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Audition des mémoires sur
le projet de loi no 1 :
Charte de la langue française
au Québec
(Seize heures trente minutes)
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et
messieurs!
Nous commençons une nouvelle séance de la commission de
l'éducation, des affaires culturelles et des communications avec le
mandat spécial qui nous a été accordé par
l'Assemblée nationale après déférence à la
suite de la première lecture.
Je dois donc vérifier les membres de la commission et effectuer
les changements nécessaires. M. Alfred (Papineau), M. Bertrand (Vanier),
M. Bisaillon (Sainte-Marie) remplacé par M. Charbonneau
(Verchères); M. Chevrette (Joliette), M. Ciaccia (Mont-Royal)
remplacé par M. Goldbloom (D'Arcy McGee); M. de Bellefeuille
(Deux-Montagnes), M. Dussault (Châteauguay), M. Godin (Mercier), M.
Grenier (Mégantic-Compton), M. Guay (Taschereau), M. Lalonde
(Marguerite-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget), Mme
Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le Moignan (Gaspé), M. Paquette (Rosemont),
M. Roy (Beauce-Sud), M. Saint-Germain (Jacques-Cartier) remplacé
par...
M. Lalonde: M. Garneau (Jean-Talon).
Le Président (M. Cardinal): ...M. Garneau (Jean-Talon).
Merci, M. le député de Marguerite-Bourgeoys. M. Samson
(Rouyn-Noranda).
Quant à l'ordre du jour, ce sera bref. Il nous reste le temps
d'une audition cet après-midi. Je veux quand même appeler chacun
des organismes convoqués pour qu'aucun d'eux ne perde son tour, en vertu
de notre règlement, article 118-A. Ces gens étant appelés,
ils seront devant la commission et nous pourrons nous entendre, soit à
la suspension, à 18 heures, soit à la reprise de la
séance, à 20 heures.
Premièrement, la Fédération des principaux du
Québec, vous êtes ici, merci; deuxièmement, la Chambre de
commerce de la province de Québec.
M. Lalonde: Les représentants sont là, M. le
Président.
Le Président (M. Cardinal): Merci. Troisièmement,
le Mouvement national des Québécois, merci; quatrièmement,
Positive Action Committee, merci; cinquièmement, le Comité
anglophone pour un Québec unifié, merci.
Les cinq groupes, les cinq organismes convoqués sont ici. Nous
pourrons donc nous entendre et je n'invoquerai pas le règlement. Le
premier organisme est donc invité à se présenter
immédiatement à cette table, la Fédération des
principaux du Québec.
Selon l'usage qui est devenu presque un rite, sans trop de
solennité quand même, je vous demanderais d'identifier votre
organisme, d'identifier ses porte-parole. Je vous rappelle que, quand ceci sera
accompli, vous aurez vingt minutes pour exposer votre mémoire ou en
faire un résumé, et que la députation, selon une motion
qui a été acceptée à cette commission, aura 70
minutes pour vous questionner. Messieurs, vous êtes les bienvenus, la
parole est à vous.
Fédération des principaux du
Québec
M. Robert (Gill): M. le Président, M. le ministre,
mesdames et messieurs de la commission parlementaire, mesdames et messieurs de
cet auditoire, tout d'abord, je vous présente à ma droite, M.
Jacques Lévesque, principal d'école polyvalente,
vice-président de la Fédération des principaux du
Québec, et, à ma gauche, M. Claude Vad-nais, membre du conseil
d'administration et principal d'école polyvalente, de
Saint-Félix-de-Valois. M. Lévesque est de Saint-Hyacinthe.
Moi-même, Gill Robert, je suis le président de la
Fédération des principaux d'écoles du Québec.
Je commence, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Parfait.
M. Robert: La Fédération des principaux du
Québec regroupe les principaux d'écoles francophones
élémentaires et secondaires du Québec. Ils sont au nombre
de 3700, répartis en 26 associations régionales affiliées
couvrant tout le territoire du Québec, depuis les rives du
Saint-Laurent, jusqu'au poste reculé de Povungnituk. Une association
provinciale de quelque 400 principaux retraités est également
rattachée à la fédération.
Nous nous sommes posé, en première partie la question
suivante: Le projet de loi no 1 est-il nécessaire, est-il utile, est-il
nuisible? En deuxième partie, nous avons tiré des conclusions de
notre étude. Pour répondre à ces questions, nous avons
scruté des paroles des écrits, des chiffres et des faits. "Je
serais bien étonné que les plus réfléchis parmi les
Canadiens français eussent encore l'espérance de conserver leur
nationalité. Quelque résistance qu'ils fassent, l'absorption de
leur race est déjà commencée. Notre langue (anglaise)
comme de raison se propage comme fait tout naturellement la
langue des employeurs et des riches." L'assimilation, sans doute, sera lente,
et, jusqu'à ce qu'elle soit consommée, la justice et une sage
politique conseillent également de ne prendre, pour amener les Canadiens
français à renoncer à leur langue maternelle aucun moyen
de rigueur. Ce serait leur retirer la protection des lois.
Mais, je le répète, il faut entreprendre dès
à présent de changer le caractère national de la province
et poursuivre avec fermeté, quoique avec
prudence, faire du Bas-Canada une province anglaise, telle doit
être la fin première du plan à choisir par le futur
gouvernement". Ainsi parlait Lord Durham en 1838.
Patiemment, fermement, inlassablement, peut-on dire, cet objectif a
été poursuivi, parfois ouvertement, habituellement de
façon fort dissimulée. Les années, les décades ont
passé, plus d'un siècle même s'est écoulé
depuis que ces lignes ont été écrites. Le régime a
changé, le projet n'a jamais été abandonné. Les
dangers non plus ne se sont pas dissipés. Il n'est pas inconvenant de
rappeler aux Français qu'ils sont une race de vaincus, disait George
Drew, en 1936, et que leurs droits ne sont que des droits en raison de la
tolérance de l'élément anglais, lequel, en tout respect
pour la minorité, doit être considéré comme la race
dominante. Ceci était prononcé 100 ans après le rapport de
Lord Durham en 1936, par un homme eminent, qui s'appelle George Drew.
Il n'y a pas que les Acadiens du Nouveau-Brunswick et les francophones
de l'Ontario ou du Manitoba qui sont menacés d'assimilation. Le danger
existe au Québec et de façon aiguë.
Les témoignages de l'histoire: En 1763, le traité de Paris
donne aux Canadiens un nouveau souverain. Les francophones qui, toutefois, se
sont établis sur les rives du Saint-Laurent, continuent, eux, de croire
que la vallée du Saint-Laurent appartient à ceux qui y vivent
depuis 150 ans.
En 1774; l'Acte de Québec reconnaît que les Français
forment une collectivité distincte en Amérique du Nord. En 1841,
la minorité britannique, installée sur le territoire du
Bas-Canada, remporte ses premiers vrais succès d'assimilation. L'union
place les Français en minorité dans un Canada anglais. 1867; La
Confédération canadienne rend encore plus menaçante la
situation minoritaire des francophones.
En 1914; la première guerre mondiale fait brutalement prendre
conscience aux Canadiens français qu'ils forment une minorité
canadienne et qu'ils ont un défi à relever s'il ne veulent
consentir à l'assimilation.
De 1942 à 1960; réveil d'une nation. Les francophones du
Québec cessent de se considérer comme une minorité
canadienne pour devenir, tout d'un coup, une majorité
québécoise et prennent conscience de l'importance de
contrôler l'immigration, qui constitue une force destinée à
s'imposer au Québec. Il faut mettre un frein à une politique
d'immigration d'Ottawa. 1969; le gouvernement du Québec ouvre toutes
grandes les portes des écoles anglaises aux immigrants, c'est la loi 63.
1974; la loi 22 proclame que le français est la langue officielle du
Québec. Malheureusement, cette déclaration de principe est
assortie de tant de clauses protectrices de la langue anglaise que, dans les
faits, la langue de la minorité jouira de toute la protection qui
continuera d'assurer son hégémonie. 1977; une charte de la langue
française au Québec: une loi qui veut assurer la qualité
et le rayonnement de la langue française, tout en traitant avec justice
et équité les minorités qui participent au
développement du Québec.
Les chiffres parlent anglais.
Les francophones et l'école anglaise. Les francophones du
Québec ont une large responsabilité face à la conservation
de la langue et de la culture françaises qu'on désire voir se
perpétuer au Québec. Il n'est pas certain que tous aient
jugé à sa juste valeur cette responsabilité
collective.
Les plus récentes statistiques nous apprennent que dans 75 000
familles francophones du Québec, c'est l'anglais qui est la langue
d'usage à la maison.
En 1972, on révèle que dans les villes de Québec et
de Trois-Rivières, 43% et 54% respectivement des élèves
dits anglophones étaient en réalité des francophones.
De 1970 à 1973, à la CECM, 13 600 élèves
passaient du secteur francophone au secteur anglophone, grâce, selon
nous, à la loi 63.
En septembre 1974, il y avait 4174 élèves de langue
maternelle française dans les classes anglaises de la CECM. A cela, il
faut ajouter tous ceux qu'on retrouve dans le secteur anglophone
protestant.
Au 30 septembre 1976, donc l'année scolaire en cours qui se
termine dans trois jours, à Laval, dans une école
élémentaire anglophone, sur 445 élèves, 195 sont
des francophones, soit 44%. Dans une école secondaire de la même
localité, sur 1762 élèves inscrits, 717 sont de langue
maternelle française, soit 40%.
Et, en annexe, je vous donne la composition ethnique de la ville de
Montréal depuis un siècle. En 1871, il y avait 53% de la
population qui était française et, en 1971, 64%; les Britanniques
étaient de 45% et, en 1971, ils sont de 10%. Quant à ceux qu'on
appelle les autres, en 1871, ils étaient de 2%, ils sont maintenant de
24%.
Il y a des mutations linguistiques nombreuses dont je vous ferai part
avec des tableaux mais les conclusions qui se dégagent de ces
statistiques sont que, pour le français langue d'usage, il y a une perte
de 7780 personnes, soit 2%, mais, pour l'anglais langue d'usage, durant cette
période, il y a 87 995 personnes de plus. Le pouvoir assimila-teur est
beaucoup plus élevé que celui du français pour une origine
ethnique six fois moindre. De toute évidence, les
Néo-Québécois adoptent l'anglais comme langue d'usage; 82%
des étrangers entrés au Québec entre 1946 et 1971 parlent
aujourd'hui l'anglais.
Les anglophones et la langue française. Les anglophones se sont
enracinés au Québec à partir de la deuxième partie
du XVIIle siècle. Ils ont, de toute évidence, contribué au
développement de cette province. Toutefois, forts de leur appartenance
à la majorité anglophone canadienne, ils ne se sont pas
intégrés à la majorité québécoise
francophone. A preuve, 80% présentement des anglophones du Québec
sont aujourd'hui unilingues; 80% également des enseignants francophones
dans les écoles protestantes anglophones ne sont pas des
Québécois.
Il y a peu à dire sur cette question. Pour les
anglophones, le Canada est un pays anglophone, y compris le
Québec, avec le temps. A preuve, le grand nombre d'anglophones qui,
après trente ans ou quarante ans de vie au Québec, ne comprennent
pas et ne parlent pas le français.
Les Néo-Québécois et l'école anglaise. En
1971-1972, à la CECM, 65 000 enfants allophones, 55 000 de ce nombre,
soit 86%, étudient au secteur anglais et 9200 au secteur
français. Deux ans après, en 1973-1974, pour un jeune Italien qui
va à l'école française, il y en a 19 qui vont à
l'école anglaise. En 1976, l'année où nous sommes
actuellement, pour cette étude, plus de 800 enfants
italo-québécois au degré de la maternelle occupent
illégalement des écoles soi-disant anglaises en dépit de
la loi 22. En 1974, il y avait 83% des étudiants anglophones de la CECM
qui n'étaient pas de langue maternelle anglaise. Un sondage rapide, un
peu sournois, si vous voulez, un peu habile aussi, de la Presse, a
révélé que 80% des parents d'enfants ayant
déclaré parler l'anglais à la maison, au moment des
déclarations officielles de la langue d'usage, ne savaient pas
s'exprimer en anglais au téléphone. Ce sondage de la Presse eut
lieu en 1974. De 1970 à 1973, 13 600 élèves de la CECM
passaient du secteur francophone au secteur anglophone. Dans le secteur anglais
de la CECM, les élèves de langue maternelle anglaise sont
passés mystérieusement de 16% à 29% dès
l'application en 1974 de la loi 22. Je me répète, 16% à
29% sont passés mystérieusement d'une langue maternelle à
l'autre au cours d'une déclaration des familles.
Au collège anglophone Dawson, cette année, près de
95% des élèves ne sont pas de langue maternelle anglaise. A
Saint-Léonard, en 1969-1970, 24% des élèves
fréquentaient des classes dites bilingues parce que la commission
scolaire refusait d'ouvrir des classes anglaises. En 1970-1971, au moment
où la loi destinée à promouvoir la langue française
au Québec, loi 63, commençait à être
appliquée, 34%, soit 10% de plus des élèves s'inscrivaient
dans les nouvelles écoles anglaises. En 1971-1972, nous étions
rendus à 36% des élèves qui fréquentaient les
classes anglaises; donc 24%, 34%, 36%.
Cependant, les statistiques de cette même année
démontrent que 93% de la population scolaire de Saint-Léonard
sont d'origine autre que anglaise, plus particulièrement italienne. Mais
comme plus de 90% des élèves d'origine italienne choississent le
secteur anglais, ceci explique en bonne partie le fait de l'augmentation du
nombre d'écoliers dits anglophones de cette localité. Cet
état de fait a continué et la loi 22 n'a rien
amélioré. En preuve, cette année en cours, dans
Saint-Léonard, 1976-1977, statistiques du 1er juin, au secteur
français, élémentaire et secondaire, il y a 6036
élèves et au secteur anglais, il y en a 5600.
De ce secteur anglais, 550 sont des anglophones de langue maternelle et
5050 sont des allophones. Cela veut dire que 90% du secteur anglophone de
Saint-Léonard est alimenté par des non-anglophones.
L'école anglaise, selon nous, a droit à l'existence. Il
existe au Québec, 63 commissions scolai- res régionales dont neuf
protestantes et 189 commissions scolaires locales, 168 catholiques, 21
protestantes. Les villes de Québec et de Montréal ont un statut
différent. A Québec, la municipalité scolaire est sous
l'autorité de la Commission des écoles catholiques de
Québec et n'est pas membre d'une commission scolaire régionale. A
Montréal, deux organisations parallèles, l'une catholique,
l'autre protestante ont entraîné dans le passé la
création d'un nombre démesuré de commissions scolaires; la
réforme des structures a conduit à la création du Conseil
scolaire de l'île de Montréal et au regroupement en sept
commissions scolaires, dont cinq catholiques et deux protestantes.
Depuis toujours, la minorité anglophone du Québec jouit de
son propre réseau d'institutions d'enseignement. Il y a à peine
20 ans, alors qu'elle ne formait que 12% de la population du Québec,
elle avait trois universités, McGill, Bishop et Sir George Williams,
alors que les francophones, à 82%, n'en avaient que deux, Laval et
Montréal.
Elle bénéficie également des services de quatre
collèges d'enseignement général et professionnel et de
nombreuses écoles élémentaires et secondaires.
Depuis toujours également l'anglais est une matière
obligatoire dans les écoles secondaires françaises de la
province. A l'élémentaire, dans la grande majorité des
commissions scolaires, on enseigne l'anglais, langue seconde, aux enfants de
dix et onze ans et un autre programme permet le début de l'enseignement
de l'anglais aux enfants de six ou huit ans.
La Fédération des principaux du Québec
reconnaît que les écoles de langue anglaise se sont
assurées des titres à l'existence qu'on ne saurait songer
aujourd'hui à contester, ce qui n'implique pas pour autant
l'établissement d'un système administratif parallèle.
Par ailleurs, s'il y a lieu de garantir à la minorité
anglaise du Québec l'accès à l'école anglaise, il
est légitime de s'assurer que les personnes qui viendront s'installer au
Québec dans l'avenir enverront leurs enfants à l'école
française. En d'autres mots, l'école anglaise, qui constitue un
système d'exception accordé à la minorité actuelle
du Québec, doit cesser d'être assimilatrice et doit être
réservée à ceux pour qui elle a été
créée.
Il faut mettre fin à toute situation qui s'apparenterait à
celle de Saint-Léonard, où c'est tout le réseau
d'écoles catholiques anglophones qui est alimenté par les
Néo-Québécois, dans une proportion atteignant 90%.
A la lumière de ces chiffres, je ferai une projection des
francophones, en l'an 2000, au Canada. Selon les démographes que nous
avons étudiés, en 1971, au Canada, il y a 26% de francophones. En
l'an 2000, il y en aurait 23%.
Au Québec, il y en a présentement 81%, et il y en aurait
77% en l'an 2000, mais la concentration à Montréal passerait de
66% à 89% de francophones et au Nouveau-Brunswick, elle ferait un
déclin de 34% à 28%.
Il est donc à prévoir que 95% des francophones vivront au
Québec en l'an 2000. Sauf au Qué-
bec et au Nouveau-Brunswick, le nombre des francophones ne
dépassera pas 4%. L'assimilation des francophones à l'anglais
hors du Québec est une lente érosion, le temps en viendra
à bout, selon le démographe Henripin.
Faute de nombre, le groupe d'origine française a autrefois perdu
la Nouvelle-France et n'a jamais pu, par la suite, retrouver la force de
s'imposer dans les autres provinces. S'il continue ainsi à se laisser
aller, il se pourrait bien que pour la même raison, il en vienne à
perdre aussi le Québec.
Après cette analyse de paroles, d'écrits, de chiffres et
de faits, nous arrivons à la première conclusion: le projet de
loi no 1 nous paraît pleinement justifié.
Il faut dire dans une loi ce qui est dans les faits. Le Québec
est un Etat francophone.
Il est absolument aberrant qu'en 1977, la population du Québec
ait à consacrer tant d'énergie, tant de temps et tant d'argent
pour faire reconnaître un droit aussi fondamental et aussi primordial que
le plein droit du français au Québec.
Le projet de loi no 1 visant à faire du français la langue
de la législation, de l'administration, des affaires, du travail et de
l'enseignement paraît à la Fédération des principaux
pleinement justifié.
Cette loi que nous qualifions d'humiliante nécessité veut
mettre fin à des privilèges qu'on a pris l'habitude de
considérer comme des droits.
Dans son ensemble, les principaux donnent leur appui au projet de loi
pour les raisons suivantes:
Parce qu'il veut faire du Québec une terre française;
Parce qu'il veut faire de l'école française l'école
de la collectivité et tend à l'établissement d'un seul
système administratif en éducation;
Parce qu'il reconnaît que les écoles de langue anglaise se
sont assuré des titres à l'existence, mais il faut pourtant
mettre fin à la fonction assi-milatrice de ces écoles;
Parce qu'il assure enfin l'intégration de la collectivité
francophone de tous les immigrants, quel que soit leur pays d'origine.
Cependant, nous ne jugeons pas que ce projet de loi soit parfait et sans
faille et voilà pourquoi nous attirons l'attention sur quelques peu
nombreux amendements au chapitre de la langue d'enseignement.
A l'article 51 que vous connaissez bien, l'enseignement se donne en
français, etc.
Nous sommes d'accord avec cette déclaration de principe et nous
comptons que les exceptions prévues au chapitre de la langue
d'enseignement ne seront pas multipliées au point de rendre
inopérante la législation principale ou
générale.
Toute école publique et toute école privée recevant
des subventions de l'Etat, à quelque titre que ce soit, doit contribuer
à l'accomplissement de la loi et non pas à son
affaiblissement.
Nous avons plus de réserves à l'article 52. L'article 52a
dit: "Par dérogation à l'article 51, peuvent recevoir
l'enseignement en anglais, à la demande de leur père et de leur
mère: a) les enfants dont le père ou la mère a
reçu, au Québec, l'enseignement primaire en anglais;
Le critère qui veut que l'enfant dont le père ou la
mère a reçu au Québec l'enseignement
élémentaire en anglais nous paraît un critère
réaliste, vérifiable et dénué de
subjectivité.
Toutefois, nous nous opposons à ce qu'un tel critère
s'applique aussi bien au père qu'à la mère.
C'est la mère qui donne la langue maternelle: non? Donc, si la
mère a reçu l'enseignement élémentaire en anglais
au Québec, nous sommes d'avis que ses enfants peuvent être
légitimement inscrits à l'école anglaise.
C'est seulement dans le cas où le père a reçu la
garde légale de son enfant qu'on pourra, selon nous, l'inscrire à
l'école anglaise.
Je donne ici un exemple pour illustrer ceci. Les noms sont fictifs, mais
le fait est réel. Quinlan, Irlandais catholique, Marie Ménard,
francophone catholique. Ils ont cinq enfants. Tous les enfants vont à
l'école anglaise. Ils sont tous majeurs, ils sont tous
mariés.
Aujourd'hui, avec le projet de loi qui est là, tous, aussi bien
pères que mères, peuvent décider d'envoyer leurs enfants
à l'école anglaise. Dans cette famille, il y a trois
garçons, deux filles. Les deux filles sont de langue anglaise, mais, si
les jeunes, les nouveaux mariés, épousent des Anglaises de langue
maternelle, d'accord, mais s'ils marient des francophones, comment justifier
qu'une mère francophone ne puisse pas décider d'envoyer son
enfant à l'école francophone? Nous pensons que, dans cette
combine, c'est toujours l'Anglais qui gagne. On n'est pas d'accord.
L'article 52b): dit: "Les enfants qui, à la date d'entrée
en vigueur de la présente loi, sont domiciliés au Québec,
et qui reçoivent déjà... Vous connaissez le reste.
Nous jugeons empreint de réalisme et de bon sens le
critère qui veut que frères et soeurs d'une même famille
puissent continuer dans l'école de leurs ainés, mais il faut
aussi prévoir et prévenir que les dérogations, la
lignée interminable des frères et soeurs, petits enfants, sous la
garde apparente de leurs grands-parents, qui perpétuent cette
lignée.
L'article 52b paragraphe ii dit: Les enfants qui, à la date
d'entrée en vigueur de la présente loi, sont domiciliés au
Québec, etc. Selon notre fédération, ce critère est
trop restrictif. Il constitue un obstacle, selon nous, à la
mobilité enrichissante des citoyens d'autres provinces et
préjugent également de leur décision de s'intégrer
à la majorité anglophone. Il établit une frontière
théorique entre le Québec et les autres provinces canadiennes.
Cette frontière artificielle ne saurait être admise par l'opinion
mondiale.
Cette disposition est de nature à provoquer des débats
émotifs et à soulever sans raison valable pensons-nous
l'opinion anglophone canadienne, d'un océan à l'autre. Ce
critère ne se justifie pas par une menace d'envahissement du
Québec par les citoyens anglophones des autres provinces
canadiennes.
Enfin, ce critère provoquera à longue
échéance la disparition de la minorité
anglo-québécoise actuelle. Ce que recherche la Loi sur la langue
française, ce n'est pas l'extinction, ni la disparition de la
minorité anglophone, mais plutôt de rétablir et de
maintenir dans sa vraie dimension la proportion des véritables
anglophones du Québec.
Si le Québec, un jour, ayant décidé de sa
souveraineté culturelle ou politique ou économique ou les trois,
doit un jour établir ce critère pour protéger son
identité française, notre fédération appuiera alors
tel amendement à la législation sur la langue française,
afin que l'objectif que poursuit la Charte de la langue française puisse
être atteint dans des délais raisonnables pour une telle
opération.
Enfin, ce que nous voulons retrouver dans la politique linguistique au
moment de son application c'est le français comme seule langue
officielle du Québec, c'est l'intégration à la
collectivité francophone de tous les immigrants, quelle que soit la
langue de leur pays d'origine, c'est rétablissement progressif d'un seul
réseau d'enseignement. Ce réseau sera français mais devra
comprendre un service de l'enseignement de l'anglais et d'autres langues
secondes, selon le choix des parents.
La Fédération des principaux du Québec
considère que le gouvernement doit jouer sur cette question un
véritable rôle de chef de file.
Mandaté par la population pour servir les meilleurs
intérêts de la collectivité québécoise, il ne
peut se soustraire à la responsabilité de servir les
véritables intérêts de la majorité. J'ai
terminé, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Robert. Je vous ai
accordé quelques minutes de plus. Je dis tout de suite qu'avec le nombre
d'invités que nous avons, je n'aurai peut-être pas la même
générosité envers les membres de la commission. M. le
ministre d'Etat au développement culturel.
M. Laurin: Je veux d'abord remercier la Fédération
des principaux du Québec, ainsi que ses 4000 membres, pour le
mémoire qu'ils viennent de nous présenter. C'est un
mémoire clair, simple, qui va à l'essentiel, en même temps
résolu et déterminé. Nous les remercions de l'appui
raisonné qu'ils donnent au projet de loi du gouvernement dans toutes ses
grandes articulations et dans la lettre de tous ses articles, à
l'exception de quelques-uns.
La fédération a placé son mémoire sous le
signe d'un fameux rapport qui date maintenant de plus de 130 ans. Elle nous
cite en liminaire une prédiction ou je dirais plutôt un acte de
"wishful thinking" du fameux Lord Durham. Je suis très heureux de
constater avec vous, aujourd'hui, que cette heureuse prédiction du
côté de Lord Durham et cette sombre prédiction du
côté des francophones ne se sont pas réalisées. La
fédération nous cite aussi un extrait d'une allocution d'un
ancien chef conservateur où M. Drew prétendait nous rappeler, aux
francophones, que nous devions toujours nous rappeler notre condition de
vaincus.
Je constate avec bonheur que le nombre de leaders politiques anglophones
fédéraux qui osent risquer encore de pareilles assertions ou
déclarations, a diminué au point de l'extinction "tendancielle"
je dis "tendancielle", parce qu'il y en a encore malheureusement
quelques-uns, mais leur nombre se fait de plus en plus rare ce qui
témoigne, bien sûr, de la vitalité du groupe francophone.
J'ai été très intéressé par les quelques
chiffres que vous nous avez apportés. J'avoue que ces chiffres sont
inquiétants. Je voudrais vous poser quelques questions sur quelques-uns
de ces chiffres. Vous dites qu'il y a 75 000 familles francophones du
Québec maintenant où l'anglais est la langue d'usage à la
maison. Est-ce que ce chiffre est basé sur le dernier recensement du
Canada de 1971?
M. Robert: Ce sont des déductions des chiffres produits
par l'Annuaire du Québec en 1973 ou encore par Statistique Canada.
M. Laurin: Est-ce qu'il y a, là-dedans, l'apport
d'immigrants, par exemple, venant de France ou de pays francophones ou si c'est
simplement des francophones nés au Québec, appartenant au
Québec?
M. Robert: Là-dessus, je ne pourrais pas faire cette
distinction, mais notre étude porte sur des personnes qui
déclarent être francophones de langue maternelle et que leur
langue d'usage, c'est maintenant l'anglais.
M. Laurin: Vous qui êtes principaux d'écoles,
pourriez-vous nous expliquer les raisons, selon vous, qui expliquent que, de
1970 à 1973, 13 600 élèves soient passés du secteur
francophone au secteur anglophone, ce qui m'apparaît être une
hémorragie assez considérable?
M. Robert: Cela regroupe un peu les chiffres que j'ai
mentionnés tout à l'heure où, rapidement, en parlant de
Saint-Léonard, par exemple, de 24% à 34% se sont
déclarés, tout à coup, de langue maternelle anglaise,
parce que la loi 22 disait... Les parents n'avaient qu'à déclarer
solennellement que l'anglais était leur langue d'usage. C'est justement
pendant cette période que, grâce à la loi 63, cette
hémorragie a été constatée.
M. Laurin: Mais la loi 22 n'était pas encore
adoptée en 1974.
M. Robert: Non, mais c'était la loi 63, excusez. La loi 63
était en vigueur à ce moment-là. Je me reprends. Pour
cette partie de ma statistique, je fais référence à la loi
63, alors que, plus loin, je fais référence à la loi 22.
Excusez-moi. Il nous paraît, sans faire de statistique absolue, comme
principaux d'écoles, d'après les déclarations des
personnes avec qui nous venons en contact, que c'est l'ouverture faite par la
loi 63 qui est la cause de cette hémorragie.
M. Laurin: Vous êtes le premier groupe qui
met l'accent sur ce phénomène des transferts linguistiques
scolaires, de plus en plus massifs, du groupe francophone au groupe anglophone.
J'avoue que les chiffres que vous nous citez pour Laval, bien que je les
connusse déjà, sont très inquiétants, quand on dit,
par exemple, que 44% des élèves d'une école
élémentaire anglophone à Laval sont francophones et 40%
dans une école secondaire francophone.
M. Robert: Ces statistiques sont de mes recherches personnelles,
et je puis vous dire qu'en 1973, pour faire une comparaison, dans ces
mêmes écoles, il y avait, à l'école
élémentaire, 459 élèves et 254 francophones, soit
55%; en 1973. Aujourd'hui, dans la même école, c'est tombé
à 44%. Pour ce qui est de l'école secondaire, en 1973, il y avait
2045 élèves, 800 étaient des francophones, soit 39%. Trois
ans après, nous constatons la constante, 40%. Vous avez là, en
trois ans, une baisse à l'élémentaire et une
stabilité du côté du secondaire. Ces statistiques sont les
plus récentes possible et datent de quelques semaines.
M. Laurin: Je vous ai demandé aussi quelles sont les
raisons qui justifiaient, selon vous, l'augmentation, la croissance
considérable, d'une année à l'autre, de ces transferts
linguistiques du secteur francophone au secteur anglophone.
M. Robert: Ceci serait plutôt du domaine de
démographes ou encore de personnes qui font des recherches sur les
mutations linguistiques. Il y a le contexte économique, et je pense que
je puis dire, sans l'affirmer avec des statistiques, que la raison serait
l'attirance économique du secteur anglophone. Tant que le Québec
ne travaillera pas en français, ne sera pas régi en
français, les parents auront tendance, auront le désir d'orienter
leurs enfants vers les écoles anglaises. Vous avez vu aussi... J'ai
mentionné qu'en 1972, 43% et 54% respectivement des élèves
dans la ville de Québec et de Trois-Rivières fréquentaient
des écoles anglophones tout en étant des francophones. Je n'ai
pas de statistiques plus récentes, mais je pense que le même
phénomène, je l'ai retrouvé vers Montréal, vers
Laval, qui sont nos voisins, et je pense que, sans vouloir tirer des
conclusions de démographes, c'est à cause de l'ambiance
économique et de l'attirance économique anglaise.
M. Laurin: Est-ce à dire que vous croyez que le meilleur
remède, pour ne pas dire le seul remède définitif,
à cette hémorragie est de faire du français la langue
utile, rentable, nécessaire, indispensable, c'est-à-dire la
langue de l'administration, la langue des affaires, la langue du commerce?
M. Robert: Quand nous disons que c'est le projet de faire du
Québec une terre française, je pense que c'est une terre
où on peut vivre en français, c'est-à-dire que son
épanouissement économique, culturel, social et éducatif
doit être fait dans une ambiance française. C'est cela une terre
française.
Si je vais au centre de l'Afrique, il y a une langue, il y a une
mentalité, il y a une culture africaine et les gens vivent dans cette
ambiance. Nous avons à créer cette ambiance au Québec.
Nous ne touchons pas au chapitre du commerce, de l'industrie, de la finance et
du travail, mais cela sous-entend que l'ensemble de cette loi doit atteindre le
contexte social complet. Autrement, il y aura des brèches par où
l'on pourra passer.
M. Laurin: Et vous croyez qu'il en va de même pour les
transferts linguistiques du secteur allophone au secteur anglophone et que la
seule façon, par exemple, d'empêcher la répétition
d'exemples comme ceux que vous nous avez signalés à
Saint-Léonard où dans une école de 5600 anglophones, il
n'y a que 550 anglophones véritables et 5050allophones, c'est de faire
du français la langue utile, rentable, nécessaire,
indispensable?
M. Robert: S'il n'y avait que cette mesure, cela serait un
cul-de-sac et les allophones, je ne les blâmerais pas de passer à
côté du cul-de-sac. J'ai résidé à
Saint-Léonard pendant quelques années. Je connais très
bien le milieu. Je sais très bien pourquoi les Italiens, mes voisins,
fréquentaient les écoles anglaises. C'est parce que
l'école anglaise est le premier pas pour entrer dans la
société anglaise et dans l'économie anglaise et donc, pour
faire partie de la collectivité anglaise.
Je prétends que les allophones sont attirés, comme je le
dis, 19 contre 1, par l'école anglaise parce que c'est le tremplin pour
faire partie de la collectivité anglophone et il faut encore en arriver
à la même conclusion, aussi bien pour les anglophones que pour les
allophones, en plus du régime scolaire, il faut que le régime
social dans son ensemble soit une terre française. Je ne m'embarrasse
pas de nation ou de peuple, je dis une terre française.
M. Laurin: Vous dites, à la page 6 de votre
mémoire, que 80% des enseignants francophones dans les écoles
protestantes anglophones ne sont pas des Québécois. Avez-vous des
remarques additionnelles à faire là-dessus? Et, la raison pour
laquelle ce ne sont pas des Québécois francophones?
M. Robert: C'est une constatation assez déplaisante,
particulièrement, je penserais, pour nos collègues de la CEQ de
constater qu'il n'y a pas de place pour les enseignants de la CEQ dans les
écoles protestantes anglophones au Québec. Il y en a un sur cinq.
Pourquoi? Je n'irai pas jusqu'à répondre au pourquoi, mais c'est
une constatation et c'est un manque à gagner, c'est un manque de postes
d'emplois pour les enseignants francophones. Je n'irai pas plus loin dans
l'interprétation.
M. Laurin: Cela correspond-il à un manque de motivation
chez les enseignants francophones à aller enseigner du côté
anglais ou cela
correspond-il à une politique des commissions scolaires
anglophones de ne pas recruter de personnel enseignant francophone au
Québec?
M. Robert: Je serais porté à croire que c'est
plutôt une politique d'emploi de l'employeur plutôt qu'un refus de
coopérer des enseignants.
M. Laurin: C'est selon votre expérience personnelle que
vous dites cela?
M. Robert: Non, parce que je n'ai pas eu à offrir mes
services, en aucune façon, aux écoles protestantes anglaises,
mais c'est sur ce que je connais du fonctionnement des administrateurs
protestants et des appels d'emplois, des recherches d'enseignants qu'ils font
par les media d'information ou par d'autres moyens.
Je pense que je'puis dire que c'est une politique de l'employeur.
M. Laurin: Vous nous suggérez d'étendre à
l'ensemble du Canada, à travers le Canada, le critère de choix
que nous avons recueilli. Je pense que dans votre argumentation, il y a, en
effet, des considérations politiques sérieuses sur lesquelles on
doit s'arrêter.
Mais, vous ne faites pas état, par exemple, de données
démographiques également et je voudrais soumettre à votre
considération quelques chiffres, quelques données, quelques
statistiques démographiques qui ont pesé sur la décision
du gouvernement d'adopter la position qu'il a prise actuellement. Je vous
réfère, par exemple, aux statistiques qui ont été
compilées pour le conseil scolaire de l'île de Montréal par
M. Côté, dans le rapport qu'il soumettait au conseil au mois de
juin 1976, et où il tentait de faire les prévisions des
populations scolaires de l'île de Montréal pour 1980 et 1985. M.
Côté disait que le chiffre des inscriptions en 1971, dans les
écoles françaises, était de 62,9% et qu'en 1985, sans la
loi 22, en ne tenant pas compte des résultats de la loi 22, le chiffre
total des inscriptions serait de 56,6% alors que, pour le secteur anglophone,
en 1971, le chiffre total des inscriptions était de 37,1% et, en 1985,
serait de 43,3%, donc une diminution de 7% ou a peu près dans le secteur
francophone et une augmentation d'environ 6% dans le secteur anglophone.
Il y a aussi d'autres statistiques intéressantes dans ce rapport
de M. Côté. Il a compilé le nombre de personnes qui ont
déclaré, au début de l'année scolaire, que la
langue de leur enfant était l'anglais. Par exemple, en 1974, à
l'école LeRoyer, il y avait 14,7% des parents qui déclaraient que
la langue de leur enfant était l'anglais et, au 30 juin 1976, deux ans
après, il y en avait 28,7%, c'est-à-dire une augmentation de
près de 100%. Je ne sais pas si c'est dû aux classes d'immersion,
cette augmentation extrêmement rapide, ou si c'est dû à un
autre facteur. Au PSBGM, également, on notait qu'au 30 septembre 1974,
il y avait 70% des parents qui déclaraient que la langue de leur enfant
était l'anglais et, au 30 juin 1976, il y en avait 73,6%,
c'est-à-dire près de 4% de plus.
Une autre statistique intéressante aussi, c'est de comparer le
nombre de gens qui disent appartenir à un groupe ethnique, qui disent
appartenir à un groupe dont la langue maternelle est telle ou telle
langue, et qui prétendent utiliser telle ou telle langue à la
maison et qui disent recevoir l'instruction dans telle ou telle langue.
Là, ce qu'il y a de plus intéressant, c'est que si on compare ces
diverses réponses en ce qui concerne le groupe anglais, on se rend
compte qu'en 1971, par exemple, 17% de la population disaient appartenir au
groupe ethnique anglais, 23,7% disaient que leur langue maternelle était
l'anglais, 27,4% disaient que leur langue d'usage était l'anglais et 41%
recevaient leur instruction en anglais.
Donc, entre les déclarations concernant le groupe ethnique et les
déclarations concernant le langage de l'instruction, il y a une
différence de 24%, ce qui est exactement la proportion des allophones
à Montréal, ce qui semblerait prouver que tous les transferts
linguistiques, dans une proportion de 95% à 100%, s'exercent au profit
de la minorité anglophone.
M. Robert: M. le ministre, je ne conteste aucun de ces chiffres,
mais, malgré cela, nous maintenons notre point de vue que, dans un
projet de loi, créer une frontière qui n'est pas
défendable devant l'opinion mondiale, créer une frontière
artificielle entre Québec et les autres provinces canadiennes et
considérer l'Ontario ou le Manitoba aussi étrangers au
Québec que les Etats-Unis et l'Australie, nous pensons
premièrement que ce n'est pas défendable devant l'opinion
canadienne et mondiale.
Deuxièmement, nous pensons que ces chiffres que vous donnez sont
dans le contexte existant présentement. Si le contexte change, il n'est
pas dit que la situation ne changera pas aussi. Voilà pourquoi nous
proposons que la législation soit dans le sens que nous l'avons
suggérée et amendée et que si les redressements qu'il faut
pour rendre la loi opérante, dans un délai raisonnable, ne se
vérifient pas, il faudra sans doute, après avoir changé le
contexte en changeant le contexte, je ne parle pas du plan politique
pour le moment c'est-à-dire l'ensemble de la loi; disons qu'elle
est adoptée et qu'elle apporte ses effets, le contexte change...
De plus, il y a l'éventuel changement d'un contexte politique,
économique ou culturel, selon une forme à déterminer,
toutes ces choses sont pour nous des facteurs tels que nous ne sommes pas
prêts à encourager une législation qui établirait
une frontière, que nous appellerons théorique, entre le
Québec et les autres parties du Canada.
M. Laurin: Je remarque cependant que dans votre mémoire,
vous faites état de notre critère, comme vous faites état
d'un critère qui ne se justifie pas par une menace d'envahissement du
Québec. Mais là aussi, j'aurais d'autres chiffres et
considérations à soumettre à votre attention. Par exemple,
si on en croit le tableau 32 du rencensement du Canada en 1971, on voit que sur
659 525 anglophones qui sont nés au Canada, il y en a 140 575 qui sont
nés en dehors du Québec,
c'est-à-dire près de 21,4% d'anglophones qui viennent des
autres provinces du Québec.
Si on regarde maintenant l'immigration de personnes de langue maternelle
anglaise âgées de 5 ans à 60 ans, de 1966 à 1971,
sur une période de cinq ans, on se rend compte que durant cette
période, il y a 41 000 anglophones qui sont venus des autres provinces
du Canada, alors qu'il y en a 30 000 seulement qui sont venus des autres pays
du monde. C'est-à-dire qu'il y en a eu 11 000 de plus qui sont venus des
autres provinces du Canada plutôt que de l'étranger, que des
autres pays.
Si on regarde maintenant les enfants immigrants de 0 à 14 ans qui
ont été admis au Québec, entre 1969 et 1976,
c'est-à-dire une période de sept ans, on constate qu'il y en a 43
053 qui sont venus d'un autre pays étranger, c'est-à-dire en
dehors du Canada et qu'il y en a eu 90 322 qui sont venus des autres provinces
du Canada, c'est-à-dire plus que le double; ce qui laisse entendre que
ceux qui disaient qu'il n'y avait pas beaucoup d'élèves,
d'enfants ou de personnes qui nous venaient des autres provinces du Canada, que
c'était minime, n'avaient pas pris soin de considérer les
chiffres des derniers recensements et en particulier ceux des années les
plus récentes.
J'attire aussi votre attention sur le cas particulier de l'Outaouais et
en particulier sur les élèves inscrits aux classes anglaises, les
écoles publiques dans l'Outaouais. On constate, d'après les
statistiques d'inscriptions pour l'année 1975/76, que 36% des
élèves inscrits dans ces écoles sont nés ailleurs
qu'au Québec. Ceux qui commentent ces chiffres disent que l'essentiel de
la croissance des classes publiques dans les écoles anglaises vient de
cette source, pour ne pas dire en presque totalité.
On peut regarder aussi le rapport de l'Office de planification et de
développement du Québec sur l'Outaouais, qui a été
publié en mars 1976 et on se rend compte que le pourcentage de
francophones dans l'Outaouais ne cesse de diminuer, de dix ans en dix ans. En
1951, c'était 86,1% de francophones; en 1961, c'était 84,5% et en
1971, vingt ans après donc, 80,8%, c'est-à-dire une baisse de
près de 6% en moins de vingt ans. Depuis 1971, ces pourcentages n'ont
cessé de diminuer, parce que même si on n'a pas encore
colligé tous les chiffres, on se rend compte que depuis 1971, depuis la
construction des édifices fédéraux tout
particulièrement, l'augmentation des anglophones est
considérable, si l'on juge en particulier le nombre de nouvelles
maisons, soit achetées ou louées par des anglophones.
Pour en revenir au cas des édifices fédéraux
à Hull, on sait maintenant qu'en 1973, il y avait déjà
5786 fonctionnaires fédéraux installés à Hull.
Mais, comme vous le savez, le gouvernement du Canada entend établir
à Hull, d'ici 1988, c'est-à-dire dans les dix prochaines
années, 30 000 fonctionnaires fédéraux. On sait que ces
fonctionnaires fédéraux, d'après ce qui s'est passé
depuis 1971, 1972, 1973, et d'après le type de ministères qu'on
veut déménager à Hull, sont anglophones à plus de
60%. C'est ce qui amène, par exemple, le Conseil régional de la
culture de l'Outaouais, dans un mémoire récent, dans une
déclaration récente qui a été faite aux journaux,
à dire que la loi no 1 est pour eux le seul moyen de maintenir dans
Hull, dans Gatineau, dans le comté de Papineau, la proportion actuelle
de francophones et le seul moyen de renverser le taux croissant d'anglicisation
à Aylmer et dans le comté de Pontiac, taux croissant
d'anglicisation surtout parmi les jeunes qui s'anglicisent à une allure
accélérée.
Je voulais soumettre ces chiffres à votre attention pour vous
demander si, même à la suite de ces chiffres, vous
considérez qu'il n'y a pas de menace à la collectivité
francophone par le biais de l'école.
M. Robert: Nous sommes convaincus qu'il y a une menace
présentement dans la région de Montréal, et
particulièrement dans les régions de l'Outaouais, comme vous le
mentionnez. En dépit de cela, je pense qu'il serait
préférable que la loi tende à changer le contexte avant
d'imposer des textes. Pour une génération, pour une
société, trois ans ou cinq ans, c'est peu de temps. Mais c'est
assez pour voir un redressement qui a été fait ou qui n'a pas
été réussi.
Si la loi no 1 atteint ses objectifs dans les différentes
sphères qu'elle veut couvrir, dans trois ans ou dans cinq ans, on sera
en mesure de juger. Le contexte sera changé selon les desseins de la loi
ou n'aura pas changé selon les desseins de la loi et, à ce
moment-là, toute législation peut recevoir des amendements. A ce
moment-là, c'est sûr que, chiffres en mains, si la situation n'est
pas corrigée, nous pensons que nous appuierons fermement un tel projet
de loi, parce que nous ne voulons qu'aucune forme de dérogation puisse
affaiblir la loi et la rendre inopérante.
Mais nous pensons présentement que, même si le
Québec a le droit de le faire, même si cela était bon de le
faire, nous pensons que ce n'est pas utile de le faire avant d'avoir
tenté de changer le contexte.
Le Président (M. Cardinal): Mme le député de
L'Acadie.
Mme La voie-Roux: Merci, M. le Président.
Je veux remercier l'Association des principaux qui attend patiemment
depuis la veille de la Saint-Jean. Je pense que votre mémoire ne m'a pas
surprise, parce qu'il est dans la même ligne de pensée que ceux
que vous aviez présentés antérieurement, à
l'occasion de la loi 22 ou encore lors de vos congrès, quand vous avez
pris position sur la question linguistique. Je pense que cela se situe dans
cette même ligne.
J'aurais quelques questions à vous poser. D'abord, sur les
statistiques, à la page 6, vous dites que 80% des anglophones du
Québec sont aujourd'hui unilingues. Est-ce que vous pourriez me donner
la source de cette statistique?
M. Robert: Ce sont diverses sources que j'ai compilées: La
situation de la langue française au Québec, le rapport Gendron;
l'Annuaire du Québec 1973; Statistique Canada et la Revue de la
presse ethnique; je ne peux pas vous dire exactement, je n'ai pas mis la
source entre parenthèses.
Mme Lavoie-Roux: Mais cela remonterait aux études de la
commission Gendron et possiblement à l'autre étude que vous avez
mentionnée qui...
M. Robert: Oui. Statistiques sur la presse ethnique ou l'Annuaire
du Québec 1973.
Mme Lavoie-Roux: Alors, ce n'est pas aujourd'hui. Vous vous
référez quand même à il y a...
M. Robert: Dans une ère de trois ou cinq ans
peut-être. Quand on dit présentement, cela ne change pas tellement
d'une année à l'autre, cette statistique.
Mme Lavoie-Roux: J'étais un peu surprise de vous entendre
interpréter le fait qu'un enseignant sur cinq d'origine francophone aux
commissions scolaires protestantes soit le résultat des politiques
d'engagement de l'administrateur ou de l'employeur. Ne croyez-vous pas que,
jusqu'à tout récemment peut-être même que cela
joue encore la question de la confessionnalité a aussi
été un facteur? Vous vous souvenez fort bien que dans les
commissions catholiques, on n'engageait pas de protestants ou de personnes de
foi judaïque et que, c'était la même chose du
côté protestant et je pense que c'est peut-être la raison
pour laquelle on a d'abord engagé de nombreux immigrants qui venaient de
l'Afrique du Nord, des gens de foi judaïque. Est-ce que cela n'a pas
été aussi un facteur important?
M. Robert: Sûrement qu'il y a trois composantes à ce
problème. Il y a partiellement la politique des employeurs,
partiellement les réticences des enseignants francophones et
partiellement le contexte de la confessionnalité. Dans quelle proportion
ces trois facteurs agissent-ils? Je ne peux pas y répondre, mais nous
constatons que 80% des enseignants qui enseignent le français à
des Québécois ne sont pas des gens de chez nous.
Mme Lavoie-Roux: Oui. Alors, ce ne serait pas uniquement dû
à une politique de l'employeur?
M. Robert: Non, il y a certainement trois facteurs. Dans quelle
proportion, je ne peux pas le signaler.
Mme Lavoie-Roux: D'accord. En bas de la page 6, vous avez
d'autres statistiques où vous dites que... c'est peut-être
à l'annexe; oui, c'est à l'annexe 6 ... de 1970 à
1973, 13 000 élèves de la CECM passaient du secteur francophone
au secteur anglophone, grâce à la loi 63. C'est plausible.
Là-dessus, je n'ai pas les chiffres en main, alors je n'ai rien à
dire, mais, vous dites, un peu plus loin: Avec la loi 22, cela n'a rien
amélioré. Est-ce qu'il n'y a pas... Je suis passablement certaine
qu'il y a eu une forte diminution de transferts linguistiques je peux
parler seulement pour la CECM suite à l'adoption de la loi
22.
M. Robert: Tout de suite après les statistiques, je
révèle celles de la CECM: Dans le secteur anglais de la CECM,
donc le même secteur, les élèves de langue maternelle
anglaise sont passés mystérieusement de 16% à 29%, presque
100% d'augmentation, grâce à la loi 22 qui exigeait seulement une
déclaration de langue d'usage. Nous insistons: une même
année, 16% à 29% déclarent être de langue maternelle
anglaise, ce qui a été vérifié indirectement et
habilement par la presse qui a dit qu'il y a eu de fausses
déclarations.
Mme Lavoie-Roux: Je suis d'accord là-dessus, M. Robert,
qu'il y a eu cette hausse de pourcentage quant à la déclaration
de la langue maternelle, entre 1973 et 1974 ou 1974 et 1975, mais je vous
questionnais sur le nombre de francophones qui demandaient des transferts au
secteur anglais. Alors que je pense que, si vous aviez examiné les
chiffres attentivement, depuis la loi 22, ils ont diminué
considérablement. C'est parce qu'une partie de votre argumentation part
du fait qu'un certain nombre de francophones demandent leur transfert à
l'école anglaise et je pense que vos statistiques ne sont
peut-être pas tout à fait à jour là-dessus.
Si vous considérez, d'une part, le nombre de transferts
linguistiques depuis la loi 22 et également le nombre d'enfants des
classes d'accueil qui vont maintenant aux écoles françaises,
comparativement à ceux qui, autrefois, étaient dans des classes
d'accueil et après demandaient une inscription à l'école
anglaise, je pense que là aussi vous avez des statistiques qui
peut-être viennent un peu infirmer votre affirmation à l'effet que
la loi 22 n'a rien changé.
Remarquez bien que ce n'est pas pour dire que la loi 22 était
parfaite à cet égard, mais je pense qu'il y aurait
peut-être lieu d'examiner d'autres données un peu plus
précises.
M. Robert: Oui, les plus récentes sans doute, les toutes
dernières statistiques qui ne sont pas toujours facilement accessibles
au moment précis, parfois.
Mme Lavoie-Roux: Vous dites j'oublie la page :
L'école anglaise doit être réservée à ceux
pour qui elle a été créée. Qui incluez-vous dans
ces élèves-là ou ces personnes-là?
M. Robert: Nous pensons que l'école anglaise, depuis
toujours, a été créée et a été
demandée, a été exigée, depuis la conquête,
pour protéger les anglophones qui s'établissaient au
Québec. Pour nous, c'est le but de l'école anglaise, c'est sa fin
et s'il y a 11,5% du Québec qui sont des anglophones, ce qui est
à peu près la statistique actuelle... Souvent, on dit que c'est
20%. C'est 20% d'anglicisés, ce n'est pas 20% d'anglophones, ce n'est
pas la même chose, il y a à peu près 11,5% de
véritables anglophones. Nous pensons que l'école anglophone, si
elle dessert 11,5%, elle remplit son mandat.
Si elle dessert 20% de population, nous pensons qu'elle excède
son mandat. Alors, nous vou-
Ions qu'elle remplisse sa fin, c'est-à-dire qu'elle desserve la
population anglophone. Nous ne désirons pas, pas plus que la loi
si nous la comprenions bien ne désire l'extinction de la
minorité anglophone, elle désire son maintien, son
progrès, mais non pas s'alimenter à des sources autres que les
anglophones de langue maternelle.
Mme Lavoie-Roux: Est-ce que vous croyez que le
déséquilibre démographique, qui menace les deux groupes
linguistiques, est dû, si on s'en tient à la question scolaire,
c'est celle que vous êtes venus présenter ici, d'ailleurs, au fait
que les écoles anglaises reçoivent des gens de langue maternelle
anglaise ou qui appartiennent vraiment à la communauté
anglophone, ou pourrait être dû, parce que la rupture n'est pas
encore arrivée, c'est une menace, à l'intégration à
l'école anglaise d'enfants qui ne sont pas de langue maternelle
anglaise.
M. Robert: Je pense que ce serait trop demander à des
administrateurs anglophones, protestants ou catholiques que de leur dire de
refuser tout élève qui veut s'inscrire à leurs
écoles. Je pense que ce n'est pas prendre la question par le bon bout.
C'est plutôt, dans une législation, dans un rôle de chef de
file comme je l'ai dit quelque part d'un gouvernement que doit se
situer le frein, et, par incitation ou en changeant le contexte,
déplacer l'attirance de l'école anglaise. Mais demander aux
administrateurs anglophones de fermer les portes à leurs candidats
francophones, comme par exemple, si Laval voulait refuser tout
élève francophone, d'abord, elle aurait la moitié trop
d'espace pour commencer... Alors, du point de vue administratif, il y a une
question à résoudre. Si je comprends bien votre question, c'est
au niveau de changer l'attirance de la population, plutôt que de fermer
ou de restreindre l'admission aux écoles anglophones.
Mme Lavoie-Roux: Je pense que vous ne m'avez peut-être pas
tout à fait comprise. Tout à l'heure, vous avez
échangé des propos avec le ministre d'Etat au
développement culturel, à savoir si les anglophones des autres
provinces devaient être admis ou non. Ma question précise est
celle-ci. Vous êtes venus présenter un tableau de l'attirance que
l'école anglaise a non seulement pour les allophones, et aussi pour un
certain nombre de francophones. Est-ce là la raison qui vous
amène à craindre une rupture de l'équilibre
démographique des deux groupes linguistiques de Montréal? Dans le
fond, c'est ce portrait scolaire que vous avez présenté. Ce que
je vous demande, est ceci: Est-ce que ce déséquilibre
démographique serait causé par l'intégration d'enfants de
langue maternelle anglaise dans le secteur anglais ou par l'intégration
de francophones et d'allophones dans le secteur anglais? Je ne me place pas
vis-à-vis de l'administrateur qui les admet ou pas. Je me demande
simplement quel est la cause de ce déséquilibre.
M. Robert: S'il y a déséquilibre, et le mouvement
est vers cela...
Mme Lavoie-Roux: Oui.
M. Robert:... il sera créé par les francophones qui
iront à l'école anglaise, et par les allophones qui iront
à l'école anglaise, plus qu'autrement. Je pense que le
désiquilibre viendra de notre intérieur.
Mme Lavoie-Roux: Une dernière question. On a souvent
reproché aux écoles françaises de ne pas avoir
été assez accueillantes à l'égard des allophones,
en particulier, etc., est-ce que, comme association, c'est une
préoccupation que vous avez auprès de vos membres? Avez-vous pris
certaines initiatives? Parce que, justement, il faut bien le reconnaître,
pendant un certain temps de notre histoire, en tout cas, on a été
un peu craintif à l'égard des allophones. Est-ce qu'il y a des
choses concrètes que vous faites à l'intérieur de votre
association pour modifier ce climat?
M. Robert: Oui, mes collègues qui sont ici, savent bien
les échanges que nous avons eus récemment sur ces questions
où nous nous sommes reproché entre nous, principaux
d'écoles francophones, peut-être de ne pas avoir été
assez accueillants comme administrateurs et peut-être de ne pas avoir
assez suscité d'accueil chez nos enseignants francophones.
Là-dessus, je pense que nous devons le reconnaître comme
collectivité. Cela fait plusieurs années que je vis
particulièrement dans l'île de Montréal. J'ai
enseigné à la CECM. Je pense que je connais bien l'ensemble de ce
problème. Nous devons reconnaître qu'il y a une part de
responsabilités chez nous, il ne faut pas toujours les chercher chez les
voisins.
Par ailleurs, nous nous sommes dit qu'il y a lieu, pour les principaux
de changer, dans la mesure du possible, le climat ou la
réceptivité des enseignants, mais je dis: Dans la mesure du
possible, parce que là, il y a des éléments de dynamique
qui ne dépendent pas tout à fait de nous. Pour les principaux,
c'est difficile d'intégrer dans une classe un pur allophone. C'est
difficile. La réaction de l'ensemble du corps professoral ou du
professeur concerné, sans vouloir mettre la difficulté sur
d'autres, c'est une des difficultés auxquelles nous avons dû faire
face et, comme nation, nous nous sommes dit, les principaux, et nous avons dit
à nos collègues, les enseignants, qu'il y a vraiment un
changement d'attitude nécessaire. Il n'y a pas tellement longtemps que
c'était tellement plus facile de solutionner un problème en
l'envoyant au PSBGM. C'était tellement plus facile de régler le
problème comme ça, en l'envoyant chez les anglophones catholiques
ou protestants, c'était une solution mauvaise et ça fait 40 ans
qu'elle dure.
Mme Lavoie-Roux: M. Robert, est-ce que d'intégrer, vous
avez dit, un allophone, présente encore une difficulté dans une
classe, si vous parlez
de trois, quatre, cinq, six, qui arrivent dans une classe, je vous
comprends c'est différent, mais est-ce que, à votre point de vue,
ça crée encore une difficulté d'intégrer un
allophone dans une classe française?
M. Robert: C'est toujours une difficulté. C'est toujours
une tâche de plus pour un enseignant que d'intégrer un allophone.
Tout, ou une bonne partie, est dans la réceptivité de
l'enseignant et de l'école. Quand je dis l'école, je dis que nous
ne sommes pas étrangers à l'école. Je pense que c'est une
difficulté on ne peut pas s'en départir mais une
bonne part de cette difficulté est résolue quand il y a
réceptivité du milieu, j'entends, l'école, l'enseignant et
les autres enfants de la classe. Le professeur y est pour beaucoup et le
principal y est pour beaucoup, de créer un climat réceptif dans
la classe où vit l'enfant.
Mme Lavoie-Roux: Comment expliquez-vous que, par exemple, les
secteurs oublions le secteur protestant anglo-catholiques aient
pu faire cette intégration directe d'un grand nombre d'allophones?
Est-ce que c'est simplement une question de motivation, pour augmenter leur
nombre, ou qu'est-ce que c'est?
M. Robert: Je pense que je répondrais ceci. Il y a deux
facteurs qui ont joué. Par ce moyen, un allophone catholique n'avait pas
de problème de religion à résoudre et, puis, par ailleurs,
il atteignait sa fin de s'intégrer à la communauté
anglophone.
Mme Lavoie-Roux: Chez les principaux, quelle était leur
motivation? Parce qu'ils semblent avoir réussi jusqu'à un certain
point, en tout cas.
M. Robert: Vous voulez dire les principaux anglophones?
Mme Lavoie-Roux: Oui. M. Robert: Bien...
Mme Lavoie-Roux: Et les enseignants anglophones?
M. Robert: Oui, il y aurait là différents facteurs.
J'en ai mentionné deux: L'élève atteint sa fin
indirectement. Pour ce qui est des anglophones catholiques, comme ils sont au
Québec une minorité de religion et une minorité de langue,
ils trouvent des solutions, ils ont adopté cette solution et ils ont
développé cette solution, qui est une solution
d'intégration et qui, en même temps, maintient et renforce leur
nombre.
Quand je dis qu'à Saint-Léonard, par exemple, 90% de
l'ensemble du réseau anglophone catholique n'est pas des anglophones, si
c'était changé demain, voyez-vous tout le revirement de situation
pour l'ensemble de ce réseau d'écoles anglophones? Il y a
là un élément de solution à leur satisfaction, de
ce recrutement, de cette réceptivité des allophones.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. Robert.
Le Président (M. Dussault): Merci, Mme le
député de L'Acadie.
Je donne maintenant la parole au député de
Mégantic-Compton.
M. Grenier: Gaspé.
Le Président (M. Dussault): Je m'excuse, M. le
député de Gaspé.
M. Le Moignan: Merci, M. le Président.
Je voudrais partager notre temps de parole, ensuite le
député de Mégantic-Compton aura peut-être quelques
questions.
J'ai bien aimé, M. Robert, le mémoire que vous nous avez
présenté. Il est certainement clair; il est certainement concis.
Je ne m'embarque pas dans le jeu des statistiques, parce que nous avons eu
d'autres groupes qui sont passés avant vous, et quand on compare les
statistiques, il y a beaucoup de contradictions. Je laisse tout cela de
côté.
Mais je me suis posé quelques questions, et c'est là que
j'aimerais avoir des éclaircissements. Tout en étant d'accord
avec beaucoup d'objectifs que vous formulez, il n'y a aucun doute
là-dedans, à mon point de vue, il y a une certaine
incompatibilité entre votre conclusion et certains
éléments de votre mémoire.
Vous affirmez, justement en conclusion, que vous voulez retrouver, dans
la politique linguistique du Québec, une intégration à la
collectivité francophone de tous les immigrants, quelle que soit la
langue de leur pays d'origine. Jusque-là, ça va très bien.
Evidemment, je n'entre pas dans le débat, à savoir s'ils sont des
Anglais d'Angleterre ou des Etats-Unis. Je laisse ça de
côté, mais, jusque-là, ça va bien.
Mais, par contre, à la page 14, vous y avez fait allusion
vous-même, tout à l'heure, vous déclarez que l'article 52
est trop restrictif et vous parlez justement d'un obstacle à la
mobilité enrichissante. Vous parlez de cette frontière
théorique entre le Québec et les autres provinces. Vous dites que
nous ne sommes pas tellement menacés par les anglophones des autres
provinces, mais, par contre, le ministre nous a donné des statistiques
tout à l'heure nous prouvant que les anglophones des autres provinces
doublent l'apport que nous avons reçu d'allophones, par exemple.
Personnellement, cela me pose un problème. Je résume. Si
on va à la page 11 de votre mémoire, vous affirmez donner votre
entier appui au projet de loi tel que conçu. J'aimerais que vous
m'expliquiez un peu cette restriction que vous avez apportée avec la
page 11 et votre conclusion.
M. Robert: A la page 11, nous parlons d'immigrants. Pour nous,
les immigrants, ce sont ceux qui viennent de l'extérieur du Canada
présentement. Tous ceux qui viennent des autres provinces, pour nous,
sont des nouveaux venus, mais non pas des immigrants. Quand je parle
d'immigrants à la page 11, c'est le sens que je donne à ces
personnes. D'où qu'ils viennent, de l'Australie,
du Chili, de l'Afrique, de l'Angleterre ou de l'Italie, pour nous, ces
gens sont des immigrants. Nous demandons, et même s'ils viennent
d'Angleterre, qu'ils soient tous intégrés à l'école
française. Nous ne pensons pas la même chose présentement
pour tous ceux qui, même si les chiffres du ministre me prouvent qu'il y
a menace d'envahissement, viennent des autres provinces canadiennes. Je ne sais
pas si je fais la distinction à votre satisfaction entre les deux
situations.
M. Le Moignan: C'est très bien. Ce que vous dites à
la page 11, c'est surtout pour l'immigration. A ce moment, que ce soient des
immigrants du Commonwealth, de l'Empire britannique, d'après vous, ils
iraient à l'école française.
M. Robert: Oui. Tous ceux qui ne sont pas Canadiens.
M. Le Moignan: Ceux qui ne sont pas nés au Canada. Vous
mentionnez ensuite une autre conclusion. Vous parlez de l'établissement
progressif d'un seul réseau d'enseignement. Par contre, à la page
9, vous mentionnez que la Fédération des principaux du
Québec reconnaît que les écoles de langue anglaise se sont
assuré des titres à l'existence qu'on ne saurait songer
aujourd'hui à contester. C'est justement là peut-être qu'il
y a un petit quelque chose.
M. Robert: Je pense que si vous lisez bien ma citation, je parle
d'un système administratif parallèle et non pas d'un enseignement
parallèle. Pour nous, l'école est le milieu de répartition
des services. On rend des services pédagogiques à l'enfant dans
sa langue ou dans une autre langue, selon les moments de l'enseignement. Pour
nous, il doit exister et l'enfant a le droit de recevoir son enseignement dans
sa langue.
Au-delà de cela, il y a les services administratifs, et nous
pensons qu'il n'y a pas lieu de maintenir au Québec deux systèmes
administratifs parallèles parce que les enfants reçoivent des
services en français ou en anglais.
La commission scolaire peut très bien être une commission
qui administre en français et donner d'excellents services scolaires,
pédagogiques à l'enfant. Il suffit qu'à un certain moment
de sa structure, elle établisse qu'il y aura des personnes qui auront la
préoccupation des services pédagogiques, par exemple
de donner des services à l'enfant des services dans la langue
qu'il peut comprendre, mais, au-delà du service à l'enfant et
au-delà de ce niveau de personnes qui doivent avoir le projet en
tête de donner à l'enfant un service dont il peut être 100%
bénéficiaire et, pour cela, qu'il soit dans sa langue, je pense
qu'au-delà de cette préoccupation, le système peut
être administratif et unilingue.
M. Le Moignan: A la page 13, il y a un paradoxe ici qui
m'inquiète un peu. Si on prend un point de vue sémantique, c'est
vrai. Vous dites que c'est la mère qui donne la langue maternelle. Maman
était de langue anglaise, mon frère et moi- même sommes
allés à l'école anglaise. Mon père est
décédé. Maman a continué d'être de langue
anglaise. Au second mariage, quatre enfants sont allés à
l'école française. Ils ont appris à parler anglais plus
tard en cours de route. Je pourrais vous donner beaucoup d'autres exemples
d'une mère française, mais dans un milieu tout à fait
anglophone de notre région, épousant un anglophone, vivant chez
des parents, des grands-parents, c'est ce que j'aimerais que vous m'expliquiez,
votre idée. D'après moi, la langue maternelle, c'est la
première langue qu'un enfant...
M. Grenier: Ne vous informez pas de ses descendants, c'est un
curé. Il ne vous le dira pas.
M. Robert: Evidemment, la langue maternelle, c'est habituellement
la première langue parlée et la langue qui est comprise un peu
tout le long de la vie. Là, il y a plusieurs critères qui peuvent
déterminer la langue. Il y a aussi le projet du conseil scolaire de s'en
tenir à la collectivité, à la communauté anglophone
du milieu, etc. Nous n'entrons pas dans cette distinction, mais nous partons du
fait général que la langue que l'enfant apprend sur les genoux de
sa mère, c'est sa langue maternelle et c'est la langue qu'il comprendra
un peu tout le temps de sa vie. Ils sont rares les enfants qui, ayant appris le
français ou l'anglais sur les genoux de leur mère, sont tellement
détachés d'un tel milieu, possiblement par un accident mortel de
la mère, c'est possible, mais ce sont des cas d'exception. Cela devient
extrêmement rare qu'un enfant ayant appris sa langue française
s'en aille dans un milieu tellement autre qu'il perde même cette langue
maternelle. Ce n'est pas impossible, mais ce n'est pas la loi commune.
M. Le Moignan: Je vous remercie et je passe la parole à
mon voisin, qui a quelques petites questions.
Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez, c'est au
président de passer la parole.
M. Le Moignan: Excusez-moi, M. le Président, je m'arroge
des pouvoirs que je n'ai pas.
Le Président (M. Cardinal): Non, mais enfin, sans faire
trop de blagues, votre rôle par rapport au mien, sur tous les plans... M.
le député de D'Arcy McGee, il vous reste environ trois
minutes.
M. Gofdbloom: Merci, M. le Président. M. Robert, vous avez
présenté votre mémoire avec vigueur, mais avec calme et
dignité, et je ne voudrais point que vous preniez mes premières
remarques comme étant désobligeantes à votre endroit.
Contrairement à mon collègue de Gaspé, j'aimerais revenir
d'une façon très générale aux statistiques que vous
avez présentées, constater deux choses et vous poser une question
à cet égard à la fin.
Ma première constatation est évidemment celle que, je
pense, ma collègue de L'Acadie a mentionnée, c'est que d'autres
opinants sont ve-
nus devant cette commission et ont présenté, sur des
points précis, des statistiques qui diffèrent des vôtres;
ma deuxième constatation, c'est que, quand de tels organismes ou
particuliers sont venus et se sont exprimés et ont avancé des
chiffres qui étaient le fruit de recherches personnelles ou même
d'études universitaires, le ministre a jeté un doute sur ces
statistiques et a dit: Leurs bases sont insuffisamment scientifiques. Pourtant,
dans votre cas, il n'a pas été critique du tout.
Je laisse à l'opinion publique le soin de juger de cela, mais la
question que je vous pose est fort simple. Quand il y a des divergences de
chiffres, on ne peut avoir raison des deux côtés. Il y a une
erreur quelque part qui explique la différence. Est-ce que je peux tenir
pour acquis que, dans un tel cas, vous seriez favorable à un travail
additionnel de la part de personnes indépendantes, non engagées,
pour tirer au clair ces considérations? Parce qu'il me semble que nous
sommes sur le point de prendre des décisions importantes en vertu de
tendances que nous dessinons avec des statistiques et que nous ne devrions pas
faire erreur avec ces chiffres. C'est la raison de ma question.
M. Robert: Sûrement, M. Goldbloom, que nous serions
disposés à offrir notre coopération pour confronter des
statistiques, mais je pense qu'au-delà des statistiques, nous avons
plutôt fait l'analyse de statistiques et c'est parfois là que les
gens divergent d'opinion, devant les mêmes chiffres. Sans doute que, sur
un tableau de Statistique Canada ou de l'Annuaire du Québec ou un
rapport de la CECM, tout le monde a devant les yeux les mêmes chiffres.
Mais l'un tire une analyse sous un angle et l'autre sous un autre angle. Sans
que cette analyse soit tendancieuse, elle peut quand même diverger, mais
nous sommes prêts, disposés à apporter notre contribution
pour confronter ou comparer ces chiffres ou redresser certaines orientations ou
certains jugements que nous aurions pu faire à la suite de l'analyse de
ces chiffres. Oui, nous sommes disposés à coopérer.
M. Goldbloom: J'en étais convaincu. Il me reste un
commentaire et une question. Je remarque que vous assaisonnez votre
mémoire de trois citations, dont deux se trouvent en annexe. Il y a Lord
Durham en 1838, George Drew en 1936 et Richard Arès, sans date. Je dois
présumer que la citation d'Arès peut être un peu plus
récente que les deux autres, mais, quand même, il me semble que
vous auriez pu trouver, de la part d'hommes comme feu Lester B. Pearson ou John
Robarts, des citations plus constructives que celles que vous introduisez, avec
une intention très particulière, parce que c'est en annexe, de la
part de M. George Drew.
Mais ma question est simplement celle-ci...
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, je pense... Vous
permettez, cela va prendre trente secondes, je m'excuse de vous interrompre, M.
le député de D'Arcy McGee. Comme nous siégeons toute la
journée, je devrai suspendre les travaux à 18 heures et je
n'aimerais pas demander aux gens de revenir. Je demanderais à tous
d'être brefs.
M. Goldbloom: Très simplement, M. le Président, M.
Robert, vous avez parlé de l'incitation qui existe chez les parents,
même chez tous les parents, quelle que soit leur origine, à
envoyer leurs enfants à l'école anglaise. Vous avez
indiqué que, dans votre esprit, ce désir existe, parce que,
jusqu'à maintenant, nous n'avons pas su, au Québec, faire du
français une langue absolument nécessaire et indispensable pour
la poursuite des activités professionnelles et autres. Mais ne
croyez-vous pas que, dans le contexte nord-américain dans lequel nous
vivons, même en ayant réussi ce que vous indiquez comme
nécessité et sur laquelle je suis d'accord, ne croyez-vous pas
qu'il y aura quand même un certain désir de la part de beaucoup de
gens de pouvoir immerger leurs enfants dans un milieu d'enseignement qui sera,
pour au moins une partie de leur carrière scolaire, de langue
anglaise?
M. Robert: Je répondrai à votre première
question rapidement et à votre deuxième. Richard Arès, je
m'excuse de ne pas l'avoir cité, c'est un contemporain encore
vivant.
