L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Accueil > Travaux parlementaires > Travaux des commissions > Journal des débats de la Commission de l'économie et du travail

Recherche avancée dans la section Travaux parlementaires

La date de début doit précéder la date de fin.

Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission de l'économie et du travail

Version finale

32e législature, 4e session
(23 mars 1983 au 20 juin 1984)

Le lundi 6 août 1984 - Vol. 27 N° 1

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation sur la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction et ses règlements


Journal des débats

 

(Neuf heures trente-sept minutes)

Le Président (M. Fortier): À l'ordre, s'il vous plaît! Veuillez vous asseoir.

Je me présente, Pierre Fortier, député d'Outremont. En l'absence de la présidente, qui sera avec nous demain, je vais présider la séance d'aujourd'hui. M. le secrétaire, est-ce que nous avons quorum?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président, nous avons quorum. Je pourrais peut-être donner immédiatement les remplacements pour cette séance. M. Gravel (Limoilou) remplace M. Dussault (Châteauguay); M. Laplante (Bourassa) remplace M. Lévesque (Kamouraska-Témiscouata); M. Middlemiss (Pontiac) remplace M. Maciocia (Viger); M. Côté (Charlesbourg) remplace M. Bourbeau (Laporte).

Mandat de la commission et ordre des travaux

Le Président (M. Fortier): Je déclare donc la séance ouverte et je rappellerai le mandat de la commission. À la suite d'un avis du leader du gouvernement en date du 3 juillet dernier, la commission de l'économie et du travail, conformément à l'article 142 des règles de procédure, se réunit aujourd'hui pour exécuter un mandat que lui a confié l'Assemblée nationale. Ce mandat est de procéder à une consultation particulière afin d'examiner la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction et ses règlements. Conformément au texte de la motion, le ministre du Travail est membre de la commission.

À la suite d'une réunion d'organisation qui s'est tenue le 16 juillet dernier en présence de M. Jean Bédard, secrétaire de la commission, M. Jean-Guy Dagenais, attaché politique au cabinet du ministre du Travail, M. Raynald Fréchette, ministre du Travail, M. Guy Godreau, attaché politique au cabinet du leader du gouvernement, M. Michel Harvey, directeur du cabinet du whip en chef de l'Opposition, M. Michel Hébert, attaché politique au service de recherche de l'Opposition, M. Laurent Lavigne, député de Beauharnois, Mme France Racine, attachée politique au cabinet du ministre du Travail et moi-même, Pierre Fortier, député d'Outremont et vice-président de la commission, il a été convenu de proposer que la commission adopte, conformément à l'article 165 des règles de procédure, la motion suivante: "II est résolu que l'horaire des travaux des 6, 7 et 8 août soit le suivant: "9 h 30: début de la séance; "13 heures: suspension de la séance; "14 h 30: reprise de la séance; "19 heures: ajournement."

J'ajouterais qu'il a été également conclu que, même après l'adoption de cette motion, les membres de la commission seraient très flexibles si c'était nécessaire. "Qu'au début de la séance du 6 août 30 minutes soient accordées au ministre et 30 minutes au porte-parole de l'Opposition pour faire leur déclaration d'ouverture. "Que la durée d'audition de chacune des cinq associations syndicales et de l'association des employeurs représentative au sens de la loi soit de deux heures, une demi-heure pour la présentation du mémoire et une heure et demie pour la période d'échange avec les membres de la commission. "Que pour tous les autres organismes la durée de leur audition soit d'une heure et vingt minutes, soit 20 minutes pour la présentation du mémoire et une heure pour la période d'échange avec les membres de la commission. "Que la période d'échange avec les membres de la commission soit répartie également entre les membres du parti ministériel et ceux de l'Opposition; de plus, le temps utilisé pour répondre aux questions des députés est inclus dans l'enveloppe de temps dont dispose chaque parti. "Que les organismes qui seront entendus ont jusqu'au 6 août pour faire parvenir leur mémoire au secrétaire de la commission, exception faite des cinq associations syndicales et de l'association des employeurs représentative au sens de la loi qui avaient jusqu'au 1er août pour faire parvenir leur mémoire. "Que l'ordre d'audition des organismes soit le suivant: premier groupe, les associations syndicales et l'association des employeurs représentative au sens de la loi: 1) l'Association des entrepreneurs en construction du Québec, 2) le Syndicat de la construction Côte-Nord de Sept-Îles, 3) la Centrale des syndicats démocratiques, 4) la Confédération des syndicats nationaux, 5) le

Conseil provincial du Québec des métiers de la construction et 6), la Fédération des travailleurs du Québec-construction; deuxième groupe, les organismes invités par la commission à la suite de leur demande: 7) l'Union des municipalités régionales de comté et des municipalités locales du Québec, 8) le Conseil patronal de l'industrie de la construction du Québec qui regroupe l'Association de la construction de Montréal et du Québec et la Fédération de la construction du Québec, 9) l'Union internationale des journaliers d'Amérique du Nord, local 62, 10) la municipalité régionale de comté de Pontiac, 11) la municipalité régionale de comté de Mékinac, 12) l'administration régionale Kativik Regional Government qui regroupe l'administration régionale Kativik, la Société Makivik et la Fédération des coopératives du Nouveau-Québec. "Que les demandes des organismes qui désireraient être entendus par la commission et qui formuleraient une demande en ce sens entre le 16 et le 27 juillet soient prises en considération par les quatre personnes suivantes: M. Bédard, secrétaire de la commission, M. Fortier (Outremont), vice-président de la commission, M. Fréchette (Sherbrooke), ministre du Travail et M. Pagé (Portneuf), porte-parole de l'Opposition en matière de travail. "Que la commission n'accepte pas les demandes d'organismes formulées après le 27 juillet."

J'aimerais que les membres de la commission adoptent cette résolution officiellement, si c'était possible ou si c'est nécessaire. Est-ce adopté?

M. Fréchette: Adopté. Quant à moi, M. le Président, cela reflète très précisément les ententes dont nous avions convenu le 16 juillet dernier avec la réserve que vous avez vous-même mise sur la table, c'est-à-dire que les membres de la commission sont sans doute disposés à faire preuve de toute la souplesse qui est nécessaire, autant au niveau de l'horaire de nos travaux qu'au niveau du temps consacré aux associations invitées.

M. Pagé: M. le Président, il est évident que, de notre côté, on souscrit aussi à la résolution, y ayant participé. J'aurais une question, cependant: Est-ce que vous pouvez nous confirmer si un ou des groupes ont manifesté le désir d'être entendus, auquel cas ces demandes auraient été formulées après ou vers le 27 juillet? Autrement dit, est-ce que tous ceux qui ont formulé le voeu d'être entendus vont l'être ou si certains devront recevoir une réponse négative?

Le Président (M. Fortier): Pour répondre à votre question, M. le député de Portneuf, il y a eu trois demandes qui ne furent pas agréées: une demande de la part d'un individu, M. André Larose, et une demande conjointe, je crois, de l'Association nationale des travailleurs en réfrigération, climatisation et protection des incendies, local 3, et de la Corporation des maîtres entrepreneurs en réfrigération du Québec. Toutes deux font partie d'autres organismes qui seront entendus.

M. Pagé: Est-ce qu'il y a eu des désistements?

Le Président (M. Fortier): Pas à ma connaissance.

M. le secrétaire.

Le Secrétaire: Les Naskapis.

Le Président (M. Fortier): Oui, le groupe des Naskapis.

Le Secrétaire: Les Naskapis se sont désistés le 31 juillet.

Le Président (M. Fortier): Le groupe des Naskapis s'est désisté le 31 juillet. Est-ce que cela répond à votre question, M. le député?

M. Pagé: Oui.

Le Président (M. Fortier): L'ordre du jour pour aujourd'hui le 6 août est le suivant: Premièrement, les déclarations d'ouverture; immédiatement après, nous entendrons l'Association des entrepreneurs en construction du Québec, l'AECQ, le Syndicat de la construction Côte-Nord de Sept-îles Inc., la Centrale des syndicats démocratiques et, finalement, la Confédération des syndicats nationaux, CSN.

M. le ministre.

Déclarations d'ouverture M. Raynald Fréchette

M. Fréchette: Merci, M. le Président. Messieurs de la commission, mesdames et messieurs, nous entreprenons ce matin une période de consultation qui comporte des dimensions multiples et dont le résultat peut être extrêmement significatif pour l'avenir de l'industrie de la construction, tant pour son économie que pour ses membres, employeurs et travailleurs.

La commission permanente de l'économie et du travail - le président vient d'ailleurs de le signaler - a reçu comme mandat d'entendre différents invités sur la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction et ses règlements, tout le monde s'entendant que l'on abordait ici l'ensemble des situations perçues comme problématiques par les

intervenants. À ce stade-ci, je veux être sûr qu'on comprenne bien clairement le sens de la démarche gouvernementale qui est proposée.

La Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction est une chose et le décret régissant l'industrie de la construction en est une autre. Nous ne pouvons conditionner la négociation de l'un à l'obtention de modifications à l'autre. Les représentations que nous entendrons ici seront tellement fondamentales de part et d'autre et s'orienteront souvent vers des directions complètement opposées qu'il nous faudra essayer et essayer ensemble, j'espère, d'identifier des points de rencontre sur l'ensemble des sujets qui seront abordés.

Je voudrais, M. le Président, si les organismes eux-mêmes me le permettent, leur faire un premier appel. Au-delà des analyses de situations, je souhaite que l'on consacre une partie importante de nos travaux à la recherche de solutions crédibles et acceptables par les deux milieux, patronaux et syndicaux. Il faut donc accepter ensemble de remettre en cause nos fonctionnements traditionnels et tenter de créer un véritable dialogue entre les parties intéressées au développement de l'industrie de la construction au Québec et au mieux-être de l'ensemble de ses travailleurs. Peut-être que jusqu'à maintenant et depuis nombre d'années, tout en poursuivant des objectifs louables, n'avons-nous pas pris les bons moyens. Il faut comprendre, bien sûr, que le terme "nous" fait référence également au gouvernement. J'ai, pour ma part, et depuis que je suis au ministère du Travail, toujours voulu établir des relations franches, des relations cordiales, honnêtes et sans faux-fuyant avec chacune des parties.

Lorsqu'on m'a souligné, de part et d'autre, par exemple, le trop grand interventionnisme de l'État, j'ai souligné à plusieurs de mes interlocuteurs que le gouvernement du Québec interviendrait rapidement pour entériner des recommandations qui recueilleraient le consensus des parties et qui ne porteraient pas atteinte aux droits fondamentaux d'autres groupes de la population.

J'ai rencontré le comité mixte à l'Office de la construction le 24 janvier dernier et nous avons travaillé toute une journée à identifier les problèmes rencontrés. Tous s'entendaient très bien sur les problèmes rencontrés. Au terme de cette journée, on va s'en souvenir, et en accord avec les membres du comité mixte, je leur avais demandé de continuer leurs travaux afin de tenter d'esquisser des solutions aux problèmes soulevés et de me transmettre leur rapport dans les plus brefs délais. Pour nous rappeler à quel point la recherche de solutions à des problèmes est parfois plus difficile que son analyse, je dois dire aujourd'hui que j'attends encore le rapport dont il vient d'être question.

Cela, à mon avis, souligne une autre caractéristique de l'industrie de la construction: l'absence d'une véritable communication entre les parties. J'ai constaté au cours de mes différents échanges avec les parties qu'inconsciemment, peut-être, une fois le message passé, on se repose sur le gouvernement pour la prise de décision, quitte à la critiquer - cette décision - si elle ne correspond pas à nos positions. Cela entraîne, il va de soi, des positions très arrêtées de part et d'autre et, encore plus sérieux, élimine toute volonté de recherche de compromis, volonté qui m'apparaît essentielle dans toute négociation digne de ce nom. Il m'apparaît donc primordial dans ces circonstances que les thèses qui seront exposées devant nous soient étayées et réalistes et, surtout, qu'elles puissent être applicables.

Il y a eu dans nos sociétés occidentales au cours des dernières années un changement marqué de la conjoncture économique. Le Québec, du fait de sa structure industrielle, en a souffert plus que d'autres pays. Il y a eu des remises en question qui ont modifié profondément nos attitudes. L'industrie de la construction ne peut échapper à ce phénomène et chacune de ses composantes ne peut plus accepter le passé comme un dogme, mais bien comme quelque chose d'aménageable pour mieux vivre le présent et mieux préparer l'avenir.

Cela commande aux gens qui font partie de cette industrie l'obligation, au nom des intérêts primordiaux des consommateurs québécois et des travailleurs de l'industrie, de se parler et d'échanger sur leurs problèmes sans nécessairement passer par le canal gouvernemental.

C'est le deuxième appel que je me permets de faire aux parties que nous entendrons: parlez-vous; négociez directement - je ne parle pas du décret pour les fins de nos travaux aujourd'hui jusqu'à mercredi, mais pour les fins du mandat qui est le nôtre - et surtout suscitez des consensus.

L'approche que j'ai toujours défendue à la fois dans mes échanges avec les parties et dans les différentes actions qui ont été posées s'identifie toujours à une volonté de responsabiliser les parties. Depuis le temps que l'on me répète de part et d'autre qu'on est capable de prendre l'industrie de la construction en main et de la faire progresser, qu'on n'a pas besoin du gouvernement partout, je dois avouer bien humblement que j'y ai cru. J'ai tout récemment recommandé la nomination au conseil d'administration de l'OCQ de deux membres représentant chacune des parties syndicale et patronale et cela me semble être une preuve assez concrète de cette conviction que j'ai de la nécessité de

l'implication des parties.

Toutefois, comme une prise en main véritable de l'industrie de la construction par les parties implique le développement d'un nouveau "partnership", l'établissement d'un réel dialogue et l'acceptation de l'idée d'un compromis sur une question en litige, si je me fie à l'expérience vécue particulièrement depuis janvier dernier, les parties ne veulent pas ou ne peuvent pas créer ces conditions nécessaires à l'émergence du leadership dans la détermination des balises à l'intérieur desquelles oeuvrera l'industrie.

Je réitère, M. le Président, que je ne suis pas un partisan de l'interventionnisme à outrance de l'État. Je crois à la nécessité de la participation des représentants des parties syndicale et patronale dans le processus de décision concernant l'industrie de la construction. Le gouvernement du Québec est prêt à tout mettre en oeuvre pour avaliser des accords des parties; mais, pour cela, il faut que les parties acceptent de se mettre à table.

Si les normes, les règlements ou les lois qui régissent l'industrie de la construction devaient être conditionnés au dialogue qui existe présentement, le moins que l'on puisse dire, c'est que les discussions seraient silencieuses et l'industrie un peu chaotique.

Le gouvernement du Québec dit oui à la participation, oui à la prise en main par les parties, mais non aux monologues et non au laisser-faire qui provoqueraient inévitablement une situation anarchique dans l'industrie de la construction.

Cela dit, je crois que les parties ont, au cours de nos travaux, une nouvelle occasion de créer ce climat propice au progrès de l'industrie. Effectivement, cette fois-ci, ce débat se fera publiquement. Chacun des arguments, chacune des affirmations, chacun des projets, chacune des propositions ou des thèses avancés pourront être analysés et commentés par d'autres témoins ou par des observateurs, ce qui enrichira la somme de nos travaux. Du fait que ce débat devient public, je pense que les parties prendront conscience de son importance et de la nouvelle dimension qu'il prend. Je serais quant à moi déçu, M. le Président, si nos travaux prenaient la forme d'une opération de publicité de la thèse de chacune ou de l'une ou l'autre des parties. Je pense - et je le dis comme je le pense -que nous avons dépassé cette étape. Nous devons identifier des ouvertures, des points de rencontre et des idées de compromis et cela ne peut se faire à sens unique. Pour que ce débat ne prête pas à confusion, je dois vous indiquer, comme les points discutés couvriront probablement l'ensemble de l'activité de l'industrie de la construction -et, je le répète encore, là où il n'y aurait pas de consensus - qu'il serait illusoire de penser, si le gouvernement devait trancher, qu'il puisse le faire au terme des travaux de la commission ou même avant la fin du mois d'août, période où se termine la prolongation du décret de la construction. Je veux que cela soit très clair pour tous.

Par ailleurs, M. le Président, à ce stade-ci - et je pense que ce n'est que normal pour les parties - j'indique aux membres de la commission de même qu'à nos invités qu'à l'occasion de la déclaration de fermeture de nos travaux je serai en mesure, évidemment, après avoir entendu tous nos invités, d'indiquer de façon plus claire, plus précise et plus concrète quelles sont très précisément les intentions gouvernementales et de quelle façon le gouvernement entendra procéder, toujours après avoir connu les positions respectives des parties, parce que effectivement l'analyse des positions des parties, les conséquences des décisions à prendre et le nombre de ministères et d'organismes impliqués nous obligent à prendre le temps d'élaborer les bonnes décisions pour ensuite corriger les lois, les règlements ou les normes. (10 heures)

Comme toutes les parties - et cela, c'est un commercial - liées à la négociation du décret sont ici, je me permets de leur rappeler - et je suis convaincu qu'elles en sont conscientes - que le décret n'est pas l'objet de cette commission et que la négociation du décret n'a à peu près pas progressé. Je le dis, M. le Président, sans aucune réserve. J'ai eu la naïveté de croire aux confidences que m'avaient faites les représentants de chacune des parties sur leur volonté sincère de véritablement négocier. J'ai eu l'amère désillusion de constater qu'il y avait souvent un bon écart entre l'intention et la réalité du geste.

Quoi qu'il en soit, je rappelle aux représentants des parties qu'ils ont encore du temps pour faire preuve de cette volonté de négociation que l'on m'avait manifestée avant la prolongation. Je leur souligne à la blague que leurs soirées sont libres, qu'ils peuvent manger ensemble - il n'y a rien qui s'oppose à cela - et que le conciliateur, M. Leboeuf, est à leur disposition. M. Leboeuf est présent et il est prêt à rencontrer chacun de ceux qui le souhaiteraient.

M. le Président, le gouvernement du Québec, particulièrement cette année, souhaite ardemment que le décret soit le fruit d'une entente entre les parties afin que nous puissions réunir toutes les conditions favorables à un nouvel essor de l'industrie de la construction.

Le gouvernement du Québec est également très réticent à jouer le rôle qui lui est traditionnellement dévolu. Nous croyons véritablement à la responsabilisation des parties et nous voulons que cela se traduise par des modifications profondes de

nos attitudes passées. Les intervenants, tant patronaux que syndicaux, m'ont régulièrement confié qu'une entente était possible. Il nous faut maintenant prendre les moyens pour la concrétiser.

Quant à moi, M. le Président, messieurs les membres de la commission, je conserve espoir dans la capacité des gens du milieu. Mesdames et messieurs, bons travaux.

Le Président (M. Fortier): Merci, M. le ministre.

Je donne maintenant la parole à M. Pagé, député de Portneuf et porte-parole de l'Opposition en matière de travail. M. le député de Portneuf.

M. Michel Pagé

M. Pagé: Merci, M. le Président. Je dois tout d'abord, au nom de notre groupe politique, exprimer notre satisfaction d'être réunis autour de cette table aujourd'hui, en ce début du mois d'août, à quelques semaines de l'échéance du décret tenant lieu de convention collective dans le secteur de la construction à la suite de son report au mois d'avril dernier, à la suite de son extension. Je voudrais tout d'abord remercier le ministre du Travail, M. le député de Sherbrooke, d'avoir accepté de convoquer cette commission, laquelle aurait pu évidemment se tenir plus tôt; mais ce n'est pas là l'essentiel de mon propos, ce matin. Ce qui est important c'est que nous y soyons et surtout que les différents intervenants qui ont été invités ou qui ont manifesté le désir de se faire entendre devant cette commission, soient avec nous et soient disponibles pour les trois prochaines journées où nous nous occuperons ensemble.

Je voudrais remercier les participants et, en même temps, souligner l'importance de l'industrie de la construction au Québec. L'industrie de la construction a toujours été placée à l'avant-scène du développement et de l'activité économique au Québec. Ce sont plusieurs milliards de dollars qui sont dépensés en travaux de construction exécutés par l'ensemble des secteurs économiques, chaque année, au Québec.

Nous avons tous les motifs, malgré les problèmes particuliers que vivent ces entreprises, cette industrie, d'exprimer et d'affirmer ce matin notre fierté à l'égard des intervenants et des agents de ce secteur de l'industrie. C'est toujours avec beaucoup de fierté qu'on retient et qu'on constate la présence d'entreprises du Québec qui oeuvrent à l'étranger, dans d'autres pays, et qui s'adonnent à des performances enviables, ces milliers de travailleurs québécois qui sont dans d'autres provinces ou à l'extérieur du Canada, aux États-Unis ou ailleurs pour faire valoir leurs services avec toute la renommée et la bonne réputation qu'ils ont, le "know- how", cette capacité de faire qui provient du Québec. Qu'il suffise de rappeler ces grands chantiers de la Baie James, le gazoduc qui se complète actuellement, les grands projets industriels, tout l'effort qui a été déployé par les agents du secteur dans le cadre de Corvée-habitation, il y a quelques années.

Messieurs, mesdames qui êtes ici ce matin, nous apprécions votre présence et nous croyons sincèrement et fermement, sans aucune partisanerie, on doit en convenir, que ces trois jours permettront aux membres de l'Assemblée nationale, de quelque parti qu'ils soient, ici autour de cette table, d'échanger de façon utile avec les différents intervenants, que ce soient les représentants patronaux, les représentants des cinq syndicats représentatifs ou les autres agents de l'activité économique qui vous occupe.

Cette commission, autant elle était attendue, autant aussi elle est importante. On a eu, depuis quelques années, souventefois l'occasion de se rencontrer ici en commission parlementaire; des membres autour de cette table ont eu l'occasion d'échanger avec vous. C'était parfois pour régler des problèmes bien spécifiques; on se rappelle la commission sur le niveau de la rémunération sur le gazoduc, il y a quelques années ou quelques mois. Des commissions ont siégé pour entendre ou prendre connaissance de la position du ministre du Travail dans le cadre du renouvellement des décrets des conventions collectives, parce que les parties ne s'étaient pas toujours entendues. Or, les trois jours qui nous occupent sont très importants parce que enfin nous aurons l'occasion, tous ensemble, d'échanger, de faire valoir nos points de vue respectifs, de nous interroger mutuellement sur les problèmes de fond qui affectent votre industrie.

Tout comme le ministre, je suis pleinement d'accord qu'on doive retenir tous ensemble - et ce sera peut-être plus difficile pour les intervenants que pour nous - que cette commission parlementaire ne doit pas devenir une négociation de trois jours. Je pense que les parties ne sont pas ici pour négocier quoi que ce soit. On souhaite ardemment que cette commission puisse déboucher sur une véritable négociation qui pourrait s'amorcer dans les délais que tout le monde souhaite les plus brefs possible, avec les résultats les meilleurs possible, avant la date d'échéance du décret.

De notre côté, on s'attend donc à un débat le plus ouvert possible. On s'attend à des échanges où la contribution de chacun des intervenants devra être mise à partie. Chacun peut contribuer de façon, comme je vous le disais, utile et significative pour faire en sorte qu'ensemble, les parlementaires, on puisse dégager les avenues de solution qui seraient les meilleures pour pallier les nombreux problèmes - car ils sont

nombreux - qui vous occupent. On se permet même de penser et de souhaiter qu'il puisse se dégager peut-être des consensus ou des traits en commun ou plus de communs dénominateurs quant à des solutions envisageables, des façons de modifier différentes choses, différentes normes, différentes mesures susceptibles d'affecter votre industrie.

Enfin, c'est évidemment avec beaucoup d'intérêt et aussi avec beaucoup d'appréciation, je dois le dire, que j'entends le ministre du Travail, ce matin, nous indiquer qu'il entend, à la fin des travaux de cette commission, faire part à la commission et au public en général de sa position, de son approche en regard de la situation actuelle par rapport au décret, en regard aussi des modifications qui pourraient être éventuellement apportées au régime juridique de négociations, ou encore aux lois et règlements qui prévalent et qui s'appliquent dans le secteur de l'industrie.

Pour nous, c'est un moment important. Ce forum auquel on se convie ce matin, peut constituer - je dis bien peut - un moment privilégié qui permettra, on l'espère, de trouver un peu plus de réponses aux interrogations qui sont posées, aux problèmes qui sont lancés, aux questions qui sont formulées, et que, finalement, l'industrie dans son ensemble en sorte gagnante avec, on l'espère, des consensus et une position gouvernementale qui permettront de répondre à différentes questions. Si ce n'était pas cela, si cela ne devait pas déboucher et conduire à un certain nombre de consensus, on ne serait évidemment pas plus avancés, mais on devrait s'inquiéter parce que dans ce cas, ce sera le ou les gouvernements qui auraient à statuer et à décider de la façon de régler ces problèmes de fond dans l'industrie de la construction.

Pour nous, il y a quelques questions qu'on est en droit de poser immédiatement dans le débat, questions auxquelles on n'a pas la prétention d'avoir les réponses, évidemment. Mais les réponses pourront venir par l'interaction des échanges de ces trois jours auxquels on se convie. La première: Est-ce que les parties sont satisfaites du régime juridique actuel, de ce qui est prévu dans la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction?

M. le ministre a fait référence tout à l'heure à l'opportunité de maintenir ces dispositions de la loi qui prévoient l'intervention gouvernementale en cas de désaccord. Les parties sont-elles satisfaites des dispositions de la loi ou des lois actuelles en regard de la représentativité tant de la partie patronale que des parties syndicales? Est-ce que cette forme de représentativité syndicale est adéquate quand on constate que, dans certains métiers, c'est peut-être 85% ou, dans certains cas, 90% des travailleurs du métier en question qui adhèrent à un syndicat? Mais compte tenu de la représentativité globale, est-ce que ce travailleur se sent véritablement représenté? Est-ce qu'il peut se retrouver dans cette structure?

Les lois, les règlements et leur enchevêtrement - parce qu'il y en a plusieurs - doivent-ils être modifiés? Ce serait faire fausse route, je pense, si au cours de ces trois jours, nous n'abordions pas, avec tout le temps qu'il faudra pour le faire, toute cette notion de redistribution des revenus dans l'industrie de la construction. Les chiffres sont clairs; ils sont éloquents. En 1975-1976, 149 000 et 146 000 travailleurs oeuvraient dans le secteur de la construction; en 1980, il y en avait 97 000; en 1981, 95 000; en 1982, 78 000; en 1983, 73 000. En 1975, 1976 et 1977, quelque 135 000 000 heures étaient travaillées chaque année et déclarées à l'Office de la construction du Québec. En 1982, çaura été 74 000 000 d'heures et en 1983, malgré Corvée-habitation, ç'aura été 67 000 000 d'heures.

(10 h 15)

La redistribution des revenus est un élément important dans ce débat et l'inquiétude des travailleurs est tout à fait légitime quand on retient que le salaire moyen dans le monde de la construction, en 1978-1979, était de 12 000 $. Il a été de 13 000 $ en 1980, de 15 000 $ en 1981, mais diminué à 14 000 $ en 1982 pour revenir aux environs de 16 000 $ en 1983. La diminution des revenus des travailleurs de la construction, ce gâteau qui doit être partagé entre les vrais travailleurs de la construction, s'explique-t-elle uniquement comme un phénonène de régulation résultant d'une diminution de la demande dans le secteur de la construction ou encore n'est-ce pas plutôt le résultat d'une autre interaction de plusieurs phénomènes, de plusieurs éléments, que ce soit: 1, le placement qui est très contrôlé? 2, possiblement, est-ce que cela peut s'expliquer par le statut juridique qui a été donné aux travailleurs artisans en vertu de la loi 110, si ma mémoire est fidèle? 3, est-ce que ce gâteau à partager, ces revenus à partager n'ont pas diminué en raison du travail au noir?

À cet égard, c'est avec beaucoup d'intérêt et beaucoup d'attention qu'on va entendre évidemment le mémoire qui nous sera présenté par la CSN. La diminution du travail dans le monde de la construction n'est-elle pas le résutat, 4, d'une interprétation souventefois restrictive donnée aux dispositions concernant le champ d'application du décret de l'industrie de la construction? On a bien hâte de vous entendre sur les différents courants qu'on peut dégager des décisions prises par le commissaire à la construction qui a à juger si tel ou tel travail fait partie du champ

d'application et doit être soumis au champ d'application du décret.

L'autre aspect qu'on devra voir ensemble, c'est tout l'aspect de la politique de main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction. La formation de notre main-d'oeuvre peut-elle s'adapter aux besoins de l'industrie, aux exigences techniques des différents métiers ou nouveautés technologiques?

On devra aborder évidemment en même temps les dispositions qui concernent l'apprentissage, les périodes, le ratio compagnon-apprenti. On devrait aussi aborder pensons-nous le suivi de la qualification du travailleur en cours d'apprentissage.

Voilà autant de questions auxquelles on devra faire référence. Vous avez produit vos mémoires. Nous les avons lus avec attention. Encore une fois, je voudrais vous indiquer au nom de mon groupe politique combien nous sommes heureux d'être ici en commission ce matin et combien nous espérons beaucoup des travaux de cette commission. Nous osons croire que le débat sera non seulement ouvert, qu'il sera utile, qu'il sera contributif et peut-être qu'une fois qu'un intervenant aura livré son mémoire et répondu aux questions, que l'échange sera terminé, pourra-t-il être invité à nouveau pour échanger sur certains autres aspects qui auraient pu ou qui pourraient être abordés par d'autres intervenants.

M. le Président, voilà l'essentiel du commentaire initial que nous avions à faire. Nous sommes prêts à commencer et on va se souhaiter mutuellement bonne chance. Merci.

Le Président (M. Fortier): Merci, M. le député de Portneuf. Avant d'entendre l'Association des entrepreneurs en construction, j'aimerais demander le consentement des membres pour permettre au député de Hull de siéger en remplacement de...

Le Secrétaire: ...de Mme Dougherty (Jacques-Cartier).

Le Président (M. Fortier): ...de Mme Dougherty (Jacques-Cartier). Y a-t-il consentement?

Des voix: Consentement.

Le Président (M. Fortier): J'en profite maintenant pour souhaiter la bienvenue à tous ceux qui attendent impatiemment de nous adresser la parole ou d'écouter les mémoires qui seront présentés durant les trois prochains jours. On s'excuse d'être obligés de procéder dans une salle aussi exiguë. Comme vous le savez, la convocation indiquait que la commission siégerait au salon rouge. Malheureusement, le ministère de Travaux publics et de l'Approvisionnement a décidé de faire certaines rénovations qui nous empêchent de siéger au salon rouge, et nous devons procéder ici même dans un endroit beaucoup plus restreint.

Quand même, à l'intérieur des limites de temps et physiques qui sont les nôtres, nous allons procéder. Déjà, nous sommes quelque peu en avant de notre horaire, puisque nous avions donné une demi-heure à chacun des porte-parole. Nous sommes dix minutes en avance et peut-être que cet exemple du ministre et du porte-parole de l'Opposition sera un exemple donné aux organismes qui auront à présenter leur mémoire pour qu'ils puissent faire en sorte que nous puissions procéder durant les trois prochains jours dans les limites de temps qui vous ont été accordées.

Je rappellerais à ceux qui présenteront des mémoires qu'ils doivent s'adresser au président, et c'est le président qui donne la parole. Bien sûr, ils doivent parler clairement. On m'indique que le système d'enregistrement que nous avons aujourd'hui est temporaire, puisque le système permanent est débranché pour fins de modernisation, semble-t-il. Il est très important qu'une seule personne parle à la fois et parle dans le micro puisqu'il y a uniquement deux bandes d'enregistrement, contrairement au système technique que nous avons d'habitude.

J'invite donc l'Association des entrepreneurs en construction du Québec à présenter son mémoire. Au préalable, je demanderais à M. Michel Dion et à M. Franco Fava de s'identifier et de présenter les personnes qui les accompagnent à la table.

M. Dion (Michel): M. le Président, mon nom est Michel Dion, je suis directeur général de l'Association des entrepreneurs en construction.

M. Laplante: Avant de commencer, j'aimerais que les règles de la commission soient bien établies. Selon les règlements des commissions, seuls les députés peuvent être assis à la table. J'aimerais qu'il n'y ait pas d'exception pour faire accroc aux réunions futures.

Le Président (M. Fortier): Je laisse les membres de la commission juger. Il est vrai que nous avons des règlements. Malheureusement, comme vous pouvez le voir, M. le député, nous sommes dans une salle très exiguë. Si les membres de la commission l'exigent, bien sûr, nous allons demander à ceux qui siègent à la table et qui ne sont pas députés de s'en retirer.

M. Pagé: M. le Président, il faut convenir qu'on devait siéger au salon rouge. Les travaux ne sont pas complétés et nous sommes dans une salle qui, quoique

climatisée, n'est pas très grande. Très probablement que, pendant les jours qui vont suivre, des gens qui nous visitent s'assoiront non seulement face à la table, mais près de nous. Je retiens que tous les fauteuils semblent être occupés, que les fauteuils des honorables membres de la Tribune de la presse semblent être tous occupés. Je dois comprendre visuellement que le propos du député de Bourassa semble être dirigé vers un de nos doyens de la presse parlementaire qui a manifesté le désir de seulement placer son papier sur la table pour mieux écrire, pour mieux rapporter les propos du député de Bourassa, évidemment. Je ne vois aucune objection à ce que l'honorable journaliste demeure là, M. le Président, tant qu'on aura de la place, au moins, pour les députés.

M. Laplante: M. le Président, je voudrais que nos travaux soient entrepris sérieusement. Je n'accepte pas qu'un journaliste puisse faire des commentaires à haute voix à cette table, comme il l'a fait pendant que vous parliez tout à l'heure. J'exige qu'il n'y ait que des députés à cette table, tel que le règlement le dit.

M. Pagé: Est-ce que vous permettez que le secrétaire reste assis à la table?

M. Laplante: II est prévu dans le règlement.

Le Président (M. Fortier): M. le ministre.

M. Fréchette: M. le Président, je conçois que l'intervention du député de Bourassa procède du désir profond qu'il a de faire respecter nos règlements. Je lui signale que, toutes choses étant normales, par ailleurs, il est évident que cette prescription du règlement devrait être observée à la lettre. Cependant, je ne veux pas, non plus, interférer dans la position ou l'argumentation du député de Bourassa, je vous donne la mienne aussi spontanément qu'elle me vient. Pour les motifs que vous avez expliqués il y a un instant, peut-être pourrions-nous accepter de procéder de la façon dont nous l'avons fait depuis le début.

Il était entendu, jusqu'à vendredi dernier, que les travaux devaient se dérouler dans la salle du Conseil législatif. Si les aménagements de la salle du Conseil législatif avaient été disponibles, il n'aurait pas été nécessaire ce matin de soulever cette question. Tout le monde est un peu pris par surprise. Encore une fois, je comprends fort bien l'attitude et la position du député de Bourassa. Je ne veux pas, non plus, interférer dans le désir qu'il a de faire respecter le règlement, mais quant à moi, compte tenu des circonstances que vous avez soulevées, auxquelles je viens de référer, à moins que, dans le cours de nos travaux, ils ne soient perturbés par ce que le règlement avait l'habitude d'appeler des "étrangers" à la table, il me semble qu'on pourrait amorcer les travaux de cette façon et si jamais, encore une fois, des choses n'allaient pas, il y aura toujours moyen de revenir sur la question.

Le Président (M. Fortier): J'ai retenu l'interpellation du député de Bourassa, bien sûr, en ce qui concerne le droit de parole et, là-dessus, je suis sûr que le doyen de la Tribune de la presse connaît le règlement autant que d'autres. Y a-t-il d'autres députés qui veulent se manifester?

M. Laplante: Seulement un petit point pour finir...

Une voix: ...

Le Président (M. Fortier): Un instant! Pour permettre au député... Oui, M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Seulement sur un petit point pour finir, M. le Président. Au moins, qu'il s'éloigne de la table avec sa chaise. Au moins.

M. Pagé: M. le Président, il y a des centaines de personnes qui sont ici ce matin. Cela concerne des milliers de personnes. Je pense qu'on devrait commencer dans les meilleurs délais et autant il est inopportun de soulever cette question, autant il serait d'ailleurs inopportun de retenir que le député de Bourassa est le seul qui n'a pas de cravate autour de la table. On ne lui demandera pas de sortir, mais commençons à travailler. Passons à des choses sérieuses.

Le Président (M. Fortier): Messieurs, je crois que nous allons procéder. Vous vous êtes fait entendre. Le local est exigu pour les raisons que j'ai évoquées et que le ministre a évoquées, le député de Portneuf également. Je crois que nous allons procéder. M. Fava.

Auditions AECQ

M. Dion: M. le Président, de toute façon, si M. Girard veut utiliser le coin de notre table, on est tout à fait disposé à le lui sacrifier. On a aussi remarqué la souplesse du ministre dans le débat.

M. le Président, on a ici à la table le conseil d'administration au complet de l'Association des entrepreneurs en construction du Québec. À ma droite, le président de l'association, M. Franco Fava et effectivement, à sa droite, le vice-président

de l'association, M. Michel Thériault; à ma gauche, il y a des gens du personnel de l'organisation qui ont travaillé à la rédaction ou à la préparation des notes qu'on soumet à cette commission, qui sont très volumineuses, comme vous avez pu voir. Il y a également, en arrière de nous, tous les gens du conseil d'administration que je ne nommerai pas -c'est quand même une vingtaine de personnes - et des entrepreneurs de l'industrie de la construction qui ont manifesté le désir de participer, de venir entendre et voir la commission. Malheureusement, comme vous l'avez souligné, le problème du local a causé certaines difficultés chez nous. Il y avait beaucoup de gens qui devaient descendre pour venir voir la commission et faire voir leur intérêt à régler les problèmes de l'industrie. Certains ont dû être placés dans une autre salle, semble-t-il, pour entendre au moins les débats sans pouvoir y assister. C'est malheureux. Nous remercions quand même tous ces gens d'avoir manifesté leur intérêt et on espère que les travaux de la construction ne perturberont plus à l'avenir les travaux de cette commission parlementaire. Au moins, cela fait travailler les gens de la construction lorsque vous faites le ménage au salon rouge.

M. le Président, on a un deuxième problème qu'on a souligné. Je pense qu'on l'a laissé entendre. On nous a alloué par écrit une période d'une demi-heure pour faire la présentation de notre mémoire. On a mis énormément de temps à étudier les problèmes de l'industrie de la construction et à trouver des solutions que nous pensons être des solutions plausibles, utiles et nécessaires pour l'industrie. C'est une documentation qu'on aurait effectivement intérêt à lire au complet. C'est sûr et certain qu'on ne s'attend pas ce matin à présenter en entier le mémoire de l'Association des entrepreneurs en construction du Québec. On va vous présenter notre mémoire en résumé. C'est un peu malheureux, parce qu'il y a peut-être des parties qui auraient eu beaucoup d'intérêt... en tout cas, sur lesquelles on aurait appuyé devant cette commission pour que vous saisissiez mieux les difficultés qu'on a, mais, à toutes fins utiles, je pense que l'essentiel de notre mémoire est contenu dans la synthèse qu'on va vous présenter ce matin. Mais c'est clair et net; vous allez comprendre, M. le Président, qu'on a besoin de plus d'une demi-heure pour présenter cette synthèse. Si je comprends, on a déjà... J'espère que je n'ai pas perdu les dix minutes que vous aviez gagnées. Je pense que vous avez montré beaucoup de compréhension dans vos exposés, autant M. le ministre, M. Pagé que vous-même, M. le Président, et j'espère que vous allez nous laisser le temps de lire notre synthèse. On va tenter de ne pas perdre le temps de la commission. D'ailleurs, vous verrez à la fin de notre exposé qu'on y a mis le meilleur de nous-mêmes.

Le Président (M. Fortier): M. Dion, en gros, nous avons jusqu'à 13 heures. Vous avez une période de deux heures et demie. Bien sûr, si vous prenez tout le temps pour lire votre mémoire, on aura peu de temps pour échanger des questions et des réponses, mais, si vous voulez prendre un peu plus d'une demi-heure, libre à vous. Nous, on va essayer de nous entendre à l'intérieur de cette enveloppe, mais, comme les membres de la commission l'ont indiqué, avec une certaine flexibilité, mais pas une flexibilité au point où vous prendriez toute la journée.

M. Dion: Bon! Vous avez quand même... Je remarque que vous êtes très souple et je veux vous faire remarquer qu'on est la seule partie reconnue dans l'industrie de la construction en vertu de la loi des relations du travail. On a cinq vis-à-vis et, effectivement, ils vont se partager une quantité de temps. Nous pensons qu'il serait normal qu'on ait à peu près l'équivalent. Je voudrais que vous teniez aussi compte de ce phénomène, à savoir qu'il y aura cinq parties syndicales qui utiliseront le temps de votre commission. C'est possible que nous ayons l'air de prendre plus de temps que n'importe quel autre intervenant, mais il faut dire que notre temps, en théorie, devrait être cinq fois ce qui est dévolu au côté syndical. Mais je vous le dis d'avance, on va essayer d'accélérer et d'y aller le plus rapidement possible. (10 h 30)

Le Président (M. Fortier): Je vous remercie de votre collaboration.

M. Dion: Si vous me permettez...

Le Président (M. Fortier): Ce que nous aimerions savoir, M. Dion...

M. Dion: Oui?

Le Président (M. Fortier): Nous avons reçu plusieurs textes de votre part. Le texte que vous allez lire, est-ce un des nombreux textes que nous avons reçus ou est-ce un texte différent?

M. Dion: J'allais arriver à vous situer dans toute la documentation pour qu'il n'y ait pas de difficulté. D'abord, c'est clair et net qu'on va certainement se conformer à la demande de M. le ministre et ce qui a été confirmé par M. Pagé. On vient ici pour discuter de problèmes législatifs et réglementaires. On est de ceux qui demandent qu'il n'y ait pas d'intervention du gouvernement dans nos négociations. Donc, on ne vient pas faire la négociation devant la commission parlementaire, il n'en est pas

du tout question.

Notre documentation est faite de la façon suivante: Le mémoire comme tel comprend une introduction qui est un petit document avec deux parties: partie I et partie II. L'introduction et les trois livres beiges sont les textes du mémoire. Les copies bleues, qui sont également volumineuses, sont les documents d'appui qui vont avec le mémoire. Cela constitue - cet ensemble des cinq cahiers - le mémoire de l'association. Nous allons travailler ce matin avec ce qu'on appelle le document synthèse des positions défendues par l'association. C'est le document brun.

Le Président (M. Fortier): Le no 6R pour les membres de la commission.

M. Dion: On en prend note. C'est donc sur ce document qu'on va travailler, qui est le résumé, comme je vous l'ai dit, de ce qui est là.

Le Président (M. Fortier): M. Fava. Comme les débats sont transcrits, nommez-vous avant de commencer à parler pour qu'on puisse vous identifier.

M. Fava (Franco): Franco Fava, président de l'Association des entrepreneurs en construction du Québec. M. le Président, membres de la commission, mesdames et messieurs, nous ne prendrons pas ici le temps précieux de cette commission pour établir notre identité, décrire notre mandat ou situer nos vis-à-vis syndicaux. Nous avons déjà, à plus d'une reprise, fait état de ces données. Il est cependant important de vous rappeler que l'AECQ, seul agent patronal reconnu par la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction, regroupe 14 500 membres actifs dans les quatre secteurs de la construction, dont la grande majorité sont des PME.

L'AECQ, malgré la diversité de son membership, est un organisme homogène pour deux raisons essentielles: elle ne regroupe que des employeurs et elle n'a qu'un mandat précis, les relations entre employeurs et salariés.

Nous sommes donc bien à l'aise pour souligner que l'avènement de l'AECQ dans la construction a été bénéfique pour l'ensemble des employeurs, quoi qu'en pensent certains individus ou groupements car, dès lors, s'est manifestée une véritable organisation apte à défendre les intérêts communs des employeurs de l'industrie de la construction.

Il est certain, d'autre part, que nos statuts et règlements ont besoin d'être améliorés. Nos membres avaient, en 1978, voté très majoritairement des correctifs auxquels le ministre de l'époque n'a pas donné suite. Quelque six ans plus tard, nous sentons avec une plus grande acuité ce besoin de corriger nos statuts et règlements. C'est le fruit d'une saine évolution. En temps opportun nous vous sensibiliserons à nos besoins après avoir de nouveau largement consulté nos membres. Pour avoir discuté, il y a quelque temps, de ce sujet avec l'actuel ministre, nous avons été heureux de constater son attitude très réceptive et nous ne manquerons pas d'en profiter.

L'AECQ réclame la tenue d'une commission parlementaire depuis le printemps, plus précisément depuis que, lors d'une rencontre avec le comité mixte, le ministre a démontré un intérêt à vouloir régler les problèmes de notre industrie. Il est devenu évident ces dernières années que la construction souffre d'une maladie grave et dangereuse tant pour ceux qui y oeuvrent que pour l'ensemble de l'économie.

Le diagnostic est simple. Les coûts de construction, et singulièrement la main-d'oeuvre, dépassent largement la capacité de payer de la plupart de nos clients, y compris le gouvernement.

Ces coûts sont fonction du décret, bien sûr, mais aussi de l'impact des lois et règlements mal adaptés à notre industrie. L'ampleur du mal est telle qu'elle dépasse largement le cadre de la négociation classique. Des remises en question difficiles sont nécessaires pour régler les problèmes et contrer la poussée dramatique du marché noir. Une telle situation ne pouvait que placer les parties à négocier aux antipodes. Pour engendrer et faciliter le dialogue, pour permettre l'assouplissement des mandats de négociation, il fallait trouver des solutions et des remèdes aux problèmes et alors il serait possible d'envisager la négociation libre d'une nouvelle entente réaliste dans la construction.

La prise de position syndicale, à savoir de discuter ces questions entre les parties plutôt qu'en commission parlementaire, jointe à leur boycottage de la convocation de juin aurait fait que les remèdes n'ont pas encore été apportés et que les négociations n'ont pu s'engager.

Si d'une part le gouvernement se limite à jouer dans les meilleurs délais son rôle de législateur pour régler les problèmes légaux et réglementaires qui lui sont soumis durant cette commission, et déclare sans équivoque ni réserve sa volonté ferme de ne pas intervenir dans le processus de la présente négociation et si, d'autre part, certains intervenants veulent bien laisser de côté les politicailleries et cesser de jouer au Scapin, alors il y a des chances qu'une entente soit conclue entre les parties.

Nous appuyons le fait qu'il ne faudrait surtout pas que cette commission devienne le prélude à une nouvelle intervention directe du gouvernement dans les négociations. Elle doit plutôt, selon nous, être une manifestation de la volonté du gouvernement

de vraiment régler les problèmes fondamentaux d'ordre législatif et réglementaire dans la construction.

Conséquemment, nous n'avons nulle intention de tenter de discuter ici des questions qui relèvent de libres négociations qui doivent ou devraient se faire entre les parties. Le pouvoir d'intervention du gouvernement dans notre décret, au nom de la notion combien élastique de l'intérêt public, a suffisamment dénaturé le processus normal des discussions entre employeurs et syndiqués que nous résistons à la tentation d'en promouvoir l'usage.

Cela dit, nous allons commencer par cerner l'ampleur du marché noir de la construction. Notre industrie s'est détériorée à un rythme si rapide que la survie même des vrais employeurs et des vrais travailleurs est menacée. C'est une réalité que tous devraient reconnaître d'emblée. Nous pourrions ici faire longuement état des nombreuses interventions qui, depuis plus d'un an, ont été faites en ce sens, dont celle du premier ministre, M. Lévesque, qui, publiquement, dénonçait les coûts excessifs dans l'industrie de la construction.

Si personne ne nie qu'au moins 25% des heures travaillées dans notre industrie échappent au cadre réglementaire qui nous régit, certains tentent d'escamoter le problème en affirmant que le marché noir a toujours existé et que rien ne justifie des mesures urgentes pour y mettre fin. Ces gens se leurrent. Avant donc d'exposer les problèmes de la construction et les avenues de solution que nous proposons, il importe de bien saisir la portée du mal.

Le marché noir. Bien des chiffres et des affirmations ont circulé depuis quelque temps sur le phénomène du travail au noir dans l'industrie de la construction. C'est, par définition, un secteur difficile à cerner. Ceux qui y participent ne font pas de rapport à l'Office de la construction ni, fort probablement, au ministère du Revenu. Néanmoins, tous ceux qui oeuvrent quotidiennement dans notre industrie savent instinctivement qu'une part de plus en plus importante des travaux de construction est réalisée par ce marché parallèle.

Le service de recherche de notre association a pu, en comparant les données de Statistique Canada à celles de l'Office de la construction, démontrer hors de tout doute la croissance phénoménale du travail au noir depuis 1979. Qu'il nous soit permis de les résumer brièvement ici et de dégager les principales conclusions auxquelles elles nous ont conduits.

Nous avons comparé les données de Statistique Canada avec celles de l'Office de la construction et constaté qu'entre 1971 et 1978, la masse salariale déclarée à l'Office de la construction représentait en moyenne 70% de celle compilée par Statistique

Canada. Trois choses expliquent la différence entre les deux séries de chiffres. Premièrement, certains travaux considérés par Statistique Canada comme faisant partie de l'industrie de la construction ne sont pas couverts par le décret. Deuxièmement, certains travailleurs recensés par Statistique Canada ne sont pas soumis au décret, tels les cadres et le personnel technique. Troisièmement, certains travaux de cette époque n'étaient pas déclarés à l'Office de la construction même s'ils auraient dû l'être.

Pour la période de 1979 à 1981, les données provenant de l'Office de la construction ne représentent plus que 62% de la masse salariale compilée par Statistique Canada. L'entrée en vigueur du règlement sur le placement et le nouveau statut accordé à l'artisan ne sont certes pas étrangers à cette disparition de quelque 200 000 000 $ dans la masse salariale déclarée à l'Office de la construction.

Poursuivant notre étude des données pour les années 1982 et 1983, nous nous sommes rendu compte que, pour les deux dernières années, la masse salariale de l'Office de la construction ne représentait plus qu'environ 52% de celle de Statistique Canada. La différence entre notre constante historique de la période 1971-1978 et les données de 1983 - le passage de 70% à 52% de la masse salariale compilée par Statistique Canada - représente une perte de 477 400 000 $ en salaires recensés par l'office en 1983.

Certains pourraient dire que la baisse enregistrée pour la période de 1979 à 1981, soit la baisse de 70% à 62%, est le reflet du statut accordé alors à l'artisan et ne peut, à proprement parler, être comptée comme du travail au noir. Nous serions tentés de répliquer que les dispositions de la loi touchant l'artisan sont en pratique inapplicables et entraînent du travail illégal. Mais soyons bons princes, admettons que le passage de 70% à 62% s'est fait légalement. La différence entre la période de 1979-1981 et celle de 1982-1983 demeure quand même de 10%, soit 62% à 52%. Ces 10% de masse salariale disparue des données de l'Office de la construction représentent, pour 1983, plus de 255 000 000 $.

Ces 255 000 000 $ représentent à leur tour combien d'heures de travail qui échappent au cadre réglementaire de notre industrie? Pour le savoir, il faudrait connaître le taux horaire payé au noir. Compte tenu de ce qu'il s'agit bien souvent de sommes payées comptant, sans que le fisc y trouve sa part, l'hypothèse de 10 $ l'heure semble réaliste. On aurait alors 25 500 000 heures travaillées au noir dans l'industrie québécoise l'an dernier. C'est là un chiffre conservateur, vous en conviendrez. D'une part, on n'a même pas tenté de mesurer le travail au noir traditionnel, celui qui avait

cours avant 1979. Était-ce 5%, 10%? Chose certaine, il existait.

En outre, nous avons concédé à l'artisan qui respecte la loi la différence entre les 70% de la période 1971-1978 et les 62% enregistrés entre 1979 et 1981. Or, nous verrons plus loin pourquoi la loi n'est que théorique quand il s'agit de l'artisan. Donc, on peut affirmer sans crainte que le nouveau marché noir de la construction a accaparé l'an dernier au moins le quart des activités de construction au Québec. Si rien n'est fait, tout nous porte à croire que notre industrie glissera de plus en plus vers le travail au noir et ce, très rapidement. Que peut-on faire? Pour répondre à cette question, il importe de bien identifier les causes de la maladie.

