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Version finale

33e législature, 1re session
(16 décembre 1985 au 8 mars 1988)

Le jeudi 17 septembre 1987 - Vol. 29 N° 72

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les Etats-Unis


Journal des débats

 

(Dix heures cinq minutes)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaît!

Bonjour tout le monde. La commission parlementaire de l'économie et du travail entreprend aujourd'hui sa troisième journée de consultation générale en ce qui a trait à la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.

Je lis d'abord l'ordre du jour pour aujourd'hui. Nous recevrons d'abord M. Bernard Landry, qui n'a pas besoin de présentation. Puis, nous accueillerons le Conseil du patronat du Québec qui sera suivi de la Chambre de commerce de Montréal. Cet après-midi, nous accueillerons la Coalition québécoise d'opposition au libre-échange. Ce soir, nous entendrons l'Association des brasseurs du Québec, les Celliers du monde et, finalement, M. Jean Lambert.

Est-ce qu'il y a des remplacements?

M. Théorêt: Oui, M. le Président. M. Hétu, (Labelle), est remplacé par M. Assad, (Papineau); M. Farrah, (Îles-de-la-Madeleine) est remplacé par M. Després (Limoilou); M. Fortin (Marguerite-Bourgeoys) est remplacé par M. Lemire (Saint-Maurice); finalement, M. Rivard (Rosemont) est remplacé par M. Lemieux (Vanier).

Le Président (M. Charbonneau): Dans ce cas, s'il n'y a pas d'autres remplacements, nous allons immédiatement commencer. Je demanderais à M. Landry de prendre place. Je pense que, M. Landry, vous avez suffisamment d'expérience parlementaire pour savoir comment cela fonctionne, mais je vous rappelle nos règles du jeu pour cette consultation générale. Il y a une heure consacrée aux rencontres et aux échanges ainsi qu'à la présentation de vos commentaires. Vous avez en fait 20 minutes initialement pour la présentation de vos propos. Par la suite, le temps qu'il reste est réparti de part et d'autre pour un échange et des discussions avec vous.

S'il n'y a pas de question, nous allons immédiatement commencer. Je vais vous céder la parole.

M. Bernard Landry

M. Landry (Bernard): Merci, M. le Président. Je suis heureux de vous revoir personnellement et de vous saluer. Je vous remercie de me permettre de participer à l'information de l'Assemblée nationale d'un point de vue différent de celui qui a été le mien pendant plusieurs années. Je salue également le ministre du Commerce extérieur, en particulier, et le ministre de la Science et de la Technologie, mon successeur, qui, apparemment, n'a pas trop massacré les bonnes orientations qui avaient été prises auparavant dans l'immense majorité des cas.

Il me fait plaisir de saluer un député lavallois aussi, qui est à cette table, ainsi que tous les autres parlementaires des autres formations, mon ancien collègue, le député de Roberval, en particulier, et bien entendu, celui qui fait le noble travail de l'Opposition dans cette commission, M. Jean-Guy Parent.

Cela ne vous étonnera pas si je vous parle d'abord - je vais parler en cinq points du sujet de la commission - de l'intérêt du Québec, qui est mon premier point. Mais, avant de le faire, je voudrais dire deux choses. Il fut convenu avec ceux qui ont pris contact avec moi pour ma participation à la commission que ma présentation écrite serait celle que j'ai déjà livrée aux Québécois et aux Québécoises dans un petit ouvrage qui est sur le marché et dont j'espère qu'au moins certains d'entre vous ont lu quelques passages. Si vous voulez vous référer de façon plus technique à ce que je vais dire, cet ouvrage est disponible. Il comprend l'essentiel de mon intervention.

Je voudrais aussi faire un peu d'histoire. Il est commode, parfois, de savoir d'où on vient pour savoir où on va. Nous avons déjà connu le libre-échange avec les États-Unis d'Amérique pendant une période de pratiquement dix ans qui a précédé immédiatement la Confédération canadienne. Cela a été une des périodes les plus prospères en termes de croissance de l'histoire du Bas-Canada du temps, c'est-à-dire essentiellement le Québec, et du Haut-Canada, essentiellement l'Ontario. Les Américains se sont servis de la clause crépusculaire, comme on dit, pour ne pas renouveler le traité et ce non-renouvellement, la fin du commerce nord-sud entre le Canada et les États-Unis, a eu pour le Québec des conséquences absolument dramatiques et irréparables.

En effet, dans les années qui ont suivi la dénonciation du traité, le Québec a perdu

la moitié de sa population. La moitié des Québécois et des Québécoises ont pris le chemin de l'exil, vers le sud, pour aller rejoindre la prospérité où ils pensaient qu'elle était, c'est-à-dire aux États-Unis d'Amérique. C'est pour cela qu'il y a deux fois plus, dit le gouvernement américain, de descendants de Québécois aux États-Unis qu'au Québec, au moment où nous nous parlons.

On voit que ces orientations historiques ont des conséquences à terme sur le destin des peuples qui est absolument incalculable. C'est pour cela que je fais de mon premier point l'intérêt du Québec, Je crois, après de longues réflexions et une certaine expérience vécue de nos rapports avec les États-Unis, de même que les rapports du Canada avec les États-Unis, que c'est le Québec qui a le plus d'intérêts à une libéralisation des échanges de toutes les provinces du Canada. Pour des raisons tenant du bon sens et des raisons simples, il y a deux grandes provinces industrialisées au Canada; celle des deux qui l'est le plus et de loin, c'est l'Ontario. Or, l'Ontario pour la partie motrice de son activité économique connaît déjà, depuis près d'un quart de siècle, un statut de libre-échange avec les États-Unis par le pacte de l'automobile. C'est aussi simple que cela.

Quand vous vous demandez pourquoi le premier ministre du Québec et les premiers ministres du Québec des dernières années, si je puis dire, sont plus enthousiastes pour le libre-échange que le premier ministre de l'Ontario, vous trouvez la réponse tout simplement dans ce fait que le Québec en a beaucoup plus besoin. Parce que, pour le ministre du commerce extérieur de l'Ontario, par exemple, je pense qu'il n'y a pas un tel poste, mais il y a bien un ministre en charge, contrairement au ministre du Commerce extérieur du Québec, ici présent, qui doit utiliser constamment toutes ses possibilités dans le monde entier pour vendre des produits et en vendre aux États-Unis. Pour le ministre du commerce extérieur de l'Ontario, la moitié de sa production industrielle est vendue d'avance, le 1er janvier au matin, à travers "l'auto pact". Alors, quand on a moins besoin d'une chose, on est moins enthousiaste pour la poursuivre. Ce qui ne veut pas dire que l'accord ne serait pas aussi profitable à l'Ontario. Les deux provinces industrialisées sont celles qui en profiteront le plus, donc l'Ontario et le Québec.

Il est intéressant de noter que les Québécois et les Québécoises, je crois, ont bien compris cela d'instinct, à toutes fins utiles, puisque d'abord, ce qui est une chose qui ne se rencontre pas si souvent, les deux grandes formations politiques, celle qui aujourd'hui est le gouvernement et celle qui est l'Opposition, sont essentiellement d'accord sur le fait qu'il est dans l'intérêt du Québec de libéraliser les échanges avec les États-Unis d'Amérique. Et aussi, parce que les sondages, que l'on prend pour ce qu'ils sont mais, s'ils sont répétitifs et vont dans le même sens, peuvent avoir une certaine fiabilité, les sondages, dis-je, démontrent, et en particulier le dernier de Decima Research qui était rendu public en fin de semaine dernière, le dernier mais, les deux derniers, que c'est au Québec et de loin que les populations appuient l'idée du libre-échange. Par exemple, en fin d'août 1987, jusqu'à 70 % des Québécois et des Québécoises pensent que c'est une bonne idée d'avoir un traité de libre-échange avec les États-Unis. Cela fait beaucoup de monde. Dans une société si, de plus, les deux grands partis politiques sont essentiellement d'accord sur une question, c'est près de s'appeler un consensus, c'est un consensus fort.

Je vous dis, un peu sur le plan humoristique, qu'il y a une petite question du même sondage qui m'a bien amusé. On demandait aux gens à qui ils se fiaient pour former leur opinion sur le libre-échange. Or, ils ont répondu ceci: pour les économistes et les professeurs de l'université, 40 % de crédibilité; et pour les hommes politiques et les femmes politiques provinciaux, 6 %. Ce qui veut dire que le fait que je sois de ce côté-ci de la table plutôt que de l'autre côté, en deux ans, a multiplié ma crédibilité par un facteur de six.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Landry: Donc l'intérêt du Québec apparaît évident comparé à l'Ontario et comparé aux autres provinces. J'ai d'abord dit pourquoi en ce qui concerne la différence d'approche entre le Québec et l'Ontario, mais plus fondamentalement, si l'intérêt du Québec est si grand, c'est parce que l'intérêt du Québec a toujours tourné dans un niveau d'exportation de ses biens et services très élevé. Traditionnellement, ce furent d'abord des richesses naturelles, certains produits industriels et de plus en plus de produits industriels et de plus en plus de produits industriels intéressants et aussi de la matière grise. Vous savez que le Québec, Montréal singulièrement, mais non pas uniquement Montréal, est devenue une capitale de vente de matière grise à travers le monde et une grande capitale de tertiaire moteur par les firmes de génie-conseil, les grandes mais aussi les dizaines de moyennes et de petites auxquelles on pense bien et qui gravitent dans l'univers québécois, soit è Montréal ou dans d'autres régions du Québec. Or, l'essentiel de cette activité, vous le savez, est dirigé vers le monde, vers les marchés d'exportation et vers des technologies de pointe. Les entrepreneurs québécois en général, au cours des dernières années, ont montré un dynamisme à nul autre pareil pour

la prospection des marchés étrangers et la vente de leurs produits à l'étranger. Le gouvernement du Québec, entendez par là les gouvernements successifs du Québec, je crois, se sont bien inscrits dans cette tendance. Ils l'ont appuyée puissamment et ont été un facteur important pour faciliter l'accès à des marchés étrangers. Il est devenu de notoriété commune que les entrepreneurs du Québec sont ceux qui ont prospecté avec le plus de vigueur tous les marchés de la planète au cours des dernières années.

Le deuxième point que je voudrais aborder et c'est le seul que j'aurais abordé si, M. le Président, vous m'aviez dit: Vous avez une minute pour vous exprimer. Si j'avais eu une minute pour résumer pourquoi je favorise un accord de libre-échange j'aurais simplement dit cette phrase: le Québec et le Canada dont il fait partie sont à peu près les seuls occidentaux développés qui n'ont pas accès garanti pour leurs produits à un marché de plus de 100 000 000 de consommateurs. Pour les États-Unis, cela se passe de démonstration. Ils sont 230 000 000 à l'intérieur de leur propre marché. Tous nos concurrents travaillent sur des marchés de plus de 100 000 000. Alors, vous voyez le défi de l'industriel québécois qui a à mettre en concurrence sur les présentoirs des divers marchés du monde des produits qu'il peut fabriquer pour une série garantie de consommateurs de 25 000 000 seulement; alors qu'un industriel suédois - la Suède est un petit pays qui ne dépasse pas 10 000 000 d'habitants - est membre, par l'adhésion rie la Suède, de l'Association européenne de libre-échange: 30 000 000 de consommateurs. Mais l'Association européenne de libre-échange a signé avec le Marché commun européen un accord de libre-échange. Donc, une Volvo a un marché garanti de 385 000 000 de consommateurs solvables. Il ne faut pas trop demander, même s'il montre un dynamisme extraordinaire, à quelque industriel québécois, à quelque entreprise québécoise d'avoir à lutter contre des gens qui sont habitués de travailler sur des marchés de cette dimension si on ne lui donne pas la chance, lui aussi, d'accéder à un marché comparable.

À telle enseigne qu'il s'est développé une tendance qui est un signe de santé, mais est perverse à la fois. Savez-vous qu'au cours des dernières années, les investissements en provenance du Canada vers les États-Unis et en provenance du Québec vers les États-Unis ont dépassé le mouvement inverse et que les Américains qui avaient toujours été de très gros investisseurs dans notre économie jusqu'à en posséder 40 % de l'appareil industriel sont maintenant dépassés et non pas proportionnellement en chiffres absolus par les investissements d'investisseurs québécois qui, pour avoir accès au grand marché et rester à la fine pointe de leur branche au de leur secteur, vont prendre leur expansion aux États-Unis. On peut s'en réjouir parce que c'est un signe de santé, sauf que quand un investisseur québécois va investir aux États-Unis, cela peut flatter notre fierté, mais cela va créer des emplois aux États-Unis et, en particulier, recruter de nouveaux membres syndiqués pour AFL-CIO et non pas pour la Fédération des travailleurs du Québec ou la CSN.

Donc, le grand avantage positif, c'est cela. Mais tout n'est pas dans le commerce international, tant s'en faut, que poésie, luxe, calme et beauté. Je pense que mon ancien collègue, M. Parizeau, qui est encore mon collègue puisqu'on fait le même métier maintenant, vous en a parlé hier, cela joue dur dans le commerce extérieur. L'ambassadeur Gotlieb à Washington a dit que la politique commerciale américaine - et cette fois, il avait parfaitement raison -n'est pas conçue par des boys-scouts. C'est le troisième point dont je veux parler qui, lui, n'est pas un grand avantage positif, mais une grande mesure défensive. Le libre-échange est nécessaire pour conjurer le danger des temps modernes et, singulièrement sur ce continent, le protectionnisme. Les Américains, quand leur balance des paiements atteint des niveaux de déficit records, comme c'est le cas aujourd'hui, s'énervent, deviennent méchants quelquefois et font ce qu'un ministre français a appelé fort judicieusement de la "rambonomique". Ceux qui connaissent ce personnage de Rambo savent qu'il n'y va pas avec le dos de la cuillère et qu'il a plutôt tendance à tirer sur tout ce qui bouge. C'est la raison pour laquelle, au cours des dernières années, nous avons été la cible directe d'une trentaine de mesures protectionnistes américaines dont cette malheureuse affaire que j'ai vécue et que mon successeur a vécue, du "lumber case", du bois d'oeuvre où, par l'action d'une loi américaine, le Trade Act, de façon unilatérale. devant une commission américaine, la U.S. Trade Commission, International Trade Commission, nous nous sommes fait mettre les droits compensateurs, comme vous le savez, pour une chose qui pourtant, à mon avis, est parfaitement légitime, notre façon de percevoir les droits de coupe.

Mais cela a produit ce que l'on sait comme effet négatif sur notre industrie du sciage. Cela pourrait être beaucoup plus grave si la philosophie des droits de coupe et le protectionnisme américain s'attaquaient à pâtes et papiers. Je n'ose même pas y penser. Or, le raisonnement pourrait être le même puisque le système des droits de coupe s'applique aux scieries, mais il s'applique aussi à pâtes et papiers, d'autant plus que, maintenant, par intégration technologique, les copeaux des scieries vont dans les usines de

pâtes et papiers.

Donc, il y a un aspect défensif à baliser, le plus rapidement possible et le mieux possible, les rapports économiques les plus intenses qui existent entre deux pays au monde, les États-Unis et le Canada, parce qu'on peut être victime de leur tir direct. C'était le cas du bois d'oeuvre. On peut être victime du tir oblique ou du tir indirect aussi. C'est-à-dire que dans une querelle contre la Communauté économique européenne, en raison de ce qu'on appelle la clause de la nation la plus favorisée qui empêche de discriminer dans ces mesures tarifaires, il se pourrait que pour se venger des Européens, les premiers à écoper soient les Canadiens et les Québécois par l'effet du tir indirect.

Un petit exemple. Quand le Portugal et l'Espagne sont entrés dans le marché commun, les Américains ont eu des difficultés considérables à vendre en Europe, à cause du tarif extérieur commun, ce qui leur faisait perdre éventuellement leur clientèle ibérique, c'est-à-dire les Portugais et les Espagnols. Ils ont rétorqué, en menaçant d'un tarif douanier de 200 % sur le cognac.

Remarquez que cela ne nous fait pas trop mal; on n'est pas producteur» Sur le vin blanc, cela ne nous fait pas trop mai, mais sur les fromages, qui étaient également dans le paquet, cela veut dire qu'à 200 % de droit de douane, il n'y a pas grand monde aux États-Unis qui va manger du fromage d'Oka, sauf peut-être l'ambassadeur Gotlieb, parce qu'il a une immunité diplomatique pour les taxes. Donc, on peut vraiment vivre la mésaventure de "visa le noir, tua le blanc" et d'être victime de mesures qui ne sont pas dirigées contre nous, mais qui nous frapperaient quand même de plein fouet.

Le quatrième point que je veux aborder, mon collègue qui m'a précédé hier devant vous y a fait allusion en pensant à l'attitude syndicale - et je crois qu'il avait raison - c'est tout l'aspect des clauses qui limitent les conséquences éventuellement néfastes d'un accord de libre-échange. On n'a pas à réinventer la roue, comme je vous le dis, puisque la plupart de nos concurrents vivent déjà depuis longtemps des accords de libre-échange. Qu'il s'agisse de l'Association européenne de libre-échange, qu'il s'agisse du Marché commun européen qui fait encore plus de libre-échange puisque c'est un marché commun, qu'il s'agisse même de cet accord que les États-Unis ont signé avec Israël, les procédures pour rendre le plus sécuritaire possible les ouvertures de frontières et les accords de ce genre sont connues. Il s'agit de clauses de sauvegarde qui sont des espèces de boutons d'urgence qu'on peut presser si jamais on constate un effet néfaste dans un secteur ou l'autre après la signature du traité, et cela permet de rétablir la protection. Alors, il y en a dans les dispositions du GATT, il y en a un peu partout. Qu'il s'agisse des clauses transitoires, on n'est pas obligé dans un accord de libre-échanqe de dire que 100 % de l'accord s'applique à partir du 1er janvier 1989. On peut très bien dire que telles ou telles sections seront assorties d'un calendrier d'application. Cette mesure est très employée par tous les pays qui ont à passer d'un système protectionniste à un système libre-échangiste et on a vu des calendriers qui s'échelonnaient jusqu'à dix ans. Le GATT, en particulier, qui a attaqué vigoureusement par le Kennedy round et le Tokyo round toutes les barrières de protection tarifaire comme non tarifaire a souvent mis de très longs échéanciers. C'est pour cela en particulier que les résultats du Tokyo round ne sont pas encore complètement réalisés et qu'on a encore quelques mois de désarmement douanier comme conséquence du Tokyo round entre les États-Unis et le Canada et qui vont changer notre situation plusieurs années après que la négociation de Genève sera terminée, signée et paraphée. Par conséquent, si un secteur... Je pense à celui de la bière qui a soulevé des objections sérieuses. Les difficultés de cette industrie ne sont pas attribuables à son manque de dynamisme, mais plutôt à d'autres problématiques internes qui ne dépendent pas d'elle. Si vraiment l'industrie de la bière se sent menacée par une abolition radicale de tarifs, elle pourrait très bien faire valoir qu'elle a besoin de dix ans. Ceux qui sont protégés par un tarif de 20 %. si on leur demande de s'en séparer au rythme de 2 % par an, ils pourront le faire de façon très progressive, insensible, sans aspect pénible ni pour la main-d'oeuvre, ni pour la gérance, parce qu'en même temps qu'ils sont menacés d'envahissement de produits étrangers sur notre territoire, ils ont le temps d'organiser leur marketing pour compenser et aller prendre leur part de marché.

Notre industrie de la hière qui est dynamique sur le plan de la publicité en particulier, pas juste sur le plan industriel, nous dit que ça se vend bien, qu'elle est bonne rare, etc. Tout cela pourrait se dire à 230 000 000 d'Américains qui pourraient décider qu'elle est bonne rare aussi et que ça se vend bien, à condition peut-être qu'elle ait le délai voulu pour organiser son marketing, ce que lui donneraient un calendrier et des échéances qui, encore une fois, sont classiques dans ce genre de traité.

Il y a aussi, au rang des mesures pour limiter les effets brutaux d'une libéralisation des échanges, les exclusions pures et simples. Quand on voit que la problématique d'un secteur est telle qu'il n'est pas sage de l'inclure dans l'entente, on la retire de l'entente. Vous pensez bien, surtout après ce que vous avez entendu hier, à ce que j'ai en

tête. C'est l'agriculture, évidemment. Tous les arguments généraux favorables au libre-échange s'appliquent également à l'agriculture. Je n'en suis pas sur ce point. Plusieurs intervenants très spécialisés et très savants, hier, vous ont dit cela, sauf que l'agriculture, c'est un métier très particulier, très spécifique, très vulnérable en particulier à un facteur, et aucune autre industrie n'est dans cette situation, la température. C'est ce qu'on appelle la loi de King, du nom d'un économiste britannique qui a démontré un point avec beaucoup de raison. Et j'ai fini par comprendre pourquoi, souvent, les agriculteurs dans mon village étaient presque perpétuellement mécontents. Selon la loi King, en deux mots, c'est que, quand la récolte est très abondante, les marchés sont surapprovisionnés et les prix baissent. Alors, le cultivateur est content de l'abondance de la récolte et il est fâché à cause des prix. Quand la récolte n'est pas bonne, les prix ont tendance à augmenter; les consommateurs le savent. Alors, l'agriculteur est content que les prix augmentent, sauf qu'il est très mécontent parce qu'il n'a pas de produits à vendre. Vous voyez le paradoxe agricole. J'avais eu le malheur d'expliquer cela dans une assemblée politique, au tout début de ma carrière, à de braves agriculteurs qui m'ont bien écouté parler de cette loi de l'économiste britannique King. L'un d'entre eux, un vieux monsieur, est venu me dire à la fin du discours qui avait eu l'air de le passionner: Tu as bien fait d'y donner ça mon jeune au bonhomme Mackenzie King; toutes ses lois étaient contre la province de Québec.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Landry: Ce n'est évidemment pas facile de vivre dans un métier qui est à ce point tributaire de facteurs naturels, la température, les inondations, les sécheresses, trop de soleil ou pas assez. Qu'ont fait les agriculteurs du monde entier, pas seulement les nôtres? Ils se sont donné un appareil de protection pour pouvoir gagner leur vie convenablement avec un minimum de sécurité. Ils ont - je ne le dis pas d'une façon péjorative - conçu aux États-Unis, dans le marché commun, au Canada et au Québec, un système de manipulation des prix qui s'appellent plan conjoint, quota, office de commercialisation, subvention directe. Les Américains qui sont censés être La Mecque du capitalisme le plus pur, ne sont pas à l'abri, vous le savez, des manipulations de prix. Il n'y a pas de système plus subventionné que l'agriculture américaine, ce qui nous met dans la situation aberrante où les Moscovites actuellement mangent du pain subventionné par les contribuables du Texas qui ne sont pas réputés pour avoir une sympathie particulière pour les Moscovites.

Le blé américain est subventionné, vous le savez. Cela a été l'objet d'une grosse querelle entre le Canada, l'Australie et les États-Unis. (10 h 30)

Cet appareil de protection légitime que les agriculteurs se sont donné de peine et de misère pendant des années, même dans leurs propres rangs où il fallait les convaincre un par un d'adhérer au plan conjoint, ne peut pas se démanteler du jour au lendemain.

Je pense qu'on est devant un beau cas d'exclusion, sauf que les avantages du marché commun pour l'agriculture pourraient être tels et les avantaqes du libre-échange sur l'agriculture pourraient être tels qu'on ne devrait pas baisser les bras aussi vite. Si on n'est pas prêt pour le libre-échange agricole immédiat, je crois que les deux pays auraient intérêt à examiner de concert leur politique agricole et leur industrie agricole dans un "agro pact" à l'image de "l'auto pact". "L'auto pact", c'était le libre-échange, oui, mais assorti de garanties de niveau de production, assorti de mesures pour éviter éventuellement les effets néfastes du libre-échange. Je crois que les agriculteurs québécois, canadiens et américains auraient intérêt à ce que leur gouvernement organise sur les dix, douze ou quinze prochaines années une marche vers une coopération plus poussée qui prendrait la forme d'un traité, mais un traité différent, un traité séparé, "l'agro pact", qui pourrait être signé maintenant et pourrait être mis en application beaucoup plus tard quand tous les travaux nécessaires auront été faits mats l'agriculture n'empêcherait pas de cueillir les fruits mûrs dans les autres secteurs de l'économie qui ne bloqueraient pas une entente de libre-échange globale avec les États-Unis.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Landry, est-ce que je peux vous demander si vous en avez encore pour longtemps dans votre présentation?

M. Landry: Bien, je sais que votre autorité est grande, M. le Président. C'est vous qui m'indiquez le temps.

Le Président (M. Charbonneau): Mais elle n'est pas illimitée. Comme le temps d'ailleurs.

M. Landry: C'est vous qui allez me dire cela. Au fond, j'aimerais mieux, somme toute, répondre a vos questions. Si vous me donniez la chance de mettre une petite phrase de conclusion.

Le Président (M. Charbonneau): Allez-y. Il n'y a pas de problème.

M. Landry: On rendrait les échanges

bilatéraux comme le libre-échange veut le faire.

Le Président (M. Charbonneau): C'est cela. On pourrait commencer immédiatement les échanges.

M. Landry: Ma conclusion, M. le Président, va bien d'ailleurs avec votre remarque. C'est dans les dernières chances que les parlementaires, ici comme à Ottawa et pour la population en général et nous avons de discuter de libre-échange. Wilfrid Laurier a essayé de le rétablir en 1911. It a perdu son élection là-dessus. Mackenzie King avait négocié un pacte presque complet où il ne restait qu'à mettre la signature des chefs d'État vers 1947 et on a raté notre occasion.

Quand le Marché commun européen réuni, la Grande-Bretagne et les États-Unis avaient mis de l'avant l'idée d'une zone de libre-échange de l'Atlantique-Nord dont le nom a été trouvé, qui s'appelait NAFTA, North Atlantic Tree Trade Association, toutes ces occasions ont été manquées. Laurier, Truman, Mulroney, cela fait beaucoup de monde qui a ouvert ce dossier. Si on n'y va pas cette fois-ci, je ne pense pas que durant cette génération au moins il y ait un seul homme politique qui aille remettre de l'avant une telle proposition devant la population canadienne.

Encore sur le plan humoristique - c'est comme cela que je termine - vous savez que Mackenzie King, c'est historique, parlait aux esprits. Il mettait les mains sur la table et consultait les esprits. L'esprit frappeur répondait par un coup ou deux si c'était oui ou non. Je soupçonne que si on n'a pas eu le libre-échange en 1947, c'est parce que Mackenzie avait parlé à l'esprit de Sir Wilfrid Laurier qui avait dit: Votre projet est peut-être très bon, mais si vous ne voulez pas laisser votre peau sur le plan électoral dans l'aventure, ne touchez pas à cela.

Je pense que les parlementaires ont d'autres critères maintenant pour former leur opinion, qu'il y a pour les parlementaires Québécois une similitude de vues considérable, que c'est la commission Macdonald, dirigée par un ancien ministre libérai qui a conçu ce grand dessein qui a été mis de l'avant par un premier ministre conservateur, Brian Mulroney. Les temps sont mûrs, les temps sont pleins. Si on ne le fait pas cette fois-ci, ce n'est pas demain la veille qu'on va rouvrir le dossier.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Landry pour cette présentation et ces commentaires. Maintenant, je vais inviter le ministre du Commerce extérieur, votre successeur, à ouvrir le bal.

M. MacDonald: Qui n'a pas trop massacré ce que vous aviez essayé de bâtir.

Merci.

Merci de votre présentation, M. Landry. Sachant que vous connaissez les règles et que nous avons du côté du gouvernement 20 minutes pour vous questionner, je vous avertis d'avance que j'ai quatre questions et que peut-être mes collègues en auront aussi à poser.

J'aimerais, en premier lieu, me référer directement à votre volume que j'ai lu avec grand intérêt et parler de jobs, parce que si je remettais mon chapeau de personne du secteur privé, d'hommes d'affaires, je pense que je peux le dire, ce qui nous intéresse et ce qui m'intéresse dans ce dossier, ce sont fondamentalement des jobs pour les Québécois et les Canadiens.

On a fait appel ici à des modèles économétriques pour ce qui est de certaines institutions qui en ont effectivement un, qui l'ont exploité, qui ont fait des simulations, et à d'autres groupes qui, à leur façon mais sans modèles économétriques, il faut le souligner, ont décidé ou en ont conclu qu'un traité de libéralisation des échanges avec les Etats-Unis pourrait signifier la perte - on utilise toujours ce terme - de dizaines ou de centaines de milliers de jobs.

Dans votre livre, à ia page 48, essentiellement, je vais lire le dernier paragraphe; vous dites: "En d'autres termes, faute d'être consignée et consolidée dans un accord spécifique, la fluidité présente est précaire, alors qu'il est parfaitement clair qu'elle nous est essentielle. Le Conseil économique du Canada nous prévient qu'un retour de flamme protectionniste américain, environ de 20 % généralisé, nous coûterait un demi-million d'emplois d'ici 1995."

Dernièrement, le Conseil économique du Canada présentait une étude basée sur un modèle qui, selon le dire de votre collègue, hier, M. Parizeau, est l'une des plus intéressantes méthodes qui avaient été présentées. Là, on disait: simulation 1, création de 189 000 emplois ou, simulation 2, 350 000 emplois. Il faut admettre que les études économétriques, on en a pris avec des grains de sel, mais tout de même, elles existent et elles ont des bases scientifiques convenables.

J'aimerais que vous puissiez nous éclairer. Quelque part, il y a un juste milieu, il faut comprendre que ce n'est pas la catastrophe et la fin du monde, sans pour cela être la panacée ou la baguette magique par excellence.

M. Landry: Voilà une question fort bien posée. Elle comporte certaines difficultés de réponse, mais je vais essayer d'y répondre, puisque j'ai eu plus de temps que vous pour y réfléchir depuis que mes électeurs m'ont donné le temps de penser à ces questions, sans être pris dans l'action tous les jours. J'ai lu ces études. Un bureau de professeur

d'université, c'est pas mal plus petit qu'un bureau de ministre. Si j'avais gardé dans mon bureau toutes les études que j'ai lues, je n'aurais pas pu entrer dans mon bureau. Alors, j'en ai lu des montagnes.

Je vous dis honnêtement que l'immense majorité d'entre elles, sinon la totalité, conclut avec le signe plus sur à peu près tous les indicateurs économiques à la suite de la signature d'un traité de libre-échange; que ce soit des études faites par le gouvernement de l'Ontario pour le gouvernement d'Ontario, celles du Conseil économique du Canada, le modèle économétrique Cox-Harris, qui a été l'inspiration majeure, semble-t-il, de la commission Macdonald. Mais cela dit, c'est là que je tempère: un modèle économétrique, c'est un modèle économétrique. Cela entre dans les ordinateurs; cela marche en système binaire, mais c'est loin des hommes et des femmes qui pourraient éventuellement perdre leur emploi ou gagner des emplois. Alors, vous avez employé l'expression "grain de sel", ce n'est pas une expression scientifique, on ne la retrouve pas dans les manuels de sciences économiques, mais on devrait peut-être la retrouver un peu plus souvent. Les études, d'une certaine manière, doivent être prises avec un grain de sel.

L'argumentation que je propose pour le libre-échange tient compte des modèles économétriques, mais elle est surtout une argumentation de bon sens que n'importe qui peut comprendre. D'après les sondages, il semble que les Québécois et les Québécoises aient bien compris, indépendamment des modèles économétriques, que d'abord si le monde entier fait cela depuis pratiquement 25 ans avec beaucoup de succès et si les niveaux de vie s'élèvent partout, cela ne doit pas être mauvais.

Deuxièmement, il va de soi que si on produit 1 000 000 de paires de draps, le coût unitaire de chaque paire de draps va être plus bas que si on en produit 20 000. Cela a l'air de rien, ce que je viens de dire là, mais c'est un peu l'explication de ce qui se passe à Trois-Rivières, la mini-tragédie, où Wabasso a dû abandonner; Dom Tex est revenue pour reprendre le flambeau et elle a dû abandonner de nouveau. Les économies d'échelle et le fait de produire pour des grands marchés, on n'a pas besoin d'être économiste et d'avoir des modèles économétriques pour comprendre cela, les produits sont moins chers. Si les produits sont moins chers, on veut en vendre plus, puis si on en vend plus, notre balance des paiements et notre niveau de chômage en sont affectés d'une façon positive. Alors c'est cela que je réponds.

Quant aux pertes, vous avez mentionné les mots "pertes d'emplois" et cela aussi, c'est très angoissant parce qu'on pense au destin d'hommes et de femmes qui ne sont pas des chiffres ou des paperasses. Sincèrement, je crois que les secteurs les plus protégés derrière les barrières douanières sont précisément ceux qui ont perdu le plus d'emplois depuis les dernières années. On a perdu, vous savez, au cours d'à peu près cinq ans, 30 000 à 40 000 emplois dans les secteurs dits traditionnels et pas à cause de la concurrence venant des Etats-Unis ni du libre-échange, puisqu'on ne l'a pas mais, à cause de la concurrence venant du vaste monde à la suite du GATT, à la suite de l'accord multifibre, à la suite de la libéralisation globale des échanges.

Alors, je pense que, a contrario, une des meilleures façons de conjurer les pertes d'emplois, c'est de donner à une usine de Trois-Rivières qui fabrique du textile, un marché potentiel de 280 000 000 $ de personnes pour acheter des draps, cela va la solidifier, sinon elle a des chances malheureusement de s'étioler plus dans l'avenir qu'elle ne l'est aujourd'hui.

M. MacDonald: Nous avons procédé à l'alternance qu'on va continuer à suivre.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): M. Landry, cela nous fait plaisir de vous retrouver ce matin. Je pense que l'exposé que vous avez fait est clair, net et précis, et que tout le monde comprend très bien ce qui est en train de se passer.

Les préoccupations que nous avons rejoignent beaucoup les vôtres. Lorsque le ministre du Commerce extérieur, il y a quelques minutes, nous dit que la préoccupation du gouvernement, c'est les jobs, quant à moi, je suis d'accord. D'ailleurs, dans la présentation initiale, le tableau que nous présentions sur l'enjeu du libre-échange, c'est l'emploi. Ce qui me préoccupe, M. Landry, et j'aimerais avoir votre avis là-dessus, c'est qu'on est à quelque chose comme dix-sept jours, dix-huit jours de la conclusion d'une entente. Le gouvernement actuel n'a pas mis sur la table pour la faire connaître, une politique globale, une politique bien cohérente concernant toute la question de l'emploi.

La préoccupation des centrales syndicales, je pense qu'elle est légitime, à savoir qu'elles ont une cause à défendre. La montée des gens qui sont contre le libre-échange est particulièrement à cause du fait qu'ils n'ont pas toutes les données, parce qu'on a pas eu des études d'impact complètes. Et même si ces études, il faut toujours les prendre avec un grain de sel, je pense qu'on se devrait d'avoir, à ce stade-ci, 17, 18 septembre, à quelques jours de la conclusion d'une entente, tous les éléments sur la table. Cela, on ne les a pas.

D'une part, on le déplore mais, vous, en tant qu'ex-ministre du gouvernement et préoccupé au plus haut point par ces questions sur le libre-échange, est-ce que vous trouvez, dans un premier temps, normal que nous n'ayons pas ces outils sur la table de façon qu'on sache s'il y a demain matin conclusion d'une entente, ce qu'il va se passer exactement? Quels outils, particulièrement sur la question de la main-d'oeuvre, mais aussi de façon plus large, quels outils le gouvernement va-t-il ' mettre à la disposition des entreprises, des PME? À cause de notre fragilité sur le plan structurel, je pense que cela est reconnu, de la façon dont on est organisé actuellement, les PME n'ont pas tous les outils entre les mains. On parie d'outils, cela va aussi loin que toutes les différentes sociétés d'État qui se doivent de venir jouer un rôle, à mon avis. Donc, toute cette intervention du gouvernement, est-ce qu'on pourra réussir le libre-échange si on n'a pas l'intervention de la part du gouvernement?

Quel est votre avis là-dessus M. Landry? (10 h 45)

M. Landry: D'abord, étant assis devant le Président, ni d'un côté de la table ni de l'autre, je dois dire, d'une part, que vous faites votre métier d'Opposition, en réclamant du gouvernement et des gouvernements que des mesures de transition, des mesures d'adaptation soient mises sur pied. Je dois par ailleurs un peu dédramatiser la question en essayant de me mettre à la place du gouvernement aussi. Quand je dis le gouvernement, il faudrait parler du gouvernement le plus responsable dans cela, le gouvernement central, fédéral, d'Ottawa qui dispose de l'essentiel de l'appareillage d'intervention économique. Je ne parle pas uniquement de votre vis-à-vis d'en face. Je dis à sa décharge que d'abord c'est un projet d'entente qui va être mis sur la table suivant le "fast track" dans quelques semaines. Il y a toute une période de discussions à l'intérieur des instances américaines et peu de probabilités de mise en oeuvre de quelque traité que ce soit avant 1989. Ce que je veux dire, c'est que vous avez raison de pousser. Je dis cela à l'Opposition. Et ce que je dis au gouvernement, c'est que vous avez le temps de vous ajuster et de réagir parce que cela ne va pas être mis en application instanter. Actuellement, même si le gouvernement du Québec, qui ne dispose pas de toutes les informations concernant la négociation et le traité, voulait agir, il ne peut pas avec certitude dire: c'est dans tel et tel secteur qu'il faut immédiatement préparer l'action. C'est quand on aura le traité sur la table qu'on saura quel est le calendrier. Je donne un exemple très concret. S'il y a un calendrier de dix ans pour la bière, je vous garantis qu'à dix ans l'adaptation est pratiquement automatique et qu'il n'y a pas besoin d'intervention étatique spécifique. L'industrie elle-même a largement le temps de s'adapter. Mais dans le cas de calendrier d'échancier plus court, une industrie pourrait être frappée dans douze ou quinze mois; là, les gouvernements auront le devoir de prévoir des mesures d'adaptation. Ce qui ne sera pas mer et monde, à mon avis, puisque les meilleurs modèles économétriques, même si on les prend avec un grain de sel, parlent de très peu de disparition d'emplois causée par une libéralisation. Dans une hypothèse de base, en particulier, ça ne serait guère plus de 7000 d'Halifax à Vancouver. Cela veut dire que les pouvoirs publics peuvent et ont largement le temps et les moyens, dans un effort concerté, de limiter les dégâts auxquels vous faites allusion, en réitérant que vous avez raison d'y faire allusion.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. MacDonald: Dans tout ce débat, on a "cherché à préciser que l'objectif premier du gouvernement canadien et de la province de Québec, qui s'était associée à cet objectif, c'était de se garantir les marchés que nous avions déjà. Mais on a fait ressortir à différents moments et ici même à la commission parlementaire les questions de tarifs. Lee questions de tarifs, dans votre volume, vous les traitez comme des choses du passé. Je me permettrai de vous citer. Vous dites: "II ne faut donc pas écarter ou presque la dimension purement douanière du débat". Mais vous ajoutez: "Cette bataille des tarifs est déjà derrière nous. Pour les esprits chagrins, elle aurait dû être menée en 1965 ou en 1977 à Genève ou au GATT". Vous continuez: "II faut reconnaître d'ailleurs que certains l'ont fait et, généralement, ils ne souhaitent pas tellement qu'on leur rappelle puisqu'ils ont été les premiers à profiter des avantages de la libéralisation. Leurs témoignages pourraient, du reste, être très précieux durant le présent débat... l'industrie voudrait maintenant renoncer à l'expansion que lui ont donné les 50 % d'abattement tarifaire décidés au Kennedy round".

Vous parlez de l'histoire, mais d'une histoire que vous connaissez très bien. Devant nous, il y a une proposition rendue publique, où la partie américaine était demandeur, de réduire les tarifs, mais sur une période pouvant aller jusqu'à dix ans, associant cela - et c'est une position très ferme de la province de Québec - non seulement à cette période de transition, mais à des mesures de transition touchant la main-d'oeuvre et la productivité de l'entreprise. Cela dit, hier, je note que vous avez dit: L'agriculture doit être traitée d'une façon particulière. L'Union des producteurs agricoles et le Regroupement avicole du Québec, en ce qui a trait aux

tarifs, ont dit: Ce serait un désastre pour nous et pour l'agriculture en général s'il y avait une réduction des tarifa. Par ailleurs, l'Ordre des agronomes du Québec, représentant les 3000 professionnels de cet organisme, a dit hier soir: Une disparition des tarifs au niveau agricole aurait très peu de répercussions. Est-ce que vous pourriez nous éclairer un peu sur cette proposition de réduction des tarifs en générai et plus particulièrement en ce qui a trait aux produits de l'agriculture?

M. Landry: D'abord, il est exact que la guerre des tarifs est derrière nous. 80 % de nos produits entrent en franchise aux États-Unis d'Amérique; dans les 20 % qui restent, 80 % sont frappés d'un droit moyen qui est entre 5 % et 10 %. Comme notre dollar est en décote de 30 %, cela veut dire que, pour un tarif de 10, on saute par-dessus avec 20 % d'avantages encore. Il n'y a personne de sérieux qui va prétendre que la question tarifaire est encore un très gros enjeu, d'une façon générale, à cause de l'action du GATT précisément, le Tokyo round et Kennedy round, et une autre demi-douzaine de discussions. Je revois avec plaisir un de vos conseillers, M. le ministre, M. Grenier, qui était un des brillants membres de l'équipe de négocations du GATT à Genève, lors du Tokyo round, où j'avais eu l'occasion de me rendre d'ailleurs pour défendre les intérêts du Québec. On avait des propositions, dans le temps, d'industriels québécois qui disaient: Si vous baissez les tarifs, on va perdre notre chemise, tous les malheurs nous attendent. Je me souviens très bien. Or, j'ai eu leurs confidences depuis, ils ne veulent plus qu'on parle de cela, parce qu'ils sont tellement contents de ce qui est arrivé par la suite qu'ils ont honte des représentations qu'ils avaient faites pour que les tarifs soient maintenus. C'est à cela que je fais allusion dans mon volume. Cela dit, le GATT n'a pas eu le pouce vert, c'est le moins qu'on puisse dire. Tout ce que je dis s'applique plus à l'industrie qu'à l'agriculture.

L'agriculture, c'était compliqué pour le marché commun européen, c'était un vrai calvaire pour lui et c'était compliqué pour le GATT. La question tarifaire, en agriculture, doit être traitée avec beaucoup de soins. Cela dit, je ne pense pas que les réticences principales développées à l'encontre du libre-échange par les agriculteurs soient tellement tarifaires. C'est surtout une question d'adaptation, une question d'échelle, une question de subvention, de manipulation, sans le dire de façon péjorative, des marchés. Je vous donne quelques petits exemples que les agriculteurs ont servis à souhait, ils vous l'ont peut-être dit: les oeufs cassés dans le transport aux États-Unis, est-ce qu'ils vous l'ont racontée celle-là? C'est l'équivalent de la production canadienne d'oeufs, d'Halifax à

Vancouver.

Une seule grande compagnie de fermes laitières, je crois, produit autant de lait que le million de vaches laitières du Québec. Alors, ils sont terrorisés par l'échelle et, surtout, ils veulent préserver leur victoire ancienne d'aménagement des prix.

Je termine ma réponse en revenant au GATT. On a commencé par le GATT, on va finir par le GATT. Le GATT continue son travail, il n'a jamais arrêté depuis 1947 et il s'engage dans l'Uruguay Round qui risque largement d'être un round agricole où on va peut-être voir, transposé à l'agriculture, ce qu'on a vu pour l'industrie. C'est pour cela que j'insiste pour dire qu'on ne doit pas exclure bêtement l'agriculture de tout traité. On doit être plutôt un "agro pact" pour se préparer à ce qui peut nous venir de Genève, de toute façon, et qui plongerait notre agriculture dans un milieu totalement concurrentiel.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. D'abord un commentaire et deux questions, M. Landry. Voici le commentaire face à ce que vous venez de mentionner sur les questions que je vous avais posées. Déjà, en novembre 1985, alors que vous étiez ministre des» Finances, vous aviez annoncé la formation d'une commission consultative sur le libre-échange, avec une mission particulière qui avait pour but, entre autres, de mettre sur pied une stratégie d'adaptation des travailleurs, et tout cela. Tout cela pour dire que, déjà en 1985, ce travail était amorcé. Malheureusement,vous n'êtes plus là; moi, je suis là, mais dans l'Opposition. Mais déjà, c'était amorcé. Ce que je veux dire et passer comme message, c'est que si ce travail s'était immédiatement continué, on ne serait peut-être pas dans cette position aujourd'hui, sans vouloir dramatiser, avec, à mon avis, pas toute la préparation qu'on devrait avoir, rendu au mois de septembre 1987.

Ma première question concerne particulièrement une entrevue que vous avez donnée à Finances le 27 avril 1987 dans laquelle vous disiez: C'est le Québec qui profitera le plus du libre-échange... et davantage avec une politique économique interventionniste.

Ma question tend à savoir, pour vous, une politique économique interventionniste pour assurer un plein ou un plus grand succès au libre-échange, qu'est-ce que cela veut dire exactement?

Et, deuxièmement - je pense que le temps va nous presser - le véritable enjeu, c'est l'accès garanti à un marché. On sait que l'accès garanti étant l'une des conditions que le gouvernement canadien et le

gouvernement québécois semblent réclamer, est-ce qu'on peut penser sincèrement que les Américains nous donneront cet accès garanti, y compris tout leur marché de défense nationale?

M. Landry: Sur la première question, l'interventionnisme, sans abuser des mots, je serais porté à parler d'un modèle québécois qui a été développé depuis 1960 - alors, il n'y a rien de partisan là-dedans,, plusieurs partis politiques se sont succédé comme membres de l'État depuis - qui a établi une complicité qui n'a peut-être pas d'équivalent en Occident entre les pouvoirs publics et les entreprises privées coopératives ou mixtes pour assurer le développement du Québec. Par exemple, l'action de la Caisse de dépôt et placement. Cherchez dans les livres européens ou américains des exemples d'une telle symbiose d'actions entre de l'argent public, de l'argent privé et de l'argent d'un mouvement coopératif pour assurer le développement économique.

Cela a permis le succès que... C'est un succès de rattrapage, mais rattrapage spectaculaire de l'économie québécoise depuis 1960 où, de marginaux dans notre propre économie, nous sommes devenus des décideurs majeurs avec de grands groupes industriels, de grands groupes de finances, qu'ils soient dans le domaine bancaire ou dans le domaine de l'assurance, tout cela, à cause de cette symbiose et de cet interventionnisme intelligent des gouvernements du Québec depuis 1960.

Je pense que ce serait une erreur monstrueuse de sacrifier cela. J'en ai entendu en confidence des compliments de ce modèle de collègues canadiens, de collègues américains, de collègues français et si on y tournait le dos, ce serait grave. C'est en ce sens que je dis que cet interventionnisme intelligent pratiqué par le Québec depuis sa révolution tranquille doit être maintenu. Il a donné une grande partie de ses fruits. Il peut en donner encore beaucoup et, singulièrement, dans le contexte du libre-échange.

L'accès garanti, deuxième question. Il y a des limites à cet accès garanti. Dans les conditions posées par certains à la signature d'un accord, il y a des gens qui - je l'espère de bonne foi - mettent des conditions tellement hautes et irréalisables que cela revient à s'opposer à l'accord.

Ceux qui diraient: Je suis contre l'accord s'il n'y a pas un tribunal dont toutes les décisions sont exécutoires comme les décisions de la Cour supérieure du district de Montréal ou de Québec le sont avec saisie et arrêt avant jugement éventuellement, ils rêvent en couleur. Ce n'est pas comme cela. Même le GATT n'a pas réussi directement a rendre ses décisions exécutoires et, pourtant, le GATT est un succès formidable.

Alors, ce qu'il faut atteindre, ce sont des assurances raisonnables, un mécanisme raisonnable de règlement des différends, des balises raisonnables. Je donne un exemple un peu technique. Pour les subventions, actuellement, le Trade Act américain, les tribunaux américains et la jurisprudence disent que si nos subventions du gouvernement du Québec ou d'Ottawa ont une influence de moins de 0,5 % dans le prix du produit fini exporté, c'est de minimis, suivant l'expression juridique antique. C'est de minimis? cela ne compte pas.

Alors, vous pouvez subventionner jusqu'à 0,5 %. Il a filtré de la table de négociations que ce 0,5 % s'est transformé en 5, c'est-à-dire tout ce qui est subventionné jusqu'à 5 % du produit fini sera de minimis. Mais c'est un progrès absolument extraordinaire. Quant à amener les Américains à dire: On signe un traité avec vous et cela vous permet de faire n'importe quoi dans notre marché subventionné, "dumpé", cartelisé, il faut oublier cela, parce que, nous mêmes, au Canada et au Québec, on n'accepterait pas. On a un tribunal anti-dumping.

Une mesure déloyale, qu'elle vienne d'un petit pays ou d'un grand, c'est une mesure déloyale. Libre-échange ou pas, les mesures déloyales seront toujours réprimées. Les Américains ne vont pas sacrifier ce pouvoir, pas plus que le Canada non plus. Alors, il faut donc arriver à des mesures qui civilisent nos rapports, sans penser qu'une activité aussi immense que risquent les milliards de dollars impliqués va être réduite à marcher comme du papier musique.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

(11 heures )

M. MacDonald: M. Landry, dans ce débat où, effectivement, nous cherchons à éclairer, nous cherchons à mieux comprendre les positions de tous et chacun et à établir cette position du Québec vis-à-vis des objectifs à atteindre, vous avez des gens qui semblent s'être polarisés autour de qroupes très favorables - vous êtes personnellement une des personnes très favorables - et d'autres qui, depuis le tout début, d'ailleurs, se sont dits contre et aucun argument ne semble vouloir percer leur carapace. Au cours des deux dernières journées d'auditions, on s'est aperçu que la perception était que tout le monde syndical, dans son ensemble, était contre toute négociation sous quelque forme que ce soit. Cela a été assez bien explicité, hier, et très honnêtement, par M. Proulx de l'UPA. Nous avons eu, par contre, la Centrale des syndicats démocratiques qui est venue dire que les négociations ne lui faisaient pas peur et qu'elle balisait, par contre, les conditions. Il y a également les Travailleurs unis de l'automobile, dont je n'ai pas tellement entendu d'opinions pour ou

contre; peut-être ai-je manqué certaines déclarations, mais je n'en ai pas entendu.

Pourriez-vous essayer de nous diriger un peu, de nous indiquer quelle est votre impression de cette position du tout début d'un certain nombre de syndicats, ou tout au moins de syndicalistes et cette divergence d'opinions ou ce silence que j'ai mentionné chez certains?

M. Landry: D'abord, c'est l'une des choses, durant toutes mes études de la question, qui m'a laissé le plus perplexe de voir que le mouvement syndical canadien presque dans son ensemble, à l'exception de la CSD, prenait des positions aussi adverses. Cela m'a étonné d'abord, parce que cela va contre toutes les traditions de la gauche mondiale. Un grand thème de la gauche, c'est justement "Travailleurs du monde entier, unissez-vous" et non pas "Douaniers du monde entier, unissez-vous". Dans les grandes doctrines, à l'Est comme à l'Ouest -les marxistes appellent cela la solidarité internationale, la division internationale du travail; nous, on appelle cela les avantages comparés - c'est un grand thème de gauche auquel tourne le dos le mouvement syndical canadien, et cela m'a beaucoup surpris. Je résumerais ma pensée en citant une phrase de Jean Jaurès, l'un des grands ancêtres du Parti socialiste français, qui disait: "Le protectionnisme, c'est le socialisme des riches." Que la Fédération des travailleurs du Québec et la CSN défendent des positions protectionnistes, c'est une chose étonnante.

Deuxièmement, j'ai assisté à beaucoup de débats, j'ai été conscrit à faire des débats avec M, Daoust, en particulier, et comme il y a entre nous beaucoup de similitude de vues sur bien des choses, ce furent les débats les plus polis que vous puissiez imaginer, il n'était pas question de s'injurier, mais on a pu confronter nos positions. Il faut reconnaître que si le mouvement syndical n'avait pas participé activement au débat et organisé des forums, publié des tracts, des pamphlets, le débat aurait été beaucoup moins fourni, parce qu'il a été le seul à contribuer de façon négative à faire ce qu'on pourrait appeler l'avocat du diable. Il ne faut pas oublier qu'une caractéristique profonde du mouvement syndical nord-américain, c'est d'être un habile négociateur. Alors, quelquefois, on est contre une chose pour faire monter les enchères afin d'obtenir un peu plus ailleurs.