M. Goldbloom: Je le sais.
M. Robert: Voilà pourquoi j'ai oublié de mentionner
la date de cette citation. J'aurais pu donner plusieurs autres citations, mais
nous avons poursuivi le cheminement suivant: Nous nous sommes dit: Ce projet de
loi est-il nécessaire, utile ou nuisible? Nous avons, à travers
des paroles, des écrits, des faits et des statistiques, pensé
qu'il était nécessaire. C'est notre réponse.
Deuxièmement, oui nous pensons, M. le député, qu'en
dépit d'une législation qui serait faite le mieux possible, il y
aura encore et pour longtemps, une génération au moins, une
attirance très grande de la société nord-américaine
anglophone.
Voilà pourquoi nous ne sommes pas favorables à une
législation trop absolue, pour revenir au critère sur lequel nous
avons mis des réticences tantôt, parce qu'on n'a pas l'intention
de faire croire au monde... et d'ignorer que nous sommes au Québec dans
un contexte nord-américain et qu'il faut un ensemble de mesures et non
pas une seule mesure propice à créer une orientation nouvelle,
une situation nouvelle.
M. Goldbloom: Merci.
Le Président (M. Cardinal): Le député de
Mégantic-Compton, s'il vous plaît.
M. Grenier: M. le Président, bien rapidement, j'allais
relever les questions qu'a soulevées M. Goldbloom. Cela
m'étonnait un peu qu'on arrive avec ces citations en fait, c'est
une espèce de dédicace au début puisque ces gens,
Lord Durham, cela fait 139 ans qu'il a dit cela, et M. Drew, je pense bien,
après l'avoir dit, qu'il va faire
pas mal de purgatoire avant d'aller au ciel avec nous autres. Je ne sais
pas s'il s'en repent. Mais ce ne sont certainement pas des gens qui citaient
les mêmes choses. Je pense que ces gens auraient de la misère
à se faire élire dans des comtés avec des citations
pareilles, peu importe dans quelles circonscriptions ils se
présenteraient.
Vous mentionnez également que... L'article 52, c'est quelque
chose de nouveau que vous apportez. On ne l'a pas entendu encore, c'est la
mère qui a la langue maternelle; quant au père c'était un
peu différent. J'ai de la misère à vous questionner,
étant donné que j'ai à peine trois minutes. Cela a
renouvelé mon éclairage. C'est un aspect qui n'a pas encore
été traité ici et cela m'intéresse de sentir que le
père n'est vraiment pas la personne qui contrôle la langue
maternelle dans un foyer. Je pense bien que cela mérite une attention,
ce que vous signalez à la commission.
Quand vous parlez, à la page 4, à la commission, de la loi
63, je fais le relevé et vous dites que le gouvernement du
Québec, en 1969, ouvre toutes grandes les portes des écoles
anglaises aux immigrants, c'est la loi 63.
Vous devez vous rappeler que la loi 63 n'a peut-être pas ouvert
toutes grandes les portes aux immigrants, mais a ratifié une situation
de fait, d'une loi qui existait dans le temps. Je pense que le temps...
C'était le début. Personnellement, j'étais en Chambre et
il y a d'autres personnes à cette table qui étaient en Chambre.
Le parrain de la loi 63 était notre président actuellement
à la table. Le député de Richelieu était
également membre de notre gouvernement et votait pour la loi 63. J'ai
voté contre la loi 63, à ce moment-là, avec le
député de Saint-Jean, qui était ici tout à l'heure,
et le député de Rouyn-Noranda, qui n'est plus ici, et le
député de Saint-Hyacinthe. Le point précis était
exactement la question des immigrants. Nous avions fait entendre au premier
ministre, dans une représentation, de retirer de sa loi cette
étape. C'est la raison pour laquelle on votait contre la loi 63 à
ce moment-là. C'est pour vous dire qu'il y a eu du cheminement de fait.
Je ne veux pas dire que les personnes manquaient de jugement, c'est le
Québec qui a évolué et ces personnes ont
évolué. Il y en a pour qui cela les a fait changer de parti pour
venir se battre sur un autre terrain.
Personnellement, c'est une chose que j'apercevais déjà
à ce moment-là. Quand vous relevez à la page 8... Je
m'excuse d'aller très rapidement.
M. Robert: Puis-je répondre à cette
intervention?
M. Grenier: Oui, brièvement, parce que c'est sur mon
temps.
M. Robert: Oui, brièvement, certainement. M. Grenier:
D'accord.
M. Robert: Que vous ayez été pour ou contre ou que
d'autres aient été contre ou pour, pour nous, la loi a
été adoptée. C'était le libre choix et, à ce
moment-là...
M. Grenier: D'accord, c'était mauvais. M. Robert:
... c'était une mauvaise loi.
M. Grenier: Vous avez raison à part cela. On avait raison
dans le temps et vous avez encore plus raison aujourd'hui. D'ailleurs, je pense
bien qu'il n'y a pas beaucoup de formations politiques qui se battent contre
cela. Quant à la page 8, où vous parlez des universités au
Québec, on n'en avait que deux, il faut savoir que je suis près
de l'Université qui s'appelle Bishop. C'était bien plus une
université de cours secondaires qui se donnaient là que vraiment
une université à cours universitaires comme on voit maintenant.
Il y en avait aussi une que vous n'avez pas mentionnée, qui n'est pas
dans notre province, mais qui regroupait des étudiants du Nord-Ouest de
l'Outaouais, c'était l'Université d'Ottawa, que j'ai
fréquentée à ce moment-là, qui avait environ 70%
d'éléments francophones qui venaient du Québec.
Je pense que, comme on n'avait pas vécu 1960 et que la
réforme dans l'éducation n'était pas commencée et
que le goût d'aller à l'école n'était pas
donné, on répondait passablement largement à la
clientèle francophone avec les trois universités qui
étaient celle de Québec, celle de Montréal et celle
située seulement de l'autre côté du fleuve, qui
était fréquentée à 70%...
M. Robert: Voulez-vous avoir réponse à cela?
M. Grenier: Oui, cela me ferait plaisir, si j'entendais une
version.
M. Robert: Quand je fais référence à Bishop,
c'est au moment où Bishop si mon information est bonne
avant la création des CEGEP, avait des subventions gouvernementales
presque à titre d'université.
M. Grenier: C'est sur l'aspect financier que vous vous engagez
davantage, d'accord.
M. Robert: C'était un collège. Aujourd'hui, nous
avons de multiples collèges et Bishop est devenue une institution au
niveau des collèges.
M. Grenier: Plus statutaire.
M. Robert: Pour ce qui est de l'Université d'Ottawa, c'est
vrai que 70% de sa clientèle était francophone, mais on l'a vite
accusée d'angliciser les francophones.
M. Grenier: C'était faux, je peux vous dire que
c'était faux, je peux vous dire cela. J'ai été là
pour apprendre l'anglais et je n'ai pas réussi.
Le Président (M. Cardinal): D'accord, M. le
député de Mégantic-Compton. Il reste vraiment deux
minutes. Le député de Bourassa, tentez de les utiliser au
maximum. Je devrai ensuite dire un mot ou deux et susprendre.
M. Laplante: Je vais envoyer tout cela d'un bout. M. Robert, je
vous félicite du mémoire de vo-
tre association. Je crois qu'elle est très représentative,
parce que vous représentez, en somme, les milieux du Québec avec
230 commissions scolaires d'où proviennent vos membres. Cela fait un
éclairage assez vaste pour le Québec. Le député de
L'Acadie parlait des effets des groupes ethniques qu'on pouvait
récupérer à la CECM. C'est certain qu'il y a eu un
mi-succès, mais cela a eu aussi trois effets. Le premier effet que cela
a eu, c'est de faire abdiquer les gens de groupes ethniques à leur
langue et à leur culture pour s'inscrire comme anglophones. Le
deuxième succès, certes, il y a eu un nombre accru d'immigrants
qui ont accepté l'école française. Le troisième
effet aussi, cela a fait qu'en 1975-1976, vous avez eu près de 600
élèves de groupes immigrants qui devaient fréquenter
l'école, la CECM. On n'a jamais pu retracer ces gens après. Ils
ont disparu comme par enchantement. En 1976-1977, on a pu avoir 1000 autres
élèves qui ont dû fréquenter illégalement
certaines écoles du secteur anglophone catholique de la CECM ou une
désobéissance à la loi 22, à ce moment. On ne peut
pas dire que le succès a été très bien
réussi. Maintenant, dans votre mémoire, lorsque vous parlez de
l'article 52, je comprends mal l'aspect d'être très coercitif pour
la mère ou le père, en même temps, vous dites qu'on doit
accepter les gens des autres provinces. Je comprends mal, parce que votre
rapport, en somme, est assez restrictif dans vos vues.
Deuxième question que je veux vous poser, tandis qu'il me reste
un petit peu de temps, c'est pour les immigrants.
Le Président (M. Cardinal): II n'en reste plus, mais quand
même.
M. Laplante: Les classes d'accueil. Je vous ai déjà
beaucoup vanté une rencontre qu'on avait eue avec les classes
d'immigrants. Est-ce que vous êtes pour la forme actuelle des classes
d'accueil qu'on a, où l'élève de la maternelle a le droit
de fréquenter plein jour sa classe d'accueil, de français, un
demi-jour, on paie le dîner pour les classes d'accueil aux immigrants?
Les francophones sont obligés de payer pour la maternelle, le transport
est gratuit pour toute activité parascolaire, tandis que, du
côté francophone, c'est payant. Est-ce que c'est un bon genre
d'accueil qu'on fait là?
Le Président (M. Cardinal): M. Robert, normalement, on va
faire comme certains députés ont fait dans le passé, ne
pas regarder l'horloge, l'audition est terminée. Vous n'avez pas droit
de réplique, mais vous avez certainement le droit d'ajouter un dernier
commentaire, suite à l'intervention de M. le député de
Bourassa. Je vous demanderais d'être bref, après quoi, nous
suspendrons et vous serez libéré.
M. Robert: Je vais être très bref. Nous pensons que
la situation faite aux classes d'accueil est une situation
privilégiée. Nous aimerions que ces privilèges apportent
les résultats qu'on en attend. Nous reconnaissons que ces
élèves, dans les classes d'accueil, ont des services meilleurs
que ceux des classes maternelles ou des classes de même âge
francophones, premièrement. Pour ce qui est de votre première
intervention, je pense que nous devons tirer de notre position cette
conclusion: Nous préjugeons que ceux qui nous viendront des autres
provinces sont des élèves de langue maternelle anglophone,
normalement; puisqu'ils vont réclamer l'école anglaise ici, nous
préjugeons qu'ils seront... Mais s'ils viennent du Manitoba, de
mères francophones, pour nous, la question ne se pose plus. Ils sont de
langue maternelle francophone, même s'ils viennent du Manitoba. Mais,
pour l'ensemble, nous préjugeons qu'ils seront de langue maternelle
anglaise.
M. Laplante: ...assimilés.
M. Robert: Oui.
Merci, M. le ministre, M. le Président, de nous avoir
reçus. Notre fédération a mis beaucoup d'énergie,
beaucoup de temps à cette étude, à cette recherche. Une
assemblée provinciale des organismes a entériné l'ensemble
des principes. Voilà pourquoi je ne vous parle pas en mon nom personnel,
ni au nom de mes collègues, mais au nom de la collectivité des
3800 principaux d'écoles francophones du Québec.
Le Président (M. Cardinal): Messieurs Robert,
Lévesque et Vadnais, merci à vous, à votre organisme, pour
votre patience et votre travail. Vous êtes maintenant libres.
J'inviterai, dès 20 heures, la Chambre de commerce de la province
de Québec, mémoire 39.
Les travaux de la commission sont suspendus jusqu'à 20
heures.
(Suspension de la séance à 18 h 3)
Reprise de la séance à 20 h 8
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et
messieurs!
Constatant le quorum, je poursuis la séance de cet
après-midi.
Pour ce soir, nos premiers invités sont la Chambre de commerce de
la province de Québec, mémoire 39, suivie par le Mouvement
national des Québécois, mémoire 41. Comme je l'ai
indiqué, il peut y avoir des ententes, soit avec le secrétariat
des commissions, soit avec le cabinet du ministre pour les autres convocations,
mais les deux autres groupes qui sont avec nous sont assurés, à
moins de motions ou d'autres procédures, de passer les premiers
dès la reprise de la séance, demain matin, à dix
heures.
Messieurs de la Chambre de commerce de la province de Québec,
vous avez assisté à une partie de la séance d'aujourd'hui.
Vous connaissez les règles. Je vous prierais de vous identifier. Vous
aurez ensuite 20 minutes pour exposer ou résumer votre mémoire et
ceci sera suivi d'une période de questions par les
députés, pour un maximum de 70 minutes.
Messieurs.
Chambre de commerce de la province de
Québec
M. Doyle (James N.): M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse. Pourriez-vous
approcher votre micro, s'il vous plaît?
M. Doyle: M. le Président, madame et messieurs les membres
de la commission, mon nom est James N. Doyle et je suis le président de
la Chambre de commerce de la province de Québec.
Permettez-moi, tout d'abord, de vous présenter les personnes qui
m'accompagnent et qui constituent notre délégation auprès
de votre commission.
A ma gauche, M. Jean-Marie Cloutier, président de la Chambre de
commerce et d'industrie du Québec métropolitain et membre de
notre conseil; M. André Fréchette, trésorier de la
chambre; M. Pierre Morin, directeur général des affaires
publiques; M. Roger Hamel, vice-président aux ressources humaines.
A ma droite, M. Jean-Paul Létoumeau, notre vice-président
exécutif; M. Marcel Côté, M. Yvan Allaire et M. Roger
Miller de SECOR et M. Andrew Winstanley, recherchiste de la chambre.
Je désire tout d'abord remercier la commission de nous recevoir
et de nous fournir ainsi l'occasion de vous expliquer le contenu de notre
mémoire et des travaux de recherche qui l'accompagnent.
Comme vous avez sans doute pu le constater déjà, notre
démarche se veut positive et recherche l'efficacité.
Notre approche est celle de l'entreprise de l'homme d'affaires. Nous
sommes d'accord sur la Charte du français au Québec lorsqu'elle
assure la prédominance du français, protège et
améliore la qualité du français, reconnaît les
limites du raisonnable dans cette démarche.
Ces objectifs du projet de loi no 1 étant reconnus, nous nous
sommes appliqués à en examiner attentivement les modalités
avec une préoccupation d'efficacité, c'est-à-dire
d'atteindre les objectifs aux moindres coûts économiques et
sociaux pour les Québécois. Notre organisme est
étroitement impliqué depuis maintenant près de trois ans,
dans le processus de francisation de l'entreprise. Nous avons eu l'occasion
d'examiner ce projet de changement social sous plusieurs angles. Nous croyons,
compte tenu de cette expérience et de notre
représentativité, être en mesure de vous apporter quelques
avis utiles et construc-tifs. Nous avons voulu, entre autres, apporter une
contribution essentielle à l'examen du projet de loi en commanditant une
étude d'experts sur certains de ses aspects qui nous apparaissent de
première importance. Nous avons recommandé cette étude
à la fin d'avril dernier. Parallèlement aux travaux de nos
concultants, un comité ad hoc de la chambre a examiné le projet
de loi no 1 et a déterminé un certain nombre de points
prioritaires sur lesquels nous avons décidé d'intervenir. Vous
trouverez nos points de vue exprimés dans la première partie de
votre mémoire, ce document de quelque 25 pages que vous avez devant
vous.
En résumé, nous y recommandons, premièrement,
l'élimination de l'article 37 forçant les entreprises à
faire la preuve, devant un fonctionnaire, du besoin de chaque poste bilingue.
Ce serait un exercice d'une lourdeur et d'un coût inacceptables, en plus
d'être un monstre administratif. Ce serait aussi un dédoublement
du processus déjà prévu par le programme de
francisation.
Deuxièmement, nous recommandons l'amendement de l'article 52 pour
permettre à tous les anglophones, ou au moins à tous ceux du
Canada, d'avoir accès à l'école anglaise au
Québec.
Pour nous, c'est une nécessité, afin d'avoir au
Québec un climat d'accueil pour les gens dont nous avons besoin. C'est
aussi une nécessité pour maintenir et développer au
Québec: a) des relations commerciales avec le reste du Canada et du
monde; b) des entreprises de haute technicité sur son territoire; c) des
centres de recherche de stature internationale; d) des avantages comparatifs
comme sites d'activité à rayonnement
extraquébécois; finalement, e), des sièges sociaux
d'entreprises internationales et multinationales. De plus, nous ne croyons pas
que cette mesure constitue une menace à la présence francophone
au Québec.
Nous recommandons, troisièmement, un deuxième amendement
à l'article 52 afin de permettre aux parents francophones qui le
désirent d'obtenir pour leurs enfants un apprentissage adéquat de
la langue seconde.
Pour ce faire, nous suggérons une formule d'immersion pour une
période limitée en milieu scolaire anglophone, faute de pouvoir
atteindre adéquatement cet objectif en milieu scolaire francophone.
Quatrièmement, nous recommandons forte-
ment un droit d'appel des décisions qui pourraient être
prises envers des fonctionnaires en vertu des articles 66 et 119. En fait, nous
nous opposons au trop grand pouvoir donné à la bureaucratie
étatique. C'est, encore une fois, l'érosion du pouvoir
législatif en faveur du pouvoir administratif au détriment des
droits des citoyens.
Cinquièmement, nous recommandons l'élimination des
pénalités prévues à l'article 106
considérant que plusieurs d'entre elles sont exagérées et
qu'une loi d'application générale ne saurait avoir recours
à des moyens aussi forts.
Sixièmement, nous recommandons une clarification et une meilleure
orientation de l'article 112, étant donné les grands dangers qui
guettent le législateur dans une opération de franco-phonisation
de l'entreprise.
Septièmement, nous recommandons l'élimination de cette
formule ambiguë et dangereuse pour l'entreprise que constituent les
comités de francisation prévus aux articles 114 et 115.
Huitièmement, l'élimination pure et simple de l'article
172 qui place la charte du français au-dessus de la Charte des droits et
libertés de la personne, situation que nous ne croyons pas
acceptable.
Enfin, nous regrettons à nouveau qu'un projet de loi soit
déposé sans les règlements qui s'y rapportent. Cette
réglementation est importante puisque plus de 24 articles du projet de
loi doivent être précisés par réglementation et 14
d'entre eux sur des questions majeures pour l'entreprise. Il s'agit là
de la continuation d'une pratique d'administration gouvernementale que nous
déplorons.
Pour ce qui est des travaux de nos consultants, SECOR Inc., je dois vous
dire que nous avons recherché les personnes les plus compétentes
et expérimentées pour effectuer une recherche sur une base
scientifique de certains impacts de la loi 1. Nous avons demandé
à SECOR d'évaluer ce projet de loi quant à ses principes,
à sa mise en application et à son impact économique au
chapitre de la langue des entreprises. Nous lui avons aussi demandé de
préparer des propositions d'amendements pour améliorer
l'efficacité générale de la loi dans sa mise en
application.
Nous nous sommes appuyés sur le résultat de ces recherches
pour justifier des recommandations de notre mémoire. Pour plusieurs
d'entre elles, d'ailleurs, la justification est beaucoup plus
détaillée dans ce rapport. Nous vous transmettons en annexe le
résultat intégral des travaux de SECOR réalisés
sans aucune intervention de notre part quant à leur contenu, à la
suite du transfert, du mandat.
Je demanderais donc maintenant aux gens de SECOR de vous donner, pour le
moment, un résumé des constatations principales qui ressortent de
leurs travaux. Je donne la parole à M. Yvan Allaire, de SECOR.
M. Allaire (Yvan): Merci, M. le Président, Madame et MM.
les membres de la commission, je vous présente M. Roger Miller,
professeur à l'UQUAM et associé de SECOR...
Le Président (M. Cardinal): Pourriez-vous vous approcher
du micro s'il vous plaît? Ici, tout est très bien, mais il y a des
choses qui sont difficiles, le son en particulier.
M. Allaire: ... et M. Marcel Côté de la firme SECOR,
qui répondront avec moi aux questions, selon les sujets touchés
par chaque question.
L'étude qui a été présentée à
la Chambre de commerce du Québec est constituée de deux
unités d'analyse différentes, mais étroitement
reliées.
Dans un premier temps, instruits par notre travail étroit avec la
Régie de la langue française depuis près de deux ans et
par nos travaux de recherche, nous examinons la situation du français et
des francophones dans l'entreprise, nous évaluons les principes et
mécanismes du projet de loi no 1 quant à la francisation des
entreprises et proposons des modifications au projet de loi, qui nous semblent
aller dans le sens d'une plus grande efficacité et cohérence.
Dans un deuxième temps, nous avons entrepris une
évaluation de l'impact économique de la loi no 1. C'est là
une opération délicate, particulièrement dans les
délais prescrits pour sa réalisation. Cependant, cela nous
semblait continuer un précédent utile.
Il est coutumier, aux Etats-Unis par exemple, qu'un projet de loi ou de
règlement soit accompagné, lorsqu'à propos, d'une analyse
d'impact économique. Nous avons donc soumis dans notre étude les
données sur l'impact possible de la loi no 1, ainsi que tous les
détails afférents à nos calculs, de sorte que des avis
divergents puissent être formulés et débattus.
Je ne reprendrai, dans les quelques minutes à ma disposition, que
les éléments les plus importants de chacun de ces deux blocs
d'information.
Nous croyons fermement qu'une loi de francisation des entreprises est
nécessaire. Ceux qui connaissent notre participation à
l'élaboration d'une francisation efficace des entreprises sauront qu'il
ne s'agit pas là d'une affirmation pro forma.
En fait, un premier principe d'intervention, à notre avis,
devrait être la déclaration "du droit de tout
Québécois à travailler en français". Il s'agit
là d'une modification importante de l'article 4 pour en faire un
engagement solennel de notre société pris en son nom par notre
gouvernement.
L'exercice de ce droit social, reconnu à tout
Québécois, doit être facilité par des gestes
précis de l'Etat. En particulier, une intervention de francisation des
entreprises, conséquente à un diagnostic précis de la
situation, est un geste qui s'impose tout naturellement.
Cependant, une analyse serrée de la situation du français
et des francophones dans l'entreprise est essentielle à une intervention
efficace et appropriée. Nous faisons donc d'un diagnostic juste et qui
fasse consensus une exigence, un prérequis à une intervention
efficace de francisation.
Cette analyse, dont nous devons faire état trop succinctement
ici, nous indique que le français et les francophones dans les
entreprises se portent
mieux qu'on ne le laisse parfois entendre; que la faible participation
francophone dans certains secteurs de l'activité économique
résulte d'un tissu complexe de causes, mais n'est pas la
résultante d'une discrimination généralisée d'un
groupe envers l'autre.
Par contre, certaines interventions bien intentionnées, mais mal
conçues pourraient avoir des effets contraires à ceux
souhaités, rendant plus difficile aux francophones l'accès des
postes supérieurs.
Enfin, une intervention de francisation des entreprises n'aura pas
d'effets positifs sensibles sur les revenus des francophones dans l'ensemble de
la population, malgré tous les propos qui semblent vouloir justifier par
ces différences de revenus le contenu du projet de loi no 1.
Par contre, la francisation des entreprises résultera d'une
utilisation élargie du français, augmentera le nombre de
situations de travail en français, particulièrement pour les
techniciens, ingénieurs et diplômés en administration. Les
situations où l'anglais sera utilisé au travail devront
refléter des caractéristiques organisationnelles précises
et ne plus être simplement la résultante d'une inertie
organisationnelle ou d'un manque de compétence en langue
française des personnes qui travaillent déjà.
De plus, l'intervention de francisation assurera une utilisation accrue
du français dans les documents écrits, la terminologie, les avis,
etc., dans les entreprises au Québec.
Brièvement, les principes suivants nous semblent également
essentiels pour la formulation des interventions: La reconnaissance de
l'hétérogénéité des situations d'entreprises
et de leur vocation nationale et internationale, s'il y a lieu; de façon
générale, l'entreprise et ses dirigeants respectent les lois et
s'y conforment de façon similaire à tout autre groupe de notre
société; finalement, pour un objectif donné, une
formulation législative claire, parcimonieuse et sans arbitraire est
souhaitable.
Ces quelques considérations, présentées beaucoup
trop laconiquement ici, nous font proposer les modifications suivantes.
(Après tous les mémoires présentés ici, certaines
de ces modifications proposées pourront vous sembler d'un psit-tacisme
exaspérant, mais il en va de ces propositions comme des clichés:
ils sont ennuyants, mais habituellement justes):
Article 4. Nous avons déjà proposé de modifier cet
article afin de lui donner une portée plus générale et
d'en faire la pierre angulaire du changement visé par la loi.
L'article 37 peut être retiré, car la matière dont
il traite devrait faire partie des programmes de francisation.
Les objectifs des programmes de francisation: C'est par la mise en
oeuvre de programmes de francisation que l'entreprise et l'office changent le
fonctionnement de l'entreprise de façon à assurer le respect des
droits linguistiques.
A cet égard, au chapitre des objectifs des programmes, le projet
de loi no 1 ne marque aucun progrès par rapport à la loi 22.
Compte tenu du processus incertain et des situations
hétérogènes, le législateur ne peut se borner
à énoncer des objectifs indicatifs, mais doit esquisser des
règles et des principes qui guideront les entreprises et l'office. Nous
proposons donc des amendements de fond et des règlements dans le dessein
d'expliciter les intentions du législateur.
L'Office de langue française administre une loi qu'elle doit, en
partie, elle-même préciser par règlement. La
délégation de pouvoirs prévus au projet de loi 1 est
étendue. En l'absence d'un texte de loi concis, il faut donc
reconnaître que l'office doit être un lieu de concertation afin
d'assurer une administration conforme aux situations
hétérogènes, dans le cadre des principes directeurs
proposés par règlement. A cet égard, nous proposons des
modifications à la structure de l'office.
Les sanctions: Nous recommandons le retrait de l'article 106. En effet,
le projet de loi devenu universel, le législateur n'a plus besoin du
pouvoir économique de l'Etat pour inciter l'entreprise à
procéder à la francisation de ses activités. Le projet de
loi no 1 est unique, en ce sens qu'il propose de récompenser les
entreprises qui obéissent à la loi. De telles mesures sont
contraires à l'esprit de nos lois.
Autres modifications: Nous suggérons des amendements aux articles
portant sur le rôle des comités de francisation, les conditions
d'accueil des travailleurs non québécois et le mandat du conseil
consultatif et aussi sur quelques autres points d'importance secondaire.
Dans un deuxième bloc d'information, nous avons voulu estimer
l'impact possible de la loi 1. Pour ce faire, nous avons colligé des
informations sur les entreprises suivantes: Un échantillon
aléatoire de 41 entreprises choisies parmi la population des 331
entreprises de plus de 500 employés au Québec, tous les
sièges sociaux situés au Québec pour les 105 plus grandes
entreprises fonctionnant au Québec; 20 centres de recherche choisis au
hasard parmi les 30 centres de recherche comptant plus de 15 ingénieurs
ou scientifiques selon le répertoire compilé en 1973 par le
ministère fédéral des sciences de la technologie; 19
entreprises opérant un secteur en haute technicité, choisies
parmi les entreprises de 500 employés et plus et le "Survey of
Industrials" du Financial Post.
L'analyse de l'impact économique indique que les coûts
à la société québécoise du processus de
francisation sont faibles en terme relatif: Une fraction de 1% du PNB pendant
quelques années. Les coûts probables des adaptations
dysfonctionnel-les, c'est-à-dire non souhaitées, sont importants
en chiffre absolu. Quelque 5000 postes de cadres sont mis en jeu et seraient
transférés hors du Québec, ce qui amène une perte
globale de quelque 30 000 emplois. De plus, l'impact qualitatif n'est pas
négligeable. Ces 5000 postes de cadres sont concentrés surtout
dans les grandes entreprises, au siège social, dans les centres de
recherche et dans les entreprises à haute technicité. Quelles que
soient la bonne volonté et la compréhension dont fait preuve le
législateur, il est évident que des pertes d'emploi sont
inévitables et ceci
devrait être envisagé de façon sereine. Toutefois,
nous croyons qu'une modification du projet pourrait les réduire
considérablement.
Permettez-moi de conclure en citant le dernier paragraphe de toute notre
étude: "Les débats sur les questions "nationales" amènent
souvent les participants à une facile radicalisation du propos et de la
solution. L'analyse, réticente, dissonante et sans complaisance, sert
fort heureusement de douche froide. Que nous soyons tous un peu
éclaboussés par les faits en ces temps devrait nous faire le plus
grand bien. C'est dans ce sens que nous comprenons notre contribution au
débat historique qui s'amorce."
Le Président (M. Cardinal): On vous remercie. Vous
êtes tout à fait dans les limites. Je donne immédiatement
la parole au ministre d'Etat au développement culturel.
M. Laurin: Je veux d'abord remercier la Chambre de commerce du ou
des mémoires étoffés qu'elle vient de nous
présenter. La Chambre de commerce nous arrive ce soir avec une
délégation impressionnante, aussi impressionnante que l'organisme
qu'elle constitue dans la vie économique du Québec et aussi
impressionnante aussi que l'étude qui sert de base aux recommandations
qu'elle nous fait, c'est-à-dire l'étude de SECOR.
Je pense que c'est peut-être un signe des temps, peut-être
jamais la Chambre de commerce n'aura été aussi proche du
gouvernement puisqu'elle a eu recours, pour préparer son mémoire
à la même firme de consultants à laquelle le gouvernement
précédent avait eu recours et à laquelle le gouvernement
actuel aussi a eu recours pour la préparation du projet de loi.
C'est peut-être de bon augure. C'est peut-être une
passerelle qui nous permettra non seulement de mieux communiquer, mais de mieux
se comprendre, et peut-être d'en arriver non seulement à des
objectifs communs, mais également à des cheminements communs.
D'ailleurs, d'entrée de jeu, dans le mémoire de SECOR, on
voit que la Chambre de commerce, par l'intermédiaire de SECOR, se dit
d'accord avec tout le chapitre du projet de loi qui concerne la langue des
affaires et aussi en accord avec l'affichage unilingue au Québec, ce qui
doit être, je crois, marqué d'une pierre blanche.
Evidemment, l'optique de SECOR au moment où elle travaille pour
la Chambre de commerce est peut-être un peu différente de
l'optique qu'elle avait ou qu'elle a quand elle travaille pour la régie,
en ce sens que lorsqu'elle travaille pour la régie, elle cherche
plutôt à procurer à la régie ou à l'office
les outils, les moyens dont le gouvernement et l'office ont besoin pour mettre
en application une législation hier la loi 22, aujourd'hui la loi
1 alors que lorsqu'elle travaille pour la Chambre de commerce, elle a
probablement un rôle plus critique, particulièrement lorsqu'elle
tente d'étudier les conséquences économiques
présumées d'un projet de loi qui, évidemment, n'est pas
encore dans sa forme définitive et qui n'est pas encore
adopté.
Il reste que je me suis payé la lecture complète du
mémoire de SECOR à deux reprises. J'y ai pris un vif plaisir.
Evidemment, je n'ai pas été trop surpris de ce que j'y ai lu. Une
bonne partie de ce matériel m'était connue puisqu'elle existe
déjà dans les documents que SECOR a préparés pour
la Régie de la langue française, bien qu'une partie de ce
matériel apparaisse actuellement dans une optique un peu
différente.
Il reste, cependant, que ce matériel, dans la partie qui
m'était connue et dans la partie que j'ai lue, m'apparaît
marqué au coin de la mesure, du réalisme, d'une discussion
serrée des diverses contraintes de tous ordres auxquelles le
gouvernement se trouve confronté dans l'élaboration et
l'application de son projet de loi.
Je pense que ce mémoire est tellement étoffé qu'il
ne suffira pas d'une heure et demie pour le soumettre à la discipline du
commentaire et pour en retirer tous les fruits qu'une bonne discussion
permettrait d'en retirer.
Je pense que c'est plutôt un document pour un colloque pour une
journée ou deux journées d'étude et, à ce titre, je
pense bien que nous serons tous obligés de rester un peu sur notre
appétit, que nous devrons garder in pectore une bonne partie des
questions que nous aurions aimé poser aussi bien à la Chambre de
commerce qu'à SECOR puisque le document de SECOR touche
énormément de sujets.
Je me limiterai donc à quelques questions. En ce qui concerne
l'article 37, la Chambre de commerce semble dire qu'il est inutile, en ce sens
que déjà l'article 4 donne aux Québécois le droit
de travailler en français dans l'entreprise, d'une part c'est un
droit déclaratoire et que, d'autre part, les programmes de
francisation prévoient la mise en oeuvre de ce droit ou donnent un effet
juridique à ce droit d'une façon qui l'étale dans le temps
et qui correspond aux contraintes de telle ou telle entreprise, selon les dates
fixées pour l'obtention du certificat. J'ai déjà eu
l'occasion de m'exprimer là-dessus. Il nous semble que ce n'est,
malgré tout, pas suffisant et qu'il faut peut-être prévoir
une étape intermédiaire également, afin que, par cet
article 37, on puisse, avant même que les programmes de francisation
portent tout leur effet, corriger certaines situations qui nous ont
été signalées, par exemple, par plusieurs mémoires
et en vertu desquelles on exige actuellement de travailleurs francophones la
connaissance d'une autre langue pour des tâches où cette
connaissance de l'autre langue, l'anglais en l'occurrence, n'est vraiment pas
nécessaire. En ce sens-là, le mémoire de SECOR ne m'a pas
convaincu qu'il faille renoncer à cet article.
Cependant, dans le mémoire de SECOR, il y a, je crois, des
remarques extrêmement valables. Je pense, en effet, que, dans la
formulation actuelle du projet de loi, qui prévoit des
règlements, il serait peut-être difficile pour une entreprise de
procéder à cette codification immédiate et complète
de toutes les tâches qui pourraient exiger cette connaissance d'une autre
langue, étant donné la situation particulière de certaines
entreprises qui ont à établir des relations multiples avec
l'étran-
ger, avec les autres provinces du Canada aussi, étant
donné aussi la polyvalence de certaines fonctions. Je pense donc que,
pour le mécanisme, il est possible, en effet, qu'il s'avère trop
lourd. Il me fera plaisir de transmettre l'argumentation de la chambre de
commerce et de SECOR à notre comité de révision pour qu'il
en tire toutes les conséquences valables. D'ailleurs, je dois dire que
c'est le document tout entier, étant donné sa très grande
valeur, que j'ai transmis à notre comité de révision pour
qu'il l'étudié dans chacune de ses pages et avec toute
l'attention voulue pour en retirer toute la substantifique moelle
aussitôt que possible, afin que le projet de loi puisse en
bénéficier.
Pour l'article 52, vous nous suggérez, comme beaucoup d'autres
groupes, d'élargir le critère à l'ensemble du Canada. Je
ne veux pas commenter à nouveau cet article; j'ai déjà eu
l'occasion de le faire lors de la présentation d'autres mémoires.
Mais vous nous faites également une autre recommandation d'immersion
limitée durant quelques années pour des élèves
francophones dans des écoles anglaises. Ce qui nous fait hésiter
à accepter cette recommandation, c'est l'opinion même de M. Marcel
Fox, directeur général du PSBGM, qui nous dit qu'autant
l'immersion apparaît valable pour des élèves anglophones,
autant elle lui paraît à lui-même et, pourtant, je ne
pense pas qu'on puisse l'accuser de partisanerie en ce domaine, elle lui
apparaît à lui-même dangereuse pour les élèves
francophones, étant donné l'environnement linguistico-social dans
lequel ils sont immergés.
C'est peut-être en tant que francophone qu'il a fait cette
déclaration, mais il est quand même, en même temps,
directeur général du PSBGM. Là, je rejoins une phrase
initiale de votre mémoire, où vous dites que les recommandations
que vous faites ont pour but d'assurer aussi bien le respect de
l'équité que le respect des contraintes économiques.
Je pense qu'il ne faut jamais oublier ces deux côtés de la
médaille, l'équité d'une part, et c'est probablement les
francophones qui ont le plus à attendre, à espérer, un
retour d'équité de ce projet de loi et, en même temps,
évidemment, respecter des contraintes économiques auxquelles on
ne saurait échapper.
Quant à l'article 68, vous nous demandez d'atténuer un peu
le caractère bureaucratique, étatique de l'office. Là
aussi, je pense que vous avez des arguments très valables, que j'ai
déjà étudiés avec beaucoup d'attention et que nous
essaierons, dans toute la mesure du possible, de considérer d'une
façon pratique. Il reste cependant qu'il ne faudrait pas en mettre trop
sur le dos des bureaucrates et des fonctionnaires, qui sont de fidèles
serviteurs non seulement d'un gouvernement, non seulement d'un Etat, mais
également de la collectivité et à qui il faut quand
même reconnaître du bon sens, de la compétence, de
l'intelligence et une participation aux aspirations, aux buts d'une
collectivité qu'ils servent avec autant de souplesse qu'un membre de
l'entreprise privée peut le faire, en fonction d'intérêts,
bien sûr, qui ne sont pas les mêmes, intérêts
collectifs, mais qui sont tout aussi valables, valides et méritoires que
ceux que servent les serviteurs de l'entreprise privée.
Je pense donc que, tout en accordant l'importance qu'il se doit à
vos remarques, il ne faudrait quand même pas, comme tant d'autres groupes
l'ont fait avant vous, déprécier et soumettre à la
vindicte de certains groupes les fidèles serviteurs de la
collectivité que constituent les fonctionnaires.
Votre argument à rencontre de l'article 106 nous a
déjà été apporté, et même si, comme M.
Allaire vient de le dire, vous craignez d'être taxé de
psittacisme, je pense que ce n'est pas dans cet esprit que nous le
considérons. Autant nous pouvons détester le psittacisme, autant
nous donnons droit à cet adage latin "bis repetita placent". Si
plusieurs mémoires nous disent la même chose, c'est évident
que c'est peut-être parce que c'est là où le bât
blesse et il faut y apporter toute l'attention qu'il faut.
Je crois que l'argument que vous apportez est très valable. Dans
le contexte d'une loi incitatrice, peut-être que l'article 106
était parfaitement justifiable, parce qu'il avait un caractère
compensatoire. Mais dans le contexte d'une loi générale, il
importe d'y penser à deux fois avant de maintenir cet ordre de sanction
qui, au demeurant, s'avère peut-être plus redoutable qu'une
sanction pénale. Nous éclairerons notre lanterne avec les
arguments que vous nous apportez.
Je vous donne aussi raison pour l'article 112. Je pense qu'il faudrait
clarifier ici les termes de façon à ce qu'aucune
ambiguïté ne persiste et afin que la loi apparaisse
véritablement pour ce qu'elle est, c'est-à-dire une
législation linguistique et non pas une législation sociale, tout
en admettant, bien sûr, qu'une politique linguistique a des incidences
sociales, apporte des changements sociaux. Mais il ne faut pas confondre les
genres. Ainsi nous ferons tous les efforts désirables pour clarifier cet
article dans le sens de ce que vous nous soumettez.
Vous parlez longuement, dans votre mémoire, des sièges
sociaux. Dieu sait qu'on nous en a beaucoup parlé depuis les
débuts de cette commission. Nous sommes très conscients de
l'importance qu'ils jouent au Québec, des conditions dont ils ont besoin
pour atteindre l'efficacité que l'entreprise désire.
Mais si nous n'avons pas voulu être plus spécifiques dans
le projet de loi, c'est qu'il y a quand même beaucoup de types de
sièges sociaux. Chacun possède sa structure, ses conditions
d'opéra-tionalisation, un quantum différent de relations avec
l'étranger, sans parler de la distinction qu'il importe d'effectuer
entre les sièges divisionnaires et les sièges internationaux, les
sièges régionaux. Il paraissait donc difficile, dans un seul
article de loi, de faire droit à toutes ces différences. Et,
même pour les règlements, il apparaissait peut-être
prématuré de fixer, de figer, dans un règlement, la
souplesse de la vie. Nous avions une autre raison également, nous
attendions le rapport de la mission que la Régie de la langue
française a envoyée en Europe. Nous avons maintenant en
main ce rapport et nous espérons pouvoir le déposer
publiquement dans les plus brefs délais. Mais peut-être,
même après le dépôt de ce rapport, faudra-t-il
laisser la discussion se décanter afin que le gouvernement sache bien
dans quelle direction il importe de s'orienter.
Si, d'une part, certains groupes nous demandent d'exclure
complètement les sièges sociaux de la loi, d'autres nous
recommandent de les soumettre à des contraintes assez rigoureuses, comme
certains pays l'ont fait et le font encore.
Il s'agit peut-être pour nous de trouver un juste milieu entre un
laisser-faire intégral et une politique rigoureuse. Nous sommes bien
prêts à faire en sorte que la politique que nous suivrons
là-dessus s'adapte exactement à là conjoncture qui est la
nôtre en éclairant nos décisions des politiques suivies
ailleurs, mais en fonction de nos aspirations, en fonction des aspirations de
la collectivité. Cela reviendra à dire sûrement que les
sièges sociaux, pour une partie de leurs opérations, devront se
franciser, mais que cette francisation respectera en tout cas, c'est
notre intention les contraintes absolument inévitables qui sont
nécessaires à leur rationalisation et à leur
efficacité.
Peut-être que la seule façon de s'en tirer, c'est de
laisser au législateur, dans le projet de loi amendé qui sera
présenté bientôt à la Législature, la
latitude d'intervenir par règlement une fois que cette réflexion
suffisamment éclairée aura atteint son terme, mais je pense que
je peux tout de suite vous laisser entrevoir que cette réglementation,
si réglementation il y a, ou directive, si directive il y a, tiendra
compte aussi bien des missions que vous avez envoyées, des
réflexions que nous aurons faites que des représentations que
votre groupe et beaucoup d'autres nous ont soumises, car nous ne voulons pas,
évidemment, pratiquer une politique suicidaire. Nous tenons aux
sièges sociaux que nous avons, de même que nous tenons à ce
que ces sièges sociaux se comportent non seulement en bons citoyens,
mais en citoyens intégrés également, en tant que personnes
morales cette fois, à la collectivité dont ils font partie.
Pour ce qui concerne l'article 172, notre réflexion progresse sur
ce point. Nous avons étudié plusieurs avis qui nous ont
été soumis, dont celui de la Commission des droits de la
personne, et plus nous progressons dans notre analyse et dans notre
réflexion, plus nous nous rendons compte que l'affirmation que nous
avions faite il y a quelques mois, voulant que très peu de conflits
devaient être envisagés entre les deux chartes, s'avère
juste et fondée, ce qui nous amènera donc à adopter une
formulation finale beaucoup plus souple, beaucoup plus articulée et
beaucoup plus précise que celle que nous avions cru nécessaire de
formuler comme point de départ. Je pense que cette formulation finale
contribuera à apaiser considérablement les contraintes qui ont pu
se développer à ce sujet dans l'opinion publique.
De la même façon, pour votre article 119, je pense que nous
nous rendons facilement aux raisons que vous invoquez en faveur d'une plus
grande souplesse et en faveur d'une décision à deux paliers. Sans
pouvoir préjuger encore de la forme précise que pourra prendre ce
droit d'appel, je pense que je peux vous laisser entrevoir dès ce soir
que cet appel, sous une forme ou sous une autre, existera et que, pour cet
appel, on pourra faire état d'une opinion qui s'appuiera sur les points
de vue des divers secteurs de l'opinion qui participent à la vie des
entreprises.
J'aurais eu, encore une fois, énormément d'autres
questions à poser, surtout en rapport avec l'étude du groupe
SECOR, mais je m'aperçois que le temps file extrêmement rapidement
et, s'il me reste encore du temps, je reviendrai avec quelques questions
à cet égard.
Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le ministre. Est-ce
que vous avez des commentaires à ajouter, avant que je ne passe la
parole aux autres députés?
M. Létourneau: M. le Président, nous sommes
très heureux des réactions dont nous fait part le ministre aux
propositions que nous avons faites dans notre mémoire. Nous voulons
cependant signaler que nos propos n'ont, en aucun moment, l'intention de
discréditer les fonctionnaires; bien au contraire, notre proposition de
laisser au pouvoir législatif les pouvoirs qu'il doit normalement
exercer est justement que les fonctionnaires ne soient pas appelés
à exercer ces pouvoirs et, peut-être, dans une certaine mesure, a
se faire détester par la population parce qu'ils exercent des pouvoirs
trop grands qui, normalement, devraient être exercés par les
députés ou le gouvernement.
Pour ce qui est des sièges sociaux, M. le ministre nous dit que
d'autres personnes lui ont dit d'exercer un pouvoir sévère. Nous
demandons seulement au gouvernement et à la commission de s'assurer que
ceux qui recommandent d'exercer un pouvoir sévère sont en mesure
de savoir exactement ce dont ils parlent, c'est-à-dire qu'ils ont
suffisamment d'expérience et de connaissance de ces milieux pour pouvoir
évaluer les conséquences de ces propositions.
Pour ce qui est de la question de laisser le législateur
intervenir par règlement, nous sommes très heureux de cette
remarque du ministre. C'est exactement le sens de nos propositions. Nous
croyons que l'office doit être soumis à une réglementation
décidée par le législateur. Nous sommes très
heureux de la remarque de M. le ministre à ce sujet.
Au sujet du comité de révision de la loi, compte tenu des
efforts que nous avons faits pour apporter à cette commission une
opinion la plus objective et la plus documentée possible, nous offrons
notre collaboration au gouvernement pour l'aider, si c'est acceptable, à
procéder dans cette révision de la loi que le gouvernement se
propose de faire. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Merci. M. le ministre
d'Etat.
M. Laurin: J'aurais une autre remarque à ajouter. Autant
j'ai pris plaisir à la lecture des six premiers chapitres du rapport de
SECOR, que j'ai
trouvés rigoureux, analytiques et constructifs, autant mon
adhésion a été plus lente et incomplète en ce qui
concerne les deux derniers chapitres qui ont trait à l'étude
d'impact. C'est peut-être dû aux lois du genre, en ce sens que
cette étude des deux derniers chapitres est basée sur une
enquête, sur un sondage on sait, évidemment, la valeur
limitative des sondages également, sur une matrice de
probabilités dont la confection est, bien sûr, laissée
à l'imagination des auteurs. Il est toujours assez difficile de
s'avancer dans un domaine où il est difficile de connaître, de
prévoir, en tout cas, les réactions des partenaires
concernés.
Evidemment, je sais que SECOR s'est basée sur des chiffres
nombreux venant des sièges sociaux, des laboratoires de recherche, des
sociétés de services professionnels, sur le nombre de cadres qui
oeuvrent à tous ces niveaux, mais il reste que, lorsqu'à partir
de ces données factuelles on tente de prévoir les comportements
disfonctionnels ou les adaptations disfonctionnelles des entreprises ou des
cadres, cela devient, malgré tout, de la supputation, supputation dans
un double sens. D'abord, parce que, si la loi est amendée, que ce soit
dans le sens du schéma ou du scénario alternatif proposé
par SECOR ou que ce soit dans un autre sens ayant la même direction, mais
quand même variable par rapport au scénario alternatif de SECOR,
il est probable, pour ne pas dire certain, que quelques-unes, à tout le
moins, des conclusions qui apparaissent dans l'étude d'impact
s'avéreront non fondées, en ce sens que le comportement
prévu ne se produira pas. Supputation aussi dans un autre sens, parce
que la réaction des cadres ou des entreprises peut dépendre d'un
très grand nombre de facteurs. Par exemple, peut-être que la
crainte a eu son temps et est moins forte maintenant; peut-être qu'une
meilleure considération de leur réalité, de la
réalité sociale, de la réalité collective a
amené ou amènera ces cadres ou ces entreprises à des
conclusions différentes de celles d'il y a un mois, deux mois ou trois
mois. Peut-être aussi que certaines autres variables, dont le rapport de
SECOR ne parle pas, par exemple, la disponibilité d'une main-d'oeuvre
qualifiée, la disponibilité d'un environnement qui
présente quand même ses avantages, un environnement aussi bien au
sens des richesses naturelles, des taux d'électricité, ainsi de
suite, auront un effet limitatif sur les hypothèses ou les
scénarios que prévoit SECOR.
Par ailleurs, dans cette matrice de probabilités, il faut aussi
faire intervenir le facteur temps.
Lorsqu'on nous donne des chiffres aussi spectaculaires que 15 000
emplois ou 30 000 emplois qui se multiplient par suite du facteur de
multiplication ou du prix du travail de francisation, il faut quand même
penser que ceci s'inscrit dans le contexte général de la
situation de l'emploi au Québec, des rentrées fiscales au
Québec, du mouvement général de l'économie, du
facteur de remplacement d'entreprises par d'autres dans le climat
compétitif qui est le nôtre et qui est parfois très
serré au point de vue concurrentiel. Donc, je pense que les deux
derniers chapitres, qui sont consacrés à l'étude de
l'impact, m'apparaissent quand même avoir une valeur moins certaine que
les six autres chapitres qui, eux, sont basés sur des données
plus certaines. Je ne dis pas ça pour déprécier les deux
derniers chapitres, bien au contraire, mais simplement pour les situer, par
rapport à ces deux ou quelques paramètres qui peuvent non pas
diminuer, mais atténuer la portée qu'ils devraient avoir.
Je sais bien que ce sont surtout ces chiffres-là qui ont retenu
l'attention des media lorsqu'ils ont été lancés lors d'une
conférence de presse ou d'un certain colloque. Evidemment, le
caractère sensationnel de ces chiffres apparaissait d'une façon
évidente. Mais je pense quand même qu'il faudrait les reprendre,
à tête reposée, et leur donner leur pleine valeur en les
insérant dans les paramètres auxquels il convient de les
référer.
M. Allaire: Est-ce que je peux répondre avec quelques
commentaires?
Le Président (M. Cardinal): Certainement, monsieur.
M. Allaire: II est bien évident que l'exercice que
constitue l'évaluation de l'impact économique, aux chapitres 7 et
8, est entouré de beaucoup plus d'aléas que certaines autres
parties du rapport. Il est évident aussi que seul le gouvernement
possède les ressources nécessaires pour en faire une analyse
d'impact aussi exhaustive que le mériterait peut-être un tel
projet de loi. Cependant, ce que nous avons fait a été de situer,
sur les dimensions les plus critiques selon nous il y en a d'autres,
vous avez raison où se situe un ensemble d'entreprises, de
sièges sociaux, enfin, de centres de recherche et de
développement présentant toutes les données utiles, de
sorte que, bien sûr, notre imagination nous ayant amenés à
certaines probabilités, le lecteur puisse, lui, remplacer par sa propre
imagination et dire: Voilà! Je ne suis pas d'accord avec les
probabilités, mais je ne conteste pas qu'il y a un groupe de tant
d'employés-cadres d'un siège social qui sont dans une situation,
disons, où il y a une faible proportion du chiffre d'affaires qui est
québécoise et une faible connaissance du français, et que
les programmes types de francisation, selon un projet de loi donné,
posera certains problèmes à brève
échéance.
Ces mêmes données, donc, peuvent servir pour un projet
modifié, et il s'agit de reprendre le projet, de regarder quel type de
programme de francisation supposerait un tel projet modifié et de
regarder les mêmes données, puisqu'elles demeurent valables. Ce
sont des données d'un sondage, mais quantitatives, il n'y avait aucune
opinion d'exprimée par les gens qui étaient sondés.
C'était tout simplement une évaluation de leur situation.
Cependant, il serait peut-être utile que le processus
utilisé soit brièvement présenté. Je vais demander
à Marcel Côté d'en faire le tour rapidement.
Le Président (M. Cardinal): II faudrait que ce soit
vraiment rapide, parce que...
M. Côté (Marcel): Oui, il y a trois facteurs que
M. Laurin a peut-être oubliés ou peut-être qui ne
rassortent pas assez dans le rapport. C'est comme une condition pour un
transfert de poste, une condition permissive, c'est que l'entreprise en
question ait des activités à la fois au Québec et à
l'extérieur du Québec. C'est pour ça qu'on s'est
attardé essentiellement sur la grande entreprise où on rencontre
cette condition, la grande entreprise qui a beaucoup d'activités
à l'extérieur du Québec. C'est une troisième
condition et, dans ces cas-là, c'est très facile de
transférer des activités en dehors du Québec, des
activités de cadres, et, somme toute, on parle de 5000 transferts de
postes de cadres. Ces postes de cadres seraient transférés dans
des entreprises où il y a, en moyenne, de 10% à 20% des cadres
qui parlent français, non pas qui sont francophones, qui parlent
français.
On voit que l'impact est limité à certains types
d'organisations, des sièges sociaux à vocation internationale,
des centres de recherche, des entreprises à haute technicité
où on rencontre aussi ces conditions. Là-dessus, on doit dire que
nous avons fait l'exercice, même avec ce qu'on appelle un scénario
alternatif il paraît que c'est un anglicisme et on arrive
quand même avec un chiffre de 2000, 2500 cadres qui partiraient ou de
postes de cadres qui seraient transférés, si on applique une
législation linguistique au Québec.
Là, de plus en plus, les économistes demandent au
législateur de considérer l'impact économique des lois
sociales. On sait qu'Albert Breton, par exemple, pour la loi, a écrit un
texte il y a quelques années en ce qui regardait les conséquences
linguistiques et M. Vaillancourt a même traité dans son document
du coût supplémentaire qu'il y a pour une économie avec
l'impact linguistique.
C'est pour cela que le chiffre en soi ne doit... Il faut qu'il y ait un
chiffre quelque part. Quant au chiffre de 5000 postes de cadres, nous y avons
relativement assez confiance, à plus ou moins 10%, et ceci se traduit
à travers des hypothèses basées soit sur des
données empiriques, soit sur des chiffres très
modérés quant au multiplicateur, sur un manque de 30 000 emplois
dans l'économie du Québec, résultant du déplacement
de ces activités qui sont caractérisées par 5000 postes de
cadres.
Le Président (M. Cardinal): Merci. M. le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Merci, M. le Président. Je voudrais tout
d'abord remercier la Chambre de commerce d'avoir présenté ce
mémoire qui, d'après les remarques du ministre lui-même,
est de nature à aider énormément le gouvernement à
améliorer le projet de loi que nous sommes en train
d'étudier.
Le Président (M. Cardinal): Un instant, M. le
député de Marguerite-Bourgeoys. Encore une fois, ce sera
très bref. Le mémoire de SECOR, comme tel, ne fait pas partie des
documents déposés officiellement devant cette commission. Aussi
je fais une offre à ceux qui pourraient le désirer au sein de la
Chambre de commerce de la province de
Québec. Je veux dire cette formalité. Si la demande m'en
est faite, je puis leur accorder la possibilité que ce document, en
entier, soit déposé en annexe au journal des Débats de
cette commission de l'éducation.
M. Lalonde: Pouvez-vous nous dire combien cela
coûterait?
Le Président (M. Cardinal): C'est un problème, mais
ce n'est pas le problème de la commission comme telle, ni de son
président. C'est le problème du budget...
M. Doyle: M. le Président, voulez-vous
répéter cela?
Le Président (M. Cardinal): Chaque fois qu'un document est
invoqué et qu'il n'est pas cité en entier... Et, encore
là, il faudrait peut-être se restreindre et prendre ce que
j'appellerai la partie charnue du rapport, ses conclusions. Il est possible,
lorsqu'un document n'est que cité, de le reproduire quand même, en
partie ou en totalité, au journal des Débats à titre
d'annexe. Je demande...
M. Létourneau: M. le Président... Le
Président (M. Cardinal): Oui.
M. Létourneau: Nous considérons le mémoire
SECOR comme une partie intégrante de notre mémoire. Il est en
annexe à notre mémoire.
Le Président (M. Cardinal): Oui, mais, à moins que
je ne vous pose cette question, il n'est pas annexé officiellement. Tout
ce qui est inscrit au journal des Débats, c'est ce que vous dites
à cette commission, à moins que je ne vous fasse cette offre, que
vous ne l'acceptiez et que je ne vous l'accorde.
M. Chevrette: M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le
député de Joliette-Montcalm.
M. Chevrette: Appelez cela comme vous voudrez pour les fins de la
discussion. Est-ce le président de l'Assemblée, sont-ce les
membres de la commission, sont-ce les gens de l'Assemblée nationale qui
peuvent décider de l'incorporation ou non d'une telle brique au journal
des Débats...
Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. Chevrette:
...à cause des coûts?
Le Président (M. Cardinal): J'ai mentionné
qu'à cause des coûts cela peut être compliqué, mais,
en fait, ce n'est certainement pas la commission. Ce n'est certainement pas
l'Assemblée nationale. Ceci dépend du budget, directement, de la
présidence de l'Assemblée nationale dont les crédits ont
été défendus en commission plénière il y a
quelques semaines. C'est donc la décision du président.
M. Chevrette: A ce moment, même si vous offriez à la
Chambre de commerce de la province de Québec de l'incorporer et que ces
gens vous disent oui parce qu'ils seraient très heureux de voir cela,
probablement, parce qu'ils ont l'air d'y croire, à ce moment, ne
dépasserait-on pas nos pouvoirs comme membres de la commission
d'entendre leurs voeux...?
Le Président (M. Cardinal): Je ne demande pas à la
commission de me donner un consentement. Je dis simplement que sous ma
juridiction et celle de la présidence je serais disposé...
M. Doyle: Nous sommes d'accord, M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): ...à étudier
cette possibilité de reproduire en entier ou en partie ce rapport.
M. Chevrette: ...à transmettre le voeu à la
présidence de l'Assemblée nationale, si on comprend bien. Tout au
plus.
Le Président (M. Cardinal): Vous pouvez ainsi vous
exprimer.
M. Chevrette: Pardon?
Le Président (M. Cardinal): Vous pouvez ainsi vous
exprimer.
M. Doyle: Au nom de la Chambre de commerce de la province de
Québec, nous faisons la demande.
Le Président (M. Cardinal): Tout simplement, c'est cela.
Si vous faites la demande, vous me permettrez justement d'étudier la
portée de cette demande et d'agir en conséquence.
Une Voix: D'accord.
M. Charbonneau: Je souhaite que cette étude soit faite,
parce que je pense qu'il y a des priorités actuellement au
Québec. Je comprends que c'est une brique, mais il y a toujours des
limites...
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Verchères, je sais que je me suis avancé en disant ceci, mais il
y a quand même la compréhension de ce qui se passe devant nous.
L'on sait que tous les mercredis et ceci n'est pas une critique au fond
du débat les députés posent des questions et que
certaines réponses, à la suite de demandes au feuilleton, peuvent
coûter des sommes très importantes aussi.
M. Paquette: ... et réduire le nombre d'emplois au
gouvernement.
Le Président (M. Cardinal): Alors, la façon dont la
chose est présentée, c'est que tout simplement une demande est
faite, que nous en étu- dierons la portée et que dans la mesure
du possible nous y satisferons. Je ne vais pas plus loin.
M. Paquette: II ne faudrait pas que cela enlève des
emplois au gouvernement.
Le Président (M. Cardinal): Non, certainement pas. Alors,
M. le député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Merci, M. le Président, donc, je remerciais la
Chambre de commerce de son mémoire qui a, semble-t-il,
impressionné le ministre et j'en suis fort aise. J'aimerais toutefois,
au tout début, peut-être souligner une remarque du ministre
concernant justement votre mémoire et un peu le fait qu'il a
déploré n'avoir qu'une heure et demie pour étudier non
seulement votre mémoire, mais celui de SECOR. Moi-même je
déplore que le gouvernement, le ministre en l'occurrence, n'ait pas
songé à traiter le mémoire de SECOR comme un
mémoire séparé et à offrir à la commission
parlementaire une heure et demie supplémentaire pour l'étudier.
Si le ministre, compte tenu du fait qu'il n'y aurait pas pensé, change
d'idée, il trouvera dans l'Opposition officielle une coopération
complète. Malheureusement, en quelques minutes nous ne pouvons poser
toutes les questions pertinentes. Nous sommes en train de parler, surtout en
référence au document de SECOR, du coeur de la loi linguistique
au Québec. Si la francisation des entreprises ne réussit pas,
tout le reste ne sera que du maquillage et sera une démarche inutile. Je
pense que beaucoup l'ont compris. Je crois ou j'espère que c'est aussi
l'opinion du gouvernement et du ministre; c'est pourquoi je pense qu'on devrait
s'accorder un peu plus de temps. Je vais laisser au ministre le soin de songer
à cette suggestion et je vais continuer immédiatement.
A l'article 37, est-ce que vous auriez autre chose à offrir? Je
comprends que de la façon dont il est fait, il est très lourd. Le
ministre lui-même l'a reconnu et peut-être qu'il va proposer autre
chose. Mais il reste quand même qu'il est relativement indiqué, je
pense même qu'il est désirable qu'on prenne les dispositions pour
qu'il n'y ait pas de discrimination contre l'employé francophone si on
exige de lui la connaissance d'une autre langue de façon
exagérée. Est-ce que vous ne pensez pas à une approche
inverse, à savoir que si un employé francophone croit être
lésé parce qu'on a exigé de lui l'anglais, il pourrait
porter plainte? A ce moment, ce sera à l'entreprise de prouver que le
poste exige la connaissance d'une autre langue, au lieu de ce mécanisme
extrêmement lourd qui est prévu actuellement, où
l'entreprise doit prouver la connaissance d'une autre langue pour tous les
postes qui existent au Québec, au fond, pour les entreprises de 50
employés et plus, ou même si l'article 37 s'applique à
toutes les entreprises?
M. Côté: En somme, nous disons dans notre texte que
l'article 37 pourrait être aboli parce qu'il ne serait pas
nécessaire. S'il n'est pas aboli, il devrait être amendé du
moins pour éliminer toute
mention de poste, la raison étant qu'administrativement une
définition par poste est très difficile à administrer
à plusieurs points de vue. D'abord, il s'agit de définir les
postes. Deuxièmement, il s'agit de définir les connaissances
linguistiques, et ça c'est un problème auquel on ne touchera pas
ici, mais c'est un des principaux problèmes à Ottawa.
Troisièmement, il s'agit de tenir compte de l'aspect dynamique des
entreprises où cela change continuellement. Ensuite, il y a un autre
point qu'il faudrait toucher, c'est le fait que parce que cela fait partie
intégrante des conventions collectives, comme le dit l'article 40, cela
peut venir un genre de ballon très facile à négocier entre
les syndicats et l'entreprise parce qu'on touche le coeur des postes.
Cela ne serait pas nécessairement lors de la négociation
des conventions collectives, mais, pour faire une grève perlée,
c'est un moyen qui pourrait être utilisé.
Par contre, il faut dire que l'article 37 est superflu parce qu'en somme
c'est le programme de francisation qui est le moyen privilégié
pour assurer que chaque Québécois puisse exercer, s'il le
désire, son choix ou son droit de travailler en français.
M. Lalonde: Si on prend l'article 4 avec le chapitre de la
francisation, on voit une contradiction flagrante. Alors que l'article 4
crée un droit immédiat à la communication des entreprises
en français, d'autre part, la même loi prévoit une
période pour donner le temps aux entreprises de s'adapter à ce
droit.
M. Côté: Mais je crois que quelqu'un, ici en
commission, a discuté de l'aspect du droit. Est-ce que la reconnaissance
d'un droit entraîne une obligation? Je ne voudrais pas embarquer
là-dedans. Mais, si on modifie l'article 4 pour en faire, en quelque
sorte, un engagement solennel du gouvernement, de l'Etat ou de la
société d'accorder à chacun le droit ou le libre exercice
du droit de travailler en français, le programme de francisation
devenant l'instrument privilégié, l'article 37 devient superflu.
D'ailleurs, l'article 37 est gênant un peu; en somme, il vient mitiger un
droit fondamental reconnu à l'article 4, du moins dans la forme
où il est écrit actuellement.
Mais si le programme de francisation est reconnu comme l'instrument
privilégié, il y aurait, comme M. Laurin vient de le mentionner,
une période de peut-être quatre ou cinq ans avant que, dans la
majorité des entreprises, les programmes de francisation s'appliquent
et, là, que les choses soient devenues normales et qu'on n'exige
l'anglais, parce que c'est l'autre langue généralement, que
lorsqu'il est nécessaire.
M. Lalonde: Excusez-moi de vous interrompre; c'est que je ne veux
pas que vous preniez trop de mon temps.
Quant au pouvoir discrétionnaire que vous déplorez, je
suis d'accord avec vous. Tout fidèles serviteurs que les fonctionnaires
soient, il est bon qu'ils aient des coordonnées précises à
l'intérieur desquelles faire leur action d'application de la loi. Quant
à la direction collégiale que vous suggérez aussi, je
partage votre opinion qui est aussi partagée par la direction actuelle
de la Régie de la langue française dont, quand même, une
majorité des membres a été nommée par le
gouvernement actuel. Un des hauts officiers de la FTQ, qui est membre, je
crois, de la régie actuellement, est venu exprimer cette opinion ici et
j'espère que le ministre vous entendra là-dessus. J'ai
été heureux d'entendre le ministre ouvrir la porte quant à
l'appel.
On sait que cela existe en vertu de la loi 22; je ne sais pas si la
façon dont cela a été traité est la meilleure. Il y
a peut-être lieu d'améliorer l'appel qui est prévu pour le
ministre à ce moment-là et ça peut être
extrêmement lourd au point de vue administratif pour le ministre
lui-même. J'espère que le gouvernement aura des suggestions
heureuses à nous faire.
Vous parlez de pénalités. Je m'adresse à la chambre
de commerce; je voudrais vous poser cette question parce que plusieurs ont
préféré l'approche incitative à l'approche
coercitive en matière de francisation. Il semble que le gouvernement ait
rejeté l'approche incitative comme étant inefficace,
sûrement, de la façon dont le gouvernement le pense.
D'après vous, est-ce que la coercition est plus efficace?
D'après votre connaissance du milieu, d'après votre opinion,
est-ce que la coercition est de nature à produire des effets, des
résultats plus sérieux que l'incitation en matière de
francisation des entreprises? Je rappelle votre phrase en bas de la page 10:
"Mais nous craignons beaucoup sur ce point toute mesure coercitive, et ceci
pour plusieurs raisons. Seules des mesures incitatives pourraient être
considérées." Vous l'affirmez, mais j'aimerais que vous le
démontriez.
M. Létourneau: Est-ce que vous pourriez nous indiquer le
paragraphe, s'il vous plaît?
M. Lalonde: C'est au bas de la page 10.
M. Létourneau: Ah bon, nous parlions, M. le
Président, à ce moment-là, des incitations à la
francophonisation. Nous trouvons que c'est un point très sensible.
Mais de toute façon, pour répondre à la question
qui est posée, en effet, nous croyons que, d'une façon
générale, l'incitation est de nature à amener une
meilleure collaboration de l'entreprise qui a à respecter une loi. Les
très longs débats que nous avons eus avec l'entreprise depuis que
nous avons commencé à étudier ces questions de
législation linguistique nous ont amenés à prendre
conscience du fait que cette loi, comme beaucoup d'autres, si on veut qu'elle
soit bien appliquée, doit l'être avec la collaboration de
l'entreprise. Dès que les mesures sont trop coercitives, on implique une
espèce de résistance passive, et c'est beaucoup plus difficile de
faire accepter la loi.
C'est pourquoi nous proposons que des mesures incitatrices
faciliteraient l'application et le respect de la loi. Ce sont des observations
que
nous avons reçues de gens qui, normalement, respectent les lois.
Mais on sent, lorsque les mesures sont trop fortes et trop coercitives, une
espèce de résistance passive, ou une mauvaise humeur d'être
ainsi agressés par la loi, alors que lorsqu'on leur propose des mesures
incitatrices, il est plus facile d'avoir la collaboration de la
majorité, il est plus facile d'avoir la collaboration des chefs de file
qui donnent l'exemple et, ensuite, de faire appliquer plus facilement la
loi.
M. Lalonde: Je vous remercie. Quant aux permis, le ministre a
déjà indiqué une ouverture. Je ne m'étendrai pas
là-dessus. Il en est de même pour l'article 172.
Pour le comité de francisation, vous exprimez des
réserves. N'est-il pas prévu, même, actuellement, en vertu
de la loi 22, que la francisation, pour être sérieusement faite
à l'intérieur d'une entreprise, doit compter sur un comité
bien structuré, avec tous les pouvoirs utiles et indispensables pour
imposer des décisions? Peut-être SE-COR pourrait-elle
répondre là-dessus, elle qui a participé à la
structuration.
M. Côté: C'est dans les normes de la régie,
mais ce n'est pas dans la loi 22. C'est la régie.
M. Lalonde: Justement, cela va plus loin que la loi 22. Mais dans
les principes directeurs qui suivaient les règlements, même ceux
qui ont fait la francisation avant la loi 22, est-ce que ceux qui l'ont fait
ont pu compter sur une structure bien faite et avec autorité?
M. Côté: Le comité de francisation.
M. Lalonde: C'est ce qu'est le comité de francisation.
M. Létourneau: Oui mais ce comité, M. le
Président, si vous le permettez, sa forme n'était pas
précisée par la loi auparavant, tandis que la proposition que
contient la loi no 1 en précise la forme. Comme les problèmes de
francisation se situent beaucoup plus au niveau des cadres de l'entreprise
qu'au niveau de la production, c'est-à-dire beaucoup plus au niveau des
gens qui ne sont pas syndiqués qu'au niveau des gens qui sont
syndiqués, comme la responsabilité de la francisation est
entièrement celle de l'entreprise, et comme la formule proposée
pour la constitution de ce comité pourrait être très
difficile d'application concrète dans plusieurs milieux, surtout
où il y a plusieurs unités de négociations, plusieurs
syndicats différents de présents on connaît des
entreprises où ils sont jusqu'à une vingtaine à
cause de toutes ces raisons, nous croyons qu'il est préférable de
laisser le comité qui va se charger de la francisation être
formé d'une manière beaucoup plus souple et ouverte. Ce qui
n'exclut pas la participation des travailleurs, mais ce qui ne créera
pas des situations très difficiles, complexes et qui peuvent
déborder dans le domaine des relations de travail très facilement
et amener des questions de griefs et, en quelque sorte, polluer la question de
francisation à l'intérieur de l'entreprise.
M. Lalonde: Je vous remercie. Je voulais souligner la note que
vous faites à la page 12, à l'effet que et je cite
"Enfin, il est bien connu que le problème de la francisation se pose
bien plus au niveau des cadres de l'entreprise qu'au niveau des employés
syndiqués ou syndicales".
J'espère que cette remarque qui est tout à fait pertinente
saura trouver son chemin dans l'esprit du gouvernement.
Quant à SECOR, j'aimerais féliciter la Chambre de commerce
d'avoir pensé à faire faire cette étude. Je pense qu'il
s'agit là d'un effort qui aurait dû être fait par le
gouvernement. Cela n'enlève pas le mérite à la Chambre de
commerce, mais je pense qu'on doit... Enfin, je déplore que le
gouvernement ne se soit pas imposé, avec toutes les ressources qu'il a
et surtout vu sa décision de légiférer à ce
stade-ci de notre histoire, l'effort de faire cette étude,
c'est-à-dire de faire l'inventaire bien réaliste de la situation
linguistique, du statut de la langue française, au Québec, dans
le domaine de l'entreprise.
Comme vous, je crois que le livre blanc a manqué de nuances et
d'actualité à propos de ce qu'est la situation linguistique dans
l'entreprise actuellement. Si je cite le rapport SECOR, à la page 1 du
chapitre II, je vois ceci: "Une première tendance, aux forts relents
misérabilistes, présente une vision pessimiste d'une
société dominée..."
Je pense que c'est exactement ce que le livre blanc veut faire et je
pense que le gouvernement a manqué de responsabilité, en prenant
tout d'abord une décision de politiser cette question et ensuite de
trouver les coordonnées qui justifiaient, d'après lui, sa
décision. C'est d'autant plus important, car la décision de
légiférer, de la part d'un gouvernement responsable, doit
être prise en pleine connaissance des faits. Naturellement,
j'espère que votre contribution fera changer d'attitude au gouvernement,
mais je voulais quand même le souligner.
