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Version finale

31e législature, 2e session
(8 mars 1977 au 22 décembre 1977)

Le lundi 27 juin 1977 - Vol. 19 N° 136

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition des mémoires sur le projet de loi no 1 - Charte de la langue française au Québec


Journal des débats

 

Audition des mémoires sur

le projet de loi no 1 :

Charte de la langue française

au Québec

(Seize heures trente minutes)

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et messieurs!

Nous commençons une nouvelle séance de la commission de l'éducation, des affaires culturelles et des communications avec le mandat spécial qui nous a été accordé par l'Assemblée nationale après déférence à la suite de la première lecture.

Je dois donc vérifier les membres de la commission et effectuer les changements nécessaires. M. Alfred (Papineau), M. Bertrand (Vanier), M. Bisaillon (Sainte-Marie) remplacé par M. Charbonneau (Verchères); M. Chevrette (Joliette), M. Ciaccia (Mont-Royal) remplacé par M. Goldbloom (D'Arcy McGee); M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Dussault (Châteauguay), M. Godin (Mercier), M. Grenier (Mégantic-Compton), M. Guay (Taschereau), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le Moignan (Gaspé), M. Paquette (Rosemont), M. Roy (Beauce-Sud), M. Saint-Germain (Jacques-Cartier) remplacé par...

M. Lalonde: M. Garneau (Jean-Talon).

Le Président (M. Cardinal): ...M. Garneau (Jean-Talon). Merci, M. le député de Marguerite-Bourgeoys. M. Samson (Rouyn-Noranda).

Quant à l'ordre du jour, ce sera bref. Il nous reste le temps d'une audition cet après-midi. Je veux quand même appeler chacun des organismes convoqués pour qu'aucun d'eux ne perde son tour, en vertu de notre règlement, article 118-A. Ces gens étant appelés, ils seront devant la commission et nous pourrons nous entendre, soit à la suspension, à 18 heures, soit à la reprise de la séance, à 20 heures.

Premièrement, la Fédération des principaux du Québec, vous êtes ici, merci; deuxièmement, la Chambre de commerce de la province de Québec.

M. Lalonde: Les représentants sont là, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Merci. Troisièmement, le Mouvement national des Québécois, merci; quatrièmement, Positive Action Committee, merci; cinquièmement, le Comité anglophone pour un Québec unifié, merci.

Les cinq groupes, les cinq organismes convoqués sont ici. Nous pourrons donc nous entendre et je n'invoquerai pas le règlement. Le premier organisme est donc invité à se présenter immédiatement à cette table, la Fédération des principaux du Québec.

Selon l'usage qui est devenu presque un rite, sans trop de solennité quand même, je vous demanderais d'identifier votre organisme, d'identifier ses porte-parole. Je vous rappelle que, quand ceci sera accompli, vous aurez vingt minutes pour exposer votre mémoire ou en faire un résumé, et que la députation, selon une motion qui a été acceptée à cette commission, aura 70 minutes pour vous questionner. Messieurs, vous êtes les bienvenus, la parole est à vous.

Fédération des principaux du Québec

M. Robert (Gill): M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs de la commission parlementaire, mesdames et messieurs de cet auditoire, tout d'abord, je vous présente à ma droite, M. Jacques Lévesque, principal d'école polyvalente, vice-président de la Fédération des principaux du Québec, et, à ma gauche, M. Claude Vad-nais, membre du conseil d'administration et principal d'école polyvalente, de Saint-Félix-de-Valois. M. Lévesque est de Saint-Hyacinthe. Moi-même, Gill Robert, je suis le président de la Fédération des principaux d'écoles du Québec.

Je commence, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Parfait.

M. Robert: La Fédération des principaux du Québec regroupe les principaux d'écoles francophones élémentaires et secondaires du Québec. Ils sont au nombre de 3700, répartis en 26 associations régionales affiliées couvrant tout le territoire du Québec, depuis les rives du Saint-Laurent, jusqu'au poste reculé de Povungnituk. Une association provinciale de quelque 400 principaux retraités est également rattachée à la fédération.

Nous nous sommes posé, en première partie la question suivante: Le projet de loi no 1 est-il nécessaire, est-il utile, est-il nuisible? En deuxième partie, nous avons tiré des conclusions de notre étude. Pour répondre à ces questions, nous avons scruté des paroles des écrits, des chiffres et des faits. "Je serais bien étonné que les plus réfléchis parmi les Canadiens français eussent encore l'espérance de conserver leur nationalité. Quelque résistance qu'ils fassent, l'absorption de leur race est déjà commencée. Notre langue (anglaise) — comme de raison — se propage comme fait tout naturellement la langue des employeurs et des riches." L'assimilation, sans doute, sera lente, et, jusqu'à ce qu'elle soit consommée, la justice et une sage politique conseillent également de ne prendre, pour amener les Canadiens français à renoncer à leur langue maternelle aucun moyen de rigueur. Ce serait leur retirer la protection des lois.

Mais, je le répète, il faut entreprendre dès à présent de changer le caractère national de la province et poursuivre avec fermeté, quoique avec

prudence, faire du Bas-Canada une province anglaise, telle doit être la fin première du plan à choisir par le futur gouvernement". Ainsi parlait Lord Durham en 1838.

Patiemment, fermement, inlassablement, peut-on dire, cet objectif a été poursuivi, parfois ouvertement, habituellement de façon fort dissimulée. Les années, les décades ont passé, plus d'un siècle même s'est écoulé depuis que ces lignes ont été écrites. Le régime a changé, le projet n'a jamais été abandonné. Les dangers non plus ne se sont pas dissipés. Il n'est pas inconvenant de rappeler aux Français qu'ils sont une race de vaincus, disait George Drew, en 1936, et que leurs droits ne sont que des droits en raison de la tolérance de l'élément anglais, lequel, en tout respect pour la minorité, doit être considéré comme la race dominante. Ceci était prononcé 100 ans après le rapport de Lord Durham en 1936, par un homme eminent, qui s'appelle George Drew.

Il n'y a pas que les Acadiens du Nouveau-Brunswick et les francophones de l'Ontario ou du Manitoba qui sont menacés d'assimilation. Le danger existe au Québec et de façon aiguë.

Les témoignages de l'histoire: En 1763, le traité de Paris donne aux Canadiens un nouveau souverain. Les francophones qui, toutefois, se sont établis sur les rives du Saint-Laurent, continuent, eux, de croire que la vallée du Saint-Laurent appartient à ceux qui y vivent depuis 150 ans.

En 1774; l'Acte de Québec reconnaît que les Français forment une collectivité distincte en Amérique du Nord. En 1841, la minorité britannique, installée sur le territoire du Bas-Canada, remporte ses premiers vrais succès d'assimilation. L'union place les Français en minorité dans un Canada anglais. 1867; La Confédération canadienne rend encore plus menaçante la situation minoritaire des francophones.

En 1914; la première guerre mondiale fait brutalement prendre conscience aux Canadiens français qu'ils forment une minorité canadienne et qu'ils ont un défi à relever s'il ne veulent consentir à l'assimilation.

De 1942 à 1960; réveil d'une nation. Les francophones du Québec cessent de se considérer comme une minorité canadienne pour devenir, tout d'un coup, une majorité québécoise et prennent conscience de l'importance de contrôler l'immigration, qui constitue une force destinée à s'imposer au Québec. Il faut mettre un frein à une politique d'immigration d'Ottawa. 1969; le gouvernement du Québec ouvre toutes grandes les portes des écoles anglaises aux immigrants, c'est la loi 63. 1974; la loi 22 proclame que le français est la langue officielle du Québec. Malheureusement, cette déclaration de principe est assortie de tant de clauses protectrices de la langue anglaise que, dans les faits, la langue de la minorité jouira de toute la protection qui continuera d'assurer son hégémonie. 1977; une charte de la langue française au Québec: une loi qui veut assurer la qualité et le rayonnement de la langue française, tout en traitant avec justice et équité les minorités qui participent au développement du Québec.

Les chiffres parlent anglais.

Les francophones et l'école anglaise. Les francophones du Québec ont une large responsabilité face à la conservation de la langue et de la culture françaises qu'on désire voir se perpétuer au Québec. Il n'est pas certain que tous aient jugé à sa juste valeur cette responsabilité collective.

Les plus récentes statistiques nous apprennent que dans 75 000 familles francophones du Québec, c'est l'anglais qui est la langue d'usage à la maison.

En 1972, on révèle que dans les villes de Québec et de Trois-Rivières, 43% et 54% respectivement des élèves dits anglophones étaient en réalité des francophones.

De 1970 à 1973, à la CECM, 13 600 élèves passaient du secteur francophone au secteur anglophone, grâce, selon nous, à la loi 63.

En septembre 1974, il y avait 4174 élèves de langue maternelle française dans les classes anglaises de la CECM. A cela, il faut ajouter tous ceux qu'on retrouve dans le secteur anglophone protestant.

Au 30 septembre 1976, donc l'année scolaire en cours qui se termine dans trois jours, à Laval, dans une école élémentaire anglophone, sur 445 élèves, 195 sont des francophones, soit 44%. Dans une école secondaire de la même localité, sur 1762 élèves inscrits, 717 sont de langue maternelle française, soit 40%.

Et, en annexe, je vous donne la composition ethnique de la ville de Montréal depuis un siècle. En 1871, il y avait 53% de la population qui était française et, en 1971, 64%; les Britanniques étaient de 45% et, en 1971, ils sont de 10%. Quant à ceux qu'on appelle les autres, en 1871, ils étaient de 2%, ils sont maintenant de 24%.

Il y a des mutations linguistiques nombreuses dont je vous ferai part avec des tableaux mais les conclusions qui se dégagent de ces statistiques sont que, pour le français langue d'usage, il y a une perte de 7780 personnes, soit 2%, mais, pour l'anglais langue d'usage, durant cette période, il y a 87 995 personnes de plus. Le pouvoir assimila-teur est beaucoup plus élevé que celui du français pour une origine ethnique six fois moindre. De toute évidence, les Néo-Québécois adoptent l'anglais comme langue d'usage; 82% des étrangers entrés au Québec entre 1946 et 1971 parlent aujourd'hui l'anglais.

Les anglophones et la langue française. Les anglophones se sont enracinés au Québec à partir de la deuxième partie du XVIIle siècle. Ils ont, de toute évidence, contribué au développement de cette province. Toutefois, forts de leur appartenance à la majorité anglophone canadienne, ils ne se sont pas intégrés à la majorité québécoise francophone. A preuve, 80% présentement des anglophones du Québec sont aujourd'hui unilingues; 80% également des enseignants francophones dans les écoles protestantes anglophones ne sont pas des Québécois.

Il y a peu à dire sur cette question. Pour les

anglophones, le Canada est un pays anglophone, y compris le Québec, avec le temps. A preuve, le grand nombre d'anglophones qui, après trente ans ou quarante ans de vie au Québec, ne comprennent pas et ne parlent pas le français.

Les Néo-Québécois et l'école anglaise. En 1971-1972, à la CECM, 65 000 enfants allophones, 55 000 de ce nombre, soit 86%, étudient au secteur anglais et 9200 au secteur français. Deux ans après, en 1973-1974, pour un jeune Italien qui va à l'école française, il y en a 19 qui vont à l'école anglaise. En 1976, l'année où nous sommes actuellement, pour cette étude, plus de 800 enfants italo-québécois au degré de la maternelle occupent illégalement des écoles soi-disant anglaises en dépit de la loi 22. En 1974, il y avait 83% des étudiants anglophones de la CECM qui n'étaient pas de langue maternelle anglaise. Un sondage rapide, un peu sournois, si vous voulez, un peu habile aussi, de la Presse, a révélé que 80% des parents d'enfants ayant déclaré parler l'anglais à la maison, au moment des déclarations officielles de la langue d'usage, ne savaient pas s'exprimer en anglais au téléphone. Ce sondage de la Presse eut lieu en 1974. De 1970 à 1973, 13 600 élèves de la CECM passaient du secteur francophone au secteur anglophone. Dans le secteur anglais de la CECM, les élèves de langue maternelle anglaise sont passés mystérieusement de 16% à 29% dès l'application en 1974 de la loi 22. Je me répète, 16% à 29% sont passés mystérieusement d'une langue maternelle à l'autre au cours d'une déclaration des familles.

Au collège anglophone Dawson, cette année, près de 95% des élèves ne sont pas de langue maternelle anglaise. A Saint-Léonard, en 1969-1970, 24% des élèves fréquentaient des classes dites bilingues parce que la commission scolaire refusait d'ouvrir des classes anglaises. En 1970-1971, au moment où la loi destinée à promouvoir la langue française au Québec, loi 63, commençait à être appliquée, 34%, soit 10% de plus des élèves s'inscrivaient dans les nouvelles écoles anglaises. En 1971-1972, nous étions rendus à 36% des élèves qui fréquentaient les classes anglaises; donc 24%, 34%, 36%.

Cependant, les statistiques de cette même année démontrent que 93% de la population scolaire de Saint-Léonard sont d'origine autre que anglaise, plus particulièrement italienne. Mais comme plus de 90% des élèves d'origine italienne choississent le secteur anglais, ceci explique en bonne partie le fait de l'augmentation du nombre d'écoliers dits anglophones de cette localité. Cet état de fait a continué et la loi 22 n'a rien amélioré. En preuve, cette année en cours, dans Saint-Léonard, 1976-1977, statistiques du 1er juin, au secteur français, élémentaire et secondaire, il y a 6036 élèves et au secteur anglais, il y en a 5600.

De ce secteur anglais, 550 sont des anglophones de langue maternelle et 5050 sont des allophones. Cela veut dire que 90% du secteur anglophone de Saint-Léonard est alimenté par des non-anglophones.

L'école anglaise, selon nous, a droit à l'existence. Il existe au Québec, 63 commissions scolai- res régionales dont neuf protestantes et 189 commissions scolaires locales, 168 catholiques, 21 protestantes. Les villes de Québec et de Montréal ont un statut différent. A Québec, la municipalité scolaire est sous l'autorité de la Commission des écoles catholiques de Québec et n'est pas membre d'une commission scolaire régionale. A Montréal, deux organisations parallèles, l'une catholique, l'autre protestante ont entraîné dans le passé la création d'un nombre démesuré de commissions scolaires; la réforme des structures a conduit à la création du Conseil scolaire de l'île de Montréal et au regroupement en sept commissions scolaires, dont cinq catholiques et deux protestantes.

Depuis toujours, la minorité anglophone du Québec jouit de son propre réseau d'institutions d'enseignement. Il y a à peine 20 ans, alors qu'elle ne formait que 12% de la population du Québec, elle avait trois universités, McGill, Bishop et Sir George Williams, alors que les francophones, à 82%, n'en avaient que deux, Laval et Montréal.

Elle bénéficie également des services de quatre collèges d'enseignement général et professionnel et de nombreuses écoles élémentaires et secondaires.

Depuis toujours également l'anglais est une matière obligatoire dans les écoles secondaires françaises de la province. A l'élémentaire, dans la grande majorité des commissions scolaires, on enseigne l'anglais, langue seconde, aux enfants de dix et onze ans et un autre programme permet le début de l'enseignement de l'anglais aux enfants de six ou huit ans.

La Fédération des principaux du Québec reconnaît que les écoles de langue anglaise se sont assurées des titres à l'existence qu'on ne saurait songer aujourd'hui à contester, ce qui n'implique pas pour autant l'établissement d'un système administratif parallèle.

Par ailleurs, s'il y a lieu de garantir à la minorité anglaise du Québec l'accès à l'école anglaise, il est légitime de s'assurer que les personnes qui viendront s'installer au Québec dans l'avenir enverront leurs enfants à l'école française. En d'autres mots, l'école anglaise, qui constitue un système d'exception accordé à la minorité actuelle du Québec, doit cesser d'être assimilatrice et doit être réservée à ceux pour qui elle a été créée.

Il faut mettre fin à toute situation qui s'apparenterait à celle de Saint-Léonard, où c'est tout le réseau d'écoles catholiques anglophones qui est alimenté par les Néo-Québécois, dans une proportion atteignant 90%.

A la lumière de ces chiffres, je ferai une projection des francophones, en l'an 2000, au Canada. Selon les démographes que nous avons étudiés, en 1971, au Canada, il y a 26% de francophones. En l'an 2000, il y en aurait 23%.

Au Québec, il y en a présentement 81%, et il y en aurait 77% en l'an 2000, mais la concentration à Montréal passerait de 66% à 89% de francophones et au Nouveau-Brunswick, elle ferait un déclin de 34% à 28%.

Il est donc à prévoir que 95% des francophones vivront au Québec en l'an 2000. Sauf au Qué-

bec et au Nouveau-Brunswick, le nombre des francophones ne dépassera pas 4%. L'assimilation des francophones à l'anglais hors du Québec est une lente érosion, le temps en viendra à bout, selon le démographe Henripin.

Faute de nombre, le groupe d'origine française a autrefois perdu la Nouvelle-France et n'a jamais pu, par la suite, retrouver la force de s'imposer dans les autres provinces. S'il continue ainsi à se laisser aller, il se pourrait bien que pour la même raison, il en vienne à perdre aussi le Québec.

Après cette analyse de paroles, d'écrits, de chiffres et de faits, nous arrivons à la première conclusion: le projet de loi no 1 nous paraît pleinement justifié.

Il faut dire dans une loi ce qui est dans les faits. Le Québec est un Etat francophone.

Il est absolument aberrant qu'en 1977, la population du Québec ait à consacrer tant d'énergie, tant de temps et tant d'argent pour faire reconnaître un droit aussi fondamental et aussi primordial que le plein droit du français au Québec.

Le projet de loi no 1 visant à faire du français la langue de la législation, de l'administration, des affaires, du travail et de l'enseignement paraît à la Fédération des principaux pleinement justifié.

Cette loi que nous qualifions d'humiliante nécessité veut mettre fin à des privilèges qu'on a pris l'habitude de considérer comme des droits.

Dans son ensemble, les principaux donnent leur appui au projet de loi pour les raisons suivantes:

Parce qu'il veut faire du Québec une terre française;

Parce qu'il veut faire de l'école française l'école de la collectivité et tend à l'établissement d'un seul système administratif en éducation;

Parce qu'il reconnaît que les écoles de langue anglaise se sont assuré des titres à l'existence, mais il faut pourtant mettre fin à la fonction assi-milatrice de ces écoles;

Parce qu'il assure enfin l'intégration de la collectivité francophone de tous les immigrants, quel que soit leur pays d'origine.

Cependant, nous ne jugeons pas que ce projet de loi soit parfait et sans faille et voilà pourquoi nous attirons l'attention sur quelques peu nombreux amendements au chapitre de la langue d'enseignement.

A l'article 51 que vous connaissez bien, l'enseignement se donne en français, etc.

Nous sommes d'accord avec cette déclaration de principe et nous comptons que les exceptions prévues au chapitre de la langue d'enseignement ne seront pas multipliées au point de rendre inopérante la législation principale ou générale.

Toute école publique et toute école privée recevant des subventions de l'Etat, à quelque titre que ce soit, doit contribuer à l'accomplissement de la loi et non pas à son affaiblissement.

Nous avons plus de réserves à l'article 52. L'article 52a dit: "Par dérogation à l'article 51, peuvent recevoir l'enseignement en anglais, à la demande de leur père et de leur mère: a) les enfants dont le père ou la mère a reçu, au Québec, l'enseignement primaire en anglais;

Le critère qui veut que l'enfant dont le père ou la mère a reçu au Québec l'enseignement élémentaire en anglais nous paraît un critère réaliste, vérifiable et dénué de subjectivité.

Toutefois, nous nous opposons à ce qu'un tel critère s'applique aussi bien au père qu'à la mère.

C'est la mère qui donne la langue maternelle: non? Donc, si la mère a reçu l'enseignement élémentaire en anglais au Québec, nous sommes d'avis que ses enfants peuvent être légitimement inscrits à l'école anglaise.

C'est seulement dans le cas où le père a reçu la garde légale de son enfant qu'on pourra, selon nous, l'inscrire à l'école anglaise.

Je donne ici un exemple pour illustrer ceci. Les noms sont fictifs, mais le fait est réel. Quinlan, Irlandais catholique, Marie Ménard, francophone catholique. Ils ont cinq enfants. Tous les enfants vont à l'école anglaise. Ils sont tous majeurs, ils sont tous mariés.

Aujourd'hui, avec le projet de loi qui est là, tous, aussi bien pères que mères, peuvent décider d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise. Dans cette famille, il y a trois garçons, deux filles. Les deux filles sont de langue anglaise, mais, si les jeunes, les nouveaux mariés, épousent des Anglaises de langue maternelle, d'accord, mais s'ils marient des francophones, comment justifier qu'une mère francophone ne puisse pas décider d'envoyer son enfant à l'école francophone? Nous pensons que, dans cette combine, c'est toujours l'Anglais qui gagne. On n'est pas d'accord.

L'article 52b): dit: "Les enfants qui, à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, sont domiciliés au Québec, et qui reçoivent déjà... Vous connaissez le reste.

Nous jugeons empreint de réalisme et de bon sens le critère qui veut que frères et soeurs d'une même famille puissent continuer dans l'école de leurs ainés, mais il faut aussi prévoir et prévenir que les dérogations, la lignée interminable des frères et soeurs, petits enfants, sous la garde apparente de leurs grands-parents, qui perpétuent cette lignée.

L'article 52b paragraphe ii dit: Les enfants qui, à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, sont domiciliés au Québec, etc. Selon notre fédération, ce critère est trop restrictif. Il constitue un obstacle, selon nous, à la mobilité enrichissante des citoyens d'autres provinces et préjugent également de leur décision de s'intégrer à la majorité anglophone. Il établit une frontière théorique entre le Québec et les autres provinces canadiennes. Cette frontière artificielle ne saurait être admise par l'opinion mondiale.

Cette disposition est de nature à provoquer des débats émotifs et à soulever sans raison valable — pensons-nous — l'opinion anglophone canadienne, d'un océan à l'autre. Ce critère ne se justifie pas par une menace d'envahissement du Québec par les citoyens anglophones des autres provinces canadiennes.

Enfin, ce critère provoquera à longue

échéance la disparition de la minorité anglo-québécoise actuelle. Ce que recherche la Loi sur la langue française, ce n'est pas l'extinction, ni la disparition de la minorité anglophone, mais plutôt de rétablir et de maintenir dans sa vraie dimension la proportion des véritables anglophones du Québec.

Si le Québec, un jour, ayant décidé de sa souveraineté culturelle ou politique ou économique ou les trois, doit un jour établir ce critère pour protéger son identité française, notre fédération appuiera alors tel amendement à la législation sur la langue française, afin que l'objectif que poursuit la Charte de la langue française puisse être atteint dans des délais raisonnables pour une telle opération.

Enfin, ce que nous voulons retrouver dans la politique linguistique au moment de son application c'est le français comme seule langue officielle du Québec, c'est l'intégration à la collectivité francophone de tous les immigrants, quelle que soit la langue de leur pays d'origine, c'est rétablissement progressif d'un seul réseau d'enseignement. Ce réseau sera français mais devra comprendre un service de l'enseignement de l'anglais et d'autres langues secondes, selon le choix des parents.

La Fédération des principaux du Québec considère que le gouvernement doit jouer sur cette question un véritable rôle de chef de file.

Mandaté par la population pour servir les meilleurs intérêts de la collectivité québécoise, il ne peut se soustraire à la responsabilité de servir les véritables intérêts de la majorité. J'ai terminé, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Robert. Je vous ai accordé quelques minutes de plus. Je dis tout de suite qu'avec le nombre d'invités que nous avons, je n'aurai peut-être pas la même générosité envers les membres de la commission. M. le ministre d'Etat au développement culturel.

M. Laurin: Je veux d'abord remercier la Fédération des principaux du Québec, ainsi que ses 4000 membres, pour le mémoire qu'ils viennent de nous présenter. C'est un mémoire clair, simple, qui va à l'essentiel, en même temps résolu et déterminé. Nous les remercions de l'appui raisonné qu'ils donnent au projet de loi du gouvernement dans toutes ses grandes articulations et dans la lettre de tous ses articles, à l'exception de quelques-uns.

La fédération a placé son mémoire sous le signe d'un fameux rapport qui date maintenant de plus de 130 ans. Elle nous cite en liminaire une prédiction ou je dirais plutôt un acte de "wishful thinking" du fameux Lord Durham. Je suis très heureux de constater avec vous, aujourd'hui, que cette heureuse prédiction du côté de Lord Durham et cette sombre prédiction du côté des francophones ne se sont pas réalisées. La fédération nous cite aussi un extrait d'une allocution d'un ancien chef conservateur où M. Drew prétendait nous rappeler, aux francophones, que nous devions toujours nous rappeler notre condition de vaincus.

Je constate avec bonheur que le nombre de leaders politiques anglophones fédéraux qui osent risquer encore de pareilles assertions ou déclarations, a diminué au point de l'extinction "tendancielle" — je dis "tendancielle", parce qu'il y en a encore malheureusement quelques-uns, mais leur nombre se fait de plus en plus rare — ce qui témoigne, bien sûr, de la vitalité du groupe francophone. J'ai été très intéressé par les quelques chiffres que vous nous avez apportés. J'avoue que ces chiffres sont inquiétants. Je voudrais vous poser quelques questions sur quelques-uns de ces chiffres. Vous dites qu'il y a 75 000 familles francophones du Québec maintenant où l'anglais est la langue d'usage à la maison. Est-ce que ce chiffre est basé sur le dernier recensement du Canada de 1971?

M. Robert: Ce sont des déductions des chiffres produits par l'Annuaire du Québec en 1973 ou encore par Statistique Canada.

M. Laurin: Est-ce qu'il y a, là-dedans, l'apport d'immigrants, par exemple, venant de France ou de pays francophones ou si c'est simplement des francophones nés au Québec, appartenant au Québec?

M. Robert: Là-dessus, je ne pourrais pas faire cette distinction, mais notre étude porte sur des personnes qui déclarent être francophones de langue maternelle et que leur langue d'usage, c'est maintenant l'anglais.

M. Laurin: Vous qui êtes principaux d'écoles, pourriez-vous nous expliquer les raisons, selon vous, qui expliquent que, de 1970 à 1973, 13 600 élèves soient passés du secteur francophone au secteur anglophone, ce qui m'apparaît être une hémorragie assez considérable?

M. Robert: Cela regroupe un peu les chiffres que j'ai mentionnés tout à l'heure où, rapidement, en parlant de Saint-Léonard, par exemple, de 24% à 34% se sont déclarés, tout à coup, de langue maternelle anglaise, parce que la loi 22 disait... Les parents n'avaient qu'à déclarer solennellement que l'anglais était leur langue d'usage. C'est justement pendant cette période que, grâce à la loi 63, cette hémorragie a été constatée.

M. Laurin: Mais la loi 22 n'était pas encore adoptée en 1974.

M. Robert: Non, mais c'était la loi 63, excusez. La loi 63 était en vigueur à ce moment-là. Je me reprends. Pour cette partie de ma statistique, je fais référence à la loi 63, alors que, plus loin, je fais référence à la loi 22. Excusez-moi. Il nous paraît, sans faire de statistique absolue, comme principaux d'écoles, d'après les déclarations des personnes avec qui nous venons en contact, que c'est l'ouverture faite par la loi 63 qui est la cause de cette hémorragie.

M. Laurin: Vous êtes le premier groupe qui

met l'accent sur ce phénomène des transferts linguistiques scolaires, de plus en plus massifs, du groupe francophone au groupe anglophone. J'avoue que les chiffres que vous nous citez pour Laval, bien que je les connusse déjà, sont très inquiétants, quand on dit, par exemple, que 44% des élèves d'une école élémentaire anglophone à Laval sont francophones et 40% dans une école secondaire francophone.

M. Robert: Ces statistiques sont de mes recherches personnelles, et je puis vous dire qu'en 1973, pour faire une comparaison, dans ces mêmes écoles, il y avait, à l'école élémentaire, 459 élèves et 254 francophones, soit 55%; en 1973. Aujourd'hui, dans la même école, c'est tombé à 44%. Pour ce qui est de l'école secondaire, en 1973, il y avait 2045 élèves, 800 étaient des francophones, soit 39%. Trois ans après, nous constatons la constante, 40%. Vous avez là, en trois ans, une baisse à l'élémentaire et une stabilité du côté du secondaire. Ces statistiques sont les plus récentes possible et datent de quelques semaines.

M. Laurin: Je vous ai demandé aussi quelles sont les raisons qui justifiaient, selon vous, l'augmentation, la croissance considérable, d'une année à l'autre, de ces transferts linguistiques du secteur francophone au secteur anglophone.

M. Robert: Ceci serait plutôt du domaine de démographes ou encore de personnes qui font des recherches sur les mutations linguistiques. Il y a le contexte économique, et je pense que je puis dire, sans l'affirmer avec des statistiques, que la raison serait l'attirance économique du secteur anglophone. Tant que le Québec ne travaillera pas en français, ne sera pas régi en français, les parents auront tendance, auront le désir d'orienter leurs enfants vers les écoles anglaises. Vous avez vu aussi... J'ai mentionné qu'en 1972, 43% et 54% respectivement des élèves dans la ville de Québec et de Trois-Rivières fréquentaient des écoles anglophones tout en étant des francophones. Je n'ai pas de statistiques plus récentes, mais je pense que le même phénomène, je l'ai retrouvé vers Montréal, vers Laval, qui sont nos voisins, et je pense que, sans vouloir tirer des conclusions de démographes, c'est à cause de l'ambiance économique et de l'attirance économique anglaise.

M. Laurin: Est-ce à dire que vous croyez que le meilleur remède, pour ne pas dire le seul remède définitif, à cette hémorragie est de faire du français la langue utile, rentable, nécessaire, indispensable, c'est-à-dire la langue de l'administration, la langue des affaires, la langue du commerce?

M. Robert: Quand nous disons que c'est le projet de faire du Québec une terre française, je pense que c'est une terre où on peut vivre en français, c'est-à-dire que son épanouissement économique, culturel, social et éducatif doit être fait dans une ambiance française. C'est cela une terre française.

Si je vais au centre de l'Afrique, il y a une langue, il y a une mentalité, il y a une culture africaine et les gens vivent dans cette ambiance. Nous avons à créer cette ambiance au Québec. Nous ne touchons pas au chapitre du commerce, de l'industrie, de la finance et du travail, mais cela sous-entend que l'ensemble de cette loi doit atteindre le contexte social complet. Autrement, il y aura des brèches par où l'on pourra passer.

M. Laurin: Et vous croyez qu'il en va de même pour les transferts linguistiques du secteur allophone au secteur anglophone et que la seule façon, par exemple, d'empêcher la répétition d'exemples comme ceux que vous nous avez signalés à Saint-Léonard où dans une école de 5600 anglophones, il n'y a que 550 anglophones véritables et 5050allophones, c'est de faire du français la langue utile, rentable, nécessaire, indispensable?

M. Robert: S'il n'y avait que cette mesure, cela serait un cul-de-sac et les allophones, je ne les blâmerais pas de passer à côté du cul-de-sac. J'ai résidé à Saint-Léonard pendant quelques années. Je connais très bien le milieu. Je sais très bien pourquoi les Italiens, mes voisins, fréquentaient les écoles anglaises. C'est parce que l'école anglaise est le premier pas pour entrer dans la société anglaise et dans l'économie anglaise et donc, pour faire partie de la collectivité anglaise.

Je prétends que les allophones sont attirés, comme je le dis, 19 contre 1, par l'école anglaise parce que c'est le tremplin pour faire partie de la collectivité anglophone et il faut encore en arriver à la même conclusion, aussi bien pour les anglophones que pour les allophones, en plus du régime scolaire, il faut que le régime social dans son ensemble soit une terre française. Je ne m'embarrasse pas de nation ou de peuple, je dis une terre française.

M. Laurin: Vous dites, à la page 6 de votre mémoire, que 80% des enseignants francophones dans les écoles protestantes anglophones ne sont pas des Québécois. Avez-vous des remarques additionnelles à faire là-dessus? Et, la raison pour laquelle ce ne sont pas des Québécois francophones?

M. Robert: C'est une constatation assez déplaisante, particulièrement, je penserais, pour nos collègues de la CEQ de constater qu'il n'y a pas de place pour les enseignants de la CEQ dans les écoles protestantes anglophones au Québec. Il y en a un sur cinq. Pourquoi? Je n'irai pas jusqu'à répondre au pourquoi, mais c'est une constatation et c'est un manque à gagner, c'est un manque de postes d'emplois pour les enseignants francophones. Je n'irai pas plus loin dans l'interprétation.

M. Laurin: Cela correspond-il à un manque de motivation chez les enseignants francophones à aller enseigner du côté anglais ou cela

correspond-il à une politique des commissions scolaires anglophones de ne pas recruter de personnel enseignant francophone au Québec?

M. Robert: Je serais porté à croire que c'est plutôt une politique d'emploi de l'employeur plutôt qu'un refus de coopérer des enseignants.

M. Laurin: C'est selon votre expérience personnelle que vous dites cela?

M. Robert: Non, parce que je n'ai pas eu à offrir mes services, en aucune façon, aux écoles protestantes anglaises, mais c'est sur ce que je connais du fonctionnement des administrateurs protestants et des appels d'emplois, des recherches d'enseignants qu'ils font par les media d'information ou par d'autres moyens.

Je pense que je'puis dire que c'est une politique de l'employeur.

M. Laurin: Vous nous suggérez d'étendre à l'ensemble du Canada, à travers le Canada, le critère de choix que nous avons recueilli. Je pense que dans votre argumentation, il y a, en effet, des considérations politiques sérieuses sur lesquelles on doit s'arrêter.

Mais, vous ne faites pas état, par exemple, de données démographiques également et je voudrais soumettre à votre considération quelques chiffres, quelques données, quelques statistiques démographiques qui ont pesé sur la décision du gouvernement d'adopter la position qu'il a prise actuellement. Je vous réfère, par exemple, aux statistiques qui ont été compilées pour le conseil scolaire de l'île de Montréal par M. Côté, dans le rapport qu'il soumettait au conseil au mois de juin 1976, et où il tentait de faire les prévisions des populations scolaires de l'île de Montréal pour 1980 et 1985. M. Côté disait que le chiffre des inscriptions en 1971, dans les écoles françaises, était de 62,9% et qu'en 1985, sans la loi 22, en ne tenant pas compte des résultats de la loi 22, le chiffre total des inscriptions serait de 56,6% alors que, pour le secteur anglophone, en 1971, le chiffre total des inscriptions était de 37,1% et, en 1985, serait de 43,3%, donc une diminution de 7% ou a peu près dans le secteur francophone et une augmentation d'environ 6% dans le secteur anglophone.

Il y a aussi d'autres statistiques intéressantes dans ce rapport de M. Côté. Il a compilé le nombre de personnes qui ont déclaré, au début de l'année scolaire, que la langue de leur enfant était l'anglais. Par exemple, en 1974, à l'école LeRoyer, il y avait 14,7% des parents qui déclaraient que la langue de leur enfant était l'anglais et, au 30 juin 1976, deux ans après, il y en avait 28,7%, c'est-à-dire une augmentation de près de 100%. Je ne sais pas si c'est dû aux classes d'immersion, cette augmentation extrêmement rapide, ou si c'est dû à un autre facteur. Au PSBGM, également, on notait qu'au 30 septembre 1974, il y avait 70% des parents qui déclaraient que la langue de leur enfant était l'anglais et, au 30 juin 1976, il y en avait 73,6%, c'est-à-dire près de 4% de plus.

Une autre statistique intéressante aussi, c'est de comparer le nombre de gens qui disent appartenir à un groupe ethnique, qui disent appartenir à un groupe dont la langue maternelle est telle ou telle langue, et qui prétendent utiliser telle ou telle langue à la maison et qui disent recevoir l'instruction dans telle ou telle langue. Là, ce qu'il y a de plus intéressant, c'est que si on compare ces diverses réponses en ce qui concerne le groupe anglais, on se rend compte qu'en 1971, par exemple, 17% de la population disaient appartenir au groupe ethnique anglais, 23,7% disaient que leur langue maternelle était l'anglais, 27,4% disaient que leur langue d'usage était l'anglais et 41% recevaient leur instruction en anglais.

Donc, entre les déclarations concernant le groupe ethnique et les déclarations concernant le langage de l'instruction, il y a une différence de 24%, ce qui est exactement la proportion des allophones à Montréal, ce qui semblerait prouver que tous les transferts linguistiques, dans une proportion de 95% à 100%, s'exercent au profit de la minorité anglophone.

M. Robert: M. le ministre, je ne conteste aucun de ces chiffres, mais, malgré cela, nous maintenons notre point de vue que, dans un projet de loi, créer une frontière qui n'est pas défendable devant l'opinion mondiale, créer une frontière artificielle entre Québec et les autres provinces canadiennes et considérer l'Ontario ou le Manitoba aussi étrangers au Québec que les Etats-Unis et l'Australie, nous pensons premièrement que ce n'est pas défendable devant l'opinion canadienne et mondiale.

Deuxièmement, nous pensons que ces chiffres que vous donnez sont dans le contexte existant présentement. Si le contexte change, il n'est pas dit que la situation ne changera pas aussi. Voilà pourquoi nous proposons que la législation soit dans le sens que nous l'avons suggérée et amendée et que si les redressements qu'il faut pour rendre la loi opérante, dans un délai raisonnable, ne se vérifient pas, il faudra sans doute, après avoir changé le contexte — en changeant le contexte, je ne parle pas du plan politique pour le moment — c'est-à-dire l'ensemble de la loi; disons qu'elle est adoptée et qu'elle apporte ses effets, le contexte change...

De plus, il y a l'éventuel changement d'un contexte politique, économique ou culturel, selon une forme à déterminer, toutes ces choses sont pour nous des facteurs tels que nous ne sommes pas prêts à encourager une législation qui établirait une frontière, que nous appellerons théorique, entre le Québec et les autres parties du Canada.

M. Laurin: Je remarque cependant que dans votre mémoire, vous faites état de notre critère, comme vous faites état d'un critère qui ne se justifie pas par une menace d'envahissement du Québec. Mais là aussi, j'aurais d'autres chiffres et considérations à soumettre à votre attention. Par exemple, si on en croit le tableau 32 du rencensement du Canada en 1971, on voit que sur 659 525 anglophones qui sont nés au Canada, il y en a 140 575 qui sont nés en dehors du Québec,

c'est-à-dire près de 21,4% d'anglophones qui viennent des autres provinces du Québec.

Si on regarde maintenant l'immigration de personnes de langue maternelle anglaise âgées de 5 ans à 60 ans, de 1966 à 1971, sur une période de cinq ans, on se rend compte que durant cette période, il y a 41 000 anglophones qui sont venus des autres provinces du Canada, alors qu'il y en a 30 000 seulement qui sont venus des autres pays du monde. C'est-à-dire qu'il y en a eu 11 000 de plus qui sont venus des autres provinces du Canada plutôt que de l'étranger, que des autres pays.

Si on regarde maintenant les enfants immigrants de 0 à 14 ans qui ont été admis au Québec, entre 1969 et 1976, c'est-à-dire une période de sept ans, on constate qu'il y en a 43 053 qui sont venus d'un autre pays étranger, c'est-à-dire en dehors du Canada et qu'il y en a eu 90 322 qui sont venus des autres provinces du Canada, c'est-à-dire plus que le double; ce qui laisse entendre que ceux qui disaient qu'il n'y avait pas beaucoup d'élèves, d'enfants ou de personnes qui nous venaient des autres provinces du Canada, que c'était minime, n'avaient pas pris soin de considérer les chiffres des derniers recensements et en particulier ceux des années les plus récentes.

J'attire aussi votre attention sur le cas particulier de l'Outaouais et en particulier sur les élèves inscrits aux classes anglaises, les écoles publiques dans l'Outaouais. On constate, d'après les statistiques d'inscriptions pour l'année 1975/76, que 36% des élèves inscrits dans ces écoles sont nés ailleurs qu'au Québec. Ceux qui commentent ces chiffres disent que l'essentiel de la croissance des classes publiques dans les écoles anglaises vient de cette source, pour ne pas dire en presque totalité.

On peut regarder aussi le rapport de l'Office de planification et de développement du Québec sur l'Outaouais, qui a été publié en mars 1976 et on se rend compte que le pourcentage de francophones dans l'Outaouais ne cesse de diminuer, de dix ans en dix ans. En 1951, c'était 86,1% de francophones; en 1961, c'était 84,5% et en 1971, vingt ans après donc, 80,8%, c'est-à-dire une baisse de près de 6% en moins de vingt ans. Depuis 1971, ces pourcentages n'ont cessé de diminuer, parce que même si on n'a pas encore colligé tous les chiffres, on se rend compte que depuis 1971, depuis la construction des édifices fédéraux tout particulièrement, l'augmentation des anglophones est considérable, si l'on juge en particulier le nombre de nouvelles maisons, soit achetées ou louées par des anglophones.

Pour en revenir au cas des édifices fédéraux à Hull, on sait maintenant qu'en 1973, il y avait déjà 5786 fonctionnaires fédéraux installés à Hull. Mais, comme vous le savez, le gouvernement du Canada entend établir à Hull, d'ici 1988, c'est-à-dire dans les dix prochaines années, 30 000 fonctionnaires fédéraux. On sait que ces fonctionnaires fédéraux, d'après ce qui s'est passé depuis 1971, 1972, 1973, et d'après le type de ministères qu'on veut déménager à Hull, sont anglophones à plus de 60%. C'est ce qui amène, par exemple, le Conseil régional de la culture de l'Outaouais, dans un mémoire récent, dans une déclaration récente qui a été faite aux journaux, à dire que la loi no 1 est pour eux le seul moyen de maintenir dans Hull, dans Gatineau, dans le comté de Papineau, la proportion actuelle de francophones et le seul moyen de renverser le taux croissant d'anglicisation à Aylmer et dans le comté de Pontiac, taux croissant d'anglicisation surtout parmi les jeunes qui s'anglicisent à une allure accélérée.

Je voulais soumettre ces chiffres à votre attention pour vous demander si, même à la suite de ces chiffres, vous considérez qu'il n'y a pas de menace à la collectivité francophone par le biais de l'école.

M. Robert: Nous sommes convaincus qu'il y a une menace présentement dans la région de Montréal, et particulièrement dans les régions de l'Outaouais, comme vous le mentionnez. En dépit de cela, je pense qu'il serait préférable que la loi tende à changer le contexte avant d'imposer des textes. Pour une génération, pour une société, trois ans ou cinq ans, c'est peu de temps. Mais c'est assez pour voir un redressement qui a été fait ou qui n'a pas été réussi.

Si la loi no 1 atteint ses objectifs dans les différentes sphères qu'elle veut couvrir, dans trois ans ou dans cinq ans, on sera en mesure de juger. Le contexte sera changé selon les desseins de la loi ou n'aura pas changé selon les desseins de la loi et, à ce moment-là, toute législation peut recevoir des amendements. A ce moment-là, c'est sûr que, chiffres en mains, si la situation n'est pas corrigée, nous pensons que nous appuierons fermement un tel projet de loi, parce que nous ne voulons qu'aucune forme de dérogation puisse affaiblir la loi et la rendre inopérante.

Mais nous pensons présentement que, même si le Québec a le droit de le faire, même si cela était bon de le faire, nous pensons que ce n'est pas utile de le faire avant d'avoir tenté de changer le contexte.

Le Président (M. Cardinal): Mme le député de L'Acadie.

Mme La voie-Roux: Merci, M. le Président.

Je veux remercier l'Association des principaux qui attend patiemment depuis la veille de la Saint-Jean. Je pense que votre mémoire ne m'a pas surprise, parce qu'il est dans la même ligne de pensée que ceux que vous aviez présentés antérieurement, à l'occasion de la loi 22 ou encore lors de vos congrès, quand vous avez pris position sur la question linguistique. Je pense que cela se situe dans cette même ligne.

J'aurais quelques questions à vous poser. D'abord, sur les statistiques, à la page 6, vous dites que 80% des anglophones du Québec sont aujourd'hui unilingues. Est-ce que vous pourriez me donner la source de cette statistique?

M. Robert: Ce sont diverses sources que j'ai compilées: La situation de la langue française au Québec, le rapport Gendron; l'Annuaire du Québec 1973; Statistique Canada et la Revue de la

presse ethnique; je ne peux pas vous dire exactement, je n'ai pas mis la source entre parenthèses.

Mme Lavoie-Roux: Mais cela remonterait aux études de la commission Gendron et possiblement à l'autre étude que vous avez mentionnée qui...

M. Robert: Oui. Statistiques sur la presse ethnique ou l'Annuaire du Québec 1973.

Mme Lavoie-Roux: Alors, ce n'est pas aujourd'hui. Vous vous référez quand même à il y a...

M. Robert: Dans une ère de trois ou cinq ans peut-être. Quand on dit présentement, cela ne change pas tellement d'une année à l'autre, cette statistique.

Mme Lavoie-Roux: J'étais un peu surprise de vous entendre interpréter le fait qu'un enseignant sur cinq d'origine francophone aux commissions scolaires protestantes soit le résultat des politiques d'engagement de l'administrateur ou de l'employeur. Ne croyez-vous pas que, jusqu'à tout récemment — peut-être même que cela joue encore — la question de la confessionnalité a aussi été un facteur? Vous vous souvenez fort bien que dans les commissions catholiques, on n'engageait pas de protestants ou de personnes de foi judaïque et que, c'était la même chose du côté protestant et je pense que c'est peut-être la raison pour laquelle on a d'abord engagé de nombreux immigrants qui venaient de l'Afrique du Nord, des gens de foi judaïque. Est-ce que cela n'a pas été aussi un facteur important?

M. Robert: Sûrement qu'il y a trois composantes à ce problème. Il y a partiellement la politique des employeurs, partiellement les réticences des enseignants francophones et partiellement le contexte de la confessionnalité. Dans quelle proportion ces trois facteurs agissent-ils? Je ne peux pas y répondre, mais nous constatons que 80% des enseignants qui enseignent le français à des Québécois ne sont pas des gens de chez nous.

Mme Lavoie-Roux: Oui. Alors, ce ne serait pas uniquement dû à une politique de l'employeur?

M. Robert: Non, il y a certainement trois facteurs. Dans quelle proportion, je ne peux pas le signaler.

Mme Lavoie-Roux: D'accord. En bas de la page 6, vous avez d'autres statistiques où vous dites que... — c'est peut-être à l'annexe; oui, c'est à l'annexe 6 — ... de 1970 à 1973, 13 000 élèves de la CECM passaient du secteur francophone au secteur anglophone, grâce à la loi 63. C'est plausible. Là-dessus, je n'ai pas les chiffres en main, alors je n'ai rien à dire, mais, vous dites, un peu plus loin: Avec la loi 22, cela n'a rien amélioré. Est-ce qu'il n'y a pas... Je suis passablement certaine qu'il y a eu une forte diminution de transferts linguistiques — je peux parler seulement pour la CECM — suite à l'adoption de la loi 22.

M. Robert: Tout de suite après les statistiques, je révèle celles de la CECM: Dans le secteur anglais de la CECM, donc le même secteur, les élèves de langue maternelle anglaise sont passés mystérieusement de 16% à 29%, presque 100% d'augmentation, grâce à la loi 22 qui exigeait seulement une déclaration de langue d'usage. Nous insistons: une même année, 16% à 29% déclarent être de langue maternelle anglaise, ce qui a été vérifié indirectement et habilement par la presse qui a dit qu'il y a eu de fausses déclarations.

Mme Lavoie-Roux: Je suis d'accord là-dessus, M. Robert, qu'il y a eu cette hausse de pourcentage quant à la déclaration de la langue maternelle, entre 1973 et 1974 ou 1974 et 1975, mais je vous questionnais sur le nombre de francophones qui demandaient des transferts au secteur anglais. Alors que je pense que, si vous aviez examiné les chiffres attentivement, depuis la loi 22, ils ont diminué considérablement. C'est parce qu'une partie de votre argumentation part du fait qu'un certain nombre de francophones demandent leur transfert à l'école anglaise et je pense que vos statistiques ne sont peut-être pas tout à fait à jour là-dessus.

Si vous considérez, d'une part, le nombre de transferts linguistiques depuis la loi 22 et également le nombre d'enfants des classes d'accueil qui vont maintenant aux écoles françaises, comparativement à ceux qui, autrefois, étaient dans des classes d'accueil et après demandaient une inscription à l'école anglaise, je pense que là aussi vous avez des statistiques qui peut-être viennent un peu infirmer votre affirmation à l'effet que la loi 22 n'a rien changé.

Remarquez bien que ce n'est pas pour dire que la loi 22 était parfaite à cet égard, mais je pense qu'il y aurait peut-être lieu d'examiner d'autres données un peu plus précises.

M. Robert: Oui, les plus récentes sans doute, les toutes dernières statistiques qui ne sont pas toujours facilement accessibles au moment précis, parfois.

Mme Lavoie-Roux: Vous dites — j'oublie la page — : L'école anglaise doit être réservée à ceux pour qui elle a été créée. Qui incluez-vous dans ces élèves-là ou ces personnes-là?

M. Robert: Nous pensons que l'école anglaise, depuis toujours, a été créée et a été demandée, a été exigée, depuis la conquête, pour protéger les anglophones qui s'établissaient au Québec. Pour nous, c'est le but de l'école anglaise, c'est sa fin et s'il y a 11,5% du Québec qui sont des anglophones, ce qui est à peu près la statistique actuelle... Souvent, on dit que c'est 20%. C'est 20% d'anglicisés, ce n'est pas 20% d'anglophones, ce n'est pas la même chose, il y a à peu près 11,5% de véritables anglophones. Nous pensons que l'école anglophone, si elle dessert 11,5%, elle remplit son mandat.

Si elle dessert 20% de population, nous pensons qu'elle excède son mandat. Alors, nous vou-

Ions qu'elle remplisse sa fin, c'est-à-dire qu'elle desserve la population anglophone. Nous ne désirons pas, pas plus que la loi — si nous la comprenions bien — ne désire l'extinction de la minorité anglophone, elle désire son maintien, son progrès, mais non pas s'alimenter à des sources autres que les anglophones de langue maternelle.

Mme Lavoie-Roux: Est-ce que vous croyez que le déséquilibre démographique, qui menace les deux groupes linguistiques, est dû, si on s'en tient à la question scolaire, c'est celle que vous êtes venus présenter ici, d'ailleurs, au fait que les écoles anglaises reçoivent des gens de langue maternelle anglaise ou qui appartiennent vraiment à la communauté anglophone, ou pourrait être dû, parce que la rupture n'est pas encore arrivée, c'est une menace, à l'intégration à l'école anglaise d'enfants qui ne sont pas de langue maternelle anglaise.

M. Robert: Je pense que ce serait trop demander à des administrateurs anglophones, protestants ou catholiques que de leur dire de refuser tout élève qui veut s'inscrire à leurs écoles. Je pense que ce n'est pas prendre la question par le bon bout. C'est plutôt, dans une législation, dans un rôle de chef de file — comme je l'ai dit quelque part — d'un gouvernement que doit se situer le frein, et, par incitation ou en changeant le contexte, déplacer l'attirance de l'école anglaise. Mais demander aux administrateurs anglophones de fermer les portes à leurs candidats francophones, comme par exemple, si Laval voulait refuser tout élève francophone, d'abord, elle aurait la moitié trop d'espace pour commencer... Alors, du point de vue administratif, il y a une question à résoudre. Si je comprends bien votre question, c'est au niveau de changer l'attirance de la population, plutôt que de fermer ou de restreindre l'admission aux écoles anglophones.

Mme Lavoie-Roux: Je pense que vous ne m'avez peut-être pas tout à fait comprise. Tout à l'heure, vous avez échangé des propos avec le ministre d'Etat au développement culturel, à savoir si les anglophones des autres provinces devaient être admis ou non. Ma question précise est celle-ci. Vous êtes venus présenter un tableau de l'attirance que l'école anglaise a non seulement pour les allophones, et aussi pour un certain nombre de francophones. Est-ce là la raison qui vous amène à craindre une rupture de l'équilibre démographique des deux groupes linguistiques de Montréal? Dans le fond, c'est ce portrait scolaire que vous avez présenté. Ce que je vous demande, est ceci: Est-ce que ce déséquilibre démographique serait causé par l'intégration d'enfants de langue maternelle anglaise dans le secteur anglais ou par l'intégration de francophones et d'allophones dans le secteur anglais? Je ne me place pas vis-à-vis de l'administrateur qui les admet ou pas. Je me demande simplement quel est la cause de ce déséquilibre.

M. Robert: S'il y a déséquilibre, et le mouvement est vers cela...

Mme Lavoie-Roux: Oui.

M. Robert:... il sera créé par les francophones qui iront à l'école anglaise, et par les allophones qui iront à l'école anglaise, plus qu'autrement. Je pense que le désiquilibre viendra de notre intérieur.

Mme Lavoie-Roux: Une dernière question. On a souvent reproché aux écoles françaises de ne pas avoir été assez accueillantes à l'égard des allophones, en particulier, etc., est-ce que, comme association, c'est une préoccupation que vous avez auprès de vos membres? Avez-vous pris certaines initiatives? Parce que, justement, il faut bien le reconnaître, pendant un certain temps de notre histoire, en tout cas, on a été un peu craintif à l'égard des allophones. Est-ce qu'il y a des choses concrètes que vous faites à l'intérieur de votre association pour modifier ce climat?

M. Robert: Oui, mes collègues qui sont ici, savent bien les échanges que nous avons eus récemment sur ces questions où nous nous sommes reproché entre nous, principaux d'écoles francophones, peut-être de ne pas avoir été assez accueillants comme administrateurs et peut-être de ne pas avoir assez suscité d'accueil chez nos enseignants francophones. Là-dessus, je pense que nous devons le reconnaître comme collectivité. Cela fait plusieurs années que je vis particulièrement dans l'île de Montréal. J'ai enseigné à la CECM. Je pense que je connais bien l'ensemble de ce problème. Nous devons reconnaître qu'il y a une part de responsabilités chez nous, il ne faut pas toujours les chercher chez les voisins.

Par ailleurs, nous nous sommes dit qu'il y a lieu, pour les principaux de changer, dans la mesure du possible, le climat ou la réceptivité des enseignants, mais je dis: Dans la mesure du possible, parce que là, il y a des éléments de dynamique qui ne dépendent pas tout à fait de nous. Pour les principaux, c'est difficile d'intégrer dans une classe un pur allophone. C'est difficile. La réaction de l'ensemble du corps professoral ou du professeur concerné, sans vouloir mettre la difficulté sur d'autres, c'est une des difficultés auxquelles nous avons dû faire face et, comme nation, nous nous sommes dit, les principaux, et nous avons dit à nos collègues, les enseignants, qu'il y a vraiment un changement d'attitude nécessaire. Il n'y a pas tellement longtemps que c'était tellement plus facile de solutionner un problème en l'envoyant au PSBGM. C'était tellement plus facile de régler le problème comme ça, en l'envoyant chez les anglophones catholiques ou protestants, c'était une solution mauvaise et ça fait 40 ans qu'elle dure.

Mme Lavoie-Roux: M. Robert, est-ce que d'intégrer, vous avez dit, un allophone, présente encore une difficulté dans une classe, si vous parlez

de trois, quatre, cinq, six, qui arrivent dans une classe, je vous comprends c'est différent, mais est-ce que, à votre point de vue, ça crée encore une difficulté d'intégrer un allophone dans une classe française?

M. Robert: C'est toujours une difficulté. C'est toujours une tâche de plus pour un enseignant que d'intégrer un allophone. Tout, ou une bonne partie, est dans la réceptivité de l'enseignant et de l'école. Quand je dis l'école, je dis que nous ne sommes pas étrangers à l'école. Je pense que c'est une difficulté — on ne peut pas s'en départir — mais une bonne part de cette difficulté est résolue quand il y a réceptivité du milieu, j'entends, l'école, l'enseignant et les autres enfants de la classe. Le professeur y est pour beaucoup et le principal y est pour beaucoup, de créer un climat réceptif dans la classe où vit l'enfant.

Mme Lavoie-Roux: Comment expliquez-vous que, par exemple, les secteurs — oublions le secteur protestant — anglo-catholiques aient pu faire cette intégration directe d'un grand nombre d'allophones? Est-ce que c'est simplement une question de motivation, pour augmenter leur nombre, ou qu'est-ce que c'est?

M. Robert: Je pense que je répondrais ceci. Il y a deux facteurs qui ont joué. Par ce moyen, un allophone catholique n'avait pas de problème de religion à résoudre et, puis, par ailleurs, il atteignait sa fin de s'intégrer à la communauté anglophone.

Mme Lavoie-Roux: Chez les principaux, quelle était leur motivation? Parce qu'ils semblent avoir réussi jusqu'à un certain point, en tout cas.

M. Robert: Vous voulez dire les principaux anglophones?

Mme Lavoie-Roux: Oui. M. Robert: Bien...

Mme Lavoie-Roux: Et les enseignants anglophones?

M. Robert: Oui, il y aurait là différents facteurs. J'en ai mentionné deux: L'élève atteint sa fin indirectement. Pour ce qui est des anglophones catholiques, comme ils sont au Québec une minorité de religion et une minorité de langue, ils trouvent des solutions, ils ont adopté cette solution et ils ont développé cette solution, qui est une solution d'intégration et qui, en même temps, maintient et renforce leur nombre.

Quand je dis qu'à Saint-Léonard, par exemple, 90% de l'ensemble du réseau anglophone catholique n'est pas des anglophones, si c'était changé demain, voyez-vous tout le revirement de situation pour l'ensemble de ce réseau d'écoles anglophones? Il y a là un élément de solution à leur satisfaction, de ce recrutement, de cette réceptivité des allophones.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. Robert.

Le Président (M. Dussault): Merci, Mme le député de L'Acadie.

Je donne maintenant la parole au député de Mégantic-Compton.

M. Grenier: Gaspé.

Le Président (M. Dussault): Je m'excuse, M. le député de Gaspé.

M. Le Moignan: Merci, M. le Président.

Je voudrais partager notre temps de parole, ensuite le député de Mégantic-Compton aura peut-être quelques questions.

J'ai bien aimé, M. Robert, le mémoire que vous nous avez présenté. Il est certainement clair; il est certainement concis. Je ne m'embarque pas dans le jeu des statistiques, parce que nous avons eu d'autres groupes qui sont passés avant vous, et quand on compare les statistiques, il y a beaucoup de contradictions. Je laisse tout cela de côté.

Mais je me suis posé quelques questions, et c'est là que j'aimerais avoir des éclaircissements. Tout en étant d'accord avec beaucoup d'objectifs que vous formulez, il n'y a aucun doute là-dedans, à mon point de vue, il y a une certaine incompatibilité entre votre conclusion et certains éléments de votre mémoire.

Vous affirmez, justement en conclusion, que vous voulez retrouver, dans la politique linguistique du Québec, une intégration à la collectivité francophone de tous les immigrants, quelle que soit la langue de leur pays d'origine. Jusque-là, ça va très bien. Evidemment, je n'entre pas dans le débat, à savoir s'ils sont des Anglais d'Angleterre ou des Etats-Unis. Je laisse ça de côté, mais, jusque-là, ça va bien.

Mais, par contre, à la page 14, vous y avez fait allusion vous-même, tout à l'heure, vous déclarez que l'article 52 est trop restrictif et vous parlez justement d'un obstacle à la mobilité enrichissante. Vous parlez de cette frontière théorique entre le Québec et les autres provinces. Vous dites que nous ne sommes pas tellement menacés par les anglophones des autres provinces, mais, par contre, le ministre nous a donné des statistiques tout à l'heure nous prouvant que les anglophones des autres provinces doublent l'apport que nous avons reçu d'allophones, par exemple.

Personnellement, cela me pose un problème. Je résume. Si on va à la page 11 de votre mémoire, vous affirmez donner votre entier appui au projet de loi tel que conçu. J'aimerais que vous m'expliquiez un peu cette restriction que vous avez apportée avec la page 11 et votre conclusion.

M. Robert: A la page 11, nous parlons d'immigrants. Pour nous, les immigrants, ce sont ceux qui viennent de l'extérieur du Canada présentement. Tous ceux qui viennent des autres provinces, pour nous, sont des nouveaux venus, mais non pas des immigrants. Quand je parle d'immigrants à la page 11, c'est le sens que je donne à ces personnes. D'où qu'ils viennent, de l'Australie,

du Chili, de l'Afrique, de l'Angleterre ou de l'Italie, pour nous, ces gens sont des immigrants. Nous demandons, et même s'ils viennent d'Angleterre, qu'ils soient tous intégrés à l'école française. Nous ne pensons pas la même chose présentement pour tous ceux qui, même si les chiffres du ministre me prouvent qu'il y a menace d'envahissement, viennent des autres provinces canadiennes. Je ne sais pas si je fais la distinction à votre satisfaction entre les deux situations.

M. Le Moignan: C'est très bien. Ce que vous dites à la page 11, c'est surtout pour l'immigration. A ce moment, que ce soient des immigrants du Commonwealth, de l'Empire britannique, d'après vous, ils iraient à l'école française.

M. Robert: Oui. Tous ceux qui ne sont pas Canadiens.

M. Le Moignan: Ceux qui ne sont pas nés au Canada. Vous mentionnez ensuite une autre conclusion. Vous parlez de l'établissement progressif d'un seul réseau d'enseignement. Par contre, à la page 9, vous mentionnez que la Fédération des principaux du Québec reconnaît que les écoles de langue anglaise se sont assuré des titres à l'existence qu'on ne saurait songer aujourd'hui à contester. C'est justement là peut-être qu'il y a un petit quelque chose.

M. Robert: Je pense que si vous lisez bien ma citation, je parle d'un système administratif parallèle et non pas d'un enseignement parallèle. Pour nous, l'école est le milieu de répartition des services. On rend des services pédagogiques à l'enfant dans sa langue ou dans une autre langue, selon les moments de l'enseignement. Pour nous, il doit exister et l'enfant a le droit de recevoir son enseignement dans sa langue.

Au-delà de cela, il y a les services administratifs, et nous pensons qu'il n'y a pas lieu de maintenir au Québec deux systèmes administratifs parallèles parce que les enfants reçoivent des services en français ou en anglais.

La commission scolaire peut très bien être une commission qui administre en français et donner d'excellents services scolaires, pédagogiques à l'enfant. Il suffit qu'à un certain moment de sa structure, elle établisse qu'il y aura des personnes qui auront la préoccupation — des services pédagogiques, par exemple — de donner des services à l'enfant des services dans la langue qu'il peut comprendre, mais, au-delà du service à l'enfant et au-delà de ce niveau de personnes qui doivent avoir le projet en tête de donner à l'enfant un service dont il peut être 100% bénéficiaire et, pour cela, qu'il soit dans sa langue, je pense qu'au-delà de cette préoccupation, le système peut être administratif et unilingue.

M. Le Moignan: A la page 13, il y a un paradoxe ici qui m'inquiète un peu. Si on prend un point de vue sémantique, c'est vrai. Vous dites que c'est la mère qui donne la langue maternelle. Maman était de langue anglaise, mon frère et moi- même sommes allés à l'école anglaise. Mon père est décédé. Maman a continué d'être de langue anglaise. Au second mariage, quatre enfants sont allés à l'école française. Ils ont appris à parler anglais plus tard en cours de route. Je pourrais vous donner beaucoup d'autres exemples d'une mère française, mais dans un milieu tout à fait anglophone de notre région, épousant un anglophone, vivant chez des parents, des grands-parents, c'est ce que j'aimerais que vous m'expliquiez, votre idée. D'après moi, la langue maternelle, c'est la première langue qu'un enfant...

M. Grenier: Ne vous informez pas de ses descendants, c'est un curé. Il ne vous le dira pas.

M. Robert: Evidemment, la langue maternelle, c'est habituellement la première langue parlée et la langue qui est comprise un peu tout le long de la vie. Là, il y a plusieurs critères qui peuvent déterminer la langue. Il y a aussi le projet du conseil scolaire de s'en tenir à la collectivité, à la communauté anglophone du milieu, etc. Nous n'entrons pas dans cette distinction, mais nous partons du fait général que la langue que l'enfant apprend sur les genoux de sa mère, c'est sa langue maternelle et c'est la langue qu'il comprendra un peu tout le temps de sa vie. Ils sont rares les enfants qui, ayant appris le français ou l'anglais sur les genoux de leur mère, sont tellement détachés d'un tel milieu, possiblement par un accident mortel de la mère, c'est possible, mais ce sont des cas d'exception. Cela devient extrêmement rare qu'un enfant ayant appris sa langue française s'en aille dans un milieu tellement autre qu'il perde même cette langue maternelle. Ce n'est pas impossible, mais ce n'est pas la loi commune.

M. Le Moignan: Je vous remercie et je passe la parole à mon voisin, qui a quelques petites questions.

Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez, c'est au président de passer la parole.

M. Le Moignan: Excusez-moi, M. le Président, je m'arroge des pouvoirs que je n'ai pas.

Le Président (M. Cardinal): Non, mais enfin, sans faire trop de blagues, votre rôle par rapport au mien, sur tous les plans... M. le député de D'Arcy McGee, il vous reste environ trois minutes.

M. Gofdbloom: Merci, M. le Président. M. Robert, vous avez présenté votre mémoire avec vigueur, mais avec calme et dignité, et je ne voudrais point que vous preniez mes premières remarques comme étant désobligeantes à votre endroit. Contrairement à mon collègue de Gaspé, j'aimerais revenir d'une façon très générale aux statistiques que vous avez présentées, constater deux choses et vous poser une question à cet égard à la fin.

Ma première constatation est évidemment celle que, je pense, ma collègue de L'Acadie a mentionnée, c'est que d'autres opinants sont ve-

nus devant cette commission et ont présenté, sur des points précis, des statistiques qui diffèrent des vôtres; ma deuxième constatation, c'est que, quand de tels organismes ou particuliers sont venus et se sont exprimés et ont avancé des chiffres qui étaient le fruit de recherches personnelles ou même d'études universitaires, le ministre a jeté un doute sur ces statistiques et a dit: Leurs bases sont insuffisamment scientifiques. Pourtant, dans votre cas, il n'a pas été critique du tout.

Je laisse à l'opinion publique le soin de juger de cela, mais la question que je vous pose est fort simple. Quand il y a des divergences de chiffres, on ne peut avoir raison des deux côtés. Il y a une erreur quelque part qui explique la différence. Est-ce que je peux tenir pour acquis que, dans un tel cas, vous seriez favorable à un travail additionnel de la part de personnes indépendantes, non engagées, pour tirer au clair ces considérations? Parce qu'il me semble que nous sommes sur le point de prendre des décisions importantes en vertu de tendances que nous dessinons avec des statistiques et que nous ne devrions pas faire erreur avec ces chiffres. C'est la raison de ma question.

M. Robert: Sûrement, M. Goldbloom, que nous serions disposés à offrir notre coopération pour confronter des statistiques, mais je pense qu'au-delà des statistiques, nous avons plutôt fait l'analyse de statistiques et c'est parfois là que les gens divergent d'opinion, devant les mêmes chiffres. Sans doute que, sur un tableau de Statistique Canada ou de l'Annuaire du Québec ou un rapport de la CECM, tout le monde a devant les yeux les mêmes chiffres. Mais l'un tire une analyse sous un angle et l'autre sous un autre angle. Sans que cette analyse soit tendancieuse, elle peut quand même diverger, mais nous sommes prêts, disposés à apporter notre contribution pour confronter ou comparer ces chiffres ou redresser certaines orientations ou certains jugements que nous aurions pu faire à la suite de l'analyse de ces chiffres. Oui, nous sommes disposés à coopérer.

M. Goldbloom: J'en étais convaincu. Il me reste un commentaire et une question. Je remarque que vous assaisonnez votre mémoire de trois citations, dont deux se trouvent en annexe. Il y a Lord Durham en 1838, George Drew en 1936 et Richard Arès, sans date. Je dois présumer que la citation d'Arès peut être un peu plus récente que les deux autres, mais, quand même, il me semble que vous auriez pu trouver, de la part d'hommes comme feu Lester B. Pearson ou John Robarts, des citations plus constructives que celles que vous introduisez, avec une intention très particulière, parce que c'est en annexe, de la part de M. George Drew.

Mais ma question est simplement celle-ci...

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, je pense... Vous permettez, cela va prendre trente secondes, je m'excuse de vous interrompre, M. le député de D'Arcy McGee. Comme nous siégeons toute la journée, je devrai suspendre les travaux à 18 heures et je n'aimerais pas demander aux gens de revenir. Je demanderais à tous d'être brefs.

M. Goldbloom: Très simplement, M. le Président, M. Robert, vous avez parlé de l'incitation qui existe chez les parents, même chez tous les parents, quelle que soit leur origine, à envoyer leurs enfants à l'école anglaise. Vous avez indiqué que, dans votre esprit, ce désir existe, parce que, jusqu'à maintenant, nous n'avons pas su, au Québec, faire du français une langue absolument nécessaire et indispensable pour la poursuite des activités professionnelles et autres. Mais ne croyez-vous pas que, dans le contexte nord-américain dans lequel nous vivons, même en ayant réussi ce que vous indiquez comme nécessité et sur laquelle je suis d'accord, ne croyez-vous pas qu'il y aura quand même un certain désir de la part de beaucoup de gens de pouvoir immerger leurs enfants dans un milieu d'enseignement qui sera, pour au moins une partie de leur carrière scolaire, de langue anglaise?

