vous
définissez l'infrastructure comme étant la distribution, les
librairies, les médias écrits et électroniques, etc. Je
vous avoue que, sur la base de ce critère, à moins que vous ne me
donniez des explications plus précises, l'ensemble des industries au
Québec pourraient se dire précaires, parce que bien peu de
réseaux industriels contrôlent les distributeurs, les points de
vente et les médias écrits et électroniques. Je vous avoue
que j'ai de la difficulté à comprendre cet
argument-là.
Mme Levert: D'abord, c'est un fait que c'est un ensemble de
choses et non pas nécessairement une chose. Il faut ajouter à
cela les autres raisons invoquées, à savoir la jeunesse et le
manque de capital. Ce pourquoi je l'ai dit, c'est que j'imagine bien que, dans
les autres secteurs, la situation peut se reproduire. Évidemment, quand
j'ai écrit le mémoire, j'étais tout entière
à mon secteur et, en fait, c'est venu dans les discussions que nous
avons eues quand nous comparions l'industrie du livre québécois
à d'autres industries du livre. Nous faisons référence
à la force que donnent à d'autres industries du livre, qu'elles
soient françaises ou américaines, par exemple, leur concentration
et leur diversification. Par exemple, un grand groupe d'édition qui est
à la fois propriétaire de maisons d'édition, de magazines
et, si vous voulez, qui est aussi copropriétaire d'un club de livres et,
en même temps, d'une compagnie de films, c'est bien sûr que pour
les livres qu'il achète, il appelle sa filiale du livre, etc. Wow!,
c'est bien. Nous n'avons pas cela et nous ne pouvons pas l'avoir rapidement,
c'est impossible. C'était cela.
M. Gauthier: D'accord.
Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse,
M. le ministre.
M. MacDonald: Selon une tradition qui n'a pas tellement de jours,
il me revient de vous remercier et de souligner que, pour moi, votre
mémoire était très bien fait et très pertinent. Ce
n'est pas parce que je ne suis pas intéressé au sujet que vous
traitiez que j'ai laissé Mme la vice-premier ministre assumer cette
responsabilité qui est la sienne. Alors, je vous remercie beaucoup de
votre présentation.
Le Président (M. Charbonneau): Au nom
des autres membres de la commission, je voudrais également vous
remercier, mesdames et monsieur, de votre participation aux travaux et à
la consultation générale que nous menons. Je vous souhaite un bon
retour et à bientôt.
Mme Levert: Bonne fin de journée.
Le Président (M. Charbonneau): Les travaux de la
commission sont suspendus jusqu'à 14 heures.
(Suspension de la séance à 13 h 1)
(Reprise à 14 h 5)
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Mesdames et messieurs, bonjour. On reprend cet après-midi notre
consultation générale sur la libéralisation des
échanges entre le Canada et les États-Unis. Nous recevrons en
premier lieu l'Institut québécois du cinéma, qui sera
suivi de l'Association du disque et de l'industrie du spectacle
québécois, de l'Union des écrivains
québécois et, finalement, de la Société nationale
des Québécois de Lanaudière. Alors, comme on a
déjà quelques instants de retard, je demanderais
immédiatement aux représentants de l'Institut
québécois du cinéma de prendre place à la table des
invités.
MM. Malo et Boucher, bonjour. Je vous indique que nous avons une heure
pour la discussion générale; 20 minutes au départ pour la
présentation de votre mémoire et le reste du temps va être
réparti équitablement entre les membres de la commission pour la
discussion. Je ne sais pas lequel présente le mémoire ou si vous
allez le faire en alternance, mais celui qui va prendre la parole le premier
devra identifier son collègue pour les fins du Journal des
débats.
Institut québécoise du
cinéma
M. Malo (René): Bien, je vais prendre la parole en
premier, mais uniquement pour identifier mon collègue et je vous dirai
quelques mots après. Je vous présente Bernard Boucher qui est le
secrétaire général de l'Institut québécois
du cinéma; il va vous présenter la position officielle de
l'institut. Après, je voudrais vous donner quelques remarques sur cette
présentation.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. Boucher.
M. Boucher (Bernard): Très bien. Je voudrais d'abord
préciser que le mémoire que nous allons vous présenter est
appuyé formellement par toutes les associations professionnelles du
milieu du cinéma. Notre mémoire va comme suit: L'identité
n'est pas négociablel En fait, le titre, pour commencer par le
début: Les industries culturelles et la libéralisation des
échanges avec les États-Unis.
L'Institut québécois du cinéma est formé de
représentants de toute l'industrie cinématographique au
Québec. Il est le lieu de concertation permanent de la profession. En sa
qualité de porte-parole du milieu du cinéma, l'institut
réaffirme son opposition à l'inclusion des industries culturelles
dans un traité de libéralisation des échanges commerciaux
entre le Canada et les États-Unis.
La culture constitue le facteur primordial de l'identité d'une
société. L'expression de la culture s'incarne dans des biens qui
sont créés, produits et commercialisés par les industries
culturelles de chaque pays. L'épanouissement des industries culturelles
est garant de la force avec laquelle s'exprime l'identité.
Pas question de comportement ambigu en cette matière. Il ne
faudrait pas d'un côté refuser de négocier notre
identité tout en acceptant de l'autre de discuter des "échanges
commerciaux" de la culture. L'intégrité de notre
collectivité ne peut courir le risque d'un tel sophisme. Si
l'identité tient fondamentalement à la culture, comment la
négociation des échanges commerciaux reliés aux industries
culturelles n'affecterait-elle pas directement l'identité?
Une première chose à faire, contrôler notre
marché. Le cinéma, et de façon évidente le
cinéma québécois, contribue largement à l'imagerie
populaire qui façonne le caractère distinctif de notre
société. Le cinéma occupe une place significative parmi
les industries culturelles canadiennes. Les quelque 2000 entreprises qui y
oeuvrent sont responsables de la création de plus 15 000 emplois et ont
des revenus annuels qui dépassent le milliard de dollars. Cette
performance n'est qu'un reflet du potentiel économique que
représenterait le cinéma si nous contrôlions nos
marchés. En effet, 97 % de notre marché intérieur est sous
domination étrangère, principalement américaine. Dans le
contexte où les forces du marché sont laissées à
elles-mêmes, les écrans canadiens sont occupés à 98
% par des films étrangers; les étrangers recouvrent dans des
proportions comparables les redevances de droits d'auteur, de frais de location
et de commissions. Ils empochent le profit de nos marchés et repartent
avec des bénéfices qui devraient contribuer à produire des
films québécois. Le premier objectif de l'industrie
cinématographique québécoise et canadienne est de prendre
le contrôle du marché domestique. La responsabilité de
l'État est de prendre des mesures qui permettront d'atteindre cet
objectif. Il faut
reconnaître et encourager la primauté de la
propriété québécoise et canadienne sur les
industries culturelles.
La conquête du marché américain: une utopie. Alors
que nous consommons majoritairement des films américains, les
Américains, eux, ne font qu'une place marginale aux films
étrangers sur leurs écrans. En fait, c'est à peu
près 1 %. Les distributeurs américains prônent une
politique de libre choix sans pour autant s'ouvrir aux productions des autres
pays. Quel libre-échange peut-on établir sur ce qui serait
presque de la xénophobie culturelle? Les marchés sont
déjà ouverts. Aucun libre-échange ne saurait les ouvrir
davantage. Nous ne rencontrons aucun obstacle à vendre aux
Américains sinon l'attitude même des Américains. Un
traité de libre-échange incluant le cinéma voudrait-il
dire que nous ferions le pari de changer la mentalité du peuple
américain? La domination étrangère sur notre industrie,
l'exiguïté de notre marché et la
non-réciprocité rendent notre industrie cinématographique
non rentable. Voilà les problèmes auxquels il faut apporter des
solutions.
Libre-échange ou dépossession? L'enjeu réside
conséquemment dans la capacité d'intervention de l'État.
Les mesures gouvernementales de soutien à l'industrie sont
indispensables. Ces mesures compensent l'étroitesse du marché et
ont pour but de garantir l'expression de notre identité culturelle.
L'investissement gouvernemental vise à renforcer la présence des
éléments canadiens sur notre marché. L'intervention de
l'État devrait aller jusqu'à créer des conditions de
réappropriation de la distribution et de l'exploitation. Tout ce qui
risquerait de rendre les gouvernements inaptes à prendre des mesures
favorisant l'expression et le contrôle de notre culture est le plus grand
danger que nous courons à inclure (es industries culturelles dans un
traité de libre-échange.
Est-ce que la culture est une monnaie d'échange? Les industries
culturelles jouent un rôle stratégique et se déplacent
progressivement vers le centre de l'économie. Les artistes expriment la
culture mais ils font aussi une contribution économique. Les industries
culturelles font aussi partie du monde des affaires: elles représentent
des milliards de dollars et donnent de l'emploi à plus de 100 000
personnes au Canada. Quand on dit des milliards de dollars, selon des chiffres
récents de Statistique Canada, c'est environ 11 000 000 000 $ dans le
produit intérieur brut. Quant aux emplois indirects, ils ne sont pas
considérés là-dedans.
Il faut redouter que la culture serve de monnaie d'échange contre
quelque avantage commercial; les Américains nous invitent-ils à
troquer nos mesures de soutien aux industries culturelles contre de plantureux
achats de matières premieres et d'énergie dont ils sont
affamés? Il ne faudra pas capituler devant les pressions des
Américains qui aimeraient que tout soit sur la table des
négociations, ni même prendre le risque de discuter des
échanges commerciaux dans le domaine culturel en nous faisant croire que
l'identité restera indemne. Nous voulons que notre industrie
cinématographique soit forte et productive. Pour y arriver, elle doit
bénéficier des conditions propres à susciter la
créativité et l'entrepreneurship qui lui permettront de nourrir
notre culture, facteur central de notre identité.
Attendu la position qu'il adopte, l'Institut québécois du
cinéma demande au gouvernement du Québec et, dans le contexte, au
gouvernement canadien aussi: d'affirmer la reconnaissance du rôle central
des industries culturelles dans l'identité québécoise et
canadienne; de confirmer leur volonté de ne jamais aliéner aucune
de leur capacité de soutenir financièrement ou de
légiférer en ce qui concerne les industries culturelles et, en
particulier, le cinéma; de favoriser l'accroissement de la
propriété québécoise et canadienne de nos
industries culturelles, en particulier l'exploitation des films; de maintenir
et accroître dans la mesure du possible les crédits
destinés aux activités cinématographiques; de donner des
garanties que les industries culturelles, sous quelque forme que ce soit, ne
feront pas partie d'un traité de libéralisation des
échanges avec les États-Unis. Voilà.
Le Président (M. Charbonneau): Je vous remercie. Je crois
que M. Malo voulait ajouter des...
M. Malo: Oui, je voudrais ajouter quelques remarques et quelques
appuis à ce que vient de dire mon confrère. M. Peter Murphy, le
négociateur en chef américain, avouait; Je ne suis même pas
certain de ce que la souveraineté culturelle signifie exactement. Sous
bien des rapports, cela ressemble à un déguisement pour le
protectionnisme. Pourtant, les États-Unis reconnaissent que c'est par
l'exportation culturelle qu'ils réussiront à amener les autres
peuples à partager leur idéologie.
Selon M. Yves Eudes, les Américains ont adapté un plan
Marshall des idées selon lequel tout leadership durable suppose
l'allégeance aux valeurs, aux principes et au mode de vie du leader. Ils
se sont même dotés d'appareils d'État et de programmes
sophistiqués pour pénétrer - pour ne pas dire envahir -
d'autres cultures. Puisqu'ils reconnaissent l'importance de la culture,
admettant qu'il s'agit d'une voie privilégiée pour assurer son
leadership sur le plan idéologique, ils doivent aussi reconnaître
qu'il est normal que d'autres nations ne partageant pas nécessairement
le système de
valeur américain tentent de résister à la lente
assimilation culturelle ou conquête des esprits que les Américains
désirent réaliser. (14 h 15)
Voici quelques extraits d'une conférence prononcée le 31
octobre dernier par le professeur Charles F. Doran, qui est directeur du Centre
des études canadiennes à l'Université John Hopkins,
à Washington: "Canadian culture is more fragile, more in the process of
creation or of becoming and less self-confident than that of many other modern
societies, certainly than that of the United States. By culture, I mean both
what is often termed high culture and what is called entertainment. Together,
high culture and entertainment provide a myth along with historical experience
and mass education underlying the structure of a society and of its political
institutions. Culture is the cement that enlivens society, gives it
distinctiveness and holds it together". Plus loins "The question of the degree
of central control of the federal state, a perennial issue for political
theorists as well as policymakers in Canada, cannot be analysed apart from
culture. Some analysts such as John Meisel argue that the more vital and
cohesive is the underlying culture of a society the less necessary are
centralized political institutions. Controversially, the less vital and
cohesive is the culture the more necessary is the establishment of civilized
political institutions to overcome possible fragmentation of that society".
Il y a un an, le premier ministre du Canada, M. Brian Mulroney, prenant
la parole à Chicago, déclarait que le Canada et les
États-Unis sont des démocraties souveraines distinctes. "Chez
vous, le dispositif de la sécurité nationale recouvre un plus
grand nombre de domaines que chez nous; au Canada, c'est le dispositif de
souveraineté culturelle qui en recouvre plus large que chez vous".
Marcel Masse, quant à lui, dans la revue L'Actualité de
juillet dernier, disait: "Échanger le petit marché de 25 000 000
de Canadiens contre celui de 250 000 000 d'Américains, c'est une
illusion. Il ne faut pas mordre à l'hameçon. Les Canadiens,
grands consommateurs de culture, ne consomment pas leurs produits. Pourquoi?
Parce qu'en général les réseaux de distribution des
produits culturels appartiennent aux Américains, qui ont tendance
à distribuer d'abord leurs produits. Ils considèrent que le
Canada fait partie des États-Unis pour ce qui est de la distribution des
biens culturels. Ils froncent les sourcils aussitôt qu'on met en doute
cette vérité, d'autant plus que le Canada est le plus impartant
de tous les marchés extérieurs".
On a des chiffres aberrants: 71 % de toutes les émissions
diffusées par les stations de télévision en langue
anglaise sont d'origine américaine. 71 %, on ne voit cela nulle part. 98
% des films projetés dans les salles de cinéma du Canada sont
produits à l'étranger, principalement aux Etats-Unis. 85 % des
ventes de disques et de bandes découlent de l'exploitation de bandes
maîtresses importées des États-Unis, 75 % du marché
du livre intérieur et 71 % des périodiques sont
monopolisés par des produits étrangers.
Dans un article sur les médias et l'industrialisation de la
culture, Line Ross et Roger De la Garde font ressortir l'importance du
phénomène de l'américanisation dans les pays qui
entretiennent des relations commerciales avec les États-Unis. Ils notent
que les dimensions mêmes des industries culturelles américaines,
grâce aux économies d'échelle qu'elles permettent,
facilitent l'exportation et bloquent l'expansion des autres industries
nationales. Les produits culturels américains, déjà
rentabilisés sur leur marché intérieur, énorme et
riche, pourront ensuite être écoulés à
l'étranger à des prix défiant toute concurrence. On
pourrait espérer que ces échanges mutuels, basés sur une
libre circulation des produits culturels, favoriseraient la
réciprocité des influences. Toutefois, les États-Unis
sont, jusqu'à maintenant, demeurés trop fermés aux
produits culturels étrangers.
En étudiant minutieusement le comportement du gouvernement
américain en matière d'exportation culturelle, on
s'aperçoit que l'État américain intervient à
plusieurs niveaux et que l'exportation de produits culturels n'est pas
régie uniquement par les lois du marché.
Dans les "hearings" du Sub-Committee of International Operations of the
Committee on International Affairs, en février 1979, on peut lire: "Le
leadership mondial qui a échu aux États-Unis, proclama le
président Carter, doit être solidement fondé sur le respect
et l'admiration du monde pour les hautes qualités de notre nation, guide
dans le royaume des idées et de l'esprit". En page 48 du même
document, il cite un texte émanant d'un groupe de recherche de
l'école du Pentagone: "Si nous voulons que nos valeurs et notre style de
vie triomphent, nous sommes forcés d'entrer en concurrence avec d'autres
cultures et d'autres centres de pouvoir. Pour ce faire, l'Amérique devra
imposer les méthodes des entreprises, les techniques bancaires et
commerciales américaines et aussi nos systèmes et nos concepts
juridiques, notre philosophie politique, notre façon de communiquer nos
idées de mobilité et, d'une certaine manière, de
considérer les arts et les lettres propres à notre
civilisation".
Pour Carl Rowan, ambassadeur des États-Unis et directeur de la
USIA: "En diffusant la culture des États-Unis, nous aidons à la
réalisation des objectifs de la
politique étrangère des États-Unis, Nous n'avons
pas d'autre tâche".
Plus encore que les lois du Congrès, le texte qui résume
à la perfection l'attitude américaine en matière
d'exportations culturelles et auquel tous les documents et déclarations
officielles se réfèrent systématiquement est le Memorandum
Kennedy, publié en 1963. Selon ce document, il s'agit d'aider à
la réalisation des objectifs de politique étrangère des
États-Unis en influençant les attitudes publiques dans les autres
nations, en conseillant le président, ses représentants à
l'étranger et les divers départements et agences dans les
implications des opinions étrangères pour les politiques, les
programmes et les déclarations officielles présents ou
envisagés des États-Unis. L'influence sur les attitudes doit
être réalisée en utilisant ouvertement les diverses
techniques de communication, contacts personnels, émissions,
bibliothèques, publications et distributions d'ouvrages, presse,
cinéma, télévision, expositions, enseignement de la langue
anglaise, etc. Devant cet arsenal d'exportations culturelles qui fait
intervenir, on le voit bien, les pouvoirs politiques fédéraux
américains, comment ne pas reconnaître aux autres peuples le droit
de se défendre, de protéger leur identité nationale, leur
souveraineté culturelle? C'est une question de fair-play que les
Américains devraient admettre.
L'intervention de l'État dans le domaine culturel apparaît
alors comme un mécanisme essentiel pour assurer le maintien de cultures
plus fragiles et moins agressives que la culture américaine. Pour nous,
il s'agit de plaider devant nos adversaires en faveur de la diversité
des cultures et pour le droit des peuples à se protéger et
à s'autodéterminer, comme l'ont fait les Américains, au
cours de leur histoire.
Marcel Masse, dans le même article de L'Actualité, disait:
"Après l'indépendance américaine, le marché
intellectuel est demeuré largement entre les mains des Britanniques.
C'est de 1860 jusqu'à la première guerre que les
Américains ont pris conscience qu'ils ne pouvaient pas développer
une nation américaine distincte s'ils n'étaient qu'inondés
des produits culturels des autres. Les Américains ont alors
adopté des mesures dont jamais les Canadiens n'oseraient même
rêver, comme, par exemple, en 1891, la politique des droits d'auteur qui
ne protégeait aucune oeuvre à moins que le livre ne soit
imprimé aux États-Unis. Si jamais le Canada faisait une chose
comme celle-là, les Américains crieraient à la
révolution. Donc, ils ont compris que si on veut être
soi-même, il faut une équation de la production de biens culturels
et de la consommation".
Le ministre québécois des Communications, M. Richard
French, a été invité par le département d'histoire
de l'Université Princeton en juin de l'année dernière pour
discuter de la culture populaire américaine au Québec. En faisant
référence aux réticences québécoises sur la
question des barrières non tarifaires, le ministre a apporté les
nuances suivantes: "II ne faut pas interpréter ces efforts comme
antiaméricains, mais plutôt comme proquébécois et
procanadiens. Si nous sommes mal à l'aise à l'égard des
films financés par les abris fiscaux, des vidéos rock produits
avec l'argent des contribuables et des luttes sur le nombre de nos disques que
nos propres stations de radio devraient faire jouer, ce n'est pas parce que
nous croyons enfreindre les règlements du système commercial
international, mais parce que nous ne voulons pas vraiment admettre que c'est
sur ces appuis bien concrets que reposent les quelques faibles reflets de
nous-mêmes qui subsistent encore dans notre culture populaire. C'est le
prix que nous devons payer pour vivre près de la culture populaire la
plus attrayante, la plus dynamique, la plus expansionniste du monde".