Vos remarques concernant les différences de statut
économique entre francophones et anglophones, concernant aussi la
situation des cadres francophones jettent un éclairage nouveau que je
considère extrêmement utile, parce que réaliste et
articulé. On a charrié et on l'a fait dans le livre blanc aussi
sur ces deux réalités, enfin deux questions, la différence
entre le salaire moyen des francophones et celui des anglophones. Je pense que
quiconque veut avoir le véritable tableau de cette question doit lire le
rapport de SECOR.
On peut ne pas être d'accord avec lui, mais au moins il a le
mérite d'avoir cherché les véritables raisons de ces
questions et non pas d'essayer d'abrier cela sous la couverte linguistique.
Comme le ministre le déplorait tantôt, je n'ai pas assez de
temps pour poser des questions à SECOR sur tous les points, les
hypothèses qu'elle fait, le scénario. C'est extrêmement
intéressant. Je ne sais pas jusqu'à quel point le gouvernement se
rend compte combien précieuse est cette contri-
bution de la Chambre de commerce et de SECOR en particulier dans
l'élaboration de sa loi. C'est le résultat, naturellement, de
deux ans et plus de travail, grâce à l'existence d'une loi, la loi
22. J'aurais aimé avoir parti avec ce bagage, lorsqu'on a
commencé à préparer la loi 22 ou les règlements; et
j'espère que le gouvernement s'en inspirera, j'en suis sûr. Quant
à nous de l'Opposition, vous pouvez être sûrs que nous y
puiserons tous les renseignements utiles pour discuter de façon positive
des amendements à être apportés à cette loi.
Celle-ci réunit l'accord de tout le monde quant aux objectifs de faire
du français une langue prééminente, mais elle
soulève beaucoup de questions, même pour de vrais
Québécois comme vous et comme bien d'autres, quant aux
excès qu'elle fait et au danger qu'elle représente de produire
des résultats contraires à ceux qui sont escomptés par
tous ceux qui veulent qu'une loi linguistique soit juste et soit efficace.
Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. (Dussault): Merci, M. le
député de Marguerite-Bourgeoys. Je cède maintenant la
parole au député de l'Union Nationale.
M. Létourneau: M. le Président... Le
Président (M. Dussault): Oui.
M. Létourneau: Est-ce que vous nous permettez de
réagir aux propos du député de Marguerite-Bourgeoys?
Le Président (M. Dussault): Très brièvement,
s'il vous plaît, parce que le temps du député était
écoulé.
M. Létourneau: Merci, M. le Président. Tout
simplement pour dire que, depuis des années, nous demandons au
gouvernement de faire, devant toute loi majeure qu'il présente, une
étude coûts-bénéfices.
Ceci a été promis dans le passé. Ceci a
été promis par le nouveau gouvernement dans le discours
inaugural. Etant donné que nous ne voyons pas poindre une telle
étude pour la loi 1, nous avons voulu nous-même faire l'exercice
et essayer de faire la preuve qu'il était possible, même dans le
cas d'une loi où ce n'est pas facile, de faire une espèce
d'analyse coûts-bénéfices de l'application de cette loi.
Nous vous remercions, M. le député de Marguerite-Bourgeoys,
d'avoir apprécié cet effort.
L'autre point sur lequel je veux intervenir très
brièvement, c'est pour dire que nous nous refusons à cette
théorie des adversaires, lorsqu'on parle au Québec des
francophones et des anglophones. Nous sommes des partenaires. C'est sous cet
angle que nous avons abordé la question.
Le Président (M. Dussault): Merci, monsieur...
M. Lalonde: M. le Président, si vous permettez, j'ai
oublié une chose, c'est de souligner l'apport de la chambre de commerce
sur la question de la francisation des entreprises. Que ce soit en vertu de la
loi 22, que ce soit en vertu du projet de loi no 1, je pense que le
gouvernement va trouver auprès de la chambre de commerce la
collaboration la plus complète, comme l'ancien gouvernement l'avait
trouvée dans la mise en application de la loi 22.
M. Létourneau: Nous sommes prêts à l'offrir
et nous l'offrons.
Le Président (M. Dussault): Merci. M. le
député de Magantic-Compton.
M. Grenier: M. le Président, on aurait voulu trouver un
autre temps pour recevoir les gens de la chambre de commerce et le groupe
SECOR. M. Biron s'excuse, puisque c'était chez nous la personne toute
désignée pour interroger la chambre de commerce, mais ses
engagements à l'extérieur l'ont empêché d'être
ici aujourd'hui. Ce n'est pas de la faute du gouvernement, bien sûr, mais
ce sont les contingences qui sont comme cela. Je voudrais féliciter les
gens de la chambre de commerce qui oeuvrent et qui ne se gênent pas pour
être à l'affût de chacun des gouvernements qui se
succèdent ici, au Québec, pour donner bien objectivement leur
opinion pour une plus saine administration dans l'adoption des lois
importantes. Ce n'est pas la première fois que j'ai l'occasion de vous
rencontrer, ni le groupe SECOR. Vous êtes toujours là dans les
grands moments. On se rend compte combien c'est important. Si vous étiez
témoin comme nous le sommes devant cette table des groupes qui passent
ici, vous verriez comme c'est compliqué d'avoir des gens qui sont pas
mal objectifs. On se rend compte qu'un groupe comme le vôtre, on est
choyé de l'avoir. On peut dire que dans cette catégorie, que vous
soyez représentatif d'un secteur ou de l'autre, puisqu'il y a souvent
des extrémistes d'un côté ou de l'autre, de votre
côté, vous vous situez dans le centre. Vous vous en rendez compte,
d'ailleurs, d'après les questions qui vous sont posées, des
propos du ministre, de même que ceux de l'Opposition officielle. Je peux
vous féliciter pour ce mémoire qui est présenté
sans émotivité, qui est bien défini. On voit que ce projet
de loi a été abordé dans l'optique de l'homme d'affaires
québécois. C'est strictement cet aspect que vous avez
étudié. Vous vous êtes attardés à savoir de
quelle manière le projet de loi no 1 affecterait l'entreprise et son bon
fonctionnement au Québec. C'est important pour nous, et c'est
certainement le coeur du problème de la loi 1.
Tout de suite, j'aimerais rappeler une déclaration qui a
été faite par le directeur des Hautes études commerciales,
M. Denis Lussier, au cours de la semaine dernière et qui disait à
Toronto, devant le Financial Post, je pense, que les diplômés des
Hautes études commerciales, au cours des dix dernières
années, auraient été totalement ignorés par les
compagnies canadiennes faisant affaire au Québec, puisque tout
récemment, on se rendait compte que ces mêmes compagnies se
précipitaient maintenant sur les diplômés des Hautes
études commerciales. Est-ce que vous pouvez nous dire si c'est
fondé, d'abord?
M. Allaire: II n'y a aucune raison de mettre en doute
l'information de M. Lussier. Il connaît bien la situation aux HEC. Cela
nous semble tout à fait plausible. C'est, en fait, conséquent
avec ce qu'on dit dans notre mémoire, des réseaux d'information.
Il n'y a aucun doute qu'une loi 22, comme la loi no 1 présentement,
amène, avec une incitation exemplaire, les entreprises à se
renseigner, à mieux s'informer sur les ressources de cadres francophones
au Québec. Ces ressources, bien sûr, sont disponibles à
chaque année, à la graduation dans nos universités. Donc,
qu'un intérêt nouveau, renouvelé et accru se fasse sentir,
cela me semble tout à fait plausible.
M. Grenier: D'accord.
M. Doyle: M. le Président, j'aimerais ajouter un mot
à ce sujet. Dans ma propre compagnie, nous avons eu l'occasion de
travailler très étroitement avec la direction de l'Ecole des
hautes études commerciales depuis quelques années, même que
notre vice-président du personnel enseigne à cette
institution.
Non seulement pour reconnaître que ce que vous venez de dire est
vrai, mais pour faire le point, je dois dire que nous avons eu l'occasion de
critiquer la direction de l'école de ne pas avoir poussé son
affaire, sauf dans les deux ou trois dernières années, en ce qui
concerne les compagnies à direction anglophone. Avant ce
temps-là, ils ne faisaient pas suffisamment d'efforts pour vendre, si je
peux utiliser cette expression, leur produit aux compagnies nationales et
multinationales. Ils ont accepté pleinement ce genre de critique de
notre part.
M. Grenier: A quoi attribuez-vous ces changements d'attitude
assez soudains?
M. Létourneau: M. le Président, il y a un autre
problème qui se pose pour les entreprises qui veulent recruter les
diplômés universitaires, les meilleurs. Ce problème, c'est
la façon dont les gouvernements traitent leurs employés. De plus
en plus, il est difficile pour l'entreprise, le secteur privé, de faire
concurrence au gouvernement, premièrement et principalement sur la
question des fonds de pension. Il n'est pas possible, pour le secteur
privé, d'offrir les mêmes avantages qu'offre le secteur public.
Une pension indexée, on ne peut pas trouver ça dans le secteur
privé. De plus, les conditions de travail et, plus récemment, les
salaires dans le secteur public sont de plus en plus élevés et la
marge avec le secteur privé s'agrandit tous les jours. Alors, ça
rend difficile, pour le secteur privé, la concurrence avec le
gouvernement. Des études ont été faites à
l'Université de Montréal sur le sujet, à savoir où
se dirigent les diplômés universitaires. On constate
malheureusement qu'une trop grande majorité d'entre eux se dirige vers
la fonction publique et c'est sans doute là une des raisons
principales.
M. Grenier: Merci. Le ministre, je pense, réfléchit
toujours à savoir s'il pourrait y avoir prolongation pour le
mémoire. Je ne vous cache pas que, si on pouvait rencontrer les deux
groupes de façon séparée ou avoir plus de temps pour les
interroger ça ferait bien notre affaire. Vous avez des positions qui
sont fort intéressantes à étudier et je pense qu'autour de
cette table il n'est pas question de savoir de vous si vous êtes plus
près du programme d'un parti que d'un autre. Ce qui compte, c'est que
vous nous donnez des informations qui sont objectives. Pour notre part,
ça ne nous gêne pas de poser des questions, même si elles
vont peut-être à l'encontre d'un programme de parti qui a fait
élire un certain nombre de députés. Comme on le dit assez
souvent, si un programme ne doit pas correspondre à la
réalité, il n'y a pas de gens mieux placés que vous pour
nous le laisser savoir afin qu'on y apporte les transformations
nécessaires. Je pense que ce serait important qu'on ait du temps
supplémentaire, comme l'a suggéré le député
de Marguerite-Bourgeoys, afin de vous interroger, puisqu'on est vraiment
tombé, ce soir, dans le noeud du problème que pose la loi.
J'aimerais peut-être m'adresser à SECOR. La Charte de la
langue française, d'après vous, est-elle supérieure ou
inférieure à la loi 22, relativement aux effets qu'elles ont sur
les entreprises?
M. Miller (Roger): En ce qui a trait à la francisation des
entreprises, il n'y a pas tellement de différence entre le projet de loi
no 1 et, en fait, l'ancienne loi 22. Il y en a quand même, subtiles... Je
m'excuse.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous
plaît! Un instant, s'il vous plaît! A l'ordre!
M. Grenier: C'est sur mon temps, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! Oui, M. le
député de Mégantic-Compton. Vous êtes allés
jusqu'au bord de l'abîme. Je vous prierais de conserver les quelques
minutes qui vous restent. Monsieur, je vous en prie.
M. Miller: II y a quand même quelques différences
qui sont d'importance majeure. La première, c'est que le projet de loi
no 1 se veut universel, c'est-à-dire qu'il s'applique d'une
manière égale à toutes les entreprises, alors
qu'effectivement la loi 22 prescrivait une méthode universelle pour
obtenir un certificat de francisation.
La loi 22 avait une approche compensatoire, c'est-à-dire qu'elle
se servait du pouvoir économique de l'Etat pour inciter l'entreprise
à s'embarquer dans le processus de francisation.
Le projet de loi no 1 proposant une loi d'application universelle, il va
de soi que les entreprises essaieront, en bons citoyens, de s'adapter aux
exigences de la loi.
Une troisième différence et elle est d'importance
est que la loi 22 avait établi une régie, qui existe
toujours, qui groupait des parties différen-
tes qui sont toutes impliquées au sein du processus de
francisation. Le processus de francisation de l'entreprise étant un
processus complexe où les gens ne sont pas d'accord sur les fins et
où ils ne sont pas d'accord sur les méthodes pour atteindre ces
fins distinctes, il est alors important d'avoir un lieu où il y a
concertation et participation pour élaborer des règlements qui
vont tenir compte de la situation qui existe au sein de l'entreprise.
Pour l'instant, le projet de loi no 1 confie cette responsabilité
de concertation et de participation à un office où les parties
impliquées ne sont pas représentées. C'est un des points
que nous avons mentionnés au cours de notre présentation.
M. Grenier: Vous semblez craindre l'article 106 de la charte sous
prétexte que l'office agira comme juge et partie. Pourriez-vous
préciser cette affirmation?
M. Miller: Le projet de loi no 1, évidemment, aux articles
112 et 113 ne précise pas, pour l'instant. Des règlements
viendront peut-être préciser cela. Si, effectivement, ce sont les
fonctionnaires qui décident des règlements qui seront
éventuellement approuvés par le gouvernement, ce seront eux qui
feront l'analyse, donc, ils seront, par la suite, en situation de juger si une
entreprise se conforme à ces règlements. C'est dans ce sens que
l'on parle de juge et partie, c'est-à-dire que dans un cas, aux articles
112 et 113, on peut préciser par règlement des choses, alors
qu'à l'article 106, il y a des conséquences pour l'entreprise et
c'est un fonctionnaire qui décidera.
Ce n'est pas contre le fonctionnaire qu'on en a. Il est bien
évident que ce sont, en fait, des serviteurs fidèles. La
situation, le phénomène est un phénomène où
il y a désaccord sur les fins et les moyens. C'est un
phénomène en termes organisa-tionnels où seul le jugement
peut être appliqué et l'organe législatif se satisfera-t-il
d'une simple délégation de pouvoirs à des fonctionnaires
qui vont exercer à sa place des jugements? C'est la question que nous
nous posons.
M. Grenier: D'accord. Une dernière...
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Mégantic-Compton, 30 secondes au plus. A la suite des compliments qu'on
m'a faits aujourd'hui, je vous accorde cette grande
générosité.
M. Grenier: Merci de votre générosité.
D'après vous, qui souffrira le plus de la perte d'emplois dont vous
parlez dans votre mémoire et dans votre déclaration
préliminaire? Seront-ce les francophones ou les anglophones, les petits
ou les gros?
M. Côté: Encore là, ce n'est pas le point
fondamental du mémoire. Ce sont des activités qui seront
transférées. Laissons faire le nombre pour l'instant, on ne
s'entendra pas sur le nombre. Mais si cela a un impact sur l'économie du
Québec, vous avez de bonnes chances que ce soit plus des francophones
que des anglophones, lorsqu'il y a des coûts économiques, parce
qu'il y a 80% de francophones au Québec. Quant à savoir si les
pertes d'emplois sont régressives ou non, généralement
c'est régressif, mais en général, les gens à plus
faible revenu sont peut-être plus touchés. Cela veut dire pour
n'importe quelle perte d'emploi, par exemple. Une fermeture d'usine, ce serait
la même chose.
Le Président (M. Cardinal): Merci.
M. Létourneau: Un des effets secondaires est que s'il y a
perte d'emploi, perte de salaire, il y a perte pour l'Etat de revenus fiscaux,
et s'il y a perte pour l'Etat de revenus fiscaux, puisque la majorité
des contribuables sont des francophones ce sont eux qui écoperont.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Taschereau, deux minutes.
M. Guay: M. le Président, la première fois que j'ai
entendu parler ou que j'ai pu lire les chiffres, partiellement il est vrai, du
rapport de SECOR, c'était dans un quotidien du samedi. M.
Létourneau s'en souviendra, ce quotidien en avait obtenu la primeur. Il
y avait eu coulage en quelque part et ce coulage s'était produit au
moment où nous nous retrouvions, le député de
Verchères, le député de Trois-Rivières et moi, au
congrès de la Chambre de commerce de Montréal, à
Pointe-au-Pic, pour participer à un atelier qui portait sur l'impact
politique du 15 novembre et auquel on avait convié deux
personnes-ressources, comme on dit, les deux ayant le même point de vue,
c'est-à-dire qu'au fond le 15 novembre était une catastrophe. Il
y en a même un, M. Jarolowskey, qui nous affirmait à peu
près ceci, c'est-à-dire que les Québécois
francophones, au fond, laissés à eux-mêmes ressembleraient
à peu près à ce célèbre tableau du radeau,
ou du naufrage de la Méduse, si ma mémoire est bonne. Et cet
atelier, à ce congrès, qui comportait ces deux
personnes-ressources, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles
n'étaient pas d'une objectivité à toute épreuve,
avait été organisé, si je ne m'abuse, par SECOR.
Effectivement, l'atelier était présidé par le
président de SECOR, M. Pierre Lortie, qui, soit dit en passant, est un
ancien président de la Commission d'information du Parti
libéral.
M. Lalonde: Vous avez quelque chose contre cela?
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous
plaît.
M. Guay: Je ne sais pas si vous, vous en avez contre, moi cela ne
me dérange pas.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous
plaît. J'ai laissé chacun aller jusqu'à la limite ce soir,
malgré cela la journée s'est bien passée. Je
voudrais...
M. Lalonde: La soirée ne se continuera pas aussi bien si
le député continue à faire cela.
Le Président (M. Cardinal): Pardon, M. le
député de Marguerite-Bourgeoys, je regrette. Vous savez fort bien
que tous les députés, y compris le député de
Taschereau... A l'ordre, s'il vous plaît. M. le député de
Marguerite-Bourgeoys, ce n'est pas l'article. C'est un long usage, à
l'Assemblée nationale et ailleurs, que l'on ne puisse s'attaquer sur le
plan politique. Je ne le souhaite pas, dans le poste que je tente de remplir le
mieux possible. C'est pourquoi je demande au député de
Taschereau, avec la minute qui lui reste, d'en venir au vif du sujet en vertu
de l'article 140, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: L'article 140? Merci, M. le Président.
M. Guay: J'y arrivais, M. le Président. Ma première
question portait justement là-dessus. Compte tenu de cette
expérience que nous avons eue, le député de
Verchères et moi, et qui ne nous a pas impressionnés quant
à l'objectivité de SECOR, comment peut-on prêter foi au
document de SECOR qui, même s'il est bien fait par maints aspects, laisse
plusieurs portes entrouvertes notamment au chapitre 6 et au chapitre 7? Je
regrette en passant que M. Lortie n'ait pas cru opportun de venir ici ce
soir.
M. Lalonde: M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): Un instant. Oui, M. le
député de Marguerite-Bourgeoys, sur une question de
règlement.
M. Lalonde: M. le Président, je pense qu'il est contre la
lettre et l'esprit de nos règlements qu'on tente de discréditer
les témoins ici par personne interposée, surtout avec un absent,
simplement parce qu'un des membres de SECOR se trouve à avoir fait de
l'action politique dans un autre parti que le Parti québécois.
Ils sont aussi bien de s'habituer, cela va venir de plus en plus. On
discrédite le rapport de SECOR comme n'ayant aucune
crédibilité. Je pense que c'est tout à fait indigne et
c'est bas de la part du député de Taschereau, il devrait recourir
à des arguments un peu plus utiles, un peu plus
élevés.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Verchères, sur la question de règlement.
M. Charbonneau: Je pense que le député de
Marguerite-Bourgeoys n'a pas très bien compris l'argumentation de mon
collègue de Taschereau. C'était moins parce que M. Lortie a
été président ou membre du Parti libéral que par la
façon dont la firme SECOR s'est comportée lors de l'organisation
du colloque de la Chambre de commerce de Montréal. Elle a
démontré, à ce moment-là, un manque évident
de professionnalisme et à mon sens d'impartialité. C'est dans ce
sens-là, je pense, qu'il faut interpréter l'intervention du
député de Taschereau.
M. Lalonde: M. le Président, sur une question de
règlement.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Sur la même question de règlement, M. le
Président. Si le député de Taschereau a l'intention
d'attaquer la crédibilité d'un témoin, il doit en faire la
preuve. C'est seulement son témoignage partisan, lui aussi, et le
témoignage du député de Verchères, partisan aussi,
qui viennent ici déblatérer contre des gens qui se sont
donné la peine de faire des études que le gouvernement aurait
dû faire lui-même.
M. Charbonneau: ...soumettre les textes qui ont été
déposés, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre.
M. Guay: Je pense que le député de
Marguerite-Bourgeoys est antiréglementaire.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous
plaît. Là, il se produit... A l'ordre, M. le député
de Papineau. Il se produit une chose, ce phénomène, c'est que
l'on pourrait s'interroger à savoir si on a attaqué la conduite
d'un témoin, si on a imputé des intentions, si on s'est servi de
langage violent, blessant ou irrespectueux...
M. Lalonde: Sûrement blessant, quant à la
compétence...
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, M. le
député de Marguerite-Bourgeoys, ce n'est pas à vous d'en
décider. Je vous en prie. A l'ordre, s'il vous plaît. M. le
député de Rosemont.
M. Paquette: J'aimerais dire, sur la question de
règlement, M. le Président, que le fait de dire que le
président de SECOR était autrefois président de la
commission d'information du Parti Libéral n'est aucunement blessant, je
ne pense pas. Deuxièmement, que par le passé, plusieurs
témoins ont comparu devant cette commission et se sont fait poser la
question: Avez-vous milité dans le Parti québécois,
avez-vous été candidat du Parti québécois? C'est
arrivé au moins trois ou quatre fois et vous n'avez pas rappelé
l'Opposition à l'ordre.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre. C'est exact, M. le
député de Rosemont...
M. Lalonde: M. le Président, sur la question de
règlement.
Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: M. le Président, les arguments du
député de Rosemont sont tout à fait fallacieux. Ce n'est
pas du tout la référence du député de Taschereau
à un des membres de SECOR qui est tout à fait inacceptable, c'est
le fait que le député de Taschereau apporte ici un
témoignage non fondé sur le comportement de SECOR lors d'un
collo-
que, d'une réunion sans en faire la preuve et attaque sa
crédibilité. C'est tout à fait indigne...
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre. J'ai dit... Oui, M.
le député de Verchères.
M. Lalonde: ... alors que le ministre lui-même a rendu
témoignage à SECOR.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Verchères.
M. Charbonneau: M. le Président, vous me corrigerez si
j'interprète mal la fonction de la commission, mais je pense que la
semaine dernière, lors de l'argumentation ici, mercredi soir, on a
longuement discuté sur le fait qu'une commission parlementaire
était, d'une certaine façon, une espèce de tribunal qui
entendait des témoins et qui portait un certain jugement. Sans
être avocat, mais ayant suivi suffisamment des activités dans le
milieu judiciaire, je pense qu'une des fonctions d'un tribunal est
d'évaluer la crédibilité des témoins. Si le
député de Marguerite-Bourgeoys n'est pas satisfait de la
façon dont nous évaluons la crédibilité, libre
à lui, nous pourrions éventuellement déposer des documents
qui pourraient indiquer comment nous considérons cette
crédibilité.
Mais je pense qu'il est indiqué dans une commission parlementaire
cela s'est déjà fait à cette commission dans le
passé d'évaluer la crédibilité, cela
n'affecte en aucune façon les personnes qui sont ici devant nous.
Le Président (M. Cardinal): Mme le député de
L'Acadie, sur une question de règlement.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, sur une question
de règlement, je ne puis permettre qu'aux membres de la commission de
s'exprimer.
Mme le député de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, ce qui a
été dit mercredi soir dernier, est qu'il s'agissait d'un tribunal
qui jugeait les témoins. L'argument que j'ai avancé, pour ma
part, c'est que la commission devait être éclairée le mieux
possible en entendant les témoins et en leur posant des questions
pertinentes, non pas en les jugeant comme un tribunal qui appelle des
témoins, etc. Au contraire, on s'est même dissocié un peu
du mot témoin.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre. Oui, M. le
député de Taschereau. Et j'espère Madame et Messieurs les
députés, que vous ne prendrez pas trop de temps à cette
heure-ci. Lorsque je serai suffisamment informé, je vous le laisserai
entendre...
M. Charbonneau: Pour ma part, M. le Président, j'ai
terminé.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Taschereau.
M. Guay: M. le Président, j'aimerais simplement
préciser que j'ai bien souligné que l'étude de SECOR,
à maints égards, était une étude valable. J'ai
parlé du chapitre 6 et du chapitre 7 qui sont précisément
des chapitres qui ont fait l'objet d'un coulage à la Presse, ce fameux
samedi, où, d'autre part, SECOR présidait un atelier dont le
moins que l'on puisse dire les gens qui étaient là peuvent
en témoigner c'est que ça n'était pas un
modèle d'objectivité. C'est pourquoi j'ai demandé, et je
pose la question, justement, aux gens de SECOR, pourquoi on peut donner foi
à l'objectivité de leur chapitre 6 et de leur chapitre 7. Je
n'attaque pas les chapitres précédents.
M. Lalonde: M. le Président, question de règlement.
Le député de Taschereau récidive.
Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le
député de Marguerite-Bourgeoys et je voudrais tout de suite que
l'on termine.
M. Lalonde: J'espère que vous allez le rappeler à
l'ordre. Comment voulez-vous que les gens de SECOR se défendent contre
une accusation générale, non prouvée, disant qu'ils
auraient manqué d'objectivité lors d'une réunion il y a
quelques semaines. Ils sont ici devant nous et comment voulez-vous qu'ils
réfutent ça alors que c'est une affirmation gratuite non
fondée? Je pense que c'est une façon indigne de la part d'un
député, surtout un député ministériel. On
dit que les oppositions se permettent des fois des écarts, mais dans ce
cas-ci, je pense que c'est tout à fait indigne et que vous devriez le
rappeler à l'ordre.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous
plaît.
En quelques mots. D'une part, vous savez que par mes fonctions, je ne
suis ni au Conseil des ministres ni à aucun caucus, ni à aucune
instance du parti, encore moins aux sommets économiques ni autres
sommets. Je n'ai donc pas une connaissance personnelle de ce qui a
été déposé et de ce qui a été dit
à cette rencontre de Pointe-au-Pic. La seule connaissance que j'en ai,
c'est un document qui a été déposé par un
témoin de cette commission à l'occasion d'une audition. Je ne
suis donc pas en mesure de juger du bien-fondé de la parole et je
n'ai pas dit l'accusation du député de Taschereau.
D'autre part, à cette commission, le député de
Taschereau, comme les autres députés, jouit de privilèges,
parce que ce sont des privilèges accordés en vertu des articles
63 et suivants de la Loi de la Législature.
S'ils veulent aller plus loin dans leurs affirmations, c'est à
eux de les prouver. Tant qu'ils s'en tiennent à ce qui a
été dit ce soir, je n'ai pas à convoquer de commission de
l'Assemblée nationale; je n'ai qu'à demander au
député de Taschereau, dans les quelque 30 secondes qui lui
restent, de revenir au sujet, s'il vous plaît!
M. Guay: J'ai posé une question. Mme Lavoie-Roux:
Laquelle?
Le Président (M. Cardinal): Si M. le député
de Taschereau n'a rien à ajouter, si ces messieurs veulent
répondre. Ce n'est pas un droit de réplique.
M. Allaire: Pardon?
Le Président (M. Cardinal): Ce n'est pas un droit de
réplique. Je m'excuse pour ma voix. Après le nombre d'heures et
de semaines... Je vous en prie.
M. Allaire: Disons qu'il s'agit, quand même, de situer un
certain nombre de faits. M. Pierre Lor-tie, qui était président
d'une firme quelconque en novembre ou octobre dernier, a accepté la
présidence du comité d'organisation du congrès de la
chambre de commerce; en aucun titre, il n'agissait au nom de SECOR
là-dedans, puisqu'il n'y travaillait pas.
M. Lortie s'est joint à SECOR au mois de mars. M. Lortie ne
connaît rien du dossier de la langue. M. Lortie, sur le dossier de la
langue, a été consulté comme un tas d'autres personnes
dont nous faisons mention à la première page. Il n'a aucune
incidence sur ce document particulier, puisqu'il arrive, depuis quelques mois,
dans une entreprise qui travaille depuis deux ans sur ce sujet.
Il est un peu désolant d'essayer de faire des liens entre les
deux. Nous sommes trois auteurs du rapport qui sont essentiellement Roger
Miller, moi-même et Marcel Côté. Il serait peut-être
préférable que, dans toute intervention publique au
Québec, les gens soient de complets eunuques politiques. Ce n'est
malheureusement pas le cas dans certains instances, mais, dans ce cas-ci, la
contribution de M. Lortie est au même niveau que celle de M. Latouche,
qu'on a consulté pour avoir des avis, toutes sortes d'opinions
divergentes et diverses sur le sujet. Tout cela ensemble a été
pris en considération, mais c'est nous qui avons rédigé le
rapport et SECOR, en aucune façon, n'était responsable de ce
colloque apparemment aussi extraordinairement biaisé, auquel je n'ai pas
assisté personnellement, M. Lortie agissant à titre personnel
dans l'organisation de ce colloque.
Le Président (M. Cardinal): Ceci étant dit... Sur
quel sujet, M. le député de Taschereau?
M. Guay: Une dernière question, tout simplement.
Ce qui me porte également à douter un peu du chapitre VI
et du chapitre VII, c'est cette affirmation suivant laquelle vous dites: "Au
cours de l'enquête, nous n'avons pas demandé, d'aucune
façon, aux entreprises ce qu'elles entendaient faire si la
législation était adoptée, sans amendements ou
après amendements. Nous avons préféré
évaluer en fonction des critères objectifs que je n'ai pas
trouvés les comportements des entreprises". C'est cela qui me
porte également à trouver étonnants un peu le chapitre VI
et le chapitre VII.
M. Allaire: Ce n'est pas étonnant si toutes les
données recueillies sont présentées. Quant à ne pas
demander l'opinion des gens, cela va de soi qu'on ne voulait pas demander aux
gens qui sont là-dedans: Qu'est-ce que vous pensez? Qu'est-ce que vous
allez faire? Cela n'a aucune valeur. On voulait des données relativement
quantitatives pour situer ces entreprises, présenter ces grilles. Vous
pouvez différer d'opinion avec nous quant à la probabilité
d'ajustements quelconques, mais les chiffres sont là; on peut les
débattre et on peut en discuter. On les a tous présentés,
grille après grille, pour tous les secteurs, de sorte que vous puissiez
les interpréter autant que je puis les interpréter.
M. Guay: Les critères objectifs?
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous
plaît! Il n'y a pas de débat.
M. Guay: Ce n'est pas un débat, M. le
Président.
Le Président (M. Cardinal): De toute façon, le
temps est écoulé. Messieurs, nous avons commencé cette
audition à 20 h 12. Une audition, c'est 90 minutes, si je sais bien
compter. Et même si cette horloge officielle est souvent folle dans le
temps qu'elle indique, je pense que et là, je ne juge aucun
député, aucun membre, aucun témoin il est
malheureux qu'on écoule le temps en fin de soirée sur une
question de règlement. C'est tout ce que j'en dis. Je ne parle pas du
fond de la question. Je voudrais bien que tout le monde m'entende bien et me
comprenne bien, me comprenne peut-être mieux qu'il ne m'entende.
Ceci étant dit, je veux remercier M. Doyle, ses collègues
de la chambre de commerce, les représentants de SECOR qui
l'accompagnent, à la fois, comme je l'ai mentionné pour d'autres,
de leur patience, de leur travail, de la façon dont ils ont
présenté leur mémoire et dont ils ont répondu aux
questions.
Messieurs, merci.
M. Grenier: M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): Un instant, s'il vous
plaît.
Il est malheureux que nous n'ayons pas plus de temps, mais à
moins d'un débat de procédure qui prendrait le reste du temps, je
ne peux accorder aucune seconde de plus.
M. le député de Mégantic-Compton.
M. Grenier: Vous aviez antérieurement accordé, en
certaines occasions, à certains dossiers dont j'ai été
témoin, quelques minutes à nos invités qui étaient
là pour faire un court exposé à la toute fin.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Mégantic-Compton, le temps est amplement dépassé.
Cependant, suite à votre suggestion, je vais
accorder, encore une fois, non pas une réplique, mais un
très bref mot de la fin d'un seul des représentants de la Chambre
de commerce, s'il vous plaît.
M. Doyle: M. le Président, je ne pense pas qu'il y a
beaucoup à ajouter à ce que nous avons déjà dit,
par nos représentants. Nous sommes très heureux d'avoir eu
l'occasion de comparaître devant vous, les membres de la commission, de
présenter notre mémoire, nos recommandations de la chambre qui,
comme j'ai dit tantôt, a été conçu et
élaboré indépendamment de l'étude que nous avons
commanditée de la maison SECOR. Nous sommes très heureux d'avoir
eu l'occasion non seulement de présenter notre mémoire, nos
recommandations, mais d'avoir eu l'occasion également de
présenter l'étude de SECOR, leurs recommandations, leurs
constatations. Je suis sûr que je parle pour tous les membres de notre
délégation et pour les 200 chambres qui participent à
notre vie de Chambre de commerce au Québec ainsi que nos 31 000 membres
individuels. Nous sommes très heureux d'avoir eu l'occasion de
présenter ces recommandations et nous espérons fortement que le
gouvernement, les membres de l'Opposition et ceux des autres partis politiques
vont l'étudier sérieusement et prendre en considération
toutes ces recommandations pour que le législateur arrive finalement
avec une loi qui ne va pas seulement accomplir le but voulu, mais qui sera
faite d'une manière que ce soit efficace, une loi qui ne va pas
créer trop de problèmes au point de vue économique et
social. Je vous remercie.
Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Doyle. Merci aux
représentants de la Chambre de commerce.
M. Létourneau: M. le Président, excusez-moi...
Le Président (M. Cardinal): Oui.
M. Létourneau: Si vous permettez, avant de clore,
seulement une remarque. Nous avons fait faire certaines recherches dans un
domaine particulier, nous croyons que nous devons en faire part à la
commission, avant de nous quitter, dans le domaine démographique.
Le Président (M. Cardinal): Non, je regrette, non je ne
puis pas. Je suis lié par une motion... Un instant, s'il vous
plaît! Un instant!
M. Lalonde: M. le Président...
Le Président (M. Cardinal): Un instant, M. le
député de Marguerite-Bourgeoys! Vous savez qu'il s'est produit un
incident, l'autre soir, et que M. Fox, en dehors du temps qui lui était
imparti, a demandé la parole. Je ne puis le faire, parce que ce n'est
pas moi qui ai ce droit, c'est la commission et, a moins d'un consentement
unanime de tous les membres de la commission dont j'ai les noms devant moi, je
dois terminer cette audition. Est-ce que ce consentement est
accordé?
M. Grenier: Oui, accordé. Mme Lavoie-Roux:
Accordé.
Le Président (M. Cardinal): Accordé, monsieur. Je
m'excuse, mais je dois procéder ainsi.
M. Charbonneau: M. le Président, est-ce que...
Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le
député de Verchères.
M. Charbonneau: ...je pourrais demander au témoin,
à M. Létourneau, si les documents écrits, les textes
additionnels que vous avez à produire...
M. Létourneau: Pas à ce moment-ci.
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M.
Létourneau. Est-ce que je peux vous demander de combien de temps
vous...
M. Létourneau: Deux minutes.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. M.
Létourneau, vous avez la parole.
M. Létourneau: Simplement pour dire, M. le
Président, que nous avons fait faire certaines recherches dans le
domaine démographique concernant la présence francophone au
Québec et nous avons découvert nous pourrons confirmer
cette affirmation subséquemment par écrit, s'il le faut
qu'à notre avis, le nombre des francophones au Québec va
continuer d'augmenter pendant encore au moins quarante ans, même dans les
conditions difficiles que nous connaissons de dénatalité ou enfin
de problèmes de natalités, si on peut dire.
Et ceci, à moins qu'il y ait, évidemment, des choses
absolument imprévues qui se produisent, comme un exode des francophones
du Québec. Nous croyons que la loi 22 et la loi 1 ont
réglé le problème de la croissance, si on peut dire, ou la
menace dont on a parlé des anglophones au Québec, parce que ce
grand problème se situait au niveau des allophones. Les allophones
étant dorénavant intégrés au système
francophone, nous croyons qu'à ce moment il n'y a plus de raison de
craindre cette soi-disant domination future ou croissance future du groupe
anglophone aux dépens du groupe francophone au Québec. Merci, M.
le Président.
Le Président (M. Cardinal): Merci. Un instant, s'il vous
plaît! Ecoutez, je ne permettrai pas qu'on fasse un débat.
M. Charbonneau: Si je peux m'adresser à vous, est-ce qu'on
pourrait savoir du témoin vers quel moment on peut s'attendre à
avoir à notre disposition ces études démographiques qui
pour-
raient être, à notre avis, étudiées en
corollaire ou en comparaison avec le mémoire de l'Association des
démographes du Québec? Est-ce que vous pouvez nous indiquer
à quel moment vous prévoyez être en mesure de nous fournir
ces précisions?
M. Létourneau: D'ici, au plus, une dizaine de jours.
Le Président (M. Cardinal): D'accord, M.
Létourneau. Vous pourrez toujours vous adresser à la commission
par écrit, au secrétariat de la commission.
M. Létourneau: Merci beaucoup, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Alors, je vous remercie encore
une fois. Je regrette les petits incidents de la fin, mais je suis lié
par la commission, dont je ne suis pas le porte-parole, mais uniquement celui
qui doit voir à ce que tout se passe dans l'ordre et selon cette
démocratie que j'ai appelée très patiente. Merci.
Oui, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: M. le Président, j'aurais deux directives
à vous demander. La première, malgré vos remarques
déplorant le fait que les questions de règlement soient faites
aussi tard dans la soirée, est-ce que vous croyez c'est une
directive que je vous demande qu'il est bien fondé qu'un
représentant de la commission parlementaire soulève des questions
de règlement, lorsqu'il croit qu'un autre membre a recours à des
manoeuvres basses, quelle que soit l'heure, même 10 h 55?
Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Deuxièmement, j'avais, lors de mes remarques,
fait une suggestion. Je ne l'ai pas faite sous forme de demande directe au
ministre. Je sais que le ministre n'est pas obligé de me
répondre. Le député de Mégantic-Compton a concouru
à mes remarques, est-ce que le ministre a l'intention de suggérer
que cette commission étudie plus avant le mémoire de SECOR
à un autre moment?
Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez, je vais
demander au ministre s'il désire répondre. M. le ministre
d'Etat.
M. Laurin: Peut-être mercredi soir prochain.
M. Lalonde: Pourquoi pas jeudi soir? Une Voix: On veut que
vous y soyez.
Le Président (M. Cardinal): S'il vous plaît!
M. Lalonde: Alors, je comprends qu'ils vont être
convoqués pour mercredi soir.
M. Charbonneau: Veuillez inviter le député de Laval
également.
Mme Lavoie-Roux: Ils vont être convoqués pour
mercredi soir.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous
plaît!
Mme Lavoie-Roux: ... une motion pour être convoqués
mercredi soir.
Le Président (M. Cardinal): Je n'ai pas le droit de faire
de commentaire, alors je m'en dispense. Je remercie ceux qui sont devant nous.
J'invite immédiatement les porte-parole du Mouvement national des
Québécois, mémoire 41, à se présenter devant
nous. Oui, Mme le député de Marguerite-Bourgeoys.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, est-ce qu'il ne serait
pas bon que les invités qui partent sachent que l'invitation pour le
mercredi soir, ce n'est pas très sérieux?
M. Guay: Cela dépend de vous.
Le Président (M. Cardinal): Non, mais j'aurais autre chose
à mentionner quand même. Cela sera très sérieux. A
l'ordre, s'il vous plaît!
M. Chevrette: Mme le député de L'Acadie en a
déjà sorti des bien meilleures que cela.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! Nous ne sommes pas
mercredi soir, alors...
Mme Lavoie-Roux: Je vous reprendrai.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre. Je ferai remarquer
qu'il est impossible physiquement, matériellement, dans le temps que
nous entendions les représentants du Positive Action Committee,
mémoire 218, et les représentants du Comité anglophone
pour un Québec unifié, mémoire 186. Je puis les assurer
que s'ils peuvent être présents demain matin, à 10 heures,
ils seront privilégiés dans le temps. Pour ce soir, pour autant
que le principal puisse le faire, je vous donne congé et je demande aux
porte-parole, au singulier ou au pluriel, du Mouvement national des
Québécois, de bien vouloir identifier et leur organisme et ceux
qui les représentent. M. L'Heureux, vous avez la parole.
Mouvement national des Québécois
M. Généreux (Alain): Première correction,
c'est Alain Généreux.
Le Président (M. Cardinal): Pas l'Heureux.
M. Généreux: Cela m'arrive souvent. C'est un nom
qui ne me déplaît pas du tout.
Le Président (M. Cardinal): Parfait.
M. Généreux: Justement, je suis
précisément très heureux d'être ici ce soir. M. le
Président, madame, messieurs de la commission.
Préalablement, je tiendrais à vous présenter les
personnes qui m'accompagnent ce soir. Il y en a plusieurs. Je m'excuse de ne
pas les nommer toutes. Nous avons des représentants de chacune de nos
sociétés régionales, que ce soit des
sociétés nationales des Québécois ou
sociétés Saint-Jean-Baptiste, dans chacune des quinze
régions du Québec. Je m'excuse auprès de mes
collègues de ne pas les nommer. Je pense que ce serait très long
comme liste. Je tiens quand même à vous présenter les
membres du bureau du Mouvement national des Québécois. A ma
droite, la vice-présidente, Mme Ruth Paradis; à ma gauche, le
secrétaire du bureau du MNQ, M. Réginald Laver-tue; à sa
gauche, le trésorier, M. Marcel Chagnon. Je vous prie d'excuser notre
deuxième vice-président, M. François-Albert Angers, qui
est actuellement en réunion pour préparer sa présentation
de demain, et M. Léo Jacques, président ex officio, qui doit nous
rejoindre sous peu.
Le Président (M. Cardinal): Je vais vous
répéter les règles du jeu. Vous avez 20 minutes pour
présenter votre mémoire. Cependant, à 23 heures,
normalement, je devrais ajourner les travaux jusqu'à demain, 10 heures,
à moins que je n'aie un consentement unanime des membres de la
commission pour un temps déterminé. Alors, nous verrons à
23 heures comment régler ce problème.
Cette fois-ci, non pas M. L'Heureux, mais M. Généreux.
M. Généreux: Merci.
M. de Bellefeuille: M. le Président?
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Est-ce que nous pourrions demander à
M. Généreux d'identifier toutes les personnes qui l'accompagnent,
s'il vous plaît?
Le Président (M. Cardinal): Si vous le demandez, M.
Généreux est certainement...
M. Généreux: II me fait plaisir...
Le Président (M. Cardinal): ...porte un nom pour le
faire.
M. Généreux: Je ne voulais pas accaparer votre
temps, mais il me fait plaisir de le faire.
Le Président (M. Cardinal): C'est en dehors du temps qui
vous est imparti.
M. Généreux: Merci. Nous avons, de la
Société nationale des Québécois
d'Abitibi-Témiscamingue, M. Marcel Chagnon; de la Société
nationale des Québécois du centre du Québec, M.
Georges Dumaine; de la SNQ, Côte-Nord, non M. Dupuis est absent;
de la SNQ de l'Est du Québec, M. Réginald Lavertue; de la SNQ des
Hautes-Rivières, M. Denis Charbonneau; de la Société
nationale des Québécois de Lanaudière, je suis le
représentant, mais il y a également plusieurs
délégués je crois que nous en avons quatre ou cinq
nous avons M. Fréchette... De la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal, le président, M. Jean-Paul
Champagne; de la Société nationale des Québécois de
l'Outaouais... Est-ce que M. Côté est ici? Non, je pense qu'il
n'est pas arrivé. Egalement de la Société nationale des
Québécois de la région de l'amiante, quelqu'un a dû
s'absenter, compte tenu du changement d'heure, qui était ici cet
après-midi; de la Société nationale des
Québécois de la Capitale, MM. Brochu et Chouinard; de la
Société nationale des Québécois des Laurentides, M.
Yvon Leclerc, président; de la Société nationale des
Québécois de Richelieu-Yamaska, M. Jean-Louis Carufel, le
directeur général; de la SNQ, Saguenay-Lac-Saint-Jean, M. Lucien
Coudé, président, et Mme Ruth Paradis, vice-présidente; de
la Société Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jean, M. Germain Godin,
président; de la Société nationale des
Québécois des Cantons, M. André Martel.
Le Président (M. Cardinal): Merci, M.
Généreux. Donc, nous commençons à 22 h 10.
M. Généreux: Je vais essayer de passer des sections
du mémoire, je m'en excuse, pour peut-être garder plus de temps
pour la période des questions.
Le Président (M. Cardinal): Vous avez le même
avantage que j'ai offert au groupe précédent. Si vous
désirez que ce qui ne sera pas lu soit déposé en annexe,
vous n'avez qu'à en faire la demande.
M. Généreux: Je le demanderai immédiatement,
M. le Président, puisque j'avais l'intention, étant donné
la longueur du mémoire, de sauter un certain nombre de parties,
présumant et tenant pour acquis que les membres l'ont déjà
lu ou le liront.
Le Président (M. Cardinal): Sans jeu de mot, ça
vous est accordé généreusement.
M. Généreux: Merci. Nous y allons?
Une Voix: Allez!
M. Généreux: Le Mouvement national des
Québécois, fondé en 1948, sous le nom de
Fédération des SSJB du Québec, a toujours accordé
une très grande importance au débat concernant la situation du
français au Québec.
Plus que tout autre groupe organisé, avec la participation de nos
quinze sociétés régionales regroupant quelque 130 000
membres, nous avons tenté, par les moyens de la sensibilisation et de la
persuasion, d'assurer au français la place qui au-
rait dû lui appartenir naturellement dans les différents
secteurs de la vie collective au Québec.
A l'instar de plusieurs groupes soucieux d'améliorer la position
du français au Québec, nous avons dû logiquement, constater
l'impossibilité de corriger l'évident déséquilibre,
défavorable aux francophones, imposé par la minorité
anglophone, à moins que l'Etat n'assume sa responsabilité
particulière à l'égard de la langue.
Depuis la présentation de notre mémoire de 1969, le
Québec a eu droit à deux lois supposément destinées
à assurer cette place du français chez nous. Dans ces deux cas de
législations, au lieu d'affirmer le caractère français du
Québec et ainsi de prendre carrément parti pour la
majorité québécoise, les gouvernements concernés
ont fait preuve d'une attitude soumise, béate et bienheureuse face
à la dépendance socio-économique du Québec
vis-à-vis des entreprises et du capital étranger.
En agissant de la sorte, ces gouvernements, en consacrant le bilinguisme
au Québec, se basaient sur une conception erronée de la
société québécoise et maintenaient un état
de colonialisme linguistique que le Québec se doit absolument de
briser.
Nous avons donc combattu ces deux législations avec force,
législations qui, pour nous, constituaient des trahisons du peuple
québécois.
L'histoire ne nous démontre-t-elle pas que le Québec a
été maintenu dans ce colonialisme linguistique par la force, la
menace et la domination économique de la minorité anglophone du
Québec, aidée en cela par cet immense bloc anglo-canadien et
américain auprès duquel cette minorité s'alimente en
ressources humaines et dans lequel elle se fond naturellement et sans
effort?
Il nous apparaît urgent que ce colonialisme linguistique soit
brisé une fois pour toutes. Ceci ne peut se faire que par un
redressement radical de la situation, redressement se devant d'être le
résultat de la volonté politique de notre peuple et ne pouvant se
traduire que par l'action énergique de notre Assemblée
nationale.
A cause principalement de l'attitude soumise de nos gouvernements
antérieurs, le Québec souffre d'une intoxication massive de
bilinguisme dont il faut le libérer. Le Québec n'a pas à
être bilingue, ni binational.
Le Québec se doit plutôt d'affirmer courageusement et
énergiquement son caractère unilingue français. Pour nous,
un peuple ne peut prétendre accéder à sa pleine
souveraineté s'il ne sait s'affirmer et se faire respecter tel qu'il
est, dans toutes ses dimensions.
C'est donc dans cet esprit que le Mouvement national des
Québécois, bien qu'avec certaines réserves que nous
aborderons plus loin, appuie le gouvernement du Québec dans son projet
de loi no 1 et invite tous les Québécois, de quelque culture
qu'ils soient, à aider ce gouvernement à faire du Québec
un pays français où les droits individuels seront
respectés en même temps que ceux de la nation.
Cet appui du MNQ au projet de loi no 1, confirmé par toutes nos
instances de façon una- nime, se veut ferme et non équivoque,
tout en nécessitant une mise au point nous apparaissant fondamentale. Il
est, en effet, certain que ce projet de loi ne rejoint pas intégralement
nos positions selon lesquelles nous aurions préféré que le
gouvernement aille beaucoup plus loin dans sa logique, notamment en
matière de langue d'enseignement. Nous reviendrons, d'ailleurs, plus
loin sur ces divergences en termes de recommandations auprès de cette
commission.
Toutefois et nous voulons être bien compris sur ce point
nous nous réjouissons de cette volonté, manifestée
tout au long de la charte, de donner au Québec un visage vraiment
français. Nous sommes heureux de voir enfin notre gouvernement affirmer
la normalité de notre peuple et cesser de considérer comme une
fatalité historique cette notion pernicieuse d'un Québec bilingue
entouré de 200 millions d'anglophones.
C'est donc en ce sens que nous accordons notre appui au projet de loi no
1 que nous percevons comme un minimum que nous ne considérons pas
possible d'amender dans le sens d'un élargissement des droits de
l'anglais.
Quant aux principaux motifs de cet appui, nous considérons ce
projet de loi comme une consécration tout à fait justifiée
du fait français au Québec. Pour nous, le Québec a
toujours été un pays français, juridiquement et
historiquement. Ce n'est que par une domination économique du
conquérant que l'on a créé une espèce de mythe du
bilinguisme au Québec.
Nous ne voulons pas faire ici l'historique du français au
Québec depuis la conquête de 1760, ce que vous retrouverez d'une
façon fort convaincante demain dans le mémoire du Mouvement
Québec Français dont notre organisme est membre.
Par ailleurs, en affirmant ce caractère français dans tous
les secteurs de la vie des Québécois, ce projet de loi est
susceptible de mettre un terme à cette intoxication massive de
bilinguisme dont souffrait et souffre le Québec et qui ne pouvait mener
qu'à l'anglicisation graduelle et inexorable du Québec.
Depuis des générations, on nous servait certains lieux
communs, notamment que le Québec se devait d'être magnanime pour
ses minorités, qu'il ne fallait pas indisposer les capitalistes
étrangers, que les citoyens avaient le libre choix de la langue
d'enseignement, etc.
Lieux communs, disons-nous, qui ne pouvaient que favoriser
l'angiicisation du Québec.
Ces idées généreuses ne contribuaient qu'à
rendre de jour en jour plus inutile l'usage du français. Le
résultat en était qu'à l'inverse de ce qui se passe dans
tous les temps normaux, et ce bien souvent avec la complaisante acceptation de
la majorité, la minorité est demeurée unilingue, ne
sentant aucunement le besoin de connaître la langue nationale et devenant
ainsi totalement isolée dans notre communauté nationale tout en
la dominant. Pendant ce temps, notre majorité devenait de plus en plus
bilingue pour travailler et vivre décemment, à plus forte raison
pour réussir.
En outre, les lois antérieures n'ont toujours eu
pour effet, par leurs confusions et leurs ambiguïtés, que
d'élargir continuellement le fossé entre francophones et non
francophones. D'une part, à cause de la non-nécessité du
français dans la vie sociale et économique des non-francophones
et, d'autre part, à cause du rôle assimilateur de l'école
anglaise, ce fossé ne cessait de s'agrandir.
En faisant du français une nécessité de vie, ce
projet de loi permettra certainement un rapprochement, à long terme,
entre les différentes minorités ethniques du Québec et la
majorité francophone. Par cette loi nettement et franchement conforme
aux intérêts d'un Québec français, le peuple du
Québec saura certainement susciter le respect de ces minorités,
respect nécessaire à rétablissement d'une saine
collaboration de ces groupes au développement du Québec.
Le projet de loi no 1 nous apparaît également comme le
premier en la matière à reconnaître la langue
française comme un bien national du Québec. La langue peut en
effet être définie comme l'expression profonde de l'être
total, c'est-à-dire de l'être social, de l'être qui vit en
groupe, en collectivité, en communauté ethnique. Elle prend sa
source dans la source même de la collectivité: la
communauté nationale. Il est donc évident que la langue n'est pas
un droit individuel à l'exemple de la liberté de conscience ou de
la liberté du culte. Elle est essentiellement un bien national. Il est
donc essentiel que l'Etat protège cette langue, bien national des
Québécois et instrument de communication sociale.
Parce que plusieurs groupes ethniques cohabitent sur notre territoire,
il est impérieux que ce projet de loi soit adopté et surtout
scrupuleusement appliqué. Il est grand temps que nous cessions
d'être un peuple exploité culturellement et économiquement
et étranger dans sa propre maison. C'est en fonction de cette
anormalité de notre situation sur le plan linguistique que la
maturité de notre peuple commande à l'Etat
québécois de légiférer d'une façon aussi
complète qu'il s'apprête à le faire.
Il n'est donc pas humiliant d'adopter un tel projet de loi.
L'humiliation consisterait beaucoup plus dans le fait de ne pas
légiférer et de s'en remettre à cette espèce de
résignation qui nous a été imposée jusqu'ici.
Comme instrument de formation professionnelle, la langue doit aussi
être considérée comme un droit individuel, un bien
individuel. Ce droit individuel cède le pas devant le droit de la
collectivité. Penser autrement, c'est inverser l'ordre naturel des
choses.
Selon nous, l'argumentation selon laquelle ce projet de loi serait
contraire au respect des droits fondamentaux ne constitue qu'une
dernière manoeuvre pour tenter de culpabiliser les
Québécois et les amener à renoncer à cette
volonté collective de s'affirmer comme peuple français sur ce
territoire qui est le nôtre.
A notre sens, ce droit individuel ne saurait en aucun cas, et surtout
dans le cas d'un pays comme le Québec où cohabitent plusieurs
groupes ethniques, et où la langue de la majorité est
menacée de toute part, ce droit individuel, selon nous, ne saurait
jamais avoir préséance sur le bien collectif.
Il nous apparaît, en effet, évident que la logique commande
qu'aucun citoyen appartenant à un groupe minoritaire ne puisse imposer
sa langue à la majorité, ni la substituer à la langue
nationale du pays. Tout citoyen, quelle que soit son origine, a le devoir
strict d'étudier la langue nationale, de la parler convenablement et de
l'utiliser dans ses relations sociales et dans la vie économique.
N'est-ce pas l'ordre naturel des choses, dans un pays normal,
évidemment? C'est d'ailleurs de cette préséance du droit
collectif que ce projet de loi tire la légitimité de ses
dispositions. Il serait d'ailleurs temps que l'on cesse de taxer de
discriminatoire ce projet de loi.
Particulièrement en matière de langue d'enseignement, les
Québécois ne doivent pas se laisser impressionner par cet
argument de non-respect des droits fondamentaux de la personne. Il est de bonne
guerre que la minorité anglophone tente de dénoncer une
soi-disant non-concordance entre la charte du français et la Charte des
droits de la personne.
A notre avis, la charte du français ne fait que préciser
la portée de la Charte des droits et libertés de la personne en
matière linguistique. Rien, dans ce projet de loi, ne vient contredire
les droits fondamentaux de l'individu reconnu par le droit international. Il
est en effet totalement inexact de prétendre que le pseudo saint
principe du libre choix de la langue d'enseignement relève des droits
fondamentaux de l'individu. Ce pseudodroit est d'ailleurs expressément
contraire aux conventions internationales. Rappelons principalement la
Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de
l'enseignement, adoptée le 14 décembre 1960 par la
Conférence générale de l'Organisation des Nations Unies
pour l'éducation, la science et la culture.
Cette convention internationale empêche en effet
l'interprétation des droits fondamentaux comme signifiant ce libre choix
de la langue d'enseignement pour une minorité nationale et ce, par la
lettre même de son article 5c) 1 "qu'il importe de reconnaître aux
membres de minorités nationales le droit d'exercer des activités
éducatives qui leur soient propres, y compris la gestion d'écoles
et, selon la politique de chaque Etat en matière d'éducation,
l'emploi ou l'enseignement de leur propre langue à la condition,
toutefois, que ce droit ne soit pas exercé d'une manière qui
empêche les membres des minorités de comprendre la culture et la
langue de l'ensemble de la collectivité ou de prendre part à ses
activités ou qui compromette la souveraineté nationale".
La Cour européenne des droits de l'homme, dans un jugement du 23
juillet 1968, concernant la langue d'enseignement en Belgique a d'ailleurs
également nié ce droit au libre choix de la langue
d'enseignement. La cour spécifie même que la reconnaissance de ce
droit conduirait à des résultats absurdes, car chacun pourrait
ainsi revendiquer une instruction donnée dans n'importe quelle langue,
dans l'un quelconque des territoires. Il nous apparaît donc clairement
qu'aucune des dis-
positions du projet de loi ne vient brimer les droits fondamentaux de
l'individu. Le seul effet de la loi est de consacrer le caractère de
bien national au français en n'abolissant pas les droits individuels des
membres des minorités nationales.
Cette liberté de choix n'existe nulle part ailleurs dans le
monde, sauf dans le cas où une collectivité nationale serait
soumise à une domination politique qui établirait ce principe
dans le but de favoriser l'implantation de la langue de la nation humaine.
Il existe bien des pays qui ont des systèmes d'enseignement
parallèles, par exemple la Belgique, la Suisse, etc., mais cans ces pays
les enfants sont éduqués dans la langue maternelle de la province
ou de la région, sans que les parents aient la liberté de choisir
une autre langue d'enseignement à l'école publique. Ainsi, en
Belgique, en territoire wallon, l'enseignement se donne en français
tandis qu'en territoire flamand la langue d'enseignement est le flamand. Il ne
saurait être question de laisser aux parents la liberté d'imposer
ou de choisir la langue française pour enseigner en territoire flamand
ou vice versa, ce qui ne veut pas dire que la langue de l'autre groupe ne soit
pas enseignée. Elle est inscrite au programme à titre de langue
seconde. On retrouve d'ailleurs le même principe de répartition
scolaire en Suisse, pays multilingue.
Ceci nous amène logiquement à commenter les
prétentions de ceux qui voudraient rendre les classes anglaises
accessibles aux enfants dont les parents ont fréquenté
l'école primaire anglaise dans une autre province canadienne, même
s'ils ne sont pas domiciliés au Québec à la date
d'entrée en vigueur de la loi. Cet amendement ne saurait reposer sur
aucun fondement historique, ni juridique. Sur ce point, il importe d'abord de
ramener les choses dans leurs véritables dimensions et de
spécifier que la portée d'un tel amendement ne concernerait qu'un
nombre fort limité d'éventuels nouveaux venus qui soient vraiment
anglophones.
C'est ici qu'il faut être conscient que cet amendement accorderait
aux futurs arrivants de ces provinces, qu'ils soient anglophones ou
francophones, des droits que nous n'accordons à des gens qui sont
déjà domiciliés au Québec que par dérogation
à la règle générale de l'enseignement
français au Québec.
C'est en effet aberrant de voir ces gens qui ont toujours utilisé
l'école anglaise pour assimiler non seulement les immigrants, mais aussi
beaucoup de francophones, s'insurger et se prétendre brimés dans
le droit de la collectivité anglophone de croître
naturellement.
A cela nous répondons que si leur croissance naturelle doit
passer par l'assimilation à la minorité des nouveaux venus,
fussent-ils des Canadiens des autres provinces, la
générosité dont fait preuve le projet de loi actuel est
peut-être déjà démesurément grande.
Le MNQ se réjouit donc que le gouvernement, malgré les
pressions inexplicables, si ce n'est que pour des motifs inavouables, n'ait pas
cédé sur cette clause du domicile au Québec au moment de
l'entrée en vigueur de la loi pour les gens du reste du Canada.
Nous mentionnons ici un certain nombre d'observations en ce qui concerne
la langue de travail, d'administration, du commerce et des affaires. Je pense
que vous avez le document en mains. C'est vraiment une attitude d'appui. Si
vous me permettez, je vais sauter cette partie, pour conserver plus de
temps.
Je continue à la page 20. Tel que mentionné
précédemment, l'appui du MNQ est ferme en raison du fait que ce
projet de loi constitue pour nous un minimum. Nous tenons à insister ici
sur les divergences entre ce projet et la politique linguistique de notre
mouvement.
Pour ce faire, il y a d'abord lieu de vous faire part du document rendu
public le 24 janvier 1977 et intitulé "Politique du Mouvement national
des Québécois en matière linguistique". Si vous le
permettez, encore là, je vous réfère, c'est une
énumération du document rendu public et qui avait
été envoyé eux membres...
Le Président (M. Le Moignan): M. Généreux,
je vois que vous êtes d'une très grande
générosité. Normalement, il vous resterait deux minutes
pour énumérer vos points.
M. Généreux: J'achève. Ce sont nos
recommandations, si vous le permettez.
Le Président (M. Le Moignan): Très bien.
M. Généreux: Je passe la partie qui
répète la position de janvier dernier, qui est connue, je pense
bien.
Nous constatons d'abord que le gouvernement n'a pas retenu les quatre
premiers points de cette politique du mouvement, points également
recommandés par le MQF. Nous n'insisterons pas sur le fait que le projet
de loi no 1 ne se présente pas sous la forme d'une loi constitutionnelle
distincte, considérant que le gouvernement fait ainsi un choix
stratégique que nous aurions voulu différent.
Egalement, nous recommandions que l'article 133 de l'AANB soit
amendé, conformément à l'article 92-1 du même
article. Nous ne le retrouvons pas dans la loi. Donc, nous recommandons au
gouvernement d'inclure un paragraphe qui abrogera l'article 131 en ce qui
concerne le Québec, conformément à l'article 92-1. Quant
à l'argumentation, je vous réfère également au
texte ici, ce qui nous aurait semblé une stratégie beaucoup plus
logique et cohérente.
En matière de langue d'enseignement, notre position diverge
considérablement de celle proposée dans le projet de loi. En
choisissant le critère de la fréquentation scolaire des parents
pour déterminer l'admissibilité des enfants à
l'enseignement en langue anglaise, le gouvernement a certainement opté
pour la méthode la plus facile quant à son application
administrative.
Appréciant, par ailleurs, que le gouvernement ait ajouté
à cela le critère du domicile au Québec à
la date d'entrée en vigueur de la loi, nous déplorons
qu'il ne tienne nullement compte de la langue maternelle de l'enfant dont on
aura à juger de l'admissibilité à l'enseignement en
anglais.
Adoptant en cela la position du MQF, nous considérons qu'il
s'agit là de permettre l'accès à l'enseignement en anglais
à un nombre beaucoup trop considérable d'enfants dont la langue
maternelle n'est pas l'anglais. Le projet de loi reconnaît donc à
un grand nombre d'enfants francophones ou non anglophones, le droit à
cet enseignement en anglais. Nous nous retrouverons donc dans une situation
où perdurera la tendance assimilatrice de la minorité anglophone
envers une forte partie de la population québécoise.
Il y aurait donc lieu, selon nous, d'ajouter, aux critères de la
fréquentation scolaire d'un parent et du domicile lors de
l'entrée en vigueur de la loi, celui de la langue maternelle de
l'enfant.
Malgré toutes les objections apportées à
l'application de ce critère de la langue maternelle, nous demeurons
persuadés qu'il est possible de la déterminer à partir de
la langue commune de l'enfant. Encore là, je vous réfère
au mémoire du Mouvement Québec français.
Nous recommandons donc d'ajouter, comme critère
d'admissibilité à l'enseignement en anglais, celui de la langue
maternelle de l'enfant pour ceux qui n'ont pas encore entrepris des cours en
anglais.
Nous recommandons également que le sous-paragraphe i) du
paragraphe b) de l'article 52 du projet de loi soit modifié de
façon à rayer les mots "les mêmes droits cependant à
leurs frères et soeurs cadets".
Cette dernière expression ne concerne en réalité
que des enfants dont la langue maternelle n'est pas l'anglais. Pourquoi, alors,
leur permettre d'aller au secteur anglophone et ainsi de s'intégrer
à la minorité anglophone?
Nous ne voyons décidément rien, ni historiquement, ni
juridiquement qui puisse faire primer une supposée raison de la
non-séparation des familles sur l'intérêt collectif de la
majorité. Il faut tout mettre en oeuvre pour intégrer à la
vie communautaire de la majorité francophone tous ces jeunes qui ne sont
d'ailleurs pas des anglophones.
Nous ne croyons pas, en effet, qu'il s'agisse d'une
responsabilité collective de l'Etat d'éviter cette
séparation apparente des familles, mais bien plutôt d'une
responsabilité des parents. En ce sens, le projet de loi devrait donc
tendre à inciter ces parents, assumant leurs responsabilités,
à faire tout leur possible pour réintégrer au secteur
francophone le ou les enfants qu'ils auraient inscrits, par le passé, au
secteur anglophone.
Pourquoi pas, dans ce cas bien précis, l'unification des
familles, oui, mais par le français?
Tout en insistant auprès de la commission pour qu'il soit tenu
compte des recommandations contenues dans cette dernière partie, le
Mouvement national des Québécois réitère son appui
au projet de loi no 1 et incite le gouvernement du Québec à
demeurer ferme dans chacune des in- tentions consacrant le caractère
français du pays du Québec et contenues dans ce projet de loi. Je
vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Le Moignan): Je vous remercie beaucoup et
je crois que M. le ministre aura certainement quelques brefs commentaires. Je
n'ai pas à lui imposer de limite de temps.
M. Laurin: Merci, M. le Président. Je veux d'abord
remercier très sincèrement et chaleureusement le Mouvement
national des Québécois pour le mémoire
étoffé qu'il vient de nous présenter.
Je me réjouis, évidemment, de l'accord inconditionnel et
quasi total que le Mouvement national des Québécois apporte au
projet de loi du gouvernement. C'est pour nous un facteur de
sécurité. Il est bon de se sentir d'accord avec 130 000
Québécois qui ont toujours été à la fine
pointe du combat linguistique et de la promotion de nos aspirations et de nos
intérêts nationaux.
J'ai particulièrement apprécié l'appui que le
Mouvement national des Québécois apporte à l'unilinguisme
institutionnel que veut assurer, d'une façon ferme et définitive,
le gouvernement du Québec. On sait, en effet, que cette unilinguisme
institutionnel correspond beaucoup mieux que ce bilinguisme à saveur
coloniale qui était le nôtre jusqu'à présent
à notre réalité et à notre vérité
comme peuple.
Je me réjouis également de la discussion serrée que
contient votre mémoire sur cette pseudoopposition entre les droits de la
personne et les droits collectifs. Je suis d'accord avec vous pour dire que le
droit à la langue, bien sûr, peut constituer un droit individuel,
si on entend par là le droit qu'a toute famille d'élever, de
donner, d'impartir aux générations qui viennent l'héritage
de leur langue maternelle, mais ce droit est quand même limité
dans une société. Il est juste de dire qu'à un certain
niveau et à un certain moment, la langue devient un bien national. Il
faut, par la suite, bien comprendre que le maintien, l'affirmation de ce bien
national linguistique vient même appuyer le droit individuel, en ce sens
qu'il consacre la nécessité d'une langue commune qui permet
à chacun, y compris aux minorités, de participer à la vie
collective.
Vous avez bien raison de souligner que dans ce pays, qui sera
désormais unilingue sur le plan institutionnel, il sera beaucoup plus
facile aux minorités de se rapprocher de la majorité, de
s'intégrer à la vie collective, de participer au
développement du pays, mais aussi au bénéfice que le
développement de ses richesses permet à chacun.
Vous avez rappelé avec raison le témoignage de cette haute
autorité morale que constitue l'UNESCO qui, dans l'article 5 de sa
convention internationale, en 1960, reconnaît à la fois le droit
individuel linguistique, mais le limite, le tempère par l'articulation
qu'il en fait avec le droit collectif d'une majorité à voir
à procurer aussi à chacun des citoyens et à chacune des
minorités le meilleur apprentissage qui soit de la langue commune,
de la langue courante, de la langue collective, sans pour cela nuire en
rien au droit individuel, et bien au contraire, en évitant ainsi une
anarchie linguistique qui s'avérerait dangereuse pour tout le monde, y
compris pour les minorités.
Vous nous faites une recommandation en ce qui concerne l'article 52,
surtout pour les enfants qui ne sont pas encore à l'école. Vous
voudriez qu'on ajoute, aux critères que contient déjà le
projet de loi, un autre critère qui serait celui de l'identification de
la langue maternelle de l'enfant. Etant donné les effets probables de
cette loi, si elle est adoptée, on peut penser que la clause ou le
nouveau critère que vous suggérez ne réussirait
qu'à ramener à l'école francophone un nombre assez
réduit d'enfants. Et envisageant à l'avance toutes les
complications administratives par lesquelles il faudrait passer pour aller
récupérer ces enfants, je me demande vraiment si le jeu en vaut
la chandelle. C'est une question que je vous pose. Je vous en poserai aussi une
deuxième. Ne croyez-vous pas qu'en nous orientant dans cette direction,
tôt ou tard nous aboutirions, de mesures en vérifications, en
allégations de preuves, à revenir à cette formule des
tests qui, à juste titre, a été tellement
décriée? Voilà donc les deux questions que je vous
pose.
M. Généreux: Pour faire suite à votre
exposé, je vais y aller directement avec les questions que vous nous
avez posées. En ce qui concerne cette recommandation de
réinsérer dans la loi le critère de la langue maternelle,
il est clair, en ce qui nous concerne, que nous ne croyons pas à
l'application de tests. Nous en avons fait l'expérience depuis
l'adoption de la loi 22. Cela a contribué à élargir
toujours ce que nous avons appelé, dans notre mémoire, le
fossé entre francophones et non-francophones. Nous croyons qu'en
définissant la langue maternelle comme étant la langue commune de
l'enfant vous l'avez dit vous-même en présentant votre
question cela ne concerne finalement qu'un nombre limité. C'est
pour les jeunes qui ne sont pas déjà inscrits au secteur
anglophone, donc pour le niveau de la maternelle ou de la première
année.
Au point de vue des complications administratives, cela ne nous
paraît pas insurmontable. On crée une exception, en termes de
dérogation à un principe général de la loi du
français, langue d'enseignement au Québec. C'est un droit qu'on
va aussi donner par la suite aux descendants de ces gens. A ce moment, cela
devient, à la longue, un nombre considérable de personnes, de
Québécois qui seront concernés par cette loi. Cela rejoint
l'autre recommandation que nous faisons également en ce qui concerne les
frères et soeurs cadets. Ces gens ne sont pas encore dans le
réseau d'éducation anglais et, du simple fait qu'ils ont un
ainé qui s'y trouve, ils acquerraient un droit auquel ils n'auraient pas
droit en vertu du principe même de la loi no 1, et le transmettraient
à leurs descendants, par la suite. A ce moment, lorsqu'on compile les
deux recommandations, lorsqu'on les considère dans un tout, cela
concerne finalement beaucoup de gens qui n'appartiennent absolu- ment pas
à la communauté anglophone du Québec. Ce sont des
allophones ou des francophones, dans la plupart des cas.
A ce moment-là, cela concerne un nombre imposant, sur les
années à venir, sur la période des dix prochaines
années, de jeunes qui seront acceptés dans le réseau
scolaire anglais, contrairement aux principes mêmes de base de la loi 1.
