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Audition des mémoires sur
le projet de loi no 1 :
Charte de la langue française
au Québec
(Dix heures quatorze minutes)
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et
messieurs!
Je demanderais aux députés, aux invités et à
tous de bien vouloir regagner leurs fauteuils pour que nous puissions
commencer.
Il s'agit d'une nouvelle séance de la commission parlementaire
élue, permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des
communications dont le mandat est d'étudier, après la
première lecture, le projet de ioi no 1 intitulé Charte de la
langue française au Québec, et tout particulièrement
d'entendre des témoins.
Je fais d'abord l'appel des membres de la commission et je demande
à chacun des partis de bien vouloir m'indiquer les changements, s'il
vous plaît.
M. Alfred (Papineau), M. Bertrand (Vanier), M. Bisaillon (Sainte-Marie)
remplacé par M. Charbon-neau (Verchères); M. Chevrette
(Joliette-Montcalm), M. Ciaccia (Mont-Royal) remplacé par M. Goldbloom
(D'Arcy McGee); M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Dussault
(Châteauguay), M. Godin (Mercier), M. Grenier (Mégantic-Compton)
remplacé par M. Biron (Lotbinière); M. Guay (Taschereau), M.
Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget),
Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le Moignan (Gaspé), M. Paquette
(Rosemont), M. Roy (Beauce-Sud), M. Saint-Germain (Jacques-Cartier), M. Samson
(Rouyn-Noranda).
Pour ce qui est de l'ordre du jour, nous allons ajourner nos travaux
à 13 heures et les reprendre, selon l'avis ou la motion du leader
parlementaire du gouvernement, après les affaires courantes et la
période des questions à l'Assemblée nationale. A 18
heures, nous suspendrons les travaux et les reprendrons je l'annonce
à 20 heures jusqu'à au moins 23 heures. Je ne puis
préjuger du consentement de la commission pour poursuivre après
cette heure. Immédiatement, j'appelle...
M. Lalonde: On est prêt à le donner.
Le Président (M. Cardinal): On verra ce soir. Je suis
prêt, à mon tour, à appeler nos premiers invités, le
Barreau du Québec, mémoire 31. Mme Micheline Audette-Filion, je
ne sais pas si c'est vous qui vous exprimez la première.
Vous devez, d'une part, identifier chacun des porte-parole de
l'organisme et l'organisme lui-même, et, d'autre part, vous aurez,
à compter de ce moment, 20 minutes pour présenter ou
résumer votre mémoire, après quoi les
députés auront 70 minutes pour vous questionner.
Débat suspendu
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, avant de vous
donner la parole, il y a quand même un point de procédure que
j'espère pouvoir brièvement régler. Au moment où
nous nous réunissons, il y a devant nous une motion sur laquelle le
débat a commencé hier soir. Je dois rappeler cette motion avant
d'inviter les membres du Barreau à nous présenter leur
mémoire. M. le député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: M. le Président, c'est le député
de D'Arcy McGee qui avait la parole, à ce moment. Maintenant, je pense
qu'avec son consentement, nous pourrions faire la suggestion suivante.
Malgré l'importance de la question qui était proposée par
la motion, nous pensons qu'il est indiqué, qu'il est
préférable d'écouter les témoins qui sont ici ce
matin et de suspendre le débat sur cette motionc'est ce que nous
proposons à plus tard, pas tellement plus tard, on verra quel
sera le moment le plus propice pour demander à la commission de
continuer.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys, seulement un point. Il n'y avait personne qui avait le
droit de parole, parce que personne n'a demandé l'ajournement hier soir.
Deuxième point, si la commission m'accorde un consentement unanime, je
suspendrai le débat sur cette motion jusqu'au moment où elle sera
rappelée par un membre de la commission. M. le député de
Bourassa.
M. Laplante: Merci, M. le Président. Etant donné
que l'Opposition officielle a pris une nuit de repos et que la nuit a
porté conseil, nous acceptons la suggestion de l'Opposition
officielle.
Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le
député de Bourassa.
M. Lalonde: M. le Président, j'aimerais quand même
ajouter que je vous ai indiqué hier soir, à 23 heures, ainsi
qu'au ministre, mon intention de demander la suspension du débat ce
matin.
Le Président (M. Cardinal): C'est exact, sauf que, si j'ai
bonne mémoire, ce ne semble pas avoir été
enregistré au journal des Débats. De toute façon, je
demande à l'Union Nationale, si le consentement est accordé.
M. Biron: Accordé.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. Alors, nous
suspendons le débat sur cette motion. C'est vraiment une suspension du
débat. Je ne sais pas, M. le ministre...
Mme Lavoie-Roux: On verra.
Le Président (M. Cardinal): II se poursuivra au moment
où la motion sera rappelée et qu'elle sera jugée
acceptable ou recevable à ce moment. De toute façon,
présentement, elle est jugée recevable et l'article 160
s'applique. Sans autre forme de procédure... Oui, M. le
député de Bourassa.
M. Laplante: Une directive, M. le Président. Ce que vous
deviez rendre hier soir comme jugement, est-ce qu'il sera porté au
moment où l'Opposition rappellera la motion?
Le Président (M. Cardinal): Non. J'ai dit hier soir, et
ceci est rapporté au journal des Débats, qu'avant 23 heures, je
rendrais une décision sur une motion, je pense, du député
de...
Mme Lavoie-Roux: L'Acadie.
Le Président (M. Cardinal): ... L'Acadie.
M. Laplante: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): La nuit m'a peut-être
porté conseil aussi, mais je ne rendrai pas cette décision ce
matin. J'attendrai plus tard dans la journée.
Alors, madame et messieurs les porte-parole du Barreau.
Barreau du Québec
Mme Audette-Filion: M. le Président, M. le ministre,
madame et messieurs les membres de la commission de l'éducation, des
affaires culturelles et des communications, pour les fins du journal des
Débats, mon nom est Micheline Audette-Filion, directeur de la recherche
du Barreau du Québec.
Il me fait plaisir de vous présenter les personnes qui
m'accompagnent ce matin. A mon extrême droite, Me Yvon Martineau, avocat
de Montréal et membre du comité administratif du Barreau;
à ma gauche, Me Pierre Panneton, directeur général du
Barreau, et, à ma droite, Me Viateur Bergeron, bâtonnier du
Québec.
Je dois mentionner tout d'abord que c'est avec plaisir que le Barreau a
préparé ce mémoire et se présente ce matin pour la
première fois devant une commission de la 31e Législature,
fidèle en cela à une tradition de quelques années
maintenant et à un souci constant de collaborer avec le
législateur à tout projet de loi qui touche l'administration de
la justice et les droits des citoyens.
Ce projet de loi est apparu au Barreau très important pour les
Québécois; c'est pourquoi c'est le nouveau bâtonnier du
Québec, Me Viateur Bergeron, en poste depuis le 3 juin dernier, qui vous
présentera le mémoire du Barreau.
Le Président (M. Cardinal): M. le bâtonnier.
M. Bergeron (Viateur): M. le Président, M. le ministre,
madame et messieurs les membres de la commission, notre premier point sera le
suivant: Nous avons dit, dans l'introduction de notre mémoire, que nous
appuyions le but visé par cette loi, soit celui d'assurer à tout
citoyen du Québec qu'il puisse vivre en français dans toute la
plénitude du mot "vivre", qu'il s'agisse de son travail, de ses
communications ou de ses loisirs.
Nous sommes donc d'accord avec les objectifs généraux
recherchés par ce projet de loi. Nous avons cependant quelques
commentaires et quelques suggestions à faire sur les points suivants:
premièrement, la langue de la justice; deuxièmement, le conflit
ou, au moins, le conflit apparent entre la Charte de la langue française
et de la Charte des droits et libertés de la personne;
troisièmement, la législation réglementaire et,
quatrièmement, l'appel, c'est-à-dire, prévoir un
mécanisme d'appel.
Sur la question de la langue de la justice, notre position est
définie dans notre mémoire et elle est bien connue. Nous
demandons, premièrement, l'abolition de l'article 11 concernant
l'obligation pour les personnes morales de plaider dans la langue officielle
seulement.
Nous pensons que cet article n'est pas nécessaire pour la
poursuite des objectifs généraux de la charte; cette restriction
causera plus d'ennuis qu'elle n'apportera de bienfaits. Je résume
brièvement les arguments qui sont dans notre mémoire.
Dans le cas de l'article 12, nous sommes d'accord avec l'idée que
tout intéressé ait droit de recevoir des procédures en
français et quand je dis recevoir, c'est justement dans ce sens que nous
suggérons de modifier la loi pour prévoir que ce n'est pas tout
intéressé qui doit, mais plutôt toute personne qui a
reçu de la procédure.
Cependant, sur la façon dont ce droit sera exercé, le
projet actuellement est silencieux et il nous semble qu'il faudrait
prévoir des mécanismes. Faut-il les prévoir dans la loi
sur la langue? Faut-il les prévoir au Code de procédure civile?
Il appartiendra au législateur souverain de décider dans quel
texte il doit les mettre, s'il décide de les mettre. Nous pensons qu'il
faudrait prévoir comment ce droit accordé à l'article 12
sera exercé et quels seront les effets de l'exercice de ce droit.
Il est très important qu'une procédure,
rédigée en anglais, n'entraîne pas nullité. Il
faudrait sans doute prévoir un délai et un mécanisme que
nous ne proposons pas de façon précise, mais nous disons qu'il
faudrait en prévoir un de sorte que l'on puisse remédier à
cette lacune de la procédure adressée en anglais à un
francophone qui veut l'avoir en français, sans pour cela mettre en
péril les droits des individus concernés et sans ajouter des
délais qui pourraient être abusifs ou inutiles.
Evidemment, il peut arriver que des individus ou des avocats de langue
anglaise qui ont le droit et l'avantage de vivre au Québec ne soient pas
en mesure de rédiger rapidement en français une procédure
à la dernière minute.
Nous pensons qu'il ne faut pas les pénaliser,
tout en respectant le droit du francophone de recevoir cette
procédure en français.
Quant à l'article 13, je ferai des commentaires sur l'article 13
et l'article 35, paragraphe 1, en même temps, parce qu'évidemment,
cela touche la même question. Il s'agit de la rédaction des
jugements ou des sentences arbitrales. Nous sommes d'accord sur
l'amélioration au livre blanc qui a été apportée
dans le projet de loi, c'est-à-dire la possibilité pour un
anglophone de rédiger en anglais... ou, en tout cas, cette
précision qui ne nous était pas apparue claire dans le livre
blanc. Nous sommes également d'accord qu'il y ait une version
française authentifiée ou authentique qui en fasse foi. Le seul
point sur lequel nous sommes en désaccord est le suivant. Nous croyons
qu'en cas de désaccord entre les deux versions, entre la version
originale rédigée en langue anglaise et la version
française authentique qui l'accompagne, nous devrions donner
préséance à la version du rédacteur. De sorte que
nous pensons qu'il est plus utile de rechercher la pensée du
rédacteur en toute matière, aussi bien dans le domaine des
jugements que dans le domaine des conventions collectives.
Cela m'amène à vous parler du conflit, au moins apparent,
des deux chartes. Il nous semble que l'article 172 devrait être
abrogé ou retiré du projet. La position du Barreau
là-dessus date de 1975 et date même d'avant. Elle a
été affirmée carrément en 1975 quand on a fait
état de la primauté que l'on voudrait accorder à la
charte. Dans un mémoire qui avait été
présenté à la commission parlementaire dans le temps, le
Barreau avait fait état, justement, de la nécessité
d'accorder à la Charte des droits et libertés de la personne une
véritable primauté sur toute loi. Evidemment, le désir
légitime du Barreau avait été, avec beaucoup
d'à-propos, repris par l'honorable Jacques-Yvan Morin, qui est
maintenant ministre de l'Education, qui était alors chef de l'Opposition
officielle, et qui disait à la page 2750 des Débats de
l'Assemblée nationale de 1975, que, justement, les propos du Barreau,
à cet effet, "C'est ce qui faisait craindre le Barreau du Québec,
dans l'une de ses récentes déclarations, que le projet ne demeure
une déclaration de beau principe ou un énoncé de voeu
pieu. Pourtant, M. le Président, la nécessité d'une loi
fondamentale dont les principes primeraient les droits ordinaires et qui ne
pourrait être modifiée que par une majorité spéciale
ou qualifiée de cette assemblée n'est plus à
démontrer." Et il continuait ainsi en démontrant comment la
Charte des droits et libertés de la personne doit être vraiment
une loi qui prime toutes les autres lois."
Les propos du ministre Morin se continuent à la page 5135 des
débats de 1975, en date du 26 juin 1975 c'est presque un
anniversaire et M. Morin dit: "M. le Président, pour être
sérieux, je voudrais que l'on ajoute un paragraphe. Je propose la
rédaction suivante, j'en fais une proposition formelle et je tiens
à ce que l'on vote: "La présente charte prévaudra sur
toute disposition législative à compter de l'adoption par
l'Assemblée d'une loi de refonte des statuts du Québec." Cette
proposition n'ayant pas reçu l'appui nécessaire, M. Morin
revenait un peu plus tard en di- sant: "J'ai le sentiment que nous pouvons
affirmer ce principe de la primauté et que même, techniquement, il
ne serait pas nécessaire d'attendre une refonte des lois. "Si cette loi
était vraiment une charte, et nous espérons qu'on va la traiter
comme telle, même s'il y en a qui pensent que ce n'est pas une vraie
charte je parle de la Charte des droits et libertés de la
personne et si la primauté en était affirmée
dès maintenant, les autres lois seraient automatiquement
interprétées à la lumière de la charte et dans la
mesure où les dispositions de lois antérieures ou
postérieures seraient incompatibles avec la charte, elles tomberaient.