Une dernière explication, elle est plus subjective, celle-là, je la donne sous toutes réserves. N'oubliez pas que le mouvement syndical canadien est largement dominé par des travailleurs qui profitent déjà du libre-échange, les travailleurs de l'automobile. Ils ont tellement voulu que le "l'auto pact" soit considéré comme un monstre sacré qu'on aurait dit qu'ils étaient prêts à empêcher toute discussion sur le libre-échange au cas où le vent du boulet serait passé à côté de "l'auto pact", en oubliant que "l'auto pact" peut être rappelé à douze mois d'avis; ce n'est pas coulé dans le bronze, cette affaire-là. Alors, ceux qui s'opposent au libre-échanqe pour sauvegarder "l'auto pact" pourraient se retrouver dans la situation misérable où ils auraient fait rater le libre-échange et qu'on recevrait un avis de douze mois de Washington pour dire que le "l'auto pact" est terminé. Donc, cela a été assez difficile à comprendre, ce dernier paradoxe. Cela m'a un peu attristé de voir que les travailleurs qui gagnent environ 20 $ l'heure, qui ont eu leur emploi en expansion depuis des années, il y en a de plus en plus qui ont été sauvés par "l'auto pact", viennent dire à des travailleurs de la rue Chabanel à Montréal qui sont dans le textile, qui gagnent à peine plus que le salaire minimum: Ne touchez pas au libre-échange, ce n'est pas bon. Il y a un paradoxe attristant là-dedans.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. On sait que l'entente qui aura lieu, si elle a lieu dans quelques jours, fera en sorte qu'il y ait une volonté politique au plus haut niveau de la part du premier ministre du Canada de vouloir conclure cette entente. Cela me fait un peu peur. À partir du moment où il y a une volonté politique très forte et que les négociations n'avancent pas pour conclure une entente qu'on voudrait voir conclure sur plusieurs points et qu'on se ramasse essentiellement avec une entente qui soit plus une entente-cadre minimale dans laquelle se retrouverait, à toutes fins utiles, un immense parapluie et dont on aurait, j'imagine, par la suite, à négocier au cours des 18 ou 24 prochains mois les détails ou les spécificités... Le Québec, à cette table, n'est pas représenté directement comme vous l'aviez réclamé en 1985, vous et vos autres collègues, à des conférences fédérales-provinciales. Croyez-vous, d'après votre expérience et parce que vous suivez le dossier, que les spécificités québécoises et les intérêts du Québec dans son ensemble sont actuellement bien représentés? Deuxièmement, est-ce que vous croyez que ce n'est pas un danger actuellement, parce qu'il y a une grande volonté politique de la part du gouvernement canadien et de son premier ministre de vouloir en venir à une entente à tout prix, de faire des concessions où on a les mains attachées en ce qui regarde le Québec et que, par la suite, on fasse une concession d'ordre national sur le plan pancanadien?

M. Landry: D'abord, il y a une

sauvegarde existante dans les lois fondamentales du Canada et du Québec. C'est que le Québec est souverain dans plusieurs sphères de l'activité gouvernementale qui tombent sous sa juridiction et que la puissance du Canada, telle est la loi de ce pays, ne peut pas engager par traité la souveraineté du Parlement du Québec sur un certain nombre de choses. Le Canada pourrait signer un traité qui modifierait la politique d'achat d'Hydro-Québec HydroQuébec demeure sous la juridiction de ce Parlement. Le gouvernement du Canada pourrait signer un traité pour modifier le Code civil du Québec. Le Code civil demeure sous la juridiction de ce Parlement. On a donc une série de garanties qui sont plus que le veto; c'est la souveraineté.

Pour le reste, certains l'ont déploré publiquement et je veux joindre ma voix à la leur, il me semble qu'on aurait pu intéresser davantage des Québécois et des Québécoises, des fonctionnaires du gouvernement du Québec et des délégués de l'Exécutif à l'ensemble de cette négociation. Cela ne s'est pas fait. Évidemment, je présume que M. Reisman, en toute bonne foi, représente dans ses travaux tous les citoyens de Halifax à Vancouver, et la bonne foi se présume et ceux qui l'entourent sont de même. J'aurais aimé une présence québécoise un peu plus visible et à un niveau un peu plus haut dans les équipes de négociation. Effectivement, j'avais demandé autrefois, au nom du gouvernement du Québec, qu'une telle chose se fasse» Cela ne s'est pas fait. Je pense que ce n'est pas une raison pour empêcher qu'un accord se fasse, mais ce serait fait sous de meilleurs augures si on avait pris cette précaution.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre?

M. le député de Roberval.

M. Gauthier: J'ai une question et, M. Landry, vous l'avez abordée tout à l'heure. Je vous avoue que ma préoccupation est grande à ce niveau. Cela concerne l'agriculture. Je partage un peu, disons, votre optimisme concernant ce secteur, le dynamisme de l'agriculture, la possibilité de s'adapter sur une plus longue période, l'accession à de nouveaux marchés. Si les agriculteurs ont peur de l'échelle, ont peur de la comparaison avec des fermes qui produisent, toute proportion gardée, beaucoup plus que les leurs, j'ai l'impression que cette peur est fondée. Je vous avoue qu'en toute logique et en toute vraisemblance, la production à une très haute échelle permettant des économies parfois plus que substantielles par rapport au choix de société agricole qu'on a fait ici, j'ai l'impression qu'on n'a rien à gagner dans le monde de l'agriculture et qu'il reste encore beaucoup de choses à démontrer à ce niveau. Est-ce que vous pourriez me donner, ou donner à ceux qui nous écoutent, des arguments supplémentaires nous permettant de faire confiance davantage à un traité de libre-échange dans le domaine agricole même si on l'assortit de certaines conditions? Pourquoi pas tout simplement accepter la demande qui est faite et exclure tout à fait le domaine agricole d'une entente sur le libre-échange? J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Landry: La tentation de la facilité, cela aurait été de dire: L'agriculture, c'est compliqué; on n'y touchera pas. C'est l'hypothèse retenue par l'Association européenne de libre-échanqe qui fonctionne très bien depuis 25 ans et au-delà en ayant exclu l'agriculture. C'est simple. On n'en parle pas.

L'autre extrême, c'est la Communauté économique européenne qui dits On aborde le problème de front, on fait un marché commun agricole avec tous les problèmes qui s'ensuivent et qui ne sont pas encore résolus. L'attitude médiane, c'est de constater que même pour l'agriculture, il y a de grands avantages à la libéralisation des échanges et certains producteurs Québécois en vivent déjà. Il y a dans l'île de Laval, par exemple - le député de Vimont doit le savoir - la plus grande ferme de brocoli du continent nord-américain. Si les producteurs n'en vendaient pas en dehors de Laval et du Québec, ils ne seraient pas à ce niveau de production.

Il y a aussi ce qu'on appelle les avantages comparés qui s'appliquent en agriculture. Pour les oranges, le Québec n'est pas bien placé, vous le savez. Cela est évident. Sauf que pour toutes les cultures maraîchères qu'on peut faire ici dans un climat tempéré et qui n'a pas besoin d'être irrigué de façon artificielle avec d'énormes pompes qui épuisent la nappe phréatique comme cela se fait dans plusieurs sections des États-Unis où cette production devra être abandonnée un jour, bien là, on reprendrait tout notre avantage de situation.

S'il est vrai que les oeufs cassés dans le transport représentent la production canadienne, il est vrai que dans la seule ville de New York et ses banlieues il y a beaucoup plus de personnes qui peuvent consommer du lait, et qui pensent que c'est vachement bon même s'ils ne le disent pas en français, que dans tout le Québec et dans presque tout le Canada.

J'ai écouté un peu les agronomes parier hier à la télévision et j'ai lu tous les papiers de l'UPA. Je pense qu'il faut éviter les extrêmes. Il serait malheureux de jeter la serviette. L'agriculture, c'est une partie fondamentale de notre économie. On pose un geste d'ouverture fondamental pour l'ensemble de l'économie et on met

complètement l'agriculture à part. Sam ne me semble pas avoir fait ses devoirs convenablement. On doit plutôt aller vers un statut spécial pour un problème spécial. C'est pour cela que j'ai mis de l'avant dans mon ouvrage cette solution d'un "agro pact" qui serait une solution mitigée qui permettrait de concilier tous les aspects de la question.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Landry, j'aurais de mon côté deux brèves questions à vous poser. Vous avez insisté beaucoup depuis le début sur l'ouverture des nouveaux marchés, autrement dit la possibilité de développer les nouveaux marchés que nous permettait éventuellement un accord de libre-échange. Hier, par ailleurs, M. Parizeau, mais surtout M. Pettigrew, sont venus nous indiquer que c'est plutôt l'objectif de sécurité de ce qui se fait actuellement que l'objectif du développement accru de nouveaux marchés qui doit être raisonnablement pris en considération dans un accord éventuel. Qu'en pensez-vous?

D'autre part, à l'égard de l'objectif de l'emploi, et entendons-nous bien, tout le monde est pour la vertu tout le monde dit: Nous, on est pour la création d'emplois. Sauf qu'il y a une différence fondamentale entre des gouvernements, et je pense, entre autres, à des gouvernements Scandinaves où ils ont effectivement un libre-échange opérationnel, qui ont comme objectif de société, comme objectif politique et socio-économique, et partagé par les partenaires économiques, socio-économiques, le plein emploi.

Donc, il y a une différence entre cette approche et l'approche traditionnelle nord-américaine et occidentale de pays qui n'ont pas une tradition sociale-démocrate qui ait l'emploi, oui, comme conséquence à la croissance économique. On sait que la croissance économique peut se traduire par plus de productivité, plus d'investissements mais pas nécessairement plus d'emplois et, à la limite, même moins d'emplois. On peut avoir des entreprises qui investissent, qui ont de meilleurs équipements de production parce qu'elles sont plus modernes mais qui embauchent moins de personnes aussi en fin de compte.

Dans la mesure où finalement un certain nombre d'économistes que nous avons consultés nous ont dit très clairement: Le libre-échange, dans la mesure où il n'est pas fait en fonction d'un objectif de plein emploi, dans une approche qui est plus une approche à l'européenne dans le sens social-démocrate, c'est-à-dire les pays Scandinaves, risque de ne pas apporter autant de fruits qu'une approche qui serait vraiment orientée vers le plein emploi comme objectif de société, comme objectif économique avisé. Là aussi, qu'en pensez-vous?

M. Landry: La question des nouveaux marchés, M. le Président, tel que vous avez décrit l'intervention de mes collègues Pettigrew et Parizeau, me fait penser que je vais peut-être un peu au-delà d'eux s'ils ont dit ce que vous avez dit, parce que je crois que nous aurons des nouveaux marchés à la suite du libre-échange mais, paradoxalement, pas tellement aux États-Unis. (11 h 15)

Vous savez que nos ventes actuellement sont concentrées, on l'a dit, tout, le monde le sait, à 80 % aux États-Unis et qu'on a des difficultés à percer d'autres marchés dans le monde. Une des raisons, c'est notre échelle de production réduite - là, je parle d'expérience - qui nous empêche, à cause de nos prix, de vendre dans des marchés plus vastes dont les producteurs nous battent sur à peu près tous les plans quand arrivent les questions de prix et de qualité.

Je résume ma pensée en disant que le fait, pour les industries du Québec, d'avoir accès à un très grand marché, cela va leur permettre des économies d'échelle, des hausses de qualité, des baisses de prix qui vont leur permettre de vendre davantage, non pas dans ce grand marché seulement mais aussi ailleurs. Alors, on est devant le paradoxe que cette troisième voie, qui a été poursuivie par le gouvernement du Canada -vous vous souvenez, il y a un certain nombre d'années, de "on va diversifier", "on va vendre ailleurs qu'aux États-Unis", "ce n'est pas bon de se concentrer" - c'est dans un traité de libre-échange qu'elle serait peut-être la plus sûrement recherchée et trouvée. Trop cher, c'est trop cher partout. Si on réussit avec des échelles de production à baisser nos prix, bien, on vendra en Europe. Et si on ne vend pas plus au Japon, par exemple, au moins on sera plus concurrentiel contre les produits japonais venant chez nous.

Pour la préoccupation de l'emploi, M. le Président, vous avez parfaitement raison. Là, je vais refaire une vieille comparaison qui traîne un peu partout, mais il faut toujours la rappeler. Vous savez qu'il y a une différence considérable de taux de chômage entre le Québec et l'Ontario, que cette différence est chronique. Actuellement, le Québec dépasse 10 % et l'Ontario dépasse à peine 5 %. De quoi est-ce que cela dépend? On serait porté à dire, de façon simpliste: Cela dépend du gouvernement, de l'ancien ou du nouveau. Ce n'est pas cela. La réponse, c'est que le coeur de l'économie ontarienne vit déjà une production pour 230 000 000 de consommateurs et plus, l'automobile. Si le Québec avait l'industrie automobile à la place de l'Ontario, savez-vous ce qui serait arrivé depuis Maurice Duplessis? Le taux de chômage québécois aurait été plus bas que celui de l'Ontario. C'est cela, les grands marchés, en termes d'emplois.

Cela est plutôt l'approche nord-américaine, vous avez bien fait de le suggérer; c'est que les emplois viennent par la croissance. Là, vous allez un peu dans mes convictions personnelles. Je crois que dans une social-démocratie, on peut profiter encore davantage. En tout cas, dans un gouvernement progressite, ne soyons pas formels, mais disons l'interventionnisme québécois que j'ai décrit depuis 1960, je ne veux pas être partisan, donne un meilleur contexte pour profiter du libre-échange. C'est pour cela que deux pays européens relativement petits, l'Autriche et la Suède, ont des niveaux de vie élevés, des taux de chômage relativement bas et ils sont tous les deux très axés vers le libre-échange. Je l'ai dit pour la Suède, c'est la même chose pour l'Autriche,, membres tous les deux de l'Association européenne de libre-échange qui elle-même a un traité de libre-échange avec le marché commun.

Cet interventionnisme intelligent à la québécoise, il comporte aussi un aspect répartition des richesses et de justice sociale qui fait du Québec un terre intéressante parmi bien d'autres dans le monde. La ville de Montréal par exemple, vous dites qu'elle est la grande ville nord-américaine la moins violente. Il y a des raisons à cela. C'est parce que, en particulier, Montréal profite des mesures sociales avancées du Canada, qui est un pays très avancé, et des mesures sociales québécoises qui sont plus avancées encore que celles du Canada, il y a des relations de cause à effet. Alors, je pense que si nous vivons le libre-échange dans une approche progressiste, on a une chance de créer plus d'emplois et de mettre plus de justice.

Pour compléter ma réponse, je voudrais dire aussi que certains éléments du mouvement syndical ont une fixation - je les comprends dans leur situation - anti Reagan. Mais le président des États-Unis, il est renouvelable, il ne peut pas être élu plus que deux fois» L'histoire des États-Unis d'Amérique est une longue oscillation entre, c'est vrai, des positions des fois très à droite, mais aussi des positions des fois très à gauche. Le "new deal" de Franklin Roosevelt, par exemple, a été une des belles périodes de l'histoire progressiste du continent et de l'humanité. Le mot "Welfare State", cela n'a pas été inventé à Moscou, c'était dans le vocabulaire du "new deal" de Franklin Roosevelt. Alors, un libre-échange pourrait très bien être vécu dans un contexte progressiste et donner, de ce point de vue, des fruits plus riches en termes d'emplois et de justice sociale.

Le Président (M. Charbonneau): Merci. Alors...

M. Parent (Bertrand): Une dernière.

Le Président (M. Charbonneau): ...une dernière intervention.

M. Parent (Bertrand): Une dernière intervention puisque le temps est déjà écoulé, mais c'est fort intéressant et fort enrichissant» Je sais que le ministre veut intervenir en dernier lieu pour fermer la boucle.

M. Landry, on dit partout dans les milieux d'affaires, M, Parizeau est venu aussi le dire hier, que le dynamisme des entreprises, l'entrepreneurship québécois, cela se porte bien. Je pense que ce qui a été bâti ces dernières années porte fruit, cela est fort encourageant et j'applaudis à tout cela.

Par contre, dans le journal Le Devoir de ce matin, on lit que le secteur privé ne peut pas remporter seul le pari du libre-échange,. C'est le dire de M. Parizeau avec lequel je suis totalement d'accord. J'aimerais que vous puissiez commenter cette dimension du secteur privé, face au libre-échange. Est-ce que seul, il peut remporter le pari, est-ce qu'il devra avoir justement des appuis? Et ce n'est pas négatif les appuis qu'il pourra avoir du côté gouvernemental ou autres. Mais, j'aimerais que vous puissiez, en terminant, face à ce dynamisme économique qui est souligné un peu partout de l'entrepreneurship québécois, nous livrer vos commentaires. Est-ce que vous êtes d'accord avec le fait que le secteur privé ne peut pas remporter seul le pari du libre-échange?

M. Landry: Je suis globalement d'accord sauf que le secteur privé, c'est vaste. Le secteur privé, cela comprend une PME de 42 employés à Saint-Prime, comme cela comprend Bombardier et Alcan. Alors, les très grandes firmes du secteur privé peuvent très bien, parce que souvent déjà rompues à l'action du commerce international, se débrouiller après le libre-échange comme avant sans autres interventions particulières. ' Même là, cette complicité québécoise des pouvoirs publics et de l'entreprise privée, souvent la petite, des fois la grande, restera nécessaire. Ce sera pour nous un avantage parce que c'est la seule partie du nouvel ensemble du libre-échanqe qui serait dans cette situation. On ne trouve pas cela en Ontario, ni dans l'ensemble du Canada, ni aux États-Unis. Je crois que cela doit être maintenu, non pas tellement si le secteur privé peut se débrouiller seul ou pas, mais en disant que le modèle québécois donne un plus de toute façon. C'est une prospérité additive qui est venue du fait que les Québécois ont développé ce modèle d'action de symbiose: le secteur coopératif, le secteur purement privé, le secteur mixte et le secteur public. C'est un avantage supplémentaire, bien qu'encore une fois, ce ne soit pas absolu et il y a des gens qui... quand on

peut se passer d'intervention d'État, je pense que c'est mieux, c'est mieux pour tout le monde; c'est mieux du point de vue du ministre des Finances, à qui cela coûte moins cher, et c'est mieux du point de vue de la bonne gestion des choses. Ceux qui peuvent s'en passer comme les très grands que j'ai nommés, vont s'en passer j'imagine sauf exception. On a vu dans l'affaire du contrat du métro de New York que sans un financement très avantageux du gouvernement du Canada, il n'est pas sûr qu'on aurait vendu des voitures. On a réussi à le faire, c'est très bien ainsi. Cela peut poser des problèmes non pas tellement d'ailleurs par rapport à des règles d'un libre-échange futur, mais par rapport aux règles du GATT aussi. On n'a pas le droit d'intervenir d'une façon déloyale et à qui mieux mieux, sans s'exposer à violer l'accord général sur les tarifs. Il y a alors une question à la fois de bonne foi et de bon sens dans le volume des interventions.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: J'aimerais conclure votre visite, M. Landry, en vous remerciant. Je note un certain nombre d'éléments dans votre présentation, et j'aimerais en souligner quelques-uns.

Vous avez fait un acte de foi dans la capacité de l'entreprise privée, de l'entrepreneurship québécois, de faire face au défi. Je crois que c'est évident que les résultats des dernières années ont démontré qu'ils étaient capables de choses assez spectaculaires.

Je suis content que le député de Bertrand ait amené sur le sujet ce que vous avez mentionné, c'est-à-dire cette complicité qui doit exister entre gouvernements, entreprises privées et syndicats.

Je pense que vous avez vécu, comme ministre, la période très difficile. À ce moment, vous vous rappellerez qu'on n'était pas toujours d'accord sur les méthodes mais, en visant certains objectifs, tout le monde va réaliser qu'il ne pouvait être d'économie viable et d'avenir convenable s'il n'y avait pas cette complicité. On ne peut pas s'isoler l'un ou l'autre et penser d'être seul en possession tranquille de la vérité. Je pense que vous l'avez bien démontré. Je vous remercie des mentions que vous avez faites de mon brillant collègue M, Grenier. J'aimerais vous rassurer sur le fait que vous auriez espéré qu'on soit représenté au plus haut niveau. Je pense que vous allez être d'accord avec moi que Jake Warren était probablement l'expert des experts québécois qui était disponible, Dieu merci, et même si c'était mon ancien "boss", cela m'a fait grand plaisir de retenir ses services comme principal conseiller du gouvernement. M.

Pomerleau, M. Grenier et les autres ont formé une équipe formidable.

Finalement, je conclus en disant que je saisis que non seulement vous êtes favorable au libre-échange, mais ce que vous dites également à certaines personnes qui devraient peut-être reconsidérer leur position, c'est qu'entre autres - et je vous cite - il ne faut pas exclure bêtement l'agriculture de la discussion. Effectivement, il ne faudrait pas s'exclure non plus d'une discussion continuelle qui cherche à optimiser nos marchés. Merci, M. Landry.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Landry, au nom de tous les membres de la commmission et en mon nom personnel, il me reste à vous remercier. Je pense que vous avez fait un retour remarqué dans cette enceinte. Je comprends que vous avez maintenant plus de crédibilité et que vous en profitiez joyeusement. J'espère néanmoins que cet exercice aura permis à ceux qui nous écoutent de nous en accorder un peu plus à nous aussi. Merci et à bientôt.

J'invite le prochain groupe, le Conseil du patronat du Québec.

Alors, nous reprenons maintenant avec le Conseil du patronat du Québec. Quelques figures connues, M. Dufour, entre autres. Alors, M, Dufour et messieurs, bienvenue à cette commission. On devrait dire rebienvenue, c'est-à-dire que parmi les habitués de la commission vous avez sans doute l'une des plus grandes anciennetés. Vous connaissez très bien les rèqles du jeu. On a une heure pour votre présentation et la discussion. En fait, vous avez vingt minutes initialement pour présenter vos points de vue et, par la suite la discussion va s'engager, comme elle s'est engagée jusqu'à maintenant de part et d'autre avec un partage du temps équitable. Alors, sans plus tarder, je vous demanderais aussi, avant de commencer votre présentation, de bien vouloir identifier les personnes qui vous accompagnent.

Conseil du patronat du Québec

M. Dufour (Ghislain): Merci, M. le Président. Mes collègues: M. André Duchesne, président de l'Association des industries forestières du Québec; M. Jacques Garon, directeur de la recherche au Conseil du patronat et, à ma droite, M. Sébastien Allard, ex-président du CPQ et administrateur de compagnies, des petites, des grandes, de tous les secteurs, alors, il est carrément dans le dossier du libre-échange.

Comme vous l'avez mentionné, vous avez déjà reçu notre mémoire. II y a beaucoup de statistiques dans ce mémoire. Nous passerons bien sûr par-dessus ce qui est le plus aride, nous passerons aussi par-dessus les tableaux.

(II h 30)

Les négociations pour une plus grande libéralisation des échanges entre le Canada et les États-Unis en sont maintenant à une étape finale et les gouvernements canadien et américain espèrent toujours proposer la première version d'un accord d'ici octobre 1987 et pouvoir le mettre en oeuvre au début de janvier 1988.

À mesure que les négociateurs précisent leurs positions respectives dans le détail, il devient de plus en plus important que les provinces, quant à elles, suivent le même mouvement et passent du général au particulier. Voilà d'ailleurs pourquoi le CPQ se réjouit de la tenue de ces audiences publiques même si elles sont arrivées à la toute dernière minute, audiences qui pourront peut-être apporter certains éclairages nouveaux dans cet important dossier.

Rappelons immédiatement que le CPQ a déjà présenté à la commission Warren un mémoire dans lequel il exprimait un "oui" sans équivoque, mais prudent à la libéralisation des échanges avec les États-Unis.

Bien sûr, M. le Président, nous maintenons toujours ce point de vue. Et c'est parce que nous maintenons toujours ce point de vue - et que, de ce fait, nous voulons ainsi apporter notre appui aux positions généralement défendues par le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec - que nous participons à cette commission parlementaire.

En effet, aux arguments présentés par ceux qui s'opposent à un accord de libéralisation des échanges avec les États-Unis - et je voudrais bien préciser ici que quand on pense à ceux qui s'opposent, il ne s'agit pas de l'Opposition, mais on pense à la coalition que vous entendrez cet après-midi -le CPQ tient à opposer des arguments qui militent plutôt en faveur d'un tel accord.

Notre mémoire n'est pas une analyse ni une étude technique d'un dossier qui, finalement, est très complexe. Il constitue simplement un plaidoyer en faveur de l'abolition des mesures protectionnistes et des barrières aux échanges commerciaux qui existent entre nos deux pays. Et même si nous sommes bien conscients qu'un tel accord ne solutionnera pas tous les problèmes, nous n'en croyons pas moins que nous avons beaucoup plus à y gagner qu'à y perdre.

Le gouvernement du Québec a donc notre plein appui dans ce dossier et il nous apparaît utile, sinon essentiel, de venir le dire aux membres de cette commission.

La position du CPQ, telle qu'exprimée publiquement à plusieurs occasions, est essentiellement la suivante: Un oui sans équivoque mais prudent à la libéralisation des échanges avec les États-Unis. Compte tenu cependant des faiblesses particulières de l'économie québécoise, toute entente de libéralisation des échanges devra être conclue lorsque nécessaire et selon des échéanciers qui tiendront toujours compte des besoins d'ajustement de nos secteurs économiques ou de nos entreprises.

Pourquoi d'abord notre oui? Deux volets: le volet du Canada et le volet du Québec. Le Canada est l'une des nations les plus commerçantes au monde. En effet, un peu plus de 30 % de notre produit intérieur brut est exporté. Donc, près de 30 % de notre niveau de vie dépend de nos ventes â l'étranger; cela est quatre fois plus que les 7 % du produit intérieur brut que les États-Unis exportent? le Japon, quant à lui, exporte 12 % de son produit intérieur brut, la France, 22 %. Il est donc relativement plus important pour nous que les frontières commerciales restent ouvertes entre les pays.

De plus, de tous les pays industrialisés, seul le Canada a un petit marché intérieur limité à 25 000 000 de consommateurs. Les États-Unis ont un marché intérieur de 240 000 000 d'habitants; les Européens du Marché commun, 350 000 000 et les Japonais, 115 000 000. Voilà une autre raison de poids qui explique pourquoi le libéralisme économique est objectivement plus important pour le Canada: notre marché intérieur ne suffit pas.

Par ailleurs, le Canada éprouve actuellement des difficultés croissantes en matière de commerce international.

La compétition des pays nouvellement industrialisés place plusieurs industries canadiennes dans une position défensive. La structure industrielle canadienne vieillit; nos ressources naturelles sur lesquelles nous avons pu compter longtemps n'ont plus la même valeur marchande.

Bref, pour toute une série de raisons, nous assistons à une diminution graduelle de la part du marché international occupée par les exportations canadiennes et à une dépendance accrue de l'ensemble de nos exportations à l'égard du marché américain.

Malgré les efforts soutenus des gouvernements qui se sont succédé pour diversifier la clientèle internationale du Canada, la part de nos exportations aux États-Unis n'a cessé de croître. De 50 % de l'ensemble de nos ventes à l'étranqer qu'elle occupait en 1946, elle est passée à 65 % en 1965, puis à 73 % en 1983 et maintenant à 77 %, ce qui, quant à nous, est une progression absolument exponentielle.

Quant au Québec, l'économie québécoise, à l'image de celle du Canada, est une économie ouverte au sens où les marchés extérieurs, qu'ils soient canadiens ou étrangers, sont d'une importance vitale pour notre croissance économique. En effet, 50 % de la production québécoise de biens et services est écoulée à l'extérieur de la province. Qu'on pense au bois, aux pâtes et au papier journal, à l'aluminium, aux autres

métaux non ferreux, l'électricité, les wagons pour passagers, etc., il y en a toute une série de ce qu'on pourrait énumérer.

Pour conclure, en 1986, selon les statistiques fédérales très récentes, le Québec a exporté pour 15 800 000 000 $ aux États-Unis, ce qui représentait - c'est le chiffre important à retenir - 76 % du total de ses exportations. C'est là qu'au mémoire, on cite toute une série de statistiques qui viennent renforcer notre argument en ce sens qu'il faut dire oui.

C'est dans ce contexte aussi que nous disons qu'il nous apparaît que la suppression graduelle de l'ensemble des barrières tarifaires et non tarifaires Canada-États-Unis, de même que la garantie d'accès au marché américain, malgré les pressions protectionnistes qui s'exercent dans ce pays, auraient l'immense avantage de permettre aux entreprises canadiennes non seulement de se spécialiser, mais aussi à cause notamment de la dimension du marché ainsi constitué de réaliser d'importantes économies d'échelle.

Qui niera que le fait de porter de 25 000 000 à 250 000 000 de clients potentiels le marché auquel auraient accès, sans barrière, les entreprises canadiennes, comporte des avantages certains? Disons encore que si nous laissons courir la situation actuellement et si les mesures protectionnistes américaines devaient s'accentuer, c'est un demi-million d'emplois que nous perdrions au Canada d'ici 1995, selon non pas les chiffres du CPQ, mais selon une publication du Conseil économique . du Canada qui - on l'a vu la semaine dernière - a révisé ses chiffres. Ces chiffres vont toujours exactement dans le même sens. Inversement, selon le même conseil, la suppression immédiate des entraves au commerce et une hausse de productivité créeraient, d'ici 1995, plus de 370 000 emplois.

Cela dit, il y a certains risques associés à une plus grande libéralisation des échanges avec les États-Unis et nous le reconnaissons tout à fait. À titre d'exemple, le secteur des ressources étant celui qui bénéficierait le plus dans un premier temps, du moins, de la libéralisation des échanges, il y aurait risque de voir le Canada revenir à une structure industrielle dans laquelle serait sous-représenté le secteur manufacturier.

Un autre risque, c'est l'hypothèse d'un redressement important du dollar canadien, par rapport à ta devise américaine, redressement qui est difficile à prévoir dans l'immédiat, mais toujours possible dans un avenir plus éloigné qui pourrait, à court terme, obliger nos entreprises à se dépasser encore davantage.

Notre "oui" est donc un "oui" prudent, surtout lorsqu'on considère la situation particulière du Québec. En effet, un nombre important d'entreprises manufacturières oeuvrant dans des secteurs très peu compétitifs sont installées ici et un bon nombre d'entreprises de petite taille éprouvent, de sucroît, des problèmes de capitalisation importants.

Par ailleurs, les exportations de ta province se sont heurtées à une série de barrières non tarifaires aux États-Unis, comme celles touchant le bois d'oeuvre. Les exportations de ciment, de matériel de transport ont été freinées par les préférences dites "Buy America". Enfin, les exportations de voitures de métro ont été limitées par les droits compensatoires.

Voilà pourquoi, compte tenu de la situation industrielle qui nous est propre et de l'obligation que nous aurons de nous soumettre à d'importants ajustements intersectoriels, nous disons que toute entente de libéralisation des échanges devra être conclue, lorsque nécessaire, selon des échéanciers qui, pouvant aller jusqu'à dix ans - cela ne nous gêne absolument pas - si requis, tiendront toujours compte des besoins d'ajustements de nos secteurs économiques ou de nos entreprises.

Car de tels ajustements - inutile de te préciser - seront nécessaires dans plusieurs secteurs, qu'il s'agisse des industries de l'habillement, du textile, de la bière, de certains produits en métal, de certains produits en plastique, du meuble, etc. En effet, même si les véritables études à jour sur l'impact d'un accord de libéralisation des échanges avec les États-Unis sur les différents secteurs de l'économie québécoise se font rares, le gouvernement du Québec n'en a pas moins, quant à nous, bien identifié, en avril 1987, dans son document La libéralisation des échanges avec les États-Unis: une perspective québécoise, les secteurs qui auront besoin de tels ajustements.

Par ailleurs, de tels ajustements ne seront pas nécessaires dans plusieurs secteurs qui sont déjà dans une situation de libre-échange avec les États-Unis ou qui jouiraient d'avantages certains si un accord était conclu.

Nous voudrions dire, M. le Président, que les opposants à la négociation de l'entente oublient d'ailleurs trop souvent de nous parler de ces secteurs qui, comme le rappellent le Conseil économique du Canada, le rapport de la Commission Macdonald et le rapport Pierre MacDonald, feront que nous sortirons gagnants sur une base macroéconomique en tant que Canadiens et Québécois, de la conclusion d'un accord par rapport au statu quo actuel. De plus, il est évident que toute entente devra clairement déterminer les mesures de protection exceptionnelles comme les droits compensateurs, les mesures de sauvegarde qui feront partie des nouvelles règles du jeu. Compte tenu de sa spécificité, il est absolument nécessaire que le Québec soit partie à la détermination de ces mesures

exceptionnelles. À ce sujet, en effet, nous partageons encore là pleinement le point de vue du gouvernement du Québec exposé dans son document d'avril 1987 sur la nécessité d'éliminer les obstacles associés à la question de la protection contingente. Tout comme le gouvernement du Québec dans son document, nous croyons qu'il s'agit indiscutablement du point centrai de toute la négociation. II est clair, en effet, que si un accès libre et préférentiel au marché américain peut à tout moment être mis en cause par le biais de mesures de rétorsion à la frontière, alors les bénéfices recherchés ne se matérisaliseront pas dans les proportions que paraissent justifier nos avantages comparatifs en matière de ressources naturelles et pour de nombreux biens et services, notamment ceux de technologie de pointe.

Contrairement, d'ailleurs, à d'autres, à ce que vous avez entendu hier et à ce que vous venez d'entendre en partie, nous imaginons mal, également à l'instar du gouvernement, qu'un accord puisse être conclu sans que soit mis sur pied un mécanisme permanent de règlement des différends, inévitables quant à nous dans l'application concrète de l'accord. Nous trouvons d'ailleurs ce mécanisme d'une importance telle que nous y consacrons, comme vous avez pu le constater, quelques pages en annexe.

Au moment de la discussion, si vous voulez savoir ce que cela donne lorsqu'il n'y a pas de tribunal, vous interrogerez notre collègue de l'AIFQ qui vient de le vivre dans le domaine du bois d'oeuvre et nous pourrons vous prouver de façon très concrète l'importance d'un tel tribunal.

En guise de synthèse et de conclusion, le CPQ considère que l'évolution récente du contexte économique mondial dans lequel s'effectuent les échanges commerciaux force un pays comme le Canada à s'assurer l'accès à des marchés étrangers importants. Il n'a d'autre choix en effet, vu la taille restreinte de son marché intérieur, que d'exporter une partie extrêmement importante de sa production pour maintenir son niveau de vie. Les règles du jeu ont changé et il serait illusoire de s'accrocher au statu quo.

Deuxièmement, pour des raisons évidentes, qu'il s'agisse du volume d'échanges, de la proximité géographique, des niveaux de vie comparables, etc., il y va de l'intérêt de l'économie canadienne et québécoise de tenter de conclure une entente qui assurerait à nos produits un accès plus libre au marché américain. Plusieurs événements récents, tels la réalisation d'études sur les impacts prévisibles d'une libéralisation des échanges au moins au niveau macro-économique, études qui sont loin d'être aussi négatives qu'on veuille le laisser croire dans certains milieux, une implication plus grande des provinces et du monde des affaires dans le processus de négociation, la parution de plusieurs rapports qui préconisent un allégement du fardeau qu'impose l'État aux entreprises québécoises et qui les rendrait davantage concurrentielles, la montée du protectionnisme américain, surtout, voilà autant de motifs pour le CPQ de réaffirmer nettement son appui aux efforts du gouvernement fédéral et du gouvernement du Québec visant la libéralisation des échanges canado-américains.

Troisièmement, compte tenu cependant des faiblesses particulières de l'économie québécoise, toute entente de libéralisation des échanges devra être conclue, lorsque nécessaire, selon des échéanciers qui tiendront toujours compte des besoins d'ajustement de nos secteurs économiques ou de nos entreprises.

Le CPQ dit donc oui à une libéralisation des échanges commerciaux avec les Etats-Unis, un oui prudent par aileurs, mais sans équivoque.

D'ailleurs, n'est-il pas actuellement dans les meilleurs intérêts des États-Unis, nonobstant leurs lobbies protectionnistes qui souhaiteraient obtenir une fermeture de plus en plus complète des frontières américaines aux produits importés, de réaliser un tel accord de libéralisation de leurs échanges avec le Canada s'ils veulent réaliser des ententes concrètes qui leur seront bénéfiques dans le cadre des négociations actuelles du GATT? Nous devrions, M. le Président, tous ensemble avec les parlementaires, savoir capitaliser sur cette situation.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Dufour.

M. le ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: M. Dufour, M. A Hard, M. Garon et M. Duchesne, bonjourl Merci d'être venus devant nous. Je dois dire qu'à la lecture de votre mémoire, je me suis retrouvé avec essentiellement ce que j'avais lu et compris de discussions avec plusieurs de vos membres.

Personnellement, j'aurai une question à la fin s'il reste suffisamment de temps. Mon collèque, le ministre de l'Industrie et du Commerce, Daniel Johnson, s'est penché beaucoup plus sur votre dossier et, dans sa responsabilité précise des industries québécoises, il trouve un intérêt qu'il aimerait signifier aujourd'hui. Je lui cède la parole. (11 h 45)

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de l'Industrie et du Commerce.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président et cher collègue. M. Dufour, M. Allard, messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Vous savez l'intérêt que le

ministère de l'Industrie et du Commerce porte à s'assurer des meilleurs renseignements possible quant à l'impact que la poursuite de la libéralisation des échanges peut avoir sur les entreprises québécoises. C'est là notre rôle premier et c'est ce sur quoi nous nous sommes d'ailleurs penchés depuis belle lurette, depuis que ce dossier est sur la place publique et a été lancé par les autorités fédérales.

Je souhaite la bienvenue à votre mémoire. Il rejoint grandement nos préoccupations. J'aurai sans doute quelques questions à poser à la fin de mon exposé, afin que nous nous entendions bien sur les mécanismes que nous pouvons mettre en place afin que la prudence à laquelle vous nous appelez soit une réalité et non simplement un souhait que vous exprimez.

La procédure parlementaires on vous l'a sans doute souligné, me permet à ce moment-ci - c'est le seul moment, finalement - d'intervenir un peu plus longuement, soit à l'occasion de l'utilisation du temps mis à la disposition des parlementaires. Il m'apparaît important de faire valoir le point de vue du ministère de l'Industrie et du Commerce, de faire état de notre diagnostic quant à ce qui se passe dans les entreprises québécoises, dans le monde des affaires, de l'entreprise, de l'activité économique, et d'indiquer comment nous nous sommes attaqués à ce dossier qui a requis énormément de travail.

Simplement à titre d'illustration, j'ai devant moi une pile de documents et, avant que le député de Bertrand ne me demande de les déposer sur la place publique, je vais lui indiquer qu'ils sont pour mon usage dans la mesure où, comparativement aux entrepôts de documentations qui ont été écrites, c'est de la distillation de résumés, de sommaires des travaux que nous pouvons avoir faits au ministère de l'Industrie et du Commerce, tant au niveau du diagnostic de ce qui se passe au Québec en matière d'activité économique que de la façon dont nous entendons faire face aux défis qui sont proposés aux entreprises québécoises dans le cadre inévitable - c'est par là que je vais commencer - de l'internationalisation des échanges commerciaux.

Je traiterai donc très brièvement du contexte dans lequel nous avons été appelés à travailler comme ministère. J'évoquerai certains des effets structurants de cette expansion du commerce international, les effets que nous attendons d'une libéralisation des échanges avec nos voisins américains et la façon dont on peut concilier un contexte de libéralisation des échanges et de stratégie industrielle du gouvernement du Québec, tel qu'exprimé par le ministère de l'Industrie et du Commerce, pour terminer sur la façon dont nous envisageons notre partenariat avec les entreprises québécoises. En terminant, je solliciterai votre opinion quant à l'acceptabilité, si vous me permettez le terme, des mesures que nous entendons mettre en vigueur, notamment les mécanismes de consultation et les mécanismes très précis de la part du gouvernement du Québec qui portent précisément sur ces besoins d'ajustement et d'adaptation des entreprises québécoises.

Le contexte dans lequel nous avons agi, l'inévitabilité de l'internationalisation des échanges, on peut voir deux grandes tendances depuis une vingtaine d'années; premièrement, une expansion du commerce international qui ne s'est jamais démentie entre tous les pays soucieux d'assurer la croissance de leurs économies respectives et, deuxièmement, tendance qui y est intimement liée, accélération foudroyante de l'évolution technologique. Ces deux tendances militent très clairement contre un repli des économies en cause qui, au contraire, forcent le redéploiement très rapide des activités industrielles un peu partout. Ces tendances ont dégagé - on l'a déjà évoqué à de nombreuses reprises - une participation croissante à la vie commerciale internationale des nouveaux pays industrialisés et qui ont forcé dans leurs rapports constants les pays industrialisés à rechercher les accommodements et les formules qui vont toutes, depuis environ 40 ans, dans le sens d'une libéralisation accrue de leurs échanges.

Le Québec a été impliqué d'une partie prenante à cette évolution pour la bonne et simple raison, on l'a dit et redit, je le répète, que nous avons un petit marché. Le marché canadien lui-même est très petit, la façon dont on pourrait soutenir notre croissance à partir seulement de notre marché domestique est relativement en péril à cause des changements démographiques que nous vivons. Notre vivacité démographique est en cause comme celle d'autres pays de l'Ouest, mais nous avons très nettement, à partir de ce moment, la responsabilité de regarder en dehors de nos frontières.

Par ailleurs, ce ne sont pas seulement les éléments qui définissent le marché domestique qui empêchent de croire à une croissance fulgurante de nos entreprises. C'est surtout la concurrence internationale qui est observée sur nos propres marchés. Nos propres entreprises, notre propre marché sont les cibles de la concurrence internationale. Il est donc naturel, à partir de ce moment, plutôt que d'être condamnés à exporter, plutôt que d'être des victimes de la concurrence internationale, que nous saisissions au passage les occasions naturelles que nous avons d'assurer la croissance de nos entreprises. Quoi de plus naturel lorsqu'on regarde les chiffres, notamment ceux que vous venez de nous rappeler, M. Dufour, que de nous retourner vers nos voisins du Sud afin d'avoir accès à ce marché.

Pourquoi le ferions-nous? Pour une bonne et simple raison que nous avons identifiée, quant à nous, au ministère de l'Industrie et du Commerce, car il y a des effets structurants extrêmement positifs à la libéralisation des échanges, à l'expansion continue à laquelle nous participerions, du commerce international.

La concurrence internationale force à l'excellence, force à rechercher la qualité, nous force à innover et créer davantage, nous force à regarder de nouveaux débouchés. L'alternative très simplement, je le rappelle, je le redis, c'est de nous replier sur nous-mêmes et de risquer d'être ravalés au rang des économies qui sont en perte de vitesse. Il est donc absolument impératif que nous saisissions cette occasion naturelle, je le répète, de faire des affaires de façon moins contraignante et contrainte avec nos voisins du Sud. Les effets structurants sont des croissances dans les livraisons, dans la production, une croissance très nette des investissements. Lorsqu'on regarde quel est l'effet d'un effort particulier d'envahissement de nouveaux marchés, il y a une répercussion immédiate sur les investissements qui, eux-mêmes, déterminent à partir de ce moment une meilleure compétitivité, qui, eux-mêmes, produisent de meilleures livraisons, eux-mêmes, des investissements. Et cette roue continue à tourner et détermine une croissance des emplois, lesquels emplois ont des chances au fur et à mesure de la croissance de ces entreprises. Ces secteurs qui saisissent la chance de participer au commerce international, ces mêmes emplois sont d'un niveau supérieur à ce qui existait auparavant.

D'autant plus que si on ne fait que regarder de très près la réalité que nous avons vécue au Québec, les succès d'exportation des entreprises québécoises reposent en grande partie sur des succès de concrétisation d'activités de recherche et de développement, d'innovation, d'attention portée de façon de plus en plus précise à la qualité, à l'innovation, à l'introduction de caractères distinctifs dans les produits que nous désirons vendre à l'étranger. Déjà, dans ce contexte, il faut constater que ce ne sont pas nécessairement nos grandes entreprises transnationales qui ont connu ces grands succès. Il y en a, oui, mais même, je dirais surtout, les petites et moyennes entreprises du Québec qui bénéficient déjà de réseaux que nous avons mis en place, que nous continuons à soutenir et dont nous raffermissons l'action sur les marchés étrangers, notamment au Commerce extérieur, des activités de recherche et de développement que nous avons appuyées par des programmes particuliers de différents ministères sectoriels ou alors simplement par la fiscalité, comme on l'a vu depuis quelques mois à la suite du discours sur le budget, les efforts de soutien à l'exportation et au développement de nouveaux marchés dans des programmes particuliers, qu'il s'agisse de ministères sectoriels ou du mien propre, sont autant de démonstrations que nous avons fait notre travail et que nous continuons à le faire.

Chose certaine, il n'y aura pas que des gagnants dans tous les secteurs de toutes les façons. Les effets attendus, à part ceux nettement positifs que je viens de mentionner, portent à croire que des secteurs traditionnels pourraient être mis en "péril" -entre guillemets - parce que je me refuse d'utiliser des termes aussi crus dans un contexte où il ne faut pas dramatiser pour la bonne et simple raison que la capacité des entreprises québécoises à s'adapter à un nouveau contexte n'a plus besoin de preuves, d'une part, et, n'a plus besoin de se soucier de l'appui que le gouvernement du Québec a déjà commencé à donner, d'autre part.

Nous avons l'occasion de saisir de nouveaux marchés et de raffermir la capacité des entreprises québécoises à affronter une concurrence inévitable. Le ministère de l'Industrie et du Commerce doit participer à ces occasions que les entreprises québécoises peuvent avoir de tirer profit de ce nouveau contexte. Certaines sont déjà avantagées - je ne reviendrai pas sur les chiffres - et connaissent de grands succès dans un contexte même d'un certain protectionnisme que les Américains peuvent avoir instauré ou, dans d'autres cas, bénéficient déjà d'échanges commerciaux qui sont virtuellement assimilables à du libre-échange.

Par ailleurs, il y a d'autres secteurs qui se sont développés au Canada grâce à des barrières tarifaires, à des politiques qui délimitaient à desservir le marché canadien. C'est donc en ce qui concerne les mesures de transition, comment pouvons-nous participer à cette adaptation des entreprises plus "vulnérables", encore une fois entre guillemets? Nous nous sommes déjà préparés et c'est peut-être à partir de ce moment-ci que M. Dufour et ses collègues pourraient prendre des notes. À titre d'exemple, quels sont les besoins d'une entreprise, notamment des petites et moyennes entreprises, dans un contexte de libéralisation des échanges? Hier, M. Parizeau lui-même disait qu'elles avaient besoin de capital et d'aide pour envahir les marchés d'exportation pour, d'abord, les découvrir et, deuxièmement, pour les exploiter une fois qu'ils ont été découverts.

M. Dufour et vos collaborateurs, j'aimerais, tout à l'heure, que vous m'indiquiez si ce que nous avons déjà fait va dans le sens de manifester la prudence que vous souhaitez à l'égard de certains secteurs industriels et de la capacité des entreprises québécoises de faire face à ce nouveau contexte. Ce que nous avons fait à titre

d'exemple, c'est de remanier les programmes de la Société de développement industriel. Nous avons très clairement, lorsque nous avons refait ces programmes, pris en compte, prévu, présumé qu'il y aurait une libéralisation des échanges. Je ne dis pas que ces discussions ou négociations qui sont en cours entre le Canada et les États-Unis étaient présumées faites, réglées dans notre esprit, j'évoque de nouveau le mouvement, la tendance inévitable de la libéralisation des échanges internationaux à partir duquel moment il fallait nous assurer que c'étaient justement des appels à du capital pour s'adapter, ce dont les entreprises avaient besoin, et que, deuxièmement, c'était un soutien à l'égard de l'envahissement de nouveaux marchés qu'il fallait avoir à l'esprit. (12 heures)

La Société de développement industriel a décidé, plutôt que de donner des subventions un peu partout à tout le monde, de cibler ses interventions, de produire un programme qui donne du vrai capital ou de la quasi-équité à des entreprises québécoises, qui libère des marges de manoeuvre financière d'emprunt et de capitalisation par le système de prêts participatifs où nous prenons un risque, d'où le caractère de capital que nous injectons dans les entreprises, d'où le fait que si l'entreprise va bien, nous en bénéficierons comme un actionnaire et, si elle va mal, nous aussi, du gouvernement du Québec, de la SDI, ont paiera dans les cas où te risque s'est réalisé à la baisse, si l'on veut. Nous avons donc entrepris un partenariat financier avec les entreprises pour leur permettre d'avoir accès à du nouveau capital.

Deuxièmement, au titre des exportations, mon collègue et moi, nous nous sommes bien assurés que c'était à l'égard de l'expansion des entreprises québécoises vers l'étranger que nous pouvions manifester le plus de sympathie extrêmement concrète, dans des projets d'expansion d'entreprises vers ces nouveaux marchés. Un exemple me vient à l'esprit et j'hésite un peu à donner des noms, des montants précis et de les relier, dans la mesure où, oui, l'intervention gouvernementale a été approuvée mais, des annonces n'ont pas été faites. On s'arrange en général avec une entreprise pour s'accorder ensemble, si annonce il y avait... une entreprise de chez nous, d'un volume d'affaires de 30 000 00 $ désirait récemment acquérir une entreprise américaine pour s'assurer d'une part du marché américain, entreprise américaine convoitée d'environ 60 000 000 $ de chiffre d'affaires. Ces gens, des Québécois, sont venus chez nous pour solliciter une garantie d'emprunt leur permettant de faire cette acquisition et de tripler du jour au lendemain d'abord leur force de vente, leurs livraisons mais, surtout de prendre pied sur le marché américain. Nous avons donné une garantie d'emprunt à l'égard d'un emprunt de plusieurs millions de dollars à cette entreprise. C'est de la quasi-équité dans la mesure où on ne requiert pas de garantie à l'égard de notre intervention. Cela libère la marge de manoeuvre financière que l'entreprise peut exercer si d'autres occasions d'affaires se présentent. Cela lui permet de se livrer à des activités de financement conventionnel plutôt que de se reposer sur de simples subventions. Cela m'apparaît quelque chose qui facilite la pénétration des entreprises québécoises sur les marchés. Finalement, en résumé, qu'est-ce que le ministère de l'Industrie et du Commerce a tenté de faire? Identifier les défis des entreprises québécoises, notamment les PME, voir les besoins de ces entreprises, compte tenu de l'inévitabilité du contexte d'internationalisation des échanges, nous assurer que nous répondions à leurs besoins de capital pour leur modernisation, nous assurer qu'elles avaient le soutien concret du gouvernement du Québec pour leurs entreprises à l'extérieur de nos frontières, le tout se déroulant dans la consultation la plus pleine, la plus entière avec ses intervenants.

Troisièmement, représentations constantes au niveau des comités qui déterminent la position canadienne, représentations constantes des intérêts du Québec. Notre diagnostic des outils que nous privilégions recherche des assurances que le gouvernement canadien a compris ce diagnostic, a compris que des mesures d'ajustement et de transition seront nécessaires et que le Québec sait, lui, pertinemment ce qui se passe sur son marché, quelles sont les volontés de ces entreprises, quelles sont leurs forces, leurs faiblesses, quels sont les correctifs à apporter. Donc, nous serons disponibles pour bien nous assurer que les programmes qui seront mis en place pour fins d'ajustement seront ceux qui sont dans l'intérêt de l'entreprise du Québec.

C'est dans ce sens-là que nos avons mené notre action, c'est dans ce sens-là que nous avons travaillé, c'est dans ce sens-là que nous sommes équipés pour travailler, pour soutenir le comité gouvernemental qui détermine la position québécoise pour les négociateurs canadiens. Mon collègue a fait valoir, par ailleurs, quels sont les autres sauvegardes que le gouvernement s'est lui-même données. Je solliterais un bout de ligne maintenant, des réactions de nos témoins ou des gens qui viennent nous présenter leur mémoire, afin de comprendre si nous sommes toujours sur la même longueur d'onde. Je sais pertinemment que nous sommes dans les objectifs. Je comprends votre appel à la prudence et j'ai l'impression d'y avoir déjà répondu ou déjà

apporté un début de réponse. C'est peut-être dans ce sens que je solliciterais vos commentaires pour que nous puissions continuer à représenter le plus adéquatement et le plus fidèlement possible les ambitions des entreprises québécoises.

Le Président (M. Charbonneau): Avant que vous ne répondiez, M. Dufour, j'aimerais indiquer au ministre, sans doute emporté par l'intérêt du sujet, qu'il a utilisé tout le temps qui vous aurait permis de répondre. Néanmoins, je vais vous permettre de répondre étant donné que, de toute façon, depuis le début, nous fonctionnons selon des règles souples, ce qui permettra aux collègues de l'Opposition, en particulier le député de Bertrand, d'avoir lui aussi une banque de temps un peu plus importante pour engager la discussion avec les représentants du Conseil du patronat du Québec. M. Dufour.

M. Dufour (Ghislain): Merci, M. le Président. Je remercie d'abord le ministre Johnson de nous avoir resitué au préalable ie cadre de son intervention qui a constitué tout de même un certain nombre de paramètres face à notre mémoire. Je vais rendre une partie de la réponse et M. Allard rendra l'autre partie. C'est quasiment un volume qui serait nécessaire pour répondre à la question que je comprends comme étant la suivante: est-ce que, comme gouvernement, vous tenez compte assez des besoins des PME face à leur adaptation nécessaire à la libéralisation des échanges? Je crois que c'est cela. Je pense que cela appelle deux volets de réponse; un premier volet, l'action globale du gouvernement et ensuite, l'action sectorielle.