M. Robert: Je répondrai à votre première question rapidement et à votre deuxième. Richard Arès, je m'excuse de ne pas l'avoir cité, c'est un contemporain encore vivant.

M. Goldbloom: Je le sais.

M. Robert: Voilà pourquoi j'ai oublié de mentionner la date de cette citation. J'aurais pu donner plusieurs autres citations, mais nous avons poursuivi le cheminement suivant: Nous nous sommes dit: Ce projet de loi est-il nécessaire, utile ou nuisible? Nous avons, à travers des paroles, des écrits, des faits et des statistiques, pensé qu'il était nécessaire. C'est notre réponse.

Deuxièmement, oui nous pensons, M. le député, qu'en dépit d'une législation qui serait faite le mieux possible, il y aura encore et pour longtemps, une génération au moins, une attirance très grande de la société nord-américaine anglophone.

Voilà pourquoi nous ne sommes pas favorables à une législation trop absolue, pour revenir au critère sur lequel nous avons mis des réticences tantôt, parce qu'on n'a pas l'intention de faire croire au monde... et d'ignorer que nous sommes au Québec dans un contexte nord-américain et qu'il faut un ensemble de mesures et non pas une seule mesure propice à créer une orientation nouvelle, une situation nouvelle.

M. Goldbloom: Merci.

Le Président (M. Cardinal): Le député de Mégantic-Compton, s'il vous plaît.

M. Grenier: M. le Président, bien rapidement, j'allais relever les questions qu'a soulevées M. Goldbloom. Cela m'étonnait un peu qu'on arrive avec ces citations — en fait, c'est une espèce de dédicace au début — puisque ces gens, Lord Durham, cela fait 139 ans qu'il a dit cela, et M. Drew, je pense bien, après l'avoir dit, qu'il va faire

pas mal de purgatoire avant d'aller au ciel avec nous autres. Je ne sais pas s'il s'en repent. Mais ce ne sont certainement pas des gens qui citaient les mêmes choses. Je pense que ces gens auraient de la misère à se faire élire dans des comtés avec des citations pareilles, peu importe dans quelles circonscriptions ils se présenteraient.

Vous mentionnez également que... L'article 52, c'est quelque chose de nouveau que vous apportez. On ne l'a pas entendu encore, c'est la mère qui a la langue maternelle; quant au père c'était un peu différent. J'ai de la misère à vous questionner, étant donné que j'ai à peine trois minutes. Cela a renouvelé mon éclairage. C'est un aspect qui n'a pas encore été traité ici et cela m'intéresse de sentir que le père n'est vraiment pas la personne qui contrôle la langue maternelle dans un foyer. Je pense bien que cela mérite une attention, ce que vous signalez à la commission.

Quand vous parlez, à la page 4, à la commission, de la loi 63, je fais le relevé et vous dites que le gouvernement du Québec, en 1969, ouvre toutes grandes les portes des écoles anglaises aux immigrants, c'est la loi 63.

Vous devez vous rappeler que la loi 63 n'a peut-être pas ouvert toutes grandes les portes aux immigrants, mais a ratifié une situation de fait, d'une loi qui existait dans le temps. Je pense que le temps... C'était le début. Personnellement, j'étais en Chambre et il y a d'autres personnes à cette table qui étaient en Chambre. Le parrain de la loi 63 était notre président actuellement à la table. Le député de Richelieu était également membre de notre gouvernement et votait pour la loi 63. J'ai voté contre la loi 63, à ce moment-là, avec le député de Saint-Jean, qui était ici tout à l'heure, et le député de Rouyn-Noranda, qui n'est plus ici, et le député de Saint-Hyacinthe. Le point précis était exactement la question des immigrants. Nous avions fait entendre au premier ministre, dans une représentation, de retirer de sa loi cette étape. C'est la raison pour laquelle on votait contre la loi 63 à ce moment-là. C'est pour vous dire qu'il y a eu du cheminement de fait. Je ne veux pas dire que les personnes manquaient de jugement, c'est le Québec qui a évolué et ces personnes ont évolué. Il y en a pour qui cela les a fait changer de parti pour venir se battre sur un autre terrain.

Personnellement, c'est une chose que j'apercevais déjà à ce moment-là. Quand vous relevez à la page 8... Je m'excuse d'aller très rapidement.

M. Robert: Puis-je répondre à cette intervention?

M. Grenier: Oui, brièvement, parce que c'est sur mon temps.

M. Robert: Oui, brièvement, certainement. M. Grenier: D'accord.

M. Robert: Que vous ayez été pour ou contre ou que d'autres aient été contre ou pour, pour nous, la loi a été adoptée. C'était le libre choix et, à ce moment-là...

M. Grenier: D'accord, c'était mauvais. M. Robert: ... c'était une mauvaise loi.

M. Grenier: Vous avez raison à part cela. On avait raison dans le temps et vous avez encore plus raison aujourd'hui. D'ailleurs, je pense bien qu'il n'y a pas beaucoup de formations politiques qui se battent contre cela. Quant à la page 8, où vous parlez des universités au Québec, on n'en avait que deux, il faut savoir que je suis près de l'Université qui s'appelle Bishop. C'était bien plus une université de cours secondaires qui se donnaient là que vraiment une université à cours universitaires comme on voit maintenant. Il y en avait aussi une que vous n'avez pas mentionnée, qui n'est pas dans notre province, mais qui regroupait des étudiants du Nord-Ouest de l'Outaouais, c'était l'Université d'Ottawa, que j'ai fréquentée à ce moment-là, qui avait environ 70% d'éléments francophones qui venaient du Québec.

Je pense que, comme on n'avait pas vécu 1960 et que la réforme dans l'éducation n'était pas commencée et que le goût d'aller à l'école n'était pas donné, on répondait passablement largement à la clientèle francophone avec les trois universités qui étaient celle de Québec, celle de Montréal et celle située seulement de l'autre côté du fleuve, qui était fréquentée à 70%...

M. Robert: Voulez-vous avoir réponse à cela?

M. Grenier: Oui, cela me ferait plaisir, si j'entendais une version.

M. Robert: Quand je fais référence à Bishop, c'est au moment où Bishop — si mon information est bonne — avant la création des CEGEP, avait des subventions gouvernementales presque à titre d'université.

M. Grenier: C'est sur l'aspect financier que vous vous engagez davantage, d'accord.

M. Robert: C'était un collège. Aujourd'hui, nous avons de multiples collèges et Bishop est devenue une institution au niveau des collèges.

M. Grenier: Plus statutaire.

M. Robert: Pour ce qui est de l'Université d'Ottawa, c'est vrai que 70% de sa clientèle était francophone, mais on l'a vite accusée d'angliciser les francophones.

M. Grenier: C'était faux, je peux vous dire que c'était faux, je peux vous dire cela. J'ai été là pour apprendre l'anglais et je n'ai pas réussi.

Le Président (M. Cardinal): D'accord, M. le député de Mégantic-Compton. Il reste vraiment deux minutes. Le député de Bourassa, tentez de les utiliser au maximum. Je devrai ensuite dire un mot ou deux et susprendre.

M. Laplante: Je vais envoyer tout cela d'un bout. M. Robert, je vous félicite du mémoire de vo-

tre association. Je crois qu'elle est très représentative, parce que vous représentez, en somme, les milieux du Québec avec 230 commissions scolaires d'où proviennent vos membres. Cela fait un éclairage assez vaste pour le Québec. Le député de L'Acadie parlait des effets des groupes ethniques qu'on pouvait récupérer à la CECM. C'est certain qu'il y a eu un mi-succès, mais cela a eu aussi trois effets. Le premier effet que cela a eu, c'est de faire abdiquer les gens de groupes ethniques à leur langue et à leur culture pour s'inscrire comme anglophones. Le deuxième succès, certes, il y a eu un nombre accru d'immigrants qui ont accepté l'école française. Le troisième effet aussi, cela a fait qu'en 1975-1976, vous avez eu près de 600 élèves de groupes immigrants qui devaient fréquenter l'école, la CECM. On n'a jamais pu retracer ces gens après. Ils ont disparu comme par enchantement. En 1976-1977, on a pu avoir 1000 autres élèves qui ont dû fréquenter illégalement certaines écoles du secteur anglophone catholique de la CECM ou une désobéissance à la loi 22, à ce moment. On ne peut pas dire que le succès a été très bien réussi. Maintenant, dans votre mémoire, lorsque vous parlez de l'article 52, je comprends mal l'aspect d'être très coercitif pour la mère ou le père, en même temps, vous dites qu'on doit accepter les gens des autres provinces. Je comprends mal, parce que votre rapport, en somme, est assez restrictif dans vos vues.

Deuxième question que je veux vous poser, tandis qu'il me reste un petit peu de temps, c'est pour les immigrants.

Le Président (M. Cardinal): II n'en reste plus, mais quand même.

M. Laplante: Les classes d'accueil. Je vous ai déjà beaucoup vanté une rencontre qu'on avait eue avec les classes d'immigrants. Est-ce que vous êtes pour la forme actuelle des classes d'accueil qu'on a, où l'élève de la maternelle a le droit de fréquenter plein jour sa classe d'accueil, de français, un demi-jour, on paie le dîner pour les classes d'accueil aux immigrants? Les francophones sont obligés de payer pour la maternelle, le transport est gratuit pour toute activité parascolaire, tandis que, du côté francophone, c'est payant. Est-ce que c'est un bon genre d'accueil qu'on fait là?

Le Président (M. Cardinal): M. Robert, normalement, on va faire comme certains députés ont fait dans le passé, ne pas regarder l'horloge, l'audition est terminée. Vous n'avez pas droit de réplique, mais vous avez certainement le droit d'ajouter un dernier commentaire, suite à l'intervention de M. le député de Bourassa. Je vous demanderais d'être bref, après quoi, nous suspendrons et vous serez libéré.

M. Robert: Je vais être très bref. Nous pensons que la situation faite aux classes d'accueil est une situation privilégiée. Nous aimerions que ces privilèges apportent les résultats qu'on en attend. Nous reconnaissons que ces élèves, dans les classes d'accueil, ont des services meilleurs que ceux des classes maternelles ou des classes de même âge francophones, premièrement. Pour ce qui est de votre première intervention, je pense que nous devons tirer de notre position cette conclusion: Nous préjugeons que ceux qui nous viendront des autres provinces sont des élèves de langue maternelle anglophone, normalement; puisqu'ils vont réclamer l'école anglaise ici, nous préjugeons qu'ils seront... Mais s'ils viennent du Manitoba, de mères francophones, pour nous, la question ne se pose plus. Ils sont de langue maternelle francophone, même s'ils viennent du Manitoba. Mais, pour l'ensemble, nous préjugeons qu'ils seront de langue maternelle anglaise.

M. Laplante: ...assimilés.

M. Robert: Oui.

Merci, M. le ministre, M. le Président, de nous avoir reçus. Notre fédération a mis beaucoup d'énergie, beaucoup de temps à cette étude, à cette recherche. Une assemblée provinciale des organismes a entériné l'ensemble des principes. Voilà pourquoi je ne vous parle pas en mon nom personnel, ni au nom de mes collègues, mais au nom de la collectivité des 3800 principaux d'écoles francophones du Québec.

Le Président (M. Cardinal): Messieurs Robert, Lévesque et Vadnais, merci à vous, à votre organisme, pour votre patience et votre travail. Vous êtes maintenant libres.

J'inviterai, dès 20 heures, la Chambre de commerce de la province de Québec, mémoire 39.

Les travaux de la commission sont suspendus jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 3)

Reprise de la séance à 20 h 8

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et messieurs!

Constatant le quorum, je poursuis la séance de cet après-midi.

Pour ce soir, nos premiers invités sont la Chambre de commerce de la province de Québec, mémoire 39, suivie par le Mouvement national des Québécois, mémoire 41. Comme je l'ai indiqué, il peut y avoir des ententes, soit avec le secrétariat des commissions, soit avec le cabinet du ministre pour les autres convocations, mais les deux autres groupes qui sont avec nous sont assurés, à moins de motions ou d'autres procédures, de passer les premiers dès la reprise de la séance, demain matin, à dix heures.

Messieurs de la Chambre de commerce de la province de Québec, vous avez assisté à une partie de la séance d'aujourd'hui. Vous connaissez les règles. Je vous prierais de vous identifier. Vous aurez ensuite 20 minutes pour exposer ou résumer votre mémoire et ceci sera suivi d'une période de questions par les députés, pour un maximum de 70 minutes.

Messieurs.

Chambre de commerce de la province de Québec

M. Doyle (James N.): M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse. Pourriez-vous approcher votre micro, s'il vous plaît?

M. Doyle: M. le Président, madame et messieurs les membres de la commission, mon nom est James N. Doyle et je suis le président de la Chambre de commerce de la province de Québec.

Permettez-moi, tout d'abord, de vous présenter les personnes qui m'accompagnent et qui constituent notre délégation auprès de votre commission.

A ma gauche, M. Jean-Marie Cloutier, président de la Chambre de commerce et d'industrie du Québec métropolitain et membre de notre conseil; M. André Fréchette, trésorier de la chambre; M. Pierre Morin, directeur général des affaires publiques; M. Roger Hamel, vice-président aux ressources humaines.

A ma droite, M. Jean-Paul Létoumeau, notre vice-président exécutif; M. Marcel Côté, M. Yvan Allaire et M. Roger Miller de SECOR et M. Andrew Winstanley, recherchiste de la chambre.

Je désire tout d'abord remercier la commission de nous recevoir et de nous fournir ainsi l'occasion de vous expliquer le contenu de notre mémoire et des travaux de recherche qui l'accompagnent.

Comme vous avez sans doute pu le constater déjà, notre démarche se veut positive et recherche l'efficacité.

Notre approche est celle de l'entreprise de l'homme d'affaires. Nous sommes d'accord sur la Charte du français au Québec lorsqu'elle assure la prédominance du français, protège et améliore la qualité du français, reconnaît les limites du raisonnable dans cette démarche.

Ces objectifs du projet de loi no 1 étant reconnus, nous nous sommes appliqués à en examiner attentivement les modalités avec une préoccupation d'efficacité, c'est-à-dire d'atteindre les objectifs aux moindres coûts économiques et sociaux pour les Québécois. Notre organisme est étroitement impliqué depuis maintenant près de trois ans, dans le processus de francisation de l'entreprise. Nous avons eu l'occasion d'examiner ce projet de changement social sous plusieurs angles. Nous croyons, compte tenu de cette expérience et de notre représentativité, être en mesure de vous apporter quelques avis utiles et construc-tifs. Nous avons voulu, entre autres, apporter une contribution essentielle à l'examen du projet de loi en commanditant une étude d'experts sur certains de ses aspects qui nous apparaissent de première importance. Nous avons recommandé cette étude à la fin d'avril dernier. Parallèlement aux travaux de nos concultants, un comité ad hoc de la chambre a examiné le projet de loi no 1 et a déterminé un certain nombre de points prioritaires sur lesquels nous avons décidé d'intervenir. Vous trouverez nos points de vue exprimés dans la première partie de votre mémoire, ce document de quelque 25 pages que vous avez devant vous.

En résumé, nous y recommandons, premièrement, l'élimination de l'article 37 forçant les entreprises à faire la preuve, devant un fonctionnaire, du besoin de chaque poste bilingue. Ce serait un exercice d'une lourdeur et d'un coût inacceptables, en plus d'être un monstre administratif. Ce serait aussi un dédoublement du processus déjà prévu par le programme de francisation.

Deuxièmement, nous recommandons l'amendement de l'article 52 pour permettre à tous les anglophones, ou au moins à tous ceux du Canada, d'avoir accès à l'école anglaise au Québec.

Pour nous, c'est une nécessité, afin d'avoir au Québec un climat d'accueil pour les gens dont nous avons besoin. C'est aussi une nécessité pour maintenir et développer au Québec: a) des relations commerciales avec le reste du Canada et du monde; b) des entreprises de haute technicité sur son territoire; c) des centres de recherche de stature internationale; d) des avantages comparatifs comme sites d'activité à rayonnement extraquébécois; finalement, e), des sièges sociaux d'entreprises internationales et multinationales. De plus, nous ne croyons pas que cette mesure constitue une menace à la présence francophone au Québec.

Nous recommandons, troisièmement, un deuxième amendement à l'article 52 afin de permettre aux parents francophones qui le désirent d'obtenir pour leurs enfants un apprentissage adéquat de la langue seconde.

Pour ce faire, nous suggérons une formule d'immersion pour une période limitée en milieu scolaire anglophone, faute de pouvoir atteindre adéquatement cet objectif en milieu scolaire francophone.

Quatrièmement, nous recommandons forte-

ment un droit d'appel des décisions qui pourraient être prises envers des fonctionnaires en vertu des articles 66 et 119. En fait, nous nous opposons au trop grand pouvoir donné à la bureaucratie étatique. C'est, encore une fois, l'érosion du pouvoir législatif en faveur du pouvoir administratif au détriment des droits des citoyens.

Cinquièmement, nous recommandons l'élimination des pénalités prévues à l'article 106 considérant que plusieurs d'entre elles sont exagérées et qu'une loi d'application générale ne saurait avoir recours à des moyens aussi forts.

Sixièmement, nous recommandons une clarification et une meilleure orientation de l'article 112, étant donné les grands dangers qui guettent le législateur dans une opération de franco-phonisation de l'entreprise.

Septièmement, nous recommandons l'élimination de cette formule ambiguë et dangereuse pour l'entreprise que constituent les comités de francisation prévus aux articles 114 et 115.

Huitièmement, l'élimination pure et simple de l'article 172 qui place la charte du français au-dessus de la Charte des droits et libertés de la personne, situation que nous ne croyons pas acceptable.

Enfin, nous regrettons à nouveau qu'un projet de loi soit déposé sans les règlements qui s'y rapportent. Cette réglementation est importante puisque plus de 24 articles du projet de loi doivent être précisés par réglementation et 14 d'entre eux sur des questions majeures pour l'entreprise. Il s'agit là de la continuation d'une pratique d'administration gouvernementale que nous déplorons.

Pour ce qui est des travaux de nos consultants, SECOR Inc., je dois vous dire que nous avons recherché les personnes les plus compétentes et expérimentées pour effectuer une recherche sur une base scientifique de certains impacts de la loi 1. Nous avons demandé à SECOR d'évaluer ce projet de loi quant à ses principes, à sa mise en application et à son impact économique au chapitre de la langue des entreprises. Nous lui avons aussi demandé de préparer des propositions d'amendements pour améliorer l'efficacité générale de la loi dans sa mise en application.

Nous nous sommes appuyés sur le résultat de ces recherches pour justifier des recommandations de notre mémoire. Pour plusieurs d'entre elles, d'ailleurs, la justification est beaucoup plus détaillée dans ce rapport. Nous vous transmettons en annexe le résultat intégral des travaux de SECOR réalisés sans aucune intervention de notre part quant à leur contenu, à la suite du transfert, du mandat.

Je demanderais donc maintenant aux gens de SECOR de vous donner, pour le moment, un résumé des constatations principales qui ressortent de leurs travaux. Je donne la parole à M. Yvan Allaire, de SECOR.

M. Allaire (Yvan): Merci, M. le Président, Madame et MM. les membres de la commission, je vous présente M. Roger Miller, professeur à l'UQUAM et associé de SECOR...

Le Président (M. Cardinal): Pourriez-vous vous approcher du micro s'il vous plaît? Ici, tout est très bien, mais il y a des choses qui sont difficiles, le son en particulier.

M. Allaire: ... et M. Marcel Côté de la firme SECOR, qui répondront avec moi aux questions, selon les sujets touchés par chaque question.

L'étude qui a été présentée à la Chambre de commerce du Québec est constituée de deux unités d'analyse différentes, mais étroitement reliées.

Dans un premier temps, instruits par notre travail étroit avec la Régie de la langue française depuis près de deux ans et par nos travaux de recherche, nous examinons la situation du français et des francophones dans l'entreprise, nous évaluons les principes et mécanismes du projet de loi no 1 quant à la francisation des entreprises et proposons des modifications au projet de loi, qui nous semblent aller dans le sens d'une plus grande efficacité et cohérence.

Dans un deuxième temps, nous avons entrepris une évaluation de l'impact économique de la loi no 1. C'est là une opération délicate, particulièrement dans les délais prescrits pour sa réalisation. Cependant, cela nous semblait continuer un précédent utile.

Il est coutumier, aux Etats-Unis par exemple, qu'un projet de loi ou de règlement soit accompagné, lorsqu'à propos, d'une analyse d'impact économique. Nous avons donc soumis dans notre étude les données sur l'impact possible de la loi no 1, ainsi que tous les détails afférents à nos calculs, de sorte que des avis divergents puissent être formulés et débattus.

Je ne reprendrai, dans les quelques minutes à ma disposition, que les éléments les plus importants de chacun de ces deux blocs d'information.

Nous croyons fermement qu'une loi de francisation des entreprises est nécessaire. Ceux qui connaissent notre participation à l'élaboration d'une francisation efficace des entreprises sauront qu'il ne s'agit pas là d'une affirmation pro forma.

En fait, un premier principe d'intervention, à notre avis, devrait être la déclaration "du droit de tout Québécois à travailler en français". Il s'agit là d'une modification importante de l'article 4 pour en faire un engagement solennel de notre société pris en son nom par notre gouvernement.

L'exercice de ce droit social, reconnu à tout Québécois, doit être facilité par des gestes précis de l'Etat. En particulier, une intervention de francisation des entreprises, conséquente à un diagnostic précis de la situation, est un geste qui s'impose tout naturellement.

Cependant, une analyse serrée de la situation du français et des francophones dans l'entreprise est essentielle à une intervention efficace et appropriée. Nous faisons donc d'un diagnostic juste et qui fasse consensus une exigence, un prérequis à une intervention efficace de francisation.

Cette analyse, dont nous devons faire état trop succinctement ici, nous indique que le français et les francophones dans les entreprises se portent

mieux qu'on ne le laisse parfois entendre; que la faible participation francophone dans certains secteurs de l'activité économique résulte d'un tissu complexe de causes, mais n'est pas la résultante d'une discrimination généralisée d'un groupe envers l'autre.

Par contre, certaines interventions bien intentionnées, mais mal conçues pourraient avoir des effets contraires à ceux souhaités, rendant plus difficile aux francophones l'accès des postes supérieurs.

Enfin, une intervention de francisation des entreprises n'aura pas d'effets positifs sensibles sur les revenus des francophones dans l'ensemble de la population, malgré tous les propos qui semblent vouloir justifier par ces différences de revenus le contenu du projet de loi no 1.

Par contre, la francisation des entreprises résultera d'une utilisation élargie du français, augmentera le nombre de situations de travail en français, particulièrement pour les techniciens, ingénieurs et diplômés en administration. Les situations où l'anglais sera utilisé au travail devront refléter des caractéristiques organisationnelles précises et ne plus être simplement la résultante d'une inertie organisationnelle ou d'un manque de compétence en langue française des personnes qui travaillent déjà.

De plus, l'intervention de francisation assurera une utilisation accrue du français dans les documents écrits, la terminologie, les avis, etc., dans les entreprises au Québec.

Brièvement, les principes suivants nous semblent également essentiels pour la formulation des interventions: La reconnaissance de l'hétérogénéité des situations d'entreprises et de leur vocation nationale et internationale, s'il y a lieu; de façon générale, l'entreprise et ses dirigeants respectent les lois et s'y conforment de façon similaire à tout autre groupe de notre société; finalement, pour un objectif donné, une formulation législative claire, parcimonieuse et sans arbitraire est souhaitable.

Ces quelques considérations, présentées beaucoup trop laconiquement ici, nous font proposer les modifications suivantes. (Après tous les mémoires présentés ici, certaines de ces modifications proposées pourront vous sembler d'un psit-tacisme exaspérant, mais il en va de ces propositions comme des clichés: ils sont ennuyants, mais habituellement justes):

Article 4. Nous avons déjà proposé de modifier cet article afin de lui donner une portée plus générale et d'en faire la pierre angulaire du changement visé par la loi.

L'article 37 peut être retiré, car la matière dont il traite devrait faire partie des programmes de francisation.

Les objectifs des programmes de francisation: C'est par la mise en oeuvre de programmes de francisation que l'entreprise et l'office changent le fonctionnement de l'entreprise de façon à assurer le respect des droits linguistiques.

A cet égard, au chapitre des objectifs des programmes, le projet de loi no 1 ne marque aucun progrès par rapport à la loi 22. Compte tenu du processus incertain et des situations hétérogènes, le législateur ne peut se borner à énoncer des objectifs indicatifs, mais doit esquisser des règles et des principes qui guideront les entreprises et l'office. Nous proposons donc des amendements de fond et des règlements dans le dessein d'expliciter les intentions du législateur.

L'Office de langue française administre une loi qu'elle doit, en partie, elle-même préciser par règlement. La délégation de pouvoirs prévus au projet de loi 1 est étendue. En l'absence d'un texte de loi concis, il faut donc reconnaître que l'office doit être un lieu de concertation afin d'assurer une administration conforme aux situations hétérogènes, dans le cadre des principes directeurs proposés par règlement. A cet égard, nous proposons des modifications à la structure de l'office.

Les sanctions: Nous recommandons le retrait de l'article 106. En effet, le projet de loi devenu universel, le législateur n'a plus besoin du pouvoir économique de l'Etat pour inciter l'entreprise à procéder à la francisation de ses activités. Le projet de loi no 1 est unique, en ce sens qu'il propose de récompenser les entreprises qui obéissent à la loi. De telles mesures sont contraires à l'esprit de nos lois.

Autres modifications: Nous suggérons des amendements aux articles portant sur le rôle des comités de francisation, les conditions d'accueil des travailleurs non québécois et le mandat du conseil consultatif et aussi sur quelques autres points d'importance secondaire.

Dans un deuxième bloc d'information, nous avons voulu estimer l'impact possible de la loi 1. Pour ce faire, nous avons colligé des informations sur les entreprises suivantes: Un échantillon aléatoire de 41 entreprises choisies parmi la population des 331 entreprises de plus de 500 employés au Québec, tous les sièges sociaux situés au Québec pour les 105 plus grandes entreprises fonctionnant au Québec; 20 centres de recherche choisis au hasard parmi les 30 centres de recherche comptant plus de 15 ingénieurs ou scientifiques selon le répertoire compilé en 1973 par le ministère fédéral des sciences de la technologie; 19 entreprises opérant un secteur en haute technicité, choisies parmi les entreprises de 500 employés et plus et le "Survey of Industrials" du Financial Post.

L'analyse de l'impact économique indique que les coûts à la société québécoise du processus de francisation sont faibles en terme relatif: Une fraction de 1% du PNB pendant quelques années. Les coûts probables des adaptations dysfonctionnel-les, c'est-à-dire non souhaitées, sont importants en chiffre absolu. Quelque 5000 postes de cadres sont mis en jeu et seraient transférés hors du Québec, ce qui amène une perte globale de quelque 30 000 emplois. De plus, l'impact qualitatif n'est pas négligeable. Ces 5000 postes de cadres sont concentrés surtout dans les grandes entreprises, au siège social, dans les centres de recherche et dans les entreprises à haute technicité. Quelles que soient la bonne volonté et la compréhension dont fait preuve le législateur, il est évident que des pertes d'emploi sont inévitables et ceci

devrait être envisagé de façon sereine. Toutefois, nous croyons qu'une modification du projet pourrait les réduire considérablement.

Permettez-moi de conclure en citant le dernier paragraphe de toute notre étude: "Les débats sur les questions "nationales" amènent souvent les participants à une facile radicalisation du propos et de la solution. L'analyse, réticente, dissonante et sans complaisance, sert fort heureusement de douche froide. Que nous soyons tous un peu éclaboussés par les faits en ces temps devrait nous faire le plus grand bien. C'est dans ce sens que nous comprenons notre contribution au débat historique qui s'amorce."

Le Président (M. Cardinal): On vous remercie. Vous êtes tout à fait dans les limites. Je donne immédiatement la parole au ministre d'Etat au développement culturel.

M. Laurin: Je veux d'abord remercier la Chambre de commerce du ou des mémoires étoffés qu'elle vient de nous présenter. La Chambre de commerce nous arrive ce soir avec une délégation impressionnante, aussi impressionnante que l'organisme qu'elle constitue dans la vie économique du Québec et aussi impressionnante aussi que l'étude qui sert de base aux recommandations qu'elle nous fait, c'est-à-dire l'étude de SECOR.

Je pense que c'est peut-être un signe des temps, peut-être jamais la Chambre de commerce n'aura été aussi proche du gouvernement puisqu'elle a eu recours, pour préparer son mémoire à la même firme de consultants à laquelle le gouvernement précédent avait eu recours et à laquelle le gouvernement actuel aussi a eu recours pour la préparation du projet de loi.

C'est peut-être de bon augure. C'est peut-être une passerelle qui nous permettra non seulement de mieux communiquer, mais de mieux se comprendre, et peut-être d'en arriver non seulement à des objectifs communs, mais également à des cheminements communs.

D'ailleurs, d'entrée de jeu, dans le mémoire de SECOR, on voit que la Chambre de commerce, par l'intermédiaire de SECOR, se dit d'accord avec tout le chapitre du projet de loi qui concerne la langue des affaires et aussi en accord avec l'affichage unilingue au Québec, ce qui doit être, je crois, marqué d'une pierre blanche.

Evidemment, l'optique de SECOR au moment où elle travaille pour la Chambre de commerce est peut-être un peu différente de l'optique qu'elle avait ou qu'elle a quand elle travaille pour la régie, en ce sens que lorsqu'elle travaille pour la régie, elle cherche plutôt à procurer à la régie ou à l'office les outils, les moyens dont le gouvernement et l'office ont besoin pour mettre en application une législation — hier la loi 22, aujourd'hui la loi 1 — alors que lorsqu'elle travaille pour la Chambre de commerce, elle a probablement un rôle plus critique, particulièrement lorsqu'elle tente d'étudier les conséquences économiques présumées d'un projet de loi qui, évidemment, n'est pas encore dans sa forme définitive et qui n'est pas encore adopté.

Il reste que je me suis payé la lecture complète du mémoire de SECOR à deux reprises. J'y ai pris un vif plaisir. Evidemment, je n'ai pas été trop surpris de ce que j'y ai lu. Une bonne partie de ce matériel m'était connue puisqu'elle existe déjà dans les documents que SECOR a préparés pour la Régie de la langue française, bien qu'une partie de ce matériel apparaisse actuellement dans une optique un peu différente.

Il reste, cependant, que ce matériel, dans la partie qui m'était connue et dans la partie que j'ai lue, m'apparaît marqué au coin de la mesure, du réalisme, d'une discussion serrée des diverses contraintes de tous ordres auxquelles le gouvernement se trouve confronté dans l'élaboration et l'application de son projet de loi.

Je pense que ce mémoire est tellement étoffé qu'il ne suffira pas d'une heure et demie pour le soumettre à la discipline du commentaire et pour en retirer tous les fruits qu'une bonne discussion permettrait d'en retirer.

Je pense que c'est plutôt un document pour un colloque pour une journée ou deux journées d'étude et, à ce titre, je pense bien que nous serons tous obligés de rester un peu sur notre appétit, que nous devrons garder in pectore une bonne partie des questions que nous aurions aimé poser aussi bien à la Chambre de commerce qu'à SECOR puisque le document de SECOR touche énormément de sujets.

Je me limiterai donc à quelques questions. En ce qui concerne l'article 37, la Chambre de commerce semble dire qu'il est inutile, en ce sens que déjà l'article 4 donne aux Québécois le droit de travailler en français dans l'entreprise, d'une part — c'est un droit déclaratoire — et que, d'autre part, les programmes de francisation prévoient la mise en oeuvre de ce droit ou donnent un effet juridique à ce droit d'une façon qui l'étale dans le temps et qui correspond aux contraintes de telle ou telle entreprise, selon les dates fixées pour l'obtention du certificat. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer là-dessus. Il nous semble que ce n'est, malgré tout, pas suffisant et qu'il faut peut-être prévoir une étape intermédiaire également, afin que, par cet article 37, on puisse, avant même que les programmes de francisation portent tout leur effet, corriger certaines situations qui nous ont été signalées, par exemple, par plusieurs mémoires et en vertu desquelles on exige actuellement de travailleurs francophones la connaissance d'une autre langue pour des tâches où cette connaissance de l'autre langue, l'anglais en l'occurrence, n'est vraiment pas nécessaire. En ce sens-là, le mémoire de SECOR ne m'a pas convaincu qu'il faille renoncer à cet article.

Cependant, dans le mémoire de SECOR, il y a, je crois, des remarques extrêmement valables. Je pense, en effet, que, dans la formulation actuelle du projet de loi, qui prévoit des règlements, il serait peut-être difficile pour une entreprise de procéder à cette codification immédiate et complète de toutes les tâches qui pourraient exiger cette connaissance d'une autre langue, étant donné la situation particulière de certaines entreprises qui ont à établir des relations multiples avec l'étran-

ger, avec les autres provinces du Canada aussi, étant donné aussi la polyvalence de certaines fonctions. Je pense donc que, pour le mécanisme, il est possible, en effet, qu'il s'avère trop lourd. Il me fera plaisir de transmettre l'argumentation de la chambre de commerce et de SECOR à notre comité de révision pour qu'il en tire toutes les conséquences valables. D'ailleurs, je dois dire que c'est le document tout entier, étant donné sa très grande valeur, que j'ai transmis à notre comité de révision pour qu'il l'étudié dans chacune de ses pages et avec toute l'attention voulue pour en retirer toute la substantifique moelle aussitôt que possible, afin que le projet de loi puisse en bénéficier.

Pour l'article 52, vous nous suggérez, comme beaucoup d'autres groupes, d'élargir le critère à l'ensemble du Canada. Je ne veux pas commenter à nouveau cet article; j'ai déjà eu l'occasion de le faire lors de la présentation d'autres mémoires. Mais vous nous faites également une autre recommandation d'immersion limitée durant quelques années pour des élèves francophones dans des écoles anglaises. Ce qui nous fait hésiter à accepter cette recommandation, c'est l'opinion même de M. Marcel Fox, directeur général du PSBGM, qui nous dit qu'autant l'immersion apparaît valable pour des élèves anglophones, autant elle lui paraît à lui-même — et, pourtant, je ne pense pas qu'on puisse l'accuser de partisanerie en ce domaine, elle lui apparaît à lui-même dangereuse pour les élèves francophones, étant donné l'environnement linguistico-social dans lequel ils sont immergés.

C'est peut-être en tant que francophone qu'il a fait cette déclaration, mais il est quand même, en même temps, directeur général du PSBGM. Là, je rejoins une phrase initiale de votre mémoire, où vous dites que les recommandations que vous faites ont pour but d'assurer aussi bien le respect de l'équité que le respect des contraintes économiques.

Je pense qu'il ne faut jamais oublier ces deux côtés de la médaille, l'équité d'une part, et c'est probablement les francophones qui ont le plus à attendre, à espérer, un retour d'équité de ce projet de loi et, en même temps, évidemment, respecter des contraintes économiques auxquelles on ne saurait échapper.

Quant à l'article 68, vous nous demandez d'atténuer un peu le caractère bureaucratique, étatique de l'office. Là aussi, je pense que vous avez des arguments très valables, que j'ai déjà étudiés avec beaucoup d'attention et que nous essaierons, dans toute la mesure du possible, de considérer d'une façon pratique. Il reste cependant qu'il ne faudrait pas en mettre trop sur le dos des bureaucrates et des fonctionnaires, qui sont de fidèles serviteurs non seulement d'un gouvernement, non seulement d'un Etat, mais également de la collectivité et à qui il faut quand même reconnaître du bon sens, de la compétence, de l'intelligence et une participation aux aspirations, aux buts d'une collectivité qu'ils servent avec autant de souplesse qu'un membre de l'entreprise privée peut le faire, en fonction d'intérêts, bien sûr, qui ne sont pas les mêmes, intérêts collectifs, mais qui sont tout aussi valables, valides et méritoires que ceux que servent les serviteurs de l'entreprise privée.

Je pense donc que, tout en accordant l'importance qu'il se doit à vos remarques, il ne faudrait quand même pas, comme tant d'autres groupes l'ont fait avant vous, déprécier et soumettre à la vindicte de certains groupes les fidèles serviteurs de la collectivité que constituent les fonctionnaires.

Votre argument à rencontre de l'article 106 nous a déjà été apporté, et même si, comme M. Allaire vient de le dire, vous craignez d'être taxé de psittacisme, je pense que ce n'est pas dans cet esprit que nous le considérons. Autant nous pouvons détester le psittacisme, autant nous donnons droit à cet adage latin "bis repetita placent". Si plusieurs mémoires nous disent la même chose, c'est évident que c'est peut-être parce que c'est là où le bât blesse et il faut y apporter toute l'attention qu'il faut.

Je crois que l'argument que vous apportez est très valable. Dans le contexte d'une loi incitatrice, peut-être que l'article 106 était parfaitement justifiable, parce qu'il avait un caractère compensatoire. Mais dans le contexte d'une loi générale, il importe d'y penser à deux fois avant de maintenir cet ordre de sanction qui, au demeurant, s'avère peut-être plus redoutable qu'une sanction pénale. Nous éclairerons notre lanterne avec les arguments que vous nous apportez.

Je vous donne aussi raison pour l'article 112. Je pense qu'il faudrait clarifier ici les termes de façon à ce qu'aucune ambiguïté ne persiste et afin que la loi apparaisse véritablement pour ce qu'elle est, c'est-à-dire une législation linguistique et non pas une législation sociale, tout en admettant, bien sûr, qu'une politique linguistique a des incidences sociales, apporte des changements sociaux. Mais il ne faut pas confondre les genres. Ainsi nous ferons tous les efforts désirables pour clarifier cet article dans le sens de ce que vous nous soumettez.

Vous parlez longuement, dans votre mémoire, des sièges sociaux. Dieu sait qu'on nous en a beaucoup parlé depuis les débuts de cette commission. Nous sommes très conscients de l'importance qu'ils jouent au Québec, des conditions dont ils ont besoin pour atteindre l'efficacité que l'entreprise désire.

Mais si nous n'avons pas voulu être plus spécifiques dans le projet de loi, c'est qu'il y a quand même beaucoup de types de sièges sociaux. Chacun possède sa structure, ses conditions d'opéra-tionalisation, un quantum différent de relations avec l'étranger, sans parler de la distinction qu'il importe d'effectuer entre les sièges divisionnaires et les sièges internationaux, les sièges régionaux. Il paraissait donc difficile, dans un seul article de loi, de faire droit à toutes ces différences. Et, même pour les règlements, il apparaissait peut-être prématuré de fixer, de figer, dans un règlement, la souplesse de la vie. Nous avions une autre raison également, nous attendions le rapport de la mission que la Régie de la langue française a envoyée en Europe. Nous avons maintenant en

main ce rapport et nous espérons pouvoir le déposer publiquement dans les plus brefs délais. Mais peut-être, même après le dépôt de ce rapport, faudra-t-il laisser la discussion se décanter afin que le gouvernement sache bien dans quelle direction il importe de s'orienter.

Si, d'une part, certains groupes nous demandent d'exclure complètement les sièges sociaux de la loi, d'autres nous recommandent de les soumettre à des contraintes assez rigoureuses, comme certains pays l'ont fait et le font encore.

Il s'agit peut-être pour nous de trouver un juste milieu entre un laisser-faire intégral et une politique rigoureuse. Nous sommes bien prêts à faire en sorte que la politique que nous suivrons là-dessus s'adapte exactement à là conjoncture qui est la nôtre en éclairant nos décisions des politiques suivies ailleurs, mais en fonction de nos aspirations, en fonction des aspirations de la collectivité. Cela reviendra à dire sûrement que les sièges sociaux, pour une partie de leurs opérations, devront se franciser, mais que cette francisation respectera — en tout cas, c'est notre intention — les contraintes absolument inévitables qui sont nécessaires à leur rationalisation et à leur efficacité.

Peut-être que la seule façon de s'en tirer, c'est de laisser au législateur, dans le projet de loi amendé qui sera présenté bientôt à la Législature, la latitude d'intervenir par règlement une fois que cette réflexion suffisamment éclairée aura atteint son terme, mais je pense que je peux tout de suite vous laisser entrevoir que cette réglementation, si réglementation il y a, ou directive, si directive il y a, tiendra compte aussi bien des missions que vous avez envoyées, des réflexions que nous aurons faites que des représentations que votre groupe et beaucoup d'autres nous ont soumises, car nous ne voulons pas, évidemment, pratiquer une politique suicidaire. Nous tenons aux sièges sociaux que nous avons, de même que nous tenons à ce que ces sièges sociaux se comportent non seulement en bons citoyens, mais en citoyens intégrés également, en tant que personnes morales cette fois, à la collectivité dont ils font partie.

Pour ce qui concerne l'article 172, notre réflexion progresse sur ce point. Nous avons étudié plusieurs avis qui nous ont été soumis, dont celui de la Commission des droits de la personne, et plus nous progressons dans notre analyse et dans notre réflexion, plus nous nous rendons compte que l'affirmation que nous avions faite il y a quelques mois, voulant que très peu de conflits devaient être envisagés entre les deux chartes, s'avère juste et fondée, ce qui nous amènera donc à adopter une formulation finale beaucoup plus souple, beaucoup plus articulée et beaucoup plus précise que celle que nous avions cru nécessaire de formuler comme point de départ. Je pense que cette formulation finale contribuera à apaiser considérablement les contraintes qui ont pu se développer à ce sujet dans l'opinion publique.

De la même façon, pour votre article 119, je pense que nous nous rendons facilement aux raisons que vous invoquez en faveur d'une plus grande souplesse et en faveur d'une décision à deux paliers. Sans pouvoir préjuger encore de la forme précise que pourra prendre ce droit d'appel, je pense que je peux vous laisser entrevoir dès ce soir que cet appel, sous une forme ou sous une autre, existera et que, pour cet appel, on pourra faire état d'une opinion qui s'appuiera sur les points de vue des divers secteurs de l'opinion qui participent à la vie des entreprises.

J'aurais eu, encore une fois, énormément d'autres questions à poser, surtout en rapport avec l'étude du groupe SECOR, mais je m'aperçois que le temps file extrêmement rapidement et, s'il me reste encore du temps, je reviendrai avec quelques questions à cet égard.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le ministre. Est-ce que vous avez des commentaires à ajouter, avant que je ne passe la parole aux autres députés?

M. Létourneau: M. le Président, nous sommes très heureux des réactions dont nous fait part le ministre aux propositions que nous avons faites dans notre mémoire. Nous voulons cependant signaler que nos propos n'ont, en aucun moment, l'intention de discréditer les fonctionnaires; bien au contraire, notre proposition de laisser au pouvoir législatif les pouvoirs qu'il doit normalement exercer est justement que les fonctionnaires ne soient pas appelés à exercer ces pouvoirs et, peut-être, dans une certaine mesure, a se faire détester par la population parce qu'ils exercent des pouvoirs trop grands qui, normalement, devraient être exercés par les députés ou le gouvernement.

Pour ce qui est des sièges sociaux, M. le ministre nous dit que d'autres personnes lui ont dit d'exercer un pouvoir sévère. Nous demandons seulement au gouvernement et à la commission de s'assurer que ceux qui recommandent d'exercer un pouvoir sévère sont en mesure de savoir exactement ce dont ils parlent, c'est-à-dire qu'ils ont suffisamment d'expérience et de connaissance de ces milieux pour pouvoir évaluer les conséquences de ces propositions.

Pour ce qui est de la question de laisser le législateur intervenir par règlement, nous sommes très heureux de cette remarque du ministre. C'est exactement le sens de nos propositions. Nous croyons que l'office doit être soumis à une réglementation décidée par le législateur. Nous sommes très heureux de la remarque de M. le ministre à ce sujet.

Au sujet du comité de révision de la loi, compte tenu des efforts que nous avons faits pour apporter à cette commission une opinion la plus objective et la plus documentée possible, nous offrons notre collaboration au gouvernement pour l'aider, si c'est acceptable, à procéder dans cette révision de la loi que le gouvernement se propose de faire. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Merci. M. le ministre d'Etat.

M. Laurin: J'aurais une autre remarque à ajouter. Autant j'ai pris plaisir à la lecture des six premiers chapitres du rapport de SECOR, que j'ai

trouvés rigoureux, analytiques et constructifs, autant mon adhésion a été plus lente et incomplète en ce qui concerne les deux derniers chapitres qui ont trait à l'étude d'impact. C'est peut-être dû aux lois du genre, en ce sens que cette étude des deux derniers chapitres est basée sur une enquête, sur un sondage — on sait, évidemment, la valeur limitative des sondages — également, sur une matrice de probabilités dont la confection est, bien sûr, laissée à l'imagination des auteurs. Il est toujours assez difficile de s'avancer dans un domaine où il est difficile de connaître, de prévoir, en tout cas, les réactions des partenaires concernés.

Evidemment, je sais que SECOR s'est basée sur des chiffres nombreux venant des sièges sociaux, des laboratoires de recherche, des sociétés de services professionnels, sur le nombre de cadres qui oeuvrent à tous ces niveaux, mais il reste que, lorsqu'à partir de ces données factuelles on tente de prévoir les comportements disfonctionnels ou les adaptations disfonctionnelles des entreprises ou des cadres, cela devient, malgré tout, de la supputation, supputation dans un double sens. D'abord, parce que, si la loi est amendée, que ce soit dans le sens du schéma ou du scénario alternatif proposé par SECOR ou que ce soit dans un autre sens ayant la même direction, mais quand même variable par rapport au scénario alternatif de SECOR, il est probable, pour ne pas dire certain, que quelques-unes, à tout le moins, des conclusions qui apparaissent dans l'étude d'impact s'avéreront non fondées, en ce sens que le comportement prévu ne se produira pas. Supputation aussi dans un autre sens, parce que la réaction des cadres ou des entreprises peut dépendre d'un très grand nombre de facteurs. Par exemple, peut-être que la crainte a eu son temps et est moins forte maintenant; peut-être qu'une meilleure considération de leur réalité, de la réalité sociale, de la réalité collective a amené ou amènera ces cadres ou ces entreprises à des conclusions différentes de celles d'il y a un mois, deux mois ou trois mois. Peut-être aussi que certaines autres variables, dont le rapport de SECOR ne parle pas, par exemple, la disponibilité d'une main-d'oeuvre qualifiée, la disponibilité d'un environnement qui présente quand même ses avantages, un environnement aussi bien au sens des richesses naturelles, des taux d'électricité, ainsi de suite, auront un effet limitatif sur les hypothèses ou les scénarios que prévoit SECOR.

Par ailleurs, dans cette matrice de probabilités, il faut aussi faire intervenir le facteur temps.

Lorsqu'on nous donne des chiffres aussi spectaculaires que 15 000 emplois ou 30 000 emplois qui se multiplient par suite du facteur de multiplication ou du prix du travail de francisation, il faut quand même penser que ceci s'inscrit dans le contexte général de la situation de l'emploi au Québec, des rentrées fiscales au Québec, du mouvement général de l'économie, du facteur de remplacement d'entreprises par d'autres dans le climat compétitif qui est le nôtre et qui est parfois très serré au point de vue concurrentiel. Donc, je pense que les deux derniers chapitres, qui sont consacrés à l'étude de l'impact, m'apparaissent quand même avoir une valeur moins certaine que les six autres chapitres qui, eux, sont basés sur des données plus certaines. Je ne dis pas ça pour déprécier les deux derniers chapitres, bien au contraire, mais simplement pour les situer, par rapport à ces deux ou quelques paramètres qui peuvent non pas diminuer, mais atténuer la portée qu'ils devraient avoir.

Je sais bien que ce sont surtout ces chiffres-là qui ont retenu l'attention des media lorsqu'ils ont été lancés lors d'une conférence de presse ou d'un certain colloque. Evidemment, le caractère sensationnel de ces chiffres apparaissait d'une façon évidente. Mais je pense quand même qu'il faudrait les reprendre, à tête reposée, et leur donner leur pleine valeur en les insérant dans les paramètres auxquels il convient de les référer.

M. Allaire: Est-ce que je peux répondre avec quelques commentaires?

Le Président (M. Cardinal): Certainement, monsieur.

M. Allaire: II est bien évident que l'exercice que constitue l'évaluation de l'impact économique, aux chapitres 7 et 8, est entouré de beaucoup plus d'aléas que certaines autres parties du rapport. Il est évident aussi que seul le gouvernement possède les ressources nécessaires pour en faire une analyse d'impact aussi exhaustive que le mériterait peut-être un tel projet de loi. Cependant, ce que nous avons fait a été de situer, sur les dimensions les plus critiques selon nous — il y en a d'autres, vous avez raison — où se situe un ensemble d'entreprises, de sièges sociaux, enfin, de centres de recherche et de développement présentant toutes les données utiles, de sorte que, bien sûr, notre imagination nous ayant amenés à certaines probabilités, le lecteur puisse, lui, remplacer par sa propre imagination et dire: Voilà! Je ne suis pas d'accord avec les probabilités, mais je ne conteste pas qu'il y a un groupe de tant d'employés-cadres d'un siège social qui sont dans une situation, disons, où il y a une faible proportion du chiffre d'affaires qui est québécoise et une faible connaissance du français, et que les programmes types de francisation, selon un projet de loi donné, posera certains problèmes à brève échéance.

Ces mêmes données, donc, peuvent servir pour un projet modifié, et il s'agit de reprendre le projet, de regarder quel type de programme de francisation supposerait un tel projet modifié et de regarder les mêmes données, puisqu'elles demeurent valables. Ce sont des données d'un sondage, mais quantitatives, il n'y avait aucune opinion d'exprimée par les gens qui étaient sondés. C'était tout simplement une évaluation de leur situation.

Cependant, il serait peut-être utile que le processus utilisé soit brièvement présenté. Je vais demander à Marcel Côté d'en faire le tour rapidement.

Le Président (M. Cardinal): II faudrait que ce soit vraiment rapide, parce que...

M. Côté (Marcel): Oui, il y a trois facteurs que

M. Laurin a peut-être oubliés ou peut-être qui ne rassortent pas assez dans le rapport. C'est comme une condition pour un transfert de poste, une condition permissive, c'est que l'entreprise en question ait des activités à la fois au Québec et à l'extérieur du Québec. C'est pour ça qu'on s'est attardé essentiellement sur la grande entreprise où on rencontre cette condition, la grande entreprise qui a beaucoup d'activités à l'extérieur du Québec. C'est une troisième condition et, dans ces cas-là, c'est très facile de transférer des activités en dehors du Québec, des activités de cadres, et, somme toute, on parle de 5000 transferts de postes de cadres. Ces postes de cadres seraient transférés dans des entreprises où il y a, en moyenne, de 10% à 20% des cadres qui parlent français, non pas qui sont francophones, qui parlent français.

On voit que l'impact est limité à certains types d'organisations, des sièges sociaux à vocation internationale, des centres de recherche, des entreprises à haute technicité où on rencontre aussi ces conditions. Là-dessus, on doit dire que nous avons fait l'exercice, même avec ce qu'on appelle un scénario alternatif— il paraît que c'est un anglicisme — et on arrive quand même avec un chiffre de 2000, 2500 cadres qui partiraient ou de postes de cadres qui seraient transférés, si on applique une législation linguistique au Québec.

Là, de plus en plus, les économistes demandent au législateur de considérer l'impact économique des lois sociales. On sait qu'Albert Breton, par exemple, pour la loi, a écrit un texte il y a quelques années en ce qui regardait les conséquences linguistiques et M. Vaillancourt a même traité dans son document du coût supplémentaire qu'il y a pour une économie avec l'impact linguistique.

C'est pour cela que le chiffre en soi ne doit... Il faut qu'il y ait un chiffre quelque part. Quant au chiffre de 5000 postes de cadres, nous y avons relativement assez confiance, à plus ou moins 10%, et ceci se traduit à travers des hypothèses basées soit sur des données empiriques, soit sur des chiffres très modérés quant au multiplicateur, sur un manque de 30 000 emplois dans l'économie du Québec, résultant du déplacement de ces activités qui sont caractérisées par 5000 postes de cadres.

Le Président (M. Cardinal): Merci. M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Merci, M. le Président. Je voudrais tout d'abord remercier la Chambre de commerce d'avoir présenté ce mémoire qui, d'après les remarques du ministre lui-même, est de nature à aider énormément le gouvernement à améliorer le projet de loi que nous sommes en train d'étudier.

Le Président (M. Cardinal): Un instant, M. le député de Marguerite-Bourgeoys. Encore une fois, ce sera très bref. Le mémoire de SECOR, comme tel, ne fait pas partie des documents déposés officiellement devant cette commission. Aussi je fais une offre à ceux qui pourraient le désirer au sein de la Chambre de commerce de la province de

Québec. Je veux dire cette formalité. Si la demande m'en est faite, je puis leur accorder la possibilité que ce document, en entier, soit déposé en annexe au journal des Débats de cette commission de l'éducation.

M. Lalonde: Pouvez-vous nous dire combien cela coûterait?

Le Président (M. Cardinal): C'est un problème, mais ce n'est pas le problème de la commission comme telle, ni de son président. C'est le problème du budget...

M. Doyle: M. le Président, voulez-vous répéter cela?

Le Président (M. Cardinal): Chaque fois qu'un document est invoqué et qu'il n'est pas cité en entier... Et, encore là, il faudrait peut-être se restreindre et prendre ce que j'appellerai la partie charnue du rapport, ses conclusions. Il est possible, lorsqu'un document n'est que cité, de le reproduire quand même, en partie ou en totalité, au journal des Débats à titre d'annexe. Je demande...

M. Létourneau: M. le Président... Le Président (M. Cardinal): Oui.

M. Létourneau: Nous considérons le mémoire SECOR comme une partie intégrante de notre mémoire. Il est en annexe à notre mémoire.

Le Président (M. Cardinal): Oui, mais, à moins que je ne vous pose cette question, il n'est pas annexé officiellement. Tout ce qui est inscrit au journal des Débats, c'est ce que vous dites à cette commission, à moins que je ne vous fasse cette offre, que vous ne l'acceptiez et que je ne vous l'accorde.

M. Chevrette: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Joliette-Montcalm.

M. Chevrette: Appelez cela comme vous voudrez pour les fins de la discussion. Est-ce le président de l'Assemblée, sont-ce les membres de la commission, sont-ce les gens de l'Assemblée nationale qui peuvent décider de l'incorporation ou non d'une telle brique au journal des Débats...

Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. Chevrette: ...à cause des coûts?

Le Président (M. Cardinal): J'ai mentionné qu'à cause des coûts cela peut être compliqué, mais, en fait, ce n'est certainement pas la commission. Ce n'est certainement pas l'Assemblée nationale. Ceci dépend du budget, directement, de la présidence de l'Assemblée nationale dont les crédits ont été défendus en commission plénière il y a quelques semaines. C'est donc la décision du président.

M. Chevrette: A ce moment, même si vous offriez à la Chambre de commerce de la province de Québec de l'incorporer et que ces gens vous disent oui parce qu'ils seraient très heureux de voir cela, probablement, parce qu'ils ont l'air d'y croire, à ce moment, ne dépasserait-on pas nos pouvoirs comme membres de la commission d'entendre leurs voeux...?

Le Président (M. Cardinal): Je ne demande pas à la commission de me donner un consentement. Je dis simplement que sous ma juridiction et celle de la présidence je serais disposé...

M. Doyle: Nous sommes d'accord, M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): ...à étudier cette possibilité de reproduire en entier ou en partie ce rapport.

M. Chevrette: ...à transmettre le voeu à la présidence de l'Assemblée nationale, si on comprend bien. Tout au plus.

Le Président (M. Cardinal): Vous pouvez ainsi vous exprimer.

M. Chevrette: Pardon?

Le Président (M. Cardinal): Vous pouvez ainsi vous exprimer.

M. Doyle: Au nom de la Chambre de commerce de la province de Québec, nous faisons la demande.

Le Président (M. Cardinal): Tout simplement, c'est cela. Si vous faites la demande, vous me permettrez justement d'étudier la portée de cette demande et d'agir en conséquence.

Une Voix: D'accord.

M. Charbonneau: Je souhaite que cette étude soit faite, parce que je pense qu'il y a des priorités actuellement au Québec. Je comprends que c'est une brique, mais il y a toujours des limites...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Verchères, je sais que je me suis avancé en disant ceci, mais il y a quand même la compréhension de ce qui se passe devant nous. L'on sait que tous les mercredis — et ceci n'est pas une critique au fond du débat — les députés posent des questions et que certaines réponses, à la suite de demandes au feuilleton, peuvent coûter des sommes très importantes aussi.

M. Paquette: ... et réduire le nombre d'emplois au gouvernement.

Le Président (M. Cardinal): Alors, la façon dont la chose est présentée, c'est que tout simplement une demande est faite, que nous en étu- dierons la portée et que dans la mesure du possible nous y satisferons. Je ne vais pas plus loin.

M. Paquette: II ne faudrait pas que cela enlève des emplois au gouvernement.

Le Président (M. Cardinal): Non, certainement pas. Alors, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Merci, M. le Président, donc, je remerciais la Chambre de commerce de son mémoire qui a, semble-t-il, impressionné le ministre et j'en suis fort aise. J'aimerais toutefois, au tout début, peut-être souligner une remarque du ministre concernant justement votre mémoire et un peu le fait qu'il a déploré n'avoir qu'une heure et demie pour étudier non seulement votre mémoire, mais celui de SECOR. Moi-même je déplore que le gouvernement, le ministre en l'occurrence, n'ait pas songé à traiter le mémoire de SECOR comme un mémoire séparé et à offrir à la commission parlementaire une heure et demie supplémentaire pour l'étudier. Si le ministre, compte tenu du fait qu'il n'y aurait pas pensé, change d'idée, il trouvera dans l'Opposition officielle une coopération complète. Malheureusement, en quelques minutes nous ne pouvons poser toutes les questions pertinentes. Nous sommes en train de parler, surtout en référence au document de SECOR, du coeur de la loi linguistique au Québec. Si la francisation des entreprises ne réussit pas, tout le reste ne sera que du maquillage et sera une démarche inutile. Je pense que beaucoup l'ont compris. Je crois ou j'espère que c'est aussi l'opinion du gouvernement et du ministre; c'est pourquoi je pense qu'on devrait s'accorder un peu plus de temps. Je vais laisser au ministre le soin de songer à cette suggestion et je vais continuer immédiatement.

A l'article 37, est-ce que vous auriez autre chose à offrir? Je comprends que de la façon dont il est fait, il est très lourd. Le ministre lui-même l'a reconnu et peut-être qu'il va proposer autre chose. Mais il reste quand même qu'il est relativement indiqué, je pense même qu'il est désirable qu'on prenne les dispositions pour qu'il n'y ait pas de discrimination contre l'employé francophone si on exige de lui la connaissance d'une autre langue de façon exagérée. Est-ce que vous ne pensez pas à une approche inverse, à savoir que si un employé francophone croit être lésé parce qu'on a exigé de lui l'anglais, il pourrait porter plainte? A ce moment, ce sera à l'entreprise de prouver que le poste exige la connaissance d'une autre langue, au lieu de ce mécanisme extrêmement lourd qui est prévu actuellement, où l'entreprise doit prouver la connaissance d'une autre langue pour tous les postes qui existent au Québec, au fond, pour les entreprises de 50 employés et plus, ou même si l'article 37 s'applique à toutes les entreprises?

M. Côté: En somme, nous disons dans notre texte que l'article 37 pourrait être aboli parce qu'il ne serait pas nécessaire. S'il n'est pas aboli, il devrait être amendé du moins pour éliminer toute

mention de poste, la raison étant qu'administrativement une définition par poste est très difficile à administrer à plusieurs points de vue. D'abord, il s'agit de définir les postes. Deuxièmement, il s'agit de définir les connaissances linguistiques, et ça c'est un problème auquel on ne touchera pas ici, mais c'est un des principaux problèmes à Ottawa. Troisièmement, il s'agit de tenir compte de l'aspect dynamique des entreprises où cela change continuellement. Ensuite, il y a un autre point qu'il faudrait toucher, c'est le fait que parce que cela fait partie intégrante des conventions collectives, comme le dit l'article 40, cela peut venir un genre de ballon très facile à négocier entre les syndicats et l'entreprise parce qu'on touche le coeur des postes.

Cela ne serait pas nécessairement lors de la négociation des conventions collectives, mais, pour faire une grève perlée, c'est un moyen qui pourrait être utilisé.

Par contre, il faut dire que l'article 37 est superflu parce qu'en somme c'est le programme de francisation qui est le moyen privilégié pour assurer que chaque Québécois puisse exercer, s'il le désire, son choix ou son droit de travailler en français.

M. Lalonde: Si on prend l'article 4 avec le chapitre de la francisation, on voit une contradiction flagrante. Alors que l'article 4 crée un droit immédiat à la communication des entreprises en français, d'autre part, la même loi prévoit une période pour donner le temps aux entreprises de s'adapter à ce droit.

M. Côté: Mais je crois que quelqu'un, ici en commission, a discuté de l'aspect du droit. Est-ce que la reconnaissance d'un droit entraîne une obligation? Je ne voudrais pas embarquer là-dedans. Mais, si on modifie l'article 4 pour en faire, en quelque sorte, un engagement solennel du gouvernement, de l'Etat ou de la société d'accorder à chacun le droit ou le libre exercice du droit de travailler en français, le programme de francisation devenant l'instrument privilégié, l'article 37 devient superflu. D'ailleurs, l'article 37 est gênant un peu; en somme, il vient mitiger un droit fondamental reconnu à l'article 4, du moins dans la forme où il est écrit actuellement.

Mais si le programme de francisation est reconnu comme l'instrument privilégié, il y aurait, comme M. Laurin vient de le mentionner, une période de peut-être quatre ou cinq ans avant que, dans la majorité des entreprises, les programmes de francisation s'appliquent et, là, que les choses soient devenues normales et qu'on n'exige l'anglais, parce que c'est l'autre langue généralement, que lorsqu'il est nécessaire.

M. Lalonde: Excusez-moi de vous interrompre; c'est que je ne veux pas que vous preniez trop de mon temps.

Quant au pouvoir discrétionnaire que vous déplorez, je suis d'accord avec vous. Tout fidèles serviteurs que les fonctionnaires soient, il est bon qu'ils aient des coordonnées précises à l'intérieur desquelles faire leur action d'application de la loi. Quant à la direction collégiale que vous suggérez aussi, je partage votre opinion qui est aussi partagée par la direction actuelle de la Régie de la langue française dont, quand même, une majorité des membres a été nommée par le gouvernement actuel. Un des hauts officiers de la FTQ, qui est membre, je crois, de la régie actuellement, est venu exprimer cette opinion ici et j'espère que le ministre vous entendra là-dessus. J'ai été heureux d'entendre le ministre ouvrir la porte quant à l'appel.

On sait que cela existe en vertu de la loi 22; je ne sais pas si la façon dont cela a été traité est la meilleure. Il y a peut-être lieu d'améliorer l'appel qui est prévu pour le ministre à ce moment-là et ça peut être extrêmement lourd au point de vue administratif pour le ministre lui-même. J'espère que le gouvernement aura des suggestions heureuses à nous faire.

Vous parlez de pénalités. Je m'adresse à la chambre de commerce; je voudrais vous poser cette question parce que plusieurs ont préféré l'approche incitative à l'approche coercitive en matière de francisation. Il semble que le gouvernement ait rejeté l'approche incitative comme étant inefficace, sûrement, de la façon dont le gouvernement le pense.

D'après vous, est-ce que la coercition est plus efficace? D'après votre connaissance du milieu, d'après votre opinion, est-ce que la coercition est de nature à produire des effets, des résultats plus sérieux que l'incitation en matière de francisation des entreprises? Je rappelle votre phrase en bas de la page 10: "Mais nous craignons beaucoup sur ce point toute mesure coercitive, et ceci pour plusieurs raisons. Seules des mesures incitatives pourraient être considérées." Vous l'affirmez, mais j'aimerais que vous le démontriez.

M. Létourneau: Est-ce que vous pourriez nous indiquer le paragraphe, s'il vous plaît?

M. Lalonde: C'est au bas de la page 10.

M. Létourneau: Ah bon, nous parlions, M. le Président, à ce moment-là, des incitations à la francophonisation. Nous trouvons que c'est un point très sensible.

Mais de toute façon, pour répondre à la question qui est posée, en effet, nous croyons que, d'une façon générale, l'incitation est de nature à amener une meilleure collaboration de l'entreprise qui a à respecter une loi. Les très longs débats que nous avons eus avec l'entreprise depuis que nous avons commencé à étudier ces questions de législation linguistique nous ont amenés à prendre conscience du fait que cette loi, comme beaucoup d'autres, si on veut qu'elle soit bien appliquée, doit l'être avec la collaboration de l'entreprise. Dès que les mesures sont trop coercitives, on implique une espèce de résistance passive, et c'est beaucoup plus difficile de faire accepter la loi.

C'est pourquoi nous proposons que des mesures incitatrices faciliteraient l'application et le respect de la loi. Ce sont des observations que

nous avons reçues de gens qui, normalement, respectent les lois. Mais on sent, lorsque les mesures sont trop fortes et trop coercitives, une espèce de résistance passive, ou une mauvaise humeur d'être ainsi agressés par la loi, alors que lorsqu'on leur propose des mesures incitatrices, il est plus facile d'avoir la collaboration de la majorité, il est plus facile d'avoir la collaboration des chefs de file qui donnent l'exemple et, ensuite, de faire appliquer plus facilement la loi.

M. Lalonde: Je vous remercie. Quant aux permis, le ministre a déjà indiqué une ouverture. Je ne m'étendrai pas là-dessus. Il en est de même pour l'article 172.

Pour le comité de francisation, vous exprimez des réserves. N'est-il pas prévu, même, actuellement, en vertu de la loi 22, que la francisation, pour être sérieusement faite à l'intérieur d'une entreprise, doit compter sur un comité bien structuré, avec tous les pouvoirs utiles et indispensables pour imposer des décisions? Peut-être SE-COR pourrait-elle répondre là-dessus, elle qui a participé à la structuration.

M. Côté: C'est dans les normes de la régie, mais ce n'est pas dans la loi 22. C'est la régie.

M. Lalonde: Justement, cela va plus loin que la loi 22. Mais dans les principes directeurs qui suivaient les règlements, même ceux qui ont fait la francisation avant la loi 22, est-ce que ceux qui l'ont fait ont pu compter sur une structure bien faite et avec autorité?

M. Côté: Le comité de francisation.

M. Lalonde: C'est ce qu'est le comité de francisation.

M. Létourneau: Oui mais ce comité, M. le Président, si vous le permettez, sa forme n'était pas précisée par la loi auparavant, tandis que la proposition que contient la loi no 1 en précise la forme. Comme les problèmes de francisation se situent beaucoup plus au niveau des cadres de l'entreprise qu'au niveau de la production, c'est-à-dire beaucoup plus au niveau des gens qui ne sont pas syndiqués qu'au niveau des gens qui sont syndiqués, comme la responsabilité de la francisation est entièrement celle de l'entreprise, et comme la formule proposée pour la constitution de ce comité pourrait être très difficile d'application concrète dans plusieurs milieux, surtout où il y a plusieurs unités de négociations, plusieurs syndicats différents de présents — on connaît des entreprises où ils sont jusqu'à une vingtaine — à cause de toutes ces raisons, nous croyons qu'il est préférable de laisser le comité qui va se charger de la francisation être formé d'une manière beaucoup plus souple et ouverte. Ce qui n'exclut pas la participation des travailleurs, mais ce qui ne créera pas des situations très difficiles, complexes et qui peuvent déborder dans le domaine des relations de travail très facilement et amener des questions de griefs et, en quelque sorte, polluer la question de francisation à l'intérieur de l'entreprise.

M. Lalonde: Je vous remercie. Je voulais souligner la note que vous faites à la page 12, à l'effet que — et je cite — "Enfin, il est bien connu que le problème de la francisation se pose bien plus au niveau des cadres de l'entreprise qu'au niveau des employés syndiqués ou syndicales".

J'espère que cette remarque qui est tout à fait pertinente saura trouver son chemin dans l'esprit du gouvernement.

Quant à SECOR, j'aimerais féliciter la Chambre de commerce d'avoir pensé à faire faire cette étude. Je pense qu'il s'agit là d'un effort qui aurait dû être fait par le gouvernement. Cela n'enlève pas le mérite à la Chambre de commerce, mais je pense qu'on doit... Enfin, je déplore que le gouvernement ne se soit pas imposé, avec toutes les ressources qu'il a et surtout vu sa décision de légiférer à ce stade-ci de notre histoire, l'effort de faire cette étude, c'est-à-dire de faire l'inventaire bien réaliste de la situation linguistique, du statut de la langue française, au Québec, dans le domaine de l'entreprise.

Comme vous, je crois que le livre blanc a manqué de nuances et d'actualité à propos de ce qu'est la situation linguistique dans l'entreprise actuellement. Si je cite le rapport SECOR, à la page 1 du chapitre II, je vois ceci: "Une première tendance, aux forts relents misérabilistes, présente une vision pessimiste d'une société dominée..."