Une des raisons évidentes pour laquelle l'entreprise
privée a réussi économiquement et avec efficacité
dans le domaine de la culture aux États-Unis tient à l'importance
du marché intérieur. Il est primordial d'établir une nette
distinction entre bien commercial et bien culturel; ce que les
Américains ne comprennent pas ou feignent de ne pas comprendre. Il est
ridicule et aberrant, voire méprisant, de penser qu'un livre
édité au Québec, écrit par un
Québécois, par exemple, est un bien commercial au même
titre que n'importe quel autre produit industriel ne participant pas à
la transmission des informations culturelles au sein de la communauté
des personnes qui liront l'ouvrage, c'est-à-dire des
Québécois en majorité. À moins de croire et de
soutenir que les industries culturelles sont totalement dissociables du
dynamisme et de la vitalité des communautés culturelles et de
leurs principaux acteurs, il est impossible d'appliquer aux industries dites
culturelles la même analyse économique, financière et
commerciale que celle que l'on applique aux industries lourdes, par exemple.
Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Malo. Je vais
maintenant céder la parole à la vice-première ministre et
ministre des Affaires culturelles. M. le ministre du Commerce extérieur
voudrait d'abord, je crois, ouvrir la discussion.
M. MacDonald: Bonjour, messieurs, et merci d'être venus
nous présenter vos vues sur cette négociation d'un traité
de libéralisation des échanges. Je serai bref. Je vous
rappellerai, comme je l'ai fait à
d'autres personnes qui se sont présentées devant nous,
que, dès le départ, le Canada a posé, comme une de ses
conditions à une négociation de libéralisation des
échanges, que n'était pas sur la table l'entité culturelle
canadienne et québécoise, nécessairement. Et, lorsque le
Québec a décidé de s'engager avec les gouvernements
provinciaux et le gouvernement fédéral dans cette
négociation-là, on l'a fait en restipulant sans équivoque
aucune qu'il n'y a rien qui devait mettre en péril la
spécificité culturelle, entre autres, mais également
sociale, politique et économique du Québec.
Je ne peux que resouligner ces affirmations et vous dire que, lorsque je
prends la conclusion de la première partie de votre mémoire,
où vous avez un attendu et des suggestions, à quelques nuances
près, je me sens parfaitement à l'aise avec votre
réquisitoire ou votre suggestion - enfin, je vous laisserai le qualifier
- mais c'est essentiellement la position du gouvernement du Québec, dans
ce contexte-là. Mais je crois qu'il est tout à fait
approprié que je laisse Mme la vice-première ministre discourir
plus longuement sur notre position.
Le Président (M. Charbonneau): Mme la vice-première
ministre.
Mme Bacon: Je dois vous remercier, messieurs, d'être venus
ici nous rencontrer pour discuter de ce dossier fort important pour le milieu
culturel au Québec. Il est évident pour moi que, peu importe
l'issue des discussions sur le libre-échange, le Québec doit
conserver tous les instruments d'intervention gouvernementale pour maintenir,
mais aussi pour renforcer nos industries culturelles, tant pour ce qui est de
la production, que la diffusion de nos produits. Je pense qu'on s'entend
là-dessus. Qu'il s'agisse de la loi 109, par exemple, sur le
cinéma, de la loi 51 sur le livre, qui touche les éditeurs et qui
touche aussi les libraires, que ce soit dans le disque, avec les
différents programmes que nous avons pour faciliter la production, la
diffusion, la promotion, il est clair que le Québec protège et
protégera ses industries culturelles.
Nous sommes aussi soutenus en cela par le gouvernement
fédéral, qui dispose aussi de moyens pour protéger les
industries culturelles à l'échelle canadienne. Donc, il n'est pas
question, pour nous, d'accepter des mesures libre-échangistes qui
auraient pour conséquence, à moyen et à long terme, de
réduire de quelque façon le caractère distinct du
Québec. Pas question, non plus, de voir menacées les industries
culturelles, telles que l'édition, le cinéma et le disque.
Là-dessus, je pense que nous sommes tout à fait d'accord. Vous
avez comme objectif de prendre le contrôle du marché domestique.
Je vais être un petit peu plus modeste et dire que nous tentons de
développer l'industrie du cinéma, par exemple, pour qu'elle soit
saine et je pense qu'un des moyens que nous avons retenus a été
l'entente prise avec les "majors", qui ne règle pas tous les
problèmes, mais une partie. Je dois aussi dire que, quand nous disons
que nous partageons votre avis quant à la nécessité de
maintenir les interventions législatives, les interventions
financières du gouvernement auprès des industries culturelles,
c'est pour cela que la culture, pour nous, n'est pas négociable.
J'aimerais quand même savoir dans quelle mesure les interventions
que le gouvernement peut avoir - en ce qui touche la promotion, la diffusion et
la distribution -par le soutien, par la Société
générale du cinéma, par exemple, les instruments que nous
nous sommes donnés et par la SODICC contribuent à protéger
et à développer l'industrie du cinéma. Est-ce qu'il faut
faire encore davantage? (14 h 30)
M. Malo: Mme la ministre, je vais vous répéter un
petit peu un discours que je vous ai souvent tenu, mais je pense que toutes les
études qui se sont faites sur l'industrie du cinéma, tant au
Canada qu'au Québec, depuis plus de vingt ans, sont absolument toutes
arrivées à la même conclusion: On ne pourra absolument
jamais avoir une industrie du cinéma au Canada forte et rentable tant
qu'on n'aura pas une industrie de la distribution forte et rentable. La
mainmise sur la distribution des produits culturels, c'est essentiel. Cela ne
s'applique pas juste au cinéma, cela s'applique autant au disque, au
livre qu'à tous les produits culturels. La mainmise sur la distribution
est essentielle. C'est certain que tous les programmes d'aide, de
financement... Il faut continuer, mais il faut faire plus à ce chapitre.
Le coût des films augmentant, il faut donc aider plus par tous les
moyens.
Tant que, au Canada et au Québec, on n'aura pas une plus grande
mainmise sur le système de distribution des produits culturels,
particulièrement dans le cas du cinéma, cela va toujours rester
une industrie marginale, alors que les industries culturelles constituent de
plus en plus, dans le reste du monde, des industries de l'avenir. Regardons les
grandes sociétés américaines qui, actuellement et de plus
en plus, sont en train d'investir dans les industries culturelles. La compagnie
Coca-Cola, après avoir acheté Columbia Pictures, vient d'acheter
un autre "major" américain, Tri Star; Gulf & Western, qui, avant,
était diversifiée dans les industries manufacturières,
pétrolières et tout cela, s'est complètement
départie de ses avoirs dans ces domaines pour les consacrer
entièrement aux industries culturelles, c'est-à-dire l'impression
de livres, la production et la distribution de films et d'émissions
de
télévision.
Je pense qu'économiquement il serait extrêmement important
pour ie Québec d'investir largement dans des industries qui sont
vraiment les industries de l'avenir. L'industrie du cinéma et les
industries culturelles en général ne sont pas vues comme quelque
chose de très... On dirait que ce n'est pas réel pour les
décideurs publics, tant politiques que financiers, parce que ce ne sont
pas des usines, ce n'est pas une chose dont on peut aller couper le cordon
à un moment donné et dires Ah! c'est là et cela va rester
là pendant dix ans. Ce qu'on oublie, c'est que, dix ans après, ce
n'est plus bon et il faut recommencer.
Dans les industries culturelles, particulièrement celle du
cinéma, ces investissements font rouler énormément
d'argent. Créer des emplois dans le domaine du cinéma coûte
quatre fois moins cher que dans n'importe quelle autre industrie
manufacturière. Ce sont des choses qu'on oublie. Je pense qu'il faut
vraiment investir dans cela parce que c'est vraiment investir dans une
économie d'avenir, mais tous ces investissements seront beaucoup moins
efficaces, c'est-à-dire qu'ils vont être beaucoup plus lents
à rentabiliser si on ne possède pas la distribution de ces
produits. Je pense qu'il se fait un net développement à ce
chapitre. En ce qui concerne la vente à l'étranger de nos films,
alors qu'avant, la plupart du temps, ces ventes étaient faites par des
sociétés américaines, maintenant, il commence à se
constituer au Québec des sociétés de vente à
l'étranger de nos films. Le résultat, c'est que nos films
commencent à très bien fonctionner à
l'étranger.
À cause de la petitesse du marché et de la population, on
ne peut quand même pas produire 350 films par an, et le nombre de films
ne peut pas faire vivre non plus une industrie de distribution avec uniquement
ce qu'on produit ici. Il faut donc qu'on ait accès aux produits
étrangers, ce que les Américains nous ont toujours
défendu. L'entente que vous avez signée, Mme la ministre, avec
les représentants des "majors" américains est un pas en avant.
C'est certain qu'on est loin des premières recommandations du rapport
Fournier, qui étaient que toute distribution au Québec soit faite
par des compagnies québécoises à 80 %; cela avait
été dilué après cela pour que les compagnies
québécoises aient accès à tous les films dont les
droits mondiaux ne sont pas aux "majors" américains; maintenant, on est
revenu à une situation qui est moins forte et où les "majors"
américains auront le droit de distribuer leurs films ici, mais on aura
au moins accès aux films indépendants. C'est un premier pas.
C'est un premier pas sur papier, mais il n'est pas encore franchi.
Mme la ministre, comme vous le savez, cela fait quatre ou cinq ans que
la loi est adoptée et elle n'est pas encore entrée en vigueur. Je
pense qu'il est extrêmement urgent que cette loi soit mise en
application. La prise en main des systèmes de distribution, on l'a vu un
peu dans la démonstration que je vous ai faite tantôt, est
extrêmement importante. C'est par cela que les Américains ont
imposé leur culture dans ie monde. Ce qu'on appelle les "majors"
américains sont d'abord et avant tout des distributeurs. II ne faut pas
oublier cela. Nous sommes portés à penser que ce sont des
producteurs. Ce sont d'abord et avant tout des distributeurs. C'est dans la
distribution que se fait l'argent. La production est chère. Quand les
compagnies de production arrivent à faire un tout petit peu de profits,
c'est déjà formidable. C'est dans la distribution que se situent
vraiment l'argent et le pouvoir, le pouvoir de choisir les salles, le pouvoir
d'imposer aux salles qu'on joue tel film plutôt que tel autre à
telle date plutôt qu'à telle autre, ce qui relègue
très souvent les distributeurs québécois à des
distributeurs de seconde zone parce qu'on n'a pas des produits aussi puissants
que les Américains.
Mme Bacon: Je voudrais seulement dire un mot, M. ie
Président. L'industrie de la distribution la plus articulée
possible est une priorité pour la Société
générale du cinéma. On l'a vu dans son dernier rapport
annuel et je pense que cela va se poursuivre. Je sais qu'il y a de mes
collègues intéressés à poser des questions par la
suite, alors, je vais garder du temps.
Le Président (M. Charbonneau): Dans ce cas, madame...
D'accord. Alors, M. le député de Bertrand, s'il vous
plaît.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Boucher
et M. Malo, il me fait plaisir de vous accueillir. Votre message est
très succinct et très clair. Je le retiens comme étant:
L'identité, ce n'est pas négociable. Et vous posez la question:
Si l'identité tient fondamentalement à la culture, comment la
négociation des échanges commerciaux reliés aux industries
culturelles n'affecterait-elle pas directement l'identité? L'autre
message que vous passez à la page 4 de votre mémoire c'est:
L'enjeu réside conséquemment dans la capacité
d'intervention de l'État. À partir de cela, j'en déduis
que l'industrie du cinéma comme telle a besoin énormément
de l'aide et du soutien non seulement qu'elle a actuellement mais du soutien
possiblement accru.
Vous l'avez bien mentionné, M. Malo, le problème n'est pas
comme tel dans la production. Le problème est effectivement dans la
distribution. On réalise que, d'une part, un fort pourcentage des salles
de
cinéma au Québec est contrôlé par des
intérêts hors Québec pour une bonne partie, de 40 %
à 50 % par des Américains directement, par les grandes
sociétés, et 98 % des films qui paraissent sur nos écrans
sont des films étrangers. À toutes fins utiles, cela veut donc
dire qu'on aura beau, comme Québécois, faire de belles
productions, si on n'est pas capables de les placer - je pense qu'il y en a qui
ont vécu de mauvaises expériences - sur nos écrans, on a
un sérieux problème. On ne réussira jamais à
être capables de percer.
Quant à la situation face au libre-échange, vous avez une
certaine expérience ou une expérience certaine, M. Malo, parce
que vous avez négocié et plus fréquemment, autant que je
sache, avec les Américains qui vous ont acheté les droits pour
réaliser la version du film Le déclin de l'empire
américain. Face aux différentes expériences que vous
avez vécues et au nom aussi de l'Institut québécois du
cinéma, est-ce que vous pensez sincèrement qu'il y aurait, s'il y
avait une entente de libre-échange, des possibilités de
débouchés de quelque nature que ce soit étant donné
que pour vous la barrière, ce n'est pas une barrière tarifaire,
ce n'est pas une barrière non tarifaire, j'appelle cela un autre type de
barrière, c'est une barrière psychologique parce que les
Américains, tout simplement, ne nous reçoivent pas? Comment
voyez-vous ce marché américain? Le deuxième volet de ma
question serait: Par quel type de soutien pensez-vous que le gouvernement du
Québec pourrait vous aider face à cela?
M. Malo: Enfin, il y a actuellement un libre-échange
total, en fait, entre le Canada et les États-Unis en ce qui concerne la
circulation des films. Donc, un libre-échange ne changerait rien
à l'accessibilité des films québécois au
marché américain, c'est-à-dire qu'actuellement, quand les
Américains pensent qu'ils peuvent faire de l'argent en diffusant un film
québécois, ils l'achètent. À venir jusqu'ici, ils
n'ont pas pensé qu'ils pouvaient faire de l'argent avec beaucoup de
films, ils en ont acheté un. Alors, le problème... Enfin, il y a
deux problèmes quand on parle de films québécois. Si on
parle de films en langue française, le film de langue française
québécois tombe, à ce moment-là, dans la
catégorie de ce que les Américains appellent un film en langue
étrangère. Le marché américain des films en langue
étrangère est presque inexistant. II constitue exactement 1 % du
marché américain. Cela est dû au fait que les
Américains... Tous ces films sont diffusés en version
sous-titrée. Les Américains n'acceptent pas les versions
doublées. Ce n'est pas une loi ou quoi que ce soit, ils ne les acceptent
pas parce qu'ils n'ont jamais eu l'occasion d'être confrontés
à quelque chose de doublé justement, c'est-à-dire la
télévision. Tous les pays du monde acceptent les versions
doublées et c'est pour cela justement que le cinéma
américain entre dans tous les pays du monde, que ce soit en version
américaine ou en version doublée du pays, parce que les
Américains vendent. Ils font carrément du dumping de leurs
émissions de télévision partout au monde. Cela fait que
toutes les télévisions du monde achètent des
émissions de télévision américaines pour un prix
beaucoup moindre que cela ne leur coûterait pour produire la même
chose. Ainsi les Américains peuvent imposer leur culture partout dans le
monde. Cela a comme résultante aussi que, partout dans le monde, les
gens, dès l'âge de la tendre enfance, lorsqu'ils sont devant la
télévision, leurs yeux et leurs oreilles s'habituent au doublage.
Cela fait que quand ils vont au cinéma cela ne les choque pas de voir un
film doublé. Les Américains n'ont absolument jamais accès,
avec leur télévision, à des émissions
étrangères qui ont été doublées. Cela fait
que lorsqu'ils arrivent à l'âge de 17, 18, 19, 20 ou 25 ans,
qu'ils vont au cinéma et qu'ils se retrouvent devant un film
doublé, ils sortent après cinq minutes parce qu'ils ne sont pas
habitués. Je vais même vous donner un exemple précis: un
petit film québécois pour enfants qui s'appelle La guerre des
tuques a été présenté aux États-Unis. Le
distributeur américain l'a acheté, il l'a présenté
sur le marché avec une quarantaine de copies dans une quarantaine de
salles - je pense que c'est dans la région de Chicago - et cela
été une catastrophe. Même les enfants sortaient parce
qu'ils disaient: II y a quelque chose qui ne va pas. Ils trouvaient que cela
n'allait pas. Cela limite donc énormément le marché
américain qui est extrêmement limité pour les films en
langue étrangère. C'est uniquement ce qu'on appelle le circuit
des salles arts et essais en version sous-titrée et cela touche à
peine 1 % du marché américain.
Si on retourne en anglais, c'est différent, c'est-à-dire
que le marché américain est ouvert. Enfin, dans un cadre de
libre-échange, il ne serait pas plus ouvert qu'il ne l'est actuellement.
Quand les Canadiens font des films en langue anglaise qui sont diffusés
aux États-Unis, si ces films véhiculent quelque chose de trop
canadien d'une certaine façon, à ce moment-là, le
succès n'est pas très grand. Si cela véhicule quelque
chose qui n'est pas nécessairement canadien, les possibilités
sont aussi grandes que pour un film anglais ou australien, enfin tous les
autres films qui sont faits dans le monde en langue anglaise.
Votre deuxième question était: Qu'est-ce qui peut
être fait pour cela? Je pense que rien d'autre ne peut être fait au
Canada pour aider à la diffusion de ces films-là aux
États-Unis sauf de continuer à aider le
cinéma. Je pense que le cinéma québécois,
particulièrement, a atteint une maturité depuis deux ou trois
ans. Cela fait qu'on ne fait plus un cinéma nombrilisme, comme je
l'appellerais, mais vraiment un cinéma qui peut sortir à
l'extérieur du Québec. Mais il faut aussi avoir les moyens. Il
est certain que, quand on a 1 000 000 $ pour faire un film et que la moyenne
d'un coût de production aux États-Unis est de 15 000 000 $ US, il
faut être quinze fois meilleur pour arriver à produire la
même qualité. Je dirais qu'on est peut-être trois fois
meilleur, mais quinze fois, c'est assez difficiiec (14 h 45)
M. Boucher: J'aimerais intervenir. Vous avez fait
référence à notre texte lorsqu'on dit que l'enjeu
réside dans la capacité d'intervention de l'État. En
cinéma, on utilise régulièrement l'image qu'il y a un
trépied de soutien à l'industrie du cinéma: c'est, d'une
part, l'intervention directe de l'État dans l'investissement, dans la
production et la capacité qu'on aurait de contrôler notre
distribution, comme René l'a expliqué, et aussi les mesures
fiscales favorables à la production cinématographique. En cette
matière, ce que... Bon, évidemment, c'est une attitude
interventionniste et l'analyse de ces interventions démontre aussi que
le cinéma n'est pas un fardeau au pied de l'État. C'est aussi une
source d'économie intéressante, c'est-à-dire que
l'industrie cinématographique rapporte à l'État
québécois et que la protection accordée, par exemple, dans
des abris fiscaux ou dans d'autres mesures ne contribue pas seulement à
l'économie du cinéma. Et ce ne sont pas des mesures
coûteuses pour l'économie québécoise. Quand on
citait tout à l'heure le négociateur américain qui disait
que, quand on pariait, nous, de souveraineté culturelle, on voulait
peut-être camoufler des notions d'interventionnisme, c'est
peut-être pour laisser croire que les Américains ne sont pas
interventionnistes en matière de cinéma. Mais l'histoire
démontre justement le contraire. On a beau remonter aux années
vingt jusqu'à aujourd'hui, après la guerre, le plan Marshall,
c'était justement que les Américains ont obligé les pays
européens à laisser tomber toutes leurs mesures de soutien et de
protection à leur industrie cinématographique pour justement
soutenir l'économie de ces pays après la guerre,
c'est-à-dire qu'ils en ont fait une monnaie d'échange.
D'autres mesures, par exemple, le cartel américain de
négociations en distribution qui est le MPEA, le Motion Picture
Exportation Association, c'est à toutes fins utiles une institution
semi-gouvernementale dans la mesure où sa tête directrice est un
fonctionnaire de l'État américain. Les Américains ont
toutes sortes de mesures de soutien. Ils ont toujours négocié,
autant à la conférence de Mexico que dans l'Organisation des
États américains, des mesures pour protéger l'exportation
de leurs produits culturels. Donc, c'est de l'interventionnisme là
aussi. Nos interventions à nous sont pour soutenir notre identité
et notre production culturelle.
M. Parent (Bertrand): Eux, ils disent qu'ils n'en font pas mais
ils en font par la porte arrière. Un commentaire,,..
Une voix: Et par la grande porte.
