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Version finale

33e législature, 1re session
(16 décembre 1985 au 8 mars 1988)

Le mercredi 16 septembre 1987 - Vol. 29 N° 71

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les Etats-Unis


Journal des débats

 

(Dix heures trois minutes)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission de l'économie et du travail entreprend sa deuxième journée de consultation générale en ce qui a trait à la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.

Je vous donne l'ordre du jour. D'abord, nous entendrons, dans quelques instants, M. Jacques Parizeau qui n'a pas besoin de présentation additionnelle, je crois. Par la suite, nous entendrons M. Pierre Pettigrew, le directeur des services internationaux de la firme Samson Bélair. Puis, nous recevrons la Coopérative fédérée de Québec.

Cet après-midi, nous rencontrerons le Regroupement avicole du Québec, qui sera suivi de l'Union des producteurs agricoles du Québec et, en soirée, de l'Ordre des agronomes du Québec. Nous terminerons la journée avec le Conseil de la coopération laitière et la Fédération des producteurs de lait du Québec et, finalement, avec la Conférence canadienne des arts.

M. le Vice-Président, est-ce qu'il y a des remplacements?

M. Théorêt: Oui, M. le Président. M. Farrah (Îles-de-la-Madeleine) est remplacé par M. Hamel (Sherbrooke), M. Fortin (Marguerite-Bourgeoys) par M. Tremblay (Rimouski) et M. Rivard (Rosemont) par M. Lemieux (Vanier).

Le Président (M. Charbonneau): D'accord. Alors, j'invite immédiatement M. Parizeau à prendre place à la table des invités.

M. le député de Bertrand?

M. Parent (Bertrand): M. le Président, mon collègue, le député de Laviolette, M. Jolivet, se joindra à nous au cours de la matinée concernant les affaires de l'agriculture. Je veux juste m'assurer qu'il puisse...

M. Théorêt: Être inscrit.

M. Parent (Bertrand): ...être inscrit comme remplaçant.

Le Président (M. Charbonneau): En fait, je pense que le secrétaire pourrait s'organiser pour que M. Jolivet (Laviolette) remplace, dans les règles, un des membres qui ne peut pas assister à...

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie.

Le Président (M. Charbonneau):

D'accord. Alors, M. Parizeau, bienvenue à notre commission. Je pense que vous savez très bien comment fonctionne notre institution. Néanmoins, je vous rappelle que nous avons des contraintes de temps. Donc, nous avons une heure, 20 minutes au maximum pour la présentation de votre point de vue et le reste du temps est partagé en parts égales entre les membres de la commission, de part et d'autre, pour engager la discussion avec vous.

Je vous rappelle aussi que les réponses sont comptabilisées dans le temps des parlementaires et dans la mesure où les uns et les autres, autant les parlementaires que vous-même, pourrez condenser, cela permettra d'aborder plus de questions et de sujets.

Alors, sans plus tarder, je vous laisse la parole.

M. Jacques Parizeau

M. Parizeau (Jacques): Je vous remercie, M. le Président. Comme nous le savons tous, les négociations sur le libre-échange, dans leur première phase, achèvent. Ces négociations sont - je pense qu'on ne le soulignera jamais suffisamment - entre les mains du gouvernement fédéral canadien et du gouvernement fédéral américain. Qu'au Canada, le gouvernement fédéral ait jugé utile une assez vaste consultation avec les provinces est au fond quelque chose de nouveau dans l'établissement de la politique commerciale canadienne. C'est assez inédit comme processus. On peut se demander si c'était nécessaire. Peut-être dans la mesure où les provinces gardent un certain nombre de pouvoirs sur des secteurs déterminés d'activités. Encore que, comme on le verra plus loin, il aurait été possible et il est, je pense, encore possible pour le gouvernement fédéral de contourner passablement des objections ou des appositions venant des provinces.

Cela étant dit, cependant, il reste que le Québec doit déterminer les politiques qu'il entend suivre à l'intérieur de ce nouveau

cadre, advenant qu'il y ait un nouveau cadre et qu'un accord aboutisse. C'est probablement largement en dehors des mains du Québec que l'accord se fasse, mais ce n'est pas en dehors des mains du Québec qu'un certain nombre de politiques soient mises en place pour s'adapter et pour profiter de cet état de choses, si tant est que le résultat d'un accord est obtenu.

Quels sont les intérêts canadiens et américains dans cette négociation? Je laisse ici pour le moment pendant quelques minutes les intérêts du Québec, on y reviendra tout à l'heure. Je vous rappelle ici que, pour ce qui est de déterminer les intérêts canadiens, ils sont finalement très simples, ils sont permanents, ils n'ont pas changé depuis 1984. En 1984, on assiste pour la première fois à une opposition très nette entre le Congrès des États-Unis d'une part et l'administration américaine, le président des États-Unis d'autre part. C'est à partir de 1984 que le Congrès américain part dans une voie protectionniste - le mot, je pense, n'est pas trop fort - qui à un moment donné frise le délire. Il y aura, en 1984, 200 projets de loi protectionnistes déposés au Congrès américain. On n'imagine pas un instant que le président des États-Unis puisse tous les jours ou tous les deux jours mettre un veto sur des projets de loi. Politiquement, c'est impensable. Remarquez qu'on est rendu bien au-delà de 200 projets de loi maintenant. On est quelque part entre 600 et 700 projets de loi protectionnistes. S'il fallait qu'une partie seulement de ces projets de loi soit adoptée par le Congrès américain et que le président des États-Unis soit forcé de les laisser adopter ou d'en laisser adopter un bon nombre, des secteurs entiers de l'activité économique canadienne seraient saccagés. On en a eu un certain nombre d'exemples jusqu'à maintenant. Mais ce qu'on a vu jusqu'à maintenant, c'est la pointe de l'iceberg dans un certain sens. 11 y en a bien plus dans le pipeline qu'il y en a eu d'adoptés.

L'intérêt fondamental canadien n'a pas changé depuis le début même si l'observation publique de cet intérêt a changé selon les mois. Depuis le début, ce que les Canadiens veulent, c'est un mode de règlement automatique des différends commerciaux, une forme d'automaticité. J'allais dire en un certain sens: n'importe laquelle. Il est probablement dommage qu'on mette à ce point l'accent actuellement sur un tribunal d'arbitrage, mettre devant n'importe quel corps élu la formule, l'expression "tribunal d'arbitrage", c'est mettre un drapeau rouge devant le taureau. Je pense que les membres de cette commission comprendront très bien. Néanmoins, ce n'est pas... le taureau.

On peut imaginer d'autres formes d'automaticité. On peut, par exemple, imaginer une commission paritaire qui établisse le mode de calcul des subventions de part et d'autre de la frontière et établisse au fond une subvention nette. Si la subvention nette, dans un sens ou dans l'autre, dépasse un certain pourcentage du prix de vente, alors chacun des deux gouvernements peut faire ce qu'il entend pour se protéger. C'est une autre formule et il y en a plusieurs. Tout ce que je veux dire ici, c'est qu'il n'y a pas seulement le tribunal d'arbitrage, mais ce que les Canadiens veulent et ce sur quoi ils ne peuvent pas céder, c'est qu'il faut une forme d'automatisme pour ne pas permettre au Congrès américain n'importe quoi et n'importe quelle forme d'arbitraire.

Il n'y a pas que cela comme intérêt canadien, évidemment il y en a d'autres. Il n'y a pas de doute, par exemple, que les politiques d'achat des gouvernements américains, mais singulièrement à l'égard de la défense nationale, représentent un marché très considérable dans lequel nous avons pu entrer assez peu jusqu'à maintenant. Les contrats des gouvernements américains dépassent actuellement le produit national brut du Canada et les Canadiens n'ont pas tout à fait 1 % de ces contrats. Évidemment, il y a des possibilités d'expansion qui peuvent être intéressantes, singulièrement du côté de la défense nationale.

Nous sommes intéressés aussi à la libéralisation des services financiers, des services d'engineering, des services techniques, des services d'entreprises d'une façon générale. Il ne faut pas oublier à cet égard que, depuis quelques années, les Canadiens investissent chaque année, en investissements directs de contrôle d'entreprises, trois, quatre ou cinq fois plus que les Américains n'investissent au Canada. La situation dans laquelle nous avons tous grandi est complètement renversée actuellement. Les flux d'investissements directs canadiens vers les États-Unis dépassent plusieurs fois les flux américains d'investissements directs ici.

Le résultat, c'est que les Canadiens ont maintenant des intérêts quant à l'ouverture du marché américain qu'ils n'avaient jamais eus avant. Mais tout cela, dans un certain sens, je dirais, ce sont des intérêts secondaires par rapport à l'automaticité dont je parlais tout à l'heure. Les intérêts américains là-dedans, ils sont quoi? Où sont-ils?

Je vous avouerai que, pendant un certain temps, on s'est posé la question. Où est-ce qu'il serait l'intérêt des Etats-Unis à régler avec le Canada? Ce n'était pas évident. On a commencé à voir vraiment un intérêt apparaître aux États-Unis autour de ces négociations après la conférence de Punta del Este qui a lancé la plus récente ronde des négociations du GATT.

À Punta del Este, le gouvernement des États-Unis, qui a demandé lui-même la convocation de cette conférence, veut placer sur l'agenda deux choses, en plus des négociations commerciales ordinaires. D'une part, l'examen de la mise en place éventuelle du libre-échange dans les services, les services financiers, les services techniques, les services d'informatique, les services d'engineering, etc. Deuxièmement, l'élimination graduelle des contrôles nationaux sur les investissements des non-résidents, sur l'investissement étranger. Jamais dans son histoire, le GATT, qui a 40 ans maintenant, ne s'était occupé de ces questions. Ce sont des matières parfaitement nouvelles pour le GATT. Jamais on n'a touché à cela.

Le Brésil et les Indes vont s'opposer de façon farouche à l'inscription des deux questions sur l'agenda du GATT. Les États-Unis, appuyés d'ailleurs par le gouvernement canadien à ce moment, ont menacé de saborder les négociations du GATT si ces deux questions n'étaient pas portées à l'ordre du jour. Finalement, les appositions du Brésil et des Indes ont été retirées et cela a été inscrit à l'ordre du jour, sauf que c'est flambant neuf. On n'a jamais négocié cela; au GATT, on ne sait même pas comment.

C'est donc parfaitement normal de voir les pays membres du GATT se retourner vers les États-Unis et le Canada et dire si, sur ces matières, vous ne pouvez pas vous entendre à l'occasion de vos négociations bilatérales, ne demandez pas à l'ensemble des pays du GATT d'être capables de faire mieux que vous. Ce jour-là, on a vu le point de vue américain changer et on a vu le gouvernement américain commencer à s'intéresser sérieusement aux négociations avec le Canada. (10 h 15)

Cela, c'est quoi? C'est depuis novembre dernier. Cela ne fait pas très longtemps. L'atmosphère a changé en novembre dernier à cet égard. C'est là que les Américains ont commencé à mettre sur la table un certain nombre d'exigences quant au retrait par le Canada de contrôles à l'égard des investissements étrangers et quant à la libéralisation d'un certain nombre de services, en particulier, des services financiers. Ils avaient enfin quelque chose à demander. Donc, l'entonnoir s'est dessiné. Il est maintenant très clairement dessiné. Le gouvernement canadien continue d'insister pour une formule automatique applicable au règlement des conflits commerciaux et les Américains continuent d'avoir un certain nombre d'exigences précises dont ils savent très bien que s'ils n'arrivent pas à les satisfaire au moins pour une part, leur exercice du GATT est dans une bonne mesure flambé.

L'intérêt du Québec dans tout cela? Au moment où ces négociations sont en train d'arriver à terme, au moins dans une première phase, le Québec n'est pas si mal placé que cela, il est même assez bien placé dans l'hypothèse d'un accord de libre-échange assez vaste, assez compréhensif. En tout cas, le Québec est mieux placé que l'Ontario et compte tenu de ce que je vais dire en quelques minutes, je ne vous cacherai pas que, si j'étais Ontarien, j'aurais aussi des réticences et des hésitations. Dans ce sens-là, on peut comprendre les réticences de M. Peterson.

Il faut bien comprendre à cet égard que les succursales de sociétés américaines jouent dans l'économie ontarienne un rôle qui n'a aucune commune mesure avec le rôle qu'elles jouent au Québec. C'est vrai évidemment dans l'automobile, mais c'est vrai aussi dans une foule d'autres activités: dans l'industrie électrique, dans les produits chimiques, dans toute une série de domaines où la croissance en Ontario a été relativement rapide depuis un certain nombre d'années. Les succursales de sociétés américaines ont joué un rôle majeur dans l'économie ontarienne. II est donc assez normal que l'on se pose des questions quant à savoir si les sièges sociaux de ces compagnies américaines établies en Ontario vont leur permettre, par exemple, de livrer concurrence aux usines de la même compagnie aux États-Unis.

Il ne faut pas oublier que ces succursales sont venues s'installer au Canada parce qu'il y avait un tarif. S'il n'y a plus de tarif, est-ce que vraiment on va autoriser les filiales canadiennes de ces sociétés américaines à entrer dans le corps des usines aux États-Unis des mêmes compagnies? Cela peut être vrai dans certains cas, cela peut ne pas l'être dans d'autres, mais cela devient l'expression de "corporate policies" sur lequel les gouvernements au Canada vont avoir relativement peu d'influence. Alors, à l'égard de l'avenir, à l'égard de la progression de l'économie ontarienne, on peut comprendre certaines réticences en Ontario. Ce n'est pas vrai au Québec.

Il est évident que le dynamisme des entreprises québécoises à l'heure actuelle est notoire, c'est un phénomène bien connu, mais l'une de ses conséquences fut une accentuation considérable des ventes aux États-Unis et de la pénétration sur ce marché à partir du moment où le dollar canadien est tombé. Au taux de change de 1976 - je vous rappelle que le dollar canadien était à 1,03 $ des Etats-Unis - il n'était pas question que beaucoup des fabricants les plus performants du Québec puissent vendre aux États-Unis. À partir du moment, cependant, où le dollar canadien est tombé à 0,70 $ ou 0,72 $, an a assisté à des pénétrations sur le marché américain qui sont brillantes dans certains cas et pas

seulement de grandes entreprises.

Je comprends que les pénétrations de grandes entreprises comme Bombardier à un certain moment peuvent faire rêver, mais il y a des entreprises de taille beaucoup plus petite qui ont essayé de vendre toute espèce de produits aux États-Unis et qui ont trouvé la pénétration relativement facile. C'est un phénomène tout à fait nouveau dans notre économie et, dans la mesure où cela s'est fait, il ne faut pas s'étonner de voir que beaucoup de ces entreprises en redemandent, en veulent davantage et, d'aucune espèce de façon, ne sont gênées par un siège social extérieur. Ce qui peut les gêner, c'est leur aptitude à concurrencer selon leurs coûts de production et c'est le taux de change du dollar canadien.

Il faut bien comprendre que se profile toujours derrière ces négociations de libre-échange le problème de savoir où est le taux de change. Tout ce que je dis à l'heure actuelle, c'est que cela a du sens, un taux de change de 0,72 $ ou 0,75 $. Cela n'en aurait pas nécessairement à 0,90 $ ou 0,95 $. Ce serait une tout autre paire de manches. Quand on voit à l'heure actuelle des gens à la Banque du Canada même se flatter de voir le dollar remonter à 0,75 $, on est obligé de mettre une sourdine en disant: Écoutez, il n'y a rien de particulièrement brillant en cela. Ce n'est pas comme la température, le taux de change. Ce n'est pas d'autant meilleur que c'est haut,

D'autre part, beaucoup de ces entreprises québécoises sont en train d'investir aux États-Unis sur une très grande échelle. C'est vrai dans le domaine financier, c'est vrai dans le domaine de l'immobilier, c'est vrai dans le domaine manufacturier. Dominion Textile, par exemple, a entrepris une sorte de redistribution de ses investissements vers le sud qui est assez remarquable, mais on peut en trouver beaucoup d'autres exemples, encore une fois de petits ou de très importants. Ces investissements peuvent se faire dans la distribution. C'est probablement ce qu'il y a de plus intéressant pour l'économie québécoise que de voir des Québécois investir dans la distribution aux États-Unis sur une très grande échelle. Cela peut se faire dans de la production complémentaire à la production québécoise ou cela peut se faire dans de la production concurrente. Quand c'est dans la production concurrente, c'est évidemment moins intéressant. Cela reste intéressant pour les profits qui sont faits par le groupe québécois. C'est intéressant quant aux honoraires de gérance qu'il va se faire payer. Cela peut être intéressant pour l'expédition de produits semi-finis ou de pièces aux États-Unis, mais c'est évidemment moins intéressant que, par exemple, seulement... de la distribution. Il est très intéressant de voir d'ailleurs de ce temps-ci que l'essentiel des investissements directs japonais aux États-Unis n'est pas dans la fabrication mais dans la distribution. Ils saisissent les canaux de distribution pour être en mesure d'en profiter.

Il y a évidemment un danger pour ces entreprises du Québec qui commencent à investir sérieusement aux États-Unis et à y vendre passablement. C'est que le succès lui-même devienne une raison, pour les autorités américaines, d'arrêter les opérations. Évidemment, dans ce sens, les milieux d'affaires québécois ont le même intérêt que partout ailleurs au Canada d'avoir ces mécanismes automatiques dont je parlais tout à l'heure. Il reste néanmoins qu'il n'est pas étonnant de constater qu'au Québec il y a, à l'heure actuelle, un tel appui dans beaucoup de milieux d'affaires à l'initiative canadienne, aux négociations canado-américaines. Je vous rappelle à cet égard que le premier corps public au Canada qui a appuyé la première déclaration de M. Mulroney quant à l'ouverture des négociations sur le libre-échange a été la Chambre de commerce du Québec. Quand on pense à la réputation de conservatisme assez prononcé de cet organisme, c'est assez remarquable comme incident et très significatif.

Quel genre de politique le Québec doit-il suivre pour être en mesure à la fois de minimiser les risques et de profiter au maximum de ce nouveau cadre, si tant est qu'il apparaît? Évidemment, l'observation que je vais faire peut être oiseuse dans la mesure où la première phase des négociations achève, mais d'abord on peut espérer que le gouvernement du Québec n'a pas mis sur la table l'ensemble des barrières non tarifaires dont il dispose. Je parle des politiques d'achat, mais aussi de toute espèce de politiques qui établissent un traitement différent entre les entreprises québécoises d'une part et les autres d'autre part. J'espère qu'on n'a pas mis tout ça sur la table.

D'abord, des barrières comme celles-là, il en reste encore beaucoup aux États-Unis, énormément au niveau des États, bien sûr du gouvernement fédéral américain, mais aussi des États eux-mêmes. D'autre part, il n'est pas du tout nécessaire que tout cela soit mis sur la table à la demande du gouvernement fédéral. Il est évident que le gouvernement fédéral canadien et le gouvernement fédéral américain sont suffisamment réalistes pour se rendre compte que, s'ils n'ont pas réussi à établir un marché commun américain parfait après 200 ans d'intégration et si au Canada après plus de 100 ans d'intégration politique, on n'a pas non plus réussi à réaliser un marché commun intégral, ce n'est pas demain matin, à l'occasion d'un libre-échange entre les deux pays, que tout ça va disparaître.

Les pouvoirs du Kansas, s'ils se sont maintenus, enfin non, le Kansas s'est incorporé plus tard, mais si les pouvoirs du Massachusetts se sont maintenus pendant 200 ans, il y a des chances pour qu'ils se maintiennent encore pendant 15 ou 20 ans. C'est la même chose au Canada.

Il n'est pas nécessaire que ces dispositions locales, provinciales ou d'État disparaissent. Qu'est-ce qui est important au fond? C'est le traitement national. C'est qu'une société américaine faisant affaires au Canada et, par exemple, au Québec soit traitée au Québec comme si c'était une société de l'Ontario. De la même façon, ce qui est important pour une société québécoise dans le Kansas, c'est d'être traitée dans le Kansas comme si c'était une entreprise de l'État de New York. C'est cela qui est fondamental.

Une fois qu'on a compris cela, on se rend très bien compte à quel point les deux gouvernements fédéraux peuvent faire un très gros millage dans le sens d'un traité, même contre l'opposition des provinces ou des États aux États-Unis. J'espère qu'on n'a pas mis tout cela sur la table.

Dans le cadre des périodes de transition qui seront inévitablement prévues par un accord de ce genre, il est important qu'on ait au Québec un certain nombre de mécanismes d'ajustement et de recyclage à la fois pour les entreprises et pour la main-d'oeuvre. Je suis étonné qu'on n'ait pas encore cela devant nous, et déjà depuis un bon bout de temps. Rien n'a amené une aussi forte opposition des syndicats au Canada au projet de libre-échange que le fsit que les gouvernements ont donné l'impression de se ficher éperdument des mécanismes d'ajustement, de transition, de recyclage, de modernisation à l'intérieur des périodes de transition aménagées dans le traité. C'est difficile de comprendre pourquoi. Je vous rappellerai qu'à l'occasion des grandes rondes du GATT d'autrefois, depuis 20 ans, le gouvernement canadien avait l'habitude d'annoncer à l'avance ce que seraient les modes d'aide aux entreprises et les modes d'aide à la main-d'oeuvre. Cela tranquillisait considérablement les appréhensions.

C'est la première fois depuis longtemps, à ma connaissance, qu'on se prépare à un très grand changement sur le plan de la politique commerciale, un changement majeur, et qu'on n'a rien mis sur la table sur la façon dont on va procéder sur le plan de l'ajustement, de la modernisation et du recyclage.

Il est évident que dans des secteurs susceptibles de traverser des phases difficiles - je pense, par exemple, au vêtement - la phase de transition va être assez longue. Les tarifs ne vont pas disparaître demain matin. J'imagine qu'on va avoir cinq, six, sept ou dix ans - on va le savoir bientôt - de transi- tion pour passer du niveau actuel de protection à zéro. Pendant ces années, il va y avoir un tassement de la main-d'oeuvre. De toute façon, la main-d'oeuvre tombe déjà dans ce secteur, et cela va se poursuivre. Qu'y aura-t-il de prévu à la fois pour les entreprises et pour la main-d'oeuvre? Cela, c'est un peu étonnant. Au fond, dès qu'on saura si c'est un échec ou un succès, à mon sens, il faut absolument, on n'a pas le choix, annoncer rapidement ce qui va être fait dans ce cas.

D'autre part, il faut que le système gouvernemental québécois facilite la pénétration sur le marché américain. Cette question est absolument capitale. Tout notre système, tout notre secteur public québécois, sous la forme des sociétés d'État, sous la forme du régime fiscal qui a été adopté, de temps à autre, sous forme de subventions, a amené et entraîné une bonne partie de l'effervescence actuelle dans le domaine des affaires dans la croissance des entreprises au Québec. Non pas que les sociétés d'État aient en tant que telles joué un rôle à ce point brillant mais, en s'associant avec des entreprises privées, elles ont fait apparaître un secteur mixte au Québec, qui est probablement un des aspects les plus remarquables de la croissance des entreprises québécoises depuis un certain nombre d'années et qui est unique en Amérique du Nord; cela s'est fait, d'ailleurs, non pas seulement par des sociétés d'État opérationnelles, mais par des pools financiers comme la Caisse de dépôt, la SDI, etc.

Le régime fiscal, on le connaît tous suffisamment pour savoir à quel point il a suscité une croissance extraordinaire des entreprises québécoises. On pense au REA, mais on pense aussi aux actions accréditives, à toute une série de choses qui ont poussé dans le même sens et puis aux subventions.

Évidemment, les subventions, il va y en avoir beaucoup moins avant qu'il y en ait plus. Une entente commerciale avec les États-Unis doit normalement faire disparaître une bonne partie du système de subventions qu'on a connu, mais les deux premiers moyens jouent sur la disponibilité du capital. Les entreprises québécoises, qui ont besoin de pénétrer sur le marché américain, vont avoir un problème de disponibilité de capital. Je comprends qu'elles ont ramassé beaucoup de capital au Québec jusqu'à maintenant, mais cela a été largement investi dans le développement de leurs propres affaires ici et, d'une façon générale, au Canada.

Acheter des canaux de distribution aux États-Unis, cela coûte très cher. Là, il va y avoir une question de rendre du capital disponible selon des formules largement analogues à celles qui ont été suivies jusqu!à maintenant, mais pas au même endroit. Il va falloir, par exemple, que les Québécois comprennent à quel point il est intéressant

que la Caisse de dépôt et placement entre, avec deux ou trois compagnies, dans l'achat d'une grande chaîne de distribution aux États-Unis ou que la SDI, à toutes fins utiles, investisse ses capitaux dans une petite entreprise qui est en train de développer une activité intéressante aux États-Unis. II va falloir, en somme, accepter que les instruments que, jusqu'à présent, nous avons appliqués à des développements au Québec servent maintenant à du développement, essentiellement sur le marché américain. Ce ne sera pas facile, nécessairement, de faire comprendre cela à la population, mais c'est absolument majeur.

Le Président (M. Charbonneau): M. Parizeau, je m'excuse...

M. Parizeau: Oui. Deux minutes, M. le Président?

Le Président (M. Charbonneau): Deux minutes?

M. Parizeau: Oui.

Le Président (M. Charbonneau): Je pense que deux minutes, on va négocier cela sans problème.

M. Parizeau: Je me suis laissé emporter par ma démonstration.

Le Président (M. Charbonneau): Pas de problème. (10 h 30)

M. Parizeau: II y a deux obstacles, évidemment, à l'heure actuelle, à ce qu'on utilise de ces instruments gouvernementaux pour l'expansion des entreprises québécoises dans le cadre d'un accord de libre-échange. Le premier obstacle, c'est de se dire: Le secteur privé au Québec est devenu suffisamment fort pour être capable de marcher tout seul; donc, les instruments d'aide au secteur privé par le secteur public, par les sociétés d'État, par les pools financiers, c'est terminé. Le deuxième obstacle, c'est l'esprit de la réforme fiscale, aussi bien aux États-Unis qu'au Canada, où on se dit que les exemptions accordées aux entreprises, les abris fiscaux fournis aux entreprises doivent disparaître pour être remplacés simplement par une baisse du taux générai. Il n'est pas nécessaire que nous nous laissions emporter par ces deux obstacles. Au contraire, il faut se demander si, dans la mesure où effectivement il y a une entente avec les États-Unis, on n'aura pas à garder pendant un bon bout de temps ces deux instruments qui ne sont d'aucune façon interdits par une entente de libre-échange, mais qui peuvent démultiplier l'impact de la pénétration du marché américain par les entreprises québécoises, c'est-à-dire ces leviers du secteur public et, d'autre part, un régime fiscal différencié.

Voilà, M. le Président, je conclus de la façon suivante. S'il n'y a pas d'accord, on se sera excité pour rien. Il faudra commencer à imaginer des politiques alternatives. S'il y a un accord limité avec, comme c'est souvent le cas, des comités qui doivent examiner un bon nombre de choses et qui doivent faire rapport dans quelques années, là, il faudra voir. Est-ce qu'on aura besoin de changements de stratégies importantes au Québec? Pour le moment, on ne peut pas le déterminer. S'il y a un accord assez large et substantiel cependant, il nous faut une stratégie d'appui à l'entreprise pour des activités de conversion et pour la pénétration du marché américain. En tout état de cause, il faut évidemment un certain nombre de dispositions relatives à l'entraînement, au réentraînement, au recyclage et à la protection de la main-d'oeuvre dont on n'a pas encore vu jusqu'à maintenant même les principes généraux. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Parizeau. Alors, sans plus tarder, je vais céder la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: M. Parizeau, merci. Comme vous avez pu le remarquer, on est tous assujettis à la sévérité du président. Il y a quatre ou cinq questions que j'aimerais vous poser. Au départ, j'aimerais par contre vous rassurer sur ce qui a marqué très sérieusement votre présentation, c'est-à-dire toute cette question des périodes de transition, des mesures de transition. Même si la publicité, si je peux employer le terme, n'a pas été étalée autant que certains l'auraient souhaité, la préoccupation quant aux mesures de transition, tant aux périodes qu'aux politiques qui pourraient s'appliquer à la main-d'oeuvre et aux politiques de modernisation des entreprises pour faire face à la concurrence, dès le départ, la province de Québec l'a posée comme une condition essentielle.

En décembre dernier particulièrement, j'insistais auprès de mes collègues, ministres du Commerce extérieur, et de Mme Carney du gouvernement fédéral, dans un discours sur ce sujet insistant que, si vous me permettez l'expression, on se mette à table, qu'on en fasse une discussion fédérale-provinciale - c'est là que cela devait se faire - et qu'on parle de temps, d'argent et de méthodes. J'ai fait suivre cela par une lettre officielle assez détaillée sur le sujet à Mme Carney. J'ai insisté - d'ailleurs cela a été le cas - pour qu'à la Conférence des premiers ministres, M. Bourassa aborde ce sujec avec ses collègues chaque fois qu'il pouvait le faire. Donc, c'est au sommet de nos préoccupations. Je suis d'accord avec

vous. C'est absolument essentiel. C'est sine qua non.

Sur la question de se garder des instruments de développement en cours de transition, je suis parfaitement d'accord avec vous. Hier, on faisait le reproche d'une modernisation qu'a pu faire mon collègue, M. Johnson, dans les activités de la Société de développement industriel, qui a rendu de très grands services, et on est tous d'accord. Au moment où on a modernisé, il y avait quatorze programmes. On les a condensés dans quatre programmes. Je peux vous dire que la présence de la SDI dans ce qui serait des programmes généralement disponibles aux entreprises québécoises avec cette particularité qu'on a mentionnée hier, des PME qui ont des problèmes particuliers d'éloignement ou de difficultés de pénétration, c'est une chose que nous considérons comme essentielle en périodes de transition.

M. Parizeau, au tout début, vous avez commencé avec les intérêts canadiens à une négociation. Vous avez d'ailleurs, à juste titre, indiqué qu'un automatisme dans le règlement des différends à la frontière était capital. Vous avez dit: C'est dommage qu'on parle strictement d'un tribunal exécutoire. J'aimerais peut-être parler de plusieurs moyens dont une* commission paritaire et vous êtes arrêté à la commission paritaire. Ma première question est: Pourriez-vous me donner deux ou trois autres suggestions qui pourraient nous éclairer sur ce problème majeur?

M. Parizeau: Rapidement, sur la question de la conversion des entreprises, je comprends bien que le Québec et d'autres provinces ont poussé sur le gouvernement fédéral pour faire aboutir cette question. Qu'y aura-t-il comme mesures de conversion? Qu'y aura-t-il comme mesures d'appui, comme mesures de transition? C'est vrai. Il est remarquable que le gouvernement fédéral n'ait rien dévoilé de concret. Je pense qu'on en est donc rendu au point où l'on ne peut probablement pas éviter d'envisager au Québec... C'est toujours comme cela. Si le gouvernement fédéral ne veut pas bouger, il va bien falloir qu'on s'en occupe. Évidemment, cela n'aura pas la même ampleur que s'il entrait dans le champ, simplement en raison du fait que les moyens financiers sont quand même limités, mais on ne peut l'éviter. Que voulez-vous? Il y a des responsabilités à l'égard de ce qui se fait actuellement dans le milieu. Tout ce que je déplore à cet égard, M. le ministre, c'est qu'on a, à cause de ces circonstances, provoqué une réaction dans le public et singulièrement chez les centrales syndicales qui était, pour une part, inutile ou enfin, qui aurait pu être évitée. Je ne déplore que cela, mais cela me paraît important. Je veux le souligner. Je suis ravi de voir que vous n'avez pas l'intention de démanteler davantage le réseau de certaines institutions gouvernementales pour les raisons que j'ai dites, je pense qu'elles peuvent être amenées à jouer un rôle important.

En ce qui a trait à la commission paritaire, et je reliais cette question de ta commission paritaire, essentiellement au calcul des subventions, j'aimerais expliciter cette question davantage, mais je vais être obligé de faire vite. Cela a été à un moment donné très discuté. Je ne sais pas... Cela l'est peut-être encore, mais je ne sais pas pourquoi cela n'a pas refait surface. Il est évident qu'aucun gouvernement ne peut accepter de ne pas prendre de mesures antidumping ou de mesures de protection si tant est que son partenaire commercial garde toute liberté d'établir toutes les subventions qu'il veut à ses entreprises. Cela ne serait pas du "fair trade".

Jusqu'à maintenant, les Américains ont cherché à déterminer ce qu'étaient Ies subventions au Canada et à dire, par exemple: Des droits de coupe trop bas au Canada, c'est une subvention. C'est eux qui ont défini la subvention? C'est eux qui ont mesuré la subvention. C'est sur cette base qu'ils ont déterminé eux-mêmes quel doit être le droit exceptionnel qu'ils imposent. Cela ne peut pas aller, on ne peut pas accepter cela. Mais on peut imaginer, plutôt, qu'un tribunal d'arbitrage, qu'une commission définisse ce que sont les subventions, comment on va définir les subventions avant de les calculer, détermine le genre de subvention marché par marché et produit par produit qu'il y a aux États-Unis et au Canada et comment elles évoluent, détermine quel est le montant total de la subvention pour un marché ou un produit au Canada, quel est le montant de la subvention aux États-Unis - il y en a, cela se joue toujours à deux - et si la différence entre les deux subventions dépasse un certain pourcentage, 2 %, 3 % ou 4 %, c'est ce qu'on appelle normalement la clause de minimis.

Alors, là, chacun des deux gouvernements retrouve sa liberté d'action pour imposer les droits compensatoires qu'il veut. Ce serait déjà beaucoup. Ce ne serait pas un tribunal d'arbitrage, mais cela nous aurait évité toute une série de mesures compensatoires prises contre les produits canadiens par le Congrès américain depuis deux ans, parce que la plupart de ces actions compensatoires étaient déterminées par une certaine interprétation de ce qu'on entend par une subvention et par un certain calcul de ce qu'elle représentait. Si cela avait pu être réglé par une commission, plusieurs des crises auraient été évitées.

Ce n'est pas tout. Ce n'est pas aussi bon; ce n'est pas aussi fermé qu'un tribunal d'arbitrage. Mais comme je le disais au

départ, un tribunal d'arbitrage... Écoutez, demandez à n'importa quel Parlement de renoncer à une partie de ses pouvoirs pour les remettre à un tribunal d'arbitrage, dès le départ, je trouve qu'il y a une sorte de naïveté là-dedans.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Parizeau, merci de votre intervention. Je pense que vous nous avez montré rapidement et de façon très pragmatique que, pour continuer à développer le Québec et particulièrement dans le cadre des nouvelles règles du jeu de libre-échange, cela va prendre des outils, sur le plan du capital financier et humain. Cela va prendre des sociétés d'État ou des véhicules, tels qu'on a mis sur pied au cours des 20 dernières années.

Ma préoccupation est de plusieurs ordres. C'est d'abord le discours ou les réponses que vous fournit le ministre. C'est qu'il n'y a pas de problème? il est d'accord avec cela. Le drame, c'est que le ministre est souvent d'accord avec nous, souvent d'accord avec les propositions, mais que toutes les mesures qui ont été prises jusqu'à maintenant - je le répète encore ce matin -tous les gestes posés par le gouvernement au cours des deux dernières années et ce qu'il y a à l'intérieur de la machine gouvernementale sont exactement à l'effet contraire.

Quand on parle de façon systématique d'un démantèlement de la SDI, la Société de développement industriel du Québec, c'est dans les faits. Si votre collègue de l'Industrie et du Commerce pense autrement, il va falloir que cela transpire, parce que ce n'est pas du tout l'orientation que cela prend.

Cela me préoccupe aussi, parce qu'on n'a pas de stratégie, de plan stratégique de développement économique. À la veille du libre-échange, on n'a pas de stratégie de développement économique. On n'a pas de politique globale de main-d'oeuvre. On n'a pas de politique, de façon générale, sur la façon dont on va faire l'intervention.

On a en face de nous, avec tout le respect qu'on peut devoir à ces gens-là, un gouvernement qui se dit non-interventionniste. Ou bien on est interventionniste ou bien on ne l'est pas. Je pense qu'effectivement, si le gouvernement est non-interventionniste, c'est son choix. Mais on s'en va dans des conditions où les règles du jeu sont changées et on doit être interventionniste. Mais cela ne veut pas dire qu'on doit l'être comme on l'a été dans le passé. Je pense qu'il y a une nouvelle façon d'aborder, même une nouvelle façon d'aider les entreprises; une nouvelle façon qu'est la notion de subvention, d'aide ou d'appui, je dirais même, aussi large qu'un coffre d'outils bien adapté à cette nouvelle règle du jeu, qui doit être repensée.

Mais le drame, c'est qu'on est à conclure ou à donner notre accord à l'intérieur des négociations, et ce, dans quelques jours et on ne sait pas où on s'en va.

M. Parizeau, croyez-vous sincèrement -vous qui avez suivi le débat au cours des deux dernières années, plus particulièrement sur ce qui s'est passé pour ce qui est du libre-échange - que le gouvernement du Québec est vraiment bien représenté à Ottawa, parce que la négociation - vous l'avez dit au début - se passe entre Ottawa et Washington?

Comment le Québec, comment les spécificités québécoises, comment les préoccupations du Québec sont-elles défendues à Ottawa quand on sait qu'on a un premier ministre au gouvernement fédéral qui veut, à tout prix, pour des raisons sûrement bien logiques devant le protectionnisme américain, conclure une entente de libre-échange? Comment le Québec se retrouve-t-il dans les rapports de forces et croyez-vous qu'au cours de la dernière année, des six derniers mois et présentement, on est vraiment bien défendu quant à ce qu'on a mis sur la table et aussi dans ce volet? Comment toute la question des barrières non tarifaires a-t-elle pu être mise ou pas mise sur la table?

De quelle façon est-on capable d'être défendu à Ottawa actuellement dans le rapport de forces avec la volonté à tout prix du gouvernement fédéral de régler à tout prix cette dite entente dans le cadre du "fast-track procedure", c'est-à-dire d'ici au 4 octobre? (10 h 45)

M. Parizeau: Quelque part dans la réponse, il y a une pelure de banane. Je pense que je peux répondre peut-être, M. le Président, de la façon suivante à la question que pose le député de Bertrand. Je crois que, d'une façon générale, les gouvernements des provinces canadiennes se sont fait beaucoup d'illusions quant à l'impact qu'ils pouvaient avoir sur un gouvernement fédéral déterminé à essayer d'obtenir une entente avec les États-Unis. Il est vrai que les gouvernements des provinces contrôlent un certain nombre de sphères d'activité, de champs de réglementation, de champs de législation, mais il faut bien comprendre qu'aux États-Unis, c'est pareil. Savez-vous qu'il n'y a même pas de législation fédérale sur l'assurance-vie, que cela n'existe pas, qu'aux États-Unis il n'y a que des législations d'État? Dans un domaine comme celui-là, le gouvernement américain n'a absolument rien à faire et il le sait.

Au Canada, on s'est imaginé qu'une entente avec les États-Unis devait nécessairement impliquer les provinces et

qu'il fallait qu'il y ait comme une sorte de nuit du quatre Août des provinces qui, dans un premier temps, cèdent au fédéral pour éliminer toute une série de choses qu'elles contrôlent, que le fédéral ristournerait ensuite aux États-Unis. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne perspective. Évidemment ce que cela a voulu dire cependant, c'est que les provinces en même temps ont dit: Il n'y aura pas d'entente générale sans notre accord. C'était presque normal. Mais je soutiens qu'il peut y en avoir une sans l'accord des provinces. Je soutiens qu'il est probablement possible d'avoir un accord très large sans que les provinces aient à lâcher grand-chose et sans qu'elles soient vraiment très directement impliquées, mais cela a eu une conséquence, par exemple, on a mis tellement l'accent sur les rapports des gouvernements de provinces - je ne parle pas du Québec en particulier, là-dessus cela a été général, toutes les provinces se sont dit: On peut enfin prendre le fédéral à la gorge, on va lui indiquer ce que l'on veut - qu'on a eu tendance à laisser de côté des choses qui relèvent pour une bonne part des gouvernements de provinces eux-mêmes.

C'est vrai, comme le disait tout à l'heure le ministre du Commerce extérieur, c'est tout à fait exact que les premières responsabilités dans le domaine de la reconversion ou du recyclage devraient être fédérales dans un cas comme celui-là, mais que voulez-vous, ils n'ont pas bougé. Dans la mesure où ils ne bougent pas, on ne peut pas éviter d'avoir ses propres politiques. Sur le plan de l'appui à donner à ces entreprises, le problème ne se présente pas de la même façon dans l'Quest avec ses grandes compagnies de richesses naturelles qui, au fond, dominent en un certain sens la croissance de certaines provinces de l'Ouest, qu'en Ontario, pour les raisons que j'ai dites, à cause du rôle des filiales de sociétés américaines, qu'au Québec et que dans les Maritimes. Alors, on ne peut pas imaginer qu'il va y avoir une politique fédérale à l'égard de la pénétration des entreprises sur le marché américain. Il va y avoir des divergences considérables, selon les régions canadiennes, parce que les intérêts ne sont pas les mêmes. Donc, il faut, bien sûr, que le gouvernement du Québec s'occupe de ces politiques de pénétration sur le marché américain.

Encore une fois, et c'est là que je rejoins ce que veut dire le député de Bertrand, à force d'être obnubilés par les tractations avec Ottawa en ce qui concerne le contrôle des négociations, certains des éléments fondamentaux du dossier qui auraient peut-être dû être commencés à être travaillés il y a un certain temps ne le sont pas encore suffisamment. Je veux dire du dossier politique à suivre par le gouverne- ment du Québec pour recycler des entreprises, les moderniser, assurer leur pénétration sur le marché américain par des politiques de recyclage de la main-d'oeuvre, etc. On a été tellement pris par les négociations collectives dans le cadre d'Ottawa qu'un certain nombre de choses à faire ici ne sont peut-être pas aussi avancées qu'elles devraient l'être. Dans ce sens-là, je comprends ce que le député de Bertrand veut dire.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. MacDonald: Je prends votre "peut-être" comme l'observation de quelqu'un qui n'est pas nécessairement aussi informé qu'on doit l'être à l'intérieur du feu de l'action, mais comme j'ai essayé de le faire tantôt, je vous assure que, si vous me permettez l'expression, tous les buts sont couverts.

Pour être certain d'avoir vos réponses et, à ce moment-là, vous donner le temps de distribuer votre disponibilité, j'aimerais connaître votre opinion sur les divers modèles économétriques qui ont été utilisés concernant la fameuse question des emplois perdus et des emplois gagnés. Toutes sortes de déclarations ont été faites à partir des catastrophes les plus terribles jusqu'à un optimisme qui, peut-être, peut demander une mesure de réserve.

Le deuxième aspect est celui de "c'est très possible", c'est-à-dire qu'il est possible qu'il n'y ait pas d'entente. Qu'est-ce qui résulterait du statu quo de la situation actuelle vis-à-vis du protectionnisme américain et de l'évolution du Canada et particulièrement de l'économie du Québec?

En troisième lieu, vous avez parlé de taux de change. Il y a cette nouvelle situation des États-Unis qui sont débiteurs, leur créant des pressions qui vont bien au-delà de la pure question de leur balance commerciale. J'aimerais, si possible, avoir vos commentaires sur ces trois sujets.

M. Parizeau: Je prends simplement des notes, M. le Président. La troisième question, le taux de change. La première question avait trait aux modèles économétriques.

M. MacDonald: C'est cela. M. Parizeau: La deuxième?

M. MacDonald: Le scénario du statu quo.

M. Parizeau: Le scénario du statu quo. M. le Président, les modèles économétriques des conséquences du libre-échange pour le Canada, il s'en fait depuis que les premières négociations du Gatt ont commencé, depuis la fin des années quarante, le début des

années cinquante. La plupart de ces modèles sont des comparaisons de situations statiques et, dans ces conditions, permettent souvent de voir certaines faiblesses sur le plan concurrentiel et certaines forces, pas beaucoup plus que cela, parce que ce sont essentiellement des situations statiques. Nous supposons que rien ne change, sauf qu'on lève le droit de douanes, et là, on compare la situation avant et la situation après. Cela a toujours été très problématique, ces modèles-là.

La plupart du temps - et c'est vrai -remarquez, des modèles des deux ou trois dernières années comme c'était vrai des modèles qu'on voyait il y a 20 ans - cela conclut quoi? Cela conclut en termes de produit national brut que le libre-échange entre le Canada et les États-Unis permettrait d'augmenter le produit national brut du Canada de 3 %, A %, 5 %, 6 % et celui des États-Unis, peut-être de 1 %, 2 %, ce qui démontre d'ailleurs que dans des modèles fonctionnant dans des règles comme celles-là, c'est habituellement le petit qui ramasse le plus clair des avantages. C'est vieux comme le monde comme conclusion. On n'a pas besoin de faire six . mois de calculs pour arriver à cette conclusion-là. On peut tout aussi bien le démontrer en quinze minutes, mais si on tient à prendre six mois pour le démontrer, on peut toujours le faire. Cela s'appelle l'élaboration pénible de l'évidence.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Parizeau: Dire que 5 % au 6 % d'augmentation du produit national brut, c'est extraordinaire. Bien non! écoutez, c'est 18 mois de croissance. L'économie croft de 3 % par année. D'ailleurs, tous les modèles les plus récents ont plutôt tendance à indiquer que le gain serait de l'ordre de 3 % ou 4 % au lieu de 5 % ou 6 %. Alors, c'est un an de croissance. Entre nous, on ne va pas commencer à virer le monde à l'envers pour un an de croissance accélérée. Dans une convention collective, on dirait simplement que c'est deux barreaux dans la même année. Si ce n'était que ça, cela ne vaudrait pas la peine, pas la peine en tout cas de prendre des risques pareils.

Sur le plan de la main-d'oeuvre, cela démontre habituellement que dans des secteurs en perte de vitesse, pas très concurrentiels, avec des coûts élevés, le libre-échange va leur donner un coût additionnel. Si, au contraire, ce sont des secteurs à haute productivité qui sont déjà très concurrentiels et qui, déjà, vendent beaucoup à l'étranger en dépit de la protection, si on enlève la protection, ils vont faire encore mieux. Je vous avouerai que, là aussi, c'est prendre beaucoup de temps pour enfoncer une porte ouverte. C'est dans ce sens où tellement de ces modèles évoquent pas mal de réticences. Cela ne brise rien de fondamental et, parfois, cela aboutit à des scénarios absolument horribles où, si on veut vraiment utiliser les statistiques trop anciennes... Essayer de décrire la situation de l'industrie québécoise de 1987 à partir de chiffres qui s'arrêtent en 1981, il faut faire attention. Il y a pas mal de ces études-là qui s'arrêtent en 1981 avec le recensement industriel de l'année. Méfiez-vous! Six ans, c'est long, surtout quand il y a eu la récession de 1982 dans l'intervalle et cinq ans de progression par la suite. En se servant de statistiques assez précises, assez spécifiques de certaines périodes de temps, on peut démontrer des scénarios plus horribles que d'autres pour certains secteurs ou plus brillants que d'autres.

Vous avouerez qu'il faut prendre beaucoup de ces études-là avec beaucoup de circonspection. Je reconnais cependant que celle du Conseil économique du Canada est plus intéressante que d'autres. Pour les techniciens, c'est probablement la plus élaborée, la mieux faite des études depuis nombres d'années, encore que je reviens à ce que disait le député de Bertrand à la télévision hier à l'occasion de votre réunion: II y a certaines hypothèses dont il faut être conscient dans l'étude du Conseil économique du Canada; cela a une influence sur les conclusions, mais c'est certainement une étude plus élaborée que ce qu'on avait vu jusqu'à maintenant.

Deuxièmement, le scénario du statu quo. Si c'est le statu quo, cela ne veut pas nécessairement dire le statu quo, cela peut vouloir dire que le protectionnisme américain continue de plus belle. Cela pourrait vouloir impliquer que la loi ou le "Trade Bill" de portée générale qui est devant le Congrès à l'heure actuelle pourrait être beaucoup plus dur encore que ce qu'on pense qu'il sera.

Si ces négociations échouent, ce n'est pas seulement parce qu'à la dernière minute on n'aura pas pu s'entendre sur certaines choses, c'est que le Congrès américain a décidé de pousser plus loin encore ses tendances protectionnistes. Alors là, il faut s'attendre à quelques années rudes, à la fois sur le plan de certaines interventions ponctuelles du Congrès et, d'autre part, sur des changements de plus en plus sévères à l'égard des règles générales du jeu commercial aux États-Unis, par un caractère encore plus strict au "general Trade Bill" que celui qu'on attend. Ce ne sera pas facile pour certains secteurs de l'économie québécoise.

Il est possible que le gouvernement de Québec, dans un cadre comme celui-là, ait à redevenir beaucoup plus interventionniste qu'il ne l'espérait il y a quelque temps. J'ai l'impression que le gouvernement, indépendamment des orientations profondes

qu'il a cherché à prendre dans le sens d'une réduction de l'intervention gouvernementale, de l'intervention de certains instruments gouvernementaux, peut avoir à renverser sa position et devenir assez remarquablement interventionniste dans le système pendant quelques années, simplement parce qu'il n'aura pas le choix, parce que ce sera la seule façon de compenser certains des coups assez durs qui nous viendront des États-Unis. Je pense que ce ne sera pas propre d'ailleurs au gouvernement québécois, ce sera la même chose pour beaucoup d'autres gouvernements au Canada.

Les entreprises qui seront frappées les une3 après les autres par d'autres mesures protectionnistes tomberont littéralement dans les bras du gouvernement en disant: Faites quelque chosei C'est inévitable.

Troisièmement, le taux de change. Il y a plusieurs problèmes sur le marché des changes à l'heure actuelle, mais un des problèmes majeurs qu'il y a, c'est l'ampleur des transactions financières qui s'y exercent. Il fut un temps où on se disait: On va regarder la parité des pouvoirs d'achat entre deux pays sur le plan des transactions commerciales et on aura une assez bonne idée d'où se situeront les taux de change pour réfléter ces parités de pouvoir d'achat. C'est un point de vue commercial qui dominait la fixation du taux de change. (11 heures)

Les mouvements de capitaux sont devenus tellement considérables qu'ils finissent presque par dominer, jusqu'à un certain point, les mouvements commerciaux proprement dits. Donc, il faut s'attendre à des fluctuations importantes de taux de change à l'avenir, pour des années encore. Il s'en faut de beaucoup que les grands pays industriels aient trouvé le moyen d'harmoniser leur politique de façon à avoir l'espoir de stabiliser les taux de change à terme. Cela n'est pas fait.

Donc, 40 % d'augmentation du dollar américain pendant deux ou trois ans et 40 % de diminution du dollar américain pendant deux ou trois ans, cela peut paraître absolument incroyable par rapport à ce qui s'est passé autrefois, et cela l'est. C'est évidemment bien plus important que n'importe quelle fluctuation de tarif douanier. Cela transforme les courants commerciaux, cela déplace les courants commerciaux de façon extraordinaire, mais il va falloir apprendre à vivre comme cela. Évidemment, jusqu'à un certain point, le Canada s'est isolé de ces chambardements en laissant glisser sa monnaie par rapport au dollar américain et, depuis quelques années, au fond en cherchant à maintenir une sorte de rapport presque fixe avec le dollar américain. Donc, pour 70 %, 75 %, 80 % de nos exportations, nous profitons de ce rapport stable que nous avons établi et nous laissons toutes les autres monnaies du monde passer par des fluctuations considérables à l'égard du dollar américain et donc, à l'égard du dollar canadien aussi.

Compte tenu du peu d'ampleur de notre économie par rapport à celle des États-Unis, il faut probablement continuer dans cette voie, laisser bien sûr les autres monnaies que le dollar américain fluctuer par rapport au dollar américain il va y avoir des fluctuations considérables - et nous, nous attacher au dollar américain à un niveau qui fait notre affaire et faire en sorte que la chaloupe et le gros bateau se déplacent ensemble.

Ce qui peut arriver de mieux sur le plan de l'expansion de nos activités aux États-Unis, c'est qu'on ait un dollar canadien aussi stable que possible par rapport au dollar américain et pas haut. Dans cet océan très troublé des changes, on rétablirait de cette façon, on continuerait d'établir une certaine stabilité, et une stabilité utile pour nous.

Je sais que j'ai été long, M. le Président, mais ce sont là des moyennes questions.

Le Président (M. Charbonneau): Oui, oui. Le ministre aura la chance d'y revenir de toute façon. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Oui. Étant donné l'heure, M. le Président, moi aussi, je vais avoir une question à trois volets ou trois questions. Je vous assure, M. Parizeau, qu'il n'y a aucune pelure de banane, qu'il n'y a aucun problème. Ce n'est pas mon intention.

J'aimerais vous entendre brièvement sur votre vision du contrôle des investissements au Québec, dans le cadre du libre-échange. Deuxièmement, est-ce que vous voyez la fiscalité comme un outil important qui permettra au gouvernement du Québec d'atteindre ses fins dans le cadre du libre-échange? Troisièmement, ne croyez-vous pas, et tout cela à partir justement des commentaires que j'ai faits hier sur le rapport du Conseil économique du Canada par rapport aux prémisses de base qu'ils ont utilisées... la préoccupation que j'ai, c'est qu'on admet au départ dans un des scénarios que la productivité va être automatiquement augmentée avec le libre-échange. Dans ce cadre, ne croyez-vous pas que l'innovation sera effectivement la force que le Québec pourra exploiter au maximum pour être capable d'atteindre des bonnes performances sur le marché américain, et je m'explique.

Dans un premier temps, on pourrait penser que l'auqmentation de la production devrait permettre entre autres à nos entreprises d'aller chercher des grands volumes. Je ne pense pas que le Québec développe des grandes entreprises nécessairement à grand volume. Cela va être vrai pour

les Américains puisqu'ils pourront spécialiser leurs usines et à partir de tel ou tel secteur, développer. Mais, dans le cas du Québec, je pense qu'on devra davantage cibler sur les nouveaux créneaux, cibler sur les nouveaux produits, sur la technologie ou la fine pointe de la technologie, tant pour les produits que pour les services.

D'ailleurs, des PME québécoises ont réussi à percer dans ce marché américain de façon assez performante. On pense à l'industrie du meuble qui a été appelé secteur mou en train d'agoniser. On a là des entreprises, je pense à Shermag à Sherbrooke, Lacasse et Frères à Saint-Pie-de-Bagot, pour ne citer que ces deux entreprises, qui vendent 70 %, 75 % de leur production aux États-Unis. Pourtant, on est dans un secteur mou au Québec et ce n'est pas parce qu'elles produisent dix fois ce que les entreprises américaines produisent. Ce n'est pas sur le volume, c'est sur l'innovation, sur les créneaux de marché qu'elles ont été chercher. On pense, dans un autre domaine, à Petro-Sun qui a réussi des capteurs solaires par la transformation des nouveaux produits énergétiques des déchets et même des vieux pneus, pour être capable, non seulement ici au Québec, mais partout dans le monde, d'innover de nouvelles technologies? Ce sont des entreprises de taille moyenne qui sont en train de faire des percées merveilleuses, mais justement à cause de l'aspect de l'innovation.

Ma question est: Est-ce que justement le gouvernement du Québec ne doit pas envisager de mettre beaucoup d'efforts et d'énergies autour de cela, puisque ce sera cet aspect de nouveaux créneaux de recherche et de développement qu'il faudra pousser davantage que l'aspect du volume?

M. Parizeau: Bon! En ce qui a trait à la première question, M. le Président, nous avons, au Québec, toute une série de lois ou de règlements qui empêchent des non-résidents de s'installer dans certains secteurs. Très souvent, ce n'est pas très connu dans le public, ce n'est pas tellement spectaculaire, mais c'est assez fréquent, bien plus fréquent qu'on ne le pense. Je vous en donne un exemple. On reconnaît qu'une entreprise américaine, par exemple, dans l'assurance peut développer ses activités au Québec à partir de rien. Elle organise ses vendeurs, elle recrute des gens, mais si elle veut acheter une autre société financière, à ce moment-là interviennent des règles comme celle-ci: un non-résident ne peut acheter plus que 10 % du capital-actions et tous les non-résidents ensemble pas plus qu'un quart.