Je pense que c'est exactement ce que le livre blanc veut faire et je pense que le gouvernement a manqué de responsabilité, en prenant tout d'abord une décision de politiser cette question et ensuite de trouver les coordonnées qui justifiaient, d'après lui, sa décision. C'est d'autant plus important, car la décision de légiférer, de la part d'un gouvernement responsable, doit être prise en pleine connaissance des faits. Naturellement, j'espère que votre contribution fera changer d'attitude au gouvernement, mais je voulais quand même le souligner.

Vos remarques concernant les différences de statut économique entre francophones et anglophones, concernant aussi la situation des cadres francophones jettent un éclairage nouveau que je considère extrêmement utile, parce que réaliste et articulé. On a charrié et on l'a fait dans le livre blanc aussi sur ces deux réalités, enfin deux questions, la différence entre le salaire moyen des francophones et celui des anglophones. Je pense que quiconque veut avoir le véritable tableau de cette question doit lire le rapport de SECOR.

On peut ne pas être d'accord avec lui, mais au moins il a le mérite d'avoir cherché les véritables raisons de ces questions et non pas d'essayer d'abrier cela sous la couverte linguistique.

Comme le ministre le déplorait tantôt, je n'ai pas assez de temps pour poser des questions à SECOR sur tous les points, les hypothèses qu'elle fait, le scénario. C'est extrêmement intéressant. Je ne sais pas jusqu'à quel point le gouvernement se rend compte combien précieuse est cette contri-

bution de la Chambre de commerce et de SECOR en particulier dans l'élaboration de sa loi. C'est le résultat, naturellement, de deux ans et plus de travail, grâce à l'existence d'une loi, la loi 22. J'aurais aimé avoir parti avec ce bagage, lorsqu'on a commencé à préparer la loi 22 ou les règlements; et j'espère que le gouvernement s'en inspirera, j'en suis sûr. Quant à nous de l'Opposition, vous pouvez être sûrs que nous y puiserons tous les renseignements utiles pour discuter de façon positive des amendements à être apportés à cette loi. Celle-ci réunit l'accord de tout le monde quant aux objectifs de faire du français une langue prééminente, mais elle soulève beaucoup de questions, même pour de vrais Québécois comme vous et comme bien d'autres, quant aux excès qu'elle fait et au danger qu'elle représente de produire des résultats contraires à ceux qui sont escomptés par tous ceux qui veulent qu'une loi linguistique soit juste et soit efficace.

Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. (Dussault): Merci, M. le député de Marguerite-Bourgeoys. Je cède maintenant la parole au député de l'Union Nationale.

M. Létourneau: M. le Président... Le Président (M. Dussault): Oui.

M. Létourneau: Est-ce que vous nous permettez de réagir aux propos du député de Marguerite-Bourgeoys?

Le Président (M. Dussault): Très brièvement, s'il vous plaît, parce que le temps du député était écoulé.

M. Létourneau: Merci, M. le Président. Tout simplement pour dire que, depuis des années, nous demandons au gouvernement de faire, devant toute loi majeure qu'il présente, une étude coûts-bénéfices.

Ceci a été promis dans le passé. Ceci a été promis par le nouveau gouvernement dans le discours inaugural. Etant donné que nous ne voyons pas poindre une telle étude pour la loi 1, nous avons voulu nous-même faire l'exercice et essayer de faire la preuve qu'il était possible, même dans le cas d'une loi où ce n'est pas facile, de faire une espèce d'analyse coûts-bénéfices de l'application de cette loi. Nous vous remercions, M. le député de Marguerite-Bourgeoys, d'avoir apprécié cet effort.

L'autre point sur lequel je veux intervenir très brièvement, c'est pour dire que nous nous refusons à cette théorie des adversaires, lorsqu'on parle au Québec des francophones et des anglophones. Nous sommes des partenaires. C'est sous cet angle que nous avons abordé la question.

Le Président (M. Dussault): Merci, monsieur...

M. Lalonde: M. le Président, si vous permettez, j'ai oublié une chose, c'est de souligner l'apport de la chambre de commerce sur la question de la francisation des entreprises. Que ce soit en vertu de la loi 22, que ce soit en vertu du projet de loi no 1, je pense que le gouvernement va trouver auprès de la chambre de commerce la collaboration la plus complète, comme l'ancien gouvernement l'avait trouvée dans la mise en application de la loi 22.

M. Létourneau: Nous sommes prêts à l'offrir et nous l'offrons.

Le Président (M. Dussault): Merci. M. le député de Magantic-Compton.

M. Grenier: M. le Président, on aurait voulu trouver un autre temps pour recevoir les gens de la chambre de commerce et le groupe SECOR. M. Biron s'excuse, puisque c'était chez nous la personne toute désignée pour interroger la chambre de commerce, mais ses engagements à l'extérieur l'ont empêché d'être ici aujourd'hui. Ce n'est pas de la faute du gouvernement, bien sûr, mais ce sont les contingences qui sont comme cela. Je voudrais féliciter les gens de la chambre de commerce qui oeuvrent et qui ne se gênent pas pour être à l'affût de chacun des gouvernements qui se succèdent ici, au Québec, pour donner bien objectivement leur opinion pour une plus saine administration dans l'adoption des lois importantes. Ce n'est pas la première fois que j'ai l'occasion de vous rencontrer, ni le groupe SECOR. Vous êtes toujours là dans les grands moments. On se rend compte combien c'est important. Si vous étiez témoin comme nous le sommes devant cette table des groupes qui passent ici, vous verriez comme c'est compliqué d'avoir des gens qui sont pas mal objectifs. On se rend compte qu'un groupe comme le vôtre, on est choyé de l'avoir. On peut dire que dans cette catégorie, que vous soyez représentatif d'un secteur ou de l'autre, puisqu'il y a souvent des extrémistes d'un côté ou de l'autre, de votre côté, vous vous situez dans le centre. Vous vous en rendez compte, d'ailleurs, d'après les questions qui vous sont posées, des propos du ministre, de même que ceux de l'Opposition officielle. Je peux vous féliciter pour ce mémoire qui est présenté sans émotivité, qui est bien défini. On voit que ce projet de loi a été abordé dans l'optique de l'homme d'affaires québécois. C'est strictement cet aspect que vous avez étudié. Vous vous êtes attardés à savoir de quelle manière le projet de loi no 1 affecterait l'entreprise et son bon fonctionnement au Québec. C'est important pour nous, et c'est certainement le coeur du problème de la loi 1.

Tout de suite, j'aimerais rappeler une déclaration qui a été faite par le directeur des Hautes études commerciales, M. Denis Lussier, au cours de la semaine dernière et qui disait à Toronto, devant le Financial Post, je pense, que les diplômés des Hautes études commerciales, au cours des dix dernières années, auraient été totalement ignorés par les compagnies canadiennes faisant affaire au Québec, puisque tout récemment, on se rendait compte que ces mêmes compagnies se précipitaient maintenant sur les diplômés des Hautes

études commerciales. Est-ce que vous pouvez nous dire si c'est fondé, d'abord?

M. Allaire: II n'y a aucune raison de mettre en doute l'information de M. Lussier. Il connaît bien la situation aux HEC. Cela nous semble tout à fait plausible. C'est, en fait, conséquent avec ce qu'on dit dans notre mémoire, des réseaux d'information. Il n'y a aucun doute qu'une loi 22, comme la loi no 1 présentement, amène, avec une incitation exemplaire, les entreprises à se renseigner, à mieux s'informer sur les ressources de cadres francophones au Québec. Ces ressources, bien sûr, sont disponibles à chaque année, à la graduation dans nos universités. Donc, qu'un intérêt nouveau, renouvelé et accru se fasse sentir, cela me semble tout à fait plausible.

M. Grenier: D'accord.

M. Doyle: M. le Président, j'aimerais ajouter un mot à ce sujet. Dans ma propre compagnie, nous avons eu l'occasion de travailler très étroitement avec la direction de l'Ecole des hautes études commerciales depuis quelques années, même que notre vice-président du personnel enseigne à cette institution.

Non seulement pour reconnaître que ce que vous venez de dire est vrai, mais pour faire le point, je dois dire que nous avons eu l'occasion de critiquer la direction de l'école de ne pas avoir poussé son affaire, sauf dans les deux ou trois dernières années, en ce qui concerne les compagnies à direction anglophone. Avant ce temps-là, ils ne faisaient pas suffisamment d'efforts pour vendre, si je peux utiliser cette expression, leur produit aux compagnies nationales et multinationales. Ils ont accepté pleinement ce genre de critique de notre part.

M. Grenier: A quoi attribuez-vous ces changements d'attitude assez soudains?

M. Létourneau: M. le Président, il y a un autre problème qui se pose pour les entreprises qui veulent recruter les diplômés universitaires, les meilleurs. Ce problème, c'est la façon dont les gouvernements traitent leurs employés. De plus en plus, il est difficile pour l'entreprise, le secteur privé, de faire concurrence au gouvernement, premièrement et principalement sur la question des fonds de pension. Il n'est pas possible, pour le secteur privé, d'offrir les mêmes avantages qu'offre le secteur public. Une pension indexée, on ne peut pas trouver ça dans le secteur privé. De plus, les conditions de travail et, plus récemment, les salaires dans le secteur public sont de plus en plus élevés et la marge avec le secteur privé s'agrandit tous les jours. Alors, ça rend difficile, pour le secteur privé, la concurrence avec le gouvernement. Des études ont été faites à l'Université de Montréal sur le sujet, à savoir où se dirigent les diplômés universitaires. On constate malheureusement qu'une trop grande majorité d'entre eux se dirige vers la fonction publique et c'est sans doute là une des raisons principales.

M. Grenier: Merci. Le ministre, je pense, réfléchit toujours à savoir s'il pourrait y avoir prolongation pour le mémoire. Je ne vous cache pas que, si on pouvait rencontrer les deux groupes de façon séparée ou avoir plus de temps pour les interroger ça ferait bien notre affaire. Vous avez des positions qui sont fort intéressantes à étudier et je pense qu'autour de cette table il n'est pas question de savoir de vous si vous êtes plus près du programme d'un parti que d'un autre. Ce qui compte, c'est que vous nous donnez des informations qui sont objectives. Pour notre part, ça ne nous gêne pas de poser des questions, même si elles vont peut-être à l'encontre d'un programme de parti qui a fait élire un certain nombre de députés. Comme on le dit assez souvent, si un programme ne doit pas correspondre à la réalité, il n'y a pas de gens mieux placés que vous pour nous le laisser savoir afin qu'on y apporte les transformations nécessaires. Je pense que ce serait important qu'on ait du temps supplémentaire, comme l'a suggéré le député de Marguerite-Bourgeoys, afin de vous interroger, puisqu'on est vraiment tombé, ce soir, dans le noeud du problème que pose la loi.

J'aimerais peut-être m'adresser à SECOR. La Charte de la langue française, d'après vous, est-elle supérieure ou inférieure à la loi 22, relativement aux effets qu'elles ont sur les entreprises?

M. Miller (Roger): En ce qui a trait à la francisation des entreprises, il n'y a pas tellement de différence entre le projet de loi no 1 et, en fait, l'ancienne loi 22. Il y en a quand même, subtiles... Je m'excuse.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! Un instant, s'il vous plaît! A l'ordre!

M. Grenier: C'est sur mon temps, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! Oui, M. le député de Mégantic-Compton. Vous êtes allés jusqu'au bord de l'abîme. Je vous prierais de conserver les quelques minutes qui vous restent. Monsieur, je vous en prie.

M. Miller: II y a quand même quelques différences qui sont d'importance majeure. La première, c'est que le projet de loi no 1 se veut universel, c'est-à-dire qu'il s'applique d'une manière égale à toutes les entreprises, alors qu'effectivement la loi 22 prescrivait une méthode universelle pour obtenir un certificat de francisation.

La loi 22 avait une approche compensatoire, c'est-à-dire qu'elle se servait du pouvoir économique de l'Etat pour inciter l'entreprise à s'embarquer dans le processus de francisation.

Le projet de loi no 1 proposant une loi d'application universelle, il va de soi que les entreprises essaieront, en bons citoyens, de s'adapter aux exigences de la loi.

Une troisième différence — et elle est d'importance — est que la loi 22 avait établi une régie, qui existe toujours, qui groupait des parties différen-

tes qui sont toutes impliquées au sein du processus de francisation. Le processus de francisation de l'entreprise étant un processus complexe où les gens ne sont pas d'accord sur les fins et où ils ne sont pas d'accord sur les méthodes pour atteindre ces fins distinctes, il est alors important d'avoir un lieu où il y a concertation et participation pour élaborer des règlements qui vont tenir compte de la situation qui existe au sein de l'entreprise.

Pour l'instant, le projet de loi no 1 confie cette responsabilité de concertation et de participation à un office où les parties impliquées ne sont pas représentées. C'est un des points que nous avons mentionnés au cours de notre présentation.

M. Grenier: Vous semblez craindre l'article 106 de la charte sous prétexte que l'office agira comme juge et partie. Pourriez-vous préciser cette affirmation?

M. Miller: Le projet de loi no 1, évidemment, aux articles 112 et 113 ne précise pas, pour l'instant. Des règlements viendront peut-être préciser cela. Si, effectivement, ce sont les fonctionnaires qui décident des règlements qui seront éventuellement approuvés par le gouvernement, ce seront eux qui feront l'analyse, donc, ils seront, par la suite, en situation de juger si une entreprise se conforme à ces règlements. C'est dans ce sens que l'on parle de juge et partie, c'est-à-dire que dans un cas, aux articles 112 et 113, on peut préciser par règlement des choses, alors qu'à l'article 106, il y a des conséquences pour l'entreprise et c'est un fonctionnaire qui décidera.

Ce n'est pas contre le fonctionnaire qu'on en a. Il est bien évident que ce sont, en fait, des serviteurs fidèles. La situation, le phénomène est un phénomène où il y a désaccord sur les fins et les moyens. C'est un phénomène en termes organisa-tionnels où seul le jugement peut être appliqué et l'organe législatif se satisfera-t-il d'une simple délégation de pouvoirs à des fonctionnaires qui vont exercer à sa place des jugements? C'est la question que nous nous posons.

M. Grenier: D'accord. Une dernière...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mégantic-Compton, 30 secondes au plus. A la suite des compliments qu'on m'a faits aujourd'hui, je vous accorde cette grande générosité.

M. Grenier: Merci de votre générosité. D'après vous, qui souffrira le plus de la perte d'emplois dont vous parlez dans votre mémoire et dans votre déclaration préliminaire? Seront-ce les francophones ou les anglophones, les petits ou les gros?

M. Côté: Encore là, ce n'est pas le point fondamental du mémoire. Ce sont des activités qui seront transférées. Laissons faire le nombre pour l'instant, on ne s'entendra pas sur le nombre. Mais si cela a un impact sur l'économie du Québec, vous avez de bonnes chances que ce soit plus des francophones que des anglophones, lorsqu'il y a des coûts économiques, parce qu'il y a 80% de francophones au Québec. Quant à savoir si les pertes d'emplois sont régressives ou non, généralement c'est régressif, mais en général, les gens à plus faible revenu sont peut-être plus touchés. Cela veut dire pour n'importe quelle perte d'emploi, par exemple. Une fermeture d'usine, ce serait la même chose.

Le Président (M. Cardinal): Merci.

M. Létourneau: Un des effets secondaires est que s'il y a perte d'emploi, perte de salaire, il y a perte pour l'Etat de revenus fiscaux, et s'il y a perte pour l'Etat de revenus fiscaux, puisque la majorité des contribuables sont des francophones ce sont eux qui écoperont.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Taschereau, deux minutes.

M. Guay: M. le Président, la première fois que j'ai entendu parler ou que j'ai pu lire les chiffres, partiellement il est vrai, du rapport de SECOR, c'était dans un quotidien du samedi. M. Létourneau s'en souviendra, ce quotidien en avait obtenu la primeur. Il y avait eu coulage en quelque part et ce coulage s'était produit au moment où nous nous retrouvions, le député de Verchères, le député de Trois-Rivières et moi, au congrès de la Chambre de commerce de Montréal, à Pointe-au-Pic, pour participer à un atelier qui portait sur l'impact politique du 15 novembre et auquel on avait convié deux personnes-ressources, comme on dit, les deux ayant le même point de vue, c'est-à-dire qu'au fond le 15 novembre était une catastrophe. Il y en a même un, M. Jarolowskey, qui nous affirmait à peu près ceci, c'est-à-dire que les Québécois francophones, au fond, laissés à eux-mêmes ressembleraient à peu près à ce célèbre tableau du radeau, ou du naufrage de la Méduse, si ma mémoire est bonne. Et cet atelier, à ce congrès, qui comportait ces deux personnes-ressources, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles n'étaient pas d'une objectivité à toute épreuve, avait été organisé, si je ne m'abuse, par SECOR. Effectivement, l'atelier était présidé par le président de SECOR, M. Pierre Lortie, qui, soit dit en passant, est un ancien président de la Commission d'information du Parti libéral.

M. Lalonde: Vous avez quelque chose contre cela?

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît.

M. Guay: Je ne sais pas si vous, vous en avez contre, moi cela ne me dérange pas.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît. J'ai laissé chacun aller jusqu'à la limite ce soir, malgré cela la journée s'est bien passée. Je voudrais...

M. Lalonde: La soirée ne se continuera pas aussi bien si le député continue à faire cela.

Le Président (M. Cardinal): Pardon, M. le député de Marguerite-Bourgeoys, je regrette. Vous savez fort bien que tous les députés, y compris le député de Taschereau... A l'ordre, s'il vous plaît. M. le député de Marguerite-Bourgeoys, ce n'est pas l'article. C'est un long usage, à l'Assemblée nationale et ailleurs, que l'on ne puisse s'attaquer sur le plan politique. Je ne le souhaite pas, dans le poste que je tente de remplir le mieux possible. C'est pourquoi je demande au député de Taschereau, avec la minute qui lui reste, d'en venir au vif du sujet en vertu de l'article 140, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: L'article 140? Merci, M. le Président.

M. Guay: J'y arrivais, M. le Président. Ma première question portait justement là-dessus. Compte tenu de cette expérience que nous avons eue, le député de Verchères et moi, et qui ne nous a pas impressionnés quant à l'objectivité de SECOR, comment peut-on prêter foi au document de SECOR qui, même s'il est bien fait par maints aspects, laisse plusieurs portes entrouvertes notamment au chapitre 6 et au chapitre 7? Je regrette en passant que M. Lortie n'ait pas cru opportun de venir ici ce soir.

M. Lalonde: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Un instant. Oui, M. le député de Marguerite-Bourgeoys, sur une question de règlement.

M. Lalonde: M. le Président, je pense qu'il est contre la lettre et l'esprit de nos règlements qu'on tente de discréditer les témoins ici par personne interposée, surtout avec un absent, simplement parce qu'un des membres de SECOR se trouve à avoir fait de l'action politique dans un autre parti que le Parti québécois. Ils sont aussi bien de s'habituer, cela va venir de plus en plus. On discrédite le rapport de SECOR comme n'ayant aucune crédibilité. Je pense que c'est tout à fait indigne et c'est bas de la part du député de Taschereau, il devrait recourir à des arguments un peu plus utiles, un peu plus élevés.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Verchères, sur la question de règlement.

M. Charbonneau: Je pense que le député de Marguerite-Bourgeoys n'a pas très bien compris l'argumentation de mon collègue de Taschereau. C'était moins parce que M. Lortie a été président ou membre du Parti libéral que par la façon dont la firme SECOR s'est comportée lors de l'organisation du colloque de la Chambre de commerce de Montréal. Elle a démontré, à ce moment-là, un manque évident de professionnalisme et à mon sens d'impartialité. C'est dans ce sens-là, je pense, qu'il faut interpréter l'intervention du député de Taschereau.

M. Lalonde: M. le Président, sur une question de règlement.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Sur la même question de règlement, M. le Président. Si le député de Taschereau a l'intention d'attaquer la crédibilité d'un témoin, il doit en faire la preuve. C'est seulement son témoignage partisan, lui aussi, et le témoignage du député de Verchères, partisan aussi, qui viennent ici déblatérer contre des gens qui se sont donné la peine de faire des études que le gouvernement aurait dû faire lui-même.

M. Charbonneau: ...soumettre les textes qui ont été déposés, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre.

M. Guay: Je pense que le député de Marguerite-Bourgeoys est antiréglementaire.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît. Là, il se produit... A l'ordre, M. le député de Papineau. Il se produit une chose, ce phénomène, c'est que l'on pourrait s'interroger à savoir si on a attaqué la conduite d'un témoin, si on a imputé des intentions, si on s'est servi de langage violent, blessant ou irrespectueux...

M. Lalonde: Sûrement blessant, quant à la compétence...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, M. le député de Marguerite-Bourgeoys, ce n'est pas à vous d'en décider. Je vous en prie. A l'ordre, s'il vous plaît. M. le député de Rosemont.

M. Paquette: J'aimerais dire, sur la question de règlement, M. le Président, que le fait de dire que le président de SECOR était autrefois président de la commission d'information du Parti Libéral n'est aucunement blessant, je ne pense pas. Deuxièmement, que par le passé, plusieurs témoins ont comparu devant cette commission et se sont fait poser la question: Avez-vous milité dans le Parti québécois, avez-vous été candidat du Parti québécois? C'est arrivé au moins trois ou quatre fois et vous n'avez pas rappelé l'Opposition à l'ordre.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre. C'est exact, M. le député de Rosemont...

M. Lalonde: M. le Président, sur la question de règlement.

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: M. le Président, les arguments du député de Rosemont sont tout à fait fallacieux. Ce n'est pas du tout la référence du député de Taschereau à un des membres de SECOR qui est tout à fait inacceptable, c'est le fait que le député de Taschereau apporte ici un témoignage non fondé sur le comportement de SECOR lors d'un collo-

que, d'une réunion sans en faire la preuve et attaque sa crédibilité. C'est tout à fait indigne...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre. J'ai dit... Oui, M. le député de Verchères.

M. Lalonde: ... alors que le ministre lui-même a rendu témoignage à SECOR.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Verchères.

M. Charbonneau: M. le Président, vous me corrigerez si j'interprète mal la fonction de la commission, mais je pense que la semaine dernière, lors de l'argumentation ici, mercredi soir, on a longuement discuté sur le fait qu'une commission parlementaire était, d'une certaine façon, une espèce de tribunal qui entendait des témoins et qui portait un certain jugement. Sans être avocat, mais ayant suivi suffisamment des activités dans le milieu judiciaire, je pense qu'une des fonctions d'un tribunal est d'évaluer la crédibilité des témoins. Si le député de Marguerite-Bourgeoys n'est pas satisfait de la façon dont nous évaluons la crédibilité, libre à lui, nous pourrions éventuellement déposer des documents qui pourraient indiquer comment nous considérons cette crédibilité.

Mais je pense qu'il est indiqué dans une commission parlementaire — cela s'est déjà fait à cette commission dans le passé — d'évaluer la crédibilité, cela n'affecte en aucune façon les personnes qui sont ici devant nous.

Le Président (M. Cardinal): Mme le député de L'Acadie, sur une question de règlement.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, sur une question de règlement, je ne puis permettre qu'aux membres de la commission de s'exprimer.

Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, ce qui a été dit mercredi soir dernier, est qu'il s'agissait d'un tribunal qui jugeait les témoins. L'argument que j'ai avancé, pour ma part, c'est que la commission devait être éclairée le mieux possible en entendant les témoins et en leur posant des questions pertinentes, non pas en les jugeant comme un tribunal qui appelle des témoins, etc. Au contraire, on s'est même dissocié un peu du mot témoin.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre. Oui, M. le député de Taschereau. Et j'espère Madame et Messieurs les députés, que vous ne prendrez pas trop de temps à cette heure-ci. Lorsque je serai suffisamment informé, je vous le laisserai entendre...

M. Charbonneau: Pour ma part, M. le Président, j'ai terminé.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Taschereau.

M. Guay: M. le Président, j'aimerais simplement préciser que j'ai bien souligné que l'étude de SECOR, à maints égards, était une étude valable. J'ai parlé du chapitre 6 et du chapitre 7 qui sont précisément des chapitres qui ont fait l'objet d'un coulage à la Presse, ce fameux samedi, où, d'autre part, SECOR présidait un atelier dont le moins que l'on puisse dire — les gens qui étaient là peuvent en témoigner — c'est que ça n'était pas un modèle d'objectivité. C'est pourquoi j'ai demandé, et je pose la question, justement, aux gens de SECOR, pourquoi on peut donner foi à l'objectivité de leur chapitre 6 et de leur chapitre 7. Je n'attaque pas les chapitres précédents.

M. Lalonde: M. le Président, question de règlement. Le député de Taschereau récidive.

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Marguerite-Bourgeoys et je voudrais tout de suite que l'on termine.

M. Lalonde: J'espère que vous allez le rappeler à l'ordre. Comment voulez-vous que les gens de SECOR se défendent contre une accusation générale, non prouvée, disant qu'ils auraient manqué d'objectivité lors d'une réunion il y a quelques semaines. Ils sont ici devant nous et comment voulez-vous qu'ils réfutent ça alors que c'est une affirmation gratuite non fondée? Je pense que c'est une façon indigne de la part d'un député, surtout un député ministériel. On dit que les oppositions se permettent des fois des écarts, mais dans ce cas-ci, je pense que c'est tout à fait indigne et que vous devriez le rappeler à l'ordre.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît.

En quelques mots. D'une part, vous savez que par mes fonctions, je ne suis ni au Conseil des ministres ni à aucun caucus, ni à aucune instance du parti, encore moins aux sommets économiques ni autres sommets. Je n'ai donc pas une connaissance personnelle de ce qui a été déposé et de ce qui a été dit à cette rencontre de Pointe-au-Pic. La seule connaissance que j'en ai, c'est un document qui a été déposé par un témoin de cette commission à l'occasion d'une audition. Je ne suis donc pas en mesure de juger du bien-fondé de la parole — et je n'ai pas dit l'accusation — du député de Taschereau.

D'autre part, à cette commission, le député de Taschereau, comme les autres députés, jouit de privilèges, parce que ce sont des privilèges accordés en vertu des articles 63 et suivants de la Loi de la Législature.

S'ils veulent aller plus loin dans leurs affirmations, c'est à eux de les prouver. Tant qu'ils s'en tiennent à ce qui a été dit ce soir, je n'ai pas à convoquer de commission de l'Assemblée nationale; je n'ai qu'à demander au député de Taschereau, dans les quelque 30 secondes qui lui restent, de revenir au sujet, s'il vous plaît!

M. Guay: J'ai posé une question. Mme Lavoie-Roux: Laquelle?

Le Président (M. Cardinal): Si M. le député de Taschereau n'a rien à ajouter, si ces messieurs veulent répondre. Ce n'est pas un droit de réplique.

M. Allaire: Pardon?

Le Président (M. Cardinal): Ce n'est pas un droit de réplique. Je m'excuse pour ma voix. Après le nombre d'heures et de semaines... Je vous en prie.

M. Allaire: Disons qu'il s'agit, quand même, de situer un certain nombre de faits. M. Pierre Lor-tie, qui était président d'une firme quelconque en novembre ou octobre dernier, a accepté la présidence du comité d'organisation du congrès de la chambre de commerce; en aucun titre, il n'agissait au nom de SECOR là-dedans, puisqu'il n'y travaillait pas.

M. Lortie s'est joint à SECOR au mois de mars. M. Lortie ne connaît rien du dossier de la langue. M. Lortie, sur le dossier de la langue, a été consulté comme un tas d'autres personnes dont nous faisons mention à la première page. Il n'a aucune incidence sur ce document particulier, puisqu'il arrive, depuis quelques mois, dans une entreprise qui travaille depuis deux ans sur ce sujet.

Il est un peu désolant d'essayer de faire des liens entre les deux. Nous sommes trois auteurs du rapport qui sont essentiellement Roger Miller, moi-même et Marcel Côté. Il serait peut-être préférable que, dans toute intervention publique au Québec, les gens soient de complets eunuques politiques. Ce n'est malheureusement pas le cas dans certains instances, mais, dans ce cas-ci, la contribution de M. Lortie est au même niveau que celle de M. Latouche, qu'on a consulté pour avoir des avis, toutes sortes d'opinions divergentes et diverses sur le sujet. Tout cela ensemble a été pris en considération, mais c'est nous qui avons rédigé le rapport et SECOR, en aucune façon, n'était responsable de ce colloque apparemment aussi extraordinairement biaisé, auquel je n'ai pas assisté personnellement, M. Lortie agissant à titre personnel dans l'organisation de ce colloque.

Le Président (M. Cardinal): Ceci étant dit... Sur quel sujet, M. le député de Taschereau?

M. Guay: Une dernière question, tout simplement.

Ce qui me porte également à douter un peu du chapitre VI et du chapitre VII, c'est cette affirmation suivant laquelle vous dites: "Au cours de l'enquête, nous n'avons pas demandé, d'aucune façon, aux entreprises ce qu'elles entendaient faire si la législation était adoptée, sans amendements ou après amendements. Nous avons préféré évaluer en fonction des critères objectifs — que je n'ai pas trouvés — les comportements des entreprises". C'est cela qui me porte également à trouver étonnants un peu le chapitre VI et le chapitre VII.

M. Allaire: Ce n'est pas étonnant si toutes les données recueillies sont présentées. Quant à ne pas demander l'opinion des gens, cela va de soi qu'on ne voulait pas demander aux gens qui sont là-dedans: Qu'est-ce que vous pensez? Qu'est-ce que vous allez faire? Cela n'a aucune valeur. On voulait des données relativement quantitatives pour situer ces entreprises, présenter ces grilles. Vous pouvez différer d'opinion avec nous quant à la probabilité d'ajustements quelconques, mais les chiffres sont là; on peut les débattre et on peut en discuter. On les a tous présentés, grille après grille, pour tous les secteurs, de sorte que vous puissiez les interpréter autant que je puis les interpréter.

M. Guay: Les critères objectifs?

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! Il n'y a pas de débat.

M. Guay: Ce n'est pas un débat, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): De toute façon, le temps est écoulé. Messieurs, nous avons commencé cette audition à 20 h 12. Une audition, c'est 90 minutes, si je sais bien compter. Et même si cette horloge officielle est souvent folle dans le temps qu'elle indique, je pense que — et là, je ne juge aucun député, aucun membre, aucun témoin — il est malheureux qu'on écoule le temps en fin de soirée sur une question de règlement. C'est tout ce que j'en dis. Je ne parle pas du fond de la question. Je voudrais bien que tout le monde m'entende bien et me comprenne bien, me comprenne peut-être mieux qu'il ne m'entende.

Ceci étant dit, je veux remercier M. Doyle, ses collègues de la chambre de commerce, les représentants de SECOR qui l'accompagnent, à la fois, comme je l'ai mentionné pour d'autres, de leur patience, de leur travail, de la façon dont ils ont présenté leur mémoire et dont ils ont répondu aux questions.

Messieurs, merci.

M. Grenier: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Un instant, s'il vous plaît.

Il est malheureux que nous n'ayons pas plus de temps, mais à moins d'un débat de procédure qui prendrait le reste du temps, je ne peux accorder aucune seconde de plus.

M. le député de Mégantic-Compton.

M. Grenier: Vous aviez antérieurement accordé, en certaines occasions, à certains dossiers dont j'ai été témoin, quelques minutes à nos invités qui étaient là pour faire un court exposé à la toute fin.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mégantic-Compton, le temps est amplement dépassé. Cependant, suite à votre suggestion, je vais

accorder, encore une fois, non pas une réplique, mais un très bref mot de la fin d'un seul des représentants de la Chambre de commerce, s'il vous plaît.

M. Doyle: M. le Président, je ne pense pas qu'il y a beaucoup à ajouter à ce que nous avons déjà dit, par nos représentants. Nous sommes très heureux d'avoir eu l'occasion de comparaître devant vous, les membres de la commission, de présenter notre mémoire, nos recommandations de la chambre qui, comme j'ai dit tantôt, a été conçu et élaboré indépendamment de l'étude que nous avons commanditée de la maison SECOR. Nous sommes très heureux d'avoir eu l'occasion non seulement de présenter notre mémoire, nos recommandations, mais d'avoir eu l'occasion également de présenter l'étude de SECOR, leurs recommandations, leurs constatations. Je suis sûr que je parle pour tous les membres de notre délégation et pour les 200 chambres qui participent à notre vie de Chambre de commerce au Québec ainsi que nos 31 000 membres individuels. Nous sommes très heureux d'avoir eu l'occasion de présenter ces recommandations et nous espérons fortement que le gouvernement, les membres de l'Opposition et ceux des autres partis politiques vont l'étudier sérieusement et prendre en considération toutes ces recommandations pour que le législateur arrive finalement avec une loi qui ne va pas seulement accomplir le but voulu, mais qui sera faite d'une manière que ce soit efficace, une loi qui ne va pas créer trop de problèmes au point de vue économique et social. Je vous remercie.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Doyle. Merci aux représentants de la Chambre de commerce.

M. Létourneau: M. le Président, excusez-moi...

Le Président (M. Cardinal): Oui.

M. Létourneau: Si vous permettez, avant de clore, seulement une remarque. Nous avons fait faire certaines recherches dans un domaine particulier, nous croyons que nous devons en faire part à la commission, avant de nous quitter, dans le domaine démographique.

Le Président (M. Cardinal): Non, je regrette, non je ne puis pas. Je suis lié par une motion... Un instant, s'il vous plaît! Un instant!

M. Lalonde: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Un instant, M. le député de Marguerite-Bourgeoys! Vous savez qu'il s'est produit un incident, l'autre soir, et que M. Fox, en dehors du temps qui lui était imparti, a demandé la parole. Je ne puis le faire, parce que ce n'est pas moi qui ai ce droit, c'est la commission et, a moins d'un consentement unanime de tous les membres de la commission dont j'ai les noms devant moi, je dois terminer cette audition. Est-ce que ce consentement est accordé?

M. Grenier: Oui, accordé. Mme Lavoie-Roux: Accordé.

Le Président (M. Cardinal): Accordé, monsieur. Je m'excuse, mais je dois procéder ainsi.

M. Charbonneau: M. le Président, est-ce que...

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Verchères.

M. Charbonneau: ...je pourrais demander au témoin, à M. Létourneau, si les documents écrits, les textes additionnels que vous avez à produire...

M. Létourneau: Pas à ce moment-ci.

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. Létourneau. Est-ce que je peux vous demander de combien de temps vous...

M. Létourneau: Deux minutes.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. Létourneau, vous avez la parole.

M. Létourneau: Simplement pour dire, M. le Président, que nous avons fait faire certaines recherches dans le domaine démographique concernant la présence francophone au Québec et nous avons découvert — nous pourrons confirmer cette affirmation subséquemment par écrit, s'il le faut — qu'à notre avis, le nombre des francophones au Québec va continuer d'augmenter pendant encore au moins quarante ans, même dans les conditions difficiles que nous connaissons de dénatalité ou enfin de problèmes de natalités, si on peut dire.

Et ceci, à moins qu'il y ait, évidemment, des choses absolument imprévues qui se produisent, comme un exode des francophones du Québec. Nous croyons que la loi 22 et la loi 1 ont réglé le problème de la croissance, si on peut dire, ou la menace dont on a parlé des anglophones au Québec, parce que ce grand problème se situait au niveau des allophones. Les allophones étant dorénavant intégrés au système francophone, nous croyons qu'à ce moment il n'y a plus de raison de craindre cette soi-disant domination future ou croissance future du groupe anglophone aux dépens du groupe francophone au Québec. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Merci. Un instant, s'il vous plaît! Ecoutez, je ne permettrai pas qu'on fasse un débat.

M. Charbonneau: Si je peux m'adresser à vous, est-ce qu'on pourrait savoir du témoin vers quel moment on peut s'attendre à avoir à notre disposition ces études démographiques qui pour-

raient être, à notre avis, étudiées en corollaire ou en comparaison avec le mémoire de l'Association des démographes du Québec? Est-ce que vous pouvez nous indiquer à quel moment vous prévoyez être en mesure de nous fournir ces précisions?

M. Létourneau: D'ici, au plus, une dizaine de jours.

Le Président (M. Cardinal): D'accord, M. Létourneau. Vous pourrez toujours vous adresser à la commission par écrit, au secrétariat de la commission.

M. Létourneau: Merci beaucoup, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Alors, je vous remercie encore une fois. Je regrette les petits incidents de la fin, mais je suis lié par la commission, dont je ne suis pas le porte-parole, mais uniquement celui qui doit voir à ce que tout se passe dans l'ordre et selon cette démocratie que j'ai appelée très patiente. Merci.

Oui, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: M. le Président, j'aurais deux directives à vous demander. La première, malgré vos remarques déplorant le fait que les questions de règlement soient faites aussi tard dans la soirée, est-ce que vous croyez — c'est une directive que je vous demande — qu'il est bien fondé qu'un représentant de la commission parlementaire soulève des questions de règlement, lorsqu'il croit qu'un autre membre a recours à des manoeuvres basses, quelle que soit l'heure, même 10 h 55?

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Deuxièmement, j'avais, lors de mes remarques, fait une suggestion. Je ne l'ai pas faite sous forme de demande directe au ministre. Je sais que le ministre n'est pas obligé de me répondre. Le député de Mégantic-Compton a concouru à mes remarques, est-ce que le ministre a l'intention de suggérer que cette commission étudie plus avant le mémoire de SECOR à un autre moment?

Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez, je vais demander au ministre s'il désire répondre. M. le ministre d'Etat.

M. Laurin: Peut-être mercredi soir prochain.

M. Lalonde: Pourquoi pas jeudi soir? Une Voix: On veut que vous y soyez.

Le Président (M. Cardinal): S'il vous plaît!

M. Lalonde: Alors, je comprends qu'ils vont être convoqués pour mercredi soir.

M. Charbonneau: Veuillez inviter le député de Laval également.

Mme Lavoie-Roux: Ils vont être convoqués pour mercredi soir.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît!

Mme Lavoie-Roux: ... une motion pour être convoqués mercredi soir.

Le Président (M. Cardinal): Je n'ai pas le droit de faire de commentaire, alors je m'en dispense. Je remercie ceux qui sont devant nous. J'invite immédiatement les porte-parole du Mouvement national des Québécois, mémoire 41, à se présenter devant nous. Oui, Mme le député de Marguerite-Bourgeoys.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, est-ce qu'il ne serait pas bon que les invités qui partent sachent que l'invitation pour le mercredi soir, ce n'est pas très sérieux?

M. Guay: Cela dépend de vous.

Le Président (M. Cardinal): Non, mais j'aurais autre chose à mentionner quand même. Cela sera très sérieux. A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Chevrette: Mme le député de L'Acadie en a déjà sorti des bien meilleures que cela.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! Nous ne sommes pas mercredi soir, alors...

Mme Lavoie-Roux: Je vous reprendrai.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre. Je ferai remarquer qu'il est impossible physiquement, matériellement, dans le temps que nous entendions les représentants du Positive Action Committee, mémoire 218, et les représentants du Comité anglophone pour un Québec unifié, mémoire 186. Je puis les assurer que s'ils peuvent être présents demain matin, à 10 heures, ils seront privilégiés dans le temps. Pour ce soir, pour autant que le principal puisse le faire, je vous donne congé et je demande aux porte-parole, au singulier ou au pluriel, du Mouvement national des Québécois, de bien vouloir identifier et leur organisme et ceux qui les représentent. M. L'Heureux, vous avez la parole.

Mouvement national des Québécois

M. Généreux (Alain): Première correction, c'est Alain Généreux.

Le Président (M. Cardinal): Pas l'Heureux.

M. Généreux: Cela m'arrive souvent. C'est un nom qui ne me déplaît pas du tout.

Le Président (M. Cardinal): Parfait.

M. Généreux: Justement, je suis précisément très heureux d'être ici ce soir. M. le Président, madame, messieurs de la commission.

Préalablement, je tiendrais à vous présenter les personnes qui m'accompagnent ce soir. Il y en a plusieurs. Je m'excuse de ne pas les nommer toutes. Nous avons des représentants de chacune de nos sociétés régionales, que ce soit des sociétés nationales des Québécois ou sociétés Saint-Jean-Baptiste, dans chacune des quinze régions du Québec. Je m'excuse auprès de mes collègues de ne pas les nommer. Je pense que ce serait très long comme liste. Je tiens quand même à vous présenter les membres du bureau du Mouvement national des Québécois. A ma droite, la vice-présidente, Mme Ruth Paradis; à ma gauche, le secrétaire du bureau du MNQ, M. Réginald Laver-tue; à sa gauche, le trésorier, M. Marcel Chagnon. Je vous prie d'excuser notre deuxième vice-président, M. François-Albert Angers, qui est actuellement en réunion pour préparer sa présentation de demain, et M. Léo Jacques, président ex officio, qui doit nous rejoindre sous peu.

Le Président (M. Cardinal): Je vais vous répéter les règles du jeu. Vous avez 20 minutes pour présenter votre mémoire. Cependant, à 23 heures, normalement, je devrais ajourner les travaux jusqu'à demain, 10 heures, à moins que je n'aie un consentement unanime des membres de la commission pour un temps déterminé. Alors, nous verrons à 23 heures comment régler ce problème.

Cette fois-ci, non pas M. L'Heureux, mais M. Généreux.

M. Généreux: Merci.

M. de Bellefeuille: M. le Président?

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Est-ce que nous pourrions demander à M. Généreux d'identifier toutes les personnes qui l'accompagnent, s'il vous plaît?

Le Président (M. Cardinal): Si vous le demandez, M. Généreux est certainement...

M. Généreux: II me fait plaisir...

Le Président (M. Cardinal): ...porte un nom pour le faire.

M. Généreux: Je ne voulais pas accaparer votre temps, mais il me fait plaisir de le faire.

Le Président (M. Cardinal): C'est en dehors du temps qui vous est imparti.

M. Généreux: Merci. Nous avons, de la Société nationale des Québécois d'Abitibi-Témiscamingue, M. Marcel Chagnon; de la Société nationale des Québécois du centre du Québec, M.

Georges Dumaine; de la SNQ, Côte-Nord, non M. Dupuis est absent; de la SNQ de l'Est du Québec, M. Réginald Lavertue; de la SNQ des Hautes-Rivières, M. Denis Charbonneau; de la Société nationale des Québécois de Lanaudière, je suis le représentant, mais il y a également plusieurs délégués — je crois que nous en avons quatre ou cinq — nous avons M. Fréchette... De la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, le président, M. Jean-Paul Champagne; de la Société nationale des Québécois de l'Outaouais... Est-ce que M. Côté est ici? Non, je pense qu'il n'est pas arrivé. Egalement de la Société nationale des Québécois de la région de l'amiante, quelqu'un a dû s'absenter, compte tenu du changement d'heure, qui était ici cet après-midi; de la Société nationale des Québécois de la Capitale, MM. Brochu et Chouinard; de la Société nationale des Québécois des Laurentides, M. Yvon Leclerc, président; de la Société nationale des Québécois de Richelieu-Yamaska, M. Jean-Louis Carufel, le directeur général; de la SNQ, Saguenay-Lac-Saint-Jean, M. Lucien Coudé, président, et Mme Ruth Paradis, vice-présidente; de la Société Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jean, M. Germain Godin, président; de la Société nationale des Québécois des Cantons, M. André Martel.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Généreux. Donc, nous commençons à 22 h 10.

M. Généreux: Je vais essayer de passer des sections du mémoire, je m'en excuse, pour peut-être garder plus de temps pour la période des questions.

Le Président (M. Cardinal): Vous avez le même avantage que j'ai offert au groupe précédent. Si vous désirez que ce qui ne sera pas lu soit déposé en annexe, vous n'avez qu'à en faire la demande.

M. Généreux: Je le demanderai immédiatement, M. le Président, puisque j'avais l'intention, étant donné la longueur du mémoire, de sauter un certain nombre de parties, présumant et tenant pour acquis que les membres l'ont déjà lu ou le liront.

Le Président (M. Cardinal): Sans jeu de mot, ça vous est accordé généreusement.

M. Généreux: Merci. Nous y allons?

Une Voix: Allez!

M. Généreux: Le Mouvement national des Québécois, fondé en 1948, sous le nom de Fédération des SSJB du Québec, a toujours accordé une très grande importance au débat concernant la situation du français au Québec.

Plus que tout autre groupe organisé, avec la participation de nos quinze sociétés régionales regroupant quelque 130 000 membres, nous avons tenté, par les moyens de la sensibilisation et de la persuasion, d'assurer au français la place qui au-

rait dû lui appartenir naturellement dans les différents secteurs de la vie collective au Québec.

A l'instar de plusieurs groupes soucieux d'améliorer la position du français au Québec, nous avons dû logiquement, constater l'impossibilité de corriger l'évident déséquilibre, défavorable aux francophones, imposé par la minorité anglophone, à moins que l'Etat n'assume sa responsabilité particulière à l'égard de la langue.

Depuis la présentation de notre mémoire de 1969, le Québec a eu droit à deux lois supposément destinées à assurer cette place du français chez nous. Dans ces deux cas de législations, au lieu d'affirmer le caractère français du Québec et ainsi de prendre carrément parti pour la majorité québécoise, les gouvernements concernés ont fait preuve d'une attitude soumise, béate et bienheureuse face à la dépendance socio-économique du Québec vis-à-vis des entreprises et du capital étranger.

En agissant de la sorte, ces gouvernements, en consacrant le bilinguisme au Québec, se basaient sur une conception erronée de la société québécoise et maintenaient un état de colonialisme linguistique que le Québec se doit absolument de briser.

Nous avons donc combattu ces deux législations avec force, législations qui, pour nous, constituaient des trahisons du peuple québécois.

L'histoire ne nous démontre-t-elle pas que le Québec a été maintenu dans ce colonialisme linguistique par la force, la menace et la domination économique de la minorité anglophone du Québec, aidée en cela par cet immense bloc anglo-canadien et américain auprès duquel cette minorité s'alimente en ressources humaines et dans lequel elle se fond naturellement et sans effort?

Il nous apparaît urgent que ce colonialisme linguistique soit brisé une fois pour toutes. Ceci ne peut se faire que par un redressement radical de la situation, redressement se devant d'être le résultat de la volonté politique de notre peuple et ne pouvant se traduire que par l'action énergique de notre Assemblée nationale.

A cause principalement de l'attitude soumise de nos gouvernements antérieurs, le Québec souffre d'une intoxication massive de bilinguisme dont il faut le libérer. Le Québec n'a pas à être bilingue, ni binational.

Le Québec se doit plutôt d'affirmer courageusement et énergiquement son caractère unilingue français. Pour nous, un peuple ne peut prétendre accéder à sa pleine souveraineté s'il ne sait s'affirmer et se faire respecter tel qu'il est, dans toutes ses dimensions.

C'est donc dans cet esprit que le Mouvement national des Québécois, bien qu'avec certaines réserves que nous aborderons plus loin, appuie le gouvernement du Québec dans son projet de loi no 1 et invite tous les Québécois, de quelque culture qu'ils soient, à aider ce gouvernement à faire du Québec un pays français où les droits individuels seront respectés en même temps que ceux de la nation.

Cet appui du MNQ au projet de loi no 1, confirmé par toutes nos instances de façon una- nime, se veut ferme et non équivoque, tout en nécessitant une mise au point nous apparaissant fondamentale. Il est, en effet, certain que ce projet de loi ne rejoint pas intégralement nos positions selon lesquelles nous aurions préféré que le gouvernement aille beaucoup plus loin dans sa logique, notamment en matière de langue d'enseignement. Nous reviendrons, d'ailleurs, plus loin sur ces divergences en termes de recommandations auprès de cette commission.

Toutefois — et nous voulons être bien compris sur ce point — nous nous réjouissons de cette volonté, manifestée tout au long de la charte, de donner au Québec un visage vraiment français. Nous sommes heureux de voir enfin notre gouvernement affirmer la normalité de notre peuple et cesser de considérer comme une fatalité historique cette notion pernicieuse d'un Québec bilingue entouré de 200 millions d'anglophones.

C'est donc en ce sens que nous accordons notre appui au projet de loi no 1 que nous percevons comme un minimum que nous ne considérons pas possible d'amender dans le sens d'un élargissement des droits de l'anglais.

Quant aux principaux motifs de cet appui, nous considérons ce projet de loi comme une consécration tout à fait justifiée du fait français au Québec. Pour nous, le Québec a toujours été un pays français, juridiquement et historiquement. Ce n'est que par une domination économique du conquérant que l'on a créé une espèce de mythe du bilinguisme au Québec.

Nous ne voulons pas faire ici l'historique du français au Québec depuis la conquête de 1760, ce que vous retrouverez d'une façon fort convaincante demain dans le mémoire du Mouvement Québec Français dont notre organisme est membre.

Par ailleurs, en affirmant ce caractère français dans tous les secteurs de la vie des Québécois, ce projet de loi est susceptible de mettre un terme à cette intoxication massive de bilinguisme dont souffrait et souffre le Québec et qui ne pouvait mener qu'à l'anglicisation graduelle et inexorable du Québec.

Depuis des générations, on nous servait certains lieux communs, notamment que le Québec se devait d'être magnanime pour ses minorités, qu'il ne fallait pas indisposer les capitalistes étrangers, que les citoyens avaient le libre choix de la langue d'enseignement, etc.

Lieux communs, disons-nous, qui ne pouvaient que favoriser l'angiicisation du Québec.

Ces idées généreuses ne contribuaient qu'à rendre de jour en jour plus inutile l'usage du français. Le résultat en était qu'à l'inverse de ce qui se passe dans tous les temps normaux, et ce bien souvent avec la complaisante acceptation de la majorité, la minorité est demeurée unilingue, ne sentant aucunement le besoin de connaître la langue nationale et devenant ainsi totalement isolée dans notre communauté nationale tout en la dominant. Pendant ce temps, notre majorité devenait de plus en plus bilingue pour travailler et vivre décemment, à plus forte raison pour réussir.

En outre, les lois antérieures n'ont toujours eu

pour effet, par leurs confusions et leurs ambiguïtés, que d'élargir continuellement le fossé entre francophones et non francophones. D'une part, à cause de la non-nécessité du français dans la vie sociale et économique des non-francophones et, d'autre part, à cause du rôle assimilateur de l'école anglaise, ce fossé ne cessait de s'agrandir.

En faisant du français une nécessité de vie, ce projet de loi permettra certainement un rapprochement, à long terme, entre les différentes minorités ethniques du Québec et la majorité francophone. Par cette loi nettement et franchement conforme aux intérêts d'un Québec français, le peuple du Québec saura certainement susciter le respect de ces minorités, respect nécessaire à rétablissement d'une saine collaboration de ces groupes au développement du Québec.

Le projet de loi no 1 nous apparaît également comme le premier en la matière à reconnaître la langue française comme un bien national du Québec. La langue peut en effet être définie comme l'expression profonde de l'être total, c'est-à-dire de l'être social, de l'être qui vit en groupe, en collectivité, en communauté ethnique. Elle prend sa source dans la source même de la collectivité: la communauté nationale. Il est donc évident que la langue n'est pas un droit individuel à l'exemple de la liberté de conscience ou de la liberté du culte. Elle est essentiellement un bien national. Il est donc essentiel que l'Etat protège cette langue, bien national des Québécois et instrument de communication sociale.

Parce que plusieurs groupes ethniques cohabitent sur notre territoire, il est impérieux que ce projet de loi soit adopté et surtout scrupuleusement appliqué. Il est grand temps que nous cessions d'être un peuple exploité culturellement et économiquement et étranger dans sa propre maison. C'est en fonction de cette anormalité de notre situation sur le plan linguistique que la maturité de notre peuple commande à l'Etat québécois de légiférer d'une façon aussi complète qu'il s'apprête à le faire.

Il n'est donc pas humiliant d'adopter un tel projet de loi. L'humiliation consisterait beaucoup plus dans le fait de ne pas légiférer et de s'en remettre à cette espèce de résignation qui nous a été imposée jusqu'ici.

Comme instrument de formation professionnelle, la langue doit aussi être considérée comme un droit individuel, un bien individuel. Ce droit individuel cède le pas devant le droit de la collectivité. Penser autrement, c'est inverser l'ordre naturel des choses.

Selon nous, l'argumentation selon laquelle ce projet de loi serait contraire au respect des droits fondamentaux ne constitue qu'une dernière manoeuvre pour tenter de culpabiliser les Québécois et les amener à renoncer à cette volonté collective de s'affirmer comme peuple français sur ce territoire qui est le nôtre.

A notre sens, ce droit individuel ne saurait en aucun cas, et surtout dans le cas d'un pays comme le Québec où cohabitent plusieurs groupes ethniques, et où la langue de la majorité est menacée de toute part, ce droit individuel, selon nous, ne saurait jamais avoir préséance sur le bien collectif.

Il nous apparaît, en effet, évident que la logique commande qu'aucun citoyen appartenant à un groupe minoritaire ne puisse imposer sa langue à la majorité, ni la substituer à la langue nationale du pays. Tout citoyen, quelle que soit son origine, a le devoir strict d'étudier la langue nationale, de la parler convenablement et de l'utiliser dans ses relations sociales et dans la vie économique. N'est-ce pas l'ordre naturel des choses, dans un pays normal, évidemment? C'est d'ailleurs de cette préséance du droit collectif que ce projet de loi tire la légitimité de ses dispositions. Il serait d'ailleurs temps que l'on cesse de taxer de discriminatoire ce projet de loi.

Particulièrement en matière de langue d'enseignement, les Québécois ne doivent pas se laisser impressionner par cet argument de non-respect des droits fondamentaux de la personne. Il est de bonne guerre que la minorité anglophone tente de dénoncer une soi-disant non-concordance entre la charte du français et la Charte des droits de la personne.

A notre avis, la charte du français ne fait que préciser la portée de la Charte des droits et libertés de la personne en matière linguistique. Rien, dans ce projet de loi, ne vient contredire les droits fondamentaux de l'individu reconnu par le droit international. Il est en effet totalement inexact de prétendre que le pseudo saint principe du libre choix de la langue d'enseignement relève des droits fondamentaux de l'individu. Ce pseudodroit est d'ailleurs expressément contraire aux conventions internationales. Rappelons principalement la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement, adoptée le 14 décembre 1960 par la Conférence générale de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture.

Cette convention internationale empêche en effet l'interprétation des droits fondamentaux comme signifiant ce libre choix de la langue d'enseignement pour une minorité nationale et ce, par la lettre même de son article 5c) 1 "qu'il importe de reconnaître aux membres de minorités nationales le droit d'exercer des activités éducatives qui leur soient propres, y compris la gestion d'écoles et, selon la politique de chaque Etat en matière d'éducation, l'emploi ou l'enseignement de leur propre langue à la condition, toutefois, que ce droit ne soit pas exercé d'une manière qui empêche les membres des minorités de comprendre la culture et la langue de l'ensemble de la collectivité ou de prendre part à ses activités ou qui compromette la souveraineté nationale".

La Cour européenne des droits de l'homme, dans un jugement du 23 juillet 1968, concernant la langue d'enseignement en Belgique a d'ailleurs également nié ce droit au libre choix de la langue d'enseignement. La cour spécifie même que la reconnaissance de ce droit conduirait à des résultats absurdes, car chacun pourrait ainsi revendiquer une instruction donnée dans n'importe quelle langue, dans l'un quelconque des territoires. Il nous apparaît donc clairement qu'aucune des dis-

positions du projet de loi ne vient brimer les droits fondamentaux de l'individu. Le seul effet de la loi est de consacrer le caractère de bien national au français en n'abolissant pas les droits individuels des membres des minorités nationales.

Cette liberté de choix n'existe nulle part ailleurs dans le monde, sauf dans le cas où une collectivité nationale serait soumise à une domination politique qui établirait ce principe dans le but de favoriser l'implantation de la langue de la nation humaine.

Il existe bien des pays qui ont des systèmes d'enseignement parallèles, par exemple la Belgique, la Suisse, etc., mais cans ces pays les enfants sont éduqués dans la langue maternelle de la province ou de la région, sans que les parents aient la liberté de choisir une autre langue d'enseignement à l'école publique. Ainsi, en Belgique, en territoire wallon, l'enseignement se donne en français tandis qu'en territoire flamand la langue d'enseignement est le flamand. Il ne saurait être question de laisser aux parents la liberté d'imposer ou de choisir la langue française pour enseigner en territoire flamand ou vice versa, ce qui ne veut pas dire que la langue de l'autre groupe ne soit pas enseignée. Elle est inscrite au programme à titre de langue seconde. On retrouve d'ailleurs le même principe de répartition scolaire en Suisse, pays multilingue.

Ceci nous amène logiquement à commenter les prétentions de ceux qui voudraient rendre les classes anglaises accessibles aux enfants dont les parents ont fréquenté l'école primaire anglaise dans une autre province canadienne, même s'ils ne sont pas domiciliés au Québec à la date d'entrée en vigueur de la loi. Cet amendement ne saurait reposer sur aucun fondement historique, ni juridique. Sur ce point, il importe d'abord de ramener les choses dans leurs véritables dimensions et de spécifier que la portée d'un tel amendement ne concernerait qu'un nombre fort limité d'éventuels nouveaux venus qui soient vraiment anglophones.

C'est ici qu'il faut être conscient que cet amendement accorderait aux futurs arrivants de ces provinces, qu'ils soient anglophones ou francophones, des droits que nous n'accordons à des gens qui sont déjà domiciliés au Québec que par dérogation à la règle générale de l'enseignement français au Québec.

C'est en effet aberrant de voir ces gens qui ont toujours utilisé l'école anglaise pour assimiler non seulement les immigrants, mais aussi beaucoup de francophones, s'insurger et se prétendre brimés dans le droit de la collectivité anglophone de croître naturellement.

A cela nous répondons que si leur croissance naturelle doit passer par l'assimilation à la minorité des nouveaux venus, fussent-ils des Canadiens des autres provinces, la générosité dont fait preuve le projet de loi actuel est peut-être déjà démesurément grande.

Le MNQ se réjouit donc que le gouvernement, malgré les pressions inexplicables, si ce n'est que pour des motifs inavouables, n'ait pas cédé sur cette clause du domicile au Québec au moment de l'entrée en vigueur de la loi pour les gens du reste du Canada.

Nous mentionnons ici un certain nombre d'observations en ce qui concerne la langue de travail, d'administration, du commerce et des affaires. Je pense que vous avez le document en mains. C'est vraiment une attitude d'appui. Si vous me permettez, je vais sauter cette partie, pour conserver plus de temps.

Je continue à la page 20. Tel que mentionné précédemment, l'appui du MNQ est ferme en raison du fait que ce projet de loi constitue pour nous un minimum. Nous tenons à insister ici sur les divergences entre ce projet et la politique linguistique de notre mouvement.

Pour ce faire, il y a d'abord lieu de vous faire part du document rendu public le 24 janvier 1977 et intitulé "Politique du Mouvement national des Québécois en matière linguistique". Si vous le permettez, encore là, je vous réfère, c'est une énumération du document rendu public et qui avait été envoyé eux membres...

Le Président (M. Le Moignan): M. Généreux, je vois que vous êtes d'une très grande générosité. Normalement, il vous resterait deux minutes pour énumérer vos points.

M. Généreux: J'achève. Ce sont nos recommandations, si vous le permettez.

Le Président (M. Le Moignan): Très bien.

M. Généreux: Je passe la partie qui répète la position de janvier dernier, qui est connue, je pense bien.

Nous constatons d'abord que le gouvernement n'a pas retenu les quatre premiers points de cette politique du mouvement, points également recommandés par le MQF. Nous n'insisterons pas sur le fait que le projet de loi no 1 ne se présente pas sous la forme d'une loi constitutionnelle distincte, considérant que le gouvernement fait ainsi un choix stratégique que nous aurions voulu différent.

Egalement, nous recommandions que l'article 133 de l'AANB soit amendé, conformément à l'article 92-1 du même article. Nous ne le retrouvons pas dans la loi. Donc, nous recommandons au gouvernement d'inclure un paragraphe qui abrogera l'article 131 en ce qui concerne le Québec, conformément à l'article 92-1. Quant à l'argumentation, je vous réfère également au texte ici, ce qui nous aurait semblé une stratégie beaucoup plus logique et cohérente.

En matière de langue d'enseignement, notre position diverge considérablement de celle proposée dans le projet de loi. En choisissant le critère de la fréquentation scolaire des parents pour déterminer l'admissibilité des enfants à l'enseignement en langue anglaise, le gouvernement a certainement opté pour la méthode la plus facile quant à son application administrative.

Appréciant, par ailleurs, que le gouvernement ait ajouté à cela le critère du domicile au Québec à

la date d'entrée en vigueur de la loi, nous déplorons qu'il ne tienne nullement compte de la langue maternelle de l'enfant dont on aura à juger de l'admissibilité à l'enseignement en anglais.

Adoptant en cela la position du MQF, nous considérons qu'il s'agit là de permettre l'accès à l'enseignement en anglais à un nombre beaucoup trop considérable d'enfants dont la langue maternelle n'est pas l'anglais. Le projet de loi reconnaît donc à un grand nombre d'enfants francophones ou non anglophones, le droit à cet enseignement en anglais. Nous nous retrouverons donc dans une situation où perdurera la tendance assimilatrice de la minorité anglophone envers une forte partie de la population québécoise.

Il y aurait donc lieu, selon nous, d'ajouter, aux critères de la fréquentation scolaire d'un parent et du domicile lors de l'entrée en vigueur de la loi, celui de la langue maternelle de l'enfant.

Malgré toutes les objections apportées à l'application de ce critère de la langue maternelle, nous demeurons persuadés qu'il est possible de la déterminer à partir de la langue commune de l'enfant. Encore là, je vous réfère au mémoire du Mouvement Québec français.

Nous recommandons donc d'ajouter, comme critère d'admissibilité à l'enseignement en anglais, celui de la langue maternelle de l'enfant pour ceux qui n'ont pas encore entrepris des cours en anglais.

Nous recommandons également que le sous-paragraphe i) du paragraphe b) de l'article 52 du projet de loi soit modifié de façon à rayer les mots "les mêmes droits cependant à leurs frères et soeurs cadets".

Cette dernière expression ne concerne en réalité que des enfants dont la langue maternelle n'est pas l'anglais. Pourquoi, alors, leur permettre d'aller au secteur anglophone et ainsi de s'intégrer à la minorité anglophone?

Nous ne voyons décidément rien, ni historiquement, ni juridiquement qui puisse faire primer une supposée raison de la non-séparation des familles sur l'intérêt collectif de la majorité. Il faut tout mettre en oeuvre pour intégrer à la vie communautaire de la majorité francophone tous ces jeunes qui ne sont d'ailleurs pas des anglophones.

Nous ne croyons pas, en effet, qu'il s'agisse d'une responsabilité collective de l'Etat d'éviter cette séparation apparente des familles, mais bien plutôt d'une responsabilité des parents. En ce sens, le projet de loi devrait donc tendre à inciter ces parents, assumant leurs responsabilités, à faire tout leur possible pour réintégrer au secteur francophone le ou les enfants qu'ils auraient inscrits, par le passé, au secteur anglophone.

Pourquoi pas, dans ce cas bien précis, l'unification des familles, oui, mais par le français?

Tout en insistant auprès de la commission pour qu'il soit tenu compte des recommandations contenues dans cette dernière partie, le Mouvement national des Québécois réitère son appui au projet de loi no 1 et incite le gouvernement du Québec à demeurer ferme dans chacune des in- tentions consacrant le caractère français du pays du Québec et contenues dans ce projet de loi. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Le Moignan): Je vous remercie beaucoup et je crois que M. le ministre aura certainement quelques brefs commentaires. Je n'ai pas à lui imposer de limite de temps.

M. Laurin: Merci, M. le Président. Je veux d'abord remercier très sincèrement et chaleureusement le Mouvement national des Québécois pour le mémoire étoffé qu'il vient de nous présenter.

Je me réjouis, évidemment, de l'accord inconditionnel et quasi total que le Mouvement national des Québécois apporte au projet de loi du gouvernement. C'est pour nous un facteur de sécurité. Il est bon de se sentir d'accord avec 130 000 Québécois qui ont toujours été à la fine pointe du combat linguistique et de la promotion de nos aspirations et de nos intérêts nationaux.

J'ai particulièrement apprécié l'appui que le Mouvement national des Québécois apporte à l'unilinguisme institutionnel que veut assurer, d'une façon ferme et définitive, le gouvernement du Québec. On sait, en effet, que cette unilinguisme institutionnel correspond beaucoup mieux que ce bilinguisme à saveur coloniale qui était le nôtre jusqu'à présent à notre réalité et à notre vérité comme peuple.

Je me réjouis également de la discussion serrée que contient votre mémoire sur cette pseudoopposition entre les droits de la personne et les droits collectifs. Je suis d'accord avec vous pour dire que le droit à la langue, bien sûr, peut constituer un droit individuel, si on entend par là le droit qu'a toute famille d'élever, de donner, d'impartir aux générations qui viennent l'héritage de leur langue maternelle, mais ce droit est quand même limité dans une société. Il est juste de dire qu'à un certain niveau et à un certain moment, la langue devient un bien national. Il faut, par la suite, bien comprendre que le maintien, l'affirmation de ce bien national linguistique vient même appuyer le droit individuel, en ce sens qu'il consacre la nécessité d'une langue commune qui permet à chacun, y compris aux minorités, de participer à la vie collective.

Vous avez bien raison de souligner que dans ce pays, qui sera désormais unilingue sur le plan institutionnel, il sera beaucoup plus facile aux minorités de se rapprocher de la majorité, de s'intégrer à la vie collective, de participer au développement du pays, mais aussi au bénéfice que le développement de ses richesses permet à chacun.

Vous avez rappelé avec raison le témoignage de cette haute autorité morale que constitue l'UNESCO qui, dans l'article 5 de sa convention internationale, en 1960, reconnaît à la fois le droit individuel linguistique, mais le limite, le tempère par l'articulation qu'il en fait avec le droit collectif d'une majorité à voir à procurer aussi à chacun des citoyens et à chacune des minorités le meilleur apprentissage qui soit de la langue commune,

de la langue courante, de la langue collective, sans pour cela nuire en rien au droit individuel, et bien au contraire, en évitant ainsi une anarchie linguistique qui s'avérerait dangereuse pour tout le monde, y compris pour les minorités.

Vous nous faites une recommandation en ce qui concerne l'article 52, surtout pour les enfants qui ne sont pas encore à l'école. Vous voudriez qu'on ajoute, aux critères que contient déjà le projet de loi, un autre critère qui serait celui de l'identification de la langue maternelle de l'enfant. Etant donné les effets probables de cette loi, si elle est adoptée, on peut penser que la clause ou le nouveau critère que vous suggérez ne réussirait qu'à ramener à l'école francophone un nombre assez réduit d'enfants. Et envisageant à l'avance toutes les complications administratives par lesquelles il faudrait passer pour aller récupérer ces enfants, je me demande vraiment si le jeu en vaut la chandelle. C'est une question que je vous pose. Je vous en poserai aussi une deuxième. Ne croyez-vous pas qu'en nous orientant dans cette direction, tôt ou tard nous aboutirions, de mesures en vérifications, en allégations de preuves, à revenir à cette formule des tests qui, à juste titre, a été tellement décriée? Voilà donc les deux questions que je vous pose.

M. Généreux: Pour faire suite à votre exposé, je vais y aller directement avec les questions que vous nous avez posées. En ce qui concerne cette recommandation de réinsérer dans la loi le critère de la langue maternelle, il est clair, en ce qui nous concerne, que nous ne croyons pas à l'application de tests. Nous en avons fait l'expérience depuis l'adoption de la loi 22. Cela a contribué à élargir toujours ce que nous avons appelé, dans notre mémoire, le fossé entre francophones et non-francophones. Nous croyons qu'en définissant la langue maternelle comme étant la langue commune de l'enfant — vous l'avez dit vous-même en présentant votre question — cela ne concerne finalement qu'un nombre limité. C'est pour les jeunes qui ne sont pas déjà inscrits au secteur anglophone, donc pour le niveau de la maternelle ou de la première année.

Au point de vue des complications administratives, cela ne nous paraît pas insurmontable. On crée une exception, en termes de dérogation à un principe général de la loi du français, langue d'enseignement au Québec. C'est un droit qu'on va aussi donner par la suite aux descendants de ces gens. A ce moment, cela devient, à la longue, un nombre considérable de personnes, de Québécois qui seront concernés par cette loi. Cela rejoint l'autre recommandation que nous faisons également en ce qui concerne les frères et soeurs cadets. Ces gens ne sont pas encore dans le réseau d'éducation anglais et, du simple fait qu'ils ont un ainé qui s'y trouve, ils acquerraient un droit auquel ils n'auraient pas droit en vertu du principe même de la loi no 1, et le transmettraient à leurs descendants, par la suite. A ce moment, lorsqu'on compile les deux recommandations, lorsqu'on les considère dans un tout, cela concerne finalement beaucoup de gens qui n'appartiennent absolu- ment pas à la communauté anglophone du Québec. Ce sont des allophones ou des francophones, dans la plupart des cas.