M. Malo: C'est-à-dire qu'eux ils ont compris que la
meilleure défense étant l'attaque, ils sont interventionnistes
mais en attaquant justement, c'est-à-dire en imposant plutôt qu'en
défendant. Ils n'ont pas besoin de se défendre.
M. Parent (Bertrand); La meilleure défense, c'est
l'attaque. Us ont compris cela.
M. Malo: Voila!
M. Parent (Bertrand): Un commentaire et je vais poser une
dernière question puisque mon temps de ce côté-ci va
être terminé. Je passerai la parole à Mme la ministre. Les
mesures fiscales, vous les avez soulignées. Le fait que cela a
passé de 150 % à 100 %, j'imagine que c'est quelque chose de
négatif pour vous. Je vous laisserai commenter cela.
La question qui me préoccupe, c'est: Est-ce qu'il y a des moyens,
par exemple, d'essayer d'attacher quelque chose par rapport aux sommes d'argent
que récupèrent les réseaux de distribution actuellement?
Ce sont des dizaines... On parle de 10 000 000 $ ou 15 000 000 $, par exemple,
que les Américains ou les étrangers réussissent à
amasser dans les "box offices", dans les guichets. Est-ce qu'il n'y aurait pas
moyen justement de... On ne peut pas les retenir auprès d'eux par des
mesures mais est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de négocier? Je sais
qu'en 1984 et 1985 il y a eu des ébauches avancées par rapport au
fait qu'on pourrait possiblement essayer de négocier avec l'association,
la MPEA, que vous avez mentionnée tantôt, pour faire une certaine
forme de troc pour une partie de ces sommes. Par exemple, qu'on puisse
permettre à 20, 25 ou 30 Québécois d'aller faire des
stages aux États-Unis. Cela ne coûterait absolument rien mais il y
aurait des genres de mesures compensatoires. Autrement dit, on essaierait
d'aller récupérer une partie de ces sommes en services qui
pourraient être donnés parce que, effectivement, il pourrait y
avoir des débouchés pour des Québécois
là-bas. Est-ce que ce type d'approche a été regardé
de près? Est-ce que
c'est quelque chose qui est envisageable? Je sais qu'on ne peut pas
s'étendre trop longtemps sur le sujet aujourd'hui mais j'en ai
parlé avec mon collègue Gérald Godin, qui a
été ministre des Affaires culturelles, et il me disait que ce
genre d'approche avait été mis sur la table. J'aurais aimé
avoir vos commentaires si vous êtes familier avec cela. Si vous ne
l'êtes pas, on pourra reprendre...
M. Malo: Je ne sais pas. Les 30 ou 4Q personnes qui iraient aux
États-Unis iraient y faire quoi? Je ne comprends pas.
M. Parent (Bertrand): C'est-à-dire que la formule serait
d'être capable de bénéficier, autrement dit, de formation,
par exemple, dans les différents scénarios de films. Lorsqu'on
tourne un film, ils pourraient être capables d'aller chercher de
l'expérience. Autrement dit, ils iraient faire des stages dans des
écoles de musique, de cinéma ou autre, ce qui ne coûterait
rien è nos gens. On pourrait marchander une partie de formation pour
l'argent que l'on perd de toute façon ici actuellement.
M. Malo: Je pense que cela aurait peut-être
été valable il y a de très nombreuses années. Mais,
maintenant, les gens qui font partie de l'industrie de la fabrication d'un film
au Québec ont tout autant d'expérience et d'expertise que les
Américains. La meilleure preuve, c'est qu'on tourne actuellement autant
de films américains au Canada qu'à Los Angeles. Maintenant, les
Américains viennent tourner au Canada non pas parce qu'ils nous aiment
mais parce qu'on coûte moins cher. Ils considèrent quand
même que les équipes canadiennes peuvent livrer une qualité
tout à fait équivalente à celle qu'ils retrouvent aux
États-Unis.
Je connais un peu les négociations auxquelles vous faites
allusion et je considère que ces négociations étaient
vraiment des négociations de colonisés, c'est-à-dire qu'on
nous prenait vraiment pour des petits Noirs d'Afrique à qui on offrait
de venir étudier à l'université américaine pour
être sûrs qu'ensuite on pense vraiment comme les
Américains.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Limoilou avait demandé...
M. Parent (Bertrand): J'espère que vous avez de meilleures
solutions, Mme la ministre.
Mme Bacon: J'avais l'impression, M. le Président, que nous
discutions beaucoup plus de la loi 109 que du libre-échange.
Le Président (M. Charbonneau): Sur ces mutuelles
remarques, nous allons céder la parole au député de
Limoilou pour quelques instants.
M. Després: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Je vous indique, M. le
député, qu'il ne reste plus grand temps.
M. Després: Ce sera bref, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Très bien.
M. Després: Dans un premier temps, vous mentionnez dans
votre mémoire que 97 % du marché intérieur est sous
domination étrangère. Dans un deuxième temps, vous nous
dites que l'industrie canadienne compte 2000 entreprises, 15 000 emplois et 1
000 000 000 $.
J'aimerais savoir deux choses. Dans un premier temps, qu'est-ce que cela
représente pour l'industrie québécoise? Les chiffres que
vous nous citez sont ceux de l'industrie canadienne et j'aimerais savoir, pour
mieux vulgariser, ce que cela représente pour le Québec. Est-ce
possible? Approximativement.
M. Malo: Pour ce qui est de l'activité du cinéma,
le Québec représente environ 35 % de l'activité
canadienne. C'est plus que la moyenne de la population, parce que les
activités de cinéma sont concentrées surtout à
Toronto et à Montréal. Il y a aussi Vancouver qui est un centre
important, mais surtout de productions américaines, étant
donné qu'elle est plus près de Los Angeles.
Quelques chiffres ont été cités en termes de... Un
document a été préparé par l'association des
producteurs pour le ministre des Finances, M. Levesque, quand il y a eu le
passage de 150 % à 100 %. On disait que, l'année
précédente, le coût de l'avantage fiscal de 150 %, pour le
gouvernement, avait été 1 500 000 $. On disait: Ce coût
apparaît fort minime, surtout si l'on considère également
les autres bénéfices économiques et socioculturels. La
même étude du Bureau de la statistique du Québec,
commanditée par la Société générale du
cinéma, établit en effet que des dépenses de 10 000 000 $
dans la production cinématographique génèrent une masse
salariale de 5 000 000 $, une valeur ajoutée de 9 500 000 $ et un input
de main-d'oeuvre de 227 personnes par année. En extrapolant à
partir de cette base, nous constatons que les 31 000 000 $ d'activité
cinématographique engendrée par le programme fiscal ont
contribué à créer plus de 700 emplois et une valeur
ajoutée de près de 30 000 000 $.
Ailleurs dans le document, on parlait du nombre... Une chose est
certaine, c'est que
le coût de création d'emplois au cinéma, c'est
vraiment à peu près celui qu'il y a de plus bas de toutes les
industries parce que ce n'est pas du hardware.
M. Després: Peut-être dans un autre ordre
d'idées, parce que ce que vous nous dites aussi dans le mémoire,
c'est qu'il est peut-être téméraire, sinon utopique, de
penser conquérir le marché américaine On sait
qu'acquérir un statut international, ce n'est pas facile. Que l'on pense
au film Le déclin de l'empire américain, aux films de Roch Demers
ou aux autres tels que La guerre des tuques. De façon concrète,
pour favoriser davantage les productions québécoises et
canadiennes à acquérir un statut international, y a-t-il des
choses que le gouvernement pourrait donner comme ressources?
M. Malo: L'industrie est jeune, il ne faut pas l'oublier. Quand
on se compare aux Américains ou aux Français, cela existe chez
eux depuis 60 ou 70 ans et même plus. Chez nous, cette industrie existe
depuis 15 ou 20 ans. C'est une industrie extrêmement jeune qui a
été beaucoup financée au début par des subventions.
Ensuite, on a fait un système de "tax shelter" au fédéral
qui a été très mauvais, parce que, de la façon
qu'il a été construit, c'était tout à fait à
l'encontre d'une rentabilisaton de ces films. On a changé le
système et je dirais que depuis environ trois ou quatre ans l'industrie
a vraiment commencé à prendre son envol, tant au Québec
que du côté canadien-anglais.
Il ne faut pas oublier que le problème est encore malheureusement
toujours axé uniquement sur un film. On ne pense pas à
l'entreprise mais au film. C'est pour cela que l'on pousse maintenant de plus
en plus pour que l'aide gouvernementale... Et même, une des propositions
que l'on fait maintenant pour les avantages fiscaux, c'est que cela soit pour
l'investissement dans les entreprises de cinéma et non pas uniquement
dans le produit comme tel. C'est dans les entreprises qu'il faut investir
à* tous les niveaux.
Donc, il commence à y avoir des compagnies au Canada qui sont
encore très fragiles, mais qui commencent à prendre une certaine
place et donc à produire un produit qui a son équivalence dans le
reste du monde, de par les expertises que l'on a maintenant et de par le
financement qu'on avait. Malheureusement, plusieurs malheurs sont
arrivés dans les derniers mois: D'une part, au Québec,
l'abaissement de 150 % à 100 %; au gouvernement fédéral,
le passage de 100 % à 30 % cumulatif. D'autre part, la loi
fédérale qui devait aider la distribution canadienne a
été carrément mise sur la glace en attendant de voir ce
qui se passerait dans les discussions sur le libre-échange. Cela fait
qu'actuellement il y a plusieurs mesures qui font que cette industrie-là
qui commençait à prendre vraiment son élan, non seulement
sera ralentie, mais sera pratiquement assassinée par toutes ces
mesures-là, s'il n'y a rien d'autre qui les remplace.
M. Després: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Un dernier mot à
Mme la ministre des Affaires culturelles,,
Mme Bacon: Oui, en remerciant MM. Malo et Boucher de leur
présentation cet après-midi, j'aimerais quand même dire
aussi que la distribution des films doit refléter le choix et les
goûts au niveau sociologique de la clientèle
québécoise - c'est important - et que nous avons tous
intérêt, et comme Québécois et comme Canadiens,
à sauver l'intégrité culturelle du Québec.
Il n'y a pas de raison de croire que les Américains n'ont pas
eux-mêmes compris cette condition sine qua non que nous avons faite de
l'acceptation de négociations de libre-échange qui est
l'exclusion du domaine culturel. Depuis le début des discussions -mon
collègue est en mesure de corroborer mes dires - ils ont vraiment
compris que c'est une condition sine qua non que nous faisions et qu'il fallait
la respecter. Nous tentons pas les mesures que nous mettons de l'avant de
protéger davantage les industries culturelles, que ce soit par la loi,
par l'aide ou par la réglementation et nous allons continuer de le faire
à notre façon à nous. Merci beaucoup. (15 heures)
Le Président (M. Charbonneau): Sur ces commentaires de la
vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles, nous allons
mettre fin à cette rencontre. Alors, messieurs, au nom de tous les
membres de la commission, je voudrais vous remercier d'avoir participé
à cette consultation générale. Je crois que votre
intervention a été fort utile pour la compréhension des
membres de la commission et j'imagine aussi pour les gens qui suivent nos
travaux, à la fois dans cette salle et à la
télévision. Alors, merci et à une prochaine fois.
M. Malo: Merci de nous avoir reçus.
Le Président (M. Charbonneau): Merci et au revoir.
Association du disque et de l'industrie du spectacle
québécois
Alors j'invite maintenant les représentants de l'Association du
disque et de l'industrie du spectacle québécois à prendre
place à la table des invités.
Bonjour, bon après-midi. Je pense que
vous étiez dans la salle tantôt et que vous connaissez un
peu les règles du jeu. Je vous les rappelle: une heure est prévue
pour la discussion et la présentation du mémoire. Vous avez
d'abord une vingtaine de minutes pour présenter vos points de vue et,
par la suite, la discussion s'engagera entre vous et les membres de la
commission.
J'imagine que c'est M. Di Cesare, le président du conseil, qui va
être responsable de la délégation. Je lui demanderais de
présenter les gens qui l'accompagnent et d'engager immédiatement
son exposé ou celui de ses collègues.
M. Di Cesare (André): À mes côtés, M.
Pilon, économiste qui a travaillé à notre dossier, et M.
Gaétan Morency, notre directeur général à qui je
vais laisser la parole pour commencer. Merci.
M. Morency (Gaétan): Nous serons brefs. Je ne lirai pas le
mémoire tout au long. Je vais plutôt présenter une
synthèse de notre position. Il est ressorti tout au long des
débats de la présente commission des enjeux importants sur le
plan économique. On parle d'emploi. On parle de développement
régional. On parle d'harmonisation de la main-d'oeuvre. Pour nous qui
sommes dans un secteur économique qui, somme toute, est comparativement
plus marginal ou moins important, il est clair que, dans notre cas, l'enjeu
principal, fondamental, est l'identité culturelle. La position du
gouvernement québécois, dans le cadre du libre-échange,
est de considérer l'identité culturelle comme un
élément non négociable de l'entente, ce avec quoi nous ne
pouvons faire autrement qu'être d'accord. Cependant, nous voudrions nous
assurer que l'identité culturelle soit plus qu'un concept abstrait, mais
soit une série de mesures, une série de considérations qui
se répercutent sur le plan économique.
En effet, dans un contexte où l'économisme et
l'industrialisation sont les idéologies dominantes de nos
sociétés occidentales, l'identité culturelle n'y
échappe pas et elle aussi s'incarne dans une activité
économique et industrielle. Donc, on ne peut pas parler à notre
époque d'identité culturelle sans parier d'industrie culturaliste
et c'est ce lien-là qu'on tient à représenter quand on
veut protéger l'identité culturelle. On veut donc aussi, selon
nous, protéger les industries culturelles.
Dans notre industrie, l'identité culturelle s'incarne par les
millions de disques, les milliers d'heures de diffusion radio et
télévision et les milliers de spectacles qui sont diffusés
au Québec ou au Canada, qui sont largement consommés par les
citoyens et qui, donc, sont déterminants dans toute l'identité
culturelle de notre pays.
L'identité culturelle pose déjà des
problèmes. Au moment où on envisage un libre-échange, il y
a déjà des problèmes graves, sans parler du
libre-échange, qui découlent de la concentration des entreprises,
de l'envergure de ces entreprises et de la technologie, qui ont
entraîné une mondialisation des marchés et une
homogénéisation de la consommation de la part des citoyens. Donc,
ces problèmes d'identité culturelle étaient là
avant qu'on envisage le libre-échange et ils vont continuer d'être
là d'autant plus. Au Canada et au Québec, la grande
majorité de nos produits culturels sont étrangers. La grande
majorité des produits culturels offerts et consommés sur nos
marchés sont étrangers et les recettes qui découlent de
ces produits fuient largement à l'étranger. Il en résulte,
finalement, une infrastructure industrielle très fragile qui est
difficilement compétitive, même sur son propre marché.
Le Québec partage ces problèmes avec plusieurs autres pays
européens, notamment la France, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, qui,
comme nous, ont un avantage naturel pour se protéger des produits
américains, celui de la langue. En plus, ce qui n'est pas notre cas, ils
disposent d'un marché intérieur important concentré
géographiquement. Ils sont donc mieux placés, à prime
abord, que nous pour défendre leur identité culturelle.
Malgré cette position avantageuse, le Conseil de l'Europe a
dénombré au-delà de 400 mesures, dans 13 pays
européens, qui visent à la protection des industries culturelles
nationales. C'est dire le type de mesures dont on a besoin ici, dans un
contexte où notre marché intérieur est faible et
très largement diffusé sur un territoire.
Actuellement, il y a des mesures qui sont là, les gouvernements
québécois et canadien, le ministère des Affaires
culturelles, le ministère des Communications fédéral, la
SODICC ont reconnu les besoins de ces industries et injectent chaque
année des millions pour aider à la création, à la
production et à la commercialisation des produits culturels au
Québec. Il y a de plus des mesures tarifaires sur le disque, des lois
qui protègent nos industries de la publicité en imposant une taxe
aux Américains ou aux Canadiens qui veulent annoncer dans les
périodiques non canadiens à diffusion canadienne. Il y a aussi
des règlements sur le contenu canadien qui s'ajoutent donc aux
injections directes de fonds dans l'industrie.
Malgré ces mesures, actuellement, la réalité
économique des industries culturelles au Québec, au Canada, est
très difficile. Nos marchés sont dominés par les produits
étrangers et notre accès au marché étranger est
très difficile, non pas à cause de la barrière tarifaire,
simplement à cause des moyens énormes qu'il faut
générer pour faire de la promotion, pour pénétrer
les marchés comme le marché américain, à cause des
budgets qui sont de douze à quinze et vingt
fois supérieurs aux budgets qui sont nécessaires pour
percer le marché ici. De plus, Ies Américains, à cause
d'un marché intérieur important, sont capables de produire des
disques, des vidéos avec des ressources financières incroyables,
des millions de dollars qu'ils peuvent investir dans des produits et ils
peuvent, à cause de la rentabilisation qui est faîte sur leur
propre marché, maintenir des politiques de prix à
l'étranger, donc, au Canada et au Québec, qui ne correspondent
absolument pas à la réalité économique de
l'industrie nationale. Par exemple, dans le domaine du disque, les politiques
de prix au détail sont largement déterminées par les
Américains qui offrent un produit de qualité, qui disposent de
ressources de production incroyables comparées aux nôtres. Donc,
il est difficile pour nous de maintenir une politique de prix qui
reflète la réalité économique de nos industries.
Nos prix doivent concurrencer les prix pratiqués par les
Américains. On ne peut pas vendre deux fois plus cher un disque qui a
coûté vingt fois moins cher à produire. Le consommateur est
face à ces choix-là et on ne peut pas maintenir des politiques de
prix facilement. Donc, nos politiques de prix, nos pratiques commerciales sur
le marché national sont fortement influencées par les
Américains qui ont des conditions économiques qu'on ne peut
comparer aux nôtres.
D'une façon générale, pour nous, il est clair que
les industries culturelles ne peuvent faire partie du libre-échange. Non
seulement elles ne peuvent en faire partie, mais il faut pour ces industries,
une protection accrue face aux entreprises étrangères. De toutes
sortes de façons, on peut s'inspirer des Européens, on peut
s'inspirer d'une foule de mesures qui ont été instaurées
un peu partout dans le monde. Il est certain qu'on ne parle pas de
libre-échange, mais plutôt d'un protectionnisme accru pour nos
industries culturelles.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, sur cette
présentation, je vais d'abord céder la parole au ministre du
Commerce extérieur.
M. MacDonald: Messieurs, merci de votre présentation. Je
serai bref, mais je tiens à noter que, dans votre conclusion, vous
démontrez clairement que nous pouvons avoir des intérêts
particuliers, qu'un secteur d'activité peut nécessiter une
attention tout à fait particulière, voire une quasi-exclusion
totale, sans pour cela rejeter d'emblée les intérêts des
autres et de l'économie du Canada en général. Quand vous
dites: Le projet de libre-échange n'est pas mauvais en soi, vous
ajoutez: II amènera de nettes améliorations dans plusieurs
secteurs de notre économie et nous permettra l'accès au
marché américain. Il faut cependant faire la part des choses. Si
certaines de nos industries peuvent soutenir et profiter de la concurrence
américaine, ce n'est pas le cas de nos industries culturelles.
Vous avez un mémoire qui est très bien structuré,
je vous en félicite. Cela dit, pour élaborer un peu plus sur
cette présentation, je pense que je vais passer la parole à Mme
la vice-première ministre qui s'y connaît beaucoup mieux que moi
et qui pourra faire ressortir certains des points qui vous intéressent
le plus.
Mme Bacon: Alors, merci, messieurs, de votre présentation.
Je pense que vous avez raison quand vous dites dans votre mémoire que
cela nous permet de faire le point sur les industries culturelles, de nous
apercevoir qu'il y a des choses qui ont été faites, mais qu'il en
reste encore à faire. On a encore un bout de chemin à faire
ensemble.
Nous partageons aussi votre lecture de la situation actuelle des
industries culturelles et du spectacle. Ce sont des industries fragiles, c'est
vrai, et qui ont profité de différentes mesures d'aide
financière, de protection des ministères du gouvernement pour se
tailler une place dans un marché qui est largement occupé par des
produits étrangers. Votre mémoire, qui est appuyé de
statistiques fort éloquentes, ne fait que confirmer notre volonté
d'appuyer et de protéger encore davantage nos industries culturelles qui
sont, pour nous, essentielles à la production des oeuvres
québécoises.