Nous n'avons même pas à attendre une loi de refonte", etc.
Nous soumettons, c'est à la page B-5135 des débats du
jeudi, 26 juin 1975... Nous sommes évidemment tout à fait
d'accord avec ces affirmations de M. le ministre Morin, alors chef de
l'Opposition officielle avec qui nous étions en accord également
en 1975. Nous estimons qu'il faut accorder à la Charte des droits et
libertés de la personne une véritable primauté. Si, chaque
fois qu'on adopte une loi, si importante soit-elle, postérieure à
la charte, on y fait accroc, comment pourra-t-on plaider auprès du
public que c'est sérieux, la Charte des droits et libertés de la
personne si, à tout propos, le gouvernement invoque toujours des raisons
pour ne pas la respecter?
Nous soumettons que le législateur, à ce sujet, devrait
donner l'exemple du respect de cette charte, votée unanimement, si ma
mémoire est bonne, par l'Assemblée nationale en 1975, en
troisième lecture.
Notre recommandation dit donc: Retirons l'article 172. Il y a
peut-être lieu de faire autre chose. Nous ne nous sommes pas
prononcés de façon détaillée là-dessus. Je
pense bien qu'il serait utile ou nécessaire de dire que nous
réservons notre droit de suggestion pour l'avenir si le gouvernement ou
l'Assemblée nationale propose un amendement qui serait possiblement un
amendement de la Charte des droits et libertés de la personne
elle-même, si l'on suit ce qui nous était apparu comme la
meilleure suggestion lorsque nous avons rédigé notre
mémoire.
Il faut dire aussi que l'honorable Burns avait également
appuyé le point de vue du Barreau en 1975. On trouve cela aux
débats de l'Assemblée nationale du 22 janvier 1975, à la
page B-312. M. Burns dit en réponse à une question:
"Personnellement, je me place dans la position d'un ministre qui
présente une loi. Je n'aurais aucune objection à me sentir
lié par des lois antérieures, lorsque ces lois sont aussi
fondamentales qu'une Charte des droits".
Nous sommes très heureux de reprendre à notre
crédit cette affirmation de l'honorable Burns et de la soumettre en tout
respect à cette honorable commission.
Je passerai maintenant à la législation
réglementaire. Sur ce point, une félicitation d'abord. Nous
sommes très heureux que le gouvernement ait accepté, à
l'article 65, dé prépublier les règlements. C'est une
précaution intéressante, qui a été longtemps
plaidée par le Barreau, et nous sommes
très heureux de voir cette suggestion à nouveau
incorporée dans l'article 65, premier paragraphe. Nous croyons que
l'importance de la législation réglementaire en matière de
langue obligera même cette honorable commission à entendre les
citoyens sur les projets de règlements, lorsqu'il y a lieu.
Nous voudrions signaler ce qui nous apparaît probablement un oubli
involontaire. A l'article 111, premier paragraphe: "L'office peut exiger de
toute entreprise de moins de 50 salariés qu'elle procède à
l'élaboration et à l'implantation d'un programme de
francisation."
Nous n'avons pas d'objection pratique à cet article. Ce qui nous
inquiète, ce sont les pouvoirs discrétionnaires accordés
à l'office, sans qu'il n'y ait obligation pour le gouvernement ou le
législateur d'édicter des règlements qui indiquent
d'avance à ces entreprises visées quelles sont les conditions
précises selon lesquelles la discrétion de l'office sera
exercée.
Nous croyons qu'il faudrait incorporer dans l'article 111 le pouvoir de
réglementation déjà prévu à l'article 109
pour les entreprises de plus de cinquante employés de façon que
les critères soient connus d'avance.
Enfin, une dernière suggestion qui nous apparaît quand
même importante, compte tenu des larges pouvoirs administratifs et
discrétionnaires accordés, entre autres, à l'office. Nous
pensons qu'il faudrait... Je voudrais signaler aux membres de cette commission
que, dans une des versions du mémoire, la recommandation qui est
à la page 15 n'est peut-être pas dans le texte que vous avez eu.
Elle se lit comme suit: "Créer un tribunal d'appel composé de
juges et investi d'un pouvoir de révision et de cassation des
décisions administratives autorisées par la loi."
Un peu plus en détail, cela veut dire ceci: J'ai fait la
liste de toute une série de textes où on accorde une large
discrétion administrative à l'office. Je vous en fais
grâce. C'est simplement pour faire le tour nous-mêmes. Vous avez
les articles 23 et 99, 37, 41, 42, etc. Nous croyons que ces pouvoirs
administratifs importants supposent un mode de contrôle. C'est la vieille
théorie du contrôle judiciaire et, à ce moment-là,
nous croyons qu'il est important que l'on crée un tribunal d'appel
composé de juges nous n'indiquons pas au législateur plus
que cela. Il nous fera sûrement des suggestions; le législateur
nous a démontré, ces derniers temps, qu'il a beaucoup
d'imagination dans ce domaine. Nous attendrons ses suggestions et
investi d'un pouvoir de révision et de cassation. Cela nous paraît
essentiel dans le cadre d'une véritable protection à accorder aux
citoyens à cause de l'importance des pouvoirs et des décisions
qui pourront être rendues par l'office.
Voilà, M. le Président, M. le ministre, madame et
messieurs, l'essentiel de notre présentation.
Le Président (M. Cardinal): Merci beaucoup, M. le
bâtonnier, d'autant plus que vous n'avez pas pris tout le temps mis
à votre disposition. Ce n'est pas du temps accordé en
supplément aux membres de la commission. M. le ministre d'Etat au
développement culturel.
M. Laurin: Je veux d'abord remercier le Barreau pour le
mémoire très constructif et positif qu'il vient de nous
présenter. Je le remercie également pour l'accord de principe
qu'il donne aux objectifs généraux du projet de loi. Nous
considérons toujours avec beaucoup d'attention les avis que nous fait
parvenir le Barreau, et comme le bâtonnier vient de le souligner
lui-même, c'est à la suite de représentations
antérieures qu'il nous a faites que déjà nous avions
procédé à quelques reformulations de notre avant-projet.
C'est avec la même attention que nous considérons toutes les
propositions qu'il nous fait aujourd'hui.
J'aborderai immédiatement les recommandations spécifiques
qu'ils nous font et, en particulier, celles qui concernent l'article 172. Je
remercie le bâtonnier de nous avoir rafraîchi la mémoire par
les déclarations de l'honorable Jacques-Yvan Morin, chef parlementaire
et chef de l'Opposition officielle du Parti québécois en 1975. Je
reprends entièrement à mon compte les déclarations, les
énoncés de principe faits à cette date par mon
collègue. Ceci correspond en effet, encore aujourd'hui, à la
philosophie de la société qui est la nôtre.
Je remarque que Me Jacques-Yvan Morin avait fait à
l'époque une motion qui n'avait pas été appuyée par
le gouvernement précédent. Il n'en demeure pas moins que le
principe qui était à la base de cette motion me semble encore
valable et nous essaierons dans toute la mesure du possible de le respecter. Je
me suis déjà expliqué à ce sujet. Si nous avons
inséré cet article 172 dans le projet de loi, c'est parce que
nous voulions signaler que nous étions très conscients de la
concordance à effectuer entre ces deux lois, mais que, par ailleurs,
dans ce domaine délicat, complexe, nous n'avions pas terminé
notre étude. Nous avions une inquiétude, cependant, c'est que
certaines dispositions du projet de loi no 1 puissent être rendues
inopérantes par certaines actions judiciaires, si ce problème
n'était pas résolu avant l'adoption du projet de loi. Nous
n'avions pas la prétention d'avoir étudié le
problème dans sa complexité et dans son entier et nous attendions
les suggestions de spécialistes, de corps tel que le Barreau ou
d'organismes tels que la Commission des droits et libertés de la
personne, afin de prendre une décision définitive à cet
égard.
Nous avons toujours été persuadés cependant que le
projet de loi no 1 ne constituait en rien, du moins, pour l'essentiel, une
atteinte aux principes énoncés dans la Charte des droits et
libertés de la personne et aux modalités d'application des droits
qui y paraissent. C'est encore notre conviction. Je pense qu'à la suite
des suggestions qui nous sont faites et qui nous conduiront sûrement
à reformuler l'article 172 ou à la remplacer par des articles
plus idoines, plus pertinents, cette affirmation que nous faisons
s'avérera et que notre philosophie apparaîtra d'une façon
plus claire. Je tiens cependant à souligner que, même
actuellement, la
Charte des droits et libertés de la personne, par son article 52,
laisse la porte ouverte à des modifications.
Ce qui veut dire que même une Charte des droits et libertés
de la personne n'est pas sacrée au point qu'on ne s'interdise à
jamais de la modifier, car on ne peut figer l'évolution d'une
société. Le droit aussi est une discipline qui évolue, qui
constate les changements qui s'effectuent au sein d'une société
qui les entérine, qui les juge parfois, mais qui les entérine
aussi souvent. Je pense que si le législateur a laissé une porte
ouverte à l'article 52, c'est précisément pour faire droit
à cette évolution nécessaire des sociétés,
à telle enseigne que, très prochainement, nous serons
obligés, nous présenterons une loi qui nous obligera à
modifier l'article 52. Je pense, par exemple, aux modifications que nous
voulons présenter prochainement à la Loi des petites
créances. C'est un exemple qui pourra se répéter dans
l'avenir.
La Charte des droits et libertés de la personne est donc, en ce
sens, malgré son caractère extraordinaire, une loi qui est
susceptible d'amendement et qu'on ne devrait pas révérer à
l'exemple du veau d'or. C'est un instrument essentiel, bien sûr. C'est un
gardien des fruits de notre civilisation, mais il reste quand même que
nous avons le droit de la regarder et de l'amender lorsque les besoins et les
aspirations légitimes des individus et de la société
l'exigent.
Par ailleurs, même si la Loi des droits et libertés de la
personne porte le nom de charte, elle n'est quand même pas le seul corps
législatif qui puisse mériter ce nom. Si nous avons donné
le nom de charte à la loi qui prétend défendre et
promouvoir le français au Québec, c'est que,
précisément pour nous, cette visée nous paraissait
essentielle, aussi bien dans les circonstances actuelles que dans une optique
plus large et qui s'étend davantage dans le temps.
Il reste, encore une fois, que je reprends pour ma part, à mon
compte, la philosophie qui a présidé aux énoncés de
Me Jacques-Yvan Morin, dans le temps où il s'exprimait sur ce sujet, et
que nous tenterons d'expliciter, à la lumière de ces principes,
les préoccupations qui sont les nôtres.
En ce qui concerne l'article 11, j'aurais beaucoup de questions à
vous poser. Je voudrais vous demander si, à votre connaissance, il est
vrai que tous les avocats au Québec sont bilingues?
M. Bergeron: C'est difficile de... On n'a pas fait de sondage
scientifique là-dessus, sauf que, d'expérience, je ne crois pas
que l'utilisation très libre, dont j'ai eu connaissance moi-même
plusieurs fois en cour et dans les actions judiciaires, de l'anglais et du
français ne m'a paru, à moi, gêner aucun confrère
depuis 1960, depuis que j'exerce le droit. C'est un témoignage, et les
témoignages de beaucoup de confrères autour de moi sont en ce
sens. Il y avait quelques petits accrochages, des fois, qui seront
corrigés.
Je vous signale, par exemple, que, lorsqu'un juge anglophone rend une
décision en anglais, qu'on puisse avoir une copie authentique en
français, c'est excellent, parce que, parfois, les fran- cophones se
plaignaient, je pense à bon droit, de ne pas avoir une copie du jugement
en français et tous les juges ne se sentaient pas aussi libres de
s'exprimer, parce que c'est beaucoup plus facile de comprendre.
Les avocats m'ont toujours paru, en tout cas dans le district de
Montréal ou dans le district de Hull que je connais mieux, où,
d'ailleurs, la question de l'anglais et du français se pose
quotidiennement... Vraiment, il s'était développé des
mécanismes pratiques de fonctionnement qui ne créent pas de
problèmes, de l'avis quasi unanime de tous les confrères.
Alors, nous disons: Cela va bien dans ce domaine. On ne se pile pas sur
les pieds. On se respecte. Chacun parle la langue qu'il veut et est compris de
l'autre, raisonnablement. C'est bien de prévoir la possibilité
d'interprètes. Cela existait déjà. On a toujours pu avoir
recours à la possibilité des interprètes.
Alors, on se dit: Pourquoi changer cette chose qui ne semble pas
créer de problème et qui semble satisfaire les droits de tout le
monde? Si on voulait codifier les coutumes innombrables en vertu desquelles
cela se fait, cela serait très difficile, mais nous ne pensons pas qu'il
y ait lieu de changer le régime qui ne crée pas de
problème, de l'aveu d'à peu près tout le monde.