A ce moment-là, cela concerne un nombre imposant, sur les années à venir, sur la période des dix prochaines années, de jeunes qui seront acceptés dans le réseau scolaire anglais, contrairement aux principes mêmes de base de la loi 1. La loi 1 pose le principe du français, langue d'enseignement et dit, pour des raisons humanitaires, pédagogiques, ainsi de suite, que ceux qui y sont déjà, d'accord, ils vont y aller; ils vont pouvoir continuer, compléter leurs études dans l'école anglaise; elle dit, également, pour les véritables anglophones du Québec, d'accord, qu'ils y aillent. On les définit administrativement comme étant ceux dont les parents ont fréquenté... C'est un critère qui nous semble logique en termes d'application administrative. Mais il faut quand même limiter ce critère, puisqu'on se rend compte, dans la pratique, qu'il va toucher un grand nombre de francophones et de non-anglophones. Nous disons, sans aller dans l'ambiguïté, la confusion des tests et tous les conflits que ça peut susciter: II est facile de connaître la langue commune d'un enfant par des dispositions très simples, au moment de l'inscription, et ça ne concerne, à ce moment-là, que ceux qui sont à la maternelle ou à la première année. S'ils sont anglophones, d'accord, il n'y a pas de problème. C'est la langue commune. Là-dessus, nous sommes d'accord, à savoir que ce qu'il faut éviter, c'est l'embûche de forcer, par ce biais, des gens qui seraient non pas des anglophones, mais assimilés. Ceux qui sont déjà assimilés par la minorité anglophone, nous disons: Tant pis! Historiquement, nous avons accepté qu'ils le soient. Assumons-en les conséquences. Mais ceux qui ne l'ont pas été, tentons de les récupérer.

En dehors de la région métropolitaine, c'est quand même important. Prenez un exemple comme ma région, Lanaudière-Joliette; il y a tout près de 80% de la clientèle scolaire où il s'agit de francophones. Ce sont des francophones qui justifient l'existence d'une école anglaise à Joliette. Est-ce que c'est logique? Cela nous paraît totalement illogique, et est-ce que ces 80% de francophones qui sont déjà là vont permettre à leurs "frères et soeurs cadets" d'y aller dans les mois qui viennent? Est-ce que tout ce beau monde va transmettre ce droit à ses descendants? C'est là où on dit: II y a un accroc à la logique dans la structure même, dans l'ossature de la loi.

Est-ce que ça répond à la question?

M. Laurin: Oui, très bien. Je reconnais que le critère qu'a choisi le gouvernement est imparfait, mais, comme disaient les Grecs: De deux maux, il faut souvent choisir le moindre. Là, évidemment, c'est laissé à l'évaluation des divers opinants, comme on dit en langage juridique, il faut éviter deux précipices. Il faut, 'bien sûr, éviter certains inconvénients, comme ceux que vous signalez et que nous signalait, cet après-midi même, la Fédération des principaux du Québec. Mais il faut aussi éviter d'autres précipices, des situations acquises qui, lorsqu'on essaie de les redresser ou de les ré-

parer, conduisent à des tensions sociales très difficiles, ou encore qui amènent à faire peser, d'un poids très lourd, l'appareil administratif de l'Etat dans le sens des tracasseries, ou encore qui amènent le gouvernement à proposer, pour réparer ce que vous venez de signaler, des mesures qui, même si vous ne les appelez pas "tests", ou même si vous prétendez qu'elles sont simples, doivent échapper quand même aux critiques qui ont été faites aux tests, c'est-à-dire leur caractère discrétionnaire d'une part et subjectif de l'autre.

Car lorsqu'on essaie d'établir des critères, malgré l'apparence de facilité qui peut être donnée au départ, on se rend compte, en fouillant davantage les procédures, qu'il n'est pas facile d'éviter ces reproches ou ces inconvénients de la discrétion ou du subjectivisme, mais encore une fois, je reconnais avec vous que c'est une solution qui est imparfaite. Peut-être le sont-elles toutes en l'occurrence.

Il s'agit pour le gouvernement de prendre celles qui causent le moins d'inconvénients. Je reconnais d'ailleurs avec vous, comme vous l'avez dit dans votre mémoire, que le droit des allopho-nes, en l'occurrence, n'est fondé sur aucune preuve historique ou juridique. Au fond, l'ajustement auquel consentirait le gouvernement est uniquement motivé par des raisons sociologiques, humanitaires, si on veut les regarder dans leur sens positif, et par des raisons de paix sociale à préserver ou à rétablir, si on veut les considérer sous un angle moins positif.

De toute façon, votre mémoire, comme beaucoup d'autres, nous amène à reconsidérer ce problème. Il nous apporte d'autres arguments; nous tenterons de les prendre en considération.

Pour ma part, je n'ai pas d'autres questions.

Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez, avant d'aller plus loin, techniquement, pour le journal des Débats, saluons la présence de M. François-Albert Angers que vous avez mentionné, mais qui n'était pas là au début, M. Généreux.

Mme le député de l'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier les représentants du Mouvement national des Québécois qui sont venus à la commission parlementaire faire leurs représentations sur le projet de loi no 1.

Je sais qu'ils n'en sont pas à leurs premières armes. Ils sont déjà venus au moment de la loi 22. Ils sont venus à l'occasion d'autres projets de loi. J'avais moi-même pris connaissance du mémoire que vous avez envoyé au début du printemps, je pense, vous en faites mention ici.

Une Voix: Oui.

Mme Lavoie-Roux: Evidemment, quand quelqu'un présente un mémoire qui vient appuyer totalement la position du gouvernement, sauf pour quelques modifications concernant la langue d'enseignement, parfois je me demande quelle est l'utilité de poser des questions puisque tout le monde est heureux dans le meilleur des mondes.

Néanmoins, je voudrais quand même vous demander quelle place, croyez-vous, on doit faire aux minorités. Dans votre raisonnement, vous vous dites: Une fois que tout le monde parlera français, qu'il n'y aura que la langue française, les minorités vont se rapprocher. Tout ira bien. Mais entre-temps, parce que même si le projet de loi no 1 est adopté, ceci n'arrivera pas du jour au lendemain.

D'abord, que considérez-vous comme minorités et quels droits pensez-vous devraient-elles avoir au point de vue de l'enseignement, de leur culture respective, de leur place et de leur intégration dans la société?

M. Généreux: Je pense que la vie de toute nation est basée d'abord sur ce qu'on appelle, nous, le bien national, finalement. Une minorité doit vivre à l'intérieur d'une structure nationale qui comprend une langue nationale; elle doit la posséder, la véhiculer et communiquer avec cette majorité à travers la langue nationale, comme dans tous les pays normaux du monde. Les minorités seront les bienvenues au Québec... Elles le sont. Je pense que de plus en plus le Québec s'ouvre à ces gens-là, commence à réaliser qu'ils peuvent être un apport au développement du Québec, à tout point de vue.

Il importe d'abord, pour la majorité francophone, de déterminer des règles du jeu qui soient claires et nettes, franches, de leur dire également exactement où nous voulons aller comme pays, de leur dire dans quel milieu de vie nous voulons vivre et de les inviter à collaborer avec nous au développement de ce pays. Je pense qu'il ne s'agit pas de brimer les minorités. On pourrait peut-être faire une distinction entre anglophones et non anglophones dans les minorités, si vous voulez tantôt. Je n'aime pas le terme allophone; je n'aimerais pas me faire qualifier d'allophone. Je pense que ces gens-là, que ce soit des Italiens ou toutes les minorités ethniques du Québec autres qu'anglophones, doivent s'intégrer à la majorité francophone et qu'il doit y avoir, évidemment, une période de transition pour le faire.

A travers les mesures actuellement proposées dans le projet de loi no 1 il est permis d'espérer non seulement dans la langue d'enseignement, mais, à cause d'un milieu de travail français, à cause d'une administration publique qui sera davantage française, de les inciter naturellement à vouloir s'insérer à la majorité et d'y trouver leur intérêt. Toutes les collectivités du monde ont besoin d'apports extérieurs. Nous continuerons d'en avoir besoin, mais que l'on cesse des luttes sur une question aussi fondamentale que la langue au Québec, que l'on clarifie les règles du jeu et ces gens-là spontanément, je pense, viendront vers la majorité. Vous me demandez: Quelle est la place des minorités? C'est fort difficile d'y répondre et c'est tellement large.

Mme Lavoie-Roux: Vous disiez au départ: II faudrait peut-être faire une différence entre la communauté anglophone et d'autres communautés. Est-ce que vous pourriez élaborer ce point?

M. Généreux: Je réfère principalement au niveau de la langue d'enseignement. Le projet de loi no 1 fait une distinction et l'on maintient des classes d'enseignement en anglais. Comme nous insistons beaucoup dans notre mémoire là-dessus, nous ne le considérons pas comme un droit fondamental. Le droit international dit — et c'est reconnu dans la convention que nous citons, dans le jugement de la Cour européenne — qu'il y a la langue nationale et qu'à l'intérieur d'une politique de l'Etat, l'Etat peut reconnaître à un groupe déterminé d'avoir un enseignement dans sa langue. C'est dans ce sens-là, je pense, que le projet de loi maintient le principe des classes anglaises. Il le fait, je pense, à ce moment-là, pour des raisons historiques différentes des raisons motivant notre attitude face aux autres groupes minoritaires du Québec. Pour les autres groupes aussi, il doit y avoir des mécanismes d'intégration à la communauté francophone majoritaire. Il doit aussi y avoir une incitation pour les anglophones, car, même si la loi permet des classes anglaises dans le domaine de la langue d'enseignement, je pense que la minorité anglophone du Québec doit aussi sentir ce besoin de vivre en français au Québec. C'est vraiment une dérogation à la loi actuellement.

Mme Lavoie-Roux: Est-ce que vous maintenez le principe des classes anglaises ou des écoles anglaises?

M. Généreux: Au niveau du Mouvement national des Québécois, nous avons toujours été très scrupuleux sur le terme. Nous parlons de classes anglaises.

Au niveau du présent débat, nous ne voulons pas mêler toute la question de structuration scolaire, nous parlons de classes anglaises et nous voulons nous limiter à ça. Pour le moment, nous ne serions pas prêts à nous engager à maintenir un réseau d'écoles anglophones.

Mme Lavoie-Roux: Une remarque que je voulais faire, c'est qu'en page 14, au troisième paragraphe, sur la question de la langue d'enseignement, vous dites: "II est en effet totalement inexact de prétendre que le pseudo-principe de libre choix de la langue d'enseignement relève des droits fondamentaux de l'individu." Enfin, vous avez toute une argumentation qui développe cette question de droits fondamentaux. Je dois vous dire que les groupes qui sont venus ici, même les groupes anglophones, n'ont pas fait valoir le libre choix en fonction de ces droits fondamentaux de l'individu. L'argument qu'ils ont davantage mis de l'avant a été que les francophones devraient être suffisamment en sécurité, l'épanouissement de la vitalité du français etc. Je ne me souviens pas que les gens aient utilisé, dans les mémoires qu'ils ont présentés à la commission, cet argument, et je vois que vous le développez pendant près d'une page. Ce n'est vraiment pas un argument qui a été développé par les groupes anglophones qui sont venus ici.

M. Généreux: Je ne veux pas vous contredire, je n'ai malheureusement pas assisté à toutes les délibérations, mais je sais que, dans l'opinion publique et dans les interventions publiques, plusieurs groupes ont continuellement fait référence aux droits fondamentaux de l'individu et il nous apparaît important de clarifier ce point-là.

Je pense que, depuis des années, au Québec, finalement il ne faut pas s'en cacher, le débat linguistique a toujours été limité, presque uniquement, à la question de la langue d'enseignement. Dans ce sens, il nous apparaissait important de clarifier cet aspect.

Mme Lavoie-Roux: A un autre endroit de votre mémoire, — j'avais indiqué la page 7, mais ça ne semble pas être à la page 7 — vous parlez de la domination économique. Vous rattachez le problème de la langue à celui de la domination économique. Je pense que tout le monde s'entend pour dire qu'il faut que le français soit la langue générale d'usage et de communication au Québec, etc. Moi, j'aimerais savoir de vous, en admettant que cet objectif soit atteint et même selon les termes où vous l'entendez, enfin, il ne resterait plus de préoccupation linquistique, est-ce que ceci sera suffisant pour se libérer ou lever cette hypothèque de la domination économique, ou comment voyez-vous que nous pourrions lever la domination économique?

M. Généreux: Je crois que vous êtes sur le point de m'entraîner dans beaucoup d'autres aspects des orientations du mouvement. Je pense que le développement du Québec se fait dans (interrelation du social, du culturel, de l'économique et du politique. Il s'agit ici d'une intervention législative dans un secteur bien précis qui est linguistique.

Je pense que le Québec doit intervenir dans tous les secteurs et dans la prise en charge de tous ces secteurs de développement. Il est clair qu'on pourrait avoir les plus belles lois en matière linguistique; si on laisse le développement économique du Québec sans plus grande intervention de l'Etat, sans un contrôle plus conforme au développement du Québec, je pense que ce serait leurrer la population.

Il y a une interrelation entre le développement comme je le disais tantôt — social, politique, économique, culturel. Mais je pense que, dans le projet de loi actuel, nous parlons de la question linguistique. Cette interrelation n'est pas neuve. Elle existe depuis le début; dans notre histoire, nous l'avons vécue tout au long.

On dit que la situation dans le secteur linguistique, celle que nous vivons actuellement, découle de cette même interrelation qui a toujours existé. Je pense qu'on n'a pas à se le cacher, le développement économique n'a pas été assumé, par le passé, ou du moins entièrement pris en charge par la majorité francophone du Québec. Je ne voudrais pas donner de cours d'histoire ici, mais c'est l'interrelation qui a toujours existé. Une attitude positive et agressive dans le secteur de la langue va faciliter des interventions dans la participation de la majorité francophone aux niveaux économi-

que, social et politique et à l'inverse, c'est également vrai.

Mme Lavoie-Roux: De toute façon, vous avez raison de dire qu'il ne faudrait pas leurrer la population, à savoir qu'une loi linguistique va lever les difficultés au plan économique.

M. Généreux: Je pense qu'elle va y contribuer largement, par contre. Nous ne réglerons pas le problème simplement par des politiques économiques non plus. Je ne voudrais pas être mal compris sur ce point. C'est l'interrelation entre les deux que nous devons toujours, toujours, toujours avoir à la conscience, avoir en tête.

Mme Lavoie-Roux: En tous les cas, cela me rassure de voir que vous voyez au-delà de la législation linguistique tout le problème de la soi-disant domination économique. Quand bien même on aurait 5% de plus de cadres francophones, dans le secteur de l'économie, je pense que c'est une chose entre cela et lever l'hypothèque économique.

M. Généreux: Quand nous aurons 50% de cadres francophones additionnels, la loi no 1 ne sera peut-être plus nécessaire dans le secteur de l'entreprise.

Le Président (M. Cardinal): Si vous le permettez, vous avez tous entendu la cloche dans cette capitale du Québec. Il faut se poser une question. Il reste présentement 27 minutes, c'est-à-dire 5 minutes au parti ministériel, 12 minutes au parti de l'Opposition officielle et 10 minutes au parti reconnu de l'Union Nationale.

Un débat de 27 minutes, je sais que cela prend plus que cela. Pour continuer, il me faut le consentement de cette commission et un consentement précis.

A défaut de quoi, je devrai demander à nos invités s'ils veulent revenir demain alors que nous reprendrons nos travaux à 10 heures. Je demande l'avis de la commission.

M. le député de Verchères.

M. Charbonneau: M. le Président, je pense que, du côté ministériel, on pourrait épuiser le temps qui était prévu par l'entente, c'est-à-dire que chaque parti épuise son temps.

Le Président (M. Cardinal): Cela veut dire que vous consentiriez qu'on continue?

M. Charbonneau: Qu'on continue jusqu'à l'épuisement.

Le Président (M. Cardinal): Jusqu'à 23 h 30? M. Charbonneau: Exact.

Mme Lavoie-Roux: Moi, je m'excuse, mais 23 h 15, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Si nous terminons à 23 h 15, cela veut dire qu'il faudra que des gens sacrifient...

Mme Lavoie-Roux: Nous, nous sommes prêts à en sacrifier une partie.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Alors, je ne fais pas de procédure. Est-ce que Mme le député de L'Acadie avait terminé ou si elle veut continuer?

Mme Lavoie-Roux: II ne me restait qu'une seule question.

Le Président (M. Cardinal): Etes-vous d'accord pour continuer pendant quinze minutes avec nous?

M. Généreux: D'ailleurs, nous l'apprécions, parce que les gens partent des quinze régions du Québec et nous ne voulons pas revenir demain matin.

Le Président (M. Cardinal): A 23 h 15, les travaux seront ajournés à demain 10 heures. Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Voici la dernière question que je voulais poser aux membres du Mouvement national des Québécois: Dans quelle mesure avez-vous intégré, dans vos nombreuses régions, des gens qui ne sont pas des francophones, mais qui appartiennent aux minorités ethniques?

M. Généreux: Vous voulez dire dans nos structures, dans le mouvement?

Mme Lavoie-Roux: Enfin, comme membres ou...

M. Généreux: Je dois admettre que c'est quand même très restreint parmi nos membres, le nombre de représentants des minorités ethniques.

Par contre, nous en avons de plus en plus et pour vous donner une dimension de la politique actuelle du MNQ sur cette question, lors de notre dernier congrès, les 3, 4 et 5 juin derniers, à Chicoutimi, une résolution a été adoptée. Nous avions de vieux règlements qui datent de plusieurs dizaines d'années où on disait: Pour être membre d'une Société nationale des Québécois ou de la Société Saint-Jean-Baptiste des Québécois, il faut être un Canadien français du Québec, etc., donc excluant les groupes minoritaires du Québec.

En pratique, par tolérance, bien sûr, on avait oublié ces règlements, mais ce n'était quand même pas fait comme geste symbolique. Lors de notre dernier congrès, il y a eu une motion unanime du congrès pour abroger ces règlements, pour permettre d'intégrer comme membres du Mouvement national des Québécois et de nos sociétés régionales des Néo-Québécois et, beaucoup plus positivement — c'est la partie amendement au règlement pour enlever un peu de poussière — chacune des sociétés s'est engagée, dans chacune des quinze régions du Québec, à créer

un comité d'accueil ou un comité d'invitation qui va se charger d'inviter les Néo-Québécois à venir vers nos sociétés, à venir vers le Mouvement national des Québécois, à participer pleinement à nos activités pour les intégrer de plus en plus à la majorité francophone du Québec et cesser de tenir pour acquis que ces gens doivent aller à la minorité anglophone.

C'est une démarche très positive de notre dernier congrès. C'est la volonté de chacune de nos sociétés de la mettre en application et en oeuvre.

Mme Lavoie-Roux: Dans le moment, quel serait le pourcentage de membres qui ne seraient pas des Canadiens français?

M. Généreux: Je regrette, je ne peux pas répondre à cette question. Je sais qu'il y a ici un membre de la commission parlementaire, qui est membre d'une de nos sociétés régionales. Il y en a un pourcentage qui est sûrement infime, peut-être quelques centaines ou un millier. Evidemment, c'est sous toute réserve. Il est difficile de l'évaluer, mais il y en a un petit peu dans chacune des sociétés régionales.

Mme Lavoie-Roux: Merci bien.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Gaspé.

M. Généreux: Peut-être une centaine par région, qu'on me souligne. Cela en fait peut-être 1500.

Le Président (M. Cardinal): Alors, je dis à tous que, tentant d'être juste, il reste à peine douze minutes et qu'il y a encore du temps pour chacun des trois partis.

M. Le Moignan: Merci, M. le Président. Si j'obtiens des réponses très brèves, alors, je pourrai poser des questions très brèves.

Le Président (M. Cardinal): Je demande aussi la collaboration des témoins qui seront ensuite libérés.

M. Le Moignan: Alors, il y a beaucoup d'aspects sur lesquels nous sommes totalement d'accord. Je n'ai pas à énumérer les objectifs que vous avez exposés pour un Québec français, la langue du travail, le commerce. Il y a peut-être une petite différence sur l'accessibilité dans le domaine de l'éducation. Comme d'autres en ont déjà parlé, je laisse tout cela de côté. J'en viens à deux pages de votre mémoire où vous mentionnez la langue nationale. Je ne suis pas trop certain si votre approche est d'ordre juridique, sociologique ou politique. La question que je voudrais vous poser, c'est, au point de vue du statut des langues, qu'est-ce que vous entendez exactement par langue nationale? Si vous voulez me dire cela brièvement, je vous poserai une petite question après.

M. Généreux: Je vais y aller très brièvement. Pour nous, langue nationale, c'est la langue commune de la majorité d'un peuple. C'est la langue qui sert de véhicule de communication pour une collectivité donnée. Je pense qu'au Québec il y a une collectivité bien définie dont la langue commune, la langue d'usage est le français. Comme cette collectivité est majoritaire, cela en fait la langue nationale. Donc, partant de là, elle doit être la langue officielle, les autres langues, quelles qu'elles soient, devenant ce qu'on appelle des langues secondes ou des langues de groupes minoritaires ou autrement, nous n'y voyons pas d'inconvénient. Mais, dans un peuple, il doit y avoir une langue nationale.

M. Le Moignan: Maintenant, dans la commission Gendron, on lit ceci: "D'autre part, d'un point de vue juridique, la langue nationale peut être considérée comme appartenant à une catégorie un peu moins élevée que la langue officielle".

Désigner une langue ou des langues comme nationales par une loi constitutionnelle ou ordinaire, c'est simplement attacher à ces langues certains privilèges juridiques au profit de l'usager. Elles se trouvent à recevoir de l'Etat une sorte de sanction, qui est purement facultative, mais sans, pour autant, recevoir l'appui de ses ressources et de ses deniers". Est-ce que vous acceptez cette définition?

M. Généreux: Oui. La problématique est complètement différente. On parlait de l'approche: Est-ce qu'il y a plusieurs langues nationales au Québec? C'était l'optique dont il a été question à la commission Gendron, à l'époque. Nous, nous parlons d'une langue nationale. Ce n'est pas du tout la même problématique, la même approche. C'est pourquoi nous disons: La langue officielle doit être celle qui sanctionne un état de fait normal, qui est la langue commune des gens, la langue de la nation québécoise. C'est pour ça que ce n'est pas du tout la même problématique.

M. Le Moignan: Faites-vous une distinction entre langue nationale et langue officielle?

M. Généreux: Pour nous, au Québec, nous n'en faisons pas, puisque c'est la même dans les faits.

M. Le Moignan: Comme ça, il n'y a pas un ordre de préférence pour aucune des deux, en somme. Vous les identifiez...

M. Généreux: Quand vous parlez de langue officielle, vous parlez d'un statut juridique consacrant un état de fait.

M. Le Moignan: Mais, quand on dit, ici, qu'une a une portée plus universelle, c'est au point de vue juridique seulement que vous le voyez ou bien au point de vue...

M. Généreux: Nous pensons que, juridiquement, historiquement, sociologiquement, il y a une

langue au Québec, la langue de la nation, qui est la langue française, que l'on consacre, dans les lois, comme étant la langue officielle.

M. Le Moignan: C'est très bien. Pour ma part, pour donner une chance aux autres, c'est tout ce que je voulais vous demander.

M. Généreux: Est-ce que je peux me permettre? Je ne voudrais quand même pas accaparer le temps des autres membres de la commission. Il y avait un de mes collègues qui voulait intervenir, M. Champagne.

Le Président (M. Cardinal): M. Champagne, brièvement s'il vous plaît.

M. Champagne (Jean-Paul): Merci beaucoup. C'est sûr que nous, le Mouvement national des Québécois, considérons la loi 1 comme un minimum. J'espère, M. le ministre, que vous ne reculerez sur aucun point. On considère peut-être que le chapitre sur l'enseignement est déficient sur certains points. Vous avez des articles, entre autres, sur les conditions d'admissibilité aux niveaux primaire et secondaire. Nous considérons qu'au niveau du CEGEP et de l'université, vous n'en parlez pas du tout.

Dans la région métropolitaine, entre autres, il y a des CEGEP, Vanier et Dawson, où une bonne proportion d'allophones et de francophones fréquentent ces CEGEP.

La question que je vous pose est la suivante: Avez-vous l'intention, en deuxième lecture, d'ajouter certains articles pour corriger cet état de fait, à savoir que, dans certains CEGEP et dans certaines universités, la fréquentation est assez forte d'allophones et de francophones au point de vue des conditions d'admissibilité et, deuxièmement, peut-être de la langue d'enseignement?

Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez, M. Champagne. Le ministre va probablement vous répondre, mais il n'est pas tenu de le faire parce que le mandat de la commission est de poser des questions aux témoins.

Le ministre d'Etat au développement culturel.

M. Laurin: La suggestion nous a été faite par d'autres groupes, et elle est actuellement à l'étude.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de D'Arcy McGee, en vous demandant la même collaboration.

M. Goldbloom: Merci, M. le Président. Très brièvement. M. Généreux, dans votre mémoire, vous avez mis l'accent sur les droits collectifs, non pas pour la première fois. C'est une position déjà prise par le Mouvement national des Québécois.

J'aimerais vous demander: Dans votre esprit, qui doit déterminer ces droits collectifs, qui doit les définir? Vous me direz sûrement qu'il y a au Québec un gouvernement qui légifère et, que par législation, il détermine les droits et le comportement par rapport à la loi de tous les Québécois, mais il y a derrière chaque gouvernement la population toute entière, et j'ai un sujet un peu particulier qui me préoccupe à cet égard, celui de l'enseignement de la langue seconde.

Je ne reviens pas sur cette question de la nécessité pour nous tous de pouvoir vivre et travailler en français au Québec, mais voici la question précise que je voudrais vous poser par rapport à cette notion générale de définition, de détermination des droits collectifs. Si par exemple, la population du Québec, en très forte majorité — je ne parle pas de 51%, parlons des deux tiers, des trois quarts, d'une très forte majorité — voulait, sur le plan personnel, se faire bilingue, voulait obtenir du système scolaire un enseignement très répandu et assez poussé d'une langue autre que le français, outre le français, quelle serait l'attitude du Mouvement national des Québécois?

M. Généreux: Pour la première question, qui doit définir les droits collectifs? Il m'apparaît que c'est l'Etat, bien sûr, en se basant sur la volonté populaire. Nous voyons quand même qu'il se dessine actuellement une volonté populaire qui légitime l'intervention de l'Etat à ce moment-ci de notre histoire. Pour ce qui est de la question plus particulière que vous posez sur l'enseignement d'une langue seconde, par hypothèse, et même pour être très pratique, allons-y avec l'anglais.

Moi, je dis qu'il faut nettement faire la distinction entre langue d'enseignement et enseignement des langues. Lorsque nous parlons d'accessibilité aux classes anglaises, nous parlons de langue d'enseignement. A partir du moment où l'Etat constate que la langue française est un bien national, un bien collectif, qu'il est dans l'intérêt de la collectivité d'assurer le principe du français langue d'enseignement au Québec, c'est une chose à laquelle nous souscrivons. Lorsque nous parlons de l'enseignement de langue seconde, cela devient une question de critère utilitaire, lorsqu'on parle particulièrement des francophones pour apprendre l'anglais. Je pense que les anglophones, si on veut qu'ils s'intègrent, ont l'obligation, eux, d'apprendre le français. Il y a des devoirs qui correspondent à des droits qu'une collectivité donne à une minorité. Par la suite, que des francophones aient besoin d'avoir un très bon enseignement, qui soit de qualité, de la langue anglaise ou de langues étrangères, je pense que c'est aussi une obligation pour l'Etat de le leur donner, de le leur donner dans des conditions utilitaires, pour des raisons utilitaires, et que cela ne vienne pas brimer leur développement, la formation intellectuelle de l'enfant pour l'empêcher de s'identifier à la collectivité, à la majorité. Là, on peut évidemment discuter à quel niveau cela devrait commencer, ainsi de suite, c'est une autre chose. Mais je pense qu'essentiellement, dans le système d'éducation, l'Etat doit faire en sorte que l'enfant, à travers la langue d'enseignement, s'identifie à la collectivité; dans un deuxième temps, qu'on lui enseigne une langue étrangère

pour la question de l'utilité, on est conscient qu'on vit en Amérique du Nord et qu'ils en auront besoin.

M. Goldbloom: M. Généreux, j'aimerais vous demander une simple confirmation. De vos réponses antérieures, j'ai déduit que quand vous parlez de la volonté populaire qui sous-tend l'action de l'Etat, du gouvernement, cette volonté populaire pour vous est celle de l'ensemble de la population, quelle que soit son origine.

M. Généreux: Oui, je pense que l'ensemble de la population est prête, même dans les groupes minoritaires, à accepter cette réalité, au Québec, d'un Québec français, d'un Québec en même temps respectueux des minorités. Je pense que c'est un signe de maturité de la majorité et des minorités concernées, même s'il y a des objections, bien sûr. On va vivre l'expérience.

M. Goldbloom: Merci de votre réponse.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Châteauguay, en vous demandant, vous aussi, beaucoup de collaboration.

M. Dussault: Merci, M. le Président. Il m'incombe de vous remercier, messieurs et madame, du Mouvement national des Québécois, d'être venus nous rendre témoignage ici ce soir. Je considère que vous êtes des éclaireurs de notre situation coloniale comme d'autres l'ont été aussi à cette commission. Nous vivons une situation coloniale que vous avez décrite comme d'autres l'ont décrite aussi. Et dans une situation coloniale on ne guérit pas facilement, cela ne se fait pas du jour au lendemain. Dans une situation coloniale, il y a ceux qui travaillent à nous en sortir et il y a ceux qui retardent la décolonisation.

Cela fait parler des langages différents ici à notre commission. Il y a, évidemment, des gens qui parlent le langage de ceux qui veulent décoloniser et il y a les autres qui, inconsciemment, involontairement bien sûr, parlent l'autre langage. Cela fait dire des choses du genre: ce que le gouvernement met en place, c'est le prolongement de ce qu'a fait le gouvernement précédent et probablement que le prochain ira plus loin, c'est normal. J'ai entendu ça, ici à cette commission, jeudi dernier. Au lieu de vouloir s'attaquer profondément au mal, on préfère essayer de sauver le chou et la chèvre. C'est le genre de langage qu'on entend malheureusement, mais on s'en sortira avec le temps.

Je vous remercie beaucoup, encore une fois, de votre témoignage.

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, cela n'était peut-être pas prévu au programme, mais peut-être qu'en trente secondes le député de Joliette-Montcalm pourrait non pas dire le mot de la fin, mais dire un mot. Très brièvement.

M. Chevrette: M. le député de Châteauguay a très bien dit ce que je voulais dire. D'ailleurs, notre préoccupation est d'abord une langue première qui est le français et non la langue seconde. Donc, avec l'exposé du député de Châteauguay, je suis très heureux qu'il ait rectifié certains faits. C'est quelque chose que certains députés de l'Opposition auraient intérêt au moins à écouter.

Le Président (M. Cardinal): Si nos invités veulent rester avec nous quelque 90 secondes, je vais terminer cette séance.

J'indique, à titre uniquement de renseignement, ce n'est pas un appel, l'ordre du jour prévu pour demain: The Positive Action Committee, mémoire no 218; Comité anglophone pour un Québec unifié, mémoire no 186; Mouvement Québec français, mémoire no 30; The Montreal Board of Trade, mémoire no 88; Provincial Association of Catholic Teachers, mémoire no 1; Conseil pour l'unité canadienne, mémoire no 72; Association des conseils en francisation du Québec, mémoire no 197.

Je ne ferai l'appel qu'à 10 heures demain matin. Je prierais ces gens, ces organismes d'être là à 10 heures.

Quant à nos derniers invités, M. Généreux, ceux et celle qui vous accompagnent, merci, encore une fois, de votre travail, de votre patience. Nous pouvons enfin vous rendre libres à cette heure-ci. Vous pourrez ajouter un petit mot après, si vous le désirez. Je voudrais aussi remercier deux personnes qui, aujourd'hui, m'ont aidé au cours de cette journée, le député de Châteauguay qui, à l'occasion, et en vertu du règlement, me remplace et tout particulièrement le député de Gaspé.

Il est rare qu'un curé remplace un cardinal. Est-ce un signe des temps?

Sur ce, M. Généreux, encore une fois, je m'excuse de répéter souvent. Chaque nouveau groupe qui vient devant nous, c'est la première fois, sauf ce qu'on a connu dans le passé, non pas une réplique, mais un bref commentaire avant que je n'ajourne.

M. Généreux: Très brièvement, une première chose que j'ai omis de souligner au départ, c'est que nous avons distribué ce soir une nouvelle version du mémoire, qui est une réplique identique, sauf qu'elle est une copie plus propre. La première, nous nous en excusons, n'était vraiment pas présentable. Nous avons été bousculés dans l'organisation du congrès.

Une deuxième chose, nous voulons insister de nouveau sur le caractère d'appui très ferme du Mouvement national des Québécois au projet de loi no 1, mais dans le sens d'un minimum pour nous. C'est pourquoi nous nous y rallions et nous vous demandons de n'accepter aucun amendement élargissant les droits de l'anglais ou d'une autre langue que le français. Merci.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Généreux. Merci aux membres de la commission. Nous reprendrons donc l'affiche demain matin à dix heures. Les travaux de cette commission sont ajournés à demain, dix heures.

(Fin de la séance à 23 h 17)

ANNEXE 1

Mémoire

à

La Commission parlementaire de l'Education, des Affaires culturelles et des Communications

sur

le projet de loi no 1 "Charte de la langue française au Québec"

présenté par La Chambre de Commerce de la province de Québec

Juin 1977

La Chambre de Commerce de la province de Québec

La Chambre de Commerce de la province de Québec, fondée en 1909 et incorporée par une loi spéciale du Sénat du Canada le 4 mai 1910, est une fédération de quelque 200 chambres de commerce et boards of trade disséminés sur tout le territoire du Québec et regroupant quelque 31,000 membres individuels.

De plus, la Chambre groupe, au titre de membres corporatifs, près de 2,600 entreprises, sociétés et associations de toutes natures et de toutes tailles opérant au Québec et dont le support et l'adhésion volontaires rendent possible la vie de l'organisation.

Les buts de la Chambre de Commerce de la province de Québec sont: a) Favoriser le progrès économique, civique et social au Québec; b) Promouvoir l'essor de l'industrie et du commerce; c) Soumettre aux autorités gouvernementales, para-gouvernementales et autres des propositions visant à atteindre les buts énoncés plus haut; d) Promouvoir le développement des membres affiliés ainsi que l'unité et l'harmonie dans leurs actions d'intérêt commun; e)Appuyer les membres corporatifs dans les démarches d'intérêt commun.

Introduction

La Chambre de Commerce de la province de Québec veut, par les présentes, apporter sa contribution la plus positive possible aux débats qui entourent la présentation du projet de loi no 1, intitulé "Charte de la langue française au Québec".

Le gouvernement a déposé à l'Assemblée nationale, au début de mai dernier, un nouveau projet de loi en matière linguistique. C'est le troisième projet de cette nature proposé en huit ans aux législateurs québécois. Pour la troisième fois en huit ans, un débat passionné a pris place autour de la situation du français au Québec et des droits des Québécois en matière linguistique.

Le 14 avril dernier, suite à la publication par le gouvernement du Livre blanc intitulé "La politique québécoise de la langue française", nous avons adressé au ministre d'Etat au développement culturel, M. Camille Laurin, nos commentaires sur ce document. Comme cette lettre conserve, face au projet de loi 1, une bonne partie de sa pertinence et pour éviter de nous répéter sur certains points, nous l'annexons aux présentes (Annexe A).

Nous avons abordé ce projet de loi dans l'optique de l'homme d'affaires québécois désireux avant tout d'un environnement où l'on retrouve le plus possible d'équité et de prospérité économique, conditions de base à la paix sociale.

Ce point de vue nous a fait reconnaître des objectifs fondamentaux de ce projet de loi et nous a amenés à en examiner les modalités d'application dans une perspective d'efficacité par rapport aux objectifs reconnus et de justice par rapport aux parties en cause.

Enfin, nous avons voulu apporter une contribution essentielle à l'examen du présent projet de loi en commanditant une étude d'experts sur certains aspects qui nous apparaissaient de première importance. Le résultat de ces travaux est annexé aux présentes.

Support aux intentions gouvernementales:

Ces prémisses nous ont amenés à appuyer le projet de loi lorsqu'il: a)Assure la promotion et la prédominance de la langue et de la culture française au Québec; b) Protège et améliore la qualité du français; c)Reconnaît les limites du raisonnable dans une telle démarche en tenant compte de situations d'espèce, dont celles des relations de l'entreprise avec l'extérieur et des sièges sociaux d'entreprises dont les activités s'étendent hors du Québec.

Nos observations, recommandations et propositions d'amendements:

Nous nous sommes arrêtés ici aux principes et modalités du projet sur lesquels il nous est apparu le plus important d'apporter des amendements.

I.- Une modalité impraticable... surtout pour les p.m.e.

L'examen attentif des implications de l'article 37 nous a vite convaincus que cet article pouvait donner naissance à un fardeau administratif extrêmement lourd pour l'entreprise, surtout pour la petite et moyenne entreprise.

Art. 37: II est interdit à tout employeur d'exiger pour l'accès à un emploi ou à un poste la connaissance d'une langue autre que le français, à moins que l'accomplissement de la tâche ne nécessite la connaissance de cette autre langue, conformément aux règlements adoptés à cet effet par l'office de la langue française.

Il incombe à l'employeur de prouver que la connaissance de l'autre langue est nécessaire.

L'article 4 prévoit déjà le droit pour les travailleurs de travailler en français et l'article 112 obligera l'entreprise à promouvoir l'usage du français. L'article 37 obligerait, à toute fin utile, toutes les entreprises à rédiger une description de tâche pour tout employé qui a besoin, ne serait-ce que fort occasionnellement, de connaître l'anglais pour exercer ses fonctions. Or, les entreprises québécoises font affaires avec l'extérieur du Québec dans une très forte proportion et le nombre de communications que ces affaires entraînent à tous les niveaux de l'entreprise est insoupçonné. De plus, le Québec est exportateur et doit le devenir de plus en plus pour survivre et progresser. Et la langue du client est l'anglais ou une autre langue que le français dans la très vaste majorité des cas. Cette réalité, jointe à celle de la très grande fréquence de changement de postes et à la polyvalence des fonctions, surtout dans les p.m.e., ferait de cette obligation une tâche insupportable dans d'innombrables cas. En effet, décrire pour chaque poste où c'est nécessaire, dans l'entreprise, le besoin de connaître (parler, écrire, comprendre ou lire) l'anglais ou une autre langue, établir cette liste conformément à des règlements, la tenir constamment à jour et surtout accomplir cet exercice en songeant qu'on devra en faire ia preuve devant un fonctionnaire, voilà bien, en plus des nombreuses obligations nouvelles que cette loi impose à l'entreprise, un autre summum de tracasserie administrative. Nous sommes convaincus que de très nombreuses petites et moyennes entreprises, même à direction et personnel francophones, trouveront cette disposition de la loi franchement excessive. Et que dire maintenant du nombre de fonctionnaires qui seraient requis pour l'appliquer.

Compte tenu de ces situations et du fait que cet article n'ajouterait qu'une efficacité bien marginale à la loi pour un coût onéreux, NOUS RECOMMANDONS L'ÉLIMINATION DE L'ARTICLE 37. 2.- L'accueil pour des gens dont nous avons besoin...

L'article 52 nous apparaît, dans sa forme actuelle, contenir des dispositions de nature à nuire aux Québécois francophones, tant sur le plan économique à court et long termes que sur le plan de la connaissance de l'anglais comme langue seconde.

Art. 52: Par dérogation à l'article 51, peuvent recevoir l'enseignement en anglais, à la demande de leur père et de leur mère: a)les enfants dont le père ou la mère a reçu, au Québec, l'enseignement primaire en anglais; b)les enfants qui, à la date de l'entrée en vigueur de la présente loi, sont domiciliés au Québec, et i. qui reçoivent déjà, au Québec, l'enseignement en anglais à l'école maternelle, primaire ou secondaire, le même droit s'étendant à leurs frères et soeurs cadets; ii. dont le père ou la mère est, à ladite date, domicilié au Québec et a reçu, hors du Québec, l'enseignement primaire en anglais.

Lorsqu'un enfant est à la charge d'un seul de ses parents, la demande prévue au présent article doit être faite par ce dernier.

Dans la mesure où le Québec veut maintenir et développer: a) Des relations commerciales avec le reste du Canada et du monde: b) Des entreprises de haute technicité sur son territoire; c) Des centres de recherche de stature internationale; d) Des avantages comparatifs comme site d'activités à rayonnement extra québécois; e)Des sièges sociaux d'entreprises nationales et multinationales; il faudra réserver ici un cadre d'accueil favorable aux anglophones dont nous avons besoin, que nous invitons et recherchons souvent et qui peuvent venir nous aider en ce sens. Tout comme des francophones peuvent résister à l'idée d'envoyer leurs enfants à des écoles anglaises, des anglophones peuvent refuser de venir au Québec pour ne pas être obligés d'envoyer leurs enfants aux écoles françaises. Il y a

souvent, dans ces attitudes, autant sinon plus d'émotivité que de raison, mais il demeure que ces attitudes existent et sont une réalité avec laquelle il faut compter.

L'obligation, créée par l'article 52a) à tous les anglophones qui viendront au Québec, d'envoyer leurs enfants aux écoles publiques ou privées donnant l'enseignement en français, a déjà suscité des réactions fort négatives en regard des objectifs que nous venons de mentionner.

En conséquence, NOUS RECOMMANDONS L'AMENDEMENT DE 52a). L'amendement idéal serait, à notre avis, celui qui consisterait à ENLEVER A CE PARAGRAPHE LES MOTS: "...AU QUÉBEC". Le minimum qu'il nous semble logique et équitable d'accepter est de REMPLACER LES MOTS: "AU QUÉBEC" PAR: "AU CANADA".

La souplesse des règlements afférents aux articles 32 et 58 pourra largement contribuer à atteindre les objectifs que nous visons par cet amendement. ...et la connaissance de l'anglais pour les francophones

Le ministre d'Etat au développement culturel et le ministre de l'éducation ont déjà reconnu publiquement l'importance que revêt pour les francophones la connaissance de l'anglais comme langue seconde. Cette démonstration n'est plus à faire. Or, nos constatations sont à l'effet que le système d'enseignement public français ne sait pas, sauf de rares exceptions, apprendre aux jeunes à communiquer adéquatement en anglais. Et nous ne croyons pas que cette situation puisse changer avant plusieurs années même si le ministre de l'éducation voulait mettre en priorité l'enseignement de la langue seconde. Trop d'obstacles sont à surmonter, comme le manque de professeurs compétents, l'attitude négative du corps professoral face à ce type d'enseignement, et autres.

Par ailleurs, nous savons que la connaissance de l'anglais sera nécessaire au Québec pour au moins encore plusieurs années à venir pour poursuivre des études universitaires avancées et occuper de hautes fonctions administratives, professionnelles et scientifiques dans la plupart des disciplines.

En conséquence, NOUS RECOMMANDONS QUE L'ARTICLE 52 SOrT AMENDÉ POUR PERMETTRE AUX PARENTS FRANCOPHONES QUI LE DÉSIRENT D'ENVOYER LEURS ENFANTS A L'ÉCOLE ANGLOPHONE POUR UNE PÉRIODE LIMITÉE, mais suffisante pour permettre une connaissance adéquate de l'anglais. Nous croyons que cette formule d'immersion est le meilleur substitut disponible actuellement pour pallier à cette lacune du système francophone. 3.- Des pouvoirs discrétionnaires trop grands à des fonctionnaires

Les articles 66 à 80 inclusivement, 95 et 116 à 119 inclusivement, concernant l'Office de la langue française lui donnent des structures et des pouvoirs que nous ne croyons pas acceptables.

Tout d'abord, nous croyons que cet office devrait être dirigé par un conseil d'administration et non par le personnage unique qu'on appelle président et à qui l'on donne seul tous les pouvoirs.

Ensuite, nous estimons que ces pouvoirs, particulièrement ceux qui concernent l'entreprise, sont beaucoup trop vastes, importants et vitaux, notamment à l'article 119, pour être exercés sans droit d'appel.

En conséquence, NOUS RECOMMANDONS QUE L'ARTICLE 68 SOFT AMENDÉ POUR CONFIER LA DIRECTION DE L'OFFICE A UN CONSEIL D'ADMINISTRATION plutôt qu'à un président seul. De plus, NOUS RECOMMANDONS QUE L'ARTICLE 119 PRÉVOIE UN DROIT D'APPEL DES DÉCISIONS DE L'OFFICE. 4.- Des pénalités trop sévères

L'article 106 prévoit des pénalités trop rigoureuses pour l'entreprise qui ne se conforme pas à la loi. En fait, ce sont des pénalités qui ne devraient même pas exister.

Art. 106: Toute entreprise de cinquante salariés ou plus, même d'utilité publique, doit, à compter de la date déterminée conformément à l'article 109, pour justifier de la possession d'un certificat de francisation délivré par l'Office. Sous réserve de tout recours pénal, l'entreprise doit justifier de la possession d'un pareil certificat: a)pour avoir le droit de recevoir de l'Administration les permis, primes, subventions, concessions ou avantages déterminés par règlement du gouvernement, ou b)pour conclure avec l'Administration ainsi qu'avec les services de santé, les services sociaux, les entreprises d'utilité publique, les universités et les collèges d'enseignement général et professionnel les contrats d'achat, de vente, de service, de location ou de transport public déterminés par règlement du gouvernement.

Tout d'abord, il y a ici des pénalités qui pourraient signifier la fermeture de l'entreprise, telles celle concernant le droit de recevoir des permis de l'Administration et celle concernant la permission de conclure des contrats d'achats avec l'Administration et notamment avec les entreprises d'utilité publique (ex.: électricité et téléphone). Il nous apparaît exagéré d'aller jusqu'à des peines aussi capitales à l'entreprise pour contravention à une loi linguistique. Et que dire de l'effet de ces sanctions sur les employés de l'entreprise. Nous ne connaissons aucune loi au Canada et peut-être même en Amérique qui

délègue à l'exécutif, en pareilles circonstances, un tel pouvoir de sanction habituellement dévolu à l'appareil judiciaire.

D'aucuns pourront nous signaler que des pouvoirs semblables à certains de ceux prévus à l'article 106 étaient aussi prévus dans la Loi sur la langue officielle (Loi 22). A cela nous répondons que la Loi 22 était une loi dite "compensatoire", tandis que la Loi 1 serait une loi d'application universelle, ce qui change normalement la nature des sanctions qu'on peut y attacher.

En conséquence, NOUS RECOMMANDONS L'ELIMINATION DE L'ARTICLE 106. Au pire, nous croyons que l'on devrait EN RETIRER LES MOTS "LES PERMIS" AU PARAGRAPHE a) ET LES MOTS "ENTREPRISES D'UTILITE PUBLIQUE" ET "D'ACHAT " AU PARAGRAPHE b) TOUT EN AJOUTANT UN DROIT D'APPEL DEVANT LES TRIBUNAUX DES DECISIONS DE L'OFFICE en ces matières. 5.- La "francophonisation", un processus délicat

L'article 112 contient une série d'objectifs avec lesquels nous sommes d'accord en général. Temporisés par l'article 113, ces objectifs apparaissent raisonnables et de nature à contribuer à corriger des situations où les Québécois francophones ont été trop souvent brimés dans leurs droits linguistiques et leurs ambitions légitimes.

Art. 112: Les programmes de francisation adoptés et appliqués par les entreprises conformément aux articles ci-dessus doivent permettre d'atteindre les objectifs suivants: a)une connaissance satisfaisante de la langue officielle chez les dirigeants et le personnel; b)l'augmentation du nombre de Québécois à tous les niveaux de l'entreprise, y compris au sein du conseil d'administration et au niveau des cadres supérieurs, de manière à assurer la généralisation de l'utilisation du français; c)l'utilisation du français dans les documents de travail de l'entreprise, notamment dans les manuels et les catalogues; d)l'utilisation du français dans les communications internes et dans les communications avec la clientèle, les fournisseurs et le public; e)l'utilisation de la terminologie française; f)l'utilisation du français dans la publicité; g)l'utilisation du français comme langue du travail et des communications avec le personnel.

Art. 113: Les programmes de francisation doivent tenir compte des relations de l'entreprise avec l'étranger et du cas particulier des sièges sociaux établis au Québec par des sociétés ou entreprises dont l'activité s'étend hors du Québec.

Le paragraphe b) de l'article 112 nous apparaît cependant ambigu. D'une part, nous interprétons l'objectif visé comme étant celui d'assurer à tous les niveaux de l'entreprise la présence de personnes pouvant utiliser le français pour communiquer. L'utilisation du terme "Québécois", ici tout comme dans le premier paragraphe du préambule du projet de loi, semble oublier qu'il y a des Québécois anglophones unilingues. Autrement, ce paragraphe perd son sens comme élément favorisant une présence francophone. Il faudrait, à notre avis, corriger cette ambiguïté évidente.

D'autre part, l'article 113 ne fait qu'établir, en des termes très généraux, la possibilité de tenir compte de situations dont il est très important de constater qu'elles sont, en définitive, à notre avantage. Encore une fois, nous devons regretter de ne pas avoir en main la réglementation qui s'y rattache, car seule cette réglementation peut nous donner le vrai sens de l'article 113.

Nous devons donc nous en référer sur ce point au "Livre blanc" pour évaluer les intentions gouvernementales. Ce qu'on y a trouvé au sujet de la "présence francophone" dans les entreprises dit: "... refléter dans leur personnel, à tous les niveaux et dans toutes les fonctions, la composition ethnique de la population québécoise". ("La politique québécoise de la langue", Mars 1977, p. 70 de la 1ère édition, p. 61 de l'édition revisée et corrigée).

Il s'agit d'un sujet bien délicat. Fixer des objectifs de proportionnalité à la "composition ethnique de la population" dans la composition du personnel d'une entreprise et ceci, en plus, "à tous les niveaux et dans toutes les fonctions", pourrait présenter des difficultés pratiquement insurmontables, tant dans une entreprise dont le personnel est plus que proportionnellement anglophone que dans une entreprise dont le personnel est plus que proportionnellement francophone. Et que dire maintenant de ce que cela pourrait signifier dans la fonction publique québécoise qui est loin de refléter la composition ethnique de la population.

Que l'on tende le plus possible de part et d'autre vers un meilleur équilibre est souhaitable. Mais nous craignons beaucoup sur ce point toutes mesure coercitive, et ceci pour plusieurs raisons. Seules des mesures incitatives pourraient être considérées.

En conséquence, NOUS RECOMMANDONS QUE LE PARAGRAPHE b) DE L'ARTICLE 112 SOIT AMENDE POUR LE CLARIFIER DANS LE SENS DE "PRESENCE FRANCOPHONE" ET QUE LA REGLEMENTATION AFFERENTE A L'ARTICLE 113 SOIT SUFFISAMMENT SOUPLE POUR TENIR COMPTE

DES SITUATIONS QUE LES QUEBECOIS N'ONT PAS AVANTAGE A PERTURBER PAR DES EXIGENCES TROP COERCITIVES. 6.-Consultation ou participation et harcèlement

Les articles 114 et 115 introduisent un mécanisme additionnel qui pourrait bien devenir inutilement encombrant et coûteux dans la majorité des cas, en sus de tous les processus déjà prévus pour la francisation de l'entreprise.

Art. 114: Toute entreprise de cent salariés ou plus doit, avant le (date qui suit de trois mois l'entrée en vigueur de la présente loi), instituer conformément aux règlements un comité de francisation dont au moins le tiers des membres sont nommés par les associations de salariés accréditées pour représenter les salariés de l'entreprise; en l'absence de pareilles associations ou d'entente entre les associations, ces membres sont élus par l'ensemble des salariés de l'entreprise.

Les entreprises atteignant le chiffre de cent salariés après la date de l'entrée en vigueur de la présente loi disposent d'un délai de trois mois pour se conformer au présent article.

Art. 115: A l'aide des formulaires et questionnaires fournis par l'Office, le comité de francisation et la direction de l'entreprise procèdent conjointement à l'analyse de la situation linguistique de l'entreprise et font rapport à l'Office.

Les exercices d'évaluation de la situation linguistique d'une entreprise déjà réalisés par ceux qui s'y sont consacrés, suite à la "Loi 22", nous ont montré combien complexe et laborieux était le processus dans plusieurs cas, même lorsque confié à la responsabilité d'une seule personne particulièrement bien préparée pour la tâche. La création du comité suggéré retardera certainement le processus et pourra soulever beaucoup de frustrations de part et d'autre. Ses délibérations risquent fort de déborder dans le domaine des relations de travail et de les compliquer. Dans les cas où les entreprises sont francophones et fonctionnent déjà en français, on devra procéder à sa création, même si son utilité s'avérait à l'avance négligeable. Par ailleurs, quelle occasion rêvée pour ceux qui voudront s'en servir pour harceler l'entreprise. Enfin, il est bien connu que le problème de francisation se pose bien plus au niveau des cadres de l'entreprise qu'au niveau des employés syndiqués ou syndicables. Voilà autant de raisons qui, avant même de mettre en cause les droits de gérance et le fait que l'entreprise est seule responsable du programme de francisation, mettent déjà en doute l'opportunité de la création d'un tel comité; un comité qui d'ailleurs risque fort de n'amener dans le processus de francisation que retards, lourdeurs, coûts additionnels et frustrations.

Nous reconnaissons par ailleurs comme très valable le principe de consulter et d'informer adéquatement tout le personnel de l'entreprise en cette matière comme dans toutes celles qui le concernent et l'impliquent.

En conséquence, NOUS RECOMMANDONS QUE LES ARTICLES 114 ET 115 SOIENT ELIMINES. S'ils devaient ne pas l'être, il faudrait au moins établir clairement que le comité est consultatif. De plus, à notre avis, le délai de trois mois est trop court. 7.- Et les droits de la personne!...

L'article 172 nous apparaît déplacé dans le contexte de ce projet de loi.

Art. 172: L'article 52 de la Charte des droits et libertés de la personne (1975, chapitre 6) est modifié par l'addition à la fin, après le mot "Charte", des mots "ou à moins qu'il ne s'agisse de la Charte de la langue française au Québec (1977, chapitre insérer ici le numéro de chapitre du projet de loi no 1)".

Nous ne croyons pas que la Charte des droits et libertés de la personne doive être subordonnée à la présente loi. Les droits et libertés de la personne sont fondamentaux, plus fondamentaux que les nouveaux droits linguistiques avec lesquels on veut les mettre en opposition et pour lesquels on veut les suspendre.

En conséquence, NOUS RECOMMANDONS L'ELIMINATION DE L'ARTICLE 172.

Les travaux de SECOR Inc.

Comme nous l'avons indiqué au début de ce document, nous avons commandité une recherche d'experts sur ce projet de loi.

Nous avons tout d'abord recherché des gens capables d'exécuter ces travaux avec compétence et célérité. Nous avons choisi SECOR Inc. parce que, depuis deux ans, ce groupe a collaboré, à divers titres, avec la Régie de la langue française, pour mettre au point les mécanismes de francisation de l'entreprise. De plus, les services de SECOR ont été retenus par le Conseil exécutif sous l'ancien gouvernement et par le ministre d'Etat au développement culturel sous l'actuel gouvernement, sur la base de leur expérience en la matière.

Dans un deuxième temps, nous avons fait un appel à plus de 150 de nos membres corporatifs et à quelques autres sociétés établies au Québec pour collaborer avec SECOR dans ses travaux de recherche.

Le mandat que nous avons confié à SECOR est sommairement le suivant:

Evaluer le projet de loi no 1, quant à ses principes, à sa mise en application et à son impact économique, au chapitre de la langue des entreprises;

Préparer des propositions d'amendements pour améliorer l'efficacité générale de la loi dans sa mise en application.

Nous nous sommes appuyés sur le résultat de ces recherches pour justifier nos recommandations. Pour plusieurs d'entre elles, la justification est d'ailleurs beaucoup plus élaborée dans ce rapport. Nous vous transmettons en annexe le résultat intégral des travaux de SECOR réalisés sans aucune intervention de notre part quant à leur contenu à la suite du transfert du mandat.

A quand les règlements?

Nous devons regretter à nouveau qu'une législation soit déposée sans être accompagnée de la réglementation afférente. Pourtant, nous avions bien insisté sur ce point lors d'une rencontre d'une délégation de la Chambre avec le ministre d'Etat au développement culturel, M. Camille Laurin, le 18 janvier dernier. M. Laurin s'était alors engagé à déposer ces règlements en même temps que la loi. Tel n'a pas été le cas. Ces règlements se font toujours attendre au moment d'écrire ces lignes.

De plus, le dernier paragraphe de l'article 65 du projet de loi prévoit que: "les règlements, déposés à l'Assemblée nationale avant la date d'entrée en vigueur de la présente loi, entrent en vigueur sans autre formalité à la date de leur publication dans la Gazette officielle du Québec..."

Nous comprenons, d'une part, que cette mesure soit nécessaire pour la mise en application ordonnée et telle que prévue de la loi. Mais, d'autre part, elle permettrait, théoriquement, que de tels règlements puissent être déposés la veille de l'adoption de la loi et adoptés le lendemain en même temps que la loi. Ce serait un procédé anti-démocratique et qui ouvrirait la porte à une situation que nous avons souvent dénoncée: la législation par réglementation. (Voir notre mémoire à l'Assemblée nationale, en mai 1974, intitulé "L'érosion du pouvoir législatif"). Nous espérons que cette situation ne se produira pas et que les délais normaux seront accordés pour permettre à tous les intéressés d'examiner et de commenter ces règlements si nécessaire.

Conclusion

Nos recommandations et l'éclairage nouveau qu'apportent les travaux que nous déposons aujourd'hui seront reçus, nous l'espérons, dans l'esprit avec lequel nous avons organisé ces efforts. Cet esprit est celui d'une contribution positive pour une application plus efficiente et moins coûteuse des objectifs que nous reconnaissons valables de la Charte de la langue française au Québec.

Soumis ce troisième jour de juin mil neuf cent soixante-dix-sept.

LA CHAMBRE DE COMMERCE DE LA PROVINCE DE QUEBEC

(ANNEXE) LA CHAMBRE DE COMMERCE DE LA PROVINCE DE QUÉBEC 500 rue St-François-Xavier^montréal H2Y 2T6—téléphone 844-9571

Le 14 avril 1977

Dr Camille Laurin

Ministre d'Etat au développement culturel

Hôtel du Gouvernement

Québec

P.Q.

Monsieur le Ministre,

Dans votre "Livre blanc" sur la politique québécoise de la langue française, vous reconnaissez aux corps intermédiaires et plus particulièrement à nous des chambres de commerce un rôle très important dans le redressement linguistique du Québec.

Ce rôle, notre organisme l'assume déjà depuis plusieurs années. En plus d'avoir débattu avec les autorités les projets de loi soumis et appuyé les mesures législatives adoptées, nous avons consacré beaucoup d'efforts à faciliter l'application de ces mesures auprès de la communauté des affaires.

Notre représentativité

La Chambre de Commerce de la province de Québec, de par son membership et sa présence sur le territoire, est l'organisme le plus représentatif des entreprises et des hommes d'affaires de toutes catégories et de toutes les régions du Québec. Notre intérêt y est d'abord celui de l'ensemble de nos membres compabible avec le mieux-être de la collectivité québécoise. Plus particulièrement, nous voulons apporter dans ce débat les points de vue pratiques d'un secteur de la population dont l'expérience est surtout faite de réalisations concrètes d'idées par la gestion quotidienne des ressources humaines et matérielles du secteur privé de l'économie.

Nous vous savons gré d'avoir publié ce "Livre blanc" qui nous donne l'occasion de dialoguer plus à fond avec vous des intentions gouvernementales en matière linguistique. La présente vous apporte les réactions, propositions et demandes de notre Bureau exécutif.

Notre position

Dès le départ, nous affirmons que nous favorisons la promotion et la prédominance de la langue et de la culture française au Québec. Et nous entendons continuer d'appuyer toute mesure que nous jugerons raisonnable pour promouvoir cette cause.

Précisons tout de suite que ces objectifs répondent au Québec à des besoins très régionalisés, plus particulièrement à Montréal et ses banlieues ainsi que dans quelques agglomérations bien déterminées. Ailleurs, c'est à toutes fins utiles un fait accompli.

Opportunité du présent débat

Votre décision de reprendre à pied d'oeuvre un laborieux et délicat processus qui venait tout juste d'aboutir à la mise en place de la Loi sur la langue officielle nous apparaît maintenant pour le moins prématurée. Lorsque nous vous avons rencontré au mois de janvier dernier, nous avions compris que votre action viserait essentiellement à: 1.- Remplacer la formule des tests pour ce qui est de la langue de l'enseignement; 2.- Accélérer le processus de francisation des entreprises tout en clarifiant certains objectifs et en prévoyant des exceptions suffisamment généreuses pour permettre aux sièges sociaux d'entreprises nationales et multinationales d'opérer au Québec sans inconvénient majeur ou susceptible de les amener à songer à quitter le Québec.

Votre "Livre blanc" nous dévoile des intentions qui vont beaucoup plus loin et nous sommes maintenant obligés de reprendre à sa base un débat hautement chargé d'émotivité. Voilà bien une chose qui ne nous apparaît pas comme une priorité dans le climat économique où nous sommes présentement. Alors que tous nos efforts communs devraient se concentrer en priorité sur le développement, les investissements et la création de nouveaux emplois permanents, nous voilà engagés dans un débat difficile, qui rend le climat social très tendu et qui n'avait pas le caractère d'urgence qu'il prend de par sa seule existence.

Quelques amendements comme ceux que vous nous aviez dit vouloir apporter, tels que décrits précédemment, auraient pu être adoptés sans grands heurts et auraient permis de tester la réelle efficacité de la "Loi 22". Notre évaluation de la situation dans le milieu des affaires est que cette loi avait déjà eu des résultats bénéfiques importants et qu'elle en aurait encore beaucoup plus à terme.

Mais puisque tout le Québec et le Canada sont maintenant plongés à nouveau dans un choc culturel qui, cette fois, ébranle le pays jusque dans ses structures de base, nous devrons y faire face en même temps qu'à plusieurs autres priorités fort divergentes.

Nous passons donc maintenant à l'analyse de la situation de la langue française au Québec.

Qualité de la langue

A l'examen du chapitre premier de votre "Livre blanc", disons tout d'abord que nous avons été heureux de constater l'importance que vous apportez à l'amélioration de la qualité de l'enseignement du français et du français de manière générale. Comme on peut le lire dans nos politiques d'action: "Depuis quelques années, la Chambre constate une dangereuse diminution de la qualité de l'enseignement du français écrit et parlé au point que la capacité de conceptualiser et de communiquer de toute une génération est en cause. L'Etat doit apporter prioritairement son attention à cette situation." (Politiques d'action 1976, C.C.P.Q., p. 35)

Nous vous félicitons d'avoir reconnu ce besoin.

D'autre part, nous avons observé d'autres passages de ce chapitre premier qui nous ont laissé une toute autre impression. Nous y reviendrons plus loin.

Langue de l'enseignement et la promotion des francophones

Ce qui nous frappe le plus dans vos propositions en cette matière, c'est une conséquence à long terme que nous en dégageons, à savoir: Seuls les anglophones auront toutes les chances de leur côté pour être vraiment bilingues au Québec.

Ni vous dans le "Livre blanc", ni le ministre de l'éducation dans l'élaboration de ses objectifs ne situez dans vos priorités l'importance d'améliorer la qualité de l'enseignement de la langue seconde dans les écoles publiques francophones. Or, il est évident que cet enseignement est déficient et ne sait, sauf pour quelques exceptions, former des jeunes pouvant s'exprimer convenablement en anglais. De plus, cette déficience, pour toutes sortes de raisons, dont entre autres, l'attitude des enseignants, ne pourrait être corrigée qu'à long terme et par une ferme volonté en ce sens de toutes les parties impliquées.

Enfin, votre projet bloquerait hermétiquement toute accessibilité à l'école anglophone (même temporairement) pour ceux qui désirent choisir cette voie pour obvier à cette déficience.

C'est condamner les Québécois francophones à limiter leurs horizons nord-américains aux frontières du Québec, alors que les anglophones québécois, ayant le choix de l'école anglaise ou française, pourront devenir nos seuls vrais bilingues. A cause de cela, ils pourront être beaucoup plus mobiles et occuper les postes les plus importants dans les entreprises et même dans l'administration publique chez nous. Car, il ne faut pas s'y tromper, des réalités géographiques immuables et les réalités démographiques, économiques et culturelles étant ce qu'elles sont en Amérique du Nord, que nous soyons dans un Québec canadien ou séparé, les chefs de file devront parler l'anglais. C'est le cas présentement. Ce le sera encore pour longtemps. A cet effet, une étude que nous venons de terminer en matière d'exportation nous démontre clairement que le manque de connaissance de l'anglais nuit considérablement aux hommes d'affaires francophones québécois. Refuser à toutes fins pratiques l'apprentissage adéquat de l'anglais aux francophones par les systèmes public et privé d'enseignement, c'est, il nous semble, les destiner à une position d'infériorité.

Langue de l'enseignement et "les autres"

Un autre aspect de vos propositions en matière de langue de l'enseignement est, à notre avis, inutilement provocateur. Il s'agit de celui qui vise à assimiler les anglophones des autres parties du Canada à des immigrants (pp. 50 à 53). D'une part, il ne nous apparaît pas que ce sont ces gens qui, présentement ou dans un avenir prévisible, menacent la position du français au Québec. D'autre part, cette mesure assurerait la dégénérescence du système d'enseignement en langue anglaise et deviendrait, de ce fait, une menace à la surveillance culturelle des anglophones québécois.

Mises a part les questions d'injustice de ce processus pour les anglophones, si nous accordons de l'importance à l'aspect négatif de cette proposition, ce n'est pas pour nous faire leur porte-parole. C'est plutôt parce que nous croyons que les conséquences d'un tel geste seront négatives pour tous les Québécois.

Il est évident que cette proposition sème, chez les anglophones, une grande insécurité, la peur et même la panique pour quelques-uns. Il est probable que son adoption accentuerait leur exode du Québec. Ceux qui partentsont normalement les plus mobiles, soit les plus jeunes, les plus instruits, ceux qui ont les meilleurs talents et les meilleurs revenus. C'est une perte considérable pour le Québec, tant sur le plan économique que social, perte que nous ne pouvons nous permettre.

Nous ne croyons pas que la majorité des Québécois soit favorable à une telle coercition et, de plus, nous ne la croyons pas nécessaire ou utile pour l'ensemble des francophones du Québec. Au contraire, elle leur serait très nuisible.

La langue française dans l'entreprise.

Nous reconnaissons le besoin de faire une place plus équitable au français dans la haute direction des entreprises, particulièrement les grandes. Il y a certainement eu là des injustices et des négligences graves. Ce sont des situations qui doivent être corrigées même s'il y a eu des améliorations très sensibles de ce côté depuis quelques années.

Toutefois, certains des moyens que vous proposez à cet effet nous apparaissent démesurés.

Il s'agit principalement des permis (p.45). Vos propositions auraient pour effet de donner à l'Administration publique le pouvoir de retirer un permis à une entreprise qui ne se conformerait pas à la nouvelle loi sur la langue.

Or, d'un permis dépend la plupart du temps la possibilité pour l'entreprise de fonctionner, c'est-à-dire de vivre. Avoir un permis, c'est donc souvent une question de vie ou de mort pour l'entreprise.

La peine capitale a été éliminée pour les personnes physiques. Pourquoi continuer d'y avoir recours contre les entreprises. Il y a bien d'autres moyens pour ramener les délinquants à la raison.

La "présence francophone" dans les entreprises

Parlant de la "présence francophone" dans les entreprises, vous leur suggérez de "refléter, dans leur personnel, à tous les niveaux et dans toutes les fonctions, la composition ethnique de la

population québécoise" (p. 70). Par ailleurs, lorsque vous abordez cette question du "reflet... de la composition ethnique de la population" pour la fonction publique, votre proposition se limite à: "La participation des Québécois de diverses origines à la fonction publique du Québec" (p. 65).

Il nous apparaît que vous êtes ici beaucoup plus exigeant pour les entreprises que pour l'Etat.

Il s'agit d'un sujet bien délicat. Fixer des objectifs de proportionnalité à "la composition ethnique de la population" dans la composition du personnel d'une entreprise et ceci, en plus, "à tous les niveaux et dans toutes les fonctions", pourrait présenter des difficultés pratiquement insurmontables, tant dans une entreprise dont le personnel est plus que proportionnellement anglophone que dans une entreprise dont le personnel est plus que proportionnellement francophone. Et que dire maintenant de ce que cela pourrait signifier dans la fonction publique québécoise qui est loin de refléter la composition ethnique de la population.

Que l'on tende le plus possible de part et d'autre vers un meilleur équilibre est souhaitable. Mais nous craignons beaucoup ici, toute mesure coercitive, et ceci pour plusieurs raisons. Seules des mesures incitatives pourraient être considérées.