Savez-vous que c'est à peu près la règle générale? Je ne parle pas des banques à charte. Elles sont de juridiction fédérale. Savez-vous que c'est une règle qu'on applique à peu près partout au Québec pour les autres institutions financières? Même quand il n'y a pas de loi qui le prévoit, comme par exemple notre loi sur les compagnies de fiducie est muette là-dessus - c'est notre vieille loi qui date de 1914 - ne pensez pas que le 10-25, par la bande, on ne l'introduit pas. Il y en a qui l'ont appris à leurs risques et périls.

Il y a toute espèce de moyens comme ceux-là qui ont été utilisés. À certains moments, on cherche même à en ajouter. Vous vous souvenez des avatars de la loi 109 sur le cinéma? C'était quoi, sinon exactement le même genre de dossier? On cherche à établir, à faire en sorte que certaines activités ne soient pas contrôlées par des non-résidents. Le fédéral en a beaucoup dans ses lois, mais les provinces en ont aussi. Nous aussi, au Québec, nous en avons pas mal.

Il est clair que les Américains n'accepteront pas un accord de libre-échange qui ne prévoit pas le démantèlement d'un bon nombre de ces dispositions. Mais, en première ligne, il y a le gouvernement fédéral canadien et ses propres dispositions qu'il va devoir, pour une part, commencer à démanteler. FIRA, je comprends qu'il a beaucoup été atténué; les Américains vont demander des garanties que FIRA ne redevienne pas ce qu'il était. Une politique nationale d'énergie. Le gouvernement fédéral est en première ligne, comme le gouvernement fédéral américain lui-même. Qu'est-ce qui va arriver avec le Jone's Act? Le Jone's Act, à l'heure actuelle, aux États-Unis empêche un propriétaire de navire canadien d'aller faire du cabotage là-bas. Il n'a pas le droit d'entrer dans le secteur.

Il est évident qu'il y a une négociation entre les deux gouvernements fédéraux pour leurs propres législations avant que cela arrive aux provinces et aux États. Des États américains ont des dispositions de cet ordre; les provinces canadiennes en ont beaucoup aussi. Il n'est pas évident qu'on doive passer au deuxième stade. Peut-être qu'on va y passer encore, que si c'était vrai, cela se saurait à trois semaines de la conclusion. Mais il faut bien comprendre qu'à cet égard, les provinces sont en retrait, en deuxième lieu, comme les États américains. La première des choses à faire, c'est de nettoyer au niveau des gouvernements supérieurs; après cela, cela reviendra sur les provinces.

Deuxième question, la fiscalité. Je trouve embêtant, à l'heure actuelle, qu'au moment où les sociétés québécoises peuvent avoir à investir des sommes importantes aux États-Unis, alors que beaucoup d'entre elles, au cours des quelques dernières années, ont encouru des investissements très importants au Québec ou au Canada, on réduise dans la fiscalité, ce qui est toujours acceptable dans un système de libre-échange ou d'union

douanière, c'est-à-dire de la fiscalité destinée à susciter ou à faire apparaître du capital, qui accroît la disponibilité du capital pour les entreprises. Le REA est de ce type. Les actions accréditives de mines sont de ce type. Ce n'est pas n'importe quelle fiscalité. Il ne s'agit pas de dire: Si on baisse les impôts des compagnies, elles vont se mettre tout à coup à vendre aux États-Unis et à faire des investissements brillants. Ce n'est pas aussi simple que cela. Dans toutes tes mesures fiscales, il y en a un certain nombre destinées à accroître la disponibilité du capital pour les entreprises. Si on veut que les entreprises québécoises profitent au maximum du marché américain, il faut qu'on rende davantage le capital disponible. Ce qui a été fait depuis quelques années est important, mais ce n'est pas suffisant. Ce n'est surtout pas le moment de fermer ces choses sur le plan fiscal.

Troisièmement, l'innovation. Je suis tout à fait d'accord avec vous, M. le député de Bertrand, sur tout ce qui a trait à l'importance de l'innovation, de la différentiation du produit - c'est une autre façon de présenter l'innovation dans un bon nombre de secteurs. Vous citiez les meubles par exemple. Mais, écoutez, est-ce que le développement de l'industrie du "software" en informatique n'est pas la meilleure preuve qu'on puisse aussi faire à l'appui de votre thèse? S'il y a quelque chose où la differentiation est en fait le marché et crée le marché plutôt que le grand volume, c'est bien cela. Je pense cependant que ce ne serait pas un principe de portée universelle.

II y a des secteurs au Québec qui ont besoin de grands volumes et qui n'ont pas pu le trouver jusqu'à maintenant et qui à cause d'un accord de libre-échange pourraient l'avoir. Je pense ici au textile primaire. Le textile primaire a toujours souffert, au Canada, de fournir un très grand nombre de variétés de tissus et en particulier un très grand nombre de coloris de tissus à des acheteurs de toutes petites quantités. On a toujours eu un problème avec cela. L'usine américaine qui veut donner l'exclusivité d'un tissu de robe en quatre couleurs à un fabricant de robes au Canada ajoute une petite quantité à sa course de production déjà langue aux États-Unis et elle peut la vendre pas cher. Alors que pour la Dominion Textile, c'est une autre paire de manches. Si elle donne l'exclusivité sur quelques milliers de verges d'un tissu d'exclusivité, elle est obligée d'interrompre ses machines au bout d'une heure de production, les laver, les nettoyer et recommencer sur une autre "batch". Ouvrir le marché nord-américain pour donner du volume aux machines canadiennes dans certaines industries va être important! Ce n'est pas un principe général que j'exprime là. C'est simplement une sorte d'atténuation à ce que vous disiez, M. le député de Bertrand, mais cela me paraît très important. Je pense que vous avez raison pour un grand nombre d'industries, mais pas nécessairement pour toutes.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, merci, M. Parizeau. M. le ministre.

M. MacDonald: M. Parizeau, en mentionnant l'innovation et les mesures pour la promotion de l'innovation, je profite de l'occasion pour dire au député de Bertrand que je suis totalement d'accord avec votre suggestion. C'est d'ailleurs de cette façon qu'on procède.

M. Parizeau, la suggestion a été faite dans divers milieux de traiter plutôt d'une façon multilatérale que bilatérale, de cesser de compter sur les États-Unis comme le marché unique et de faire porter les efforts du Canada et du Québec vers les autres pays. Vous savez comme moi que c'est une orientation que le gouvernement canadien, du temps de M. Trudeau, il y a plusieurs années, s'était donnée, et vous connaissez aussi les résultats si on constate les statistiques et les pourcentages aujourd'hui en ce qui a trait à notre commerce avec les États-Unis par rapport au reste du monde. De toute façon, la ronde de l'Uruguay est engagée. De toute façon, les nouveaux sujets sont là. De toute façon, le Canada négocie avec les 91 autres et le Québec est participant dans la préparation de la position canadienne. Est-ce que vous auriez des observations que vous aimeriez nous faire sur cet effort qu'on doit accentuer de toute façon dans le reste du monde? Est-ce qu'il y aurait des façons particulières par lesquelles on pourrait diminuer cette dépendance que nous avons à l'égard des États-Unis en ce qui a trait à nos exportations et par le fait même à notre santé économique? (11 h 15)

M. Parizeau: M. le Président, j'hésite à être trop explicite dans la réponse que je vais donner à la question du ministre. Cette question de faire en sorte que le Canada ne soit pas trop dépendant des États-Unis pour ses exportations, cela fait simplement... Grand Dieu! on en discute depuis la guerre de 1914. Il y a eu toutes espèces de tentatives. La préférence douanière britannique de 1931 et les accords d'Ottawa. On allait développer nos exportations du côté de l'Empire britannique comme c'était le cas autrefois. Oui, cela a duré trois ou quatre ans quant aux impacts de diversion. Après la guerre, le GATT, c'était l'espoir de se débarrasser de cette prépondérance américaine. Je comprends bien. C'est à cause de cette prépondérance américaine et de l'incapacité de payer de l'Europe qu'on a été quatre ans au contrôle des changes au Canada, de 1947 à 1951. Mais il y avait le GATT qui nous permettrait d'ouvrir des

marchés ailleurs que ces fameux marchés nord-sud. La concentration des exportations canadiennes vers les États-Unis a continué exactement comme si de rien n'était.

Plus récemment encore, on continue de se dire qu'on vend trop aux États-Unis, que cela n'a pas de bon sens, qu'il y a une trop grande concentration. Bien oui! mais que voulez-vous? Pendant trois ans, le dollar américain s'est apprécié en moyenne, à l'égard des autres monnaies des pays industriels, de 40 % et la nôtre, presque autant puisqu'on a un peu descendu par rapport au dollar américain, mais pas beaucoup. Pensez-vous que, quand votre monnaie s'apprécie de 35 % par rapport à vos autres marchés, c'est facile de vendre? Qu'est-il arrivé? On est passé d'environ 70 % de nos exportations aux États-Unis à 16 % ou 77 %. Maintenant que le dollar américain tombe par rapport aux autres monnaies et que nous tombons aussi... Il ne faut pas être grand clerc pour considérer que, d'ici une couple d'années, probablement que les autres pays que les États-Unis seront un peu plus importants dans les exportations canadiennes. Pourquoi? Parce que notre monnaie est moins chère.

Il y a là une sorte d'automaticité qu'on ne peut pas nier et s'imaginer qu'on est capable de défaire cela et de refaire cela à volonté, c'est se faire beaucoup d'illussions. Cela ne veut pas dire qu'une fois qu'on a stabilisé nos choses avec les États-Unis... Au fond, il faut avoir deux dossiers. On ne peut pas faire autrement que de fonctionner avec deux dossiers. Il faut stabiliser nos choses avec les États-Unis. Que voulez-vous? C'est de ce côté que notre pain est beurré. Il y aura des techniques pour cela, des tentatives. Il y a un essai d'avoir un accord de libre-échange. Il faut essayer de stabiliser, c'est trop important, et pour le reste, prendre des moyens, adopter des politiques pour essayer de vendre davantage à certains pays du tiers monde en dépit de la situation de la dette, aujourd'hui. Essayer de vendre davantage dans certains pays industriels d'Europe de l'Ouest et du Japon, bien sûr, mais avec des techniques, des moyens, des instruments tout à fait différents de ceux qui seront ulilisés à l'égard des États-Unis. Tout se passe comme si, au fond, on doit mener en parallèle deux politiques différentes: l'une à l'égard des Américains à cause de tous les caractères spécifiques des échanges qu'on a avec eux et de leur importance et, d'autre part, avec les autres pays du monde, eux-mêmes divisés en deux catégories. Les pays du tiers monde où on peut faire du dumping autant qu'on veut, où on peut utiliser tous les moyens que la morale réprouve, sur le plan commercial j'entends, pas l'autre, pour vendre le plus possible, mais où il y a ce problème de dette actuellement et une autre sous-politique à l'égard des pays industriels d'Europe de l'Ouest et du Japon. Mais cela, ce sont des politiques distinctes qu'il faut pousser autant qu'on peut à partir du vieux principe de négociation: "More, more and always more". S'imaginer qu'en procédant comme cela, il va y avoir tout à coup revirement spectaculaire des exportations canadiennes des États-Unis vers l'Europe de l'Ouest, par exemple, quant à mot, cela m'apparaît totalement illusoire.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Parizeau, j'aurais un bref commentaire et une question à deux volets. Je voudrais dans la mesure du possible qu'on condense les réponses pour permettre aussi à mon collègue de Bertrand de terminer.

D'abord, le commentaire: le ministre nous a dit qu'il était d'accord sur l'importance des mesures d'ajustement dans une période transitoire, le "mais" est le suivant, c'est qu'il n'y a pas d'indications actuellement ni sur le financement ni sur les sommes nécessaires et disponibles pas plus que sur les pourparlers qui existeraient ou qui auraient eu lieu au cours des derniers mois entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial du Québec, sur ces questions. Il n'y a pas d'indications sur la nature des programmes qui seraient en préparation. Il n'y a même pas eu d'association du ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu du Québec dans le processus de préparation des négociations du côté du Québec.

Dans l'optique où on veut un accord qui ait des retombées positives pour le Québec, est-ce que l'adoption et la mise en oeuvre d'une stratégie - j'utilise le terme "stratégie" plutôt que "politique" - de l'emploi, stratégie qui comprendrait une politique de main-d'oeuvre, une politique du marché du travail, une politique de développement industriel, de développement régional, pour vous, c'est une condition sine qua non à la mise en place et surtout à la réussite d'un accord de libre-échange avec des retombées positives pour le Québec?

D'autre part, dans la mesure où on veut que des mesures d'ajustement pour la main-d'oeuvre et pour les entreprises soient efficaces, donc substantielles, est-ce qu'il n'y a pas un problème en regard des marges de manoeuvre budgétaires, en particulier, du gouvernement fédéral, mais aussi du gouvernement du Québec? Si on veut de véritables mesures, il faut mettre des sommes considérables. Est-ce que les gouvernements ont ou pourraient dégager la marge de manoeuvre financière nécessaire pour mettre en place de telles mesures?

M. Parizeau: M. le Président, une stratégie d'emploi n'est pas une condition sine qua non de l'établissement d'un traité de libre-échange avec les États-Unis. On

peut fort bien imaginer un traité de libre-échange qui provoque des dislocations dans un certain nombre de secteurs industriels, un tassement de l'emploi, des mises à pied assez nombreuses et qu'il n'y a pas de stratégie d'emploi avec le libre-échange. On voit alors l'attitude qui est prise; c'est tant pis. On dit: Que les gens se débrouillent. Cela se fait. Il y a des pays à qui c'est arrivé. Évidemment, il ne faut pas s'étonner qu'ensuite, assez rapidement, on soit pris avec des problèmes très sérieux de chômage dans certains secteurs et des problèmes de manque d'emplois dans d'autres, de pénurie sérieuse d'emplois qui freine l'expansion d'autres entreprises.

Mais, encore une fois, ce n'est pas une condition sine qua non. Il y a des gouvernements qui ont laissé cela aller. Seulement ce n'est pas très responsable. On est déjà, à l'heure actuelle au Québec, dans une situation où il commence à apparaître des pénuries d'emplois dans certains secteurs. À cause du changement dans les règles du jeu d'un accord de libre-échange, on risque de voir cela s'accentuer.

Il y a des secteurs où on va manquer de main-d'oeuvre entraînée. Un des griefs qu'ont beaucoup de PME à l'égard du marché québécois ou de l'économie québécoise, c'est leur difficulté de trouver de la main-d'oeuvre entrafnée, de la main-d'oeuvre spécialisée. À côté de cela, on va voir des poches de chômage se développer et des gens à qui on va dire: Écoutez, c'est bien dommage; votre secteur est en train de se restreindre considérablement, il met des gens à pied; débrouillez-vous.

Seulement ce n'est pas cela qu'un gouvernement doit accepter. Ce n'est pas le chemin qu'il doit suivre, non pas seulement parce qu'il est humain de procéder avec une politique de recyclage de la main-d'oeuvre et d'entraînement de la main-d'oeuvre. Ce n'est pas seulement le caractère humanitaire; c'est le caractère efficace de la chose. Il faut absolument que les secteurs qui vont beaucoup profiter du libre-échange soient en mesure de trouver la main-d'oeuvre dont ils ont besoin. Pour une fois que le caractère humanitaire d'une stratégie et que son caractère efficace se rejoignent, on aurait bien tort de ne pas s'y engager.

Quant au montant, la marge de manoeuvre, ce dont nous parions n'est pas quelque chose de nécessairement très coûteux. Les expériences faites au Canada depuis une vingtaine d'années à l'occasion des rondes de négociations successives du GATT ont beaucoup baissé les tarifs douaniers. Ils les ont tellement baissés, à certains moments, qu'on était certain qu'il y aurait des problèmes sérieux de recyclage d'entreprises et de main-d'oeuvre. Des programmes ont été mis en place. On s'est rendu compte, finalement, que cela n'avait pas coûté les yeux de la tête et, d'autre part, l'amélioration de la situation économique depuis cinq ans apporte au gouvernement quand même bien davantage de ressources qu'on n'aurait pu l'imaginer, il y a encore quelques années. Cela n'est plus aussi serré que c'était.

Il faudrait évidemment regarder le dossier; inévitablement, il est important, quand il s'agit de calculer les marges de manoeuvre disponibles. Mais à première vue, cela ne semble pas être une opération dont le coût dépasserait les moyens dont on peut disposer aujourd'hui. Je n'aurais peut-être pas réagi de la même façon, il y a trois ou quatre ans. Aujourd'hui, c'est autre chose.

Le Président (M. Charbonneau): II reste un peu de temps, pas beaucoup, pour le député de Bertrand. Alors, une dernière question pour le député de Bertrand et une dernière réponse, M. Parizeau.

M. Parent (Bertrand): Oui. Sur votre dernière intervention, M. Parizeau, je pense que tous les pays qui ont une politique de plein emploi - pour vous donner quelques exemples, l'Autriche, la Norvège, la Suède -sont en faveur d'une très grande libéralisation des échanges et qu'ils sont absolument contre le protectionnisme. C'est certes là une formule à imiter.

Ma question en terminant, puisqu'on n'a plus de temps malheureusement, est: À quelques jours d'une entente qui aura lieu ou qui n'aura pas lieu, ne croyez-vous pas que, s'il y a une entente, ce sera une entente minimale, une entente-cadre ou une entente-parapluie, parce qu'on arrive à la toute fin de la négociation? Je ne pense pas qu'on réussisse, à partir des informations qu'on a, à attacher, comme on pourrait dire, les morceaux ou tous les morceaux. On pourrait se ramasser dans une entente-cadre qui ferait en sorte que beaucoup resterait à négocier par la suite, mais à l'intérieur de ce cadre-là, et l'on pourrait se trouver quelque peu coincé si cela se passait ainsi. Je pense particulièrement à la position du Québec à l'intérieur de cette entente-cadre canado-améncaine.

M. Parizeau: Pour ce qui a trait à l'état des négociations jour après jour, depuis quinze jours, trois semaines, les canaux de communications se sont fermés dans bien des directions. Je ne veux pas faire de commentaires sur la situation où on en est précisément parce qu'on est vraiment dans cette espèce de dernier mille de n'importe quelle négociation où ceux qui savent ne parlent pas et ceux qui parlent ne savent pas. Alors, je ne peux pas répondre à cette première question.

Cependant, le danger - il y en a un dans la situation actuelle - c'est que l'on ait

une entente-cadre, une sorte d'entente minimale composée de beaucoup de comités qui examineront beaucoup de choses dans les années à venir. C'est dangereux à cause de l'incertitude que cela fait régner pour les entreprises à l'égard de leur politique d'investissement et à l'égard de leur politique d'expansion. J'ai été beaucoup frappé hier, en écoutant vos débats è la télévision, par le témoignage de Mme Pelletier, la présidente de l'Association des camionneurs. Elle s'est présentée devant vous trois semaines avant la fin de la première phase des négociations, avant que le paquet soit attaché, uniquement avec des questions - je ne sais pas si vous l'avez remarqué - et certaines de ces questions ont trait littéralement à l'exercice de son métier.

Beaucoup des questions de Mme Pelletier consistaient simplement à dire: Pourrons-nous faire cela ou non? C'est une incertitude pour beaucoup de secteurs de services ou de secteurs industriels. Il faut faire très attention à une sorte de simili-entente qui comporterait très peu de choses certaines, puis beaucoup de choses à discuter. À ce moment-là, des gens qui réagissent comme Mme Pelletier et qui sont obligés de poser une série de questions, pour ne pas avoir de réponse, il n'y en aura pas seulement dans le camionnage, il va y en avoir dans toute une série de secteurs. . Évidemment, ce n'est pas sain, c'est très malsain pour le développement des entreprises dans les années qui viennent. Il faut se méfier de cela.

Le Président (M. Charbonneau): Après cette réponse, M. Parizeau, il me reste au nom des membres de cette commission à vous remercier de cette participation. Je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais les membres de la commission ont été un peu indulgents sur le temps qui vous avait été alloué. Cela témoigne à la fois du respect et de la considération que nous avons pour les opinions que vous émettez et vos points de vue. L'ensemble des membres de la commission a apprécié votre présence parmi nous ce matin.

M. Parizeau: Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Je vous remercie et bon retour!

J'invite maintenant le prochain intervenant, M. Pierre Pettigrew, directeur des services internationaux de la firme Samson Bélair, à prendre place.

On va suspendre pour 30 secondes, le temps de la pause-santé.

(Suspension de la séance à 11 h 30)

(Reprise à 11 h 35)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Pettigrew, je vous souhaite la bienvenue à notre commission et je vous remercie de votre participation. Vous connaissez les règles du jeu. Vous avez 20 minutes pour présenter votre point de vue ets par la suite, le reste de l'heure sera répartie en parts égales entre les membres de la commission afin d'engager la discussion avec vous. Sans plus tarder, je vous laisse la parole.

M. Pierre Pettigrew

M. Pettigrew (Pierre): Merci, M. le Président, de votre accueil ce matin. J'étais bien heureux que la commission accepte de recevoir mon mémoire et me demande de venir en discuter avec ses membres. Cette consultation générale à laquelle vous procédez à cette commission est extrêmement importante parce que le sujet dont on parle évidemment risque de changer le plus d'une manière ou d'une autre le portrait politique, économique et social du Québec au cours des prochaines années.

J'ai remarqué que le mandat de la commission était une consultation générale à la fois sur les négociations bilatérales et multilatérales. Ou moins, dans le titre, j'ai noté que vous aviez été suffisamment prudents de parler d'une consultation générale sur la libéralisation des échanges commerciaux. Je tiens à vous féliciter d'avoir laissé ce canal ouvert, car je croie les deux négociations extrêmement liées, extrêmement importantes, même si, bien sûr, on s'intéresse ici surtout à la question plus immédiate du libre-échange. Il ne faut pas concevoir ou avoir l'impression que tout se termine avec la négociation du libre-échange. Je crois que l'ensemble de la libéralisation du commerce international est une question qui est à l'agenda pour un très grand nombre d'années encore, soit au niveau bilatéral, soit au niveau multilatéral du GATT.

Je suis extrêmement intéressé par les questions bilatérales de libre-échange avec les États-Unis parce qu'essentiellement c'est là que nous sommes actifs sur le plan de notre commerce extérieur. L'importance du marché américain est considérable. L'accès à ce marché des États-Unis est déjà très grand; il faut le comprendre. Ce qui est véritablement en jeu à ce moment-ci, c'est la question de la sécurité d'accès, beaucoup plus que la question de la largeur d'accès ou des conditions d'accès. Je suis donc plus préoccupé par la sécurité d'accès que par les conditions d'accès qui sont déjà assez grandes.

Je crois que la capacité d'adaptation des entreprises québécoises est remarquable. Nous en avons fait la preuve. Vous savez qu'au cours des 40 dernières années, nous

avons diminué énormément les tarifs douaniers qui protégeaient nos entreprises au Canada. Le tarif douanier moyen, je le rappelle, était de 40 % en 1948. Les tarifs ont été abaissés, après le Tokyo round, à 4 %. Donc, une baisse de 40 % à 4 %, et des entreprises québécoises se sont non seulement adaptées à cette situation, mais elles ont largement profité de l'ouverture des marchés mondiaux. Je crois donc que c'est trè3 important que nous continuions dans ce sens-là.

L'entrepreneurship au Québec est plus fort qu'il ne l'a jamais été. Il y a dans nos milieux d'affaires, dans les milieux économiques, une espèce d'enthousiasme qui repose sur une expérience, un dynamisme, une volonté de faire des choses, une valorisation, qui est absolument considérable. C'est quelque chose que je vois tous les jours en fréquentant nos entrepreneurs, puisque la clientèle que je dessers est essentiellement une clientèle de moyennes entreprises en croissance qui cherchent à s'étendre sur des marchés internationaux, surtout sur le marché des États-Unis. Je crois donc qu'en raison de ces facteurs, surtout en cette cinquième année de croissance consécutive, avec l'optimisme que nous connaissons dans les milieux économiques, jamais le débat sur le libre-échange ne pouvait avoir lieu avec un aussi bon "background", avec un arrière-plan, aussi bon, aussi positif et aussi dynamique.

Évidemment, les questions qui me viennent à l'esprit concernent les barrières tarifaires qu'il faut élever. Il y en a deux fois plus à l'entrée vers le Canada qu'à l'entrée vers les États-Unis. Je crois que, de toute façon, une élimination des barrières tarifaires est souhaitable en respectant l'échéancier qui devrait permettre au Canada d'avoir plus de temps pour s'en débarrasser qu'aux États-Unis, à la fois parce que le Canada en a davantage à éliminer que les États-Unis et aussi à cause de l'immense disparité de taille entre les deux économies. Ces barrières sont en train de disparaître. Je faisais remarquer qu'au GATT elles partaient. Nous sommes dans une huitième négociation, à Punta del Este, et, comme vous le savez, il risque gros de ne plus y avoir de barrières tarifaires dans dix ou quinze ans, d'une manière ou d'une autre, que ce soit négocié dans un contexte ou dans l'autre.

Les barrières non tarifaires, bien sûr, il faut en éliminer un certain nombre. Ce sera bon pour notre économie. Je veux rappeler à cette commission l'importance, cependant, de maintenir un certain nombre de ces barrières non tarifaires non seulement pour faire pendant aux États-Unis qui ne se gênent pas pour en avoir en très grand nombre, mais l'expression "barrières non tarifaires" a une connotation assez négative. On voit une barrière, quelque chose qui arrête. J'aime beaucoup rappeler l'importance d'un certain nombre d'outils économiques parce que beaucoup de ces barrières non tarifaires - les Américains les appellent comme ça - sont souvent des outils économiques absolument essentiels, évidemment au développement de notre économie. D'ailleurs, le contexte du libre-échange nous forcerait à utiliser encore davantage certains de ces outils économiques. On est dans une situation assez difficile parce que nous risquons de nous faire demander de renoncer à certains outils économiques, mais ces outils seront plus importants que jamais, précisément à cause de la rationalisation industrielle à laquelle nous devrons procéder à l'intérieur du nouveau cadre nord-américain de libre-échange.

Je me permets de souligner cette distinction très importante à la commission. Il y a une très grande différence entre une stratégie industrielle et unp politique commerciale. Au niveau du gouvernement fédéral où l'initiative de libre-échange a été prise, j'ai été quant à moi frappé du découplement que nous avons établi entre la politique commerciale et la politique industrielle. À mon avis, la politique commerciale est essentiellement un outil d'une politique industrielle. C'est-à-dire qu'en fonction d'une certaine politique industrielle, nous adoptons et choisissons une politique commerciale. Ce que je veux dire par là, c'est qu'une fois les choix industriels faits, une fois la préparation de l'économie accordée et établie, nous pouvons éviter une concurrence plus grande plutôt que de faire le contraire.

Je n'aime pas tellement cette approche qui consiste à dire: Ouvrons les frontières, agrandissons la concurrence internationale et ceci fera notre travail de rationaliser notre industrie. Très souvent, j'entends certains porte-parole, des analystes, des experts, des économistes théoriciens dans nos universités et dans certains instituts, que je respecte beaucoup, mais qui nous disent: Bienvenue au libre-échange, enfin on va faire une rationalisation industrielle; tes faibles vont tomber, les forts vont survivre, ils vont créer des emplois et les emplois des faibles vont passer là. Cela ne se fait pas aussi facilement que cela, bien sûr. Un peu comme un athlète doit se préparer avant une épreuve plutôt qu'après, je crois qu'il vaudrait mieux procéder à certains sacrifices et à certaines décisions industrielles avant de faire face à cette concurrence accrue à laquelle nous devrons faire face de toute façon, je le répète, comme je le disais un petit peu plus tôt.

Je crois que dans la négociation, même si nous tenons à maintenir certains outils économiques, la notion de tribunal d'arbitrage obligatoire, que nous l'appelions tribunal

d'arbitrage obligatoire ou mécanisme de règlement des différends - là, on peut être ouvert à un certain nombre de données - il est absolument impérieux et fondamental que ceci ait lieu. Â mon avis, les premiers ministres des provinces et le premier ministre du Canada ont tout à fait raison de dires Pas de traité de libre-échange s'il n'y a pas de mécanisme obligatoire de règlement des litiges.

Évidemment, il faut comprendre que ce mécanisme-là n'existe nulle part ailleurs. Ce n'est pas un mécanisme qui a déjà été mis en application ou à peu près pas. Au niveau du GATT, bien sûr, il y a un mécanisme généralement respecté, dont les décisions sont généralement respectées, mais qui n'est pas nécessairement obligatoire dans tous les cas.

Cependant, l'élément radical de la proposition d'un tribunal d'arbitrage qui, bien sûr à première vue, peut avoir l'air effroyable de retirer au Congrès américain certains droits, il faut comprendre que pour les Américains cela a été la manière de faire du protectionnisme un peu comme notre manière a été de faire des barrières non tarifaires. Donc, si nous éliminons des barrières non tarifaires, mais si nous disons que d'autre part, le Congrès doit maintenir son droit de légiférer sur les droits compensatoires et les droits antidumping, nous nous exposons, bien sûr, à créer un déséquilibre puisque pour eux ce sont les barrières non tarifaires les plus utilisées ou leur manière de protéger leurs propres commerces et leurs propres secteurs qu'ils choisissent de faire. Ces outils sont différents assez souvent. Au niveau des investissements, il y a des problèmes. On a remarqué que, du côté des États-Unis, on avait rejeté totalement la méthode canadienne de l'approche sectorielle. Pour les Américains, l'approche sectorielle n'est pas quelque chose d'acceptable.

Je suis personnellement heureux et satisfait du fait que le GATT, d'une part, mais surtout que le traité de libre-échange couvrirait une certaine part de l'industrie des services. Je crois qu'il est très important que nous nous servions de l'industrie des services ou de la négociation actuelle pour ouvrir des travaux de ce côté-là et commencer à réglementer ou à faire un nouvel encadrement international commercial pour le service qui n'a jamais été couvert jusqu'à maintenant, mais qui commence à être de plus en plus important. Vous savez que 25 % du commerce mondial concerne maintenant des services. C'est donc très important de procéder à ce sujet-là. (11 h 45)

Dans le contexte actuel, je remarque trois hypothèses qui sont toutes les trois encore assez probables à quelques semaines de l'échéance finale. Il est toujours possible, quoique improbable, qu'il y ait une entente globale et générale de libre-échange entre nos deux pays avec évidemment certaines exceptions dans des secteurs comme l'agriculture ou la culture, etc.

Mais étant donné le problème de fond, un problème qui existe aux États-Unis depuis le départ, et je crois que nous ne soulignerons jamais suffisamment ce problème, il y a un manque de volonté politique totale du câté des États-Unis. Au cours des deux dernières années, j'ai eu l'occasion de voyager énormément dans tous les coins des États-Unis, depuis la Georgie, Washington, la Nouvelle-Angleterre, le Texas, la Californie, l'Illinois, le Michigan. Partout où je vais, je ne rencontre à peu près pas de volonté politique pour un traité de libre-échange avec le Canada.

Ce manque de volonté politique, vous savez, ce n'est pas parce que la Maison blanche ou l'administration des États-Unis veut quelque chose, on ne sait pas trop quoi, que le reste du pays suit, surtout qu'on a tout misé du côté du gouvernement fédéral sur une relation privilégiée à l'époque entre le président Reagan et le premier ministre de notre pays. Cette relation, et c'était tout à fait prévisible en 1985, était nécessairement pour perdre des plumes en 1987-1988, à l'approche de l'échéance présidentielle des États-Unis. Un président des États-Unis n'a jamais tellement de pouvoir en 1988. C'était tout à fait prévisible. Beaucoup d'analystes nous l'avaient écrit à l'époque. Si le principal moteur de la volonté politique à Washington réside à la Maison blanche et que toutes les résistances se manifestent au Congrès, au Sénat et dans les lobbies, on va être obligé de mettre énormément sur la table si on veut décrocher une entente de libre-échange.

Donc, malgré que je sois pour une entente de libre-échange, je voudrais à ce moment-ci que nous n'allions pas trop loin dans ce qu'on est prêts à mettre sur la table pour une entente qui serait minimale ou qui ne comprendrait surtout que des promesses avec des protocoles d'entente. Regardez ce qui a été fait du côté du traité entre Israël et les États-Unis. Vous savez, après quelques années, on peut commencer à regarder ce traité. Les droits compensateurs, les mesures antidumping continuent d'être appliqués continuellement contre Israël par Washington. Trois mois après le traité avec Israël, traité de libre-échange, nous avons eu des droits compensateurs sur le textile, sur le drap qui ont été extrêmement sévères, également sur les roses qui venaient d'Israël, un très grand nombre de sujets.

Donc, avant de mettre trop dans une négociation où la volonté politique est si peu élevée que le prix que nous devons mettre augmente, faisons extrêmement attention. Je crois que jusqu'à maintenant la position du

gouvernement du Québec telle qu'exprimée par M. MacDonald, par le ministre du Commerce extérieur, l'année dernière, était essentiellement une réaction ou une approche prudente et responsable. Je crois que le gouvernement a tout à fait à coeur de conserver la liberté de manoeuvre nécessaire pour renforcer le tissu industriel du Québec. Je crois qu'il faut encourager le gouvernement dans cette position. Bien sûr, il faut absolument ramener la politique commerciale comme un des outils importants du développement industriel, du développement régional qui pose des problèmes chez nous, beaucoup plus que de procéder de l'autre manière.

Je crois que les politiques d'achat du gouvernement sont un des éléments les plus importants, mais, vous savez, les chiffres me font toujours un peu rire. Quand on dit que nous avons des milliards à aller chercher de ce côté, il faut faire très attention. C'est un peu comme moi, j'ai des clients qui viennent me voir parfois et ils me disent: Vous savez, il y a un milliard de Chinois. Si je vends un stylo à chacun des Chinois, c'est 22 000 fois plus. Oui, je comprends, mais ils n'ont pas les moyens d'acheter votre stylo parce que les conditions ne sont pas propices ou qu'il va y en avoir un moins cher de Taïwan ou fait ailleurs ou quelque chose comme cela.

Il faut faire très attention aux chiffres. Le marché des États-Unis est bien sûr un marché de 250 000 000 et un marché très important. Il faut comprendre que nos entreprises n'auront pas nécessairement accès à l'ensemble de ce marché. Nous donnons à un certain nombre d'entreprises que nous possédons, un accès plus considérable au marché des États-Unis et cela est très important. Mais il faut comprendre que nous donnons un accès plus considérable au marché du Canada à bien plus d'entreprises américaines, d'autant plus que la richesse aux États-Unis ne se crée pas dans des États qui nous sont limitrophes.

À quelques exceptions près en ce moment, les États autour du Michigan, de l'Illinois, tout près de l'Ontario et du Québec, ce n'est pas là que la richesse se crée. Je ne suis pas prêt à ce que nous investissions une fortune pour avoir absolument une entente bien que cette entente eût été souhaitable. Mais, étant donné la volonté politique du côté des États-Unis, étant donné le prix peut-être trop cher qu'il faudrait mettre, je dis, hésitons, faisons attention, assurons-nous aussi... C'est un autre élément sur lequel je voulais attirer l'attention de la commission, ce matin, soit celui de l'importance du marché de l'Ontario pour le Québec. Voilà qu'on ne parle à peu près plus de ce marché, mais vous savez que nous exportons en Ontario autant que nous exportons dans tous les États-Unis à l'heure actuelle, étant donné la structure du commerce. Si nous comparons les derniers chiffres disponibles relativement aux livraisons, nous exportons 20 % du produit intérieur brut du Québec dans le reste du Canada et 20 % dans le reste du monde. Alors, la structure actuelle, quoiqu'elle ne soit pas toujours heureuse, quoiqu'elle ait certainement favorisé davantage l'économie de l'Ontario dans le passé, n'est quand même pas un désastre ambulant.

Si nous retirons toutes les barrières tarifaires et la structure actuelle - il faudra le faire d'une manière ou d'une autre - il faut préparer nos industries à le faire, mais assurons-nous que ce que nous aurons du côté du marché des États-Unis vaille la peine. Si nous exportons autant en Ontario qu'aux États-Unis à l'heure actuelle, assurons-nous que le transfert se fera vraiment.

Donc, je voudrais inviter la commission à exercer beaucoup de prudence au cours des prochaines semaines, à ne pas, dans l'excitation des dernières minutes, trop mettre... J'ai tout à fait confiance que le gouvernement le fera. Il a maintenu la même ligne depuis le début avec un certain nombre de documents publics et plusieurs déclarations qui vont tout à fait dans cette ligne. Je crois que c'est extrêmement impartant, si vous voulez, de maintenir cette ligne à ce moment-ci.

Alors, si je peux me permettre d'essayer de conclure un petit peu rapidement, le libre-échange est une excellente idée, une bonne idée en principe, surtout que la libéralisation globale du commerce se fait de toute façon et que nos entreprises se sont non seulement adaptées, mais elles en ont profité dans le passé et elles continueront d'en profiter.

L'intégration de l'économie nord-américaine également se fait. De plus en plus, nous exportons vers les États-Unis. En 1945, c'était 50 %, aujourd'hui c'est 78 %, malgré tous les efforts de diversification. La tendance est donc là. Agrandir ses accès de part et d'autre, du côté du Canada et du côté des États-Unis, est donc un objectif intéressant et primordial, mais c'est surtout la sécurité d'accès qui est importante pour nous protéger contre l'arbitraire du Congrès américain et des "lobbies" protectionnistes. L'objectif véritable est donc la mise sur pied d'un véritable mécanisme de règlement des litiqes, beaucoup plus que l'accès au marché des États-Unis, à mon avis.

Pour ce qui est de la libéralisation des accès, le Canada, je le rappelle, a deux fois plus de barrières à éliminer que les États-Unis et la transition doit en tenir compte et l'au-delà de la transition aussi doit en tenir compte. Je voudrais donc rappeler que le découplement de la politique industrielle et de la politique commerciale, s'il était exiqé par Washington, m'apparaîtrait tout à fait inadmissible pour le Québec, car notre rationalisation industrielle a besoin d'un

grand nombre d'outils économiques. Il faut absolument sauvegarder ces outils économiques, surtout que nous n'avons pas le budget de la défense pour faire une bonne partie de la "job" que les États-Unis font par cela. Vous savez? les comparaisons sont difficiles à établir.

Nous ne devons donc pas sacrifier notre présence sur le marché de l'Ontario puisque ce marché représente autant que celui des États-Unis sans garanties réelles contre le protectionnisme américain; autant d'emplois québécois dépendent du marché ontarien que du marché américain. Il faut donc, à cet égard, éviter d'échanger nos droits d'aînesse contre un plat de lentilles.

Je crois que je peux conclure, à ce moment-ci, qu'une entente est éminemment souhaitable si les conditions sont là, mais qu'étant donné le manque de volonté politique du côté des États-Unis, il faut être extrêmement prudent à ce moment-ci. Je vous remercie.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Pettigrew. M. le ministre.

M. MacDonald: M. Pettigrew, je vous remercie de votre présentation. Corrigez-moi si je préjuge de vos intentions, mais je retrouve dans votre présentation une approbation de la position du gouvernement du Québec qui dit oui à une négociation de libre-échange, mais pas à n'importe quelle condition.

Je note particulièrement, et vous avez raison, que c'est la réalité de n'importe quelle négociation à n'importe quel moment, c'est-à-dire que dans les dernières minutes, il faut faire attention pour maintenir nos positions. La logique qui les a soutenues au départ continue. Vous pouvez être assuré qu'il n'est pas question pour nous de faire des concessions qui iraient à l'encontre de cette structure industrielle qu'on préconise pour le Québec par des décisions de dernière minute.

Pour revenir à votre position, vous êtes un conseiller en matière de commerce extérieur auprès d'une de nos grandes firmes-conseils du Québec. Je vous poserai une question en deux volets. Pour votre firme et celles qui s'apparentent à la vôtre, que voyez-vous comme perspective à une ouverture plus grande aux États-Unis, à une plus grande réceptivité, si vous le voulez, aux entreprises de votre genre? Le deuxième volet de ma question, ce serait: Qu'est-ce que vos clients vous disent à propos du libre-échange? Qu'est-ce qu'ils vous ont mentionné? Qu'est-ce qu'ils vous ont suggéré? Quelles ont été leurs appréhensions générales ou spécifiques au cours des derniers mois?

M. Pettigrew: Je vous remercie beaucoup pour vos deux questions. Cela fait trois ans maintenant que je pratique chez Samson Bélair, à Montréal. Au début, c'était tellement plus facile de passer la frontière pour aller à New York parce qu'ils ne me connaissaient pas. Comme j'ai à descendre assez souvent sur ce marché, je passe aux douanes à Dorval, je vais prendre l'avion de 7 h 15 et je passe avec ma valise. Au début, cela allait très bien. Qu'est-ce que vous allez faire? Je m'en vais voir un de mes amis, etc. Je n'étais pas obligé de donner trop de détails. De plus en plus, M. le ministre, je suis frappé du fait que d'une part ils me connaissent plus, mais d'autre part ils sont plus sévères pour d'autres aussi. Ils nous font ouvrir notre valise. Pour quel client allez-vous travailler? Ils s'assurent que ce sont des corporations canadiennes, des compagnies canadiennes. Ils vont nous demander s'ils ont des compétiteurs là-bas.

C'est de plus en plus difficile d'exercer notre travail même pour des clients québécois. Pour des clients américains, vous savez, on n'ose à peu près plus. Carrément, ils vont nous refuser l'accès. Moi, cela ne m'est pas arrivé, mais j'ai des amis qui carrément se sont vu refuser l'accès. Donc, pour nous essentiellement et en ce qui a trait particulièrement aux conseillers en gestion, je peux vous assurer que nous apprécierions pouvoir faire un travail plus sérieux pour nos entreprises du côté des États-UniSp donc un accès plus considérable là-bas. Les comptables agréés, bien sûr, appartiennent à un corps professionnel tout comme les avocats, les médecins, etc. Je crois qu'il faudra maintenir un certain degré de souveraineté sur ces organismes professionnels. Nous avons des critères. Il y a toute la notion de culture qui entre aussi. Nous, nous attendons certains services, etc.

Dans la mesure où nous sommes capables de libéraliser, si vous le voulez, ou de réglementer d'une manière plus facile l'accès au travail là-bas, ce sera très bien, tout en respectant cependant des normes de qualité auxquelles évidemment nos clients au Canada et aux États-Unis sont en droit de s'attendre par rapport aux corps professionnels. Je crois donc que des firmes comme la nôtre le saluent. La globalisation des marchés mondiaux nous a obligés à poser des qestes. Comme vous le savez, nous avons un réseau international maintenant. Nous sommes capables de travailler dans à peu près 75 pays avec plus que des correspondants, vous savez. Ce sont des qens avec qui on travaille d'une manière très étroite. Alors, pour bien servir nos clients, il est absolument indispensable, si vous voulez, d'avoir un accès plus considérable.

Votre deuxième question a trait à nos clients, mais là la réponse est assez différente. Les clients pour lesquels je travaille évidemment sont des petites mais

surtout des moyennes entreprises généralement dynamiques parce que ce sont celles qui s'intéressent au marché international. Donc, je suis plutôt biaisé pour les forts ou favorable à ceux qui sont suffisamment dynamiques pour entreprendre la démarche d'aller sur le marché international. Ils ne sont donc pas sur la défensive, ils sont sur l'offensive s'ils viennent me consulter pour savoir comment attaquer un nouveau marché. Ce sont des entreprises qui seraient heureuses de pouvoir faire plus d'affaires du côté des États-Unis, qui, elles aussi, font face de plus en plus à de petits problèmes du côté des États-Unis, à des petites barrières par-ci et par-là.

J'ai été frappé par l'importance - c'est pour cela que j'ai insisté un peu dans ma présentation, ce matin - du marché de l'Ontario pour plusieurs de mes clients qui me disent: Oui, mais je vends mes meubles, mes armoires de cuisine, mes biens manufacturés en ce moment en Ontario. Est-ce que je vais rester concurrentiel? Est-ce que je vais continuer de bénéficier, si vous le voulez, d'un accès privilégié à ce marché? On est obligé de leur dire évidemment qu'en ce qui concerne les barrières tarifaires il va y avoir des sacrifices à faire, que nous espérons que le gouvernement fédéral* et les gouvernements provinciaux se concertent, mais qu'il risque d'y avoir du côté du marché est-ouest par rapport au marché nord-sud un certain nombre de difficultés.

Je crois qu'en général le secteur manufacturier et les gens avec qui je travaille souhaitent cette entente dans la mesure où elle respecte les conditions dont nous parlions un peu plus tôt et dans la mesure aussi où nous leur donnerons le temps de réaligner leurs flûtes, puisque le marché de l'Ontario, pour plusieurs de ces entreprises, à venir jusqu'à maintenant est très important. Je soulignais que nos entreprises exportent autant en Ontario que dans tous les Etats-Unis à l'heure actuelle.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand. (12 heures)

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Pettigrew, merci de votre présentation. Vous avez mis des bémols importants surtout en cette fin de négociation et nous partageons bien sûr vos réserves. Je dois dire même que depuis 48 heures, nous sommes très préoccupés par la volonté du gouvernement fédéral d'arriver absolument à une entente, mais doublement préoccupés par la volonté du gouvernement du Québec d'avoir cette entente. Dans la stratégie qui n'a pas été dévoilée jusqu'à ce jour, parce que cela doit être ainsi, je comprends qu'on doit afficher des positions publiquement, mais face à vos appréhensions et à vos préoccupations que je partage, je suis obligé de vous dire que l'attitude du gouvernement du Québec, particulièrement du premier ministre qui était avec nous ici hier, m'inquiète quelque peu par rapport à cette volonté de vouloir absolument faire des compromis dans lesquels on risque de donner ou qu'on risque de payer, comme vous l'avez si bien dit, peut-être trop cher, sauf qu'on ne sait pas quel compromis il est prêt à faire. Je réitère au gouvernement du Québec cette préoccupation pour nous assurer qu'on ne paie pas ou qu'on n'est pas prêt à laisser aller des morceaux trop importants pour avoir absolument cette entente de libre-échange.

Je pense que la négociation, et vou3 le soulignez dans votre mémoire, a été, au tout départ, bien mal engagée. Je pense que le fait que le gouvernement canadien était en demande a un peu biaisé le débat. Là où je ne suis pas d'accord avec vous, même si je n'ai pas voyagé aussi souvent que vous l'avez fait du côté des États-Unis, c'est sur le fait qu'il y a une volonté politique américaine très grande et particulièrement depuis les derniers mois. Peut-être qu'elle ne se ressent pas, comme vous le dites, sur place et un peu partout dans les différents États américains, mais je pense qu'il y a une volonté très ferme du côté des Américains, non seulement à causé de ta fameuse balance commerciale, mais particulièrement pour qu'ils soient capables de s'ouvrir et de démontrer au reste du monde que, finalement, les partenaires canadiens ont réussi à s'entendre avec eux.

Même si c'était une entente minimale, je pense que, pour eux, ce serait un pas extraordinaire pour les futures négociations du GATT et autres. De ce côté-là, je pense qu'il y a une volonté américaine aussi. Sauf que l'épreuve de force des derniers jours risque d'être très dangereuse et on aura un choix à faire. Quand je dis "on", je pense que le gouvernement du Québec doit peser lourd dans la balance. Si jamais le gouvernement canadien décidait, même s'il peut le faire de par ses statuts, d'aller dans un accord de libre-échange, il lui faudrait, je pense, absolument l'accord autant de l'Ontario que celui du Québec, sinon il risque d'avoir des problèmes, du moins des problèmes dits politiques.

Les barrières tarifaires ne sont pas, comme vous l'avez mentionné, tellement importantes, c'est-à-dire que ce ne sont pas les barrières tarifaires qui vont empêcher qu'an se développe davantage. Je pense que les mesures transitoires seront quand même très importantes à cause de la vulnérabilité de certains secteurs qui devront s'adapter.

La question des barrières non tarifaires. Vous avez dit: Les barrières non tarifaires, il faudra voir à en conserver certaines parce que ce n'est pas totalement négatif et je suis d'accord avec vous. L'une de mes

questions, c'est: Quelles sont, selon vous, les barrières non tarifaires qui doivent être conservées? Cela me semble important, cette espèce de marge de manoeuvre, j'imagine, qu'on doit conserver dans les politiques d'achat et j'aimerais que vous puissiez expliciter là-dessus. Vous mettez aussi de l'importance au niveau du développement régional, C'est très important pour le Québec. J'aimerais que vous puissiez nous confirmer si vous voyez, dans le développement régional, toute la marge de manoeuvre nécessaire afin qu'on soit capable d'atteindre votre objectif.

Le dernier volet ou la dernière question que j'aimerais vous poser: Ne croyez-vous pas que le libre-échange risque, si le gouvernement n'intervient pas, de dégénérer en libre marché dans le sens large du terme, c'est-à-dire une loi de libre marché où, finalement, il n'y a plus d'entrave, tout le monde fonctionne selon la loi du plus fort. Cela risquerait d'être dangereux. Le libre-échange ne devrait pas davantage s'apparenter à un minimum de règles du jeu, un minimum de règlements et particulièrement d'interventions de la part du gouvernement pour que la loi du plus fort ne joue pas dans le cadre d'un libre-échange et qu'à cause de la structure industrielle du Québec et à cause de l'ensemble de ses PME, on se retrouve dans des positions très vulnérables et déficitaires.

M. Pettigrew: Je vous remercie beaucoup de vos questions, M. le député de Bertrand. Dès le départ, j'ai trouvé la négociation mal engagée et j'ai voulu le souligner dans mon mémoire, parce que je n'ai pas compris pourquoi nous avions engagé au niveau du gouvernement fédéral une négociation aussi importante et aussi globale sans davantage développer un consensus à l'intérieur du pays, d'une part, mais surtout en réglant tous les problèmes ou plusieurs problèmes et irritants que les États-Unis avaient à l'endroit de notre pays à cette même table.

Ce que je veux dire, c'est qu'au cours des années 1981-1984 - j'avais alors l'honneur de servir, au niveau du Conseil privé à Ottawa, le Secrétariat des affaires étrangères et de la défense - continuellement, tous les jours, nous entendions, à ce moment-là, le gouvernement américain se plaindre du programme national de l'énergie, se plaindre de FIRAf nous demander de revoir notre réglementation sur les brevets, etc. Or, voilà que, lorsque le gouvernement conservateur est arrivé au pouvoir, il a aboli FIRA, à toutes fins utiles. Il a aboli le programme national de l'énergie.

Il a donc éliminé tous les irritants ou, enfin, les irritants majeurs qu'il y avait dans les relations entre le Canada et les États-Unis. Une fois qu'il a fait cela, il a dit aux

Américains: Venez vous asseoir maintenant et nous voulons ceci et cela de vous. Alors, nous, qu'est-ce qui nous reste à donner en échange? Cela se rapproche, voyez-vous, de plus en plus des choses importantes pour nous.

J'ai trouvé que cette approche n'était pas sage, qu'elle n'était pas heureuse. C'est en sens-là que j'ai trouvé la négociation mal engagée» Je trouve aussi qu'il y a beaucoup de nafveté dans notre approche, parce que nous oublions continuellement de faire les comparaisons entre les États-Unis et le Canada.

Vous savez, les Américains mettent des montants énormes, considérables dans le budget de la défense pour des contrats un peu partout à l'échelle du pays. Ces sommes d'argent sont absolument considérables. Elles sont, à toutes fins utiles, une politique industrielle que les États-Unis se donnent sans dire, évidemment, qu'ils pratiquent une politique industrielle.

Il est donc extrêmement difficile d'arriver d'égal à égal ou de pouvoir négocier d'une manière équilibrée pour ce qui est des autres éléments de la politique commerciale, parce que les contrats de défense du Pentagone sont quelque chose de secret, sont quelque chose, donc, de différent des outils que nous avons. Ils ne sont pas au même niveau dans leur esprit. Ils nous disent: Cela, c'est secret? on ne peut pas permettre cela, parce que cela se saurait du côté de nos adversaires sur la planète, etc

II y a donc un problème considérable, dans le domaine des barrières non tarifaires et celui des politiques d'achat, de comparaison et d'équilibrage entre les deux. Donc, les Américains conservent des outils de développement régional et de politique industrielle, à toutes fins utiles, très importants. Qu'est-ce que c'est une politique industrielle, au fond? C'est lorsque le gouvernement choisit un certain nombre de secteurs dont la croissance potentielle est importante, et lorsqu'il investit beaucoup d'argent dans la recherche et le développement. Vous savez, alors qu'en 1945, 15 % de la recherche et du développement américains, étaient faits par le secteur public, cette proportion est passée maintenant à 70 % par le budget de la défense.

Il y a donc, pour ce qui est du budget militaire, une véritable politique industrielle dont tous les outils sont là. Les Américains déménagent des centaines et des milliers d'Américains depuis les États du Michigan et de l'Illinois vers le sud, vers Houston et Dallas, en particulier ou le Southern Belt au sud de la Californie, au sud de Los Angeles dans le Orange County. Ce sont tous des endroits que j'ai eu l'occasion de visiter et c'est magnifique de voir cela. Mais c'est une véritable politique industrielle. C'est un peu comme au Japon. Il y a une politique

industrielle très arrêtée au Japon, très interventionniste. Le MITI, le ministère du commerce international et de l'industrie au Japon, c'est le même bras qui pense à tout cela.

Donc, à ce chapitre, je ne suis donc pas gêné de vouloir garder certaines barrières non tarifaires pour ce qui est de notre propre société. Des organismes publics dont on parlait un peu plus tôt doivent être certainement maintenus avec un véritable rôle de développement et plusieurs organismes de contrôle, si vous voulez, doivent être maintenus aussi, certainement vis-à-vis du dumping. Il ne faut pas que l'on soit victime de dumping de la part des Américains, si vous voulez, en ce qui regarde la qualité des produits, non seulement pour protéger les consommateurs, mais pour qu'ils n'arrivent pas avec des produits de moins bonne qualité à un certain prix. Il y a un certain nombre de ces barrières qui sont des outils que nous devons absolument conserver. Nous devons les maintenir et les renforcer.

Je voudrais aussi parler de certaines politiques fiscales, si vous voulez, qui devront être appliquées. Un des grands problèmes auxquels font face nos entreprises vis-à-vis des États-Unis, c'est la question de leur taille. Les Américains ont des entreprises beaucoup plus considérables, beaucoup plus grandes que celles que nous connaissons au Québec qui sont souvent trop petites pour être compétitives. Nous devrons donc favoriser, par des mesures fiscales, la capacité de ces entreprises de se fusionner ou de s'acquérir l'une l'autre, de s'en aller vers la spécialisation, la fusion ou l'acquisition. Ce sont des programmes tout à fait réalisables, qu'il faut inclure à l'intérieur du libre-échange ou s'assurer que l'accord de libre-échange maintienne notre capacité de faire de telles interventions qui sont extrêmement importantes.

L'entreprise américaine est beaucoup plus prête à entrer sur notre marché que nous ne le sommes à entrer sur le leur, parce qu'augmenter de 10 % votre marché n'implique pas une capitalisation considérable dans l'amélioration de votre production, de votre marketing, de votre gestion. Il va falloir renforcer beaucoup de nos entreprises dans leurs grandes fonctions: la gestion, le marketing, la production, si nous voulons être capables de faire une bonne "job" du côté des États-Unis. Donc, c'est un peu ce que je voulais dire.