Evidemment, au Québec, quel que soit le statut politique
et ici, notre intervention est absolument apolitique; nous n'avons pas à
prendre partie pour un parti ou pour l'autre et nous nous en abstiendrons
absolument... A l'université comme au Barreau, un juriste avocat,
notaire ou professeur doit être un bilingue assez parfait à cause
du nombre d'ouvrages en anglais dont il doit obligatoirement prendre
connaissance et, de plus en plus, avec l'influence américaine qu'on ne
peut pas oublier. On ne peut pas rejeter tout ce qui se fait ailleurs. C'est
évidemment en langue anglaise que beaucoup de volumes et de sources
extrêmement importantes sont disponibles, et la jurisprudence des autres
provinces du Canada, la jurisprudence ancienne du Conseil privé, la
jurisprudence ancienne de la Cour suprême, lorsque les jugements
n'étaient pas rendus dans les deux langues... Donc, il y a une certaine
obligation naturelle et normale pour les avocats de connaître l'anglais,
de bien le comprendre, de bien le lire et de pouvoir le parler raisonnablement,
même s'il le parlent avec un accent et, au Barreau, on n'est pas
scrupuleux. Les accents ne nous font pas rire. Alors, que les gens parlent le
français ou l'anglais avec un accent, on s'inquiète beaucoup plus
du message que de la forme ou de l'accent ou de la prononciation du
bonhomme.
Cela a été notre expérience. C'est pourquoi on
hésite à introduire des règles qui vont changer le
système qui fonctionne bien, avec lequel on s'accommode et, s'il y a des
petits accrochages, comme la version française de tout jugement pour
tout justiciable qui en veut une ou qu'on en fasse une automatiquement, je suis
d'accord. C'est très bien, mais il y a peu de choses à corriger
dans ce domaine, il me semble.
M. Laurin: Arrive-t-il que des avocats francophones qui plaident
devant les organismes fédéraux, un tribunal fédéral
quelconque où la Cour suprême soient obligés de plaider en
anglais.
M. Bergeron: J'ai plaidé moi-même à plusieurs
reprises devant la Cour suprême du Canada et je ne me suis jamais
posé la question. Un juge de la Cour suprême qui est maintenant
décédé, qui a été juge en chef, l'honorable
Taschereau, m'avait dit: Si tu es francophone et si tu plaides devant la Cour
suprême, à moins d'être parfait en anglais, plaide donc dans
ta langue. Les juges estiment qu'ils comprennent tous le français et, en
fait, je pense qu'ils le comprennent tous très bien et je me suis
toujours senti personnellement je ne peux pas parler pour tout le monde
mais j'ai plaidé avec des conseils, j'ai vu d'autres
confrères, je pense qu'actuellement, en tout cas... J'ai plaidé
devant la Cour suprême du Canada la semaine dernière en
français, en me sentant tout à fait à l'aise. Je pense
qu'il en est de même devant la Cour fédérale,
d'après le témoignage des confrères que j'entends. Je
pense qu'on n'est vraiment jamais, devant les organismes
fédéraux, obligé de plaider en anglais, quand on est
francophone.
M. Laurin: Avez-vous l'impression que c'est une pratique
générale qui est suivie maintenant ou si c'est votre cas
personnel? Est-ce que votre cas personnel est imité à peu
près par tout le monde?
M. Bergeron: Oui. De plus en plus, les avocats francophones
plaident en tout cas devant la Cour suprême où j'ai vu plus
souvent l'affaire en français, et on conseille à des
confrères qui nous posent la question de plaider en français.
M. Laurin: Dans les autres provinces, on sait que parfois des
avocats francophones sont obligés de plaider en anglais, que ce soit en
Ontario, au Manitoba, par exemple. Je pense à cette fameuse cause qui
est présentement en instance où un M. Forest a
présenté une plainte. Son avocat francophone a plaidé en
anglais, le juge francophone a également rendu son jugement en anglais.
Est-ce qu'on pourrait conclure de cette pratique, qui est
générale au Manitoba et en Ontario, que le client, du fait qu'il
est francophone, mais qu'il est défendu en anglais par un avocat
anglophone, ne peut réussir à obtenir de son avocat qu'il plaide
dans une langue différente de la sienne, que la qualité de son
action soit amoindrie, du fait que l'avocat francophone plaide dans une autre
langue que la sienne?
M. Bergeron: On est un peu loin de notre mémoire, mais je
vais essayer d'y répondre quand même. Le problème est
très différent en Ontario et au Nouveau-Brunswick. Je ne connais
pas beaucoup la situation au Manitoba. Mais j'ai rencontré de nombreux
avocats de l'Ontario et de nombreux avocats du Nouveau-Brunswick. Or, ces
avocats ont été "entraînés", si on me permet le mot,
ont fait leurs études et ont toujours travaillé en anglais.
Curieusement, plusieurs avocats francopho- nes, dans ces provinces, pour
être très franc, auraient de la difficulté demain à
se mettre à plaider en français si on ne met pas à leur
disposition des outils comme des lexiques bilingues et différents
ouvrages traduits en français ou ayant une version anglaise et une
version française, l'une à côté de l'autre parce
qu'ils ont toujours travaillé en anglais. Ce n'est pas le cas des
avocats francophones ou anglophones au Québec où chacun, de plus
en plus, travaille dans les deux langues ou principalement dans sa langue.
De sorte que l'argument que l'on fait dans notre mémoire, c'est
là sans doute que vous l'avez pris, de la plus grande facilité
pour un avocat anglophone ou francophone de plaider dans sa propre langue,
c'est très valable, à notre avis, pour les avocats du
Québec qui ont cette tradition de bilinguisme, cette obligation
d'être bilingue, et ils sont habitués à s'exprimer dans
leur langue.
Pour ma part, je me sens beaucoup plus à l'aise de plaider en
français, évidemment, qu'en anglais, et je pense que c'est
l'inverse pour un certain nombre de confrères. C'est vrai pour le
Québec, mais c'est bien particulier au Québec, à cause de
notre tradition de bilinguisme judiciaire pratique, si on peut dire.
M. Laurin: Etant donné que votre suggestion d'abroger
l'article 11 impliquerait justement qu'on laisse le libre choix aux parties de
plaider dans la langue qui leur convient le mieux, est-ce que je pourrais vous
demander votre réaction à la suggestion que la question de ce
libre choix soit soumise aux parties, au consensus des parties, à
l'instance?
M. Bergeron: C'est l'addition qui a été faite. Le
problème de cette addition, c'est que ça nous amène, nous
semble-t-il, à une situation impossible. C'est-à-dire que si vous
avez un francophone et un anglophone irréductibles, ils ne consentiront
jamais. Ou bien, si le francophone consent, il va être obligé de
plaider en anglais, parce qu'en somme, si j'ai bien compris le texte, on veut
éliminer le bilinguisme judiciaire, à toutes fins pratiques.
C'est un choix qu'on peut faire. Mais ça fait en sorte qu'un droit qui
m'apparaît plus fondamental, c'est que la personne ne peut pas s'exprimer
dans la langue qu'elle connaît le mieux, je parle du français ou
de l'anglais, alors que l'autre comprend.
Evidemment, la seule restriction qu'on pourrait peut-être
imaginer, c'est lorsque quelqu'un ne comprend absolument pas l'anglais et il
pourrait dire: Au Québec, quand on ne comprend absolument pas l'anglais,
je voudrais que les débats se fassent en français ou qu'on me les
traduise régulièrement, qu'on me mette à l'aise. C'est
normal. Il faudrait peut-être prévoir un mécanisme. On
pense que l'article, tel que rédigé, va trop loin et que
l'addition empire la situation, parce qu'elle crée une situation qui
m'apparaît identique à celle que certains juges de l'Ontario m'ont
exposée. Cela n'est pas une présentation scientifique, mais ils
m'ont dit que, dans certains milieux, lorsque les avocats étaient
francophones, l'accusé franco-
phone, que ça se passait au criminel que le juge était
francophone et qu'il n'y avait pas d'appel de la décision, parce que
s'il y a un appel, il fallait que le procès, en tout cas tout
récemment, se fasse en anglais.
Là, tout le monde ayant consenti, on faisait l'affaire en
français, parce que ça n'allait pas plus loin que le juge de
première instance. C'était exceptionnel, mais ça se
faisait de temps en temps. On s'est servi de ça comme exemple pour
essayer d'élargir l'expérience des tribunaux bilingues comme on
vient de le faire en Ontario, où trois juges vont siéger et
présider des procès en français.
Autrement, pour tout le monde, vous pouviez avoir la situation et vous
l'avez encore de façon générale, à mon avis,
où vous avez tous des francophones qui sont obligés de
procéder en anglais. Ici, on aurait l'inverse. Vous pourriez avoir tous
des anglophones qui sont obligés de procéder en français
de façon maladroite et de façon mal à l'aise et
inutilement, nous semble-t-il, parce que les avocats sont suffisamment
bilingues pour se débrouiller facilement là-dedans.
En somme, la philosophie qui sous-tend notre mémoire dit: Les
objectifs que vous visez, on trouve ça excellent, mais nous ajoutons:
Dans certains cas, est-ce que vous n'allez pas un peu loin un peu vite? Si vous
essayez le régime sans mettre ça, nous croyons que ça nous
semble une aspérité sur laquelle les gens vont s'accrocher en
passant, sans nécessité. Enlevons ça et essayons le
régime. Il y a déjà beaucoup de choses dans votre projet
de loi, si on vivait avec cela un peu. On verra, le législateur est
souverain, il pourra réintroduire quelque chose de semblable à
n'importe quel moment, si les objectifs visés n'apparaissent pas avoir
été atteints.
Si vous me permettez, M. le ministre, j'aimerais vous faire un petit
commentaire sur l'article 172 sur lequel vous avez... je suis content que nous
soyons d'accord sur les principes, c'est sur la mise en oeuvre que nous
différons d'opinion.
M. Laurin: Pour le moment.
M. Bergeron: M. le ministre, pourrais-je vous faire une
suggestion relativement à l'article 172? J'en parlais avec mes
collègues ce matin, en chemin, et on se disait: II nous semble peu
probable peut-être sommes-nous naïfs qu'il y ait
autant de conflits entre les deux chartes.
M. Laurin: Très certain.
M. Bergeron: Si c'est vrai et comme on présume de la bonne
foi, on pourrait présumer que cette situation normale est raisonnable
aussi; pourquoi ne pas enlever l'article 172? Laissons le jeu des forces
démocratiques et les libertés s'exercer, dans le cadre de ce
nouvel objectif. Si vraiment, il y en a qui exagèrent, la Charte des
droits et libertés de la personne et la commission pourront allumer le
feu rouge, et dire: Non, là, vous ne respectez pas les droits
fondamentaux. Vous faites de la discrimination inacceptable à notre
point de vue. C'est pour cela que la commission existe.
Laissons-lui jouer son rôle. Dans le cas de l'article 172, ma
suggestion serait la même. Vivons avec le projet de loi, sans l'article
172, au moins pour un an. Vous savez, quand le projet de loi 22 a
été proposé, je me rappelle avoir entendu beaucoup de
confrères dire: "Beaucoup de gens prétendent qu'il y aura toute
une série de procès à la suite de l'adoption de cette
loi". A ma connaissance, il n'y en a eu qu'un. On ne va pas faire un drame
parce qu'une loi a engendré un procès, fût-il important,
fût-il sérieux? Cela ne nous paraît pas avoir
paralysé la mise en application de la loi 22, telle qu'elle a
été adoptée, avec ses grandeurs, ses misères et ses
défauts.
Est-ce qu'on ne pourrait pas essayer de vivre sans l'article 172? Il
nous semble que cela pourrait permettre au gouvernement de dire: Ecoutez, voyez
comment, malgré nos objectifs qui visent à faire en sorte que la
majorité francophone se sente chez elle et vive pleinement en
français, selon ses désirs, cela n'affecte pas les droits
fondamentaux de la personne et ses libertés. La preuve, c'est
qu'à la suite des suggestions qu'on nous a faites, on l'a enlevé,
l'article 172, laissant à la commission sa pleine chance de jouer son
rôle.
C'est une position d'une force extraordinaire pour un gouvernement comme
le vôtre et pour une Assemblée nationale comme celle que nous
avons au Québec. Il y aurait, j'imagine, une possible unanimité
de tous les partis là-dessus. Cela donnerait une grande force aux deux
lois, qui n'est pas négligeable. Il n'y a pas de doute, ce sont deux
lois très importantes. Est-ce qu'il y en a une qui doit primer? Il nous
semble que oui, parce que les droits fondamentaux doivent toujours rester
fondamentaux. Il ne faut pas toucher à cela. Il faut trouver tous les
moyens de ne pas y toucher. Nous nous permettons cette suggestion, M. le
ministre.
M. Laurin: Je vous remercie beaucoup pour cette suggestion. Pour
terminer, je voudrais commenter brièvement trois autres recommandations
que vous nous faites. Vous nous demandez de préciser le mot
"Québécois". Soyez sûr que nous sommes à l'oeuvre et
que le projet de loi sera très clair à cet égard.
Vous nous demandez aussi, à l'article 12, de remplacer "tout
intéressé" par "celui qui reçoit les avis, citations",
cela aussi nous semble être une suggestion très valable et nous
allons la prendre en très sérieuse considération.
Enfin, en ce qui concerne l'article 111, qui intéresse les
entreprises de moins de 50 employés, il nous paraît, en effet,
sérieux d'envisager, là aussi, une réglementation, ne
serait-ce que pour apaiser certaines inquiétudes légitimes.
Là aussi, je pense bien que nous ferons l'impossible pour suivre votre
suggestion.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Merci, M. le Président. M. Bergeron, je
désire remercier le Barreau de son mémoire, plus
particulièrement, de la présentation
qui en a été faite, sans la formalité qui souvent
accompagne une telle présentation, et plus particulièrement dans
les réponses que vous avez données ou dans les commentaires que
vous avez faits à la suite des remarques du ministre. Vous avez fait
preuve d'une rigueur intellectuelle, d'un à-propos qui, je
l'espère, et j'en suis presque sûr, ont impressionné tous
les membres de cette commission. Je vous en félicite.
