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(Dix heures cinq minutes)
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Bonjour tout le monde. La commission parlementaire de l'économie
et du travail entreprend aujourd'hui sa troisième journée de
consultation générale en ce qui a trait à la
libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les
États-Unis.
Je lis d'abord l'ordre du jour pour aujourd'hui. Nous recevrons d'abord
M. Bernard Landry, qui n'a pas besoin de présentation. Puis, nous
accueillerons le Conseil du patronat du Québec qui sera suivi de la
Chambre de commerce de Montréal. Cet après-midi, nous
accueillerons la Coalition québécoise d'opposition au
libre-échange. Ce soir, nous entendrons l'Association des brasseurs du
Québec, les Celliers du monde et, finalement, M. Jean Lambert.
Est-ce qu'il y a des remplacements?
M. Théorêt: Oui, M. le Président. M.
Hétu, (Labelle), est remplacé par M. Assad, (Papineau); M.
Farrah, (Îles-de-la-Madeleine) est remplacé par M. Després
(Limoilou); M. Fortin (Marguerite-Bourgeoys) est remplacé par M. Lemire
(Saint-Maurice); finalement, M. Rivard (Rosemont) est remplacé par M.
Lemieux (Vanier).
Le Président (M. Charbonneau): Dans ce cas, s'il n'y a pas
d'autres remplacements, nous allons immédiatement commencer. Je
demanderais à M. Landry de prendre place. Je pense que, M. Landry, vous
avez suffisamment d'expérience parlementaire pour savoir comment cela
fonctionne, mais je vous rappelle nos règles du jeu pour cette
consultation générale. Il y a une heure consacrée aux
rencontres et aux échanges ainsi qu'à la présentation de
vos commentaires. Vous avez en fait 20 minutes initialement pour la
présentation de vos propos. Par la suite, le temps qu'il reste est
réparti de part et d'autre pour un échange et des discussions
avec vous.
S'il n'y a pas de question, nous allons immédiatement commencer.
Je vais vous céder la parole.
M. Bernard Landry
M. Landry (Bernard): Merci, M. le Président. Je suis
heureux de vous revoir personnellement et de vous saluer. Je vous remercie de
me permettre de participer à l'information de l'Assemblée
nationale d'un point de vue différent de celui qui a été
le mien pendant plusieurs années. Je salue également le ministre
du Commerce extérieur, en particulier, et le ministre de la Science et
de la Technologie, mon successeur, qui, apparemment, n'a pas trop
massacré les bonnes orientations qui avaient été prises
auparavant dans l'immense majorité des cas.
Il me fait plaisir de saluer un député lavallois aussi,
qui est à cette table, ainsi que tous les autres parlementaires des
autres formations, mon ancien collègue, le député de
Roberval, en particulier, et bien entendu, celui qui fait le noble travail de
l'Opposition dans cette commission, M. Jean-Guy Parent.
Cela ne vous étonnera pas si je vous parle d'abord - je vais
parler en cinq points du sujet de la commission - de l'intérêt du
Québec, qui est mon premier point. Mais, avant de le faire, je voudrais
dire deux choses. Il fut convenu avec ceux qui ont pris contact avec moi pour
ma participation à la commission que ma présentation
écrite serait celle que j'ai déjà livrée aux
Québécois et aux Québécoises dans un petit ouvrage
qui est sur le marché et dont j'espère qu'au moins certains
d'entre vous ont lu quelques passages. Si vous voulez vous
référer de façon plus technique à ce que je vais
dire, cet ouvrage est disponible. Il comprend l'essentiel de mon
intervention.
Je voudrais aussi faire un peu d'histoire. Il est commode, parfois, de
savoir d'où on vient pour savoir où on va. Nous avons
déjà connu le libre-échange avec les États-Unis
d'Amérique pendant une période de pratiquement dix ans qui a
précédé immédiatement la
Confédération canadienne. Cela a été une des
périodes les plus prospères en termes de croissance de l'histoire
du Bas-Canada du temps, c'est-à-dire essentiellement le Québec,
et du Haut-Canada, essentiellement l'Ontario. Les Américains se sont
servis de la clause crépusculaire, comme on dit, pour ne pas renouveler
le traité et ce non-renouvellement, la fin du commerce nord-sud entre le
Canada et les États-Unis, a eu pour le Québec des
conséquences absolument dramatiques et irréparables.
En effet, dans les années qui ont suivi la dénonciation du
traité, le Québec a perdu
la moitié de sa population. La moitié des
Québécois et des Québécoises ont pris le chemin de
l'exil, vers le sud, pour aller rejoindre la prospérité où
ils pensaient qu'elle était, c'est-à-dire aux États-Unis
d'Amérique. C'est pour cela qu'il y a deux fois plus, dit le
gouvernement américain, de descendants de Québécois aux
États-Unis qu'au Québec, au moment où nous nous
parlons.
On voit que ces orientations historiques ont des conséquences
à terme sur le destin des peuples qui est absolument incalculable. C'est
pour cela que je fais de mon premier point l'intérêt du
Québec, Je crois, après de longues réflexions et une
certaine expérience vécue de nos rapports avec les
États-Unis, de même que les rapports du Canada avec les
États-Unis, que c'est le Québec qui a le plus
d'intérêts à une libéralisation des échanges
de toutes les provinces du Canada. Pour des raisons tenant du bon sens et des
raisons simples, il y a deux grandes provinces industrialisées au
Canada; celle des deux qui l'est le plus et de loin, c'est l'Ontario. Or,
l'Ontario pour la partie motrice de son activité économique
connaît déjà, depuis près d'un quart de
siècle, un statut de libre-échange avec les États-Unis par
le pacte de l'automobile. C'est aussi simple que cela.
Quand vous vous demandez pourquoi le premier ministre du Québec
et les premiers ministres du Québec des dernières années,
si je puis dire, sont plus enthousiastes pour le libre-échange que le
premier ministre de l'Ontario, vous trouvez la réponse tout simplement
dans ce fait que le Québec en a beaucoup plus besoin. Parce que, pour le
ministre du commerce extérieur de l'Ontario, par exemple, je pense qu'il
n'y a pas un tel poste, mais il y a bien un ministre en charge, contrairement
au ministre du Commerce extérieur du Québec, ici présent,
qui doit utiliser constamment toutes ses possibilités dans le monde
entier pour vendre des produits et en vendre aux États-Unis. Pour le
ministre du commerce extérieur de l'Ontario, la moitié de sa
production industrielle est vendue d'avance, le 1er janvier au matin, à
travers "l'auto pact". Alors, quand on a moins besoin d'une chose, on est moins
enthousiaste pour la poursuivre. Ce qui ne veut pas dire que l'accord ne serait
pas aussi profitable à l'Ontario. Les deux provinces
industrialisées sont celles qui en profiteront le plus, donc l'Ontario
et le Québec.
Il est intéressant de noter que les Québécois et
les Québécoises, je crois, ont bien compris cela d'instinct,
à toutes fins utiles, puisque d'abord, ce qui est une chose qui ne se
rencontre pas si souvent, les deux grandes formations politiques, celle qui
aujourd'hui est le gouvernement et celle qui est l'Opposition, sont
essentiellement d'accord sur le fait qu'il est dans l'intérêt du
Québec de libéraliser les échanges avec les
États-Unis d'Amérique. Et aussi, parce que les sondages, que l'on
prend pour ce qu'ils sont mais, s'ils sont répétitifs et vont
dans le même sens, peuvent avoir une certaine fiabilité, les
sondages, dis-je, démontrent, et en particulier le dernier de Decima
Research qui était rendu public en fin de semaine dernière, le
dernier mais, les deux derniers, que c'est au Québec et de loin que les
populations appuient l'idée du libre-échange. Par exemple, en fin
d'août 1987, jusqu'à 70 % des Québécois et des
Québécoises pensent que c'est une bonne idée d'avoir un
traité de libre-échange avec les États-Unis. Cela fait
beaucoup de monde. Dans une société si, de plus, les deux grands
partis politiques sont essentiellement d'accord sur une question, c'est
près de s'appeler un consensus, c'est un consensus fort.
Je vous dis, un peu sur le plan humoristique, qu'il y a une petite
question du même sondage qui m'a bien amusé. On demandait aux gens
à qui ils se fiaient pour former leur opinion sur le
libre-échange. Or, ils ont répondu ceci: pour les
économistes et les professeurs de l'université, 40 % de
crédibilité; et pour les hommes politiques et les femmes
politiques provinciaux, 6 %. Ce qui veut dire que le fait que je sois de ce
côté-ci de la table plutôt que de l'autre côté,
en deux ans, a multiplié ma crédibilité par un facteur de
six.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Landry: Donc l'intérêt du Québec
apparaît évident comparé à l'Ontario et
comparé aux autres provinces. J'ai d'abord dit pourquoi en ce qui
concerne la différence d'approche entre le Québec et l'Ontario,
mais plus fondamentalement, si l'intérêt du Québec est si
grand, c'est parce que l'intérêt du Québec a toujours
tourné dans un niveau d'exportation de ses biens et services très
élevé. Traditionnellement, ce furent d'abord des richesses
naturelles, certains produits industriels et de plus en plus de produits
industriels et de plus en plus de produits industriels intéressants et
aussi de la matière grise. Vous savez que le Québec,
Montréal singulièrement, mais non pas uniquement Montréal,
est devenue une capitale de vente de matière grise à travers le
monde et une grande capitale de tertiaire moteur par les firmes de
génie-conseil, les grandes mais aussi les dizaines de moyennes et de
petites auxquelles on pense bien et qui gravitent dans l'univers
québécois, soit è Montréal ou dans d'autres
régions du Québec. Or, l'essentiel de cette activité, vous
le savez, est dirigé vers le monde, vers les marchés
d'exportation et vers des technologies de pointe. Les entrepreneurs
québécois en général, au cours des dernières
années, ont montré un dynamisme à nul autre pareil
pour
la prospection des marchés étrangers et la vente de leurs
produits à l'étranger. Le gouvernement du Québec, entendez
par là les gouvernements successifs du Québec, je crois, se sont
bien inscrits dans cette tendance. Ils l'ont appuyée puissamment et ont
été un facteur important pour faciliter l'accès à
des marchés étrangers. Il est devenu de notoriété
commune que les entrepreneurs du Québec sont ceux qui ont
prospecté avec le plus de vigueur tous les marchés de la
planète au cours des dernières années.
Le deuxième point que je voudrais aborder et c'est le seul que
j'aurais abordé si, M. le Président, vous m'aviez dit: Vous avez
une minute pour vous exprimer. Si j'avais eu une minute pour résumer
pourquoi je favorise un accord de libre-échange j'aurais simplement dit
cette phrase: le Québec et le Canada dont il fait partie sont à
peu près les seuls occidentaux développés qui n'ont pas
accès garanti pour leurs produits à un marché de plus de
100 000 000 de consommateurs. Pour les États-Unis, cela se passe de
démonstration. Ils sont 230 000 000 à l'intérieur de leur
propre marché. Tous nos concurrents travaillent sur des marchés
de plus de 100 000 000. Alors, vous voyez le défi de l'industriel
québécois qui a à mettre en concurrence sur les
présentoirs des divers marchés du monde des produits qu'il peut
fabriquer pour une série garantie de consommateurs de 25 000 000
seulement; alors qu'un industriel suédois - la Suède est un petit
pays qui ne dépasse pas 10 000 000 d'habitants - est membre, par
l'adhésion rie la Suède, de l'Association européenne de
libre-échange: 30 000 000 de consommateurs. Mais l'Association
européenne de libre-échange a signé avec le Marché
commun européen un accord de libre-échange. Donc, une Volvo a un
marché garanti de 385 000 000 de consommateurs solvables. Il ne faut pas
trop demander, même s'il montre un dynamisme extraordinaire, à
quelque industriel québécois, à quelque entreprise
québécoise d'avoir à lutter contre des gens qui sont
habitués de travailler sur des marchés de cette dimension si on
ne lui donne pas la chance, lui aussi, d'accéder à un
marché comparable.
À telle enseigne qu'il s'est développé une tendance
qui est un signe de santé, mais est perverse à la fois.
Savez-vous qu'au cours des dernières années, les investissements
en provenance du Canada vers les États-Unis et en provenance du
Québec vers les États-Unis ont dépassé le mouvement
inverse et que les Américains qui avaient toujours été de
très gros investisseurs dans notre économie jusqu'à en
posséder 40 % de l'appareil industriel sont maintenant
dépassés et non pas proportionnellement en chiffres absolus par
les investissements d'investisseurs québécois qui, pour avoir
accès au grand marché et rester à la fine pointe de leur
branche au de leur secteur, vont prendre leur expansion aux États-Unis.
On peut s'en réjouir parce que c'est un signe de santé, sauf que
quand un investisseur québécois va investir aux
États-Unis, cela peut flatter notre fierté, mais cela va
créer des emplois aux États-Unis et, en particulier, recruter de
nouveaux membres syndiqués pour AFL-CIO et non pas pour la
Fédération des travailleurs du Québec ou la CSN.
Donc, le grand avantage positif, c'est cela. Mais tout n'est pas dans le
commerce international, tant s'en faut, que poésie, luxe, calme et
beauté. Je pense que mon ancien collègue, M. Parizeau, qui est
encore mon collègue puisqu'on fait le même métier
maintenant, vous en a parlé hier, cela joue dur dans le commerce
extérieur. L'ambassadeur Gotlieb à Washington a dit que la
politique commerciale américaine - et cette fois, il avait parfaitement
raison -n'est pas conçue par des boys-scouts. C'est le troisième
point dont je veux parler qui, lui, n'est pas un grand avantage positif, mais
une grande mesure défensive. Le libre-échange est
nécessaire pour conjurer le danger des temps modernes et,
singulièrement sur ce continent, le protectionnisme. Les
Américains, quand leur balance des paiements atteint des niveaux de
déficit records, comme c'est le cas aujourd'hui, s'énervent,
deviennent méchants quelquefois et font ce qu'un ministre
français a appelé fort judicieusement de la "rambonomique". Ceux
qui connaissent ce personnage de Rambo savent qu'il n'y va pas avec le dos de
la cuillère et qu'il a plutôt tendance à tirer sur tout ce
qui bouge. C'est la raison pour laquelle, au cours des dernières
années, nous avons été la cible directe d'une trentaine de
mesures protectionnistes américaines dont cette malheureuse affaire que
j'ai vécue et que mon successeur a vécue, du "lumber case", du
bois d'oeuvre où, par l'action d'une loi américaine, le Trade
Act, de façon unilatérale. devant une commission
américaine, la U.S. Trade Commission, International Trade Commission,
nous nous sommes fait mettre les droits compensateurs, comme vous le savez,
pour une chose qui pourtant, à mon avis, est parfaitement
légitime, notre façon de percevoir les droits de coupe.
Mais cela a produit ce que l'on sait comme effet négatif sur
notre industrie du sciage. Cela pourrait être beaucoup plus grave si la
philosophie des droits de coupe et le protectionnisme américain
s'attaquaient à pâtes et papiers. Je n'ose même pas y
penser. Or, le raisonnement pourrait être le même puisque le
système des droits de coupe s'applique aux scieries, mais il s'applique
aussi à pâtes et papiers, d'autant plus que, maintenant, par
intégration technologique, les copeaux des scieries vont dans les usines
de
pâtes et papiers.
Donc, il y a un aspect défensif à baliser, le plus
rapidement possible et le mieux possible, les rapports économiques les
plus intenses qui existent entre deux pays au monde, les États-Unis et
le Canada, parce qu'on peut être victime de leur tir direct.
C'était le cas du bois d'oeuvre. On peut être victime du tir
oblique ou du tir indirect aussi. C'est-à-dire que dans une querelle
contre la Communauté économique européenne, en raison de
ce qu'on appelle la clause de la nation la plus favorisée qui
empêche de discriminer dans ces mesures tarifaires, il se pourrait que
pour se venger des Européens, les premiers à écoper soient
les Canadiens et les Québécois par l'effet du tir indirect.
Un petit exemple. Quand le Portugal et l'Espagne sont entrés dans
le marché commun, les Américains ont eu des difficultés
considérables à vendre en Europe, à cause du tarif
extérieur commun, ce qui leur faisait perdre éventuellement leur
clientèle ibérique, c'est-à-dire les Portugais et les
Espagnols. Ils ont rétorqué, en menaçant d'un tarif
douanier de 200 % sur le cognac.
Remarquez que cela ne nous fait pas trop mal; on n'est pas
producteur» Sur le vin blanc, cela ne nous fait pas trop mai, mais sur
les fromages, qui étaient également dans le paquet, cela veut
dire qu'à 200 % de droit de douane, il n'y a pas grand monde aux
États-Unis qui va manger du fromage d'Oka, sauf peut-être
l'ambassadeur Gotlieb, parce qu'il a une immunité diplomatique pour les
taxes. Donc, on peut vraiment vivre la mésaventure de "visa le noir, tua
le blanc" et d'être victime de mesures qui ne sont pas dirigées
contre nous, mais qui nous frapperaient quand même de plein fouet.
Le quatrième point que je veux aborder, mon collègue qui
m'a précédé hier devant vous y a fait allusion en pensant
à l'attitude syndicale - et je crois qu'il avait raison - c'est tout
l'aspect des clauses qui limitent les conséquences éventuellement
néfastes d'un accord de libre-échange. On n'a pas à
réinventer la roue, comme je vous le dis, puisque la plupart de nos
concurrents vivent déjà depuis longtemps des accords de
libre-échange. Qu'il s'agisse de l'Association européenne de
libre-échange, qu'il s'agisse du Marché commun européen
qui fait encore plus de libre-échange puisque c'est un marché
commun, qu'il s'agisse même de cet accord que les États-Unis ont
signé avec Israël, les procédures pour rendre le plus
sécuritaire possible les ouvertures de frontières et les accords
de ce genre sont connues. Il s'agit de clauses de sauvegarde qui sont des
espèces de boutons d'urgence qu'on peut presser si jamais on constate un
effet néfaste dans un secteur ou l'autre après la signature du
traité, et cela permet de rétablir la protection. Alors, il y en
a dans les dispositions du GATT, il y en a un peu partout. Qu'il s'agisse des
clauses transitoires, on n'est pas obligé dans un accord de
libre-échanqe de dire que 100 % de l'accord s'applique à partir
du 1er janvier 1989. On peut très bien dire que telles ou telles
sections seront assorties d'un calendrier d'application. Cette mesure est
très employée par tous les pays qui ont à passer d'un
système protectionniste à un système
libre-échangiste et on a vu des calendriers qui s'échelonnaient
jusqu'à dix ans. Le GATT, en particulier, qui a attaqué
vigoureusement par le Kennedy round et le Tokyo round toutes les
barrières de protection tarifaire comme non tarifaire a souvent mis de
très longs échéanciers. C'est pour cela en particulier que
les résultats du Tokyo round ne sont pas encore complètement
réalisés et qu'on a encore quelques mois de désarmement
douanier comme conséquence du Tokyo round entre les États-Unis et
le Canada et qui vont changer notre situation plusieurs années
après que la négociation de Genève sera terminée,
signée et paraphée. Par conséquent, si un secteur... Je
pense à celui de la bière qui a soulevé des objections
sérieuses. Les difficultés de cette industrie ne sont pas
attribuables à son manque de dynamisme, mais plutôt à
d'autres problématiques internes qui ne dépendent pas d'elle. Si
vraiment l'industrie de la bière se sent menacée par une
abolition radicale de tarifs, elle pourrait très bien faire valoir
qu'elle a besoin de dix ans. Ceux qui sont protégés par un tarif
de 20 %. si on leur demande de s'en séparer au rythme de 2 % par an, ils
pourront le faire de façon très progressive, insensible, sans
aspect pénible ni pour la main-d'oeuvre, ni pour la gérance,
parce qu'en même temps qu'ils sont menacés d'envahissement de
produits étrangers sur notre territoire, ils ont le temps d'organiser
leur marketing pour compenser et aller prendre leur part de marché.
Notre industrie de la hière qui est dynamique sur le plan de la
publicité en particulier, pas juste sur le plan industriel, nous dit que
ça se vend bien, qu'elle est bonne rare, etc. Tout cela pourrait se dire
à 230 000 000 d'Américains qui pourraient décider qu'elle
est bonne rare aussi et que ça se vend bien, à condition
peut-être qu'elle ait le délai voulu pour organiser son marketing,
ce que lui donneraient un calendrier et des échéances qui, encore
une fois, sont classiques dans ce genre de traité.
Il y a aussi, au rang des mesures pour limiter les effets brutaux d'une
libéralisation des échanges, les exclusions pures et simples.
Quand on voit que la problématique d'un secteur est telle qu'il n'est
pas sage de l'inclure dans l'entente, on la retire de l'entente. Vous pensez
bien, surtout après ce que vous avez entendu hier, à ce que j'ai
en
tête. C'est l'agriculture, évidemment. Tous les arguments
généraux favorables au libre-échange s'appliquent
également à l'agriculture. Je n'en suis pas sur ce point.
Plusieurs intervenants très spécialisés et très
savants, hier, vous ont dit cela, sauf que l'agriculture, c'est un
métier très particulier, très spécifique,
très vulnérable en particulier à un facteur, et aucune
autre industrie n'est dans cette situation, la température. C'est ce
qu'on appelle la loi de King, du nom d'un économiste britannique qui a
démontré un point avec beaucoup de raison. Et j'ai fini par
comprendre pourquoi, souvent, les agriculteurs dans mon village étaient
presque perpétuellement mécontents. Selon la loi King, en deux
mots, c'est que, quand la récolte est très abondante, les
marchés sont surapprovisionnés et les prix baissent. Alors, le
cultivateur est content de l'abondance de la récolte et il est
fâché à cause des prix. Quand la récolte n'est pas
bonne, les prix ont tendance à augmenter; les consommateurs le savent.
Alors, l'agriculteur est content que les prix augmentent, sauf qu'il est
très mécontent parce qu'il n'a pas de produits à vendre.
Vous voyez le paradoxe agricole. J'avais eu le malheur d'expliquer cela dans
une assemblée politique, au tout début de ma carrière,
à de braves agriculteurs qui m'ont bien écouté parler de
cette loi de l'économiste britannique King. L'un d'entre eux, un vieux
monsieur, est venu me dire à la fin du discours qui avait eu l'air de le
passionner: Tu as bien fait d'y donner ça mon jeune au bonhomme
Mackenzie King; toutes ses lois étaient contre la province de
Québec.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Landry: Ce n'est évidemment pas facile de vivre dans un
métier qui est à ce point tributaire de facteurs naturels, la
température, les inondations, les sécheresses, trop de soleil ou
pas assez. Qu'ont fait les agriculteurs du monde entier, pas seulement les
nôtres? Ils se sont donné un appareil de protection pour pouvoir
gagner leur vie convenablement avec un minimum de sécurité. Ils
ont - je ne le dis pas d'une façon péjorative - conçu aux
États-Unis, dans le marché commun, au Canada et au Québec,
un système de manipulation des prix qui s'appellent plan conjoint,
quota, office de commercialisation, subvention directe. Les Américains
qui sont censés être La Mecque du capitalisme le plus pur, ne sont
pas à l'abri, vous le savez, des manipulations de prix. Il n'y a pas de
système plus subventionné que l'agriculture américaine, ce
qui nous met dans la situation aberrante où les Moscovites actuellement
mangent du pain subventionné par les contribuables du Texas qui ne sont
pas réputés pour avoir une sympathie particulière pour les
Moscovites.
Le blé américain est subventionné, vous le savez.
Cela a été l'objet d'une grosse querelle entre le Canada,
l'Australie et les États-Unis. (10 h 30)
Cet appareil de protection légitime que les agriculteurs se sont
donné de peine et de misère pendant des années, même
dans leurs propres rangs où il fallait les convaincre un par un
d'adhérer au plan conjoint, ne peut pas se démanteler du jour au
lendemain.
Je pense qu'on est devant un beau cas d'exclusion, sauf que les
avantages du marché commun pour l'agriculture pourraient être tels
et les avantaqes du libre-échange sur l'agriculture pourraient
être tels qu'on ne devrait pas baisser les bras aussi vite. Si on n'est
pas prêt pour le libre-échange agricole immédiat, je crois
que les deux pays auraient intérêt à examiner de concert
leur politique agricole et leur industrie agricole dans un "agro pact" à
l'image de "l'auto pact". "L'auto pact", c'était le
libre-échange, oui, mais assorti de garanties de niveau de production,
assorti de mesures pour éviter éventuellement les effets
néfastes du libre-échange. Je crois que les agriculteurs
québécois, canadiens et américains auraient
intérêt à ce que leur gouvernement organise sur les dix,
douze ou quinze prochaines années une marche vers une coopération
plus poussée qui prendrait la forme d'un traité, mais un
traité différent, un traité séparé, "l'agro
pact", qui pourrait être signé maintenant et pourrait être
mis en application beaucoup plus tard quand tous les travaux nécessaires
auront été faits mats l'agriculture n'empêcherait pas de
cueillir les fruits mûrs dans les autres secteurs de l'économie
qui ne bloqueraient pas une entente de libre-échange globale avec les
États-Unis.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Landry, est-ce que je peux vous demander si vous en avez encore pour
longtemps dans votre présentation?
M. Landry: Bien, je sais que votre autorité est grande, M.
le Président. C'est vous qui m'indiquez le temps.
Le Président (M. Charbonneau): Mais elle n'est pas
illimitée. Comme le temps d'ailleurs.
M. Landry: C'est vous qui allez me dire cela. Au fond, j'aimerais
mieux, somme toute, répondre a vos questions. Si vous me donniez la
chance de mettre une petite phrase de conclusion.
Le Président (M. Charbonneau): Allez-y. Il n'y a pas de
problème.
M. Landry: On rendrait les échanges
bilatéraux comme le libre-échange veut le faire.
Le Président (M. Charbonneau): C'est cela. On pourrait
commencer immédiatement les échanges.
M. Landry: Ma conclusion, M. le Président, va bien
d'ailleurs avec votre remarque. C'est dans les dernières chances que les
parlementaires, ici comme à Ottawa et pour la population en
général et nous avons de discuter de libre-échange.
Wilfrid Laurier a essayé de le rétablir en 1911. It a perdu son
élection là-dessus. Mackenzie King avait négocié un
pacte presque complet où il ne restait qu'à mettre la signature
des chefs d'État vers 1947 et on a raté notre occasion.
Quand le Marché commun européen réuni, la
Grande-Bretagne et les États-Unis avaient mis de l'avant l'idée
d'une zone de libre-échange de l'Atlantique-Nord dont le nom a
été trouvé, qui s'appelait NAFTA, North Atlantic Tree
Trade Association, toutes ces occasions ont été manquées.
Laurier, Truman, Mulroney, cela fait beaucoup de monde qui a ouvert ce dossier.
Si on n'y va pas cette fois-ci, je ne pense pas que durant cette
génération au moins il y ait un seul homme politique qui aille
remettre de l'avant une telle proposition devant la population canadienne.
Encore sur le plan humoristique - c'est comme cela que je termine - vous
savez que Mackenzie King, c'est historique, parlait aux esprits. Il mettait les
mains sur la table et consultait les esprits. L'esprit frappeur
répondait par un coup ou deux si c'était oui ou non. Je
soupçonne que si on n'a pas eu le libre-échange en 1947, c'est
parce que Mackenzie avait parlé à l'esprit de Sir Wilfrid Laurier
qui avait dit: Votre projet est peut-être très bon, mais si vous
ne voulez pas laisser votre peau sur le plan électoral dans l'aventure,
ne touchez pas à cela.
Je pense que les parlementaires ont d'autres critères maintenant
pour former leur opinion, qu'il y a pour les parlementaires
Québécois une similitude de vues considérable, que c'est
la commission Macdonald, dirigée par un ancien ministre libérai
qui a conçu ce grand dessein qui a été mis de l'avant par
un premier ministre conservateur, Brian Mulroney. Les temps sont mûrs,
les temps sont pleins. Si on ne le fait pas cette fois-ci, ce n'est pas demain
la veille qu'on va rouvrir le dossier.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Landry pour cette
présentation et ces commentaires. Maintenant, je vais inviter le
ministre du Commerce extérieur, votre successeur, à ouvrir le
bal.
M. MacDonald: Qui n'a pas trop massacré ce que vous aviez
essayé de bâtir.
Merci.
Merci de votre présentation, M. Landry. Sachant que vous
connaissez les règles et que nous avons du côté du
gouvernement 20 minutes pour vous questionner, je vous avertis d'avance que
j'ai quatre questions et que peut-être mes collègues en auront
aussi à poser.
J'aimerais, en premier lieu, me référer directement
à votre volume que j'ai lu avec grand intérêt et parler de
jobs, parce que si je remettais mon chapeau de personne du secteur
privé, d'hommes d'affaires, je pense que je peux le dire, ce qui nous
intéresse et ce qui m'intéresse dans ce dossier, ce sont
fondamentalement des jobs pour les Québécois et les
Canadiens.
On a fait appel ici à des modèles
économétriques pour ce qui est de certaines institutions qui en
ont effectivement un, qui l'ont exploité, qui ont fait des simulations,
et à d'autres groupes qui, à leur façon mais sans
modèles économétriques, il faut le souligner, ont
décidé ou en ont conclu qu'un traité de
libéralisation des échanges avec les Etats-Unis pourrait
signifier la perte - on utilise toujours ce terme - de dizaines ou de centaines
de milliers de jobs.
Dans votre livre, à ia page 48, essentiellement, je vais lire le
dernier paragraphe; vous dites: "En d'autres termes, faute d'être
consignée et consolidée dans un accord spécifique, la
fluidité présente est précaire, alors qu'il est
parfaitement clair qu'elle nous est essentielle. Le Conseil économique
du Canada nous prévient qu'un retour de flamme protectionniste
américain, environ de 20 % généralisé, nous
coûterait un demi-million d'emplois d'ici 1995."
Dernièrement, le Conseil économique du Canada
présentait une étude basée sur un modèle qui, selon
le dire de votre collègue, hier, M. Parizeau, est l'une des plus
intéressantes méthodes qui avaient été
présentées. Là, on disait: simulation 1, création
de 189 000 emplois ou, simulation 2, 350 000 emplois. Il faut admettre que les
études économétriques, on en a pris avec des grains de
sel, mais tout de même, elles existent et elles ont des bases
scientifiques convenables.
J'aimerais que vous puissiez nous éclairer. Quelque part, il y a
un juste milieu, il faut comprendre que ce n'est pas la catastrophe et la fin
du monde, sans pour cela être la panacée ou la baguette magique
par excellence.
M. Landry: Voilà une question fort bien posée. Elle
comporte certaines difficultés de réponse, mais je vais essayer
d'y répondre, puisque j'ai eu plus de temps que vous pour y
réfléchir depuis que mes électeurs m'ont donné le
temps de penser à ces questions, sans être pris dans l'action tous
les jours. J'ai lu ces études. Un bureau de professeur
d'université, c'est pas mal plus petit qu'un bureau de ministre.
Si j'avais gardé dans mon bureau toutes les études que j'ai lues,
je n'aurais pas pu entrer dans mon bureau. Alors, j'en ai lu des montagnes.
Je vous dis honnêtement que l'immense majorité d'entre
elles, sinon la totalité, conclut avec le signe plus sur à peu
près tous les indicateurs économiques à la suite de la
signature d'un traité de libre-échange; que ce soit des
études faites par le gouvernement de l'Ontario pour le gouvernement
d'Ontario, celles du Conseil économique du Canada, le modèle
économétrique Cox-Harris, qui a été l'inspiration
majeure, semble-t-il, de la commission Macdonald. Mais cela dit, c'est
là que je tempère: un modèle économétrique,
c'est un modèle économétrique. Cela entre dans les
ordinateurs; cela marche en système binaire, mais c'est loin des hommes
et des femmes qui pourraient éventuellement perdre leur emploi ou gagner
des emplois. Alors, vous avez employé l'expression "grain de sel", ce
n'est pas une expression scientifique, on ne la retrouve pas dans les manuels
de sciences économiques, mais on devrait peut-être la retrouver un
peu plus souvent. Les études, d'une certaine manière, doivent
être prises avec un grain de sel.
L'argumentation que je propose pour le libre-échange tient compte
des modèles économétriques, mais elle est surtout une
argumentation de bon sens que n'importe qui peut comprendre. D'après les
sondages, il semble que les Québécois et les
Québécoises aient bien compris, indépendamment des
modèles économétriques, que d'abord si le monde entier
fait cela depuis pratiquement 25 ans avec beaucoup de succès et si les
niveaux de vie s'élèvent partout, cela ne doit pas être
mauvais.
Deuxièmement, il va de soi que si on produit 1 000 000 de paires
de draps, le coût unitaire de chaque paire de draps va être plus
bas que si on en produit 20 000. Cela a l'air de rien, ce que je viens de dire
là, mais c'est un peu l'explication de ce qui se passe à
Trois-Rivières, la mini-tragédie, où Wabasso a dû
abandonner; Dom Tex est revenue pour reprendre le flambeau et elle a dû
abandonner de nouveau. Les économies d'échelle et le fait de
produire pour des grands marchés, on n'a pas besoin d'être
économiste et d'avoir des modèles économétriques
pour comprendre cela, les produits sont moins chers. Si les produits sont moins
chers, on veut en vendre plus, puis si on en vend plus, notre balance des
paiements et notre niveau de chômage en sont affectés d'une
façon positive. Alors c'est cela que je réponds.
Quant aux pertes, vous avez mentionné les mots "pertes d'emplois"
et cela aussi, c'est très angoissant parce qu'on pense au destin
d'hommes et de femmes qui ne sont pas des chiffres ou des paperasses.
Sincèrement, je crois que les secteurs les plus protégés
derrière les barrières douanières sont
précisément ceux qui ont perdu le plus d'emplois depuis les
dernières années. On a perdu, vous savez, au cours d'à peu
près cinq ans, 30 000 à 40 000 emplois dans les secteurs dits
traditionnels et pas à cause de la concurrence venant des Etats-Unis ni
du libre-échange, puisqu'on ne l'a pas mais, à cause de la
concurrence venant du vaste monde à la suite du GATT, à la suite
de l'accord multifibre, à la suite de la libéralisation globale
des échanges.
Alors, je pense que, a contrario, une des meilleures façons de
conjurer les pertes d'emplois, c'est de donner à une usine de
Trois-Rivières qui fabrique du textile, un marché potentiel de
280 000 000 $ de personnes pour acheter des draps, cela va la solidifier, sinon
elle a des chances malheureusement de s'étioler plus dans l'avenir
qu'elle ne l'est aujourd'hui.
M. MacDonald: Nous avons procédé à
l'alternance qu'on va continuer à suivre.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): M. Landry, cela nous fait plaisir de vous
retrouver ce matin. Je pense que l'exposé que vous avez fait est clair,
net et précis, et que tout le monde comprend très bien ce qui est
en train de se passer.
Les préoccupations que nous avons rejoignent beaucoup les
vôtres. Lorsque le ministre du Commerce extérieur, il y a quelques
minutes, nous dit que la préoccupation du gouvernement, c'est les jobs,
quant à moi, je suis d'accord. D'ailleurs, dans la présentation
initiale, le tableau que nous présentions sur l'enjeu du
libre-échange, c'est l'emploi. Ce qui me préoccupe, M. Landry, et
j'aimerais avoir votre avis là-dessus, c'est qu'on est à quelque
chose comme dix-sept jours, dix-huit jours de la conclusion d'une entente. Le
gouvernement actuel n'a pas mis sur la table pour la faire connaître, une
politique globale, une politique bien cohérente concernant toute la
question de l'emploi.
La préoccupation des centrales syndicales, je pense qu'elle est
légitime, à savoir qu'elles ont une cause à
défendre. La montée des gens qui sont contre le
libre-échange est particulièrement à cause du fait qu'ils
n'ont pas toutes les données, parce qu'on a pas eu des études
d'impact complètes. Et même si ces études, il faut toujours
les prendre avec un grain de sel, je pense qu'on se devrait d'avoir, à
ce stade-ci, 17, 18 septembre, à quelques jours de la conclusion d'une
entente, tous les éléments sur la table. Cela, on ne les a
pas.
D'une part, on le déplore mais, vous, en tant qu'ex-ministre du
gouvernement et préoccupé au plus haut point par ces questions
sur le libre-échange, est-ce que vous trouvez, dans un premier temps,
normal que nous n'ayons pas ces outils sur la table de façon qu'on sache
s'il y a demain matin conclusion d'une entente, ce qu'il va se passer
exactement? Quels outils, particulièrement sur la question de la
main-d'oeuvre, mais aussi de façon plus large, quels outils le
gouvernement va-t-il ' mettre à la disposition des entreprises, des PME?
À cause de notre fragilité sur le plan structurel, je pense que
cela est reconnu, de la façon dont on est organisé actuellement,
les PME n'ont pas tous les outils entre les mains. On parie d'outils, cela va
aussi loin que toutes les différentes sociétés
d'État qui se doivent de venir jouer un rôle, à mon avis.
Donc, toute cette intervention du gouvernement, est-ce qu'on pourra
réussir le libre-échange si on n'a pas l'intervention de la part
du gouvernement?
Quel est votre avis là-dessus M. Landry? (10 h 45)
M. Landry: D'abord, étant assis devant le
Président, ni d'un côté de la table ni de l'autre, je dois
dire, d'une part, que vous faites votre métier d'Opposition, en
réclamant du gouvernement et des gouvernements que des mesures de
transition, des mesures d'adaptation soient mises sur pied. Je dois par
ailleurs un peu dédramatiser la question en essayant de me mettre
à la place du gouvernement aussi. Quand je dis le gouvernement, il
faudrait parler du gouvernement le plus responsable dans cela, le gouvernement
central, fédéral, d'Ottawa qui dispose de l'essentiel de
l'appareillage d'intervention économique. Je ne parle pas uniquement de
votre vis-à-vis d'en face. Je dis à sa décharge que
d'abord c'est un projet d'entente qui va être mis sur la table suivant le
"fast track" dans quelques semaines. Il y a toute une période de
discussions à l'intérieur des instances américaines et peu
de probabilités de mise en oeuvre de quelque traité que ce soit
avant 1989. Ce que je veux dire, c'est que vous avez raison de pousser. Je dis
cela à l'Opposition. Et ce que je dis au gouvernement, c'est que vous
avez le temps de vous ajuster et de réagir parce que cela ne va pas
être mis en application instanter. Actuellement, même si le
gouvernement du Québec, qui ne dispose pas de toutes les informations
concernant la négociation et le traité, voulait agir, il ne peut
pas avec certitude dire: c'est dans tel et tel secteur qu'il faut
immédiatement préparer l'action. C'est quand on aura le
traité sur la table qu'on saura quel est le calendrier. Je donne un
exemple très concret. S'il y a un calendrier de dix ans pour la
bière, je vous garantis qu'à dix ans l'adaptation est
pratiquement automatique et qu'il n'y a pas besoin d'intervention
étatique spécifique. L'industrie elle-même a largement le
temps de s'adapter. Mais dans le cas de calendrier d'échancier plus
court, une industrie pourrait être frappée dans douze ou quinze
mois; là, les gouvernements auront le devoir de prévoir des
mesures d'adaptation. Ce qui ne sera pas mer et monde, à mon avis,
puisque les meilleurs modèles économétriques, même
si on les prend avec un grain de sel, parlent de très peu de disparition
d'emplois causée par une libéralisation. Dans une
hypothèse de base, en particulier, ça ne serait guère plus
de 7000 d'Halifax à Vancouver. Cela veut dire que les pouvoirs publics
peuvent et ont largement le temps et les moyens, dans un effort
concerté, de limiter les dégâts auxquels vous faites
allusion, en réitérant que vous avez raison d'y faire
allusion.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.
M. MacDonald: Dans tout ce débat, on a "cherché
à préciser que l'objectif premier du gouvernement canadien et de
la province de Québec, qui s'était associée à cet
objectif, c'était de se garantir les marchés que nous avions
déjà. Mais on a fait ressortir à différents moments
et ici même à la commission parlementaire les questions de tarifs.
Lee questions de tarifs, dans votre volume, vous les traitez comme des choses
du passé. Je me permettrai de vous citer. Vous dites: "II ne faut donc
pas écarter ou presque la dimension purement douanière du
débat". Mais vous ajoutez: "Cette bataille des tarifs est
déjà derrière nous. Pour les esprits chagrins, elle aurait
dû être menée en 1965 ou en 1977 à Genève ou
au GATT". Vous continuez: "II faut reconnaître d'ailleurs que certains
l'ont fait et, généralement, ils ne souhaitent pas tellement
qu'on leur rappelle puisqu'ils ont été les premiers à
profiter des avantages de la libéralisation. Leurs témoignages
pourraient, du reste, être très précieux durant le
présent débat... l'industrie voudrait maintenant renoncer
à l'expansion que lui ont donné les 50 % d'abattement tarifaire
décidés au Kennedy round".
Vous parlez de l'histoire, mais d'une histoire que vous connaissez
très bien. Devant nous, il y a une proposition rendue publique,
où la partie américaine était demandeur, de réduire
les tarifs, mais sur une période pouvant aller jusqu'à dix ans,
associant cela - et c'est une position très ferme de la province de
Québec - non seulement à cette période de transition, mais
à des mesures de transition touchant la main-d'oeuvre et la
productivité de l'entreprise. Cela dit, hier, je note que vous avez dit:
L'agriculture doit être traitée d'une façon
particulière. L'Union des producteurs agricoles et le Regroupement
avicole du Québec, en ce qui a trait aux
tarifs, ont dit: Ce serait un désastre pour nous et pour
l'agriculture en général s'il y avait une réduction des
tarifa. Par ailleurs, l'Ordre des agronomes du Québec,
représentant les 3000 professionnels de cet organisme, a dit hier soir:
Une disparition des tarifs au niveau agricole aurait très peu de
répercussions. Est-ce que vous pourriez nous éclairer un peu sur
cette proposition de réduction des tarifs en générai et
plus particulièrement en ce qui a trait aux produits de
l'agriculture?
M. Landry: D'abord, il est exact que la guerre des tarifs est
derrière nous. 80 % de nos produits entrent en franchise aux
États-Unis d'Amérique; dans les 20 % qui restent, 80 % sont
frappés d'un droit moyen qui est entre 5 % et 10 %. Comme notre dollar
est en décote de 30 %, cela veut dire que, pour un tarif de 10, on saute
par-dessus avec 20 % d'avantages encore. Il n'y a personne de sérieux
qui va prétendre que la question tarifaire est encore un très
gros enjeu, d'une façon générale, à cause de
l'action du GATT précisément, le Tokyo round et Kennedy round, et
une autre demi-douzaine de discussions. Je revois avec plaisir un de vos
conseillers, M. le ministre, M. Grenier, qui était un des brillants
membres de l'équipe de négocations du GATT à
Genève, lors du Tokyo round, où j'avais eu l'occasion de me
rendre d'ailleurs pour défendre les intérêts du
Québec. On avait des propositions, dans le temps, d'industriels
québécois qui disaient: Si vous baissez les tarifs, on va perdre
notre chemise, tous les malheurs nous attendent. Je me souviens très
bien. Or, j'ai eu leurs confidences depuis, ils ne veulent plus qu'on parle de
cela, parce qu'ils sont tellement contents de ce qui est arrivé par la
suite qu'ils ont honte des représentations qu'ils avaient faites pour
que les tarifs soient maintenus. C'est à cela que je fais allusion dans
mon volume. Cela dit, le GATT n'a pas eu le pouce vert, c'est le moins qu'on
puisse dire. Tout ce que je dis s'applique plus à l'industrie
qu'à l'agriculture.
L'agriculture, c'était compliqué pour le marché
commun européen, c'était un vrai calvaire pour lui et
c'était compliqué pour le GATT. La question tarifaire, en
agriculture, doit être traitée avec beaucoup de soins. Cela dit,
je ne pense pas que les réticences principales développées
à l'encontre du libre-échange par les agriculteurs soient
tellement tarifaires. C'est surtout une question d'adaptation, une question
d'échelle, une question de subvention, de manipulation, sans le dire de
façon péjorative, des marchés. Je vous donne quelques
petits exemples que les agriculteurs ont servis à souhait, ils vous
l'ont peut-être dit: les oeufs cassés dans le transport aux
États-Unis, est-ce qu'ils vous l'ont racontée celle-là?
C'est l'équivalent de la production canadienne d'oeufs, d'Halifax
à
Vancouver.
Une seule grande compagnie de fermes laitières, je crois, produit
autant de lait que le million de vaches laitières du Québec.
Alors, ils sont terrorisés par l'échelle et, surtout, ils veulent
préserver leur victoire ancienne d'aménagement des prix.
Je termine ma réponse en revenant au GATT. On a commencé
par le GATT, on va finir par le GATT. Le GATT continue son travail, il n'a
jamais arrêté depuis 1947 et il s'engage dans l'Uruguay Round qui
risque largement d'être un round agricole où on va peut-être
voir, transposé à l'agriculture, ce qu'on a vu pour l'industrie.
C'est pour cela que j'insiste pour dire qu'on ne doit pas exclure
bêtement l'agriculture de tout traité. On doit être
plutôt un "agro pact" pour se préparer à ce qui peut nous
venir de Genève, de toute façon, et qui plongerait notre
agriculture dans un milieu totalement concurrentiel.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. D'abord un
commentaire et deux questions, M. Landry. Voici le commentaire face à ce
que vous venez de mentionner sur les questions que je vous avais posées.
Déjà, en novembre 1985, alors que vous étiez ministre
des» Finances, vous aviez annoncé la formation d'une commission
consultative sur le libre-échange, avec une mission particulière
qui avait pour but, entre autres, de mettre sur pied une stratégie
d'adaptation des travailleurs, et tout cela. Tout cela pour dire que,
déjà en 1985, ce travail était amorcé.
Malheureusement,vous n'êtes plus là; moi, je suis là, mais
dans l'Opposition. Mais déjà, c'était amorcé. Ce
que je veux dire et passer comme message, c'est que si ce travail
s'était immédiatement continué, on ne serait
peut-être pas dans cette position aujourd'hui, sans vouloir dramatiser,
avec, à mon avis, pas toute la préparation qu'on devrait avoir,
rendu au mois de septembre 1987.
Ma première question concerne particulièrement une
entrevue que vous avez donnée à Finances le 27 avril 1987 dans
laquelle vous disiez: C'est le Québec qui profitera le plus du
libre-échange... et davantage avec une politique économique
interventionniste.
Ma question tend à savoir, pour vous, une politique
économique interventionniste pour assurer un plein ou un plus grand
succès au libre-échange, qu'est-ce que cela veut dire
exactement?
Et, deuxièmement - je pense que le temps va nous presser - le
véritable enjeu, c'est l'accès garanti à un marché.
On sait que l'accès garanti étant l'une des conditions que le
gouvernement canadien et le
gouvernement québécois semblent réclamer, est-ce
qu'on peut penser sincèrement que les Américains nous donneront
cet accès garanti, y compris tout leur marché de défense
nationale?
M. Landry: Sur la première question, l'interventionnisme,
sans abuser des mots, je serais porté à parler d'un modèle
québécois qui a été développé depuis
1960 - alors, il n'y a rien de partisan là-dedans,, plusieurs partis
politiques se sont succédé comme membres de l'État depuis
- qui a établi une complicité qui n'a peut-être pas
d'équivalent en Occident entre les pouvoirs publics et les entreprises
privées coopératives ou mixtes pour assurer le
développement du Québec. Par exemple, l'action de la Caisse de
dépôt et placement. Cherchez dans les livres européens ou
américains des exemples d'une telle symbiose d'actions entre de l'argent
public, de l'argent privé et de l'argent d'un mouvement
coopératif pour assurer le développement économique.
Cela a permis le succès que... C'est un succès de
rattrapage, mais rattrapage spectaculaire de l'économie
québécoise depuis 1960 où, de marginaux dans notre propre
économie, nous sommes devenus des décideurs majeurs avec de
grands groupes industriels, de grands groupes de finances, qu'ils soient dans
le domaine bancaire ou dans le domaine de l'assurance, tout cela, à
cause de cette symbiose et de cet interventionnisme intelligent des
gouvernements du Québec depuis 1960.
Je pense que ce serait une erreur monstrueuse de sacrifier cela. J'en ai
entendu en confidence des compliments de ce modèle de collègues
canadiens, de collègues américains, de collègues
français et si on y tournait le dos, ce serait grave. C'est en ce sens
que je dis que cet interventionnisme intelligent pratiqué par le
Québec depuis sa révolution tranquille doit être maintenu.
Il a donné une grande partie de ses fruits. Il peut en donner encore
beaucoup et, singulièrement, dans le contexte du
libre-échange.
L'accès garanti, deuxième question. Il y a des limites
à cet accès garanti. Dans les conditions posées par
certains à la signature d'un accord, il y a des gens qui - je
l'espère de bonne foi - mettent des conditions tellement hautes et
irréalisables que cela revient à s'opposer à l'accord.
Ceux qui diraient: Je suis contre l'accord s'il n'y a pas un tribunal
dont toutes les décisions sont exécutoires comme les
décisions de la Cour supérieure du district de Montréal ou
de Québec le sont avec saisie et arrêt avant jugement
éventuellement, ils rêvent en couleur. Ce n'est pas comme cela.
Même le GATT n'a pas réussi directement a rendre ses
décisions exécutoires et, pourtant, le GATT est un succès
formidable.
Alors, ce qu'il faut atteindre, ce sont des assurances raisonnables, un
mécanisme raisonnable de règlement des différends, des
balises raisonnables. Je donne un exemple un peu technique. Pour les
subventions, actuellement, le Trade Act américain, les tribunaux
américains et la jurisprudence disent que si nos subventions du
gouvernement du Québec ou d'Ottawa ont une influence de moins de 0,5 %
dans le prix du produit fini exporté, c'est de minimis, suivant
l'expression juridique antique. C'est de minimis? cela ne compte pas.
Alors, vous pouvez subventionner jusqu'à 0,5 %. Il a
filtré de la table de négociations que ce 0,5 % s'est
transformé en 5, c'est-à-dire tout ce qui est subventionné
jusqu'à 5 % du produit fini sera de minimis. Mais c'est un
progrès absolument extraordinaire. Quant à amener les
Américains à dire: On signe un traité avec vous et cela
vous permet de faire n'importe quoi dans notre marché
subventionné, "dumpé", cartelisé, il faut oublier cela,
parce que, nous mêmes, au Canada et au Québec, on n'accepterait
pas. On a un tribunal anti-dumping.
Une mesure déloyale, qu'elle vienne d'un petit pays ou d'un
grand, c'est une mesure déloyale. Libre-échange ou pas, les
mesures déloyales seront toujours réprimées. Les
Américains ne vont pas sacrifier ce pouvoir, pas plus que le Canada non
plus. Alors, il faut donc arriver à des mesures qui civilisent nos
rapports, sans penser qu'une activité aussi immense que risquent les
milliards de dollars impliqués va être réduite à
marcher comme du papier musique.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.
(11 heures )
M. MacDonald: M. Landry, dans ce débat où,
effectivement, nous cherchons à éclairer, nous cherchons à
mieux comprendre les positions de tous et chacun et à établir
cette position du Québec vis-à-vis des objectifs à
atteindre, vous avez des gens qui semblent s'être polarisés autour
de qroupes très favorables - vous êtes personnellement une des
personnes très favorables - et d'autres qui, depuis le tout
début, d'ailleurs, se sont dits contre et aucun argument ne semble
vouloir percer leur carapace. Au cours des deux dernières
journées d'auditions, on s'est aperçu que la perception
était que tout le monde syndical, dans son ensemble, était contre
toute négociation sous quelque forme que ce soit. Cela a
été assez bien explicité, hier, et très
honnêtement, par M. Proulx de l'UPA. Nous avons eu, par contre, la
Centrale des syndicats démocratiques qui est venue dire que les
négociations ne lui faisaient pas peur et qu'elle balisait, par contre,
les conditions. Il y a également les Travailleurs unis de l'automobile,
dont je n'ai pas tellement entendu d'opinions pour ou
contre; peut-être ai-je manqué certaines
déclarations, mais je n'en ai pas entendu.
Pourriez-vous essayer de nous diriger un peu, de nous indiquer quelle
est votre impression de cette position du tout début d'un certain nombre
de syndicats, ou tout au moins de syndicalistes et cette divergence d'opinions
ou ce silence que j'ai mentionné chez certains?
M. Landry: D'abord, c'est l'une des choses, durant toutes mes
études de la question, qui m'a laissé le plus perplexe de voir
que le mouvement syndical canadien presque dans son ensemble, à
l'exception de la CSD, prenait des positions aussi adverses. Cela m'a
étonné d'abord, parce que cela va contre toutes les traditions de
la gauche mondiale. Un grand thème de la gauche, c'est justement
"Travailleurs du monde entier, unissez-vous" et non pas "Douaniers du monde
entier, unissez-vous". Dans les grandes doctrines, à l'Est comme
à l'Ouest -les marxistes appellent cela la solidarité
internationale, la division internationale du travail; nous, on appelle cela
les avantages comparés - c'est un grand thème de gauche auquel
tourne le dos le mouvement syndical canadien, et cela m'a beaucoup surpris. Je
résumerais ma pensée en citant une phrase de Jean Jaurès,
l'un des grands ancêtres du Parti socialiste français, qui disait:
"Le protectionnisme, c'est le socialisme des riches." Que la
Fédération des travailleurs du Québec et la CSN
défendent des positions protectionnistes, c'est une chose
étonnante.
Deuxièmement, j'ai assisté à beaucoup de
débats, j'ai été conscrit à faire des débats
avec M, Daoust, en particulier, et comme il y a entre nous beaucoup de
similitude de vues sur bien des choses, ce furent les débats les plus
polis que vous puissiez imaginer, il n'était pas question de s'injurier,
mais on a pu confronter nos positions. Il faut reconnaître que si le
mouvement syndical n'avait pas participé activement au débat et
organisé des forums, publié des tracts, des pamphlets, le
débat aurait été beaucoup moins fourni, parce qu'il a
été le seul à contribuer de façon négative
à faire ce qu'on pourrait appeler l'avocat du diable. Il ne faut pas
oublier qu'une caractéristique profonde du mouvement syndical
nord-américain, c'est d'être un habile négociateur. Alors,
quelquefois, on est contre une chose pour faire monter les enchères afin
d'obtenir un peu plus ailleurs.
Une dernière explication, elle est plus subjective,
celle-là, je la donne sous toutes réserves. N'oubliez pas que le
mouvement syndical canadien est largement dominé par des travailleurs
qui profitent déjà du libre-échange, les travailleurs de
l'automobile. Ils ont tellement voulu que le "l'auto pact" soit
considéré comme un monstre sacré qu'on aurait dit qu'ils
étaient prêts à empêcher toute discussion sur le
libre-échange au cas où le vent du boulet serait passé
à côté de "l'auto pact", en oubliant que "l'auto pact" peut
être rappelé à douze mois d'avis; ce n'est pas coulé
dans le bronze, cette affaire-là. Alors, ceux qui s'opposent au
libre-échanqe pour sauvegarder "l'auto pact" pourraient se retrouver
dans la situation misérable où ils auraient fait rater le
libre-échange et qu'on recevrait un avis de douze mois de Washington
pour dire que le "l'auto pact" est terminé. Donc, cela a
été assez difficile à comprendre, ce dernier paradoxe.