La loi 1 pose le principe du français, langue d'enseignement et dit,
pour des raisons humanitaires, pédagogiques, ainsi de suite, que ceux
qui y sont déjà, d'accord, ils vont y aller; ils vont pouvoir
continuer, compléter leurs études dans l'école anglaise;
elle dit, également, pour les véritables anglophones du
Québec, d'accord, qu'ils y aillent. On les définit
administrativement comme étant ceux dont les parents ont
fréquenté... C'est un critère qui nous semble logique en
termes d'application administrative. Mais il faut quand même limiter ce
critère, puisqu'on se rend compte, dans la pratique, qu'il va toucher un
grand nombre de francophones et de non-anglophones. Nous disons, sans aller
dans l'ambiguïté, la confusion des tests et tous les conflits que
ça peut susciter: II est facile de connaître la langue commune
d'un enfant par des dispositions très simples, au moment de
l'inscription, et ça ne concerne, à ce moment-là, que ceux
qui sont à la maternelle ou à la première année.
S'ils sont anglophones, d'accord, il n'y a pas de problème. C'est la
langue commune. Là-dessus, nous sommes d'accord, à savoir que ce
qu'il faut éviter, c'est l'embûche de forcer, par ce biais, des
gens qui seraient non pas des anglophones, mais assimilés. Ceux qui sont
déjà assimilés par la minorité anglophone, nous
disons: Tant pis! Historiquement, nous avons accepté qu'ils le soient.
Assumons-en les conséquences. Mais ceux qui ne l'ont pas
été, tentons de les récupérer.
En dehors de la région métropolitaine, c'est quand
même important. Prenez un exemple comme ma région,
Lanaudière-Joliette; il y a tout près de 80% de la
clientèle scolaire où il s'agit de francophones. Ce sont des
francophones qui justifient l'existence d'une école anglaise à
Joliette. Est-ce que c'est logique? Cela nous paraît totalement
illogique, et est-ce que ces 80% de francophones qui sont déjà
là vont permettre à leurs "frères et soeurs cadets" d'y
aller dans les mois qui viennent? Est-ce que tout ce beau monde va transmettre
ce droit à ses descendants? C'est là où on dit: II y a un
accroc à la logique dans la structure même, dans l'ossature de la
loi.
Est-ce que ça répond à la question?
M. Laurin: Oui, très bien. Je reconnais que le
critère qu'a choisi le gouvernement est imparfait, mais, comme disaient
les Grecs: De deux maux, il faut souvent choisir le moindre. Là,
évidemment, c'est laissé à l'évaluation des divers
opinants, comme on dit en langage juridique, il faut éviter deux
précipices. Il faut, 'bien sûr, éviter certains
inconvénients, comme ceux que vous signalez et que nous signalait, cet
après-midi même, la Fédération des principaux du
Québec. Mais il faut aussi éviter d'autres précipices, des
situations acquises qui, lorsqu'on essaie de les redresser ou de les
ré-
parer, conduisent à des tensions sociales très difficiles,
ou encore qui amènent à faire peser, d'un poids très
lourd, l'appareil administratif de l'Etat dans le sens des tracasseries, ou
encore qui amènent le gouvernement à proposer, pour
réparer ce que vous venez de signaler, des mesures qui, même si
vous ne les appelez pas "tests", ou même si vous prétendez
qu'elles sont simples, doivent échapper quand même aux critiques
qui ont été faites aux tests, c'est-à-dire leur
caractère discrétionnaire d'une part et subjectif de l'autre.
Car lorsqu'on essaie d'établir des critères, malgré
l'apparence de facilité qui peut être donnée au
départ, on se rend compte, en fouillant davantage les procédures,
qu'il n'est pas facile d'éviter ces reproches ou ces
inconvénients de la discrétion ou du subjectivisme, mais encore
une fois, je reconnais avec vous que c'est une solution qui est imparfaite.
Peut-être le sont-elles toutes en l'occurrence.
Il s'agit pour le gouvernement de prendre celles qui causent le moins
d'inconvénients. Je reconnais d'ailleurs avec vous, comme vous l'avez
dit dans votre mémoire, que le droit des allopho-nes, en l'occurrence,
n'est fondé sur aucune preuve historique ou juridique. Au fond,
l'ajustement auquel consentirait le gouvernement est uniquement motivé
par des raisons sociologiques, humanitaires, si on veut les regarder dans leur
sens positif, et par des raisons de paix sociale à préserver ou
à rétablir, si on veut les considérer sous un angle moins
positif.
De toute façon, votre mémoire, comme beaucoup d'autres,
nous amène à reconsidérer ce problème. Il nous
apporte d'autres arguments; nous tenterons de les prendre en
considération.
Pour ma part, je n'ai pas d'autres questions.
Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez, avant
d'aller plus loin, techniquement, pour le journal des Débats, saluons la
présence de M. François-Albert Angers que vous avez
mentionné, mais qui n'était pas là au début, M.
Généreux.
Mme le député de l'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier
les représentants du Mouvement national des Québécois qui
sont venus à la commission parlementaire faire leurs
représentations sur le projet de loi no 1.
Je sais qu'ils n'en sont pas à leurs premières armes. Ils
sont déjà venus au moment de la loi 22. Ils sont venus à
l'occasion d'autres projets de loi. J'avais moi-même pris connaissance du
mémoire que vous avez envoyé au début du printemps, je
pense, vous en faites mention ici.
Une Voix: Oui.
Mme Lavoie-Roux: Evidemment, quand quelqu'un présente un
mémoire qui vient appuyer totalement la position du gouvernement, sauf
pour quelques modifications concernant la langue d'enseignement, parfois je me
demande quelle est l'utilité de poser des questions puisque tout le
monde est heureux dans le meilleur des mondes.
Néanmoins, je voudrais quand même vous demander quelle
place, croyez-vous, on doit faire aux minorités. Dans votre
raisonnement, vous vous dites: Une fois que tout le monde parlera
français, qu'il n'y aura que la langue française, les
minorités vont se rapprocher. Tout ira bien. Mais entre-temps, parce que
même si le projet de loi no 1 est adopté, ceci n'arrivera pas du
jour au lendemain.
D'abord, que considérez-vous comme minorités et quels
droits pensez-vous devraient-elles avoir au point de vue de l'enseignement, de
leur culture respective, de leur place et de leur intégration dans la
société?
M. Généreux: Je pense que la vie de toute nation
est basée d'abord sur ce qu'on appelle, nous, le bien national,
finalement. Une minorité doit vivre à l'intérieur d'une
structure nationale qui comprend une langue nationale; elle doit la
posséder, la véhiculer et communiquer avec cette majorité
à travers la langue nationale, comme dans tous les pays normaux du
monde. Les minorités seront les bienvenues au Québec... Elles le
sont. Je pense que de plus en plus le Québec s'ouvre à ces
gens-là, commence à réaliser qu'ils peuvent être un
apport au développement du Québec, à tout point de
vue.
Il importe d'abord, pour la majorité francophone, de
déterminer des règles du jeu qui soient claires et nettes,
franches, de leur dire également exactement où nous voulons aller
comme pays, de leur dire dans quel milieu de vie nous voulons vivre et de les
inviter à collaborer avec nous au développement de ce pays. Je
pense qu'il ne s'agit pas de brimer les minorités. On pourrait
peut-être faire une distinction entre anglophones et non anglophones dans
les minorités, si vous voulez tantôt. Je n'aime pas le terme
allophone; je n'aimerais pas me faire qualifier d'allophone. Je pense que ces
gens-là, que ce soit des Italiens ou toutes les minorités
ethniques du Québec autres qu'anglophones, doivent s'intégrer
à la majorité francophone et qu'il doit y avoir,
évidemment, une période de transition pour le faire.
A travers les mesures actuellement proposées dans le projet de
loi no 1 il est permis d'espérer non seulement dans la langue
d'enseignement, mais, à cause d'un milieu de travail français,
à cause d'une administration publique qui sera davantage
française, de les inciter naturellement à vouloir
s'insérer à la majorité et d'y trouver leur
intérêt. Toutes les collectivités du monde ont besoin
d'apports extérieurs. Nous continuerons d'en avoir besoin, mais que l'on
cesse des luttes sur une question aussi fondamentale que la langue au
Québec, que l'on clarifie les règles du jeu et ces gens-là
spontanément, je pense, viendront vers la majorité. Vous me
demandez: Quelle est la place des minorités? C'est fort difficile d'y
répondre et c'est tellement large.
Mme Lavoie-Roux: Vous disiez au départ: II faudrait
peut-être faire une différence entre la communauté
anglophone et d'autres communautés. Est-ce que vous pourriez
élaborer ce point?
M. Généreux: Je réfère principalement
au niveau de la langue d'enseignement. Le projet de loi no 1 fait une
distinction et l'on maintient des classes d'enseignement en anglais. Comme nous
insistons beaucoup dans notre mémoire là-dessus, nous ne le
considérons pas comme un droit fondamental. Le droit international dit
et c'est reconnu dans la convention que nous citons, dans le jugement de
la Cour européenne qu'il y a la langue nationale et qu'à
l'intérieur d'une politique de l'Etat, l'Etat peut reconnaître
à un groupe déterminé d'avoir un enseignement dans sa
langue. C'est dans ce sens-là, je pense, que le projet de loi maintient
le principe des classes anglaises. Il le fait, je pense, à ce
moment-là, pour des raisons historiques différentes des raisons
motivant notre attitude face aux autres groupes minoritaires du Québec.
Pour les autres groupes aussi, il doit y avoir des mécanismes
d'intégration à la communauté francophone majoritaire. Il
doit aussi y avoir une incitation pour les anglophones, car, même si la
loi permet des classes anglaises dans le domaine de la langue d'enseignement,
je pense que la minorité anglophone du Québec doit aussi sentir
ce besoin de vivre en français au Québec. C'est vraiment une
dérogation à la loi actuellement.
Mme Lavoie-Roux: Est-ce que vous maintenez le principe des
classes anglaises ou des écoles anglaises?
M. Généreux: Au niveau du Mouvement national des
Québécois, nous avons toujours été très
scrupuleux sur le terme. Nous parlons de classes anglaises.
Au niveau du présent débat, nous ne voulons pas
mêler toute la question de structuration scolaire, nous parlons de
classes anglaises et nous voulons nous limiter à ça. Pour le
moment, nous ne serions pas prêts à nous engager à
maintenir un réseau d'écoles anglophones.
Mme Lavoie-Roux: Une remarque que je voulais faire, c'est qu'en
page 14, au troisième paragraphe, sur la question de la langue
d'enseignement, vous dites: "II est en effet totalement inexact de
prétendre que le pseudo-principe de libre choix de la langue
d'enseignement relève des droits fondamentaux de l'individu." Enfin,
vous avez toute une argumentation qui développe cette question de droits
fondamentaux. Je dois vous dire que les groupes qui sont venus ici, même
les groupes anglophones, n'ont pas fait valoir le libre choix en fonction de
ces droits fondamentaux de l'individu. L'argument qu'ils ont davantage mis de
l'avant a été que les francophones devraient être
suffisamment en sécurité, l'épanouissement de la
vitalité du français etc. Je ne me souviens pas que les gens
aient utilisé, dans les mémoires qu'ils ont
présentés à la commission, cet argument, et je vois que
vous le développez pendant près d'une page. Ce n'est vraiment pas
un argument qui a été développé par les groupes
anglophones qui sont venus ici.
M. Généreux: Je ne veux pas vous contredire, je
n'ai malheureusement pas assisté à toutes les
délibérations, mais je sais que, dans l'opinion publique et dans
les interventions publiques, plusieurs groupes ont continuellement fait
référence aux droits fondamentaux de l'individu et il nous
apparaît important de clarifier ce point-là.
Je pense que, depuis des années, au Québec, finalement il
ne faut pas s'en cacher, le débat linguistique a toujours
été limité, presque uniquement, à la question de la
langue d'enseignement. Dans ce sens, il nous apparaissait important de
clarifier cet aspect.
Mme Lavoie-Roux: A un autre endroit de votre mémoire,
j'avais indiqué la page 7, mais ça ne semble pas
être à la page 7 vous parlez de la domination
économique. Vous rattachez le problème de la langue à
celui de la domination économique. Je pense que tout le monde s'entend
pour dire qu'il faut que le français soit la langue
générale d'usage et de communication au Québec, etc. Moi,
j'aimerais savoir de vous, en admettant que cet objectif soit atteint et
même selon les termes où vous l'entendez, enfin, il ne resterait
plus de préoccupation linquistique, est-ce que ceci sera suffisant pour
se libérer ou lever cette hypothèque de la domination
économique, ou comment voyez-vous que nous pourrions lever la domination
économique?
M. Généreux: Je crois que vous êtes sur le
point de m'entraîner dans beaucoup d'autres aspects des orientations du
mouvement. Je pense que le développement du Québec se fait dans
(interrelation du social, du culturel, de l'économique et du politique.
Il s'agit ici d'une intervention législative dans un secteur bien
précis qui est linguistique.
Je pense que le Québec doit intervenir dans tous les secteurs et
dans la prise en charge de tous ces secteurs de développement. Il est
clair qu'on pourrait avoir les plus belles lois en matière linguistique;
si on laisse le développement économique du Québec sans
plus grande intervention de l'Etat, sans un contrôle plus conforme au
développement du Québec, je pense que ce serait leurrer la
population.
Il y a une interrelation entre le développement comme je le
disais tantôt social, politique, économique, culturel. Mais
je pense que, dans le projet de loi actuel, nous parlons de la question
linguistique. Cette interrelation n'est pas neuve. Elle existe depuis le
début; dans notre histoire, nous l'avons vécue tout au long.
On dit que la situation dans le secteur linguistique, celle que nous
vivons actuellement, découle de cette même interrelation qui a
toujours existé. Je pense qu'on n'a pas à se le cacher, le
développement économique n'a pas été assumé,
par le passé, ou du moins entièrement pris en charge par la
majorité francophone du Québec. Je ne voudrais pas donner de
cours d'histoire ici, mais c'est l'interrelation qui a toujours existé.
Une attitude positive et agressive dans le secteur de la langue va faciliter
des interventions dans la participation de la majorité francophone aux
niveaux économi-
que, social et politique et à l'inverse, c'est également
vrai.
Mme Lavoie-Roux: De toute façon, vous avez raison de dire
qu'il ne faudrait pas leurrer la population, à savoir qu'une loi
linguistique va lever les difficultés au plan économique.
M. Généreux: Je pense qu'elle va y contribuer
largement, par contre. Nous ne réglerons pas le problème
simplement par des politiques économiques non plus. Je ne voudrais pas
être mal compris sur ce point. C'est l'interrelation entre les deux que
nous devons toujours, toujours, toujours avoir à la conscience, avoir en
tête.
Mme Lavoie-Roux: En tous les cas, cela me rassure de voir que
vous voyez au-delà de la législation linguistique tout le
problème de la soi-disant domination économique. Quand bien
même on aurait 5% de plus de cadres francophones, dans le secteur de
l'économie, je pense que c'est une chose entre cela et lever
l'hypothèque économique.
M. Généreux: Quand nous aurons 50% de cadres
francophones additionnels, la loi no 1 ne sera peut-être plus
nécessaire dans le secteur de l'entreprise.
Le Président (M. Cardinal): Si vous le permettez, vous
avez tous entendu la cloche dans cette capitale du Québec. Il faut se
poser une question. Il reste présentement 27 minutes,
c'est-à-dire 5 minutes au parti ministériel, 12 minutes au parti
de l'Opposition officielle et 10 minutes au parti reconnu de l'Union
Nationale.
Un débat de 27 minutes, je sais que cela prend plus que cela.
Pour continuer, il me faut le consentement de cette commission et un
consentement précis.
A défaut de quoi, je devrai demander à nos invités
s'ils veulent revenir demain alors que nous reprendrons nos travaux à 10
heures. Je demande l'avis de la commission.
M. le député de Verchères.
M. Charbonneau: M. le Président, je pense que, du
côté ministériel, on pourrait épuiser le temps qui
était prévu par l'entente, c'est-à-dire que chaque parti
épuise son temps.
Le Président (M. Cardinal): Cela veut dire que vous
consentiriez qu'on continue?
M. Charbonneau: Qu'on continue jusqu'à
l'épuisement.
Le Président (M. Cardinal): Jusqu'à 23 h 30? M.
Charbonneau: Exact.
Mme Lavoie-Roux: Moi, je m'excuse, mais 23 h 15, M. le
Président.
Le Président (M. Cardinal): Si nous terminons à 23
h 15, cela veut dire qu'il faudra que des gens sacrifient...
Mme Lavoie-Roux: Nous, nous sommes prêts à en
sacrifier une partie.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. Alors, je ne fais
pas de procédure. Est-ce que Mme le député de L'Acadie
avait terminé ou si elle veut continuer?
Mme Lavoie-Roux: II ne me restait qu'une seule question.
Le Président (M. Cardinal): Etes-vous d'accord pour
continuer pendant quinze minutes avec nous?
M. Généreux: D'ailleurs, nous l'apprécions,
parce que les gens partent des quinze régions du Québec et nous
ne voulons pas revenir demain matin.
Le Président (M. Cardinal): A 23 h 15, les travaux seront
ajournés à demain 10 heures. Mme le député de
L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Voici la dernière question que je voulais
poser aux membres du Mouvement national des Québécois: Dans
quelle mesure avez-vous intégré, dans vos nombreuses
régions, des gens qui ne sont pas des francophones, mais qui
appartiennent aux minorités ethniques?
M. Généreux: Vous voulez dire dans nos structures,
dans le mouvement?
Mme Lavoie-Roux: Enfin, comme membres ou...
M. Généreux: Je dois admettre que c'est quand
même très restreint parmi nos membres, le nombre de
représentants des minorités ethniques.
Par contre, nous en avons de plus en plus et pour vous donner une
dimension de la politique actuelle du MNQ sur cette question, lors de notre
dernier congrès, les 3, 4 et 5 juin derniers, à Chicoutimi, une
résolution a été adoptée. Nous avions de vieux
règlements qui datent de plusieurs dizaines d'années où on
disait: Pour être membre d'une Société nationale des
Québécois ou de la Société Saint-Jean-Baptiste des
Québécois, il faut être un Canadien français du
Québec, etc., donc excluant les groupes minoritaires du
Québec.
En pratique, par tolérance, bien sûr, on avait
oublié ces règlements, mais ce n'était quand même
pas fait comme geste symbolique. Lors de notre dernier congrès, il y a
eu une motion unanime du congrès pour abroger ces règlements,
pour permettre d'intégrer comme membres du Mouvement national des
Québécois et de nos sociétés régionales des
Néo-Québécois et, beaucoup plus positivement c'est
la partie amendement au règlement pour enlever un peu de
poussière chacune des sociétés s'est
engagée, dans chacune des quinze régions du Québec,
à créer
un comité d'accueil ou un comité d'invitation qui va se
charger d'inviter les Néo-Québécois à venir vers
nos sociétés, à venir vers le Mouvement national des
Québécois, à participer pleinement à nos
activités pour les intégrer de plus en plus à la
majorité francophone du Québec et cesser de tenir pour acquis que
ces gens doivent aller à la minorité anglophone.
C'est une démarche très positive de notre dernier
congrès. C'est la volonté de chacune de nos
sociétés de la mettre en application et en oeuvre.
Mme Lavoie-Roux: Dans le moment, quel serait le pourcentage de
membres qui ne seraient pas des Canadiens français?
M. Généreux: Je regrette, je ne peux pas
répondre à cette question. Je sais qu'il y a ici un membre de la
commission parlementaire, qui est membre d'une de nos sociétés
régionales. Il y en a un pourcentage qui est sûrement infime,
peut-être quelques centaines ou un millier. Evidemment, c'est sous toute
réserve. Il est difficile de l'évaluer, mais il y en a un petit
peu dans chacune des sociétés régionales.
Mme Lavoie-Roux: Merci bien.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Gaspé.
M. Généreux: Peut-être une centaine par
région, qu'on me souligne. Cela en fait peut-être 1500.
Le Président (M. Cardinal): Alors, je dis à tous
que, tentant d'être juste, il reste à peine douze minutes et qu'il
y a encore du temps pour chacun des trois partis.
M. Le Moignan: Merci, M. le Président. Si j'obtiens des
réponses très brèves, alors, je pourrai poser des
questions très brèves.
Le Président (M. Cardinal): Je demande aussi la
collaboration des témoins qui seront ensuite libérés.
M. Le Moignan: Alors, il y a beaucoup d'aspects sur lesquels nous
sommes totalement d'accord. Je n'ai pas à énumérer les
objectifs que vous avez exposés pour un Québec français,
la langue du travail, le commerce. Il y a peut-être une petite
différence sur l'accessibilité dans le domaine de
l'éducation. Comme d'autres en ont déjà parlé, je
laisse tout cela de côté. J'en viens à deux pages de votre
mémoire où vous mentionnez la langue nationale. Je ne suis pas
trop certain si votre approche est d'ordre juridique, sociologique ou
politique. La question que je voudrais vous poser, c'est, au point de vue du
statut des langues, qu'est-ce que vous entendez exactement par langue
nationale? Si vous voulez me dire cela brièvement, je vous poserai une
petite question après.
M. Généreux: Je vais y aller très
brièvement. Pour nous, langue nationale, c'est la langue commune de la
majorité d'un peuple. C'est la langue qui sert de véhicule de
communication pour une collectivité donnée. Je pense qu'au
Québec il y a une collectivité bien définie dont la langue
commune, la langue d'usage est le français. Comme cette
collectivité est majoritaire, cela en fait la langue nationale. Donc,
partant de là, elle doit être la langue officielle, les autres
langues, quelles qu'elles soient, devenant ce qu'on appelle des langues
secondes ou des langues de groupes minoritaires ou autrement, nous n'y voyons
pas d'inconvénient. Mais, dans un peuple, il doit y avoir une langue
nationale.
M. Le Moignan: Maintenant, dans la commission Gendron, on lit
ceci: "D'autre part, d'un point de vue juridique, la langue nationale peut
être considérée comme appartenant à une
catégorie un peu moins élevée que la langue
officielle".
Désigner une langue ou des langues comme nationales par une loi
constitutionnelle ou ordinaire, c'est simplement attacher à ces langues
certains privilèges juridiques au profit de l'usager. Elles se trouvent
à recevoir de l'Etat une sorte de sanction, qui est purement
facultative, mais sans, pour autant, recevoir l'appui de ses ressources et de
ses deniers". Est-ce que vous acceptez cette définition?
M. Généreux: Oui. La problématique est
complètement différente. On parlait de l'approche: Est-ce qu'il y
a plusieurs langues nationales au Québec? C'était l'optique dont
il a été question à la commission Gendron, à
l'époque. Nous, nous parlons d'une langue nationale. Ce n'est pas du
tout la même problématique, la même approche. C'est pourquoi
nous disons: La langue officielle doit être celle qui sanctionne un
état de fait normal, qui est la langue commune des gens, la langue de la
nation québécoise. C'est pour ça que ce n'est pas du tout
la même problématique.
M. Le Moignan: Faites-vous une distinction entre langue nationale
et langue officielle?
M. Généreux: Pour nous, au Québec, nous n'en
faisons pas, puisque c'est la même dans les faits.
M. Le Moignan: Comme ça, il n'y a pas un ordre de
préférence pour aucune des deux, en somme. Vous les
identifiez...
M. Généreux: Quand vous parlez de langue
officielle, vous parlez d'un statut juridique consacrant un état de
fait.
M. Le Moignan: Mais, quand on dit, ici, qu'une a une
portée plus universelle, c'est au point de vue juridique seulement que
vous le voyez ou bien au point de vue...
M. Généreux: Nous pensons que, juridiquement,
historiquement, sociologiquement, il y a une
langue au Québec, la langue de la nation, qui est la langue
française, que l'on consacre, dans les lois, comme étant la
langue officielle.
M. Le Moignan: C'est très bien. Pour ma part, pour donner
une chance aux autres, c'est tout ce que je voulais vous demander.
M. Généreux: Est-ce que je peux me permettre? Je ne
voudrais quand même pas accaparer le temps des autres membres de la
commission. Il y avait un de mes collègues qui voulait intervenir, M.
Champagne.
Le Président (M. Cardinal): M. Champagne,
brièvement s'il vous plaît.
M. Champagne (Jean-Paul): Merci beaucoup. C'est sûr que
nous, le Mouvement national des Québécois, considérons la
loi 1 comme un minimum. J'espère, M. le ministre, que vous ne reculerez
sur aucun point. On considère peut-être que le chapitre sur
l'enseignement est déficient sur certains points. Vous avez des
articles, entre autres, sur les conditions d'admissibilité aux niveaux
primaire et secondaire. Nous considérons qu'au niveau du CEGEP et de
l'université, vous n'en parlez pas du tout.
Dans la région métropolitaine, entre autres, il y a des
CEGEP, Vanier et Dawson, où une bonne proportion d'allophones et de
francophones fréquentent ces CEGEP.
La question que je vous pose est la suivante: Avez-vous l'intention, en
deuxième lecture, d'ajouter certains articles pour corriger cet
état de fait, à savoir que, dans certains CEGEP et dans certaines
universités, la fréquentation est assez forte d'allophones et de
francophones au point de vue des conditions d'admissibilité et,
deuxièmement, peut-être de la langue d'enseignement?
Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez, M.
Champagne. Le ministre va probablement vous répondre, mais il n'est pas
tenu de le faire parce que le mandat de la commission est de poser des
questions aux témoins.
Le ministre d'Etat au développement culturel.
M. Laurin: La suggestion nous a été faite par
d'autres groupes, et elle est actuellement à l'étude.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
D'Arcy McGee, en vous demandant la même collaboration.
M. Goldbloom: Merci, M. le Président. Très
brièvement. M. Généreux, dans votre mémoire, vous
avez mis l'accent sur les droits collectifs, non pas pour la première
fois. C'est une position déjà prise par le Mouvement national des
Québécois.
J'aimerais vous demander: Dans votre esprit, qui doit déterminer
ces droits collectifs, qui doit les définir? Vous me direz
sûrement qu'il y a au Québec un gouvernement qui
légifère et, que par législation, il détermine les
droits et le comportement par rapport à la loi de tous les
Québécois, mais il y a derrière chaque gouvernement la
population toute entière, et j'ai un sujet un peu particulier qui me
préoccupe à cet égard, celui de l'enseignement de la
langue seconde.
Je ne reviens pas sur cette question de la nécessité pour
nous tous de pouvoir vivre et travailler en français au Québec,
mais voici la question précise que je voudrais vous poser par rapport
à cette notion générale de définition, de
détermination des droits collectifs. Si par exemple, la population du
Québec, en très forte majorité je ne parle pas de
51%, parlons des deux tiers, des trois quarts, d'une très forte
majorité voulait, sur le plan personnel, se faire bilingue,
voulait obtenir du système scolaire un enseignement très
répandu et assez poussé d'une langue autre que le
français, outre le français, quelle serait l'attitude du
Mouvement national des Québécois?
M. Généreux: Pour la première question, qui
doit définir les droits collectifs? Il m'apparaît que c'est
l'Etat, bien sûr, en se basant sur la volonté populaire. Nous
voyons quand même qu'il se dessine actuellement une volonté
populaire qui légitime l'intervention de l'Etat à ce moment-ci de
notre histoire. Pour ce qui est de la question plus particulière que
vous posez sur l'enseignement d'une langue seconde, par hypothèse, et
même pour être très pratique, allons-y avec l'anglais.
Moi, je dis qu'il faut nettement faire la distinction entre langue
d'enseignement et enseignement des langues. Lorsque nous parlons
d'accessibilité aux classes anglaises, nous parlons de langue
d'enseignement. A partir du moment où l'Etat constate que la langue
française est un bien national, un bien collectif, qu'il est dans
l'intérêt de la collectivité d'assurer le principe du
français langue d'enseignement au Québec, c'est une chose
à laquelle nous souscrivons. Lorsque nous parlons de l'enseignement de
langue seconde, cela devient une question de critère utilitaire,
lorsqu'on parle particulièrement des francophones pour apprendre
l'anglais. Je pense que les anglophones, si on veut qu'ils s'intègrent,
ont l'obligation, eux, d'apprendre le français. Il y a des devoirs qui
correspondent à des droits qu'une collectivité donne à une
minorité. Par la suite, que des francophones aient besoin d'avoir un
très bon enseignement, qui soit de qualité, de la langue anglaise
ou de langues étrangères, je pense que c'est aussi une obligation
pour l'Etat de le leur donner, de le leur donner dans des conditions
utilitaires, pour des raisons utilitaires, et que cela ne vienne pas brimer
leur développement, la formation intellectuelle de l'enfant pour
l'empêcher de s'identifier à la collectivité, à la
majorité. Là, on peut évidemment discuter à quel
niveau cela devrait commencer, ainsi de suite, c'est une autre chose. Mais je
pense qu'essentiellement, dans le système d'éducation, l'Etat
doit faire en sorte que l'enfant, à travers la langue d'enseignement,
s'identifie à la collectivité; dans un deuxième temps,
qu'on lui enseigne une langue étrangère
pour la question de l'utilité, on est conscient qu'on vit en
Amérique du Nord et qu'ils en auront besoin.
M. Goldbloom: M. Généreux, j'aimerais vous demander
une simple confirmation. De vos réponses antérieures, j'ai
déduit que quand vous parlez de la volonté populaire qui
sous-tend l'action de l'Etat, du gouvernement, cette volonté populaire
pour vous est celle de l'ensemble de la population, quelle que soit son
origine.
M. Généreux: Oui, je pense que l'ensemble de la
population est prête, même dans les groupes minoritaires, à
accepter cette réalité, au Québec, d'un Québec
français, d'un Québec en même temps respectueux des
minorités. Je pense que c'est un signe de maturité de la
majorité et des minorités concernées, même s'il y a
des objections, bien sûr. On va vivre l'expérience.
M. Goldbloom: Merci de votre réponse.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Châteauguay, en vous demandant, vous aussi, beaucoup de
collaboration.
M. Dussault: Merci, M. le Président. Il m'incombe de vous
remercier, messieurs et madame, du Mouvement national des
Québécois, d'être venus nous rendre témoignage ici
ce soir. Je considère que vous êtes des éclaireurs de notre
situation coloniale comme d'autres l'ont été aussi à cette
commission. Nous vivons une situation coloniale que vous avez décrite
comme d'autres l'ont décrite aussi. Et dans une situation coloniale on
ne guérit pas facilement, cela ne se fait pas du jour au lendemain. Dans
une situation coloniale, il y a ceux qui travaillent à nous en sortir et
il y a ceux qui retardent la décolonisation.
Cela fait parler des langages différents ici à notre
commission. Il y a, évidemment, des gens qui parlent le langage de ceux
qui veulent décoloniser et il y a les autres qui, inconsciemment,
involontairement bien sûr, parlent l'autre langage. Cela fait dire des
choses du genre: ce que le gouvernement met en place, c'est le prolongement de
ce qu'a fait le gouvernement précédent et probablement que le
prochain ira plus loin, c'est normal. J'ai entendu ça, ici à
cette commission, jeudi dernier. Au lieu de vouloir s'attaquer
profondément au mal, on préfère essayer de sauver le chou
et la chèvre. C'est le genre de langage qu'on entend malheureusement,
mais on s'en sortira avec le temps.
Je vous remercie beaucoup, encore une fois, de votre
témoignage.
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, cela
n'était peut-être pas prévu au programme, mais
peut-être qu'en trente secondes le député de
Joliette-Montcalm pourrait non pas dire le mot de la fin, mais dire un mot.
Très brièvement.
M. Chevrette: M. le député de Châteauguay a
très bien dit ce que je voulais dire. D'ailleurs, notre
préoccupation est d'abord une langue première qui est le
français et non la langue seconde. Donc, avec l'exposé du
député de Châteauguay, je suis très heureux qu'il
ait rectifié certains faits. C'est quelque chose que certains
députés de l'Opposition auraient intérêt au moins
à écouter.
Le Président (M. Cardinal): Si nos invités veulent
rester avec nous quelque 90 secondes, je vais terminer cette séance.
J'indique, à titre uniquement de renseignement, ce n'est pas un
appel, l'ordre du jour prévu pour demain: The Positive Action Committee,
mémoire no 218; Comité anglophone pour un Québec
unifié, mémoire no 186; Mouvement Québec français,
mémoire no 30; The Montreal Board of Trade, mémoire no 88;
Provincial Association of Catholic Teachers, mémoire no 1; Conseil pour
l'unité canadienne, mémoire no 72; Association des conseils en
francisation du Québec, mémoire no 197.
Je ne ferai l'appel qu'à 10 heures demain matin. Je prierais ces
gens, ces organismes d'être là à 10 heures.
Quant à nos derniers invités, M. Généreux,
ceux et celle qui vous accompagnent, merci, encore une fois, de votre travail,
de votre patience. Nous pouvons enfin vous rendre libres à cette
heure-ci. Vous pourrez ajouter un petit mot après, si vous le
désirez. Je voudrais aussi remercier deux personnes qui, aujourd'hui,
m'ont aidé au cours de cette journée, le député de
Châteauguay qui, à l'occasion, et en vertu du règlement, me
remplace et tout particulièrement le député de
Gaspé.
Il est rare qu'un curé remplace un cardinal. Est-ce un signe des
temps?
Sur ce, M. Généreux, encore une fois, je m'excuse de
répéter souvent. Chaque nouveau groupe qui vient devant nous,
c'est la première fois, sauf ce qu'on a connu dans le passé, non
pas une réplique, mais un bref commentaire avant que je n'ajourne.
M. Généreux: Très brièvement, une
première chose que j'ai omis de souligner au départ, c'est que
nous avons distribué ce soir une nouvelle version du mémoire, qui
est une réplique identique, sauf qu'elle est une copie plus propre. La
première, nous nous en excusons, n'était vraiment pas
présentable. Nous avons été bousculés dans
l'organisation du congrès.
Une deuxième chose, nous voulons insister de nouveau sur le
caractère d'appui très ferme du Mouvement national des
Québécois au projet de loi no 1, mais dans le sens d'un minimum
pour nous. C'est pourquoi nous nous y rallions et nous vous demandons de
n'accepter aucun amendement élargissant les droits de l'anglais ou d'une
autre langue que le français. Merci.
Le Président (M. Cardinal): Merci, M.
Généreux. Merci aux membres de la commission. Nous reprendrons
donc l'affiche demain matin à dix heures. Les travaux de cette
commission sont ajournés à demain, dix heures.
(Fin de la séance à 23 h 17)
ANNEXE 1
Mémoire
à
La Commission parlementaire de l'Education, des
Affaires culturelles et des Communications
sur
le projet de loi no 1 "Charte de la langue
française au Québec"
présenté par La Chambre de Commerce de
la province de Québec
Juin 1977
La Chambre de Commerce de la province de
Québec
La Chambre de Commerce de la province de Québec, fondée en
1909 et incorporée par une loi spéciale du Sénat du Canada
le 4 mai 1910, est une fédération de quelque 200 chambres de
commerce et boards of trade disséminés sur tout le territoire du
Québec et regroupant quelque 31,000 membres individuels.
De plus, la Chambre groupe, au titre de membres corporatifs, près
de 2,600 entreprises, sociétés et associations de toutes natures
et de toutes tailles opérant au Québec et dont le support et
l'adhésion volontaires rendent possible la vie de l'organisation.
Les buts de la Chambre de Commerce de la province de Québec sont:
a) Favoriser le progrès économique, civique et social au
Québec; b) Promouvoir l'essor de l'industrie et du commerce; c)
Soumettre aux autorités gouvernementales, para-gouvernementales et
autres des propositions visant à atteindre les buts
énoncés plus haut; d) Promouvoir le développement des
membres affiliés ainsi que l'unité et l'harmonie dans leurs
actions d'intérêt commun; e)Appuyer les membres corporatifs dans
les démarches d'intérêt commun.
Introduction
La Chambre de Commerce de la province de Québec veut, par les
présentes, apporter sa contribution la plus positive possible aux
débats qui entourent la présentation du projet de loi no 1,
intitulé "Charte de la langue française au Québec".
Le gouvernement a déposé à l'Assemblée
nationale, au début de mai dernier, un nouveau projet de loi en
matière linguistique. C'est le troisième projet de cette nature
proposé en huit ans aux législateurs québécois.
Pour la troisième fois en huit ans, un débat passionné a
pris place autour de la situation du français au Québec et des
droits des Québécois en matière linguistique.
Le 14 avril dernier, suite à la publication par le gouvernement
du Livre blanc intitulé "La politique québécoise de la
langue française", nous avons adressé au ministre d'Etat au
développement culturel, M. Camille Laurin, nos commentaires sur ce
document. Comme cette lettre conserve, face au projet de loi 1, une bonne
partie de sa pertinence et pour éviter de nous répéter sur
certains points, nous l'annexons aux présentes (Annexe A).
Nous avons abordé ce projet de loi dans l'optique de l'homme
d'affaires québécois désireux avant tout d'un
environnement où l'on retrouve le plus possible d'équité
et de prospérité économique, conditions de base à
la paix sociale.
Ce point de vue nous a fait reconnaître des objectifs fondamentaux
de ce projet de loi et nous a amenés à en examiner les
modalités d'application dans une perspective d'efficacité par
rapport aux objectifs reconnus et de justice par rapport aux parties en
cause.
Enfin, nous avons voulu apporter une contribution essentielle à
l'examen du présent projet de loi en commanditant une étude
d'experts sur certains aspects qui nous apparaissaient de première
importance. Le résultat de ces travaux est annexé aux
présentes.
Support aux intentions gouvernementales:
Ces prémisses nous ont amenés à appuyer le projet
de loi lorsqu'il: a)Assure la promotion et la prédominance de la langue
et de la culture française au Québec; b) Protège et
améliore la qualité du français; c)Reconnaît les
limites du raisonnable dans une telle démarche en tenant compte de
situations d'espèce, dont celles des relations de l'entreprise avec
l'extérieur et des sièges sociaux d'entreprises dont les
activités s'étendent hors du Québec.
Nos observations, recommandations et propositions
d'amendements:
Nous nous sommes arrêtés ici aux principes et
modalités du projet sur lesquels il nous est apparu le plus important
d'apporter des amendements.
I.- Une modalité impraticable... surtout pour les p.m.e.
L'examen attentif des implications de l'article 37 nous a vite
convaincus que cet article pouvait donner naissance à un fardeau
administratif extrêmement lourd pour l'entreprise, surtout pour la petite
et moyenne entreprise.
Art. 37: II est interdit à tout employeur d'exiger pour
l'accès à un emploi ou à un poste la connaissance d'une
langue autre que le français, à moins que l'accomplissement de la
tâche ne nécessite la connaissance de cette autre langue,
conformément aux règlements adoptés à cet effet par
l'office de la langue française.
Il incombe à l'employeur de prouver que la connaissance de
l'autre langue est nécessaire.
L'article 4 prévoit déjà le droit pour les
travailleurs de travailler en français et l'article 112 obligera
l'entreprise à promouvoir l'usage du français. L'article 37
obligerait, à toute fin utile, toutes les entreprises à
rédiger une description de tâche pour tout employé qui a
besoin, ne serait-ce que fort occasionnellement, de connaître l'anglais
pour exercer ses fonctions. Or, les entreprises québécoises font
affaires avec l'extérieur du Québec dans une très forte
proportion et le nombre de communications que ces affaires entraînent
à tous les niveaux de l'entreprise est insoupçonné. De
plus, le Québec est exportateur et doit le devenir de plus en plus pour
survivre et progresser. Et la langue du client est l'anglais ou une autre
langue que le français dans la très vaste majorité des
cas. Cette réalité, jointe à celle de la très
grande fréquence de changement de postes et à la polyvalence des
fonctions, surtout dans les p.m.e., ferait de cette obligation une tâche
insupportable dans d'innombrables cas. En effet, décrire pour chaque
poste où c'est nécessaire, dans l'entreprise, le besoin de
connaître (parler, écrire, comprendre ou lire) l'anglais ou une
autre langue, établir cette liste conformément à des
règlements, la tenir constamment à jour et surtout accomplir cet
exercice en songeant qu'on devra en faire ia preuve devant un fonctionnaire,
voilà bien, en plus des nombreuses obligations nouvelles que cette loi
impose à l'entreprise, un autre summum de tracasserie administrative.
Nous sommes convaincus que de très nombreuses petites et moyennes
entreprises, même à direction et personnel francophones,
trouveront cette disposition de la loi franchement excessive. Et que dire
maintenant du nombre de fonctionnaires qui seraient requis pour
l'appliquer.
Compte tenu de ces situations et du fait que cet article n'ajouterait
qu'une efficacité bien marginale à la loi pour un coût
onéreux, NOUS RECOMMANDONS L'ÉLIMINATION DE L'ARTICLE 37. 2.-
L'accueil pour des gens dont nous avons besoin...
L'article 52 nous apparaît, dans sa forme actuelle, contenir des
dispositions de nature à nuire aux Québécois francophones,
tant sur le plan économique à court et long termes que sur le
plan de la connaissance de l'anglais comme langue seconde.
Art. 52: Par dérogation à l'article 51, peuvent recevoir
l'enseignement en anglais, à la demande de leur père et de leur
mère: a)les enfants dont le père ou la mère a reçu,
au Québec, l'enseignement primaire en anglais; b)les enfants qui,
à la date de l'entrée en vigueur de la présente loi, sont
domiciliés au Québec, et i. qui reçoivent
déjà, au Québec, l'enseignement en anglais à
l'école maternelle, primaire ou secondaire, le même droit
s'étendant à leurs frères et soeurs cadets; ii. dont le
père ou la mère est, à ladite date, domicilié au
Québec et a reçu, hors du Québec, l'enseignement primaire
en anglais.
Lorsqu'un enfant est à la charge d'un seul de ses parents, la
demande prévue au présent article doit être faite par ce
dernier.
Dans la mesure où le Québec veut maintenir et
développer: a) Des relations commerciales avec le reste du Canada et du
monde: b) Des entreprises de haute technicité sur son territoire; c) Des
centres de recherche de stature internationale; d) Des avantages comparatifs
comme site d'activités à rayonnement extra
québécois; e)Des sièges sociaux d'entreprises nationales
et multinationales; il faudra réserver ici un cadre d'accueil favorable
aux anglophones dont nous avons besoin, que nous invitons et recherchons
souvent et qui peuvent venir nous aider en ce sens. Tout comme des francophones
peuvent résister à l'idée d'envoyer leurs enfants à
des écoles anglaises, des anglophones peuvent refuser de venir au
Québec pour ne pas être obligés d'envoyer leurs enfants aux
écoles françaises. Il y a
souvent, dans ces attitudes, autant sinon plus d'émotivité
que de raison, mais il demeure que ces attitudes existent et sont une
réalité avec laquelle il faut compter.
L'obligation, créée par l'article 52a) à tous les
anglophones qui viendront au Québec, d'envoyer leurs enfants aux
écoles publiques ou privées donnant l'enseignement en
français, a déjà suscité des réactions fort
négatives en regard des objectifs que nous venons de mentionner.
En conséquence, NOUS RECOMMANDONS L'AMENDEMENT DE 52a).
L'amendement idéal serait, à notre avis, celui qui consisterait
à ENLEVER A CE PARAGRAPHE LES MOTS: "...AU QUÉBEC". Le minimum
qu'il nous semble logique et équitable d'accepter est de REMPLACER LES
MOTS: "AU QUÉBEC" PAR: "AU CANADA".
La souplesse des règlements afférents aux articles 32 et
58 pourra largement contribuer à atteindre les objectifs que nous visons
par cet amendement. ...et la connaissance de l'anglais pour les
francophones
Le ministre d'Etat au développement culturel et le ministre de
l'éducation ont déjà reconnu publiquement l'importance que
revêt pour les francophones la connaissance de l'anglais comme langue
seconde. Cette démonstration n'est plus à faire. Or, nos
constatations sont à l'effet que le système d'enseignement public
français ne sait pas, sauf de rares exceptions, apprendre aux jeunes
à communiquer adéquatement en anglais. Et nous ne croyons pas que
cette situation puisse changer avant plusieurs années même si le
ministre de l'éducation voulait mettre en priorité l'enseignement
de la langue seconde. Trop d'obstacles sont à surmonter, comme le manque
de professeurs compétents, l'attitude négative du corps
professoral face à ce type d'enseignement, et autres.
Par ailleurs, nous savons que la connaissance de l'anglais sera
nécessaire au Québec pour au moins encore plusieurs années
à venir pour poursuivre des études universitaires avancées
et occuper de hautes fonctions administratives, professionnelles et
scientifiques dans la plupart des disciplines.
En conséquence, NOUS RECOMMANDONS QUE L'ARTICLE 52 SOrT
AMENDÉ POUR PERMETTRE AUX PARENTS FRANCOPHONES QUI LE DÉSIRENT
D'ENVOYER LEURS ENFANTS A L'ÉCOLE ANGLOPHONE POUR UNE PÉRIODE
LIMITÉE, mais suffisante pour permettre une connaissance adéquate
de l'anglais. Nous croyons que cette formule d'immersion est le meilleur
substitut disponible actuellement pour pallier à cette lacune du
système francophone. 3.- Des pouvoirs discrétionnaires trop
grands à des fonctionnaires
Les articles 66 à 80 inclusivement, 95 et 116 à 119
inclusivement, concernant l'Office de la langue française lui donnent
des structures et des pouvoirs que nous ne croyons pas acceptables.
Tout d'abord, nous croyons que cet office devrait être
dirigé par un conseil d'administration et non par le personnage unique
qu'on appelle président et à qui l'on donne seul tous les
pouvoirs.
Ensuite, nous estimons que ces pouvoirs, particulièrement ceux
qui concernent l'entreprise, sont beaucoup trop vastes, importants et vitaux,
notamment à l'article 119, pour être exercés sans droit
d'appel.
En conséquence, NOUS RECOMMANDONS QUE L'ARTICLE 68 SOFT
AMENDÉ POUR CONFIER LA DIRECTION DE L'OFFICE A UN CONSEIL
D'ADMINISTRATION plutôt qu'à un président seul. De plus,
NOUS RECOMMANDONS QUE L'ARTICLE 119 PRÉVOIE UN DROIT D'APPEL DES
DÉCISIONS DE L'OFFICE. 4.- Des pénalités trop
sévères
L'article 106 prévoit des pénalités trop
rigoureuses pour l'entreprise qui ne se conforme pas à la loi. En fait,
ce sont des pénalités qui ne devraient même pas
exister.
Art. 106: Toute entreprise de cinquante salariés ou plus,
même d'utilité publique, doit, à compter de la date
déterminée conformément à l'article 109, pour
justifier de la possession d'un certificat de francisation
délivré par l'Office. Sous réserve de tout recours
pénal, l'entreprise doit justifier de la possession d'un pareil
certificat: a)pour avoir le droit de recevoir de l'Administration les permis,
primes, subventions, concessions ou avantages déterminés par
règlement du gouvernement, ou b)pour conclure avec l'Administration
ainsi qu'avec les services de santé, les services sociaux, les
entreprises d'utilité publique, les universités et les
collèges d'enseignement général et professionnel les
contrats d'achat, de vente, de service, de location ou de transport public
déterminés par règlement du gouvernement.
Tout d'abord, il y a ici des pénalités qui pourraient
signifier la fermeture de l'entreprise, telles celle concernant le droit de
recevoir des permis de l'Administration et celle concernant la permission de
conclure des contrats d'achats avec l'Administration et notamment avec les
entreprises d'utilité publique (ex.: électricité et
téléphone). Il nous apparaît exagéré d'aller
jusqu'à des peines aussi capitales à l'entreprise pour
contravention à une loi linguistique. Et que dire de l'effet de ces
sanctions sur les employés de l'entreprise. Nous ne connaissons aucune
loi au Canada et peut-être même en Amérique qui
délègue à l'exécutif, en pareilles
circonstances, un tel pouvoir de sanction habituellement dévolu à
l'appareil judiciaire.
D'aucuns pourront nous signaler que des pouvoirs semblables à
certains de ceux prévus à l'article 106 étaient aussi
prévus dans la Loi sur la langue officielle (Loi 22). A cela nous
répondons que la Loi 22 était une loi dite "compensatoire",
tandis que la Loi 1 serait une loi d'application universelle, ce qui change
normalement la nature des sanctions qu'on peut y attacher.
En conséquence, NOUS RECOMMANDONS L'ELIMINATION DE L'ARTICLE 106.
Au pire, nous croyons que l'on devrait EN RETIRER LES MOTS "LES PERMIS" AU
PARAGRAPHE a) ET LES MOTS "ENTREPRISES D'UTILITE PUBLIQUE" ET "D'ACHAT " AU
PARAGRAPHE b) TOUT EN AJOUTANT UN DROIT D'APPEL DEVANT LES TRIBUNAUX DES
DECISIONS DE L'OFFICE en ces matières. 5.- La "francophonisation", un
processus délicat
L'article 112 contient une série d'objectifs avec lesquels nous
sommes d'accord en général. Temporisés par l'article 113,
ces objectifs apparaissent raisonnables et de nature à contribuer
à corriger des situations où les Québécois
francophones ont été trop souvent brimés dans leurs droits
linguistiques et leurs ambitions légitimes.
Art. 112: Les programmes de francisation adoptés et
appliqués par les entreprises conformément aux articles ci-dessus
doivent permettre d'atteindre les objectifs suivants: a)une connaissance
satisfaisante de la langue officielle chez les dirigeants et le personnel;
b)l'augmentation du nombre de Québécois à tous les niveaux
de l'entreprise, y compris au sein du conseil d'administration et au niveau des
cadres supérieurs, de manière à assurer la
généralisation de l'utilisation du français;
c)l'utilisation du français dans les documents de travail de
l'entreprise, notamment dans les manuels et les catalogues; d)l'utilisation du
français dans les communications internes et dans les communications
avec la clientèle, les fournisseurs et le public; e)l'utilisation de la
terminologie française; f)l'utilisation du français dans la
publicité; g)l'utilisation du français comme langue du travail et
des communications avec le personnel.
Art. 113: Les programmes de francisation doivent tenir compte des
relations de l'entreprise avec l'étranger et du cas particulier des
sièges sociaux établis au Québec par des
sociétés ou entreprises dont l'activité s'étend
hors du Québec.
Le paragraphe b) de l'article 112 nous apparaît cependant ambigu.
D'une part, nous interprétons l'objectif visé comme étant
celui d'assurer à tous les niveaux de l'entreprise la présence de
personnes pouvant utiliser le français pour communiquer. L'utilisation
du terme "Québécois", ici tout comme dans le premier paragraphe
du préambule du projet de loi, semble oublier qu'il y a des
Québécois anglophones unilingues. Autrement, ce paragraphe perd
son sens comme élément favorisant une présence
francophone. Il faudrait, à notre avis, corriger cette
ambiguïté évidente.
D'autre part, l'article 113 ne fait qu'établir, en des termes
très généraux, la possibilité de tenir compte de
situations dont il est très important de constater qu'elles sont, en
définitive, à notre avantage. Encore une fois, nous devons
regretter de ne pas avoir en main la réglementation qui s'y rattache,
car seule cette réglementation peut nous donner le vrai sens de
l'article 113.
Nous devons donc nous en référer sur ce point au "Livre
blanc" pour évaluer les intentions gouvernementales. Ce qu'on y a
trouvé au sujet de la "présence francophone" dans les entreprises
dit: "... refléter dans leur personnel, à tous les niveaux et
dans toutes les fonctions, la composition ethnique de la population
québécoise". ("La politique québécoise de la
langue", Mars 1977, p. 70 de la 1ère édition, p. 61 de
l'édition revisée et corrigée).
Il s'agit d'un sujet bien délicat. Fixer des objectifs de
proportionnalité à la "composition ethnique de la population"
dans la composition du personnel d'une entreprise et ceci, en plus, "à
tous les niveaux et dans toutes les fonctions", pourrait présenter des
difficultés pratiquement insurmontables, tant dans une entreprise dont
le personnel est plus que proportionnellement anglophone que dans une
entreprise dont le personnel est plus que proportionnellement francophone. Et
que dire maintenant de ce que cela pourrait signifier dans la fonction publique
québécoise qui est loin de refléter la composition
ethnique de la population.
Que l'on tende le plus possible de part et d'autre vers un meilleur
équilibre est souhaitable. Mais nous craignons beaucoup sur ce point
toutes mesure coercitive, et ceci pour plusieurs raisons. Seules des mesures
incitatives pourraient être considérées.
En conséquence, NOUS RECOMMANDONS QUE LE PARAGRAPHE b) DE
L'ARTICLE 112 SOIT AMENDE POUR LE CLARIFIER DANS LE SENS DE "PRESENCE
FRANCOPHONE" ET QUE LA REGLEMENTATION AFFERENTE A L'ARTICLE 113 SOIT
SUFFISAMMENT SOUPLE POUR TENIR COMPTE
DES SITUATIONS QUE LES QUEBECOIS N'ONT PAS AVANTAGE A PERTURBER PAR DES
EXIGENCES TROP COERCITIVES. 6.-Consultation ou participation et
harcèlement
Les articles 114 et 115 introduisent un mécanisme additionnel qui
pourrait bien devenir inutilement encombrant et coûteux dans la
majorité des cas, en sus de tous les processus déjà
prévus pour la francisation de l'entreprise.
Art. 114: Toute entreprise de cent salariés ou plus doit, avant
le (date qui suit de trois mois l'entrée en vigueur de la
présente loi), instituer conformément aux règlements un
comité de francisation dont au moins le tiers des membres sont
nommés par les associations de salariés accréditées
pour représenter les salariés de l'entreprise; en l'absence de
pareilles associations ou d'entente entre les associations, ces membres sont
élus par l'ensemble des salariés de l'entreprise.
Les entreprises atteignant le chiffre de cent salariés
après la date de l'entrée en vigueur de la présente loi
disposent d'un délai de trois mois pour se conformer au présent
article.
Art. 115: A l'aide des formulaires et questionnaires fournis par
l'Office, le comité de francisation et la direction de l'entreprise
procèdent conjointement à l'analyse de la situation linguistique
de l'entreprise et font rapport à l'Office.
Les exercices d'évaluation de la situation linguistique d'une
entreprise déjà réalisés par ceux qui s'y sont
consacrés, suite à la "Loi 22", nous ont montré combien
complexe et laborieux était le processus dans plusieurs cas, même
lorsque confié à la responsabilité d'une seule personne
particulièrement bien préparée pour la tâche. La
création du comité suggéré retardera certainement
le processus et pourra soulever beaucoup de frustrations de part et d'autre.
Ses délibérations risquent fort de déborder dans le
domaine des relations de travail et de les compliquer. Dans les cas où
les entreprises sont francophones et fonctionnent déjà en
français, on devra procéder à sa création,
même si son utilité s'avérait à l'avance
négligeable. Par ailleurs, quelle occasion rêvée pour ceux
qui voudront s'en servir pour harceler l'entreprise. Enfin, il est bien connu
que le problème de francisation se pose bien plus au niveau des cadres
de l'entreprise qu'au niveau des employés syndiqués ou
syndicables. Voilà autant de raisons qui, avant même de mettre en
cause les droits de gérance et le fait que l'entreprise est seule
responsable du programme de francisation, mettent déjà en doute
l'opportunité de la création d'un tel comité; un
comité qui d'ailleurs risque fort de n'amener dans le processus de
francisation que retards, lourdeurs, coûts additionnels et
frustrations.
Nous reconnaissons par ailleurs comme très valable le principe de
consulter et d'informer adéquatement tout le personnel de l'entreprise
en cette matière comme dans toutes celles qui le concernent et
l'impliquent.
En conséquence, NOUS RECOMMANDONS QUE LES ARTICLES 114 ET 115
SOIENT ELIMINES. S'ils devaient ne pas l'être, il faudrait au moins
établir clairement que le comité est consultatif. De plus,
à notre avis, le délai de trois mois est trop court. 7.- Et les
droits de la personne!...
L'article 172 nous apparaît déplacé dans le contexte
de ce projet de loi.
Art. 172: L'article 52 de la Charte des droits et libertés de la
personne (1975, chapitre 6) est modifié par l'addition à la fin,
après le mot "Charte", des mots "ou à moins qu'il ne s'agisse de
la Charte de la langue française au Québec (1977, chapitre
insérer ici le numéro de chapitre du projet de loi no 1)".
Nous ne croyons pas que la Charte des droits et libertés de la
personne doive être subordonnée à la présente loi.
Les droits et libertés de la personne sont fondamentaux, plus
fondamentaux que les nouveaux droits linguistiques avec lesquels on veut les
mettre en opposition et pour lesquels on veut les suspendre.
En conséquence, NOUS RECOMMANDONS L'ELIMINATION DE L'ARTICLE
172.
Les travaux de SECOR Inc.
Comme nous l'avons indiqué au début de ce document, nous
avons commandité une recherche d'experts sur ce projet de loi.
Nous avons tout d'abord recherché des gens capables
d'exécuter ces travaux avec compétence et
célérité. Nous avons choisi SECOR Inc. parce que, depuis
deux ans, ce groupe a collaboré, à divers titres, avec la
Régie de la langue française, pour mettre au point les
mécanismes de francisation de l'entreprise. De plus, les services de
SECOR ont été retenus par le Conseil exécutif sous
l'ancien gouvernement et par le ministre d'Etat au développement
culturel sous l'actuel gouvernement, sur la base de leur expérience en
la matière.
Dans un deuxième temps, nous avons fait un appel à plus de
150 de nos membres corporatifs et à quelques autres
sociétés établies au Québec pour collaborer avec
SECOR dans ses travaux de recherche.
Le mandat que nous avons confié à SECOR est sommairement
le suivant:
Evaluer le projet de loi no 1, quant à ses principes, à sa
mise en application et à son impact économique, au chapitre de la
langue des entreprises;
Préparer des propositions d'amendements pour améliorer
l'efficacité générale de la loi dans sa mise en
application.
Nous nous sommes appuyés sur le résultat de ces recherches
pour justifier nos recommandations. Pour plusieurs d'entre elles, la
justification est d'ailleurs beaucoup plus élaborée dans ce
rapport. Nous vous transmettons en annexe le résultat intégral
des travaux de SECOR réalisés sans aucune intervention de notre
part quant à leur contenu à la suite du transfert du mandat.
A quand les règlements?
Nous devons regretter à nouveau qu'une législation soit
déposée sans être accompagnée de la
réglementation afférente. Pourtant, nous avions bien
insisté sur ce point lors d'une rencontre d'une délégation
de la Chambre avec le ministre d'Etat au développement culturel, M.
Camille Laurin, le 18 janvier dernier. M. Laurin s'était alors
engagé à déposer ces règlements en même temps
que la loi. Tel n'a pas été le cas. Ces règlements se font
toujours attendre au moment d'écrire ces lignes.
De plus, le dernier paragraphe de l'article 65 du projet de loi
prévoit que: "les règlements, déposés à
l'Assemblée nationale avant la date d'entrée en vigueur de la
présente loi, entrent en vigueur sans autre formalité à la
date de leur publication dans la Gazette officielle du Québec..."
Nous comprenons, d'une part, que cette mesure soit nécessaire
pour la mise en application ordonnée et telle que prévue de la
loi. Mais, d'autre part, elle permettrait, théoriquement, que de tels
règlements puissent être déposés la veille de
l'adoption de la loi et adoptés le lendemain en même temps que la
loi. Ce serait un procédé anti-démocratique et qui
ouvrirait la porte à une situation que nous avons souvent
dénoncée: la législation par réglementation. (Voir
notre mémoire à l'Assemblée nationale, en mai 1974,
intitulé "L'érosion du pouvoir législatif"). Nous
espérons que cette situation ne se produira pas et que les délais
normaux seront accordés pour permettre à tous les
intéressés d'examiner et de commenter ces règlements si
nécessaire.
Conclusion
Nos recommandations et l'éclairage nouveau qu'apportent les
travaux que nous déposons aujourd'hui seront reçus, nous
l'espérons, dans l'esprit avec lequel nous avons organisé ces
efforts. Cet esprit est celui d'une contribution positive pour une application
plus efficiente et moins coûteuse des objectifs que nous reconnaissons
valables de la Charte de la langue française au Québec.
Soumis ce troisième jour de juin mil neuf cent
soixante-dix-sept.
LA CHAMBRE DE COMMERCE DE LA PROVINCE DE QUEBEC
(ANNEXE) LA CHAMBRE DE COMMERCE DE LA PROVINCE DE QUÉBEC
500 rue St-François-Xavier^montréal H2Y
2T6téléphone 844-9571
Le 14 avril 1977
Dr Camille Laurin
Ministre d'Etat au développement culturel
Hôtel du Gouvernement
Québec
P.Q.
Monsieur le Ministre,
Dans votre "Livre blanc" sur la politique québécoise de la
langue française, vous reconnaissez aux corps intermédiaires et
plus particulièrement à nous des chambres de commerce un
rôle très important dans le redressement linguistique du
Québec.
Ce rôle, notre organisme l'assume déjà depuis
plusieurs années. En plus d'avoir débattu avec les
autorités les projets de loi soumis et appuyé les mesures
législatives adoptées, nous avons consacré beaucoup
d'efforts à faciliter l'application de ces mesures auprès de la
communauté des affaires.
Notre représentativité
La Chambre de Commerce de la province de Québec, de par son
membership et sa présence sur le territoire, est l'organisme le plus
représentatif des entreprises et des hommes d'affaires de toutes
catégories et de toutes les régions du Québec. Notre
intérêt y est d'abord celui de l'ensemble de nos membres
compabible avec le mieux-être de la collectivité
québécoise. Plus particulièrement, nous voulons apporter
dans ce débat les points de vue pratiques d'un secteur de la population
dont l'expérience est surtout faite de réalisations
concrètes d'idées par la gestion quotidienne des ressources
humaines et matérielles du secteur privé de
l'économie.
Nous vous savons gré d'avoir publié ce "Livre blanc" qui
nous donne l'occasion de dialoguer plus à fond avec vous des intentions
gouvernementales en matière linguistique. La présente vous
apporte les réactions, propositions et demandes de notre Bureau
exécutif.
Notre position
Dès le départ, nous affirmons que nous favorisons la
promotion et la prédominance de la langue et de la culture
française au Québec. Et nous entendons continuer d'appuyer toute
mesure que nous jugerons raisonnable pour promouvoir cette cause.
Précisons tout de suite que ces objectifs répondent au
Québec à des besoins très régionalisés, plus
particulièrement à Montréal et ses banlieues ainsi que
dans quelques agglomérations bien déterminées. Ailleurs,
c'est à toutes fins utiles un fait accompli.
Opportunité du présent débat
Votre décision de reprendre à pied d'oeuvre un laborieux
et délicat processus qui venait tout juste d'aboutir à la mise en
place de la Loi sur la langue officielle nous apparaît maintenant pour le
moins prématurée. Lorsque nous vous avons rencontré au
mois de janvier dernier, nous avions compris que votre action viserait
essentiellement à: 1.- Remplacer la formule des tests pour ce qui est de
la langue de l'enseignement; 2.- Accélérer le processus de
francisation des entreprises tout en clarifiant certains objectifs et en
prévoyant des exceptions suffisamment généreuses pour
permettre aux sièges sociaux d'entreprises nationales et multinationales
d'opérer au Québec sans inconvénient majeur ou susceptible
de les amener à songer à quitter le Québec.
Votre "Livre blanc" nous dévoile des intentions qui vont beaucoup
plus loin et nous sommes maintenant obligés de reprendre à sa
base un débat hautement chargé d'émotivité.
Voilà bien une chose qui ne nous apparaît pas comme une
priorité dans le climat économique où nous sommes
présentement. Alors que tous nos efforts communs devraient se concentrer
en priorité sur le développement, les investissements et la
création de nouveaux emplois permanents, nous voilà
engagés dans un débat difficile, qui rend le climat social
très tendu et qui n'avait pas le caractère d'urgence qu'il prend
de par sa seule existence.
Quelques amendements comme ceux que vous nous aviez dit vouloir
apporter, tels que décrits précédemment, auraient pu
être adoptés sans grands heurts et auraient permis de tester la
réelle efficacité de la "Loi 22". Notre évaluation de la
situation dans le milieu des affaires est que cette loi avait
déjà eu des résultats bénéfiques importants
et qu'elle en aurait encore beaucoup plus à terme.
Mais puisque tout le Québec et le Canada sont maintenant
plongés à nouveau dans un choc culturel qui, cette fois,
ébranle le pays jusque dans ses structures de base, nous devrons y faire
face en même temps qu'à plusieurs autres priorités fort
divergentes.
Nous passons donc maintenant à l'analyse de la situation de la
langue française au Québec.
Qualité de la langue
A l'examen du chapitre premier de votre "Livre blanc", disons tout
d'abord que nous avons été heureux de constater l'importance que
vous apportez à l'amélioration de la qualité de
l'enseignement du français et du français de manière
générale. Comme on peut le lire dans nos politiques d'action:
"Depuis quelques années, la Chambre constate une dangereuse diminution
de la qualité de l'enseignement du français écrit et
parlé au point que la capacité de conceptualiser et de
communiquer de toute une génération est en cause. L'Etat doit
apporter prioritairement son attention à cette situation." (Politiques
d'action 1976, C.C.P.Q., p. 35)
Nous vous félicitons d'avoir reconnu ce besoin.
D'autre part, nous avons observé d'autres passages de ce chapitre
premier qui nous ont laissé une toute autre impression. Nous y
reviendrons plus loin.
Langue de l'enseignement et la promotion des francophones
Ce qui nous frappe le plus dans vos propositions en cette
matière, c'est une conséquence à long terme que nous en
dégageons, à savoir: Seuls les anglophones auront toutes les
chances de leur côté pour être vraiment bilingues au
Québec.
Ni vous dans le "Livre blanc", ni le ministre de l'éducation dans
l'élaboration de ses objectifs ne situez dans vos priorités
l'importance d'améliorer la qualité de l'enseignement de la
langue seconde dans les écoles publiques francophones. Or, il est
évident que cet enseignement est déficient et ne sait, sauf pour
quelques exceptions, former des jeunes pouvant s'exprimer convenablement en
anglais. De plus, cette déficience, pour toutes sortes de raisons, dont
entre autres, l'attitude des enseignants, ne pourrait être
corrigée qu'à long terme et par une ferme volonté en ce
sens de toutes les parties impliquées.
Enfin, votre projet bloquerait hermétiquement toute
accessibilité à l'école anglophone (même
temporairement) pour ceux qui désirent choisir cette voie pour obvier
à cette déficience.
C'est condamner les Québécois francophones à
limiter leurs horizons nord-américains aux frontières du
Québec, alors que les anglophones québécois, ayant le
choix de l'école anglaise ou française, pourront devenir nos
seuls vrais bilingues. A cause de cela, ils pourront être beaucoup plus
mobiles et occuper les postes les plus importants dans les entreprises et
même dans l'administration publique chez nous. Car, il ne faut pas s'y
tromper, des réalités géographiques immuables et les
réalités démographiques, économiques et culturelles
étant ce qu'elles sont en Amérique du Nord, que nous soyons dans
un Québec canadien ou séparé, les chefs de file devront
parler l'anglais. C'est le cas présentement. Ce le sera encore pour
longtemps. A cet effet, une étude que nous venons de terminer en
matière d'exportation nous démontre clairement que le manque de
connaissance de l'anglais nuit considérablement aux hommes d'affaires
francophones québécois. Refuser à toutes fins pratiques
l'apprentissage adéquat de l'anglais aux francophones par les
systèmes public et privé d'enseignement, c'est, il nous semble,
les destiner à une position d'infériorité.
Langue de l'enseignement et "les autres"
Un autre aspect de vos propositions en matière de langue de
l'enseignement est, à notre avis, inutilement provocateur. Il s'agit de
celui qui vise à assimiler les anglophones des autres parties du Canada
à des immigrants (pp. 50 à 53). D'une part, il ne nous
apparaît pas que ce sont ces gens qui, présentement ou dans un
avenir prévisible, menacent la position du français au
Québec. D'autre part, cette mesure assurerait la
dégénérescence du système d'enseignement en langue
anglaise et deviendrait, de ce fait, une menace à la surveillance
culturelle des anglophones québécois.
Mises a part les questions d'injustice de ce processus pour les
anglophones, si nous accordons de l'importance à l'aspect négatif
de cette proposition, ce n'est pas pour nous faire leur porte-parole. C'est
plutôt parce que nous croyons que les conséquences d'un tel geste
seront négatives pour tous les Québécois.
Il est évident que cette proposition sème, chez les
anglophones, une grande insécurité, la peur et même la
panique pour quelques-uns. Il est probable que son adoption accentuerait leur
exode du Québec. Ceux qui partentsont normalement les plus mobiles, soit
les plus jeunes, les plus instruits, ceux qui ont les meilleurs talents et les
meilleurs revenus. C'est une perte considérable pour le Québec,
tant sur le plan économique que social, perte que nous ne pouvons nous
permettre.
Nous ne croyons pas que la majorité des Québécois
soit favorable à une telle coercition et, de plus, nous ne la croyons
pas nécessaire ou utile pour l'ensemble des francophones du
Québec. Au contraire, elle leur serait très nuisible.
La langue française dans l'entreprise.
Nous reconnaissons le besoin de faire une place plus équitable au
français dans la haute direction des entreprises,
particulièrement les grandes. Il y a certainement eu là des
injustices et des négligences graves. Ce sont des situations qui doivent
être corrigées même s'il y a eu des améliorations
très sensibles de ce côté depuis quelques
années.
Toutefois, certains des moyens que vous proposez à cet effet nous
apparaissent démesurés.
Il s'agit principalement des permis (p.45). Vos propositions auraient
pour effet de donner à l'Administration publique le pouvoir de retirer
un permis à une entreprise qui ne se conformerait pas à la
nouvelle loi sur la langue.
Or, d'un permis dépend la plupart du temps la possibilité
pour l'entreprise de fonctionner, c'est-à-dire de vivre. Avoir un
permis, c'est donc souvent une question de vie ou de mort pour
l'entreprise.
La peine capitale a été éliminée pour les
personnes physiques. Pourquoi continuer d'y avoir recours contre les
entreprises. Il y a bien d'autres moyens pour ramener les délinquants
à la raison.
La "présence francophone" dans les entreprises
Parlant de la "présence francophone" dans les entreprises, vous
leur suggérez de "refléter, dans leur personnel, à tous
les niveaux et dans toutes les fonctions, la composition ethnique de la
population québécoise" (p. 70). Par ailleurs, lorsque vous
abordez cette question du "reflet... de la composition ethnique de la
population" pour la fonction publique, votre proposition se limite à:
"La participation des Québécois de diverses origines à la
fonction publique du Québec" (p. 65).
Il nous apparaît que vous êtes ici beaucoup plus exigeant
pour les entreprises que pour l'Etat.
Il s'agit d'un sujet bien délicat. Fixer des objectifs de
proportionnalité à "la composition ethnique de la population"
dans la composition du personnel d'une entreprise et ceci, en plus, "à
tous les niveaux et dans toutes les fonctions", pourrait présenter des
difficultés pratiquement insurmontables, tant dans une entreprise dont
le personnel est plus que proportionnellement anglophone que dans une
entreprise dont le personnel est plus que proportionnellement francophone. Et
que dire maintenant de ce que cela pourrait signifier dans la fonction publique
québécoise qui est loin de refléter la composition
ethnique de la population.
Que l'on tende le plus possible de part et d'autre vers un meilleur
équilibre est souhaitable. Mais nous craignons beaucoup ici, toute
mesure coercitive, et ceci pour plusieurs raisons. Seules des mesures
incitatives pourraient être considérées.
Exemptions dans certains cas
Nous vous sommes reconnaissants d'avoir retenu l'importante
recommandation que nous vous faisions à ce sujet en janvier dernier.
Lorsque vous acceptez de "tenir compte des relations que l'entreprise peut
avoir avec l'étranger ainsi que du cas particulier que constituent les
sièges sociaux établis au Québec par des
sociétés dont l'activité s'étend hors du
Québec" (p. 44). Nous espérons que les exceptions que vous
accorderez permettront, entre autres, d'assurer à ces entreprises le
recrutement et la présence du personnel de toutes origines dont elles
ont besoin, soit dans leurs cadres ou pour occuper des fonctions très
spécialisées.