En ce qui concerne le développement régional, je voulais dire par là qu'au-delà de la politique industrielle, la question du développement régional demeure. Les Américains en font, comme je l'expliquais un peu plus tôt, mais le problème du développement régional, c'est que par-delà la politique industrielle et par-delà les besoins de rationalisation industrielle, il y a des cas qui ne pourront pas être économiquement rentables et qui, à mon avis, devront l'être. J'ai des clients dans certains villages québécois qui sont uniques employeurs: un village complet, petit parfois, où il y a seulement un fabricant de meubles. Même si vous vouliez rationaliser, même si vous vouliez qu'il fusionne avec d'autres et qu'il se donne des services communs, il va rester un problème-là. Quand bien même je suis un ardent défenseur de la rationalisation industrielle, et de couper tout cela, il faut l'aider le plus possible. Il y a des cas désespérés. Il y a des fabricants de meubles, qu'on peut aider par des programmes d'assistance à l'augmentation de productivité, etc., mais ce problème va demeurer après la période de transition et je pense déjà à la période qui suit la transition et je demande qu'on nous conserve certains outils de développement régional et je dis: Faisons-le sans aucune gêne, parce que les Américains le font par les contrats de défense énormes qui sont donnés. Les Japonais le font. Je suis allé à Sendai au nord du Japon, qui est une région que le gouvernement japonais essaie de développer. C'est la même chose que nous faisions par le ministère de l'Expansion industrielle régionale.

Donc, pour passer à votre dernière question: Un libre-échange risque-t-il de devenir un libre marché avec la loi du plus fort? Le libre-échange théoriquement est une forme d'intégration moins poussée qu'un marché commun et je crois qu'à aucun des niveaux de gouvernement, à Québec et à Ottawa, on n'envisage vraiment la création d'un marché commun. Je crois que le libre-échange est par définition, si vous voulez, un deqré moins poussé d'intégration puisqu'il n'inclut pas la libre circulation des facteurs humains, des travailleurs, etc. Je crois qu'il faudrait absolument résister à cette tendance si nous le faisions, parce que ce ne serait pas une tendance très heureuse. Notre pays est trop petit par rapport aux États-Unis pour faire une chose comme celle-là.

Il faudra absolument voir que cette entente de libre-échange reste une entente de libre-échange pour l'instant. Reqardez le marché commun. Cela fait 30 ans, puis ils ne sont pas encore devenus un marché commun, alors qu'ils étaient des pays de taille beaucoup plus égale. Le traité de Rome a été signé en 1957 et il n'entrera en pleine application qu'en 1992. Il reste encore cinq ans, si vous voulez, pour le... J'ai répondu un peu à vos trois ou quatre questions. Si je peux juste me permettre un commentaire, là où nous avons un désaccord, M. le député, c'est sur la volonté politique des États-Unis. Encore récemment, j'ai passé une semaine à Washington à discuter de ces questions et je vous assure qu'il y a énormément de bonne volonté à l'endroit du Canada. Ne nous trompons pas. Les

Américains aiment bien le Canada. Il y a beaucoup de bonne volonté à l'endroit de notre pays, mais c'est un joueur bien mineur dans la grande ligue du GATT. Je crois qu'au début ils ont accepté la négociation du libre-échange. (12 h 15)

Je vous rappellerai que le président Reagan n'a obtenu la permission de négocier un traité de libre-échange que par un vote de 10-10 à un comité des finances du Sénat et que si c'était à ce moment-là une menace supplémentaire sur les autres partenaires commerciaux pour obtenir l'ouverture de la rampe de Punta del Este. Ils se sont servis du Canada comme ils avaient dit: Nous avons conclu une entente bilatérale avec Israël. Vous savez qu'ils ont aussi une négociation très active à l'heure actuelle avec Taiwan. Ils ont dit: Donc, nous établissons un tas de réalisations bilatérales pour forcer l'arrivée de la huitième négociation multilatérale. Maintenant qu'ils ont eu cela, la force de l'exemple... Vous savez, les Américains sont assez vendeurs et sont assez forts sur le plan international pour dire: Avec les Canadiens, nous n'avons pas eu de traité de libre-échange; ils étaient trop exigeants; ils voulaient maintenir des outils économiques très forts tout en nous forçant à renoncer à des pouvoirs du Congrès; ce sont eux qui nous ont mis dans une situation intenable. À mon avis, ils sont capables de s'en sortir sans trop de coût. Je sais que je suis en désaccord avec beaucoup d'analystes. Je regrette de l'être avec vous aussi, mais, en ce qui me concerne, je ne crois pas que cela compte énormément dans la balance. Je ne dis pas que cela ne compte pas du tout, mais ne misons pas trop là-dessus. Nous n'obtiendrons pas beaucoup de concessions à cause de cela.

M. Parent (Bertrand): C'est simplement une question de perception, selon l'endroit où on est placé. Étant donné que vous avez été directement sur les lieux, j'ai tout lieu de croire que ce que vous nous apportez comme éclairage est fort intéressant et je vous dis que je suis préoccupé quand je vois la façon dont les Américains se sont comportés dans le traité avec Israël depuis 1985. C'est inquiétant, quand on pense qu'on va aller les chercher de force comme vous le dites, de voir la façon dont le traité va être respecté. Je reviendrai tantôt avec une dernière question.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Vimont.

M. Théorêt: M. Pettigrew, vous mentionnez dans votre mémoire - je vous cite - que là où la négociation se complique, c'est en particulier au niveau du tribunal d'arbitrage obligatoire. M. Parizeau nous disait il y a quelques minutes que demander l'arbitrage obligatoire, c'était mettre le drapeau rouge devant le taureau. Il nous disait qu'il y avait d'autres alternatives. Dans un premier temps, est-ce que vous pouvez nous suggérer quels mécanismes pourraient être mis en place? Deuxièmement, il est possible aussi qu'on se retrouve le lendemain du 5 octobre sans accord sur le libre-échange. Advenant une telle éventualité et connaissant également tous les commentaires que vous avez entendus dans vos rencontres aux États-Unis, quel pourrait être l'impact pour le Canada d'un statu quo, en particulier pour le Québec, et également quel scénario envisagez-vous dans une telle éventualité?

M. Pettigrew: Votre première question a trait au tribunal d'arbitrage. Voilà ce que j'ai voulu souligner, et je l'ai mentionné un peu plus tôt. Évidemment, je reconnais la nature tout à fait radicale du tribunal d'arbitrage dans la relation commerciale. Il n'y a aucun doute qu'il s'agit là d'un grand élément, d'une nouveauté, et ce serait vraiment entrer sur un terrain tout à fait nouveau. Je ne veux pas minimiser l'aspect tout à fait radical de la demande canadienne. Je veux dire cependant - c'est là où j'expliquais dans mon mémoire qu'il y avait une espèce de voie terriblement difficile - que, d'une part, nous avons besoin d'un certain nombre d'outils économiques pour procéder à la rationalisation industrielle qui nous permettra de survivre et de profiter du libre-échange, sinon, le libre-échange ne sera pas très utile si nous ne sommes pas capables de nous positionner en fonction de cela.

D'autre part, les États-Unis, qui sont aux prises avec le déficit commercial le plus important de l'histoire commerciale mondiale, ne sont pas du tout enclins ou d'humeur à sacrifier quelque pouvoir que ce soit au Congrès. Au contraire, la tendance, pour le Congrès, c'est de prendre de plus en plus d'initiatives législatives à cet égard. Pourquoi prennent-ils ces initiatives législatives? C'est précisément pour contrer des outils économiques que leurs partenaires commerciaux utilisent. Voyez-vous, il y a une cause très directe d'affrontement entre les deux. Je crois que le négociateur aura à faire preuve de beaucoup d'imagination et de capacités remarquables pour trouver une espèce d'équilibre. Je ne dis pas que c'est impassible, par exemple, je le souhaite, mais c'est là que je dis que c'est extrêmement difficile.

Est-ce que je vois d'autres alternatives au tribunal d'arbitrage? Personnellement, je crois que quelque alternative que ce soit ou quelque nom que vous lui donniez, mécanisme des règlements, des litiges, etc., il faut maintenir une protection contre l'arbitraire

du Congrès des États-Unis. Quelle que soit la formule que vous preniez, il faut qu'elle soustraie le Canada le plus possible à l'arbitraire législatif des États-Unis et quelque mesure que nous aurons sera donc nécessairement de contrer certains pouvoirs de législation. Sans cela, il n'y a pas tellement d'intérêt à avoir un traité de libre-échange parce que, je le soulignais tout à l'heure, l'accès au marché des États-Unis est déjà considérable. Donc, si nous avons déjà un grand accès, ce ne sont pas les conditions d'accès que l'on négocie. Ce que nous négocions, c'est la sécurité de cet accès, c'est son maintien. Donc, si nous ne nous soustrayons pas à l'arbitraire législatif, on a un problème. Le problème de sécurité ne sera pas gagné malgré un accès un petit peu plus large. Incidemment, nous aurons à donner un accès beaucoup plus large aux États-Unis vers le marché canadien que le contraire.

Donc, c'est un peu comme ça que je vois la chose. Que vous la nommiez d'une manière ou d'une autre, il faut absolument qu'il y ait quelque chose de cet ordre-là, sinon cela ne vaut pas vraiment la peine. Si nous connaissons un échec le 5 octobre, je crois qu'il sera évidemment très important de nous retourner très vite sur nos pieds, de développer une stratégie où à la fois le secteur public, le gouvernement, l'Opposition, les grands acteurs économiques, les Chambres de commerce, les fabricants, les entrepreneurs, les gens - je me porte déjà volontaire - entreprennent une campagne systématique auprès des principaux lobbies américains dès qu'on entend parler de quelque chose. Je trouve qu'en ce moment notre temps de réaction a été trop souvent lent. Il faut absolument que nous nous attaquions au problèmes là où il existe et ce n'est pas ce que nous avons fait jusqu'à maintenant. Même dans la négociation, M. le député de Bertrand, pour compléter un peu ma réponse de tout à l'heure, quand je dis qu'elle a été mal engagée, elle a été mal engagée et elle a été mal menée par la suite. Nous n'avons fait qu'un travail limité auprès du Congrès des États-Unis au niveau du gouvernement fédéral depuis deux ans, alors que c'est là que la bataille se fait véritablement. Il faut absolument que beaucoup beaucoup de travail se fasse auprès du Congrès des États-Unis pour renforcer ou combattrer les lobbies américains.

La politique américaine se fait par lobbies et je vous encouragerais tous ensemble à multiplier ces lobbies, à utiliser des gens qui ont une certaine crédibilité dans leur secteur et à éliminer le plus possible le danger de protectionnisme. Je pourrais même vous faire un beau plan de campagne au niveau du GATT. L'argument contraire de celui que l'on fait quand on dit qu'à cause du GATT il faut qu'ils nous donnent une entente. Je dirais: S'ils ne nous donnent pas d'entente, soyons beaucoup plus agressifs au niveau du GATT, faisons même un petit peu de chantage auprès des États-Unis en leur disant: Donnez-nous ça, sinon ça va mal aller au niveau du GATT.

Je crois que ce n'est pas le désespoir ambulant. Nous survivons quand même assez bien à l'heure actuelle. Nous exportons déjà 40 % de notre produit intérieur brut. Ce n'est quand même pas si mai. Voilà certaines avenues. On pourrait continuer beaucoup plus longtemps, mais peut-être vaut-il mieux laisser...

M. Théorêt: Merci.

Le Président (M. Charhonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Peut-être une dernière question vu que le temps presse. Vous avez mentionné la naïveté des gouvernements dans toute cette approche concernant le dossier du libre-échange et je suis d'accord avec vous. Je pense qu'on continue à être encore naïfs à 17 jours de l'échéance à partir de ce qu'on sait aujourd'hui.

Vous avez dit aussi qu'il faut prendre position, que nos entreprises prennent position pour être capables de faire face aux nouvelles règles du jeu, toujours en tenant pour acquis qu'il y aurait une entente de libre-échange. Vous nous avez dit aussi que cela prenait des outils économiques. Dans ces outils-là, est-ce que vous voyez l'intervention plus accrue de différentes sociétés d'État?On pense à la Caisse de dépôt et placement, à la Société générale de financement, à la Société de développement industriel du Québec qui ont joué des rôles moteurs, dans certains cas sur le plan du financement, sur le plan du partenariat, dans d'autres cas sur le plan des programmes très précis qu'on doit accentuer. Finalement, trouvez-vous cela normal qu'à la veille d'un traité de libre-échange le Québec ne soit pas doté d'une véritable politique industrielle, d'une véritable stratégie de développement économique? Est-ce que cela ne vous inquiète pas, vous qui êtes dans le milieu des affaires, vous qui représentez des centaines et des centaines de milliers de clients de voir que finalement on n'est peut-être pas aussi prêts qu'on devrait l'être? Si oui, selon votre réponse, quels seraient peut-être les principaux axes par rapport à ce qui a été discuté tantôt avec M. Parizeau? Êtes-vous d'accord pour mettre l'accent, par exemple, sur le domaine de la recherche et du développement? Je pense que cela est important si on regarde l'exemple extraordinaire du Japon. Il est vrai qu'on fait un effort depuis quelques années, mais, encore là, on est loin par rapport au pourcentage du P.I.B. qu'on

devrait mettre en recherche et développement. Est-ce que dans une stratégie, dans une politique comme cela, vous mettriez l'accent sur ces choses?

M. Pettigrew: Oui, tout à fait. II n'y a aucun doute que c'est une voie extrêmement importante. Elle va être très difficile à accoter par rapport aux énormes budgets que les Américains mettent de ce côté, évidemment à cause de l'effort du Pentagone et des contrats de défense, etc. Mais je crois que vous avez tout à fait raison, il faut favoriser cela beaucoup.

Pour reprendre votre question à partir du départ, je crois que l'importance de se bien positionner est tout à fait cruciale. Mais je comprends très bien qu'à l'intérieur d'une négociation aussi délicate et aussi difficile, où les éléments techniques sont considérables ainsi que la force politique et les éléments de discrétion qui doivent l'accompagner, on ne soit pas nécessairement au fait des intentions du gouvernement d'une manière extrêmement précise quand il s'agit d'une stratégie industrielle. Ce ne serait peut-être même pas sage.

Je comprends qu'au point de vue de l'opinion publique, pour calmer certains syndicats ou certaines appréhensions, il aurait été plus facile pour le gouvernement de leur dire: Très bien, voici ce que nous ferons, et de dresser une liste un peu sécurisante et confortable. Mais je crois que cette solution qui aurait été, si vous voulez, plus facile au niveau de l'opinion publique, était très difficile à faire en même temps qu'une négociation et en conservant notre crédibilité, étant donné les éléments de discrétion qui doivent entourer cette négociation.

Ce que j'espère et ce que je crois comprendre de la politique qui a été maintenue jusqu'à maintenant, c'est que le gouvernement s'est assuré qu'à la table de négociation ces éléments étaient maintenus. Dans la mesure où à la table de négociation ces éléments sont maintenus et qu'ils seront incorporés à l'accord d'une manière ou d'une autre pour ne pas nous faire accuser de faire du commerce déloyal par la suite, je crois que la partie est sauve. Mais il est vrai que ces éléments doivent avoir été inclus et doivent avoir été amenés.

Donc, pour y faire face, quels seront les outils les plus nécessaires? Je crois qu'il faudra insister bien davantage sur le rôle du secteur privé et l'implication des corps intermédiaires à l'intérieur de notre société qu'on ne l'a fait jusqu'à maintenant. Je crois qu'il est très important que le secteur privé soit beaucoup plus impliqué à l'intérieur de certaines décisions qui ont été prises jusqu'à maintenant. On se souvient de certains désastres passés dans des tentatives de politiques industrielles qui ont été extrêmement coûteuses et dont nous avons à faire les frais pendant longtemps.

Il est donc très important et même impérieux que cette stratégie ne se fasse pas en vase clos, mais de concert avec le secteur privé. Je crois que certaines des sociétés d'État que vous avez nommées, notamment la Caisse de dépôt et placement et la Société de développement industriel, la SDI, sont deux de ces sociétés extrêmement utiles où nous avons déjà établi entre le secteur privé et ces corps une relation de travail, une collaboration vraiment utile et vraiment importante. Je crois que leur rôle devrait être non seulement maintenu, mais accentué dans la mesure où ce travail se fait en coordination et en collaboration avec le secteur privé.

Je peux conclure que je suis évidemment, tout à fait d'accord avec vous sur le fait que dans le domaine de la recherche et le développement nous devons faire beaucoup plus. C'est extrêmement difficile d'accoter ce que les États-Unis font, mais en plus de la recherche et du développement il y a plusieurs mesures de modernisation et d'aide à la productivité qu'il faut absolument faire, surtout aider à renforcer les grandes fonctions de l'entreprise - je vais faire un peu de publicité pour les conseillers en gestion - en aidant peut-être les entreprises à avoir accès, à de meilleurs taux aux conseillers en gestion pour renforcer les grandes fonctions de production, de gestion et de marketing dans les entreprises trop petites pour se payer des gens à temps plein, mais qui auraient besoin de bons consultants.

Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse, nous allons mettre fin à votre présence devant nous. Je voudrais au nom de mes collègues de chaque côté de la table, vous remercier, M. Pettigrew. Je crois que nous avons pris une intéressante et bonne décision en décidant de vous inviter à notre commission. Je pense que tout le monde a apprécié la qualité et la pertinence de vos interventions et de vos remarques. Merci beaucoup et à la prochaine.

M. Pettigrew: Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Nous allons suspendre deux minutes afin de permettre à l'autre groupe de se joindre à nous. La suite de nos travaux sera assumée par le vice-président de ta commission, le député de Vimont.

(Suspension de la séance à 12 h 31)

(Reprise à 12 h 35)

Le Président (M. Théorêt): Alors, messieurs, les membres de la commission

vous souhaitent la bienvenue. Je vous rappelle que vous avez un maximum de 20 minutes pour la présentation de votre mémoire et que le reste du temps sera réparti entre les deux formations politiques. Je vous demanderais, d'abord, M. Pelletier, si vous le voulez bien, de présenter ceux qui vous accompagnent.

Coopérative fédérée de Québec

M. Pelletier (Alphonse): Merci, M. le Président. Alors, vous avez ici, à ma droite, M. Paul Massicotte, deuxième vice-président à la Coopérative fédérée de Québec et M. Réjean Nadeau, directeur du service de la division agricole; à ma gauche, M. Mario Dumais, secrétaire général et M. Jean-Marc Bergeron, directeur de la division laitière.

Le Président (M. Charbonneau): On vous écoute.

M. Pelletier: M. le Président, Mmes et MM. les députés. Nous tenons en premier lieu à vous remercier de permettre à la Coopérative fédérée de Québec de présenter officiellement sa position sur les pourparlers canado-américains engagés en vue de libéraliser les échanges commerciaux entre les deux pays.

Nous voulons vous faire connaître le point de vue d'un réseau d'entreprises diversifiées, les coopératives agricoles, qui appartiennent aux agriculteurs et qui sont engagées dans la production et la distribution d'intrants agricoles, dans la transformation et la mise en marché des produits agroalimentaires.

La Coopérative fédérée de Québec regroupe 110 coopératives. Ce réseau d'entreprises emploie environ 10 000 personnes et réalise globalement un chiffre d'affaires de 3 000 000 000 $. La coopérative agricole transforme et met en marché environ les deux tiers du lait produit au Québec, le tiers du porc et de la volaille, et elle se situe au premier rang pour la commercialisation et l'utilisation du grain. Sa présence est toute aussi importante au niveau de l'approvisionnement des entreprises agricoles en biens et services, qu'il s'agisse de ceux utilisés pour les productions animales et végétales, de la quincaillerie, de l'outillage et des machines agricoles ou des produits pétroliers.

La coopération agricole dispose d'une longue expérience en matière de commerce international. Son activité commerciale internationale date de plusieurs décennies, voire de plus d'un demi-siècle dans certains cas, tant à l'exportation qu'à l'importation de produits, tels la viande de porc, les produits laitiers, les grains, les machines et l'outillage agricole, les fertilisants, etc.

Nous ne pouvons être indifférents aux règles qui régissent le commerce international des produits et intrants agricoles, ni à des pourparlers qui visent à modifier ces règles.

Les États-Unis sont, et de très loin, le principal partenaire commercial du Canada. Le volume des échanges entre le Canada et ce pays atteint un niveau qui n'est dépassé par aucune autre paire de pays dans le monde. Il est, par conséquent, légitime et important que nous discutions de commerce avec les États-Unis. D'autant plus que le déficit de la balance commerciale américaine et la montée du protectionnisme qui l'accompagne causent bien des soucis aux exportateurs canadiens.

Rappelons les tentatives de l'industrie porcine américaine d'imposer des tarifs compensatoires sur le porc vivant et en coupe, ta décision plus récente et moins connue d'imposer des tarifs sur les importations, depuis novembre et décembre 1986, pour la promotion du porc aux États-Unis et le recouvrement des coûts d'utilisation des services douaniers américains auprès des importateurs qui le percevront auprès des exportateurs. Un autre exemple récent de ce harcèlement est l'imposition d'un tarif compensatoire sur la potasse canadienne. Cette décision, qui a provoqué le dépôt d'un projet de loi visant à mettre en place des quotas de production par le gouvernement de la Saskatchewan, aura pour conséquence d'augmenter substantiellement le prix payé par les agriculteurs canadiens pour ce fertilisant en déclenchant une hausse générale des prix de la potasse en Amérique du Nord.

Si nous admettons sans détour le bien-fondé des efforts du gouvernement canadien pour assainir les relations commerciales canado-américaines, nous mettons les autorités gouvernementales en garde contre la tentation de conclure une entente à n'importe quel prix. Il est important de négocier avec nos partenaires américains, mais il ne faut pas oublier qu'un nouvelle ronde de pourparlers s'amorcent en vue de la mise à jour des ententes du GATT. Plusieurs questions relatives au commerce des produits agricoles et alimentaires, et à l'impact sur les marchés mondiaux de certaines politiques agricoles nationales seront traitées dans ce contexte multilatéral. II est le seul où plusieurs de ces questions peuvent se régler.

Certaines politiques ont été mises en place au Canada tant au niveau fédéral que provincial, en vue d'assurer aux agriculteurs des revenus stables et adéquats, de leur octroyer une protection contre les catastrophes naturelles, de favoriser le développement de l'agriculture, d'assurer aux consommateurs une sécurité d'approvisionnement en aliments de qualité à des prix raisonnables, sans grever démesurément les ressources du Trésor public.

Les offices de commercialisation dans les secteurs laitier et avicole, les programmes de stabilisation des prix et des revenus, les assurances-récoltes et le crédit agricole constituent les principaux exemples des mesures adoptées dans la poursuite de ces objectifs.

Le chaos qui règne actuellement sur un grand nombre de marchés mondiaux de produits agricoles et alimentaires, la guerre commerciale qui sévit présentement entre la Communauté économique européenne et les États-Unis constituent des circonstances qui rendent inopportune l'ouverture des frontières agricoles canadiennes pour un grand nombre de nos produits.

Nous nous opposons, par conséquent, à une politique de libre-échange généralisée qui s'appliquerait sans discernement à l'ensemble de l'industrie agro-alimentaire.

Des autorités du gouvernement fédéral ont déjà clairement indiqué que le mandat des négociateurs canadiens comportait le maintien des offices de commercialisation. Nous appuyons cette orientation. Mais les offices de commercialisation reposent sur des mécanismes multiples qui assurent l'efficacité de leur fonctionnement. La gestion de l'offre sur le plan intérieur et les quotas d'importation sont deux des piliers sur lesquels reposent ces organismes. Mais les tarifs douaniers qui protègent certains produits fabriqués à partir du lait, de la chair de volaille et des oeufs sont également nécessaires au fonctionnement efficace des offices de commercialisation. Nous nous opposons, par conséquent, à l'hypothèse d'une abolition généralisée des tarifs douaniers entre le Canada et les États-Unis.

Les agriculteurs se méfient, à propos des offices de commercialisation, d'une politique qui aboutirait à conserver les mots tout en faisant disparaître la chose.

À propos des tarifs douaniers, nous tenons à signaler que le secteur horticole canadien et québécois connaîtrait de graves difficultés si les douanes permanentes ou saisonnières qui protègent les produits de base et certains produits transformés étaient abolies.

Dans un contexte de libre-échange, les producteurs d'un pays sont soucieux de s'assurer que leurs compétiteurs du pays partenaire ne jouissent pas d'avantages découlant de politiques gouvernementales qui leur procurent un avantage compétitif. Les Américains ont clairement fait savoir qu'il ne se sentiraient pas obligés, à la suite d'une entente conclue avec le Canada, de remettre en cause leur politique agricole. En même temps, ils considèrent parfaitement légitime de forcer le Canada à modifier ses politiques comme ils l'ont fait, par exemple, dans le cas du bois d'oeuvre, comme ils veulent le faire dans celui de la potasse et comme ils voudraient bien le faire dans le cas de l'assurance-stabilisation des prix ou des revenus dans le porc et dans le transport des grains de l'Ouest.

Par conséquent, une entente prévoyant un libre-échange généralisé en agriculture amènerait inévitablement les producteurs agricoles américains à remettre en cause des programmes tels les assurances et le crédit agricoles.

On a d'ailleurs pu constater l'attitude des Américains à cet égard en prenant connaissance de l'énoncé de politiques agricoles déposé par leur gouvernement en juillet dernier à la table de négociation du GATT. Par contre, des ententes qui favoriseraient le maintien et le développement de notre accès au marché américain et qui donneraient aux producteurs américains les mêmes garanties dans les secteurs où nos économies agro-alimentaires sont naturellement complémentaires seraient évidemment souhaitables. (12 h 45)

Nous importons des États-Unis des quantités impressionnantes d'intrants agricoles et de produits horticoles. Nous exportons, à partir du Québec, de la viande bovine et porcine, des produits laitiers, certains légumes, de la moulée et un peu de grain, pour ne mentionner que ces exemples.

Si un tribunal binational, paritaire et décisionnel pouvait régler les litiges commerciaux qui plongent les exportateurs des deux côtés de la frontière dans un climat d'incertitude, un pas important serait franchi sur la voie de l'assainissement des rapports commerciaux entre nos deux pays.

À mesure que décline la protection assurée principalement dans le passé par les barrières tarifaires, l'utilisation à des fins protectionnistes des barrières non tarifaires s'est généralisée. Le commerce est de plus en plus souvent freiné par des mesures de quarantaine, visant à la protection de la santé des plantes et des animaux du pays importateur. Ou encore, des mesures visant officiellement à la protection de la santé humaine bannissent l'importation de végétaux ou d'animaux qui résultent de l'utilisation de certains produits de protection des cultures et de santé animale.

Une harmonisation des pratiques, basée sur des politiques nationales qui appliqueraient des standards internationaux reposant sur des évidences scientifiques, constitue un autre exemple d'un domaine ou des progrès sont envisageables et seraient mutuellement profitables.

Le développement du commerce international est un objectif souhaitable qui contribue à l'accroissement de la prospérité des partenaires qui s'y adonnent. Le développement de l'économie canadienne et québécoise a historiquement été tributaire, à un degré élevé, de son commerce international, en particulier de son commerce

avec les États-Unis.

Il est, par conséquent, parfaitement légitime que les autorités gouvernementales s'engagent dans des pourparlers, tant bilatéraux que multilatéraux, en vue de contribuer à l'établissement des conditions favorables à une présence accrue de nos produits sur les marchés internationaux.

Le secteur agricole et agro-alimentaire est cependant régi par des règles particulières dans la vaste majorité des pays du monde. Ouvrir toutes grandes nos frontières dans le contexte actuel risquerait de faire disparaître des secteurs entiers de l'industrie agro-alimentaire canadienne.

Advenant que le contexte mondial s'assainisse, si notre base industrielle est, à ce moment-là, disparue, nous devrons nous contenter d'être nourris par les autres. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Théorêt): Je vous remercie, M. le président. Je vous rappelle que le temps que vous prendrez pour répondre aux questions des membres de la commission aura évidemment une influence sur le nombre d'interventions des membres de la commission et je vous demande de prendre cette remarque en considération. Je cède maintenant la parole au ministre du Commerce extérieur, dans un premier temps, et au ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, dans un deuxième temps.

M. MacDonald: M. le président, je vous remercie de vous être présenté devant nous et je suis particulièrement heureux de pouvoir entendre des représentants du domaine de l'agriculture qui, enfin, nous présentent une situation très parallèle à la nôtre, à savoir: Nous sommes favorables à une discussion autour d'une plus grande libéralisation des échanges avec les États-Unis ou le monde, à cet effet-là, mais pas à n'importe quelle condition.

Malheureusement, et je pense que vous serez d'accord avec moi, l'impression qu'on a laissé planer dans le public dans les derniers mois était que l'ensemble du monde de l'agriculture était systématiquement contre toute négociation, toute approche dans un contexte de négociations et de libéralisation des échanges. Il est évident qu'en tant que représentant d'une entreprise qui effectivement vend et marchande les produits des agriculteurs du Québec à un rythme que vous avez bien mentionné de 3 000 000 000 $ par année, avec des pourcentages de deux tiers d'une production et un tiers de l'autre, et le principal agent dans le domaine du commerce des grains, vous avez une très grande crédibilité.

J'aimerais vous dire que, sur ce dossier, dès le départ, le ministre de l'Agriculture a insisté, que cela a été la position initiale du

Québec que l'agriculture devait être considérée comme un dossier spécial, que cela l'a toujours été et que cela doit continuer à l'être. Cela a été notre position. Enfin, après avoir souligné ces quelques notes, j'aimerais maintenant donner la parole à mon collègue, M. Pagé, qui certainement pourrait nous donner, avec vous, un éclairage additionnel sur ce sujet. Merci.

M. Pagé: Merci, M. le Président. Je voudrais évidemment remercier M. Pelletier de la Coopérative fédérée de sa présence parmi nous ce matin, présence certainement utile compte tenu du rôle de premier plan que vous jouez non seulement dans la représentation des productrices et des producteurs agricoles du Québec, mais aussi et particulièrement dans votre implication en ce qui regarde le volet commercial de vos activités.

Je dois constater que votre position rejoint sensiblement et substantiellement celle adoptée par le gouvernement du Québec. Vous exprimez beaucoup de réserves, la façon et les principes qui devraient inspirer toute discussion avec les Américains dans une perspective de libéralisation des échanges.

Je dois vous dire que, pour notre gouvernement et particulièrement pour moi comme ministre, le message que vous venez nous livrer ce matin est clair. C'est précis, ïl se veut indicateur d'inquiétudes aussi, et c'est explicable. Vous représentez un volume d'affaires très important au Québec. La Coopérative fédérée seulement, c'est un chiffre d'affaires de 1 200 000 000 $ annuellement. L'ensemble de la coopération, c'est 3 000 000 000 $ annuellement. C'est 10 000 emplois au Québec présents dans chacune de nos régions, dans 97 comtés. Vous n'êtes pas seulement des producteurs, mais vous êtes un employeur important. D'ailleurs, je regrette que le président du Conseil du patronat ne soit pas ici. Il aurait peut-être été à même de constater encore, de façon très claire, combien l'agriculture et l'agro-alimentaire peuvent être importants dans l'économie du Québec. On aura d'autres occasions d'y revenir.

Nos positions se rapprochent en ce que l'ensemble des intervenants et le gouvernement sont d'accord. Nous devons retenir que, si on a atteint un niveau de performance pour lequel on peut être fiers, notamment dans des productions aussi importantes que ta production laitière au Québec, la production des viandes et celle du porc notamment, c'est parce qu'on s'est donné des outils et des moyens pour mieux encadrer et mieux définir les interventions gouvernementales au niveau du financement agricole, comme vous l'avez indiqué, et, au niveau d'un régime qu'on s'est donné en 1974, celui de l'assurance-stabilisation des revenus agricoles.

Pour nous, ces régimes constituent un instrument privilégié pour le maintien d'une stabilité en agriculture et il a été très clairement indiqué par le gouvernement, par la voix de son ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Agriculture que je suis, et ce dès le début de 1986, qu'on devait maintenir de tels régimes au Canada et aussi dans les provinces parce que, comme on le sait, l'agriculture est une responsabilité partagée en vertu de la constitution.

C'est la même chose pour les offices nationaux de commercialisation et les agences de commercialisation. On s'est donné des systèmes de mise en marché dans la production du lait, du poulet, du dindon, des oeufs, qui ont contribué à développer l'entreprise, à développer une production s'inscrivant sous l'égide de l'excellence et nous assurant aussi que le consommateur ait un approvisionnement donné ou garanti pour répondre à ses besoins. Le consommateur paie davantage un juste prix, mais il faut quand même convenir que nos agences nationales de commercialisation ont contribué à éviter et à mettre de côté ces interventions ad hoc, sporadiques, des différents paliers de gouvernement, comme on peut le voir concrètement dans des dossiers comme celui de la pomme de terre. La pomme de terre au Québec et au Canada, certaines années, on ne la paie pas cher, mais chaque fois que le consommateur en mange, il mange ses taxes et ses impôts. Lorsqu'on a des productions représentées par une agence de commercialisation, le consommateur paie le juste prix et le producteur ou la productrice a le juste prix. On a été très clair là-dessus et on apprécie la position que vous prenez, que vous réitérez aujourd'hui, qui s'inscrit dans une volonté de nous supporter afin qu'on ait le même message au Québec, compte tenu de l'importance de maintenir ces avances.

Par contre, il y a un autre élément important dans ce débat-là et vous y avez touché. On doit tenir compte de l'aspect du contingentement de certains produits. Même si nos agences nationales de commercialisation sont maintenues - c'est absolument nécessaire et on espère, évidemment, que la démarche entre le gouvernement du Canada et les États-Unis conduira à l'acceptation de cette demande essentielle et importante du Québec - il faudra évidemment accompagner le tout, comme vous le dites, et on est d'accord avec vous, de contingentements. Même si, par exemple, on a le droit de maintenir nos quotas laitiers, s'il n'y a pas de limite à l'accès des yogourts, des fromages et des produits laitiers des États-Unis, cela ne réglera pas le problème. On pourrait facilement, dans dix ou quinze ans, avoir un très beau quota de tant de mille livres de gras par année, s'il n'y a pas une vache dans l'étable, ce n'est pas ce qui va sécuriser l'agriculture du Québec. Là-dessus, je vous remercie des commentaires.

Vous avez évoqué, par contre, un autre aspect important de nos relations avec les Américains. On ne peut pas, sans plus, dire: Non, on se bute dans le coin, on ferme toutes les portes à toute négociation ou à tout échange compte tenu de la place importante que jouent les États-Unis dans l'économie agricole non seulement du Canada mais surtout du Québec. L'année dernière, en 1986, les exportations dans le secteur agricole ont augmenté de 13 % pour atteindre un niveau d'au-delà de 1 300 000 000 $. À même ce montant-là, il faut bien avoir à l'esprit que ce sont 700 000 000 $ qui sont exportés aux États-Unis? 60 % de nos ventes agricoles internationales, alors que pour le reste du Canada c'est 36 % seulement.

Si la réponse est négative le 4 octobre, qu'il n'y a pas d'entente ou encore que, malgré qu'il y ait une entente avec l'acceptation que l'agriculture soit traitée spécifiquement, à part, si on a, comme exemple concret, le maintien de nos régimes d'assurance-stabilisation - on sait que ces régimes sont dénoncés par certains producteurs de viande rouge, notamment et principalement aux États-Unis» - il est possible que des droits compensatoires nous soient exigés soit par le dépôt d'un projet de loi particulier ou par une requête au Congrès, etc.

La production du porc est très importante. On produit près de 16 %, 17 % ou 20 % de la production canadienne mais, dans le porc, on est à 31 %. Le marché américain est un marché important pour nous, et vous vendez du porc aux États-Unis. Comment réagissez-vous devant cette dualité où, d'un côté, on doit maintenir nos régimes d'assurance-stabilisation et où, de l'autre, on sait pertinemment qu'on peut faire l'objet de droits compensatoires susceptibles d'avoir un effet direct sur la production de porcs du Québec?

M. Pelletier: M. Dumais, le secrétaire générai va répondre à la question, M. le ministre.

M. Dumais (Mario): Au fond, M. le ministre, vous soulevez un dilemme auquel tout le monde fait face, qui est extrêmement important et qui découle d'une certaine mesure du fait que les politiques agricoles américaines ont traditionnellement et historiquement généralement pris le chemin d'une aide aux productions végétales plutôt qu'une aide aux productions animales. En fait, lorsque les Américains contestent notre assurance-stabilisation dans le domaine des viandes, ils disent: Nous, on n'a pas de programmes équivalents aux États-Unis; donc,

c'est une aide injuste qui vous rend plus compétitifs et vous donne un avantage arbitrairement, mais ce que les Américains ne nous disent pas et qui va dans la même direction également, c'est que la loi agricole américaine comme celle qui est actuellement en place contribue à faire baisser le prix des grains comme elle l'a fait depuis qu'elle est en place. On sait qu'en termes réels, le prix du grain aujourd'hui est rendu au niveau où il l'était au moment de la grande crise économique de 1929. Or, les producteurs dans le domaine de l'élevage aux États-Unis, bénéficient indirectement d'un abaissement du coût de production de leur principal intrant. On sait que, lorsqu'on produit pour 100 $ de porc, pas loin de 60 $ vont pour la moulée et les grains qu'on leur donne dans les aliments. S'ils bénéficient d'un prix beaucoup plus bas pour le grain, c'est un avantage pour eux. (13 heures)

Je pense que, d'une certaine façon, le Canada pourrait se débattre un peu vis-à-vis des Américains et de la Commission fédérale du commerce en leur signalant que les avantages que procure l'assurance-stabilisation aux éleveurs du Canada ont leur contrepartie dans les avantages que donnent aux éleveurs américains les programmes gouvernementaux, qui font baisser le prix des grains. Cela dit, il n'en reste pas moins que c'est le tribunal américain, en fin de compte, dans la conjoncture actuelle, qui décidera. Quelle sera sa décision? On ne peut en être sûr à l'avance et c'est effectivement un danger qui pèse sur nous.

Comme on l'a souligné dans notre mémoire, même si, après avoir imposé un tarif douanier sur le porc en coupe, ils l'ont enlevé par la suite, on sait que récemment, par d'autres biais, ils trouvent le moyen de continuer à nous harceler. On mentionne en particulier dans notre mémoire qu'actuellement ils font aux douanes un prélevé sur les importations pour faire la promotion de la viande de porc aux États-Unis. Ils prélèvent auprès de leurs importateurs ce qu'ils appellent des "user's fee", c'est-à-dire des droits d'utilisation des services douaniers, et ces importateurs se retournent et nous refilent la facture. On sait que, lorsqu'on expédie des cargaisons de viande de porc aux États-Unis, un inspecteur arrive périodiquement à la frontière et dit: Ahi Ce n'est pas trop sûr que cette chose soit vraiment bonne, de telle sorte qu'on est continuellement harcelés.

Ce sont, M. le ministre, toutes ces considérations qui nous ont amenés, en tant qu'entreprise très active dans le domaine de l'exportation, à dire que, si l'on pouvait assainir les relations qui conduisent à du harcèlement de ce type et si on pouvait le faire en disant aux Américains: Dans le domaine agricole et agro-alimentaire, vous exportez également chez nous; vous vous plaignez aussi d'être périodiquement l'objet de harcèlement, alors, pourquoi, dans les secteurs où nous sommes naturellement complémentaires, même en agriculture et en agro-alimentaire, ne ferions-nous pas en sorte que les règles soient dorénavant un peu plus stables et que les exportateurs, d'un côté et de l'autre de la frontière, puissent fonctionner avec un peu plus de sérénité? En gros, M. le ministre, c'est un peu la ligne de pensée qu'on a tenté d'exposer dans le mémoire qu'on vous présente aujourd'hui.

Le Président (M. Théorêt): Merci.

Je vais maintenant céder la parole, selon l'alternative qui prévaut depuis le début de la commission, au député de Bertrand. Nous reviendrons à vous, ensuite, M. le ministre.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Il me fait plaisir de vous accueillir, M. Pelletier ainsi que vos collègues, en commission, ce matin. Vous êtes le premier intervenant du monde agricole et je pense que vous nous apportez un éclairage additionnel.

Je n'aurai qu'une ou deux questions, puisque je voudrais laisser le maximum de temps à mon collègue, le député de Laviolette et critique en matière d'agriculture, de poser à son tour plusieurs questions.

D'abord, de façon générale, c'est un peu ambigu de voir d'un côté l'Union des producteurs agricoles s'opposer carrément à la Coopérative fédérée qui est très, très modérée; vous êtes contre, si on y va "at large"; mais, à la suite de votre congrès de février 1986, vous avez, je pense, obtenu le feu vert à l'assemblée générale pour aller appuyer, dans des domaines très particuliers, soit le porc, l'horticulture, etc. De l'autre côté, nous, de l'Opposition, demandons que, dans le domaine de l'agriculture, cela soit exclu et, de son côté, le gouvernement a une position qu'il qualifie de maintien d'un statut spécial. Si je vous brosse ce tableau, c'est parce que tous les intervenants ne semblent peut-être pas si loin les uns des autres, en ce sens que l'agriculture doit avoir un statut particulier. Vous le mentionnez très clairement dans votre mémoire ce matin quand vous nous dites ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas, ce qui vous préoccupe et ce qui ne vous préoccupe pas. Cela va en ce qui regarde la Coopérative fédérée.

Nous sommes un peu plus radicaux, car nous pensons que, à cause de cette complexité et de l'ensemble de notre position, l'agriculture doit être exclue du traité sur le libre-échange de façon à ce qu'on ait, après, le maximum de marge de manoeuvre. Il serait intéressant de savoir très clairement de la part du gouvernement ce qu'il entend

exactement par le statut particulier. Je pense que ce serait très important, puisque le ministre a dit tantôt dans ses commentaires qu'il était d'accord avec vos revendications et que le comité Warren qui faisait rapport il y a quelques jours nous dit de façon très précise qu'il y a des préoccupations de ce côté-là et que le Québec a fait ses revendications auprès du gouvernement fédérai.

Ma question est la suivante: Dans les revendications que vous avez faites jusqu'à maintenant, avez-vous eu la confirmation de la part du gouvernement que le statut particulier que vous revendiquez et les normes que vous trouvez acceptables seront protégés et, sinon ne pensez-vous pas justement qu'on devrait aller davantage vers une position, toujours concernant l'agriculture dans le dossier du livre-échange, qui exclurait beaucoup plus votre secteur des négociations pour qu'on puisse le protéger. Je pense qu'on a tous les mêmes préoccupations et que c'est très ambigu actuellement.

M. Pelletier: M. le Président, M. le député de Bertrand, ce sont toujours des questions ambiguës. Vous avez commencé votre exposé en vous disant un peu surpris de voir la modération avec laquelle la coopération agricole abordait le sujet, alors que le syndicalisme semblait plus radical. Je pense qu'il faut regarder un peu en arrière. La coopération, dans tous les domaines, a toujours apporté un élément de modération. Dans ce domaine, comme dans d'autres d'ailleurs, on doit avoir une certaine modération, et c'est pour cela qu'on est contre le terme "libre-échange". On est pour le terme "libéralisation des échanges". D'aucuns vous diront que nous sommes pour quand cela fait notre affaire et contre quand cela fait notre affaire. J'oserais dire que c'est un peu cela. Tout le monde est comme cela, mais dans le sens qu'on s'est élu des gouvernements, autant à Ottawa qu'à Québec, avec l'objectif de défendre nos intérêts. Actuellement, les Américains ne sont pas là pour défendre les Canadiens. C'est l'opinion de la Coopérative fédérée. Quand on entend les Américains dire qu'ils veulent la libéralisation des échanges, le libre-échange, car cela créera des emplois aux États-Unis, et le gouvernement canadien répéter la même chose, on n'y croit plus; on n'y croit plus à ces choses-là. Cela ne peut créer des emplois des deux côtés de la frontière.

La Coopérative fédérée - et, encore une fois, on vous remercie, M. le Président, de nous avoir permis d'être ici aujourd'hui -se sent responsable de représenter te mouvement coopératif agricole, ses 110 coopératives affiliées et ses 35 000 coopérateurs. Mais nous sommes aussi convaincus qu'en donnant une certaine libéralisation aux échanges, nos gouvernements, quels qu'ils soient, devront intervenir dans une perpétuelle négociation pour protéger certains secteurs particuliers et certaines régions particulières, par exemple, l'assuranee-stabilisation des revenus dont on parle dans notre mémoirec Je pense que, au Québec et au Canada, ce programme est là pour y demeurer. Les Américains protestent contre cela dans certains milieux. Toutes nos politiques sociales et tout ce qui s'y rattache. À un moment donné, on veut sortir du domaine de l'agriculture. Je pense qu on ne peut l'exclure. La Coopérative fédérée en particulier exporte vers les États-Unis 40 % du porc des producteurs québécois.

Il y a tout un autre secteur d'activité auquel on n'a pas fait beaucoup allusion, mais qui touche directement l'agriculture: Ce sont les échanges monétaires de dollars américains et de dollars canadiens. On pourrait bien dire qu'on négocie le libre-échange et que la question du dollar américain par rapport au dollar canadien pourrait venir tout chambarder du jour au lendemain. Ce sont tous ces facteurs qui feront en sorte, je pense, quand les bases auront été établies, que les négociations entre les deux pays devront être perpétuelles et que nos gouvernements devront se réserver le droit d'intervenir pour protéger leurs agriculteurs dans certaines productions données, s'ils veulent qu'ils survivent; sinon, comme le dit notre mémoire, ce sera la disparition complète de certains secteurs agricoles.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le président. M. le ministre du Commerce extérieur, vous vouliez faire un commentaire?

M. MacDonald: C'est une observation. Je trouve rafraîchissant de vous écouter parler, M. Pelletier, ainsi que vos collègues. Je disais au ministre de l'Agriculture que votre exposé me semble aller dans le gros bon sens.

J'aurais quelques questions, mais je pense que, si vous voulez poursuivre...

M. Pelletier: Non.

M. MacDonald: Non, c'est à nous pour le moment. Si vous en avez une autre...

Le Président (M. Théorêt): Je rappelle tout simplement à la formation ministérielle qu'elle n'a que cinq minutes à sa disposition.

M. MacDonald: Cinq minutes. Questions et réponses. Allez-y.

M. Pagé: Seulement quelques mots pour vous indiquer que nous souscrivons pleinement et entièrement à l'énoncé formulé par M.

Dumais qui dit que, souventefois, dans nos relations avec les Américains, on nous reproche nos régimes d'assurance-stabilisation qui ont la qualité d'être visibles, clairs, transparents et honnêtes, mais qui ont le défaut de paraître.

Si on compare aujourd'hui la contribution du Canada en vertu des régimes d'assurance-stabilisation à celle du gouvernement des États-Unis pour l'aide aux céréaliculteurs, là aussi, il y a une certaine dualité interne aux États-Unis. D'un côté, une volonté exprimée de réduire les subventions à l'agriculture, et de l'autre, l'adoption de mesures très coûteuses pour appuyer leurs exportations, 37 000 000 000 $ pour les céréales seulement pour une année, avec l'effet que cela a chez nous: exemple concret, la tonne d'orge qui se vendait, il y a une dizaine de jours, 65 $, alors qu'elle coûte au-delà de 185 $ à produire. Le fait évidemment qu'ils abaissent leurs coûts de production, les 60 livres sur le porc de 100 livres auquel vous faisiez allusion tantôt et aussi la possibilité qu'ils décident massivement de transformer leurs céréales en porc, quoique, pour la dernière année de production, les prêts autorisés aient permis une croissance quand même limitée de la production du porc là-bas.

Vous touchez aussi un point important et je vous dis qu'on se rejoint encore là-dessus. Il est davantage important que nous bonifions certains rapports, plus particulièrement en ce qui concerne les barrières non tarifaires. Vous faisiez allusion tout à l'heure au harcèlement et aux périodes de quarantaine. Vous faites finalement allusion à toutes sortes de mesures adoptées, il faut en convenir, autant par un pays que par l'autre pour limiter les rapports commerciaux. Je peux vous indiquer que c'est une volonté très claire du gouvernement du Québec, en termes de représentations auprès du gouvernement fédéral, de s'associer à toute démarche visant l'élimination de ces nombreux irritants. Le Québec a aussi son mot à dire et il a commencé à faire des choses en ce que la Conférence des ministres provinciaux de l'Agriculture siège maintenant sur une base régulière avec l'association des ministres des Etats américains. Il y a eu trois rencontres depuis un an et demi et une autre cet automne et c'est l'objectif qui nous mène.

On aurait pu passer encore beaucoup de temps, M. le Président. C'est regrettable, mais je veux vous remercier et vous indiquer qu'on accueille bien vos représentations. Elles ont été pleinement endossées par le gouvernement du Québec dès le mois de janvier 1986 et je peux vous dire que le gouvernement du Québec veille au grain en ce qui concerne les intérêts des agriculteurs et des agricultrices. Merci.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le ministre.

Je cède maintenant la parole au député de Laviolette. (13 h 15)

M. Jolivet: Merci, M. le Président. C'est avec plaisir qu'on vous reçoit ici ce matin et, moi, pour la première fois, comme porte-parole, j'aime mieux parfois dire le mot "porte-parole" officiel de l'Opposition en matière d'agriculture et d'alimentation plutôt qu'autre chose, parce que ça nous permet quand même de critiquer tout en étant parfois plus positifs que négatifs, mais en sachant aussi que l'ambiguïté cause aussi de l'inquiétude. Cette inquiétude-là, je l'ai perçue depuis quelques jours. Je me suis permis, avec mes collègues, de faire une tournée du Québec et j'ai visité les qens sur les fermes. Je suis allé les voir avec les problèmes qu'ils ont en ce qui concerne le grain, les productions ovines ou les productions d'engraissement, l'ensemble des activités. Ils m'ont dit qu'effectivement ils sont inquiets.

Aujourd'hui, le ministre dit: Vous voyez, on n'est pas si loin que cela, la Coopérative fédérée de Québec et nous, le gouvernement, d'une position commune. J'ai entendu cela lorsque j'étais ministre délégué aux Forêts et qu'un autre m'a remplacé, à cause des circonstances, dans le cas du bois d'oeuvre. Les gens disaient: Inquiétez-vous pas, on vous protège comme gouvernement. Qu'est-il arrivé? Peu importe ce qu'ils ont dit, l'activité finale a résulté en un droit compensatoire, en "countervailing" de 15% au Québec des productions de bois d'oeuvre.

Moi, cela m'inquiète, car pendant que le ministre du Commerce extérieur, lors de son laïus d'hier, disait qu'il y avait le maintien d'un statut spécial pour l'agriculture, je n'ai, d'après ce que les gens m'ont dit sur le terrain là, aucunement compris ce que ça voulait dire. Vous avez un travail d'éducation à faire et c'est dans ce sens-là que je veux intervenir. Quelles sont les garanties que le gouvernement actuel, par l'intermédiaire des négociations qui sont entreprises à l'intérieur des discussions du libre-échange, nous donne qu'on protégera l'ensemble des programmes suivants, et je les nomme: la stabilité des revenus et des prix, la protection contre les catastrophes naturelles, le développement de l'agriculture, la sécurité de l'approvisionnement en aliments de qualité, l'ensemble des offices de commercialisation dans les secteurs laitier et avicole, l'assurance-récolte, le crédit agricole, l'ensemble des programmes qui font que l'agriculture, au Québec, puisqu'on va parler de celle-là, est protégée et qui en permettent une meilleure expansion?

Moi, je ne peux pas poser aujourd'hui de questions au ministre pour savoir ce que veut dire le maintien d'un statut spécial. Je

peux peut-être vous demander à vous comment le ministre est capable de dire: Ce que vous proposez ce matin, c'est l'équivalent de ce que lui propose sans savoir exactement ce qu'eux demandent et ce qu'eux veulent protéger., C'est ma première question. Je suis obligé de passer par vous.

M. Pelletier: Je pense bien, M. le député, qu'il n'y en a pas beaucoup autour de la table qui pourraient dire: J'ai une assurance totale de ce qui m'est avancé par le ministre de l'Agriculture ou par n'importe qui d'autre, Si nos positions semblent se rejoindre, ça ne veut pas dire que peut-être je n'ai pas plus d'assurance et le ministre non plus, notre ministre de l'Agriculture, face au débat qui arrive actuellement, car nous ne sommes pas les seuls acteurs, on a des membres, on a des suggestions à faire. Ensuite, il y a d'autres acteurs qui sont en avant de la scène et qui vont décider quelque chose. Nous, ce qu'on demande comme Coopérative fédérée c'est que nos gouvernements, tant canadien que québécois, et notre ministre de l'Agriculture, M. Pagé, qui a été élu par des électeurs québécois pour défendre les électeurs du Québec et les agriculteurs en particulier, parce que c'est son ministère, prennent position, arrive que pourra, pour défendre les intérêts des Québécois.

Je ne peux vous en dire plus, mot, comme représentant de la Coopérative fédérée de Québec. Nous, on va faire notre possible, ensuite, fais ton passible et Dieu fera le reste.

M. Jolivet: Surtout en agriculture, avec la nature.

M. Pelletier: Aussi. Surtout. Parce qu'il n'y a pas de toit, on est à ciel ouvert.

M. Jolivet: C'est ça. Votre organisme propose des choses et indique dans quelle orientation il voit aller les négociations actuelles. Vous dites qu'une abolition généralisée des tarifs douaniers, dans le secteur agricole, aurait un effet dramatique pour bon nombre de vos productions agricoles, pour l'horticulture, pour les fruits et légumes, pour l'ensemble de plusieurs productions. Vous dites aussi en même temps qu'une entente de libre-échange qui remettrait en cause l'ensemble des programmes d'assurance-stabilisation, d'assurance-récolte, aurait pour effet de limiter la capacité du Québec d'intervenir pour soutenir l'ensemble du développement de nos productions et, par le fait même, ça risquerait de déstabiliser de façon très forte, en raison de l'impact de la surproduction américaine sur le marché québécois, l'ensemble de nos productions. Est-ce que vous pourriez donner des exemples qui nous permettraient de bien comprendre votre position là-dessus? On pourrait en prendre pour différentes productions américaines, et si simplement leur surproduction - parce qu'il y a un problème de surproduction là-bas -arrivait sur le marché québécois, ça tuerait complètement notre industrie ici au Québec.

M. Pelletier: M. Dumais va...

M. Dumais: Oui, au fond, je pense que la taille de l'économie américaine étant, au départ, à peu près dans un rapport de 1 à 10 avec l'économie canadienne en général et l'économie agricole en particulier, il tombe sous te sens qu'un accroissement de 10% de leur production à eux équivaut à peu près à toute la production canadienne dans à peu près n'importe quel secteur. On sait fort bien que, lorsque vous avez déjà une base de production importante, et qu'il s'agit d'accroître la production, à partir de cette base-là, de 5% ou 10%, vous ne devez pas refaire tous les investissements. À un moment donné, c'est facile d'ajouter une vache, deux vaches, trois vaches dans l'étable, surtout si le gouvernement vient d'avoir un programme en vertu duquel il vous a payé pour abattre des vaches. Bien! alors, vous avez de l'espace dans l'étable comme ce fut le cas aux États-Unis. Vous en remettez quelques-unes à la place de celles qui sont abattues. Chacun fait ça. Ce qui fait que le coût de production pour ces unités additionnelles, quand l'installation est déjà en place, est extrêmement minime.

Alors, qu'on prenne l'exemple des légumes, qu'on prenne l'exemple du lait, qu'on prenne l'exemple du porc, qu'on prenne l'exemple de la volaille, donc, à peu près toutes les productions agricoles auxquelles on peut penser, dans à peu près tous les cas, il existe des capacités additionnelles de production qui ne sont pas utilisées aux États-Unis et, dans la plupart des cas, un très petit pourcentage d'accroissement là-bas provoquerait une situation où notre marché serait complètement submergé.

M. Jolivet: Vous savez très bien que, si j'ai posé la question, c'est parce que, compte tenu que vous êtes ici et que la télévision va permettre à des gens de comprendre le message, à des gens qui vont nous lire, c'est un problème majeur. Vous indiquez que, si on devait y arriver en termes de négociations, peut-être que le GATT serait un lieu plus privilégié que les discussions actuelles sur le libre-échange. Je terminerais, parce que je sais que le temps est limité, par une dernière question. Donc, vous me direz d'abord pourquoi vous privilégeriez plutôt le GATT que les discussions actuelles. Ensuite, sur le tribunal binational, paritaire et décisionnel dont vous faites mention dans votre document en page 6 et eu égard à la

discussion qu'on a eue ce rnatîn avec M. Parizeau et M. Pettigrew qui mettent en doute cette possibilité, j'aimerais connaître vos commentaires.