Cela m'a un peu attristé de voir que les travailleurs qui gagnent
environ 20 $ l'heure, qui ont eu leur emploi en expansion depuis des
années, il y en a de plus en plus qui ont été
sauvés par "l'auto pact", viennent dire à des travailleurs de la
rue Chabanel à Montréal qui sont dans le textile, qui gagnent
à peine plus que le salaire minimum: Ne touchez pas au
libre-échange, ce n'est pas bon. Il y a un paradoxe attristant
là-dedans.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. On sait que
l'entente qui aura lieu, si elle a lieu dans quelques jours, fera en sorte
qu'il y ait une volonté politique au plus haut niveau de la part du
premier ministre du Canada de vouloir conclure cette entente. Cela me fait un
peu peur. À partir du moment où il y a une volonté
politique très forte et que les négociations n'avancent pas pour
conclure une entente qu'on voudrait voir conclure sur plusieurs points et qu'on
se ramasse essentiellement avec une entente qui soit plus une entente-cadre
minimale dans laquelle se retrouverait, à toutes fins utiles, un immense
parapluie et dont on aurait, j'imagine, par la suite, à négocier
au cours des 18 ou 24 prochains mois les détails ou les
spécificités... Le Québec, à cette table, n'est pas
représenté directement comme vous l'aviez réclamé
en 1985, vous et vos autres collègues, à des conférences
fédérales-provinciales. Croyez-vous, d'après votre
expérience et parce que vous suivez le dossier, que les
spécificités québécoises et les
intérêts du Québec dans son ensemble sont actuellement bien
représentés? Deuxièmement, est-ce que vous croyez que ce
n'est pas un danger actuellement, parce qu'il y a une grande volonté
politique de la part du gouvernement canadien et de son premier ministre de
vouloir en venir à une entente à tout prix, de faire des
concessions où on a les mains attachées en ce qui regarde le
Québec et que, par la suite, on fasse une concession d'ordre national
sur le plan pancanadien?
M. Landry: D'abord, il y a une
sauvegarde existante dans les lois fondamentales du Canada et du
Québec. C'est que le Québec est souverain dans plusieurs
sphères de l'activité gouvernementale qui tombent sous sa
juridiction et que la puissance du Canada, telle est la loi de ce pays, ne peut
pas engager par traité la souveraineté du Parlement du
Québec sur un certain nombre de choses. Le Canada pourrait signer un
traité qui modifierait la politique d'achat d'Hydro-Québec
HydroQuébec demeure sous la juridiction de ce Parlement. Le gouvernement
du Canada pourrait signer un traité pour modifier le Code civil du
Québec. Le Code civil demeure sous la juridiction de ce Parlement. On a
donc une série de garanties qui sont plus que le veto; c'est la
souveraineté.
Pour le reste, certains l'ont déploré publiquement et je
veux joindre ma voix à la leur, il me semble qu'on aurait pu
intéresser davantage des Québécois et des
Québécoises, des fonctionnaires du gouvernement du Québec
et des délégués de l'Exécutif à l'ensemble
de cette négociation. Cela ne s'est pas fait. Évidemment, je
présume que M. Reisman, en toute bonne foi, représente dans ses
travaux tous les citoyens de Halifax à Vancouver, et la bonne foi se
présume et ceux qui l'entourent sont de même. J'aurais aimé
une présence québécoise un peu plus visible et à un
niveau un peu plus haut dans les équipes de négociation.
Effectivement, j'avais demandé autrefois, au nom du gouvernement du
Québec, qu'une telle chose se fasse» Cela ne s'est pas fait. Je
pense que ce n'est pas une raison pour empêcher qu'un accord se fasse,
mais ce serait fait sous de meilleurs augures si on avait pris cette
précaution.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre?
M. le député de Roberval.
M. Gauthier: J'ai une question et, M. Landry, vous l'avez
abordée tout à l'heure. Je vous avoue que ma préoccupation
est grande à ce niveau. Cela concerne l'agriculture. Je partage un peu,
disons, votre optimisme concernant ce secteur, le dynamisme de l'agriculture,
la possibilité de s'adapter sur une plus longue période,
l'accession à de nouveaux marchés. Si les agriculteurs ont peur
de l'échelle, ont peur de la comparaison avec des fermes qui produisent,
toute proportion gardée, beaucoup plus que les leurs, j'ai l'impression
que cette peur est fondée. Je vous avoue qu'en toute logique et en toute
vraisemblance, la production à une très haute échelle
permettant des économies parfois plus que substantielles par rapport au
choix de société agricole qu'on a fait ici, j'ai l'impression
qu'on n'a rien à gagner dans le monde de l'agriculture et qu'il reste
encore beaucoup de choses à démontrer à ce niveau. Est-ce
que vous pourriez me donner, ou donner à ceux qui nous écoutent,
des arguments supplémentaires nous permettant de faire confiance
davantage à un traité de libre-échange dans le domaine
agricole même si on l'assortit de certaines conditions? Pourquoi pas tout
simplement accepter la demande qui est faite et exclure tout à fait le
domaine agricole d'une entente sur le libre-échange? J'aimerais vous
entendre là-dessus.
M. Landry: La tentation de la facilité, cela aurait
été de dire: L'agriculture, c'est compliqué; on n'y
touchera pas. C'est l'hypothèse retenue par l'Association
européenne de libre-échanqe qui fonctionne très bien
depuis 25 ans et au-delà en ayant exclu l'agriculture. C'est simple. On
n'en parle pas.
L'autre extrême, c'est la Communauté économique
européenne qui dits On aborde le problème de front, on fait un
marché commun agricole avec tous les problèmes qui s'ensuivent et
qui ne sont pas encore résolus. L'attitude médiane, c'est de
constater que même pour l'agriculture, il y a de grands avantages
à la libéralisation des échanges et certains producteurs
Québécois en vivent déjà. Il y a dans l'île
de Laval, par exemple - le député de Vimont doit le savoir - la
plus grande ferme de brocoli du continent nord-américain. Si les
producteurs n'en vendaient pas en dehors de Laval et du Québec, ils ne
seraient pas à ce niveau de production.
Il y a aussi ce qu'on appelle les avantages comparés qui
s'appliquent en agriculture. Pour les oranges, le Québec n'est pas bien
placé, vous le savez. Cela est évident. Sauf que pour toutes les
cultures maraîchères qu'on peut faire ici dans un climat
tempéré et qui n'a pas besoin d'être irrigué de
façon artificielle avec d'énormes pompes qui épuisent la
nappe phréatique comme cela se fait dans plusieurs sections des
États-Unis où cette production devra être abandonnée
un jour, bien là, on reprendrait tout notre avantage de situation.
S'il est vrai que les oeufs cassés dans le transport
représentent la production canadienne, il est vrai que dans la seule
ville de New York et ses banlieues il y a beaucoup plus de personnes qui
peuvent consommer du lait, et qui pensent que c'est vachement bon même
s'ils ne le disent pas en français, que dans tout le Québec et
dans presque tout le Canada.
J'ai écouté un peu les agronomes parier hier à la
télévision et j'ai lu tous les papiers de l'UPA. Je pense qu'il
faut éviter les extrêmes. Il serait malheureux de jeter la
serviette. L'agriculture, c'est une partie fondamentale de notre
économie. On pose un geste d'ouverture fondamental pour l'ensemble de
l'économie et on met
complètement l'agriculture à part. Sam ne me semble pas
avoir fait ses devoirs convenablement. On doit plutôt aller vers un
statut spécial pour un problème spécial. C'est pour cela
que j'ai mis de l'avant dans mon ouvrage cette solution d'un "agro pact" qui
serait une solution mitigée qui permettrait de concilier tous les
aspects de la question.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Landry, j'aurais de mon côté deux brèves questions
à vous poser. Vous avez insisté beaucoup depuis le début
sur l'ouverture des nouveaux marchés, autrement dit la
possibilité de développer les nouveaux marchés que nous
permettait éventuellement un accord de libre-échange. Hier, par
ailleurs, M. Parizeau, mais surtout M. Pettigrew, sont venus nous indiquer que
c'est plutôt l'objectif de sécurité de ce qui se fait
actuellement que l'objectif du développement accru de nouveaux
marchés qui doit être raisonnablement pris en considération
dans un accord éventuel. Qu'en pensez-vous?
D'autre part, à l'égard de l'objectif de l'emploi, et
entendons-nous bien, tout le monde est pour la vertu tout le monde dit: Nous,
on est pour la création d'emplois. Sauf qu'il y a une différence
fondamentale entre des gouvernements, et je pense, entre autres, à des
gouvernements Scandinaves où ils ont effectivement un
libre-échange opérationnel, qui ont comme objectif de
société, comme objectif politique et socio-économique, et
partagé par les partenaires économiques,
socio-économiques, le plein emploi.
Donc, il y a une différence entre cette approche et l'approche
traditionnelle nord-américaine et occidentale de pays qui n'ont pas une
tradition sociale-démocrate qui ait l'emploi, oui, comme
conséquence à la croissance économique. On sait que la
croissance économique peut se traduire par plus de productivité,
plus d'investissements mais pas nécessairement plus d'emplois et,
à la limite, même moins d'emplois. On peut avoir des entreprises
qui investissent, qui ont de meilleurs équipements de production parce
qu'elles sont plus modernes mais qui embauchent moins de personnes aussi en fin
de compte.
Dans la mesure où finalement un certain nombre
d'économistes que nous avons consultés nous ont dit très
clairement: Le libre-échange, dans la mesure où il n'est pas fait
en fonction d'un objectif de plein emploi, dans une approche qui est plus une
approche à l'européenne dans le sens social-démocrate,
c'est-à-dire les pays Scandinaves, risque de ne pas apporter autant de
fruits qu'une approche qui serait vraiment orientée vers le plein emploi
comme objectif de société, comme objectif économique
avisé. Là aussi, qu'en pensez-vous?
M. Landry: La question des nouveaux marchés, M. le
Président, tel que vous avez décrit l'intervention de mes
collègues Pettigrew et Parizeau, me fait penser que je vais
peut-être un peu au-delà d'eux s'ils ont dit ce que vous avez dit,
parce que je crois que nous aurons des nouveaux marchés à la
suite du libre-échange mais, paradoxalement, pas tellement aux
États-Unis. (11 h 15)
Vous savez que nos ventes actuellement sont concentrées, on l'a
dit, tout, le monde le sait, à 80 % aux États-Unis et qu'on a des
difficultés à percer d'autres marchés dans le monde. Une
des raisons, c'est notre échelle de production réduite -
là, je parle d'expérience - qui nous empêche, à
cause de nos prix, de vendre dans des marchés plus vastes dont les
producteurs nous battent sur à peu près tous les plans quand
arrivent les questions de prix et de qualité.
Je résume ma pensée en disant que le fait, pour les
industries du Québec, d'avoir accès à un très grand
marché, cela va leur permettre des économies d'échelle,
des hausses de qualité, des baisses de prix qui vont leur permettre de
vendre davantage, non pas dans ce grand marché seulement mais aussi
ailleurs. Alors, on est devant le paradoxe que cette troisième voie, qui
a été poursuivie par le gouvernement du Canada -vous vous
souvenez, il y a un certain nombre d'années, de "on va diversifier", "on
va vendre ailleurs qu'aux États-Unis", "ce n'est pas bon de se
concentrer" - c'est dans un traité de libre-échange qu'elle
serait peut-être la plus sûrement recherchée et
trouvée. Trop cher, c'est trop cher partout. Si on réussit avec
des échelles de production à baisser nos prix, bien, on vendra en
Europe. Et si on ne vend pas plus au Japon, par exemple, au moins on sera plus
concurrentiel contre les produits japonais venant chez nous.
Pour la préoccupation de l'emploi, M. le Président, vous
avez parfaitement raison. Là, je vais refaire une vieille comparaison
qui traîne un peu partout, mais il faut toujours la rappeler. Vous savez
qu'il y a une différence considérable de taux de chômage
entre le Québec et l'Ontario, que cette différence est chronique.
Actuellement, le Québec dépasse 10 % et l'Ontario dépasse
à peine 5 %. De quoi est-ce que cela dépend? On serait
porté à dire, de façon simpliste: Cela dépend du
gouvernement, de l'ancien ou du nouveau. Ce n'est pas cela. La réponse,
c'est que le coeur de l'économie ontarienne vit déjà une
production pour 230 000 000 de consommateurs et plus, l'automobile. Si le
Québec avait l'industrie automobile à la place de l'Ontario,
savez-vous ce qui serait arrivé depuis Maurice Duplessis? Le taux de
chômage québécois aurait été plus bas que
celui de l'Ontario. C'est cela, les grands marchés, en termes
d'emplois.
Cela est plutôt l'approche nord-américaine, vous avez bien
fait de le suggérer; c'est que les emplois viennent par la croissance.
Là, vous allez un peu dans mes convictions personnelles. Je crois que
dans une social-démocratie, on peut profiter encore davantage. En tout
cas, dans un gouvernement progressite, ne soyons pas formels, mais disons
l'interventionnisme québécois que j'ai décrit depuis 1960,
je ne veux pas être partisan, donne un meilleur contexte pour profiter du
libre-échange. C'est pour cela que deux pays européens
relativement petits, l'Autriche et la Suède, ont des niveaux de vie
élevés, des taux de chômage relativement bas et ils sont
tous les deux très axés vers le libre-échange. Je l'ai dit
pour la Suède, c'est la même chose pour l'Autriche,, membres tous
les deux de l'Association européenne de libre-échange qui
elle-même a un traité de libre-échange avec le
marché commun.
Cet interventionnisme intelligent à la québécoise,
il comporte aussi un aspect répartition des richesses et de justice
sociale qui fait du Québec un terre intéressante parmi bien
d'autres dans le monde. La ville de Montréal par exemple, vous dites
qu'elle est la grande ville nord-américaine la moins violente. Il y a
des raisons à cela. C'est parce que, en particulier, Montréal
profite des mesures sociales avancées du Canada, qui est un pays
très avancé, et des mesures sociales québécoises
qui sont plus avancées encore que celles du Canada, il y a des relations
de cause à effet. Alors, je pense que si nous vivons le
libre-échange dans une approche progressiste, on a une chance de
créer plus d'emplois et de mettre plus de justice.
Pour compléter ma réponse, je voudrais dire aussi que
certains éléments du mouvement syndical ont une fixation - je les
comprends dans leur situation - anti Reagan. Mais le président des
États-Unis, il est renouvelable, il ne peut pas être élu
plus que deux fois» L'histoire des États-Unis d'Amérique
est une longue oscillation entre, c'est vrai, des positions des fois
très à droite, mais aussi des positions des fois très
à gauche. Le "new deal" de Franklin Roosevelt, par exemple, a
été une des belles périodes de l'histoire progressiste du
continent et de l'humanité. Le mot "Welfare State", cela n'a pas
été inventé à Moscou, c'était dans le
vocabulaire du "new deal" de Franklin Roosevelt. Alors, un libre-échange
pourrait très bien être vécu dans un contexte progressiste
et donner, de ce point de vue, des fruits plus riches en termes d'emplois et de
justice sociale.
Le Président (M. Charbonneau): Merci. Alors...
M. Parent (Bertrand): Une dernière.
Le Président (M. Charbonneau): ...une dernière
intervention.
M. Parent (Bertrand): Une dernière intervention puisque le
temps est déjà écoulé, mais c'est fort
intéressant et fort enrichissant» Je sais que le ministre veut
intervenir en dernier lieu pour fermer la boucle.
M. Landry, on dit partout dans les milieux d'affaires, M, Parizeau est
venu aussi le dire hier, que le dynamisme des entreprises, l'entrepreneurship
québécois, cela se porte bien. Je pense que ce qui a
été bâti ces dernières années porte fruit,
cela est fort encourageant et j'applaudis à tout cela.
Par contre, dans le journal Le Devoir de ce matin, on lit que le
secteur privé ne peut pas remporter seul le pari du
libre-échange,. C'est le dire de M. Parizeau avec lequel je suis
totalement d'accord. J'aimerais que vous puissiez commenter cette dimension du
secteur privé, face au libre-échange. Est-ce que seul, il peut
remporter le pari, est-ce qu'il devra avoir justement des appuis? Et ce n'est
pas négatif les appuis qu'il pourra avoir du côté
gouvernemental ou autres. Mais, j'aimerais que vous puissiez, en terminant,
face à ce dynamisme économique qui est souligné un peu
partout de l'entrepreneurship québécois, nous livrer vos
commentaires. Est-ce que vous êtes d'accord avec le fait que le secteur
privé ne peut pas remporter seul le pari du libre-échange?
M. Landry: Je suis globalement d'accord sauf que le secteur
privé, c'est vaste. Le secteur privé, cela comprend une PME de 42
employés à Saint-Prime, comme cela comprend Bombardier et Alcan.
Alors, les très grandes firmes du secteur privé peuvent
très bien, parce que souvent déjà rompues à
l'action du commerce international, se débrouiller après le
libre-échange comme avant sans autres interventions
particulières. ' Même là, cette complicité
québécoise des pouvoirs publics et de l'entreprise privée,
souvent la petite, des fois la grande, restera nécessaire. Ce sera pour
nous un avantage parce que c'est la seule partie du nouvel ensemble du
libre-échanqe qui serait dans cette situation. On ne trouve pas cela en
Ontario, ni dans l'ensemble du Canada, ni aux États-Unis. Je crois que
cela doit être maintenu, non pas tellement si le secteur privé
peut se débrouiller seul ou pas, mais en disant que le modèle
québécois donne un plus de toute façon. C'est une
prospérité additive qui est venue du fait que les
Québécois ont développé ce modèle d'action
de symbiose: le secteur coopératif, le secteur purement privé, le
secteur mixte et le secteur public. C'est un avantage supplémentaire,
bien qu'encore une fois, ce ne soit pas absolu et il y a des gens qui... quand
on
peut se passer d'intervention d'État, je pense que c'est mieux,
c'est mieux pour tout le monde; c'est mieux du point de vue du ministre des
Finances, à qui cela coûte moins cher, et c'est mieux du point de
vue de la bonne gestion des choses. Ceux qui peuvent s'en passer comme les
très grands que j'ai nommés, vont s'en passer j'imagine sauf
exception. On a vu dans l'affaire du contrat du métro de New York que
sans un financement très avantageux du gouvernement du Canada, il n'est
pas sûr qu'on aurait vendu des voitures. On a réussi à le
faire, c'est très bien ainsi. Cela peut poser des problèmes non
pas tellement d'ailleurs par rapport à des règles d'un
libre-échange futur, mais par rapport aux règles du GATT aussi.
On n'a pas le droit d'intervenir d'une façon déloyale et à
qui mieux mieux, sans s'exposer à violer l'accord général
sur les tarifs. Il y a alors une question à la fois de bonne foi et de
bon sens dans le volume des interventions.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre du Commerce
extérieur.
M. MacDonald: J'aimerais conclure votre visite, M. Landry, en
vous remerciant. Je note un certain nombre d'éléments dans votre
présentation, et j'aimerais en souligner quelques-uns.
Vous avez fait un acte de foi dans la capacité de l'entreprise
privée, de l'entrepreneurship québécois, de faire face au
défi. Je crois que c'est évident que les résultats des
dernières années ont démontré qu'ils étaient
capables de choses assez spectaculaires.
Je suis content que le député de Bertrand ait amené
sur le sujet ce que vous avez mentionné, c'est-à-dire cette
complicité qui doit exister entre gouvernements, entreprises
privées et syndicats.
Je pense que vous avez vécu, comme ministre, la période
très difficile. À ce moment, vous vous rappellerez qu'on
n'était pas toujours d'accord sur les méthodes mais, en visant
certains objectifs, tout le monde va réaliser qu'il ne pouvait
être d'économie viable et d'avenir convenable s'il n'y avait pas
cette complicité. On ne peut pas s'isoler l'un ou l'autre et penser
d'être seul en possession tranquille de la vérité. Je pense
que vous l'avez bien démontré. Je vous remercie des mentions que
vous avez faites de mon brillant collègue M, Grenier. J'aimerais vous
rassurer sur le fait que vous auriez espéré qu'on soit
représenté au plus haut niveau. Je pense que vous allez
être d'accord avec moi que Jake Warren était probablement l'expert
des experts québécois qui était disponible, Dieu merci, et
même si c'était mon ancien "boss", cela m'a fait grand plaisir de
retenir ses services comme principal conseiller du gouvernement. M.
Pomerleau, M. Grenier et les autres ont formé une équipe
formidable.
Finalement, je conclus en disant que je saisis que non seulement vous
êtes favorable au libre-échange, mais ce que vous dites
également à certaines personnes qui devraient peut-être
reconsidérer leur position, c'est qu'entre autres - et je vous cite - il
ne faut pas exclure bêtement l'agriculture de la discussion.
Effectivement, il ne faudrait pas s'exclure non plus d'une discussion
continuelle qui cherche à optimiser nos marchés. Merci, M.
Landry.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Landry, au nom de tous les membres de la commmission et en mon nom
personnel, il me reste à vous remercier. Je pense que vous avez fait un
retour remarqué dans cette enceinte. Je comprends que vous avez
maintenant plus de crédibilité et que vous en profitiez
joyeusement. J'espère néanmoins que cet exercice aura permis
à ceux qui nous écoutent de nous en accorder un peu plus à
nous aussi. Merci et à bientôt.
J'invite le prochain groupe, le Conseil du patronat du
Québec.
Alors, nous reprenons maintenant avec le Conseil du patronat du
Québec. Quelques figures connues, M. Dufour, entre autres. Alors, M,
Dufour et messieurs, bienvenue à cette commission. On devrait dire
rebienvenue, c'est-à-dire que parmi les habitués de la commission
vous avez sans doute l'une des plus grandes anciennetés. Vous connaissez
très bien les rèqles du jeu. On a une heure pour votre
présentation et la discussion. En fait, vous avez vingt minutes
initialement pour présenter vos points de vue et, par la suite la
discussion va s'engager, comme elle s'est engagée jusqu'à
maintenant de part et d'autre avec un partage du temps équitable. Alors,
sans plus tarder, je vous demanderais aussi, avant de commencer votre
présentation, de bien vouloir identifier les personnes qui vous
accompagnent.
Conseil du patronat du Québec
M. Dufour (Ghislain): Merci, M. le Président. Mes
collègues: M. André Duchesne, président de l'Association
des industries forestières du Québec; M. Jacques Garon, directeur
de la recherche au Conseil du patronat et, à ma droite, M.
Sébastien Allard, ex-président du CPQ et administrateur de
compagnies, des petites, des grandes, de tous les secteurs, alors, il est
carrément dans le dossier du libre-échange.
Comme vous l'avez mentionné, vous avez déjà
reçu notre mémoire. II y a beaucoup de statistiques dans ce
mémoire. Nous passerons bien sûr par-dessus ce qui est le plus
aride, nous passerons aussi par-dessus les tableaux.
(II h 30)
Les négociations pour une plus grande libéralisation des
échanges entre le Canada et les États-Unis en sont maintenant
à une étape finale et les gouvernements canadien et
américain espèrent toujours proposer la première version
d'un accord d'ici octobre 1987 et pouvoir le mettre en oeuvre au début
de janvier 1988.
À mesure que les négociateurs précisent leurs
positions respectives dans le détail, il devient de plus en plus
important que les provinces, quant à elles, suivent le même
mouvement et passent du général au particulier. Voilà
d'ailleurs pourquoi le CPQ se réjouit de la tenue de ces audiences
publiques même si elles sont arrivées à la toute
dernière minute, audiences qui pourront peut-être apporter
certains éclairages nouveaux dans cet important dossier.
Rappelons immédiatement que le CPQ a déjà
présenté à la commission Warren un mémoire dans
lequel il exprimait un "oui" sans équivoque, mais prudent à la
libéralisation des échanges avec les États-Unis.
Bien sûr, M. le Président, nous maintenons toujours ce
point de vue. Et c'est parce que nous maintenons toujours ce point de vue - et
que, de ce fait, nous voulons ainsi apporter notre appui aux positions
généralement défendues par le gouvernement
fédéral et le gouvernement du Québec - que nous
participons à cette commission parlementaire.
En effet, aux arguments présentés par ceux qui s'opposent
à un accord de libéralisation des échanges avec les
États-Unis - et je voudrais bien préciser ici que quand on pense
à ceux qui s'opposent, il ne s'agit pas de l'Opposition, mais on pense
à la coalition que vous entendrez cet après-midi -le CPQ tient
à opposer des arguments qui militent plutôt en faveur d'un tel
accord.
Notre mémoire n'est pas une analyse ni une étude technique
d'un dossier qui, finalement, est très complexe. Il constitue simplement
un plaidoyer en faveur de l'abolition des mesures protectionnistes et des
barrières aux échanges commerciaux qui existent entre nos deux
pays. Et même si nous sommes bien conscients qu'un tel accord ne
solutionnera pas tous les problèmes, nous n'en croyons pas moins que
nous avons beaucoup plus à y gagner qu'à y perdre.
Le gouvernement du Québec a donc notre plein appui dans ce
dossier et il nous apparaît utile, sinon essentiel, de venir le dire aux
membres de cette commission.
La position du CPQ, telle qu'exprimée publiquement à
plusieurs occasions, est essentiellement la suivante: Un oui sans
équivoque mais prudent à la libéralisation des
échanges avec les États-Unis. Compte tenu cependant des
faiblesses particulières de l'économie québécoise,
toute entente de libéralisation des échanges devra être
conclue lorsque nécessaire et selon des échéanciers qui
tiendront toujours compte des besoins d'ajustement de nos secteurs
économiques ou de nos entreprises.
Pourquoi d'abord notre oui? Deux volets: le volet du Canada et le volet
du Québec. Le Canada est l'une des nations les plus commerçantes
au monde. En effet, un peu plus de 30 % de notre produit intérieur brut
est exporté. Donc, près de 30 % de notre niveau de vie
dépend de nos ventes â l'étranger; cela est quatre fois
plus que les 7 % du produit intérieur brut que les États-Unis
exportent? le Japon, quant à lui, exporte 12 % de son produit
intérieur brut, la France, 22 %. Il est donc relativement plus important
pour nous que les frontières commerciales restent ouvertes entre les
pays.
De plus, de tous les pays industrialisés, seul le Canada a un
petit marché intérieur limité à 25 000 000 de
consommateurs. Les États-Unis ont un marché intérieur de
240 000 000 d'habitants; les Européens du Marché commun, 350 000
000 et les Japonais, 115 000 000. Voilà une autre raison de poids qui
explique pourquoi le libéralisme économique est objectivement
plus important pour le Canada: notre marché intérieur ne suffit
pas.
Par ailleurs, le Canada éprouve actuellement des
difficultés croissantes en matière de commerce international.
La compétition des pays nouvellement industrialisés place
plusieurs industries canadiennes dans une position défensive. La
structure industrielle canadienne vieillit; nos ressources naturelles sur
lesquelles nous avons pu compter longtemps n'ont plus la même valeur
marchande.
Bref, pour toute une série de raisons, nous assistons à
une diminution graduelle de la part du marché international
occupée par les exportations canadiennes et à une
dépendance accrue de l'ensemble de nos exportations à
l'égard du marché américain.
Malgré les efforts soutenus des gouvernements qui se sont
succédé pour diversifier la clientèle internationale du
Canada, la part de nos exportations aux États-Unis n'a cessé de
croître. De 50 % de l'ensemble de nos ventes à l'étranqer
qu'elle occupait en 1946, elle est passée à 65 % en 1965, puis
à 73 % en 1983 et maintenant à 77 %, ce qui, quant à nous,
est une progression absolument exponentielle.
Quant au Québec, l'économie québécoise,
à l'image de celle du Canada, est une économie ouverte au sens
où les marchés extérieurs, qu'ils soient canadiens ou
étrangers, sont d'une importance vitale pour notre croissance
économique. En effet, 50 % de la production québécoise de
biens et services est écoulée à l'extérieur de la
province. Qu'on pense au bois, aux pâtes et au papier journal, à
l'aluminium, aux autres
métaux non ferreux, l'électricité, les wagons pour
passagers, etc., il y en a toute une série de ce qu'on pourrait
énumérer.
Pour conclure, en 1986, selon les statistiques fédérales
très récentes, le Québec a exporté pour 15 800 000
000 $ aux États-Unis, ce qui représentait - c'est le chiffre
important à retenir - 76 % du total de ses exportations. C'est là
qu'au mémoire, on cite toute une série de statistiques qui
viennent renforcer notre argument en ce sens qu'il faut dire oui.
C'est dans ce contexte aussi que nous disons qu'il nous apparaît
que la suppression graduelle de l'ensemble des barrières tarifaires et
non tarifaires Canada-États-Unis, de même que la garantie
d'accès au marché américain, malgré les pressions
protectionnistes qui s'exercent dans ce pays, auraient l'immense avantage de
permettre aux entreprises canadiennes non seulement de se spécialiser,
mais aussi à cause notamment de la dimension du marché ainsi
constitué de réaliser d'importantes économies
d'échelle.
Qui niera que le fait de porter de 25 000 000 à 250 000 000 de
clients potentiels le marché auquel auraient accès, sans
barrière, les entreprises canadiennes, comporte des avantages certains?
Disons encore que si nous laissons courir la situation actuellement et si les
mesures protectionnistes américaines devaient s'accentuer, c'est un
demi-million d'emplois que nous perdrions au Canada d'ici 1995, selon non pas
les chiffres du CPQ, mais selon une publication du Conseil économique .
du Canada qui - on l'a vu la semaine dernière - a révisé
ses chiffres. Ces chiffres vont toujours exactement dans le même sens.
Inversement, selon le même conseil, la suppression immédiate des
entraves au commerce et une hausse de productivité créeraient,
d'ici 1995, plus de 370 000 emplois.
Cela dit, il y a certains risques associés à une plus
grande libéralisation des échanges avec les États-Unis et
nous le reconnaissons tout à fait. À titre d'exemple, le secteur
des ressources étant celui qui bénéficierait le plus dans
un premier temps, du moins, de la libéralisation des échanges, il
y aurait risque de voir le Canada revenir à une structure industrielle
dans laquelle serait sous-représenté le secteur
manufacturier.
Un autre risque, c'est l'hypothèse d'un redressement important du
dollar canadien, par rapport à ta devise américaine, redressement
qui est difficile à prévoir dans l'immédiat, mais toujours
possible dans un avenir plus éloigné qui pourrait, à court
terme, obliger nos entreprises à se dépasser encore
davantage.
Notre "oui" est donc un "oui" prudent, surtout lorsqu'on
considère la situation particulière du Québec. En effet,
un nombre important d'entreprises manufacturières oeuvrant dans des
secteurs très peu compétitifs sont installées ici et un
bon nombre d'entreprises de petite taille éprouvent, de sucroît,
des problèmes de capitalisation importants.
Par ailleurs, les exportations de ta province se sont heurtées
à une série de barrières non tarifaires aux
États-Unis, comme celles touchant le bois d'oeuvre. Les exportations de
ciment, de matériel de transport ont été freinées
par les préférences dites "Buy America". Enfin, les exportations
de voitures de métro ont été limitées par les
droits compensatoires.
Voilà pourquoi, compte tenu de la situation industrielle qui nous
est propre et de l'obligation que nous aurons de nous soumettre à
d'importants ajustements intersectoriels, nous disons que toute entente de
libéralisation des échanges devra être conclue, lorsque
nécessaire, selon des échéanciers qui, pouvant aller
jusqu'à dix ans - cela ne nous gêne absolument pas - si requis,
tiendront toujours compte des besoins d'ajustements de nos secteurs
économiques ou de nos entreprises.
Car de tels ajustements - inutile de te préciser - seront
nécessaires dans plusieurs secteurs, qu'il s'agisse des industries de
l'habillement, du textile, de la bière, de certains produits en
métal, de certains produits en plastique, du meuble, etc. En effet,
même si les véritables études à jour sur l'impact
d'un accord de libéralisation des échanges avec les
États-Unis sur les différents secteurs de l'économie
québécoise se font rares, le gouvernement du Québec n'en a
pas moins, quant à nous, bien identifié, en avril 1987, dans son
document La libéralisation des échanges avec les
États-Unis: une perspective québécoise, les secteurs qui
auront besoin de tels ajustements.
Par ailleurs, de tels ajustements ne seront pas nécessaires dans
plusieurs secteurs qui sont déjà dans une situation de
libre-échange avec les États-Unis ou qui jouiraient d'avantages
certains si un accord était conclu.
Nous voudrions dire, M. le Président, que les opposants à
la négociation de l'entente oublient d'ailleurs trop souvent de nous
parler de ces secteurs qui, comme le rappellent le Conseil économique du
Canada, le rapport de la Commission Macdonald et le rapport Pierre MacDonald,
feront que nous sortirons gagnants sur une base macroéconomique en tant
que Canadiens et Québécois, de la conclusion d'un accord par
rapport au statu quo actuel. De plus, il est évident que toute entente
devra clairement déterminer les mesures de protection exceptionnelles
comme les droits compensateurs, les mesures de sauvegarde qui feront partie des
nouvelles règles du jeu. Compte tenu de sa spécificité, il
est absolument nécessaire que le Québec soit partie à la
détermination de ces mesures
exceptionnelles. À ce sujet, en effet, nous partageons encore
là pleinement le point de vue du gouvernement du Québec
exposé dans son document d'avril 1987 sur la nécessité
d'éliminer les obstacles associés à la question de la
protection contingente. Tout comme le gouvernement du Québec dans son
document, nous croyons qu'il s'agit indiscutablement du point centrai de toute
la négociation. II est clair, en effet, que si un accès libre et
préférentiel au marché américain peut à tout
moment être mis en cause par le biais de mesures de rétorsion
à la frontière, alors les bénéfices
recherchés ne se matérisaliseront pas dans les proportions que
paraissent justifier nos avantages comparatifs en matière de ressources
naturelles et pour de nombreux biens et services, notamment ceux de technologie
de pointe.
Contrairement, d'ailleurs, à d'autres, à ce que vous avez
entendu hier et à ce que vous venez d'entendre en partie, nous imaginons
mal, également à l'instar du gouvernement, qu'un accord puisse
être conclu sans que soit mis sur pied un mécanisme permanent de
règlement des différends, inévitables quant à nous
dans l'application concrète de l'accord. Nous trouvons d'ailleurs ce
mécanisme d'une importance telle que nous y consacrons, comme vous avez
pu le constater, quelques pages en annexe.
Au moment de la discussion, si vous voulez savoir ce que cela donne
lorsqu'il n'y a pas de tribunal, vous interrogerez notre collègue de
l'AIFQ qui vient de le vivre dans le domaine du bois d'oeuvre et nous pourrons
vous prouver de façon très concrète l'importance d'un tel
tribunal.
En guise de synthèse et de conclusion, le CPQ considère
que l'évolution récente du contexte économique mondial
dans lequel s'effectuent les échanges commerciaux force un pays comme le
Canada à s'assurer l'accès à des marchés
étrangers importants. Il n'a d'autre choix en effet, vu la taille
restreinte de son marché intérieur, que d'exporter une partie
extrêmement importante de sa production pour maintenir son niveau de vie.
Les règles du jeu ont changé et il serait illusoire de
s'accrocher au statu quo.
Deuxièmement, pour des raisons évidentes, qu'il s'agisse
du volume d'échanges, de la proximité géographique, des
niveaux de vie comparables, etc., il y va de l'intérêt de
l'économie canadienne et québécoise de tenter de conclure
une entente qui assurerait à nos produits un accès plus libre au
marché américain. Plusieurs événements
récents, tels la réalisation d'études sur les impacts
prévisibles d'une libéralisation des échanges au moins au
niveau macro-économique, études qui sont loin d'être aussi
négatives qu'on veuille le laisser croire dans certains milieux, une
implication plus grande des provinces et du monde des affaires dans le
processus de négociation, la parution de plusieurs rapports qui
préconisent un allégement du fardeau qu'impose l'État aux
entreprises québécoises et qui les rendrait davantage
concurrentielles, la montée du protectionnisme américain,
surtout, voilà autant de motifs pour le CPQ de réaffirmer
nettement son appui aux efforts du gouvernement fédéral et du
gouvernement du Québec visant la libéralisation des
échanges canado-américains.
Troisièmement, compte tenu cependant des faiblesses
particulières de l'économie québécoise, toute
entente de libéralisation des échanges devra être conclue,
lorsque nécessaire, selon des échéanciers qui tiendront
toujours compte des besoins d'ajustement de nos secteurs économiques ou
de nos entreprises.
Le CPQ dit donc oui à une libéralisation des
échanges commerciaux avec les Etats-Unis, un oui prudent par aileurs,
mais sans équivoque.
D'ailleurs, n'est-il pas actuellement dans les meilleurs
intérêts des États-Unis, nonobstant leurs lobbies
protectionnistes qui souhaiteraient obtenir une fermeture de plus en plus
complète des frontières américaines aux produits
importés, de réaliser un tel accord de libéralisation de
leurs échanges avec le Canada s'ils veulent réaliser des ententes
concrètes qui leur seront bénéfiques dans le cadre des
négociations actuelles du GATT? Nous devrions, M. le Président,
tous ensemble avec les parlementaires, savoir capitaliser sur cette
situation.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Dufour.
M. le ministre du Commerce extérieur.
M. MacDonald: M. Dufour, M. A Hard, M. Garon et M. Duchesne,
bonjourl Merci d'être venus devant nous. Je dois dire qu'à la
lecture de votre mémoire, je me suis retrouvé avec
essentiellement ce que j'avais lu et compris de discussions avec plusieurs de
vos membres.
Personnellement, j'aurai une question à la fin s'il reste
suffisamment de temps. Mon collèque, le ministre de l'Industrie et du
Commerce, Daniel Johnson, s'est penché beaucoup plus sur votre dossier
et, dans sa responsabilité précise des industries
québécoises, il trouve un intérêt qu'il aimerait
signifier aujourd'hui. Je lui cède la parole. (11 h 45)
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de
l'Industrie et du Commerce.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président
et cher collègue. M. Dufour, M. Allard, messieurs, je vous souhaite la
bienvenue. Vous savez l'intérêt que le
ministère de l'Industrie et du Commerce porte à s'assurer
des meilleurs renseignements possible quant à l'impact que la poursuite
de la libéralisation des échanges peut avoir sur les entreprises
québécoises. C'est là notre rôle premier et c'est ce
sur quoi nous nous sommes d'ailleurs penchés depuis belle lurette,
depuis que ce dossier est sur la place publique et a été
lancé par les autorités fédérales.
Je souhaite la bienvenue à votre mémoire. Il rejoint
grandement nos préoccupations. J'aurai sans doute quelques questions
à poser à la fin de mon exposé, afin que nous nous
entendions bien sur les mécanismes que nous pouvons mettre en place afin
que la prudence à laquelle vous nous appelez soit une
réalité et non simplement un souhait que vous exprimez.
La procédure parlementaires on vous l'a sans doute
souligné, me permet à ce moment-ci - c'est le seul moment,
finalement - d'intervenir un peu plus longuement, soit à l'occasion de
l'utilisation du temps mis à la disposition des parlementaires. Il
m'apparaît important de faire valoir le point de vue du ministère
de l'Industrie et du Commerce, de faire état de notre diagnostic quant
à ce qui se passe dans les entreprises québécoises, dans
le monde des affaires, de l'entreprise, de l'activité économique,
et d'indiquer comment nous nous sommes attaqués à ce dossier qui
a requis énormément de travail.
Simplement à titre d'illustration, j'ai devant moi une pile de
documents et, avant que le député de Bertrand ne me demande de
les déposer sur la place publique, je vais lui indiquer qu'ils sont pour
mon usage dans la mesure où, comparativement aux entrepôts de
documentations qui ont été écrites, c'est de la
distillation de résumés, de sommaires des travaux que nous
pouvons avoir faits au ministère de l'Industrie et du Commerce, tant au
niveau du diagnostic de ce qui se passe au Québec en matière
d'activité économique que de la façon dont nous entendons
faire face aux défis qui sont proposés aux entreprises
québécoises dans le cadre inévitable - c'est par là
que je vais commencer - de l'internationalisation des échanges
commerciaux.
Je traiterai donc très brièvement du contexte dans lequel
nous avons été appelés à travailler comme
ministère. J'évoquerai certains des effets structurants de cette
expansion du commerce international, les effets que nous attendons d'une
libéralisation des échanges avec nos voisins américains et
la façon dont on peut concilier un contexte de libéralisation des
échanges et de stratégie industrielle du gouvernement du
Québec, tel qu'exprimé par le ministère de l'Industrie et
du Commerce, pour terminer sur la façon dont nous envisageons notre
partenariat avec les entreprises québécoises. En terminant, je
solliciterai votre opinion quant à l'acceptabilité, si vous me
permettez le terme, des mesures que nous entendons mettre en vigueur, notamment
les mécanismes de consultation et les mécanismes très
précis de la part du gouvernement du Québec qui portent
précisément sur ces besoins d'ajustement et d'adaptation des
entreprises québécoises.
Le contexte dans lequel nous avons agi, l'inévitabilité de
l'internationalisation des échanges, on peut voir deux grandes tendances
depuis une vingtaine d'années; premièrement, une expansion du
commerce international qui ne s'est jamais démentie entre tous les pays
soucieux d'assurer la croissance de leurs économies respectives et,
deuxièmement, tendance qui y est intimement liée,
accélération foudroyante de l'évolution technologique. Ces
deux tendances militent très clairement contre un repli des
économies en cause qui, au contraire, forcent le redéploiement
très rapide des activités industrielles un peu partout. Ces
tendances ont dégagé - on l'a déjà
évoqué à de nombreuses reprises - une participation
croissante à la vie commerciale internationale des nouveaux pays
industrialisés et qui ont forcé dans leurs rapports constants les
pays industrialisés à rechercher les accommodements et les
formules qui vont toutes, depuis environ 40 ans, dans le sens d'une
libéralisation accrue de leurs échanges.
Le Québec a été impliqué d'une partie
prenante à cette évolution pour la bonne et simple raison, on l'a
dit et redit, je le répète, que nous avons un petit
marché. Le marché canadien lui-même est très petit,
la façon dont on pourrait soutenir notre croissance à partir
seulement de notre marché domestique est relativement en péril
à cause des changements démographiques que nous vivons. Notre
vivacité démographique est en cause comme celle d'autres pays de
l'Ouest, mais nous avons très nettement, à partir de ce moment,
la responsabilité de regarder en dehors de nos frontières.
Par ailleurs, ce ne sont pas seulement les éléments qui
définissent le marché domestique qui empêchent de croire
à une croissance fulgurante de nos entreprises. C'est surtout la
concurrence internationale qui est observée sur nos propres
marchés. Nos propres entreprises, notre propre marché sont les
cibles de la concurrence internationale. Il est donc naturel, à partir
de ce moment, plutôt que d'être condamnés à exporter,
plutôt que d'être des victimes de la concurrence internationale,
que nous saisissions au passage les occasions naturelles que nous avons
d'assurer la croissance de nos entreprises. Quoi de plus naturel lorsqu'on
regarde les chiffres, notamment ceux que vous venez de nous rappeler, M.
Dufour, que de nous retourner vers nos voisins du Sud afin d'avoir accès
à ce marché.
Pourquoi le ferions-nous? Pour une bonne et simple raison que nous avons
identifiée, quant à nous, au ministère de l'Industrie et
du Commerce, car il y a des effets structurants extrêmement positifs
à la libéralisation des échanges, à l'expansion
continue à laquelle nous participerions, du commerce international.
La concurrence internationale force à l'excellence, force
à rechercher la qualité, nous force à innover et
créer davantage, nous force à regarder de nouveaux
débouchés. L'alternative très simplement, je le rappelle,
je le redis, c'est de nous replier sur nous-mêmes et de risquer
d'être ravalés au rang des économies qui sont en perte de
vitesse. Il est donc absolument impératif que nous saisissions cette
occasion naturelle, je le répète, de faire des affaires de
façon moins contraignante et contrainte avec nos voisins du Sud. Les
effets structurants sont des croissances dans les livraisons, dans la
production, une croissance très nette des investissements. Lorsqu'on
regarde quel est l'effet d'un effort particulier d'envahissement de nouveaux
marchés, il y a une répercussion immédiate sur les
investissements qui, eux-mêmes, déterminent à partir de ce
moment une meilleure compétitivité, qui, eux-mêmes,
produisent de meilleures livraisons, eux-mêmes, des investissements. Et
cette roue continue à tourner et détermine une croissance des
emplois, lesquels emplois ont des chances au fur et à mesure de la
croissance de ces entreprises. Ces secteurs qui saisissent la chance de
participer au commerce international, ces mêmes emplois sont d'un niveau
supérieur à ce qui existait auparavant.
D'autant plus que si on ne fait que regarder de très près
la réalité que nous avons vécue au Québec, les
succès d'exportation des entreprises québécoises reposent
en grande partie sur des succès de concrétisation
d'activités de recherche et de développement, d'innovation,
d'attention portée de façon de plus en plus précise
à la qualité, à l'innovation, à l'introduction de
caractères distinctifs dans les produits que nous désirons vendre
à l'étranger. Déjà, dans ce contexte, il faut
constater que ce ne sont pas nécessairement nos grandes entreprises
transnationales qui ont connu ces grands succès. Il y en a, oui, mais
même, je dirais surtout, les petites et moyennes entreprises du
Québec qui bénéficient déjà de
réseaux que nous avons mis en place, que nous continuons à
soutenir et dont nous raffermissons l'action sur les marchés
étrangers, notamment au Commerce extérieur, des activités
de recherche et de développement que nous avons appuyées par des
programmes particuliers de différents ministères sectoriels ou
alors simplement par la fiscalité, comme on l'a vu depuis quelques mois
à la suite du discours sur le budget, les efforts de soutien à
l'exportation et au développement de nouveaux marchés dans des
programmes particuliers, qu'il s'agisse de ministères sectoriels ou du
mien propre, sont autant de démonstrations que nous avons fait notre
travail et que nous continuons à le faire.
Chose certaine, il n'y aura pas que des gagnants dans tous les secteurs
de toutes les façons. Les effets attendus, à part ceux nettement
positifs que je viens de mentionner, portent à croire que des secteurs
traditionnels pourraient être mis en "péril" -entre guillemets -
parce que je me refuse d'utiliser des termes aussi crus dans un contexte
où il ne faut pas dramatiser pour la bonne et simple raison que la
capacité des entreprises québécoises à s'adapter
à un nouveau contexte n'a plus besoin de preuves, d'une part, et, n'a
plus besoin de se soucier de l'appui que le gouvernement du Québec a
déjà commencé à donner, d'autre part.
Nous avons l'occasion de saisir de nouveaux marchés et de
raffermir la capacité des entreprises québécoises à
affronter une concurrence inévitable. Le ministère de l'Industrie
et du Commerce doit participer à ces occasions que les entreprises
québécoises peuvent avoir de tirer profit de ce nouveau contexte.
Certaines sont déjà avantagées - je ne reviendrai pas sur
les chiffres - et connaissent de grands succès dans un contexte
même d'un certain protectionnisme que les Américains peuvent avoir
instauré ou, dans d'autres cas, bénéficient
déjà d'échanges commerciaux qui sont virtuellement
assimilables à du libre-échange.
Par ailleurs, il y a d'autres secteurs qui se sont
développés au Canada grâce à des barrières
tarifaires, à des politiques qui délimitaient à desservir
le marché canadien. C'est donc en ce qui concerne les mesures de
transition, comment pouvons-nous participer à cette adaptation des
entreprises plus "vulnérables", encore une fois entre guillemets? Nous
nous sommes déjà préparés et c'est peut-être
à partir de ce moment-ci que M. Dufour et ses collègues
pourraient prendre des notes. À titre d'exemple, quels sont les besoins
d'une entreprise, notamment des petites et moyennes entreprises, dans un
contexte de libéralisation des échanges? Hier, M. Parizeau
lui-même disait qu'elles avaient besoin de capital et d'aide pour envahir
les marchés d'exportation pour, d'abord, les découvrir et,
deuxièmement, pour les exploiter une fois qu'ils ont été
découverts.
M. Dufour et vos collaborateurs, j'aimerais, tout à l'heure, que
vous m'indiquiez si ce que nous avons déjà fait va dans le sens
de manifester la prudence que vous souhaitez à l'égard de
certains secteurs industriels et de la capacité des entreprises
québécoises de faire face à ce nouveau contexte. Ce que
nous avons fait à titre
d'exemple, c'est de remanier les programmes de la Société
de développement industriel. Nous avons très clairement, lorsque
nous avons refait ces programmes, pris en compte, prévu,
présumé qu'il y aurait une libéralisation des
échanges. Je ne dis pas que ces discussions ou négociations qui
sont en cours entre le Canada et les États-Unis étaient
présumées faites, réglées dans notre esprit,
j'évoque de nouveau le mouvement, la tendance inévitable de la
libéralisation des échanges internationaux à partir duquel
moment il fallait nous assurer que c'étaient justement des appels
à du capital pour s'adapter, ce dont les entreprises avaient besoin, et
que, deuxièmement, c'était un soutien à l'égard de
l'envahissement de nouveaux marchés qu'il fallait avoir à
l'esprit. (12 heures)
La Société de développement industriel a
décidé, plutôt que de donner des subventions un peu partout
à tout le monde, de cibler ses interventions, de produire un programme
qui donne du vrai capital ou de la quasi-équité à des
entreprises québécoises, qui libère des marges de
manoeuvre financière d'emprunt et de capitalisation par le
système de prêts participatifs où nous prenons un risque,
d'où le caractère de capital que nous injectons dans les
entreprises, d'où le fait que si l'entreprise va bien, nous en
bénéficierons comme un actionnaire et, si elle va mal, nous
aussi, du gouvernement du Québec, de la SDI, ont paiera dans les cas
où te risque s'est réalisé à la baisse, si l'on
veut. Nous avons donc entrepris un partenariat financier avec les entreprises
pour leur permettre d'avoir accès à du nouveau capital.
Deuxièmement, au titre des exportations, mon collègue et
moi, nous nous sommes bien assurés que c'était à
l'égard de l'expansion des entreprises québécoises vers
l'étranger que nous pouvions manifester le plus de sympathie
extrêmement concrète, dans des projets d'expansion d'entreprises
vers ces nouveaux marchés. Un exemple me vient à l'esprit et
j'hésite un peu à donner des noms, des montants précis et
de les relier, dans la mesure où, oui, l'intervention gouvernementale a
été approuvée mais, des annonces n'ont pas
été faites. On s'arrange en général avec une
entreprise pour s'accorder ensemble, si annonce il y avait... une entreprise de
chez nous, d'un volume d'affaires de 30 000 00 $ désirait
récemment acquérir une entreprise américaine pour
s'assurer d'une part du marché américain, entreprise
américaine convoitée d'environ 60 000 000 $ de chiffre
d'affaires. Ces gens, des Québécois, sont venus chez nous pour
solliciter une garantie d'emprunt leur permettant de faire cette acquisition et
de tripler du jour au lendemain d'abord leur force de vente, leurs livraisons
mais, surtout de prendre pied sur le marché américain. Nous avons
donné une garantie d'emprunt à l'égard d'un emprunt de
plusieurs millions de dollars à cette entreprise. C'est de la
quasi-équité dans la mesure où on ne requiert pas de
garantie à l'égard de notre intervention. Cela libère la
marge de manoeuvre financière que l'entreprise peut exercer si d'autres
occasions d'affaires se présentent. Cela lui permet de se livrer
à des activités de financement conventionnel plutôt que de
se reposer sur de simples subventions. Cela m'apparaît quelque chose qui
facilite la pénétration des entreprises québécoises
sur les marchés. Finalement, en résumé, qu'est-ce que le
ministère de l'Industrie et du Commerce a tenté de faire?
Identifier les défis des entreprises québécoises,
notamment les PME, voir les besoins de ces entreprises, compte tenu de
l'inévitabilité du contexte d'internationalisation des
échanges, nous assurer que nous répondions à leurs besoins
de capital pour leur modernisation, nous assurer qu'elles avaient le soutien
concret du gouvernement du Québec pour leurs entreprises à
l'extérieur de nos frontières, le tout se déroulant dans
la consultation la plus pleine, la plus entière avec ses
intervenants.
Troisièmement, représentations constantes au niveau des
comités qui déterminent la position canadienne,
représentations constantes des intérêts du Québec.
Notre diagnostic des outils que nous privilégions recherche des
assurances que le gouvernement canadien a compris ce diagnostic, a compris que
des mesures d'ajustement et de transition seront nécessaires et que le
Québec sait, lui, pertinemment ce qui se passe sur son marché,
quelles sont les volontés de ces entreprises, quelles sont leurs forces,
leurs faiblesses, quels sont les correctifs à apporter. Donc, nous
serons disponibles pour bien nous assurer que les programmes qui seront mis en
place pour fins d'ajustement seront ceux qui sont dans l'intérêt
de l'entreprise du Québec.
C'est dans ce sens-là que nos avons mené notre action,
c'est dans ce sens-là que nous avons travaillé, c'est dans ce
sens-là que nous sommes équipés pour travailler, pour
soutenir le comité gouvernemental qui détermine la position
québécoise pour les négociateurs canadiens. Mon
collègue a fait valoir, par ailleurs, quels sont les autres sauvegardes
que le gouvernement s'est lui-même données. Je solliterais un bout
de ligne maintenant, des réactions de nos témoins ou des gens qui
viennent nous présenter leur mémoire, afin de comprendre si nous
sommes toujours sur la même longueur d'onde. Je sais pertinemment que
nous sommes dans les objectifs. Je comprends votre appel à la prudence
et j'ai l'impression d'y avoir déjà répondu ou
déjà
apporté un début de réponse. C'est peut-être
dans ce sens que je solliciterais vos commentaires pour que nous puissions
continuer à représenter le plus adéquatement et le plus
fidèlement possible les ambitions des entreprises
québécoises.
Le Président (M. Charbonneau): Avant que vous ne
répondiez, M. Dufour, j'aimerais indiquer au ministre, sans doute
emporté par l'intérêt du sujet, qu'il a utilisé tout
le temps qui vous aurait permis de répondre. Néanmoins, je vais
vous permettre de répondre étant donné que, de toute
façon, depuis le début, nous fonctionnons selon des règles
souples, ce qui permettra aux collègues de l'Opposition, en particulier
le député de Bertrand, d'avoir lui aussi une banque de temps un
peu plus importante pour engager la discussion avec les représentants du
Conseil du patronat du Québec. M. Dufour.
M. Dufour (Ghislain): Merci, M. le Président. Je remercie
d'abord le ministre Johnson de nous avoir resitué au préalable ie
cadre de son intervention qui a constitué tout de même un certain
nombre de paramètres face à notre mémoire. Je vais rendre
une partie de la réponse et M. Allard rendra l'autre partie. C'est
quasiment un volume qui serait nécessaire pour répondre à
la question que je comprends comme étant la suivante: est-ce que, comme
gouvernement, vous tenez compte assez des besoins des PME face à leur
adaptation nécessaire à la libéralisation des
échanges? Je crois que c'est cela. Je pense que cela appelle deux volets
de réponse; un premier volet, l'action globale du gouvernement et
ensuite, l'action sectorielle.