Les lois du marché. Pendant longtemps, les chefs syndicaux, les gouvernements et, il faut bien l'admettre, certains de nos membres, ont cru que les coûts de main-d'oeuvre dans la construction importaient peu puisque, par le jeu du décret, les entreprises concurrentes faisaient face aux mêmes coûts. Il s'agissait, bien sûr, d'une erreur. Les entrepreneurs en construction du secteur résidentiel ont été les premiers à s'en rendre compte. Faisant plus directement affaires avec le consommateur, ils ont dû s'ajuster rapidement à la capacité de payer de leurs clients. Plusieurs facteurs ont influencé leur marché ces dernières années: la baisse de la natalité, un solde migratoire négatif, la hausse des taux d'intérêt hypothécaires ont fait chuter le nombre de mises en chantier. Il ne suffit pas qu'une famille ait envie d'acheter une maison neuve, encore faut-il -et son gérant de banque le lui rappellera très vite - qu'elle en ait les moyens.

Une maison de 60 000 $ construite l'an dernier entraînait, selon les conditions de travail du décret de la construction, des coûts de main-d'oeuvre d'environ 15 600 $. Soulignons en passant que les deux hausses de taux de salaires de 10% que le gouvernement a décrétées en 1982 et en 1983 représentent à elles seules près de 50 $ par mois sur les paiements hypothécaires que doit assumer l'acheteur pendant 25 ans. Comment peut-on demander aux consommateurs d'accepter de payer 21,47 $ l'heure en coûts de main-d'oeuvre pour la construction de leur maison lorsqu'ils ne gagnent pas la moitié de cette somme par heure de travail? (10 h 45)

Le nombre d'auto-constructeurs augmente rapidement. Dans la grande région montréalaise, environ 15% des maisons neuves sont faites par les propriétaires-constructeurs. Le taux s'élève à 30% dans une région comme Sherbrooke et, à Rivière-du-Loup, il atteint 70%. Dans presque tous les cas, ces constructeurs-propriétaires font effectuer la plupart des travaux au noir et rien ni personne ne garantit la qualité de la construction, si ce n'est le coffre à outils du braconnier.

Mais les lois du marché ne touchent pas seulement les employeurs de la construction résidentielle, loin de là. Combien d'investisseurs éventuels et singulièrement de PME ont retardé ou tout simplement abandonné des projets d'implantation ou d'expansion au Québec ces dernières années à cause des coûts trop élevés de construction?

De même, les usagers du réseau routier québécois ont compris depuis quelques années déjà que la réparation et la construction de routes ne se font plus en fonction des besoins, mais en fonction de l'enveloppe budgétaire, c'est-à-dire les ressources financières de l'État. Pour l'employeur, entrepreneur en construction, cela signifie que plus les coûts seront élevés, moins il y aura de contrats.

Toutes les lois, tous les règlements et tous les inspecteurs du monde n'empêcheront pas le jeu de l'offre et de la demande, lequel demeure le fondement de notre système économique.

Le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord où tous les travailleurs de la construction sont obligatoirement syndiqués. Chez nos voisins du Sud, 30% seulement des travaux de construction sont effectués par des syndiqués. Au Canada, la situation varie d'une province à l'autre. Les syndiqués réalisent entre 10% et 20% des travaux en Ontario, 40% à 50% au Nouveau-Brunswick, 40% en Colombie britannique. Ces chiffres, nous les citons cependant sous réserve, car, de jour en jour, le secteur syndiqué perd du terrain.

Ce qu'il importe en effet de souligner, c'est la tendance observée ces dernières années dans ces régions. Partout, les travaux de construction sont de plus en plus réalisés par des travailleurs non syndiqués. En Alberta, par exemple, les travailleurs syndiqués réalisaient 75% des travaux en 1981; aujourd'hui, leur part n'est plus que de 20% et tend encore à baisser. On retrouve le même phénomène en Saskatchewan où la construction syndiquée est passée de 63% des travaux à moins de 20% entre 1981 et 1983.

Y a-t-il une relation entre ce phénomène et les lois du marché? Poser la question, c'est y répondre, car il est clairement établi que la "désyndicalisation" a pour but de soustraire les parties aux conventions trop onéreuses que l'acheteur du produit ne peut plus et ne veut plus payer.

C'est donc la capacité de payer des clients de la construction qui a dicté cette tendance et le Québec, en dépit de son système de relations du travail, n'y échappe pas. Notre secteur non syndiqué, dans les faits, c'est le "marché noir" de la construction.

Au Québec, le salaire horaire moyen dans notre industrie était, l'an dernier, selon les données de l'Office de la construction, de 17,53 $ l'heure. Si on y ajoute les coûts des avantages sociaux et de la santé et de la sécurité, nous atteignons un coût de main-d'oeuvre moyen de 21,47 $ l'heure en 1983. Sans les 0,85 $ de 1975 imposés par l'État et les deux hausses de 10% décrétées en 1982, le salaire horaire aurait été de 14,05 $ et le coût horaire moyen de 17,21 $, soit 25% de moins.

Sans vouloir verser dans les discussions propres aux négociations, qu'il nous soit permis une petite parenthèse à l'égard de notre position de moins 20%, laquelle n'est sûrement pas irréaliste en ce sens... Autrement dit, sans l'intervention gouvernementale, nous n'en serions sans doute pas réduits à exiger des baisses de coûts de main-d'oeuvre pour maintenir notre industrie à flot. Et, soit dit en passant, tout nous porte à croire que les chefs syndicaux prendraient une bonne dose de réalisme s'ils devaient formuler leurs demandes en fonction d'une libre négociation. On n'a qu'à regarder ce qui se passe ailleurs pour s'en rendre compte. Aux États-Unis, sur 1007 conventions collectives paraphées l'an dernier touchant tout près de 720 000 travailleurs, la hausse salariale moyenne pour la première année était de 1,5%. En Ontario, 13 des 14 conventions signées en 1983 dans la construction prévoyaient un gel des salaires pour 1984 et, dans la quatorzième, l'augmentation négociée a été de 1,3%. On a même vu en Alberta le syndicat des manoeuvres offrir aux employeurs une baisse de 2 $ l'heure et, dans cette même province, les syndicats ont accepté, en début d'année, des baisses de 35% à 50% pour les travaux de distribution du gaz naturel.

Au Québec, pendant ce temps, les demandes syndicales pour la prochaine année feraient augmenter les coûts horaires directs dans la construction de 17% à 23%. Soyez assurés que les employeurs de la construction, qui sont confrontés aux dures réalités économiques de leur industrie, n'accorderont pas de si désastreuses conditions de travail. Le gouvernement oserait-il le faire à notre place?

Comme nous venons de le constater à vol d'oiseau, il est urgent d'enrayer l'effritement de notre industrie et d'éliminer le mal lui-même et toutes les causes qui le favorisent. Il faut surtout éviter les cataplasmes.

Nous classerons en deux volets les solutions susceptibles de faire cesser ce phénomène. Dans le premier, nous viserons la réduction des coûts de la construction; dans le second, nous traiterons de la recherche d'un encadrement législatif, lequel, d'une part, sera apte à favoriser de saines relations du travail pour l'avenir et, d'autre part, provoquera la récupération des heures de travail pour les vrais travailleurs et employeurs de l'industrie de la construction.

Nous sommes confiants que, lorsque le cadre de l'industrie sera adéquatement circonscrit et que les conditions seront abordables pour le consommateur, il y aura alors lieu d'espérer que le travail au noir s'éliminera de lui-même parce qu'il n'aura plus sa raison d'être, bien que, pour un court terme, il puisse être nécessaire de favoriser la convalescence de notre industrie par un régime mieux ordonné de surveillance et surtout orienté vers l'éducation plutôt que vers la pénalisation.

C'est dans cette optique que les employeurs de la construction attendent de cette commission parlementaire l'amorce de mesures concrètes pour régler les problèmes découlant du cadre réglementaire et légal de leur industrie, problèmes que nous allons analyser maintenant un à un.

La réduction des coûts de construction. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'AECQ affirme, preuves à l'appui, que des réglementations ou législations adoptées en vue de corriger certains problèmes dans la construction ont, au contraire, augmenté les difficultés pour les parties parce que ces règlements ou législations avaient trop souvent été faits à la pièce. En effet, une réglementation inappropriée ou une hausse injustifiée du coût de la main-d'oeuvre provoquent presque instantanément une diminution de la demande ou plutôt une perte des heures parce que les coûts officiels deviendront prohibitifs pour le consommateur.

Nous sommes bien conscients que la réduction des coûts de construction requise pour combattre le travail au noir peut apparaître comme un objectif difficile à accepter au niveau de nos partenaires syndicaux parce que, la plupart du temps, cet objectif est perçu sous l'angle unique d'une réduction des taux de salaire. Il y a lieu cependant de rectifier la conception partisane qui a été véhiculée par les syndicats à ce sujet. Il est vrai que cet objectif peut être en partie atteint par une baisse des taux et nous ne cacherons pas que cette solution nous apparaît essentielle pour la construction résidentielle, mais il existe également d'autres moyens très valables qui peuvent réduire la pression à la hausse sur les coûts.

En effet, il n'y a pas que le décret qui détermine les coûts de main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction. Bon nombre d'interventions de l'État ont également des implications financières. Le règlement de placement crée des frais administratifs, implique souvent des frais de déplacement importants et influe sur la productivité. Le dossier de la formation et de la qualification de la main-d'oeuvre a aussi des conséquences économiques. Même les chefs syndicaux

admettent, en privé tout au moins, que la qualité de la main-d'oeuvre québécoise de la construction, qui faisait l'envie des autres provinces il y a dix ans, ne cesse de baisser depuis lors. Les ratios compagnons-apprentis dressent des barrières artificielles et coûteuses aux employeurs. Les juridictions de métiers trop rigides engendrent, dans la construction résidentielle notamment, des situations invivables.

Dans le cadre d'une solution adéquate et réaliste pour réduire les coûts de construction, nous traiterons donc ci-après du règlement de placement, de la qualification et de la formation professionnelles de la main-d'oeuvre, des ratios compagnons-apprentis et de la polyvalence des métiers.

Le règlement de placement. Amendé sept fois en autant d'années, le règlement sur le placement des salariés dans l'industrie de la construction tel que conçu actuellement est inapplicable et dangereux. Le contrôle excessif de la main-d'oeuvre, en fonction de critères strictement quantitatifs, présente des dangers de distorsion du marché bien plus importants que les avantages que les travailleurs peuvent en tirer. Dans les faits, si l'on favorise l'embauche des vrais travailleurs, il contribue à leur enlever une part sans cesse plus importante de leur gagne-pain. D'une part, les tracasseries administratives que le règlement entraîne pour les employeurs réduisent la productivité des entreprises. La part du règlement de placement dans la hausse des coûts de fonctionnement des entreprises de construction est difficile à chiffrer, mais elle existe et elle est importante. Or, chaque augmentation des coûts de production entraîne une baisse des activités dans l'industrie.

Par ailleurs, en amputant de plus de 30 000 personnes le bassin de main-d'oeuvre de la construction "officielle" en 1982, le règlement a poussé bon nombre de travailleurs bannis à se transformer en entrepreneurs spécialisés sans salariés ou carrément en braconniers.

L'AECQ ne s'oppose pas à ce qu'un règlement empêche l'accès aux chantiers des travailleurs de passage et autres catégories de personnes pour lesquelles l'industrie de la construction n'est pas le principal gagne-pain. C'était, d'ailleurs, le but visé au départ. Ce sont les salariés non spécialisés qui étaient vulnérables à ce genre de concurrence et les statistiques compilées par l'Office de la construction montrent bien qu'ils ont connu ces dernières années une augmentation des heures travaillées dans la construction.

Le règlement sur le placement n'a cependant pas eu d'impact sur le volume des activités réalisé par les salariés qualifiés.

Le règlement tel que conçu entraîne, en effet, des pénuries de main-d'oeuvre qualifiée, et notamment hors des grands centres. Le renouvellement de la classification basé sur les heures effectuées, ainsi que la priorité régionale créent forcément des ponctions importantes dans les bassins régionaux de main-d'oeuvre lorsque survient une baisse sensible de l'activité comme celle que l'industrie, entraînée par l'ensemble de l'économie, connaît depuis quelques années.

Advenant une reprise, des pénuries artificielles risquent de survenir et les délais nécessaires à la formation de nouveaux salariés créeront, pour un temps, une situation préjudiciable.

Dans un tel contexte, le règlement sur le placement pourrait devoir supporter la responsabilité d'avoir empêché l'industrie de profiter pleinement et rapidement de la reprise.

Un marché libre de la main-d'oeuvre porte en lui la dynamique qui lui permet de s'ajuster aux fluctuations. À trop vouloir le contrôler, on prend des risques considérables.

Parmi ces risques, il faut souligner le vieillissement de la main-d'oeuvre et les restrictions à la mobilité régionale.

Dans une industrie où la concurrence est vive, les employeurs doivent pouvoir compter sur une main-d'oeuvre fiable et productive et dont ils connaissent les possibilités avant même d'entreprendre les travaux. Qu'il s'agisse du fonctionnement harmonieux d'une équipe d'hommes habitués à travailler ensemble, dont les méthodes particulières sont éprouvées, efficaces et connues par tous; qu'il s'agisse d'une pièce d'équipement de grande valeur dont l'opération nécessite un individu expérimenté et jouissant de la confiance de son employeur, dans de tels cas et pour toutes sortes de raisons qui ne regardent que lui, l'employeur ne peut pas logiquement se voir forcé de supporter des coûts d'adaptation et de formation onéreux. De là l'opposition patronale à des restrictions à la mobilité inscrites dans un règlement.

Nous ne pouvons pas, par ailleurs, passer sous silence la question de l'existence des bureaux syndicaux de placement. Qu'on ne cherche pas ailleurs la cause réelle et profonde des soubresauts que nous connaissons périodiquement et qui prennent parfois les allures d'un retour à une forme de violence qu'on espérait bannie dans notre industrie. Qu'il s'agisse des travaux du gazoduc, des perturbations sur les chantiers des raffineries et surtout d'autres chantiers industriels, le problème n'est pas réglé tout simplement parce qu'on n'a pas eu le courage de l'attaquer à sa source. Pourtant, un relecture des extraits du rapport Cliche à ce sujet nous fait vite constater qu'il n'y avait aucune ambiguïté dans la recommandation d'abolir les bureaux de placement syndicaux, recommandation que nous faisons nôtre encore aujourd'hui.

Qu'on les ait rebaptisés pompeusement "agences de placement", qu'on leur ait collé l'obligation de détenir une licence, de se conformer à certaines règles dont un code d'éthique, tout cela n'a rien changé à leur nature. Les bureaux de placement syndicaux font des syndicats des détenteurs d'un contrôle démesuré et inacceptable sur l'offre de main-d'oeuvre. Tant qu'un tel pouvoir, dont les implications sont énormes au niveau des relations du travail, sera laissé aux mains d'une des parties, cela aura pour effet de fausser tout le rapport de force entre les représentants syndicaux et les employeurs. (11 heures)

En bref, il faut soustraire les salariés qualifiés et les apprentis aux critères de classification. Le certificat de classification devrait, selon nous, constituer un permis de travail auquel rien ne pourrait plus être opposé à ce niveau. S'il faut ralentir l'accès à l'industrie, cela doit se faire avant que la formation ne soit engagée.

Quant aux salariés non spécialisés, nous sommes d'accord avec le maintien d'une forme de contrôle quantitatif qui leur serait applicable par le truchement du règlement sur le placement. D'ailleurs, il y aurait lieu d'examiner certaines modalités qui pourraient mieux coller à leur réalité propre.

Les priorités régionales d'embauche doivent être abolies. Ces mesures d'empêchement à la mobilité se posent en complète contradiction avec le droit légitime de gérance que tout employeur doit avoir. Alliées au contrôle quantitatif, elles sont génératrices d'augmentations de coûts que l'industrie et ses clients n'ont pas les moyens de payer.

En ce qui concerne les bureaux de placement syndicaux, la seule solution demeure leur abolition sans quoi nous continuerons de vivre périodiquement des problèmes comme ceux que nous avons connus récemment avec les travaux du gazoduc.

L'AECQ souhaite voir le règlement se transformer en véritable règlement d'embauche et de placement. Dans notre esprit, cela signifie qu'une fois l'embauche effectuée et la relation entre l'employeur et le salarié établie, il n'y aurait plus de possibilité d'empêcher la poursuite de ce contrat de travail sur les chantiers de l'employeur.

Coûteux pour les employeurs et leurs clients, inefficace pour les salariés, dangereux pour l'industrie de la construction, le règlement sur le placement, dans sa forme actuelle, a déjà fait grossir les rangs des braconniers avec des salariés déclassifiés. Il est temps que cela cesse.

La formation dispensée aux compagnons et apprentis de la construction est largement déficiente. En plus, pour une bonne partie, les cours organisés à l'heure actuelle visent des métiers populaires qui regroupent un grand nombre de salariés alors que certains métiers pour lesquels on connaît des pénuries au niveau provincial ou régional sont pratiquement absents de la liste des cours offerts.

Cela nous amène à souligner les difficultés que l'on rencontre quand vient le temps d'évaluer les besoins en main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction. Il n'existe pas de recette miracle qui permette de connaître à l'avance la nature, l'ampleur et la répartition des investissements en construction dans la province. Tout de même, le système est déficient lorsqu'il s'agit de faire face à des pénuries qui se font déjà sentir. La piètre qualité de la consultation y est sûrement pour beaucoup.

La qualité de la formation dispensée aux travailleurs de la construction a beaucoup baissé. Jusqu'à ces dernières années, les travailleurs québécois étaient reconnus dans les autres provinces pour leur compétence et leur productivité. Des commentaires récents rendent de moins en moins réaliste cette perception qui était tout à notre honneur.

Les travailleurs québécois sont maintenant ceux qui obtiennent le plus haut taux d'échecs aux examens du sceau rouge dont la réussite est conditionnelle à l'exercice de certains métiers en dehors du Québec.

Notons au passage que les examens administrés en vue de l'obtention de la qualification au Québec sont, de l'avis de plusieurs, complètement dépassés, car ils n'ont pas été adaptés à l'évolution des techniques qu'ont connues les différents métiers. Tout le monde le reconnaît; pourtant, personne ne s'est encore mis à la tâche d'une façon sérieuse. La même inertie caractérise les autres modalités prévues au règlement sur la qualification, qu'on parle de la durée et de la surveillance de l'apprentissage, des ratios compagnons-apprentis, des juridictions de métiers, etc.

La dégradation du dossier de la formation professionnelle des salariés de la construction à la fois dans ses aspects qualitatif et quantitatif a deux causes majeures: L'ensemble législatif qui touche à notre main-d'oeuvre est incohérent, figé et centralisé dans son contenu comme dans son administration et ainsi constitue en lui-même une entrave de taille au développement de celle-ci. L'implication des parties est mitigée, en ce sens qu'elles n'exercent plus le leadership essentiel au fonctionnement et à la mise à jour du système.

Il faut aussi comprendre que ces deux axes sont étroitement liés. Pour aboutir à un système intégré et efficace, il faut d'abord raviver l'intérêt des gens du milieu vis-à-vis de cette question importante qu'est la formation des salariés de l'industrie.

Diminution de la compétence technique, vieillissement de la main-d'oeuvre, réduction draconienne du nombre de salariés formés dans notre industrie sont autant de symptômes du laisser-aller que nous avons connu depuis près de quinze ans, lesquels ont un impact sur les coûts de construction. Le régime d'apprentissage en vigueur dans notre industrie doit être révisé au plus tôt afin que les apprentis bénéficient d'une formation plus complète et mieux adaptée aux chantiers et qu'ils soient l'objet d'un suivi plus rigoureux. Une main-d'oeuvre mieux formée signifie une meilleure productivité, d'où un produit de plus haute qualité à un coût moindre. Les parties doivent être directement impliquées dans la révision de ce régime qui les concerne au premier plan. Nous ne pouvons plus laisser aux fonctionnaires le soin de décider ce qui est bon pour nous.

C'est pourquoi l'AECQ demande la création d'une commission de formation professionnelle tripartite formée à part égale de représentants patronaux et syndicaux de la construction et de représentants gouvernementaux. Cette commission aurait complète autonomie et autorité sur la détermination des besoins de main-d'oeuvre, la sélection des candidats, les besoins généraux de formation, les connaissances à acquérir, la formation à pied d'oeuvre et l'acquisition d'une classe supérieure d'apprentissage ou de qualification finale. Elle aurait un rôle consultatif sur le contenu pédagogique des cours et la façon de les dispenser. Elle aurait enfin autorité sur la détermination des relations employeurs-apprentis, telles que présentement déterminées par le règlement sur la formation et la qualification professionnelles.

Les modifications de structures que l'AECQ souhaite sont majeures et signifient une reprise en main de ce dossier par les parties, même si les autres secteurs industriels ne sont pas prêts à en faire autant. Elles devraient toutefois s'accompagner d'un sérieux effort des employeurs qui ont un rôle primordial à jouer dans le succès d'un programme de formation. Nous croyons être en mesure de susciter un tel effort chez nos membres.

Jusqu'en 1969, les ratios compagnons-apprentis étaient négociés par les parties dans chaque région.

Dans les décrets, on trouvait une règle générale, à savoir qu'un employeur ne pouvait avoir à son emploi, dans un métier donné, plus d'un apprenti par travailleur qualifié. Des exceptions étaient consenties à cette règle de base pour certains métiers et dans certaines régions, en tenant compte de divers facteurs.

À la base, il y avait le souci pour les employeurs de s'assurer d'une relève compétente de salariés qualifiés en nombre suffisant pour éviter les pénuries. Du côté syndical se dessinait, bien entendu, une volonté plus ou moins marquée de vouloir restreindre l'accès aux métiers de façon à favoriser l'emploi des membres ainsi qu'une hausse du niveau général de leurs conditions de travail.

Quoi qu'il en soit, la détermination des ratios s'effectuait dans un cadre souple permettant aux parties de rajuster leur tir périodiquement en tenant compte de plusieurs facteurs.

Un tel exercice tenait évidemment compte des conditions régionales.

En 1969, la Loi sur la formation et la qualification professionnelles de la main-d'oeuvre était promulguée. Pour l'industrie de la construction, une des conséquences principales de l'adoption de cette loi a été le retrait du régime d'apprentissage de la liste des points négociables par les parties.

Devant la perspective de voir les ratios fixés dans un règlement, il est bien évident que plusieurs des syndicats de la construction ont eu le réflexe de vouloir protéger définitivement leur membership en limitant l'accès aux métiers et les pressions ont été fortes sur le gouvernement pour que les ratios ne laissent passer qu'un petit nombre d'apprentis.

Les syndicats avaient visé juste, car depuis près de quinze ans, mis à part le passage du ratio applicable aux électriciens et aux tuyauteurs d'un pour un à un pour deux, nous vivons avec les mêmes ratios compagnons-apprentis. Un seul changement a été introduit au tout début pour couvrir la spécialité de mécanicien en protection-incendie.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que cette réforme s'est effectuée au détriment des employeurs. L'objectif syndical qui consiste à vouloir limiter l'arrivée de nouvelle main-d'oeuvre a primé dans la fixation des ratios de plusieurs des 23 métiers. Ainsi, par rapport aux décrets qui incluaient les ratios avant 1971, plusieurs ratios ont été haussés de façon à imposer l'embauche de plus de travailleurs qualifiés avant qu'un nouvel apprenti puisse être à son tour embauché.

On n'a qu'à examiner le tableau des ratios compagnons-apprentis pour se convaincre de l'illogisme qui le caractérise.

Les ratios s'échelonnent d'un apprenti pour un travailleur qualifié à un apprenti pour cinq travailleurs qualifiés. Il s'avère intéressant de faire le décompte du nombre de métiers pour chacun des ratios existants: 1 apprenti pour 5 travailleurs qualifiés, 13 métiers; 1 pour 4, 1 métier; 1 pour 3, aucun métier; 1 pour 2, 5 métiers; 1 pour 1, 4 métiers, en plus d'une spécialité.

Il y a des coûts économiques inhérents aux ratios élevés. En premier lieu, on empêche les employeurs de recourir à une

main-d'oeuvre moins dispendieuse qui aide le travailleur qualifié tout en permettant à un jeune d'acquérir les connaissances et les habiletés pour pouvoir, plus tard, exercer le métier.

Si les ratios compagnons-apprentis doivent continuer d'être fixés par règlement, il y a lieu de s'en tenir aux objectifs premiers du règlement sur la formation et la qualification. C'est pourquoi l'AECQ réclame, au nom de ses membres, qu'il n'y ait plus qu'un seul ratio valide pour tous les métiers et en toutes circonstances, soit un apprenti par travailleur qualifié.

Il est essentiel que le législateur rétablisse le système sur des critères réels de formation. Ce faisant, il rejoindrait les préoccupations de plus en plus présentes des employeurs concernant la nécessité de s'assurer une relève de qualité, de contrer le vieillissement de la main-d'oeuvre qu'ils constatent et d'ouvrir les barrières des chantiers aux jeunes qui ont acquis une formation et ont le désir d'oeuvrer dans l'industrie de la construction. Finalement, les coûts de construction étant réduits, il y aurait récupération possible des heures travaillées illégalement.

Le cloisonnement des métiers. Les métiers de la construction, tels qu'on les connaît actuellement, sont le fruit d'une longue tradition. Dans l'ensemble de l'Amérique du Nord, les pratiques en matière de relations du travail et de main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction ont longtemps évolué dans la même direction, quelle que soit la province canadienne ou l'État américain. Cela n'est pas étranger aux structures d'organisation syndicale centrées sur les "Building Trades" américains encore très présentes de nos jours.

Jusqu'à l'avènement de la Loi sur la formation et la qualification professionnelles et du règlement particulier relatif à la construction qui devait l'accompagner au début de 1971, les métiers étaient du ressort de la négociation entre les parties. Ainsi, jusqu'à ce moment-là, les parties pouvaient toujours modifier les définitions des métiers au moment de la renégociation d'un décret pour faire face aux problèmes qui se présentaient en cours de route.

Les techniques de construction évoluent: nous aussi, nous avons nos "changements technologiques" même si la construction est une industrie traditionnelle pour ne pas dire aussi vieille que l'homme lui-même. Nouveaux matériaux, nouvelle machinerie, nouvelles techniques de pose, tout le monde comprendra que ces questions sont intimement liées à la juridiction des différents métiers.

Pour s'ajuster, l'industrie doit pouvoir évoluer dans un cadre relativement souple. Or, la souplesse est un mot que le gouvernement a rayé du vocabulaire de notre industrie lorsqu'il a, en 1971, incorporé les définitions des métiers dans le règlement sur la formation et la qualification professionnelles de la main-d'oeuvre de l'industrie de la construction, car depuis l'inclusion des définitions des métiers dans un règlement ayant accompagné l'étatisation du régime d'apprentissage, toute modification est pratiquement irréalisable.

Le cloisonnement des métiers donne souvent lieu à des contraintes invraisemblables, à tel point que les employeurs et les salariés sont couramment incités à violer le règlement plutôt que de s'y plier. Le problème est général, mais il est particulièrement aigü dans le domaine de l'habitation.

De multiples exemples pourraient être apportés pour illustrer les embêtements que cause le découpage des métiers dans la construction résidentielle. Tous les jours, ces entrepreneurs sont confrontés au dilemme: il y a une petite "job" à compléter ou à réparer, est-ce qu'on doit faire venir un salarié de ce métier pour une heure - il y a, bien sûr, les barrières du règlement de placement, de l'assurance-chômage, les frais de déplacement, etc - ou l'effectuer avec les salariés déjà sur le chantier? Certaines caractéristiques des travaux du résidentiel rendent possible et souhaitable une forme de polyvalence entre les métiers que l'on y retrouve le plus souvent.

Notre objectif n'est pas de rendre possible l'exécution de n'importe quel travail par n'importe quel salarié. Il s'agit plutôt de légaliser des façons de fonctionner qui, par la force de la logique, sont pratiquées en catimini, illégalement, à cause d'un contexte réglementaire abusif. Les employeurs continueront de faire effectuer le gros des travaux par les spécialistes de chacun des métiers impliqués. Il y a là une question de productivité, de qualité et de coûts des travaux qui ne leur échappe pas.

Par contre, il y a lieu de mettre au point une formule souple qui permettrait, lorsque la présence d'un salarié d'un métier n'est requise que pour une courte période et pour une tâche relativement simple, d'y affecter un salarié d'un autre métier apte à affectuer la tâche en question. Dans un tel contexte, nous n'aurions pas d'objection à ce qu'une notion de "durée limitée" ou de "circonstances occasionnelles" fasse partie d'un amendement éventuel. (Il h 15)

De plus, nous ne tenons pas à inclure les électriciens et les tuyauteurs dans le groupe de métiers que nous souhaitons voir faire partie du bassin des polyvalents. Nous visons ici la pose ou l'installation des systèmes électriques et de plomberie à l'exclusion de la manutention et de la mise en place des appareils. Ces deux métiers requièrent des techniques et des habiletés

moins accessibles aux salariés des autres métiers et les travaux qu'ils exécutent ont sans doute plus d'impact sur la sécurité d'un bâtiment.

La polyvalence réduirait d'une façon tangible les coûts de main-d'oeuvre et augmenterait la sécurité d'emploi. En assurant une présence plus grande de certains salariés sur le chantier, on reculerait en effet le moment de leur mise à pied et, ainsi, on ferait augmenter la moyenne d'heures travaillées et leurs revenus.

Finalement, faut-il souligner qu'il est souvent impossible d'obtenir les services d'un salarié pour une courte période. Le salarié qui accepte ce genre de dépannage a habituellement des exigences contraires aux règlements et lois en vigueur.

Il aurait été trop simple, à notre avis, de limiter nos représentations aux seules solutions visant la réduction des coûts, car ce seul moyen ne serait pas suffisant pour corriger les problèmes, surtout le travail au noir. Nous avons cru qu'il fallait également agir sur des éléments qui, indirectement, privent l'industrie d'une grande partie de ses véritables activités. L'ambiguïté de la définition du champ d'application de la loi et l'interprétation restrictive donnée à la réglementation provoquent une perte considérable d'heures de travail dans la construction. Plus souvent qu'autrement, c'est au détriment de la construction que les exclusions de la loi et des règlements sont interprétées. Avec le temps, il n'y a pas de doute que la montée incessante des coûts de construction a favorisé la recherche d'échappatoires.

Pour arrêter, d'une part, ce phénomène de désintégration et, d'autre part, pour redéfinir les limites réalistes et justifiées, il est essentiel de rebâtir le champ d'application de la loi et des règlements qui en découlent. Ainsi, l'industrie pourra récupérer ses heures de travail et reprendre son rythme normal d'activité au profit des vrais travailleurs et employeurs de l'industrie de la construction.

Nous visons l'assainissement de notre industrie. C'est un objectif qui exige également que les parties soient libérées de la tutelle gouvernementale qui s'exerce par un pouvoir d'intervention que nous ne pouvons retrouver dans aucune autre législation du travail.

Pour que le dialogue soit efficace au niveau de la négociation, il faut que les parties soient mises en position de remplir leur mandat. Or, du côté syndical, nous voyons des lacunes qui résultent singulièrement de l'absence d'une majorité pour négocier ou encore le manque de maturité pour former une coalition. Nous ne nous attarderons cependant surtout pas à formuler des solutions visant le processus décisionnel.

Nous traiterons du rôle des parties dans l'administration et la surveillance du décret, car encore à ce niveau, avons-nous l'impression d'être ou en tutelle ou étatisés. Revenir en arrière de quelque dix ans pour demander à nouveau que notre système soit rationalisé ne nous paraît pas inutile, car ces dernières années, et plus particulièrement tout récemment, nous avons expérimenté les difficultés qui résultent de tous ces niveaux d'instance.

Nous étudierons finalement la complexité de l'exercice des recours dans la construction, la responsabilité de l'entrepreneur selon l'article 54, la protection que retire l'industrie de la Régie des entreprises de construction, la tutelle du local 144 et le cadre législatif de l'artisan. Nous émettrons, pour conclure, certains commentaires sur le revenu garanti de la FTQ.

Le champ d'application. L'expérience a démontré à tout le moins que le champ de travail ou d'activité qui se devait d'être réservé au monde de la construction est déficient, confus, incomplet et souvent préjudiciable aux intérêts des partenaires actifs dans cette industrie.

La concurrence est vive face à notre industrie et les intérêts sont souvent divergents. N'est-il pas tentant pour l'entreprise textile ou l'entreprise métallurgique de réduire ses coûts en tentant de faire construire ses usines ou de faire installer les équipements qui en sont partie intégrante en dehors de ce système structuré qu'est celui de la construction, avec leurs salariés ou des salariés temporaires, syndiqués ou non, mais qui, de toute façon, en fin de compte, entraînent des obligations moindres pour ces propriétaires-investisseurs et peut-être des coûts inférieurs? Ce type de propriétaires-constructeurs a donc tenté, par tous les moyens, de se soustraire à l'application de la loi et, par conséquent, du décret.

Ce système parallèle est devenu à ce point monnaie courante que, dès 1970, le législateur a décidé d'intervenir en créant une nouvelle institution dans la loi: le commissaire de la construction. Le législateur confiait à ce commissaire le pouvoir de décider de toute difficulté d'interprétation ou d'application des parties de la loi traitant de son champ d'application et obligeait quiconque à déférer audit commissaire toute difficulté.

En voyant ainsi l'inclusion dans la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction, donc dans la structure de notre industrie, une institution appelée "commissaire de la construction", nous avions présumé que ce commissaire, tout en motivant ses décisions sur le texte de la loi et des règlements qui en découlent, avait comme mandat de protéger le champ

d'application de notre loi.

L'expérience a malheureusement démontré que tel ne fut pas le cas et les parties ont assisté à un effritement systématique de leur gagne-pain depuis 1970.

Tous semblent oublier trop souvent que la plupart des décisions du commissaire de la construction ont des incidences de plusieurs milliers et souvent même de millions de dollars quant au coût des travaux exécutés ou à être exécutés, notamment dans le secteur industriel.

Il faut ajouter à cela - c'est là un point très important - que ce secteur de la construction dit "industriel" a souvent servi de terrain à des luttes intersyndicales devant mener à des prises de contrôle de chantier par des individus que nous n'avons plus besoin d'identifier.

L'installation de la machinerie de production constitue le coeur de la construction industrielle. Une usine n'est en réalité qu'un bâtiment contenant de la machinerie devant servir à la production de biens quelconques. Exclure la machinerie de production du champ d'application de la loi, c'est pratiquement exclure le secteur industriel. Cela équivaut à saborder toute cette importante partie de notre système des relations du travail.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que les requêtes en accréditation sont ainsi déposées en vertu du Code du travail. Les dernières, celles du local 144, si elles sont accordées, auraient pour effet de soustraire à notre loi ce secteur d'activité et permettre à certains individus de reprendre le contrôle sur ce type de chantier. Nous ne croyons pas que ce soit là l'objectif des autorités gouvernementales. Nous avons souligné que les brèches faites au champ d'application depuis plusieurs années étaient également dues aux textes mêmes de la loi et des règlements.

À ce niveau, la seule solution consiste donc en l'élaboration de textes modifiés ou de nouveaux textes qui, selon notre expérience, pourraient certainement aplanir de nombreuses difficultés d'interprétation et conduire à une application uniforme de cette partie de notre législation.

Pour la révision des exceptions prévues à l'article 19 de la loi, nous devons nous laisser guider par le principe que la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction représente, pour les travaux exécutés dans cette industrie, un cadre de référence général.

Dans ce sens, nous croyons que pour les travaux qui sont généralement reconnus comme travaux de construction, la règle à suivre est celle de l'intégration au champ d'application. Ainsi, en ce qui concerne les exceptions actuellement reconnues par la loi, voici les changements que nous proposons.

Les exploitations agricoles sont maintenant de véritables entreprises commerciales. Les constructions qui y sont nécessaires ont une envergure nettement plus importante que la grange d'autrefois. Conséquemment, la qualité des bâtiments requiert une expertise en construction, de telle sorte que les exploitations agricoles doivent être intégrées au champ d'application et leur exception doit disparaître. Compte tenu que nous prévoyons que le maintien de l'exception générale couvrant la réparation et l'entretien par les salariés permanents, la portée de ce changement ne devrait affecter que la construction neuve et les modifications d'envergure faites aux exploitations agricoles. Dorénavant, ce serait de la construction.

Une autre exception s'adresse aux travaux de construction de canalisations d'eau, d'égout, de pavage et de trottoirs et à d'autres travaux du même genre exécutés par des salariés des communautés urbaines ou régionales et des corporations municipales. Là encore, nous faisons face à des problèmes d'ordre économique, du moins dans certains cas. Si les employés municipaux représentaient une main-d'oeuvre compétente dans ces domaines - ce dont nous doutons -les coûts de construction de ces travaux devraient être moins élevés, vu que les salaires sont inférieurs. Or, la preuve a souvent été faite que des travaux de construction effectués par des entreprises de construction coûtaient moins cher. Les raisons sont bien simples: main-d'oeuvre plus compétente parce que plus spécialisée, équipement technique adapté aux besoins et expérience face aux difficultés rencontrées dans ce genre de travaux.

La plupart des municipalités ont compris cela puisque la majorité des travaux d'envergure qu'elles ont à effectuer sont confiés à des entrepreneurs professionnels de la construction. Les municipalités conserveraient la capacité de faire avec leurs salariés permanents des travaux de réparation et d'entretien.

Des exceptions sont prévues au champ d'application pour ce qui touche les travaux de construction qui se rattachent directement à l'exploration et à l'exploitation d'une mine et qui sont exécutés par les salariés des entreprises d'exploitation forestière.

Si nous avons dû, dans le cas des trois premières exclusions prévues à l'article 19 de la loi, tenir compte des répercussions économiques possibles qu'entraînerait la disparition de ces exclusions, on ne peut ici faire intervenir ce facteur.

Faute d'une justification claire en faveur de leur maintien et puisque comme pour d'autres, il est loisible aux entreprises minières et forestières pour les travaux de réparation et d'entretien de se prévaloir de l'exception qui est maintenue à cet effet, ces deux exceptions doivent donc être

éliminées.

La majorité des travaux de construction de lignes de transport de force qu'Hydro-Québec a à exécuter sont confiés à l'entreprise privée. Cette politique permet l'existence d'une vingtaine d'entreprises de construction, pour la majorité petites et moyennes, spécialisées dans ce genre de travaux.

Si cette politique ne s'était pas avérée efficace, Hydro-Québec l'aurait certainement déjà abandonnée. Nous parlons ici d'efficacité tant technique qu'économique.

Cette exclusion n'a donc pas sa place au niveau du champ d'application de la loi d'autant plus que rien ne distingue vraiment ce secteur d'activité des autres qui sont entièrement couverts par la loi.

Une autre exclusion s'applique aux travaux de pose ou de montage du verre plat assujettis à un décret; en vertu de la Loi des décrets, elle s'étend à tout le Québec et si le décret couvre à la fois les travaux de fabrication, de pose et de montage.

On sait qu'une décision récente des tribunaux est venue rectifier une partie du problème que nous éprouvions dans ce cas. En effet, après de nombreuses années de procédures légales, une décision de la Cour d'appel est venue dire de façon claire et précise que la pose de gouttières et de revêtement préfabriqué relevait bel et bien de la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction.

Malgré le récent jugement, le problème de dédoublement du champ d'application des décrets du verre plat et de la construction ne s'en trouve pas pour autant résolu. Sur une base objective, on doit admettre que les conditions entourant la pose du verre plat sur les chantiers de construction se comparent tout à fait avec celles entourant la pose d'autres matériaux.

Pour mettre fin à cette situation incohérente et sérieusement ridicule, nous demandons que l'installation à pied d'oeuvre des produits du verre plat soit réintégrée dans la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction.

Enfin, la dernière des exceptions prévues à la loi touche certains travaux exécutés par des organismes, tels les commissions scolaires, les collèges, les hôpitaux, etc.

Cette exclusion est trop large et confuse dans son interprétation. Il y a donc lieu d'en redéfinir la portée. Une vraie définition du salarié permanent s'impose ici.

À remarquer que l'exception serait en partie maintenue dans la loi et permettrait à ses organismes d'exécuter des travaux de réparation et d'entretien avec de véritables salariés permanents. En ce qui touche aux autres travaux prévus à cette exception, rien ne distingue vraiment ces clients potentiels de notre industrie des autres que nous servons déjà.

Justement parce que rien ne les distingue d'autres organismes gouvernementaux ou paragouvernementaux, l'Union des municipalités, en se basant sur cette exception et sur celle que s'est accordée le gouvernement par l'entremise de la Loi sur la fonction publique, a entrepris des démarches dernièrement pour étendre la portée de cette exception. (11 h 30)

II nous apparaît enfin aberrant que le gouvernement nous impose par interventions multiples des conditions de travail desquelles, par le jeu d'un certain nombre d'exceptions, il s'exclut directement ou indirectement.

Le système des relations du travail québécois est basé sur la confrontation des forces patronale et syndicale et cela vaut autant pour les secteurs économiques assujettis au Code du travail que pour le secteur de la construction, assujetti pour sa part à une loi particulière.

C'est là une réalité que les citoyens et leurs élus ont tendance à oublier facilement. Dès qu'un arrêt de travail frappe une industrie ou une entreprise quelque peu en vue, notre société a nettement tendance à crier au scandale et à voir là le signe de relations du travail malades.

Pourtant, la grève et le lock-out ne sont que des manifestations légitimes, quoique extrêmes, des réalités du système conçu par le législateur. Le recours à de tels outils n'est certainement pas significatif de relations du travail harmonieuses, mais il ne veut pas dire non plus que le système est malade. Tout dépend, en fait, du degré de tolérance. Si on ne la tolère pas, pourquoi laisser la grève comme moyen théorique de pression?

Depuis 1968, époque où s'appliquaient à notre industrie le Code du travail et la Loi sur les décrets de convention collective, les relations du travail de la construction ont constamment régressé vers l'étatisation. D'ailleurs, l'amorce des négociations de 1984 n'est-elle pas une nette illustration de la situation? Les syndicats comptaient à ce point sur une intervention gouvernementale que leurs demandes générales, sauf celles de la CSN, n'étaient même pas prêtes à la date prévue d'expiration du décret.

Et que dire de leurs déclarations? On a même entendu à la sortie des studios de Radio-Canada un certain représentant syndical se vanter d'avoir assez de poids et d'influence sur le ministre et le gouvernement pour être assuré d'avoir l'indexation et le SUB dans le décret qui sera imposé.

Donc, à la lumière des expériences malheureuses que les employeurs ont connues depuis la première intervention unilatérale du gouvernement, l'AECQ recommande de modifier la loi en biffant le quatrième alinéa

de l'article 51 i.e. enlever au gouvernement le pouvoir de modifier le décret sans le consentement des parties.

De cette façon, les syndicats et l'association d'employeurs seront en mesure d'exercer pleinement leur rôle de négociateurs selon les règles normales des relations du travail dans un contexte qui tiendra compte des contraintes du marché de la construction, comme c'est le cas pour les autres secteurs industriels de notre économie.

Depuis la création de l'AECQ en 1976, deux négociations ont abouti à la signature de deux conventions collectives, soit celle de 1976 et celle de 1980. Ceci illustre que le monde de la construction, malgré l'ampleur du dossier, a su démontrer qu'il pouvait se comporter en adulte quoi qu'on en pense ou qu'on en dise.

Il faut cependant bien noter ceci: à l'époque où ces deux conventions ont été négociées et signées, il y avait une seule partie représentative du côté patronal alors que, du côté syndical, une des associations représentatives avait également le pouvoir d'accepter et de signer les conventions.

A compter du moment où, le processus de représentativité syndicale étant ce qu'il est, aucune partie syndicale n'a pu obtenir la majorité nécessaire pour représenter l'ensemble des salariés à la table de négociations, les choses se sont compliquées sérieusement. La négociation de cette année illustre d'ailleurs nos propos de façon très nette.

On peut l'expliquer par le fait qu'il est extrêmement difficile pour des parties syndicales représentant des philosophies et des intérêts différents de s'asseoir ensemble, de se comprendre et de s'entendre pour en arriver à des compromis qui pourraient être dans le meilleur intérêt de leurs membres respectifs au moment où ces mêmes parties sortent d'une campagne de maraudage.

Chaque fois qu'une association syndicale, à la suite du maraudage, ne représente pas une majorité de salariés de la construction, il s'instaure un climat et un processus de double négociation: celle qui met en présence les parties syndicales entre elles et celle qui met en présence le monde syndical et le monde patronal.

Cette dernière négociation, qui est évidemment la plus importante parce qu'elle constitue l'objectif fondamental de la loi, a donc très peu de chances de réussite.

L'AECQ croit que le principe même de la libre adhésion d'un salarié à un syndicat ne doit jamais être mis de côté ou oublié et que l'obligation faite au salarié d'adhérer à un syndicat pour avoir droit au travail dans l'industrie de la construction ne doit pas être considérée comme une mesure absolue et permanente. Le retour à un marché libre et non syndiqué ne doit pas être définitivement écarté pour l'un ou l'autre ou l'ensemble des secteurs de la construction.

Toutefois, une chose est certaine: dans un contexte de syndicalisation obligatoire, le salarié doit être libre d'appartenir à l'association syndicale de son choix, qu'elle obtienne une représentativité majoritaire ou non.

À la suite d'un certain nombre de changements à la loi, le droit du salarié de choisir son syndicat nous semble avoir été largement hypothéqué. L'AECQ recommande donc d'amender la loi afin que ne puisse être permis le maintien d'une allégeance syndicale simplement par une abstention du salarié au vote. Ceci aurait d'ailleurs pour effet de stimuler l'intérêt de tous les salariés envers leur syndicat, indiquerait plus sûrement l'appui des salariés aux objectifs diffusés par la campagne de publicité précédant le vote et surtout forcerait les associations syndicales à un minimum de sains efforts en ce domaine.

L'AECQ croit de plus que l'ensemble de ce scrutin universel doit être sous le contrôle d'un organisme neutre et extérieur au syndicat. Nous ne croyons donc pas que l'Office de la construction représente le choix idéal et nous favorisons de plus que le président d'élection soit une personne non impliquée dans l'industrie, tel un arbitre.

L'AECQ est favorable à la liberté d'adhésion syndicale, mais prône une négociation centralisée. Pour les fins de la négociation, nous recommandons que la loi soit modifiée afin de permettre l'identification d'un interlocuteur syndical unique. La loi doit tendre à déterminer laquelle des associations représentatives syndicales est habilitée à négocier.

Sans vouloir imposer un mécanisme particulier, nous croyons que l'ensemble des salariés doit avoir le droit de se prononcer sur le choix du porte-parole. Il est évident que nous faisons une nette distinction entre le droit d'allégeance et ce droit de désigner un négociateur.

La loi sur les relations du travail doit aussi, à notre avis, prévoir directement un vote syndical secret sur l'acceptation ou le rejet d'un projet de convention collective. On doit également y assortir un processus de surveillance du scrutin par un organisme neutre.

À la suite des révélations faites devant la commission Cliche et à la suite des recommandations de celle-ci, les parties furent écartées de l'administration du décret en faveur de l'Office de la construction. Même si, à l'époque, on pouvait croire qu'il s'agissait là d'un changement nécessaire, il faut bien reconnaître qu'il s'agissait en même temps d'une mise en tutelle générale de l'industrie de la construction.

L'Office de la construction est donc un organisme d'exception qui répondait à une situation particulière. Il est temps de revenir

à un régime plus normal, et l'AECQ est d'avis qu'il faut revenir au paritarisme.

Afin de répondre au souhait maintes fois exprimé par les parties d'une participation à l'administration de l'Office de la construction, le ministre du Travail a récemment nommé deux nouveaux membres de l'office dont l'un provenait de la partie syndicale et l'autre de la partie patronale.

Il faut certes se réjouir de cette récente décision du ministre qui marque un pas dans la bonne direction.

Les parties sont extrêmement jalouses du peu de pouvoir qu'on a bien voulu leur laisser par le biais du comité mixte. Aussi, constations-nous avec consternation, à la lecture du projet de loi 27 sanctionné le 20 juin 1983, qu'on avait diminué le pouvoir du comité mixte d'interpréter la convention collective ou le décret. Pourtant, quoi de plus normal qu'un comité paritaire qui interprète une convention collective ou un décret négocié par les parties qui le composent?

Nous croyons donc que le comité mixte doit retrouver son autorité sur l'interprétation de la convention collective ou du décret. En cas de mésentente, nous vous suggérons l'implantation d'une procédure d'arbitrage. Cette procédure disparaîtrait lorsque le tribunal de la construction serait créé.

Finalement, concernant l'autorité qu'exercent les parties sur les avantages sociaux, la loi actuelle stipule seulement que les décisions du comité mixte quant à l'utilisation des fonds de sécurité sociale lient l'office. Cette formule imprécise ne nous satisfait aucunement, d'autant plus que les membres de l'office lui donnent une signification beaucoup trop restreinte. L'AECQ est d'avis que les parties doivent clairement avoir le droit de participer pleinement aux décisions concernant le fonds des avantages sociaux.

Le tribunal de la construction. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on s'inquiète dans notre industrie de la complexité et, partant, de l'accessibilité aux diverses juridictions habiles à assurer la mise en application du décret, des lois et des règlements qui nous régissent.

Déjà en 1974, la commission Cliche affirmait à ce sujet ce qui suit: "La dispersion des recours, jointe à l'éparpillement des juridictions, tend à faire des relations du travail du secteur de la construction un domaine soustrait à l'application de la loi". Depuis, la situation a très peu évolué si ce n'est qu'elle s'est même détériorée. Effectivement, la législation visant notre secteur a continué de nous arriver par pièces détachées, ajoutant à l'enchevêtrement déjà constaté.

Pour ceux qui seraient moins familiers avec le domaine de la construction, nous nous permettrons ici une brève énumération des différents recours auxquels, en théorie du moins, les employeurs et les salariés de notre industrie ont accès.

Il appartient aux tribunaux de droit commun de décider en matière civile du bien-fondé des réclamations de salaires ou des manquements aux clauses financières prévues au décret relatif à l'industrie de la construction. Dans ce cas, les recours sont exercés par l'Office de la construction.

Les mêmes tribunaux, agissant en matière pénale, ont à décider du bien-fondé des plaintes portées pour manquements à la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction, au décret et aux divers règlements adoptés en vertu de cette dernière. Les recours, toujours exercés par l'Office de la construction, visent, entre autres, le règlement sur la formation et la qualification professionnelles et le règlement de placement. De plus, des poursuites peuvent être intentées par le Procureur général lorsque, à la suite d'une plainte déposée selon l'article 121, il est d'avis qu'une infraction à la loi a été commise.

En plus des tribunaux de droit commun, plusieurs autres juridictions exclusives sont instituées par la loi: le commissaire de la construction, l'arbitre de griefs, le président de l'office, l'arbitre des plaintes au ministre, le tribunal du travail, le commissaire au placement et le conseil d'arbitrage. À l'exception des tribunaux de droit commun, tous les autres organismes judiciaires énumérés ont une compétence exclusive et rendent des décisions finales et sans appel, quel que soit le montant du litige.

En 1975, la commission Cliche proposait, afin d'améliorer cette situation, la création d'un tribunal de la construction. L'AECQ demande de nouveau la création de ce tribunal. Avec les pouvoirs que nous suggérons de lui accorder, cela aurait certes pour conséquence une rationalisation de tout l'appareil judiciaire dans l'industrie de la construction. Elle assurerait une jurisprudence constante et suivie et serait une garantie d'une compétence accrue.

De plus, il s'agirait sans aucun doute d'un pas dans la bonne direction en ce qui a trait à l'objectif général du gouvernement d'assurer aux citoyens un accès plus facile aux divers recours qui les concernent.

Responsabilité solidaire de l'employeur professionnel. Une autre contrainte majeure que les employeurs rencontrent dans l'ensemble législatif et réglementaire qui leur est imposé vient de l'article 54 de la loi, lequel se lit comme suit: "Tout employeur professionnel qui passe un marché avec un sous-entrepreneur ou un sous-traitant, directement ou par intermédiaire, est solidairement responsable avec ce sous-entrepreneur ou ce sous-traitant et tout intermédiaire, du paiement du salaire fixé par le décret". Ce n'est pas la première fois

que l'AECQ demande le retrait de cet article. Nous avons maintes raisons pour démontrer qu'il n'a plus sa justification; nous les reprenons dans notre mémoire.