Dans l'ensemble, ce à quoi vous devez vous attarder, c'est de rendre les entreprises concurrentielles face au marché américain et face aux entreprises américaines. Sur cela, c'est vrai, et nous l'avons dit, que le gouvernement a pris des actions qui aident à rendre les entreprises québécoises plus concurrentielles. Contrairement à d'autres nous ne croyons pas à une intervention trop poussée de l'État justement pour aider les entreprises à franchir la rampe de la libéralisation des échanges. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y aura pas d'interventions de l'État. Notamment le rôle de la SDI pour nous est important. Ce qui a été fait, à ce jour, dans ce dossier nous agrée dans le sens que le fondamental c'est que vous ayez substitué aux subventions traditionnelles des approches beaucoup plus dynamiques. Cela, je pense, d'une façon générale dans le milieu, les PME qui réussissent ont souscrit à ce genre d'approche. Votre action aussi dans le domaine de l'assainissement des dépenses publiques, dans le domaine de la réduction des impôts, c'est tout cela qui est en cause quand on parle de concurrence avec les Etats-Unis. Par ailleurs, vous me permettrez de vous dire que vous n'avez pas encore assez fait. Nous avons des problèmes que vous connaissez très bien, notamment dans le domaine des relations du travail. Nous avons les législations parmi les plus avant-gardistes en Amérique du Nord, avec lesquelles il faudrait vivre dans un contexte nord-américain. Nous avons des coûts de CSST que vous connaissez très bien, lesquels ne sont pas nécessairement concurrentiels avec les entreprises américaines. Alors, il y a eu beaucoup de fait, il reste encore beaucoup à faire.

Sur le plan sectoriel, le gros problème dans certains secteurs sera le recyclage de la formation professionnelle et la mobilité professionnelle. Il n'y a pas eu beaucoup de fait dans cela. C'est toute la question d'une politique de main-d'oeuvre actuelle et à venir» On comprend que vous ne pouvez pas recycler des gens dans le textile actuellement sans savoir si justement on va perdre des emplois dans le textile? on comprend tout cela. Il reste que sur le plan sectoriel il y aura des nécessités d'adaptation et de reconversions industrielles. Sur cela, c'est un peu comme tout le monde, comme tous les intervenants, il y a certaines questions qu'on peut poser.

Avant de passer la parole à M. Allard, si vous me permettez, je voudrais dire qu'on ne sent pas que vous avez une action tellement ferme pour lever les barrières au commerce interprovincial. Nous avons beaucoup de difficultés. On va venir vous le dire, je pense, demain au sujet de la bière. Nous racontons toujours cette histoire d'un entrepreneur de Hull qui, autour d'un édifice public, avait fait tout son pavé uni. Cela a coûté des millions de dollars, jusqu'à temps que votre inspecteur réalise que la brique avait été achetée en Ontario. Il a fallu tout défaire et recommencer avec de la brique québécoise. Alors, c'est le genre de chose qui se passe actuellement qui, évidemment, n'est pas plus acceptable à nous qu'à vous, mais ce sont des situations dans lesquelles nous sommes et avec lesquelles on doit vivre. Ces barrières au commerce interprovincial qu'elles viennent des provinces ou d'Ottawa, comme c'est le cas actuellement avec l'électricité face aux États-Unis, je pense qu'à ce moment vous avez, M. Johnson, encore beaucoup à faire.

M. Allard (Sébastien): Cela ne s'approche pas. Bon, comme on ne s'était pas préparé sur la façon dont cela se déroule quant à nos interventions, M. Dufour a déjà couvert la partie de ce commerce interprovincial à laquelle je pensais pendant que vous faisiez votre présentation, M. Johnson. Je pense que c'est une partie très importante de toutes ces négociations sur le

libre-échange. On parle de libre-échange avec les États-Unis, mais à l'intérieur du Canada, le libre-échange dans beaucoup de domaines, souvent cela n'existe pas. Et par le fait que cela n'existe pas, évidemment, cela fait que certaines industries ne fonctionnent pas à des coûts concurrentiels. Elles ont des difficultés à vendre à l'intérieur du Canada et quand arrive le temps de vendre aux États-Unis, c'est bien évident que c'est beaucoup plus compliqué.

M. le premier ministre a dit, à un moment donné, qu'il fallait absolument s'attaquer à cette situation de barrière non tarifaire entre les différentes provinces. Pour moi, je pense qu'il est très important que cela se fasse le plus tôt possible. Et cela, qu'il y ait ou non une entente - le 5 octobre - convenable de libre-échange.

Nous avons aussi mentionné dans notre mémoire la question d'une période d'ajustement qui serait nécessaire dans beaucoup d'industries québécoises, des industries qui sont moins concurrentielles que d'autres qu'on trouve dans d'autres provinces canadiennes, et cela touche non seulement les industries, mais aussi les travailleurs des industries. On peut avoir, je pense, au gouvernement des programmes pour aider les industries à s'adapter, mais il va falloir reconnaître que certaines industries ou certaines entreprises, qu'on le veuille ou non, qu'on aime la chose ou non, vont disparaître et peut-être devraient disparaître. Cela veut dire que les travailleurs de ces industries ou de ces entreprises vont avoir besoin d'aide eux-mêmes.

M. Dufour a mentionné la question de la formation qui est, évidemment, essentielle. Mais pendant cette période, des travailleurs auront besoin d'être aidés. Je pense que cette aide aux travailleurs va devoir être faite en collaboration entre le gouvernement des provinces et le gouvernement fédéral.

Pour ce qui est des mesures que M. Johnson a mentionnées comme ayant déjà été prises par le gouvernement et avec lesquelles nous avons déjà indiqué notre accord, par exemple, la disparition des subventions, c'est important, nous l'avions demandé depuis longtemps. Il faut souhaiter que, dans ce qu'on aura besoin de faire dans l'avenir, on ne rétablira pas des régimes de subventions; d'ailleurs, cela ne serait probablement pas acceptable dans l'entente qui sera négociée; il ne faudrait pas revenir à cela. Quand on parle d'aider les entreprises, on ne parle pas de revenir au régime de subventions et on ne parle pas d'aider des entreprises qui, de toute façon, devraient probablement disparaître pour se lancer dans d'autres genres d'entreprises, je pense, par exemple, à tout le domaine de la technologie.

On a vu que, depuis un bon moment, la création de nouveaux emplois s'est faite beaucoup dans les services et beaucoup moins dans les entreprises manufacturières. Peut-être que c'est là, l'avenir. Oe sorte que, même si on a besoin d'avoir un secteur manufacturier dynamique, il va falloir reconnaître que le secteur manufacturier probablement chez nous, graduellement dans l'avenir, va continuer de devenir relativement moins important par rapport au secteur des services. Il y aura du travail à faire pour faire cette adaptation à partir de certaines entreprises manufacturières vers des entreprises de services.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Cela me fait plaisir, MM. Dufour, Garon, Allard et Duchesne, que vous soyez là ce matin, d'autant plus que, pour une fois, on est peut-être un peu plus proche. Je sais qu'il est arrivé souvent, dans le passé, que nous ayons des opinions divergentes. Mais je pense que la discussion de ce matin devient fort importante à partir de l'exposé que vous avez fait sur le contenu d'un mémoire qui se veut articulé; parce qu'en plus de dire oui, ce n'est pas tout de dire oui. C'est de dire oui, mais prudemment, et vous avez pris certaines précautions sur lesquelles je dois vous dire que je suis d'accord.

J'aurai plusieurs questions à poser concernant l'aspect du tribunal, bien sûr, parce que je pense que M. Duchesne a des choses intéressantes à nous livrer, l'aspect de la culture, de l'agriculture, etc.

Mes premières minutes seront tout simplement pour dire que le ministre de l'Industrie et du Commerce nous a livré ce matin - il était très heureux de venir à la commission - un exposé, mais c'est dommage, parce que je pense que le maximum de temps devrait être consacré à nos invités.

Par contre, le ministre a passé des messages que j'ai très bien reçus. Je ne lui répondrai pas ce matin, parce que ce n'est pas la tribune pour le faire - ici, on échange entre nous - et parce que ces gens-là vont s'ennuyer. Mais je lui dirai tout simplement que toute cette discussion de fond concernant les orientations de la SDI particulièrement, on aura la chance d'en parler très longuement certainement. (12 h 15)

Entre le discours que le ministre tient - toujours dans le respect des individus; cela n'a rien à voir avec le ministre comme tel -et les gestes posés, pour moi, il y a tout un fossé.

Concernant le Conseil du patronat, le 23 avril 1986, vous réclamiez déjà des études. Vous étiez avec l'Association des manufacturiers canadiens à réclamer - j'ai lu différents reportages là-dessus - des études. Donc, on était déjà à peu près à la même

époque, il y a 18 mois, à réclamer d'importantes études d'impact pour être capable de voir clair dans ce dossier.

Là-dessus, je pense qu'on s'entend; on n'est pas suffisamment éclairé. Il ne s'agit pas ici, ce matin, de faire de la politique, mais il s'agit bien d'avoir les outils entre les mains. Là-dessus, je pense qu'on est d'accord.

Le fait qu'on n'ait pas d'outils suffisants pour être capables de voir clair nous place dans une situation où on travaille beaucoup trop. Je pense que c'est M. Garon aussi qui le disait, il y a quelques semaines, dans un reportage que je lisais dans le Journal de Québec. Je pense que cela nous place dans une situation où beaucoup de gens viennent à cette commission parlementaire qui est là pour aller chercher de l'information, qui est là pour en donner, en véhiculer, où on n'a que les grands paramètres, mais on ne sait pas vraiment tout ce qu'il y a en jeu actuellement et tout ce qui est en train de se négocier.

Les exemples ont été donnés vraiment hier, par exemple, dans le domaine de l'agriculture ou dans le domaine de la culture. On verra d'autres enjeux qui sont en train de se faire. On ne connaît pas... Je trouve cela dommage. Le Conseil du patronat représente presque toutes les strates de l'entreprise au Québec, comme l'a mentionné M. Dufour: On représente la grande, la moyenne et la petite entreprise à cause de toutes les divisions sectorielles, je pense que c'est important. Vous conviendrez aussi que les mesures pour faire face au libre-échange, dans le cas de la grande entreprise, sont certes différentes de celles dans le domaine des PME. Je pense que votre organisme a quelque problème à essayer de faire passer le message pour avoir ce qu'on pourrait appeler l'enveloppe globale; parce que la grande entreprise, de façon générale - je pense que M. Allard est très bien placé pour confirmer cela - a beaucoup plus d'outils entre les mains, est beaucoup moins vulnérable et est déjà, à toutes fins utiles, préparée à ces marchés internationaux. Je pense que la libéralisation des échanges, dans la plupart des cas, ne lui fait pas peur. On sait que le Conseil du patronat, de façon générale, a véhiculé dans le passé - c'est bien, c'est un organisme qui est là pour le faire - souvent beaucoup plus l'esprit de la grande entreprise. Je pense que, ce matin, vous avez dit clairement que vous aviez aussi beaucoup de préoccupations au sujet de la PME. Vous connaissez, M. Dufour, les préoccupations que j'ai, moi aussi, au sujet de la défense des petites et moyennes entreprises qui, soit dit en passant, créent 75 % ou 80 % des emplois au Québec à cause de notre structure industrielle. Alors, ma préoccupation va surtout du côté des outils qu'on devrait avoir dans le but d'aider nos petites et moyennes entreprises afin que celles-ci soient capables de faire face au libre-échange. On n'a pas ces outils actuellement. Vous avez, vous-même, dans votre réaction à l'exposé du ministre de l'Industrie et du Commerce mentionné qu'actuellement, il serait peut-être intéressant qu'on les ait et dans les plus brefs délais possible, si on ne les a pas au moment où l'on se parle, mais que cela puisse se faire d'ici peu.

Quant aux politiques concernant le recyclage de la main-d'oeuvre, de quelle façon on va l'aborder, qu'il y ait libre-échange ou non, mais surtout dans le contexte du libre-échange, on se doit d'aborder tout le problème de la main-d'oeuvre, parce que le Québec de 1987 n'est pas le Québec de 1980 et encore pire si on recule dans le temps... Il y a un virage important qui s'amorce.

Voici ma première question, M. Dufour, ou les autres personnes qui voudront répondre. S'il y avait des recommandations à faire au gouvernement, de la part du Conseil du patronat, en fonction de ce que je vous ai dit précédemment, qu'est-ce que vous suggéreriez de mettre en priorité dans le coffre à outils? Par exemple, est-ce la dimension de recherche et développement, celle de la politique d'emploi? Quels sont les outils principaux prioritaires sur lesquels le gouvernement doit mettre l'accent?

Deuxièmement, quelle serait, dans les qrandes lignes, bien sûr, la politique en matière de développement économique sur le plan stratégique? Où devrait-on concentrer nos orientations sur le plan de la stratégie économique puisqu'elle est à faire? On ne l'a pas actuellement.

M. Dufour (Ghislain): M. le Président, M. le député de Bertrand, encore là, vous avez énormément de stock dans votre intervention, parce qu'il y a toute la question des analyses d'abord et toute la question des outils d'intervention. Il y a un autre volet qui est celui que vous aviez identifié: Est-ce qu'on a une préoccupation envers les PME ou envers les qrandes entreprises? Vous dites que vous avez toujours perçu davantage un esprit grande entreprise. Je dois vous dire qu'ayant travaillé avec vous, comme représentant du groupement québécois d'entreprises au CPQ, on a toujours trouvé que vous véhiculiez bien les idées de la PME. On s'y intéresse. Quand on parle de salaire minimum, ce n'est pas pour l'Alcan. Quand on parle de ces grands dossiers de main-d'oeuvre, ce n'est pas pour Consolidated Bathurst, c'est finalement pour la PME.

Concernant les analyses, nous ne partageons pas l'analyse qui est faite globalement, dans le sens qu'elle n'existe pas. Je vais demander à M. Garon de vous entretenir, de façon plus fine, sur le fait que

ces analyses existent. Bien sûr, notre approche est une approche macroéconomique. Des données, il y en a du Conseil économique du Canada. Il y en a du rapport Macdonald, celui d'Ottawa. Il y en a du rapport MacDonald, avril 1987. Quand on les analyse, elles convergent macro-économiquement vers un plus, dont parlait Bernard Landry tout à l'heure. On est allé plus loin que cela, M. Parent, et on les a reprises avec nos secteurs. On est allé voir dans les salaisons. Tout le secteur agricole nous dit! Il n'y a pas possibilité. Vous avez entendu les représentants de l'UPA, hier. Ce n'est pas ce que nos membres nous disent. Le Conseil des salaisons prévoit 8000 jobs de plus. Vous avez entendu le secteur agricole qui dit: Je vais en perdre. Quand vous allez chercher l'analyse fine, on réalise qu'il y a toujours des plus au bout, et on l'a fait, pas pour publication; on n'a pas les outils pour se substituer à l'Opposition et au gouvernement. Mais, de façon concrète, à l'intérieur d'un certain nombre de secteurs, on l'a fait et voici ce que cela donne.

M. Garon (Jacques): Merci de vos commentaires. Effectivement, on n'a pas les moyens d'aller dans chaque secteur pour réaliser des études d'impact. D'ailleurs, même quand c'est fait avec la fine pointe de la technologie et sur une base scientifique, comme on l'a vu tout à l'heure lors des échanges, avec les modèles économétriques du Conseil économique du Canada, c'est tout de même l'outil, je dirais, qu'on peut traiter avec le plus de crédibilité. Cela converge aussi vers un plus au bas de la ligne. On a tenté de faire un peu plus dans le sens où, sans aller sur le quantitatif, on s'est dit: Oui, mais les entreprises qui sont représentées par des associations ou dans certains secteurs, que vivent-elles vis-à-vis de leur propre membership, leurs propres membres? Dans la plupart des cas, donc une douzaine de cas, on s'est aperçu qu'il n'y a rien qui puisse être écrit noir sur blanc. Simplement pour vous donner un exemple, il y a une industrie particulière qui, je pense au Conseil économique du Canada, ressort d'une façon assez négative, c'est l'industrie des plastiques. Eh bien, en parlant à cette association, on s'aperçoit qu'il y a un tiers de la production de cette industrie pour qui la libéralisation des échanges serait extrêmement positive et cela créerait des emplois. Il y en a un tiers pour qui cela aurait un effet neutre et un autre tiers pour qui les coûts de transport sont un facteur très important à considérer; peut-être que, là, il faudrait des périodes d'adaptation qui pourraient aller jusqu'à dix ans et qui, par conséquent, sont très importantes.

Si on fait le tour de cette question pour chaque association, on s'aperçoit que dans plusieurs secteurs, comme vient de le mentionner M. Dufour, en particulier dans l'agriculture, ce n'est pas tout blanc et noir; il y a plusieurs secteurs qui effectivement voient d'un oeil tout à fait positif une libéralisation des échanges. J'ai le cas du secteur des salaisons. En fait, il n'y a aucune barrière en ce moment entre le Québec et les États-Unis en ce qui concerne les échanges dans ce petit secteur bien particulier du domaine de l'agriculture.

Je crois que je suis tout à fait d'accord avec les commentaires de M. Allard, tout à l'heure, et avec ceux du ministre quand ils disaient que si, à long terme, il faut une restructuration, je pense que c'est très valable. On s'aperçoit que les gens qui représentent des industries qui, en général, veulent tenter de protéger un certain statu quo sont des industries qui, le plus souvent, sont protégées à l'intérieur de leurs propres frontières, qui tendent à un certain conformisme et, comme pour reprendre l'expression du ministre, je dirais que bien souvent le conformisme est l'antithèse de l'innovation et de l'excellence que l'on veut prôner en libérant les échanges.

M. Dufour (Ghislain): On pourra remettre à MM. les ministres MacDonald et Johnson, et à M. Parent, le résultat de ces consultations qu'on a eues sur le textile, le caoutchouc, le cuir, la bonnetterie, l'habillement, etc. Personne ne va vous donner une analyse fine mais, au-delà des grandes affirmations, dans ces secteurs, faites notamment par la coalition syndicale, c'est cela qui est projeté. Quand vous voyez les gens qui vivent cela, ce n'est pas tout à fait cela. Il y a une préoccupation, on est conscient, et ils sont là pour faire cette préoccupation.

Cela m'amène à votre deuxième volet: l'outil. Qu'est-ce qu'on privilégie? J'ai parlé rapidement tout à l'heure, même si on n'en parle pas dans le mémoire, de recyclage d'éléments d'une politique de main-d'oeuvre, formation professionnelle, recyclage, mobilité, etc. La question que vous pouvez me poser, mais quand et où? Je ne le sais pas. On ne sait pas encore ce que sera l'entente. Si, par exemple, toute l'agriculture, par ce que vous entendez tous, est soustraite de la négociation, pourquoi commencerait-on à préparer nos types dans le secteur agricole? Ils vont continuer.

Bernard Landry tout à l'heure, je pense, était tout à fait correct lorsque vous lui avez posé la même question et il partage la même réponse. Il a dit: Attendons pour voir ce qui sera sur la table, parce qu'encore là, c'est purement de la négociation et il y aura encore une année au moins avant que cela se mette en branle. Et on aura des périodes d'adaptation; cinq, six ans. Je fais confiance au gouvernement pour se retourner de bord

rapidement si, à un moment donné, il faut former dans les sciences biologiques ou électroniques des gens qui seront déplacés à l'usine de textile de Drummondvile. Cela va exister. À ce moment, au lieu de mettre peut-être de l'argent dans teî secteur économique, on le mettra au service de formation du ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu.

Mais tant et aussi longtemps qu'on n'a pas le tableau, je pense qu'il n'y a personne qui peut dire où on aura des besoins de formation. Ce sur quoi il faut s'entendre, c'est que tout le monde soit d'accord pour dire; On ne plonge pas aveuglément, il y aura des besoins de formation, de recyclage et de programmes de mobilité de main-d'oeuvre. Je n'ai entendu personne encore nous dire qu'il ne marchait pas là-dedans.

M. Parent (Bertrand): D'accord. J'aimerais poser une question à M. Garon. J'ai toujours été très fasciné par ses analyses, je le suivais régulièrement quand il était à la Banque royale, pendant que le ministre était au service d'une autre grande banque. En l'espace de deux heures, vous pouviez nous brosser un tableau exact de ce qui se passait, de ce qui s'en venait et de ce qui était prévisible. Votre analyse a toujours été - à mon avis - très terre à terre, ce qui facilitait la compréhension.

J'aimerais savoir de votre part - je pense que cela peut être intéressant étant donné que, maintenant, vous êtes à la recherche au Conseil du patronat - comment vous réagissez vis-à-vis du rapport du Conseil économique du Canada qui a été rendu public il y a quelques jours, dans le sens qu'à partir du moment où on prend deux scénarios... Dans le deuxième scénario, on tient pour acquis qu'on aura automatiquement une augmentation de la productivité; à partir de cet effet, on fait notre modèle économétrique. Sans être expert en la matière - c'est pour cela que je profite de votre présence pour vous poser la question -est-ce que vous ne pensez pas qu'on se biaise quelque peu par rapport au fait - je parle ici du Québec, l'étude est faite sur une échelle nationale, dans tout le Canada -qu'au Québec cette dimension d'augmentation de la productivité, à cause de notre structure industrielle qui fait que nos PME ne viseront pas nécessairement - et je ne pense pas que ce soit le créneau qu'il faille prendre - à produire dans tous les secteurss sur une très grande échelle, notre créneau est probablement d'aller davantage vers des produits à la fine pointe technologique ou vers des produits dans lesquels on innove et où l'innovation soit davantage les créneaux où l'on ne peut s'inscrire... D'ailleurs, les PME québécoises qui ont réussi à percer sur les marchés américains et les autres l'ont fait sur des bases de créneaux, sur des bases d'innovation pour la plupart. (12 h 30)

Dans notre cas à nous, qui est différent de celui du reste du Canada, ou des autres provinces, il me semble que cela ne s'applique pas automatiquement. Cette prémisse de base du Conseil économique du Canada semble un peu nous jouer un tour et je pense que, dans une certaine mesure, il faut faire attention à la conclusion de l'étude. J'aimerais connaître votre perception et l'analyse que vous en avez faite.

M. Garon (Jacques): Je pense que vous avez raison dans un sens, et on l'a exprimé avant, lorsque M. Landry parlait de ses fameux modèles économétriques. Oui, il faut toujours les prendre avec un grain de sel, parce que ces modèles sont formulés sur la base d'hypothèses qui, aujourd'hui, peuvent être très valables, mais, l'année prochaine, Dieu seul sait ce qui va se passer et les hypothèses seront peut-être changées. Néanmoins, ce n'est pas la seule étude qui a été faite et, même si on veut la compléter par des choses, comme vous l'avez dit un petit peu tout à l'heure, par des bases un peu plus terre à terre en allant voir ce qui se passe dans le monde réel, et non pas dans un modèle représentatif du monde réel, il y a tout de même beaucoup de points de convergence. Alors, que le modèle du Conseil économique du Canada soit positif même dans la simulation numéro un en créant quelque chose comme 189 000 emplois nets, cela se répartit tout de même régionalement à peu près équitablement.

Chaque région, bien sûr, a des structures industrielles propres et des qualités propres, mais, à long terme, les effets pour l'ensemble sont tout de même bénéfiques. Que d'une année à l'autre, et ça, le modèle ne te prend peut-être pas en considération, si, en 1990, on a une crise économique ou une récession économique, bien entendu, il va y avoir des déplacements. II y a tout un tas de choses qu'on ne peut pas prendre en considération, mais c'est le seul modèle scientifique qui peut nous servir de base pour établir si au moins une libéralisation des échanges va dans la bonne direction pour l'ensemble des régions canadiennes ou si, au contraire, on devrait faire très attention.

Alors, je pense que le point de convergence, c'est qu'on s'en va dans la bonne direction. Je n'irai pas plus loin que là dans l'interprétation de ces données. Pour moi, c'est l'essentiel et, ce qui est encore plus important, c'est que c'est confirmé dans la réalité de nombreuses industries qui vivent tous les jours dans le milieu actuel en disant: Oui, nous pensons effectivement que c'est dans la bonne direction que cela doit aller.

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie, M. Garon. Mon autre question s'adresse à M. André Duchesne. J'aimerais d'abord savoir ce qu'il a vécu au plan du tribunal et les préoccupations que M. Dufour, votre président, mentionnait dans son exposé, à savoir qu'il va falloir arrêter un processus... Ma première question vise à savoir ce que vous avez pu vivre.

J'aimerais aussi vous demander, ainsi qu'à M. Dufour, quelle est la meilleure recommandation qu'on puisse faire au gouvernement à ce stade-ci afin qu'il puisse le véhiculer en haut lieu. Je sais que vous l'avez sûrement fait. Je pense que toute cette dimension du tribunal apporte beaucoup de préoccupations dans la défense qu'on aura, sachant très bien que, de façon générale, si on regarde le traité d'Israël, les Américains ne se sont pas gênés pour passer à côté lorsque cela leur plaisait. Je pense qu'on peut s'attendre à vivre des situations similaires.

Alors, M. Duchesne, pouvez-vous nous dire de quoi il s'agit et quelles seraient les meilleures recommandations que vous pourriez faire à cette commission pour que le gouvernement en prenne note.

M. Duchesne (André): Ce dont il s'agit, M. Parent, je pense que tout le monde le connaît, c'est de la fameuse histoire du droit compensatoire et de la taxe à l'exportation sur le bois de sciage perçue depuis cette année. Il faut comprendre que le secteur forestier, dans son ensemble, jouit à peu près d'un libre-échange avec les États-Unis. En particulier, le papier journal, la pâte et le bois scié sont parmi les produits traités te plus librement dans le monde entier. Ce qui se produit, c'est que dans le domaine du bois de sciage, en particulier, les usines canadiennes et québécoises sont plus productives en moyenne que les usines américaines et cela, d'après les usines américaines, elles-mêmes. Ce qui se produit, c'est qu'il nous arrive une récession et que, ce faisant, les forces du marché jouant, il se perd des emplois aux États-Unis. En fait, il s'en perd plus au Canada parce que la production diminue plus au Canada pendant la récession qu'elle ne diminue aux États-Unis. Mais, il s'en perd suffisamment aux États-Unis pour que des rouages politiques se mettent à jouer et que la vague de protectionnisme aidant, on invoque toutes sortes de prétextes, notamment, la question des droits de coupe, pour dire que notre industrie est subventionnée et que, par conséquent, il faut lui imposer des droits co mpensa to i res.

Le résultat, vous le connaissez. On a négocié du mieux qu'on a pu et nous avons abouti avec une taxe de 15 % qui reste au Canada. Vous allez me dire que c'est un moindre mal, mais il n'en reste pas moins que c'est une situation particulièrement difficile pour l'industrie du sciage, à l'heure actuelle. Ce sont des situations semblables qui se produisent dans d'autres secteurs, comme la potasse. De là à dire, que l'une des choses importantes qui doit être mise en place, dans une situation de libre-échange, c'est un mécanisme d'arbitrage le plus exécutoire possible, je pense que du point de vue de l'industrie forestière, c'est un raisonnement qui m'apparaît se défendre assez bien.

C'est sûr qu'il y a le problème de la souveraineté des deux pays qu'il va falloir respecter à travers tout cela. Mais, il ne faudrait pas qu'on se retrouve dans une situation semblable à celle que l'on vient de vivre, où l'on fait face, à toutes fins utiles, à quelqu'un qui est juge et partie dans le dossier. La situation actuelle ne nous permet même pas de maintenir des acquis de libre-échange qui existaient dans le passé. C'est pour cela qu'on pense qu'il y a lieu de corriger cela et que la libéralisation qui, par ailleurs, s'était négociée depuis toujours dans le secteur papetier par le GATT et qui est enclenchée pour les derniers 19 % qui nous restent de protégés, doit se manifester aussi dans le contexte des relations Canada-États-Unis.

M. Dufour (Ghislain): En annexe à notre mémoire, nous avons une proposition qui reprend, pour l'essentiel ce qu'on retrouve dans le rapport de la Commission Macdonald et dans le rapport Macdonald québécois d'avril 1987, et qui est ouverte à toute autre suggestion. Sauf qu'on dit aussi que cela ne devrait pas être un mécanisme qui a pour fonction exclusive de régler les différends. On devrait lui donner une vocation plus large et, on dit bien... pourrait considérer les diverses façons d'améliorer le fonctionnement d'un accord éventuel, pas purement agir sur les différends. Parce qu'en cours de route, il va se passer constamment des situations difficiles. On pourrait agir aussi comme conciliateur ou médiateur. Mais, on ne croit pas, contrairement à ce qui a été dit, hier, qu'un tel tribunal soit le petit drapeau rouge devant le taureau.

C'est esentiel d'avoir ce mécanisme-là. Tous les gens qui vivent ce problème actuellement, soit l'industrie forestière, le bois de sciage, la potasse, la question des métros à New York, etc., tout le monde nous dit: Si vous ne l'avez pas, oubliez cela. Maintenant, jusqu'où on va? Il y avait des nuances entre M. Parizeau et M. Landry, sur les modalités. Déjà, vous avez deux experts qui, l'un va très loin en disant non, l'autre dit oui, mais avec des modalités. Là, on peut discuter; on n'est pas spécialistes pour vous dire comment procéder, quelles suggestions vous devez faire en commission parlementaire, M. Parent. Mais, soyez sûr, si

vous n'avez pas de tribunal, on est presque aussi bien d'oublier cela, parce qu'on n'aura jamais rien pour régler nos problèmes.

M. Parent (Bertrand): Alors, moi non plus, je n'ai pas de solution toute arrêtée, n'étant pas un expert. Sauf que, je pense que j'ai deux préoccupations? le tribunal, je suis d'accord foncièrement avec vous qu'iî faut définitivement avoir une formule dans laquelle on puisse se retrouver, il y a un tribunal permanent où les droits sont défendus. Mais mes préoccupations. sont de deux ordres. Si je regarde, dans la pratique, le tribunal antidumping, une entreprise québécoise, une PME, qui se retrouve demain matin, obligée d'aller plaider pour défendre sa cause au tribunal antidumping, je vous garantis que ce n'est pas la solution la plus facile. Pour avoir vécu cela, il y a quelques années, je peux vous dire que trois ans plus tard, quand la décision est rendue, tu as perdu ton marché et tu as tout perdu. C'est une situation où dans la pratique ou en théorie, on a effectivement un tribunal qui rendra une décision Cette décision risque d'être coûteuse dans la perte d'un marché qui ne peut pas se reconquérir par la suite.

Deuxièmement, comment les intérêts du Québec seront représentés, à cause de la dimension de spécificité, et comment pourront-ils être bien représentés à ce tribunal? C'est un tribunal canado-américain. C'est préoccupant. Je me demande si, sur cela, vous n'auriez pas un point à apporter brièvement parce que j'ai encore plusieurs questions et nous allons manquer de temps.

M. Dufour (Ghislain): De façon très concrète, sur le premier volet, c'est bien sûr que vous situez le cadre de la PME, je sais que vous avez vécu avec une entreprise un problème de cet ordre. La question des coûts pour y aller d'abord et, après cela, la question des délais. La question des coûts pour y aller, il y a plusieurs formes d'aide à l'exportation. Alors, les programmes, pourquoi ne serait-ce pas un volet de l'aide à l'exportation? Quant aux délais, c'est bien sûr que si le tribunal est structuré de façon telle que vous avez la décision après trois ans, alors, on n'a pas avancé non plus. C'est un élément qui doit absolument faire partie de la composante de ce tribunal. Quant à cette question de la spécificité québécoise, nous avons toujours dît et nous avons toujours exigé du fédéral qu'il embarque vraiment les provinces dans la négociation, à toutes tes étapes, dans les comités de travail. Cela s'est fait. C'est évident que si, éventuellement, il y avait un tel tribunal, la portion québécoise de 26 % des exportations canadiennes vers l'extérieur devrait être représentée. Cela ne fait pas l'ombre d'un doute. On dit d'ailleurs que l'on ne recommanderait pas au gouvernement du

Québec de sanctionner ou d'appuyer un tel accord s'il n'avait pas la garantie que dans l'éventuel tribunal il n'aura pas sa place à part entière.

M. Parent (Bertrand): Merci. Avec le peu de temps qu'il me reste je vais vous poser une question concernant toute la dimension des subventions et les propos que vous avez tenus tantôt face à ce qui se passe actuellement à la Société de développement industriel.. Je pense que, de façon générale, vous avez applaudi et endossé les trois grands rapports, dont l'un d'entre eux préconisait justement d'avoir de moins en moins d'interventions du gouvernement. Sauf que je trouve un peu dommage -je me permets de le dire ici avec toute honnêteté - que l'on a vulgarisé beaucoup les mots "intervention" et "Interventionnisme de l'État" comme quelque chose d'absolument mauvais et méchant. Je pense que de l'interventionnisme bien fait, c'est quelque chose que vous-même pourriez probablement endosser. Dans le cas particulier de la Société de développement industriel du Québec, je connais un peu l'organisme pour y avoir siégé pendant cinq ans; je peux vous dire qu'il y ait des remaniements à cette Société, le principal organisme et le coffre à outils de nos entreprises, sur cela on s'entend, et qu'on fasse sauter certains programmes, je suis d'accord. Cela évolue au Québec, cela change au Québec et les qens ont besoin d'outils différents. Là où nous ne sommes pas d'accord, et là où je dis que je décroche, c'est quand on rapetisse le coffre à outils au point où les outils qu'il y a dedans actuellement, que ce soit la formule des SPEQ ou autres, de l'aide à l'exportation, j'en suis... Je ne dis pas que les outils qu'il y a dedans sont mauvais, mais ce que je dis, c'est que les outils qu'il y a dedans ne sont pas suffisants même dans l'état actuel des choses. Quand vous, au Conseil du patronat du Québec, dites: Écoutez, nous pensons qu'il doit ne plus y avoir de subventions, qu'on laisse sous-entendre que le gouvernement actuel n'en donne plus de subventions, c'est fini, je peux vous dire qu'il s'en donne encore et qu'il va s'en donner encore et qu'il s'en donnera toujours des subventions. La journée où un gouvernement ne donnera plus de subventions... pourtant tout le monde a applaudi et était d'accord, y compris nous, que pour éviter la fermeture de GM on fasse un apport. Quand on consent un prêt sans intérêt, c'est une subvention. On n'a pas émis un chèque, mais on va absorber les intérêts. On se comprend sur la définition de subventions et sur les formes d'aide. Je ne pense pas qu'au cours des dernières années, particulièrement en 1982, 1985 et 1986, il y ait eu du saupoudrage "at large" au niveau des subventions; je pense que si cela avait

été le cas avant, il y avait eu un tamisage, il y avait eu de ce côté assurément des correctifs d'apportés.

Mais je pense que, dans le cadre du libre-échange - de là, ma question - il va falloir avoir des outils et des subventions au sens large du mot, ce sont des outils ou des aides qu'on devra apporter à l'entreprise sous quelque forme que ce soit. Cette intervention, y compris de certaines sociétés d'État, je pense que l'État aura un rôle important à jouer, que ce soit par le truchement de la Caisse de dépôt, de la Société générale de financement, ou de la SOI, soit au niveau de la formule des SPEQ ou autrement, mais je pense que l'État doit être de plus en plus présent. Ce n'est pas négatif, mais c'est dans la formule du partenariat.

J'aimerais savoir si, dans cet esprit, vous êtes toujours carrément contre toute forme d'intervention et de subvention quand on le prend au sens large du mot. Le temps nous manque. Je tenais à faire cette précision, parce que je pense que, souvent, on ne se comprend pas et, quelquefois, on peut dire des choses presque semblables; j'aimerais que vous clarifiiez votre position là-dessus.

M. Dufour (Ghislain): Je vais partir cela des applaudissements aux trois rapports. Le fait d'avoir applaudi - c'est vrai - à la publication des trois rapports n'a jamais sous-tendu, même dans le rapport Fortier par exemple, que l'on ait endossé la privatisation de la Caisse de dépôt ou d'Hydro-Québec. Il y a des outils qui sont essentiels au développement du Québec qui sont demeurés là. Mais vous nous avez vu applaudir à la privatisation de Quebecair et à la privatisation de la Raffinerie de sucre de Saint-Hiiaire, c'est-à-dire aux éléments qui n'avaient rien à voir avec une activité gouvernementale, mais la Caisse de dépôt est importante et on va la soutenir, et la SOI est aussi importante, de même que la- SGF. Ces outils de l'État sont là, il s'agit simplement de les adapter aux situations qui sont changeantes. Et là, j'arrive à la SOI, oui, il est vrai qu'on a applaudi aussi, parce que nous ne trouvons pas que c'est la meilleure façon de créer du dynamisme économique que de subventionner des entreprises, on pense qu'on doit avoir des crédits fiscaux qui vont permettre à la meilleure entreprise d'aller chercher ce à quoi elle a droit. Quant aux subventions, vous vous rappelez, on en discutait au groupement québécois, M. le député de Bertrand. On subventionnait une entreprise sur CÔte-de-Liesse pour faire disparaître des emplois à Boucherville. Qu'est-ce que ce genre de subvention donne? C'est cela qu'on dit. Et on n'est pas d'accord avec cela, et vous ne l'étiez pas, M. le député de Bertrand, avec raison.

L'orientation qui est prise actuellement, c'est une orientation de prêt. Les gens s'interrogent sur le prêt de GM. Nous avons dit que nous étions d'accord, tout comme on a dît qu'on était d'accord avec le genre de prêt que vous avez fait aux Fonds de solidarité de la FTQ, il y a cinq ans. C'est exactement la même chose. On a avancé peut-être plus d'argent dans des cas: 10 000 000 $ aux fonds de solidarité et je ne sais pas combien de millions à GM, mais c'est la nouvelle orientation. Dans l'hypothèse de la libéralisation des échanges, on aurait peut-être besoin de nouveaux programmes. D'accord, sur cela, on est prêt, mais on ne peut pas... Sauf, M. Parent, pour la recherche et le développement. Cela, on l'a toujours dit, c'est bien sûr. Il faut de l'argent pour faire de la recherche et du développement, alors ce n'était pas le "go"; tu ne pourras pas en faire. Alors, sauf pour la recherche et le développement.

Je ne sais pas si vous voulez ajouter quelque chose.

M. Allard: Non, sauf que j'insisterais sur la question de la recherche et du développement parce que, probablement que dans un contexte d'échanges beaucoup plus libres avec les États-Unis, on va devoir porter un effort énorme sur la recherche et le développement. J'ai parlé tout à l'heure de la technologie, c'est probablement là qu'il y aura beaucoup de développement dans un contexte de libre-échange. Cela ne pourra pas se faire sans recherche dans la technologique qui va nécessiter sûrement un apport considérable de la part des gouvernements pour que cela puisse se réaliser et mettre les entreprises canadiennes et québécoises en position de concurrencer vraiment les États-Unis dans le champ d'activité qui est celui de l'avenir.

Une voix: Jacques.

M. Garon (Jacques): Si vous permettez, M. Parent, je voudrais ajouter deux choses dans le cadre que vous suggérez parce que, chaque fois qu'on déborde énormément en tentant de se référer strictement au cas de la libéralisation des échanges et aux effets que cela pourrait avoir sur le Québec et en référence à la discussion qu'on vient juste d'avoir, il y a tout de même un phénomène très impartant qu'il va falloir considérer, ce sont les résultats de ce que le ministre des Finances du Québec va proposer comme remaniement à la fiscalité québécoise. Tant et aussi longtemps qu'on ne le saura pas, il sera difficile encore une fois d'avoir une évaluation d'impact sur les effets économiques.

Et le deuxième point que je voudrais traiter, c'est que, et peut-être à juste titre, on a traité le cadre des effets possibles de

la libéralisation des échanges sur le Québec, toujours en fonction d'un critère, celui de l'emploi. C'est vrai que le chômage, c'est le problème économique le plus important du Québec et que, on se réfère toujours à ce critère. Mais, la question qu'il faudrait peut-être aussi se poser, c'est que dans ie cas où il n'y aurait pas de négociation, qu'est-ce qu'il se passerait pour les emplois au Québec?

Le Président (M. Charbonneau): Ça va? Alors, M. le ministre, est-ce qu'il va y avoir un petit commentaire final?

M. MacDonald: À un moment donné, M. Du four, vous avez dit quelque chose - je ne savais pas si je devais être heureux ou malheureux - à savoir que vous alliez donner à M. Johnson, M. Parent et moi-même, le résultat d'études que vous auriez faites à l'intérieur de certains secteurs que vous représentez. Est-ce que nous allons pouvoir rendre publiques, ces études?

M. Dufour (Ghislain): Je ne pense pas que vous décidiez de rendre cela public. Ce n'est pas une recherche - je l'ai dit - fine. C'est qu'on a été voir des gars, des associations patronales, Les Salaisons, par exemple. On réalise que ces gens font un décompte de plus 8000, etc. Vous en ferez ce que vous voudrez mais ce n'est pas la recherche de la Commission Macdonald...

M. MacDonald: Votre réponse, qui dit que peut-être ou peut-être pas, souligne le fait justement qu'on nous a souvent mentionné que malgré que le gouvernement du Québec est celui qui ait le plus publié et le plus rendus publics, tous les documents qu'il pouvait avoir, il y en avait qu'on a pu rendre publics parce que justement les organismes nous avaient dit: Non, vous garderez cela confidentiel, ce qui est d'ailleurs la majorité des dépôts qui ont été faits devant le comité Warren... Alors, là, vous venez de me dire: Vous en ferez ce que vous voudrez. Je ne vois pas, personnellement, de réserves à distribuer les études que vous avez pu faire. Si vous êtes d'accord.

M. Dufour (Ghislain): Écoutez, on vérifiera auprès des gens, parce qu'on ne m'a jamais demandé le sceau de la confidentialité pour ça. Pour nous autres, si ça peut éclairer le débat...

M. MacDonald: Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, sur cette dernière réponse, il ne me reste, M. Dufour, M. Allard, M. Garon et M. Duchesne, qu'à vous remercier d'avoir participé à cet exercice. Je crois que les membres de la commission, de part et d'autre, ont apprécié l'échange qu'ils ont eu avec vous. Je pense que les gens qui nous écoutent ont également pu profiter de cet échange. Alors, je vous remercie. Et dans votre cas, je dois vous dire: À la prochaine. Parce que je suis convaincu qu'on va se revoir pour une autre consultation.

M. Dufour: Et je suis sûr que vous présiderez...

Le Président (M. Charbonneau): Ne présumons de rien.

J'invite maintenant la Chambre de commerce de Montréal à prendre place. Alors, nous allons faire une pause-santé, le temps que nos invités prennent place et que nos députés puissent se dégourdir quelques instants.

(Suspension de la séance à 12 h 55)

(Reprise à 12 h 57)

Le Président (M. Charbonneau): Nous reprenons maintenant avec la Chambre de commerce de Montréal. Nous sommes déjà une heure en retard. En fait, nous devrions ajourner pour l'heure du lunch mais nous allons poursuivre. Je vous rappelle, messieurs et mesdames, que nous espérons, cette fois-ci, respecter l'horaire. Nous avons normalement une heure, dont vingt minutes pour la présentation, et, le reste du temps pour la discussion entre les membres de la commission. Alors, M. Garcia, je crois, si vous voulez bien nous présenter les personnes qui vous accompagnent et engager immédiatement la présentation de votre mémoire.

M. Garcia (Claude): Alors, je suis accompagné de Mme Rita Dionne-Marsolais qui a été déléguée du Québec, entre autres, à New-York jusqu'en juin 1987 et qui était la présidente du comité de la Chambre qui a préparé le mémoire que nous vous présentons aujourd'hui. Également, à ma droite, Paule Doré, directrice générale de la chambre.

Le Président (M. Charbonneau): Avant que vous ne commenciez, je voudrais simplement vous indiquer qu'il est possible qu'en cours de présentation mon collègue, le député de Vimont, qui est vice-président de la commission, prenne la relève. Ce qui va se faire dans quelques instants. Alors, allez-y!

Chambre de commerce de Montréal

M. Garcia: M. le Président, mesdames et messieurs, au nom de la Chambre de commerce de Montréal, je tiens d'abord à remercier les membres de cette commission parlementaire d'avoir bien voulu

nous permettre d'exposer nos vues sur la libéralisation des échanges entre le Canada et les États-Unis. C'est une question que nous jugeons de toute première importance pour l'avenir économique du Québec et de sa métropole. Comme vous le savez, la chambre en est à sa 101e année d'existence. Elle regroupe 7500 membres, représentant quelque 2000 entreprises qui constituent un réseau de communications et d'échanges pour le milieu des affaires montréalais.

L'ultime objectif de la chambre, c'est d'assurer à Montréal un climat propice au développement des affaires et d'accentuer le rayonnement international de son économie et de ses entreprises. Pour s'assurer d'exposer devant les membres de cette commission une position représentative de ses objectifs et de ses membres, la Chambre de commerce de Montréal a mis sur pied un comité ad hoc, présidé par Mme Rita Dionne-Marsolais, qui a fait le tour de la question du libre-échange et des répercussions possibles d'un tel accord, en tenant compte de la conjoncture actuelle et de l'expérience historique. C'est le fruit des réflexions de ce comité que je suis heureux de vous exposer aujoud'hui.

Il ne fait aucun doute que les États-Unis et le Canada sont d'importants partenaires commerciaux. En 1986, ils ont échangé pour 150 000 000 000 $ de biens. La part du Québec a été de 20 % et le quart des échanges du Québec avec les Américains se fait avec l'État de New York. Alors, c'est un État qui n'est quand même pas très loin du Québec.

C'est dire que le Canada est le principal exportateur auprès des États-Unis et que le Québec y prend une très large part. C'est dire aussi que le Canada est, depuis toujours, un important acheteur de produits américains. L'interdépendance de l'économie des deux pays s'explique, en partie, par leur continuité géographique. Elle est certainement vouée à s'accroître de façon continue.

Il nous vient alors une question. Quel est l'environnement international du Canada sur le plan commercial? Il est exceptionnel et complexe, si on considère qu'au sein des nations industrialisées, le Canada est le seul pays avec l'Australie dont le marché n'atteint pas 100 000 000 de consommateurs. Le Japon a un marché de 115 000 000; les pays d'Europe, plus de 300 000 000; les États-Unis, 240 000 000 et le Canada, 25 000 000.

Quant à l'Australie et la Nouvelle-Zélande, leur marché n'est que de 19 000 000. On sait aussi que le Québec a deux pôles d'attraction naturels: Les États-Unis et la France. Le premier est commercial et le deuxième est surtout culturel, même si cela contredit la croyance populaire.

À titre d'exemple, dans le seul secteur de l'énergie, les ventes d'électricité du Québec à l'État de New York représentent en dollars, le double de l'ensemble des exportations de produits québécois vers la France.

En outre, on peut prévoir que l'essor des relations commerciales entre la France et le Québec sera freiné à moyen terme avec les mesures envisagées par le marché commun pour 1992. Il nous apparaît évident que la France concentrera alors ses efforts commerciaux vers ses partenaires européens, même si c'est au détriment des pays francophones.

Par ailleurs, depuis quatre ans, les pressions politiques régionales américaines ont causé beaucoup de tort aux exportations canadiennes vers les États-Unis. Les mesures protectionnistes - tarifs, quotas et autres pénalités - ne sont plus seulement mises de l'avant par des groupes marginaux, mais par des gens d'affaires influents et puissants qui, hier encore, se faisaient les ténors de la libre entreprise et du libre marché.

Tel est donc l'environnement commercial international du Québec et du Canada où des négociations sur le libre-échange se poursuivent avec les États-Unis. Mais avant d'aller plus loin, j'aimerais peut-être faire, à l'exemple de M. Landry ce matin, un recul historique.

Le libre-échange n'est pas une formule nouvelle dans les relations commerciales entre les Etats-Unis et le Canada. Le 5 juin 1854, les États-Unis et les provinces unies du Bas et du Haut-Canada signaient un traité de réciprocité. Déjà, à cette époque, notre voisin américain était un géant économique au moins dix fois plus important que les provinces unies du Canada.

La simplicité et la brièveté du traité mettent en lumière la conviction partagée par les deux parties quant aux nombreux avantages qu'offrait une telle entente. Les résultats du traité le démontrent bien. Les exportations en partance du port de Québec ont atteint le double ou le triple des importations à destination du même port.

Les expéditions de farine, à partir de Montréal, ont été multipliées par 20; les ventes américaines de blé et de farine ont quadruplé; le tonnage du transport maritime vers les États-Unis a doublé, alors que le tonnage vers le Canada a diminué.

Les Américains ont mis fin au traité en 1866, douze ans plus tard, pour retourner au protectionnisme. Mais les résultats du traité de réciprocité ont été très profitables aux provinces unies du Bas et du Haut-Canada.

On peut également parler du Pacte de l'automobile. Encore là, M. Landry en a parlé avant nous ce matin. Mais en 1965, le Canada et les États-Unis renouaient avec la formule de réciprocité en signant une entente dans un secteur clé de l'économie,

celui de l'automobile. Cette entente connue sous le nom de Pacte de l'automobile a, jusqu'à maintenant, donné des résultats fort positifs.

Par exemple, entre 1960 et 1985, le nombre d'emplois dans cette industrie est passé de 33 000 à 125 000. D'importants capitaux ont été investis pour la production de grande série, la spécialisation et la modernisation de la production. L'augmentation de la productivité qui en a découlé a permis de réduire les prix à la consommation de 15 % à 20 %.

Le secteur de l'automobile est devenu un moteur économique puissant au Canada, surtout en Ontario. En 1985, les exportations canadiennes d'automobiles et de pièces vers les États-Unis ont atteint 33 000 000 0000 $ canadiens, surpassant en valeur l'ensemble de toutes les autres exportations canadiennes vers tous les autres pays.

L'expérience historique - on peut le voir - a été positive. Si nous considérons la conjoncture actuelle, les arguments en faveur du libre-échange sont nombreux et la chambre aimerait faire valoir les points suivants.

Tout d'abord, un argument peut-être de théorie économique. La loi des avantages comparés de Smith et Ricardo est demeurée valable. Elle repose sur la spécialisation-domination par rapport à une autre.

Selon cette loi, les nations produisent domestiquement des biens pour lesquels elles sont plus efficaces et elles importent ceux qu'elles produiraient moins efficacement que d'autres. N'oublions pas que c'est le pays dont le marché est plus petit qui bénéficie le plus d'une libéralisation des échanges avec un pays dont le marché est plus grand, en raison des économies d'échelle possibles sur un plus grand marché. En outre, l'impact d'une concurrence internationale accrue encourage l'accroissement de la productivité, de la créativité, de l'esprit d'initiative et de l'efficacité. Nous croyons aussi qu'une entente de libre-échange avec les États-Unis assurerait au Canada un marché vital pour son économie. Bien que la majorité des biens échangés avec les États-Unis soient libres de tarifs, il est important de souligner que les barrières non tarifaires sont importantes entre les deux pays.

Autre point, aux États-Unis, tout industriel peut porter plainte devant l'International Trade Commission pour protéger son marché s'il est en mesure de démontrer qu'il est lésé dans son commerce par une firme étrangère. Nous croyons utile de mentionner ici que, selon le Conseil économique du Canada, une entente de libre-échange entre le Canada et les États-Unis augmenterait considérablement la production nette et l'emploi net à la fois au Canada et dans chacune des provinces, tout en ne nécessitant que de modestes coûts d'ajustement. Elle faciliterait également la réaffectation nécessaire de nos ressources en faveur des industries en croissance.

Toujours au chapitre des arguments favorables, il faut nous rappeler que la politique industrielle américaine repose essentiellement sur son programme de dépenses militaires et sur les achats de biens et services gouvernementaux. Une ouverture de ce marché aurait - je dis "aurait", parce qu'il semble y avoir des doutes - un impact immédiat sur l'économie canadienne, puisque les dépenses gouvernementales américaines sont quinze fois plus élevées que les dépenses canadiennes dans ce domaine. Finalement, nous croyons fermement que l'ouverture commerciale nord-sud consolidera les liens régionaux canado-américains. Ces liens bâtis entre les provinces et les États-Unis depuis de nombreuses années entraîneraient une consolidation économique régionale à l'avantage du Canada. Les échanges régionaux avec le Nord-Est américain et l'Atlantique-Centre avantageront nettement les entreprises montréalaises.

Voilà autant d'arguments qui nous paraissent incontestablement en faveur du libre-échange entre le Canada et les États-Unis.

Pour autant, la Chambre de commerce de Montréal ne nie pas que le libre-échange puisse présenter quelques désavantages, mais il existe des solutions pour chacun d'eux et nous voulons en faire état ici.

Toutes les études ont fait ressortir les effets négatifs du libre-échange sur le secteur manufacturier. Des pertes d'emplois en résulteront, mais la restructuration industrielle amorcée au Québec depuis une dizaine d'années s'accélérera. Il est clair qu'une action ponctuelle sera requise dans ce secteur, alors qu'une approche graduelle de transition pourrait se révéler souhaitable dans d'autres cas. Cependant, l'effet économique global devrait compenser les soubresauts négatifs, selon toutes les études actuelles élargies à l'ensemble des secteurs économiques du Québec.

Dans un autre ordre d'idée, la menace de la culture américaine préoccupe beaucoup de Canadiens. Cependant, l'Américain Léonard Silks, du New York Times, rappelait encore récemment, lors d'un colloque, que la culture québécoise était la seule qui pouvait être menacée, mais il ajoutait: "Elle est assaillie depuis toujours et c'est pourtant celle qui continue de se développer au Canada." Pour enrayer toute menace, il faudrait probablement envisager un rayonnement plus vaste de cette culture sur le plan des arts visuels et de la scène en territoire nord-américain.

Pour ce qui est de la langue française, elle est depuis toujours en état de siège au Canada, de toute façon, et c'est aux

francophones de la développer et de la faire rayonner, du moins à l'intérieur de nos propres frontières. Mais quelles sont les relations actuelles de Montréal avec les États-Unis?