Dans l'ensemble, ce à quoi vous devez vous attarder, c'est de
rendre les entreprises concurrentielles face au marché américain
et face aux entreprises américaines. Sur cela, c'est vrai, et nous
l'avons dit, que le gouvernement a pris des actions qui aident à rendre
les entreprises québécoises plus concurrentielles. Contrairement
à d'autres nous ne croyons pas à une intervention trop
poussée de l'État justement pour aider les entreprises à
franchir la rampe de la libéralisation des échanges. Ce qui ne
veut pas dire qu'il n'y aura pas d'interventions de l'État. Notamment le
rôle de la SDI pour nous est important. Ce qui a été fait,
à ce jour, dans ce dossier nous agrée dans le sens que le
fondamental c'est que vous ayez substitué aux subventions
traditionnelles des approches beaucoup plus dynamiques. Cela, je pense, d'une
façon générale dans le milieu, les PME qui
réussissent ont souscrit à ce genre d'approche. Votre action
aussi dans le domaine de l'assainissement des dépenses publiques, dans
le domaine de la réduction des impôts, c'est tout cela qui est en
cause quand on parle de concurrence avec les Etats-Unis. Par ailleurs, vous me
permettrez de vous dire que vous n'avez pas encore assez fait. Nous avons des
problèmes que vous connaissez très bien, notamment dans le
domaine des relations du travail. Nous avons les législations parmi les
plus avant-gardistes en Amérique du Nord, avec lesquelles il faudrait
vivre dans un contexte nord-américain. Nous avons des coûts de
CSST que vous connaissez très bien, lesquels ne sont pas
nécessairement concurrentiels avec les entreprises américaines.
Alors, il y a eu beaucoup de fait, il reste encore beaucoup à faire.
Sur le plan sectoriel, le gros problème dans certains secteurs
sera le recyclage de la formation professionnelle et la mobilité
professionnelle. Il n'y a pas eu beaucoup de fait dans cela. C'est toute la
question d'une politique de main-d'oeuvre actuelle et à venir» On
comprend que vous ne pouvez pas recycler des gens dans le textile actuellement
sans savoir si justement on va perdre des emplois dans le textile? on comprend
tout cela. Il reste que sur le plan sectoriel il y aura des
nécessités d'adaptation et de reconversions industrielles. Sur
cela, c'est un peu comme tout le monde, comme tous les intervenants, il y a
certaines questions qu'on peut poser.
Avant de passer la parole à M. Allard, si vous me permettez, je
voudrais dire qu'on ne sent pas que vous avez une action tellement ferme pour
lever les barrières au commerce interprovincial. Nous avons beaucoup de
difficultés. On va venir vous le dire, je pense, demain au sujet de la
bière. Nous racontons toujours cette histoire d'un entrepreneur de Hull
qui, autour d'un édifice public, avait fait tout son pavé uni.
Cela a coûté des millions de dollars, jusqu'à temps que
votre inspecteur réalise que la brique avait été
achetée en Ontario. Il a fallu tout défaire et recommencer avec
de la brique québécoise. Alors, c'est le genre de chose qui se
passe actuellement qui, évidemment, n'est pas plus acceptable à
nous qu'à vous, mais ce sont des situations dans lesquelles nous sommes
et avec lesquelles on doit vivre. Ces barrières au commerce
interprovincial qu'elles viennent des provinces ou d'Ottawa, comme c'est le cas
actuellement avec l'électricité face aux États-Unis, je
pense qu'à ce moment vous avez, M. Johnson, encore beaucoup à
faire.
M. Allard (Sébastien): Cela ne s'approche pas. Bon, comme
on ne s'était pas préparé sur la façon dont cela se
déroule quant à nos interventions, M. Dufour a déjà
couvert la partie de ce commerce interprovincial à laquelle je pensais
pendant que vous faisiez votre présentation, M. Johnson. Je pense que
c'est une partie très importante de toutes ces négociations sur
le
libre-échange. On parle de libre-échange avec les
États-Unis, mais à l'intérieur du Canada, le
libre-échange dans beaucoup de domaines, souvent cela n'existe pas. Et
par le fait que cela n'existe pas, évidemment, cela fait que certaines
industries ne fonctionnent pas à des coûts concurrentiels. Elles
ont des difficultés à vendre à l'intérieur du
Canada et quand arrive le temps de vendre aux États-Unis, c'est bien
évident que c'est beaucoup plus compliqué.
M. le premier ministre a dit, à un moment donné, qu'il
fallait absolument s'attaquer à cette situation de barrière non
tarifaire entre les différentes provinces. Pour moi, je pense qu'il est
très important que cela se fasse le plus tôt possible. Et cela,
qu'il y ait ou non une entente - le 5 octobre - convenable de
libre-échange.
Nous avons aussi mentionné dans notre mémoire la question
d'une période d'ajustement qui serait nécessaire dans beaucoup
d'industries québécoises, des industries qui sont moins
concurrentielles que d'autres qu'on trouve dans d'autres provinces canadiennes,
et cela touche non seulement les industries, mais aussi les travailleurs des
industries. On peut avoir, je pense, au gouvernement des programmes pour aider
les industries à s'adapter, mais il va falloir reconnaître que
certaines industries ou certaines entreprises, qu'on le veuille ou non, qu'on
aime la chose ou non, vont disparaître et peut-être devraient
disparaître. Cela veut dire que les travailleurs de ces industries ou de
ces entreprises vont avoir besoin d'aide eux-mêmes.
M. Dufour a mentionné la question de la formation qui est,
évidemment, essentielle. Mais pendant cette période, des
travailleurs auront besoin d'être aidés. Je pense que cette aide
aux travailleurs va devoir être faite en collaboration entre le
gouvernement des provinces et le gouvernement fédéral.
Pour ce qui est des mesures que M. Johnson a mentionnées comme
ayant déjà été prises par le gouvernement et avec
lesquelles nous avons déjà indiqué notre accord, par
exemple, la disparition des subventions, c'est important, nous l'avions
demandé depuis longtemps. Il faut souhaiter que, dans ce qu'on aura
besoin de faire dans l'avenir, on ne rétablira pas des régimes de
subventions; d'ailleurs, cela ne serait probablement pas acceptable dans
l'entente qui sera négociée; il ne faudrait pas revenir à
cela. Quand on parle d'aider les entreprises, on ne parle pas de revenir au
régime de subventions et on ne parle pas d'aider des entreprises qui, de
toute façon, devraient probablement disparaître pour se lancer
dans d'autres genres d'entreprises, je pense, par exemple, à tout le
domaine de la technologie.
On a vu que, depuis un bon moment, la création de nouveaux
emplois s'est faite beaucoup dans les services et beaucoup moins dans les
entreprises manufacturières. Peut-être que c'est là,
l'avenir. Oe sorte que, même si on a besoin d'avoir un secteur
manufacturier dynamique, il va falloir reconnaître que le secteur
manufacturier probablement chez nous, graduellement dans l'avenir, va continuer
de devenir relativement moins important par rapport au secteur des services. Il
y aura du travail à faire pour faire cette adaptation à partir de
certaines entreprises manufacturières vers des entreprises de
services.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Cela me fait
plaisir, MM. Dufour, Garon, Allard et Duchesne, que vous soyez là ce
matin, d'autant plus que, pour une fois, on est peut-être un peu plus
proche. Je sais qu'il est arrivé souvent, dans le passé, que nous
ayons des opinions divergentes. Mais je pense que la discussion de ce matin
devient fort importante à partir de l'exposé que vous avez fait
sur le contenu d'un mémoire qui se veut articulé; parce qu'en
plus de dire oui, ce n'est pas tout de dire oui. C'est de dire oui, mais
prudemment, et vous avez pris certaines précautions sur lesquelles je
dois vous dire que je suis d'accord.
J'aurai plusieurs questions à poser concernant l'aspect du
tribunal, bien sûr, parce que je pense que M. Duchesne a des choses
intéressantes à nous livrer, l'aspect de la culture, de
l'agriculture, etc.
Mes premières minutes seront tout simplement pour dire que le
ministre de l'Industrie et du Commerce nous a livré ce matin - il
était très heureux de venir à la commission - un
exposé, mais c'est dommage, parce que je pense que le maximum de temps
devrait être consacré à nos invités.
Par contre, le ministre a passé des messages que j'ai très
bien reçus. Je ne lui répondrai pas ce matin, parce que ce n'est
pas la tribune pour le faire - ici, on échange entre nous - et parce que
ces gens-là vont s'ennuyer. Mais je lui dirai tout simplement que toute
cette discussion de fond concernant les orientations de la SDI
particulièrement, on aura la chance d'en parler très longuement
certainement. (12 h 15)
Entre le discours que le ministre tient - toujours dans le respect des
individus; cela n'a rien à voir avec le ministre comme tel -et les
gestes posés, pour moi, il y a tout un fossé.
Concernant le Conseil du patronat, le 23 avril 1986, vous
réclamiez déjà des études. Vous étiez avec
l'Association des manufacturiers canadiens à réclamer - j'ai lu
différents reportages là-dessus - des études. Donc, on
était déjà à peu près à la
même
époque, il y a 18 mois, à réclamer d'importantes
études d'impact pour être capable de voir clair dans ce
dossier.
Là-dessus, je pense qu'on s'entend; on n'est pas suffisamment
éclairé. Il ne s'agit pas ici, ce matin, de faire de la
politique, mais il s'agit bien d'avoir les outils entre les mains.
Là-dessus, je pense qu'on est d'accord.
Le fait qu'on n'ait pas d'outils suffisants pour être capables de
voir clair nous place dans une situation où on travaille beaucoup trop.
Je pense que c'est M. Garon aussi qui le disait, il y a quelques semaines, dans
un reportage que je lisais dans le Journal de Québec. Je pense
que cela nous place dans une situation où beaucoup de gens viennent
à cette commission parlementaire qui est là pour aller chercher
de l'information, qui est là pour en donner, en véhiculer,
où on n'a que les grands paramètres, mais on ne sait pas vraiment
tout ce qu'il y a en jeu actuellement et tout ce qui est en train de se
négocier.
Les exemples ont été donnés vraiment hier, par
exemple, dans le domaine de l'agriculture ou dans le domaine de la culture. On
verra d'autres enjeux qui sont en train de se faire. On ne connaît pas...
Je trouve cela dommage. Le Conseil du patronat représente presque toutes
les strates de l'entreprise au Québec, comme l'a mentionné M.
Dufour: On représente la grande, la moyenne et la petite entreprise
à cause de toutes les divisions sectorielles, je pense que c'est
important. Vous conviendrez aussi que les mesures pour faire face au
libre-échange, dans le cas de la grande entreprise, sont certes
différentes de celles dans le domaine des PME. Je pense que votre
organisme a quelque problème à essayer de faire passer le message
pour avoir ce qu'on pourrait appeler l'enveloppe globale; parce que la grande
entreprise, de façon générale - je pense que M. Allard est
très bien placé pour confirmer cela - a beaucoup plus d'outils
entre les mains, est beaucoup moins vulnérable et est
déjà, à toutes fins utiles, préparée
à ces marchés internationaux. Je pense que la
libéralisation des échanges, dans la plupart des cas, ne lui fait
pas peur. On sait que le Conseil du patronat, de façon
générale, a véhiculé dans le passé - c'est
bien, c'est un organisme qui est là pour le faire - souvent beaucoup
plus l'esprit de la grande entreprise. Je pense que, ce matin, vous avez dit
clairement que vous aviez aussi beaucoup de préoccupations au sujet de
la PME. Vous connaissez, M. Dufour, les préoccupations que j'ai, moi
aussi, au sujet de la défense des petites et moyennes entreprises qui,
soit dit en passant, créent 75 % ou 80 % des emplois au Québec
à cause de notre structure industrielle. Alors, ma préoccupation
va surtout du côté des outils qu'on devrait avoir dans le but
d'aider nos petites et moyennes entreprises afin que celles-ci soient capables
de faire face au libre-échange. On n'a pas ces outils actuellement. Vous
avez, vous-même, dans votre réaction à l'exposé du
ministre de l'Industrie et du Commerce mentionné qu'actuellement, il
serait peut-être intéressant qu'on les ait et dans les plus brefs
délais possible, si on ne les a pas au moment où l'on se parle,
mais que cela puisse se faire d'ici peu.
Quant aux politiques concernant le recyclage de la main-d'oeuvre, de
quelle façon on va l'aborder, qu'il y ait libre-échange ou non,
mais surtout dans le contexte du libre-échange, on se doit d'aborder
tout le problème de la main-d'oeuvre, parce que le Québec de 1987
n'est pas le Québec de 1980 et encore pire si on recule dans le temps...
Il y a un virage important qui s'amorce.
Voici ma première question, M. Dufour, ou les autres personnes
qui voudront répondre. S'il y avait des recommandations à faire
au gouvernement, de la part du Conseil du patronat, en fonction de ce que je
vous ai dit précédemment, qu'est-ce que vous suggéreriez
de mettre en priorité dans le coffre à outils? Par exemple,
est-ce la dimension de recherche et développement, celle de la politique
d'emploi? Quels sont les outils principaux prioritaires sur lesquels le
gouvernement doit mettre l'accent?
Deuxièmement, quelle serait, dans les qrandes lignes, bien
sûr, la politique en matière de développement
économique sur le plan stratégique? Où devrait-on
concentrer nos orientations sur le plan de la stratégie
économique puisqu'elle est à faire? On ne l'a pas
actuellement.
M. Dufour (Ghislain): M. le Président, M. le
député de Bertrand, encore là, vous avez
énormément de stock dans votre intervention, parce qu'il y a
toute la question des analyses d'abord et toute la question des outils
d'intervention. Il y a un autre volet qui est celui que vous aviez
identifié: Est-ce qu'on a une préoccupation envers les PME ou
envers les qrandes entreprises? Vous dites que vous avez toujours perçu
davantage un esprit grande entreprise. Je dois vous dire qu'ayant
travaillé avec vous, comme représentant du groupement
québécois d'entreprises au CPQ, on a toujours trouvé que
vous véhiculiez bien les idées de la PME. On s'y
intéresse. Quand on parle de salaire minimum, ce n'est pas pour l'Alcan.
Quand on parle de ces grands dossiers de main-d'oeuvre, ce n'est pas pour
Consolidated Bathurst, c'est finalement pour la PME.
Concernant les analyses, nous ne partageons pas l'analyse qui est faite
globalement, dans le sens qu'elle n'existe pas. Je vais demander à M.
Garon de vous entretenir, de façon plus fine, sur le fait que
ces analyses existent. Bien sûr, notre approche est une approche
macroéconomique. Des données, il y en a du Conseil
économique du Canada. Il y en a du rapport Macdonald, celui d'Ottawa. Il
y en a du rapport MacDonald, avril 1987. Quand on les analyse, elles convergent
macro-économiquement vers un plus, dont parlait Bernard Landry tout
à l'heure. On est allé plus loin que cela, M. Parent, et on les a
reprises avec nos secteurs. On est allé voir dans les salaisons. Tout le
secteur agricole nous dit! Il n'y a pas possibilité. Vous avez entendu
les représentants de l'UPA, hier. Ce n'est pas ce que nos membres nous
disent. Le Conseil des salaisons prévoit 8000 jobs de plus. Vous avez
entendu le secteur agricole qui dit: Je vais en perdre. Quand vous allez
chercher l'analyse fine, on réalise qu'il y a toujours des plus au bout,
et on l'a fait, pas pour publication; on n'a pas les outils pour se substituer
à l'Opposition et au gouvernement. Mais, de façon
concrète, à l'intérieur d'un certain nombre de secteurs,
on l'a fait et voici ce que cela donne.
M. Garon (Jacques): Merci de vos commentaires. Effectivement, on
n'a pas les moyens d'aller dans chaque secteur pour réaliser des
études d'impact. D'ailleurs, même quand c'est fait avec la fine
pointe de la technologie et sur une base scientifique, comme on l'a vu tout
à l'heure lors des échanges, avec les modèles
économétriques du Conseil économique du Canada, c'est tout
de même l'outil, je dirais, qu'on peut traiter avec le plus de
crédibilité. Cela converge aussi vers un plus au bas de la ligne.
On a tenté de faire un peu plus dans le sens où, sans aller sur
le quantitatif, on s'est dit: Oui, mais les entreprises qui sont
représentées par des associations ou dans certains secteurs, que
vivent-elles vis-à-vis de leur propre membership, leurs propres membres?
Dans la plupart des cas, donc une douzaine de cas, on s'est aperçu qu'il
n'y a rien qui puisse être écrit noir sur blanc. Simplement pour
vous donner un exemple, il y a une industrie particulière qui, je pense
au Conseil économique du Canada, ressort d'une façon assez
négative, c'est l'industrie des plastiques. Eh bien, en parlant à
cette association, on s'aperçoit qu'il y a un tiers de la production de
cette industrie pour qui la libéralisation des échanges serait
extrêmement positive et cela créerait des emplois. Il y en a un
tiers pour qui cela aurait un effet neutre et un autre tiers pour qui les
coûts de transport sont un facteur très important à
considérer; peut-être que, là, il faudrait des
périodes d'adaptation qui pourraient aller jusqu'à dix ans et
qui, par conséquent, sont très importantes.
Si on fait le tour de cette question pour chaque association, on
s'aperçoit que dans plusieurs secteurs, comme vient de le mentionner M.
Dufour, en particulier dans l'agriculture, ce n'est pas tout blanc et noir; il
y a plusieurs secteurs qui effectivement voient d'un oeil tout à fait
positif une libéralisation des échanges. J'ai le cas du secteur
des salaisons. En fait, il n'y a aucune barrière en ce moment entre le
Québec et les États-Unis en ce qui concerne les échanges
dans ce petit secteur bien particulier du domaine de l'agriculture.
Je crois que je suis tout à fait d'accord avec les commentaires
de M. Allard, tout à l'heure, et avec ceux du ministre quand ils
disaient que si, à long terme, il faut une restructuration, je pense que
c'est très valable. On s'aperçoit que les gens qui
représentent des industries qui, en général, veulent
tenter de protéger un certain statu quo sont des industries qui, le plus
souvent, sont protégées à l'intérieur de leurs
propres frontières, qui tendent à un certain conformisme et,
comme pour reprendre l'expression du ministre, je dirais que bien souvent le
conformisme est l'antithèse de l'innovation et de l'excellence que l'on
veut prôner en libérant les échanges.
M. Dufour (Ghislain): On pourra remettre à MM. les
ministres MacDonald et Johnson, et à M. Parent, le résultat de
ces consultations qu'on a eues sur le textile, le caoutchouc, le cuir, la
bonnetterie, l'habillement, etc. Personne ne va vous donner une analyse fine
mais, au-delà des grandes affirmations, dans ces secteurs, faites
notamment par la coalition syndicale, c'est cela qui est projeté. Quand
vous voyez les gens qui vivent cela, ce n'est pas tout à fait cela. Il y
a une préoccupation, on est conscient, et ils sont là pour faire
cette préoccupation.
Cela m'amène à votre deuxième volet: l'outil.
Qu'est-ce qu'on privilégie? J'ai parlé rapidement tout à
l'heure, même si on n'en parle pas dans le mémoire, de recyclage
d'éléments d'une politique de main-d'oeuvre, formation
professionnelle, recyclage, mobilité, etc. La question que vous pouvez
me poser, mais quand et où? Je ne le sais pas. On ne sait pas encore ce
que sera l'entente. Si, par exemple, toute l'agriculture, par ce que vous
entendez tous, est soustraite de la négociation, pourquoi
commencerait-on à préparer nos types dans le secteur agricole?
Ils vont continuer.
Bernard Landry tout à l'heure, je pense, était tout
à fait correct lorsque vous lui avez posé la même question
et il partage la même réponse. Il a dit: Attendons pour voir ce
qui sera sur la table, parce qu'encore là, c'est purement de la
négociation et il y aura encore une année au moins avant que cela
se mette en branle. Et on aura des périodes d'adaptation; cinq, six ans.
Je fais confiance au gouvernement pour se retourner de bord
rapidement si, à un moment donné, il faut former dans les
sciences biologiques ou électroniques des gens qui seront
déplacés à l'usine de textile de Drummondvile. Cela va
exister. À ce moment, au lieu de mettre peut-être de l'argent dans
teî secteur économique, on le mettra au service de formation du
ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du
revenu.
Mais tant et aussi longtemps qu'on n'a pas le tableau, je pense qu'il
n'y a personne qui peut dire où on aura des besoins de formation. Ce sur
quoi il faut s'entendre, c'est que tout le monde soit d'accord pour dire; On ne
plonge pas aveuglément, il y aura des besoins de formation, de recyclage
et de programmes de mobilité de main-d'oeuvre. Je n'ai entendu personne
encore nous dire qu'il ne marchait pas là-dedans.
M. Parent (Bertrand): D'accord. J'aimerais poser une question
à M. Garon. J'ai toujours été très fasciné
par ses analyses, je le suivais régulièrement quand il
était à la Banque royale, pendant que le ministre était au
service d'une autre grande banque. En l'espace de deux heures, vous pouviez
nous brosser un tableau exact de ce qui se passait, de ce qui s'en venait et de
ce qui était prévisible. Votre analyse a toujours
été - à mon avis - très terre à terre, ce
qui facilitait la compréhension.
J'aimerais savoir de votre part - je pense que cela peut être
intéressant étant donné que, maintenant, vous êtes
à la recherche au Conseil du patronat - comment vous réagissez
vis-à-vis du rapport du Conseil économique du Canada qui a
été rendu public il y a quelques jours, dans le sens qu'à
partir du moment où on prend deux scénarios... Dans le
deuxième scénario, on tient pour acquis qu'on aura
automatiquement une augmentation de la productivité; à partir de
cet effet, on fait notre modèle économétrique. Sans
être expert en la matière - c'est pour cela que je profite de
votre présence pour vous poser la question -est-ce que vous ne pensez
pas qu'on se biaise quelque peu par rapport au fait - je parle ici du
Québec, l'étude est faite sur une échelle nationale, dans
tout le Canada -qu'au Québec cette dimension d'augmentation de la
productivité, à cause de notre structure industrielle qui fait
que nos PME ne viseront pas nécessairement - et je ne pense pas que ce
soit le créneau qu'il faille prendre - à produire dans tous les
secteurss sur une très grande échelle, notre
créneau est probablement d'aller davantage vers des produits à la
fine pointe technologique ou vers des produits dans lesquels on innove et
où l'innovation soit davantage les créneaux où l'on ne
peut s'inscrire... D'ailleurs, les PME québécoises qui ont
réussi à percer sur les marchés américains et les
autres l'ont fait sur des bases de créneaux, sur des bases d'innovation
pour la plupart. (12 h 30)
Dans notre cas à nous, qui est différent de celui du reste
du Canada, ou des autres provinces, il me semble que cela ne s'applique pas
automatiquement. Cette prémisse de base du Conseil économique du
Canada semble un peu nous jouer un tour et je pense que, dans une certaine
mesure, il faut faire attention à la conclusion de l'étude.
J'aimerais connaître votre perception et l'analyse que vous en avez
faite.
M. Garon (Jacques): Je pense que vous avez raison dans un sens,
et on l'a exprimé avant, lorsque M. Landry parlait de ses fameux
modèles économétriques. Oui, il faut toujours les prendre
avec un grain de sel, parce que ces modèles sont formulés sur la
base d'hypothèses qui, aujourd'hui, peuvent être très
valables, mais, l'année prochaine, Dieu seul sait ce qui va se passer et
les hypothèses seront peut-être changées. Néanmoins,
ce n'est pas la seule étude qui a été faite et, même
si on veut la compléter par des choses, comme vous l'avez dit un petit
peu tout à l'heure, par des bases un peu plus terre à terre en
allant voir ce qui se passe dans le monde réel, et non pas dans un
modèle représentatif du monde réel, il y a tout de
même beaucoup de points de convergence. Alors, que le modèle du
Conseil économique du Canada soit positif même dans la simulation
numéro un en créant quelque chose comme 189 000 emplois nets,
cela se répartit tout de même régionalement à peu
près équitablement.
Chaque région, bien sûr, a des structures industrielles
propres et des qualités propres, mais, à long terme, les effets
pour l'ensemble sont tout de même bénéfiques. Que d'une
année à l'autre, et ça, le modèle ne te prend
peut-être pas en considération, si, en 1990, on a une crise
économique ou une récession économique, bien entendu, il
va y avoir des déplacements. II y a tout un tas de choses qu'on ne peut
pas prendre en considération, mais c'est le seul modèle
scientifique qui peut nous servir de base pour établir si au moins une
libéralisation des échanges va dans la bonne direction pour
l'ensemble des régions canadiennes ou si, au contraire, on devrait faire
très attention.
Alors, je pense que le point de convergence, c'est qu'on s'en va dans la
bonne direction. Je n'irai pas plus loin que là dans
l'interprétation de ces données. Pour moi, c'est l'essentiel et,
ce qui est encore plus important, c'est que c'est confirmé dans la
réalité de nombreuses industries qui vivent tous les jours dans
le milieu actuel en disant: Oui, nous pensons effectivement que c'est dans la
bonne direction que cela doit aller.
M. Parent (Bertrand): Je vous remercie, M. Garon. Mon autre
question s'adresse à M. André Duchesne. J'aimerais d'abord savoir
ce qu'il a vécu au plan du tribunal et les préoccupations que M.
Dufour, votre président, mentionnait dans son exposé, à
savoir qu'il va falloir arrêter un processus... Ma première
question vise à savoir ce que vous avez pu vivre.
J'aimerais aussi vous demander, ainsi qu'à M. Dufour, quelle est
la meilleure recommandation qu'on puisse faire au gouvernement à ce
stade-ci afin qu'il puisse le véhiculer en haut lieu. Je sais que vous
l'avez sûrement fait. Je pense que toute cette dimension du tribunal
apporte beaucoup de préoccupations dans la défense qu'on aura,
sachant très bien que, de façon générale, si on
regarde le traité d'Israël, les Américains ne se sont pas
gênés pour passer à côté lorsque cela leur
plaisait. Je pense qu'on peut s'attendre à vivre des situations
similaires.
Alors, M. Duchesne, pouvez-vous nous dire de quoi il s'agit et quelles
seraient les meilleures recommandations que vous pourriez faire à cette
commission pour que le gouvernement en prenne note.
M. Duchesne (André): Ce dont il s'agit, M. Parent, je
pense que tout le monde le connaît, c'est de la fameuse histoire du droit
compensatoire et de la taxe à l'exportation sur le bois de sciage
perçue depuis cette année. Il faut comprendre que le secteur
forestier, dans son ensemble, jouit à peu près d'un
libre-échange avec les États-Unis. En particulier, le papier
journal, la pâte et le bois scié sont parmi les produits
traités te plus librement dans le monde entier. Ce qui se produit, c'est
que dans le domaine du bois de sciage, en particulier, les usines canadiennes
et québécoises sont plus productives en moyenne que les usines
américaines et cela, d'après les usines américaines,
elles-mêmes. Ce qui se produit, c'est qu'il nous arrive une
récession et que, ce faisant, les forces du marché jouant, il se
perd des emplois aux États-Unis. En fait, il s'en perd plus au Canada
parce que la production diminue plus au Canada pendant la récession
qu'elle ne diminue aux États-Unis. Mais, il s'en perd suffisamment aux
États-Unis pour que des rouages politiques se mettent à jouer et
que la vague de protectionnisme aidant, on invoque toutes sortes de
prétextes, notamment, la question des droits de coupe, pour dire que
notre industrie est subventionnée et que, par conséquent, il faut
lui imposer des droits co mpensa to i res.
Le résultat, vous le connaissez. On a négocié du
mieux qu'on a pu et nous avons abouti avec une taxe de 15 % qui reste au
Canada. Vous allez me dire que c'est un moindre mal, mais il n'en reste pas
moins que c'est une situation particulièrement difficile pour
l'industrie du sciage, à l'heure actuelle. Ce sont des situations
semblables qui se produisent dans d'autres secteurs, comme la potasse. De
là à dire, que l'une des choses importantes qui doit être
mise en place, dans une situation de libre-échange, c'est un
mécanisme d'arbitrage le plus exécutoire possible, je pense que
du point de vue de l'industrie forestière, c'est un raisonnement qui
m'apparaît se défendre assez bien.
C'est sûr qu'il y a le problème de la souveraineté
des deux pays qu'il va falloir respecter à travers tout cela. Mais, il
ne faudrait pas qu'on se retrouve dans une situation semblable à celle
que l'on vient de vivre, où l'on fait face, à toutes fins utiles,
à quelqu'un qui est juge et partie dans le dossier. La situation
actuelle ne nous permet même pas de maintenir des acquis de
libre-échange qui existaient dans le passé. C'est pour cela qu'on
pense qu'il y a lieu de corriger cela et que la libéralisation qui, par
ailleurs, s'était négociée depuis toujours dans le secteur
papetier par le GATT et qui est enclenchée pour les derniers 19 % qui
nous restent de protégés, doit se manifester aussi dans le
contexte des relations Canada-États-Unis.
M. Dufour (Ghislain): En annexe à notre mémoire,
nous avons une proposition qui reprend, pour l'essentiel ce qu'on retrouve dans
le rapport de la Commission Macdonald et dans le rapport Macdonald
québécois d'avril 1987, et qui est ouverte à toute autre
suggestion. Sauf qu'on dit aussi que cela ne devrait pas être un
mécanisme qui a pour fonction exclusive de régler les
différends. On devrait lui donner une vocation plus large et, on dit
bien... pourrait considérer les diverses façons
d'améliorer le fonctionnement d'un accord éventuel, pas purement
agir sur les différends. Parce qu'en cours de route, il va se passer
constamment des situations difficiles. On pourrait agir aussi comme
conciliateur ou médiateur. Mais, on ne croit pas, contrairement à
ce qui a été dit, hier, qu'un tel tribunal soit le petit drapeau
rouge devant le taureau.
C'est esentiel d'avoir ce mécanisme-là. Tous les gens qui
vivent ce problème actuellement, soit l'industrie forestière, le
bois de sciage, la potasse, la question des métros à New York,
etc., tout le monde nous dit: Si vous ne l'avez pas, oubliez cela. Maintenant,
jusqu'où on va? Il y avait des nuances entre M. Parizeau et M. Landry,
sur les modalités. Déjà, vous avez deux experts qui, l'un
va très loin en disant non, l'autre dit oui, mais avec des
modalités. Là, on peut discuter; on n'est pas spécialistes
pour vous dire comment procéder, quelles suggestions vous devez faire en
commission parlementaire, M. Parent. Mais, soyez sûr, si
vous n'avez pas de tribunal, on est presque aussi bien d'oublier cela,
parce qu'on n'aura jamais rien pour régler nos problèmes.
M. Parent (Bertrand): Alors, moi non plus, je n'ai pas de
solution toute arrêtée, n'étant pas un expert. Sauf que, je
pense que j'ai deux préoccupations? le tribunal, je suis d'accord
foncièrement avec vous qu'iî faut définitivement avoir une
formule dans laquelle on puisse se retrouver, il y a un tribunal permanent
où les droits sont défendus. Mais mes préoccupations. sont
de deux ordres. Si je regarde, dans la pratique, le tribunal antidumping, une
entreprise québécoise, une PME, qui se retrouve demain matin,
obligée d'aller plaider pour défendre sa cause au tribunal
antidumping, je vous garantis que ce n'est pas la solution la plus facile. Pour
avoir vécu cela, il y a quelques années, je peux vous dire que
trois ans plus tard, quand la décision est rendue, tu as perdu ton
marché et tu as tout perdu. C'est une situation où dans la
pratique ou en théorie, on a effectivement un tribunal qui rendra une
décision Cette décision risque d'être coûteuse dans
la perte d'un marché qui ne peut pas se reconquérir par la
suite.
Deuxièmement, comment les intérêts du Québec
seront représentés, à cause de la dimension de
spécificité, et comment pourront-ils être bien
représentés à ce tribunal? C'est un tribunal
canado-américain. C'est préoccupant. Je me demande si, sur cela,
vous n'auriez pas un point à apporter brièvement parce que j'ai
encore plusieurs questions et nous allons manquer de temps.
M. Dufour (Ghislain): De façon très
concrète, sur le premier volet, c'est bien sûr que vous situez le
cadre de la PME, je sais que vous avez vécu avec une entreprise un
problème de cet ordre. La question des coûts pour y aller d'abord
et, après cela, la question des délais. La question des
coûts pour y aller, il y a plusieurs formes d'aide à
l'exportation. Alors, les programmes, pourquoi ne serait-ce pas un volet de
l'aide à l'exportation? Quant aux délais, c'est bien sûr
que si le tribunal est structuré de façon telle que vous avez la
décision après trois ans, alors, on n'a pas avancé non
plus. C'est un élément qui doit absolument faire partie de la
composante de ce tribunal. Quant à cette question de la
spécificité québécoise, nous avons toujours
dît et nous avons toujours exigé du fédéral qu'il
embarque vraiment les provinces dans la négociation, à toutes tes
étapes, dans les comités de travail. Cela s'est fait. C'est
évident que si, éventuellement, il y avait un tel tribunal, la
portion québécoise de 26 % des exportations canadiennes vers
l'extérieur devrait être représentée. Cela ne fait
pas l'ombre d'un doute. On dit d'ailleurs que l'on ne recommanderait pas au
gouvernement du
Québec de sanctionner ou d'appuyer un tel accord s'il n'avait pas
la garantie que dans l'éventuel tribunal il n'aura pas sa place à
part entière.
M. Parent (Bertrand): Merci. Avec le peu de temps qu'il me reste
je vais vous poser une question concernant toute la dimension des subventions
et les propos que vous avez tenus tantôt face à ce qui se passe
actuellement à la Société de développement
industriel.. Je pense que, de façon générale, vous avez
applaudi et endossé les trois grands rapports, dont l'un d'entre eux
préconisait justement d'avoir de moins en moins d'interventions du
gouvernement. Sauf que je trouve un peu dommage -je me permets de le dire ici
avec toute honnêteté - que l'on a vulgarisé beaucoup les
mots "intervention" et "Interventionnisme de l'État" comme quelque chose
d'absolument mauvais et méchant. Je pense que de l'interventionnisme
bien fait, c'est quelque chose que vous-même pourriez probablement
endosser. Dans le cas particulier de la Société de
développement industriel du Québec, je connais un peu l'organisme
pour y avoir siégé pendant cinq ans; je peux vous dire qu'il y
ait des remaniements à cette Société, le principal
organisme et le coffre à outils de nos entreprises, sur cela on
s'entend, et qu'on fasse sauter certains programmes, je suis d'accord. Cela
évolue au Québec, cela change au Québec et les qens ont
besoin d'outils différents. Là où nous ne sommes pas
d'accord, et là où je dis que je décroche, c'est quand on
rapetisse le coffre à outils au point où les outils qu'il y a
dedans actuellement, que ce soit la formule des SPEQ ou autres, de l'aide
à l'exportation, j'en suis... Je ne dis pas que les outils qu'il y a
dedans sont mauvais, mais ce que je dis, c'est que les outils qu'il y a dedans
ne sont pas suffisants même dans l'état actuel des choses. Quand
vous, au Conseil du patronat du Québec, dites: Écoutez, nous
pensons qu'il doit ne plus y avoir de subventions, qu'on laisse sous-entendre
que le gouvernement actuel n'en donne plus de subventions, c'est fini, je peux
vous dire qu'il s'en donne encore et qu'il va s'en donner encore et qu'il s'en
donnera toujours des subventions. La journée où un gouvernement
ne donnera plus de subventions... pourtant tout le monde a applaudi et
était d'accord, y compris nous, que pour éviter la fermeture de
GM on fasse un apport. Quand on consent un prêt sans
intérêt, c'est une subvention. On n'a pas émis un
chèque, mais on va absorber les intérêts. On se comprend
sur la définition de subventions et sur les formes d'aide. Je ne pense
pas qu'au cours des dernières années, particulièrement en
1982, 1985 et 1986, il y ait eu du saupoudrage "at large" au niveau des
subventions; je pense que si cela avait
été le cas avant, il y avait eu un tamisage, il y avait eu
de ce côté assurément des correctifs d'apportés.
Mais je pense que, dans le cadre du libre-échange - de là,
ma question - il va falloir avoir des outils et des subventions au sens large
du mot, ce sont des outils ou des aides qu'on devra apporter à
l'entreprise sous quelque forme que ce soit. Cette intervention, y compris de
certaines sociétés d'État, je pense que l'État aura
un rôle important à jouer, que ce soit par le truchement de la
Caisse de dépôt, de la Société
générale de financement, ou de la SOI, soit au niveau de la
formule des SPEQ ou autrement, mais je pense que l'État doit être
de plus en plus présent. Ce n'est pas négatif, mais c'est dans la
formule du partenariat.
J'aimerais savoir si, dans cet esprit, vous êtes toujours
carrément contre toute forme d'intervention et de subvention quand on le
prend au sens large du mot. Le temps nous manque. Je tenais à faire
cette précision, parce que je pense que, souvent, on ne se comprend pas
et, quelquefois, on peut dire des choses presque semblables; j'aimerais que
vous clarifiiez votre position là-dessus.
M. Dufour (Ghislain): Je vais partir cela des applaudissements
aux trois rapports. Le fait d'avoir applaudi - c'est vrai - à la
publication des trois rapports n'a jamais sous-tendu, même dans le
rapport Fortier par exemple, que l'on ait endossé la privatisation de la
Caisse de dépôt ou d'Hydro-Québec. Il y a des outils qui
sont essentiels au développement du Québec qui sont
demeurés là. Mais vous nous avez vu applaudir à la
privatisation de Quebecair et à la privatisation de la Raffinerie de
sucre de Saint-Hiiaire, c'est-à-dire aux éléments qui
n'avaient rien à voir avec une activité gouvernementale, mais la
Caisse de dépôt est importante et on va la soutenir, et la SOI est
aussi importante, de même que la- SGF. Ces outils de l'État sont
là, il s'agit simplement de les adapter aux situations qui sont
changeantes. Et là, j'arrive à la SOI, oui, il est vrai qu'on a
applaudi aussi, parce que nous ne trouvons pas que c'est la meilleure
façon de créer du dynamisme économique que de
subventionner des entreprises, on pense qu'on doit avoir des crédits
fiscaux qui vont permettre à la meilleure entreprise d'aller chercher ce
à quoi elle a droit. Quant aux subventions, vous vous rappelez, on en
discutait au groupement québécois, M. le député de
Bertrand. On subventionnait une entreprise sur CÔte-de-Liesse pour faire
disparaître des emplois à Boucherville. Qu'est-ce que ce genre de
subvention donne? C'est cela qu'on dit. Et on n'est pas d'accord avec cela, et
vous ne l'étiez pas, M. le député de Bertrand, avec
raison.
L'orientation qui est prise actuellement, c'est une orientation de
prêt. Les gens s'interrogent sur le prêt de GM. Nous avons dit que
nous étions d'accord, tout comme on a dît qu'on était
d'accord avec le genre de prêt que vous avez fait aux Fonds de
solidarité de la FTQ, il y a cinq ans. C'est exactement la même
chose. On a avancé peut-être plus d'argent dans des cas: 10 000
000 $ aux fonds de solidarité et je ne sais pas combien de millions
à GM, mais c'est la nouvelle orientation. Dans l'hypothèse de la
libéralisation des échanges, on aurait peut-être besoin de
nouveaux programmes. D'accord, sur cela, on est prêt, mais on ne peut
pas... Sauf, M. Parent, pour la recherche et le développement. Cela, on
l'a toujours dit, c'est bien sûr. Il faut de l'argent pour faire de la
recherche et du développement, alors ce n'était pas le "go"; tu
ne pourras pas en faire. Alors, sauf pour la recherche et le
développement.
Je ne sais pas si vous voulez ajouter quelque chose.
M. Allard: Non, sauf que j'insisterais sur la question de la
recherche et du développement parce que, probablement que dans un
contexte d'échanges beaucoup plus libres avec les États-Unis, on
va devoir porter un effort énorme sur la recherche et le
développement. J'ai parlé tout à l'heure de la
technologie, c'est probablement là qu'il y aura beaucoup de
développement dans un contexte de libre-échange. Cela ne pourra
pas se faire sans recherche dans la technologique qui va nécessiter
sûrement un apport considérable de la part des gouvernements pour
que cela puisse se réaliser et mettre les entreprises canadiennes et
québécoises en position de concurrencer vraiment les
États-Unis dans le champ d'activité qui est celui de
l'avenir.
Une voix: Jacques.
M. Garon (Jacques): Si vous permettez, M. Parent, je voudrais
ajouter deux choses dans le cadre que vous suggérez parce que, chaque
fois qu'on déborde énormément en tentant de se
référer strictement au cas de la libéralisation des
échanges et aux effets que cela pourrait avoir sur le Québec et
en référence à la discussion qu'on vient juste d'avoir, il
y a tout de même un phénomène très impartant qu'il
va falloir considérer, ce sont les résultats de ce que le
ministre des Finances du Québec va proposer comme remaniement à
la fiscalité québécoise. Tant et aussi longtemps qu'on ne
le saura pas, il sera difficile encore une fois d'avoir une évaluation
d'impact sur les effets économiques.
Et le deuxième point que je voudrais traiter, c'est que, et
peut-être à juste titre, on a traité le cadre des effets
possibles de
la libéralisation des échanges sur le Québec,
toujours en fonction d'un critère, celui de l'emploi. C'est vrai que le
chômage, c'est le problème économique le plus important du
Québec et que, on se réfère toujours à ce
critère. Mais, la question qu'il faudrait peut-être aussi se
poser, c'est que dans ie cas où il n'y aurait pas de négociation,
qu'est-ce qu'il se passerait pour les emplois au Québec?
Le Président (M. Charbonneau): Ça va? Alors, M. le
ministre, est-ce qu'il va y avoir un petit commentaire final?
M. MacDonald: À un moment donné, M. Du four, vous
avez dit quelque chose - je ne savais pas si je devais être heureux ou
malheureux - à savoir que vous alliez donner à M. Johnson, M.
Parent et moi-même, le résultat d'études que vous auriez
faites à l'intérieur de certains secteurs que vous
représentez. Est-ce que nous allons pouvoir rendre publiques, ces
études?
M. Dufour (Ghislain): Je ne pense pas que vous décidiez de
rendre cela public. Ce n'est pas une recherche - je l'ai dit - fine. C'est
qu'on a été voir des gars, des associations patronales, Les
Salaisons, par exemple. On réalise que ces gens font un décompte
de plus 8000, etc. Vous en ferez ce que vous voudrez mais ce n'est pas la
recherche de la Commission Macdonald...
M. MacDonald: Votre réponse, qui dit que peut-être
ou peut-être pas, souligne le fait justement qu'on nous a souvent
mentionné que malgré que le gouvernement du Québec est
celui qui ait le plus publié et le plus rendus publics, tous les
documents qu'il pouvait avoir, il y en avait qu'on a pu rendre publics parce
que justement les organismes nous avaient dit: Non, vous garderez cela
confidentiel, ce qui est d'ailleurs la majorité des dépôts
qui ont été faits devant le comité Warren... Alors,
là, vous venez de me dire: Vous en ferez ce que vous voudrez. Je ne vois
pas, personnellement, de réserves à distribuer les études
que vous avez pu faire. Si vous êtes d'accord.
M. Dufour (Ghislain): Écoutez, on vérifiera
auprès des gens, parce qu'on ne m'a jamais demandé le sceau de la
confidentialité pour ça. Pour nous autres, si ça peut
éclairer le débat...
M. MacDonald: Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, sur cette
dernière réponse, il ne me reste, M. Dufour, M. Allard, M. Garon
et M. Duchesne, qu'à vous remercier d'avoir participé à
cet exercice. Je crois que les membres de la commission, de part et d'autre,
ont apprécié l'échange qu'ils ont eu avec vous. Je pense
que les gens qui nous écoutent ont également pu profiter de cet
échange. Alors, je vous remercie. Et dans votre cas, je dois vous dire:
À la prochaine. Parce que je suis convaincu qu'on va se revoir pour une
autre consultation.
M. Dufour: Et je suis sûr que vous présiderez...
Le Président (M. Charbonneau): Ne présumons de
rien.
J'invite maintenant la Chambre de commerce de Montréal à
prendre place. Alors, nous allons faire une pause-santé, le temps que
nos invités prennent place et que nos députés puissent se
dégourdir quelques instants.
(Suspension de la séance à 12 h 55)
(Reprise à 12 h 57)
Le Président (M. Charbonneau): Nous reprenons maintenant
avec la Chambre de commerce de Montréal. Nous sommes déjà
une heure en retard. En fait, nous devrions ajourner pour l'heure du lunch mais
nous allons poursuivre. Je vous rappelle, messieurs et mesdames, que nous
espérons, cette fois-ci, respecter l'horaire. Nous avons normalement une
heure, dont vingt minutes pour la présentation, et, le reste du temps
pour la discussion entre les membres de la commission. Alors, M. Garcia, je
crois, si vous voulez bien nous présenter les personnes qui vous
accompagnent et engager immédiatement la présentation de votre
mémoire.
M. Garcia (Claude): Alors, je suis accompagné de Mme Rita
Dionne-Marsolais qui a été déléguée du
Québec, entre autres, à New-York jusqu'en juin 1987 et qui
était la présidente du comité de la Chambre qui a
préparé le mémoire que nous vous présentons
aujourd'hui. Également, à ma droite, Paule Doré,
directrice générale de la chambre.
Le Président (M. Charbonneau): Avant que vous ne
commenciez, je voudrais simplement vous indiquer qu'il est possible qu'en cours
de présentation mon collègue, le député de Vimont,
qui est vice-président de la commission, prenne la relève. Ce qui
va se faire dans quelques instants. Alors, allez-y!
Chambre de commerce de Montréal
M. Garcia: M. le Président, mesdames et messieurs, au nom
de la Chambre de commerce de Montréal, je tiens d'abord à
remercier les membres de cette commission parlementaire d'avoir bien voulu
nous permettre d'exposer nos vues sur la libéralisation des
échanges entre le Canada et les États-Unis. C'est une question
que nous jugeons de toute première importance pour l'avenir
économique du Québec et de sa métropole. Comme vous le
savez, la chambre en est à sa 101e année d'existence. Elle
regroupe 7500 membres, représentant quelque 2000 entreprises qui
constituent un réseau de communications et d'échanges pour le
milieu des affaires montréalais.
L'ultime objectif de la chambre, c'est d'assurer à
Montréal un climat propice au développement des affaires et
d'accentuer le rayonnement international de son économie et de ses
entreprises. Pour s'assurer d'exposer devant les membres de cette commission
une position représentative de ses objectifs et de ses membres, la
Chambre de commerce de Montréal a mis sur pied un comité ad hoc,
présidé par Mme Rita Dionne-Marsolais, qui a fait le tour de la
question du libre-échange et des répercussions possibles d'un tel
accord, en tenant compte de la conjoncture actuelle et de l'expérience
historique. C'est le fruit des réflexions de ce comité que je
suis heureux de vous exposer aujoud'hui.
Il ne fait aucun doute que les États-Unis et le Canada sont
d'importants partenaires commerciaux. En 1986, ils ont échangé
pour 150 000 000 000 $ de biens. La part du Québec a été
de 20 % et le quart des échanges du Québec avec les
Américains se fait avec l'État de New York. Alors, c'est un
État qui n'est quand même pas très loin du
Québec.
C'est dire que le Canada est le principal exportateur auprès des
États-Unis et que le Québec y prend une très large part.
C'est dire aussi que le Canada est, depuis toujours, un important acheteur de
produits américains. L'interdépendance de l'économie des
deux pays s'explique, en partie, par leur continuité
géographique. Elle est certainement vouée à
s'accroître de façon continue.
Il nous vient alors une question. Quel est l'environnement international
du Canada sur le plan commercial? Il est exceptionnel et complexe, si on
considère qu'au sein des nations industrialisées, le Canada est
le seul pays avec l'Australie dont le marché n'atteint pas 100 000 000
de consommateurs. Le Japon a un marché de 115 000 000; les pays
d'Europe, plus de 300 000 000; les États-Unis, 240 000 000 et le Canada,
25 000 000.
Quant à l'Australie et la Nouvelle-Zélande, leur
marché n'est que de 19 000 000. On sait aussi que le Québec a
deux pôles d'attraction naturels: Les États-Unis et la France. Le
premier est commercial et le deuxième est surtout culturel, même
si cela contredit la croyance populaire.
À titre d'exemple, dans le seul secteur de l'énergie, les
ventes d'électricité du Québec à l'État de
New York représentent en dollars, le double de l'ensemble des
exportations de produits québécois vers la France.
En outre, on peut prévoir que l'essor des relations commerciales
entre la France et le Québec sera freiné à moyen terme
avec les mesures envisagées par le marché commun pour 1992. Il
nous apparaît évident que la France concentrera alors ses efforts
commerciaux vers ses partenaires européens, même si c'est au
détriment des pays francophones.
Par ailleurs, depuis quatre ans, les pressions politiques
régionales américaines ont causé beaucoup de tort aux
exportations canadiennes vers les États-Unis. Les mesures
protectionnistes - tarifs, quotas et autres pénalités - ne sont
plus seulement mises de l'avant par des groupes marginaux, mais par des gens
d'affaires influents et puissants qui, hier encore, se faisaient les
ténors de la libre entreprise et du libre marché.
Tel est donc l'environnement commercial international du Québec
et du Canada où des négociations sur le libre-échange se
poursuivent avec les États-Unis. Mais avant d'aller plus loin,
j'aimerais peut-être faire, à l'exemple de M. Landry ce matin, un
recul historique.
Le libre-échange n'est pas une formule nouvelle dans les
relations commerciales entre les Etats-Unis et le Canada. Le 5 juin 1854, les
États-Unis et les provinces unies du Bas et du Haut-Canada signaient un
traité de réciprocité. Déjà, à cette
époque, notre voisin américain était un géant
économique au moins dix fois plus important que les provinces unies du
Canada.
La simplicité et la brièveté du traité
mettent en lumière la conviction partagée par les deux parties
quant aux nombreux avantages qu'offrait une telle entente. Les résultats
du traité le démontrent bien. Les exportations en partance du
port de Québec ont atteint le double ou le triple des importations
à destination du même port.
Les expéditions de farine, à partir de Montréal,
ont été multipliées par 20; les ventes américaines
de blé et de farine ont quadruplé; le tonnage du transport
maritime vers les États-Unis a doublé, alors que le tonnage vers
le Canada a diminué.
Les Américains ont mis fin au traité en 1866, douze ans
plus tard, pour retourner au protectionnisme. Mais les résultats du
traité de réciprocité ont été très
profitables aux provinces unies du Bas et du Haut-Canada.
On peut également parler du Pacte de l'automobile. Encore
là, M. Landry en a parlé avant nous ce matin. Mais en 1965, le
Canada et les États-Unis renouaient avec la formule de
réciprocité en signant une entente dans un secteur clé de
l'économie,
celui de l'automobile. Cette entente connue sous le nom de Pacte de
l'automobile a, jusqu'à maintenant, donné des résultats
fort positifs.
Par exemple, entre 1960 et 1985, le nombre d'emplois dans cette
industrie est passé de 33 000 à 125 000. D'importants capitaux
ont été investis pour la production de grande série, la
spécialisation et la modernisation de la production. L'augmentation de
la productivité qui en a découlé a permis de
réduire les prix à la consommation de 15 % à 20 %.
Le secteur de l'automobile est devenu un moteur économique
puissant au Canada, surtout en Ontario. En 1985, les exportations canadiennes
d'automobiles et de pièces vers les États-Unis ont atteint 33 000
000 0000 $ canadiens, surpassant en valeur l'ensemble de toutes les autres
exportations canadiennes vers tous les autres pays.
L'expérience historique - on peut le voir - a été
positive. Si nous considérons la conjoncture actuelle, les arguments en
faveur du libre-échange sont nombreux et la chambre aimerait faire
valoir les points suivants.
Tout d'abord, un argument peut-être de théorie
économique. La loi des avantages comparés de Smith et Ricardo est
demeurée valable. Elle repose sur la spécialisation-domination
par rapport à une autre.
Selon cette loi, les nations produisent domestiquement des biens pour
lesquels elles sont plus efficaces et elles importent ceux qu'elles
produiraient moins efficacement que d'autres. N'oublions pas que c'est le pays
dont le marché est plus petit qui bénéficie le plus d'une
libéralisation des échanges avec un pays dont le marché
est plus grand, en raison des économies d'échelle possibles sur
un plus grand marché. En outre, l'impact d'une concurrence
internationale accrue encourage l'accroissement de la productivité, de
la créativité, de l'esprit d'initiative et de
l'efficacité. Nous croyons aussi qu'une entente de libre-échange
avec les États-Unis assurerait au Canada un marché vital pour son
économie. Bien que la majorité des biens échangés
avec les États-Unis soient libres de tarifs, il est important de
souligner que les barrières non tarifaires sont importantes entre les
deux pays.
Autre point, aux États-Unis, tout industriel peut porter plainte
devant l'International Trade Commission pour protéger son marché
s'il est en mesure de démontrer qu'il est lésé dans son
commerce par une firme étrangère. Nous croyons utile de
mentionner ici que, selon le Conseil économique du Canada, une entente
de libre-échange entre le Canada et les États-Unis augmenterait
considérablement la production nette et l'emploi net à la fois au
Canada et dans chacune des provinces, tout en ne nécessitant que de
modestes coûts d'ajustement. Elle faciliterait également la
réaffectation nécessaire de nos ressources en faveur des
industries en croissance.
Toujours au chapitre des arguments favorables, il faut nous rappeler que
la politique industrielle américaine repose essentiellement sur son
programme de dépenses militaires et sur les achats de biens et services
gouvernementaux. Une ouverture de ce marché aurait - je dis "aurait",
parce qu'il semble y avoir des doutes - un impact immédiat sur
l'économie canadienne, puisque les dépenses gouvernementales
américaines sont quinze fois plus élevées que les
dépenses canadiennes dans ce domaine. Finalement, nous croyons fermement
que l'ouverture commerciale nord-sud consolidera les liens régionaux
canado-américains. Ces liens bâtis entre les provinces et les
États-Unis depuis de nombreuses années entraîneraient une
consolidation économique régionale à l'avantage du Canada.
Les échanges régionaux avec le Nord-Est américain et
l'Atlantique-Centre avantageront nettement les entreprises
montréalaises.
Voilà autant d'arguments qui nous paraissent incontestablement en
faveur du libre-échange entre le Canada et les États-Unis.
Pour autant, la Chambre de commerce de Montréal ne nie pas que le
libre-échange puisse présenter quelques désavantages, mais
il existe des solutions pour chacun d'eux et nous voulons en faire état
ici.
Toutes les études ont fait ressortir les effets négatifs
du libre-échange sur le secteur manufacturier. Des pertes d'emplois en
résulteront, mais la restructuration industrielle amorcée au
Québec depuis une dizaine d'années s'accélérera. Il
est clair qu'une action ponctuelle sera requise dans ce secteur, alors qu'une
approche graduelle de transition pourrait se révéler souhaitable
dans d'autres cas. Cependant, l'effet économique global devrait
compenser les soubresauts négatifs, selon toutes les études
actuelles élargies à l'ensemble des secteurs économiques
du Québec.
Dans un autre ordre d'idée, la menace de la culture
américaine préoccupe beaucoup de Canadiens. Cependant,
l'Américain Léonard Silks, du New York Times, rappelait encore
récemment, lors d'un colloque, que la culture québécoise
était la seule qui pouvait être menacée, mais il ajoutait:
"Elle est assaillie depuis toujours et c'est pourtant celle qui continue de se
développer au Canada." Pour enrayer toute menace, il faudrait
probablement envisager un rayonnement plus vaste de cette culture sur le plan
des arts visuels et de la scène en territoire nord-américain.
Pour ce qui est de la langue française, elle est depuis toujours
en état de siège au Canada, de toute façon, et c'est
aux
francophones de la développer et de la faire rayonner, du moins
à l'intérieur de nos propres frontières. Mais quelles sont
les relations actuelles de Montréal avec les États-Unis?