Il nous apparaît utile d'insister sur le fait que, dans la construction, les parties ont mis sur pied, par le biais de la négociation, un système d'indemnisation des salariés qui subissent des pertes de salaire conséquentes à une faillite, à une ordonnance de séquestre, à une cession de biens, à l'émission de chèques sans provisions, etc. Ce système est entièrement financé par les employeurs à raison de 0,02 $ pour chaque heure travaillée par leurs salariés. Ce fonds spécial d'indemnisation fait en sorte que l'article 54 de la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction n'a plus sa raison d'être et c'est pourquoi nous demandons qu'il soit retiré. (11 h 45)

La commission Cliche avait recommandé l'adoption d'une loi régissant la qualification professionnelle des entrepreneurs ainsi qu'une série de dispositions devant assurer à la fois la protection des entrepreneurs et des consommateurs.

Le législateur ayant fait suite à la recommandation en créant la Régie des entreprises de construction du Québec, il y a lieu de se demander aujourd'hui si les objectifs originaux ont été atteints.

Nous avons des raisons de croire que tel n'est pas le cas. D'une part, on constate qu'au 31 mars dernier, près de 5000 entrepreneurs détenant un permis de la RECQ n'étaient pas membres de l'AECQ, et donc ne déclaraient comme employeurs à l'office aucune heure de travail. N'y a-t-il pas lieu de s'interroger sur le statut juridique de ces milliers de constructeurs qui semblent avoir trouvé le moyen de contourner certaines dispositions de la réglementation?

D'autre part, des analyses internes nous ont permis de conclure qu'au minimum 25% des heures travaillées en 1983 ont été effectuées au noir et une proportion alarmante l'a été par de présumés entrepreneurs vraisemblablement ne détenant pas de permis émis par la RECQ. Est-ce là une démonstration du contrôle exercé par l'organisme créé à cette fin?

Il ne faut donc pas se surprendre que, selon Consommation et Corporations Canada, les faillites commerciales déposées dans l'industrie de la construction, de 1978 à 1982, sont passées de 230 à 505, soit une augmentation de 120%.

Le juge Cliche précisait dans son rapport que, dans le cas des faillites, les bons entrepreneurs étaient contraints de payer pour les mauvais et que ces derniers continuaient à exploiter tout le monde. À notre avis, la situation n'est guère améliorée.

Une étude du sous-comité du Comité mixte de l'Office de la construction nous a permis de découvrir récemment des faits pour le moins alarmants.

En effet, une analyse effectuée par l'office de 336 faillites dans lesquelles le fonds d'indemnisation a été appelé à payer les salariés a démontré que dans 305 de ces cas les entreprises concernées ne détenaient pas de permis émis par la Régie des entreprises de construction du Québec au moment de la déclaration de la faillite.

De ce nombre, 100 entrepreneurs avaient déjà détenu un permis que la régie n'avait pas renouvelé ou, dans certains cas, avait annulé. Nous constatons donc que 205 entreprises ayant failli sur 336 n'avaient jamais détenu de permis de la régie malgré que la loi les y obligeait depuis 1976.

Sans s'immiscer dans un dossier où elle n'est pas directement impliquée, l'AECQ demande donc une meilleure coordination des efforts de la RECQ et de l'Office de la construction pour épurer l'industrie.

Nous constatons en outre que la régie a accumulé chaque année des surplus versés au fonds consolidé de la province alors qu'elle n'a pas, de l'avis de tous, les ressources requises pour réaliser pleinement son mandat.

Le local 144. Il va sans dire que nous ne pouvons que nous réjouir à première vue de la récente décision des tuteurs de nettoyer encore une fois le local 144, décision qui apparaissait inévitable en considération des nombreux événements qui avaient entouré "l'équipe Sureau" depuis son élection. Nous prétendons même qu'un tel geste aurait pu se produire bien avant puisque d'innombrables faits avaient été portés à la connaissance des autorités concernées.

Nous devons cependant espérer que la décision prise par la tutelle ne constitue qu'une intervention préliminaire qui sera complétée par la dénonciation formelle des gestes illégaux. Il faudrait en effet que des mesures légales soient prises à l'égard de tous les individus qui ont planifié, encouragé, posé des actions illégales afin de rétablir une fois pour toute la démocratie dans le local.

Toutefois, la solution récemment apportée par les tuteurs ne garantit pas le déroulement "normal" des activités au sein du local 144. En effet, l'ex-gérant d'affaires ne s'est pas caché pour indiquer "que la décision des tuteurs ne faisait qu'ouvrir la porte au pouvoir parallèle qui existait auparavant". Peut-on alors croire que le dossier du local 144 est clos?

De toute façon, le problème va demeurer tant et aussi longtemps que le gouvernement ne voudra pas couper le mal à sa racine. L'AECQ croit qu'il faut interdire les bureaux de placement syndicaux, de telle sorte que les salariés puissent retrouver leur liberté et promouvoir sans danger la démocratie dans leur structure.

L'artisan. L'industrie de la construction assiste depuis quelque temps à une prolifération d'artisans souvent transformés en entrepreneurs spécialisés travaillant toujours sans salariés. Il est donc évident que le statut légal accordé à l'artisan en 1979 a donné naissance à une situation dans laquelle tout contrôle réel est impossible.

Cependant, l'AECQ est convaincue que la raison première de l'ampleur du phénomène artisan est les coûts prohibitifs de la main-d'oeuvre conséquents au décret et aux multiples règlements qui régissent les relations employeurs-employés. Conséquem-ment, toute modification au statut actuel de l'artisan doit tenir compte de la question primordiale des coûts de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction et de la capacité qu'a l'économie québécoise de les absorber.

Le revenu garanti. L'AECQ, nous l'avons déjà dit, ne s'est pas présentée devant cette commission pour négocier le prochain décret. Cependant, ayant constaté que la FTQ-Construction, dans le mémoire qu'elle entend vous présenter - mémoire qui, nous ne pouvons nous empêcher de le souligner, contient beaucoup plus d'insinuations malveillantes envers des individus que des solutions concrètes aux problèmes de l'industrie - fait grand cas de son programme de revenu garanti, nous avons cru nécessaire de préciser notre position à ce sujet.

La FTQ-Construction propose un programme à l'intérieur duquel un salarié de la construction recevrait 150 $ par semaine (1983) pour chaque semaine au cours de laquelle il serait admissible à des prestations d'assurance-chômage. Ces prestations seraient tirées d'un fonds constitué des cotisations minimales de 1 $ l'heure travaillée payées uniquement par les employeurs.

L'industrie de la construction est un secteur d'activité économique fort particulier; tout le monde s'entend là-dessus. Bien que le programme de sécurité du revenu proposé par la FTQ-Construction s'inspire, nous n'en doutons pas, de motifs très nobles, un tel programme dans notre industrie aurait des effets vicieux et pervers tels que quiconque s'intéresse réellement au mieux-être de l'industrie rejettera ce projet du revers de la main.

Une étude préparée par la firme Econosult, du groupe Lavalin, sur l'impact d'un tel programme dans l'industrie de la construction au Québec, révèle que les coûts de main-d'oeuvre des employeurs de la construction seraient augmentés de 7% à la suite de l'introduction du programme proposé par la FTQ-Construction. Les divers avantages sociaux payés dans l'industrie représentent déjà de 20% à 25% des salaires, sans parler des cotisations imposées par la CSST.

Les coûts de main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction au Québec sont déjà beaucoup trop élevés et le projet syndical alourdirait davantage la facture, provoquant un déplacement d'heures travaillées vers le marché noir, premier effet d'un projet visant justement à protéger le revenu des travailleurs. Qui plus est, un tel programme, puisqu'il permettrait aux travailleurs en chômage d'y rester encore plus longtemps, aurait un effet multiplicateur sur le travail au noir, puisque les travailleurs auraient la possibilité d'occuper ainsi leurs loisirs, par ailleurs fort généreusement compensés.

De toute façon, un programme de sécurité du revenu tel celui proposé aurait un effet démotivant certain sur les travailleurs quant à leur propension à retourner au travail au cours d'une période de chômage. Qui, en effet, serait intéressé à retourner travailler alors qu'il touche jusqu'à 92% de son salaire à ne rien faire?

Depuis 1972, le taux de salaire moyen du travailleur de la construction a largement dépassé le taux d'inflation. Les syndicats ont justifié cette différence par le caractère saisonnier du travail dans l'industrie de la construction et l'AECQ évalue ce gain net, depuis 1972, à 3,99 $ l'heure.

L'étude que nous avons commandée à la firme Econosult est, à cet égard, sans équivoque. Il serait profondément injuste et parfaitement indécent de demander aux employeurs de financer en double un régime de sécurité du revenu qui, d'une certaine manière, existe déjà dans l'industrie de la construction, surtout que les effets de ce régime seraient néfastes au point d'aller directement à l'encontre des intérêts des travailleurs.

M. le Président, MM. les membres de la commission, en conclusion, le travail que nous avons effectué pour préparer notre volumineux mémoire démontre à quel point nous sommes intéressés à trouver des solutions aux problèmes de la construction et à assurer qu'à l'avenir nous puissions fonctionner dans un système sain de relations du travail. Avant de nous présenter devant cette commission parlementaire, nous n'avons évidemment pas pris connaissance de l'ensemble des mémoires des organismes syndicaux de la construction. Le fait de présenter notre mémoire en début de commission nous empêche de pouvoir répliquer, à moins que ce droit ne nous soit accordé.

Certains, nous en sommes convaincus, vous proposeront de vraies solutions aux problèmes tels qu'analysés par eux; chacune des propositions méritera votre attention. Malheureusement - nous le savons - certains utiliseront les micros de cette commission pour éclabousser à tort des organismes ou des individus. Nous n'en sommes pas surpris.

Depuis quelques mois, en effet, ils auront été beaucoup plus volubiles par leur salissage que par des propositions de solutions aux problèmes. Nous reconnaissons en bonne partie dans les dix premières pages du mémoire de la FTQ les propos d'une lettre qu'un certain porte-parole a signée récemment.

Certains jugements fantaisistes et personnels sur les. faits et gestes de l'AECQ et ses porte-parole et certains discours disgracieux et inutiles peuvent être supportés en privé en tenant compte de celui qui les dit, mais il n'en est pas ainsi en commission parlementaire.

Cependant, il faut tenir compte que cet "exposé" - entre guillemets - fait partie de leur stratégie pour discréditer l'AECQ, son président, son directeur général, son conseil d'administration et ses membres. Il contient des faussetés, des impolitesses et des interprétations vulgaires qui sont à la mesure de celui qui les a écrites.

Nous ne pouvons que déplorer ce manque d'intelligence de la part du rédacteur du mémoire de la FTQ et nous sommes convaincus que vous ferez la part des choses et pour répéter un extrait de ce mémoire, nous disons que "le ministre ne sera pas naïf au point..." de les croire.

Quant à nous de l'AECQ, nous sommes convaincus que les membres de cette commission sauront tous retenir des différents mémoires les solutions positives relatives à nos problèmes dans la construction. Merci.

Le Président (M. Fortier): M. Fava, on doit vous féliciter pour ce marathon d'une heure et demie pour la lecture de votre mémoire qui nous laisse sur notre appétit. Vous nous avez présenté un menu très long de différents problèmes et différentes solutions. J'aurais seulement une miniquestion à vous poser avant de donner la parole au ministre. Vous avez fait écho d'un rapport préparé par Econosult. Ce rapport est-il disponible?

M. Fava: II fait partie de...

Le Président (M. Fortier): II est dans un des documents que vous nous avez remis?

M. Fava: II fait partie intégrante des documents d'appui, M. le Président.

Le Président (M. Fortier): Merci. M. le ministre.

M. Frechette: Merci, M. le Président. Évidemment, je m'associe à vous, M. le Président, à la suite de la lecture du mémoire présenté par M. Fava, pour féliciter l'Association des entrepreneurs en construction du Québec. M. Fava soulignait au début de son intervention qu'il avait fallu beaucoup de temps pour préparer cette documentation. Il est revenu là-dessus lors de la conclusion de son mémoire. Le seul matériel que vous nous avez fourni est déjà suffisamment éloquent en soi pour être d'accord, au moins là-dessus, sur l'ensemble du mémoire. Vous comprendrez que je blague un peu.

Comme le président le signale également, vous avez à toutes fins utiles fait le tour de l'ensemble des situations qui font problème, suivant, évidemment, l'évaluation que votre organisme a faite. Je crois devoir signaler dès maintenant - parce que la lecture des autres mémoires a été faite et par la connaissance qu'on a également du milieu - qu'au moins au niveau des problèmes, vous rejoignez essentiellement la plupart des intervenants que nous avons déjà entendus dans d'autres lieux ou alors que nous avons eu l'occasion de lire par les mémoires qu'ils ont déposés. Donc, quant à l'identification de certains problèmes ou de situations qui sont plus qu'irritantes, mais qui doivent être corrigées, déjà, on peut conclure, même si on ne fait que commencer, que les parties se rejoignent à bien des égards.

Évidemment, les divergences d'opinions sur certains de ces problèmes sont faciles à identifier aussi quant à la solution qui doit être apportée, mais on est ici précisément pour cela. On est ici précisément pour essayer de voir ensemble quels sont les consensus qui peuvent se dégager ou les moyens d'action qui peuvent se dégager et qui feraient qu'ils retiendraient l'accord du plus grand nombre de parties. (12 heures)

II y a une première observation très courte, quant à moi, à la suite de laquelle je vous demanderai un renseignement et sur lequelle je n'insisterai pas. Vous ne donnerez ce renseignement que si vous le souhaitez, je n'insiste pas plus qu'il ne faut et c'est pour mon information, l'information des membres de la commission et de tous les gens qui sont ici. Au début de votre mémoire vous nous avez évidemment présenté votre association, ce qu'elle était, le statut juridique qui lui est conféré, son mandat très précis quant au chapitre des relations du travail. Vous avez également indiqué, M. Fava, que son statut actuel ne répondrait plus aux exigences du mandat qui est le sien. Vous avez, ne serait-ce qu'indirectement, laissé entendre assez clairement que cette situation est génératrice en soi de certaines difficultés. Finalement, vous indiquez que vous souhaiteriez voir le ou les statuts de votre association modifiés ou amendés. Je vous signale dès maintenant que dès lors qu'une proposition en ce sens sera soumise et qu'il ressortira clairement que cette proposition procède du voeu majoritaire des

membres de votre association, étant donné que ce n'est qu'elle qui est concernée, je ne vois pas pourquoi on ne retiendrait pas les suggestions qui seraient faites en ce sens-là. La seule petite question que je veux vous poser - encore une fois, je n'insisterai pas pour une réponse si vous croyez utile de ne pas la donner maintenant - est celle-ci: Pouvez-vous brièvement nous résumer ce qui peut faire problème actuellement et dans quel sens devrait-on penser à une nouvelle orientation ou à un nouveau statut de votre association pour faire en sorte que ces difficultés soient sinon totalement disparues, du moins aplanies?

M. Fava: Loin de ne pas vouloir répondre à la question, j'apprécie cette question parce que, effectivement, comme il est mentionné dans notre mémoire, depuis déjà 1978 nos membres s'étaient penchés sur des statuts de régie interne révisés qu'on avait soumis au ministre de l'époque et qui n'ont, à toutes fins utiles, jamais été adoptés.

Comme vous le savez, pour modifier nos règlements internes, cela doit nécessairement passer par arrêté en conseil. On n'a donc pas le loisir, comme toute corporation, de modifier nos règlements de régie interne sans l'intervention gouvernementale au moins au niveau du cabinet.

Quand on parle de modifications a nos statuts, je peux vous donner quelques exemples complètement farfelus. Je dois vous dire que depuis presque la création de l'AECQ, notre siège social est situé à ville d'Anjou alors que nos statuts prévoient qu'il doit être situé dans la ville de Montréal. Même au niveau de notre siège social on est, par rapport à nos statuts, dans une situation plus ou moins légale. Vous allez me dire que ce n'est quand même pas un problème énorme mais il reste que notre siège social se trouve dans une ville autre que celle prévue à nos statuts et règlements.

Je dois vous dire également que certaines difficultés nous sont créées par le fait que notre exercice financier, par exemple, ne coïncide pas avec celui de l'Office de la construction. Donc, cela implique que chaque fois que des statistiques sortent de l'office, on doit les adapter à notre année fiscale, ce qui crée un paquet de problèmes encore.

Il y a évidemment une gamme de problèmes semblables qui sont bien mineurs dans certains cas mais qu'on voudrait effectivement voir corrigés. Comme je vous le disais, il y a déjà un projet qui nécessiterait probablement aujourd'hui d'être revu, qui a été approuvé à 88% par nos membres en assemblée générale, qui a été déposé au bureau du ministre de l'époque, en 1978, et auquel il n'y a jamais eu de suite.

C'est pour cela qu'on appréciait énormément l'ouverture que vous nous faisiez face à cette situation-là.

M. Fréchette: Je n'insiste pas davantage, M. Fava, sauf peut-être pour vous dire essentiellement deux choses. Dans l'énumération des difficultés auxquelles vous référez, que vous venez de faire, il semble que par le sens commun des choses il y ait un certain nombre de corrections qui vont de soi.

M. Fava: En fait, on va se parler franchement. Je pense que vous faites référence aux procédures de vote à l'AECQ.

M. Fréchette: Vous procédez par présomption, je ne contesterai pas votre conclusion.

M. Fava: On pourrait tout simplement relever les débats de l'Assemblée nationale, je pense, et on trouverait le problème.

M. Fréchette: Oui. L'autre aspect de la question qui demande un peu plus de réflexion, c'est que, s'il s'agit pour vous autres de modifier des orientations de fond, là, évidemment, je veux revenir avec insistance sur la remarque que je vous faisais tout à l'heure et sur la nécessité que ces changements procèdent de la volonté de la majorité de vos membres.

M. Fava: Effectivement. Comme vous l'avez bien compris, M. Fréchette, il ne s'agit pas d'élargir, législativement parlant, notre mandat; on parle strictement de règlement de régie interne qui, quant à nous, nous semble tout à fait normal. Je ne vois pas pourquoi on a refusé de donner suite aux amendements qu'on avait déposés qui, comme je vous le disais, ont été acceptés par nos membres en assemblée générale à 88%.

M. Fréchette: Cela va pour cet aspect de la question, quant à moi. Je pense que, comme c'est une situation qui ne concerne que votre groupe, on ne reviendra pas là-dessus tout au cours de nos travaux. Remarquez également que je ne vais pas entreprendre de commenter maintenant tous et chacun des chapitres que vous avez soulevés.

Un autre sujet auquel vous avez consacré une bonne partie de votre mémoire et qui, lui aussi, revient dans l'ensemble des mémoires, qui n'est par ailleurs pas nouveau, mais qui semble être un voeu de toutes les parties, tant patronale que syndicale, est celui de la création d'un tribunal de la construction. Il y a beaucoup de gens, et parmi ceux-là, bien sûr, des législateurs, pour qui la décision de procéder à la création d'un nouvel organisme répugne totalement en

soi. Cela peut procéder de motifs valables. Cependant, lorsque l'on suggère la création d'un organisme qui, lorsque mis en place, en remplacerait cinq, six, huit, dix, il me semble que l'on procède à rationaliser une situation.

C'est un peu le cas qui nous concerne. Vous avez dans votre mémoire fait référence effectivement à toutes les instances à travers lesquelles les litiges sont soumis, à partir du tribunal de droit commun, Cour supérieure, Cour d'appel, Cour suprême, jusqu'au commissaire de la construction, jusqu'à l'arbitre, enfin. Alors, vous suggérez donc la formation de ce tribunal de la construction.

Il y a une association syndicale qui, dans son mémoire, non seulement suggère la création d'un semblable organisme, mais établit très clairement comment il devrait fonctionner, établit très clairement quelle devrait être sa juridiction et retient que ce pourrait être une chambre spéciale de la Cour provinciale, par exemple. On en a déjà parlé ensemble assez souvent. Je pense que sur le principe, finalement, tout le monde va finir par s'entendre qu'il faut arrêter cette espèce d'éparpillement de toutes les juridictions de sorte que dans bien des circonstances une chatte ne retrouverait pas ses petits.

Le problème qui existe, enfin, dans l'esprit de ceux qui jusqu'à maintenant ont regardé ce dossier de près, c'est un problème d'ordre, mon Dieu, entre guillemets et surtout retenez que je ne veux pas partir de discussion là-dessus, "constitutionnel". Je prends un seul exemple pour illustrer ma pensée. Actuellement lorsqu'une réclamation de salaire, par exemple, est présentée devant un tribunal, elle l'est devant un tribunal de droit commun et le tribunal qui a la juridiction pour l'entendre conformément au montant qui est réclamé, 15 000 $ et moins depuis les amendements, en Cour provinciale, 15 000 $ et plus, Cour supérieure et appel possible, et ainsi de suite.

Si la décision était prise de créer un tribunal de la construction pour entendre tous les litiges qui en procèdent, comment disposerait-on d'une réclamation en salaire, par exemple, de 25 000 $? Je vous pose la question comme ça. Je ne m'attends pas, non plus, à une réponse tout à fait tranchée, claire et précise là-dessus, mais ne serait-ce que pour le soumettre à votre réflexion, il me semble que c'est une question importante qu'il faut se poser et je ne sais pas, M. Fava, si vous avez des commentaires à faire à cet égard.

Le Président (M. Fortier): M. Fava.

M. Fava: M. Frechette, vous avez raison. Nous, dans notre mémoire, on suggère, par exemple, que ce tribunal pourrait être une division du Tribunal du travail qui existe déjà. Donc, peut-être qu'à ce niveau nous divergeons d'opinion par rapport à certains autres organismes.

On croit qu'à l'exception de toutes les réclamations d'ordre financier où les juridictions sont quand même très bien définies par rapport aux tribunaux de droit commun, tout le reste pourrait facilement être envoyé à une division du Tribunal du travail. Remarquez que je ne suis pas un expert constitutionnel, et Dieu sait que je ne veux pas m'embarquer dans ce débat non plus; je ne veux pas parler de nos problèmes de constitution, ce sont nos problèmes de construction qui m'intéressent pour l'instant. C'est sûr que ce sont des difficultés sur lesquelles on devra probablement se pencher, mais au moins sur le principe, je pense qu'on est tous d'accord que c'est une voie qu'on devrait exploiter davantage pour tenter de régler ces problèmes.

M. Frechette: Je vous remercie de vos observations, M. Fava. Effectivement, c'est ce genre de question qu'on est en train de se poser actuellement puisque plus on avance dans le dossier, plus on constate l'état ou les revendications des parties, plus on se rend compte que le voeu est en train de devenir une espèce d'unanimité et plus on se rend compte également que, de toute évidence, il va falloir finir par rapatrier quelque part toutes les juridictions qui sont actuellement éparpillées de la façon qu'on le sait.

M. le Président, quant au reste, il y aurait évidemment des discussions intéressantes qui pourraient se continuer. Je ne veux pas empiéter sur le temps que mes collègues veulent consacrer à la discussion, mais, s'il en restait à la toute fin, je reviendrais sur certains autres sujets. En attendant, je vous réitère mes remerciements.

Le Président (M. Fortier): Merci. M. le député de Portneuf.

M. Pagé: Merci, M. le Président. Je voudrais également remercier M. Fava, M. Dion et les autres représentants de l'Association des entrepreneurs en construction du Québec pour les documents qu'ils ont déposés auprès du Secrétariat des commissions et qui nous ont été transmis au milieu de la semaine dernière, lesquels ont été résumés ce matin par M. le président de l'association. Je dois vous dire tout d'abord qu'ils sont très intéressants et je suis persuadé que plusieurs des éléments qu'ils contiennent seront de nature à susciter et faire avancer la réflexion des législateurs, et ce des deux côtés de la Chambre, dans une perspective de modification éventuelle à différentes lois qui vous concernent. Entre autres, pour ne pas revenir sur ce que M. le

ministre a souligné, que ce soit le tribunal de la construction, que ce soit l'enchevêtrement des dispositions réglementaires et législatives, il va de soi que nous y sommes bien sensibles et qu'on poursuit sensiblement les mêmes objectifs, finalement, que ceux de votre association.

J'aurai quelques questions que je voudrais les plus brèves possible, mais qui nécessiteront des commentaires, évidemment. Vous définissez ce que vous appelez "une maladie" au début de votre mémoire, vous établissez un diagnostic et vous indiquez, finalement, qu'un des éléments-problèmes de la construction actuellement, c'est le coût de la construction et notamment le coût de la main-d'oeuvre. Vous étayez votre argumentation par plusieurs points dont un que vous avez touché de façon assez spécifique. Cela m'a surpris et ça m'intéresse, soit dit en passant.

Vous vous référez plus particulièrement au secteur résidentiel où vous indiquez que le coût prévu au décret, soit un salaire moyen de 17,53 $ l'heure, est un coût effectivement chargé puisqu'il y a les frais connexes et les différentes contributions, ce qui fait environ 21,47 $ l'heure. Vous vous interrogez, comme plusieurs parlementaires à cette table, sur la possibilité pour un travailleur ou une travailleuse, un consommateur qui gagne un revenu de 10 $, 12 $ ou 14 $ l'heure, sur sa capacité de payer un niveau de rémunération à 21,47 $ pour la construction d'une résidence. (12 h 15)

Vous avez évoqué aussi les problèmes de juridiction de métiers, entre autres, dans la construction résidentielle. Vous avez donné de bons exemples. Parfois, à cause de la spécificité des métiers, il devient nécessaire et obligatoire pour un entrepreneur d'avoir recours à tel type d'employé spécialisé, par exemple, un carreleur qui doit travailler pendant quelques heures seulement dans une résidence unifamiliale. Vous vous êtes référé à l'application du règlement de placement dans ce cas-là. Vous vous êtes référé aux problèmes que vous connaissiez qui étaient plus spécifiques à ce type d'industrie. Devons-nous comprendre que les propositions que vous formulez ce matin, si elles étaient appliquées en tout ou en partie, seraient susceptibles d'amener une diminution ou tout au moins un coût moins élevé dans le domaine résidentiel? À la lecture de vos documents en fin de semaine, à certaines pages, je me demandais personnellement si vous n'alliez pas vers une proposition qui pourrait vouloir dire à peu près ceci: que le secteur résidentiel à propriétaire unique - je ne parle pas évidemment du promoteur qui construit 50 maisons en rangée, mais je croyais que vous vous dirigiez en termes de proposition vers un régime particulier, spécifique au secteur résidentiel à propriétaire unique.

Ma question est bien simple: Comment en arriver dans ce secteur... Premièrement, vous avez pointé particulièrement du doigt dans le secteur résidentiel une telle diminution des niveaux de rémunération ou une diminution des coûts pour le consommateur; deuxièmement, comme association, vous demandez que soit élargi le champ d'application du décret. C'est donc dire que si on donnait suite à vos demandes en vertu desquelles les équipements de production en industrie seraient couverts par le décret, les travaux d'Hydro-Québec, les travaux gouvernementaux, les travaux municipaux, etc., il va de soi qu'un volume accru et très important s'ajouterait au nombre d'heures travaillées dans la construction par des entreprises comme celles de vos membres. Devons-nous comprendre que vous seriez disposés à demander ou à accepter des propositions pour un régime particulier dans la construction -des constructions résidentielles à propriétaire unique - et que le vide que cela pourrait créer en termes de volume pour vos membres pourrait être comblé par des modifications au champ d'application du décret?

M. Fava: Bon! D'abord, M. Pagé, je dois vous dire qu'effectivement, quand on compare le coût horaire moyen d'une heure de travail dans l'industrie avec le salaire moyen payé généralement dans toutes les industries au Québec, on parle de 9,61 $ l'heure, qui est le salaire moyen global, par rapport à 21,47 $, qui est notre coût horaire moyen. Vous voyez que déjà là on part de quelque chose qui va du simple au double. Ce n'est pas strictement 10%, 15% ou 20% de plus. Deuxièmement, effectivement, à la lecture de notre mémoire, vous voyez qu'on arrête assez brusquement quand on touche à des sujets qui, quant à nous, relèvent de la négociation proprement dite. C'est pourquoi le cheminement qu'on a pris dans notre mémoire traite de la réduction des coûts, oui, mais en ce qui a trait au fardeau réglementaire et législatif qui nous régit. Effectivement, l'approche que vous voyez dans notre mémoire est une approche qui vise à la réduction des coûts par la rationalisation de la réglementation.

Quant à l'autre partie, la réduction des coûts par rapport à un secteur donné, par rapport aux taux et tout le reste, nous croyons effectivement que c'est un sujet de négociation qu'on a volontairement omis de traiter dans notre mémoire, sauf, évidemment, dans les grandes lignes pour donner l'ampleur des problèmes qu'on a.

Effectivement, vous vous doutez bien que dans le secteur résidentiel on a des demandes qui sont tout à fait particulières à la table de négociation et qui vont traiter

des autres questions que vous soulevez. Donc, le coût horaire moyen d'une heure de travail dans le secteur résidentiel... Pour nous, il y a des demandes qui sont particulières à ce secteur quant au taux de salaire payé. Évidemment, touchant également la polyvalence des métiers dans le secteur résidentiel plus particulièrement, on va chercher du travail et avec plus ou moins d'encadrement législatif en termes de menus travaux. Je vous souligne que dans notre mémoire, on ne parle pas de travaux faits traditionnellement par des corps de métier. C'est en fait une confirmation d'une réalité. Cela se fait déjà sur les chantiers du résidentiel. Je vous donnais un exemple dans notre mémoire, si vous l'avez lu d'un bout à l'autre, de la hotte de cuisine qui nécessite l'interventin de six métiers différents pour être posée. Il y a des limites à l'absurdité quant à nous. On est rendu, à l'heure actuelle, au point que pour poser une tige de fer dans un coffrage pour un perron de porte, il faut faire entrer un homme de métier pour foutre deux tiges de fer dans un coffrage de béton.

Effectivement, on parle bien de menus travaux et, comme on dit dans notre mémoire qui est devant vous, on parle de notion de travaux temporaires, occasionnels et non pas d'un travail continu qui pourrait... On parle aussi des métiers généraux. On ne va pas toucher à des corps de métier, comme on dit dans notre mémoire, comme l'électricité ou la tuyauterie où on pense que cela nécessite une spécialisation. Pour nous l'approche est logique. Comme vous voyez dans notre mémoire, on parle de réduction de coûts et, une fois les coûts réduits, on parle de récupérer notre champ d'application. Et, M. Pagé, vous le savez, le champ d'application de la loi est en train de s'effriter d'année en année. Dans une large mesure, on tente strictement de récupérer ce qu'on a perdu depuis une dizaine d'années par différentes lois et par différentes exceptions qui ont été introduites dans la loi.

M. Pagé: On pourra y revenir sur une question spécifique. Mais dois-je comprendre, à votre réponse, que vous êtes sensibles à une spécificité du secteur résidentiel, mais que vous ne pouvez aller, à ce moment-ci, jusqu'à émettre des commentaires, négatifs ou positifs, sur la possibilité que le secteur résidentiel à propriétaire unique soit administré par un régime particulier?

M. Fava: M. Pagé, je ne veux pas faire du droit constitutionnel ici, mais effectivement on vise à un régime particulier pour le secteur résidentiel.

M. Pagé: Merci. Vous évoquez, entre autres pour le secteur résidentiel, la difficulté de l'application du décret. Vous donnez l'exemple qu'il faudrait faire référence à cinq ou six métiers différents pour changer une hotte de poêle. Comment concilier cette affirmation avec la demande que vous formulez en ce qui concerne le champ d'application du décret quand vous dites: Il faudrait inclure le verre plat, la pose, l'installation, dans le décret de la construction, alors qu'on sait pertinemment que les dispositions actuelles du décret qui régit ce secteur de l'industrie... Exemple: lorsqu'une personne décide de changer sa porte de 36 pouces en une porte patio, il peut faire changer cela par un installateur, et bien souvent c'est un installateur qui travaille pour une entreprise qui produit ce bien. Si c'était inclus dans le décret tel que vous le formulez - actuellement, cela prend un homme qui vient poser la fameuse porte en question - mais si c'était dans le décret, il faudrait un menuisier, très probablement un briqueleur, cela prendrait très probablement aussi un tireur de joints à l'intérieur. Là il en faudrait quatre. Moi je me dis: Comment concilier cette affirmation, qui est probablement justifiée à cause des problèmes que cela rencontre dans le résidentiel, avec la demande que vous avez formulée à un autre chapitre sur l'application du décret spécifiquement dans le verre plat?

M. Fava: Cela peut vous sembler contradictoire si vous regardez de façon compartimentée chaque demande qu'on fait. Nous, ce qu'on fait, l'approche qu'on a prise, M. Pagé, c'est une approche globale qui vise d'abord à la réduction des coûts. Et je suis d'accord avec vous: Si les coûts ne baissent pas, je pense qu'il faut faire attention au champ d'application de la loi, puisqu'on risque d'aller augmenter les coûts dans des secteurs où à l'heure actuelle cela se fait encore à des coûts assez abordables. C'est pour cela qu'on vous dit que tout cela pour nous est relié. On n'a pas voulu, on a insisté pour avoir une commission parlementaire pour régler tout l'encadrement réglementaire et législatif pour nous donner cette souplesse dont on a besoin à la table des négociations pour régler la convention collective. Pour nous tout cela est relié ensemble. Je sais bien, je me fie à la déclaration que le ministre a faite au début de la commission: on ne s'attend pas de façon bien réaliste que le cadre réglementaire soit modifié du jour au lendemain. Mais on espère bien aussi que dans un avenir prochain, il y a des choses qui vont changer dans l'industrie au niveau de ce cadre réglementaire pour amener des coûts à des niveaux plus abordables.

Il est évident que, si vous regardez strictement notre demande au niveau du champ d'application et que vous ne tenez pas compte de nos autres demandes qui touchent la réduction des coûts par la législation et par la réglementation et qui touchent aussi

la négociation - vous savez qu'on a un mandat assez connu, d'ailleurs, à l'heure actuelle, dans la convention collective, en termes financiers - pour nous, tout cela mis ensemble va faire en sorte qu'on va retrouver l'industrie de la construction avec la vigueur qu'on a connue il y a quelques années.

M. Pagé: Vous abordez un peu plus loin dans le document avec beaucoup d'emphase -c'est légitime, parce que c'est un mal qui n'est vraiment pas nécessaire - toute la question du travail au noir. J'ai l'impression, d'ailleurs, que la majorité des intervenants va porter à la connaissance des membres de la commission cet aspect du problème de la construction qui n'est pas le moindre et qui n'est certainement pas négligeable. Vous citez des chiffres; entre autres, vous évaluez que 255 000 000 $ de la masse salariale de la construction seraient allés au travail au noir. Vous formulez certaines propositions. Vous soutenez, évidemment, comme tout le monde, qu'il doit être aboli sinon réduit substantiellement, parce que ce sont des règles du jeu différentes des règles normales. Tout le monde est unanime à retenir que, lorsqu'il y a du travail au noir, celui qui s'y adonne ne contribue pas à la société comme il devrait le faire, en termes de contributions fiscales, assurances, etc. Ce travailleur n'a pas les avantages que les autres travailleurs sont en droit d'avoir normalement. Finalement, cela fait mal à tout le monde, ou à peu près à tout le monde, avec l'absence de sécurité, etc.

Vous évoquez plusieurs moyens, plusieurs avenues pour éliminer le plus possible le travail au noir. Vous vous référez, entre autres, au règlement de placement -là-dessus, on ne fera pas de commentaire, parce que le ministre et moi risquerions de ne pas nous entendre ce matin - et vous évoquez le fait que le travail au noir ne serait pas attribuable uniquement au règlement de placement, à ce que des milliers de travailleurs ont perdu le droit au travail, mais que cet élément jouerait dans le volume d'heures travaillées au noir.

Deux questions. La première: Comment définissez-vous - vous avez fait des études, vous avez analysé un paquet de choses, c'est vrai, c'est intéressant - ou comment pouvez-vous évaluer le rôle joué ou le nombre d'heures effectuées par les artisans dans le travail au noir? On sait que les dispositions de la loi 109 ou 110 prévoyaient que le travailleur possédant un certificat de qualification peut aller à la Régie des entreprises de construction pour travailler et peut contribuer jusqu'à 40 heures par semaine à l'OCQ. Comment situez-vous l'artisan par rapport au travail au noir? Est-ce que vous avez fait des études, des analyses à ce sujet? Quelles sont vos conclusions? Quelles sont vos recommandations?

L'autre aspect que je voudrais aborder avec vous, c'est la question du placement. Vous dites que le certificat de classification doit être aboli. On doit s'appuyer sur la qualification, tant pour les apprentis que pour les compagnons. Vous dites en même temps qu'il ne faut surtout pas toucher au placement syndical, même si ce sont des agences de placement. Comment se fait le placement?

M. Fava: Écoutez, je pense qu'il y a plusieurs volets à votre question. En principe, c'est la même réponse. Comment évaluer l'incidence, ou comment rattacher à la notion d'artisan un certain pourcentage des heures travaillées? En fait, la façon dont on a procédé, si vous regardez notre mémoire, la brique - c'est le problème quand on résume des choses - c'est qu'on a suivi une espèce d'ordre chronologique en termes d'époques. Notre étude sur le marché noir a été faite par étapes, c'est-à-dire qu'on est arrivé à identifier ce qui était, à notre avis, les causes du marché noir, ou ce qui a encouragé le marché noir. On a vu, on a tenté de voir comment cela se reflétait sur les heures travaillées, de sorte qu'on est parti de 1978. On a comparé, par exemple, les chiffres de 1971 à 1978 et, en 1978, on a repéré un mouvement. On a cherché ce qui est arrivé de nouveau dans l'industrie en 1978: règlement de placement. On y a donc vu une incidence. Quelque temps après, on a vu arriver l'artisan dans l'industrie de la construction. Encore là, on a constaté une baisse de quelque 200 000 000 $ avec l'arrivée de l'artisan. Chronologiquement, on a pu pointer chaque moment où il survenait un changement quelconque dans le cadre réglementaire de l'industrie; on a vu l'effet que cela a eu sur les heures travaillées. D'ailleurs, notre mémoire est rédigé de cette façon. (12 h 30)

On dit également dans notre mémoire qu'on n'a pas tenu compte du marché noir traditionnel. On a strictement mesuré la croissance de ce phénomène. On s'est dit: Le coin de la galerie a toujours été fait en dessous de la couverte et probablement qu'il le sera toujours. On n'a donc pas tenu compte de cela dans notre évaluation. On a donné le bénéfice du doute. On a également donné le bénéfice du doute à l'artisan lorsqu'il est arrivé dans le portrait et on s'est dit: On présume que toutes les heures travaillées par l'artisan le sont légalement. Encore là, il faut faire attention, M. Pagé, puisque l'artisan c'est un phénomène qui est reconnu dans la loi. On ne peut pas nécessairement rattacher toutes les heures travaillées au noir à l'artisan comme tel. Du travail légal se fait là aussi dans le cadre

réglementaire législatif, sauf que, lorsqu'on met tout cela ensemble - je pense qu'il est vraiment là le problème - il ne faut pas chercher une seule cause au travail au noir. Dans le travail au noir, premièrement, je pense qu'il y a des coûts excessifs à payer dans l'industrie de la construction. Il y a la situation économique aussi qui est là et qui joue son rôle. Il y a aussi le règlement de placement. Lorsqu'on prend 32 000 travailleurs et qu'on les jette dehors de l'industrie, souvent ce sont des travailleurs qualifiés avec des cartes de compétence dans leur poche, il ne faut pas s'attendre que ces individus restent assis chez eux sur les fesses et qu'ils ne bougent pas.

Déjà, en éliminant 32 000 travailleurs, on a vu le résultat. Il y a 5000 permis qui ont été délivrés par la régie quasiment en relation directe pour reconnaître des entrepreneurs spécialisés n'ayant jamais eu de travailleurs et qui n'en auront probablement jamais à leur service. Il y a un certain nombre de ces travailleurs qui, du jour au lendemain, sont allés chercher 5000 permis à la régie qui sont devenus des entrepreneurs spécialisés. C'est un effet de relations causales. On retrouve ce phénomène. Des 32 000 travailleurs, il y en a 5000 qui deviennent des employeurs. Il y en a également d'autres qui sont carrément en dessous de la couverte qui ont décidé de travailler carrément illégalement. Pour celui qui est allé chercher un permis à la régie, il y a quand même un semblant de légalité dans ce qu'il fait. Mais comment tout cela est-il reporté à l'autre bout?

Selon nous, lorsqu'on parle de travail au noir, il faut parler de coûts; il faut parler de la situation économique; il faut parler du règlement de placement puisqu'il y a une relation directe. Il faut parler de l'artisan aussi. Quel est le problème de l'artisan finalement? C'est que c'est un système, c'est un statut juridique qui facilite finalemement le contournement du règlement. Si on faisait en sorte que l'artisan soit vraiment limité dans son cadre réglementaire et qu'on puisse mettre des dispositions en place pour s'assurer que le travail se fait dans ce cadre, l'artisan ne causerait probablement pas de problème, mais il reste qu'à l'heure actuelle, compte tenu de l'encadrement législatif, tous ces facteurs influent sur le travail au noir.

Lorsqu'on a parlé de 25 000 000 d'heures - M. Pagé, vous avez vu notre étude - c'est un chiffre qui, selon nous, était très modéré, c'est plutôt 40 000 000 d'heures, je pense, qui ont été travaillées en dessous de la couverte, mais étant donné que c'étaient des études économiques et étant donné qu'on voulait que ce soient des études inattaquables, on a été très modéré dans le sens qu'on a évalué le travail au noir en fonction d'une masse salariale qui disparaît dans la brume. Je pourrais vous dire, par exemple, qu'à la Société canadienne d'hypothèques et de logement, au fédéral, on a constaté qu'il y a 100 000 unités de logement existant au Québec qui ne sont recensées nulle part, mais ces logements ont été construits par quelqu'un. Je peux aussi vous dire que 16 000 permis ont été délivrés à la régie et que les membres ne sont pas chez nous. Ils sont alors quelque part dans le décor. L'artisan est quelque part dans le décor aussi.

M. Pagé: M. Fava, je dois vous dire tout de suite que j'apprécie vos commentaires et votre réaction sur le règlement de placement. C'est sensiblement la même position ou la même réaction face aux effets de ce règlement, mais il y a une autre question. Je pensais que vous l'abordiez, mais je vais la poser plus directement. L'artisan a un statut qui est susceptible, premièrement, de faire concurrence à vos membres régulièrement, parce qu'il a le droit de construire, mais il a aussi un statut qui est susceptible de vous rendre service à l'occasion, parce que vos entrepreneurs ont le droit d'embaucher des artisans. Exemple: la pose de gyproc dans un immeuble commercial, un gros immeuble. Ils ont le droit de passer à côté de l'Office de la construction du Québec, de ne pas se référer aux salariés de l'office et de faire affaires avec des artisans. C'est ainsi qu'on a vu des immeubles importants qui ont été construits sans qu'un pouce carré de gyproc ne soit posé par des gars référés par l'Office de la construction du Québec. On a même vu tout récemment qu'un entrepreneur d'ailleurs, il y a eu une annonce dans le journal régional, la compagnie n'était pas identifiée - avait besoin de 40 artisans pour aller à l'extérieur du pays pour travailler. Je voudrais connaître votre position. En fait, la question est bien simple: Où vous logez-vous par rapport aux artisans? Prenez plusieurs comtés des députés ici, on avait et on a encore des entrepreneurs compétents qui sont qualifiés, qui sont solvables, qui fournissent des garanties jusqu'à 2 000 000 $ par année pendant cinq ans, qui tentent de gagner leur pain le plus honorablement possible et contribuer à l'État. Ces gens-là construisaient, il y a quelques années, peut-être huit ou dix maisons par année dans un village. Maintenant ils vont en construire deux ou trois alors que les sept autres sont construites par les artisans. C'est tout à fait légitime de comprendre l'inquiétude qui anime ces gens-là qui sont vos membres. En même temps, vos membres, qui ne sont peut-être pas les mêmes mais qui sont vos membres, vont profiter du statut du travailleur artisan.

La question n'est pas compliquée: Où vous logez-vous par rapport à eux?

M. Fava: Vous me demandez où on se situe-Le Président (M. Fortier): Voulez-vous répondre, M. Fava?

M. Fava: II n'y a pas de problème. Vous me demandez où on se situe par rapport à l'artisan. C'est clair que l'artisan fait l'affaire de certains de nos membres. Posez-vous la question à savoir pourquoi les entrepreneurs, plutôt que de faire des contrats en entrepreneurs, les font faire par des artisans en donnant en sous-traitance la pose de "gyproc" au pied linéaire, la pose de la brique probablement à la brique ou je ne sais trop comment on procède. C'est certain qu'au départ il y a un avantage économique à engager des artisans. Dans ce sens-là, je vous dis que vous avez parfaitement raison. C'est pour cela qu'on vous dit, dans notre mémoire: Vous ferez les règlements que vous voudrez, vous ferez les lois que vous voudrez, si cela ne tient pas compte des réalités économiques et de la loi de l'offre et de la demande à l'autre bout, on va passer à côté. J'espère que c'est clair. Je pense qu'il faut passer à côté. On ne vit pas dans une tour d'ivoire parce qu'une loi me dit que je ne dois pas faire ci, je ne dois pas faire ça. Si, pour survivre en tant qu'entrepreneur, je dois "contracter" avec des artisans, je "contracterai" avec des artisans.

Il faut surtout comprendre que la notion de l'artisan et le fait de savoir pourquoi il y a tant d'artisans et pourquoi les entrepreneurs recourent de plus en plus à des artisans pour faire faire des travaux, c'est tout simplement parce que c'est la seule façon de survivre dans bien des cas.

M. Pagé, quand vous parlez de la notion d'artisan par rapport au secteur résidentiel, ce n'est pas uniquement dans le résidentiel qu'on retrouve des artisans. Je peux vous nommer actuellement des chantiers de gazoduc où, sur 100 opérateurs d'équipement, il y a 40 artisans qui travaillent. Le propriétaire de pépine qui s'engage comme opérateur et qui loue son équipement...

Je peux vous dire également que dans les travaux de voirie et de génie civil on n'a pas le choix, puisqu'il y a une clause de 75%-25% dans le devis et cahier de charges du ministère des Transports qui nous oblige à donner 75% de notre camionnage en vrac à des artisans alors que mes camions sont arrêtés dans la cour.

Si on veut se pencher sur la question des artisans, messieurs, il va falloir la voir par rapport à tous les secteurs et non pas strictement par rapport au secteur résidentiel. Vous allez me dire que dans le résidentiel c'est vrai que l'artisan est devenu monnaie courante puisque c'est le seul moyen que le secteur a trouvé pour réussir à construire un produit à un coût encore assez abordable pour que le consommateur puisse l'acheter. C'est pour cela que je vous dis que je ne peux pas regarder la notion de l'artisan de façon très théorique a savoir que pensez-vous de l'artisan? Si vous me posez cette question-là, je dois vous dire qu'il faut que vous me disiez au préalable ce que vous pensez des taux de salaire qu'on paie dans la construction. Si vous pensez que ce sont des taux de salaire acceptables, on devra se résoudre à construire de cette façon-là.

Il faut aussi toucher à un autre élément, M. Pagé. Vous comprendrez que quand on engage quelqu'un pour poser du gyproc à la pièce, il se grouille les fesses drôlement plus que le type qui est engagé à l'heure et pour qui la productivité a plus ou moins d'importance.

L'avantage de l'artisan n'est donc pas strictement au niveau du taux de salaire. Il produit davantage que le travailleur qui est payé à l'heure.

M. Pagé: Merci, M. Fava.

M. Fava: D'ailleurs, je pense qu'il n'y a pas de cachette là-dedans. Si vous vous référez à des articles qui ont paru dans la Presse du 12 juin 1984 - c'est tout récent -vous voyez que les entrepreneurs ne se cachent pas pour dire qu'ils ont recours à des artisans. Ils font même des déclarations dans les journaux maintenant pour dire comment ils procèdent. C'est peut-être pour mieux instruire leurs confrères.

C'est pour cela que je vous dis que si on ne prend pas le temps de faire vraiment le nettoyage de toute la réglementation et si on ne réussit pas à réduire les coûts de construction à des coûts abordables, vous allez avoir une industrie qui va fonctionner au noir. Il faut régler le problème maintenant avant que ça devienne vraiment ancré dans nos moeurs et que ça devienne une industrie parallèle.

M. Pagé: Je vous remercie. Votre réponse est claire, votre plaidoyer est même vibrant à certains égards. J'aurais une dernière question qui touche le champ d'application du décret. Cela concerne autant les travailleurs que les entrepreneurs dans le monde de la construction. Pour nous, la sécurité de revenu des travailleurs de la construction, comme la sécurité financière des entreprises dans le monde de la construction passe par un volume d'heures accru. Entre autres, je crois, tout à fait légitimement, que le gouvernement et le ministre devraient, à la fin des travaux de cette commission, revoir l'ensemble de la question du champ d'application du décret.

Comme vous le disiez dans votre mémoire, il est inconcevable de constater qu'au Québec des chantiers de construction

qui commandaient des investissements de plusieurs dizaines de millions de dollars ont été réalisés sans qu'il y ait aucune heure travaillée dans le monde de la construction comme tel par le champ d'application de la loi qui donne la définition de ce qui est ou n'est pas de la construction.

Jusqu'à maintenant, le régime a été particulier puisque, bien souvent, il suffisait de se présenter - à l'époque, c'était à M. Bernier - pour obtenir une décision disant que ce n'était pas couvert par le champ d'application. Vous dites dans votre mémoire: "Les équipements de production devraient être contenus au champ d'application et prévus dans le monde de la construction." C'est très intéressant, mais ça présente une difficulté, cependant. Je ne crois pas qu'on puisse ici la préciser de À à Z, mais comment réagissez-vous devant le fait où, bien souvent, la compagnie ou l'entreprise qui vend un équipement de production va accorder une garantie sur tel équipement à la condition que ce soient ses propres employés qui l'installent? On me dit que c'est une difficulté particulière qui constitue un frein très appréciable à une extension ou à l'élargissement du champ d'application du décret.

M. Fava: Vous semblez voir là-dedans des difficultés que je ne vois pas. Il reste un fait. Marine Industrie, qui construit des turbines dans ses usines à Sorel ou ailleurs, va les installer sur le territoire de la Baie James dans des centrales électriques. Je ne vois pas pourquoi, lorsqu'elle les installe sur des chantiers comme ceux de la Baie James, elle ne serait pas soumise au décret de la construction comme tout le monde. D'ailleurs, je dois vous dire que la majorité de ces entreprises se soumettent volontairement à payer les conditions du décret alors que, légalement, peut-être il y aurait moyen de passer à côté.

Mon directeur général me souligne que, finalement, c'est une question de surveillance des travaux. S'ils insistent pour que certaines installations se fassent selon leurs normes ou leurs spécifications, je ne vois pas ce qui empêcherait Marine Industrie ou qui que ce soit d'envoyer des surveillants sur les chantiers pour s'assurer que les travaux se font dans les normes. Le champ d'application de la loi, quant à moi, je m'en fous comme de l'an quarante, si vous me permettez l'expression, puisque pour moi, en tant qu'entrepreneur, n'oubliez pas que je ne suis pas limité à ne travailler que dans le cadre réglementaire du champ d'application de la loi. En tant qu'entrepreneur, si demain matin je décide de faire des travaux qui sont hors décret ou hors la loi dans le sens qu'ils ne sont pas compris dans le champ d'application de la loi, libre à moi d'en faire. Je peux travailler dans le cadre de la loi comme je peux travailler à l'extérieur de ce cadre réglementaire.

Quand on vise à aller chercher des heures de travail, finalement, par le cadre réglementaire, c'est du travail qu'on cherche pour nos travailleurs, tout simplement. Moi, en tant qu'entrepreneur, que je fasse mon profit en dehors du champ d'application de la loi ou que je le fasse à l'intérieur du champ d'application de la loi, cela m'importe peu, finalement.