Nous voudrions quand même avoir certains éclaircissements
sur certains points de votre mémoire. Par exemple, vous mentionnez que
la production de spectacles canadiens aux États-Unis est marginale au
sein de la production totale des spectacles canadiens; c'est en page 8 de votre
mémoire.
Par ailleurs, vous participez à des congrès d'acheteurs de
spectacles aux États-Unis. Est-ce que votre participation à de
telles activités a ouvert de nouvelles possibilités de production
de spectacles aux États-Unis? Est-ce qu'il existe un bassin de
francophones américains qui soit important? Est-ce qu'il y a des
attentes, des besoins chez les Franco-Américains qui sont suffisamment
importants, selon votre association, pour accroître la production de
spectacles et de vidéos québécois sur le marché des
États-Unis? On nous dit que, dans la nouvelle génération,
non pas ceux qui nous ont quittés il y a longtemps ou même leurs
enfants, mais dans la nouvelle génération il y aurait une
espèce d'engouement pour une autre langue et cette autre langue serait
le français.
M. Morency: II est certain que, de plus en plus, les jeunes
artistes ont grandi dans un contexte culturel davantage universel.
Donc, on retrouve de plus en plus de produits intéressants pour
les marchés étrangers, des produits de créateurs
québécois qui ont été branchés sur une
culture davantage internationale. (15 h 15)
II y a un peu de productions. Cela dit, on n'en est pas encore au point
de mener systématiquement une mise en marché aux
États-Unis. Il y a de plus en plus de participation de notre part
à des événements, à des marchés
américains et européens. Régulièrement, depuis dix
ans, on va au MIDEM, à Cannes, où se retrouve l'ensemble de
l'industrie internationale du disque, pour tenter de percer. Certains de nos
produits, surtout les produits musicaux, hors la chanson, ont, dans certains
cas, pas mal de succès à l'étranger puisqu'il n'y a pas de
barrière de langue. Arriver à un marché, offrir un
produit, un "trade show" en particulier, et susciter un intérêt de
la part d'un acheteur, c'est le début d'un long processus. Pour soutenir
l'effort qui a été entrepris face à ce marché et
auquel on participe grâce à l'aide des gouvernements, il s'agit de
continuer à assurer une présence sur ces marchés qui
coûte extrêmement cher.
Actuellement, l'industrie nationale a de la difficulté à
financer le développement de son propre marché; donc, elle n'a
pas les moyens de financer une présence internationale soutenue. Nos
actions vont dans ce sens. C'est donc dire, pour que cette industrie jouisse
des investissements pour mener ce genre d'action, qu'il faudra trouver des
façons, qu'il faudra que les gouvernements aient des mesures d'aider qui
s'ajoutent et il faudra impliquer aussi le secteur privé.
Malheureusement, on est dans une période où l'Angleterre, les
États-Unis et maintenant le Canada éliminent les abris fiscaux
pour des investissements, par exemple, dans le cinéma, des types d'abris
qui auraient été susceptibles d'aider l'industrie du disque et du
spectacle à intéresser les investisseurs privés.
L'industrie du disque et du spectacle finalement est plus facile
à rentabiliser que l'industrie du cinéma puisque, quand on fait
un disque ou un spectacle, on n'investit pas 4 000 000 $, 5 000 000 $ ou 10 000
000 $ sur un produit qui va ou bien fonctionner ou bien ne pas fonctionner.
Avec le même budget, on peut produire 10 ou 20 produits. Donc, quant
à nos chances de succès dans un contexte où on ne peut pas
prévoir le succès d'un produit, ni dans le domaine du
cinéma, ni dans celui du disque, ni dans celui du spectacle, on a un
avantage statistique de succès pour des budgets comparatifs. Les
investisseurs privés, je pense, depuis quelques années, se sont
montrés très intéressés par l'industrie du
cinéma avec les abris fiscaux. Ces mesures, dans notre industrie,
auraient pu être très positives. C'est malheureux, parce qu'on est
finalement un peu "offbeat" à ce sujet, puisque les mesures fiscales, de
façon générale - il y a une problématique ici au
Canada - dans les pays occidentaux, ont tendance à disparaître.
Les régimes fiscaux ont tendance à éliminer ce genre de
mesures. Donc, oui au marché étranger, à la condition
d'avoir les sommes et les investissements nécessaires pour assurer une
présence soutenue.
Mme Bacon: Seulement une dernière question, M. le
Président; je sais qu'il y a des collègues qui veulent poser des
questions. Il y a un sujet qui a été débattu peu ou pas.
C'est la difficulté des conditions de travail des artistes et des
techniciens canadiens aux États-Unis. Vous avez mentionné cela
dans votre mémoire. Est-ce que vous pourriez expliciter davantage ces
problèmes qu'éprouvent les producteurs? Quelles mesures,
peut-être un assouplissement à la réglementation sur
l'immigration américaine, par exemple, ou sur les permis de travail,
pourraient faciliter ce permis de travail ou cet emploi que pourraient avoir
nos gens, nos Canadiens aux États-Unis?
M. Morency: Actuellement, un producteur canadien qui produit aux
États-Unis n'a pas le choix d'embaucher des Américains. Quand
c'est impossible, par exemple, dans le cas d'une tournée où les
musiciens travaillent avec l'artiste depuis plusieurs années et qu'il
n'est pas question de changer les musiciens ou lorsque les techniciens suivent
la tournée et qu'ils sont habitués - c'est quand même
techniquement complexe de monter un spectacle et de changer de ville le
lendemain matin - il est très difficile d'obtenir des permis de travail.
Actuellement, les Américains sont assez intraitables sur cette question.
Ici, finalement, ils profitent de conditions très favorables puisqu'ils
déterminent eux-mêmes les règle du jeu quand ils viennent
produire ici. On l'a vu dans le cas du Music-Fest l'an dernier où,
finalement, ils sont arrivés à Montréal, ont
déterminé une politique de prix dans le cadre d'une
expérience de mise en marché et ont payé, compte tenu de
cette expérience le double de la valeur des cachets en vendant les
billets la moitié du prix, donc un écart de quatre fois par
rapport à l'industrie nationale ou montréalaise, dans ce
cas-là. Finalement, il a fallu un an avant que les producteurs
québécois et montréalais puissent se remettre de cette
expérience de mise en marché qui a coûté finalement
peu de choses, 2 000 000 $, ce qui est peu pour un investisseur
américain, mais qui déséquilibre complètement
l'industrie.
Est-ce qu'il faut que les Américains soient plus ouverts face
à nous? Effectivement, oui, quand on n'a pas le choix. Quant à
nous, il faudrait peut-être être plus
sévères quand ils viennent ici. En fait, il s'agit de
trouver un équilibre.
Mme Bacon: Merci.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Morency,
M. Pilon et M. Di Cesare, il nous fait plaisir de vous accueillir., Votre
mémoire contient beaucoup de faits précis et de statistiques qui
nous permettent de bien saisir l'importance de la disproportion entre les
possibilités de ce qui se passe ici au Québec et ce qui se passe
aux États-Unis.
Vous avez mentionné tantôt, en terminant votre
exposé, que non seulement les programmes de soutien, les programmes
d'aide qui existent actuellement... Je pense à ceux de la SODICC,
à ceux qui ont permis particulièrement d'aider l'usine de disques
compacts à Drummondville au cours de la dernière année,
mais il y a aussi le gouvernement fédéral qui a mis de l'avant un
programme? au printemps dernier, le PADES, je crois. Quand vous demandez une
aide accrue, quand vous demandez un soutien accru pour être capables de
développer, entre autres, le marché du disque compact, pour
prendre un exemple, est-ce que vous voulez dire des sommes additionnelles ou
des programmes additionnels plus spécifiques soit pour la promotion,
soit pour les réseaux de distribution? Qu'est-ce que vous entendez, en
plus de ce qui existe, afin d'éviter la duplication par rapport à
ce qui se fait au gouvernement fédéral? Y a-t-il des choses
précises que vous demandez face à ce qui fait partie de vos
préoccupations actuelles?
M. Di Cesare: Je pense que, dans l'industrie du disque, par le
biais de Musicaction, les fonds pour la production existent. Mais produire un
disque, ce n'est pas suffisant, il faut le mettre en marché. Je pense
qu'on manque beaucoup, au Québec, de sommes qui nous aideraient à
faire la mise en marché de ces produits pour être
compétitifs avec les Américains. Il ne faut jamais oublier que
les Américains arrivent ici avec un produit qui a déjà
été éprouvé dans leur marché, donc un des
meilleurs produits pour ce qui est de la qualité, un produit que les
gens achètent déjà aux États-Unis. Donc, c'est un
produit éprouvé; ils arrivent ici avec tout le matériel de
publicité et de promotion pour nous le vendre à nous, les
Québécois. En plus de cela, ils ont déjà
récupéré leurs frais de production. Donc, ce qui nous
manque, après avoir mis en marche tout l'appareil de production, c'est
de mettre en marche un appareil de marketing, de promotion équivalant au
leur. Au Canada, les "majors" américains, les principaux investisse-
ments qu'ils font, c'est au chapitre du marketing, de la distribution, non pas
au chapitre de la production parce que leur production est déjà
faite; pour les quelques productions qu'ils font localement, ce n'est pas
là l'essentiel de l'argent.
Quant à nous, nos besoins dans l'industrie du disque sont plus
des besoins de promotion et de marketing, à ce stade-ci, parce qu'on a
des fonds pour la production. Ce sont la promotion et le marketing qui
manquent. Il faut prendre de l'espace dans les marchés. C'est chez le
détaillant, que le disque se vend. Si on se promène dans les
magasins de détail, l'espace qui nous est alloué n'est pas
suffisant en tant que production locale, il faut aller chercher de l'espace
là, en ayant de bonnes affiches, en ayant la possibilité de
mettre plus de matériel là. C'est cela,
M. Morency: Donc, comme l'a dit M. Di Cesare, il faut des fonds
aussi importants en promotion qu'en production. D'autre part, dans un contexte
où, justement, il y a un soutien à la production et où il
y aurait un soutien à la promotion, il serait important que les sommes
phénoménales qui sont investies en formation professionnelle dans
notre industrie, quand on pense à la construction, à l'industrie
de l'automobile, aux secteurs économiques majeurs... Il y a des sommes
incroyables qui sont investies en formation professionnelle dans un contexte
industriel qui est bien connu de tous, avec des programmes qui ont fait leurs
preuves avec le temps. Quand on veut accéder à ce type de
programme, toutes sortes de problèmes se posent parce que les programmes
ne sont pas faits sur mesure pour notre industrie, ils ne tiennent pas compte
de la réalité de notre industrie et, finalement, c'est un grand
besoin pour nous. La concurrence à laquelle on fait face est experte, si
on veut, et je pense qu'on partage cela avec d'autres secteurs
économiques; cela est ressorti ici. C'est important et urgent qu'une
relève industrielle soit mise en place, c'est-à-dire qu'on assure
la transmission des contenus, comme, en tant que producteur, par exemple,
comment faire un disque, comment faire un spectacle, comment développer
une entreprise de disques et de spectacles. Ces contenus ne sont écrits
dans aucun volume, ce sont des contenus qui sont dans la tête de nos
producteurs. Il est important d'assurer la transmission de cette expertise
à une relève industrielle et de former les gestionnaires de nos
entreprises qui, à première vue, ont l'air de gérer de
petites entreprises.
L'industrie est surtout articulée autour de pigistes, de
travailleurs autonomes. Dans le cas d'une entreprise qui a quatre ou cinq
permanents, si on analysait de près ses budgets de production au cours
de l'année,
on se rendrait compte que c'est une PME qui engage à langueur
d'année de 60 à 75 employes. Les problèmes de gestion de
ces entrepreneurs ressemblent davantage à ceux des entreprises de cette
taille qu'à des entreprises de quatre ou cinq permanents. Alors, les
problèmes de gestion, les problèmes de mise en marché, les
problèmes de production sont aussi complexes que ceux des entreprises de
plus grande taille. Plus complexes parce que, non seulement ils engagent de 60
à 75 personnes par année, souvent plus, mais ils les engagent dix
à douze fois par année. Cela veut dire que chaque fois, à
chaque projet, on réengage tout ce monde, donc, on a une administration
relativement complexe.
Paradoxalement, c'est une des industries la moins formée sur le
plan administratif. J'ai eu l'occasion, avec la SODICC, de me rendre compte de
ce phénomène. Ce secteur économique qui devrait être
très fort administrativement parlant, parce qu'il faut une lourde
administration pour produire des disques et des spectacles, est un des plus
faibles. Donc, il faudrait éliminer ce paradoxe et trouver des
façons d'investir dans la formation professionnelle au sein de
l'industrie.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Limoilou.
M. Després: Merci, M. le Président. J'aimerais
savoir, pour ce qui est de votre association et du soutien législatif
qui est accordé à votre industrie, notamment en ce qui concerne
la réglementation sur le contenu canadien des émissions de radio
et de télévision, quelle est votre opinion face à cette
réglementation.
M. Di Cesare: On voudrait, en ce qui concerne le contenu canadien
et québécois, ou francophone, à la radio, que cela
revienne au contenu exigé auparavant. Je pense qu'avec les
investissements qu'a faits le gouvernement fédéral avec
Musicaction et le MACQ avec ses programmes pour aider la production, il y a
beaucoup plus de produits qui sortent sur le marché maintenant et si on
veut que tout cela continue de fonctionner, il faut que cela tourne à la
radio, il faut avoir de l'espace radio, une vitrine radio importante. Je pense
qu'il faut que cela augmente. Il faut que cela augmente aussi aux heures de
pointe. C'est un autre grand problème du produit québécois
et même canadien anglais. Il faut tourner à la radio, mais tourner
aux heures de pointe ou aux heures de grande écoute. Il ne faut pas
tourner ailleurs, sinon on n'a pas la même exposition que les produits
américains.
M. Després: Est-ce que j'ai bien compris? Vous avez dit:
Cela devrait revenir à ce que c'était?
M. Di Cesare: Oui, parce qu'ils ont diminué...
M. Després: C'est quoi en termes de...
M. Di Cesare: Ils ont diminué à 55 %, dans certains
cas 50 %. Il faudrait que cela revienne à 60 % et 65 % dans certains
autres cas. Monsieur peut répondre.
M. Pilon (Robert): Oui. Simplement pour vous signaler, à
la dernière ligne, au bas de la page 11 - malheureusement, c'est un
problème de traitement de texte, j'imagine -que l'expression "contenu
francophone" a été sautée. La réglementation du
CRTC impose aux stations canadiennes, qu'elles soient de langue
française ou anglaise, d'abord un contenu canadien de 30 % des
pièces musicales qui sont jouées à la radio et, en ce qui
concerne les stations de langue française, autrefois, c'était 65
% de contenu vocal de langue française. Maintenant, durant les deux
dernières années, à la suite d'un certain nombre de
décisions, le CRTC a réduit cela à 55 % et, dans certains
cas, même à 50 %. (15 h 30)
II faut voir que c'est là une mesure extrêmement
importante. Essayons d'imaginer ce qui se passerait si cette
réglementation -je parle en particulier des 55 % ou 60 % de contenu
francophone - n'existait pas. La pression auprès des postes de radio,
entreprises qui doivent rentabiliser leurs opérations et vendre de la
publicité, et le marketing que les entreprises américaines, comme
on le signalait tantôt, font de leurs disques, la visibilité des
disques et des artistes américains partout, dans tous les médias,
obligent presque les postes de radio à faire jouer quand même
beaucoup de musique américaine. C'est la loi du marché,
jusqu'à un certain point. D'où l'importance de cette règle
des 55 % ou 65 %, selon les postes, de contenu francophone qui doit absolument
être maintenue.
On peut imaginer - c'est un scénario catastrophique et j'ose
espérer que cela ne se produira pas - mais certains rapports de presse
ont laissé entendre, que les Américains, dans le cadre des
négociations sur le libre-échange, étaient très
gênés par les différents règlements de contenu
canadien qui existent à la radio et à la télévision
- il y a des règlements de 60 % et de 50 %, selon les heures
d'écoute, de contenu canadien à la télévision - et
qu'ils voyaient ces règlements comme des barrières non tarifaires
restreignant, par conséquent, les fenêtres ouvertes pour leurs
émissions de télévision sur le marché canadien ou
les fenêtres ouvertes pour leurs disques dans les postes de radio.
Je pense que c'est là une mesure cruciale, tant dans le domaine
de la télévision que dans le domaine du disque, et, pour
l'industrie francophone du disque en particulier, il est crucial que cette
réglementation des 55 % ou 65 % de disques francophones soit
maintenue.
M. Di Cesare: Oui. Il ne faut jamais oublier que les
Américains ont compris une chose; à travers la culture, ils
vendent tous leurs autres produits. C'est par la culture qu'on amène des
modes et, par ces modes, que les industries manufacturières vendent des
produits à des pays étrangers. Il y a cela aussi.
M. Després: Le fait de diminuer ce temps d'antenne,
avez-vous déjà essayé d'évaluer si c'est
quantifiable pour vous dans l'industrie?
M. Di Cesare: Quantifiable?
M. Després: Quantifiable, je veux dire...
M. Di Cesare: La diminution du contenu?
M. Després: La diminution. C'est difficilement
quantifiable?
M. Di Cesare: C'est difficilement quantifiable. Ce qu'il est
important de savoir, c'est que ces règlements sur le contenu doivent
être faits pour les grandes écoutes, non seulement pour une
journée complète, mais pour les grandes écoutes. Il faut
répartir cela aussi durant les grandes écoutes.
M. Després: D'accord.
M. Pilon: Si je peux seulement me permettre une chose...
M. Després: Oui.
M. Pilon: ...André me faisait remarquer l'autre jour que,
au lendemain du spectacle de Madonna à Montréal, si vous vous
promeniez dans les magasins de disques et regardiez ce qui était
acheté, forcément, c'étaient des disques
américains, entre autres, ceux de Madonna. C'est la même chose
chaque fois qu'un artiste américain vient à Montréal avec
un battage énorme de publicité et de promotion. D'où
l'importance de mettre cette réglementation des 65 % ou 55 % en rapport
avec le blitz que font les artistes américains ici. Comment peut-on
mesurer cela? J'imagine que, si on avait fait une étude très
minutieuse, on aurait sans doute pu mesurer la diminution des ventes de
certains produits au moment où les postes de radio ont diminué
les contenus canadien et francophone. Je pense, par exemple, à des
postes de radio FM rock bien connus où, au moment où les contenus
ont été diminués, cela a sans doute eu un impact sur la
vente au détail.
M. Di Cesare: Sur la vente au détail de cette
catégorie de disques cela a eu un impact, je peux vous le dire»
Plusieurs artistes n'existent même plus aujourd'hui à cause de
cela.
M. Després: Concernant ce que j'appelle le soutien
législatif, y a-t-il d'autres points? Je vous ai mentionné
celui-là, mais y en a-t-il d'autres qui vous agacent
particulièrement ou qui devraient être modifiés? Je n'en ai
pas un en particulier en tête. Je vous ai mentionné celui de la
réglementation du temps d'antenne d'émissions de radio et de
télévision, il y en a peut-être d'autres, mais il n'y en a
peut-être pas non plus, remarquez bien.
M. Morency: Oui. En fait, il y aurait surtout un travail
d'analyse à faire pour identifier les mesures législatives
propres à aider notre industrie à contrôler le
marché intérieur et à accéder à des
marchés étrangers. Actuellement, peu de lois concernent notre
industrie; c'est plutôt l'absence de lois qui pose un problème que
la législation comme telle.
M. Després: Dans ce cadre, je vais vous poser la question
autrement. Quelles avenues le gouvernement du Québec devrait-il
considérer pour que l'industrie culturelle québécoise
puisse occuper une place plus importante, autant è l'intérieur du
pays que sur le marché international? Si on n'a pas de lois, qu'est-ce
qu'on devrait faire?