M. Dumais: Écoutez, le tribunal binational, décisionnel, paritaire dont on revendique la création, beaucoup de gens se demandent si c'est une possibilité tangible, une possibilité réelle. Evidemment, c'est comme dans toute négociation. Lorsqu'on arrive à la table des négociations, on ne sait pas, avant de commencer à discuter, quelle sera la réaction de l'autre partie, mais on ne le saura jamais si en même temps on ne met pas sur la table ce qu'on veut. Si vous me demandez d'évaluer les probabilités que les Américains acceptent ça, c'est une tout autre question que celle de savoir si on aimerait que ça existe. Alors, étant donné qu'on venait ici pour dire ce qu'on voudrait, on a dit: on la voudrait, cette affaire-là.

Si, au bout du compte, les négociateurs n'ont rien à déposer en cette matière, étant donné que tout le débat du libre-échange, depuis le départ, était une tentative de libéralisation des échanges en vue de garder notre accès au marché américain et étant donné que le principal exemple qu'on a toujours invoqué pour signaler que notre accès au marché américain était en danger était les tarifs compensatoires qu'imposent périodiquement les Américains, si on ne décroche rien à ce niveau-là, je pense que le gouvernement aurait besoin d'avoir de drôles de bons éléments ailleurs pour nous faire accepter une telle situation.

Donc, est-ce que cette chose-là, il sera possible de l'obtenir? Tout le monde spécule là-dessus. Est-ce qu'on le veut? Oui, on le veut et on l'a dit. Alors, cela, c'est le deuxième volet de votre question.

Le premier volet: Est-ce qu'on favoriserait plus une négociation multilatérale, c'est-à-dire dans le cadre du GATT, qu'une négociation bilatérale avec les Américains? Je pense que, de ce côté-Ià, dans le mémoire, on a bien signalé que, selon nous, ces deux démarches-là ne sont pas exclusives, mais qu'elles peuvent aller de pair. C'est bien sûr qu'il y a des choses qui ne pourront se régler que dans un contexte multilatéral, entre autres, mettre fin à la guerre commerciale qui appose actuellement les États-Unis et la Communauté économique européenne, et à tous les programmes de subventions à l'exportation que mettent en place ces pays-là. C'est bien sûr que cela ne se réglera pas dans le cadre de discussions entre le Canada et les États-Unis.

Cependant, il y a peut-être des choses que l'on peut faire avec les Américains et on les a indiquées dans notre mémoire, compte tenu que nous, on est directement actifs comme exportateurs et qu'an n'a pas à vivre quotidiennement les conséquences du harcèlement qu'on subit. Pour le public, souvent, ce sont des mots, mais pour l'opérateur qui vend du porc par la Coopérative fédérée aux États-Unis, un bon matin, son chargement de porc est à la frontière et puis il est bloqué. Qu'est-ce qu'on fait avec cela? Alors, ce ne sont plus des problèmes théoriques lorsqu'on est dans une situation comme celle-là. S'il y avait un moyen d'éviter cela, quand le chargement part, qu'il a été acheté et qu'il se rend au bout de la chafne, on aimerait bien cela. C'est peut-être ce sur quoi on pourrait avancer en continuant des pourparlers avec les Américains.

Le Président (M. Théorêt): Je vous remercie. Je sais que M. le président Pelletier veut ajouter quelques mots. Vous avez une minute M. Pelletier pour continuer...

M. Pelletier: Merci, M. le Président. C'est tout simplement un dernier commentaire. Je ne sais pas s'il y en a plusieurs qui ont lu, dans le Bulletin des agriculteurs, le journaliste Rénald Bourgeois qui a écrit, à un moment donné, après avoir fait une tournée aux États-Unis, que trois ou quatre firmes américaines produisaient autant que toute l'agriculture québécoise. Si au Québec, on véhicule encore partout qu'on veut une ferme familiale, qu'on veut un modèle de ferme familiale, alors, si on veut véritablement une ferme familiale, il faut lui donner les moyens de subsister. Il faut donner à ces familles-là le moyen de vivre et je pense qu'au Québec, depuis quelques années, on a précisé un certain choix de société. Alors, nous, la Coopérative fédérée, on favorise encore ces dites fermes familiales et on croit que, pour une société comme le Québec, il est important au niveau social que l'agriculture demeure entre les mains de nos familles québécoises. C'est pour cela que nous voulons que nos gouvernements soient là pour nous appuyer. Merci, M. le président.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le président et, au nom des membres de la Commission de l'économie et du travail, nous vous remercions de votre présence et vous souhaitons un bon voyage de retour.

Nous suspendons les travaux jusqu'à 15 heures cet après-midi.

(Suspension de la séance à 13 h 28)

(Reprise à 15 h 1)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission de l'économie et du travail reprend, cet après-midi, ses travaux

relatifs à la consultation générale en ce qui atrait à la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.

Nous accueillons, maintenant, le Regroupement avicole du Québec. Messieurs,, bienvenue à la commission de l'économie et du travail. Je vous rappelle que vous avez au total une heure pour la présentation et la discussion du mémoire. Donc, 20 minutes pour la présentation initiale; le reste du temps est réparti équitablement entre les deux formations politiques pour la discussion avec vous.

Alors, je crois que le président est M. Nadeau; est-ce cela?

M. Nadeau (Réjean): C'est cela.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Nadeau, voulez-vous nous présenter les gens qui vous accompagnent et, par la suite, commencer immédiatement votre présentation.

Regroupement avicole du Québec

M. Nadeau: Les gens à la table ici sont: à ma gauche, M. André Pilon, de l'Association professionnelle des meuniers du Québec; à ma droite, M. Rosaire Baril de la Fédération des producteurs de volailles du Québec; à l'extrême droite, M. Bernard Dufour des Couvoiriers du Québec.

M. le Président, Mmes et MM. les députés, nous vous remercions de permettre au Regroupement avicole du Québec de vous donner sa position concernant le libre-échange, mais davantage sur le maintien des tarifs compte tenu des déclarations qui ont été faites un peu partout nous rassurant concernant la protection des systèmes de gestion des approvisionnements.

L'industrie avicole canadienne fonctionne sous un système de gestion des approvisionnements. Ce système a permis d'atteindre, dans toutes les productions avicoles, une stabilité et une productivité dont ont bénéficié autant les producteurs que les consommateurs. De fait, les plus récentes données publiées par Statistique Canada démontrent que le prix au consommateur des produits contingentés durant la période 1975 à 1987 ont augmenté, en moyenne, moins rapidement que le prix des produits non contingentés. De plus, la variation des prix au producteur fonctionne selon l'évolution d'une formule des coûts de production, laquelle est sujette à une surveillance publique par divers organismes.

Finalement, le développement de l'industrie avicole se fait sans aucune forme d'aide des paliers de gouvernement, tout en assurant aux consommateurs des produits de qualité à un prix raisonnable. Nous croyons que le système des approvisionnements forme un tout et qu'abandonner une de ses composantes met en péril toute la structure. C'est dans cet esprit que nous soumettons le présent mémoire visant à maintenir l'existence des tarifs douaniers en aviculture.

Le ministre de l'Agriculture du Canada, l'honorable John Wise, a précisé clairement, dans le contexte des négociations commerciales canado-américaines, que le gouvernement canadien s'était engagé fermement à maintenir les systèmes de gestion des approvisionnements et leurs fondements inhérents. Le 17 mars 1987, il disait ce qui suit dans le cadre des débats de la Chambre: "Le gouvernement s'est très clairement engagé à savoir que l'on n'aborderait pas la question des systèmes de gestion des approvisionnements qui prévalent au pays et, dans cet ordre d'idées, si l'on comprend les raisons et l'histoire entourant les divers offices de commercialisation qui existent au pays, il faudra maintenir certaines bases inhérentes de sorte qu'ils soient, en mesure de continuer à fonctionner efficacement. Je fais donc ces commentaires en reconnaissant le fait que si ces fondements sont nécessaires au maintien de l'efficacité des offices de commercialisation et de leur utilisation continue par les producteurs, les transformateurs et les consommateurs, ils devront, bien entendu, demeurer en place."

II est devenu également apparent, par le biais des autorités du Bureau des négociations commerciales, que les tarifs n'étaient pas considérés comme partie intégrante de ces fondements et que les négociateurs jugeaient que leur abolition constituait une priorité. Le contenu des lignes qui précèdent a soulevé bon nombre de préoccupations au sein de l'industrie avicole du Québec et, par conséquent, un groupe de représentants des industries concernées s'est réuni dans le but d'étudier et de discuter la question des tarifs. Qui compose ce groupe de représentants de l'industrie avicole du Québec?

Ce regroupement représente les intérêts des producteurs d'oeufs d'incubation, de poulets, de dindons et d'oeufs du Québec, les couvoirs, les usines de transformation de poulets et de dindons ainsi que les surtransformateurs. L'industrie contribue activement et de façon importante à l'économie canadienne, offrant directement au Québec de l'emploi à plus de 4500 personnes, réalisant des ventes à la ferme de plus de 400 000 000 $ et des ventes, au niveau de la transformation et de la surtransformation de 1 000 000 000 $.

Cette activité économique qui profite également aux manufacturiers de moulées qui vendent environ 1 000 000 de tonnes métriques de moulée par année aux manufacturiers d'autres intrants comme les produits chimiques agricoles, la machinerie, les bâtiments, les matériaux d'emballage, et

au secteur des industries de services.

La protection tarifaire est une composante essentielle des systèmes canadiens de gestion des approvisionnements d'oeufs et de volailles. Les coûts associés au produit brut et à la transformation ont, dans cette industrie, évolué dans le cadre d'un système ordonné qui appuie les objectifs de politique publique rattachés à la gestion des approvisionnements et autres programmes sociaux.

En termes simples, l'industrie canadienne est désavantagée d'un point de vue concurrentiel par rapport à sa contrepartie américaine qui a évolué différemment. Il est impossible de maintenir la gestion des approvisionnements et les contrôles qui s'appliquent aux importations, sans maintenir d'abord la protection tarifaire. Le résultat de l'abolition des tarifs se traduirait par une stagnation immédiate et une importante détérioration éventuelle de l'industrie canadienne.

Quelle importance revêt donc la protection tarifaire pour l'industrie de la production d'oeufs et de volailles du Québec? Les organisations qui appuient les énoncés du présent mémoire sont unanimes à dire que l'abolition des tarifs serait largement nuisible à leur secteur particulier ainsi qu'à l'ensemble de l'industrie, bien entendu.

Ce qui suit décrit bien les conséquences du retrait des tarifs sur chacun des secteurs de la production d'oeufs et de volailles au Québec.

Les secteurs de la transformation et de la surtransformation de la volaille. Il s'agit des secteurs qui seront les premiers touchés et les plus affectés par l'abolition des tarifs. Le niveau tarifaire est, ad valorem, de 12,5 % pour les produits de volaille transformée (minimum de 0,11 $ le kilo et un maximum de 0,22 $ le kilo), les repas congelés du genre TV-dinner étant à 17,5 %.

Un autre point important à considérer est que certains produits de volaille surtransformée sont assujettis aux tarifs, mais exempts des contrôles sur les importations. Bien que la liste d'exemptions soit plutôt courte et comprenne des articles tels que les repas congelés, le poulet cordon bleu, le poulet accompagné de pommes et d'amendes, elle peut être allongée au gré du gouvernement.

Au cours des dernières années, le secteur de la surtransformation a connu une croissance considérable et devrait continuer sur cette voie. Il a fourni l'élan requis à la croissance de la production dans le cas de toutes les denrées à base d'oeufs et de volailles.

En supposant l'abolition des tarifs et que le secteur en question poursuive ses opérations aux coûts actuels, il y aura sans doute stagnation des activités du secteur de la surtransformation au Canada. Éventuelle- ment, ce secteur serait appelé à y restreindre ses activités et à les transporter aux États-Unis, dans le but précis de transformer, pour le marché canadien, ces produits exemptés.

Puisque le secteur de la surtransformation représente actuellement environ 20 % du marché canadien et que cette part devrait atteindre 40 % d'ici l'an 2000, l'effet du retrait des tarifs sur ce secteur se fera sentir jusqu'aux transformateurs primaires qui lui fournissent le produit éviscéré dont il a besoin. En retour, cela contribuera à l'augmentation des coûts par unité dans ledit secteur et entraînera la fermeture éventuelle de ces usines incapables de survivre sur un marché restreint.

La production primaire. Le poulet vivant est, pour sa part, assujetti è un tarif de l'ordre de 0,044 $ le kilo. Le dindon est protégé par un tarif ad valorem de 5 %, alors que les oeufs en coquilles le sont par un tarif de 0,035 $ la douzaine. Étant donné que ces denrées continueront d'être protégées par les contrôles imposés sur les importations, le retrait des tarifs ne fera que rendre plus profitable l'importation de produits vivants pour les détenteurs de contingents d'importations globales, au détriment concurrentiel de ceux qui ne détiennent pas de contingents.

Plus important encore, la stagnation et le déclin des secteurs de la transformation et de la surtransformation à la suite de l'abolition tarifaire se feront sentir sur les secteurs de la production appelés à restreindre leurs activités. Ainsi, il y aura augmentation des coûts par unité et l'industrie canadienne sera encore moins concurrentielle qu'elle ne l'est actuellement vis-à-vis de l'industrie américaine.

Les oeufs d'incubation et les couvoirs. Les oeufs d'incubation sont protégés par un tarif de 0,035 $ la douzaine, alors que la protection des poussins est de l'ordre de 0,02 $ la tête. Ni les oeufs d'incubation ni les poussins ne sont assujettis au contrôle des importations et les niveaux d'importations se situent actuellement autour de 16 % de la production d'oeufs d'incubation au Québec, alors que les importations de poussins englobent environ 3 % de la production locale.

En plus des répercussions occasionnant une réduction des marchés d'oeufs d'incubation et des poussins, effet découlant d'une perte au niveau de la surtransformation, de la transformation primaire et de la production, il est prévisible que sans tarif, l'avantage accru des importations obligera les producteurs et les couvoirs à recourir de plus en plus à ces-dites importations, compte tenu d'une réduction d'efficacité à la suite de la chute des niveaux de production.

Conclusion, M. le Président. La gestion des approvisionnements au sein des industries canadiennes de la production d'oeufs et de volailles a été créé dans le but de répondre à certains objectifs de politiques publiques, à savoir la protection et le maintien de la ferme familiale, la stabilisation de la production et des prix, un rendement raisonnable pour les producteurs et le maintien des installations de production et de transformation à l'échelle du Canada.

En répondant à ces objectifs et en fonctionnant dans le cadre global des programmes sociaux canadiens, cette industrie connaît un désavantage concurrentiel par rapport aux États-Unis. Le ministre de l'Agriculture du Canada a précisé que la gestion des approvisionnements et ses bases inhérentes seraient préservées dans le cadre de toute entente commerciale canado-américaine, probablement parce que les objectifs de politiques mentionnés plus haut continuent de revêtir une importance capitale pour le Canada.

Le contrôle des importations et la structure tarifaire actuelle sont des bases nécessaires à la gestion des approvisionnements d'oeufs et de volailles et doivent être maintenus pour assurer la viabilité que nous connaissons aujourd'hui au sein de l'industrie ainsi que notre croissance dans l'avenir.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Nadeau. M. le ministre.

M. MacDonald: M. Nadeau, merci de votre présentation. Je ne peux faire appel à aucune prétention d'expertise en matière d'agriculture. Alors, je vais laisser le gros des questions à mon collègue, M. Pagé.

Cependant, si j'ai bien compris votre position, vous n'êtes pas intervenu au comité Warren, car vous ne le saviez pas à ce moment-là et vous vous fiiez sur votre interprétation des paroles de M. Wise, à savoir que rien n'était discuté; mais vous avez appris, à un moment donné, que les tarifs pourraient être un sujet de discussion. Je comprends votre position: Vous ne voulez pas que cela bouge ni sur le plan des programmes de stabilisation, ni sur les programmes de mise en marché, ni sur la question des tarifs.

Cependant, dois-je comprendre qu'à l'exemple d'autres producteurs vous voyez définitivement une valeur à discuter avec nos partenaires américains des questions de subventions directes à l'exportation ou des questions techniques comme, par exemple, les questions de santé, de vérification, c'est-à-dire une harmonisation des politiques canadiennes et américaines sur ce plan?

Le Président (M. Charbonneau): M.

Nadeau.

M. Nadeau: Si vous regardez les signataires du document, vous verrez qu'il provient de plusieurs associations et de plusieurs intervenants. Donc, la seule position qui peut être présentée aujourd'hui, c'est celle contenue dans le mémoire. En dehors de cela, je ne pourrais pas parler au nom des différents intervenants dans le dossier. (15 h 15)

M. MacDonald: L'alternance.

Le Président (M. Charbonneau): Cela va. M. le député de Laviolette.

M. Jolivet: Cela ne me dérange pas que le ministre...

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de l'Agriculture.

M. Pagé: Merci, M. le Président. Je veux évidemment souhaiter la bienvenue à MM. Dufour, Baril, Nadeau, Pilon et Pelletier. Comme on le sait, la production avicole au Québec est très importante et a, comme vous l'avez bien indiqué dans votre mémoire, un impact économique dans chaque région du Québec, encore une fois; une production, cependant, qui fait l'objet d'une concurrence régulière et constante évidemment des Etats-Unis, une production qui ne pourrait pas être l'objet d'une libération complète et sans condition, etc., des échanges entre les États-Unis et le Canada, parce qu'on serait susceptibles d'être placés assez rapidement dans une situation de vulnérabilité.

Qu'il suffise de se référer au fait qu'aux États-Unis c'est 14 fois plus de volailles qu'au Québec, 74 fois plus de poules pondeuses. Si on se réfère à la production en tonnes, c'est 44 fois plus de productions aux Etats-Unis qu'au Québec, c'est 868 fois plus de productions d'oeufs aux États-Unis qu'au Québec. Donc, on risquerait d'être placés devant une situation très difficile pour notre industrie.

Vous étiez ici ce matin lorsque j'ai très clairement indiqué au nom du gouvernement notre position: On ne peut pas au Canada négocier quelque accord qu'il soit, remettant en cause le principe de nos agences nationales de commercialisation de nos produits et de mise en marché de nos produits. Si on a atteint un niveau de performance exceptionnelle, c'est particulièrement en raison de telles structures qu'on s'est données. C'est pourquoi notre approche a consisté à sécuriser nos productrices, nos producteurs, à formuler des exigences très claires.

On a tous les motifs de croire que les représentations du Québec, comme celles évidemment des gouvernements des autres provinces, et celles aussi formulées par les productrices et producteurs agricoles du

Québec, dont les secteurs importants comme le vôtre, on a tous les motifs de croire, dis-je, que ces représentations auront été non seulement écoutées, mais valablement reçues par le gouvernement canadien.

Cependant, vous faites référence dans votre mémoire à toute la question de l'accès au marché canadien de poulets en provenance des États-Unis. Quand on a un niveau de production aussi massif que celui des États-Unis, évidemment, un marché comme le nôtre est important, même s'il est limité en pourcentage.

Ma première question est: Pourriez-vous m'indiquer si vous avez mesuré concrètement quel serait l'impact, non seulement en volume, mais surtout en terme d'impact auprès des entreprises canadiennes et notamment des entreprises québécoises, parce que c'est là que se situe notre niveau de défense et de représentation comme gouvernement du Québec, l'impact de l'augmentation des quotas d'importation de 1 %?

M. Nadeau: De combien? M. Pagé: 1 %.

M. Nadeau: Après un calcul rapide avec Serge, chaque pourcentage d'entrées supplémentaires représente 3 % de la production du Québec.

M. Pagé: 3 % de notre production est ainsi affectée. Le poulet est acheminé, évidemment, vers des entreprises d'ici. Comment réagissez-vous devant le concept d'une modification au quota d'importation qui permettrait à l'agence nationale canadienne de contrôler l'affectation du quota d'importation, concept du premier receveur?

M. Nadeau: Il s'agit d'un principe ou d'un concept qui a déjà été discuté et qui, tout au moins en ce qui concerne la production de la volaille, fait l'objet d'un consensus, je pense, entre l'Association des abattoirs avicoles du Québec et la Fédération des producteurs de volailles.

M. Pagé: Et au niveau canadien?

M. Nadeau: Il s'agit, encore là, d'un concept qui a déjà été accepté en principe, mais ayant été discuté récemment lors d'une réunion au niveau national avec le pendant, si vous voulez, de l'Association des abattoirs, le Conseil canadien des transformateurs d'oeufs et de volailles, il est demeuré là comme position déjà prise, mais il y a eu de l'opposition de la part d'une ou deux entreprises de l'Ontario pour le réaffirmer.

M. Pagé: C'est donc dire, si je comprends bien, que vous faites vôtres les représentations ou les demandes qui ont été formulées dans le cadre général, c'est-à-dire le maintien des agences, mais vos préoccupations portent plus particulièrement sur les quotas d'importations de poulet américain. À défaut d'un tel gel, croyez-vous que l'acceptation de ce concept de premier receveur pour la distribution du quota serait susceptible d'amoindrir le mal ou le contrecoup d'une augmentation substantielle des quotas?

M. Nadeau: C'est sûr que le concept du premier receveur équilibre les chances dans toute l'industrie, entre les différents intervenants. Par contre, pour le producteur, il y a un impact en diminution de production.

M. Pagé: D'accord. Une dernière question. Avez-vous déjà songé à la possibilité d'établir au niveau canadien un double prix dans le poulet?

M. Nadeau: Qu'est-ce que vous entendez par "double prix"?

M. Pagé: Le prix à l'exportation et le prix au marché national canadien.

M. Nadeau: Des tentatives, des exportations ont été faites au Québec. Cela ne s'est pas fait au niveau canadien comme tel. Que je sache, il n'y a pas eu de discussion au niveau canadien.

M. Pagé: C'est quand même un élément. Les politiques de double prix ont parfois des rôles utiles pour les producteurs. Qu'il suffise de se référer au lait notamment, où on a quand même un double prix, et à une situation où, comme pour la production en aviculture, on est tellement susceptible d'être affecté par le géant qu'est notre voisin, les États-Unis. Je dois exprimer ma surprise de constater qu'au niveau canadien cela ne se soit pas déjà discuté et que ce ne soit pas une carte qu'on puisse garder dans notre manche éventuellement.

M. Nadeau: C'est-à-dire qu'on est tellement désavantagés, dans notre situation au niveau concurrentiel par rapport aux États-Unis, que c'est très difficile. Il faudrait un écart de prix très grand.

M. Pagé: D'accord. Je reviendrai pour d'autres commentaires, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Laviolette.

M. Jolivet: Merci, M. le Président. Bonjour à M. Nadeau et à ceux qui l'accompagnent. Comme porte-parole de l'Opposition en matière d'agriculture, il me

fait plaisir de pouvoir discuter avec vous, mais en même temps essayer de permettre aux gens qui suivent nos débats de comprendre un peu l'ensemble de la problématique de votre important secteur.

Si je comprends l'ensemble de votre mémoire, on dit que cette industrie avicole canadienne fait fonctionner un système qui a permis, et on l'a vu dans l'ensemble de la gestion des approvisionnements, la mise en place d'une certaine stabilité qui est profitable non seulement à l'ensemble des producteurs mais aussi des consommateurs.

Dans ce contexte, on sait qu'une des craintes que vous avez, et vous l'exprimez en page 2 de votre document, c'est que l'abandon de tarifs douaniers mette en péril toute la structure des approvisionnements de votre secteur. Vous avez fait mention de la décision du ministre fédéral de l'époque, M. Wise, qui indiquait - vous le mentionnez en page 3 - qu'il était d'accord pour maintenir les systèmes de gestion des approvisionnements, mais qu'il n'y avait rien de sûr quant aux tarifs. .

On sait aussi qu'il est, par le fait même, impossible de maintenir la gestion des approvisionnements et les contrôles des importations sans d'abord maintenir la protection tarifaire. Dans ce contexte, si on parlait d'abolition de tarifs, on sait que les secteurs qui seraient affectés, tels que la transformation et la surtransformation de la volaille, en arriveraient à faire en sorte qu'il y aurait une stagnation quant aux activités et possiblement un déménagement potentiel vers les États-Unis. Quant à la production du secteur primaire, si un secteur de transformation décline, il va y avoir des effets de damier, si on peut les appeler ainsi, de l'un à l'autre et, par le fait même, il y aurait augmentation des coûts par unité et moins de possibilités de concurrence.

Quant aux oeufs d'incubation et de couvoirs, on sait que cela amènerait plutôt la chute des niveaux d'efficacité et possiblement le recours aux importations. Dans un contexte où on prend comme position que la discussion a eu lieu, que les accords ont existé, on en arrive à la situation suivante: Malgré toutes vos représentations, cela ne fonctionne pas et les gouvernements canadien et du Québec l'appuyant décident de passer outre à vos craintes. Est-ce que vous pourriez m'indiquer ce qui se passerait, quelles seraient les possibilités d'en arriver à une phase de transition qui, sans être bénéfique parce qu'il va y avoir des plumes qui vont être - sans jeu de mots - enlevées quelque part, serait... Si l'abolition des tarifs se faisait sur une période de plusieurs années, est-ce que ce délai de transition vous permettrait à ce moment-là de devenir plus concurrentiels? Je vais accrocher ma question à un autre texte que vous donnez à la page 9. J'aimerais que vous l'expliquiez davantage pour les gens qui vont nous lire et qui vont nous écouter. Qu'est-ce qui fait que votre industrie connaît un désavantage concurrentiel par rapport aux États-Unis?

M. Nadeau: D'abord, je pense que cela a été mentionné un peu ce matin. II y a la question du volume. On sait très bien que notre population représente à peu près 10 % de celle des États-Unis. Donc, les Américains ont des économies d'échelle importantes. Souvent un plan aux États-Unis pourrait fournir tout le Québec, alors qu'ici c'est une dizaine d'usines.

L'ensemble - j'y fais référence - du cadre de nos programmes sociaux au Canada et au Québec font en sorte que c'est bien différent du point de vue de la concurrence possible avec les États-Unis. Qu'on pense seulement à toutes les lois, les lois sociales, l'assurance-chômage, les lois sur le travail, sur le salaire minimum, sur l'assurance-maladie, etc. Ces lois font en sorte que les coûts sont très différents. La situation de la production elle-même, les ingrédients, les coûts d'énergie pour produire un poulet... Il y avait une industrie américaine dans le nord des États-Unis, dans la région du Maine, etc., jusqu'à il y a quelques années... Elle est disparue pour aller vers le sud où c'est plus économique de produire. Donc, ce sont des facteurs auxquels je faisais référence.

M. Jolivet: La période de transition, le délai...

M. Nadeau: C'est très difficile. Est-ce qu'il y aurait ajustement? C'est hypothétique. Est-ce que, parallèlement à une période de transition, il pourrait y avoir ajustement de ces programmes? C'est une grande question. Est-ce que cela peut se faire? Est-ce que les Québécois sont prêts à cela? Je ne le sais pas. (15 h 30)

M. Jolivet: Je reviens à ma question d'abolition des tarifs. Admettons comme hypothèse de discussion que le libre-échange est accepté, qu'il y a abolition des tarifs. Vous dites qu'il ne faudrait pas les faire disparaître, sinon on va avoir de gros problèmes. Est-ce que vous pensez qu'une période de transition sera nécessaire ou si d'après vous avec ou sans période de transition on ne passera pas à travers et le secteur au complet va être affecté?

M. Nadeau: À court terme, la période de transition aiderait certainement, sauf qu'on pense être affectés de toute façon.

M. Jolivet: Peu importe ce qui va arriver, vous allez être affectés?

M. Nadeau: Oui. S'il y a une période de transition, cela peut être plus facile, sauf

que cela va nous affecter quand même.

M. Jolivet: Dans votre désavantage concurrentiel, à moins que je n'aie mal compris, vous n'avez pas parlé du transport. Est-ce que cela fait un gros effet à l'intérieur de vos différences?

M. Nadeau: Le transport? M. Jolivet: Le transport, oui. M. Nadeau: Non. M. Jolivet: Non.

M. Nadeau: Ce n'est pas sur cette partie-là.

M. Jolivet: Si on imposait des contrôles à l'importation des oeufs d'incubation, est-ce que par le fait même il y aurait possibilité de réduire à ce moment l'impact qui, d'une façon ou d'une autre, va être néfaste, et de mieux assurer votre production ici au Québec?

M. Nadeau: Je vais demander au représentant des oeufs en incubation de vous répondre.

M. Dufour (Bernard): Si avec les oeufs d'incubation, on fait les poussins pour fournir les producteurs qui, à leur tour, fournissent les transformateurs, et s'il y a une diminution de la transformation, automatiquement on a besoin de moins de poussins sur le marché pour produire les poulets. Ce qui veut dire que du fait même une limitation des importations des oeufs d'incubation n'a pas d'influence à ce niveau.

M. Nadeau: Pour les couvoirs, il y a Mme Mercier qui représente les oeufs d'incubation.

Mme Mercier (Martine): Excusez, je ne suis pas habituée de venir dans ces affaires-là. En ce qui a trait aux producteurs d'oeufs d'incubation, on demande le contrôle des importations depuis plusieurs années. L'office a été proclamé l'année passée et cette année on fait la demande vraiment du contrôle des importations. Si toutes les levées des tarifs douaniers se faisaient premièrement, on n'aurait sûrement pas le contrôle des importations et deuxièmement, ce serait l'abolition de notre industrie. On en est certains. On n'a qu'à voir depuis les dernières années à quel rythme va l'augmentation des importations. Le fait d'avoir un contrôle des importations, à notre avis, va rassurer l'industrie avicole et on n'a qu'à penser au drame qu'il y a eu l'été passé aux Etats-Unis quand il y a eu une rareté d'oeufs et de poussins. Plusieurs des producteurs se sont plaints de la qualité des poussins venant des Etats-Unis. Je pense qu'en gros cela justifie nos demandes et notre crainte que ces levées de tarifs se fassent.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de l'Agriculture,

M. Pagé: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier le Regroupement avicole du Québec de sa présentation cet après-midi et leur faire part que, pour ce groupe comme pour la très grande majorité des groupes, sinon tous les groupes, la position du gouvernement du Québec coïncide très clairement avec les attentes, les représentations et les demandes des intervenants en agriculture au Québec. Votre production est importante chez nous. Je peux vous dire et vous indiquer très clairement ceci: Compte tenu de la situation très vulnérable dans laquelle on se retrouverait dès le moment où on changerait quelques règles aussi minimes soient-elles entre le Canada et les États-Unis, il ne faut pas, comme on dit chez nous, se faire de cachette. Les États-Unis, c'est un grand pays; c'est un pays où on a une production importante. Qu'il suffise seulement de dire ceci pour le bénéfice de mes collègues et de celles et de ceux qui nous écoutent: II y a des entreprises comme la compagnie Con Agro Inc. aux États-Unis qui possède 18 établissements d'abattage, qui abattent 473 200 000 têtes par année. Cette production représente cinq fois le total de la production québécoise, une seule entreprise là-bas. En 1984, les quatre plus grandes entreprises américaines d'abattage de poulets exploitaient 41 établissements et contrôlaient 33,7 % des abattages avec 1 400 000 000 de têtes, seulement dans ces entreprises.

Dans le secteur des oeufs, la compagnie Cargil Inc. possède 10 000 000 de poules pondeuses, soit trois fois le nombre de poules pondeuses, soit trois fois le nombre de poules pondeuses au Québec qui est de 3 776 000. On dénombre aux États-Unis 1 000 000 de poules pondeuses. Vous pouvez vous imaginer le volume de production à côté de chez nous, conjugué avec une concentration des usines de transformation particulièrement dans le sud des États-Unis, où les avantaqes comparatifs au Canada et au Québec sont nettement en leur faveur avec un niveau de rémunération, comme on le constate, moins élevé, un coût social ou des déboursés pour les avantages sociaux beaucoup moins élevés qu'ici, tant et si bien qu'on pourrait être placés dans une situation très grave pour l'industrie.

Les représentations que j'ai faites, comme ministre de l'Agriculture, auprès du gouvernement canadien, auprès de mes collègues des autres provinces et,

particulièrement, auprès du ministre fédéral, M. Wise, et celles des autres membres du Conseil des ministres dans le cadre de leurs obligations respectives, vont dans le sens d'une protection qu'on veut la plus rigoureuse de nos acquis en aviculture. Pour nous, la protection tarifaire est absolument essentielle et fondamentale au succès et à la mise en place de quelque agence nationale de commercialisation que ce soit. Â cet égard, noua vous disons merci de votre présence, aujourd'hui. Nous vous appuyons. Nos représentations vont pleinement dans le sens de vos intérêts et nous sommes bien sensibles à toute cette question de l'augmentation des quotas d'importation.

Comme le savez, l'agriculture est de juridiction partagée entre le gouvernement fédéral et les provinces. Donc, même si on est sécurisés au niveau des agences nationales de commercialisation, même si on est sécurisés en ce qui concerne la limitation des importations, on doit bien avoir à l'esprit qu'en ce qui me concerne, comme ministre, toute augmentation des quotas d'importation devra passer par un consensus et aussi, particulièrement, par une analyse très rigoureuse des impacts que cela aura dans notre économie, dans vos industries, dans vos entreprises et dans nos régions du Québec. Merci d'être venus, Mme Mercier et messieurs. J'ai été bien heureux de vous saluer et de vous rencontrer.

M. Nadeau: Merci beaucoup.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Roberval.

M. Gauthier: Oui, merci, M. le Président. Premièrement, je voudrais affirmer au nom de notre formation politique que la nécessité, je pense, de protéger l'agriculture sous toutes ses facettes est maintenant démontrée et qu'elle a toujours été démontrée. Votre témoignage d'aujourd'hui ne fait que renforcer cette opinion qui était la nôtre.

J'aurais deux petites questions. Vous excuserez mon ignorance sur ces sujets. Les producteurs du Québec sont-Us plus vulnérables? On sait que l'agriculture et l'industrie agricole, qui n'échapppent pas évidemment à cette loi, sont sujettes à différents systèmes de subventions, de soutiens gouvernementaux. J'aimerais savoir si l'industrie avicole au Québec est plus ou moins ou aussi vulnérable à un éventuel accord de libre-échange que l'industrie avicole hors Québec, c'est-à-dire ailleurs au Canada? Y a-t-il des différences entre les deux secteurs?

M. Nadeau: Vous adressez-vous à l'industrie ou à la production? La question porte-t-elle sur la production ou sur l'industrie en général?

M. Gauthier: Globalement. La production, d'une part et on pourra voir ensuite la transformation.

M. Nadeau: Je serais porté à dire qu'il n'y a pas tellement de différence, en tout cas en ce qui regarde l'Ontario et le Québec puisqu'il y a un mouvement presque similaire au nôtre qui se dessine en Ontario et avec les mêmes préoccupations et les mêmes demandes. Est-ce qu'on serait plus susceptibles d'être affectés? Peut-être, dans le sens que, au Québec, on a 31,2 %, je crois, de la production canadienne, alors qu'on n'a pas la population correspondante. Est-ce qu'on l'est plus? C'est difficile à dire. En fin de compte, toutes les provinces font les mêmes représentations et il n'y a pas de subvention nulle part, qu'on sache.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Nadeau, est-ce qu'il serait possible de parler un peu plus fort, s'il vous plaît, de parler plus dans le micro?

M. Nadeau: D'accord.

M. Gauthier: Si je comprends bien votre réponse, il n'y a pas eu d'études comparatives poussées, de fait, entre les différents secteurs du Canada, sauf que, somme toute, il y a une même revendication commune. Donc, on peut supposer à partir de là que l'état de vulnérabilité est à peu près le même dans les différents secteurs du Canada.

Deuxième question. On sait très bien qu'un accord sur un commerce sans frontières, en quelque sorte, évidemment, oblige les gouvernements à regarder de façon très précise l'état des subventions ou l'appui apporté à une industrie.

On sait également que les gens qui auront à arbitrer un éventuel accord de libre-échange, s'il finit par y en avoir un, devront évaluer très sérieusement les niveaux de subventions, entre guillemets, accordées à différents secteurs. Est-ce que votre regroupement - ou peut-être que je devrai poser la question à l'UPA plus tard - a des données concernant l'aide gouvernementale, non pas ici au Canada, parce que vous avez évidemment ces chiffres, mais aux États-Unis? À un moment donné, si jamais vous êtes inclus dans un accord de libre-échange, ne serait-ce que partiellement, les gens devront tenir compte de cela. Est-ce que vous avez des données sur l'aide gouvernementale aux producteurs et aux transformateurs aux États-Unis?

M. Nadeau: Je ne suis pas un spécialiste, mais je ne crois pas qu'il y ait d'aide directe aux États-Unis, sauf comme on

l'a dit ce matin dans le domaine des grains. Si on reprend la position de M. Dumais ce matin, pour ce qui est de la production végétale, il y aurait de l'aide aux Etats-Unis.

M. Gauthier: Donc, la conclusion que je tire de cette réponse que vous me donnez, c'est que s'il y avait quelque chose, on serait même encore plus vulnérables sur cet aspect que présentement, dans le sens qu'aux États-Unis, il n'y aurait aucune espèce d'aide à la production avicole. C'est cela?

M. Nadeau: Que l'on sache, l'aide directe à la production animale ou à la transformation, il n'y en a pas. Mais il y a une aide dans le domaine de la production végétale qui leur permet d'exporter, par exemple. C'est phénoménal.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Hier, dans l'exposé que j'ai fait, j'ai donné un exemple pour montrer un peu l'ampleur de cette disproportion dans le marché avicole aux États-Unis par rapport à ici, en disant que tous les oeufs cassés dans le transport aux États-Unis représentent un volume supérieur à toute la production canadienne. C'est assez dramatique de penser que ce qu'eux peuvent jeter ou, du moins, ce qui arrive en morceaux, c'est toute notre production.

Face à cette disproportion, face à ce qui se passe aux États-Unis sur tout l'ensemble des mesures, tant barrières tarifaires que barrières non tarifaires, certains analystes sont portés à dire que l'entente de libre-échange, si elle existe, devra passer par des équivalences en ce qui concerne l'abolition de ces barrières et je pense particulièrement aux barrières non tarifaires. Elle devra passer par les mêmes équivalences.

Ce que j'aimerais savoir de votre regroupement du domaine avicole, c'est: Étant donné cette disproportion, qui est vraie dans d'autres marchés, mais dans celui-là, on est encore plus vulnérables, parce qu'on est dans le domaine de l'agriculture et le ministre semble en être déjà très saisi et très préoccupé, de quelle façon seriez-vous capables, s'il n'y avait pas ce pendant ou ce vis-à-vis en termes de mesures amoindries du côté américain, si on n'avait pas l'équivalent ici et vice versa, comment seriez-vous capables de vivre cela? (15 h 45)

M. Nadeau: J'ai de la difficulté à saisir votre question. Je pense que, sans protection, l'industrie avicole comme telle ne peut pas vivre. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

M. Parent (Bertrand): Oui, je suis d'accord. Vous me confirmez que vous devez absolument continuer d'avoir de l'aide de ce côté-là. Prenons un exemple précis, la question des barrières non tarifaires, en ce qui concerne l'aspect des quotas, des subventions, que le Canada abolisse certaines barrières qui sont beaucoup plus importantes pour vous, autrement dit, qui sont des appuis absolument nécessaires et qui ne doivent absolument pas être abolies. Autrement dit, dans quelles conditions ce serait vivable pour vous, si on touchait à quelque chose en ce qui regarde votre domaine particulier?

M. Nadeau: Je pense que le risque est tellement grand qu'on ne peut toucher à quoi que ce soit. Quand on parle des fondements sous-jacents au système, ce sont tous les fondements, que ce soit le contrôle des importations, le maintien des tarifs ou la protection des systèmes d'approvisionnement.

M. Parent (Bertrand): Donc, à toutes fins utiles, ce sont toutes les mesures qui doivent...

M. Nadeau: Rester là.

M. Parent (Bertrand): ...demeurer intactes. On se comprend et on espère que, de l'autre côté, mon collègue du Commerce extérieur et celui de l'Agriculture l'ont bien compris. Là, on est dans un marché spécifique; cela va. Lorsqu'on parle d'agriculture, de façon générale, on ne semble pas toujours être capable de bien saisir ce qui est carrément acceptable ou carrément inacceptable et où il y a ce qu'on pourrait appeler des zones négociables.

Lorsqu'on prend une position catégorique en disant que toute l'agriculture doit être exclue comme telle du grand traité, si on peut l'appeler ainsi, de libre-échange, et qu'on arrive dans des marchés très spécifiques comme le domaine avicole, je pense que là, cela devient clair. Ce l'est beaucoup moins dans d'autres marchés. L'éclaircissement que vous nous apportez est fort impartant. Je pense que d'autres voulaient faire des commentaires à ce sujet.

Le Président (M. Charbonneau): Oui, c'est cela. Il y a quelques personnes qui voudraient ajouter quelque chose.

M. Pilon (André): Je vais essayer de répondre à votre question qui est quand même assez vaste. Le secteur avicole au Canada ne jouit présentement d'aucune aide ou d'aucune subvention directe, si ce n'est, encore une fois, pour les céréales, contrairement à d'autres productions. Pour ajouter à la réponse que M. Nadeau donnait à M. Jolivet tantôt, vous demandiez si on pourrait rendre la transition plus facile dans le cas

d'un libre-échange où il n'y aurait plus de barrières tarifaires. Sans vouloir être pessimiste, je pense qu'il faut quand même être réaliste. Si on regarde ce qui s'est produit dans les États de la Nouvelle-Angleterres il s'agirait de savoir combien de temps cela prendrait pour que toutes les productions avicoles s'en aillent dans le sud des États-Unis. Ce ne serait qu'une question de temps pour que cela n'existe plus ici au Canada.

Encore une fois, ce sont quand même des productions rentables pour les gouvernements, autant provincial que fédéral. Je parle de l'aviculture. Encore là, il n'y a pas de subvention directe et je pense que les producteurs sont d'excellents contribuables, du moins pour essayer d'amoindrir les déficits, autant du gouvernement provincial que fédéral.

Si on regarde ce que la mise en place des contingentements a représenté, M. Nadeau faisait allusion à la valeur de l'indice canadien des prix à la consommation, j'ai devant moi un tableau qui dit que, encore là, comparativement à toutes les industries, si on se compare de 1981 à 1987, ce sont les productions contingentées. Si on parle de toutes les industries, si on part en 1981 d'un indice 100 et qu'on arrive au premier trimestre de 1987, c'est rendu à 135,8. On a donc eu 35,8. Par contre, si on s'en va dans les productions contingentées comme le poulet, c'est quand même 26,9, ce qui est en bas de toutes les industries. Si on regarde le dindon, c'est peut-être un peu plus haut, mais il semblerait que c'est passager parce que, pour 1986 comparativement à 1981, c'était 34,9 % et si on regarde les oeufs, d'un indice de 100 en 1981, on est à 103,2 % pour le premier trimestre de 1987. Alors, on voit encore là ce que les productions contingentées ont pu apporter.

Le Président (M. Charbonneau): Cela va?

M. Parent (Bertrand): II y avait quelqu'un d'autre qui voulait faire un commentaire.

Le Président (M. Charbonneau): Une autre remarque? Il y a deux autres remarques; alors choisissez lequel prendra la parole le premier.

M. Baril (Rosaire): M. le Président, c'est l'information que je voulais dire et M. Pilon a répondu à ma place.

Le Président (M. Charbonneau):

D'accord. Merci. Alors M...

M. Pelletier: M. le Président, si vous me permettez une intervention à titre de président de la Coopérative fédérée, je vous dirai qu'on est beaucoup impliqués dans la transformation, bien sûr, et aussi par nos producteurs coopérateurs qui sont dans l'industrie de la volaille.

M. le ministre a souligné une chose importante qui fait une différence avec l'industrie agricole aux États-Unis, ce sont les immenses concentrations qui appartiennent à quelques compagnies, qui sont situées au centre des États-Unis, qui ont un climat favorable, qui ont des coûts d'énergie, parce qu'ils ont l'énergie solaire à profusion. Alors, on aura toujours de la difficulté à concurrencer cela.

Quand vous demandez, M. le député, si une période de transition serait souhaitable, elle est sûrement souhaitable parce que les gens ne veulent jamais mourir bien vite, ils aiment toujours mieux mourir un peu plus lentement avec l'espérance de se raccrocher à quelque chose, mais comme nous le disait mon confrère tantôt: cela finirait par être quand même la mort. Alors ceux qui préfèrent mourir rapidement ont un choix. Aussi, comme je le disais cet avant-midi quand je présentais le mémoire de la Coopérative fédérée, on a fait un choix de société et on parle continuellement de ferme familiale, d'industrie familiale.

Si on regarde l'aviculture aux États-Unis, elle se retrouve dans d'immenses concentrations et pour le Québec cela n'a pas été notre choix. Nos représentations de la Fédération des producteurs de volailles, cela n'a pas été leur choix non plus, ni les représentants de la Coopérative fédérée, ni l'UPA. On veut privilégier la ferme familiale et il faut lui donner les moyens de survivre. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Cela va?

M. Parent (Bertrand): Si je comprends bien, la douzaine d'oeufs qui se vend à Montréal deux fois le prix qu'elle se vend à Albany, cela restera ainsi, à toutes fins utiles.

M. Pelletier: Mais quand madame va pour une maternité à Albany, cela lui coûte 2000 $, tandis qu'ici cela ne lui coûte rien. Vous retrouvez cela dans la douzaine d'oeufs et dans la livre de beurre. Ce sont des politiques sociales qui ont été servies par nos gouvernements parce que les Québécois les ont désiré. Cela a profité à tous les consommateurs québécois et canadiens, nos politiques de stabilisation de prix, nos offices de commercialisation, tout cela mis ensemble, cela peut avoir des faiblesses, mais dans l'ensemble on s'est donné une structure qui fait que nos prix sont assez stables pour nos consommateurs et cela leur donne aussi la garantie de produits de qualité et d'approvisionnements réguliers.

Le Président (M. Charbonneau); Sur ce punch final, nous allons mettre fin à votre présentation et, au nom des membres de la commission, nous vous remercions infiniment d'avoir participé à nos travaux et d'avoir bien voulu nous donner vos points de vue et vos éclairages.

Alors, je vous souhaite un bon retour et on va enchaîner avec un groupe qui ne vous est pas étranger d'ailleurs. J'invite les représentants de l'Union des producteurs agricoles à venir prendre place. M. Proulx, président de l'UPA, je vous souhaite la bienvenue ainsi qu'à vos collègues. Je crois que vous êtes un des vieux routiers du salon rouge, sans doute plus que plusieurs membres de la commission. D'ailleurs, vous avez témoigné ou fait des présentations dans des commissions parlementaires. Vous savez comment on procède. Je vous demande d'abord de présenter les gens qui vous accompagnent. Je vous rappelle que vous avez plus de temps parce que votre groupe a une importance assez considérable dans ce dossier. Donc, vous avez 40 minutes pour présenter vos points de vue et le reste du temps sera équitablement réparti entre les membres de la commission de chaque côté pour la discussion. Si jamais vous preniez moins de temps, il y aura plus de temps pour les discussions et, compte tenu de la nature du sujet, je pense que ce ne serait pas superflu. Je vous laisse sans plus tarder le soin de nous présenter vos collègues ainsi que nous exposer vos points de vue. M. Proulx.

Union des producteurs agricoles du Québec

M. Proulx (Jacques): Merci, M. le Président. Comme vous l'avez dit, cela fait quelques fois qu'on se présente au salon rouge. Je vous dirai que les sièges, je les trouve un peu trop bas. Cela doit être pour cette raison que les sénateurs aimaient bien leur emploi dans le temps.

Si vous me le permettez, je vais vous présenter les gens qui m'accompagnent: M. Laurent Pellerin, président de la Fédération des producteurs de porcs du Québec; M. Roger Daoust, président de la Fédération des producteurs de lait du Québec; M. Rosaire Baril, représentant de la Fédération des producteurs de volaille du Québec; M. Jean-Paul Mailhot représente tous les maraîchers, si on veut, mais particulièrement la Fédération des producteurs de fruits et légumes de conserverie. D'autres personnes s'ajouteront probablement.

Le mémoire qu'on présente aujourd'hui, c'est le mémoire de toute la production agricole du Québec. M'accompagnent également ceux et celles qui, quotidiennement, font cette agriculture, des représentants d'à peu près toutes les régions du Québec, qui trouvaient assez important de venir donner leur appui aux positions que l'organisation agricole a prises depuis le départ. Vous êtes sans doute au courant que l'UPA a été le premier organisme au Québec à sentir ce mauvais vent de discussion et cela fait fort longtemps qu'on parcourt les routes pour le dénoncer avec des études qu'on a fait connaître le plus possible.

L'Union des producteurs et productrices agricoles voudrait vous remercier de lui donner l'occasion de venir donner ses commentaires devant vous. Même si on croit que cette commission aurait dû siéger depuis fort longtemps parce qu'on est à la limite de ces négociations, comme on dit souvent dans notre langage, vaut mieux tard que jamais pour bien faire, en espérant que l'éclairage qui pourra être fourni par les différents groupes permettra au gouvernement du Québec d'adopter une position qui répandra le mieux possible aux besoins du Québec en particulier. (16 heures)

Avant d'attaquer de front cette question, permettez-moi de vous présenter brièvement l'organisation que j'ai l'honneur de représenter. L'Union des producteurs et productrices agricoles, l'UPA, représente l'ensemble des 47 000 producteurs et productrices agricoles du Québec. L'UPA est formée de seize fédérations régionales et de quinze fédérations spécialisées, en plus, on regroupe les producteurs de bois qui sont affiliés aussi à l'UPA. Il y a quand même, en plus des producteurs et productrices qui sont propriétaires de boisés, 60 000 propriétaires producteurs de bois au Québec.

L'activité économique générée par nos producteurs est remarquable. Elle est responsable de 40 % de la production primaire québécoise pour une valeur d'environ 4 000 000 000 $. Le capital agricole est estimé quant à lui à 14 000 000 000 $; 8 % des exportations du Québec sont d'origine agro-alimentaire, c'est-à-dire autour de 1 200 000 000 $ au Québec dont 700 000 000 $ vont aux États-Unis.

L'agriculture québécoise s'est spécialisée historiquement dans la production laitière qui représente 41 % de la valeur de la production agricole. Cette dernière est suivie de la production de porcs 20 %, des produits de l'aviculture 11 %, de la production bovine 7 % et des fruits et légumes à 6 %.

Le secteur céréalier québécois a connu une expansion considérable au cours de la dernière décennie. Alors que nous importions en 1975, 70 % de nos grains pour l'alimentation animale, c'est un peu moins de 30 % de nos besoins qui sont actuellement couverts par des importations.

Des productions tentent actuellement

d'organiser leur avenir en réunissant les conditions favorables à leur développement. Les productions ovine, caprine, cunicole, apicole, de même que la production piscicole comptent parmi ces dernières.

D'autres, enfin, voient leur survie compromise par des facteurs externes. La production des érablières québécoises, menacée gravement par les pluies acides originant en grande partie des Etats-Unis, en est un bon exemple.

Plus de 80 000 Québécois et Québécoises sont employés directement à l'activité agricole sur une base permanente et saisonnière, sans compter Ies emplois indirects, notamment dans les secteurs des intrants agricoles, des dépenses de près de 2 000 000 000 $ et du transport, et les 230 000 emplois tributaires de l'agriculture dans les secteurs de la fabrication, de la distribution et de la restauration. Les producteurs de bois contribuent, quant à eux, au maintien de 50 000 emplois supplémentaires è tous les échelons de l'industrie.

Le rôle de l'UPA est de défendre et de promouvoir les intérêts économiques, sociaux et moraux de ses membres; intérêts sérieusement menacés dans l'éventualité d'un accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis.

Notre organisation, par sa participation à la coalition québécoise d'opposition au libre-échange canado-américain s'est déjà prononcée globalement contre un tel projet qui, concrétisé, déstabiliserait dramatiquement l'économie québécoise avec les pertes d'emplois qui en résulteraient, remettrait en cause nos programmes sociaux et constituerait une menace à la souveraineté et à la spécificité québécoise. La langue française serait particulièrement menacée de déclin, accentuant ainsi la tendance observée depuis l'affaiblissement de la loi 101.

J'ajouterai qu'on va aujourd'hui beaucoup plus loin qu'au départ. Si vous vous souvenez au départ des discussions, il n'était pas question d'inclure les investissements à l'intérieur de cela et aujourd'hui on voit que tous les investissements sont contenus et discutés actuellement.

C'est en fait devant tous ces effets négatifs que nous nous retrouverions en vertu de la plus parfaite utopie d'un accès garanti au marché américain.

Du point de vue agricole, cette conviction, nous la réaffirmons avec d'autant plus de vigueur qu'un traité de cette nature est suicidaire et incompatible avec le type d'agriculture que nous nous sommes donné au cours des dernières années.

Suicidaire pour ce secteur largement dominé par des petites et moyennes entreprises, de nature familiale, que nous avons bâties laborieusement et dans lesquelles nous avons investi génération après génération, avec comme tâche primordiale de nourrir la population du Québec sur son territoire, à bon compte et avec des produits de la plus haute qualité.

Suicidaire également pour ces agriculteurs et agricultrices qui, tout en produisant une activité considérable,supportent la vie économique, sociale et culturelle de plusieurs communautés régionales et entretiennent le vaste espace et les ressources dans l'ensemble de la société Québécoise.

Incompatible enfin avec l'organisation de la dimension relative du secteur agriccle québécois, de même qu'avec les politiques et les programmes mis en place par les gouvernements québécois et canadien qui se sont succédé au cours des dernières décennies. Cette opposition à une entente de libre-échange canado-américaine en agriculture s'appuie sur les nombreuses analyses que nous avons effectuées depuis le sommet irlandais de Québec ainsi que sur une étude d'envergure réalisée l'année dernière par une sommité québécoise en matière d'économie agricole. Je pense que tout le monde connaît Yvon Proulx et personne ne le conteste; je pense que la plus belle preuve de cela, c'est qu'au fédéral et au provincial, on l'emploie très souvent pour faire des études comparatives. Tout en étant un professeur à l'Université Laval, il est aussi un agriculteur.

Quatre principales conclusions ressortent de ces réflexions. Une entente de libre-échange canado-américaine signifie, pour l'essentiel, la destruction des fondements du système agricole canadien et de ses particularités québécoises dont la participation active de l'État, la discipline et l'efficacité de ceux et celles qui oeuvrent en agriculture, ainsi que la stabilité de la production en constituent des caractéristiques importantes.

Les bouleversements qu'on est en voie de nous imposer sont en contradiction avec les mesures qu'il nous faudrait mettre de l'avant sur le plan international pour résoudre la crise actuelle sur le marché des denrées agricoles, crise dont nous faisons largement les frais, mais dont les principaux responsables sont les États-Unis et la CEE.

Un traité de cette nature entre les deux pays ne laisse entrevoir que des possibilités insignifiantes d'accroissement de la production agricole au Québec comme dans le reste du Canada.

En revanche, si ce traité se concrétisait, il pourrait entraîner une diminution de la production dans la plupart des sous-secteurs importants de cette activité, même s'ils sont hautement productifs, et conduire à une déstabilisation complète de toute la chaîne agro-alimentaire québécoise et canadienne.

Même si le plus grand secret entoure les négociations actuelles et que nos élus

fédéraux et provinciaux tentent de se montrer rassurants, il est clair qu'une entente de libre-échange entre le Canada et les États-Unis va de pair avec une profonde remise en cause des instruments que nous nous sommes donnés historiquement et qui sont essentiels à la survie de notre agriculture. Des instruments qui font du système agricole canadien, complété par ses spécificités québécoises, l'un des meilleurs, des moins coûteux et dont certaines caractéristiques sont enviées par la communauté internationale.

D'autre part, une entente de libre-échange implique, par définition, l'abolition de tous les obstacles au commerce, de toute mesure qui fausse l'établissement des avantages comparatifs par les forces du marché laissées à elles-mêmes et qui pourrait s'apparenter à de la concurrence déloyale entre les producteurs des deux pays.