Le Président (M. Fortier): Cela va?

M. Pagé: Une dernière question additionnelle, M. le Président. Vous demandez, à l'égard du champ d'application de la loi, qu'à peu près toutes les dispositions qui sont exclues actuellement soient incluses. C'est ce que vous demandez au ministre du Travail ce matin, de revoir cela. Si vous aviez une priorité à donner, ce serait laquelle? Les équipements de production?

M. Fava: Si j'avais une priorité dans le cadre du champ d'application ou globalement?

M. Pagé: Dans le champ d'application. (12 h 45)

M. Fava: Dans le champ d'application? Non, c'est parce que mon directeur général me demande de relier autre chose à cela. Si j'avais une priorité globalement, ce serait évidemment le pouvoir d'intervention du gouvernement qui serait ma priorité, mais, si vous parlez strictement du champ d'application de la loi, mon Dieu, je pense que c'est un ensemble de choses, M. Pagé. Comme je vous le disais dans le cas du travail au noir, on ne peut pas traiter du champ d'application de la loi en vase clos. Pour moi, le travail au noir touche la régie, le pouvoir d'émission des permis, peut-être sans critères suffisants, le règlement de placement, la situation économique et tout le paquet. On ne peut pas, je pense, parler de champ d'application de façon bien hermétique. Je ne sais pas si mon directeur général aurait des commentaires additionnels.

M. Dion: Si vous me donnez le micro, évidemment, ce qui nous apparaît, en tout cas, être une situation qui serait peut-être urgente, c'est qu'on comprend très mal qu'après avoir fait un décret dans la construction - et souvent il nous est fait, ce n'est pas nous qui faisons le décret, il nous est imposé - par toutes sortes d'exceptions et de lois, le gouvernement s'extraie du décret. Vous avez la Loi sur la fonction publique qui empêche le gouvernement d'être sujet au décret de la construction. Vous éliminez les commissions scolaires. Vous éliminez les hôpitaux. Vous éliminez les

gouvernements municipaux et ces choses-là. Alors, c'est pour qui, le décret de la construction? C'est pour le consommateur et, effectivement, si c'est seulement pour le consommateur, il n'est plus capable de payer à l'heure actuelle. Faisons le décret pour que le consommateur le paie ou bien que tout le monde reste dans le décret, y compris le gouvernement.

Le Président (M. Fortier): M. Fava, vous m'avez fort ébranlé, moi qui avais confiance aux statistiques du Québec et du Canada. Vous êtes en train de nous dire qu'il y a beaucoup d'heures qui ne sont pas rapportées. Si je comprends bien, on est rendu comme l'Italie où on ne peut pas lire les statistiques pour connaître le bilan économique du pays. Non, mais j'avais seulement une question, si vous me le permettez, avant de passer la parole à un de mes collègues. À la page 9, vous citez des pourcentages d'heures qui sont comprises. Vous parlez de 52% des heures, de celles qui sont compilées par Statistique Canada et qui sont contrôlées par l'OCQ. Peut-on dire, en termes de coûts de construction, que le pourcentage est le même? Parce que l'an dernier, je crois que l'OCQ évaluait le total de la valeur des coûts de construction au Québec à 11 000 000 000 $, si je me fie au chiffre qui est ici. Le pourcentage serait-il le même? Le pourcentage des heures correspond à peu près au pourcentage de la valeur de la construction qui est faite au Québec.

M. Fava: Notre service de recherche économique me dit qu'effectivement, si on fait abstraction du fait que le champ d'application de la loi ne couvre pas exactement ce que le gouvernement fédéral couvre dans ces statistiques - comme on le mentionnait, les trois domaines, finalement, qu'on exclut; les cadres, par exemple, nous, on ne les considère pas comme étant régis par la loi, mais au point de vue des statistiques fédérales, ils sont inclus - je pense bien que les masses correspondent assez bien.

Le Président (M. Fortier): La deuxième brève question est la suivante. Faudrait-il dire qu'il y aurait 52% des travaux, tel que rapporté par Statistique Canada, qui ne seraient pas contrôlés par l'OCQ, si on prend le prorata des salaires?

M. Dion: Il y en a 52% qu'on retrouve à l'Office de la construction...

Le Président (M. Fortier): D'accord.

M. Dion: ...qui sont équivalents dans Statistique Canada. Le reste n'y est pas. C'est parce qu'il y a des choses qui entrent dans Statistique Canada qui n'entrent pas à l'office. Je vous recommanderais d'aller au mémoire, il y a nettement plus d'explications dans le mémoire. Vous aurez toutes les réponses aux questions que vous posez, y compris dans les documents annexes où est l'étude qui a été faite par notre département. Il y a trois études dans le fond. Il y a celle d'Éconosult sur le SUB, il y a celle d'Éconosult sur les coûts de construction et il y a l'étude du département interne d'économie de l'AECQ qui a été faite là-dessus. Tout cela va vous donner les réponses. C'est un résumé du mémoire.

Le Président (M. Fortier): Je n'essaie pas de vous faire dire ce que vous n'avez pas dit, je voulais tout simplement arriver à une question très brève sur les changements au champ d'application. Les changements que vous suggérez augmenteraient le pourcentage de 52% ou plus si on inclut les cadres et les autres personnes qui ne sont pas incluses dans l'OCQ. Vous chercheriez à atteindre combien? Est-ce que vous avez une idée du pourcentage global des coûts de construction totaux que vous irez chercher?

M. Dion: On est obligé, à ce moment, M. le Président, de vous répondre qu'on n'est pas capable de chiffrer carrément cela à l'heure actuelle. On n'a pas la réponse.

Le Président (M. Fortier): Merci. Le député de Bourassa.

M. Laplante: Merci. M. Fava, vous nous avez donné beaucoup de travail avec votre mémoire. Il y aura de la recherche à faire là-dedans. Maintenant, vous avez donné plusieurs solutions pour abaisser les coûts de construction à partir des règlements de la construction, de la formation professionnelle. Vous avez mis beaucoup d'accent surtout sur la diminution des salaires des travailleurs de la construction. Vous dites qu'ils sont exorbitants avec les bénéfices marginaux qui les accompagnent. Vous ne parlez pas, par exemple, dans votre mémoire, par ce que j'ai pu voir, sans faire de recherches dans la brique, de la baisse du coût des terrains, par les constructeurs qui sont pour plusieurs, spéculateurs en plus. Cela se fait, en somme, sur le dos de l'ouvrier, sur le dos du petit. Vous ne parlez pas non plus du coût des matériaux.

Je vous dis que le bois qui part du Québec et s'en va aux États-Unis, on peut l'acheter à 30% meilleur marché aux États-Unis qu'au Québec, le même boisi Ensuite, il y a tout ce que nécessite une salle de bain, les accessoires de salle de bain. J'ai pu vérifier que les matériaux, sont 50% meilleur marché aux États-Unis qu'ici. Vous avez ensuite les accessoires de cuisine, armoires, ces choses qu'on achète préfabriquées ou

autrement qui coûtent 50% meilleur marché aux États-Unis qu'ici. Vous avez longuement parlé aussi... Moi ce dont je veux vous parler aussi, c'est du coût de ces matériaux, des profits que vous autres ou que les manufacturiers prenez qui sont exorbitants, qui sont absorbés encore par le petit consommateur. Vous avez donné beaucoup de références aussi en allant vers l'Ontario, l'Alberta ou la Colombie, mais comment se fait-il qu'une maison unifamiliale coûte en Alberta de deux à deux fois et demie plus cher qu'ici? Pourtant, les salaires sont censés être moindres qu'ici. Ce n'est pas l'ouvrier encore.

Il y a des gens que je connais très bien dans la construction qui m'ont dit que le coût d'un triplex, qui est un duplex, en somme, avec un logement au sous-sol, est de 140 000 $, mais on vend 180 000 $ le même duplex. Je vous donne là le prix pour aujourd'hui. Pourquoi, de votre part à vous autres, des profits exorbitants de 40 000 $ pour un duplex? Pourtant, ce n'est pas l'ouvrier qui l'a amené là. Je ne peux pas faire la différence. Si vous voulez m'éclairer sur ces questions.

M. Fava: Écoutez, je pense qu'il y a premièrement une autre chose que je voudrais ajouter à votre exposé. Vous dites que les matériaux coûtent moins cher aux États-Unis, etc. Vous énumérez un certain nombre de matériaux. Je dois vous dire aussi que la main-d'oeuvre aux États-Unis coûte 7 $ l'heure au lieu de 21,47 $.

Vous me demandez aussi de vous faire part de mes commentaires sur les profits exorbitants des entreprises. Je mettrais peut-être certains ministres au défi de faire la recherche, puisque vous avez accès aux déclarations d'impôt des compagnies. J'aimerais savoir lesquelles des compagnies font des profits par les temps qui courent. Je ne vous dis pas qu'il n'y en a pas, mais il y en a sûrement moins qu'il y en avait il y a quelques années.

Je vous ai cité tout à l'heure des statistiques venant de l'Office de la construction qui nous parlent d'au-dessus de 300 cas de faillite dans l'espace de deux ans, je crois. Vous pouvez également ajouter à cela que, lors de notre intervention devant la commission aujourd'hui, on discute du cadre réglementaire de l'industrie et surtout de tout ce qui touche la réduction des coûts en termes d'administration, de rationalisation de la réglementation, coût de main-d'oeuvre et relations du travail. Évidemment si vous m'aviez demandé de parler du coût des terrains j'aurais probablement fait des recherches dans ce sens-là et on aurait pu évaluer pourquoi les coûts des terrains sont si élevés. Il y aura probablement d'autres intervenants par la suite devant cette commission, entre autres l'Union des municipalités, etc, qui pourront peut-être vous éclairer davantage sur ce point-là.

J'aimerais quand même faire un commentaire là-dessus. On constate de plus en plus, si on regarde les demandes de soumission sur des projets demandés par les différents ministères ou les différentes municipalités, une croissance énorme du nombre des soumissionnaires sur les projets. Je dois vous dire qu'il y a deux mois, sur l'autoroute Ville-Marie dans la région de Montréal, il y avait plus de 42 soumissionnaires pour un projet d'autoroute de 3 000 000 $ ou 4 000 000 $, alors que traditionnellement on retrouvait peut-être deux ou trois soumissionnaires.

Je dois aussi vous référer à l'affaire Kerkoff, en Colombie britannique, qui a été largement publicisée dans les différents médias, où on voyait effectivement la différence dans la cotation d'un entrepreneur syndiqué par rapport à un non syndiqué. Il y avait au-delà de 1 200 000 $ de différence au niveau des coûts de construction qui étaient strictement reliés à la main-d'oeuvre. Encore là ce n'est sûrement pas l'entrepreneur qui en a bénéficié. Cela lui a permis de coter 1 200 000 $ moins cher que son concurrent syndiqué.

Pour ceux qui auraient peut-être encore des réticences là-dessus, vous avez des déclarations du premier ministre faites dans des journaux, Daily Commercial News, où il disait: "Lévesque said however that costs are too high, at least in home building and home repair sectors." Ce n'est pas moi qui l'ai inventé, c'est le premier ministre, je pense, qui commence à être sensible également à ce problème. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'en termes de technologie on travaille avec des équipements de plus en plus puissants, on travaille avec une meilleure organisation en termes de santé et de sécurité du travail. On n'a qu'à penser au programme de prévention qu'on doit instaurer maintenant au début de chaque chantier.

Vous avez souligné tout à l'heure le fait que le coût des matériaux en général baisse de façon substantielle au Québec. Malgré tout cela, on ne réussit pas à maintenir nos coûts de construction. On doit se poser des questions. Malheureusement, mon seul champ possible d'intervention, c'est au niveau des relations du travail et ce qui touche finalement tous les avantages sociaux et les salaires au niveau de cette convention collective. Malheureusement, je ne peux pas intervenir au niveau de ce que la Domtar va exiger pour 1000 pieds de bois ou ce que d'autres vont faire.

Le Président (M. Fortier): M. Fava, juste pour les fins du jouranl des Débats - je vous redonnerai la parole - vous avez cité un premier ministre. Vous parlez de qui? Le premier ministre de quelle province?

M. Fava: Le premier ministre du Québec.

Le Président (M. Fortier): C'est très bien, merci. M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Je parlais surtout du domaine domiciliaire, non pas des grandes constructions. Vous parliez de la survie de votre industrie et vous avez dit, dans votre mémoire, que vous étiez 14 000 membres plus 5000 membres qui ne faisaient pas partie de votre association. Vous avez également dit qu'il y avait quelque 300 faillites et vous avez ajouté, pour donner de la force à votre association, que vous en comptiez seulement 30 à l'intérieur de votre association qui faisaient partie de ce groupe et que les autres étaient illégaux. En somme, vous avez voulu les taxer d'illégaux tout à l'heure. Cela veut dire que l'industrie de la construction ne se porte pas si mal, globalement, étant donné qu'on est capable d'absorber 19 000 de ces entrepreneurs, plus 5000 autres qui sont des artisans.

M. Fava: D'abord, je dois vous corriger au niveau des chiffres. Ce que je vous ai dit, c'est que sur 306 cas recensés à l'Office de la construction au niveau du fonds d'indemnisation il y en avait au-delà de 200 qui n'avaient jamais détenu de permis délivré par la régie. Il y en avait une centaine qui en avaient déjà eu un, mais dont le permis n'avait pas été renouvelé. Je pense que c'est une précision à ajouter.

Au niveau de notre membership, je pense qu'il ne faut pas dramatiser la situation dans le sens: Qu'est-ce que vous visez par les recommandations que vous faites? Je dois vous dire, par exemple, qu'on a des études économiques qui nous disent que, si on réduisait nos coûts de main-d'oeuvre... Je parle bien des coûts de main-d'oeuvre, je ne parle pas des salaires parce que, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, pour moi, il y a une nette distinction entre les deux. Pour moi, le coût de la main-d'oeuvre, ça comprend la cotisation à la CSST, ça comprend les coûts administratifs de toute la réglementation qu'on doit subir et tout le reste.

Si on réussissait à réduire nos coûts d'une heure de travail dans l'industrie de la construction, à la fin de l'année, d'après nos études faites et vérifiées par des firmes indépendantes de notre association, ça équivaudrait à 16 000 000 d'heures récupérées pour l'industrie de la construction, strictement en termes de volume accru; je ne tiens pas compte de la récupération qu'on pourrait faire en allant chercher le travail au noir. 16 000 000 d'heures de travail dans l'industrie de la construction, ça représente 16 000 emplois non pas pour des entrepreneurs, mais pour des salariés.

Le Président (M. Fortier): Avec le consentement des membres, je proposerais que nous continuions. Il est 13 heures. J'ai quatre demandes d'interpellation: le député de Chapleau, le député de Hull, le député de Viau et le député de Beauharnois. Si j'ai le consentement, je suggérerais que nous terminions, si c'était possible, d'ici à 25 minutes au plus tard, pour reprendre quand même à 14 h 30 parce qu'on a un fardeau très lourd puisqu'il faut entendre trois autres mémoires.

M. Laplante: Oui, pour activer...

Le Président (M. Fortier): Cela va. M. le député de Chapleau, brièvement, s'il vous plaît.

(13 heures)

M. Kehoe: Aux pages 49 et suivantes de votre mémoire, vous parlez des différentes exceptions que vous voulez faire changer, que ce soit la question de l'exploitation agricole, que ce soient des municipalités. Spécifiquement concernant des municipalités, vous dites que pour les travaux de construction, de canalisation d'eau, d'égout, ainsi de suite, les communautés urbaines régionales et les commissions municipales ont le droit, actuellement, de faire certains travaux dans ce domaine. Pour des raisons que vous avez précisées à la page 52, vous dites que ça ne devrait pas être compris dans le décret. Vous dites que la plupart des municipalités ont compris cela puisque la majorité des travaux d'envergure qu'elles ont à effectuer sont confiés à des entrepreneurs professionnels de la construction. À la page 53, "les municipalités conserveraient la capacité de faire avec leurs salariés permanents des travaux de réparation et d'entretien." Depuis un certain temps, on fait face au phénomène des écoles qui ferment leurs portes dans différentes municipalités. En fermant leurs portes, les écoles remettent cela à la municipalité pour que celle-ci puisse en faire ce qu'elle veut, soit un centre administratif, etc.

Jusqu'à maintenant, l'expérience vécue - je sais que dans la municipalité où je demeure, l'OCQ a toujours considéré la réparation ou la conversion des écoles dans des bâtisses municipales que les municipalités pouvaient faire servir à leurs fins, comme étant sujette à des décrets. D'ailleurs, dans la municipalité de Gatineau, les employés ont fait les travaux et, par la suite, l'OCQ est venu et a exigé quelque 250 000 $ supplémentaires en salaires à l'égard des employés de la ville de Gatineau. C'est un problème qui n'est pas limité à la ville de Gatineau, mais qui existe dans toute la province. C'est un problème assez sérieux et je me demande quelle est votre opinion à ce sujet.

M. Fava: En fait, dans notre mémoire, on parle de récupérer, finalement, les travaux d'infrastructures municipales. On parle de travaux d'aqueduc, d'égout, de voirie, de trottoirs, etc. Si vous me parlez du cas précis, à savoir quelle serait notre position vis-à-vis d'une situation semblable, ce qu'on dit dans notre mémoire, c'est qu'on est prêt à faire en sorte que les municipalités puissent continuer à faire les travaux de réparation et d'entretien. Si vous me parlez de changer la destination des bâtiments d'une école à je ne sais trop quoi, si les réparations sont majeures au point qu'on change la vocation d'un édifice, je pense que, pour nous, cela deviendrait des travaux de construction et qu'ils devraient être assujettis à la loi.

Le Président (M. Fortier): M. le député de Chapleau, avez-vous terminé?

M. Kehoe: Oui, d'accord.

Le Président (M. Fortier): M. le député de Hull avait demandé la parole. Je vais les prendre dans l'ordre, je pense. Oui, M. le député de Hull.

M. Rocheleau: Merci, M. le Président. Je veux, premièrement, féliciter l'association pour le mémoire qu'elle a déposé à cette commission. Je trouve un peu malheureux qu'on n'ait pas suffisamment de temps pour discuter l'ensemble du mémoire, parce qu'il y a plusieurs questions qui se posent. Par contre, à la page 3, vous établissez le diagnostic qui, a votre avis, est très simple: "les coûts de construction et de main-d'oeuvre dépassent largement la capacité de payer de la plupart de nos clients, y compris du gouvernement qui n'est pas assujetti au décret." Vous établissez aussi les coûts payés à un salarié, c'est-à-dire 17,53 $ l'heure plus les avantages sociaux, ce qui totalise 21,47 $. Je reprends un peu la question de mon collègue, le député de Chapleau, à la page 52, je crois, qui touche tout particulièrement le monde municipal. Vous avez traité tantôt du gouvernement qui ne se laissait pas influencer plus particulièrement par le décret, c'est-à-dire qu'il n'y était pas assujetti. Il y a aussi les municipalités, comme les hôpitaux, les commissions scolaires et autres. Je considère et je voudrais que cela se traduise par une question, M. le Président... Si vous trouvez que votre diagnostic démontre que les coûts de construction sont prohibitifs et que le consommateur peut à peine arriver à les défrayer, j'aimerais savoir de la part du président, si c'est à cause de la "surréglementation", à cause des nombreuses lois existantes. Vous avez mentionné tantôt le règlement de placement dans la construction que, personnellement, je critique depuis 1978. Mais si vous tentez d'amener les municipalités à être incluses dans le décret, est-ce que, par le fait même, vous n'obligez pas une autre catégorie de consommateurs, par le biais des taxes municipales, à défrayer encore là une partie plus importante des coûts? C'est peut-être l'une des interventions qu'a faites l'Union des municipalités et, plus particulièrement, l'Union des municipalités régionales de comté quand elles ont demandé au printemps dernier d'être relevées du règlement de placement dans des municipalités inférieures à 5000 âmes dans le but de permettre des travaux communautaires et où les salariés ne seraient pas assujettis au règlement de placement dans le but justement de leur permettre de gagner un salaire et de faire vivre leur famille. La question que je me pose ici est celle-ci: Est-ce que ce n'est pas particulièrement l'ensemble de la loi qui fait défaut aujourd'hui et qui crée le nombre de travailleurs au noir que nous connaissons à cause de la réglementation? Ces gars doivent quand même gagner leur vie. S'ils n'ont pas leur carte de compétence dans le domaine de la construction, ils ne peuvent plus travailler. A ce moment-là, est-ce que ce n'est pas plutôt la réglementation qui touche davantage le problème sans pour autant y amener les municipalités qui, d'une part, ont des travaux à faire exécuter et qui ont des employés déjà syndiqués qui travaillent 35 ou 40 heures par semaine à longueur d'année qui doivent être affectés à des travaux particuliers?

M. Fava: Je pense que vous avez entièrement raison. C'est pour cela que, finalement, ce que nous disons, c'est que tout remaniement de la loi sur l'industrie de la construction doit passer avant tout par une réduction des coûts de construction. Selon nous, vous avez raison, la réglementation est excessive; elle coûte très cher, et on pense qu'il y a des économies à réaliser en rationalisant cette réglementation et en l'abolissant tout simplement dans certains cas que je crois vraiment excessifs.

Vous avez également raison lorsque vous dites: Si vous élargissez votre champ d'application, cela voudra tout simplement dire que vous ferez finalement subir ces coûts excessifs à d'autres secteurs, d'autres institutions ou d'autres organismes. Je pense que voilà la question qu'on doit se poser ici. A l'heure actuelle, nous nous demandons ceci: Est-on rendu au point où le décret ne s'applique plus qu'au consommateur? C'est bien dommage, le consommateur n'a plus le moyen de payer. À l'heure actuelle, on a fait en sorte de soustraire du champ d'application de la loi tous ces beaux organismes. Je ne vois pas la raison pour laquelle, si le consommateur doit payer les taux prévus dans le décret, la régionale de

tel endroit, la commission scolaire de tel autre endroit ou la municipalité de tel autre endroit pourrait se soustraire de l'application de loi, y compris le gouvernement, comme on l'a vu dans certains cas. Je me dis: "What is good for the goose is good for the gander." Si c'est bon pour le consommateur, c'est bon pour les municipalités. Si c'est excessif pour le consommateur, c'est excessif pour les municipalités. On est d'accord avec vous qu'à l'heure actuelle les conditions prévues dans le décret sont excessives. C'est pour cela qu'on est à la recherche de moyens et de méthodes en déréglementant, en rationalisant la réglementation. On cherche à réduire nos coûts de production. Par la suite, on pourra aller chercher les heures qui nous manquent afin que nos travailleurs puissent arriver à gagner leur vie honorablement. On vous a dit qu'on a fait des études économiques pour récupérer 16 000 emplois dans l'industrie de la construction dans l'année qui vient en réduisant nos coûts de 20%. Cela ferait également en sorte que le revenu annuel moyen des travailleurs passerait de 16 000 $ à 20 000 $ par année. Je pense que la question qu'on doit se poser est la suivante: Doit-on travailler à 100 $ l'heure et travailler deux heures pas semaine ou travailler à des taux de salaire raisonnables et réussir à gagner notre vie dans l'industrie? Je pense que voilà la question.

Le Président (M. Fortier): M. le député de Hull.

M. Rocheleau: J'aurais seulement une autre question à poser, M. le Président. Le député de Portneuf a fait allusion tantôt particulièrement au secteur résidentiel. Souhaiteriez-vous que les taux appliqués au secteur résidentiel, les maisons unifamiliales ou bifamiliales, soient moindres que ceux appliqués actuellement? Je sais que vous en avez traité à quelques reprises. J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Fava: Comme j'ai dit tout à l'heure, selon nous, c'est une question de négociation et on ne devrait pas en traiter à cette commission-ci, mais pour vous donner une réponse claire, je dirais oui. On cherche assurément des conditions mieux adaptées au secteur résidentiel. Cela comprend les taux des salaires comme le reste de ce qui est contenu dans le décret.

Le Président (M. Fortier): Merci. Tout le monde a reconnu l'ex-maire de Hull qui s'intéresse aux questions des municipalités. M. le député de Viau.

M. Cusano: Merci, M. le Président. À cause des contraintes de temps, je serai très bref. À un certain moment, vous parlez d'un retour au paritarisme. En tenant compte d'autres occasions que nous avons eues de discuter de certains problèmes de paritarisme, souhaiteriez-vous que ce paritarisme soit basé sur le modèle de la

Commission de la santé et de la sécurité du travail?

M. Fava: Je m'attendais à cette question. Dieu nous garde de ce genre de paritarisme! En fait, quand on parle de paritarisme, c'est tout simplement pour nous une prise en charge de l'industrie par les parties impliquées. Comme vous le dites, à l'heure actuelle - et, dans ce sens, je disais dans mon mémoire qu'on n'a que des félicitations à adresser au ministre, puisque je pense qu'il a déjà posé un geste dans ce sens - il y a un paquet d'organismes qui existent dans l'industrie de la construction qui nous régissent et qui nous réglementent, où les parties ne sont pas présentes. Un exemple frappant était l'Office de la construction. À l'heure actuelle, je pense qu'on a fait un pas dans la bonne direction. Je présume que le ministre va faire un pas dans la bonne direction aussi d'ici le mois de septembre quand on va discuter de la CSST et j'espère que cela va continuer dans ce sens. Mais c'est clair que, pour nous, même au niveau de l'office, c'est mieux que rien, ce qu'on a, mais c'est loin d'être parfait. On a donné les postes au conseil d'administration, mais on a enlevé des pouvoirs au comité mixte où les parties sont vraiment, je pense, représentatives. On fait un pas dans la bonne direction et on recule de deux pas dans l'autre. C'est un peu ce qu'on déplore dans l'industrie. On parle de la CSST. C'est la même chose. Un des principaux problèmes qu'on a là, c'est qu'effectivement les intérêts sont divergents. Pourquoi? D'un côté, on dit que la loi 17 n'est faite que pour les syndiqués et nous, on insiste, de l'autre côté, pour dire que c'est une loi qui doit s'appliquer également à tout le monde. Évidemment, je ne veux pas ouvrir la boîte de la CSST, parce qu'on a déjà eu une ou deux commissions là-dessus, mais il reste que c'est un exemple du vécu.

M. Cusano: Merci, M. Fava. Vous avez raison. Nous aurons certainement l'occasion de parler de la CSST à une autre occasion.

M. Pagé: On en parle tout le temps.

M. Cusano: Oui, on en parle tout le temps.

M. Pagé: Souvent, souvent.

M. Cusano: Vous parlez des problèmes résultant du cloisonnement des métiers, particulièrement dans l'habitation. Vous le dites dans le mémoire. Vous avez donné

comme exemple tout à l'heure le fait que certains travaux domiciliaires deviennent quasiment une gare centrale. Il s'agit d'effectuer des travaux mineurs, mais, pourtant, il y a beaucoup de personnes qui sont impliquées. Du côté du consommateur, il y a aussi la question des coûts et parfois de la frustration à cause du temps que cela prend pour effectuer tous ces travaux. Vous parlez d'une polyvalence dans votre mémoire et vous tentez de définir qu'il y aurait des exceptions, une durée limitée ou des circonstances occasionnelles. Puisque le temps s'écoule, j'aimerais que vous puissiez préciser, mais de façon très succincte, quel est le mécanisme que vous envisagez pour former cette polyvalence. J'envisage, par exemple, une espèce de "jack-of-all-trades" pour certains travaux.

M. Fava: Vous m'enlevez l'expression de la bouche, M. Cusano.

M. Cusano: Ah bon! Justement, je voulais vous entendre sur ce mécanisme. Comment et qui prendrait la décision sur la durée limitée dont vous parlez et sur ces circonstances occasionnelles?

M. Fava: Je pense qu'il faut dire ceci au départ. On ne vise pas à sortir les sous-traitants de la construction résidentielle, parce qu'on y voit un avantage net pour le consommateur à l'autre bout, mais de là à arriver... Sur un chantier résidentiel, comme on vous le disait tout à l'heure, il y a un paquet de menus travaux qui doivent se faire en cours de route. L'électricien passe; il y a un morceau de gyproc qui a été arraché sur un mur pour passer le fil. Pourquoi faudrait-il faire revenir un plâtrier dix minutes pour reboucher le trou? C'est un exemple que je vous donne. Pour nous, un "jack-of-all-trades", ce serait un bonhomme qui existe déjà à l'heure actuelle et qui fonctionne, malheureusement, comme on vous le dit, en dessous de la couverte ou en patinant à travers les différents règlements qui peuvent exister. Mais pourquoi, par exemple, n'irait-on pas chercher une partie de la juridiction de plusieurs métiers, finalement? On pourrait aller chercher une partie de la définition du menuisier, une partie de la définition du journalier, une partie de la définition du plâtrier et définir vraiment dans la loi ou dans le règlement un "jack-of-all-trades", en pigeant un peu dans les différentes juridictions de métiers pour en faire un "jack-of-all-trades".

Quant à nous, comme on vous le dit dans notre mémoire, on serait prêts à limiter ce que ce bonhomme-là serait apte à faire à des travaux qui seraient temporaires ou occasionnels en trouvant les définitions qui s'imposeraient à ce moment-là, mais ce serait vraiment pour de menus travaux. On ne veut pas remplacer les juridictions de métiers ou les métiers par ces "jacks-of-all-trades". C'est du dépannage qu'on veut faire. C'est tout simplement ça. (13 h 15)

Le Président (M. Fortier): M. le député de Beauharnois.

M. Lavigne: Rapidement, je pense que tout le monde commence à avoir faim. Il y a une chose finalement que tout le monde reconnaît et c'est que cela coûte trop cher. Partant du fait que cela coûte trop cher, on parle du travail au noir que tout le monde déplore en même temps. Dans les éléments qui font que cela coûte trop cher, la plupart des intervenants autour de la table en ont souligné. Le député de Bourassa faisait part, par exemple, du coût des matériaux; le bois, les appareils de cuisine, de salles de bain coûtaient moins cher aux États-Unis qu'ici, entre autres. Cela est un élément qui fait que ça coûte cher ici. D'autres ont insisté sur la réglementation. On est trop réglementé ici et c'est un autre facteur qui fait que cela coûte trop cher. Vous insistez beaucoup sur le taux horaire de l'employé qui est un autre élément qui fait que cela coûte trop cher. Il y a aussi un autre élément que, je pense, il est important de souligner: c'est le prix de l'entrepreneur.

Le consommateur va essayer, dans ces éléments qui font que cela coûte trop cher, d'en éliminer. Il va plutôt engager un artisan qu'un gars à plein taux horaire. Il va peut-être essayer d'entreprendre sa propre maison plutôt que de prendre un entrepreneur. Il va essayer de négocier ses matériaux, ainsi de suite. Est-ce qu'on peut privilégier tout cela ou si on peut privilégier un élément en particulier? Je sais que vous êtes revenu assez souvent sur le taux horaire. Je ne suis pas sûr que ce soit sur cela qu'il faut mettre le "focus" presque exclusivement pour faire descendre les coûts de la construction et arriver en concurrence avec les gens des autres provinces, des autres pays.

M. Fava: Je pense qu'on a été assez clair dans notre mémoire. On vous a dit que les syndicats ont voulu interpréter notre position comme étant surtout une attaque directe sur le coût horaire. On vous a dit que, pour nous, le taux horaire, ce qu'on vise, c'est de réduire notre coût horaire moyen. Cela comprend les 10% qu'on verse à la CSST, les 0,02 $ du fonds d'indemnisation, cela comprend nos frais d'administration, cela comprend, en fait, l'écart entre 17,53 $ et 21,47 $. Pour nous, cet écart, ce sont les charges administratives et tout le reste qu'on doit ajouter au taux de salaire pour en arriver à payer un taux de salaire. Il y a également toute la partie de la réglementation, comme je vous le disais, qui nous oblige à payer des frais de pension

parce qu'un territoire est mal défini et on doit aller piger les travailleurs dans telle autre région puisque le bassin de la région est vidé; on doit payer, encore là, des frais de pension. On doit payer un paquet de frais semblables qui, quant à nous, sont contre-productifs et je pense qu'il faudrait rationaliser tout cela pour en arriver à vivre dans une industrie qui serait quelque peu dégagée de toute cette réglementation qui, effectivement, nous étouffe. Écoutez, on nous oblige, par exemple, avec un règlement de placement, avant de pouvoir engager un apprenti, d'aller piger dans le fond du baril et d'aller chercher le dernier travailleur disponible dans une région, avant de pouvoir engager un apprenti. Je trouve que cela est complètement ridicule. Je pense que cela n'a aucune raison d'être aujourd'hui.

M. Lavigne: Une dernière question, M. Fava. C'est que je trouve un peu incohérent - vous m'excuserez si je n'y trouve pas de cohérence - qu'en même temps qu'on déplore ces éléments qui font qu'une construction coûte cher ou trop cher, on voudrait en contrepartie embarquer les champs de juridiction de la construction qui n'y sont pas telles les municipalités, les commissions scolaires, l'agriculture etc. Comment peut-on y trouver une espèce de cohérence? Parce que ces secteurs bénéficient du fait de ne pas être dans le champ de la construction, de la réglementation, vous favorisez, dans votre mémoire, l'intrusion de ces champs dans le décret et les lois de la construction. À ce moment, je n'y vois pas trop de cohérence. Le cultivateur qui a une grange à construire actuellement, on sait qu'il est exclu du champ de la construction et vous voulez l'embarquer dedans. Donc, cela veut dire qu'à partir de maintenant le cultivateur paiera un taux plus élevé pour la construction de sa grange ou la réparation d'un bâtiment.

M. Fava: Je pense que je dois vous donner à peu près les éléments de réponse que j'ai donnés à M. Pagé tout à l'heure. Il est évident que, si vous prenez notre position et que vous la regardez en vase clos, selon les sujets qu'on traite, vous allez voir certaines incohérences. Vous avez raison. Si vous regardez strictement le champ d'application et que vous dites: Vous trouvez que cela coûte déjà trop cher et vous voulez en inclure d'autres, c'est un peu contradictoire. Sauf que ce qu'on vous dit, nous, dans notre mémoire, c'est qu'il faut passer par une réduction de coûts. Autrement dit, je ne vois pas le champ d'application distinctement de la réduction de coûts à l'autre bout. Ce n'est qu'une fois qu'on aura pu faire tout ce dépoussiérage, qu'on aura pu rationaliser la réglementation qu'on pourra parler de retrouver notre champ d'application. D'autant plus que je dois vous dire que certaines de ces choses qu'on vise à récupérer aujourd'hui étaient incluses dans le champ d'application de la loi et par décision du commissaire, au fur et à mesure que les années sont passées, on les a extraites. Je vous donne un exemple: le dossier du verre plat. On a sorti certains travaux du champ d'application de la loi pour finalement, à la suite d'une décision de la Cour d'appel du Québec, les retrouver dans le champ d'application de la loi.

Finalement il n'y a rien de sorcier dans ce qu'on vise au niveau du champ d'application de la loi, soit de récupérer finalement ce qu'on a perdu par effritement au fur et à mesure où les années sont passées, soit par des cahiers de charge et des devis du ministère des Transports, comme je vous le disais tout à l'heure, qui nous oblige à faire faire du camionnage par des artisans alors que nos camions sont arrêtés dans nos cours, et toutes sortes d'exemples comme cela.

M. Lavigne: Une dernière petite question très courte, M. le Président.

Le Président (M. Fortier): II faut qu'elle soit mini.

M. Lavigne: Au niveau des métiers de la construction, l'apprentissage des métiers dans nos polyvalentes, etc., est-ce que vous favorisez le contingentement? Ma question est très courte parce que le temps presse.

M. Fava: Je pense que notre mémoire est également clair là-dessus. Pour nous, le contingentement de main-d'oeuvre doit se faire au niveau de la formation. Ce n'est pas après qu'un jeune a passé à travers quatre ou cinq ans de cours, des stages d'apprentissage qu'on va lui dire que par un règlement de placement il n'a pas accès à l'industrie. S'il doit y avoir contingentement de main-d'oeuvre c'est au niveau de la formation que cela doit se faire. En passant, messieurs, c'est ce qui se faisait à l'époque où les parties avaient charge de la formation professionnelle. On négociait les ratios compagnons-apprentis, on négociait l'accès à l'industrie, évidemment avec la souplesse que cela impliquait, tandis qu'aujourd'hui les fonctionnaires du ministère de la Main-d'Oeuvre nous disent qu'il y a 14 000 apprentis disponibles, prêts à rentrer sur le marché mais on les empêche d'entrer par le règlement de placement. Ce n'est pas moi qui vous le dis, vérifiez avec les fonctionnaires du ministère ou par les ratios.

Le Président (M. Fortier): M. Fava, je crois qu'on va vous remercier. Est-ce que le ministre ou le porte-parole ont un mot de conclusion?

M. Fréchette: M. le Président j'ai déjà tout à l'heure tiré une conclusion. Je ne voudrais que réitérer mes remerciements aux représentants de l'Association des entrepreneurs en construction et leur dire également que le travail qu'ils ont fait, la documentation qu'ils nous ont soumise et les réponses verbales aux questions qui leur ont été posées aujourd'hui vont très certainement servir à continuer le travail qui s'amorce aujourd'hui parce qu'on est tous conscients que ce ne sont que les prémisses qu'on est en train de poser et qu'il va falloir arriver à une conclusion à un moment donné. Je vous réitère mes remerciements et vous signale qu'on pourra continuer le dialogue comme on l'a amorcé ce matin.

Le Président (M. Fortier): M. le député de Portneuf, brièvement?

M. Pagé: Merci tout simplement et bon appétit.

Le Président (M. Fortier): Nous suspendons les travaux jusqu'à 14 h 30.

(Suspension de la séance à 13 h 23)

(Reprise de la séance à 14 h 43)

Le Président (M. Fortier): À l'ordre, s'il vous plaît:

La commission de l'économie et du travail reprend ses travaux pour entendre les organismes qui veulent se faire entendre ou qui doivent être entendus concernant la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction.

L'organisme qui est devant nous présentement et à qui je demande de produire son mémoire est le Syndicat de la construction Côte-Nord de Sept-Îles Inc. Je crois que ses représentants sont MM. Marcel Gendron et Roger Lamothe. Si vous voulez bien vous identifier, s'il vous plaît:

Syndicat de la construction Côte-Nord de Sept-Îles

M. Gendron (Marcel): Marcel Gendron, secrétaire.

Le Président (M. Fortier): Merci.

M. Lamothe (Roger): Roger Lamothe, président.

Le Président (M. Fortier): Si vous voulez bien présenter votre mémoire qui est bref et dont la présentation le sera également, j'en suis sûr. Je vous remercie.

M. Gendron (Marcel): C'est com- préhensible, vu le groupe qu'on représente. Messieurs, en ce qui concerne notre organisme, les membres sont, en très grande majorité, satisfaits de la loi régissant l'industrie de la construction et de ses règlements. Depuis 1968, malgré les imperfections de cette loi, une amélioration constante du climat social sur les chantiers de construction contraste avec ce que nous avions connu antérieurement et prouve que, s'il y a des changements à apporter à cette loi et à ses règlements, ils devront être minimes, de manière à ne pas perturber à nouveau cette industrie.

Bien entendu, nous ne pouvons passer sous silence le rôle joué par l'Office de la construction du Québec, tant par son personnel qui se trouve sur la ligne de feu versus employeurs et employés et, surtout, celui tenu par certains profiteurs qui gravitent autour de notre industrie. Le vrai malaise qui, de notre point de vue, est facile à corriger serait que les décisions importantes de cet organisme soient réellement prises par les associations patronales et ouvrières.

Les effectifs de notre organisme ne nous permettent pas d'y jouer un rôle très efficace. Après enquête auprès de nos membres, les critiques envers cet organisme visent plus le travail au noir que tout autre problème. La plupart des profiteurs sont connus du personnel de l'OCQ et une réglementation plus sévère aiderait à corriger, en partie, cette situation. Notre organisme tient fermement à ce que l'QCQ continue à jouer un rôle important au niveau du placement.

En conclusion, nous croyons que, si malaise il y a, il ne vient pas de la loi régissant l'industrie de la construction et de ses règlements, mais plutôt de la situation économique et nous croyons que le gouvernement ici présent et l'Office de la construction du Québec n'ont pas à être blâmés de cet état de fait.

Par contre, si les associations patronales n'avaient lancé si tôt leurs offres salariales dans le grand public et avaient réellement voulu négocier avec les trois associations syndicales impliquées dans ladite négociation, notre présence n'aurait pas été requise aujourd'hui en cet endroit. Syndicalement vôtre. Le Syndicat de la construction Côte-Nord de Sept-Îles Inc.

Le Président (M. Fortier): Je vous remercie, M. Gendron. Avez-vous terminé?

M. Gendron (Marcel): J'ai terminé.

Le Président (M. Fortier): M. le ministre.

M. Fréchette: Oui, très brièvement, M. le Président, je vous dirai à la blague que si

ce matin vous nous avez félicités, le député de Portneuf et moi, de la brièveté de nos propos nous venons, chacun de nous, de perdre le championnat.

Je voudrais remercier M. Gendron et M. Lamothe, je pense, qui l'accompagne, qui est le président du Syndicat de la construction Côte-Nord de Sept-Îles Inc., de s'être déplacés pour venir nous soumettre leurs commentaires, si brefs soient-ils. Même si cela ne faisait que nous permettre de nous rencontrer et de nous connaître, ce serait déjà un bon bout de fait sur le plan humain, en tout cas.

Je retiens strictement des commentaires de nos invités, M. le Président, que ce qui semble créer le plus de problèmes pour eux, c'est toujours le phénomène dont on a longuement discuté ce matin et dont on va continuer de discuter au cours des prochains jours, celui du travail au noir.

Messieurs, je prends, quant à moi, acte de vos représentations et je vous remercie à nouveau d'avoir été là.

Le Président (M. Fortier): Merci, M. le ministre. M. le député de Portneuf, le porte-parole de l'Opposition.

M. Pagé: Merci, M. le Président. Très brièvement moi aussi, je voudrais saluer le Syndicat de la construction Côte-Nord de Sept-Îles Inc. et ses représentants qui viennent nous rencontrer aujourd'hui et nous faire part de commentaires peut-être brefs, mais quand même assez éloquents.

On doit retenir que vous semblez satisfaits du régime actuel de négociation des conditions de travail dans le secteur de la construction. Vous vous dites de façon assez claire, satisfaits du travail effectué par l'Office de la construction du Québec dans le cadre de son mandat. Je retiens que vous souhaitez que l'OCQ demeure responsable au chapitre du placement des travailleurs de la construction. Je retiens aussi que, selon vous, si malaise, si problème il y a, cela ne vient pas de la loi régissant l'industrie de la construction et de ses règlements, mais bien plus de situations de fait et qu'à cet égard l'OCQ ne serait pas à blâmer.

J'aurais une seule question. Vous faites référence, comme plusieurs le feront - c'est tout à fait légitime et justifié - au travail au noir. Selon votre perception, qu'est-ce qui devrait être fait par le législateur, par le gouvernement plus particulièrement à l'égard du travail au noir?

M. Gendron (Marcel): C'est assez complexe. Parlons d'un cas qu'on peut expliquer assez facilement. Un employeur, un entrepreneur qui construit une habitation de six logements assez fréquemment va engager, pour la peinture, des personnes qui travaillent dans une autre industrie. Le soir ou la nuit, ces personnes vont peindre à 6 $ ou 7 $ l'heure. Lorsque les inspecteurs de l'OCQ passent dans la journée, il peut y avoir un, deux ou trois appartements qui sont peints. Le lendemain soir, on continue, même quelquefois en fin de semaine. C'est un exemple, mais il y en a tellement. Je parle au niveau de l'employeur.

Au niveau du particulier, lorsqu'on parle d'entretien, on est à cheval sur l'entretien. Qu'est-ce que de la construction neuve et qu'est-ce que de l'entretien réellement? Il y a un abus à ce niveau. C'est incroyable! Tous les gens peuvent travailler à 7 $, 8 $, 9 $ ou 10 $ l'heure, même les artisans qui, au début, il y a trois ou quatre ans, travaillaient au taux prévu par le décret, la convention collective de l'industrie de la construction. Maintenant, les gens se mangent entre eux et travaillent à 10 $, 11 $ ou 12 $ l'heure, quand ce n'est pas 8 $ l'heure. Dans certains cas, on va jusqu'à étirer les travaux et il y a des gens qui se font construire et qui ne sont réellement pas d'accord parce que le coût d'un employeur qui a fait une soumission si minime soit-elle, quand il a terminé les travaux, bien souvent, ils ont coûté plus cher que s'ils avaient été effectués par un employeur professionnel. On reçoit des plaintes à ce niveau.

M. Pagé: Quant à votre explication des faits, je pense qu'on pourrait parler assez longuement de la façon dont le travail s'effectue, mais votre recommandation, si recommandation il y avait à l'égard du gouvernement - le ministre est ici et je pense que c'est la première fois que vous le rencontrez, d'ailleurs, puisqu'il le signalait tantôt...

M. Gendron (Marcel): Ce n'est pas la première fois.

M. Pagé: Ah! Quelle serait votre recommandation au ministre du Travail? Vous avez le privilège de l'avoir à cette table, il est là pour vous écouter, c'est un gros problème, quelle serait votre proposition?

M. Gendron (Marcel): De donner à l'OCQ, par l'entremise des gens en place qui sont les associations patronales et les syndicats représentatifs de la majorité, les moyens d'établir une certaine réglementation afin d'être en mesure de poursuivre les gens qui font de l'abus dans ce domaine. On sait qu'on n'arrêtera jamais la "jobine", on le sait, mais, au moins, on peut réduire d'une manière assez explicite le travail au noir; il y a une grande possibilité. Il faut donner des moyens aux inspecteurs de l'OCQ et ils vont faire le travail. Quand on arrive devant la cour, on donne des explications, en disant qu'un homme est obligé de travailler, qu'il

est obligé de faire ceci, tout tombe à l'eau. Donnez-leur les moyens et ils vont faire le travail.

Le Président (M. Fortier): J'aurais une question à vous poser. On a dit que, lorsque les travailleurs ne font pas le nombre d'heures requis par l'Office de la construction, ils ne sont plus aptes à travailler. Sur la Côte-Nord - parce que vous représentez surtout les travailleurs de la Côte-Nord; je ne sais pas dans quelle proportion - s'il devait y avoir un grand chantier - on a parlé d'une aluminerie à Sept-Îles et Port-Cartier - qu'est-ce qui arriverait? J'imagine que, dans ce secteur, eu égard au fait qu'un certain nombre de travailleurs, même de la Côte-Nord, ne sont plus en règle avec l'OCQ, ceci amènerait, par nécessité, l'appel à des travailleurs d'autres régions. Est-ce que vous avez un commentaire à formuler là-dessus?

M. Gendron (Marcel): Certainement. Je dis que le vrai travailleur de la construction, qu'il soit de n'importe où au Québec, a toujours la préférence de travail. Par contre, on sait qu'il y a des régions - on ne peut pas comparer Montréal et la Côte-Nord - où, dans la loi, il devrait y avoir automatiquement un pourcentage qui permettrait à ceux qui sont classés B d'avoir la préférence d'emploi. Disons 20%. Si vous construisez une aluminerie à Sept-Îles, cela va chercher pas loin de 800 à 1000 travailleurs. Même si c'étaient tous des gens classés A, plus que la moitié viendraient de l'extérieur à cause de la spécialité des métiers. Mais il faudrait au moins que 20% des travailleurs... Avec 20%, vous venez de faire travailler tous les gens de la région de Sept-Îles qui sont classés B et même C.

Cela pourrait s'appliquer dans d'autres régions - je ne parle pas de Montréal ou Québec - où on pourrait avoir des chiffres un peu différents mais, au moins, ça permettrait à ces gens de travailler chez eux. Je suis d'accord que les gens de la région devraient avoir une certaine préférence, mais pas à 100% pour empêcher les vrais travailleurs de la construction de travailler.

Le Président (M. Fortier): M. le député de Chapleau.

M. Kehoe: Au troisième paragraphe de votre mémoire, vous parlez du travail au noir. Dans les deux dernières lignes, vous dites: "La plupart des profiteurs sont connus du personnel de l'OCQ et une réglementation plus sévère aiderait en partie à corriger cette situation." Les implications, dans cela, c'est que... Est-ce que des plaintes ont été portées ou si le règlement est fait de façon qu'on ne puisse porter plainte? Que voulez- vous dire exactement par cela? Les profiteurs sont connus, mais... Est-ce qu'il y a déjà eu des plaintes portées contre eux? Est-ce que des actions ont été portées contre eux? Est-ce que c'est une situation caractéristique de votre région seulement ou est-ce répandu dans toute la province?

M. Gendron (Marcel): Officiellement, c'est répandu dans toute la province. Prenez un inspecteur qui arrive sur un chantier de construction. Il débarque de son automobile. Le bungalow est à peu près à 60 pieds du trottoir. Il va descendre dans une cave ou il va entrer dans un appartement. Tout le monde est assis. Tout le monde fume. Personne ne travaille. Que peut faire l'inspecteur? Il ne voit pas la personne qui va peinturer. Il ne voit pas la personne tirer les fils électriques, parce que l'entrepreneur ou quelqu'un s'est entendu avec un entrepeneur-électricien: Tu tires les fils et ainsi de suite. Il ne voit rien. Si l'inspecteur veut demeurer là une ou deux heures, les gars vont s'en aller. Ils vont partir chez eux. Ils sont venus faire un tour. Ils sont venus visiter la maison, mais bien souvent ils sont en habit de travail. Il ne peut pratiquement pas y avoir de plainte en vertu de la loi parce que ces gars-là sont assis à la maison et ne travaillent pas. Les inspecteurs ne peuvent pas se promener jour et nuit. Cela va finir par coûter une fortune à l'OCQ. II y a quelque chose là. Les travailleurs vont payer plus d'un demi pour cent. Il y a des gens qui travaillent la nuit. Mon président est un peintre. Il peut vous dire la même chose lui-même. Ils s'en vont pour faire des maisons. Bien souvent, ils vont peinturer trois chambres. Le lendemain, le salon est peinturé. Qui a peinturé le salon? Il y a quelqu'un qui a peinturé le salon le soir ou pendant la nuit.

M. Kehoe: Est-ce qu'il manque des inspecteurs pour faire la vérification, pour faire l'inspection? Est-ce là un problème sérieux ou quoi?

M. Gendron (Marcel): Je dis: Peut-être que non, mais qu'ils donnent des moyens plus sévères à la loi pour que l'OCQ puisse travailler efficacement. Au point de vue des amendes, vous connaissez les amendes qui....

M. Kehoe: Mais au point de vue du personnel, au point de vue des inspecteurs, il y en a un nombre suffisamment grand pour appliquer la loi? Vous dites, votre prétention c'est que les amendes ou les sanctions ne sont pas assez sévères.

M. Gendron (Marcel): Je dis que oui, il y a assez d'inspecteurs. Si vous les faites travailler les mêmes heures que celles de la construction, de 8 heures à 17 heures, il va

y avoir assez d'inspecteurs.

Le Président (M. Fortier): Cela va? M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Je serai très court. Je vais vous donner un exemple de ce qui se passe chez nous à Montréal. Vous avez parlé de Montréal tout à l'heure. Je recevais lundi dernier - ce n'est pas loin, il y a une semaine - un monsieur qui voulait avoir sa carte de l'OCQ. Cela faisait neuf ans qu'il travaillait au noir, dont deux ans et demi à l'aide sociale, les deux dernières années et demie employé par un gros entrepreneur en démolition de Montréal. Ce n'est pas un petit entrepreneur. Il a fait trois ou quatre de ces entrepreneurs, et là il voulait avoir sa carte. À ce moment-là, j'ai dit: On peut essayer d'avoir ta carte pour autant que tes heures sont enregistrées à l'OCQ. Il a dit: II n'y a rien d'enregistré. En même temps, il avait l'aide sociale et il travaillait pareil comme cela. Chez vous, parmi les entrepreneurs que vous avez, est-ce qu'on fait la même chose, en général? Est-ce que ces entrepreneurs emploient soit des menuisiers, des peintres, comme vous dites, ou d'autres corps de métier et encouragent, en somme, le travail au noir comme cela?