Avant de parler de libre-échange entre Montréal et les États-Unis, il est utile de préciser que la métropole québécoise et le Québec entretiennent de bonnes relations commerciales avec leurs voisins du Sud, en particulier avec la région de l'Atlantique-Centre. Montréal et cette région ont beaucoup de points en commun. Toutes deux sont parmi les plus riches régions de leur pays respectif possédant chacune un pouvoir d'achat et un niveau de vie parmi les plus élevés au monde. D'autre part, les mouvements de capitaux entre ces deux régions sont extrêmement importants à cause de l'ouverture des marchés financiers et des économies. Ainsi, environ 18 % de la dette à long terme du Québec est détenue en devises américaines et plusieurs sociétés ont pu établir des bureaux de part et d'autre des frontières sans trop de difficultés. Le lien énergétique est important: 10 % de l'électricité de l'État de New York provient d'Hydro-Québec. Il faut aussi considérer le fait que la technologie moderne améliore continuellement les communications entre les deux régions.

Qu'on pense seulement à la qualité du réseau routier entre Montréal et New York et à la voie maritime du Saint-Laurent qui facilitent le transport des produits et rendent leurs coûts plus concurrentiels. En outre, le tourisme bénéficie grandement de l'infrastructure de transport. En 1985, par exemple, trois touristes sur dix qui sont venus au Québec provenaient de la région de l'Atlantique-Centre, tandis que des 2 400 000 Québécois qui ont visité les États-Unis, deux sur cinq sont allés dans les États de l'Atlantique-Centre. Fait à noter, un visiteur américain sur cinq au Québec vient ici pour des raisons d'affaires seulement.

Enfin, le Québec et le Centre atlantique américain partagent le même environnement naturel, possèdent un héritage d'immigration commun, vivent dans le village global continental par le biais des médias et ont investi beaucoup pour former une population instruite.

Ces deux régions sont donc des partenaires naturels dans leur défi commun de croissance et ont tout intérêt à coopérer sur les marchés internationaux. Cette coopération serait affermie dans un contexte de libre-échange. Du jour au lendemain, c'est un marché additionnel riche de 54 000 000 d'habitants qui deviendrait accessible librement et à courte distance de Montréal.

Venons-en maintenant à l'impact du libre-échange sur Montréal. Nous avons déjà dit plus tôt que la Chambre de commerce compte 7500 membres issus de plus de 2000 entreprises qui ont à coeur le développement économique de Montréal. Les sociétés membres oeuvrent dans les secteurs suivants, et je vous réfère au tableau qui y apparaît. Nous comptons, dans les services aux entreprises, 26 % de nos membres; dans les industries manufacturières, 19 %; les services socioculturels, 16 %; le commerce de gros et de détail, 13 %; les finances et l'immobilier, 14 %; la construction, 5 %; le transport, 4 %; l'administration publique, près de 2 % et les mines, 0,2 %.

En appliquant les conclusions de diverses études, on arrive à la conclusion qu'un maximum de 19 % de nos membres subiraient des difficultés advenant une entente sur le libre-échange. En fait, les études sur Montréal indiquent une perte de 8000 emplois dans le secteur manufacturier.

Toutefois, si on applique à l'économie du Québec et à l'économie de Montréal le modèle du conseil économique, on voit qu'au moins 81 % des entreprises membres de la chambre, c'est-à-dire toutes celles qui ne sont pas dans le secteur manufacturier, retireraient le gros des bénéfices d'une entente de libre-échange et on peut estimer qu'environ même le tiers des entreprises du secteur manufacturier en bénéficieraient, parce que ce sont les entreprises qui font déjà de l'exportation, même dans le contexte actuel. On n'a qu'à penser à Bombardier et à Alcan, par exemple.

Toujours sur le même modèle, entre 47 000 et 87 500 emplois nets seraient gagnés au Québec en 1995, c'est-à-dire dans huit ans, et suivant le même raisonnement, Montréal aurait un gain net de 22 000 à 40 900 emplois. Je répète que c'est un gain net après avoir déduit les 8000 emplois dont nous avons parlé antérieurement, et c'est toujours pour 1995.

C'est l'une des raisons pour lesquelles la Chambre de commerce de Montréal favorise le libre-échange entre le Canada et les États-Unis. La chambre l'approuve aussi parce que l'accès au plus vaste ensemble urbain de l'Amérique du Nord décuplerait le marché accessible aux entreprises montréalaises. Cet impact consoliderait la présence internationale et commerciale de Montréal par la liaison privilégiée avec une région ayant le plus haut pouvoir d'achat au monde. L'accès au marché américain permettrait aussi à Montréal de conserver les centres décisionnels des entreprises québécoises oeuvrant sur le marché américain et probablement d'attirer les centres de décision d'entreprises étrangères intéressées par le marché nord-américain. Montréal pourrait affermir son rôle de plaque tournante commerciale internationale.

En outre, Montréal pourrait devenir un site de choix pour accueillir des organismes internationaux dont les budgets sont de plus

en plus restreints. On n'a qu'à comparer les coûts de location d'espaces à New York, qui sont les plus élevés aux États-Unis, avec ceux de Montréal. New York et les États-Unis abritent la plus importante colonie diplomatique du monde en raison des 160 pays accrédités à l'ONU et le plus important regroupement d'organismes internationaux. La Banque mondiale, le Fonds monétaire international et plusieurs banques internationales de développement s'y trouvent. (13 h 15)

De la même façon, Montréal pourrait aspirer à recevoir une plus grande part des investissements du gouvernement fédéral américain ou des compagnies privées en matière de recherche scientifique, notamment dans certaines industries de pointe.

Nous croyons qu'il faut également considérer l'aspect culturel du libre-échange. Le libre accès au plus vaste noyau de promotion culturelle des États-Unis inciterait les artistes de Montréal à établir des liens privilégiés avec leurs collègues américains pour accéder à l'un des plus gros marchés artistiques du monde.

Enfin, sur le plan touristique, le Québec ressortirait de l'ensemble nord-américain par ses caractéristiques et sa spécificité unique en Amérique du Nord, comme un lieu privilégié exerçant la fascination d'une culture différente dans le confort et la sécurité d'un environnement global, sans frontière avec les Américains.

La croissance des échanges avec les Américains améliorerait la fréquence et la diversité des services de transport aérien et augmenterait les chances d'être le site de congrès internationaux. C'est une des faiblesses que Montréal a dans le moment. On nous reproche sur le marché américain une faiblesse au niveau des liaisons aériennes avec les États-Unis.

En conclusion, la Chambre de commerce de Montréal appuie fortement la libéralisation des échanges au niveau du continent nord-américain avec une transition appropriée pour les secteurs manufacturiers, plus vulnérables à court terme.

Cette position s'appuie sur la nécessité de protéger l'accès au marché de notre client le plus important, soit le marché américain. Elle vise à permettre aux entreprises montréalaises dynamiques de poursuivre leur croissance en facilitant leur passage d'un marché régional à faible croissance et hautement concurrentiel vers l'ensemble du marché nord-américain. La consolidation de la position régionale des entreprises montréalaises en Amérique du Nord leur permettra d'accéder par la suite au marché mondial.

Dans cette perspective, la Chambre de commerce de Montréal émet les recommandations suivantes:

Que le Québec continue de maintenir un climat propice aux entreprises pour amener les entreprises montréalaises à mettre davantage l'accent sur la créativité, la qualité et l'efficacité, et à accentuer leur position concurrentielle, tant sur le marché domestique que nord-américain;

Que les différents intervenants provenant des secteurs patronaux, syndicaux et gouvernementaux se concertent afin de faciliter le recyclage des ressources productives dans les secteurs qui bénéficieront le plus de l'ouverture du marché américain tout en aidant les entreprises les plus vulnérables à s'adapter au nouvel environnement ainsi créé!

Que les gouvernements provinciaux et fédéral révisent et harmonisent certains programmes sociaux et certaines lois régissant les entreprises;

Que la révision de notre fiscalité se poursuive afin que nos entreprises montréalaises ne soient pas en position défavorable vis-à-vis des entreprises américaines;

Si le projet d'entente de libre-échange prévu pour octobre est acceptable et favorable pour le Québec, que les différents intervenants du Québec entreprennent des démarches précises et structurées pour recueillir les appuis nécessaires, notamment:

Au Canada, qu'un effort de sensibilisation soit entrepris à tous les niveaux et que les provinces s'entendent pour aller chercher l'appui des représentants américains des États limitrophes à leur province ou des États avec lesquels elles entretiennent des relations suivies;

Aux États-Unis, que des démarches structurées soient entreprises pour s'assurer de l'appui des représentants au Congrès des États américains limitrophes au Québec. Que ces efforts se poursuivent tout au long de l'étape d'étude préliminaire au Congrès, soit 90 jours de la date de l'annonce du projet d'entente entre les deux négociateurs;

Que des mesures précises et limitées dans le temps soient mises de l'avant pour assurer une transition efficace dans les secteurs les plus défavorisés à court terme;

Que le Québec s'assure d'un mécanisme équitable de résolution des conflits entre les deux pays, qui ne le pénalisera pas ni à court ni à long terme.

M. le Président, telle est la position de la Chambre de commerce de Montréal sur la libéralisation des échanges entre le Canada et les États-Unis. Je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. Théorêt): M. Garcia, je vous remercie de votre présentation.

Je vais maintenant céder la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: M. le président, merci

de votre présence et merci de votre présentation. En se rappelant que nous n'avons, de part et d'autre, que 20 minutes de questions et de réponses et que mon collègue, le ministre de l'Industrie et du Commerce et ministre responsable de la région de Montréal a un certain nombre de questions à vous poser, je vais me permettre de vous en poser une en tout premier lieu et de demander de garder un certain temps, parce que j'aimerais poser une question particulièrement à Mme Dionne-Marsolais qui était la déléguée générale du Québec à New York.

Ma première question peut appeler une réponse courte. Vous avez des études à l'appui de vos présentations. Vous avez fait une enquête auprès de vos membres. Vous avez des statistiques et des projections. Est-ce que vous pourriez les rendre publiques ainsi qu'expliciter la méthodologie?

M. Garcia: Non. Nous n'avons pas fait d'étude auprès de nos membres. Nous avons simplement regardé quels étaient les secteurs d'activité de nos membres. À partir des études faites par d'autres, comme le Conseil économique du Canada, on en est venu à la conclusion que c'est dans le secteur manufacturier qu'il y aurait des pertes d'emplois, tandis que dans les autres secteurs nos membres seraient gagnants. Il y a des secteurs où les membres sont plus gagnants que dans d'autres. Par exemple, si on prend le domaine du service-conseil aux entreprises, on s'attend... Les entreprises québécoises font déjà beaucoup d'exportations et on ne pense pas qu'il va y avoir de perte d'emplois dans ce secteur à cause du libre-échange; on pense plutôt que le libre-échange va aider. On a vraiment appliqué la méthodologie du Conseil économique du Canada à l'économie de Montréal.

Alors...

M. MacDonald: À la mesure de Montréal.

M. Garcia: ...on n'a pas fait... M. MacDonald: Le même modèle.

M. Garcia: C'est cela, oui. C'est le même modèle.

M. MacDonald: Parfait, merci.

Le Président (M. Théorêt): Merci. M. le critique de l'Opposition et député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie. Je souhaite la bienvenue à M. le président Garcia, de même qu'à Mme Dionne-Marsolais et à Mme la directrice générale Paule Doré. Cela me fait plaisir d'autant plus que votre mémoire est bien étoffé et il va bien circonscrire les effets sur Montréal. Je pense qu'en tant qu'organisme reconnu, la Chambre de commerce de Montréal a bien fait son boulot.

Je dirai à mon collègue, le ministre du Commerce extérieur, qu'il a pris la bonne habitude de demander maintenant aux autres de publier des études d'impact. Je m'aperçois que les efforts que j'ai faits ces derniers mois ont transpiré, que maintenant le ministre... Moi aussi, j'apprends dans la méthode de récupération.

Cela dit, ma première question va s'adresser à Mme Marsoiais qui était à New York, bien sûr. Dans les propos tenus hier par le directeur international de Samson, Bélair, M. Pierre Pettigrew, il nous a dit avec beaucoup d'assurance - cela nous a surpris un petit peu - que, sur le marché américain, lorsqu'il rencontre ces entreprises de façon régulière, il s'est aperçu que, finalement, il n'y avait pas de volonté politique, il n'y avait pas de volonté du monde des affaires, du monde économique aux États-Unis pour avoir cet accord de libre-échange pendant qu'à peu près tout le monde dit qu'il y a, effectivement, une très grande volonté de ce côté-là, à partir du président Reagan et de plusieurs autres intervenants.

Vous, d'après ce que vous avez vécu ces derniers années, ces derniers 18 mois par exemple, est-ce que vous êtes en position de nous dire si vous pouvez endosser cette position ou si vous avez senti qu'il y avait vraiment une envie, un désir et une volonté ferme d'avoir cet accord de libre-échange avec le Canada ou si la perception, particulièrement du monde des affaires, du monde économique de New York... Vous avez travaillé de très près avec eux, vous pouvez nous dire, aujourd'hui, si ces gens sont davantage favorables ou défavorables face à cette éventuelle entente.

Mme Dionne-Marsolais (Rita): Le commentaire est sûrement fondé. Il faut situer cela dans le contexte. Il y a 25 000 000 de Canadiens et il y a 240 000 000 d'Américains. Les problèmes du Canada sont bien loin de ceux des Américains. Ce n'est pas tellement important.

L'ensemble de la communauté d'affaires appuie cette démarche, mais tant qu'elle n'aura pas vu le projet auquel on arrivera, elle n'a aucune raison de s'en préoccuper. Actuellement, les Américains font des affaires au Canada. Ils étaient préoccupés par une loi qui restreiqnait leurs investissements. Ils sont beaucoup plus préoccupés, en ce moment, par le monde asiatique où ils aimeraient vendre un peu plus et qu'ils aimeraient voir moins présent chez eux.

Par exemple, il n'y a pas d'opposition,

il y a de l'indifférence. Je pense qu'il faut bien comprendre, l'Américain est préoccupé par ce qui le touche personnellement aujourd'hui. Le Canada, actuellement, n'est pas pour lui une préoccupation majeure. Le président, la direction donc des États-Unis, est certainement favorable parce qu'il a créé cela. Est-ce que le Congrès ou les représentants des États suivent plus ou moins? Cela dépendra de la conséquence de cette entente pour eux. Alors, tant qu'il n'y pas de précisions plus grandes, ils sont généralement totalement indifférents.

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie.

Le Président (M. Théorêt): Merci. Maintenant, je cède la parole au ministre de l'Industrie et du Commerce et responsable de la région métropolitaine.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président. M. le président, Mesdames, votre rôle, lorsque vous sondez vos membres ou lorsque vous regardez le profil de vos membres, ne peut pas déborder aussi facilement sur les résultats spécifiques pour Montréal. Vous ne pouvez pas nous faire part des résultats spécifiques pour Montréal d'un traité éventuel de libre-échange. J'ai cru comprendre - et vous me corrigerez - que votre évaluation est tributaire de votre membership et que c'est en vous reportant sur votre membership et non pas sur l'ensemble de l'économie de Montréal que vous en êtes arrivés aux chiffres devant nous. Voulez-vous me dire tout de suite si on est sur la bonne voie?

M. Garcia: Je vais demander à Mme Dionne-Marsolais de répondre, car c'est elle qui a fait les calculs.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): D'accord, cela va.

Mme Dianne-Marsolais: Pour clarifier, toutes les études sur l'impact des emplois ont été réalisées pour Montréal et le Québec au prorata du reste du Canada. Ce que j'ai fait, j'ai pris l'ensemble des résultats du conseil économique et je l'ai appliqué à la population de Montréal et du Québec, quant à l'emploi évidemment. Donc, j'ai utilisé exactement la même méthodologie qu'avait utilisée Pierre-Paul Proulx dans son dossier sur les manufacturiers.

Ce n'est pas une enquête auprès des membres, c'est une conclusion quant à la représentation de nos membres des différents secteurs industriels montréalais.

M. Garcia: Si je peux me permettre d'ajouter quelques mots, M. le Président.

Le Président (M. Théorêt): M. Garcia.

M. Garcia: Quant au nombre de membres affectés, on a la répartition de nos membres. En termes du nombre d'emplois, c'est basé sur la structure économique de Montréal, mais, en termes du nombre de membres de la chambre qui seraient affectés, quand on dit que plus de 80 % de nos membres sont affectés favorablement, on pense que le vrai chiffre est probablement 85 % à 90 %, mais, à 80 %, on est conservateur. C'est basé sur notre membership, mais le nombre d'emplois est basé sur la structure économique de Montréal. Je pense que c'est cela.

Mme Dionne-Marsolais: Exactement.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Montréal par rapport au Québec, etc.

M. Garcia: C'est cela.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Mais il n'en reste pas moins - ma question dépasse les études statistiques et ce qu'on peut en retirer et elle va plutôt chercher votre sentiment comme partie prenante pour plaider des dossiers de la région de Montréal - que, s'il y avait des priorités à établir dans les secteurs où on doit veiller plus attentivement à mettre en place des mesures d'ajustement et de transition, est-ce que vous pourriez, d'ores et déjà, nous indiquer, comme Chambre de commerce de Montréal qui représente les gens qui expliquent le développement de Montréal, les secteurs qu'on devrait privilégier dans les mesures d'ajustement? Je dirais, à titre d'exemple, pour distinguer le genre d'intervention ou de préoccupation qu'on peut avoir, que les emplois manufacturiers qui apparaissent plus vulnérables ou menacés sont ceux du textile.

Par ailleurs, les secteurs qui pourraient bénéficier grandement d'une ouverture du marché américain sont tous ceux reliés à l'industrie de la défense et qui pourraient avoir, comme vous l'avez souligné, un accès plus large au marché américain de la défense. Il y a aussi le "trade-off". Où devrions-nous - vous nous parlez comme le représentant de l'entreprise montréalaise -faire porter nos efforts?

M. Garcia: Écoutez, je pense qu'on peut difficilement isoler l'économie de Montréal de celle du Canada. Prenons par exemple l'industrie de la bière. On sait que dans l'industrie de la bière, à l'heure actuelle, il n'y a même pas un marché commun à l'intérieur du Canada. Les entreprises sont obligées de brasser, au Québec, la bière qu'elles vendent au Québec et, en Ontario, celle qu'elles vendent en Ontario. Chaque province est très bien compartimentée.

Par contre, même dans ce contexte-là, les entreprises brassicoles ont été en mesure

d'exporter aux États-Unis. Elles sont déjà en mesure de concurrencer sur le marché américain avec des parts de marché quand même assez importantes dans le cas de la Maison. Alors, si elles sont capables dans le contexte actuel, je me demande si on devrait aménager une période de transition. Je pense qu'il serait un peu dangereux que la chambre réponde au nom des membres de cette industrie qui sont membres de la chambre, parce que, voyez-vous, non seulement les membres de la chambre seraient-ils touchés, mais on ne peut pas dire: On va faire un accord pour Montréal et un accord pour le reste du Canada. Et c'est un peu la même chose dans le textile. Alors, je pense qu'il serait préférable, quant à moi, de discuter ces mesures avec des représentants de chaque secteur visé plutôt qu'avec nous. Ce n'est pas qu'on ne veuille pas répondre, mais c'est assez délicat pour nous de répondre, puisqu'on ne représente que les entreprises visées de la région de Montréal. On ne peut prétendre parler au nom de tout le secteur, dans tout le Canada ou dans le Québec. (13 h 30)

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Non, je comprends. Mais, pour compléter, il n'en reste pas moins que si vous représentez l'entreprise et le milieu des affaires de Montréal, vous deviez bien avoir une liste de priorités qui est la vôtre, qui n'est peut-être pas celle d'autres Canadiens. Mais si vous venez représenter les industries sur lesquelles on compte pour le développement de Montréal, est-ce qu'il y en a à l'égard desquelles vous aimeriez que les autres gouvernements se soucient particulièrement d'assurer leur adaptation plus rapide au contexte de libéralisation?

M. Garcia: Je pense qu'il y a déjà les entreprises qui sont à Montréal et qui exportent déjà aux États-Unis. On n'a qu'à penser à Bombardier, qui est dans les matériaux de transport, ou à Alcan. Il est certain que ces entreprises qui sont membres de la chambre, sont déjà des entreprises qui ont du succès sur le marché américain et sur les marchés internationaux; donc, il m'apparaît souhaitable que si on a un accord partiel, ces secteurs devraient avoir priorité. Si on pense aussi à tout le domaine des services-conseils aux entreprises, je pense que c'est un secteur où l'économie montréalaise est fort dynamique. Les entreprises montréalaises sont fort dynamiques. Il y en a beaucoup qui ont commencé à exporter, pas uniquement dans le génie-conseil, mais dans d'autres disciplines: comptabilité, informatique, etc. Ce sont des secteurs non pas manufacturiers mais qui sont peut-être ce qu'on appelle le tertiaire de pointe, des secteurs fort intéressants pour l'économie de Montréal. Ces secteurs devraient certainement faire partie d'une première étape, s'il doit y avoir des étapes. Il y a peut-être d'autres secteurs. Ce sont des secteurs forts. Je ne pense pas qu'on doive limiter l'entente aux secteurs forts. Je suis convaincu que même les secteurs que l'on dit faibles sont en mesure de bénéficier d'une entente de libre-échange.

Le Président (M. Théorêt): Merci. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Oui, M. le Président, devant les différents secteurs et la répartition de vos membres, répartition en termes de pourcentage des membres qui sont dans tel ou tel secteur, il y a un secteur qui, forcément, marque beaucoup Montréal, c'est le fameux secteur des services où il y a une très forte concentration, non seulement en nombre mais particulièrement en volume. Pour prendre un exemple précis, dans le domaine du génie-conseil se retrouvent les grandes firmes, pas du Québec mais internationales, avec les Lavalin, SNC et compagnie. Dans le domaine de l'informatique aussi, on retrouve des firmes imposantes, les services bancaires, les services financiers. Ce que vous retrouvez finalement à Montréal, c'est la forte concentration de tout ce qui se passe au Québec dans le domaine des services. D'après votre analyse, ou celle de M. Proulx, sur les impacts dans ces différents secteurs, dans le domaine des services, est-ce que vous pouvez nous dire aujourd'hui quels sont les précautions à prendre concernant le libre-échange et le secteur des services, face à cette forte proportion que vous détenez, vous êtes certainement très bien placé par vos contacts? J'imagine que vous avez dû avoir une consultation auprès de toutes ces grandes firmes dans le fameux secteur des services. Parce que Montréal est beaucoup mieux placée sur le plan des entreprises de services que sur le plan des industries manufacturières.

M. Garcia: Je pense qu'on doit s'inspirer, pour répondre à cette question, d'un exemple. Une des raisons pour laquelle les services aux entreprises se sont développés à Montréal s'explique en bonne partie, par le faire-faire, tel que l'a pratiqué Hydro-Québec au début des années soixante. Il est certain que, avant qu'une entreprise puisse exporter son expertise sur les marchés internationaux, elle doit être en mesure de développer cette expertise dans son marché local. C'est un domaine où on est en mesure de concurrencer; la preuve, c'est qu'on le fait déjà. Je pense que les gouvernements pourraient peut-être s'inspirer encore davantage de l'exemple américain dans ce domaine. Les Américains font encore plus appel que nous à l'entreprise privée pour

faire faire les choses, plutôt que de les faire eux-mêmes. Cela pourrait aider ce secteur encore davantage. II y a aussi les sciences de la comptabilité qui sont très fortes à Montréal. Les bottes de comptabilité représentent une proportion importante de nos membres, les grands bureaux d'avocats, et tout cela. Ces gens sont en mesure de se défendre sur les marchés internationaux. On suggère, entre autres... Par exemple, dans le domaine de la défense américaine, la façon dont le gouvernement fédéral américain octroie son argent pour la recherche et le développement a aidé énormément au développement de l'industrie de pointe en Californie et autour de Boston, dans ces secteurs. Au Canada, lorsqu'on a des contrats de défense, on a tendance à acheter de la technologie étrangère. On dépense très peu d'argent en recherche et en développement. Alors, quand on parle de faire faire, c'est à ce genre de chose auquel on pense. Si on pouvait développer ici du faire-faire encore davantage dans d'autres secteurs, on aurait peut-être un plus grand dynamisme, et on serait en mesure de concurrencer à l'étranger dans d'autres secteurs.

Personnellement, à ce moment-ci, pour répondre de façon plus précise à votre question, je ne vois pas de précaution particulière, sauf cette question du faire-faire, parce que si les Américains obtiennent plus d'expertise par une politique différente de faire-faire, plus vaste chez eux, ils vont être en mesure de concurrencer nos entreprises chez nous. Ce n'est pas vraiment... C'est à cet égard que je vois une précaution à prendre.

Le Président (M. Théorêt): Merci. M. le député de La Peltrie.

M. Cannon: Merci, M. le Président. La question s'adresse à Mme Dionne-Marsolais surtout pour traiter deux aspects, parce qu'elle est la personne toute désignée pour pouvoir y répondre, d'une part, à cause de sa formation et, d'autre part, à cause du travail qu'elle a effectué pour le compte du gouvernement du Québec depuis les dernières années, à titre de déléguée générale du Québec à New York.

On a entendu beaucoup parler depuis quelque temps du processus canadien, de l'accord qu'il y avait avec les différents gouvernements pour fixer et déterminer les objectifs que poursuivait le gouvernement canadien dans les négociations bilatérales. J'aimerais vous demander, vous qui avez été un témoin, vous qui avez vu de près la réaction du "Finance Commitee" du Sénat l'an passé, le vote serré pour l'accord du "Fast Track" et aujourd'hui les difficultés qu'il semble y avoir au "Trade Bill", connaissant un peu le pouvoir qui est en place entre la Chambre des représentants et le Sénat, est-ce que vous y voyez une certaine difficulté d'accepter cela? Est-ce que vous y voyez également des "trade off" qu'il pourrait y avoir entre l'administration pour faire accepter cette formule avec ce qui se passe actuellement avec le "Trade Bill"? Pourriez commenter ce point?

Mme Dionne-Marsolais: Oui, je vais répéter votre question pour être sûre que je la comprends bien. Vous voulez savoir si je pense qu'il y aurait des difficultés à avoir l'appui du Congrès et de la Chambre des représentants à un projet qui serait convenu entre les deux représentants des gouvernements canadien et américain, le 5 octobre?

M. Cannon: Oui.

Mme Dionne-Marsolais; Si on a...

M. Cannon: Compte tenu aussi de la faiblesse de l'administration Reagan à cet égard.

Mme Dionne-Marsolais: Du président vis-à-vis de son Congrès. Il est certain que cela ne sera pas une chose facile pour le président d'aller se chercher des appuis, surtout que durant cette période, durant les trois prochains mois, il va passer dans sa dernière année avant la prochaine élection présidentielle. Donc, il est évident qu'il faudra qu'il utilise toute la stratégie, toute la finesse et tous les moyens pour obtenir des appuis s'il veut obtenir l'appui du Congrès à une telle entente. Mais encore là, je pense qu'il n'y a personne actuellement qui peut dire si le Congrès l'appuierait ou pas. Il y a une chose qui est très vraie et très juste. Au Canada, certains milieux éclairés en sont conscients, mais plusieurs milieux ne semblent pas réaliser le poids de ce qui se passe aux États-Unis avec le "Trade bill", dont vous parlez, et je devrais dire l'ensemble des "Trade Bills". Je pense qu'il y en 350 actuellement qui ont été soumis depuis six mois aux États-Unis pour enrayer les pratiques de commerce étranger aux États-Unis. C'est causé par l'invasion des Japonais et de leurs investissements aux États-Unis qui troublent un peu les dirigeants américains. Parce que le pouvoir financier et décisionnel semble graduellement glisser entre les mains étrangères, notamment les Japonais. De plus, je ne sais pas si vous avez lu le dernier Business Week de la semaine dernière, mais on parlait encore de pressions contre l'industrie bancaire américaine, des pressions qui étaient faites pour éviter et empêcher ou limiter l'achat et le développement des maisons de courtage japonaises. En fait on utilisait l'expression "étrangère", à Wall Street. C'est très inquiétant, parce que les représentants des États au Congrès, ce sont des représentants

qui sont élus dans des régions où les problèmes sont très précis et très limités. Quand ils arrivent à Washington, les grands problèmes nationaux, donc une entente bilatérale Canada-États-Unis, cela commence à être un peu loin de leur préoccupation. Leur préoccupation, c'est de se faire élire trois ou quatre ans plus tard. Donc, il y a une très grosse pression au Congrès pour protéger, un peu comme à l'époque de Smooth et Hawley. Les anciens, les spécialistes de la question, disent que c'est le même climat. Il y a une tendance protectionniste très grande. Et même si le président décidait qu'il faut que cela se signe, il aurait besoin de faire beaucoup de négociations et d'échanges pour avoir les appuis adéquats pour être capable de signer avec un minimum d'appuis, au moins au niveau du public.

M. Parent (Bertrand): Merci.

Le Président (M. Théorêt): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Dans la même foulée que mon collègue sur le fameux secteur bancaire, se.cteur financier, cela me préoccupe beaucoup, étant donné que vous avez, je pense, une forte concentration et très représentative de ce qui se passe au Québec sur le plan de ces services. Dans l'étude qui a été faite par M. Pierre-Paul Proulx, page 409, étude que j'ai parcourue avec intérêt -et qui n'est pas publique, soit dit en passant, mais il y a des études comme cela qu'on réussit à obtenir - on mentionne...

M. MacDonald: Pourriez-vous la rendre publique?

M. Parent (Bertrand): Je ne suis pas l'auteur, donc ce n'est pas à moi de la rendre publique. On en est arrivé à un point tel qu'il faut avoir la permission de l'Opposition, c'est merveilleux. Il faut bien se détendre de temps en temps.

Quant au secteur financier, voici ce qu'on dit particulièrement. Je vais le lire, parce que cela me semble important. Je voudrais savoir essentiellement, à cet égard, ce que la Chambre de commerce a fait ou entend faire en termes de démarche ou de pression auprès du gouvernement canadien, pour être capable de bien représenter ses membres dans ce secteur.

On a vu que les marchés financiers mondiaux - dit M. Proulx dans son rapport -se tournent de plus en plus vers une libéralisation des activités commerciales. Si le Canada devait chercher à préserver la séparation entre les quatre paliers, soit les banques, trusts, assurances et courtage, cela serait d'un grand poids pour les institutions financières canadiennes. Il deviendrait fort difficile pour celles-ci de maintenir une certaine compétitivité vis-à-vis des institutions étrangères, le développement et la croissance des marchés. Ainsi, face à la législation ontarienne qui restreint la propriété canadienne, la Banque royale, entre autres, recommande une équité compétitive pour permettre aux banques à charte d'offrir des services que fournissent les conglomérats financiers, soit investissements bancaires, assurances, immobiliers. Mais il est important de reconnaître que les banques et les firmes de courtage aux États-Unis comme au Canada vont être exposées à plus de risques que jamais auparavant, suite aux changements importants attendus dans les règlements et le système législatif. L'assouplissement du "Bank Act" et le plein accès des banques au marché financier peut entraîner une forte concurrence, face à ce secteur, liée aux transactions d'actions. L'expérience récente à Londres - il donne l'exemple -permet d'observer les problèmes d'adaptation des PME londoniennes dans ce secteur et permet de déterminer comment les pouvoirs publics pourront aider aux entreprises autochtones de s'adapter avec profit à ces mutations profondes. La situation de la réglementation financière aux États-Unis dont les restrictions à "interstate banking" sont telles qu'il est indiqué d'être très prudent et de demander une certaine réciprocité pour les institutions canadiennes aux États-Unis, car le marché canadien est national et de plus en plus réglementé.

Alors, je pense qu'on n'a parlé que très peu à ce jour de tout le secteur des services. J'aimerais savoir si la Chambre de commerce, en tant qu'organisme représentatif et tout ça, va faire quelque chose dans ce sens-là et si elle a fait quelque chose. (13 h 45)

M. Garcia: Nous n'avons pas fait d'autre représentation. C'est la première fois que nous faisons des représentations sur le libre-échange, aujourd'hui Mais, comme vous l'avez souligné, aux États-Unis, il y a énormément de restrictions. Par exemple, les banques ne peuvent pas faire de l'assurance et les compagnies d'assurances ne peuvent pas faire de la banque. Il y a une législation qui date des années trente qui empêche les entreprises, même américaines ou étrangères qui s'installent aux États-Unis, de faire... elles sont obligées de choisir entre faire de l'assurance et faire de la banque. Donc, le conglomérat financier, même aux États-Unis, n'est pas pour demain. Il y a aussi les restrictions dont vous avez parlé. Il y a plus de restrictions, finalement, sur le marché américain qu'au Canada, dans ce secteur. Relativement au secteur financier, il y a déjà un libre-échange dans le domaine de l'assurance entre les États-Unis et le Canada; que ce soit l'assurance des personnes

ou l'assurance générale, il y a un libre-échange, non seulement avec les États-Unis, mais avec les autres pays. L'entrée sur le marché canadien pour les compagnies étrangères est facile. Elles n'ont qu'à s'installer et à faire des affaires. Il n'y a pas de problème de ce côté-là et c'est vrai également pour les compagnies canadiennes, elles peuvent aller faire des affaires à l'étranger. Effectivement, dans le domaine de l'assurance-vie, par exemple, le Canada a une balance commerciale favorable et dans le domaine de l'assurance commerciale, une balance défavorable. Il reste qu'il y a un libre-échange dans ce secteur-là.

Dans le domaine bancaire, il y a le problème de la propriété qui est loin d'être résolu, je ne sais pas ce que l'accord du libre-échange va faire à ce sujet. Est-ce que l'accord du libre-échange va interdire les restrictions sur la propriété? C'est une question...

M. Parent (Bertrand): Le secteur des investissements devient important, c'est la question de la propriété puis, même dans le domaine des assurances aussi, perte de contrôle.

M. Garcia: À ce stade-ci, je ne veux pas me réfugier derrière l'accord, mais on aimerait mieux voir l'accord. Est-ce que l'accord va en parler? Est-ce que l'accord va parler des institutions financières? Comme je vous dis, dans certains secteurs, il n'a pas besoin d'en parler parce que cela existe déjà. C'est sûr que dans le domaine de la banque, il y a des restrictions importantes au Canada, puisque les banques étrangères sont restreintes par leur capital à 16 % du marché canadien alors, c'est une restriction qui est fort impartante dans les accords. Je ne sais pas si c'est en discussion, je ne suis pas en mesure de vous... À ce stade-ci, la chambre s'est limitée à une présentation peut-être globale. Il faut attendre un texte d'accord pour voir si on doit intervenir dans un secteur comme le domaine financier. Je pense qu'un accord serait favorable mais, encore là, il faut déterminer qu'il va couvrir. Un autre facteur aussi, est-ce que l'accord va couvrir uniquement les échanges ou s'il va couvrir la propriété? Parce que, relativement au domaine financier, à la propriété des institutions financières, les pays sont beaucoup plus jaloux de leur souverainneté dans ce secteur-là que dans le secteur manufacturier ou dans le secteur des services.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le ministre. Nous vous rappelons qu'il reste cinq minutes à votre formation.

M. MacDonald: Je m'en voudrais, compte tenu de mes antécédents, de ne pas faire quelques mentions en ce qui a trait à cette question et cet intérêt vis-à-vis du secteur financier. Comme vous disiez, il y a libre marché au niveau des assurances, il y a difficulté actuellement au niveau des banques mais la réalité, c'est que les Américains, dans les industries financières américaines, même s'ils disposent de capitaux quelquefois beaucoup plus importants, ont peur des Canadiens qui ont démontré une capacité d'innovation, qui ont démontré une capacité de mettre en place des réseaux d'informatique à travers le pays à terminaux multiples et une capacité de s'en servir et de s'en servir très bien. On n'a qu'à regarder simplement dans la province de Québec ce que le Mouvement Desjardins a réussi à mettre en place et la façon avec laquelle il a progressé au cours des dernières années. C'est assez extraordinaire.

Cela dit, j'aimerais peut-être revenir à la question que je voulais poser à Mme Dionne-Marsolais.

Vous avez, madame, jusqu'à il y a quelques mois, reçu, à la délégation générale du Québec, des représentants du monde des affaires américains mais, pas seulement du monde des affaires.

Vous avez remarqué, chez certains, non pas une opposition à l'entente mais, plutôt, une indifférence ou une ignorance. Voua avez eu l'occasion, particulièrement au cours des derniers mois que vous étiez là, de sentir le protectionnisme américain, sans aucun doute, et aussi de voir l'ouverture d'esprit chez d'autres. Sans vouloir m'immiscer dans la confidentialité de votre salon à ce moment-là, pourriez-vous révéler un peu les observations, peut-être les plus candides, qui vous ont été faites sur ce sujet?

Mme Dionne-Marsolais: Sur l'intérêt de l'échange ou sur la préoccupation de l'échange. Bien, cela varie un peu. Ceux qui n'ont pas d'intérêt au Canada, donc ceux qui ne font pas affaire au Canada ne sont pas encore sensibilisés et attendent le projet, cela, je l'ai dit tout à l'heure. Ceux qui ont déjà fait affaire au Canada et, pour des raisons historiques, ont retiré leurs intérêts ou vendu leurs intérêts et ont orienté leurs efforts ailleurs, craignent beaucoup la concurrence canadienne. Actuellement, ils font beaucoup de lobby pour protéger leur secteur industriel. Ceux, comme les milieux financiers, qui, comme vous l'avez très bien dit, trouvent le Canada particulièrement dynamique sur le plan des services financiers et des autres services connexes, que ce soit ingénierie, informatique, toute la gamrne des services, craignent mais aimeraient beaucoup s'affronter en concurrence avec les Canadiens, parce qu'on trouve ici, en particulier, je dirais au Québec, que nos qens d'affaires ont une créativité, une façon

d'attaquer le marché américain assez unique.

On n'a pas beaucoup le choix dans cette discussion-là parce que, ce qui ressort, si on continue le statu quo, il y aura de plus en plus d'opposition organisée de la part d'industriels qui n'ont pas d'intérêt ici et qui ne peuvent pas, autrement dit, trouver de solution à leurs problèmes en s'installant ici. Je pense que cela est plus important.

Au niveau de l'ensemble des discussions, je ne sais pas si j'ai répondu à votre question mais, honnêtement, elle était un peu vaste mais, en gros, ce sont les trois...

M. MacDonald: J'apprécie plus vaste que vague...

Oui, vous y avez répondu en partie. Je vous remercie de votre intervention.

Le Président (M. Théorêt): Merci. M. le député de Bertrand en vous rappelant vous aussi qu'il vous reste quatre minutes pour conclure.

M. Parent (Bertrand): Merci. Dans vos conclusions, pages 15, 16 et 17, vous mentionnez certaines choses, entre autres, que cela va prendre des périodes de transition appropriées; si j'ai bien compris, vous pourriez le préciser. Vous ne vous êtes arrêté sur les différents facteurs, les différentes périodes mais, de façon générale, vous êtes en faveur, bien sûr, des périodes de transition qui pourront varier, si j'ai bien compris, selon des facteurs et des vulnérabilités.

Comme le disait si bien Mme Dionne-Marsolais, il y a quelques minutes, les entreprises québécoises sont de plus en plus créatives et c'est ce qu'il leur permet dans beaucoup de cas de pouvoir percer le marché américain, entre autres, et les autres marchés. Qu'est-ce que vous préconisez vous, en tant que chambre de commerce, en tant que président de cet organisme important, que le gouvernement devrait faire pour fournir le support, les outils pour aider justement à continuer à ce qu'il y ait encore de la créativité, de la recherche et du développement? Êtes-vous en faveur d'un support ou si vous croyez que le dynamisme actuellement est un dynamisme capable, à toutes fins utiles, de s'organiser par lui-même ou s'il doit y avoir un support et une collaboration et des choses bien précises à mettre dans le coffre à outils des entreprises face au libre-échange?

M. Garcia: Comme je disais tantôt, je pense que la façon la plus efficace pour le gouvernement d'aider nos entreprises à se développer, c'est de recourir au faire faire, comme on l'a fait à Hydro-Québec dans les années soixante. On a permis le développement de multinationales du génie conseil à Montréal. Ces entreprises-là exportent maintenant leur savoir-faire à travers le monde. C'est certain que si Hydro-Québec n'avait pas fait cela, ce n'est pas certain que ces entreprises seraient là aujourd'hui. Ce n'est pas des subventions qu'on demande; je pense qu'on dit au gouvernement: regardez donc vos activités et ce qui, dans ces activités-là, pourraient être confié à l'entreprise privée moyennant rémunération appropriée. Comment pourrait-on en arriver à favoriser justement l'émergence de nouvelles entreprises? En d'autres termes, donnez-nous un marché. C'est cela qu'on dit. On discute, dans le moment, avec le gouvernement fédéral sur la question des aéroports de Montréal, on voudrait que la gestion des aéroports soit confiée à Montréal. Quand la chambre a lancé cette idée, il y a une couple d'années, elle s'inspirait du modèle américain de gestion des aéroports. On est convaincu que c'est un instrument de développement économique et que si c'est géré par la communauté d'affaires régionale, cela va être géré de façon plus efficace. C'est ce genre de chose qu'on demande. Donnez-nous des outils et on va se charger de les utiliser au plus grand profit de l'économie de Montréal. Maintenant, je ne sais pas si Rita veut ajouter quelque chose?

M. Parent (Bertrand): Alors, en terminant, puisque mon temps est écoulé, je tiens à vous remercier pour cet apport, cette présentation, aussi de vous être déplacés pour venir devant cette commission parlementaire qui, à mon avis, est très importante. J'aimerais vous dire que la Chambre de commerce, le gouvernement et moi-même sommes d'accord sur une chose concernant l'agence spatiale et la publicité qu'on a faite, on va se permettre de la repasser: "Montréal c'est spatial."

Le Président (M. Théorêt): M. Garcia, Mme Dionne-Marsolais et Mme Doré, les membres de la commission de l'économie du travail vous remercient de votre participation et vous souhaitent un bon voyage de retour.

Les travaux de la commission sont maintenant suspendus jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance 13 h 57)

(Reprise à 15 h 13)

Le Président (M. Charbonneau):

Mesdames et Messieurs, on reprend la consultation générale sur la libéralisation des échanges entre le Canada et les États-Unis. Avant d'accueillir les invités de cet après-midi, je voudrais demander le consentement pour le remplacement du député de Taschereau par le député de Montmagny-L'Islet. Voyant votre enthousiasme à répondre, je comprends qu'il y a

consentement unanime. C'est fait. Le secrétaire de la commission en prend note.

Nous accueillons cet après-midi la Coalition québécoise d'opposition au libre-échange. Nous reconnaissons des visages familiers à la commission de l'économie et du travail. Je souhaite la bienvenue à M. Laberge, à M. Larose, à M. Charbonneau, à M. Proulx et à leurs collaborateurs,, Je vous indique que vous avez - si je regarde l'horaire, c'est différents on a trois heures -au moins de 40 minutes à une heure au maximum pour la présentation de votre mémoire et de vos points de vue. Le reste du temps sera consacré à l'échange. Je présume que plus il restera de temps pour les échanges, plus ce sera à la fois utile et intéressant pour aller dans les détails, si on se fie aux expériences qu'on a eues hier avec l'UPA, où on a eu la chance d'aller plus en détail. Sans plus tarder, je ne sais pas lequel d'entre vous, c'est M. Larose... M. Larose, je vous souhaite encore une fois la bienvenue. Pour les fins du Journal des débats, je vous demanderais d'identifier vos collègues les plus illustres et les moins illustres qui pourraient éventuellement prendre la parole également.

M. Larose (Gérald): Ce sont tous des collègues utiles pour les fins du débat.

Le Président (M. Charbonneau): Je n'en doute point.

M. Larose: En vous remerciant de nous recevoir, je vous présente effectivement les membres de la Coalition québécoise d'opposition au libre-échange, porte-parole de la Coalition québécoise d'opposition au libre-échange, en commençant par ma gauche: M. Louis Laberge, que vous connaissez bien, de la Fédération des travailleuses et travailleurs du Québec; M. Yvon Charbonneau, de la Centrale de l'enseignement du Québec accompagné de M. Richard Langlois, économiste, de la Centrale de l'enseignement du Québec et de M, Denis Boudreau, économiste, de la Fédération des travailleuses et travailleurs du Québec. À ma droite, M. Jacques Proulx, président de l'Union des producteurs agricoles; M. Yvan Loubier, économiste, de l'Union des producteurs agricoles et M. Peter Bakvis, de la Confédération des syndicats nationaux. Derrière, il y a d'autres gens. Si jamais le débat devenait serré et que vous essayiez de nous coller avec des chiffres, je vous préviens, on est bardé d'informateurs derrière nous pour pouvoir répondre à toutes vos questions.

Une voix: Des informateurs.

Le Président (M. Charbonneau): Le mot "informateur", par les temps qui courent, peut avoir différentes connotations.

M. Larose: Ce n'est pas... On ne les a pas infiltrés et on ne pense pas que ce soit des agents provocateurs.

Des voix: Ha! Ha!

Condition québécoise d'opposition au libre-échange

M. Larose: Selon la bonne vieille méthode qui dit qu'il vaut mieux lire un texte que de le commenter, puisque c'est plus court en le lisant, nous avons l'intention de lire le document qui est un document synthèse. Je pense que ce sera une excellente base pour ouvrir le débat. Pour ne pas trop vous ennuyer, on s'est réparti la lecture de ces 23 pages,,

Au nom des quatres organisations qui composent la Coalition québécoise d'opposition au libre-échange, il nous fait plaisir de profiter de la tenue de cette commission parlementaire pour exprimer notre point de vue concernant les négociations sur le libre-échange qui ont cours actuellement entre le Canada et les États-Unis et qui, le cas échéant, lieront les provinces au niveau des échanges extérieurs y compris le commerce interprovincial.

Permettez-nous tout d'abord de présenter la coalition. Les quatre organisations qui la composent sont: la Centrale de l'enseignement du Québec, la Confédération des syndicats nationaux, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec et l'Union des producteurs agricoles qui représentent la très grande majorité des travailleuses et des travailleurs syndiqués, ainsi que les productrices et producteurs agricoles du Québec. Nous représentons ceux et celles qui vivent essentiellement de leur travail, que ce soit sur des fermes, dans des mines, en forêt, dans des industries manufacturières, dans des services publics et privés et, à ce titre, ont à coeur le développement économique et social du Québec.

Depuis l'annonce du premier ministre Mulroney, en mars 1985, de son intention de négocier un traité de libre-échange, chacune de nos organisations a procédé à des analyses sur les effets du libre-échange dans son milieu, ainsi qu'à des débats sur le sujet dans ses instances. Ce n'est qu'après avoir fait ces réflexions et en être arrivées aux mêmes conclusions quant aux effets néfastes d'un traité de libre-échange que la CEQ, la CSN, la FTQ et l'UPA ont décidé de créer la Coalition québécoise d'opposition au libre-échange en août 1986.

Les quatre organisations tiennent à exprimer leur opposition farouche à ce projet de libre-échange. Nous concluons que ce projet aurait des conséquences désastreuses

sur le niveau d'emploi, sur de nombreux programmes économiques et sociaux ainsi que sur l'identité culturelle du Québec et du Canada. Nous insistons sur le danger que représentent ces négociations pour notre avenir collectif. Nous rappelons que le gouvernement canadien n'a jamais reçu aucun mandat populaire pour les entamer. C'est pourquoi nous lançons un appel à toutes les organisations et individus qui partagent nos préoccupations, afin qu'ils se joignent au mouvement et fassent connaître l'opposition des Québécoises et des Québécois au libre-échange.

Nous avons créé la coalition afin de faire valoir notre opposition à ces négociations commerciales avec les États-Unis pour approfondir ensemble nos connaissances sur le sujet et afn de contribuer au débat public sur les enjeux du libre-échange.

Nous avons, de plus, complété huit études sectorielles ou thématiques sur le sujet, études dont nous déposons copies aujourd'hui. Il s'agit d'études à la fois volumineuses - quelque 600 pages - et documentées que nous n'avons pas eu peur de soumettre au débat public et dont personne n'a remis en cause les conclusions. Notre approche, à savoir de favoriser le débat public sur le libre-échange, n'a malheureusement pas été imitée par les gouvernements fédéral et québécois. Non seulement ces gouvernements ont-ils gardé sous le sceau de la confidentialité la plupart des études qu'ils ont accomplies sur le sujet, mais ils n'ont suscité aucun débat sur le sujet.

Les nombreuses consultations à travers nos instances respectives et auprès des travailleuses et des travailleurs et auprès du public nous révèlent que le libre-échanqe constitue un danger très sérieux pour l'économie du Québec et ses perspectives de développement industriel, social et culturel. D'abord, des conséquences désastreuses sur l'emploi sont prévisibles au chapitre manufacturier où notre écart de productivité avec les Américains est de l'ordre de 25 %, et aussi dans l'agriculture et dans les services.

Une inquiétude de taille est aussi exprimée quant à l'élasticité du concept de libre-échange. En partant de l'abolition des tarifs douaniers, l'accord éventuel s'attaquerait aux barrières non tarifaires dont la liste s'allonge de semaine en semaine. On ne parle plus seulement des embêtements administratifs, de permis d'exporter ou de formalités de douanes. On discute de réglementation, de privatisation de sociétés d'Etat, de politiques industrielles, comme le développement régional ou, encore, de contrôles de l'investissement. Il y a tout lieu de craindre que plusieurs programmes sociaux ainsi que nos industries culturelles et agricoles seront aussi irrémédiablement affaiblies par le libre-échange.

La toile de fond sur laquelle se jouent actuellement les négociations d'une entente de libre-échange entre le Canada et les États-Unis nous semble relativement défavorable. Les entreprises québécoises sont, dans l'ensemble, moins productives que leurs contreparties américaines. Plusieurs secteurs économiques sont dominés par des filiales d'entreprises américaines. La faiblesse du dollar canadien constitue pour les entreprises exportatrices une protection des plus aléatoires.

La forte concentration au Québec d'industries intensives en main-d'oeuvre et l'apport appréciable d'expéditions manufacturières dans tout le Canada à l'abri de la protection tarifaire nous fait anticiper le pire. La pression énorme sur les coûts de production, ce que d'autres appellent la réorganisation industrielle, remettra en cause les conditions de salaire et les avantages sociaux d'un grand nombre de travailleuses et de travailleurs. Dans le sillage de l'ouverture des frontières, la peur de perdre leur emploi pourrait amener des syndiqués à accepter des concessions sur des conditions de travail acquises.

Les débordements du libre-échange sur l'autonomie politique de nos gouvernements en matière de protection de l'emploi et de développement empêcheront, à toutes fins utiles, la mise en place de programmes d'aide et de transition adéquats.

Nous avons scruté de très nombreuses études sur les incidences industrielles et sociales du libre-échange, plusieurs y étant favorables et certaines soulevant des inquiétudes de taille. De toutes les études rendues publiques, nous croyons que les plus crédibles sont celles qui tentent de qualifier et de chiffrer les coûts d'ajustement de notre économie sur notre autonomie politique.

Voici en résumé les conclusions des huit études sectorielles ou thématiques portant sur les conséquences du libre-échange que nous avons réalisées depuis un an. Pour chacune des industries étudiées, nous avons examiné les types de protection qui existent actuellement, tant aux États-Unis qu'au Canada, pour ensuite en examiner l'impact sur l'industrie ou le programme en question. Nous avons évalué aussi bien la possibilité pour les industries examinées d'exporter davantage aux États-Unis advenant le libre-échange que leur capacité de maintenir leur part du marché canadien advenant l'ouverture des marchés.

Plusieurs productions agricoles au Québec sont encadrées par un système de gestion de l'offre établi par les plans conjoints de mise en marché. Les programmes de stabilisation de revenu, le crédit agricole et les programmes pour divers

types de production constituent d'autres politiques que pourrait remettre en cause un traité de libre-échange global.

Selon notre étude portant sur le secteur agro-alimentaire publiée en février dernier, la remise en cause des différentes politiques qui ont permis une croissance et une stabilisation de l'agriculture plongerait plusieurs types de production dans une instabilité semblable è Celle qui existe aux États-Unis. De plus, le Québec sortirait perdant d'une ouverture des marchés dans certaines de nos productions majeures, à savoir le lait, les oeufs, la volaille, les fruits et légumes. Le libre-échange pourrait alors se traduire par de nombreuses pertes d'emplois non seulement dans l'agriculture, domaine dans lequel travaillent 76 000 Québécoises et Québécois, mais également dans les industries en amont et en aval.

L'industrie de la transformation alimentaire est la deuxième en importance du secteur manufacturier au Québec. Quelque 50 000 personnes y travaillent. Le libre-échange n'offre aucune perspective de croissance pour aucun des sous-secteurs de cette industrie. D'importantes pertes d'emplois sont cependant prévisibles, soit à cause du recul de la production agricole qui résulterait du libre-échange, soit à cause de l'élimination de certaines barrières spécifiques. Ces dernières sont déterminantes dans les industries de la bière et du vin à cause des politiques de vente appliquées par le Québec. Le libre-échange imposerait un recul important aux brasseries québécoises et la quasi-disparition de l'industrie vinicole naissante. La réduction des productions agricoles pourrait provoquer d'autres pertes d'emplois dans les abattoirs et les salaisons, dans les industries de transformation de fruits et légumes, dans la transformation laitière ainsi que dans l'industrie de la moulée. Le risque est d'autant plus grand que dans tous ces secteurs il existe d'importants surplus de capacité de production aux États-Unis.