M. Morency: Un exemple. Quand on parle de politique de prix de
détail, il devrait y avoir une loi qui permette à l'industrie
nationale de maintenir une politique de prix de détail, selon sa
réalité économique plutôt que selon la
réalité économique des Américains. Donc, des tarifs
ou une taxe sur les produits étrangers qui ne refréneront pas la
consommation de produits étrangers, mais qui vont peut-être
générer des fonds qui pourront être réinvestis dans
l'industrie. D'une part, cela permettrait à l'industrie de maintenir sa
politique de prix au détail; d'autre part, cela permettrait de
générer des fonds pour l'industrie nationale qui pourraient
être investis, par exemple, pour aider les auteurs-compositeurs qui ont
de la difficulté à gagner leur vie sur notre marché, qui
pourraient être investis dans le domaine des salles et des
équipements culturels - actuellement, Montréal souffre d'un
manque de salles; même un événement comme le gala des
Félix n'a pas pu se tenir
à la Place des Arts ou au Saint-Denis, parce que les salles sont
prises, il manque de salles - et qui pourraient aussi être investis dans
la production.
En fait, il y a trois problèmes majeurs dans l'industrie des
auteurs-compositeurs. Les artistes doivent vivre de leur travail, l'industrie
doit générer des investissements et on doit avoir
l'infrastructure technique pour fonctionner. Par exemple, si la taxe
d'amusement qui est surtout facturée sur des produits américains
qui dominent le marché à 80 %, si le produit de cette taxe
était réinvesti, réinjecté dans l'industrie,
déjà on générerait des sommes incroyables et on
pourrait les canaliser dans le développement de notre infrastructure
industrielle. La taxe d'amusement est actuellement un irritant sérieux
et il y aurait moyen de faire beaucoup, de façon à transformer
cet irritant en un aspect positif des mesures qui sont mises de l'avant par le
gouvernement.
M. Després: Y aurait-il d'autres façons, d'autres
mesures, à part cette taxe?
M. Di Cesare: II y a l'éducation pour créer une
relève industrielle. Il faut absolument créer une relève
industrielle au Québec. Présentement, c'est ce qui manque le
plus. On a beaucoup de sous pour produire présentement, mais on manque
de relève industrielle pour s'occuper de tous ces gens-là. La
relève artistique existe, elle est là, elle attend des bons
producteurs, des bons gérants, des bons éditeurs pour s'occuper
d'eux. S'il y a un secteur où il faut faire un pas rapidement pour ne
pas perdre du terrain plus qu'on en a perdu depuis déjà un an et
demi ou deux ans, il faut vraiment aller de l'avant de ce
côté-là.
M. Després: D'accord. Je vous remercie, M. le
Président.
Le Président (M. Charbonneau): Merci. M. le
député de Roberval.
M. Gauthier: C'est plutôt une question de curiosité
dans le contexte du libre-échange, puisque c'est l'objet de notre
commission parlementaire. Tout le monde a compris et a admis qu'il fallait
exclure les industries culturelles, dont la vôtre, bien sûr. Mais
il y a une question qui me préoccupe et c'est la suivante: On comprend
qu'il faille exclure les industries culturelles, parce que les moyens de nos
voisins du sud - vous en avez fait état tout à l'heure - sont
tellement gros, tellement énormes, qu'ils envahissent facilement notre
marché, quitte même à couper les prix et à
présenter une situation que vous ne pourrez jamais concurrencer. On
comprend comment les Américains font pour venir ici, mais, comme il y a
des artistes de chez nous qui vont aux
États-Unis à l'occasion, j'imagine - et c'est là la
première partie de ma question - qu'il y a un certain écoulement
de produits de disques, entre autres, sur le marché américain,
pourriez-vous nous donner, si vous l'avez, un chiffre pour nous faire
comprendre l'ordre de grandeur que cela peut représenter? C'est
peut-être infime. J'imagine que c'est infime par rapport au marché
américain. C'est peut-être relativement important pour vous,
compte tenu du marché qu'on a ici, d'aller vendre là-bas des
produits. Or, j'aimerais avoir une idée de l'ordre de grandeur et
j'aurai une sous-question par la suite.
M. Di Cesare: Si on parie de produits francophones aux
États-Unis, il faut oublier cela. Il n'y en a pas qui s'exportent
vraiment. Si on parle de produits anglophones venant du Québec, il y a
Corey Heart qui a vendu 1 000 000 de disques aux États-Unis. Donc, c'est
un ordre de grandeur très intéressant sur un marché
comme...
M. Gauthier: Dans le produit francophone, c'est folklorique,
c'est quelques collectionneurs.
M. Di Cesare: Oui, oui, c'est marginal.
M. Gauthier: Dans un cas comme celui que vous avez cité
dans le produit anglophone, produit ici mais vendu là-bas, vous n'avez
toujours pas, même pour un produit comme celui-là, les moyens de
faire le battage publicitaire qui s'impose pour envahir le marché
américain. Quelle est la stratégie? Vous vous concentrez dans un
coin en particulier? Comment ça...
M. Di Cesare: Non, c'est par un distributeur américain que
la stratégie de marketing américaine va se faire. Ce n'est pas
à partir de Montréal...
M. Gauthier: Ce n'est pas vous autres.
M. Di Cesare: ...que ça va se décider. Même
les "majors" américains qui signent des artistes québécois
anglais ou canadiens anglais ne sont pas sûrs, s'ils font un produit ici,
de pouvoir le sortir chez leur partenaire américain, chez leur filiale
américaine. C'est aux États-Unis que la décision va se
prendre pour le marché américain. Elle ne se prendra pas à
Toronto ou à Montréal.
M. Gauthier: C'est donc dire, pour être réaliste,
que ça ne sera jamais possible et, si jamais un jour ça pouvait
devenir possible, il faudrait procéder à des investissements, une
implantation de l'industrie québécoise aux États-Unis, ce
qui est absolument illusoire.
M. Di Cesare: C'est ça, c'est illusoire.
La seule façon de le faire, si on prend l'exemple de Corey Heart,
ce sont de gros investissements dans la production. À partir du moment
où ces investissements-là ont été faits, avec de
l'expertise peut-être américaine ou autre, un transfert
d'expertise, à un moment donné, les Américains ont
décidé que le produit était valable pour le sortir aux
États-Unis, mettre la machine en marche et sortir les fonds que
ça prend pour faire de ça un succès aux
États-Unis.
M. Gauthier: La nature même de la réponse que vous
me donnez, dans le fond, répond à la dernière question que
je vais quand même exprimer à haute voix même si la
réponse est donnée., Des industries dites vulnérables au
libre-échange sont venues nous dire: Bien, si une période de
transition très très longue était mise en place, ça
serait peut-être possible de s'ajuster. Dans le cas du disque, entre
autres, ce n'est absolument pas possible.
M. Dï Cesare: Si on parle du disque francophone, on oublie
ça. Si on parle du disque anglais, pas vraiment.
M. Gauthier: D'accord. Je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. le ministre, vous
vouliez..,.
M. MacDonald: Je crois, M. le Président, que vous avez
retrouvé ici des gens, de part et d'autre, qui, par la nature de leurs
questions et également par leurs commentaires, sympathisent et font plus
que sympathiser avec vous pour ce qui est de protéger et d'aider
l'expression de notre culture. Mais vous ne m'en voudrez pas si je mentionne
cette espèce de cliché des gens du domaine des arts et du
spectacle qui sont supposés être un peu éloignés des
considérations pratiques; après vous avoir entendus tous les
trois, je serais prêt à parler affaires avec vous n'importe quand.
Je vous remercie de votre présentation.
Le Président (M. Charbonneau): Bon, écoutez...
Mme Bacon: Permettez, permettez que j'ajoute...
Le Président (M. Charbonneau): Mme la ministre, oui.
Mme Bacon: Cela fait du bien à mes collègues
d'entendre les gens de l'industrie culturelle et ce n'est peut-être pas
mauvais qu'ils viennent ici s'exprimer devant des collègues qui ont des
dossiers économiques. Cela leur démontre la place que prennent
les industries culturelles dans le monde économique pour faire avancer,
je pense, l'économie du Québec. Je veux vous remercier de votre
ton serein et aussi de l'intéressant dossier que vous nous avez soumis
et de votre souci de faire rayonner les productions québécoises
du disque, du vidéo, non seulement aux États-Unis mais aussi
à l'étranger. Je pense que c'est ça faire rayonner notre
identité culturelle. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Dans la même foulée, je vous
remercie au nom de notre formation politique. Vous avez aussi contribué
à nous enrichir. Si cette commission parlementaire permet à
certains parlementaires d'être sensibilisés davantage, je suis
d'accord avec Mme la ministre, pour cette fois-là.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, messieurs,
peut-être que votre venue à la commission parlementaire de
l'économie et du travail lui permettra d'étendre sa juridiction.
Nous retrouverons peut-être la juridiction de la commission sur les
industries culturelles et nous accueillerons plus souvent la ministre des
Affaires culturelles à notre commission.
Ceci étant dit, messieurs, merci de votre collaboration et de
votre participation. Je vais suspendre les travaux de la commission quelques
instants pour une pause-santé.
(Suspension de la séance 15 h 45)
(Reprise à 15 h 51)
Le Président (M. Charbonneau): Nous accueillons maintenant
l'Union des écrivains québécois. Je demanderais aux
représentants de l'union de prendre place à la table des
invités. Je vous rappelle que, par la suite, nous accueillerons la
Société nationale des Québécois de
Lanaudière et cela complétera les travaux pour cette semaine
assez remplie, je pense. Nous accueillons, je crois, Mme Charlotte Boisjoly et
les deux messieurs, j'imagine que ce sont M. Bruno Roy, le
vice-président, et M. Yves Légaré, le directeur
général. Madame, messieurs, bonjour. J'imagine que vous
étiez dans la salle, vous avez compris un peu nos règles du jeu.
On a une heure, vous avez environ vingt minutes pour présenter votre
position et, par la suite, le temps est réparti de part et d'autre entre
les membres de la commission pour un échange et des discussions. Je ne
sais pas qui va présenter le mémoire. C'est Mme Boisjoiy. Vous
pouvez y aller, madame. Je vais céder le fauteuil
présidentiel au vice-président, le député de
Vimont, pour quelques instants. Merci.
Union des écrivains
québécois
Mme Boisjoly (Charlotte): Mme la vice-première ministre,
M. le Président, M. le vice-président, mesdames et messieurs les
membres de la commission. L'Union des écrivains québécois
a tenu à se présenter devant cette commission afin de lui faire
part de ses interrogations, voire de ses craintes, face à un
éventuel traité de libre-échange
Canada-États-Unis.
Trop souvent dans ce débat, les enjeux culturels ou linguistiques
sont occultés par des préoccupations essentiellement
économiques. Or, une libéralisation des échanges
économiques avec les États-Unis influera, à notre avis,
sur tous les aspects de la société québécoise.
Les négociateurs, dans le secret des dieux, cherchent
actuellement à aplanir les différents obstacles au commerce entre
les deux pays. Dresseront-ils des barrières linguistiques ou culturelles
à cette belle uniformisation des rapports commerciaux qu'ils
recherchent? En l'absence d'un document définitif, ces questions
demeurent sans réponse.
Certes, tant au fédéral qu'au provincial, on affirme
volontiers que ni la culture ni la spécificité
québécoise ne seront négociables. Cela, malheureusement,
ne nous rassure guère.
D'une part, les Américains n'ont pas la même volonté
d'écarter des négociations ce genre de questions. Saura-t-on se
défendre contre leurs empiétements?
D'autre part, la culture a des retombées économiques
certaines; n'est-il pas d'ailleurs courant de parler en termes d'industries
culturelles? Définir ce qui relève de la culture et ce qui est du
ressort de l'économie pourra parfois entraîner de sérieuses
complications. Un disque, par exemple, est-ce un bien culturel ou un bien
économique?
Plus lourde de conséquences nous apparaît la dynamique
même dans laquelle le libre-échange nous entraîne. À
nos yeux, il constitue une accentuation de notre intégration à
l'espace nord-américain. C'est ainsi mettre une autre main dans
l'engrenage; une action qui, une fois enclenchée, sera
irréversible. D'ores et déjà, la présence
culturelle américaine se fait lourdement sentir: de Dynastie à
Madonna, point n'est besoin d'en faire une longue démonstration. Le
libre-échange ne risque-t-il pas de nous rendre davantage
vulnérables, ne risque-t-il pas d'accélérer la
pénétration américaine et d'entraîner notre
déperdition culturelle?
Au plan culturel, parler en termes de libre-échange nous semble
relever davantage du délire que de la réalité. En fait, si
échange il y a, il se fera plutôt à sens unique: nos
industries culturelles n'en retireront aucun avantage. Sans être
prophète ou économiste, il est facile de prévoir qu'aucun
nouveau marché ne sera ouvert à notre musique, notre
cinéma, notre chanson, notre littérature.
Dans les faits, les Américains n'importent pas de produits
culturels étrangers. Et si d'aventure, ils en consomment, ils les
servent à leur manière, en les intégrant à leur
culture. Malgré le dynamisme de nos créateurs, malgré la
vitalité de notre production, nos petites industries culturelles par
rapport à celles, toutes-puissantes, des États-Unis,
appartiennent aux secteurs mous de notre économie. En outre,
l'exiguïté de notre marché nous oblige à recourir
systématiquement à l'intervention de l'État.
Nous le voyons bien, culturellement, non seulement le
libre-échange ne comporte pas d'avantages, mais il laisse poindre de
sérieux dangers. Le premier, c'est bien sûr l'accentuation de la
pénétration des produits américains.
À cela s'ajoute l'élimination possible de ce que les
Américains pourraient considérer comme des entraves au commerce
et qui constituent pour nous des instruments de sauvegarde. Voilà
pourquoi il n'est pas exagéré de voir les règles d'une
éventuelle union économique comme autant de menaces pour
l'intégrité des compétences politiques nationales. Et
même les volontés canadiennes ou québécoises de
protéger la langue ou la culture peuvent être vues par les
Etats-Unis comme un moyen détourné de maintenir ou d'instaurer
des politiques protectionnistes canadiennes.
Un nouvel aménagement de l'économie ne peut qu'affecter
l'action de l'État dans ses dimensions économiques, politiques,
sociales et culturelles. Toute la discussion sur l'abolition des
barrières non tarifaires nous en donne la preuve. Quand nos programmes
sociaux, nos programmes d'aide à l'entreprise sont interpellés
par les Américains, on peut craindre avec raison que des concessions ne
leur soient faites. Le libre-échange risque en quelque sorte de
restreindre nos choix sociaux. Pourrons-nous souverainement favoriser tel ou
tel secteur sans mettre en cause les termes de l'échange avec les
États-Unis?
Or, nous l'avons dit, nos industries culturelles ne peuvent survivre
sans l'intervention de l'État. Voilà d'ailleurs un choix social
caractéristique de la culture québécoise. La tradition
américaine est tout autre, elle fait appel au mécénat
privé. Ne peut-on craindre alors que les discussions à cet
égard n'aient lieu sur des longueurs d'onde différentes?
Même dans le domaine du livre et
périodique en français, la présence
américaine se fait sentir. La version française de
Sélection du Reader's Digest a, par exemple, ses milliers
d'abonnés. En littérature scientifique, nombreux sont les livres
américains traduits dans des succursales américaines
installées au Québec et distribués ici. De telles
entreprises pourront-elles un jour dénoncer les subventions faites aux
éditeurs québécois comme étant déloyales?
Sans oublier que, dans ces mêmes 'secteurs scientifiques, les
étudiants sont le plus souvent formés par des livres
américains, faute d'une production locale adéquate. Pourra-t-on
continuer longtemps à développer une expertise
québécoise digne de ce nom ou serons-nous simplement d'habiles
techniciens? (16 heures)
Par ailleurs, la langue n'est pas toujours une barrière. Combien
de francophones lisent le Times ou Newsweek? Après les
lecteurs, les publicitaires ne risquent-ils pas de délaisser les revues
québécoises pour les américaines et les mesures qui
actuellement les en découragent ne seront-elles pas elles-mêmes
dénoncées comme entraves au libre-échange? D'autant que la
présence accrue de produits culturels américains favorisera sans
doute le passage des francophones vers l'anglais. Aura-t-on encore des lecteurs
dans 20 ans?
L'attrait de l'anglais est indéniable. N'a-t-on pas vu
récemment une production cinématographique, dite
québécoise, entièrement tournée en anglais sous
prétexte que là se trouve le marché. C'est d'ailleurs un
bel exemple de la difficulté qu'on peut avoir à distinguer un
bien culturel d'un bien économique.
À l'attrait exercé par l'anglais faudra-t-il ajouter les
pressions naturelles de la dynamique du libre-échange? Car, dans une
perspective purement économique, la langue ne sera-t-elle pas
perçue comme un frein à l'expansion des marchés? Les
politiques linguistiques pour la sauvegarde du fait français que, tant
bien que mal, nous cherchons à appliquer depuis nombre d'années
seront-elles à l'abri du libre-échange?
La question n'est pas nouvelle, déjà, l'an dernier, le
Conseil de la langue française, dans un rapport qu'il faisait parvenir
à la ministre des Affaires culturelles, exposait avec éloquence
les risques encourus à cet égard.
Marché et langue ne peuvent être dissociés. Cela
s'applique tout autant pour les politiques québécoises que pour
la loi fédérale sur les langues officielles. Le rapport Macdonald
en note d'ailleurs les liens. Je cite: "En ce qui a trait aux politiques
linguistiques, il a fallu débourser des centaines de millions de dollars
pour promouvoir l'utilisation des langues dans les écoles, dans les
bureaucraties gouverne- mentales et, surtout au Québec, dans
l'économie. Même si ces politiques puisent souvent leur
élan initial dans des réalités non économiques
comme la race, l'ethnie, la langue et le sexe, elles peuvent comporter des
conséquences majeures pour le fonctionnement des marchés". C'est
tiré du rapport de la Commission royale sur l'union économique et
sur les perspectives de développement au Canada.
Sous un éclairage économique, la langue nuit à
l'uniformisation des marchés» Elle est un obstacle à la
libre circulation des biens, des services, des personnes.
Combien de nos dispositions linguistiques seront perçues comme
une entrave au commerces une manoeuvre protectionniste et de ce fait
contestées par nos nouveaux partenaires commerciaux? L'étiquetage
en français ne nuira-t-il pas à la libre circulation des biens,
ne deviendra-t-il pas une exigence déloyale aux yeux des
Américains? Les clauses concernant la langue d'enseignement
n'entraveront-elles pas la libre circulation des personnes? Et l'affichage, et
la langue des affaires et quoi encore?
Nos politiques linguistiques déjà attaquées avec
fréquence pourront-elles résister à de nouveaux assauts?
L'Union des écrivains québécois ne peut que
s'inquiéter des menaces que ferait peser le libre-échange sur la
langue. II ne faut pas que la défense et la promotion de cette
dernière puisse être entravée par des impératifs
commerciaux.
Tout ce qui précède peut sembler relever d'un
scénario fantaisiste, voire alarmiste. Et pourtant, l'étude du
Conseil de la langue française donne même des exemples au sein du
marché commun où une politique linguistique d'un pays souverain -
et nous parlons ici de la France - fut invalidée par une décision
de la Commission des communautés européennes.
Au Québec, nous devons nous demander quel sera le poids de notre
langue et de notre culture quand viendra le temps d'engager l'avenir
économique du pays. Notre spécificité culturelle
demeurera-t-elle fondamentale quand les enjeux économiques sont si
importants? Que valent les angoisses culturelles de 6 000 000 de francophones
face aux desiderata économiques de plus de 200 000 000 de personnes?
Peut-on penser que les Américains, adeptes du melting-pot, comprendront
et respecteront notre spécificité? Les autres provinces
remettront-elles en cause cet éventuel accord pour calmer les
inquiétudes culturelles du Québec?
Alors que le poids du Québec à l'intérieur de la
Confédération canadienne n'est pas toujours évident, on
peut s'interroger sur la place qu'il occupera au sein de cet accord de
libre-échange, quand viendra le temps de défendre sa langue et
sa
culture.
Le traité relèvera des compétences internationales
du fédéral. Pourra-t-on compter sur ce dernier pour
défendre les intérêts particuliers du Québec? On
peut en douter; d'autant plus qu'il devra satisfaire l'ensemble des provinces
et présenter aux États-Unis l'image d'un partenaire
homogène.
Quels seront d'ailleurs les mécanismes instaurés en cas de
litiges? Qui pourra intervenir? Les instances créées pour faire
appliquer un traité perçu comme essentiellement économique
seront-elles réceptives à des priorités d'ordre culturel
et linguistique?