M. Gendron (Marcel): Je suis obligé de dire oui. Ce n'est pas la majorité, mais la petite minorité est agissante.

M. Laplante: Mais ce que je comprends moins, par exemple...

M. Gendron (Marcel): Oui.

M. Laplante: ...comme syndiqué, comme président d'un syndicat, comment se fait-il que ces compagnies ne soient pas dénoncées par vous?

M. Gendron (Marcel): Elles sont dénoncées et même parfois, à certaines occasions, elles sont dénoncées à l'AECQ.

M. Laplante: Mais toujours, je parle, là...

M. Gendron (Marcel): Elles sont connues.

M. Laplante: ...dénoncées publiquement, avec force. Ce sont vos droits de travailleurs qui sont là. Nous, comme gouvernement, cela nous aiderait parce qu'on les retrouve à peu près tous sur l'aide sociale après cela. Ce sont vos taxes, ça.

M. Gendron (Marcel): Oui, on le sait. Il y a des gens qui retirent des prestations d'aide sociale et dans certains cas, c'est de l'assurance-chômage.

M. Laplante: Parce qu'on a hâte que les syndicats se grouillent un peu en dedans aussi pour nous aider à appliquer d'autres règlements.

M. Gendron (Marcel): Si on avait eu le mémoire un peu avant qu'on prenne nos vacances, je crois qu'on aurait peut-être amené des suggestions concernant le travail au noir, mais je suis convaincu que la CSN va apporter quelque chose à ce point de vue. (15 h 45)

Le Président (M. Fortier): Est-ce que d'autres députés ont des questions? Sinon, au nom des membres de la commission, je vais remercier MM. Gendron et Lamothe de la présentation de leur mémoire.

J'appelle maintenant la Centrale des syndicats démocratiques, CSD, à prendre place à la table pour présenter son mémoire.

M. Carey, vous êtes le président du Syndicat des travailleurs de la construction. Pourriez-vous présenter vos collègues, s'il vous plaît?

Centrale des syndicats démocratiques

M. Carey (Renald): Je suis Renald Carey, président du Syndicat des travailleurs de la construction, CSD. À ma gauche je suis accompagné du vice-président de la CSD, Claude Gingras, et du secrétaire du Syndicat de la construction, Raymond Lortie. M. Gingras va faire la présentation du mémoire et je serai disponible avec lui pour répondre aux questions des membres de la commission par la suite.

Le Président (M. Fortier): En gros nous avions prévu deux heures. J'ose espérer qu'à l'intérieur de cette marge de temps il sera possible que vous présentiez le mémoire et que nous ayons quelques questions et réponses. Si vous voulez procéder.

M. Gingras (Claude): M. le Président, M. le ministre, messieurs les membres de la commission parlementaire, c'est avec beaucoup de plaisir que nous acceptons cette possibilité que vous nous fournissez de parler un peu des problèmes que vivent les travailleurs de la construction.

J'étais présent ce matin à la commission. On a beaucoup entendu parler des problèmes que les employeurs peuvent vivre dans l'industrie de la construction. On a cependant oublié de parler des véritables victimes de cette situation d'incohérence vécue dans la construction qui sont les travailleurs.

Sans plus tarder, MM. les députés et M. le ministre, nous vous communiquons notre position en ce qui a trait au mandat spécifique de la commission. Quant à nous, c'est toujours l'impasse et à chaque renouvellement des conditions de travail -

décret - dans l'industrie de la construction, c'est l'impasse. Pour s'en sortir, c'est la prolongation du décret, c'est une commission parlementaire et le gouvernement qui impose la plupart du temps les nouvelles conditions.

Au cours d'avril dernier, face à l'impasse dans les négociations, le ministre explique qu'il a à choisir une des quatre possibilités suivantes: laisser les choses aller et compromettre la relance économique; imposer un nouveau décret après avoir entendu à la sauvette les parties et compromettre toute possibilité de négociation; attendre une entente entre les parties avant le 1er mai, c'est croire à un miracle; prolonger le décret pour permettre aux parties de négocier.

Le gouvernement choisit donc le prolongement des pourparlers sans affrontement, de peur de compromettre la relance économique dans laquelle il est fortement impliqué, dit-il, et le ministre, dans une tentative d'amener les partenaires de l'industrie à négocier, annonce une prolongation de 120 jours du décret et la tenue d'une commission parlementaire sur les problèmes de la construction.

Il n'en fallait pas plus pour que les employeurs contestent devant les tribunaux la validité de la prolongation du décret et refusent de négocier; l'AECQ exige une commission parlementaire pour tenter de trouver des solutions aux perturbations de l'industrie avant de négocier; les employeurs et les unions internationales réaffirment que seule l'épreuve de force ramènera les parties à la raison et que la décision du gouvernement ne fait que reporter le vrai test. Ce n'est pas en commission parlementaire que l'on va négocier.

La FTQ accepte la prolongation du décret, à condition qu'il y ait une volonté politique évidente de régler les problèmes de l'industrie dont celui du salaire garanti et du monopole syndical.

Quant à la commission parlementaire annoncée sur tous les problèmes de la construction, l'expérience des années passées a fait la preuve et ce, en plusieurs occasions, que l'on n'y avait recours que pour régler définitivement les conditions de travail de l'industrie de la construction, le décret. C'était l'occasion pour imposer, se substituer au processus de la négociation, alors qu'elle doit être le lieu, l'occasion exceptionnelle où l'on doit, en toute sérénité, faire valoir ses points de vue sur des projets de loi, des règlements ou sur des situations particulières qui mettent en cause le public en général.

Comme depuis près de dix ans, cette année on est devant le même scénario: blocage des négociations, prolongation du décret, conciliation, commission parlementaire, imposition de nouvelles conditions. Et, comme preuve, la négociation de 1976. Au 1er mai, on annonce que les négociations ont échoué. Une commission parlementaire est instituée pour s'enquérir des raisons qui empêchent le renouvellement du décret. Il y a prolongation du décret jusqu'au 31 juillet 1976 acompagnée d'une augmentation de salaire de 0,55 $ l'heure. Il y a grève et une convention est signée le 22 décembre 1976. Au 1er mai 1977, le décret est renouvelé, mais en juin 1977, une nouvelle commission parlementaire apporte des changements au décret en retirant certaines conditions parce qu'elles ne sont pas conformes à la loi. La négociation de 1979. Au 30 avril, il y a eu une rencontre préliminaire. Les demandes syndicales n'ont même pas été présentées aux employeurs. Il y a prolongation du décret jusqu'au 31 juillet 1979. La Gazette du 20 mai 1979 confirme une entente préliminaire prévoyant une augmentation de 0,30 $. Le 31 juillet, fin de la prolongation, plus de décret.

En février 1980, c'est encore le fouillis indescriptible dans la négociation. On imposera encore un nouveau décret. La négociation de 1982. Ce n'est qu'en mars 1982 que débutent les négociations. Le 30 avril, on doit prolonger pour un mois le décret. Une requête est présentée au ministre. Il y a conciliation, médiation. Une intervention politique constitue une table de négociations. Il y a entente, mais les employeurs sont divisés. Le 31 mai 1982, une commission parlementaire est convoquée. On impose, à toutes fins utiles, un nouveau décret avec une hausse de salaire de 10%. Pour le reste, le décret reste à peu près le même. La négociation de 1984. C'est à peu près le même scénario. Blocage des négociations, prolongation de 120 jours du décret, une commission parlementaire est annoncée.

Ajoutons à ces scénarios de négociations l'historique commission Cliche sur la liberté syndicale et son expression, le comité Hébert sur l'étude et la révision de la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction et les nombreuses commissions parlementaires dites spéciales pour amender cette loi, ses règlements, pour déterminer les règles de maraudage, donner la représentativité à la FTQ, modifier les règlements de placement, la qualification, le champ d'application, etc.

Les intérêts des parties, tant des associations patronales que syndicales, sont si divergents, la formule de monopole favoriserait-elle la négociation? Le pluralisme syndical n'a jamais été accepté par la FTQ, si ce n'est que pour sa propre reconnaissance comme partie représentative. Elle tente par tous les moyens de faire croire à la nécessité du monopole syndical. La réalité est pourtant tout autre. La volonté des travailleurs s'est exprimée en faveur du pluralisme syndical. En effet, aux différents

maraudages, leur choix s'est exprimé ainsi. Vous avez un tableau de toutes les années où les travailleurs ont eu à se prononcer quant à leur allégeance syndicale et les pourcentages obtenus par chacune des associations syndicales.

À trois occasions sur quatre, les travailleurs disent non. Même au dernier maraudage en 1983, 58,2% des travailleurs ont dit non au monopole syndical. La FTQ s'est servie du principe du pluralisme syndical pour devenir une association représentative et cela en obtenant une loi spéciale. La loi 109, en effet, adoptée en 1981, a exigé que les travailleurs membres du CPQMC fassent un nouveau choix entre ce conseil provincial et la FTQ. Le monopole syndical obtenu par le conseil provincial en 1978, 68%, fut alors divisé entre 44% à la FTQ et 24% au conseil provincial. On voulait ainsi régler la guerre intersyndicale entre le CPQMC et la FTQ qui se perpétuait depuis la négociation de 1979. Si la FTQ avait toujours crié à la nécessité du monopole syndical, elle n'y croyait plus. Cela faisait son affaire. L'expérience des négociations de 1979 et 1982 n'a pas prouvé que pour régler les problèmes de l'industrie, le monopole syndical était essentiel. C'est le contraire.

Rappelons, à titre d'exemple, qu'au maraudage de 1978 le CPQMC avait obtenu 68% des votes des travailleurs. À toutes fins utiles, il avait le monopole syndical. Il était le seul habilité à négocier et à signer un nouveau décret. Pourtant, qu'est-il arrivé à la négociation? Au 30 avril 1979, le décret a été prolongé jusqu'au 31 juillet; au 30 avril 1979, il n'y avait eu qu'une rencontre préliminaire et les demandes syndicales n'avaient même pas été déposées; une entente temporaire d'augmentation de 0,30 $ l'heure avait été consentie à compter du 1er juillet 1979 en échange du droit de négocier par métier; les négociations s'enlisèrent dans les éternelles chicanes d'unions, si bien que certaines unions ou métiers acceptent les offres, alors que d'autres veulent la grève. En février 1980, c'est le fouillis indescriptible où l'on se retrouve après treize mois de négociation sans règlement; quatre métiers n'acceptent pas les offres patronales et on doit imposer un règlement. La difficulté de négociation n'était aucunement reliée au principe du pluralisme syndical.

À la négociation de 1982, la FTQ, qui avait obtenu, en se servant du principe du pluralisme, une représentativité, fait à la sauvette une alliance avec le CPQMC, son ennemi juré une année auparavant. On tente de réactiver la notion dépassée de monopole syndical. Cédant à cet essai de retour et renonçant au changement qu'il avait lui-même implanté et que les travailleurs avaient démocratiquement entériné, le ministère du Travail favorise, par son intervention, la monopolisation de la négociation. En effet, à la suite d'une requête présentée au ministre, on redonne aux alliés naturels la plate-forme du monopole. Chose assez étrange, c'est le monopole patronal qui éclate. Alors qu'il y a entente entre l'AECQ et la FTQ-CPQMC, l'APCHQ s'oppose à l'entente. Le ministre devra convoquer une commission parlementaire, décréter une hausse de 10%, le décret demeurant à peu près le même pour le reste. La difficulté de négociation n'était aucunement reliée au principe du pluralisme syndical.

Avant cette année, l'obstacle majeur au règlement des conditions de travail négociées dans l'industrie de la construction était, disait-on, l'absence du monopole syndical ou la difficulté de former une coalition syndicale. Dans un cas comme dans l'autre, c'est du trompe-l'oeil; c'est refuser d'admettre son impuissance à négocier.

Cette année, on voudrait bien laisser croire que c'est encore le même obstacle. Pourtant, la division du monde patronal et l'arrogance de son association nous apparaissent comme les véritables motifs de l'échec de la négociation.

Ce qui ressort des expériences de négociation, c'est que le mode de représentation syndicale unique (le monopole syndical) à la table de négociation n'a même pas résisté aux pressions des rivalités internes, des intérêts particuliers des unions, leur volonté de pouvoir. Ce phénomème se retrouve même chez les employeurs dont le monopole patronal existe par la loi même. Comment espérer que cette formule monopolistique tienne bon devant les presssions internes de leur propre association?

Il faut admettre que le fond du problème à la table de négociation de l'industrie de la construction, c'est donc la guerre du pouvoir du côté des unions de métiers et, voire même, la guerre du pouvoir chez certaines associations d'entrepreneurs. Il nous apparaît clair que cette formule est vouée à un éclatement répété parce qu'elle n'est plus adaptée à la réalité de 1984, en particulier du côté syndical.

C'est pourquoi la CSD-Construction croit que le syndicalisme de métiers, tel que préconisé par la FTQ et les unions américaines, constitue une position irréaliste qui conduit à une absurdité totale. Un syndicalisme dépassé, replié et soucieux de protéger de vieilles juridictions qui n'ont plus rien à voir avec la réalité d'aujourd'hui.

En se repliant sur leur métier et en cherchant constamment à protéger leurs juridictions, les unions de métiers de la FTQ et les unions internationales pratiquent un syndicalisme dépassé qui ne va pas dans le sens de l'intérêt de leurs commettants. C'était peut-être valable il y a 20 ou 30 ans alors que les divers métiers travaillaient de

façon passablement isolée sur les chantiers. À cette époque, par exemple, les structures de bois étaient omniprésentes sur les chantiers. Le charpentier-menuisier y jouait un rôle très important puisqu'il était responsable de la fabrication des structures et des formes dans lesquelles le ciment était coulé. Dans son travail, il ne côtoyait pas beaucoup les représentants des autres corps de métiers, car la construction se faisait par étapes. Lorsqu'il avait fini son boulot, il était remplacé par l'électricien, le cimentier-applicateur, le ferrailleur et le tuyauteur qui venaient à tour de rôle accomplir leurs tâches. Le sentiment d'appartenance à un métier plutôt qu'à l'industrie était dont très fort. (15 h 15)

Aujourd'hui, toutefois, avec la prolifération des nouvelles techniques de fabrication et l'évolution des différents métiers, cette vision de l'union de métiers est carrément désuète et régressive. En effet, ce cloisonnement des métiers entraîne la formation de nouvelles unions qui regroupent diverses spécialités comme les poseurs de systèmes intérieurs, les tireurs de joints, les poseurs de gycleurs à incendie, les poseurs de systèmes de climatisation, etc. On pourrait en ajouter. Cette surcompartimentation effrite le pouvoir de l'ensemble des salariés et elle favorise l'arrivée de nouveaux venus dans l'industrie et ce, au détriment des travailleurs qui y oeuvrent souvent depuis de nombreuses années.

Le véritable résultat de ce cloisonnement est qu'on ne favorise d'aucune façon la sécurité d'emploi. En outre, on ne favorise pas la reconnaissance de l'ancienneté. Et, enfin, on n'accorde aucunement la priorité aux vrais travailleurs de la construction.

En somme, ce genre de syndicalisme ne permet pas aux vrais travailleurs de la construction d'évoluer dans leur métier et de s'adapter a l'évolution de l'industrie, à de nouvelles méthodes de travail, à de nouvelles techniques, à la réorganisation du travail sur les chantiers.

Le syndicalisme devrait s'adapter aux nouvelles tendances de l'industrie de la construction. Nous présentons ici quatre aspects précis de l'industrie de la construction qui tendent à démontrer que, loin de se compartimenter, les différents métiers de la construction ont plutôt tendance à se regrouper, à devenir interdépendants. Cela est dû en grande partie aux changements technologiques.

La préfabrication. On pense tout de suite aux maisons préfabriquées, mais on a souvent tendance à oublier que beaucoup d'édifices modernes comportent un très grand nombre de dalles et de panneaux préfabriqués, habituellement en béton. Le chantier olympique en a été un exemple frappant et cette technologie se répand de plus en plus. L'emploi de grandes surfaces de verre remet aussi en question le rôle traditionnel de ceux qui s'occupent de finition extérieure. Les portes et les fenêtres arrivent toutes faites dans leur cadre et il ne reste plus qu'à les poser. Il en est de même pour les armoires qui sont préfabriquées en usine. La fabrication de pièces de verre est avantageuse sur le plan économique et elles constitue une tendance qui, loin de se résorber, va continuer de s'accentuer. L'effet de cette évolution est de favoriser la création de nouveaux postes et ceci se fait au détriment des charpentiers-menuisiers qui ont parfois 15 à 20 ans d'expérience et qui voient leurs chances de trouver de l'emploi réduire continuellement.

Ces nouvelles techniques ont aussi affecté les briqueteurs. Pourtant, ces hommes de métier, qui sont par définition des hommes de précision, auraient pu s'adapter graduellement pour accomplir de nouvelles tâches connexes. La structure de métiers dans laquelle leur syndicat les a emprisonnés les a empêchés de s'ouvrir à ces nouvelles techniques.

Les grues. L'emploi systématique de grues sur les chantiers vient bouleverser considérablement le rôle traditionnel dévolu aux manoeuvres. La manipulation des matériaux est de plus en plus mécanisée et de nombreux manoeuvres apprennent avec surprise que l'occupation qu'ils ont choisie n'a peut-être pas autant d'avenir qu'ils le croyaient.

Les plastiques. Dans la tuyauterie, le métal et en particulier la fonte sont remplacés par les matières plastiques très solides mais aussi très souples et très faciles à manipuler. De nombreux tuyauteurs se retrouvent aujourd'hui suréquipés en outils de toutes sortes et ils sont souvent remplacés par d'autres personnes mieux au courant de la façon de manipuler ces nouveaux matériaux.

Ces tuyauteurs, si on les avait incités à avoir une plus grande polyvalence, auraient pu facilement se recycler et travailler à l'installation de systèmes de gycleurs à incendie, de chauffage ou de climatisation au lieu d'être mis au chômage et remplacés par des nouveaux venus. Malheureusement, on a préféré créer d'autres spécialistes pour chacune de ces tâches et les tuyauteurs sont laissés pour compte.

Le gypse, c'est un autre de ces exemples. L'emploi du gypse a bouleversé les métiers de la truelle et, en particulier, le métier de plâtrier. En fait, il a presque éliminé le métier de plâtrier. Par contre, on a besoin de tireurs de joints. On a encore une fois créé de nouveaux spécialistes et on a laissé pour compte les plâtriers. Le résultat est qu'on demande de moins en

moins de plâtriers et de plus en plus de tireurs de joints, alors qu'il aurait plutôt fallu informer les plâtriers de cette nouvelle tendance dans l'industrie de la construction et les inciter à ces nouvelles techniques.

La négociation unique. Ni du côté des unions internationales, ni du côté de la FTQ, voire même du côté des associations patronales, on n'accepte le principe de la négociation unique et d'une seule convention collective à l'échelle de l'industrie et de la province. D'une part, l'expérience démontre que les unions internationales et celles de la FTQ veulent revenir aux conditions de travail suivant les différents métiers. D'autre part, certaines associations d'employeurs recherchent des conditions de travail différentes pour la construction industrielle, commerciale et domiciliaire. Les intérêts sont donc véritablement divergents. Il ne faut pas s'étonner des obstacles rencontrés, des négociations en coulisse.

Il est inacceptable et on ne doit pas tolérer que des ententes collectives établissent des classes salariales entre les travailleurs assignés à la construction domiciliaire par rapport à l'industriel et au commercial. Il ne faut pas créer de disparités salariales entre les travailleurs de la construction. Tous les travailleurs de la construction doivent être considérés sur un pied d'égalité, quel que soit le secteur de construction où ils oeuvrent. C'est un acquis capital obtenu par des luttes passées.

Si vous me permettez un aparté, toute l'argumentation entendue ce matin concernant cette justification du domiciliaire par rapport à l'industriel et au commercial ne tient pas du tout, à notre avis. Ce n'est pas en fonction d'un secteur d'activités quelconque que les travailleurs doivent être rémunérés, mais bien en fonction de leurs qualifications. Souvent, des travailleurs de la construction commerciale et industrielle sont appelés à travailler dans le secteur de la construction domiciliaire. Ils changeraient de convention à partir du moment où ils changeraient de construction et l'employeur pourrait faire de la discrimination en envoyant certains salariés sur des chantiers domiciliaires parce qu'ils gagneraient moins et sur des chantiers commerciaux parce qu'ils gagneraient plus. C'est ce genre de bordel qu'on n'accepte pas.

Le policier du gouvernement du Québec qui travaille dans les zones rurales n'a pas les mêmes responsabilités que celui qui travaille dans les zones urbaines et, pourtant, il n'a pas droit à un salaire différent. C'est la même chose pour une infirmière qui travaille dans un centre d'accueil et une autre qui travaille dans un centre hospitalier universitaire avec des responsabilités de recherche. Nous sommes absolument contre une division de l'industrie de la construction faite de cette façon.

L'État a manqué d'agir énergiquement et avec audace depuis plus de dix ans. Pour ne pas avoir retenu toutes les recommandations de la commission Cliche, pour avoir mis de côté, à toutes fins utiles, le rapport du comité Hébert, particulièrement les recommandations touchant le processus de négociation dans un régime de pluralisme syndical, l'État a hypothéqué plusieurs retombées positives de ces différentes positions, et que l'on ne nous objecte pas l'ignorance de ces rapports. Nous avons tout lieu de croire que le ministre de l'époque et ceux en poste depuis en connaissaient passablement la teneur.

L'État s'apprête-t-il à manquer encore d'énergie lorsque son ministre du Travail actuel semble vouloir se prononcer en faveur d'une remise en question du système de représentation actuel, du principe du pluralisme syndical dont la commission Cliche avait recommandé le maintien en 1975 et le rapport Hébert, en 1977, qui l'avait à son tour maintenu?

La loi elle-même ne doit pas paralyser le processus de négociation. Au lieu de jongler avec l'hypothèse du monopole de représentation et celle de la négociation à caractère sectoriel que son parti a pourtant dénoncées chaque fois que le gouvernement libérai l'évoquait au début des années soixante-dix, le ministre du Travail devrait procéder avec fermeté pour que soit véritablement reconnu, premièrement, le principe du pluralisme syndical comme outil de base pour l'expression des travailleurs quant à leur choix d'allégeance syndicale.

Pour que s'exprime ce choix en toute liberté et sans représailles de quelque nature que ce soit, la loi doit être modifiée à son article 32 de façon à faire disparaître la présomption de choix. Au lieu de faire connaître ce choix par voie de scrutin à l'office, il devrait plutôt être fait par voie de vote postal. Ainsi, il en coûterait beaucoup moins à l'office et le caractère universel du vote des salariés serait respecté.

L'exercice du plein droit d'expression et de décision à la table de négociation de toute partie représentative, c'est notre deuxième recommandation. Il y a lieu d'accorder à chaque travailleur le droit de décider de son allégeance syndicale. Ce n'est pas uniquement permettre à un employeur par l'intermédiaire de l'OCQ de savoir où diriger ses contributions. Dans ce cas, c'est surtout reconnaître pleinement son droit d'association, c'est-à-dire le droit de participer à toutes les activités pendant tout le processus de négociation, particulièrement celui de revendiquer, de manifester et de décider de ses propres conditions de travail y compris le moment de décider de l'opportunité de la grève. D'où la nécessité d'accorder à son association le plein droit de le représenter à la table de négociation.

Notre troisième recommandation: une seule négociation fixant les conditions de travail pour tous les métiers, les emplois sur tout le territoire du Québec, ce qui n'empêche pas que l'on puisse retrouver dans le décret des taux différents d'un métier à un autre, mais non pas d'une région à l'autre. Il n'est cependant pas acceptable socialement qu'une prime de hauteur ou une prime d'éloignement ou de conditions de transport soit différente parce qu'on est peintre, menuisier, électricien ou mécanicien d'ascenseur. Permettre la négociation par métier ou par secteur à l'intérieur de toute l'industrie, ce serait revenir à l'anarchie: des conditions d'heures de travail, de vacances, des congés, de dates de fins de conventions différentes.

Un nouveau processus de négociation. La loi doit prévoir pour l'industrie de la construction une commission de négociation formée de trois personnes compétentes dans le domaine des relations du travail, n'ayant aucun intérêt dans l'industrie et dont le mandat serait le suivant: convoquer et fixer les réunions de la table unique de négociation; recevoir l'avis de négociation, le transmettre; recevoir les projets et les contre-projets et transmettre aux parties; éliminer des projets et des contre-projets tout ce qui ne peut être négociable en vertu de la loi et les signifier aux parties; présider les réunions de la table unique de négociation.

Après soixante jours de négociation, une des alternatives pourrait être prise: être en accord sur le résultat et le soumettre aux travailleurs ou recourir à la commission qui se transforme en commission de médiation. Elle aurait trente jours pour tenter une entente.

Au terme de la médiation, si la condition de l'unanimité n'est pas trouvée, la commission de médiation soumet aux parties un projet de règlement qui doit faire l'objet d'un scrutin postal auprès de tous les travailleurs, tenu sous la responsabilité d'un président neutre avec le maximum de garantie possible pour en assurer l'efficacité et l'intégrité. Le rapport du scrutin postal est produit dans les trente jours suivant le rapport de la commission.

La majorité absolue de ceux qui ont voté est requise pour l'acceptation ou le rejet du rapport.

Suivant le rapport, l'exercice du droit de grève ou de lock-out suit son cours. Sur ce chapitre, le moins que l'on puisse exiger comme modification à la loi, c'est qu'on donne suite aux recommandations du comité d'étude et de révision sur les relations du travail dans l'industrie de la construction, le comité Hébert.

La situation économique, bien sûr, n'aide pas. L'année 1983 n'est pas passée à l'histoire comme une année de reprise dans le domaine de la construction. Les effets de la crise se sont fait davantage sentir, entraînant de graves conséquences pour un nombre élevé de salariés. En effet, le taux de chômage a atteint des niveaux record, alors que le nombre de salariés actifs a continué de diminuer et qu'on a assisté au surplus à une baisse totale d'heures travaillées par l'ensemble des salariés de la construction. Et cette situation a semblé s'expliquer par la paralysie presque totale des activités dans les secteurs commercial, industriel et du génie.

Les statistiques de l'Office de la construction du Québec indiquent que plusieurs métiers de la construction demeuraient décimés par le fléau du chômage. Au milieu de l'année, on dénombrait chez les menuisiers près de 6000 personnes sans emploi. Chez les opérateurs de machinerie lourde, on comptait près de 2500 chômeurs. Il y avait près de 3000 chômeurs chez les électriciens, 1500 chez les monteurs d'acier de structure et près de 700 chez les ferblantiers. Au total, 34% de la main-d'oeuvre disponible se trouvait sans emploi, soit 29 232 salariés, sur un total de 86 000. (15 h 30)

On a constaté peu de nouvelles mises en chantier importantes au cours de 1983. En fait, le secteur non-domiciliaire et celui du génie ont tous deux connu des performances décevantes.

L'année 1984 ne laisse pas présager une meilleure situation. En effet, les premières statistiques de 1984 concernant la situation de l'emploi dans l'industrie de la construction ne sont guère encourageantes. Au 18 janvier 1984, le taux de chômage officiel s'établissait à 44% de toute la main-d'oeuvre disponible dans l'industrie.

En effet, sur 96 356 salariés classifiés, 42 391 se trouvaient en disponibilité. Les métiers qui s'en tirent le mieux sont les poseurs de revêtement souple, les mécaniciens d'ascenseurs, les carreleurs et les couvreurs. Ces groupes ne représentent toutefois qu'une faible proportion de l'ensemble de la main-d'oeuvre. Par contre, c'est chez les mécaniciens de chantier, les chaudronniers et les mécaniciens de machinerie lourde que le chômage sévit le plus. Dans ces trois cas, la main-d'oeuvre inactive s'établit à plus de 60%. La situation est également pénible pour les manoeuvres: 25 500 travailleurs dont la moitié sont en chômage. Les statistiques ne sont pas très roses non plus. Dans l'ensemble du Québec, ce sont les régions de Hull et de Saint-Jean-sur-Richelieu qui s'en tirent le mieux avec des taux de chômage respectifs de 27% et 29%. Dans la péninsule gaspésienne, à Rivière-du-Loup et dans le Bas-Saint-Laurent, le chômage atteint des proportions catastrophiques avec des taux variant entre

60% et 78%. Même situation à Roberval et Chicoutimi. L'Estrie fait meilleure figure avec un taux de chômage de 36% alors que dans les Bois-Francs et en Mauricie, la proportion de chômeurs varie entre 52% et 61%. Sur les 30 000 salariés classifiés de Montréal, plus de 10 000 sont sans emploi alors qu'à Québec, la moitié de la main-d'oeuvre est sans emploi.

Les perspectives pour 1984 varient d'un expert à l'autre. Alors que certains prévoient un prolongement du boom dans le domaine domiciliaire, d'autres croient que le marché de l'habitation neuve est près d'atteindre un niveau de saturation.

En ce qui concerne les investissements dans les secteurs industriels et commerciaux, il faut tenir compte de l'ensemble des perspectives de l'économie québécoise et les prévisions vont d'un optimisme prudent à modéré. Personne ne parle en tout cas d'une reprise majeure. Enfin, les travaux de génie devraient être sensiblement à la hausse puisque le Québec se retrouvera en période électorale, ce qui favorisera l'octroi de subventions aux municipalités et le lancement de quelques grands travaux routiers.

M. Rocheleau: Ah! Ah!

M. Gingras: Mais c'était la même chose avant:

Le Président (M. Fortier): M. le député de Hull, vous feriez mieux de ne pas parler.

M. Rocheleau: II devrait y avoir des élections à tous les ans.

Une voix: Cela n'a pas changé depuis...

M. Gingras: Pas beaucoup, pour les travailleurs de la construction en tout cas.

L'aspect belliqueux des patrons est des plus inconséquents et rétrogrades. La situation économique est telle qu'il faut en profiter. Le temps est à l'affrontement.

Le salaire est le grand responsable. Coupons de 20%, disent-ils.

Une voix: Cela n'a pas changé.

M. Gingras: Le grand responsable de la situation, c'est la hausse du coût de production qui n'est pas due à la taxe sur les matériaux ni au taux d'intérêt mais aux salaires. Ils ne représentent pourtant que 30% à 35% du coût de production dans la seule construction domiciliaire. Les statistiques des dernières années sont à savoir que les coûts de main-d'oeuvre ont baissé de façon radicale. Un petit exemple en passant: Quand le taux d'intérêt hypothécaire augmente de cinq huitièmes pour cent, cela équivaut à 10% d'augmentation consentie aux travailleurs de la construction. L'impact est exactement le même. Je vous laisse faire vos propres déductions avec la situation de taux d'intérêt hypothécaire qu'on a connue depuis quelques années. Le grand responsable de la situation c'est la hausse du coût de la production. La diminution serait-elle due aux matériaux usinés, aux nouvelles techniques de travail plus mécanisées? Cette tendance n'a pas diminué surtout depuis les dernières années. Faudrait-il plutôt songer à rendre responsable du coût de production toute la gamme nouvelle de spéculateurs, d'intermédiaires inutiles que sont les sous-entrepreneurs ou les employeurs dits spécialisés, ou encore les développeurs de tout acabit, véritables spéculateurs?

B) II faudrait déréglementer tout au moins une portion de l'industrie de l'habitation. Comme il existe une lutte politique à l'intérieur des associations patronales, une fraction importante du patronat concentrée dans le secteur domiciliaire ne se gêne pas pour affirmer que pour qu'il y ait relance, on doit passer obligatoirement par la reconnaissance d'un statut particulier pour le secteur domiciliaire avec une petite "conventionnette", salaire minimum, conditions normatives différentes, sans trop de coûts. Il faudrait au moins déréglementer, disent-ils, cette portion de l'industrie de la construction et l'enlever de ce qui dans la loi est identifié comme un obstacle au profit. Donc, une amélioration de la situation économique et attention: "Cela pourrait barder si les entrepreneurs des autres secteurs demeuraient insensibles aux arguments de ce secteur de l'habitation." C'est une citation de cette association de l'habitation.

Les employeurs ne respectent même pas leurs engagements. Le décret est devenu presque une fiction. "Il y a de plus en plus d'employeurs qui n'appliquent pas le décret. Comme il y a beaucoup moins d'ouvrage, la concurrence devient plus violente. Les entrepreneurs coupent alors leurs prix pour obtenir des contrats. D'autre part, l'employeur ne fait pas plus d'argent en coupant les salaires parce que la raison pour laquelle il coupe les salaires, c'est pour aller chercher un contrat pour lui et ses gars." Voilà ce qu'affirment les employeurs. C'est à ne rien y comprendre.

Les employeurs responsables en grande partie du braconnage et du travail au noir. Le président Franco Fava, de l'AECQ, que vous avez eu l'occasion d'entendre ce matin, l'a admis dans son journal la Stratégie, le 16 décembre 1983: "D'après un sondage-maison, plus de 30% des heures travaillées ne sont pas rapportées à l'office. Ce matin, il nous disait 25%, mais dans son journal il disait 30%. Quant aux heures rapportées par nos membres, dit-il, il est évident qu'une bonne partie ne correspond pas à la paie des

salariés". C'est un ajouté qui est très important.

Faut-il être cynique et arrogant pour ajouter: "Que les chefs syndicaux se le tiennent pour dit: les taux du décret ne se paient plus parce que le prix réel de main-d'oeuvre a été fixé par l'offre et la demande."

Qui crée cette offre et cette demande si ce n'est l'employeur? Nouvelle citation. "Nous avions prévenu les syndicats au début de l'année quand nous avons essayé d'enlever 10% du 1er mai. Ils n'ont rien voulu savoir. Eh bien, aujourd'hui, leurs membres travaillent en-dessous de la table à 8 $ et 10 $ l'heure."

Enfin, que dire de toute cette économie souterraine de la construction qui est en grande partie constituée de ces tentatives de dissimulation délibérée des entrepreneurs afin d'éviter le paiement d'impôts et des charges sociales.

Pour les vrais travailleurs de la construction, de telles pratiques menacent non seulement leur droit au travail et leur sécurité, mais affaiblissent dangereusement le pouvoir de négociation de leurs associations représentatives et débalancent l'équilibre déjà précaire qui s'était instauré dans les relations du travail de l'industrie avec le règlement de placement en 1977. "Où nos jobs sont-elles passées", crient les vrais gars de la construction? La situation dans l'industrie de la construction est de plus en plus préoccupante. Les statistiques révèlent, en effet, qu'il n'y avait plus, en 1982, que 77 000 salariés actifs dans l'industrie. On est loin des 150 000 salariés qu'on a connus au milieu des années 1970.

Le pourcentage de salariés qui, en 1982, ont travaillé moins de 500 heures atteint des proportions alarmantes. D'un autre côté, on constate, à l'extrême droite du tableau, que le nombre de salariés ayant travaillé plus de 1500 heures a diminué considérablement. Rappelons que 1500 heures représentent l'équivalent de dix mois de travail. Nous avons un tableau ici qui nous indique la moyenne des heures travaillées en 1982.

Forte de ces constatations, la CSD-Construction, en octobre 1983, a fait au ministre du Travail la proposition qui suit: un gel total et temporaire des effectifs dans l'industrie de la construction. Ce gel se ferait en deux étapes: premièrement, il y aurait au 1er avril 1984 un renouvellement automatique de toutes les cartes de classification émises en 1982, peu importe le nombre d'heures travaillées. Deuxièmement, entre le 1er avril 1984 et le 30 mars 1985, aucune nouvelle carte de classification ne serait émise, ce qui forcerait les employeurs à puiser à même la main-d'oeuvre existante. Cette mesure pourrait même être reprise en 1985 si la situation de l'industrie ne s'améliorait pas.

Il faut tout simplement ajuster l'offre à la demande de façon à rétablir un certain équilibre. "Plus il y a de chômeurs et plus il y a de main-d'oeuvre disponible, plus ça fait l'affaire des employeurs. On négocie à rabais, on encourage le travail au noir. On intimide les salariés et on fait du chantage avec eux."

Il faut reconnaître qu'en interdisant l'accès à l'industrie aux nouveaux venus on n'améliore d'aucune façon la situation générale de l'emploi au Québec. Selon la CSD, cette mesure risque même d'être impopulaire dans certains milieux. Mais il faut protéger les gars de la construction. Le salarié de la construction a déjà assez de problèmes dans sa propre industrie sans qu'on vienne l'accabler avec les nouveaux venus qui travaillent dans la clandestinité ou encore en créant de nouveaux spécialistes de tout acabit qui viennent prendre le contrôle de "jobs" que lui-même pourrait très bien effectuer.

Le ministre du Travail, M. Raynald Fréchette, a donné partiellement raison à la CSD-Construction en décrétant que les cartes de classification de tous les travailleurs de la construction échues le 1er mars 1984 seraient renouvelées automatiquement jusqu'au 1er mars 1986, peu importe le nombre d'heures travaillées en 1983. La décision du ministre se justifiait comme suit: "Cela va permettre à plusieurs vrais travailleurs de la construction de conserver leur carte, même s'ils n'ont pas travaillé le nombre minimum d'heures requises". Malgré cette décision, le travail au noir n'est pas disparu.

Mais qui donc travaille sur les chantiers? Est-ce possible qu'il y ait 10 000 travailleurs clandestins, 4000 employeurs sans licence - l'OCQ, à Montréal seulement, en a relevé 1000 - 9000 entrepreneurs artisans ou spécialistes? Les chantiers regorgeraient d'une main-d'oeuvre clandestine, illégale, dont les heures ne sont pas déclarées. Ce phénomène de braconnage des emplois est devenu un système organisé parallèlement provoquant une crise dont les travailleurs sont victimes.

En effectuant des visites surprises sur plusieurs chantiers, des représentants de la CSD-Construction ont pu relever plusieurs cas d'embauche illégale. Pour illustrer ce phénomène, voici, entre autres, trois cas. Un premier: le promoteur Recyclage Shafter, avec les dates, les endroits et le projet: rénovation d'un édifice de trois étages. Le représentant de la CSD-Construction constate que Recyclage Shafter donne le contrat de la pose de la brique à un artisan briqueteur qui, lui, engage des briqueteurs sans carte de classification et de qualification. Les salaires et autres conditions ne sont pas respectés.

De plus, on sait qu'un artisan n'a pas le droit d'embaucher des salariés, mais cela se fait.

Un deuxième cas: la date, l'endroit, le projet, c'est un barrage, l'entrepreneur, Trans-Nord Excavation, Saint-Donat. Le représentant de la CSD-Construction constate qu'une dizaine de salariés travaillent sans carte de classification et de qualification, à un salaire réduit. De plus, ce contrat est subventionné par Environnement Canada.

Un troisième cas: la date, le 28 septembre 1983, l'endroit, Saint-Gabriel-de-Brandon, l'entrepreneur, Malo Construction et d'autres sous-traitants, pour la construction d'une aréna pour nos municipalités. Sur ce chantier subventionné par le gouvernement fédéral, un représentant de la CSD-Construction constate qu'une vingtaine de personnes travaillent sans carte de classification et de qualification et à un salaire inconnu.

De plus, nous reproduisons le témoignage d'un travailleur. En 25 ans de travail dans l'industrie de la construction, il affirme n'avoir jamais manqué de travail pendant plus de six mois, sauf en 1982 alors qu'il a dû trouver un emploi dans un autre secteur. (15 h 45)

II n'attribue pas cette situation aux conditions économiques mais au travail au noir. Selon lui, l'embauche illégale atteint des proportions jamais vues auparavant et les vrais travailleurs de la construction, ceux qui suivent les règles, sont ceux qui en souffrent le plus. Il fait part d'une expérience qu'il a lui-même vécue au chantier du centre commercial Rockland alors que, à l'arrivée des inspecteurs de l'OCQ, "la moitié des gars allaient se cacher dans les corridors, les souterrains, les sous-sols, les remises, etc.

Le Président (M. Fortier): ...

M. Gingras: C'est cela. Il déplore à cet effet que les inspections faites par l'OCQ soient totalement inefficaces. Selon lui, les inspecteurs sont trop bien indentifiés. Ils ont tous l'uniforme à présent, vous savez cela. De plus, il existerait un réseau de communications entre les employeurs de chantiers rapprochés. Ainsi, ceux-ci s'avertiraient entre eux de l'arrivée prochaine des inspecteurs. "Le système de walkie-talkie fonctionne, je vous le dis. Ils sont faciles à reconnaître", précise-t-il. "Les employeurs se moquent d'eux. Ils embauchent n'importe qui, commettent des manquements à la sécurité et ça leur coûte moins cher."

Les pressions politiques. Si les employeurs sont en quelque sorte responsables de ce problème de travail clandestin, il faudrait sûrement rappeler que les pressions politiques semblent s'exercer avec un certain succès sur l'organisation paragouvernementale chargée d'appliquer les lois de l'industrie de la construction afin qu'elle laisse la garde de la réglementation au profit du travail clandestin. Certains députés ont réclamé le retrait de la carte de classification, d'autres l'émission de permis spéciaux pour les travailleurs occasionnels.

Pourrait-on croire qu'intentionnellement le gouvernement, en resserrant le budget de l'Office de la construction, aurait forcé ce dernier à laisser aller ses propres contrôles? Nous faisons référence à ceci, à l'intervention dans la négociation des inspecteurs de l'Office de la construction et du personnel de l'Office de la construction où le Conseil du trésor a imposé les politiques salariales, les heures de travail, etc. qui étaient valables pour les fonctionnaires, mais qui sont nettement inadéquates pour le genre de travail que ces inspecteurs doivent faire pour contrer les abus et le travail au noir qui se fait dans l'industrie de la construction.

Émiettement graduel du champ d'application. En plus du travail au noir et des conditions économiques difficiles, un autre facteur est identifié comme étant la source des problèmes que l'on connaît aujourd'hui. Il s'agit de toute la question de la juridiction de la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction.

Le champ d'application qui constitue les limites du gagne-pain des salariés de la construction subit des assauts constants de la part du gouvernement et de ses instances encouragées par le patronat. Les salariés de la construction valent-ils moins aux yeux du gouvernement que ceux des professions médicales et juridiques?

Il faut redonner aux salariés de la construction ce qui leur revient: leur droit au travail dans leur industrie.

Le champ d'application de la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction fait référence à trois dimensions précises: le lieu, la population et les travaux. C'est au niveau de la population et des travaux que le champ d'application a connu le plus d'attaques. En 1970, le champ d'application professionnel et industriel était défini dans chacun des décrets régionaux. Ce champ d'application était alors négocié par les parties contractantes et soumis à l'approbation du ministre.

Depuis décembre 1970, à la suite des modifications apportées par le gouvernement, le champ d'application est déterminé de trois façons.

Premièrement, il est défini dans la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction. Il est ensuite clarifié par l'adoption de règlements. Et, enfin, les litiges sont arbitrés par le commissaire de la construction.

Avant 1968, la définition du champ d'application était relativement large:

Construction, cela incluait les travaux de fondation, d'érection, d'entretien, de rénovation, de réparation, de modification et de démolition de bâtiments et d'ouvrages de génie civil exécutés sur les lieux mêmes du chantier et à pied d'oeuvre, y compris les travaux préalables d'aménagement du sol. Vous voyez la définition qui existait en 1968. Le caractère principal est que tout travail exécuté sur les lieux mêmes du chantier et à pied d'oeuvre est assujetti au décret de la construction.

Or, depuis décembre 1970, le champ d'application du décret a cessé d'être "négocié" et est devenu une réglementation. Le champ d'application professionnel et industriel du décret est maintenant celui déterminé par la loi. Cette façon de procéder permet au gouvernement toutes les initiatives, voire tous les abus dans la définition et l'interprétation du champ d'application du décret de l'industrie de la construction, particulièrement par le biais du pouvoir d'édicter des règlements.

Qu'ont perdu les travailleurs de la construction depuis 1968? Le verre plat. On en discutait ce matin et nous reprenons l'argumentation de M. Fava dans le même sens. En 1973, on a exclu, sans trop réfléchir, du champ d'application du décret de la construction, les travaux de pose ou de montage de verre plat. Cependant, peu de temps après, le décret du verre plat modifie son champ d'application industriel pour inclure les travaux d'installation de revêtements préfabriqués incluant, entre autres, le revêtement en déclin d'aluminium. Ces travaux n'étant pas reliés directement à la pose ou au montage du verre plat allaient entraîner un conflit de juridiction entre le décret de la construction et celui du verre plat.

Heureusement, la question a abouti devant les tribunaux et c'est la Cour d'appel qui a tranché, en novembre dernier, en reconnaissant la juridiction de l'industrie de la construction sur ce type de travaux et ce, je vous le ferai remarquer, après dix ans d'efforts. Cette décision favorise les vrais travailleurs de la construction et elle contribuera à améliorer les conditions de travail des poseurs de revêtements préfabriqués. Cependant, ce n'est pas encore complet. Comme le disait M. Fava, toute la pose du verre sur les chantiers de construction était de tradition le travail des travailleurs de la construction, et ça leur a été retranché.

Les travaux de rénovation exécutés par des salariés permanents d'institutions publiques et parapubliques et les artisans. En 1979, on ajoute deux autres exclusions. La première exclut les travaux de rénovation et de modification exécutés par les salariés permanents des commissions scolaires, des collèges et des établissements de services sociaux et de santé. En fait, il s'agit d'un élargissement du genre de travaux que peuvent effectuer les salariés permanents de ces établissements au détriment des salariés de la construction.

Pour vous donner un exemple de ce à quoi cela a conduit, je connais personnellement quatre plâtriers de l'industrie de la construction avec certificat de classification qui ont été embauchés au CHU de Sherbrooke à des conditions différentes, dont les heures n'ont pas été rapportées. C'est ce genre de situation qui se produit avec l'exclusion de ces travaux. Qu'on ne nous fasse pas accroire que ce sont des salariés permanents de l'employeur, bien sûr il y a une convention collective, mais, quand il fait ce genre de travaux, il fait appel à des salariés supplémentaires. Où va-t-il les chercher? Où ils sont qualifiés, ce sont des travailleurs de la construction disponibles. Là, on leur donne un salaire différent parce qu'ils vont travailler dans ces endroits. Ils ne sont plus couverts par leur convention collective, ils ne sont plus couverts par leur fonds de retraite, ils ne ramassent plus d'heures pour conserver leur qualification et leur certificat de classification. C'est ce qu'on fait avec eux.

La deuxième exclusion concerne les artisans qui exécutent des travaux de construction aux fins personnelles autres que commerciales ou industrielles d'une personne physique. Sous prétexte de favoriser les consommateurs, on ouvre la porte au braconnage.

Les travaux agricoles. Tous les travaux exécutés par des salariés à l'emploi d'entrepreneurs de la construction pour le compte des entreprises agricoles sont exclus. Remarquez bien, tous les travaux exécutés par des salariés à l'emploi d'entrepreneurs de la construction sont exclus. Les fermes traditionnelles n'existent plus, ce sont de grosses fermes industrielles. Allez voir les équipements qui sont installés là-dessus. On fait appel à des électriciens, à tout un personnel spécialisé. Ils sont exclus. Comme les fermes ne sont pas capables de faire ça avec leur personnel, elles font appel à des entrepreneurs, mais parce que les travailleurs vont travailler sur ce genre de chantier, ils ne bénéficient plus de leurs conditions de travail, ils ne bénéficient pas des heures de travail rapportées à l'office, ils n'ont plus de fonds de retraite, ils n'ont plus rien. Ils s'en vont travailler aux conditions du marché et, assez souvent, au salaire minimum.

Tous les travaux exécutés par des salariés à l'emploi d'entrepreneurs de la construction pour le compte des entreprises agricoles sont exclus. Par exemple, les opérateurs de machinerie lourde, de pelles mécaniques, etc., et on peut même y ajouter les électriciens et les plombiers qui vont y travailler.

Les décisions du commissaire de la construction maintenant. Le manque de précisions dans la loi permet au commissaire de la construction d'exclure les contremaîtres salariés, les commis, les gardiens, les arpenteurs-chaîneurs et combien d'autres salariés. Entre autres, il s'agirait seulement de rappeler tous les salariés qui travaillaient à pied d'oeuvre sur les chantiers et qui ont été exclus par des décisions du commissaire. Le commissaire a été appelé à préciser la notion de site de chantier et par le fait même, il a exclu les travaux à pied d'oeuvre, tels que le transport de matériaux, le terrassement, l'aménagement paysager, l'exploitation de bancs de sable et de pierre à proximité des chantiers de route. Je ne parle pas de carrières permanentes et tout cela, mais l'employeur se construit littéralement sur le site du chantier un endroit pour faire la livraison de son matériel, et cela c'est exclus. Pourtant ce sont des gars de la construction qui font cela. Mais ils n'ont pas de conditions de travail. Ils n'ont plus d'heures rapportées. Ils n'ont plus rien. Quand ils s'en vont là, les conditions de leur convention ne s'appliquent plus à eux. Pourtant, ils ne changent pas d'employeur. Ils sont avec le même employeur et tout cela, mais ils ne sont plus sous la juridiction de la construction. Ce sont des absurdités semblables qu'on retrouve, en fait, dans ces décisions du commissaire de la construction.

Les salariés occasionnels. Un règlement prévoit un statut particulier pour le salarié qui est appelé à travailler occasionnellement sur un chantier de construction. Ce dernier peut en effet obtenir du commissaire de la construction une carte de salarié occasionnel qui décrit la durée, le genre de travaux et pour le compte de qui ces travaux peuvent être exécutés. On dit qu'environ 4000 cartes sont émises annuellement de cette façon. Voilà autant de salariés de la construction privés d'un travail qui leur revient de droit.

Les arpenteurs-chaîneurs, métreurs et hommes d'instrument. Ces travailleurs regroupant 700 spécialistes ont été retranchés, par décision du commissaire Bernier, du champ d'application de la construction. Cette décision pouvait entraîner la désyndicalisation de ces travailleurs, les priver de leurs droits acquis. Bien qu'on ait exigé une action prompte de la part du gouvernement afin de corriger la situation, on attend encore.

Au lieu de s'engager dans l'affrontement, les partenaires dans l'industrie de la construction doivent s'asseoir et s'unir pour stabiliser l'emploi. C'est le gros bon sens qui veut que l'on règle cet objectif prioritaire. Par ailleurs, les employeurs doivent faire la démonstration de leur capacité d'améliorer la productivité. Il faut surmonter la crise économique que l'industrie subit particulièrement, le haut taux de chômage et, d'autre part, le taux de productivité soi-disant faible.

Nous sommes convaincus qu'une des façons d'aider efficacement les salariés de la construction, c'est de travailler à la stabilité de l'emploi.

Stabiliser l'emploi. Il ne s'agit pas de tenter de solutionner la crise économique canadienne et particulièrement québécoise, mais plutôt d'instituer des mécanismes permettant aux agents économiques et gouvernementaux dans l'industrie de la construction de prendre leurs responsabilités pour assurer le redressement de cette industrie.

Un centre de planification. Le principal mécanisme à instituer en vertu de la loi est un centre de planification dont l'objectif général consisterait à assurer le plein emploi dans cette industrie. Doté des instruments d'analyse économique nécessaires, ce centre pourrait établir un programme de construction d'institutions publiques, de réseaux routiers et d'habitations afin d'aider les gouvernements à planifier leurs propres investissements et dépenses. On pourra nous objecter les difficultés réelles que présente cette prévision. Elles s'expliquent beaucoup plus par l'absence de tradition dans ce domaine que par une carence de données statistiques ou par l'absence d'une technique appropriée ou de l'impossibilité de développer cette technique pour évaluer le niveau des investissements dans ce secteur. Sans pouvoir déterminer au dollar près le volume de ces investissements, il y a lieu de croire qu'à la faveur d'un certain effort de recherches statistiques et d'exploitation systématique de certaines sources de données, certaines tendances au moins des investissements dans le secteur de la construction pourraient être utilement décelées: statistiques publiées par la Société canadienne d'hypothèques et de logement, par le Bureau de la statistique du Québec, par Statistique Canada, investissements publics et privés. Il faut rappeler aussi que 52% du volume des investissements dans le secteur de la construction émergent directement ou indirectement des budgets publics, se prêtant d'autant plus à cette prévision.