Or, les fondements d'une grande partie de notre façon de faire en agriculture et les objectifs que nous poursuivons notamment au chapitre des revenus agricoles reposent sur des principes qui sont incompatibles avec cette notion.

De même, les litiges commerciaux que nous avons connus récemment dans les pêches maritimes, les pommes de terre, le porc, le bois d'oeuvre, nous indiquent clairement jusqu'où peuvent aller les Américains avec un déficit de la balance commerciale de 170 000 000 000 $ US. Quand il s'agît d'identifier les mesures déloyales au sens d'un commerce bilatéral, ils n'évaluent sectoriellement que du côté canadien, sans égard aux énormes subventions qu'eux-mêmes injectent globalement et particulièrement en agriculture.

Uniquement, cette année au-delà de 35 000 000 000 $ seront donnés en subventions ad hoc ou à la production américaine, et particulièrement aux céréales.

D'autre part, les déclarations publiques tant fédérales que provinciales ainsi que les informations que nous avons obtenues de source non officielle, mais non moins sûres n'ont absolument rien de rassurant puisqu'elles confirment qu'on est résolument décidé dans les présentes négociations à faire preuve de purisme en appliquant intégralement ce que comporte un réel libre-échange entre tes deux pays, cela sans exception.

Nous en sommes à nous demander si ceux et celles qui cherchent à nous vendre un traité de libre échange même après toutes les évidences que nous avons fait ressortir depuis le début de ce débat - et ce ne sont pourtant pas des gens si éloignés de l'agriculture - comprennent, ne serait-ce que dans ses grandes lignes, les bases et objectifs du système agricole canadien et la situation américaine actuelle en agriculture.

S'ils comprennent, ils réalisent évidemment qu'il y a une incompatibilité entre la survie de l'agriculture québécoise et canadienne et un traité de libre-échange avec les États-Unis. S'ils persistent, malgré cela, à défendre un tel projet, c'est qu'ils ne tiennent aucunement à ce que les professionnels de l'agriculture et les industries en amont et en aval fassent partie du décor économique du Québec et du reste du Canada, à l'aube du 21esiècle.

Fondamentalement, le système agricole canadien, enrichi des particularités québécoises, implique une participation active des deux paliers de gouvernement et repose sur quatre grands principes:

La sécurité d'approvisionnement alimentaire à la fois nécessaire et vitale sur les plans économique et politique;

Dans plusieurs productions, la recherche de la constance et de l'adéquation du niveau de production, de la qualité des produits et des prix avec les besoins de consommation principalement domestique;

Dans d'autres productions, telles les céréales et oléagineux, la recherche de nouveaux marchés d'exportation et le maintien des marchés actuels d'exportation notamment pour les producteurs de l'Ouest canadien;

La rémunération équitable des agriculteurs et agricultrices pour leur travail et leur capital; cette rémunération constituant une condition nécessaire au maintien des exploitants dans ce secteur stratégique et à haut niveau de risque; et l'assurance des meilleurs prix possibles pour la consommation des denrées essentielles.

La concrétisation de ces principes, nous la retrouvons dans des mesures toutes utiles, cohérentes et complémentaires les unes par rapport aux autres et légitimées par les deux paliers de gouvernement.

La gestion des approvisionnements. Parmi les mesures les plus importantes, la gestion nationale des approvisionnements dans les secteurs laitier et avicole est sans doute une des plus appréciables du système canadien dans le contexte actuel de surplus mondiaux dans plusieurs denrées. Elle a d'ailleurs été mise sur pied à partir du milieu des années 1960 pour corriger avec succès la situation de surproduction chronique qui prévalait à ce moment. Au Québec, les secteurs contingentés représentent 50 % de la valeur de la production agricole.

Cette gestion assure une stabilité des approvisionnements, un équilibre constant entre l'offre et la demande intérieures, et répartit efficacement la production entre les producteurs et entre les provinces canadiennes. Elle est caractérisée en outre par l'absence ou l'insignifiance de surplus, des prix à la production équitables et des prix à la consommation stables et abordables; ces derniers ayant connu au cours des dernières années une évolution beaucoup moins rapide dans les secteurs contingentés

que l'indice général des prix à la consommation. Cela reflète l'augmentation constante de la productivité des secteurs sous ce régime de gestion.

Pour réussir efficacement dans la gestion des approvisionnements, la discipline et la maturité de nos producteurs canadiens sont essentielles mais non suffisantes. Encore faut-il empêcher que la production extérieure ne vienne perturber l'organisation harmonieuse des marchés.

Entre donc en jeu, à cet effet, le contingent des importations dont la responsabilité est dévolue à des organismes canadiens - exemple; Commission canadienne du lait et Office de commercialisation des produits avicoles. Ces organismes ont un pouvoir de contrôle sur l'entrée au Canada des produits qui sont susceptibles d'affecter les marchés où il y a gestion de l'offre.

La gestion de l'offre est attaquée dans le contexte d'une négocation de libre-échange puisqu'elle est contraire à la philosophie entourant les négociations où le libre marché doit prévaloir. De toute façon, les Américains dénoncent depuis fort longtemps le pouvoir des organismes de commercialisation,,

Du côté canadien, il ressort qu'on se montre à la fois rassurant, en déclarant que la gestion des approvisionnements demeurera, et inquiétant lorsqu'on parle de la possibilité d'accroître les contingents à l'importation et de réduire ou d'éliminer les tarifs douaniers qui sont essentiels au succès de ce régime de gestion. On se montre également très fermé et irrespectueux de la liberté des producteurs, lorqu'ils suggèrent de ne pas permettre dans l'avenir d'établir la gestion des approvisionnements dans les secteurs qui le désireraient, comme c'est le cas, par exemple, pour les oeufs d'incubation a l'heure actuelle, comme tout le débat ou tout le travail qui a été fait en ce qui concerne la pomme de terre, cela, en dépit des succès incontestables de ce régime, là où il existe actuellement. (16 h 15)

En fait, on voudrait nous nier complètement le droit de développer dans d'autres secteurs et d'établir justement un équilibre qui, encore une fois, a fait amplement ses preuves dans le passé.

La mise en marché collective: La législation québécoise et celles des autres provinces permettent l'organisation de la mise en marché collective des produits agricoles.

Les producteurs et les productrices agricoles ont ainsi la possibilité d'améliorer leur rapport de force sur les marchés en définissant un plan global de commercialisation pour les besoins principalement domestiques, en faisant la promotion de leur production et en négociant des prix plus équitables. Cette négociation sur le prix est toutefois très restreinte par l'environnement concurrentiel dans lequel ils évoluent. Dans les secteurs contingentés, les plans conjoints permettent en plus de contrôler l'allocation des quotas au niveau de la province.

La majeure partie des productions se prévaut des dispositions de la loi québécoise. Selon les sous-secteurs agricoles toutefois, le degré de développement d'une réelle mise en marché collective, ordonnée et efficace diffère. Malgré l'évolution notable des dernières années, des efforts additionnels seraient requis dans l'avenir pour assurer aux producteurs et aux productrices qui oeuvrent dans ces sous-secteurs un revenu stable et acceptable, compte tenu de leurs efforts et de leurs coûts de production.

Cette façon de faire québécoise et canadienne, au même titre que la gestion de l'offre et le pouvoir des offices nationaux de commercialisation, risque une sérieuse remise en cause dans le cadre des négociations bilatérales, car elle accorde à la collectivité agricole le pouvoir d'organiser et d'influencer quelque peu leur marché plutôt que de lui laisser un total libre cours.

Dans l'attente qu'on organise efficacement la mise en marché collective et que les objectifs de revenus agricoles soient atteints, le gouvernement du Québec a mis en place, en 1975, un programme d'assurance-stabilisation des revenus agricoles. Il est peut-être bon de noter que déjà, à ce moment-là, la Colombie britannique avait ses plans de stabilisation, soit l'équivalent de ce qu'on possède au Québec. Grosso modo, ce programme, dont le paiement de la prime est partagé entre les producteurs et le gouvernement du Québec, permet de rencontrer une portion des coûts de production non couverts par les revenus que tirent les exploitants de la vente de leurs produits, revenus souvent uniques pour supporter les membres de l'entreprise familiale.

Le gouvernement du Québec a reconnu en 1974 que la parité des revenus des agriculteurs et agricultrices avec ceux des travailleurs des autres secteurs de l'économie était un objectif qu'il était souhaitable d'atteindre; d'abord, pour une question d'équité pour ces professionnels dont les fonctions économiques et sociales sont considérables et ensuite, pour assurer le maintien de ceux-ci dans un secteur des plus stratégiques pour l'économie québécoise.

Dans le contexte de crise actuelle qui n'a plus rien à voir avec l'efficacité ou une concurrence normale, et de faibles prix internationaux, notamment dans le secteur des céréales, cette assurance-revenu a fort probablement évité qu'une grande partie des exploitants, leur famille et les travailleurs qu'ils emploient ne joignent ces dernières années le rang des chômeurs dans les centres urbains: des coûts économiques, sociaux et

politiques énormes qu'on a pu limiter en leur assurant un revenu plus stable et plus équitable.

Un certain nombre d'autres programmes d'assistance ont été mis en place pour atteindre, par exemple, les objectifs de consolidation des PME agricoles, de financement du secteur à haut niveau de risque qu'est l'agriculture et pour faciliter la transmission d'une génération à l'autre du patrimoine agricole familial. Cette assistance peut prendre la forme de garanties par le gouvernement, d'emprunts contractés par des exploitants agricoles auprès des banques ou de subventions pour couvrir une partie des frais d'intérêts.

Le programme d'assurance-stabilisation des revenus agricoles, tout comme d'une façon générale tous les programmes d'assistance systématique de l'État, sont gravement menacés par ces négociations bilatérales. Cette menace entraîne avec elle celle de l'abandon des grands objectifs sociaux et économiques que nous poursuivons.

Une des raisons principales motivant nos appréhensions réside dans le comportement même du gouvernement américain face à son secteur agricole. La politique agricole américaine n'est fondée que sur des interventions ad hoc et inefficaces, des mesures de temps de crise qui n'ont rien à voir avec la poursuite d'objectifs de revenus, de consolidation et de stabilité à long terme poursuivis par les gouvernements du Québec et du Canada. Au départ, il y a donc une différence d'approches fondamentales entre les deux pays.

Dans une négociation bilatérale confrontant le Canada et le géant américain, il est à se demander quelle vision des choses sera prédominante. D'autant plus que depuis le début du processus, le gouvernement canadien est dans une position de demandeur et semble prêt à céder à toute revendication américaine pour ne pas mettre en péril son projet global. On a qu'à se rappeler ses agissements et les devants qu'il a pris vis-à-vis du bois d'oeuvre. On a peut-être, dans un autre secteur qui affecte peut-être un peu moins l'agriculture, aboli, en fait, et remplacé l'agence de tamisage. On a laissé un autre conseil ou un autre équipement en place, mais on sait très bien que les personnes qui font partie de cette nouvelle agence n'ont pas eu un dossier depuis l'abolissement de l'agence de tamisage.

La présence de tarifs douaniers relativement plus importants au Canada qu'aux États-Unis compte également dans les mesures qui caractérisent le système agricole canadien. Par ces tarifs, le Canada assure à l'agriculture une protection à deux niveaux.

Le premier consiste à assurer une protection supplémentaire aux secteurs où il y a une gestion des approvisionnements qui, autrement, risqueraient d'être perturbés et mettrait en péril le succès du régime. Les tarifs douaniers s'appliquent ainsi aux importations de produits tels la crème glacée, le yogourt et autres dérivés du lait et les produits transformés de la volaille (en conserve, congelés, etc.) qui ne font pas partie de la liste des produits dont les importations sont contrôlées ou à d'autres qui en font partie, mais dont les restrictions quant au volume sont insuffisantes pour protéger la stabilité du marché.

Ces tarifs constituent donc un élément complémentaire et essentiel au succès de la gestion des approvisionnements.

Le second niveau consiste à protéger les producteurs et productrices agricoles qui, compte tenu des avantages comparatifs de leurs principaux concurrents, ne pourraient supporter le libre jeu de la concurrence. Nous retrouvons une protection saisonnière et permanente de cette nature, notamment dans les secteurs des fruits et légumes frais, et des fruits et légumes de transformation. II y a beaucoup de raisons qui font que, même si on est très compétitifs... on n'a qu'à penser à des raisons incontrôlables: particulièrement le climat pour toute la production maraîchère et même pour la volaille. On en a parlé tout à l'heure. Malgré tous les efforts et l'efficacité des producteurs dans ces productions, ils sont incapables de tenir, justement pour des raisons qui sont complètement hors de contrôle. La production de volaille seulement, au cours des 15, 20 ou 30 dernières années, a complètement disparu du nord-est américain pour se concentrer dans le sud des États-Unis.

Obligatoirement, ces tarifs devront disparaître dans l'éventualité d'un libre-échange avec les États-Unis. Le gouvernement fédéral en a fait la première priorité dans le cadre des négociations bilatérales.

Un ensemble d'autres mesures québécoises et canadiennes complète notre système pour assurer à l'agriculture la performance et l'harmonie qu'on lui connaît et aider les producteurs et productrices du Québec, et du reste du Canada, à continuer la poursuite de leur mission stratégique. Parmi celles-ci, les assurances-récoltes qui protègent les exploitants agricoles contre les aléas de la nature, les programmes québécois qui visent le développement et la consolidation des entreprises agricoles, les programmes de commercialisation des produits agro-alimentaires qui, sans être des transferts directs, encouragent la promotion des secteurs de l'alimentation et la recherche de nouveaux marchés, le contrôle fédéral du commerce des céréales qui assure un approvisionnement domestique suffisant et filtre l'entrée des importations par l'entremise de la Commission canadienne du blé.

Des mesures qui sont menacées par une

entente de libre-échange entre le Canada et les États-Unis.

Voilà pour l'essentiel, les fondements, les grands principes et mesures concrètes qui caractérisent le système agricole canadien et ses particularités québécoises et, qui sont sérieusement remis en cause dans les négociations bilatérales actuelles. Des façons de faire qu'il nous a fallu des décennies à mettre sur pied, à édifier avec patience et force de conviction en collaboration étroite avec l'État. Aucun des éléments présents n'est superflu, mais chacun se complète. Il s'agit à ce niveau d'en sacrifier un seul pour que s'ébranle tout le système et se perdent les nombreuses énergies que les producteurs et productrices agricoles du Québec ont dépensées pour le construire. Vous ne serez donc pas étonnés de la ferveur que nous déployons et que nous déploierons encore plus à l'avenir pour défendre ce que nous avons édifié.

Certains diront, comme nous l'avons trop souvent entendu, que les sacrifices que nous aurions à consentir à notre façon de faire en agriculture seraient plus que compensés par une ouverture et un accès garanti au vaste marché américain. L'accès garanti au marché américain, premièrement, nous n'y croyons aucunement et cela tant et aussi longtemps que le déficit de la balance commerciale des États-Unis sera ce qu'il est.

Deuxièmement, l'argument du vaste marché ne tient pas du tout, sauf peut-être pour les théoriciens libre-échangistes détachés de la réalité qui font fi de la situation internationale actuelle et, en particulier, de celle très anarchique que connaissent les États-Unis.

Le marché international des denrées agricoles est actuellement engorgé. Des pays qui, traditionnellement, ont été de grands importateurs tels la Chine, l'Inde et la CEE ont poursuivi des politiques protectionnistes visant l'autosuffisance alimentaire et sont devenus eux-mêmes exportateurs. L'Europe notamment exporte, depuis quelques années, de nombreux excédents agricoles au point de devancer en 1985 le grenier mondial qu'a déjà constitué l'Ouest du Canada comme exportateur de céréales.

Alors que de plus en plus de vendeurs sont présents sur le marché international des denrées agricoles, il se présente de moins en moins d'acheteurs, ce qui occasionne des surplus croissants à l'échelle planétaire. Dans ce contexte, les grands pays, traditionnellement exportateurs sur le marché des céréales, sont amenés à se livrer une guerre commerciale pour tenter de maintenir leurs exportations, ce qui ne peut être obtenu qu'en tentant de subtiliser des clients à d'autres, en coupant les prix et en subventionnant de façon massive leurs exportations. On peut en donner des exemples très concrets. On sait qu'à l'heure actuelle les États-Unis, pour vendre des céréales par exemple à des très vieux clients de la Communauté économique européenne offrent en prime des oeufs et de la volaille. On en est rendu là. On est un peu revenu aux coupons qu'on avait à l'épicerie il y a quelques années comme encouragement.

Ces guerres, dont la plus spectaculaire est sans doute celle que livrent actuellement les États-Unis aux pays de la Communauté économique européenne, ajoutent des pressions supplémentaires sur les niveaux des surplus et des faibles prix mondiaux. L'Ouest du Canada étant, elle aussi, une région exportatrice traditionnelle et donc concurrente des États-Unis, subit cette conjoncture, craint pour la survie de ses producteurs et anticipe que ses principaux clients pourraient, à moyen terme, lui échapper. Ce pressentiment devient d'autant plus fondé que le gouvernement canadien ne peut concurrencer un pays comme les États-Unis au chapitre des subventions agricoles. Le budget agricole américain qui s'établissait à 4 000 000 000 $ en 1982 s'est accru pour atteindre cette année plus de 35 000 000 000 $ US, dont une grande partie va aux productions exportées.

Malgré cette intervention guerrière et excessive du gouvernement américain, et un ensemble de mesures ad hoc mises de l'avant depuis 1984 pour restreindre l'accumulation croissante des surplus, compenser les milliers de producteurs agricoles pour qu'ils se retirent du secteur et éviter les faillites de ceux qui restent, le gouvernement américain ne peut que constater l'échec de ses politiques agricoles et l'état anarchique de ce secteur. C'est ce contexte général qui se présente à nous pour accroître notre part du marché aux États-Unis en échange d'un système agricole idéal comme celui qui prévaut aux États-Unis.

Plus encore, nos élus fédéraux et provinciaux accepteraient, d'emblée et tête baissée devant les Américains, de nous faire supporter l'échec du système agricole des États-Unis en acceptant de laisser tomber des éléments fondamentaux du nôtre, tout en nous faisant miroiter des perspectives irréalistes de marché. C'est plutôt tête levée que ceux-ci devraient se présenter devant un organisme international comme le GATT, avec la plus logique détermination de proposer aux pays membres les façons de faire québécoises et canadiennes en agriculture comme solution à la crise mondiale actuelle.

L'éventualité d'une ouverture intégrale des frontières entre les deux pays ne comporte donc pas de perspectives florissantes pour l'économie agricole québécoise et canadienne. Le vaste marché de consommateurs qui s'ouvrirait à nos producteurs ne tient pas. L'accès garanti au marché américain non plus et cela tant et

aussi longtemps que le déficit de la balance commerciale américaine sera ce qu'il est. De même, les problèmes de surplus mondiaux et la baisse chronique des prix ne trouveraient pas non plus de solutions dans une entente de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. (16 h 30)

II ne nous reste donc à retirer de cette entente qu'une confrontation libérée de toutes les contraintes avec les producteurs américains d'une gamme complète de biens et de services, disposant d'une surcapacité dans plusieurs secteurs, bénéficiant d'économies d'échelle et d'un climat propice dont nous ne disposons pas, et intéresssés à écouler leur énorme surplus de production.

Un tour d'horizon des sous-secteurs agricoles importants des industries de transformation agro-alimentaires et des effets d'un libre-échange sur eux seront à même de tracer le portrait de notre situation dans l'éventualité de la signature d'un tel accord avec les Américains.

Le secteur laitier. Comme on a pu le voir précédemment, le secteur laitier canadien est contingenté. La production de lait de consommation ne couvre essentiellement que la demande domestique, alors que pour le lait de transformation, 2,4 % de la production est exportée vers les marchés internationaux, qui sont essentiellement des marchés de surplus pour des produits tels que le beurre et la poudre de lait.

Depuis son implantation, ce système a permis d'atteindre l'objectif d'équilibre entre la production laitière et les besoins de consommation domestique de produits laitiers.

Ce système a permis aux producteurs et productrices oeuvrant dans ce secteur d'obtenir un revenu stable tout en assurant aux consommateurs un produit de la plus haute qualité à des prix plus qu'abordables. Le prix des produits laitiers n'a en effet augmenté annuellement qu'à un niveau comparable ou inférieur à l'indice général des prix à la consommation depuis les quinze dernières années.

Ces prix ont été rendus possibles grâce aux transferts des gains de productivité qui n'ont cessé de croître depuis l'instauration du contingentement, la stabilité du secteur renforçant sa volonté d'accroître son efficacité.

Le succès de la gestion de l'offre dans le secteur laitier repose sur trois mesures: La restriction sur ta production nationale; le contingentement des importations; l'existence des tarifs douaniers. Trois mesures complémentaires et indissociables les unes des autres.

Ces dernières années, plusieurs pays, dont ceux de la CEE, ont adopté des programmes s'inspirant du modèle canadien, la seule solution logique dans un marché mondial déstabilisé par ses énormes surplus et la réponse à un soutien excessif de l'État dans des pays comme ceux de la CEE et les États-Unis. Depuis 1981, les États-Unis ont tenté d'atteindre l'harmonie que l'on retrouve dans ce secteur au Canada. Plutôt que de mettre en place un système de gestion des approvisionnements, ils ont préféré adopter une stratégie de prix désincitative, des quotas à l'importation, des programmes volontaires de diversion de la production, des programmes de rachat des troupeaux en vertu desquels les producteurs sont payés pour cesser de produire et abattre leurs animaux. Ce dernier programme seul coûtera aux contribuables américains plus de 1 800 000 000 $ par année.

En dépit de ces mesures, les États-Unis ont échoué là où le Canada a réussi: Les surplus américains continueront de croître dans l'avenir, forçant le gouvernement à acheter d'énormes quantités de produits laitiers. En 1984-1985, ces achats totalisaient 405 800 000 $ US pour le beurre, 748 900 000 $ US pour le fromage, 665 100 000 $ US pour la poudre de lait écrémée. Des achats que l'ensemble des contribuables américains paient et continueront de payer dans l'avenir. Signalons au passage que les rares fois où les producteurs canadiens dépassent leurs quotas de production, ils sont les seuls à supporter les coûts entraînant leur écoulement.

Et c'est le système américain que l'on s'apprête à nous offrir avec un accord de libre-échange? Les ministres fédéraux responsables de ce dossier, appuyés en cela par leurs homologues provinciaux, s'empressent de nous répondre par la négative. On nous assure que, d'une part, l'esprit et la lettre de la gestion canadienne des approvisionnements demeureront. On nous déclare, d'autre part, que tous les tarifs et restrictions aux importations en provenance des États-Unis seront abolis. N'est-ce pas là une insulte à l'intelligence, une contradiction flagrante dans ta mesure où te seul contingent à ta production nationale ne peut assurer le succès et la survie de la gestion des approvisionnements, sans les tarifs douaniers et tes restrictions à l'importation qu'elle comporte?

On doit donc en conclure qu'un libre-échange canada-américain signifie le démantèlement de cette gestion des plus logiques dans un secteur représentant plus de 40 % de la valeur de la production agricole québécoise.

Ce que nous avons finalement à gaqner en compensation de l'ouverture de ce vaste marché américain, c'est l'importation d'une instabilité comparable à celle des États-Unis, des coûts économiques et sociaux considérables, un marché inondé par les surplus américains, dont la poudre de lait qui représente 4,6 fois le marché canadien, et les succédanés du lait qui sont vendus

légalement aux États-Unis. Ultimement, la disparition d'une grande partie des producteurs québécois et canadiens et des industries en amont et en aval est à prévoir.

Comme le secteur laitier, dans l'éventualité d'un libre-échange canado-américain, le système de gestion des approvisionnements dans la volaille et les oeufs devra disparaître, que ce soit par une remise en cause directement ou indirectement, par l'élimination ou la diminution des tarifs douaniers ou par l'augmentation des contingents à l'importation. En revanche, nos producteurs et productrices de ce secteur ne peuvent espérer concurrencer les Américains.

La production américaine est largement concentrée, comme je l'ai dit tout à l'heure, dans les régions de l'Atlantique sud et du sud des Etats-Unis. Ces deux régions produisent 88 % de la production américaine. Les oeufs de ces régions, comme cela a été dit tout à l'heure, qui sont cassés pendant leur transport, représentent un volume supérieur à la production totale canadienne.

Cette concentration et ce gigantisme dans l'industrie avicole s'expliquent par les avantages comparatifs dus au climat ainsi que des terres et de la main-d'oeuvre bon marché. De plus, la taille des fermes étant gigantesque et n'ayant plus rien à voir avec nos fermes familiales de petite et moyenne dimension, elles bénéficient d'économies d'échelle importantes.

Les quelques comparaisons suivantes illustrent bien les différences structurelles dans ce secteur entre les deux pays. II y a 1956 fermes productrices d'oeufs au Canada. Aux États-Unis, il y en a 225 de moins, c'est-à-dire 1725, pour desservir un marché douze fois plus grand. De plus, 62 très grosses fermes américaines possèdent près de 60 % du troupeau. Il est évident que très peu de producteurs québécois et canadiens pourraient suryivre à ces règles déséquilibrées de concurrence.

L'horticulture. Au Canada, notre saison est relativement courte et plus tardive que celle des États-Unis. S'ils le désiraient, les États du Sud atlantique et du Sud-Ouest pourraient approvisionner le Canada durant toute l'année en fruits et légumes frais ou transformés. Ils le font d'ailleurs une grande partie de l'année dans la plupart des productions.

Pour cette raison, il existe des tarifs douaniers saisonniers pour protéger la production canadienne de fruits et légumes frais au moment de la récolte et de l'écoulement, de même que des tarifs permanents pour les fruits et légumes transformés.

D'autres barrières non tarifaires, telles que la possibilité d'imposer une surtaxe quand des volumes croissants sont vendus sur les marchés canadiens à prix réduit et les contrats de vente à prix ferme, sont présentes au Canada. Il existe également de ces barrières du côté américain, mais généralement elles sont moins restrictives.

Le Canada est un des plus gros clients des États-Unis dans ce secteur. Le déficit à la balance commerciale canadienne au chapitre des fruits et légumes frais et transformés, qui gravite autour de 1 000 000 000 $, en témoigne»

II est généralement établi, dans tes études qui ont abordé cette question, que l'élimination des tarifs, saisonniers ou permanents, de même que l'abolition des autres restrictions à l'entrée entre les deux pays résulteraient en des pertes significatives pour le Canada qui ne pourraient être compensées par les gains minimes de certaines productions. Il ne suffirait pour les Américains que de remettre en activité une portion des milliers d'acres de terre en jachère ou utiliser une petite partie de leur surcapacité de production dans la transformation pour desservir douze mois par année le marché canadien d'une gamme complète de fruits et légumes frais, en conserve et surgelés. Le danger est particulièrement grand pour les légumes en conserve qui peuvent être transportés sur de grandes distances, à des frais relativement faibles.

II est évident que nos producteurs et productrices québécois, qui s'acharnent depuis peu à organiser leur mise en marché, verraient leur secteur sérieusement menacé, d'autant plus que cette possibilité d'organisation collective pourrait être remise en cause par un accord de libre-échange entre les deux pays.

Les céréales. Les États-Unis et le Canada sont tous deux des exportateurs importants de céréales, donc concurrents sur le marché international. Il est évident qu'il ne peut se développer un commerce canado-américain important de blé, d'orge et d'avoine entre le Canada et les États-Unis. Quant au maïs, le volume transigé est limité, car le Canada est devenu autosuffisant au début des années quatre-vingt.

Bien que nous n'ayons pratiquement rien à gagner dans ce secteur, nous avons beaucoup à perdre au chapitre du contrôle des importations par la remise en cause des pouvoirs de la Commission canadienne du blé et d'autres mesures en place pour appuyer les productions de céréales au Canada.

À l'heure actuelle, aucune importation de blé, d'orge et d'avoine ne peut être faite au Canada sans l'autorisation de la Commission canadienne du blé. Lui enlever ses pouvoirs et permettre la libre entrée des céréales se traduiraient par une congestion et une anarchie encore plus grandes sur le marché canadien, en regard surtout des énormes surplus américains. Les réserves américaines actuelles de céréales fourragères

sont équivalentes à quatre fois la production canadienne, alors que les réserves de blé représentent plus de deux fois cette production.

L'accumulation de ces surplus a d'ailleurs été encouragée en grande partie par les énormes subsides que le gouvernement américain a consentis aux producteurs de céréales dans le cadre de sa guerre ouverte avec les pays de la communauté européenne. À titre d'exemple, en 1986, le gouvernement américain versait à ses producteurs des subsides de 2,63 $ par boisseau de blé et 1,06 $ par boisseau d'orge. Les chiffres correspondant pour le Canada étaient respectivement de 0,75 $ pour le blé et de 0,33 $ pour l'orge. C'est sur la base de tels chiffres, d'ailleurs, que le gouvernement canadien a imposé une surtaxe sur le maïs américain importé au Canada.

Dans un tel contexte, il est complètement inapproprié de penser à un commerce harmonieux et mutuellement avantageux de céréales entre le Canada et les États-Unis.

La production bovine. La suppression du droit des producteurs d'administrer des plans conjoints et la disparition des programmes d'assurance-stabilisation des revenus pour les producteurs de ce secteur représentent un coût excessif à rencontrer dans une optique de libre-échange. Il existe déjà dans ce secteur un mouvement assez libre entre les deux pays. On sait qu'il n'existe pratiquement pas, pour ne pas dire pas de tarifs douaniers, enfin pas de tarifs importants.

La possibilité de relâchement des normes canadiennes d'hygiène plus sévères que les américaines et qui ont contribué à éviter par le passé la propagation de maladies au cheptel canadien et éviter la vente de produits de mauvaise qualité aux consommateurs ajoutent aux coûts d'une entente de libre-échange canado-américaine. Ces normes étant des barrières non tarifaires, elles devront être harmonisées au niveau des normes américaines, avec des conséquences qui pourraient être importantes sur la santé des troupeaux canadiens.

La production porcine. Il existait, jusqu'en 1985, un commerce de viande de porc sans barrière importante entre le Canada et les États-Unis, sauf peut-être des normes d'hygiène plus sévères qui empêchaient l'importation de porcs vivants au Canada. Les producteurs de porc, qui n'exportaient que 5 % de leurs produits en 1971, ont accru de façon considérable leur part du marché d'exportation. En 1985, plus de 30 % de la production de porcs fut exportée en majeure partie vers les États-Unis.

Depuis, les Américains ont imposé un important droit compensatoire pour tenter de freiner la montée des exportations canadiennes.

L'imposition d'un droit sur la viande de porc est imminente, car un projet de loi à cet effet est actuellement devant le Congrès américain. L'impact négatif serait majeur et notamment pour le Québec.

Même s'ils subventionnent exagérément leur agriculture, subventions dont les effets se traduisent dans toutes les productions, y compris le porc, les Américains demandent que le Canada modifie substantiellement ses politiques agricoles et, en particulier, mette fin à toute forme de stabilisation des prix et surtout des revenus.

Le porc comme le bois d'oeuvre sont deux excellents exemples de ce qui adviendrait dans l'éventualité d'un accord de libre-échange. Tant qu'ils auraient besoin de nos produits, les Américains les laisseraient entrer librement. Lorsque ce ne serait plus le cas, libre-échange ou pas, ils trouveraient unilatéralement les moyens de prouver que les producteurs canadiens leur font une concurrence déloyale.

Les Américains éprouvent, à cause de leur pouvoir de contrôle actuel, de graves réticences à confier à un organisme d'arbitrage neutre le soin de régler les différends commerciaux de cette nature. Entre nos deux pays, cet objectif primordial du gouvernement fédéral dans les présentes négociations ne sera certainement pas atteint. Les Américains ont clairement établi dès le début des négociations que les décisions finales en matière de lois commerciales relèveraient toujours des autorités politiques américaines. (16 h 45)

Certaines productions en développement ont vu leurs efforts périmés ces dernières années, à cause justement d'une trop grande liberté des échanges permise par notre gouvernement canadien, sans condition aucune des pays exportateurs. C'est le cas notamment des productions de moutons et d'agneaux au Canada.

Notre degré d'autosuffisance dans cette production, dont les opportunités au niveau du marché domestique sont incontestables, était, de peine et de misère, passé de 20 % en 1980 à 75 % en 1985. Il est retombé en deçà de 30 % en une seule année, à cause principalement de l'augmentation considérable des importations d'agneaux frais et congelés de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie.

Ces deux pays s'étaient abstenus jusqu'en 1984, par des restrictions volontaires, de desservir à Noël et à Pâques notre marché en agneaux et en moutons frais.

Voyant leur marché glisser et notre qualité de produits surpasser la leur, ils ont abandonné cette entente volontaire, s'attaquant dorénavant aux 30 % résiduels de la demande canadienne pour les produits frais. Pire encore, ils se proposent maintenant d'exporter au Canada des animaux vivants, toujours sans réaction du

fédéral.

Un libre échange canado-américain ne contribuera sûrement pas à redonner des bases de développement à cette production. Les Américains sont déjà autosuffisants à 90 %, accordent un soutien à leur production et ne semblent pas prêts à concéder leur marché domestique aux Canadiens, aux Néo-Zélandais ou aux Australiens.

Il est évident qu'un recul dans la production agricole primaire affecterait négativement le segment de la transformation agro-alimentaire avec des pertes de milliers d'emplois qui s'ensuivraient.

Mais, déjà au départ, les entreprises québécoises, elles-mêmes, sont reconnues comme relativement sous-capitalisées face aux entreprises américaines. Elles ne peuvent en ce sens bénéficier d'économies d'échelle possibles aux États-Unis. À cela s'ajoute que dans certains secteurs les entreprises américaines disposent d'une capacité excédentaire extraordinaire.

Le libre-échange aurait un effet désastreux pour le secteur de la transformation laitière, responsable du maintien de 8551 emplois directs au Québec, c'est-à-dire 32 % des emplois canadiens dans ce secteur. L'instabilité très grande que nous appréhendons du niveau primaire, étant donné la disparition des contingentements, tant au niveau de la production que des importations, et à la limite l'anéantissement d'une grande partie des exploitants se répercuteraient très certainement au segment de la transformation. Les perspectives d'exportations sur le marché américain sont nécessairement nulles, étant donné la surproduction américaine et les surplus accumulés et qui continueront de s'accumuler dans l'avenir.

Le sort des abattoirs et des salaisons québécois est nécessairement lié à celui qu'on anticipe dans les secteurs de l'élevage et qui seront particulièrement négatifs dans celui de la volaille et des oeufs. Plus de 10 000 travailleurs et travailleuses québécois sont employés à la transformation, dont près de 3000 oeuvrent dans la transformation des oeufs et de la volaille, productions où l'on anticipe au niveau primaire une déstabilisation complète. De même, l'abolition des tarifs douaniers sur certains produits de viande, tels le boeuf en conserve, envenime cette situation négative en affectant par ricochet les secteurs du bovin et de la vache de réforme.

Étant donné l'avantage climatique des États-Unis, il est évident que l'industrie québécoise de la transformation des fruits et légumes subirait durement les affres d'une entente de libre échange, impliquant l'abolition des barrières tarifaires permanentes sur les produits transformés. Le segment de la mise en conserve, notamment, responsable de 96 % des 2719 emplois québécois dans la transformation, ne pourrait supporter cette concurrence indue et qui n'a rien à voir avec son degré d'efficacité.

Dans le secteur des brasseries, nous n'entrevoyons d'aucune façon des gains pour le Québec et le Canada. La situation est telle dans ce secteur aux États-Unis qu'une seule entreprise moderne pourrait produire autant que les 40 petites brasseries canadiennes. La capacité excédentaire de l'industrie américaine est actuellement de l'ordre de 50 000 000 de barils par année, soit plus de deux fois la production canadienne. Le libre échange signifie certainement la disparition de cette industrie canadienne, dont les 5200 emplois québécois qui s'y rattachent.

Finalement, le recul de la production primaire se refléterait nécessairement dans les nombreuses industries spécialisées dans les intrants agricoles et, parmi celles-ci, l'industrie de la moulée, principal intrant des productions avicole et porcine avec ses 3000 emplois québécois.

Alors, rien à gagner mais presque tout à perdre d'un libre échange canado-américain, voilà le contrat que propose le gouvernement fédéral et que s'empresse d'entériner trop souvent le gouvernement du Québec, sans mandat et sans rendre publiques les études dont il dispose sur cette question. On se demande si un quelconque séjour sur les bords d'un lac renommé n'a pas quelque chose à voir avec cet empressement subi du gouvernement du Québec à appuyer l'initiative fédérale.

Non content d'avoir cédé sur les questions du pouvoir de dépenser des provinces et de la reconnaissance officielle d'un Québec de langue française, le gouvernement du Québec, par un appui à une éventuelle entente bilatérale, se fait à la fois l'artisan et le complice d'un recul pour la collectivité québécoise.

On invite en particulier les agriculteurs et agricultrices du Québec à assister, les bras croisés, au saccage d'un système agricole qu'ils ont mis plus de 60 ans à construire, 65 années plus exactement depuis l'UCC, pour faire admettre aux deux paliers de gouvernement que l'agriculture est un secteur particulier, à haut niveau de risque et économiquement important par ses retombées directes et indirectes. Que l'agriculture c'est aussi des fonctions sociales essentielles, dont notamment l'occupation et l'aménagement d'un vaste territoire comme celui du Québec, la contribution à la diversité des cultures et moeurs régionales ainsi qu'à la richesse collective.

Toutes ces années pour amener les gouvernements à participer à l'établissement graduel des conditions nécessaires au développement de ce secteur stratégique, à

l'encouragement des producteurs et productrices agricoles à poursuivre leurs activités, et à la transmission d'un patrimoine familial d'une valeur inestimable, génération après génération,

Ces conditions, nous avons sensiblement réussi à en réunir plusieurs dans un ensemble de mesures québécoises et canadiennes qui caractérisent le système agricole.

C'est tout cela et davantage, par deux simples signatures, qu'on se propose de compromettre pour satisfaire aux exigences d'un traité de libre-échange avec les États-Unis.

Un démantèlement de notre système agricole pour, en contrepartie, épouser la façon de faire américaine, dont l'anarchie et l'inefficacité des interventions gouvernementales ponctuelles et excessivement coûteuses en constituent les principales qualités. Et cela n'est pas en voie de se régulariser. Le président américain peut bien dire n'importe quoi sur l'élimination totale du soutien de l'agriculture, il est en fin de mandat et, une semaine après cette déclaration, il faisait voter des crédits supplémentaires au budget agricole.

On nous offre, en revanche, l'utopie d'un accès garanti au vaste marché américain de 240 000 000 d'affamés, de devenir plutôt un débouché non négligeable pour écouler la surproduction américaine, d'abondonner nos fermes familiales et de joindre le rang des chômeurs, de fermer nos usines de transformation, de réduire sensiblement notre degré d'auto-approvisionnement alimentaire pour dépendre du bon vouloir des Américains, de faire enfin des régions rurales du Québec des immenses Schefferville.

Qu'on ne nous propose surtout pas une exclusion de l'agriculture d'une éventuelle entente bilatérale, comme l'ont fait, avant, certains ministres pour nous rappeler quelques minutes après que tout était sur la table - ce sont aussi certains ministres provinciaux et même le premier ministre du Québec - pour se contredire à peine quelques mois suivant ces déclarations.

On se souvient lors d'un voyage en Europe où l'agriculture était exclue et, pourtant, quelques jours plus tard, tout était sur la table. Nous avons eu souvent la preuve par des mémos des négociateurs que, d'un côté, les Américains affirmaient, par leurs sénateurs ou leurs personnes politiques, que tout était sur la table, même l'agriculture, et pourtant, de ce côté, on niait.

S'il était question d'exclure l'agriculture, il faudrait, dans l'esprit de l'UPA, qu'on soustraie également les industries de transformation agro-alimentaires et toutes les autres en amont et en aval de l'agriculture.

Nous préconiserions l'exclusion de la culture, des programmes sociaux et de tout ce qui fait la richesse et l'originalité de la société québécoise, de cet accord.

L'UPA revendiquerait enfin qu'on exclue l'ensemble des secteurs où, dans les études que nous avons menées de front avec les organisations membres de la coalition québécoise d'opposition au libre-échange, on a pu identifier des pertes de milliers d'emplois québécois, des secteurs perdants où 200 000 emplois sont en jeu - cela, c'est certain - face à des secteurs gagnants, responsables du maintien de 30 000 emplois. En plus, 53 000 emplois sont en jeu, peut-être d'une façon moins radicale, dans un secteur qui aurait des effets assez négatifs, en tout cas, beaucoup plus négatifs que positifs, sans oublier les 400 000 emplois dans le secteur des services. On sait qu'il y a une étude du MIC aussi qui nous a révélé, pas nécessairement révélé, mais qui, tout au cours de cette étude était très négative et qui disait en conclusion: Malgré tout cela, un accord de libre-échange va être excellent.

Autrement dit, nous sommes sur toute la ligne en désaccord avec ce projet. On ne doit pas toutefois traduire une opposition globale à ce projet comme une fermeture à l'amélioration du commerce avec les États-Unis ou les autres pays ou une fermeture à une plus grande liberté des échanges, loin de là. Nous commerçons internationalement et nous sommes conscients que les Américains sont actuellement nos principaux acheteurs sur les marchés d'exportation. Comme vous tous également, nous sommes pour la vertu de la liberté. Dans le cas de l'approvisionnement alimentaire toutefois, la liberté s'arrête où celle qui met en cause l'intérêt de la société québécoise commence.

Nous croyons simplement que le cadre des négociations actuelles avec les États-Unis n'est aucunement celui qui convient et que c'est dans des négociations multilatérales au sein du GATT que nous serons en meilleure posture et que nous parviendrons à des objectifs vitaux, secteur par secteur, là où c'est mutuellement avantageux au chapitre des échanges internationaux.

Dans le secteur agricole en particulier, nous pourrions arriver gagnants aux prochaines rondes de négociations, puisque notre façon de faire dans plusieurs secteurs de production convient parfaitement aux grands objectifs qu'il faudrait atteindre au niveau international, des objectifs qui sont triples.

Une discipline dans les niveaux de production. Le succès de la gestion de l'offre dans les secteurs du lait et de l'aviculture, sans surplus, témoigne de la capacité de cette mesure à atteindre cet objectif. Cette gestion traduit également la réalité que le secteur agricole, quoi qu'on en dise, a besoin d'un certain niveau de protection dont les éléments cohérents et complémentaires tels les contingentements à la production, les

restrictions à l'importation et certaines barrières douanières, en assurent le succès pour le plus grand bénéfice des consommateurs.

L'élimination des soutiens excessifs de l'État. Cet objectif sur lequel s'entendent tous les spécialistes s'adresse d'abord et avant tout aux États-Unis et aux pays membres de la CEE, ces pays qui ensemble ont semé la pagaille sur le marché international des denrées en subventionnant excessivement leurs exportations et qui sont en grande partie responsables d'une grande remise en cause de l'État en agriculture. C'est 35 000 000 000 $ aux États-Unis, 30 000 000 000 $ la CEE, 10 000 000 000 $ au Japon.

Les négociations du GATT offrent l'occasion à ces pays de réajuster leurs niveaux d'intervention sur celui plus normal des gouvernements québécois et canadien, un niveau dont l'organisation de la mise en marché collective, ordonnée et efficace contribue et contribuera encore à l'avenir à maintenir un minimum, au fur et à mesure que les plans conjoints atteindront leur maturité.

Qu'on ne se leurre surtout pas, le soutien de l'État en agriculture sera toujours nécessaire et même les organisations telles que l'OCDE le préconise. Ce soutien doit s'inscrire, selon celle-ci, dans l'ordre des préoccupations économiques, sociales et autres tels la sécurité et la stabilité alimentaire, l'emploi global et l'assurance en outre d'un revenu décent et encourageant pour ceux et celles qui sont à la base de la chaîne agro-alimentaire.

Une ouverture des frontières aux produits agricoles des pays en développement. Nous sommes conscients des problèmes qu'éprouvent ces pays qui, bien souvent, ont, comme seule richesse, celle récoltée de leur commerce agricole extérieur pour faire face à leur énorme dette et assurer leur développement. Le Canada a été plus que disposé par le passé à favoriser l'essor de ces pays, continuera de le faire dans l'avenir et l'UPA est prête à y contribuer. Le GATT nous offre le forum idéal pour trouver des solutions internationales à des problèmes internationaux.

C'est cela et rien d'autre que nous demandons au gouvernement du Québec. On lui demande d'appuyer auprès du gouvernement fédéral les positions que nous avons prises. Nous le pressons en même temps de retirer son appui, c'est bien évident, à toute entente de libre-échange avec les États-Unis. On n'a qu'à regarder les réactions de la dernière rencontre des premiers ministres cette semaine. Je prendrai la réaction du nouveau premier ministre de l'Ontario qui dit: En fait, toutes les appréhensions qu'on avait viennent de nous être confirmées. (17 heures)

Alors, messieurs, mesdames, les députés, vous excuserez peut-être la longueur, mais notre secteur est tellement immense que je pense qu'il était important qu'on puisse en faire le tour le plus vite possible, mais le plus complètement possible. Alors, mes collègues et moi sommes disposés à répondre à vos questions, s'il vous en reste.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Proulx. Sans tarder je vais céder la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonaldï Excuse2-moi, c'est un problème de régie interne. On avait dit qu'on arrêtait pour quelques secondes. Je n'ai pas d'objection à continuer. Pas de problème.

M. le président, votre mémoire, essentiellement, rejoint celui que vous avez déjà présenté devant le comité Warren. Il est essentiellement aussi la représentation, en fait, dans tous les détails, n'utilisant pas les mêmes adjectifs, mais tout de même cherchant à faire les mêmes points, du dossier tel qu'il a été présenté au comité interministériel par le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation. Malgré cela, M. le président, je me sens obligé de faire appel à cette expression de Hugh MacLennan, Deux solitudes, ou si vous voulez, du verre à moitié plein et du verre à moitié vide.

Effectivement, si je fais la somme des déclarations faites par les représentants du gouvernement du Québec, que ce soit moi-même - excusez-moi, je devrais commencer plutôt par le premier ministre - ou, dans le domaine de l'agriculture, M. Pagé, ou d'autres collègues, on dit essentiellement, à quelques points près, exactement la même chose que vous. Et malgré cela, on se retrouve avec une position où vous, vous dites: Notre conclusion c'est - et je la lis -Nous demandons au gouvernement du Québec d'appuyer... Nous le pressons en même temps de retirer son appui à toute entente de libre-échange avec les États-Unis.

Me limitant au secteur de l'agriculture, au départ, je fais référence aux conditions de l'appui du Québec à un accord de libre-échange, conditions qui ont été discutées nécessairement après avoir pris connaissance de ce qu'étaient les éléments non néqociables identifiés par le gouvernement canadien et auxquels il fallait se faire une idée si on y souscrivait ou non. M'adressant à celle-ci, je reprends les préoccupations que vous avez mentionnées, eu égard, par exemple, à la souveraineté canadienne. Cela faisait partie de ces éléments non négociables, et on l'a répété, on l'a répété à maintes reprises. Il n'est pas question de négocier la souveraineté politique. Il n'est pas question de remettre en cause les programmes sociaux. Aujourd'hui, votre collègue de la

Coopérative fédérée de Québec, M. Pelletier, a donné rapidement cet exemple de la douzaine d'oeufs qui coûtait moitié moins cher à Albany, mais l'accouchement ou une autre intervention médicale en coûtait dix fois plus. C'est un choix qu'on s'est donné comme Canadiens et comme Québécois. Il n'est pas question de négocier cela.

La même chose pour ce qui a trait à la capacité des gouvernements de pouvoir influencer le développement régional. La même chose pour ce qui a trait à l'identité culturelle. Ce n'est pas négociable. Et encore, d'une façon plus particulière au Québec, la question du caractère linguistique particulier. Mais quand je reviens à ces conditions de l'appui du Québec, on parle du respect intégral de ses compétences législatives, on parle du respect intégral de ses lois, programmes et politiques dans les domaines de la politique sociale, des communications, de la langue et de la culture. Et j'en passe, pour aller à ce qui a été décidé comme position du Québec sur les représentations qui nous ont été faites par le ministère de l'Agriculture, dès le départ, le maintien d'un statut spécial pour l'agriculture et les pêcheries. Et je vais encore prendre notre dernière conclusion et je suis sûr que mon collègue pourra peut-être en traiter, le maintien de son droit d'approuver ou non l'entente en fonction de l'évaluation ultime qu'il fera à la lumière de ses intérêts fondamentaux.

Le point que je vais faire, M. le Président, c'est que sur le plan de l'agriculture, de la conservation des offices de commercialisation, des programmes de stabilisation des prix, de la question des tarifs en général soulevée plus particulièrement dans le cas de la représentation du Regroupement avicole du Québec et dont mon collègue a traité avec une fermeté que je n'ai pas à souligner encore plus, nous avons catégoriquement déclaré qu'il n'était pas question de sacrifier les structures ou l'organisation de tout ce secteur agricole québécois qu'il a fallu des années d'efforts à se donner et qui fonctionne aujourd'hui.

Mais voyant la conviction avec laquelle vous défendez les intérêts de votre groupement, je suis surpris de votre non-acceptation des intérêts d'autres qui se sont présentés et qui vont se présenter devant nous et qui, aussi catégoriquement que vous le faites pour l'agriculture, reprennent d'abord, en premier lieu, ce qui s'applique pour eux et pour l'agriculture, c'est-à-dire que l'objectif premier de la négociation avec les États-Unis - et c'est également notre objectif premier au Québec - est de se prémunir vis-à-vis de ces actions unilatérales américaines qui, sans avis et très souvent sans fondement valable, viennent pénaliser nos producteurs, comme cela a été fait dans le cas du porc, dans le cas des pêcheries ou dans le cas du bois de sciage. Maintenant, c'est la potasse et autre chose.

L'objectif premier est de protéger nos marchés. Ne parlons pas d'ouvrir de nouveaux marchés. Protégeons les marchés que nous avons déjà et protégeons les exportateurs canadiens des actions unilatérales américaines. Je crois que cette seule raison justifie la position québécoise. Les représentants de la Coopérative fédérée qui, à mon avis, regroupent 35 000 participants dans votre industrie, ont ajouté d'autres raisons, mais cette raison seule met de côté, je crois, ou va à l'encontre de cette déclaration que vous faites: "nous les pressons en même temps de retirer leur appui à toute entente de libéralisation des échanges."

Les organismes dits mous mais performants du meuble - je prends ceux-là, les mous, parce qu'on en a parlé souvent. D'ailleurs, maintenant, ils n'aiment pas bien cela; la majorité des gens qui oeuvrent dans cette industrie nous disent: Arrêtez de nous parler du secteur mou; ce n'est pas de cette façon qu'on se caractérise - du textile, de la chaussure ou du meuble, ou les industries relativement nouvelles comme le transport en commun, l'avionique, l'aéronautique, l'électronique, l'informatique, les secteurs financiers québécois qui ont démontré que, même partis de bases modestes, ils étaient capables de concurrencer les meilleurs que les Américains pouvaient mettre en ligne, ces gens-là - même si, dans plusieurs secteurs que j'ai mentionnés, vous allez me dire qu'il n'y a pas de tarifs, vous savez comme moi qu'il existe nombre de barrières tarifaires; votre connaissance approfondie des méthodes américaines de commerce international m'évite de continuer à discourir sur ces restrictions - l'ensemble de ces entreprises que je viens de mentionner nous disent qu'il y aurait avantage pour elles à ce qu'on négocie avec les Américains une plus grande ouverture, une diminution de ces barrières et surtout, et j'y reviens, une protection contre les actions punitives unilatérales.

Dans ce contexte, je vous demanderais, M. le Président, si en acceptant - et je ne veux pas commencer une polémique avec vous, parce que je pense, comme je vous l'ai dit au départ, et je suis même convaincu, que nos positions se rapprochent beaucoup, et je crois que vous ne mettez sûrement pas en doute la parole du ministre de l'Agriculture -le fait qu'il n'est pas question de mettre en danger sous quelque forme que ce soit tous les éléments de cette politique agricole que vous avez mentionnée, en acceptant ceci, mais également le fait que d'autres peuvent avoir des avantages dans tout ceci et qu'il a plusieurs intérêts que nous, comme gouvernement du Québec, devons représenter avec autant d'acharnement et de fermeté, vous maintenez qu'il devrait n'y avoir aucune

entente quelconque avec les États-Unis.

M. Proulx: Je continue à dire que, dans le décor dans lequel cela a été fait depuis dix-huit à vingt mois et très prochainement deux ans, on doit dire non, parce que le discours change continuellement, M. le ministre. Cela ne fait pas si longtemps, je suis persuadé que vous l'avez dit, c'était le marché américain. L'objectif à atteindre, c'était avoir accès au marché américain. Il n'y a pas que vous qui l'avez dit, tout le monde l'a dit.

M. MacDonald: C'est secondaire.

M. Proulx: Vous ne l'avez peut-être pas dit, mais il y a une multitude de gens qui l'ont dit. Aujourd'hui, on dit: C'est pour protéger notre marché. Je vais vous donner seulement un exemple. Je suis certain que vous le connaissez. Il y a un traité de libre-échange dans le monde, à l'heure actuelle, un peu semblable, entre les États-Unis et Israël. Vous savez ce que cela donne. Les États-Unis ont gardé toute la partie de l'armement qui représente des milliards et des milliards - je crois que c'est 700 000 000 000 $ - pas le droit de toucher, c'est un petit écart. Cela n'a pas empêché les Américains, même à l'intérieur de la première année de cette entente, de mettre des surtaxes sur certains produits. Exactement, ils l'ont toujours dit. Il faut se souvenir qu'il y a des éléments qui ont toujours été là. Le droit des Américains de mettre des droits compensatoires. Ils ne se sont jamais cachés pour le dire. Ils l'ont toujours dit haut et fort. Le tribunal d'arbitrage neutre et exécutoire, ce sont deux éléments essentiels à une entente. Ils ont toujours dit qu'il n'en était pas question, c'était leur souveraineté. Encore ces jours-ci, à la télévision, j'ai vu des sénateurs américains affirmer qu'il n'était pas question de cela.

Vous dites: Telle affaire ne sera pas là-dedans, telle autre affaire non plus. Il n'y a plus rien là-dedans. Pourquoi négociez-vous si intensément? Il n'y a plus de secteurs. Il n'en reste plus que quelques-uns. Pourquoi tout ce branle-bas, ces dépenses énormes, et cette mobilisation de toute la population? Il y a une crainte. S'il n'y a plus rien, s'il n'y a plus la culture, s'il n'y a plus l'agriculture, s'il n'y a plus nos secteurs X et nos secteurs Y, pourquoi ne continuons-nous pas comme avant? Depuis la fin de la guerre, M. le ministre, il y a eu une augmentation graduelle du commerce entre le Canada et les États-Unis. On en est à 75 %, à 80 %. Il ne reste plus que 4, 5 ou 6 % à aller chercher. Cela ne peut pas vraiment être complet. C'est quand on regarde cela en omettant les surproductions, etc.

Pour moi, protéger nos marchés... vous le savez comme moi, la dignité attire la dignité. On n'a pas à plier devant les Américains. Le Canada n'a pas réglé son problème de bois d'oeuvre en prenant les devants et en mettant une taxe à d'autres endroits. II a courbé l'échine et il va continuer à courber l'échine. Pourquoi les Américains - continuons avec l'exemple du bois d'oeuvre - ont-ils mis uniquement une taxe sur le bois d'oeuvre? Pourquoi n'en ont-ils pas mis sur la pâte et sur le papier? La réponse est simple, je pense, c'est qu'ils ont besoin de la pâte et du papier. Ils en ont absolument besoin. Le New York Times et d'autres journaux ont besoin de papier tous les jours. Pourquoi n'ont-ils pas mis de taxe là? Ce sont des questions auxquelles personne n'est capable de nous répondre.