Le Québec n'a pas l'initiative dans ce traité. Nous
ignorons encore s'il en sera signataire. Et alors même, pourrait-il
réussir à sauvegarder ses pouvoirs législatifs en
matière de culture et de langue? Devrait-il, au préalable,
obtenir l'assentiment des autres provinces? Dérision au surplus, comment
légitimer une dérogation pour cause linguistique ou culturelle
quand la dynamique même du traité est celle d'une
intégration institutionnelle, juridique et commerciale?
Toutes ces questions et bien d'autres méritent réflexion.
Une fois l'intégration au marché américain amorcée,
une fois que les échanges nord-sud auront totalement modifié
notre paysage économique, il sera trop tard pour qu'un retrait soit
envisageable. Le libre-échange est trop important pour qu'on y
adhère les yeux fermés.
Certes, on peut comprendre qu'à l'étape des
négociations les parties tiennent au secret. Il n'en demeure pas moins
que les véritables implications du libre-échange doivent
être sérieusement analysées, particulièrement dans
leurs effets sociaux, politiques et culturels, et faire l'objet d'un
débat large et public.
À cet égard, on peut s'inquiéter du désir
exprimé par les deux pays de faire en sorte que l'accord, une fois
intervenu, soit rapidement entériné. Le libre-échange,
s'il doit se faire, ne doit pas se faire dans la précipitation, ni sans
consultation populaire. Pour le Québec et même pour le Canada, les
enjeux culturels du libre-échange doivent être clairs. Car, et
nous reprenons cette phrase du romancier Jacques Godbout: "La différence
entre le Canada et les États-Unis, c'est le Québec."
Ce mémoire a été rédigé par M. Bruno
Roy et M. Yves Légaré.
Le Président (M. Théorêt): Merci, Mme
Boisjoly. Je vais maintenant céder la parole au ministre du Commerce
extérieur et par la suite à Mme la ministre des Affaires
culturelles.
M. MacDonald: Mme Boisjoly, MM. Roy et Légaré,
merci de la présentation de votre mémoire.
En regardant certaines phrases de votre conclusion, nous ne pouvons
qu'être totalement d'accord. Vous dites que toutes ces questions et bien
d'autres méritent réflexion, que le libre-échange est trop
important pour qu'on y adhère les yeux fermés, qu'il ne faut pas
se précipiter, que cela doit faire l'objet d'un débat public et
voici que nous sommes dans un débat public. Vous dites également
que le libre-échange culturel entre le Québec et les
États-Unis n'aura pas lieu. Je suis d'accord avec vous dans le sens
général de la chose. C'est facile pour moi de l'être parce
que je reviens aux prémisses du départ. Sans vouloir
répéter les conditions du gouvernement fédéral, je
me permettrai de souligner celles du gouvernement provincial qui
étaient: Si la culture n'est pas exclue, à toutes fins utiles, si
le moindrement il est possible de mettre en danger, d'à peine
égratigner la spécificité culturelle du Québec, on
n'y est pas.
Malheureusement, vous dites également: Cela ne nous rassure
guère. Nous n'avons pas autre chose à vous présenter que
notre crédibilité. Le fait que, à juste titre, nous soyons
des Québécois, dans mon cas même, de choix et que je n'aie
rien à prouver et que les préoccupations, qui sont les
vôtres sur le plan de la culture, sont également, non seulement
les miennes, mais celles de notre gouvernement, et je ne connais pas beaucoup
de Québécois qui ne les partagent pas... Je dirais aussi que
peut-être nous n'avons pas la même foi en cette résistance
du peuple québécois et du peuple québécois
francophone particulièrement.
Il n'est pas question de se retrouver dans un marché commun. Il
n'est même pas question d'aller vers une union douanière. Dans un
contexte comme celui-ci qui dure depuis la signature du traité de Rome,
je ne connais aucune des nations de l'Europe qui a perdu un trait de
caractère de sa spécificité nationale et nous, nous avons
été écrasés à maintes reprises. Je pense
qu'à l'heure actuelle jamais on ne s'est retrouvé aussi fort.
Je conclurais, madame, en vous disant que j'espère que les
paroles que j'ai pu prononcer avant aujourd'hui et aujourd'hui et celles de Mme
la vice-première ministre et de mes collègues sauront vous
rassurer un peu plus.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
ministre. Mme la vice-première ministre, ministre des Affaires
culturelles.
Mme Bacon: Merci, M. te Président. J'aimerais remercier
les responsables de l'Union des écrivains québécois pour
cette importante contribution aux travaux et aux réflexions, aussi, de
la présente commission parlementaire. Nous disions tout à l'heure
que, si cela nous avait seulement servi à remettre en question soit les
industries
culturelles, soit d'autres domaines en ce qui concerne la culture, je
pense que cela aurait une valeur importante dans ce débat.
J'aimerais aussi marquer mon préjugé favorable quant
à la mise en valeur d'un accroissement audacieux de
l'accessibilité des productions culturelles québécoises
sur le marché américain et réitérer aujourd'hui ma
détermination et celle du gouvernement de maintenir, mais aussi de
renforcer les mécanismes gouvernementaux d'intervention dont le
ministère des Affaires culturelles s'est doté pour faciliter la
distribution comme la diffusion au Québec, au Canada et aux
États-Unis des produits et des créations
québécoises. Je pense que le gouvernement devrait toujours
apporter son soutien à la diffusion et à la distribution des
produits culturels.
Il y a des appréhensions comme il y a des attentes qui sont
exprimées par l'Union des écrivains québécois qui
sont à la fois sérieuses et aussi légitimes. Je pense
qu'il faut dire que les positions qui sont exposées dans votre
mémoire rejoignent bon nombre d'orientations et aussi d'objectifs qui
sont poursuivis par le ministère que je dirige en ce moment, notamment
en ce a trait à la nécessité de l'appui continu de
l'État - je reviens sur cela, parce que c'est important -en
matière culturelle et linguistique.
Vous avez mentionné à plusieurs reprises l'avis du Conseil
de la langue française. J'aimerais peut-être apporter un
commentaire et vous dire tout de suite que cet avis a été
envoyé à mes collègues qui ont eu une
responsabilité dans ce dossier du libre-échange et qui en ont
tenu compte à l'occasion des travaux, soit sous l'égide du groupe
de travail interministériel, et évidemment à mon
collègue, le ministre du Commerce extérieur. Ils avaient tous
reçu cet avis et j'ai voulu les sensibiliser davantage à l'avis
du Conseil de la langue française au moment où se poursuivaient
les travaux du comité interministériel.
Certaines préoccupations que vous évoquez dans votre
mémoire rejoignent, je pense, directement des éléments de
position du ministère des Affaires culturelles dans le dossier. Nous
constatons, comme vous, que les industries culturelles, y compris
l'édition, font des produits à haut risque. C'est toujours
à haut risque quand c'est la culture. Ces produits rencontrent une
concurrence des multinationales alors qu'ils viennent des petites et des
moyennes entreprises. Il y a aussi des difficultés particulières
de financement. Je pense que vous êtes sûrement d'accord avec
l'affirmation que l'on a faite portant sur l'exclusion des industries
culturelles des négociations. Elles sont nécessaires pour nous et
nous permettent de garantir, avant tout, aux créateurs
québécois de pouvoir continuer de communiquer avec notre
collectivité sans avoir à subir des problèmes que pourrait
amener la négociation, au même titre que d'autres de notre
culture. (16 h 15)
En ce qui concerne les industries culturelles, j'aimerais savoir dans
quelle mesure, selon votre organisme, le maintien de tous les instruments
d'intervention gouvernementale est nécessaire à la survie et au
développement de l'industrie culturelle. Je repose souvent cette
question, mais j'aimerais savoir de vous s'il faut faire davantage que ce que
nous faisons en ce moment, soit par réglementation, par programmes bien
définis, par des subsides ou par des interventions que nous faisons au
plan financier auprès des groupes culturels. Y a-t-il d'autres
façons d'apporter une participation gouvernementale qui pourrait
être déterminante dans la diffusion du produit culturel
québécois? On nous dit souvent que nous sommes trop
interventionnistes. Le sommes-nous trop, pas assez ou juste assez?
M. Roy (Bruno): Vous nous donneriez 1 000 000 000 $ et on vous
dirait qu'on n'en a pas assez.
Mme Boisjoly: On vous dirait: Merci beaucoup!
M. Roy: Mais on vous dirait merci. Mme Bacon: Ha! Ha!
Ha!
M. Roy: Je comprends votre question. Il faut aussi comprendre
que, dans la dynamique du libre-échange, M. MacDonald a parlé de
crédibilité, je dirais qu'il ne faut pas être naïf en
même temps. Vous avez parlé de crédibilité
auprès des intervenants américains. Mais, à l'inverse, de
notre côté, il ne faut pas être naïf et je vais
rejoindre votre question par ce biais. Effectivement, je pense que le soutien
de l'État est un principe acquis que personne ne va mettre en doute.
Là où nous nous posons des questions, étant donné
qu'il n'y a pas de texte officiel de l'entente, c'est à savoir si les
Américains, dans leurs négociations, ne voudront pas
éliminer un certain nombre de choses.
Prenons l'exemple de la langue. Si une loi est prévue pour
protéger la langue, ce qu'on pourrait appeler une clause de protection,
comment les Américains pourraient-ils accepter une telle chose en
sachant très bien que, dans leur propre territoire, les hispanophones
pourraient exiger la même chose? Si cela devient égal, si le
rapport en est un d'égalité, qu'est-ce qui nous garantit la
possibilité d'obtenir cette clause? Pour l'instant, la question se pose,
mais on n'a pas de réponse étant donné qu'on ignore
même si cela a été discuté de façon formelle
et approfondie. On ne le sait pas et, pour nous, c'est une hypothèse.
Donc,
de ce point de vue, il y a une crainte réelle.
Mme Bacon: Vous avez parlé d'étiquetage, tout
à l'heure, et je n'aurais qu'à vous demander de vous
référer à l'article 51 de la loi 101; il pourrait vous
rassurer. Il existe toujours et il n'a pas été changé.
Mais je pense aussi qu'il ne faudrait - je m'avance peut-être un peu -
pas s'alarmer outre mesure sur ce qui adviendrait de l'étiquetage des
produits vendus ou distribués au Québec advenant la
libéralisation des échanges commerciaux. Là, j'exclus la
culture.
On connaît quand même la façon des Américains
de respecter leur marché. Jusqu'à maintenant, notre politique
linguistique sur les produits a été respectée par les
Américains et je ne pense pas que des négociations sur le
libre-échange changent quoi que ce soit à cela. C'est la demande
faite par le marché et ils ont quand même un respect de leur
marché. On a vu des produits américains avec le français
sur les étiquettes; ils ont respecté les exigences du
Québec là-dessus. Ils ont l'habitude de tenir leurs commerces et
de faire affaire avec nous; donc, ils savent ce qu'il en est. D'abord, on a des
lois qui nous protègent, mais on a aussi cette liberté
d'expression du marché, si je peux m'exprimer ainsi. Aussi, dans les
conditions que nous avions posées au départ dans les
négociations, il y a le respect intégral de nos lois, de nos
programmes, de nos politiques dans les domaines de la politique sociale, de la
politique des communications, de la langue et de la culture. Si cela n'avait
pas été respecté au départ, il n'y aurait pas eu de
discussion possible. Cela faisait partie des conditions de l'appui du
Québec à un accord au libre-échange et cela n'a pas
changé en cours de route. Je comprends que vous n'ayez pas le texte
devant vous, mais ce sont les conditions que nous avons mises au départ
et qui sont quand même connues du public.
M. Roy: Dans le texte, on parle du poids culturel politique du
Québec. Selon vous, il serait réel dans cette discussion?
Mme Bacon: Mon collègue pourra ajouter ses commentaires
tantôt parce qu'il est responsable du dossier, mais, sur le plan canadien
- et vous le dites vous-même dans votre conclusion: le Canada ne serait
pas le Canada sans le Québec - le Canada ne peut pas faire autrement que
de respecter ces conditions de l'appui du Québec à un accord de
libre-échange.
M. MacDonald: Je voudrais vous rappeler ce que vous avez
sûrement lu ou vu, ou ce dont vous avez pris connaissance,
c'est-à-dire l'organisation mise en place par le gouvernement dans cette
négociation et il faut se rappeler que, depuis le Tokyo Round du GATT,
on a commencé à traiter plus spécifiquement de sujets de
commerce international, mais il y avait des domaines de juridiction provinciale
pour le Canada. La même chose s'appliquait pour d'autres pays qui sont
régionalisés. Les gouvernements centraux de ces pays-là se
sont rendu compte qu'il ne leur servait à rien de négocier
quelque chose si cela ne pouvait être mis en application à cause
de la structure constitutionnelle d'un pays et c'est ce qui arrive plus que
jamais dans la ronde actuelle si je prends, par exemple, les problèmes
qui vous touchent de près: la question de la propriété
intellectuelle, la question de l'investissement, la question des services,
secteurs où il y a loi ou réglementation provinciale et où
toute entente signée par Ottawa avec Washington n'aurait de valeur si on
s'y opposait parce qu'Ottawa ne pourrait pas livrer la marchandise. Dans ce
contexte-là, vous avez eu la mise en place d'un exemple, sans aucun
doute. C'était peut-être une première.
Le comité Reisman, qui regroupe des représentants de
toutes les provinces, a démontré - peut-être parce qu'il y
avait une tierce partie; ce n'était pas la question de régler les
problèmes de l'Ontario et de l'Île-du-Prince-Édouard, parce
que c'était le Canada vis-à-vis des États-Unis - une
maturité qui a amené un genre de coopération et où
l'un s'est aperçu qu'il ne pouvait pas réaliser grand-chose sans
l'autre. D'où un poids qui ne vient pas du fait qu'on est 24 % de la
population et ainsi de suite. Dans la nature même des choses, le
Québec a joué et joue un rôle très important dans
toutes les négociations.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Mme Boisjoly, M. Roy, M.
Léqaré, merci de vous être déplacés et
d'être venus sensibiliser la commission et tous ceux qui suivent ses
travaux à l'extérieur de cette enceinte. Votre mémoire est
très convaincant dans le sens que vous touchez des cordes très
sensibles et vraiment importantes.
Lorsque le ministre du Commerce extérieur et Mme la
vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles nous
confirment que le gouvernement du Québec a la situation en main, cela
vous inquiète et nous aussi. Je m'explique. Même si, dans les
conditions où on mentionne très clairement qu'est exclue toute la
question de la culture, tout le monde est de bonne foi et on veut tous dire la
même chose. Là où cela se complique, c'est lorsqu'il est
question de toutes les barrières non tarifaires - si je peux m'exprimer
ainsi - de tout ce qui va
entourer les dérivés sur les autres produits qui vont
faire en sorte que ça risque de venir toucher l'aspect culturel. Et vous
avez tout à fait raison d'apporter cette dimension. En effet, la
négociation a lieu essentiellement entre Ottawa et Washington, On sait
quelle vision ont les Américains de la culture; d'abord, de la culture
canadienne et, de la culture québécoise, encore moins. Je pense
que, là-dessus, il y a eu beaucoup de faits de rapportés et je
pense qu'on ne charrie pas et qu'on ne dramatise pas quand on dit que, pour les
Américains, "culture means entertainment".
Cette préoccupation-là, en tant que
Québécois, est drôlement grande parce que c'est en haut
lieu que ça se négocie et, même si on inscrit dans le
pacte, dans le traité, que la culture sera protégée, la
question fondamentale que vous posez à la page 9 de votre mémoire
c'est; Une fois cette entente signée - et elle risque d'être
signée dans quelques jours avec la volonté ferme du gouvernement
du Québec, qui sera de bonne foi et qui aura dit! Nous mettons
l'exclusion ou nous demandons l'exclusion de la culture - qui va
défendre les intérêts du Québec au gouvernement
fédéral? Voilà un autre problème.,
La culture est un secteur de juridiction provinciale, je le
conçois. Mais le pouvoir de dépenser du fédéral
dans ce secteur implique de lui une intervention croissante, entre autres, dans
le financement des activités, soit des individus, des organismes ou des
entreprises culturelles au Québec. Je prends un exemple. Les programmes
d'aide du fédéral pour le développement de l'industrie du
disque ont été de 25 800 000 $ en trois ans. Pendant cette
même période, le ministère des Affaires culturelles s'est
retiré progressivement de différents secteurs d'activité
pour toutes sortes de raisons, que ce soit à cause de compressions
budgétaires ou autres; il s'est retiré. Pendant ce temps, le
gouvernement fédéral a étendu son influence via son
pouvoir de dépenser et je pense qu'il va falloir encadrer cette pratique
et s'assurer que le contrôle de l'État québécois sur
le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral en
matière de culture s'exerce pleinement.
Quand les ministres, les porte-parole du gouvernement nous disent: Soyez
tranquilles, je pense qu'il va falloir assurer que vous pouvez, que le
gouvernement peut non seulement garder ou conserver ce qu'on a en termes de
législation, mais il va falloir le resserrer parce que l'influence du
libre-échange va faire en sorte qu'il va se faire un commerce
additionnel et il va se faire une ingérence accrue de tous les produits
fabriqués aux États-Unis sur le marché canadien et
particulièrement sur le marché québécois. Et c'est
là qu'on aura de la difficulté à contrôler. Sur
l'aspect de l'étiquetage - je peux vous le donner comme exemple - je
pense que c'est tout à fait véridique. Et je pense que les lois
actuelles, la législation, tout ce qui existe actuellement devra non
seulement être appliqué à la lettre, mais être
augmenté pour que nous soyons capables de faire face à cela.
Prenons l'exemple de la publicité. Je sais que cela concerne la
politique fiscale canadienne, mais si, par exemple, la compagnie Seagram
décide d'annoncer, demain matin, dans le New York Times parce qu'elle
pense qu'il y a de plus en plus de Québécois d'une certaine
classe ou de certains groupes d'affaires ou peu importe qui le lisent davantage
et qu'elle veut rejoindre cette clientèle-là...
Présentement, ils ne sont pas portés à le faire à
cause des avantages sur le plan de la fiscalité canadienne, mais le jour
où ça ne se fera plus et où il n'y aura plus cette
protection, cet avantage, cette barrière non tarifaire ou cette
dimension d'abri fiscal ou de subvention, toute forme d'aide quelconque
-laquelle on ne contrôle pas, soit dit en passant, lorsqu'il s'agit des
avoirs sur le plan fédéral - moi, je me dis qu'il y a des choses
qui vont nous échapper et rapidement. Je pense que, même si tout
le monde est de bonne foi, on ne pourra pas, si on n'est pas extrêmement
vigilant, contrôler ce que j'appelle notre culture, et tout ce qu'on a
acquis s'effrite, malgré nous, autour de nous actuellement. (16 h
30)
Je n'ai pas de question particulière, si ce n'est de vous dire;
Vous devez continuer à porter très haut vos messages. Vous devez
continuer, l'Union des écrivains québécois, en tant
qu'organisme concerné, à faire valoir et à vous assurer
que, au-delà des paroles, il va y avoir des gestes de posés. Tout
le monde s'entend sur ie principe. Est-ce que, dans la pratique, dans les faits
on va être prêts à agir pour être capables de
protéger... C'est ce que j'avais à mentionner comme propos
d'ordre général. Je n'ai pas particulièrement de
questions, si ce n'est de vous féliciter pour cette sensibilisation et
cette excellente présentation.
Le Président (M. Théorêt): M. Roy, vous
vouliez faire un commentaire.
M. Roy: Oui. Ce sera un commentaire d'ordre
général. On parlait tantôt de la possibilité pour
les francophones de pénétrer le marché culturel
américain. J'ai envie de sourire quand j'entends cela. Je pense à
un artiste comme André-Philippe Gagnon, s'il a pu percer aux
États-Unis, c'est parce qu'il imitait des chanteurs, des artistes
américains. Je ne sais pas si en imitant seulement Vigneault il aurait
percé. Encore là, ce fut un succès très
limité dans le temps. C'est dans ce sens-là que je me
méfie d'un certain enthousiasme, disons.