La proposition de création de ce centre a été présentée par la CSD au sommet économique de Québec et accueillie favorablement par toutes les parties. Une fois appliquée avec succès dans la région de Québec, cette formule pourrait ensuite être étendue progressivement à l'ensemble du Québec. Elle permettrait alors de mesurer efficacement l'ensemble des besoins en main-d'oeuvre et contribuerait à augmenter la sécurité d'emploi des vrais travailleurs de la construction. Quand le gouvernement y donnera-t-il suite?

Un renforcement du règlement de

placement. Il doit être centralisé. (16 heures)

La centralisation du placement. La commission Cliche avait recommandé au gouvernement que le placement des travailleurs de la construction soit fait par l'OCQ. Cela signifierait à toutes fins utiles l'abolition de tous les bureaux de placement syndicaux.

Le gouvernement, un peu timide, en créant l'Office de la construction lui donna le pouvoir de réglementer les bureaux de placement privés syndicaux, de les abolir, de les remplacer par un système contrôlé par l'office. L'office a choisi le plus facile, le moins compromettant, celui de réglementer les bureaux de placement existants et a prévu certains critères de qualification, classification, priorité régionale et autres.

Les règlements concernant le placement. Même s'ils ont constitué une amélioration relative, ils sont encore à l'origine de discrimination. Tant et aussi longtemps que l'on n'aura pas le placement totalement centralisé à l'Office de la construction du Québec, les employeurs pourront refuser d'embaucher un salarié parce qu'il est membre d'une telle association syndicale plutôt qu'une autre. Le droit au travail doit être rattaché à des critères objectifs de qualification et non pas à leur allégeance syndicale.

Réglementation de mise à pied. Outre une telle réglementation appropriée a l'embauche, il en faut une quant a la mise à pied. Le travailleur embauché en vertu des nouveaux règlements de placement devrait avoir la possibilité de conserver son emploi lors d'une mise à pied. L'ordre inverse de l'embauchage tenant compte des critères connus devrait être un principe reconnu dans la loi tout en privilégiant la priorité régionale.

L'application rigide du règlement de placement par l'arrêt immédiat des travailleurs clandestins, entre autres ceux qui ne possèdent pas de carte de classification s'avérerait un moyen efficace pour enrayer en partie le travail au noir.

L'encouragement à la polyvalence et au recyclage des salariés de la construction. Depuis plusieurs années, la CSD-Construction préconise que l'on décloisonne les métiers de façon à permettre aux salariés d'avoir accès à des métiers connexes à celui qu'ils pratiquent. Pourquoi, au lieu de créer de nouvelles spécialités, ne permettrait-on pas aux salariés qui ont la compétence et l'expérience d'une certaine technique, de pouvoir utiliser cette technique dans des métiers connexes? On favoriserait ainsi la stabilité et la sécurité d'emploi et on permettrait de faire travailler les vrais salariés de la construction.

Face aux changements technologiques qui affectent notre industrie, il apparaît impérieux de permettre aux vrais travailleurs de s'ouvrir aux nouvelles techniques et aux nouvelles compétences qui se présentent. D'où l'importance, pour la formation des salariés, que des programmes soient conçus et mis en application par les agents économiques du milieu, en collaboration avec le ministère de la Ma'm-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu.

La récupération du champ d'application. Devant l'émiettement du champ d'application de la construction et de ses conséquences sur l'industrie, particulièrement par l'envahissement du travail au noir, toutes les parties syndicales représentatives se sont mises d'accord non seulement pour dénoncer la situation mais elles se sont unies pour confectionner et soumettre conjointement à l'intention du ministre du Travail un document sur des modifications profondes à apporter au champ d'application de la loi. Il est joint comme annexe au présent mémoire. Je voudrais vous dire ici qu'il n'a pas été remis à la commission au même moment que notre mémoire mais il a été remis ce matin au préposé à la commission et il est disponible pour être distribué de la même façon que le mémoire.

Il s'agit d'une entente sur une série de modifications a la loi sur laquelle les parties syndicales se sont entendues entre elles. Je ne parle pas bien sûr d'un consensus avec les employeurs mais de l'ensemble des parties syndicales.

Cependant, nous avons cru important de signaler dans notre mémoire quelques-unes des modifications suggérées et de grande importance.

Le salarié permanent doit être mieux défini. On entendait parler tout à l'heure des employés d'une commission scolaire ou d'une municipalité. Je ne pense pas que les travailleurs de la construction réclament le travail qui est habituellement exécuté par les travailleurs permanents de ces entreprises, soit des commissions scolaires ou autres. Mais, il y a lieu de définir qui est la main-d'oeuvre de ces entreprises. Est-ce que ce sont tous les occasionnels qu'ils peuvent se permettre d'embaucher, qu'ils soient 10 ou 1000, ou bien si ce sont les salariés permanents qui ont ce statut acquis dans l'entreprise?

L'artisan. Bien qu'il ne soit pas l'intention de le faire disparaître, il apparaît essentiel de limiter son champ d'activité et de mieux le contrôler.

Le salarié occasionnel: on cherche également à mieux le définir.

Le donneur d'ouvrage apparaît dans les définitions.

L'employeur professionnel voit son obligation et son droit au travail clairement définis.

Toute personne effectuant des travaux de construction se voit fixer un certain

nombre d'obligations.

Certains travaux, tel le travail de construction en forêt ou sur les sites miniers doivent être considérés en construction et même faisant partie du champ d'application.

Le comité mixte n'aura plus simplement comme mandat de donner son avis, mais il aurait un pouvoir de décision sur l'interprétation de la convention ou le décret, si vous aimez mieux, qui sert de convention dans l'industrie de la construction.

L'Office de la construction devra voir ses pouvoirs élargis jusqu'à la possibilité, dans certains cas, de faire cesser les travaux. Quand on parle de travaux au noir, je pense qu'il va falloir aller aussi loin que cela si on veut enrayer ce cancer et cette plaie qui affecte les travailleurs de la construction.

Enfin, l'on devra prévoir pour violation de la loi et du décret, des amendes beaucoup plus importantes capables de prévenir toute récidive.

La santé et la sécurité au travail. Le taux d'accidents est encore trop élevé dans cette industrie. Et des accidents comme Habitat Sainte-Foy ne sont pas étrangers à ce problème que connaît la construction. Il faut voir un lien étroit avec le travail au noir et la santé et sécurité au travail. Cela ne peut être autrement. Les uns veulent l'obtention de contrats de travail, les autres un plus grand profit. On coupe non seulement sur les salaires, les conditions, mais aussi sur les mesures de prévention.

Des mesures de prévention plus adéquates, une organisation paritaire pour l'inspection plus efficace et une meilleure éducation des employeurs et des salariés avec une loi révisée et renouvelée contribueraient certainement à diminuer les coûts économiques et sociaux de la santé et de la sécurité sur les chantiers.

Il est plus que temps que les employeurs fassent preuve de moins d'arrogance et se conforment à la Loi sur la santé et la sécurité en s'associant avec tous les autres partenaires pour former l'association sectorielle de l'industrie de la construction. Qu'ils se rendent compte enfin qu'exiger le droit de veto sur la nomination du président et du budget de l'association est irréaliste si ce n'est le signe d'un simple manque de bonne foi.

Une plus grande productivité. Il est bien évident qu'avec une stabilité d'emploi dans l'industrie de la construction réalisée par les moyens appropriés et suggérés, de même qu'une certaine qualité de vie au travail (santé et sécurité) contribueraient à accroître la productivité.

Nous sommes persuadés que si les partenaires prenaient le temps de s'asseoir, des mesures appropriées pourraient être suggérées et tout un plan d'action pourrait être élaboré et mis en application avec succès, mais pour cela, il faut qu'une certaine paix ait remplacé l'affrontement et que le pluralisme syndical soit véritablement reconnu et que les luttes larvées soient à jamais oubliées et que tous les partenaires aient le désir et la fierté de faire la démonstration qu'ils sont capables de se prendre en main, de prendre en main leur secteur, le faire progresser, d'en vivre et d'en faire vivreses travailleurs. Pourquoi l'industrie de la construction ne deviendrait-elle pas un rouage essentiel de toute notre économie comme autrefois?

En conclusion, messieurs les membres de la commission parlementaire, vous nous permettrez de réitérer nos principales préoccupations devant l'étendue des problèmes qui minent notre importante industrie de la construction.

Il vous faut penser d'abord et avant tout, dans la recherche de solutions, aux travailleurs de cette industrie. C'est pourquoi nous n'appuierons jamais assez sur: la liberté d'allégeance syndicale assurée par le reconnaissance en fait et en droit du principe du pluralisme syndical; l'exercice de plein droit d'expression et de décision à la table de négociation de toute partie représentative; une seule négociation fixant les conditions de travail pour les métiers, les emplois sur tout le territoire du Québec; l'établissement d'un nouveau processus de négociation dont on a fait état plus avant.

De concert avec les partenaires, tout doit être fait pour enrayer ce cancer qu'est le travail au noir. L'emploi doit être stabilisé et pour cela, un centre de planification s'impose. Le placement des travailleurs doit être centralisé et l'on doit avoir non seulement une réglementation appropriée à l'embauche, mais il en faut également une lors des mises à pied: l'ancienneté doit devenir un critère.

La polyvalence doit être encouragée. De plus, le champ d'application doit faire l'objet d'amendements importants afin de sortir de cette industrie toute cette racaille de profiteurs et pour redonner aux vrais gars de la construction leur gagne-pain. Et pour cela, l'Office de la construction doit voir ses pouvoirs plus étendus et toute violation doit être sévèrement réprouvée. Ainsi, l'industrie de la construction retrouvera sa stabilité, la paix et prendra la place qui lui était autrefois réservée. Je vous remercie.

Le Président (M. Fortier): Je vous remercie, M. Gingras, pour la lecture de votre mémoire.

M. Carey: M. le Président, si vous me permettiez d'ajouter un point qui n'est pas dans notre mémoire, mais qui a été soulevé ce matin dans le mémoire de l'association des employeurs...

Le Président (M. Fortier): Ce ne sera pas trop long, j'espère?

M. Carey: Non, cela va être très court. Le Président (M. Fortier): Merci.

M. Carey: M. le ministre a fait référence au fait que l'une des associations syndicales aurait soumis ce point dans son propre mémoire en ce qui concerne le tribunal de la construction. J'ai pris connaissance de la discussion survenue entre les représentants de l'association patronale. J'ai, personnellement, discuté aussi avec l'association syndicale qui a proposé cette formulation dans son mémoire et je peux vous assurer que la CSD-Construction serait en accord avec un tribunal de la construction, ou que ce soit une annexe au Tribunal du travail, mais qu'on ramasse au même endroit tous ces tribunaux que nous avons actuellement.

Le Président (M. Fortier): Alors, je ferai remarquer aux membres de la commission que nous avons un autre mémoire à entendre avant 19 heures. J'ouvre donc la période des questions. M. le ministre.

M. Fréchette: Merci, M. le Président. Je comprends, M. Carey que, pour ne pas le nommer, vous faites référence au mémoire du conseil provincial, n'est-ce pas?

M. Carey: Oui.

M. Fréchette: C'est cela.

Je voudrais aussi, M. le Président, suivant votre exemple, remercier M. Gingras, M. Carey, et le secrétaire du Syndicat de la construction à la CSD, de la présentation de leur argumentation.

J'ai particulièrement remarqué, M. le Président, que les gens qui nous ont présenté ce mémoire ont consacré l'entrée en matière et une bonne partie du mémoire à refaire un historique des différentes situations vécues depuis quelques années maintenant. Je pense, quant à moi, que c'était très utile de nous rappeler cette série d'événements parce que cela met davantage l'emphase sur la nécessité, effectivement, de procéder à modifier un certain nombre de choses pour éviter que, perpétuellement, nous ne nous retrouvions dans ce genre de situations. Nous sommes là, bien sûr, pour entendre des suggestions et des propositions concrètes quant à des modalités de changements ou d'amendements, mais ce genre de rappel historique que vous avez fait est très utile pour les fins des décisions qui devront être prises pour éviter qu'on ne se retrouve dans les mêmes situations.

J'irai très rapidement, M. le Président. J'ai quelques questions seulement. M.

Gingras, permettez que je vous renvoie à la page 52 de votre mémoire sous le titre Réglementation de mises à pied, particulièrement au deuxième paragraphe. Vous faites, de toute évidence, référence à la nécessité de donner des pouvoirs accrus aux inspecteurs de l'Office de la construction quand, par exemple, vous dites: "L'application rigide du règlement de placement par l'arrêt immédiat des travailleurs clandestins, etc." Les gens qui vous ont immédiatement précédé ont également insisté sur la nécessité de faire une vérification très précise des pouvoirs qui sont accordés aux inspecteurs de l'office. (16 h 15)

Les questions que certaines personnes se sont posées sont, entre autres, mais pas exclusivement de la nature suivante: Est-ce que, par exemple, l'inspecteur de la construction ne devrait pas être nanti des pouvoirs nécessaires lui permettant d'obtenir l'identification d'une personne à qui il s'adresse lorsqu'il fait l'inspection d'un chantier. Est-ce qu'il ne devrait pas être nanti de la juridiction nécessaire pour obtenir sur place - je pourrais parler d'à pied d'oeuvre dans ce cas aussi - tous les renseignements pertinents à l'enquête ou enfin à l'inspection qu'il est en train de mener? J'aimerais avoir une précision cependant quant à ce deuxième paragraphe de la page 52, lorsque vous parlez de l'arrêt immédiat des travailleurs clandestins. J'apprécierais quant à moi que vous nous donniez un peu de précisions quant au sens qu'il faut donner au terme "arrêt". Je n'ai pas besoin de pousser plus loin. Vous comprenez très certainement ce que je veux dire lorsque je vous pose cette question.

M. Carey: Je vais répondre à votre question, M. le ministre. Je vous signale immédiatement que, dans l'annexe que nous avons déposée, qui est le mémoire ou le document de travail conjoint des associations syndicales, nous couvrons ce point. Dans les modifications que nous voulons voir apporter, nous demandons que, lorsqu'un inspecteur de l'Office de la construction constate qu'un salarié ne possède pas de certificat de classification, qu'il n'est donc pas un travailleur de la construction au départ... On peut dire que, s'il ne possède pas de certificat de qualification, il peut être un travailleur de la construction, mais il peut faire des travaux et cela lui prendrait un certificat de qualification. Mais la classification, c'est la permission d'être un travailleur dans l'industrie de la construction et les inspecteurs devraient avoir les pouvoirs, lorsqu'ils se rendraient compte, sur un chantier de construction, qu'un de ces travailleurs ne possède pas ce certificat de classification, de lui dire tout simplement: Bonhomme, tu n'as pas le droit de travailler

sur ce chantier. Prends tes outils et sors. Si cela ne se faisait pas, ils pourraient avoir un pouvoir d'arrêt.

Les pouvoirs d'arrêt, vous les avez donnés, M. le ministre, aux inspecteurs en santé et sécurité lorsque des travaux sont considérés dangereux. Cela s'arrête, un chantier de construction. On a parlé des amendes et on pourra les revoir. Je ne veux pas commenter toute l'annexe parce qu'elle est conjointe et que d'autres associations auront à y revenir. On a parlé des amendes modifiées par rapport à la loi. On pourra nous dire: Oui, mais vos amendes nous semblent excessives. Est-ce que les amendes étaient excessives lorsqu'on a légiféré pour permettre à la ville de Montréal de saisir une grosse voiture avec le sabot de Denver? Je ne pense pas. On a voulu faire cela afin que les gens ne passent pas à côté de la réglementation de la ville de Montréal. Or, on dit: II faut que, dans le secteur de la construction, des pouvoirs soient donnés à l'office et que les amendes qui seront données par la suite soient tellement élevées que ces travailleurs quittent et même ne se présentent pas sur les chantiers de construction.

M. Fréchette: M. Carey, la réponse que vous nous donnez répond essentiellement à la question que je posais, mais convenez que ce que vous venez de me dire et le texte qu'on retrouve à la page 52, cela ne se rejoint pas tout à fait. Là, vous parlez de l'arrêt immédiat des travailleurs clandestins, alors que, dans l'explication que vous venez de nous donner, vous parlez de l'arrêt des travaux. Il me semble qu'il y a une distinction tout à fait fondamentale entre les deux situations dont on parle. Je comprenais, à la lecture du texte, que vous suggériez l'arrestation immédiate et sans mandat des personnes qu'on retrouverait sur des chantiers de construction sans permis de classification, mais...

M. Carey: C'est l'arrêt de travail... M. Fréchette: Ah bon! Je pense que...

M. Gingras: Non, c'est l'arrêt... Je pense que ce que M. Carey a expliqué, c'est qu'au départ il faut que l'inspecteur arrête le travailleur, l'empêche de continuer d'effectuer un travail illégalement.

M. Fréchette: Cela va.

M. Gingras: C'est sur-le-champ. Vous savez qu'actuellement, ce qui se produit, c'est que l'inspecteur émet une contravention au gars concerné. Le gars a le temps de finir la "job" avant qu'il ne repasse.

M. Carey: Ce n'est pas de l'emprisonner.

M. Fréchette: D'accord, c'est clair. C'était simplement cette situation que je voulais clarifier pour être sûr des intentions que vous aviez en faisant cette suggestion.

Une autre question rapide à M. Gingras, M. Carey. Vous avez aussi, enfin, longuement discuté de la juridiction, du mandat ou des autorisations dont est revêti l'artisan. Vous l'identifiez également comme étant une cause de problèmes parmi toutes les autres qui existeraient dans le secteur. Quel est, à cet égard, votre position ferme? En d'autres mots, est-ce que la suggestion que vous seriez prêt à mettre sur la table serait l'abolition pure et simple de ce genre de métier ou de statut? Est-ce que ce serait de resserrer les balises qui existent actuellement ou toute autre possibilité qui existe? Quelle est votre position ferme à cet égard?

M. Carey: Encore sur ce point, je réfère aux autres associations parce qu'on est arrivé à une conclusion unanime parmi les associations syndicales. Nous avons accepté et compris qu'on ne peut pas faire disparaître l'artisan. La définition nouvelle qui vous est suggérée par la partie syndicale, c'est qu'un artisan est une personne physique détenant un certificat de qualification du métier qu'il exerce et une licence de la Régie des entreprises en construction - parce que c'est elle qui émet les licences actuellement - faisant affaires pour son propre compte, qui exécute lui-même, sans l'aide de salariés - je précise - des travaux de réparation, d'entretien et de rénovation définis à l'article 19.

Je vais à l'article 19 pour compléter la réponse. On dit: "La présente loi ne s'applique pas aux travaux de réparation, d'entretien et de rénovation exécutés par un artisan aux fins personnelles et non lucratives autres que commerciales ou industrielles d'une personne physique." En d'autres mots, on accepte qu'il y ait des artisans, mais on accepte qu'ils soient artisans. Ils vont faire certains travaux - on se fait dire continuellement que ça coûte trop cher pour faire refaire la galerie, pour faire changer la porte - la rénovation ou la réparation. Ils ne feront pas de construction neuve, ils n'embaucheront pas et ils ne travailleront pas pour des employeurs non plus. C'est la position des associations syndicales.

M. Fréchette: C'est très clair, M. Carey. Une dernière question, quant à moi. Vous avez consacré un chapitre important de votre mémoire au phénomène de la représentativité syndicale. Il est clair, à la lecture et à l'audition de ce mémoire, que vous êtes des partisans farouches du pluralisme syndical. Le même mémoire réfère

à des intentions que j'aurais manifestées d'arriver à légiférer ou à réglementer pour faire disparaître le pluralisme syndical. J'essaie de me souvenir quand, comment et dans quelle circonstance des intentions de cette nature auraient été manifestées et je n'arrive pas à les retrouver. Vous pourrez peut-être me rafraîchir la mémoire. À moins que l'on ne fasse un peu de confusion avec l'appel qui a été fait aux parties au mois d'avril dernier.

En même temps que la prolongation du décret était annoncée, j'avais pris sur moi de demander aux associations syndicales si elles étaient disposées elles-mêmes à prendre le temps qu'il faut, s'asseoir entre elles pour discuter de ce phénomène et peut-être arriver elles-mêmes, les associations syndicales, sans que le gouvernement y soit, sans, bien sûr, que la partie patronale y soit, à faire des consensus, des ententes autour de cette question. Je veux bien - qu'on soit clair là-dessus - quant au pluralisme syndical, respecter la volonté majoritaire des parties, mais, à la suite de cette demande, l'impression que j'avais, c'est que, effectivement, au moins quatre des cinq associations étaient disposées à faire cet exercice. Sauf que je n'en ai pas eu de rapport depuis le 25 avril.

Lorsque j'ai fait la lecture des mémoires de chacune des associations syndicales, je me suis bien rendu compte que l'invitation qui avait été faite au mois d'avril dernier n'a pas été acceptée. Ou alors, si elle a été acceptée, elle n'a pas donné les résultats qu'on aurait pu espérer.

Au-delà de tout cela, tenant pour acquis votre défense farouche du pluralisme syndical, je pense qu'on va accepter de convenir que l'état actuel des choses -l'AECQ le soulevait ce matin dans son mémoire - fait en sorte qu'avant d'amorcer la négociation avec l'employeur, il faut essayer de s'entendre entre nous. Quand je dis "entre nous", je tiens pour acquis que je suis du côté syndical. Cette situation - et c'est tout à fait normal que ce soit ainsi -peut, de toute évidence, créer des embêtements. Est-ce que, M. Gingras et M. Carey, vous faites une distinction entre un mandat de représentation de salariés et un mandat de négociation d'une convention collective? Y a-t-il une distinction entre ces deux phénomènes?

M. Gingras: II existe actuellement une distinction dans la loi. Telle qu'elle est formulée actuellement, il y a un processus de négociation et un processus d'allégeance syndicale qui diffèrent, bien sûr. Quant à nous - je pense que cela a été clairement exprimé dans le mémoire qu'on a déposé devant vous - on est d'accord sur le pluralisme syndical, mais on propose des modifications à la structure de négociation.

Telle qu'elle est prévue actuellement, c'est impraticable. Je pense qu'on a longuement expliqué la situation qu'on connaît depuis 1968 dans l'industrie de la construction et c'est le même scénario qui se reproduit. Pourquoi? Parce que quand on part du principe du pluralisme syndical, quand on accepte cet état de choses, partant de cela, c'est tout à fait différent de ce qu'on retrouve ailleurs dans les unités accréditées en vertu du Code du travail. Or, il faut absolument qu'on ait quand même une structure de négociation qui soit adaptée à ce nouveau phénomène du pluralisme syndical.

Bien sûr, le pluralisme syndical existe dans d'autres pays comme la France et tout cela, mais les modes de négociation ont été adaptés à ce phénomène du pluralisme syndical, tandis qu'ici on applique le pluralisme syndical en ce qui a trait à l'allégeance. Or, quand arrive le temps de négocier, on exclut les travailleurs qui n'ont pas une certaine représentativité de la possibilité de négocier des conditions de travail ou d'être présents dans la négociation des conditions de travail. Il y aurait moyen d'avoir un processus où les travailleurs - les associations de travailleurs, tout au moins -seraient présents dans le processus de négociation avec le degré de représentativité qu'ils ont, bien sûr, et avec la possibilité d'être partie à cette négociation comme membres, dans un système qui ferait que les règles du jeu seraient respectées pour l'ensemble des travailleurs.

Tout cela pour en arriver finalement -et je pense qu'on a précisé cela - à un projet de convention collective déterminé dans une structure qui arriverait à une certaine échéance à partir des demandes et d'une commission dont on suggère la mise en place, une commission de négociation qui arriverait inévitablement à une convention proposée. Si elle n'est pas proposée par les travailleurs et les employeurs par la négociation directe, elle arriverait de toute façon par l'intervention de la commission de médiation après avoir entendu l'ensemble des représentants des travailleurs et tous les intérêts qui sont en cause. Ils émettraient une recommandation et cette recommandation aurait au moins l'allure de conditions complètes d'une convention collective qui pourrait être soumise à l'approbation des travailleurs, non seulement les travailleurs de l'association majoritaire, mais l'ensemble des travailleurs de la construction pour qui ces conditions devront s'appliquer éventuellement, parce que c'est l'ensemble des travailleurs de la construction qui seront couverts par la convention et non pas une partie. Il est normal dans un contexte de pluralisme syndical, quand arrive le temps d'accepter des conditions de travail, que ce ne soit pas seulement une ou deux

associations qui aient intérêt aux conditions de travail qui vont s'appliquer à leurs membres, mais l'ensemble des travailleurs. Quand il s'agit d'accepter ce projet de convention, il est aussi d'intérêt que tous les travailleurs - et non pas 10%, 15% ou 20% -soient appelés à prendre des décisions de rejet ou d'acceptation des conditions de travail.

Il en est de même aussi pour le droit de grève. Si les conditions sont rejetées, ce n'est pas à une association de décider pour l'ensemble qu'il va y avoir une grève, mais il appartient à l'ensemble des travailleurs d'en décider. C'est dans ce contexte que nous proposons une structure de négociation adaptée au pluralisme syndical qui mettra fin à ce genre de situation qu'on a connue jusqu'à présent. (16 h 30)

Le gros problème qu'on vit c'est qu'on ne réussit jamais à former une table de négociation où on peut arriver à présenter au travailleur des conditions de travail qui pourraient être les siennes pendant une période de deux ou trois ans à venir. On n'est jamais arrivé à cela depuis le début. Or, il faut trouver le moyen d'y arriver et on en suggère un justement.

M. Carey: Vous m'avez dit que je pourrais répondre si cela me plaisait, M. le ministre. Au mois d'avril, lorsque vous avez posé la question à savoir qu'on regarde la représentativité syndicale... pour moi, le fait que vous posiez la question signifiait que vous commenciez à penser que le pluralisme syndical n'était peut-être pas la meilleure des choses. J'avais peut-être mal interprété mais c'était...

M. Pagé: Je ne pense pas que vous ayez mal interprété.

M. Carey: C'était mon interprétation à ce moment-là.

Je voudrais aussi vous rappeler, à la suite de la réponse que M. Gingras vient de faire, que j'étais ici en 1968 lorsqu'on a étudié la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction à cette même table. C'était tout un maudit changement de partir du Code du travail et de connaître deux associations syndicales à ce moment-là, pluralisme syndical sur tous les chantiers à l'échelle du Québec. Cela a été une révolution à l'intérieur de l'industrie. Mais Claude vient de mentionner... On n'a pas fait le même exercice au niveau du chapitre de la négociation collective. On a laissé la négociation collective se faire de la même façon qu'elle se fait au niveau du Code du travail. Cela n'a pas changé, on n'a pas permis des organismes pour recevoir - quand on parle d'une commission de construction -toute cette documentation qui vient de part et d'autre. C'est analysé, centralisé, convoqué... D'ailleurs la preuve nous démontre qu'il n'y a pas eu une négociation, depuis, qui a débuté sans l'intervention du conciliateur.

M. Fréchette: M. le Président, la réponse que m'a donnée M. Gingras, les commentaires que vous y ajoutez, M. Carey, répondent à la question que j'avais posée et à plusieurs autres que j'avais inscrites et que je ne poserai pas maintenant parce que j'ai mes réponses. Il faudrait peut-être que l'on relise ensemble, M. Carey, le communiqué du 30 avril, et on verrait très précisément la nature de l'interprétation qu'il faut y donner.

Permettez-moi une dernière question; je vous laisse là-dessus, je laisse à mes collègues ensuite l'occasion de vous en poser. Si effectivement la même invitation était faite aujourd'hui de prendre le temps nécessaire de regarder cette situation-là entre vous de près et d'essayer d'arriver à des suggestions qui pourraient recueillir l'unanimité à l'intérieur des quatre ou cinq organisations représentatives, seriez-vous prêts, quant à vous, à faire cet exercice-là et à le faire intensément en tenant pour acquis - je touche du bois - que la question de la convention et du décret c'est réglé?

M. Carey: M. le ministre, la CSD-Construction ne s'est jamais refusée à participer à quelque étude que ce soit, sauf que pour avoir des partenaires qui veulent arriver à une conclusion ou à un cheminement qui conclurait au même endroit que nous, il faudrait qu'ils acceptent au départ qu'il faut travailler dans le contexte qu'il y a un pluralisme syndical et qu'il faut trouver la conclusion pour ledit pluralisme.

Si vous travaillez et que les partenaires disent: C'est le monopole, c'est difficile d'avancer. On est vraiment ouvert à toute proposition qui serait dans le sens d'améliorer le pluralisme syndical.

M. Frechette: Bien, merci.

Le Président (M. Fortier): M. Gingras, avant de passer la parole à mon collègue de Portneuf, je voulais juste m'assurer que le document auquel vous vous référiez tout à l'heure en annexe est bien le document qu'on vient de distribuer qui est intitulé: "Document préparé par les parties syndicales du comité mixte de l'industrie de la construction". C'est bien celui-là?

M. Carey: C'est exact.

M. Gingras: C'est absolument celui-là.

Le Président (M. Fortier): Merci. M. le député de Portneuf.

M. Gingras: Vous allez constater dans ce document, quand même, une série de propositions concernant des modifications à apporter à la loi, dont on ne fait pas nécessairement état dans notre document mais qui sont en relation avec certains points qu'on soulève et qui seraient de nature à améliorer l'intervention dans l'industrie de la construction.

Le Président (M. Fortier): M. le député de Portneuf.

M. Pagé: Merci, M. le Président. Je voudrais aussi m'associer au ministre pour remercier M. Carey, M. Gingras et les représentants de la CSD-Construction pour le mémoire qu'ils nous livrent, qu'ils ont préparé et qu'ils portent à notre attention ainsi que les recommandations spécifiques qui y sont contenues et qui pourront définitivement faire l'objet d'une réflexion additionnelle et d'analyses plus poussées par les députés des deux côtés de la Chambre.

Je voudrais, dans un premier temps, revenir sur la dernière question qui a été abordée par M. le ministre et qui concerne toute la question de la représentativité aux tables de négociation et la question du pluralisme syndical et du monopole syndical. Effectivement, je retiens de votre mémoire que vous ne jugez pas que le pluralisme syndical ait servi pour le mieux les différentes associations représentatives. Vous vous exprimez avec beaucoup de force contre le monopole syndical et vous recommandez finalement une nouvelle structure, une commission de la négociation qui aurait un mandat bien spécifique, bien particulier avec des délais, etc.

J'aimerais profiter de l'occasion, puisque vous êtes avec nous aujourd'hui devant les membres de cette commission -sans tomber, évidemment, dans la réserve que tout le monde a formulée ce matin à savoir qu'on n'est pas ici pour négocier le renouvellement du décret - pour voir certains aspects avec vous. Vous représentez 9,169% des travailleurs de la construction, presque 10%; vous avez 6478 travailleurs qui ont adhéré à la CSD-Construction au scrutin de novembre 1983. Vous avez vécu une situation de représentativité syndicale où il n'y avait pas de majorité qui s'était dégagée par le vote exprimé par les travailleurs. Vous avez vécu aussi - c'est mentionné dans votre mémoire - une situation où la majorité syndicale était là lorsque le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction et la FTQ-Construction volaient sous la même égide.

Pourriez-vous, pour le bénéfice des membres de la commission... On sait qu'un syndicat comme le vôtre donne différents services à ses membres, est en contact régulier, même fréquent avec ses membres.

Il a aussi une responsabilité au niveau de la fixation et l'établissement des conditions de travail de presque 7000 travailleurs que vous représentez. Jusqu'à maintenant, est-ce que la représentativité des travailleurs qui ont voté pour vous à la CSO s'est vue mieux assumée dans un mécanisme de pluralisme syndical que dans un mécanisme de monopole syndical. Si oui, comment?

M. Gingras: Quand vous posez la question de cette façon, je peux vous dire que, oui, la représentavité des travailleurs a été mieux assumée parce que ce n'est pas seulement le pluralisme syndical. Il y a eu des interventions et les différents intervenants ont quand même réussi, au cours des années, par leurs interventions... Ce n'est pas une association monopolistique qui a décidé, à un moment donné; le gouvernement a dû trancher différentes choses à partir des positions de différentes associations syndicales. Il est sûr et certain que même si le fruit de ces arrêtés qui ont décidé des conditions de travail des travailleurs ne donne pas nécessairement tout ce que les travailleurs recherchaient, plusieurs des revendications, si elles avaient été représentées dans une formule monopolistique, n'auraient pas eu de suite, en fait, dans la négociation nécessairement. Elles ont eu des suites lorsque cela a dû être tranché.

Vous dire si les travailleurs ont été mieux représentés, pour répondre à cette question, quant à nous, c'est oui. Cependant, il leur manque des éléments pour assurer vraiment cette représentation dans un système de négociation qui soit fait à la mesure du pluralisme syndical. C'est ça que nous revendiquons. Actuellement, on peut dire que, parce que ça s'est fait par le biais des commissions parlementaires, parce que ça s'est fait par le biais du ministre et du gouvernement de façon habituelle, on a pu représenter nos travailleurs à ce niveau, mais pas dans la négociation directe avec les employeurs, jamais, dans aucun système.

Ce n'est pas versus l'employeur qu'on a pu bien représenter nos salariés nécessairement, mais par ceux qui ont dû prendre des décisions sur leurs conditions de travail. On a pu assurer une meilleure représentation qui a peut-être tenu compte de certaines dimensions des revendications des travailleurs dont une seule association n'aurait probablement pas tenu compte. Dans ce sens, ma réponse est oui.

M. Pagé: C'est donc dire que les circonstances au cours de ces années ayant voulu que les deux parties ne s'entendent pas sur la totalité des clauses vous auront finalement servi comme syndicat à représenter plus adéquatement ou plus fidèlement les membres qui vous appuient.

M. Gingras: C'est cela. Il ne faudrait pas en faire une règle. On ne dit pas que cela doit être conservé. Au contraire, on voudrait être capables d'assumer nos obligations d'association syndicale représentative au même titre que n'importe quelle autre dans un contexte de pluralisme syndical.

M. Carey: D'ailleurs, M. Pagé, vous savez que l'Opposition aide au gouvernement. C'est la même chose sur le plan syndical, l'opposition ça y est pour quelque chose.

M. Pagé: S'ils nous écoutaient plus souvent, cela irait peut-être mieux pour eux, mais cela est une autre affaire. C'est un choix.

Vous avez abordé la question des artisans et vous recommandez, finalement, qu'on revienne au statu quo ante de la loi 110. Vous recommandez - et là je voudrais, si je n'ai pas bien compris, que vous ajoutiez - que la juridiction du travailleur ayant le statut d'artisan soit limitée à des travaux de rénovation pour des propriétaires uniques.

M. Carey: C'est cela. Des réparations, de l'entretien.

M. Pagé: Devons-nous comprendre que vous faites vôtres les argumentations qu'on a déjà fait valoir, à savoir que, lorsque le ministre Johnson a prévu dans la loi 110 des mesures permettant à un travailleur possédant un certificat de qualification de s'en aller à la Régie des entreprises de construction du Québec, de payer 240 $, de passer un petit examen et de sortir avec une carte d'artisan entrepreneur, ce qui lui donnait le droit d'aller travailler sur les chantiers de construction, c'était une façon de contourner le règlement de placement dans l'industrie de la construction?

M. Carey: C'est une façon de contourner non seulement le règlement de placement, mais de contourner tout le système. M. Pagé, j'aimerais ajouter que j'ai pris connaissance, la semaine dernière - je ne voudrais pas être forcé de nommer qui parce que je serais mal placé - d'un salarié de la construction qui travaille continuellement. En tout cas, disons que c'en est un de 1500 heures et plus. Depuis nombre d'années, il s'en va à la Régie des entreprises de construction et il a obtenu une licence d'entrepreneur en construction, entrepreneur général. Je lui demande: Dis-moi donc, maudit, qu'est-ce que tu vas faire avec ça? Tu as toujours été un salarié et tu travailles régulièrement. Il dit: Je vais pouvoir faire des "jobines" et quand mon comptable va faire mon impôt, tu vas t'apercevoir que je vais avoir des moyens d'être capable de ne pas payer l'impôt sur tout ce que j'ai gagné comme salarié de la construction. Le système est ainsi aujourd'hui à tous les niveaux.

Quand on parle des 5000 employeurs spécialisés qui n'ont pas de salariés, qui ont obtenu une licence de la régie, on les retrouve occasionnellement comme salariés de la construction. Quand ils sortent de là, ils font faire leur petit rapport d'impôt et là l'office, comme ils sont des bons garçons, leur dit: Tu as une licence de la Régie des entreprises et les contributions syndicales que leur employeur d'aujourd'hui leur a enlevées, il leur retourne cela à la fin de l'année. Ce sont des moins sur nos contributions syndicales. Je suis convaincu qu'au niveau de l'impôt c'est la même maudite affaire. C'est pour cela qu'on dit qu'il faut que cela arrête et qu'on mentionne dans le document qu'on a déposé conjointement, les associations, et qui viendra sous une autre forme qu'à l'exception, sur un chantier de construction, du propriétaire de l'oeuvre ou des personnes visées au paragraphe précédent - on dit:L'employeur qui travaille avec des salariés ou une personne qui représente une compagnie ou société - les personnes qui travaillent sur des chantiers de construction doivent recevoir les conditions pécuniaires prévues dans le décret, posséder un certificat de classification selon le travail effectué, un certificat de qualification, détenir la carte prévue à l'article 36 (c'est la carte d'allégeance syndicale) payer des cotisations syndipales et autoriser le précompte. (16 h 45)

On cherche quoi comme association syndicale? On dit: Sauf les artisans qu'on vous a mentionnés qui pourront aller faire des travaux de rénovation, d'entretien, de réparation pour quiconque sans but lucratif. Toutes les autres personnes devront être des salariés ou des employeurs. Il n'y en a pas d'autres. Mais il ne faut pas que ces gens, qui ont choisi d'être artisans, demain matin soient en même temps des salariés et, après-demain, employeurs. Il va falloir qu'ils fassent un choix.

M. Pagé: Vous n'avez pas abordé ce point dans votre mémoire et je pensais que vous le feriez. Lorsqu'on en a pris connaissance, j'ai été surpris de constater que vous n'aviez pas abordé toute la question de la formation de la main-d'oeuvre, la question de l'apprentissage. On sait que les règles d'accession à la construction sont, quand même, très strictes. On se retrouve dans une situation où un peu tout le monde, je pense, s'interroge sur les politiques de formation de notre main-d'oeuvre et le renouvellement de celle-ci. Ce matin, l'AECQ, comme d'autres auront l'occasion de le faire, a abordé toute la question de la formation. Ne croyez-vous pas que le gouvernement serait légitimé de revoir sa

politique de formation de la main-d'oeuvre? Avez-vous des commentaires à formuler sur les anciennes commissions de formation professionnelle de la main-d'oeuvre qui avaient, quand même, un mandat assez particulier et assez valable? J'aimerais bien entendre votre expertise sur le sujet.

M. Gingras: M. le député, sur cette question particulière de la formation professionnelle, bien sûr, comme centrale syndicale, nous avons une position très bien définie. Nous avons, d'ailleurs, eu l'occasion de la présenter à plusieurs commissions. Nous avons peut-être omis de le faire à celle-ci. Mais en ce qui a trait à la formation des travailleurs, on y a touché en partie. Sur ce qu'on voit comme étant l'avenir de la formation dans l'industrie de la construction, on vous parle de polyvalence des travailleurs de la construction. On croit à cette dimension qui doit être incorporée. C'est nouveau comme philosophie dans la construction. On a toujours habitué les travailleurs de l'industrie de la construction à se former dans un métier et, quand tu avais un métier, tu venais de gagner ta vie pour la vie. Ce n'est plus cela, la construction. On est rendu qu'avec les nouvelles méthodes les chantiers de l'industrie de la construction ne se ressemblent pas par rapport à ce qu'on connaissait traditionnellement, à tel point qu'il y a des métiers où des gens se sentaient en complète sécurité sur le plan de la formation qui sont littéralement disparus de l'industrie de la construction. Et il y en aura d'autres de ces métiers dans lesquels on a enfermé des travailleurs qui disparaîtront à cause des techniques nouvelles, etc. Ce qu'on propose, c'est d'arriver à un système où les travailleurs de la construction atteindront un niveau de polyvalence. C'est dans ce sens qu'on aborde la formation.

Quant à la partie des centres de formation existants, à la politique existante, bien sûr, comme les autres, on l'a décriée. On est en net désaccord, actuellement, avec ce qui se passe au niveau de la formation professionnelle. Elle est nettement inappropriée par rapport aux besoins de l'industrie. On sait comment cela se passe. On avait des centres d'apprentissage. J'ai eu l'occasion moi-même d'en être un des administrateurs à titre de représentant des travailleurs. Ces centres avaient la vocation non seulement de former la meilleure main-d'oeuvre possible pour la construction, mais avaient aussi la vocation de remplir le besoin normal de remplacement des travailleurs de cette industrie. Ils avaient ce souci. On a transformé cette formation en confiant le mandat aux commissions scolaires de le faire. Elles le font avec leur philosophie qui en est une d'ouverture générale à quiconque veut s'en aller vers un métier ou un emploi de l'apprendre, pas nécessairement en fonction d'un débouché du marché. Le cours lui-même, dans sa conception, n'est pas approprié à l'industrie de la construction. On n'a qu'à observer ce qui se passe dans l'enseignement dans ces institutions pour s'apercevoir que c'est nettement disproportionné par rapport au travail que le travailleur aura à exécuter sur un chantier de construction dans beaucoup d'endroits. Le système de formation actuellement en place est nettement inférieur à ce qu'on a connu avec l'ancienne formule des centres de formation professionnelle qui existaient avant la réforme. Quand on avait ces centres de formation, les travailleurs, de concert avec les employeurs, définissaient les normes de sélection, définissaient aussi les normes de qualification, le contenu des programmes et la durée de l'apprentissage qui devait s'appliquer.

Je ne veux pas dire que, sur l'ensemble de ces questions, on doit automatiquement revenir à ce qu'on connaissait comme système par région, parce qu'il faut se souvenir qu'à ce moment-là il existait au Québec - je me rappelle la première opération dans l'industrie de la construction -721 définitions différentes de "travailleur" dans les décrets régionaux; cela n'avait pas d'allure. Un travailleur partait d'une région pour s'en aller dans une autre, il portait un titre de menuisier dans une région et il portait un autre titre ailleurs. Cela ne correspondait plus. C'était l'anarchie, ça n'avait pas d'allure parce qu'il n'y avait pas d'uniformité dans le métier.

Cependant, la première opération a été faite, on a uniformisé les définitions à travers la province et maintenant il y a, quand même, des définitions de métiers qui existent. Cette tâche accomplie, il fallait qu'il y ait un suivi et ce suivi n'a pas été fait, bien sûr. On n'a pas adapté les définitions de métiers à la nouvelle réalité des chantiers au fur et à mesure que les techniques nouvelles ont évolué sur les chantiers. Les définitions de métiers sont restées stables, sauf des modifications très mineures, et pendant ce temps arrivaient de nouveaux concepts de construction. Plutôt que de les incorporer dans les définitions déjà existantes, parce que des travailleurs étaient qualifiés, et ça remplaçait littéralement à ce qu'ils faisaient comme travail, plutôt que d'incorporer cela dans leurs possibilités, dans leur métier, on a créé de nouvelles spécialisations à côté. On a incorporé tout un nouveau groupe de travailleurs et, pendant ce temps, on envoyait les travailleurs d'expérience de l'industrie de la construction chez eux, en chômage, parce que leur métier disparaissait.

C'est à tout ce système qu'il faut mettre fin. Cela n'a pas d'allure que ça continue comme ça. Le travailleur de la

construction, actuellement, est nettement desservi par le système de formation qui existe dans l'industrie de la construction. On doit revoir toute cette question et la revoir en fonction, justement, de critères de polyvalence où les travailleurs vont pouvoir récupérer de nouvelles techniques de métier à partir d'un métier déjà acquis, d'une base déjà acquise dans leur métier plutôt que d'assister à la prolifération des spécialisations, comme ça a été le cas depuis les dernières années, depuis l'adoption de ce règlement qui n'a pas subi de modification.

Cela, c'est la prémisse. Quand on veut faire de la formation, il faut savoir dans quel sens on va faire la formation. Il y a des modus Vivendi sur lesquels on doit s'entendre comme parties et, après cela, prendre en main la formation, parce que je pense que, tant que les parties n'auront pas pris en main leur formation comme elles en avaient le contrôle antérieurement, on n'arrivera pas à mettre sur pied le système de formation professionnelle adéquat pour les travailleurs de l'industrie de la construction et aussi pour les besoins de l'industrie de la construction.

M. Carey: Vous me permettrez d'ajouter à ce chapitre, M. le Président, et sur ce point que, si ce n'est pas possible -je ne veux pas entrer dans le débat et dire si je suis contre ou pour, je ne me prononcerai pas - d'obtenir la sécurité du revenu pour les travailleurs en chômage... Je ne suis pas un homme politique, mais j'ai entendu parler de milliards à la disposition de la formation professionnelle, dans les jours passés. Si j'étais un homme politique, j'essaierais de fouiller ce point pour voir si on ne pourrait pas aller chercher, parmi ces milliards qui seront distribués dans un avenir rapproché, la possibilité que, lorsque des travailleurs sont en chômage, on leur permette de se recycler dans des métiers connexes où ils ont déjà la base actuellement. C'est juste un petit à-côté.

Le Président (M. Fortier): Je ne voudrais pas qu'on déborde dans la campagne fédérale. M. le député de Portneuf, est-ce que vous avez terminé?

M. Pagé: Avant de terminer, je voudrais remercier bien sincèrement messieurs les représentants de la CSD. J'aurais une dernière petite question. Vous avez évoqué la possibilité de la création d'un centre de planification que le gouvernement pourrait consulter pour l'étalement de ses travaux. Vous avez référé au sommet de la région de Québec où des voeux avaient clairement été exprimés par des représentants du gouvernement. Je présume que c'était Jean-François, comme d'habitude. Est-ce que cela a eu des suites?

M. Carey: On aimerait avoir la réponse du côté du gouvernement. J'ai écrit à nouveau au gouvernement pour demander s'il y avait des suites et, par personne interposée, on m'a dit: C'est en arrêt quelque part.

M. Gingras: Il n'y a pas eu de suite. Ce qui est d'autant plus surprenant, c'est que tous les partenaires étaient d'accord, tous sans exception. Je pense que c'était la première fois que ça arrivait à ce sommet, qu'on avait l'unanimité.

Le Président (M. Fortier): Voyez-vous où cela mène, les consensus? Je rappellerai à mes collègues qu'il nous reste cinq minutes, mais on peut déborder quelque peu. J'ai deux ou trois demandes d'intervention. Je rappellerai aux autres associations qui viennent par la suite que, plus vous prenez de temps pour exposer, pour lire votre mémoire, moins c'est de temps pour la discussion, mais c'est un choix que vous faites vous-mêmes. Je passe la parole au député de Bourassa en lui demandant d'être le plus succinct possible.

M. Laplante: Ce sera très court, M. le Président. À la page 34, vous vous demandez où sont passés les "jobs" et les vrais travailleurs de la construction. Vous référez à l'année 1970 avec 150 000 travailleurs. Dans mon cas, je réfère aux travaux de la rivière des Prairies actuellement où on fait un barrage à Montréal-Nord. Pour les mêmes travaux, en 1929, il y avait 1500 travailleurs là-dessus et, aujourd'hui, on les fait au moyen d'une mécanisation nouvelle avec 300 travailleurs. C'est une écluse qu'on est en train de reconstruire aujourd'hui. En 1970, si on s'en souvient bien, il y avait des policiers, des pompiers, des facteurs et des cultivateurs. Ils venaient tous travailler en ville ou dans les chantiers. Je pense qu'à cause de l'OCQ il y a un bon nombre d'entre eux qui sont partis. Cela fait un trou dans les 150 000 salariés sur lesquels vous vous posez des questions actuellement à savoir où ils sont rendus.

Mais la vraie question que je voudrais vous poser fait suite aux commentaires du député de Portneuf sur la formation de la main-d'oeuvre. Chaque centrale syndicale s'efforce de plaire aussi aux jeunes, c'est-à-dire qu'il faut de la place pour les jeunes dans n'importe quel métier. Nous trouvons déplorable l'action syndicale, telle que menée actuellement. Chaque fois qu'on arrive avec un jeune diplômé dans le milieu de la construction, soit un électricien, un menuisier ou un autre qui est apte à entrer dans le métier, c'est une fin de non-recevoir actuellement pour ces jeunes, pour les amener dans la construction, pour avoir une ouverture, eux aussi, parce qu'ils sont les

hommes de demain. L'AECQ disait ce matin que le vieillissement des hommes de la construction était préoccupant et le fait qu'il n'y ait pas plus de sensibilisation au niveau des centrales syndicales me préoccupe au nom des jeunes, ceux qui sortent avec un métier - je ne parle pas de n'importe quels jeunes - qui sont déjà orientés dans un métier et qui ne peuvent pas y entrer. Je pense que la seule possibilité que nous avons quand ils viennent à nos bureaux, c'est de dire: Les syndicats ne veulent pas et, en réalité, c'est vrai. Si on veut amener le jeune à une action syndicale pour qu'il croie au syndicat, je pense qu'on devrait avoir une ouverture un peu plus large dans le métier que ce jeune-là a voulu choisir pour qu'il commence l'apprentissage de son métier. Il y a toutes sortes de règles qu'on peut appliquer avec des ententes avec les patrons là-dessus pour pouvoir accepter ces jeunes. Je voudrais savoir quel engagement vous pouvez prendre au nom de ces jeunes aussi.

M. Carey: Je voudrais répondre à votre question parce que je dois vous avouer que je suis, moi aussi, un gars de la construction. Mon métier, je l'ai appris dans ce milieu et, au moment où je suis entré sur les chantiers de construction, comme Claude le disait tout à l'heure, on avait une "job" presque pour la vie. Évidemment, j'ai bifurqué du côté syndical en cours de route, mais les gens -en tout cas, ceux de mon temps - sont devenus des travailleurs. À ce moment-là, c'étaient des "jobs" presque à longueur d'année.

On est tiraillé par les jeunes qui sortent des écoles, qui ont une formation actuellement et qui ne peuvent pas entrer sur les chantiers de construction, mais c'est dans la balance, être tiraillé par ces nouveaux-là ou être tiraillé par les 34 000 qui sont là et qui ne travaillent pas. Au moment même où on va faire entrer ces 15 000 dont M. Fava a parlé ce matin, les 15 000 qui sont là, qui ont leurs diplômes et qui sont prêts à entrer, on va sortir 15 000 pères de famille, des gens qui sont là. C'est cela. On ne crée pas d'emplois. On cherche quelque part...

Une voix: On cherche à remplacer des travailleurs.

M. Carey: ...qu'il y ait une économie qui reprenne, mais, d'ici ce temps-là, va-t-on en déclassifier? On a un règlement de placement et on y tient. Si on n'a pas les heures voulues pour ceux qui sont déjà là, ils seront déclassifiés rendus à la fin de la course. Donc, c'est vrai qu'on est tiraillé, mais, entre deux maux, lequel prend-on? On choisit encore celui qui était déjà à l'intérieur. Je pense que toute convention collective par des travailleurs, c'est de protéger d'abord ceux qui sont là.

Une voix: Et on ne trouve pas cela normal.

M. Laplante: C'est la même argumentation que vous amenez depuis au moins trois ou quatre ans. C'est une argumentation qui est difficile à accepter, je pense, pour le jeune. Le jeune a une place dans la société, lui aussi. Chaque politicien et chaque centrale syndicale et partout dans les associations patronales, on est là et on dit: II faut de la place pour le jeune. Et on lui fait croire ces choses-là. Il me semble qu'on devrait être capable de trouver un mécanisme pour que le jeune ait réellement sa place dans la société québécoise de demain. On ne la lui prépare pas et c'est dangereux pour nous autres. On s'en va sur l'autre versant et vous aussi. (17 heures)

M. Gingras: Je voudrais quand même, M. le député, vous passer la remarque suivante. Les jeunes ont toujours eu de l'emploi parce qu'on a créé de l'emploi. Quand je suis arrivé sur le marché du travail, on a créé des emplois à ce moment-là. On ne m'a pas dit: Tu vas aller remplacer tel père de famille qui a quatre enfants à la maison et qui gagne sa vie. Ce n'est pas ce qu'on m'a dit. On avait suffisamment d'emplois qui se créaient au fur et à mesure pour absorber ces jeunes travailleurs.