À mon avis, c'est en se tenant debout qu'on va se faire respecter. Le respect attire le respect. Les États-Unis, ce n'est pas la fin du monde. Quand ils achètent chez nous, c'est parce qu'on leur vend meilleur marché qu'ailleurs. Ne nous racontons pas d'histoires. Il n'y a pas d'Américains qui achètent ici pour nous faire plaisir. Ils achètent parce qu'ils viennent faire un bon "bargain", parce que c'est payant. Le matin que ce ne sera plus payant, ils ne viendront plus. Je vous ramène aux deux points majeurs d'une vraie entente: Ce serait d'accepter qu'il n'y aura plus jamais de droits compensatoires et qu'il y aura vraiment un tribunal neutre qui va être exécutoire. C'est là que tout se joue et, à mon avis, on a trop tendance à oublier ces parties. Le seul exemple, c'est avec Israël et ce n'est pas avec celui-là que vous allez vous convaincre. (17 h 15)

M. MacDonald: C'est exactement cela et je suis content que vous le mentionniez. Ce n'est justement pas le genre d'entente passée avec Israël que nous, Québécois, appuyons comme position à atteindre. Cette entente-là, justement, ne prévoyait absolument rien de différent au règlement des différends à la frontière. Comme vous l'avez très bien dit, dans la première année, les Américains ont fait appel à leur "trade remedy laws". Donc, vous venez témoigner à nouveau avec nous, dans votre conclusion, qu'il faut trouver un moyen quelconque. Rappelez-vous aussi que le traité avec Israël ne couvrait que 2 000 000 000 $ de transactions. La nature des transactions entre le Canada et les États-Unis, c'est 150 000 000 000 $ par année. Qu'on le veuille ou non, c'est le principal débouché international des biens et services pour le Canada. Je vous rejoins très bien dans cette notion qu'il faut - appelez-le un tribunal; on peut lui trouver d'autres désignations trouver un moyen - c'est ce que nous avons dit depuis le début - beaucoup plus civilisé, beaucoup plus logique de régler nos différends à la frontière.

J'aimerais terminer, et ainsi laisser la parole à mon collègue, en vous faisant la remarque suivante. Permettez-nous d'être très sceptiques sur notre capacité de réaliser quelque chose de concret à l'intérieur d'un délai convenable au sein du GATT. Je crois connaître le GATT. L'agriculture, par le fait même, est un des sujets très importants qu'on a essayé de traiter au GATT. Cela a été le plus grand fiasco et le plus grand gâchis qu'on peut imaginer. Deuxièmement, le GATT, loin de se raffermir, s'est plutôt affaibli.

Je conclurai en disant que, même si ce ne sont que des questions de normes d'hygiène ou certains barèmes de vérification technique, si nous ne sommes pas capables dans une entente bilatérale avec les États-Unis de régler quelque chose, franchement je suis plutôt sceptique qu'avec 91 autres pays à une table dans le contexte du GATT on puisse réaliser quoi que ce soit. Merci tout de même de votre présentation et, comme je vous le dis, je ne me sens pas tellement éloigné de vous.

M. Proulx: J'ai hâte que vous soyez complètement à l'aise avec nous.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): M. le président, merci pour la présentation de ce mémoire. Je dois dire que, de ce côté-ci, on se sent bien à l'aise avec votre position parce qu'on a été clairs dès le début sur le fait qu'il fallait absolument exclure tout le secteur de l'agriculture, et de la culture, soit dit en passant.

Votre mémoire est bien étoffé. Il est clair, net et précis. Je trouve quand même extraordinaire de voir le ministre du Commerce extérieur réussir, par de bonnes pirouettes politiques, à dire et oser dire qu'on n'est pas loin d'une position semblable. Je l'ai mentionné hier et on doit le souligner aujourd'hui, lorsqu'on parle du secteur de l'agriculture, si j'ai bien compris - à moins que je n'aie mal compris et la commission parlementaire est là, une fois pour toutes, pour qu'on s'explique bien - la position du gouvernement, c'est de dire au point 6 dans les conditions d'appui... Si le président de l'UPA, M. Plourde, a des réponses qu'il a obtenues que nous n'avons pas réussi à obtenir, j'aimerais les avoir. Si on ne les a pas, il faudra que le ministre les donne.

Qu'est-ce que c'est exactement que le gouvernement du Québec, le 16 septembre 1987, entend par le maintien d'un statut spécial pour l'agriculture et les pêcheries? Y a-t-il une différence entre le maintien du statut, ce que le gouvernement tente de défendre, et ce que l'Union des producteurs agricoles dit et ce que nous disons, à savoir que nous voulons une exclusion totale? S'il y a une différence - j'ai tout lieu de croire qu'il y en a une et c'est ce que je comprends - c'est qu'il y a effectivement des choses qui sont sur la table en train de se négocier aujourd'hui. Je voudrais savoir ce que signifie exactement ce qui est en train de se négocier. Je pense que votre démonstration n'est pas démagogique. La démonstration faite dans votre mémoire, M. Plourde, est bien appuyée, bien étoffée. Vous savez drôlement de quoi vous parlez.

Je pense que votre position catégorique, M. Proulx, est une position dans laquelle vous êtes entièrement dans vos droits. Si le gouvernement vous a fourni des réponses quant à son statut particulier, son statut spécial, nous essayons de le savoir. Je me souviens que le 22 mai - j'ai relu les notes tantôt - lors de l'interpellation en Chambre avec mon vis-à-vis, le ministre du Commerce extérieur, on n'avait pas pu obtenir ces réponses-là mais, encore là, on était à cinq mois de la fin des négociations. On sait que la position du gouvernement n'a pas changé. On sait que des enjeux importants sont en train de se jouer. Je pense que, si on veut vraiment que le débat avance, il faudra avoir des éclaircissements, tant vous que nous, à savoir ce que signifie exactement le fameux maintien d'un statut spécial. Est-ce que les quotas sont remis en question? Est-ce que les tarifs sont remis en question? Qu'est-ce qui est remis en question? Je comprends qu'effectivement le gouvernement du Québec n'a pas exclu l'agriculture dans ses positions.

Je ne sais pas si vous avez des réponses, mais si vous ne les avez pas, je vous prierais de les demander au gouvernement.

M. Proulx: Je n'ai pas de réponse. On a posé des questions en de multiples occasions. D'abord, je voudrais vous dire que vous êtes bien d'accord, mais tout le monde est d'accord pour exclure l'agriculture. Ils nous l'ont dit depuis le départ, sauf que c'est plus que ça pour nous, et je pense que vous l'avez constaté. Il ne suffit pas d'exclure l'agriculture. L'agriculture n'est plus ce qu'elle était il y a 30 ans, isolée, à peine autosuffisante pour la ferme. C'est le secteur le plus important au Québec. Ce n'est pas parce qu'on nous dit qu'on est bien d'accord pour exclure l'agriculture que cela nous contente, parce qu'on vient de nous prendre par la bande d'une manière ou d'une autre. On l'a dit clairement à l'intérieur de notre mémoire.

Il y a tellement d'ambiguïté là-dedans. Cela a tellement d'effets complètement négatifs sur toute l'économie - de quelque secteur que ce soit - qui en souffrirait. Je pense que tous ceux qui, depuis le début, ont

essayé de nous dire... On ajoute, au fur et à mesure que les besoins se font sentir, différents secteurs qu'on va exclure, cela ne fait qu'ajouter de l'ambiguïté à mon avis. Encore une fois, exclure l'agriculture uniquement, c'est ni plus ni moins pour nous essayer de se donner bonne bouche ou essayer d'entrer dans le décor d'une certaine façon. Les secteurs en aval ont une influence énorme sur les coûts en agriculture et cela va se répercuter.

Encore une fois, vis-à-vis de vous aussi, on dit que c'est plus ou moins clair parce que vous avez de petites tendances à vouloir être pour certains secteurs. Je voudrais rappeler qu'on a souligné tout à l'heure que des secteurs étaient venus dire ou viendront dire qu'ils sont d'accord. J'ai hâte de les voir vous mettre quelque chose de potable sur la table montrant pourquoi ils sont pour. Je n'en ai pas rencontrés encore et pourtant on s'occupe du dossier depuis fort longtemps. Il y a peut-être le Conseil économique du Canada qui, par deux fois, s'est essayé d'en faire accroire au monde. Il a commencé à 500 000 emplois de gain et il est rendu à quelque 100 000. Cela a toujours été des rapports minoritaires. Je veux bien que ce soit crédible mais, quand même, il faudrait que ça se tienne.

Quels secteurs sont en pleine progression? On peut vous nommer Bombardier. Souvent, on aime ça. On n'avait pas le libre-échange et pourtant Bombardier a fait une progression "abominable". Pour Shermag qui est dans ma région et que je connais très bien, qu'est-ce que ça va changer, le libre-échange? Il a une progression qui surpasse tout ce qu'on peut espérer. Il n'y a pas de traité de libre-échange. Une multitude d'autres secteurs ont pris énormément d'ampleur dans les dernières années et on n'avait pas d'entente. Ce sont uniquement ceux-là qui disent que... mais ils n'ont pas de chiffres qui le prouvent. En tout cas, on n'en a pas vus. Je sais qu'il y a eu des études, mais jamais ceux qui les ont faites ne les ont rendues publiques. Nous sommes les seuls à avoir rendu publiques les études qu'on a faites parce qu'on n'a pas eu peur. Le gouvernement a fait des études. Je ne sais pas si vous les avez eues, vous êtes en meilleure position que nous pour les avoir, mais on ne les a pas eues.

M. Parent (Bertrand): Je veux vous rassurer, M. Proulx, on n'a pas eu tes études non plus et on travaille sensiblement avec les mêmes outils que vous. J'aimerais juste vous dire, par rapport à votre commentaire, qu'il a toujours été clair, lorsqu'on a parlé d'exclusion de l'agriculture et de la culture, qu'en ce qui concernait l'agriculture il s'agissait, bien sûr, des industries de transformation qui les accompagnent.

Quant au reste, oui on a des nuances et on a dit où elles se situaient exactement. Je pense que le débat n'est pas là parce qu'on le fait avec d'autres groupes, mais en ce qui regarde l'agriculture, je pense qu'on a été très clairs de ce côté. Il est dommage que vous n'ayez pas la réponse à la question que je pose, vous non plus; En quoi consiste exactement le statut spécial que défend le gouvernement, en quoi votre sort, notre sort dans le domaine de l'agriculture au Québec est actuellement en train de se jouer? Nous sommes ici, nous, des élus, vous, des représentants d'une association qui gère des millions et des millions de dollars d'activités économiques au Québec et des milliers et milliers de PME, vraiment dans le sens qu'on l'entend et nous n'avons pas, à 17 jours de la conclusion d'une entente, les éclaircissements là-dessus. En tout cas, pour ma part, je vous le dis, je trouve cela carrément inacceptable et j'espère que le gouvernement va nous donner ces réponses puisqu'on a le ministre en face de nous qui va certainement s'empresser d'éclaircir cette ambiguïté le plus rapidement possible, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, si je comprends bien, c'est un autre commentaire. Alors, je vais céder la parole... à moins que M. Proulx vous ne vouliez réagir?

M. Proulx: Juste pour compléter peut-être, pourquoi on ne veut pas uniquement l'agriculture là, c'est parce que ce sera bien beau d'avoir une agriculture bien protégée si les consommateurs n'ont plus de "job", cela veut dire qu'ils n'auront plus d'argent pour acheter nos produits; on va être poignés au bout, quand même. C'est pour cela qu'on est contre partout.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, la parole est maintenant au ministre de l'Agriculture.

M. Pagé: Merci, M. le Président, écoutez, ce que vous auriez dû faire depuis janvier 1986 et que vous n'avez pas fait...

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre a jusqu'à présent la parole.

M. Pagé: Ne venez pas dire que c'est mai qui ai commencé, depuis tantôt qu'il parle, lui.

Le Président (M. Charbonneau): Non, mais je vous arrête avant que cela dégénère. Allez-y.

M. Pagé: Vous les connaissez mieux que moi donc.

Le Président (M. Charbonneau): Je vous connais aussi alors je vous demande de...

M. Pagé: M. le Président, je voudrais remercier M. Proulx, M. Mailhot, M. Baril, M. Daoust, M. Pellerin. Je voudrais profiter aussi de l'occasion pour saluer tous les gens de l'Union des producteurs agricoles qu'ils soient au niveau des régions ou au niveau des différentes fédérations qui sont avec nous, aujourd'hui, et qui sont venus dans leur Parlement parce qu'ils s'inquiètent, et c'est explicable qu'il en soit ainsi. Non seulement on doit avoir à l'esprit le débat sur le libre-échange, cette volonté qui a été évoquée par le gouvernement du Canada de négocier une entente de libre-échange avec les États-Unis, mais il faut bien avoir à l'esprit que l'inquiétude qui anime les agricultrices et les agriculteurs du Québec s'appuie sur d'autres considérations.

Jamais l'agriculture ne se sera retrouvée dans une position aussi délicate comme vous l'indiquiez de façon assez claire, assez précise, M. Proulx. Des surplus à l'échelle mondiale en ce qui a trait aux céréales, c'est l'équivalent de deux ans peut-être de stock de report. Des pays qui étaient importateurs de céréales sont maintenant devenus des exportateurs. Une guerre commerciale très farouche entre deux entités que sont les États-Unis, notamment, et la communauté économique européenne. Des pays industrialisés qui subventionnent de plus en plus leur agriculture, et à cet égard on doit convenir que l'agriculture canadienne et l'agriculture du Québec ne sont pas les plus subventionnées dans cette vallée de géants budgétaires que sont, entre autres, les Etats-Unis et la Communauté économique européenne. Ce sont des pays de plus en plus protectionnistes, notamment les États-Unis qui, d'un côté, manifestent de l'intérêt à l'égard d'une libéralisation des échanges avec le Canada, mais qui, d'un autre côté, adoptent des mesures protectionnistes que ce soit par l'imposition de droits compensatoires ou par des subventions énormes pour aider à exporter leurs produits.

Ce qui entraîne, plus souvent qu'autrement, des chutes de prix durement ressenties par des producteurs comme ceux du Québec, qui, notamment dans la production de céréales, sont à même de le voir depuis quelques années tout comme dans les productions animales. Dans la production du porc où on est très performant, l'inquiétude est tout à fait légitime quand on voit, quand on constate que les céréales sont l'intrant principal dans cette production, et que là-bas aux États-Unis ils ont des avantages comparatifs avec nous. En voyant des appréhensions comme celles de l'imposition de droits compensatoires, je comprends pourquoi les productrices et producteurs de porcs s'inquiètent. (17 h 30)

M. le Président, il faut reconnaître que dans tout ce débat, dans toute l'analyse de ce dossier, il faut toujours avoir à l'esprit le caractère spécifique de l'agriculture et de l'agro-alimentaire au Canada et au Québec. On a une politique agricole au Québec qui s'est développée, qui s'est bâtie, où on a atteint des niveaux d'excellence, mais ce n'est pas le fruit du hasard. Cela s'est articulé principalement sur une volonté de mise en marché de nos produits mieux ordonnée pour que la gestion de l'offre soit mieux structurée avec l'objectif de correspondre davantage aux besoins des consommateurs en termes de volume et aussi, évidemment, de régularisation des prix. Cela s'est articulé aussi autour de régimes d'assurances, d'agences nationales de commercialisation.

L'agriculture au Québec aussi performante s'est bâtie à partir aussi de régimes d'assurance-stabilisation qu'on s'est donnés, pas seulement les gouvernements, mais les gouvernements et les producteurs parce qu'ils contribuent de façon assez importante; à partir aussi de la protection de nos ressources, notamment de la ressource du sol; à partir de programmes agricoles pour la . mise en place de capacité de production, de développement de marchés internes et externes; par la mise sur pied et en place d'un système très performant en ce qui concerne la qualité de nos produits. Vous savez, pour nous, ces particularités commandent et ont commandé une prise de position qu'on veut la plus claire en ce qui concerne des principes de base à respecter.

La position du Québec face au projet de libéralisation des échanges entre le Canada et les États-Unis s'articulent autour de la prise en compte que ce secteur est particulier, et cela, ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on le dit. D'ailleurs, les représentants de l'Union des producteurs agricoles le savent pertinemment par suite des nombreux échanges que j'ai eus avec eux. C'est depuis janvier 1986, à la première conférence fédérale-provinciale des ministres de l'Agriculture, si ma mémoire est fidèle, c'était exactement le 30 janvier, que j'ai indiqué au nom du gouvernement du Québec ce sur quoi on ne pouvait pas bouger d'un iota, compte tenu de l'importance pour les fondements mêmes de notre agriculture: Le droit dans un premier temps, le droit constitutionnel du Québec de favoriser le développement de son agriculture par des politiques, des actions spécifiques et complémentaires à celles du gouvernement fédéral.

Qu'est-ce que cela veut dire concrètement? En vertu de la constitution, on a une juridiction partagée en agriculture. Le Québec doit conserver ses leviers, ses pouvoirs en ce qui concerne le droit que nous avons, dans une perspective de représentation adéquate de nos productrices, de nos producteurs et de l'industrie, de développer des programmes, d'enclencher des

façons de faire, façons de faire, de consacrer des budgets pour développer notre agriculture. Et je me référais, quand on a échangé tout à l'heure avec le Regroupement avicole du Québec, à la production avicole, en disants Toute volonté du gouvernement canadien d'augmenter les quotas d'importation devait passer par des études d'impact et aussi des consensus pour les provinces, compte tenu de la juridiction que nous avons en agriculture. Cela a été dit aujourd'hui M. le député. Cela a été dit dès le 30 janvier et cela a été répété depuis.

La capacité pour le Québec d'utiliser le régime de stabilisation des revenus agricoles comme instrument privilégié pour le maintien de cette stabilité et pour assurer la croissance et la rentabilité de l'agriculture, pour nous, c'est primordial. Nos régimes d'assurance-stabilisation qu'on s'est donnés au Québec depuis 1974, même s'ils sont critiqués par d'autres provinces, notamment et particulièrement .par les Américains - on voyait des déclarations des producteurs de porcs en fin de semaine qui dénonçaient nos régimes d'assurance-stabilisation correspondent à un fondement de notre agriculture. Les Américains procèdent de façon différente. C'est par l'injection de subventions à l'exportation, c'est par l'injection de subventions à la production sur une base ad hoc. Mais le degré d'efficacité de nos programmes d'assurance-stabilisation n'est plus à démontrer. Exemple concret: Si les céréaliculteurs de l'Ouest avaient eu des régimes d'assurance-stabiiisation comme ceux que le gouvernement du Québec a adoptés en 1974, qui ont été développés depuis, si on avait eu cela dans l'Ouest canadien, le gouvernement fédéral n'aurait pas à débourser des paiements ad hoc régulièrement, dont 1 500 000 000 $ ou 1 700 000 000 $ qu'il devra débourser cette année. Aux États-Unis, les producteurs de céréales ne seraient pas dans la position où ils sont.

Il n'est pas question, en ce qui nous concerne, que quelqu'entente que ce soit vienne toucher à un principe de base comme celui-là, tout comme le maintien des offices nationaux de commercialisation. On s'est discipliné au Canada à coup de sacrifices. On se rappellera, tous, les déclarations qu'on voyait parfois à la télévision et dans les journaux. C'était terrible. Le producteur devait jeter son lait dans le drain. Pour certains, cela était dramatique. Il fallait revoir tout cela et il fallait produire comme on voulait. C'est à partir de contingentements de production qu'on s'est bâti une économie, une production rentable, justifiant les investissements, justifiant aussi le travail en capital humain qui y est consacré. C'est comme cela qu'on s'est bâti aussi tout un réseau d'industries de transformation de nos produits laitiers.

La position qu'on adopte, et on a abordé ce sujet pour votre bénéfice, M. Proulx, c'est qu'on ne peut pas évidemment se satisfaire d'une déclaration du gouvernement canadien nous disant: Ne soyez pas inquiets, les agences nationales de commercialisation vont être maintenues; exemple concret, dans le lait, dans le poulet, dans le dindon, dans les oeufs, et on l'espère le plus rapidement possible, dans les pommes de terre compte tenu de l'entente qu'on a eue. Cette prise de position de maintien de nos régimes, de nos agences de commercialisation doit être accompagnée d'une sécurité, en ce qui concerne le Canada et notamment le Québec, des arrivages des autres pays et notamment des États-Unis. Que ce soit sous forme de contingentements, que ce soit sous forme de tarifs douaniers, peu importe le vocabulaire, peu importe la procédure ou le terme, il doit être très clair que la protection, par exemple, de nos quotas laitiers, de notre production laitière doit être accompagnée d'une protection adéquate pour le produit transformé ici. Comme je le disais ce matin, s'il n'y a pas cette protection complémentaire, peut-être que dans quinze ans, on aura encore des quotas et le papier sera beau. Mais s'il n'y a pas une vache dans l'étable, ce n'est pas cela qui va faire vivre l'agriculteur. C'est clair. J'espère que c'est assez clair. Cela a été demandé, cela a été réitéré, cela a été invoqué à chacune des conférences fédérales-provinciales. Je peux vous indiquer que j'ai tous les motifs de croire que la position du Québec, qui n'est pas seulement celle du Québec, mais qui est celle des autres provinces aussi, va non' seulement être entendue, mais se reflétera concrètement dans la prise de position canadienne annoncée comme suite des échanges qu'ils ont avec leurs voisins américains.

M. le Président... II me reste deux minutes. C'est dommage. Ils ne peuvent pas me donner un peu de leur temps?

Le Président (M. Charbonneau): On peut toujours...

M. Parent (Bertrand): On va en ajouter des deux bords.

M. Pagé: II y a toute la question de la protection adéquate à fournir à nos productions pour certaines productions saisonnières. On a eu l'occasion d'y revenir ce matin. II nous apparaît qu'on doit tenir compte du caractère saisonnier rattaché à certaines productions, notamment les productions horticoles. On accorde aussi une importance de premier niveau et des exigences très claires. On ne peut pas s'associer à une démarche qui aurait comme résultat de diminuer ou d'affecter notre juridiction en matière de réglementation

technique- Qu'il suffise de se référer à toutes nos normes sur la qualité des produits, nos normes sanitaires, etc. Par contre, il faut pousser l'analyse jusqu'au bout, M. Proulx. C'est là que j'ai une question à vous poser. Je vais terminer là-dessus.

II n'est pas impossible, pour ne pas dire qu'il est probable que la position américaine voyant que le Canada ne céderait pas, c'est ce qu'on espère, sur les agences nationales de commercialisation, sur nos régimes d'assurance-stabilisation, sur le droit d'orienter notre propre agriculture, tout en établissant clairement qu'on ne pourra pas faire indirectement ce qu'on ne peut pas avoir directement au niveau de l'entrée des produits transformés venant de l'extérieur... il faut quand même s'attendre à des réactions, et une qui est possible, c'est évidemment au niveau du porc. On produit un porc de haute qualité, dont le pourcentage de gras est très faible. Même si nos intrants sont plus chers qu'aux États-Unis, même si on a des avantages comparatifs plutôt que des désavantages comparatifs, si je peux utiliser le terme, c'est un marché important pour nous sur les 700 000 000 $ qu'on y exporte en produits agricoles, et une bonne partie, c'est le porc de chez nous, si on a des droits compensatoires qui sont exigés. Est-ce qu'on a eu une analyse de l'impact qui a été faite, soit par l'UPA ou par la Fédération des producteurs de porcs?

Le Président (M. Charbonneau): M.

Pellerin.

M. Pellerin (Laurent): M. le ministre, pour avoir participé dans la question de la douane du porc depuis le début de la demande des Américains de fixer des droits compensatoires sur le porc, depuis le début de l'année 1985, je peux vous dire que, dans tout ce processus-là, il n'a jamais été question, avec tous les producteurs américains, les avocats, les fonctionnaires américains qu'on a rencontrés, de tribunal paritaire pour analyser les subventions reçues au Canada et aux États-Unis. Il n'a jamais été question de comparaison et c'est là que cela faisait un peu mal sachant comment les producteurs américains étaient soutenus financièrement par la production de céréales, largement subventionnée aux États-Unis, alors qu'on pourrait qualifier les sommes qu'on recevait au Québec et dans l'ensemble du Canada d'insignifiantes par rapport à celles que les Américains recevaient, mais rien ne paraissait.

Je pense que vous avez suffisamment l'expérience du dossier canadien dans la stabilisation des produits agricoles pour savoir comment c'est difficile de mesurer comment votre contrepartie peut recevoir de subventions sous formes diverses, directes et indirectes. Vous savez tous les noms que les anglophones emploient pour qualifier leurs subventions de "bottom, top" ou de "side-loading", etc. Vous savez comment c'est difficile d'évaluer les sommes que ces gens-là reçoivent dans un même pays, le Canada, alors que, dans l'entente qu'on est en train de discuter avec les Américains, même s'il y avait un tribunal d'arbitrage paritaire, je ne vois pas comment on serait capables d'évaluer adéquatement les sommes d'argent que les producteurs américains reçoivent puis de les comparer à ce qu'on reçoit ici. Très directement, ce sont nos programmes de stabilisation des prix, des revenus qui sont visés au Canada, pour l'avoir entendu de producteurs américains, de fonctionnaires, d'avocats, du côté américain.

S'il y avait un homme politique aux États-Unis qui prétendait le contraire, c'est-à-dire qui serait prêt à signer une entente de libre-échange avec tribunal d'arbitrage avec les Canadiens, je vous garantis bien que, selon la connaissance que j'ai des producteurs, des fonctionnaires et des quelques avocats américains qu'on a rencontrés dans ce dossier, il se ferait chauffé assez sérieusement. Je peux vous dire que c'est le climat des gens de l'agriculture aux États-Unis. À aucun prix, ils ne sont prêts à considérer un tribunal d'arbitrage. Pour nous, du côté canadien, c'est une condition primordiale; s'il n'y a pas de tribunal d'arbitrage, il n'est absolument pas question de s'en aller dans ce domaine-là. On ne voit pas la possibilité d'un tribunal d'arbitrage; on ne voit même pas la possibilité de sortir d'une décision d'un tribunal d'arbitrage qui aurait porté son jugement sur des données qu'on ne peut pas vérifier ou qui sont difficiles à vérifier. (17 h 45)

Où cela blesse encore un peu plus, si on veut revenir à des arguments un peu plus terre-à-terre - au fond, peut-être que les agriculteurs ne sont pas de bons négociateurs et qu'on vous fait confiance pour négocier; vous semblez vous diriger sur une bonne piste, quand on négocie quelque chose, on sait habituellement ce qu'on veut prendre; on sait aussi ce qu'on est prêt à laisser aller -c'est là que cela nous met un peu dans l'eau chaude, on ne sait pas jusqu'à maintenant -et le monde agricole ne le sait pas - ce que vous êtes prêts à laisser aller en notre nom. Quand on négocie, on peut prendre des choses, mais il faut aussi en laisser aller. On ne sait pas ce que vous ou ce que le gouvernement, autant provincial que fédéral, a l'intention de laisser aller.

Le Président (M. Charbonneau): M,

Proulx.

M. Pellerin: C'est la source de nos inquiétudes.

M. Proulx: Je pense qu'il y a là une question fondamentale qu'on ne peut connaître de personne. Quelle partie ou quel secteur de l'agriculture sera-t-on prêt à négocier si les Américains disent: On n'achète plus de porc? On sait que le porc, c'est important et qu'aux États-Unis, c'est une question qui vaut plusieurs piastres et qu'il est impossible de savoir. Je peux bien essayer de comprendre que, quand on est en négociation, on ne peut pas ouvrir notre jeu? c'est bien évident. Mais on devrait au moins faire confiance et avoir un peu de respect pour ceux et celles qui le font quotidiennement. C'est la grosse question.

Je voudrais revenir dire à mon ministre que sa profession de foi... je ne sais pas si on est plus réceptifs que son chef mais, s'il tenait le même langage à son chef, son chef comprendrait rapidement qu'il faut qu'il soit contre le libre-échange.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Proulx: Je voudrais quand même dire qu'il y a une chose qu'on ne peut oublier: libre-échange ou non - et on est trop souvent porté à l'oublier - les droits compensatoires seront toujours là. Ce ne sont pas (es douanes qui nous font mal à l'heure actuelle; ce ne sont pas toutes les bebelles qui entourent les différents mécanismes. Ce sont les droits compensatoires. Vous avez indiqué dans le cas du porc que c'est cela qui va faire mal. C'est cela qui fait toute la différence entre être capable d'être concurrentiel ou non. Cela, on essaie de l'ignorer, mais on ne peut pas l'ignorer. C'est ce qui a fait mal, durant les dernières années, dans le domaine du poisson, du bois d'oeuvre, du porc et de la pomme de terre. C'est ce qui a fait mal et c'est ce qui nous a demandé des dépenses excessives pour nous défendre contre cela. N'ignorons pas cela. Vous ne changerez rien. Vous aurez beau signer le plus bel accord de libre-échange au monde avec les Américains, vous allez toujours avoir cela dans les jambes, et c'est là le problème. Les Américains ont toujours été clairs là-dessus. Jamais ils n'accepteront de ne pas avoir le droit d'imposer des droits compensatoires.

Je ne vois pas pourquoi, depuis un moment donné, depuis une certaine fête à Québec, le monde est viré à l'envers et qu'il faut absolument négocier avec les Américains. Personne n'a été capable de me répondre non plus à cela. On n'en entendait pas parler en 1983 ou en 1984, et on en avait des difficultés dans le commerce. Mais, à partir d'une fête durant l'hiver, c'est devenu le problème numéro un du Canada. Pourquoi instantanément?

M. Pagé: M. le Président, un bref commentaire, si vous le permettez pour remercier M. Pellerin et lui indiquer que je conviens avec lui de la très grande difficulté, et dans plusieurs cas, la quasi-impossibilité de mesurer exactement, pour une production donnée, à un moment donné, le niveau de partipation ou d'aide, directe ou indirecte, à une production agricole. On en a eu l'expérience au niveau canadien quand on a voulu mesurer pour chacune des provinces ce qui se faisait, notamment en ce qui concerne les viandes rouges. Entre parenthèses, on a constaté, soit dit en passant que le Québec n'était pas pire que les autres au niveau canadien, mais on a constaté que c'était difficile à cerner en général et précisément, cela arrivait trop tard. Je comprends avec vous que, dans un contexte américain, où non seulement le gouvernement, comme gouvernement fédéral, pourrait intervenir, mais chacun des États, il serait difficile de calibrer et de mesurer le degré exact de soutien donné à une production et avec ce que cela peut entraîner.

M. le Président, mon temps est terminé. M. Proulx, j'apprécie beaucoup votre contribution, évidemment, dans tout ce débat. Aujourd'hui, c'est la comparution publique, mais ce n'est quand même pas d'aujourd'hui, c'est depuis plusieurs mois que l'Union des producteurs agricoles, à juste titre, s'interroge, s'inquiète. Et aujourd'hui, vous êtes venu dire très clairement à l'Assemblée nationale du Québec quelles étaient les positions que vous défendez, qui, j'en conviens avec mon collègue - et je pense qu'on doit en convenir à la lumière des discussions nombreuses qu'on a eues depuis dix-huit mois, depuis vingt mois - sont très près l'une de l'autre, entre votre organisme et le gouvernement du Québec que je représente en ce qui concerne l'agriculture. Ce qui vous inquiète c'est ce qui pourrait être laissé tomber. Je peux vous dire très clairement qu'il n'est pas question pour le gouvernement du Québec de laisser tomber quelque acquis que ce soit en ce qui concerne nos productions agricoles au Québec, M. le Président. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Sur ce commentaire du ministre, je vais maintenant céder la parole au critique de l'Opposition en matière d'agriculture, le député de Laviolette.

M. Jolivet: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Proulx, c'est la première occasion qu'on a de se rencontrer publiquement, même si on s'est déjà rencontrés à d'autres occasions sur l'ensemble de différents sujets. Aux gens qui vous accompagnent, aux gens de vos régions, bonjour. J'ai écouté avec attention le ministre qui a commencé en disant que sa mémoire ne lui faisait peut-être pas défaut.

Le 30 janvier 1986, il exprimait, lors de la Conférence fédérale-provinciale, la position de son gouvernement sur l'ensemble du libre-échange eu égard au secteur agricole. Il avait commencé, en parlant de plusieurs points, à faire l'énumération. Il a commencé par parler d'abord du droit constitutionnel que le Québec a d'agir. Préserver cela est bien le minimum qu'on lui demande. J'espère qu'il n'avait pas pensé ne pas le préserver.

Il y a deux autres secteurs que j'aimerais voir plus explicites de sa part, car c'est là que l'ambiguïté commence, c'est là que l'inquiétude s'installe. Quand on regarde le texte: Conditions de l'appui du Québec à un accord de libre-échange, on dit: "Maintien d'un statut spécial pour l'agriculture et les pêcheries" et on ne l'entend d'aucune façon nous dire si oui ou non, actuellement, il n'est pas question de quotas d'exportation. Est-ce qu'il y a une exclusion ou non dans les discussions actuellement? Est-ce que, sur les tarifs de commercialisation il y a ou non exclusion, ou est-ce que tout est sur la table? Si tout est sur la table, c'est là que commencent les inquiétudes de tout le monde. On nous dit, d'une part, que c'est le maintien d'un statut spécial et, d'autre part, on ne nous indique pas exactement ce qui est présentement en négociation et les dangers pour l'ensemble du secteur.

Il y a un document, La libéralisation des échanges avec les États-Unis, une perspective québécoise, fourni par ce gouvernement. À la page 21, on parle des enjeux et on y lit: "Donc, au plan commercial, l'élimination des tarifs douaniers pour les produits primaires de l'agriculture n'aurait que des conséquences minimes pour les deux pays pourvu qu'on trouve un moyen efficace de maintenir l'équivalent de la protection accordée sur une base saisonnière aux produits horticoles." La question qu'il faut se poser, eu égard à la position du gouvernement, c'est: Qu'est-ce qu'ils ont mis sur la table et qu'est-ce qu'ils ont l'intention de défendre? On n'a pas encore de réponse de la part du ministre.

Il est évident que le but n'est pas d'avoir une discussion entre le ministre et moi ou entre les gens de l'Opposition et les gens du parti ministériel. C'est plutôt d'aller discuter avec les gens qui viennent présenter leurs mémoires pour voir exactement ce qu'ils pensent, à savoir ce que devrait être, pour certains, le libre-échange et, pour d'autres - c'est une partie de ma question à M. Proulx - ce que ne devrait pas être le libre-échange. Même s'il y avait exclusion du secteur agricole, ce que je crois comprendre et ce qu'il répète depuis fort longtemps, comme il fait partie d'une coalition, selon lui, selon son organisme, il ne peut pas y avoir de traité de libre-échange. On doit plutôt fonctionner par l'intermédiaire de discussions au GATT.

Vous vous opposez d'une façon globale à un traité de libre-échange même s'il y avait exclusion de l'agriculture et vous dites que les discussions au GATT vous apparaissent comme un cadre de négociations plus approprié que celui des négociations bilatérales avec les États-Unis actuellement en cours. Le ministre du Commerce extérieur vient nous dire que, pour lui, c'est de la foutaise, de la bouillie pour les chats. Quelle est votre impression, M. Proulx, de ce qui a été dit jusqu'à maintenant?

M. Proulx: Je ne reprendrai pas tous les arguments et les raisons pour lesquelles ce n'est pas uniquement l'agriculture qui doit être exclue parce que je pense que c'est assez clair. Le secteur en amont et en aval, même si, parfois, on a l'impression... On dit qu'il y a des pertes d'emplois énormes et personne ne les a niées jusqu'à aujourd'hui. Qu'on veuille ou qu'on ne veuille pas comprendre qu'il y aura création d'une multitude d'emplois, il y a quand même un temps, entre le moment de ces pertes d'emplois et la création, où des gens n'auront rien à faire, c'est-à-dire qu'ils n'auront pas d'argent; donc, ils ne pourront pas acheter. Je pense qu'on ne peut pas nier cela.

Il reste que tout le secteur agroalimentaire occupe la place la plus importante dans l'économie du Québec. Je pense que ce secteur-là n'a jamais dit qu'il ne fallait pas négocier avec les États-Unis. On rejette carrément la forme que cela a pris au cours des deux dernières années car, pour nous, c'est un cul-de-sac, cela n'a pas d'issue, c'est de la foutaise, cela ne tient sur rien et personne ne nous a dit ce qu'on négociait véritablement. Je pense que ces raisons sont amplement suffisantes. Ce n'est pas la forme que cela doit prendre. On n'est pas assez bêtes, pas assez fous pour négliger le commerce qu'on a avec les États-Unis. C'est bien évident, c'est prêt, mais je ne crois plus à la possibilité d'élargir encore fortement le commerce.

Le GATT, ce n'est pas la solution à tous les maux, c'est bien évident. Il ne faudrait pas minimiser... d'autant plus que pour une première fois le Canada a une place, qu'il va négocier lui-même au niveau du GATT, et je pense qu'il est préparé comme il ne l'a jamais été. C'est vrai que c'est long, que c'est sur plusieurs années. Il faut, entre temps, protéger ce qu'on a. Il faut trouver de nouveaux débouchés. On n'a pas le temps d'attendre. Tout cela est vrai, mais quand on dit ça, on veut dire que le véritable avenir, l'avenir dans bien des secteurs et particulièrement pour l'agriculture, c'est dans le multilatéral qu'il se trouve et non dans le bilatéral. On a comblé le bilatéral, actuellement. Certains secteurs seront ouverts, mais ne nous contons

pas d'histoire. J'ai donné tout à l'heure des exemples d'industries qui se sont développées et dont on est tous très fiers: Bombardier, Shermag, celles que vous employez souvent un peu partout et plusieurs autres industries de pointe québécoises, modernes. On n'avait pas de libre-échange. Est-ce que ce sont des "supermen" pour avoir réussi à développer un marché aux États-Unis?

Il y a des choses à développer, mais il ne faut pas se mettre à genoux pour les développer, il ne faut pas perdre ce qu'on a acquis. On s'est donné au Québec et au Canada un mode de vie, une qualité de vie, bien imparfaite encore, mais bien différente de celle des Américains. Je pense que vous avez un bel exemple avec le poster qu'on vous a distribué: un cheval, un lapin. On est souvent porté à croire que le cheval c'est Ie3 Américains et le lapin, les Canadiens. C'est le contraire, cette fois-ci. On a un beau cheval qui a encore quelque chose à améliorer, mais il est beau et là on veut nous le changer pour un lapin et vous avez remarqué que la laisse est séparée, tu peux la décrocher.

Connaissant les Américains qui ont énormément de difficultés à respecter plusieurs de nos ententes, j'ai une crainte supplémentaire, c'est que quand j'aurai l'accord, quand on va arriver au "catch" qu'on peut décrocher, on va le décrocher. Alors, là, j'aurai perdu mon cheval et je n'aurai même pas de lapin. C'est cela en fait, on peut bien nous traiter d'exagérés et de peureux à corneilles. Cela se peut. Moi, je respecte les gens qui disent cela, parfois je fais la même chose, mais il reste que c'est une réalité. Il n'y a personne nulle part qui nous a dit... même dans ceux qui disent: II va y avoir 3000, 4000 ou 5000 emplois nouveaux. Moi, je ne demande pas mieux de croire cela, mais créer des emplois, cela ne se fait pas par des créations instantanées, des générations instantanées. II y a quelqu'un quelque part qui va devoir investir pour créer ces emplois. Il va y avoir une transition qui va se faire. Je pense que, autant que vous êtes, vous savez que les transitions ne se font pas instantanément de même. Je pense que vous allez comprendre nos inquiétudes et vous savez pourquoi on dit que l'agriculture ne peut pas être seule exclue, mais l'ensemble. Continuons avec un modèle qui a donné des résultats. (18 heures)

Depuis la dernière guerre, il y a eu des améliorations énormes; le commerce avec les États-Unis est parti avec un très petit pourcentage pour se ramasser aujourd'hui à 75 % et 80 % d'échanges sur lesquels il n'y a aucun droit, aucune douane et qui se font de même librement, mais dans le respect des communautés. Si on veut devenir des Américains, un cinquante xième État américain, il faudra le demander aux gens avant, s'ils veulent: nous, on ne le veut pas. On l'a dit haut et fort. Mais ce sont les risques. Mais dans cette transition-là en fait - je reviens encore sur cela - il n'y a personne qui ne nous dit rien sur cela. Si c'est si merveilleux que cela, qu'on nous le démontre, qu'on nous montre des études que les ministères ont faites et qu'on n'a jamais voulu nous montrer. Le Conseil économique du Canada, je l'ai dit tout à l'heure, a lancé de très beaux chiffres dans les airs, mais ça repose sur quoi? Moi, je veux bien respecter les gens du Conseil économique du Canada. Je ne doute pas de leur intelligence, sauf, qu'il faudrait au moins qu'ils nous montrent, à monsieur et madame tout le monde, des choses qui sont concrètes face à ça. Qu'est-ce qui va se passer entre temps? C'est ça. En fait, on ne veut pas être Américains. On ne veut pas changer notre cheval pour un lapin qu'on n'est même pas certains de pouvoir tirer chez nous.

M. Jolivet: Pour reprendre une discussion qui a eu lieu ce matin, au cours de laquelle j'ai posé des questions à d'autres personnes, M. Parizeau et M. Pettigrew, ce matin, ont parlé d'un problème quant à la mise sur pied d'un tribunal qui viendrait régler les problèmes qui pourraient surgir entre les deux pays. Beaucoup de gens parlent de cela pour régler les difficultés entres les deux partis. Vous, vous voyez ça comment? Je pose toujours la question dans l'hypothèse où il y en aurait un, parce que, comme vous n'en voulez pas du tout, il reste quand même que, si jamais ça arrive, qu'est-ce que vous pensez de ça?

M. Proulx: Si c'est pour remettre en cause tout notre système qu'on s'est donné, notre qualité de vie et notre façon de voir les choses, bien sûr que c'est non. En ce qui a trait au tribunal, qu'il y ait traité ou non, il devrait être évidemment mis en place. Je pense que ce serait un bon moyen, ce serait une des étapes à faire pour aller plus loin. Qu'on ne vienne pas nous faire accroire qu'un tribunal qui est égal et qui peut appliquer des choses ne peut pas être mis en place.

Je comprends que les États-Unis ne veulent pas. Ils disent: Nous, on est gros, on n'a pas nécessairement besoin de vous, on va perdre notre souveraineté avec cela. C'est une étape. Je serais très fier de le voir se mettre en place. Là, on pourrait installer une crédibilité autour de tous les avantages qu'on nous dit d'un libre-échange. Il va falloir que de la bonne volonté soit mise quelque part et qu'on nous donne des preuves et, en cours de route, on pourra peut-être... on ne dit pas non à tout jamais, on dit qu'à l'heure actuelle c'est impensable. Cela fait, le droit compensatoire qui n'existerait plus, peut-être qu'on ne dira pas nécessairement

oui, mais on dira: Essayons cela pendant quelques années et, pendant ce temps-là, probablement que la balance commerciale des États-Unis diminuera ou que cela sautera, je ne sais trop, et, à ce moment-là, peut-être seront-ils plus parlables ou peut-être y aurait-il alors vraiment des choses à faire.

M. Jolivet: En dehors de tout ce débat sur le libre-échange, d'autres débats sont un peu sous-jacents à l'ensemble de ces négociations, en particulier la remise en question des programmes d'assurance-stabilisation au profit des politiques américaines qui sont plus ponctuelles et contre-cycliques, sur les prix des denrées agricoles. Pourriez-vous nous définir votre position dans ce débat? Même si ce n'est pas le débat actuel, c'est quand même un peu à l'intérieur de l'ensemble de la problématique.

M. Proulx: Voudriez-vous juste préciser à nouveau au départ? Je m'excuse, j'ai eu une distraction.

M. Jolivet: D'accord. C'est votre position dans le débat à l'intérieur du libre-échange, mais cela concerne la remise en question des programmes d'assurance-stabilisation.

M. Proulx: On sait que les programmes d'assurance-stabilisation des revenus au Québec sont souvent remis en cause pour toutes sortes de raisons, la plupart du temps sans fondement, mais il reste quand même que tout le monde est bien jaloux de cela, un peu partout. Vous savez que l'objectif visé et appliqué dans cela a été d'assurer un revenu décent aux producteurs et productrices agricoles. En même temps, cela a joué le râle de satisfaire les besoins de (a communauté québécoise, du consommateur québécois. Je pense que cette affaire se tient. Si c'est intéressant, les gens seront intéressés à fournir quelque chose et toute la communauté va s'en servir.

En même temps, la stabilisation des revenus est davantage une subvention au consommateur qu'une subvention au producteur. Elle a aussi permis de mettre en place, dans la plupart des productions, même s'il reste des choses à faire, une mise en marché efficace, qui a prouvé des choses et qui va continuer à prouver des choses. Cela a été un choix social. On vous a énormément parlé du rôle social qu'on a à jouer et c'est la société québécoise; d'ailleurs, c'est ce même gouvernement avec le même premier ministre qui nous a accordé cela. Il avait compris que c'était important, qu'on avait un rôle, etc. Je pense que cela a toujours été reconnu.

C'est une politique qui, à mon avis, et non seulement à mon avis, est certainement mise en cause et on ne peut pas se permettre de le faire, parce qu'elle joue un rôle à plusieurs niveaux dans la société québécoise, tant pour le soutien du revenu que pour l'accessibilité du consommateur à des denrées essentielles, à des prix qui sont abordables, etc. Alors, cela joue un rôle extraordinaire qui nous permet d'avoir la société qu'on a. C'est bien différent de l'intervention ponctuelle qu'on connaissait dans le passé un peu partout, qui coûtait bougrement plus cher que peut coûter à l'heure actuelle cette intervention structurée.

La plus belle preuve - d'ailleurs, le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation l'avait démontré clairement, si je me souviens bien - c'est que le Québec se situe au septième rang, je pense, dans les provinces du Canada si on compare les productions agricoles, le soutien et ainsi de suite. L'étude qu'on a fait faire par M. Yvon Proulx démontre clairement qu'on est les moins subventionnés, non seulement au Canada, mais presque partout dans le monde, dans les pays industrialisés. Je crois que le Japon, par exemple... Vous allez me dire que je prends le pire, mais c'est normal. C'est à tout près de 90 % qu'ils soutiennent leur agriculture et les Etats-Unis, avec les milliards et les milliards qu'ils y mettent... On vous l'a démontré.

Même le reste du Canada - beaucoup de provinces sont jalouses et beaucoup de provinces nous ont souvent taxés de choses -intervient à environ 15 % plus que nous au Québec. Alors, je ne sais pas si cela répond à votre question, mais il reste quand même que pour nous, encore une fois, c'est un outil qui a fait ses preuves, c'est un outil essentiel tant pour les producteurs que pour les consommateurs, c'est un outil qui est très peu dispendieux quoi qu'en dise le Conseil du trésor. Il est très peu dispendieux pour un gouvernement.

M. Jolivet: En fait, ce que je voulais faire ressortir, c'est le contexte où il y aurait libre-échange et qu'on négocierait des choses qui auraient pour effet d'avoir le modèle américain qui arrive ad hoc, selon les moments donnés de la contre-production. A ce moment-là, il serait vraiment impossible pour les gens qui vivent ici avec un système qui a fait ses preuves de le vivre comme les Américains le vivent actuellement. Donc, c'est ce que je voulais faire ressortir... Dans ce sens-là, j'ai peut-être un commentaire concernant ce que le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation disait: Faites-nous confiance d'une certaine façon dans les négociations. Je prends comme exemple la discussion qu'il y a eu sur les droits compensatoires, dans le bois de sciage en particulier.

Je n'ai jamais compris comment il se fait que quelqu'un s'accuse d'avoir commis un péché qu'il n'a jamais commis et en fin

de compte, donne en négociation à l'autre le moyen de dire: Écoute, maintenant que tu acceptes d'avoir commis quelque chose, tu vas payer pour. Et là, c'est le chantage qui vient continuellement. Dans ce sens, on nous arrive toujours avec des exemples comme ceux-là, mais qui, malheureusement, pour moi, sont de mauvais exemples, parce qu'effectivement le respect attire le respect comme vous le disiez. Dans ce cas, j'ai eu l'impression que ce n'était pas du respect, c'était s'accuser d'une chose qu'on n'avait pas commise et, par le fait même, voir les Américains imposer un tarif compensatoire pour le bois de sciage en particulier, avec la négociation qu'il y a eu après.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Oui, peut-être une dernière question. M. le Président, qu'il y ait ou non entente de libre-échange, je pense que le Québec, du côté agriculture, doit continuer à se renforcer, doit continuer à se positionner. Votre mémoire n'en fait pas référence parce que vous avez traité tout l'aspect des préoccupations que vous aviez dans le cas d'un libre-échange. Vous nous avez démontré l'importance de pas avoir de traité concernant l'aqriculture, mais j'aimerais vous entendre quelques minutes sur l'importance pour l'UPA et particulièrement pour le secteur que vous défendez, l'agriculture, l'importance de la recherche-développement afin de permettre à vos PME, à vous, pour reprendre votre expression, pour que les nouvelles technologies, les nouvelles façons de faire... je pense particulièrement aux nouvelles techniques qui pourraient être poussées, qui sont déjà à l'étude et même à l'essai actuellement pour l'accélération, par exemple, des produits pour être capable d'avoir dans des périodes beaucoup plus serrées de la production... De quelle façon, pensez-vous, le gouvernement, le ministère de l'Agriculture devrait mettre l'accent en ce qui concerne la recherche-développement? On parle très souvent de recherche-développement, parce qu'on pense à la haute technologie avec des produits manufacturés, mais dans des produits agricoles, si on avait davantage de soutien, si vous aviez davantage de soutien en ce qui concerne la recherche-développement, appliquée comme telle, afin de développer des nouvelles technologies de production pour que vous soyez capables d'être plus compétitifs, quoi qu'il arrive, cela vous permettrait certainement dans votre domaine d'être drôlement plus forts. J'aimerais vous entendre sur cela pendant que vous êtes...

M. Proulx: En fait, la recherche-développement ou la recherche est toujours le parent pauvre de tous les gouvernements.

Quand on regarde l'avenir, cela va être évidemment essentiel qu'il y ait énormément d'argent de mis à ce niveau, autant par l'État que par les producteurs et productrices, par d'autres intervenants dans le milieu. Même avec le peu de moyens qu'on a au Québec et au Canada à ce niveau, on fait énormément de ce côté malgré tout. En tout cas, comme producteurs, on s'adapte très rapidement à cette nouvelle technologie. Je pense qu'on pourrait prendre plusieurs secteurs qui sont ici autant du porc justement que du lait, par exemple. On est en demande très fortement sur le plan international pour nos animaux et ainsi de suite; le porc est couru, on le sait, c'est parce que justement on a su se servir de cette haute technologie. On sait que, sur le plan du produit maraîcher, même si cela est minime encore, on rentre de plus en plus, parce que les nouvelles générations adoptent davantage les nouvelles techniques.

C'est évident que, si on croit véritablement à l'agriculture dans l'avenir, il va falloir changer les mentalités et particulièrement pour l'État, parce que c'est peut-être moins visible politiquement, mais cela a toujours été. Il n'y a pas un gouvernement quelle que soit sa couleur... ils sont tous pareils dans cela, il n'y a jamais personne qui a fait un effort. L'avenir est en partie dans cela à l'heure actuelle. C'est dans notre discours déjà depuis un bon bout de temps et cela va continuer de l'être de plus en plus fortement. Quand on vous parlait de spécificité, on disait que c'était important de conserver cela.

Au Québec, M. Pelletier l'a dit tout à l'heure, c'est la ferme familiale, l'agriculture familiale. On a compensé les lacunes peut-être qu'il peut y avoir, en faisant des regroupements et en se donnant des mécanismes où on est capables de ramasser tout cela et d'offrir cela, exactement comme... On a fait ce choix et on s'est donné les moyens pour que cela arrive en fin de compte, c'est-à-dire aux consommateurs, à un prix aussi intéressant que si cela était fait par des très grandes entreprises. C'est tout cela, en fait.

Cela ne nous a pas empêchés d'employer de la haute technologie et dans plusieurs productions pour une fois, on n'a pas à avoir honte de ce qui se fait aux États-Unis ou ailleurs. On est à la fine pointe. Il y a des secteurs où on tire peut-être un peu rie la patte, mais qu'on nous donne le moindrement les moyens et on va arriver rapidement à être comparables avec n'importe qui. On l'a fait dans plusieurs secteurs. Je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas dans tous les secteurs. Parce qu'il y a une volonté, parce qu'il y a eu une prise en main, il y a eu une discipline qui s'est installée, on l'a prouvé.

Pourquoi les Européens viennent-ils si

souvent ici et pourquoi sont-ils à mettre en application à l'heure actuelle nos systèmes de contingentement, notre système de contrôle? Pourquoi de plus en plus de producteurs américains viennent justement rencontrer nos fédérations, viennent visiter le Québec pour regarder et voir les réalisations qui se sont faites à ce niveau? Je pense que cela veut dire quelque chose, je pense que c'est un indicatif. Notre structure sur tous les plans, notre façon de voir les choses a fait ses preuves et est prête à les faire encore.

M. Parent (Bertrand): Merci beaucoup M. Proulx.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. Proulx, je pense que cette réponse termine le programme de cet après-midi. Je voudrais vous remercier au nom de l'ensemble des membres de la commission d'avoir bien voulu participer à cet exercice de consultation générale et importante. Je crois que le sujet l'est. Je pense que les membres de la commission ont apprécié votre franchise et la clarté de vos points de vue. J'espère qu'on aura d'autres occasions prochainement de vous revoir ici à la commission de l'économie du travail. Bon retour et à bientôt! Aux membres de la commission, je voudrais indiquer qu'un nouvel ordre du jour vous sera envoyé par le secrétaire de la commission. Il y a eu quelques modifications dans l'ordre du jour qui ont fait l'objet d'ententes de part et d'autre, dont je vous dispense de la lecture. Il y a des modifications, non pas pour ce soir, mais pour les prochains jours. Alors, sur ce, les travaux sont suspendus jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 15)

(Reprise à 20 h 6)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission parlementaire de l'économie et du travail reprend sa consultation générale sur la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis. Nous recevons ce soir l'Ordre des agronomes du Québec. Je demanderais aux représentants de l'Ordre de bien vouloir prendre place à la table des invités.

Messieurs, bonsoir. Je vous rappelle que le temps qui vous est alloué au total est d'une heure. Vous avez 20 minutes précisément pour présenter vos points de vue et, par la suite, le reste du temps est réparti en parts égales entre les membres de la commission pour des échanges avec vous.

Alors, M. Boutin, je vous demanderais de présenter la personne qui vous accompagne et puis immédiatement d'engager votre présentation.

Ordre des agronomes du Québec

M. Boutin (Guimond): D'accord. Merci!

Alors, je suis Guimond Boutin. Je représente l'Ordre des agronomes du Québec, qui regroupe 3000 professionnels, dont la majorité travaillent dans les secteurs de la production et de la commercialisation des denrées agro-alimentaires.

Malgré l'inquiétude manifestée en certains milieux face à la libération des échanges commerciaux agricoles avec les États-Unis, l'Ordre des agronomes demeure confiant que les négociations, si elles respectent les conditions déjà énoncées par le gouvernement du Québec pourraient favoriser un accroissement des exportations de certains produits agricoles. À cette fin, notre mémoire contient quelques propositions et recommande que le Québec conserve son droit et son pouvoir d'intervention, lorsqu'il le jugera nécessaire, pour garantir aux producteurs agricoles un revenu minimum raisonnable.

Ce mémoire a été préparé par un comité composé d'agronomes dont l'expertise en économie agricole est reconnue. Notre directeur des affaires publiques, M. J.-Alphonse Lapointe, vous le présente.

M. Lapointe (J.-Alphonse): M. le Président, M. le ministre, MM. les députés, membres de la commission, mesdames, messieurs.

Dans ce mémoire, nous désirons réaffirmer certaines positions que l'ordre estime particulièrement importantes dans les négociations bilatérales avec les États-Unis. Nous examinerons d'abord la situation de l'agriculture québécoise dans l'économie nord-américaine.