Avant de parler de libre-échange entre Montréal et les
États-Unis, il est utile de préciser que la métropole
québécoise et le Québec entretiennent de bonnes relations
commerciales avec leurs voisins du Sud, en particulier avec la région de
l'Atlantique-Centre. Montréal et cette région ont beaucoup de
points en commun. Toutes deux sont parmi les plus riches régions de leur
pays respectif possédant chacune un pouvoir d'achat et un niveau de vie
parmi les plus élevés au monde. D'autre part, les mouvements de
capitaux entre ces deux régions sont extrêmement importants
à cause de l'ouverture des marchés financiers et des
économies. Ainsi, environ 18 % de la dette à long terme du
Québec est détenue en devises américaines et plusieurs
sociétés ont pu établir des bureaux de part et d'autre des
frontières sans trop de difficultés. Le lien
énergétique est important: 10 % de l'électricité de
l'État de New York provient d'Hydro-Québec. Il faut aussi
considérer le fait que la technologie moderne améliore
continuellement les communications entre les deux régions.
Qu'on pense seulement à la qualité du réseau
routier entre Montréal et New York et à la voie maritime du
Saint-Laurent qui facilitent le transport des produits et rendent leurs
coûts plus concurrentiels. En outre, le tourisme bénéficie
grandement de l'infrastructure de transport. En 1985, par exemple, trois
touristes sur dix qui sont venus au Québec provenaient de la
région de l'Atlantique-Centre, tandis que des 2 400 000
Québécois qui ont visité les États-Unis, deux sur
cinq sont allés dans les États de l'Atlantique-Centre. Fait
à noter, un visiteur américain sur cinq au Québec vient
ici pour des raisons d'affaires seulement.
Enfin, le Québec et le Centre atlantique américain
partagent le même environnement naturel, possèdent un
héritage d'immigration commun, vivent dans le village global continental
par le biais des médias et ont investi beaucoup pour former une
population instruite.
Ces deux régions sont donc des partenaires naturels dans leur
défi commun de croissance et ont tout intérêt à
coopérer sur les marchés internationaux. Cette coopération
serait affermie dans un contexte de libre-échange. Du jour au lendemain,
c'est un marché additionnel riche de 54 000 000 d'habitants qui
deviendrait accessible librement et à courte distance de
Montréal.
Venons-en maintenant à l'impact du libre-échange sur
Montréal. Nous avons déjà dit plus tôt que la
Chambre de commerce compte 7500 membres issus de plus de 2000 entreprises qui
ont à coeur le développement économique de
Montréal. Les sociétés membres oeuvrent dans les secteurs
suivants, et je vous réfère au tableau qui y apparaît. Nous
comptons, dans les services aux entreprises, 26 % de nos membres; dans les
industries manufacturières, 19 %; les services socioculturels, 16 %; le
commerce de gros et de détail, 13 %; les finances et l'immobilier, 14 %;
la construction, 5 %; le transport, 4 %; l'administration publique, près
de 2 % et les mines, 0,2 %.
En appliquant les conclusions de diverses études, on arrive
à la conclusion qu'un maximum de 19 % de nos membres subiraient des
difficultés advenant une entente sur le libre-échange. En fait,
les études sur Montréal indiquent une perte de 8000 emplois dans
le secteur manufacturier.
Toutefois, si on applique à l'économie du Québec et
à l'économie de Montréal le modèle du conseil
économique, on voit qu'au moins 81 % des entreprises membres de la
chambre, c'est-à-dire toutes celles qui ne sont pas dans le secteur
manufacturier, retireraient le gros des bénéfices d'une entente
de libre-échange et on peut estimer qu'environ même le tiers des
entreprises du secteur manufacturier en bénéficieraient, parce
que ce sont les entreprises qui font déjà de l'exportation,
même dans le contexte actuel. On n'a qu'à penser à
Bombardier et à Alcan, par exemple.
Toujours sur le même modèle, entre 47 000 et 87 500 emplois
nets seraient gagnés au Québec en 1995, c'est-à-dire dans
huit ans, et suivant le même raisonnement, Montréal aurait un gain
net de 22 000 à 40 900 emplois. Je répète que c'est un
gain net après avoir déduit les 8000 emplois dont nous avons
parlé antérieurement, et c'est toujours pour 1995.
C'est l'une des raisons pour lesquelles la Chambre de commerce de
Montréal favorise le libre-échange entre le Canada et les
États-Unis. La chambre l'approuve aussi parce que l'accès au plus
vaste ensemble urbain de l'Amérique du Nord décuplerait le
marché accessible aux entreprises montréalaises. Cet impact
consoliderait la présence internationale et commerciale de
Montréal par la liaison privilégiée avec une région
ayant le plus haut pouvoir d'achat au monde. L'accès au marché
américain permettrait aussi à Montréal de conserver les
centres décisionnels des entreprises québécoises oeuvrant
sur le marché américain et probablement d'attirer les centres de
décision d'entreprises étrangères
intéressées par le marché nord-américain.
Montréal pourrait affermir son rôle de plaque tournante
commerciale internationale.
En outre, Montréal pourrait devenir un site de choix pour
accueillir des organismes internationaux dont les budgets sont de plus
en plus restreints. On n'a qu'à comparer les coûts de
location d'espaces à New York, qui sont les plus élevés
aux États-Unis, avec ceux de Montréal. New York et les
États-Unis abritent la plus importante colonie diplomatique du monde en
raison des 160 pays accrédités à l'ONU et le plus
important regroupement d'organismes internationaux. La Banque mondiale, le
Fonds monétaire international et plusieurs banques internationales de
développement s'y trouvent. (13 h 15)
De la même façon, Montréal pourrait aspirer à
recevoir une plus grande part des investissements du gouvernement
fédéral américain ou des compagnies privées en
matière de recherche scientifique, notamment dans certaines industries
de pointe.
Nous croyons qu'il faut également considérer l'aspect
culturel du libre-échange. Le libre accès au plus vaste noyau de
promotion culturelle des États-Unis inciterait les artistes de
Montréal à établir des liens privilégiés
avec leurs collègues américains pour accéder à l'un
des plus gros marchés artistiques du monde.
Enfin, sur le plan touristique, le Québec ressortirait de
l'ensemble nord-américain par ses caractéristiques et sa
spécificité unique en Amérique du Nord, comme un lieu
privilégié exerçant la fascination d'une culture
différente dans le confort et la sécurité d'un
environnement global, sans frontière avec les Américains.
La croissance des échanges avec les Américains
améliorerait la fréquence et la diversité des services de
transport aérien et augmenterait les chances d'être le site de
congrès internationaux. C'est une des faiblesses que Montréal a
dans le moment. On nous reproche sur le marché américain une
faiblesse au niveau des liaisons aériennes avec les
États-Unis.
En conclusion, la Chambre de commerce de Montréal appuie
fortement la libéralisation des échanges au niveau du continent
nord-américain avec une transition appropriée pour les secteurs
manufacturiers, plus vulnérables à court terme.
Cette position s'appuie sur la nécessité de
protéger l'accès au marché de notre client le plus
important, soit le marché américain. Elle vise à permettre
aux entreprises montréalaises dynamiques de poursuivre leur croissance
en facilitant leur passage d'un marché régional à faible
croissance et hautement concurrentiel vers l'ensemble du marché
nord-américain. La consolidation de la position régionale des
entreprises montréalaises en Amérique du Nord leur permettra
d'accéder par la suite au marché mondial.
Dans cette perspective, la Chambre de commerce de Montréal
émet les recommandations suivantes:
Que le Québec continue de maintenir un climat propice aux
entreprises pour amener les entreprises montréalaises à mettre
davantage l'accent sur la créativité, la qualité et
l'efficacité, et à accentuer leur position concurrentielle, tant
sur le marché domestique que nord-américain;
Que les différents intervenants provenant des secteurs patronaux,
syndicaux et gouvernementaux se concertent afin de faciliter le recyclage des
ressources productives dans les secteurs qui bénéficieront le
plus de l'ouverture du marché américain tout en aidant les
entreprises les plus vulnérables à s'adapter au nouvel
environnement ainsi créé!
Que les gouvernements provinciaux et fédéral
révisent et harmonisent certains programmes sociaux et certaines lois
régissant les entreprises;
Que la révision de notre fiscalité se poursuive afin que
nos entreprises montréalaises ne soient pas en position
défavorable vis-à-vis des entreprises américaines;
Si le projet d'entente de libre-échange prévu pour octobre
est acceptable et favorable pour le Québec, que les différents
intervenants du Québec entreprennent des démarches
précises et structurées pour recueillir les appuis
nécessaires, notamment:
Au Canada, qu'un effort de sensibilisation soit entrepris à tous
les niveaux et que les provinces s'entendent pour aller chercher l'appui des
représentants américains des États limitrophes à
leur province ou des États avec lesquels elles entretiennent des
relations suivies;
Aux États-Unis, que des démarches structurées
soient entreprises pour s'assurer de l'appui des représentants au
Congrès des États américains limitrophes au Québec.
Que ces efforts se poursuivent tout au long de l'étape d'étude
préliminaire au Congrès, soit 90 jours de la date de l'annonce du
projet d'entente entre les deux négociateurs;
Que des mesures précises et limitées dans le temps soient
mises de l'avant pour assurer une transition efficace dans les secteurs les
plus défavorisés à court terme;
Que le Québec s'assure d'un mécanisme équitable de
résolution des conflits entre les deux pays, qui ne le pénalisera
pas ni à court ni à long terme.
M. le Président, telle est la position de la Chambre de commerce
de Montréal sur la libéralisation des échanges entre le
Canada et les États-Unis. Je vous remercie de votre attention.
Le Président (M. Théorêt): M. Garcia, je vous
remercie de votre présentation.
Je vais maintenant céder la parole au ministre du Commerce
extérieur.
M. MacDonald: M. le président, merci
de votre présence et merci de votre présentation. En se
rappelant que nous n'avons, de part et d'autre, que 20 minutes de questions et
de réponses et que mon collègue, le ministre de l'Industrie et du
Commerce et ministre responsable de la région de Montréal a un
certain nombre de questions à vous poser, je vais me permettre de vous
en poser une en tout premier lieu et de demander de garder un certain temps,
parce que j'aimerais poser une question particulièrement à Mme
Dionne-Marsolais qui était la déléguée
générale du Québec à New York.
Ma première question peut appeler une réponse courte. Vous
avez des études à l'appui de vos présentations. Vous avez
fait une enquête auprès de vos membres. Vous avez des statistiques
et des projections. Est-ce que vous pourriez les rendre publiques ainsi
qu'expliciter la méthodologie?
M. Garcia: Non. Nous n'avons pas fait d'étude
auprès de nos membres. Nous avons simplement regardé quels
étaient les secteurs d'activité de nos membres. À partir
des études faites par d'autres, comme le Conseil économique du
Canada, on en est venu à la conclusion que c'est dans le secteur
manufacturier qu'il y aurait des pertes d'emplois, tandis que dans les autres
secteurs nos membres seraient gagnants. Il y a des secteurs où les
membres sont plus gagnants que dans d'autres. Par exemple, si on prend le
domaine du service-conseil aux entreprises, on s'attend... Les entreprises
québécoises font déjà beaucoup d'exportations et on
ne pense pas qu'il va y avoir de perte d'emplois dans ce secteur à cause
du libre-échange; on pense plutôt que le libre-échange va
aider. On a vraiment appliqué la méthodologie du Conseil
économique du Canada à l'économie de Montréal.
Alors...
M. MacDonald: À la mesure de Montréal.
M. Garcia: ...on n'a pas fait... M. MacDonald: Le
même modèle.
M. Garcia: C'est cela, oui. C'est le même
modèle.
M. MacDonald: Parfait, merci.
Le Président (M. Théorêt): Merci. M. le
critique de l'Opposition et député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Je vous remercie. Je souhaite la bienvenue
à M. le président Garcia, de même qu'à Mme
Dionne-Marsolais et à Mme la directrice générale Paule
Doré. Cela me fait plaisir d'autant plus que votre mémoire est
bien étoffé et il va bien circonscrire les effets sur
Montréal. Je pense qu'en tant qu'organisme reconnu, la Chambre de
commerce de Montréal a bien fait son boulot.
Je dirai à mon collègue, le ministre du Commerce
extérieur, qu'il a pris la bonne habitude de demander maintenant aux
autres de publier des études d'impact. Je m'aperçois que les
efforts que j'ai faits ces derniers mois ont transpiré, que maintenant
le ministre... Moi aussi, j'apprends dans la méthode de
récupération.
Cela dit, ma première question va s'adresser à Mme
Marsoiais qui était à New York, bien sûr. Dans les propos
tenus hier par le directeur international de Samson, Bélair, M. Pierre
Pettigrew, il nous a dit avec beaucoup d'assurance - cela nous a surpris un
petit peu - que, sur le marché américain, lorsqu'il rencontre ces
entreprises de façon régulière, il s'est aperçu
que, finalement, il n'y avait pas de volonté politique, il n'y avait pas
de volonté du monde des affaires, du monde économique aux
États-Unis pour avoir cet accord de libre-échange pendant
qu'à peu près tout le monde dit qu'il y a, effectivement, une
très grande volonté de ce côté-là, à
partir du président Reagan et de plusieurs autres intervenants.
Vous, d'après ce que vous avez vécu ces derniers
années, ces derniers 18 mois par exemple, est-ce que vous êtes en
position de nous dire si vous pouvez endosser cette position ou si vous avez
senti qu'il y avait vraiment une envie, un désir et une volonté
ferme d'avoir cet accord de libre-échange avec le Canada ou si la
perception, particulièrement du monde des affaires, du monde
économique de New York... Vous avez travaillé de très
près avec eux, vous pouvez nous dire, aujourd'hui, si ces gens sont
davantage favorables ou défavorables face à cette
éventuelle entente.
Mme Dionne-Marsolais (Rita): Le commentaire est sûrement
fondé. Il faut situer cela dans le contexte. Il y a 25 000 000 de
Canadiens et il y a 240 000 000 d'Américains. Les problèmes du
Canada sont bien loin de ceux des Américains. Ce n'est pas tellement
important.
L'ensemble de la communauté d'affaires appuie cette
démarche, mais tant qu'elle n'aura pas vu le projet auquel on arrivera,
elle n'a aucune raison de s'en préoccuper. Actuellement, les
Américains font des affaires au Canada. Ils étaient
préoccupés par une loi qui restreiqnait leurs investissements.
Ils sont beaucoup plus préoccupés, en ce moment, par le monde
asiatique où ils aimeraient vendre un peu plus et qu'ils aimeraient voir
moins présent chez eux.
Par exemple, il n'y a pas d'opposition,
il y a de l'indifférence. Je pense qu'il faut bien comprendre,
l'Américain est préoccupé par ce qui le touche
personnellement aujourd'hui. Le Canada, actuellement, n'est pas pour lui une
préoccupation majeure. Le président, la direction donc des
États-Unis, est certainement favorable parce qu'il a créé
cela. Est-ce que le Congrès ou les représentants des États
suivent plus ou moins? Cela dépendra de la conséquence de cette
entente pour eux. Alors, tant qu'il n'y pas de précisions plus grandes,
ils sont généralement totalement indifférents.
M. Parent (Bertrand): Je vous remercie.
Le Président (M. Théorêt): Merci. Maintenant,
je cède la parole au ministre de l'Industrie et du Commerce et
responsable de la région métropolitaine.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président.
M. le président, Mesdames, votre rôle, lorsque vous sondez vos
membres ou lorsque vous regardez le profil de vos membres, ne peut pas
déborder aussi facilement sur les résultats spécifiques
pour Montréal. Vous ne pouvez pas nous faire part des résultats
spécifiques pour Montréal d'un traité éventuel de
libre-échange. J'ai cru comprendre - et vous me corrigerez - que votre
évaluation est tributaire de votre membership et que c'est en vous
reportant sur votre membership et non pas sur l'ensemble de l'économie
de Montréal que vous en êtes arrivés aux chiffres devant
nous. Voulez-vous me dire tout de suite si on est sur la bonne voie?
M. Garcia: Je vais demander à Mme Dionne-Marsolais de
répondre, car c'est elle qui a fait les calculs.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): D'accord, cela va.
Mme Dianne-Marsolais: Pour clarifier, toutes les études
sur l'impact des emplois ont été réalisées pour
Montréal et le Québec au prorata du reste du Canada. Ce que j'ai
fait, j'ai pris l'ensemble des résultats du conseil économique et
je l'ai appliqué à la population de Montréal et du
Québec, quant à l'emploi évidemment. Donc, j'ai
utilisé exactement la même méthodologie qu'avait
utilisée Pierre-Paul Proulx dans son dossier sur les manufacturiers.
Ce n'est pas une enquête auprès des membres, c'est une
conclusion quant à la représentation de nos membres des
différents secteurs industriels montréalais.
M. Garcia: Si je peux me permettre d'ajouter quelques mots, M. le
Président.
Le Président (M. Théorêt): M. Garcia.
M. Garcia: Quant au nombre de membres affectés, on a la
répartition de nos membres. En termes du nombre d'emplois, c'est
basé sur la structure économique de Montréal, mais, en
termes du nombre de membres de la chambre qui seraient affectés, quand
on dit que plus de 80 % de nos membres sont affectés favorablement, on
pense que le vrai chiffre est probablement 85 % à 90 %, mais, à
80 %, on est conservateur. C'est basé sur notre membership, mais le
nombre d'emplois est basé sur la structure économique de
Montréal. Je pense que c'est cela.
Mme Dionne-Marsolais: Exactement.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Montréal par rapport au
Québec, etc.
M. Garcia: C'est cela.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Mais il n'en reste pas moins -
ma question dépasse les études statistiques et ce qu'on peut en
retirer et elle va plutôt chercher votre sentiment comme partie prenante
pour plaider des dossiers de la région de Montréal - que, s'il y
avait des priorités à établir dans les secteurs où
on doit veiller plus attentivement à mettre en place des mesures
d'ajustement et de transition, est-ce que vous pourriez, d'ores et
déjà, nous indiquer, comme Chambre de commerce de Montréal
qui représente les gens qui expliquent le développement de
Montréal, les secteurs qu'on devrait privilégier dans les mesures
d'ajustement? Je dirais, à titre d'exemple, pour distinguer le genre
d'intervention ou de préoccupation qu'on peut avoir, que les emplois
manufacturiers qui apparaissent plus vulnérables ou menacés sont
ceux du textile.
Par ailleurs, les secteurs qui pourraient bénéficier
grandement d'une ouverture du marché américain sont tous ceux
reliés à l'industrie de la défense et qui pourraient
avoir, comme vous l'avez souligné, un accès plus large au
marché américain de la défense. Il y a aussi le
"trade-off". Où devrions-nous - vous nous parlez comme le
représentant de l'entreprise montréalaise -faire porter nos
efforts?
M. Garcia: Écoutez, je pense qu'on peut difficilement
isoler l'économie de Montréal de celle du Canada. Prenons par
exemple l'industrie de la bière. On sait que dans l'industrie de la
bière, à l'heure actuelle, il n'y a même pas un
marché commun à l'intérieur du Canada. Les entreprises
sont obligées de brasser, au Québec, la bière qu'elles
vendent au Québec et, en Ontario, celle qu'elles vendent en Ontario.
Chaque province est très bien compartimentée.
Par contre, même dans ce contexte-là, les entreprises
brassicoles ont été en mesure
d'exporter aux États-Unis. Elles sont déjà en
mesure de concurrencer sur le marché américain avec des parts de
marché quand même assez importantes dans le cas de la Maison.
Alors, si elles sont capables dans le contexte actuel, je me demande si on
devrait aménager une période de transition. Je pense qu'il serait
un peu dangereux que la chambre réponde au nom des membres de cette
industrie qui sont membres de la chambre, parce que, voyez-vous, non seulement
les membres de la chambre seraient-ils touchés, mais on ne peut pas
dire: On va faire un accord pour Montréal et un accord pour le reste du
Canada. Et c'est un peu la même chose dans le textile. Alors, je pense
qu'il serait préférable, quant à moi, de discuter ces
mesures avec des représentants de chaque secteur visé
plutôt qu'avec nous. Ce n'est pas qu'on ne veuille pas répondre,
mais c'est assez délicat pour nous de répondre, puisqu'on ne
représente que les entreprises visées de la région de
Montréal. On ne peut prétendre parler au nom de tout le secteur,
dans tout le Canada ou dans le Québec. (13 h 30)
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Non, je comprends. Mais, pour
compléter, il n'en reste pas moins que si vous représentez
l'entreprise et le milieu des affaires de Montréal, vous deviez bien
avoir une liste de priorités qui est la vôtre, qui n'est
peut-être pas celle d'autres Canadiens. Mais si vous venez
représenter les industries sur lesquelles on compte pour le
développement de Montréal, est-ce qu'il y en a à
l'égard desquelles vous aimeriez que les autres gouvernements se
soucient particulièrement d'assurer leur adaptation plus rapide au
contexte de libéralisation?
M. Garcia: Je pense qu'il y a déjà les entreprises
qui sont à Montréal et qui exportent déjà aux
États-Unis. On n'a qu'à penser à Bombardier, qui est dans
les matériaux de transport, ou à Alcan. Il est certain que ces
entreprises qui sont membres de la chambre, sont déjà des
entreprises qui ont du succès sur le marché américain et
sur les marchés internationaux; donc, il m'apparaît souhaitable
que si on a un accord partiel, ces secteurs devraient avoir priorité. Si
on pense aussi à tout le domaine des services-conseils aux entreprises,
je pense que c'est un secteur où l'économie montréalaise
est fort dynamique. Les entreprises montréalaises sont fort dynamiques.
Il y en a beaucoup qui ont commencé à exporter, pas uniquement
dans le génie-conseil, mais dans d'autres disciplines:
comptabilité, informatique, etc. Ce sont des secteurs non pas
manufacturiers mais qui sont peut-être ce qu'on appelle le tertiaire de
pointe, des secteurs fort intéressants pour l'économie de
Montréal. Ces secteurs devraient certainement faire partie d'une
première étape, s'il doit y avoir des étapes. Il y a
peut-être d'autres secteurs. Ce sont des secteurs forts. Je ne pense pas
qu'on doive limiter l'entente aux secteurs forts. Je suis convaincu que
même les secteurs que l'on dit faibles sont en mesure de
bénéficier d'une entente de libre-échange.
Le Président (M. Théorêt): Merci. M. le
député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Oui, M. le Président, devant les
différents secteurs et la répartition de vos membres,
répartition en termes de pourcentage des membres qui sont dans tel ou
tel secteur, il y a un secteur qui, forcément, marque beaucoup
Montréal, c'est le fameux secteur des services où il y a une
très forte concentration, non seulement en nombre mais
particulièrement en volume. Pour prendre un exemple précis, dans
le domaine du génie-conseil se retrouvent les grandes firmes, pas du
Québec mais internationales, avec les Lavalin, SNC et compagnie. Dans le
domaine de l'informatique aussi, on retrouve des firmes imposantes, les
services bancaires, les services financiers. Ce que vous retrouvez finalement
à Montréal, c'est la forte concentration de tout ce qui se passe
au Québec dans le domaine des services. D'après votre analyse, ou
celle de M. Proulx, sur les impacts dans ces différents secteurs, dans
le domaine des services, est-ce que vous pouvez nous dire aujourd'hui quels
sont les précautions à prendre concernant le libre-échange
et le secteur des services, face à cette forte proportion que vous
détenez, vous êtes certainement très bien placé par
vos contacts? J'imagine que vous avez dû avoir une consultation
auprès de toutes ces grandes firmes dans le fameux secteur des services.
Parce que Montréal est beaucoup mieux placée sur le plan des
entreprises de services que sur le plan des industries
manufacturières.
M. Garcia: Je pense qu'on doit s'inspirer, pour répondre
à cette question, d'un exemple. Une des raisons pour laquelle les
services aux entreprises se sont développés à
Montréal s'explique en bonne partie, par le faire-faire, tel que l'a
pratiqué Hydro-Québec au début des années soixante.
Il est certain que, avant qu'une entreprise puisse exporter son expertise sur
les marchés internationaux, elle doit être en mesure de
développer cette expertise dans son marché local. C'est un
domaine où on est en mesure de concurrencer; la preuve, c'est qu'on le
fait déjà. Je pense que les gouvernements pourraient
peut-être s'inspirer encore davantage de l'exemple américain dans
ce domaine. Les Américains font encore plus appel que nous à
l'entreprise privée pour
faire faire les choses, plutôt que de les faire eux-mêmes.
Cela pourrait aider ce secteur encore davantage. II y a aussi les sciences de
la comptabilité qui sont très fortes à Montréal.
Les bottes de comptabilité représentent une proportion importante
de nos membres, les grands bureaux d'avocats, et tout cela. Ces gens sont en
mesure de se défendre sur les marchés internationaux. On
suggère, entre autres... Par exemple, dans le domaine de la
défense américaine, la façon dont le gouvernement
fédéral américain octroie son argent pour la recherche et
le développement a aidé énormément au
développement de l'industrie de pointe en Californie et autour de
Boston, dans ces secteurs. Au Canada, lorsqu'on a des contrats de
défense, on a tendance à acheter de la technologie
étrangère. On dépense très peu d'argent en
recherche et en développement. Alors, quand on parle de faire faire,
c'est à ce genre de chose auquel on pense. Si on pouvait
développer ici du faire-faire encore davantage dans d'autres secteurs,
on aurait peut-être un plus grand dynamisme, et on serait en mesure de
concurrencer à l'étranger dans d'autres secteurs.
Personnellement, à ce moment-ci, pour répondre de
façon plus précise à votre question, je ne vois pas de
précaution particulière, sauf cette question du faire-faire,
parce que si les Américains obtiennent plus d'expertise par une
politique différente de faire-faire, plus vaste chez eux, ils vont
être en mesure de concurrencer nos entreprises chez nous. Ce n'est pas
vraiment... C'est à cet égard que je vois une précaution
à prendre.
Le Président (M. Théorêt): Merci. M. le
député de La Peltrie.
M. Cannon: Merci, M. le Président. La question s'adresse
à Mme Dionne-Marsolais surtout pour traiter deux aspects, parce qu'elle
est la personne toute désignée pour pouvoir y répondre,
d'une part, à cause de sa formation et, d'autre part, à cause du
travail qu'elle a effectué pour le compte du gouvernement du
Québec depuis les dernières années, à titre de
déléguée générale du Québec à
New York.
On a entendu beaucoup parler depuis quelque temps du processus canadien,
de l'accord qu'il y avait avec les différents gouvernements pour fixer
et déterminer les objectifs que poursuivait le gouvernement canadien
dans les négociations bilatérales. J'aimerais vous demander, vous
qui avez été un témoin, vous qui avez vu de près la
réaction du "Finance Commitee" du Sénat l'an passé, le
vote serré pour l'accord du "Fast Track" et aujourd'hui les
difficultés qu'il semble y avoir au "Trade Bill", connaissant un peu le
pouvoir qui est en place entre la Chambre des représentants et le
Sénat, est-ce que vous y voyez une certaine difficulté d'accepter
cela? Est-ce que vous y voyez également des "trade off" qu'il pourrait y
avoir entre l'administration pour faire accepter cette formule avec ce qui se
passe actuellement avec le "Trade Bill"? Pourriez commenter ce point?
Mme Dionne-Marsolais: Oui, je vais répéter votre
question pour être sûre que je la comprends bien. Vous voulez
savoir si je pense qu'il y aurait des difficultés à avoir l'appui
du Congrès et de la Chambre des représentants à un projet
qui serait convenu entre les deux représentants des gouvernements
canadien et américain, le 5 octobre?
M. Cannon: Oui.
Mme Dionne-Marsolais; Si on a...
M. Cannon: Compte tenu aussi de la faiblesse de l'administration
Reagan à cet égard.
Mme Dionne-Marsolais: Du président vis-à-vis de son
Congrès. Il est certain que cela ne sera pas une chose facile pour le
président d'aller se chercher des appuis, surtout que durant cette
période, durant les trois prochains mois, il va passer dans sa
dernière année avant la prochaine élection
présidentielle. Donc, il est évident qu'il faudra qu'il utilise
toute la stratégie, toute la finesse et tous les moyens pour obtenir des
appuis s'il veut obtenir l'appui du Congrès à une telle entente.
Mais encore là, je pense qu'il n'y a personne actuellement qui peut dire
si le Congrès l'appuierait ou pas. Il y a une chose qui est très
vraie et très juste. Au Canada, certains milieux éclairés
en sont conscients, mais plusieurs milieux ne semblent pas réaliser le
poids de ce qui se passe aux États-Unis avec le "Trade bill", dont vous
parlez, et je devrais dire l'ensemble des "Trade Bills". Je pense qu'il y en
350 actuellement qui ont été soumis depuis six mois aux
États-Unis pour enrayer les pratiques de commerce étranger aux
États-Unis. C'est causé par l'invasion des Japonais et de leurs
investissements aux États-Unis qui troublent un peu les dirigeants
américains. Parce que le pouvoir financier et décisionnel semble
graduellement glisser entre les mains étrangères, notamment les
Japonais. De plus, je ne sais pas si vous avez lu le dernier Business Week de
la semaine dernière, mais on parlait encore de pressions contre
l'industrie bancaire américaine, des pressions qui étaient faites
pour éviter et empêcher ou limiter l'achat et le
développement des maisons de courtage japonaises. En fait on utilisait
l'expression "étrangère", à Wall Street. C'est très
inquiétant, parce que les représentants des États au
Congrès, ce sont des représentants
qui sont élus dans des régions où les
problèmes sont très précis et très limités.
Quand ils arrivent à Washington, les grands problèmes nationaux,
donc une entente bilatérale Canada-États-Unis, cela commence
à être un peu loin de leur préoccupation. Leur
préoccupation, c'est de se faire élire trois ou quatre ans plus
tard. Donc, il y a une très grosse pression au Congrès pour
protéger, un peu comme à l'époque de Smooth et Hawley. Les
anciens, les spécialistes de la question, disent que c'est le même
climat. Il y a une tendance protectionniste très grande. Et même
si le président décidait qu'il faut que cela se signe, il aurait
besoin de faire beaucoup de négociations et d'échanges pour avoir
les appuis adéquats pour être capable de signer avec un minimum
d'appuis, au moins au niveau du public.
M. Parent (Bertrand): Merci.
Le Président (M. Théorêt): M. le
député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Dans la
même foulée que mon collègue sur le fameux secteur
bancaire, se.cteur financier, cela me préoccupe beaucoup, étant
donné que vous avez, je pense, une forte concentration et très
représentative de ce qui se passe au Québec sur le plan de ces
services. Dans l'étude qui a été faite par M. Pierre-Paul
Proulx, page 409, étude que j'ai parcourue avec intérêt -et
qui n'est pas publique, soit dit en passant, mais il y a des études
comme cela qu'on réussit à obtenir - on mentionne...
M. MacDonald: Pourriez-vous la rendre publique?
M. Parent (Bertrand): Je ne suis pas l'auteur, donc ce n'est pas
à moi de la rendre publique. On en est arrivé à un point
tel qu'il faut avoir la permission de l'Opposition, c'est merveilleux. Il faut
bien se détendre de temps en temps.
Quant au secteur financier, voici ce qu'on dit particulièrement.
Je vais le lire, parce que cela me semble important. Je voudrais savoir
essentiellement, à cet égard, ce que la Chambre de commerce a
fait ou entend faire en termes de démarche ou de pression auprès
du gouvernement canadien, pour être capable de bien représenter
ses membres dans ce secteur.
On a vu que les marchés financiers mondiaux - dit M. Proulx dans
son rapport -se tournent de plus en plus vers une libéralisation des
activités commerciales. Si le Canada devait chercher à
préserver la séparation entre les quatre paliers, soit les
banques, trusts, assurances et courtage, cela serait d'un grand poids pour les
institutions financières canadiennes. Il deviendrait fort difficile pour
celles-ci de maintenir une certaine compétitivité
vis-à-vis des institutions étrangères, le
développement et la croissance des marchés. Ainsi, face à
la législation ontarienne qui restreint la propriété
canadienne, la Banque royale, entre autres, recommande une équité
compétitive pour permettre aux banques à charte d'offrir des
services que fournissent les conglomérats financiers, soit
investissements bancaires, assurances, immobiliers. Mais il est important de
reconnaître que les banques et les firmes de courtage aux
États-Unis comme au Canada vont être exposées à plus
de risques que jamais auparavant, suite aux changements importants attendus
dans les règlements et le système législatif.
L'assouplissement du "Bank Act" et le plein accès des banques au
marché financier peut entraîner une forte concurrence, face
à ce secteur, liée aux transactions d'actions.
L'expérience récente à Londres - il donne l'exemple
-permet d'observer les problèmes d'adaptation des PME londoniennes dans
ce secteur et permet de déterminer comment les pouvoirs publics pourront
aider aux entreprises autochtones de s'adapter avec profit à ces
mutations profondes. La situation de la réglementation financière
aux États-Unis dont les restrictions à "interstate banking" sont
telles qu'il est indiqué d'être très prudent et de demander
une certaine réciprocité pour les institutions canadiennes aux
États-Unis, car le marché canadien est national et de plus en
plus réglementé.
Alors, je pense qu'on n'a parlé que très peu à ce
jour de tout le secteur des services. J'aimerais savoir si la Chambre de
commerce, en tant qu'organisme représentatif et tout ça, va faire
quelque chose dans ce sens-là et si elle a fait quelque chose. (13 h
45)
M. Garcia: Nous n'avons pas fait d'autre représentation.
C'est la première fois que nous faisons des représentations sur
le libre-échange, aujourd'hui Mais, comme vous l'avez souligné,
aux États-Unis, il y a énormément de restrictions. Par
exemple, les banques ne peuvent pas faire de l'assurance et les compagnies
d'assurances ne peuvent pas faire de la banque. Il y a une législation
qui date des années trente qui empêche les entreprises, même
américaines ou étrangères qui s'installent aux
États-Unis, de faire... elles sont obligées de choisir entre
faire de l'assurance et faire de la banque. Donc, le conglomérat
financier, même aux États-Unis, n'est pas pour demain. Il y a
aussi les restrictions dont vous avez parlé. Il y a plus de
restrictions, finalement, sur le marché américain qu'au Canada,
dans ce secteur. Relativement au secteur financier, il y a déjà
un libre-échange dans le domaine de l'assurance entre les
États-Unis et le Canada; que ce soit l'assurance des personnes
ou l'assurance générale, il y a un libre-échange,
non seulement avec les États-Unis, mais avec les autres pays.
L'entrée sur le marché canadien pour les compagnies
étrangères est facile. Elles n'ont qu'à s'installer et
à faire des affaires. Il n'y a pas de problème de ce
côté-là et c'est vrai également pour les compagnies
canadiennes, elles peuvent aller faire des affaires à l'étranger.
Effectivement, dans le domaine de l'assurance-vie, par exemple, le Canada a une
balance commerciale favorable et dans le domaine de l'assurance commerciale,
une balance défavorable. Il reste qu'il y a un libre-échange dans
ce secteur-là.
Dans le domaine bancaire, il y a le problème de la
propriété qui est loin d'être résolu, je ne sais pas
ce que l'accord du libre-échange va faire à ce sujet. Est-ce que
l'accord du libre-échange va interdire les restrictions sur la
propriété? C'est une question...
M. Parent (Bertrand): Le secteur des investissements devient
important, c'est la question de la propriété puis, même
dans le domaine des assurances aussi, perte de contrôle.
M. Garcia: À ce stade-ci, je ne veux pas me
réfugier derrière l'accord, mais on aimerait mieux voir l'accord.
Est-ce que l'accord va en parler? Est-ce que l'accord va parler des
institutions financières? Comme je vous dis, dans certains secteurs, il
n'a pas besoin d'en parler parce que cela existe déjà. C'est
sûr que dans le domaine de la banque, il y a des restrictions importantes
au Canada, puisque les banques étrangères sont restreintes par
leur capital à 16 % du marché canadien alors, c'est une
restriction qui est fort impartante dans les accords. Je ne sais pas si c'est
en discussion, je ne suis pas en mesure de vous... À ce stade-ci, la
chambre s'est limitée à une présentation peut-être
globale. Il faut attendre un texte d'accord pour voir si on doit intervenir
dans un secteur comme le domaine financier. Je pense qu'un accord serait
favorable mais, encore là, il faut déterminer qu'il va couvrir.
Un autre facteur aussi, est-ce que l'accord va couvrir uniquement les
échanges ou s'il va couvrir la propriété? Parce que,
relativement au domaine financier, à la propriété des
institutions financières, les pays sont beaucoup plus jaloux de leur
souverainneté dans ce secteur-là que dans le secteur
manufacturier ou dans le secteur des services.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
ministre. Nous vous rappelons qu'il reste cinq minutes à votre
formation.
M. MacDonald: Je m'en voudrais, compte tenu de mes
antécédents, de ne pas faire quelques mentions en ce qui a trait
à cette question et cet intérêt vis-à-vis du secteur
financier. Comme vous disiez, il y a libre marché au niveau des
assurances, il y a difficulté actuellement au niveau des banques mais la
réalité, c'est que les Américains, dans les industries
financières américaines, même s'ils disposent de capitaux
quelquefois beaucoup plus importants, ont peur des Canadiens qui ont
démontré une capacité d'innovation, qui ont
démontré une capacité de mettre en place des
réseaux d'informatique à travers le pays à terminaux
multiples et une capacité de s'en servir et de s'en servir très
bien. On n'a qu'à regarder simplement dans la province de Québec
ce que le Mouvement Desjardins a réussi à mettre en place et la
façon avec laquelle il a progressé au cours des dernières
années. C'est assez extraordinaire.
Cela dit, j'aimerais peut-être revenir à la question que je
voulais poser à Mme Dionne-Marsolais.
Vous avez, madame, jusqu'à il y a quelques mois, reçu,
à la délégation générale du Québec,
des représentants du monde des affaires américains mais, pas
seulement du monde des affaires.
Vous avez remarqué, chez certains, non pas une opposition
à l'entente mais, plutôt, une indifférence ou une
ignorance. Voua avez eu l'occasion, particulièrement au cours des
derniers mois que vous étiez là, de sentir le protectionnisme
américain, sans aucun doute, et aussi de voir l'ouverture d'esprit chez
d'autres. Sans vouloir m'immiscer dans la confidentialité de votre salon
à ce moment-là, pourriez-vous révéler un peu les
observations, peut-être les plus candides, qui vous ont été
faites sur ce sujet?
Mme Dionne-Marsolais: Sur l'intérêt de
l'échange ou sur la préoccupation de l'échange. Bien, cela
varie un peu. Ceux qui n'ont pas d'intérêt au Canada, donc ceux
qui ne font pas affaire au Canada ne sont pas encore sensibilisés et
attendent le projet, cela, je l'ai dit tout à l'heure. Ceux qui ont
déjà fait affaire au Canada et, pour des raisons historiques, ont
retiré leurs intérêts ou vendu leurs intérêts
et ont orienté leurs efforts ailleurs, craignent beaucoup la concurrence
canadienne. Actuellement, ils font beaucoup de lobby pour protéger leur
secteur industriel. Ceux, comme les milieux financiers, qui, comme vous l'avez
très bien dit, trouvent le Canada particulièrement dynamique sur
le plan des services financiers et des autres services connexes, que ce soit
ingénierie, informatique, toute la gamrne des services, craignent mais
aimeraient beaucoup s'affronter en concurrence avec les Canadiens, parce qu'on
trouve ici, en particulier, je dirais au Québec, que nos qens d'affaires
ont une créativité, une façon
d'attaquer le marché américain assez unique.
On n'a pas beaucoup le choix dans cette discussion-là parce que,
ce qui ressort, si on continue le statu quo, il y aura de plus en plus
d'opposition organisée de la part d'industriels qui n'ont pas
d'intérêt ici et qui ne peuvent pas, autrement dit, trouver de
solution à leurs problèmes en s'installant ici. Je pense que cela
est plus important.
Au niveau de l'ensemble des discussions, je ne sais pas si j'ai
répondu à votre question mais, honnêtement, elle
était un peu vaste mais, en gros, ce sont les trois...
M. MacDonald: J'apprécie plus vaste que vague...
Oui, vous y avez répondu en partie. Je vous remercie de votre
intervention.
Le Président (M. Théorêt): Merci. M. le
député de Bertrand en vous rappelant vous aussi qu'il vous reste
quatre minutes pour conclure.
M. Parent (Bertrand): Merci. Dans vos conclusions, pages 15, 16
et 17, vous mentionnez certaines choses, entre autres, que cela va prendre des
périodes de transition appropriées; si j'ai bien compris, vous
pourriez le préciser. Vous ne vous êtes arrêté sur
les différents facteurs, les différentes périodes mais, de
façon générale, vous êtes en faveur, bien sûr,
des périodes de transition qui pourront varier, si j'ai bien compris,
selon des facteurs et des vulnérabilités.
Comme le disait si bien Mme Dionne-Marsolais, il y a quelques minutes,
les entreprises québécoises sont de plus en plus créatives
et c'est ce qu'il leur permet dans beaucoup de cas de pouvoir percer le
marché américain, entre autres, et les autres marchés.
Qu'est-ce que vous préconisez vous, en tant que chambre de commerce, en
tant que président de cet organisme important, que le gouvernement
devrait faire pour fournir le support, les outils pour aider justement à
continuer à ce qu'il y ait encore de la créativité, de la
recherche et du développement? Êtes-vous en faveur d'un support ou
si vous croyez que le dynamisme actuellement est un dynamisme capable, à
toutes fins utiles, de s'organiser par lui-même ou s'il doit y avoir un
support et une collaboration et des choses bien précises à mettre
dans le coffre à outils des entreprises face au
libre-échange?
M. Garcia: Comme je disais tantôt, je pense que la
façon la plus efficace pour le gouvernement d'aider nos entreprises
à se développer, c'est de recourir au faire faire, comme on l'a
fait à Hydro-Québec dans les années soixante. On a permis
le développement de multinationales du génie conseil à
Montréal. Ces entreprises-là exportent maintenant leur
savoir-faire à travers le monde. C'est certain que si
Hydro-Québec n'avait pas fait cela, ce n'est pas certain que ces
entreprises seraient là aujourd'hui. Ce n'est pas des subventions qu'on
demande; je pense qu'on dit au gouvernement: regardez donc vos activités
et ce qui, dans ces activités-là, pourraient être
confié à l'entreprise privée moyennant
rémunération appropriée. Comment pourrait-on en arriver
à favoriser justement l'émergence de nouvelles entreprises? En
d'autres termes, donnez-nous un marché. C'est cela qu'on dit. On
discute, dans le moment, avec le gouvernement fédéral sur la
question des aéroports de Montréal, on voudrait que la gestion
des aéroports soit confiée à Montréal. Quand la
chambre a lancé cette idée, il y a une couple d'années,
elle s'inspirait du modèle américain de gestion des
aéroports. On est convaincu que c'est un instrument de
développement économique et que si c'est géré par
la communauté d'affaires régionale, cela va être
géré de façon plus efficace. C'est ce genre de chose qu'on
demande. Donnez-nous des outils et on va se charger de les utiliser au plus
grand profit de l'économie de Montréal. Maintenant, je ne sais
pas si Rita veut ajouter quelque chose?
M. Parent (Bertrand): Alors, en terminant, puisque mon temps est
écoulé, je tiens à vous remercier pour cet apport, cette
présentation, aussi de vous être déplacés pour venir
devant cette commission parlementaire qui, à mon avis, est très
importante. J'aimerais vous dire que la Chambre de commerce, le gouvernement et
moi-même sommes d'accord sur une chose concernant l'agence spatiale et la
publicité qu'on a faite, on va se permettre de la repasser:
"Montréal c'est spatial."
Le Président (M. Théorêt): M. Garcia, Mme
Dionne-Marsolais et Mme Doré, les membres de la commission de
l'économie du travail vous remercient de votre participation et vous
souhaitent un bon voyage de retour.
Les travaux de la commission sont maintenant suspendus jusqu'à 15
heures.
(Suspension de la séance 13 h 57)
(Reprise à 15 h 13)
Le Président (M. Charbonneau):
Mesdames et Messieurs, on reprend la consultation générale
sur la libéralisation des échanges entre le Canada et les
États-Unis. Avant d'accueillir les invités de cet
après-midi, je voudrais demander le consentement pour le remplacement du
député de Taschereau par le député de
Montmagny-L'Islet. Voyant votre enthousiasme à répondre, je
comprends qu'il y a
consentement unanime. C'est fait. Le secrétaire de la commission
en prend note.
Nous accueillons cet après-midi la Coalition
québécoise d'opposition au libre-échange. Nous
reconnaissons des visages familiers à la commission de l'économie
et du travail. Je souhaite la bienvenue à M. Laberge, à M.
Larose, à M. Charbonneau, à M. Proulx et à leurs
collaborateurs,, Je vous indique que vous avez - si je regarde l'horaire, c'est
différents on a trois heures -au moins de 40 minutes à une heure
au maximum pour la présentation de votre mémoire et de vos points
de vue. Le reste du temps sera consacré à l'échange. Je
présume que plus il restera de temps pour les échanges, plus ce
sera à la fois utile et intéressant pour aller dans les
détails, si on se fie aux expériences qu'on a eues hier avec
l'UPA, où on a eu la chance d'aller plus en détail. Sans plus
tarder, je ne sais pas lequel d'entre vous, c'est M. Larose... M. Larose, je
vous souhaite encore une fois la bienvenue. Pour les fins du Journal des
débats, je vous demanderais d'identifier vos collègues les
plus illustres et les moins illustres qui pourraient éventuellement
prendre la parole également.
M. Larose (Gérald): Ce sont tous des collègues
utiles pour les fins du débat.
Le Président (M. Charbonneau): Je n'en doute point.
M. Larose: En vous remerciant de nous recevoir, je vous
présente effectivement les membres de la Coalition
québécoise d'opposition au libre-échange, porte-parole de
la Coalition québécoise d'opposition au libre-échange, en
commençant par ma gauche: M. Louis Laberge, que vous connaissez bien, de
la Fédération des travailleuses et travailleurs du Québec;
M. Yvon Charbonneau, de la Centrale de l'enseignement du Québec
accompagné de M. Richard Langlois, économiste, de la Centrale de
l'enseignement du Québec et de M, Denis Boudreau, économiste, de
la Fédération des travailleuses et travailleurs du Québec.
À ma droite, M. Jacques Proulx, président de l'Union des
producteurs agricoles; M. Yvan Loubier, économiste, de l'Union des
producteurs agricoles et M. Peter Bakvis, de la Confédération des
syndicats nationaux. Derrière, il y a d'autres gens. Si jamais le
débat devenait serré et que vous essayiez de nous coller avec des
chiffres, je vous préviens, on est bardé d'informateurs
derrière nous pour pouvoir répondre à toutes vos
questions.
Une voix: Des informateurs.
Le Président (M. Charbonneau): Le mot "informateur", par
les temps qui courent, peut avoir différentes connotations.
M. Larose: Ce n'est pas... On ne les a pas infiltrés et on
ne pense pas que ce soit des agents provocateurs.
Des voix: Ha! Ha!
Condition québécoise d'opposition au
libre-échange
M. Larose: Selon la bonne vieille méthode qui dit qu'il
vaut mieux lire un texte que de le commenter, puisque c'est plus court en le
lisant, nous avons l'intention de lire le document qui est un document
synthèse. Je pense que ce sera une excellente base pour ouvrir le
débat. Pour ne pas trop vous ennuyer, on s'est réparti la lecture
de ces 23 pages,,
Au nom des quatres organisations qui composent la Coalition
québécoise d'opposition au libre-échange, il nous fait
plaisir de profiter de la tenue de cette commission parlementaire pour exprimer
notre point de vue concernant les négociations sur le
libre-échange qui ont cours actuellement entre le Canada et les
États-Unis et qui, le cas échéant, lieront les provinces
au niveau des échanges extérieurs y compris le commerce
interprovincial.
Permettez-nous tout d'abord de présenter la coalition. Les quatre
organisations qui la composent sont: la Centrale de l'enseignement du
Québec, la Confédération des syndicats nationaux, la
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec et
l'Union des producteurs agricoles qui représentent la très grande
majorité des travailleuses et des travailleurs syndiqués, ainsi
que les productrices et producteurs agricoles du Québec. Nous
représentons ceux et celles qui vivent essentiellement de leur travail,
que ce soit sur des fermes, dans des mines, en forêt, dans des industries
manufacturières, dans des services publics et privés et, à
ce titre, ont à coeur le développement économique et
social du Québec.
Depuis l'annonce du premier ministre Mulroney, en mars 1985, de son
intention de négocier un traité de libre-échange, chacune
de nos organisations a procédé à des analyses sur les
effets du libre-échange dans son milieu, ainsi qu'à des
débats sur le sujet dans ses instances. Ce n'est qu'après avoir
fait ces réflexions et en être arrivées aux mêmes
conclusions quant aux effets néfastes d'un traité de
libre-échange que la CEQ, la CSN, la FTQ et l'UPA ont
décidé de créer la Coalition québécoise
d'opposition au libre-échange en août 1986.
Les quatre organisations tiennent à exprimer leur opposition
farouche à ce projet de libre-échange. Nous concluons que ce
projet aurait des conséquences désastreuses
sur le niveau d'emploi, sur de nombreux programmes économiques et
sociaux ainsi que sur l'identité culturelle du Québec et du
Canada. Nous insistons sur le danger que représentent ces
négociations pour notre avenir collectif. Nous rappelons que le
gouvernement canadien n'a jamais reçu aucun mandat populaire pour les
entamer. C'est pourquoi nous lançons un appel à toutes les
organisations et individus qui partagent nos préoccupations, afin qu'ils
se joignent au mouvement et fassent connaître l'opposition des
Québécoises et des Québécois au
libre-échange.
Nous avons créé la coalition afin de faire valoir notre
opposition à ces négociations commerciales avec les
États-Unis pour approfondir ensemble nos connaissances sur le sujet et
afn de contribuer au débat public sur les enjeux du
libre-échange.
Nous avons, de plus, complété huit études
sectorielles ou thématiques sur le sujet, études dont nous
déposons copies aujourd'hui. Il s'agit d'études à la fois
volumineuses - quelque 600 pages - et documentées que nous n'avons pas
eu peur de soumettre au débat public et dont personne n'a remis en cause
les conclusions. Notre approche, à savoir de favoriser le débat
public sur le libre-échange, n'a malheureusement pas été
imitée par les gouvernements fédéral et
québécois. Non seulement ces gouvernements ont-ils gardé
sous le sceau de la confidentialité la plupart des études qu'ils
ont accomplies sur le sujet, mais ils n'ont suscité aucun débat
sur le sujet.
Les nombreuses consultations à travers nos instances respectives
et auprès des travailleuses et des travailleurs et auprès du
public nous révèlent que le libre-échanqe constitue un
danger très sérieux pour l'économie du Québec et
ses perspectives de développement industriel, social et culturel.
D'abord, des conséquences désastreuses sur l'emploi sont
prévisibles au chapitre manufacturier où notre écart de
productivité avec les Américains est de l'ordre de 25 %, et aussi
dans l'agriculture et dans les services.
Une inquiétude de taille est aussi exprimée quant à
l'élasticité du concept de libre-échange. En partant de
l'abolition des tarifs douaniers, l'accord éventuel s'attaquerait aux
barrières non tarifaires dont la liste s'allonge de semaine en semaine.
On ne parle plus seulement des embêtements administratifs, de permis
d'exporter ou de formalités de douanes. On discute de
réglementation, de privatisation de sociétés d'Etat, de
politiques industrielles, comme le développement régional ou,
encore, de contrôles de l'investissement. Il y a tout lieu de craindre
que plusieurs programmes sociaux ainsi que nos industries culturelles et
agricoles seront aussi irrémédiablement affaiblies par le
libre-échange.
La toile de fond sur laquelle se jouent actuellement les
négociations d'une entente de libre-échange entre le Canada et
les États-Unis nous semble relativement défavorable. Les
entreprises québécoises sont, dans l'ensemble, moins productives
que leurs contreparties américaines. Plusieurs secteurs
économiques sont dominés par des filiales d'entreprises
américaines. La faiblesse du dollar canadien constitue pour les
entreprises exportatrices une protection des plus aléatoires.
La forte concentration au Québec d'industries intensives en
main-d'oeuvre et l'apport appréciable d'expéditions
manufacturières dans tout le Canada à l'abri de la protection
tarifaire nous fait anticiper le pire. La pression énorme sur les
coûts de production, ce que d'autres appellent la réorganisation
industrielle, remettra en cause les conditions de salaire et les avantages
sociaux d'un grand nombre de travailleuses et de travailleurs. Dans le sillage
de l'ouverture des frontières, la peur de perdre leur emploi pourrait
amener des syndiqués à accepter des concessions sur des
conditions de travail acquises.
Les débordements du libre-échange sur l'autonomie
politique de nos gouvernements en matière de protection de l'emploi et
de développement empêcheront, à toutes fins utiles, la mise
en place de programmes d'aide et de transition adéquats.
Nous avons scruté de très nombreuses études sur les
incidences industrielles et sociales du libre-échange, plusieurs y
étant favorables et certaines soulevant des inquiétudes de
taille. De toutes les études rendues publiques, nous croyons que les
plus crédibles sont celles qui tentent de qualifier et de chiffrer les
coûts d'ajustement de notre économie sur notre autonomie
politique.
Voici en résumé les conclusions des huit études
sectorielles ou thématiques portant sur les conséquences du
libre-échange que nous avons réalisées depuis un an. Pour
chacune des industries étudiées, nous avons examiné les
types de protection qui existent actuellement, tant aux États-Unis qu'au
Canada, pour ensuite en examiner l'impact sur l'industrie ou le programme en
question. Nous avons évalué aussi bien la possibilité pour
les industries examinées d'exporter davantage aux États-Unis
advenant le libre-échange que leur capacité de maintenir leur
part du marché canadien advenant l'ouverture des marchés.
Plusieurs productions agricoles au Québec sont encadrées
par un système de gestion de l'offre établi par les plans
conjoints de mise en marché. Les programmes de stabilisation de revenu,
le crédit agricole et les programmes pour divers
types de production constituent d'autres politiques que pourrait
remettre en cause un traité de libre-échange global.
Selon notre étude portant sur le secteur agro-alimentaire
publiée en février dernier, la remise en cause des
différentes politiques qui ont permis une croissance et une
stabilisation de l'agriculture plongerait plusieurs types de production dans
une instabilité semblable è Celle qui existe aux
États-Unis. De plus, le Québec sortirait perdant d'une ouverture
des marchés dans certaines de nos productions majeures, à savoir
le lait, les oeufs, la volaille, les fruits et légumes. Le
libre-échange pourrait alors se traduire par de nombreuses pertes
d'emplois non seulement dans l'agriculture, domaine dans lequel travaillent 76
000 Québécoises et Québécois, mais également
dans les industries en amont et en aval.
L'industrie de la transformation alimentaire est la deuxième en
importance du secteur manufacturier au Québec. Quelque 50 000 personnes
y travaillent. Le libre-échange n'offre aucune perspective de croissance
pour aucun des sous-secteurs de cette industrie. D'importantes pertes d'emplois
sont cependant prévisibles, soit à cause du recul de la
production agricole qui résulterait du libre-échange, soit
à cause de l'élimination de certaines barrières
spécifiques. Ces dernières sont déterminantes dans les
industries de la bière et du vin à cause des politiques de vente
appliquées par le Québec. Le libre-échange imposerait un
recul important aux brasseries québécoises et la
quasi-disparition de l'industrie vinicole naissante. La réduction des
productions agricoles pourrait provoquer d'autres pertes d'emplois dans les
abattoirs et les salaisons, dans les industries de transformation de fruits et
légumes, dans la transformation laitière ainsi que dans
l'industrie de la moulée. Le risque est d'autant plus grand que dans
tous ces secteurs il existe d'importants surplus de capacité de
production aux États-Unis.