Quelques observations sur les données de base
Revenant au chapitre premier de votre "Livre blanc", nous
désirons faire trois observations des données de base qui y sont
présentées: 1.- Le premier sous-titre (p. 4) dit: "Si
l'évolution démographique du Québec se maintient, les
Québécois francophones seront de moins en moins nombreux". Le
texte qui suit ce sous-titre ne parle que de "fractions" ou proportions de
présence francophone au Canada et au Québec. Le sous-titre laisse
entendre que les francophones au Québec diminueront en nombre. Comme il
s'agit là d'un préjugé fort répandu, nous nous
devons d'éclaircir ce point. Les études démographiques que
nous avons consultées, originant de sources compétentes et
reconnues, démontrent au contraire que le nombre de francophones du
Québec, à moins d'exode ou de catastrophe imprévue, va
continuer d'augmenter pendant au moins les 40 prochaines années. (1)
Voilà une donnée fondamentale sur laquelle nous ne semblons pas
nous entendre et que nous aimerions examiner plus à fond avec
vous-même et vos experts. 2.- Sur le sujet de l'anglais comme langue de
communication dans les affaires, on lit: "L'anglais prédomine nettement
dans les communications générales de travail: 82% du total des
communications se font en anglais dans l'ensemble du Québec, 84%
à Montréal et 70% en province."
Référer à la version PDF page CLF-789
(*) Ces pourcentages, ainsi que tous ceux qui seront appelés
pourcentages généraux, correspondent au pourcentage global du
temps où le français est employé pour faire le travail;
par soustraction, on obtient le pourcentage du temps où l'anglais est
employé." (Rapport de la Commission Gendron, Tome I, page B-2).
On observe que ces pourcentages (82, 84 et 70) sont plutôt ceux de
l'utilisation de l'anglais par les anglophones. C'est là une erreur
importante sur l'appréciation globale que vous avez
présentée de l'utilisation du français en milieu de
travail au Québec. De tels chiffres, s'ils étaient vrais, sont
suffisants pour en faire frémir plusieurs. Nous avons depuis pris
connaissance d'un échange entre M. Ryan et vous-même à ce
sujet dans Le Devoir et avons été heureux d'apprendre que vous
corrigerez votre document. 3.- Un autre sous-titre se lit comme suit: "La
Confédération canadienne défavorise les francophones,
notamment au Québec". Le texte qui suit ce sous-titre ne nous semble pas
le justi-fier,particulièrement pour les francophones
québécois.
Voilà, à notre avis, une affirmation sur laquelle une
démonstration beaucoup plus serrée s'impose pour convaincre.
Application de la loi
Comme dernière remarque sur le "Livre blanc" de la langue, nous
notons qu'à moins d'apporter des amendements à vos intentions,
l'application de la loi qu'il propose sera bien difficile, sinon impraticable.
Elle irait à l'encontre de traditions et de besoins trop fondamentaux,
d'avantages acquis trop importants. Aucune loi ne peut être
appliquée de manière vraiment efficace en pareilles
circonstances. Nous faisons donc appel à votre bonne volonté et
à l'ouverture d'esprit que vous avez offertes dans cette discussion pour
reconnaître ces situations et nous espérons que vous accepterez de
reviser certaines de vos propositions en conséquence.
Il y a, monsieur le ministre, un certain nombre d'autres observations,
suggestions et alternatives dont nous pourrions faire état à
l'égard de la politique de la langue que vous venez de soumettre. Il
deviendrait fastidieux d'en poursuivre ici l'exposé. Aussi
espérons-nous que vous nous fournirez l'occasion de vous en entretenir
dans les meilleurs délais et de préférence avant le
dépôt du projet de loi. Nous pourrons en même temps revoir
avec vous le contenu de la présente.
De plus, nous recevons déjà et allons sans doute recevoir
encore plus de réactions de nos membres à ce sujet, ce qui nous
permettra sans doute d'ajouter à ces quelques propos.
Agréez, monsieur le ministre, l'expression de nos sentiments
distingués.
James N. Doyle
Président
La Chambre de Commerce de la province de Québec
(1) Références: -Statistique Canada, Projections
démographiques pour le Canada et les provinces, 1972-2001 (Ottawa:
Information Canada, 1974) p. 84 -Bureau de la statistique du
Québec, Perspectives démographiques pour le Québec: quatre
hypothèses 1973-1986-2001 (Québec: Ministère de
l'Industrie et du Commerce, 1976) - George W. Barclay, Techniques of Population
Analysis (New York: John Wiley & Sons, Inc., 1958) pp. 222-23. - Joseph
Spengler, Population Change, Modernization and Welfare (Englewood Cliffs, N.J.:
Prentice-
Hall, Inc. 1974) pp. 65-66 -Nathan Keyfitz, "On the Momentum of
Population Growth" 8 Demography (1971), pp. 71-80 - Joseph Spengler, Population
Change, Modernization and Welfare (Englewood Cliffs, N.J.: Prentice-
Hall, Inc., 1974) pp. 18-19 - Tomas Frejka, The Future of Population
Growth: Alternative Paths to Equilibrium (New York: John
Wiley & Sons, 1973) p. 231, Table B, et pp. 136-41, p. 105, Table
5-5.
ANNEXE 1A ANNEXE B
Mémoire de la Chambre de commerce de la
province de Québec
La Charte de la langue française et son
impact
Mémoire pour la Commission parlementaire de
l'éducation, des affaires culturelles et des communications
présenté à la Chambre de commerce de la province de
Québec
Yvan Allaire, Ph.D.
Université du Québec à Montréal
Marcel Côté, M. Se. SECOR Inc.
Roger Miller, D.Sc.
Université du Québec à Montréal
SECOR Inc. juin 1977
MERCI
De nombreuses personnes ont contribué à la
rédaction de ce mémoire. Daniel Latou-che et Pierre Lortie ont
contribué des idées, aussi différentes que
pertinentes;
Normand Daoust et Louise Leduc, des chiffres quant à l'importance
de la présence francophone dans les entreprises
québécoises; Richard Esposito, de nombreux
téléphones et une enquête auprès des
entreprises;
Johanne Rémillard, ses commentaires sur les articles de loi;
Hélène Marchand, beaucoup de talent pour coordonner;
Pauline Chevrier, Marie-Andrée Lefebvre et Johane Laplante,
beaucoup de patience et d'énergie pour nous permettre de respecter les
délais trop courts. Sans le concours de tout ce monde nous en serions
probablement encore au stade des grandes idées.
Avant-propos
Le chagrin et la pitié, l'amertume et l'espoir qui ont
fusé des conflits linguistiques au Québec depuis plusieurs
années ont inscrit cette question et ce débat dans la chair vive
de notre affectivité nationale. La charge émotive que contient
cette thématique, lorsque débridée, a produit des visions
mythiques stupéfiantes de la réalité
québécoise. En d'autres milieux, par contre, le problème
est escamoté par une analyse trop rapide et des réflexes
inspirés par un pragmatisme facile et souvent factice.
L'une et l'autre vision, les cris d'alarme des palefreniers d'Apocalypse
et les objurgations au "gradualisme modéré", ont valeur
fonctionnelle si elles incitent le législateur à une
synthèse éclairée. Autant le réalisme pratique de
l'homme d'affaires doit avoir du poids, autant on ne peut faire fi de la
sensibilité écorchée du poète qui crie son
désespoir. "Je dis que je suis atteint dans mon âme, mon
être, je dis que l'altérité pèse sur nous comme un
glacier qui fond sur nous, qui nous déstructure, nous englue, nous
dilue... Je dis que la langue est le fondement même de l'existence d'un
peuple"
(Miron)
Les deux font, et sont, des signes dans la sémiologie complexe du
débat linguistique québécois. Mais, dans ce débat
linguistique, il en va ainsi de tous les intervenants, à la fois
signifiants et signifiés, médium et message.
Aussi ne peut-on prétendre qu'au risque du ridicule qu'une
intervention quant à ces questions ne s'inspire pas (ne traduit pas,
devrait-on dire) de présuppositions ou de postulats en partie
déterminants. S'il est occasion où le positivisme scientifique
est caduque, c'est bien dans l'étude du problème linguistique
québécois. Aussi est-il sain (et pré-requis) de montrer
clairement de quel bois philosophique se chauffent les intervenants dans ce
débat. Avant donc d'aborder les étapes d'une démarche
souvent technique, ce mémoire débute par un énoncé
du Weltanschauung linguistique et des principes d'intervention auxquels nous
souscrivons et dont s'inspirent nos propositions de modifications de la charte
du français.
Ce schéma global de notre intervention bien établi, nous
en examinons les articulations. Une première partie fera le point quant
à la situation du français et des francophones dans l'entreprise
(chapitre 2). Un diagnostic juste et précis à cet égard
nous apparaît fondamental à la formulation de la loi. Vient
ensuite un chapitre où nous présentons notre analyse des
principes et objectifs qui ont servi à la confection du projet de loi 1
(chapitre 3). Plus spécifiquement, nous présentons
l'économie générale du projet de loi, les principes qui le
sous-tendent et la démarche de francisation qui en émanera selon
toute vraisemblance.
L'étape suivante consiste à formuler un scénario
modifié d'intervention. Du diagnostic quant à la situation du
français dans l'entreprise, des objectifs poursuivis ou que devraient
poursuivre une intervention dans ce domaine et des caractéristiques du
processus de francisation des entreprises, émanent un ensemble de
suggestions précises pour la modification du projet de loi 1. Ces
recommandations, et les entreprises originales du projet avec lesquelles nous
sommes en accord, forment ce que nous avons appelé un scénario
alternatif de la loi (chapitre 4).
Puis, nous tenterons de montrer comment s'insère ces
interventions législatives dans la réalité du
fonctionnement des entreprises (chapitre 5). Pour évaluer les
possibilités et les difficultés d'adaptation d'une population
aussi différenciée que celle des entreprises, nous avons
colligé des informations pertinentes sur les groupes suivants: 1.Un
échantillon aléatoire de 42 entreprises choisi parmi la
population des entreprises de plus de 500 employés au Québec
(N-333) 2.Tous les sièges sociaux situés au Québec (N-55)
pour les 105 plus grandes entreprises fonctionnant au Québec 3. Parmi
les centres de recherche industriels situés au Québec et comptant
plus de 15 ingénieurs ou scientifiques (N-30) selon le Répertoire
des centres canadiens de recherche développement industriels
1973 (Ministère d'Etat-Sciences et Technologie, Ottawa), nous
avons choisi au hasard 20 centres de recherche. 4. Parmi les entreprises de
plus de 500 employés au Québec et celles inscrites au "Survey of
Industrials" du Financial Post, nous avons identifié 19 entreprises
opérant dans des secteurs à haute technicité ou de
technologie de pointe. 5. Un groupe de 10 entreprises importantes du secteur
des services. Les entreprises choisies (bureaux d'ingénieurs-conseils,
courtiers en valeurs mobilières, services d'informatique, etc..) sont
caractérisées par un niveau élevé
d'activités à l'extérieur du Québec.
Armés de cette information, nous tentons, au chapitre 6, de
formuler un diagnostic quant au type de programmes de francisation qui
satisferait aux exigences du projet de loi 1 et à celles de notre
scénario alternatif. Cette analyse nous permet d'abord d'identifier dans
quelles situations et pour quels types d'entreprises, les adaptations seront
difficiles, voire impossibles. Elle permet ensuite de prévoir les
comportements des entreprises pour faire face à la nouvelle situation
juridique et montrer comment certaines modifications peuvent diminuer la
fréquence des adaptations coûteuses pour le Québec touf en
respectant l'obiectif fondamental de la loi.
Dans un septième chapitre, nous traduisons, autant que faire se
peut, les adaptations des entreprises en coûts économiques. C'est
là une opération téméraire que nous entreprenons
avec toute la sobriété et les réserves qui s'imposent.
Nous la croyons utile cependant afin de situer l'ampleur des
phénomènes dont nous aurons traité tout au long des
chapitres précédents. Cette évaluation des
conséquences économiques se fonde sur notre interprétation
des calculs strictement économiques que devront faire les entreprises
face à la loi. Ainsi nous ne tenons pas compte des réactions
émotives qui pourraient faire poser des actes qui ne seraient pas
conséquents à une analyse rationnelle des avantages et
désavantages de certaines décisions.
Nous traiterons aussi au chapitre 7 des conséquences de cette
intervention sur les petites et moyennes entreprises et sur les francophones
faisant carrière de cadres, avant de tirer des conclusions plus
générales pour clore ce mémoire.
En terminant cet avant-propos, nous voudrions brièvement indiquer
de quelle expérience nous nous inspirons pour intervenir dans ce
débat. Depuis septembre 1975, nous avons été
étroitement mêlés et identifiés au processus de
francisation des entreprises. D'abord à titre de conseillers du
Conseil
exécutif, nous avions la responsabilité de préparer
les instruments et formulaires que les entreprises auraient à utiliser
pour effectuer leur analyse linguistique. Puis en tant que conseillers
auprès de la Régie de la langue française, nous avons
proposé des principes directeurs, des programmes types de francisation,
des critères d'évaluation des programmes, enfin tout
l'appareillage nécessaire à l'intervention de francisation des
entreprises.
Ce mémoire est la distillation de cette riche
expérience.
CHAPITRE I
Concepts et principes d'action pour la francisation
des entreprises
La Charte du français propose que notre société se
donne comme projet collectif de faire du français notre langue commune;
c'est-à-dire que le français serve de code commun pour les
échanges entre Québécois et imprègne toutes les
activités dans notre société. Pour atteindre cet objectif,
la Charte propose des mesures touchant aux secteurs de l'éducation, de
l'administration publique, des ordres professionnels et des entreprises. Ce
mémoire ne porte cependant que sur les aspects de la Loi qui sont
pertinents aux entreprises.
Deux groupes d'articles dans le Projet de loi ont une incidence sur
l'entreprise: des articles qui font référence à ce que
nous appellerons la "langue des affaires" de l'entreprise et des articles dont
les stipulations touchent à la langue de travail au sein des
entreprises. Dans le premier cas, il s'agit d'amener l'entreprise à
franciser ses communications avec les résidents du Québec qui
sont externes à l'entreprise. Ceci inclut, bien sûr, la raison
sociale de l'entreprise, ses affiches publicitaires et toutes ses
communications orales ou écrites avec l'administration publique
québécoise, sa clientèle et ses fournisseurs situés
au Québec.
Nous en sommes et souscrivons sans réserves aux propositions
contenues dans le Projet de loi quant à la langue des affaires. Cet
appui s'étend aussi à la stipulation d'affichage unilingue qui a
suscité de vives réactions. Notre appui à cette mesure est
fondé sur une similitude conceptuelle évidente entre la
démarche de francisation des entreprises que nous favorisons (et dont
nous ferons état en détails plus loin). Une francisation
véritable des milieux de travail passe par un changement du climat
linguistique de l'entreprise. L'individu en situation organisationnelle
développe des réflexes linguistiques qui sont en partie
importante déterminés par les "signaux" que lui communique son
environnement par le truchement de l'affichage interne, des documents
officiels, de la terminologie technique, etc. C'est là un aspect
critique de notre conception de la francisation des entreprises. Ce concept
appliqué, mutatis mutandis, au cadre de notre société en
général, est un argument de poids en faveur de l'affichage
unilingue. En effet, une telle mesure contribue ainsi à créer un
climat "social" francisé propice au développement de
réflexes linguistiques qui sont requis pour que le français
devienne la langue commune de tous les Québécois.
Donc, notre mémoire porte essentiellement sur les sections de la
Charte qui touchent à la francisation de la langue de travail dans les
entreprises. Notre intervention à ce niveau s'inspire de concepts et
principes d'action, au nombre de cinq, dont nous devons faire état et
étalage de prime abord, puisqu'ils constituent le souffle et le
leitmotiv de notre mémoire. 1.Travailler en français: un droit
social 2. Un diagnostic précis de la situation 3. Principes
d'intervention pour la francisation des entreprises 4. L'entreprise respecte la
loi 5. Une loi claire, sans arbitraire et parcimonieuse
1. Travailler en français: un droit social
La Charte du français devrait déclarer dans un article 4
modifié "Tout Québécois a le droit de travailler en
français", instituant ainsi un droit social et virtuel pour les
Québécois et un engagement solennel du Gouvernement, et par
là, de notre société, à prendre les actions
permettant le libre exercice de ce droit. C'est là une notion de droit
qui est similaire au contenu de certains articles de la Déclaration des
droits de l'homme de 1948, entre autres, l'affirmation que "toute personne a
droit au travail..." (article 23) ou que "toute personne a droit à
l'éducation" (article 26).
Le Gouvernement du Québec, interprète et animateur des
aspirations de la société québécoise, doit proposer
les interventions nécessaires à l'exercice de ce droit au travail
en français. Les Québécois doivent donc disposer d'une
vaste gamme d'options de travail qui leur permette, s'ils le désirent,
d'oeuvrer leur vie durant essentiellement en français. Pour ce faire, le
Gouvernement peut agir sur plusieurs fronts, dont la francisation des
entreprises. En conséquence d'un diagnostic précis de la
situation, le Gouvernement peut, s'il le juge à propos, inviter
formellement et juridiquement les entreprises à prendre des mesures de
francisation selon les principes et des modalités appropriés
à l'objectif poursuivi et à la situation du français dans
les entreprises.
Cependant, ce droit est virtuel et s'applique à la
société québécoise dans son ensemble et non
à chaque situation de travail prise en particulier*. "Dans la
perspective de la personne, il s'agit moins de droits à protéger
contre la société que de droits dont la société
doit promettre la garantie." (F.Dumont, Chantiers, p. 235)
Les programmes de francisation doivent assurer que progressivement les
entreprises du Québec offriront un nombre croissant d'options de travail
en français et ce à tous les niveaux et dans tous les secteurs de
l'entreprise. En somme, la francisation des entreprises est un moyen, parmi
d'autres, de respecter cet engagement solennel envers la société
québécoise.
2. Un diagnostic précis de la situation
L'affirmation du droit à travailler en français pourrait
n'être que consécration d'une situation de fait, comme c'est le
cas, à l'article 6, pour l'affirmation du droit de tout
Québécois à l'enseignement en français.
L'articulation d'une loi et de règlement pour la francisation des
entreprises doit trouver sa justification et ses modalités
d'opérationalisation dans une compréhension étoffée
de la situation présente et des liens de causalité entre
différents facteurs. Cette exigence est tellement fondamentale que nous
nous attaquons de plein pied, au chapitre suivant, à
l'élaboration d'un diagnostic de la situation. Nos propos à ce
stade-ci consisteront donc à résumer, en trois points, les propos
et données beaucoup plus détaillés qui sont
présents au chapitre 2. i) Le français est largement
utilisé au travail
Les données sur l'utilisation du français au travail par
les francophones indiquent un taux élevé d'utilisation*.
Cet énoncé a fait l'objet de plusieurs interventions
publiques citant les travaux de la Commission Gendron (en particulier,
l'étude de Serge Carlos). Nous n'y reviendrons pas, sauf pour
réaffirmer que ce serait faire preuve d'obscurantisme que de nier cette
réalité. ii) Une société plus technique et
professionnelle
Cependant, ce taux élevé d'utilisation du français
ne signifie pas que tous les secteurs de l'activité
québécoise offrent les mêmes occasions de travailler en
français, ni que tous les types d'occupation jouissent d'une gamme de
choix de travail en français qui soit suffisante. Dans notre
société où l'effort d'éducation se traduit par un
nombre de plus en plus élevé de diplômés
universitaires et techniques et où de profonds changements sociaux
conduisent à un intérêt accru pour les activités
économiques, techniques et scientifiques, l'exercice du droit au travail
en français prend une résonnance particulière. C'est
à ce niveau que l'intervention de francisation prend toute sa
signification. Cette évolution ne doit pas conduire, faute d'efforts
suffisants, à une situation où devant le faible choix dont ils
disposent, ces Québécois doivent se résigner à
travailler en anglais. Il faut en arriver à ce que les
Québécois francophones qui travaillent en anglais le fassent en
conséquence de choix de carrière conscients de leur part et que
par ailleurs cette exigence linguistique ne soit pas artificielle mais soit le
reflet de caractéristiques organisationnelles précises.
Il est deux types de raison à l'utilisation de l'anglais au
travail au Québec: 1. des raisons d'ordre institutionnel et structurel
(dimension internationale de l'entreprise, coordination et gestion
d'activités à l'échelle canadienne et
nord-américaine) dont nous aurons à faire amplement état
dans les chapitres qui suivent; 2. des raisons d'inertie institutionnelle et de
manque de connaissance du français des ressources humaines en place. Une
intervention vigoureuse en ce domaine doit viser à faire totalement mais
progressivement disparaître ce dernier type de raisons.
Ainsi le Québécois francophone, fortement scolarisé
ou non, doit jouir de nombreuses options de travail en français; il ne
doit pas être amené à rejeter des possibilités de
carrière intéressantes parce qu'elles exigent un fonctionnement
intégral en anglais dès l'entrée en fonction; de
même, pour des raisons d'égalité des chances, son insertion
dans l'entreprise ne devrait pas le placer en situation
défavorisée parce qu'ayant à "faire ses preuves" dans une
autre langue que la sienne dans un domaine à forte concurrence et pour
des occupations exigeant une bonne maîtrise de l'oral et de
l'écrit. Enfin, l'exigence d'une francisation maximale de l'entreprise
au Québec est une incitation importante aux entreprises, et à
leurs dirigeants, de se doter de réseaux d'information plus
adéquats (i.e. plus complets et, surtout, dégagés de
mythes et de préjugés) quant aux ressources humaines
francophones. *Une analogie simple serait l'affirmation du droit de tout
Québécois de recevoir au Québec une formation
universitaire en français. Ce droit appelle des efforts à
plusieurs niveaux afin de permettre l'exercice le plus complet de ce droit; ce
qui n'enlève pas la possibilité à tout
Québécois de choisir, ici ou à l'étranger, une
formation universitaire en anglais, pour une spécialisation
particulière qui n'est pas encore offerte dans nos institutions ou pour
d'autres raisons. * A cet égard, le Livre blanc n'a guère fait
oeuvre utile en présentant un portrait pessimiste et sans nuances de la
situation.
Référer à la version PDF page CLF-795
iii) Francisation et francophonisation: une vieille et chère
ambiguïté
L'intervention de francisation des entreprises (tant celle de la Loi 22
que celle du Projet de loi no 1) oscille continuellement entre l'affirmation
claire à l'effet qu'il s'agit là d'une loi linguistique et les
propos plus ou moins ambigus qui trahissent une tentation profonde de faire de
cette intervention un moyen de promotion sociale et économique des
francophones. Cette deuxième voie, si justifiée,
mériterait une intervention législative spécifique et non
des gestes camouflés par une intervention linguistique. De toute
façon, cette velléité de promotion sociale est
inspirée, selon nous, d'une interprétation tronquée et
parfois saugrenue de la situation économique des francophones et des
causes de cette situation. Nous tenterons au chapitre suivant d'étayer
cette affirmation; cependant nous devons dès maintenant résumer
nos observations quant à deux facettes de notre argumentation, a) la
présence francophone chez les cadres
S'il est un objet familier de lamentation c'est bien la faible
présence francophone à la direction des entreprises. Cette
affirmation, un peu rapide, s'accompagne souvent d'allusions à une
discrimination plus ou moins active par les gens détenant les "postes de
commande". Nous nous bornerons à ce point-ci à formuler quelques
interrogations qui nous semblent pertinentes à cette question.
Quelle est l'incidence sur la répartition des revenus et des
occupations dans notre société des faits suivants: alors que le
groupe francophone (langue maternelle) représente 81% de la population
de 18 ans et plus ayant un revenu, il ne représente que 68% des
diplômés universitaires au Québec et que 56% des
diplômés universitaires en administration (Statistique
Canada-1971). que les programmes de maîtrise en administration (MBA) des
universités francophones du Québec ne produisent, chaque
année, qu'environ 1/6 des diplômés ontariens sur une base
per capita (et qu'en fait les universités francophones n'ont
décerné les premiers diplômes de MBA qu'en 1969) qu'aussi
récemment qu'en 1970, les diplômes en administration et en
génie décernés au Québec par les universités
francophones ne représentaient que 58% et 52% respectivement du total de
ces diplômes décernés au Québec dans ces
disciplines
Quelle perspective de changement laisse entrevoir les données
suivantes sur la représentation francophone parmi la population de
cadres et de diplômés universitaires (Statistique Canada,
1971)?
Quelles sont les causes et les conséquences des situations
suivantes: alors que les francophones représentent 58% des
diplômés universitaires travaillant comme cadres, ils
représentent plus de 95% de cadres de l'administration provinciale et
municipale et plus de 80% des cadres du secteur de l'enseignement. En revanche,
ils ne représentent que 28% des cadres du secteur manufacturier. Ces
trois secteurs (administration provinciale, municipale et enseignement)
"utilisent" 33% de ces cadres alors que le secteur manufacturier ne compte que
20% des cadres travaillant au Québec (Statistique Canada, 1973). parmi
les entreprises industrielles du Québec de 50 à 100
employés près de 60% ne sont pas à propriété
canadienne française; parmi les entreprises de 100 à 200
employés, cette proportion passe à 66% (A. Sales, 1976). Par
quels comportements discriminatoires ou ve-xatoires peut-on expliquer cette
faible représentation dans la p.m.e.?
b) différences de statut économique entre francophones et
anglophones
La constatation de différences entre le revenu moyen des
francophones et des anglophones et d'une relation entre revenu et taux
d'utilisation de l'anglais au travail a suscité des affirmations
ambiguës par leur hypothèse implicite et par une inférence
de causalité non justifiée. Ainsi, "le français est, dans
une très large mesure, la langue des petits emplois et des faibles
revenus" (Livre blanc, p. 9) puisque "l'accès aux salaires les plus
élevés implique une diminution de l'utilisation du
français pour toute la population active". Qu'il y ait une forte
association entre l'utilisation d'une langue autre que la sienne et le niveau
de responsabilité hiérarchique est l'évidence même;
on la retrouve dans tout pays qui entretient des relations commerciales et
administratives importantes avec d'autres pays. Le fait s'assumer des postes de
responsabilité entraîne un "interface" accru avec les
activités et parties de l'entreprise situées à
l'extérieur d'une région immédiate*.
Plus récemment, reprenant des données comparatives sur le
revenu tirées du recensement de 1971 et constatant des écarts
importants entre francophones et anglophones, on a tenté de relier ce
phénomène de façon plus ou moins claire, à la
francisation des entreprises. Ceci nous amène à formuler ici
quelques interrogations qui seront reprises au chapitre II: quelle est la
valeur, en terme de justice sociale, d'une comparaison entre (i) un sous-groupe
(relativement faible en nombre) cantonné à Montréal, plus
scolarisé que la moyenne et concentré dans des activités
administratives (à cause de la présence de sièges sociaux)
et (ii) la grande majorité de la population à travers tout le
Québec, représentée dans toute la gamme des occupations
d'une société intégrale? quoique ces différences de
revenu dussent préoccuper et faire l'objet de recherches, comment
peut-on établir un lien de causalité entre ces différences
de revenu et la francisation des entreprises? Le grand nombre de facteurs et
d'interactions qui ont un effet sur le revenu font en sorte qu'une comparaison
sur une ou deux variables à la fois n'est guère instructive. que
suggèrent les observations du point (a) quant aux causes possibles qui
peuvent expliquer une partie de ces différences de revenu?
Cet ensemble d'informations et de conjectures sera repris en
détail au chapitre II mais il était important d'en faire
état ici afin de bien montrer la complexité du problème et
la nécessité de résister aux explications trop
simplistes.
3. Principes d'intervention pour la francisation des
entreprises
La francisation des entreprises par voie législative est une
intervention sociale de première importance. Ce changement social doit
être planifié, s'insérer dans les processus de changements
organi-sationnels de l'entreprise et reconnaître les contraintes et
adaptations qui découlent de la vocation internationale et des
variations dans la situation des entreprises situées au
Québec.
Cet énoncé contient trois principes d'intervention dont
nous traiterons de façon plus détaillée dans le cadre de
la démarche complète de francisation présentée au
chapitre 4: i) La loi comme processus de changement social. La reconnaissance
du droit fondamental de travailler en français et les
aménagements nécessaires à l'exercice entier de ce droit
constituent des gestes d'une portée sociale importante et, à
certains égards, imprévisible. Cette intervention doit prendre
racine dans une bonne compréhension du contexte social dans lequel elle
s'inscrira et des réactions multiples, et parfois surprenantes, que peut
susciter l'intervention. En un mot, le processus de changement doit être
informé et planifié. ii) La francisation comme processus de
changement organisationnel. L'entreprise est une entité sociale
polymorphe qui s'adapte à son environnement lorsqu'elle peut en
discerner clairement les attentes et les intégrer dans son processus et
à son rythme de changement. Les gouvernements peuvent exiger beaucoup
des entreprises, pourvu que ces exigences rencontrent des conditions de
clarté et de conformité au rythme de changement de l'entreprise.
On peut amener toutes les entreprises québécoises (ou à
peu près) à accepter des mesures sévères de
francisation si ces deux conditions sont satisfaites. iii) La reconnaissance de
l'hétérogénéité des entreprises et de leur
vocation internationale, lorsqu'il y a lieu. Jusqu'à preuve du
contraire, il nous semble opportun de conserver au Québec la
possibilité d'y opérer et d'y installer des entreprises et des
sièges administratifs dont l'aire d'influence et de rayonnement, tant du
point de vue des marchés que de la gestion, s'étend bien au
delà des frontières du Québec. Si l'on reconnaît le
bien-fondé de ce principe, il faut en évaluer toutes les
conséquences et les aboutissements pour la francisation des entreprises.
C'est là une démarche à laquelle nous convierons le
lecteur sceptique aux chapitres suivants. * A cet effet, on peut d'ailleurs
noter que cette relation tient à coup sûr pour les membres du
présent Conseil des ministres qui, dans l'ensemble, ont probablement
utilisé l'anglais au travail beaucoup plus depuis qu'ils ont
assumé leurs hautes fonctions.
4.
L'entreprise respecte la loi
II n'est rien dans notre expérience qui indique que les
entreprises, et leurs dirigeants, soient des citoyens moins responsables et
respectueux des lois que d'autres groupes de notre société; c'est
probablement là le sens et la source d'un préjugé
favorable. Si les stipulations d'une loi sont inacceptable pour une entreprise,
on cherchera à l'en soustraire en déplaçant l'entreprise
ou en se prévalant des recours juridiques prévus à cet
effet. Dans des circonstances normales, l'entreprise et ses dirigeants se
conformeront à la loi. La propension à agir de façon
répréhensible nous semble, pour reprendre un argument du Livre
blanc dans un autre contexte, assez équitablement répandu dans la
société, de sorte qu'on puisse difficilement justifier sur cette
base la formulation de pénalités spéciales applicables que
pour ce groupe.
5.
Une loi claire, sans arbitraire et
parcimonieuse
Autant par principe de formulation des lois que pour faciliter
l'adaptation des entreprises à ses exigences, la loi proposée
devrait chercher à définir clairement les objectifs poursuivis,
les intentions du législateur et les comportements attendus de
l'entreprise. De même, cette loi devrait limiter le plus possible le
nombre de cas d'interprétation et de décision dont seront
responsables des organismes imperméables à la consultation et
à la concertation.
Enfin, la loi devrait être parcimonieuse; c'est-à-dire,
chercher à atteindre l'objectif ultime par le cheminement le moins
coûteux. C'est là, pensons-nous, un critère
d'évaluation des modifications qui seront proposées par nous et
par d'autres parties: le texte ainsi réservé permet-il
d'atteindre l'objectif visé; si oui, constitue-t-il une façon
plus simple, moins coûteuse pour toutes les parties (les entreprises, la
société, les travailleurs) d'atteindre l'objectif. Ce concept
suscite d'ailleurs une question de fond importante. Si deux versions d'une
même intention législative sont également efficaces pour
atteindre un objectif, mais qu'une version suscite moins de dysfonctions de
toute nature, parce que permettant un délai plus long pour atteindre
l'objectif, comment, à l'échelle historique d'une
société, doit-on évaluer ce "retard" et le mettre en
relation avec le coût social moindre qui résulte de cette atteinte
différée de l'objectif.
Ces cinq principes d'action nous semblent constituer des guides
raisonnables pour l'élaboration d'une intervention de francisation des
entreprises. Nous sommes prêts à entamer un débat sur
chacun de ces principes, mais s'ils sont jugés recevables, il faut bien
percevoir que, pris collectivement, ils définissent une démarche
précise et, à notre avis, efficace. Cette démarche prendra
forme tout au cours de ce mémoire et fera l'objet d'une comparaison
entre la démarche explicite ou implicite du projet de loi no 1. Les
différences entre les deux approches sont quelquefois fondamentales;
plus souvent, elles tiennent à des nuances sensibles qu'aux
spécialistes de ces questions. L'impact de ces différences est
suffisamment important cependant pour que nous nous réclamions avec
insistance du bien-fondé des amendements que nous proposerons en ce
mémoire.
CHAPITRE II
La situation du français et des francophones
dans l'entreprise québécoise
Nous proposons dans ce chapitre un essai de diagnostic quant à la
situation du français et des francophones dans l'entreprise au
Québec. C'est une tâche difficile mais nécessaire à
la formulation d'une législation adéquate.
Notre compréhension collective de cette situation a
été spoliée par au moins deux tendances
répréhensibles, faisant feu de toutes données utiles sans
que n'émerge un diagnostic plus global et intégré. Une
première tendance, aux forts relents misérabilistes,
présente une vision pessimiste d'une société
dominée, dont l'accès des membres aux postes de commande est
bloqué par une volonté ferme et cohérente de la part du
groupe dominant qui impose sa langue et sa culture.
Dans un scénario guère plus réjouissant, on
invoque, sans les démontrer, les progrès accomplis; puis,
s'inspirant plus d'une mythologie bien entretenue et de préjugés
historiques que d'une connaissance du Québec contemporain, on rappelle
les lacunes qui seraient endémiques au Québec et aux
Québécois (le terme Canadien-français est habituellement
employé dans ces circonstances).
Que l'une et l'autre visions de notre société blessent et
irritent bon nombre de Québécois dont l'information et
l'expérience sont en contradiction éloquente de ces
schémas, on le comprendra facilement.
Nous tenterons donc de faire le tour de cette question et de proposer un
diagnostic qui soit plus en accord avec les faits et dont, en
conséquence pourrait s'inspirer une intervention législative.
Notre
démarche consistera d'abord à faire le point de la
situation du français dans les entreprises pour ensuite examiner la
problématique et la situation des francophones dans l'entreprise au
Québec. Enfin, nous présenterons un essai d'explication qui se
voudra un diagnostic.
A) L'utilisation du français dans
l'entreprise
Le français est la langue de travail de la grande majorité
des Québécois francophones. Cette utilisation prédominante
du français par le travailleur québécois francophone est
vraie non seulement dans le secteur de l'administration publique et
para-publique, mais aussi dans le secteur manufacturier, dans le secteur
tertiaire privé, chez les travailleurs manuels, chez le personnel de
bureau et chez les cadres. Il existe bien sûr des situations où
des francophones travaillent principalement en anglais. Mais vues dans une
perspective d'ensemble, ce sont des situations peu fréquentes et
facilement explicables, limitées principalement à la
région de Montréal et aux centres administratifs que sont les
sièges sociaux et les sièges divisionnaires.
Par contre, bien qu'il travaille en français, le travailleur
francophone peut être amené à utiliser de façon
fréquente l'anglais. La langue française parlée au
Québec, particulièrement en milieu de travail industriel, est
parsemée de terminologie anglaise, du "washer" au "panel". Le
travailleur francophone doit souvent faire usage de textes
rédigés en anglais: formulaires, manuels d'entretien ou
d'instructions, documents de gestion, etc.
Nous voudrions faire un bref tour d'horizon de la situation quant
à l'utilisation du français en milieu de travail. Chose
surprenante, la question a été fort peu étudiée.
L'étude de base reste une enquête dirigée par Serge Carlos,
de l'Université de Montréal, réalisée à
l'hiver 1970-1971, pour le compte de la Commission Gendron. Près de
5,000 Québécois ont participé à l'enquête et
ont répondu à un long questionnaire sur leurs pratiques
linguistiques au travail. Rappelons certaines conclusions. - Les francophones
utilisent le français dans 87% de leur temps de travail. Dans la
région de Montréal, ce pourcentage tombe à 79%. Hors de la
région montréalaise, ce pourcentage s'élève
à 93%. -68% des francophones travaillent à peu près
uniquement en français, 3% seulement travaillent à peu
près uniquement en anglais; 32% travaillent dans les deux langues. Par
contre, il existe des différences régionales marquées. Le
problème linguistique en milieu de travail est d'abord et avant tout un
problème montréalais, où seulement 46% des francophones
travaillent à peu près uniquement en français, contre 77%
ailleurs en province. A Montréal, 48% des francophones travaillent en
français et en anglais, contre 21% en province. Finalement, à
Montréal, 5% des francophones travaillent à peu près
uniquement en anglais, contre 1% en province. - Le pourcentage d'utilisation du
français par les travailleurs francophones varie peu selon la
catégorie d'occupation, le revenu, le secteur d'activités et le
niveau d'instruction. Le plus bas pourcentage dans toutes ces catégories
est 78.7%. Il s'agit des employés de bureau. Le lecteur peut voir aux
tableaux 1 à 6 les pourcentages d'utilisation pour plusieurs
catégories et plusieurs variables. -Les travailleurs dont la langue
maternelle n'est ni le français ni l'anglais travaillent principalement
en anglais. Ils n'utilisent le français que dans 35% de leur temps de
travail. Ceci reflète principalement le choix que la majorité
d'entre eux ont fait de s'intégrer à la communauté
anglophone. - L'utilisation principale de l'anglais par les francophones est
principalement reliée à la lecture de textes et de documents qui
viennent de l'extérieur de l'entreprise ou de l'entreprise
elle-même. Par contre, l'utilisation de l'anglais par les francophones
est minimale dans les conversations orales.
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Lorsqu'il y a échanges entre francophones et anglophones en
milieu de travail, "de façon générale, les francophones
concèdent plus d'anglais que les anglophones ne concèdent de
français" (p.103). Ceci est particulièrement vrai pour
écrire des textes internes, pour remplir des formulaires et dans les
conversations.
Il existe des mythes profonds quant à la situation du
français au Québec. A Montréal, 69% des francophones
pensent que les Canadiens-français travaillent en majorité (45%)
ou en très grande majorité (23%) en anglais.
Les autres études de la Commission Gendron nous renseignent peu
sur l'usage du français. Entre autres, le professeur Morido Inagaki a
analysé les comportements linguistiques à l'intérieur
d'entreprises où on retrouvait un nombre élevé de cadres
anglophones. Malheureusement, la non-représentativité de
l'échantillon ne nous permet pas de faire des projections.
La firme Multi-Réso a effectué en 1975, pour la Chambre de
Commerce de Montréal, une enquête auprès d'un
échantillon aléatoire de cadres supérieurs d'entreprises
de Montréal. 534 cadres participèrent à l'enquête
qui portait essentiellement sur Montréal, mais qui incluait quelques
questions sur les pratiques linguistiques à l'intérieur de leur
entreprise (1). L'enquête révèle que 68% des cadres
francophones avaient le français comme langue de travail, tandis que 21%
utilisaient l'anglais et 11% les deux langues. Chez les cadres anglophones, la
langue de travail était le français pour 8%, l'anglais pour 86%
et les deux pour 6%. En somme, ces résultats confirment les conclusions
de Carlos.
Finalement, une enquête d'Arnaud Sales auprès de plus de
mille chefs de direction d'entreprises manufacturières au Québec
indique que 40% des chefs de direction utilisaient le français comme
langue de travail, 47% l'anglais et 12% les deux (2).
D'admettre cette réalité que le français est
largement utilisé au travail ne signifie pas que l'on doive en conclure
qu'il n'y a pas matière à législation en ce domaine. Il
est deux types différents de problèmes qui peuvent être
corrigés par voie législative: a) quoique les communications au
travail soient largement francisées, il n'en reste pas moins que des
efforts importants doivent encore être consentis pour implanter une
terminologie française et franciser les nombreux documents de travail
(manuels, formulaires, etc.) qui ne sont encore disponibles qu'en anglais b)
suite à des mutations sociologiques profondes, un nombre croissant de
Québécois francophones ont choisi et choisissent encore de faire
carrière dans des occupations techniques, scientifiques et
administratives*; cette transformation pose le problème de le
francisation des entreprises de façon plus complexe et, même s'il
ne touche pas encore l'immense majorité des Québécois,
n'en est pas moins important pour le développement d'une
société française au Québec. Le droit de travailler
en français vaut tout autant pour le personnel de cadres et de
techniciens. Cependant, parce que l'intervention à ce niveau doit
pénétrer profondément dans les entreprises, il faut
prévoir des modalités souples et réalistes pour atteindre
cet objectif. L'exercice du droit au travail en français sera
favorisé par la multiplication des opportunités de travail en
français comme cadre ou comme technicien dans les entreprises au
Québec. Une intervention de francisation des entreprises est utile,
voire nécessaire, à cette fin pour des raisons que nous
formulerons lors de l'essai d'explication présenté plus loin dans
ce chapitre.
B) Les francophones et l'entreprise
Nous tenterons en cette section de faire le point sur la situation des
cadres francophones dans les entreprises du Québec. Cependant, nous
devons dans un premier temps discuter des différences de revenus entre
francophones et anglophones puisque cet aspect de la question est apparu
récemment comme ayant une profonde influence sur les intentions du
législateur.
(1) L'univers d'où fut tiré l'échantillon comptait
toutes les entreprises de 100 employés et plus, le tiers des entreprises
de 50 à 100 employés et le sixième des employés des
entreprises de 25 à 100 employés. Le chef de la direction de
l'entreprise et deux autres cadres choisis au hasard parmi les cadres de la
direction générale, furent choisis dans l'échantillon des
répondants. 26% des entreprises représentées dans
l'échantillon des répondants avaient plus de 500 employés
au Québec, 53% de 100 à 500 et 21%, moin de 100
employés.
(2) Sales, Arnaud; "Les industriels au Québec et leur rôle
dans le développement économique"; janvier 1976. *De 1961
à 1971, la proportion de la population québécoise de plus
de 5 ans ayant une scolarité universitaire est passée de 4%
à 8%, rejoignant presque l'Ontario (9%). Par ailleurs, 57% des
diplômés universitaires francophones au Québec avaient
moins de 35 ans en 1971 (Statistique Canada, 1971). De 1966 à 1975,
301,279 francophones ont reçu des diplômes universitaires, dont
plus de 180 000 durant la période 1971-1975 (Prévisions des
clientèles universitaires 1976-1991, Ministère de
l'éducation, avril 1977).
1) Les différences socio-économiques entre francophones et
anglophones
Le constat d'une différence dans les revenus de ces deux groupes
au Québec suscite souvent des réactions de suspicion,
d'hostilité et une volonté de redressement louable mais
inspirée par une analyse un peu courte des causes de cette situation.
C'est un peu malgré nous que nous abordons ce sujet, car la relation
entre des différences de revenus dans l'ensemble de la
société québécoise et la francisation des
entreprises est fort ténue. La francisation des entreprises, et
même une francophonisa-tion accélérée,
n'amèneraient des avantages économiques que pour une infime
proportion des travailleurs*.
Des gains importants de revenus pour ces personnes, à supposer
que cela se produise, n'auraient aucun impact sensible sur les écarts de
revenus entre francophones et anglophones dans l'ensemble de la population. Il
est évident cependant que des mesures qui se traduiraient par une
diminution du revenu moyen du groupe anglophone (par exemple le départ
du Québec d'anglophones à revenus élevés)
réduirait considérablement l'écart de revenu entre les
deux groupes. Evidemment, les bénéfices pour le groupe
francophone d'un tel "rapprochement" des revenus pourraient sembler bien
illusoires. Nous nous bornerons donc à énoncer quelques
réserves méthodologiques sur ce type de comparaison.
D'abord une mise en garde, ou du moins, une invitation à un
scepticisme de bon aloi face à la situation en ce domaine. Le revenu
d'un individu est influencé par un grand nombre de facteurs (âge,
scolarité, secteur industriel, occupation, lieu de travail, etc)* qui
agissent et inter-agissent de façon complexe (non additive, non
linéaire). Les outils statistiques les plus raffinés sont souvent
insuffisants ou inutilisables (problèmes de
multicollinéarité, d'interaction non-additive et de
spécification du modèle). Ainsi, les analyses portant sur
quelques variables sont toujours susceptibles de cacher la
réalité parce que des variables importantes ont été
omises.
Ceci dit, il ne fait aucun doute que les anglophones au Québec
ont un revenu supérieur aux francophones. Mais est-ce cette
caractéristique anglophone/francophone qui "explique" ce
phénomène ou encore l'effet puissant sur le revenu d'être
essentiellement Montréalais, fortement scolarisé, occupant des
postes dans des catégories d'occupation à revenu
élevé (quelle que soit l'ethnie de l'occupant). La comparaison
pertinente consisterait donc à mettre en relation les revenus de
francophones et d'anglophones du même âge, de même formation
(i.e. même type de diplôme universitaire), oeuvrant dans le
même secteur industriel, dans une catégorie d'emploi similaire
(e.g. cadres) dans des entreprises de même taille, situées
à Montréal. Une telle énumération montre bien la
futilité de l'exercice.* On en arrive rapidement à comparer
quelques individus et alors la valeur statistique de l'opération est
nulle.
Il est cependant deux interrogations pertinentes: quels sont les
facteurs qui expliquent, s'il y a lieu, la faible représentation d'un
groupe dans un type d'occupation à revenu élevé? C'est
là le thème de la section "essai d'explication quant à la
présence francophone". quelle est la nature de la relation entre postes,
revenus et utilisation de l'anglais au travail par les francophones? Pourquoi,
pour occuper des postes à revenu élevé dans l'entreprise,
le francophone doit-il utiliser l'anglais au travail? Malheureusement cette
relation entre revenus et utilisation de l'anglais par les francophones est
parfois décrite de façon à laisser penser qu'il s'agit
d'un lien de causalité: "l'accès aux salaires les plus
élevés implique une diminution de l'utilisation du
français..." Cette observation, au contraire, peut tenir simplement au
fait que l'augmentation des responsabilités, qui s'accompagne souvent
d'une augmentation de revenus, implique des échanges accrus avec des
auditoires situés à l'extérieur de son contexte
immédiat. Cette situation de fait vaut autant pour le professeur
d'université d'une certaine réputation, le chercheur scientifique
et le politicien, que pour le cadre d'entreprise. Que ces échanges en
une autre langue se fassent souvent en anglais ne devrait guère
surprendre alors. Mais c'est là le point crucial de toute la
démarche de francisation. Il ne s'agit pas de nier cette
réalité ni d'imputer de fausses relations de causalité
mais de discerner quand ces exigences d'utilisation de l'anglais sont
justifiées et quand des changements dans l'entreprise peuvent faire en
sorte de diminuer l'incidence et la fréquence de telles exigences.
L'essence même de l'effort de francisation des entreprises porte sur ces
points. "Les cadres ne constituent qu'environ 5% du total de la main-d'oeuvre
francophone masculine au Québec. * II faudrait, si l'on en croit
certaines études américaines, y ajouter un facteur important: la
"charte" (Jencks, C. et al., Inequality) *En découpant une population en
sous-groupes on trouvera souvent des différences de revenu à
cause de l'impact des variations dans ces facteurs. Ainsi, les résidents
de Sept-lles au Québec ont le revenu moyen le plus élevé
au Canada; les francophones du nord-ouest de l'Ontario ont un revenu
supérieur de 8% aux anglophones, etc...
Référer à la version PDF page CLF-806
Référer à la version PDF page CLF-807
Référer à la version PDF page CLF-808
Quelles conclusions pouvons nous tirer quant à la
représentation des cadres francophones au Québec? De façon
générale, si l'on considère l'ensemble des postes de
cadres au Québec et que l'on établit une relation avec la
proportion francophone du Québec, on constate un écart d'environ
15%. Si cette comparaison est établie pour les cadres de l'entreprise
privée, l'écart se situe entre 30% et 50%. Par contre, si la
comparaison porte sur les directions supérieures des grandes entreprises
opérant au Québec, l'écart est supérieur à
50%. Enfin, pour la population de diplômés universitaires, la
représentation francophone parmi les cadres est à peu près
équivalente à sa représentation d'ensemble (écart
de 5%). Cependant les cadres francophones sont largement
sur-représentés dans le secteur public.
Une question fondamentale se pose. Que serait une juste
représentation?
3) Une juste représentation?
La détermination de cette juste représentation des cadres
francophones dans l'entreprise est complexe. Nous l'examinerons sous deux
angles: la représentation francophone parmi les cadres de l'entreprise
privée, puis dans la population en général.
En premier lieu supposons que la proportion des cadres francophones dans
la population du Québec est équivalente à la proportion de
francophones dans la population générale (environ 81%). On
pourrait prétendre que la proportion francophone parmi les cadres de
l'entreprise devrait être équivalente à la proportion de
francophones dans la population.
Mais alors, il ne faudrait pas que cette représentation
dépasse 81% dans certains secteurs importants (comme c'est le cas pour
l'administration publique au Québec); car alors, pour "fournir" tous ces
cadres, il faudrait que dans l'ensemble de la population du Québec, les
francophones soient surreprésentés dans la fonction "cadre". Il
est possible, dira-t-on, que cette sur-représentation francophone dans
le secteur public ne soit pas volontaire mais reflète une dynamique
particulière de choix et d'exclusion (de part et d'autre). Nous allons
formuler certaines hypothèses à la section suivante qui
pourraient mener à une sous-représentation de francophones dans
la grande entreprise au Québec pour des raisons fort différentes.
Certaines ont trait à l'évolution socio-économique de
notre société, d'autres pourraient être corrigées
par une loi de francisation. Le rôle relatif de l'un et l'autre type
d'explication est difficile à déterminer, mais il est probable
que les raisons socio-économiques jouent un très large rôle
à ce niveau.
Par contre, une constatation importante s'impose à l'esprit,
lorsque l'on examine la répartition des cadres dans cette perspective.
Etant donné que la masse (l'inventaire, dirait-on) des cadres augmente
lentement, un effort de francisation et de francophonisation
accéléré des grandes entreprises ne pourrait que se
traduire par un déplacement de cadres d'un secteur vers l'autre et par
une surenchère pour des cadres francophones d'expérience. Ainsi,
sous la pression de la loi, les grandes entreprises se verraient dans
l'obligation de recruter des cadres d'expérience* soit dans l'entreprise
privée francophone, soit dans le secteur public et para-public. Il est
utile de s'interroger sur l'à-propos d'une telle situation.
En fait, il faut bien voir qu'un même réservoir de
ressources humaines doit fournir presque 100% des cadres du secteur public et
des petites, moyennes et grandes entreprises francophones, approvisionner les
grandes entreprises nationales et internationales en cadres pour la gestion des
opérations québécoises (qui sont largement francophones)
et finalement combler des postes aux sièges sociaux de ces entreprises
à Montréal et à Toronto. A court et moyen terme, ce
réservoir ne peut fournir une demande accrue que par une
réallocation de ressources.
Est-ce que la société québécoise profitera
tellement plus d'une augmentation des cadres supérieurs francophones au
Bell Téléphone ou à la Banque Royale que du fonctionnement
de ces cadres dans des entreprises francophones du secteur privé ou
public?
Il est clair cependant que des individus bien formés et capables
d'assumer de hautes responsabilités ne seraient pas improductifs et
inactifs tout simplement parce que l'accès à des postes de cadres
supérieurs dans les grandes entreprises anglophones ne leur aurait pas
été ouvert par voie législative*.
Un autre aspect de la question d'une juste représentation
francophone parmi les cadres, consiste à évaluer quelle devrait
être la proportion de cadres francophones dans la population en
général. Ainsi au Québec, les cadres francophones
constituent environ 66% (en 1971) de l'ensemble des cadres. Plusieurs facteurs
peuvent expliquer cette différence entre 81% et 66%, ce dont nous
traiterons à la section suivante. L'aspect qui nous intéresse
à ce moment-ci consiste à évaluer si toute cette
différence de 15% constitue une sous-représentation ou s'il y a
des facteurs qui diminuent la portée réelle de cette
différence.
Faisons l'hypothèse que la population francophone du
Québec "choisit" l'occupation de cadres avec une fréquence
semblable à celle observée chez les anglophones du Canada.
Cependant, Montréal, comme Toronto, est le site de plusieurs
sièges sociaux d'envergure nationale.
En 1971, selon le recensement, la catégorie "direction,
administration et professions connexes" représentait au Canada 4.31% de
toutes les occupations, mais 4.68% en Ontario et 4.75% au Québec et
3.61% dans le reste du Canada (voir tableau 10).
Si la proportion de cadres au Québec était au niveau de
l'ensemble du Canada (4.31%) on comporterait 93,490 postes de cadres
plutôt que 103,125. L'excédent pouvant être
considéré comme une importation surtout du reste du Canada, on
devrait s'attendre à y trouver une forte représentation
anglophone. *Et non pas de jeunes diplômés universitaires puisque
les délais entre l'entrée en fonction de tels
diplômés et leur accession à des postes de
responsabilité supérieure seraient trop longs pour satisfaire aux
exigences de la loi. De même façon, des promotions
accélérées de cadre francophones déjà dans
l'entreprise seraient effectuées; mais cela n'augmenterait pas la
proportion des cadres francophones dans l'entreprise. * Ce commentaire explique
d'ailleurs la mauvaise humeur de plusieurs cadres francophones face au Projet
de Loi no 1. L'impression qui est parfois donnée par le Livre blanc et
la Loi, que le cadre francophone a besoin d'être protégé et
défendu par l'Etat, est fort irritante pour ces cadres.
Référer à la version PDF page CLF-810
Donc, le 66% de représentation francophone parmi les cadres se
traduit par 68,066 cadres en 1971. Si Montréal n'était pas un
centre administratif canadien, on compterait environ 93,490 cadres au
Québec. La proportion francophone serait donc de 73% (68,066 sur 93,490)
ce qui diminue de moitié l'écart observé (de 15% à
8%). Donc, nous estimons qu'en 1971 quelque 10,000 postes de cadres anglophones
à Montréal étaient attribuables à la
présence de sièges sociaux d'envergure nationale.
C'est là un chiffre fort plausible puisqu'au chapitre 6 (tableau
6 en particulier) nous estimons, selon une démarche totalement
différente, qu'entre 12,000 et 20,000 cadres travaillent
présentement à Montréal dans les sièges sociaux
d'entreprises de plus de 500 employés. Admettons pour les fins de notre
argument, que ces sièges sociaux doivent refléter dans leur
fonctionnement la réalité canadienne par la distribution
d'ensemble de leurs cadres aux sièges sociaux (i.e. environ 30% de
francophones et 70% d'anglophones*.)
Si on applique le ratio 70-30 pour la présence anglophone
à ces nombres et tenant compte d'une certaine croissance depuis 1971,
les deux estimés concordent de façon étonnante.
Donc, à moins de diminuer, volontairement ou non, le rôle
particulier de Montréal comme centre administratif pour l'ensemble du
Canada, la proportion de cadres francophones dans l'ensemble sera
inférieure à la proportion de francophones dans l'ensemble de la
population. Nous estimons qu'un écart d'environ 8% reflète bien
la situation actuelle. Donc, la sous-représentation francophone aurait
été en 1971 de 7% (66% au lieu de 73%).
Quant aux cadres supérieurs des grandes entreprises industrielles
au Québec, on estime qu'entre 20% et 30% sont francophones (20.2% en
1973 selon les sources utilisées par M. Sauvé; 26% pour les
entreprises de plus de 1000 employés, selon Sales).
Ce chiffre reflète une sous-représentation francophone
puisque même si à la limite tous ces postes du secteur industriel
étaient dans des entreprises à envergure nationale ou
internationale, on devrait y retrouver au moins 30% de cadres francophones.
C'est là un seul minimal que devrait atteindre la présence
francophone dans l'ensemble de la direction des grandes entreprises au Canada,
seuil que l'on atteint presque pour les grandes entreprises avec siège
social au Québec; cependant, la proportion francophone est largement
inférieure à ce seuil pour l'ensemble des grandes entreprises
canadiennes.
Quant à l'ensemble des secteurs industriels (quelle que soit la
taille de l'entreprise), la présence francophone serait entre 40 et 50%
(Sales donne 37%; Multi-Réso 51%); Statistique Canada (1971) donne 56%
pour les secteurs manufacturiers, commerce et finance). Si l'on présume
que pour les secteurs autres que les secteurs industriels (qui
représente environ 54% des cadres (Statistique Canada 1971), 80% des
cadres sont francophones (alors que dans l'ensemble des secteurs, cette
proportion est de 66%) on obtient que la représentation des francophones
parmi les cadres du secteur industriel devrait être 50%. Donc il n'y a
pas de sous-représentation importante selon cette base de calcul.
L'augmentation de la présence francophone chez les cadres dans
différents secteurs passe donc par l'augmentation de l'inventaire global
de cadres francophones (de 66% à 73%) dans notre société.
Quant aux cadres supérieurs des grandes entreprises, les objectifs de
présence francophones doivent être tempérés par la
dimension canadienne et internationale de leurs opérations.
Les raisons qui peuvent expliquer la sous-représentation relative
des francophones à ces deux niveaux font l'objet d'une
présentation détaillée à la section suivante.
C) Essai d'explication et de diagnostic
Cette situation des cadres francophones dans l'entreprise et en
général dans notre société est amenée par
des causes multiples et a, bien sûr des conséquences quant
à la langue utilisée dans les milieux de travail au
Québec. En fait, le schéma présenté au tableau 11
montre comment trois éléments influencent le niveau d'utilisation
de l'anglais au travail: la dimension extra-québécoise de
l'entreprise qui définit des impératifs d'utilisation de
l'anglais (par des anglophones ou des francophones) pour des raisons
éminemment utilitaires, la sur-représentation de cadres
anglophones à la direction des entreprises qui dans la mesure où
ces cadres n'ont pas une connaissance du français ajoute à
l'extension de l'anglais (au-delà des exigences du rayonnement
extra-québécois de l'entreprise). Cette sur-représentation
peut être imputée à plusieurs facteurs. Nous formulerons
quatre hypothèses précises à ce sujet. Finalement
l'absence de loi linguistique dans le passé a pu faire en sorte que ne
soient pas entrepris tous les efforts possibles de francisation des milieux de
travail au Québec.
Quatre hypothèses ont été formulées pour
l'explication d'une certaine sous-représentation de cadres francophones
tant en général que parmi les cadres supérieurs de la
grande entreprise. 1. Les facteurs socio-économiques 2. Des
différences "culturelles" 3. La discrimination 4. La réticence
des francophones vis-à-vis l'entreprise anglophone.
Référer à la version PDF page CLF-812
1) Les facteurs socio-économiques:
Qu'un ensemble de facteurs comme le niveau de scolarité, les
choix de carrière, la valorisation sociale pius ou moins marquée
des activités économiques aient une influence sur la faible
participation francophone et québécoise dans les secteurs de
l'administration des entreprises nous semble une évidence
même*.
Ainsi, l'étude de Tremblay-Fortin, effectuée en 1959,
saisit bien une dimension importante de ce problème avec une question
sur l'occupation que les chefs de famille salariés voudraient que leur
enfant choisisse. Les résultats sont révélateurs. A cette
époque pourtant pas très lointaine 54% des répondants
choisissent la prêtrise pour leur enfant (fils!). Loin derrière,
suivent, ingénieur (18%), médecin et professeur. Quant aux
occupations économiques, elles sont choisies par moins de 2% des
répondants. * Ces facteurs peuvent aussi réfléter, ou
être en partie amenées par cette faible participation.
Que les orientations de carrière des jeunes
québécois eussent été influencées par ces
aspirations parentales ne serait guère surprenant.
Le facteur scolarisation joue un rôle de plus en plus important
dans la sélection de cadres. En 1971, 28% des cadres avaient une
formation universitaire (Statistique Canada-1971). Dans l'étude de A.
Sales, 43% des dirigeants d'entreprises possédaient un diplôme
universitaire en 1975.
Parmi les diplômes en administration, 68% deviennent des cadres
(Statistique Canada-1973). Or, de 1931 à 1970, les universités
francophones du Québec n'ont décerné que 57% de tous les
diplômes en commerce et administration (Commission Gendron). La
juxtaposition des deux chiffres précédents (68% et 57%) est
éloquente quant à l'incidence de la formation universitaire en
administration sur la présence de cadres francophones. "En 1971, selon
le recensement, la population francophone (langue maternelle) ne
représentait que 68% des diplômés universitaires.
Les programmes de maîtrise en administration (M.B.A.), une source
importante d'approvisionnement en cadres, n'ont débuté qu'en
1966. Depuis, ils ont décerné environ 50% des diplômes de
M.B.A. au Québec. Dans les cinq années 1971/75, les
universités ontariennes ont décerné cinq fois plus de
diplômes M.B.A. que les universités francophones du Québec.
Les changements récents dans le taux de scolarisation du Québec
et l'avènement d'un plus grand nombre de diplômés
universitaires en administration se traduisent par une perspective d'avenir
plus satisfaisante. Ainsi:
Les cadres francophones sont plus fortement représentés
parmi les jeunes. Cette affirmation est appuyés autant par les
données du recensement de 1971 que par les données de
Multi-Réso sur les cadres à Montréal. Par exemple, parmi
les cadres des secteurs manufacturier, commerce et finance, les francophones
représentaient 56% des cadres en 1971, alors qu'ils
représentaient 63% des cadres de moins de 45 ans. Il en va ainsi pour
l'âge moyen des diplômes universitaires francophones. 2) Des
différences culturelles: l'homo Quebecus est un specimen anthropologique
souvent analysé. Il a été étudié sous tous
ses angles et en particulier, en tant qu'administrateur et entrepreneur. Un
mythe tenace veut que le Canadien français, à cause de valeurs
propres à sa culture, soit moins "doué" pour une carrière
administrative ou pour assumer le rôle d'entrepreneur par comparaison
à l'anglophone canadien ou américain.
Dans une étude effectuée en 1956 auprès de 54
propriétaires de petites entreprises (32 d'expression française
et 20 d'expression anglaise). Norman Taylor concluait que les chefs
d'entreprises canadiens-français étaient plus conservateurs, plus
individualistes, peu enclin à assumer des risques et plus
préoccupés par leur famille. En somme, des
caractéristiques peu favorables au dynamisme entrepreneurial. Si ses
observations étaient peut-être fidèles, aux faits à
l'époque, leurs généralisations à l'ensemble des
cadres en 1977 tiendraient de la sociologie-fiction.
En 1966, le cadre francophone était l'objet d'une psychanalyse en
profondeur. Dans une étude effectuée pour la Commission
Laurendeau-Dunton, Auclair et Read tâchent de montrer que le cadre
francophone ne partage pas les objectifs économiques de l'entreprise,
mais souscrit plutôt à une vision socio-humanitaire de
l'entreprise; les auteurs proposent donc une explication évidente pour
la faible présence de Canadiens-français à la direction
supérieure des entreprises. Les francophones sont inaptes à
assumer des postes de direction supérieure parce qu'ils ne souscrivent
pas aux objectifs économiques de l'entreprise.
Les conclusions d'Auclair et de Read méritent d'être mises
en question, tant pour des raisons méthodologiques (en particulier la
mesure et la définition des "objectifs") que pour des raisons
théoriques (la relation entre cette mesure et une compétence
administrative)*. * Kanungo et Dauderis ont avancé des conclusions
similaires, au Congrès International de sociologie tenu à
Montréal en 1975, sur la base d'une enquête auprès d'un
échantillon de cadres de Bell Canada. Le choix de l'entreprise et la
non-normalisation des données en fonction de l'âge enlève
toute valeur de généralisation à cette étude; ce
qui n'a pas empêché les auteurs de projeter leurs résultats
à l'ensemble des cadres francophones et de chercher des explications
pour les différences observées dans le "catholic ethic" et les
"father dominated families" des francophones. Ces conclusions ont reçu
à l'époque une grande diffusion dans la presse anglophone de
Montréal.
En somme, les explications psychologiques ou "culturelles" apparaissent
très fragiles et peuvent difficilement expliquer la faible
présence de francophones dans l'entreprise québécoise. Les
études qui ont conclu à l'importance de ces facteurs ne
résistent pas à une analyse serrée sur le plan
méthodologique.
Par contre, la publicité faite autour de ces conclusions
contribue à renforcer le mythe de l'incurie administrative et
entrepreneuriale du Québécois francophone et à entretenir
certains "stéréotypes" nuisibles. En ce sens, ces études
peuvent contribuer à rendre plus difficile l'insertion des francophones
dans l'entreprise. 3) La discrimination:
Nous proposons trois volets à l'hypothèse qu'une
discrimination à l'endroit des francophones de la part des dirigeants
anglophones d'entreprises établies au Québec soit la cause de la
faible participation économique des francophones. i) L'exclusion
d'individus (les francophones) qui n'appartiennent pas au groupe linguistique
dominant dans l'entreprise (le groupe anglophone) ii) Une discrimination
résultant de visions stéroétypées du cadre
francophone iii) Une discrimination résultant des réseaux
d'information déficients des anglophones quant aux ressources
administratives francophones.
La première forme de discrimination a sûrement joué
et continuera de jouer. Mais cette discrimination positive n'en demeure pas
moins un phénomène d'importance mineure qui ne peut expliquer
qu'une très petite partie de la sous-représentation des
francophones dans l'entreprise. Une discrimination positive suppose en effet
une volonté continue et généralisée d'exclure les
francophones parce qu'ils sont francophones.
La discrimination résultant de perceptions
stéréotypées et négatives des francophones a
joué un rôle subtil et difficilement quantifiable. D'ailleurs, la
publicité accordée aux études sur les différences
de valeurs et de besoins des francophones en tant que cadres, contribuent
à affermir ces "stéréotypes".
Par contre, l'hypothèse à l'effet que des réseaux
d'information déficients expliquent la situation relative de
francophones dans l'administration mérite d'être
évaluée. Les dirigeants d'entreprises anglophones doivent se
doter de réseaux d'information quant aux ressources disponibles.
Cependant, leur connaissance des milieux universitaire et administratif
francophones étant limitée et déficiente, ces
réseaux sont souvent constitués presqu'exclusivement
d'informations sur les ressources anglophones. Il est bien évident que
cette ignorance relative du potentiel administratif francophone, en
conjonction, et renforçant certains préjugés, peut mener
à une sous-représentation des francophones dans l'administration
supérieure des entreprises. 4) La réticence des francophones
à travailler dans l'entreprise anglophone:
Allaire et Toulouse rapportaient dans une de leurs études sur les
étudiants M.B.A. québécois que près de 50% des
M.B.A. francophones interrogés se montraient réticents à
travailler dans une entreprise dont la langue de travail serait l'anglais. Dans
une étude subséquente auprès des mêmes personnes,
mais un an ou deux après l'obtention de leur diplôme, plus du
tiers déclarait qu'ils hésiteraient à accepter un emploi
dans une firme où la langue de travail serait l'anglais. Une telle
attitude est rationnelle. En effet, toutes choses étant égales,
un francophone est défavorisé par rapport à un anglophone
dans un milieu de travail dont l'anglais est la principale langue de travail,
particulièrement dans un emploi de cadre. L'habilité à
communiquer efficacement étant un facteur important de réussite,
le cadre francophone sera désavantagé durant toute une partie de
sa carrière s'il doit fonctionner dans une autre langue que la
sienne.
La difficulté qu'a la grande entreprise anglophone à
recruter ou à retenir des cadres francophones tient en partie à
cette réticence des cadres francophones à travailler en anglais
au fur et à mesure que les possibilités de travail en
français comme cadre augmentent.
Nous avons donc constaté une certaine sous-représentation
des francophones parmi les cadres d'entreprises (pas aussi grande qu'on le
suppose parfois cependant). Un ensemble de facteurs explicatifs ont
été proposé, de même que certaines tendances
récentes qui portent à être optimistes. Quel rôle
peut jouer une loi de francisation dans ce processus?
La loi devrait viser à faire en sorte que le cadre francophone
puisse jouir du plus grand nombre possible de choix de travail en
français. Tout en reconnaissant le bien-fondé des contraintes
provenant de la dimension extra-québécoise de l'entreprise, la
loi doit amener l'entreprise à un examen en profondeur de son
fonctionnement au Québec et de ses possibilités de francisation.
L'entreprise devrait être en mesure d'offrir des postes qui servent de
point d'entrée dans l'entreprise, où le travail s'effectue en
français. La réticence du francophone face à l'entreprise
sera réduite si celui-ci peut faire ses preuves comme cadre
essentiellement dans sa langue et améliorer sa maîtrise de
l'anglais graduellement, de façon à pouvoir éventuellement
fonctionner aisément dans toutes les unités de l'entreprise.
Evidemment, cette intervention juridique constitue aussi une invitation
pressante pour que l'entreprise s'informe mieux sur la disponibilité et
la qualité des ressources francophones au Québec.
Référer à la version PDF page CLF-815
CHAPITRE III Le projet de loi no 1 et
l'entreprise
La francisation des activités situées au Québec est
un moyen de première importance pour permettre l'exercice des droits
linguistiques fondamentaux établis dans le Projet de loi no 1. Ainsi,
plusieurs modifications institutionnelles prévues prévues aux
chapitres de la langue de travail, de la langue du commerce et des affaires,
ont une incidence directe et marquante sur le fonctionnement des
entreprises.
Dans ce chapitre, nous analysons la démarche adoptée par
le Gouvernement pour réaliser la francisation de l'entreprise. Dans un
premier temps, nous identifierons les fondements du Projet de loi no1 et ses
principales articulations tel qu'exprimés dans le Livre blanc. Dans un
second temps, nous formulerons certaines hypothèses, les plus plausibles
selon nous, quant à la signification de certains articles et au contenu
d'une éventuelle réglementation. Ces ajouts sont
nécessaires afin de disposer d'un texte qui soit totalement
opératoire et dont on puisse mesurer les conséquences
concrètes sur l'entreprise. L'ensemble de ces éléments,
soit la Charte telle que présentement rédigée, et nos
hypothèses quant à la réglementation, constituent le
scénario d'intervention le plus plausible, si le Projet de loi no 1
prenait effet dans sa forme présente.
A- Les articulations du Projet de loi no 1
Le Livre blanc sur la langue française au Québec contient
un diagnostic en huit points, dont deux au moins touchent directement
l'entreprise, diagnostic qui sert de toile de fond au Projet de loi no 1 en
décrivant ce que le législateur perçoit comme étant
la situation de départ.
Ce diagnostic donne suite à l'énoncé d'un objectif
central pour la Charte du français, soit celui de faire du
français la langue commune de tous les Québécois. La
langue commune est définie comme la langue "que tous doivent
connaître" (La politique québécoise de la langue
française, p. 19) pour arriver à se comprendre entre eux. Cet
objectif n'implique pas que le Gouvernement veuille "empêcher qu'on
apprenne et qu'on parle aussi d'autres langues. Il veut simplement assurer une
communauté foncière d'expression" (La politique
québécoise..., p. 20). Selon l'esprit du Livre blanc, le
français doit donc devenir non pas la langue de tous les
Québécois, mais une, sinon la langue, que tous doivent pouvoir
comprendre, parler et lire. Le français devient donc le code commun qui
permet à la communication de s'établir entre
Québécois.
Cet objectif, selon le Livre blanc, sera atteint, par une politique
d'unilinguisme institutionnel officiel, qui n'exclut pas le bilinguisme des
individus et le développement de la vie culturelle des groupes
minoritaires. Il ne s'agit pas là d'une simple tolérance mais de
la nécessité d'y puiser des éléments pour assurer
la "vitalité indispensable" de la culture québécoise. Bien
plus, le Livre blanc reconnaît même que "parler anglais est une
nécessité pour certains Québécois" (p. 28). (Mais
on ne définit pas qui sont ces Québécois pour qui
l'anglais est une nécessité). Ces précisions
débouchent sur ce que le Livre blanc appelle le "premier principe
d'action":
Référer à la version PDF page CLF-816
Principe d'action qui présume une intervention de l'Etat, mais
qui présume aussi la définition de normes. "Sous prétexte
de la gravité du mal, on ne saurait appliquer arbitrairement des
remèdes" (La politique québécoise... p. 19). Le Livre
blanc suggère quatre principes pour établir ces "critères
de justice et d'équité, (les) règles juridiques" (La
politique québécoise... p. 19) qui viendront encadrer son
action.