Au départ, j'ai trouvé votre mémoire
extrêmement pertinent. Ce sont des questions que plusieurs personnes
d'ailleurs, et plusieurs groupes et je ne veux pas vous enlever la
paternité de ces idées ont soulevées, des questions
qui inquiètent beaucoup de gens relativement au projet de loi no 1.
Lorsque, à la première page, vous dites que vous
êtes d'accord avec les objectifs, il serait intéressant de relever
tous les mémoires qui ont été présentés ici
par les intervenants et de démontrer jusqu'à quel point
l'unanimité est établie là-dessus. Je pense aussi
je ne veux pas parler pour les autres partis politiques que nous nous
entendons sur la pertinence et le bien-fondé des objectifs que l'on
recherche, de même les milieux anglophones. C'est sur les moyens qu'on ne
s'entend pas toujours et, de plus en plus je pense qu'il est trop
tôt pour faire l'inventaire de cette commission parlementaire on
s'aperçoit qu'une loi touchant la personne de façon aussi intime
dans sa façon de s'exprimer, dans la langue qu'elle choisit, dans sa
culture, cette loi doit faire preuve de beaucoup de mesures, même si on
doit, à ce moment-là, faire preuve... ou se restreindre un peu
dans ses envolées émotives, dans le battage publicitaire qu'on
est tenté d'en faire, dans le capital politique qu'on est tenté
d'en rechercher. Je pense que la responsabilité d'un gouvernement,
à ce moment-là, est beaucoup plus liée à la
façon, à la mesure avec laquelle il va mettre en oeuvre une loi
linguistique.
J'ai eu l'occasion je pense que c'est au début du discours
du budget, je crois que c'était après la publication du livre
blanc de faire un appel au gouvernement avant la publication de son
projet de loi, un appel à la tolérance. Un certain climat, une
certaine atmosphère dans le livre blanc m'avait inquiété
à ce propos-là. J'ai voulu faire l'appel de façon non
partisance en mettant peut-être derrière cet appel
l'expérience que j'ai vécue dans l'application de la loi 22.
Qu'on en pense ce qu'on voudra, cela nous a quand même donné en
tout cas, à moi personnellement, une connaissance un peu
privilégiée de ce qui arrive quand on essaie d'appliquer une
telle loi. Même lorsqu'il n'y a pas d'intolérance, qu'il n'y a
qu'apparence d'intolérance, le dialogue est brisé.
Je ne pense pas que le projet de loi no 1 fasse état de cet appel
que je lui avais fait. Il contient encore beaucoup de moyens trop abusifs. Je
pense que le gouvernement a mis ses gros sabots pour légiférer
là-dessus, par inexpérience, ignorance ou intérêts
politiques, je l'ignore. Ce n'est pas le but de mon propos de lui prêter
des intentions, c'est simplement de juger du résultat. A ce point de
vue, votre mémoire et celui de bien d'au- tres ont soulevé des
questions extrêmement pertinentes. Déjà en mars, j'avais
demandé au gouvernement s'il avait l'intention de mettre de
côté la Charte des droits et libertés de la personne. Le
livre blanc n'était même pas publié à ce
moment-là. J'avais reçu un engagement formel et solennel du
ministre de la Justice selon lequel la Charte des droits et libertés de
la personne serait respectée. On l'ampute à froid et on me dit:
Une fois amputée, elle sera respectée. C'est une réponse
qui, de la part d'un ministre de la Justice, n'est pas acceptable et je pense
que, surtout depuis la publication... Je pense qu'on doit rendre hommage
à la Commission des droits de la personne d'avoir fait, de sa propre
initiative, cette étude datée du 6 juin. J'avais demandé
au ministre de la Justice de consulter la commission et il avait refusé.
Nous devons à la commission sûrement un témoignage de
reconnaissance.
Depuis la publication, je pense que le gouvernement s'est rendu compte
de l'importance. Vous savez, quand les gens de l'Opposition invoquent des
arguments, il arrive quelquefois qu'ils ne sont pas pris très au
sérieux, parce qu'on dit: II faut qu'ils soient contre. Cela prend un
petit peu plus de temps, à ce moment, pour établir la
crédibilité de ces arguments. Il n'y a pas de doute que
l'exercice que nous faisons actuellement, y compris votre mémoire ce
matin, est un élément essentiel pour faire comprendre au
gouvernement le sérieux des objections que nous pouvons avoir.
Quant à votre suggestion pour l'article 172, je serais prêt
à l'accepter, oui. J'aimerais peut-être que le ministre,
éventuellement mais je ne peux pas lui poser de questions, la
procédure, actuellement, l'empêche quand il nous dit que le
gouvernement est inquiet, que certaines dispositions seraient devenues
inopérantes si la Charte des droits et libertés de la personne
était demeurée telle quelle... D'un autre côté, on
nous dit: On ne viole pas la Charte des droits et libertés de la
personne. Alors, il y a une certaine contradiction. Sous réserve de ces
questions, je serais d'accord avec vous pour vivre avec la Charte des droits et
libertés de la personne et de voir. Au pis aller, au moins, qu'on
s'impose le devoir de définir clairement les droits, s'il y a des droits
collectifs il y en a sûrement à définir et
les droits des minorités. C'est la conclusion de la commission des
droits et libertés de la personne.
On peut reprocher à ce projet de loi une absence, une
façon de libeller les articles, de créer des droits sans
obligations tout à fait claires, obligations correspondantes, et surtout
de ne pas parler des droits de cette autre réalité
québécoise, qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, qui est
l'existence de minorités. A ce propos, je pense que, si le gouvernement
n'accepte pas votre suggestion, je suis de plus en plus optimiste, toutefois,
et l'ouverture du ministre ce matin doit être remarquée,
peut-être signalée, même par l'Opposition. J'espère
et j'engage le gouvernement à faire l'effort de définir... Si on
veut changer la Charte des droits et libertés de la personne je
suis d'accord avec le ministre, ce n'est pas immuable qu'on prenne les
façons, les manières de changer une charte,
qu'on consulte tout d'abord la commission des droits et libertés
de la personne sur les changements à apporter, qu'on consulte la
population, qu'on convoque la commission de la justice et non pas celle de
l'éducation.
Je pense que l'aspect fondamental de cette charte est de plus en plus
reconnu. Malheureusement, le député de Maisonneuve, que vous
mentionniez tantôt, a un peu changé d'idée quant au bill 2.
M. le Président, vous allez me rappeler à l'ordre, étant
donné qu'on étudie le bill 1. Je crois quand même que les
témoignages que vous avez mentionnés sont pertinents.
Sur la traduction des jugements, j'ai bien aimé votre
exposé. On a ici un expert, apparemment, en traduction; je ne veux pas
lui donner plus de compétence qu'il n'en a, peut-être qu'il en a
plus que je ne lui en donne. De toute façon, le député de
Deux-Montagnes, on m'a dit qu'il était un expert en traduction. Il nous
avait fait une remarque ici, il y a quelques jours, en latin, je ne me souviens
pas exactement, mais en traduction libre, je lui demande de me corriger si je
fais erreur, ce serait un peut "traduire, c'est trahir", ou quelque chose comme
cela.
M. de Bellefeuille: M. le Président, je voudrais seulement
apporter un correctif. C'était en italien et non en latin.
M. Lalonde: Ah bon!
M. de Bellefeuille: C'était "traduttore, tradi-tore".
M. Lalonde: Ma connaissance du latin a quelques années et
celle de l'italien, encore plus. Traduire, c'est trahir. Je pense qu'en
français, c'est assez bien aussi, phonétiquement.
M. Alfred: Traduire, c'est trahir.
M. Lalonde: Traduire, c'est trahir, surtout dans une science
aussi inexacte que le droit, où la nuance est un élément
essentiel.
Je suis d'accord avec vous que pour le droit fondamental d'une meilleure
justice à chaque contribuable, à chaque justiciable, on doit
choisir la langue de celui qui a fait le jugement. Je suis tout à fait
d'accord avec vous, et j'espère que le ministre vous écoutera
aussi.
Quant à l'article 65, oui, je suis prêt à souscrire
aux félicitations que vous adressez au gouvernement, quoiqu'elles me
semblent se retrouver hors contexte. Parce que même plusieurs lois, en
fait, ça devient une habitude, c'est devenu presque une tradition et
même la loi 22, qu'on ne mentionne pas ici, parce que c'est
sacrilège, prévoyait une prépublication de 90 jours, ce
qui est assez exceptionnel. Je dois vous dire que dans la mise en application
de cette loi pendant deux ans, les deux ans qui ont été
consacrés surtout à la préparation des règlements,
cette prépublication de 90 jours a été d'une aide
exceptionnelle pour le gouvernement, pour éviter des écueils,
etc.
Est-ce que le ministre pourrait changer de 60 à 90 jours, lorsque
nous arriverons à l'étude article par article, probablement que
nous lui ferons cette suggestion.
Je n'ai pas de questions particulières. Je pense que votre
mémoire, sur les sujets que vous soulevez, est extrêmement
pertinent et je vous en félicite. Je vous remercie.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Lotbinière.
M. Biron: M. Bergeron, je vous remercie de votre mémoire.
Je suis frappé en particulier par l'importance que vous attachez aux
droits de la personne, surtout devant les tribunaux. Je ne
répéterai pas ce que le député de
Marguerite-Bourgeoys a dit tout à l'heure, mais j'ai déjà
dit ici que j'ai vécu une expérience à peu près
similaire en langue anglaise, toutefois, parce que j'avais accepté de
plaider en langue anglaise devant la Cour fédérale. Or,
après coup, je me suis aperçu que j'aurais dû plaider en
langue française et laisser l'autre partie plaider en langue anglaise
aussi. J'ai voulu accélérer les débats, mais ça n'a
pas été à mon avantage, à cause des nuances que
vous avez mentionnées tout à l'heure, tout ce qu'il y a dans le
domaine du droit, en particulier. Alors, je n'ai pu livrer le fond de ma
pensée et le fond de mon âme dans mes problèmes
particuliers ou dans les réponses que j'avais à apporter aux
questions de mon procureur ou du procureur de l'autre partie.
Je suis totalement d'accord avec vous lorsque vous suggérez que
le projet de loi no 1 laisse aux individus et même aux personnes morales
à l'époque, je représentais une personne morale,
mais comme individu, j'étais là le droit de
répondre ou d'être questionnés dans leur langue devant les
tribunaux de notre province, de notre pays.
Je voudrais vous poser quelques questions en particulier pour
m'éclairer, car je ne suis pas un juriste. A la page 10 de votre
mémoire, vous dites: Nous suggérons que l'article 13
précise plutôt que les deux versions du jugement soient
officielles et, en cas de divergence, la version originale prévaut,
quelle que soit la langue de cette version. Comme juriste, comment voyez-vous
l'ajustement de ces deux versions, en fonction de la langue officielle ou des
langues officielles?
M. Bergeron: Vous avez déjà des lois qui sont
généralement en deux versions et ça ne pose pas de
problèmes irréconciliables. Ce n'est pas si fréquent que
ça qu'il y ait une différence entre la version anglaise et la
version française. Il y a peu de procès qui ont été
faits sur la différence des versions, de toute façon, et je ne
pense pas que le fait qu'il y ait deux versions... Je pense que les deux
versions devraient être originalement, quant aux originaux, ensemble,
dans le dossier de la cour, les parties choisissant de demander les deux
versions ou de n'en demander qu'une seule, puisque les deux sont authentiques
et officielles. Mais on pourrait adopter le système de la Cour
suprême, de la Cour fédérale, quand on publie les
jugements, on les publie côte à côte.
C'est avantageux parce qu'on peut tout de suite avoir... C'est une
façon de vérifier l'exactitude et la concordance des deux
versions quand on les a côte à côte. C'est beaucoup plus
facile. Cela pourrait être une façon. Les jugements de la Cour
suprême sont rendus selon cette méthode, les jugements officiels.
Vous avez les deux versions côte à côte. Quand on a à
vérifier si on est d'accord avec le projet de jugement c'est une
procédure particulière où le registraire de la cour nous
envoie un projet de jugement, il nous envoie un projet de jugement dans les
deux langues, sur la même feuille. Alors, on regarde les deux versions et
on a tout de suite, en face de nous, les deux versions, commodément, et
on peut voir si c'est conforme à la décision de la cour et si les
deux versions concordent. Je pense, en tout cas je n'ai pas eu connaissance,
depuis que le système a été mis en place à la Cour
suprême qu'un seul débat soit retourné devant la cour quant
au sens à donner à cause des versions. Il y en a des
débats, mais sur le sens à donner au jugement, mais je n'ai pas
eu connaissance... Je ne dis pas qu'il n'y en a pas eu, mais je n'ai jamais
entendu dire qu'il y avait eu des débats. Pourtant, je peux dire
qu'à l'époque, beaucoup de confrères anglophones avaient
fait beaucoup d'objections à ce qu'il y ait deux versions côte
à côte, aussi bien dans les lois fédérales que dans
les jugements de la Cour suprême, par exemple, en disant: Cela fera
l'objet de procès, de discussions et des difficultés
énormes. On attend encore les difficultés, à toutes fins
pratiques.