Métallurgie et chimie. Une première étude de la
'coalition publiée en novembre dernier porte sur sept secteurs
industriels importants qui emploient 200 000 personnes au Québec:
machinerie et outillage, fabrication de produits en métal, fabrication
de produits électriques ou électroniques, produits chimiques,
transformation première des métaux, produits minéraux non
métalliques, équipements de transport. Pour ces secteurs, les
tarifs douaniers - beaucoup plus importants au Canada qu'aux États-Unis
- ainsi que, dans certains cas, les politiques d'achat
préférentielles des gouvernements constituent des protections
essentielles. Il s'agit de secteurs dans lesquels, de façon
générale, les entreprises situées au Québec
souffrent d'une faiblesse de productivité par rapport aux entreprises
américaines. Le fait que plusieurs de ces entreprises établies
ici soient des filiales de sociétés américaines constitue
un autre point négatif advenant une entente sur le libre-échange.
En effet, ces sociétés auraient tendance à rationaliser
leur production pour ne produire qu'à partir de leurs entreprises aux
États-Unis.
Globalement, le libre-échange, dans la mesure où il se
traduirait par l'abolition des tarifs douaniers et la fin des politiques
d'achat préférentielles, entraînerait des fermetures et des
pertes d'emplois importantes dans tous les secteurs précités,
mais particulièrement dans ceux qui suivent, à savoir la
machinerie, les produits métalliques, les produits de toilette, les
produits électriques, les carosseries de camions, de remorques et les
pièces d'automobile.
Nous n'avons identifié que quelques secteurs qui seraient en
meilleure situation concurrentielle face au libre-échange, nous les
citons: le magnésium, les produits du verre, de céramique et de
béton.
La plupart des entreprises de ces secteurs qui pourraient
théoriquement bénéficier d'un meilleur accès au
marché américain sont déjà en situation de
libre-échange. C'est le cas de nos exportations d'aluminium, de cuivre
et de zinc. Cependant, si le libre-échange devait se traduire par une
remise en cause des tarifs d'électricité peu élevés
au Québec, qui seraient interprétés comme des subventions
déguisées, cela pourrait avoir des conséquences
désastreuses particulièrement pour l'avenir de l'industrie
québécoise de l'aluminium.
Le secteur des produits forestiers - le bois de construction, les
meubles, les pâtes et papiers - est parfois perçu comme un secteur
fort basé sur nos ressources abondantes et qui a tout à gagner du
libre-échange. L'étude de la coalition concernant ce secteur qui
emploie 80 000 Québécoises et Québécois a pourtant
permis de constater qu'aucun sous-secteur des industries des produits
forestiers ne fera de gain avec le libre-échange. Par contre, selon
cette étude publiée en mai, certains sous-secteurs ont beaucoup
à perdre.
C'est le cas notamment de l'industrie du meuble, celle des papiers fins,
hygiéniques et d'emballage et celle des cartons. Ces industries
bénéficient de protection douanière importante au Canada,
alors que les tarifs américains sont peu élevés, et sont
malgré tout menacées par la vive concurrence des importations en
provenance des États-Unis. Le libre-échange pourrait donner le
coup de grâce à plusieurs usines moins avancées au niveau
technologique et entraîner la perte de milliers d'emplois. (15 h 30)
Le secteur du bois de construction du Québec a réussi
à faire une percée
importante aux États-Unis, mais, à la faveur du taux de
change, lui a valu l'imposition de droits de douane compensateurs par les
Américains. Les négociations et le règlement entourant
cette mesure entre le Canada et les États-Unis donnent un bon
aperçu de ce qui pourrait constituer un traité de
libre-échange. Sous la menace de mesures protectionnistes de Washington,
Ottawa s'est plié aux politiques économiques dictées par
les Américains, en l'occurrence l'application d'une taxe spéciale
sur les exportations du bois afin de préserver son accès garanti
au marché américain. Cela est arrivé, rappelons-le, dans
une industrie qui était déjà en situation de
libre-échange avant que Washington, au beau milieu des
négociations concernant le libre-échange, ne décide
d'appliquer cette nouvelle mesure protectionniste.
Un autre produit d'exportation important, le papier journal, est
également déjà en situation de libre-échange. Tout
comme la question des droits de coupe a servi de prétexte aux
Américains pour imposer une taxe sur le bois d'oeuvre, certains
porte-parole d'industries américaines ont laissé savoir qu'ils
pourraient éventuellement contester les avantaqes procurés par
nos tarifs d'électricité peu élevés à
l'industrie des pâtes et papiers.
Un traité de libre-échange, loin de nous protéger
contre ce genre de démarche, rendra nos industries encore plus
vulnérables puisque d'éventuels mécanismes de
règlement de litiges fourniraient aux industries américaines un
forum commode et tout à fait légal, contrairement aux mesures
protectionnistes unilatérales, pour attaquer les programmes ou
politiques de développement industriel et régional.
Lorsque le gouvernement déclare que ça ne sert à
rien de protéger les secteurs mous parce qu'ils sont en voie de
disparition, il oublie un peu vite que plus de 100 000
Québécoises et Québécois travaillent dans
l'industrie du textile, vêtement, chaussure. C'est un secteur qui serait
ravagé par le libre-échange et où le Québec serait
touché beaucoup plus durement que les autres provinces puisque 55 % de
tous les emplois canadiens se trouvent au Québec. On se demande bien
dans quel secteur le gouvernement a tant reclassé toutes les femmes qui
occupent 64 % des emplois et tous les hommes qui seraient
déplacés advenant une entente de libre-échange.
Une étude sur les secteurs textile -vêtement - chaussure,
publiée en février, nous a permis de constater que les tarifs
douaniers pour la plupart des productions plus importantes au Canada qu'aux
États-Unis ont constitué une importante protection permettant la
survie de ce secteur. Ce sont les industries du textile, souvent situées
dans des villes monoindustrielles et la production de vêtements
standardisés qui seraient particulièrement affectées par
te libre-échange avec les États-Unis.
En effet, une importante partie de la concurrence faite à la
production québécoise provient d'usines modernes avec des
conditions de travail minimales situées dans le Sud des
États-Unis. Pour les membres de la coalition, il est évident que
la modernisation et la restructuration de l'industrie entamées depuis
quelques années devront se poursuivre afin que l'industrie, . puisse
répondre aux nouveaux besoins du marché et faire face à la
concurrence internationale.
Il nous apparaît évident également que cette
restructuration ne pourra se faire sans l'assistance technique et
financière de l'État. Une entente de libre-échange
pourrait devenir un sérieux handicap à ce rôle. Une telle
entente limiterait grandement la capacité de l'État à
aider les industries en difficulté, cette aide pouvant être
interprétée comme une concurrence déloyale sous un
traité de libre-échange. Était-ce pour mieux
préparer le terrain au libre-échange que le gouvernement
fédéral a déjà aboli l'Office canadien du renouveau
industriel et le Programme d'adaptation de la main-d'oeuvre pour les industries
en difficulté? Si les pressions du libre-échange devaient
s'ajouter aux restructurations déjà en cours, il ne serait pas
exagéré de parler de 40 000 pertes d'emplois dans ces secteurs au
cours des dix prochaines années.
M. Charbonneau (Yvon): Au chapitre de la culture et des
communications, en avril dernier, la coalition a publié une étude
sur la culture et les communications de masse: édition, radio et
télédiffusion, films, théâtre et photographie. La
coalition prévoit que le libre-échange aurait non seulement un
impact négatif sur les 50 000 emplois au Québec dans ce secteur,
mais qu'il constituerait une menace pour la souveraineté et
l'intégrité culturelle du Canada et du Québec.
Le Canada accuse déjà un déficit annuel de 1 000
000 000 $ avec les États-Unis au chapitre des biens et des services
culturels. Ce déficit serait beaucoup plus important n'eut
été le grand nombre de protections imposées par le Canada.
Malgré sa prétention de refuser de négocier la
souveraineté culturelle canadienne, le gouvernement canadien, en
acceptant d'entamer des négociations globales sans aucune exclusion
préalable, n'a pu empêcher les Américains de soumettre une
liste de demandes touchant le secteur culturel. Les Américains
considèrent la question de souveraineté culturelle comme une
couverture déguisée d'activités commerciales et les
protections canadiennes seraient injustifiées du fait que, dans la
plupart des cas, aucune protection semblable n'existe aux
États-Unis.
Rappelons quelques-unes de ces protections: tarif douanier sur les
enregistrements, aucun tarif américain; les entreprises de radio et de
télédiffusion doivent être contrôlées par les
intérêts canadiens; minimum de contenu canadien à la radio
et à la télévision; minimum de musique vocale en
français aux postes francophones; publicité émise
d'éditeurs et de diffuseurs étrangers non déductible
d'impôt; priorité aux postes canadiens dans la
câblodistribution. Rappelons également les sommes importantes
consacrées tant par le fédéral que par le gouvernement du
Québec pour promouvoir la production culturelle canadienne par des
instruments tels Radio-Canada, Radio-Québec, Téléfilm
Canada, les subventions à l'édition et d'autres. Ces
investissements en culture québécoise seraient interdits par une
entente de libre-échange.
En ce qui concerne les services, notre plus récente étude,
complétée ce mois-ci, porte sur les industries de services,
industries dans lesquelles travaillent plus de 70 % de la main-d'oeuvre
québécoise. Plusieurs activités de ce secteur ne sont pas
directement visées par le commerce international, ce qui n'empêche
pas qu'elles pourraient être éventuellement affectées par
les suites d'un traité de libre-échange. C'est le cas, par
exemple, de services publics, comme la santé, qui sentiraient les effets
d'une modification éventuelle de nos programmes sociaux. Mis à
part ces impacts plus indirects, nous évaluons à 400 000 le
nombre d'emplois qui risqueraient d'être directement touchés par
le libre-échange.
Les secteurs les plus touchés sont ceux qui sont le plus
tournés vers le commerce extérieur, c'est-à-dire les
industries financières, le transport, les communications et les services
aux entrepries. Le Canada accuse déjà un déficit, 2 400
000 000 $ en 1986, au chapitre du commerce des services avec les
États-Unis. Selon nos analyses, ce déficit pourrait
s'accroître si le libre-échange de services était
instauré entre le Canada et les États-Unis; il se traduirait par
des pertes d'emplois importantes, ainsi que par des modifications dans la
qualité des services.
Au Canada, le développement de plusieurs services a
été, en bonne partie, induit par l'existence d'une
réglementation stricte, soucieuse du développement
régional. Le libre-échange dans ces secteurs se traduirait
inévitablement par la déréglementation déjà
bien engagée au sud de la frontière et dont les
conséquences inévitables seraient: la fusion et la prise de
contrôle des entreprises, les réductions de service, la baisse
d'emplois et des conditions de travail, la baisse temporaire des tarifs
immédiatement après la déréglementation suivie
d'une hausse de tarifs découlant de la concentration des
entreprises.
Le libre-échange par le biais de la
déréglementation se traduirait par la disparition d'un principe
important dans la tarification des services de transport et de
télécommunications au Canada; celui des subventions
croisées. Ce principe a permis au Canada, malgré sa grande
étendue, d'établir et d'exploiter des réseaux de transport
en régions de même qu'un service de téléphone de
base relativement peu coûteux. Le libre-échange et l'entrée
des transporteurs américains amèneraient une forte concurrence et
un écrémage du marché pour les circuits achalandés
et une dégradation, voire un abandon, des services aux centres les moins
rentables. On évalue à plusieurs milliers les pertes d'emplois
dans les transports au Québec advenant le libre-échange.
Il n'y a pas de doute que le démantèlement des entreprises
d'État, Air Canada, CN, est une donnée du rajustement au
libre-échange.
Dans les télécommunications, la concurrence se ferait au
niveau des appels interurbains: on pourrait s'attendre en effet à ce
qu'une partie des appels interurbains canadiens soit transmise par des
réseaux américains. Les profits réalisés sur les
appels interurbains ne pourront plus servir à réduire les
coûts des services de base comme c'est le cas actuellement. En plus d'une
perte d'emplois et une augmentation du prix du service
téléphonique de base, il y aurait également une perte de
contrôle canadien sur cette industrie.
En ce qui concerne les services aux entreprises, le Canada accuse un
déficit de l'ordre du milliard de dollars envers les États-Unis
au niveau des services de gestion, de recherche et de développement. Ce
déficit s'explique en bonne partie par la forte propriété
américaine de nos industries primaires et secondaires. Puisque le
gouvernement fédéral a déjà aboli l'Agence d'examen
des investissements étrangers et qu'il pourrait abandonner tout
contrôle des investissements, il est fort peu probable que l'on connaisse
un renversement de ce déséquilibre. II y a cependant le danger
que le libre-échange amène un drainage encore plus fort de
contrats de recherche vers les États-Unis. Nombre de ces
activités ne sont réalisées au Canada qu'à cause
des exigences associées aux programmes de subvention à la
recherche et à la réglementation.
On pourrait penser que te libre-échange favorisera l'industrie du
génie-conseil, seul secteur qui connaît un surplus commercial,
secteur de surcroît largement concentré à Montréal.
Il est cependant important de souligner que 80 % des recettes
étrangères de cette industrie provient du tiers-monde, de projets
subventionnés soit par l'ACDI, soit par le biais de taux de financement
préférentiel ou encore de garanties de prêts
par les gouvernements.
Le marché canadien est larqement réservé à
l'industrie canadienne à cause des exigences posées par les
gouvernements fédéral et provinciaux. Cela pourrait ne plus
être le cas après un traité de libre-échange.
Même si l'accord ne contenait qu'une entente de principe sur le
libre-échange dans les services stipulant les modalités à
respecter dans une négociation secteur par secteur, à l'instar de
l'accord Israël-États-Unis conclu en 1985, cet accord forcerait
tout de même le Canada à des concessions importantes lors des
négociations sectorielles. Il se peut que l'accord
Canada-États-Unis aille beaucoup plus loin cependant puisqu'il est
très clair que les Américains veulent démontrer' au reste
du monde, par le biais d'une entente avec le Canada, jusqu'où pourrait
aller les négociations du GATT. On sait que l'ouverture du secteur des
services est la grande priorité américaine.
Chapitre des programmes sociaux. Le premier ministre, M. Mulroney, a
déclaré que les programmes sociaux canadiens ne seraient pas
négociés lors des discussions sur le libre-échange.
L'assurance du premier ministre canadien ne constitue pas de garantie pour que
nos programmes sociaux soient protégés de l'impact du
libre-échange. Déjà, en 1985, la commission Macdonald
prédisait que le libre-échange entre les deux pays
amènerait une harmonisation des programmes sociaux avec le programme
américain puisque l'intégration plus poussée de
l'économie canadienne avec celle des États-Unis exercerait une
pression économique tant sur nos politiques sociales que sur la
fiscalité qui les soutient. La commission Macdonald qui a
encouragé le gouvernement à éliminer l'universalité
des programmes sociaux et à sabrer dans ces mêmes programmes
voyait cela d'un bon oeil. Nous croyons que davantage de
Québécois et de Canadiens questionneraient le penchant
libre-échangiste de notre gouvernement s'ils comprenaient, comme la
commission Macdonald, les répercussions sur nos politiques sociales.
Une étude que la coalition a publié en décembre
1986 a fait état du fossé immense qui sépare les
régimes sociaux canadiens et américains tant au niveau de
l'assurance-chômage et la sécurité du revenu pour les
personnes âgées que de l'assurance-maladie. À
l'opposé des régimes universels existants au Québec, les
États-Unis offrent des régimes beaucoup plus limités et
plus sélectifs. Même si nos programmes sociaux n'étaient
pas visés dans l'actuelle ronde de négociations sur le
libre-échange, il est plus que probable que certains d'entre eux
seraient remis en cause par le biais d'un éventuel mécanisme de
règlement des litiges.
Le négociateur américain, M. Murphy, a déjà
soutenu que certains de nos programmes sociaux constituaient des
barrières au commerce. Déjà le fait que le régime
d'assurance-chômage canadien soit plus généreux envers les
pêcheurs et d'autres travailleurs saisonniers a été
évoqué par certains porte-parole américains comme
étant une subvention indirecte de la part d'Ottawa à ces
industries. (15 h 45)
Qui sait si le régime public d'assurance-maladie au
Québec, partiellement financé par les impôts
généraux, ne serait pas un jour qualifié de subvention
déguisée par les entreprises américaines qui doivent
assumer de très coûteux frais d'assurance privée pour leurs
salariés? Ou encore si nos régimes publics de santé ou
d'assurance auto ne seraient pas contestés parce qu'ils constituent une
concurrence que l'on pourrait qualifier d'indue à l'établissement
de sociétés américaines dans ces mêmes secteurs.
La plus grande pression à la baisse sur notre régime de
sécurité sociale ne sera pas le fait des Américains
d'abord, mais surtout des entreprises du Québec pour qui le
libre-échange est un argument de poids pour réclamer une fois de
plus la réduction des coûts sociaux supportés par les
entreprises. Leurs cibles premières, toujours les mêmes -c'est
à prévoir - la santé et la sécurité au
travail, l'assurance chômage, les coûts généraux de
soutien des revenus.
M. Proulx (Jacques): Les politiques économiques. Une
étude publiée par la coalition en juin a démontré
que le libre-échange aurait pour effet non seulement de bouleverser,
mais de faire disparaître la majorité des politiques canadiennes
et québécoises concernant le développement
économique national et régional. L'analyse volumineuse, que la
coalition a mis en lumière, a démontré que nos voisins du
Sud se sont toujours farouchenement opposés è l'intervention de
l'État dans la planification du développement économique,
alors qu'au Canada, l'application de programmes d'aide gouvernementale
ciblés sectoriellement et géographiquement fait partie de
l'essence même de la fédération canadienne. Ces programmes
qui ont permis un certain équilibrage dans la croissance entre les
régions ne seraient plus applicables sous un code de subvention
adopté lors d'un traité de libre-échange.
Le contrôle de la propriété étrangère
et des investissements par le biais de limites d'acquisition d'actifs
canadiens, d'exigences de retombées locales ou d'ententes de production
devraient être abandonné à cause de son
incompatibilité avec l'ouverture commerciale des marchés.
La réglementation sur les banques, les compagnies d'assurances,
les industries de communications ou les produits culturels pourrait être
sérieusement modifiée dans le sens d'une plus grande
liberté d'action des
entreprises américaines sur notre société. Cela
constitue autant d'outils de développement économique et
d'autonomie politique auxquels Ottawa devrait renoncer.
Il est important de souligner que les programmes provinciaux dans Ies
domaines du développement économique et de la gestion des
ressources naturelles seraient particulièrement visés par une
entente de libre-échange. Ces programmes qui n'ont pas de pendant en ce
qui concerne les États américains seraient
considérés comme des exemples de concurrence déloyale sous
un régime de libre-échange.
Le libre-échange se traduirait donc pour le Québec par un
affaiblissement inacceptable, à nos yeux, de son pouvoir d'intervention
en matière de développement économique, entre autres,
celui d'orienter une plus forte transformation des matières
premières et de dévier vers la promotion industrielle nos
ressources hydroélectriques.
Ces concessions politiques sont d'ailleurs reconnues par M. Pierre
MacDonald, ministre du Commerce extérieur et du Développement
technologique. Dans un document déposé à
l'Assemblée nationale et intitulé La libéralisation des
échanges avec les États-Unis: une perspective
québécoise, il avoue candidement que les Américains
négocient la fin de l'intervention gouvernementale dans les
mécanismes de marché, notamment, les programmes d'aide à
l'entreprise.
Il ne fait aucun doute, cependant, que plusieurs programmes d'aide
gouvernementale, particulièrement ceux qui sont très
ciblés sectoriellement ou géographiquement, pourraient être
modifiés pour s'adapter au nouveau code de conduite que le Canada et les
États-Unis pourraient conclure.
Plus récemment, dans une entrevue au journal Le Devoir, plus
exactement le 10 septembre 1987, le ministre expliquait qu'il faudrait, au plus
tôt, soumettre aux négociateurs américains nos projets de
programmes d'adaptation de la main-d'oeuvre et des industries pour obtenir
l'autorisation de les appliquer. Même le protocole de l'adaptation
industrielle doit donc être négocié. On se demande
jusqu'où iront nos gouvernements dans l'abandon de leurs
responsabilités économiques et sociales pour aménager le
libre-échange.
Les dernières projections du Conseil économique du Canada
ont été dévoilées par le premier ministre le 25
août dernier et il faut bien expliquer la signification de ses
prévisions, puisqu'elles sont devenues un des premiers arguments des
libre-échangistes. Ses projections font état de la
création de 180 000 à 350 000 nouveaux emplois, selon le
scénario que l'on choisit, d'ici 1995, si le libre-échange, tel
que défini par le Conseil économique du Canada était
instauré entre le Canada et les États-Unis.
Or, la définition restreinte que fait le CEC du
libre-échange est de première importance puisque, comme on le
verra, cela n'a pas grand-chose à voir avec les négociations
commerciales actuelles en cours entre les deux pays. Le secteur des services
n'est pas couvert par le libre-échange au terme de l'étude du
conseil économique. Les subventions gouvernementales ne sont
modifiées en aucune façon dans les simulations du
libre-échange en dépit de l'abolition des» mesures
protectionnistes américaines. Cependant, une évaluation
détaillée révèle que, pour la moitié des
industries étudiées, les subventions dépassent largement
0,5 % de la valeur ajoutée dont se servent les autorités
américaines pour justifier des droits compensateurs.
Les barrières non tarifaires prises en compte dans l'étude
se limitent aux quotas, à l'importation, aux droits spéciaux
découlant de la loi commerciale, à l'évaluation en douanes
et aux normes standards. L'étude ne tient pas compte des exigences de
rendement ou de retombées locales sur les investissements, ni des
contraintes à la propriété étrangère et
è la mise en marché en territoire canadien.
La CEC n'octroie aucune valeur de protection à des ententes
commerciales ou de production comme le pacte de l'auto. Dans son modèle,
la valeur en équivalence tarif des BNT, dans l'industrie de
l'automobile, est de 0 %. On ne sera pas surpris dès lors d'apprendre
que les BNT seraient moins importants au Canada qu'aux États-Unis et
moins importants que les tarifs.
Plusieurs soumissions de "discussion paper" nous laissent perplexes.
L'impact des filiales américaines sur l'éventuel flux
d'investissements, les mécanismes de mise en marché, par exemple
réseaux de distribution sur capacité de distribution aux
États-Unis, ces exclusions sont déterminantes, puisqu'elles
touchent, à notre avis, les principaux litiges dans les
négociations sur le libre-échange. La Commission Macdonald
s'était d'ailleurs amplement prononcée sur le sujet. Elle avait
averti que l'industrie des services serait au premier plan des discussions
commerciales entre le Canada et les États-Unis, ces derniers ayant une
brèche à faire à ce chapitre avec le Canada avant
d'entamer l'Uruguay round du GATT.
Il est surtout probable que les États-Unis aient avantage
à gagner que le Canada d'une réduction réciproque des
barrières concernant l'échange des services. Et encore que les
entreprises étrangères qui produisent déjà aux
États-Unis risqueraient de fermer leur usine au Canada, probablement
plus petite que leur usine américaine.
Certaines conclusions du conseil contribueront à dégonfler
le mythe des bénéfices à tirer de l'ouverture du grand
marché du Sud prôné par les partisans du
libre-échange. En même temps que les bienfaits promis sur la
croissance économique, le libre-échange entraînerait une
détérioration de la balance commerciale et de notre
dépendance de l'investissement étranger de pair avec un
redressement du dollar canadien face à la devise américaine.
Le Conseil économique du Canada confirme les appréhensions
que nous avons depuis le début des discussions sur le sujet. La
création d'emplois dans la fabrication serait minime. Selon le conseil
économique, l'accroissement de la taille des industries ne serait que de
l'ordre de 1 %. Ce niveau d'emplois se retrouverait à plus de 80 % dans
les secteurs des services exclus incidemment du libre-échange, tel
qu'étudié par l'organisme fédéral.
Le pari du conseil économique, c'est que la combinaison de la
baisse des prix et de la réorganisation industrielle créerait un
effet de consommation stimulant la croissance. Le conseil estime qu'à la
suite du libre-échange les salaires baisseront de 3 %, alors que les
prix à la consommation diminueront de 6 %. Le résultat net en
serait un surplus de pouvoir d'achat de 3 % qui stimulerait l'emploi, surtout
dans le commerce de détail et de restauration. Les hypothèses de
travail du conseil sont fragiles et celui-ci n'a pas choisi de nous en
présenter les variantes sous forme de scénario alternatif.
L'abolition des tarifs et des barrières non tarifaires serait
entièrement transférée au consommateur et au producteur
par le biais de prix réduits. Nous en doutons. Il est rare en effet
qu'une réduction de taxe bénéficie entièrement au
consommateur, et je pense qu'on en a de multiples exemples au cours des
dernières années. En modifiant même un peu cette
hypothèse extrême, on réduit d'autant l'effet sur les prix.
La baisse de prix pourrait être bien inférieure et possiblement
temporaire, le temps que les concurrents ne s'emparent du marché.
L'ampleur des gains de productivité, retenue par le conseil, est en fait
de moitié de ce que ses modèles économétriques
prédisaient puisque ses données datent de 1979. Le conseil
suppose que la moitié des gains mesurés a déjà
été réalisée par les entreprises. C'est
inquiétant, parce que l'efficacité accrue redevable au
libre-échange, particulièrement à cause des
économies d'échelle et de réduction de coûts,
s'accompagne d'une baisse très importante des salaires. S'il fallait que
la pression sur les salaires soit plus grande que celle retenue par le conseil,
le caractère des résultats pourrait bien s'en trouver
renversé du côté d'une détérioration du
pouvoir d'achat. C'est une éventualité prévisible en
tenant compte du fait que la production manufacturière canadienne s'est
détériorée par rapport aux États-Unis depuis 1980,
l'écart étant passé de 18 % à 26 % de 1980 à
1986. Dans un tel cas, tous les Canadiens et Canadiennes souffriraient des
désavantages économiques appréciables d'un accord de
libre-échange.
Notre évaluation des débats publics, des opinions de nos
membres et des études disponibles quant à l'impact du
libre-échange nous amènent à la conclusion que nous avons
beaucoup plus à perdre qu'à gagner d'un tel projet. De
façon générale, les tarifs douaniers canadiens sont
beaucoup plus importants que les tarifs américains. Le Canada applique
un tarif moyen de 11,2 % sur les produits qu'il importe des États-Unis,
alors que ces derniers appliquent un tarif moyen de 6,5 % sur les produits
qu'ils importent du Canada.
Lorsque les tarifs auront été éliminés, ce
que le Canada perd en protection de ses industries sera donc beaucoup plus
important que ce qu'il obtiendra en accès amélioré au
marché américain. Le contrôle de la mise en marché
des produits de l'agriculture qui permet d'assurer un revenu décent
à la ferme familiale du Québec serait remis en cause autant par
le libre-échange que par la pression des entreprises de transformation
de produits alimentaires. Un code de subvention ou autre disposition d'un
accord de libre-échange qui limiterait la capacité de
l'État à soutenir le développement économique ou la
liberté de manoeuvre de nos sociétés d'État
stratégiques touchera beaucoup plus le Canada que les États-Unis
et ce, parce que les subventions, surtout pour le développement
régional, jouent un rôle beaucoup plus important au Canada - 2,1 %
du produit national brut en 1982 comparativement aux États-Unis qui est
0,5 % du produit national brut. Les sociétés d'État
stratégiques constituent une concurrence déloyale pour les
Américains. L'État appuie la production culturelle de
façon importante au Canada; cela n'a pas sa contrepartie aux
États-Unis. Toute limitation de la capacité de l'État
à appuyer les industries culturelles ne nuirait qu'au Canada.
L'ensemble du secteur des services qui accusent déjà un
déficit commercial important avec les États-Unis risque de voir
augmenter son déficit si les Américains réussissent
à étendre l'accord de libre-échange au secteur des
services. Les changements de réqlementations qui s'ensuivraient
équivalent à abandonner l'industrie aux investisseurs
américains. Les provinces canadiennes verront leur autonomie diminuer
avec le libre-échange puisque ce projet limitera les pouvoirs des
provinces dans le domaine, comme l'agriculture, la vente de boissons
alcooliques et le soutien au développement économique.
L'un des objectifs majeurs des Américains dans les
présentes négociations,
c'est celui de mettre en veilleuse tout contrôle sur la
propriété américaine d'intérêts
économiques canadiens. Encore une fois, il s'agît d'un domaine
où le Canada serait obligé de céder beaucoup plus que les
États-Unis où la propriété étrangère
est moins importante. Le libre-échange se traduirait
inévitablement par une modification de la politique
étrangère et de la politique en matière d'aide au
développement international du Canada qui aurait tendance à
suivre de plus près l'exemple américain. Une telle
éventualité a d'ailleurs été soulevée par la
commission Macdonald qui, pourtant, était très favorable au
libre-échange.
Le gouvernement fédéral n'a jamais reçu de mandat
du peuple canadien pour entamer ces négociations. Avant sa prise de
pouvoir, la dernière déclaration du premier ministre sur le
libre-échange remontait à mai 1983. II avait annoncé
à ce moment-là son opposition au libre-échange, puisque
cela constituait une menace à la souveraineté économique
et politique du Canada. La campagne électorale de 1984 aurait fourni une
excellente occasion à M. Mulroney d'expliquer sa conversion à la
cause libre-échangiste et de définir aussi ses objectifs, mais il
n'a pas jugé à propos d'en faire un thème
électoral. (16 heures)
Le discours actuel du fédéral en faveur du
libre-échange demeure centré sur deux thèmes: d'une part,
tout en reconnaissant que le Canada possède déjà un
accès important au marché américain, les trois quarts de
nos exportations vont aux États-Unis, et que les échanges sont
à notre avantage - d'ailleurs, depuis cinq ans, le Canada a un surplus
commercial de plus de 10 000 000 000 $ avec les États-Unis - le
gouvernement évoque la menace protectionniste au sud de la
frontière. Par le biais d'une entente de libre-échange, le Canada
doit se mettre à l'abri et en obtenant un accès garanti au
marché américain. À la suite de l'échec des
négociateurs canadiens à obtenir un accès garanti,
notamment une exception aux lois protectionnistes américaines, le Canada
se contenterait maintenant d'un mécanisme de règlement des
litiges.
L'autre argument invoqué par le gouvernement Mulroney est celui
de la croissance économique qui s'appuie sur des projections
économiques cuisinées par le Conseil économique du Canada.
On soutient que l'élimination des barrières protectionnistes
forcera l'économie canadienne à plus d'efficacité
entraînant une croissance du produit national brut et de l'emploi.
M. Laberge (Louis): Les consultations et analyses
effectuées par la coalition depuis un an nous ont fait réaliser
que le Québec risque plus que toute autre région canadienne de
devenir le grand perdant d'une éventuelle entente de
libre-échange. C'est une affirmation qui est certainement contraire
à ce qu'affirmait - certains le qualifient de spécialiste en la
matière - ici, ce matin... Depuis dix ans, le Québec a
consacré d'importants efforts, plus que dans les autres provinces,
à la diversification de sa production agricole et à
l'auto-approvisionnement. Un traité de libre-échange pourrait
remettre en cause l'importance du soutien gouvernemental au chapitre de la
production de fruits et légumes. Il ne faut pas non plus oublier
l'importance de la production laitière québécoise, 40 % de
la production canadienne, une industrie qui serait bouleversée si on
libéralisait le marché de lait entre les deux pays.
Toutes les industries manufacturières identifiées par les
différentes études, y compris les nôtres, comme des
industries perdantes advenant un traité de libre-échange, ont
d'importantes concentrations de l'emploi au Québec: le textile, 43 % des
emplois canadiens sont au Québec; le vêtement, 56 %; la chaussure,
43 %; le meuble, 34 %; les produits électriques, 25 %; les aliments et
les boissons, 24 %.
Avec les provinces de l'Atlantique, le Québec a
bénéficié largement des politiques de développement
régional au Canada. Dans la mesure où le libre-échange
limite la capacité de l'État à poursuivre ses programmes
de subventions, il est évident que l'économie
québécoise en sentirait beaucoup plus les répercussions
que les provinces qui ont moins bénéficié de ces
octrois.
Plus que dans toute autre province, le gouvernement
québécois a joué un rôle primordial dans la
promotion du développement économique, notamment par le biais des
sociétés d'État stratégiques. Un traité qui
limiterait la marge de manoeuvre de ces sociétés pour raison de
concurrence déloyale aurait pour effet de handicaper un instrument de
promotion économique indéniable pour le Québec depuis 25
ans.
Qui dit, par exemple, que des initiatives comme l'épargne-actions
ne seraient pas éventuellement la cible des Américains? Dans le
domaine social, le secteur public québécois est à
l'avant-garde de toutes les provinces. Si on ne pense qu'à notre
système de santé étatisé ou à
l'assurance-auto pour dommages corporels, comme nous l'avons déjà
expliqué, ces programmes pourraient être contestés parce
qu'ils créent des obstacles à l'entrée des
sociétés américaines privées dans ces domaines.
Plus que dans toute autre province et ce en raison de la
spécificité linguistique et culturelle du Québec, le
gouvernement soutient des productions culturelles à un
degré qui pourrait être remis en question comme un soutien
discriminatoire de l'État aux producteurs canadiens.
Qui sait si, éventuellement, les exigences linguistiques
spécifiques du Québec en matière d'étiquetage de
produits vendus ici ne seront pas éventuellement contestés par
des entreprises américaines parce que constituant une barrière
protectionniste?
Le mandat des négociateurs américains n'a jamais inclus la
possibilité de permettre au Canada de se faire exempter des lois
commerciales américaines, peu importe les concessions obtenues. Cette
réalité était déjà évidente en
septembre 1985, à la signature de l'accord du libre-échange
Israël-États-Unis dans lequel ces derniers se réservent
explicitement le droit de recourir aux droits de douane compensateurs ou autres
mesures protectionnistes spéciales. Il s'agit, en effet, de pouvoirs
jalousement gardés par le Congrès américain et auxquels
aucun président n'a pu toucher. Cela a été vrai même
pour un allié aussi fidèle qu'Israël dont les exportations
ont d'ailleurs fait l'objet de mesures protectionnistes importantes depuis la
signature de l'entente du libre-échange. La revendication canadienne
d'un accès garanti au marché américain était donc
dès le départ illusoire et inatteignable. Le gouvernement
Mulroney s'est rendu à l'évidence depuis le début de 1987
de sorte qu'il propose maintenant l'établissement d'un mécanisme
bilatéral obligatoire d'un règlement de litiges à la place
d'une exemption aux lois commerciales américaines.
Malheureusement pour le gouvernement Mulroney, cette revendication
apparaît tout autant inatteignable. Ce mécanisme proposé
par le gouvernement canadien donnerait à un organisme non élu,
constitué de représentants américains et canadiens, un
droit de veto sur la politique sociale économique du Canada et de ses
provinces. Il pourrait passer au crible toute intervention gouvernementale
ayant des répercussions économiques et statuer sur le fait
qu'elle constitue un obstacle au commerce ou une subvention
déguisée pour tel ou tel secteur et ensuite, ordonner une
modification.
Déjà, au printemps dernier, le président Reagan a
officiellement informé le premier ministre que sa proposition
était inacceptable et a proposé en échange un
mécanisme volontaire auquel les deux pays pourraient, sur entente,
soumettre certains litiges. Les négociateurs américains semblent
maintenant avoir adopté la proposition de la Chambre de commerce des
Etats-Unis, à l'effet d'établir un mécanisme d'arbitrage
auquel tous les litiges commerciaux canado-américains seraient soumis
mais dont les décisions n'auraient qu'un pouvoir de recommandation
"non-binding". Il ne s'agirait donc que d'un mécanisme purement
consultatif.
Si le mécanisme n'avait que des pouvoirs de recommandations, il
est évident qu'Ottawa pourrait être forcé de se plier aux
décisions rendues tout comme il s'est plié volontairement
à la volonté américaine dans le cas du bois d'oeuvre. Il
est également évident que tout groupe économique
américain qui penserait pouvoir obtenir mieux en ayant recours aux
mécanismes nationaux -International Trade Commission - passerait outre
les recommandations du tribunal bilatéral.
Il semble maintenant que le gouvernement fédéral soit
prêt à payer le prix mais à ne recevoir en échange
qu'un mécanisme de règlement de litiges n'offrant au Canada aucun
abri face aux futures mesures protectionnistes. Que ce mécanisme ait des
pouvoirs décisionnels ou seulement consultatifs, nous n'y voyons aucun
intérêt pour le Canada.
En juillet dernier, le premier ministre Bourassa a évoqué
quatre conditions pour l'adhésion du Québec à un accord de
libre-échange avec les États-Unis. Un mécanisme de
règlement de litiges, la liberté pour le Québec d'exporter
son électricité aux États-Unis, l'exclusion de
l'agriculture et l'exclusion de la culture.
Nous croyons que même si ces conditions étaient
satisfaites, cela ne protégerait pas le Québec de la plupart des
conséquences négatives d'un accord de libre-échanqe. Si le
gouvernement admet, en demandant l'exclusion de la culture et de l'agriculture,
que le libre-échange aurait un impact négatif sur ces deux
secteurs, nous comprenons mal pourquoi il n'exige pas l'exclusion de tous les
autres secteurs qui subiraient un impact négatif.
Les conditions que pose le gouvernement québécois ne
protégeront pas le Québec contre les fermetures et les pertes
d'emplois dans de nombreux secteurs industriels québécois. Elles
ne permettront pas au Québec de sauvegarder son autonomie en
matière de développement économique, que ce soit les
programmes d'aide au développement régional ou industriel ou la
liberté d'action des sociétés d'État. Ces
conditions n'assureront pas la protection des programmes sociaux
québécois. Elles ne protégeront pas non plus la
société contre les attaques éventuelles à la
spécificité linguistique du Québec.
Il est déplorable que le gouvernement n'ait pas retenu la
création nette d'emplois pour tout secteur soumis au
libre-échange comme critère de son endossement d'un accord
éventuel. Nous avons déjà traité des dangers et
insuffisances d'un mécanisme bilatéral de règlement de
litiges. Quant à la condition québécoise à l'effet
d'obtenir la liberté d'exporter de l'électricité aux
États-Unis, nous y voyons surtout une tentative du premier ministre de
tenter de régler ces différends avec l'Office national de
l'énergie
du Canada. Nous trouverions inacceptable que le premier ministre accepte
de troquer son appui au projet libre-échangiste du gouvernement
fédéral en échange d'une permission d'exporter de
l'électricité québécoise en
Nouvelle-Angleterre.
Même en considérant les quelques conditions que le premier
ministre québécois a énoncées en juillet,
l'impression publique que laisse M. Bourassa sur le dossier du
libre-échange en est une d'un endossement enthousiaste et inconditionnel
du projet fédérai. Cette attitude contraste avec celle du
gouvernement ontarien qui a su, depuis plusieurs mois, exprimer avec beaucoup
d'insistance, son opposition à tout accord qui toucherait à
plusieurs domaines chers à sa province. Pour cette raison, nous
craignons qu'un accord éventuel tienne compte davantage des
préoccupations ontariennes et maintienne, par exemple, des protections
pour l'industrie de l'automobile dont bénéficie, dans une moindre
mesure, le Québec bien entendu, mais laisse tomber les industries
traditionnelles davantage concentrées au Québec.
Encore ce matin, cet expert nous disait qu'en Ontario, ils
étaient moins préoccupés que le Québec puisqu'ils
avaient déjà le libre-échange avec le pacte de
l'automobile, qualifiant ce pacte de mesure libre-échangiste comparable
à ce qui est en train de se négocier; c'est tout simplement de la
pure démagogie. Il n'y a absolument aucune comparaison. Regardez toutes
les contraintes du pacte de l'automobile sur le contenu canadien,, etc., et
demandez-vous pourquoi le gouvernement américain veut renégocier
le pacte de l'automobile. C'est parce que le gouvernement américain sait
fort bien que dans cette négociation de libre-échange, si le
pacte de l'automobile y passait, il serait bien moins contraint qu'il ne l'est
présentement avec cedit pacte. Encore une fois, toute comparaison entre
le pacte de l'automobile et un accord éventuel de libre-échange
entre le Canada et les États-Unis est absolument de la fiction.
Il est très clair, selon l'analyse que nous venons de vous
exposer, que le Canada et particulièrement le Québec ont beaucoup
plus à perdre qu'à gagner d'une entente de libre-échange
global avec les États-Unis, d'autant plus qu'il est évident que
ce traité n'accordera aucun accès garanti au marché
américain. Pour ces raisons, nous demandons au gouvernement
québécois de se prononcer contre le projet de
libre-échange avec les États-Unis.
Nous avons démontré qu'un traité de
libre-échange canado-américain représentera
nécessairement une ingérence dans les juridictions du
gouvernement québécois, que ce soit au chapitre de la
réglementation du commerce de certains produits, de la liberté
d'action des sociétés d'État ou des programmes d'aide
à l'industrie. Ainsi, nous croyons que le gouvernement
québécois devrait réclamer et exercer un droit de
véto à l'égard de toute entente de
libre-échange.
Nous croyons que le gouvernement canadien, plutôt que de se
leurrer et de penser pouvoir se mettre à l'abri du protectionnisme
américain en négociant une entente de libre-échange,
aurait intérêt à adopter une position plus ferme et
pragmatique en se servant notamment au maximum des protections offertes par le
GATT. Le Québec devrait également appuyer auprès du
gouvernement canadien un renforcement des mécanismes du GATT.
Dans ce sens, le Québec devrait favoriser une
libéralisation multilatérale des échanges et une
amélioration des règles de commerce dans le cadre du GATT
plutôt qu'un accroissement de notre dépendance envers les
États-Unis.
Le gouvernement québécois ferait une grave erreur en
imitant le comportement du gouvernement Mulroney en matière de
développement économique. Depuis qu'il est élu, celui-ci
semble n'avoir qu'un seul et unique objectif dans sa stratéqie
économique: celui de négocier une entente de libre-échanqe
avec les États-unis. Plutôt que d'adopter la perspective
étroite du gouvernement fédéral, le gouvernement
québécois devrait faire du plein emploi son grand objectif en
matière de développement économique.
En prévision d'une libéralisation multilatérale
dans le cadre du GATT et en conformité avec une politique de plein
emploi, le gouvernement québécois devrait mettre en place une
stratégie de développement économique pour renforcer notre
structure industrielle et améliorer notre productivité en vue de
cette ouverture des frontières au niveau international.
Dans ce contexte, le gouvernement du Québec devrait cesser de
vouloir démanteler ou se départir de sociétés
d'État stratégiques, instruments majeurs de développement
et de démocratisation de l'économie pouvant contribuer à
une telle stratéqie.
Nous déplorons qu'en ce qui concerne le dossier du
libre-échange, le gouvernement québécois, tout comme le
gouvernement fédéra! d'ailleurs, ait agi en cachette plutôt
que de faire preuve de transparence. Pour favoriser un débat public
éclairé, nous demandons au gouvernement québécois
de rendre publiques toutes les études qu'il a pu entreprendre sur cette
question et qu'il exige du gouvernement fédéral qu'il fasse de
même. Il est évident que la conclusion du débat public sur
le libre-échange ne pourra avoir lieu avant que le contenu du projet
d'entente ne soit dévoilé. Ainsi, nous demandons au gouvernement
québécois de tenir de nouvelles audiences en commission
parlementaire sur la base du contenu de tout projet d'entente de
libre-échange qui aurait été conclu entre les
gouvernements canadien et américain.
La Coalition québécoise d'opposition au
libre-échange s'est jointe à d'autres organismes
québécois et canadiens pour rappeler au gouvernement
fédéral qu'il n'a jamais reçu de mandat de
l'électorat canadien pour négocier le libre-échange avec
les États-Unis. Nous demandons au gouvernement québécois
d'aider à corriger cette lacune en adoptant la démarche suivante:
demander au gouvernement canadien d'informer la population sur le contenu
réel de la négociation pour qu'un véritable débat
public puisse se faire et qu'il ne signe aucune entente avant d'avoir obtenu le
mandat clair à la suite de la tenue d'une élection
générale.
M. le Président, Mmes et MM. les membres de la commission, nous
vous remercions de votre temps. Nous sommes maintenant à votre
entière disposition pour répondre aux questions que vous pourriez
vouloir nous poser.
Le Président (M. Charbonneau):
Messieurs, comme vous le savez nous avons pris plus de temps, d'une
part. D'autre part, les membres de la commission n'ont pas eu beaucoup de temps
pour le lunch. Certains m'ont demandé une pause-santé de deux
minutes pour aiguiser leurs couteaux avant la deuxième partie de la
présentation.
(Suspension de la séance à 16 h 18)
(Reprise à 16 h 25)
Le Président (M. Charbonneau): Je n'aperçois plus
nos invités.
Une voix: Ha! Ha! Ha!
Le Président (M. Charbonneau): Ah! II y a M. Proulx. Il y
en a un qui va tenir le fort pendant que les autres vont arriver à la
rescousse, si je comprends bien.
Une voix: ...
Le Président (M. Charbonneau): Ha! Ha!
Ha!
Une voix: ...
Le Président (M. Charbonneau): Oui, c'est cela.
Peut-être que les membres de la commission ont le goût de reprendre
certains autres arguments.
Une voix: ...
Le Président (M. Charbonneau): Ha! Ha!
Ha! Avoir su, j'aurais laissé la parole encore à notre
animateur. J'ai l'impression que je vais être obligé de faire
l'animateur pour expliquer un peu comment nos travaux fonctionnent.
Je peux lui recéder l'antenne quelques instants. J'ai
l'impression de retourner à mon ancien métier de journaliste.
Une voix: Cela semble vous faire plaisir, M. le
Président.
(Suspension de la séance à 16 h 26)
(Reprise à 16 h 30)
Le Président {M. Charbonneau): Alors si je comprends bien,
je reprends la rondelle. Les membres de la commission pourraient presque
être incités à penser qu'il y a une différence de
conception dans le "break" syndical des dirigeants syndicaux et d'autres
témoins. Cela dit, j'ai l'impression que tout le monde est prêt
à aborder le reste de la discussion. Alors, sans plus tarder je vais
laisser le ministre du Commerce extérieur ouvrir le bal.
M. MacDonald: Messieurs, merci de votre présentation.
Essentiellement, je crois qu'on peut dire de nouveau qu'elle stipule votre
perception d'une entente, je devrais dire au tout départ, d'une
négociation en vue d'une entente de libéralisation des
échanges, telle que vous l'aviez présentée au
comité Warren et sur laquelle on nous avait fait rapport.
Je retrouve également essentiellement la position que M. Proulx a
très bien élaborée, hier après-midi. Alors il n'y a
pas de surprise, il n'y a pas d'élément nouveau sur ce
plan-là. Cependant, je me permets aussi, et cela ne sera pas nouveau, de
dire, comme je l'ai mentionné il y a plusieurs mois, et ce n'est pas ce
que vous avez cité lorsque vous m'avez fait l'honneur de me citer dans
votre mémoire, j'ai dit qu'effectivement nos positions se rapprochaient
et, de beaucoup. J'irai même jusqu'à dire carrément que si
je me basais sur les mêmes prémisses que vous, je serais
également contre une négociation et, nécessairement contre
une entente de libéralisation des échanges avec les
États-Unis.
Vous semblez mettre de côté, ne pas vouloir tenir compte,
soit sur la base d'une appréciation de la sincérité de
ceux qui énoncent des conditions ou soit sur la base de notre
capacité de tenir une position québécoise au sein de la
réunion des provinces avec le gouvernement fédéral pour
établir une position canadienne, vous semblez mettre de
côté, totalement, et prendre comme prémisses, au
départ, que les
conditions que nous avons posées n'existent pas, À ce
moment-là, je le répète, j'aurais exactement la même
position que vous. Si je reprends - et je me permets de le reprendre, je l'ai
fait hier mais je pense que c'est essentiel - les éléments non
négociables, dits du gouvernement canadien, éléments qui,
s'ils n'avaient pas été présents dans cette
élaboration de la position canadienne faite par les provinces avec le
gouvernement fédéral, nous n'aurions pas adhérer à
ce qu'on pourrait appeler l'équipe canadienne pour entreprendre une
négociations des éléments du genre, la souveraineté
politique canadienne et la souveraineté politique
québécoise, les programmes sociaux que vous remettez
complètement en doute quant à la déclaration que nous
avons faite qu'il n'était pas question, tout au moins pour nous parce
que je ne peux parler que pour la province de Québec, il n'a jamais
été question pour mon premier ministre ou mes collègues
ministres au gouvernement du Québec, de mettre en danger ou de
chambarder ou de changer ces programmes sociaux qui nous ont pris du temps et
des efforts à acquérir et se donner, comme société
québécoise, avec un choix libre.
Vous mettez de côté la condition de la lutte contre les
disparités régionales et vous prétendez, au départ,
et vous mettez comme prémisses que le gouvernement abandonnerait,
capitulerait totalement sur sa capacité d'intervenir en
développement régional. Si tel est le cas, je n'en veux pas, moi,
d'entente; et on l'a dit carrément.
M. Laberge: Merci.
M. MacDonald: Vous soulevez... Il y en a un qui commence à
comprendre, on dira pourquoi tantôt...
Une voix: ...
M. MacDonald: ...et pourquoi pas? Vous dites essentiellement la
même chose lorsque vous parlez du péril qui menacerait nos
industries de la culture et la spécificité culturelle canadienne
et québécoise. Je laisserai Mme Bacon, Mme la
vice-première ministre, traiter de ce sujet-là plus longuement.
Il n'en est pas question.
Finalement, en ce qui touche plus particulièrement le
Québec, vous mettez en doute notre volonté de ne sacrifier
absolument rien sur ce qui est la réalité du caractère
linguistique particulier au Canada et particulièrement au Québec.
Que les Américains veulent ou ne veulent pas, suggèrent ou ne
suggèrent pas l'une ou l'autre des clauses, il n'en est pas question. Ce
n'est pas négociable. Si cela avait été mis sur la table
comme élément négociable, le Québec ne serait pas
partie du comité Reisman et donc de l'équipe canadienne de
négociation.
Je reviens aux quatre conditions de M. Bourassa que vous avez
mentionnées. M. Bourassa soulignait effectivement quatre des conditions.
On parle des conditions de l'appui du Québec à un accord de
libre-échange qui étaient incluses dans la période de
négociations; il y en avait sept et je vais me permettre de les
énumérer. Vous avez insinué que nous perdrions des
compétences législatives. Nous avons dit, comme condition
première, qu'il faudrait retrouver dans cette entente le respect
intégral des compétences législatives du Québec. En
deuxième lieu -et, une fois de plus, je relève vos
préoccupations en matière de programmes sociaux ou le domaine des
communications que vous avez bien mentionné, la question de la langue et
la question de la culture - on a dit, et je le répètes Le respect
intégral de ces lois, programmes et politiques dans les domaines de la
politique sociale, des communications, de la langue et de la culture. Cela ne
peut être plus clair.
En troisième lieu, on a dits Le Québec veut maintenir sa
marge de manoeuvre nécessaire pour atteindre les objectifs de
modernisation et de développement de son économie dans toutes les
régions. Il me semble que c'est du français et on se comprend
là-dessus.
En quatrième lieu, on a dit carrément que, s'il devait y
avoir une entente, s'il devait y avoir, à la suite de l'entente, une
dislocation plus rapide d'un secteur quelconque ou un réajustement... il
va y en avoir; et on n'a jamais caché, dans la proposition qui pourrait
être faite, selon divers scénarios, qu'il pourrait y avoir des
dislocations et qu'il y aurait des changements. Mais vous savez comme moi, et
particulièrement vous, qui êtes à cette table, que, de
toute façon, nous assistons, à l'heure actuelle et dans un rythme
de progression géométrique, à une transformation des
industries et des commerces amenée par des développements
technologiques, économiques ou politiques qui font qu'au Canada, de
toute façon, à tous les trois ans, presque tout le monde change
de job, c'est-à-dire que la moyenne de la population canadienne qui
change de job à tous les ans est de 30 %.
Cinquièmement, la mise en place d'un mécanisme de
règlement des différends auxquels seront associées les
provinces.
Sixièmement - et on a dialogué hier sur le sujet avec M.
Proulx et ses collègues - le maintien d'un statut spécial, qu'on
a défini très précisément hier, pour l'agriculture
et les pêcheries.
En tout dernier lieu - et je crois que c'est extrêmement important
parce que vous avez toujours cette incertitude quant à ce que sera
l'entente finale soumise pour fins d'approbation, si entente il y a - on a
dît:
Maintient son droit d'approuver ou non l'entente en fonction de
l'évaluation ultime qu'il fera à la lumière de ses
intérêts fondamentaux. Ce sont les prémisses de
départ.
Si on ajoute à cela - et je crois que vous êtes d'accord
avec le fait, les preuves sont tellement tangibles - qu'il existe un climat de
protectionnisme aux États-Unis, comme on n'en a jamais vu auparavant, et
c'est non seulement cette question de déficit de la balance commerciale,
mais c'est également le fait que ce pays qui a dominé la
scène mondiale sur le plan financier, qui était le prêteur
du monde, est devenu débiteur et il se sent menacé presque sans
exclusion dans sa vie économique.
Hier encore, était étudié à la Chambre un
bill restrictif et protectionniste lequel, je l'espère, le
président va renverser par son droit de véto, mais dirigé
directement sur les textiles et la chaussure en particulier; il ne visait pas
directement le Canada, mais, si jamais il était adopté, on se
ferait poigner au passage. M. Parizeau nous disait que le chiffre qu'on a
continuellement utilisé, celui qui s'était bâti au cours
des dernières années autour du Congrès américain,
généralement, il y avait toujours autour de 200 ou de 300 mesures
protectionnistes sugqérées. Le chiffre actuel approche les 600.
Donc, je pense que, tout au moins sur ce sujet, on n'aura pas de
problème à dire qu'il y a du protectionnisme aux
États-Unis et, pour reprendre une expression bien de chez nous, il y a
des chances qui "ça s'empire avant que ça s'emmieute".
Si nous acceptons cela, la solution évidente qui nous est
apparue, à mes collègues et à moi-même, et que nous
avons suggérée au Conseil des ministres, c'est que le statu quo
était inacceptable, que déjà 80 % de nos exportations aux
États-Unis qui constituent 70 % de toutes nos exportations
internationales passent en droit de franchise, que l'accroissement de ces
marchés avait été spectaculaire, que les indications de
tous les gens qui s'intéressent au sujet disaient que les
États-Unis pouvaient représenter encore une possibilité
d'ouverture de marchés sans quoi - ne rêvons-pas! - pour les
travailleurs et les travailleuses du Québec, pour tout le monde au
Canada, il n'y aura pas d'amélioration de notre train de vie et on aura
de la difficulté à le maintenir si on ne peut pas réussir
à exporter plus. Exporter plus ne veut pas dire seulement de nouveaux
marchés, mais conserver ceux que nous avons.
Cela dit - je pourrais continuer, mais je ne le ferai pas - c'est cela
qui nous a amenés, avec les barèmes, les balises que j'ai
mentionnés à dire: Oui, nous sommes prêts à nous
engager dans une négociation qui aurait comme but premier d'au moins
garantir l'accès à ceux qui sont déjà là, de
civiliser au moins nos rapports avec notre principal partenaire commercial et
nous retrouver tout au moins encore avec une façon plus logique et
civilisée de régler nos différends à la
frontière.