Face à la montée d'un sentiment protectionniste aux États-Unis, qui ont introduit récemment plusieurs projets de loi visant à réduire les importations ou imposer des tarifs compensatoires, nous sommes conscients de l'importance du marché américain pour les producteurs agricoles du Québec, et de la nécessité de poursuivre des négociations en vue de maintenir ou d'accroître, si possible, nos exportations.

Considérant que les États-Unis sont notre principal partenaire commercial, l'ordre considère légitime que les discussions sur les échanges commerciaux avec notre voisin partent sur certains produits agricoles. Par contre, l'Ordre des agronomes affirme qu'une politique de libre-échange, s'appliquant à l'ensemble de l'agriculture et incluant les secteurs où existent des mécanismes de protection des prix, aurait des conséquences désastreuses pour l'agriculture et l'économie du Québec. À cet égard, il faut se rappeler

que le Canada et les États-Unis ont un mode de gouvernement fédératif, où le pouvoir central ne peut lier les États qui le composent, sans obtenir leur accord.

Cela ne signifie pas, cependant, qu'il faille maintenir le statu quo ou s'opposer énergiquement à toute forme de négociation dans le secteur agro-alimentaire. Une telle attitude pourrait devenir, selon nous, un mythe qui priverait éventuellement le Québec des avantages pouvant découler de propositions garantissant sa participation à un accord de réciprocité avec un client qui accapare plus de 60 % de nos ventes internationales.

Dans le commerce agricole, le marché américain est relativement plus important pour le Québec que pour l'ensemble canadien. En effet, nous exportons annuellement pour 700 000 000 $ contre 540 000 000 $ d'importations, ce qui représente 60 % des ventes agricoles du Québec, comparativement à 36 % pour l'ensemble du Canada. Il faut aussi noter que les viandes et produits animaux constituent 44 % des exportations québécoises sur le marché des États-Unis, où nos achats de fuits et légumes comptent pour 40 % de nos importations.

Un autre élément qui détermine la position concurrentielle de l'agriculture québécoise dans le contexte nord-américain, est le niveau des interventions gouvernementales jugées nécessaires pour assurer la rentabilité et la croissance de l'agriculture. Il faut souhaiter que la libéralisation des échanges contribue à mettre de l'ordre et un juste équilibre dans les mesures compensatoires.

Actuellement, environ 50 % de la production agricole se réalise au Québec sous le régime des offices nationaux de commercialisation: lait, volaille, oeufs. À cela, il faut ajouter dix programmes provinciaux de stabilisation des revenus couvrant environ le tiers de la production agricole québécoise.

Pour le fait, le beurre et le fromage, si l'on compare les prix sur la base du temps de travail, en minutes, requis pour acheter ces produits, les consommateurs québécois se placent sur un pied d'égalité avec ceux des autres provinces et des États-Unis. Cependant, dans les négociations bilatérales, il faudrait se rappeler que ni le gouvernement du Québec ni celui du Canada ne pourront accorder aux producteurs laitiers des subventions équivalentes à celles dont bénéficient leur concurrents américains.

Le prix de gros des carcasses de vaches laitières est plus élevé au Québec. Ce produit est en bonne partie exporté et contribue significativement au fait que la part du Québec dans les exportations canadiennes totales de viande de boeuf a atteint 41 % en 1984 et permet que la balance commerciale du Québec pour la viande bovine soit en nette amélioration.

Même si les prix à la production porcine sont compétitifs au Québec par rapport à ceux des États-Unis, la position concurrentielle de notre province connaît un certain recul depuis 1982. Depuis cette date, en effet, la part du Québec dans la production canadienne diminue et la balance commerciale du Québec accuse aussi un déclin. Par contre, en production ovine, la part du Québec dans la production canadienne connaît une progression substantielle depuis 1982. Dans les secteurs contingentés des oeufs et de la volaille, les prix sur le marché canadien sont plus élevés tant à la ferme qu'au marché de gros.

Le Québec qui était depuis toujours consommateur de céréales a vu sa production augmenter de façon importante au cours des dernières années. En général, les prix y sont actuellement plus élevés qu'ailleurs et sa balance commerciale s'est améliorée.

Dans l'ensemble, on peut dire que la position concurrentielle de l'agriculture québécoise est favorable, tant à l'intérieur du Canada que dans l'économie nord-américaine. Dans ce contexte et en tenant compte des différences de tailles et de structures de l'agriculture au Québec et aux États-Unis, on peut souhaiter une réduction progressive des tarifs douaniers, qui assurerait la protection des acquis et le respect de la juridiction provinciale en matière de réglementation technique des produits agro-alimentaires. De plus, il faut prévoir un assouplissement des lois et procédures d'enquêtes imposées par les États-Unis sur nos produits alimentaires et le retrait des droits compensatoires. Enfin, il faudra une mesure de protection saisonnière pour plusieurs produits horticoles du Québec.

Considérons maintenant quelques effets possibles d'une libéralisation des échanges commerciaux agricoles. Le libre-échange est une notion économique abstraite qui, dans le commerce, signifie la libre circulation des biens et des services entre deux pays. Or, cette libre circulation des biens et services suppose l'abolition complète des frontières et la suppression de certains programmes qui rendraient un pays plus concurrentiel que l'autre.

Pour tenter de prévoir les effets possibles d'une libéralisation des échanges agricoles avec les États-Unis, nous suggérons donc de considérer plutôt l'amélioration des ententes commerciales entre les deux pays et l'ouverture plus grande de nos frontières respectives. Dans ce contexte, le projet de libéralisation des échanges pourrait sembler plus raisonnable et d'application plus facile. Le Canada étant le seul pays industrialisé qui n'a pas accès à un marché de 100 000 000 de consommateurs, il doit nécessairement trouver de nouveaux débouchés pour ses produits agricoles. Si nous

voulons un accès plus grand au marché américain, notre principal client, il faut accepter d'offrir quelque chose en échange. Or, l'agriculture n'est jamais négociable, d'une part, parce qu'elle dépend des conditions de température que personne ne peut prévoir ni contrôler et, d'autre part, parce qu'elle répond au besoin le plus impérieux d'une nation, celui de s'alimenter. (20 h 15)

La production de lait au Canada équivaut à 12,5 % de la production américaine. Les surplus américains équivalent à la production canadienne et pourraient, s'ils entraient librement au Canada, désorganiser complètement cet important secteur agricole. En effet, cela signifierait l'abandon du plan national et du contingentement, la disparition des quotas, une baisse radicale du prix du lait, la faillite de plusieurs producteurs, la fermeture d'usines, la perte de milliers d'emplois. On sait que 250 000 emplois directs ou indirects dépendent de la production laitière. Parce que les coûts de production des fermes laitières sont plus bas aux États-Unis, on prétend, en certains milieux, que les consommateurs canadiens bénéficieraient d'une ouverture des frontières, permettant ainsi de s'approvisionner à meilleur compte outre-frontières. Selon ce concept, on pourrait tout aussi bien importer les surplus gigantesques des pays de la CEE. Cependant, nous pouvons être assurés que le jour où notre capacité de production locale serait diminuée, les consommateurs du Québec paieraient beaucoup plus cher pour le lait et les produits laitiers provenant de l'extérieur.

Pour avoir une juste idée de la position concurrentielle de notre aviculture, il suffit de savoir qu'une augmentation de 8 % de la production américaine correspond à 100 % de toute la production canadienne. De plus, comme les coûts de production aux États-Unis sont inférieurs, un système de libre-échange mettrait certainement en danger la survie de cette industrie, tant au Québec qu'au Canada. À ce sujet, il importe de noter que nos productions contingentées comptent pour 47 % de la production agricole québécoise, comparativement à 22 % pour l'ensemble canadien.

Dans les productions non contingentées, il s'agit principalement du porc, de l'agneau, du boeuf, des céréales et de plusieurs produits horticoles. Bien que les barrières tarifaires applicables à ces produits soient en général peu élevées, l'harmonisation des programmes des deux pays entraînera une révision des politiques de soutien et de stabilisation des revenus aqricoles et, en conséquence, nuira à la stabilité actuelle de ces secteurs, sauf peut-être ceux des viandes rouges et de certains produits horticoles. L'utilité d'un accord dépendra donc avant tout de l'efficacité avec laquelle il empêchera l'adoption de mesures protectionnistes - comme les droits compensatoires sur les porcs - ou l'interdiction de vendre à d'autres pays.

Les éleveurs de porcs québécois ne veulent pas se voir priver de la possibilité de participer, eux aussi, à un programme de stabilisation, par l'introduction de règles applicables aux subventions. D'autre part, les éleveurs de bovins ne veulent pas que l'élimination bilatérale des contingents, établie en vertu des lois sur l'importation des viandes, les empêche de lutter contre les produits bon marché ou subventionnés qu'exportent d'autres pays. Selon la Fédération canadienne de l'agriculture, les objectifs globaux des producteurs de viande rouge et de légumes comprennent: 1° l'élaboration d'une meilleure définition des subventions qui faussent le marché; 2° la conclusion d'une entente sur la manière dont les questions techniques, comme les règlements sanitaires, seront traitées; 3° la mise en place d'un mécanisme conjoint pour régler les litiges, afin que les mêmes règles soient appliquées de part et d'autre de la frontière.

Si l'on jette maintenant un coup d'oeil du côté de la transformation des denrées agro-alimentaires, on constate qu'un accord de libre-échange pourrait entraîner la perte de plusieurs milliers d'emplois au Québec. On sait que plus de 50 000 personnes travaillent dans le secteur des aliments et boissons dans cette province. Par ailleurs, on peut constater que la majorité des manufacturiers des produits alimentaires du Canada s'opposent au libre-échange avec les États-Unis.

Il n'est pas facile de prévoir l'avenir, surtout dans un domaine où les décisions politiques ont une influence déterminante sur l'évolution des facteurs qui conditionnent la production et la vente des denrées agroalimentaires. Cependant, une chose est certaine: Les Américains sont plus intéressés à libérer leur marché de leurs surplus qu'à accueillir librement les produits étrangers pour accroître encore davantage leurs stocks en réserve. D'autre part, même s'il existe entre les États-Unis et le Canada des entraves sévères au libre commerce des denrées, les deux pays demeurent des partenaires d'échanges prioritaires.

Jusqu'à présent, presque toutes les études et analyses relatives à la libéralisation des échanges commerciaux agricoles avec les États-Unis tendent à démontrer que le Canada et, en particulier le Québec, ont plus à perdre qu'à gagner dans cette opération.

Fidèle à son rôle de protection de l'intérêt public, l'Ordre des agronomes considère la libéralisation des échanges commerciaux agricoles avec les États-Unis dans une perspective globale de bénéfices sociaux pour le Québec. Pour obtenir ou

accroître nos garanties d'accès au marché américain, il semble opportun que l'on discute des questions relatives aux tarifs douaniers, aux règlements techniques et aux subventions à l'exportation. Pour l'agriculture québécoise, l'élimination graduelle des tarifs douaniers aurait des effets mineurs, pourvu qu'on accorde une protection saisonnière aux produits horticoles.

Les mesures non tarifaires sont plus à craindre. En effet, plusieurs barrières techniques, règlements, normes d'hygiène, méthodes d'analyses, certifications, et., constituent des irritants qui pertubent le commerce des denrées agricoles entre nos deux pays, même si les normes de salubrité et de qualité en vigueur au Canada sont reconnues pour leur excellence.

Quant aux subventions à l'exportation, il ne saurait être question pour le Québec de modifier sa capacité de stabilisation des revenus agricoles. Par conséquent, toute intervention du gouvernement américain qui aurait pour effet de réduire les prix des produits agricoles concurrentiels entrant au Québec devrait être rejetée.

Pour les produits dont l'offre est réglementée, il appartient aux producteurs et productrices qui se sont donné un tel outil de décider eux-mêmes si, à plus ou moins long terme, la libéralisation des échanges pourrait leur être profitable. Ce que l'on peut prévoir, c'est que l'entrée massive sur le marché canadien des surplus américains entraînerait momentanément une baisse des prix, mais en même temps une déstabilisation de plusieurs secteurs économiques, accompagnée de faillites et de pertes d'emplois et de revenus.

Dans le cas des productions stabilisées par l'action gouvernementale, la surcapacité de production de l'agriculture américaine entraînerait des surplus et des baisses de prix sur le marché canadien, obligeant les gouvernements fédéral et provincial à minimiser cet impact par des programmes de stabilisation des prix à la ferme. Même s'il est impossible d'anticiper l'issue des négociations sur le libre-échange avec notre puissant voisin, les données suivantes peuvent être retenues.

L'écart de productivité entre l'agriculture et l'industrie de transformation du Canada et des États-Unis aura tendance à s'accentuer en situation de libre-échange international ou nord-américain, parce que la structure de la ferme familiale relativement petite au Québec ne permet pas une production agricole de masse comme elle se pratique aux États-Unis.

En raison de leur immense potentiel de ressources et de leur niveau actuel d'équipement et de production, les États-Unis sont en mesure d'accroître leur production globale de 30 %, sans même devoir faire des investissements majeurs dans leurs infrastructures de production, de transformation et de distribution.

Enfin, en situation de libre-échange, la bataille concurrentielle des États-Unis se ferait principalement par une prise de contrôle stratégique et sélective de certains réseaux de transformation et de distribution.

Les gouvernements accorderont toujours une importante protection à l'agriculture, car elle concerne l'ensemble des consommateurs, demeure l'activité économique principale de plusieurs régions et une production primaire dont dépendent de multiples industries secondaires et tertiaires.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que les récentes mesures adoptées par le gouvernement de Washington pour soutenir les prix à l'agriculture et faciliter l'exportation nous obligent à douter de la valeur et de la durée des gains sociaux qui pourraient découler, pour Ies Québécois, d'un accord de libre-échange avec les États-Unis.

Néanmoins, on ne peut raisonnablement s'opposer â inclure l'agriculture dans le processus actuel des négociations bilatérales. Notre démarche pourrait viser principalement quatre objectifs: 1- obtenir un traitement prioritaire et différent de celui que les États-Unis accordent à d'autres pays; 2-accepter, de part et d'autre, une discipline nouvelle sur les mesures d'aide gouvernementale par laquelle chaque partenaire se prive du droit unilatéral de protection â la frontière; 3- introduire une discipline efficace concernant les pratiques commerciales qui perturbent l'économie du pays importateur; 4- établir un mécanisme permanent ou un tribunal d'arbitrage pour régler équitablement les litiges et les différences d'interprétation des accords entre les deux pays.

Face à la complexité des questions que pose l'agriculture, on peut souhaiter qu'un accord de libre-échange avec les États-Unis se résume, tout au moins, à définir un cadre général pouvant servir de base à des négociations ultérieures et spécifiques à ce secteur.

Le Président (M. Lemieux): Merci, M. Lapointe, de votre exposé.

M. le ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: Merci, M. Lapointe. En relisant votre mémoire, en cherchant à me faire une opinion et à préciser mes questions, je ne pouvais faire autrement que de m'imaginer que les gens qui ont commencé à suivre le débat sur la libéralisation des échanqes peut-être seulement hier doivent être très confus.

Effectivement, nous avons eu aujourd'hui l'Union des producteurs agricoles qui s'est présentée devant nous et qui a très honnêtement soutenu la position qui était la sienne depuis le début, à savoir qu'ils sont

contre un traité de libéralisation des échanges avec les États-Unis. Ils nous ont fait comprendre que, dans leur optique, leur façon de voir les choses, effectivement, les résultats seraient néfastes même si nous excluions de l'entente l'agriculture globalement et qu'il ne saurait être question de continuer la négociation de la façon qu'elle a été entreprise. C'était un négativisme total et non camouflé, je crois, et, comme je l'ai dit, une position très honnête.

Par contre, nous avons eu, avant, la Coopérative fédérée représentant, on nous disait, 35 000 membres, 10 000 producteurs, un chiffre d'affaires pour le coopératisme, si j'ai bien compris, de 1 200 000 000 $, mais pour le coopératisme dans son ensemble de 3 000 000 $ d'affaires, enfin, des représentants du milieu. Eux, avec des réserves, les mêmes d'ailleurs que le gouvernement, disaient: Nous sommes pour une négociation sur le libre-échange à l'intérieur de certaines balises, certaines paramètres, et les mêmes que les nôtres.

Vous, vous êtes les professionnels, si je peux employer le terme, du domaine de l'agriculture. Vous êtes 3000 et vous nous dites que vous oeuvrez dans les organismes gouvernementaux, les universités, les institutions d'enseignement et de recherche, l'industrie, le commerce, le monde des affaires et les cabinets de consultation privée. Vous couvrez l'ensemble du secteur sûrement et vous débordez. Vous nous dites, si je comprends bien: Nous aussi, à l'intérieur de certaines balises protégeant la fragilité que peut représenter le secteur de l'agriculture au Québec et les acquis, nous sommes pour !a continuation de la négociation, pour l'ouverture des frontières, pour l'établissement de mécanismes plus civilisés pour le règlement de nos différends, etc.

J'aimerais peut-être vous demander, parce que vous êtes justement les professionnels qui avez à traiter avec ce que j'appellerais les deux côtés de la table dans le domaine de l'agriculture, de quelle façon le commun des mortels peut réconcilier ses positions qui semblent aux antipodes avec celle qui est la vôtre, et je dirais même celle de la Coopérative fédérée, qui semble être plus pondérée.

M. Lapointe: En fait, M. le ministre, vous nous demandez de régler le problème auquel la commission doit apporter une réponse.

M. MacDonald: Je ne veux pas vous placer dans ce genre de situation. Il y a ici une commission d'information; il y a non seulement les gens ici qui vous écoutent, mais il y a les gens dans toute la province qui suivent ces travaux à la télévision. On a voulu et on veut que cette commission ait une direction pédagogique, une direction d'information. C'est plutôt sur ce plan que je vous demanderais de commenter.

M. Lapointe: C'est bien évident qu'il suffit de suivre un peu l'actualité depuis quelques jours et de lire les journaux pour constater que ceux qui sont responsables de l'information publique semblent aussi avoir une certaine confusion par rapport aux avantages et aux inconvénients de la libéralisation des échanges. On n'a qu'à lire les nouvelles qui nous ont été rapportées dans les journaux depuis deux ou trois jours, de même que certains éditorîaux.

À moi, il m'apparaît ceci. Quand je dis "moi", je veux dire le groupe qui a travaillé sur le mémoire de l'Ordre des agronomes. En ce qui concerne l'agriculture, on ne croit pas qu'il faille rejeter totalement le projet de négociations avec les Américains. Seulement, si on se reporte à l'expérience vécue en Europe, on sait que les négociations sur l'agriculture ont été très longues et que plusieurs autres secteurs, ceux de l'industrie en particulier, avaient déjà fait l'objet d'ententes et on discutait encore sur les modalités d'entente entre les pays producteurs de denrées agricoles.

À l'Ordre des agronomes, on pense que le processus va être un peu semblable en ce qui concerne les négociations bilatérales du Canada et des États-Unis. Nous n'avons pas intérêt, au Québec, à refuser de négocier avec notre principal client; c'est notre principal client. Seulement, il y a probablement, je ne dirais pas des accommodements, des modalités de commerce qui devraient faire l'objet d'une attention particulière. On suggère à la commission - je pense que c'est seulement un appui parce que le gouvernement l'avait déjà prévu - que le gouvernement du Québec se garde quand même un pouvoir d'intervention. On ne peut pas tout donner aux Américains parce qu'ils sont trop gros par rapport à nous. Il faudrait que le gouvernement du Québec puisse garder à la fois son droit et son pouvoir d'intervention pour apporter, lorsqu'il le jugera nécessaire, une aide financière aux producteurs de certains secteurs particuliers.

On pourrait référer juste à une industrie, par exemple. On sait qu'au Québec, il serait possible de développer certains produits horticoles et qu'il y aurait des marchés intéressants dans plusieurs États américains. Il arrive que ce ne sont pas nécessairement des tarifs douaniers, mais ce sont d'autres conditions douanières qui sont souvent importées: seulement l'imposition de dates sur le calendrier qui nous permettent d'exporter ou qui permettent aux Américains de venir inonder le marché québécois, alors que nos producteurs ont des primeurs à mettre sur le marché. Ce sont des ententes qui nous paraissent quand même relativement faciles à négocier et sur lesquelles les

Américains devraient être en mesure de comprendre la position du Québec et la nécessité pour nous d'une certaine forme de protection. (20 h 30)

M. MacDonald: Est-ce que vous voulez faire l'alternance? Alors, allez-y.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Laviolette.

M. Jolivet: Merci, M. le Président. M. Boutin et M. Lapointe, merci d'être venus apporter votre éclairage.

J'écoutais M. le ministre du Commerce extérieur et j'avais un petit problème de compréhension. Moi aussi, j'ai suivi la journée et je pense que vous avez eu la chance peut-être comme d'autres de suivre le ministre. Il me semblait, il vient de nous le dire, que la façon dont il voyait ce soir le rapport de l'UPA, c'était du négativisme, puis j'ai cru comprendre - je peux me tromper, mais ma mémoire ne fait pas totalement défaut - qu'il parlait cet après-midi de deux solitudes, mais qu'en réalité, ces deux solitudes-là étaient proches l'une de l'autre. Je ne comprends plus le ministre parce que cet après-midi, devant l'UPA, devant les gens ici, il disait que la position de l'UPA et celle du gouvernement, c'est à peu près pareil, sauf qu'ils ne parlaient pas de la même chose. Ce soir, il vient nous dire que c'est aux antipodes, que c'est du négativisme complet, et devant nous il y a un autre organisme qui est un peu pris par l'ambiguïté et par le fait qu'on ne connaît pas l'ensemble des dossiers sur lesquels le gouvernement en place est en train de négocier par l'intermédiaire d'un autre organisme fédéral.

J'aimerais bien comprendre, parce que le ministre vient de nous dire que la rencontre d'hier et d'aujourd'hui a un but pédagogique, un but d'information. J'ai des craintes quand je l'entends parler comme ce soir parce que cela rne donne plutôt l'impression qu'il est en train d'endormir le monde, de chloroformer le monde pour finalement les empêcher d'avoir des idées parce qu'il dit depuis le début, comme le ministre de l'Agriculture: Votre position est comme la nôtre; on ne s'entend peut-être pas sur les mots, mais on dit la même chose que vous; on a une position comme gouvernement qui est le maintien d'un statut spécial pour l'agriculture, ne vous inquiétez pas. Moi, je les ai connus, je vous parle de la négociation sur le marché du bois d'oeuvre. On pourra leur parler de négociations qu'ils ont eues au fédéral pour les grains, les gens commencent à nous en parler. J'ai l'occasion d'aller sur le terrain, j'ai des rencontres en fin de semaine avec des gens qui vont m'en parler davantage avec des cas précis, avec des gens qui, assurés ou non reçoivent du fédéral des montants d'argent à la suite des négociations avec le provincial, puis quand ils arrivent à l'assurance- stabilisation des revenus agricoles, l'ASRA, on dit: Bien, écoutez, vous l'avez eu, vous n'avez pas besoin d'en avoir une deuxième partie. Finalement, assurés ou non, ce que les gens disent dans le milieu c'est qu'on se retrouve avec des gens qui au bout de la course...

Une voix: ...se laissent tomber dans le piège.

M. Jolivet: ...vous avez le droit. M. le Président, je ne l'ai pas dérangé. Merci!

Une voix: Je ne veux pas vous déranger.

Le Président (M. Charbonneau): Â l'ordrel

M. Jolivet: Ce que je veux juste vous dire c'est ce que les gens nous disent et dans ce contexte-là, je veux bien qu'on ait, ce soir, de l'information, de la pédagogie, mais j'aimerais qu'on ait le même langage tout le temps.

Il y a une chose que vous dite à la page 18 de votre mémoire, en terminant, vous dites: "Face à la complexité des questions que pose l'agriculture, on peut souhaiter qu'un accord de libre-échange avec les États-Unis se résume à définir un cadre général pouvant servir de base à des négociations ultérieures et spécifiques à ce secteur". Est-ce que je comprends bien en disant que - et vous avez un peu ajouté à la demande du ministre tout à l'heure où on parle de libre-échange dans les secteurs où c'est facile de parler de libre-échange et finalement d'arriver à des ententes - dans le cas de l'agriculture, si on peut avoir un cadre général, il va falloir qu'on continue les négociations ultérieurement parce que cela ne sera pas fini au moment où il pourrait y avoir un cadre général? C'est un dossier tellement fragile de part et d'autre, mais surtout pour l'agriculture considérée comme une agriculture familiale au Québec avec des conditions où le gouvernement n'a pas le choix de la supporter, sinon le projet de société qu'on s'est donné, il va falloir le changer, il va falloir dire aux gens qu'on veut un modèle américain ou un modèle autre que le nôtre. J'aimerais que vous m'expliquiez le dernier paragraphe de votre mémoire nous disant qu'il y a un cadre général, mais que ce cadre général va servir de base à des négociations ultérieures. Cela veut dire que ce ne serait pas fini, si je comprends bien.

M. Lapointe: Je pense qu'on ne peut pas détacher le dernier paragraphe de ce qui

précède. Antérieurement, on dit aussi ceci, on dit que, dans l'état actuel de connaissance des dossiers, personne, en tout cas certainement pas nous à l'Ordre des agronomes, n'est en mesure de prévoir de façon précise ce que le Canada va proposer et encore moins ce que les Américains vont proposer et accepter. Mais ce qu'on peut déjà pressentir, c'est que les Américains sont aux prises avec de sérieux problèmes en agriculture et qu'ils ne seront certainement pas prêts à accepter spontanément une ouverture des frontières pour qu'on puisse leur exporter les surplus dans certaines productions agricoles.

Donc, puisqu'il semble difficile de prévoir que les Américains accepteraient qu'on puisse augmenter nos exportations d'une façon importante et, d'autre part, comme on sait que nous ici, nous ne pouvons pas accepter non plus que les Américains nous inondent, la meilleure entente du départ, ce sera peut-être justement de tâcher de discuter d'un certain cadre général qui peut aller un peu plus loin que des principes, mais qui donnerait une ouverture à des négociations plus spécifiques par la suite. Encore une fois, comme je l'ai souligné auparavant, ce qui s'est passé en Europe risque probablement de se passer aussi en Amérique du Nord, c'est-à-dire que l'agriculture n'a pas été le premier secteur qui a suscité une entente spontanée de la part des pays de la Communauté économique européenne et il y a trop d'écart entre les deux pays impliqués pour prévoir une entente possible sur un grand nombre de secteurs de production.

M. Jolivet: Vous avez dit à la page 7 de votre mémoire que, dans l'ensemble, la position concurrentielle de l'agriculture québécoise est favorable, tant à l'intérieur du Canada que dans l'économie nord-américaine. D'autre part, vous nous dites à la page 9 que l'agriculture n'est jamais négociable. Vous nous dites que certaines productions contingentées - je donne des exemples: le lait, les oeufs, la volaille -seraient fortement déstabilisées et par le fait même vulnérables à un accord de libre-échange. Les pages 12 et 13 indiquent que les producteurs de produits agro-alimentaires sont contre le libre-échange. En fait, on a eu des gens qui nous ont parlé de l'ensemble du projet et de la façon dont ils le voyaient. D'un autre côté, on soutient que l'élimination des tarifs n'aurait que des effets mineurs et que là où l'offre est réglementé, il appartient aux producteurs à décider et qu'il faudrait minimiser l'impact par des programmes de stabilisation des prix à la ferme, en raison de la surproduction américaine et de son avantage concurrentiel. D'un autre côté, on dit: Connaissant les effets dévastateurs que pourrait avoir un accord de libre-échange américain, on ne peut raisonnablement s'opposer à inclure l'agriculture dans le processus de négociation. Il semble un peu y avoir dans l'ensemble une certaine forme de contradiction dans la façon dont vous présentez l'ensemble du sujet. J'aimerais voir si j'ai bien compris et si vous avez une opinion qui me permettrait de bien comprendre si j'ai saisi l'ensemble de votre mémoire.

M. Lapointe: Vous avez employé les termes "il semble" y avoir une contradiction, je pense que les termes sont justes, "il semble" - peut-être qu'en apparence on peut, à la première lecture, penser qu'il y a une contradiction, mais de l'avis des membres du comité avec lequel j'ai travaillé, il n'y a pas d'opposition, si vous voulez, entre ces deux énoncés. D'une part, il est bien certain que les productions contingentées, les producteurs ne voudraient pas les négocier et je ne crois pas non plus que personne au Québec ne serait prêt à sacrifier ce secteur ou à l'ouvrir. Il reste que des productions non contingentées, qui ont déjà un accès relativement facile sur le marché américain peuvent faire l'objet de négociations. La position des agronomes face à cela, c'est que les négociations devraient nous permettre, vu la qualité des produits que l'on offre sur le marché américain, tant des viandes que des produits horticoles, d'augmenter peut-être nos exportations, sans qu'on n'ait à donner en échange des concessions sur des productions déjà contingentées et pour lesquelles les producteurs se sont donné des structures depuis au-delà d'une vingtaine d'années. Je pense que, s'il fallait les sacrifier, c'est sûr que cela serait un recul.

Alors, il n'y a pas d'opposition. L'Ordre des agronomes croit qu'il ne faut pas rejeter ou mettre de côté l'agriculture dans les négociations avec les États-Unis, mais, dans ces négociations, il faut déjà avoir une position ferme sur les productions contingentées et une certaine ouverture des négociations sur les productions qui pourraient nous offrir un accroissement de nos exportations. Personne ne peut prétendre à ce moment-ci que ce n'est pas possible. La preuve, c'est que, tous les soirs, des camions de produits horticoles partent de la région du sud de Montréal vers le marché de Boston ou vers le marché de New York, et cela depuis plusieurs années.

II serait possible de les accroître. J'ai été personnellement impliqué dans l'industrie de transformation pendant plusieurs années et je me suis toujours demandé pourquoi l'industrie rie la conserve alimentaire au Québec était si dépendante des Américains. Il y aurait probablement moyen de renégocier suffisamment tout le secteur des conserves alimentaires, de la congélation et de la surgélation, et d'accroître peut-être

certaines productions au Québec dans ces secteurs, car le marché américain apprécie la qualité de nos produits et la valeur du dollar américain nous favorise.

M. MacDonald: Je voudrais tout simplement faire observer que, non seulement j'approuve, mais je ne fais que constater cette recommandation que vous faites de continuer à négocier, en faisant partie peut-être de l'éducation du député de Laviolette qui est nouveau au dossier. Dans le domaine de la commercialisation internationale, c'est de la négociation continuelle. Que cela se fasse au niveau bilatéral ou multilatéral,, ce n'est pas pour rien que nous avons une expertise à la disposition des gouvernements pour continuer à traiter ces dossiers où il y a déjà eu entente, mais les marchés évoluent. Alors, dans le domaine de l'agriculture, encore peut-être plus s'il y a des efforts à concentrer, à continuer à négocier, c'est là.

Si vous me le permettez, M. le Président, j'aimerais passer la parole au député de Frontenac qui aurait quelques questions à poser.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: M. Lapointe, à la page 2 de votre mémoire, vous soulignez le fait que le Canada aurait intérêt à conclure avec les États-Unis un accord de libre-échange en vue de former le bloc commercial le plus puissant au monde dans le cas des échanges multilatéraux du GATT, Est-ce que cela laisse entendre que les États-Unis et le Canada, à partir du moment où ils auraient convenu ensemble d'un accord de libre-échange, auraient tous deux un intérêt qui pourrait être partagé évidemment de façon différente vis-à-vis du commerce avec d'autres pays que le Canada pour les États-Unis et que les États-Unis pour le Canada? Autrement dit, en formant un bloc, tous les deux gagneraient d'autres marchés que les marchés réciproques du Canada et des États-Unis. J'aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce bien ce que vous voulez dire à la page 2 de votre mémoire? Si oui, j'aimerais vous entendre là-dessus. (20 h 45)

M. Lapointe: Je pense que vous avez non seulement bien lu, mais bien compris. Ce deuxième paragraphe vient au tout début du chapitre et il réfère plutôt à une considération d'ordre général. Il n'est pas nécessairement limité au secteur de l'agriculture. Il nous apparaît en tout cas que les négociations avec les États-Unis, comme vous le soulignez, pourraient avoir comme un des objectifs de constituer éventuellement un bloc économique très puissant, de façon à avoir - je dirais - une influence plus considérable lors des négociations du GATT que le Canada isolément. C'est-à-dire que le Canada pourrait peut-être gagner des points en étant, dans certains secteurs allié avec les Etats-Unis pour négocier avec d'autres pays dans le cadre du GATT, ou dans le cadre, éventuellement, d'autres formes de négociations commerciales sur le plan mondial.

M. Lefebvre: Maintenant, M. Lapointe, je vous avouerai que j'ai un peu de difficulté à tirer une conclusion en partant de l'ensemble de votre mémoire et je n'arrive pas à conclure si finalement vous êtes pour ou contre une entente de libre-échange avec les États-Unis. Je pars de ce que je viens de dire à la page 2: Vous considérez que les deux pays auraient intérêt à former un bloc commercial plus puissant. Alors, je conclus par les commentaires que vous faites à la page 2 que vous êtes favorables à une entente de libre-échange avec les États-Unis. À la page 17, cependant, vous dites que vous doutez sérieusement de la valeur et de la durée des gains sociaux qui pourraient découler pour les Québécois, particulièrement - on parle du Québec - d'un accord de libre-échange avec les États-Unis. Au paragraphe suivant, vous ajoutez: "Néanmoins, on ne peut raisonnablement s'opposer à inclure l'agriculture dans le processus actuel de négociations bilatérales." Dans un premier temps, à la page 2, vous dites: Oui, on aurait intérêt, comme les États-Unis - vous parlez du Canada, évidemment. À la page 17, cependant, pour le Québec, vous n'êtes pas certains que le Québec ferait des gains sociaux durables et vous continuez en disant que, de toute façon, si jamais on décidait d'y aller, pourquoi ne pas inclure l'agriculture? Cela contredit l'UPA qui dit: À tout le moins, excluez l'agriculture. Non seulement vous dites: Peut-être que cela serait bon. À la page 17, vous êtes moins certains pour le Québec et vous terminez, ou presque, votre mémoire en disant: Si on y allait, incluons l'agriculture. Alors, je vois des contradictions dans ces trois points que vous soulevez aux pages de votre mémoire que je viens de mentionner. J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Lapointe: Ce qui est dit à la page 2 et au bas de la page 17 n'est pas une contradiction, mais une réaffirmation. Par contre, le paragraphe 2 de la page 17 dit que l'Ordre des agronomes doute des gains sociaux qui pourraient découler pour le Québec. Je pense qu'il faut le relier avec le début du paragraphe quand on dit que les récentes mesures adaptées par Washington pour soutenir les prix et faciliter l'exportation nous obligent à lutter sérieusement. C'est justement pourquoi il faut des négociations. Si on les laisse aller avec leurs

mesures actuelles, ils vont trouver toutes sortes de prétextes, des méthodes techniques pour empêcher l'entrée des produits ou pour introduire leurs produits, alors que, si on négocie, on a peut-être des chances de s'entendre sur des modalités.

M. Lefebvre: M. Lapointe, vous en venez à la conclusion, et c'est votre opinion, qu'on a tout intérêt à faire l'impossible pour réaliser une entente. Ce sera toujours mieux que le statu quo actuel.

M. Lapointe: C'est ce qui est au bas de la page 17 et au début de la page 18.

M. Lefebvre: C'est ce que vous voulez dire.

M. Lapointe: C'est la dernière partie de la conclusion.

M. Lefebvre: Merci.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Laviolette.

M. Jolivet: Je vais revenir, parce que, pour moi aussi, comme je vous l'ai expliqué tout à l'heure, il semblait y avoir une certaine forme de contradiction. Vous venez d'expliquer davantage cette ambiguïté qui semblait persister. Je reviens à la page 13 de votre mémoire. J'aurais la question suivante: Quels sont donc les avantages que le Québec peut espérer obtenir d'un traité de libre-échange avec les États-Unis dans le secteur agricole, alors que, à la page 13, vous affirmez que les Américains sont plus intéressés à libérer leur marché de leurs surplus qu'à accueillir librement les produits étrangers pour accroître encore davantage les stocks en réserve? J'aimerais que vous m'expliquiez davantage quels sont les avantages pour le Québec de participer à ce libre-échange.

M. Lapointe: Je pense que ce qu'on dit là, c'est l'évidence même. Lorsqu'on a des surplus, on veut s'en débarrasser. À cause, évidemment, de la force économique de notre voisin, on n'a pas intérêt à refuser constamment toute négociation, c'est-à-dire que le statu quo ne permettrait pas quand même de fermer toujours nos frontières et, éventuellement, les Américains pourraient trouver des moyens de faire des exportations même s'il fallait abaisser les prix d'une façon considérable. Éventuellement, ils vont s'en débarrasser. On risque d'en avoir une partie. Alors que, si on négocie et qu'on en vient à signer une entente sur certains secteurs de l'agriculture, on a peut-être des chances de prévenir une situation qui ne serait pas avantageuse pour te Québec. Autrement dit, nous croyons plutôt que la négociation est meilleure que le statu quo. C'est cela.

M. Jolivet: À la page 18, vous présentez une des propositions, la proposition 4, soit l'établissement d'un mécanisme permanent ou un tribunal d'arbitrage pour régler équitablement les litiges et les différences d'interprétation des accords entre les deux pays. Vous avez probablement entendu dire que, ce matin, M. Parizeau est venu ici à la commission parlementaire et que, dans les entrevues qu'il a accordées et dans ce qu'il a dit ici, il ne voyait pas que c'était une décision qu'on pouvait imposer aux États-Unis, dans le sens que le Congrès ne se départira pas de ses pouvoirs au profit d'une autre nation d'à côté, d'un autre peuple qui décide de vouloir négocier un libre-échange à la condition de. Donc, il dit que c'est une condition qu'on peut bien mettre, mais qu'on est presque assurés de ne pas l'avoir. D'un autre côté, M. Pierre Petitgrew disait la même chose, à savoir qu'il ne voyait pas cela d'un bon oeil, compte tenu qu'effectivement la possibilité de l'obtenir était très mince. Vous avez écrit votre mémoire avant. Il y a eu ces gens, des personnes considérées comme connaissant l'ensemble du dossier. Est-ce que votre position, malgré leur intervention de ce matin, est toujours la même? Si oui, qu'est-ce que vous donnez comme argumentation?

M. Lapointe: Comme vous et comme plusieurs autres, j'ai pu lire dans les journaux ce matin ce que vous dites, que définitivement, le Sénat américain ne veut pas laisser aller ses prérogatives de décisions finales dans cette matière. Les élus veulent conserver leur pouvoir et on le comprend très bien. Seulement, il existe quand même des exemples, je pense, par lesquels on peut prévoir que, pour certaines questions, il pourrait y avoir un mécanisme, appelons-le tribunal ou peu importe, mais appelons-le un mécanisme en tout cas, qui permettrait justement de régler des litiges comme ceux qu'on a connus récemment. Vous en avez mentionnés vous-même tout à l'heure, soit le bois. Il y en a eu d'autres. Il y en a assez régulièrement en agriculture et cela, depuis fort longtemps. Est-ce que, pour des questions qui seraient peut-être économiquement de moindre importance, le Sénat voudra quand même mettre un veto complet?Personne ne peut le savoir. On le saura seulement après le 5 octobre. Nous n'avons pas changé de position parce qu'on a appris comme vous que cette opposition semblait assez ferme, mais je ne vois pas pourquoi on ne tenterait pas quand même de convaincre le partenaire américain de céder sur un point comme celui-là pour certaines denrées agricoles. Cela ne s'appliquerait peut-être pas nécessairement à l'ensemble parce qu'on

va négocier seulement une partie de l'agriculture. Il y a une partie qu'on ne veut pad négocier de toute façon.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation.

M. Pagé: Merci, M. le Président- Je veux remercier M. Lapointe et M. Boutin de l'intérêt qu'ils manifestent au dossier et de leur participation aux travaux de notre commission parlementaire. Je vais être bref parce qu'il ne reste que quelques minutes. Je dois vous indiquer que j'ai été surpris, vraiment surpris de constater la prise de position de l'Ordre des agronomes, en ce que j'interprète comme le message que vous nous livrez ce soir. Je l'interprète comme un appui à une démarche de libre-échange purement et simplement entre les États-Unis et le Canada, particulièrement en matière d'agriculture.

À la page 2, sans reprendre ce que mon collègue de Frontenac vous indiquait tout à l'heure, vous évoquez le fait que le Canada et les États-Unis ensemble pourraient constituer, par leur présence sur les marchés internationaux, une force beaucoup plus vitale et importante dans l'économie agricole du Québec. Je me permets de vous exprimer mes réserves et mes craintes en ce qu'on doit constater et retenir certains éléments, si on se compare aux États-Unis, notamment pour nos productions au Québec. En volume, ils sont beaucoup plus gros que nous. On a référé à la production du poulet ce matin. Il leur suffirait d'augmenter leur production de 4 % ou 6 % et ils pourraient nous enlever 50 % de notre marché canadien. On a un marché, une production canadienne dans le domaine du poulet de gril d'environ 750 000 000 de livres par année et avec une augmentation de la production de 4 % à 6 %, on perdrait, c'est-à-dire qu'on pourrait perdre 50 % de nos marchés. Imaginez l'impact dans l'économie du Québec non seulement pour les producteurs ou les productrices qui ont des investissements, qui ont des quotas d'une valeur donnée, mais aussi pour toute la chaîne, de ceux et de celles qui fournissent. C'est la même chose dans le domaine de la production laitière. Il ne faut pas se faire de cachette. Il y a des surplus là aussi. Notre population compte seulement quelque 20 000 000 d'habitants répartis sur le territoire qui est le plus vaste dans les pays du monde libre. Nous pourrions être une proie relativement facile à manger dans certaines productions. Je vous exprime ma surprise et je ne peux pas faire autrement.

J'ai une question très particulière maintenant. À la page 14 de votre mémoire, vous dites en conclusion: "Pour l'agriculture québécoise, l'élimination graduelle des tarifs douaniers aurait des effets mineurs pourvu qu'on accorde une protection saisonnière aux produits horticoles." On doit convenir qu'il n'y a pas beaucoup de tarifs douaniers applicables. Cependant, tous les intervenants sont unanimes à soutenir - jusqu'à maintenant en tout cas - que la force et la vitalité de l'agriculture au Québec et au Canada passent par le maintien de certains acquis dont, évidemment, nos agences nationales de commercialisation, nos structures de mise en marché de produits. J'ai indiqué cet après-midi et ce matin que, non seulement on devait être sécurisés à l'égard du maintien de ces structures, mais aussi en ce qui concerne le droit pour un pays comme les États-Unis d'acheminer au Canada et particulièrement au Québec des produits transformés venant des États-Unis. II suffit de référer au yogourt, à la crème glacée, au fromage.

On pourrait aussi parler longuement des succédanés qui sont utilisés sur une grande échelle là-bas, par exemple pour les fromages, et qui ne le sont pas ici au Canada. Ne croyez-vous pas que la proposition que vous formulez, si elle était adoptée - je pense que, tout à l'heure, le Conseil de la coopération laitière qui va comparaître sera en mesure de nous donner des exemples très spécifiques de ce qu'une mesure comme celle-là pourrait avoir comme effet sur leur industrie, notamment en ce qui concerne la crème glacée - ne croyez-vous pas que l'application intégrale d'une recommandation comme celle-là risquerait de placer de3 secteurs entiers de notre production agricole en péril?

M. Lapointe: Me posez-vous une question?

M. Pagé: Oui.

M. Lapointe: Je ne sais pas si je vous ai bien compris, M. le ministre. Ce paragraphe suppose qu'on a déjà lu ce qui précède où on dit que les productions contingentées, le Québec n'est pas prêt à les négocier. On dit que l'élimination graduelle de tarifs douaniers, ce ne serait pas applicable aux produits laitiers ni aux produits avicoles. On peut prendre l'exemple du porc; on l'a vécu. Les États-Unis ont trouvé parfois des prétextes comme ça pour nous empêcher d'exporter ou pour diminuer les quotas qu'ils étaient prêts à accepter. C'est un peu cela. Ce n'est peut-être pas suffisamment clair, je m'en excuse, mais ici on suppose que les productions contingentées, on n'y touche pas.

M. Pagé: J'apprécie et je vous en remercie. M. le Président, je pense qu'il me reste deux minutes.

Le Président (M. Charbonneau): II ne vous reste plus de temps, M. le ministre. La réponse a grugé le reste du temps qu'il vous restait.

Une voix: Consentement.

M. Lefebvre: Consentement du député de Laviolette. Consentement pour deux minutes, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Si vous êtes sage, on peut vous donner deux minutes additionnelles. (21 heures)

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Pagé: Vous savez, je suis le plus vieux parlementaire.

Une voix: Ce n'est pas une punition mineure.

M. Pagé: Non? Je m'excuse. Mon collègue d'Orford et moi sommes les plus vieux parlementaires ici. On a droit à certains égards.

Le Président (M. Charbonneau): Je remarque simplement que vous avez grisonné un peu plus depuis deux ans.

M. Pagé: Pardon?

Le Président (M. Charbonneau): Vous avez un peu plus grisonné.

M. Pagé: Ce n'est certainement pas la force de l'Opposition.

Le Président (M. Charbonneau): Ah!

Bien, écoutez.

M. Pagé: Pour y revenir, M. le Président, une minute seulement pour indiquer à mon bon ami et collègue de Laviolette que j'ai été très surpris quand vous avez indiqué tout à l'heure que, pour vous, le paiement effectué en vertu d'un programme spécial du gouvernement fédéral pour appuyer les productions agricoles au Québec qui sont stabilisées, le produit de ces sommes ne devrait pas être versé dans nos régimes d'assurance-stabilisation mais bien aux producteurs. Si c'est ce que vous m'avez dit, c'est très inquiétant parce que les paiements en vertu du programme d'indemnités pour les céréales ont été versés directement dans nos régimes d'assurance-stabilisation. Cela est très clair dans la loi que les sommes venant d'Ottawa doivent aller là.

Quand vous avez parlé de votre voyage en Abitibi tout à l'heure, c'est ce que vous avez dit, je m'excuse, à moins que vous ne fassiez amende honorable. Mais...

M. Jolivet: Je n'ai pas parlé d'Abitibi, M. le Président. Ce que j'ai dit c'est: En fin de semaine, je vais recevoir des gens qui vont me donner les informations cas par cas. Faites attention à ce que vous dites.

M. Pagé: D'accord. Vous savez, cela témoignerait soit d'une méconnaissance profonde ou d'un haut sens de l'électoralisme, ce qui ne serait pas bon dans un cas ou dans l'autre.

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre! Dans ce cas, M. le ministre, je me rends compte que j'aurais dû rester sur ma position initiale et vous refuser vos deux minutes. Vous avez ouvert une boîte qui aurait pu risquer de nous amener là où on ne doit pas aller. Bientôt, la Chambre va reprendre et je pense que vous aurez l'occasion mutuellement de vous affronter selon les règles parlementaires. En attendant, je vais vous amener à attendre patiemment cette joute et plutôt profiter des quelques instants qui nous restent pour remercier MM. Lapointe et Boutin d'avoir accepté notre invitation et participé à cette consultation générale. Je pense que les membres de la commission ont apprécié. Nous vous remercions. Peut-être que nous aurons d'autres occasions de vous revoir à cette commission. Bon retour!

J'inviterais maintenant les nouveaux intervenants, qui sont les représentants du Conseil de la Coopération laitière et la Fédération des producteurs de lait du Québec.

Messieurs, bonsoir. Je crois que le responsable de la délégation est M. Daoust, si je ne m'abuse. Je vais vous rappeler, M, Daoust, ainsi qu'à vos collègues - je pense que vous le savez un peu - que le temps est d'une heure. Vous avez 20 minutes pour faire la présentation de votre mémoire et de vos points de vue. Par la suite, le reste du temps sera utilisé par les membres de la commission de part et d'autre pour discuter. Pour le Journal des débats, je vous demanderais, M. Daoust, de présenter les personnes qui vous accompagnent.

Conseil de la coopération

laitière et Fédération des

producteurs de lait du Québec

M. Daoust (Roger): Merci, M. le Président, de nous donner l'occasion de faire connaître notre point de vue concernant les discussions qui ont cours sur la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.

D'abord, je dois vous présenter à ma droite M. Claude Lafleur, économiste à la Fédération des producteurs de lait de même que M. Normand De Montigny, secrétaire du Conseil de la Coopération laitière; à ma

gauche, M. Napoléon Théberge, vice-président du Conseil de la coopération laitière et M. Jean-Marc Bergeron, directeur de la division laitière à la Coopérative fédérée de Québec. Je demanderais à M. Théberge de procéder à la lecture du court mémoire que nous avons à vous présenter. Cela résume aussi un peu la position qui a déjà été présentée par l'UPA, cet après-midi.

Le Président (M. Charbonneau):

D'accord.

M. Théberge (Napoléon): M. le Président de la commission, Mmes et MM. les députés. Nous tenons tout d'abord à vous remercier de l'occasion qui nous est donnée de vous exprimer notre point de vue sur un éventuel accord de libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.

Le Conseil de la Coopération laitière et la Fédération des producteurs de lait du Québec ont voulu se présenter conjointement devant la commission. Nos deux organisations représentent l'ensemble des 17 000 producteurs de lait du Québec ainsi que les deux tiers de la capacité de transformation de l'industrie laitière québécoise. Notre position est claire et connue depuis plusieurs mois. Nous sommes contre la libéralisation des échanges commerciaux en industrie laitière puisque cela n'apportera rien de positif aux Canadiens, mais mettra, par contre, en péril des milliers d'emplois et signera l'arrêt de mort de la ferme familiale au Québec.

Pour mieux vous permettre de bien saisir les fondements de notre position, nous vous brosserons d'abord un rapide portrait du système canadien de gestion des approvisionnements de lait sur lequel repose l'industrie laitière.

La mise sur pied de ce système a nécessité des efforts considérables, notamment des producteurs de lait, au cours des 20 dernières années. Des ajustements ont été apportés au cours des ans à ce mécanisme qui met en équilibre l'offre et la demande de produits laitiers, de manière à répondre aux attentes tant des consommateurs et contribuables canadiens que des producteurs.

Ce système original, qui fait figure de contrat social entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les producteurs de lait du Canada, a inspiré plusieurs pays qui ont récemment adopté des systèmes de gestion d'approvisionnement se rapprochant du modèle canadien. Les pays de la Communauté économique européenne notamment, qui, depuis plusieurs années, sont aux prises avec d'énormes surplus de produits laitiers, surplus stockés aux frais des contribuables européens, ont implanté, il y a quatre ans, un système de contingentement.

Le système canadien repose sur des engagements concrets et des responsabilités bien délimitées. C'est ainsi que les producteurs sont directement impliqués dans la prise de décision quant au niveau des quotas à émettre pour répondre aux besoins canadiens. L'administration de ces quotas et leur répartition entre les 40 000 producteurs de lait canadiens relèvent également des organisations de producteurs.

Les coûts d'exportation de l'excédent structurel de certains sous-produits du lait et des excédents conjoncturels de production lorsqu'ils surviennent sont à la charge des producteurs. Bon an, mal an, c'est près de 270 000 000 $ ou 9 % de leur revenu brut que les producteurs décaissent pour assumer cette responsabilité.

Le gouvernement fédéral, pour sa part, soutient le revenu des producteurs et la marge de transformation des usines par le biais d'un prix de soutien sur le beurre et sur la poudre de lait écrémé. De plus, un subside est versé directement au producteur pour lui permettre d'obtenir l'équivalent de son coût de production. Ce subside a pour effet également de maintenir le prix des produits laitiers à un niveau raisonnable pour le consommateur canadien. Le gouvernement injecte donc environ 280 000 000 $ par année à cette fin. Le gouvernement fédéral doit également veiller à maintenir les contrôles à l'importation de produits laitiers pour permettre un fonctionnement efficace du système de gestion des approvisionnements.

Voilà bien brièvement résumé le contrat qui lie le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux, qui ont également signé le plan national de commercialisation du lait, et les organisations de producteurs de lait dans tout le Canada.

Le gouvernement canadien reconnaissant le mérite de ce contrat a annoncé, en janvier 1986, le renouvellement, pour une période de cinq ans, de ses engagements envers l'industrie laitière et ce, au moment même où les pourparlers quant à la libéralisation des échanges commerciaux canado-américains s'amorçaient. Un peu plus tard, dans le processus de négociation, le gouvernement canadien a confirmé que les offices de commercialisation, qui sont à la base de la gestion des approvisionnements, ne sauraient être inclus dans les discussions en cours avec les États-Unis.

Le système canadien de gestion des approvisionnements de lait a fait ses preuves et il doit être maintenu intégralement dans l'avenir puisqu'il dessert bien tant les consommateurs que les producteurs de lait canadiens.

La production laitière du Québec représente 40 % du total canadien. La valeur à la ferme de cette production représentait, en 1985, plus de 40 % des recettes

monétaires de toute la production agricole du Québec. L'industrie laitière procure plus de 38 000 emplois directs sur les fermes et en usines, ces emplois se situant souvent dans des régions qui ont peu d'alternatives économiques. Enfin, l'industrie laitière se situe, par la valeur de ses livraisons, au premier rang de l'industrie des aliments et boissons, laquelle elle-même figure au premier rang de l'industrie manufacturière du Québec.

Il s'agit d'une industrie performante, utilisant des technologies avancées et dont les gains en productivité au cours des dernières années n'ont pratiquement pas connu d'égal en agro-alimentaire. Qu'il suffise de mentionner qu'on produit aujourd'hui au Québec sensiblement le même volume de lait qu'en 1970, mais en ayant diminué de 3Q % le nombre de vaches durant cette période.

Pour ce qui est des usines, la rationalisation a été tout aussi, sinon plus, spectaculaire puisqu'en 1970, on comptait plus de 230 usines laitières au Québec, alors qu'on en retrouve plus que 93 aujourd'hui.

Le gouvernement québécois a fourni des sommes importantes dans les années 1960 et 1970 pour favoriser et accentuer cette rationalisation tant à la ferme qu'au niveau de la transformation. Ces investissements de fonds publics perdront de leur valeur dans l'éventualité d'un libre-échange appliqué à l'industrie laitière.

Comme vous êtes à même de le constater, l'industrie laitière est d'une importance capitale pour l'économie du Québec et le gouvernement du Québec doit s'assurer que le système canadien de gestion des approvisionnements, qui a permis jusqu'à un certain point l'essor de cette industrie, soit maintenu dans son intégralité.

Pour ce faire, il faut s'assurer qu'aucune des quatre composantes qui forment le système canadien ne subira de brèche. Ces quatre composantes sont le contingentement de la production, les quotas d'importation de produits laitiers, les tarifs douaniers s'appliquant aux produits laitiers entrant au Canada, notamment ceux s'appliquant à la crème glacée et au yogourt pour lesquels il n'existe pas de quota d'importation comme tel, et la quatrième étant les restrictions provinciales touchant la commercialisation de produits d'imitation tels les substituts de fromage.

C'est tout cela qui fait partie du contrat intervenu entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les producteurs de lait canadiens. Toute brèche dans un de ces quatre secteurs peut mettre en péril tout le système dont l'équilibre est très délicat. Merci!

Le Président (M. Charbonneau): Alors, Monsieur, merci. Immédiatement, je cède la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: M. le Président, merci de votre présentation.

Vous dites au départ que vous êtes contre la libéralisation des échanges et que les échanges commerciaux en industrie laitière n'apportent rien de positif aux Canadiens. Si on parle de tarification, d'agences de commercialisation, de programmes de stabilisation, etc., je pense comprendre très bien votre situation. Si on étend la négociation, parce qu'il y a négociation à l'heure actuelle, et si, sur le plan de l'agriculture, on regarde les questions d'uniformisation de règles d'hygiène pour ne prendre qu'un exemple, si on regarde la subvention directe des exportations qui a fait subir des pressions et des pressions que j'appellerais plus qu'indues à certains pays lorsque les États-Unis ou la communauté européenne directement ou indirectement ont décidé de le faire, y a-t-il là des sujets qui, d'après vous, peuvent continuer à faire le sujet de négociations avec les États-Unis? Ce que je cherche à dire, et je ne voudrais pas vous mettre en conflit, c'est qu'aujourd'hui, venant du secteur agricole, on nous a dit: II ne devrait pas y avoir de négociations à aucun prix, je voudrais savoir si vous, vous êtes d'accord sur, par exemple, les sujets que je viens de mentionner, compte tenu de toutes les réserves que vous avez mises ici dans votre soumission.