M. Biron: C'est peut-être plus facile au niveau
fédéral, où on reconnaît officiellement le
français et l'anglais comme les deux langues officielles du pays,
d'avoir les deux versions, et, s'il y a difficulté
d'interprétation, c'est toujours la version originale qui
prévaut. Mais, au Québec, y aurait-il possibilité de
reconnaître une certaine officialité a l'anglais au point de vue
des textes de loi, parce que si on ne reconnaît l'anglais nulle part dans
cette charte linguistique, c'est quand même difficile de dire qu'un texte
de loi ou qu'une version de jugement originairement en anglais va
prévaloir sur la version de jugement en français?
M. Bergeron: Je pense que le ministre a dit à plusieurs
reprises que l'anglais n'est pas devenu hors-la-loi, premièrement. Donc,
on peut dire dans une loi: Un jugement rédigé en anglais ou une
traduction anglaise d'un jugement en français sera officielle. Je ne
pense pas que cela crée quelque difficulté que ce soit. C'est
parfaitement dans les pouvoirs de l'Assemblée nationale de
décréter cela, et je ne crois pas que quiconque pourrait y
trouver l'ombre ou un soupçon de matière à
procès.
M. Biron: Voudriez-vous voir dans une charte linguistique les
droits de l'anglais définis plus clairement parce que, jusqu'à
maintenant, les droits de l'anglais ne sont pas définis dans cette
charte?
M. Bergeron: Nous n'avons pas étudié du tout cet
aspect de la question et je n'aimerais pas vous donner une réponse du
bout des lèvres ou sans réflexion sur un problème aussi
sérieux que celui que vous soulevez. Nous n'avons pas
étudié la question du tout.
M. Biron: Mais en ce qui concerne la langue des tribunaux, la
langue de la justice, le fait qu'on ne mentionne à peu près pas
l'anglais ou qu'on le laisse de côté dans cette charte, cela ne
vous crée pas de problèmes?
M. Bergeron: Là où cela nous crée des
problèmes, on l'a signalé. On a dit: Dans tel domaine, par
exemple, on voudrait que vous laissiez les parties libres de parler l'anglais.
C'est cela que ça veut dire. C'est-à-dire que l'anglais peut
être utilisé, selon notre interprétation de la charte,
devant les tribunaux, sans aucun problème, à moins d'une
interdiction nouvelle qui vienne dire qu'on ne peut pas l'utiliser. Nous avons
vu certaines interdictions qui nous apparaissent créer des
problèmes. Nous avons suggéré des moyens de les
éliminer, mais, pour le reste, je pense qu'il n'y a pas de
problème à ce qu'une personne puisse témoigner en anglais,
qu'une personne physique ou l'avocat d'une personne physique puisse plaider en
anglais et même faire ses procédures en anglais. On n'est pas dans
la situation découlant d'une vieille tradition qui reposait,
apparemment, sur une ancienne loi dans les provinces de "common law", qui
rendait seules possibles les choses en anglais. On espère que jamais on
ne se retrouvera dans cette situation et nous avons compris qu'on
n'était pas dans cette situation, on est content de ne pas y être
et on espère qu'on n'y sera jamais.
Cela pourrait nous poser des problèmes, mais les
éléments de problèmes que vous soulevez ne nous
apparaissent pas exister dans la charte, car il n'y a pas d'interdiction
générale d'utiliser l'anglais, mais il y a des points
particuliers sur lesquels on a fait des restrictions. On espère bien
qu'on va en enlever le maximum.
M. Biron: Je remarque aussi que vous avez mentionné
quelque part que, de plus en plus, les personnes morales sont
représentées par un individu. Pouvez-vous expliciter
davantage?
M. Bergeron: D'accord, vous avez donné l'exemple où
souvent un président-directeur général, qui
représente la corporation qu'il gère, qu'il soit de langue
anglaise ou de langue française, va se sentir plus à l'aise.
C'est le problème du respect de la langue du client. Que les choses se
fassent dans la langue du client pour qu'il soit en mesure d'apprécier
ce que son avocat fait. Certains clients cela n'arrive pas toujours
vont vouloir prendre connaissance des procédures, des
plaidoiries, des documents pour les apprécier eux-mêmes. Alors, il
faut que le document soit fait dans sa langue, sinon, cela va obliger l'avocat
à lui faire une traduction ce qui, évidemment, rend les choses
onéreuses et c'est une disposition...
Quant aux corporations à personne seule, je
pourrais dire qu'il y a eu depuis longtemps des "corporations solely",
comme on les appelait en anglais, et il y a eu au Québec la corporation
formée d'un seul individu qui existe encore, la Corporation des
évêques catholiques romains du diocèse de... c'est
formé d'une seule personne. Au niveau fédéral, il y a
aussi de nouvelles corporations commerciales qui peuvent être
constituées d'un seul individu.
Mais, vous savez, le problème est beaucoup plus fréquent.
Ce n'est pas parce qu'un certain nombre de corporations peuvent être
composées d'une seule personne, c'est qu'en pratique, beaucoup de
corporations de nature privée, même si elles ne s'appellent pas
toujours corporations privées, comme les corporations familiales, sont
la propriété d'un seul homme qui détient 90% et plus des
actions et qui, par conséquent, est vraiment le propriétaire de
la corporation. La corporation et lui, c'est une fiction, vraiment une fiction
juridique, c'est la différence entre les deux. Souvent même les
banques ne font pas la fiction; elles demandent la signature de l'individu
comme personne physique pour garantir toutes les obligations de la corporation.
Alors, il y a donc beaucoup de cas dans la réalité, et beaucoup
de petites et de moyennes entreprises qui ne font affaires qu'au nom d'un seul
individu, à toutes fins pratiques.
M. Biron: Je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Saint-Louis ou Mme le député de L'Acadie,
comme vous voulez.
Mme Lavoie-Roux: Allez-y.
M. Blank: C'est seulement une constatation. Quand on a
discuté de la question de la traduction des jugements, on a parlé
d'une loi. J'ai été très surpris de voir cet article dans
cette loi, après l'incident qui s'est produit l'année
passée devant la commission de la justice où on a
étudié la loi qui donnait à l'Editeur officiel du
Québec le droit de publier des jugements. Le député de
Maisonneuve, leader de l'Opposition officielle à ce moment-là,
était venu à la commission avec un amendement exactement dans le
sens de l'article 13. Après discussion, lui qui est avocat, qui
connaît les nuances des jugements, a dit: Oui, vous avez raison, M. le
député de Saint-Louis, les jugements officiels doivent être
dans la langue dans laquelle on a rédigé et il a retiré sa
motion. Je constate avec surprise que je le retrouve ici.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Mme le député de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier
les membres du Barreau du mémoire qu'ils ont présenté et,
particulièrement, de leur présentation qui, toute profane que je
sois dans le domaine juridique, m'a beaucoup intéressée.
Je voudrais vous poser une question qui est une question de profane,
mais j'essaie de me faire l'interprète de nombreuses personnes qui sont
venues ici devant la commission. Le gouvernement, sans doute parce que, dans
son esprit, il croit affirmer d'une façon plus rigoureuse le fait
français au Québec, a proposé plusieurs articles dans son
projet de loi qui cite uniquement le français. Par exemple, si vous vous
référez à l'article 3, en assemblée
délibérante, quiconque a le droit d'intervenir et de s'exprimer
en français... Vous retrouvez également, je pense que c'est
l'article 21 et je le cite de mémoire: Le français est la langue
des communications à l'intérieur des services et organismes de
l'administration.
La question que je veux vous poser est celle-ci. L'interprétation
que le ministre d'Etat au développement culturel semble donner, c'est
que le fait d'affirmer seulement le français n'exclut pas l'anglais. Je
pense que c'est peut-être tout à fait logique. Mais est-ce qu'une
loi ne doit pas être suffisamment claire pour que chez les citoyens qui
doivent tenter de l'interpréter, qui doivent s'y référer,
elle ne suscite pas continuellement des appréhensions et des
anxiétés, à savoir, oui mais, est-ce que ça permet
aussi l'utilisation de l'anglais pour la minorité anglophone, ou les
gens qui sont de langue maternelle anglaise?
Quant à moi, je pensais qu'une loi devait être assez claire
pour que les gens ne se posent pas continuellement la question: Est-ce que
ça s'applique ou si ça ne s'applique pas? J'aimerais avoir votre
point de vue là-dessus.
M. Bergeron: Ce n'est pas dans le cadre de l'étude
proprement dite que nous avons faite. Il y a deux théories: il y a des
gens qui veulent tout légiférer, et il y a des gens qui
légifèrent le moins possible. Il y a des vertus et des
défauts, deux théories. L'interprétation je parle
ici en mon nom personnel que vous citez et que M. le ministre fait des
articles 3 et 21 en disant que ça n'interdit pas l'usage de l'anglais,
m'apparaît juridiquement correcte. Si c'est l'interprétation
officielle, l'interprétation généralement reçue par
tous les membres de l'Assemblée nationale au moment de l'adoption de la
loi, il me semble que ça devrait ne pas créer de
difficulté.
Un peu dans le même sens que notre suggestion d'effacer l'article
172. Je voudrais suggérer à l'Opposition officielle de dire
peut-être les dangers de se mettre à définir les droits,
etc. A partir du moment où on commence à définir tout
ça, on présume de problèmes, on imagine des
hypothèses qui ne seront peut-être pas du tout existantes dans la
réalité et qui ne répondront peut-être pas aux
problèmes. Il vaut peut-être mieux laisser les choses
s'ajuster.
Comme l'a dit M. le ministre Laurin tantôt, j'espère qu'il
a raison, souvent le droit constate, après coup; parce que le droit
n'est pas nécessairement destiné à créer toujours
des réformes ou des révolutions, il est souvent là pour
faire l'ensemble des règles, une fois qu'on a évolué ou au
fur et à mesure qu'on évolue. Je ne pense pas que ça
crée de problème, madame.
Mme Lavoie-Roux: Merci monsieur.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Me Bergeron,
je voudrais faire quelques observations et ensuite, vous poser une question. Vu
les contraintes qui pèsent sur nous quant au temps, je vais vous
demander de me permettre de faire mes observations et de poser la question tout
d'un trait, ce qui ne vous empêchera évidemment pas de commenter
mes observations si vous le souhaitez avant de répondre à ma
question.
La première observation a trait à l'article 172 dont vous
recommandez l'abrogation. Vous avez cité Me Jacques-Yvan Morin alors
qu'il s'adressait à l'Assemblée nationale en 1975, comme vous
l'avez dit, il y a presque exactement deux ans. Cela me rappelle de très
vifs souvenirs, parce qu'à l'époque, M. Maurice
Champagne-Gilbert, qui était directeur général de la Ligue
des droits de l'homme, avait des conversations fréquentes
poussées avec le gouvernement de l'époque et en particulier
j'imagine, avec le ministre de la Justice, de l'époque. Le point de vue
de la Ligue des droits de l'homme, dont j'étais membre et militant,
était, bien sûr, qu'il fallait que la Charte des libertés
et droits de la personne soit une loi fondamentale et qu'elle prime les autres
lois.
M. Champagne-Gilbert faisait rapport de ses rencontres avec les
représentants du gouvernement et nous disait: Vous savez, je doute
qu'on puisse faire avaler ça par le gouvernement.
Alors les 1000 membres, les militants de la ligue, en assemblée
générale, qui était d'ailleurs publique, ont
réclamé fortement que le directeur général de la
ligue ne lâche pas le morceau et revienne à la charge
auprès de Québec.
Nous avons tous pu constater par la suite que cet effort, de la part de
la ligue des droits de l'homme et d'un certain nombre d'autres mouvements ou
organisations, dans notre société, efforts qui allaient dans le
même sens que ceux du parti qui était alors le parti de
l'Opposition officielle, ont porté fruit, en sorte que la Charte des
droits et libertés de la personne ait une loi fondamentale.
Je dois vous dire, Me Bergeron, que nous sommes, en effet, en train
d'étudier, comme l'a indiqué le ministre, l'article 172 et je ne
voudrais pas dire que cette étude est terminée quant au parti
ministériel, mais je pense que je peux dire qu'elle est terminée
quant à moi. Je considère que l'article 172 devrait, à
tout le moins, être remplacé et, au fond, j'estime qu'on n'en a
pas besoin du tout et qu'on pourrait tout simplement l'abroger, essentiellement
pour les raisons que vous avez indiquées.
Deuxièmement, je voudrais faire une petite observation que je ne
voudrais, en aucune façon, blessante. Comme beaucoup d'autres groupes,
vous êtes venus nous faire, en quelque sorte, la démonstration que
l'anglais est indispensable. Je veux tout simplement vous avouer que, chaque
fois que cela se produit devant la commission, j'éprouve un certain
malaise lorsque, du même souffle, les gens qui s'adressent à nous
ne font pas la démonstration que, au Québec, le français
est indispensable. Je me demande toujours si c'est parce que les gens n'en sont
pas convaincus, ou parce que cela va sans dire.
C'est cela, l'origine de mon malaise et je pense que, de ce malaise
même, on peut tirer des constatations, des observations qui, comme
beaucoup d'autres, montrent la nécessité de la Charte du
français.