Malheureusement, et peut-être que je simplifie trop, mais de
nouveau, à la lecture de votre mémoire et à
l'écoute ou à l'observation des remarques que vous avez faites
auparavant et aujourd'hui, vous me semblez préconiser un statu quo. Si
vous acceptez ma prémisse que "ça va s'empirer avant de
s'emmieuter" et si je prends votre prémisse du statu quo, pourriez-vous,
s'il vous plaît, nous dire de quelle façon vous envisagez le 6
octobre, advenant que tout tombe, qu'il n'y a rien, qu'il n'y a pas
d'entente?
Le Président (M. Charbonneau): M. Proulx, voulez-vous
répondre? (16 h 45)
M. Proulx: Je pense qu'on a tous quelque chose à dire.
Peut-être est-ce parce que j'ai pris l'habitude de parler avec M.
MacDonald, hier, que mes collègues me laissent la chance de prendre la
parole. Il y a quelque chose qui me chicote énormément, M. le
ministre. J'ai beaucoup de respect pour vous et vu le respect que j'ai pour
vous, je pense que vous n'êtes pas naïf. Cela m'amène
à poser une question qui me chicote depuis hier lorsque je vous entends
dire - et vous l'avez répété plusieurs fois hier - que nos
positions et vos positions sont pareilles, qu'on veut la même chose. Bah!
Écoutez, je veux bien admettre que je suis lent à comprendre,
mais là, c'est vrai que je ne comprends pas. Pour nous, c'est clair, on
est contre. Je vais aller plus loin que ça. On n'a jamais dit qu'on
était pour le statu quo. On a dit qu'on était contre la forme
dans laquelle cela se déroule actuellement, la forme qu'on a voulu
donner. C'est contre cela qu'on est. Nous, c'est clair et net, on est contre,
on n'est pas pour le statu quo. Je ne pense pas que ce soit la position des
législateurs et des membres de l'Assemblée nationale, ni
même celle du gouvernement fédéral à l'heure
actuelle. On peut faire des nuances, mais il n'y a pas tellement de
législateurs qui sont contre comme on peut l'être. On est contre,
c'est loin d'être pareil.
J'ajouterai aussi à une partie de votre intervention que les
prémisses des hypothèses qui dictent notre opposition au
libre-échange reposent sur des études qu'on a rendues publiques,
des études que personne jusqu'à maintenant n'a contredites. Ils
ne se sont peut-être pas donné la peine de les lire ou de les
étudier, mais je ne connais personne qui a contredit nos études
et on n'a pas eu peur de les rendre publiques. Ces études
démontrent noir sur blanc qu'il y a très peu à gagner,
contrairement... et je vous ai posé la question hier quand vous m'avez
dit: II y
a beaucoup de gens qui sont venus et qui vont venir qui vont être
pour. Je vous ai dit: Montrez-moi des études de ces gens-là, pas
seulement des affirmations, des "peut-être" et des "il faut
espérer"; des études, chiffrées et crédibles, comme
quoi ce sera avantageux dans l'ensemble; montrez-moi les études qui nous
démontrent que, dans la transition... Faisons l'hypothèse que ce
soit vrai qu'il y aura des centaines de milliers d'emplois de
créés, je suis bien prêt à le croire et je pense que
mes collègues seraient des plus heureux. Cela ferait davantage de
cotisations syndicales à aller chercher. Vous n'avez pas nié non
plus qu'il y aura des pertes d'emplois. Qu'est-ce qui va arriver entre les
pertes d'emplois et la création d'emplois? Qu'est-ce qui va arriver
pendant que notre industrie va se transformer pour être concurrentielle?
Il n'y a personne qui nous a dit cela. Le monde ordinaire, c'est cela qu'il
veut savoir. C'est cela l'erreur monumentale dans cette négociation -
d'ailleurs d'autres l'ont dit avant nous - l'erreur monumentale de vouloir nous
vendre. On nous présente un très bel emballage, mais on ne nous
dit pas du tout comment cela va nous exploser dans la face à un moment
donné. On a beau ne pas être économiste ou autre, on se
pose ces questions-là. Qu'est-ce qui va advenir de mon job? Dans mon
secteur, qu'est-ce qui va advenir quand les Américains feront leur
dumping? Vous l'admettez qu'il y a une surproduction mondiale à l'heure
actuelle. Qu'est-ce qui va arriver? Comment vais-je réagir et comment
vais-je supporter le dumping des produits agricoles? C'est de même dans
tous les secteurs à l'heure actuelle. Je vous rappelle qu'hier soir, au
Point, un autre - j'oublie son nom, un ancien conseiller du président
américain - a été très clair. Il l'a dit que
c'était une aberration de penser qu'un jour il y aurait un tribunal - il
n'a même pas parlé d'un tribunal qui ne serait pas
exécutoire, un tribunal qui jugerait - et que c'était hurluberlu
aussi de penser qu'il ne faudrait pas modifier complètement nos
différentes politiques d'aide tant régionale qu'à
l'industrie, etc.
Je pense que vous allez comprendre pourquoi. En tout cas, cela va vous
aider à comprendre pourquoi on est contre, surtout qu'on a un tas de
questions qu'on se pose qui n'ont jamais eu une lueur de réponse.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Larose.
M. MacDonald: Je n'ai pas eu de réponse à la mienne
non plus.
M. Proulx: Laquelle?
M. MacDonald: Qu'est-ce que vous suggérez comme
remplacement de défense, non seulement de défense parce que
l'offensive, c'est la meilleure forme de défense, vis-à-vis de
cette montée protectionniste américaine, vis-à-vis de
cette obligation que nous avons tous d'essayer de se protéger contre
l'unilatéralisme américain?
M. Proulx: Deux choses. Hier, je vous l'ai dit, le respect attire
le respect. Ce n'est pas quand on se met à plat ventre qu'on est
respecté. J'ai donné des exemples du bois d'oeuvre. Le
gouvernement canadien - ce n'est pas vous autres - s'est mis à plat
ventre. Ils ne nous respecteront pas, parce que la prochaine fois, ils vont
venir en chercher un autre petit bout. On pourrait donner d'autres exemples.
L'avenir, même si, hier, vous avez dit que cela ne valait rien, je vous
dis encore une fois que c'est dans le multilatéral. C'est s'ouvrir au
monde. Vous le dites vous-mêmes continuellement. L'avenir, c'est le
monde, mais le monde, ce n'est pas que les Américains. C'est là
qu'est l'avenir. On n'a pas dit de laisser tomber le marché
américain. Il y a 700 lois protectionnistes à l'heure actuelle
devant le Sénat. Elles n'arrêteront pas demain matin d'être
protectionnistes. Quand on va leur piler sur les pieds, ils vont réagir,
ils vont continuer à réagir. Ils n'ont jamais rien
respecté. Pourquoi, demain matin, parce que le Canada signerait une
entente avec eux autres, respecteraient-ils quelque chose? Ils achèvent
de détruire une de nos industries, les érablières, avec
les pluies acides. Regardez tous les tours de passe-passe qu'on est
obligé de faire et les pressions juste pour leur faire admettre qu'ils
ont une responsabilité. Et vous pensez qu'ils vont respecter un accord?
Cela n'a pas de sens. C'est de l'utopie. L'autre chose, les frontières,
c'est ouvert pour les deux, M. MacDonald. Il n'y a pas que nous autres qui
allons passer "free". Eux autres aussi vont passer "free", et ils en ont du
stock à nous envoyer. Vous êtes d'accord avec cela?
M. MacDonald: Je suis obligé d'être d'accord. C'est
que, premièrement, vous n'avez pas répondu à ma question
et, ' deuxièmement, je suis content que vous mentionniez à
nouveau le GATT parce que le GATT... Ce que j'ai dit hier et ce qui a
été mal cité, c'est que particulièrement pour ce
qui a trait à l'agriculture, en tant que ministère
québécois, comme véhicule pour protéger les
agriculteurs québécois et l'industrie agro-alimentaire, c'est la
dernière place sur laquelle on peut se fier compte tenu de ce que j'ai
mentionné, à savoir que sur le plan de l'agriculture, s'il y a un
gâchis et un fiasco au GATT, c'est dans ce domaine-là.
Le Président (M. Charbonneau): On pourrait
peut-être laisser la parole au collègue de M. Proulx.
M. Larose: Je pense qu'il faut peut-être lever un peu le
palier pour savoir où on s'en va avec toute cette histoire. Si le
problème principal est d'éviter les difficultés, ce n'est
pas compliqué, abolissons toute la frontière et tombons un
cinquante-et-unième État. Vous n'aurez pas à vous battre,
le gouvernement n'aura pas à se battre et Ottawa non plus. Cela
dépend de ce qu'on veut faire dans cette société. Ce qu'on
dit, c'est que des choix ont été faits comme
Québécois et comme Canadiens pour vivre socialement. On s'est
donné une organisation sociale, on s'est donné des règles
économiques, on a développé des relations
bilatérales et multilatérales. On pense que notre
dépendance envers les États-Unis est déjà pas mal
grosse, et que si on pouvait dégager un espace pour conclure des
échanges de façon multilatérale, on aura beau avoir
l'appréciation qu'on veut du GATT, vous ne pourrez pas passer à
côté de forums internationaux où ces règles vont se
définir. S'il y a des coins pourris, il y a des remèdes à
ces affaires; travaillons sur ces affaires; mais ce n'est pas vrai que vous
nous ferez avaler que le projet américain d'intégration aux
États-Unis, c'est ce qu'il y a de mieux pour les
Québécois. Ce n'est pas vrai.
Quand on fera ce débat, et c'est justement ce débat qu'on
veut faire depuis le début, on veut savoir comment cela va nous
coûter. On veut le savoir dans le textile, on veut le savoir dans les
mines, on veut le savoir dans la culture, on veut le savoir partout. On a fait
cet exercice. Vous l'avez peut-être fait, mais je pense que vous
êtes honteux de vos études. Vous n'avez jamais voulu les sortir.
Vous, comme le fédéral. Sortez les chiffres et on va discuter. Si
vous nous demandez de payer de notre job, on va discuter un peu. Si vous nous
promettez d'augmenter nos jobs, ça nous intéresse, mais on ne
sait pas ce que vous nous présentez.
Quand vous nous dites qu'une des conditions, c'est que le Québec
ait le pouvoir d'approuver ou non; pour un politicien c'est très
important de le dire, mais puis-je vous dire que personne ne vous croit? Ce
n'est pas le Québec qui dira oui ou non. Vous n'êtes même
pas à la table de négociation. Vous nous demandez d'avoir
confiance. Nous aurons d'abord confiance en des gens qui sont mandatés
et ceux qui sont à la table de négociation. Quand le
Québec est "backbencher" là-dedans, qu'il est gérant
d'estrade, on va peut-être demander de parler au vrai monde.
C'est pour ça que la proposition d'un contrat de
libre-échange est un projet de société. Vous nous proposez
de devenir un cinquante-et-unième État des États-Unis. Un
point c'est tout. Ce n'est que ça. Nous ne sommes pas
intéressés.
M. MacDonald: Eh! bien, il est évident qu'on ne s'est pas
compris mais il est également aussi évident que vous n'avez pas
encore répondu à ma question à savoir qu'est-ce qu'on fait
sans entente?
Le Président (M. Charbonneau): Je veux éviter, par
ailleurs, qu'on passe tout l'après-midi sur la même question.
 moins que M. Laberge ou M. Charbonneau vouliez ajouter quelque chose
sur l'intervention du ministre, je vais céder la parole au critique de
l'Opposition pour suivre la tradition qu'on a commencée depuis le
début de nos travaux.
M. Charbonneau (Yvon): Je ne sais pas s'il y a un problème
de langue ou de langage, mais quand on vous dit notre recommandation 3, c'est
la réponse qu'on vous fait, M. le ministre. Nous croyons que le
gouvernement canadien, plutôt que de penser se mettre à l'abri du
protectionnisme américain en négociant une entente de
libre-échange avec les États-Unis aurait intérêt
à adopter une position plus ferme en se servant au maximum des
protections offertes par le GATT par des négociations
multilatérales. Vous répondez à M. Proulx que le GATT
n'est pas efficace pour l'agriculture.
M. MacDonald: ... d'accord.
M. Charbonneau (Yvon): D'une vision d'ensemble, il y a bien
d'autres secteurs que l'agriculture. Je ne peux pas contrôler votre
affirmation sur l'agriculture en particulier, mais l'approche
générale de négociations multilatérales où
on a plus d'un partenaire, il me semble que c'est celle-là qu'on doive
privilégier pour se dessaisir de l'étreinte américaine qui
est déjà très importante, tout le monde l'admet, pour
regarder en direction d'autres qrandes régions de l'Europe, de pays qui
ont des économies, avec lesquels on peut faire des échanges. Vous
avez un collègue qui fait des missions en Asie, etc., une approche
multilatérale du commerce international. C'est là qu'on vous dit
de diriger vos énergies et d'influencer la politique canadienne. C'est
une réponse, ça, il ne s'agit pas de dire qu'il n'y a pas de
réponse là-dedans.
Qu'est-ce que vous avez à dire sur cette approche qu'on vous
propose, vous?
M. MacDonald: Je suis d'accord avec vous que le GATT est un
instrument et, effectivement, qu'on se serve des deux, c'est-à-dire de
l'approche bilatérale et de l'approche multilatérale. Mais si
vous connaissez le fonctionnement du GATT et son mécanisme d'audition
des plaintes qui peuvent être déposées et son
mécanisme de règlement, M. Charbonneau, je vous dis qu'on en
aurait grimpé une maudite sur un paquet
de situations, si je prends, par exemple, le bois d'oeuvre, et on serait
encore en attente à regarder les Américains collecter un chiffre
probablement très supérieur à 15 % et le mettant dans
leurs poches.
Je veux être bien compris sur cela, j'adopte et j'épouse
entièrement votre proposition, le GATT est un organisme auquel le Canada
adhère et on y croit. Cependant, quand le GATT a commencés il y
avait 23 membres, il y en a 92 maintenant. Quand le GATT a fait ses
premières rondes de négociations, cela a duré deux ans.
Les plus optimistes à l'heure actuelle regardent l'Uruguay round six
à sept ans et c'est dans les cas optimistes pas mal...
Les problèmes que nous vivons actuellement avec notre principal
partenaire, ce sont des problèmes! Demain matin, il faut avoir une
réponse. On ne peut pas se permettre de voir des secteurs importants de
nos industries être soumis à un processus de trois ou quatre ans,
alors que tout le mal sera fait.
Le Président (M. Charbonneau): On va changer
d'intervenant, si cela ne vous fait rien, j'ai l'impression de toute
façon qu'on va virer tout l'après-midi sur le coeur du
problème sur lequel on est actuellement. Alors, M. le
député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Messieurs
les présidents des centrales syndicales, je vous remercie au nom de ma
formation politique pour cette présentation. L'appréhension que
j'avais se voit confirmée cet après-midi dans le sens que la
situation dans laquelle on se retrouve aujourd'hui, en date du 17 septembre
1987, est une situation causée, sans faire de démagogie et de
politique, mais sincèrement, par l'attitude du gouvernement dans ce
dossier, parce que... non, et je pense que le fait qu'on ait tenu les gens dans
l'ignorance? c'est clair, les gens ne sont pas au courant exactement de ce qui
se passe. Quand tu n'es pas au courant, ce que tu fais, c'est que tu as peur et
tu t'énerves.
On a rendu des études publiques et on s'est fait traiter
d'arriérés parce que les études étaient de 1985,
mais au moins, celles qu'on avait et qui avaient été faites dans
notre temps, on les a rendu publiques. Cela n'a pas donné grand-chose
sauf qu'il y avait des lumières rouges qui s'allumaient. J'ai pris
connaissance des études qui ont été rendues publiques et
les publications qui ont été rendues publiques, par la coalition,
et c'était aussi alarmant. Moi, je vous dis bien à l'aise
aujourd'hui, que vos préoccupations, je les comprends et je les partage.
Je vous dis aussi que lorsque vous faites dans vos conclusions
différentes recommandations très claires et vous dites, par
exemple, au point 4, que le gouvernement du Québec devrait faire le
plein emploi comme grand objectif en matière du développement
économique de façon qu'il puisse résoudre votre
problème, on l'a dit et on l'a répété depuis trois
jours: l'objectif et l'enjeu du libre-échange, c'est effectivement
l'emploi.
Tout le monde est d'accord, même le ministre est d'accord avec
nous, sauf que la préoccupation qu'on a, c'est que, effectivement, on ne
sait pas de quelle façon il va se résoudre. Le problème
est ques non seulement les centrales syndicales, ne vous en faites
pas, mais nous, dans l'Opposition, qui sommes ici au Parlement,
réclamons depuis six mois auprès de l'Assemblée nationale
le débat qu'on a aujourd'hui. Finalement, on y a donné libre
cours et il se tient à partir du 15 septembre. Ce n'est pas normal. On
l'a décrié. Cela n'a pas été plus loin que de dire:
Bon, il va y en avoir un débat, il a lieu quelque 18 jours avant la fin
d'une conclusion. Nous aussi, nous sommes énervés. Nous aussi,
cela nous fatigue. La préoccupation que vous avez et la position que
vous prenez, M. Proulx, hier, l'a très bien exprimée à la
fin de son intervention -il fait partie de la coalition - quand il a dits
À partir de ce qu'on sait, à partir des préoccupations et
à partir de ce qui est sur la table, nous, nous disons carrément
non, parce qu'à partir de ce qu'on a, nous, cela nous énerve.
S'il y en avait plus, moi j'ai compris, et si vous en aviez plus, j'aimerais
que vous puissiez me le confirmer. S'il y avait eu vraiment un débat, si
la discussion qu'on tient aujourd'hui avait eu lieu il y a six mois, tant au
niveau canadien, et ce n'est pas à moi à aller faire les
reproches au gouvernement canadien, je pense que le gouvernement
québécois est bien apte à le faire, mais si ce
débat avait eu lieu aussi avec le gouvernement canadien, s'il y avait eu
lieu ici avec le gouvernement du Québec, on ne serait certainement pas
dans cette position aujourd'hui et on ne serait pas là à se
demander ce qu'il va se signer. II y a des risques qu'il se signe quelque
chose. Il y a une volonté politique en haut lieu que cela se signe. Cela
aussi est fatigant. À partir de cela on demande des études
d'impact, nous aussi, on ne les a pas eues. (17 heures)
Pourquoi? Parce qu'on a besoin de savoir de quelle façon on va
être capable... Dire, par des études d'impact, qu'il va y a avoir
10 000, 12 000, 15 000 pertes d'emplois dans tel ou tel secteur, je me dis: Si
c'est accompagné de mesures qui vont dire comment on va les contrer,
comment on va être capable de corriger la situation, on vient d'amoindrir
le mal. Me faire dire par un médecin que j'ai un cancer, cela peut
être énervant, parce que je sais que je vais en mourir, mais si on
me dit avec cela: II va y avoir une intervention chirurgicale et on va
être capable de vous sauver la vie...
Ce qu'on vous a dit, c'est qu'effectivement, il y avait un cancer dans
tel, tel domaine, dans des secteurs ici au Québec. Par rapport au
Canada, le Québec est le plus affecté, et je suis d'accord avec
vous. Les gens des brasseries sont nerveux, inquiets et je les comprends. Sauf
que si on était capable de vous dire, par exemple: Dans ces secteurs, il
y aura un minimum, par exemple, de sept, de dix ans, de période de
transition, qu'il y aura tel type de programme - même si on ne l'a pas
défini en détail - je pense qu'on serait capable aujourd'hui de
parler un autre langage. C'est l'impression que j'ai et je vous pose cette
question.
Je termine en vous disant la raison. M. Charbonneau l'a citée
tantôt, je pense qu'on ne se comprend pas en termes de langage. D'abord,
vous dites que le premier ministre, M. Bourassa, y a mis quatre conditions. Je
pense que ce n'est pas quatre, c'est sept. Du moins je l'espère, parce
que le ministre du Commerce extérieur, lui, en a cité sept, alors
c'est effectivement sept. Parmi celles-là, je ne pense pas que le
gouvernement ait accepté, dans ces conditions, d'exclure l'agriculture.
Le ministre me corrigera. Ce qui est mentionné dans le document,
à la page 13, si ma mémoire est bonne, c'est que M. Bourassa a
dit en juillet dernier qu'il allait exclure l'agriculture. Ce que je lis, moi,
c'est le maintien d'un statut spécial pour l'agriculture. On l'a
débattu hier, avec le président de l'UPA, je pense qu'il y a
toute une marge de différence entre exclure totalement et le maintien
d'un statut spécial. J'ai essayé de me le faire expliquer hier,
il y une différence. Ce sont des choses qui devront être
corrigées. Quand le ministre du Commerce extérieur dit dans son
point 3, pour ne prendre qu'un exemple, et je vais le situer dans le contexte:
Les conditions du gouvernement sont: le maintien de sa marge de manoeuvre
nécessaire pour atteindre les objectifs de modernisation et de
développement de son économie dans toutes les régions je
dis que c'est un point très important et je me dis: Comment pouvez-vous,
M. le ministre, être capable d'affirmer cela et, en même temps,
dans un même souffle, être capable de nous dire dans le volume que
vous avez publié - le volume que vous avez publié le 5 mai 1987,
dans lequel les sept conditions apparaissaient comme étant les
prémisses de base pour lesquelles vous allez négocier - d'une
part, ce qui est mentionné à la page 13 du document et que vous
relevez, que vous avez pris dans le document Perspectives
québécoises: II ne fait aucun doute - c'est le ministre qui parle
-cependant, que plusieurs programmes d'aide gouvernementale,
particulièrement ceux qui sont ciblés sectoriellement et
géographiquement - cela veut dire les programmes d'intervention à
l'intérieur des différentes régions - pourraient
être modifiés pour s'adapter au nouveau code de conduite pour que
le Canada et les États-Unis puissent en conclure... Comment pouvez-vous
nous dire que vous allez être capable de garder la marge de manoeuvre,
quand vous êtes actuellement préoccupé par le fait que, si
on veut être capable de continuer à donner des subventions au
développement régional, par exemple, on pense qu'on va avoir les
mains attachées? C'est là, entre le principe. Et s'il y avait eu,
- et je pose la question aux centrales syndicales - derrière ces sept
conditions l'explication de ce que cela voulait dire et si on nous en avait
entretenu largement, je pense qu'on n'en serait pas à ce type de
discussion aujourd'hui. Je vous pose la question, à savoir, si vous avez
cette même vision?
Le Président (M. Charbonneau}: Qui veut répondre?
M. Laberge? Qui d'autre? M. Larose.
M. Larose: II semble que la préoccupation principale de
ceux qui ont les mandats ou, supposeraient les mandats pour négocier, ce
qu'on veut éviter, c'est l'application du courant protectionniste qui
aurait doublé en termes de législation, si je comprends bien,
depuis quelques années. On veut se mettre à l'abri du
protectionnisme américain. J'aimerais savoir quel indice on a, depuis
que le monde se parle, que les Américains veulent abandonner leurs
pouvoirs ou leurs droits ou leur souveraineté à lever des droits
compensatoires, soit se prémunir contre une production concurrentielle.
Il y a un contrat de libre-échange États-Unis-Israël. Est-il
exact qu'il est prévu là-dedans, à l'article 5, que tout
cela n'enlève rien au gouvernement américain de lever des droits
compensatoires s'il y a des secteurs qui lui apparaissent pertinents d'enlever?
Est-ce qu'on a avancé un peu sur l'accès garanti? Tout ce que
j'ai lu et toutes les déclarations que j'ai entendues, c'est que non
seulement on n'a pas avancé, mais il n'en est pas question. Alors, on
aura beau me faire miroiter qu'on veut se mettre à l'abri du
protectionnisme, je veux savoir quel est le parapluie.
M. MacDonald: Je pense que le meilleur indice, M. Larose, que
cela se discute est que cette condition était une prémisse de
départ du gouvernement canadien et que, dans ce contexte, le
gouvernement américain a accepté d'engager une
négociation. Pour ce qui est des détails et des raffinements,
vous savez très bien comment le processus de négociation
fonctionne, vous en êtes un expert. Dans ces négociations, vous
savez très bien, à la fin... et je vais citer une des personnes
qui a souvent déclaré son préjugé favorable envers
vous et votre organisation et d'autres semblables, M. Parizeau disait
que ceux qui savent ne parlent pas et ceux qui ne savent pas parlent.
Dans le contexte, les négociations se déroulent.
Une voix: ...
Le Président (M. Charbonneau): Ne vous chicanez pas. Je
vais vous laisser parler, tout le monde.
M. Larose: Est-il exact, M. MacDonald, que Mme Cartney, qui est
responsable ou qui a été responsable de ce dossier, a
déclaré le 9 décembre 1986 que jamais les
Américains n'abandonneraient le droit d'imposer des droits
compensatoires et que si les Canadiens pensaient qu'ils allaient obtenir cela,
ils avaient un doigt dans l'oeil. Celle qui est responsable de la
négociation s'en va à la table de négociation en
déclarant publiquement que, de toute façon, ce qu'elle demande,
elle ne l'aura pas. Est-ce que cela est vrai?
M. MacDonald: Je n'ai pas le texte, mais si vous le dites, je
suis prêt à vous croire.
M. Larose: Mais vous êtes à la table de
négociation, que je sache, ou selon ce que vous dites, à tout le
moins.
M. Laberge: M. le ministre, ce que vous nous avez dit
tantôt, citant une parole de M. Parizeau... Je me souviens d'une de vos
paroles à Sherbrooke, où vous étiez allé à
une réunion. On était à cette réunion aussi la
semaine avant. Vous avez dits Ils parlent de cela et ils ne connaissent rien
là-dedans. C'est moi qui ai les informations et on est d'accord. Sortez
vos informations. C'est ce qu'on demande depuis toujours. La commission
MacDonald s'est prononcée en faveur du libre-échange. Vous allez
être obligé de reconnaître que si, dans trois ou quatres
secteurs, on a des chances de gagner des emplois, il y a six ou sept secteurs
où on va en perdre. Apparemment, les études du ministère
de l'Industrie et du Commerce du Québec ne sont plus bonnes. D'accord.
Mais, il y a eu des études. Tout ce qu'on dit, c'est: Avez-vous des
informations? M. MacDonald, vous dites: On parle le même langage. Si on
parle le même langage, on n'a pas de problème. Mais nous vous
disons que nous ne sommes pas prêts, aucunement, à reculer dans
nos négociations, dans nos conditions de travail et nos salaires pour
descendre au niveau des employeurs américains des États du Sud
pour pouvoir vivre avec le libre-échange. À un moment
donné, il faut quand même être de bon compte. Notre ami,
Jacques Proulx, vous a parlé hier et il a eu l'occasion de vous parier
tantôt. Je vais me servir d'une image que Jacques connaît bien: le
Canada c'est un grand pays, mais juste avec un petit troupeau dedans. Et comme
le vieux proverbe le dit: L'herbe est toujours plus verte dans le
pâturage du voisin. Il y en a parmi nous autres qui commençons
à essayer de convaincre les autres parties du troupeau. Allons de
l'autre côté. Regarde l'herbe est bien plus belle et, â part
cela, il y en a bien plus; elle est plus longue, elle a l'air d'être plus
fraîche. Faisons partir la clôture, le libre-échange, plus
de clôture. On s'en va, tout le gang, de l'autre bord, le petit troupeau
et on va se payer la traite dans cette herbe-là qui a l'air bien plus
verte, plus grosse, plus nombreuse et tout ça. Sauf qu'il n'y en a pas
un maudit qui a pensé que, tout d'un coup, c'est le gros troupeau de
l'autre bord qui rentre dans notre pâturage et mange toute notre herbe.
Il ne nous restera pas grand-chose pour le lendemain. Nous autres, on ne veut
pas prendre de chance là-dessus. Vous l'avez dit vous-même,
plusieurs fois, les négociations, ça nous connaît, et quand
on s'en va en négociation normalement notre monde sait ce qui est
négocié. On le sait ce qui est négocié. Je ne vous
blâme pas, je pense que vous ne savez pas plus, vous non plus, enfin,
sans doute plus, mais vous ne savez pas tout, tout, vous non plus, parce que je
me demande des fois s'il y en a qui savent ce qui se négocie
là.
Mais de toute façon, on n'a pas le droit de prendre des chances
avec des choses semblables. Encore une fois, toutes les dizaines de milliers
d'emplois qui vont disparaître, et là-dessus toutes les
études qu'on connaît, celles qu'on a faites comme d'autres,
concordent là-dessus. Toutes les études qu'on a faites disent: il
y en a des pertes d'emplois, ça c'est notre monde qui va perdre ces
emplois-là. Il y aura des emplois de créés fort
probablement. Cela sera quelle sorte d'emploi? Des emplois précaires?
Des emplois à temps partiel? Qui va détenir ces jobs-là?
On ne le sait pas. Encore une fois on sait que les jobs qui vont
disparaître, c'est notre monde qui les détient. Cela fait que
notre position, je pense, elle est assez claire. Il me semble qu'elle est
compréhensible. On ne veut pas, absolument pas, prendre de chance.
Le Président (M. Charbonneau): J'ai l'impression, M.
Laberge, si vous me permettez, que c'est ça le coeur du problème.
C'est l'emploi. Et moi, à cet égard-là, ce que j'aimerais
qu'on clarifie, parce que souvent j'ai l'impression qu'il y a des confusions de
langage... À la page 22 de votre mémoire, parmi vos
recommandations au gouvernement du Québec, vous dites: Le gouvernement
québécois devrait faire du plein emploi son grand objectif en
matière de développement économique.
Le ministre, hier, nous disait: Nous, du
gouvernement et du parti libérai, on est d'accord avec le fait
qu'il faut créer de l'emploi. Je me rappelle, il y a quelques jours
à peine, un penseur du parti libéral fédéral
utilisait l'expression "plein emploi" en disant que maintenant,
dorénavant, il y aurait quelques grandes tendances du nouveau
libéralisme et une de ces grandes tendances-là serait le plein
emploi. Tout le monde se met maintenant à la vertu du plein emploi. Sauf
que, qu'est-ce que vous entendez et qu'est-ce qu'on doit entendre quand on vous
entend, les centrales syndicales, parler du plein emploi? Est-ce que c'est la
même chose que le discours libéraliste qui est de dire: oui, on
est pour la création d'emplois parce que l'emploi vient avec la
croissance économique, avec les investissements, avec la transformation
de notre appareil de production? Est-ce que c'est ce que vous entendez par une
politique ou une stratégie de plein emploi ou si c'est quelque chose qui
s'apparente plutôt à ce qui se fait dans des pays qui n'ont pas
nécessairement une tendance de libéralisme, mais plutôt une
tendance sociale-démocrate, où l'emploi est un critère de
décision? Et vous l'avez indiqué dans votre mémoire
à la page 21. Vous déplorez qu'on n'ait pas retenu la
création nette d'emplois comme étant le critère
d'endossement, finalement, d'un accord éventuel. Est-ce qu'on peut
s'entendre sur le vocabulaire? Il semblait tantôt qu'on était
agacé par des difficultés de compréhension de langage.
Quant à moi, il y a une expression qui commence à me fatiguer pas
mal, c'est celle que tout le monde utilise: le "plein emploi", pour se draper
d'un manteau de vertu. Qu'est-ce que c'est que le plein emploi, qu'elle en est
votre conception à vous?
M. Laberge: Une politique de plein emploi, c'est que le
gouvernement doit faire concentrer toutes ses politiques vers la
création de nouveaux emplois. C'est bien sûr que ce n'est pas
demain matin qu'il n'y aura plus aucun chômeur. Mais nous disons que dans
un pays comme le nôtre, en se dotant de la volonté politique de
tout centrer, de tout canaliser vers cette aspiration légitime, c'est
que tout ceux qui sont capables de travailler et qui veulent travailler,
pourraient travailler. Et cela doit passer avant tout.
Je pense qu'on est capable de le faire. En tout cas, il y a une chose
qui est sûre, c'est qu'on devrait essayer de le faire. (17 h 15)
Le Président (M. Charbonneau): Dans les pays - je reviens
sur cela - où l'on parle de plein emploi, le processus
décisionnel est tel que le gouvernement accepte de partager la
responsabilité politique et décisionnelle des décisions
économiques avec un critère: la création d'emplois.
J'imagine que c'est un peu ce que vous dites, et non pas...
M. Laberge: C'est un peu beaucoup ça. C'est ça.
Encore une fois, une politique de plein emploi, un gouvernement ne peut s'en
laver les mains et dire: C'est l'entreprise privée qui va faire et ce
sont les forces du marché. C'est ça justement. On connaît
les États-Unis. Les États-Unis n'ont jamais cru que l'État
devrait participer à la relance économique. Ils laissaient
ça aux forces du marché. Pour les Américains, voir
quelqu'un crever à côté, cela ne les dérange
absolument pas, pourvu que les géants, les ogres, puissent avaler les
autres petits, grossir davantage, vendre davantage et produire davantage.
On ne veut pas de ce genre de politique-là et, encore une fois,
on vous le dit et on voudrait que ce soit bien compris et pas autrement qu'on
le dit. Ce ne sont pas des menaces, on n'en veut pas et on ne le prendra
pas.
Le Président (M. Charbonneau): Une dernière
question en ce qui me concerne à ce moment-ci, avez-vous
été contacté, au cours des derniers mois ou depuis qu'on
parle de ce dossier du libre-échange, par quelque mécanisme que
ce soit, pour préparer des mesures d'adaptation de la main-d'oeuvre? Un
travail a-t-il été fait en concertation et en collaboration avec
les centrales syndicales pour préparer la main-d'oeuvre de quelque
façon que ce soit à s'adapter éventuellement â une
nouvelle situation?
M. Larose: Le seul contact que nous avons eu, c'est celui du
comité Warren où nous avons eu une prestation. Tout cela s'est
fait de façon très civilisée.
Mais, à la question que vous posez, je pense qu'il y a des
conditions à réunir. Quand on veut promouvoir une politique de
plein emploi, il faut d'abord que les partenaires se reconnaissent, que le
patronat soit d'accord, que le gouvernement soit d'accord et que les syndicats
soient d'accord pour se reconnaître comme partenaires pour promouvoir
quelque chose. On est un peu loin de cela en Amérique du Nord,
peut-être moins au Québec, mais disons que ce n'est pas la
tradition nord-américaine.
Ce qui est proposé, c'est le balayage de toutes les entraves pour
que les règles du marché, les forces occultes du marché,
jouent sans que personne n'intervienne là-dedans. C'est seulement cela
qu'on nous propose. Dans ce sens-là, on dit que c'est contraire aux
intérêts que nous, en tout cas, représentons, car on sait
que ceux qui vont payer, au bout de la ligne, ce n'est pas le grand capital, ce
n'est pas le petit capital -peut-être plus le petit capital, oui - mais
ce sont d'abord des hommes et des femmes que nous représentons. On pense
qu'on a le droit
de discuter d'un peu plus et un peu plus longuement pour voir de quoi
est fait l'avenir sur cette question. On ne s'est pas senti beaucoup
aidé dans cette opération, y compris dans l'organisation de
forums publics que nous avons voulu faire. Une fois, le ministre Johnson est
venu participer à cela; mais, le reste du temps, tout le monde des
milieux gouvernemental ou patronal refusait de venir discuter sur la place
publique d'une question aussi cruciale que celle de l'avenir économique
d'un petit pays ou d'une petite province qui s'appelle le Québec Dans ce
sens, on a bien essayé de faire des efforts, mais on s'est senti un peu
seul dans l'ensemble de l'opération.
Le Président (M. Charbonneau): M. Charbonneau.
M. Charbonneau (Yvon): Oui, je voudrais répondre aussi un
peu à votre question. Un lieu aurait été utilisable
jusqu'à un certain point pour discuter des questions comme celle que
vous soulevez. Cela aurait pu être le Conseil consultatif du travail et
de la main-d'oeuvre. Mais le ministre responsable de ce secteur passe le plus
clair de son temps à le mettre de côté et il fait tout pour
essayer de l'étrangler plutôt que de l'utiliser. Alors, ce forum
serait utilisable, mais ce n'est pas l'utilisation qu'en fait actuellement le
gouvernement.
Je voudrais poser une question au ministre MacDonald qui fait souvent
allusion à nous comme étant des experts de la négociation.
Je ne sais pas si c'est vrai, mais ce que nous faisons en négociation,
c'est un rapport d'étape avant la conclusion. On ne fait pas seulement
dire ce que nous voulions au point de départ, mais de quoi cela a l'air
vers la fin, puis, là, on considère la situation avec nos membres
et on leur demande si cela a du bon sens ou non. Ce que vous nous dites, M.
MacDonald, c'est intéressant. Vous nous avez aligné vos
prémisses et les conditions, etc. C'est sûr que ces conditions
sont intéressantes, c'est ce que vous disiez au début.
Pourriez-vous nous dire maintenant, à quinze jours de
l'échéance, de quoi vos conditions ont l'air? En quoi sont-elles
respectées ces conditions? C'est cela qui nous intéresse
maintenant.
M. MacDonald: II n'est rien arrivé pour changer, dans
l'optique du gouvernement du Québec, une ou une partie des sept
conditions énumérées comme conditions
générales ou autres balises qu'on a pu mettre dans notre
participation à cette négociation.
M. Charbonneau (Yvon): De manière complémentaire,
M. le Président, est-ce que M. le ministre, vous accepteriez notre
suggestion, une fois qu'on en serait arrivé à des conclusions,
qu'il y ait une nouvelle commission parlementaire pour examiner ensemble le
degré d'application de vos conditions de manière publique?
M. MacDonald: Je trouve que ce serait probablement une excellente
façon de débattre du sujet, mais que cela ne serait pas la seule
façon non plus. J'ai déjà dit en Chambre que, sur un sujet
aussi important pour l'économie du Québec et l'avenir du
Québec, il faudrait également que cela soit
présenté devant les élus du Québec.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de
l'Industrie et du Commerce.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président.
Je dois dire qu'en entendant les représentants de la coalition, j'ai
été un peu étonné du tableau qu'ils brossaient du
désastre appréhendé qu'ils nous décrivent. Je suis
étonné pour la bonne et simple raison qu'à cause de mon
travail quotidien, ce que je vois surtout, ce sont des entreprises
québécoises qui, de plus en plus, sont en train de sortir du
marché domestique non seulement québécois mais canadien,
sont en train de conquérir, grâce à leur
originalité, des parts sur les marchés américains
d'où elles étaient absentes il n'y a pas si longtemps. Ce que
j'entends de ces entreprises, c'est la demande qu'on continue à soutenir
leur action sur ces marchés, pour qu'on assure par nos actions et celles
du gouvernement canadien, dans le cadre qui nous préoccupe, que cet
accès au marché américain qu'on est en train d'exploiter
soit maintenu. Ce que je suis à même de faire et ce que d'autres
collègues peuvent faire, c'est précisément de soutenir par
des programmes qui existent et qui existeront, la capacité de nos
entreprises de s'adapter à la concurrence internationale. Ce que je
vois, c'est que la concurrence internationale nous dicte de rechercher certains
marchés d'une façon précise, d'une façon
particulière qui amène le gouvernement à contribuer de
façon conforme à ce qui existe par ailleurs dans les
négociations multilatérales, c'est-à-dire qu'il ne doit
pas y avoir d'intervention répréhensible - entre guillemets - de
favoritisme indû des entreprises domestiques leur permettant d'envahir
avec succès les marchés étrangers. C'est cela, la
réalité quotidienne. Je vois également des
déplacements d'emplois, je vois également des industries
où la concurrence internationale, pas celle qui vient
nécessairement des États-Unis seulement, mais la concurrence
internationale oblige des travailleurs à considérer, oblige des
industries complètes à envisager, oblige des intervenants sociaux
et économiques à examiner de quelle façon nos travailleurs
vont changer d'emploi d'ici 5, 10, 15 ou 20 ans, comment le profil de l'emploi
qui se modifie de toute façon quant au quart
ou au tiers de la main-d'oeuvre tous les ans devra tenir compte des
changements que la concurrence internationale dicte. C'est donc ce que je vois.
Je suis presque tenté de dire que ce que j'entends, c'est une suggestion
que je réponde aux entreprises québécoises qui veulent
être à l'abri du protectionnisme américain: On s'en occupe,
on va essayer quelque chose que les intervenants à la commission
parlementaire nous ont suggéré, on va négocier avec les
autres pays. Les entreprises québécoises en phase de croissance,
étrangement, préfèrent faire affaire avec quelqu'un qui
est à quelques milles d'ici plutôt que quelques milliers de milles
ou de kilomètres d'ici. Elles préfèrent un investissement
de quelques dizaines de milliers de dollars pour s'implanter en
Nouvelle-Angleterre plutôt qu'un investissement de quelques centaines de
milliers ou de millions de dollars pour s'implanter de l'autre
côté du globe. C'est ce que les entreprises
québécoises souhaitent. Ce à quoi nous contribuons, c'est
dans cette direction que nous les aidons. Il est entendu qu'il y a des
déplacements d'emplois. C'est là-dessus que j'aimerais des
éclaircissements. Étant donné qu'à l'égard
de l'agriculture, nous avons identifié que c'était pour le moins
très sensible que de modifier des conditions du marché qui
protègent nos producteurs agricoles et compte tenu de ce constat, on a
décidé d'en faire un cas spécial, de l'exclure. C'est cela
la différence entre un cas spécial et exclure; c'est qu'il n'y en
a pas de différence. Nous devrions utiliser le même gabarit ou la
même qrille par secteur industriel et de dire: Y a-t-il dans ce secteur
une perte d'emplois? Donc, on ne devrait pas parler de libre-échange
parce qu'il y a cet effet-là. On va exclure un tas de secteurs où
il y a une perte d'emplois. On va être logique. Si vous reconnaissez
qu'il y a de la création d'emplois ailleurs et que, quant à nous,
nous sommes convaincus qu'il y aurait création nette d'emplois, je ne
vois pas comment on pourrait avoir un comportement économique et
commercial en matière internationale qui ferait en sorte qu'on
continuerait à protéger intégralement tous les emplois de
vos cotisants qui existent aujourd'hui pour une éternité ou ce
qui s'en rapproche, et encore consentir des efforts pour appuyer les
entreprises qui sont en croissance et qui ont besoin de notre aide. Je
constate, si on parle de déplacement des emplois, que, oui, il y aura
des gens qui vont perdre leur emploi, mais, oui, il y en a qui vont être
créés. Est-ce que ce sont les mêmes personnes? Ce n'est pas
aujourd'hui évident, mais on doit s'assurer, si on met en place des
programmes d'ajustement et de formation de la main-d'oeuvre, que ce sont ces
personnes-là qui sont déplacées qui occupent ces emplois.
C'est précisément à cette fin que l'OCRI, à titre
d'exemple, avait été mis sur pied. Je lisais dans votre
mémoire que l'OCRI aurait été aboli afin de
préparer le terrain pour le libre-échange. Je vois surtout qu'il
avait un mandat à compléter dans une région où le
textile connaissait une perte d'emplois et que des milliers d'emplois ont
été créés. Un mandat a été
complété. C'est cela des mesures d'ajustement. C'est de cette
façon qu'on peut envisager, s'assurer que les personnes et les familles
nommément touchées ont des chances de retrouver des
débouchés dans d'autres secteurs qui sont en croissance.
Et vous n'avez pas encore répondu à la question: Qu'est-ce
que je réponds, qu'est-ce qu'on répond aux entreprises qui
veulent s'assurer qu'on civilise et qu'on donne un cadre un peu plus
prévisible aux échanges entre le Canada et les États-Unis,
qui veulent conserver cet accès au marché américain? Je ne
peux pas pour l'instant leur répondre: Ne vous inquiétez pas; je
vais négocier avec des pays d'Asie ou d'Afrique. Je ne peux pas leur
dire cela.
M. Laberge: M. Lemaire, qui est reconnu tout de même comme
un employeur dynamique au Québec, M. Bernard Lemaire, de Cascades, quand
il est venu au colloque de la FTQ, il a été obligé de
reconnaître qu'il y aurait probablement trois ou quatre de ses
entreprises, dans un contexte de libre-échange, qui fermeraient. Mais il
n'y a pas de problème; il va en ouvrir d'autres. Bravo pour M. Lemaire!
Mais le monde qui est là dans les trois, quatre ou cinq entreprises
qu'il va fermer, qu'est-ce qu'il teur arrive? C'est cela le problème. Je
sais que, pour n'importe quelle banque, faire affaire avec un employeur
américain, japonais, irlandais, ou autre, bien sûr... mais le
monde, c'est notre préoccupation. Encore une fois, c'est bien sûr
que vous devez penser à ce genre de chose et vous savez qu'il y a des
secteurs où il y a... Les travailleurs et les travailleuses qui y
oeuvrent, c'est du monde qui serait assez difficilement
déplaçable et remplaçable ailleurs. C'est tout le
problème. Les mesures protectionnistes, je pense que notre ami, M.
MacDonald, va se rappeler qu'à la veille des élections
américaines, il y a toujours un tas de bills privés de
déposés pour que les sénateurs et les gouverneurs aient
l'air de politiciens qui s'occupent de leur monde dans leur région.
À toutes les élections américaines, la même chose se
produit.
Le Président (M. Charbonneau): M. Proulx, vous avez un
commentaire. Je rappelle à tout le monde, parce que le temps file
malheureusement, que les réponses sont comptabilisées sur le
temps imparti à chaque groupe parlementaire. Néanmoins, si vous
avez un commentaire additionnel, M. Proulx. (17 h 30)
M. Proulx: En fait, c'est parce que j'achète une bonne
partie du discours de M. Johnson, sauf qu'il faudra qu'il s'accorde avec son
collègue MacDonald qui, d'un côté, dits J'achète le
bout où il dit qu'on va mettre en place l'harmonisation, on va former
notre monde, etc. Mais M. MacDonald n'a pas arrêté de nous dire
que ça pressait. Tu ne formes pas le monde instantanément comme
ça. Vous êtes d'accord?
M. MacDonald: II n'y a pas de problème.
M. Proulx: Vous m'avez dits Le GATT, c'est trop long, on n'a pas
de possibilité. Ça presse, on a ça au-dessus de la
tête et, de l'autre côté, il faut former du monde. On est
d'accord avec ça...
M. MacDonald: Vous mélangez les carottes avec Ies oignons,
là.
M. Proulx: Non, non, excusez-moi, M. MacDonald, je ne
mélange rien. Je veux rappeler aussi que le problème majeur aux
États-Unis, à l'heure actuelle, c'est le déficit de la
balance commerciale de 170 000 000 000 $. Je ne pense pas qu'il soit
causé uniquement par le Canada. Ce n'est pas parce qu'on aura une belle
entente avec les États-Unis que ça va régler leur
problème justement qui les force à avoir 500, 600 ou 700 mesures
protectionnistes à l'heure actuelle.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Oui, M. le Président. Ma
préoccupation, et j'aimerais savoir si elle rejoint la vôtre, est
celle-ci. D'abord, on s'entend pour dire que ce n'est pas ici, même si le
débat qu'on a est très utile, quoiqu'il est très tard,
qu'on sera capable de prendre la décision s'il y a entente ou non de
libre-échange. Conscient de ça, je me dis qu'il faut envisager
avec des gens comme vous ce qui va se passer après entente, si entente
il y a. Pour réussir une entente de libre-échange, réussir
à vivre avec le monde quelque part en 1988 ou 1990, selon le moment
où les mesures s'appliqueront, il faut, à mon avis, que le
gouvernement, que ceux qui dirigent, que ceux qui mettent les politiques en
place, que ceux qui décident où on va, soient exactement
branchés sur la bonne philosophie.
Ma préoccupation, je l'ai dit et je le répète, est
à savoir que le gouvernement qui négocie actuellement a une
idéologie non seulement exprimée clairement mais appliquée
depuis 22 mois comme étant un gouvernement non interventionniste, un
gouvernement qui veut se retirer de plus en plus. C'est un choix, comme je l'ai
dit, et même si je ne suis pas d'accord, je le respecte et on doit vivre
avec. Ma préoccupation, et j'aimerais savoir ai la vôtre va dans
le même sens, quant au succès du libre-échange, comment
va-t-on vivre le libre-échange, comment les entreprises, les
travailleurs et les travailleuses vivront ça? Ce ne sera, à mon
avis, qu'à la condition qu'on leur donne les outils nécessaires
et qu'on fasse "mesurément"... et on verra comment ça pourra se
faire. J'aimerais qu'on le voit le plus vite possible et non pas dans deux ans,
de quelle façon l'intervention du gouvernement, le support devra se
donner, que ce soit par le biais des sociétés d'État qui
joueraient un rôle moteur dans certains cas ou par le biais de programmes
gouvernementaux de quelque nature que ce soit. Comment cela se vivra-t-il? Avec
le gouvernement actuel, qui se veut non interventionniste, peut-on
espérer des politiques qui pourront être mises de l'avant, qui
seront cohérentes, afin de pouvoir vivre avec succès le
libre-échange?
Le Président (M. Charbonneau): Non, on ne commence pas
ça.
M. Larose ou M. Charbonneau.
M. Charbonneau (Yvon)ï:C'est une question pour le ministre,
pas pour nous.
M. Parent (Bertrand): Non, je vous demande si vous êtes
d'accord avec ça et ce que vous en pensez.
M. Charbonneau (Yvon): Nous sommes d'accord avec l'importance
d'obtenir une réponse claire de la part du gouvernement sur ces
questions-là. Nous les avons posées à maintes reprises
depuis te début de la rencontre. M. MacDonald a parlé, M.
Johnson, une douzaine d'autres députés libéraux pourraient
peut-être donner un coup de main au ministre. Qu'est-ce qu'il arrivera de
la main-d'oeuvre? Qu'est-ce qu'il arrivera du social derrière ça?
On nous répond, en parlant des échanges économiques,
commerciaux, etc. C'est intéressant, on écoute ça, on nous
rappelle les critères du début, mais est-ce qu'il y aurait moyen
d'avancer dans le débat, dans la dernière demi-heure, et
d'entendre quelques paroles rassurantes, d'entendre quelques annonces
concernant les problèmes sociaux, les gens dont parlait Louis tout
à l'heure, qui seront confrontés à des problèmes de
relocalisation, de recyclage ou quoi que ce soit, qu'est-ce qu'il arrive de
tout ça? On n'a pas encore entendu une parole là-dessus. Il
serait important d'avoir un point de vue Ià-dessus de la part du
gouvernement.
Le Président (M. Charbonneau): On se trouve dans un
dilemme. Il ne reste du temps de parole qu'aux députés de
l'Opposi-
tion, du Parti québécois. S'il y a des commentaires...
Sauf qu'il faut bien se comprendre. On est dans un forum à la fois
public mais aussi politique un peu d'une certaine façon, donc c'est
clair que tout le monde peut s'interpeller, sauf qu'il y a des règles
que je dois essayer de maintenir dans la mesure où...
M. Lefebvre: Question de règlement. Le Président
(M. Charbonneau): Oui.
M. Lefebvre: Autant l'Opposition que nos invités
souhaiteraient qu'un de nos ministres fasse des commentaires à la suite
des interrogations du député de Bertrand, encore faut-il que nos
règles permettent à nos ministres d'intervenir. Alors, je
demanderais à l'Opposition si on veut bien nous céder du temps
pour permettre aux ministres de répondre aux questions
soulevées.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Quant à moi, je n'ai aucune
objection. On est ici pour le débat et pour le faire avancer. Si le
ministre veut prendre cinq, dix ou quinze minutes additionnelles pour
répondre à cette question, je ne dermande pas mieux.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, écoutez,
est-ce que le ministre de l'Industrie et du Commerce ou le ministre du Commerce
extérieur...
M. MacDonald: Je vais partager cela, je vais laisser M. Johnson
l'aborder.
Le Président (M. Charbonneau): Je vous indique tout de
suite que... je sais que le député de Roberval m'avait
indiqué qu'il voulait aussi intervenir. On va essayer de jouer cela un
peu à l'oreille, comme on le fait depuis le début de la
commission, de telle sorte que vous pourriez donner des réponses et que,
néanmoins, le député de Roberval puisse aussi intervenir
avant la fin, sinon on peut aller jusqu'à minuit, comme cela, et se
passer des temps de parole. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas de
problème.
Une voix: On peut continuer dans le même sens.
Le Président (M. Charbonneau): Très bien.
Une voix: De toute façon, à 20 heures, il y a de la
bière.
Le Président (M. Charbonneau): Je sais que l'Association
des brasseurs est invitée et après, il y a l'association, je
pense, des producteurs de vin. Alors, on va avoir une bonne soirée.
Une voix: Vous êtes invité.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, il ne sait pas quel
ministre. M. le ministre de l'Industrie et du Commerce.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président.
Merci, M. le député de Bertrand, de nous permettre de lever
peut-être un malentendu qui est en train de se glisser et qui a
été évoqué par M. Proulx. La question de M. Proulx
la suivante. Cela presse beaucoup, mais les gens déplacés, pour
rejoindre la question de M. Charbonneau et de tous les autres, cela ne se forme
pas en criant ciseau pour être prêt pour le
libre-échange.
La dimension qu'on a oublié de mentionner, une chose certaine,
dans votre mémoire mais qu'on a toujours fait valoir, c'était
qu'une entente avec les Américains est assortie automatiquement de
conditions relatives à des périodes de transition et
d'ajustement. C'est à l'occasion de ces périodes d'ajustement et
de transition que les provinces entendent, et c'est déjà parti
d'un processus informel, suggérer des façons dont on peut cibler
les programmes d'interventions gouvernementales afin de ménaqer la
transition, afin que les gens, M. et Mme Unetelle affectés dans tel
village, M. et Mme Untel, les autres, qui travaillent chez Bernard Lemaire qui
ferme son usine, ces qens pris en charge par des interventions
gouvernementales, par l'entreprise privée qui, elle-même, doit
contribuer, si elle y croit, à maintenir l'expérience que ces
gens qui travaillent chez elle ont acquise et qui auront à travailler en
d'autre chose. Bernard Lemaire dites-vous, vous a-t-il dit, va ouvrir d'autres
usines. C'est une entreprise qui ne jettera pas son dossier là, à
titre d'exemple, et il y en a beaucoup d'autres, et cette évolution est
réelle. Ce sont des gens qui ne jetteront pas par-dessus bord les gens
qui travaillent avec eux, qui contribuent à leur succès depuis
des années, pour leur dire: Savez-vous, nous, on va fonder d'autre chose
mais arrangez-vous avec vos troubles, ce n'est pas à vous qu'on va
apprendre comment continuer à contribuer avec nous au
développement économique de votre région, mais dans un
nouveau secteur.