La deuxième remarque, c'est pour répondre plus
directement, à reculons d'ailleurs, à Mme Bacon. Effectivement,
ce qui est important, c'est de faire circuler le produit. Par exemple, ce qu'on
pourrait appeler l'impérialisme du produit culturel américain,
quand il s'impose ici, il empêche les francophones, les
Québécois d'ici d'avoir accès à leur propre
culture. Le rapport est tellement inégal que, en effet, faire circuler
le produit devient le moyen. Il est bien sûr que les subventions sont
importantes, elles sont nécessaires, il n'y en aura jamais assez, d'une
certaine manière. En même temps, ce qui est important, c'est qu'on
ait une infrastructure qui permette la circulation du produit, qu'on entende la
chanson francophone à la radio. Les sondages sont plutôt
pessimistes de ce côté-là, bien que, depuis quand
même quelques mois, il y ait un effort réel. Il reste que, le
produit québécois ne circulant pas, le reste demeure de belles
intentions.
Le Président (M. Théorêt): M. le
député de La Peltrie, vous aviez une question?
M. Cannon: Oui. Merci, M. le Président. Si mon
collègue de Bertrand n'a pas de question à poser, de mon
côté, j'aurais une ou deux questions à vous poser, bien
sûr, si le temps me le permet. À la page 2 de votre texte, Mme
Boisjoly, vous dites: "Plus lourde de conséquences nous apparaît
la dynamique même dans laquelle le libre-échange nous
entraîne. À nos yeux, il constitue une accentuation de notre
intégration à l'espace nord-américain." Pourriez-vous nous
indiquer d'une façon concrète comment ce phénomène
pourrait affecter votre secteur d'activité?
M. Légaré (Yves): Peut-être que je pourrais
répondre. Je vous reporterai à une enquête qui est parue
hier. L'enquête a été faite par M. Greiss de la Direction
générale de l'enseignement collégial. Elle donnait
justement l'impact de la pénétration américaine quant aux
connaissances littéraires de nos cégépiens. Il semble que
les cégépiens connaissent fort peu la littérature
québécoise. La plupart ne connaissent même pas Jacques
Godbout, ne connaissent pas des auteurs comme Lemelin, etc., qui sont
très connus. Ils connaissent davantage la littérature
américaine, encore qu'ils ne connaissent pas beaucoup la
littérature. Donc, la pénétration américaine est
déjà, sans le libre-échange, très très
forte. Tous les secteurs de l'économie étant liés, on ne
peut pas faire abstraction de la culture lorsqu'on parle d'économie, on
ne peut pas faire abstraction du social, tout est quand même
interrelié. On craint que cette accentuation de la
pénétration soit accélérée par le
libre-échange. Il n'est pas, à notre avis, nécessairement
question de mettre en cause une crédibilité. C'est simplement que
ce libre-échange pourra ultérieurement, pas nécessairement
à court terme, mais à long terme, entraîner des
modifications économiques, donc, un échange nord-sud, et
peut-être aussi de nouveaux pourparlers pour aller plus loin et la
culture pourrait être entraînée dans ce sillage.
M. Cannon: Dites-moi peut-être si j'ai... Oui, merci, M. le
Président. J'aimerais simplement savoir si, dans les conditions
actuelles, l'énoncé de principe que nous avons fait, je pense que
vous êtes extrêmement familier... Le ministre du Commerce
extérieur et du Développement technologique de même que la
vice-première ministre vous ont réitéré la position
québécoise et la position canadienne. Ce que j'aimerais savoir de
votre part, c'est: Assumant qu'on est de bonne foi, êtes-vous favorables
à une libéralisation des échanges avec les
Américains?
M. Légaré: Nous n'avons pas abordé cette
libéralisation des échanges en termes de favorable ou pas parce
que les secteurs véritablement impliqués, les secteurs
économiques à ce qu'on nous dit, cela sort quand même de
notre domaine. Si on parle d'un point de vue culturel, nous vous dirions que
nous avons tellement de craintes, donc, non. Si on parle d'autres points de
vue, je pense que les gens d'autres secteurs feront valoir ces points de vue
respectifs.
D'un point de vue culturel, nous croyons que le libre-échange ne
pourrait pas exister puisque les produits américains
pénétreraient constamment au Québec et que te produit
québécois ne pénétrera jamais, sauf exception, le
marché américain. Donc, ce n'est pas du libre-échange,
pour nous.
M. Cannon: D'accord, merci.
Le Président (M. Charbonneau): Mme la ministre des
Affaires culturelles.
Mme Bacon: Juste le mot de la fin, pour vous remercier de votre
présentation qui est un élément ajouté aux
discussions que nous avons déjà eues. J'aimerais quand même
rappeler que nous avons formellement fait reconnaître la
spécificité du Québec dans l'entente du lac Meech. Nous
avons, en même temps, accepté la nécessité de
défendre la spécificité, de la relever et de la mettre en
valeur. Je pense que c'était acquis à ce moment-là et
compris par tout le monde.
II n'est pas question de consentir à des mesures
libre-échangistes qui auraient pour effet, à plus ou moins long
terme, de réduire cette spécificité
québécoise, de la réduire en
affaiblissant le développement et l'épanouissement de
notre culture chez nous, mais aussi à l'étranger. Il n'en est pas
question, sous aucune forme, d'aucune façon. Je pense que, comme
Québécois, nous avons intérêt à sauver,
à garder et à protéger cette intégrité
culturelle par tous les moyens que nous avons en place en ce moment - on en a
mentionné queiques-uns aujourd'hui - et peut-être ensemble essayer
d'en trouver d'autres. Ce qui est nécessaire, ce qui est important,
c'est cette condition sine qua non que nous avions au moment de îa
discussion ou de l'adhésion québécoise aux discussions du
libre-échange entre le Canada et les États-Unis, condition de
protéger la culture québécoise et notre
spécificité québécoise.
Le Président (M, Charbonneau): Alors, pour le mot de la
fin, Mme Boisjoly et MM. Roy et Légaré, il ne me reste
qu'à vous remercier d'avoir participé à cet exercice qui,
je pense, a été apprécié par tous les membres de la
commission et, j'en suis convaincu, par tous ceux qui ont suivi nos travaux et
qui les suivent encore à ce moment-ci à la
télévision. Merci beaucoup et à une prochaine fois. Les
chances de vous revoir à la commission de l'économie et du
travail sont peut-être moins grandes que de vous revoir
éventuellement à la commission de la culture, mais sait-on
jamais! En tout cas, le président de la commission de l'économie
et du travail est probablement un de vos membres. D'ailleurs, ayant
publié deux livres, je pense que j'ai eu des communications il y a
quelque temps avec l'union.
Mme Bacon: Conflit d'intérêts!
Le Président (M. Charbonneau): II n'y a pas de conflit
d'intérêts, je n'ai pratiquement pas dit un mot. Alors, merci et
bon retour.
J'invite, maintenant, la Société nationale des
Québécois de Lanaudière à se présenter
à la table des invités.
Messieurs de la Société nationale des
Québécois de Lanaudière, je vous souhaite la bienvenue
à la commission parlementaire de l'économie et du travail. Je
pense que vous êtes au courant comme les autres intervenants que vous
avez une heure au total et la présentation initiale va durer une
vingtaine de minutes. Par la suite, on aura un échange avec vous. Je
crois que c'est M. Racine qui préside la délégation. Si M.
Racine veut bien présenter les gens qui l'accompagnent et
immédiatement par la suite engager son exposé.
Société nationale des
Québécois de Lanaudière
M. Racine (Jacques): M. le Président, je veux vous
remercier d'avoir accueilli la Société nationale des
Québécois de Lanaudière. Je désire vous
présenter ceux qui m'accompagnent. À ma droite, M. Gilbert
Boulet, président de la commission politique de la Société
nationale des Québécois de Lanaudière et également
vice-président de la Société nationale des
Québécois de Lanaudière; à sa droite, par la suite,
M Pierre Morin, administrateur à la Société nationale des
Québécois de Lanaudière et également membre de la
commission politique: à ma gauche, M. René Charette, directeur
général de la société. Ces personnes ont
collaboré étroitement à la rédaction de notre
mémoire et vont sans doute apporter tantôt leur collaboration lors
de l'échange si les députés jugeaient bon de poser des
questions.
M. le Président, mesdames et messieurs de la commission
parlementaire, nous voudrions, en guise de préambule, vous situer
quelque peu notre organisme. La Société nationale des
Québécois de Lanaudière, à l'origine appelée
la Société Saint-Jean-Baptiste du diocèse de Joliette, fut
fondée en 1947 et regroupe, sur le territoire de la région de
Lanaudière, quelque 20 000 membres provenant de toutes les couches de la
population. La société a pour objectif général la
promotion des intérêts des Québécois dans tous les
domaines de leur vie collective. De plus, elle est très active dans les
dossiers de concertation avec plusieurs organismes régionaux dont le
Sommet économique permanent de Lanaudière, la Chambre de
commerce, le Conseil régional de la culture et plusieurs autres
organismes de développement régional.
Le mémoire que nous vous présentons aujourd'hui est le
résultat des travaux de notre commission politique et de la consultation
d'une quinzaine de leaders et organismes régionaux
intéressés par le sujet. Aujourd'hui, nous vous livrons le fruit
de notre réflexion en espérant apporter au débat sur ta
question le point de vue d'un organisme régional intéressé
au plus haut point au développement économique et au
mieux-être de nos concitoyens. Enfin, tout au long de ce mémoire,
notre réflexion et notre analyse se sont surtout faites en fonction du
Québec et des intérêts des Québécois pour
cette ouverture vers la libéralisation des échanges
Canada-États-Unis.
Historique. Le libre-échange, pour le Québec, n'est pas
nouveau. Un précédent: le traité de
réciprocité de 1854, qui dura plus de dix ans, favorisa le
Québec. L'accord supprimait les tarifs douaniers sur les produits
naturels tels le bois, le blé, le charbon et les poissons, mais non sur
les biens manufacturés. C'était donc un libre-échange
partiel. Enfin, on y retrouvait d'autres clauses sur les droits de pêche,
l'utilisation des canaux du Saint-Laurent et
l'accès aux Grands Lacs. Ce traité, concluent les auteurs
de la synthèse historique "Canada-Québec", amène la
prospérité même dans les Maritimes. La croissance urbaine
et industrielle des États-Unis à cette époque, de
même que la guerre de Sécession, provoque une grande demande pour
le bois et les produits alimentaires. Les États-Unis ne renouvelleront
pas l'entente car, en 1866, la guerre de Sécession opposait surtout deux
économies: le Sud, agricole et le Nord, évidemment plus
industriel.
Nous estimons que, si le traité de 1854-1866 avec les
États-Unis avait continué, la Confédération
canadienne n'aurait peut-être pas été nécessaire car
le Québec a toujours préféré développer ses
marchés dans l'axe nord-sud et la Confédération a
changé le cours de nos échanges commerciaux en les dirigeant dans
l'axe est-ouest car on voulait créer la Confédération
destinée à stabiliser cette mouvance, établir des assises
juridiques qui permettraient de constituer un pays à même les
morceaux du nord du continent. Jacques Parizeau, à ce sujet, nous dit:
"Construire un pays à partir des tarifs douaniers implique
inévitablement une sorte de schizophrénie."
Le consommateur et le libre-échange. Tous les économistes
reconnus s'entendent pour dire que le libre-échange est profitable aux
consommateurs. Cette affirmation est lourde de conséquences et nous
devons nous réjouir de constater qu'en général la
libéralisation des échanges bénéficiera en fin de
compte aux citoyens du Québec. Â cette affirmation, nous citons
volontiers le Conseil économique du Canada qui, dans une nouvelle
étude sur l'élimination des barrières commerciales entre
le Canada et les États-Unis, dit qu'un traité de
libre-échange se traduirait en 1995 par un gain de 3,3 % du produit
national brut, une baisse de 5,7 % des prix à la consommation et une
réduction de plus de 5 000 000 000 $ du déficit global des divers
gouvernements. (16 h 45)
Enfin, nous citerons l'économiste Bernard Landry qui, dans son
livre "Commerce sans frontières", nous dit à ce sujet, que la
libre circulation des marchandises joue puissamment en faveur des consommateurs
car la simple participation au marché de plusieurs producteurs, de
plusieurs nations améliore automatiquement la concurrence, les ententes
et cartels sont plus difficiles à réaliser, donc il y a plus de
chances que le prix des produits soit juste. Il en est de même pour la
qualité, particulièrement dans son rapport avec le prix. La
variété des produits disponibles sera plus grande. Il s'ensuit
donc que les besoins essentiels et autres seront mieux satisfaits et ce,
à meilleurs prix. Enfin, nous appuyons cette autre affirmation de M.
Landry qui dit: "Dans la vie courante, surtout depuis quelques années,
la fidélité des consommateurs aux productions locales ne
résiste pratiquement plus devant la recherche de bons prix et de bannes
qualités."
Le dynamisme de l'entrepreneurship québécois. A l'appui de
la libéralisation des échanges, nous citerons quelques
éléments positifs pour le Québec basés surtout sur
l'entrepreneurship québécois.
Premièrement, le dynamisme de nos PME sera un
élément positif pour le Québec, car les marchés ont
une tendance à la segmentation et cela favorise les PME. Les PME chez
nous sont nombreuses et très dynamiques et elles souhaitent de plus en
plus s'ouvrir à de nombreux marchés. Sur 673 entreprises
recensées dans notre région représentant près de 14
000 emplois, 607 sont des PME et 10 % d'entre elles commercent avec nos voisins
du Sud. Voici quelques exemples des secteurs d'activité de ces
entreprises exportatrices vers les États-Unis: munitions, moteurs
à essence, meubles, lavabos, bennes de camions, cloisons en
métal, bacs à poissons, réservoirs en plastique,
bicyclettes, meubles de salon, fils métalliques, électrodes en
graphite, équipements d'abattoir, fauteuils sur roulement à
billes, systèmes hydrauliques, usinage de machinerie de
précision, etc.
Un autre élément positif, la moyenne d'âqe des
entrepreneurs québécois est plus basse qu'ailleurs au Canada.
Elle est donc, en principe, plus capable de s'adapter au changement de niveau
du mode de gestion participative et prête à faire face à la
concurrence mondiale. Le Québec peut diversifier ses échanges
commerciaux car sa situation culturelle et linguistique peut lui ouvrir un
réseau francophone et, pour exemples, citons l'Algérie, le
Zaïre, etc. Enfin, soulignons la position privilégiée du
Québec par rapport au marché new-yorkais qui est plus accessible
et un des plus importants pour nous.
Un autre thème, La mondialisation des économies. Dans ce
chapitre, nous voudrions porter à votre attention le
phénomène de la mondialisation des économies. Prenons des
exemples, afin d'illustrer nos propos.
Premièrement, le marché commun qui profite à tous
les partenaires dont des petits pays comme l'Espagne, le Portugal et le
Luxembourg. Le monde des communications instantanées nous amène
è constater ce phénomène, à titre d'exemple: II est
facile aujourd'hui pour une entreprise de Chicago de produire à distance
à partir d'une usine de Singapour. Les pays ont tendance à se
regrouper; la CEE, 300 000 000 d'habitants, la COCEM, ou l'union
économique des pays de l'Est, 500 000 000 d'habitants. Si on n'agit pas
maintenant, on sera coincé et isolé entre des empires
commerciaux: les États-Unis, 230 000 000 d'habitants, l'Europe et les
nouveaux pays industrialisés asiatiques:
le Japon, la Chine, les Indes. Actuellement, nous sommes le seul pays
dit développé qui a un marché inférieur à
100 000 000 d'habitants. La tendance actuelle est au regroupement et le
commerce s'internationalise, donc nous ne devons pas bouder cette
libéralisation des échanges, il en va de notre
développement. Enfin, si nous n'agissons pas en ce sens, l'influence du
pays diminuera.
L'argument des fermetures d'usines, Â notre avis, et en cela nous
partageons les dires de l'économiste Bernard Landry, nos fermetures
d'usines, surtout dans les secteurs mous comme le textile, ne sont pas dues aux
États-Unis mais beaucoup plus aux transferts de technologie versus des
pays à bas salaires et en voie de développement. Ainsi, la
production du textile et des vêtements du tiers monde devint rapidement
abondante et à des prix défiant toute concurrence. Plusieurs
industriels occidentaux sont allés s'installer dans ces pays ou encore
faire fabriquer là-bas ce qu'ils faisaient auparavant chez nous. La part
importée des vêtements vendus aux États-Unis est plus
grande que la pénétration étrangère de notre
marché: 60 % chez eux contre 40 % ici. Nous avons donc un
problème commun et nous devrons dans ces secteurs dits mous avoir un
intérêt manifeste à le résoudre ensemble.
De plus, le secteur manufacturier perd de plus en plus de son importance
relativement aux emplois globaux créés au Canada au cours des
quinze dernières années. À titre d'exemple, les
statistiques disent que sur les 3 530 000 nouveaux emplois créés
seulement 249 000 le furent dans le secteur manufacturier, soit un peu plus de
7 %. Ce secteur ne représente plus maintenant que 17 % des emplois au
Canada. Le Conseil économique du Canada prévoit qu'un accord de
libre-échange permettra la création de 205 000 nouveaux emplois
au Canada d'ici 1995. Outre l'augmentation nette de ces nouveaux emplois, le
Québec et l'Ontario recevraient 63 % du nombre total des nouveaux
emplois au pays.
Les secteurs exclus. Tout en étant d'accord sur une plus grande
libéralisation des échanges Canada-États-Unis, nous
proposons que l'agro-alimentaire, la culture, la langue et les services sociaux
soient exclus de ce processus de libéralisation des échanges.
Pour ce qui est de l'agriculture, nous croyons qu'elle doit être
un secteur privilégié et protégé au Québec.
Nous vivons dans un pays où beaucoup d'impondérables affectent
notre production dans ce secteur. Mentionnons à ce titre que nos
impondérables climatiques sont des facteurs non négligeables.
À l'exemple de l'association européenne de libre-échange,
on ferait mieux de s'en détourner tout simplement, ainsi que des
pêcheries. La CEE est un autre exemple: après plus de 20 ans de
rodage, l'agriculture demeure toujours un de ses points faibles. Afin de ne pas
mettre en péril un débat serein sur le libre-échange et
également toute entente possible, il est primordial de traiter avec soin
les objections du milieu agricole et d'y donner des réponses claires et
précises.
La culture et la langue. Ces secteurs névralgiques au
Québec doivent être pris en main par nous, car déjà
on subit d'une certaine façon le libre-échange par la voie des
communications. En cela, le gouvernement devrait être plus vigilant, car
il en va de l'identité propre d'un peuple. Dans le domaine des
communications, il est un phénomène interne auquel le
gouvernement du Québec fait face, c'est qu'il n'a aucun contrôle
effectif sur le CRTC pour réglementer le contenu français sur les
ondes au Québec. Il peut quand même agir auprès de nos
diffuseurs, comme nous l'avons fait dans notre région, par une entente
à l'amiable, une espèce de protocole d'honneur, faisant passer la
période d'écoute de la chanson française et
québécoise au-delà des normes minimales exigées par
le CRTC. Quant à la langue, elle est une partie importante de notre
culture et de notre expression; en cela, la langue devra constituer une
barrière non tarifaire. Nous profitons de l'occasion pour vous dire que
la Charte de la langue française constitue notre meilleure garantie.
La préservation de notre culture et du patrimoine français
s'inscrit dans notre droit à l'autodétermination en tant que
nation. Nous ne sommes certes pas prêts à nous en départir
au gré d'une quelconque négociation commerciale
américaine. Il serait souhaitable que le gouvernement suive les
recommandations du Conseil de la langue française en cette
matière.
Politiques sociales et développement régional. Chaque pays
a sa propre conception de la sécurité sociale et de la
façon dont celle-ci doit être financée. Chez nous, au
Québec, nous avons l'un des meilleurs régimes au monde en cette
matière. Ainsi, nous avons le régime d'assurance-maladie, celui
de l'hospitalisation, le régime de rentes et, au Canada, le
régime universel de sécurité de la vieillesse et plusieurs
autres propres au Québec. Or, nous voulons que rien de tout cela ne soit
abordé à la table des négociations et nous ne vouions
d'aucune façon qu'il y ait des accords sur cette question. Enfin, le
pouvoir d'appliquer des politiques de développement régional doit
être un droit souverain que toute nation garde jalousement.
Les conditions de réussite. Nous citerons brièvement tes
conditions qui, à notre avis, doivent être mises en place afin
d'assurer l'entente sur la libéralisation des échanges.
En premier lieu, la productivité des
entreprises québécoises dépend de la modernisation
des équipements de production, ensuite de l'informatisation des
tâches de gestion et de production et finalement de la formation de son
personnel.