J'en viens à ma question, Me Bergeron. Vous avez fait une
recommandation relative à un tribunal d'appel. C'est vraiment une
question que je vous pose. Cette idée, en soi, paraît, quant aux
principes, bien fondée. Je n'ai pas besoin de vous décrire les
principes sur lesquels je m'appuie en disant que l'idée paraît
bien fondée, vous l'avez fait vous-même. Cependant, nous ne sommes
pas toujours sûrs et là, je me place d'un point de vue
général, pas d'un point de vue juridique, je ne suis pas juriste
que la multiplication des recours aux tribunaux ordinaires a pour effet
net une plus grande justice. C'est là qu'il y a un doute dans
l'application de ces principes.
La question que je veux vous poser, c'est: Dans quelle mesure,
considérez-vous que l'ombudsman peut répondre aux besoins dont
vous êtes conscients et que vous avez exprimés en proposant la
mise sur pied d'un tribunal d'appel?
Le Président (M. Cardinal): Je rappelle au
député de Deux-Montagnes qu'il a épuisé son temps.
Vous avez le droit de répondre, mais le parti ministériel ne
pourra pas répliquer. M. le bâtonnier.
M. Bergeron: Premièrement, je suis un petit peu surpris de
votre affirmation suivant laquelle les recours aux tribunaux ordinaires ne sont
pas toujours une démonstration d'une véritable justice.
J'espère que cela n'est pas exact dans 99% des cas.
Evidemment, j'ai déjà dit, en d'autres lieux, et à
des gens ordinaires à qui j'expliquais le fonctionnement des tribunaux,
que les tribunaux sont composés d'hommes et qu'ils sont forcément
imparfaits, mais que c'est, malgré tout, l'institution la meilleure
qu'on a inventée jusqu'à ce jour j e parle des tribunaux
ordinaires pour faire la paix entre les individus et les groupes, entre
le gouvernement et ses gouvernés et que, en somme, votre question pose
un problème que j'ai abordé, en passant, avec l'honorable
ministre de la Justice et son sous-ministre, hier soir. Justement, il nous
semble qu'on a oublié le rôle des tribunaux et à quoi cela
sert.
Cette année, comme bâtonnier du Québec, j'ai bien
l'intention d'essayer de réapprendre avec mes confrères et de me
retremper dans les notions de ce que sont les tribunaux et à quoi ils
servent je parle des tribunaux ordinaires et de tenter
d'enseigner cela aux gens, s'il y a moyen. Evidemment je ne dis pas que les
autres organismes quasi judiciaires ne sont pas utiles et sont mauvais, non, je
dis qu'il est mauvais de multiplier les instances arbitrales de façon
trop considérable et de demander à un confrère de juger un
confrère
de même niveau. Il faut respecter la vieille théorie
gouvernementale de la division des pouvoirs et, s'il y a des problèmes
du côté judiciaire, qu'on ait le courage de les reconnaître
et de les corriger.
J'aime mieux corriger les défauts que l'on pourrait trouver dans
les organismes judiciaires traditionnels, millénaires, que de
créer de nouvelles instances qui n'ont pas encore fait leurs preuves
malgré tout. Il faut bien se rappeler que les tribunaux ordinaires ont
une indépendance, une impartialité, dont les autres organismes
n'ont pas toujours fait la preuve. Je pense que nous préférons,
pour nous sentir en sécurité quand on plaide, avoir recours
à un tribunal ordinaire, à un pouvoir judiciaire
indépendant et impartial. Je ne pense pas que le Protecteur du citoyen
puisse jouer un rôle. Le Protecteur du citoyen pourrait jouer un certain
rôle, mais il ne fait que des recommandations. Ses recommandations ne
lient pas l'administration; elles visent surtout les objections, les critiques
ou les problèmes qui découlent de l'administration, des relations
d'administration vis-à-vis de ses administrés. Cela a quand
même un champ limité.
Je comprends que le Protecteur du citoyen reçoit toutes sortes de
plaintes. Evidemment, c'est utile. Nous sommes tout à fait d'accord avec
l'institution du Protecteur du citoyen. Il joue un rôle, mais je ne pense
pas qu'il puisse remplacer les tribunaux. Je ne sais pas si cela répond
à votre question.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. Pour terminer, non
pas le débat, mais l'audition, M. le député de
Marguerite-Bourgeoys avec trois minutes.
M. Lalonde: M. le Président, je veux seulement relever
quelques remarques qui ont été faites par le député
de Deux-Montagnes. S'il fallait le croire, ce serait la Ligue des droits de
l'homme et l'Opposition officielle du temps qui auraient fait que la Charte des
droits et libertés de la personne soit une loi fondamentale.
Je voudrais simplement rappeler aux députés que c'est un
ministre de la Justice libéral qui a proposé cette loi à
un Conseil des ministres libéral, que c'est un ministre libéral
qui a déposé à une Assemblée nationale largement
libérale ce projet de loi très libéral. C'est la
majorité libérale, dans une commission parlementaire à
vaste majorité libérale et à l'Assemblée nationale
très libérale, qui a adopté ce projet de loi. Toutefois,
si la large participation du député de Deux-Montagnes dans ce
long processus, en fait, est responsable de sa grande ouverture d'esprit
actuellement quant à l'article 172, je suis prêt à la
reconnaître en tout temps.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys, j'ai présumé le consentement unanime de la
commission pour vous permettre d'aller à l'encontre de l'article
140.
M. Lalonde: Que dit l'article 140? On n'a pas le droit de parler
du Parti libéral dans l'article 140, c'est cela?
Le Président (M. Cardinal): Non, non. C'est
terminé, alors, M. le bâtonnier, il vous reste quelques secondes
ou minutes. Vous n'avez pas le droit de réplique, mais si vous avez
quelques commentaires à ajouter, ils seront les bienvenus.
M. Bergeron: Je pense, M. le Président, qu'on a fait
vraiment le tour de la question. L'accueil que nous avons reçu
aujourd'hui nous encourage à continuer d'étudier les projets de
loi de l'Assemblée nationale.
Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le bâtonnier
Bergeron. Je remercie aussi Mme Micheline Audette-Filion, Me Yvon Martineau et
Me Pierre Panneton. Nous avons été vraiment heureux de vous
accueillir. Nous vous remercions de votre contribution, de votre patience et
surtout d'être revenus aujourd'hui, après les
péripéties d'hier. Merci et j'appelle le prochain organisme.
Bourse de Montréal
Le Président (M. Cardinal): Bourse de Montréal,
mémoire 243, j'ai le nom, comme porte-parole, de Me Robert Demers. Me
Demers, bonjour!
M. Demers (Robert): Bonjour, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Merci. Si vous voulez bien
identifier les porte-parole de la Bourse de Montréal. C'est facile
d'identifier la Bourse de Montréal comme telle.
M. Demers: Oui, cela va. J'ai à ma droite, M. Bernard
Rosenbloom, vice-président exécutif de la maison F.H. Deacon,
Hodeson Inc. et l'un des membres du Conseil des gouverneurs de la Bourse de
Montréal; à ma gauche immédiatement, M. Giovanni
Giarrusso, vice-président exécutif de la Bourse de
Montréal; à sa gauche, M. André De-saulniers,
président de la maison McNeil Mantha des agents de change et aussi
membre du Conseil des gouverneurs de la Bourse; à sa gauche, M. Tom
Price, président de la maison MacDougall MacDougall & MacTier Ltd.,
et l'un des gouverneurs de la Bourse de Montréal.
Le Président (M. Cardinal): M. Demers, votre patience,
hier soir, vous a permis d'apprendre, évidemment, quelle était la
procédure précise de cette commission. Vous avez donc 20 minutes,
à compter du moment présent pour présenter ou
résumer votre mémoire, après quoi, vous aurez les
questions des membres de la commission pendant le temps imparti par la motion
qui a été acceptée. Alors, Me Demers.
M. Demers: II est divers domaines couverts par la Charte de la
langue française qui feront sans doute l'objet et qui ont fait l'objet
de représentations de groupes qui sont directement touchés par
les mesures proposées. La Bourse de Montréal, par
conséquent, a décidé de restreindre
ses observations aux éléments qui préoccupent de
façon plus directe la Bourse et ses membres.
Le français, langue officielle du Québec: Dans une
société où se côtoient deux groupes linguistiques,
il serait idéal que les institutions soient aussi bilingues,
reflétant ainsi les caractéristiques linguistiques de la
population. Il faut, toutefois, reconnaître que si un tel objectif est
louable, il est difficilement réalisable, surtout dans un pays aussi
grand que le Canada, avec des concentrations très variables de citoyens
appartenant à l'une ou l'autre des principales cultures existant au
Canada.
Que le gouvernement du Québec veuille que l'administration et
certaines institutions soient uni-lingues et désire que la langue
française soit la langue officielle ne nous apparaît pas
incompatible avec la réalité canadienne, pour autant que le
gouvernement fédéral est et demeure bilingue. L'unilinguisme
institutionnel permettrait d'établir des assises solides à la
langue française, ce qui pourrait favoriser l'éclosion d'un
bilinguisme plus courant à l'intérieur du pays et consolider le
bilinguisme du gouvernement fédéral.
Ce type de modèle existe ailleurs. Il est à espérer
qu'il puisse mettre un terme à ce que plusieurs considèrent comme
un partage inéquitable du fardeau du bilinguisme au niveau des
provinces. Il est aussi à espérer qu'une telle mesure puisse
mettre un terme aux ressentiments dans certaines provinces face à
l'imposition, au niveau provincial, d'un bilinguisme qui ne colle pas à
la réalité.
Le livre blanc sur la Charte de la langue française
reconnaît l'apport de la communauté de langue anglaise au
Québec et l'intérêt pour le Québec de maintenir
cette communauté. La conservation et le maintien de toutes les
constituantes du Québec nous apparaissent essentiels pour garantir le
développement du Québec. Pour conserver et maintenir la
communauté de langue anglaise, et l'actif qui en résulte pour le
Québec, nous pensons qu'il y aurait lieu d'élargir les
dispositions de l'article 23 afin de permettre à la communauté de
langue anglaise de conserver ses institutions, même civiles, dans les
lieux où elle est majoritaire. Aussi, nous croyons que le droit
d'utiliser le français et l'anglais comme langues de communication
interne ne devrait pas simplement exister pour les organismes
éducationnels, mais aussi pour les organismes municipaux, là
où la population anglophone est majoritaire; celle-ci a besoin d'avoir
ses assises. L'élargissement que nous recommandons nous paraît
parfaitement compatible avec les objectifs du projet de loi no 1.
La langue d'enseignement: Les membres de la Bourse de Montréal
travaillent dans un secteur d'activité qui est non seulement provincial,
mais national et international. Les actions de la majorité des
entreprises cotées à notre Bourse se transigent aussi sur les
autres Bourses au Canada. Un bon nombre de ces entreprises ont leurs actions
inscrites à New York et sur les principales Bourses d'Europe. Il
découle de cet état de chose que nos membres sont continuellement
en contact avec d'autres professionnels des principaux marchés
financiers du monde.
Le phénomène de l'internationalisation des transactions
dans le secteur des valeurs mobilières va grandissant, et il est
à prévoir que les rapports qui sont aujourd'hui fréquents
sur une base internationale, le seront davantage dans l'avenir. Ce qui est vrai
pour nos membres l'est aussi pour les autres entreprises. L'activité de
celle-ci n'est pas seulement locale. Elles entretiennent des rapports de plus
en plus nombreux avec les autres centres économiques. Il est donc normal
que la Bourse soit préoccupée par l'enseignement des langues au
Québec.
La Bourse et ses membres prospéreront, dans l'avenir, dans la
mesure où ils seront capables de recruter des personnes ayant une
formation solide les préparant à faire face au défi
à relever dans les marchés financiers. La connaissance de la
langue française est un élément de plus en plus essentiel
pour poursuivre des opérations au Québec dans notre industrie
où l'activité repose sur des communications verbales. Il est donc
important que la Bourse et ses membres puissent, dans l'avenir, recruter dans
les maisons d'enseignement des finissants qui ont une connaissance de la langue
française. En raison du caractère national et international du
marché financier, une connaissance de la langue anglaise est non
seulement un outil valable, mais essentiel. Les communications avec les
marchés financiers de Toronto, New York, Londres et Tokyo se font en
anglais. Les communications avec l'Europe se font en anglais ou en
français. Ce qui est vrai pour notre secteur d'activité l'est
aussi pour les autres entreprises en général.
Le chapitre VIII de la Charte de la langue française est de
nature à perpétuer, à notre avis, l'existence de deux
sociétés parallèles. Cette situation, qui découle
de notre système d'éducation, finit par se refléter dans
l'ensemble de la structure industrielle et commerciale du Québec. Nous
craignons donc que les mesures proposées ne débouchent pas sur
l'unilinguisme institutionnel, mais bien plutôt, pour la majorité
de langue maternelle française, sur l'unilinguisme individuel, ce qui
limitera grandement les opportunités des Québécois de
langue maternelle française dans l'avenir et, par voie de
conséquence, le développement économique du
Québec.
Les mesures envisagées par le gouvernement ne produiront les
effets désirés qu'en autant qu'on renforcera
considérablement la qualité de l'enseignement des deux
langues.
La langue du commerce et des affaires. Lorsque le gouvernement fixe
comme objectif d'assurer le plus tôt possible l'usage du français
comme langue des communications et du travail dans les entreprises commerciales
faisant affaires au Québec, un tel objectif peut être
réaliste. Par contre, la date définitive de la fin de 1983 semble
vouloir ignorer la réalité actuelle, le fait que dans certains
secteurs, il peut être difficile de réadapter, trouver ou
développer le personnel nécessaire pour réaliser cet
objectif de la loi dans un délai si court. On peut convertir des
machines, en fabriquer de nouvelles, mais, avec les êtres humains, le
processus de changement est nécessairement plus lent.