Exemptions dans certains cas

Nous vous sommes reconnaissants d'avoir retenu l'importante recommandation que nous vous faisions à ce sujet en janvier dernier. Lorsque vous acceptez de "tenir compte des relations que l'entreprise peut avoir avec l'étranger ainsi que du cas particulier que constituent les sièges sociaux établis au Québec par des sociétés dont l'activité s'étend hors du Québec" (p. 44). Nous espérons que les exceptions que vous accorderez permettront, entre autres, d'assurer à ces entreprises le recrutement et la présence du personnel de toutes origines dont elles ont besoin, soit dans leurs cadres ou pour occuper des fonctions très spécialisées.

Quelques observations sur les données de base

Revenant au chapitre premier de votre "Livre blanc", nous désirons faire trois observations des données de base qui y sont présentées: 1.- Le premier sous-titre (p. 4) dit: "Si l'évolution démographique du Québec se maintient, les Québécois francophones seront de moins en moins nombreux". Le texte qui suit ce sous-titre ne parle que de "fractions" ou proportions de présence francophone au Canada et au Québec. Le sous-titre laisse entendre que les francophones au Québec diminueront en nombre. Comme il s'agit là d'un préjugé fort répandu, nous nous devons d'éclaircir ce point. Les études démographiques que nous avons consultées, originant de sources compétentes et reconnues, démontrent au contraire que le nombre de francophones du Québec, à moins d'exode ou de catastrophe imprévue, va continuer d'augmenter pendant au moins les 40 prochaines années. (1) Voilà une donnée fondamentale sur laquelle nous ne semblons pas nous entendre et que nous aimerions examiner plus à fond avec vous-même et vos experts. 2.- Sur le sujet de l'anglais comme langue de communication dans les affaires, on lit: "L'anglais prédomine nettement dans les communications générales de travail: 82% du total des communications se font en anglais dans l'ensemble du Québec, 84% à Montréal et 70% en province."

Référer à la version PDF page CLF-789

(*) Ces pourcentages, ainsi que tous ceux qui seront appelés pourcentages généraux, correspondent au pourcentage global du temps où le français est employé pour faire le travail; par soustraction, on obtient le pourcentage du temps où l'anglais est employé." (Rapport de la Commission Gendron, Tome I, page B-2).

On observe que ces pourcentages (82, 84 et 70) sont plutôt ceux de l'utilisation de l'anglais par les anglophones. C'est là une erreur importante sur l'appréciation globale que vous avez présentée de l'utilisation du français en milieu de travail au Québec. De tels chiffres, s'ils étaient vrais, sont suffisants pour en faire frémir plusieurs. Nous avons depuis pris connaissance d'un échange entre M. Ryan et vous-même à ce sujet dans Le Devoir et avons été heureux d'apprendre que vous corrigerez votre document. 3.- Un autre sous-titre se lit comme suit: "La Confédération canadienne défavorise les francophones, notamment au Québec". Le texte qui suit ce sous-titre ne nous semble pas le justi-fier,particulièrement pour les francophones québécois.

Voilà, à notre avis, une affirmation sur laquelle une démonstration beaucoup plus serrée s'impose pour convaincre.

Application de la loi

Comme dernière remarque sur le "Livre blanc" de la langue, nous notons qu'à moins d'apporter des amendements à vos intentions, l'application de la loi qu'il propose sera bien difficile, sinon impraticable. Elle irait à l'encontre de traditions et de besoins trop fondamentaux, d'avantages acquis trop importants. Aucune loi ne peut être appliquée de manière vraiment efficace en pareilles circonstances. Nous faisons donc appel à votre bonne volonté et à l'ouverture d'esprit que vous avez offertes dans cette discussion pour reconnaître ces situations et nous espérons que vous accepterez de reviser certaines de vos propositions en conséquence.

Il y a, monsieur le ministre, un certain nombre d'autres observations, suggestions et alternatives dont nous pourrions faire état à l'égard de la politique de la langue que vous venez de soumettre. Il deviendrait fastidieux d'en poursuivre ici l'exposé. Aussi espérons-nous que vous nous fournirez l'occasion de vous en entretenir dans les meilleurs délais et de préférence avant le dépôt du projet de loi. Nous pourrons en même temps revoir avec vous le contenu de la présente.

De plus, nous recevons déjà et allons sans doute recevoir encore plus de réactions de nos membres à ce sujet, ce qui nous permettra sans doute d'ajouter à ces quelques propos.

Agréez, monsieur le ministre, l'expression de nos sentiments distingués.

James N. Doyle

Président

La Chambre de Commerce de la province de Québec

(1) Références: -Statistique Canada, Projections démographiques pour le Canada et les provinces, 1972-2001 (Ottawa:

Information Canada, 1974) p. 84 -Bureau de la statistique du Québec, Perspectives démographiques pour le Québec: quatre hypothèses 1973-1986-2001 (Québec: Ministère de l'Industrie et du Commerce, 1976) - George W. Barclay, Techniques of Population Analysis (New York: John Wiley & Sons, Inc., 1958) pp. 222-23. - Joseph Spengler, Population Change, Modernization and Welfare (Englewood Cliffs, N.J.: Prentice-

Hall, Inc. 1974) pp. 65-66 -Nathan Keyfitz, "On the Momentum of Population Growth" 8 Demography (1971), pp. 71-80 - Joseph Spengler, Population Change, Modernization and Welfare (Englewood Cliffs, N.J.: Prentice-

Hall, Inc., 1974) pp. 18-19 - Tomas Frejka, The Future of Population Growth: Alternative Paths to Equilibrium (New York: John

Wiley & Sons, 1973) p. 231, Table B, et pp. 136-41, p. 105, Table 5-5.

ANNEXE 1A ANNEXE B

Mémoire de la Chambre de commerce de la province de Québec

La Charte de la langue française et son impact

Mémoire pour la Commission parlementaire de l'éducation, des affaires culturelles et des communications présenté à la Chambre de commerce de la province de Québec

Yvan Allaire, Ph.D.

Université du Québec à Montréal

Marcel Côté, M. Se. SECOR Inc.

Roger Miller, D.Sc.

Université du Québec à Montréal

SECOR Inc. juin 1977

MERCI

De nombreuses personnes ont contribué à la rédaction de ce mémoire. Daniel Latou-che et Pierre Lortie ont contribué des idées, aussi différentes que pertinentes;

Normand Daoust et Louise Leduc, des chiffres quant à l'importance de la présence francophone dans les entreprises québécoises; Richard Esposito, de nombreux téléphones et une enquête auprès des entreprises;

Johanne Rémillard, ses commentaires sur les articles de loi; Hélène Marchand, beaucoup de talent pour coordonner;

Pauline Chevrier, Marie-Andrée Lefebvre et Johane Laplante, beaucoup de patience et d'énergie pour nous permettre de respecter les délais trop courts. Sans le concours de tout ce monde nous en serions probablement encore au stade des grandes idées.

Avant-propos

Le chagrin et la pitié, l'amertume et l'espoir qui ont fusé des conflits linguistiques au Québec depuis plusieurs années ont inscrit cette question et ce débat dans la chair vive de notre affectivité nationale. La charge émotive que contient cette thématique, lorsque débridée, a produit des visions mythiques stupéfiantes de la réalité québécoise. En d'autres milieux, par contre, le problème est escamoté par une analyse trop rapide et des réflexes inspirés par un pragmatisme facile et souvent factice.

L'une et l'autre vision, les cris d'alarme des palefreniers d'Apocalypse et les objurgations au "gradualisme modéré", ont valeur fonctionnelle si elles incitent le législateur à une synthèse éclairée. Autant le réalisme pratique de l'homme d'affaires doit avoir du poids, autant on ne peut faire fi de la sensibilité écorchée du poète qui crie son désespoir. "Je dis que je suis atteint dans mon âme, mon être, je dis que l'altérité pèse sur nous comme un glacier qui fond sur nous, qui nous déstructure, nous englue, nous dilue... Je dis que la langue est le fondement même de l'existence d'un peuple"

(Miron)

Les deux font, et sont, des signes dans la sémiologie complexe du débat linguistique québécois. Mais, dans ce débat linguistique, il en va ainsi de tous les intervenants, à la fois signifiants et signifiés, médium et message.

Aussi ne peut-on prétendre qu'au risque du ridicule qu'une intervention quant à ces questions ne s'inspire pas (ne traduit pas, devrait-on dire) de présuppositions ou de postulats en partie déterminants. S'il est occasion où le positivisme scientifique est caduque, c'est bien dans l'étude du problème linguistique québécois. Aussi est-il sain (et pré-requis) de montrer clairement de quel bois philosophique se chauffent les intervenants dans ce débat. Avant donc d'aborder les étapes d'une démarche souvent technique, ce mémoire débute par un énoncé du Weltanschauung linguistique et des principes d'intervention auxquels nous souscrivons et dont s'inspirent nos propositions de modifications de la charte du français.

Ce schéma global de notre intervention bien établi, nous en examinons les articulations. Une première partie fera le point quant à la situation du français et des francophones dans l'entreprise (chapitre 2). Un diagnostic juste et précis à cet égard nous apparaît fondamental à la formulation de la loi. Vient ensuite un chapitre où nous présentons notre analyse des principes et objectifs qui ont servi à la confection du projet de loi 1 (chapitre 3). Plus spécifiquement, nous présentons l'économie générale du projet de loi, les principes qui le sous-tendent et la démarche de francisation qui en émanera selon toute vraisemblance.

L'étape suivante consiste à formuler un scénario modifié d'intervention. Du diagnostic quant à la situation du français dans l'entreprise, des objectifs poursuivis ou que devraient poursuivre une intervention dans ce domaine et des caractéristiques du processus de francisation des entreprises, émanent un ensemble de suggestions précises pour la modification du projet de loi 1. Ces recommandations, et les entreprises originales du projet avec lesquelles nous sommes en accord, forment ce que nous avons appelé un scénario alternatif de la loi (chapitre 4).

Puis, nous tenterons de montrer comment s'insère ces interventions législatives dans la réalité du fonctionnement des entreprises (chapitre 5). Pour évaluer les possibilités et les difficultés d'adaptation d'une population aussi différenciée que celle des entreprises, nous avons colligé des informations pertinentes sur les groupes suivants: 1.Un échantillon aléatoire de 42 entreprises choisi parmi la population des entreprises de plus de 500 employés au Québec (N-333) 2.Tous les sièges sociaux situés au Québec (N-55) pour les 105 plus grandes entreprises fonctionnant au Québec 3. Parmi les centres de recherche industriels situés au Québec et comptant plus de 15 ingénieurs ou scientifiques (N-30) selon le Répertoire des centres canadiens de recherche — développement industriels — 1973 (Ministère d'Etat-Sciences et Technologie, Ottawa), nous avons choisi au hasard 20 centres de recherche. 4. Parmi les entreprises de plus de 500 employés au Québec et celles inscrites au "Survey of Industrials" du Financial Post, nous avons identifié 19 entreprises opérant dans des secteurs à haute technicité ou de technologie de pointe. 5. Un groupe de 10 entreprises importantes du secteur des services. Les entreprises choisies (bureaux d'ingénieurs-conseils, courtiers en valeurs mobilières, services d'informatique, etc..) sont caractérisées par un niveau élevé d'activités à l'extérieur du Québec.

Armés de cette information, nous tentons, au chapitre 6, de formuler un diagnostic quant au type de programmes de francisation qui satisferait aux exigences du projet de loi 1 et à celles de notre scénario alternatif. Cette analyse nous permet d'abord d'identifier dans quelles situations et pour quels types d'entreprises, les adaptations seront difficiles, voire impossibles. Elle permet ensuite de prévoir les comportements des entreprises pour faire face à la nouvelle situation juridique et montrer comment certaines modifications peuvent diminuer la fréquence des adaptations coûteuses pour le Québec touf en respectant l'obiectif fondamental de la loi.

Dans un septième chapitre, nous traduisons, autant que faire se peut, les adaptations des entreprises en coûts économiques. C'est là une opération téméraire que nous entreprenons avec toute la sobriété et les réserves qui s'imposent. Nous la croyons utile cependant afin de situer l'ampleur des phénomènes dont nous aurons traité tout au long des chapitres précédents. Cette évaluation des conséquences économiques se fonde sur notre interprétation des calculs strictement économiques que devront faire les entreprises face à la loi. Ainsi nous ne tenons pas compte des réactions émotives qui pourraient faire poser des actes qui ne seraient pas conséquents à une analyse rationnelle des avantages et désavantages de certaines décisions.

Nous traiterons aussi au chapitre 7 des conséquences de cette intervention sur les petites et moyennes entreprises et sur les francophones faisant carrière de cadres, avant de tirer des conclusions plus générales pour clore ce mémoire.

En terminant cet avant-propos, nous voudrions brièvement indiquer de quelle expérience nous nous inspirons pour intervenir dans ce débat. Depuis septembre 1975, nous avons été étroitement mêlés et identifiés au processus de francisation des entreprises. D'abord à titre de conseillers du Conseil

exécutif, nous avions la responsabilité de préparer les instruments et formulaires que les entreprises auraient à utiliser pour effectuer leur analyse linguistique. Puis en tant que conseillers auprès de la Régie de la langue française, nous avons proposé des principes directeurs, des programmes types de francisation, des critères d'évaluation des programmes, enfin tout l'appareillage nécessaire à l'intervention de francisation des entreprises.

Ce mémoire est la distillation de cette riche expérience.

CHAPITRE I

Concepts et principes d'action pour la francisation des entreprises

La Charte du français propose que notre société se donne comme projet collectif de faire du français notre langue commune; c'est-à-dire que le français serve de code commun pour les échanges entre Québécois et imprègne toutes les activités dans notre société. Pour atteindre cet objectif, la Charte propose des mesures touchant aux secteurs de l'éducation, de l'administration publique, des ordres professionnels et des entreprises. Ce mémoire ne porte cependant que sur les aspects de la Loi qui sont pertinents aux entreprises.

Deux groupes d'articles dans le Projet de loi ont une incidence sur l'entreprise: des articles qui font référence à ce que nous appellerons la "langue des affaires" de l'entreprise et des articles dont les stipulations touchent à la langue de travail au sein des entreprises. Dans le premier cas, il s'agit d'amener l'entreprise à franciser ses communications avec les résidents du Québec qui sont externes à l'entreprise. Ceci inclut, bien sûr, la raison sociale de l'entreprise, ses affiches publicitaires et toutes ses communications orales ou écrites avec l'administration publique québécoise, sa clientèle et ses fournisseurs situés au Québec.

Nous en sommes et souscrivons sans réserves aux propositions contenues dans le Projet de loi quant à la langue des affaires. Cet appui s'étend aussi à la stipulation d'affichage unilingue qui a suscité de vives réactions. Notre appui à cette mesure est fondé sur une similitude conceptuelle évidente entre la démarche de francisation des entreprises que nous favorisons (et dont nous ferons état en détails plus loin). Une francisation véritable des milieux de travail passe par un changement du climat linguistique de l'entreprise. L'individu en situation organisationnelle développe des réflexes linguistiques qui sont en partie importante déterminés par les "signaux" que lui communique son environnement par le truchement de l'affichage interne, des documents officiels, de la terminologie technique, etc. C'est là un aspect critique de notre conception de la francisation des entreprises. Ce concept appliqué, mutatis mutandis, au cadre de notre société en général, est un argument de poids en faveur de l'affichage unilingue. En effet, une telle mesure contribue ainsi à créer un climat "social" francisé propice au développement de réflexes linguistiques qui sont requis pour que le français devienne la langue commune de tous les Québécois.

Donc, notre mémoire porte essentiellement sur les sections de la Charte qui touchent à la francisation de la langue de travail dans les entreprises. Notre intervention à ce niveau s'inspire de concepts et principes d'action, au nombre de cinq, dont nous devons faire état et étalage de prime abord, puisqu'ils constituent le souffle et le leitmotiv de notre mémoire. 1.Travailler en français: un droit social 2. Un diagnostic précis de la situation 3. Principes d'intervention pour la francisation des entreprises 4. L'entreprise respecte la loi 5. Une loi claire, sans arbitraire et parcimonieuse

1. Travailler en français: un droit social

La Charte du français devrait déclarer dans un article 4 modifié "Tout Québécois a le droit de travailler en français", instituant ainsi un droit social et virtuel pour les Québécois et un engagement solennel du Gouvernement, et par là, de notre société, à prendre les actions permettant le libre exercice de ce droit. C'est là une notion de droit qui est similaire au contenu de certains articles de la Déclaration des droits de l'homme de 1948, entre autres, l'affirmation que "toute personne a droit au travail..." (article 23) ou que "toute personne a droit à l'éducation" (article 26).

Le Gouvernement du Québec, interprète et animateur des aspirations de la société québécoise, doit proposer les interventions nécessaires à l'exercice de ce droit au travail en français. Les Québécois doivent donc disposer d'une vaste gamme d'options de travail qui leur permette, s'ils le désirent, d'oeuvrer leur vie durant essentiellement en français. Pour ce faire, le Gouvernement peut agir sur plusieurs fronts, dont la francisation des entreprises. En conséquence d'un diagnostic précis de la situation, le Gouvernement peut, s'il le juge à propos, inviter formellement et juridiquement les entreprises à prendre des mesures de francisation selon les principes et des modalités appropriés à l'objectif poursuivi et à la situation du français dans les entreprises.

Cependant, ce droit est virtuel et s'applique à la société québécoise dans son ensemble et non à chaque situation de travail prise en particulier*. "Dans la perspective de la personne, il s'agit moins de droits à protéger contre la société que de droits dont la société doit promettre la garantie." (F.Dumont, Chantiers, p. 235)

Les programmes de francisation doivent assurer que progressivement les entreprises du Québec offriront un nombre croissant d'options de travail en français et ce à tous les niveaux et dans tous les secteurs de l'entreprise. En somme, la francisation des entreprises est un moyen, parmi d'autres, de respecter cet engagement solennel envers la société québécoise.

2. Un diagnostic précis de la situation

L'affirmation du droit à travailler en français pourrait n'être que consécration d'une situation de fait, comme c'est le cas, à l'article 6, pour l'affirmation du droit de tout Québécois à l'enseignement en français.

L'articulation d'une loi et de règlement pour la francisation des entreprises doit trouver sa justification et ses modalités d'opérationalisation dans une compréhension étoffée de la situation présente et des liens de causalité entre différents facteurs. Cette exigence est tellement fondamentale que nous nous attaquons de plein pied, au chapitre suivant, à l'élaboration d'un diagnostic de la situation. Nos propos à ce stade-ci consisteront donc à résumer, en trois points, les propos et données beaucoup plus détaillés qui sont présents au chapitre 2. i) Le français est largement utilisé au travail

Les données sur l'utilisation du français au travail par les francophones indiquent un taux élevé d'utilisation*.

Cet énoncé a fait l'objet de plusieurs interventions publiques citant les travaux de la Commission Gendron (en particulier, l'étude de Serge Carlos). Nous n'y reviendrons pas, sauf pour réaffirmer que ce serait faire preuve d'obscurantisme que de nier cette réalité. ii) Une société plus technique et professionnelle

Cependant, ce taux élevé d'utilisation du français ne signifie pas que tous les secteurs de l'activité québécoise offrent les mêmes occasions de travailler en français, ni que tous les types d'occupation jouissent d'une gamme de choix de travail en français qui soit suffisante. Dans notre société où l'effort d'éducation se traduit par un nombre de plus en plus élevé de diplômés universitaires et techniques et où de profonds changements sociaux conduisent à un intérêt accru pour les activités économiques, techniques et scientifiques, l'exercice du droit au travail en français prend une résonnance particulière. C'est à ce niveau que l'intervention de francisation prend toute sa signification. Cette évolution ne doit pas conduire, faute d'efforts suffisants, à une situation où devant le faible choix dont ils disposent, ces Québécois doivent se résigner à travailler en anglais. Il faut en arriver à ce que les Québécois francophones qui travaillent en anglais le fassent en conséquence de choix de carrière conscients de leur part et que par ailleurs cette exigence linguistique ne soit pas artificielle mais soit le reflet de caractéristiques organisationnelles précises.

Il est deux types de raison à l'utilisation de l'anglais au travail au Québec: 1. des raisons d'ordre institutionnel et structurel (dimension internationale de l'entreprise, coordination et gestion d'activités à l'échelle canadienne et nord-américaine) dont nous aurons à faire amplement état dans les chapitres qui suivent; 2. des raisons d'inertie institutionnelle et de manque de connaissance du français des ressources humaines en place. Une intervention vigoureuse en ce domaine doit viser à faire totalement mais progressivement disparaître ce dernier type de raisons.

Ainsi le Québécois francophone, fortement scolarisé ou non, doit jouir de nombreuses options de travail en français; il ne doit pas être amené à rejeter des possibilités de carrière intéressantes parce qu'elles exigent un fonctionnement intégral en anglais dès l'entrée en fonction; de même, pour des raisons d'égalité des chances, son insertion dans l'entreprise ne devrait pas le placer en situation défavorisée parce qu'ayant à "faire ses preuves" dans une autre langue que la sienne dans un domaine à forte concurrence et pour des occupations exigeant une bonne maîtrise de l'oral et de l'écrit. Enfin, l'exigence d'une francisation maximale de l'entreprise au Québec est une incitation importante aux entreprises, et à leurs dirigeants, de se doter de réseaux d'information plus adéquats (i.e. plus complets et, surtout, dégagés de mythes et de préjugés) quant aux ressources humaines francophones. *Une analogie simple serait l'affirmation du droit de tout Québécois de recevoir au Québec une formation universitaire en français. Ce droit appelle des efforts à plusieurs niveaux afin de permettre l'exercice le plus complet de ce droit; ce qui n'enlève pas la possibilité à tout Québécois de choisir, ici ou à l'étranger, une formation universitaire en anglais, pour une spécialisation particulière qui n'est pas encore offerte dans nos institutions ou pour d'autres raisons. * A cet égard, le Livre blanc n'a guère fait oeuvre utile en présentant un portrait pessimiste et sans nuances de la situation.

Référer à la version PDF page CLF-795

iii) Francisation et francophonisation: une vieille et chère ambiguïté

L'intervention de francisation des entreprises (tant celle de la Loi 22 que celle du Projet de loi no 1) oscille continuellement entre l'affirmation claire à l'effet qu'il s'agit là d'une loi linguistique et les propos plus ou moins ambigus qui trahissent une tentation profonde de faire de cette intervention un moyen de promotion sociale et économique des francophones. Cette deuxième voie, si justifiée, mériterait une intervention législative spécifique et non des gestes camouflés par une intervention linguistique. De toute façon, cette velléité de promotion sociale est inspirée, selon nous, d'une interprétation tronquée et parfois saugrenue de la situation économique des francophones et des causes de cette situation. Nous tenterons au chapitre suivant d'étayer cette affirmation; cependant nous devons dès maintenant résumer nos observations quant à deux facettes de notre argumentation, a) la présence francophone chez les cadres

S'il est un objet familier de lamentation c'est bien la faible présence francophone à la direction des entreprises. Cette affirmation, un peu rapide, s'accompagne souvent d'allusions à une discrimination plus ou moins active par les gens détenant les "postes de commande". Nous nous bornerons à ce point-ci à formuler quelques interrogations qui nous semblent pertinentes à cette question.

Quelle est l'incidence sur la répartition des revenus et des occupations dans notre société des faits suivants: alors que le groupe francophone (langue maternelle) représente 81% de la population de 18 ans et plus ayant un revenu, il ne représente que 68% des diplômés universitaires au Québec et que 56% des diplômés universitaires en administration (Statistique Canada-1971). que les programmes de maîtrise en administration (MBA) des universités francophones du Québec ne produisent, chaque année, qu'environ 1/6 des diplômés ontariens sur une base per capita (et qu'en fait les universités francophones n'ont décerné les premiers diplômes de MBA qu'en 1969) qu'aussi récemment qu'en 1970, les diplômes en administration et en génie décernés au Québec par les universités francophones ne représentaient que 58% et 52% respectivement du total de ces diplômes décernés au Québec dans ces disciplines

Quelle perspective de changement laisse entrevoir les données suivantes sur la représentation francophone parmi la population de cadres et de diplômés universitaires (Statistique Canada, 1971)?

Quelles sont les causes et les conséquences des situations suivantes: alors que les francophones représentent 58% des diplômés universitaires travaillant comme cadres, ils représentent plus de 95% de cadres de l'administration provinciale et municipale et plus de 80% des cadres du secteur de l'enseignement. En revanche, ils ne représentent que 28% des cadres du secteur manufacturier. Ces trois secteurs (administration provinciale, municipale et enseignement) "utilisent" 33% de ces cadres alors que le secteur manufacturier ne compte que 20% des cadres travaillant au Québec (Statistique Canada, 1973). parmi les entreprises industrielles du Québec de 50 à 100 employés près de 60% ne sont pas à propriété canadienne française; parmi les entreprises de 100 à 200 employés, cette proportion passe à 66% (A. Sales, 1976). Par quels comportements discriminatoires ou ve-xatoires peut-on expliquer cette faible représentation dans la p.m.e.?

b) différences de statut économique entre francophones et anglophones

La constatation de différences entre le revenu moyen des francophones et des anglophones et d'une relation entre revenu et taux d'utilisation de l'anglais au travail a suscité des affirmations ambiguës par leur hypothèse implicite et par une inférence de causalité non justifiée. Ainsi, "le français est, dans une très large mesure, la langue des petits emplois et des faibles revenus" (Livre blanc, p. 9) puisque "l'accès aux salaires les plus élevés implique une diminution de l'utilisation du français pour toute la population active". Qu'il y ait une forte association entre l'utilisation d'une langue autre que la sienne et le niveau de responsabilité hiérarchique est l'évidence même; on la retrouve dans tout pays qui entretient des relations commerciales et administratives importantes avec d'autres pays. Le fait s'assumer des postes de responsabilité entraîne un "interface" accru avec les activités et parties de l'entreprise situées à l'extérieur d'une région immédiate*.

Plus récemment, reprenant des données comparatives sur le revenu tirées du recensement de 1971 et constatant des écarts importants entre francophones et anglophones, on a tenté de relier ce phénomène de façon plus ou moins claire, à la francisation des entreprises. Ceci nous amène à formuler ici quelques interrogations qui seront reprises au chapitre II: quelle est la valeur, en terme de justice sociale, d'une comparaison entre (i) un sous-groupe (relativement faible en nombre) cantonné à Montréal, plus scolarisé que la moyenne et concentré dans des activités administratives (à cause de la présence de sièges sociaux) et (ii) la grande majorité de la population à travers tout le Québec, représentée dans toute la gamme des occupations d'une société intégrale? quoique ces différences de revenu dussent préoccuper et faire l'objet de recherches, comment peut-on établir un lien de causalité entre ces différences de revenu et la francisation des entreprises? Le grand nombre de facteurs et d'interactions qui ont un effet sur le revenu font en sorte qu'une comparaison sur une ou deux variables à la fois n'est guère instructive. que suggèrent les observations du point (a) quant aux causes possibles qui peuvent expliquer une partie de ces différences de revenu?

Cet ensemble d'informations et de conjectures sera repris en détail au chapitre II mais il était important d'en faire état ici afin de bien montrer la complexité du problème et la nécessité de résister aux explications trop simplistes.

3. Principes d'intervention pour la francisation des entreprises

La francisation des entreprises par voie législative est une intervention sociale de première importance. Ce changement social doit être planifié, s'insérer dans les processus de changements organi-sationnels de l'entreprise et reconnaître les contraintes et adaptations qui découlent de la vocation internationale et des variations dans la situation des entreprises situées au Québec.

Cet énoncé contient trois principes d'intervention dont nous traiterons de façon plus détaillée dans le cadre de la démarche complète de francisation présentée au chapitre 4: i) La loi comme processus de changement social. La reconnaissance du droit fondamental de travailler en français et les aménagements nécessaires à l'exercice entier de ce droit constituent des gestes d'une portée sociale importante et, à certains égards, imprévisible. Cette intervention doit prendre racine dans une bonne compréhension du contexte social dans lequel elle s'inscrira et des réactions multiples, et parfois surprenantes, que peut susciter l'intervention. En un mot, le processus de changement doit être informé et planifié. ii) La francisation comme processus de changement organisationnel. L'entreprise est une entité sociale polymorphe qui s'adapte à son environnement lorsqu'elle peut en discerner clairement les attentes et les intégrer dans son processus et à son rythme de changement. Les gouvernements peuvent exiger beaucoup des entreprises, pourvu que ces exigences rencontrent des conditions de clarté et de conformité au rythme de changement de l'entreprise. On peut amener toutes les entreprises québécoises (ou à peu près) à accepter des mesures sévères de francisation si ces deux conditions sont satisfaites. iii) La reconnaissance de l'hétérogénéité des entreprises et de leur vocation internationale, lorsqu'il y a lieu. Jusqu'à preuve du contraire, il nous semble opportun de conserver au Québec la possibilité d'y opérer et d'y installer des entreprises et des sièges administratifs dont l'aire d'influence et de rayonnement, tant du point de vue des marchés que de la gestion, s'étend bien au delà des frontières du Québec. Si l'on reconnaît le bien-fondé de ce principe, il faut en évaluer toutes les conséquences et les aboutissements pour la francisation des entreprises. C'est là une démarche à laquelle nous convierons le lecteur sceptique aux chapitres suivants. * A cet effet, on peut d'ailleurs noter que cette relation tient à coup sûr pour les membres du présent Conseil des ministres qui, dans l'ensemble, ont probablement utilisé l'anglais au travail beaucoup plus depuis qu'ils ont assumé leurs hautes fonctions.

4. L'entreprise respecte la loi

II n'est rien dans notre expérience qui indique que les entreprises, et leurs dirigeants, soient des citoyens moins responsables et respectueux des lois que d'autres groupes de notre société; c'est probablement là le sens et la source d'un préjugé favorable. Si les stipulations d'une loi sont inacceptable pour une entreprise, on cherchera à l'en soustraire en déplaçant l'entreprise ou en se prévalant des recours juridiques prévus à cet effet. Dans des circonstances normales, l'entreprise et ses dirigeants se conformeront à la loi. La propension à agir de façon répréhensible nous semble, pour reprendre un argument du Livre blanc dans un autre contexte, assez équitablement répandu dans la société, de sorte qu'on puisse difficilement justifier sur cette base la formulation de pénalités spéciales applicables que pour ce groupe.

5. Une loi claire, sans arbitraire et parcimonieuse

Autant par principe de formulation des lois que pour faciliter l'adaptation des entreprises à ses exigences, la loi proposée devrait chercher à définir clairement les objectifs poursuivis, les intentions du législateur et les comportements attendus de l'entreprise. De même, cette loi devrait limiter le plus possible le nombre de cas d'interprétation et de décision dont seront responsables des organismes imperméables à la consultation et à la concertation.

Enfin, la loi devrait être parcimonieuse; c'est-à-dire, chercher à atteindre l'objectif ultime par le cheminement le moins coûteux. C'est là, pensons-nous, un critère d'évaluation des modifications qui seront proposées par nous et par d'autres parties: le texte ainsi réservé permet-il d'atteindre l'objectif visé; si oui, constitue-t-il une façon plus simple, moins coûteuse pour toutes les parties (les entreprises, la société, les travailleurs) d'atteindre l'objectif. Ce concept suscite d'ailleurs une question de fond importante. Si deux versions d'une même intention législative sont également efficaces pour atteindre un objectif, mais qu'une version suscite moins de dysfonctions de toute nature, parce que permettant un délai plus long pour atteindre l'objectif, comment, à l'échelle historique d'une société, doit-on évaluer ce "retard" et le mettre en relation avec le coût social moindre qui résulte de cette atteinte différée de l'objectif.

Ces cinq principes d'action nous semblent constituer des guides raisonnables pour l'élaboration d'une intervention de francisation des entreprises. Nous sommes prêts à entamer un débat sur chacun de ces principes, mais s'ils sont jugés recevables, il faut bien percevoir que, pris collectivement, ils définissent une démarche précise et, à notre avis, efficace. Cette démarche prendra forme tout au cours de ce mémoire et fera l'objet d'une comparaison entre la démarche explicite ou implicite du projet de loi no 1. Les différences entre les deux approches sont quelquefois fondamentales; plus souvent, elles tiennent à des nuances sensibles qu'aux spécialistes de ces questions. L'impact de ces différences est suffisamment important cependant pour que nous nous réclamions avec insistance du bien-fondé des amendements que nous proposerons en ce mémoire.

CHAPITRE II

La situation du français et des francophones dans l'entreprise québécoise

Nous proposons dans ce chapitre un essai de diagnostic quant à la situation du français et des francophones dans l'entreprise au Québec. C'est une tâche difficile mais nécessaire à la formulation d'une législation adéquate.

Notre compréhension collective de cette situation a été spoliée par au moins deux tendances répréhensibles, faisant feu de toutes données utiles sans que n'émerge un diagnostic plus global et intégré. Une première tendance, aux forts relents misérabilistes, présente une vision pessimiste d'une société dominée, dont l'accès des membres aux postes de commande est bloqué par une volonté ferme et cohérente de la part du groupe dominant qui impose sa langue et sa culture.

Dans un scénario guère plus réjouissant, on invoque, sans les démontrer, les progrès accomplis; puis, s'inspirant plus d'une mythologie bien entretenue et de préjugés historiques que d'une connaissance du Québec contemporain, on rappelle les lacunes qui seraient endémiques au Québec et aux Québécois (le terme Canadien-français est habituellement employé dans ces circonstances).

Que l'une et l'autre visions de notre société blessent et irritent bon nombre de Québécois dont l'information et l'expérience sont en contradiction éloquente de ces schémas, on le comprendra facilement.

Nous tenterons donc de faire le tour de cette question et de proposer un diagnostic qui soit plus en accord avec les faits et dont, en conséquence pourrait s'inspirer une intervention législative. Notre

démarche consistera d'abord à faire le point de la situation du français dans les entreprises pour ensuite examiner la problématique et la situation des francophones dans l'entreprise au Québec. Enfin, nous présenterons un essai d'explication qui se voudra un diagnostic.

A) L'utilisation du français dans l'entreprise

Le français est la langue de travail de la grande majorité des Québécois francophones. Cette utilisation prédominante du français par le travailleur québécois francophone est vraie non seulement dans le secteur de l'administration publique et para-publique, mais aussi dans le secteur manufacturier, dans le secteur tertiaire privé, chez les travailleurs manuels, chez le personnel de bureau et chez les cadres. Il existe bien sûr des situations où des francophones travaillent principalement en anglais. Mais vues dans une perspective d'ensemble, ce sont des situations peu fréquentes et facilement explicables, limitées principalement à la région de Montréal et aux centres administratifs que sont les sièges sociaux et les sièges divisionnaires.

Par contre, bien qu'il travaille en français, le travailleur francophone peut être amené à utiliser de façon fréquente l'anglais. La langue française parlée au Québec, particulièrement en milieu de travail industriel, est parsemée de terminologie anglaise, du "washer" au "panel". Le travailleur francophone doit souvent faire usage de textes rédigés en anglais: formulaires, manuels d'entretien ou d'instructions, documents de gestion, etc.

Nous voudrions faire un bref tour d'horizon de la situation quant à l'utilisation du français en milieu de travail. Chose surprenante, la question a été fort peu étudiée. L'étude de base reste une enquête dirigée par Serge Carlos, de l'Université de Montréal, réalisée à l'hiver 1970-1971, pour le compte de la Commission Gendron. Près de 5,000 Québécois ont participé à l'enquête et ont répondu à un long questionnaire sur leurs pratiques linguistiques au travail. Rappelons certaines conclusions. - Les francophones utilisent le français dans 87% de leur temps de travail. Dans la région de Montréal, ce pourcentage tombe à 79%. Hors de la région montréalaise, ce pourcentage s'élève à 93%. -68% des francophones travaillent à peu près uniquement en français, 3% seulement travaillent à peu près uniquement en anglais; 32% travaillent dans les deux langues. Par contre, il existe des différences régionales marquées. Le problème linguistique en milieu de travail est d'abord et avant tout un problème montréalais, où seulement 46% des francophones travaillent à peu près uniquement en français, contre 77% ailleurs en province. A Montréal, 48% des francophones travaillent en français et en anglais, contre 21% en province. Finalement, à Montréal, 5% des francophones travaillent à peu près uniquement en anglais, contre 1% en province. - Le pourcentage d'utilisation du français par les travailleurs francophones varie peu selon la catégorie d'occupation, le revenu, le secteur d'activités et le niveau d'instruction. Le plus bas pourcentage dans toutes ces catégories est 78.7%. Il s'agit des employés de bureau. Le lecteur peut voir aux tableaux 1 à 6 les pourcentages d'utilisation pour plusieurs catégories et plusieurs variables. -Les travailleurs dont la langue maternelle n'est ni le français ni l'anglais travaillent principalement en anglais. Ils n'utilisent le français que dans 35% de leur temps de travail. Ceci reflète principalement le choix que la majorité d'entre eux ont fait de s'intégrer à la communauté anglophone. - L'utilisation principale de l'anglais par les francophones est principalement reliée à la lecture de textes et de documents qui viennent de l'extérieur de l'entreprise ou de l'entreprise elle-même. Par contre, l'utilisation de l'anglais par les francophones est minimale dans les conversations orales.

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Lorsqu'il y a échanges entre francophones et anglophones en milieu de travail, "de façon générale, les francophones concèdent plus d'anglais que les anglophones ne concèdent de français" (p.103). Ceci est particulièrement vrai pour écrire des textes internes, pour remplir des formulaires et dans les conversations.

Il existe des mythes profonds quant à la situation du français au Québec. A Montréal, 69% des francophones pensent que les Canadiens-français travaillent en majorité (45%) ou en très grande majorité (23%) en anglais.

Les autres études de la Commission Gendron nous renseignent peu sur l'usage du français. Entre autres, le professeur Morido Inagaki a analysé les comportements linguistiques à l'intérieur d'entreprises où on retrouvait un nombre élevé de cadres anglophones. Malheureusement, la non-représentativité de l'échantillon ne nous permet pas de faire des projections.

La firme Multi-Réso a effectué en 1975, pour la Chambre de Commerce de Montréal, une enquête auprès d'un échantillon aléatoire de cadres supérieurs d'entreprises de Montréal. 534 cadres participèrent à l'enquête qui portait essentiellement sur Montréal, mais qui incluait quelques questions sur les pratiques linguistiques à l'intérieur de leur entreprise (1). L'enquête révèle que 68% des cadres francophones avaient le français comme langue de travail, tandis que 21% utilisaient l'anglais et 11% les deux langues. Chez les cadres anglophones, la langue de travail était le français pour 8%, l'anglais pour 86% et les deux pour 6%. En somme, ces résultats confirment les conclusions de Carlos.

Finalement, une enquête d'Arnaud Sales auprès de plus de mille chefs de direction d'entreprises manufacturières au Québec indique que 40% des chefs de direction utilisaient le français comme langue de travail, 47% l'anglais et 12% les deux (2).

D'admettre cette réalité que le français est largement utilisé au travail ne signifie pas que l'on doive en conclure qu'il n'y a pas matière à législation en ce domaine. Il est deux types différents de problèmes qui peuvent être corrigés par voie législative: a) quoique les communications au travail soient largement francisées, il n'en reste pas moins que des efforts importants doivent encore être consentis pour implanter une terminologie française et franciser les nombreux documents de travail (manuels, formulaires, etc.) qui ne sont encore disponibles qu'en anglais b) suite à des mutations sociologiques profondes, un nombre croissant de Québécois francophones ont choisi et choisissent encore de faire carrière dans des occupations techniques, scientifiques et administratives*; cette transformation pose le problème de le francisation des entreprises de façon plus complexe et, même s'il ne touche pas encore l'immense majorité des Québécois, n'en est pas moins important pour le développement d'une société française au Québec. Le droit de travailler en français vaut tout autant pour le personnel de cadres et de techniciens. Cependant, parce que l'intervention à ce niveau doit pénétrer profondément dans les entreprises, il faut prévoir des modalités souples et réalistes pour atteindre cet objectif. L'exercice du droit au travail en français sera favorisé par la multiplication des opportunités de travail en français comme cadre ou comme technicien dans les entreprises au Québec. Une intervention de francisation des entreprises est utile, voire nécessaire, à cette fin pour des raisons que nous formulerons lors de l'essai d'explication présenté plus loin dans ce chapitre.

B) Les francophones et l'entreprise

Nous tenterons en cette section de faire le point sur la situation des cadres francophones dans les entreprises du Québec. Cependant, nous devons dans un premier temps discuter des différences de revenus entre francophones et anglophones puisque cet aspect de la question est apparu récemment comme ayant une profonde influence sur les intentions du législateur.

(1) L'univers d'où fut tiré l'échantillon comptait toutes les entreprises de 100 employés et plus, le tiers des entreprises de 50 à 100 employés et le sixième des employés des entreprises de 25 à 100 employés. Le chef de la direction de l'entreprise et deux autres cadres choisis au hasard parmi les cadres de la direction générale, furent choisis dans l'échantillon des répondants. 26% des entreprises représentées dans l'échantillon des répondants avaient plus de 500 employés au Québec, 53% de 100 à 500 et 21%, moin de 100 employés.

(2) Sales, Arnaud; "Les industriels au Québec et leur rôle dans le développement économique"; janvier 1976. *De 1961 à 1971, la proportion de la population québécoise de plus de 5 ans ayant une scolarité universitaire est passée de 4% à 8%, rejoignant presque l'Ontario (9%). Par ailleurs, 57% des diplômés universitaires francophones au Québec avaient moins de 35 ans en 1971 (Statistique Canada, 1971). De 1966 à 1975, 301,279 francophones ont reçu des diplômes universitaires, dont plus de 180 000 durant la période 1971-1975 (Prévisions des clientèles universitaires 1976-1991, Ministère de l'éducation, avril 1977).

1) Les différences socio-économiques entre francophones et anglophones

Le constat d'une différence dans les revenus de ces deux groupes au Québec suscite souvent des réactions de suspicion, d'hostilité et une volonté de redressement louable mais inspirée par une analyse un peu courte des causes de cette situation. C'est un peu malgré nous que nous abordons ce sujet, car la relation entre des différences de revenus dans l'ensemble de la société québécoise et la francisation des entreprises est fort ténue. La francisation des entreprises, et même une francophonisa-tion accélérée, n'amèneraient des avantages économiques que pour une infime proportion des travailleurs*.

Des gains importants de revenus pour ces personnes, à supposer que cela se produise, n'auraient aucun impact sensible sur les écarts de revenus entre francophones et anglophones dans l'ensemble de la population. Il est évident cependant que des mesures qui se traduiraient par une diminution du revenu moyen du groupe anglophone (par exemple le départ du Québec d'anglophones à revenus élevés) réduirait considérablement l'écart de revenu entre les deux groupes. Evidemment, les bénéfices pour le groupe francophone d'un tel "rapprochement" des revenus pourraient sembler bien illusoires. Nous nous bornerons donc à énoncer quelques réserves méthodologiques sur ce type de comparaison.

D'abord une mise en garde, ou du moins, une invitation à un scepticisme de bon aloi face à la situation en ce domaine. Le revenu d'un individu est influencé par un grand nombre de facteurs (âge, scolarité, secteur industriel, occupation, lieu de travail, etc)* qui agissent et inter-agissent de façon complexe (non additive, non linéaire). Les outils statistiques les plus raffinés sont souvent insuffisants ou inutilisables (problèmes de multicollinéarité, d'interaction non-additive et de spécification du modèle). Ainsi, les analyses portant sur quelques variables sont toujours susceptibles de cacher la réalité parce que des variables importantes ont été omises.

Ceci dit, il ne fait aucun doute que les anglophones au Québec ont un revenu supérieur aux francophones. Mais est-ce cette caractéristique anglophone/francophone qui "explique" ce phénomène ou encore l'effet puissant sur le revenu d'être essentiellement Montréalais, fortement scolarisé, occupant des postes dans des catégories d'occupation à revenu élevé (quelle que soit l'ethnie de l'occupant). La comparaison pertinente consisterait donc à mettre en relation les revenus de francophones et d'anglophones du même âge, de même formation (i.e. même type de diplôme universitaire), oeuvrant dans le même secteur industriel, dans une catégorie d'emploi similaire (e.g. cadres) dans des entreprises de même taille, situées à Montréal. Une telle énumération montre bien la futilité de l'exercice.* On en arrive rapidement à comparer quelques individus et alors la valeur statistique de l'opération est nulle.

Il est cependant deux interrogations pertinentes: quels sont les facteurs qui expliquent, s'il y a lieu, la faible représentation d'un groupe dans un type d'occupation à revenu élevé? C'est là le thème de la section "essai d'explication quant à la présence francophone". quelle est la nature de la relation entre postes, revenus et utilisation de l'anglais au travail par les francophones? Pourquoi, pour occuper des postes à revenu élevé dans l'entreprise, le francophone doit-il utiliser l'anglais au travail? Malheureusement cette relation entre revenus et utilisation de l'anglais par les francophones est parfois décrite de façon à laisser penser qu'il s'agit d'un lien de causalité: "l'accès aux salaires les plus élevés implique une diminution de l'utilisation du français..." Cette observation, au contraire, peut tenir simplement au fait que l'augmentation des responsabilités, qui s'accompagne souvent d'une augmentation de revenus, implique des échanges accrus avec des auditoires situés à l'extérieur de son contexte immédiat. Cette situation de fait vaut autant pour le professeur d'université d'une certaine réputation, le chercheur scientifique et le politicien, que pour le cadre d'entreprise. Que ces échanges en une autre langue se fassent souvent en anglais ne devrait guère surprendre alors. Mais c'est là le point crucial de toute la démarche de francisation. Il ne s'agit pas de nier cette réalité ni d'imputer de fausses relations de causalité mais de discerner quand ces exigences d'utilisation de l'anglais sont justifiées et quand des changements dans l'entreprise peuvent faire en sorte de diminuer l'incidence et la fréquence de telles exigences. L'essence même de l'effort de francisation des entreprises porte sur ces points. "Les cadres ne constituent qu'environ 5% du total de la main-d'oeuvre francophone masculine au Québec. * II faudrait, si l'on en croit certaines études américaines, y ajouter un facteur important: la "charte" (Jencks, C. et al., Inequality) *En découpant une population en sous-groupes on trouvera souvent des différences de revenu à cause de l'impact des variations dans ces facteurs. Ainsi, les résidents de Sept-lles au Québec ont le revenu moyen le plus élevé au Canada; les francophones du nord-ouest de l'Ontario ont un revenu supérieur de 8% aux anglophones, etc...

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Quelles conclusions pouvons nous tirer quant à la représentation des cadres francophones au Québec? De façon générale, si l'on considère l'ensemble des postes de cadres au Québec et que l'on établit une relation avec la proportion francophone du Québec, on constate un écart d'environ 15%. Si cette comparaison est établie pour les cadres de l'entreprise privée, l'écart se situe entre 30% et 50%. Par contre, si la comparaison porte sur les directions supérieures des grandes entreprises opérant au Québec, l'écart est supérieur à 50%. Enfin, pour la population de diplômés universitaires, la représentation francophone parmi les cadres est à peu près équivalente à sa représentation d'ensemble (écart de 5%). Cependant les cadres francophones sont largement sur-représentés dans le secteur public.

Une question fondamentale se pose. Que serait une juste représentation?

3) Une juste représentation?

La détermination de cette juste représentation des cadres francophones dans l'entreprise est complexe. Nous l'examinerons sous deux angles: la représentation francophone parmi les cadres de l'entreprise privée, puis dans la population en général.

En premier lieu supposons que la proportion des cadres francophones dans la population du Québec est équivalente à la proportion de francophones dans la population générale (environ 81%). On pourrait prétendre que la proportion francophone parmi les cadres de l'entreprise devrait être équivalente à la proportion de francophones dans la population.

Mais alors, il ne faudrait pas que cette représentation dépasse 81% dans certains secteurs importants (comme c'est le cas pour l'administration publique au Québec); car alors, pour "fournir" tous ces cadres, il faudrait que dans l'ensemble de la population du Québec, les francophones soient surreprésentés dans la fonction "cadre". Il est possible, dira-t-on, que cette sur-représentation francophone dans le secteur public ne soit pas volontaire mais reflète une dynamique particulière de choix et d'exclusion (de part et d'autre). Nous allons formuler certaines hypothèses à la section suivante qui pourraient mener à une sous-représentation de francophones dans la grande entreprise au Québec pour des raisons fort différentes. Certaines ont trait à l'évolution socio-économique de notre société, d'autres pourraient être corrigées par une loi de francisation. Le rôle relatif de l'un et l'autre type d'explication est difficile à déterminer, mais il est probable que les raisons socio-économiques jouent un très large rôle à ce niveau.

Par contre, une constatation importante s'impose à l'esprit, lorsque l'on examine la répartition des cadres dans cette perspective. Etant donné que la masse (l'inventaire, dirait-on) des cadres augmente lentement, un effort de francisation et de francophonisation accéléré des grandes entreprises ne pourrait que se traduire par un déplacement de cadres d'un secteur vers l'autre et par une surenchère pour des cadres francophones d'expérience. Ainsi, sous la pression de la loi, les grandes entreprises se verraient dans l'obligation de recruter des cadres d'expérience* soit dans l'entreprise privée francophone, soit dans le secteur public et para-public. Il est utile de s'interroger sur l'à-propos d'une telle situation.

En fait, il faut bien voir qu'un même réservoir de ressources humaines doit fournir presque 100% des cadres du secteur public et des petites, moyennes et grandes entreprises francophones, approvisionner les grandes entreprises nationales et internationales en cadres pour la gestion des opérations québécoises (qui sont largement francophones) et finalement combler des postes aux sièges sociaux de ces entreprises à Montréal et à Toronto. A court et moyen terme, ce réservoir ne peut fournir une demande accrue que par une réallocation de ressources.

Est-ce que la société québécoise profitera tellement plus d'une augmentation des cadres supérieurs francophones au Bell Téléphone ou à la Banque Royale que du fonctionnement de ces cadres dans des entreprises francophones du secteur privé ou public?

Il est clair cependant que des individus bien formés et capables d'assumer de hautes responsabilités ne seraient pas improductifs et inactifs tout simplement parce que l'accès à des postes de cadres supérieurs dans les grandes entreprises anglophones ne leur aurait pas été ouvert par voie législative*.

Un autre aspect de la question d'une juste représentation francophone parmi les cadres, consiste à évaluer quelle devrait être la proportion de cadres francophones dans la population en général. Ainsi au Québec, les cadres francophones constituent environ 66% (en 1971) de l'ensemble des cadres. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette différence entre 81% et 66%, ce dont nous traiterons à la section suivante. L'aspect qui nous intéresse à ce moment-ci consiste à évaluer si toute cette différence de 15% constitue une sous-représentation ou s'il y a des facteurs qui diminuent la portée réelle de cette différence.

Faisons l'hypothèse que la population francophone du Québec "choisit" l'occupation de cadres avec une fréquence semblable à celle observée chez les anglophones du Canada. Cependant, Montréal, comme Toronto, est le site de plusieurs sièges sociaux d'envergure nationale.

En 1971, selon le recensement, la catégorie "direction, administration et professions connexes" représentait au Canada 4.31% de toutes les occupations, mais 4.68% en Ontario et 4.75% au Québec et 3.61% dans le reste du Canada (voir tableau 10).

Si la proportion de cadres au Québec était au niveau de l'ensemble du Canada (4.31%) on comporterait 93,490 postes de cadres plutôt que 103,125. L'excédent pouvant être considéré comme une importation surtout du reste du Canada, on devrait s'attendre à y trouver une forte représentation anglophone. *Et non pas de jeunes diplômés universitaires puisque les délais entre l'entrée en fonction de tels diplômés et leur accession à des postes de responsabilité supérieure seraient trop longs pour satisfaire aux exigences de la loi. De même façon, des promotions accélérées de cadre francophones déjà dans l'entreprise seraient effectuées; mais cela n'augmenterait pas la proportion des cadres francophones dans l'entreprise. * Ce commentaire explique d'ailleurs la mauvaise humeur de plusieurs cadres francophones face au Projet de Loi no 1. L'impression qui est parfois donnée par le Livre blanc et la Loi, que le cadre francophone a besoin d'être protégé et défendu par l'Etat, est fort irritante pour ces cadres.

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Donc, le 66% de représentation francophone parmi les cadres se traduit par 68,066 cadres en 1971. Si Montréal n'était pas un centre administratif canadien, on compterait environ 93,490 cadres au Québec. La proportion francophone serait donc de 73% (68,066 sur 93,490) ce qui diminue de moitié l'écart observé (de 15% à 8%). Donc, nous estimons qu'en 1971 quelque 10,000 postes de cadres anglophones à Montréal étaient attribuables à la présence de sièges sociaux d'envergure nationale.

C'est là un chiffre fort plausible puisqu'au chapitre 6 (tableau 6 en particulier) nous estimons, selon une démarche totalement différente, qu'entre 12,000 et 20,000 cadres travaillent présentement à Montréal dans les sièges sociaux d'entreprises de plus de 500 employés. Admettons pour les fins de notre argument, que ces sièges sociaux doivent refléter dans leur fonctionnement la réalité canadienne par la distribution d'ensemble de leurs cadres aux sièges sociaux (i.e. environ 30% de francophones et 70% d'anglophones*.)

Si on applique le ratio 70-30 pour la présence anglophone à ces nombres et tenant compte d'une certaine croissance depuis 1971, les deux estimés concordent de façon étonnante.

Donc, à moins de diminuer, volontairement ou non, le rôle particulier de Montréal comme centre administratif pour l'ensemble du Canada, la proportion de cadres francophones dans l'ensemble sera inférieure à la proportion de francophones dans l'ensemble de la population. Nous estimons qu'un écart d'environ 8% reflète bien la situation actuelle. Donc, la sous-représentation francophone aurait été en 1971 de 7% (66% au lieu de 73%).

Quant aux cadres supérieurs des grandes entreprises industrielles au Québec, on estime qu'entre 20% et 30% sont francophones (20.2% en 1973 selon les sources utilisées par M. Sauvé; 26% pour les entreprises de plus de 1000 employés, selon Sales).

Ce chiffre reflète une sous-représentation francophone puisque même si à la limite tous ces postes du secteur industriel étaient dans des entreprises à envergure nationale ou internationale, on devrait y retrouver au moins 30% de cadres francophones. C'est là un seul minimal que devrait atteindre la présence francophone dans l'ensemble de la direction des grandes entreprises au Canada, seuil que l'on atteint presque pour les grandes entreprises avec siège social au Québec; cependant, la proportion francophone est largement inférieure à ce seuil pour l'ensemble des grandes entreprises canadiennes.

Quant à l'ensemble des secteurs industriels (quelle que soit la taille de l'entreprise), la présence francophone serait entre 40 et 50% (Sales donne 37%; Multi-Réso 51%); Statistique Canada (1971) donne 56% pour les secteurs manufacturiers, commerce et finance). Si l'on présume que pour les secteurs autres que les secteurs industriels (qui représente environ 54% des cadres (Statistique Canada 1971), 80% des cadres sont francophones (alors que dans l'ensemble des secteurs, cette proportion est de 66%) on obtient que la représentation des francophones parmi les cadres du secteur industriel devrait être 50%. Donc il n'y a pas de sous-représentation importante selon cette base de calcul.

L'augmentation de la présence francophone chez les cadres dans différents secteurs passe donc par l'augmentation de l'inventaire global de cadres francophones (de 66% à 73%) dans notre société. Quant aux cadres supérieurs des grandes entreprises, les objectifs de présence francophones doivent être tempérés par la dimension canadienne et internationale de leurs opérations.

Les raisons qui peuvent expliquer la sous-représentation relative des francophones à ces deux niveaux font l'objet d'une présentation détaillée à la section suivante.

C) Essai d'explication et de diagnostic

Cette situation des cadres francophones dans l'entreprise et en général dans notre société est amenée par des causes multiples et a, bien sûr des conséquences quant à la langue utilisée dans les milieux de travail au Québec. En fait, le schéma présenté au tableau 11 montre comment trois éléments influencent le niveau d'utilisation de l'anglais au travail: la dimension extra-québécoise de l'entreprise qui définit des impératifs d'utilisation de l'anglais (par des anglophones ou des francophones) pour des raisons éminemment utilitaires, la sur-représentation de cadres anglophones à la direction des entreprises qui dans la mesure où ces cadres n'ont pas une connaissance du français ajoute à l'extension de l'anglais (au-delà des exigences du rayonnement extra-québécois de l'entreprise). Cette sur-représentation peut être imputée à plusieurs facteurs. Nous formulerons quatre hypothèses précises à ce sujet. Finalement l'absence de loi linguistique dans le passé a pu faire en sorte que ne soient pas entrepris tous les efforts possibles de francisation des milieux de travail au Québec.

Quatre hypothèses ont été formulées pour l'explication d'une certaine sous-représentation de cadres francophones tant en général que parmi les cadres supérieurs de la grande entreprise. 1. Les facteurs socio-économiques 2. Des différences "culturelles" 3. La discrimination 4. La réticence des francophones vis-à-vis l'entreprise anglophone.

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1) Les facteurs socio-économiques:

Qu'un ensemble de facteurs comme le niveau de scolarité, les choix de carrière, la valorisation sociale pius ou moins marquée des activités économiques aient une influence sur la faible participation francophone et québécoise dans les secteurs de l'administration des entreprises nous semble une évidence même*.

Ainsi, l'étude de Tremblay-Fortin, effectuée en 1959, saisit bien une dimension importante de ce problème avec une question sur l'occupation que les chefs de famille salariés voudraient que leur enfant choisisse. Les résultats sont révélateurs. A cette époque pourtant pas très lointaine 54% des répondants choisissent la prêtrise pour leur enfant (fils!). Loin derrière, suivent, ingénieur (18%), médecin et professeur. Quant aux occupations économiques, elles sont choisies par moins de 2% des répondants. * Ces facteurs peuvent aussi réfléter, ou être en partie amenées par cette faible participation.

Que les orientations de carrière des jeunes québécois eussent été influencées par ces aspirations parentales ne serait guère surprenant.

Le facteur scolarisation joue un rôle de plus en plus important dans la sélection de cadres. En 1971, 28% des cadres avaient une formation universitaire (Statistique Canada-1971). Dans l'étude de A. Sales, 43% des dirigeants d'entreprises possédaient un diplôme universitaire en 1975.

Parmi les diplômes en administration, 68% deviennent des cadres (Statistique Canada-1973). Or, de 1931 à 1970, les universités francophones du Québec n'ont décerné que 57% de tous les diplômes en commerce et administration (Commission Gendron). La juxtaposition des deux chiffres précédents (68% et 57%) est éloquente quant à l'incidence de la formation universitaire en administration sur la présence de cadres francophones. "En 1971, selon le recensement, la population francophone (langue maternelle) ne représentait que 68% des diplômés universitaires.

Les programmes de maîtrise en administration (M.B.A.), une source importante d'approvisionnement en cadres, n'ont débuté qu'en 1966. Depuis, ils ont décerné environ 50% des diplômes de M.B.A. au Québec. Dans les cinq années 1971/75, les universités ontariennes ont décerné cinq fois plus de diplômes M.B.A. que les universités francophones du Québec. Les changements récents dans le taux de scolarisation du Québec et l'avènement d'un plus grand nombre de diplômés universitaires en administration se traduisent par une perspective d'avenir plus satisfaisante. Ainsi:

Les cadres francophones sont plus fortement représentés parmi les jeunes. Cette affirmation est appuyés autant par les données du recensement de 1971 que par les données de Multi-Réso sur les cadres à Montréal. Par exemple, parmi les cadres des secteurs manufacturier, commerce et finance, les francophones représentaient 56% des cadres en 1971, alors qu'ils représentaient 63% des cadres de moins de 45 ans. Il en va ainsi pour l'âge moyen des diplômes universitaires francophones. 2) Des différences culturelles: l'homo Quebecus est un specimen anthropologique souvent analysé. Il a été étudié sous tous ses angles et en particulier, en tant qu'administrateur et entrepreneur. Un mythe tenace veut que le Canadien français, à cause de valeurs propres à sa culture, soit moins "doué" pour une carrière administrative ou pour assumer le rôle d'entrepreneur par comparaison à l'anglophone canadien ou américain.

Dans une étude effectuée en 1956 auprès de 54 propriétaires de petites entreprises (32 d'expression française et 20 d'expression anglaise). Norman Taylor concluait que les chefs d'entreprises canadiens-français étaient plus conservateurs, plus individualistes, peu enclin à assumer des risques et plus préoccupés par leur famille. En somme, des caractéristiques peu favorables au dynamisme entrepreneurial. Si ses observations étaient peut-être fidèles, aux faits à l'époque, leurs généralisations à l'ensemble des cadres en 1977 tiendraient de la sociologie-fiction.

En 1966, le cadre francophone était l'objet d'une psychanalyse en profondeur. Dans une étude effectuée pour la Commission Laurendeau-Dunton, Auclair et Read tâchent de montrer que le cadre francophone ne partage pas les objectifs économiques de l'entreprise, mais souscrit plutôt à une vision socio-humanitaire de l'entreprise; les auteurs proposent donc une explication évidente pour la faible présence de Canadiens-français à la direction supérieure des entreprises. Les francophones sont inaptes à assumer des postes de direction supérieure parce qu'ils ne souscrivent pas aux objectifs économiques de l'entreprise.

Les conclusions d'Auclair et de Read méritent d'être mises en question, tant pour des raisons méthodologiques (en particulier la mesure et la définition des "objectifs") que pour des raisons théoriques (la relation entre cette mesure et une compétence administrative)*. * Kanungo et Dauderis ont avancé des conclusions similaires, au Congrès International de sociologie tenu à Montréal en 1975, sur la base d'une enquête auprès d'un échantillon de cadres de Bell Canada. Le choix de l'entreprise et la non-normalisation des données en fonction de l'âge enlève toute valeur de généralisation à cette étude; ce qui n'a pas empêché les auteurs de projeter leurs résultats à l'ensemble des cadres francophones et de chercher des explications pour les différences observées dans le "catholic ethic" et les "father dominated families" des francophones. Ces conclusions ont reçu à l'époque une grande diffusion dans la presse anglophone de Montréal.

En somme, les explications psychologiques ou "culturelles" apparaissent très fragiles et peuvent difficilement expliquer la faible présence de francophones dans l'entreprise québécoise. Les études qui ont conclu à l'importance de ces facteurs ne résistent pas à une analyse serrée sur le plan méthodologique.

Par contre, la publicité faite autour de ces conclusions contribue à renforcer le mythe de l'incurie administrative et entrepreneuriale du Québécois francophone et à entretenir certains "stéréotypes" nuisibles. En ce sens, ces études peuvent contribuer à rendre plus difficile l'insertion des francophones dans l'entreprise. 3) La discrimination:

Nous proposons trois volets à l'hypothèse qu'une discrimination à l'endroit des francophones de la part des dirigeants anglophones d'entreprises établies au Québec soit la cause de la faible participation économique des francophones. i) L'exclusion d'individus (les francophones) qui n'appartiennent pas au groupe linguistique dominant dans l'entreprise (le groupe anglophone) ii) Une discrimination résultant de visions stéroétypées du cadre francophone iii) Une discrimination résultant des réseaux d'information déficients des anglophones quant aux ressources administratives francophones.

La première forme de discrimination a sûrement joué et continuera de jouer. Mais cette discrimination positive n'en demeure pas moins un phénomène d'importance mineure qui ne peut expliquer qu'une très petite partie de la sous-représentation des francophones dans l'entreprise. Une discrimination positive suppose en effet une volonté continue et généralisée d'exclure les francophones parce qu'ils sont francophones.

La discrimination résultant de perceptions stéréotypées et négatives des francophones a joué un rôle subtil et difficilement quantifiable. D'ailleurs, la publicité accordée aux études sur les différences de valeurs et de besoins des francophones en tant que cadres, contribuent à affermir ces "stéréotypes".

Par contre, l'hypothèse à l'effet que des réseaux d'information déficients expliquent la situation relative de francophones dans l'administration mérite d'être évaluée. Les dirigeants d'entreprises anglophones doivent se doter de réseaux d'information quant aux ressources disponibles. Cependant, leur connaissance des milieux universitaire et administratif francophones étant limitée et déficiente, ces réseaux sont souvent constitués presqu'exclusivement d'informations sur les ressources anglophones. Il est bien évident que cette ignorance relative du potentiel administratif francophone, en conjonction, et renforçant certains préjugés, peut mener à une sous-représentation des francophones dans l'administration supérieure des entreprises. 4) La réticence des francophones à travailler dans l'entreprise anglophone:

Allaire et Toulouse rapportaient dans une de leurs études sur les étudiants M.B.A. québécois que près de 50% des M.B.A. francophones interrogés se montraient réticents à travailler dans une entreprise dont la langue de travail serait l'anglais. Dans une étude subséquente auprès des mêmes personnes, mais un an ou deux après l'obtention de leur diplôme, plus du tiers déclarait qu'ils hésiteraient à accepter un emploi dans une firme où la langue de travail serait l'anglais. Une telle attitude est rationnelle. En effet, toutes choses étant égales, un francophone est défavorisé par rapport à un anglophone dans un milieu de travail dont l'anglais est la principale langue de travail, particulièrement dans un emploi de cadre. L'habilité à communiquer efficacement étant un facteur important de réussite, le cadre francophone sera désavantagé durant toute une partie de sa carrière s'il doit fonctionner dans une autre langue que la sienne.

La difficulté qu'a la grande entreprise anglophone à recruter ou à retenir des cadres francophones tient en partie à cette réticence des cadres francophones à travailler en anglais au fur et à mesure que les possibilités de travail en français comme cadre augmentent.

Nous avons donc constaté une certaine sous-représentation des francophones parmi les cadres d'entreprises (pas aussi grande qu'on le suppose parfois cependant). Un ensemble de facteurs explicatifs ont été proposé, de même que certaines tendances récentes qui portent à être optimistes. Quel rôle peut jouer une loi de francisation dans ce processus?

La loi devrait viser à faire en sorte que le cadre francophone puisse jouir du plus grand nombre possible de choix de travail en français. Tout en reconnaissant le bien-fondé des contraintes provenant de la dimension extra-québécoise de l'entreprise, la loi doit amener l'entreprise à un examen en profondeur de son fonctionnement au Québec et de ses possibilités de francisation. L'entreprise devrait être en mesure d'offrir des postes qui servent de point d'entrée dans l'entreprise, où le travail s'effectue en français. La réticence du francophone face à l'entreprise sera réduite si celui-ci peut faire ses preuves comme cadre essentiellement dans sa langue et améliorer sa maîtrise de l'anglais graduellement, de façon à pouvoir éventuellement fonctionner aisément dans toutes les unités de l'entreprise. Evidemment, cette intervention juridique constitue aussi une invitation pressante pour que l'entreprise s'informe mieux sur la disponibilité et la qualité des ressources francophones au Québec.

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CHAPITRE III Le projet de loi no 1 et l'entreprise

La francisation des activités situées au Québec est un moyen de première importance pour permettre l'exercice des droits linguistiques fondamentaux établis dans le Projet de loi no 1. Ainsi, plusieurs modifications institutionnelles prévues prévues aux chapitres de la langue de travail, de la langue du commerce et des affaires, ont une incidence directe et marquante sur le fonctionnement des entreprises.

Dans ce chapitre, nous analysons la démarche adoptée par le Gouvernement pour réaliser la francisation de l'entreprise. Dans un premier temps, nous identifierons les fondements du Projet de loi no1 et ses principales articulations tel qu'exprimés dans le Livre blanc. Dans un second temps, nous formulerons certaines hypothèses, les plus plausibles selon nous, quant à la signification de certains articles et au contenu d'une éventuelle réglementation. Ces ajouts sont nécessaires afin de disposer d'un texte qui soit totalement opératoire et dont on puisse mesurer les conséquences concrètes sur l'entreprise. L'ensemble de ces éléments, soit la Charte telle que présentement rédigée, et nos hypothèses quant à la réglementation, constituent le scénario d'intervention le plus plausible, si le Projet de loi no 1 prenait effet dans sa forme présente.

A- Les articulations du Projet de loi no 1

Le Livre blanc sur la langue française au Québec contient un diagnostic en huit points, dont deux au moins touchent directement l'entreprise, diagnostic qui sert de toile de fond au Projet de loi no 1 en décrivant ce que le législateur perçoit comme étant la situation de départ.

Ce diagnostic donne suite à l'énoncé d'un objectif central pour la Charte du français, soit celui de faire du français la langue commune de tous les Québécois. La langue commune est définie comme la langue "que tous doivent connaître" (La politique québécoise de la langue française, p. 19) pour arriver à se comprendre entre eux. Cet objectif n'implique pas que le Gouvernement veuille "empêcher qu'on apprenne et qu'on parle aussi d'autres langues. Il veut simplement assurer une communauté foncière d'expression" (La politique québécoise..., p. 20). Selon l'esprit du Livre blanc, le français doit donc devenir non pas la langue de tous les Québécois, mais une, sinon la langue, que tous doivent pouvoir comprendre, parler et lire. Le français devient donc le code commun qui permet à la communication de s'établir entre Québécois.