Ces périodes de transition et d'ajustement vont être
déterminées, définies par consultation avec les secteurs
et les entreprises touchées sur une base volontaire. Si un secteur
industriel et des entreprises nous disent dans notre cas: Cinq ans, c'est en
masse et voici comment on peut ensemble aménager cette transition. C'est
comme cela que cela va se régler. Si pour d'autres
entreprises on nous dit: On n'a pas besoin de cela, on est prêt
demain matin. Dans ce secteur, cela va être instantané. Si dans
d'autres secteurs, on nous dit: Cela prend dix ans, certain. Cela fait partie
intégrante des discussions qui ont cours. C'est sur une base volontaire
en consultation avec les associations, en consultation avec les entreprises
qu'on va aménager ces programmes. C'est de cela dont il a
été question lorsqu'on a ouvert nos oreilles à nous aussi
pour écouter les gens, pour voir qu'elles étaient leurs
évaluations des ajustements et périodes de transition
nécessitées par l'éventualité d'une
libéralisation des échanges avec les Américains. Cela
explique également pourquoi, dans les études qui pourraient
exister, nous ne sommes pas en mesure d'indiquer aujoud'hui, parce qu'on n'a
pas la permission de le faire, quelle est l'évaluation que font ces
secteurs industriels, pour une bonne et simple raison. Premièrement, on
l'a vu ici même, lorsqu'on demandait aux gens: Vous nous dites telle
chose, pourriez-vous nous montrer les études précises sur
lesquelles vos énoncés reposent? On nous a dit: C'est
confidentiel. Il y a trop de données, de témoignages,
d'entreprises qu'on va reconnaître, qui vont se trouver à
divulguer leur stratégie concurrentielle, pour qu'on le mette sur la
place publique. J'ajoute, par voie d'analogie, que, oui, on peut faire des
rapports d'étape sur l'endroit où on est rendu. On vient d'en
faire un. Nos conditions n'ont pas changé, on vient d'en faire un autre,
on vient répéter que des périodes de transition et
d'ajustement, cela se fait en collaboration avec les entreprises et que c'est
une partie intégrante du mécanisme. Je pourrais ajouter qu'on ne
fait pas rapport sur quel va être le règlement final qu'on va
accepter. Un peu comme vous, après cela, on est jugé sur les
résultats.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Laberge.
M. Laberge: Et vous allez intervenir, comme gouvernement,
directement, sur la formation des travailleurs, la relocalisation, etc. Je ne
sais pas si Reed Scowen va vous applaudir.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): II est à Londres, je ne
sais pas s'il va nous entendre.
M. Laberge: ...quand il va vous entendre dire cela. Si c'est
cela, c'est cela qui devrait être mis en branle maintenant. On sait qu'on
a des secteurs mous, par exemple, le textile. Au lieu d'essayer de
guérir après... Quant à notre ami, Bernard Lemaire,
malheureusement, mon cher ministre, Bernard Lemaire dit: Je n'ai pas de
problème, je vais en ouvrir trois, quatre aux
États-Unis. Aux États-Unis, ce n'est pas un bon endroit
pour aller replacer les gens qui perdraient leur emploi. C'était un
mauvais exemple.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Non, mais si...
Le Président (M. Charbonneau): Vous être toujours
sur le temps du député de Bertrand.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): II ne faudrait pas laisser
planer l'idée que le groupe Cascades est susceptible de laisser tomber
ses gens comme cela. Je ne connais pas d'entreprises qui veulent
réussir, et notamment elles le font en association avec leurs
travailleurs, vous le savez pertinemment, vous avez de plus en plus
d'expérience d'ailleurs avec le Fonds de solidarité dans cette
coparticipation du capital et du travail...
M. Laberge: Il y a aussi Electrolux, les mines Bell, enfin,
bon...
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): II ne faut pas mêler...
Je ne pense pas que c'est du déplacement de main-d'oeuvre à cause
d'un traité de libéralisation des échanges. Il ne faut pas
changer les choses. En attendant, il y a des entreprises
québécoises qui engagent beaucoup de monde, je peux bien
comprendre, mais assurons-nous que, si nous sommes sensible à ce que ce
déplacement d'emploi signifie - et nous !e sommes - qu'on mette en
branle des mécanismes d'ajustement, des programmes d'ajustement, en
collaboration intime, obligatoire, je dirais, avec le gouvernement
fédéral, qui a annoncé qu'il s'en allait vers le
libre-échange, qui nous a demandé de participer. On a dit, oui,
à nos conditions. Et une de ces conditions, c'est que c'est ce
pays-là, le Canada, qui doit supporter, en grande partie, les
coûts d'ajustement de notre main-d'oeuvre. C'est bien évident.
C'est vers cela qu'on s'en va. J'y vais avec confiance. Je vois des
succès d'entreprise qui demandent un accès garanti à des
marchés que nous sommes en train d'exploiter. On voit de la
création nette d'emplois. Je peux comprendre que certains de vos
cotisants, du jour au lendemain, vont être menacés. Mais, je veux
prétendre qu'il est également important que leurs enfants aient
une chance de se trouver un emploi dans des industries en croissance,
grâce à un accès garanti à un très grand
marché.
Le Président (M. Charbonneau): Deux petites, vite, M.
Proulx et M. Larose.
M. Larose: Oui, une petite vite. Expliquez-moi ce qu'est un
accès garanti, à partir du débat que vous avez fait depuis
le
début? Cela n'existe pas. Je n'ai pas encore compris et c'est
peut-être cela mon problème.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Non, M. Larose, je vous ai
entendu dire que...
Une voix: C'est un passe-montagne. Des voix: Ha! Ha!
Ha!
Le Président (M. Charbonneau): II faudrait que le temps
achève pour que l'équité s'installe un peu.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): On a entendu beaucoup de gens
constater que les Américains n'abandonneraient jamais cet aspect de leur
souveraineté qui s'exprime par l'imposition de droits compensatoires. Je
veux accepter cela. Mais ce que j'ajoute, c'est qu'il est beaucoup moins
possible, moins probable que des comportements comme ceux-là se
manifestent s'il y a un cadre d'entente qui est presque contractuel entre pays
souverains quant à la façon de se comporter en matière
d'échanges interna-nationaux. Je prétends que c'est un
progrès d'instaurer un cadre qu'on est obligé quand même de
regarder, mais que cela rend un peu plus difficiles, moins probables, des
mesures spectaculaires qui créent des désastres et de vraies
dislocations instantanées comme on en connaît aujourd'hui.
M. Larose: On prend votre conception de l'accès garanti.
Voici ce que je veux savoir. Est-ce que celui avec lequel vous négociez
partage cette conception? Est-ce qu'il s'engage effectivement à donner
cet accès garanti?
M. MacDonald: Je répète ce que j'ai
mentionné auparavant, M. Larose. Au départ, c'était une
des conditions du Canada. Si cette condition n'était pas acceptable,
pensez-vous que l'autre partie aurait accepté les prémisses de
départ pour négocier? II me semble que c'est clair. (17 h 45)
M. Proulx: Quand même! Je peux vous dire que je
siège à SAGIT, Je n'ai pas le droit de parler, mais il reste
quand même que j'ai le droit de poser des questions. Il paraît que
cela ne brise pas le serment, si on le prend sur ce côté. Il ne
faudrait quand même pas nous prendre pour... Tout le monde a nié
qu'on ne parlait pas de tels secteurs. Une journée, on ne parlait pas
d'agriculture, telle autre journée, il n'y avait pas tel autre secteur
sur la table. Mais nos chemises sont pleines de mémos des
négociateurs américains comme quoi tout est sur la table:
agriculture, culture, tout. Vous êtes obligés d'admettre ou les
gens d'Ottawa - je ne vous accuserai pas, je vais dire les gens d'Ottawa - sont
obligés d'admettre qu'à un moment donné, lorsqu'il y a
assez de preuves de cela, que oui, en fait, ils ont été
obligés de le mettre là. Il ne faudrait pas... On ne peut pas
continuer à nier cela. C'est une réalité. On a des preuves
de cela et on continue à nous dire que cela n'y est pas. La confiance ne
peut pas régner à partir de cela. Que voulez-vous? On semble trop
oublier qu'une frontière, la clôture des deux pâturages,
mais au moment où elle sera à terre, le troupeau va passer d'un
bord et de l'autre. Il n'y en a pas seulement un qui va aller dans le
pâturage de l'autre. Vous ne parlez pas du fait que lorsqu'ils vont venir
dans notre pâturage, il y a des boeufs dans ce...
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Proulx: ...pâturage. Vous oubliez qu'il y a ici
plusieurs industries américaines qui sont ici uniquement parce qu'elles
ont été obligées d'avoir des succursales chez nous pour
venir chercher une subvention. Elles ne fonctionnent pas à pleine
capacité. Vous en connaissez. On vous a donné des centaines et
des milliers d'exemples, brasseries ou ainsi de suite. Je parle de mon secteur
où il y a une surproduction abominable. Pensez-vous qu'à partir
du matin où vous allez abattre la clôture ces gens ne viendront
pas la "dumper" ici, à vil prix? Parce qu'ils sont obligés de
payer pour l'entreposer, il vaut mieux la vendre bien bon marché. C'est
ça la réalité aussi. Cela va voyager d'un bord et de
l'autre.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand,
M. Parent (Bertrand): Alors sur le peu de temps qu'il me reste,
s'il m'en reste, je n'abuserai pas parce que j'avais prêté de mon
temps au ministre pour qu'il donne des réponses et...
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): ... gracieusement
prêté.
M. Parent (Bertrand): Gracieusement. J'avais prêté
de mon temps pour qu'il puisse répondre et je pense que ma frustration a
été augmentée d'autant. Je n'ai pas les réponses,
vraiment. Pas plus que vous en avez. Au moins je suis rassuré. J'ai
d'autres gens avec moi qui sont frustrés.
Une voix: C'est du masochisme.
M. Parent (Bertrand): C'est du masochisme. Nous avons
effectivement dit, au début de cette commission, que le
libre-échange, ça se prépare. Pour ma part, la conclusion
que j'en tire, avec l'exercice
qu'on a fait depuis trois jours, et particulièrement depuis cet
après-midi, c'est que le ministre avoue candidement qu'ils ne sont pas
prêts parce qu'ils ont jugé que, mesures de transition, tout ce
qui a à être préparé, ça va se faire
après. Là-dessus, je pense qu'on n'est pas du tout sur la
même longueur d'ondes, parce qu'après, on va avoir passablement de
choses à faire. La seule chose - et je terminerai peut-être sur
une note humoristique, parce qu'il faut continuer cette commission - qui me
rassure ce sont les propos du ministre MacDonald, un peu plus tôt cet
après-midi, lorsqu'il a dit que, en moyenne, les Canadiens changeaient
de job à tous les trois ans. Je sais que le ministre a
déjà deux ans de faits. Je vous remercie d'être venus,
messieurs.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, j'aurais eu la
tentation, parce qu'il reste encore quelques instants, d'ajouter un
commentaire, mais je sais que le ministre veut en ajouter un. J'ajouterai
simplement une chose à ce que vient de dire mon collègue de
Bertrand. Ce qui est inquiétant quand on entend le ministre du Commerce
extérieur et celui de l'Industrie et du Commerce nous dire que
finalement les mesures d'adaptation de la main-d'oeuvre, ça ne peut pas
être actuellement, parce qu'on ne sait pas tout à fait ce qui se
passe, moi, je réponds: vous nous dites que vous avez en main des
études dont vous ne pouvez parler parce que ça briserait ou
ça compromettrait la stratégie industrielle d'un certain nombre
d'entreprises. Ce qui m'étonne, c'est qu'au moins vous auriez pu
associer le ministère de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu au processus actuel de réflexion et de
préparation. Même si tout n'est pas sur la place publique, selon
les indications qu'on a, et ça depuis trois jours maintenant, c'est que
le ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du
revenu n'est pas dans le coup, Le ministre n'y a pas été
associé. Il n'est pas membre de cette commission. Il n'a pas
participé aux délibérations ni au processus. Finalement,
c'est un des problèmes que mes collègues et moi soulignons depuis
le début de cette commission.
Mais de toute façon, je pense qu'on va avoir d'autres occasions
pour y revenir au cours des prochains jours. Je cède maintenant la
parole au ministre du Commerce extérieur et du Développement
technologique.
M. MacDonald: Je suis obligé de conclure de la même
façon que j'ai commencé. À savoir que, ayant statué
et ayant répondu à M. Charbonneau, les termes et les conditions
que nous avons fixés au départ ne sont pas changés. Que
plusieurs, sinon la quasi-totalité des objections que vous formulez, non
seulement à la négociation mais éventuellement à
une entente de libre-éehange, sont basées sur le fait que nous
mettrions de côté ces conditions et pour lesquelles je ne peux
faire autrement que d'offrir ma parole ou ma crédibilité - pour
ce que cela vaut - et vous dire qu'il n'en est pas question. Nous sommes
d'accord que le protectionnisme américain -et je réemploie ma
vieille expression - va empirer avant de s"'emmieuter". Ce n'est pas parce
qu'une élection fédérale américaine s'en vient ou
seulement pour cela qu'il y a tant de projets de loi protectionnistes. Je pense
que les raisons sont beaucoup plus fondamentales sur le plan économique.
Mais changez l'administration américaine et, au lendemain, je ne vois
absolument aucune amélioration.
Je pense également que la lenteur administrative du GATT, comme
moyen de régler nos différends, est quelque chose qui aurait
été absolument inacceptable par nos producteurs de bois de sciage
et qui le sera sûrement s'il n'y a pas une entente quelconque lorsque se
reprendront des actions en droit compensatoire ou, pire encore... et M. Proulx
le mentionnait hier: Ce n'est pas assez. Là, on voudrait trouver un
moyen de prendre plutôt des actions législatives, parce que
compensatoires pourraient être rejetées un de ces jours ou
rétablies.
Vis-à-vis de cela, le gouvernement du Québec a fait un
choix et ce choix a été pour garantir aux travailleurs du
Québec, de la meilleure façon qu'on peut le faire, les emplois
qu'ils ont, et, de la meilleure façon qu'on peut le faire, pour essayer
d'en créer d'autres. On a pris la voie de s'associer à une
négociation de libéralisation des échanges. On a ouvert,
par le comité Warren et par la commission parlementaire, personnellement
avec une foule de personnes, le dialogue pour se faire conseiller.
J'ai dit à M. Charbonneau que, dans l'éventualité
d'un projet de convention, je serais encore très ouvert. On est en
démocratie et j'espère qu'on va le demeurer. Mais, je repose ma
question, messieurs, et je n'aurai probablement pas de réponse, mais,
dans cette éventualité, et prenez tout le temps que vous voulez
prendre, donnez-nous une autre étude; je suis prêt à
assister à n'importe quoi, mais, s'il vous plaît, si vous
n'acceptez pas cette formule qui était celle du gouvernement du
Québec, donnez-m'en une autre capable de rencontrer réellement la
situation dans sa réalité et non pas dans ses suppositions.
Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, sur cette... Vous
voulez ajouter quelque chose, M. Laberge?
M. Laberge: Oui, tout simplement pour vous remercier et pour dire
au ministre que, si vous êtes vraiment convaincu de ce que
vous venez de dire, il n'y a plus de danger et il n'y aura pas
d'entente. On reviendra vous féliciter.
Le Président (M. Charbonneau): Vous savez, M. Laberge, le
ministre a parlé de crédibilité, vous venez d'en parler.
On a un ancien collègue qui en a parlé également
aujourd'hui. Il semble que les professeurs d'université aient beaucoup
plus de crédibilité que les politiciens. Ce qui me rassure, c'est
que ceux qui en ont le moins dans la société, on. les retrouve
tou9 ici dans la salle: les politiciens, les syndicalistes et les
journalistes.
Des voix: Ha! Ha!
Le Président (M. Charbonneau): Ce que j'espère,
c'est que l'exercice qu'on aura fait aujourd'hui aura permis aux gens qui nous
écoutent de se rendre compte que c'est peut-être un jugement un
peu injuste pour les uns et les autres. Alors, merci d'avoir participé
à cet exercice.
Je convie mes collègues à revenir à 20 heures pour
une soirée, disons, bien arrosée.
Des voix: Ha! Ha!
(Suspension de la séance à 17 h 56)
(Reprise à 20 h 3)
Le Président (M. Théorêt): À l'ordre,
s'il vous plaît!
La commission de l'économie et du travail reprend ses travaux
afin de procéder à la consultation générale sur un
accord possible de libre-échange.
M. Allard, président du conseil d'administration de l'Association
des brasseurs du Québec, les membres de la commission de
l'économie et du travail vous souhaitent la bienvenue ainsi qu'à
tous vos collègues. Nou9 connaissons plusieurs d'entre eux, mais je vous
demanderais quand même, si vous voulez bien, pour les fins du Journal des
débats, de bien vouloir nous les présenter.
M. Allard (Jacques): Cela me fera plaisir, M. le
Président. MM. les ministres, MM. les députés, je tiens
d'abord à vous remercier d'avoir donné aux représentants
de l'industrie brassicole du Québec l'occasion de venir vous faire part,
ce soir, de nos remarques concernant un éventuel traité de
libre-échange avec les États-Unis.
Comme vous me l'avez demandé, j'aimerais vous présenter
ceux qui m'accompagnent, ici ce soir. À ma gauche, M. Marcel Boisvert,
président de la Brasserie Labatt Limitée et, à ma droite,
M. Ed Prévost, président de la Brasserie O'Keefe
Ltée. Â la droite de M. Prévost, M. Pierre Deniger,
président-directeur général de l'Association des brasseurs
du Québec. Je suis Jacques Allard, comme vous l'avez dit, M.
Théorêt. Je suis président de la Brasserie Molson et
président du conseil d'administration de l'Association des brasseurs du
Québec.
Nous accompagnent également M. Yves Rabeau, économiste et
professeur titulaire à l'Université de Montréal; M. Alain
Bolduc, de la Brasserie Labatt; Me Pierre Gattuso, de la Brasserie Molson; Me
Normand Zadra, de la Brasserie O'Keefe, à qui nous demanderons de
prendre la parole, si vous le permettez, advenant que soient soulevés
ici, ce soir, des aspects particulièrement techniques du dossier.
Le Président (M. Théorêt): Je vous remercie,
M. Allard. Je porte à votre attention, comme vous le savez sans doute,
que vous avez un maximum de 20 minutes pour la présentation de votre
exposé et le reste du temps sera réparti entre les deux
formations politiques pour discuter avec vous.
Je vous cède la parole, M. Allard.
Association des brasseurs du Québec
M. Allard: Merci beaucoup, M. Théorêt.
L'industrie brassicole québécoise a demandé
à être entendue parce qu'elle est très inquiète des
conséquences que pourrait avoir un traité de libre-échange
avec les États-Unis sur l'industrie brassicole, non seulement au
Québec, mais au Canada tout entier. Nous sommes convaincus que dans les
conditions actuelles du marché, l'industrie brassicole tant
québécoise que canadienne ne survivrait pas à ce qui
serait, il n'y a aucun doute pour nous là-dessus, un envahissement de
notre marché par notre contrepartie américaine. Notre position
sur le libre-échange va sans doute vous paraître bien paradoxale.
Nous ne nous opposons pas au principe général du
libre-échange, mais nous refusons cependant catégoriquement
d'être inclus dans le contexte actuel dans un traité global de
libre-échange avec nos voisins du Sud. Nous croyons qu'avant de songer
à soumettre l'industrie brassicole canadienne aux lois du
libre-échange avec les États-Unis, il est essentiel de passer
d'abord par une période de transition qui permettra à notre
industrie de rationaliser ses activités et d'être en mesure
d'affronter la concurrence des brasseries américaines. Ce que nous
demandons, à toutes fins utiles, c'est de créer d'abord ce
marché de libre-échange ici même, au Canada, avant d'ouvrir
nos frontières au marché américain. En d'autres mots,
créons le libre-échange est-ouest avant de créer le
libre-échange nord-sud.
Avant même de considérer quelque entente avec les
États-Unis, les gou-
vernements fédéral et provinciaux devraient
éliminer toutes les barrières commerciales interprovinciales qui,
dans le secteur des brasseries, régissent aujourd'hui la production, la
distribution, la commercialisation et la vente des produits brassi-coles. Nous
sommes convaincus qu'à cause de nos barrières intérieures
actuelles, il serait strictement impossible à l'industrie brassicole
canadienne et, a fortiori à l'industrie québécoise, de
survivre à un décloisonnement de nos marchés qui
passeraient soudainement de l'échelle d'une province à celle de
tout un continent. Parce que c'est bien de cela qu'il s'agit. Dans
l'éventualité d'un accord de libre-échange, nos brasseries
canadiennes qui ont été obligées par les lois à
fonctionner à l'intérieur des limites géographiques des
provinces auraient soudainement à affronter tout le marché
nord-américain. Bien plus, dans le contexte actuel, nous serions dans la
situation ridicule où nous aurions à faire face au
libre-échange avec les États-Unis alors que le
libre-échange avec les autres provinces nous serait interdit. Puisque le
ridicule ne tue pas, nous pourrions même éventuellement voir une
brasserie américaine desservir l'ensemble du Canada à partir de
son unique installation au centre des États-Unis, alors qu'une brasserie
québécoise ne pourrait même pas vendre ses produits dans la
province voisine. Parce que les brasseries ont dû construire des
installations dans chacune des provinces, à l'exception de
l'Île-du-Prince-Edouard, aucune de celles-ci n'est en mesure de
concurrencer les installations américaines qui, elles, n'ont pas eu
à se soumettre à de telles lois ou à de telles
contraintes.
Aux États-Unis, les brasseries ont aménagé des
installations d'une capacité telle que certaines pourraient à
elles seules assurer plus de 80 % de la consommation canadienne. Les
économies d'échelle que de telles installations permettent sont
insurmontables pour les brasseries canadiennes. Â ces problèmes de
taille de marché, d'économies d'échelle et de
capacité de production s'ajoute celui de la sous-utilisation des
facilités aux États-Unis.
À l'heure actuelle, au moment où on se parle, l'industrie
américaine fonctionne à moins des trois quarts de sa
capacité totale, ce qui laisse un surplus de capacité de 75 000
000 d'hectolitres - pour ceux qui ne sont pas tout à fait
habitués à cela, un hectolitre, c'est un peu plus de douze
caisses de bière de 24 - soit quatre fois la consommation annuelle
canadienne. Ce surplus de capacité, combiné à des
coûts de production très inférieurs, constitue une autre
menace à notre industrie.
L'industrie québécoise et l'industrie canadienne ne
peuvent donc pas, dans de telles conditions, affronter à court terme la
concurrence américaine. Par contre, il faut souligner que la petite
taille du marché n'a pas servi de prétexte à
l'inefficacité dans l'industrie brassicole au Québec. Au
contraire, la forte concurrence qui existe ici entre les fabricants les oblige
à être très efficaces dans les limites imposées par
la taille du marché. En fait, et cela en surprendra plusieurs,
l'industrie brassicole au Québec se classe parmi les plus productives de
tout le secteur manufacturier québécois.
Nous avons parlé d'économies d'échelle qui ont une
influence déterminante sur les coûts. Mais il faut
également parler d'économies au chapitre des approvisionnements
en matières premières. À titre d'exemple, les brasseurs
canadiens doivent payer leur orge à un prix qui dépasse le prix
mondial de cette denrée. Cela, grâce à la Commission
canadienne du blé qui exerce son monopole sur les ventes des
céréales canadiennes.
Tout à l'heure, nous vous faisions part d'une situation
aberrante. En voici une autre. Théoriquement, nos voisins du Sud
pourraient s'approvisionner en orge canadien à un prix largement
inférieur à ce qu'il nous en coûte, nous, brasseurs
canadiens, puisqu'ils paieraient leur orge au prix international alors que nous
payons le nôtre, au Québec, au prix domestique qui est de 2,6 fois
plus élevé. Ajoutons à cela qu'à l'intérieur
de chaque province, nos produits sont principalement vendus dans des bouteilles
retournables, alors qu'aux États-Unis, plus de 90 % de la production est
mise en marché dans des contenants à remplissage unique pouvant
être expédiés d'un bout à l'autre du pays. II
existe, là également, d'importantes économies.
Lorsqu'on additionne tous les avantages que possèdent
déjà nos concurrents américains, il est indéniable
que nous nous trouvions devant une situation presque insurmontable.
Malheureusement, ce n'est pas tout. Il faut aussi souligner que les
bières américaines occupent déjà 15 % du
marché domestique, suite à des ententes de brassage sous licence
avec des brasseries canadiennes. Toutes ces ententes ont une provision de
terminaison. Que croyez-vous que feront les brasseurs américains dans le
cadre du libre-échange? Se satisferont-ils de royauté alors
qu'ils pourront s'accaparer tout le profit? En plus de nous faire perdre
immédiatement environ quinze points de part du marché, nous
croyons que ces mêmes brasseurs américains pourraient gruger une
autre part de 5 % à 10 % en introduisant de nouvelles marques non encore
disponibles ici. À cela, nous devons ajouter une troisième
tranche de 10 % à 15 % du marché canadien et
québécois qui serait conquise par les autres brasseurs
américains, tant nationaux que régionaux, grâce au
coût inférieur de leurs produits.
Dans la perspective d'une perte de 30 % à 40 % de leur
marché domestique, les brasseries canadiennes n'auront d'autre choix que
de fermer certaines de leurs installations et de réduire leurs
opérations "dans d'autres, étant donné que les
barrières interprovinciales les empêcheront de rationaliser leurs
opérations. Dans de telles conditions de marché, il deviendrait
plus avantageux pour les brasseurs canadiens, plutôt que d'investir au
Québec ou au Canada, soit de louer, soit de faire l'acquisition
d'installations existantes aux États-Unis, soit de faire fabriquer
certaines de leurs marques destinées au marché canadien par des
brasseurs américains ayant un surplus de capacité. Nous pensons
que les gouvernements, et particulièrement les gouvernements
provinciaux, n'ont pas encore pleinement réalisé les
répercussions possibles d'une libéralisation des échanges
avec les Etats-Unis qui comprendrait l'industrie brassicole. (20 h 15)
Quelques chiffres. L'industrie brassicole québécoise est
une industrie majeure au Québec. En 1986, notre industrie soutenait de
façon directe, indirecte ou induite quelque 22 000 emplois et elle
générait des revenus de plus de 1 000 000 000 $. La même
année, le seul trésor québécois touchait environ
350 000 000 $ en impôts et taxes issus des diverses activités
reliées à la bière. Ces quelques chiffres seulement
démontrent bien que l'industrie brassicole joue un rôle
très important au Québec. En conséquence, toute
perturbation des activités de celle-ci aurait des répercussions
considérables sur l'ensemble de l'économie du Québec.
L'exemple de notre province illustre bien notre propos, mais il s'agit
là d'une situation qui, malheureusement, s'étend à
l'échelle du pays tout entier.
Il n'y a pas que les coûts économiques qui sont en cause.
Il faut aussi compter avec les coûts sociaux qui risquent d'être
fort importants. Nous pourrions nous contenter de cette description que vous
pourriez qualifier de presque apocalyptique de l'industrie brassicole, advenant
un traité de libre-échange avec nos voisins du Sud. Nous
pourrions réitérer ici notre refus d'être partie à
une entente de libre-échange. Nous pourrions, comme d'autres l'ont fait,
réclamer des mesures protectionnistes qui nous permettraient de
poursuivre nos activités dans les conditions actuelles. Il nous semble
toutefois que ce n'est pas là la bonne façon de faire face
à un mouvement mondial qui nous apparaît, à nous,
irréversible.
C'est pourquoi nous demandons à nos élus de s'asssurer
qu'une éventuelle entente de libre-échange avec les
États-Unis comprenne une garantie de période de transition pour
l'industrie brassicole. Ce n'est pas que nous voulions retarder les
échéances, mais c'est plutôt que nous voulons nous donner
le temps et les opportunités qui permettront à l'industrie
brassicole de se réorqaniser et de se rationnaliser afin d'affronter un
concurrent beaucoup plus puissant. Nous sommes prêts, comme industrie,
à prendre des risques, mais, comme vous, pas avant d'être
assurés que nous ne combattrons pas pieds et mains liés. Dans un
premier temps, un accord national doit intervenir sur le décloisonnement
du marché canadien, ce qui permettra la restructuration et la
rationalisation de notre industrie. Pour ce faire, il faudra que les
gouvernements fédéral et provinciaux abordent avec ouverture les
dossiers suivants: - certains concernent d'abord le gouvernement
fédéral -dans un premier temps, élimination du
système de taxe ad valorem qui affecte le prix des fabricants canadiens
et ajustement du mécanisme de prélèvement des taxes
d'accise de façon à l'uniformiser avec celui des
États-Unis. Deuxièmement, examen du marché des
céréales au Canada de façon à s'assurer que
l'industrie brassicole domestique puisse acheter ses céréales
à un prix compétitif avec celui des producteurs
américains. Cela pourrait aller jusqu'à l'établissement
d'un marché libre des céréales conduisant à
l'abolition pure et simple du monopole présentement exercé par la
Commission canadienne du blé. En troisième lieu, harmonisation
des règlements du gouvernement fédéral touchant la
publicité et la promotion des produits de l'industrie brassicole avec
ceux des États-Unis de façon è créer un
environnement concurrentiel semblable pour les deux industries. Cela
impliquerait, par exemple, l'abolition du contrôle du CRTC sur la
publicité de l'industrie.
D'autres dossiers relèvent particulièrement des
gouvernements provinciaux: 1) abolition de certains règlements portant
sur la publicité de façon à permettre à l'industrie
d'avoir librement accès au marché des médias
nord-américains; 2) harmonisation à travers le Canada des lois et
règlements relatifs au contrôle de l'environnement de façon
à maintenir au pays un système de consignation favorable à
la qualité de l'environnement; 3) abolition de l'identification
obligatoire des contenants destinés à la consommation sur place
de façon à accroître notre productivité; cela
s'adresse particulièrement au Québec.
D'autres dossiers enfin intéressent à la fois le
gouvernement fédérai et les provinces. Dans un premier temps,
examen des niveaux de taxation de la bière au Canada et adoption d'un
régime de taxation assurant la compétitivité de
l'industrie canadienne par rapport à celle des États-Unis.
Ensuite, établissement de standards nationaux en matière de
réglementation de la publicité qui soient semblables à
ceux des États-Unis et, application de façon égale,
aux fabricants canadiens et étrangers, des règlements
concernant la promotion et la commercialisation de la bière. Une fois
que ces dossiers auront été résolus - et vous avouerez
avec moi que ça ne sera pas facile à la satisfaction de
l'ensemble des intervenants, et que le décloisonnement du marché
canadien aura été accepté par tous les gouvernements, il
faudra prévoir alors une autre période de temps au cours de
laquelle l'industrie pourra s'ajuster au contexte du marché libre au
Canada, aussi bien au niveau de la production que de la distribution et de la
mise en marché de la bière. Cette autre période,
estimons-nous, devrait s'étendre sur dix ans. Le processus de
restructuration se traduira par une redistribution géographique de la
production et de l'emploi et aussi, avouons-le, par des pertes nettes d'emplois
dans tout le Canada. Il faudra donc pouvoir compter sur divers programmes
gouvernementaux d'aide aux travailleurs, portant sur le recyclage de la
main-d'oeuvre, de même que sur des subventions à la
relocalisation., De plus, l'industrie propose que les gouvernements s'entendent
sur un programme d'amortissement accéléré, touchant les
anciennes et les nouvelles installations touchées par cette
restructuration. C'est durant cette deuxième période,
également, que l'ensemble des intervenants seront en mesure
d'apprécier à quel moment et dans quelles conditions on pourrait
envisager une libéralisation du commerce de la bière entre le
Canada et les États-Unis. En terminant, nous aimerions souligner que,
compte tenu de l'importance considérable de l'industrie brassicole au
Québec, il nous apparaît évident que les
représentants publics et privés du Québec devraient
prendre le leadership des pourparlers menant à la rationalisation de
notre industrie, de façon à tirer le maximum de
bénéfice pour le Québec du décloisonnement du
marché canadien de la bière. Comme brasseurs, nous vouions
continuer à assumer notre rôle de chefs de file et à
fournir les services, les produits, les bénéfices
économiques, et non le moindre, les emplois associés à
l'industrie brassicole canadienne et québécoise. Nous sommes
à la veille de moments importants pour l'ensemble des Canadiens, y
compris nous, de l'industrie brassicole. Ils sont d'autant plus importants
qu'une fois enclenchés il n'y aura pas possibilité de reprise.
Messieurs, je vous remercie.
Le Président (M. Théorêt): M. Allard, je vous
remercie. Pour débuter les échanges avec vous, je vais
céder la parole au ministre du Commerce extérieur.
M. MacDonald: M. Allard, messieurs, merci de votre
présentation. Je crois qu'il est fidèle de dire qu'elle
ressemble, à toutes fins utiles, à celle que vous aviez
déjà présentée au comité Warren. Votre
position fait en sorte que vous n'êtes pas contre le
libre-échange, que vous êtes même pour une
libéralisation des échanges. Si je comprends bien, d'une part,
une de vos nombreuses conditions, c'est; commençons par rationaliser
l'industrie au Canada. Ensuite, vous faites une liste que je jugerais
probablement non exhaustive des conditions que vous y rattachez.
Je ne voudrais pas clore la discussion avec vous. Au contraire, il y a
des questions que mon collègue de l'Industrie et du Commerce,
responsable de cette industrie dans la province, et moi-même, voudrions
vous poser de même que, probablement, quelques autres de mes
collègues. Je suis tenté de vous demander ceci, je vais le faire,
parce que je pense que vous me connaissez, je vais aller droit au but:
Pensez-vous que la liste des conditions que vous avez fixées est
réalisable dans quelque condition que ce soit?
M. Allard: M. le ministre, je serai aussi direct que vous l'avez
été. Il ne faut jamais oublier que l'industrie brassicole au
Québec et dans chacune des provinces canadiennes se trouve dans la
situation que nous avons décrite, à cause des gouvernements
provinciaux qui ont non seulement insisté mais qui ont
légiféré sur la façon dont nous fonctionnerions et
là où nous devrions avoir des installations. Ce ne sont pas les
intérêts économiques des brasseurs qui ont dicté
d'avoir des brasseries à Terre-Neuve, au Manitoba, en Saskatchewan, en
Alberta, etc. C'est une aberration sur le plan économique. Les
gouvernements provinciaux, pour des raisons de création d'emplois
régionaux, ont forcé purement et simplement les brasseurs
à avoir des installations dans ces provinces et ils leur ont dit: Si
vous n'avez pas d'installations dans cette province, messieurs, vous ne vendrez
pas votre bière. Cela, c'est l'historique.
En partant d'un tel historique, nous trouvons aberrant, M. le ministre,
qu'on nous dise maintenant, que ces mêmes gouvernements osent même
nous suggérer, eux qui nous ont mis dans cette situation: Les gars,
c'est bien dommage, on vient de changer d'idée et ne nous posez pas de
conditions. Comme vous l'avez dit, notre liste de conditions n'est pas
exhaustive, mais tout cela aurait existé si nous n'avions pas eu ces
contraintes.
Nos concurrents américains, avec qui on va devoir combattre,
n'ont pas eu ces contraintes. Ils n'ont eu aucune contrainte. Je vais vous
donner un exemple que vous connaissez très bien. La brasserie Coors,
pour ne pas la nommer, à Golden, au Colorado, avait une installation
pour desservir la clientèle de l'Atlantique au
Pacifique. Le gouvernement américain ne lui a imposé
aucune contrainte et elle a décidé de s'installer là, de
s'intégrer, d'avoir sa propre usine de cannettes, etc. C'est l'une des
plus belles industries aux États-Unis. Nous, on ne nous a jamais permis
cela. Nous, on dit: Messieurs, on ne peut pas simplement tourner la page. Il
faut retourner en arrière. Permettez-nous d'être efficaces,
permettez-nous d'agir comme des hommes d'affaires et, à ce
moment-là, il y a toutes sortes de conditions de rattachées
à cela.
Si vous me permettez, M. le ministre, vous m'avez posé une
question, est-ce que je peux me permettre à mon tour de vous en poser
une? Nous nous sommes permis cet après-midi de venir écouter les
gens qui nous ont précédés avant le diner et aussi pour
nous familiariser avec ces lieux et nous sommes impressionnés. Vous avez
dit un certain nombre de choses. Encore une fois, d'une façon
très directe, je vais vous demander ceci: Est-ce que l'industrie
brassicole présentement, à vos yeux, est incluse dans un
traité éventuel de libre-échange? Dans un deuxième
temps, si votre réponse à cette question, c'est oui, je pense
qu'on peut se permettre de vous demander si l'industrie brassicale est un des
secteurs pour lesquels le gouvernement du Québec demandera une
période de transition?
Le Président (M. Théorêt): M. le
ministre.
M. MacDonald: Je pense que je vais être obligé de
vous répondre dans un contexte de négociation que vous comprenez
très bien. De part et d'autre, la négociation est entamée
dans un contexte global. Lorsqu'à un moment donné,
également, les Américains ont été demandeurs et ont
fait la suggestion de l'abolition de toute tarification sur une période
de dix ans, c'était global. Si vous me demandez: Est-ce qu'il y a des
sujets d'exclus de la négociation à l'heure actuelle?, je
répondrai que, de part et d'autre, il y a eu des conditions canadiennes
de posées et des conditions américaines, mais, au départ,
c'était global. Je sais, M. Allard, pour vous connaître
très bien, que vous n'êtes pas satisfait de ma réponse,
mais c'est la meilleure que je peux vous donner sur le sujet. (20 h 30)
Je reviens, si vous me le permettez, à ma question et je vais la
développer un peu plus. Vous suggérez une rationalisation
canadienne. À supposer qu'il n'y ait pas d'entente et que le commerce de
bière entre les frontières ne se ferait pas, quelle est votre
orientation actuelle, avec ou sans entente, vers une rationalisation de votre
industrie? Est-elle réalisable à l'intérieur d'une liste
de conditions un peu moins longue?
M. Allard: Je pense qu'il serait juste de dire, M. le ministre,
que nous sommes dans l'attente qui commence à devenir pour nous un peu
intenable. On peut travailler sur différents scénarios, mais,
comme vous l'avez dit vous-même, la réponse que vous avez
donnée à ma question n'est pas satisfaisante - j'emploie vos
propres mots, je crois - à ce moment-là, on est dans l'attente.
Qu'est-ce qui va se produire? C'est très difficile pour nous. On
travaille sur différents scénarios, chacun d'entre nous, mais
tant et aussi longtemps que nous ne saurons pas ce qui nous attend, il est
difficile de planifier nos investissements futurs. Il est difficile de
planifier certaines rationalisations. Alors, c'est aussi très difficile
pour moi de répondre à votre question parce qu'elle est un peu
hypothétique. On voudrait savoir à quoi s'en tenir. Ce que je
pourrais répondre, c'est que, dans l'hypothèse où nous
serions exclus d'un traité de libre-échange, je vais même
parler d'une hypothèse un peu pessimiste, à savoir qu'un
traité de libre-échange, pour toutes sortes de raisons, n'aurait
pas lieu, les brasseurs canadiens dans un tel contexte continueraient leurs
pressions auprès des gouvernements provinciaux et fédéral
afin de rationaliser leur industrie dans tout le Canada.
M. MacDonald: Je vous en remercie. Juste un commentaire avant de
passer la parole à mon collègue. Moi aussi, je pense que mon
collègue pourrait utiliser le mot "aberration" et le langage que vous
avez utilisé en parlant de l'institution de cette industrie ou
l'installation de ce genre de façon de faire au Canada.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
ministre. M. le critique officiel et député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Allard,
M. Boisvert et M. Prévost, cela me fait plaisir, au nom de ma formation
politique, de vous souhaiter la bienvenue. Si vous êtes
impressionnés par cette enceinte, nous sommes impressionnés de
voir les trois grands assis à cette même table pour
défendre une même cause.
Les préoccupations que vous avez, je pense qu'elles sont
compréhensibles. Je dois vous dire que si on portait le chapeau que vous
portez, on serait tout au moins sinon plus inquiet que vous l'êtes
actuellement. De vous dire, M. le Président, qu'on est sympathique
à votre cause, cela ne règle pas votre problème et cela ne
fait pas avancer le débat. J'ai reproché que le débat qui
a lieu aujourd'hui ait lieu si tard parce qu'on sait que, dans quelques jours,
il y aura une entente de conclue. On sait, parce que le ministre nous le
dît, qu'effectivement, il y aura et il y a sur la table toute la
question
de l'industrie brassicole. On ne sait pas ce qui va en sortir. Ce que je
trouve quand même assez extraordinaire, c'est de voir votre
réaction qui est ouverte, positive et claivoyante parce que,
malgré tout cela, vous dites: Essayez de nous aider à
régler nos problèmes, mais malgré tout cela, on est pour
le principe de la libéralisation des échanges, parce que c'est
là qu'on doit se diriger. Je pense qu'il y en a peu qui ont
réussi à le faire, étant aussi touchés que vous
l'êtes, et prendre ce genre de position. Ce qui m'inquiète aussi,
c'est de voir le gouvernement... Vous avez comparu devant le comité
Warren, il y a quelques mois, vous l'avez sensibilisé et, ce soir, il
n'y a pas beaucoup d'éléments nouveaux. Par contre, ce que je ne
comprends pas, c'est que le gouvernement savait, le ministère de
l'Industrie et du Commerce savait déjà depuis au moins deux ans,
puisqu'il y avait eu des études de faîtes en septembre 1985 qui
disaient très clairement les dangers pour le domaine de l'industrie
brassicole, ce à quoi on pouvait... Cela avait été
commandé par le précédent gouvernement et ces
études sont maintenant connues parce qu'on les a rendues publiques.
Mais, on ne peut pas dire que personne n'était au courant. C'est un .
phénomène connu de tout le monde depuis au moins deux ans et
connu de ceux qui prennent les décisions.
M. Deniger déclarait récemment, dans une entrevue à
la revue PME; que si les choses se passent comme il semble qu'elles
veuillent se passer, qu'il y ait un accord de libre-échange et que
l'industrie brassicole n'est pas exclue, il deviendrait plus rentable pour les
brasseurs canadiens d'aller s'intaller aux États-Unis. Je dois vous dire
que c'est assez alarmant si on regarde l'impact que cela aurait, l'impact des
emplois d'abord et l'impact économique. Je vous dis ce soir: Vous
demandez des choses au gouvernement. Je pense que vous êtes tout à
fait dans votre droit de les demander et de les exiger. Voici ce que je vous
demande. Est-ce que cette déclaration de M. Deniger, qui l'a faite
certainement après consultation auprès de vous, est une menace
qui nous guette sérieusement, à savoir que vous devrez, s'il n'y
a pas cette période de transition minimale de dix ans et plus, plus les
autres contraintes interprovinciales quant à la réglementation,
faire face à cette position? Je m'adresse à vous, M. Allard. Je
pense que vous...
M. Allard: Avec votre permission, peut-être que je
demanderais à M. Deniger, d'abord, si les propos reflètent sa
pensée.
M. Deniger (Pierre): Absolument. Lorsqu'on regarde un
scénario possible qui est celui de la libéralisation des
échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis il faut
dresser tous les scénarios possibles. Ce que j'ai rapporté en
fait à la revue PME est exactement ce que l'analyste Howett, de la
maison de courtage Wood Gundy, proposait comme solution.
Lorsqu'on regarde les coûts de production, pour toutes sortes de
raisons qui existent au Canada par rapport aux coûts de production qui
existent aux États-Unis pour fabriquer une bière, il est
évident qu'il y coûte beaucoup moins cher de fabriquer cette
bière aux États-Unis qu'au Canada. Alors quand on regarde, au
bout du compte, des propositions possibles, et on l'a
répété tantôt dans nos remarques, ce serait
possiblement de s'installer ailleurs pour vendre au Canada. Cela
démontre à quel point c'est un non-sens.
M. Allard: Je vais ajouter une remarque. Je suis certain que MM.
Boisvert et Prévost auront des remarques à ajouter, parce que
vous soulevez une question absolument cruciale pour le Québec. Comme
homme d'affaires et comme société, vous devez vous rappeler qu'il
est certain que nous avons des responsabilités envers nos concitoyens,
envers nos employés, envers la société d'une façon
générale, envers les gouvernements mais que nos
responsabilités premières sont envers nos actionnaires qui ont
investi à l'intérieur de nos compagnies respectives. Puis, eux,
s'attendent que leurs dirigeants qu'ils ont mandatés pour faire
fructifier leurs avoirs prennent les décisions requises, bien que ces
décisions peuvent parfois être extrêmement difficiles.
Alors, les décisions dans un contexte de libre-échange
très rapide vont être des décisions économiques. Par
exemple, et je vais prendre un exemple que mon collègue de gauche
emploie souvent, si c'est plus économique et si c'est dans le meilleur
intérêt des actionnaires d'avoir une usine à Plattsburgh
pour desservir tout le marché du Québec et que cela nous
coûterait beaucoup moins cher de produire à partir de Plattsburgh
que de Montréal, eh bien, on va produire à partir de Plattsburgh
parce que ce sont là les réalités économiques. Si
on ne le fait pas, parce qu'on parle toujours de l'hypothèse d'un
contexte de libre-échange, les Américains vont nous tuer
carrément. Alors, il faudrait prendre des actions, prendre des attitudes
absolument radicales et dire qu'est-ce qu'on fait? C'est certain que, demain
matin, les deux usines de la rue Notre-Dame, est et ouest, O'Keefe et Molson ne
fermeraient pas et l'usine de la ville de Lasalle non plus. Mais sur une
très courte période, on va devoir regarder l'Ontario et le
Québec ensemble, dans un premier temps, et dire: Qu'est-ce qu'on fait
pour desservir l'Ontario et le Québec, un marché qui
représente 70 % ou 75 % des affaires, et là, si cela nous prend
une brasserie à Plattsburg et une autre à Buffalo? Eh bien, c'est
ce qui
va arriver. Puis, comme administrateurs, c'est là notre devoir.
Alors, cela peut sembler, encore une fois, apocalyptique mais je pense que ces
scénarios, mêmes pessimistes, sont possibles. Sur ce, je
demanderais peut-être à mes deux collègues d'ajouter leur
point de vue.
M. Boisvert (Marcel): Je pense que dans des conditions de
décloisonnement, vous dites qu'il y a une des conditions, il y a
beaucoup de conditions, mais disons que la condition de décloisonnement
ne se fait pas pour des raisons politiques, parce qu'on dit: Bon,
débrouillez-vous. Il est évident qu'à ce moment, dans un
libre-échange nord-sud mais non est-ouest, cela entraîne beaucoup
plus d'intérêt d'aller vers le sud, parce que, effectivement, il y
a une surcapacité qui est disponible sur la frontière canadienne
de l'est à l'ouest et qui est achetable à des coûts
beaucoup plus intéressants peut-être que d'être
obligé d'investir dans des usines qui, vous le savez, ont
été montées pour des marchés qui étaient
beaucoup plus restreints. Alors, je pense que c'est une possibilité,
certes, la déclaration de M. Deniger n'était pas faite à
la légère. Je pense aussi qu'il est important de bien comprendre
que dans un concept où les règles du jeu on les connaît, on
les connaît et on ne les connaît pas, on connaît d'autres
secteurs. L'industrie de l'automobile depuis 15 ou 20 ans a passé
à travers toutes sortes de libre-échanqe, a passé à
travers toutes sortes de phénomènes de concurrence. On sait ce
qui est arrivé. On sait que l'industrie, exemple, électronique,
les fabricants de téléviseurs, etc., même ceux qui
fabriquaient aux États-Unis ont décidé, à un moment
donné, que si cela coûtait moins cher de fabriquer en Corée
et que c'était une façon de survivre, il est évident
qu'à un moment donné les administrateurs doivent regarder
l'ensemble des scénarios. Il est évident que nous avons des
actifs ici au Québec et des actifs importants. Il est aussi
évident que quand la "game" change, quand cela devient une "game"
nord-américaine, bien, à ce moment, si Coors est capable de
rationaliser une usine pour 52 États ou 48 États, moi, je ne vois
pas pourquoi on est capable de continuer à rationaliser 12 usines pour
un marché de 25 000 000 d'habitants. Imaginez-vous une usine ou trois
usines pour 6 000 000 d'habitants, trois usines pour 6 000 000 d'habitants.
Le Président (M. Théorêt): M.
Prévost.
M. Prévost (Ed.): Je peux tout simplement rajouter
quelques nuances, parce que finalement on est tous du même avis. Cela est
rare, mais cela arrive. Si j'ai le rhume, ce n'est pas parce que les
Américains viennent d'éternuer non plus. Disons que les
règles du jeu sont inconnues, le terrain de jeu n'est pas tout à
fait au niveau. Disons qu'on parle d'une façon très
hypothétique mais néanmoins nous sommes des représentants,
je pense, de corporations qui sont non seulement québécoises,
avec des racines très profondes au Québec, mais également
des entreprises nationales et même de plus en plus internationales. C'est
certainement le cas de notre organisation à nous qui vient d'être
acquise par une société, croyez-le ou non, australienne - qui
aurait pensé cela il y a cinq ans? - qui semble avoir des ambitions
internationales très fortes. C'est clair que dans un contexte de
libre-échange, que nous appuyons en principe, que des options telles que
celles énoncées tout à l'heure, que nous vous avons
présentées sous forme de menace, ce ne sont pas des menaces, je
pense, qu'on souhaite faire ici, ce sont des options qu'on se doit de
considérer très sérieusement dans l'intérêt
de nos actionnaires. Cela ne veut pas dire que ce sont des options que nous
allons retenir comme telles, mais cela fait partie des considérations,
compte tenue des investissements considérables que nous avons quand
même au Québec et au Canada.
Il y a un autre phénomène aussi. L'industrie brassicole,
mondialement, est en stagnation sinon en régression. Il y a un surplus
de capacité mondial, mais toutes les brasseries à travers le
monde sont désespérément à la recherche de nouveaux
marchés, voire même à faire ce qu'on appelle
communément du "dumping", légalement ou illéqalement, et
il s'adonne qu'elles le font même dans notre propre pays. Je fais
allusion à l'AIberta où de telles bières occupent
présentement 10 % ou 11 % du marché albertain. (20 h 45)
M. Boisvert: Je pourrais même ajouter un exemple du groupe
Elders. Le président de la compagnie a mentionné
dernièrement, et sérieusement, qu'il était possible de
fabriquer - et ça, c'est le monde à l'envers, vous allez me dire
- de la bière au Canada pour le marché asiatique, car, dans
certains cas et selon certaines considérations, il considérait
qu'il pouvait justifier ou rationnaliser un coût plus bas au Canada qu'en
Asie. Vous allez me dire: Mais c'est loin, c'est à 3000 milles. Ce que
j'essaie de vous dire, c'est que, quand les frontières tombent - pour
utiliser l'exemple du pâturage qu'on a donné cet après-midi
- effectivement, on ne sait jamais de quel bord cela va aller.
Ce qu'on vous dit, c'est qu'il ne faut certes pas tenir pour acquis que,
dans le contexte même d'un décloisonnement est-ouest, le
Québec et l'Ontario seront les gagnants dans l'industrie brassicole.
Bien des gens peuvent penser cela et dire: Ce sont les Maritimes qui vont
souffrir. C'est l'Ouest qui
va souffrir. Ce n'est pas garanti non plus. Par exemple, une usine
à Toronto qui a actuellement une capacité... Ed., peut-être
que tu peux en parler.
M. Prévost: Oui, environ 3 400 000 hectolitres, qui est
utilisée environ - mais cela va s'améliorer...
M. Boisvert: Oui, oui, enfin je l'espère.
M. Prévost: ...environ à 57 % en ce moment. C'est
une capacité phénoménale dans le contexte canadien.
Le Président (M. Théorêt): Merci, Messieurs.
M. le député de Bertrand, vouliez-vous poser une autre question
avant qu'on passe au ministre de l'Industrie?
M. Parent (Bertrand): Oui, si vous le permettez, sur le
même sujet pour vider cette question. Vous vivez actuellement une
situation de "dumping", si je comprends bien. Vous êtes devant cette
situation et le gouvernement canadien ne fait rien ou ne réagit pas
actuellement et vous avez à subir cette situation de "dumping".
M. Boisvert: ...le gouvernement provincial.
M. Allard: ...le gouvernement provincial, la situation à
laquelle M. Prévost a fait allusion se passe en Alberta, pour ne pas
nommer la province, et nous avons la preuve irréfutable que du "dumping"
y est fait. Et, par "dumping", j'entends le prix vendu à l'Alberta
Liquor Board comparativement au prix vendu dans l'État de Washington
où les compagnies Olympia Ironear, pour ne pas les nommer, vendent leur
produit. Alors, on a la preuve irréfutable que du "dumping" se
déroule là et, malgré tout le "lobbying" que l'industrie
brassicole a fait, cela n'a absolument rien donné. Naturellement, quand
on voit ceci se passer, aujourd'hui, le 17 septembre 1987, vous pouvez bien
vous imaginer que les différents scénarios qui pourraient arriver
durant les prochains mois nous inquiètent au plus haut point.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. Allard.
Je vais maintenant céder la parole au ministre de l'Industrie et du
Commerce.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président.
La commission parlementaire, à part le fait qu'elle peut donner
l'occasion aux témoins de poser des questions aux membres de la
commission, comme vous l'avez fait tout à l'heure, est également
une occasion pour les parlementaires de vous poser des questions. Dans le cadre
des négociations sur le libre-échange, nous avons, comme
gouvernement, mis sur pied un comité où vous avez fait valoir
votre point de vue. Nous avons reconnu tout à l'heure que ce que vous
nous présentez aujourd'hui est essentiellement de la même nature
et du même degré, quant aux conditions que vous posez et la
position que vous représentez, que ce qu'on a entendu devant le
comité technique, etc., qu'on a mis sur pied ici afin d'articuler et
d'exprimer éventuellement la position du Québec auprès des
négociateurs canadiens.
C'est par ailleurs peut-être la première occasion que nous
avons d'échanger publiquement des questions et réponses pour
éclairer tout le monde, y compris les parlementaires à
l'égard de la rationalisation que vous dites essentielle avant
même de considérer lancer l'industrie brassicole dans un contexte
de libre-échange. Cette commission nous permet d'évaluer
également - en tout cas, de notre côté, et c'est notre
responsabilité - quelle sorte d'enjeux concrets sont en cause. On peut
mentionner le nombre d'emplois, etc. Mais si vous n'écartez pas, a
priori et en principe, le libre-échange mais que vous vous plieriez
éventuellement à condition qu'une rationalisation soit produite,
il faudrait qu'on ait une meilleure idée, même si vous dites que
ce ne sont que des scénarios hypothétiques, de ce en quoi on
s'embarque si nous prétendions être des partenaires à la
rationalisation. Si on est sérieux lorsqu'on parle d'ajustement, de
transition, de recyclage, d'aide à la remodernisation, au
redéploiement d'une industrie, au reclassement de la main-d'oeuvre et
ça fait partie, éventuellement, de nos responsabilités, il
faut avoir une idée de l'ampleur de la rationalisation qui est
envisagée.
Je me demandais si vous pouviez aller un peu plus loin. Vous avez
dû aller plus loin pour évaluer, comme vous l'avez fait de cette
façon, l'effet de la libéralisation sur vous autres, dans la
mesure où vous souhaitez de lonque date que les barrières
interprovinciales tombent. Vous devez savoir où vous vous en allez le
jour où ça va tomber, ce que vous allez faire. Est-ce qu'on
pourrait avoir un meilleur aperçu de ce que représenterait
l'industrie brassicole canadienne rationalisée, prête à
affronter le libre-échange?
M. Allard: Plusieurs scénarios, comme vous dites, M.
Johnson; on a fait nos devoirs un petit peu, on a imaginé un certains
nombres de scénarios. Comparons, je pense au point de départ, les
deux pays. Présentement, au Canada, il y a 38 ou 39 usines de brassage.
Aux États-Unis, il y en a 108 ou 109. Vous avez, du côté
canadien, une industrie d'à peu près 20 000 000 d'hectolitres et,
du côté américain, une industrie d'à peu près
220 000 000 d'hectolitres. Si on essayait de faire ces proportions-là et
de dire combien devrait-on
avoir pour être à peu près l'équivalent de
nos voisins américains d'usines ici au Canada, quand on regarde ce qui
existe présentement, alors on pourrait dire que, nous autres, on a 38 ou
39 usines, les Américains devraient en avoir 385-390. Ils en ont 108 ou
109. Alors on va le prendre à l'inverse. Et puis, au Canada, pour se
comparer aux États-Unis on devrait avoir, écoutez, disons entre
dix et quinze usines. Parce que c'est très difficile de dire exactement
ce que ça pourrait être. Alors la première déduction
qu'on fait de ça c'est qu'on part de 38 et que l'on tombe à
quinze. Il y en a 23 qui ferment leurs portes. Alors là on commence
à être plus concret.