Par conséquent, il nous apparaît que 1983 devrait
être un objectif et non une date finale.
Nous aimerions donc voir l'article 95 modifié en
conséquence.
Les dispositions concernant les programmes de francisation nous semblent
avoir été conçues en faisant abstraction des entreprises
de service. Elles ne semblent pas tenir compte suffisamment du fait qu'il
existe, et cela est vrai dans notre industrie, de petites et moyennes
entreprises qui ont une clientèle majoritairement anglaise. Il y a lieu,
à notre avis, de tenir aussi compte du fait que dans plusieurs
entreprises de service, les rapports sont verbaux et se font dans la langue
choisie par le client. Nous croyons que les programmes de francisation ne
devraient pas avoir comme objectif l'utilisation du français dans les
communications avec les clients, mais plutôt avoir comme objectif
d'assurer que la clientèle puisse être servie en français.
Il y a une nuance, et nous pensons que l'article 112d devrait être
modifié en conséquence.
Les entreprises commerciales, qui sont connues depuis des années
de leur clientèle, qui portent un nom qui est descriptif de leur
spécialité, devraient pouvoir continuer à utiliser la
raison sociale sous laquelle elles sont connues de leur clientèle. Une
raison sociale et l'achalandage qui s'y attache sont importants pour une
entreprise. Par exemple, certaines maisons de valeurs mobilières du
Québec font affaires à Toronto sous leur nom français. Si
le gouvernement veut changer l'état de chose existant au Québec
pour l'avenir, ceci est une autre chose; qu'il veuille adopter une disposition
ayant des effets sur des entreprises existantes ne nous apparaît pas
souhaitable.
Au minimum, nous croyons que pour les entreprises à but lucratif,
les dispositions concernant les raisons sociales devraient permettre
l'utilisation d'une raison sociale en langue anglaise qui était
déjà utilisée lors du passage de la présente loi,
pour les messages qui sont adressés aux media d'information qui
utilisent la langue anglaise. De même, elles devraient permettre l'usage
de raison sociale bilingue pour les contrats, factures, reçus,
états, rapports et la correspondance. Nous croyons que l'article 50
pourrait être modifié en conséquence.
Nous ne croyons pas que l'Etat devrait imposer des comités de
francisation. Dans certains cas, ceux-ci seraient inutiles parce que
l'entreprise répond déjà à tous les objectifs de la
loi; dans d'autres cas, à notre avis, ces comités pourraient
avoir l'effet contraire à celui que le législateur désire.
De plus, il s'agit là d'une incursion dans le domaine de la
gérance, et il nous apparaît préférable de laisser
à la gérance des entreprises le soin d'atteindre les objectifs
fixés par la loi de la manière qu'elle croit la meilleure pour y
parvenir.
L'article 114, à notre avis, n'est pas nécessaire pour la
mise en application de la loi et devrait être abrogé.
L'un des aspects du projet de loi qui risque d'entraîner des
difficultés énormes pour les entreprises, particulièrement
celles ayant des opérations à l'extérieur du
Québec, est la lourdeur des contrôles proposés. La
bureaucratie qui, semble- t-il, sera nécessaire causera des
délais, des coûts et des frustrations qui ne sont pas de nature
à faciliter l'établissement et le maintien de sièges
sociaux au Québec. Les entreprises, pour prospérer, ont besoin
d'avoir les coudées franches, de connaître les règles, de
vivre dans un climat où il y a le moins d'incertitude possible, ce qui
réduit leur risque. Un système qui repose sur un pouvoir
discrétionnaire, y compris la menace de révocation de permis, ne
favorise pas l'établissement d'un climat favorable à la
création et au développement d'entreprises.
Nous vous recommandons fortement d'enlever l'obligation de
posséder un certificat de francisation aux articles 106 et suivants.
Nous laisserions à l'office les programmes de francisation pour des
catégories d'entreprises, après avoir donné aux
entreprises l'occasion d'être entendues et nous modifierions donc
l'article 110 en conséquence.
Il nous apparaît que les dispositions pénales contenues
à l'article 163 devraient être suffisantes pour assurer le respect
de la loi.
Nous n'avons pas tenté, dans ce mémoire, d'être
exhaustifs mais tout simplement de recommander certains changements qui
faciliteraient la période de transition nécessaire à la
mise en vigueur du programme visé par la loi, et qui assureraient le
développement d'un Québec capable de faire face au défi de
l'avenir. Nous croyons que le gouvernement devrait adopter les propositions qui
sont faites dans ce mémoire, car elles permettraient d'obtenir l'appui
d'un plus grand nombre de citoyens. Un tel appui nous semble bien
préférable à la coercition lorsqu'on veut réaliser
des réformes importantes.
Merci.
Le Président (M. Cardinal): Merci, Me De-mers, et, comme
il est près de midi, je veux souligner deux points avant que nous ne
continuions cette audition.
Premièrement, nous siégeons en vertu d'une motion
adoptée par l'Assemblée nationale et que la commission ne peut
pas modifier, ce qui veut dire qu'à treize heures; je devrai alors
quitter ce fauteuil.
Deuxièmement, d'ici treize heures, il reste une heure et une
minute, et si d'autres députés ne se présentent pas, les
membres de la commission présentement ont 60 minutes pour s'exprimer.
C'est donc dire que si j'ai la collaboration de tous, tant des membres de la
commission que des invités dans leurs réponses, nous pourrions
vous libérer à treize heures.
Si je n'ai pas cette collaboration, nous devrons ajourner nos travaux
à treize heures et vous inviter à revenir, mais je ne pourrai pas
accepter le consentement de la commission pour continuer après treize
heures.
M. Deniers: Soyez assuré de notre collaboration, M. le
Président.
Le Président (M. Cardinal): Merci beaucoup, Me Demers.
Le ministre d'Etat au développement culturel.
M. Laurin: Je veux d'abord remercier la Bourse de Montréal
pour le mémoire pondéré et positif qu'elle vient de nous
soumettre. Je suis heureux de constater que la Bourse de Montréal
reconnaît avec le gouvernement que l'unilinguisme institutionnel
permettra d'établir des assises solides à la langue
française.
Je suis heureux aussi de constater que la Bourse de Montréal ne
s'est pas méprise sur les intentions du gouvernement telles
qu'énoncées dans son livre blanc et dans le projet de loi no 1,
et qu'elle constate avec raison que le gouvernement reconnaît l'apport de
la communauté de langue anglaise au Québec et
l'intérêt qu'il y a pour le Québec de maintenir cette
communauté.
Il s'ensuit de cette constatation que nous reconnaissons, et j'ai
souvent eu l'occasion de m'exprimer à cet égard, que le
gouvernement reconnaît la place éminente qu'occupe l'anglais dans
certains secteurs de notre activité collective, que le gouvernement
reconnaît aussi l'utilité pour ne pas dire la
nécessité qu'il y a pour beaucoup de francophones qui
désirent s'épanouir dans ces divers secteurs d'avoir une
très bonne connaissance de l'anglais, et que le gouvernement entend tout
mettre en oeuvre pour assurer cet apprentissage efficace de l'anglais aux
générations montantes.
En ce qui concerne les recommandations spécifiques que vous nous
faites, j'aimerais d'abord aborder celles qui touchent l'article 95,
c'est-à-dire les objectifs de francisation que le gouvernement a
fixés aux entreprises. Je me demande s'il n'y a pas un certain
malentendu à cet égard. Je m'en suis expliqué devant
d'autres groupes qui vous ont précédés à cette
commission. Je ne sais pas si vous étiez là lorsque ces
explications ont été données, mais je voudrais quand
même les répéter.
L'objectif de francisation des entreprises porte évidemment sur
les mesures qu'une entreprise met en oeuvre pour atteindre l'objectif tel
qu'énoncé à l'article 112. Ceci, pratiquement, comporte
l'élément suivant, c'est-à-dire que l'entreprise avant
1983 ait procédé à l'analyse de sa situation linguistique,
ait établi son comité de francisation, ait procédé
à l'analyse de sa situation linguistique, ait établi son
programme de francisation de l'entreprise et ait commencé à
appliquer ce programme de francisation. C'est à ce moment-là que
l'Office émet son certificat de francisation, qui témoigne
justement de la bonne volonté et des efforts de l'entreprise pour
atteindre l'objectif fixé par la loi. Ceci ne veut pas dire du tout,
cependant, que l'entreprise doit avoir atteint le terme du processus
explicité à l'article 112. Le gouvernement est très
conscient que, pour certaines entreprises, particulièrement les plus
grosses, les plus complexes, celles qui possèdent des
établissements de diverses natures, celles dont le siège social
est établi à Montréal et qui possèdent de
nombreuses succursales à l'étranger, ceci ne veut donc pas dire
que le terme du processus, pour ces entreprises, puisse être fixé
à 1983. Nous reconnaissons les contraintes au sein desquelles oeu- vrent
ces entreprises et il est bien évident que, pour un très grand
nombre d'entre elles, le terme du processus ne pourra être atteint avant
dix, quinze ou même vingt ans. Mais l'office sera entièrement
satisfait, encore une fois, si, dans les sept années qui viennent,
toutes les catégories d'entreprises ont procédé à
l'établissement du comité, à l'analyse de leur situation,
à l'élaboration, à rétablissement du programme et
au commencement d'application du programme et ont obtenu leur certificat.
Pour les autres années qui suivront, éventuellement, dans
le cas de certaines entreprises, l'office, au fond, ne pourra que les
accompagner dans le cheminement d'un processus qui pourra s'étaler sur
un nombre d'années variable, selon l'entreprise. Je pense que, si ce
malentendu est dissipé, aussi bien à la Bourse de
Montréal, plusieurs entreprises n'auront plus d'inquiétude
à entretenir à ce sujet.
Il y a une autre de vos recommandations qui porte sur un objet connexe
ou similaire, c'est la recommandation que vous nous faites d'amender l'article
112d où vous parlez de clientèle à desservir. Je voudrais
vous faire remarquer que l'article 112 est très élaboré,
très clair aussi, très explicite et porte sur plusieurs objets.
Lorsque le gouvernement pense à la francisation des entreprises, il
pense à plusieurs secteurs sur lesquels il convient de porter son
attention, comme, par exemple, la connaissance que possèdent de la
langue française les dirigeants d'entreprise, la représentation
au sein des cadres supérieurs et du conseil d'administration de
personnes ayant une connaissance suffisante du français, l'utilisation
du français comme langue de communication avec les fournisseurs aussi
bien qu'avec les clients, l'utilisation d'une terminologie française,
l'utilisation de la langue française en ce qui concerne la
publicité de l'entreprise.
C'est donc un programme polyvalent. Les services à la
clientèle ne constituent donc qu'un élément de ce vaste
programme. Nous sommes bien d'accord avec vous qu'il est logique de s'attendre
que l'entreprise desserve sa clientèle dans la langue du client. Il est
logique aussi de supposer que, dans un pays comme le Québec, 80% des
clients sont de langue française. Mais nous avons constaté, et
bien d'autres avant nous, que plusieurs entreprises ne desservaient pas en
français cette clientèle et c'est la raison pour laquelle, dans
un programme de francisation, il convenait de spécifier ces
secteurs.
D'ailleurs, il n'y a pas que le seul article 112 qui se
réfère à ce problème, il y a aussi un article
ailleurs dans la loi, un article impératif qui donne le droit à
tout citoyen, particulièrement francophone, à tout consommateur,
de se faire servir en français, nous le répétons, à
l'intérieur de l'entreprise, pour les raisons que j'ai signalées
tout à l'heure. Mais il ne faudrait pas conclure, de cet article, que
l'entreprise n'a pas le droit de servir son client anglophone en anglais. Comme
j'ai eu aussi souvent l'occasion de le dire depuis quelques mois, ce qui n'est
pas prohibé par la loi est permis et le bâtonnier vient de nous
dire, d'ailleurs, que
cette interprétation était correcte et pouvait même
s'avérer judicieuse, en ce sens qu'elle fait en sorte que le
législateur n'est pas obligé de multiplier les articles dans un
projet de loi, ce qui est toujours difficile car, plus on
énumère, plus on limite également.
Mais je pense aussi que l'article 112 doit être
interprété dans ce sens. Il est orienté vers la correction
d'un état de choses en vertu duquel les francophones, en tant que
clients, ne pouvaient pas toujours être servis en français par
certaines entreprises. Mais la façon dont il est rédigé
n'empêche pas, cependant, une entreprise d'utiliser l'anglais avec un
client anglophone, surtout un client anglophone qui le demande.
En ce qui concerne maintenant le pouvoir administratif de l'office,
là aussi, j'ai déjà eu l'occasion de dire que le
gouvernement a cru bon de distinguer entre les fonctions de l'office,
créant trois organismes là où il y en avait un seul. Cela
peut donner l'illusion que l'appareil administratif vient de se gonfler d'une
façon démesurée, du fait que nous mettons trois organismes
là où il y en avait un seul.
Mais ce n'est qu'en apparence, puisque, en réalité, nous
n'avons fait que donner une existence distinctive à des fonctions qui
étaient auparavant, quand même, exercées par la
Régie de la langue française.