Cet objectif, selon le Livre blanc, sera atteint, par une politique d'unilinguisme institutionnel officiel, qui n'exclut pas le bilinguisme des individus et le développement de la vie culturelle des groupes minoritaires. Il ne s'agit pas là d'une simple tolérance mais de la nécessité d'y puiser des éléments pour assurer la "vitalité indispensable" de la culture québécoise. Bien plus, le Livre blanc reconnaît même que "parler anglais est une nécessité pour certains Québécois" (p. 28). (Mais on ne définit pas qui sont ces Québécois pour qui l'anglais est une nécessité). Ces précisions débouchent sur ce que le Livre blanc appelle le "premier principe d'action":

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Principe d'action qui présume une intervention de l'Etat, mais qui présume aussi la définition de normes. "Sous prétexte de la gravité du mal, on ne saurait appliquer arbitrairement des remèdes" (La politique québécoise... p. 19). Le Livre blanc suggère quatre principes pour établir ces "critères de justice et d'équité, (les) règles juridiques" (La politique québécoise... p. 19) qui viendront encadrer son action.

Le diagnostic, l'objectif premier, le principe d'action et les quatre règles d'application définissent l'économie et l'esprit du Projet de loi. Six grands secteurs de l'activité québécoise sont ensuite identifiés comme nécessitant une action prioritaire de la part du législateur: l'Administration publique, l'entreprise, les relations de travail, les ordres professionnels, le "paysage" et l'enseignement.

B- La démarche de franciation

De tous les secteurs d'activités, c'est sûrement celui de l'entreprise que le législateur considère le plus important puisqu'il y accorde une attention toute particulière; ainsi, 33 des 177 articles du Projet de loi no 1 mentionnent l'entreprise explicitement.

Malgré un nombre d'articles imposant, certains aspects clés ne sont pas précisés. Cependant, les informations disponibles sur les intentions du législateur permettent à l'observateur averti de formuler des hypothèses plausibles quant à l'intervention de francisation qui émargera éventuellement, si le Projet de loi no 1 prend effet dans sa forme actuelle.

Nous présentons donc dans cette section, une description de la démarche de francisation telle qu'elle découle du Projet de loi no 1. Cette description est en 8 points. 1. Les droits linguistiques des Québécois 2. Les modifications institutionnelles mandataires 3. Les objectifs et le contenu des programmes de francisation 4. La mise en oeuvre des programmes 5. L'Office de la langue française 6. Les autres organismes de francisation 7. Les sanctions 8. Les travailleurs non-québécois 1- Les droits linguistiques des Québécois

L'article 4 reconnaît à tout "travailleur" québécois le droit de travailler en français et ce, "quelles que soient la nature, la forme et la taille de l'entreprise" pour laquelle il travaille. La spécification de "l'entreprise" est une indication que le législateur veut ainsi reconnaître le droit à tout travailleur d'exiger de travailler en français dans l'entreprise par qui il est présentement employé (sauf pour les exceptions prévues à l'article 37). L'article 5 reconnaît au consommateur québécois le droit d'être informé et servi en français. 2-Les modifications institutionnelles mandatoires

La reconnaissance d'un droit n'en garantit pas nécessairement la jouissance. Aussi le Projet de loi no 1 propose-t-il entre autres des modifications institutionnelles visant à permettre la jouissance de ces droits dans des circonstances spécifiques.

Divers articles portant sur la langue du commerce et des affaires contribuent globalement à assurer que l'entreprise communique en français avec le consommateur et plus globalement le public québécois. De plus, certains de ces articles restreignent l'usage d'autres langues (viz l'anglais) dans certaines communications publiques de l'entreprise, notamment l'affichage, les raisons sociales et possiblement l'étiquetage. L'affichage public à quelques exceptions près, sera dorénavant unilingue. Les raisons sociales utilisées au Québec devront aussi être unilingues. A cet égard, d'aucuns se demandent si les raisons sociales en langue anglaise seront permises sur l'étiquetage bilingue. Une réponse négative serait si en contraction avec l'esprit de l'article 41 sur l'étiquetage, qu'elle nous semble improbable. Notons toutefois, qu'une interprétation à la lettre du second paragraphe de l'article 50 sur les raisons sociales pourrait empêcher l'utilisation de toute version anglaise de raison sociale sur la papeterie utilisée au Québec par une entreprise, en particulier au siège social d'une entreprise d'envergure canadienne ou multinationale.

Les articles mandatoires quant à la langue de travail rendent obligatoire l'utilisation du français dans les relations de travail, sans toutefois proscrire l'utilisation d'une autre langue. L'article 36 prescrit la rétrogradation ou le congédiement d'un salarié pour connaissance insuffisante d'une autre langue que le français. L'article 37 défend à tout employeur d'exiger la connaissance d'une autre langue que le français pour un "poste" à moins que l'accomplissement de la tâche ne l'exige. L'employeur peut être appelé à justifier de telles exigences et l'Office élaborera des règlements à cet effet.

Nous traiterons plus loin d'autres mesures mandatoires ayant trait à la connaissance du français par les membres d'ordres professionnels. 3- Les objectifs et le contenu des programmes de francisation

Au-delà des mesures mandatoires, les auteurs du Projet de loi no 1 ont retenu la formule des programmes de francisation pour s'assurer que les Québécois peuvent exercer leur droit de travailler en français. Les entreprises de 50 employés et plus doivent posséder un certificat de francisation attestant que l'entreprise a institué un programme de francisation dûment approuvé par l'Office ou que le français y a déjà le statut que visent à lui accorder les programmes. Les objectifs et le contenu des programmes sont décrits aux articles 112 et 113.

Une analyse de ces articles indique clairement que l'Office a des pouvoirs substantiels pour déterminer, de son propre chef, les objectifs que doivent viser les programmes de francisation. L'article 113 reconnaît que les programmes doivent tenir compte des relations de l'entreprise avec l'extérieur du Québec. Outre cette clause d'ordre général, l'Office a toute latitude pour déterminer les normes quant à l'utilisation du français. Il n'y a pas lieu de croire, à ce stade-ci, que la réglementation afférente au Projet de loi, préciseraou même portera sur ces normes. L'Office sera donc en mesure de proposer son interprétation des intentionsdu législateur.

La nécessité d'évaluer la portée du Projet de loi no 1 nous oblige à postuler certaines hypothèses quant à ces objectifs. Nous avons analysé d'une part les intentions du Gouvernement telles qu'exposées dans le Livre blanc, le Projet de loi no 1 et dans un document officieux remis par M. Guy Rocher, sous-ministre au développement culturel au Centre de linguistique de l'entreprise. D'autre part, notre familiarité avec le dossier de la. francisation et notamment sur l'état des débats entre les experts de la francisation quant à ces objectifs nous a permis d'établir ces hypothèses.

Nous postulons donc les hypothèses suivantes quant aux objectifs et au contenu des programmes de francisation qui découleraient de la mise en application du Projet de loi no 1. a) Etablissements dont l'activité principale est la production ou la vente de biens ou services et l'entreposage

Cette catégorie d'établissements comprend toutes les usines au Québec, les succursales de ventes, les succursales d'institutions financières et de courtage immobilier, les entrepôt et les centres de distribution, les commerces, les bureaux de services à l'entreprise et de services personnels. Sont exclus de cette catégorie les centres de recherche et les sièges sociaux et divisionnaires. i- Toutes les communications orales et écrites au niveau des employés de l'exploitation et de leur personnel de supervision (tels les contremaîtres et agents de maîtrise) se feront uniquement en français. Tous les documents destinés à ces employés (tels fiches d'instruction, manuels d'entretien, plans, devis, procédurier, etc.) devront aussi être rédigés en français. Dans les entrepôts et magasins, les pièces seront inventoriées en français; les catalogues à la disposition des employés seront en français. Les formulaires qu'utiliseront les employés seront uniquement en français. ii- Les cadres et le personnel de bureau directement à leurs services travailleront principalement ou uniquement en français. L'entreprise devra justifier à l'Office, pour chaque poste, la nécessité de l'utilisation de l'anglais. Toutefois, l'entreprise n'aura pas à traduire les manuels de référence et certains manuels techniques utilisés occasionnellement par ces cadres. Les formulaires et les documents de gestion utilisés par ces cadres, seront uniquement en français.

iii- L'entreprise devra prendre des mesures pour que les communications entre ces cadres qui travaillent dans ces établissements et avec des établissements situés hors du Québec, se fassent éventuellement en français, dans la mesure du possible. Cette pratique pourra s'étendre aux communications avec les fournisseurs non-québécois de l'entreprise, à quelques exceptions près. iv- Toutes les communications entre ces établissements et d'autres établissements au Québec, que ce soit des établissements de l'entreprise, tel le siège social, ou des clients ou des fournisseurs, devront se faire en français. De même, si le siège social est situé ailleurs au Canada, les communications devront éventuellement se faire en français. v- Tout le personnel de ces entreprises, hormis les employés de production, devront nécessairement avoir une connaissance fonctionnelle du français. Le niveau adéquat de cette connaissance sera défini par l'Office. Bien qu'officiellement, l'Office ne statuera pas sur la présence relative de Québécois d'origine ethnique française dans ces entreprises, l'Office demandera à ces entreprises de viser, au niveau des cadres, le ratio 80:20, comme présence minimale, vi- Seront exemptées de ces mesures, les salles de rédaction des entreprises de communications dont la principale langue de communications n'est pas le français. b) Sièges divisionnaires

Les objectifs s'appliquant à la catégorie précédente d'établissements s'appliqueront aux sièges divisionnaires. Toutefois, des sièges divisionnaires pourront communiquer en anglais avec des établissements hors du Québec qu'ils dirigent. c) Centres de recherche et bureaux de services professionnels

Les objectifs s'appliquant aux établissements de la première catégorie s'appliqueront avec les modalités suivantes: i- Les travaux pour des clients non-québécois pourront se faire dans une langue autre que le français si le client le demande. ii- Les scientistes pourront publier leurs travaux dans la langue de leur choix. Ils pourront continuer d'utiliser des manuels techniques de langue anglaise. iii- Les services d'administration internes de ces entreprises fonctionnent exclusivement en français. d) Sièges sociaux i- Tous les services de gestion internes de sièges sociaux devront éventuellement fonctionner en français. ii- Les sièges sociaux pourront transiger dans la langue de leur choix, avec tout interlocuteur hors du Québec. Toutefois, ils devront établir "le bien-fondé de cette situation", iii- L'anglais continuera d'être utilisé dans les activités de coordination et les activités de direction des sièges sociaux à rayonnement extra-québécois. Toutefois, l'Office demandera au siège social de proposer des mesures afin d'augmenter l'utilisation du français dans ces activités, iv- Le siège social devra prendre des mesures pour "bilinguiser" ses cadres anglophones, v- Les cadres venant de l'extérieur du Québec pour travailler de façon permanente au siège social devront envoyer leurs enfants à l'école française. vi- Une procédure plus sommaire sera élaborée pour la justification des exigences linguistiques pour les postes dans les sièges sociaux à rayonnement extra-québécois. Néanmoins, on insistera pour qu'un grand nombre de postes de cadres et de personnel de bureau, soient exemptés de cette exigence de la connaissance de l'anglais. vii- Sans viser une représentation démographique similaire à celle du Québec, l'Office verra à ce que le programme de francisation prévoit une présence de francophones qui sera élevée. De façon plus ou moins explicite, l'Office exigera qu'une partie importante de ces francophones soit des Québécois d'origine ethnique française.

La description qui précède constitue, à notre avis, le scénario le plus plausible quant aux normes et procédures qui découleraient de la Loi 1. La loi laisse à l'Office l'entière responsabilité de formuler ces objectifs qui s'appliquent à toutes les entreprises de 50 employés et plus.

Le contenu des programmes de francisation contiendra une série de mesures permettant d'atteindre ces objectifs: traduction, recrutement de cadres francophones, apprentissage du français, développement terminologique, etc.

L'échéancier des programmes de francisation, selon notre interprétation du Projet de loi, est laissé à la discrétion de l'Office. Nous interprétons l'article 95 à la lumière des explications du Livre blanc, comme indiquant que tous les programmes de francisation devront avoir été approuvés et mis en vigueur depuis deux ans en 1983.

Nous postulons que la majorité des programmes viseront à atteindre leurs objectifs, au plus tard entre 1985 et 1990. Les programmes des sièges sociaux pourront s'échelonner plus loin dans le temps. Par contre, les échéanciers comprendront plusieurs échéances intermédiaires, pour des activités spécifiques. 4- La mise en oeuvre des programmes

Les entreprises de 100 employés et plus doivent former des comités de francisation dont 1/3 des membres doivent être des employés syndiqués ou, à défaut, des salariés. Ces comités seront les maîtres d'oeuvre du programme de francisation à l'intérieur des entreprises.

Nous sommes d'avis que la réglementation stipulera que ces comités doivent amorcer des mesures de francisation au plus tard six mois après la promulgation de la Loi. Toutefois, la réglementation contiendra un calendrier prévoyant des échéanciers quant à la négociation de programmes formels de francisation avec l'Office. Ce calendrier s'étendra jusqu'en 1981, contrairement à 1983, sous la réglementation de la Loi 22.

L'Office distribuera aux entreprises des formulaires pour évaluer leur situation linguistique (art. 115). L'Office préparera ces formulaires et n'a pas à les faire approuver par le Gouvernement. La direction de l'entreprise et le comité de francisation sont responsables de l'analyse linguistique. Si l'Office juge qu'il doit y avoir un programme, le comité de francisation prépare un programme et le soumet à l'Office pour approbation. Si l'Office juge que le programme ne rencontre pas ses normes quant aux objectifs, au contenu ou aux échéances, elle peut demander qu'il soit modifier. Selon l'article 118, l'Office peut exempter temporairement une entreprise de l'application de certains articles de la Loi.

Après approbation, le programme est mis en oeuvre. Après une période d'implantation, (probablement deux ans) l'Office évalue si le programme fonctionne bien. A cet effet, l'Office peut demander aux commissaires enquêteurs de vérifier si tel est le cas. Si l'évaluation est positive, l'entreprise reçoit son certificat de francisation. 5. L'Office de la langue française

L'Office est dirigée par un président, un fonctionnaire qui a le rang et les attributs d'un sous-ministre. L'Office dispose de pouvoirs discrétionnaires importants.

Elle établit des normes quant aux objectifs des programmes de francisation dans une entreprise et à l'échéancier du programme.

Elle peut refuser d'émettre, avant la date prévue par règlement, ou retirer un certificat de francisation et par le fait imposer aux entreprises les sanctions prévues à l'article 106. Elle élabore ses propres questionnaires et elle peut demander en tout temps à l'entreprise de les compléter.

La Loi ne prévoit aucun mécanisme formel d'appel.

Elle normalise la terminologie utilisée au Québec. Par l'article 85, cette terminologie doit être obligatoirement utilisée dans les documents de l'administration et les manuels scolaires sous l'autorité qui lui est confiée aux articles 117 et 108.

L'Office a deux grandes missions: le développement d'une terminologie normalisée et l'administration des programmes de francisation. Le calendrier prévu pour le projet de loi no 1 réduit de deux ans les délais prévus par la Régie de la langue française (portant de fin 1983 à fin 1981) pour le processus d'analyses linguistiques, de préparation de programmes et de négociation de ces programmes. Dans l'intervalle, environ 8000 à 9000 entreprises auront demandé leur certificat et fait leur analyse linguistique et la majorité d'entre eux auront préparé et négocié un programme de francisation. Pour négocier ces programmes, l'Office comptera sur des agents de francisation. Il est difficile à ce stage de prévoir le nombre d'agents qu'il faudra recruter. Pour chaque dossier d'entreprise, il y aura vraisemblablement trois plans d'intervention des agents de francisation d'ici 1981: approbation du découpage de l'entreprise pour les fins de son analyse linguistique, évaluation de l'analyse linguistique et négociation et approbation d'un programme. Compte tenu de l'ampleur de la tâche, le nombre d'agents pourrait se situer entre cinquante et cent.

Nous présumons que l'efficacité de la Direction de la francisation, le service de l'Office où seront regroupés les agents de francisation, sera celle d'un service gouvernemental typique, c'est-à-dire une bureaucratie ni plus ni moins efficace que la bureaucratie gouvernementale en général. Compte tenu de l'ampleur de la tâche, du fait que les agents de francisation seront nouvellement formés et auront vraisemblablement peu d'expérience dans l'entreprise (1), nous prévoyons que l'appareil de francisation sera relativement lourd.

(1) Le recrutement d'agents de francisation ayant de l'expérience dans l'entreprise pourrait s'avérer difficile. En effet, les entreprises exercent elles aussi une demande pour ce type de candidats.

Sur le plan du développement terminologique, l'Office devra aussi mettre les bouchées doubles. La Régie compte actuellement 110 terminologues et le travail de développement terminologique a été plus lent que prévu initialement. Ainsi, la Banque informatisée de terminologie, qui devait être en opération en 1976, ne fonctionne pas encore. La terminologie de tronc commun ne sera pas développée et normalisée complètement avant 1980. 6. Les autres organismes de francisation

Le Projet de loi crée une Commission de surveillance en détachant de l'actuelle Régie les fonctions du commissaire enquêteur. Les commissaires enquêteurs ont les pouvoirs usuels et pourront être assistés d'inspecteurs. La Commission fera enquête suite à des plaintes de citoyens ou à la demande de l'Office.

Le Projet de loi crée aussi un organisme consultatif, le Conseil consultatif de la langue française. Formé de représentants des divers milieux socio-économiques, ce Conseil donne son avis au ministre sur tout sujet pertinent à la langue et reçoit aussi les requêtes, suggestions et observations des individus et des entreprises, qu'il transmet au ministre. Le Conseil peut aussi faire des recherches et informer la population sur des questions afférant à la langue.

La coordination des trois organismes sera vraisemblablement faite par le Ministère responsable. Il y a plusieurs domaines où il y a chevauchement de responsabilités, principalement entre le Conseil et l'Office. Selon l'ampleur du rôle que veut confier le ministre au Conseil, ce dernier pourra être appelé à se prononcer sur des questions d'ordre technique et devra se constituer des services de recherche et d'analyse. 7. Les sanctions

Le Projet de loi prévoit trois types de sanctions. D'abord à l'article 153, des amendes sont prévues pour tout individu ou entreprise trouvé coupable d'une infraction à une disposition de la Loi ou d'un règlement adopté en vertu de la Loi.

De plus, l'Office peut retirer à une entreprise son certificat de francisation ou refuser de lui en accorder un. Si tel est le cas, toute entreprise de 50 employés et plus, au-delà d'une date, qui se situera d'ici 1983 selon la réglementation, n'est plus éligible à une série "d'avantages" précisés à l'article 106 et dans la réglementation. L'article 106 est très "généreux" quant à ces "avantages". A la limite, une entreprise pourrait se voir privée du service téléphonique. Toutefois, la réglementation viendra restreindre le champ des pénalités couverts par l'article 106. Néanmoins, les observations suivantes sont importantes:

Tout le poids économique de l'Etat et du système para-public est à la disposition du fonctionnaire de l'Office pour amener l'entreprise à adopter un programme de francisation acceptable aux yeux de l'Office. L'entreprise qui refuse d'adopter et de mettre en vigueur un tel programme ne peut plus vendre de biens ou services dans le système public et para-public (à l'exception des organismes fédéraux).

De par son pouvoir d'octroyer des permis aux entreprises d'utilité publique, le Projet de loi no 1 les forcent a ne plus transiger ' avec les entreprises qui n'ont pas de certificat. De plus, le Gouvernement refusera d'accorder tout avantage qu'il soit à l'entreprise qui n'aura pas de certificat: primes, concessions, subventions. De même certains permis ne pourront être émis à ces entreprises.

La décision de refuser ou de retirer un certificat est prise par un fonctionnaire, à la lumière de normes élaborées par l'Office et qui ne sont ni dans le règlement afférant à la Loi, ni dans les règlements de l'Office qui doivent être approuvés par le Gouvernement. Il n'y a de plus aucune obligation à ce que ces normes soient rendues publiques. Il n'y a aucun droit d'appel prévu. Dans toute décision de refuser ou de retirer un certificat, l'Office est à la foi juge et partie.

La troisième pénalité est la dénonciation publique, dans le rapport annuel de l'Office, des entreprises de 500 employés et plus qui se sont vues refuser ou annuler leur certificat ou qui ne l'ont pas demandé. 8. Les travailleurs non-québécois

Globalement, le Projet de loi no 1 cherche à intégrer les travailleurs non-québécois qui viennent travailler au Québec par le biais de l'intégration de leurs enfants dans le système scolaire francophone (article 52) et en exigeant que les membres des ordres professionnels aient une connaissance d'usage du français (article 32).

Au chapitre de la langue d'enseignement, l'article 58 permet d'exempter de l'application de la Loi les personnes qui ne sont que de passage au Québec ou qui y séjournent pour un temps limité. Les conditions en seront fixées par règlement et nous présumons à ce stade qu'un séjour de temps limité sera défini comme un séjour de moins de trois ans.

Les ordres professionnels pourront accorder des permis temporaires d'une durée maximale de trois ans aux personnes qui n'ont pas une connaissance d'usage du français, quelle que soit la nature de leur travail. Les examens pour évaluer la connaissance du français pourraient être administrés par l'Office de la langue française. (Ils sont présentement administrés par la Régie de la langue française). La réglementation viendra préciser ce point.

Ce scénario de francisation n'est pas le seul plausible. Nous croyons qu'à partir des mêmes principes et des mêmes objectifs, il est possible de construire un scénario alternatif tout aussi plausible.

CHAPITRE IV Un scénario alternatif

Le scénario modifié que nous proposons s'inscrit dans le cadre de la Loi no 1 et s'inspire largement des dispositions principales de ce Projet de loi. Nous avons donc proposé des changements avec parcimonie en insistant pour que les modifications suggérées soient vraiment nécessaires.

Nous voudrions aussi souligner que nous avons limité nos observations à la langue des entreprises. Plusieurs amendements auraient pu être suggérés à d'autres titres. Prenons le cas de l'administration publique. D'aucuns peuvent argumenter que le Projet de loi no1 devrait être modifié quant à l'unilinguisme de l'administration publique. D'un point de vue analytique et en autant que toutes les entreprises sont traitées sur un même pied, nous n'avons pas d'amendements à proposer à ces articles.

Nous avons identifié 57 articles du projet de loi susceptibles d'avoir un impact sur les entreprises opérant déjà au Québec. Dans le cas de 27 articles, nous n'avons aucune suggestion à formuler tant quant à l'esprit qu'à la lettre des articles. Dans 7 autres cas, si nous n'avons aucune suggestion précise à faire quant à la formulation des articles, nous avons quand même apporté des précisions quant à la façon dont nous interprétions la portée de l'article. Dans le cas de 2 articles, nous avons suggéré des modifications mineures. Il reste 7 articles à propos desquels les suggestions d'amendements, sans toutes être aussi importantes les unes que les autres, nous sont apparues comme majeures. Pris dans leur ensemble, ils définissent un scénario alternatif de francisation des entreprises. On retrouvera les amendements en annexe à ce chapitre.

Nous présenterons d'abord dans ce chapitre sept principes qui nous ont guidé dans la formulation de nos suggestions. Puis nous présenterons, selon le schéma d'analyse utilisé au chapitre précédent, une démarche de francisation alternative. En troisième partie, nous comparerons ce scénario alternatif au scénario proposé par la Loi no 1.

A - Les principes directeurs

Ces principes directeurs ne sont pas propres au scénario SECOR. Dans la majorité des cas, il s'agit d'une relecture de notre part de certains principes que nous pouvons retrouver tel quel dans la Charte. 1. La Loi doit permettre aux Québécois d'exercer leur droit à travailler en français

C'est autour de cet engagement solennel d'un gouvernement envers ses commettants que nous avons élaboré un scénario alternatif pour la francisation des entreprises et plus globalement, des milieux de travail au Québec.

Pour les entreprises, cet engagement se traduit par une volonté de faire du français la langue "normale", "usuelle" de travail et de communications, et ce dans les plus brefs délais. Cette francisation du milieu de travail, suppose-t-on, entraînera au fil des années une francophonisation des cadres supérieurs de l'entreprise. 2. Une loi de promotion linguistique

Le Projet de loi no 1 est clairement une loi de promotion linguistique, comme en fait foi le contenu du titre 1. On y énonce les droits linguistiques des Québécois et les changements institutionnels visant à favoriser le plein exercice de ces droits. A l'article 112 du projet sont définis les objectifs des programmes de francisation des entreprises. Les clauses C à G portent exclusivement sur des mécanismes linguistiques: documents de travail, communications internes et externes, terminologie, publicité et communications avec le personnel. Les clauses A et B de cet article portent sur l'établissement de conditions permissives à la réalisation de ces objectifs: connaissance de la langue par le personnel et présence de "Québécois" (1) à tous les niveaux de l'administration de l'entreprise. En somme, ces deux

(1) Le terme Québécois n'est pas défini. Nous croyons qu'il est implicite dans l'esprit des auteurs que "Québécois" signifie des personnes du Québec ayant une connaissance du français.

clauses visent à assurer une présence francophone à l'intérieur de l'entreprise. Toutefois, il faut considérer cette présence francophone comme une caractéristique collective de l'entreprise et non pas comme une caractéristique attachée à la définition d'un certain nombre de statuts individuels. Il s'agit non pas d'une agrégation d'individus présumés d'expression française mais d'un potentiel d'utilisation du français parmi les ressources humaines de l'entreprise. 3-La francisation: un processus de changement social

Par le passé, la francisation des entreprises a surtout été l'objet de solutions de type "privées", qui faisaient de la promotion du français dans l'entreprise, la responsabilité conjointe des employés pris individuellement,des syndicats, des clients et des dirigeants de l'entreprise. Pour ces derniers, il s'agissait souvent de vouloir respecter les libertés linguistiques des employés et des clients et de reconnaître que l'utilisation du français pouvait contribuer à améliorer le climat de l'entreprise et par suite, la qualité des décisions qui y sont prises. Par leur réticence à accepter au sein de l'entreprise des postes où le français est peu utilisé ainsi que par leurs revendications tant individuelles que syndicales, les travailleurs québécois ont eux aussi contribué au processus de francisation.

Malgré certains succès, ces solutions privées souffrent néanmoins de sérieuses limitations, dont le Livre blanc fait indirectement mention. En premier lieu parce qu'elles se fondent uniquement sur le pouvoir économique du client ou des employés individuels, ces solutions sont nécessairement limitées par l'inégalité des ressources dont disposent les acteurs. C'est ce que le Livre blanc reconnaît lorsqu'il fait mention que ce sont souvent les travailleurs québécois qui ont eu à supporter les conséquences de l'absence de politiques de francisation, absence dont il ne pouvait, vu leurs ressources limitées, que déplorer l'existence. En second lieu, les entreprises qui ont choisi de consacrer davantage de ressources à la francisation se voyaient en quelque sorte pénalisées par rapport à d'autres qui avaient choisi de ne pas tenir compte du bien-fondé d'un processus de francisation. Troisièmement, alors que de l'intérieur de l'entreprise les efforts de francisation pouvaient apparaître louables, de l'extérieur ils pouvaient au contraire être jugés comme largement insuffisants.

Devant l'insuffisance des solutions privées et les attentes et exigences d'un bon nombre de citoyens, l'Etat québécois a décidé d'intervenir. Cette intervention à elle seule suffit à faire de la francisation des entreprises un processus de changement social qui vient nécessairement modifier l'environnement politique, économique, social et culturel québécois. Le point clé de cette intervention sociale est, nous l'avons déjà dit, la reconnaissance du droit pour tout Québécois de travailler en français. Il s'agit d'un droit universel, virtuel qui ne saurait subir de limitations autres que celles que les individus eux-mêmes auront décidé d'assumer volontairement. L'exercice de ce droit se fait dans un contexte de ressources limitées surtout en ce qui touche les cadres francophones dont la présence à tous les paliers de l'entreprise est une condition nécessaire pour que la reconnaissance de ce droit puisse se traduire dans la réalité quotidienne du monde du travail. Qui dit ressources rares dit nécessairement une décision d'allouer telle ou telle ressource selon telle ou telle priorité. L'Etat, en faisant de la francisation de toutes les entreprises, l'objectif central de son action, vient nécessairement perturber le processus habituel d'allocation de ces ressources rares (à ne pas confondre avec "inexistantes" ou "insuffisantes") que sont les cadres francophones.

Si l'Etat décide d'intervenir pour accélérer un processus qui jusqu'à aujourd'hui (ou plus précisément, jusqu'en 1974), était laissé uniquement aux initiatives privées, l'État a la responsabilité de tenir compte des conséquences économiques et sociales que la mise en oeuvre d'un tel objectif entraîne. Comme le souligne le Livre blanc, il y a donc nécessité pour l'Etat responsable, de définir "la stratégie globale" de cette mise en oeuvre. En ce sens, la Loi no 1 précise les options stratégiques qu'elle retient. L'affirmation de droits linguistiques, les changements institutionnels et les mécanismes de changement en sont les principaux éléments. Maître d'oeuvre d'un profond processus de changement social, l'Etat doit demander au législateur d'arrêter les principaux éléments de la stratégie globale. 4-La francisation des entreprises: un processus de changement organisationnel

Certaines entreprises oeuvrant au sein de marchés dynamiques sont habituées à gérer des changements organisationnels. D'autres, en raison du faible rythme de changement dans leur marché ou de leur processus de fabrication, auront davantage de difficultés à régler les problèmes de ressources humaines associés à la francisation. Certes, c'est là la responsabilité première de ces entreprises. Mais il ne faudrait pas croire que le reste de la société n'y est pas impliqué. L'entreprise est une réalité organique aux multiples facettes. Il y a tout d'abord là un ensemble de ressources techniques et procédures qui transforment des matières premières ou fournissent des services. L'entreprise est aussi un système hiérarchisé et articulé d'hommes et de femmes qui s'intègrent dans une société et dont les objectifs et les projets dépassent et même s'opposent aux buts et projets de l'entreprise. Enfin, l'entreprise est une réalité publique qui jouit certes d'un certain pouvoir sur des ressources mais qui est aussi soumise à des contraintes extérieures. (Etat, syndicats, concurrence, opinion publique) C'est toute l'entreprise dans sa dimension économique, sociale et publique qui est impliquée dans le processus de francisation. Dans certains cas, les effets de ce processus sont immédiats et apparents (affichage, publi-

cité) car il s'agit là de prescriptions normatives claires. Dans d'autres cas, des modifications organisa-tionnelles substantielles étalées sur plusieurs années, seront requises. L'entreprise doit pouvoir planifier ce changement organisationnel qu'on exige d'elle. D'ailleurs le Livre blanc le reconnaît explicitement au chapitre IV. ("Pour une concertation"). Le processus même de la Loi 22 en ce qui a trait à la notion de programmes de francisation n'est pas mis en cause. Il y a donc exprimée là une volonté claire de continuité, beaucoup plus marquée qu'au chapitre de la langue d'enseignement où la rupture avec la Loi 22 est nette.

C'est donc que l'on continue de voir dans la francisation des entreprises le résultat d'un processus de changement planifié et non pas le résultat d'une transformation quasi-instantanée comme au chapitre de l'affichage et de la signalisation.

Certes, l'article 95 stipule que l'objectif de faire du "français la langue des communications et du travail" devra être atteint avant la fin de 1983, ce qui laisse supposer que le processus de francisation devrait être terminé avant cette date, mais il semble que l'on doive donner une autre interprétation à cet article. Ainsi, le Livre blanc mentionne qu'en "1983, toutes les entreprises de cinquante employés et plus devront avoir obtenu leur certificat de francisation" (p. 45). Un tel certificat, précise le Livre blanc, ne signifie pas que les objectifs du programme de francisation ont été atteints mais que le processus est en marche. C'est ainsi que l'on parle de décerner des certificats de francisation afin de "reconnaître les efforts consentis et le chemin parcouru" (p.45). En 1983, toutes les entreprises auront négocié et mis en marche depuis au moins 1981 leur programme. "Il va sans dire, continue le Livre blanc, que la francisation complète, une fois le programme accepté, pourra s'échelonner sur une plus longue période" (p. 45). Donc, malgré le caractère restrictif de l'article 95, il semble que l'on doive interpréter la date de 1983 comme le moment où la francisation est en pleine marche et non pas comme une date ultime pour sa réalisation.

Même si la Charte ne se borne pas à inciter et prévoit des sanctions, il s'agit d'une approche à la francisation fondée sur la concertation et donnant à l'entreprise un rôle prédominant: "C'est une lourde tâche qui exigera beaucoup de participation de la part des entreprises, une action énergique de la part de l'Office de la langue française et la collaboration de tous les organismes de l'Administration qui sont en relation avec les entreprises privées". (La politique québécoise... p. 42)

Dans le cas spécifique de cette loi, les principes suivants du changement organisationnel sont importants. i) L'engagement de la direction de l'organisation à réaliser les objectifs visés. ii) Des interventions planifiées et cohérentes à l'intérieur de l'organisation qui s'inscrivent dans la dynamique même de l'entreprise. iii) Le respect du contrat social qui lie l'organisation à ses employés, à ses actionnaires ou membres coopératifs, et s'il y a lieu, à d'autres organisations associées. iv) Le respect des principes de saine gestion des entreprises privées.

A cet égard, la participation de représentants des entreprises, des travailleurs et des autres groupes intéressés à la direction de l'Office nous semble essentielle. De même, l'instauration de mécanismes de consultation à l'intérieur des entreprises et entre l'entreprise et l'Office nous semble essentielle. La mise en application de la loi dans un contexte de situations hautement différenciées nécessite de la part de l'Office un comportement nuancé. Ceci ne peut se faire que s'il règne un climat d'étroite collaboration et de confiance entre l'entreprise et l'Office. De même à l'intérieur des entreprises, la participation du personnel au processus de changement que définit le programme de francisation, est une condition importante de son succès éventuel. A cet égard, les comités de francisation contribuent à créer un climat propice à cette concertation organisationnelle. 5- La reconnaissance de l'hétérogénéité interne de l'entreprise.

Les entreprises qui oeuvrent au Québec ne constituent pas un groupe homogène. Le Livre blanc est très explicite à ce sujet: "En ce qui concerne le processus de francisation, on sait que toutes les entreprises ne sont pas au même point", (p. 44) Certaines sont plus "avancées" que d'autres dans leur francisation. La structure interne diffère, les produits, le personnel aussi. Ceci rend beaucoup plus complexe le travail du législateur. En effet, si d'une part, le législateur se doit de préciser les éléments de la stratégie d'intervention, d'autre part, cette stratégie prendra effet et s'insérera dans le tissu complexe et varié du monde des entreprises. Cette hétérogénéité qui pose un véritable défi au législateur éclairé résulte d'ailleurs non seulement des différences entre les entreprises mais aussi des variations importantes au sein d'une même entreprise.

Face à une telle complexité, le législateur est limité dans le processus de définition de sa stratégie. Elle se doit d'être globale. Par contre, elle doit s'appliquer à une myriade de situations différenciées. Face à un tel dilemme, le législateur doit déléguer des pouvoirs substantiels à des organismes responsables de l'articulation et de la mise en oeuvre de la Loi. Ceci ne peut être plus évident que dans le Projet de loi no 1. Le législateur peut définir clairement les droits linguistiques des Québécois. Par

contre, il laisse à l'Office de la langue française d'importants pouvoirs pour créer les conditions permissives de l'exercice de ces droits. Le mandat de l'Office est défini à l'article 95: "L'Office a pour responsabilité de veiller à ce que le français devienne, le plus tôt possible, la langue des communications et du travail dans... les entreprises opérant au Québec".

Bien que certains articles viennent quelque peu préciser ce mandat, il est évident que l'Office se voit confier d'importants pouvoirs discrétionnaires et en particulier celui d'approuver les objectifs et le contenu des programmes de francisation. Face à l'hétérogénéité des situations des entreprises à l'intérieur des entreprises, le législateur doit déléguer d'importants pouvoirs d'interprétation quant à ses intentions. 6-La vocation internationale de l'entreprise québécoise

Le Livre blanc reconnaît clairement le "statut particulier" de certaines entreprises, notamment en ce qui a trait . aux relations de certaines entreprises avec l'étranger . au cas spécial des sièges sociaux établis par Québec par des sociétés dont l'activité s'étend hors du Québec.

La loi, pas plus que le Livre blanc, ne s'arrête à définir ce qu'on entend par "relations avec l'étranger" ou par "siège social". Toutefois, l'intention est clairement exprimée de tenir compte de ces facteurs dans l'établissement des programmes de francisation. La Loi par contre, insiste sur le fait que ces conditions "spéciales" ne dispensent pas l'entreprise de se donner des programmes de francisation et de suivre la même démarche que les autres entreprises.

En somme, on laisse au Gouvernement et plus particulièrement à l'Office le soin d'articuler concrètement les modalités d'un processus de francisation qui reconnaissent certaines contraintes provenant d'une vocation internationale qui reste ouverte, semble-t-il, à l'entreprise québécoise. Dans le contexte particulier du Québec, cet aspect est très critique. En effet, la vocation internationale de l'entreprise québécoise se traduit principalement, dans les faits, par une extension nord-américaine. Or, la réalité linguistique nord-américaine, à l'exclusion du Québec, est essentiellement unilingue anglophone, il faut bien en convenir. Dès lors, il est difficile d'éviter que la passerelle linguistique, essentielle à la manifestation de cette vocation nord-américaine, soit située principalement au Québec. D'où la nécessité de définir, dans les faits, des conditions qui permettent la coexistence du français et de l'anglais dans l'entreprise québécoise à vocation nord-américaine. Il faudra donc pousser plus loin la réflexion sur la dimension extra-québécoise de l'entreprise ou plus particulièrement de certaines entreprises. Ainsi, la dimension internationale peut se retrouver dans l'un ou l'autre des sous-ensembles suivants: 1. le siège social et les services généraux 2. les sièges administratifs divisionnaires (Est du Canada, Québec) 3. les laboratoires de recherche 4. les unités de fabrication et de ventes.

La définition des conditions de coexistence devra tenir compte des relations administratives, commerciales et techniques ainsi que des ressources humaines dont disposent les entreprises auxquelles elle fait appel.

Si elles veulent être innovatrices et jouer pleinement leur rôle économique, les entreprises situées au Québec voudront participer à des réseaux de communications situés en grande partie à l'extérieur du Québec et y participer pleinement, autant comme émetteur que comme récepteur d'échanges technologiques. L'entreprise québécoise à vocation internationale est alors un microcosme non pas principalement de la réalité québécoise mais du système mondial de l'entreprise. 7-Une loi claire et sans équivoque

Le Projet de loi no 1 se veut une législation claire et sans équivoque. Pour fin d'analyse, on peut décomposer la Loi en 5 parties: 1. Les droits linguistiques des Québécois Titre I, chapitre 1 et 2, articles 1 à 6 2. Les modifications institutionnelles visant à permettre l'exercice de ces droits Titre I, chapitres 3 à 9, articles 7 à 66 3. L'appareil de francisation Titre II, III et IV, articles 67 à 162 4. Les infractions et les peines Titre V, articles 163 à 164 5. Les dispositions transitoires et finales Titre VI, articles 165 à 177.

Les deux premières parties de la Loi répondent à ce critère de clarté. Les intentions du législateur sont présentées de façon non équivoque et laissent peu de doute quant à leur signification. Toutefois, le problème de la francisation des entreprises au Québec est complexe et exige des mécanismes nuancés. Aussi était-il nécessaire de créer des mécanismes pour favoriser un changement social qui ne pouvait se faire par des modifications institutionnelles à caractère universel. Et c'est à ce niveau que la Loi peut être difficilement claire et sans équivoque. Les articles de la Loi portant sur les structures de l'appreil de francisation et sur les dispositions administratives qui définissent ses modes d'opération, sont relativement clairs. Par contre, au niveau de ses principes de fonctionnement, des objectifs spécifiques qu'elle doit viser et des règles d'interprétation quant à l'intention du législateur, la Loi est vague. Il ne pourrait d'ailleurs en être autrement. Les intentions du législateur qui peuvent s'articuler en énoncés simples, sont dans les deux premières parties de la Loi. Tous les aspects qui exigent interprétation et qui se prêtent mal à des énoncés généraux ont été confiés à l'appareil de francisation et en particulier à l'Office de la langue française. Les principes et les normes qui guideront les décisions de l'Office, en particulier en ce qui a trait aux objectifs des programmes de francisation, à leur échéancier et aux stratégies de changement, au niveau spécifique d'entreprises particulières, ne sont énoncés qu'en termes vagues (articles 112 et 113).

B- Le scénario alternatif 1. Les droits des Québécois

L'article 4 est modifié pour inclure la reconnaissance explicite et sans équivoques du droit fondamental des Québécois de travailler en français. Pour faciliter l'exercice de ce droit, il est proposé, à l'instar du Projet de loi, que les entreprises adoptent des programmes de francisation dont l'objectif global est de généraliser l'utilisation du français à l'intérieur de l'entreprise. Il ne nous semble pas nécessaire d'inscrire un article d'application générale interdisant aux entreprises d'exiger la connaissance d'une langue autre que le français pour l'accès à un poste, sans motif raisonnable (article 37 du Projet). Cet article est superflu étant donné la formulation des articles 112 et 113 de notre proposition. Néanmoins, si le législateur juge à propos de maintenir une provision quant aux exigences de la connaissance d'une autre langue, l'article 37 du Projet devrait être amendé pour exclure toutes références aux postes. Les "postes" dans une entreprise ont généralement une fluidité dynamique qui se prête à un encadrement juridique. La mention de "poste" dans l'article imposerait à l'entreprise des exercices futiles et perpétuels de codification. De plus, toute tentative de codifier par règlement des règles quant à la connaissance d'une langue pour un poste nécessite une définition de la connaissance de cette langue. Cette connaissance s'exprime par des niveaux de performance selon quatre fonctions languagiè-res: lire, écrire, parler, comprendre. Dans les cas litigieux qui surviendront, il sera très difficile de trancher la question, compte tenu de sa complexité.

Au chapitre de la langue des affaires, il semble que le Projet de loi no 1 ne pose pas de problèmes majeurs. En conséquence, nous ne suggérons que des modifications mineures à deux articles.

Nous traiterons plus loin de la langue d'enseignement et de l'article 32, ayant trait aux permis temporaires délivrés par les ordres professionnels. Nous suggérons d'amender l'article 10 qui prévoit qu'une version anglaise des textes de loi est imprimée et publiée par les soins de l'Administration, de façon à ce que non seulement les projets de loi, mais aussi les projets de règlements afférents à ces projets de loi soient traduits, imprimés et publiés. De cette façon, le débat démocratique sera élargi, les citoyens anglophones jouiront d'un traitement égal devant la Loi, et la concertation essentielle à la mise en oeuvre des intentions du législateur sera mieux assurée. 2. Les objectifs et le contenu des programmes de francisation

Nous proposons des modifications de fond aux articles 112 et 113. Des règlements précis accompagnent l'article 113.

Les programmes de francisation, tel que notre scénario le prévoit, ont comme objectif fondamental, de généraliser l'utilisation du français dans l'entreprise, de telle sorte que les Québécois puissent exercer leur droit de travailler en français. C'est à la lumière de cet objectif fondamental que les programmes doivent être évalués. Deux amendements sont suggérés à la liste des "objectifs" spécifiques de l'article 112. En premier lieu, le premier objectif spécifique que nous proposons est le suivant. a) l'élaboration et la diffusion dans l'entreprise d'une politique linguistique

Pour l'entreprise, une politique linguistique est l'équivalent d'une loi linguistique pour la société québécoise. L'élaboration d'une politique linguistique est généralement la première étape d'un programme de francisation. Diffusée à tous les employés, la politique linguistique devient en quelque sorte l'engagement qui lie les employés et la direction envers un objectif commun.

Nous suggérons en second lieu de remplacer à l'alinéa "b" le mot "Québécois" par "présence francophone". Le mot "Québécois" dans son sens juridique ou même commun n'a pas de signification linguistique: il désigne tout simplement les résidents du Québec. L'utilisation du mot "Québécois" à l'alinéa "b" ne fait que suggérer que les cadres supérieurs qui travaillent au Québec devraient avoir une

résidence au Québec. Or, la "présence francophone", tel qu'interprétée par la Régie et les entreprises dans le cadre de la Loi sur la langue officielle, entendait la présence de personnes parlant français et pouvant contribuer au rayonnement au sein de l'entreprise de la langue française. C'est d'ailleurs cette expression et non celle de "Québécois" que l'on retrouve dans la formulation du Livre blanc.

L'article 113 vient compléter l'article 112 de façon à définir clairement les objectifs des programmes de francisation. Ces programmes doivent tenir compte des relations commerciales, administratives et technologiques avec l'extérieur du Québec, selon des modalités prévues au règlement. Nous croyons essentiel de décrire de la manière la plus explicite possible les trois types de relations que peut entretenir une entreprise avec l'extérieur du Québec. Trop souvent, seules les relations commerciales sont évoquées. Or, ce sont les relations administratives et techniques qui imposent le plus de variétés aux pratiques linguistiques dans l'entreprise.

La réglementation afférente à l'article 113 est un des éléments les plus critiques de la législation. Cette réglementation précise les paramètres de l'utilisation d'une langue autre que le français dans l'entreprise. Ces règlements établissent le cadre échiquier des discussions et des négociations entre l'Office et l'entreprise à ce chapitre. 3. La mise en oeuvre des programmes

En ce qui a trait à la mise en oeuvre des programmes de francisation, deux modifications de fond sont proposées. En premier lieu, le comité de francisation devient un comité consultatif. Le comité est consulté lors de l'analyse linguistique et analyse les résultats. L'élaboration du programme par la direction de l'entreprise suit une consultation auprès du comité de francisation. Le comité peut aussi faire valoir ses points de vue à l'Office. Le programme une fois négocié et accepté par l'Office, le comité devient en quelque sorte un organe de surveillance de la mise en application.

Nous croyons essentiel de confier à l'entreprise la responsabilité finale de l'opération de francisation. S'il y a négociation quant aux objectifs et à l'échéancier du programme, elle devra se dérouler entre l'Office et l'entreprise. Les objectifs visés sont trop fondamentaux pour qu'ils soient laissés à un processus de marchandage entre trois parties. Par contre, il est essentiel que les employés soient consultés dans le cadre de l'élaboration du programme et que leurs points de vue soient connus à la fois par l'Office et par la direction. De plus, il est tout aussi essentiel d'imbriquer au sein de l'entreprise un mécanisme de surveillance de la mise en oeuvre du programme. Le comité de francisation jouera ce rôle important. Informé, d'une part, des résultats de l'analyse linguistique et d'autre part, du programme de francisation approuvé, le comité est en mesure de vérifier si le programme est bien appliqué. Libre de responsabilité en ce qui a trait à l'élaboration et à la mise en oeuvre, le comité peut exercer, avec tout le détachement nécessaire, le rôle de comité de surveillance.

La représentation "syndicale" ou des travailleurs "de la base" telle que proposée par le Projet de loi no 1 est suffisante. Le problème de la francisation se pose d'abord et avant tout au niveau des cadres intermédiaires. On peut supposer que les intérêts de ceux-ci seront suffisamment représentés sur le Comité.

La seconde modification a donc trait à l'échéancier d'émission des certificats de francisation et à l'opération globale de francisation des entreprises. Notre objet est de clarifier les confusions qui opposent le Livre blanc et la Charte de la langue française au Québec.

L'article 95 de la Loi no 1 laisse penser qu'avant l'expiration de l'année 1983, l'objectif de faire du français la langue des communications et du travail dans les entreprises opérant au Québec doit être atteint.

Certes, plusieurs entreprises auront atteint les objectifs de leur programme de francisation en 1983. Cependant, plusieurs autres, en raison de leur condition de départ, atteindront l'objectif après 1983, comme le prévoit d'ailleurs le Livre blanc. La disponibilité de la terminologie et la francophonisa-tion des cadres sont généralement les principaux facteurs qui ne leur permettront pas d'atteindre leurs objectifs de francisation en quelques années.

Nous suggérons donc que 1983 soit la date ultime de négociation des programmes de francisation pour les entreprises dont le nombre d'employés se situe entre 50 et 100 employés et que l'émission des certificats se poursuive jusqu'en 1985. Nous suggérons ainsi de reporter à 1985 la date ultime à laquelle toutes les entreprises doivent justifier leur possession d'un certificat de francisation. Ceci veut dire que toutes les entreprises de 50 employés et plus auront convenu avec l'Office d'un programme de francisation au plus tard à la fin de 1983 et que tous les programmes auront été mis en application au moins pendant deux ans.

En fait, l'échéance de 1985 ne s'appliquerait qu'aux quelques 7000 entreprises de 50 à 100 employés. Les entreprises de 100 employés et plus verraient leur échéance arriver à terme en 1983 ou avant. Ces dernières devraient donc convenir avec l'Office d'un programme avant la fin de 1981.

En bref, nous proposons les modifications et les clarifications suivantes. i) fin du processus d'analyse et de préparation des programmes de francisation en 1983 ii) fin du processus d'émission des certificats de francisation en 1985 iii) l'échéancier des programmes de francisation dans le cas de certaines entreprises pourra dépasser l'année 1985

iv) les règlements afférents suggéreront aux entreprises de commencer dès 1978, leur processus de francisation bien que leurs certificats de francisation ne soient pas exigibles immédiatement.

Nous suggérons finalement d'abolir les certificats provisoires. Suite à l'élaboration d'un programme de francisation dont l'échéancier tient compte des relations administratives, commerciales et techniques et aussi des ressources humaines, le certificat provisoire n'est pas une nécessité logique. 4. L'Office de la langue française

L'Office de la langue française se voit confier par délégation du législateur d'importants pouvoirs pour administrer un processus de changement social majeur. Le scénario alternatif propose deux modifications majeures au Projet de loi qui auront une influence sur l'Office et son comportement.

En premier lieu, en modifiant l'article 113 et en proposant une réglementation, nous demandons au législateur de définir clairement et explicitement le cadre d'évaluation qu'utilisera l'Office dans ses décisions. Le législateur limitera ainsi le pouvoir discrétionnaire de l'Office et facilitera la préparation des programmes en définissant les objectifs que ces programmes devront atteindre. L'Office examinera les situations particulières à la lumière des principes établis par le législateur.

En second lieu, nous rendons possible la concertation et la participation en créant un conseil d'administration. L'Office doit être un partenaire et un lieu de concertation au sein d'un processus de changement social. Si les objectifs et le mandat de l'Office sont définis sans équivoque, les modifications structurelles que nous proposons ne peuvent que contribuer à améliorer son efficacité. Le conseil d'administration, composé en bonne partie de membres qui sont des fonctionnaires de l'Office, jouera trois rôles principaux: i) II interprétera le mandat que lui a déléqué le législateur et prendra les décisions majeures à la lumière des objectifs fondamentaux de la Loi. ii) II établira une concertation et un dialogue entre l'Office, l'organisme de planification, de coordination et de contrôle et le milieu du travail, en particulier les travailleurs et les dirigeants d'entreprises. iii) II surveillera les organismes administratifs et sera un élément stimulateur rappelant la mission de l'Office et le besoin d'efficacité.

Compte tenu de la structure de direction proposée, nous estimons nécessaire de laisser à l'Office les pouvoirs substantiels que lui confient les articles suivants:

Art. 106: sanctions (après amendements)

Art. 111: il peut exiger de toute entreprise de 50 employés ou moins qu'elle adopte un programme de francisation

Art. 112 et 113: les objectifs des programmes (après amendements) Art. 115: l'Office prépare des formulaires et des questionnaires d'analyse linguistique Art. 119: retrait d'un certificat

Art. 132: les commissaires-enquêteurs doivent procéder à des enquêtes à la demande de l'Office.

Nous suggérons aussi un droit d'appel des entreprises au ministre. Il s'agit ici d'introduire un mécanisme de révision des décisions du conseil d'administration de l'Office. L'article 106 permet à l'Office d'utiliser le pouvoir économique de l'Etat. Nous croyons que le ministre ne devrait pas déléguer entièrement ce pouvoir à l'Office sans s'assurer d'un droit de regard et sans permettre aux entreprises de faire appel.

Régi par un conseil d'administration et éclairé par une définition des intentions du législateur, l'Office pourra jouer un rôle véritable d'agent de changement. La souplesse des échéanciers permettra à la Direction de la francisation de l'Office de consacrer plus de temps à la formation des agents de francisation et à l'analyse des dossiers. 5. Les autres organismes de francisation

La Commission de surveillance conserve le même rôle et les mêmes pouvoirs dans le scénario alternatif que dans la Loi no 1. Nous proposons par contre d'élargir le rôle du Conseil consultatif de la langue française pour en faire un organisme-clé dans la procédure d'appel des décisions de l'Office. Le Conseil devrait recevoir les requêtes et s'il le juge à propos, entendre les personnes, les entreprises ou les organismes qui auraient des observations ou des requêtes portant sur le contenu de la Loi et l'application de la Loi par l'Office. Le Conseil serait tenu d'aviser le ministre sur toutes les matières qu'il aurait décidé de porter à son attention suite à des appels. Selon les modalités prévues au Projet de loi, le ministre pourra aussi confier au Conseil l'étude des problèmes qu'il juge pertinents.

6. Les infractions et les peines

Le Projet de loi propose trois types de sanctions pour les entreprises qui contreviennent à l'une ou l'autre disposition de la Loi: des amendes (art. 163), la dénonciation publique (art. 119) et le retrait ou le refus de l'émission du certificat (art. 106). Nous ne proposons pas de modifications quant aux deux premiers types de sanctions. Par contre, nous nous interrogeons quant à l'utilité de la sanction que constitue le retrait du certificat.

L'Office est d'abord et avant tout un organisme de changement et de concertation. Il est, par délégation, responsable de l'application d'une loi. A cet égard, il peut recommander au solliciteur de recourir aux tribunaux lorsqu'à son avis une entreprise enfreint certaines dispositions de la Loi. Il s'agit là du mécanisme normal pour assurer, non seulement le respect des Iois dans notre société mais aussi la liberté des personnes physiques et morales.

La Loi sur la langue officielle (Loi 22) était une loi compensentoire. En contrepartie de l'engagement de mettre en oeuvre un programme de francisation, une entreprise recevait un certificat de francisation qui lui permettait de transiger avec le gouvernement et la rendait éligible aux multiples avantages que pouvait octroyer l'Etat. Toutefois l'entreprise pouvait ne pas demander de certificat. Par contre, la Loi no 1 est d'application universelle. Toutes les entreprises de 50 employés et plus sont obligées de préparer, si l'Office le juge nécessaire, un programme de francisation. Les sanctions prévues aux articles 163 et 119 sont des sanctions usuelles dans le cadre d'une loi. Y a-t-il lieu d'ajouter les sanctions prévues à l'article 106, qui sont appuyées par tout le pouvoir économique et réglementaire de l'Etat? Nous en doutons fortement. De plus, y a-t-il lieu de confier ce pouvoir supplémentaire de sanctions, non pas à un tribunal, mais aux fonctionnaires responsables de l'application de la Loi? Nous en doutons encore plus. Toutefois, on doit noter qu'aux Etats-Unis, le législateur a cru bon de confier certains pouvoirs de sanctions économiques (retrait d'octroi et de contrats) aux fonctionnaires dans le cadre de la Loi sur l'Equal Opportunity. Si le législateur juge nécessaire de confier à l'Office des pouvoirs de sanctions, pour qu'il puisse administrer la Loi no 1, nous croyons qu'ils devraient être substantiellement plus restreints que ceux prévus à l'article 108. D'une part, ces pouvoirs ne sont nullement des conditions nécessaires ou suffisantes pour assurer le respect de la Loi no 1. D'autre part, le fait même de déléguer de tels pouvoirs pourraient susciter, tant chez les fonctionnaires de l'Office qu'au sein des entreprises, des réactions et des comportements dysfonctionnels. En conséquence, nous proposons les deux amendements suivants:

(a) un droit d'appel au ministre

(b) la possession d'un certificat de francisation est une condition d'éligibilité pour les transactions suivantes avec l'Etat: i) octroi par le gouvernement de primes, subventions, concessions et autres avantages déterminés par règlement; ii) passation avec le gouvernement et les ministères de contrats d'achats, de ventes, de service et de location déterminés par règlement.

En bref, nous éliminons d'une part les permis et d'autre part, tout le secteur para-public, les entreprises d'utilité publique, les municipalités, les hôpitaux et les Commissions scolaires de la portée de l'article 106. Tel qu'amendé l'article 106 laisse un pouvoir de sanction très suffisant à l'Office. L'Office pourra toujours avoir recours aux tribunaux en vertu de l'article 193 pour ce qui est des entreprises qui ne reçoivent pas d'avantages ou de contrats de l'Etat. C'est le mécanisme usuel qu'utilise le gouvernement pour l'application des lois. 7. Les travailleurs non québécois

La vocation extra-québécoise de l'entreprise québécoise peut l'amener à inviter des travailleurs non-québécois à venir travailler au Québec. D'une manière générale, ces travailleurs sont:

(a)des spécialistes et des professionnels dont la pratique au Québec est régie en partie par le Code des professions;

(b)des cadres de l'entreprise venant faire des stages plus ou moins longs soit au siège social, soit dans des établissements de l'entreprise au Québec;

(c) des cadres de l'entreprise venant travailler de façon permanente au siège social situé au Québec;

(d)des cadres nouvellement recrutés par l'entreprise à l'extérieur du Québec.

En ce qui a trait au premier groupe, nous croyons que le gouvernement devrait laisser aux Ordres professionnels le soin de déterminer les conditions d'entrée au Québec, pourvu évidemment que les autres dispositions de la Loi no 1 soient respectées. A cet égard, nous proposons que les Ordres émettent des permis temporaires d'une durée maximale de trois ans et renouvelables si l'Ordre juge que

l'intérêt public le justifie. La connaissance de la langue officielle que devraient avoir ces personnes fera partie des programmes de francisation.

Pour le second groupe, nous croyons que l'article 58 devrait être précisé. Cet article fait référence à l'accès à l'école anglaise des enfants de ces cadres de passage au Québec. Nous suggérons que l'article explicite les conditions et que des "permis" de trois ans, renouvelables pour deux ans leur soient accordés. Une période de cinq ans est suffisamment longue pour couvrir la quasi-totalité des situations de "passage" au Québec.

Quant aux deux autres groupes de travailleurs non-québécois, ils sont assujettis aux prescriptions des programmes de francisation. Toutefois, l'article 52, quant à la langue d'enseignement peut constituer un frein à la mobilité des cadres dans les entreprises dont le siège social est situé au Québec mais qui ont un rayonnement administratif extra-québécois. Par contre, si le siège social d'une entreprise estime que la mutation de cadres est difficile en raison de l'article 52, la direction générale peut décider de situer hors du Québec certaines activités de ce siège social.

Il est utile au sein de ce débat émotif, de rappeler avec quelle facilité des dirigeants d'entreprises anglophones ont par le passé, regretté publiquement la faible mobilité vers le reste du Canada des cadres intermédiaires ou supérieurs d'expression française. Peu de ces dirigeants ont vu derrière ce comportement les raisons humanitaires qui sont maintenant invoquées à rencontre de l'article 52. Or, le cadre d'expression française à qui on offrait un poste dans une province où l'enseignement en français était difficile d'accès, se voyait dans l'obligation de refuser s'il tenait à offrir à ses enfants une éducation en français. Les dirigeants responsables des mutations interprovinciales comprendront mieux les difficultés et hésitations du cadre d'expression française en se penchant sur les problèmes que posent aux cadres d'expression anglaise les articles 52 et 58.

Si l'article 52 est amendé de façon à permettre aux personnes qui ont reçu leur éducation primaire en anglais au Canada d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise, certaines difficultés s'en trouveront aplanies.

En premier lieu, un article 52 élargi est facile à administrer. En second lieu, l'article 58 dont l'application pourrait être difficile, ne serait appliqué que dans le cas de citoyens non-canadiens. L'impact démographique de ces mesures est minimisé, du moins si on ne prend en considération que les cadres d'entreprises. Par contre, les modifications prévues à l'article 52 pourraient avoir un impact plus grand dans l'Outaouais où plusieurs fonctionnaires fédéraux résident au Québec, ont étudié hors du Québec et travaillent souvent hors du Québec. Cette situation pourrait faire l'objet d'une réglementation particulière. Si l'article 52 demeure inchangé, l'entreprise pourrait à la limite invoquer l'article 58. Nous suggérons donc soit d'élargir l'article 52, ce qui nous apparaît la solution la meilleure, soit de préciser la portée de l'article 58.

C - COMPARAISON ENTRE LES DEUX SCÉNARIOS

Le scénario alternatif proposé permet d'atteindre les mêmes objectifs que le Projet de loi no 1, c'est-à-dire la généralisation de l'utilisation du français de façon à ce que le Québécois ait le droit virtuel de travailler en français. C'est donc au niveau des modalités et des modifications institutionnelles que les scénarios diffèrent. Les principales différences sont les suivantes. 1. Le scénario alternatif réduit les pouvoirs discrétionnaires de l'Office. L'Office est dirigé par un conseil d'administration où siègent des représentants des milieux socio-économiques. Des règles de décisions quant aux objectifs de francisation sont établis au préalable dans la loi et dans les règlements. Enfin, son pouvoir de sanction est ramené à un niveau plus modeste. En conséquence, le scénario alternatif diminue grandement l'incertitude généralisée qui paralyse les décisions de l'entreprise. L'entreprise est donc plus en mesure de planifier les changements que la francisation de ses activités exige. De plus, la réduction de l'incertitude généralisée diminue la probabilité de décisions rapides et émotives dont les conséquences pour le Québec seraient graves. Non seulement immédiatement mais aussi dans l'avenir. 2. Le scénario alternatif reconnaît explicitement des conditions d'usage "instrumental" d'une autre langue que le français dans l'entreprise. Le Projet de loi no 1 ne fait référence que de manière laconique aux conditions où l'utilisation de l'anglais est permise. L'article 113 du Projet de loi ne fait que souligner la nécessité compte tenu des contraintes linguistiques imposées par les relations avec l'étranger. De plus, les hypothèses les plus plausibles quant aux règles de décision qu'utilisera l'Office indiquent une approche inflexible et bureaucratique. Les règles de décision que nous avons prévues au sein des règlements qui accompagnent et précisent notre scénario alternatif, permettent l'utilisation instrumentale de l'anglais lorsque les relations commerciales, administratives et techniques et le fonctionnement du siège social des entreprises à rayonnement extra-québécois l'exigent. 3. Le scénario alternatif assouplit les exigences qui ont des effets sur le recrutement et la mutation des travailleurs non-québécois. D'une part, l'émission de permis temporaires à des professionnels est confiée aux Ordres professionnels et à l'Office des professions qui sont mieux placés que l'Office de la langue française pour évaluer l'intérêt public au sein de chacune des

professions. D'autre part, l'accès à l'école anglaise est facilité dans le cas des enfants dont les parents sont de passage au Québec ou d'origine canadienne. 4. Le scénario alternatif mise sur l'amorce au sein des entreprises de processus de changement planifié visant à atteindre l'objectif de la Loi: c'est-à-dire la mise en place de politiques et de pratiques qui élargissent les possibilités de travail en français au sein de l'entreprise pour tous les Québécois qui le désirent. Le Projet de loi no 1 fait référence au besoin de concertation mais est imprégné de coercition et de bureaucratisme. Le scénario alternatif a plus de chances d'atteindre les résultats escomptés, car il s'inspire de la dynamique et du fonctionnement même de l'entreprise. 5. Les deux scénarios, il faut le rappeler, sont identiques en ce qui a trait à la langue des affaires.

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CHAPITRE V L'impact organisationnel d'une loi linguistique

Nous voulons dans ce chapitre analyser d'une manière conceptuelle et analytique l'impact sur les entreprises des deux scénarios de loi linguistique. Cet impact, il va sans dire, dépend du contenu du scénario mais aussi de la nature des entreprises qui, on l'a assez dit, ne constituent pas un ensemble homogène d'unités. Entre elles, les entreprises se différencient selon la nature de leurs activités et le rayonnement géographique de leurs opérations. A cette hétérogénéité s'ajoute une hétérogénéité interne fondée sur la structure, les activités et les relations techniques, administratives et commerciales entre les divers sous-groupes de l'entreprise. A cette double hétérogénéité s'ajoute la très grande diversité quant aux caractéristiques linguistiques du personnel.

A- L'hétérogénéité du système des entreprises

La démarche de francisation se présente de manière différente selon que l'entreprise appartient à l'un ou l'autre des types suivants: 1. Les entreprises dont les sièges sociaux sont situés au Québec et dont les activités sont réparties à l'échelle canadienne et internationale

Les ventes au Québec ne représentent alors qu'une fraction des ventes globales tandis que les employés du Québec ne constituent qu'une fraction du nombre total des employés. Les sièges sociaux sont des microcosmes des activités globales de l'entreprise et on y retrouve habituellement les activités générales de planification et les services généraux. Souvent ces entreprises ont constitué des divisions québécoises déjà en mesure de fonctionner entièrement en français tandis que l'anglais demeure la langue de travail au siège social. Ce type d'entreprise compte pour plus de la moitié des entreprises situées au Québec qui ont plus de 500 employés. 2. Les entreprises dont les sièges sociaux sont situés hors du Québec mais qui ont des activités de fabrication et de ventes au Québec

Les échanges entre les unités québécoises et le siège social se font alors soit par l'intermédiaire d'un siège divisionnaire québécois (ou de l'Est du Canada) soit directement. 3.Les entreprises d'exploitation des richesses naturelles dont les ventes sont réalisées en majorité hors du Québec et même hors du Canada

Les activités situées au Québec sont surtout axées sur l'exploitation et l'expédition de matières premières tandis que les autres activités de vente et de marketing sont souvent localisées hors du Québec au siège social. 4. Les entreprises dont les sièges sociaux situés au Québec et qui sont orientées principalement vers le marché québécois

Ces entreprises, en grande partie des entreprises de fabrication et de services, ont peu de relations administratives et commerciales avec l'extérieur du Québec. La présence francophone y est généralement très élevée.

La structure hiérarchique de l'entreprise peut donner l'impression que les entreprises, à défaut de se ressembler, constituent quand même des groupes monolithiques intégrés par la coordination et l'autorité administrative. La réalité est tout autre. Et c'est Talcott Parsons qui a souligné que l'entreprise est segmentée en espaces organisationnels différents et caractérisés par des attributs différents. A mesure que croissent la taille, la complexité des structures et l'hétérogénéité des marchés, l'entreprise se divise en sous-ensembles de ressources dotés de responsabilités et de tâches particulières. Chacun de ces sous-ensembles, que nous appellerons groupes organisationnels, est caractérisé par des activités distinctes, des relations et des échanges particuliers avec l'environnement ainsi que des ressources humaines spécialisées. Au sein de ces entités les problèmes de francisation sont relativement similaires et pour fins d'analyse nous avons regroupé ces groupes organisationnels en quatre types. 1. Les groupes organisationnels d'exploitation: production ou vente de biens ou de services Appartiennent à ce type, les groupes organisationnels dont les activités principales sont parmi les suivantes: fabrication, distribution et ventes, services professionnels, courtage (immeubles, valeurs mobilières, assurances) ventes, entreposages, gestion, publicité, construction, sociétés conseils, services bancaires et financiers. 2. Les groupes organisationnels d'exploitation à haute technicité

Cette haute technicité, soit dans le cas des services ou de produits, exige une interaction soute-

nue avec les clients et fournisseurs de technologie: ingénieurs-conseils, fabrication et ventes de produits de haute technologie. 3. Les centres administratifs

II s'agit des sièges sociaux, sièges administratifs de divisions, etc. Ces groupes organisationnels planifient, coordonnent et supervisent les activités d'autres groupes ou de filiales et administrent les services généraux centralisés. A la limite, la direction générale d'une entreprise peut être considérée comme un centre administratif. 4. Les centres de recherche et les services spécialisés

II s'agit de groupes dont les activités se situent principalement au niveau de services spécialisés offerts à d'autres groupes ou établissements de l'entreprise (par exemple, un laboratoire de recherche, un centre d'informatique). Les activités d'un groupe organisationnel de ce type sont principalement financées par des appropriations budgétaires et non par la vente de services spécifiques à des entreprises ou à des clients.

L'impact de la législation linguistique dépendra donc des diverses variables associées à l'hétérogénéité externe (type d'entreprises) et interne de l'entreprise (type de groupes organisationnels). Parmi ces variables, mentionnons: 1. la dimension extra-québécoise des clientèles, des actifs et des échanges techniques 2. les relations administratives et commerciales avec l'extérieur du Québec 3. le design de l'entreprise et l'articulation des relations administratives entre les sièges sociaux et les divisions 4. les types de technologie utilisées de même que les caractéristiques des produits fabriqués et des services rendus 5. la compétence linguistique des ressources humaines en place

B- Les modes d'adaptation de l'entreprise

Les modifications institutionnelles et les prescriptions prévues par la législation linguistique établissent un nouveau contexte de décision pour les entreprises. La question n'est pas de savoir si les entreprises obéiront ou non à la loi, elles le feront, mais d'identifier les modes d'adaptations possibles aux exigences de cette loi. Il est bon de remarquer que le mode d'adaptation variera selon la situation précise de chacun des groupes organisationnels. Le tableau 1 résume cette problématique. 1. Les variables linguistiques définissent pour l'entreprise la présence francophone chez les ressources humaines dont elle dispose, les langues utilisées dans ses documents, ses pratiques et ses politiques linguistiques. 2. La dimension extra-québécoise a trait à la fois aux activités et ventes hors du Québec ainsi qu'au rayonnement commercial, administratif et technique qui en découle. 3.Les facteurs permissifs qui permettront la réalisation des programmes de francisation, soit, a) la présence francophone, présente et future, b) la rentabilité de l'entreprise dont dépend la capacité d'absorber les coûts de la francisation, c) la technologie de francisation disponible, et d) les bénéfices à retirer d'une francisation de l'entreprise. 4. Les critères de décisions quant au choix d'un ou de l'autre, des modes d'acquiescement sont de trois ordres: a) le calcul économique coûts/bénéfices: ainsi l'entreprise calculera les revenus prévus des activités québécoises et le comparera aux coûts globaux de ces mêmes activités, y compris les coûts de mise en oeuvre des programmes de francisation, b) les valeurs des dirigeants d'entreprise: même si en général nous faisons l'hypothèse qu'ils ne laisseront pas leurs opinions politiques personnelles influencer leur décision, dans certains cas cette possibilité jouera nécessairement; c) la responsabilité publique assumée: soit pour des raisons altruistes ou par préoccupation de gestion à long terme, les dirigeants peuvent désirer que l'entreprise soit un citoyen exemplaire.