Métallurgie et chimie. Une première étude de la 'coalition publiée en novembre dernier porte sur sept secteurs industriels importants qui emploient 200 000 personnes au Québec: machinerie et outillage, fabrication de produits en métal, fabrication de produits électriques ou électroniques, produits chimiques, transformation première des métaux, produits minéraux non métalliques, équipements de transport. Pour ces secteurs, les tarifs douaniers - beaucoup plus importants au Canada qu'aux États-Unis - ainsi que, dans certains cas, les politiques d'achat préférentielles des gouvernements constituent des protections essentielles. Il s'agit de secteurs dans lesquels, de façon générale, les entreprises situées au Québec souffrent d'une faiblesse de productivité par rapport aux entreprises américaines. Le fait que plusieurs de ces entreprises établies ici soient des filiales de sociétés américaines constitue un autre point négatif advenant une entente sur le libre-échange. En effet, ces sociétés auraient tendance à rationaliser leur production pour ne produire qu'à partir de leurs entreprises aux États-Unis.

Globalement, le libre-échange, dans la mesure où il se traduirait par l'abolition des tarifs douaniers et la fin des politiques d'achat préférentielles, entraînerait des fermetures et des pertes d'emplois importantes dans tous les secteurs précités, mais particulièrement dans ceux qui suivent, à savoir la machinerie, les produits métalliques, les produits de toilette, les produits électriques, les carosseries de camions, de remorques et les pièces d'automobile.

Nous n'avons identifié que quelques secteurs qui seraient en meilleure situation concurrentielle face au libre-échange, nous les citons: le magnésium, les produits du verre, de céramique et de béton.

La plupart des entreprises de ces secteurs qui pourraient théoriquement bénéficier d'un meilleur accès au marché américain sont déjà en situation de libre-échange. C'est le cas de nos exportations d'aluminium, de cuivre et de zinc. Cependant, si le libre-échange devait se traduire par une remise en cause des tarifs d'électricité peu élevés au Québec, qui seraient interprétés comme des subventions déguisées, cela pourrait avoir des conséquences désastreuses particulièrement pour l'avenir de l'industrie québécoise de l'aluminium.

Le secteur des produits forestiers - le bois de construction, les meubles, les pâtes et papiers - est parfois perçu comme un secteur fort basé sur nos ressources abondantes et qui a tout à gagner du libre-échange. L'étude de la coalition concernant ce secteur qui emploie 80 000 Québécoises et Québécois a pourtant permis de constater qu'aucun sous-secteur des industries des produits forestiers ne fera de gain avec le libre-échange. Par contre, selon cette étude publiée en mai, certains sous-secteurs ont beaucoup à perdre.

C'est le cas notamment de l'industrie du meuble, celle des papiers fins, hygiéniques et d'emballage et celle des cartons. Ces industries bénéficient de protection douanière importante au Canada, alors que les tarifs américains sont peu élevés, et sont malgré tout menacées par la vive concurrence des importations en provenance des États-Unis. Le libre-échange pourrait donner le coup de grâce à plusieurs usines moins avancées au niveau technologique et entraîner la perte de milliers d'emplois. (15 h 30)

Le secteur du bois de construction du Québec a réussi à faire une percée

importante aux États-Unis, mais, à la faveur du taux de change, lui a valu l'imposition de droits de douane compensateurs par les Américains. Les négociations et le règlement entourant cette mesure entre le Canada et les États-Unis donnent un bon aperçu de ce qui pourrait constituer un traité de libre-échange. Sous la menace de mesures protectionnistes de Washington, Ottawa s'est plié aux politiques économiques dictées par les Américains, en l'occurrence l'application d'une taxe spéciale sur les exportations du bois afin de préserver son accès garanti au marché américain. Cela est arrivé, rappelons-le, dans une industrie qui était déjà en situation de libre-échange avant que Washington, au beau milieu des négociations concernant le libre-échange, ne décide d'appliquer cette nouvelle mesure protectionniste.

Un autre produit d'exportation important, le papier journal, est également déjà en situation de libre-échange. Tout comme la question des droits de coupe a servi de prétexte aux Américains pour imposer une taxe sur le bois d'oeuvre, certains porte-parole d'industries américaines ont laissé savoir qu'ils pourraient éventuellement contester les avantaqes procurés par nos tarifs d'électricité peu élevés à l'industrie des pâtes et papiers.

Un traité de libre-échange, loin de nous protéger contre ce genre de démarche, rendra nos industries encore plus vulnérables puisque d'éventuels mécanismes de règlement de litiges fourniraient aux industries américaines un forum commode et tout à fait légal, contrairement aux mesures protectionnistes unilatérales, pour attaquer les programmes ou politiques de développement industriel et régional.

Lorsque le gouvernement déclare que ça ne sert à rien de protéger les secteurs mous parce qu'ils sont en voie de disparition, il oublie un peu vite que plus de 100 000 Québécoises et Québécois travaillent dans l'industrie du textile, vêtement, chaussure. C'est un secteur qui serait ravagé par le libre-échange et où le Québec serait touché beaucoup plus durement que les autres provinces puisque 55 % de tous les emplois canadiens se trouvent au Québec. On se demande bien dans quel secteur le gouvernement a tant reclassé toutes les femmes qui occupent 64 % des emplois et tous les hommes qui seraient déplacés advenant une entente de libre-échange.

Une étude sur les secteurs textile -vêtement - chaussure, publiée en février, nous a permis de constater que les tarifs douaniers pour la plupart des productions plus importantes au Canada qu'aux États-Unis ont constitué une importante protection permettant la survie de ce secteur. Ce sont les industries du textile, souvent situées dans des villes monoindustrielles et la production de vêtements standardisés qui seraient particulièrement affectées par te libre-échange avec les États-Unis.

En effet, une importante partie de la concurrence faite à la production québécoise provient d'usines modernes avec des conditions de travail minimales situées dans le Sud des États-Unis. Pour les membres de la coalition, il est évident que la modernisation et la restructuration de l'industrie entamées depuis quelques années devront se poursuivre afin que l'industrie, . puisse répondre aux nouveaux besoins du marché et faire face à la concurrence internationale.

Il nous apparaît évident également que cette restructuration ne pourra se faire sans l'assistance technique et financière de l'État. Une entente de libre-échange pourrait devenir un sérieux handicap à ce rôle. Une telle entente limiterait grandement la capacité de l'État à aider les industries en difficulté, cette aide pouvant être interprétée comme une concurrence déloyale sous un traité de libre-échange. Était-ce pour mieux préparer le terrain au libre-échange que le gouvernement fédéral a déjà aboli l'Office canadien du renouveau industriel et le Programme d'adaptation de la main-d'oeuvre pour les industries en difficulté? Si les pressions du libre-échange devaient s'ajouter aux restructurations déjà en cours, il ne serait pas exagéré de parler de 40 000 pertes d'emplois dans ces secteurs au cours des dix prochaines années.

M. Charbonneau (Yvon): Au chapitre de la culture et des communications, en avril dernier, la coalition a publié une étude sur la culture et les communications de masse: édition, radio et télédiffusion, films, théâtre et photographie. La coalition prévoit que le libre-échange aurait non seulement un impact négatif sur les 50 000 emplois au Québec dans ce secteur, mais qu'il constituerait une menace pour la souveraineté et l'intégrité culturelle du Canada et du Québec.

Le Canada accuse déjà un déficit annuel de 1 000 000 000 $ avec les États-Unis au chapitre des biens et des services culturels. Ce déficit serait beaucoup plus important n'eut été le grand nombre de protections imposées par le Canada. Malgré sa prétention de refuser de négocier la souveraineté culturelle canadienne, le gouvernement canadien, en acceptant d'entamer des négociations globales sans aucune exclusion préalable, n'a pu empêcher les Américains de soumettre une liste de demandes touchant le secteur culturel. Les Américains considèrent la question de souveraineté culturelle comme une couverture déguisée d'activités commerciales et les protections canadiennes seraient injustifiées du fait que, dans la plupart des cas, aucune protection semblable n'existe aux États-Unis.

Rappelons quelques-unes de ces protections: tarif douanier sur les enregistrements, aucun tarif américain; les entreprises de radio et de télédiffusion doivent être contrôlées par les intérêts canadiens; minimum de contenu canadien à la radio et à la télévision; minimum de musique vocale en français aux postes francophones; publicité émise d'éditeurs et de diffuseurs étrangers non déductible d'impôt; priorité aux postes canadiens dans la câblodistribution. Rappelons également les sommes importantes consacrées tant par le fédéral que par le gouvernement du Québec pour promouvoir la production culturelle canadienne par des instruments tels Radio-Canada, Radio-Québec, Téléfilm Canada, les subventions à l'édition et d'autres. Ces investissements en culture québécoise seraient interdits par une entente de libre-échange.

En ce qui concerne les services, notre plus récente étude, complétée ce mois-ci, porte sur les industries de services, industries dans lesquelles travaillent plus de 70 % de la main-d'oeuvre québécoise. Plusieurs activités de ce secteur ne sont pas directement visées par le commerce international, ce qui n'empêche pas qu'elles pourraient être éventuellement affectées par les suites d'un traité de libre-échange. C'est le cas, par exemple, de services publics, comme la santé, qui sentiraient les effets d'une modification éventuelle de nos programmes sociaux. Mis à part ces impacts plus indirects, nous évaluons à 400 000 le nombre d'emplois qui risqueraient d'être directement touchés par le libre-échange.

Les secteurs les plus touchés sont ceux qui sont le plus tournés vers le commerce extérieur, c'est-à-dire les industries financières, le transport, les communications et les services aux entrepries. Le Canada accuse déjà un déficit, 2 400 000 000 $ en 1986, au chapitre du commerce des services avec les États-Unis. Selon nos analyses, ce déficit pourrait s'accroître si le libre-échange de services était instauré entre le Canada et les États-Unis; il se traduirait par des pertes d'emplois importantes, ainsi que par des modifications dans la qualité des services.

Au Canada, le développement de plusieurs services a été, en bonne partie, induit par l'existence d'une réglementation stricte, soucieuse du développement régional. Le libre-échange dans ces secteurs se traduirait inévitablement par la déréglementation déjà bien engagée au sud de la frontière et dont les conséquences inévitables seraient: la fusion et la prise de contrôle des entreprises, les réductions de service, la baisse d'emplois et des conditions de travail, la baisse temporaire des tarifs immédiatement après la déréglementation suivie d'une hausse de tarifs découlant de la concentration des entreprises.

Le libre-échange par le biais de la déréglementation se traduirait par la disparition d'un principe important dans la tarification des services de transport et de télécommunications au Canada; celui des subventions croisées. Ce principe a permis au Canada, malgré sa grande étendue, d'établir et d'exploiter des réseaux de transport en régions de même qu'un service de téléphone de base relativement peu coûteux. Le libre-échange et l'entrée des transporteurs américains amèneraient une forte concurrence et un écrémage du marché pour les circuits achalandés et une dégradation, voire un abandon, des services aux centres les moins rentables. On évalue à plusieurs milliers les pertes d'emplois dans les transports au Québec advenant le libre-échange.

Il n'y a pas de doute que le démantèlement des entreprises d'État, Air Canada, CN, est une donnée du rajustement au libre-échange.

Dans les télécommunications, la concurrence se ferait au niveau des appels interurbains: on pourrait s'attendre en effet à ce qu'une partie des appels interurbains canadiens soit transmise par des réseaux américains. Les profits réalisés sur les appels interurbains ne pourront plus servir à réduire les coûts des services de base comme c'est le cas actuellement. En plus d'une perte d'emplois et une augmentation du prix du service téléphonique de base, il y aurait également une perte de contrôle canadien sur cette industrie.

En ce qui concerne les services aux entreprises, le Canada accuse un déficit de l'ordre du milliard de dollars envers les États-Unis au niveau des services de gestion, de recherche et de développement. Ce déficit s'explique en bonne partie par la forte propriété américaine de nos industries primaires et secondaires. Puisque le gouvernement fédéral a déjà aboli l'Agence d'examen des investissements étrangers et qu'il pourrait abandonner tout contrôle des investissements, il est fort peu probable que l'on connaisse un renversement de ce déséquilibre. II y a cependant le danger que le libre-échange amène un drainage encore plus fort de contrats de recherche vers les États-Unis. Nombre de ces activités ne sont réalisées au Canada qu'à cause des exigences associées aux programmes de subvention à la recherche et à la réglementation.

On pourrait penser que te libre-échange favorisera l'industrie du génie-conseil, seul secteur qui connaît un surplus commercial, secteur de surcroît largement concentré à Montréal. Il est cependant important de souligner que 80 % des recettes étrangères de cette industrie provient du tiers-monde, de projets subventionnés soit par l'ACDI, soit par le biais de taux de financement préférentiel ou encore de garanties de prêts

par les gouvernements.

Le marché canadien est larqement réservé à l'industrie canadienne à cause des exigences posées par les gouvernements fédéral et provinciaux. Cela pourrait ne plus être le cas après un traité de libre-échange.

Même si l'accord ne contenait qu'une entente de principe sur le libre-échange dans les services stipulant les modalités à respecter dans une négociation secteur par secteur, à l'instar de l'accord Israël-États-Unis conclu en 1985, cet accord forcerait tout de même le Canada à des concessions importantes lors des négociations sectorielles. Il se peut que l'accord Canada-États-Unis aille beaucoup plus loin cependant puisqu'il est très clair que les Américains veulent démontrer' au reste du monde, par le biais d'une entente avec le Canada, jusqu'où pourrait aller les négociations du GATT. On sait que l'ouverture du secteur des services est la grande priorité américaine.

Chapitre des programmes sociaux. Le premier ministre, M. Mulroney, a déclaré que les programmes sociaux canadiens ne seraient pas négociés lors des discussions sur le libre-échange. L'assurance du premier ministre canadien ne constitue pas de garantie pour que nos programmes sociaux soient protégés de l'impact du libre-échange. Déjà, en 1985, la commission Macdonald prédisait que le libre-échange entre les deux pays amènerait une harmonisation des programmes sociaux avec le programme américain puisque l'intégration plus poussée de l'économie canadienne avec celle des États-Unis exercerait une pression économique tant sur nos politiques sociales que sur la fiscalité qui les soutient. La commission Macdonald qui a encouragé le gouvernement à éliminer l'universalité des programmes sociaux et à sabrer dans ces mêmes programmes voyait cela d'un bon oeil. Nous croyons que davantage de Québécois et de Canadiens questionneraient le penchant libre-échangiste de notre gouvernement s'ils comprenaient, comme la commission Macdonald, les répercussions sur nos politiques sociales.

Une étude que la coalition a publié en décembre 1986 a fait état du fossé immense qui sépare les régimes sociaux canadiens et américains tant au niveau de l'assurance-chômage et la sécurité du revenu pour les personnes âgées que de l'assurance-maladie. À l'opposé des régimes universels existants au Québec, les États-Unis offrent des régimes beaucoup plus limités et plus sélectifs. Même si nos programmes sociaux n'étaient pas visés dans l'actuelle ronde de négociations sur le libre-échange, il est plus que probable que certains d'entre eux seraient remis en cause par le biais d'un éventuel mécanisme de règlement des litiges.

Le négociateur américain, M. Murphy, a déjà soutenu que certains de nos programmes sociaux constituaient des barrières au commerce. Déjà le fait que le régime d'assurance-chômage canadien soit plus généreux envers les pêcheurs et d'autres travailleurs saisonniers a été évoqué par certains porte-parole américains comme étant une subvention indirecte de la part d'Ottawa à ces industries. (15 h 45)

Qui sait si le régime public d'assurance-maladie au Québec, partiellement financé par les impôts généraux, ne serait pas un jour qualifié de subvention déguisée par les entreprises américaines qui doivent assumer de très coûteux frais d'assurance privée pour leurs salariés? Ou encore si nos régimes publics de santé ou d'assurance auto ne seraient pas contestés parce qu'ils constituent une concurrence que l'on pourrait qualifier d'indue à l'établissement de sociétés américaines dans ces mêmes secteurs.

La plus grande pression à la baisse sur notre régime de sécurité sociale ne sera pas le fait des Américains d'abord, mais surtout des entreprises du Québec pour qui le libre-échange est un argument de poids pour réclamer une fois de plus la réduction des coûts sociaux supportés par les entreprises. Leurs cibles premières, toujours les mêmes -c'est à prévoir - la santé et la sécurité au travail, l'assurance chômage, les coûts généraux de soutien des revenus.

M. Proulx (Jacques): Les politiques économiques. Une étude publiée par la coalition en juin a démontré que le libre-échange aurait pour effet non seulement de bouleverser, mais de faire disparaître la majorité des politiques canadiennes et québécoises concernant le développement économique national et régional. L'analyse volumineuse, que la coalition a mis en lumière, a démontré que nos voisins du Sud se sont toujours farouchenement opposés è l'intervention de l'État dans la planification du développement économique, alors qu'au Canada, l'application de programmes d'aide gouvernementale ciblés sectoriellement et géographiquement fait partie de l'essence même de la fédération canadienne. Ces programmes qui ont permis un certain équilibrage dans la croissance entre les régions ne seraient plus applicables sous un code de subvention adopté lors d'un traité de libre-échange.

Le contrôle de la propriété étrangère et des investissements par le biais de limites d'acquisition d'actifs canadiens, d'exigences de retombées locales ou d'ententes de production devraient être abandonné à cause de son incompatibilité avec l'ouverture commerciale des marchés.

La réglementation sur les banques, les compagnies d'assurances, les industries de communications ou les produits culturels pourrait être sérieusement modifiée dans le sens d'une plus grande liberté d'action des

entreprises américaines sur notre société. Cela constitue autant d'outils de développement économique et d'autonomie politique auxquels Ottawa devrait renoncer.

Il est important de souligner que les programmes provinciaux dans Ies domaines du développement économique et de la gestion des ressources naturelles seraient particulièrement visés par une entente de libre-échange. Ces programmes qui n'ont pas de pendant en ce qui concerne les États américains seraient considérés comme des exemples de concurrence déloyale sous un régime de libre-échange.

Le libre-échange se traduirait donc pour le Québec par un affaiblissement inacceptable, à nos yeux, de son pouvoir d'intervention en matière de développement économique, entre autres, celui d'orienter une plus forte transformation des matières premières et de dévier vers la promotion industrielle nos ressources hydroélectriques.

Ces concessions politiques sont d'ailleurs reconnues par M. Pierre MacDonald, ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique. Dans un document déposé à l'Assemblée nationale et intitulé La libéralisation des échanges avec les États-Unis: une perspective québécoise, il avoue candidement que les Américains négocient la fin de l'intervention gouvernementale dans les mécanismes de marché, notamment, les programmes d'aide à l'entreprise.

Il ne fait aucun doute, cependant, que plusieurs programmes d'aide gouvernementale, particulièrement ceux qui sont très ciblés sectoriellement ou géographiquement, pourraient être modifiés pour s'adapter au nouveau code de conduite que le Canada et les États-Unis pourraient conclure.

Plus récemment, dans une entrevue au journal Le Devoir, plus exactement le 10 septembre 1987, le ministre expliquait qu'il faudrait, au plus tôt, soumettre aux négociateurs américains nos projets de programmes d'adaptation de la main-d'oeuvre et des industries pour obtenir l'autorisation de les appliquer. Même le protocole de l'adaptation industrielle doit donc être négocié. On se demande jusqu'où iront nos gouvernements dans l'abandon de leurs responsabilités économiques et sociales pour aménager le libre-échange.

Les dernières projections du Conseil économique du Canada ont été dévoilées par le premier ministre le 25 août dernier et il faut bien expliquer la signification de ses prévisions, puisqu'elles sont devenues un des premiers arguments des libre-échangistes. Ses projections font état de la création de 180 000 à 350 000 nouveaux emplois, selon le scénario que l'on choisit, d'ici 1995, si le libre-échange, tel que défini par le Conseil économique du Canada était instauré entre le Canada et les États-Unis.

Or, la définition restreinte que fait le CEC du libre-échange est de première importance puisque, comme on le verra, cela n'a pas grand-chose à voir avec les négociations commerciales actuelles en cours entre les deux pays. Le secteur des services n'est pas couvert par le libre-échange au terme de l'étude du conseil économique. Les subventions gouvernementales ne sont modifiées en aucune façon dans les simulations du libre-échange en dépit de l'abolition des» mesures protectionnistes américaines. Cependant, une évaluation détaillée révèle que, pour la moitié des industries étudiées, les subventions dépassent largement 0,5 % de la valeur ajoutée dont se servent les autorités américaines pour justifier des droits compensateurs.

Les barrières non tarifaires prises en compte dans l'étude se limitent aux quotas, à l'importation, aux droits spéciaux découlant de la loi commerciale, à l'évaluation en douanes et aux normes standards. L'étude ne tient pas compte des exigences de rendement ou de retombées locales sur les investissements, ni des contraintes à la propriété étrangère et è la mise en marché en territoire canadien.

La CEC n'octroie aucune valeur de protection à des ententes commerciales ou de production comme le pacte de l'auto. Dans son modèle, la valeur en équivalence tarif des BNT, dans l'industrie de l'automobile, est de 0 %. On ne sera pas surpris dès lors d'apprendre que les BNT seraient moins importants au Canada qu'aux États-Unis et moins importants que les tarifs.

Plusieurs soumissions de "discussion paper" nous laissent perplexes. L'impact des filiales américaines sur l'éventuel flux d'investissements, les mécanismes de mise en marché, par exemple réseaux de distribution sur capacité de distribution aux États-Unis, ces exclusions sont déterminantes, puisqu'elles touchent, à notre avis, les principaux litiges dans les négociations sur le libre-échange. La Commission Macdonald s'était d'ailleurs amplement prononcée sur le sujet. Elle avait averti que l'industrie des services serait au premier plan des discussions commerciales entre le Canada et les États-Unis, ces derniers ayant une brèche à faire à ce chapitre avec le Canada avant d'entamer l'Uruguay round du GATT.

Il est surtout probable que les États-Unis aient avantage à gagner que le Canada d'une réduction réciproque des barrières concernant l'échange des services. Et encore que les entreprises étrangères qui produisent déjà aux États-Unis risqueraient de fermer leur usine au Canada, probablement plus petite que leur usine américaine.

Certaines conclusions du conseil contribueront à dégonfler le mythe des bénéfices à tirer de l'ouverture du grand

marché du Sud prôné par les partisans du libre-échange. En même temps que les bienfaits promis sur la croissance économique, le libre-échange entraînerait une détérioration de la balance commerciale et de notre dépendance de l'investissement étranger de pair avec un redressement du dollar canadien face à la devise américaine.

Le Conseil économique du Canada confirme les appréhensions que nous avons depuis le début des discussions sur le sujet. La création d'emplois dans la fabrication serait minime. Selon le conseil économique, l'accroissement de la taille des industries ne serait que de l'ordre de 1 %. Ce niveau d'emplois se retrouverait à plus de 80 % dans les secteurs des services exclus incidemment du libre-échange, tel qu'étudié par l'organisme fédéral.

Le pari du conseil économique, c'est que la combinaison de la baisse des prix et de la réorganisation industrielle créerait un effet de consommation stimulant la croissance. Le conseil estime qu'à la suite du libre-échange les salaires baisseront de 3 %, alors que les prix à la consommation diminueront de 6 %. Le résultat net en serait un surplus de pouvoir d'achat de 3 % qui stimulerait l'emploi, surtout dans le commerce de détail et de restauration. Les hypothèses de travail du conseil sont fragiles et celui-ci n'a pas choisi de nous en présenter les variantes sous forme de scénario alternatif.

L'abolition des tarifs et des barrières non tarifaires serait entièrement transférée au consommateur et au producteur par le biais de prix réduits. Nous en doutons. Il est rare en effet qu'une réduction de taxe bénéficie entièrement au consommateur, et je pense qu'on en a de multiples exemples au cours des dernières années. En modifiant même un peu cette hypothèse extrême, on réduit d'autant l'effet sur les prix. La baisse de prix pourrait être bien inférieure et possiblement temporaire, le temps que les concurrents ne s'emparent du marché. L'ampleur des gains de productivité, retenue par le conseil, est en fait de moitié de ce que ses modèles économétriques prédisaient puisque ses données datent de 1979. Le conseil suppose que la moitié des gains mesurés a déjà été réalisée par les entreprises. C'est inquiétant, parce que l'efficacité accrue redevable au libre-échange, particulièrement à cause des économies d'échelle et de réduction de coûts, s'accompagne d'une baisse très importante des salaires. S'il fallait que la pression sur les salaires soit plus grande que celle retenue par le conseil, le caractère des résultats pourrait bien s'en trouver renversé du côté d'une détérioration du pouvoir d'achat. C'est une éventualité prévisible en tenant compte du fait que la production manufacturière canadienne s'est détériorée par rapport aux États-Unis depuis 1980, l'écart étant passé de 18 % à 26 % de 1980 à 1986. Dans un tel cas, tous les Canadiens et Canadiennes souffriraient des désavantages économiques appréciables d'un accord de libre-échange.

Notre évaluation des débats publics, des opinions de nos membres et des études disponibles quant à l'impact du libre-échange nous amènent à la conclusion que nous avons beaucoup plus à perdre qu'à gagner d'un tel projet. De façon générale, les tarifs douaniers canadiens sont beaucoup plus importants que les tarifs américains. Le Canada applique un tarif moyen de 11,2 % sur les produits qu'il importe des États-Unis, alors que ces derniers appliquent un tarif moyen de 6,5 % sur les produits qu'ils importent du Canada.

Lorsque les tarifs auront été éliminés, ce que le Canada perd en protection de ses industries sera donc beaucoup plus important que ce qu'il obtiendra en accès amélioré au marché américain. Le contrôle de la mise en marché des produits de l'agriculture qui permet d'assurer un revenu décent à la ferme familiale du Québec serait remis en cause autant par le libre-échange que par la pression des entreprises de transformation de produits alimentaires. Un code de subvention ou autre disposition d'un accord de libre-échange qui limiterait la capacité de l'État à soutenir le développement économique ou la liberté de manoeuvre de nos sociétés d'État stratégiques touchera beaucoup plus le Canada que les États-Unis et ce, parce que les subventions, surtout pour le développement régional, jouent un rôle beaucoup plus important au Canada - 2,1 % du produit national brut en 1982 comparativement aux États-Unis qui est 0,5 % du produit national brut. Les sociétés d'État stratégiques constituent une concurrence déloyale pour les Américains. L'État appuie la production culturelle de façon importante au Canada; cela n'a pas sa contrepartie aux États-Unis. Toute limitation de la capacité de l'État à appuyer les industries culturelles ne nuirait qu'au Canada.

L'ensemble du secteur des services qui accusent déjà un déficit commercial important avec les États-Unis risque de voir augmenter son déficit si les Américains réussissent à étendre l'accord de libre-échange au secteur des services. Les changements de réqlementations qui s'ensuivraient équivalent à abandonner l'industrie aux investisseurs américains. Les provinces canadiennes verront leur autonomie diminuer avec le libre-échange puisque ce projet limitera les pouvoirs des provinces dans le domaine, comme l'agriculture, la vente de boissons alcooliques et le soutien au développement économique.

L'un des objectifs majeurs des Américains dans les présentes négociations,

c'est celui de mettre en veilleuse tout contrôle sur la propriété américaine d'intérêts économiques canadiens. Encore une fois, il s'agît d'un domaine où le Canada serait obligé de céder beaucoup plus que les États-Unis où la propriété étrangère est moins importante. Le libre-échange se traduirait inévitablement par une modification de la politique étrangère et de la politique en matière d'aide au développement international du Canada qui aurait tendance à suivre de plus près l'exemple américain. Une telle éventualité a d'ailleurs été soulevée par la commission Macdonald qui, pourtant, était très favorable au libre-échange.

Le gouvernement fédéral n'a jamais reçu de mandat du peuple canadien pour entamer ces négociations. Avant sa prise de pouvoir, la dernière déclaration du premier ministre sur le libre-échange remontait à mai 1983. II avait annoncé à ce moment-là son opposition au libre-échange, puisque cela constituait une menace à la souveraineté économique et politique du Canada. La campagne électorale de 1984 aurait fourni une excellente occasion à M. Mulroney d'expliquer sa conversion à la cause libre-échangiste et de définir aussi ses objectifs, mais il n'a pas jugé à propos d'en faire un thème électoral. (16 heures)

Le discours actuel du fédéral en faveur du libre-échange demeure centré sur deux thèmes: d'une part, tout en reconnaissant que le Canada possède déjà un accès important au marché américain, les trois quarts de nos exportations vont aux États-Unis, et que les échanges sont à notre avantage - d'ailleurs, depuis cinq ans, le Canada a un surplus commercial de plus de 10 000 000 000 $ avec les États-Unis - le gouvernement évoque la menace protectionniste au sud de la frontière. Par le biais d'une entente de libre-échange, le Canada doit se mettre à l'abri et en obtenant un accès garanti au marché américain. À la suite de l'échec des négociateurs canadiens à obtenir un accès garanti, notamment une exception aux lois protectionnistes américaines, le Canada se contenterait maintenant d'un mécanisme de règlement des litiges.

L'autre argument invoqué par le gouvernement Mulroney est celui de la croissance économique qui s'appuie sur des projections économiques cuisinées par le Conseil économique du Canada. On soutient que l'élimination des barrières protectionnistes forcera l'économie canadienne à plus d'efficacité entraînant une croissance du produit national brut et de l'emploi.

M. Laberge (Louis): Les consultations et analyses effectuées par la coalition depuis un an nous ont fait réaliser que le Québec risque plus que toute autre région canadienne de devenir le grand perdant d'une éventuelle entente de libre-échange. C'est une affirmation qui est certainement contraire à ce qu'affirmait - certains le qualifient de spécialiste en la matière - ici, ce matin... Depuis dix ans, le Québec a consacré d'importants efforts, plus que dans les autres provinces, à la diversification de sa production agricole et à l'auto-approvisionnement. Un traité de libre-échange pourrait remettre en cause l'importance du soutien gouvernemental au chapitre de la production de fruits et légumes. Il ne faut pas non plus oublier l'importance de la production laitière québécoise, 40 % de la production canadienne, une industrie qui serait bouleversée si on libéralisait le marché de lait entre les deux pays.

Toutes les industries manufacturières identifiées par les différentes études, y compris les nôtres, comme des industries perdantes advenant un traité de libre-échange, ont d'importantes concentrations de l'emploi au Québec: le textile, 43 % des emplois canadiens sont au Québec; le vêtement, 56 %; la chaussure, 43 %; le meuble, 34 %; les produits électriques, 25 %; les aliments et les boissons, 24 %.

Avec les provinces de l'Atlantique, le Québec a bénéficié largement des politiques de développement régional au Canada. Dans la mesure où le libre-échange limite la capacité de l'État à poursuivre ses programmes de subventions, il est évident que l'économie québécoise en sentirait beaucoup plus les répercussions que les provinces qui ont moins bénéficié de ces octrois.

Plus que dans toute autre province, le gouvernement québécois a joué un rôle primordial dans la promotion du développement économique, notamment par le biais des sociétés d'État stratégiques. Un traité qui limiterait la marge de manoeuvre de ces sociétés pour raison de concurrence déloyale aurait pour effet de handicaper un instrument de promotion économique indéniable pour le Québec depuis 25 ans.

Qui dit, par exemple, que des initiatives comme l'épargne-actions ne seraient pas éventuellement la cible des Américains? Dans le domaine social, le secteur public québécois est à l'avant-garde de toutes les provinces. Si on ne pense qu'à notre système de santé étatisé ou à l'assurance-auto pour dommages corporels, comme nous l'avons déjà expliqué, ces programmes pourraient être contestés parce qu'ils créent des obstacles à l'entrée des sociétés américaines privées dans ces domaines.

Plus que dans toute autre province et ce en raison de la spécificité linguistique et culturelle du Québec, le gouvernement soutient des productions culturelles à un

degré qui pourrait être remis en question comme un soutien discriminatoire de l'État aux producteurs canadiens.

Qui sait si, éventuellement, les exigences linguistiques spécifiques du Québec en matière d'étiquetage de produits vendus ici ne seront pas éventuellement contestés par des entreprises américaines parce que constituant une barrière protectionniste?

Le mandat des négociateurs américains n'a jamais inclus la possibilité de permettre au Canada de se faire exempter des lois commerciales américaines, peu importe les concessions obtenues. Cette réalité était déjà évidente en septembre 1985, à la signature de l'accord du libre-échange Israël-États-Unis dans lequel ces derniers se réservent explicitement le droit de recourir aux droits de douane compensateurs ou autres mesures protectionnistes spéciales. Il s'agit, en effet, de pouvoirs jalousement gardés par le Congrès américain et auxquels aucun président n'a pu toucher. Cela a été vrai même pour un allié aussi fidèle qu'Israël dont les exportations ont d'ailleurs fait l'objet de mesures protectionnistes importantes depuis la signature de l'entente du libre-échange. La revendication canadienne d'un accès garanti au marché américain était donc dès le départ illusoire et inatteignable. Le gouvernement Mulroney s'est rendu à l'évidence depuis le début de 1987 de sorte qu'il propose maintenant l'établissement d'un mécanisme bilatéral obligatoire d'un règlement de litiges à la place d'une exemption aux lois commerciales américaines.

Malheureusement pour le gouvernement Mulroney, cette revendication apparaît tout autant inatteignable. Ce mécanisme proposé par le gouvernement canadien donnerait à un organisme non élu, constitué de représentants américains et canadiens, un droit de veto sur la politique sociale économique du Canada et de ses provinces. Il pourrait passer au crible toute intervention gouvernementale ayant des répercussions économiques et statuer sur le fait qu'elle constitue un obstacle au commerce ou une subvention déguisée pour tel ou tel secteur et ensuite, ordonner une modification.

Déjà, au printemps dernier, le président Reagan a officiellement informé le premier ministre que sa proposition était inacceptable et a proposé en échange un mécanisme volontaire auquel les deux pays pourraient, sur entente, soumettre certains litiges. Les négociateurs américains semblent maintenant avoir adopté la proposition de la Chambre de commerce des Etats-Unis, à l'effet d'établir un mécanisme d'arbitrage auquel tous les litiges commerciaux canado-américains seraient soumis mais dont les décisions n'auraient qu'un pouvoir de recommandation "non-binding". Il ne s'agirait donc que d'un mécanisme purement consultatif.

Si le mécanisme n'avait que des pouvoirs de recommandations, il est évident qu'Ottawa pourrait être forcé de se plier aux décisions rendues tout comme il s'est plié volontairement à la volonté américaine dans le cas du bois d'oeuvre. Il est également évident que tout groupe économique américain qui penserait pouvoir obtenir mieux en ayant recours aux mécanismes nationaux -International Trade Commission - passerait outre les recommandations du tribunal bilatéral.

Il semble maintenant que le gouvernement fédéral soit prêt à payer le prix mais à ne recevoir en échange qu'un mécanisme de règlement de litiges n'offrant au Canada aucun abri face aux futures mesures protectionnistes. Que ce mécanisme ait des pouvoirs décisionnels ou seulement consultatifs, nous n'y voyons aucun intérêt pour le Canada.

En juillet dernier, le premier ministre Bourassa a évoqué quatre conditions pour l'adhésion du Québec à un accord de libre-échange avec les États-Unis. Un mécanisme de règlement de litiges, la liberté pour le Québec d'exporter son électricité aux États-Unis, l'exclusion de l'agriculture et l'exclusion de la culture.

Nous croyons que même si ces conditions étaient satisfaites, cela ne protégerait pas le Québec de la plupart des conséquences négatives d'un accord de libre-échanqe. Si le gouvernement admet, en demandant l'exclusion de la culture et de l'agriculture, que le libre-échange aurait un impact négatif sur ces deux secteurs, nous comprenons mal pourquoi il n'exige pas l'exclusion de tous les autres secteurs qui subiraient un impact négatif.

Les conditions que pose le gouvernement québécois ne protégeront pas le Québec contre les fermetures et les pertes d'emplois dans de nombreux secteurs industriels québécois. Elles ne permettront pas au Québec de sauvegarder son autonomie en matière de développement économique, que ce soit les programmes d'aide au développement régional ou industriel ou la liberté d'action des sociétés d'État. Ces conditions n'assureront pas la protection des programmes sociaux québécois. Elles ne protégeront pas non plus la société contre les attaques éventuelles à la spécificité linguistique du Québec.

Il est déplorable que le gouvernement n'ait pas retenu la création nette d'emplois pour tout secteur soumis au libre-échange comme critère de son endossement d'un accord éventuel. Nous avons déjà traité des dangers et insuffisances d'un mécanisme bilatéral de règlement de litiges. Quant à la condition québécoise à l'effet d'obtenir la liberté d'exporter de l'électricité aux États-Unis, nous y voyons surtout une tentative du premier ministre de tenter de régler ces différends avec l'Office national de l'énergie

du Canada. Nous trouverions inacceptable que le premier ministre accepte de troquer son appui au projet libre-échangiste du gouvernement fédéral en échange d'une permission d'exporter de l'électricité québécoise en Nouvelle-Angleterre.

Même en considérant les quelques conditions que le premier ministre québécois a énoncées en juillet, l'impression publique que laisse M. Bourassa sur le dossier du libre-échange en est une d'un endossement enthousiaste et inconditionnel du projet fédérai. Cette attitude contraste avec celle du gouvernement ontarien qui a su, depuis plusieurs mois, exprimer avec beaucoup d'insistance, son opposition à tout accord qui toucherait à plusieurs domaines chers à sa province. Pour cette raison, nous craignons qu'un accord éventuel tienne compte davantage des préoccupations ontariennes et maintienne, par exemple, des protections pour l'industrie de l'automobile dont bénéficie, dans une moindre mesure, le Québec bien entendu, mais laisse tomber les industries traditionnelles davantage concentrées au Québec.

Encore ce matin, cet expert nous disait qu'en Ontario, ils étaient moins préoccupés que le Québec puisqu'ils avaient déjà le libre-échange avec le pacte de l'automobile, qualifiant ce pacte de mesure libre-échangiste comparable à ce qui est en train de se négocier; c'est tout simplement de la pure démagogie. Il n'y a absolument aucune comparaison. Regardez toutes les contraintes du pacte de l'automobile sur le contenu canadien,, etc., et demandez-vous pourquoi le gouvernement américain veut renégocier le pacte de l'automobile. C'est parce que le gouvernement américain sait fort bien que dans cette négociation de libre-échange, si le pacte de l'automobile y passait, il serait bien moins contraint qu'il ne l'est présentement avec cedit pacte. Encore une fois, toute comparaison entre le pacte de l'automobile et un accord éventuel de libre-échange entre le Canada et les États-Unis est absolument de la fiction.

Il est très clair, selon l'analyse que nous venons de vous exposer, que le Canada et particulièrement le Québec ont beaucoup plus à perdre qu'à gagner d'une entente de libre-échange global avec les États-Unis, d'autant plus qu'il est évident que ce traité n'accordera aucun accès garanti au marché américain. Pour ces raisons, nous demandons au gouvernement québécois de se prononcer contre le projet de libre-échange avec les États-Unis.

Nous avons démontré qu'un traité de libre-échange canado-américain représentera nécessairement une ingérence dans les juridictions du gouvernement québécois, que ce soit au chapitre de la réglementation du commerce de certains produits, de la liberté d'action des sociétés d'État ou des programmes d'aide à l'industrie. Ainsi, nous croyons que le gouvernement québécois devrait réclamer et exercer un droit de véto à l'égard de toute entente de libre-échange.

Nous croyons que le gouvernement canadien, plutôt que de se leurrer et de penser pouvoir se mettre à l'abri du protectionnisme américain en négociant une entente de libre-échange, aurait intérêt à adopter une position plus ferme et pragmatique en se servant notamment au maximum des protections offertes par le GATT. Le Québec devrait également appuyer auprès du gouvernement canadien un renforcement des mécanismes du GATT.

Dans ce sens, le Québec devrait favoriser une libéralisation multilatérale des échanges et une amélioration des règles de commerce dans le cadre du GATT plutôt qu'un accroissement de notre dépendance envers les États-Unis.

Le gouvernement québécois ferait une grave erreur en imitant le comportement du gouvernement Mulroney en matière de développement économique. Depuis qu'il est élu, celui-ci semble n'avoir qu'un seul et unique objectif dans sa stratéqie économique: celui de négocier une entente de libre-échanqe avec les États-unis. Plutôt que d'adopter la perspective étroite du gouvernement fédéral, le gouvernement québécois devrait faire du plein emploi son grand objectif en matière de développement économique.

En prévision d'une libéralisation multilatérale dans le cadre du GATT et en conformité avec une politique de plein emploi, le gouvernement québécois devrait mettre en place une stratégie de développement économique pour renforcer notre structure industrielle et améliorer notre productivité en vue de cette ouverture des frontières au niveau international.

Dans ce contexte, le gouvernement du Québec devrait cesser de vouloir démanteler ou se départir de sociétés d'État stratégiques, instruments majeurs de développement et de démocratisation de l'économie pouvant contribuer à une telle stratéqie.

Nous déplorons qu'en ce qui concerne le dossier du libre-échange, le gouvernement québécois, tout comme le gouvernement fédéra! d'ailleurs, ait agi en cachette plutôt que de faire preuve de transparence. Pour favoriser un débat public éclairé, nous demandons au gouvernement québécois de rendre publiques toutes les études qu'il a pu entreprendre sur cette question et qu'il exige du gouvernement fédéral qu'il fasse de même. Il est évident que la conclusion du débat public sur le libre-échange ne pourra avoir lieu avant que le contenu du projet d'entente ne soit dévoilé. Ainsi, nous demandons au gouvernement québécois de tenir de nouvelles audiences en commission

parlementaire sur la base du contenu de tout projet d'entente de libre-échange qui aurait été conclu entre les gouvernements canadien et américain.

La Coalition québécoise d'opposition au libre-échange s'est jointe à d'autres organismes québécois et canadiens pour rappeler au gouvernement fédéral qu'il n'a jamais reçu de mandat de l'électorat canadien pour négocier le libre-échange avec les États-Unis. Nous demandons au gouvernement québécois d'aider à corriger cette lacune en adoptant la démarche suivante: demander au gouvernement canadien d'informer la population sur le contenu réel de la négociation pour qu'un véritable débat public puisse se faire et qu'il ne signe aucune entente avant d'avoir obtenu le mandat clair à la suite de la tenue d'une élection générale.

M. le Président, Mmes et MM. les membres de la commission, nous vous remercions de votre temps. Nous sommes maintenant à votre entière disposition pour répondre aux questions que vous pourriez vouloir nous poser.

Le Président (M. Charbonneau):

Messieurs, comme vous le savez nous avons pris plus de temps, d'une part. D'autre part, les membres de la commission n'ont pas eu beaucoup de temps pour le lunch. Certains m'ont demandé une pause-santé de deux minutes pour aiguiser leurs couteaux avant la deuxième partie de la présentation.

(Suspension de la séance à 16 h 18)

(Reprise à 16 h 25)

Le Président (M. Charbonneau): Je n'aperçois plus nos invités.

Une voix: Ha! Ha! Ha!

Le Président (M. Charbonneau): Ah! II y a M. Proulx. Il y en a un qui va tenir le fort pendant que les autres vont arriver à la rescousse, si je comprends bien.

Une voix: ...

Le Président (M. Charbonneau): Ha! Ha!

Ha!

Une voix: ...

Le Président (M. Charbonneau): Oui, c'est cela. Peut-être que les membres de la commission ont le goût de reprendre certains autres arguments.

Une voix: ...

Le Président (M. Charbonneau): Ha! Ha!

Ha! Avoir su, j'aurais laissé la parole encore à notre animateur. J'ai l'impression que je vais être obligé de faire l'animateur pour expliquer un peu comment nos travaux fonctionnent.

Je peux lui recéder l'antenne quelques instants. J'ai l'impression de retourner à mon ancien métier de journaliste.

Une voix: Cela semble vous faire plaisir, M. le Président.

(Suspension de la séance à 16 h 26)

(Reprise à 16 h 30)

Le Président {M. Charbonneau): Alors si je comprends bien, je reprends la rondelle. Les membres de la commission pourraient presque être incités à penser qu'il y a une différence de conception dans le "break" syndical des dirigeants syndicaux et d'autres témoins. Cela dit, j'ai l'impression que tout le monde est prêt à aborder le reste de la discussion. Alors, sans plus tarder je vais laisser le ministre du Commerce extérieur ouvrir le bal.

M. MacDonald: Messieurs, merci de votre présentation. Essentiellement, je crois qu'on peut dire de nouveau qu'elle stipule votre perception d'une entente, je devrais dire au tout départ, d'une négociation en vue d'une entente de libéralisation des échanges, telle que vous l'aviez présentée au comité Warren et sur laquelle on nous avait fait rapport.

Je retrouve également essentiellement la position que M. Proulx a très bien élaborée, hier après-midi. Alors il n'y a pas de surprise, il n'y a pas d'élément nouveau sur ce plan-là. Cependant, je me permets aussi, et cela ne sera pas nouveau, de dire, comme je l'ai mentionné il y a plusieurs mois, et ce n'est pas ce que vous avez cité lorsque vous m'avez fait l'honneur de me citer dans votre mémoire, j'ai dit qu'effectivement nos positions se rapprochaient et, de beaucoup. J'irai même jusqu'à dire carrément que si je me basais sur les mêmes prémisses que vous, je serais également contre une négociation et, nécessairement contre une entente de libéralisation des échanges avec les États-Unis.

Vous semblez mettre de côté, ne pas vouloir tenir compte, soit sur la base d'une appréciation de la sincérité de ceux qui énoncent des conditions ou soit sur la base de notre capacité de tenir une position québécoise au sein de la réunion des provinces avec le gouvernement fédéral pour établir une position canadienne, vous semblez mettre de côté, totalement, et prendre comme prémisses, au départ, que les

conditions que nous avons posées n'existent pas, À ce moment-là, je le répète, j'aurais exactement la même position que vous. Si je reprends - et je me permets de le reprendre, je l'ai fait hier mais je pense que c'est essentiel - les éléments non négociables, dits du gouvernement canadien, éléments qui, s'ils n'avaient pas été présents dans cette élaboration de la position canadienne faite par les provinces avec le gouvernement fédéral, nous n'aurions pas adhérer à ce qu'on pourrait appeler l'équipe canadienne pour entreprendre une négociations des éléments du genre, la souveraineté politique canadienne et la souveraineté politique québécoise, les programmes sociaux que vous remettez complètement en doute quant à la déclaration que nous avons faite qu'il n'était pas question, tout au moins pour nous parce que je ne peux parler que pour la province de Québec, il n'a jamais été question pour mon premier ministre ou mes collègues ministres au gouvernement du Québec, de mettre en danger ou de chambarder ou de changer ces programmes sociaux qui nous ont pris du temps et des efforts à acquérir et se donner, comme société québécoise, avec un choix libre.

Vous mettez de côté la condition de la lutte contre les disparités régionales et vous prétendez, au départ, et vous mettez comme prémisses que le gouvernement abandonnerait, capitulerait totalement sur sa capacité d'intervenir en développement régional. Si tel est le cas, je n'en veux pas, moi, d'entente; et on l'a dit carrément.

M. Laberge: Merci.

M. MacDonald: Vous soulevez... Il y en a un qui commence à comprendre, on dira pourquoi tantôt...

Une voix: ...

M. MacDonald: ...et pourquoi pas? Vous dites essentiellement la même chose lorsque vous parlez du péril qui menacerait nos industries de la culture et la spécificité culturelle canadienne et québécoise. Je laisserai Mme Bacon, Mme la vice-première ministre, traiter de ce sujet-là plus longuement. Il n'en est pas question.

Finalement, en ce qui touche plus particulièrement le Québec, vous mettez en doute notre volonté de ne sacrifier absolument rien sur ce qui est la réalité du caractère linguistique particulier au Canada et particulièrement au Québec. Que les Américains veulent ou ne veulent pas, suggèrent ou ne suggèrent pas l'une ou l'autre des clauses, il n'en est pas question. Ce n'est pas négociable. Si cela avait été mis sur la table comme élément négociable, le Québec ne serait pas partie du comité Reisman et donc de l'équipe canadienne de négociation.

Je reviens aux quatre conditions de M. Bourassa que vous avez mentionnées. M. Bourassa soulignait effectivement quatre des conditions. On parle des conditions de l'appui du Québec à un accord de libre-échange qui étaient incluses dans la période de négociations; il y en avait sept et je vais me permettre de les énumérer. Vous avez insinué que nous perdrions des compétences législatives. Nous avons dit, comme condition première, qu'il faudrait retrouver dans cette entente le respect intégral des compétences législatives du Québec. En deuxième lieu -et, une fois de plus, je relève vos préoccupations en matière de programmes sociaux ou le domaine des communications que vous avez bien mentionné, la question de la langue et la question de la culture - on a dit, et je le répètes Le respect intégral de ces lois, programmes et politiques dans les domaines de la politique sociale, des communications, de la langue et de la culture. Cela ne peut être plus clair.

En troisième lieu, on a dits Le Québec veut maintenir sa marge de manoeuvre nécessaire pour atteindre les objectifs de modernisation et de développement de son économie dans toutes les régions. Il me semble que c'est du français et on se comprend là-dessus.

En quatrième lieu, on a dit carrément que, s'il devait y avoir une entente, s'il devait y avoir, à la suite de l'entente, une dislocation plus rapide d'un secteur quelconque ou un réajustement... il va y en avoir; et on n'a jamais caché, dans la proposition qui pourrait être faite, selon divers scénarios, qu'il pourrait y avoir des dislocations et qu'il y aurait des changements. Mais vous savez comme moi, et particulièrement vous, qui êtes à cette table, que, de toute façon, nous assistons, à l'heure actuelle et dans un rythme de progression géométrique, à une transformation des industries et des commerces amenée par des développements technologiques, économiques ou politiques qui font qu'au Canada, de toute façon, à tous les trois ans, presque tout le monde change de job, c'est-à-dire que la moyenne de la population canadienne qui change de job à tous les ans est de 30 %.

Cinquièmement, la mise en place d'un mécanisme de règlement des différends auxquels seront associées les provinces.

Sixièmement - et on a dialogué hier sur le sujet avec M. Proulx et ses collègues - le maintien d'un statut spécial, qu'on a défini très précisément hier, pour l'agriculture et les pêcheries.

En tout dernier lieu - et je crois que c'est extrêmement important parce que vous avez toujours cette incertitude quant à ce que sera l'entente finale soumise pour fins d'approbation, si entente il y a - on a dît:

Maintient son droit d'approuver ou non l'entente en fonction de l'évaluation ultime qu'il fera à la lumière de ses intérêts fondamentaux. Ce sont les prémisses de départ.

Si on ajoute à cela - et je crois que vous êtes d'accord avec le fait, les preuves sont tellement tangibles - qu'il existe un climat de protectionnisme aux États-Unis, comme on n'en a jamais vu auparavant, et c'est non seulement cette question de déficit de la balance commerciale, mais c'est également le fait que ce pays qui a dominé la scène mondiale sur le plan financier, qui était le prêteur du monde, est devenu débiteur et il se sent menacé presque sans exclusion dans sa vie économique.

Hier encore, était étudié à la Chambre un bill restrictif et protectionniste lequel, je l'espère, le président va renverser par son droit de véto, mais dirigé directement sur les textiles et la chaussure en particulier; il ne visait pas directement le Canada, mais, si jamais il était adopté, on se ferait poigner au passage. M. Parizeau nous disait que le chiffre qu'on a continuellement utilisé, celui qui s'était bâti au cours des dernières années autour du Congrès américain, généralement, il y avait toujours autour de 200 ou de 300 mesures protectionnistes sugqérées. Le chiffre actuel approche les 600. Donc, je pense que, tout au moins sur ce sujet, on n'aura pas de problème à dire qu'il y a du protectionnisme aux États-Unis et, pour reprendre une expression bien de chez nous, il y a des chances qui "ça s'empire avant que ça s'emmieute".

Si nous acceptons cela, la solution évidente qui nous est apparue, à mes collègues et à moi-même, et que nous avons suggérée au Conseil des ministres, c'est que le statu quo était inacceptable, que déjà 80 % de nos exportations aux États-Unis qui constituent 70 % de toutes nos exportations internationales passent en droit de franchise, que l'accroissement de ces marchés avait été spectaculaire, que les indications de tous les gens qui s'intéressent au sujet disaient que les États-Unis pouvaient représenter encore une possibilité d'ouverture de marchés sans quoi - ne rêvons-pas! - pour les travailleurs et les travailleuses du Québec, pour tout le monde au Canada, il n'y aura pas d'amélioration de notre train de vie et on aura de la difficulté à le maintenir si on ne peut pas réussir à exporter plus. Exporter plus ne veut pas dire seulement de nouveaux marchés, mais conserver ceux que nous avons.

Cela dit - je pourrais continuer, mais je ne le ferai pas - c'est cela qui nous a amenés, avec les barèmes, les balises que j'ai mentionnés à dire: Oui, nous sommes prêts à nous engager dans une négociation qui aurait comme but premier d'au moins garantir l'accès à ceux qui sont déjà là, de civiliser au moins nos rapports avec notre principal partenaire commercial et nous retrouver tout au moins encore avec une façon plus logique et civilisée de régler nos différends à la frontière.