Une politique industrielle. Le Canada ou le Québec est un des
seuls sinon le seul pays sans politique industrielle. Il faudra, à
l'exemple de la France, s'en donner une.
Autre condition, la gestion des réserves de nos matières
premières. Les matières premières s'épuisent,
certaines ne sont pas renouvelables, d'autres, heureusement, le sont. Il va
donc falloir se donner des politiques précises en ce domaine; exemple:
penser à une politique de reboisement de nos forêts.
Avec ou sans libre-échange, la place du français doit
être protégée et surtout appliquée.
D'autres conditions: le Québec doit s'associer à la
politique actuelle du gouvernement français en ce qui a trait à
la diffusion, au soutien et à l'émancipation de la culture
d'expression francophone. Le ministère des Affaires culturelles doit
encourager et favoriser la diffusion de la culture francophone au Québec
et à l'extérieur en assumant une reconnaissance internationale.
Enfin, il faudra multiplier nos partenaires commerciaux afin de s'assurer une
plus grande indépendance vis-à-vis de nos voisins du Sud.
En conclusion, au moment où nous vous exprimons notre point de
vue, nous ne connaissons pas beaucoup l'évolution des
négociations en cours. Il faut peut-être se dire que le
libre-échange ne réglera pas tous nos problèmes
économiques, mais ceux qui s'y opposent ne doivent pas croire en la
nécessité de réformes économiques en profondeur. Il
serait souhaitable qu'on en arrive à la mise en place d'une
libéralisation des échanges et ce, de façon
graduée, expérimentant les secteurs un à un afin de ne pas
demeurer dans le statu quo. Ce serait déjà un progrès.
Geste de confiance envers soi, volonté de s'ouvrir au monde,
défi du commerce international, c'est ce qui fermente actuellement chez
nos PME québécoises. Elles n'attendent que la
concrétisation dans les textes de cette lancée vers les
défis du XXIe siècle: Notre apport à la mondialisation des
échanges commerciaux par l'expression de nos talents, si souvent
démontrés parce qu'ils ont maintes fois traversé nos
frontières.
La première annexe vous explique tout simplement le schéma
de travail et les diverses étapes franchies par la commission politique
chez nous, tandis que la deuxième, plus importante par son contenu,
constitue la prise de position officielle de notre société sur le
libre-échange. Si vous me le permettez, M. le Président,
j'aimerais vous faire lecture de cette deuxième annexe.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Racine, ce n'est pas que cela ne nous intéresse pas...
M. Racine: Elle est très courte.
Le Président (M. Charbonneau): ...mais, dans la mesure
où cela recoupe la position que vous venez d'exprimer, ne serait-il pas
utile qu'on puisse engager immédiatement la discussion? Finalement, les
membres de la commission ont le texte en main et ils comprennent un peu la
démarche. L'important, une fois que vos positions sont claires - et je
pense qu'elles le sont après la lecture du mémoire que vous venez
de faire - serait peut-être de faire immédiatement
l'échange avec les membres de la commission.
M. Racine: Ah! C'est comme vous voudrez.
Le Président (M. Charbonneau): De toute façon, le
texte est consigné aux archives de la commission.
M. Racine: D'accord.
Le Président (M. Charbonneau): Cela va?
M. Racine: Comme vous le jugerez.
Le Président (M. Charbonneau): Je vous remercie de cette
présentation et je vais maintenant céder la parole au ministre du
Commerce extérieur.
M. MacDonald: Messieurs, je cherche les qualificatifs, et je ne
veux pas vous envoyer des fleurs, mais je vais parler le plus naturellement
possible. C'est probablement l'un des meilleurs, sinon le meilleur
mémoire du genre déposé ici devant nous. C'est un
mémoire remarquable qui démontre également que vous n'avez
pas tout simplement fonctionné sur la base des tripes, mais que vous
êtes allés consulter, que vous avez travaillé et que vous
avez conclu, et, ces conclusions-là, vous les avez mises sur papier
d'une façon magistrale.
Dans ma fonction de ministre du Commerce extérieur, comme vous le
savez assez bien, je représente en quelque sorte les PME
québécoises plus souvent que les grandes entreprises dans leurs
efforts de s'ouvrir vers le monde. Je me permets de lire, parce que je trouve
assez sensationnel ce paragraphe qui est votre conclusion. Vous dites: "Geste
de confiance envers soi, volonté de s'ouvrir au monde, défi du
commerce international, c'est ce qui fermente actuellement dans nos PME
québécoises. Elles
n'attendent que la concrétisation dans les textes de cette
lancée vers le défi du XXIe siècle: notre apport à
la mondialisation des échanges commerciaux par l'expression de nos
talents, si souvent démontrés parce qu'ils ont maintes fois
traversé nos frontières." J'espère que vous ne m'en
voudrez pas et que vous me donnez immédiatement la permission d'utiliser
ce texte-là à l'occasion.
Vous avez consulté. Et vous allez comprendre, M. le
président, que j'appuyais un peu l'intervention du président de
la commission parce que j'ai pris connaissance de votre mémoire. Je me
réfère particulièrement à la cinquième
étape de votre annexe où vous avez eu une table ronde, où
11 organismes et 18 personnes sont venus étudier la situation. Est-ce
que, dans cette table ronde - parce que je trouve que c'est excellent et sain,
et c'est ce qu'on retrouve ici dans cette commission parlementaire - les gens
étaient beaucoup plus contre le concept de la libéralisation des
échanges? De quelle façon avez-vous marié ceci à
votre position ou dans vos considérations? (17 heures)
M. Charette (René): Si vous me permettez de
répondre, je dirai qu'il n'y a pas de gens contre, mais beaucoup de gens
étaient pour qu'on procède secteur par secteur, par
étapes, en fin de compte, dans ce processus-là. Que ce soit
peut-être plus long avant d'arriver à une libéralisation
beaucoup plus grande des échanges avec le Québec, le Canada et
les États-Unis, mais que cela se fasse étape par étape et,
si possible, expérimenter cela par secteurs pour que cela fasse le moins
possible... Partout il y a une attente, mais dans certains secteurs on a peur
et dans d'autres on se dit: Oui, cela sera très bon pour nous. Alors, il
y avait un peu d'hésitation et on reflète cela en disant dans
notre mémoire: Allez-y donc secteur par secteur. Allez-y étape
par étape et expérimentez-le et voyez comment cela se
passera.
M. MacDonald: A-t-il existé des débats semblables
dans d'autres sociétés nationales des Québécois
dans toute la province? Êtes-vous au courant que...
M. Racine: Oui, il en a existé dans d'autres
sociétés, mais pas beaucoup parce qu'il y a au Québec -
chez nous, en tout cas, dans notre mouvement - quatorze sociétés
nationales et cela dépend aussi des moyens techniques dont elles
disposent, mais il y a eu trois sociétés au total, incluant la
nôtre, qui ont creusé le problème en profondeur comme nous
avons pu le faire.
M. MacDonald: Avez-vous rencontré des gens qui
étaient représentés ici, hier, de la coalition contre le
libre-échange et avez-vous eu des discussions avec eux?
M. Charette: Remarquez que, lorsqu'on a fait la table ronde des
organismes de la région chez nous, il y a 18 intervenants qui sont
venus. Le milieu syndical était représenté comme les
milieux patronaux, les chambres de commerce, le milieu agro-alimentaire
également par l'UPA. Leur position était arrêtée
aussi ferme qu'elle l'était, comme je l'ai entendu hier en commission
parlementaire, et elle n'a pas bougé. Ils ont défendu la position
qu'ils défendent encore aujourd'hui, mais cela ne représentait
pas, autour de la table, l'opinion majoritaire de notre milieu. Nous aussi, on
partageait quand même avec eux certains aspects. C'est pour cela qu'on
vous dit que, dans le domaine de l'agriculture, par exemple, on aimerait mieux
que ce ne soit pas touché.
M. MacDonald: Nous partageons, comme vous le savez très
bien, l'ensemble des réserves que vous avez, plus les points sur
lesquels vous trouvez qu'on devrait insister. J'aimerais en parier avec vous,
mais il semblerait qu'on est pas mal d'accord. Alors, je laisse à Mme
Bacon le soin de poser les questions qu'elle juge appropriées.
Le Président (M. Charbonneau): Mme la vice-première
ministre.
Mme Bacon: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier
tes responsables de la Société nationale des
Québécois de Lanaudière pour cette importante contribution
à nos travaux et souligner l'importance que nous accordons aux
principales mesures d'accompagnement qui sont souhaitées dans le cadre
d'un mouvement graduel et par secteurs de libéralisation. Il
m'apparaît intéressant, comme votre mémoire le souligne,
d'envisager sérieusement la mise en place d'un certain nombre de mesures
d'accompagnement qui sont conçues comme autant de balises aptes à
préserver jalousement nos priorités, nos objectifs culturels et
linguistiques. Avez-vous, dans ce même ordre d'idées, d'autres
précisions ou peut-être des spécifications à
formuler quant à ces sortes de mesures qui sont esquissées dans
votre mémoire?
M. Racine: M. Boulet va répondre.
M. Boulet (Gilbert): Par rapport à la protection de la
langue française, on croit qu'on doit être vigilant parce qu'il
faut protéger la loi 101, et c'est une manière de protection non
tarifaire Mais on sait maintenant que la francophonie se développe. Il
se développe tout un réseau autour des pays francophones et le
gouvernement français a maintenant une politique de promotion de la
chanson française et différentes politiques qui protègent
la culture
francophone. Qu'est-ce qu'on demande? C'est de s'associer à ces
politiques. On sait qu'il y a la semaine de la chanson francophone ici et qu'on
l'a aussi en Europe, spécialement en France. On devrait collaborer avec
la France à la promotion, on dit de la chanson française, mais
c'est beaucoup plus . de l'expression francophone: le théâtre, la
musique, etc.
Mme Bacon: J'aimerais ajouter ici rapidement, si vous me le
permettez, M. le Président, que cette expression que nous avons eue de
protéger davantage la chanson française d'ici, comme nous l'avons
appelée, c'est justement ces ententes que nous faisons au cours de nos
rencontres avec le ministre français de la Culture, lequel avait
discuté avec moi de ces possibilités de faire du jumelage. Les
dates ne coïncidant pas cette année, nous avons eu notre propre
semaine de la chanson française et cela a réussi à donner
un nouvel essor et un nouveau souffle de vie à notre chanson
française. Ce que nous voulons aussi, c'est que nos gens écrivent
davantage de chansons françaises. Pour ce qui est du cinéma,
c'est la même chose. Nous avons tenté de faire aussi ce genre de
jumelage. Encore là, eux, ils sont déjà dans le train
depuis longtemps. Nous ne venons que d'y arriver. Alors, on essaie de faire
coïncider les mêmes choses. En ce qui concerne le
théâtre francophone, c'est la même chose. Nous faisons
partie intégrante d'un comité de théâtre francophone
qui comprend la France, le Canada, la Suisse, la Belgique et auquel
comité s'est joint le Sénégal. Nous tentons, par nos
rencontres avec les pays du sud, qu'il y ait ce lien entre le nord et le sud.
Je pense que la francophonie n'existerait pas sans les gens du nord et du sud.
Ce sont ces mesures que nous encourageons nous aussi. Je pense que
là-dessus nous sommes aussi sur la même longueur d'onde.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. le
député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Alors,
messieurs de la Société nationale des Québécois de
Lanaudière, merci. Merci pour cet apport que vous faites à la
société. Je trouve dommage, et c'est là qu'on voit
l'importance du débat, que ce même débat n'ait pas eu lieu
il y a six mois. Vous y auriez livré ce message, parce que,
d'après ce que j'ai pu comprendre essentiellement, vos devoirs
étaient déjà faits à ce moment-là, et il y
aurait eu effet d'entraînement. Un effet d'entraînement qui aurait
fait prendre conscience aux autres citoyens, groupes, associations de
l'importance de s'impliquer. Félicitations, parce que vous avez pris vos
responsabilités, dès 1986, à l'automne, même
à l'été 1986.
On a eu la chance de se parler un peu au téléphone avant
votre venue ici à la commission et je me souviens que vous étiez
dans les premiers à vous inscrire. Je trouvais cela encourageant, parce
qu'on se demandait s'il y aurait beaucoup de groupes qui auraient le temps de
se préparer. Vous, vous étiez prêts. Là-dessus, je
vous dis chapeau.
Quant à la permission que M. le ministre vous a demandée
d'utiliser des parties de votre texte, qui est très bien conçu,
je vous suggérerais de négocier des droits d'auteur.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Parent (Bertrand): Les effets d'entraînement,
effectivement, qu'un document comme celui-ci peut avoir, je pense, sont
très importants.
Vous avez touché un aspect fort intéressant à la
quatrième section, soit le dynamisme de l'entrepreneurship
québécois. Vous savez que j'ai à coeur, depuis plusieurs
années, justement, la défense des droits des PME et,
particulièrement, de ce qui caractérise le Québec, nos
petites et moyennes entreprises et leur entre-preneurship. Dans votre texte,
vous mentionnez justement ce dynamisme, ces possibilités et cette
volonté de conquérir, finalement, le monde, comme vous l'avez
souligné dans le dernier paragraphe de votre mémoire qui a
été repris par le ministre tantôt. Vous mentionnez aussi la
moyenne d'âge. Cela aussi, c'est intéressant, voir que la
relève est là.
J'aimerais vous entendre rapidement sur une dimension que vous ne
touchez pas, qui me semble importante, qui a dû faire partie de vos
discussions, mais qui, pour une raison que j'ignore, ne se retrouve pas
là-dedans. À cause de la structure industrielle de ces types
d'entreprises que nous avons, les PME, il y a aussi l'envers de la
médaille qui amène finalement une certaine
vulnérabilité de ces entreprises qui sont moins grandes.
Différents secteurs devront avoir de l'aide pour passer cette
période de transition. Vous ne touchez pas aux périodes de
transition. J'imagine que c'est volontaire. Comment voyez-vous, en
définitive, après avoir fait ce travail-là, l'aide que
devraient recevoir ces entreprises-là pour être capables de passer
à travers les différentes périodes qu'elles auront
à traverser à cause du virage qu'on est en train d'entreprendre?
Est-ce que vous envisagez une aide gouvernementale? Est-ce que vous envisagez
qu'elles vont s'organiser seules? Qu'il faut davantage pousser dans le domaine
de la recherche et du développement, avec des outils additionnels?
Comment envisagez-vous cette dimension-là?
M. Boulet: Sien, par rapport à la PME, il y a des choses,
avec ou sans libre-
échange, qui doivent se faire. Cela me fait penser que, dans le
journal Le Monde, on disait que présentement la formation dans
l'entreprise occupe 7% de la masse salariale et on prévoyait, d'ici une
quinzaine d'années - c'est en Europe, mais le même
phénomène va se produire ici - que la formation dans
l'entreprise, le capital humain, c'est ce qui serait le plus important, Cela
représenterait 20 %. Cela veut dire qu'il va falloir investir dans la
formation dans l'entreprise,, D'un autre côté, comme on a dit, la
trame de fond de notre message, c'est un geste de confiance en soi, ou
peut-être, dans un langage plus familier, un geste d'affirmation. Je
pense que les entreprises québécoises seront capables de le faire
- les PME - elles vont le faire parce que je ne crois pas que le gouvernement
laissera tomber les entreprises québécoises. On a bien dit que
cela se faisait par étapes, cela se faisait par secteurs. En faisant
cela par étapes et par secteurs, on va pouvoir s'adapter par la
formation, par l'aide à la production, c'est-à-dire une
production plus moderne, l'informatisation de la production, etc. C'est l'aide
à ces deux niveaux, aide à la formation, aide pour rendre les
petites entreprises plus concurrentielles, qui fera qu'on va pouvoir être
concurrentiels sur le marché nord-américain.
M. Parent (Bertrand): On pourrait en parler longuement, mais je
pense que l'essentiel a été dit concernant votre mémoire.
Je suis d'autant plus fier que le ministre vous a félicité pour
cet excellent contenu. En définitive, le message que vous nous dites,
c'est l'affirmation nationale. M. le ministre, je suis très heureux de
voir que vous êtes d'accord avec cela.
Je tiens à vous remercier aussi, au nom de ma formation
politique, pour cette contribution enrichissante et je suis sûr qu'elle
va sortir de l'enceinte du salon rouge.
Le Président (M. Charbonneau): Vous aviez un
commentaire.
M. Boulet: Simplement un commentaire. Je pense qu'on va faire
beaucoup d'argent avec les droits d'auteur cet après-midi.
Le Président (M. Charbonneau): II y a un autre
député qui veut peut-être vous demander des permissions
particulières d'utilisation de votre texte, c'est le
député de Taschereau.
M. Leclerc: Merci, M. le Président. Simplement une petite
intervention pour dire que, effectivement, je trouve moi aussi que ce
mémoire, notamment dans ses conclusions, transpire la confiance,
confiance que l'on ressent nous aussi dans nos comtés, des gens qui sont
aptes à faire face à la concurrence internationale.
Je voudrais seulement reprendre un petit paragraphe de votre
mémoire en page 8, au point E, deuxième paragraphe, où
vous dites avec justesse: "Le ministère des Affaires culturelles doit
encourager et favoriser la diffusion de la culture francophone au Québec
et à l'extérieur en assumant une reconnaissance internationale".
Je peux témoigner, comme député de Taschereau, où
se trouve notamment le Vieux-Québec et beaucoup d'industries
culturelles, que le ministère des Affaires culturelles encourage et
favorise la diffusion de la culture, J'aimerais que vous preniez une minute ou
deux pour nous préciser un petit peu ce que Vous entendez par
reconnaissance internationale.
M. Boulet: Je pense que c'est l'expression de la culture
francophone. Que ce soit dans le monde du théâtre, de la chanson,
du livre, on doit favoriser son exportation dans le sens noble du mot.
C'est-à-dire qu'il faut encourager les artistes qui ont la chance de se
produire à New York, à Paris, encourager le livre
québécois pour qu'on puisse le retrouver dans les librairies en
Europe, en Belgique, en Suisse ou ailleurs. C'est l'encouragement pour que nos
produits culturels puissent se retrouver un peu partout dans le monde. C'est ce
qu'on veut dire. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): La vice-première
ministre me prie de lui laisser encore quelques instants.
Mme Bacon: J'aime avoir le dernier mot.
Le Président (M. Charbonneau): C'est moi qui vais
l'avoir.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
Mme Bacon: Quand on parle de rayonnement international,
j'aimerais dire que cette semaine nous avons nommé des
représentants et à Paris et à New York, C'est la
première fois, je pense, que le ministère des Affaires
culturelles a son mot à dire aussi fort dans la nomination de
représentants du ministère afin d'avoir ce lien étroit
entre les gens qui nous représentent là-bas et le
ministère, donc des gens qui connaissent le ministère et le
milieu culturel. Je pense que cela peut aider à faire davantage. C'est
peut-être la politique des petits pas, mais, quand vous parlez
d'affirmation ou de confiance en soi, c'est peut-être cela aussi qui est
la suite logique, il s'agit d'avoir des gens sur place qui nous aideraient
à démontrer aux gens notre épanouissement et en faire la
démonstration à l'étranger et, en même temps,
faire
connaître ce que nous sommes capables de faire. Nous avons
toujours été condamnés à l'excellence, donc nos
artistes sont des gens excellents qui peuvent apporter ce visage
québécois à l'étranger.
Le Président (M. Charbonneau): Messieurs, au nom de tous
les membres de la commission, je vais utiliser les derniers mots qui me sont
impartis pour vous remercier d'avoir participé à notre exercice
de consultation. J'ai la profonde conviction que le nationalisme n'est pas
quétaine et que les nationalistes, loin de là, ne sont pas tous
des "nationaleux", des gens dépassés et traditionnellement
nostalgiques. Je pense que vous en avez fait une brillante démonstration
aujourd'hui,, Le nationalisme peut être aussi très progressiste et
très branché sur l'actualité et l'avenir.
Alors, merci de votre présentation et à une prochaine
fois, on l'espère.
M. Racine: Merci beaucoup.
Le Président (M. Charbonneau): Merci. Alors, mesdames et
messieurs, les travaux de cette commission, qui ont été longs et
intéressants cette semaine, sont ajournés jusqu'à mardi
prochain, le 22 septembre, à 10 heures, où nous reprendrons notre
consultation.
(Fin de la séance à 17 h 16)