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5. Les modes d'adaptation: a) l'acquiescement est maximal lorsque l'entreprise va au delà des exigences de l'Office et de la loi sans modification de la stratégie et de la structure de l'entreprise: confection d'un programme accéléré de francisation, b) cet acquiescement est au contraire minimal lorsqu'on se contente d'un respect des exigences de la loi sans modifier la stratégie et la structure de l'entreprise: confection d'un programme conforme aux normes de l'Office, c) la modification de la stratégie et de la structure de l'entreprise, d) le refus de certaines entreprises qui choisiront de déménager du Québec ou de contester la loi.

Parmi les modifications de stratégie et de structure mentionnées en c) et en d) on peut identifier les comportements suivants: 1. repli vers le marché québécois et abandon des activités extra-québécoises 2. réduction des activités québécoises au sein des activités globales de l'entreprise 3. modification de la structure formelle de l'entreprise par la création d'une dimension québécoise axée vers le marché québécois en même temps que transfert du siège social hors du Québec 4. soustraction d'activités administratives et techniques présentement situées au Québec en faveur d'un siège administratif situé hors du Québec

Le calcul coûts-bénéfices tant dans le présent que dans l'avenir est l'élément déterminant de ce processus de décision. Parmi les revenus escomptés de se conformer aux exigences de la loi, certains sont tangibles, d'autres plus intangibles 1. les revenus futurs d'opérations escomptés des activités situées au Québec dans l'hypothèse où l'entreprise obtient un certificat de francisation 2. l'amélioration de la position concurrentielle de l'entreprise dans l'hypothèse ou d'autres entreprises n'obtiennent pas ce certificat 3. l'amélioration possible de la qualité de la gesiion et les avantages d'un nouveau climat de travail 4.les bénéfices subjectifs du fait que l'entreprise assume pleinement sa responsabilité publique

Quant aux coûts ils sont de deux ordres: les coûts directs et indirects d'acquiescement à la loi et les coûts afférents aux modifications de stratégie et de structure possibles et au refus de se conformer aux exigences de la loi. Parmi les coûts directs et indirects, soulignons: 1. les coûts associés à la confection et à la mise en place des programmes de francisation (traduction, formation du personnel) 2. les frais d'opérations futurs prévus et escomptés des activités situées au Québec 3. l'incertitude quant aux décisions futures de l'Office et quant aux contraintes additionnelles ajoutées au processus de décision 4. le climat d'incertitude parmi les cadres et les employés non-francophones

Quant aux coûts supplémentaires associés aux diverses options entraînant éventuellement des modifications de stratégie, de structure et de répartition géographique des activités, ils sont tout aussi nombreux. 1. les coûts associés à la soustraction organisationnelle du Québec. C'est-à-dire le déménagement graduel d'activités du siège social, des laboratoires et des unités de fabrication et de vente hors du Québec 2. la création d'une division québécoise axée essentiellement vers le marché québécois n'est pas sans coûts 3. les coûts que présente le déménagement du siège social hors du Québec 4. les coûts d'une adaptation cosmétique et de la contestation juridique

Ce sont ces coûts et ces bénéfices qui déterminent en grande partie la décision de l'entreprise.

Nous avons voulu esquisser rapidement les paramètres clés de la décision afin de bien comprendre les conséquences économiques et organisationnelles de la loi. Ces conséquences sont de divers ordres. En premier lieu, l'entreprise qui décide de se conformer à la loi dispose encore d'un certain nombre d'options en ce qui a trait à la modification de la stratégie et de la structure. Les choix agrégés de l'une ou l'autre de ces options auront des conséquences économiques et sociales au Québec. En second lieu, la confection des programmes de francisation est elle aussi un problème de décision complexe. Les variables mentionnées au tableau no 1 influenceront les échéanciers et le contenu des programmes de francisation arrêtés par la négociation entre l'entreprise et l'Office en vertu des règlements.

Les incertitudes qui caractérisent le projet de loi no 1 en ce qui a trait aux programmes de francisation et à la situation particulière des sièges sociaux rendent extrêmement complexes les décisions des chefs d'entreprises. Bien qu'a priori, ils veuillent se comporter en citoyens respectueux de la loi, les exigences diffuses et ambiguës, et l'absence de règlements, les incitent à reporter à plus tard le choix d'un mode d'adaptation.

Le choix des modes d'adaptation par l'entreprise s'opérera toujours dans un contexte caractérisé par un haut niveau d'incertitude. Les supputations des coûts et des revenus futurs sont soumises à de multiples aléas que le chef d'entreprise peut difficilement prévoir. De même, la préparation des programmes de francisation se réalisera elle aussi dans un climat d'incertitude. L'entreprise qui s'engage par exemple dans un programme de francisation à recruter 100 cadres d'expression française au cours des 5 prochaines années de façon à relever la présence francophone, s'inspirera d'hypothèses quant à la croissance de ses activités. Or, pour des raisons qui échappent souvent à son contrôle, telles que l'introduction d'innovations techniques et l'action des concurrents, ces hypothèses risquent de ne pas se concrétiser. L'Office de la langue devra donc lui aussi tenir compte de ces facteurs d'incertitude. Entre deux scénarios qui diffèrent par le degré d'incertitude qu'ils créent à l'entreprise, l'un des deux entraînera moins d'adaptation dysfonctionnelle et suscitera un engagement plus immédiat et plus positif de la part de l'entreprise.

C - L'adaptation selon les groupes organisationnels

Dans cette section nous allons tenter, pour chacun des quatre types de groupes organisationnels: 1. d'identifier les difficultés majeures que posent les projet de loi no 1 pour les entreprises qui auraient pris la décision d'acquiescer pleinement aux exigences de la loi

2.de montrer comment le scénario alternatif résout une bonne partie de ces difficultés tout en garantissant l'exercice des droits linguistiques fondamentaux et en favorisant la réalisation des objectifs fondamentaux du projet de loi no 1 3. d'esquisser les adaptations dysfonctionnelles les plus plausibles si le projet de loi n'est pas modifié et de montrer comment l'incidence de ces adaptations dysfonctionnelles peut être diminuée dans le cas du scénario alternatif

Tous les groupes organisationnels n'ont pas les mêmes difficultés d'adaptation. Certains n'auront d'ailleurs aucune difficulté. Dans le cadre de cette analyse nous avons choisi d'examiner en détail pour chaque catégorie de groupes organisationnels, la situation des groupes qui font face à des problèmes substantiels de francisation. a) Les groupes organisationnels d'exploitation

En général ces groupes pourront se conformer aux exigences de la loi. Il s'agit pour la plupart de groupes dont la technologie n'est pas en constante évolution, ce qui facilite la tâche de francisation des documents, manuels et formulaires. Dans le cas des groupes dont le rythme de croissance des ventes et du personnel est élevé, il sera relativement plus facile de relever le niveau de présence francophone compte tenu de la disponibilité de main-d'oeuvre québécoise qualifiée.

Les difficultés posées par la Loi no 1

Ces difficultés tiennent surtout à la structure et au contenu des programmes de francisation ainsi qu'aux échéanciers alliés à ces programmes.

Prenons par exemple le cas de la documentation imprimée. On retrouve dans ces groupes des formulaires, des manuels d'opération et d'entretien et des catalogues. Le groupe connaîtra déjà la terminologie nécessaire à la francisation des formulaires. Compte tenu de la disponibilité de traducteurs, il pourra aussi franciser les manuels d'entretien et d'opération publiés par l'entreprise. Par contre, le groupe organisationnel n'aura pas nécessairement la terminologie pour franciser les manuels et les catalogues publiés par des fournisseurs de pièces et d'équipement. A cet égard, les règles de décision qui guideront l'Office dans l'analyse des programmes qui lui seront soumis, auront un impact considérable sur les activités de traduction qui seront imposées au groupe organisationnel dans une période donnée.

Ces groupes feront aussi face au problème des passerelles linguistiques dans leurs relations avec l'extérieur du Québec. Encore ici, les règles de décision de l'Office seront critiques. Si l'Office cherche à déplacer ces passerelles à l'extérieur du Québec ou à limiter l'étendue des zones "passerelles" à l'intérieur de groupes (afin de maximiser le nombre de postes où seule la connaissance du français est nécessaire) le siège social devra réorganiser les canaux de communications avec le groupe. De plus, l'échéancier sera aussi un facteur critique, surtout s'il tient peu compte des conditions de départ de l'entreprise.

Certains groupes dont une partie de la clientèle québécoise est anglophone, pourront faire face à certaines difficultés conséquentes à l'attribution des postes où l'utilisation de l'anglais selon les critères linguistiques est permise. D'ailleurs, la nécessité de justifier les exigences linguistiques par poste entraînera une certaine lourdeur administrative. Nous présumons que les entreprises établiront pour tous leurs postes des exigences linguistiques, si l'article 37 est maintenu, afin de se protéger contre une plainte éventuelle. -Les amendements proposés dans le scénario alternatif

Les deux scénarios visent le même objectif: faire du français la langue de travail dans ces groupes. Le Projet de loi non amendé tend à réduire au minimum le nombre de postes "bilingues" à l'intérieur de ces groupes, tandis que les amendements proposés suggèrent de permettre que des passerelles linguistiques dans les communications avec l'extérieur du Québec se situent au Québec. De plus, le scénario alternatif admet l'utilisation de manuels et de documents en langue anglaise, si leur usage est restreint et leurs coûts de traduction élevés. Le Projet non amendé, selon nos hypothèses, sera plus restrictif à cet égard.

En modifiant les règles d'utilisation de l'anglais, le scénario alternatif limitera l'exportation hors du Québec des postes frontières et remettra entre les mains de cadres québécois, plutôt qu'entre celles de traducteurs, la responsabilité d'établir les passerelles linguistiques avec l'extérieur du Québec. Les cadres québécois d'exploitation seraient ainsi au réseau de communications de l'entreprise.

En insistant sur la francisation du climat organisationnel et en faisant de l'utilisation de l'anglais une propriété collective et instrumentale plutôt qu'une exigence individuelle attachée à des postes, le scénario alternatif permet d'éviter que le problème de la traduction des documents à tirage limité prenne des proportions exagérées. Dans un tel cas, un manuel rédigé en anglais devient semblable à un autre manuel rédigé en langage informatique appelé à n'être utilisé que par quelques experts.

-Les adaptations dysfonctionnelles

Quel que soit le scénario adopté, ces groupes organisationnels se soumettront aux règles du jeu. Nous ne prévoyons aucune fermeture d'établissements attribuable à une législation linguistique dans ces groupes.* Par contre, des adaptations dysfonctionnelles sont possibles dans les groupes organisationnels appartenant à des entreprises d'envergure canadienne et internationale si le Projet de loi n'est pas amendé. Ainsi, face à des contraintes dans les communications de ces groupes avec l'extérieur du Québec, l'entreprise réaménagera ses réseaux de communications, ce qui pourra amener une marginalisation de rétablissement d'exploitation au sein de l'entreprise.

De même, les activités de communications pourront diminuer. A cet égard, l'intégration de ces groupes à des réseaux de communications informatisés pan-canadiens pourrait diminuer.

Ces groupes pourront aussi voir diminuer leurs interactions avec des services spécialisés situés hors du Québec (ex.: ingénierie, recherche en marketing). La présence moins élevée des cadres du groupe, à titre de participants actifs dans les réseaux de communications de l'entreprise, de même qu'une baisse possible du niveau de bilinguisme chez ces cadres, amènera une sous-utilisation de ces services situés à l'extérieur du Québec.

On pourra aussi remarquer des réformes structurelles. Ainsi, dans certaines entreprises, on pourra centraliser au siège social des activités de planification et de services: informatique, finances, crédit, recherche en marketing. En conséquence, les opérations québécoises seraient limitées de plus en plus aux opérations de fabrication et de ventes, sans ressources de planification et de gestion générale. Les entreprises qui présentement sont dotées d'une structure fonctionnelle centralisée (production, marketing, transport, etc.) pourraient décider de créer des divisions québécoises axées sur ce territoire et limitées à la fabrication et à la vente. Cette décision aura néanmoins l'avantage sur la précédente de former au Québec quelques administrateurs généralistes.

Dans une perspective à long terme, le Projet de loi non amendé pourrait, dans certains cas, rendre moins attrayante la localisation au Québec de certaines activités caractérisées par une intégration technologique ou administrative élevée avec l'extérieur du Québec.

En conclusion, pour la grande majorité des cas, les groupes organisationnels d'exploitation se conformeront à la Loi. Par contre, si la Loi n'est pas amendée, des comportements dysfonctionnels se manifesteront, de façon imperceptible. Toutefois, dans une perspective à long terme, elle n'aura un impact majeur que chez certains groupes organisationnels dans des entreprises canadiennes; ces groupes seront marginalisés par la faible densité des communications avec l'extérieur du Québec. Les principales causes de ces comportements dysfonctionnels seront la localisation des passerelles linguistiques hors de ces groupes et des pressions pour diminuer les "zones" bilingues. Les amendements proposés éliminent complètement cette incitation à un comportement dysfonctionnel. b) Les groupes organisationnels d'exploitation à haute technicité

Ces groupes comprennent les entreprises de fabrication de produits à haute technicité ainsi que les entreprises de services professionnels hautement spécialisés. En général, ces groupes auront beaucoup de difficultés à se conformer aux exigences du Projet de loi. -Les difficultés causées par le Projet de loi no 1

Ces groupes entretiennent des relations commerciales et techniques étroites avec des clients et des fournisseurs de technologie situés hors du Québec. L'utilisation de l'anglais dans les communications et les services y est élevée: projets, plans, devis, cahiers de charge, manuels, catalogues. Evidemment, l'utilisation de l'anglais variera selon le poste ou la fonction occupé ou même selon la nature du projet. Dans certains cas, il ne s'agit que d'une habileté à lire l'anglais. Par contre, tout ingénieur ou technicien peut être appelé à discuter avec un client ou un expert venant de l'extérieur du Québec. Les problèmes causés par la traduction des manuels techniques sont grands tant en raison du volume des documents à traduire que des retards inévitables dans le flux de transmission des informations.

A moins ae multiplier les postes au niveau des cadres où l'anglais est exigé, il sera difficile de mener efficacement des discussions avec clients et fournisseurs. La majorité des ingénieurs et techniciens devant à un moment ou l'autre, travailler en anglais, il devient donc difficile de se conformer entièrement aux dispositions de l'article 36, à moins bien entendu, de déclarer "bilingues", la majorité des postes. Selon nos hypothèses, le Projet de loi no 1 rendra difficile l'exécution complètement en anglais, des travaux pour des clients de l'extérieur du Québec. Au moins une partie des documents devra être traduite.

Une troisième difficulté est reliée à l'emploi d'experts non québécois. Deux éléments rendent plus difficile leur recrutement: les conditions d'accueil et les pratiques linguistiques à l'intérieur du groupe. Quelles que soient les possibilités d'accommodement qu'offre le Projet de loi, on ne peut dire que l'accueil des experts étrangers sera facile: test des connaissances linguistiques, démarches pour avoir accès à l'école anglaise, possibilité de révocation du permis de pratique après trois ans, etc. A l'intérieur * Etant donné que le Projet de loi no 1 et le scénario alternatif couvrent toutes les entreprises de plus de 50 employés, il est fort possible qu'au niveau des petites entreprises anglophones de caractère familial, il y ait transfert d'établissements à l'extérieur du Québec.

du groupe, l'usage du français sera généralisé. L'expert non-francophone aura donc plus de difficulté à y travailler.

Finalement, les remarques soulevées pour les groupes d'exploitation, à la section précédente, s'appliquent avec les nuances qui s'imposent. La principale faiblesse du Projet de loi vis-à-vis de ces groupes à haute technicité est liée aux conditions d'incertitude que créent pour les groupes les pouvoirs discrétionnaires très larges confiés à l'Office. En effet, ces groupes vont demander à l'Office un "régime" particulier, plein d'accomodements aux règles générales que voudra imposer l'Office. Bien que justifiables aux yeux de plusieurs membres de l'Office, ces accomodements seront limités entre autres par les représentants des syndiqués sur le Comité de francisation, qui pourront marchander leur consentement, et par la volonté même de l'Office qui voudra franciser toute l'entreprise et le plus de postes possibles. -Les amendements proposés dans le scénario alternatif

Les amendements proposés, particulièrement à l'article 113 et la réglementation afférente, visent à faciliter l'utilisation de l'anglais comme langue instrumentale. La législation est amendée ici de façon à reconnaître explicitement le droit d'utiliser l'anglais. Il s'enfuit que le groupe jouira de plus de flexibilité pour la traduction de documents et qu'il pourra "exécuter" en anglais des projets ou travaux pour des clients de l'extérieur du Québec.

De même, il n'y a pas de contrainte formelle quant aux exigences linguistiques des postes. L'accueil des experts non-québécois est facilité par les amendements aux articles 32, 52 et 58. Ceci élimine pour l'entreprise la nécessité de multiplier, par mesure de précaution, les postes où l'utilisation de l'anglais est permise. Le pouvoir discrétionnaire de l'Office est grandement réduit. De plus, les règles quant à l'utilisation de l'anglais sont explicitées dans la réglementation qui devrait être approuvée par le Gouvernement. Le changement de structure à la direction de l'Office incitera l'Office à nuancer ses règles de décision, à les raffiner, afin de mieux tenir compte de situations particulières. Aussi, le changement du rôle du Comité de francisation éliminera toute velléité de marchandage et diminuera le niveau d'incertitude pour l'entreprise. Enfin, les amendements portant sur la localisation au Québec des passerelles linguistiques contribueront à maintenir le groupe dans le réseau de communications technologiques auquel il a présentement accès.

Les adaptations dysfonctionnelles

Dans le cas des entreprises de services professionnels, les adaptations dysfonctionnelles plausibles sur le plan structurel seront de trois ordres: 1) le développement ou la création de filiale hors du Québec pour mener à terme les projets et les contrats techniques qui exigent une forte utilisation de l'anglais et de ressources scientifiques et techniques spécialisées. 2) la création de nombreux postes exigeant la connaissance de l'anglais pour les directeurs de projets et de services techniques afin d'assurer que les cadres et les ingénieurs non-francophones puissent continuer de fonctionner en anglais et d'entretenir les relations techniques nécessaires 3) la création d'unités francophones orientées surtout vers le marché du Québec ou des pays francophones. Ces unités travailleraient toujours en français mais ne seraient pas impliquées dans les projets canadiens, américains et étrangers.

En conclusion, la tentation sera très forte pour les groupes d'exploitation à haute technicité, intégrés dans des entreprises canadiennes ou internationales, de soustraire certaines activités du Québec. Il en va de même pour les entreprises de services professionnels de rayonnement extra-québécois. Dans le Projet de loi, les conditions d'incertitude créées par les pouvoirs discrétionnaires confiés à l'Office et les difficultés accrues du recrutement d'experts non-québécois sont les principaux incitatifs à des adaptations dysfonctionnelles. Soulignons, toutefois, que les amendements proposés n'éliminent pas complètement ces incitations. La francisation graduelle du groupe, et particulièrement de ses activités administratives, peut amener certaines entreprises à adopter des comportements non souhaitables. Les fluctuations usuelles des activités de ces groupes rendent trop facile le camouflage de ces décisions pour oser croire que certaines entreprises n'en tireront pas partie.

Les amendements proposés visent entre autres, à corriger les possibilités d'adaptations dysfonctionnelles. Malgré le capital important que représente le personnel formé de ces groupes organisa-tionnels, les groupes d'exploitation à haute technicité ont souvent des fluctuations importantes dans leur nombre d'employés qui doivent s'ajuster à leur carnet de commande. Il s'ensuit que les activités de ces groupes sont généralement plus mobiles, particulièrement si l'entreprise du groupe possède d'autres établissements similaires. Dans ces entreprises, les adaptations dysfonctionnelles facilement camouflables seraient d'une part, un déplacement progressif d'activités à l'occasion de fluctuations dans la production et d'autre part, une baisse générale du niveau technologique des activités du groupe afin de pouvoir diminuer sa dépendance sur les marchés extérieurs et la nécessité d'apports technologiques continus.

c) Les sièges sociaux

Les sièges sociaux dont le rayonnement administratif est limité au Québec et qui ne dirigent pas d'établissements hors du Québec, n'auront aucune difficulté à s'adapter aux exigences du Projet de loi. Il en est de même pour ceux dont une fraction peu importante des effectifs qu'ils dirigent sont situés en milieu de travail hors du Québec. Par contre, pour les sièges sociaux localisés au Québec, dont le rayonnement administratif hors du Québec est substantiel, les difficultés seront très sérieuses si le Projet de loi n'est pas amendé. Ceci vaut également pour les sièges sociaux dont la présence francophone parmi les ressources humaines est faible. Les sièges sociaux où la présence francophone est plus élevée, pourraient plus aisément se conformer à certains articles mais rencontrent cependant des difficultés insurmontables quant à d'autres articles.

Le siège social est en effet non seulement un organe de coordination et de planification mais aussi un microcosme de l'entreprise entière. Il est le lieu de rencontre de plusieurs types de cadres et d'information spécialisée. On y administre des projets qui englobent la totalité des activités de l'entreprise. Il est alors difficile de faire la distinction entre les matières afférentes aux activités québécoises et les sujets ayant trait aux activités extérieures au Québec, la mission du siège social étant justement de les coordonner et de les intégrer dans un plan d'ensemble. - Les difficultés que propose le Projet de loi no 1

Les sièges sociaux dont le rayonnement administratif dépasse de façon substantielle le Québec, feront face à trois difficultés principales. 1) La quasi-totalité des postes de ces sièges sociaux exigent la connaissance et l'utilisation constante de l'anglais. 2) Les mutations et les séjours prolongés au siège social des cadres supérieurs des divisions et des filiales extérieures au Québec seront rendues plus difficiles. L'entreprise aura plus de difficultés à attirer au siège social les cadres non québécois à qui elle veut offrir une promotion (1) ou dont l'expertise est nécessaire.

Mutatis mutandis, les remarques qui précèdent s'appliquent aux sièges divisionnaires. 3) Les activités du siège social ne peuvent être séparées en deux catégories, les unes ayant trait aux matières québécoises et les autres aux matières extérieures au Québec.

Par contre, les sièges sociaux pourront généralement faire en sorte, en l'espace de cinq à sept ans au plus, qu'ils communiquent en français avec tous leurs établissements situés au Québec. Les difficultés qu'ils rencontreront seront associées à la langue de travail à l'intérieur du siège social.

S'ajoutent à ces difficultés de départ, d'autres conséquences du scénario de francisation prévu au Projet de loi no 1 : 1) L'incertitude découlant des pouvoirs discrétionnaires très étendus confiés à l'Office et en particulier, l'imprécision de l'article 113, et l'absence d'une participation de l'entreprise à la direction de l'Office. 2) La volonté manifeste du Gouvernement de franciser le plus d'activités internes au siège social. Ce Projet est confirmé par le document du 4 mai 1977, remis par M. Guy Rocher au Centre de linguistique de l'entreprise. 3) La volonté manifeste du Gouvernement d'augmenter la présence de "francophones" aux sièges sociaux des entreprises. Cette volonté devra se traduire par une demande accrue de cadres francophones par l'ensemble des entreprises. Cependant, une offre limitée de cadres pourrait rendre très difficile pour certaines entreprises d'atteindre les objectifs de présence francophone imposés par la Loi no 1. 4) Les difficultés accrues de muter au siège social des cadres non-québécois.

Les amendements proposés

Selon l'esprit des amendements que nous proposons, les sièges sociaux ne sont pas identifiés comme des cas spéciaux. Toutefois, le scénario alternatif consécutif à ces amendements tient quand même compte expressément des relations commerciales, technologiques et administratives spécifiques aux sièges sociaux, sous forme d'articles dans la réglementation. De plus, les amendements facilitent les mutations et les rotations du personnel des diverses divisions de l'entreprise au siège social.

Finalement, le scénario alternatif prévoit l'utilisation de l'anglais comme langue instrumentale tout en rassurant le bilinguisme effectif des communications officielles du siège social.

(1) Une telle explication est souvent donnée pour expliquer le faible taux de présence de francophones aux sièges sociaux d'entreprises situées à Toronto.

Les adaptations dysfonctionnelles

Les adaptations dysfonctionnelles suivantes sont prévisibles en l'absence de modifications au Projet de loi no 1. 1) Le maintien du siège social juridique au Québec accompagné d'un transfert progressif des activités de coordination et de planification à l'extérieur du Québec. Les activités suivantes sont susceptibles d'être soustraites en partie du siège social québécois: informatique, planification, marketing, finances, trésorerie et comptabilité, direction scientifique, direction de produit, direction de divisions régionales. 2) La création d'une division québécoise ayant son siège social juridique au Québec et le transfert réel du siège social et administratif à l'extérieur du Québec.

De tels comportements d'évasion sont très faciles pour un siège social. En effet, à l'occasion de réorganisations administratives relativement fréquentes dans une grande entreprise, des activités peuvent être transférées au moment de réaménagements visant à une plus grande efficacité. Comme les déplacements sont progressifs, les coûts à l'entreprise sont étalés sur plusieurs années. Il ne faut pas surestimer non plus l'ampleur des coûts de ce type. Ainsi, le Conference Board dans une enquête récente aux Etats-Unis a estimé que les coûts de mutation de personnel cadre variaient entre $8000 et $12 000 par cadre.*

Amender le Projet de loi no 1 n'éliminera pas totalement les incitations à déplacer des activités hors du Québec. Néanmoins, les amendements proposés visent à atténuer les effets négatifs découlant des quatre faiblesses identifiées plus haut. d) Les centres de recherche industrielle et les autres services spécialisés

Ces groupes organisationnels auront dans l'ensemble des difficultés sérieuses d'adaptation s'ils sont intégrés à des entreprises canadiennes ou internationales. Par contre, ils auront moins de difficultés d'adaptation s'ils sont intégrés à des entreprises québécoises ou à des divisions ou établissements québécois. Ainsi, les laboratoires de contrôle et d'essais et les centres locaux ou régionaux d'informatique se franciseront, au même titre que les groupes organisationnels d'exploitation dont nous avons discuté plus haut.

Les difficultés posées par le Projet de loi no 1

Les difficultés que rencontreront ces groupes organisationnels intégrés à des entreprises canadiennes ou internationales sont nombreuses. Elles s'apparentent à celles que rencontreront les groupes d'exploitation à haute technicité et les sièges sociaux à rayonnement administratif extra-québécois.

Il est important de comprendre que la recherche industrielle est une activité coûteuse et que l'entreprise veille à en retirer le maximum. L'emplacement des centres de recherche industrielle n'est pas nécessairement lié à la localisation des usines de production. Il suit souvent la localisation du siège social, car ces activités font partie intégrante de la planification et du développement de l'entreprise. Ainsi, parmi vingt-huit centres de recherche privés au Québec comptant au moins 15 ingénieurs ou scientifiques, selon une enquête du Ministère d'Etat à la Science et Technologie en 1973, 25 appartenaient à des entreprises dont le siège social est situé au Québec.

Vu dans cette optique, il est facile de saisir les difficultés qu'auront ces groupes organisationnels à s'adapter à la situation que créerait la Loi 1 si elle était adoptée sans modifications. Ces centres doivent travailler conjointement avec toutes les filiales de l'entreprise où qu'elles soient. Dans un tel contexte, l'anglais devient la langue instrumentale des communications. Travaillant souvent à l'échelle internationale, le personnel de ces centres maintient des liens de communications étroites avec des collègues oeuvrant à travers le monde, dans leur sphère de spécialisation. Dans ce milieu, la langue anglaise prédomine. Par conséquent, plusieurs documents de gestion ainsi que les textes techniques qu'ils rédigent sont en anglais. Le recrutement de chercheurs et d'ingénieurs hautement qualifiés est un facteur critique de la performance des centres de recherche industrielle. Le Projet de loi pose des contraintes sérieuses à ce recrutement.

Le Projet de loi compte franciser le plus possible les activités de ces groupes organisationnels mais vise aussi à intégrer à la communauté francophone les experts que recrutent ces groupes organisationnels. La francisation des activités sera fortement limitée par les relations extra-québécoises de ces groupes. L'intégration à la communauté francophone ne sera possible que dans la mesure où les experts, conscients des options dont ils disposent, accepteront de venir au Québec. Leurs directions pourront diminuer substantiellement le bassin effectif de recrutement de ces groupes organisationnels.

Les centres d'informatique sont au coeur du réseau de communications de l'entreprise. Ils tran-

The Conference Board, "Elements of Corporate Relocation Assistance Policies", 1977.

sigent continuellement avec les autres services de l'entreprise. Si, d'une part, les services d'informatique sont décentralisés dans la grande entreprise, la planification des systèmes est hautement centralisée. Le centre d'informatique utilise une technologie véhiculée principalement en langue anglaise. Il sera souvent difficile dans le cadre créé par le Projet de loi no 1, de situer qu Québec la planification des réseaux informatiques.

Les amendements proposés

Par des amendements aux articles 32, 37, 52, 58 et 113, nous proposons 1) de définir explicitement les règles gouvernant l'utilisation d'une langue autre que le français dans ces groupes, 2) de permettre que l'anglais reste la principale langue instrumentale lorsque les relations technologiques, commerciales ou administratives du groupe l'exigent, 3)de rendre plus souple les conditions d'accueil des travailleurs non-québécois.

Les adaptations dysfonctionnelles

Parmi les caractéristiques (réelles ou perçues comme tel par les entreprises) du Projet de loi susceptibles d'entraîner des adaptations dysfonctionnelles, mentionnons: 1) L'incertitude face aux pouvoirs discrétionnaires confiés à l'Office. Ces groupes devront demander de nombreux accomodements pour tenir compte de leur situation particulière et seront alors soumis aux décisions sans appel de l'Office. 2) La promotion accélérée du français et des francophones dans ces centres pourrait se faire difficilement étant donné la nature de leurs activités et le rythme de rotation du personnel. 3) Les difficultés d'attirer au Québec du personnel hautement qualifié.

La relation étroite entre la localisation du centre de recherche industrielle et celle du siège social a été mentionnée. Il faut donc, à moyen terme, s'attendre à ce que les activités de recherche et de services spécialisés soient "déménagées" si l'entreprise décide de transférer graduellement ses activités de coordination et de planification hors du Québec. Parmi les autres possibilités d'adaptation dysfonc-tionnelle, mentionnons: 1) la multiplication des postes bilingues, 2) le transfert graduel d'activités, 3) la transformation du centre en centre régional.

Les centres d'informatique sont parmi les activités les plus faciles à transférer. Dans le cadre d'une réorganisation du service d'informatique ou de l'achat d'un nouvel ordinateur, un transfert progressif des activités peut être effectué. Par contre, on peut s'attendre à ce que les entreprises respectent la Loi et qu'elles francisent au Québec les "formats" "d'interface" et leurs documents informatisés.

D) Conclusions

Notre analyse a porté sur les problèmes de francisation des entreprises où l'utilisation instrumentale de l'anglais est grande. Nous ne prétendons pas que toutes les entreprises québécoises sont dans une telle situation. En fait, l'inverse est plutôt vrai.

Quelle que soit la Loi qui sera éventuellement adoptée, la très grande majorité des travailleurs québécois travaillent dans un milieu foncièrement francophone car les groupes organisationnels d'exploitation regroupent près de 90% des travailleurs. Ces groupes vont se franciser complètement si ce n'est déjà fait. Les possibilités d'adaptation dysfonctionnelle à ce niveau sont minimes, quoiqu'on pourrait craindre une marginalisation de certains établissements si on exige que les passerelles linguistiques soient limitées ou situées hors du Québec.

Les possibilités d'adaptation dysfonctionnelle sont cependant plus élevées dans les autres types de groupes organisationnels, si leurs activités ont un rayonnement extra-québécois important. Ces comportements découleraient des facteurs suivants:

L'incertitude créée par l'importante délégation de pouvoirs à l'Office.

L'absence de règles explicites quant à l'utilisation instrumentale de l'anglais

La crainte que l'on exige un rythme de promotion du français et des francophones qui est incompatible avec le rythme de développement de l'entreprise au Québec.

Des barrières à l'entrée au Québec de travailleurs non québécois.

Des craintes associées à la nécessité de définir formellement les exigences linguistiques des postes.

Les amendements que nous avons proposés sous forme de scénarios alternatifs visent essentiellement à minimiser ces possibilités d'adaptations dysfonctionnelles tout en maintenant la poursuite de l'objectif fondamental de la Loi.

CHAPITRE VI

L'entreprise québécoise

et le projet de loi no 1

A- INTRODUCTION

La vaste majorité des Québécois, sinon la totalité, reconnaissent les bénéfices pour la société québécoise d'une francisation accrue du milieu de travail et plus particulièrement au sein des entreprises établies au Québec. Néanmoins, une analyse "coût-bénéfices" d'une législation visant à promouvoir cette francisation est non seulement inopportune mais aussi problématique. En effet, les bénéfices que retirera la société québécoise de cette législation, quoiqu'importants, ne peuvent être mesurés.

Toutefois, nous croyons que plusieurs options législatives s'offrent à la société québécoise pour faire en sorte que les Québécois puissent exercer leur droit de travailler en français. Dans cet esprit, nous avons proposé des amendements au Projet de loi no 1 visant à le rendre plus efficient par rapport à l'objectif recherché. Les différences entre les deux textes et leurs principes d'action ne sont pas très grandes. Elles portent essentiellement sur des modalités opérationnelles.

Les deux scénarios visent essentiellement le même objectif: assurer la francisation de l'entreprise durant une même période de temps. Certes, les calendriers de la procédure de certification différent. Toutefois, la certification ne constitue qu'une étape administrative peu importante dans le contexte d'une loi d'application universelle; le processus de francisation ne peut être altéré par de simples changements au calendrier d'émission des certificats. A prime abord, certains pourraient prétendre que le scénario alternatif propose une francisation ralentie. Or, il n'est ici question que d'un décalage d'une année ou deux. Dans une matière si vitale quant à l'épanouissement de la société québécoise, un tel décalage s'avère marginal (1).

D'aucuns pourraient prétendre que les objectifs des deux scénarios ne sont pas identiques. Or il est toujours question du même objectif fondamental à savoir le libre exercice du droit de travailler en français. Il est vrai que les amendements proposés prévoient de façon explicite des normes "d'utilisation instrumentale" pour une deuxième langue dans un Québec français (2). Toutefois, les amendements proposés visent à garantir à chacun la possibilité de travailler dans les conditions linguistiques qu'il désire, c'est-à-dire qui reflètent sa propre conception quant à l'utilisation "normale" d'une autre langue.

Les bénéfices sociaux des deux scénarios étant sensiblement les mêmes, il est possible de comparer les "coûts sociaux" de deux scénarios. Cette approche analytique, de plus en plus utilisée par le législateur, notamment aux Etats-Unis où l'évaluation de l'impact d'une loi est parfois obligatoire, permet d'identifier l'option législative la plus efficiente. Nous proposons donc, dans les deux chapitres qui suivent une analyse formelle et nuancée des impacts sociaux. Nous tenons toutefois à souligner que, pris isolément, ces coûts n'ont aucune valeur intrinsèque. Notre apport vise essentiellement à comparer les coûts de deux scénarios à bénéfices équivalents, mis à part un décalage temporel maximum de 24 mois. Bien que conscients des dangers inhérents à la "manipulation" des chiffres, nous pensons que la société québécoise a atteint un stade de maturité qui permet d'espérer une utilisation rationnelle et de bon aloi de l'exercice analytique présenté dans ce mémoire.

Ce chapitre présente une analyse comparative de l'impact différentiel des deux scénarios sur le comportement des entreprises. L'analyse a été faite à partir des résultats d'enquêtes menées en mai 1977 auprès de 120 grandes entreprises établies au Québec. Les échantillons d'entreprises ont été tirés de multiples secteurs de l'activité économique. Ces secteurs ont été choisis sur la base d'hypothèses quant à l'impact d'une législation linguistique. Après avoir construit un échantillon aléatoire d'entreprises dont le personnel au Québec était supérieur a 500 employés, nous nous sommes attardés aux entre-

(1)Le scénario alternatif pourrait susciter, selon nous, une francisation plus rapide des entreprises, car il s'harmonise aux modes de fonctionnement de l'entreprise. Il amènera donc des changements plus rapides. Notons toutefois que le développement d'une terminologie normalisée, exigence commune aux deux scénarios, pourrait avoir une profonde influence quant à la réalisation plus ou moins rapide des objectifs de francisation.

(2) Notre conception de l'usage instrumental d'une autre langue est sans doute influencée par nos propres rôles d'universitaires et de chercheurs. Bien que nous travaillions en français, nous sommes à l'occasion appelés à communiquer en anglais et, plus souvent, à lire des articles rédigés en langue anglaise. Cet état de chose n'a rien à voir avec l'entreprise "anglophone" établie au Québec, mais découle logiquement du système technologique dans lequel nous oeuvrons.

prises des secteurs pour lesquels l'impact de la législation linguistique risquait d'être le plus élevé, nous tenons à souligner qu'aucun calcul de bénéfices associés à la francisation des entreprises des divers secteurs en question n'a été effectué.

Le chapitre VI est divisé en trois parties. La première partie contient la description des échantillons d'entreprises. La deuxième partie décrit la situation des entreprises à partir des résultats de l'enquête et dresse une liste de projections quant à l'univers québécois des entreprises à partir desquelles a été tiré l'échantillon. Une troisième partie présente un modèle d'analyse de comportement qui sera utilisé pour comparer l'impact des deux scénarios sur les entreprises représentées dans les échantillons.

Deux types d'échantillons ont été constitués: un premier échantillon de type aléatoire construit à partir de 331 entreprises qui comptent au Québec 500 employés ou plus; enfin, cinq échantillons dits "spécifiques".

(a) L'échantillon aléatoire 41 entreprises de 500 employés et plus au Québec choisies au hasard au sein d'une liste de 331 entreprises représentant, au meilleur de notre connaissance, toutes les entreprises ayant plus de 500 employés au Québec. L'échantillon initial était de 50 entreprises; 9 entreprises n'ont pas complété le questionnaire. Cinq d'entre elles étaient des entreprises dont le siège social se situe hors du Québec, fait qui affaiblit leur valeur représentative au sein de l'échantillon.

(b) Les échantillons spécifiques 1. 41 entreprises ayant leur siège social au Québec et une part importante de leurs activités à l'extérieur du Québec. Cet échantillon a été tiré d'une liste faisant état des cinquante plus grandes entreprises rencontrant ces conditions. Neuf d'entre elles n'ont pas complété le questionnaire. 2. 28 entreprises ayant plus de 2000 employés au Québec. A la lumière des informations dont nous disposons, il y aurait au Québec 42 entreprises ayant plus de 2000 employés; 31 furent contactées et 3 d'entre elles n'ont pas complété le questionnaire. 3. 12 entreprises à haute technicité, établies au Québec. Huit de ces 12 entreprises comptent plus de 500 employés. Cinq autres entreprises à haute technitié furent contactées mais ne complétèrent pas le questionnaire et deux le remirent en retard. 4. 8 sociétés de services professionnels établies au Québec et ayant un rayonnement hors du Québec. Ces entreprises ont été choisies parmi les plus grandes entreprises de services professionnels. On y retrouve 5 des 7 plus importants bureaux d'ingénieurs du Québec, 2 sociétés de courtage en valeurs mobilières et une société de service d'informatique. 5. 19 centres de recherche industrielle, ayant tous à leur service au moins 15 scientifiques ou ingénieurs. Selon une enquête du Ministère d'Etat, Sciences et Technologie, en 1973, il y avait au Québec 28 centres de recherche industrielle privés comptant un personnel scientifique supérieur à 15; 23 ont été contactés; 2 questionnaires ont été reçus en retard et 2 entreprises ont refusé de participer. Les laboratoires gouvernementaux et universitaires ont été exclus.

Le premier échantillon, tiré de la population des entreprises de 500 employés et plus, a été utilisé pour établir des projections quant à l'ensemble des dites entreprises. Choisi au hasard, cet échantillon se veut représentatif des entreprises ayant plus de 500 employés au Québec* Les cinq autres échantillons ont été retenus à des fins d'analyse de situations spécifiques.

B- LA SITUATION DES ENTREPRISES

Dans cette section nous abordons la dimension extra-québécoise des entreprises de l'échantillon, puis, nous faisons état des caractéristiques de leur personnel au Québec ainsi que du profil linguistique de leurs cadres. * Comme paramètre de projection, nous avons utilisé la proportion obtenue en situant lesdites entreprises par rapport à l'échantillon aléatoire initial et non par rapport à l'échantillon des répondants, à cause d'un taux de non réponse plus élevé dans les entreprises dont le siège social était à l'extérieur du Québec.

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1. Les entreprises de plus de 500 employés a) L'échantillon

Parmi les 43 entreprises de l'échantillon, 14 ont été identifiées comme étant à propriété et gérance "canadienne-française"; 16 étaient contrôlées par des non-Canadiens. Le tableau 1 présente la répartition géographique des revenus, selon leur origine; 38 entreprises ont répondu à cette question. Leur revenu moyen en 1976 était de $257 millions.

Le tableau 2 fournit des informations quant à la répartition du personnel. Nous avons défini comme cadres les employés de rang de contremaître ou de rang supérieur.

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Le pourcentage élevé d'employés et de cadres du siège social travaillant au Québec (73.1% et 68.6%) reflète le fait que 36 des 41 entreprises choisies dans notre premier échantillon avaient leur siège social au Québec. A titre de comparaison, 80% de l'ensemble (N-331) des entreprises ayant plus de 500 employés au Québec ont leur siège social au Québec; il en est ainsi pour 69% des 105 plus grandes entreprises. (Cette liste des 105 plus grandes entreprises a été établie par Maurice Sauvé lors d'une étude effectuée pour le compte de la Chambre de Commerce de Montréal).

Dans les 36 entreprises qui avaient leur siège social au Québec, 61% des cadres avaient une connaissance d'usage du français. (Le taux de "francophonisation" le plus bas obtenu fut de 10%). b) la population

Les données de l'échantillon furent appliquées à l'ensemble de la population des 331 entreprises de 500 employés et plus. Le tableau 3 présente le résultat de ces projections.

La main d'oeuvre employée au Québec est estimée à 2,479,000. Les entreprises de 500 employés et plus emploieraient donc 20.2% de l'ensemble de la main-d'oeuvre au Québec. Ce chiffre concorde avec ce qu'on pouvait anticiper d'une analyse de la structure de l'emploi par taille d'entreprise.

D'autre part, ces entreprises représentent 33.3% de l'emploi total au Québec dans les secteurs où elles étaient présentes, soit "fabrication", "construction", "transport, communications et autres services publics", et "finances, assurances et immeubles". c) Les groupes organisationnels dans la grande entreprise.

Dans le chapitre précédent, nous avons énuméré les principes régissant le découpage d'une entreprise en divers groupes organisationnels. Nous avons effectué des découpages dans le cas de chacune des 41 entreprises de 500 employés et plus. Pour ce faire, nous disposions à la fois des données recueillies par sondage et des rapports annuels publiés par l'entreprise.

Nous avons réparti les activités de chaque entreprise selon les cinq catégories suivantes de groupes organisationnels: -exploitation -exploitation (haute technicité) -siège social -siège divisionnaire régional -centre de recherche

Puis les résultats furent appliqués à l'ensemble des 331 entreprises de 500 employés et plus. Les résultats sont présentés au tableau 4.

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Quel que soit le scénario retenu, les groupes d'exploitation seront francisés, sans trop d'adaptations dysfonctionnelles. Au sein des groupes d'exploitation d'entreprises de plus de 500 employés, on retrouve les pourcentages suivants: 82% d'employés et 63% de cadres. Nous pouvons, avec confiance, extrapoler ces pourcentages comme seuils minima à l'ensemble du secteur privé. En effet, plus la taille de l'entreprise est petite, plus élevée est la proportion des employés et particulièrement des cadres affectés à l'exploitation, par opposition à la coordination administrative et à la planification. Par contre, le scénario de francisation pour les autres groupes exige une analyse plus nuancée.

Nous avons donc construit une grille dont les axes tiennent compte de ces deux dimensions: l'importance relative du marché du Québec et la connaissance d'usage du français chez les cadres au siège social. Le tableau 5 représente nos estimés de la répartition, sur cette grille, des 232 entreprises ayant plus de 500 employés au Québec et dont le siège social est au Québec.

Dans chacune des cases, "N" précise le nombre d'entreprises dans cette catégorie, "Ne", le nombre total d'employés au siège social et "Nc", le nombre de cadres au siège social. Par exemple, on voit très bien que 14 parmi les 232 entreprises ayant plus de 500 employés au Québec n'ont que de 0 à 25% de leur chiffre d'affaires qui provient du Québec; seulement 0 à 25% de leurs cadres au siège social ont une connaissance d'usage du français. L'ensemble de ces entreprises emploient 688 personnes aux sièges sociaux, dont 348 cadres. Cette grille nous permet d'évaluer rapidement le nombre et l'impor-

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tance des sièges sociaux d'entreprises pour lesquelles une réglementation linguistique sévère serait susceptible, à court terme, de créer des difficultés majeures. Dans certains cas, ces sièges sociaux qui auraient peut-être à rattraper précipitamment le retard historique que reflète la composition de leur main-d'oeuvre au siège social feraient face à des difficultés d'adaptation importantes. Par contre, quelle que soit la compétence francophone des cadres du siège social, leurs caractéristiques de fonctionnement imposent parfois une forte utilisation de l'anglais. Deux dimensions caractérisent le problème que les sièges sociaux auront à résoudre pour se conformer aux programmes de francisation: d'une part, l'importance du marché québécois eu égard aux ventes totales de l'entreprise; d'autre part, la proportion des cadres ayant une connaissance d'usage du français. En effet, si une entreprise manufacturière ne réalise que 10% de son chiffre d'affaires au Québec et 90% avec le reste du Canada et les Etats-Unis, il est fort probable que l'utilisation de l'anglais au siège social sera élevée. De plus, il est évident que les pratiques linguistiques refléteront les connaissances linguistiques des cadres. Dès lors, advenant une politique linguistique restrictive, la propension à quitter le Québec sera relativement élevée. Le raisonnement inverse s'applique pour une entreprise desservant surtout le marché québécois.

S'inspirant alors du modèle de décision décrit au chapitre précédent, il semble à prime abord que les entreprises dont les ventes se font en majorité hors du Québec et dont moins de 50% des cadres au siège social ont une connaissance d'usage du français, seront tentées, étant donné les coûts monétaires et psychologiques des programmes de francisation, de rechercher des adaptations dysfonction-nelles ou même de placer leur siège social hors du Québec. Ces entreprises se trouvent dans la partie sud-ouest de la grille.

Aux fins de bien illustrer l'impact des relations administratives, commerciales et techniques, nous avons constitué cinq échantillons spécifiques d'entreprises. Il nous sera donc possible d'examiner plus en détail la décision du mode d'adaptation à une législation linguistique étant donné d'une part, les relations avec l'extérieur du Québec et d'autre part, la présence francophone définie comme le pourcentage des cadres ayant une connaissance d'usage du français. 2. Un échantillon de grandes entreprises canadiennes ayant leur siège social au Québec

Les sièges sociaux ayant un fort rayonnement administratif extra-québécois seront fort probablement plus directement affectés dans leur fonctionnement par une réglementation linguistique. Nous avons donc décidé d'analyser un échantillon spécifique de 50 entreprises de ce type: 41 ont collaboré à notre enquête; parmi ces entreprises, 20 étaient de propriété canadienne et 21 de propriété étrangère.

Le chiffre d'affaires de ces entreprises en 1976 totalisait $22,2 milliards. La répartition géographique des ventes était approximativement la suivante: Québec 22.0%; reste du Canada 52.3% et à l'étranger 25.7%. Elles employaient en moyenne 688 personnes à leur siège social au Québec.

Les informations que nous avons pu obtenir sur leur personnel sont présentées au tableau 6.

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En moyenne, 45.3% des cadres oeuvrant au siège social de ces entreprises ont une connaissance d'usage de la langue française.

Le tableau 8 présente la répartition de ces sièges sociaux sur une grille similaire à celle adoptée dans la section précédente.

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Selon le tableau ci-dessus, 17 entreprises tirent moins de 25% de leur chiffre d'affaires au Québec; seulement 3 en tirent plus de 50%. Dans 5 autres entreprises, moins de 25% des cadres ont une connaissance d'usage du français; dans 16 entreprises, ce taux est de 20% à 50%.

Essayons donc de comprendre la problématique du choix d'un mode d'adaptation à une loi linguistique telle qu'elle se présente à ces entreprises et sièges sociaux. Il semble, en premier lieu, que quelle que soit la répartition géographique des ventes, les sièges sociaux où la présence francophone parmi le personnel est élevée pourront amorcer sans trop de difficultés la préparation d'un programme de francisation, pourvu que soit reconnu l'effet des relations commerciales administratives et techniques. Quelle que soit l'importance de la présence francophone au sein du personnel au siège social, les entreprises dont la majorité des ventes est réalisée au Québec, auront un intérêt réel, notamment au plan économique, à amorcer l'élaboration d'un programme de francisation. Hélas, le problème s'avère fort différent pour les entreprises situées dans la section sud-ouest du tableau 8: la présence francophone y est faible et les ventes et usines y sont de caractère "extra-québécois" (entreprises pour lesquelles les ventes au Québec représentent moins de 50% du total et où l'usage du français est inférieur à 50%). Elles pourraient à titre d'exemple et sans trop de frais, procéder aux modifications structurelles qui suivent: création d'une division québécoise, soustraction d'activités du siège social et même relocalisation du siège social. 3. Les entreprises à haute technicité

Par entreprises à haute technicité, nous entendons les entreprises qui oeuvrent principalement dans des domaines où la technologie utilisée et les types de produits fabriqués peuvent être qualifiés de pointe et où la recherche prend une place importante. Afin de constituer notre échantillon, nous avons

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analysé la liste des 331 entreprises ayant plus de 500 employés au Québec, de même que le "Survey o* Industrials" du Financial Post. Parmi les entreprises à haute technicité, nous avons constitué un échantillon de 19 entreprises. Douze ont collaboré à notre enquête. Le volume d'activité et l'origine géographique des revenus de ces 12 entreprises sont décrits dans le tableau suivant.

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Si l'on tient compte uniquement des cadres (selon la définition déjà donnée), plus de 63% (soit 3,851 sur 6,045) travaillent au Québec alors que près de 46% d'entre eux (1,789 sur 3,851) travaillent au Québec au niveau des sièges sociaux et des bureaux chefs des divisions québécoises. Le pourcentage de ces 1,789 cadres qui ont une connaissance d'usage du français équivaut à environ 60%.

Afin de mieux saisir l'importance du pourcentage des ventes ou des actifs détenus au Québec et, d'autre part, de la présence francophone, nous avons dressé une taxonomie tenant compte de ces deux variables. (Tableau II). Presque toutes ces entreprises effectuent plus de 75% de leurs ventes à l'extérieur du Québec alors que la présence francophone varie d'un niveau très faible à un niveau très élevé. Il est donc facile de constater à priori que certaines de ces entreprises auront des difficultés, du moins au siège social, à préparer des programmes de francisation. 4. Les entreprises ayant plus de 2,000 employés au Québec

Nous avons identifié 42 entreprises ayant plus de 2,000 employés au Québec. Parmi ce groupe, 28 ont collaboré à notre enquête. De ce nombre, 25 ont leur siège social au Québec.

En 1976, le chiffre d'affaires réalisé par ces entreprises s'élevait à $19 milliards dont 18.7% provenait du Québec, 58.3% du reste du Canada et 23% d'exportations à l'étranger. Les informations recueillies concernant le personnel de ces entreprises sont présentées au tableau 12.

Référer à la version PDF page CLF-870

Nous avons de plus constitué une taxonomie (tableau 13), tenant compte des variables suivantes: soit le pourcentage des ventes réalisées au Québec et, d'autre part, soit le pourcentage des cadres oeuvrant au siège social au Québec et ayant une connaissance d'usage du français.

Sur les 28 entreprises, 13 effectuent moins de 25% de leurs ventes au Québec. Dans 17 d'entre elles, moins de 50% des cadres oeuvrant au siège social ont une connaissance d'usage du français.

Encore une fois, bon nombre d'entreprises se retrouvent dans la partie sud-ouest du tableau. Ce groupe se caractérise par une présence francophone relativement faible au niveau du siège social et par des ventes extra-québécoises élevées. Ces entreprises éprouveront vraisemblablement des difficultés à élaborer des programmes de francisation. Enfin, d'autres entreprises pourront avoir un intérêt économique à préparer des programmes de francisation ou encore, pourront le faire sans trop de difficultés vu l'importance de la présence francophone dont elles jouissent au niveau du siège social.

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5. Les sociétés de services professionnels

II nous est apparu important de poursuivre notre enquête auprès des sociétés de services professionnels. Compte tenu de la taille habituelle de ces entreprises, on comprend qu'elles n'aient pas été représentées dans les échantillons précédents. Nous avons donc constitué un échantillon spécifique de sociétés de services professionnels ayant un rayonnement extra-québécois. Cet échantillon groupait 10 entreprises dont 8 ont collaboré à notre enquête. Ces 8 entreprises oeuvrent dans des domaines aussi variés que l'ingénierie-conseil, le placement, le courtage en valeur mobilière et l'informatique, et sont toutes d'appartenance canadienne.

En 1976, le chiffre d'affaires de ces 8 entreprises totalisaient $376 millions dont 50% environ provenait du Québec. Les employés se répartissaient comme suit:

Le nombre de personnes ayant une connaissance d'usage du français au niveau de la catégorie des 354 cadres oeuvrant au siège social s'établissait à 272, soit près de 77% du total. 6. Les centres de recherche industrielle

Un inventaire des centres de recherche industrielle au Québec a été établi à partir du répertoire des centres canadiens de recherche-développement industriel de 1973 (1). Ce répertoire est constitué de 152 unités de recherche et développement, lesquelles emploient 2,375 scientifiques et ingénieurs. Afin de distinguer les laboratoires de recherche industrielle des laboratoires de contrôle de qualité de la fabrication, nous n'avons retenu que les centres de recherche industrielle ayant 15 ingénieurs ou scientifiques à leur emploi. Nous en avons identifié 30. De ce nombre 20 centres furent choisis au hasard afin de constituer notre échantillon; 19 centres ont collaboré à notre enquête.

(1) Répertoire des Centres Canadiens de Recherche et Développement Industriel (1973).

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Parmi ces 19 centres, 13 font partie d'entreprises à appartenance canadienne et 6 appartiennent à des étrangers. En 1976, le budget d'opération de ces 19 centres s'élevait à $104.4 millions. Ces 19 laboratoires utilisent les services de 3 catégories de personnel, soit des ingénieurs et scientifiques, des techniciens et du personnel de support dans les proportions suivantes:

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Quant à l'importance des centres de recherche industrielle au Québec, les faits suivants sont éloquents. En 1973, au Québec, plus de $133 millions étaient affectés aux 274 unités de recherche et développement.(1), soit 30.2% des dépenses totales canadiennes en recherche et développement. Le Québec comptait 25.6% de toutes les unités de recherche et développement localisées au Canada. Durant la même année, les 274 unités en cause utilisaient les services de 2572 professionnels (scientifiques et ingénieurs), soit 32.4% de tous les professionnels qui oeuvraient en 1973 dans les centres de recherche et développement industriel canadiens. Le répertoire des centres canadiens de recherche dénombrait 92% de tous les scientifiques et ingénieurs engagés dans la recherche industrielle au Québec. A cette même date, les 30 centres les plus importants au Québec regroupaient 2006 ingénieurs et scientifiques, soit près de 78% de tous les ingénieurs et scientifiques oeuvrant dans ce secteur au Québec. Il est également important de souligner l'étroite relation qui existe entre la localisation du siège social et celle du centre de recherche. En fait, dans le cas des 28 grands centres privés, 25 sont intégrés à des entreprises ayant leur siège social au Québec; deux entreprises, qui ont un centre de recherche au Québec, ont leur siège social à l'extérieur du Québec; pour ce qui est du vingt-huitième centre, il s'agit d'un centre de recherche industrielle financé par un consortium d'entreprises dont un certain nombre ont leur siège social au Québec.

(1) Statistique Canada 13-203

C - Quantification de l'impact en termes d'emplois

La quantification de l'impact en termes d'emplois pose un problème difficile d'évaluation. Il est cependant possible d'en déterminer approximativement l'ampleur en analysant les difficultés rencontrées par chaque type de groupe organisationnel pour s'adapter aux programmes de francisation et les coûts pour l'entreprise que représente l'adoption des mesures visant à se soustraire de l'application de la Loi. A cet égard, nous avons construit un modèle "prédictif" pour quantifier cet impact. 1. Un modèle "prédictif" de comportement

Au chapitre V, nous avons analysé les effets qu'entraîneraient les deux scénarios chez les différents types de groupes organisationnels. Suite à cette analyse, nous avons établi des grilles de probabilité afin de projeter et de prédire les comportements dysfonctionnels de soustraction organisationnelle et de mutation d'activités. Au cours de l'enquête, nous n'avons pas demandé (d'aucune façon) aux entreprises ce qu'elles entendaient faire si la législation était adoptée, sans amendement ou après amendement. Nous avons préféré évaluer, en fonction de critères objectifs, les comportements des entreprises. Ces comportements dysfonctionnels nous permettent ensuite de quantifier l'impact économique en termes d'emplois.

En premier lieu, nous avons établi deux catégories distinctes: (a) les groupes d'exploitation et les sièges divisionnaires et (b) les groupes d'exploitation à haute technicité, les sièges sociaux et les centres de recherche.

Catégorie (a)

II est très peu probable que des comportements dysfonctionnels au niveau des groupes d'exploitation et des ièges divisionnaires se traduisent par des pertes d'emploi. Même si l'entreprise réorganise ses structures, il y aura peu de mutation de postes. Toutefois, sont inclus dans ces groupes certains services qui pourraient être mutés au siège divisionnaire et au siège social si la Loi n'est pas modifiée. Il s'agit par exemple des services d'informatique, de crédit et de comptabilité. Certains de ces sièges sociaux ou divisionnaires seront au Québec, d'autres à l'extérieur du Québec.

Une analyse, entreprise par entreprise dans l'échantillon aléatoire, de ces mutations et de leur impact sur l'emploi au Québec nous incite à croire que dans les groupes d'exploitation, la probabilité que les comportements dysfonctionnels amèneraient des pertes d'emploi serait de 0.2% si la Loi n'est pas amendée. Ce chiffre est très faible (2 emplois sur 1000). Au niveau des sièges divisionnaires, la probabilité est légèrement plus élevée. Une bonne partie des sièges divisionnaires de l'Est du Canada seront fort probablement restructurés. En conséquence, on ne retrouvera pour le Québec que des sièges divisionnaires. Par contre, en termes d'emplois, l'effet est minime; nous estimons que la probabilité n'est que de 0.035, que ces modifications conduisent à des pertes d'emploi pour le Québec. Par contre, si la Loi est amendée dans le sens de nos suggestions, nous ne prévoyons pas de comportements dysfonctionnels. En conséquence, les "pertes" d'emploi seraient nulles.

Catégorie (b)

Les autres groupes organisationnels, qui représentent environ 15% des effectifs dans les entreprises de 500 employés et plus, seront plus durement affectés par la Loi no 1, qu'elle soit amendée ou non. En conséquence, les probabilités de comportements dysfonctionnels sont plus élevées. Compte tenu du contenu de chaque scénario, nous avons construit pour cette catégorie de groupes deux matrices de probabilité en fonction d'une part, de la présence francophone au sein des groupes et, d'autre part, de leur rayonnement extérieur au Québec. Appliquées aux emplois, ces matrices permettent d'estimer le nombre d'emplois qui disparaîtraient suite à l'adaptation aux deux scénarios de législation linguistique.

Comme nous l'avons déjà mentionné, deux variables ont été utilisées pour construire la grille: a)les relations avec l'extérieur du Québec, mesurées par le pourcentage des revenus de l'entreprise réalisés hors du Québec b)le taux de présence francophone au sein des cadres du groupe

Plus les relations avec l'extérieur du Québec sont importantes et plus la présence francophone chez les cadres est faible, plus la probabilité est élevée que les groupes organisationnels mutent des emplois stratégiques hors du Québec et, de ce fait, réduisent ainsi leur personnel au Québec. Pour chaque situation possible, un intervalle probabiliste a été retenu. Ainsi, un intervalle de 0.50 à 0.75 indique qu'un emploi dans cette catégorie de groupes organisationnels a une probabilité entre 50% et 75% d'être perdu pour le Québec en raison de soustractions organisationnelles et de mutations de postes. Dans un groupe organisationnel où seulement 10% des cadres s'expriment en français et dont 90% des revenus sont réalisés hors du Québec, les probabilités d'adaptation dysfonctionnelles sont très élevées. Il faut se rappeler à cet égard les différents modes d'adaptation décrits au chapitre précédent.

Les tableaux 18 et 19 décrivent les intervalles probabilistes que nous avons établis suite à l'analyse détaillée des situations de chaque groupe organisationnel dans l'un et l'autre scénario.

Référer à la version PDF page CLF-875

* - On peut interpreter cette probabilité comme étant la proportion des "postes" dans une catégorie donnée qui serait éliminée suite S des ajustements d'entreprises dans cette catégorie (i.e., restructuration, déplacement de sièges sociaux, etc.)

Référer à la version PDF page CLF-876

A prime abord, certains de ces intervalles probabilistes peuvent sembler élevés. En fait, ils ne s'appliquent qu'à un nombre très limité d'établissements au Québec. Au départ, tous les groupes d'exploitation et les sièges divisionnaires, qui représentent près de 90% des effectifs dans les entreprises de 500 employés et plus, sont exclus de cette analyse. De même tous les groupes où 75% des cadres ont une connaissance d'usage du français s'adapteront à la Loi sans aucune modification structurelle: d'où la probabilité nulle de perte d'emplois puisque nous n'anticipons alors aucun comportement dysfonc-tionnel. Les groupes organisationnels où la probabilité de comportement dysfonctionnel est la plus élevée sont ceux où la présence francophone chez les cadres est très faible (0% à 25% des revenus). Si la Loi n'est pas amendée, on peut prévoir des comportements dysfonctionnels dans ces groupes (qui sont, par contre, relativement peu nombreux). Des mutations de postes stratégiques et des soustractions organisationnelles occasionnent des pertes d'emploi. Les probabilités de comportement dysfonctionnel diminuent toutefois à mesure que s'élèvent la présence francophone et la part des revenus tirés du Québec. Les différences entre les intervalles probabilistes des deux scénarios tiennent compte de l'impact différent des programmes de francisation et des exigences linguistiques de chacun des scénarios.

En ce qui a trait à la matrice de probabilité afférente au scénario alternatif, il est bon de remarquer que nous avons retenu des probabilités assez élevées. En effet, quels que soient les amendements apportés à la Loi, il demeure qu'à court terme, certains comportements dysfonctionnels seront choisis par certains dirigeants d'entreprise. Or, nous prévoyons que les décisions dysfonctionnelles seront prises dans un avenir assez prochain, soit d'ici trois ou quatre ans au plus. 2. La perte d'emplois directs

Ces deux matrices de probabilités ont été appliquées aux distributions des différentes catégories de groupes organisationnels (sièges sociaux, centres de recherche et haute technicité). La probabilité médiane de chaque intervalle fut choisie pour fins de calcul. Les résultats sous forme de pertes d'emploi, sont présentés au tableau 20. Nous y présentons aussi les pertes d'emploi dans les groupes organisationnels d'exploitation et dans les sièges divisionnaires. "Perte" d'emploi, dans le contexte de cette analyse, ne signifie pas nécessairement départ de personnes ou mise à pied et ne devrait pas être interprétée comme tel. Nous reviendrons sur ce point plus loin.

Si la loi n'était pas amendée, il s'ensuivrait une "perte" d'emploi de l'ordre de 13 000 dans les entreprises de 500 employés et plus, contre environ 6300 emplois "perdus" si la Loi était amendée. La différence est de l'ordre de 7500 emplois. Ces résultats doivent être analysés dans une certaine perspective. Plusieurs éléments définissent cette perspective. a) Les entreprises de 500 employés et plus comptent au Québec quelque 500 000 employés, selon nos estimés. Les "pertes" d'emploi résultant des adaptations dysfonctionnelles seront inférieures à 3% dans ces entreprises. Des amendements à la Loi pourraient diminuer de plus de moitié ces "pertes".

b) Les "pertes" seront concentrées dans les secteurs bien particuliers: sièges sociaux (13% des emplois) et surtout dans les établissements à haute technicité et les centres de recherche (plus de 20% des emplois dans ces secteurs, au niveau de l'entreprise de 500 employés et plus). c)Les "pertes" d'emploi de cadres seront substantielles. Bien que les cadres ne forment qu'une faible partie de la main d'oeuvre (environ 10% selon la définition retenue pour les fins de l'analyse des résultats de l'enquête), plus de 35% des postes "perdus" seront des postes de cadres. d) Ces "pertes" d'emploi ne doivent pas être interprétées comme des départs ou des mises à pied de personnes. Un nombre de cadres et d'employés du bureau seront mutés hors du Québec. Cependant, la majorité des emplois seront "perdus" par attrition. Suite à une réorganisation de structure, les employés seront mutés à d'autres fonctions. L'entreprise, comptant momentanément un surplus de personnel, cessera de recruter du personnel jusqu'à ce que le rythme normal d'attrition absorbe le surplus. Il va toutefois sans dire qu'un certain nombre de mises à pied sont concevables. e)L'impact se fera sentir relativement rapidement dans les quelques années qui suivent la promulgation de la Loi. f) Nous avons été volontairement pessimistes dans l'établissement des probabilités de comportements dysfonctionnels si ce Projet de loi était amendé. Ceci a été fait sciemment dans le but d'estimer de façon conservatrice le "coût" associé au premier scénario. Ce coût est la différence entre les "pertes" d'emploi sous chaque scénario. Dans l'entreprise de 500 employés et plus, ce "coût" est de l'ordre de 6000 emplois directs. A bénéfices égaux, ce coût est véritable. Si quelqu'un juge que les bénéfices des deux scénarios ne sont pas les mêmes, la question importante est de savoir si la différence vaut 6000 emplois. Mais avant de poser cette question, nous devons toutefois analyser l'impact global des deux scénarios. Pour ce faire, il faut se pencher sur le cas des entreprises de moins de 500 employés et sur les entreprises de services à l'entreprise. 3. Les entreprises de moins de 500 employés

Nous estimons qu'environ 1 700 000 Québécois, sur les 2 500 000 travailleurs ayant un emploi, sont employés par le "secteur privé". Nous incluons dans le secteur privé tout ce qui est hors du secteur public et parapublic. Il existe environ 50 000 agriculteurs, ce qui laisse environ 1 650 000 travailleurs employés par des entreprises, des sociétés, des coopératives ou à leur compte dans le secteur privé, hors de l'agriculture.

De ces 1 650 000 travailleurs, environ 700 000 sont employés par les quelque 2400 entreprises qui comptent au Québec de 100 à 500 employés et 500 000 dans les quelque 230 entreprises ayant plus de 500 employés au Québec. Ceci laisse dont 450 000 travailleurs autonomes ou à l'emploi d'entreprises, coopératives ou sociétés ayant moins de 100 employés.*

Le passage d'une loi linguistique suscitera des comportements dysfonctionnels chez les entreprises de 100 à 500 employés. Selon divers estimés, dont ceux d'Arnaud Sales, moins de la moitié des entreprises manufacturières de cette taille seraient de propriété et de direction francophone. De même, le quart d'entre elles seraient des divisions ou des filiales d'entreprises étrangères.

Par contre, on ne peut s'attendre à ce que les comportements dysfonctionnels aient un impact aussi élevé dans ces entreprises que dans les grandes entreprises.

Premièrement, la taille réduite de l'entreprise est généralement associée à un rayonnement beaucoup plus local. Les comportements dysfonctionnels sont grandement favorisés par la présence d'établissements de l'entreprise ailleurs au Canada. Or, les entreprises de 100 à 500 employés au Québec sont rarement dans cette situation.