Malheureusement, et peut-être que je simplifie trop, mais de nouveau, à la lecture de votre mémoire et à l'écoute ou à l'observation des remarques que vous avez faites auparavant et aujourd'hui, vous me semblez préconiser un statu quo. Si vous acceptez ma prémisse que "ça va s'empirer avant de s'emmieuter" et si je prends votre prémisse du statu quo, pourriez-vous, s'il vous plaît, nous dire de quelle façon vous envisagez le 6 octobre, advenant que tout tombe, qu'il n'y a rien, qu'il n'y a pas d'entente?

Le Président (M. Charbonneau): M. Proulx, voulez-vous répondre? (16 h 45)

M. Proulx: Je pense qu'on a tous quelque chose à dire. Peut-être est-ce parce que j'ai pris l'habitude de parler avec M. MacDonald, hier, que mes collègues me laissent la chance de prendre la parole. Il y a quelque chose qui me chicote énormément, M. le ministre. J'ai beaucoup de respect pour vous et vu le respect que j'ai pour vous, je pense que vous n'êtes pas naïf. Cela m'amène à poser une question qui me chicote depuis hier lorsque je vous entends dire - et vous l'avez répété plusieurs fois hier - que nos positions et vos positions sont pareilles, qu'on veut la même chose. Bah! Écoutez, je veux bien admettre que je suis lent à comprendre, mais là, c'est vrai que je ne comprends pas. Pour nous, c'est clair, on est contre. Je vais aller plus loin que ça. On n'a jamais dit qu'on était pour le statu quo. On a dit qu'on était contre la forme dans laquelle cela se déroule actuellement, la forme qu'on a voulu donner. C'est contre cela qu'on est. Nous, c'est clair et net, on est contre, on n'est pas pour le statu quo. Je ne pense pas que ce soit la position des législateurs et des membres de l'Assemblée nationale, ni même celle du gouvernement fédéral à l'heure actuelle. On peut faire des nuances, mais il n'y a pas tellement de législateurs qui sont contre comme on peut l'être. On est contre, c'est loin d'être pareil.

J'ajouterai aussi à une partie de votre intervention que les prémisses des hypothèses qui dictent notre opposition au libre-échange reposent sur des études qu'on a rendues publiques, des études que personne jusqu'à maintenant n'a contredites. Ils ne se sont peut-être pas donné la peine de les lire ou de les étudier, mais je ne connais personne qui a contredit nos études et on n'a pas eu peur de les rendre publiques. Ces études démontrent noir sur blanc qu'il y a très peu à gagner, contrairement... et je vous ai posé la question hier quand vous m'avez dit: II y

a beaucoup de gens qui sont venus et qui vont venir qui vont être pour. Je vous ai dit: Montrez-moi des études de ces gens-là, pas seulement des affirmations, des "peut-être" et des "il faut espérer"; des études, chiffrées et crédibles, comme quoi ce sera avantageux dans l'ensemble; montrez-moi les études qui nous démontrent que, dans la transition... Faisons l'hypothèse que ce soit vrai qu'il y aura des centaines de milliers d'emplois de créés, je suis bien prêt à le croire et je pense que mes collègues seraient des plus heureux. Cela ferait davantage de cotisations syndicales à aller chercher. Vous n'avez pas nié non plus qu'il y aura des pertes d'emplois. Qu'est-ce qui va arriver entre les pertes d'emplois et la création d'emplois? Qu'est-ce qui va arriver pendant que notre industrie va se transformer pour être concurrentielle? Il n'y a personne qui nous a dit cela. Le monde ordinaire, c'est cela qu'il veut savoir. C'est cela l'erreur monumentale dans cette négociation - d'ailleurs d'autres l'ont dit avant nous - l'erreur monumentale de vouloir nous vendre. On nous présente un très bel emballage, mais on ne nous dit pas du tout comment cela va nous exploser dans la face à un moment donné. On a beau ne pas être économiste ou autre, on se pose ces questions-là. Qu'est-ce qui va advenir de mon job? Dans mon secteur, qu'est-ce qui va advenir quand les Américains feront leur dumping? Vous l'admettez qu'il y a une surproduction mondiale à l'heure actuelle. Qu'est-ce qui va arriver? Comment vais-je réagir et comment vais-je supporter le dumping des produits agricoles? C'est de même dans tous les secteurs à l'heure actuelle. Je vous rappelle qu'hier soir, au Point, un autre - j'oublie son nom, un ancien conseiller du président américain - a été très clair. Il l'a dit que c'était une aberration de penser qu'un jour il y aurait un tribunal - il n'a même pas parlé d'un tribunal qui ne serait pas exécutoire, un tribunal qui jugerait - et que c'était hurluberlu aussi de penser qu'il ne faudrait pas modifier complètement nos différentes politiques d'aide tant régionale qu'à l'industrie, etc.

Je pense que vous allez comprendre pourquoi. En tout cas, cela va vous aider à comprendre pourquoi on est contre, surtout qu'on a un tas de questions qu'on se pose qui n'ont jamais eu une lueur de réponse.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Larose.

M. MacDonald: Je n'ai pas eu de réponse à la mienne non plus.

M. Proulx: Laquelle?

M. MacDonald: Qu'est-ce que vous suggérez comme remplacement de défense, non seulement de défense parce que l'offensive, c'est la meilleure forme de défense, vis-à-vis de cette montée protectionniste américaine, vis-à-vis de cette obligation que nous avons tous d'essayer de se protéger contre l'unilatéralisme américain?

M. Proulx: Deux choses. Hier, je vous l'ai dit, le respect attire le respect. Ce n'est pas quand on se met à plat ventre qu'on est respecté. J'ai donné des exemples du bois d'oeuvre. Le gouvernement canadien - ce n'est pas vous autres - s'est mis à plat ventre. Ils ne nous respecteront pas, parce que la prochaine fois, ils vont venir en chercher un autre petit bout. On pourrait donner d'autres exemples. L'avenir, même si, hier, vous avez dit que cela ne valait rien, je vous dis encore une fois que c'est dans le multilatéral. C'est s'ouvrir au monde. Vous le dites vous-mêmes continuellement. L'avenir, c'est le monde, mais le monde, ce n'est pas que les Américains. C'est là qu'est l'avenir. On n'a pas dit de laisser tomber le marché américain. Il y a 700 lois protectionnistes à l'heure actuelle devant le Sénat. Elles n'arrêteront pas demain matin d'être protectionnistes. Quand on va leur piler sur les pieds, ils vont réagir, ils vont continuer à réagir. Ils n'ont jamais rien respecté. Pourquoi, demain matin, parce que le Canada signerait une entente avec eux autres, respecteraient-ils quelque chose? Ils achèvent de détruire une de nos industries, les érablières, avec les pluies acides. Regardez tous les tours de passe-passe qu'on est obligé de faire et les pressions juste pour leur faire admettre qu'ils ont une responsabilité. Et vous pensez qu'ils vont respecter un accord? Cela n'a pas de sens. C'est de l'utopie. L'autre chose, les frontières, c'est ouvert pour les deux, M. MacDonald. Il n'y a pas que nous autres qui allons passer "free". Eux autres aussi vont passer "free", et ils en ont du stock à nous envoyer. Vous êtes d'accord avec cela?

M. MacDonald: Je suis obligé d'être d'accord. C'est que, premièrement, vous n'avez pas répondu à ma question et, ' deuxièmement, je suis content que vous mentionniez à nouveau le GATT parce que le GATT... Ce que j'ai dit hier et ce qui a été mal cité, c'est que particulièrement pour ce qui a trait à l'agriculture, en tant que ministère québécois, comme véhicule pour protéger les agriculteurs québécois et l'industrie agro-alimentaire, c'est la dernière place sur laquelle on peut se fier compte tenu de ce que j'ai mentionné, à savoir que sur le plan de l'agriculture, s'il y a un gâchis et un fiasco au GATT, c'est dans ce domaine-là.

Le Président (M. Charbonneau): On pourrait peut-être laisser la parole au collègue de M. Proulx.

M. Larose: Je pense qu'il faut peut-être lever un peu le palier pour savoir où on s'en va avec toute cette histoire. Si le problème principal est d'éviter les difficultés, ce n'est pas compliqué, abolissons toute la frontière et tombons un cinquante-et-unième État. Vous n'aurez pas à vous battre, le gouvernement n'aura pas à se battre et Ottawa non plus. Cela dépend de ce qu'on veut faire dans cette société. Ce qu'on dit, c'est que des choix ont été faits comme Québécois et comme Canadiens pour vivre socialement. On s'est donné une organisation sociale, on s'est donné des règles économiques, on a développé des relations bilatérales et multilatérales. On pense que notre dépendance envers les États-Unis est déjà pas mal grosse, et que si on pouvait dégager un espace pour conclure des échanges de façon multilatérale, on aura beau avoir l'appréciation qu'on veut du GATT, vous ne pourrez pas passer à côté de forums internationaux où ces règles vont se définir. S'il y a des coins pourris, il y a des remèdes à ces affaires; travaillons sur ces affaires; mais ce n'est pas vrai que vous nous ferez avaler que le projet américain d'intégration aux États-Unis, c'est ce qu'il y a de mieux pour les Québécois. Ce n'est pas vrai.

Quand on fera ce débat, et c'est justement ce débat qu'on veut faire depuis le début, on veut savoir comment cela va nous coûter. On veut le savoir dans le textile, on veut le savoir dans les mines, on veut le savoir dans la culture, on veut le savoir partout. On a fait cet exercice. Vous l'avez peut-être fait, mais je pense que vous êtes honteux de vos études. Vous n'avez jamais voulu les sortir. Vous, comme le fédéral. Sortez les chiffres et on va discuter. Si vous nous demandez de payer de notre job, on va discuter un peu. Si vous nous promettez d'augmenter nos jobs, ça nous intéresse, mais on ne sait pas ce que vous nous présentez.

Quand vous nous dites qu'une des conditions, c'est que le Québec ait le pouvoir d'approuver ou non; pour un politicien c'est très important de le dire, mais puis-je vous dire que personne ne vous croit? Ce n'est pas le Québec qui dira oui ou non. Vous n'êtes même pas à la table de négociation. Vous nous demandez d'avoir confiance. Nous aurons d'abord confiance en des gens qui sont mandatés et ceux qui sont à la table de négociation. Quand le Québec est "backbencher" là-dedans, qu'il est gérant d'estrade, on va peut-être demander de parler au vrai monde.

C'est pour ça que la proposition d'un contrat de libre-échange est un projet de société. Vous nous proposez de devenir un cinquante-et-unième État des États-Unis. Un point c'est tout. Ce n'est que ça. Nous ne sommes pas intéressés.

M. MacDonald: Eh! bien, il est évident qu'on ne s'est pas compris mais il est également aussi évident que vous n'avez pas encore répondu à ma question à savoir qu'est-ce qu'on fait sans entente?

Le Président (M. Charbonneau): Je veux éviter, par ailleurs, qu'on passe tout l'après-midi sur la même question. Â moins que M. Laberge ou M. Charbonneau vouliez ajouter quelque chose sur l'intervention du ministre, je vais céder la parole au critique de l'Opposition pour suivre la tradition qu'on a commencée depuis le début de nos travaux.

M. Charbonneau (Yvon): Je ne sais pas s'il y a un problème de langue ou de langage, mais quand on vous dit notre recommandation 3, c'est la réponse qu'on vous fait, M. le ministre. Nous croyons que le gouvernement canadien, plutôt que de penser se mettre à l'abri du protectionnisme américain en négociant une entente de libre-échange avec les États-Unis aurait intérêt à adopter une position plus ferme en se servant au maximum des protections offertes par le GATT par des négociations multilatérales. Vous répondez à M. Proulx que le GATT n'est pas efficace pour l'agriculture.

M. MacDonald: ... d'accord.

M. Charbonneau (Yvon): D'une vision d'ensemble, il y a bien d'autres secteurs que l'agriculture. Je ne peux pas contrôler votre affirmation sur l'agriculture en particulier, mais l'approche générale de négociations multilatérales où on a plus d'un partenaire, il me semble que c'est celle-là qu'on doive privilégier pour se dessaisir de l'étreinte américaine qui est déjà très importante, tout le monde l'admet, pour regarder en direction d'autres qrandes régions de l'Europe, de pays qui ont des économies, avec lesquels on peut faire des échanges. Vous avez un collègue qui fait des missions en Asie, etc., une approche multilatérale du commerce international. C'est là qu'on vous dit de diriger vos énergies et d'influencer la politique canadienne. C'est une réponse, ça, il ne s'agit pas de dire qu'il n'y a pas de réponse là-dedans.

Qu'est-ce que vous avez à dire sur cette approche qu'on vous propose, vous?

M. MacDonald: Je suis d'accord avec vous que le GATT est un instrument et, effectivement, qu'on se serve des deux, c'est-à-dire de l'approche bilatérale et de l'approche multilatérale. Mais si vous connaissez le fonctionnement du GATT et son mécanisme d'audition des plaintes qui peuvent être déposées et son mécanisme de règlement, M. Charbonneau, je vous dis qu'on en aurait grimpé une maudite sur un paquet

de situations, si je prends, par exemple, le bois d'oeuvre, et on serait encore en attente à regarder les Américains collecter un chiffre probablement très supérieur à 15 % et le mettant dans leurs poches.

Je veux être bien compris sur cela, j'adopte et j'épouse entièrement votre proposition, le GATT est un organisme auquel le Canada adhère et on y croit. Cependant, quand le GATT a commencés il y avait 23 membres, il y en a 92 maintenant. Quand le GATT a fait ses premières rondes de négociations, cela a duré deux ans. Les plus optimistes à l'heure actuelle regardent l'Uruguay round six à sept ans et c'est dans les cas optimistes pas mal...

Les problèmes que nous vivons actuellement avec notre principal partenaire, ce sont des problèmes! Demain matin, il faut avoir une réponse. On ne peut pas se permettre de voir des secteurs importants de nos industries être soumis à un processus de trois ou quatre ans, alors que tout le mal sera fait.

Le Président (M. Charbonneau): On va changer d'intervenant, si cela ne vous fait rien, j'ai l'impression de toute façon qu'on va virer tout l'après-midi sur le coeur du problème sur lequel on est actuellement. Alors, M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Messieurs les présidents des centrales syndicales, je vous remercie au nom de ma formation politique pour cette présentation. L'appréhension que j'avais se voit confirmée cet après-midi dans le sens que la situation dans laquelle on se retrouve aujourd'hui, en date du 17 septembre 1987, est une situation causée, sans faire de démagogie et de politique, mais sincèrement, par l'attitude du gouvernement dans ce dossier, parce que... non, et je pense que le fait qu'on ait tenu les gens dans l'ignorance? c'est clair, les gens ne sont pas au courant exactement de ce qui se passe. Quand tu n'es pas au courant, ce que tu fais, c'est que tu as peur et tu t'énerves.

On a rendu des études publiques et on s'est fait traiter d'arriérés parce que les études étaient de 1985, mais au moins, celles qu'on avait et qui avaient été faites dans notre temps, on les a rendu publiques. Cela n'a pas donné grand-chose sauf qu'il y avait des lumières rouges qui s'allumaient. J'ai pris connaissance des études qui ont été rendues publiques et les publications qui ont été rendues publiques, par la coalition, et c'était aussi alarmant. Moi, je vous dis bien à l'aise aujourd'hui, que vos préoccupations, je les comprends et je les partage. Je vous dis aussi que lorsque vous faites dans vos conclusions différentes recommandations très claires et vous dites, par exemple, au point 4, que le gouvernement du Québec devrait faire le plein emploi comme grand objectif en matière du développement économique de façon qu'il puisse résoudre votre problème, on l'a dit et on l'a répété depuis trois jours: l'objectif et l'enjeu du libre-échange, c'est effectivement l'emploi.

Tout le monde est d'accord, même le ministre est d'accord avec nous, sauf que la préoccupation qu'on a, c'est que, effectivement, on ne sait pas de quelle façon il va se résoudre. Le problème est ques non seulement les centrales syndicales, ne vous en faites pas, mais nous, dans l'Opposition, qui sommes ici au Parlement, réclamons depuis six mois auprès de l'Assemblée nationale le débat qu'on a aujourd'hui. Finalement, on y a donné libre cours et il se tient à partir du 15 septembre. Ce n'est pas normal. On l'a décrié. Cela n'a pas été plus loin que de dire: Bon, il va y en avoir un débat, il a lieu quelque 18 jours avant la fin d'une conclusion. Nous aussi, nous sommes énervés. Nous aussi, cela nous fatigue. La préoccupation que vous avez et la position que vous prenez, M. Proulx, hier, l'a très bien exprimée à la fin de son intervention -il fait partie de la coalition - quand il a dits À partir de ce qu'on sait, à partir des préoccupations et à partir de ce qui est sur la table, nous, nous disons carrément non, parce qu'à partir de ce qu'on a, nous, cela nous énerve. S'il y en avait plus, moi j'ai compris, et si vous en aviez plus, j'aimerais que vous puissiez me le confirmer. S'il y avait eu vraiment un débat, si la discussion qu'on tient aujourd'hui avait eu lieu il y a six mois, tant au niveau canadien, et ce n'est pas à moi à aller faire les reproches au gouvernement canadien, je pense que le gouvernement québécois est bien apte à le faire, mais si ce débat avait eu lieu aussi avec le gouvernement canadien, s'il y avait eu lieu ici avec le gouvernement du Québec, on ne serait certainement pas dans cette position aujourd'hui et on ne serait pas là à se demander ce qu'il va se signer. II y a des risques qu'il se signe quelque chose. Il y a une volonté politique en haut lieu que cela se signe. Cela aussi est fatigant. À partir de cela on demande des études d'impact, nous aussi, on ne les a pas eues. (17 heures)

Pourquoi? Parce qu'on a besoin de savoir de quelle façon on va être capable... Dire, par des études d'impact, qu'il va y a avoir 10 000, 12 000, 15 000 pertes d'emplois dans tel ou tel secteur, je me dis: Si c'est accompagné de mesures qui vont dire comment on va les contrer, comment on va être capable de corriger la situation, on vient d'amoindrir le mal. Me faire dire par un médecin que j'ai un cancer, cela peut être énervant, parce que je sais que je vais en mourir, mais si on me dit avec cela: II va y avoir une intervention chirurgicale et on va être capable de vous sauver la vie...

Ce qu'on vous a dit, c'est qu'effectivement, il y avait un cancer dans tel, tel domaine, dans des secteurs ici au Québec. Par rapport au Canada, le Québec est le plus affecté, et je suis d'accord avec vous. Les gens des brasseries sont nerveux, inquiets et je les comprends. Sauf que si on était capable de vous dire, par exemple: Dans ces secteurs, il y aura un minimum, par exemple, de sept, de dix ans, de période de transition, qu'il y aura tel type de programme - même si on ne l'a pas défini en détail - je pense qu'on serait capable aujourd'hui de parler un autre langage. C'est l'impression que j'ai et je vous pose cette question.

Je termine en vous disant la raison. M. Charbonneau l'a citée tantôt, je pense qu'on ne se comprend pas en termes de langage. D'abord, vous dites que le premier ministre, M. Bourassa, y a mis quatre conditions. Je pense que ce n'est pas quatre, c'est sept. Du moins je l'espère, parce que le ministre du Commerce extérieur, lui, en a cité sept, alors c'est effectivement sept. Parmi celles-là, je ne pense pas que le gouvernement ait accepté, dans ces conditions, d'exclure l'agriculture. Le ministre me corrigera. Ce qui est mentionné dans le document, à la page 13, si ma mémoire est bonne, c'est que M. Bourassa a dit en juillet dernier qu'il allait exclure l'agriculture. Ce que je lis, moi, c'est le maintien d'un statut spécial pour l'agriculture. On l'a débattu hier, avec le président de l'UPA, je pense qu'il y a toute une marge de différence entre exclure totalement et le maintien d'un statut spécial. J'ai essayé de me le faire expliquer hier, il y une différence. Ce sont des choses qui devront être corrigées. Quand le ministre du Commerce extérieur dit dans son point 3, pour ne prendre qu'un exemple, et je vais le situer dans le contexte: Les conditions du gouvernement sont: le maintien de sa marge de manoeuvre nécessaire pour atteindre les objectifs de modernisation et de développement de son économie dans toutes les régions je dis que c'est un point très important et je me dis: Comment pouvez-vous, M. le ministre, être capable d'affirmer cela et, en même temps, dans un même souffle, être capable de nous dire dans le volume que vous avez publié - le volume que vous avez publié le 5 mai 1987, dans lequel les sept conditions apparaissaient comme étant les prémisses de base pour lesquelles vous allez négocier - d'une part, ce qui est mentionné à la page 13 du document et que vous relevez, que vous avez pris dans le document Perspectives québécoises: II ne fait aucun doute - c'est le ministre qui parle -cependant, que plusieurs programmes d'aide gouvernementale, particulièrement ceux qui sont ciblés sectoriellement et géographiquement - cela veut dire les programmes d'intervention à l'intérieur des différentes régions - pourraient être modifiés pour s'adapter au nouveau code de conduite pour que le Canada et les États-Unis puissent en conclure... Comment pouvez-vous nous dire que vous allez être capable de garder la marge de manoeuvre, quand vous êtes actuellement préoccupé par le fait que, si on veut être capable de continuer à donner des subventions au développement régional, par exemple, on pense qu'on va avoir les mains attachées? C'est là, entre le principe. Et s'il y avait eu, - et je pose la question aux centrales syndicales - derrière ces sept conditions l'explication de ce que cela voulait dire et si on nous en avait entretenu largement, je pense qu'on n'en serait pas à ce type de discussion aujourd'hui. Je vous pose la question, à savoir, si vous avez cette même vision?

Le Président (M. Charbonneau}: Qui veut répondre? M. Laberge? Qui d'autre? M. Larose.

M. Larose: II semble que la préoccupation principale de ceux qui ont les mandats ou, supposeraient les mandats pour négocier, ce qu'on veut éviter, c'est l'application du courant protectionniste qui aurait doublé en termes de législation, si je comprends bien, depuis quelques années. On veut se mettre à l'abri du protectionnisme américain. J'aimerais savoir quel indice on a, depuis que le monde se parle, que les Américains veulent abandonner leurs pouvoirs ou leurs droits ou leur souveraineté à lever des droits compensatoires, soit se prémunir contre une production concurrentielle. Il y a un contrat de libre-échange États-Unis-Israël. Est-il exact qu'il est prévu là-dedans, à l'article 5, que tout cela n'enlève rien au gouvernement américain de lever des droits compensatoires s'il y a des secteurs qui lui apparaissent pertinents d'enlever? Est-ce qu'on a avancé un peu sur l'accès garanti? Tout ce que j'ai lu et toutes les déclarations que j'ai entendues, c'est que non seulement on n'a pas avancé, mais il n'en est pas question. Alors, on aura beau me faire miroiter qu'on veut se mettre à l'abri du protectionnisme, je veux savoir quel est le parapluie.

M. MacDonald: Je pense que le meilleur indice, M. Larose, que cela se discute est que cette condition était une prémisse de départ du gouvernement canadien et que, dans ce contexte, le gouvernement américain a accepté d'engager une négociation. Pour ce qui est des détails et des raffinements, vous savez très bien comment le processus de négociation fonctionne, vous en êtes un expert. Dans ces négociations, vous savez très bien, à la fin... et je vais citer une des personnes qui a souvent déclaré son préjugé favorable envers vous et votre organisation et d'autres semblables, M. Parizeau disait

que ceux qui savent ne parlent pas et ceux qui ne savent pas parlent. Dans le contexte, les négociations se déroulent.

Une voix: ...

Le Président (M. Charbonneau): Ne vous chicanez pas. Je vais vous laisser parler, tout le monde.

M. Larose: Est-il exact, M. MacDonald, que Mme Cartney, qui est responsable ou qui a été responsable de ce dossier, a déclaré le 9 décembre 1986 que jamais les Américains n'abandonneraient le droit d'imposer des droits compensatoires et que si les Canadiens pensaient qu'ils allaient obtenir cela, ils avaient un doigt dans l'oeil. Celle qui est responsable de la négociation s'en va à la table de négociation en déclarant publiquement que, de toute façon, ce qu'elle demande, elle ne l'aura pas. Est-ce que cela est vrai?

M. MacDonald: Je n'ai pas le texte, mais si vous le dites, je suis prêt à vous croire.

M. Larose: Mais vous êtes à la table de négociation, que je sache, ou selon ce que vous dites, à tout le moins.

M. Laberge: M. le ministre, ce que vous nous avez dit tantôt, citant une parole de M. Parizeau... Je me souviens d'une de vos paroles à Sherbrooke, où vous étiez allé à une réunion. On était à cette réunion aussi la semaine avant. Vous avez dits Ils parlent de cela et ils ne connaissent rien là-dedans. C'est moi qui ai les informations et on est d'accord. Sortez vos informations. C'est ce qu'on demande depuis toujours. La commission MacDonald s'est prononcée en faveur du libre-échange. Vous allez être obligé de reconnaître que si, dans trois ou quatres secteurs, on a des chances de gagner des emplois, il y a six ou sept secteurs où on va en perdre. Apparemment, les études du ministère de l'Industrie et du Commerce du Québec ne sont plus bonnes. D'accord. Mais, il y a eu des études. Tout ce qu'on dit, c'est: Avez-vous des informations? M. MacDonald, vous dites: On parle le même langage. Si on parle le même langage, on n'a pas de problème. Mais nous vous disons que nous ne sommes pas prêts, aucunement, à reculer dans nos négociations, dans nos conditions de travail et nos salaires pour descendre au niveau des employeurs américains des États du Sud pour pouvoir vivre avec le libre-échange. À un moment donné, il faut quand même être de bon compte. Notre ami, Jacques Proulx, vous a parlé hier et il a eu l'occasion de vous parier tantôt. Je vais me servir d'une image que Jacques connaît bien: le Canada c'est un grand pays, mais juste avec un petit troupeau dedans. Et comme le vieux proverbe le dit: L'herbe est toujours plus verte dans le pâturage du voisin. Il y en a parmi nous autres qui commençons à essayer de convaincre les autres parties du troupeau. Allons de l'autre côté. Regarde l'herbe est bien plus belle et, â part cela, il y en a bien plus; elle est plus longue, elle a l'air d'être plus fraîche. Faisons partir la clôture, le libre-échange, plus de clôture. On s'en va, tout le gang, de l'autre bord, le petit troupeau et on va se payer la traite dans cette herbe-là qui a l'air bien plus verte, plus grosse, plus nombreuse et tout ça. Sauf qu'il n'y en a pas un maudit qui a pensé que, tout d'un coup, c'est le gros troupeau de l'autre bord qui rentre dans notre pâturage et mange toute notre herbe. Il ne nous restera pas grand-chose pour le lendemain. Nous autres, on ne veut pas prendre de chance là-dessus. Vous l'avez dit vous-même, plusieurs fois, les négociations, ça nous connaît, et quand on s'en va en négociation normalement notre monde sait ce qui est négocié. On le sait ce qui est négocié. Je ne vous blâme pas, je pense que vous ne savez pas plus, vous non plus, enfin, sans doute plus, mais vous ne savez pas tout, tout, vous non plus, parce que je me demande des fois s'il y en a qui savent ce qui se négocie là.

Mais de toute façon, on n'a pas le droit de prendre des chances avec des choses semblables. Encore une fois, toutes les dizaines de milliers d'emplois qui vont disparaître, et là-dessus toutes les études qu'on connaît, celles qu'on a faites comme d'autres, concordent là-dessus. Toutes les études qu'on a faites disent: il y en a des pertes d'emplois, ça c'est notre monde qui va perdre ces emplois-là. Il y aura des emplois de créés fort probablement. Cela sera quelle sorte d'emploi? Des emplois précaires? Des emplois à temps partiel? Qui va détenir ces jobs-là? On ne le sait pas. Encore une fois on sait que les jobs qui vont disparaître, c'est notre monde qui les détient. Cela fait que notre position, je pense, elle est assez claire. Il me semble qu'elle est compréhensible. On ne veut pas, absolument pas, prendre de chance.

Le Président (M. Charbonneau): J'ai l'impression, M. Laberge, si vous me permettez, que c'est ça le coeur du problème. C'est l'emploi. Et moi, à cet égard-là, ce que j'aimerais qu'on clarifie, parce que souvent j'ai l'impression qu'il y a des confusions de langage... À la page 22 de votre mémoire, parmi vos recommandations au gouvernement du Québec, vous dites: Le gouvernement québécois devrait faire du plein emploi son grand objectif en matière de développement économique.

Le ministre, hier, nous disait: Nous, du

gouvernement et du parti libérai, on est d'accord avec le fait qu'il faut créer de l'emploi. Je me rappelle, il y a quelques jours à peine, un penseur du parti libéral fédéral utilisait l'expression "plein emploi" en disant que maintenant, dorénavant, il y aurait quelques grandes tendances du nouveau libéralisme et une de ces grandes tendances-là serait le plein emploi. Tout le monde se met maintenant à la vertu du plein emploi. Sauf que, qu'est-ce que vous entendez et qu'est-ce qu'on doit entendre quand on vous entend, les centrales syndicales, parler du plein emploi? Est-ce que c'est la même chose que le discours libéraliste qui est de dire: oui, on est pour la création d'emplois parce que l'emploi vient avec la croissance économique, avec les investissements, avec la transformation de notre appareil de production? Est-ce que c'est ce que vous entendez par une politique ou une stratégie de plein emploi ou si c'est quelque chose qui s'apparente plutôt à ce qui se fait dans des pays qui n'ont pas nécessairement une tendance de libéralisme, mais plutôt une tendance sociale-démocrate, où l'emploi est un critère de décision? Et vous l'avez indiqué dans votre mémoire à la page 21. Vous déplorez qu'on n'ait pas retenu la création nette d'emplois comme étant le critère d'endossement, finalement, d'un accord éventuel. Est-ce qu'on peut s'entendre sur le vocabulaire? Il semblait tantôt qu'on était agacé par des difficultés de compréhension de langage. Quant à moi, il y a une expression qui commence à me fatiguer pas mal, c'est celle que tout le monde utilise: le "plein emploi", pour se draper d'un manteau de vertu. Qu'est-ce que c'est que le plein emploi, qu'elle en est votre conception à vous?

M. Laberge: Une politique de plein emploi, c'est que le gouvernement doit faire concentrer toutes ses politiques vers la création de nouveaux emplois. C'est bien sûr que ce n'est pas demain matin qu'il n'y aura plus aucun chômeur. Mais nous disons que dans un pays comme le nôtre, en se dotant de la volonté politique de tout centrer, de tout canaliser vers cette aspiration légitime, c'est que tout ceux qui sont capables de travailler et qui veulent travailler, pourraient travailler. Et cela doit passer avant tout.

Je pense qu'on est capable de le faire. En tout cas, il y a une chose qui est sûre, c'est qu'on devrait essayer de le faire. (17 h 15)

Le Président (M. Charbonneau): Dans les pays - je reviens sur cela - où l'on parle de plein emploi, le processus décisionnel est tel que le gouvernement accepte de partager la responsabilité politique et décisionnelle des décisions économiques avec un critère: la création d'emplois. J'imagine que c'est un peu ce que vous dites, et non pas...

M. Laberge: C'est un peu beaucoup ça. C'est ça. Encore une fois, une politique de plein emploi, un gouvernement ne peut s'en laver les mains et dire: C'est l'entreprise privée qui va faire et ce sont les forces du marché. C'est ça justement. On connaît les États-Unis. Les États-Unis n'ont jamais cru que l'État devrait participer à la relance économique. Ils laissaient ça aux forces du marché. Pour les Américains, voir quelqu'un crever à côté, cela ne les dérange absolument pas, pourvu que les géants, les ogres, puissent avaler les autres petits, grossir davantage, vendre davantage et produire davantage.

On ne veut pas de ce genre de politique-là et, encore une fois, on vous le dit et on voudrait que ce soit bien compris et pas autrement qu'on le dit. Ce ne sont pas des menaces, on n'en veut pas et on ne le prendra pas.

Le Président (M. Charbonneau): Une dernière question en ce qui me concerne à ce moment-ci, avez-vous été contacté, au cours des derniers mois ou depuis qu'on parle de ce dossier du libre-échange, par quelque mécanisme que ce soit, pour préparer des mesures d'adaptation de la main-d'oeuvre? Un travail a-t-il été fait en concertation et en collaboration avec les centrales syndicales pour préparer la main-d'oeuvre de quelque façon que ce soit à s'adapter éventuellement â une nouvelle situation?

M. Larose: Le seul contact que nous avons eu, c'est celui du comité Warren où nous avons eu une prestation. Tout cela s'est fait de façon très civilisée.

Mais, à la question que vous posez, je pense qu'il y a des conditions à réunir. Quand on veut promouvoir une politique de plein emploi, il faut d'abord que les partenaires se reconnaissent, que le patronat soit d'accord, que le gouvernement soit d'accord et que les syndicats soient d'accord pour se reconnaître comme partenaires pour promouvoir quelque chose. On est un peu loin de cela en Amérique du Nord, peut-être moins au Québec, mais disons que ce n'est pas la tradition nord-américaine.

Ce qui est proposé, c'est le balayage de toutes les entraves pour que les règles du marché, les forces occultes du marché, jouent sans que personne n'intervienne là-dedans. C'est seulement cela qu'on nous propose. Dans ce sens-là, on dit que c'est contraire aux intérêts que nous, en tout cas, représentons, car on sait que ceux qui vont payer, au bout de la ligne, ce n'est pas le grand capital, ce n'est pas le petit capital -peut-être plus le petit capital, oui - mais ce sont d'abord des hommes et des femmes que nous représentons. On pense qu'on a le droit

de discuter d'un peu plus et un peu plus longuement pour voir de quoi est fait l'avenir sur cette question. On ne s'est pas senti beaucoup aidé dans cette opération, y compris dans l'organisation de forums publics que nous avons voulu faire. Une fois, le ministre Johnson est venu participer à cela; mais, le reste du temps, tout le monde des milieux gouvernemental ou patronal refusait de venir discuter sur la place publique d'une question aussi cruciale que celle de l'avenir économique d'un petit pays ou d'une petite province qui s'appelle le Québec Dans ce sens, on a bien essayé de faire des efforts, mais on s'est senti un peu seul dans l'ensemble de l'opération.

Le Président (M. Charbonneau): M. Charbonneau.

M. Charbonneau (Yvon): Oui, je voudrais répondre aussi un peu à votre question. Un lieu aurait été utilisable jusqu'à un certain point pour discuter des questions comme celle que vous soulevez. Cela aurait pu être le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. Mais le ministre responsable de ce secteur passe le plus clair de son temps à le mettre de côté et il fait tout pour essayer de l'étrangler plutôt que de l'utiliser. Alors, ce forum serait utilisable, mais ce n'est pas l'utilisation qu'en fait actuellement le gouvernement.

Je voudrais poser une question au ministre MacDonald qui fait souvent allusion à nous comme étant des experts de la négociation. Je ne sais pas si c'est vrai, mais ce que nous faisons en négociation, c'est un rapport d'étape avant la conclusion. On ne fait pas seulement dire ce que nous voulions au point de départ, mais de quoi cela a l'air vers la fin, puis, là, on considère la situation avec nos membres et on leur demande si cela a du bon sens ou non. Ce que vous nous dites, M. MacDonald, c'est intéressant. Vous nous avez aligné vos prémisses et les conditions, etc. C'est sûr que ces conditions sont intéressantes, c'est ce que vous disiez au début. Pourriez-vous nous dire maintenant, à quinze jours de l'échéance, de quoi vos conditions ont l'air? En quoi sont-elles respectées ces conditions? C'est cela qui nous intéresse maintenant.

M. MacDonald: II n'est rien arrivé pour changer, dans l'optique du gouvernement du Québec, une ou une partie des sept conditions énumérées comme conditions générales ou autres balises qu'on a pu mettre dans notre participation à cette négociation.

M. Charbonneau (Yvon): De manière complémentaire, M. le Président, est-ce que M. le ministre, vous accepteriez notre suggestion, une fois qu'on en serait arrivé à des conclusions, qu'il y ait une nouvelle commission parlementaire pour examiner ensemble le degré d'application de vos conditions de manière publique?

M. MacDonald: Je trouve que ce serait probablement une excellente façon de débattre du sujet, mais que cela ne serait pas la seule façon non plus. J'ai déjà dit en Chambre que, sur un sujet aussi important pour l'économie du Québec et l'avenir du Québec, il faudrait également que cela soit présenté devant les élus du Québec.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de l'Industrie et du Commerce.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président. Je dois dire qu'en entendant les représentants de la coalition, j'ai été un peu étonné du tableau qu'ils brossaient du désastre appréhendé qu'ils nous décrivent. Je suis étonné pour la bonne et simple raison qu'à cause de mon travail quotidien, ce que je vois surtout, ce sont des entreprises québécoises qui, de plus en plus, sont en train de sortir du marché domestique non seulement québécois mais canadien, sont en train de conquérir, grâce à leur originalité, des parts sur les marchés américains d'où elles étaient absentes il n'y a pas si longtemps. Ce que j'entends de ces entreprises, c'est la demande qu'on continue à soutenir leur action sur ces marchés, pour qu'on assure par nos actions et celles du gouvernement canadien, dans le cadre qui nous préoccupe, que cet accès au marché américain qu'on est en train d'exploiter soit maintenu. Ce que je suis à même de faire et ce que d'autres collègues peuvent faire, c'est précisément de soutenir par des programmes qui existent et qui existeront, la capacité de nos entreprises de s'adapter à la concurrence internationale. Ce que je vois, c'est que la concurrence internationale nous dicte de rechercher certains marchés d'une façon précise, d'une façon particulière qui amène le gouvernement à contribuer de façon conforme à ce qui existe par ailleurs dans les négociations multilatérales, c'est-à-dire qu'il ne doit pas y avoir d'intervention répréhensible - entre guillemets - de favoritisme indû des entreprises domestiques leur permettant d'envahir avec succès les marchés étrangers. C'est cela, la réalité quotidienne. Je vois également des déplacements d'emplois, je vois également des industries où la concurrence internationale, pas celle qui vient nécessairement des États-Unis seulement, mais la concurrence internationale oblige des travailleurs à considérer, oblige des industries complètes à envisager, oblige des intervenants sociaux et économiques à examiner de quelle façon nos travailleurs vont changer d'emploi d'ici 5, 10, 15 ou 20 ans, comment le profil de l'emploi qui se modifie de toute façon quant au quart

ou au tiers de la main-d'oeuvre tous les ans devra tenir compte des changements que la concurrence internationale dicte. C'est donc ce que je vois. Je suis presque tenté de dire que ce que j'entends, c'est une suggestion que je réponde aux entreprises québécoises qui veulent être à l'abri du protectionnisme américain: On s'en occupe, on va essayer quelque chose que les intervenants à la commission parlementaire nous ont suggéré, on va négocier avec les autres pays. Les entreprises québécoises en phase de croissance, étrangement, préfèrent faire affaire avec quelqu'un qui est à quelques milles d'ici plutôt que quelques milliers de milles ou de kilomètres d'ici. Elles préfèrent un investissement de quelques dizaines de milliers de dollars pour s'implanter en Nouvelle-Angleterre plutôt qu'un investissement de quelques centaines de milliers ou de millions de dollars pour s'implanter de l'autre côté du globe. C'est ce que les entreprises québécoises souhaitent. Ce à quoi nous contribuons, c'est dans cette direction que nous les aidons. Il est entendu qu'il y a des déplacements d'emplois. C'est là-dessus que j'aimerais des éclaircissements. Étant donné qu'à l'égard de l'agriculture, nous avons identifié que c'était pour le moins très sensible que de modifier des conditions du marché qui protègent nos producteurs agricoles et compte tenu de ce constat, on a décidé d'en faire un cas spécial, de l'exclure. C'est cela la différence entre un cas spécial et exclure; c'est qu'il n'y en a pas de différence. Nous devrions utiliser le même gabarit ou la même qrille par secteur industriel et de dire: Y a-t-il dans ce secteur une perte d'emplois? Donc, on ne devrait pas parler de libre-échange parce qu'il y a cet effet-là. On va exclure un tas de secteurs où il y a une perte d'emplois. On va être logique. Si vous reconnaissez qu'il y a de la création d'emplois ailleurs et que, quant à nous, nous sommes convaincus qu'il y aurait création nette d'emplois, je ne vois pas comment on pourrait avoir un comportement économique et commercial en matière internationale qui ferait en sorte qu'on continuerait à protéger intégralement tous les emplois de vos cotisants qui existent aujourd'hui pour une éternité ou ce qui s'en rapproche, et encore consentir des efforts pour appuyer les entreprises qui sont en croissance et qui ont besoin de notre aide. Je constate, si on parle de déplacement des emplois, que, oui, il y aura des gens qui vont perdre leur emploi, mais, oui, il y en a qui vont être créés. Est-ce que ce sont les mêmes personnes? Ce n'est pas aujourd'hui évident, mais on doit s'assurer, si on met en place des programmes d'ajustement et de formation de la main-d'oeuvre, que ce sont ces personnes-là qui sont déplacées qui occupent ces emplois. C'est précisément à cette fin que l'OCRI, à titre d'exemple, avait été mis sur pied. Je lisais dans votre mémoire que l'OCRI aurait été aboli afin de préparer le terrain pour le libre-échange. Je vois surtout qu'il avait un mandat à compléter dans une région où le textile connaissait une perte d'emplois et que des milliers d'emplois ont été créés. Un mandat • a été complété. C'est cela des mesures d'ajustement. C'est de cette façon qu'on peut envisager, s'assurer que les personnes et les familles nommément touchées ont des chances de retrouver des débouchés dans d'autres secteurs qui sont en croissance.

Et vous n'avez pas encore répondu à la question: Qu'est-ce que je réponds, qu'est-ce qu'on répond aux entreprises qui veulent s'assurer qu'on civilise et qu'on donne un cadre un peu plus prévisible aux échanges entre le Canada et les États-Unis, qui veulent conserver cet accès au marché américain? Je ne peux pas pour l'instant leur répondre: Ne vous inquiétez pas; je vais négocier avec des pays d'Asie ou d'Afrique. Je ne peux pas leur dire cela.

M. Laberge: M. Lemaire, qui est reconnu tout de même comme un employeur dynamique au Québec, M. Bernard Lemaire, de Cascades, quand il est venu au colloque de la FTQ, il a été obligé de reconnaître qu'il y aurait probablement trois ou quatre de ses entreprises, dans un contexte de libre-échange, qui fermeraient. Mais il n'y a pas de problème; il va en ouvrir d'autres. Bravo pour M. Lemaire! Mais le monde qui est là dans les trois, quatre ou cinq entreprises qu'il va fermer, qu'est-ce qu'il teur arrive? C'est cela le problème. Je sais que, pour n'importe quelle banque, faire affaire avec un employeur américain, japonais, irlandais, ou autre, bien sûr... mais le monde, c'est notre préoccupation. Encore une fois, c'est bien sûr que vous devez penser à ce genre de chose et vous savez qu'il y a des secteurs où il y a... Les travailleurs et les travailleuses qui y oeuvrent, c'est du monde qui serait assez difficilement déplaçable et remplaçable ailleurs. C'est tout le problème. Les mesures protectionnistes, je pense que notre ami, M. MacDonald, va se rappeler qu'à la veille des élections américaines, il y a toujours un tas de bills privés de déposés pour que les sénateurs et les gouverneurs aient l'air de politiciens qui s'occupent de leur monde dans leur région. À toutes les élections américaines, la même chose se produit.

Le Président (M. Charbonneau): M. Proulx, vous avez un commentaire. Je rappelle à tout le monde, parce que le temps file malheureusement, que les réponses sont comptabilisées sur le temps imparti à chaque groupe parlementaire. Néanmoins, si vous avez un commentaire additionnel, M. Proulx. (17 h 30)

M. Proulx: En fait, c'est parce que j'achète une bonne partie du discours de M. Johnson, sauf qu'il faudra qu'il s'accorde avec son collègue MacDonald qui, d'un côté, dits J'achète le bout où il dit qu'on va mettre en place l'harmonisation, on va former notre monde, etc. Mais M. MacDonald n'a pas arrêté de nous dire que ça pressait. Tu ne formes pas le monde instantanément comme ça. Vous êtes d'accord?

M. MacDonald: II n'y a pas de problème.

M. Proulx: Vous m'avez dits Le GATT, c'est trop long, on n'a pas de possibilité. Ça presse, on a ça au-dessus de la tête et, de l'autre côté, il faut former du monde. On est d'accord avec ça...

M. MacDonald: Vous mélangez les carottes avec Ies oignons, là.

M. Proulx: Non, non, excusez-moi, M. MacDonald, je ne mélange rien. Je veux rappeler aussi que le problème majeur aux États-Unis, à l'heure actuelle, c'est le déficit de la balance commerciale de 170 000 000 000 $. Je ne pense pas qu'il soit causé uniquement par le Canada. Ce n'est pas parce qu'on aura une belle entente avec les États-Unis que ça va régler leur problème justement qui les force à avoir 500, 600 ou 700 mesures protectionnistes à l'heure actuelle.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Oui, M. le Président. Ma préoccupation, et j'aimerais savoir si elle rejoint la vôtre, est celle-ci. D'abord, on s'entend pour dire que ce n'est pas ici, même si le débat qu'on a est très utile, quoiqu'il est très tard, qu'on sera capable de prendre la décision s'il y a entente ou non de libre-échange. Conscient de ça, je me dis qu'il faut envisager avec des gens comme vous ce qui va se passer après entente, si entente il y a. Pour réussir une entente de libre-échange, réussir à vivre avec le monde quelque part en 1988 ou 1990, selon le moment où les mesures s'appliqueront, il faut, à mon avis, que le gouvernement, que ceux qui dirigent, que ceux qui mettent les politiques en place, que ceux qui décident où on va, soient exactement branchés sur la bonne philosophie.

Ma préoccupation, je l'ai dit et je le répète, est à savoir que le gouvernement qui négocie actuellement a une idéologie non seulement exprimée clairement mais appliquée depuis 22 mois comme étant un gouvernement non interventionniste, un gouvernement qui veut se retirer de plus en plus. C'est un choix, comme je l'ai dit, et même si je ne suis pas d'accord, je le respecte et on doit vivre avec. Ma préoccupation, et j'aimerais savoir ai la vôtre va dans le même sens, quant au succès du libre-échange, comment va-t-on vivre le libre-échange, comment les entreprises, les travailleurs et les travailleuses vivront ça? Ce ne sera, à mon avis, qu'à la condition qu'on leur donne les outils nécessaires et qu'on fasse "mesurément"... et on verra comment ça pourra se faire. J'aimerais qu'on le voit le plus vite possible et non pas dans deux ans, de quelle façon l'intervention du gouvernement, le support devra se donner, que ce soit par le biais des sociétés d'État qui joueraient un rôle moteur dans certains cas ou par le biais de programmes gouvernementaux de quelque nature que ce soit. Comment cela se vivra-t-il? Avec le gouvernement actuel, qui se veut non interventionniste, peut-on espérer des politiques qui pourront être mises de l'avant, qui seront cohérentes, afin de pouvoir vivre avec succès le libre-échange?

Le Président (M. Charbonneau): Non, on ne commence pas ça.

M. Larose ou M. Charbonneau.

M. Charbonneau (Yvon)ï:C'est une question pour le ministre, pas pour nous.

M. Parent (Bertrand): Non, je vous demande si vous êtes d'accord avec ça et ce que vous en pensez.

M. Charbonneau (Yvon): Nous sommes d'accord avec l'importance d'obtenir une réponse claire de la part du gouvernement sur ces questions-là. Nous les avons posées à maintes reprises depuis te début de la rencontre. M. MacDonald a parlé, M. Johnson, une douzaine d'autres députés libéraux pourraient peut-être donner un coup de main au ministre. Qu'est-ce qu'il arrivera de la main-d'oeuvre? Qu'est-ce qu'il arrivera du social derrière ça? On nous répond, en parlant des échanges économiques, commerciaux, etc. C'est intéressant, on écoute ça, on nous rappelle les critères du début, mais est-ce qu'il y aurait moyen d'avancer dans le débat, dans la dernière demi-heure, et d'entendre quelques paroles rassurantes, d'entendre quelques annonces concernant les problèmes sociaux, les gens dont parlait Louis tout à l'heure, qui seront confrontés à des problèmes de relocalisation, de recyclage ou quoi que ce soit, qu'est-ce qu'il arrive de tout ça? On n'a pas encore entendu une parole là-dessus. Il serait important d'avoir un point de vue Ià-dessus de la part du gouvernement.

Le Président (M. Charbonneau): On se trouve dans un dilemme. Il ne reste du temps de parole qu'aux députés de l'Opposi-

tion, du Parti québécois. S'il y a des commentaires... Sauf qu'il faut bien se comprendre. On est dans un forum à la fois public mais aussi politique un peu d'une certaine façon, donc c'est clair que tout le monde peut s'interpeller, sauf qu'il y a des règles que je dois essayer de maintenir dans la mesure où...

M. Lefebvre: Question de règlement. Le Président (M. Charbonneau): Oui.

M. Lefebvre: Autant l'Opposition que nos invités souhaiteraient qu'un de nos ministres fasse des commentaires à la suite des interrogations du député de Bertrand, encore faut-il que nos règles permettent à nos ministres d'intervenir. Alors, je demanderais à l'Opposition si on veut bien nous céder du temps pour permettre aux ministres de répondre aux questions soulevées.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Quant à moi, je n'ai aucune objection. On est ici pour le débat et pour le faire avancer. Si le ministre veut prendre cinq, dix ou quinze minutes additionnelles pour répondre à cette question, je ne dermande pas mieux.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, écoutez, est-ce que le ministre de l'Industrie et du Commerce ou le ministre du Commerce extérieur...

M. MacDonald: Je vais partager cela, je vais laisser M. Johnson l'aborder.

Le Président (M. Charbonneau): Je vous indique tout de suite que... je sais que le député de Roberval m'avait indiqué qu'il voulait aussi intervenir. On va essayer de jouer cela un peu à l'oreille, comme on le fait depuis le début de la commission, de telle sorte que vous pourriez donner des réponses et que, néanmoins, le député de Roberval puisse aussi intervenir avant la fin, sinon on peut aller jusqu'à minuit, comme cela, et se passer des temps de parole. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas de problème.

Une voix: On peut continuer dans le même sens.

Le Président (M. Charbonneau): Très bien.

Une voix: De toute façon, à 20 heures, il y a de la bière.

Le Président (M. Charbonneau): Je sais que l'Association des brasseurs est invitée et après, il y a l'association, je pense, des producteurs de vin. Alors, on va avoir une bonne soirée.

Une voix: Vous êtes invité.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, il ne sait pas quel ministre. M. le ministre de l'Industrie et du Commerce.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président. Merci, M. le député de Bertrand, de nous permettre de lever peut-être un malentendu qui est en train de se glisser et qui a été évoqué par M. Proulx. La question de M. Proulx la suivante. Cela presse beaucoup, mais les gens déplacés, pour rejoindre la question de M. Charbonneau et de tous les autres, cela ne se forme pas en criant ciseau pour être prêt pour le libre-échange.

La dimension qu'on a oublié de mentionner, une chose certaine, dans votre mémoire mais qu'on a toujours fait valoir, c'était qu'une entente avec les Américains est assortie automatiquement de conditions relatives à des périodes de transition et d'ajustement. C'est à l'occasion de ces périodes d'ajustement et de transition que les provinces entendent, et c'est déjà parti d'un processus informel, suggérer des façons dont on peut cibler les programmes d'interventions gouvernementales afin de ménaqer la transition, afin que les gens, M. et Mme Unetelle affectés dans tel village, M. et Mme Untel, les autres, qui travaillent chez Bernard Lemaire qui ferme son usine, ces qens pris en charge par des interventions gouvernementales, par l'entreprise privée qui, elle-même, doit contribuer, si elle y croit, à maintenir l'expérience que ces gens qui travaillent chez elle ont acquise et qui auront à travailler en d'autre chose. Bernard Lemaire dites-vous, vous a-t-il dit, va ouvrir d'autres usines. C'est une entreprise qui ne jettera pas son dossier là, à titre d'exemple, et il y en a beaucoup d'autres, et cette évolution est réelle. Ce sont des gens qui ne jetteront pas par-dessus bord les gens qui travaillent avec eux, qui contribuent à leur succès depuis des années, pour leur dire: Savez-vous, nous, on va fonder d'autre chose mais arrangez-vous avec vos troubles, ce n'est pas à vous qu'on va apprendre comment continuer à contribuer avec nous au développement économique de votre région, mais dans un nouveau secteur.