À part cela, qu'est-ce qu'on dit? La rationalisation à ce
moment-là peut prendre, naturellement avec ces usines-là qui
fermeraient... des investissements devront être faits dans les autres
usines. D'abord, il va y avoir le "write-off", pardonnez-moi l'anglicisme, pour
les usines qui fermeraient. Il y aurait aussi, naturellement, tout ce que vous
avez mentionné au niveau de relocalisation, de recyclage, etc., de tous
ces travailleurs-là et il y aurait aussi tous les investissements qu'il
faudrait faire pour ajouter à la capacité des dix, onze, douze,
quatorze usines qui pourraient rester.
Là la rationalisation pourrait prendre différentes
facettes. Une des facettes qu'elle pourrait prendre c'est de dire: on va
redistribuer le Canada. Par exemple, l'usine de Montréal de chacun des
brasseurs, ça pourrait varier d'un brasseur à l'autre, va
maintenant desservir un territoire géographique qui va englober les
provinces maritimes, la région d'Ottawa-Cornwall, etc. Cela, c'est une
option.
Une autre option va être une rationalisation en ce qui concerne
les marques et les empaquetages. Présentement, chacun des brasseurs
à l'intérieur de chacune des provinces fabrique plusieurs marques
et empaquetages. Â chaque fois que vous devez arrêter une ligne de
production d'où sortent 1200 bouteilles-minute ou jusqu'à 2000
canettes-minute, à ce moment-là il y aurait peut-être
avantage pour les différents fabricants - je vais prendre l'exemple de
la brasserie O'Keefe - de dire, compte tenu des investissements massifs qu'ils
ont faits à Montréal au niveau de la canette, que l'usine
d'O'Keefe à Montréal va produire la canette pour le marché
du Québec, de l'Ontario, des Maritimes et peut-être même
pour l'Ouest et que les autres usines ne produiront plus de canette. Labatt
pourrait dire: Nous allons produire la bière 50 à Montréal
pour tout le marché de l'Ontario, du Québec et des Maritimes, et
une autre de nos marques, nous allons la produire à notre usine de
Toronto. Molson pourrait dire la même chose. Le but ultime de tout cela,
c'est d'augmenter notre productivité et de réduire nos
coûts pour être en mesure de mieux concurrencer les
Américains. C'est là le point de départ. À moins
que nous soyons placés dans une position où nos coûts de
production, nos coûts de distribution et nos coûts dans leur
ensemble soient similaires à ceux de nos concurrents, comment
allons-nous les concurrencer? Cette rationalisation va coûter des usines,
va coûter des emplois. Je pense que c'est là le dilemme auquel,
vous autres, messieurs, allez faire face dans vos négociations avec les
autres gouvernements provinciaux. Si vous étiez ministres ou
députés au Manitoba ou en Nouvelle-Écosse, etc. vous
auriez des jobs à protéger à l'intérieur de ces
provinces. Nous comprenons cela. D'un autre côté, on ne peut pas
sauver la chèvre et le chou. La rationalisation, M. Johnson - c'est une
longue réponse à votre question - peut prendre différentes
facettes, mais certainement, un beaucoup plus petit nombre d'usines, des
investissements additionnels dans les usines restantes, mais aussi d'autres
scénarios, comme on a mentionné tantôt, l'achat possible de
nouvelles usines aux États-Unis, une production accrue aux
États-Unis, pour desservir le marché canadien. On a tous ces
scénarios différents, mais il n'y a encore rien de précis
d'arrêté, c'est là où on en est.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. Allard.
M. le député de... Pardon, M. Prévost, vous voulez
ajouter...
M. Parent (Bertrand): Je pense que M. Prévost voulait
ajouter quelque chose.
M. Prévost: Je pense que dans les mémoires qu'on
vous a déjà soumis, pour répondre à la question du
ministre, le chiffre qui a été proposé, le coût de
rationalisation, strictement au Canada, sur une période de dix ans,
serait de l'ordre de 2 000 000 000 $. Je pense qu'il est juste de dire que
l'industrie brassicole seule est incapable d'assumer un tel coût et elle
serait donc obligée de faire appel à des appuis gouvernementaux,
tant au niveau fédéral que provincial, pour pouvoir y faire face.
C'était la seule mise au point que je voulais faire.
Le Président (M. Théorêt): On pourrait
peut-être revenir après, juste un instant. M. le
député de Bertrand, est-ce que vous voulez qu'on prolonge cinq
minutes la répartie?
M. Parent (Bertrand): Oui.
Le Président (M. Théorêt): M. le ministre,
pour une courte question.
M, Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Très brièvement.
Une fois l'industrie rationalisée, est-ce qu'on pourrait y retrouver
des
occasions d'expansion du marché? On peut parler de
rationalisation pour desservir le marché qu'on connaît
aujourd'hui, mais il y a le phénomène que vous évoquiez
dans votre mémoire, votre pénétration tranquille mais
certaine, sur le marché américain. On peut donc voir qu'il y a un
marché plus grand que le marché domestique que vous desservez
déjà. Est-ce que, à partir d'une industrie
rationalisée, cela serait encore plus possible? Si oui, de quelle
ampleur, avec les effets positifs que cela signifie?
M. Allard: Oui, mais je pense que les effets positifs sont, sinon
inexistants, à peu près minimes. Une fois la rationalisation
complétée, il n'y a à peu près pas d'avantages pour
les brasseurs canadiens à un libre-échange nord-sud. Je
m'explique, M. Johnson. Comme M. Prévost l'a mentionné
tantôt, le marché de la bière, aux États-Unis, comme
dans le monde est un marché stable ou en régression. Au Canada,
c'est un marché en régression et, au Québec, encore plus
qu'ailleurs au Canada. Dans une telle condition de marché, ajoutez
à cela qu'il y a aux États-Unis déjà aujourd'hui,
une surcapacité de production, c'est-à-dire que les usines
américaines globalement ne produisent qu'à environ 75 % de leur
capacité, dans un premier temps. Dans un deuxième temps, il
s'agit, aux États-Unis de géants de la puissance
financière, de la pénétration de marché,
historiquement. Ces gens-là sont là depuis des décennies,
Anheuser Busch contrôle 38 % du marché de la bière aux
États-Unis. Vous avez Miller, vous avez Coors, vous avez les autres
brasseurs un peu moins importants; ce sont là les trois grands. Pour les
brasseurs canadiens, dire: Nous, on s'en va et Anheuser Busch on va lui donner
la claque! II faut quand même être réaliste. Je ne dis pas
que c'est impossible, mais il faut quand même être réaliste.
(21 heures)
Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Présentement, nos
exportations aux États-Unis... Là-dessus, je pense qu'il y a
toutes sortes de mythes qui circulent. Ce qui n'est pas un mythe, c'est que la
perception des produits brassicoles canadiens par les Américains est
excellente au niveau de la qualité, mais nous fonctionnons dans une
niche qu'on appelle le segment des bières importées, du
côté américain, qui ne représente qu'environ 4 %
à 5 % du marché américain. À l'intérieur de
ce marché, il y a environ 350 marques de bière qui se font
concurrence, de la France, de la Chine, des Philippines; nommez le pays, ils
sont là, ils vendent de la bière aux États-Unis. Le Canada
fait excellente figure vis-à-vis de cette concurrence, mais c'est une
niche de 4 % à 5 % de produits de très haute qualité qui
se vendent à un prix supérieur. Alors, c'est un marché
très limité. L'expansion possible que vous mentionnez, M. le
ministre, devrait se faire contre les marques plus connues de tous les jours,
Budweiser, Miller, Coors, etc., ce qu'on appelle les marques à prix
moyen. Pour les brasseurs canadiens, penser qu'on va faire une concurrence
directe à ces marques à partir de rien... Aujourd'hui, ce n'est
pas à ces marques qu'on fait concurrence, mais à d'autres marques
étrangères du marché américain. Du jour au
lendemain, penser qu'on va percer ce marché et qu'on va vaincre les
Américains, on va faire des efforts, mais cela ne sera pas facile.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M.
Allard.
M. le député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Je comprends
mieux maintenant cette impossibilité, parce que certains intervenants...
Je crois que c'est M. Landry qui nous disait ce matin: Écoutez,
même dans le domaine de la bière, si on innove, on pourrait
probablement, parlant du goût, parlant d'un produit de qualité,
être capable de pénétrer davantage les marchés sauf
que la démonstration que vous nous faites... Dans le jargon populaire
québécois, on a toujours eu l'impression que vous faisiez partie
de la grande entreprise. Effectivement, vous faites partie de la grande
entreprise, mais du point de vue de vos compétiteurs américains,
vous êtes des PME. Si on le prend dans un contexte nord-américain,
vous êtes de petites entreprises. Même si vous avez une
détermination, même si vous avez accès à des
capitaux et possédez une certaine flexibilité, il semble à
peu près impossible que vous puissiez vous tailler une niche
additionnelle en essayant d'augmenter le volume. Je trouve cela assez
révélateur, parce que, même dans l'étude du Conseil
économique du Canada où on mettait comme prémisse de base
qu'il y aurait augmentation de la productivité à partir du moment
où on abolira les frontières, on voit que, dans un domaine
où il existe un volume qui est votre domaine, ce n'est pas
nécessairement le cas où il y aura un effet direct, plus de
barrière et automatiquement augmentation de la productivité,
parce que vous faites face à des supergéants, même si, dans
le contexte québécois, lorsqu'on parle des brasseries par rapport
à nos petites entreprises, tout étant relatif, vous devenez des
PME.
Le prix actuel de votre matière première... Vous avez
mentionné qu'à cause du prix qui est réglementé,
vous payez l'orqe 2,6 fois plus cher à cause de ces contraintes. Est-ce
exact?
M. Allard: Oui, c'est exact.
M. Parent (Bertrand): Donc, quel est le pourcentage... Autrement
dit, ce que j'essaie de comprendre, c'est si cette barrière n'existait
plus et que vous payiez l'orge au même tarif, quel effet cela aurait-il
sur votre prix de revient?
M. Allard: À peu près 30 cents la caisse de 24
bouteilles.
M. Parent (Bertrand): Donc, ce n'est pas...
M. Allard: Seulement le blé... Si nous, les brasseurs
canadiens, payions l'orge au prix international, cela nous ferait
épargner entre 25 cents et 30 cents la caisse de 24 bouteilles. Et il ne
s'agit là que d'un seul ingrédient, mais ce seul
ingrédient diminuerait nos coûts de 25 cents ou 30 cents en
partant.
M. Parent (Bertrand): En pourcentage, combien cela fait-il?
M. Allard: Écoutez, le prix de base d'une caisse de
bière au Québec est de 15 $, mais j'aimerais aussi profiter de
l'occasion pour dire que ce n'est pas 15 $ au brasseur. Ce n'est que 10,43 $ au
brasseur parce qu'il y a 4,57 $ de taxes fédérale et provinciale
sur une caisse de bière. Alors, 30 cents sur nos coûts de 10,43 $,
cela baisserait...
M. Parent (Bertrand): Si c'est une baisse, mais ce n'est pas une
baisse significative...
M. Allard: Non.
M. Parent (Bertrand): ...où le prix de la matière
première est suffisamment significatif que même si cette
barrière était réglée et même si vos
coûts étaient abaissés, cela ne changerait pas les
règles du jeu comme telles. Je pense qu'on s'entend
là-dessus.
M. Boisvert: Je vous donne un exemple tout à fait fictif.
Le coût unitaire d'une bière aux États-Unis est de 1 $ pour
le consommateur et, en ce moment, au Canada, le coût est de 1,30 $ pour
toutes les raisons qu'on a évoquées, d'inefficacité, etc.
Effectivement on est capable, après ce phénomène de
rationalisation, de le ramener à un prix compétitif de 1 $.
Disons que le prix est rendu à 1 $. Donc, on est compétitif. Vous
l'avez bien dit, je pense que c'est un bon exemple, nous sommes quand
même une PME, sur le marché nord-américain, dans
l'industrie brassicole. Ce qu'on réussit à faire finalement,
c'est, vis-à-vis d'un géant, de ramener notre prix à 1 $.
Donc, on est à peu près au même prix que le sien.
Deuxièmement, étant une PME, on n'a pas les moyens, mais on a
réussi à atteindre le même prix, sauf qu'au Québec,
il y a des PME qui, parfois, ont des avantages technologiques. Elles peuvent,
en tant que PME, créer ce qu'on appelle des USP, des "unique selling
proposition". La bière, sur le pian technologique, il y a
différents goûts qu'on peut développer, mais nous avons
quand même un produit qui, historiquement, aux États-Unis, est
très bien connu, merci. Si, après ce phénomène de
rationalisation, la seule chose qu'on a à offrir aux Américains,
c'est une bière à 1 $ et que cela fait 150 ans qu'ils vendent de
la bière, qu'ils ont leur réseau de distribution et que, demain
matin, ils décident qu'ils ne veulent pas nous voir là, eux
autres peuvent facilement, pendant un certain nombre d'années, dire: On
va la vendre 50 cents notre bière, juste pour vous enlever de
là.
Malheureusement, on n'est pas dans une situation où il y a des
PME québécoises qui peuvent se lancer sur le marché
américain et qui peuvent avoir du succès. Malheureusement, ce
n'est pas notre cas, à cause de la nature du produit, à cause du
retard que nous avons au point de vue de la productivité, de
l'efficacité. Même après ce phénomène de
rationalisation - pour répondre à la question de M. Johnson - je
ne suis pas sûr que c'est le Pérou en ce qui nous concerne.
Une voix: C'est un petit Pérou.
M. Boisvert: C'est un petit Pérou, oui, très
petit.
Le Président (M. Théorêt): Je vous remercie.
Le temps alloué à l'Opposition va me permettre de vous poser une
très brève question. On a parlé énormément
et abondamment de rationalisation ce soir. Vous en parlez abondamment dans
votre mémoire. Certains ont évalué que la rationalisation
de l'industrie au Canada nécessiterait un investissement de l'ordre
d'environ 2 000 000 000 $. À combien évaluez-vous, pour
l'industrie québécoise, l'aide nécessaire pour le
Québec? Dans un deuxième temps, comment cette aide devrait-elle
s'articuler?
M. Allard: La réponse à la première
question, je vous avoue que je ne l'ai pas, M. Théorêt. On n'a pas
fait les calculs, à savoir ce que cela pourrait représenter pour
le Québec. Je ne suis pas en mesure de répondre à cette
question, à part vous dire que ce serait substantiel.
M. Prévost: M. le Président, si vous connaissiez le
scénario envisagé, on pourrait être plus en mesure de vous
répondre. Cela va dépendre du scénario. Si on
connaît les règles du jeu, on pourra déterminer quelles
sont nos options et chaque option,
évidemment, aura un prix de rattaché. C'est impossible de
répondre à la question sauf globalement, comme on l'a dit tout
à l'heure, 2 000 000 000 $ environ.
Le Président (M. Théorêt): Merci. En
conclusion, M. le député de Bertrand et M. le ministre du
Commerce extérieur.
M. Parent (Bertrand): Je vous remercie de tous ces
éclaircissements,, Malheureusement, cela a été trop court,
trop bref. Cela a pour le moins piqué la curiosité de tous ceux
qui nous regardent et, en tant que parlementaire, je peux dire que si j'avais
seulement appris ce soir que les brasseries canadiennes et
québécoises, dans tout ce contexte, sont des PME, je pense que,
souvent, sur le plan dimensionnel, on ne réalise pas ces
choses-là
En terminant, je vous dirai que, dans votre mémoire, à la
page 6, malgré la taille de votre entreprise qui, comme je l'ai
mentionné précédemment, n'est pas considérée
comme étant la PME ici au Québec, vous demandez dans tout ce
processus un appui indispensable aux paliers du gouvernement pour vous aider
à le réaliser. Je pense que c'est important de voir que,
finalement, vous avez besoin d'un coup de pouce. Je vous remercie.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
député de Bertrand.
M. le ministre du Commerce extérieur et du Développement
technologique»
M. MacDonald: M. le Président, j'apprécie le
courage et la franchise avec lesquels vous avez déposé votre
cause, si je peux employer le terme. Je ne m'attendais pas à autre
chose.
J'aimerais, par contre, avant votre départ, que vous me donniez
l'assurance en quelque sorte que vous comprenez très bien, qu'à
cette étape-ci des négociations, il ne conviendrait pas du tout
de traiter ici des particularités, que ce soit de la bière, du
vin, des chaussures ou du textile, au moment où une foule
d'éléments et encore plus de détails ne sont pas
réglés. Mais j'ai eu à donner au cours des derniers jours
des assurances, des assurances qui étaient faciles à faire. Ce
n'était qu'en citant les conditions de base sur lesquelles le
Québec s'est reposé pour donner son adhésion à une
négociation de la libéralisation des échanges. Si on veut
parler de chiffres élémentaires, si vous voulez, 22 000 emplois
directs ou indirects, 1 000 000 000 $ de revenus et, ce qui nous touche de
très près, 355 000 000 $ annuellement versés au
Trésor québécois, vous n'avez pas là une PME que
nous allons "discarter" rapidement pour un bénéfice quelconque
qui nous retomberait dans une négociation comme celle-ci. Vous pouvez
vous sentir rassurés, par mes collèques et par moi-même,
une industrie aussi importante va recevoir de nous l'attention et les garanties
de protection et de bon sens que nous avons offertes aux autres. Merci.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
Président. Un dernier mot,
M. Allard: Je pense que le ministre du Commerce et aussi M.
Parent ont bien résumé nos propres pensées. Alors, nous
observerons attentivement les prochains déroulement. Merci à
vous.
Le Président (M. Théorêt): Messieurs les
membres de la commission de l'économie et du travail vous remercient et
vous souhaitent un bon voyage de retour.
M. Allard: Merci.
Le Président (M. Théorêt): II n'y a pas de
suspension. J'appellerai donc immédiatement les représentants des
Celliers du monde et je les prierais de bien vouloir s'avancer, s'il vous
plaît,
À l'ordre, s'il vous plaît!
S'il vous plaît, nous recommençons les travaux.
À vos places, s'il vous plaît! M. Jean-Denis
Côté, président, nous vous souhaitons la plus cordiale des
bienvenues. J'aimerais que vous nous présentiez votre collègue
qui vous accompagne. Je voudrais vous rappeler que vous avez un maximum de
vingt minutes pour faire votre exposé. (21 h 15)
Celliers du monde
M. Côté (Jean-Denis): Merci. M. Marcel Bellehumeur,
conseiller et possédant de grandes connaissances dans le secteur des
boissons alcooliques au Québec.
M. le Président, Mesdames et Messieurs, je me présente
devant vous parce que je crois en notre industrie vinicole. J'ai beaucoup
travaillé à son implantation au Québec. Je veux qu'elle
puisse continuer à se développer. Elle ne peut progresser si nous
fermons notre frontière et si les Américains font de même
avec nous. Ce que je viens vous dire, c'est que je crois à la
libéralisation des échanges avec les États-Unis et que la
balle se trouve présentement dans le camp des Américains pour le
cas des vins.
Notre industrie en est une de service. Nous sommes des négociants
en vin qui faisons du "packaging", du marketing, de l'innovation et de la
création de produits. Les activités de fabrication et
d'embouteillage représentent un faible pourcentage de la valeur
ajoutée d'un produit. Ainsi, nous faisons travailler les manufacturiers
de bouteilles, de cartons, les
disquettes, les compagnies de transport, les gens de la publicité
et des communications, les créateurs et des gens de marketing en
général. J'estime que notre industrie fait travailler directement
et indirectement environ 5000 personnes.
Parce que notre industrie se classe dans le secteur des services, elle
procure beaucoup d'emplois et elle est vouée à un avenir
prometteur si nous savons innover; je crois que le passé est garant de
l'avenir à ce sujet. La libéralisation des échanges avec
les États-Unis devrait augmenter de beaucoup notre potentiel pour du
développement. Mais voilà, ce sont les Américains qui nous
ont mis une barrière non tarifaire. Je me bats depuis plus d'un an pour
faire lever cette barrière. Lorsque, dans La Presse du 8
août on titrait "Les Américains s'en prennent au protectionnisme
canadien", je peux vous assurer que tel n'est pas le cas au Québec. Bien
au contraire, ce sont les Américains qui nous ont fermé leurs
frontières.
La barrière qu'ils ont imposée aux fabricants de vin du
Québec est très simple mais très efficace, et je
l'explique. Dans la plupart des pays du monde, tout vin qui circule doit
être accompagné d'un certificat d'authenticité du pays
d'origine. Or, les Américains exigent en plus, pour que nous puissions
exporter nos produits chez eux, une permission écrite du pays d'origine
du vin. On pourrait imaginer une situation semblable si le Canada exigeait une
permission du pays fournisseur du minerai de fer pour toutes les autos vendues
au Canada.
Nous disons qu'une telle contrainte qui va à l'encontre des
règles du GATT doit être levée immédiatement avant
toute autre discussion sur le libre-échange des produits vinlcoles.
Maintenant, je veux vous parler de la question de l'origine d'un
produit. Comme je le disais précédemment, notre industrie
consiste surtout à faire du "packaging" et du merchandising. Bien
sûr, des compétences sont requises pour élaborer un bon
produit. Je suis le fabricant du California Cooler au Québec. Tout ce
qu'il y a d'américain dans ce produit c'est le nom, les royautés
et le rêve que le produit peut véhiculer. La valeur
ajoutée, soit tout le reste, provient du Canada. Alors, doit-on
considérer la bouteille de California Cooler, sur la tablette de
l'épicier, comme un produit canadien?
Au Québec, nous avons deux grandes catégories de produits
dans le vin: Ceux qui sont élaborés au Québec sous la
marque des fabricants, par exemple, L'oiseau bleu, Notre vin maison, et ceux
qui sont embouteillés au Québec également sous la marque
du fabricant mais avec la mention d'origine sur l'étiquette, par
exemple, Cousin de France, Cuvée des patriotes.
Le produit élaboré au Québec a une valeur
ajoutée plus élevée pour deux principales raisons: un
coût de développement important, des coûts de marketing
beaucoup plus élevés. Je vous explique tout cela pour vous
convaincre de deux choses: Qu'il doit continuer au Québec deux
catégories de produits mis en bouteille au Québec: Les vins
élaborés au Québec, les vins d'origine embouteillés
au Québec. Que du point de vue commercial seulement, l'origine d'un
produit vinicole est le lieu de sa mise en bouteille. Donc, nos produits sont
des produits canadiens.
Les échanges internationaux auront justement comme
conséquence l'émergence de produits dont les composantes
proviendront de divers pays. Dans le doma'ne des vins, ce
phénomène existe déjà. Les fabricants de vins
d'Allemagne, entre autres, vendent un volume de vins à travers le monde
qui est de loin supérieur à la capacité de production de
leurs vignobles. Cette politique se pratique dans plusieurs autres pays du
monde et le travail consiste à acheter des vins d'origine en vrac et les
commercialiser sous leur marque du pays d'origine dans leur pays respectif.
Il ne faut pas oublier que l'assemblage de vins de divers pays donne
souvent comme résultat un produit avec un meilleur ratio prix
qualité. La seule façon d'encourager l'élaboration de
produits dits québécois, c'est de maintenir l'écart dans
le taux de majoration des deux catégories. Cet écart
n'interfère en aucune façon dans les négociations sous la
libéralisation des échanges avec les États-Unis, puisque
l'écart du taux de majoration pour les produits américains serait
basé sur la taxation du produit élaboré au
Québec.
Maintenant, la question que beaucoup de personnes se posent surtout dans
le contexte des négociations sur le libre-change est la suivante:
Pourquoi doit-il exister des écarts de taux de majoration
différents pour des produits embouteillés au Québec versus
les produits embouteillés à l'extérieur? La réponse
est simple. Parce qu'il existe des monopoles pour la distribution des produits,
il y a des coûts d'administration et d'opération supérieurs
pour mettre en marché 'les produits venant de l'extérieur. Comme
la marge fiscale n'est pas séparée de la marge commerciale, il
faut couvrir ces déboursés supplémentaires. Agir autrement
serait une subvention accordée aux produits étrangers.
Par contre, je suis d'accord pour dire que cet écart doit
être justifié par les coûts additionnels réellement
encourus. Cette question d'écart dans les taux de majoration a tellement
perturbé les négociateurs du libre-échange, qu'ils en sont
venus à créer un sous-comité spécialement pour le
secteur des boissons alcooliques, d'où vient la difficulté.
Les boissons alcooliques, les vins en particulier, préoccupent
beaucoup les pouvoirs politiques qui leur trouvent soit les bienfaits,
les taxes, soit des vices, pour d'autres, c'est l'indifférence.
Selon la perception qu'ils ont des boissons alcooliques, les autorités
publiques appliquent des traitements fiscaux différents sur ces produits
et chaque pouvoir de taxation y va de son originalité et de son
système.
Au Canada, en plus du gouvernement fédéral qui
prélève des taxes sur les boissons alcooliques, chaque province a
établi son taux de majoration et ses règlements. Les taux de
majoration peuvent être les mêmes entre les provinces, mais les
marges commerciales peuvent varier, d'où des différences entre
les régies. Mais ces pratiques hétérogènes ne sont
pas l'apanage du Canada.
Il existe aux États-Unis 18 monopoles d'État pour la
distribution des boissons alcooliques. Des États américains
appliquent des taxes discriminatoires à l'égard de produits en
provenance de l'extérieur de leur territoire. Exemple: l'État de
la Floride exige une taxe de 2,25 $ le gallon pour les vins fabriqués
à l'extérieur de l'État, aucune pour les produits locaux.
Le Michigan exige 0,01 $ le litre pour les produits locaux, tandis que les vins
en provenance de l'extérieur de l'État subisse une taxe de 0,13 $
et de 0,20 $ le litre. Ce sont deux gouvernements qui négocient la
libéralisation des échanges, le Canada et les États-Unis.
Mais lorsqu'il s'agit du vin, ce sont toutes les provinces et tous les
États américains qui détiennent un pouvoir de taxation.
À cette gamme assez impressionnante de décideurs s'ajoutent les
divers réseaux de distribution. Chaque intervenant y va de son
système et de son originalité. Va-t-on changer les
systèmes sous prétexte qu'il y a une négociation sur le
libre-change? Mes enfants et même peut-être mes petits-enfants
verront peut-être une certaine uniformisation dans la mise en
marché des boissons alcooliques.
Alors, à quoi un fabricant de vin comme Celliers du monde peut-il
s'attendre des présentes négociations? Je m'attends que mon
gouvernement fasse les efforts voulus pour faire disparaître la
barrière non tarifaire que les États-Unis imposent aux fabricants
de vins québécois. Je le répète: cette
barrière va même à l'encontre des règles et
règlements du GATT. Je m'attends que mon gouvernement reconnaisse au
niveau taxation que nous fabriquons des vins et que c'est un produit canadien
dont la valeur ajoutée dépasse 80 %, que ce produit est
comparable du point de vue commercial aux produits des autres fabricants de
vins, qu'ils soient de l'Allemagne ou de l'Ontario, de New York ou de la
Californie. Je m'attends que les écarts du taux de taxation sur les
produits américains ne soient pas discriminatoires, mais
justifiés. Je m'attends que mes produits soient traités de la
même façon aux États-Unis. Je m'attends que le produit
américain ait accès au même réseau que nos produits,
si je veux avoir accès au réseau équivalent aux
États-Unis, Mais, lorsque l'on constate le nombre de pouvoirs politiques
qu'il faut convaincre, il va falloir faire du cas par cas. Je m'attends, pour
encourager le développement des marques de commerce
québécoises, que le gouvernement maintienne un écart dans
la taxation entre les produits dits québécois et les vins
d'origine embouteillés au Québec. Je m'attends que mon
gouvernement fasse en sorte que les produits élaborés à
partir de notre pomme et du bleuet puissent conserver leur caractère
propre sur les deux territoires.
En conclusion, je ne demande aucun privilège dans les
présentes négociations avec les Américains. Je veux que
les produits américains reçoivent ici les mêmes traitements
que mes produits chez eux. Après avoir consacré les 17
dernières années de ma vie à l'implantation et au
développement d'une industrie vinicole au Québec, je ne veux pas
qu'à cause d'une mauvaise perception des choses on puisse
anéantir tous ces efforts. J'ai encore le goût du risque et je
veux que l'on reconnaisse le rôle de négociant en vin qui existe
partout ailleurs. Je crois que l'on peut encore se développer et
créer plus d'emplois au Québec. Je vous ai fait part des
conditions nécessaires pour y arriver.
Mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir écouté
et je suis prêt à répondre à vos questions.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
président. Je vais immédiatement céder la parole au
ministre du Commerce extérieur.
M. MacDonald: M. Côté, je vous remercie d'être
venu nous rencontrer ce soir et d'avoir développé un peu plus
longuement ce mémoire que vous nous avez soumis.
Vous avez terminé en disant: Je m'attends, et vous avez
donné une longue série d'attentes. Comme je le disais à
ceux qui vous ont précédé, il ne serait pas convenable que
je commente en détail ce qui ferait le sujet, à l'heure actuelle,
des négociations pour ce qui a trait au vin. Mais je pense que vous
réalisez comme moi que le Canada et le Québec ont peut-être
un certain avantage dans ce domaine particulier. Et je m'explique.
Le vin, pour les États-Unis, c'est beaucoup la Californie. La
Californie, comme vous le savez, c'est l'État du président, le
chef de l'administration actuelle. Les États-Unis sont demandeurs depuis
un certain temps, avant même les négociations, d'une plus grande
ouverture sur le marché canadien et québécois et l'entame
de la négociation sur la libéralisation des échanges n'a
fait qu'accentuer cette insistance américaine.
Je crois, sans les reprendre une par une, que vous pouvez être
assuré que, généralement parlant, ce dont vous vous
attendez de votre gouvernement, votre gouvernement a pris bonne note de vos
remarques et de vos demandes. S'il y avait lieu d'aller un peu plus dans les
détails, toujours conscients que nous devons être de la nature des
négociations à l'heure actuelle, mon collègue, le ministre
de l'Industrie et du Commerce et responsable de la commercialisation de ces
produits au Québec, se fera un plaisir à la fois d'essayer de
répondre peut-être ou de commenter vos questions et
peut-être en aurait-il lui-même à vous poser. Pour
moi-même, je tiens à vous réconforter; votre industrie
n'est pas naissante ni gigantesque non plus, mais elle est suffisamment
importante, dans les tissus industriels du Québec, pour recevoir la
même attention et la même protection que les autres PME ou les ME.
Merci.
Le Président (M. Théorêt): Merci. M. le
député de Bertrand. (21 h 30)
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M.
Côté, il nous fait plaisir de vous recevoir ce soir et de
connaître cette dimension de l'industrie vinicole au Québec. Vous
apportez un mémoire qui, contrairement aux autres, représente
plusieurs entreprises. C'est une espèce de cri du coeur important qui
vous touche et qui touche votre évolution de ces 17 dernières
années dans ce marché-là.
Ma première question, puisque vous êtes favorable à
l'idée du libre-échange, c'est une préoccupation que j'ai
lorsque je prends connaissance d'un reportage du journal Le Soleil du 1er
août dernier qui, essentiellement, dit que les producteurs de vin
américains menacent actuellement de boycotter la bière et le
whisky canadiens, puisqu'il y a eu une plainte de déposée en
bonne et due forme par le Wine Institute. On nous dit là-dedans
qu'actuellement le Canada est le plus gros débouché pour les
exportateurs de vins américains qui, l'an dernier, donc en 1986,
détenaient 4 % du marché du vin au Canada. Le reste du
marché étant ici divisé entre les vins canadiens et les
autres importations, soit française, allemande et autres.
Alors ma première réaction c'est de dire: face à
une libéralisation des échanges, cette pénétration
peu accentuée actuellement des vins américains sur notre
marché ne vous fait pas peur et qu'est-ce qui va faire en sorte que vous
allez être en position de vous défendre et de vous colmater, si on
veut, avec des géants qui viendront même avec les conditions que
vous mettrez, avec les mêmes réseaux de distribution et tout
ça? Je trouve ça assez audacieux et j'aimerais vous entendre un
peu là-dessus puisque de prime abord on a l'impression que
l'envahissement des produits vinicoles en provenance des États-Unis
pourrait être dangereux pour cette cause.
M. Côté (Jean-Denis): D'abord je vous réponds
en vous disant qu'en 1970 quand j'ai décidé de me lancer dans les
produits alcooliques, j'acceptais qu'au Québec, le plus important
fabricant de produits alcooliques au monde, Seagram, est localisé au
Québec principalement et ça ne l'a pas empêché de
démarrer et de mettre en place une industrie typiquement
québécoise importante. Or, tout ça pour vous dire que la
dimension des compétiteurs ne m'effraie pas outre mesure. Il faut
être agressif et imaqinatif.
Mais, pour vous répondre plus en détail, il y a 6 500 000
de population au Québec. Nous avons tout près de nous 100 000 000
d'Américains qui consomment déjà du vin et, en
majorité et au grand désespoir du président
américain, ils consomment des vins principalement d'Europe. Pourquoi
consomment-ils des vins principalement d'Europe et la même chose au
Québec? Puisque les Européens, principalement les Français
sont ici au Québec depuis 1921. Ce sont eux qui ont
développé le palais des Québécois. Ce sont eux qui
ont développé le rituel du vin au Québec. Et, quand on
parle de vin, on parle surtout d'image et de rituel.
Alors je comprends les Américains de vouloir être plus
importants sur le marché du Québec mais ils sont un peu
impatients. Quant à moi, je me dis que même s'ils avaient la
même possibilité que nous au Québec, ça va prendre
des années avant que les Québécois changent leurs
habitudes, changent surtout leur palais de consommation. Par contre, l'autre
côté pour nous, je reviens à ce que je vous disais
tantôt, nous avons ces 100 000 000 d'Américains qui consomment des
vins français et des vins italiens. Et nous, c'est ce qu'on fait. Notre
travail, c'est d'importer les meilleures cuvées de ces pays, de les
mettre en bouteille sous nos marques et nous voulons les réexporter,
nous voulons nous accaparer de ce marché à la frontière
québécoise. À ce moment-là, on n'entre pas en
concurrence avec les Américains, mais avec les Français, les
Italiens ou les Allemands avec leurs propres produits. On remplace leurs
marques. On remplace les marques Black Tower par des marques comme Forêt
Noire, par exemple. Tout simplement, c'est le même produit, mais ceia
serait une marque de commerce qui appartiendrait à des
Québécois. Est-ce que cela répond à votre
question?
M. Parent (Bertrand): Très bien, merci.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Dans le cas des ententes que vous avez pour
votre fabrication du "cooler", ce fameux produit qui a pris une très
grande vague rapidement, s'il y a entente de libre-échange, M.
Côté, j'imagine que les licences... que vous fabriquez et vous
payez un droit de royauté, si j'ai bien compris, à ce
moment-là, les ententes de la part des Américains tomberaient et
cela vous placerait dans une situation vulnérable concernant le produit
"cooler". J'aimerais que vous m'expliquiez un petit peu. Les brasseurs, plus
tôt, nous on dit: Nous pouvons fabriquer à partir des licences
qu'on détient sur des bières américaines, mais à
partir du moment où il y a libéralisation des échanges et
la pénétration peut se faire en contournant, puisqu'il n'y aura
plus de barrière... qu'est-ce qu'il arrive dans le cas de votre
"cooler".
M. Côté (Jean-Denis): Je pense qu'il n'y a pas de
problème. D'une part, j'ai une licence à plus long terme que
cela. D'autre part, je suis dans la même situation que les brasseurs et
aussi que Pepsi-Cola ou Coca-Cola ou Seven-Up. Je ne pense pas que dans un
commerce libre-échange le Coke ou le Pepsi vont provenir de New York
plutôt que de Montréal. Je pense qu'il est normal que la mise en
bouteille d'un produit de volume, soit faite le plus près possible du
consommateur. De toute manière, le vin qui consiste plus de 90 % et dans
certaines saveurs, plus de 95 % de la base du produit des "coolers", provient
principalement d'Europe. Le vin des Américains est trop cher. C'est un
pays qui est en développement dans le vin, tandis que les pays
européens ont une surabondance de vin. En plus, les viniculteurs
européens sont subventionnés pour exporter. Il est plus facile
d'importer d'Europe vers Montréal que de l'importer vers Chicago ou vers
la Floride ou New York. Montréal a l'avantage d'être le mieux
localisé en Amérique du Nord pour importer des vins d'Europe.
Le Président (M. Théorêt): Merci, monsieur.
Est-ce que vous avez d'autres questions, M. le député de
Bertrand?
M. Parent (Bertrand): Peut-être que mon collègue en
aura par la suite. Dans le cas des produits fabriqués à base de
pommes et de bleuets, vous dites dans votre mémoire, à la
dernière page: "Dans le contexte du libre-échange
Canada-États-Unis, ces produits devraient conserver leur
caractère propre. Le taux de majoration qui serait appliqué aux
produits québécois devrait être de 25 points
inférieur au taux de base pour les vins élaborés au
Québec. Les produits similaires, à base de pommes ou de bleuets,
fabriqués aux États-Unis se verraient imposer un écart de
taux de majoration plus élevé, normal, et qui
représenterait les coûts additionnels encourus pour se procurer
les produits des États-Unis par rapport aux produits locaux."
J'aimerais que vous m'expliquiez ce 25 points là et aussi que
vous me disiez s'il se fabrique des produits à base de bleuets sur le
marché américain actuellement? J'avais l'impression que
c'était typiquement québécois.
M. Côté (Jean-Denis): Non, il ne s'en fabrique pas,
à ma connaissance à ce jour. Mais rien ne dit que cela ne
pourrait pas se fabriquer. Il se fabrique beaucoup de produits de pommes et
è base de pommes au Québec, au Canada et aux États-Unis.
Mon objectif, c'est que ces deux fruits, dont le Québec a un avantage
certain, puissent avoir une distinction et un taux de majoration
différent, soit une catégorie différente. Ma
référence qui est la base, les produits élaborés au
Québec, de vins élaborés au Québec, je demande que
les produits de la pomme et du bleuet dans chacun des marchés
québécois, canadien ou nord-américain, soient 25 points de
moins.
Le Président (M. Théorêt): Oui, M. le
député de Roberval.
M. Gauthier: C'est une question d'information. Vous semblez, un
peu à notre étonnement, puisque de tous ceux qui sont venus, qui
oeuvraient dans le domaine alimentaire ou para-alimentaire ou des brasseurs,
vous êtes peut-être le seul qui vraiment semblez voir avec beaucoup
d'optimisme cette possibilité de faire du libre-échange avec les
États-Unis. J'aimerais savoir - c'est beaucoup plus pour mon information
parce que j'avoue mon ignorance dans le domaine - quelle est la situation des
affaires que vous faites actuellement dans le reste du Canada? J'ai
l'impression et j'ai vu dans votre mémoire qu'il ne semble pas y avoir
beaucoup d'activités ailleurs qu'au Québec par rapport au reste
du Canada. Est-ce exact d'abord, dans un premier temps?
M. Côté (Jean-Denis): C'est exact.
M. Gauthier: Est-ce que vous pouvez m'expliquer s'il est plus
intéressant pour vous d'envisager l'avenir avec des investissements et
une planification de mise en marché en agressant les marchés, si
vous me permettez l'expression, du nord des États-Unis plutôt que
le marché canadien actuel? Est-ce que les barrières qui existent
au niveau du marché canadien actuel sont de telle nature qu'elles vous
rendent ce marché à peu près inintéressant?
M. Côté (Jean-Denis): Actuellement, oui, d'une part,
il est impossible de rejoindre
le marché, il est quasi impossible pour un
Québécois "d'exporter" - entre guillemets -nos produits vers
l'Ontario. Il y a des barrières qui sont imposées par les
monopoles dans la plupart des provinces. Encore une fois, je favorise
plutôt un commerce nord-sud qu'un commerce est-ouest pour la seule raison
qu'il y a 100 000 000 de personnes vers le sud et seulement 9 000 000 vers
l'ouest.
M. Gauthier: J'ai cru comprendre tout à l'heure qu'il est
beaucoup plus avantageux d'embouteiller là où le marché se
trouve. D'abord, est-ce exact? Est-ce que j'ai bien compris? Est-il exact de
dire que, pour une expansion de vos affaires vers le sud dans un marché
nord-sud libre de contraintes, vous devriez envisager des implantations
d'usines d'embouteillage ou autres aux États-Unis ou si vous comptez
être en mesure de desservir ce nouveau marché à partir de
vos installations ici et qui devront évidemment être
modifiées, agrandies, j'imagine...
M. Côté (Jean-Denis): Oui, mais à partir des
installations d'ici. J'ai ajouté tantôt que, d'une part, il est
mieux d'embouteiller près du lieu de consommation. Je parlais de
California Cooler qui est embouteillé en Californie. C'est aux antipodes
de notre territoire. D'autre part, les produits proviennent d'Europe et il est
aussi préférable de mettre en bouteille près du lieu de
réception des vins, soit près de Montréal. Notre intention
est de rejoindre 100 000 000 d'Américains à partir de la
région de Montréal.
M. Gauthier: L'intérêt des remarques que vous
présentez est indéniable dans ce mémoire qui est
fouillé. Est-ce que les autres fabricants de vins ou l'ensemble des
fabricants de vins s'associent en quelque sorte à vos recommandations ou
s'il s'agit là d'une position plus personnelle de l'ensemble de vos
entreprises?
M. Côté (Jean-Denis): Je comprends votre
préoccupation, mais la raison pour laquelle ce n'est pas l'association
qui est ici, c'est que l'association est composée de divers producteurs:
il y a des multinationales telles que Seagram's ou Gilbey's, il y a des
compagnies nationales telles que Bright et Andrès et je pense que dans
certains points, entre autres quand je parle des problèmes que nous
avons avec les échanges est-ouest et les taux de majoration qu'on veut
imposer pour les échanges est-ouest, vous comprendrez que les dirigeants
locaux, en tant qu'individu, sont d'accord avec ma position, mais leur
siège social ontarien n'est peut-être pas favorable. Pour
simplifier le tout et atteindre l'objectif des dirigeants locaux de ces
mêmes compagnies, mais ne pouvant pas s'exprimer, je me suis mis la
tête sur le billot. (21 h 45)
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
député de Roberval.
M. le ministre de l'Industrie et du Commerce.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président.
M. Côté, messieurs, comme ministre responsable de tout ce
commerce, vous savez qu'on a eu de nombreuses discussions sur le sort de cette
industrie au Québec dans les prochaines années. On s'est
engagé, nous-même de notre côté, avec vous de
l'industrie, sur une voie où on s'est entendu de libéraliser
davantaqe, d'essayer de déréglementer un peu plus les
activités qui sont les vôtres. À un moment donné, on
a parlé des marques formats. On a parlé de l'accès. On a
parlé de toutes sortes de choses. L'objectif dans tout cela que je
sentais chez l'industrie, chez vous-mêmes, c'était d'avoir les
coudées les plus franches possible afin d'exploiter au maximum les
talents de mise en marché de vin élaboré au Québec.
On n'a pas une tradition depuis des générations de faire du vin
au Québec. Je dirais même que ce n'est pas vraiment viticole, mais
vinicole, si on se comprend bien, l'activité économique qui est
la vôtre. À ce titre, si vous voulez percer - c'est votre ambition
- dans un marché le plus large possible, vous devez vous distinguer
grâce à des efforts de mise en marché, d'identification, de
caractérisation de vos produits.
Vous dites, entre autres, quand vous abordez le problème de la
reconnaissance par les Américains, par exemple, de l'origine d'un vin
québécois, que cela existe un animal qui est le vin
québécois au même titre qu'un vin italien. C'est difficile
quelquefois à en faire la démonstration. Dire que l'industrie
vinicole est identique à l'industrie viticole, déjà il y a
un petit problème. Reconnaissons, par ailleurs, qu'en Amérique du
Nord il n'y a pas seulement onze producteurs qui s'adonnent à être
au Québec quand ils font cela. Vous l'avez évoqué tout
à l'heure, c'est une activité économique acceptable.
Il n'en reste pas moins qu'à l'égard des règles
d'origine du vin, les Américains, dites-vous, ont l'air un peu
difficiles. Dans le fond, est-ce que ce n'est pas préférable
d'avoir accès, pour vos produits, au marché américain
où vous pouvez continuer à essayer de vous distinguer, etc.,
comme je l'ai dit tout à l'heure, évidemment au prix de certains
tarifs qui pourraient vous paraître discriminatoires parce que ce n'est
pas un vrai vin français ou un vrai vin québécois? Le
choix entre les deux, c'est un peu injuste de vous le demander. Si vous aviez
le choix entre entrer sur le marché américain, mais avec un
tarif, et ne pas y avoir accès
vraiment parce que les Américains insistent sur certaines des
règles que vous avez mentionnées, qu'est-ce que vous
préféreriez?
M. Côté (Jean-Denis): Ce que je
préfère, c'est les deux. Je vais vous expliquer combien c'est
simple d'avoir les deux. D'une part, quand je parle de vin
élaboré au Québec, cela concerne l'aspect commercial. Sur
l'étiquette, pour le consommateur, on ne peut pas écrire "vin
québécois" puisque le produit de la vigne n'est pas du
Québec. C'est la raison pour laquelle on dit "vin élaboré
au Québec" ou "vin de différents pays". Les Américains
préfèrent l'appellation "vin de différents pays". Cela ne
nous empêche pas qu'au point de vue de la taxation, nous voulons que ce
soit reconnu comme un vin canadien au même titre que les vins du Niagara
puisqu'on ajoute presque la même valeur ajoutée que dans les vins
du Niagara. Alors, pourquoi ne pas avoir le même privilège? On ne
trompe pas le consommateur, on ne lui dit pas que c'est un vin
québécois, mais on dit que c'est un vin de différents pays
élaboré au Québec. Élaboré, c'est
l'expression qui est utilisée dans les pays européens. C'est un
mélange, un assemblage de vins de différents pays, d'une part.
D'autre part, le deuxième choix que je veux, c'est d'avoir des vins
français vers les États-Unis. Quand je dis des vins
français, ce sont de véritables vins français. Ce sont des
vins aussi français que les autres vins français que l'on
retrouve aux États-Unis. Pour mentionner une marque que l'on
connaît tous, Mommessin Export qui est vendu au Québec en
abondance dans les . petits restaurants est également vendu aux
États-Unis dans les petits restaurants. Le vin qui est
embouteillé au Québec de Mommessin Export et le vin qui est vendu
aux États-Unis de Mommessin Export est le même vin
français, puisque le vin de la France ou de l'Italie est toujours suivi
par un acquis, un certificat d'origine. Actuellement, notre problème que
j'appelle la barrière non tarifaire que nous avons des
Américains, c'est que les Américains demandent, en plus de
certificat d'origine qui certifie que c'est un vin vraiment français,
une lettre du pays producteur pour reconnaître que nous avons la
permission de mettre ces vins au Québec. Les autres pays du monde ne
l'ont pas demandé. Alors, les Français ne veulent pas
répondre pour un seul pays. C'est évident. Il y a une
opportunité d'affaire importante, laquelle d'ailleurs n'a rien à
voir avec le libre-échange. Cela n'a rien à voir même avec
les accords du GATT. C'est pour cela que je demande à mon gouvernement
de s'occuper de cette contrainte, de cette barrière non tarifaire qui
nous permettrait, dans les prochaines heures, d'exporter des quantités
importantes de réel vin français ou de réel vin italien ou
de réel vin espagnol ou de réel Châteauneuf-du-Pape ou de
réel Bourgogne vers les États-Unis. À ce moment-là,
c'est autant d'emplois, c'est autant de produits, autant de transport qui
seraient utilisés au Québec et autant de profits pour les
sociétés québécoises. Le Québec n'est pas
une industrie viticole, comme vous l'avez dit, c'est une industrie vinicole; et
l'industrie qui a été créée en 1971 était
justement pour cette fin, je présume. Je vais plus que présumer,
parce que j'étais très près à ce moment et
c'était la raison. On a peut-être omis le marché
américain. Maintenant, nous maîtrisons bien cette industrie, nous
maîtrisons bien ce marketing et nous sommes prêts depuis quelques
années à affronter nos amis du Sud.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Mais dans ce dossier, vous
dites: D'autres pays n'ont pas demandé à la France des preuves
d'origine. C'est bien cela que vous me dites?
M. Côté (Jean-Denis): Pardon?
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Que la France n'a pas
répondu ou ne répond pas pour fournir la permission dont les
Américains aimeraient avoir la preuve, soit d'exporter vers chez eux.
C'est qu'il n'y a personne d'autres qui ont demandé cela aux
Français et les Français ne bougent pas.
M. Côté (Jean-Denis): Oui, c'est que les
Français répondent; Nous avons une structure qui est en place
depuis un siècle, qui veut que chaque vin du pays est accompagné
d'un acquis. C'est un certificat d'origine. Cet acquis a différentes
couleurs qui dit que c'est un vin français, d'une part, ou plus
spécifiquement, c'est un vin de pays, un vin d'appelation
contrôlée ou de château ou de cru bourgeois, etc. Concernant
cet acquis, la France répond: Nous avons déjà une
structure en place. Ces documents sont fournis et nous ne pouvons pas en plus,
seulement pour les Américains dont les vins passent par le
Québec, mettre une politique spéciale pour cela.
M. Johnson (Vaudreuil-Souianges): Ce n'est pas plutôt
seulement pour le Québec qui a décidé d'aller exporter
vers les États-Unis qui est la vraie raison...
M. Côté (Jean-Denis): C'est-à-dire qu'ils ne
l'ont pas demandé aux Allemands. Les Allemands étaient là
depuis longtemps. L'Allemand exporte aux États-Unis avec des vins
français. Les vins Black Tower. Il ne faut pas penser que le Black Tower
est un vin allemand. Le Black Tower est un vin de la communauté
européenne. La majorité des Black Tower est des surplus de
Charente. Ce sont les vins qu'ils ont en surplus pour faire du cognac qui est
ajouté en grande partie
dans le Black Tower qui est vendu aux États-Unis. Mais ce Black
Tower est là depuis des années. Les fonctionnaires étant
moins sophistiqués dans les années soixante, eh bien, cela a
passé. Mais, le Québec étant l'enfant pauvre de
l'Amérique du Nord, je présume, ils ont mis une contrainte
supplémentaire.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Je vous remercie des
éclaircissements. Comme vous l'avez souligné vous-même,
dans le fond c'est quelque chose qui peut se régler à part les
négociations dans le cadre de libéralisation des échanges.
C'est un problème qui est distinct.
M. Côté (Jean-Denis): Oui. C'est pour cela que j'ai
tenu compte, d'ailleurs, qu'il devrait être négocié avant
de discuter de libre-échange dans notre cas de l'industrie vinicole.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): L'autre dimension dans tout
cela qui me préoccupait et que vous avez vous-même
mentionnée c'est d'être reconnu dans le cadre d'un échange
plus libre avec les Américains, d'être reconnu au même titre
que les vins de la péninsule du Niagara, du sud de l'Ontario.
Comment démontrez-vous que vous ajoutez autant de valeur en
élaborant ici que ce qui est le fait des vins ontariens où on
fait pousser le raisin, où, en fait, c'est une production agricole en
partie bien qu'il y ait beaucoup de moût et de raisins importés
également là-dedans... Quel est le maximum que vous pouvez faire,
quant à vous, pour devenir aussi "canadien" - entre guillemets -que les
vins ontariens dont les raisins poussent vraiment en Ontario?
M. Côté (Jean-Denis): Dans un vin de table de prix
modique, le raisin est pour environ 15 % à 18 % de la valeur du produit.
C'est la raison pour laquelle je dis que dans certains cas et dans beaucoup de
cas la valeur ajoutée des vins québécois est de plus de 80
% local. Le critère des Américains et des Canadiens de l'Ontario
et de la Colombie britannique est 75 %. Ils ont droit à l'appellation
"vin canadien" s'il y a 75 % de vin de la vigne du Canada. C'est la même
chose pour les Américains. On a un vin américain s'il y a 75 % de
vin américain. Il y a un vin qui s'appelle Chablis américain s'il
a 75 % du cépage Chablis. C'est la politique américaine et c'est
à peu près la même politique dans l'Ouest du pays.
Comme leur critère est déjà 75 % et que nous
ajoutons déjà plus de 80 %, c'est pour cette raison que je dis
que nous sommes presque aussi canadiens qu'eux.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci.
Le Président (M. Théorêt): Merci. Pour les
commentaires de la fin ou conclusion, M. le député de
Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Alors, en conclusion puisque le temps nous
manque. J'ai trouvé, M. Côté, les échanges fort
intéressants. Plus cela allait, plus on en apprend. Parfois j'ai un peu
l'impression qu'on s'en fait passer des petits Black Tower pour ne pas dire
autre chose.
Je tiens à vous remercier parce que je pense que l'exercice de la
commission est d'informer pour mieux comprendre. D'autant plus que, dans votre
cas - et je termine là-dessus - en relisant le rapport que j'avais entre
les mains, qui m'a animé au cours de la dernière année,
qui mentionnait les études faites au ministère de l'Industrie et
du Commerce, septembre 1985, donc exactement il y a deux ans, 24 mois, et
où la conclusion concernant votre industrie était exactement
à l'opposé de la position que vous prenez, je trouve cela fort
réconfortant... Cela me fait dire qu'on aurait dû rendre ces
études publiques. On aurait été moins
énervé. Dans votre cas, on dit, et je conclus: En se basant sur
les données de ce rapport et sur l'avis de spécialistes oeuvrant
dans ce secteur - et vous vous êtes décrit comme étant le
spécialiste - il devient fort probable que l'abolition des tarifs dans
un contexte de libre-échange viendrait détruire l'industrie de la
fabrication des vins sur le marché québécois. Les vins
californiens et ontariens s'accapareraient de nos industries qui sont
très limitées dans le volume de production. De plus, la
production québécoise ne pourrait compter sur le marché
extérieur, parce que le réseau de distribution des vins
québécois à l'extérieur du Québec est peu
développé et que les vins québécois n'ont pas
encore acquis de marque de commerce recherchée... et on continuait ainsi
en disant que la fermeture de la plupart, sinon de toutes les usines,
deviendrait chose inévitable. Alors, je suis heureux de constater, ce
soir, que vous apportez des conclusions qui sont différentes.
J'espère que dans les sept recommandations que vous faisiez dans votre
mémoire, le ministre pourra, au nom de son gouvernement, y donner suite
afin que vous puissiez continuer vos succès au Québec. Je vous en
félicite. Merci.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
député de Bertrand. M. le ministre du Commerce
extérieur.
M. MacDonald: Bien, M. Côté, j'ai revu ce soir la
personne que j'ai accompagnée en Asie et qui se présentait
là-bas avec le même dynamisme et la même volonté de
faire des affaires. Alors, je vois que les États-Unis sont une partie de
votre activité seulement et je vous souhaite bonne chance.
Je vous assure, encore une fois, de notre compréhension à
l'endroit de votre situation, on n'oublie pas ce que vous avez dit.
M. Côté (Jean-Denis): Merci beaucoup.
Le Président (M. Théorêt): M.
Côté, M. Bellehumeur, les membres de la commission de
l'économie et du travail vous disent merci et bon voyage de retour.
Les travaux de la commission sont maintenant ajournés
jusqu'à 10 heures demain matin.
(Fin de la séance à 22 h 1)