Le diagnostic, l'objectif premier, le principe d'action et les quatre
règles d'application définissent l'économie et l'esprit du
Projet de loi. Six grands secteurs de l'activité
québécoise sont ensuite identifiés comme
nécessitant une action prioritaire de la part du législateur:
l'Administration publique, l'entreprise, les relations de travail, les ordres
professionnels, le "paysage" et l'enseignement.
B- La démarche de franciation
De tous les secteurs d'activités, c'est sûrement celui de
l'entreprise que le législateur considère le plus important
puisqu'il y accorde une attention toute particulière; ainsi, 33 des 177
articles du Projet de loi no 1 mentionnent l'entreprise explicitement.
Malgré un nombre d'articles imposant, certains aspects
clés ne sont pas précisés. Cependant, les informations
disponibles sur les intentions du législateur permettent à
l'observateur averti de formuler des hypothèses plausibles quant
à l'intervention de francisation qui émargera
éventuellement, si le Projet de loi no 1 prend effet dans sa forme
actuelle.
Nous présentons donc dans cette section, une description de la
démarche de francisation telle qu'elle découle du Projet de loi
no 1. Cette description est en 8 points. 1. Les droits linguistiques des
Québécois 2. Les modifications institutionnelles mandataires 3.
Les objectifs et le contenu des programmes de francisation 4. La mise en oeuvre
des programmes 5. L'Office de la langue française 6. Les autres
organismes de francisation 7. Les sanctions 8. Les travailleurs
non-québécois 1- Les droits linguistiques des
Québécois
L'article 4 reconnaît à tout "travailleur"
québécois le droit de travailler en français et ce,
"quelles que soient la nature, la forme et la taille de l'entreprise" pour
laquelle il travaille. La spécification de "l'entreprise" est une
indication que le législateur veut ainsi reconnaître le droit
à tout travailleur d'exiger de travailler en français dans
l'entreprise par qui il est présentement employé (sauf pour les
exceptions prévues à l'article 37). L'article 5 reconnaît
au consommateur québécois le droit d'être informé et
servi en français. 2-Les modifications institutionnelles mandatoires
La reconnaissance d'un droit n'en garantit pas nécessairement la
jouissance. Aussi le Projet de loi no 1 propose-t-il entre autres des
modifications institutionnelles visant à permettre la jouissance de ces
droits dans des circonstances spécifiques.
Divers articles portant sur la langue du commerce et des affaires
contribuent globalement à assurer que l'entreprise communique en
français avec le consommateur et plus globalement le public
québécois. De plus, certains de ces articles restreignent l'usage
d'autres langues (viz l'anglais) dans certaines communications publiques de
l'entreprise, notamment l'affichage, les raisons sociales et possiblement
l'étiquetage. L'affichage public à quelques exceptions
près, sera dorénavant unilingue. Les raisons sociales
utilisées au Québec devront aussi être unilingues. A cet
égard, d'aucuns se demandent si les raisons sociales en langue anglaise
seront permises sur l'étiquetage bilingue. Une réponse
négative serait si en contraction avec l'esprit de l'article 41 sur
l'étiquetage, qu'elle nous semble improbable. Notons toutefois, qu'une
interprétation à la lettre du second paragraphe de l'article 50
sur les raisons sociales pourrait empêcher l'utilisation de toute version
anglaise de raison sociale sur la papeterie utilisée au Québec
par une entreprise, en particulier au siège social d'une entreprise
d'envergure canadienne ou multinationale.
Les articles mandatoires quant à la langue de travail rendent
obligatoire l'utilisation du français dans les relations de travail,
sans toutefois proscrire l'utilisation d'une autre langue. L'article 36
prescrit la rétrogradation ou le congédiement d'un salarié
pour connaissance insuffisante d'une autre langue que le français.
L'article 37 défend à tout employeur d'exiger la connaissance
d'une autre langue que le français pour un "poste" à moins que
l'accomplissement de la tâche ne l'exige. L'employeur peut être
appelé à justifier de telles exigences et l'Office
élaborera des règlements à cet effet.
Nous traiterons plus loin d'autres mesures mandatoires ayant trait
à la connaissance du français par les membres d'ordres
professionnels. 3- Les objectifs et le contenu des programmes de
francisation
Au-delà des mesures mandatoires, les auteurs du Projet de loi no
1 ont retenu la formule des programmes de francisation pour s'assurer que les
Québécois peuvent exercer leur droit de travailler en
français. Les entreprises de 50 employés et plus doivent
posséder un certificat de francisation attestant que l'entreprise a
institué un programme de francisation dûment approuvé par
l'Office ou que le français y a déjà le statut que visent
à lui accorder les programmes. Les objectifs et le contenu des
programmes sont décrits aux articles 112 et 113.
Une analyse de ces articles indique clairement que l'Office a des
pouvoirs substantiels pour déterminer, de son propre chef, les objectifs
que doivent viser les programmes de francisation. L'article 113 reconnaît
que les programmes doivent tenir compte des relations de l'entreprise avec
l'extérieur du Québec. Outre cette clause d'ordre
général, l'Office a toute latitude pour déterminer les
normes quant à l'utilisation du français. Il n'y a pas lieu de
croire, à ce stade-ci, que la réglementation afférente au
Projet de loi, préciseraou même portera sur ces normes. L'Office
sera donc en mesure de proposer son interprétation des intentionsdu
législateur.
La nécessité d'évaluer la portée du Projet
de loi no 1 nous oblige à postuler certaines hypothèses quant
à ces objectifs. Nous avons analysé d'une part les intentions du
Gouvernement telles qu'exposées dans le Livre blanc, le Projet de loi no
1 et dans un document officieux remis par M. Guy Rocher, sous-ministre au
développement culturel au Centre de linguistique de l'entreprise.
D'autre part, notre familiarité avec le dossier de la. francisation et
notamment sur l'état des débats entre les experts de la
francisation quant à ces objectifs nous a permis d'établir ces
hypothèses.
Nous postulons donc les hypothèses suivantes quant aux objectifs
et au contenu des programmes de francisation qui découleraient de la
mise en application du Projet de loi no 1. a) Etablissements dont
l'activité principale est la production ou la vente de biens ou services
et l'entreposage
Cette catégorie d'établissements comprend toutes les
usines au Québec, les succursales de ventes, les succursales
d'institutions financières et de courtage immobilier, les entrepôt
et les centres de distribution, les commerces, les bureaux de services à
l'entreprise et de services personnels. Sont exclus de cette catégorie
les centres de recherche et les sièges sociaux et divisionnaires. i-
Toutes les communications orales et écrites au niveau des
employés de l'exploitation et de leur personnel de supervision (tels les
contremaîtres et agents de maîtrise) se feront uniquement en
français. Tous les documents destinés à ces
employés (tels fiches d'instruction, manuels d'entretien, plans, devis,
procédurier, etc.) devront aussi être rédigés en
français. Dans les entrepôts et magasins, les pièces seront
inventoriées en français; les catalogues à la disposition
des employés seront en français. Les formulaires qu'utiliseront
les employés seront uniquement en français. ii- Les cadres et le
personnel de bureau directement à leurs services travailleront
principalement ou uniquement en français. L'entreprise devra justifier
à l'Office, pour chaque poste, la nécessité de
l'utilisation de l'anglais. Toutefois, l'entreprise n'aura pas à
traduire les manuels de référence et certains manuels techniques
utilisés occasionnellement par ces cadres. Les formulaires et les
documents de gestion utilisés par ces cadres, seront uniquement en
français.
iii- L'entreprise devra prendre des mesures pour que les communications
entre ces cadres qui travaillent dans ces établissements et avec des
établissements situés hors du Québec, se fassent
éventuellement en français, dans la mesure du possible. Cette
pratique pourra s'étendre aux communications avec les fournisseurs
non-québécois de l'entreprise, à quelques exceptions
près. iv- Toutes les communications entre ces établissements et
d'autres établissements au Québec, que ce soit des
établissements de l'entreprise, tel le siège social, ou des
clients ou des fournisseurs, devront se faire en français. De
même, si le siège social est situé ailleurs au Canada, les
communications devront éventuellement se faire en français. v-
Tout le personnel de ces entreprises, hormis les employés de production,
devront nécessairement avoir une connaissance fonctionnelle du
français. Le niveau adéquat de cette connaissance sera
défini par l'Office. Bien qu'officiellement, l'Office ne statuera pas
sur la présence relative de Québécois d'origine ethnique
française dans ces entreprises, l'Office demandera à ces
entreprises de viser, au niveau des cadres, le ratio 80:20, comme
présence minimale, vi- Seront exemptées de ces mesures, les
salles de rédaction des entreprises de communications dont la principale
langue de communications n'est pas le français. b) Sièges
divisionnaires
Les objectifs s'appliquant à la catégorie
précédente d'établissements s'appliqueront aux
sièges divisionnaires. Toutefois, des sièges divisionnaires
pourront communiquer en anglais avec des établissements hors du
Québec qu'ils dirigent. c) Centres de recherche et bureaux de services
professionnels
Les objectifs s'appliquant aux établissements de la
première catégorie s'appliqueront avec les modalités
suivantes: i- Les travaux pour des clients non-québécois pourront
se faire dans une langue autre que le français si le client le demande.
ii- Les scientistes pourront publier leurs travaux dans la langue de leur
choix. Ils pourront continuer d'utiliser des manuels techniques de langue
anglaise. iii- Les services d'administration internes de ces entreprises
fonctionnent exclusivement en français. d) Sièges sociaux i- Tous
les services de gestion internes de sièges sociaux devront
éventuellement fonctionner en français. ii- Les sièges
sociaux pourront transiger dans la langue de leur choix, avec tout
interlocuteur hors du Québec. Toutefois, ils devront établir "le
bien-fondé de cette situation", iii- L'anglais continuera d'être
utilisé dans les activités de coordination et les
activités de direction des sièges sociaux à rayonnement
extra-québécois. Toutefois, l'Office demandera au siège
social de proposer des mesures afin d'augmenter l'utilisation du
français dans ces activités, iv- Le siège social devra
prendre des mesures pour "bilinguiser" ses cadres anglophones, v- Les cadres
venant de l'extérieur du Québec pour travailler de façon
permanente au siège social devront envoyer leurs enfants à
l'école française. vi- Une procédure plus sommaire sera
élaborée pour la justification des exigences linguistiques pour
les postes dans les sièges sociaux à rayonnement
extra-québécois. Néanmoins, on insistera pour qu'un grand
nombre de postes de cadres et de personnel de bureau, soient exemptés de
cette exigence de la connaissance de l'anglais. vii- Sans viser une
représentation démographique similaire à celle du
Québec, l'Office verra à ce que le programme de francisation
prévoit une présence de francophones qui sera
élevée. De façon plus ou moins explicite, l'Office exigera
qu'une partie importante de ces francophones soit des Québécois
d'origine ethnique française.
La description qui précède constitue, à notre avis,
le scénario le plus plausible quant aux normes et procédures qui
découleraient de la Loi 1. La loi laisse à l'Office
l'entière responsabilité de formuler ces objectifs qui
s'appliquent à toutes les entreprises de 50 employés et plus.
Le contenu des programmes de francisation contiendra une série de
mesures permettant d'atteindre ces objectifs: traduction, recrutement de cadres
francophones, apprentissage du français, développement
terminologique, etc.
L'échéancier des programmes de francisation, selon notre
interprétation du Projet de loi, est laissé à la
discrétion de l'Office. Nous interprétons l'article 95 à
la lumière des explications du Livre blanc, comme indiquant que tous les
programmes de francisation devront avoir été approuvés et
mis en vigueur depuis deux ans en 1983.
Nous postulons que la majorité des programmes viseront à
atteindre leurs objectifs, au plus tard entre 1985 et 1990. Les programmes des
sièges sociaux pourront s'échelonner plus loin dans le temps. Par
contre, les échéanciers comprendront plusieurs
échéances intermédiaires, pour des activités
spécifiques. 4- La mise en oeuvre des programmes
Les entreprises de 100 employés et plus doivent former des
comités de francisation dont 1/3 des membres doivent être des
employés syndiqués ou, à défaut, des
salariés. Ces comités seront les maîtres d'oeuvre du
programme de francisation à l'intérieur des entreprises.
Nous sommes d'avis que la réglementation stipulera que ces
comités doivent amorcer des mesures de francisation au plus tard six
mois après la promulgation de la Loi. Toutefois, la
réglementation contiendra un calendrier prévoyant des
échéanciers quant à la négociation de programmes
formels de francisation avec l'Office. Ce calendrier s'étendra jusqu'en
1981, contrairement à 1983, sous la réglementation de la Loi
22.
L'Office distribuera aux entreprises des formulaires pour évaluer
leur situation linguistique (art. 115). L'Office préparera ces
formulaires et n'a pas à les faire approuver par le Gouvernement. La
direction de l'entreprise et le comité de francisation sont responsables
de l'analyse linguistique. Si l'Office juge qu'il doit y avoir un programme, le
comité de francisation prépare un programme et le soumet à
l'Office pour approbation. Si l'Office juge que le programme ne rencontre pas
ses normes quant aux objectifs, au contenu ou aux échéances, elle
peut demander qu'il soit modifier. Selon l'article 118, l'Office peut exempter
temporairement une entreprise de l'application de certains articles de la
Loi.
Après approbation, le programme est mis en oeuvre. Après
une période d'implantation, (probablement deux ans) l'Office
évalue si le programme fonctionne bien. A cet effet, l'Office peut
demander aux commissaires enquêteurs de vérifier si tel est le
cas. Si l'évaluation est positive, l'entreprise reçoit son
certificat de francisation. 5. L'Office de la langue française
L'Office est dirigée par un président, un fonctionnaire
qui a le rang et les attributs d'un sous-ministre. L'Office dispose de pouvoirs
discrétionnaires importants.
Elle établit des normes quant aux objectifs des programmes de
francisation dans une entreprise et à l'échéancier du
programme.
Elle peut refuser d'émettre, avant la date prévue par
règlement, ou retirer un certificat de francisation et par le fait
imposer aux entreprises les sanctions prévues à l'article 106.
Elle élabore ses propres questionnaires et elle peut demander en tout
temps à l'entreprise de les compléter.
La Loi ne prévoit aucun mécanisme formel d'appel.
Elle normalise la terminologie utilisée au Québec. Par
l'article 85, cette terminologie doit être obligatoirement
utilisée dans les documents de l'administration et les manuels scolaires
sous l'autorité qui lui est confiée aux articles 117 et 108.
L'Office a deux grandes missions: le développement d'une
terminologie normalisée et l'administration des programmes de
francisation. Le calendrier prévu pour le projet de loi no 1
réduit de deux ans les délais prévus par la Régie
de la langue française (portant de fin 1983 à fin 1981) pour le
processus d'analyses linguistiques, de préparation de programmes et de
négociation de ces programmes. Dans l'intervalle, environ 8000 à
9000 entreprises auront demandé leur certificat et fait leur analyse
linguistique et la majorité d'entre eux auront préparé et
négocié un programme de francisation. Pour négocier ces
programmes, l'Office comptera sur des agents de francisation. Il est difficile
à ce stage de prévoir le nombre d'agents qu'il faudra recruter.
Pour chaque dossier d'entreprise, il y aura vraisemblablement trois plans
d'intervention des agents de francisation d'ici 1981: approbation du
découpage de l'entreprise pour les fins de son analyse linguistique,
évaluation de l'analyse linguistique et négociation et
approbation d'un programme. Compte tenu de l'ampleur de la tâche, le
nombre d'agents pourrait se situer entre cinquante et cent.
Nous présumons que l'efficacité de la Direction de la
francisation, le service de l'Office où seront regroupés les
agents de francisation, sera celle d'un service gouvernemental typique,
c'est-à-dire une bureaucratie ni plus ni moins efficace que la
bureaucratie gouvernementale en général. Compte tenu de l'ampleur
de la tâche, du fait que les agents de francisation seront nouvellement
formés et auront vraisemblablement peu d'expérience dans
l'entreprise (1), nous prévoyons que l'appareil de francisation sera
relativement lourd.
(1) Le recrutement d'agents de francisation ayant de l'expérience
dans l'entreprise pourrait s'avérer difficile. En effet, les entreprises
exercent elles aussi une demande pour ce type de candidats.
Sur le plan du développement terminologique, l'Office devra aussi
mettre les bouchées doubles. La Régie compte actuellement 110
terminologues et le travail de développement terminologique a
été plus lent que prévu initialement. Ainsi, la Banque
informatisée de terminologie, qui devait être en opération
en 1976, ne fonctionne pas encore. La terminologie de tronc commun ne sera pas
développée et normalisée complètement avant 1980.
6. Les autres organismes de francisation
Le Projet de loi crée une Commission de surveillance en
détachant de l'actuelle Régie les fonctions du commissaire
enquêteur. Les commissaires enquêteurs ont les pouvoirs usuels et
pourront être assistés d'inspecteurs. La Commission fera
enquête suite à des plaintes de citoyens ou à la demande de
l'Office.
Le Projet de loi crée aussi un organisme consultatif, le Conseil
consultatif de la langue française. Formé de représentants
des divers milieux socio-économiques, ce Conseil donne son avis au
ministre sur tout sujet pertinent à la langue et reçoit aussi les
requêtes, suggestions et observations des individus et des entreprises,
qu'il transmet au ministre. Le Conseil peut aussi faire des recherches et
informer la population sur des questions afférant à la
langue.
La coordination des trois organismes sera vraisemblablement faite par le
Ministère responsable. Il y a plusieurs domaines où il y a
chevauchement de responsabilités, principalement entre le Conseil et
l'Office. Selon l'ampleur du rôle que veut confier le ministre au
Conseil, ce dernier pourra être appelé à se prononcer sur
des questions d'ordre technique et devra se constituer des services de
recherche et d'analyse. 7. Les sanctions
Le Projet de loi prévoit trois types de sanctions. D'abord
à l'article 153, des amendes sont prévues pour tout individu ou
entreprise trouvé coupable d'une infraction à une disposition de
la Loi ou d'un règlement adopté en vertu de la Loi.
De plus, l'Office peut retirer à une entreprise son certificat de
francisation ou refuser de lui en accorder un. Si tel est le cas, toute
entreprise de 50 employés et plus, au-delà d'une date, qui se
situera d'ici 1983 selon la réglementation, n'est plus éligible
à une série "d'avantages" précisés à
l'article 106 et dans la réglementation. L'article 106 est très
"généreux" quant à ces "avantages". A la limite, une
entreprise pourrait se voir privée du service
téléphonique. Toutefois, la réglementation viendra
restreindre le champ des pénalités couverts par l'article 106.
Néanmoins, les observations suivantes sont importantes:
Tout le poids économique de l'Etat et du système
para-public est à la disposition du fonctionnaire de l'Office pour
amener l'entreprise à adopter un programme de francisation acceptable
aux yeux de l'Office. L'entreprise qui refuse d'adopter et de mettre en vigueur
un tel programme ne peut plus vendre de biens ou services dans le
système public et para-public (à l'exception des organismes
fédéraux).
De par son pouvoir d'octroyer des permis aux entreprises
d'utilité publique, le Projet de loi no 1 les forcent a ne plus
transiger ' avec les entreprises qui n'ont pas de certificat. De plus, le
Gouvernement refusera d'accorder tout avantage qu'il soit à l'entreprise
qui n'aura pas de certificat: primes, concessions, subventions. De même
certains permis ne pourront être émis à ces
entreprises.
La décision de refuser ou de retirer un certificat est prise par
un fonctionnaire, à la lumière de normes élaborées
par l'Office et qui ne sont ni dans le règlement afférant
à la Loi, ni dans les règlements de l'Office qui doivent
être approuvés par le Gouvernement. Il n'y a de plus aucune
obligation à ce que ces normes soient rendues publiques. Il n'y a aucun
droit d'appel prévu. Dans toute décision de refuser ou de retirer
un certificat, l'Office est à la foi juge et partie.
La troisième pénalité est la dénonciation
publique, dans le rapport annuel de l'Office, des entreprises de 500
employés et plus qui se sont vues refuser ou annuler leur certificat ou
qui ne l'ont pas demandé. 8. Les travailleurs
non-québécois
Globalement, le Projet de loi no 1 cherche à intégrer les
travailleurs non-québécois qui viennent travailler au
Québec par le biais de l'intégration de leurs enfants dans le
système scolaire francophone (article 52) et en exigeant que les membres
des ordres professionnels aient une connaissance d'usage du français
(article 32).
Au chapitre de la langue d'enseignement, l'article 58 permet d'exempter
de l'application de la Loi les personnes qui ne sont que de passage au
Québec ou qui y séjournent pour un temps limité. Les
conditions en seront fixées par règlement et nous
présumons à ce stade qu'un séjour de temps limité
sera défini comme un séjour de moins de trois ans.
Les ordres professionnels pourront accorder des permis temporaires d'une
durée maximale de trois ans aux personnes qui n'ont pas une connaissance
d'usage du français, quelle que soit la nature de leur travail. Les
examens pour évaluer la connaissance du français pourraient
être administrés par l'Office de la langue française. (Ils
sont présentement administrés par la Régie de la langue
française). La réglementation viendra préciser ce
point.
Ce scénario de francisation n'est pas le seul plausible. Nous
croyons qu'à partir des mêmes principes et des mêmes
objectifs, il est possible de construire un scénario alternatif tout
aussi plausible.
CHAPITRE IV Un scénario alternatif
Le scénario modifié que nous proposons s'inscrit dans le
cadre de la Loi no 1 et s'inspire largement des dispositions principales de ce
Projet de loi. Nous avons donc proposé des changements avec parcimonie
en insistant pour que les modifications suggérées soient vraiment
nécessaires.
Nous voudrions aussi souligner que nous avons limité nos
observations à la langue des entreprises. Plusieurs amendements auraient
pu être suggérés à d'autres titres. Prenons le cas
de l'administration publique. D'aucuns peuvent argumenter que le Projet de loi
no1 devrait être modifié quant à l'unilinguisme de
l'administration publique. D'un point de vue analytique et en autant que toutes
les entreprises sont traitées sur un même pied, nous n'avons pas
d'amendements à proposer à ces articles.
Nous avons identifié 57 articles du projet de loi susceptibles
d'avoir un impact sur les entreprises opérant déjà au
Québec. Dans le cas de 27 articles, nous n'avons aucune suggestion
à formuler tant quant à l'esprit qu'à la lettre des
articles. Dans 7 autres cas, si nous n'avons aucune suggestion précise
à faire quant à la formulation des articles, nous avons quand
même apporté des précisions quant à la façon
dont nous interprétions la portée de l'article. Dans le cas de 2
articles, nous avons suggéré des modifications mineures. Il reste
7 articles à propos desquels les suggestions d'amendements, sans toutes
être aussi importantes les unes que les autres, nous sont apparues comme
majeures. Pris dans leur ensemble, ils définissent un scénario
alternatif de francisation des entreprises. On retrouvera les amendements en
annexe à ce chapitre.
Nous présenterons d'abord dans ce chapitre sept principes qui
nous ont guidé dans la formulation de nos suggestions. Puis nous
présenterons, selon le schéma d'analyse utilisé au
chapitre précédent, une démarche de francisation
alternative. En troisième partie, nous comparerons ce scénario
alternatif au scénario proposé par la Loi no 1.
A - Les principes directeurs
Ces principes directeurs ne sont pas propres au scénario SECOR.
Dans la majorité des cas, il s'agit d'une relecture de notre part de
certains principes que nous pouvons retrouver tel quel dans la Charte. 1. La
Loi doit permettre aux Québécois d'exercer leur droit à
travailler en français
C'est autour de cet engagement solennel d'un gouvernement envers ses
commettants que nous avons élaboré un scénario alternatif
pour la francisation des entreprises et plus globalement, des milieux de
travail au Québec.
Pour les entreprises, cet engagement se traduit par une volonté
de faire du français la langue "normale", "usuelle" de travail et de
communications, et ce dans les plus brefs délais. Cette francisation du
milieu de travail, suppose-t-on, entraînera au fil des années une
francophonisation des cadres supérieurs de l'entreprise. 2. Une loi de
promotion linguistique
Le Projet de loi no 1 est clairement une loi de promotion linguistique,
comme en fait foi le contenu du titre 1. On y énonce les droits
linguistiques des Québécois et les changements institutionnels
visant à favoriser le plein exercice de ces droits. A l'article 112 du
projet sont définis les objectifs des programmes de francisation des
entreprises. Les clauses C à G portent exclusivement sur des
mécanismes linguistiques: documents de travail, communications internes
et externes, terminologie, publicité et communications avec le
personnel. Les clauses A et B de cet article portent sur l'établissement
de conditions permissives à la réalisation de ces objectifs:
connaissance de la langue par le personnel et présence de
"Québécois" (1) à tous les niveaux de l'administration de
l'entreprise. En somme, ces deux
(1) Le terme Québécois n'est pas défini. Nous
croyons qu'il est implicite dans l'esprit des auteurs que
"Québécois" signifie des personnes du Québec ayant une
connaissance du français.
clauses visent à assurer une présence francophone à
l'intérieur de l'entreprise. Toutefois, il faut considérer cette
présence francophone comme une caractéristique collective de
l'entreprise et non pas comme une caractéristique attachée
à la définition d'un certain nombre de statuts individuels. Il
s'agit non pas d'une agrégation d'individus présumés
d'expression française mais d'un potentiel d'utilisation du
français parmi les ressources humaines de l'entreprise. 3-La
francisation: un processus de changement social
Par le passé, la francisation des entreprises a surtout
été l'objet de solutions de type "privées", qui faisaient
de la promotion du français dans l'entreprise, la responsabilité
conjointe des employés pris individuellement,des syndicats, des clients
et des dirigeants de l'entreprise. Pour ces derniers, il s'agissait souvent de
vouloir respecter les libertés linguistiques des employés et des
clients et de reconnaître que l'utilisation du français pouvait
contribuer à améliorer le climat de l'entreprise et par suite, la
qualité des décisions qui y sont prises. Par leur
réticence à accepter au sein de l'entreprise des postes où
le français est peu utilisé ainsi que par leurs revendications
tant individuelles que syndicales, les travailleurs québécois ont
eux aussi contribué au processus de francisation.
Malgré certains succès, ces solutions privées
souffrent néanmoins de sérieuses limitations, dont le Livre blanc
fait indirectement mention. En premier lieu parce qu'elles se fondent
uniquement sur le pouvoir économique du client ou des employés
individuels, ces solutions sont nécessairement limitées par
l'inégalité des ressources dont disposent les acteurs. C'est ce
que le Livre blanc reconnaît lorsqu'il fait mention que ce sont souvent
les travailleurs québécois qui ont eu à supporter les
conséquences de l'absence de politiques de francisation, absence dont il
ne pouvait, vu leurs ressources limitées, que déplorer
l'existence. En second lieu, les entreprises qui ont choisi de consacrer
davantage de ressources à la francisation se voyaient en quelque sorte
pénalisées par rapport à d'autres qui avaient choisi de ne
pas tenir compte du bien-fondé d'un processus de francisation.
Troisièmement, alors que de l'intérieur de l'entreprise les
efforts de francisation pouvaient apparaître louables, de
l'extérieur ils pouvaient au contraire être jugés comme
largement insuffisants.
Devant l'insuffisance des solutions privées et les attentes et
exigences d'un bon nombre de citoyens, l'Etat québécois a
décidé d'intervenir. Cette intervention à elle seule
suffit à faire de la francisation des entreprises un processus de
changement social qui vient nécessairement modifier l'environnement
politique, économique, social et culturel québécois. Le
point clé de cette intervention sociale est, nous l'avons
déjà dit, la reconnaissance du droit pour tout
Québécois de travailler en français. Il s'agit d'un droit
universel, virtuel qui ne saurait subir de limitations autres que celles que
les individus eux-mêmes auront décidé d'assumer
volontairement. L'exercice de ce droit se fait dans un contexte de ressources
limitées surtout en ce qui touche les cadres francophones dont la
présence à tous les paliers de l'entreprise est une condition
nécessaire pour que la reconnaissance de ce droit puisse se traduire
dans la réalité quotidienne du monde du travail. Qui dit
ressources rares dit nécessairement une décision d'allouer telle
ou telle ressource selon telle ou telle priorité. L'Etat, en faisant de
la francisation de toutes les entreprises, l'objectif central de son action,
vient nécessairement perturber le processus habituel d'allocation de ces
ressources rares (à ne pas confondre avec "inexistantes" ou
"insuffisantes") que sont les cadres francophones.
Si l'Etat décide d'intervenir pour accélérer un
processus qui jusqu'à aujourd'hui (ou plus précisément,
jusqu'en 1974), était laissé uniquement aux initiatives
privées, l'État a la responsabilité de tenir compte des
conséquences économiques et sociales que la mise en oeuvre d'un
tel objectif entraîne. Comme le souligne le Livre blanc, il y a donc
nécessité pour l'Etat responsable, de définir "la
stratégie globale" de cette mise en oeuvre. En ce sens, la Loi no 1
précise les options stratégiques qu'elle retient. L'affirmation
de droits linguistiques, les changements institutionnels et les
mécanismes de changement en sont les principaux éléments.
Maître d'oeuvre d'un profond processus de changement social, l'Etat doit
demander au législateur d'arrêter les principaux
éléments de la stratégie globale. 4-La francisation des
entreprises: un processus de changement organisationnel
Certaines entreprises oeuvrant au sein de marchés dynamiques sont
habituées à gérer des changements organisationnels.
D'autres, en raison du faible rythme de changement dans leur marché ou
de leur processus de fabrication, auront davantage de difficultés
à régler les problèmes de ressources humaines
associés à la francisation. Certes, c'est là la
responsabilité première de ces entreprises. Mais il ne faudrait
pas croire que le reste de la société n'y est pas
impliqué. L'entreprise est une réalité organique aux
multiples facettes. Il y a tout d'abord là un ensemble de ressources
techniques et procédures qui transforment des matières
premières ou fournissent des services. L'entreprise est aussi un
système hiérarchisé et articulé d'hommes et de
femmes qui s'intègrent dans une société et dont les
objectifs et les projets dépassent et même s'opposent aux buts et
projets de l'entreprise. Enfin, l'entreprise est une réalité
publique qui jouit certes d'un certain pouvoir sur des ressources mais qui est
aussi soumise à des contraintes extérieures. (Etat, syndicats,
concurrence, opinion publique) C'est toute l'entreprise dans sa dimension
économique, sociale et publique qui est impliquée dans le
processus de francisation. Dans certains cas, les effets de ce processus sont
immédiats et apparents (affichage, publi-
cité) car il s'agit là de prescriptions normatives
claires. Dans d'autres cas, des modifications organisa-tionnelles
substantielles étalées sur plusieurs années, seront
requises. L'entreprise doit pouvoir planifier ce changement organisationnel
qu'on exige d'elle. D'ailleurs le Livre blanc le reconnaît explicitement
au chapitre IV. ("Pour une concertation"). Le processus même de la Loi 22
en ce qui a trait à la notion de programmes de francisation n'est pas
mis en cause. Il y a donc exprimée là une volonté claire
de continuité, beaucoup plus marquée qu'au chapitre de la langue
d'enseignement où la rupture avec la Loi 22 est nette.
C'est donc que l'on continue de voir dans la francisation des
entreprises le résultat d'un processus de changement planifié et
non pas le résultat d'une transformation quasi-instantanée comme
au chapitre de l'affichage et de la signalisation.
Certes, l'article 95 stipule que l'objectif de faire du "français
la langue des communications et du travail" devra être atteint avant la
fin de 1983, ce qui laisse supposer que le processus de francisation devrait
être terminé avant cette date, mais il semble que l'on doive
donner une autre interprétation à cet article. Ainsi, le Livre
blanc mentionne qu'en "1983, toutes les entreprises de cinquante
employés et plus devront avoir obtenu leur certificat de francisation"
(p. 45). Un tel certificat, précise le Livre blanc, ne signifie pas que
les objectifs du programme de francisation ont été atteints mais
que le processus est en marche. C'est ainsi que l'on parle de décerner
des certificats de francisation afin de "reconnaître les efforts
consentis et le chemin parcouru" (p.45). En 1983, toutes les entreprises auront
négocié et mis en marche depuis au moins 1981 leur programme. "Il
va sans dire, continue le Livre blanc, que la francisation complète, une
fois le programme accepté, pourra s'échelonner sur une plus
longue période" (p. 45). Donc, malgré le caractère
restrictif de l'article 95, il semble que l'on doive interpréter la date
de 1983 comme le moment où la francisation est en pleine marche et non
pas comme une date ultime pour sa réalisation.
Même si la Charte ne se borne pas à inciter et
prévoit des sanctions, il s'agit d'une approche à la francisation
fondée sur la concertation et donnant à l'entreprise un
rôle prédominant: "C'est une lourde tâche qui exigera
beaucoup de participation de la part des entreprises, une action
énergique de la part de l'Office de la langue française et la
collaboration de tous les organismes de l'Administration qui sont en relation
avec les entreprises privées". (La politique québécoise...
p. 42)
Dans le cas spécifique de cette loi, les principes suivants du
changement organisationnel sont importants. i) L'engagement de la direction de
l'organisation à réaliser les objectifs visés. ii) Des
interventions planifiées et cohérentes à
l'intérieur de l'organisation qui s'inscrivent dans la dynamique
même de l'entreprise. iii) Le respect du contrat social qui lie
l'organisation à ses employés, à ses actionnaires ou
membres coopératifs, et s'il y a lieu, à d'autres organisations
associées. iv) Le respect des principes de saine gestion des entreprises
privées.
A cet égard, la participation de représentants des
entreprises, des travailleurs et des autres groupes intéressés
à la direction de l'Office nous semble essentielle. De même,
l'instauration de mécanismes de consultation à l'intérieur
des entreprises et entre l'entreprise et l'Office nous semble essentielle. La
mise en application de la loi dans un contexte de situations hautement
différenciées nécessite de la part de l'Office un
comportement nuancé. Ceci ne peut se faire que s'il règne un
climat d'étroite collaboration et de confiance entre l'entreprise et
l'Office. De même à l'intérieur des entreprises, la
participation du personnel au processus de changement que définit le
programme de francisation, est une condition importante de son succès
éventuel. A cet égard, les comités de francisation
contribuent à créer un climat propice à cette concertation
organisationnelle. 5- La reconnaissance de
l'hétérogénéité interne de l'entreprise.
Les entreprises qui oeuvrent au Québec ne constituent pas un
groupe homogène. Le Livre blanc est très explicite à ce
sujet: "En ce qui concerne le processus de francisation, on sait que toutes les
entreprises ne sont pas au même point", (p. 44) Certaines sont plus
"avancées" que d'autres dans leur francisation. La structure interne
diffère, les produits, le personnel aussi. Ceci rend beaucoup plus
complexe le travail du législateur. En effet, si d'une part, le
législateur se doit de préciser les éléments de la
stratégie d'intervention, d'autre part, cette stratégie prendra
effet et s'insérera dans le tissu complexe et varié du monde des
entreprises. Cette hétérogénéité qui pose un
véritable défi au législateur éclairé
résulte d'ailleurs non seulement des différences entre les
entreprises mais aussi des variations importantes au sein d'une même
entreprise.
Face à une telle complexité, le législateur est
limité dans le processus de définition de sa stratégie.
Elle se doit d'être globale. Par contre, elle doit s'appliquer à
une myriade de situations différenciées. Face à un tel
dilemme, le législateur doit déléguer des pouvoirs
substantiels à des organismes responsables de l'articulation et de la
mise en oeuvre de la Loi. Ceci ne peut être plus évident que dans
le Projet de loi no 1. Le législateur peut définir clairement les
droits linguistiques des Québécois. Par
contre, il laisse à l'Office de la langue française
d'importants pouvoirs pour créer les conditions permissives de
l'exercice de ces droits. Le mandat de l'Office est défini à
l'article 95: "L'Office a pour responsabilité de veiller à ce que
le français devienne, le plus tôt possible, la langue des
communications et du travail dans... les entreprises opérant au
Québec".
Bien que certains articles viennent quelque peu préciser ce
mandat, il est évident que l'Office se voit confier d'importants
pouvoirs discrétionnaires et en particulier celui d'approuver les
objectifs et le contenu des programmes de francisation. Face à
l'hétérogénéité des situations des
entreprises à l'intérieur des entreprises, le législateur
doit déléguer d'importants pouvoirs d'interprétation quant
à ses intentions. 6-La vocation internationale de l'entreprise
québécoise
Le Livre blanc reconnaît clairement le "statut particulier" de
certaines entreprises, notamment en ce qui a trait . aux relations de certaines
entreprises avec l'étranger . au cas spécial des sièges
sociaux établis par Québec par des sociétés dont
l'activité s'étend hors du Québec.
La loi, pas plus que le Livre blanc, ne s'arrête à
définir ce qu'on entend par "relations avec l'étranger" ou par
"siège social". Toutefois, l'intention est clairement exprimée de
tenir compte de ces facteurs dans l'établissement des programmes de
francisation. La Loi par contre, insiste sur le fait que ces conditions
"spéciales" ne dispensent pas l'entreprise de se donner des programmes
de francisation et de suivre la même démarche que les autres
entreprises.
En somme, on laisse au Gouvernement et plus particulièrement
à l'Office le soin d'articuler concrètement les modalités
d'un processus de francisation qui reconnaissent certaines contraintes
provenant d'une vocation internationale qui reste ouverte, semble-t-il,
à l'entreprise québécoise. Dans le contexte particulier du
Québec, cet aspect est très critique. En effet, la vocation
internationale de l'entreprise québécoise se traduit
principalement, dans les faits, par une extension nord-américaine. Or,
la réalité linguistique nord-américaine, à
l'exclusion du Québec, est essentiellement unilingue anglophone, il faut
bien en convenir. Dès lors, il est difficile d'éviter que la
passerelle linguistique, essentielle à la manifestation de cette
vocation nord-américaine, soit située principalement au
Québec. D'où la nécessité de définir, dans
les faits, des conditions qui permettent la coexistence du français et
de l'anglais dans l'entreprise québécoise à vocation
nord-américaine. Il faudra donc pousser plus loin la réflexion
sur la dimension extra-québécoise de l'entreprise ou plus
particulièrement de certaines entreprises. Ainsi, la dimension
internationale peut se retrouver dans l'un ou l'autre des sous-ensembles
suivants: 1. le siège social et les services généraux 2.
les sièges administratifs divisionnaires (Est du Canada, Québec)
3. les laboratoires de recherche 4. les unités de fabrication et de
ventes.
La définition des conditions de coexistence devra tenir compte
des relations administratives, commerciales et techniques ainsi que des
ressources humaines dont disposent les entreprises auxquelles elle fait
appel.
Si elles veulent être innovatrices et jouer pleinement leur
rôle économique, les entreprises situées au Québec
voudront participer à des réseaux de communications situés
en grande partie à l'extérieur du Québec et y participer
pleinement, autant comme émetteur que comme récepteur
d'échanges technologiques. L'entreprise québécoise
à vocation internationale est alors un microcosme non pas principalement
de la réalité québécoise mais du système
mondial de l'entreprise. 7-Une loi claire et sans équivoque
Le Projet de loi no 1 se veut une législation claire et sans
équivoque. Pour fin d'analyse, on peut décomposer la Loi en 5
parties: 1. Les droits linguistiques des Québécois Titre I,
chapitre 1 et 2, articles 1 à 6 2. Les modifications institutionnelles
visant à permettre l'exercice de ces droits Titre I, chapitres 3
à 9, articles 7 à 66 3. L'appareil de francisation Titre II, III
et IV, articles 67 à 162 4. Les infractions et les peines Titre V,
articles 163 à 164 5. Les dispositions transitoires et finales Titre VI,
articles 165 à 177.
Les deux premières parties de la Loi répondent à ce
critère de clarté. Les intentions du législateur sont
présentées de façon non équivoque et laissent peu
de doute quant à leur signification. Toutefois, le problème de la
francisation des entreprises au Québec est complexe et exige des
mécanismes nuancés. Aussi était-il nécessaire de
créer des mécanismes pour favoriser un changement social qui ne
pouvait se faire par des modifications institutionnelles à
caractère universel. Et c'est à ce niveau que la Loi peut
être difficilement claire et sans équivoque. Les articles de la
Loi portant sur les structures de l'appreil de francisation et sur les
dispositions administratives qui définissent ses modes
d'opération, sont relativement clairs. Par contre, au niveau de ses
principes de fonctionnement, des objectifs spécifiques qu'elle doit
viser et des règles d'interprétation quant à l'intention
du législateur, la Loi est vague. Il ne pourrait d'ailleurs en
être autrement. Les intentions du législateur qui peuvent
s'articuler en énoncés simples, sont dans les deux
premières parties de la Loi. Tous les aspects qui exigent
interprétation et qui se prêtent mal à des
énoncés généraux ont été
confiés à l'appareil de francisation et en particulier à
l'Office de la langue française. Les principes et les normes qui
guideront les décisions de l'Office, en particulier en ce qui a trait
aux objectifs des programmes de francisation, à leur
échéancier et aux stratégies de changement, au niveau
spécifique d'entreprises particulières, ne sont
énoncés qu'en termes vagues (articles 112 et 113).
B- Le scénario alternatif 1. Les droits des
Québécois
L'article 4 est modifié pour inclure la reconnaissance explicite
et sans équivoques du droit fondamental des Québécois de
travailler en français. Pour faciliter l'exercice de ce droit, il est
proposé, à l'instar du Projet de loi, que les entreprises
adoptent des programmes de francisation dont l'objectif global est de
généraliser l'utilisation du français à
l'intérieur de l'entreprise. Il ne nous semble pas nécessaire
d'inscrire un article d'application générale interdisant aux
entreprises d'exiger la connaissance d'une langue autre que le français
pour l'accès à un poste, sans motif raisonnable (article 37 du
Projet). Cet article est superflu étant donné la formulation des
articles 112 et 113 de notre proposition. Néanmoins, si le
législateur juge à propos de maintenir une provision quant aux
exigences de la connaissance d'une autre langue, l'article 37 du Projet devrait
être amendé pour exclure toutes références aux
postes. Les "postes" dans une entreprise ont généralement une
fluidité dynamique qui se prête à un encadrement juridique.
La mention de "poste" dans l'article imposerait à l'entreprise des
exercices futiles et perpétuels de codification. De plus, toute
tentative de codifier par règlement des règles quant à la
connaissance d'une langue pour un poste nécessite une définition
de la connaissance de cette langue. Cette connaissance s'exprime par des
niveaux de performance selon quatre fonctions languagiè-res: lire,
écrire, parler, comprendre. Dans les cas litigieux qui surviendront, il
sera très difficile de trancher la question, compte tenu de sa
complexité.
Au chapitre de la langue des affaires, il semble que le Projet de loi no
1 ne pose pas de problèmes majeurs. En conséquence, nous ne
suggérons que des modifications mineures à deux articles.
Nous traiterons plus loin de la langue d'enseignement et de l'article
32, ayant trait aux permis temporaires délivrés par les ordres
professionnels. Nous suggérons d'amender l'article 10 qui prévoit
qu'une version anglaise des textes de loi est imprimée et publiée
par les soins de l'Administration, de façon à ce que non
seulement les projets de loi, mais aussi les projets de règlements
afférents à ces projets de loi soient traduits, imprimés
et publiés. De cette façon, le débat démocratique
sera élargi, les citoyens anglophones jouiront d'un traitement
égal devant la Loi, et la concertation essentielle à la mise en
oeuvre des intentions du législateur sera mieux assurée. 2. Les
objectifs et le contenu des programmes de francisation
Nous proposons des modifications de fond aux articles 112 et 113. Des
règlements précis accompagnent l'article 113.
Les programmes de francisation, tel que notre scénario le
prévoit, ont comme objectif fondamental, de généraliser
l'utilisation du français dans l'entreprise, de telle sorte que les
Québécois puissent exercer leur droit de travailler en
français. C'est à la lumière de cet objectif fondamental
que les programmes doivent être évalués. Deux amendements
sont suggérés à la liste des "objectifs"
spécifiques de l'article 112. En premier lieu, le premier objectif
spécifique que nous proposons est le suivant. a) l'élaboration et
la diffusion dans l'entreprise d'une politique linguistique
Pour l'entreprise, une politique linguistique est l'équivalent
d'une loi linguistique pour la société québécoise.
L'élaboration d'une politique linguistique est
généralement la première étape d'un programme de
francisation. Diffusée à tous les employés, la politique
linguistique devient en quelque sorte l'engagement qui lie les employés
et la direction envers un objectif commun.
Nous suggérons en second lieu de remplacer à
l'alinéa "b" le mot "Québécois" par "présence
francophone". Le mot "Québécois" dans son sens juridique ou
même commun n'a pas de signification linguistique: il désigne tout
simplement les résidents du Québec. L'utilisation du mot
"Québécois" à l'alinéa "b" ne fait que
suggérer que les cadres supérieurs qui travaillent au
Québec devraient avoir une
résidence au Québec. Or, la "présence francophone",
tel qu'interprétée par la Régie et les entreprises dans le
cadre de la Loi sur la langue officielle, entendait la présence de
personnes parlant français et pouvant contribuer au rayonnement au sein
de l'entreprise de la langue française. C'est d'ailleurs cette
expression et non celle de "Québécois" que l'on retrouve dans la
formulation du Livre blanc.
L'article 113 vient compléter l'article 112 de façon
à définir clairement les objectifs des programmes de
francisation. Ces programmes doivent tenir compte des relations commerciales,
administratives et technologiques avec l'extérieur du Québec,
selon des modalités prévues au règlement. Nous croyons
essentiel de décrire de la manière la plus explicite possible les
trois types de relations que peut entretenir une entreprise avec
l'extérieur du Québec. Trop souvent, seules les relations
commerciales sont évoquées. Or, ce sont les relations
administratives et techniques qui imposent le plus de variétés
aux pratiques linguistiques dans l'entreprise.
La réglementation afférente à l'article 113 est un
des éléments les plus critiques de la législation. Cette
réglementation précise les paramètres de l'utilisation
d'une langue autre que le français dans l'entreprise. Ces
règlements établissent le cadre échiquier des discussions
et des négociations entre l'Office et l'entreprise à ce chapitre.
3. La mise en oeuvre des programmes
En ce qui a trait à la mise en oeuvre des programmes de
francisation, deux modifications de fond sont proposées. En premier
lieu, le comité de francisation devient un comité consultatif. Le
comité est consulté lors de l'analyse linguistique et analyse les
résultats. L'élaboration du programme par la direction de
l'entreprise suit une consultation auprès du comité de
francisation. Le comité peut aussi faire valoir ses points de vue
à l'Office. Le programme une fois négocié et
accepté par l'Office, le comité devient en quelque sorte un
organe de surveillance de la mise en application.
Nous croyons essentiel de confier à l'entreprise la
responsabilité finale de l'opération de francisation. S'il y a
négociation quant aux objectifs et à l'échéancier
du programme, elle devra se dérouler entre l'Office et l'entreprise. Les
objectifs visés sont trop fondamentaux pour qu'ils soient laissés
à un processus de marchandage entre trois parties. Par contre, il est
essentiel que les employés soient consultés dans le cadre de
l'élaboration du programme et que leurs points de vue soient connus
à la fois par l'Office et par la direction. De plus, il est tout aussi
essentiel d'imbriquer au sein de l'entreprise un mécanisme de
surveillance de la mise en oeuvre du programme. Le comité de
francisation jouera ce rôle important. Informé, d'une part, des
résultats de l'analyse linguistique et d'autre part, du programme de
francisation approuvé, le comité est en mesure de vérifier
si le programme est bien appliqué. Libre de responsabilité en ce
qui a trait à l'élaboration et à la mise en oeuvre, le
comité peut exercer, avec tout le détachement nécessaire,
le rôle de comité de surveillance.
La représentation "syndicale" ou des travailleurs "de la base"
telle que proposée par le Projet de loi no 1 est suffisante. Le
problème de la francisation se pose d'abord et avant tout au niveau des
cadres intermédiaires. On peut supposer que les intérêts de
ceux-ci seront suffisamment représentés sur le Comité.
La seconde modification a donc trait à l'échéancier
d'émission des certificats de francisation et à
l'opération globale de francisation des entreprises. Notre objet est de
clarifier les confusions qui opposent le Livre blanc et la Charte de la langue
française au Québec.
L'article 95 de la Loi no 1 laisse penser qu'avant l'expiration de
l'année 1983, l'objectif de faire du français la langue des
communications et du travail dans les entreprises opérant au
Québec doit être atteint.
Certes, plusieurs entreprises auront atteint les objectifs de leur
programme de francisation en 1983. Cependant, plusieurs autres, en raison de
leur condition de départ, atteindront l'objectif après 1983,
comme le prévoit d'ailleurs le Livre blanc. La disponibilité de
la terminologie et la francophonisa-tion des cadres sont
généralement les principaux facteurs qui ne leur permettront pas
d'atteindre leurs objectifs de francisation en quelques années.
Nous suggérons donc que 1983 soit la date ultime de
négociation des programmes de francisation pour les entreprises dont le
nombre d'employés se situe entre 50 et 100 employés et que
l'émission des certificats se poursuive jusqu'en 1985. Nous
suggérons ainsi de reporter à 1985 la date ultime à
laquelle toutes les entreprises doivent justifier leur possession d'un
certificat de francisation. Ceci veut dire que toutes les entreprises de 50
employés et plus auront convenu avec l'Office d'un programme de
francisation au plus tard à la fin de 1983 et que tous les programmes
auront été mis en application au moins pendant deux ans.
En fait, l'échéance de 1985 ne s'appliquerait qu'aux
quelques 7000 entreprises de 50 à 100 employés. Les entreprises
de 100 employés et plus verraient leur échéance arriver
à terme en 1983 ou avant. Ces dernières devraient donc convenir
avec l'Office d'un programme avant la fin de 1981.
En bref, nous proposons les modifications et les clarifications
suivantes. i) fin du processus d'analyse et de préparation des
programmes de francisation en 1983 ii) fin du processus d'émission des
certificats de francisation en 1985 iii) l'échéancier des
programmes de francisation dans le cas de certaines entreprises pourra
dépasser l'année 1985
iv) les règlements afférents suggéreront aux
entreprises de commencer dès 1978, leur processus de francisation bien
que leurs certificats de francisation ne soient pas exigibles
immédiatement.
Nous suggérons finalement d'abolir les certificats provisoires.
Suite à l'élaboration d'un programme de francisation dont
l'échéancier tient compte des relations administratives,
commerciales et techniques et aussi des ressources humaines, le certificat
provisoire n'est pas une nécessité logique. 4. L'Office de la
langue française
L'Office de la langue française se voit confier par
délégation du législateur d'importants pouvoirs pour
administrer un processus de changement social majeur. Le scénario
alternatif propose deux modifications majeures au Projet de loi qui auront une
influence sur l'Office et son comportement.
En premier lieu, en modifiant l'article 113 et en proposant une
réglementation, nous demandons au législateur de définir
clairement et explicitement le cadre d'évaluation qu'utilisera l'Office
dans ses décisions. Le législateur limitera ainsi le pouvoir
discrétionnaire de l'Office et facilitera la préparation des
programmes en définissant les objectifs que ces programmes devront
atteindre. L'Office examinera les situations particulières à la
lumière des principes établis par le législateur.
En second lieu, nous rendons possible la concertation et la
participation en créant un conseil d'administration. L'Office doit
être un partenaire et un lieu de concertation au sein d'un processus de
changement social. Si les objectifs et le mandat de l'Office sont
définis sans équivoque, les modifications structurelles que nous
proposons ne peuvent que contribuer à améliorer son
efficacité. Le conseil d'administration, composé en bonne partie
de membres qui sont des fonctionnaires de l'Office, jouera trois rôles
principaux: i) II interprétera le mandat que lui a
déléqué le législateur et prendra les
décisions majeures à la lumière des objectifs fondamentaux
de la Loi. ii) II établira une concertation et un dialogue entre
l'Office, l'organisme de planification, de coordination et de contrôle et
le milieu du travail, en particulier les travailleurs et les dirigeants
d'entreprises. iii) II surveillera les organismes administratifs et sera un
élément stimulateur rappelant la mission de l'Office et le besoin
d'efficacité.
Compte tenu de la structure de direction proposée, nous estimons
nécessaire de laisser à l'Office les pouvoirs substantiels que
lui confient les articles suivants:
Art. 106: sanctions (après amendements)
Art. 111: il peut exiger de toute entreprise de 50 employés ou
moins qu'elle adopte un programme de francisation
Art. 112 et 113: les objectifs des programmes (après amendements)
Art. 115: l'Office prépare des formulaires et des questionnaires
d'analyse linguistique Art. 119: retrait d'un certificat
Art. 132: les commissaires-enquêteurs doivent procéder
à des enquêtes à la demande de l'Office.
Nous suggérons aussi un droit d'appel des entreprises au
ministre. Il s'agit ici d'introduire un mécanisme de révision des
décisions du conseil d'administration de l'Office. L'article 106 permet
à l'Office d'utiliser le pouvoir économique de l'Etat. Nous
croyons que le ministre ne devrait pas déléguer
entièrement ce pouvoir à l'Office sans s'assurer d'un droit de
regard et sans permettre aux entreprises de faire appel.
Régi par un conseil d'administration et éclairé par
une définition des intentions du législateur, l'Office pourra
jouer un rôle véritable d'agent de changement. La souplesse des
échéanciers permettra à la Direction de la francisation de
l'Office de consacrer plus de temps à la formation des agents de
francisation et à l'analyse des dossiers. 5. Les autres organismes de
francisation
La Commission de surveillance conserve le même rôle et les
mêmes pouvoirs dans le scénario alternatif que dans la Loi no 1.
Nous proposons par contre d'élargir le rôle du Conseil consultatif
de la langue française pour en faire un organisme-clé dans la
procédure d'appel des décisions de l'Office. Le Conseil devrait
recevoir les requêtes et s'il le juge à propos, entendre les
personnes, les entreprises ou les organismes qui auraient des observations ou
des requêtes portant sur le contenu de la Loi et l'application de la Loi
par l'Office. Le Conseil serait tenu d'aviser le ministre sur toutes les
matières qu'il aurait décidé de porter à son
attention suite à des appels. Selon les modalités prévues
au Projet de loi, le ministre pourra aussi confier au Conseil l'étude
des problèmes qu'il juge pertinents.
6. Les infractions et les peines
Le Projet de loi propose trois types de sanctions pour les entreprises
qui contreviennent à l'une ou l'autre disposition de la Loi: des amendes
(art. 163), la dénonciation publique (art. 119) et le retrait ou le
refus de l'émission du certificat (art. 106). Nous ne proposons pas de
modifications quant aux deux premiers types de sanctions. Par contre, nous nous
interrogeons quant à l'utilité de la sanction que constitue le
retrait du certificat.
L'Office est d'abord et avant tout un organisme de changement et de
concertation. Il est, par délégation, responsable de
l'application d'une loi. A cet égard, il peut recommander au solliciteur
de recourir aux tribunaux lorsqu'à son avis une entreprise enfreint
certaines dispositions de la Loi. Il s'agit là du mécanisme
normal pour assurer, non seulement le respect des Iois dans notre
société mais aussi la liberté des personnes physiques et
morales.
La Loi sur la langue officielle (Loi 22) était une loi
compensentoire. En contrepartie de l'engagement de mettre en oeuvre un
programme de francisation, une entreprise recevait un certificat de
francisation qui lui permettait de transiger avec le gouvernement et la rendait
éligible aux multiples avantages que pouvait octroyer l'Etat. Toutefois
l'entreprise pouvait ne pas demander de certificat. Par contre, la Loi no 1 est
d'application universelle. Toutes les entreprises de 50 employés et plus
sont obligées de préparer, si l'Office le juge nécessaire,
un programme de francisation. Les sanctions prévues aux articles 163 et
119 sont des sanctions usuelles dans le cadre d'une loi. Y a-t-il lieu
d'ajouter les sanctions prévues à l'article 106, qui sont
appuyées par tout le pouvoir économique et réglementaire
de l'Etat? Nous en doutons fortement. De plus, y a-t-il lieu de confier ce
pouvoir supplémentaire de sanctions, non pas à un tribunal, mais
aux fonctionnaires responsables de l'application de la Loi? Nous en doutons
encore plus. Toutefois, on doit noter qu'aux Etats-Unis, le législateur
a cru bon de confier certains pouvoirs de sanctions économiques (retrait
d'octroi et de contrats) aux fonctionnaires dans le cadre de la Loi sur l'Equal
Opportunity. Si le législateur juge nécessaire de confier
à l'Office des pouvoirs de sanctions, pour qu'il puisse administrer la
Loi no 1, nous croyons qu'ils devraient être substantiellement plus
restreints que ceux prévus à l'article 108. D'une part, ces
pouvoirs ne sont nullement des conditions nécessaires ou suffisantes
pour assurer le respect de la Loi no 1. D'autre part, le fait même de
déléguer de tels pouvoirs pourraient susciter, tant chez les
fonctionnaires de l'Office qu'au sein des entreprises, des réactions et
des comportements dysfonctionnels. En conséquence, nous proposons les
deux amendements suivants:
(a) un droit d'appel au ministre
(b) la possession d'un certificat de francisation est une condition
d'éligibilité pour les transactions suivantes avec l'Etat: i)
octroi par le gouvernement de primes, subventions, concessions et autres
avantages déterminés par règlement; ii) passation avec le
gouvernement et les ministères de contrats d'achats, de ventes, de
service et de location déterminés par règlement.
En bref, nous éliminons d'une part les permis et d'autre part,
tout le secteur para-public, les entreprises d'utilité publique, les
municipalités, les hôpitaux et les Commissions scolaires de la
portée de l'article 106. Tel qu'amendé l'article 106 laisse un
pouvoir de sanction très suffisant à l'Office. L'Office pourra
toujours avoir recours aux tribunaux en vertu de l'article 193 pour ce qui est
des entreprises qui ne reçoivent pas d'avantages ou de contrats de
l'Etat. C'est le mécanisme usuel qu'utilise le gouvernement pour
l'application des lois. 7. Les travailleurs non québécois
La vocation extra-québécoise de l'entreprise
québécoise peut l'amener à inviter des travailleurs
non-québécois à venir travailler au Québec. D'une
manière générale, ces travailleurs sont:
(a)des spécialistes et des professionnels dont la pratique au
Québec est régie en partie par le Code des professions;
(b)des cadres de l'entreprise venant faire des stages plus ou moins
longs soit au siège social, soit dans des établissements de
l'entreprise au Québec;
(c) des cadres de l'entreprise venant travailler de façon
permanente au siège social situé au Québec;
(d)des cadres nouvellement recrutés par l'entreprise à
l'extérieur du Québec.
En ce qui a trait au premier groupe, nous croyons que le gouvernement
devrait laisser aux Ordres professionnels le soin de déterminer les
conditions d'entrée au Québec, pourvu évidemment que les
autres dispositions de la Loi no 1 soient respectées. A cet
égard, nous proposons que les Ordres émettent des permis
temporaires d'une durée maximale de trois ans et renouvelables si
l'Ordre juge que
l'intérêt public le justifie. La connaissance de la langue
officielle que devraient avoir ces personnes fera partie des programmes de
francisation.
Pour le second groupe, nous croyons que l'article 58 devrait être
précisé. Cet article fait référence à
l'accès à l'école anglaise des enfants de ces cadres de
passage au Québec. Nous suggérons que l'article explicite les
conditions et que des "permis" de trois ans, renouvelables pour deux ans leur
soient accordés. Une période de cinq ans est suffisamment longue
pour couvrir la quasi-totalité des situations de "passage" au
Québec.
Quant aux deux autres groupes de travailleurs
non-québécois, ils sont assujettis aux prescriptions des
programmes de francisation. Toutefois, l'article 52, quant à la langue
d'enseignement peut constituer un frein à la mobilité des cadres
dans les entreprises dont le siège social est situé au
Québec mais qui ont un rayonnement administratif
extra-québécois. Par contre, si le siège social d'une
entreprise estime que la mutation de cadres est difficile en raison de
l'article 52, la direction générale peut décider de situer
hors du Québec certaines activités de ce siège social.
Il est utile au sein de ce débat émotif, de rappeler avec
quelle facilité des dirigeants d'entreprises anglophones ont par le
passé, regretté publiquement la faible mobilité vers le
reste du Canada des cadres intermédiaires ou supérieurs
d'expression française. Peu de ces dirigeants ont vu derrière ce
comportement les raisons humanitaires qui sont maintenant invoquées
à rencontre de l'article 52. Or, le cadre d'expression française
à qui on offrait un poste dans une province où l'enseignement en
français était difficile d'accès, se voyait dans
l'obligation de refuser s'il tenait à offrir à ses enfants une
éducation en français. Les dirigeants responsables des mutations
interprovinciales comprendront mieux les difficultés et
hésitations du cadre d'expression française en se penchant sur
les problèmes que posent aux cadres d'expression anglaise les articles
52 et 58.
Si l'article 52 est amendé de façon à permettre aux
personnes qui ont reçu leur éducation primaire en anglais au
Canada d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise, certaines
difficultés s'en trouveront aplanies.
En premier lieu, un article 52 élargi est facile à
administrer. En second lieu, l'article 58 dont l'application pourrait
être difficile, ne serait appliqué que dans le cas de citoyens
non-canadiens. L'impact démographique de ces mesures est
minimisé, du moins si on ne prend en considération que les cadres
d'entreprises. Par contre, les modifications prévues à l'article
52 pourraient avoir un impact plus grand dans l'Outaouais où plusieurs
fonctionnaires fédéraux résident au Québec, ont
étudié hors du Québec et travaillent souvent hors du
Québec. Cette situation pourrait faire l'objet d'une
réglementation particulière. Si l'article 52 demeure
inchangé, l'entreprise pourrait à la limite invoquer l'article
58. Nous suggérons donc soit d'élargir l'article 52, ce qui nous
apparaît la solution la meilleure, soit de préciser la
portée de l'article 58.
C - COMPARAISON ENTRE LES DEUX SCÉNARIOS
Le scénario alternatif proposé permet d'atteindre les
mêmes objectifs que le Projet de loi no 1, c'est-à-dire la
généralisation de l'utilisation du français de
façon à ce que le Québécois ait le droit virtuel de
travailler en français. C'est donc au niveau des modalités et des
modifications institutionnelles que les scénarios diffèrent. Les
principales différences sont les suivantes. 1. Le scénario
alternatif réduit les pouvoirs discrétionnaires de l'Office.
L'Office est dirigé par un conseil d'administration où
siègent des représentants des milieux socio-économiques.
Des règles de décisions quant aux objectifs de francisation sont
établis au préalable dans la loi et dans les règlements.
Enfin, son pouvoir de sanction est ramené à un niveau plus
modeste. En conséquence, le scénario alternatif diminue
grandement l'incertitude généralisée qui paralyse les
décisions de l'entreprise. L'entreprise est donc plus en mesure de
planifier les changements que la francisation de ses activités exige. De
plus, la réduction de l'incertitude généralisée
diminue la probabilité de décisions rapides et émotives
dont les conséquences pour le Québec seraient graves. Non
seulement immédiatement mais aussi dans l'avenir. 2. Le scénario
alternatif reconnaît explicitement des conditions d'usage "instrumental"
d'une autre langue que le français dans l'entreprise. Le Projet de loi
no 1 ne fait référence que de manière laconique aux
conditions où l'utilisation de l'anglais est permise. L'article 113 du
Projet de loi ne fait que souligner la nécessité compte tenu des
contraintes linguistiques imposées par les relations avec
l'étranger. De plus, les hypothèses les plus plausibles quant aux
règles de décision qu'utilisera l'Office indiquent une approche
inflexible et bureaucratique. Les règles de décision que nous
avons prévues au sein des règlements qui accompagnent et
précisent notre scénario alternatif, permettent l'utilisation
instrumentale de l'anglais lorsque les relations commerciales, administratives
et techniques et le fonctionnement du siège social des entreprises
à rayonnement extra-québécois l'exigent. 3. Le
scénario alternatif assouplit les exigences qui ont des effets sur le
recrutement et la mutation des travailleurs non-québécois. D'une
part, l'émission de permis temporaires à des professionnels est
confiée aux Ordres professionnels et à l'Office des professions
qui sont mieux placés que l'Office de la langue française pour
évaluer l'intérêt public au sein de chacune des
professions. D'autre part, l'accès à l'école
anglaise est facilité dans le cas des enfants dont les parents sont de
passage au Québec ou d'origine canadienne. 4. Le scénario
alternatif mise sur l'amorce au sein des entreprises de processus de changement
planifié visant à atteindre l'objectif de la Loi:
c'est-à-dire la mise en place de politiques et de pratiques qui
élargissent les possibilités de travail en français au
sein de l'entreprise pour tous les Québécois qui le
désirent. Le Projet de loi no 1 fait référence au besoin
de concertation mais est imprégné de coercition et de
bureaucratisme. Le scénario alternatif a plus de chances d'atteindre les
résultats escomptés, car il s'inspire de la dynamique et du
fonctionnement même de l'entreprise. 5. Les deux scénarios, il
faut le rappeler, sont identiques en ce qui a trait à la langue des
affaires.
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CHAPITRE V L'impact organisationnel d'une loi
linguistique
Nous voulons dans ce chapitre analyser d'une manière conceptuelle
et analytique l'impact sur les entreprises des deux scénarios de loi
linguistique. Cet impact, il va sans dire, dépend du contenu du
scénario mais aussi de la nature des entreprises qui, on l'a assez dit,
ne constituent pas un ensemble homogène d'unités. Entre elles,
les entreprises se différencient selon la nature de leurs
activités et le rayonnement géographique de leurs
opérations. A cette hétérogénéité
s'ajoute une hétérogénéité interne
fondée sur la structure, les activités et les relations
techniques, administratives et commerciales entre les divers sous-groupes de
l'entreprise. A cette double hétérogénéité
s'ajoute la très grande diversité quant aux
caractéristiques linguistiques du personnel.
A- L'hétérogénéité du système
des entreprises
La démarche de francisation se présente de manière
différente selon que l'entreprise appartient à l'un ou l'autre
des types suivants: 1. Les entreprises dont les sièges sociaux sont
situés au Québec et dont les activités sont
réparties à l'échelle canadienne et internationale
Les ventes au Québec ne représentent alors qu'une fraction
des ventes globales tandis que les employés du Québec ne
constituent qu'une fraction du nombre total des employés. Les
sièges sociaux sont des microcosmes des activités globales de
l'entreprise et on y retrouve habituellement les activités
générales de planification et les services
généraux. Souvent ces entreprises ont constitué des
divisions québécoises déjà en mesure de fonctionner
entièrement en français tandis que l'anglais demeure la langue de
travail au siège social. Ce type d'entreprise compte pour plus de la
moitié des entreprises situées au Québec qui ont plus de
500 employés. 2. Les entreprises dont les sièges sociaux sont
situés hors du Québec mais qui ont des activités de
fabrication et de ventes au Québec
Les échanges entre les unités québécoises et
le siège social se font alors soit par l'intermédiaire d'un
siège divisionnaire québécois (ou de l'Est du Canada) soit
directement. 3.Les entreprises d'exploitation des richesses naturelles dont les
ventes sont réalisées en majorité hors du Québec et
même hors du Canada
Les activités situées au Québec sont surtout
axées sur l'exploitation et l'expédition de matières
premières tandis que les autres activités de vente et de
marketing sont souvent localisées hors du Québec au siège
social. 4. Les entreprises dont les sièges sociaux situés au
Québec et qui sont orientées principalement vers le marché
québécois
Ces entreprises, en grande partie des entreprises de fabrication et de
services, ont peu de relations administratives et commerciales avec
l'extérieur du Québec. La présence francophone y est
généralement très élevée.
La structure hiérarchique de l'entreprise peut donner
l'impression que les entreprises, à défaut de se ressembler,
constituent quand même des groupes monolithiques intégrés
par la coordination et l'autorité administrative. La
réalité est tout autre. Et c'est Talcott Parsons qui a
souligné que l'entreprise est segmentée en espaces
organisationnels différents et caractérisés par des
attributs différents. A mesure que croissent la taille, la
complexité des structures et
l'hétérogénéité des marchés,
l'entreprise se divise en sous-ensembles de ressources dotés de
responsabilités et de tâches particulières. Chacun de ces
sous-ensembles, que nous appellerons groupes organisationnels, est
caractérisé par des activités distinctes, des relations et
des échanges particuliers avec l'environnement ainsi que des ressources
humaines spécialisées. Au sein de ces entités les
problèmes de francisation sont relativement similaires et pour fins
d'analyse nous avons regroupé ces groupes organisationnels en quatre
types. 1. Les groupes organisationnels d'exploitation: production ou vente de
biens ou de services Appartiennent à ce type, les groupes
organisationnels dont les activités principales sont parmi les
suivantes: fabrication, distribution et ventes, services professionnels,
courtage (immeubles, valeurs mobilières, assurances) ventes,
entreposages, gestion, publicité, construction, sociétés
conseils, services bancaires et financiers. 2. Les groupes organisationnels
d'exploitation à haute technicité
Cette haute technicité, soit dans le cas des services ou de
produits, exige une interaction soute-
nue avec les clients et fournisseurs de technologie:
ingénieurs-conseils, fabrication et ventes de produits de haute
technologie. 3. Les centres administratifs
II s'agit des sièges sociaux, sièges administratifs de
divisions, etc. Ces groupes organisationnels planifient, coordonnent et
supervisent les activités d'autres groupes ou de filiales et
administrent les services généraux centralisés. A la
limite, la direction générale d'une entreprise peut être
considérée comme un centre administratif. 4. Les centres de
recherche et les services spécialisés
II s'agit de groupes dont les activités se situent principalement
au niveau de services spécialisés offerts à d'autres
groupes ou établissements de l'entreprise (par exemple, un laboratoire
de recherche, un centre d'informatique). Les activités d'un groupe
organisationnel de ce type sont principalement financées par des
appropriations budgétaires et non par la vente de services
spécifiques à des entreprises ou à des clients.
L'impact de la législation linguistique dépendra donc des
diverses variables associées à
l'hétérogénéité externe (type d'entreprises)
et interne de l'entreprise (type de groupes organisationnels). Parmi ces
variables, mentionnons: 1. la dimension extra-québécoise des
clientèles, des actifs et des échanges techniques 2. les
relations administratives et commerciales avec l'extérieur du
Québec 3. le design de l'entreprise et l'articulation des relations
administratives entre les sièges sociaux et les divisions 4. les types
de technologie utilisées de même que les caractéristiques
des produits fabriqués et des services rendus 5. la compétence
linguistique des ressources humaines en place
B- Les modes d'adaptation de l'entreprise
Les modifications institutionnelles et les prescriptions prévues
par la législation linguistique établissent un nouveau contexte
de décision pour les entreprises. La question n'est pas de savoir si les
entreprises obéiront ou non à la loi, elles le feront, mais
d'identifier les modes d'adaptations possibles aux exigences de cette loi. Il
est bon de remarquer que le mode d'adaptation variera selon la situation
précise de chacun des groupes organisationnels. Le tableau 1
résume cette problématique. 1. Les variables linguistiques
définissent pour l'entreprise la présence francophone chez les
ressources humaines dont elle dispose, les langues utilisées dans ses
documents, ses pratiques et ses politiques linguistiques. 2. La dimension
extra-québécoise a trait à la fois aux activités et
ventes hors du Québec ainsi qu'au rayonnement commercial, administratif
et technique qui en découle. 3.Les facteurs permissifs qui permettront
la réalisation des programmes de francisation, soit, a) la
présence francophone, présente et future, b) la
rentabilité de l'entreprise dont dépend la capacité
d'absorber les coûts de la francisation, c) la technologie de
francisation disponible, et d) les bénéfices à retirer
d'une francisation de l'entreprise. 4. Les critères de décisions
quant au choix d'un ou de l'autre, des modes d'acquiescement sont de trois
ordres: a) le calcul économique coûts/bénéfices:
ainsi l'entreprise calculera les revenus prévus des activités
québécoises et le comparera aux coûts globaux de ces
mêmes activités, y compris les coûts de mise en oeuvre des
programmes de francisation, b) les valeurs des dirigeants d'entreprise:
même si en général nous faisons l'hypothèse qu'ils
ne laisseront pas leurs opinions politiques personnelles influencer leur
décision, dans certains cas cette possibilité jouera
nécessairement; c) la responsabilité publique assumée:
soit pour des raisons altruistes ou par préoccupation de gestion
à long terme, les dirigeants peuvent désirer que l'entreprise
soit un citoyen exemplaire.