Ces périodes de transition et d'ajustement vont être déterminées, définies par consultation avec les secteurs et les entreprises touchées sur une base volontaire. Si un secteur industriel et des entreprises nous disent dans notre cas: Cinq ans, c'est en masse et voici comment on peut ensemble aménager cette transition. C'est comme cela que cela va se régler. Si pour d'autres

entreprises on nous dit: On n'a pas besoin de cela, on est prêt demain matin. Dans ce secteur, cela va être instantané. Si dans d'autres secteurs, on nous dit: Cela prend dix ans, certain. Cela fait partie intégrante des discussions qui ont cours. C'est sur une base volontaire en consultation avec les associations, en consultation avec les entreprises qu'on va aménager ces programmes. C'est de cela dont il a été question lorsqu'on a ouvert nos oreilles à nous aussi pour écouter les gens, pour voir qu'elles étaient leurs évaluations des ajustements et périodes de transition nécessitées par l'éventualité d'une libéralisation des échanges avec les Américains. Cela explique également pourquoi, dans les études qui pourraient exister, nous ne sommes pas en mesure d'indiquer aujoud'hui, parce qu'on n'a pas la permission de le faire, quelle est l'évaluation que font ces secteurs industriels, pour une bonne et simple raison. Premièrement, on l'a vu ici même, lorsqu'on demandait aux gens: Vous nous dites telle chose, pourriez-vous nous montrer les études précises sur lesquelles vos énoncés reposent? On nous a dit: C'est confidentiel. Il y a trop de données, de témoignages, d'entreprises qu'on va reconnaître, qui vont se trouver à divulguer leur stratégie concurrentielle, pour qu'on le mette sur la place publique. J'ajoute, par voie d'analogie, que, oui, on peut faire des rapports d'étape sur l'endroit où on est rendu. On vient d'en faire un. Nos conditions n'ont pas changé, on vient d'en faire un autre, on vient répéter que des périodes de transition et d'ajustement, cela se fait en collaboration avec les entreprises et que c'est une partie intégrante du mécanisme. Je pourrais ajouter qu'on ne fait pas rapport sur quel va être le règlement final qu'on va accepter. Un peu comme vous, après cela, on est jugé sur les résultats.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Laberge.

M. Laberge: Et vous allez intervenir, comme gouvernement, directement, sur la formation des travailleurs, la relocalisation, etc. Je ne sais pas si Reed Scowen va vous applaudir.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): II est à Londres, je ne sais pas s'il va nous entendre.

M. Laberge: ...quand il va vous entendre dire cela. Si c'est cela, c'est cela qui devrait être mis en branle maintenant. On sait qu'on a des secteurs mous, par exemple, le textile. Au lieu d'essayer de guérir après... Quant à notre ami, Bernard Lemaire, malheureusement, mon cher ministre, Bernard Lemaire dit: Je n'ai pas de problème, je vais en ouvrir trois, quatre aux

États-Unis. Aux États-Unis, ce n'est pas un bon endroit pour aller replacer les gens qui perdraient leur emploi. C'était un mauvais exemple.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Non, mais si...

Le Président (M. Charbonneau): Vous être toujours sur le temps du député de Bertrand.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): II ne faudrait pas laisser planer l'idée que le groupe Cascades est susceptible de laisser tomber ses gens comme cela. Je ne connais pas d'entreprises qui veulent réussir, et notamment elles le font en association avec leurs travailleurs, vous le savez pertinemment, vous avez de plus en plus d'expérience d'ailleurs avec le Fonds de solidarité dans cette coparticipation du capital et du travail...

M. Laberge: Il y a aussi Electrolux, les mines Bell, enfin, bon...

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): II ne faut pas mêler... Je ne pense pas que c'est du déplacement de main-d'oeuvre à cause d'un traité de libéralisation des échanges. Il ne faut pas changer les choses. En attendant, il y a des entreprises québécoises qui engagent beaucoup de monde, je peux bien comprendre, mais assurons-nous que, si nous sommes sensible à ce que ce déplacement d'emploi signifie - et nous !e sommes - qu'on mette en branle des mécanismes d'ajustement, des programmes d'ajustement, en collaboration intime, obligatoire, je dirais, avec le gouvernement fédéral, qui a annoncé qu'il s'en allait vers le libre-échange, qui nous a demandé de participer. On a dit, oui, à nos conditions. Et une de ces conditions, c'est que c'est ce pays-là, le Canada, qui doit supporter, en grande partie, les coûts d'ajustement de notre main-d'oeuvre. C'est bien évident. C'est vers cela qu'on s'en va. J'y vais avec confiance. Je vois des succès d'entreprise qui demandent un accès garanti à des marchés que nous sommes en train d'exploiter. On voit de la création nette d'emplois. Je peux comprendre que certains de vos cotisants, du jour au lendemain, vont être menacés. Mais, je veux prétendre qu'il est également important que leurs enfants aient une chance de se trouver un emploi dans des industries en croissance, grâce à un accès garanti à un très grand marché.

Le Président (M. Charbonneau): Deux petites, vite, M. Proulx et M. Larose.

M. Larose: Oui, une petite vite. Expliquez-moi ce qu'est un accès garanti, à partir du débat que vous avez fait depuis le

début? Cela n'existe pas. Je n'ai pas encore compris et c'est peut-être cela mon problème.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Non, M. Larose, je vous ai entendu dire que...

Une voix: C'est un passe-montagne. Des voix: Ha! Ha! Ha!

Le Président (M. Charbonneau): II faudrait que le temps achève pour que l'équité s'installe un peu.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): On a entendu beaucoup de gens constater que les Américains n'abandonneraient jamais cet aspect de leur souveraineté qui s'exprime par l'imposition de droits compensatoires. Je veux accepter cela. Mais ce que j'ajoute, c'est qu'il est beaucoup moins possible, moins probable que des comportements comme ceux-là se manifestent s'il y a un cadre d'entente qui est presque contractuel entre pays souverains quant à la façon de se comporter en matière d'échanges interna-nationaux. Je prétends que c'est un progrès d'instaurer un cadre qu'on est obligé quand même de regarder, mais que cela rend un peu plus difficiles, moins probables, des mesures spectaculaires qui créent des désastres et de vraies dislocations instantanées comme on en connaît aujourd'hui.

M. Larose: On prend votre conception de l'accès garanti. Voici ce que je veux savoir. Est-ce que celui avec lequel vous négociez partage cette conception? Est-ce qu'il s'engage effectivement à donner cet accès garanti?

M. MacDonald: Je répète ce que j'ai mentionné auparavant, M. Larose. Au départ, c'était une des conditions du Canada. Si cette condition n'était pas acceptable, pensez-vous que l'autre partie aurait accepté les prémisses de départ pour négocier? II me semble que c'est clair. (17 h 45)

M. Proulx: Quand même! Je peux vous dire que je siège à SAGIT, Je n'ai pas le droit de parler, mais il reste quand même que j'ai le droit de poser des questions. Il paraît que cela ne brise pas le serment, si on le prend sur ce côté. Il ne faudrait quand même pas nous prendre pour... Tout le monde a nié qu'on ne parlait pas de tels secteurs. Une journée, on ne parlait pas d'agriculture, telle autre journée, il n'y avait pas tel autre secteur sur la table. Mais nos chemises sont pleines de mémos des négociateurs américains comme quoi tout est sur la table: agriculture, culture, tout. Vous êtes obligés d'admettre ou les gens d'Ottawa - je ne vous accuserai pas, je vais dire les gens d'Ottawa - sont obligés d'admettre qu'à un moment donné, lorsqu'il y a assez de preuves de cela, que oui, en fait, ils ont été obligés de le mettre là. Il ne faudrait pas... On ne peut pas continuer à nier cela. C'est une réalité. On a des preuves de cela et on continue à nous dire que cela n'y est pas. La confiance ne peut pas régner à partir de cela. Que voulez-vous? On semble trop oublier qu'une frontière, la clôture des deux pâturages, mais au moment où elle sera à terre, le troupeau va passer d'un bord et de l'autre. Il n'y en a pas seulement un qui va aller dans le pâturage de l'autre. Vous ne parlez pas du fait que lorsqu'ils vont venir dans notre pâturage, il y a des boeufs dans ce...

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Proulx: ...pâturage. Vous oubliez qu'il y a ici plusieurs industries américaines qui sont ici uniquement parce qu'elles ont été obligées d'avoir des succursales chez nous pour venir chercher une subvention. Elles ne fonctionnent pas à pleine capacité. Vous en connaissez. On vous a donné des centaines et des milliers d'exemples, brasseries ou ainsi de suite. Je parle de mon secteur où il y a une surproduction abominable. Pensez-vous qu'à partir du matin où vous allez abattre la clôture ces gens ne viendront pas la "dumper" ici, à vil prix? Parce qu'ils sont obligés de payer pour l'entreposer, il vaut mieux la vendre bien bon marché. C'est ça la réalité aussi. Cela va voyager d'un bord et de l'autre.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand,

M. Parent (Bertrand): Alors sur le peu de temps qu'il me reste, s'il m'en reste, je n'abuserai pas parce que j'avais prêté de mon temps au ministre pour qu'il donne des réponses et...

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): ... gracieusement prêté.

M. Parent (Bertrand): Gracieusement. J'avais prêté de mon temps pour qu'il puisse répondre et je pense que ma frustration a été augmentée d'autant. Je n'ai pas les réponses, vraiment. Pas plus que vous en avez. Au moins je suis rassuré. J'ai d'autres gens avec moi qui sont frustrés.

Une voix: C'est du masochisme.

M. Parent (Bertrand): C'est du masochisme. Nous avons effectivement dit, au début de cette commission, que le libre-échange, ça se prépare. Pour ma part, la conclusion que j'en tire, avec l'exercice

qu'on a fait depuis trois jours, et particulièrement depuis cet après-midi, c'est que le ministre avoue candidement qu'ils ne sont pas prêts parce qu'ils ont jugé que, mesures de transition, tout ce qui a à être préparé, ça va se faire après. Là-dessus, je pense qu'on n'est pas du tout sur la même longueur d'ondes, parce qu'après, on va avoir passablement de choses à faire. La seule chose - et je terminerai peut-être sur une note humoristique, parce qu'il faut continuer cette commission - qui me rassure ce sont les propos du ministre MacDonald, un peu plus tôt cet après-midi, lorsqu'il a dit que, en moyenne, les Canadiens changeaient de job à tous les trois ans. Je sais que le ministre a déjà deux ans de faits. Je vous remercie d'être venus, messieurs.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, j'aurais eu la tentation, parce qu'il reste encore quelques instants, d'ajouter un commentaire, mais je sais que le ministre veut en ajouter un. J'ajouterai simplement une chose à ce que vient de dire mon collègue de Bertrand. Ce qui est inquiétant quand on entend le ministre du Commerce extérieur et celui de l'Industrie et du Commerce nous dire que finalement les mesures d'adaptation de la main-d'oeuvre, ça ne peut pas être actuellement, parce qu'on ne sait pas tout à fait ce qui se passe, moi, je réponds: vous nous dites que vous avez en main des études dont vous ne pouvez parler parce que ça briserait ou ça compromettrait la stratégie industrielle d'un certain nombre d'entreprises. Ce qui m'étonne, c'est qu'au moins vous auriez pu associer le ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu au processus actuel de réflexion et de préparation. Même si tout n'est pas sur la place publique, selon les indications qu'on a, et ça depuis trois jours maintenant, c'est que le ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu n'est pas dans le coup, Le ministre n'y a pas été associé. Il n'est pas membre de cette commission. Il n'a pas participé aux délibérations ni au processus. Finalement, c'est un des problèmes que mes collègues et moi soulignons depuis le début de cette commission.

Mais de toute façon, je pense qu'on va avoir d'autres occasions pour y revenir au cours des prochains jours. Je cède maintenant la parole au ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique.

M. MacDonald: Je suis obligé de conclure de la même façon que j'ai commencé. À savoir que, ayant statué et ayant répondu à M. Charbonneau, les termes et les conditions que nous avons fixés au départ ne sont pas changés. Que plusieurs, sinon la quasi-totalité des objections que vous formulez, non seulement à la négociation mais éventuellement à une entente de libre-éehange, sont basées sur le fait que nous mettrions de côté ces conditions et pour lesquelles je ne peux faire autrement que d'offrir ma parole ou ma crédibilité - pour ce que cela vaut - et vous dire qu'il n'en est pas question. Nous sommes d'accord que le protectionnisme américain -et je réemploie ma vieille expression - va empirer avant de s"'emmieuter". Ce n'est pas parce qu'une élection fédérale américaine s'en vient ou seulement pour cela qu'il y a tant de projets de loi protectionnistes. Je pense que les raisons sont beaucoup plus fondamentales sur le plan économique. Mais changez l'administration américaine et, au lendemain, je ne vois absolument aucune amélioration.

Je pense également que la lenteur administrative du GATT, comme moyen de régler nos différends, est quelque chose qui aurait été absolument inacceptable par nos producteurs de bois de sciage et qui le sera sûrement s'il n'y a pas une entente quelconque lorsque se reprendront des actions en droit compensatoire ou, pire encore... et M. Proulx le mentionnait hier: Ce n'est pas assez. Là, on voudrait trouver un moyen de prendre plutôt des actions législatives, parce que compensatoires pourraient être rejetées un de ces jours ou rétablies.

Vis-à-vis de cela, le gouvernement du Québec a fait un choix et ce choix a été pour garantir aux travailleurs du Québec, de la meilleure façon qu'on peut le faire, les emplois qu'ils ont, et, de la meilleure façon qu'on peut le faire, pour essayer d'en créer d'autres. On a pris la voie de s'associer à une négociation de libéralisation des échanges. On a ouvert, par le comité Warren et par la commission parlementaire, personnellement avec une foule de personnes, le dialogue pour se faire conseiller.

J'ai dit à M. Charbonneau que, dans l'éventualité d'un projet de convention, je serais encore très ouvert. On est en démocratie et j'espère qu'on va le demeurer. Mais, je repose ma question, messieurs, et je n'aurai probablement pas de réponse, mais, dans cette éventualité, et prenez tout le temps que vous voulez prendre, donnez-nous une autre étude; je suis prêt à assister à n'importe quoi, mais, s'il vous plaît, si vous n'acceptez pas cette formule qui était celle du gouvernement du Québec, donnez-m'en une autre capable de rencontrer réellement la situation dans sa réalité et non pas dans ses suppositions. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, sur cette... Vous voulez ajouter quelque chose, M. Laberge?

M. Laberge: Oui, tout simplement pour vous remercier et pour dire au ministre que, si vous êtes vraiment convaincu de ce que

vous venez de dire, il n'y a plus de danger et il n'y aura pas d'entente. On reviendra vous féliciter.

Le Président (M. Charbonneau): Vous savez, M. Laberge, le ministre a parlé de crédibilité, vous venez d'en parler. On a un ancien collègue qui en a parlé également aujourd'hui. Il semble que les professeurs d'université aient beaucoup plus de crédibilité que les politiciens. Ce qui me rassure, c'est que ceux qui en ont le moins dans la société, on. les retrouve tou9 ici dans la salle: les politiciens, les syndicalistes et les journalistes.

Des voix: Ha! Ha!

Le Président (M. Charbonneau): Ce que j'espère, c'est que l'exercice qu'on aura fait aujourd'hui aura permis aux gens qui nous écoutent de se rendre compte que c'est peut-être un jugement un peu injuste pour les uns et les autres. Alors, merci d'avoir participé à cet exercice.

Je convie mes collègues à revenir à 20 heures pour une soirée, disons, bien arrosée.

Des voix: Ha! Ha!

(Suspension de la séance à 17 h 56)

(Reprise à 20 h 3)

Le Président (M. Théorêt): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission de l'économie et du travail reprend ses travaux afin de procéder à la consultation générale sur un accord possible de libre-échange.

M. Allard, président du conseil d'administration de l'Association des brasseurs du Québec, les membres de la commission de l'économie et du travail vous souhaitent la bienvenue ainsi qu'à tous vos collègues. Nou9 connaissons plusieurs d'entre eux, mais je vous demanderais quand même, si vous voulez bien, pour les fins du Journal des débats, de bien vouloir nous les présenter.

M. Allard (Jacques): Cela me fera plaisir, M. le Président. MM. les ministres, MM. les députés, je tiens d'abord à vous remercier d'avoir donné aux représentants de l'industrie brassicole du Québec l'occasion de venir vous faire part, ce soir, de nos remarques concernant un éventuel traité de libre-échange avec les États-Unis.

Comme vous me l'avez demandé, j'aimerais vous présenter ceux qui m'accompagnent, ici ce soir. À ma gauche, M. Marcel Boisvert, président de la Brasserie Labatt Limitée et, à ma droite, M. Ed Prévost, président de la Brasserie O'Keefe

Ltée. Â la droite de M. Prévost, M. Pierre Deniger, président-directeur général de l'Association des brasseurs du Québec. Je suis Jacques Allard, comme vous l'avez dit, M. Théorêt. Je suis président de la Brasserie Molson et président du conseil d'administration de l'Association des brasseurs du Québec.

Nous accompagnent également M. Yves Rabeau, économiste et professeur titulaire à l'Université de Montréal; M. Alain Bolduc, de la Brasserie Labatt; Me Pierre Gattuso, de la Brasserie Molson; Me Normand Zadra, de la Brasserie O'Keefe, à qui nous demanderons de prendre la parole, si vous le permettez, advenant que soient soulevés ici, ce soir, des aspects particulièrement techniques du dossier.

Le Président (M. Théorêt): Je vous remercie, M. Allard. Je porte à votre attention, comme vous le savez sans doute, que vous avez un maximum de 20 minutes pour la présentation de votre exposé et le reste du temps sera réparti entre les deux formations politiques pour discuter avec vous.

Je vous cède la parole, M. Allard.

Association des brasseurs du Québec

M. Allard: Merci beaucoup, M. Théorêt.

L'industrie brassicole québécoise a demandé à être entendue parce qu'elle est très inquiète des conséquences que pourrait avoir un traité de libre-échange avec les États-Unis sur l'industrie brassicole, non seulement au Québec, mais au Canada tout entier. Nous sommes convaincus que dans les conditions actuelles du marché, l'industrie brassicole tant québécoise que canadienne ne survivrait pas à ce qui serait, il n'y a aucun doute pour nous là-dessus, un envahissement de notre marché par notre contrepartie américaine. Notre position sur le libre-échange va sans doute vous paraître bien paradoxale. Nous ne nous opposons pas au principe général du libre-échange, mais nous refusons cependant catégoriquement d'être inclus dans le contexte actuel dans un traité global de libre-échange avec nos voisins du Sud. Nous croyons qu'avant de songer à soumettre l'industrie brassicole canadienne aux lois du libre-échange avec les États-Unis, il est essentiel de passer d'abord par une période de transition qui permettra à notre industrie de rationaliser ses activités et d'être en mesure d'affronter la concurrence des brasseries américaines. Ce que nous demandons, à toutes fins utiles, c'est de créer d'abord ce marché de libre-échange ici même, au Canada, avant d'ouvrir nos frontières au marché américain. En d'autres mots, créons le libre-échange est-ouest avant de créer le libre-échange nord-sud.

Avant même de considérer quelque entente avec les États-Unis, les gou-

vernements fédéral et provinciaux devraient éliminer toutes les barrières commerciales interprovinciales qui, dans le secteur des brasseries, régissent aujourd'hui la production, la distribution, la commercialisation et la vente des produits brassi-coles. Nous sommes convaincus qu'à cause de nos barrières intérieures actuelles, il serait strictement impossible à l'industrie brassicole canadienne et, a fortiori à l'industrie québécoise, de survivre à un décloisonnement de nos marchés qui passeraient soudainement de l'échelle d'une province à celle de tout un continent. Parce que c'est bien de cela qu'il s'agit. Dans l'éventualité d'un accord de libre-échange, nos brasseries canadiennes qui ont été obligées par les lois à fonctionner à l'intérieur des limites géographiques des provinces auraient soudainement à affronter tout le marché nord-américain. Bien plus, dans le contexte actuel, nous serions dans la situation ridicule où nous aurions à faire face au libre-échange avec les États-Unis alors que le libre-échange avec les autres provinces nous serait interdit. Puisque le ridicule ne tue pas, nous pourrions même éventuellement voir une brasserie américaine desservir l'ensemble du Canada à partir de son unique installation au centre des États-Unis, alors qu'une brasserie québécoise ne pourrait même pas vendre ses produits dans la province voisine. Parce que les brasseries ont dû construire des installations dans chacune des provinces, à l'exception de l'Île-du-Prince-Edouard, aucune de celles-ci n'est en mesure de concurrencer les installations américaines qui, elles, n'ont pas eu à se soumettre à de telles lois ou à de telles contraintes.

Aux États-Unis, les brasseries ont aménagé des installations d'une capacité telle que certaines pourraient à elles seules assurer plus de 80 % de la consommation canadienne. Les économies d'échelle que de telles installations permettent sont insurmontables pour les brasseries canadiennes. Â ces problèmes de taille de marché, d'économies d'échelle et de capacité de production s'ajoute celui de la sous-utilisation des facilités aux États-Unis.

À l'heure actuelle, au moment où on se parle, l'industrie américaine fonctionne à moins des trois quarts de sa capacité totale, ce qui laisse un surplus de capacité de 75 000 000 d'hectolitres - pour ceux qui ne sont pas tout à fait habitués à cela, un hectolitre, c'est un peu plus de douze caisses de bière de 24 - soit quatre fois la consommation annuelle canadienne. Ce surplus de capacité, combiné à des coûts de production très inférieurs, constitue une autre menace à notre industrie.

L'industrie québécoise et l'industrie canadienne ne peuvent donc pas, dans de telles conditions, affronter à court terme la concurrence américaine. Par contre, il faut souligner que la petite taille du marché n'a pas servi de prétexte à l'inefficacité dans l'industrie brassicole au Québec. Au contraire, la forte concurrence qui existe ici entre les fabricants les oblige à être très efficaces dans les limites imposées par la taille du marché. En fait, et cela en surprendra plusieurs, l'industrie brassicole au Québec se classe parmi les plus productives de tout le secteur manufacturier québécois.

Nous avons parlé d'économies d'échelle qui ont une influence déterminante sur les coûts. Mais il faut également parler d'économies au chapitre des approvisionnements en matières premières. À titre d'exemple, les brasseurs canadiens doivent payer leur orge à un prix qui dépasse le prix mondial de cette denrée. Cela, grâce à la Commission canadienne du blé qui exerce son monopole sur les ventes des céréales canadiennes.

Tout à l'heure, nous vous faisions part d'une situation aberrante. En voici une autre. Théoriquement, nos voisins du Sud pourraient s'approvisionner en orge canadien à un prix largement inférieur à ce qu'il nous en coûte, nous, brasseurs canadiens, puisqu'ils paieraient leur orge au prix international alors que nous payons le nôtre, au Québec, au prix domestique qui est de 2,6 fois plus élevé. Ajoutons à cela qu'à l'intérieur de chaque province, nos produits sont principalement vendus dans des bouteilles retournables, alors qu'aux États-Unis, plus de 90 % de la production est mise en marché dans des contenants à remplissage unique pouvant être expédiés d'un bout à l'autre du pays. II existe, là également, d'importantes économies.

Lorsqu'on additionne tous les avantages que possèdent déjà nos concurrents américains, il est indéniable que nous nous trouvions devant une situation presque insurmontable. Malheureusement, ce n'est pas tout. Il faut aussi souligner que les bières américaines occupent déjà 15 % du marché domestique, suite à des ententes de brassage sous licence avec des brasseries canadiennes. Toutes ces ententes ont une provision de terminaison. Que croyez-vous que feront les brasseurs américains dans le cadre du libre-échange? Se satisferont-ils de royauté alors qu'ils pourront s'accaparer tout le profit? En plus de nous faire perdre immédiatement environ quinze points de part du marché, nous croyons que ces mêmes brasseurs américains pourraient gruger une autre part de 5 % à 10 % en introduisant de nouvelles marques non encore disponibles ici. À cela, nous devons ajouter une troisième tranche de 10 % à 15 % du marché canadien et québécois qui serait conquise par les autres brasseurs américains, tant nationaux que régionaux, grâce au coût inférieur de leurs produits.

Dans la perspective d'une perte de 30 % à 40 % de leur marché domestique, les brasseries canadiennes n'auront d'autre choix que de fermer certaines de leurs installations et de réduire leurs opérations "dans d'autres, étant donné que les barrières interprovinciales les empêcheront de rationaliser leurs opérations. Dans de telles conditions de marché, il deviendrait plus avantageux pour les brasseurs canadiens, plutôt que d'investir au Québec ou au Canada, soit de louer, soit de faire l'acquisition d'installations existantes aux États-Unis, soit de faire fabriquer certaines de leurs marques destinées au marché canadien par des brasseurs américains ayant un surplus de capacité. Nous pensons que les gouvernements, et particulièrement les gouvernements provinciaux, n'ont pas encore pleinement réalisé les répercussions possibles d'une libéralisation des échanges avec les Etats-Unis qui comprendrait l'industrie brassicole. (20 h 15)

Quelques chiffres. L'industrie brassicole québécoise est une industrie majeure au Québec. En 1986, notre industrie soutenait de façon directe, indirecte ou induite quelque 22 000 emplois et elle générait des revenus de plus de 1 000 000 000 $. La même année, le seul trésor québécois touchait environ 350 000 000 $ en impôts et taxes issus des diverses activités reliées à la bière. Ces quelques chiffres seulement démontrent bien que l'industrie brassicole joue un rôle très important au Québec. En conséquence, toute perturbation des activités de celle-ci aurait des répercussions considérables sur l'ensemble de l'économie du Québec. L'exemple de notre province illustre bien notre propos, mais il s'agit là d'une situation qui, malheureusement, s'étend à l'échelle du pays tout entier.

Il n'y a pas que les coûts économiques qui sont en cause. Il faut aussi compter avec les coûts sociaux qui risquent d'être fort importants. Nous pourrions nous contenter de cette description que vous pourriez qualifier de presque apocalyptique de l'industrie brassicole, advenant un traité de libre-échange avec nos voisins du Sud. Nous pourrions réitérer ici notre refus d'être partie à une entente de libre-échange. Nous pourrions, comme d'autres l'ont fait, réclamer des mesures protectionnistes qui nous permettraient de poursuivre nos activités dans les conditions actuelles. Il nous semble toutefois que ce n'est pas là la bonne façon de faire face à un mouvement mondial qui nous apparaît, à nous, irréversible.

C'est pourquoi nous demandons à nos élus de s'asssurer qu'une éventuelle entente de libre-échange avec les États-Unis comprenne une garantie de période de transition pour l'industrie brassicole. Ce n'est pas que nous voulions retarder les échéances, mais c'est plutôt que nous voulons nous donner le temps et les opportunités qui permettront à l'industrie brassicole de se réorqaniser et de se rationnaliser afin d'affronter un concurrent beaucoup plus puissant. Nous sommes prêts, comme industrie, à prendre des risques, mais, comme vous, pas avant d'être assurés que nous ne combattrons pas pieds et mains liés. Dans un premier temps, un accord national doit intervenir sur le décloisonnement du marché canadien, ce qui permettra la restructuration et la rationalisation de notre industrie. Pour ce faire, il faudra que les gouvernements fédéral et provinciaux abordent avec ouverture les dossiers suivants: - certains concernent d'abord le gouvernement fédéral -dans un premier temps, élimination du système de taxe ad valorem qui affecte le prix des fabricants canadiens et ajustement du mécanisme de prélèvement des taxes d'accise de façon à l'uniformiser avec celui des États-Unis. Deuxièmement, examen du marché des céréales au Canada de façon à s'assurer que l'industrie brassicole domestique puisse acheter ses céréales à un prix compétitif avec celui des producteurs américains. Cela pourrait aller jusqu'à l'établissement d'un marché libre des céréales conduisant à l'abolition pure et simple du monopole présentement exercé par la Commission canadienne du blé. En troisième lieu, harmonisation des règlements du gouvernement fédéral touchant la publicité et la promotion des produits de l'industrie brassicole avec ceux des États-Unis de façon è créer un environnement concurrentiel semblable pour les deux industries. Cela impliquerait, par exemple, l'abolition du contrôle du CRTC sur la publicité de l'industrie.

D'autres dossiers relèvent particulièrement des gouvernements provinciaux: 1) abolition de certains règlements portant sur la publicité de façon à permettre à l'industrie d'avoir librement accès au marché des médias nord-américains; 2) harmonisation à travers le Canada des lois et règlements relatifs au contrôle de l'environnement de façon à maintenir au pays un système de consignation favorable à la qualité de l'environnement; 3) abolition de l'identification obligatoire des contenants destinés à la consommation sur place de façon à accroître notre productivité; cela s'adresse particulièrement au Québec.

D'autres dossiers enfin intéressent à la fois le gouvernement fédérai et les provinces. Dans un premier temps, examen des niveaux de taxation de la bière au Canada et adoption d'un régime de taxation assurant la compétitivité de l'industrie canadienne par rapport à celle des États-Unis. Ensuite, établissement de standards nationaux en matière de réglementation de la publicité qui soient semblables à ceux des États-Unis et, application de façon égale,

aux fabricants canadiens et étrangers, des règlements concernant la promotion et la commercialisation de la bière. Une fois que ces dossiers auront été résolus - et vous avouerez avec moi que ça ne sera pas facile à la satisfaction de l'ensemble des intervenants, et que le décloisonnement du marché canadien aura été accepté par tous les gouvernements, il faudra prévoir alors une autre période de temps au cours de laquelle l'industrie pourra s'ajuster au contexte du marché libre au Canada, aussi bien au niveau de la production que de la distribution et de la mise en marché de la bière. Cette autre période, estimons-nous, devrait s'étendre sur dix ans. Le processus de restructuration se traduira par une redistribution géographique de la production et de l'emploi et aussi, avouons-le, par des pertes nettes d'emplois dans tout le Canada. Il faudra donc pouvoir compter sur divers programmes gouvernementaux d'aide aux travailleurs, portant sur le recyclage de la main-d'oeuvre, de même que sur des subventions à la relocalisation., De plus, l'industrie propose que les gouvernements s'entendent sur un programme d'amortissement accéléré, touchant les anciennes et les nouvelles installations touchées par cette restructuration. C'est durant cette deuxième période, également, que l'ensemble des intervenants seront en mesure d'apprécier à quel moment et dans quelles conditions on pourrait envisager une libéralisation du commerce de la bière entre le Canada et les États-Unis. En terminant, nous aimerions souligner que, compte tenu de l'importance considérable de l'industrie brassicole au Québec, il nous apparaît évident que les représentants publics et privés du Québec devraient prendre le leadership des pourparlers menant à la rationalisation de notre industrie, de façon à tirer le maximum de bénéfice pour le Québec du décloisonnement du marché canadien de la bière. Comme brasseurs, nous vouions continuer à assumer notre rôle de chefs de file et à fournir les services, les produits, les bénéfices économiques, et non le moindre, les emplois associés à l'industrie brassicole canadienne et québécoise. Nous sommes à la veille de moments importants pour l'ensemble des Canadiens, y compris nous, de l'industrie brassicole. Ils sont d'autant plus importants qu'une fois enclenchés il n'y aura pas possibilité de reprise. Messieurs, je vous remercie.

Le Président (M. Théorêt): M. Allard, je vous remercie. Pour débuter les échanges avec vous, je vais céder la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: M. Allard, messieurs, merci de votre présentation. Je crois qu'il est fidèle de dire qu'elle ressemble, à toutes fins utiles, à celle que vous aviez déjà présentée au comité Warren. Votre position fait en sorte que vous n'êtes pas contre le libre-échange, que vous êtes même pour une libéralisation des échanges. Si je comprends bien, d'une part, une de vos nombreuses conditions, c'est; commençons par rationaliser l'industrie au Canada. Ensuite, vous faites une liste que je jugerais probablement non exhaustive des conditions que vous y rattachez.

Je ne voudrais pas clore la discussion avec vous. Au contraire, il y a des questions que mon collègue de l'Industrie et du Commerce, responsable de cette industrie dans la province, et moi-même, voudrions vous poser de même que, probablement, quelques autres de mes collègues. Je suis tenté de vous demander ceci, je vais le faire, parce que je pense que vous me connaissez, je vais aller droit au but: Pensez-vous que la liste des conditions que vous avez fixées est réalisable dans quelque condition que ce soit?

M. Allard: M. le ministre, je serai aussi direct que vous l'avez été. Il ne faut jamais oublier que l'industrie brassicole au Québec et dans chacune des provinces canadiennes se trouve dans la situation que nous avons décrite, à cause des gouvernements provinciaux qui ont non seulement insisté mais qui ont légiféré sur la façon dont nous fonctionnerions et là où nous devrions avoir des installations. Ce ne sont pas les intérêts économiques des brasseurs qui ont dicté d'avoir des brasseries à Terre-Neuve, au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta, etc. C'est une aberration sur le plan économique. Les gouvernements provinciaux, pour des raisons de création d'emplois régionaux, ont forcé purement et simplement les brasseurs à avoir des installations dans ces provinces et ils leur ont dit: Si vous n'avez pas d'installations dans cette province, messieurs, vous ne vendrez pas votre bière. Cela, c'est l'historique.

En partant d'un tel historique, nous trouvons aberrant, M. le ministre, qu'on nous dise maintenant, que ces mêmes gouvernements osent même nous suggérer, eux qui nous ont mis dans cette situation: Les gars, c'est bien dommage, on vient de changer d'idée et ne nous posez pas de conditions. Comme vous l'avez dit, notre liste de conditions n'est pas exhaustive, mais tout cela aurait existé si nous n'avions pas eu ces contraintes.

Nos concurrents américains, avec qui on va devoir combattre, n'ont pas eu ces contraintes. Ils n'ont eu aucune contrainte. Je vais vous donner un exemple que vous connaissez très bien. La brasserie Coors, pour ne pas la nommer, à Golden, au Colorado, avait une installation pour desservir la clientèle de l'Atlantique au

Pacifique. Le gouvernement américain ne lui a imposé aucune contrainte et elle a décidé de s'installer là, de s'intégrer, d'avoir sa propre usine de cannettes, etc. C'est l'une des plus belles industries aux États-Unis. Nous, on ne nous a jamais permis cela. Nous, on dit: Messieurs, on ne peut pas simplement tourner la page. Il faut retourner en arrière. Permettez-nous d'être efficaces, permettez-nous d'agir comme des hommes d'affaires et, à ce moment-là, il y a toutes sortes de conditions de rattachées à cela.

Si vous me permettez, M. le ministre, vous m'avez posé une question, est-ce que je peux me permettre à mon tour de vous en poser une? Nous nous sommes permis cet après-midi de venir écouter les gens qui nous ont précédés avant le diner et aussi pour nous familiariser avec ces lieux et nous sommes impressionnés. Vous avez dit un certain nombre de choses. Encore une fois, d'une façon très directe, je vais vous demander ceci: Est-ce que l'industrie brassicole présentement, à vos yeux, est incluse dans un traité éventuel de libre-échange? Dans un deuxième temps, si votre réponse à cette question, c'est oui, je pense qu'on peut se permettre de vous demander si l'industrie brassicale est un des secteurs pour lesquels le gouvernement du Québec demandera une période de transition?

Le Président (M. Théorêt): M. le ministre.

M. MacDonald: Je pense que je vais être obligé de vous répondre dans un contexte de négociation que vous comprenez très bien. De part et d'autre, la négociation est entamée dans un contexte global. Lorsqu'à un moment donné, également, les Américains ont été demandeurs et ont fait la suggestion de l'abolition de toute tarification sur une période de dix ans, c'était global. Si vous me demandez: Est-ce qu'il y a des sujets d'exclus de la négociation à l'heure actuelle?, je répondrai que, de part et d'autre, il y a eu des conditions canadiennes de posées et des conditions américaines, mais, au départ, c'était global. Je sais, M. Allard, pour vous connaître très bien, que vous n'êtes pas satisfait de ma réponse, mais c'est la meilleure que je peux vous donner sur le sujet. (20 h 30)

Je reviens, si vous me le permettez, à ma question et je vais la développer un peu plus. Vous suggérez une rationalisation canadienne. À supposer qu'il n'y ait pas d'entente et que le commerce de bière entre les frontières ne se ferait pas, quelle est votre orientation actuelle, avec ou sans entente, vers une rationalisation de votre industrie? Est-elle réalisable à l'intérieur d'une liste de conditions un peu moins longue?

M. Allard: Je pense qu'il serait juste de dire, M. le ministre, que nous sommes dans l'attente qui commence à devenir pour nous un peu intenable. On peut travailler sur différents scénarios, mais, comme vous l'avez dit vous-même, la réponse que vous avez donnée à ma question n'est pas satisfaisante - j'emploie vos propres mots, je crois - à ce moment-là, on est dans l'attente. Qu'est-ce qui va se produire? C'est très difficile pour nous. On travaille sur différents scénarios, chacun d'entre nous, mais tant et aussi longtemps que nous ne saurons pas ce qui nous attend, il est difficile de planifier nos investissements futurs. Il est difficile de planifier certaines rationalisations. Alors, c'est aussi très difficile pour moi de répondre à votre question parce qu'elle est un peu hypothétique. On voudrait savoir à quoi s'en tenir. Ce que je pourrais répondre, c'est que, dans l'hypothèse où nous serions exclus d'un traité de libre-échange, je vais même parler d'une hypothèse un peu pessimiste, à savoir qu'un traité de libre-échange, pour toutes sortes de raisons, n'aurait pas lieu, les brasseurs canadiens dans un tel contexte continueraient leurs pressions auprès des gouvernements provinciaux et fédéral afin de rationaliser leur industrie dans tout le Canada.

M. MacDonald: Je vous en remercie. Juste un commentaire avant de passer la parole à mon collègue. Moi aussi, je pense que mon collègue pourrait utiliser le mot "aberration" et le langage que vous avez utilisé en parlant de l'institution de cette industrie ou l'installation de ce genre de façon de faire au Canada.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le ministre. M. le critique officiel et député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Allard, M. Boisvert et M. Prévost, cela me fait plaisir, au nom de ma formation politique, de vous souhaiter la bienvenue. Si vous êtes impressionnés par cette enceinte, nous sommes impressionnés de voir les trois grands assis à cette même table pour défendre une même cause.

Les préoccupations que vous avez, je pense qu'elles sont compréhensibles. Je dois vous dire que si on portait le chapeau que vous portez, on serait tout au moins sinon plus inquiet que vous l'êtes actuellement. De vous dire, M. le Président, qu'on est sympathique à votre cause, cela ne règle pas votre problème et cela ne fait pas avancer le débat. J'ai reproché que le débat qui a lieu aujourd'hui ait lieu si tard parce qu'on sait que, dans quelques jours, il y aura une entente de conclue. On sait, parce que le ministre nous le dît, qu'effectivement, il y aura et il y a sur la table toute la question

de l'industrie brassicole. On ne sait pas ce qui va en sortir. Ce que je trouve quand même assez extraordinaire, c'est de voir votre réaction qui est ouverte, positive et claivoyante parce que, malgré tout cela, vous dites: Essayez de nous aider à régler nos problèmes, mais malgré tout cela, on est pour le principe de la libéralisation des échanges, parce que c'est là qu'on doit se diriger. Je pense qu'il y en a peu qui ont réussi à le faire, étant aussi touchés que vous l'êtes, et prendre ce genre de position. Ce qui m'inquiète aussi, c'est de voir le gouvernement... Vous avez comparu devant le comité Warren, il y a quelques mois, vous l'avez sensibilisé et, ce soir, il n'y a pas beaucoup d'éléments nouveaux. Par contre, ce que je ne comprends pas, c'est que le gouvernement savait, le ministère de l'Industrie et du Commerce savait déjà depuis au moins deux ans, puisqu'il y avait eu des études de faîtes en septembre 1985 qui disaient très clairement les dangers pour le domaine de l'industrie brassicole, ce à quoi on pouvait... Cela avait été commandé par le précédent gouvernement et ces études sont maintenant connues parce qu'on les a rendues publiques. Mais, on ne peut pas dire que personne n'était au courant. C'est un . phénomène connu de tout le monde depuis au moins deux ans et connu de ceux qui prennent les décisions.

M. Deniger déclarait récemment, dans une entrevue à la revue PME; que si les choses se passent comme il semble qu'elles veuillent se passer, qu'il y ait un accord de libre-échange et que l'industrie brassicole n'est pas exclue, il deviendrait plus rentable pour les brasseurs canadiens d'aller s'intaller aux États-Unis. Je dois vous dire que c'est assez alarmant si on regarde l'impact que cela aurait, l'impact des emplois d'abord et l'impact économique. Je vous dis ce soir: Vous demandez des choses au gouvernement. Je pense que vous êtes tout à fait dans votre droit de les demander et de les exiger. Voici ce que je vous demande. Est-ce que cette déclaration de M. Deniger, qui l'a faite certainement après consultation auprès de vous, est une menace qui nous guette sérieusement, à savoir que vous devrez, s'il n'y a pas cette période de transition minimale de dix ans et plus, plus les autres contraintes interprovinciales quant à la réglementation, faire face à cette position? Je m'adresse à vous, M. Allard. Je pense que vous...

M. Allard: Avec votre permission, peut-être que je demanderais à M. Deniger, d'abord, si les propos reflètent sa pensée.

M. Deniger (Pierre): Absolument. Lorsqu'on regarde un scénario possible qui est celui de la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis il faut dresser tous les scénarios possibles. Ce que j'ai rapporté en fait à la revue PME est exactement ce que l'analyste Howett, de la maison de courtage Wood Gundy, proposait comme solution.

Lorsqu'on regarde les coûts de production, pour toutes sortes de raisons qui existent au Canada par rapport aux coûts de production qui existent aux États-Unis pour fabriquer une bière, il est évident qu'il y coûte beaucoup moins cher de fabriquer cette bière aux États-Unis qu'au Canada. Alors quand on regarde, au bout du compte, des propositions possibles, et on l'a répété tantôt dans nos remarques, ce serait possiblement de s'installer ailleurs pour vendre au Canada. Cela démontre à quel point c'est un non-sens.

M. Allard: Je vais ajouter une remarque. Je suis certain que MM. Boisvert et Prévost auront des remarques à ajouter, parce que vous soulevez une question absolument cruciale pour le Québec. Comme homme d'affaires et comme société, vous devez vous rappeler qu'il est certain que nous avons des responsabilités envers nos concitoyens, envers nos employés, envers la société d'une façon générale, envers les gouvernements mais que nos responsabilités premières sont envers nos actionnaires qui ont investi à l'intérieur de nos compagnies respectives. Puis, eux, s'attendent que leurs dirigeants qu'ils ont mandatés pour faire fructifier leurs avoirs prennent les décisions requises, bien que ces décisions peuvent parfois être extrêmement difficiles.

Alors, les décisions dans un contexte de libre-échange très rapide vont être des décisions économiques. Par exemple, et je vais prendre un exemple que mon collègue de gauche emploie souvent, si c'est plus économique et si c'est dans le meilleur intérêt des actionnaires d'avoir une usine à Plattsburgh pour desservir tout le marché du Québec et que cela nous coûterait beaucoup moins cher de produire à partir de Plattsburgh que de Montréal, eh bien, on va produire à partir de Plattsburgh parce que ce sont là les réalités économiques. Si on ne le fait pas, parce qu'on parle toujours de l'hypothèse d'un contexte de libre-échange, les Américains vont nous tuer carrément. Alors, il faudrait prendre des actions, prendre des attitudes absolument radicales et dire qu'est-ce qu'on fait? C'est certain que, demain matin, les deux usines de la rue Notre-Dame, est et ouest, O'Keefe et Molson ne fermeraient pas et l'usine de la ville de Lasalle non plus. Mais sur une très courte période, on va devoir regarder l'Ontario et le Québec ensemble, dans un premier temps, et dire: Qu'est-ce qu'on fait pour desservir l'Ontario et le Québec, un marché qui représente 70 % ou 75 % des affaires, et là, si cela nous prend une brasserie à Plattsburg et une autre à Buffalo? Eh bien, c'est ce qui

va arriver. Puis, comme administrateurs, c'est là notre devoir. Alors, cela peut sembler, encore une fois, apocalyptique mais je pense que ces scénarios, mêmes pessimistes, sont possibles. Sur ce, je demanderais peut-être à mes deux collègues d'ajouter leur point de vue.

M. Boisvert (Marcel): Je pense que dans des conditions de décloisonnement, vous dites qu'il y a une des conditions, il y a beaucoup de conditions, mais disons que la condition de décloisonnement ne se fait pas pour des raisons politiques, parce qu'on dit: Bon, débrouillez-vous. Il est évident qu'à ce moment, dans un libre-échange nord-sud mais non est-ouest, cela entraîne beaucoup plus d'intérêt d'aller vers le sud, parce que, effectivement, il y a une surcapacité qui est disponible sur la frontière canadienne de l'est à l'ouest et qui est achetable à des coûts beaucoup plus intéressants peut-être que d'être obligé d'investir dans des usines qui, vous le savez, ont été montées pour des marchés qui étaient beaucoup plus restreints. Alors, je pense que c'est une possibilité, certes, la déclaration de M. Deniger n'était pas faite à la légère. Je pense aussi qu'il est important de bien comprendre que dans un concept où les règles du jeu on les connaît, on les connaît et on ne les connaît pas, on connaît d'autres secteurs. L'industrie de l'automobile depuis 15 ou 20 ans a passé à travers toutes sortes de libre-échanqe, a passé à travers toutes sortes de phénomènes de concurrence. On sait ce qui est arrivé. On sait que l'industrie, exemple, électronique, les fabricants de téléviseurs, etc., même ceux qui fabriquaient aux États-Unis ont décidé, à un moment donné, que si cela coûtait moins cher de fabriquer en Corée et que c'était une façon de survivre, il est évident qu'à un moment donné les administrateurs doivent regarder l'ensemble des scénarios. Il est évident que nous avons des actifs ici au Québec et des actifs importants. Il est aussi évident que quand la "game" change, quand cela devient une "game" nord-américaine, bien, à ce moment, si Coors est capable de rationaliser une usine pour 52 États ou 48 États, moi, je ne vois pas pourquoi on est capable de continuer à rationaliser 12 usines pour un marché de 25 000 000 d'habitants. Imaginez-vous une usine ou trois usines pour 6 000 000 d'habitants, trois usines pour 6 000 000 d'habitants.

Le Président (M. Théorêt): M. Prévost.

M. Prévost (Ed.): Je peux tout simplement rajouter quelques nuances, parce que finalement on est tous du même avis. Cela est rare, mais cela arrive. Si j'ai le rhume, ce n'est pas parce que les Américains viennent d'éternuer non plus. Disons que les règles du jeu sont inconnues, le terrain de jeu n'est pas tout à fait au niveau. Disons qu'on parle d'une façon très hypothétique mais néanmoins nous sommes des représentants, je pense, de corporations qui sont non seulement québécoises, avec des racines très profondes au Québec, mais également des entreprises nationales et même de plus en plus internationales. C'est certainement le cas de notre organisation à nous qui vient d'être acquise par une société, croyez-le ou non, australienne - qui aurait pensé cela il y a cinq ans? - qui semble avoir des ambitions internationales très fortes. C'est clair que dans un contexte de libre-échange, que nous appuyons en principe, que des options telles que celles énoncées tout à l'heure, que nous vous avons présentées sous forme de menace, ce ne sont pas des menaces, je pense, qu'on souhaite faire ici, ce sont des options qu'on se doit de considérer très sérieusement dans l'intérêt de nos actionnaires. Cela ne veut pas dire que ce sont des options que nous allons retenir comme telles, mais cela fait partie des considérations, compte tenue des investissements considérables que nous avons quand même au Québec et au Canada.

Il y a un autre phénomène aussi. L'industrie brassicole, mondialement, est en stagnation sinon en régression. Il y a un surplus de capacité mondial, mais toutes les brasseries à travers le monde sont désespérément à la recherche de nouveaux marchés, voire même à faire ce qu'on appelle communément du "dumping", légalement ou illéqalement, et il s'adonne qu'elles le font même dans notre propre pays. Je fais allusion à l'AIberta où de telles bières occupent présentement 10 % ou 11 % du marché albertain. (20 h 45)

M. Boisvert: Je pourrais même ajouter un exemple du groupe Elders. Le président de la compagnie a mentionné dernièrement, et sérieusement, qu'il était possible de fabriquer - et ça, c'est le monde à l'envers, vous allez me dire - de la bière au Canada pour le marché asiatique, car, dans certains cas et selon certaines considérations, il considérait qu'il pouvait justifier ou rationnaliser un coût plus bas au Canada qu'en Asie. Vous allez me dire: Mais c'est loin, c'est à 3000 milles. Ce que j'essaie de vous dire, c'est que, quand les frontières tombent - pour utiliser l'exemple du pâturage qu'on a donné cet après-midi - effectivement, on ne sait jamais de quel bord cela va aller.

Ce qu'on vous dit, c'est qu'il ne faut certes pas tenir pour acquis que, dans le contexte même d'un décloisonnement est-ouest, le Québec et l'Ontario seront les gagnants dans l'industrie brassicole. Bien des gens peuvent penser cela et dire: Ce sont les Maritimes qui vont souffrir. C'est l'Ouest qui

va souffrir. Ce n'est pas garanti non plus. Par exemple, une usine à Toronto qui a actuellement une capacité... Ed., peut-être que tu peux en parler.

M. Prévost: Oui, environ 3 400 000 hectolitres, qui est utilisée environ - mais cela va s'améliorer...

M. Boisvert: Oui, oui, enfin je l'espère.

M. Prévost: ...environ à 57 % en ce moment. C'est une capacité phénoménale dans le contexte canadien.

Le Président (M. Théorêt): Merci, Messieurs. M. le député de Bertrand, vouliez-vous poser une autre question avant qu'on passe au ministre de l'Industrie?

M. Parent (Bertrand): Oui, si vous le permettez, sur le même sujet pour vider cette question. Vous vivez actuellement une situation de "dumping", si je comprends bien. Vous êtes devant cette situation et le gouvernement canadien ne fait rien ou ne réagit pas actuellement et vous avez à subir cette situation de "dumping".

M. Boisvert: ...le gouvernement provincial.

M. Allard: ...le gouvernement provincial, la situation à laquelle M. Prévost a fait allusion se passe en Alberta, pour ne pas nommer la province, et nous avons la preuve irréfutable que du "dumping" y est fait. Et, par "dumping", j'entends le prix vendu à l'Alberta Liquor Board comparativement au prix vendu dans l'État de Washington où les compagnies Olympia Ironear, pour ne pas les nommer, vendent leur produit. Alors, on a la preuve irréfutable que du "dumping" se déroule là et, malgré tout le "lobbying" que l'industrie brassicole a fait, cela n'a absolument rien donné. Naturellement, quand on voit ceci se passer, aujourd'hui, le 17 septembre 1987, vous pouvez bien vous imaginer que les différents scénarios qui pourraient arriver durant les prochains mois nous inquiètent au plus haut point.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. Allard. Je vais maintenant céder la parole au ministre de l'Industrie et du Commerce.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président. La commission parlementaire, à part le fait qu'elle peut donner l'occasion aux témoins de poser des questions aux membres de la commission, comme vous l'avez fait tout à l'heure, est également une occasion pour les parlementaires de vous poser des questions. Dans le cadre des négociations sur le libre-échange, nous avons, comme gouvernement, mis sur pied un comité où vous avez fait valoir votre point de vue. Nous avons reconnu tout à l'heure que ce que vous nous présentez aujourd'hui est essentiellement de la même nature et du même degré, quant aux conditions que vous posez et la position que vous représentez, que ce qu'on a entendu devant le comité technique, etc., qu'on a mis sur pied ici afin d'articuler et d'exprimer éventuellement la position du Québec auprès des négociateurs canadiens.

C'est par ailleurs peut-être la première occasion que nous avons d'échanger publiquement des questions et réponses pour éclairer tout le monde, y compris les parlementaires à l'égard de la rationalisation que vous dites essentielle avant même de considérer lancer l'industrie brassicole dans un contexte de libre-échange. Cette commission nous permet d'évaluer également - en tout cas, de notre côté, et c'est notre responsabilité - quelle sorte d'enjeux concrets sont en cause. On peut mentionner le nombre d'emplois, etc. Mais si vous n'écartez pas, a priori et en principe, le libre-échange mais que vous vous plieriez éventuellement à condition qu'une rationalisation soit produite, il faudrait qu'on ait une meilleure idée, même si vous dites que ce ne sont que des scénarios hypothétiques, de ce en quoi on s'embarque si nous prétendions être des partenaires à la rationalisation. Si on est sérieux lorsqu'on parle d'ajustement, de transition, de recyclage, d'aide à la remodernisation, au redéploiement d'une industrie, au reclassement de la main-d'oeuvre et ça fait partie, éventuellement, de nos responsabilités, il faut avoir une idée de l'ampleur de la rationalisation qui est envisagée.

Je me demandais si vous pouviez aller un peu plus loin. Vous avez dû aller plus loin pour évaluer, comme vous l'avez fait de cette façon, l'effet de la libéralisation sur vous autres, dans la mesure où vous souhaitez de lonque date que les barrières interprovinciales tombent. Vous devez savoir où vous vous en allez le jour où ça va tomber, ce que vous allez faire. Est-ce qu'on pourrait avoir un meilleur aperçu de ce que représenterait l'industrie brassicole canadienne rationalisée, prête à affronter le libre-échange?

M. Allard: Plusieurs scénarios, comme vous dites, M. Johnson; on a fait nos devoirs un petit peu, on a imaginé un certains nombres de scénarios. Comparons, je pense au point de départ, les deux pays. Présentement, au Canada, il y a 38 ou 39 usines de brassage. Aux États-Unis, il y en a 108 ou 109. Vous avez, du côté canadien, une industrie d'à peu près 20 000 000 d'hectolitres et, du côté américain, une industrie d'à peu près 220 000 000 d'hectolitres. Si on essayait de faire ces proportions-là et de dire combien devrait-on

avoir pour être à peu près l'équivalent de nos voisins américains d'usines ici au Canada, quand on regarde ce qui existe présentement, alors on pourrait dire que, nous autres, on a 38 ou 39 usines, les Américains devraient en avoir 385-390. Ils en ont 108 ou 109. Alors on va le prendre à l'inverse. Et puis, au Canada, pour se comparer aux États-Unis on devrait avoir, écoutez, disons entre dix et quinze usines. Parce que c'est très difficile de dire exactement ce que ça pourrait être. Alors la première déduction qu'on fait de ça c'est qu'on part de 38 et que l'on tombe à quinze. Il y en a 23 qui ferment leurs portes. Alors là on commence à être plus concret.