Les centrales syndicales sont loin d'être contre l'intégration des jeunes. Je pense qu'on doit - c'est la solution pour notre société - les intégrer au marché du travail le plus rapidement possible, Dieu merci, ça presse. Je pense qu'on est en total accord avec cet objectif. Mais il faut les créer, ces emplois-là. Il faut avoir des programmes de création d'emplois, pas des programmes de remplacement de travailleurs comme il en existe actuellement. Ce qu'on fait actuellement, c'est ceci. On dit à un: Tasse-toi pour que l'autre se mette à ta place. C'est ce qu'on fait. On prend des travailleurs, on les ote de leurs "jobs" et on dit: Toi, viens prendre la place maintenant.

II n'y a pas d'emplois pour tout le monde et on est les premiers à le regretter. Écoutez, actuellement, les pères de famille qui ont ces jeunes-là chez eux sont les premiers à nous dire: Maudit, mon jeune ne travaille pas, mais il faut que je l'entretienne. Es-tu prêt, demain matin, à ce qu'on change notre société, à t'en aller chez toi? Il dit: Oui, mais mon jeune voudra continuer à venir chez nous et vivre gratuitement. Avec quoi vais-je payer ça?

Écoutez, on fait un débat là-dessus et la solution pour nous autres, c'est de créer des emplois et non pas de remplacer des travailleurs par d'autres travailleurs. Tant

qu'on va faire ça, on va créer des injustices. Et la meilleure justice encore pour ceux qui ont consacré 10, 20 ou 30 ans de leur vie dans une industrie, à qui on demande de se déplacer pour faire de la place aux autres et, eux, d'arrêter de gagner leur vie avec ce qu'on leur donne comme maigre pitance pour assurer leur existence sur l'assistance sociale, à qui on dit: Déplacez-vous et laissez la place aux jeunes et qui voudraient le faire, c'est de leur donner un bon fonds de retraite, de leur donner des conditions adéquates et alors ils vont se retirer. Le gros problème qu'on vit, c'est l'absence d'emplois, de développement ou de création d'emplois. Tout le monde essaie de gagner sa gamelle comme il le peut. C'est difficile à vivre.

M. Laplante: Il y a une logique qui vous manque-Le Président (M. Fortier): M. le député, je crois qu'il s'agit d'un sujet extrêmement important et je vais vous laisser continuer.

Je vous ferai juste remarquer que...

M. Laplante: Une minute.

Le Président (M. Fortier): C'est ça, allez-y!

M. Laplante: II manque une logique dans votre réponse. Vous reconnaissez 150 heures au jeune sur le marché du travail lorsqu'il a son diplôme de l'école et, quand il est rendu sur le marché du travail, vous le refusez complètement. C'est la logique que le jeune ne peut plus accepter aujourd'hui.

M. Gingras: Oui, mais quand on lui reconnaît 150 heures, vous savez qu'un gars qui est actuellement formé dans le réseau scolaire, c'est un travailleur qui peut être capable aussi d'aller faire de la maintenance dans les entreprises. Le travailleur n'est pas uniquement formé pour l'industrie de la construction. Votre électricien peut se diriger vers la maintenance dans les entreprises. Il peut se diriger ailleurs que dans la construction. Bien sûr que, s'il y a de la place dans l'industrie de la construction, le travailleur qui est formé pourra y avoir accès, bien sûr, comme il aura accès à une entreprise si un travailleur s'en va à un moment donné; s'il perd son ancienneté parce qu'il décide de partir, on va le remplacer par un autre.

C'est sûr qu'il se fait du remplacement de façon habituelle, et la construction n'est pas différente d'ailleurs. Quand l'entreprise Northern Electric ou Général Électrique a besoin d'électriciens pour faire la maintenance des usines, elle engage des gars qui ont été formés et qui ont le statut d'électriciens que vous mentionnez. La construction n'est pas le seul domaine responsable de tout cela. Bien sûr, c'est le manque d'emplois disponibles qui est responsable de tout cela. Et on fait croire aux travailleurs dans le réseau scolaire actuellement, en les dirigeant vers les métiers de la construction, que c'est le fourre-tout, qu'ils vont arriver là et vont trouver de l'emploi. Ce n'est pas nécessairement vrai. On n'a qu'à regarder la régression du bassin de main-d'oeuvre depuis quelques années pour s'apercevoir que ce n'est pas le débouché automatique de tous les travailleurs qui ne peuvent pas aller ailleurs.

Le Président (M. Fortier): Parfait, M. Gingras.

M. le député de Charlesbourg, brièvement, s'il vous plaît;

M. Côté: À la page 20 du mémoire, vous faites allusion à certains amendements qui devraient être apportés à la loi, principalement à l'article 32 concernant la présomption de choix. Vous n'aurez pas de difficulté avec le Parti libéral à ce sujet. Or, je m'inquiète un peu et j'aimerais avoir un peu plus d'explications quant au choix que vous avez fait. Vous dites qu'au lieu de faire connaître ce choix par vote, par scrutin de l'office, il devrait plutôt être fait par vote postal. Pour ma part, dans l'exercice du droit démocratique, je n'ai pas l'impression que le vote postal soit l'un des plus sûrs en termes de contrôle. J'aimerais peut-être savoir ce qui vous amène à choisir ce mode-là plutôt que de confier, par exemple, à l'office, avec un mandat très précis, ou au directeur général des élections, par l'entremise des directeurs de scrutin dans chacun des comtés, le contrôle de ce vote, ce qui serait, d'après moi, beaucoup plus sûr en termes de sécurité que le vote postal.

M. Gingras: M. le député, on pense que, sur cette question on est capable de prévoir une réglementation permettant un contrôle approprié du vote, même s'il se tenait par voie postale. Ce qu'on dénonce, c'est la formule actuelle où le travailleur qui se présente dans un bureau de l'office pour aller voter est immédiatement identifié comme étant un gars qui veut changer d'allégeance syndicale. C'est cela, la situation qu'on connaît. Or, il y a actuellement des craintes de la part des travailleurs d'exprimer librement leur choix d'allégeance syndicale et il faut avoir la tête dans le sable pour ne pas comprendre cette dimension. Je vous le dis, c'est sérieux et je pense que cette liberté doit s'exprimer par l'entremise de mécanismes appropriés.

Bien sûr, vous exprimez une crainte de contrôle. On a la même crainte quand on suggère ce système, mais on pense qu'il peut

se réaliser. On pourrait s'asseoir facilement et prévoir une procédure de vote postal qui serait appropriée au contrôle dont vous faites mention.

M. Carey: Ce sera très court, M. le Président. Je voudrais juste ajouter que l'office a quand même expérimenté les deux formules. On tient un vote par scrutin et, pour ceux qui ne se présentent pas au vote par scrutin ou qui n'ont pas les heures nécessaires, on leur envoie des bulletins postaux pour faire un choix et un retour postal. Donc, on pense que cela pourrait se faire de cette façon.

Le Président (M. Fortier): Alors, MM. Carey, Gingras et Turcotte, de la CSD, nous vous remercions. Vous avez soulevé des points extrêmement importants. Je crois que les membres de la commission vous sauront gré de nous avoir éclairés sur votre mémoire et sur les recommandations que vous nous avez faites par les réponses que vous nous avez données.

M. Carey: Et quant aux "jobs" pour les jeunes, élargissons le champ d'application de la loi.

CSN

Le Président (M. Fortier): Merci. La Confédération des syndicats nationaux, la CSN, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! M. Gauthier, je sais que vous êtes secrétaire général de la CSN, mais vous êtes ici en tant que responsable. J'aimerais que vous nous donniez vos titres et que vous présentiez les gens qui vous accompagnent, s'il vous plaît!

M. Gauthier (Michel): Le seul titre que je possède, c'est celui de secrétaire général de la CSN-Construction...

Le Président (M. Fortier): Bon, c'est bien, merci.

M. Gauthier (Michel): ...responsable du dossier de la construction, cela va de soi. À ma gauche, M. Robert Guimond, conseiller juridique.

Le Président (M. Fortier): Monsieur? M. Gauthier (Michel): Robert Guimond. Le Président (M. Fortier):Merci.

M. Gauthier (Michel): M. Roger Trépanier, responsable du placement à la CSN et M. Ted Me Laren, l'un des coordonnateurs de la CSN-Construction, à l'extrême gauche. À ma droite, M. Marcel Pépin, coordonnateur des services de recherche de la CSN; M. Jean-Noël Bilodeau, responsable de l'information pour le dossier de la construction, et M. Jos Caron, l'autre coordonnateur de la CSN-Construction.

Le Président (M. Fortier): M. Gauthier, vous connaissez les règles du jeu. Nous nous étions donné jusque vers 19 heures. On peut déborder de quelques minutes. Si vous prenez deux heures pour lire votre mémoire, on aura moins de temps pour discuter. En espérant que vous pourrez lire rapidement, si vous lisez tout votre mémoire, vous en avez pour une heure dix minutes.

M. Gauthier (Michel): Environ. Avant de présenter le mémoire, je voudrais d'abord dire aux membres de la commission qu'on est satisfaits d'être convoqués en commission parlementaire pour parler des problèmes de l'industrie de la construction. Ce qu'on regrette, cependant, c'est que cette commission vienne tardivement. La CSN-Construction avait réclamé dès l'automne passé la tenue d'une commission parlementaire, une enquête publique sur les problèmes dans l'industrie de la construction relatifs, en particulier, au travail au noir.

On est contents d'apprendre aussi, conformément à une remarque du ministre du Travail, que le conciliateur est toujours disponible, disposé à entendre les parties ou à s'occuper d'un règlement, ou à faire une tentative d'amorce de négociation. La CSN a toujours été prête à négocier; elle a toujours été disponible et disposée. Ce qu'on espère, cependant, c'est qu'à la suite de l'annonce du ministre ce matin les erreurs des semaines précédentes quant à la conciliation ou quant aux demandes de rencontres de la part du conciliateur ne se reproduisent pas et qu'on n'oublie pas la prochaine fois de convoquer la CSN-Construction à ces rencontres.

On vous a fourni quatre documents. Il y a d'abord le mémoire; il y a une annexe qui est constituée de l'ensemble des modifications à la loi que la CSN-Construction propose. Plusieurs de ces modifications sont semblables, similaires ou identiques à celles présentées par les autres organisations syndicales. On vous a également fourni en annexe le dossier "Les chantiers noirs" qui avait été publié par la CSN-Construction l'automne dernier et, ce matin, on vous a remis un autre document de trois pages qui est un ajout au mémoire qu'on vous présente cet après-midi.

Le Président (M. Fortier): À titre de référence, M. Gauthier, ces documents portent, pour les membres de la commission, les numéros 2 M, 2 MA, 2 MB et 2 MC. Je vous remercie.

M. Gauthier (Michel): Jamais dans

l'histoire de la construction du Québec, la situation de l'industrie de la construction n'a été aussi périlleuse pour les travailleurs. Péril de leurs emplois, péril de leurs revenus, péril de leurs métiers, péril de leur santé, péril de la relève et péril des relations du travail où toutes leurs volontés se trouvent contrariées.

On nous parle de crise, de récession pour excuser les torts irréparables qui nous sont causés. Il est pourtant connu que la situation de l'industrie conditionne largement la durée et la sévérité d'une récession. Lors des récessions antérieures, l'industrie de la construction était ainsi la première soutenue, la première relevée. Les grands projets collectifs avancés par les gouvernements, mis sur pied avec les contributions de l'ensemble des citoyennes et des citoyens, propulsaient alors les énergies et redonnaient confiance à l'économie chancelante.

Pendant les années de la Manie, à la fin des années cinquante, pendant les années de l'Exposition universelle dans les années soixante, pendant les années de la Baie James, pendant celles du chantier olympique, des dizaines de milliers de travailleurs travaillaient, assuraient le revenu de leur famille et se qualifiaient dans des métiers et des occupations exigeant des connaissances nouvelles, des habiletés particulières. (17 h 15)

Les travailleurs se sont ainsi adaptés facilement à l'introduction de la haute technologie hydroélectrique, à l'architecture taillibertienne, comme ils se sont adaptés aux cerveaux électroniques des grues géantes, aux planchers IBM et aux matériaux et composants que les promoteurs introduisent régulièrement dans la construction commerciale et industrielle. Ce à quoi ils n'ont pu s'adapter, c'est aux politiques créatrices de chômage que votre gouvernement s'acharne à mettre sur pied dans l'irrespect de leurs droits les plus fondamentaux au travail.

Le phénomène, accentué par la récession actuelle, du travail clandestin et illégal n'aura, à toutes fins utiles, qu'exposé avec plus d'acuité l'instabilité d'un secteur économique devenu, ces dernières années, "ingouvernable".

Depuis la défense de "l'artisan braconnier", le gouvernement actuel a versé dans la défense de concepts artisanaux de relance économique dans la construction. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, il nous a fait revivre l'époque des années quarante avec ses productions quasi artisanales dans le secteur résidentiel, alors que foisonnaient les petites entreprises peu productives, au capital inexistant, où les travailleurs salariés connaissaient mille misères. La comparaison des deux périodes est révélatrice.

Avec ses programmes de "rénovation- bricolage", il a renvoyé, avec arrogance, l'industrie à la petite école. Troquant les projets d'envergure pour des programmes de soutien à l'achat d'habitation, il a totalement oublié qu'on ne soutient pas un secteur économique de 10 000 000 000 $ par an avec des incitations de 50 000 000 $ distribués à la hâte, sans contrôle réel, qui ne desservent même pas les besoins criants des travailleurs qualifiés en termes de revenu et d'emploi.

On ne planifie pas l'essor économique avec du folklore; on le bâtit avec des idées nouvelles, avec le développement technologique, avec la science acquise des travailleurs et travailleuses dans l'exercice de leurs métiers respectifs. Il aurait fallu, comme le suggérait en 1974 la CSN-Construction, créer un organisme de planification pour les investissements publics dans ce secteur économique. À ce moment-là, nous disions qu'un investissement de 1 $ dans la construction en représente 4 $ pour l'économie et qu'un seul emploi dans la construction en produit cinq dans les secteurs connexes. Or, il ne faut pas oublier que les investissements des gouvernements représentent près de 50% du capital investi dans l'industrie.

En 1981, devant les membres de la commission parlementaire de l'énergie et des ressources, nous rappelions cette absence de planification et nous revendiquions des politiques créatrices d'emplois, des budgets d'urgence à cette fin et l'intensification des travaux à caractère social: construction de HLM, d'hôpitaux, d'usines d'épuration des eaux. La situation dans l'industrie est-elle réellement ingouvernable ou n'est-elle tout simplement pas "gouvernée"?

Ainsi, les interventions gouvernementales sont des facteurs importants de l'instabilité de l'industrie, alors qu'elles devraient normalement être des facteurs de stabilisation. Plusieurs travailleurs sont convaincus que le programme mis sur pied par votre gouvernement, Corvée-habitation, n'a pas donné les emplois attendus, qu'il fut utilisé principalement par des braconniers. Plusieurs travailleurs croient que le programme Équerre lancé à grand renfort de publicité par votre gouvernement au printemps dernier, sert d'appui à l'activité réduite des braconniers depuis que Corvée-habitation a ralenti.

S'agit-il de nonchalance, de légèreté ou de désintéressement graduel de la part de votre gouvernement à l'endroit d'un secteur économique où les parties sont jalouses de leur autonomie, où les revendications des travailleurs s'expriment autrement qu'en prières?

L'État québécois joue constamment de nombreux rôles dans notre industrie. Il y est enquêteur, policier, administrateur, juge,

partie, médiateur, investisseur. Il décrète des conditions de travail au gré de ses technocrates planificateurs. Il intervient dans les structures des associations représentatives. En d'autres mots, il a en main tous les moyens pour gouverner "absolument" l'industrie.

Comment comprendre alors qu'il ait laissé, en si peu de temps, le bassin de main-d'oeuvre se vider de plus de la moitié de ses travailleurs qualifiés? Comment comprendre alors qu'il ait permis la légalisation des travaux de milliers de braconniers par l'entremise de la Régie des entreprises de construction du Québec au détriment des milliers de travailleurs classifiés? Comment comprendre qu'il ait laissé dériver les droits les plus élémentaires des travailleurs en ne fournissant pas les services d'inspection nécessaires pour garantir l'application du décret en vigueur?

Comment comprendre que, sous son règne, les travailleurs de la construction soient obligés de travailler à rabais pour des entrepreneurs sans vergogne et se garantir à peine un revenu qui frise le seuil de la pauvreté? Comment comprendre qu'il laisse la construction domiciliaire entre les mains d'entrepreneurs comme ceux d'Habitat Sainte-Foy qui obtiennent des subventions du programme Corvée-habitation, alors qu'ils n'ont pas la moindre compétence ni les qualifications pour mener un chantier de construction?

Nous sommes parvenus, après plus d'une année de pressions diverses, à faire en sorte que votre gouvernement daigne nous entendre en commission parlementaire et prenne bonne note des recommandations que nous lui faisons pour corriger la situation.

L'an dernier, dans un dossier largement publicisé, "Les chantiers noirs", qui traitait du travail clandestin et du braconnage des emplois dans l'industrie de la construction, la CSN-Construction a soumis quelques-unes de ses recommandations en souhaitant que le gouvernement trouve d'urgence une solution politique au problème qui paralysait et dépassait la capacité d'intervention et de négociation des parties patronale et syndicale de l'industrie. Depuis, la situation n'a fait que s'aggraver. Une enquête récente de nos conseillers syndicaux dans toutes les régions du Québec nous permet de le démontrer. Malgré tout le pouvoir que votre gouvernement détient dans notre industrie, nous sommes forcés de constater que plusieurs des problèmes que nous dénoncions n'ont pas encore été résolus et cela, malgré les mises en garde répétées de notre association syndicale. À ce moment-ci, ce qu'il faut désormais sauver, c'est le solage d'un édifice qui s'est écroulé en espérant que, cette fois, nous rebâtirons avec des matériaux durables, sûrs et capables de résister aux secousses prochaines.

Dans le mémoire qu'elle dépose aujourd'hui, la CSN-Construction compte donc réaffirmer l'urgence de protéger les emplois des travailleurs de la construction et proposer des solutions pour que le droit au travail des vrais travailleurs de l'industrie soit respecté. À cet effet, nous recommanderons une application plus sévère et plus soutenue du règlement de placement de l'industrie de la construction et des changements à la loi qui auront pour effet d'écarter de l'industrie le fléau des entreprises au noir et des braconniers. La CSN-Construction compte également rappeler la nécessité historique du maintien du pluralisme syndical dans la représentativité des travailleurs de la construction.

Nous recommanderons ainsi que la loi rétablisse une représentativité équitable des membres de la CSN-Construction à la table de négociation de l'industrie. Pour permettre un minimum de sécurité d'emploi et de revenu à ceux qui travaillent dans cette industrie, la CSN-Construction compte enfin suggérer des mécanismes qui agiront comme éléments stabilisateurs dans ce secteur économique, tout en redonnant aux parties le pouvoir nécessaire pour assurer cette stabilité. La CSN-Construction recommandera donc des modifications à la loi qui permettront de redéfinir les pouvoirs et les responsabilités du comité mixte de l'industrie de la construction. Les travailleurs de la construction sont conscients qu'un coup de barre doit être donné d'urgence et que ce coup de barre doit venir d'une solution politique au braconnage de leurs emplois, car rien n'est négociable dans cette industrie avec des entrepreneurs qui, au fil des années, ont poussé le manque de sérieux jusqu'à favoriser et protéger l'entreprise au noir afin d'éviter d'assumer leur part du coût social de la récession.

Depuis 1978, un règlement de placement contrôle l'offre de travail au moyen de l'émission d'un permis de travail, appelé la carte de classification, pour les travailleurs qui peuvent justifier leur emploi régulier et non occasionnel dans l'industrie. Ce règlement de placement revendiqué par les négociateurs de la CSN-Construction à la fin des années soixante devait permettre, de 1978 à 1981, d'augmenter sensiblement la sécurité d'emploi des vrais travailleurs de la construction aux dépens des travailleurs dits occasionnels. Ainsi, de 1979 à 1981, les heures travaillées annuellement par les "vrais" et leurs revenus annuels ont-ils augmenté. Les effets du règlement ont été principalement sentis par la main-d'oeuvre non qualifiée, manoeuvres et manoeuvres spécialisés, pour qui les resserrements contenus dans le texte de loi ont permis d'en stabiliser l'effectif et d'améliorer le revenu.

À la lumière des données de l'Office de la construction du Québec, publiées dans son

"Analyse de l'industrie de la construction du Québec en 1982", la tendance à l'amélioration s'est toutefois inversée. Durement touchés, semble-t-il, par ladite conjoncture économique difficile, 32 000 travailleurs légaux, incapables de cumuler les heures nécessaires, perdent cette année-là leur permis de travail. Les revenus et les heures travaillées sont nettement à la baisse pour les autres. Un deuxième contingent de 23 035 travailleurs n'ont pas atteint le seuil de 500 heures au cours de 1983 et sont alors directement menacés de perdre à leur tour le permis de travail nécessaire pour occuper un emploi dans l'industrie de la construction.

A la suite des demandes de la CSN-Construction et d'une pétition nationale des travailleurs de la construction lancée par la CSN, le gouvernement a décidé, au 1er mars 1984, de renouveler automatiquement les cartes de classification pour les travailleurs menacés. L'an dernier, les travailleurs de la construction se partageaient quelque 67 800 000 heures travaillées.

Vous avez, sur le tableau ici, à droite, de 1973 à 1982, la progression et la régression du nombre d'heures travaillées. Elle est équivalente à la régression du nombre de travailleurs dans cette industrie. En 1973, on est passé à 140 000 000 d'heures travaillées avec à peu près 147 000 travailleurs et en 1982, selon les mêmes statistiques, on est rendu avec 67 000 000 d'heures travaillées pour environ 77 000 travailleurs dans l'industrie.

Au cours du premier trimestre de 1984, à peine 32 800 travailleurs étaient actifs sur les chantiers. En 1982, les travailleurs s'étaient partagé 74 000 000 d'heures travaillées. Ils étaient 77 000, une moyenne annuelle de 947 heures. Qu'en sera-t-il en 1984 dont les premières données s'apparentent à celles de l'an dernier?

Pourtant, dix ans plus tôt, le Québec pouvait compter sur une main-d'oeuvre active dans l'industrie de la construction de plus de 147 000 travailleurs, soit plus que le double, et le nombre d'heures travaillées affichait la même tendance. Que s'est-il produit alors que, durant la même période, la valeur des travaux de construction passait de 4 000 000 000 $ en 1973 à plus de 10 000 000 000 $ en 1983? On a la même démonstration actuellement où on peut voir la montée de la valeur des travaux. Cependant, dans le bas, c'est la valeur de la masse salariale qui, elle, a baissé en valeur réelle de 40% par rapport à la valeur des travaux.

Il y a un problème qui se situe à ce niveau-là et il y a une partie de ce manque à gagner - une partie de la masse salariale étant disparue - qui, quant à nous, est passée dorénavant sur ce qu'on peut appeler du travail au noir, le travail sous la table. C'est toute une partie du travail non déclaré.

Le Président (M. Fortier): Excusez-moi, monsieur. La courbe en haut consiste en dollars courants année après année?

M. Gauthier (Michel): Oui.

Le Président (M. Fortier): La courbe en bas consiste en heures?

M. Gauthier (Michel): Non, en bas, il s'agit de la masse salariale.

Le Président (M. Fortier): La masse salariale en dollars courants?

M. Gauthier (Michel): Oui.

Le Président (M. Fortier): Les deux en dollars courants.

M. Gauthier (Michel): Les deux sont en dollars courants.

Le Président (M. Fortier): Merci.

M. Gauthier (Michel): II y en a une autre qui peut vous démontrer, en dollars... Si on prenait la même chose sans l'indexation, la valeur de 1973 était d'environ 4 000 000 000 $ et, en 1982, c'est environ la même valeur. On peut voir que la masse salariale, en bas, a baissé d'environ 40%.

Le Président (M. Fortier): En dollars constants.

M. Gauthier (Michel): En dollars constants.

Le Président (M. Fortier): Merci.

M. Gauthier (Michel): Les données sont troublantes: la valeur des travaux a toujours augmenté pendant que le nombre des salariés n'a cessé de diminuer et les heures travaillées de décroître.

L'arrivée de nouvelles technologies, le coût inflationniste des matériaux, le type de travaux exécutés peuvent-ils, à eux seuls, expliquer les nouvelles règles qui s'appliquent maintenant au marché du travail de l'industrie de la construction où les chances d'emploi sont devenues inversement proportionnelles à la croissance en valeur des travaux, où les possibilités de revenus pour les travailleurs décroissent sur la même pente douce, alors que la masse salariale s'est affaissée de plus de 40% par rapport à la valeur des travaux?

Est-il possible qu'entre ces deux périodes des entrepreneurs de la construction du Québec aient dissimulé à l'Office de la construction du Québec une quantité aussi importante d'heures travaillées et, du même

coup, au ministère du Revenu du Québec les millions de dollars d'impôts que la clandestinité de ces travaux peut représenter?

L'écart grandissant entre la valeur des travaux de construction et le niveau d'emploi laisse pourtant croire qu'il existe un trou de plusieurs centaines de millions de dollars entre les travaux légaux et déclarés à l'OCQ et les travaux illégaux ou légaux, mais non déclarés par les entrepreneurs de l'industrie de la construction.

À la lumière des témoignages recueillis parmi les membres et les représentants de la CSN-Construction, la production au noir des entrepreneurs aurait toutes les apparences d'un véritable phénomène. C'est désormais sur une large échelle qu'on rencontre aujourd'hui les braconniers, les artisans, les "jobineux" dans tous les secteurs de cette industrie au bord de la déréglementation.

Il aura ainsi fallu, en mai 1983, l'intervention de la CSN-Construction pour que le gouvernement oblige les entrepreneurs, contractant dans le cadre de Corvée-habitation, à embaucher les travailleurs classifiés sur leurs chantiers. Ce sont les "vrais travailleurs" qui subventionnaient des travaux effectués par les entrepreneurs braconniers. (17 h 30)

Quelques mois plus tôt, des travailleurs de la construction accusaient l'Association des constructeurs d'habitation du Québec de favoriser les pratiques illégales du programme Corvée-habitation. Un document de l'APCHQ y indiquait, en effet, comment il était possible pour les braconniers de se procurer des permis d'entrepreneurs spécialisés et de travailler pour un entrepreneur général qui n'engage pas des salariés...

L'AECQ elle-même avouera dans l'un de ses bulletins que près de 491 000 000 $ ont été versés par des entrepreneurs au noir en une seule année, soit 1982, toutes des heures travaillées clandestinement par leurs employés.

Une étude du ministère de l'Habitation et de la Protection du consommateur sur la situation de l'industrie de la rénovation résidentielle au Québec établissait l'an dernier que plus de 50% du travail était effectué par des entrepreneurs au noir et que, pour les rénovations partielles ou de petite envergure, cette proportion atteignait 75%.

Pour les travailleurs de la construction du Québec, ce phénomène bouleverse les conditions actuelles de l'industrie et, à moins d'un changement radical, menace la réglementation du placement, leur dernier rempart contre l'exploitation quotidienne qui s'exerce déjà sur un nombre important de travailleurs en situation d'illégalité.

Si l'on observe généralement que le travail au noir "contribue à la détérioration des conditions générales du travail de l'ensemble des travailleurs réguliers, affaiblit le pouvoir contractuel des syndicats, modifie la structure des emplois et les fondements du droit du travail dans le sens d'une plus grande instabilité et d'une plus grande précarité de ces emplois", on peut généralement affirmer, depuis la tragédie survenue à Sainte-Foy le 5 août 1983, qu'un tel phénomène peut également causer une catastrophe économique pour le public consommateur et provoquer directement la mort des travailleurs non protégés soumis à cette loi de la jungle.

Dans le dossier "Les chantiers noirs" publié par la CSN-Construction à la fin de l'année dernière, nous avons soutenu que le gouvernement avait une responsabilité directe dans le développement de ce phénomène. En adoptant la loi 110, en février 1979, qui légalisait le statut d'entrepreneur artisan, le gouvernement venait d'ouvrir toutes grandes les portes de l'industrie aux braconniers et aux "jobineux" qui, ni salariés ni syndiqués, ni soumis aux normes du décret de l'industrie, travaillent à rabais et passent outre le plus souvent aux règles élémentaires de sécurité.

Pour les membres de la CSN-Construction, la loi 110 sera une volte-face tragique du ministre du Travail qui vient à peine de donner un début de sécurité d'emploi aux travailleurs de la construction du Québec lors de la mise en place du règlement de placement attendu par la CSN depuis 1969.

Ce qui deviendra la loi 110 légalisera en fait le braconnage des emplois de la construction et permettra ainsi à ceux qui furent rejetés quelques mois plus tôt par le règlement de placement de se trouver des emplois dans l'industrie en obtenant de la Régie des entreprises de construction du Québec un permis d'artisan.

Dans la réalité, la loi 110 reniait d'un trait de plume plus de 20 ans de luttes syndicales pour tirer le travailleur de la construction de l'exploitation et de la misère. Le règlement de placement, à peine mis en place, était devenu caduc; la brèche ne pouvait que s'élargir.

Alors que l'OCQ dénombre à peine 1029 artisans "légaux" dans son fichier, l'enquête de la CSN-Construction a révélé que plus de 10 000 entrepreneurs artisans porteurs d'un permis de la Régie des entreprises de construction du Québec travaillent aujourd'hui dans l'industrie et embauchent clandestinement des salariés sans carte de classification ni de qualification, sans toutefois y déclarer leurs heures et leur production réelle. À cela s'ajouteront plus de 5000 entrepreneurs-braconniers sans permis effectuant des travaux sur une base quasi permanente.

Plus de 30%, selon l'évaluation de la CSN-Construction, de l'ensemble des travaux de l'industrie sont entrepris au noir et cela, au vu et au su du gouvernement et des organismes de contrôle paragouvernementaux de l'industrie.

Personne n'échappe au phénomène. Les gouvernements municipaux, les propriétaires voulant effectuer des rénovations connaissent la concurrence agressive de ces coupeurs de prix et sont souvent bernés par leur faconde.

Quant à l'Office de la construction du Québec, il n'exerce pas, comme la loi de l'industrie le spécifie, le pouvoir de contrôle qui lui est dévolu. Des coupures de budget, des restrictions de personnel, des directives limitant les inspections de soir et de fin de semaine ont eu les effets désastreux prévisibles.

Malgré une amélioration sensible, ces derniers mois, de son service d'inspection des chantiers, la CSN-Construction constate qu'elle est à son tour dépassée par l'ampleur du phénomène illégal et que les interventions de l'organisme paragouvernemental ont autant d'effets qu'une goutte d'eau dans la mer.

Que peut faire cet organisme si, à la première infraction constatée, le coupable court légaliser son statut a la débonnaire Régie des entreprises de construction du Québec qui lui attribue un permis sans vérification d'aucune sorte? Que peut faire cet organisme si sa surveillance s'exerce uniquement sur la base des plaintes reçues à ses bureaux? Comment peut-il contrôler s'il n'est même pas informé de l'existence des chantiers clandestins, dont certains sont subventionnés directement par le programme Corvée-habitation, mais dont l'OCQ n'a jamais reçu la moindre copie des subventions accordées? Nous ne pouvons certes pas excuser les maladresses de sa direction générale qui aurait pu prévoir qu'en coupant dans les effectifs du service d'inspection elle coupait directement ses sources de revenus, mais nous constatons, malheureusement, que le rôle que cet organisme doit exercer devient anachronique. Il a le pouvoir de contrôler, mais il ne l'exerce pas, faute de moyens ou faute de volonté?

La vigilance de l'Office de la construction du Québec doit s'exercer en tout temps, les soirs et les fins de semaine. Un changement d'attitude de la direction politique et administrative de l'OCQ s'impose avec la même urgence. Les coupurées budgétaires privent les utilisateurs de l'office des services d'aide nécessaires à assurer leur droit au travail. Ce n'est que par l'application respectée du règlement de placement que les emplois dérobés seront redonnés aux vrais travailleurs classifiés et qualifiés de l'industrie.

Lors d'une commission parlementaire, le 10 avril dernier, le ministre du Travail, tout en réaffirmant l'engagement du gouvernement à ne pas remettre en question l'existence du règlement de placement, constate à son tour l'incapacité de l'OCQ d'assumer entièrement et seul son rôle de chien de garde de l'exercice du droit au travail des travailleurs de la construction. Puisqu'en 1982 l'OCQ signalait 12 017 infractions au décret et qu'en 1983 ce nombre avait doublé et était passé à 24 065 infractions, le ministre soulignait qu'avec le même nombre d'inspecteurs il devenait difficile d'évaluer la situation. Reprenant alors la suggestion faite par la CSN d'attribuer le pouvoir aux représentants syndicaux de vérifier les permis des entrepreneurs et les permis de travail, le ministre soulignait qu'il s'agissait là "d'un chemin sur lequel on pourrait s'engager en termes d'exploration et d'évaluation de la situation".

Depuis cette date, des rencontres avec les autres associations syndicales nous ont permis de les convaincre de la justesse de nos recommandations contenues dans le dossier "Les chantiers noirs", et votre gouvernement pourra trouver dans le document annexé sur les divers changements que nous voudrions voir apparaître dans un nouveau texte de loi sur l'industrie le contenu de ces recommandations.

Nous croyons que la vigilance des associations représentatives et le renforcement des services d'inspection et d'enquête de l'OCQ sont les meilleures garanties du maintien et de l'application du règlement de placement de l'industrie. Le déséquilibre actuel des relations du travail est la preuve tangible de l'échec de tels contrôles aussi bien dans la construction domiciliaire qu'industrielle. La présence des braconniers et "jobineux" y travaillant à sous-contrat et à rabais ne doit plus être tolérée sur les chantiers du Québec, autant dans la construction neuve que dans la rénovation.

Pour cela, il n'y a pas d'autre choix que d'exiger que les travaux d'un chantier noir illégal soient arrêtés dès la confirmation d'une infraction. Ces travaux ne devraient continuer qu'après une régularisation complète de la situation. Des amendes sévères et la suppression des licences devraient être éventuellement imposées à des entrepreneurs qui récidivent. Les entrepreneurs, qui font bénéficier les entrepreneurs artisans de priorité d'embauche et qui pratiquent même à l'endroit des travailleurs syndiqués le 30-50, devraient être mis lourdement à l'amende et éliminés de l'industrie.

Le 5 août 1983, la section sud d'un édifice à condominiums construit à Sainte-Foy s'écroule, entraînant la mort de deux travailleurs dont l'un ne possédait ni carte de qualification, ni carte de classification: il n'avait que dix-sept ans. L'enquête a révélé qu'une douzaine de travailleurs y avaient été

embauchés clandestinement par la compagnie Habitat Sainte-Foy dont les promoteurs seront par la suite accusés de négligence criminelle. Il ne s'agissait pas d'un accident survenu dans les conditions normales de travail. Des vices de constructon majeurs, l'absence de permis de construire, l'utilisation de la main-d'oeuvre clandestine et l'insouciance des organismes de contrôle donnaient à cette tragédie une dimension qui révélait l'ampleur tragique du phénomène des "chantiers noirs".

Pour la CSN-Construction, cet exemple est suffisant pour témoigner de l'importance de donner des dents à une loi de l'industrie afin d'empêcher que de telles tragédies ne se répètent. Tant et aussi longtemps que l'industrie de la construction permettra l'existence de tels chantiers ou la poursuite de leurs travaux, il y a tout lieu de croire que le phénomène s'institutionnalisera.

Les entreprises clandestines ne s'organisent pas du jour au lendemain, mais une fois organisées il y a peu de chance de pouvoir les démanteler aisément. Les millions de dollars fraudés à l'impôt et les milliers d'emplois illégaux devraient être suffisants pour amener les autorités gouvernementales à réagir. Les amendes prévues par le législateur n'empêchent pas les récidives. Les inspecteurs de l'OCQ constatent l'activité d'entreprises sans permis, mais rien n'est fait pour empêcher le phénomène de s'étendre. Seule la capacité de pouvoir arrêter les travaux, une fois l'infraction constatée, donnera des résultats positifs. L'entrepreneur qui récidive devrait alors être mis à forte amende et perdre son permis, s'il ne peut régulariser sa situation en regard de l'impôt sur le revenu ou les contributions aux régimes d'avantages sociaux de l'industrie. De plus, les travaux ne devraient reprendre qu'une fois l'amende acquittée et cela, sans perte de salaire pour les travailleurs qualifiés et classifiés concernés.

La tolérance du système de surveillance actuel a causé la tragédie du 5 août 1983 et en cause régulièrement d'autres. Pour arrêter cette folie criminelle, il est nécessaire que le législateur donne des pouvoirs adéquats aux représentants syndicaux pour faire arrêter les travaux de ces chantiers au noir et à l'Office de la construction du Québec en lui permettant de révoquer le permis des entreprises agissant illégalement.

Depuis 1968, la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction régit les rapports des diverses associations représentatives des travailleurs et des employeurs. La CSN s'était fermement opposée à l'époque, par la voie de son président, Marcel Pepin, à cette loi spéciale. "Il faut se rappeler, affirmait-il, que si une loi contient une disposition une autre loi peut l'annuler. Le syndicalisme peut-il se permettre de vivre dans un mécanisme arbitraire dont le contrôle exclusif repose dans les mains du gouvernement?"

Après avoir mis de côté le Code du travail et instauré un nouveau système d'associations représentatives de travailleurs et d'employeurs, cette loi 290, voulue par les entrepreneurs de la construction et appuyée par les "unions" américaines regroupées à la FTQ, visait à briser la résistance des travailleurs membres de la CSN pour se donner une véritable sécurité d'emploi.

Le marasme dans lequel on vit aujourd'hui dans l'industrie trouve là son origine historique. La loi 290 est venue mater la volonté des travailleurs de la CSN de protéger leurs emplois dans les régions autres que Montréal. Sous le couvert de l'instauration d'un soi-disant régime juste, équilibré et égalitaire, la loi permettait de créer un vaste "pool" de main-d'oeuvre libérée des tracasseries de la vie syndicale, mais assujettie à l'arbitraire politique. Ce qui, à ce moment-là, touchait directement les membres de la CSN s'avère aujourd'hui toucher l'ensemble des travailleurs de la construction. Pour Marcel Pepin, la question n'était pas de faire le compte de celui qui y gagnerait ou y perdrait le plus. "Il faut, affirmait-il, carrément poser le problème: est-ce que le syndicalisme y gagnera? Est-ce que les travailleurs y gagneront?"

La loi 290 prévoyait que les deux centrales syndicales devenaient présentes dans toutes les régions. Ce changement radical n'affectait que les syndicats de la CSN. L'effectif des unions américaines (FTQ) était centralisé surtout à Montréal où la CSN était, d'ailleurs, déjà présente. Cette loi abolissait le concept de l'accréditation, alors qu'en fait - et tous l'ont reconnu lors des événements de 1982 sur le réseau du gazoduc lorsque les soudeurs, membres d'un syndicat international, ont voulu faire reconnaître le National Pipeline Agreement - les accréditations existantes entre les grands entrepreneurs aux niveaux international et national et les unions américaines continuaient d'exister. La loi 290 ne nuisait effectivement qu'aux syndicats affiliés à la CSN, négociant régionalement les conditions de travail de leurs membres.

Un tel modèle de fonctionnement n'a jamais "fonctionné" et fut, à un degré incomparable, source de tensions nouvelles et continuelles, tout en exacerbant les luttes intersyndicales, dont l'épisode du saccage de la Baie James a marqué l'apogée.

Pour éviter les abus légalisés de cette loi qui venait, d'un trait de plume, d'écarter les membres de la CSN des chantiers importants du Québec où les employeurs gardaient leurs liens avec les unions américaines de la FTQ et pour éviter l'absence totale de protection non seulement des membres de la CSN, mais de toute allégeance syndicale, les travailleurs de la

construction firent, dans plusieurs régions, une grève de neuf semaines pour un nouveau régime de sécurité d'emploi et déjouer ainsi certains effets de la loi 290.

Ce ne fut que partie remise pour les adeptes du monopolisme syndical qui, Louis Laberge en tête, réclamait alors le pluralisme syndical dans l'industrie de la construction afin d'y faire reconnaître ses unions américaines. (17 h 45)

Après l'échec des premiers règlements de placement qui mettaient en doute la volonté politique réelle du gouvernement libéral de Jean Cournoyer et de Paul Desrochers, nous avons alors assisté à l'une des périodes les plus sombres de l'histoire des relations du travail de notre industrie, période qui s'est terminée avec la tombée de rideau de la commission Cliche.

L'histoire nous démontre aujourd'hui que la loi 290, une fois devenue réalité, servit de cheval de Troie aux unions américaines pour exercer, à l'endroit des travailleurs de la construction du Québec un chantage à l'emploi, forçant les travailleurs à se rallier à elles. Avec la complaisance patronale, certains fiers-à-bras ne se gênaient pas pour menacer et violenter les récalcitrants.

Dans son mémoire préliminaire devant la commission Cliche sur la liberté syndicale dans la construction, le 3 juillet 1974, la CSN affirmait, exemples à l'appui, que la loi 290 n'avait fait qu'empirer les choses au point de transformer une situation de conflits épisodiques en un état de chaos permanent.

Pour des raisons qu'il est facile de discerner, la CSN observait que c'était surtout à l'occasion des périodes légales de maraudage et l'ouverture des chantiers importants que la violence s'érigeait en loi.

L'année 1973 fut, à ce titre, un tournant important de l'évolution de la loi sur les relations du travail de l'industrie. Cédant sous les pressions des unions affiliées à la FTQ-Construction, le gouvernement libéral supprime, par l'adoption de la loi 9, le droit de veto reconnu par la loi 290 aux associations représentatives en changeant les règles de représentativité.

Cette loi accordait un monopole de négociation à l'échelle de l'industrie à l'association choisie par le législateur. Entre une industrie de 150 000 travailleurs et une fabrique de trois employés, il n'y avait plus de différence. Ouvrant la porte aux négociations secrètes, comme le soulignait la CSN dans un mémoire remis au CERLIC, Comité d'étude et de révision de la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction en janvier 1978, cette loi légitimait les méthodes illégales de la FTQ pour parfaire son monopole en le rendant permanent et en excluant la CSN.

Lors d'un colloque de l'Association du barreau canadien, Me Jacques Desmarais, en avril 1974, soulignait que c'était là rendre en définitive illusoire et impossible l'obligation de représentation; en définitive, avouait-il, ce modèle, tout en prétendant reconnaître le droit à la liberté d'adhésion, met sur pied dans les faits un monopole et une exclusivité de représentation mais nie l'obligation de représentation.

C'est en fait, disait ce juriste, transporter à l'échelle de toute une industrie le modèle de l'exclusivité réelle de représentation sans s'assurer que l'obligation de représentation sera valablement garantie.

La CSN croit aujourd'hui que cette injustice, qui exclue des décisions les concernant un nombre aussi important de travailleurs est l'une des causes profondes du climat de malaise qui sévit actuellement à la table de négociation de l'industrie.

Le pluralisme syndical ne doit pas être une vague intention du législateur. Il doit être confirmé dans le texte de sa loi et être protégé contre les agents monopolistes qui, depuis 1968, utilisent leurs appuis politiques pour désavouer et détruire dans les faits l'exercice de la liberté et de la démocratie syndicale.

L'absence d'une association véritablement majoritaire avec une FTQ-Construction représentant moins de 42% des travailleurs, l'Inter qui en représente environ 31% et la CSN-Construction qui en représente à son tour environ 18%, renvoie la Loi sur les relations du travail à la table d'ébauche. Ce qui était prévisible en 1968, au moment de l'adoption de la loi, devient réalité en 1984.

Les velléités monopolistes de la FTQ enraient indubitablement le processus de la négociation et paralysent l'exercice de la liberté syndicale. La FTQ veut négocier seule, selon ses seuls intérêts et sans pouvoir s'entendre avec les autres associations syndicales représentatives. Même le ministre du Travail, lors de la dernière commission parlementaire, a relevé l'anomalie.

La question formulée alors par le ministre Reynald Fréchette était la suivante: "Les parties syndicales pourraient-elles s'asseoir ensemble et procéder à l'exercice d'identifier un moyen sur lequel elles pourraient s'entendre pour faire en sorte qu'à l'avenir on ne se retrouve plus dans ce genre de situation?"

Cette démarche, la CSN-Construction l'a amorcée. Elle fut écoutée par les représentants de Tinter, elle fut malencontreusement rejetée par la FTQ-Construction dont le directeur général Jean-Paul Rivard clamait à tout venant que la CSN-Construction n'était plus dans le décor, quant à nous. On signera pour tout le monde et tant pis pour la CSN-Construction.

Cette attitude nous était bien connue mais la CSN-Construction n'a jamais accepté et n'acceptera jamais d'être tassée de la

table des négociations de l'industrie de la construction. Elle n'acceptera pas non plus qu'il y ait un règlement qui se fasse au-dessus de la tête des travailleurs de la construction, qu'ils soient CSN, Inter ou FTQ.

Nous croyons que la présence des négociateurs de la CSN à la table des négociations de l'industrie est la meilleure garantie de protection des intérêts de l'ensemble des vrais travailleurs de la construction. Qui peut nous blâmer de vouloir informer les travailleurs de la construction de ce qui se trame à cette table ou autour de cette table quand c'est l'avenir de plus de 100 000 travailleurs qui s'y décide?

La FTQ-Construction veut négocier seule le prochain décret de l'industrie, mais elle n'a ni la capacité ni la majorité pour le faire. Son seul choix, c'est de s'asseoir et de s'entendre avec ses partenaires, la CSN-Construction et le Conseil provincial des métiers de la construction.

Pour sortir de cette impasse malheureuse et essayer de trouver, comme le ministre le suggérait, un moyen ou une solution pour éviter qu'on se retrouve dans des situations semblables à l'avenir, la CSN-Construction croit qu'il faut adopter un mécanisme qui obligerait les associations syndicales à s'entendre.

Le droit de négocier est une condition préalable, il va sans dire, à l'adoption d'un tel mécanisme. Cette proposition en neuf points est semblable à celle que nous avons fait parvenir aux autres associations syndicales au printemps dernier.

Premièrement, que l'on forme un comité de négociation composé d'une personne par association syndicale représentative en vertu de l'article 42 de la loi.

Que ces personnes soient les porte-parole autorisés de chacune des associations syndicales.

Que ce comité ait tous les pouvoirs en ce qui concerne la négociation et son déroulement.

Que toutes les décisions concernant la négociation et son déroulement soient prises par la majorité des membres du comité de négociation.

Que les décisions de ce comité lient les associations syndicales.

Ce comité, une fois formé, a le mandat de préparer le projet de convention collective en y incluant les priorités de négociation de chacune des associations syndicales.

Toutes les décisions d'acceptation ou de rejet de la convention collective sont prises par chaque association syndicale conformément à ses statuts et règlements.

Le vote de grève doit être pris par chaque association syndicale conformément à ses statuts et règlements.

Pour être signée, la convention collective doit être adoptée par la majorité des associations représentatives habilitées à négocier selon l'article 42 de la loi. Cependant, lorsqu'une association représentative comporte plus de 50% des travailleurs de la construction, son accord est requis.

Si le gouvernement a la volonté affirmée de protéger le pluralisme syndical, il doit effacer de la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction tout ce qui peut faire en sorte d'exclure ou de proscrire l'une ou l'autre des associations syndicales représentatives habilitées à négocier à la table des négociations selon l'article 42 de la loi.

Ce que la loi reconnaît aujourd'hui, c'est le droit pour plusieurs associations syndicales de se disputer un monopole de négociation provinciale, d'où l'impasse actuelle. On doit éliminer, comme la CSN-Construction le soulignait dans son mémoire au CERLIC, le dangereux raccourci pris par la loi 9 qui permet à une minorité de décider pour la totalité des travailleurs d'une industrie. La stabilité de l'industrie doit passer par une loi qui protège véritablement les libertés démocratiques et syndicales des travailleurs de cette industrie. Cette reconnaissance permettra, du même coup, aux travailleurs de la construction de se prévaloir de leur droit au travail sans la menace constante des maraudages hors-délai et des chantages à l'emploi.

Les patrons de l'industrie, regroupés à l'Association des entrepreneurs de construction du Québec, l'AECQ, bloquent actuellement la négociation entreprise pour renouveler les conditions de travail contenues dans le décret de la construction. Ils la bloquent systématiquement.

La décision du ministre du Travail de maintenir, l'année dernière, les salaires négociés l'année précédente, a rencontré une résistance patronale qui s'est traduite dans la réalité par une attitude générale de forcer une baisse des salaires de 20% en profitant du haut taux de chômage de l'industrie.

La CSN-Construction a pu relever de nombreux cas où des patrons, principalement du secteur domiciliaire, ne respectaient plus ouvertement les conditions du décret. Dans toutes les régions du Québec, notre enquête nous démontre que les patrons de cette industrie forcent leurs salariés à accepter, sous peine de se retrouver subitement au chômage, des conditions de salaires inférieures pouvant varier de 20% à 40%. Ainsi certaines entreprises versent-elles des salaires correspondant aux obligations décrétées sur une base de 40 heures et les déclarent à l'OCQ alors qu'en fait, les travailleurs demeurent à leur emploi pour des semaines de 50 heures et plus, la différence étant gratuite. Il va sans dire que l'OCQ n'y voit que du feu. Les plaintes, à cause de la

peur exercée par le chantage à l'emploi, sont rares, mais une enquête sérieuse dans les livres de telles entreprises démontrerait, sans laisser le moindre doute, l'ampleur des exactions et des infractions commises quotidiennement.

Des rumeurs persistantes nous laissent même croire que la croissance des illégalités commises par ces entrepreneurs coïncident avec des mots d'ordre venant de la direction même de l'AECQ, organisatrice de ce mouvement réactionnaire. Cette réaction dirigerait toujours, malgré des courants dissidents importants, les destinées politiques de l'association patronale. Ce qui expliquerait certaines des manoeuvres plus récentes du patronat de cette industrie à l'endroit des associations syndicales et du gouvernement.

Le 19 décembre 1983, après la publication du dossier noir de la CSN sur la situation de l'industrie, le ministre du Travail rencontrait les membres du comité mixte afin d'identifier l'ensemble des problèmes de l'industrie et de tenter de trouver des pistes de solution. Le ministre du Travail a, d'ailleurs, lui-même informé les membres de la commission parlementaire du 10 avril des discussions qu'il a poursuivies le 24 janvier 1984 avec les membres du comité mixte alors que toutes les parties s'entendaient pour affirmer que le travail au noir devenait le problème majeur de l'industrie et qu'il fallait revoir le champ d'application.

Le ministre avait alors demandé aux membres du comité mixte de l'industrie de lui remettre, le plus rapidement possible, un document "conjoint" qui suggérerait des solutions aux problèmes identifiés ensemble.

La CSN-Construction, présente à ces rencontres, peut vous confirmer que des rencontres ont eu lieu pour rédiger un tel document et que les parties syndicales ont endossé ledit document conjoint préparé dans le sens des demandes du ministre. D'ailleurs, la plupart des éléments se retrouvent aujourd'hui dans les changements proposés par la CSN au contenu de la loi.

Mais, quand vint l'heure pour les représentants de l'AECQ d'endosser le document, la réponse fut négative. Dès lors, nous avons compris que l'AECQ, dont une majorité d'entrepreneurs sont, vous nous excuserez l'expression courante, des "chaudrons" participant à la partique illégale de la "production au noir" sur une vaste échelle, était réfractaire à affirmer une volonté réelle de régler les problèmes de l'industrie. Les "réactionnaires" montraient là leur vrai visage. C'est, d'ailleurs, là une raison importante qui motive la CSN à recommander que le statut d'employeur soit confié uniquement à celui qui emploie un ou des salariés.

Dès lors, ce fut l'impasse non seulement dans les démarches entreprises de bonne foi par les représentants syndicaux du comité mixte, mais ce fut l'impasse dès les premières rencontres d'une négociation alors que les patrons ont invoqué les problèmes contenus dans le document "conjoint" (non entériné de leur part) pour signifier, sans discussion possible, leur intention de baisser radicalement et unilatéralement les salaires, de réinstaurer le double taux, de reconnaître la polyvalence des métiers dans le secteur domiciliaire et, à toutes fins utiles, de "déréglementer" l'industrie.