Deuxièmement, l'importance relative des activités d'exploitation varie de façon inversement proportionnelle avec la taille. Les activités de recherche et de coordination, plus susceptibles d'être touchées par des comportements dysfonctionnels, sont moins importantes dans ces entreprises.

En utilisant des probabilités beaucoup plus conservatrices que pour les entreprises de 500 employés et plus, nous estimons qu'environ 2000 emplois seront "perdus" dans ces entreprises, dont le tiers dans des activités d'exploitation. Environ 40% des emplois seront des postes de cadres. Par contre, si la Loi était amendée, les "pertes" d'emploi se situeraient au plus à 500. Compte tenu de l'importance en terme d'effectif de ce groupe d'entreprises, la "perte" d'emploi est substantiellement moindre que dans la grande entreprise. Le taux de "perte" n'y est que de 0.3% contre 2.6% dans le cas de la grande entreprise ayant plus de 500 employés au Québec.

Quant aux entreprises de moins de 100 employés, l'impact direct en termes d'emploi sera négligeable et il ne fut pas estimé. 4.Les services professionnels.

Les entreprises font appel à différentes sociétés de services professionnels. Si le niveau d'activité des entreprises baisse suite à des adaptations dysfonctionnelles, il s'ensuivra une baisse de deman- * - Ces estimés ont été obtenus par les économistes de SECOR. La précision quant aux nombres de travailleurs est de l'ordre de plus ou moins 10%. La précision quant aux nombres d'entreprises est de l'ordre de plus ou moins 5%.

des pour ces services. Pour estimer l'impact des comportements dysfonctionnels sur la demande dérivée, nous avons établi un rapport entre, d'une part, les entreprises et, d'autre part, les sociétés de services professionnels aux entreprises. Le rapport a été établi entre le nombre de cadres dans l'entreprise et le nombre de professionnels à qui elle fait appel. Ce rapport a été estimé être de l'ordre 40:1. Une entreprise ayant à son service 1000 cadres retiendrait dans une année, l'équivalent de 25 professionnels: avocats, actuaires, conseillers en gestion, vérificateurs, etc. Nous avons aussi estimé que pour chaque emploi professionnel, on comptait aussi un poste d'employé de bureau.

Ceci nous permet donc d'établir les "pertes" d'emploi associées à la demande dérivée à 5% des "pertes" d'emploi de cadres, ces "pertes" se divisant également entre emplois de cadres (professionnels) et autres emplois. L'application de ce rapport donne des "pertes" d'emploi de l'ordre de 250 et 130, selon que le Projet est amendé ou non. Evidemment, ces pertes ne signifient pas nécessairement des mises à pied, mais d'abord et avant tout, une réduction du niveau d'activités. 5. Conclusion

Le long exercice de quantification auquel nous nous sommes livrés visait un objectif important: comparer deux options. Les amendements proposés au chapitre IV changent de façon substantielle, non pas l'objectif visé, ni l'échéance de sa réalisation, mais d'abord et avant tout, ses modalités de réalisation. En emplois directs et immédiats, la version originale et la version modifiée de la Loi diffèrent par environ 8000 emplois, selon le calcul auquel nous nous sommes livrés. Nous reconnaissons que ce calcul est approximatif mais nous sommes confiants dans sa robustesse.

De cet exercice, se dégagent les points suivants. -Les réactions dysfonctionnelles à la Charte de la langue française auront des effets directs sur le niveau des activités des entreprises au Québec. Une quinzaine de mille emplois disparaîtront suite à ces comportements non souhaités, d'ici quelques années. - Les sièges sociaux des grandes entreprises, les centres de recherche et les établissements à haute technicité, seront les établissements les plus affectés. Dans le cas des deux derniers types d'établissement, nos calculs indiquent une baisse importante des activités au Québec. - Par contre, dans l'entreprise de moins de 500 employés, l'application de la Loi no 1, telle que proposée, n'amènera pas de comportements dysfonctionnels se reflétant directement en perte d'emplois susbtantielle. Moins de 20% des "pertes" d'emploi s'y retrouvent malgré qu'on retrouve dans ces entreprises les deux tiers des emplois du secteur privé. - Toute législation visant à promouvoir dans toutes les entreprises, une utilisation accrue du français, ne peut que susciter chez certaines entreprises des comportements dysfonctionnels. Ces entreprises sont généralement caractérisées d'une part, par un faible taux de présence francophone, et d'autre part, par une présence plus ou moins forte hors du Québec (et particulièrement, ailleurs au Canada). Par le biais d'activités ailleurs au Canada, ces entreprises, sous la pression implicite ou explicite de leurs cadres non francophones, sont amenées à soustraire des activités de leurs établissements. - Des restrictions quant à l'usage du français comme langue instrumentale et les difficultés à amener au Québec une main d'oeuvre hautement qualifiée mais non francophone, influencent aussi le comportement des entreprises. -Une loi plus nuancée et plus explicite dans ses applications, une approche plus participative à l'administration du changement social que vise la Loi et des conditions d'accueil plus libérales pour les travailleurs hautement spécialisés atténueraient les conséquences non souhaitées de la Loi. En ce sens, les amendements que nous proposons, diminueraient substantiellement les effets négatifs directs de la Loi.

On ne peut toutefois limiter notre examen comparatif des deux scénarios à ces "coûts" directs. Les "coûts" de chaque scénario se répercuteront sur l'ensemble de l'économie québécoise, d'une part par l'effet bien connu du multiplicateur et d'autre part, par des perspectives très différentes quant au potentiel de croissance des secteurs les plus touchés. C'est ce que nous examinons au prochain chapitre.

CHAPITRE VII Autres effets d'une loi linguistique

Le chapitre précédent rend compte de l'impact organisationnel direct en termes d'emploi de l'un et l'autre scénario de loi linguistique. Cet essai d'analyse indique que, dans une large mesure, cet impact direct se ferait sentir au niveau de certains groupes organisationnels à rayonnement extraquébécois. Nous avons constaté que dans un effort pour s'adapter aux exigences de la réglementation linguistique, certaines entreprises mettraient en marche des processus de modifications des structures et de répartition des activités. Ces actions entraîneraient, en courte et en longue période, des déplacements d'emplois du Québec (plus particulièrement ceux des cadres) vers l'extérieur du Québec. Cet exercice nous a permis de quantifier en termes d'emplois les coûts directs.

Nous avons voulu, dans ce septième chapitre, rassembler un certain nombre d'effets indirects d'une législation linguistique. Il apparaîtra immédiatement au lecteur que l'analyse de ces effets secondaires ne constitue pas l'essentiel de ce rapport. Compte tenu des délais et de notre expérience particulière, il nous a semblé plus utile de faire porter notre analyse sur l'impact organisationnel d'une loi linguistique. Cependant, une telle intervention a des ramifications multiples et complexes auxquelles nous avons voulu faire allusion dans ce chapitre.

Les effets indirects dont nous traiterons, parfois fort brièvement, au cours de ce chapitre sont les suivants: 1. L'impact global sur l'économie québécoise 2. L'impact sur les petites et moyennes entreprises au Québec 3. L'impact régional 4. Les effets sur la croissance économique du Québec 5. Les ressources économiques affectées au processus de francisation 6. Les effets sur l'offre et la demande de cadres résultant de la francophonisation des entreprises. 1. L'impact global sur l'économie québécoise en termes d'emploi

Le déplacement d'activités aura un effet d'entraînement sur l'économie du Québec. Les activités déplacées sont dans la majorité des cas des activités de base qui soutiennent d'importantes activités indirectes. Les spécialistes de l'économie régionale ont étudié en profondeur la relation entre les activités de base dans une économie et les activités indirectes. Les activités de base sont en quelque sorte autonomes. Elles ne sont pas nécessairement tributaires d'une demande locale. Déplacées, elles ne sont pas nécessairement remplacées. L'impact que nous avons étudié au chapitre précédent porte précisément sur des activités de base.(1) II faut se rappeler que la grille des probabilités d'adaptations dysfonc-tionnelles accordait une probabilité élevée de recours à des adaptations dysfonctionnelles si les activités de l'entreprise étaient concentrées à l'extérieur du Québec. Dans un certain sens, on peut donc considérer, par exemple, les dépenses des sièges sociaux de ces entreprises au Québec comme des revenus d'exportation car les dépenses encourues par le siège social sont supportées par toute l'entreprise.

Les activités indirectes résultent d'une demande locale. Les services offerts à l'individu, le commerce de détail et la construction domiciliaire sont des exemples d'activités indirectes. Les activités visant à offrir ces services (construction commerciale, transport, commerce de gros, services financiers) sont aussi des activités indirectes.

Tout changement dans le niveau des activités de base amène des changements dans les activités indirectes. La "perte" de 15 000 emplois se traduira par une diminution de l'emploi dans le secteur indirect. Le rapport dynamique entre le niveau d'emplois de base et le niveau total d'emploi s'appelle le multiplicateur d'emploi. La valeur du multiplicateur d'emploi variera selon la structure de l'économie, la nature de l'activité de base, le degré d'intégration avec l'extérieur et avec sa taille. Des études empiriques de Grieg et Wagstaff au Royaume-Uni et de Terry et Thompson aux Etats-Unis donnent des multiplicateurs d'emploi variant de 1.9 à 2.7, selon les caractéristiques des régions étudiées. Compte tenu de la structure de l'économie québécoise, un changement dans des activités de base de sa métropole peut être associé à un multiplicateur d'emploi d'une valeur de 2.0. Un tel multiplicateur apparaît justifié et suffisamment conservateur. Les "pertes" totales de l'économie sous chaque scénario se situeraient donc à 30 000 et 14 000.

(1) La demande dérivée pour les services professionnels est un phénomène de la base économique. Ces services sont étroitement intégrés aux activités de base et ne sont pas considérées comme des activités indirectes par le flux des revenus.

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Nous avons tenté de traduire ces diminutions d'emploi en termes de revenu personnel. Cet exercice n'est donc qu'à titre d'illustration. Les chiffres que nous avancerons représentent en quelque sorte le revenu de travail dont pourraient jouir collectivement les Québécois si ces emplois productifs existaient ou encore la valeur de la production des personnes qui occuperaient ces emplois au Québec. Ces pertes de production économique pourraient être partiellement compensées par des paiements de transfert net venant de l'extérieur du Québec au titre des mesures d'assistance au revenu.

Pour les fins du calcul, nous avons établi le revenu annuel moyen d'un cadre à $22 000 et le revenu annuel moyen des autres travailleurs à $11 000, ce qui nous apparaît assez conservateur, compte tenu de la nature des emplois "perdus". Le tableau suivant en présente les résultats.

Ces impacts, en valeurs absolues, représentent moins de 1% de la valeur de la production intérieure nationale du Québec, qui croît par ailleurs à un rythme annuel supérieur en moyenne à 4%. Par contre, les différences d'impact entre les deux scénarios méritent de retenir l'attention. L'exercice de quantification permet de placer la comparaison des deux alternatives dans une juste perspective. Quelques considérations viennent immédiatement à l'esprit. 1. Non seulement les cadres mais aussi les travailleurs sont touchés par ces pertes d'emploi. En termes de choix social, le tableau 1 illustre très bien une réalité qu'on méconnaît trop souvent, faute d'analyse détaillée. Les cadres sont touchés par cette baisse de l'activité économique. Par contre, les "autres" sont sensiblement plus touchés. Dans les deux cas, les "pertes" d'emplois "cadres" représentent moins de 30% des emplois disparus, malgré qu'à la source de ces "pertes" se trouvent en grande majorité des transferts de postes de cadres. 2. L'impact sur les membres des deux groupes linguistiques sera vraisemblablement différent de ce qu'on pourrait croire à prime abord. Il serait possible de croire que l'impact économique de la législation linguistique affectera surtout les cadres anglophones et moins les travailleurs francophones. Une telle analyse ne tient pas compte de l'effet multiplicateur. En effet, la composition linguistique de la main d'oeuvre de Montréal est approximativement 70% francophone, 30% anglophone. Ainsi, l'impact indirect sera ressenti principalement par des francophones. Un court calcul que l'impact indirect sera probablement plus prononcé, en valeur absolue, chez les francophones que chez les anglophones, en termes de diminution d'emploi. 3. Sur le plan fiscal, les économistes de SECOR ont estimé que les revenus annuels perçus par le gouvernement provincial uniquement au chapitre de l'impôt sur le revenu des individus baisseraient d'une centaine de millions selon le premier scénario et de moins de cinquante selon le second. En termes de revenu fiscal, l'alternative signifie un gain supérieur à $50 millions par année.

2. L'impact sur les P.M.E.

La législation linguistique touche toutes les entreprises de plus de 50 employés au Québec. C'est dire qu'elle englobera le secteur de la P.M.E. Certaines statistiques générales portant sur les caractéristiques des P.M.E. du secteur manufacturier nous permettent de soulever quelques questions quant à l'impact des deux scénarios sur ces entreprises. Examinons quelques faits. 1.Les P.M.E. du secteur manufacturier occupent une place importante dans notre économie. En 1973, on comptait dans ce secteur 6556 établissements de petite et moyenne taille qui employaient 193 815 personnes, ou 49.5% de l'emploi dans le secteur manufacturier. On retrouve à Montréal 52% des P.M.E. du Québec. 2. La propriété et la direction générale de ces entreprises est en partie importante anglophone. Les données de l'enquête de Sales portant sur des entreprises ayant moins de 500 employés au Québec, montrent que dans 60% de ces entreprises, le cadre de plus haut niveau n'est pas canadien-français. En ce qui concerne la propriété, le pourcentage de non Canadiens-français est encore plus élevé. 3. L'étude REDEX (1) démontre que pour 24% des P.M.E. les exportations à l'extérieur du Canada représentent plus de 10% de leur chiffre d'affaires, alors que pour 24% des P.M.E., plus de 90% de leur chiffre d'affaires provenait du Québec. Pour 56% des P.M.E., le marché canadien représente 90% du chiffre d'affaires. De plus, cette étude montre que les P.M.E. anglophones exportent leurs produits à l'extérieur du Québec dans une proportion beaucoup plus élevée que les P.M.E. francophones. 4. La P.M.E. de la région de Montréal se caractérise par le fait que dans une grande proportion elle loue ses locaux plutôt que de les acheter. Dans une étude récente effectuée pour le compte de la Chambre de Commerce de Montréal, il fut déterminé qu'à Montréal, 50% des P.M.E. louaient leurs locaux alors que ce n'était le fait que pour 10% des P.M.E. ailleurs au Québec.

De nombreuses dispositions du Projet de loi no 1 affecteront le fonctionnement des P.M.E. à direction anglophone. Nous pensons en particulier à la nécessité de définir les postes bilingues, les contraintes sur le recrutement de cadres et de professionnels de l'extérieur du Québec et la discrétion laissée à l'Office. Il faut bien voir également qu'en termes relatifs, la traduction des documents impose plus de coûts à ces entreprises qu'aux grandes entreprises. Il faut donc prévoir que certaines P.M.E. à direction anglophone effectueront des adaptations dysfonctionnelles qui, compte tenu de leur taille, signifieront dans bien des cas le déplacement complet des opérations.

Il ressort du portrait des P.M.E. dépeint ci-dessus que celles-ci pourraient être beaucoup plus touchées qu'on ne le croit généralement par le projet de législation linguistique. Il apparaît également que celles qui seront affectées le plus par la législation sont beaucoup plus mobiles qu'on aurait pu le croire. Cependant, il est assez difficile de porter un jugement sur l'impact direct des scénarios de législation linguistique sur ces entreprises. Il suffit de noter que pour chaque 1% de ces établissements localisés àMontréal qui quittent le Québec (environ 30 P.M.E.), environ 1700 emplois directs sont perdus, soit un total de 3400 emplois si on utilise un multiplicateur de 2. Dans cette perspective, notre estimation du chapitre précédent, à l'effet que le Québec pourrait perdre environ 2000 emplois de ce secteur apparaît comme conservatrice. 3. L'impact régional

L'impact direct résultant d'adaptations dysfonctionnelles par les grandes entreprises se fera surtout sentir dans la région de Montréal. La nature des emplois directs "perdus" au Québec ne laisse aucun doute. Par exemple, nous avons indiqué précédemment que 72 sièges sociaux des 105 plus grandes entreprises du Québec étaient localisés dans cette province. De ce nombre, 60 (83%) sont localisés à Montréal. Notre enquête auprès des 41 sièges sociaux à rayonnement extra-québécois a indiqué que 11 880 cadres oeuvraient dans ces sièges sociaux, dont 11 830 à Montréal.

On pourrait faire la même démonstration pour les groupes d'exploitation à haute technicité, les entreprises de services professionnels à envergure nationale et internationale et pour les centres de recherche industrielle. En ce qui concerne ces derniers, 23 des 28 plus grands centres privés sont localisés dans la région de Montréal.

L'impact direct résultant d'adaptations dysfonctionnelles par les P.M.E. se fera également surtout sentir dans la région de Montréal. Les P.M.E. anglophones y sont localisées dans une très large mesure. Les P.M.E. de la région de Montréal sont beaucoup plus mobiles parce que dans 50% des cas, elles louent plutôt que d'acheter leurs locaux. Finalement, les P.M.E. anglophones sont beaucoup moins dépendantes du marché du Québec. Cependant, la main d'oeuvre qualifiée dont dépendent certaines de ces entreprises peut être un frein important à leur déplacement.

(1) Chambre de Commerce de la Province de Québec, "Enquête sur le potentiel d'exportation des P.M.E. au Québec (REDEX)".

En ce qui concerne les "pertes" indirectes, la détermination de l'impact régional est moins claire. En effet, bien qu'il faille s'attendre à ce que Montréal supporte une part importante des "pertes" d'emplois indirects, les effets se feront également sentir dans les autres régions du Québec. L'impact indirect résulte de deux effets: une baisse dans les dépenses des ménages due aux pertes d'emplois (réduction de rémunération de travail) et une baisse dans les dépenses des entreprises qui offraient ces emplois.

Les analyses intersectorielles de l'économie du Québec nous donnent un certain éclairage sur cette question de l'impact régional. Selon ces analyses (1), la répartition régionale des effets d'un accroissement de $100 millions des dépenses courantes des ménages à partir de l'état initial de 1970 entraînerait la création de 3059 emplois à Montréal et 1492 dans le reste du Québec (48,7% de l'impact à Montréal).

Au tableau 1, nous avons indiqué que pour les "pertes" d'emplois directs, la différence entre les deux scénarios de législation en termes de valeur de rémunération au travail est estimée à $120 millions. Sur la base des analyses intersectorielles, on peut donc conclure que cette diminution de revenus entraînerait la perte de 1500 emplois "indirects" dans les régions du Québec (et 3000 à Montréal). Si nous faisons approximativement la même estimation de l'impact indirect, au niveau des régions, causé par la baisse dans les dépenses des entreprises qui offraient ces emplois "directs", il faut conclure qu'approximativement 40% de l'impact indirect total sera "supporté" par les régions du Québec alors que Montréal en supportera 60%. 4. Impact sur la croissance économique

La croissance économique en longue période est le résultat d'une part, de la croissance de facteurs de production tels que l'épargne-investissement, la main d'oeuvre, le progrès technique et l'éducation et, d'autre part, d'une volonté d'action exprimée par les multiples décisions des entrepreneurs et cadres et, à l'occasion, par un effort de planification par l'Etat.

Quel sera l'effet du Projet de loi no 1 sur la croissance économique du Québec, c'est là une question de taille. Nous tenterons d'esquisser quelques éléments de réponse. Nous avons estimé précédemment que la différence de "pertes" d'emploi entre le projet de loi sans modifications ou le scénario proposé se chiffrait à environ 16, 000 emplois. Tous ces emplois sont du secteur privé. Il n'est pas inutile de rappeler qu'entre 1975 et 1976, approximativement 20,000 emplois furent créés dans le secteur privé. Durant cette même période, le produit provincial brut réel augmentait de 4%, les dépenses d'immobilisation augmentaient de 10.7% pour atteindre $9.9 milliards, alors que le taux de chômage passait de 8.1% à 8.7%. On peut donc conclure qu'en termes de coût économique global, cette perte d'emplois correspond à environ 4% du PNB et nécessiterait des dépenses d'immobilisation substantielles pour les recréer.

S'il est une conclusion qui se dégage de ce document, c'est bien celle que c'est Montréal qui supportera une part importante du fardeau direct des adaptations dysfonctionnelles éventuelles. Afin de bien faire ressortir l'impact sur la croissance, il y a lieu d'examiner l'impact du Projet de loi no 1 sur les variables qui affectent la croissance d'une région.

Les divers facteurs permissifs ne donnent pas nécessairement lieu à une croissance économique. La croissance en longue période ne prend forme que si des entrepreneurs individuels ou des entreprises, exercent une fonction créatrice, c'est-à-dire, qu'ils deviennent des agents de progrès et d'innovation. Nous entendons par là qu'ils créent des entreprises ou des projets au sein d'entreprises existantes, par la combinaison de ressources humaines techniques et financières en vue de servir des marchés nouveaux.

Que pouvons-nous conclure, quant à l'impact du Projet de loi no 1 sur la croissance? Premièrement, les adaptations dysfonctionnelles prévues se font surtout sentir dans des types d'activités qui ont un impact marqué sur le rythme de croissance. Nous pensons en particulier aux centres de recherche industrielle, aux groupes d'exploitation à haute technicité et aux sièges sociaux à rayonnement extra-québécois. La disparition de ces emplois réduirait (a) la diversité de l'expertise disponible à Montréal et au Québec, (b) les ressources en "immobilisation" (laboratoires). Il s'ensuivrait donc une réduction dans le développement et l'introduction de nouveaux produits et une baisse du niveau des revenus par rapport à d'autres régions. Bref, une législation linguistique affecterait éventuellement surtout les fonctions d'entreprises qui déterminent la croissance économique.

Le Projet de loi no 1 aura des effets surtout chez les investisseurs et chez les entreprises en quête d'occasions d'investir. La législation linguistique n'empêcherait pas ces entreprises et les entrepreneurs d'investir au Québec dans les secteurs des richesses naturelles et des produits et des services orientés surtout vers le marché québécois. Cependant, il est difficile de voir comment dans un tel environnement, une entreprise canadienne ou internationale qui vise la totalité du marché canadien établirait son siège administratif au Québec.

(1) B.S.Q. et Laboratoire d'économétrie, Université Laval, "Le système de comptabilité économique du Québec", 1974.

La soustraction organisationnelle de certaines fonctions stratégiques priverait également les cadres francophones d'accès aux réseaux de communications intra-entreprises et d'envergure pan-canadienne et internationale. Ces réseaux d'information sont une qualité essentielle d'un pôle de développement. On voit clairement les conséquences de ces soustractions organisationnelles lorsque l'on reprend les données compilées par Maurice Sauvé portant sur les 105 plus grandes entreprises au Québec et qu'on les subdivise en deux groupes: celles ayant leur siège social au Québec et celles ayant leur siège social à l'extérieur du Québec. Nous y reviendrons dans la section portant sur les cadres francophones.

Il y a quelques années, Higgins, Martin, Raynault, écrivaient que seul Montréal présentait au Québec les caractéristiques nécessaires à un pôle de développement. En dernière analyse, le Québec avait le choix entre assurer que son développement soit polarisé par Montréal ou bien laisser Toronto polariser tout l'espace Québécois. La question revient donc d'une brûlante actualité. 5. Les coûts du processus de francisation

II convient de faire également une analyse des coûts globaux du processus de francisation. Notre estimé sommaire du coût global de l'opération porte uniquement sur le scénario alternatif. En effet, les données empiriques dont nous disposons de même que les incertitudes quant au temps exigé pour l'analyse linguistique et la confection des programmes tels que prévus au Projet de loi no 1, nous incitent à limiter notre estimation au scénario alternatif.

Nous estimerons en termes monétaires l'ensemble des ressources humaines et matérielles affectées par l'entreprise et le gouvernement à l'opération globale de francisation. Il est bien évident que les coûts globaux pour l'entreprise sont comptabilisés avant taxe.

Les principales activités de l'opération de francisation, autant chez l'entreprise que pour l'administration, sont les suivantes: 1.diagnostics linguistiques 2.confection des programmes de francisation 3.négociation des programmes de francisation et émission de certificats 4.mise en oeuvre des programmes de francisation -traduction - formation du personnel

Nous faisons les hypothèses suivantes pour la détermination des coûts et le développement global de l'opération au fil des années. 1. Seuls les coûts marginaux imputables à l'opération de francisation sont comptabilisés. En conséquence, les coûts normaux de recrutement, de formation ou de traduction, ne seront pas pris en charge dans nos calculs. 2. Les ressources humaines affectées par l'entreprise sont des cadres internes déjà entièrement affectés à d'autres tâches ou des conseillers internes dont la rémunération quotidienne est de $125.00 en moyenne. Dans tous les cas, il faut ajouter des frais de personnel de soutien et des frais généraux de $125.00 par jour. Ces coûts ne sont pas indexés, pour un coût total de $250. par jour-homme. 3.Le coût moyen d'enseignement du français, par cadre, (de façon à ce qu'un cadre ait une connaissance d'usage du français afin de pouvoir travailler en français) est de $4,000. Ces coûts ne sont pas indexés. 4.Les coûts de traduction sont de $10.00 la page chez les entreprises de plus de 500 employés qui retiendront les services de traducteurs. Les autres entreprises feraient appel à des sociétés de service dont les honoraires sont de $15.00 la page. Ces coûts ne sont pas indexés. 5. Des formules simplifiées d'analyse linguistique et de programme de francisation seront mises au point pour les petites et les moyennes entreprises. 6.Aucune entreprise n'est privée d'octroi ou de contrats en raison du fait qu'elle ne peut justifier de la possession d'un certificat de francisation. 7.Les programmes de francisation ne donnent pas lieu à un accroissement du nombre de griefs au sein des relations patronales-ouvrières. 8.L'Office de la langue française, la Commission de surveillance et le Comité consultatif compteront un personnel moyen de 350 personnes. L'opération globale de francisation durera huit ans. Après cette période, une partie importante du personnel sera affectée à d'autres tâches au sein de l'Administration. Le salaire moyen est de $20,000.

Coûts prévus de l'opération globale pour l'ensemble des entreprises québécoises i) Coûts de l'analyse linguistique -entreprises de plus de 500 employés nombre: 331 analyse: 50 jours-hommes coût total: 331 x 250 x 50 = $4,137,500

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6. L'impact de la francophonisation des entreprises sur l'offre et la demande de cadres

Nous avons brossé au chapitre 2 un tableau de la situation des cadres francophones au Québec. Notre propos portait alors essentiellement sur la représentation de francophones (définis selon la langue maternelle ou la langue d'usage) dans la catégorie d'occupation administrative. Notre intention était de bien situer l'ampleur de la sous-représentation francophone, d'en examiner quelques causes possibles et de montrer comment une intervention linguistique favorisant l'exercice du droit au travail en français, pouvait avoir des effets souhaitables sur cette situation. En bref, il nous semble évident que la francisation nécessaire des milieux de travail amènera une francophonisation plus poussée de plusieurs entreprises. Cette francophonisation se réalisera, d'une part, par l'ajout de personnes dont la langue la mieux connue est le français et, d'autre part, par les personnes déjà dans l'entreprise ou récemment embauchées, dont la langue la mieux connue n'est pas le français, et qui auront acquis une connaissance fonctionnelle du français.

Selon que l'intervention législative sera plus ou moins exigente quant au contenu et aux échéances de francisation, les effets sur l'offre et la demande de cadres pouvant contribuer à cette francisation seront bien différents.

Une loi de francisation des entreprises qui imposerait des exigences sévères et des échéances précipitées aurait pour effet à court terme: . Une augmenation de la demande pour des cadres immédiatement capables de fonctionner en français, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des entreprises. Cependant, l'inventaire de cadres étant fixe (à court terme), on pourrait voir une surenchère pour des cadres d'expérience et connaissant le français et un déplacement de tels cadres des entreprises francophones et du secteur public et para-public vers la grande entreprise anglophone. . Cette demande accrue pourrait se traduire par des revenus plus élevés pour ces cadres mais l'effet net sur le revenu moyen de la population francophone serait négligeable. (Une augmentation de 100% du revenu moyen des cadres ne déplace la moyenne des revenus de l'ensemble des francophones que de 5%). . Cette demande accrue serait aussi ressentie chez les cadres de langue d'usage ou de langue maternelle anglaise mais qui connaissent bien le français. Ainsi, parmi les diplômés universitaires au Québec en 1975, 35% étaient de langue d'usage anglaise, mais 57% d'entre eux se déclaraient bilingues (Statistique Canada, 1973). Dans les secteurs manufacturier, commerce et finance, 53% des anglophones connaissaient le français selon cette même source. . Par contre, une telle loi pourrait faire déplacer du Québec des activités de siège social et de centres de recherche, mener à la création accrue de divisions québécoises dont l'autorité serait confinée aux frontières du Québec. Une telle situation serait un frein certain à la mobilité des cadres francophones vers la direction supérieure des entreprises. Le tableau 2 présente des données instructives à cet effet. La faible présence francophone dans les sièges sociaux hors du Québec de grandes entreprises opérant au Québec, quelles qu'en soient les causes, indiquent bien cette différence d'accessibilité de la direction supérieure. De plus, cantonné dans les opérations québécoises dont on peut difficilement les muter, faute d'une relève francophone suffisante, souvent coupé des réseaux d'information administratifs, le cadre francophone pourrait avoir des opportunités d'avancement plus faibles. C'est là un effet qui compense en partie l'effet premier d'une demande accrue pour les services de francophones. . A plus long terme, on pourrait observer une augmentation du nombre de cadres anglophones capables de fonctionner en français. En effet, réagissant à la demande accrue pour de tels services et en conséquence des situations de travail francophones plus nombreuses, des cadres amélioreraient sensiblement leur compétence en français au point de constituer une ressource de francophonisation tout aussi bien que les cadres dont la langue maternelle est le français.

De même façon, une demande accrue de meilleures conditions de travail, et un milieu francisé, se traduiraient par une augmentation de l'offre de diplômés universitaires (en administration, particulièrement) pour des postes de cadre dans la grande industrie privée. Est-ce là le genre d'allocation de ressources humaines le plus favorable du développement de la société québécoise? . A moins de changements rapides dans le taux de production de cadres francophones, les entreprises francophones (la P.M.E. en particulier) et les secteur public et para-public devront payer, pendant un certain temps, des montants plus élevés s'ils veulent attirer de nouveaux cadres et diplômés universitaires.

Un changement social aussi important que celui amené par la francisation des entreprises aura des répercussions, parfois favorables," parfois déplorables, souvent imprévisibles sur la situation des cadres francophones au Québec. Nous avons tenté d'esquisser brièvement quelques composantes d'un scénario qui devrait être précisé et bien compris par les responsables d'une telle intervention.

CHAPITRE VIII Conclusions

Par cette longue analyse, ce compendium de la francisation, nous avons voulu verser, au débat sur la loi, l'ensemble et le trop plein de nos observations sur le processus de la francisation des entreprises, processus qui tient à la fois de la mutation et de l'adaptation sélective.

La ferme intention de la loi, son animus, devrait être de mettre en branle des changements sociaux conséquents avec le droit fondamental de travailler en français dévolu à tout Québécois.

C'est là l'engagement réitéré et déterminé de notre société pris, en son nom, par son gouvernement et traduit par lui en des mesures législatives concrètes. Nous croyons qu'il s'agit là du principe "axial" qui devrait servir d'assises à toute loi de francisation des entreprises.

Par contre, les mesures législatives d'intervention en ce domaine doivent s'inspirer d'une évaluation rigoureuse de la situation, Etant donné le caractère émotif de ces questions, il est difficile d'en arriver à s'entendre sur les paramètres précis de la situation. A cet effet, nous avons présenté un ensemble de données et d'analyses qui brossent un tableau factuel de la situation et qui mène, à notre avis, à "l'action dans la sérénité". La situation du français et des francophones dans l'entreprise n'est pas aussi déplorable qu'on le laisse parfois entendre; une intervention précise et nuancée aurait comme objectif d'amener à des efforts concrets les entreprises qui accusent encore une espèce de retard historique dans leur insertion au Québec.

Ce ferme propos de permettre l'exercice maximal du droit de travailler en français ainsi évaluation de la situation du français dans les entreprises ouvrent cependant plusieurs voies d'actions législatives. Il nous fallait définir des principes d'action qui nous permettent de choisir parmi ces voies. Les principes qui nous ont semblé essentiels étaient:

La francisation de l'entreprise est un processus de changement social qui, pour être efficace, se doit d'être planifié comme tel.

La francisation de l'entreprise doit s'harmoniser avec les principes du changement organisa- tionnel et reconnaître l'hétérogénéité de l'entreprise.

La loi doit reconnaître explicitement la possibilité d'une vocation extra-québécoise et ses conséquences à toute entreprise.

Sur la base de ces principes et dans le cadre général du Projet de loi no 1, nous avons proposé plusieurs modifications. Afin de faciliter la compréhension de leur portée, nous les avons formulées sous forme d'amendements précis et les avons regroupées dans un "scénario alternatif". Les principaux éléments de ce scénario sont:

Le droit de tout Québécois de travailler en français est reconnu de façon virtuelle, au même titre que tous les droits fondamentaux qu'une société reconnaît à ses membres (santé, éducation, revenu minimum, sécurité publique, protection des droits civiques, etc.) Le projet de loi no 1 définit ce droit en situation particulière. Les conditions d'exercice de ce droit en situation (articles 36 et 37) découlent de cette conception. Selon la définition que nous avons retenue du droit, ces articles deviennent superflus.

Toute entreprise de 50 employés et plus doit mettre en oeuvre un programme de francisation (s'il y a lieu) visant à y généraliser l'utilisation du français pour permettre aux Québécois d'exercer leur droit de travailler en français.

Les conditions d'utilisation du français et de l'anglais dans l'entreprise sont précisées explicitement dans la réglementation. Connaissant les "règles du jeu", l'entreprise est en mesure de mieux planifier les changements que commande l'esprit de la loi.

Le rôle de l'Office de la langue française est celui d'un agent de changement. Dirigé par un conseil d'administration, élément de concertation, l'Office gère le processus social de francisation, selon des règles explicitées dans la réglementation.

L'Office voit son pouvoir de sanction considérablement réduit, à défaut d'être éliminé. Le pouvoir de l'Office est celui d'un agent de changement. Il peut toujours recourir aux tribunaux si il le juge à propos, comme tout autre organisme du pouvoir exécutif.

La mise en oeuvre des programmes dans une entreprise est facilitée par la présence d'un comité de francisation, organisme consultatif sur lequel sont représentés les employés. Il n'y a pas d'échéance limite prédéterminée au programme. La concertation entre l'Office, la direction de l'entreprise et le comité de francisation permettra de déterminer un calendrier réaliste de francisation, particulier à chaque entreprise.

Les passerelles linguistiques se situent au Québec. Les cadres québécois parlent en anglais avec l'Amérique du Nord et sont pleinement intégrés aux réseaux de communications dans l'entreprise qui a des activités hors du Québec.

L'accueil de travailleurs non-québécois spécialisés est facilité. L'émission de permis temporaires aux professionnels non-québécois et non-francophones est confiée aux ordres professionnels. L'école anglaise est accessible aux enfants des personnes venant d'ailleurs au Canada. Dans le contexte actuel des migrations interprovinciales, ces migrants, au Québec, sont principalement des cadres.

Notre expérience du changement organisationnel et notre analyse du phénomène de la francisation des entreprises nous suggèrent que ce scénario alternatif permettra d'atteindre l'objectif visé — la possibilité d'exercice du droit de travailler en français — aussi rapidement que le pourrait le projet de loi non-amendé. Par contre, ce scénario vise à minimiser les comportements d'évasion de la part des entreprises.

Les résultats de l'enquête que nous avons conduite démontre clairement que quel que soit le scénario adopté, la Loi no 1 peut susciter des comportements d'évasion dans certaines fonctions spécifiques de la grande entreprise:

Les sièges sociaux d'entreprises à rayonnement substantiel hors du Québec.

Les entreprises à haute technicité qui exportent leur production ou leurs services.

Les centres de recherches et autres services spécialisés, intégrés à des entreprises d'envergure canadienne ou continentale.

Les comportements d'évasion ne sont pas nécessairement le fruit d'une mauvaise volonté ou d'un manque de sens civique. L'entreprise doit composer avec de multiples interlocuteurs, dont ses propres employés et particulièrement, ses cadres et ses professionnels. Pour des raisons très valables, l'entreprise établie au Québec pourra juger nécessaire "d'exporter" certaines activités de gestion, de recherche ou de production, dans le cadre de réaménagements administratifs. Toute législation se doit de prendre cette éventualité en considération. L'intervention législative privilégiée minimisera tes probabilités de comportement d'évasion, à bénéfices égaux.

Le long exercice de quantification auquel nous nous sommes livrés au chapitre VI visait essentiellement à poser clairement les éléments d'analyse sous-jacents à un choix social. Les coûts du processus de francisation de l'entreprise au Québec sont relativement peu importants: de l'ordre de $300 millions, en valeur actualisée, selon les hypothèses retenues. Les deux scénarios révèlent une différence de l'ordre de $200 millions par année. Les coûts associés à l'exportation de postes stratégiques, en termes de croissance de l'économie québécoise et d'opportunité pour les cadres francophones, sont difficilement mesurables, mais sont de loin supérieurs.

La francisation de l'entreprise doit être placée dans sa véritable perspective. Il existe une volonté générale dans l'entreprise de franciser rapidement les activités d'exploitation au Québec. On y retrouve 85% à 90% des travailleurs, dans les entreprises de 50 employés et plus. Par contre, la situation est beaucoup plus complexe en ce qui a trait aux sièges sociaux, aux centres de recherche et aux entreprises à haute technicité. Si, en nombre de travailleurs, ces établissements comptent pour peu, stratégiquement ils jouent un rôle clé dans l'économie québécoise et dans l'économie montréalaise en particulier. Par contre, ce sont dans ces établissements qu'on retrouve le plus de cadres non-francophones. Le succès de l'opération de francisation des entreprises sera mesuré dans ces établissements. Il ne s'agit pas de faire des exceptions. Au contraire, un processus de francisation se doit d'y être amorcé. Mais il devra s'adapter aux caractéristiques fondamentales des activités de ces établissements.

Le débat sur le Projet de loi no 1, aux yeux de plusieurs, est caractérisé par une volonté, toujours présente en filigrane, d'augmenter la présence de Québécois de langue maternelle française dans les postes de commande, au sein de la grande entreprise. La "francophonisation" doit être analysée froidement. Le "déficit" de cadres francophones dans l'entreprise privée est beaucoup moins grand que d'aucuns le croyaient. Par contre, tenter de le combler trop rapidement pourraient avoir des conséquences néfastes pour l'économie québécoise. Les ressources manégériales francophones ne sont pas très élastiques à court terme. Une action trop rapide ne ferait que redistribuer un nombre limité de cadres, et

les entreprises "autochtones", de même que les p.m.e. francophones en particulier, pourraient s'avérer les grandes perdantes à ce jeu de chaises musicales. De plus, il ne faudrait pas croire que la "franco-phonisation" de l'entreprise aura un impact fondamental sur la distribution des richesses au Québec et sur le revenu moyen des Québécois de langue maternelle française. Si par un geste magique, tous les cadres de l'entreprise privée devenaient, demain matin, des cadres de langue maternelle française, le revenu annuel moyen des Québécois de langue maternelle française augmenterait de moins de un demi de un pour cent (1/2%), soit l'équivalent de six semaines de croissance économique dans une année normale. Il est illusoire de penser que la Loi no 1 égalisera, à court, moyen ou long terme, la distribution des revenus entre groupes ethniques au Québec, à moins que les anglophones à revenus élevés ne quittent en masse le Québec. Si tel est le cas, il est fort probable qu'un nombre relativement important de "postes" à revenus élevés quitteront aussi le Québec. En conséquence, le revenu annuel moyen des Québécois de langue française n'aura pas changé et il y aura au Québec moins de postes de commande pour les Québécois francophones.

Les débats sur les questions "nationales" amènent souvent les participants à une facile radica-lisation du propos et de la solution. L'analyse, réticente, dissonante et sans complaisance, sert fort heureusement de douche froide. Que nous soyons tous un peu éclaboussés par les faits en ces temps devrait nous faire le plus grand bien. C'est dans ce sens que nous comprenons notre contribution au débat historique qui s'amorce.

ANNEXE 2

Mémoire

du Mouvement National des Québécois

présenté à la

commission parlementaire de l'éducation, des affaires culturelles et des communications

Projet de loi no 1

Montréal, 3 juin 1977

Le Mouvement National des Québécois, fondé en 1948, sous le nom de Fédération de SSJB du Québec, a toujours accordé une très grande importance aux débats concernant la situation du français au Québec.

Plus que tout autre groupe organisé, avec la participation de nos quinze (15) sociétés régionales regroupant quelque 130 000 membres, nous avons tenté par des moyens de sensibilisation et de percussion d'assurer au français la place qui aurait dû lui appartenir naturellement dans les différents secteurs de la vie collective au Québec.

Nécessité d'une législation ferme

A l'instar de plusieurs autres groupes soucieux d'améliorer la position du français au Québec, nous avons dû logiquement constater l'impossibilité de corriger l'évident déséquilibre défavorable aux francophones imposé par la minorité anglophone à moins que l'Etat n'assume sa responsabilité particulière à l'égard de la langue.

C'est pourquoi, dès 1969 (dans un mémoire présenté à la Commission d'Enquête sur la situation de la langue française et sur les droits linguistiques au Québec), nous demandions au gouvernement d'assurer un redressement radical de la situation.

Nous demandions alors au gouvernement de définir clairement et courageusement une politique linguistique et d'y mettre le poids d'une législation "appropriée".

Dans ce mémoire de 1969, nous déclarions entre autres choses: "Le gouvernement a le devoir d'appuyer les justes aspirations de la majorité québécoise... L'Assemblée Nationale a la très lourde responsabilité de déterminer le statut du français comme la langue nationale et la langue officielle du Québec. Elle doit exposer clairement aux investisseurs étrangers dans quel milieu ils viennent s'établir et à quelles conditions, au point de vue langue de travail et d'affaires, ils pourront y faire des profits. Voilà la seule façon logique et lucide de créer le climat de confiance tant recherché par tous les hommes de bonne volonté".

Depuis la présentation de ce mémoire, le Québec a eu droit à deux lois supposément destinées à assurer cette place du français chez nous.

Dans ces deux cas de législations (Loi 63 et Loi 22), au lieu d'affirmer le caractère français du Québec et ainsi prendre carrément partie pour la majorité Québécoise, les gouvernements concernés ont fait preuve d'une attitude soumise, béate et bienheureuse face à la dépendance socio-économique du Québec vis-à-vis les entreprises et le capital étranger.

En agissant de la sorte, ces gouvernements, en consacrant le bilinguisme au Québec, se basaient sur une conception erronée de la société québécoise et maintenaient un état de colonialisme linguistique que le Québec se doit absolument de briser.

Nous avons donc combattu ces deux législations avec force, législations qui, pour nous, constituaient des trahisons du peuple Québécois.

Un colonialisme linguistique à briser

L'histoire ne nous démontre-t-elle pas que le Québec a été maintenu dans ce colonialisme linguistique par la force, la menace et la domination économique de la minorité anglophone du Québec, aidée en cela par cet immense bloc anglo-canadien et américain, auprès duquel cette minorité s'alimente en ressources humaines et dans lequel elle se fonde naturellement et sans effort?

Cette domination de la minorité anglophone du Québec ne se retrouve d'ailleurs pas que dans le domaine linguistique. Nous la retrouvons partout. Autant la domination économique a contribué à assurer à cette minorité une colonisation linguistique, autant l'inverse est également vrai, les francophones ayant toujours subi une discrimination au chapitre des salaires et des revenus dans tous les secteurs de l'économie. Cette situation a d'ailleurs toujours représenté pour les francophones une relative impossibilité d'accéder aux postes de commandes de l'administration des entreprises.

Redressement urgent et essentiel

II nous apparaît urgent que ce colonialisme linguistique soit brisé une fois pour toutes. Ceci ne peut se faire que par un redressement radical de la situation, redressement se devant d'être le résultat de la volonté politique de notre peuple et ne pouvant se traduire que par l'action énergique de notre Assemblée Nationale.

A cause principalement de l'attitude soumise de nos gouvernements antérieurs, le Québec souffre d'une intoxication massive de bilinguisme dont il faut le libérer. Le Québec n'a pas à être bilingue, ni binational.

Le Québec se doit plutôt d'affirmer courageusement et énergiquement son caractère unilingue français. Il y va de la vie même de notre peuple pour qui le fait français constitue une dimension fondamentale. Pour nous, un peuple ne peut prétendre accéder à sa pleine souveraineté s'il ne sait s'affirmer et se faire respecter tel qu'il est, dans toutes ses dimensions.

Il est plus que temps que le gouvernement du Québec adopte une politique linguistique conforme à notre réalité historique, celle d'un Québec français.

Le gouvernement actuel se doit donc d'assumer cette responsabilité historique et d'adopter une législation qui, non seulement proclamera le français comme étant la langue officielle du Québec, mais assurera une valeur réelle à cette proclamation dans tous les aspects de la vie des Québécois.

Appui du M.N.Q.

C'est donc dans cet esprit que le mouvement national des Québécois, bien qu'avec certaines réserves que nous aborderons plus loin, appuie le gouvernement du Québec dans son projet de loi no 1 et invite tous les Québécois, de quelque culture, à aider ce gouvernement à faire du Québec un pays français où les droits individuels seront respectés en même temps que ceux de la nation.

Mise au point

Cet appui du Mouvement National des Québécois au projet de loi No 1, confirmé par toutes nos instances de façon unanime, se veut ferme et non équivoque tout en nécessitant une mise au point nous apparaissant fondamentale.

Il est en effet certain que ce projet de loi ne rejoint pas intégralement nos positions selon lesquelles nous aurions préféré que le gouvernement aille beaucoup plus loin dans sa logique, notamment en matière de langue d'enseignement. Nous reviendrons d'ailleurs plus loin sur ces divergences en termes de recommandations auprès de cette commission parlementaire.

Toutefois, et nous voulons être bien compris sur ce point, nous nous réjouissons de cette volonté, manifestée tout au long de la charte, de donner au Québec un visage vraiment français. Nous sommes heureux de voir enfin notre gouvernement affirmer la normalité de notre peuple et cesser de considérer comme une fatalité historique cette notion pernicieuse d'un Québec bilingue entouré de 200 millions d'anglophones.

C'est donc en ce sens que nous accordons notre appui au projet de loi No 1 que nous percevons comme un minimum que nous ne considérons pas possible d'amender dans le sens d'un élargissement des droits de l'anglais.

Dans les deux prochaines parties de ce mémoire, nous élaborerons davantage sur les principaux motifs de notre appui au projet de loi et, dans un second temps, sur les améliorations que nous aimerions voir y être apportées.

PRINCIPAUX MOTIFS DE CET APPUI Consécration du fait français

Nous considérons ce projet de loi comme une consécration tout-à-fait justifiée du fait français au Québec. Pour nous, le Québec a toujours été un pays français, juridiquement et historiquement. Ce n'est que par une domination économique du conquérant que l'on a créé une espèce de mythe du bilinguisme au Québec.

Nous ne voulons pas faire ici l'historique du français au Québec depuis la conquête de 1760, ce que vous retrouverez d'une façon fort convaincante dans le mémoire du Mouvement Québec Français dont notre organisme est membre.

Notons seulement que, de tous les actes constitutionnels, aucun n'a enlevé, ni par sa lettre ni par son esprit, ce caractère français du Québec. Ce n'est que dans les faits que la minorité anglophone a réussi à imposer une image trop souvent bilingue au Québec.

A l'exception des lois 63 et 22, adoptées par des gouvernements d'une servilité quasi génoci-daire, l'anglais n'a jamais eu de reconnaissance légale permettant de considérer le Québec comme juridiquement bilingue. Encore faut-il nuancer cette affirmation en précisant que les droits de l'anglais inclus dans la loi 22 l'étaient à l'intérieur d'une loi prétendant faire du français la langue officielle du Québec.

Il était donc urgent qu'un projet de loi comme celui actuellement à l'étude vienne mettre de l'ordre et affirme nettement cet unilinguisme français du Québec en évitant la création de droits pour l'anglais, tout en faisant preuve d'une générosité à laquelle peu de peuples ont consenti dans l'histoire de l'humanité.

Fin de l'intoxication massive du bilinguisme

Par ailleurs, en affirmant ce caractère français dans tous les secteurs de la vie des Québécois (Travail, affaires, affichage, administration publique, enseignement, etc.), le projet de loi numéro 1 est susceptible de mettre un terme à cette intoxication massive de bilinguisme dont souffrait le Québec et qui ne pouvait mener qu'à l'anglicisation graduelle et inexorable du Québec.

Depuis des générations, l'on nous servait certains lieux communs, notamment que le Québec se devait d'être magnanime pour ses minorités, qu'il ne fallait pas indisposer les capitalistes étrangers, que les citoyens avaient le libre choix de la langue d'enseignement etc., lieux communs, disons-nous, qui ne pouvaient que favoriser l'anglicisation du Québec.

Ces idées généreuses ne contribuaient qu'à rendre de jour en jour plus inutile l'usage du français. Le résultat en était qu'à l'inverse de ce qui se passe dans tout Etat normal, et ce bien souvent avec la complaisante acceptation de la majorité, la minorité est demeurée unilingue, ne sentant aucunement le besoin de connaître la langue nationale et devenant ainsi totalement isolée de notre communauté nationale tout en la dominant.

Pendant ce temps, notre majorité devenait de plus en plus bilingue pour travailler et vivre décemment, à plus forte raison pour réussir.

D'une telle situation n'a pu résulter qu'une inégalité de chances, inégalité jouant constamment en faveur de la minorité , au contraire de toute logique.

De par le courage qu'il manifeste en acceptant de consacrer le français dans tous les secteurs de la vie québécoise, le gouvernement, avec ce projet de loi, pourra rétablir l'équilibre et contrebalancer par son action vigilante l'immense contrainte du milieu unificateur et anglicisant nord-américain.

Intégration des minorités à la vie collective française

En outre, les législations antérieures n'ont toujours eu pour effet, par leur confusion et leurs ambiguïtés, que d'élargir continuellement le fossé entre francophones et non-francophones. D'une part à cause de la non-nécessité du français dans la vie sociale et économique des non-francophones, et d'autre part, à cause du rôle assimilateur de l'école anglaise, ce fossé ne cessait de s'agrandir.

En faisant du français une nécessité de vie, ce projet de loi permettra certainement un rapprochement à long terme entre les différentes minorités ethniques du Québec et la majorité francophone.

Par cette loi nettement et franchement conforme aux intérêts d'un Québec français, en plus de faire du français une nécessité de tous les jours, le peuple du Québec saura certainement susciter le respect de ces minorités, respect nécessaire à l'établissement d'une saine collaboration de ces groupes au développement du Québec.

Respect de la langue comme bien national

Le projet de loi numéro 1 nous apparaît également comme le premier en la matière à reconnaître la langue française comme un BIEN NATIONAL au Québec.

La langue peut en effet être définie comme l'expension profonde de l'être total, c'est-à-dire, de l'être social, de l'être qui vit en groupe, en collectivité, en communauté ethnique. Elle prend sa source dans la source même de la collectivité: la communauté nationale. La langue, en somme, est le véhicule de la civilisation du groupe, de la collectivité.

Il est donc évident que la langue n'est pas un droit individuel à l'exemple de la liberté de conscience ou de la liberté du culte. Elle est essentiellement un BIEN NATIONAL.

Parce que la langue, ce bien national, constitue la façon pour l'enfant de s'identifier à la collectivité et que son apprentissage met l'enfant en accord avec le milieu ethnique, l'on peut dire qu'elle assure la survie de la communauté nationale.

Il est donc essentiel que, par ce projet de loi, l'Etat protège cette langue, bien national des Québécois et instrument de communication sociale.

Maturité de l'Etat

C'est d'ailleurs un signe de maturité certaine que de voir l'Etat assumer aussi pleinement sa responsabilité en règlementant ainsi l'usage de la langue nationale, que ce soit en matière de langue du travail, d'enseignement, des affaires ou dans tous les autres secteurs.

Surtout parce que plusieurs groupes ethniques cohabitent sur notre territoire, il est impérieux que ce projet de loi soit adopté et surtout scrupuleusement appliqué.

Il est grand temps que nous cessions d'être un peuple exploité culturellement et économiquement et étranger dans sa propre maison.

C'est en fonction de cette anormalité de notre situation sur le plein linguistique que la maturité de notre peuple commande à l'Etat Québécois de légiférer d'une façon aussi complète qu'il s'apprête à le faire par ce projet de loi.

Il n'est donc pas humiliant d'adopter un tel projet de loi, l'humiliation consisterait beaucoup plus dans le fait de ne pas légiférer et de s'en remettre à cette espèce de résignation qui nous a été imposée jusqu'ici.

La langue: un bien individuel limité

Comme instrument de formation personnelle, la langue doit aussi être considérée comme un droit individuel, un bien individuel.

Ce droit individuel, contrairement aux prétentions de certains adversaires du projet de loi, cède toutefois le pas devant le droit collectif, le bien commun. Cela est tout-à-fait normal. Penser autrement, c'est inverser l'ordre naturel des choses.

Selon nous, l'argumentation selon laquelle ce projet de loi serait contraire au respect des droits fondamentaux ne constitue qu'une dernière manoeuvre pour tenter de culpabiliser les Québécois et les amener à renoncer à cette volonté collective de s'affirmer comme peuple français sur ce territoire qui est le nôtre.

A notre sens, ce droit individuel ne saurait en aucun cas, et surtout dans le cas d'un pays comme le Québec où cohabitent plusieurs groupes ethniques et où la langue de la majorité est menacée de toutes parts, ce droit individuel, disons-nous, ne saurait jamais avoir préséance sur le bien collectif ce qui perturberait alors toute la vie sociale de notre collectivité.

Il nous apparaît en effet évident que, contrairement à ce que nous avons subi par le passé, la logique commande qu'aucun citoyen appartenant à un groupe minoritaire, ne puisse composer sa langue à la majorité ni la substituer à la langue nationale du pays.

Tout citoyen, quelque soit son origine, a le devoir strict d'étudier la langue nationale, de la parler convenablement et de l'utiliser dans ses relations sociales et dans sa vie économique. N'est-ce pas l'ordre naturel des choses dans un pays normal?

C'est d'ailleurs de cette préséance du droit collectif que ce projet de loi tire sa légitimité de ses dispositions tant en matière d'affichage, de langue du travail que de langue d'enseignement.

Il serait d'ailleurs temps que l'on cesse de taxer de discriminatoire ce projet de loi qui ne vise qu'à assurer la normalité de notre langue nationale à l'intérieur de principes internationalement reconnus.

Le pseudo-principe du libre choix

Particulièrement en matière de langue d'enseignement, les Québécois ne doivent pas se laisser impressionner par cet argument de non-respect des droits fondamentaux de la personne. Il est de bonne guerre que la minorité anglophone tente de dénoncer une supposée non concordance entre la charte du français et la charte québécoise des droits et libertés de la personne.

A notre avis, la charte du français ne fait que préciser la portée de la charte des droits et libertés de la personne en matière linguistique.

Rien, dans ce projet de loi, ne vient contredire les droits fondamentaux de l'individu reconnus par le droit international.

Il est en effet totalement inexact de prétendre que le pseudo principe du libre choix de la langue d'enseignement relève des droits fondamentaux de l'individu.

Ce pseudo-droit est d'ailleurs expressément contraire aux conventions internationales sur cette matière. Rappelons principalement la "Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement", adoptée le 14 décembre 1960 par la Conférence générale de l'Organisation des Nations-Unies pour l'Education, la Science et la Culture.

Cette convention internationale empêche en effet l'interprétation des droits fondamentaux comme signifiant ce libre choix de la langue d'enseignement pour une minorité nationale et ce par la lettre même du sous-paragraphe c) du paragraphe premier de son article 5: c)"Qu'il importe de reconnaître aux membres des minorités nationales le droit d'exercer des activités éducatives qui leur soient propres, y compris la gestion d'écoles et, selon la politique de chaque Etat en matière d'éducation, l'emploi ou l'enseignement de leur propre langue, à la condition toutefois: i)Que ce droit ne soit pas exercé d'une manière qui empêche les membres des minorités de comprendre la culture et la langue de l'ensemble de la collectivité ou de prendre part à ses activités ou qui compromette la souveraineté nationale;

La Cour Européenne des Droits de l'Homme, dans un jugement du 23 juillet 1968 concernant la langue d'enseignement en Belgique a d'ailleurs également nié ce droit au libre choix de la langue d'enseignement. La Cour spécifie même que la reconnaissance de ce droit "conduirait à des résultats absurdes, car chacun pourrait ainsi revendiquer une instruction donnée dans n'importe quelle langue dans l'un quelconque des territoires..."

Il nous apparaît donc clairement qu'aucune des dispositions du projet de loi ne vient brimer les droits fondamentaux de l'individu. Le seul effet de la loi est de consacrer le caractère de bien national au français tout en n'abolissant pas les droits individuels des membres des minorités nationales. Ce que fait cette loi, et ce à juste titre, c'est l'application de la préséance du droit collectif de la majorité francophone sur le droit individuel des minorités, droit limité par l'intérêt de la langue nationale.

Cette liberté de choix n'existe nulle part ailleurs dans le monde, sauf dans le cas où une collectivité nationale est soumise à une domination politique qui établit ce principe dans le but de favoriser l'implantation de la langue de la nation dominante. C'est un concept impérialiste et autocratique qui ne vaut plus dans une situation redevenue normale. Il s'agit d'un phénomène de colonisation qui répugne au simple bon sens.

Il existe bien des pays qui ont des systèmes d'enseignement parallèles — Ex. La Belgique, la Suisse, etc... — mais, dans ces pays, les enfants sont éduqués dans la langue maternelle de la province ou de la région sans que les parents aient la liberté de choisir une autre langue d'enseignement à l'école publique.

Ainsi, en Belgique, en territoire wallon les écoles enseignent en français tandis qu'en territoire flamand, la langue d'enseignement est le flamand. Il ne saurait être question de laisser aux parents la liberté d'imposer ou de choisir la langue française pour enseigner en territoire flamand, ou vice-versa. Ce qui ne veut pas dire que la langue de l'autre groupe ne soit pas enseignée. Elle est inscrite à programme à titre de langue seconde. On retrouve d'ailleurs le même principe de répartition scolaire en Suisse, pays multilingue.

Amendement inacceptable

Ceci nous amène logiquement à commenter les prétentions de ceux qui voudraient rendre les classes anglaises accessibles aux enfants dont les parents ont fréquenté l'école primaire anglaise dans une autre province canadienne même s'ils ne sont pas domiciliés au Québec à la date d'entrée en vigueur de la loi.

Cet amendement serait absolument contraire aux principes mentionnés dans les paragraphes précédents du présent mémoire et ne saurait reposer sur aucun fondement historique, ni même juridique.

Sur ce projet, il importe d'abord de ramener les choses dans leur véritable dimension et spécifier que la portée d'un tel amendement ne concernerait qu'un nombre fort limité d'éventuels nouveaux venus qui soient vraiment des anglophones. C'est ici qu'il faut être conscients que cet amendement ferait en sorte d'accorder aux futurs arrivants de ces provinces, qu'ils soient anglophones ou francophones, des droits que nous ne tolérons accorder à des gens qui sont déjà domiciliés au Québec que par dérogation à la règle générale de l'enseignement français au Québec.

Il est en effet aberrant de voir ces gens, qui ont toujours utilisé l'école anglaise pour assimiler non seulement les immigrants mais aussi beaucoup de francophones, s'insurger et se prétendre brimés dans le droit de la collectivité anglophone de croître naturelle.

A cela, nous répondons que, si leur croissance naturelle doit passer par l'assimilation à la minorité des nouveaux venus, fussent-ils d'ex-canadiens des autres provinces, la générosité dont fait preuve le projet de loi actuel est peut-être déjà démesurément grande.

Le Mouvement National des Québécois se réjouit donc que le gouvernement, malgré les pressions inexplicables si ce n'est pour des motifs inavouables, n'ait pas cédé sur cette clause de domicile au Québec au moment de l'entrée en viqueur pour les gens du reste du Canada.

Nous prions donc instamment le gouvernement du Québec, ce gouvernement qui s'est donné pour mission d'affirmer pleinement le fait français, de ne pas céder sur cette demande d'amendement que nous jugeons totalement inacceptable.

Autres considérations

II existe évidemment plusieurs considérations à cet appui du M.N.Q. au projet de loi numéro 1, mais nous ne croyons pas devoir ici procéder à une revue systématique de chacun des articles du projet.

Langue de travail

Qu'il nous soit toutefois permis de signaler notre appréciation devant les dispositions du projet contenues au sous-chapitre VI et concernant la langue du Travail. Ces dispositions, tout en étant d'un réalisme commandé par les circonstances, permettront certainement de créer, dans une facette importante de la vie des Québécois, un impact psychologique susceptible de briser ce colonialisme linguistique dont nous faisions état au début de ce mémoire.

Langue de l'administration

Nous pourrions également faire les mêmes observations en ce qui concerne les chapitres IV et V du projet de loi, concernant respectivement la langue de l'administration et de certains organismes parapublics.

Langue du commerce et des affaires

Quant aux dispositions concernant la langue du commerce et des affaires, nous tenons à spécifier que nous y souscrivons entièrement. Ces dispositions garantissent les droits du consommateur francophone sans brimer ceux du consommateur non-francophone.

Par ce chapitre, le gouvernement manifeste également une volonté ferme de civiliser tout ce secteur de notre activité collective et de la forcer à respecter des règles du jeu qui seront désormais d'une clarté dont nous avions depuis fort longtemps besoin.

Il ne nous apparaît pas étonnant de constater la levée de boucliers de certains représentants du milieu des affaires, ce milieu qui a si longtemps fait peu de cas du fait français au Québec. Nous sommes par ailleurs confiants de voir la raison vaincre les quelques éléments les plus radicaux et amener les gens concernés à respecter notre volonté collective de vivre en français. Ils l'acceptent d'ailleurs dans tous les pays où la majorité sait s'affirmer dans la dignité collective et individuelle.

Les lacunes du projet de loi no 1

Tel que mentionné précédemment, l'appui du Mouvement National des Québécois est ferme mais en raison du fait que ce projet de loi constitue pour nous un minimum.

Nous tenons donc à insister ici sur les divergences entre ce projet et la politique linguistique de notre mouvement.

Position du M.N.Q.

Pour ce faire, il y a d'abord lieu de vous faire part du document rendu public le 24 janvier 1977 et intitulé:

Politique du Mouvement National des Québécois en matière linguistique 1.- Abolition de la loi 22 et remplacement par une loi constitutionnelle proclamant le français seule langue officielle au Québec; 2.- Amendement de l'article 133 de l'A.A.N.B. conformément à l'article précédent; 3.- Cette loi constitutionnelle posera le principe que le français est la langue normale et courante des affaires et du travail; 4.- Les détails d'application de la loi constitutionnelle seront édictés dans une ou d'autres lois applicables aux différents secteurs: 5.- Dans le domaine de l'enseignement, il serait prescrit que:

Article 1: Dans les écoles publiques, l'enseignement se donne en français.

Article 2: Toutefois, le ministre de l'Education peut autoriser l'enseignement en langue an-

glaise, aux conditions prévues par la loi, dans les classes qu'il désigne, lorsque demande lui en est faite par des groupes suffisamment nombreux de citoyens-parents domiciliés au Québec au moment de l'adoption de la présente loi dont les enfants ont l'anglais pour langue maternelle.

MESURES TRANSITOIRES:

Article 3: Toutefois, les enfants, dont la langue maternelle n'est pas l'anglais et qui sont inscrits dans des classes anglaises à la date d'adoption de la loi, pourront poursuivre leurs études en langue anglaise.

Article 4: Aucune subvention ne sera accordée aux institutions privées qui ne respectent pas les normes édictées par la présente loi.

Loi constitutionnelle distincte

Nous constatons d'abord que le gouvernement n'a pas retenu les quatre premiers points de cette politique du mouvement points également recommandés par le M.Q.F. Nous n'insisterons pas sur le fait que le projet de loi No. 1 ne se présente pas sous la forme d'une loi constitutionnelle distincte, considérant que le gouvernement fait ainsi un choix stratégique que nous aurions voulu différent.

L'article 133 de l'A.A.N.B.

Par ailleurs, en ce qui concerne notre recommandation d'abroger l'article 133 de l'AANB, il nous semble opportun de rappeler l'importance de cet aspect.

Nous croyons en effet que la loi 1 devrait abroger l'article 133 de l'A.A.N.B. en ce qui concerne le Québec de façon à démontrer clairement que seul le français a un caractère officiel au Québec, ce qui ne nous empêcherait nullement de respecter certains besoins légitimes de la minorité anglophone du Québec, (v.g. traductions anglaises des lois québécoises, etc....), tout comme le prévoit d'ailleurs l'actuel projet de loi.

Nous soutenons que l'Assemblée Nationale du Québec a le pouvoir d'amender ainsi l'article 133 de l'A.A.N.B., thèse qui a d'ailleurs été confirmée par la majorité des juristes consultés par la Commission Gendron.

Cet article constitue à nos yeux le seul document législatif consacrant un certain bilinguisme institutionnel dans des secteurs bien définis de notre vie collective. En ne procédant pas à son abrogation, le gouvernement s'exposera à d'inutiles batailles juridiques susceptibles d'amener une confusion stratégiquement inacceptable, parce que ne portant pas sur les vrais problèmes.

Recommandations

Afin d'éviter tout malentendu, afin surtout que la loi soit opérante, nous recommandons au gouvernement:

D'inclure un paragraphe qui abrogera l'article 133 de l'A.A.N.B. en ce qui concerne le Québec, conformément à l'article 91 (1) de L'A.A.N.B.

La langue d'enseignement

En matière de langue d'enseignement, notre position diverge considérablement de celle proposée dans le projet de loi. En choisissant le critère de la fréquentation scolaire des parents pour déterminer l'admissibilité des enfants à l'enseignement en anglais, le gouvernement a certainement opté pour la méthode la plus facile quant à son application administrative.

Appréciant par ailleurs que le gouvernement ait ajouté à cela le critère du domicile au Québec à la date d'entrée en vigueur de la loi, nous déplorons qu'il ne tienne nullement compte de la langue maternelle de l'enfant dont on aura à juger de l'admissibilité à l'enseignement en anglais.

Adoptant en cela la position du Mouvement Québec Français nous considérons qu'il s'agit là de permettre l'accès à l'enseignement en anglais à un nombre beaucoup trop considérable d'enfants dont la langue maternelle n'est pas l'anglais. Le projet de loi reconnaît donc à un grand nombre d'enfants francophones ou non-anglophones le droit à cet enseignement en anglais.

Nous nous retrouvons donc dans une situation où perdurera la tendance assimilatrice de la minorité anglophone envers une forte partie de la population québécoise.

Il y aurait donc lieu, selon nous, d'ajouter aux critères de la fréquentation scolaire d'un parent et du domicile lors de l'entrée en vigueur de la loi celui de la langue maternelle de l'enfant.

Malgré toutes les objections apportées, à l'application de ce critère de la langue maternelle, nous demeurons persuadés qu'il est possible de la déterminer à partir de la langue commune de l'enfant.

Recommandation

Nous recommandons donc au gouvernement du Québec:

D'ajouter comme critère d'admissibilité à l'enseignement en anglais celui de la langue maternelle de l'enfant pour ceux qui n'ont pas encore entrepris des cours en anglais;

Nous recommandons également que le sous-paragraphe i) du paragraphe b) de l'article 52 du projet de loi soit modifié de façon à:

Rayer les mots "Le même droit s'étendant à leurs frères et soeurs cadets";

Cette dernière expression que nous recommandons de rayer ne concerne en réalité que des enfants dont la langue maternelle n'est pas l'anglais. Pourquoi alors leur permettre d'aller au secteur anglophone et ainsi s'intégrer à la minorité anglophone?

Nous ne croyons décidément rien, ni historiquement ni juridiquement, qui puisse faire brimer une supposée raison de non-séparation des familles sur l'intérêt collectif de la majorité de tout mettre en oeuvre pour intégrer à sa vie communautaire tous ces jeunes qui ne sont d'ailleurs pas des anglophones.

Nous ne croyons pas, en effet, qu'il s'agisse d'une responsabilité collective de l'Etat que d'éviter cette séparation apparente des familles, mais bien plutôt d'une responsabilité des parents. En ce sens, le projet de loi devrait donc tendre à inciter ces parents, assumant leur responsabilité, à faire tout en leur possible pour réintégrer au secteur francophone le ou les enfants qu'ils auraient inscrits, par le passé, au secteur anglophone.

Pourquoi pas, dans ce cas bien précis, l'unification des familles par le français?

Conclusion

Tout en insistant auprès de la Commission parlementaire pour qu'il soit tenu compte des recommandations contenues dans cette dernière partie, le Mouvement National des Québécois réitère son appui au projet de loi No 1 et incite le gouvernement du Québec à demeurer ferme dans chacune des intentions consacrant le caractère français du pays du Québec et contenues dans ce projet de loi.

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