À part cela, qu'est-ce qu'on dit? La rationalisation à ce moment-là peut prendre, naturellement avec ces usines-là qui fermeraient... des investissements devront être faits dans les autres usines. D'abord, il va y avoir le "write-off", pardonnez-moi l'anglicisme, pour les usines qui fermeraient. Il y aurait aussi, naturellement, tout ce que vous avez mentionné au niveau de relocalisation, de recyclage, etc., de tous ces travailleurs-là et il y aurait aussi tous les investissements qu'il faudrait faire pour ajouter à la capacité des dix, onze, douze, quatorze usines qui pourraient rester.

Là la rationalisation pourrait prendre différentes facettes. Une des facettes qu'elle pourrait prendre c'est de dire: on va redistribuer le Canada. Par exemple, l'usine de Montréal de chacun des brasseurs, ça pourrait varier d'un brasseur à l'autre, va maintenant desservir un territoire géographique qui va englober les provinces maritimes, la région d'Ottawa-Cornwall, etc. Cela, c'est une option.

Une autre option va être une rationalisation en ce qui concerne les marques et les empaquetages. Présentement, chacun des brasseurs à l'intérieur de chacune des provinces fabrique plusieurs marques et empaquetages. Â chaque fois que vous devez arrêter une ligne de production d'où sortent 1200 bouteilles-minute ou jusqu'à 2000 canettes-minute, à ce moment-là il y aurait peut-être avantage pour les différents fabricants - je vais prendre l'exemple de la brasserie O'Keefe - de dire, compte tenu des investissements massifs qu'ils ont faits à Montréal au niveau de la canette, que l'usine d'O'Keefe à Montréal va produire la canette pour le marché du Québec, de l'Ontario, des Maritimes et peut-être même pour l'Ouest et que les autres usines ne produiront plus de canette. Labatt pourrait dire: Nous allons produire la bière 50 à Montréal pour tout le marché de l'Ontario, du Québec et des Maritimes, et une autre de nos marques, nous allons la produire à notre usine de Toronto. Molson pourrait dire la même chose. Le but ultime de tout cela, c'est d'augmenter notre productivité et de réduire nos coûts pour être en mesure de mieux concurrencer les Américains. C'est là le point de départ. À moins que nous soyons placés dans une position où nos coûts de production, nos coûts de distribution et nos coûts dans leur ensemble soient similaires à ceux de nos concurrents, comment allons-nous les concurrencer? Cette rationalisation va coûter des usines, va coûter des emplois. Je pense que c'est là le dilemme auquel, vous autres, messieurs, allez faire face dans vos négociations avec les autres gouvernements provinciaux. Si vous étiez ministres ou députés au Manitoba ou en Nouvelle-Écosse, etc. vous auriez des jobs à protéger à l'intérieur de ces provinces. Nous comprenons cela. D'un autre côté, on ne peut pas sauver la chèvre et le chou. La rationalisation, M. Johnson - c'est une longue réponse à votre question - peut prendre différentes facettes, mais certainement, un beaucoup plus petit nombre d'usines, des investissements additionnels dans les usines restantes, mais aussi d'autres scénarios, comme on a mentionné tantôt, l'achat possible de nouvelles usines aux États-Unis, une production accrue aux États-Unis, pour desservir le marché canadien. On a tous ces scénarios différents, mais il n'y a encore rien de précis d'arrêté, c'est là où on en est.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. Allard. M. le député de... Pardon, M. Prévost, vous voulez ajouter...

M. Parent (Bertrand): Je pense que M. Prévost voulait ajouter quelque chose.

M. Prévost: Je pense que dans les mémoires qu'on vous a déjà soumis, pour répondre à la question du ministre, le chiffre qui a été proposé, le coût de rationalisation, strictement au Canada, sur une période de dix ans, serait de l'ordre de 2 000 000 000 $. Je pense qu'il est juste de dire que l'industrie brassicole seule est incapable d'assumer un tel coût et elle serait donc obligée de faire appel à des appuis gouvernementaux, tant au niveau fédéral que provincial, pour pouvoir y faire face. C'était la seule mise au point que je voulais faire.

Le Président (M. Théorêt): On pourrait peut-être revenir après, juste un instant. M. le député de Bertrand, est-ce que vous voulez qu'on prolonge cinq minutes la répartie?

M. Parent (Bertrand): Oui.

Le Président (M. Théorêt): M. le ministre, pour une courte question.

M, Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Très brièvement. Une fois l'industrie rationalisée, est-ce qu'on pourrait y retrouver des

occasions d'expansion du marché? On peut parler de rationalisation pour desservir le marché qu'on connaît aujourd'hui, mais il y a le phénomène que vous évoquiez dans votre mémoire, votre pénétration tranquille mais certaine, sur le marché américain. On peut donc voir qu'il y a un marché plus grand que le marché domestique que vous desservez déjà. Est-ce que, à partir d'une industrie rationalisée, cela serait encore plus possible? Si oui, de quelle ampleur, avec les effets positifs que cela signifie?

M. Allard: Oui, mais je pense que les effets positifs sont, sinon inexistants, à peu près minimes. Une fois la rationalisation complétée, il n'y a à peu près pas d'avantages pour les brasseurs canadiens à un libre-échange nord-sud. Je m'explique, M. Johnson. Comme M. Prévost l'a mentionné tantôt, le marché de la bière, aux États-Unis, comme dans le monde est un marché stable ou en régression. Au Canada, c'est un marché en régression et, au Québec, encore plus qu'ailleurs au Canada. Dans une telle condition de marché, ajoutez à cela qu'il y a aux États-Unis déjà aujourd'hui, une surcapacité de production, c'est-à-dire que les usines américaines globalement ne produisent qu'à environ 75 % de leur capacité, dans un premier temps. Dans un deuxième temps, il s'agit, aux États-Unis de géants de la puissance financière, de la pénétration de marché, historiquement. Ces gens-là sont là depuis des décennies, Anheuser Busch contrôle 38 % du marché de la bière aux États-Unis. Vous avez Miller, vous avez Coors, vous avez les autres brasseurs un peu moins importants; ce sont là les trois grands. Pour les brasseurs canadiens, dire: Nous, on s'en va et Anheuser Busch on va lui donner la claque! II faut quand même être réaliste. Je ne dis pas que c'est impossible, mais il faut quand même être réaliste. (21 heures)

Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Présentement, nos exportations aux États-Unis... Là-dessus, je pense qu'il y a toutes sortes de mythes qui circulent. Ce qui n'est pas un mythe, c'est que la perception des produits brassicoles canadiens par les Américains est excellente au niveau de la qualité, mais nous fonctionnons dans une niche qu'on appelle le segment des bières importées, du côté américain, qui ne représente qu'environ 4 % à 5 % du marché américain. À l'intérieur de ce marché, il y a environ 350 marques de bière qui se font concurrence, de la France, de la Chine, des Philippines; nommez le pays, ils sont là, ils vendent de la bière aux États-Unis. Le Canada fait excellente figure vis-à-vis de cette concurrence, mais c'est une niche de 4 % à 5 % de produits de très haute qualité qui se vendent à un prix supérieur. Alors, c'est un marché très limité. L'expansion possible que vous mentionnez, M. le ministre, devrait se faire contre les marques plus connues de tous les jours, Budweiser, Miller, Coors, etc., ce qu'on appelle les marques à prix moyen. Pour les brasseurs canadiens, penser qu'on va faire une concurrence directe à ces marques à partir de rien... Aujourd'hui, ce n'est pas à ces marques qu'on fait concurrence, mais à d'autres marques étrangères du marché américain. Du jour au lendemain, penser qu'on va percer ce marché et qu'on va vaincre les Américains, on va faire des efforts, mais cela ne sera pas facile.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. Allard.

M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Je comprends mieux maintenant cette impossibilité, parce que certains intervenants... Je crois que c'est M. Landry qui nous disait ce matin: Écoutez, même dans le domaine de la bière, si on innove, on pourrait probablement, parlant du goût, parlant d'un produit de qualité, être capable de pénétrer davantage les marchés sauf que la démonstration que vous nous faites... Dans le jargon populaire québécois, on a toujours eu l'impression que vous faisiez partie de la grande entreprise. Effectivement, vous faites partie de la grande entreprise, mais du point de vue de vos compétiteurs américains, vous êtes des PME. Si on le prend dans un contexte nord-américain, vous êtes de petites entreprises. Même si vous avez une détermination, même si vous avez accès à des capitaux et possédez une certaine flexibilité, il semble à peu près impossible que vous puissiez vous tailler une niche additionnelle en essayant d'augmenter le volume. Je trouve cela assez révélateur, parce que, même dans l'étude du Conseil économique du Canada où on mettait comme prémisse de base qu'il y aurait augmentation de la productivité à partir du moment où on abolira les frontières, on voit que, dans un domaine où il existe un volume qui est votre domaine, ce n'est pas nécessairement le cas où il y aura un effet direct, plus de barrière et automatiquement augmentation de la productivité, parce que vous faites face à des supergéants, même si, dans le contexte québécois, lorsqu'on parle des brasseries par rapport à nos petites entreprises, tout étant relatif, vous devenez des PME.

Le prix actuel de votre matière première... Vous avez mentionné qu'à cause du prix qui est réglementé, vous payez l'orqe 2,6 fois plus cher à cause de ces contraintes. Est-ce exact?

M. Allard: Oui, c'est exact.

M. Parent (Bertrand): Donc, quel est le pourcentage... Autrement dit, ce que j'essaie de comprendre, c'est si cette barrière n'existait plus et que vous payiez l'orge au même tarif, quel effet cela aurait-il sur votre prix de revient?

M. Allard: À peu près 30 cents la caisse de 24 bouteilles.

M. Parent (Bertrand): Donc, ce n'est pas...

M. Allard: Seulement le blé... Si nous, les brasseurs canadiens, payions l'orge au prix international, cela nous ferait épargner entre 25 cents et 30 cents la caisse de 24 bouteilles. Et il ne s'agit là que d'un seul ingrédient, mais ce seul ingrédient diminuerait nos coûts de 25 cents ou 30 cents en partant.

M. Parent (Bertrand): En pourcentage, combien cela fait-il?

M. Allard: Écoutez, le prix de base d'une caisse de bière au Québec est de 15 $, mais j'aimerais aussi profiter de l'occasion pour dire que ce n'est pas 15 $ au brasseur. Ce n'est que 10,43 $ au brasseur parce qu'il y a 4,57 $ de taxes fédérale et provinciale sur une caisse de bière. Alors, 30 cents sur nos coûts de 10,43 $, cela baisserait...

M. Parent (Bertrand): Si c'est une baisse, mais ce n'est pas une baisse significative...

M. Allard: Non.

M. Parent (Bertrand): ...où le prix de la matière première est suffisamment significatif que même si cette barrière était réglée et même si vos coûts étaient abaissés, cela ne changerait pas les règles du jeu comme telles. Je pense qu'on s'entend là-dessus.

M. Boisvert: Je vous donne un exemple tout à fait fictif. Le coût unitaire d'une bière aux États-Unis est de 1 $ pour le consommateur et, en ce moment, au Canada, le coût est de 1,30 $ pour toutes les raisons qu'on a évoquées, d'inefficacité, etc. Effectivement on est capable, après ce phénomène de rationalisation, de le ramener à un prix compétitif de 1 $. Disons que le prix est rendu à 1 $. Donc, on est compétitif. Vous l'avez bien dit, je pense que c'est un bon exemple, nous sommes quand même une PME, sur le marché nord-américain, dans l'industrie brassicole. Ce qu'on réussit à faire finalement, c'est, vis-à-vis d'un géant, de ramener notre prix à 1 $. Donc, on est à peu près au même prix que le sien. Deuxièmement, étant une PME, on n'a pas les moyens, mais on a réussi à atteindre le même prix, sauf qu'au Québec, il y a des PME qui, parfois, ont des avantages technologiques. Elles peuvent, en tant que PME, créer ce qu'on appelle des USP, des "unique selling proposition". La bière, sur le pian technologique, il y a différents goûts qu'on peut développer, mais nous avons quand même un produit qui, historiquement, aux États-Unis, est très bien connu, merci. Si, après ce phénomène de rationalisation, la seule chose qu'on a à offrir aux Américains, c'est une bière à 1 $ et que cela fait 150 ans qu'ils vendent de la bière, qu'ils ont leur réseau de distribution et que, demain matin, ils décident qu'ils ne veulent pas nous voir là, eux autres peuvent facilement, pendant un certain nombre d'années, dire: On va la vendre 50 cents notre bière, juste pour vous enlever de là.

Malheureusement, on n'est pas dans une situation où il y a des PME québécoises qui peuvent se lancer sur le marché américain et qui peuvent avoir du succès. Malheureusement, ce n'est pas notre cas, à cause de la nature du produit, à cause du retard que nous avons au point de vue de la productivité, de l'efficacité. Même après ce phénomène de rationalisation - pour répondre à la question de M. Johnson - je ne suis pas sûr que c'est le Pérou en ce qui nous concerne.

Une voix: C'est un petit Pérou.

M. Boisvert: C'est un petit Pérou, oui, très petit.

Le Président (M. Théorêt): Je vous remercie. Le temps alloué à l'Opposition va me permettre de vous poser une très brève question. On a parlé énormément et abondamment de rationalisation ce soir. Vous en parlez abondamment dans votre mémoire. Certains ont évalué que la rationalisation de l'industrie au Canada nécessiterait un investissement de l'ordre d'environ 2 000 000 000 $. À combien évaluez-vous, pour l'industrie québécoise, l'aide nécessaire pour le Québec? Dans un deuxième temps, comment cette aide devrait-elle s'articuler?

M. Allard: La réponse à la première question, je vous avoue que je ne l'ai pas, M. Théorêt. On n'a pas fait les calculs, à savoir ce que cela pourrait représenter pour le Québec. Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question, à part vous dire que ce serait substantiel.

M. Prévost: M. le Président, si vous connaissiez le scénario envisagé, on pourrait être plus en mesure de vous répondre. Cela va dépendre du scénario. Si on connaît les règles du jeu, on pourra déterminer quelles sont nos options et chaque option,

évidemment, aura un prix de rattaché. C'est impossible de répondre à la question sauf globalement, comme on l'a dit tout à l'heure, 2 000 000 000 $ environ.

Le Président (M. Théorêt): Merci. En conclusion, M. le député de Bertrand et M. le ministre du Commerce extérieur.

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie de tous ces éclaircissements,, Malheureusement, cela a été trop court, trop bref. Cela a pour le moins piqué la curiosité de tous ceux qui nous regardent et, en tant que parlementaire, je peux dire que si j'avais seulement appris ce soir que les brasseries canadiennes et québécoises, dans tout ce contexte, sont des PME, je pense que, souvent, sur le plan dimensionnel, on ne réalise pas ces choses-là

En terminant, je vous dirai que, dans votre mémoire, à la page 6, malgré la taille de votre entreprise qui, comme je l'ai mentionné précédemment, n'est pas considérée comme étant la PME ici au Québec, vous demandez dans tout ce processus un appui indispensable aux paliers du gouvernement pour vous aider à le réaliser. Je pense que c'est important de voir que, finalement, vous avez besoin d'un coup de pouce. Je vous remercie.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le député de Bertrand.

M. le ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique»

M. MacDonald: M. le Président, j'apprécie le courage et la franchise avec lesquels vous avez déposé votre cause, si je peux employer le terme. Je ne m'attendais pas à autre chose.

J'aimerais, par contre, avant votre départ, que vous me donniez l'assurance en quelque sorte que vous comprenez très bien, qu'à cette étape-ci des négociations, il ne conviendrait pas du tout de traiter ici des particularités, que ce soit de la bière, du vin, des chaussures ou du textile, au moment où une foule d'éléments et encore plus de détails ne sont pas réglés. Mais j'ai eu à donner au cours des derniers jours des assurances, des assurances qui étaient faciles à faire. Ce n'était qu'en citant les conditions de base sur lesquelles le Québec s'est reposé pour donner son adhésion à une négociation de la libéralisation des échanges. Si on veut parler de chiffres élémentaires, si vous voulez, 22 000 emplois directs ou indirects, 1 000 000 000 $ de revenus et, ce qui nous touche de très près, 355 000 000 $ annuellement versés au Trésor québécois, vous n'avez pas là une PME que nous allons "discarter" rapidement pour un bénéfice quelconque qui nous retomberait dans une négociation comme celle-ci. Vous pouvez vous sentir rassurés, par mes collèques et par moi-même, une industrie aussi importante va recevoir de nous l'attention et les garanties de protection et de bon sens que nous avons offertes aux autres. Merci.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le Président. Un dernier mot,

M. Allard: Je pense que le ministre du Commerce et aussi M. Parent ont bien résumé nos propres pensées. Alors, nous observerons attentivement les prochains déroulement. Merci à vous.

Le Président (M. Théorêt): Messieurs les membres de la commission de l'économie et du travail vous remercient et vous souhaitent un bon voyage de retour.

M. Allard: Merci.

Le Président (M. Théorêt): II n'y a pas de suspension. J'appellerai donc immédiatement les représentants des Celliers du monde et je les prierais de bien vouloir s'avancer, s'il vous plaît,

À l'ordre, s'il vous plaît!

S'il vous plaît, nous recommençons les travaux.

À vos places, s'il vous plaît! M. Jean-Denis Côté, président, nous vous souhaitons la plus cordiale des bienvenues. J'aimerais que vous nous présentiez votre collègue qui vous accompagne. Je voudrais vous rappeler que vous avez un maximum de vingt minutes pour faire votre exposé. (21 h 15)

Celliers du monde

M. Côté (Jean-Denis): Merci. M. Marcel Bellehumeur, conseiller et possédant de grandes connaissances dans le secteur des boissons alcooliques au Québec.

M. le Président, Mesdames et Messieurs, je me présente devant vous parce que je crois en notre industrie vinicole. J'ai beaucoup travaillé à son implantation au Québec. Je veux qu'elle puisse continuer à se développer. Elle ne peut progresser si nous fermons notre frontière et si les Américains font de même avec nous. Ce que je viens vous dire, c'est que je crois à la libéralisation des échanges avec les États-Unis et que la balle se trouve présentement dans le camp des Américains pour le cas des vins.

Notre industrie en est une de service. Nous sommes des négociants en vin qui faisons du "packaging", du marketing, de l'innovation et de la création de produits. Les activités de fabrication et d'embouteillage représentent un faible pourcentage de la valeur ajoutée d'un produit. Ainsi, nous faisons travailler les manufacturiers de bouteilles, de cartons, les

disquettes, les compagnies de transport, les gens de la publicité et des communications, les créateurs et des gens de marketing en général. J'estime que notre industrie fait travailler directement et indirectement environ 5000 personnes.

Parce que notre industrie se classe dans le secteur des services, elle procure beaucoup d'emplois et elle est vouée à un avenir prometteur si nous savons innover; je crois que le passé est garant de l'avenir à ce sujet. La libéralisation des échanges avec les États-Unis devrait augmenter de beaucoup notre potentiel pour du développement. Mais voilà, ce sont les Américains qui nous ont mis une barrière non tarifaire. Je me bats depuis plus d'un an pour faire lever cette barrière. Lorsque, dans La Presse du 8 août on titrait "Les Américains s'en prennent au protectionnisme canadien", je peux vous assurer que tel n'est pas le cas au Québec. Bien au contraire, ce sont les Américains qui nous ont fermé leurs frontières.

La barrière qu'ils ont imposée aux fabricants de vin du Québec est très simple mais très efficace, et je l'explique. Dans la plupart des pays du monde, tout vin qui circule doit être accompagné d'un certificat d'authenticité du pays d'origine. Or, les Américains exigent en plus, pour que nous puissions exporter nos produits chez eux, une permission écrite du pays d'origine du vin. On pourrait imaginer une situation semblable si le Canada exigeait une permission du pays fournisseur du minerai de fer pour toutes les autos vendues au Canada.

Nous disons qu'une telle contrainte qui va à l'encontre des règles du GATT doit être levée immédiatement avant toute autre discussion sur le libre-échange des produits vinlcoles.

Maintenant, je veux vous parler de la question de l'origine d'un produit. Comme je le disais précédemment, notre industrie consiste surtout à faire du "packaging" et du merchandising. Bien sûr, des compétences sont requises pour élaborer un bon produit. Je suis le fabricant du California Cooler au Québec. Tout ce qu'il y a d'américain dans ce produit c'est le nom, les royautés et le rêve que le produit peut véhiculer. La valeur ajoutée, soit tout le reste, provient du Canada. Alors, doit-on considérer la bouteille de California Cooler, sur la tablette de l'épicier, comme un produit canadien?

Au Québec, nous avons deux grandes catégories de produits dans le vin: Ceux qui sont élaborés au Québec sous la marque des fabricants, par exemple, L'oiseau bleu, Notre vin maison, et ceux qui sont embouteillés au Québec également sous la marque du fabricant mais avec la mention d'origine sur l'étiquette, par exemple, Cousin de France, Cuvée des patriotes.

Le produit élaboré au Québec a une valeur ajoutée plus élevée pour deux principales raisons: un coût de développement important, des coûts de marketing beaucoup plus élevés. Je vous explique tout cela pour vous convaincre de deux choses: Qu'il doit continuer au Québec deux catégories de produits mis en bouteille au Québec: Les vins élaborés au Québec, les vins d'origine embouteillés au Québec. Que du point de vue commercial seulement, l'origine d'un produit vinicole est le lieu de sa mise en bouteille. Donc, nos produits sont des produits canadiens.

Les échanges internationaux auront justement comme conséquence l'émergence de produits dont les composantes proviendront de divers pays. Dans le doma'ne des vins, ce phénomène existe déjà. Les fabricants de vins d'Allemagne, entre autres, vendent un volume de vins à travers le monde qui est de loin supérieur à la capacité de production de leurs vignobles. Cette politique se pratique dans plusieurs autres pays du monde et le travail consiste à acheter des vins d'origine en vrac et les commercialiser sous leur marque du pays d'origine dans leur pays respectif.

Il ne faut pas oublier que l'assemblage de vins de divers pays donne souvent comme résultat un produit avec un meilleur ratio prix qualité. La seule façon d'encourager l'élaboration de produits dits québécois, c'est de maintenir l'écart dans le taux de majoration des deux catégories. Cet écart n'interfère en aucune façon dans les négociations sous la libéralisation des échanges avec les États-Unis, puisque l'écart du taux de majoration pour les produits américains serait basé sur la taxation du produit élaboré au Québec.

Maintenant, la question que beaucoup de personnes se posent surtout dans le contexte des négociations sur le libre-change est la suivante: Pourquoi doit-il exister des écarts de taux de majoration différents pour des produits embouteillés au Québec versus les produits embouteillés à l'extérieur? La réponse est simple. Parce qu'il existe des monopoles pour la distribution des produits, il y a des coûts d'administration et d'opération supérieurs pour mettre en marché 'les produits venant de l'extérieur. Comme la marge fiscale n'est pas séparée de la marge commerciale, il faut couvrir ces déboursés supplémentaires. Agir autrement serait une subvention accordée aux produits étrangers.

Par contre, je suis d'accord pour dire que cet écart doit être justifié par les coûts additionnels réellement encourus. Cette question d'écart dans les taux de majoration a tellement perturbé les négociateurs du libre-échange, qu'ils en sont venus à créer un sous-comité spécialement pour le secteur des boissons alcooliques, d'où vient la difficulté.

Les boissons alcooliques, les vins en particulier, préoccupent beaucoup les pouvoirs politiques qui leur trouvent soit les bienfaits,

les taxes, soit des vices, pour d'autres, c'est l'indifférence. Selon la perception qu'ils ont des boissons alcooliques, les autorités publiques appliquent des traitements fiscaux différents sur ces produits et chaque pouvoir de taxation y va de son originalité et de son système.

Au Canada, en plus du gouvernement fédéral qui prélève des taxes sur les boissons alcooliques, chaque province a établi son taux de majoration et ses règlements. Les taux de majoration peuvent être les mêmes entre les provinces, mais les marges commerciales peuvent varier, d'où des différences entre les régies. Mais ces pratiques hétérogènes ne sont pas l'apanage du Canada.

Il existe aux États-Unis 18 monopoles d'État pour la distribution des boissons alcooliques. Des États américains appliquent des taxes discriminatoires à l'égard de produits en provenance de l'extérieur de leur territoire. Exemple: l'État de la Floride exige une taxe de 2,25 $ le gallon pour les vins fabriqués à l'extérieur de l'État, aucune pour les produits locaux. Le Michigan exige 0,01 $ le litre pour les produits locaux, tandis que les vins en provenance de l'extérieur de l'État subisse une taxe de 0,13 $ et de 0,20 $ le litre. Ce sont deux gouvernements qui négocient la libéralisation des échanges, le Canada et les États-Unis. Mais lorsqu'il s'agit du vin, ce sont toutes les provinces et tous les États américains qui détiennent un pouvoir de taxation. À cette gamme assez impressionnante de décideurs s'ajoutent les divers réseaux de distribution. Chaque intervenant y va de son système et de son originalité. Va-t-on changer les systèmes sous prétexte qu'il y a une négociation sur le libre-change? Mes enfants et même peut-être mes petits-enfants verront peut-être une certaine uniformisation dans la mise en marché des boissons alcooliques.

Alors, à quoi un fabricant de vin comme Celliers du monde peut-il s'attendre des présentes négociations? Je m'attends que mon gouvernement fasse les efforts voulus pour faire disparaître la barrière non tarifaire que les États-Unis imposent aux fabricants de vins québécois. Je le répète: cette barrière va même à l'encontre des règles et règlements du GATT. Je m'attends que mon gouvernement reconnaisse au niveau taxation que nous fabriquons des vins et que c'est un produit canadien dont la valeur ajoutée dépasse 80 %, que ce produit est comparable du point de vue commercial aux produits des autres fabricants de vins, qu'ils soient de l'Allemagne ou de l'Ontario, de New York ou de la Californie. Je m'attends que les écarts du taux de taxation sur les produits américains ne soient pas discriminatoires, mais justifiés. Je m'attends que mes produits soient traités de la même façon aux États-Unis. Je m'attends que le produit américain ait accès au même réseau que nos produits, si je veux avoir accès au réseau équivalent aux États-Unis, Mais, lorsque l'on constate le nombre de pouvoirs politiques qu'il faut convaincre, il va falloir faire du cas par cas. Je m'attends, pour encourager le développement des marques de commerce québécoises, que le gouvernement maintienne un écart dans la taxation entre les produits dits québécois et les vins d'origine embouteillés au Québec. Je m'attends que mon gouvernement fasse en sorte que les produits élaborés à partir de notre pomme et du bleuet puissent conserver leur caractère propre sur les deux territoires.

En conclusion, je ne demande aucun privilège dans les présentes négociations avec les Américains. Je veux que les produits américains reçoivent ici les mêmes traitements que mes produits chez eux. Après avoir consacré les 17 dernières années de ma vie à l'implantation et au développement d'une industrie vinicole au Québec, je ne veux pas qu'à cause d'une mauvaise perception des choses on puisse anéantir tous ces efforts. J'ai encore le goût du risque et je veux que l'on reconnaisse le rôle de négociant en vin qui existe partout ailleurs. Je crois que l'on peut encore se développer et créer plus d'emplois au Québec. Je vous ai fait part des conditions nécessaires pour y arriver.

Mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir écouté et je suis prêt à répondre à vos questions.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le président. Je vais immédiatement céder la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: M. Côté, je vous remercie d'être venu nous rencontrer ce soir et d'avoir développé un peu plus longuement ce mémoire que vous nous avez soumis.

Vous avez terminé en disant: Je m'attends, et vous avez donné une longue série d'attentes. Comme je le disais à ceux qui vous ont précédé, il ne serait pas convenable que je commente en détail ce qui ferait le sujet, à l'heure actuelle, des négociations pour ce qui a trait au vin. Mais je pense que vous réalisez comme moi que le Canada et le Québec ont peut-être un certain avantage dans ce domaine particulier. Et je m'explique.

Le vin, pour les États-Unis, c'est beaucoup la Californie. La Californie, comme vous le savez, c'est l'État du président, le chef de l'administration actuelle. Les États-Unis sont demandeurs depuis un certain temps, avant même les négociations, d'une plus grande ouverture sur le marché canadien et québécois et l'entame de la négociation sur la libéralisation des échanges n'a fait qu'accentuer cette insistance américaine.

Je crois, sans les reprendre une par une, que vous pouvez être assuré que, généralement parlant, ce dont vous vous attendez de votre gouvernement, votre gouvernement a pris bonne note de vos remarques et de vos demandes. S'il y avait lieu d'aller un peu plus dans les détails, toujours conscients que nous devons être de la nature des négociations à l'heure actuelle, mon collègue, le ministre de l'Industrie et du Commerce et responsable de la commercialisation de ces produits au Québec, se fera un plaisir à la fois d'essayer de répondre peut-être ou de commenter vos questions et peut-être en aurait-il lui-même à vous poser. Pour moi-même, je tiens à vous réconforter; votre industrie n'est pas naissante ni gigantesque non plus, mais elle est suffisamment importante, dans les tissus industriels du Québec, pour recevoir la même attention et la même protection que les autres PME ou les ME. Merci.

Le Président (M. Théorêt): Merci. M. le député de Bertrand. (21 h 30)

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Côté, il nous fait plaisir de vous recevoir ce soir et de connaître cette dimension de l'industrie vinicole au Québec. Vous apportez un mémoire qui, contrairement aux autres, représente plusieurs entreprises. C'est une espèce de cri du coeur important qui vous touche et qui touche votre évolution de ces 17 dernières années dans ce marché-là.

Ma première question, puisque vous êtes favorable à l'idée du libre-échange, c'est une préoccupation que j'ai lorsque je prends connaissance d'un reportage du journal Le Soleil du 1er août dernier qui, essentiellement, dit que les producteurs de vin américains menacent actuellement de boycotter la bière et le whisky canadiens, puisqu'il y a eu une plainte de déposée en bonne et due forme par le Wine Institute. On nous dit là-dedans qu'actuellement le Canada est le plus gros débouché pour les exportateurs de vins américains qui, l'an dernier, donc en 1986, détenaient 4 % du marché du vin au Canada. Le reste du marché étant ici divisé entre les vins canadiens et les autres importations, soit française, allemande et autres.

Alors ma première réaction c'est de dire: face à une libéralisation des échanges, cette pénétration peu accentuée actuellement des vins américains sur notre marché ne vous fait pas peur et qu'est-ce qui va faire en sorte que vous allez être en position de vous défendre et de vous colmater, si on veut, avec des géants qui viendront même avec les conditions que vous mettrez, avec les mêmes réseaux de distribution et tout ça? Je trouve ça assez audacieux et j'aimerais vous entendre un peu là-dessus puisque de prime abord on a l'impression que l'envahissement des produits vinicoles en provenance des États-Unis pourrait être dangereux pour cette cause.

M. Côté (Jean-Denis): D'abord je vous réponds en vous disant qu'en 1970 quand j'ai décidé de me lancer dans les produits alcooliques, j'acceptais qu'au Québec, le plus important fabricant de produits alcooliques au monde, Seagram, est localisé au Québec principalement et ça ne l'a pas empêché de démarrer et de mettre en place une industrie typiquement québécoise importante. Or, tout ça pour vous dire que la dimension des compétiteurs ne m'effraie pas outre mesure. Il faut être agressif et imaqinatif.

Mais, pour vous répondre plus en détail, il y a 6 500 000 de population au Québec. Nous avons tout près de nous 100 000 000 d'Américains qui consomment déjà du vin et, en majorité et au grand désespoir du président américain, ils consomment des vins principalement d'Europe. Pourquoi consomment-ils des vins principalement d'Europe et la même chose au Québec? Puisque les Européens, principalement les Français sont ici au Québec depuis 1921. Ce sont eux qui ont développé le palais des Québécois. Ce sont eux qui ont développé le rituel du vin au Québec. Et, quand on parle de vin, on parle surtout d'image et de rituel.

Alors je comprends les Américains de vouloir être plus importants sur le marché du Québec mais ils sont un peu impatients. Quant à moi, je me dis que même s'ils avaient la même possibilité que nous au Québec, ça va prendre des années avant que les Québécois changent leurs habitudes, changent surtout leur palais de consommation. Par contre, l'autre côté pour nous, je reviens à ce que je vous disais tantôt, nous avons ces 100 000 000 d'Américains qui consomment des vins français et des vins italiens. Et nous, c'est ce qu'on fait. Notre travail, c'est d'importer les meilleures cuvées de ces pays, de les mettre en bouteille sous nos marques et nous voulons les réexporter, nous voulons nous accaparer de ce marché à la frontière québécoise. À ce moment-là, on n'entre pas en concurrence avec les Américains, mais avec les Français, les Italiens ou les Allemands avec leurs propres produits. On remplace leurs marques. On remplace les marques Black Tower par des marques comme Forêt Noire, par exemple. Tout simplement, c'est le même produit, mais ceia serait une marque de commerce qui appartiendrait à des Québécois. Est-ce que cela répond à votre question?

M. Parent (Bertrand): Très bien, merci.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Dans le cas des ententes que vous avez pour votre fabrication du "cooler", ce fameux produit qui a pris une très grande vague rapidement, s'il y a entente de libre-échange, M. Côté, j'imagine que les licences... que vous fabriquez et vous payez un droit de royauté, si j'ai bien compris, à ce moment-là, les ententes de la part des Américains tomberaient et cela vous placerait dans une situation vulnérable concernant le produit "cooler". J'aimerais que vous m'expliquiez un petit peu. Les brasseurs, plus tôt, nous on dit: Nous pouvons fabriquer à partir des licences qu'on détient sur des bières américaines, mais à partir du moment où il y a libéralisation des échanges et la pénétration peut se faire en contournant, puisqu'il n'y aura plus de barrière... qu'est-ce qu'il arrive dans le cas de votre "cooler".

M. Côté (Jean-Denis): Je pense qu'il n'y a pas de problème. D'une part, j'ai une licence à plus long terme que cela. D'autre part, je suis dans la même situation que les brasseurs et aussi que Pepsi-Cola ou Coca-Cola ou Seven-Up. Je ne pense pas que dans un commerce libre-échange le Coke ou le Pepsi vont provenir de New York plutôt que de Montréal. Je pense qu'il est normal que la mise en bouteille d'un produit de volume, soit faite le plus près possible du consommateur. De toute manière, le vin qui consiste plus de 90 % et dans certaines saveurs, plus de 95 % de la base du produit des "coolers", provient principalement d'Europe. Le vin des Américains est trop cher. C'est un pays qui est en développement dans le vin, tandis que les pays européens ont une surabondance de vin. En plus, les viniculteurs européens sont subventionnés pour exporter. Il est plus facile d'importer d'Europe vers Montréal que de l'importer vers Chicago ou vers la Floride ou New York. Montréal a l'avantage d'être le mieux localisé en Amérique du Nord pour importer des vins d'Europe.

Le Président (M. Théorêt): Merci, monsieur. Est-ce que vous avez d'autres questions, M. le député de Bertrand?

M. Parent (Bertrand): Peut-être que mon collègue en aura par la suite. Dans le cas des produits fabriqués à base de pommes et de bleuets, vous dites dans votre mémoire, à la dernière page: "Dans le contexte du libre-échange Canada-États-Unis, ces produits devraient conserver leur caractère propre. Le taux de majoration qui serait appliqué aux produits québécois devrait être de 25 points inférieur au taux de base pour les vins élaborés au Québec. Les produits similaires, à base de pommes ou de bleuets, fabriqués aux États-Unis se verraient imposer un écart de taux de majoration plus élevé, normal, et qui représenterait les coûts additionnels encourus pour se procurer les produits des États-Unis par rapport aux produits locaux."

J'aimerais que vous m'expliquiez ce 25 points là et aussi que vous me disiez s'il se fabrique des produits à base de bleuets sur le marché américain actuellement? J'avais l'impression que c'était typiquement québécois.

M. Côté (Jean-Denis): Non, il ne s'en fabrique pas, à ma connaissance à ce jour. Mais rien ne dit que cela ne pourrait pas se fabriquer. Il se fabrique beaucoup de produits de pommes et è base de pommes au Québec, au Canada et aux États-Unis. Mon objectif, c'est que ces deux fruits, dont le Québec a un avantage certain, puissent avoir une distinction et un taux de majoration différent, soit une catégorie différente. Ma référence qui est la base, les produits élaborés au Québec, de vins élaborés au Québec, je demande que les produits de la pomme et du bleuet dans chacun des marchés québécois, canadien ou nord-américain, soient 25 points de moins.

Le Président (M. Théorêt): Oui, M. le député de Roberval.

M. Gauthier: C'est une question d'information. Vous semblez, un peu à notre étonnement, puisque de tous ceux qui sont venus, qui oeuvraient dans le domaine alimentaire ou para-alimentaire ou des brasseurs, vous êtes peut-être le seul qui vraiment semblez voir avec beaucoup d'optimisme cette possibilité de faire du libre-échange avec les États-Unis. J'aimerais savoir - c'est beaucoup plus pour mon information parce que j'avoue mon ignorance dans le domaine - quelle est la situation des affaires que vous faites actuellement dans le reste du Canada? J'ai l'impression et j'ai vu dans votre mémoire qu'il ne semble pas y avoir beaucoup d'activités ailleurs qu'au Québec par rapport au reste du Canada. Est-ce exact d'abord, dans un premier temps?

M. Côté (Jean-Denis): C'est exact.

M. Gauthier: Est-ce que vous pouvez m'expliquer s'il est plus intéressant pour vous d'envisager l'avenir avec des investissements et une planification de mise en marché en agressant les marchés, si vous me permettez l'expression, du nord des États-Unis plutôt que le marché canadien actuel? Est-ce que les barrières qui existent au niveau du marché canadien actuel sont de telle nature qu'elles vous rendent ce marché à peu près inintéressant?

M. Côté (Jean-Denis): Actuellement, oui, d'une part, il est impossible de rejoindre

le marché, il est quasi impossible pour un Québécois "d'exporter" - entre guillemets -nos produits vers l'Ontario. Il y a des barrières qui sont imposées par les monopoles dans la plupart des provinces. Encore une fois, je favorise plutôt un commerce nord-sud qu'un commerce est-ouest pour la seule raison qu'il y a 100 000 000 de personnes vers le sud et seulement 9 000 000 vers l'ouest.

M. Gauthier: J'ai cru comprendre tout à l'heure qu'il est beaucoup plus avantageux d'embouteiller là où le marché se trouve. D'abord, est-ce exact? Est-ce que j'ai bien compris? Est-il exact de dire que, pour une expansion de vos affaires vers le sud dans un marché nord-sud libre de contraintes, vous devriez envisager des implantations d'usines d'embouteillage ou autres aux États-Unis ou si vous comptez être en mesure de desservir ce nouveau marché à partir de vos installations ici et qui devront évidemment être modifiées, agrandies, j'imagine...

M. Côté (Jean-Denis): Oui, mais à partir des installations d'ici. J'ai ajouté tantôt que, d'une part, il est mieux d'embouteiller près du lieu de consommation. Je parlais de California Cooler qui est embouteillé en Californie. C'est aux antipodes de notre territoire. D'autre part, les produits proviennent d'Europe et il est aussi préférable de mettre en bouteille près du lieu de réception des vins, soit près de Montréal. Notre intention est de rejoindre 100 000 000 d'Américains à partir de la région de Montréal.

M. Gauthier: L'intérêt des remarques que vous présentez est indéniable dans ce mémoire qui est fouillé. Est-ce que les autres fabricants de vins ou l'ensemble des fabricants de vins s'associent en quelque sorte à vos recommandations ou s'il s'agit là d'une position plus personnelle de l'ensemble de vos entreprises?

M. Côté (Jean-Denis): Je comprends votre préoccupation, mais la raison pour laquelle ce n'est pas l'association qui est ici, c'est que l'association est composée de divers producteurs: il y a des multinationales telles que Seagram's ou Gilbey's, il y a des compagnies nationales telles que Bright et Andrès et je pense que dans certains points, entre autres quand je parle des problèmes que nous avons avec les échanges est-ouest et les taux de majoration qu'on veut imposer pour les échanges est-ouest, vous comprendrez que les dirigeants locaux, en tant qu'individu, sont d'accord avec ma position, mais leur siège social ontarien n'est peut-être pas favorable. Pour simplifier le tout et atteindre l'objectif des dirigeants locaux de ces mêmes compagnies, mais ne pouvant pas s'exprimer, je me suis mis la tête sur le billot. (21 h 45)

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le député de Roberval.

M. le ministre de l'Industrie et du Commerce.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président. M. Côté, messieurs, comme ministre responsable de tout ce commerce, vous savez qu'on a eu de nombreuses discussions sur le sort de cette industrie au Québec dans les prochaines années. On s'est engagé, nous-même de notre côté, avec vous de l'industrie, sur une voie où on s'est entendu de libéraliser davantaqe, d'essayer de déréglementer un peu plus les activités qui sont les vôtres. À un moment donné, on a parlé des marques formats. On a parlé de l'accès. On a parlé de toutes sortes de choses. L'objectif dans tout cela que je sentais chez l'industrie, chez vous-mêmes, c'était d'avoir les coudées les plus franches possible afin d'exploiter au maximum les talents de mise en marché de vin élaboré au Québec. On n'a pas une tradition depuis des générations de faire du vin au Québec. Je dirais même que ce n'est pas vraiment viticole, mais vinicole, si on se comprend bien, l'activité économique qui est la vôtre. À ce titre, si vous voulez percer - c'est votre ambition - dans un marché le plus large possible, vous devez vous distinguer grâce à des efforts de mise en marché, d'identification, de caractérisation de vos produits.

Vous dites, entre autres, quand vous abordez le problème de la reconnaissance par les Américains, par exemple, de l'origine d'un vin québécois, que cela existe un animal qui est le vin québécois au même titre qu'un vin italien. C'est difficile quelquefois à en faire la démonstration. Dire que l'industrie vinicole est identique à l'industrie viticole, déjà il y a un petit problème. Reconnaissons, par ailleurs, qu'en Amérique du Nord il n'y a pas seulement onze producteurs qui s'adonnent à être au Québec quand ils font cela. Vous l'avez évoqué tout à l'heure, c'est une activité économique acceptable.

Il n'en reste pas moins qu'à l'égard des règles d'origine du vin, les Américains, dites-vous, ont l'air un peu difficiles. Dans le fond, est-ce que ce n'est pas préférable d'avoir accès, pour vos produits, au marché américain où vous pouvez continuer à essayer de vous distinguer, etc., comme je l'ai dit tout à l'heure, évidemment au prix de certains tarifs qui pourraient vous paraître discriminatoires parce que ce n'est pas un vrai vin français ou un vrai vin québécois? Le choix entre les deux, c'est un peu injuste de vous le demander. Si vous aviez le choix entre entrer sur le marché américain, mais avec un tarif, et ne pas y avoir accès

vraiment parce que les Américains insistent sur certaines des règles que vous avez mentionnées, qu'est-ce que vous préféreriez?

M. Côté (Jean-Denis): Ce que je préfère, c'est les deux. Je vais vous expliquer combien c'est simple d'avoir les deux. D'une part, quand je parle de vin élaboré au Québec, cela concerne l'aspect commercial. Sur l'étiquette, pour le consommateur, on ne peut pas écrire "vin québécois" puisque le produit de la vigne n'est pas du Québec. C'est la raison pour laquelle on dit "vin élaboré au Québec" ou "vin de différents pays". Les Américains préfèrent l'appellation "vin de différents pays". Cela ne nous empêche pas qu'au point de vue de la taxation, nous voulons que ce soit reconnu comme un vin canadien au même titre que les vins du Niagara puisqu'on ajoute presque la même valeur ajoutée que dans les vins du Niagara. Alors, pourquoi ne pas avoir le même privilège? On ne trompe pas le consommateur, on ne lui dit pas que c'est un vin québécois, mais on dit que c'est un vin de différents pays élaboré au Québec. Élaboré, c'est l'expression qui est utilisée dans les pays européens. C'est un mélange, un assemblage de vins de différents pays, d'une part. D'autre part, le deuxième choix que je veux, c'est d'avoir des vins français vers les États-Unis. Quand je dis des vins français, ce sont de véritables vins français. Ce sont des vins aussi français que les autres vins français que l'on retrouve aux États-Unis. Pour mentionner une marque que l'on connaît tous, Mommessin Export qui est vendu au Québec en abondance dans les . petits restaurants est également vendu aux États-Unis dans les petits restaurants. Le vin qui est embouteillé au Québec de Mommessin Export et le vin qui est vendu aux États-Unis de Mommessin Export est le même vin français, puisque le vin de la France ou de l'Italie est toujours suivi par un acquis, un certificat d'origine. Actuellement, notre problème que j'appelle la barrière non tarifaire que nous avons des Américains, c'est que les Américains demandent, en plus de certificat d'origine qui certifie que c'est un vin vraiment français, une lettre du pays producteur pour reconnaître que nous avons la permission de mettre ces vins au Québec. Les autres pays du monde ne l'ont pas demandé. Alors, les Français ne veulent pas répondre pour un seul pays. C'est évident. Il y a une opportunité d'affaire importante, laquelle d'ailleurs n'a rien à voir avec le libre-échange. Cela n'a rien à voir même avec les accords du GATT. C'est pour cela que je demande à mon gouvernement de s'occuper de cette contrainte, de cette barrière non tarifaire qui nous permettrait, dans les prochaines heures, d'exporter des quantités importantes de réel vin français ou de réel vin italien ou de réel vin espagnol ou de réel Châteauneuf-du-Pape ou de réel Bourgogne vers les États-Unis. À ce moment-là, c'est autant d'emplois, c'est autant de produits, autant de transport qui seraient utilisés au Québec et autant de profits pour les sociétés québécoises. Le Québec n'est pas une industrie viticole, comme vous l'avez dit, c'est une industrie vinicole; et l'industrie qui a été créée en 1971 était justement pour cette fin, je présume. Je vais plus que présumer, parce que j'étais très près à ce moment et c'était la raison. On a peut-être omis le marché américain. Maintenant, nous maîtrisons bien cette industrie, nous maîtrisons bien ce marketing et nous sommes prêts depuis quelques années à affronter nos amis du Sud.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Mais dans ce dossier, vous dites: D'autres pays n'ont pas demandé à la France des preuves d'origine. C'est bien cela que vous me dites?

M. Côté (Jean-Denis): Pardon?

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Que la France n'a pas répondu ou ne répond pas pour fournir la permission dont les Américains aimeraient avoir la preuve, soit d'exporter vers chez eux. C'est qu'il n'y a personne d'autres qui ont demandé cela aux Français et les Français ne bougent pas.

M. Côté (Jean-Denis): Oui, c'est que les Français répondent; Nous avons une structure qui est en place depuis un siècle, qui veut que chaque vin du pays est accompagné d'un acquis. C'est un certificat d'origine. Cet acquis a différentes couleurs qui dit que c'est un vin français, d'une part, ou plus spécifiquement, c'est un vin de pays, un vin d'appelation contrôlée ou de château ou de cru bourgeois, etc. Concernant cet acquis, la France répond: Nous avons déjà une structure en place. Ces documents sont fournis et nous ne pouvons pas en plus, seulement pour les Américains dont les vins passent par le Québec, mettre une politique spéciale pour cela.

M. Johnson (Vaudreuil-Souianges): Ce n'est pas plutôt seulement pour le Québec qui a décidé d'aller exporter vers les États-Unis qui est la vraie raison...

M. Côté (Jean-Denis): C'est-à-dire qu'ils ne l'ont pas demandé aux Allemands. Les Allemands étaient là depuis longtemps. L'Allemand exporte aux États-Unis avec des vins français. Les vins Black Tower. Il ne faut pas penser que le Black Tower est un vin allemand. Le Black Tower est un vin de la communauté européenne. La majorité des Black Tower est des surplus de Charente. Ce sont les vins qu'ils ont en surplus pour faire du cognac qui est ajouté en grande partie

dans le Black Tower qui est vendu aux États-Unis. Mais ce Black Tower est là depuis des années. Les fonctionnaires étant moins sophistiqués dans les années soixante, eh bien, cela a passé. Mais, le Québec étant l'enfant pauvre de l'Amérique du Nord, je présume, ils ont mis une contrainte supplémentaire.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Je vous remercie des éclaircissements. Comme vous l'avez souligné vous-même, dans le fond c'est quelque chose qui peut se régler à part les négociations dans le cadre de libéralisation des échanges. C'est un problème qui est distinct.

M. Côté (Jean-Denis): Oui. C'est pour cela que j'ai tenu compte, d'ailleurs, qu'il devrait être négocié avant de discuter de libre-échange dans notre cas de l'industrie vinicole.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): L'autre dimension dans tout cela qui me préoccupait et que vous avez vous-même mentionnée c'est d'être reconnu dans le cadre d'un échange plus libre avec les Américains, d'être reconnu au même titre que les vins de la péninsule du Niagara, du sud de l'Ontario.

Comment démontrez-vous que vous ajoutez autant de valeur en élaborant ici que ce qui est le fait des vins ontariens où on fait pousser le raisin, où, en fait, c'est une production agricole en partie bien qu'il y ait beaucoup de moût et de raisins importés également là-dedans... Quel est le maximum que vous pouvez faire, quant à vous, pour devenir aussi "canadien" - entre guillemets -que les vins ontariens dont les raisins poussent vraiment en Ontario?

M. Côté (Jean-Denis): Dans un vin de table de prix modique, le raisin est pour environ 15 % à 18 % de la valeur du produit. C'est la raison pour laquelle je dis que dans certains cas et dans beaucoup de cas la valeur ajoutée des vins québécois est de plus de 80 % local. Le critère des Américains et des Canadiens de l'Ontario et de la Colombie britannique est 75 %. Ils ont droit à l'appellation "vin canadien" s'il y a 75 % de vin de la vigne du Canada. C'est la même chose pour les Américains. On a un vin américain s'il y a 75 % de vin américain. Il y a un vin qui s'appelle Chablis américain s'il a 75 % du cépage Chablis. C'est la politique américaine et c'est à peu près la même politique dans l'Ouest du pays.

Comme leur critère est déjà 75 % et que nous ajoutons déjà plus de 80 %, c'est pour cette raison que je dis que nous sommes presque aussi canadiens qu'eux.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci.

Le Président (M. Théorêt): Merci. Pour les commentaires de la fin ou conclusion, M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Alors, en conclusion puisque le temps nous manque. J'ai trouvé, M. Côté, les échanges fort intéressants. Plus cela allait, plus on en apprend. Parfois j'ai un peu l'impression qu'on s'en fait passer des petits Black Tower pour ne pas dire autre chose.

Je tiens à vous remercier parce que je pense que l'exercice de la commission est d'informer pour mieux comprendre. D'autant plus que, dans votre cas - et je termine là-dessus - en relisant le rapport que j'avais entre les mains, qui m'a animé au cours de la dernière année, qui mentionnait les études faites au ministère de l'Industrie et du Commerce, septembre 1985, donc exactement il y a deux ans, 24 mois, et où la conclusion concernant votre industrie était exactement à l'opposé de la position que vous prenez, je trouve cela fort réconfortant... Cela me fait dire qu'on aurait dû rendre ces études publiques. On aurait été moins énervé. Dans votre cas, on dit, et je conclus: En se basant sur les données de ce rapport et sur l'avis de spécialistes oeuvrant dans ce secteur - et vous vous êtes décrit comme étant le spécialiste - il devient fort probable que l'abolition des tarifs dans un contexte de libre-échange viendrait détruire l'industrie de la fabrication des vins sur le marché québécois. Les vins californiens et ontariens s'accapareraient de nos industries qui sont très limitées dans le volume de production. De plus, la production québécoise ne pourrait compter sur le marché extérieur, parce que le réseau de distribution des vins québécois à l'extérieur du Québec est peu développé et que les vins québécois n'ont pas encore acquis de marque de commerce recherchée... et on continuait ainsi en disant que la fermeture de la plupart, sinon de toutes les usines, deviendrait chose inévitable. Alors, je suis heureux de constater, ce soir, que vous apportez des conclusions qui sont différentes. J'espère que dans les sept recommandations que vous faisiez dans votre mémoire, le ministre pourra, au nom de son gouvernement, y donner suite afin que vous puissiez continuer vos succès au Québec. Je vous en félicite. Merci.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le député de Bertrand. M. le ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: Bien, M. Côté, j'ai revu ce soir la personne que j'ai accompagnée en Asie et qui se présentait là-bas avec le même dynamisme et la même volonté de faire des affaires. Alors, je vois que les États-Unis sont une partie de votre activité seulement et je vous souhaite bonne chance.

Je vous assure, encore une fois, de notre compréhension à l'endroit de votre situation, on n'oublie pas ce que vous avez dit.

M. Côté (Jean-Denis): Merci beaucoup.

Le Président (M. Théorêt): M. Côté, M. Bellehumeur, les membres de la commission de l'économie et du travail vous disent merci et bon voyage de retour.

Les travaux de la commission sont maintenant ajournés jusqu'à 10 heures demain matin.

(Fin de la séance à 22 h 1)

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