Référer à la version PDF page CLF-851
5. Les modes d'adaptation: a) l'acquiescement est maximal lorsque
l'entreprise va au delà des exigences de l'Office et de la loi sans
modification de la stratégie et de la structure de l'entreprise:
confection d'un programme accéléré de francisation, b) cet
acquiescement est au contraire minimal lorsqu'on se contente d'un respect des
exigences de la loi sans modifier la stratégie et la structure de
l'entreprise: confection d'un programme conforme aux normes de l'Office, c) la
modification de la stratégie et de la structure de l'entreprise, d) le
refus de certaines entreprises qui choisiront de déménager du
Québec ou de contester la loi.
Parmi les modifications de stratégie et de structure
mentionnées en c) et en d) on peut identifier les comportements
suivants: 1. repli vers le marché québécois et abandon des
activités extra-québécoises 2. réduction des
activités québécoises au sein des activités
globales de l'entreprise 3. modification de la structure formelle de
l'entreprise par la création d'une dimension québécoise
axée vers le marché québécois en même temps
que transfert du siège social hors du Québec 4. soustraction
d'activités administratives et techniques présentement
situées au Québec en faveur d'un siège administratif
situé hors du Québec
Le calcul coûts-bénéfices tant dans le
présent que dans l'avenir est l'élément déterminant
de ce processus de décision. Parmi les revenus escomptés de se
conformer aux exigences de la loi, certains sont tangibles, d'autres plus
intangibles 1. les revenus futurs d'opérations escomptés des
activités situées au Québec dans l'hypothèse
où l'entreprise obtient un certificat de francisation 2.
l'amélioration de la position concurrentielle de l'entreprise dans
l'hypothèse ou d'autres entreprises n'obtiennent pas ce certificat 3.
l'amélioration possible de la qualité de la gesiion et les
avantages d'un nouveau climat de travail 4.les bénéfices
subjectifs du fait que l'entreprise assume pleinement sa responsabilité
publique
Quant aux coûts ils sont de deux ordres: les coûts directs
et indirects d'acquiescement à la loi et les coûts
afférents aux modifications de stratégie et de structure
possibles et au refus de se conformer aux exigences de la loi. Parmi les
coûts directs et indirects, soulignons: 1. les coûts
associés à la confection et à la mise en place des
programmes de francisation (traduction, formation du personnel) 2. les frais
d'opérations futurs prévus et escomptés des
activités situées au Québec 3. l'incertitude quant aux
décisions futures de l'Office et quant aux contraintes additionnelles
ajoutées au processus de décision 4. le climat d'incertitude
parmi les cadres et les employés non-francophones
Quant aux coûts supplémentaires associés aux
diverses options entraînant éventuellement des modifications de
stratégie, de structure et de répartition géographique des
activités, ils sont tout aussi nombreux. 1. les coûts
associés à la soustraction organisationnelle du Québec.
C'est-à-dire le déménagement graduel d'activités du
siège social, des laboratoires et des unités de fabrication et de
vente hors du Québec 2. la création d'une division
québécoise axée essentiellement vers le marché
québécois n'est pas sans coûts 3. les coûts que
présente le déménagement du siège social hors du
Québec 4. les coûts d'une adaptation cosmétique et de la
contestation juridique
Ce sont ces coûts et ces bénéfices qui
déterminent en grande partie la décision de l'entreprise.
Nous avons voulu esquisser rapidement les paramètres clés
de la décision afin de bien comprendre les conséquences
économiques et organisationnelles de la loi. Ces conséquences
sont de divers ordres. En premier lieu, l'entreprise qui décide de se
conformer à la loi dispose encore d'un certain nombre d'options en ce
qui a trait à la modification de la stratégie et de la structure.
Les choix agrégés de l'une ou l'autre de ces options auront des
conséquences économiques et sociales au Québec. En second
lieu, la confection des programmes de francisation est elle aussi un
problème de décision complexe. Les variables mentionnées
au tableau no 1 influenceront les échéanciers et le contenu des
programmes de francisation arrêtés par la négociation entre
l'entreprise et l'Office en vertu des règlements.
Les incertitudes qui caractérisent le projet de loi no 1 en ce
qui a trait aux programmes de francisation et à la situation
particulière des sièges sociaux rendent extrêmement
complexes les décisions des chefs d'entreprises. Bien qu'a priori, ils
veuillent se comporter en citoyens respectueux de la loi, les exigences
diffuses et ambiguës, et l'absence de règlements, les incitent
à reporter à plus tard le choix d'un mode d'adaptation.
Le choix des modes d'adaptation par l'entreprise s'opérera
toujours dans un contexte caractérisé par un haut niveau
d'incertitude. Les supputations des coûts et des revenus futurs sont
soumises à de multiples aléas que le chef d'entreprise peut
difficilement prévoir. De même, la préparation des
programmes de francisation se réalisera elle aussi dans un climat
d'incertitude. L'entreprise qui s'engage par exemple dans un programme de
francisation à recruter 100 cadres d'expression française au
cours des 5 prochaines années de façon à relever la
présence francophone, s'inspirera d'hypothèses quant à la
croissance de ses activités. Or, pour des raisons qui échappent
souvent à son contrôle, telles que l'introduction d'innovations
techniques et l'action des concurrents, ces hypothèses risquent de ne
pas se concrétiser. L'Office de la langue devra donc lui aussi tenir
compte de ces facteurs d'incertitude. Entre deux scénarios qui
diffèrent par le degré d'incertitude qu'ils créent
à l'entreprise, l'un des deux entraînera moins d'adaptation
dysfonctionnelle et suscitera un engagement plus immédiat et plus
positif de la part de l'entreprise.
C - L'adaptation selon les groupes organisationnels
Dans cette section nous allons tenter, pour chacun des quatre types de
groupes organisationnels: 1. d'identifier les difficultés majeures que
posent les projet de loi no 1 pour les entreprises qui auraient pris la
décision d'acquiescer pleinement aux exigences de la loi
2.de montrer comment le scénario alternatif résout une
bonne partie de ces difficultés tout en garantissant l'exercice des
droits linguistiques fondamentaux et en favorisant la réalisation des
objectifs fondamentaux du projet de loi no 1 3. d'esquisser les adaptations
dysfonctionnelles les plus plausibles si le projet de loi n'est pas
modifié et de montrer comment l'incidence de ces adaptations
dysfonctionnelles peut être diminuée dans le cas du
scénario alternatif
Tous les groupes organisationnels n'ont pas les mêmes
difficultés d'adaptation. Certains n'auront d'ailleurs aucune
difficulté. Dans le cadre de cette analyse nous avons choisi d'examiner
en détail pour chaque catégorie de groupes organisationnels, la
situation des groupes qui font face à des problèmes substantiels
de francisation. a) Les groupes organisationnels d'exploitation
En général ces groupes pourront se conformer aux exigences
de la loi. Il s'agit pour la plupart de groupes dont la technologie n'est pas
en constante évolution, ce qui facilite la tâche de francisation
des documents, manuels et formulaires. Dans le cas des groupes dont le rythme
de croissance des ventes et du personnel est élevé, il sera
relativement plus facile de relever le niveau de présence francophone
compte tenu de la disponibilité de main-d'oeuvre
québécoise qualifiée.
Les difficultés posées par la Loi no 1
Ces difficultés tiennent surtout à la structure et au
contenu des programmes de francisation ainsi qu'aux échéanciers
alliés à ces programmes.
Prenons par exemple le cas de la documentation imprimée. On
retrouve dans ces groupes des formulaires, des manuels d'opération et
d'entretien et des catalogues. Le groupe connaîtra déjà la
terminologie nécessaire à la francisation des formulaires. Compte
tenu de la disponibilité de traducteurs, il pourra aussi franciser les
manuels d'entretien et d'opération publiés par l'entreprise. Par
contre, le groupe organisationnel n'aura pas nécessairement la
terminologie pour franciser les manuels et les catalogues publiés par
des fournisseurs de pièces et d'équipement. A cet égard,
les règles de décision qui guideront l'Office dans l'analyse des
programmes qui lui seront soumis, auront un impact considérable sur les
activités de traduction qui seront imposées au groupe
organisationnel dans une période donnée.
Ces groupes feront aussi face au problème des passerelles
linguistiques dans leurs relations avec l'extérieur du Québec.
Encore ici, les règles de décision de l'Office seront critiques.
Si l'Office cherche à déplacer ces passerelles à
l'extérieur du Québec ou à limiter l'étendue des
zones "passerelles" à l'intérieur de groupes (afin de maximiser
le nombre de postes où seule la connaissance du français est
nécessaire) le siège social devra réorganiser les canaux
de communications avec le groupe. De plus, l'échéancier sera
aussi un facteur critique, surtout s'il tient peu compte des conditions de
départ de l'entreprise.
Certains groupes dont une partie de la clientèle
québécoise est anglophone, pourront faire face à certaines
difficultés conséquentes à l'attribution des postes
où l'utilisation de l'anglais selon les critères linguistiques
est permise. D'ailleurs, la nécessité de justifier les exigences
linguistiques par poste entraînera une certaine lourdeur administrative.
Nous présumons que les entreprises établiront pour tous leurs
postes des exigences linguistiques, si l'article 37 est maintenu, afin de se
protéger contre une plainte éventuelle. -Les amendements
proposés dans le scénario alternatif
Les deux scénarios visent le même objectif: faire du
français la langue de travail dans ces groupes. Le Projet de loi non
amendé tend à réduire au minimum le nombre de postes
"bilingues" à l'intérieur de ces groupes, tandis que les
amendements proposés suggèrent de permettre que des passerelles
linguistiques dans les communications avec l'extérieur du Québec
se situent au Québec. De plus, le scénario alternatif admet
l'utilisation de manuels et de documents en langue anglaise, si leur usage est
restreint et leurs coûts de traduction élevés. Le Projet
non amendé, selon nos hypothèses, sera plus restrictif à
cet égard.
En modifiant les règles d'utilisation de l'anglais, le
scénario alternatif limitera l'exportation hors du Québec des
postes frontières et remettra entre les mains de cadres
québécois, plutôt qu'entre celles de traducteurs, la
responsabilité d'établir les passerelles linguistiques avec
l'extérieur du Québec. Les cadres québécois
d'exploitation seraient ainsi au réseau de communications de
l'entreprise.
En insistant sur la francisation du climat organisationnel et en faisant
de l'utilisation de l'anglais une propriété collective et
instrumentale plutôt qu'une exigence individuelle attachée
à des postes, le scénario alternatif permet d'éviter que
le problème de la traduction des documents à tirage limité
prenne des proportions exagérées. Dans un tel cas, un manuel
rédigé en anglais devient semblable à un autre manuel
rédigé en langage informatique appelé à
n'être utilisé que par quelques experts.
-Les adaptations dysfonctionnelles
Quel que soit le scénario adopté, ces groupes
organisationnels se soumettront aux règles du jeu. Nous ne
prévoyons aucune fermeture d'établissements attribuable à
une législation linguistique dans ces groupes.* Par contre, des
adaptations dysfonctionnelles sont possibles dans les groupes organisationnels
appartenant à des entreprises d'envergure canadienne et internationale
si le Projet de loi n'est pas amendé. Ainsi, face à des
contraintes dans les communications de ces groupes avec l'extérieur du
Québec, l'entreprise réaménagera ses réseaux de
communications, ce qui pourra amener une marginalisation de
rétablissement d'exploitation au sein de l'entreprise.
De même, les activités de communications pourront diminuer.
A cet égard, l'intégration de ces groupes à des
réseaux de communications informatisés pan-canadiens pourrait
diminuer.
Ces groupes pourront aussi voir diminuer leurs interactions avec des
services spécialisés situés hors du Québec (ex.:
ingénierie, recherche en marketing). La présence moins
élevée des cadres du groupe, à titre de participants
actifs dans les réseaux de communications de l'entreprise, de même
qu'une baisse possible du niveau de bilinguisme chez ces cadres, amènera
une sous-utilisation de ces services situés à l'extérieur
du Québec.
On pourra aussi remarquer des réformes structurelles. Ainsi, dans
certaines entreprises, on pourra centraliser au siège social des
activités de planification et de services: informatique, finances,
crédit, recherche en marketing. En conséquence, les
opérations québécoises seraient limitées de plus en
plus aux opérations de fabrication et de ventes, sans ressources de
planification et de gestion générale. Les entreprises qui
présentement sont dotées d'une structure fonctionnelle
centralisée (production, marketing, transport, etc.) pourraient
décider de créer des divisions québécoises
axées sur ce territoire et limitées à la fabrication et
à la vente. Cette décision aura néanmoins l'avantage sur
la précédente de former au Québec quelques administrateurs
généralistes.
Dans une perspective à long terme, le Projet de loi non
amendé pourrait, dans certains cas, rendre moins attrayante la
localisation au Québec de certaines activités
caractérisées par une intégration technologique ou
administrative élevée avec l'extérieur du
Québec.
En conclusion, pour la grande majorité des cas, les groupes
organisationnels d'exploitation se conformeront à la Loi. Par contre, si
la Loi n'est pas amendée, des comportements dysfonctionnels se
manifesteront, de façon imperceptible. Toutefois, dans une perspective
à long terme, elle n'aura un impact majeur que chez certains groupes
organisationnels dans des entreprises canadiennes; ces groupes seront
marginalisés par la faible densité des communications avec
l'extérieur du Québec. Les principales causes de ces
comportements dysfonctionnels seront la localisation des passerelles
linguistiques hors de ces groupes et des pressions pour diminuer les "zones"
bilingues. Les amendements proposés éliminent complètement
cette incitation à un comportement dysfonctionnel. b) Les groupes
organisationnels d'exploitation à haute technicité
Ces groupes comprennent les entreprises de fabrication de produits
à haute technicité ainsi que les entreprises de services
professionnels hautement spécialisés. En général,
ces groupes auront beaucoup de difficultés à se conformer aux
exigences du Projet de loi. -Les difficultés causées par le
Projet de loi no 1
Ces groupes entretiennent des relations commerciales et techniques
étroites avec des clients et des fournisseurs de technologie
situés hors du Québec. L'utilisation de l'anglais dans les
communications et les services y est élevée: projets, plans,
devis, cahiers de charge, manuels, catalogues. Evidemment, l'utilisation de
l'anglais variera selon le poste ou la fonction occupé ou même
selon la nature du projet. Dans certains cas, il ne s'agit que d'une
habileté à lire l'anglais. Par contre, tout ingénieur ou
technicien peut être appelé à discuter avec un client ou un
expert venant de l'extérieur du Québec. Les problèmes
causés par la traduction des manuels techniques sont grands tant en
raison du volume des documents à traduire que des retards
inévitables dans le flux de transmission des informations.
A moins ae multiplier les postes au niveau des cadres où
l'anglais est exigé, il sera difficile de mener efficacement des
discussions avec clients et fournisseurs. La majorité des
ingénieurs et techniciens devant à un moment ou l'autre,
travailler en anglais, il devient donc difficile de se conformer
entièrement aux dispositions de l'article 36, à moins bien
entendu, de déclarer "bilingues", la majorité des postes. Selon
nos hypothèses, le Projet de loi no 1 rendra difficile
l'exécution complètement en anglais, des travaux pour des clients
de l'extérieur du Québec. Au moins une partie des documents devra
être traduite.
Une troisième difficulté est reliée à
l'emploi d'experts non québécois. Deux éléments
rendent plus difficile leur recrutement: les conditions d'accueil et les
pratiques linguistiques à l'intérieur du groupe. Quelles que
soient les possibilités d'accommodement qu'offre le Projet de loi, on ne
peut dire que l'accueil des experts étrangers sera facile: test des
connaissances linguistiques, démarches pour avoir accès à
l'école anglaise, possibilité de révocation du permis de
pratique après trois ans, etc. A l'intérieur * Etant donné
que le Projet de loi no 1 et le scénario alternatif couvrent toutes les
entreprises de plus de 50 employés, il est fort possible qu'au niveau
des petites entreprises anglophones de caractère familial, il y ait
transfert d'établissements à l'extérieur du
Québec.
du groupe, l'usage du français sera
généralisé. L'expert non-francophone aura donc plus de
difficulté à y travailler.
Finalement, les remarques soulevées pour les groupes
d'exploitation, à la section précédente, s'appliquent avec
les nuances qui s'imposent. La principale faiblesse du Projet de loi
vis-à-vis de ces groupes à haute technicité est
liée aux conditions d'incertitude que créent pour les groupes les
pouvoirs discrétionnaires très larges confiés à
l'Office. En effet, ces groupes vont demander à l'Office un
"régime" particulier, plein d'accomodements aux règles
générales que voudra imposer l'Office. Bien que justifiables aux
yeux de plusieurs membres de l'Office, ces accomodements seront limités
entre autres par les représentants des syndiqués sur le
Comité de francisation, qui pourront marchander leur consentement, et
par la volonté même de l'Office qui voudra franciser toute
l'entreprise et le plus de postes possibles. -Les amendements proposés
dans le scénario alternatif
Les amendements proposés, particulièrement à
l'article 113 et la réglementation afférente, visent à
faciliter l'utilisation de l'anglais comme langue instrumentale. La
législation est amendée ici de façon à
reconnaître explicitement le droit d'utiliser l'anglais. Il s'enfuit que
le groupe jouira de plus de flexibilité pour la traduction de documents
et qu'il pourra "exécuter" en anglais des projets ou travaux pour des
clients de l'extérieur du Québec.
De même, il n'y a pas de contrainte formelle quant aux exigences
linguistiques des postes. L'accueil des experts non-québécois est
facilité par les amendements aux articles 32, 52 et 58. Ceci
élimine pour l'entreprise la nécessité de multiplier, par
mesure de précaution, les postes où l'utilisation de l'anglais
est permise. Le pouvoir discrétionnaire de l'Office est grandement
réduit. De plus, les règles quant à l'utilisation de
l'anglais sont explicitées dans la réglementation qui devrait
être approuvée par le Gouvernement. Le changement de structure
à la direction de l'Office incitera l'Office à nuancer ses
règles de décision, à les raffiner, afin de mieux tenir
compte de situations particulières. Aussi, le changement du rôle
du Comité de francisation éliminera toute velléité
de marchandage et diminuera le niveau d'incertitude pour l'entreprise. Enfin,
les amendements portant sur la localisation au Québec des passerelles
linguistiques contribueront à maintenir le groupe dans le réseau
de communications technologiques auquel il a présentement
accès.
Les adaptations dysfonctionnelles
Dans le cas des entreprises de services professionnels, les adaptations
dysfonctionnelles plausibles sur le plan structurel seront de trois ordres: 1)
le développement ou la création de filiale hors du Québec
pour mener à terme les projets et les contrats techniques qui exigent
une forte utilisation de l'anglais et de ressources scientifiques et techniques
spécialisées. 2) la création de nombreux postes exigeant
la connaissance de l'anglais pour les directeurs de projets et de services
techniques afin d'assurer que les cadres et les ingénieurs
non-francophones puissent continuer de fonctionner en anglais et d'entretenir
les relations techniques nécessaires 3) la création
d'unités francophones orientées surtout vers le marché du
Québec ou des pays francophones. Ces unités travailleraient
toujours en français mais ne seraient pas impliquées dans les
projets canadiens, américains et étrangers.
En conclusion, la tentation sera très forte pour les groupes
d'exploitation à haute technicité, intégrés dans
des entreprises canadiennes ou internationales, de soustraire certaines
activités du Québec. Il en va de même pour les entreprises
de services professionnels de rayonnement extra-québécois. Dans
le Projet de loi, les conditions d'incertitude créées par les
pouvoirs discrétionnaires confiés à l'Office et les
difficultés accrues du recrutement d'experts non-québécois
sont les principaux incitatifs à des adaptations dysfonctionnelles.
Soulignons, toutefois, que les amendements proposés n'éliminent
pas complètement ces incitations. La francisation graduelle du groupe,
et particulièrement de ses activités administratives, peut amener
certaines entreprises à adopter des comportements non souhaitables. Les
fluctuations usuelles des activités de ces groupes rendent trop facile
le camouflage de ces décisions pour oser croire que certaines
entreprises n'en tireront pas partie.
Les amendements proposés visent entre autres, à corriger
les possibilités d'adaptations dysfonctionnelles. Malgré le
capital important que représente le personnel formé de ces
groupes organisa-tionnels, les groupes d'exploitation à haute
technicité ont souvent des fluctuations importantes dans leur nombre
d'employés qui doivent s'ajuster à leur carnet de commande. Il
s'ensuit que les activités de ces groupes sont
généralement plus mobiles, particulièrement si
l'entreprise du groupe possède d'autres établissements
similaires. Dans ces entreprises, les adaptations dysfonctionnelles facilement
camouflables seraient d'une part, un déplacement progressif
d'activités à l'occasion de fluctuations dans la production et
d'autre part, une baisse générale du niveau technologique des
activités du groupe afin de pouvoir diminuer sa dépendance sur
les marchés extérieurs et la nécessité d'apports
technologiques continus.
c) Les sièges sociaux
Les sièges sociaux dont le rayonnement administratif est
limité au Québec et qui ne dirigent pas d'établissements
hors du Québec, n'auront aucune difficulté à s'adapter aux
exigences du Projet de loi. Il en est de même pour ceux dont une fraction
peu importante des effectifs qu'ils dirigent sont situés en milieu de
travail hors du Québec. Par contre, pour les sièges sociaux
localisés au Québec, dont le rayonnement administratif hors du
Québec est substantiel, les difficultés seront très
sérieuses si le Projet de loi n'est pas amendé. Ceci vaut
également pour les sièges sociaux dont la présence
francophone parmi les ressources humaines est faible. Les sièges sociaux
où la présence francophone est plus élevée,
pourraient plus aisément se conformer à certains articles mais
rencontrent cependant des difficultés insurmontables quant à
d'autres articles.
Le siège social est en effet non seulement un organe de
coordination et de planification mais aussi un microcosme de l'entreprise
entière. Il est le lieu de rencontre de plusieurs types de cadres et
d'information spécialisée. On y administre des projets qui
englobent la totalité des activités de l'entreprise. Il est alors
difficile de faire la distinction entre les matières afférentes
aux activités québécoises et les sujets ayant trait aux
activités extérieures au Québec, la mission du
siège social étant justement de les coordonner et de les
intégrer dans un plan d'ensemble. - Les difficultés que propose
le Projet de loi no 1
Les sièges sociaux dont le rayonnement administratif
dépasse de façon substantielle le Québec, feront face
à trois difficultés principales. 1) La quasi-totalité des
postes de ces sièges sociaux exigent la connaissance et l'utilisation
constante de l'anglais. 2) Les mutations et les séjours prolongés
au siège social des cadres supérieurs des divisions et des
filiales extérieures au Québec seront rendues plus difficiles.
L'entreprise aura plus de difficultés à attirer au siège
social les cadres non québécois à qui elle veut offrir une
promotion (1) ou dont l'expertise est nécessaire.
Mutatis mutandis, les remarques qui précèdent s'appliquent
aux sièges divisionnaires. 3) Les activités du siège
social ne peuvent être séparées en deux catégories,
les unes ayant trait aux matières québécoises et les
autres aux matières extérieures au Québec.
Par contre, les sièges sociaux pourront
généralement faire en sorte, en l'espace de cinq à sept
ans au plus, qu'ils communiquent en français avec tous leurs
établissements situés au Québec. Les difficultés
qu'ils rencontreront seront associées à la langue de travail
à l'intérieur du siège social.
S'ajoutent à ces difficultés de départ, d'autres
conséquences du scénario de francisation prévu au Projet
de loi no 1 : 1) L'incertitude découlant des pouvoirs
discrétionnaires très étendus confiés à
l'Office et en particulier, l'imprécision de l'article 113, et l'absence
d'une participation de l'entreprise à la direction de l'Office. 2) La
volonté manifeste du Gouvernement de franciser le plus
d'activités internes au siège social. Ce Projet est
confirmé par le document du 4 mai 1977, remis par M. Guy Rocher au
Centre de linguistique de l'entreprise. 3) La volonté manifeste du
Gouvernement d'augmenter la présence de "francophones" aux sièges
sociaux des entreprises. Cette volonté devra se traduire par une demande
accrue de cadres francophones par l'ensemble des entreprises. Cependant, une
offre limitée de cadres pourrait rendre très difficile pour
certaines entreprises d'atteindre les objectifs de présence francophone
imposés par la Loi no 1. 4) Les difficultés accrues de muter au
siège social des cadres non-québécois.
Les amendements proposés
Selon l'esprit des amendements que nous proposons, les sièges
sociaux ne sont pas identifiés comme des cas spéciaux. Toutefois,
le scénario alternatif consécutif à ces amendements tient
quand même compte expressément des relations commerciales,
technologiques et administratives spécifiques aux sièges sociaux,
sous forme d'articles dans la réglementation. De plus, les amendements
facilitent les mutations et les rotations du personnel des diverses divisions
de l'entreprise au siège social.
Finalement, le scénario alternatif prévoit l'utilisation
de l'anglais comme langue instrumentale tout en rassurant le bilinguisme
effectif des communications officielles du siège social.
(1) Une telle explication est souvent donnée pour expliquer le
faible taux de présence de francophones aux sièges sociaux
d'entreprises situées à Toronto.
Les adaptations dysfonctionnelles
Les adaptations dysfonctionnelles suivantes sont prévisibles en
l'absence de modifications au Projet de loi no 1. 1) Le maintien du
siège social juridique au Québec accompagné d'un transfert
progressif des activités de coordination et de planification à
l'extérieur du Québec. Les activités suivantes sont
susceptibles d'être soustraites en partie du siège social
québécois: informatique, planification, marketing, finances,
trésorerie et comptabilité, direction scientifique, direction de
produit, direction de divisions régionales. 2) La création d'une
division québécoise ayant son siège social juridique au
Québec et le transfert réel du siège social et
administratif à l'extérieur du Québec.
De tels comportements d'évasion sont très faciles pour un
siège social. En effet, à l'occasion de réorganisations
administratives relativement fréquentes dans une grande entreprise, des
activités peuvent être transférées au moment de
réaménagements visant à une plus grande efficacité.
Comme les déplacements sont progressifs, les coûts à
l'entreprise sont étalés sur plusieurs années. Il ne faut
pas surestimer non plus l'ampleur des coûts de ce type. Ainsi, le
Conference Board dans une enquête récente aux Etats-Unis a
estimé que les coûts de mutation de personnel cadre variaient
entre $8000 et $12 000 par cadre.*
Amender le Projet de loi no 1 n'éliminera pas totalement les
incitations à déplacer des activités hors du
Québec. Néanmoins, les amendements proposés visent
à atténuer les effets négatifs découlant des quatre
faiblesses identifiées plus haut. d) Les centres de recherche
industrielle et les autres services spécialisés
Ces groupes organisationnels auront dans l'ensemble des
difficultés sérieuses d'adaptation s'ils sont
intégrés à des entreprises canadiennes ou internationales.
Par contre, ils auront moins de difficultés d'adaptation s'ils sont
intégrés à des entreprises québécoises ou
à des divisions ou établissements québécois. Ainsi,
les laboratoires de contrôle et d'essais et les centres locaux ou
régionaux d'informatique se franciseront, au même titre que les
groupes organisationnels d'exploitation dont nous avons discuté plus
haut.
Les difficultés posées par le Projet de loi no 1
Les difficultés que rencontreront ces groupes organisationnels
intégrés à des entreprises canadiennes ou internationales
sont nombreuses. Elles s'apparentent à celles que rencontreront les
groupes d'exploitation à haute technicité et les sièges
sociaux à rayonnement administratif extra-québécois.
Il est important de comprendre que la recherche industrielle est une
activité coûteuse et que l'entreprise veille à en retirer
le maximum. L'emplacement des centres de recherche industrielle n'est pas
nécessairement lié à la localisation des usines de
production. Il suit souvent la localisation du siège social, car ces
activités font partie intégrante de la planification et du
développement de l'entreprise. Ainsi, parmi vingt-huit centres de
recherche privés au Québec comptant au moins 15 ingénieurs
ou scientifiques, selon une enquête du Ministère d'Etat à
la Science et Technologie en 1973, 25 appartenaient à des entreprises
dont le siège social est situé au Québec.
Vu dans cette optique, il est facile de saisir les difficultés
qu'auront ces groupes organisationnels à s'adapter à la situation
que créerait la Loi 1 si elle était adoptée sans
modifications. Ces centres doivent travailler conjointement avec toutes les
filiales de l'entreprise où qu'elles soient. Dans un tel contexte,
l'anglais devient la langue instrumentale des communications. Travaillant
souvent à l'échelle internationale, le personnel de ces centres
maintient des liens de communications étroites avec des collègues
oeuvrant à travers le monde, dans leur sphère de
spécialisation. Dans ce milieu, la langue anglaise prédomine. Par
conséquent, plusieurs documents de gestion ainsi que les textes
techniques qu'ils rédigent sont en anglais. Le recrutement de chercheurs
et d'ingénieurs hautement qualifiés est un facteur critique de la
performance des centres de recherche industrielle. Le Projet de loi pose des
contraintes sérieuses à ce recrutement.
Le Projet de loi compte franciser le plus possible les activités
de ces groupes organisationnels mais vise aussi à intégrer
à la communauté francophone les experts que recrutent ces groupes
organisationnels. La francisation des activités sera fortement
limitée par les relations extra-québécoises de ces
groupes. L'intégration à la communauté francophone ne sera
possible que dans la mesure où les experts, conscients des options dont
ils disposent, accepteront de venir au Québec. Leurs directions pourront
diminuer substantiellement le bassin effectif de recrutement de ces groupes
organisationnels.
Les centres d'informatique sont au coeur du réseau de
communications de l'entreprise. Ils tran-
The Conference Board, "Elements of Corporate Relocation Assistance
Policies", 1977.
sigent continuellement avec les autres services de l'entreprise. Si,
d'une part, les services d'informatique sont décentralisés dans
la grande entreprise, la planification des systèmes est hautement
centralisée. Le centre d'informatique utilise une technologie
véhiculée principalement en langue anglaise. Il sera souvent
difficile dans le cadre créé par le Projet de loi no 1, de situer
qu Québec la planification des réseaux informatiques.
Les amendements proposés
Par des amendements aux articles 32, 37, 52, 58 et 113, nous proposons
1) de définir explicitement les règles gouvernant l'utilisation
d'une langue autre que le français dans ces groupes, 2) de permettre que
l'anglais reste la principale langue instrumentale lorsque les relations
technologiques, commerciales ou administratives du groupe l'exigent, 3)de
rendre plus souple les conditions d'accueil des travailleurs
non-québécois.
Les adaptations dysfonctionnelles
Parmi les caractéristiques (réelles ou perçues
comme tel par les entreprises) du Projet de loi susceptibles d'entraîner
des adaptations dysfonctionnelles, mentionnons: 1) L'incertitude face aux
pouvoirs discrétionnaires confiés à l'Office. Ces groupes
devront demander de nombreux accomodements pour tenir compte de leur situation
particulière et seront alors soumis aux décisions sans appel de
l'Office. 2) La promotion accélérée du français et
des francophones dans ces centres pourrait se faire difficilement étant
donné la nature de leurs activités et le rythme de rotation du
personnel. 3) Les difficultés d'attirer au Québec du personnel
hautement qualifié.
La relation étroite entre la localisation du centre de recherche
industrielle et celle du siège social a été
mentionnée. Il faut donc, à moyen terme, s'attendre à ce
que les activités de recherche et de services spécialisés
soient "déménagées" si l'entreprise décide de
transférer graduellement ses activités de coordination et de
planification hors du Québec. Parmi les autres possibilités
d'adaptation dysfonc-tionnelle, mentionnons: 1) la multiplication des postes
bilingues, 2) le transfert graduel d'activités, 3) la transformation du
centre en centre régional.
Les centres d'informatique sont parmi les activités les plus
faciles à transférer. Dans le cadre d'une réorganisation
du service d'informatique ou de l'achat d'un nouvel ordinateur, un transfert
progressif des activités peut être effectué. Par contre, on
peut s'attendre à ce que les entreprises respectent la Loi et qu'elles
francisent au Québec les "formats" "d'interface" et leurs documents
informatisés.
D) Conclusions
Notre analyse a porté sur les problèmes de francisation
des entreprises où l'utilisation instrumentale de l'anglais est grande.
Nous ne prétendons pas que toutes les entreprises
québécoises sont dans une telle situation. En fait, l'inverse est
plutôt vrai.
Quelle que soit la Loi qui sera éventuellement adoptée, la
très grande majorité des travailleurs québécois
travaillent dans un milieu foncièrement francophone car les groupes
organisationnels d'exploitation regroupent près de 90% des travailleurs.
Ces groupes vont se franciser complètement si ce n'est
déjà fait. Les possibilités d'adaptation dysfonctionnelle
à ce niveau sont minimes, quoiqu'on pourrait craindre une
marginalisation de certains établissements si on exige que les
passerelles linguistiques soient limitées ou situées hors du
Québec.
Les possibilités d'adaptation dysfonctionnelle sont cependant
plus élevées dans les autres types de groupes organisationnels,
si leurs activités ont un rayonnement extra-québécois
important. Ces comportements découleraient des facteurs suivants:
L'incertitude créée par l'importante
délégation de pouvoirs à l'Office.
L'absence de règles explicites quant à l'utilisation
instrumentale de l'anglais
La crainte que l'on exige un rythme de promotion du français et
des francophones qui est incompatible avec le rythme de développement de
l'entreprise au Québec.
Des barrières à l'entrée au Québec de
travailleurs non québécois.
Des craintes associées à la nécessité de
définir formellement les exigences linguistiques des postes.
Les amendements que nous avons proposés sous forme de
scénarios alternatifs visent essentiellement à minimiser ces
possibilités d'adaptations dysfonctionnelles tout en maintenant la
poursuite de l'objectif fondamental de la Loi.
CHAPITRE VI
L'entreprise québécoise
et le projet de loi no 1
A- INTRODUCTION
La vaste majorité des Québécois, sinon la
totalité, reconnaissent les bénéfices pour la
société québécoise d'une francisation accrue du
milieu de travail et plus particulièrement au sein des entreprises
établies au Québec. Néanmoins, une analyse
"coût-bénéfices" d'une législation visant à
promouvoir cette francisation est non seulement inopportune mais aussi
problématique. En effet, les bénéfices que retirera la
société québécoise de cette législation,
quoiqu'importants, ne peuvent être mesurés.
Toutefois, nous croyons que plusieurs options législatives
s'offrent à la société québécoise pour faire
en sorte que les Québécois puissent exercer leur droit de
travailler en français. Dans cet esprit, nous avons proposé des
amendements au Projet de loi no 1 visant à le rendre plus efficient par
rapport à l'objectif recherché. Les différences entre les
deux textes et leurs principes d'action ne sont pas très grandes. Elles
portent essentiellement sur des modalités opérationnelles.
Les deux scénarios visent essentiellement le même objectif:
assurer la francisation de l'entreprise durant une même période de
temps. Certes, les calendriers de la procédure de certification
différent. Toutefois, la certification ne constitue qu'une étape
administrative peu importante dans le contexte d'une loi d'application
universelle; le processus de francisation ne peut être
altéré par de simples changements au calendrier d'émission
des certificats. A prime abord, certains pourraient prétendre que le
scénario alternatif propose une francisation ralentie. Or, il n'est ici
question que d'un décalage d'une année ou deux. Dans une
matière si vitale quant à l'épanouissement de la
société québécoise, un tel décalage
s'avère marginal (1).
D'aucuns pourraient prétendre que les objectifs des deux
scénarios ne sont pas identiques. Or il est toujours question du
même objectif fondamental à savoir le libre exercice du droit de
travailler en français. Il est vrai que les amendements proposés
prévoient de façon explicite des normes "d'utilisation
instrumentale" pour une deuxième langue dans un Québec
français (2). Toutefois, les amendements proposés visent à
garantir à chacun la possibilité de travailler dans les
conditions linguistiques qu'il désire, c'est-à-dire qui
reflètent sa propre conception quant à l'utilisation "normale"
d'une autre langue.
Les bénéfices sociaux des deux scénarios
étant sensiblement les mêmes, il est possible de comparer les
"coûts sociaux" de deux scénarios. Cette approche analytique, de
plus en plus utilisée par le législateur, notamment aux
Etats-Unis où l'évaluation de l'impact d'une loi est parfois
obligatoire, permet d'identifier l'option législative la plus
efficiente. Nous proposons donc, dans les deux chapitres qui suivent une
analyse formelle et nuancée des impacts sociaux. Nous tenons toutefois
à souligner que, pris isolément, ces coûts n'ont aucune
valeur intrinsèque. Notre apport vise essentiellement à comparer
les coûts de deux scénarios à bénéfices
équivalents, mis à part un décalage temporel maximum de 24
mois. Bien que conscients des dangers inhérents à la
"manipulation" des chiffres, nous pensons que la société
québécoise a atteint un stade de maturité qui permet
d'espérer une utilisation rationnelle et de bon aloi de l'exercice
analytique présenté dans ce mémoire.
Ce chapitre présente une analyse comparative de l'impact
différentiel des deux scénarios sur le comportement des
entreprises. L'analyse a été faite à partir des
résultats d'enquêtes menées en mai 1977 auprès de
120 grandes entreprises établies au Québec. Les
échantillons d'entreprises ont été tirés de
multiples secteurs de l'activité économique. Ces secteurs ont
été choisis sur la base d'hypothèses quant à
l'impact d'une législation linguistique. Après avoir construit un
échantillon aléatoire d'entreprises dont le personnel au
Québec était supérieur a 500 employés, nous nous
sommes attardés aux entre-
(1)Le scénario alternatif pourrait susciter, selon nous, une
francisation plus rapide des entreprises, car il s'harmonise aux modes de
fonctionnement de l'entreprise. Il amènera donc des changements plus
rapides. Notons toutefois que le développement d'une terminologie
normalisée, exigence commune aux deux scénarios, pourrait avoir
une profonde influence quant à la réalisation plus ou moins
rapide des objectifs de francisation.
(2) Notre conception de l'usage instrumental d'une autre langue est sans
doute influencée par nos propres rôles d'universitaires et de
chercheurs. Bien que nous travaillions en français, nous sommes à
l'occasion appelés à communiquer en anglais et, plus souvent,
à lire des articles rédigés en langue anglaise. Cet
état de chose n'a rien à voir avec l'entreprise "anglophone"
établie au Québec, mais découle logiquement du
système technologique dans lequel nous oeuvrons.
prises des secteurs pour lesquels l'impact de la législation
linguistique risquait d'être le plus élevé, nous tenons
à souligner qu'aucun calcul de bénéfices associés
à la francisation des entreprises des divers secteurs en question n'a
été effectué.
Le chapitre VI est divisé en trois parties. La première
partie contient la description des échantillons d'entreprises. La
deuxième partie décrit la situation des entreprises à
partir des résultats de l'enquête et dresse une liste de
projections quant à l'univers québécois des entreprises
à partir desquelles a été tiré
l'échantillon. Une troisième partie présente un
modèle d'analyse de comportement qui sera utilisé pour comparer
l'impact des deux scénarios sur les entreprises
représentées dans les échantillons.
Deux types d'échantillons ont été
constitués: un premier échantillon de type aléatoire
construit à partir de 331 entreprises qui comptent au Québec 500
employés ou plus; enfin, cinq échantillons dits
"spécifiques".
(a) L'échantillon aléatoire 41 entreprises de 500
employés et plus au Québec choisies au hasard au sein d'une liste
de 331 entreprises représentant, au meilleur de notre connaissance,
toutes les entreprises ayant plus de 500 employés au Québec.
L'échantillon initial était de 50 entreprises; 9 entreprises
n'ont pas complété le questionnaire. Cinq d'entre elles
étaient des entreprises dont le siège social se situe hors du
Québec, fait qui affaiblit leur valeur représentative au sein de
l'échantillon.
(b) Les échantillons spécifiques 1. 41 entreprises ayant
leur siège social au Québec et une part importante de leurs
activités à l'extérieur du Québec. Cet
échantillon a été tiré d'une liste faisant
état des cinquante plus grandes entreprises rencontrant ces conditions.
Neuf d'entre elles n'ont pas complété le questionnaire. 2. 28
entreprises ayant plus de 2000 employés au Québec. A la
lumière des informations dont nous disposons, il y aurait au
Québec 42 entreprises ayant plus de 2000 employés; 31 furent
contactées et 3 d'entre elles n'ont pas complété le
questionnaire. 3. 12 entreprises à haute technicité,
établies au Québec. Huit de ces 12 entreprises comptent plus de
500 employés. Cinq autres entreprises à haute technitié
furent contactées mais ne complétèrent pas le
questionnaire et deux le remirent en retard. 4. 8 sociétés de
services professionnels établies au Québec et ayant un
rayonnement hors du Québec. Ces entreprises ont été
choisies parmi les plus grandes entreprises de services professionnels. On y
retrouve 5 des 7 plus importants bureaux d'ingénieurs du Québec,
2 sociétés de courtage en valeurs mobilières et une
société de service d'informatique. 5. 19 centres de recherche
industrielle, ayant tous à leur service au moins 15 scientifiques ou
ingénieurs. Selon une enquête du Ministère d'Etat, Sciences
et Technologie, en 1973, il y avait au Québec 28 centres de recherche
industrielle privés comptant un personnel scientifique supérieur
à 15; 23 ont été contactés; 2 questionnaires ont
été reçus en retard et 2 entreprises ont refusé de
participer. Les laboratoires gouvernementaux et universitaires ont
été exclus.
Le premier échantillon, tiré de la population des
entreprises de 500 employés et plus, a été utilisé
pour établir des projections quant à l'ensemble des dites
entreprises. Choisi au hasard, cet échantillon se veut
représentatif des entreprises ayant plus de 500 employés au
Québec* Les cinq autres échantillons ont été
retenus à des fins d'analyse de situations spécifiques.
B- LA SITUATION DES ENTREPRISES
Dans cette section nous abordons la dimension
extra-québécoise des entreprises de l'échantillon, puis,
nous faisons état des caractéristiques de leur personnel au
Québec ainsi que du profil linguistique de leurs cadres. * Comme
paramètre de projection, nous avons utilisé la proportion obtenue
en situant lesdites entreprises par rapport à l'échantillon
aléatoire initial et non par rapport à l'échantillon des
répondants, à cause d'un taux de non réponse plus
élevé dans les entreprises dont le siège social
était à l'extérieur du Québec.
Référer à la version PDF page CLF-861
1. Les entreprises de plus de 500 employés a)
L'échantillon
Parmi les 43 entreprises de l'échantillon, 14 ont
été identifiées comme étant à
propriété et gérance "canadienne-française"; 16
étaient contrôlées par des non-Canadiens. Le tableau 1
présente la répartition géographique des revenus, selon
leur origine; 38 entreprises ont répondu à cette question. Leur
revenu moyen en 1976 était de $257 millions.
Le tableau 2 fournit des informations quant à la
répartition du personnel. Nous avons défini comme cadres les
employés de rang de contremaître ou de rang supérieur.
Référer à la version PDF page CLF-862
Le pourcentage élevé d'employés et de cadres du
siège social travaillant au Québec (73.1% et 68.6%)
reflète le fait que 36 des 41 entreprises choisies dans notre premier
échantillon avaient leur siège social au Québec. A titre
de comparaison, 80% de l'ensemble (N-331) des entreprises ayant plus de 500
employés au Québec ont leur siège social au Québec;
il en est ainsi pour 69% des 105 plus grandes entreprises. (Cette liste des 105
plus grandes entreprises a été établie par Maurice
Sauvé lors d'une étude effectuée pour le compte de la
Chambre de Commerce de Montréal).
Dans les 36 entreprises qui avaient leur siège social au
Québec, 61% des cadres avaient une connaissance d'usage du
français. (Le taux de "francophonisation" le plus bas obtenu fut de
10%). b) la population
Les données de l'échantillon furent appliquées
à l'ensemble de la population des 331 entreprises de 500 employés
et plus. Le tableau 3 présente le résultat de ces
projections.
La main d'oeuvre employée au Québec est estimée
à 2,479,000. Les entreprises de 500 employés et plus
emploieraient donc 20.2% de l'ensemble de la main-d'oeuvre au Québec. Ce
chiffre concorde avec ce qu'on pouvait anticiper d'une analyse de la structure
de l'emploi par taille d'entreprise.
D'autre part, ces entreprises représentent 33.3% de l'emploi
total au Québec dans les secteurs où elles étaient
présentes, soit "fabrication", "construction", "transport,
communications et autres services publics", et "finances, assurances et
immeubles". c) Les groupes organisationnels dans la grande entreprise.
Dans le chapitre précédent, nous avons
énuméré les principes régissant le découpage
d'une entreprise en divers groupes organisationnels. Nous avons effectué
des découpages dans le cas de chacune des 41 entreprises de 500
employés et plus. Pour ce faire, nous disposions à la fois des
données recueillies par sondage et des rapports annuels publiés
par l'entreprise.
Nous avons réparti les activités de chaque entreprise
selon les cinq catégories suivantes de groupes organisationnels:
-exploitation -exploitation (haute technicité) -siège social
-siège divisionnaire régional -centre de recherche
Puis les résultats furent appliqués à l'ensemble
des 331 entreprises de 500 employés et plus. Les résultats sont
présentés au tableau 4.
Référer à la version PDF page CLF-863
Référer à la version PDF page CLF-864
Quel que soit le scénario retenu, les groupes d'exploitation
seront francisés, sans trop d'adaptations dysfonctionnelles. Au sein des
groupes d'exploitation d'entreprises de plus de 500 employés, on
retrouve les pourcentages suivants: 82% d'employés et 63% de cadres.
Nous pouvons, avec confiance, extrapoler ces pourcentages comme seuils minima
à l'ensemble du secteur privé. En effet, plus la taille de
l'entreprise est petite, plus élevée est la proportion des
employés et particulièrement des cadres affectés à
l'exploitation, par opposition à la coordination administrative et
à la planification. Par contre, le scénario de francisation pour
les autres groupes exige une analyse plus nuancée.
Nous avons donc construit une grille dont les axes tiennent compte de
ces deux dimensions: l'importance relative du marché du Québec et
la connaissance d'usage du français chez les cadres au siège
social. Le tableau 5 représente nos estimés de la
répartition, sur cette grille, des 232 entreprises ayant plus de 500
employés au Québec et dont le siège social est au
Québec.
Dans chacune des cases, "N" précise le nombre d'entreprises dans
cette catégorie, "Ne", le nombre total d'employés au siège
social et "Nc", le nombre de cadres au siège social. Par exemple, on
voit très bien que 14 parmi les 232 entreprises ayant plus de 500
employés au Québec n'ont que de 0 à 25% de leur chiffre
d'affaires qui provient du Québec; seulement 0 à 25% de leurs
cadres au siège social ont une connaissance d'usage du français.
L'ensemble de ces entreprises emploient 688 personnes aux sièges
sociaux, dont 348 cadres. Cette grille nous permet d'évaluer rapidement
le nombre et l'impor-
Référer à la version PDF page CLF-865
tance des sièges sociaux d'entreprises pour lesquelles une
réglementation linguistique sévère serait susceptible,
à court terme, de créer des difficultés majeures. Dans
certains cas, ces sièges sociaux qui auraient peut-être à
rattraper précipitamment le retard historique que reflète la
composition de leur main-d'oeuvre au siège social feraient face à
des difficultés d'adaptation importantes. Par contre, quelle que soit la
compétence francophone des cadres du siège social, leurs
caractéristiques de fonctionnement imposent parfois une forte
utilisation de l'anglais. Deux dimensions caractérisent le
problème que les sièges sociaux auront à résoudre
pour se conformer aux programmes de francisation: d'une part, l'importance du
marché québécois eu égard aux ventes totales de
l'entreprise; d'autre part, la proportion des cadres ayant une connaissance
d'usage du français. En effet, si une entreprise manufacturière
ne réalise que 10% de son chiffre d'affaires au Québec et 90%
avec le reste du Canada et les Etats-Unis, il est fort probable que
l'utilisation de l'anglais au siège social sera élevée. De
plus, il est évident que les pratiques linguistiques refléteront
les connaissances linguistiques des cadres. Dès lors, advenant une
politique linguistique restrictive, la propension à quitter le
Québec sera relativement élevée. Le raisonnement inverse
s'applique pour une entreprise desservant surtout le marché
québécois.
S'inspirant alors du modèle de décision décrit au
chapitre précédent, il semble à prime abord que les
entreprises dont les ventes se font en majorité hors du Québec et
dont moins de 50% des cadres au siège social ont une connaissance
d'usage du français, seront tentées, étant donné
les coûts monétaires et psychologiques des programmes de
francisation, de rechercher des adaptations dysfonction-nelles ou même de
placer leur siège social hors du Québec. Ces entreprises se
trouvent dans la partie sud-ouest de la grille.
Aux fins de bien illustrer l'impact des relations administratives,
commerciales et techniques, nous avons constitué cinq
échantillons spécifiques d'entreprises. Il nous sera donc
possible d'examiner plus en détail la décision du mode
d'adaptation à une législation linguistique étant
donné d'une part, les relations avec l'extérieur du Québec
et d'autre part, la présence francophone définie comme le
pourcentage des cadres ayant une connaissance d'usage du français. 2. Un
échantillon de grandes entreprises canadiennes ayant leur siège
social au Québec
Les sièges sociaux ayant un fort rayonnement administratif
extra-québécois seront fort probablement plus directement
affectés dans leur fonctionnement par une réglementation
linguistique. Nous avons donc décidé d'analyser un
échantillon spécifique de 50 entreprises de ce type: 41 ont
collaboré à notre enquête; parmi ces entreprises, 20
étaient de propriété canadienne et 21 de
propriété étrangère.
Le chiffre d'affaires de ces entreprises en 1976 totalisait $22,2
milliards. La répartition géographique des ventes était
approximativement la suivante: Québec 22.0%; reste du Canada 52.3% et
à l'étranger 25.7%. Elles employaient en moyenne 688 personnes
à leur siège social au Québec.
Les informations que nous avons pu obtenir sur leur personnel sont
présentées au tableau 6.
Référer à la version PDF page CLF-866
En moyenne, 45.3% des cadres oeuvrant au siège social de ces
entreprises ont une connaissance d'usage de la langue française.
Le tableau 8 présente la répartition de ces sièges
sociaux sur une grille similaire à celle adoptée dans la section
précédente.
Référer à la version PDF page CLF-867
Selon le tableau ci-dessus, 17 entreprises tirent moins de 25% de leur
chiffre d'affaires au Québec; seulement 3 en tirent plus de 50%. Dans 5
autres entreprises, moins de 25% des cadres ont une connaissance d'usage du
français; dans 16 entreprises, ce taux est de 20% à 50%.
Essayons donc de comprendre la problématique du choix d'un mode
d'adaptation à une loi linguistique telle qu'elle se présente
à ces entreprises et sièges sociaux. Il semble, en premier lieu,
que quelle que soit la répartition géographique des ventes, les
sièges sociaux où la présence francophone parmi le
personnel est élevée pourront amorcer sans trop de
difficultés la préparation d'un programme de francisation, pourvu
que soit reconnu l'effet des relations commerciales administratives et
techniques. Quelle que soit l'importance de la présence francophone au
sein du personnel au siège social, les entreprises dont la
majorité des ventes est réalisée au Québec, auront
un intérêt réel, notamment au plan économique,
à amorcer l'élaboration d'un programme de francisation.
Hélas, le problème s'avère fort différent pour les
entreprises situées dans la section sud-ouest du tableau 8: la
présence francophone y est faible et les ventes et usines y sont de
caractère "extra-québécois" (entreprises pour lesquelles
les ventes au Québec représentent moins de 50% du total et
où l'usage du français est inférieur à 50%). Elles
pourraient à titre d'exemple et sans trop de frais, procéder aux
modifications structurelles qui suivent: création d'une division
québécoise, soustraction d'activités du siège
social et même relocalisation du siège social. 3. Les entreprises
à haute technicité
Par entreprises à haute technicité, nous entendons les
entreprises qui oeuvrent principalement dans des domaines où la
technologie utilisée et les types de produits fabriqués peuvent
être qualifiés de pointe et où la recherche prend une place
importante. Afin de constituer notre échantillon, nous avons
Référer à la version PDF page CLF-868
analysé la liste des 331 entreprises ayant plus de 500
employés au Québec, de même que le "Survey o* Industrials"
du Financial Post. Parmi les entreprises à haute technicité, nous
avons constitué un échantillon de 19 entreprises. Douze ont
collaboré à notre enquête. Le volume d'activité et
l'origine géographique des revenus de ces 12 entreprises sont
décrits dans le tableau suivant.
Référer à la version PDF page CLF-869
Si l'on tient compte uniquement des cadres (selon la définition
déjà donnée), plus de 63% (soit 3,851 sur 6,045)
travaillent au Québec alors que près de 46% d'entre eux (1,789
sur 3,851) travaillent au Québec au niveau des sièges sociaux et
des bureaux chefs des divisions québécoises. Le pourcentage de
ces 1,789 cadres qui ont une connaissance d'usage du français
équivaut à environ 60%.
Afin de mieux saisir l'importance du pourcentage des ventes ou des
actifs détenus au Québec et, d'autre part, de la présence
francophone, nous avons dressé une taxonomie tenant compte de ces deux
variables. (Tableau II). Presque toutes ces entreprises effectuent plus de 75%
de leurs ventes à l'extérieur du Québec alors que la
présence francophone varie d'un niveau très faible à un
niveau très élevé. Il est donc facile de constater
à priori que certaines de ces entreprises auront des difficultés,
du moins au siège social, à préparer des programmes de
francisation. 4. Les entreprises ayant plus de 2,000 employés au
Québec
Nous avons identifié 42 entreprises ayant plus de 2,000
employés au Québec. Parmi ce groupe, 28 ont collaboré
à notre enquête. De ce nombre, 25 ont leur siège social au
Québec.
En 1976, le chiffre d'affaires réalisé par ces entreprises
s'élevait à $19 milliards dont 18.7% provenait du Québec,
58.3% du reste du Canada et 23% d'exportations à l'étranger. Les
informations recueillies concernant le personnel de ces entreprises sont
présentées au tableau 12.
Référer à la version PDF page CLF-870
Nous avons de plus constitué une taxonomie (tableau 13), tenant
compte des variables suivantes: soit le pourcentage des ventes
réalisées au Québec et, d'autre part, soit le pourcentage
des cadres oeuvrant au siège social au Québec et ayant une
connaissance d'usage du français.
Sur les 28 entreprises, 13 effectuent moins de 25% de leurs ventes au
Québec. Dans 17 d'entre elles, moins de 50% des cadres oeuvrant au
siège social ont une connaissance d'usage du français.
Encore une fois, bon nombre d'entreprises se retrouvent dans la partie
sud-ouest du tableau. Ce groupe se caractérise par une présence
francophone relativement faible au niveau du siège social et par des
ventes extra-québécoises élevées. Ces entreprises
éprouveront vraisemblablement des difficultés à
élaborer des programmes de francisation. Enfin, d'autres entreprises
pourront avoir un intérêt économique à
préparer des programmes de francisation ou encore, pourront le faire
sans trop de difficultés vu l'importance de la présence
francophone dont elles jouissent au niveau du siège social.
Référer à la version PDF page CLF-871
5. Les sociétés de services professionnels
II nous est apparu important de poursuivre notre enquête
auprès des sociétés de services professionnels. Compte
tenu de la taille habituelle de ces entreprises, on comprend qu'elles n'aient
pas été représentées dans les échantillons
précédents. Nous avons donc constitué un
échantillon spécifique de sociétés de services
professionnels ayant un rayonnement extra-québécois. Cet
échantillon groupait 10 entreprises dont 8 ont collaboré à
notre enquête. Ces 8 entreprises oeuvrent dans des domaines aussi
variés que l'ingénierie-conseil, le placement, le courtage en
valeur mobilière et l'informatique, et sont toutes d'appartenance
canadienne.
En 1976, le chiffre d'affaires de ces 8 entreprises totalisaient $376
millions dont 50% environ provenait du Québec. Les employés se
répartissaient comme suit:
Le nombre de personnes ayant une connaissance d'usage du français
au niveau de la catégorie des 354 cadres oeuvrant au siège social
s'établissait à 272, soit près de 77% du total. 6. Les
centres de recherche industrielle
Un inventaire des centres de recherche industrielle au Québec a
été établi à partir du répertoire des
centres canadiens de recherche-développement industriel de 1973 (1). Ce
répertoire est constitué de 152 unités de recherche et
développement, lesquelles emploient 2,375 scientifiques et
ingénieurs. Afin de distinguer les laboratoires de recherche
industrielle des laboratoires de contrôle de qualité de la
fabrication, nous n'avons retenu que les centres de recherche industrielle
ayant 15 ingénieurs ou scientifiques à leur emploi. Nous en avons
identifié 30. De ce nombre 20 centres furent choisis au hasard afin de
constituer notre échantillon; 19 centres ont collaboré à
notre enquête.
(1) Répertoire des Centres Canadiens de Recherche et
Développement Industriel (1973).
Référer à la version PDF page CLF-872
Parmi ces 19 centres, 13 font partie d'entreprises à appartenance
canadienne et 6 appartiennent à des étrangers. En 1976, le budget
d'opération de ces 19 centres s'élevait à $104.4 millions.
Ces 19 laboratoires utilisent les services de 3 catégories de personnel,
soit des ingénieurs et scientifiques, des techniciens et du personnel de
support dans les proportions suivantes:
Référer à la version PDF page CLF-873
Quant à l'importance des centres de recherche industrielle au
Québec, les faits suivants sont éloquents. En 1973, au
Québec, plus de $133 millions étaient affectés aux 274
unités de recherche et développement.(1), soit 30.2% des
dépenses totales canadiennes en recherche et développement. Le
Québec comptait 25.6% de toutes les unités de recherche et
développement localisées au Canada. Durant la même
année, les 274 unités en cause utilisaient les services de 2572
professionnels (scientifiques et ingénieurs), soit 32.4% de tous les
professionnels qui oeuvraient en 1973 dans les centres de recherche et
développement industriel canadiens. Le répertoire des centres
canadiens de recherche dénombrait 92% de tous les scientifiques et
ingénieurs engagés dans la recherche industrielle au
Québec. A cette même date, les 30 centres les plus importants au
Québec regroupaient 2006 ingénieurs et scientifiques, soit
près de 78% de tous les ingénieurs et scientifiques oeuvrant dans
ce secteur au Québec. Il est également important de souligner
l'étroite relation qui existe entre la localisation du siège
social et celle du centre de recherche. En fait, dans le cas des 28 grands
centres privés, 25 sont intégrés à des entreprises
ayant leur siège social au Québec; deux entreprises, qui ont un
centre de recherche au Québec, ont leur siège social à
l'extérieur du Québec; pour ce qui est du vingt-huitième
centre, il s'agit d'un centre de recherche industrielle financé par un
consortium d'entreprises dont un certain nombre ont leur siège social au
Québec.
(1) Statistique Canada 13-203
C - Quantification de l'impact en termes d'emplois
La quantification de l'impact en termes d'emplois pose un
problème difficile d'évaluation. Il est cependant possible d'en
déterminer approximativement l'ampleur en analysant les
difficultés rencontrées par chaque type de groupe organisationnel
pour s'adapter aux programmes de francisation et les coûts pour
l'entreprise que représente l'adoption des mesures visant à se
soustraire de l'application de la Loi. A cet égard, nous avons construit
un modèle "prédictif" pour quantifier cet impact. 1. Un
modèle "prédictif" de comportement
Au chapitre V, nous avons analysé les effets
qu'entraîneraient les deux scénarios chez les différents
types de groupes organisationnels. Suite à cette analyse, nous avons
établi des grilles de probabilité afin de projeter et de
prédire les comportements dysfonctionnels de soustraction
organisationnelle et de mutation d'activités. Au cours de
l'enquête, nous n'avons pas demandé (d'aucune façon) aux
entreprises ce qu'elles entendaient faire si la législation était
adoptée, sans amendement ou après amendement. Nous avons
préféré évaluer, en fonction de critères
objectifs, les comportements des entreprises. Ces comportements dysfonctionnels
nous permettent ensuite de quantifier l'impact économique en termes
d'emplois.
En premier lieu, nous avons établi deux catégories
distinctes: (a) les groupes d'exploitation et les sièges divisionnaires
et (b) les groupes d'exploitation à haute technicité, les
sièges sociaux et les centres de recherche.
Catégorie (a)
II est très peu probable que des comportements dysfonctionnels au
niveau des groupes d'exploitation et des ièges divisionnaires se
traduisent par des pertes d'emploi. Même si l'entreprise
réorganise ses structures, il y aura peu de mutation de postes.
Toutefois, sont inclus dans ces groupes certains services qui pourraient
être mutés au siège divisionnaire et au siège social
si la Loi n'est pas modifiée. Il s'agit par exemple des services
d'informatique, de crédit et de comptabilité. Certains de ces
sièges sociaux ou divisionnaires seront au Québec, d'autres
à l'extérieur du Québec.
Une analyse, entreprise par entreprise dans l'échantillon
aléatoire, de ces mutations et de leur impact sur l'emploi au
Québec nous incite à croire que dans les groupes d'exploitation,
la probabilité que les comportements dysfonctionnels amèneraient
des pertes d'emploi serait de 0.2% si la Loi n'est pas amendée. Ce
chiffre est très faible (2 emplois sur 1000). Au niveau des
sièges divisionnaires, la probabilité est
légèrement plus élevée. Une bonne partie des
sièges divisionnaires de l'Est du Canada seront fort probablement
restructurés. En conséquence, on ne retrouvera pour le
Québec que des sièges divisionnaires. Par contre, en termes
d'emplois, l'effet est minime; nous estimons que la probabilité n'est
que de 0.035, que ces modifications conduisent à des pertes d'emploi
pour le Québec. Par contre, si la Loi est amendée dans le sens de
nos suggestions, nous ne prévoyons pas de comportements dysfonctionnels.
En conséquence, les "pertes" d'emploi seraient nulles.
Catégorie (b)
Les autres groupes organisationnels, qui représentent environ 15%
des effectifs dans les entreprises de 500 employés et plus, seront plus
durement affectés par la Loi no 1, qu'elle soit amendée ou non.
En conséquence, les probabilités de comportements dysfonctionnels
sont plus élevées. Compte tenu du contenu de chaque
scénario, nous avons construit pour cette catégorie de groupes
deux matrices de probabilité en fonction d'une part, de la
présence francophone au sein des groupes et, d'autre part, de leur
rayonnement extérieur au Québec. Appliquées aux emplois,
ces matrices permettent d'estimer le nombre d'emplois qui disparaîtraient
suite à l'adaptation aux deux scénarios de législation
linguistique.
Comme nous l'avons déjà mentionné, deux variables
ont été utilisées pour construire la grille: a)les
relations avec l'extérieur du Québec, mesurées par le
pourcentage des revenus de l'entreprise réalisés hors du
Québec b)le taux de présence francophone au sein des cadres du
groupe
Plus les relations avec l'extérieur du Québec sont
importantes et plus la présence francophone chez les cadres est faible,
plus la probabilité est élevée que les groupes
organisationnels mutent des emplois stratégiques hors du Québec
et, de ce fait, réduisent ainsi leur personnel au Québec. Pour
chaque situation possible, un intervalle probabiliste a été
retenu. Ainsi, un intervalle de 0.50 à 0.75 indique qu'un emploi dans
cette catégorie de groupes organisationnels a une probabilité
entre 50% et 75% d'être perdu pour le Québec en raison de
soustractions organisationnelles et de mutations de postes. Dans un groupe
organisationnel où seulement 10% des cadres s'expriment en
français et dont 90% des revenus sont réalisés hors du
Québec, les probabilités d'adaptation dysfonctionnelles sont
très élevées. Il faut se rappeler à cet
égard les différents modes d'adaptation décrits au
chapitre précédent.
Les tableaux 18 et 19 décrivent les intervalles probabilistes que
nous avons établis suite à l'analyse détaillée des
situations de chaque groupe organisationnel dans l'un et l'autre
scénario.
Référer à la version PDF page CLF-875
* - On peut interpreter cette probabilité comme
étant la proportion des "postes" dans une catégorie donnée
qui serait éliminée suite S des ajustements d'entreprises dans
cette catégorie (i.e., restructuration, déplacement de
sièges sociaux, etc.)
Référer à la version PDF page CLF-876
A prime abord, certains de ces intervalles probabilistes peuvent sembler
élevés. En fait, ils ne s'appliquent qu'à un nombre
très limité d'établissements au Québec. Au
départ, tous les groupes d'exploitation et les sièges
divisionnaires, qui représentent près de 90% des effectifs dans
les entreprises de 500 employés et plus, sont exclus de cette analyse.
De même tous les groupes où 75% des cadres ont une connaissance
d'usage du français s'adapteront à la Loi sans aucune
modification structurelle: d'où la probabilité nulle de perte
d'emplois puisque nous n'anticipons alors aucun comportement dysfonc-tionnel.
Les groupes organisationnels où la probabilité de comportement
dysfonctionnel est la plus élevée sont ceux où la
présence francophone chez les cadres est très faible (0% à
25% des revenus). Si la Loi n'est pas amendée, on peut prévoir
des comportements dysfonctionnels dans ces groupes (qui sont, par contre,
relativement peu nombreux). Des mutations de postes stratégiques et des
soustractions organisationnelles occasionnent des pertes d'emploi. Les
probabilités de comportement dysfonctionnel diminuent toutefois à
mesure que s'élèvent la présence francophone et la part
des revenus tirés du Québec. Les différences entre les
intervalles probabilistes des deux scénarios tiennent compte de l'impact
différent des programmes de francisation et des exigences linguistiques
de chacun des scénarios.
En ce qui a trait à la matrice de probabilité
afférente au scénario alternatif, il est bon de remarquer que
nous avons retenu des probabilités assez élevées. En
effet, quels que soient les amendements apportés à la Loi, il
demeure qu'à court terme, certains comportements dysfonctionnels seront
choisis par certains dirigeants d'entreprise. Or, nous prévoyons que les
décisions dysfonctionnelles seront prises dans un avenir assez prochain,
soit d'ici trois ou quatre ans au plus. 2. La perte d'emplois directs
Ces deux matrices de probabilités ont été
appliquées aux distributions des différentes catégories de
groupes organisationnels (sièges sociaux, centres de recherche et haute
technicité). La probabilité médiane de chaque intervalle
fut choisie pour fins de calcul. Les résultats sous forme de pertes
d'emploi, sont présentés au tableau 20. Nous y présentons
aussi les pertes d'emploi dans les groupes organisationnels d'exploitation et
dans les sièges divisionnaires. "Perte" d'emploi, dans le contexte de
cette analyse, ne signifie pas nécessairement départ de personnes
ou mise à pied et ne devrait pas être interprétée
comme tel. Nous reviendrons sur ce point plus loin.
Si la loi n'était pas amendée, il s'ensuivrait une "perte"
d'emploi de l'ordre de 13 000 dans les entreprises de 500 employés et
plus, contre environ 6300 emplois "perdus" si la Loi était
amendée. La différence est de l'ordre de 7500 emplois. Ces
résultats doivent être analysés dans une certaine
perspective. Plusieurs éléments définissent cette
perspective. a) Les entreprises de 500 employés et plus comptent au
Québec quelque 500 000 employés, selon nos estimés. Les
"pertes" d'emploi résultant des adaptations dysfonctionnelles seront
inférieures à 3% dans ces entreprises. Des amendements à
la Loi pourraient diminuer de plus de moitié ces "pertes".
b) Les "pertes" seront concentrées dans les secteurs bien
particuliers: sièges sociaux (13% des emplois) et surtout dans les
établissements à haute technicité et les centres de
recherche (plus de 20% des emplois dans ces secteurs, au niveau de l'entreprise
de 500 employés et plus). c)Les "pertes" d'emploi de cadres seront
substantielles. Bien que les cadres ne forment qu'une faible partie de la main
d'oeuvre (environ 10% selon la définition retenue pour les fins de
l'analyse des résultats de l'enquête), plus de 35% des postes
"perdus" seront des postes de cadres. d) Ces "pertes" d'emploi ne doivent pas
être interprétées comme des départs ou des mises
à pied de personnes. Un nombre de cadres et d'employés du bureau
seront mutés hors du Québec. Cependant, la majorité des
emplois seront "perdus" par attrition. Suite à une réorganisation
de structure, les employés seront mutés à d'autres
fonctions. L'entreprise, comptant momentanément un surplus de personnel,
cessera de recruter du personnel jusqu'à ce que le rythme normal
d'attrition absorbe le surplus. Il va toutefois sans dire qu'un certain nombre
de mises à pied sont concevables. e)L'impact se fera sentir relativement
rapidement dans les quelques années qui suivent la promulgation de la
Loi. f) Nous avons été volontairement pessimistes dans
l'établissement des probabilités de comportements dysfonctionnels
si ce Projet de loi était amendé. Ceci a été fait
sciemment dans le but d'estimer de façon conservatrice le "coût"
associé au premier scénario. Ce coût est la
différence entre les "pertes" d'emploi sous chaque scénario. Dans
l'entreprise de 500 employés et plus, ce "coût" est de l'ordre de
6000 emplois directs. A bénéfices égaux, ce coût est
véritable. Si quelqu'un juge que les bénéfices des deux
scénarios ne sont pas les mêmes, la question importante est de
savoir si la différence vaut 6000 emplois. Mais avant de poser cette
question, nous devons toutefois analyser l'impact global des deux
scénarios. Pour ce faire, il faut se pencher sur le cas des entreprises
de moins de 500 employés et sur les entreprises de services à
l'entreprise. 3. Les entreprises de moins de 500 employés
Nous estimons qu'environ 1 700 000 Québécois, sur les 2
500 000 travailleurs ayant un emploi, sont employés par le "secteur
privé". Nous incluons dans le secteur privé tout ce qui est hors
du secteur public et parapublic. Il existe environ 50 000 agriculteurs, ce qui
laisse environ 1 650 000 travailleurs employés par des entreprises, des
sociétés, des coopératives ou à leur compte dans le
secteur privé, hors de l'agriculture.
De ces 1 650 000 travailleurs, environ 700 000 sont employés par
les quelque 2400 entreprises qui comptent au Québec de 100 à 500
employés et 500 000 dans les quelque 230 entreprises ayant plus de 500
employés au Québec. Ceci laisse dont 450 000 travailleurs
autonomes ou à l'emploi d'entreprises, coopératives ou
sociétés ayant moins de 100 employés.*
Le passage d'une loi linguistique suscitera des comportements
dysfonctionnels chez les entreprises de 100 à 500 employés. Selon
divers estimés, dont ceux d'Arnaud Sales, moins de la moitié des
entreprises manufacturières de cette taille seraient de
propriété et de direction francophone. De même, le quart
d'entre elles seraient des divisions ou des filiales d'entreprises
étrangères.
Par contre, on ne peut s'attendre à ce que les comportements
dysfonctionnels aient un impact aussi élevé dans ces entreprises
que dans les grandes entreprises.
Premièrement, la taille réduite de l'entreprise est
généralement associée à un rayonnement beaucoup
plus local. Les comportements dysfonctionnels sont grandement favorisés
par la présence d'établissements de l'entreprise ailleurs au
Canada. Or, les entreprises de 100 à 500 employés au
Québec sont rarement dans cette situation.