Les patrons de l'AECQ ont choisi de faire passer la négociation par le "non-négociable" en obligeant les représentants syndicaux et le gouvernement à accepter les nouvelles règles qu'ils nous dictent péremptoirement. C'est, d'ailleurs, dans ce même esprit que certains de leurs dirigeants parlent de paralyser, le 1er septembre prochain, l'industrie avant même qu'il y ait eu de véritable négociation.

Dans notre dossier "Les chantiers noirs", nous avons fait part de notre inquiétude à la suite d'observations concernant l'érosion progressive de nos libertés syndicales et de nos droits syndicaux. L'affaiblissement de la structure syndicale était devenu l'objectif des technocrates gouvernementaux qui, pour satisfaire de quelconques visées électorales, s'étaient rangés dans le camp des 20 000 petits patrons de notre industrie. Les moyens utilisés: une loi imprécise à volonté, un laisser-aller des contrôles et le feu vert à la Régie des entreprises de consctruction du Québec pour donner à tout venant des licences d'entrepreneurs artisans remplaçant la carte de classification et l'obligation d'adhérer à une association syndicale.

Invoquant la volonté politique du gouvernement de "normaliser" le secteur de la construction "afin que les règles du jeu qui y règnent soient au diapason de celles que l'on retrouve dans les relations du travail ailleurs dans l'ensemble de la société", Pierre-Marc Johnson, alors ministre du Travail, fait adopter d'abord en 1979 une loi qui transfère le statut de l'artisan de salarié à entrepreneur.

Prétextant la protection de l'artisan dans une industrie aussi fortement réglementée, le ministre affirme tout bonnement qu'ainsi, "dans un premier temps, le travailleur de la construction choisit s'il désire être un salarié syndiqué ou un artisan". La loi 110 deviendra ainsi la pierre d'assise d'une activité qui ouvrira d'abord tout grand le marché de l'emploi de l'industrie à des travailleurs non syndiqués, puis amorcera le mouvement de déréglementation.

Aujourd'hui, à peine cinq ans plus tard, le message des travailleurs membres de la CSN-Construction est le même dans toutes nos assemblées. "Nous sommes écoeurés, disent-ils, de ne plus nous voir offrir

d'emplois, parce que n'importe qui, qui accepte des conditions et des salaires inférieurs, peut travailler à notre place."

Pourtant, même le commissaire de la construction avait l'habitude d'émettre des cartes de travailleurs "occasionnels", des permis spéciaux en quantité inhabituelle. Des chiffres obtenus en 1983 confirmaient la présence d'au moins 4000 possesseurs de tels permis et cela, sur des chantiers où l'embauche des vrais travailleurs de la construction ne se fait pas.

L'exemple des Roulottes UNIK est à ce sujet révélateur. Les propriétaires de cette compagnie qui fabrique des roulottes et des maisons usinées obtiennent régulièrement des permis spéciaux pour des travailleurs qui effectuent l'installation de ces maisons sur les terrains des acheteurs, une activité relevant du champ d'application de la loi. (18 heures)

Or, ces industriels n'embauchent même pas les travailleurs de leurs propres usines pour effectuer de telles tâches ni les travailleurs de la construction. Ils s'adressent directement au commissaire de la construction qui leur signe à volonté des permis de travailleurs occasionnels sans même vérifier le statut des travailleurs embauchés. Il va sans dire que ces travailleurs occasionnels ne sont ni syndiqués à l'usine ni syndiqués dans l'industrie et que leurs conditions de travail et de salaires passent outre à toute convention signée ou décrétée.

En somme, le commissaire de la construction devenait d'usage courant un canal de déviation des droits syndicaux et une menace constante de la sécurité d'emploi des travailleurs de la construction. D'ailleurs, par le biais de décisions sans appel, ce même commissaire favorise à sa manière le processus de désyndicalisation. Ainsi, au cours des dix dernières années, nous pouvons affirmer que près de 15 000 travailleurs ont été exclus par le commissaire dans l'application de la loi de l'industrie.

La loi est imprécise. Le commissaire est autoritaire, mais il y a plus lorsque la volonté politique manque pour protéger les droits des travailleurs dans l'application de la loi et de ses règlements.

Au printemps 1983, le député libéral de Hull prône ouvertement le retrait de la carte de classification dans la construction. Dans une résolution présentée et adoptée par le 53e congrès biennal du Conseil central des syndicats nationaux de l'Outaouais (CSN), le syndicat de la construction (CSN) répond au député en lui expliquant que le problème dans notre secteur, c'est le manque d'emplois. En retirant la carte, cela ne créera pas plus d'emplois. Si un travailleur sans carte travaille, ce sera un autre avec une carte qui sera sans emploi.

Il n'y a pas que le député Rocheleau qui, parmi les hommes politiques du Québec, rage contre le règlement de placement et la syndicalisation. Depuis, les politiciens fédéraux qui préconisent la mobilité "coast to coast" des travailleurs de la construction et leur libre accès aux marchés provinciaux du travail jusqu'aux associations locales de parti qui veulent profiter des occasions de contrats gouvernementaux pour exercer leur patronage, le monde politique québécois fourmille de "lobbyists", petits ou gros, qui dénoncent régulièrement le règlement actuel.

Le plus étonnant, toutefois, est venu d'une corporation grassement subventionnée par le gouvernement du Québec dans le comté de Matane, une région où sévit le chômage permanent. La corporation "Action-Travail" de Matane (142 000 $ de subventions en 1983) a fait circuler des résolutions rédigées au préalable et uniformes, demandant dans tous les villages de la région la suspension des règles de l'Office de la construction du Québec concernant les travaux communautaires.

Ces travaux communautaires ne sont pas autre chose que des constructions d'édifices publics municipaux ou scolaires (garages, écoles, rénovations diverses), toutes soumises au champ d'application du décret de la construction.

Et en suspendant les règles, toute l'industrie de la construction se verrait amputée d'un pourcentage important de travaux; il ne faut pas oublier que le gouvernement demeure le plus important donneur d'ouvrage de l'industrie québécoise de la construction.

La suspension des règles demandée par cette corporation, financée par le gouvernement et animée par l'association péquiste du comté, n'aborde plus le problème du chômage par la création d'emplois, mais par le vol systématique des emplois actuels des travailleurs de la construction par des amis du parti ou des travailleurs sans qualification et sans protection.

Nous assistons là à une opération qui vise à discréditer les salaires versés dans l'industrie et à justifier par là le chômage des autres secteurs industriels. Le prétexte invoqué: "une foule de projets communautaires utiles à la collectivité ne se réalisent pas, dû aux exigences salariales..."

Le gouvernement, qui accorde les subventions aux municipalités, aux commissions scolaires et aux corporations sans but lucratif, est le même gouvernement qui décrète les salaires dans l'industrie de la construction.

Ce gouvernement est pourtant celui-là même qui utilise la structure de main-d'oeuvre parallèle de la RECQ pour opérer à son tour la désyndicalisation.

Profitant de cette loi 110, il a permis de transférer plusieurs milliers de travailleurs syndiqués des listes de l'OCQ aux carnets

secrets de la RECQ. Ainsi, plusieurs entrepreneurs généraux voulant n'embaucher que des travailleurs non syndiqués sur leurs chantiers ont cautionné des licences à la RECQ. Une demande d'entrepreneur-artisan ou d'entrepreneur spécialisé effectuée de cette manière est rarement refusée à la RECQ.

Le travailleur devenu un entrepreneur-artisan n'est plus syndiqué et il ne contribue plus aux régimes d'avantages sociaux au-delà du minimum requis; de plus, l'entrepreneur général qui l'embauche n'a plus ainsi à respecter les conditions salariales du décret et profitera de la baisse de demandes d'emplois pour exercer sur le nouvel entrepreneur une pression à la baisse telle que ce dernier acceptera des conditions inférieures et pourra conserver son emploi qui sera enlevé au "vrai", pénalisé par les exigences du décret pourtant négocié par l'ensemble des entrepreneurs de construction du Québec.

L'an dernier, les transferts les plus importants de salariés à entrepreneurs-artisans ont touché les secteurs suivants: la machinerie lourde, la charpenterie-menuiserie, les systèmes intérieurs, l'électricité et la tuyauterie. Ainsi, en trois mois, du 31 décembre 1982 au 31 mars 1983, la régie a accordé 1542 permis d'entrepreneurs artisans ou spécialisés dans une industrie où le chômage variait selon les régions de 50% à 80% parmi la main-d'oeuvre qualifiée. De ce nombre, 1068 étaient de nouveaux entrepreneurs de machinerie lourde. À la même période, les travailleurs de la construction affectés aux travaux du gazoduc constataient la présence inhabituelle sur leurs chantiers de nouveaux entrepreneurs embauchés par les compagnies Gaz Inter-Cité et Gaz Métropolitain, deux compagnies appartenant au gouvernement du Québec. Aussi peut-on conclure que la loi 110 a bien servi son inspirateur, alors que le chômage sévit dans les rangs des opérateurs d'équipement lourd plus que dans toutes les autres catégories professionnelles, des entrepeneurs artisans de machinerie lourde aux travailleurs salariés sur les principaux chantiers de financement gouvernemental, pavage, construction, routes et gazoduc.

Le budget annuel de la Régie des entreprises en construction du Québec se situe autour de 3 300 000 $, alors que cette même régie perçoit des entreprises contribuantes la somme de 4 500 000 $, l'excédent étant porté au fonds consolidé de la province. L'Office de la construction du Québec, lui, d'autre part, fait face à un déficit budgétaire annuel d'au-delà de 2 000 000 $ à la suite de la baisse observée des cotisations fixées en regard des heures travaillées de l'industrie.

L'excédent de l'un ne comble pas le déficit de l'autre, les deux organismes paragouvernementaux étant indépendants l'un de l'autre, malgré le dédoublement constant de certains contrôles. Les travailleurs de la construction n'ont pas à assumer un coût supplémentaire pour l'existence de l'Office de la construction du Québec qui exécute des mandats pour d'autres organismes et qui ne remplit pas ses obligations à l'endroit des travailleurs de la construction.

Entre le 31 mars 1982 et le 31 mars 1983, la régie a accordé 3134 licences. Cette année-là, le nombre d'entreprises s'est accru de 18,6% pendant que le nombre de travailleurs s'affaissait de 19,3%.

Depuis 1979, année où la RECQ a commencé à distribuer généreusement ses permis et à compiler des données indépendantes des ordinateurs de l'OCQ, le nombre des entreprises de la construction a doublé: en trois ans et demi, il a augmenté de 11 687 à 21 176. Vous pouvez constater sur le graphique de 1979 à 1982 ce qui s'est passé, la petite ligne étant ceux qui sont inscrits à l'Office de la construction du Québec, la grande ligne étant les entrepreneurs inscrits à la Régie des entreprises en construction du Québec. La croissance de l'un est équivalente à la décroissance de l'autre.

À l'OCQ, d'autre part, on enregistra à 12 595 le nombre d'entreprises déclarant leurs activités. Et près de 60% de ces entreprises, soit 7329, avouaient, en 1982, verser moins de 25 000 $ en salaires.

Combien y a-t-il d'entreprises actives au Québec dans l'industrie de la construction? 12 595 ou 21 176 ou plus si l'on ajoute les 4000 entreprises considérées comme illégales par les inspecteurs de la RECQ?

Il semble difficile de connaître le nombre d'entreprises dans la construction. L'illégalité ou la dissimulation des activités d'un trop grand nombre dénature la réalité de l'industrie.

Une chose est maintenant claire: des contraintes sévères sont imposées par l'Office de la construction du Québec pour l'émission des cartes de classification -permis de travail - aux vrais travailleurs de la construction, alors que la RECQ émet des licences d'entrepreneur sans aucune forme véritable de contrôle.

Depuis 1979, la tendance s'est affirmée: dans une économie en débandade accélérée, alors que le chômage peut atteindre jusqu'à 70% de la main-d'oeuvre lorsque les conditions saisonnières, cycliques et intermittentes se joignent, le nombre d'entreprises croît, se multiplie et rien ne permet de croire que le phénomène se résorbe.

Près de 15 000 entrepreneurs artisans ou spécialisés travaillent seuls - ou presque -et échappent aux contrôles et à la réglementation de l'industrie.

C'est pourquoi la CSN croit également que la Régie des entreprises en construction du Québec devrait être abolie et les pouvoirs d'émission et de contrôle des permis d'entrepreneurs remis au Comité mixte de l'industrie de la construction.

La RECQ n'a pas été instituée pour créer une main-d'oeuvre parallèle aux salariés de l'industrie. Mais son comportement actuel laisse présumer qu'elle participe activement à une vaste opération de désyndicalisation et de déréglementation. Les milliers de permis accordés par la RECQ sur la période des quatre dernières années devraient être vérifiés soigneusement. Cette régie est devenue une véritable passoire où n'importe qui peut obtenir des permis d'entrepreneur sans aucune forme de vérification ou de contrôle de solvabilité.

Une fois remis au Comité mixte de l'industrie de la construction ces pouvoirs d'émission et de contrôle, la CSN croit également que le comité mixte doit pouvoir étudier un mécanisme universel d'octroi de permis de construction au Québec. Ce mécanisme pourrait éventuellement contrôler la qualification des entrepreneurs et la classification des travailleurs par l'introduction de clauses dans l'octroi des permis qui garantiraient l'embauche des travailleurs classifiés et qualifiés de l'industrie de la construction.

Nous croyons que pour enrayer véritablement le fléau de l'entreprise au noir dans l'industrie de la construction il faut enrayer à l'origine même de toute production dans ce secteur d'activité, la possibilité de frauder la réglementation. Un mécanisme universel d'octroi de permis de construction serait alors le premier moyen pour le gouvernement de stabiliser l'industrie et donnerait aux parties la capacité de réagir à temps lorsque des déséquilibres, tels que ceux que l'on connaît, menacent l'ensemble du secteur.

Depuis la loi 27, qui permettait encore une fois l'année dernière au gouvernement de modifier la loi sur l'industrie, le comité mixte est relégué au statut d'organisme "consultatif" inacceptable.

Rien ne peut expliquer ce statut, puisque ce sont les travailleurs et les autres intervenants de l'industrie qui financent de leurs contributions la gestion de l'OCQ, dont le mandat est d'appliquer et d'administrer les avantages sociaux et les bénéfices contenus dans le décret négocié par les parties.

L'interprétation et l'application du décret dépendent désormais totalement de l'OCQ et font de cet organisme paragouvernemental le seul et unique décideur dans ce domaine. La loi 27 a même supprimé toute forme d'appel relativement à toute interprétation ou application du décret. Elle a concentré entre les mains des fonctionnaires le pouvoir de décider sur l'interprétation des décrets ou des conventions collectives régissant les conditions de travail des travailleurs de la construction tout en enlevant ce pouvoir aux associations représentant les travailleurs eux-mêmes.

Il est donc essentiel que des changements à la loi redonnent au comité mixte le pouvoir de décider de tout litige relativement à l'interprétation et à l'application du décret.

Parallèlement au comité mixte, la CSN voit d'un bon oeil la création d'un tribunal de la construction qui pourrait être une section du Tribunal du travail. Dans le document de travail préparé d'ailleurs par le comité mixte à la suite de la rencontre du 24 janvier avec le ministre du Travail, il est fait mention d'un tel tribunal. Déjà, en 1974 puis en 1978, les mémoires de la CSN suggèrent la création du tribunal de la construction pour rassembler, sous un seul organisme, la sanction de toutes les lois et de tous les règlements régissant la construction.

Pas un seul acheteur de maison ne peut affirmer qu'il a payé moins cher parce que les travailleurs embauchés étaient rémunérés à des taux inférieurs de salaires. Pas un seul propriétaire de maison qui fait affaires avec un "jobineux" n'est capable d'obtenir une garantie valable sur la qualité des travaux. Ce que l'entrepreneur-artisan, en travaillant à rabais, ne charge pas au taux horaire, il le chargera sur les matériaux utilisés pour obtenir son profit.

Actuellement, nous ne comprenons pas l'acharnement des entrepreneurs à faire campagne pour faire porter la responsabilité de nos difficultés économiques sur le dos des 100 000 travailleurs de la construction qui arrachent difficilement un salaire annuel moyen ne dépassant pas 15 000 $, soit le seuil de la pauvreté. 86 maisons bâties en banlieue sud de Montréal ont rapporté l'an dernier 1 000 000 $ de profit à l'entrepreneur qui les a bâties. Aucun travailleur de la construction de ces chantiers n'a été payé selon les taux prévus du décret et aucun acheteur n'a payé un prix inférieur au prix du marché pour se procurer l'une de ces maisons.

L'augmentation de décimales de pourcentages en taux d'intérêt exerce plus d'influence sur les coûts des travaux que des augmentations importantes de salaires des travailleurs. À titre d'exemple, une augmentation de 10% de la masse salariale, lors de la construction d'une maison, égale 2,4% d'augmentation du coût de la maison. À titre d'exemple également, l'augmentation de 1% du taux d'intérêt égale 6,5% du coût d'augmentation de l'achat d'une maison. Cela n'était pas dans le document, c'est un ajout.

Ce que les travailleurs de la

construction constatent vraiment aujourd'hui c'est que plus un seul d'entre eux ne peut se garantir la moindre sécurité d'emploi ou de revenu, tant et aussi longtemps qu'on permettra la présence sur les chantiers d'une main-d'oeuvre parallèle occupant les emplois auxquels seuls les travailleurs qualifiés et classifiés devraient avoir droit.

Ce que les travailleurs de la construction attendent vraiment aujourd'hui du gouvernement c'est qu'il traduise par un texte de loi ses revendications à l'exercice de ses droits et libertés fondamentales que le patronat de cette industrie ne respecte plus.

Ce que les travailleurs membres de la CSN-Construction revendiquent aujourd'hui, c'est le respect de leurs droits et principalement celui de leur droit au travail. C'est pourquoi la CSN-Construction recommande entre autres:

L'application plus sévère et plus soutenue du règlement de placement de l'industrie de la construction;

Que le législateur donne les pouvoirs adéquats aux représentants syndicaux de vérifier les permis des entrepreneurs et les permis de travail;

Que le législateur donne les pouvoirs adéquats aux représentants syndicaux et à l'Office de la construction du Québec de faire arrêter les travaux des chantiers noirs; (18 h 15)

Que le législateur affirme le caractère inaliénable du pluralisme syndical en effaçant de la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction tout ce qui peut faire en sorte d'exclure ou de proscrire l'une ou l'autre des associations syndicales représentatives habilitées, selon l'article 42, à négocier à la table des négociations;

Que le législateur rétablisse une représentativité équitable des membres de la CSN-Construction à la table des négociations de l'industrie;

Que le comité mixte de l'industrie de la construction ait le pouvoir de décider de tout litige relativement à l'interprétation et à l'application du décret;

Que la Régie des entreprises de construction du Québec soit abolie et que les pouvoirs d'émission et de contrôle des permis d'entrepreneurs soient remis au comité mixte de l'industrie de la construction;

Que le comité mixte étudie un mécanisme universel d'octroi des permis de construction du Québec qui garantirait l'embauche des travailleurs classifiés et qualifiés de l'industrie de la construction.

Les trois dernières pages du dernier document qu'on vous a soumis... Vous trouverez en annexe de notre mémoire une série d'amendements appuyant les positions que nous venons de développer.

En premier lieu, ils visent à établir une définition plus adéquate et plus claire du champ d'application de la loi, tout en limitant les exceptions contenues à l'article 19. Celles-ci se limitent aux travaux d'entretien et de réparation de bâtiments exécutés par des salariés permanents d'un employeur autre que professionnel ou aux travaux de réparation ou d'entretien d'ouvrages de génie civil exécutés par les salariés permanents du propriétaire. Les exceptions de l'article 19 ne doivent recevoir d'application que lorsque les travaux sont exécutés par des salariés permanents, c'est-à-dire des salariés qui sont à l'emploi de leur employeur depuis au moins six mois.

Les amendements proposés visent aussi à restreindre la place de l'artisan. Ainsi, tout employeur exécutant les travaux de construction doit employer au moins un salarié pour exécuter le travail. Il faut donner au comité mixte, lieu où se retrouvent les représentants des associations syndicales ou patronales, un rôle déterminant en regard de l'économie générale de la loi. C'est à lui que doivent revenir l'administration de l'office, la rédaction et l'adoption des règlements pertinents ainsi que l'interprétation du décret. C'est à lui que revient le rôle d'émettre tout permis permettant de devenir entrepreneur en construction.

Vous trouverez à l'article 42 nos recommandations relatives à la structure de négociation. Elles créent un cadre permanent du côté syndical, soit la formation d'un comité syndical de négociation où les décisions se prennent à la majorité des voix des associations représentatives habilitées à négocier. Les dispositions concernant l'arbitrage des griefs sont aussi modernisées et adaptées au genre d'industrie en contenant des clauses déjà contenues au Code du travail.

Pour assurer le respect de la loi par rapport à la production au noir, non seulement des pénalités plus sévères pourront être imposées aux contrevenants, mais l'office ou un représentant syndical pourra arrêter les travaux en cours jusqu'à ce que les employeurs se conforment à la loi et ce, sans perte de salaire pour les travailleurs.

Par ailleurs, la CSN-Construction réclame le maintien du règlement sur le placement. Il ne devrait pas y avoir quelque modification que ce soit sans l'accord du comité mixte. Les seuls amendements proposés concernent le rôle de l'office, à qui nous donnons la responsabilité de surveiller l'application du règlement, le placement des travailleurs de la construction demeurant la responsabilité exclusive des organisations syndicales.

Le Président (M. Fortier): Je vous remercie M. Gauthier. Vous avez sûrement suivi des cours de lecture rapide pour avoir pu lire ce rapport très dense dans un temps

relativement court. Je vais demander au ministre de poser la première question.

M. Fréchette: Oui, M. le Président. Avant de le faire, cependant, je voudrais aussi remercier M. Gauthier et ceux qui l'accompagnent, ceux et celles qui ont travaillé à la préparation du mémoire qu'on vient de nous soumettre. Ce mémoire, on l'a vite compris, fait le tour de l'ensemble des problèmes les plus préoccupants. Au fur et à mesure que les travaux de la commission avancent, il faut bien se rendre compte qu'essentiellement, ce sont presque toujours les mêmes problèmes qui sont mis sur la table.

Évidemment, l'analyse de la situation peut varier, les causes des phénomènes peuvent être différentes, mais on en arrive toujours à l'identification d'à peu près les mêmes situations. Vous avez, par exemple, mis beaucoup d'emphase sur le travail au noir. Vous avez essentiellement ajouté ou complété, s'il ne l'était déjà, le document déjà publié qui contient, à la toute fin, des recommandations très précises. Vous avez également apporté des précisions sur le phénomène du pluralisme syndical et vous vous êtes déclarés d'accord avec la création d'un tribunal de la construction. Finalement, vous avez émis vos opinions sur l'artisan, le champ d'application.

Je n'ai pas, quant à moi, l'intention de revenir sur chacun de ces phénomènes. Vous l'avez fait avec suffisamment d'exactitude et d'ampleur dans le mémoire pour que l'on connaisse très précisément vos positions à cet égard. Permettez simplement que j'essaie d'obtenir quelques précisions quant à votre position sur le pluralisme syndical. Le coeur de votre argumentation se retrouve aux pages 25 et suivantes du mémoire. Je voudrais d'abord obtenir une petite précision quant au dernier paragraphe de la page 30 de votre mémoire. Vous nous dites, dans les trois dernières lignes: "La CSN-Construction croit qu'il faut adopter un mécanisme qui obligerait les associations syndicales à s'entendre." De cette observation, M. Gauthier, je suis tout près de conclure que le mécanisme qui avait été suggéré au mois d'avril dernier a, à toutes fins utiles, échoué, n'a pas donné les résultats que l'on escomptait. Est-ce que c'est cela qu'il faut comprendre lorsque vous demandez d'obliger les associations syndicales à essayer de s'entendre?

M. Gauthier (Michel): En avril, on avait fait une proposition aux diverses associations syndicales. Ce qu'on dit aux pages 30 et 31, c'est que cela devrait dorénavant être inscrit dans la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction, à l'article 42, ce qui ferait en sorte qu'on inscrirait dans la loi l'obligation de s'entendre tel que proposé en neuf points.

M. Fréchette: L'obligation de s'entendre autant sur les mécanismes de négociation que le contenu d'un éventuel projet, c'est dans ce sens qu'il faut comprendre la dernière phrase de votre page 30.

M. Gauthier (Michel): Exactement.

M. Fréchette: Revenant aux modalités que vous suggérez à la page 31, je retiens, par exemple, la première suggestion que vous formulez et qui est celle de procéder à la formation d'un comité de négociation composé d'une personne par association syndicale représentative, ce qui m'amène à la conclusion que, dans l'état actuel des choses, il y aurait à ce comité cinq personnes.

M. Gauthier (Michel): En vertu de l'article 42 de la loi, cela veut dire les associations ayant le droit d'être à la table de négociation en représentant plus de 15%.

M. Fréchette: D'accord. Seulement une autre précision quant aux paragraphes 7 et 8 de cette page 31. Le paragraphe 8, on le retrouve à la page 32. Je voudrais simplement vous demander un éclaircissement suivant que telle ou telle éventualité se présente. Vous dites, par exemple: "Toutes les décisions d'acceptation ou du rejet de la convention collective sont prises par chaque association syndicale conformément à leurs statuts et règlements." Je tiens pour acquis que ce comité dont vous parlez est formé et que le mécanisme de négociation s'enclenche, que les associations représentatives y ont des représentants, mais qu'à un moment donné de la négociation, votre association doit aller consulter ses membres, qu'une autre association représentative doit également aller consulter ses membres, et on revient à la table avec, par exemple, des mandats tout à fait différents sur un point précis et de même nature. Dans quelle situation serions-nous à ce moment-là? De quelle façon une semblable difficulté peut être contournée?

M. Gauthier (Michel): L'ensemble des problèmes devrait être réglé à la suite de la tournée, si on prend l'exemple que vous donnez, des assemblées générales par les associations représentatives. À la suite du mandat qui serait donné par les assemblées, le comité de négociation composé d'un représentant par association syndicale aurait à trouver le moyen de présenter une position qui représenterait ce que la majorité des associations syndicales a convenu ou des demandes provenant des assemblées générales des membres. Il s'agirait de fonctionner par voie de majorité continuellement à même le mécanisme de ce comité. Si on prend

l'exemple actuel, il y a trois associations qui représentent plus de 15%. Sur un point donné, on pourrait aller en tournée de consultation. Deux des trois associations adopteraient le point. L'autre association serait liée à ce moment-là par la décision des deux autres.

M. Fréchette: Cela va pour cet aspect. Je comprends que là, on parle d'un problème qui se soulèverait en négocations, qui aurait besoin d'être avalisé par des assemblées générales. Qu'en serait-il maintenant si on se retrouvait dans la même situation, mais au niveau de la décision à prendre quant à, par exemple, la tenue d'une grève? Chez vous, vous dites: Bon, il n'y a pas lieu d'aller en grève sur l'ensemble du dossier alors qu'une autre association pourrait évaluer, déterminer qu'il y a lieu d'exercer le droit de grève. Est-ce que le même phénomène...

M. Gauthier (Michel): La majorité ayant décidé.

M. Fréchette: Cela me va, M. le Président. Ce sont les seules explications additionnelles que je voulais avoir.

M. Gauthier (Michel): La majorité ayant décidé et il y a un autre phénomène, je pense, qui est dans le neuvième point qui est important, la majorité ayant décidé en termes de nombre d'associations, mais pour signer la convention collective, si jamais il y avait une association qui avait plus de 50%, cela prendrait l'accord automatiquement de cette association syndicale. Il y aurait comme un droit de veto qui existerait pour une association qui pourrait, elle, obtenir la majorité absolue en termes de représentation.

M. Fréchette: Merci.

Le Président (M. Fortier): M. le député de Portneuf.

M. Pagé: Merci. Dans le cas de la CSN, évidemment, nous avons pris connaissance de différents documents qui ont été produits. Je voudrais, avant de formuler quelques questions, faire un commentaire. M. Gauthier, je suis un peu surpris de la teneur du mémoire que vous nous présentez aujourd'hui à certains égards. Comme on le sait, la commission parlementaire a comme mandat et ce qui a été souhaité de chacun des côtés de la table ici, cela a été qu'on puisse vivre un forum d'échange d'opinions, d'expériences avec différents intervenants lequel forum serait susceptible de convaincre tout le monde ou tout au moins le gouvernement d'apporter les modifications qui s'imposent en regard des problèmes fondamentaux que vit quotidiennement l'industrie de la construction.

Parmi ces problèmes, vous avez fait référence avec beaucoup d'insistance à toute la question de la représentativité syndicale, de la négociation des conventions collectives et, à cet égard, les propositions que vous formulez sont intéressantes et mériteront certainement d'être étudiées davantage comme d'autres propositions qui sont venues, cet après-midi, de la part de la CSO. Vous abordez aussi la question du statut de certains travailleurs, entre autres, les travailleurs artisans. Mais là où je suis surpris, c'est que vous ayez abordé très brièvement, par un addenda en date d'aujourd'hui, la question du champ d'application du décret, entre autres, qui est un élément de première ligne, si je peux utiliser le terme, en regard du gâteau à partager et, par conséquent, de la sécurité du revenu des travailleurs.

Il faut convenir aussi que dans plusieurs pages, votre mémoire est peut-être teinté d'une certaine agressivité dûment écrite. Vous crêpez évidemment un peu le chignon de la partie patronale. Plusieurs flèches sont lancées à la FTQ-Construction. L'Office de la construction du Québec prend sa part de griefs ou de reproches. La Régie des entreprises en construction du Québec doit être abolie. On accroche les péquistes au passage, les libéraux au passage. Je retiens qu'il y a à peu près seulement le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction qui n'a pas été trop trop accroché dans votre mémoire.

C'est ce pourquoi, M. Gauthier, je vous dis, je ne vous connais peut-être pas intimement, mais je dois vous dire que j'ai été surpris parce que je m'attendais à une réflexion plus poussée de la part de la CSN concernant le champ d'application du décret. Par la fin de ce commentaire, je vais aborder ma question. Vous dénoncez, à juste titre, je pense, une situation de droit et de fait qui prévaut actuellement où des milliers pour ne pas dire des millions d'heures qui normalement devraient être considérées comme de la construction, sont travaillées en dehors des règles prévues aux lois et règlements actuellement. Vous devez retenir et je pense que cela a été clairement exprimé de part et d'autre une volonté claire et précise de tout le monde autour de cette table de tenter d'enrayer ce fléau, parce que fléau il y a: paiements sous la table, pas de contribution au Régime d'assurance-maladie, à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, au Régime de retraite, absence de sécurité dans plusieurs cas, etc.

Vous avez une approche qui est particulière en ce que vous dites: Pour régler le problème du travail au noir, il faut donner plus de force et plus de dents au règlement de placement dans l'industrie de la construction et là, vous prévoyez toute une série de mesures allant jusqu'à la fermeture

des chantiers de construction sur requête d'un représentant syndical. Ne croyez-vous pas que le règlement ou une bonne part de la solution de ce problème passe par l'élargissement de ces normes plutôt que par leur restriction? Et je m'explique. Nous nous retrouvons aujourd'hui avec 70 000 travailleurs classifiés à l'Office de la construction du Québec. Vos tableaux indiquaient qu'en 1975-1976, c'étaient 145 000 travailleurs qui n'étaient pas là pour le "fun", seulement une carte de pompier ou un permis de chauffeur de taxi. C'étaient les gens qui avaient obtenu un certificat de qualification du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre de l'époque comme résultat soit d'une attestation d'expérience ou encore d'un apprentissage qui, dans certains cas, pouvait aller jusqu'à 6000 ou 8000 heures, si ma mémoire est fidèle, auxquels travailleurs le ministère du Travail avait délivré un certificat de qualification leur reconnaissant une compétence pour oeuvrer dans un métier donné. Si le gouvernement du Québec n'avait pas, au mois de février ou mars dernier -peu importe la date précise - reconduit pour une période de deux ans les certificats de classification émis par l'OCQ, ce serait probablement beaucoup moins aujourd'hui que 70 000 travailleurs que nous aurions de dûment inscrits à l'OCQ.

Où sont allés, finalement, tous ces travailleurs, ces dizaines de milliers de travailleurs, quantifiés à environ une trentaine de mille qui, en 1978, ont reçu la sacro-sainte bénédiction du règlement et se sont vu dire: Monsieur, vous êtes, vous, un véritable travailleur de la construction, voici votre certificat de classification? Il faut convenir que ces gens-là ne sont pas tous allés enrichir le nombre d'assistés sociaux au Québec qui est déjà trop élevé et le nombre de chômeurs. On peut présumer que plusieurs de ceux-là sont allés s'enrichir, si je peux utiliser le terme, par le biais du travail au noir. C'est donc dire qu'on se retrouve dans une situation où celui qui était jugé par vous, M. Gauthier, et par les autres syndicats comme étant un véritable travailleur de la construction, que vous défendiez avec toute la conviction dont vous étiez capables, il y a quelques années, il l'était. Il ne l'est plus maintenant. Il demeure, quand même, un travailleur qualifié, même s'il n'a pas son certificat de classification.

Ne croyez-vous pas - et c'est là le sens de ma question - qu'une bonne part de la solution du problème du travail au noir et aussi une bonne part de la solution en termes de sécurité de revenu des travailleurs ne passe pas par des dents plus sévères dans un règlement de placement parce que, si les dents avaient été aussi sévères que cela, on serait dans une situation où 20 000 travailleurs auraient encore perdu leur permis cette année? Entre parenthèses, j'aimerais bien que vous nous disiez si vous étiez d'accord avec cette reconduction, oui ou non. La sécurité de revenu des travailleurs, ne croyez-vous pas qu'elle doit davantage passer par 1) plus d'heures travaillées dans la construction? Cela implique quoi? Cela implique l'élargissement du champ d'application du décret. La partie patronale, l'AECQ, malgré tous les reproches que vous avez à lui adresser - et là, je ne veux pas juger - formulait ce matin le voeu que les équipements de production soient inclus, que les travaux d'Hydro-Québec, que le gouvernement, ses instances et ses agences se voient inclus aussi dans le champ d'application du décret, les bâtiments de ferme, etc.

Essentiellement - c'est ce que nous soutenons et j'aimerais bien avoir votre commentaire - ne croyez-vous pas qu'on serait plus légitimés comme législateurs, peu importe de quel côté de la table nous sommes, d'accroître le nombre d'heures travaillées dans la construction par le champ d'application du décret, d'assouplir les règles du règlement de placement dans l'industrie de la construction pour permettre au travailleur qualifié qui était classifié, qui était dans la CSN jusqu'à il y a quelques années et que vous défendiez, de pouvoir reprendre la place qu'il avait au soleil à ce moment-là et de travailler?

M. Gauthier (Michel): Vous avez posé plusieurs questions en même temps. D'abord pour ce qui est du mémoire de la CSN-Construction, notre première préoccupation, c'était, évidemment, de faire le portrait de l'ensemble de la situation quant au travail au noir. On avait, dès septembre dernier, demandé au gouvernement de tenir une commission ou une enquête sur l'ensemble des problèmes de l'industrie et particulièrement sur tout ce qui touche le travail au noir. Dans notre mémoire, le travail au noir prend une partie importante.

Quant aux modifications à la loi, je peux toujours faire la lecture de l'annexe qu'on a mise; on l'a résumée dans trois pages, mais l'ensemble des modifications à la loi que la CSN-Construction propose est contenu dans cette annexe. Vous pouvez donc y retrouver l'ensemble des éléments tels le champ d'application, le statut d'entrepreneur, le statut d'employeur, le statut d'artisan. On touche l'ensemble des éléments. Nous, on est convaincus que, lorsque les parlementaires auront à étudier ce que seront les modifications à la loi, vous tiendrez compte de ce qui est déposé en annexe comme modifications à la loi présenté par la CSN-Construction. J'aurais pu vous entretenir longuement sur le fait qu'à l'article 28 on a demandé de changer le nom de la Confédération des syndicats nationaux (CSN)

pour CSN-Construction, mais on est convaincu que, lorsque l'analyse des amendements à la loi proposée va se faire, vous retrouverez l'ensemble des éléments.

Quant à nous, comme on s'est entendu avec l'ensemble des autres associations syndicales, avec la FTQ, l'International et la CSD, sur la majorité des modifications proposées dans ce document, vous retrouverez les mêmes modifications proposées par les autres associations syndicales. On a donc pris une plus grande partie de notre temps pour traiter d'autres sujets qui nous étaient aussi à coeur, mais que nous voulions voir traiter plus prioritairement.

Pour ce qui est du renouvellement de la carte de classification des travailleurs de la construction le 1er mars 1984, je vous rappellerai, comme on le cite dans notre document, qu'à la CSN une pétition a été mise en branle au mois de mai 1983 dans tout le Québec pour demander au gouvernement de renouveler automatiquement les cartes de classification des vrais travailleurs de la construction. Notre demande était la suivante: Renouveler automatiquement pour deux ans. La raison: ceux qui ne travaillent pas actuellement ou ceux qui n'ont pas complété le nombre d'heures suffisant en vertu du règlement de placement, ce n'est pas parce que ces gars-là ne sont pas des vrais travailleurs de la construction, c'est parce que, actuellement, le haut taux de chômage au Québec ne leur permet pas de travailler.

Quand, au Québec, on a 13% de chômage et 12% d'assistés sociaux, donc 25% de la main-d'oeuvre active qui ne travaille pas, on comprend que le secteur de la construction est durement touché.

Le deuxième élément, par rapport à la carte de classification: En 1981, la carte de classification de 32 000 travailleurs n'avait pas été renouvelée. À la suite de demandes de renouvellement, il y en a au-delà de 10 000 de ces 32 000 qui ont récupéré leur carte de classification. Ceux qui n'ont pas eu leur carte de classification ont été maintenus sur des listes prioritaires à l'Office de la construction du Québec.

Dans les régions, dès que les bassins de main-d'oeuvre se vident, normalement, ces travailleurs doivent être appelés sur les listes prioritaires pour être ceux qui vont venir travailler au niveau du métier où ils n'ont pas eu leur carte de classification.

Ces travailleurs sont toujours disposés et disponibles à travailler dès que les besoins s'en font sentir.

M. Pagé: Vous me permettrez une dernière question là-dessus. Comment pouvez-vous - je comprends que vous avez des intérêts à défendre - être légitimé de dire aujourd'hui: Le gouvernement a bien fait et on lui a demandé, par pétition, de renouveler le certificat de classification de tous les travailleurs et, par conséquent, de ceux qui s'apprêtaient à le perdre, compte tenu d'une conjoncture de chômage, etc., alors que vous n'avez pas la même solidarité à l'égard de travailleurs qui étaient de véritables travailleurs de la construction, qui avaient un certificat de classification, qui ont déjà détenu, soit en 1978 ou en 1979 ou 1980, le certificat de classification, qui étaient membres chez vous? Dans leur cas à eux, vous dites: Ils ont des mécanismes, lorsque les bassins de main-d'oeuvre seront libres, ils vont être placés en priorité, etc. Je m'excuse, mais, pour moi, ce sont deux langages différents. Je comprends que vous avez des exposés additionnels dans les différents documents que vous avez produits et je reviens là-dessus. L'essentiel de la question est ceci: Ne croyez-vous pas que la sécurité de vos membres passe davantage par un volume accru de la construction, par l'élimination du travail au noir, l'élargissement du champ d'application du décret que par des dents et un règlement de plus en plus sévère qu'on est obligé d'amender, non pas comme gouvernement parce que nous n'y sommes pas, mais on a quand même assisté à une modification par année depuis que ce fameux règlement est en application?

M. Gauthier (Michel): Quant à l'élargissement des lois, on est sûrement d'accord avec cette position. Je vous le dis, on l'exprime dans l'annexe, quant à l'élargissement du champ d'application, à l'article 19. Quant au travail au noir, à la façon actuelle d'éliminer le travail au noir, nous croyons qu'à ce moment-ci il doit y avoir des mécanismes serrés, parce que ce qui existe actuellement n'arrive pas à l'éliminer. Ce n'est pas en réduisant les salaires de 20%, comme le demande l'AECQ, qu'on va réduire le travail au noir. Ce qu'on va faire en réduisant les salaires de 20%, c'est réduire de 20% le taux actuel de ceux qui sont au noir. Ce qu'on va faire, c'est qu'au lieu d'avoir une main-d'oeuvre à 8 $, 9 $ ou 10 $ l'heure on va l'avoir à 6 $ ou 7 $ pendant que les vrais travailleurs de la construction baisseront également de 20%. Il faut trouver des moyens et des mécanismes. Quant à nous, il y a des mécanismes qu'on propose. Les amendes sont légèrement modifiées par rapport à ce qu'elles étaient. La possibilité d'arrêter les chantiers, on pense qu'effectivement c'est une des façons de le faire. Si les inspecteurs de l'office ou les représentants syndicaux avaient la capacité d'arrêter le chantier lorsqu'il y a des travailleurs illégaux sur le chantier, ce serait probablement la meilleure façon de régler rapidement ces problèmes. Plus souvent qu'autrement actuellement lorsqu'on

dépose des plaintes à l'Office de la construction du Québec, lorsque les inspecteurs de l'office arrivent sur le chantier, soit que les travailleurs ne sont plus présents, qu'ils ont disparu ou sont ailleurs que sur le chantier et, lorsque l'inspecteur de l'office est parti, ces gens recommencent à travailler. Si les représentants syndicaux avaient également le pouvoir de vérifier les cartes et d'arrêter ces chantiers, deux genres de personnes circuleraient sur les chantiers et on aurait une plus grande facilité à ce moment-là de régler une partie de ce problème.

M. Pagé: J'aurais une très brève question à poser, M. le Président, sur la question de la participation des différentes associations représentatives. Vous dites, à la page 53 de votre mémoire, dans les recommandations au no 5: "Que le législateur rétablisse une représentativité équitable des membres de la CSN-Construction à la table des négociations de l'industrie". D'une part, vous avez recueilli 17% l'automne dernier. Vous êtes à la table. Concrètement, vous avez le ministre devant vous. Cela voudrait dire quoi?

M. Gauthier (Michel): À la page 31, il y a les neuf recommandations qu'on a faites quant à une véritable négociation; c'est le principe qu'on développe là.

M. Pagé: D'accord, merci.

Le Président (M. Fortier): M. le député de Hull.

M. Rocheleau: Merci, M. le Président. M. Gauthier, au printemps, plusieurs syndiqués m'ont livré à mon bureau de comté de Hull votre petit livre noir. Je m'attendais à ce qui était dit là-dedans. Même si je n'en partageais pas les opinions, je tentais de comprendre, mais, à la page 41 de votre mémoire, vous mentionnez, entre autres: "II n'y a pas que le député Rocheleau qui, parmi les hommes politiques du Québec, rage contre le règlement de placement et la syndicalisation." Je voudrais que l'on fasse une distinction. Je n'ai pas la rage contre le règlement de placemement, mais j'aimerais qu'il soit éliminé le plus rapidement possible.

En ce qui a trait à la syndicalisation, M. Gauthier, je suis obligé aujourd'hui de défendre les syndiqués que vous avez laissé tomber depuis 1978, à toutes fins utiles, parce qu'on se rend compte qu'un grand nombre de syndiqués n'ont plus aujourd'hui leur carte de classification. Dans votre mémoire, vous parliez, entre autres, d'un statut particulier demandé pour Hull et l'Outaouais et vous le commentiez. J'aimerais savoir, M. Gauthier, si vous êtes d'accord avec les quelques petites lignes que je vais vous lire. J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus. "La carte de compétence est un contrôle qualitatif de la main-d'oeuvre de la construction, alors que le certificat de classification est un contrôle quantitatif de la main-d'oeuvre autorisée à travailler. En accordant une importance prioritaire au certificat de classification, on brime le droit de l'individu compétent au travail, on encourage de façon incontrôlable le braconnage; on condamne à l'avance au chômage les jeunes que l'on continue à former dans les écoles spécialisées, tout en sachant qu'ils n'auront aucune chance de gagner leur vie dans le métier pour l'apprentissage duquel ils auront consacré plusieurs années de leur vie étudiante et on élimine les chances de créer une relève jeune, dynamique et dont les employeurs pourraient tirer avantage." J'aimerais que vous commentiez ces propos que j'ai tenus dans notre...

M. Gauthier (Michel): Pourriez-vous parler du début par rapport à la carte de classification? Je n'ai pas saisi.

M. Rocheleau: Par rapport à la carte de classification, je dis que l'on brime le droit de l'individu compétent au travail. S'il a sa carte de compétence, si c'est un vrai travailleur de la construction, c'est sa carte de classification qui l'autorise à travailler et, s'il n'a pas fait les heures requises au cours des années passées, il a perdu sa carte de classification.

M. Gauthier (Michel): Actuellement, on défend le règlement de placement; on défend la carte de classification.

M. Rocheleau: M. Gauthier, vous êtes d'accord avec l'ensemble du principe qui est établi là.

M. Gauthier (Michel): Ce que je vous dis, c'est que nous, on défend le principe de la carte de classification actuellement.

M. Rocheleau: En ce qui concerne l'Outaouais, M. Gauthier - et les commentaires de la CSN sont venus aussi de l'Outaouais - conformément à ce qui est enregistré en 1984, il y a 1996 travailleurs dans la région de l'Outaouais. C'est l'une des régions où il y a apparemment le moins de chômage dans la construction, une région qui est peut-être même privilégiée.

M. Gauthier (Michel): C'est l'une des régions où plusieurs travailleurs ont repris leur carte de classification qu'ils avaient perdue.

M. Rocheleau: Précisément. J'aimerais savoir de votre part, M. Gauthier, étant

donné le fait que la carte de classification permet seulement au travailleur québécois d'exercer son métier du côté québécois, ce que vous feriez si, d'une part, le gouvernement ontarien passait une loi semblable et empêchait les travailleurs du Québec d'exercer leur métier du côté de l'Ontario, comme il y en a à peu près 40% ou 50% qui le font actuellement?

M. Gauthier (Michel): On aurait les mêmes problèmes qu'on connaît ici.

M. Rocheleau: Alors, cela veut dire qu'actuellement, le travailleur de l'Ontario qui ne peut pas venir travailler au Québec parce qu'il n'est pas accepté, parce qu'il n'a pas de carte, pourrait de son côté demander à son gouvernement d'interdire aux Québécois de travailler du côté ontarien?

M. Gauthier (Michel): Non, on ne demandera pas aux travailleurs ontariens d'interdire... Ce que je vous dis, c'est qu'actuellement, il existe ici au Québec une réglementation qui protège l'emploi au Québec. C'est la réglementation qui nous satisfait, nous, actuellement.

M. Rocheleau: Mais je me pose la question à savoir si on protège, si c'est réellement une protection de l'emploi quand on est parti de près de 150 000 et qu'on est descendu à près de 70 000 cette année. Vous demandez dans vos commentaires de renouveler les cartes au 1er mars 1984, ce que le gouvernement a fait, je pense, jusqu'au 1er mars 1986, pour deux ans. Cela veut dire qu'il y a une discrimination à l'égard de ceux qui, depuis 1978, ont perdu leur carte jusqu'en 1983, alors que le gouvernement vient de reporter pour deux ans la même carte de classification.

M. Gauthier (Michel): La mise en place du règlement de placement en 1978 a fait en sorte d'abord d'éliminer, comme on le dit dans le document, beaucoup de personnes qui étaient de passage dans la construction, aux périodes de pointe, mais qui ne gagnaient pas leur vie dans la construction. En 1978, le règlement de placement a permis cela. En 1981, comme je vous l'ai dit tantôt, il y a eu 32 000 travailleurs dont la carte n'a pas été renouvelée. À la suite de demandes de vérification des heures, au-delà de 10 000 ont récupéré leur carte de classification. Plusieurs des 22 000 n'ont jamais fait de demande de récupération de la carte. Ce que je vous ai dit aussi tantôt, c'est qu'il en reste: ceux qui avaient leur carte de classification sont demeurés sur les listes prioritaires d'embauche dans les régions lorsque les bassins de main-d'oeuvre sont vides. Actuellement, il n'y a pas assez de travail pour l'ensemble des 90 000 travailleurs. Quand on parle de 70 000, on peut dire qu'en 1982, 77 000 travailleurs ont fait une heure ou plus de travail, mais il y a peut-être 95 000 travailleurs inscrits à l'Office de la construction du Québec. Il n'y a pas de travail pour l'ensemble de ces travailleurs. Ce n'est pas la faute des organisations syndicales actuellement s'il n'y a pas de travail. Il y a une conjoncture économique qu'on ne contrôle pas. Ce qu'on dit, c'est qu'il faut remettre le monde au travail. Il faut que les gens travaillent. Il faut qu'il y ait des projets pour faire travailler les travailleurs. Lorsque les travailleurs de la construction travailleront, ceux qui ont perdu leur carte de classification pourront revenir aisément dans la construction, comme les jeunes pourront entrer aisément dans la construction.

M. Rocheleau: J'aimerais poser une autre question à M. Gauthier. On ne semble pas se préoccuper tellement de la relève dans le, sens que les jeunes qui sortent des polyvalentes, qui ont leur certificat, leur diplôme dans différents métiers de la construction, qui ont même bénéficié à l'occasion de bons d'emploi de 3000 $ par année pour aller se chercher un emploi et aider l'employeur à leur payer un salaire raisonnable... J'aimerais savoir ce que vous faites pour protéger ou pour tenter de valoriser le rôle du jeune dans l'avenir de la construction au Québec. D'autant plus qu'on retrouve dans plusieurs mémoires le fait que l'ensemble de la main-d'oeuvre dans la construction connaît actuellement un certain vieillissement.

M. Gauthier (Michel): Notre principale préoccupation à ce moment-ci, comme d'autres l'ont dit, ce n'est pas de prendre un nouveau travailleur et d'en sortir un pour en faire un chômeur. Le problème actuel de l'économie québécoise, c'est de créer de l'emploi, de remettre les gens à l'ouvrage, ce qui n'existe pas actuellement. On ne peut pas prendre les jeunes qui sortent de l'école actuellement, les faire entrer dans la construction et prendre les travailleurs de 45, 47 ou 50 ans et les faire sortir de la construction pour faire travailler la relève. Il faut créer de l'emploi pour permettre à ces travailleurs d'entrer sur le marché du travail. À ce moment-ci, le principal problème, c'est de créer de l'emploi.

M. Rocheleau: Une dernière question, M. le Président: Est-ce que l'ensemble des syndicats qui représentent le monde de la construction au Québec sont tous favorables au règlement de placement dans la construction?

M. Gauthier (Michel): Je ne suis pas en mesure de parler pour les autres

organisations syndicales, mais je peux vous dire qu'à la CSN on est favorable au règlement de placement.

M. Roeheleau: J'en ai rencontré d'autres, M. le Président, qui ne semblaient pas partager cette opinion, mais on aura peut-être l'occasion d'en discuter avec eux.

Le Président (M. Fortier): Merci, M. Gauthier, et merci à ceux qui vous accompagnent de la C5N. Merci pour la présentation de votre mémoire.

Ce matin, j'avais mentionné que deux associations ont fait une demande conjointe d'être entendues; il s'agit de l'Association nationale des travailleurs en réfrigération, climatisation et protection des incendies, local 3, et de la Corporation des maîtres entrepreneurs en réfrigération du Québec. Après en avoir parlé au ministre et au député de Portneuf, nous allons tenter de leur trouver une ouverture pour qu'elles puissent exprimer leur opinion. Elles ont demandé de 15 à 20 minutes. Le secrétaire a été mandaté pour essayer de trouver un moment où ces gens-là pourraient s'exprimer à l'intérieur des trois jours de séance. Il n'y a pas de mémoire.

Ah! Pour demain? Demain matin, à 9 h 30, nous commencerons - à l'ordre, s'il vous plaît! - par le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (international). Nous ajournons donc nos travaux à demain matin, 9 h 30.

(Fin de la séance à 18 h 51)

Document(s) associé(s) à la séance