M. Daoust: Concernant l'exportation des produits laitiers, c'est l'entière responsabilité des producteurs de lait. Ce qui se produit présentement lorsqu'il y a des surplus de produits laitiers au Canada, c'est que les producteurs de lait, par leur contrat, acceptent d'exporter ces produits-là à leurs frais et, d'autre part, ce que nous devons concurrencer, ce sont les États-Unis, ce sont les gouvernements des autres pays. C'est de cette façon-là qu'on s'oppose à ce qu'il y ait des libéralisations d'échanges entre les deux pays dans le secteur laitier puisqu'advenant une ouverture des frontières, justement les surplus de produits laitiers aux États-Unis sont suffisants pour approvisionner le marché canadien. Donc, à partir de ce moment-là, le marché canadien va devenir un pays très intéressant pour l'exportation et, par le fait même - on a dit aujourd'hui qu'à environ 40 % l'agriculture du Québec était composée de l'industrie laitière - cela impliquerait la disparition de régions comme celles du Bas-St-Laurent et du lac-Saint-Jean qui sont des régions fondamentalement laitières. Donc, cela mettrait en danger toute la survie de ces régions.

M. MacDonald: Je suis parfaitement d'accord avec vous. J'ai compris exactement,

mats ma question était: Est-ce que vous êtes favorables à ce que se poursuive, à l'intérieur d'une négociation, un sujet, par exemple, où l'on s'entend pour interdire toute subvention directe à l'exportation comme on en adéjà vue au sud de la frontière ou une négociation qui cherche, par exemple, à uniformiser des règles d'hygiène? (21 h 15)

M. Daoust: J'aimerais laisser répondre M. Bergeron sur cette question.

Une voix: Certainement.

M. Bergeron (Jean-Marc): Je pense que la position conjointe de l'industrie laitière va peut-être un petit peu surprendre la commission. Ce matin, la Coopérative fédérée avait des positions nuancées parce qu'elle représentait plusieurs productions. Ce soir, comme secteur laitier, nous faisons une présentation séparée. En fin de compte, ce que nous disons, c'est que par secteur, les traitements doivent être différents. Je dis que nous allons surprendre la commission, parce que au fond, dans l'industrie laitière, lorsque les négociations de libre-change ont commencé, on s'est rendu compte qu'il y avait certains secteurs qui étaient fragiles dans le système actuel. En fait, les Américains sont plus protectionnistes que nous sur le plan des barrières non tarifaires dans plusieurs secteurs. Il existe même une association nationale de producteurs, la National Milk Producers Federation, une association nationale américaine qui s'est prononcée ouvertement contre la libéralisation des échanges avec le Canada.

Alors, l'industrie laitière de chaque côté de la frontière ne semble pas tellement vouloir ouvrir les échanges. Dans notre cas, on s'est aperçu qu'en ce qui concerne les barrières non tarifaires, c'est-à-dire dans les produits qui requièrent des licences ou des quotas d'importation, il y avait le yogourt et la crème glacée pour lesquels il n'y avait aucune frontière. Compte tenu de la puissance industrielle de certaines entreprises américaines, pour l'instant, tout ce qui empêche l'entrée de ces produits, ce sont les tarifs. En passant, je signale que les tarifs américains sont plus élevés que les tarifs canadiens. Essentiellement, ce qu'on dit, c'est que, s'il y a des négociations, puisqu'il y en a de toute façon, nous demandons que les barrières soient encore plus hautes. Nous demandons qu'on nous protège davantage.

Il existe un autre secteur où on n'est pas tellement protégés, c'est le secteur des produits de substitution et encore là, il n'existe que des barrières provinciales. Il n'existe aucune barrière fédérale à l'entrée des produits de substitution. Encore là, on veut certainement garder l'appui des gouvernements provinciaux pour en interdire l'entrée et pourquoi pas? Pourquoi le gouvernement canadien ne négocierait-il pas des barrières encore plus élevées à l'entrée des produits de substitution? C'est dans ce sens que peut-être on surprend, mais, en fait, je pense que le mémoire vous dit que ce sont des industries qui, de part et d'autre, ne semblent pas en vouloir plus qu'il le faut. Tout ce qu'on dit, c'est: Pour ce qui est du secteur laitier, dans le cadre de la libéralisation des échanges, au mieux, négocions des conditions encore plus serrées, des protections plus efficaces; au pire, s'il vous plaît, oubliez-nous. C'est ce que les Américains disent aussi.

M. MacDonald: Au mieux et au pire. Je le retiens.

Le Président (M. Charbonneau): Mais on va prendre encore le mieux pour quelques instants et on ne va pas vous oublier tout de suite. Alors, le député de Laviolette aurait quelques questions.

M. Jolivet: Oui, M. le Président, merci. Au moins, la position que vous tenez n'a pas permis au ministre de dire qu'il était d'accord avec vous cette fois par rapport à ce qu'il a dit cet après-midi, avec des choses qui semblaient être aussi directes que votre position. J'entendais tout à l'heure le député de Frontenac qui disait que l'UPA -je suis toujours dans la partie pédagogique et informative dont on faisait mention tout à l'heure - demandait au moins d'exclure l'agriculture du libre-échange. J'ai cru comprendre plutôt qu'ils n'en voulaient pas du tout nulle part. Ils aimaient mieux plutôt aller à un autre niveau de négociations, celui du GATT. Cela a été, il me semble, assez clair.

Vous parlez de l'efficacité du système de contingentement de la production et vous dites que ce système ne peut être efficace sans la présence des tarifs douaniers s'appliquant aux produits laitiers - vous en avez fait mention: crème glacée, yogourt -entrant au Canada, et de restrictions sur la commercialisation de produits d'imitation -on parlait tout à l'heure de substituts du fromage dans le texte. Pour vous, ces tarifs et ces restrictions sont indissociables du système de contingentement et le seul fait d'exclure les offices de commercialisation des négociations ne serait pas suffisant, si j'ai bien compris votre explication.

D'un autre côté, la seule ouverture de nos frontières aux surplus américains en matière de produits laitiers signifierait par le fait même la mise à mort de ce qu'on a voulu défendre aujourd'hui, la façon de voir de la vie québécoise, c'est-à-dire la ferme familiale. J'aimerais, pour que les gens qui vous écoutent et qui vont vous lire puissent bien comprendre, que vous nous expliquiez

quels impacts aurait un traité de libre-échange touchant l'agriculture sur le secteur québécois de la transformation agro-alimentaire dont vous faites partie.

M. Daoust: Concernant les tarifs douaniers, vous savez qu'il existe présentement des tarifs douaniers de 15 % s'appliquant sur les yogourts et la crème glacée. Advenant l'élimination des tarifs douaniers, cela voudrait dire que les États-Unis pourraient entrer librement au Canada avec ces deux produits et, comme ces deux produits font justement partie de l'un des composants du contingentement - le contingentement canadien, c'est la capacité de production des producteurs pour suffire aux besoins canadiens - cela veut donc dire qu'il y aurait ce qu'on appelle une brèche dans le système, qu'une partie de la consommation échapperait donc au système, ce qu'on appelle entrer par la porte d'en arrière. C'est bien beau de dire qu'on est pour la protection des offices de commercialisation mais, à court et à moyen termes, nos offices de commercialisation deviendraient presque inopérants et inefficaces,

Quant au contrôle de l'importation, vous savez qu'il y a des quotas d'importation de fromages. S'il y avait abolition du contrat d'importation de fromages, ce serait une autre brèche, donc notre système de contingentement ne pourrait plus s'appliquer, étant fondé sur la consommation à l'intérieur du pays dont on ne pourrait contrôler une partie, étant donné qu'une partie de la consommation serait alimentée par des yogourts, de la crème glacée ou des fromages qui seraient importés de cette façon-là.

M. Jolivet: Donc, les composantes que vous mentionnez...

M. Daoust: Je dois ajouter que tout ce système a été mis en place par les producteurs, il y a environ quinze ans à coups de sacrifices et je ne pense pas que les producteurs laisseraient échapper, du jour au lendemain, un système reconnu, efficace, qui fait l'envie des producteurs canadiens et qui est aussi le point de mire de plusieurs pays, puisqu'on constate qu'actuellement 22 pays dans le monde ont adopté un système de contingentement. On était l'un des seuls pays, depuis quelques années, et dans la communauté européenne - on revient justement de la session de la fédération internationale en Finlande - la semaine dernière, 22 pays nous ont dit qu'ils ont adopté le système ou qu'ils se dirigent au cours de l'année vers un système de contingentement. Donc, pour nous, il serait inconcevable de retourner 15 ans ou 20 ans en arrière.

M. Jolivet: Donc, ce sont les quatre composantes qui doivent demeurer intactes.

M. Daoust: Elles doivent être maintenues intactes.

M. Jolivet: D'accord. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député...

M. Daoust: Mais l'une des inquiétudes justement... Je recevais il y a environ un mois une lettre de la ministre Pat Carney qui nous disait: On est pour maintenir en place les offices de commercialisation. Mais, dans un autre paragraphe, elle dit: Je suis fermement résolue à abolir tous les tarifs douaniers de même que le contrôle des importations de fromages. Donc, c'est un peu contradictoire et je voudrais également m'assurer qu'en dernier recours, il y aurait une entente avec le gouvernement du Québec et qu'on ne cautionnerait pas une position du gouvernement fédéral pour en arriver à une entente et, en fait, je pense aux tarifs douaniers et au contrôle des importations qui est un élément très important du système de contingentement.

M. Jolivet: C'est sur cette partie que je disais cet après-midi que nous n'avions pas de réponse de la part du gouvernement du Québec, à savoir si les tarifs étaient dans la négociation ou s'ils ne l'étaient pas.

Le Président (M. Charbonneau): Oui.

M. De Montigny (Normand): Peut-être pour ajouter en réponse à la question. Il ne faut pas penser que les portes sont complètement fermées non plus à l'entrée de produits laitiers d'autres pays au Canada. Les fromages importés qui entrent au Canada représentent déjà 10 % de la consommation canadienne de fromages. Aux États-Unis, qui se disent très ouverts au libre-échange, les fromages importés représentent seulement 6 % de leur consommation. En Europe, c'est environ 4 %.

Donc, déjà le Canada, avec un système de contingentement, a une porte ouverte qui représente 10 % de la consommation de fromages. Donc, ces 10 % sont dans le système actuellement et l'équilibre est fait avec cela. Mais, si on ouvre les portes demain matin et si on dit que c'est 20 %, l'équilibre est défait.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Rimouski.

M. Tremblay (Rimouski): M. le Président, je vous remercie. Je suis très heureux de constater que le vice-président du Conseil de la coopération laitière, M. Théberge, est un

citoyen de mon comté et en même temps président de Purdel. Comme vous vous intéressez au problème de l'agriculture et de la classe agricole, j'essaie de voir si j'ai bien cerné le problème. Il semblerait que les mesures de subvention et de stabilisation des prix ont fait en sorte que l'ensemble de la classe agricole au Québec a une certaine stabilité, fournit des produits de qualité et est assuré d'une sécurité de revenu, de telle sorte que, lorsqu'on vous propose un libre marché avec les Américains, vous semblez avoir peur, car ils ont moins d'ordre que nous dans leur pays, ils ont des surplus de stocks, ils ont beaucoup de grosses concentrations et nécessairement la balance des paiements est énorme. Tout cela fait en sorte que vous avez peur qu'il y ait une espèce d'envahissement de votre marché. Je voudrais savoir si vraiment c'est votre perception. Vous dites: Nous avons mis de l'ordre dans notre boîte, au pays, au Canada et au Québec; cela nous a assuré une stabilité; nous avons une très bonne qualité de produit; de plus, la sécurité de revenu nous est relativement assurée; on va tout sacrifier cela pour aller vers un marché américain. Il n'y a pas d'ordre dans leur boîte. On y produit tous azimuts. Nécessairement, il y a une grosse concentration, avec le résultat que ce peut être dangereux d'avoir un envahissement. Est-ce là votre perception, votre crainte?

M. Théberge: Je pense que c'est cela. Dans une région, comme vous venez de le mentionner, la région du bas du fleuve, où la seule production possible ou presque est la production laitière, si on ouvre les portes et si on vient envahir ce marché, je me demande, dans une entreprise comme Purdel, dans une région comme celle-là, ce qu'on va faire. Purdel emploie actuellement 3000 employés. Je pense que c'est important. S'il entre des produits dans notre région, si on ouvre les portes, nos producteurs sont très inquiets et se demandent quelle est l'alternative qu'on peut avoir, dans une région où, vous le savez aussi, le climat ne nous avantage pas tellement. Dans certaines régions des États-Unis, il est beaucoup plus facile de produire et de nous envahir.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de l'Agriculture.

M. Pagé: Merci, M. le Président. Je voudrais saluer évidemment MM. De Montigny, Lafleur, Daoust, Théberge, Bergeron, qui représentent le Conseil de la coopération laitière et la Fédération des producteurs de lait, pour leur présence parmi nous, ce soir. Vous venez nous livrer un message très clair. Vous mettez en relief les inquiétudes vécues par celles et ceux qui sont dans la production, qui jouent un rôle de premier niveau en agriculture au Québec, la production laitière, une production où on a atteint des niveaux de performance très intéressants avec l'amélioration de la génétique de notre cheptel laitier, dans un premier temps, avec l'amélioration aussi de nos industries, de nos usines de transformation, en passant évidemment par de la consolidation.

En fait, on peut reconnaître qu'en 1987 l'industrie laitière est véritablement dynamique, très présente par les recettes monétaires en agriculture c'est 1 200 000 000 $ environ, comparativement à près de 19 000 000 000 $ aux États-Unis - des milliers d'emplois répartis sur l'ensemble du territoire et une industrie qui risquerait d'être affectée sévèrement si une libéralisation pleine et entière, sans condition, était la conclusion de la démarche du gouvernement fédéral. Là aussi, dans cette production, même si on a atteint un niveau de» performance exceptionnel, nous serions évidemment susceptibles d'être placés dans une position très vulnérable. On n'a qu'à se référer aux avantages comparatifs qui bénéficient aux Américains, on a qu'à se référer aussi aux tailles et aux types d'entreprises là-bas. Si on se réfère, par exemple, à la Californie et à la Floride, c'est en moyenne 98 % des fermes qui ont plus de 100 vaches laitières. La moyenne aux États-Unis dans son ensemble est de 99 000 sur 173 000 fermes laitières où il y a plus de 100 vaches laitières, ce qui veut dire 57 %, alors qu'ici au Québec, c'est seulement 0,68 % de nos fermes qui ont plus de 100 vaches laitières. (21 h 30)

Les Américains sont confrontés à des surplus, sont confrontés aussi à l'obligation de développer de nouveaux marchés. Il faut en convenir, ils sont protectionnistes, comme vous le disiez tout à l'heure, M. Bergeron, je le pense, à très juste titre. Les inquiétudes que vous véhiculez ce soir correspondent presque exactement, pour ne pas dire exactement, à la position très claire qui a été prise par notre gouvernement, par moi-même comme ministre de l'Agriculture, en ce qui concerne les conditions à exiger ou les exigences à formuler ou les garanties à obtenir avant que quoi que ce soit puisse être modifié dans les règles du jeu canado-américaines susceptibles de nous affecter, vu que nous sommes la province laitière au Canada qui détient près de 50 % des quotas de lait industriel. On produit près de 50 % du beurre, au-delà de 40 % des quotas de lait industriel.

Soyez persuadés que c'est avec beaucoup d'intérêt et, cela va de soi, beaucoup de réceptivité qu'on entend vos inquiétudes, ce soir. Le rôle que nous avons à jouer comme gouvernement et comme parlementaires autour de cette table, c'est évidemment de prendre note et de discuter avec vous, mais c'est aussi de faire des

représentations qu'on veut les plus claires, les plus précises et ce, dans l'intérêt de celles et ceux qu'on représente. Cela a été fait depuis un an et demi. C'est continuellement réitéré par mon collègue et par les représentants du gouvernement du Québec. On a tous les espoirs. Nous sommes animés par l'espoir que le gouvernement canadien puisse donner suite positivement, non pas seulement à certaines parties des représentations, mais à l'ensemble des représentations.

Vous référiez tout à l'heure à la problématique qui pourrait être conséquente du maintien de nos agences nationales de commercialisation, mais non accompagné par des mesures appropriées pour protéger nos produits. Alors, je vous dis merci. J'apprécie aussi que vous ayez fait référence à toute la problématique des succédanés. Voua savez que notre équipe est très préoccupée par la mise en marché de ces produits. Nous pensons avoir démontré de façon très éloquente le haut degré de solidarité que nous avons à l'égard de votre industrie récemment dans un dossier que vous connaissez, qu'on connaît, que l'ensemble des citoyens et des citoyennes connaissent, le dossier du beurre et de la margarine. Encore une fois, laissez-moi vous exprimer le souhait que l'Opposition puisse nous appuyer dans ce dossier.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Pagé: J'en étais à dire à ces gens qui nous visitent ce soir, qui sont les représentants de l'industrie laitière, de la coopération laitière et de la fédération qu'on attend évidemment de ce côté-ci de la...

Le Président (M. Charbonneau): On reconnaît, en M. le ministre de l'Agriculture, non un vieux parlementaire, mais un parlementaire expérimenté qui...

Une voix: Un fin "jouteur".

M. Pagé: Ah!

Une voix: Un fin "jouteur".

Le Président (M- Charbonneau): ...a de la difficulté à résister à la tentation de tendre des perches. Je voudrais qu'on n'ouvre pas une autre avenue parce qu'on discute sur le libre-échange. Il me semble que vous êtes pressé de vous confronter avec votre nouveau critique de l'agriculture. Je pense que le moment viendra dans quelques semaines, de l'autre côté, au salon bleu. Pour le moment, je crois que, si vous avez terminé vos remerciements et vos remarques à nos invités, nous allons les remercier.

M. Pagé: M. le Président, je vais terminer en vous remerciant et en remerciant surtout nos honorables visiteurs ce soir de leur contribution, de leur comparution ici et du mémoire qu'ils ont déposé. Je crois comprendre, M. le Président, qu'il me reste une minute. Vous avez référé à l'expérience, vous avez référé aussi à la session qui va ouvrir bientôt. Vous comprenez que c'est difficile pour moi de freiner mon enthousiasme. Le porte-parole de l'agriculture avant le député de Laviolette ne s'est frotté avec le ministre de l'Agriculture qu'à trois reprises.

Vu qu'il ne me reste qu'une minute, je suis prêt à céder mon droit de parole...

Une voix: Ha! Ha! Ha!

M. Pagé: ...au député de Laviolette pour qu'il me réponde. Est-ce que vous êtes d'accord avec nous sur la margarine?

Des voix: Ha! Ha! Ha!

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre...

M. Jolivet: M. le Président...

Le Président (M. Charbonneau): ...je n'autoriserai pas de réponse, M. le ministre.

Une voix: Ha! Ha! Ha!

Le Président (M. Charbonneau): Je vais vous faire languir jusqu'au 20 octobre alors que la session va reprendre.

Je veux plutôt profiter des derniers instants, en votre nom d'ailleurs, au nom de votre collègue du Commerce extérieur et au nom de tous les membres de la commission, y compris le critique de l'Opposition en matière d'agriculture, pour remercier nos invités d'avoir participé à cette consultation générale sur le dossier du libre-échange. Je suis convaincu que nous aurons d'autres occasions de nous revoir. Messieurs, merci, bonsoir et bonne route.

J'invite maintenant le dernier groupe pour aujourd'hui, !a Conférence canadienne des arts.

Madame et messieurs les représentants de la Conférence canadienne des arts, bienvenue à notre commission. Je présume que vous le savez déjà, mais vous avez un maximum de 20 minutes pour présenter votre mémoire. On m'a dit que vous n'utiliseriez pas ces 20 minutes. Je vous dirai que les membres de la commission, qui sont ici depuis 10 heures ce matin, ne vous en tiendront pas grief. Par ailleurs, le temps additionnel sera utilisé par les membres de la commission, de part et d'autre, pour discuter avec vous à partir des opinions et des points de vue que vous émettrez.

Je crois que vous êtes Mme Fortier,

présidente de la conférence. Si vous voulez bien présenter la personne qui vous accompagne, madame, et commencer immédiatement votre présentation.

Conférence canadienne des arts

Mme Fortier (Claudette): Nous avions pensé faire l'opposé.

Le Président (M Charbonneau): Ah oui?

Mme Fortier: Alors, je cède la parole à M. François Martin.

M. Martin (François): Je suis François Martin, secrétaire de section québécoise de la Conférence canadienne des arts.

M. le Président, Mme la ministre des Affaires culturelles, M. le ministre, MM. les parlementaires, la Conférence canadienne des arts désire vous remercier d'avoir accepté de nous recevoir ici ce soir pour vous soumettre notre point de vue et notre exposé. En l'absence de la présidente de la section du Québec de la Conférence canadienne des arts, Phyllis Lambert, c'est justement Claudette Fortier, présidente canadienne de l'organisme et membre du comité de coordination au Québec de notre organisme qui va vous présenter l'exposé et qui, en outre, répondra à vos questions. Merci.

Mme Fortier: Merci et bonsoir. Depuis deux ans, sinon plus, ceux et celles qui oeuvrent dans le secteur culturel se penchent sur la question du libre-échange commercial entre le Canada et les États-Unis ainsi que sur les retombées dans leur secteur d'activité. Des études, colloques, commissions et débats se sont multipliés depuis septembre 1985 lorsque le premier ministre Brian Mulroney annonçait le début des négociations de libéralisation des échanges avec les États-Unis.

Si nous étions cyniques, nous en conclurions que ces discussions ont à elles seules créé plus d'emplois dans le domaine de la recherche et des conférences que ne l'a fait aucun autre sujet, exception faite du débat constitutionnel. C'était peut-être de ces emplois dont parlait le premier ministre quand il a déclaré que le libre-échange créerait toute une nouvelle série d'emplois au Canada.

Le libre-échange, c'est-à-dire la libre circulation des biens entre le Canada et les États-Unis existe déjà dans te secteur culturel, à une exception près, un tarif d'importation de l'ordre de 11,3 % sur les enregistrements sonores. D'ailleurs, les filiales des compagnies étrangères situées au Canada évitent ce tarif en louant et en impartant les bandes maîtresses de leur siège social pour les reproduire sur cassettes ou disques au Canada.

Mis à part cette taxe sur les enregistrements sonores, nous avons en ce sens une libre circulation de biens culturels entre nos deux pays. Toutefois, nous accusons un déficit énorme en matière culturelle face aux États-Unis. En 1984, ce déficit se chiffrait à plus de 1 000 000 000 $ selon Statistique Canada. Le Canada accusait un déficit commercial de 288 000 000 $ pour les ventes de magazines, journaux et périodiques, dont 263 000 000 $ provenaient d'importations américaines. Les magazines américains occupent 77 % de la part des ventes en kiosque.

Pour ce qui est du secteur de l'édition, la vente de livres étrangers représentait 16 % de l'ensemble du marché du livre au Canada. En 1984, notre déficit commercial avec les États-Unis se chiffrait à quelque 400 000 000 $. Cette même année, le Canada constituait le plus important marché étranger pour la vente de livres américains.

Passons maintenant à l'industrie du disque où le marché canadien est accaparé par douze entreprises étrangères et par des produits à contenu étranger. En 1985, les produits à contenu canadien représentaient seulement 13 % des ventes de disques et de bandes sonores. La part du lion, soit 87 % ou 222 000 000 $, revenait aux produits étrangers prédominamment américains. Le marché canadien de la distribution cinématographique n'est guère plus encourageant. Seulement 3 % du temps d'écran est consacré aux productions canadiennes. En 1984, 96 % des ventes étaient constituées de produits étrangers dont 98 % traitées par des entreprises américaines.

La programmation télévisuelle est tout aussi inondée de productions étrangères, lesquelles représentaient, en 1984, 72 % du temps d'antenne de langue anglaise et 47 % du temps d'antenne de langue française. Quant aux émissions dites dramatiques, 90 % des émissions de langue française et 96 % des émissions de langue anglaise provenaient de l'étranger, principalement des États-Unis, ce qui nous amène à conclure que le Canada et même le Québec sont les plus grands consommateurs de produits culturels étrangers. (21 h 45)

Parmi les pays de l'Ouest, le Canada est celui dont les marchés culturels sont les plus saturés de produits étrangers. Nous avons encouragé et bénéficié de la libre circulation de l'information et des idées, et personne ne voudrait qu'il en soit autrement. Toutefois, nos artistes et nos entreprises culturelles doivent concurrencer sur leur propre territoire le flot de produits étrangers. Pour ce faire, nous devons franchir plusieurs obstacles. Le marché canadien est petit, composé de 8 500 000 de francophones et de 16 500 000 d'anglophones. Nos coûts de production sont

donc plus difficiles à amortir que ceux des Américains, qui peuvent compter sur un marché de plus de 250 000 000 d'habitants. Les produits américains vendus au Canada et au Québec sont déjà amortis lorsqu'ils sont distribués chez nous, tandis que les produits canadiens et québécois doivent se rentabiliser sur des marchés limités ou encore à l'étranger. Les entreprises canadiennes et québécoises sont plus petites que les succursales des entreprises américaines en territoire canadien. Elles ne peuvent pas concurrencer l'énorme publicité que déversent au Canada les filiales américaines, même en français.

Puisque les entreprises étrangères distribuent elles-mêmes leurs produits au Canada, les entreprises canadiennes ne peuvent pas bénéficier d'une partie des revenus de la vente de ces produits pour réinvestir dans la production canadienne. En effet, lorsqu'il s'agit de la vente de droits étrangers pour la production de livres, de films, de bandes sonores et même de pièces de théâtre, on ne considère pas le Canada comme un marché distinct de celui des États-Unis. Nous faisons partie du marché nord-américain contrôlé par nos voisins du sud.

Finalement, le marché culturel mondial se joue sur la concentration des intérêts financiers. Les grandes entreprises américaines, telles que Coca-Cola, General Electric et Western, infiltrent de plus en plus les entreprises culturelles et de communication. On s'attend à ce qu'elles dominent sous peu l'ensemble du secteur de l'information en Amérique du Nord et à l'étranger.

Face à cette situation, les gouvernements canadien et québécois ont établi des programmes, des mesures, des règlements, voire des lois pour encourager la création, la production et la diffusion de produits culturels de chez nous. Ils ont reconnu l'importance de nos activités culturelles afin d'assurer cette souveraineté culturelle, politique et même économique dont on parle si souvent. Sans culture, il n'y a pas de pays. Ici, les arts et les industries culturelles bénéficient de l'appui direct et indirect des gouvernements provinciaux et fédéral et ce sont ces programmes, règlements, mesures et lois que nous craignons de perdre dans le cadre des négociations commerciales avec les États-Unis.

Les programmes, tels que l'aide à la production cinématographique et télévisuelle qu'offrent la Société générale du cinéma du Québec et Téléfilm Canada, les programmes d'aide à l'édition et à l'enregistrement sonore du Québec et du fédérai, les dégrèvements fiscaux, que ce soit au provincial ou au fédéral, pour la production de films et de vidéos, les règlements du CRTC, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes régissant le contenu canadien, les dispositions spéciales d'Investissements Canada relativement à l'investissement étranger, donc l'investissement dans les secteurs culturels, les tarifs postaux préférentiels pour les publications canadiennes et, finalement, le fameux projet de loi C-58, c'est-à-dire l'article 19 de la Loi sur l'impôt, qui, depuis 1976, permet aux entreprises canadiennes de déduire, pour fins d'impôt, les frais d'annonces publicitaires placées dans les magazines, revues et journaux, dans les périodiques canadiens, ainsi que sur les ondes des postes canadiens de télévision et de radio. D'après cette loi, les frais de publicité dans les médias étrangers, même si celle-ci est destinée au public canadien, ne sont pas déductibles, de sorte que l'on attribue à cette seule loi la création de revenus de publicité suffisants pour permettre la publication hebdomadaire de la revue McClean's.

Somme toute, ce n'est pas le libre-échange comme tel qui suscite l'inquiétude de la part des artistes et des regroupements culturels, puisque nous vivons depuis plusieurs années une situation de libre-échange dans notre secteur, mais c'est la peur de perdre le peu de marché qu'il nous reste, la peur de perdre les programmes, les règlements et lois qui sous-tendent notre production culturelle, la peur de perdre notre capacité d'intervenir dans notre marché, d'assurer la diffusion de nos produits, d'agir en toute liberté et de contrôler notre destin culturel qui soulève chez nous de telles réactions. Il se peut que, dans le cadre des pourparlers, les négociateurs américains exigent d'occuper le peu de notre marché culturel qu'ils ne détiennent pas déjà, en échange de tarifs préférentiels dans des secteurs économiques critiques tels que l'agriculture ou le textile. Les négociateurs canadiens pourraient facilement céder notre marché culturel contre des concessions plus favorables dans l'industrie du bois d'oeuvre, par exemple. C'est donc à ce niveau que nous tentons de sensibiliser nos élus, les négociateurs canadiens ainsi que le grand public et que nous exprimons nos vives préoccupations à l'égard des pourparlers commerciaux entre le Canada et les États-Unis.

Nous pouvons certes concurrencer nos collègues américains sur le plan de la qualité et de la diversité, mais nous ne pouvons pas les concurrencer sur une base économique puisqu'ils détiennent déjà une large part de notre marché. Pour nous, pour la Conférence canadienne des arts, pour les artistes et les travailleurs culturels qui sont au nombre, d'ailleurs, de quelque 100 000 au Québec, il s'agit de nous offrir un choix. Si les Québécois doivent avoir accès à la production culturelle étrangère, ils doivent tout autant avoir accès à leur propre production culturelle, aux livres, revues,

films, émissions de télévision, théâtre et disques québécois et canadiens et nous devons nous offrir ce choix d'une distribution équitable de produits culturels. Une production à 100 % étrangère n'est pas un choix, c'est un monopole.

Nous voulons maintenir, sinon augmenter, notre part du marché culturel. Nous devons continuer à nous offrir une production culturelle qui nous est propre, qui nous reflète. II est à souhaiter que vous perceviez ainsi notre démarche et que vous nous appuyiez. Il en va de notre avenir culturel et du vôtre. Nous avons pris connaissance de la position québécoise concernant le libre-échange - le document qui est sur la table - et nous sommes heureux de constater que noua avons les mêmes conclusions en ce qui concerne les industries culturelles. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Madame merci beaucoup. Nous allons maintenant céder la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: Eh bien! madame, dans les derniers mots de votre présentation, vous m'avez enlevé les premiers mots de la mienne, à savoir justement que votre position ou plutôt je dirais, vos préoccupations, ont été, dès le départ, les préoccupations du gouvernement du Québec. Dès le départ aussi, les représentations de madame la vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles étaient sans équivoque et ressemblaient,- d'une façon parfaitement identique, à la position canadienne, à savoir, que la culture, la spécificité canadienne, ce n'est pas une chose qu'on veut négocier. On s'est aperçu qu'il faudrait, comme dans toute négociation, faire un lobby et ce lobby, nous l'avons fait et nous continuons à le faire.

Je lisais aujourd'hui en éditorial du Wall Street Journal qu'il nous reste encore du travail à faire, c'est-à-dire qu'il y a cette vallée qui nous sépare, les Américains et nous, les Américains qui considèrent que pour eux, la culture, à toutes fins utiles, c'est "entertainment" et pour nous c'est quelque chose d'autre, c'est viscéral, c'est chez nous, c'est l'étoffe, c'est le tissu canadien, c'est la réalité québécoise. Même s'ils n'ont pas compris et même si cet éditeur disait en parlant des négociateurs canadiens "if its negotiators continue to cling to protection for cultural industries such as publishing and movies", mais pour ce qui est du Québec dans ce contexte canadien de négociations, non seulement on s'accroche, mais ce n'est pas négociable et c'est aussi simple que cela. Je pense que pour expliciter plus longuement, ma collègue, madame la vice-première ministre, pourrait certainement continuer. Mme Bacon.

Le Président (M. Charbonneau): Mme la vice-première ministre.

Mme Bacon: Merci, M. le Président.

J'aimerais d'abord remercier Mme Fortier et M. Martin de leur présence ici à cette commission. Nous avions surtout pris connaissance du dossier que vous aviez déposé au gouvernement fédéral et nous nous étions arrêtés davantage sur ce dossier pour vous poser des questions ce soir ou reqarder un peu la partie qui touche davantage le Québec par rappart au Canada puisque c'était un dossier presque strictement canadien.

J'aimerais vous remercier d'avoir tenu à nous faire connaître vos opinions sur tout ce dossier important du libre-échange, important pour le milieu culturel et si vous aviez quelques inquiétudes, on vous dit que nous partageons ces inquiétudes. Donc, nous avons dit non négociable pour la culture au Québec. Nous l'avons aussi prouvé récemment par l'entente du lac Meech qui faisait du Québec une société distincte, qui signifie pour nous la nécessité de défendre et de mettre en valeur notre culture, entre autres. Je pense que ce sont des signes de distinction par rapport au reste du Canada.

Il n'est donc pas question pour nous d'accepter les mesures libre-échangistes qui pourraient avoir comme conséquences, à plus ou moins court ou long terme, de réduire de quelque façon que ce soit le caractère distinct du Québec. Je pense que cela doit être très clair. Si vous aviez encore quelques appréhensions, j'espère que vous allez les perdre complètement. Nous avons quand même posé ces gestes importants. Il n'était pas question non plus de voir menacées nos industries culturelles - on pense à l'édition, au cinéma, au disque et à d'autres industries - je pense que cela aussi, ce sont des gestes que nous avons posés pour protéger davantage nos industries culturelles. Donc, il n'est pas question non plus d'accepter des effets indirects qui pourraient avoir lieu, dans des échanges à d'autres niveaux que le niveau culturel.

Alors, j'aimerais quand même dire combien nous sommes d'accord avec vous dans le texte que nous avions devant nous au moment où vous disiez: "La culture doit être au coeur de la perception - là, je vous cite - et de la détermination de notre avenir, que ce soit sur les plans économique, politique ou social." Nous partageons entièrement ce que vous avez avancé dans votre texte.

La culture et sa vitalité quident et doivent guider quotidiennement la réflexion d'un ministère de la culture, la réflexion de ceux et celles qui en ont ta responsabilité comme la réflexion du gouvernement au moment où nous discutons de culture. Les points de vue que vous avez exprimés, je pense, se conjuguent aussi avec ceux

qu'expriment d'autres organismes culturels. Peut-être qu'il y en a qui viendront nous les faire connaître ici, mais on retrouve d'un groupe à l'autre ies mêmes points de vue qui sont exprimés par rapport à la culture, par rapport à nos productions culturelles, par rapport à nos industries culturelles, par rapport aussi à la nécessité pour l'État d'assurer un soutien, un appui pour le développement, pour la distribution, pour la diffusion et même pour la formation. Je pense que l'État devra toujours apporter cet appui. C'est pour cela que nous ne pensons pas que nous pouvons négocier que l'État se retire de ces champs d'action.

Cela dit, quand on regarde votre dossier, à un certain moment donné, vous parlez des producteurs de disques, de bandes, de langue française comme de langue anglaise, qui pensent que les États-Unis représentent le principal débouché pour leurs produits. Il me semble avoir entendu plusieurs producteurs québécois nous dire qu'ils ont des problèmes à penser "marché américain" à cause de la différence de langue par exemple, est-ce que vous pourriez peut-être expliciter davantage? C'était le dossier que vous aviez présenté en 1985.

Mme Fortier: Effectivement, il existe un marché possible aux États-Unis, mais il est très dispersé, donc il est aussi très difficile à distribuer. Je pense qu'il n'y a pas un accord de libre-échange, même s'il y avait la culture, qui ferait en sorte de changer les règles aux États-Unis où c'est une question de volonté de la part des distributeurs de prendre nos produits, parce que, jusqu'à maintenant, on ne peut pas distribuer nos propres produits aux États-Unis. Donc, il faut passer par un distributeur. Il y a effectivement aux États-Unis un marché qui pourrait être intéressant. D'ailleurs, les gouvernements, que ce soit le gouvernement du Québec, le ministère des Communications ou le gouvernement fédéral, ont vu en Amérique du Nord un marché francophone puisque, dans la demande de permis, par exemple, de TV5 au Canada, il est question, dans un avenir plus ou moins rapproché, d'émettre nos signaux aux États-Unis. Donc, il y a un marché francophone à ce niveau. (22 heures)

Mme Bacon: Des accords pourraient être signés sur le libre-échange dans différents secteurs. Pensez-vous que ces accords pourraient avoir certains effets sur le secteur culturel? Est-ce l'une de vos préoccupations? On parle du secteur économique ou d'autres secteurs.

Mme Fortier: Effectivement, c'est une très grande préoccupation et, d'ailleurs, c'est ce que nous voulions souligner, puisque, depuis 1985, que ce soit de la part du gou- vernement du Québec ou de la part du gouvernement fédéral, on nous a toujours rassurés en nous disant: La culture n'est pas négociable. Sauf que certaines mesures négociées auront des implications indirectes dans le secteur culturel, si on pense par exemple à l'investissement. La propriété de certaines industries sera touchée par la bande, à moins qu'il n'y ait une volonté du gouvernement d'exclure nommément ces industries culturelles sous d'autres formes, qu'il n'y ait un accord avec les États-Unis en matière culturelle, spécifiant qu'on est protectionnistes et qu'on peut continuer d'être protectionnistes.

Plusieurs autres lois, à part celle sur l'accès à l'information, ou des tarifs pourraient être abolis. Les États-Unis ont, depuis quelques mois, mis en place des frais de manutention pour toutes les oeuvres d'art qui entrent aux États-Unis, mais des oeuvres d'art d'artistes étrangers. Donc, les États-Unis peuvent également être protectionnistes de leur marché et ils le démontrent par certaines mesures. Mais, dans plusieurs domaines, il y a des incidences indirectes sur le marché culturel et c'est ce qu'on veut exprimer et il faut être très vigilant.

Mme Bacon: Vous disiez aussi dans votre dossier: Nous ne pouvons pas considérer les États-Unis comme le débouché privilégié pour nos productions culturelles - je parle toujours du premier dossier. Cela peut être vrai pour le Canada d'expression anglaise, mais pas nécessairement pour le Québec et je pense que vous le reconnaissez un peu plus loin dans votre dossier. Pourriez-vous peut-être faire d'autres commentaires en cette matière dans cette perspective propre au Québec? Le Québec est quand même différent.

Mme Fortier: Effectivement, on essaie de développer nos produits dans d'autres pays francophones plutôt que sur le territoire américain, puisque la France, la Suisse et la Belgique sont des pays de langue française. Mais je pense qu'il existe également d'autres marchés qui ne sont pas explorés actuellement pour nos produits; il y a l'Orient et les pays nord-africains où il pourrait y avoir un potentiel.

Évidemment, un pays comme la France n'est pas non plus un très grand importateur de produits étrangers. Alors, on a un peu les mêmes problèmes que ceux qu'éprouvent nos collègues anqlophones du Canada sur le territoire américain.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président.

Je vous remercie d'abord d'être venus

nous présenter votre position. J'avais, comme Mme la ministre, pris connaissance du mémoire que vous avez présenté au gouvernement canadien en juillet 1985, au Comité sur les relations extérieures. Je dois vous avouer que j'étais aussi quelque peu préoccupé par la spécificité canadienne en ne voyant pas beaucoup de choses sur la spécifité québécoise. Toutefois, vous nous apportez ce soir des éclaircissements.

Je tiens pour acquis, dans les propos qui ont été tenus jusqu'à maintenant par le ministre du Commerce extérieur et par ceux de Mme la ministre, que les acquis culturels seront protégés. Cela nous semble clair de ce câté-lè et on y acquiesce entièrement. Si c'est vrai sur le plan du Canada, je pense que c'est encore plus vrai, plus fragile et plus vulnérable sur le plan du Québec. Je pense que tout le monde est sur la même longueur d'onde là-dessus. Ma préoccupation, d'abord, serait de savoir quelle importance prend le Québec à l'intérieur de votre organisme, qui est la Conférence canadienne des arts, non seulement en ce qui concerne vos membres, mais par rapport à cette dimension de spécificité québécoise, de quelle façon' elle est traitée à l'intérieur du chapeau de la Conférence canadienne? J'aimerais avoir d'abord cet éclaircissement.

Mme Fortier: À votre première question, la Conférence canadienne des arts regroupe environ 800 organismes dans le secteur des arts et de la culture au Canada, et presque autant de membres individuels. Les associations du Québec sont au nombre d'environ 200 et autant de membres individuels, ce qui fait que c'est presque le quart des membres de la Conférence canadienne des arts. Pour ce qui est de votre deuxième question, depuis qu'il est question de libre-échange, de protectionnisme, d'envahissement de produits américains, de diminution d'émissions de télévision sur les ondes, d'accès aux salles de spectacles pour leurs films, nos collègues américains nous envient parce que nous avons la langue française qui nous protège un peu, dans un certain sens, de l'envahissement américain, puisque la langue nous a protégés pendant plusieurs années. Peut-être, François, tu aimerais compléter.

M. Martin: J'aimerais revenir sur la première partie de votre question, sur l'importance du Québec à la Conférence canadienne des arts en tant que telle. La Conférence canadienne des arts actuellement est représentée, province par province, au sein d'un conseil d'administration. Le Québec joue un rôle déterminant et majeur dans notre organisme, ne serait-ce que par sa représentativité et aussi par ses démarches. Il est possible que votre question ait été inspirée par le fait que vous ayiez reçu effectivement un document largement inspiré d'une intervention soumise, par le passé, à une commission fédérale. Néanmoins, nous traitons, à partir de données que nous recueillons du mieux que nous pouvons. Nous ne sommes pas un organisme financé avec des millions de dollars et c'est la raison pour laquelle, ce soir, l'exposé québécois préparé par les membres québécois de l'organisme vous a été soumis.

Mme Fortier: Concernant la spécificité québécoise de notre industrie, d'ailleurs, il n'existe pas énormément de données. Les chiffres qui ont servi à préparer les documents sont ceux auxquels nous avons accès, soit ceux de Statistique Canada et évidemment le document de 1985 a été présenté au nom de la Conférence canadienne des arts, nationale, si je puis dire, alors que, ce soir, nous avons présenté un document particulier au Québec, avec certains chiffres.

M. Parent (Bertrand): Merci. On a un peu de temps, M. le Président? Est-ce que votre organisme, Mme la présidente, serait d'accord avec cette phrase du romancier, Jacques Godbout, qui déclarait que la différence entre le Canada et les États-Unis c'est le Québec? En tant que présidente de la conférence, est-ce que vous êtes d'accord avec cela, et est-ce que vous travaillez dans ce sens?

Mme Fortier: Je m'excuse, je n'ai pas... Voulez-vous répéter votre question.

M. Parent (Bertrand): Je citais le romancier Jacques Godbout...

Mme Fortier: Oui.

M. Parent (Bertrand): ...qui déclarait que pour lui la différence entre le Canada et les Etats-Unis, c'est le Québec. Je voudrais savoir si vous approuvez cela.

Mme Fortier: Je serais tout à fait d'accord. Est-ce que François veut...

M. Martin: Ce n'est pas dans tes deux têtes à Papineau...

M. Parent (Bertrand): À propos des barrières tarifaires et non tarifaires, vous avez mentionné que, dans certains secteurs il y a 11, 11,3 %. Je pense que cela doit être protégé, bien sûr. Je pense qu'on n'a pas eu d'éclaircissements de ce côté-là, ni de la part de Mme la ministre des Affaires culturelles, ni de la part de M. le ministre du Commerce extérieur. Je relisais les conditions que le gouvernement a exposées hier, concernant la culture, et au point 2 concernant la culture - et je voudrais juste

le savoir très clairement - on dit: Le respect intégral de ces lois, de ces programmes, de ces politiques dans les domaines social, de la communication, de la langue et de la culture. Je ne vois pas cependant et j'ai des préoccupations par rapport à ce que vous avez dit, la dimension "contrôle et investissement". Est-ce que vraiment, par le biais que prendra le Québec dans le contrôle des investissements à l'intérieur de la négociation Canada—États-Unis, on est vraiment protégés sur le plan de la culture en ce qui regarde la dimension "contrôle-investissement" parce que cela me semble impartant? Vous même, vous avez dit que ce biais-là faisait partie de vos préoccupations. Alors, je vous le demande et je pense que ce serait intéressant d'avoir cette clarification. Si vous le permettez, j'aurai peut-être une dernière question par la suite.

M. MacDonald: C'est à moi que vous l'adressez, monsieur.

Le Président (M. Charbonneau): Je pense que nos invités auraient une réponse, mais si le ministre veut ajouter un commentaire par la suite, je le permettrai.

Mme Fortier: Ce n'était pas vraiment une réponse, je voulais simplement dire: Merci d'insister sur cette question. Elle est effectivement très importante pour nous.

M. Parent (Bertrand): Cela me semble important et on est d'ailleurs en commission pour que ce soit très clair. Je pense que si on pouvait avoir cet éclaircissement, cela pourrait rassurer tout le monde parce que...

M. MacDonald: Cela me semble élémentaire et vous avez bien compris.

M. Parent (Bertrand): Comme d'habitude, vous êtes d'accord avec moi.

M. MacOonald: Non, c'est le contraire. C'est le contraire.

M. Parent (Bertrand): C'est merveilleux.

M. MacDonald: Cela fait partie... D'ailleurs, j'en ai donné des exemples parce que cette question m'a été posée sous différentes formes. Je me rappelle une fois, par exemple: Quelle serait votre réaction ou est-ce que vous préconisez une libéralisation au point où un Américain ou un autre pourrait venir au Canada ou au Québec et acheter toutes les stations de télévision? Il n'en est absolument pas question. C'est le genre de situation qui, pour nous, est élémentaire. C'est inclus dans la définition qu'on a donnée de protéger la réalité et la spécificité culturelle du Québec.

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie de cette réponse. Peut-être pour Mme la présidente, une question additionnelle par rapport à vos propos qui étaient dans l'essence de la préoccupation de votre consolidation et votre augmentation concernant votre positionnement sur le marché actuellement. Le marché culturel comme tel aura, au cours des prochaines années, libre-échange ou non, à continuer à marquer, que ce soit dans le domaine de l'édition ou dans le domaine cinématographique. Quels moyens préconisez-vous? Quels outils et quels moyens, pensez-vous seraient les plus aptes et que vous pourriez demander au gouvernement du Québec pour qu'il puisse davantage vous aider à consolider cette position, tant sur le plan de la recherche ou du soutien que sur le plan de l'aide à l'exportation bien spécifique des produits québécois? Finalement, où mettriez-vous vos priorités si vous aviez à faire des recommandations au gouvernement pour vous aider à consolider votre position sur le marché?

Mme Fortier: La réponse pourrait être finalement assez simple. On a signalé dans notre document à plusieurs endroits que c'est une question d'économie, que c'est une question de sous. Je ne veux pas dire par là nécessairement plus de subventions, mais il y a plusieurs manières d'injecter plus d'argent dans la production de produits culturels. Cela peut être des incitatifs fiscaux, cela peut être des formes d'aide à la production puisqu'on sait que, si on aide la production, plus on a de chance de faire des produits qui ont du succès. Pensons au "Déclin de l'empire américain" qui a été fait avec l'aide de l'État, avec de l'argent public, et qui rapporte des sous. Il y a un autre moyen aussi. Afin d'évaluer ensemble les meilleurs moyens, les besoins dans le secteur, ce serait de tenir un sommet culturel afin que les partenaires étudient ensemble les besoins dans le milieu et en discute.

François aimerait peut-être compléter. (22 h 15)

M. Martin: On découvre de plus en plus, à la Conférence canadienne des arts, au Québec, l'importance de l'intervention municipale dans le domaine des arts et de la culture. Pour nous, c'est une question de concertation entre les différentes autorités gouvernementales. En outre, à l'intérieur même du gouvernement, la question de la taxe d'affaires pour les organismes culturels - on va un peu loin, mais c'est un exemple -a créé bien du souci à bien des organismes. Heureusement, la loi fiscale a été amendée partiellement. Pour nous, il faudrait voir à ce que tous les intervenants gouvernementaux aillent le plus possible dans la même direction. À cet égard, on le constate

actuellement, on s'intéresse de très près aux interventions municipales dans le domaine des arts et de la culture. Claudette Fortier suggérait l'idée d'un sommet. Effectivement, un sommet pourrait éventuellement - c'est une proposition - permettre à différents intervenants, en tenant compte d'un éventuel traité de libre-échange, de s'orienter dans un sens commun.

M. Parent (Bertrand): De quelle façon la décision prise par le gouvernement, au cours de la dernière année, de baisser l'abri fiscal de 150 % à 100 % vous affecte-t-elle? De quelle façon avez-vous fait valoir vos préoccupations dans ce sens à la suite des engagements de Mme la ministre qui doivent être remplis incessamment?

Mme Fortier: Le secteur culturel a effectivement manifesté son désaccord à ces changements. Les représentations ont été faites auprès du ministre, M. Wilson. Également, nos collègues de l'Association des producteurs de films et vidéo ont fait une recherche dans le dossier, ont fait connaître leur point de vue. Je pense que le dossier n'est pas encore clos. Nous avons encore espoir que l'application de cette mesure pourrait être retardée.

M. Parent (Bertrand): Est-ce qu'il y avait autre chose à ajouter, Mme la ministre?

Mme Bacon: Vous voulez peut-être continuer.

Le Président (M. Charbonneau): Non, non.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

Le Président (M. Charbonneau): Je n'ai pas permis tantôt au ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation d'ouvrir d'autres portes et je n'ai pas l'intention de commencer. Je vais plutôt céder la parole au député de Vanier.

M. Lemieux: Merci, M. le Président. J'ai pris connaissance de votre mémoire et j'avais trois questions à vous poser, mais comme le député de Bertrand est souvent tellement d'accord avec nous, je dois dire qu'intellectuellement il m'a emprunté une de mes questions.

Lorsqu'on lit votre mémoire, on constate, plus particulièrement à la page 11, qu'il y a deux choses vraiment importantes. Vous nous dites, dans un premier temps, et je résume: Ne touchez pas au mécanisme de soutien que l'État vous accorde. Et, dans te dernier paragraphe de la page 11, vous nous dites: "Quoiqu'il en coûte, si fortes soient les pressions, nous vous exhortons à ne pas négocier les mécanismes qui font que notre culture croft et persiste. Ne négociez pas notre identité culturelle." Mme la vice-première ministre vous a fait quelques remarques tout à l'heure et je me permettrai de la citer; je ne connais pas de meilleure façon de m'exprimer qu'en empruntant des mots qu'elle nous citait récemment d'une manière, je crois, très convaincante. Cela va répondre à une de vos questions. Elle nous disait que, pour le Québec - vous me permettrez, Mme la vice-première ministre, d'emprunter vos .mots et vos paroles - les activités culturelles sont essentielles au maintien et au développement du caractère distinct de l'identité nationale. Elle nous disait que,, pour le Québec, et c'est important, on ne lésinera pas à défendre l'intégralité des lois, de ses programmes et de ses politiques contribuant - et j'ajoute - à la spécificité de la société québécoise. Elle insistait en disant que le Québec comme le Canada insistera sur son identité culturelle et son caractère linguistique particulier, et -cela m'apparaît très important - ce ne doit pas être l'enjeu des négociations.

Vous avez dans ce court texte, dans les paroles de Mme la vice-première ministre, une réponse à vos principaux points d'interrogation. Vous pouvez vous demander comment, maintenant, ceux qui négocient vont réagir. Je dois vous dire que dans le rapport Warren du 11 septembre 1987, c'était aussi une de leurs préoccupations. Ils nous disaient - il s'agissait enfin des préoccupations relatives à la culture - "II a été maintes fois signalé qu'il faudra conserver tous les outils nécessaires pour protéger et promouvoir la spécificité canadienne et québécoise face à la forte présence actuelle d'intérêts américains dans le secteur, lequels pourraient s'accentuer. "C'est particulièrement le cas dans le domaine de l'édition et de l'ensemble de ce que l'on convient d'appeler les industries culturelles qui souhaitent le maintien de protection sur les marchés locaux et l'amélioration des perspectives d'emploi pour les artistes et concepteurs québécois." Vous voyez que, au gouvernement, c'est à la fois une préoccupation du ministre du Commerce extérieur et de Mme la vice-première ministre. Je pense que cela répond aussi vraiment aux deux principales préoccupations de votre mémoire.

Mes questions sont les suivantes: Dans un premier temps, est-ce que vous connaissez le régime américain actuel concernant l'admission des artistes québécois et canadiens? Quel est son impact comme tel? Ma deuxième question sera la suivante: Comment entrevoyez-vous les conséquences des négociations sur le libre-échange pour les industries culturelles principalement du Québec? Est-ce que vous faites état de statistiques? Vous nous dites aussi dans votre

mémoire: "À ce stade-ci et compte tenu dès données que nous possédons, il nous est pour ainsi dire peut-être impossible de prévoir certaines retombées." Mais est-ce que vous avez une idée des conséquences quand même pour les industries culturelles du Québec d'un accord de libre-échange?

Mme Fortier: On espère que les industries ne seront pas touchées. Ce qu'on veut protéger et ce qu'on dit dans notre document, c'est au moins, dans un premier temps, de protéger notre propre marché. Nous sommes déjà envahis de produits américains. Nous sommes d'accord pour qu'il y ait des ouvertures sur d'autres produits. Nous voulons conserver notre capacité de continuer à produire des produits québécois, des produits d'ici. C'est ce qu'on vise.

Quant à votre première question concernant l'admission des artistes, je n'ai pas très bien saisi ce que vous vouliez dire.

M. Lemieux: Est-ce que vous connaissez le régime américain actuel qui» concerne actuellement l'admission des artistes québécois et canadiens aux États-Unis? De quelle façon est-ce que cela fonctionne pour les artistes canadiens et américains?

Mme Fortier: Vous. voulez dire, par exemple, les musiciens ou les comédiens?

M. Lemieux: Les musiciens...

Mme Fortier: Concernant les musiciens, à ma connaissance, il y a un accord qui a été négocié par ['American Federation of Musicians. S'il y a des artistes canadiens qui doivent se produire aux États-Unis, l'American Federation donne avis au service qui émet les visas ou - excusez-moi, je cherche mes mots - les permis de travail. Alors, il n'y a pas de problème. Pour ce qui est des autres secteurs, je pense qu'il y a eu des difficultés par le passé. Je ne suis pas certaine si cela a été réglé concernant les artistes.

Concernant les oeuvres, il n'y a pas de problème. Il n'y a rien qui empêche un film québécois ou canadien d'être diffusé dans une salle de spectacles. Il n'y a rien qui empêche une pièce québécoise d'être jouée dans un théâtre aux États-Unis. Il n'y a rien de cela, sauf que les Américains ne sont pas très ouverts aux produits étrangers, mais Michel Tremblay a été joué aux États-Unis. Il n'y a pas de problème. Il n'y a rien qui empêche cela. D'ailleurs, on l'a dit, c'est la base de notre mémoire, le libre-échange dans le secteur des biens culturels existe en ce moment.

M. Lemieux: Cela va. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, sur cette dernière réponse, madame et monsieur, je voudrais, au nom des membres de la commission, vous remercier d'avoir accepté notre invitation pour venir débattre devant nous de cette importante question. J'espère que nous aurons d'autres occasions de vous revoir. Je vous souhaite un bon retour. Je voudrais indiquer aux membres de la commission que les travaux sont ajournés à demain matin, 10 heures. Nous avons encore une grosse journée devant nous.

(Fin de la séance à 22 h 24)

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