Deuxièmement, l'importance relative des activités
d'exploitation varie de façon inversement proportionnelle avec la
taille. Les activités de recherche et de coordination, plus susceptibles
d'être touchées par des comportements dysfonctionnels, sont moins
importantes dans ces entreprises.
En utilisant des probabilités beaucoup plus conservatrices que
pour les entreprises de 500 employés et plus, nous estimons qu'environ
2000 emplois seront "perdus" dans ces entreprises, dont le tiers dans des
activités d'exploitation. Environ 40% des emplois seront des postes de
cadres. Par contre, si la Loi était amendée, les "pertes"
d'emploi se situeraient au plus à 500. Compte tenu de l'importance en
terme d'effectif de ce groupe d'entreprises, la "perte" d'emploi est
substantiellement moindre que dans la grande entreprise. Le taux de "perte" n'y
est que de 0.3% contre 2.6% dans le cas de la grande entreprise ayant plus de
500 employés au Québec.
Quant aux entreprises de moins de 100 employés, l'impact direct
en termes d'emploi sera négligeable et il ne fut pas estimé.
4.Les services professionnels.
Les entreprises font appel à différentes
sociétés de services professionnels. Si le niveau
d'activité des entreprises baisse suite à des adaptations
dysfonctionnelles, il s'ensuivra une baisse de deman- * - Ces estimés
ont été obtenus par les économistes de SECOR. La
précision quant aux nombres de travailleurs est de l'ordre de plus ou
moins 10%. La précision quant aux nombres d'entreprises est de l'ordre
de plus ou moins 5%.
des pour ces services. Pour estimer l'impact des comportements
dysfonctionnels sur la demande dérivée, nous avons établi
un rapport entre, d'une part, les entreprises et, d'autre part, les
sociétés de services professionnels aux entreprises. Le rapport a
été établi entre le nombre de cadres dans l'entreprise et
le nombre de professionnels à qui elle fait appel. Ce rapport a
été estimé être de l'ordre 40:1. Une entreprise
ayant à son service 1000 cadres retiendrait dans une année,
l'équivalent de 25 professionnels: avocats, actuaires, conseillers en
gestion, vérificateurs, etc. Nous avons aussi estimé que pour
chaque emploi professionnel, on comptait aussi un poste d'employé de
bureau.
Ceci nous permet donc d'établir les "pertes" d'emploi
associées à la demande dérivée à 5% des
"pertes" d'emploi de cadres, ces "pertes" se divisant également entre
emplois de cadres (professionnels) et autres emplois. L'application de ce
rapport donne des "pertes" d'emploi de l'ordre de 250 et 130, selon que le
Projet est amendé ou non. Evidemment, ces pertes ne signifient pas
nécessairement des mises à pied, mais d'abord et avant tout, une
réduction du niveau d'activités. 5. Conclusion
Le long exercice de quantification auquel nous nous sommes livrés
visait un objectif important: comparer deux options. Les amendements
proposés au chapitre IV changent de façon substantielle, non pas
l'objectif visé, ni l'échéance de sa réalisation,
mais d'abord et avant tout, ses modalités de réalisation. En
emplois directs et immédiats, la version originale et la version
modifiée de la Loi diffèrent par environ 8000 emplois, selon le
calcul auquel nous nous sommes livrés. Nous reconnaissons que ce calcul
est approximatif mais nous sommes confiants dans sa robustesse.
De cet exercice, se dégagent les points suivants. -Les
réactions dysfonctionnelles à la Charte de la langue
française auront des effets directs sur le niveau des activités
des entreprises au Québec. Une quinzaine de mille emplois
disparaîtront suite à ces comportements non souhaités,
d'ici quelques années. - Les sièges sociaux des grandes
entreprises, les centres de recherche et les établissements à
haute technicité, seront les établissements les plus
affectés. Dans le cas des deux derniers types d'établissement,
nos calculs indiquent une baisse importante des activités au
Québec. - Par contre, dans l'entreprise de moins de 500 employés,
l'application de la Loi no 1, telle que proposée, n'amènera pas
de comportements dysfonctionnels se reflétant directement en perte
d'emplois susbtantielle. Moins de 20% des "pertes" d'emploi s'y retrouvent
malgré qu'on retrouve dans ces entreprises les deux tiers des emplois du
secteur privé. - Toute législation visant à promouvoir
dans toutes les entreprises, une utilisation accrue du français, ne peut
que susciter chez certaines entreprises des comportements dysfonctionnels. Ces
entreprises sont généralement caractérisées d'une
part, par un faible taux de présence francophone, et d'autre part, par
une présence plus ou moins forte hors du Québec (et
particulièrement, ailleurs au Canada). Par le biais d'activités
ailleurs au Canada, ces entreprises, sous la pression implicite ou explicite de
leurs cadres non francophones, sont amenées à soustraire des
activités de leurs établissements. - Des restrictions quant
à l'usage du français comme langue instrumentale et les
difficultés à amener au Québec une main d'oeuvre hautement
qualifiée mais non francophone, influencent aussi le comportement des
entreprises. -Une loi plus nuancée et plus explicite dans ses
applications, une approche plus participative à l'administration du
changement social que vise la Loi et des conditions d'accueil plus
libérales pour les travailleurs hautement spécialisés
atténueraient les conséquences non souhaitées de la Loi.
En ce sens, les amendements que nous proposons, diminueraient substantiellement
les effets négatifs directs de la Loi.
On ne peut toutefois limiter notre examen comparatif des deux
scénarios à ces "coûts" directs. Les "coûts" de
chaque scénario se répercuteront sur l'ensemble de
l'économie québécoise, d'une part par l'effet bien connu
du multiplicateur et d'autre part, par des perspectives très
différentes quant au potentiel de croissance des secteurs les plus
touchés. C'est ce que nous examinons au prochain chapitre.
CHAPITRE VII Autres effets d'une loi
linguistique
Le chapitre précédent rend compte de l'impact
organisationnel direct en termes d'emploi de l'un et l'autre scénario de
loi linguistique. Cet essai d'analyse indique que, dans une large mesure, cet
impact direct se ferait sentir au niveau de certains groupes organisationnels
à rayonnement extraquébécois. Nous avons constaté
que dans un effort pour s'adapter aux exigences de la réglementation
linguistique, certaines entreprises mettraient en marche des processus de
modifications des structures et de répartition des activités. Ces
actions entraîneraient, en courte et en longue période, des
déplacements d'emplois du Québec (plus particulièrement
ceux des cadres) vers l'extérieur du Québec. Cet exercice nous a
permis de quantifier en termes d'emplois les coûts directs.
Nous avons voulu, dans ce septième chapitre, rassembler un
certain nombre d'effets indirects d'une législation linguistique. Il
apparaîtra immédiatement au lecteur que l'analyse de ces effets
secondaires ne constitue pas l'essentiel de ce rapport. Compte tenu des
délais et de notre expérience particulière, il nous a
semblé plus utile de faire porter notre analyse sur l'impact
organisationnel d'une loi linguistique. Cependant, une telle intervention a des
ramifications multiples et complexes auxquelles nous avons voulu faire allusion
dans ce chapitre.
Les effets indirects dont nous traiterons, parfois fort
brièvement, au cours de ce chapitre sont les suivants: 1. L'impact
global sur l'économie québécoise 2. L'impact sur les
petites et moyennes entreprises au Québec 3. L'impact régional 4.
Les effets sur la croissance économique du Québec 5. Les
ressources économiques affectées au processus de francisation 6.
Les effets sur l'offre et la demande de cadres résultant de la
francophonisation des entreprises. 1. L'impact global sur l'économie
québécoise en termes d'emploi
Le déplacement d'activités aura un effet
d'entraînement sur l'économie du Québec. Les
activités déplacées sont dans la majorité des cas
des activités de base qui soutiennent d'importantes activités
indirectes. Les spécialistes de l'économie régionale ont
étudié en profondeur la relation entre les activités de
base dans une économie et les activités indirectes. Les
activités de base sont en quelque sorte autonomes. Elles ne sont pas
nécessairement tributaires d'une demande locale.
Déplacées, elles ne sont pas nécessairement
remplacées. L'impact que nous avons étudié au chapitre
précédent porte précisément sur des
activités de base.(1) II faut se rappeler que la grille des
probabilités d'adaptations dysfonc-tionnelles accordait une
probabilité élevée de recours à des adaptations
dysfonctionnelles si les activités de l'entreprise étaient
concentrées à l'extérieur du Québec. Dans un
certain sens, on peut donc considérer, par exemple, les dépenses
des sièges sociaux de ces entreprises au Québec comme des revenus
d'exportation car les dépenses encourues par le siège social sont
supportées par toute l'entreprise.
Les activités indirectes résultent d'une demande locale.
Les services offerts à l'individu, le commerce de détail et la
construction domiciliaire sont des exemples d'activités indirectes. Les
activités visant à offrir ces services (construction commerciale,
transport, commerce de gros, services financiers) sont aussi des
activités indirectes.
Tout changement dans le niveau des activités de base amène
des changements dans les activités indirectes. La "perte" de 15 000
emplois se traduira par une diminution de l'emploi dans le secteur indirect. Le
rapport dynamique entre le niveau d'emplois de base et le niveau total d'emploi
s'appelle le multiplicateur d'emploi. La valeur du multiplicateur d'emploi
variera selon la structure de l'économie, la nature de l'activité
de base, le degré d'intégration avec l'extérieur et avec
sa taille. Des études empiriques de Grieg et Wagstaff au Royaume-Uni et
de Terry et Thompson aux Etats-Unis donnent des multiplicateurs d'emploi
variant de 1.9 à 2.7, selon les caractéristiques des
régions étudiées. Compte tenu de la structure de
l'économie québécoise, un changement dans des
activités de base de sa métropole peut être associé
à un multiplicateur d'emploi d'une valeur de 2.0. Un tel multiplicateur
apparaît justifié et suffisamment conservateur. Les "pertes"
totales de l'économie sous chaque scénario se situeraient donc
à 30 000 et 14 000.
(1) La demande dérivée pour les services professionnels
est un phénomène de la base économique. Ces services sont
étroitement intégrés aux activités de base et ne
sont pas considérées comme des activités indirectes par le
flux des revenus.
Référer à la version PDF page CLF-880
Nous avons tenté de traduire ces diminutions d'emploi en termes
de revenu personnel. Cet exercice n'est donc qu'à titre d'illustration.
Les chiffres que nous avancerons représentent en quelque sorte le revenu
de travail dont pourraient jouir collectivement les Québécois si
ces emplois productifs existaient ou encore la valeur de la production des
personnes qui occuperaient ces emplois au Québec. Ces pertes de
production économique pourraient être partiellement
compensées par des paiements de transfert net venant de
l'extérieur du Québec au titre des mesures d'assistance au
revenu.
Pour les fins du calcul, nous avons établi le revenu annuel moyen
d'un cadre à $22 000 et le revenu annuel moyen des autres travailleurs
à $11 000, ce qui nous apparaît assez conservateur, compte tenu de
la nature des emplois "perdus". Le tableau suivant en présente les
résultats.
Ces impacts, en valeurs absolues, représentent moins de 1% de la
valeur de la production intérieure nationale du Québec, qui
croît par ailleurs à un rythme annuel supérieur en moyenne
à 4%. Par contre, les différences d'impact entre les deux
scénarios méritent de retenir l'attention. L'exercice de
quantification permet de placer la comparaison des deux alternatives dans une
juste perspective. Quelques considérations viennent immédiatement
à l'esprit. 1. Non seulement les cadres mais aussi les travailleurs sont
touchés par ces pertes d'emploi. En termes de choix social, le tableau 1
illustre très bien une réalité qu'on
méconnaît trop souvent, faute d'analyse détaillée.
Les cadres sont touchés par cette baisse de l'activité
économique. Par contre, les "autres" sont sensiblement plus
touchés. Dans les deux cas, les "pertes" d'emplois "cadres"
représentent moins de 30% des emplois disparus, malgré
qu'à la source de ces "pertes" se trouvent en grande majorité des
transferts de postes de cadres. 2. L'impact sur les membres des deux groupes
linguistiques sera vraisemblablement différent de ce qu'on pourrait
croire à prime abord. Il serait possible de croire que l'impact
économique de la législation linguistique affectera surtout les
cadres anglophones et moins les travailleurs francophones. Une telle analyse ne
tient pas compte de l'effet multiplicateur. En effet, la composition
linguistique de la main d'oeuvre de Montréal est approximativement 70%
francophone, 30% anglophone. Ainsi, l'impact indirect sera ressenti
principalement par des francophones. Un court calcul que l'impact indirect sera
probablement plus prononcé, en valeur absolue, chez les francophones que
chez les anglophones, en termes de diminution d'emploi. 3. Sur le plan fiscal,
les économistes de SECOR ont estimé que les revenus annuels
perçus par le gouvernement provincial uniquement au chapitre de
l'impôt sur le revenu des individus baisseraient d'une centaine de
millions selon le premier scénario et de moins de cinquante selon le
second. En termes de revenu fiscal, l'alternative signifie un gain
supérieur à $50 millions par année.
2. L'impact sur les P.M.E.
La législation linguistique touche toutes les entreprises de plus
de 50 employés au Québec. C'est dire qu'elle englobera le secteur
de la P.M.E. Certaines statistiques générales portant sur les
caractéristiques des P.M.E. du secteur manufacturier nous permettent de
soulever quelques questions quant à l'impact des deux scénarios
sur ces entreprises. Examinons quelques faits. 1.Les P.M.E. du secteur
manufacturier occupent une place importante dans notre économie. En
1973, on comptait dans ce secteur 6556 établissements de petite et
moyenne taille qui employaient 193 815 personnes, ou 49.5% de l'emploi dans le
secteur manufacturier. On retrouve à Montréal 52% des P.M.E. du
Québec. 2. La propriété et la direction
générale de ces entreprises est en partie importante anglophone.
Les données de l'enquête de Sales portant sur des entreprises
ayant moins de 500 employés au Québec, montrent que dans 60% de
ces entreprises, le cadre de plus haut niveau n'est pas
canadien-français. En ce qui concerne la propriété, le
pourcentage de non Canadiens-français est encore plus
élevé. 3. L'étude REDEX (1) démontre que pour 24%
des P.M.E. les exportations à l'extérieur du Canada
représentent plus de 10% de leur chiffre d'affaires, alors que pour 24%
des P.M.E., plus de 90% de leur chiffre d'affaires provenait du Québec.
Pour 56% des P.M.E., le marché canadien représente 90% du chiffre
d'affaires. De plus, cette étude montre que les P.M.E. anglophones
exportent leurs produits à l'extérieur du Québec dans une
proportion beaucoup plus élevée que les P.M.E. francophones. 4.
La P.M.E. de la région de Montréal se caractérise par le
fait que dans une grande proportion elle loue ses locaux plutôt que de
les acheter. Dans une étude récente effectuée pour le
compte de la Chambre de Commerce de Montréal, il fut
déterminé qu'à Montréal, 50% des P.M.E. louaient
leurs locaux alors que ce n'était le fait que pour 10% des P.M.E.
ailleurs au Québec.
De nombreuses dispositions du Projet de loi no 1 affecteront le
fonctionnement des P.M.E. à direction anglophone. Nous pensons en
particulier à la nécessité de définir les postes
bilingues, les contraintes sur le recrutement de cadres et de professionnels de
l'extérieur du Québec et la discrétion laissée
à l'Office. Il faut bien voir également qu'en termes relatifs, la
traduction des documents impose plus de coûts à ces entreprises
qu'aux grandes entreprises. Il faut donc prévoir que certaines P.M.E.
à direction anglophone effectueront des adaptations dysfonctionnelles
qui, compte tenu de leur taille, signifieront dans bien des cas le
déplacement complet des opérations.
Il ressort du portrait des P.M.E. dépeint ci-dessus que celles-ci
pourraient être beaucoup plus touchées qu'on ne le croit
généralement par le projet de législation linguistique. Il
apparaît également que celles qui seront affectées le plus
par la législation sont beaucoup plus mobiles qu'on aurait pu le croire.
Cependant, il est assez difficile de porter un jugement sur l'impact direct des
scénarios de législation linguistique sur ces entreprises. Il
suffit de noter que pour chaque 1% de ces établissements
localisés àMontréal qui quittent le Québec (environ
30 P.M.E.), environ 1700 emplois directs sont perdus, soit un total de 3400
emplois si on utilise un multiplicateur de 2. Dans cette perspective, notre
estimation du chapitre précédent, à l'effet que le
Québec pourrait perdre environ 2000 emplois de ce secteur apparaît
comme conservatrice. 3. L'impact régional
L'impact direct résultant d'adaptations dysfonctionnelles par les
grandes entreprises se fera surtout sentir dans la région de
Montréal. La nature des emplois directs "perdus" au Québec ne
laisse aucun doute. Par exemple, nous avons indiqué
précédemment que 72 sièges sociaux des 105 plus grandes
entreprises du Québec étaient localisés dans cette
province. De ce nombre, 60 (83%) sont localisés à
Montréal. Notre enquête auprès des 41 sièges sociaux
à rayonnement extra-québécois a indiqué que 11 880
cadres oeuvraient dans ces sièges sociaux, dont 11 830 à
Montréal.
On pourrait faire la même démonstration pour les groupes
d'exploitation à haute technicité, les entreprises de services
professionnels à envergure nationale et internationale et pour les
centres de recherche industrielle. En ce qui concerne ces derniers, 23 des 28
plus grands centres privés sont localisés dans la région
de Montréal.
L'impact direct résultant d'adaptations dysfonctionnelles par les
P.M.E. se fera également surtout sentir dans la région de
Montréal. Les P.M.E. anglophones y sont localisées dans une
très large mesure. Les P.M.E. de la région de Montréal
sont beaucoup plus mobiles parce que dans 50% des cas, elles louent
plutôt que d'acheter leurs locaux. Finalement, les P.M.E. anglophones
sont beaucoup moins dépendantes du marché du Québec.
Cependant, la main d'oeuvre qualifiée dont dépendent certaines de
ces entreprises peut être un frein important à leur
déplacement.
(1) Chambre de Commerce de la Province de Québec, "Enquête
sur le potentiel d'exportation des P.M.E. au Québec (REDEX)".
En ce qui concerne les "pertes" indirectes, la détermination de
l'impact régional est moins claire. En effet, bien qu'il faille
s'attendre à ce que Montréal supporte une part importante des
"pertes" d'emplois indirects, les effets se feront également sentir dans
les autres régions du Québec. L'impact indirect résulte de
deux effets: une baisse dans les dépenses des ménages due aux
pertes d'emplois (réduction de rémunération de travail) et
une baisse dans les dépenses des entreprises qui offraient ces
emplois.
Les analyses intersectorielles de l'économie du Québec
nous donnent un certain éclairage sur cette question de l'impact
régional. Selon ces analyses (1), la répartition régionale
des effets d'un accroissement de $100 millions des dépenses courantes
des ménages à partir de l'état initial de 1970
entraînerait la création de 3059 emplois à Montréal
et 1492 dans le reste du Québec (48,7% de l'impact à
Montréal).
Au tableau 1, nous avons indiqué que pour les "pertes" d'emplois
directs, la différence entre les deux scénarios de
législation en termes de valeur de rémunération au travail
est estimée à $120 millions. Sur la base des analyses
intersectorielles, on peut donc conclure que cette diminution de revenus
entraînerait la perte de 1500 emplois "indirects" dans les régions
du Québec (et 3000 à Montréal). Si nous faisons
approximativement la même estimation de l'impact indirect, au niveau des
régions, causé par la baisse dans les dépenses des
entreprises qui offraient ces emplois "directs", il faut conclure
qu'approximativement 40% de l'impact indirect total sera "supporté" par
les régions du Québec alors que Montréal en supportera
60%. 4. Impact sur la croissance économique
La croissance économique en longue période est le
résultat d'une part, de la croissance de facteurs de production tels que
l'épargne-investissement, la main d'oeuvre, le progrès technique
et l'éducation et, d'autre part, d'une volonté d'action
exprimée par les multiples décisions des entrepreneurs et cadres
et, à l'occasion, par un effort de planification par l'Etat.
Quel sera l'effet du Projet de loi no 1 sur la croissance
économique du Québec, c'est là une question de taille.
Nous tenterons d'esquisser quelques éléments de réponse.
Nous avons estimé précédemment que la différence de
"pertes" d'emploi entre le projet de loi sans modifications ou le
scénario proposé se chiffrait à environ 16, 000 emplois.
Tous ces emplois sont du secteur privé. Il n'est pas inutile de rappeler
qu'entre 1975 et 1976, approximativement 20,000 emplois furent
créés dans le secteur privé. Durant cette même
période, le produit provincial brut réel augmentait de 4%, les
dépenses d'immobilisation augmentaient de 10.7% pour atteindre $9.9
milliards, alors que le taux de chômage passait de 8.1% à 8.7%. On
peut donc conclure qu'en termes de coût économique global, cette
perte d'emplois correspond à environ 4% du PNB et nécessiterait
des dépenses d'immobilisation substantielles pour les
recréer.
S'il est une conclusion qui se dégage de ce document, c'est bien
celle que c'est Montréal qui supportera une part importante du fardeau
direct des adaptations dysfonctionnelles éventuelles. Afin de bien faire
ressortir l'impact sur la croissance, il y a lieu d'examiner l'impact du Projet
de loi no 1 sur les variables qui affectent la croissance d'une
région.
Les divers facteurs permissifs ne donnent pas nécessairement lieu
à une croissance économique. La croissance en longue
période ne prend forme que si des entrepreneurs individuels ou des
entreprises, exercent une fonction créatrice, c'est-à-dire,
qu'ils deviennent des agents de progrès et d'innovation. Nous entendons
par là qu'ils créent des entreprises ou des projets au sein
d'entreprises existantes, par la combinaison de ressources humaines techniques
et financières en vue de servir des marchés nouveaux.
Que pouvons-nous conclure, quant à l'impact du Projet de loi no 1
sur la croissance? Premièrement, les adaptations dysfonctionnelles
prévues se font surtout sentir dans des types d'activités qui ont
un impact marqué sur le rythme de croissance. Nous pensons en
particulier aux centres de recherche industrielle, aux groupes d'exploitation
à haute technicité et aux sièges sociaux à
rayonnement extra-québécois. La disparition de ces emplois
réduirait (a) la diversité de l'expertise disponible à
Montréal et au Québec, (b) les ressources en "immobilisation"
(laboratoires). Il s'ensuivrait donc une réduction dans le
développement et l'introduction de nouveaux produits et une baisse du
niveau des revenus par rapport à d'autres régions. Bref, une
législation linguistique affecterait éventuellement surtout les
fonctions d'entreprises qui déterminent la croissance
économique.
Le Projet de loi no 1 aura des effets surtout chez les investisseurs et
chez les entreprises en quête d'occasions d'investir. La
législation linguistique n'empêcherait pas ces entreprises et les
entrepreneurs d'investir au Québec dans les secteurs des richesses
naturelles et des produits et des services orientés surtout vers le
marché québécois. Cependant, il est difficile de voir
comment dans un tel environnement, une entreprise canadienne ou internationale
qui vise la totalité du marché canadien établirait son
siège administratif au Québec.
(1) B.S.Q. et Laboratoire d'économétrie, Université
Laval, "Le système de comptabilité économique du
Québec", 1974.
La soustraction organisationnelle de certaines fonctions
stratégiques priverait également les cadres francophones
d'accès aux réseaux de communications intra-entreprises et
d'envergure pan-canadienne et internationale. Ces réseaux d'information
sont une qualité essentielle d'un pôle de développement. On
voit clairement les conséquences de ces soustractions organisationnelles
lorsque l'on reprend les données compilées par Maurice
Sauvé portant sur les 105 plus grandes entreprises au Québec et
qu'on les subdivise en deux groupes: celles ayant leur siège social au
Québec et celles ayant leur siège social à
l'extérieur du Québec. Nous y reviendrons dans la section portant
sur les cadres francophones.
Il y a quelques années, Higgins, Martin, Raynault,
écrivaient que seul Montréal présentait au Québec
les caractéristiques nécessaires à un pôle de
développement. En dernière analyse, le Québec avait le
choix entre assurer que son développement soit polarisé par
Montréal ou bien laisser Toronto polariser tout l'espace
Québécois. La question revient donc d'une brûlante
actualité. 5. Les coûts du processus de francisation
II convient de faire également une analyse des coûts
globaux du processus de francisation. Notre estimé sommaire du
coût global de l'opération porte uniquement sur le scénario
alternatif. En effet, les données empiriques dont nous disposons de
même que les incertitudes quant au temps exigé pour l'analyse
linguistique et la confection des programmes tels que prévus au Projet
de loi no 1, nous incitent à limiter notre estimation au scénario
alternatif.
Nous estimerons en termes monétaires l'ensemble des ressources
humaines et matérielles affectées par l'entreprise et le
gouvernement à l'opération globale de francisation. Il est bien
évident que les coûts globaux pour l'entreprise sont
comptabilisés avant taxe.
Les principales activités de l'opération de francisation,
autant chez l'entreprise que pour l'administration, sont les suivantes:
1.diagnostics linguistiques 2.confection des programmes de francisation
3.négociation des programmes de francisation et émission de
certificats 4.mise en oeuvre des programmes de francisation -traduction -
formation du personnel
Nous faisons les hypothèses suivantes pour la
détermination des coûts et le développement global de
l'opération au fil des années. 1. Seuls les coûts marginaux
imputables à l'opération de francisation sont
comptabilisés. En conséquence, les coûts normaux de
recrutement, de formation ou de traduction, ne seront pas pris en charge dans
nos calculs. 2. Les ressources humaines affectées par l'entreprise sont
des cadres internes déjà entièrement affectés
à d'autres tâches ou des conseillers internes dont la
rémunération quotidienne est de $125.00 en moyenne. Dans tous les
cas, il faut ajouter des frais de personnel de soutien et des frais
généraux de $125.00 par jour. Ces coûts ne sont pas
indexés, pour un coût total de $250. par jour-homme. 3.Le
coût moyen d'enseignement du français, par cadre, (de façon
à ce qu'un cadre ait une connaissance d'usage du français afin de
pouvoir travailler en français) est de $4,000. Ces coûts ne sont
pas indexés. 4.Les coûts de traduction sont de $10.00 la page chez
les entreprises de plus de 500 employés qui retiendront les services de
traducteurs. Les autres entreprises feraient appel à des
sociétés de service dont les honoraires sont de $15.00 la page.
Ces coûts ne sont pas indexés. 5. Des formules simplifiées
d'analyse linguistique et de programme de francisation seront mises au point
pour les petites et les moyennes entreprises. 6.Aucune entreprise n'est
privée d'octroi ou de contrats en raison du fait qu'elle ne peut
justifier de la possession d'un certificat de francisation. 7.Les programmes de
francisation ne donnent pas lieu à un accroissement du nombre de griefs
au sein des relations patronales-ouvrières. 8.L'Office de la langue
française, la Commission de surveillance et le Comité consultatif
compteront un personnel moyen de 350 personnes. L'opération globale de
francisation durera huit ans. Après cette période, une partie
importante du personnel sera affectée à d'autres tâches au
sein de l'Administration. Le salaire moyen est de $20,000.
Coûts prévus de l'opération globale pour l'ensemble
des entreprises québécoises i) Coûts de l'analyse
linguistique -entreprises de plus de 500 employés nombre: 331 analyse:
50 jours-hommes coût total: 331 x 250 x 50 = $4,137,500
Référer à la version PDF page CLF-884
Référer à la version PDF page CLF-885
6. L'impact de la francophonisation des entreprises sur l'offre et la
demande de cadres
Nous avons brossé au chapitre 2 un tableau de la situation des
cadres francophones au Québec. Notre propos portait alors
essentiellement sur la représentation de francophones (définis
selon la langue maternelle ou la langue d'usage) dans la catégorie
d'occupation administrative. Notre intention était de bien situer
l'ampleur de la sous-représentation francophone, d'en examiner quelques
causes possibles et de montrer comment une intervention linguistique favorisant
l'exercice du droit au travail en français, pouvait avoir des effets
souhaitables sur cette situation. En bref, il nous semble évident que la
francisation nécessaire des milieux de travail amènera une
francophonisation plus poussée de plusieurs entreprises. Cette
francophonisation se réalisera, d'une part, par l'ajout de personnes
dont la langue la mieux connue est le français et, d'autre part, par les
personnes déjà dans l'entreprise ou récemment
embauchées, dont la langue la mieux connue n'est pas le français,
et qui auront acquis une connaissance fonctionnelle du français.
Selon que l'intervention législative sera plus ou moins exigente
quant au contenu et aux échéances de francisation, les effets sur
l'offre et la demande de cadres pouvant contribuer à cette francisation
seront bien différents.
Une loi de francisation des entreprises qui imposerait des exigences
sévères et des échéances précipitées
aurait pour effet à court terme: . Une augmenation de la demande pour
des cadres immédiatement capables de fonctionner en français,
tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des
entreprises. Cependant, l'inventaire de cadres étant fixe (à
court terme), on pourrait voir une surenchère pour des cadres
d'expérience et connaissant le français et un déplacement
de tels cadres des entreprises francophones et du secteur public et para-public
vers la grande entreprise anglophone. . Cette demande accrue pourrait se
traduire par des revenus plus élevés pour ces cadres mais l'effet
net sur le revenu moyen de la population francophone serait négligeable.
(Une augmentation de 100% du revenu moyen des cadres ne déplace la
moyenne des revenus de l'ensemble des francophones que de 5%). . Cette demande
accrue serait aussi ressentie chez les cadres de langue d'usage ou de langue
maternelle anglaise mais qui connaissent bien le français. Ainsi, parmi
les diplômés universitaires au Québec en 1975, 35%
étaient de langue d'usage anglaise, mais 57% d'entre eux se
déclaraient bilingues (Statistique Canada, 1973). Dans les secteurs
manufacturier, commerce et finance, 53% des anglophones connaissaient le
français selon cette même source. . Par contre, une telle loi
pourrait faire déplacer du Québec des activités de
siège social et de centres de recherche, mener à la
création accrue de divisions québécoises dont
l'autorité serait confinée aux frontières du
Québec. Une telle situation serait un frein certain à la
mobilité des cadres francophones vers la direction supérieure des
entreprises. Le tableau 2 présente des données instructives
à cet effet. La faible présence francophone dans les
sièges sociaux hors du Québec de grandes entreprises
opérant au Québec, quelles qu'en soient les causes, indiquent
bien cette différence d'accessibilité de la direction
supérieure. De plus, cantonné dans les opérations
québécoises dont on peut difficilement les muter, faute d'une
relève francophone suffisante, souvent coupé des réseaux
d'information administratifs, le cadre francophone pourrait avoir des
opportunités d'avancement plus faibles. C'est là un effet qui
compense en partie l'effet premier d'une demande accrue pour les services de
francophones. . A plus long terme, on pourrait observer une augmentation du
nombre de cadres anglophones capables de fonctionner en français. En
effet, réagissant à la demande accrue pour de tels services et en
conséquence des situations de travail francophones plus nombreuses, des
cadres amélioreraient sensiblement leur compétence en
français au point de constituer une ressource de francophonisation tout
aussi bien que les cadres dont la langue maternelle est le français.
De même façon, une demande accrue de meilleures conditions
de travail, et un milieu francisé, se traduiraient par une augmentation
de l'offre de diplômés universitaires (en administration,
particulièrement) pour des postes de cadre dans la grande industrie
privée. Est-ce là le genre d'allocation de ressources humaines le
plus favorable du développement de la société
québécoise? . A moins de changements rapides dans le taux de
production de cadres francophones, les entreprises francophones (la P.M.E. en
particulier) et les secteur public et para-public devront payer, pendant un
certain temps, des montants plus élevés s'ils veulent attirer de
nouveaux cadres et diplômés universitaires.
Un changement social aussi important que celui amené par la
francisation des entreprises aura des répercussions, parfois
favorables," parfois déplorables, souvent imprévisibles sur la
situation des cadres francophones au Québec. Nous avons tenté
d'esquisser brièvement quelques composantes d'un scénario qui
devrait être précisé et bien compris par les responsables
d'une telle intervention.
CHAPITRE VIII Conclusions
Par cette longue analyse, ce compendium de la francisation, nous avons
voulu verser, au débat sur la loi, l'ensemble et le trop plein de nos
observations sur le processus de la francisation des entreprises, processus qui
tient à la fois de la mutation et de l'adaptation sélective.
La ferme intention de la loi, son animus, devrait être de mettre
en branle des changements sociaux conséquents avec le droit fondamental
de travailler en français dévolu à tout
Québécois.
C'est là l'engagement réitéré et
déterminé de notre société pris, en son nom, par
son gouvernement et traduit par lui en des mesures législatives
concrètes. Nous croyons qu'il s'agit là du principe "axial" qui
devrait servir d'assises à toute loi de francisation des
entreprises.
Par contre, les mesures législatives d'intervention en ce domaine
doivent s'inspirer d'une évaluation rigoureuse de la situation, Etant
donné le caractère émotif de ces questions, il est
difficile d'en arriver à s'entendre sur les paramètres
précis de la situation. A cet effet, nous avons présenté
un ensemble de données et d'analyses qui brossent un tableau factuel de
la situation et qui mène, à notre avis, à "l'action dans
la sérénité". La situation du français et des
francophones dans l'entreprise n'est pas aussi déplorable qu'on le
laisse parfois entendre; une intervention précise et nuancée
aurait comme objectif d'amener à des efforts concrets les entreprises
qui accusent encore une espèce de retard historique dans leur insertion
au Québec.
Ce ferme propos de permettre l'exercice maximal du droit de travailler
en français ainsi évaluation de la situation du français
dans les entreprises ouvrent cependant plusieurs voies d'actions
législatives. Il nous fallait définir des principes d'action qui
nous permettent de choisir parmi ces voies. Les principes qui nous ont
semblé essentiels étaient:
La francisation de l'entreprise est un processus de changement social
qui, pour être efficace, se doit d'être planifié comme
tel.
La francisation de l'entreprise doit s'harmoniser avec les principes du
changement organisa- tionnel et reconnaître
l'hétérogénéité de l'entreprise.
La loi doit reconnaître explicitement la possibilité d'une
vocation extra-québécoise et ses conséquences à
toute entreprise.
Sur la base de ces principes et dans le cadre général du
Projet de loi no 1, nous avons proposé plusieurs modifications. Afin de
faciliter la compréhension de leur portée, nous les avons
formulées sous forme d'amendements précis et les avons
regroupées dans un "scénario alternatif". Les principaux
éléments de ce scénario sont:
Le droit de tout Québécois de travailler en
français est reconnu de façon virtuelle, au même titre que
tous les droits fondamentaux qu'une société reconnaît
à ses membres (santé, éducation, revenu minimum,
sécurité publique, protection des droits civiques, etc.) Le
projet de loi no 1 définit ce droit en situation particulière.
Les conditions d'exercice de ce droit en situation (articles 36 et 37)
découlent de cette conception. Selon la définition que nous avons
retenue du droit, ces articles deviennent superflus.
Toute entreprise de 50 employés et plus doit mettre en oeuvre un
programme de francisation (s'il y a lieu) visant à y
généraliser l'utilisation du français pour permettre aux
Québécois d'exercer leur droit de travailler en
français.
Les conditions d'utilisation du français et de l'anglais dans
l'entreprise sont précisées explicitement dans la
réglementation. Connaissant les "règles du jeu", l'entreprise est
en mesure de mieux planifier les changements que commande l'esprit de la
loi.
Le rôle de l'Office de la langue française est celui d'un
agent de changement. Dirigé par un conseil d'administration,
élément de concertation, l'Office gère le processus social
de francisation, selon des règles explicitées dans la
réglementation.
L'Office voit son pouvoir de sanction considérablement
réduit, à défaut d'être éliminé. Le
pouvoir de l'Office est celui d'un agent de changement. Il peut toujours
recourir aux tribunaux si il le juge à propos, comme tout autre
organisme du pouvoir exécutif.
La mise en oeuvre des programmes dans une entreprise est
facilitée par la présence d'un comité de francisation,
organisme consultatif sur lequel sont représentés les
employés. Il n'y a pas d'échéance limite
prédéterminée au programme. La concertation entre
l'Office, la direction de l'entreprise et le comité de francisation
permettra de déterminer un calendrier réaliste de francisation,
particulier à chaque entreprise.
Les passerelles linguistiques se situent au Québec. Les cadres
québécois parlent en anglais avec l'Amérique du Nord et
sont pleinement intégrés aux réseaux de communications
dans l'entreprise qui a des activités hors du Québec.
L'accueil de travailleurs non-québécois
spécialisés est facilité. L'émission de permis
temporaires aux professionnels non-québécois et non-francophones
est confiée aux ordres professionnels. L'école anglaise est
accessible aux enfants des personnes venant d'ailleurs au Canada. Dans le
contexte actuel des migrations interprovinciales, ces migrants, au
Québec, sont principalement des cadres.
Notre expérience du changement organisationnel et notre analyse
du phénomène de la francisation des entreprises nous
suggèrent que ce scénario alternatif permettra d'atteindre
l'objectif visé la possibilité d'exercice du droit de
travailler en français aussi rapidement que le pourrait le projet
de loi non-amendé. Par contre, ce scénario vise à
minimiser les comportements d'évasion de la part des entreprises.
Les résultats de l'enquête que nous avons conduite
démontre clairement que quel que soit le scénario adopté,
la Loi no 1 peut susciter des comportements d'évasion dans certaines
fonctions spécifiques de la grande entreprise:
Les sièges sociaux d'entreprises à rayonnement substantiel
hors du Québec.
Les entreprises à haute technicité qui exportent leur
production ou leurs services.
Les centres de recherches et autres services spécialisés,
intégrés à des entreprises d'envergure canadienne ou
continentale.
Les comportements d'évasion ne sont pas nécessairement le
fruit d'une mauvaise volonté ou d'un manque de sens civique.
L'entreprise doit composer avec de multiples interlocuteurs, dont ses propres
employés et particulièrement, ses cadres et ses professionnels.
Pour des raisons très valables, l'entreprise établie au
Québec pourra juger nécessaire "d'exporter" certaines
activités de gestion, de recherche ou de production, dans le cadre de
réaménagements administratifs. Toute législation se doit
de prendre cette éventualité en considération.
L'intervention législative privilégiée minimisera tes
probabilités de comportement d'évasion, à
bénéfices égaux.
Le long exercice de quantification auquel nous nous sommes livrés
au chapitre VI visait essentiellement à poser clairement les
éléments d'analyse sous-jacents à un choix social. Les
coûts du processus de francisation de l'entreprise au Québec sont
relativement peu importants: de l'ordre de $300 millions, en valeur
actualisée, selon les hypothèses retenues. Les deux
scénarios révèlent une différence de l'ordre de
$200 millions par année. Les coûts associés à
l'exportation de postes stratégiques, en termes de croissance de
l'économie québécoise et d'opportunité pour les
cadres francophones, sont difficilement mesurables, mais sont de loin
supérieurs.
La francisation de l'entreprise doit être placée dans sa
véritable perspective. Il existe une volonté
générale dans l'entreprise de franciser rapidement les
activités d'exploitation au Québec. On y retrouve 85% à
90% des travailleurs, dans les entreprises de 50 employés et plus. Par
contre, la situation est beaucoup plus complexe en ce qui a trait aux
sièges sociaux, aux centres de recherche et aux entreprises à
haute technicité. Si, en nombre de travailleurs, ces
établissements comptent pour peu, stratégiquement ils jouent un
rôle clé dans l'économie québécoise et dans
l'économie montréalaise en particulier. Par contre, ce sont dans
ces établissements qu'on retrouve le plus de cadres non-francophones. Le
succès de l'opération de francisation des entreprises sera
mesuré dans ces établissements. Il ne s'agit pas de faire des
exceptions. Au contraire, un processus de francisation se doit d'y être
amorcé. Mais il devra s'adapter aux caractéristiques
fondamentales des activités de ces établissements.
Le débat sur le Projet de loi no 1, aux yeux de plusieurs, est
caractérisé par une volonté, toujours présente en
filigrane, d'augmenter la présence de Québécois de langue
maternelle française dans les postes de commande, au sein de la grande
entreprise. La "francophonisation" doit être analysée froidement.
Le "déficit" de cadres francophones dans l'entreprise privée est
beaucoup moins grand que d'aucuns le croyaient. Par contre, tenter de le
combler trop rapidement pourraient avoir des conséquences
néfastes pour l'économie québécoise. Les ressources
manégériales francophones ne sont pas très
élastiques à court terme. Une action trop rapide ne ferait que
redistribuer un nombre limité de cadres, et
les entreprises "autochtones", de même que les p.m.e. francophones
en particulier, pourraient s'avérer les grandes perdantes à ce
jeu de chaises musicales. De plus, il ne faudrait pas croire que la
"franco-phonisation" de l'entreprise aura un impact fondamental sur la
distribution des richesses au Québec et sur le revenu moyen des
Québécois de langue maternelle française. Si par un geste
magique, tous les cadres de l'entreprise privée devenaient, demain
matin, des cadres de langue maternelle française, le revenu annuel moyen
des Québécois de langue maternelle française augmenterait
de moins de un demi de un pour cent (1/2%), soit l'équivalent de six
semaines de croissance économique dans une année normale. Il est
illusoire de penser que la Loi no 1 égalisera, à court, moyen ou
long terme, la distribution des revenus entre groupes ethniques au
Québec, à moins que les anglophones à revenus
élevés ne quittent en masse le Québec. Si tel est le cas,
il est fort probable qu'un nombre relativement important de "postes" à
revenus élevés quitteront aussi le Québec. En
conséquence, le revenu annuel moyen des Québécois de
langue française n'aura pas changé et il y aura au Québec
moins de postes de commande pour les Québécois francophones.
Les débats sur les questions "nationales" amènent souvent
les participants à une facile radica-lisation du propos et de la
solution. L'analyse, réticente, dissonante et sans complaisance, sert
fort heureusement de douche froide. Que nous soyons tous un peu
éclaboussés par les faits en ces temps devrait nous faire le plus
grand bien. C'est dans ce sens que nous comprenons notre contribution au
débat historique qui s'amorce.
ANNEXE 2
Mémoire
du Mouvement National des
Québécois
présenté à la
commission parlementaire de l'éducation, des
affaires culturelles et des communications
Projet de loi no 1
Montréal, 3 juin 1977
Le Mouvement National des Québécois, fondé en 1948,
sous le nom de Fédération de SSJB du Québec, a toujours
accordé une très grande importance aux débats concernant
la situation du français au Québec.
Plus que tout autre groupe organisé, avec la participation de nos
quinze (15) sociétés régionales regroupant quelque 130 000
membres, nous avons tenté par des moyens de sensibilisation et de
percussion d'assurer au français la place qui aurait dû lui
appartenir naturellement dans les différents secteurs de la vie
collective au Québec.
Nécessité d'une législation
ferme
A l'instar de plusieurs autres groupes soucieux d'améliorer la
position du français au Québec, nous avons dû logiquement
constater l'impossibilité de corriger l'évident
déséquilibre défavorable aux francophones imposé
par la minorité anglophone à moins que l'Etat n'assume sa
responsabilité particulière à l'égard de la
langue.
C'est pourquoi, dès 1969 (dans un mémoire
présenté à la Commission d'Enquête sur la situation
de la langue française et sur les droits linguistiques au
Québec), nous demandions au gouvernement d'assurer un redressement
radical de la situation.
Nous demandions alors au gouvernement de définir clairement et
courageusement une politique linguistique et d'y mettre le poids d'une
législation "appropriée".
Dans ce mémoire de 1969, nous déclarions entre autres
choses: "Le gouvernement a le devoir d'appuyer les justes aspirations de la
majorité québécoise... L'Assemblée Nationale a la
très lourde responsabilité de déterminer le statut du
français comme la langue nationale et la langue officielle du
Québec. Elle doit exposer clairement aux investisseurs étrangers
dans quel milieu ils viennent s'établir et à quelles conditions,
au point de vue langue de travail et d'affaires, ils pourront y faire des
profits. Voilà la seule façon logique et lucide de créer
le climat de confiance tant recherché par tous les hommes de bonne
volonté".
Depuis la présentation de ce mémoire, le Québec a
eu droit à deux lois supposément destinées à
assurer cette place du français chez nous.
Dans ces deux cas de législations (Loi 63 et Loi 22), au lieu
d'affirmer le caractère français du Québec et ainsi
prendre carrément partie pour la majorité
Québécoise, les gouvernements concernés ont fait preuve
d'une attitude soumise, béate et bienheureuse face à la
dépendance socio-économique du Québec vis-à-vis les
entreprises et le capital étranger.
En agissant de la sorte, ces gouvernements, en consacrant le bilinguisme
au Québec, se basaient sur une conception erronée de la
société québécoise et maintenaient un état
de colonialisme linguistique que le Québec se doit absolument de
briser.
Nous avons donc combattu ces deux législations avec force,
législations qui, pour nous, constituaient des trahisons du peuple
Québécois.
Un colonialisme linguistique à briser
L'histoire ne nous démontre-t-elle pas que le Québec a
été maintenu dans ce colonialisme linguistique par la force, la
menace et la domination économique de la minorité anglophone du
Québec, aidée en cela par cet immense bloc anglo-canadien et
américain, auprès duquel cette minorité s'alimente en
ressources humaines et dans lequel elle se fonde naturellement et sans
effort?
Cette domination de la minorité anglophone du Québec ne se
retrouve d'ailleurs pas que dans le domaine linguistique. Nous la retrouvons
partout. Autant la domination économique a contribué à
assurer à cette minorité une colonisation linguistique, autant
l'inverse est également vrai, les francophones ayant toujours subi une
discrimination au chapitre des salaires et des revenus dans tous les secteurs
de l'économie. Cette situation a d'ailleurs toujours
représenté pour les francophones une relative
impossibilité d'accéder aux postes de commandes de
l'administration des entreprises.
Redressement urgent et essentiel
II nous apparaît urgent que ce colonialisme linguistique soit
brisé une fois pour toutes. Ceci ne peut se faire que par un
redressement radical de la situation, redressement se devant d'être le
résultat de la volonté politique de notre peuple et ne pouvant se
traduire que par l'action énergique de notre Assemblée
Nationale.
A cause principalement de l'attitude soumise de nos gouvernements
antérieurs, le Québec souffre d'une intoxication massive de
bilinguisme dont il faut le libérer. Le Québec n'a pas à
être bilingue, ni binational.
Le Québec se doit plutôt d'affirmer courageusement et
énergiquement son caractère unilingue français. Il y va de
la vie même de notre peuple pour qui le fait français constitue
une dimension fondamentale. Pour nous, un peuple ne peut prétendre
accéder à sa pleine souveraineté s'il ne sait s'affirmer
et se faire respecter tel qu'il est, dans toutes ses dimensions.
Il est plus que temps que le gouvernement du Québec adopte une
politique linguistique conforme à notre réalité
historique, celle d'un Québec français.
Le gouvernement actuel se doit donc d'assumer cette
responsabilité historique et d'adopter une législation qui, non
seulement proclamera le français comme étant la langue officielle
du Québec, mais assurera une valeur réelle à cette
proclamation dans tous les aspects de la vie des Québécois.
Appui du M.N.Q.
C'est donc dans cet esprit que le mouvement national des
Québécois, bien qu'avec certaines réserves que nous
aborderons plus loin, appuie le gouvernement du Québec dans son projet
de loi no 1 et invite tous les Québécois, de quelque culture,
à aider ce gouvernement à faire du Québec un pays
français où les droits individuels seront respectés en
même temps que ceux de la nation.
Mise au point
Cet appui du Mouvement National des Québécois au projet de
loi No 1, confirmé par toutes nos instances de façon unanime, se
veut ferme et non équivoque tout en nécessitant une mise au point
nous apparaissant fondamentale.
Il est en effet certain que ce projet de loi ne rejoint pas
intégralement nos positions selon lesquelles nous aurions
préféré que le gouvernement aille beaucoup plus loin dans
sa logique, notamment en matière de langue d'enseignement. Nous
reviendrons d'ailleurs plus loin sur ces divergences en termes de
recommandations auprès de cette commission parlementaire.
Toutefois, et nous voulons être bien compris sur ce point, nous
nous réjouissons de cette volonté, manifestée tout au long
de la charte, de donner au Québec un visage vraiment français.
Nous sommes heureux de voir enfin notre gouvernement affirmer la
normalité de notre peuple et cesser de considérer comme une
fatalité historique cette notion pernicieuse d'un Québec bilingue
entouré de 200 millions d'anglophones.
C'est donc en ce sens que nous accordons notre appui au projet de loi No
1 que nous percevons comme un minimum que nous ne considérons pas
possible d'amender dans le sens d'un élargissement des droits de
l'anglais.
Dans les deux prochaines parties de ce mémoire, nous
élaborerons davantage sur les principaux motifs de notre appui au projet
de loi et, dans un second temps, sur les améliorations que nous
aimerions voir y être apportées.
PRINCIPAUX MOTIFS DE CET APPUI Consécration du
fait français
Nous considérons ce projet de loi comme une consécration
tout-à-fait justifiée du fait français au Québec.
Pour nous, le Québec a toujours été un pays
français, juridiquement et historiquement. Ce n'est que par une
domination économique du conquérant que l'on a créé
une espèce de mythe du bilinguisme au Québec.
Nous ne voulons pas faire ici l'historique du français au
Québec depuis la conquête de 1760, ce que vous retrouverez d'une
façon fort convaincante dans le mémoire du Mouvement
Québec Français dont notre organisme est membre.
Notons seulement que, de tous les actes constitutionnels, aucun n'a
enlevé, ni par sa lettre ni par son esprit, ce caractère
français du Québec. Ce n'est que dans les faits que la
minorité anglophone a réussi à imposer une image trop
souvent bilingue au Québec.
A l'exception des lois 63 et 22, adoptées par des gouvernements
d'une servilité quasi génoci-daire, l'anglais n'a jamais eu de
reconnaissance légale permettant de considérer le Québec
comme juridiquement bilingue. Encore faut-il nuancer cette affirmation en
précisant que les droits de l'anglais inclus dans la loi 22
l'étaient à l'intérieur d'une loi prétendant faire
du français la langue officielle du Québec.
Il était donc urgent qu'un projet de loi comme celui actuellement
à l'étude vienne mettre de l'ordre et affirme nettement cet
unilinguisme français du Québec en évitant la
création de droits pour l'anglais, tout en faisant preuve d'une
générosité à laquelle peu de peuples ont consenti
dans l'histoire de l'humanité.
Fin de l'intoxication massive du bilinguisme
Par ailleurs, en affirmant ce caractère français dans tous
les secteurs de la vie des Québécois (Travail, affaires,
affichage, administration publique, enseignement, etc.), le projet de loi
numéro 1 est susceptible de mettre un terme à cette intoxication
massive de bilinguisme dont souffrait le Québec et qui ne pouvait mener
qu'à l'anglicisation graduelle et inexorable du Québec.
Depuis des générations, l'on nous servait certains lieux
communs, notamment que le Québec se devait d'être magnanime pour
ses minorités, qu'il ne fallait pas indisposer les capitalistes
étrangers, que les citoyens avaient le libre choix de la langue
d'enseignement etc., lieux communs, disons-nous, qui ne pouvaient que favoriser
l'anglicisation du Québec.
Ces idées généreuses ne contribuaient qu'à
rendre de jour en jour plus inutile l'usage du français. Le
résultat en était qu'à l'inverse de ce qui se passe dans
tout Etat normal, et ce bien souvent avec la complaisante acceptation de la
majorité, la minorité est demeurée unilingue, ne sentant
aucunement le besoin de connaître la langue nationale et devenant ainsi
totalement isolée de notre communauté nationale tout en la
dominant.
Pendant ce temps, notre majorité devenait de plus en plus
bilingue pour travailler et vivre décemment, à plus forte raison
pour réussir.
D'une telle situation n'a pu résulter qu'une
inégalité de chances, inégalité jouant constamment
en faveur de la minorité , au contraire de toute logique.
De par le courage qu'il manifeste en acceptant de consacrer le
français dans tous les secteurs de la vie québécoise, le
gouvernement, avec ce projet de loi, pourra rétablir l'équilibre
et contrebalancer par son action vigilante l'immense contrainte du milieu
unificateur et anglicisant nord-américain.
Intégration des minorités à la
vie collective française
En outre, les législations antérieures n'ont toujours eu
pour effet, par leur confusion et leurs ambiguïtés, que
d'élargir continuellement le fossé entre francophones et
non-francophones. D'une part à cause de la non-nécessité
du français dans la vie sociale et économique des
non-francophones, et d'autre part, à cause du rôle assimilateur de
l'école anglaise, ce fossé ne cessait de s'agrandir.
En faisant du français une nécessité de vie, ce
projet de loi permettra certainement un rapprochement à long terme entre
les différentes minorités ethniques du Québec et la
majorité francophone.
Par cette loi nettement et franchement conforme aux
intérêts d'un Québec français, en plus de faire du
français une nécessité de tous les jours, le peuple du
Québec saura certainement susciter le respect de ces minorités,
respect nécessaire à l'établissement d'une saine
collaboration de ces groupes au développement du Québec.
Respect de la langue comme bien national
Le projet de loi numéro 1 nous apparaît également
comme le premier en la matière à reconnaître la langue
française comme un BIEN NATIONAL au Québec.
La langue peut en effet être définie comme l'expension
profonde de l'être total, c'est-à-dire, de l'être social, de
l'être qui vit en groupe, en collectivité, en communauté
ethnique. Elle prend sa source dans la source même de la
collectivité: la communauté nationale. La langue, en somme, est
le véhicule de la civilisation du groupe, de la collectivité.
Il est donc évident que la langue n'est pas un droit individuel
à l'exemple de la liberté de conscience ou de la liberté
du culte. Elle est essentiellement un BIEN NATIONAL.
Parce que la langue, ce bien national, constitue la façon pour
l'enfant de s'identifier à la collectivité et que son
apprentissage met l'enfant en accord avec le milieu ethnique, l'on peut dire
qu'elle assure la survie de la communauté nationale.
Il est donc essentiel que, par ce projet de loi, l'Etat protège
cette langue, bien national des Québécois et instrument de
communication sociale.
Maturité de l'Etat
C'est d'ailleurs un signe de maturité certaine que de voir l'Etat
assumer aussi pleinement sa responsabilité en règlementant ainsi
l'usage de la langue nationale, que ce soit en matière de langue du
travail, d'enseignement, des affaires ou dans tous les autres secteurs.
Surtout parce que plusieurs groupes ethniques cohabitent sur notre
territoire, il est impérieux que ce projet de loi soit adopté et
surtout scrupuleusement appliqué.
Il est grand temps que nous cessions d'être un peuple
exploité culturellement et économiquement et étranger dans
sa propre maison.
C'est en fonction de cette anormalité de notre situation sur le
plein linguistique que la maturité de notre peuple commande à
l'Etat Québécois de légiférer d'une façon
aussi complète qu'il s'apprête à le faire par ce projet de
loi.
Il n'est donc pas humiliant d'adopter un tel projet de loi,
l'humiliation consisterait beaucoup plus dans le fait de ne pas
légiférer et de s'en remettre à cette espèce de
résignation qui nous a été imposée jusqu'ici.
La langue: un bien individuel limité
Comme instrument de formation personnelle, la langue doit aussi
être considérée comme un droit individuel, un bien
individuel.
Ce droit individuel, contrairement aux prétentions de certains
adversaires du projet de loi, cède toutefois le pas devant le droit
collectif, le bien commun. Cela est tout-à-fait normal. Penser
autrement, c'est inverser l'ordre naturel des choses.
Selon nous, l'argumentation selon laquelle ce projet de loi serait
contraire au respect des droits fondamentaux ne constitue qu'une
dernière manoeuvre pour tenter de culpabiliser les
Québécois et les amener à renoncer à cette
volonté collective de s'affirmer comme peuple français sur ce
territoire qui est le nôtre.
A notre sens, ce droit individuel ne saurait en aucun cas, et surtout
dans le cas d'un pays comme le Québec où cohabitent plusieurs
groupes ethniques et où la langue de la majorité est
menacée de toutes parts, ce droit individuel, disons-nous, ne saurait
jamais avoir préséance sur le bien collectif ce qui perturberait
alors toute la vie sociale de notre collectivité.
Il nous apparaît en effet évident que, contrairement
à ce que nous avons subi par le passé, la logique commande
qu'aucun citoyen appartenant à un groupe minoritaire, ne puisse composer
sa langue à la majorité ni la substituer à la langue
nationale du pays.
Tout citoyen, quelque soit son origine, a le devoir strict
d'étudier la langue nationale, de la parler convenablement et de
l'utiliser dans ses relations sociales et dans sa vie économique.
N'est-ce pas l'ordre naturel des choses dans un pays normal?
C'est d'ailleurs de cette préséance du droit collectif que
ce projet de loi tire sa légitimité de ses dispositions tant en
matière d'affichage, de langue du travail que de langue
d'enseignement.
Il serait d'ailleurs temps que l'on cesse de taxer de discriminatoire ce
projet de loi qui ne vise qu'à assurer la normalité de notre
langue nationale à l'intérieur de principes internationalement
reconnus.
Le pseudo-principe du libre choix
Particulièrement en matière de langue d'enseignement, les
Québécois ne doivent pas se laisser impressionner par cet
argument de non-respect des droits fondamentaux de la personne. Il est de bonne
guerre que la minorité anglophone tente de dénoncer une
supposée non concordance entre la charte du français et la charte
québécoise des droits et libertés de la personne.
A notre avis, la charte du français ne fait que préciser
la portée de la charte des droits et libertés de la personne en
matière linguistique.
Rien, dans ce projet de loi, ne vient contredire les droits fondamentaux
de l'individu reconnus par le droit international.
Il est en effet totalement inexact de prétendre que le pseudo
principe du libre choix de la langue d'enseignement relève des droits
fondamentaux de l'individu.
Ce pseudo-droit est d'ailleurs expressément contraire aux
conventions internationales sur cette matière. Rappelons principalement
la "Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de
l'enseignement", adoptée le 14 décembre 1960 par la
Conférence générale de l'Organisation des Nations-Unies
pour l'Education, la Science et la Culture.
Cette convention internationale empêche en effet
l'interprétation des droits fondamentaux comme signifiant ce libre choix
de la langue d'enseignement pour une minorité nationale et ce par la
lettre même du sous-paragraphe c) du paragraphe premier de son article 5:
c)"Qu'il importe de reconnaître aux membres des minorités
nationales le droit d'exercer des activités éducatives qui leur
soient propres, y compris la gestion d'écoles et, selon la politique de
chaque Etat en matière d'éducation, l'emploi ou l'enseignement de
leur propre langue, à la condition toutefois: i)Que ce droit ne soit pas
exercé d'une manière qui empêche les membres des
minorités de comprendre la culture et la langue de l'ensemble de la
collectivité ou de prendre part à ses activités ou qui
compromette la souveraineté nationale;
La Cour Européenne des Droits de l'Homme, dans un jugement du 23
juillet 1968 concernant la langue d'enseignement en Belgique a d'ailleurs
également nié ce droit au libre choix de la langue
d'enseignement. La Cour spécifie même que la reconnaissance de ce
droit "conduirait à des résultats absurdes, car chacun pourrait
ainsi revendiquer une instruction donnée dans n'importe quelle langue
dans l'un quelconque des territoires..."
Il nous apparaît donc clairement qu'aucune des dispositions du
projet de loi ne vient brimer les droits fondamentaux de l'individu. Le seul
effet de la loi est de consacrer le caractère de bien national au
français tout en n'abolissant pas les droits individuels des membres des
minorités nationales. Ce que fait cette loi, et ce à juste titre,
c'est l'application de la préséance du droit collectif de la
majorité francophone sur le droit individuel des minorités, droit
limité par l'intérêt de la langue nationale.
Cette liberté de choix n'existe nulle part ailleurs dans le
monde, sauf dans le cas où une collectivité nationale est soumise
à une domination politique qui établit ce principe dans le but de
favoriser l'implantation de la langue de la nation dominante. C'est un concept
impérialiste et autocratique qui ne vaut plus dans une situation
redevenue normale. Il s'agit d'un phénomène de colonisation qui
répugne au simple bon sens.
Il existe bien des pays qui ont des systèmes d'enseignement
parallèles Ex. La Belgique, la Suisse, etc... mais, dans
ces pays, les enfants sont éduqués dans la langue maternelle de
la province ou de la région sans que les parents aient la liberté
de choisir une autre langue d'enseignement à l'école
publique.
Ainsi, en Belgique, en territoire wallon les écoles enseignent en
français tandis qu'en territoire flamand, la langue d'enseignement est
le flamand. Il ne saurait être question de laisser aux parents la
liberté d'imposer ou de choisir la langue française pour
enseigner en territoire flamand, ou vice-versa. Ce qui ne veut pas dire que la
langue de l'autre groupe ne soit pas enseignée. Elle est inscrite
à programme à titre de langue seconde. On retrouve d'ailleurs le
même principe de répartition scolaire en Suisse, pays
multilingue.
Amendement inacceptable
Ceci nous amène logiquement à commenter les
prétentions de ceux qui voudraient rendre les classes anglaises
accessibles aux enfants dont les parents ont fréquenté
l'école primaire anglaise dans une autre province canadienne même
s'ils ne sont pas domiciliés au Québec à la date
d'entrée en vigueur de la loi.
Cet amendement serait absolument contraire aux principes
mentionnés dans les paragraphes précédents du
présent mémoire et ne saurait reposer sur aucun fondement
historique, ni même juridique.
Sur ce projet, il importe d'abord de ramener les choses dans leur
véritable dimension et spécifier que la portée d'un tel
amendement ne concernerait qu'un nombre fort limité d'éventuels
nouveaux venus qui soient vraiment des anglophones. C'est ici qu'il faut
être conscients que cet amendement ferait en sorte d'accorder aux futurs
arrivants de ces provinces, qu'ils soient anglophones ou francophones, des
droits que nous ne tolérons accorder à des gens qui sont
déjà domiciliés au Québec que par dérogation
à la règle générale de l'enseignement
français au Québec.
Il est en effet aberrant de voir ces gens, qui ont toujours
utilisé l'école anglaise pour assimiler non seulement les
immigrants mais aussi beaucoup de francophones, s'insurger et se
prétendre brimés dans le droit de la collectivité
anglophone de croître naturelle.
A cela, nous répondons que, si leur croissance naturelle doit
passer par l'assimilation à la minorité des nouveaux venus,
fussent-ils d'ex-canadiens des autres provinces, la
générosité dont fait preuve le projet de loi actuel est
peut-être déjà démesurément grande.
Le Mouvement National des Québécois se réjouit donc
que le gouvernement, malgré les pressions inexplicables si ce n'est pour
des motifs inavouables, n'ait pas cédé sur cette clause de
domicile au Québec au moment de l'entrée en viqueur pour les gens
du reste du Canada.
Nous prions donc instamment le gouvernement du Québec, ce
gouvernement qui s'est donné pour mission d'affirmer pleinement le fait
français, de ne pas céder sur cette demande d'amendement que nous
jugeons totalement inacceptable.
Autres considérations
II existe évidemment plusieurs considérations à cet
appui du M.N.Q. au projet de loi numéro 1, mais nous ne croyons pas
devoir ici procéder à une revue systématique de chacun des
articles du projet.
Langue de travail
Qu'il nous soit toutefois permis de signaler notre appréciation
devant les dispositions du projet contenues au sous-chapitre VI et concernant
la langue du Travail. Ces dispositions, tout en étant d'un
réalisme commandé par les circonstances, permettront certainement
de créer, dans une facette importante de la vie des
Québécois, un impact psychologique susceptible de briser ce
colonialisme linguistique dont nous faisions état au début de ce
mémoire.
Langue de l'administration
Nous pourrions également faire les mêmes observations en ce
qui concerne les chapitres IV et V du projet de loi, concernant respectivement
la langue de l'administration et de certains organismes parapublics.
Langue du commerce et des affaires
Quant aux dispositions concernant la langue du commerce et des affaires,
nous tenons à spécifier que nous y souscrivons
entièrement. Ces dispositions garantissent les droits du consommateur
francophone sans brimer ceux du consommateur non-francophone.
Par ce chapitre, le gouvernement manifeste également une
volonté ferme de civiliser tout ce secteur de notre activité
collective et de la forcer à respecter des règles du jeu qui
seront désormais d'une clarté dont nous avions depuis fort
longtemps besoin.
Il ne nous apparaît pas étonnant de constater la
levée de boucliers de certains représentants du milieu des
affaires, ce milieu qui a si longtemps fait peu de cas du fait français
au Québec. Nous sommes par ailleurs confiants de voir la raison vaincre
les quelques éléments les plus radicaux et amener les gens
concernés à respecter notre volonté collective de vivre en
français. Ils l'acceptent d'ailleurs dans tous les pays où la
majorité sait s'affirmer dans la dignité collective et
individuelle.
Les lacunes du projet de loi no 1
Tel que mentionné précédemment, l'appui du
Mouvement National des Québécois est ferme mais en raison du fait
que ce projet de loi constitue pour nous un minimum.
Nous tenons donc à insister ici sur les divergences entre ce
projet et la politique linguistique de notre mouvement.
Position du M.N.Q.
Pour ce faire, il y a d'abord lieu de vous faire part du document rendu
public le 24 janvier 1977 et intitulé:
Politique du Mouvement National des Québécois en
matière linguistique 1.- Abolition de la loi 22 et remplacement par
une loi constitutionnelle proclamant le français seule langue officielle
au Québec; 2.- Amendement de l'article 133 de l'A.A.N.B.
conformément à l'article précédent; 3.- Cette loi
constitutionnelle posera le principe que le français est la langue
normale et courante des affaires et du travail; 4.- Les détails
d'application de la loi constitutionnelle seront édictés dans une
ou d'autres lois applicables aux différents secteurs: 5.- Dans le
domaine de l'enseignement, il serait prescrit que:
Article 1: Dans les écoles publiques, l'enseignement se donne en
français.
Article 2: Toutefois, le ministre de l'Education peut autoriser
l'enseignement en langue an-
glaise, aux conditions prévues par la loi, dans les classes qu'il
désigne, lorsque demande lui en est faite par des groupes suffisamment
nombreux de citoyens-parents domiciliés au Québec au moment de
l'adoption de la présente loi dont les enfants ont l'anglais pour langue
maternelle.
MESURES TRANSITOIRES:
Article 3: Toutefois, les enfants, dont la langue maternelle n'est pas
l'anglais et qui sont inscrits dans des classes anglaises à la date
d'adoption de la loi, pourront poursuivre leurs études en langue
anglaise.
Article 4: Aucune subvention ne sera accordée aux institutions
privées qui ne respectent pas les normes édictées par la
présente loi.
Loi constitutionnelle distincte
Nous constatons d'abord que le gouvernement n'a pas retenu les quatre
premiers points de cette politique du mouvement points également
recommandés par le M.Q.F. Nous n'insisterons pas sur le fait que le
projet de loi No. 1 ne se présente pas sous la forme d'une loi
constitutionnelle distincte, considérant que le gouvernement fait ainsi
un choix stratégique que nous aurions voulu différent.
L'article 133 de l'A.A.N.B.
Par ailleurs, en ce qui concerne notre recommandation d'abroger
l'article 133 de l'AANB, il nous semble opportun de rappeler l'importance de
cet aspect.
Nous croyons en effet que la loi 1 devrait abroger l'article 133 de
l'A.A.N.B. en ce qui concerne le Québec de façon à
démontrer clairement que seul le français a un caractère
officiel au Québec, ce qui ne nous empêcherait nullement de
respecter certains besoins légitimes de la minorité anglophone du
Québec, (v.g. traductions anglaises des lois québécoises,
etc....), tout comme le prévoit d'ailleurs l'actuel projet de loi.
Nous soutenons que l'Assemblée Nationale du Québec a le
pouvoir d'amender ainsi l'article 133 de l'A.A.N.B., thèse qui a
d'ailleurs été confirmée par la majorité des
juristes consultés par la Commission Gendron.
Cet article constitue à nos yeux le seul document
législatif consacrant un certain bilinguisme institutionnel dans des
secteurs bien définis de notre vie collective. En ne procédant
pas à son abrogation, le gouvernement s'exposera à d'inutiles
batailles juridiques susceptibles d'amener une confusion stratégiquement
inacceptable, parce que ne portant pas sur les vrais problèmes.
Recommandations
Afin d'éviter tout malentendu, afin surtout que la loi soit
opérante, nous recommandons au gouvernement:
D'inclure un paragraphe qui abrogera l'article 133 de l'A.A.N.B. en ce
qui concerne le Québec, conformément à l'article 91 (1) de
L'A.A.N.B.
La langue d'enseignement
En matière de langue d'enseignement, notre position diverge
considérablement de celle proposée dans le projet de loi. En
choisissant le critère de la fréquentation scolaire des parents
pour déterminer l'admissibilité des enfants à
l'enseignement en anglais, le gouvernement a certainement opté pour la
méthode la plus facile quant à son application
administrative.
Appréciant par ailleurs que le gouvernement ait ajouté
à cela le critère du domicile au Québec à la date
d'entrée en vigueur de la loi, nous déplorons qu'il ne tienne
nullement compte de la langue maternelle de l'enfant dont on aura à
juger de l'admissibilité à l'enseignement en anglais.
Adoptant en cela la position du Mouvement Québec Français
nous considérons qu'il s'agit là de permettre l'accès
à l'enseignement en anglais à un nombre beaucoup trop
considérable d'enfants dont la langue maternelle n'est pas l'anglais. Le
projet de loi reconnaît donc à un grand nombre d'enfants
francophones ou non-anglophones le droit à cet enseignement en
anglais.
Nous nous retrouvons donc dans une situation où perdurera la
tendance assimilatrice de la minorité anglophone envers une forte partie
de la population québécoise.
Il y aurait donc lieu, selon nous, d'ajouter aux critères de la
fréquentation scolaire d'un parent et du domicile lors de
l'entrée en vigueur de la loi celui de la langue maternelle de
l'enfant.
Malgré toutes les objections apportées, à
l'application de ce critère de la langue maternelle, nous demeurons
persuadés qu'il est possible de la déterminer à partir de
la langue commune de l'enfant.
Recommandation
Nous recommandons donc au gouvernement du Québec:
D'ajouter comme critère d'admissibilité à
l'enseignement en anglais celui de la langue maternelle de l'enfant pour ceux
qui n'ont pas encore entrepris des cours en anglais;
Nous recommandons également que le sous-paragraphe i) du
paragraphe b) de l'article 52 du projet de loi soit modifié de
façon à:
Rayer les mots "Le même droit s'étendant à leurs
frères et soeurs cadets";
Cette dernière expression que nous recommandons de rayer ne
concerne en réalité que des enfants dont la langue maternelle
n'est pas l'anglais. Pourquoi alors leur permettre d'aller au secteur
anglophone et ainsi s'intégrer à la minorité
anglophone?
Nous ne croyons décidément rien, ni historiquement ni
juridiquement, qui puisse faire brimer une supposée raison de
non-séparation des familles sur l'intérêt collectif de la
majorité de tout mettre en oeuvre pour intégrer à sa vie
communautaire tous ces jeunes qui ne sont d'ailleurs pas des anglophones.
Nous ne croyons pas, en effet, qu'il s'agisse d'une
responsabilité collective de l'Etat que d'éviter cette
séparation apparente des familles, mais bien plutôt d'une
responsabilité des parents. En ce sens, le projet de loi devrait donc
tendre à inciter ces parents, assumant leur responsabilité,
à faire tout en leur possible pour réintégrer au secteur
francophone le ou les enfants qu'ils auraient inscrits, par le passé, au
secteur anglophone.
Pourquoi pas, dans ce cas bien précis, l'unification des familles
par le français?
Conclusion
Tout en insistant auprès de la Commission parlementaire pour
qu'il soit tenu compte des recommandations contenues dans cette dernière
partie, le Mouvement National des Québécois réitère
son appui au projet de loi No 1 et incite le gouvernement du Québec
à demeurer ferme dans chacune des intentions consacrant le
caractère français du pays du Québec et contenues dans ce
projet de loi.