Si l'on compare les articles ayant trait à ces trois organismes
avec ceux qui traitaient de l'office, dans la loi antérieure, on
constatera qu'il n'y a pas tellement de différences. Il peut, bien
sûr, y avoir des différences, mais, pour l'essentiel, pour la
lourdeur bureaucratique que cela peut concerner, il n'y a pas tellement de
différences. Nous avons peut-être augmenté le personnel, en
ce sens que nous prévoyons des inspecteurs là où la loi
antérieure n'en prévoyait pas, malgré que la loi
antérieure prévoyait quand même des
commissaires-enquêteurs en nombre indéterminé.
Mais, pour l'essentiel, je ne crois pas que les trois organismes
créés par la nouvelle loi, si l'on totalise leurs fonctions et le
personnel qui sera appelé à remplir ces fonctions, se comparent,
tel que vous l'avez souligné, c'est-à-dire, en plus, au point de
constituer une énorme machine, à l'ancienne Régie de la
langue française.
Mais, encore une fois, comme j'ai déjà eu l'occasion aussi
de le souligner, toutes les recommandations, suggestions ou tous les
commentaires qui nous sont faits à cet égard seront soigneusement
étudiés et nous ferons sûrement en sorte d'alléger,
dans toute la mesure du possible, la structure aussi bien que les effectifs des
trois organismes dont nous croyons avoir besoin pour une bonne application de
la loi.
Pour le reste, je n'ai pas de questions spécifiques à
poser à la Bourse de Montréal, lui demandant simplement si elle
entend réagir à mes propos.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M.
Robert Demers.
M. Demers (Robert): M. le ministre, je comprends tout à
fait bien les explications que vous avez données sur l'article 95 et sur
l'article 112d. Malheureusement, ce dont il faut quand même tenir compte,
même après avoir entendu les propos du bâtonnier, c'est que,
dans le milieu des affaires, les gens ne sont pas des avocats. On lit les
textes, on les interprète, on prend des décisions, en fonction de
ce qui semble apparaître, à première vue, dans le
texte.
Cela m'inquiète beaucoup, parce que j'ai l'impression qu'il y a
beaucoup de méprise sur ces deux dispositions. Par conséquent,
s'il y avait moyen de clarifier ces deux dispositions, ce qui est toujours
possible, il me semble, cela éviterait beaucoup, à l'avenir,
d'avoir à donner des explications et des précisions aux gens qui
pourraient être inquiétés par ces dispositions.
En ce qui concerne l'administration ou les mesures administratives,
c'est un point qui est peut-être celui qui nous préoccupe le plus,
pour mettre en application une loi, il y a divers moyens. Le projet de loi no 1
montre toute une gamme de moyens, pour mettre en application la loi. Il y a,
comme moyens, la méthode administrative de demander à des
fonctionnaires d'examiner et de recevoir des documents, des informations, des
formulaires, de se réunir avec les entreprises, de les aider à
préparer des programmes.
Ce que je trouve difficile, dans toute cette méthode, qui est
utilisée par d'autres organismes du gouvernement et par d'autres
régies, ce sont les coûts que cela fait subir aux entreprises,
c'est-à-dire que ces coûts, finalement, sont partagés
autant et sont subis autant par les entreprises qui respectent la loi, qui ont
parfaitement l'intention d'atteindre les objectifs de la loi, que par les
autres, qui auraient de moins bonnes intentions ou qui seraient plus
négligentes.
C'est cet aspect qui nous préoccupe. Un régime
administratif tel que proposé nous apparaît extrêmement
coûteux pour les entreprises. L'avantage d'un système pénal
est de garder uniquement des dispositions pénales.
C'est peut-être un système qui est, à court terme,
moins efficace, mais qui, à long terme, l'est tout autant, mais qui ne
pénalise au fond que ceux qui enfreignent la loi ou qui négligent
de la suivre et qui laissent travailler, s'occuper et vaquer à leurs
affaires ceux qui suivent la loi.
Pour notre part, s'il y avait moyen de procéder par voie de
programmes qui seraient établis par l'office, après consultation
des entreprises, de ne pas exiger un processus de permis ou d'enregistrement,
cela nous apparaîtrait bien préférable; car je crains que
beaucoup d'entreprises et de fonctionnaires auront à examiner des foules
de documents qui, finalement, finissent par embrouiller les fonctionnaires
plutôt que de leur donner une vision claire des choses.
J'ai été, comme vous le savez, président d'une
commission de contrôle et de surveillance du gouvernement du
Québec et, ce qui m'a frappé justement, c'est que l'emploi de
cette méthode de requérir des enregistrements, de requérir
une foule de documentations, finalement, au bout de quelques années, ne
donne pas les résultats es-
comptés et, bien souvent, cela empêche l'organisme
gouvernemental de voir clairement les situations, de procéder par voie
de secteur, d'obtenir et de s'obliger à obtenir les informations par des
méthodes autres que des méthodes de production de documentation
massive. Bien souvent aussi, la technique administrative est utilisée,
parce que, finalement, elle est plus simple, plus rapide que de prendre des
poursuites pénales qui sont toujours plus difficiles, qui doivent
être faites devant les tribunaux.
Je crains qu'avec les dispositions que vous mettez dans votre loi que
vous allez retourner, tout au moins au début, à inciter l'office
et les autres organismes à utiliser la méthode administrative
pour atteindre les objectifs de la loi. Il m'apparaîtrait
préférable qu'on n'y laisse que les dispositions pénales.
C'est peut-être le point sur lequel on est le plus sensible. Pour essayer
avec le gouvernement d'atteindre les objectifs qui sont fixés dans la
loi, je pense bien que je peux dire que tous les membres de la Bourse de
Montréal sont prêts à y mettre l'effort, leur génie,
leur talents. Mais ce dont ils voudraient bien être assurés, c'est
qu'ils ne seront pas aux prises avec toute une procédure, tout un
mécanisme, toute une nécessité de réunions, de
rencontres, d'explications, de production de documents qui pourraient
finalement leur coûter énormément de temps et prendre, au
fond, un temps qui serait mieux consacré à essayer d'atteindre
les objectifs de la loi.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: Merci, M. le Président. M. Oemers et les
autres membres de la Bourse, je vous remercie d'avoir décidé de
venir éclairer la commission avec votre mémoire et les
explications que vous nous donnez.
Vous acceptez, d'une part, l'unilinguisme institutionnel le
ministre l'a souligné avec joie c'est à la page 2 de votre
mémoire que je le lis: "L'unilinguisme institutionnel permettrait
d'établir des assises solides à la langue française, etc".
Mais comment conciliez-vous cette proposition avec celle qui apparaît au
haut de la page 3, à la troisième ligne, au milieu du paragraphe:
"...afin de permettre à la communauté de langue anglaise de
conserver ses institutions, même civiles, dans les lieux où elle
est majoritaire". Est-ce que vous arrêtez l'unilinguisme institutionnel
que dans les endroits où il n'y a pas d'anglophones? Parce qu'on ne peut
pas avoir ici au Québec, naturellement, l'unilinguisme territorial comme
on l'a dans certains autres pays à caractère bilingue ou à
plusieurs cultures. Pouvez-vous m'expliquer ce que vous voulez dire?
M. Demers: Vous avez parfaitement raison de souligner qu'à
l'article 23, au fond, on recommande une exception au principe pour lequel nous
avons dit que nous étions d'accord. Nous disons, dans la dernière
ligne, que l'élargissement que nous recommandons nous paraît
compatible avec l'objectif que nous avons mentionné au début.
Ce qui nous apparaît, c'est que nous ne voyons pas pourquoi, par
exemple, la municipalité de Stanbridge East, je vais prendre
celle-là, parce que je la connais, ne pourrait pas avoir, au niveau de
son conseil municipal, la possibilité d'opérer, même en
langue anglaise. Il me semble, et c'est peut-être parce que nous
interprétons mal le projet de loi, que ces exceptions permettraient
quand même à la communauté de langue anglaise, qui est
importante au Québec, d'avoir certaines assises dans le cadre d'assises
qui sont beaucoup plus considérables et qui sont celles de la
majorité de langue française. Je ne vois pas que cela
créerait ou devrait créer un grand problème.
M. Lalonde: Vous me permettrez, M. Demers, de mentionner, en
passant, que votre suggestion à la page 3 semble reprise ou enfin
appuyée par une disposition du mémoire de la Commission des
droits de la personne du Québec, qui dit à la page 38 en faisant
référence toutefois à l'article 21 : "En effet, il
faudrait respecter le caractère de certaines collectivités
locales où l'on trouve une concentration d'anglophones, par exemple". On
poursuit je cite toujours S'il est important de reconnaître
partout le droit des francophones de s'adresser à l'administration en
français, cela ne doit pas conduire à exiger que les anglophones
parlent entre eux en français." Est-ce que c'est un peu ce que vous
voulez rappeler dans votre proposition à la page 3?
M. Demers: Si vous allez si ma mémoire est bonne, à
la dernière partie de l'article 23, on a pris la peine de dire, de
préciser: "Dans les organismes scolaires, pour de bonnes raisons, le
français et l'anglais peuvent être utilisés comme langues
de communication interne des services chargés d'organiser et de donner
l'enseignement en anglais". C'est un petit peu en parallèle dans cet
article qu'il nous paraît que ce ne serait pas faire une grande exception
que de dire que cela peut aussi s'appliquer dans les organismes municipaux
où la majorité est de langue anglaise. C'est ce qu'on visait.
M. Lalonde: A ce moment, c'est à l'article 21 plutôt
que vous demanderiez un aménagement, parce que c'est l'article 21 qui
dit que le français est la langue de communication à
l'intérieur des services et organismes de l'administration,
l'administration comprenant aussi les organismes municipaux.
M. Demers: Oui, d'accord. Disons que vous avez raison. La source
a été prise à l'article 23.
M. Lalonde: Une des difficultés, d'ailleurs, de cette loi,
c'est qu'on tente d'implanter l'unilinguisme dans une société
pluraliste. De là, le recours à la coercition, parce que si on ne
faisait que la promotion du français, langue qui a besoin, justement, de
cette promotion de la part de l'Etat, je pense que la preuve n'est plus
à faire. Si on n'a recours qu'au rapport Gendron, je pense que c'est
assez clair, on trouverait moins de difficultés, je
crois. C'est pour cela que je voulais bien établir avec vous
quelle était votre conception de l'unilinguisme institutionnel, alors
que, d'autre part, vous reconnaissez qu'à cause du pluralisme
linguistique et culturel du Québec et du fait historique de la
minorité anglophone, qui est d'ailleurs reconnu par le livre blanc,
cette minorité, si on veut qu'elle vive, comme collectivité
culturelle, on doit aussi lui reconnaître un certain nombre
d'institutions. D'ailleurs, le projet de loi lui reconnaît, d'ailleurs,
un système d'enseignement complet.
Je voudrais vous parler des raisons sociales. On n'en a pas parlé
beaucoup jusqu'ici, à la commission, et pourtant les dispositions de la
loi concernant les raisons sociales sont assez expresses. Il y en a une sur
laquelle je voudrais avoir votre avis. Quand on dit, au deuxième
paragraphe de l'article 50: Les raisons sociales peuvent comprendre une version
dans une autre langue pour utilisation hors du territoire du Québec.
Seule la raison sociale française peut être utilisée au
Québec. Je dois dire, naturellement, qu'il y a les exceptions qui sont
prévues au premier paragraphe, les toponymes, les expressions
formées de combinaisons artificielles... qui pourraient aussi être
utilisées.
En pratique, en faisant recours à votre connaissance du milieu
des affaires, des entreprises, ce n'est pas seulement à vous que je la
pose, peut-être que d'autres membres qui vous accompagnent voudraient
répondre, comment pensez-vous que c'est possible d'appliquer une telle
disposition pour une compagnie, étant donné qu'on fait
référence à l'utilisation hors du territoire du
Québec, donc ce serait une société qui ferait affaires
à l'extérieur du Québec?
M. Demers: Je peux parler pour les membres de la Bourse de
Montréal, que je connais particulièrement bien. Presque tous sont
dans le premier paragraphe. Donc, ça ne créerait pas de
difficultés majeures, mais il y a quand même un bon nombre
d'entreprises, membres de la Bourse de Montréal, qui tombent, elles,
sous le deuxième paragraphe et c'est celui qu'on visait, le
deuxième paragraphe de l'article 50.
Beaucoup de ces entreprises ont des noms descriptifs de leur
spécialité. On peut en prendre un au hasard, qui n'est pas une
entreprise qui existe, mais, par exemple, "Market Makers Securities". C'est un
nom qui indiquerait clairement quelle est la spécialité du
courtier, quel est son domaine, quelle est son expertise et, au fond, au bout
d'un certain nombre d'années, un tel nom finit par avoir, pour
l'entreprise, une valeur certaine. Il y a plus que cela. Je sais que pour
beaucoup d'entreprises qui font affaires avec le grand public... pour la Bourse
de Montréal, par exemple, notre clientèle est certainement
à très grande majorité, probablement à 80%, de
langue française. Mais, dans le cas des entreprises qui sont membres de
la Bourse de Montréal, plusieurs sont de petites entreprises qui n'ont
pas une clientèle majoritairement de langue française. Il y a
plusieurs membres de la Bourse de Montréal qui ont une clientèle
majoritairement de langue anglaise, par- fois même très
majoritairement de langue anglaise et, par conséquent, je trouve que ce
deuxième paragraphe de l'article 50 nous apparaît difficile. De
l'appliquer pour l'avenir, ça me semble beaucoup moins difficile, mais
il y a quand même, dans ce paragraphe, une espèce de
rétroactivité sur les entreprises qui sont déjà en
affaires, sur les entreprises qui font commerce, sur les entreprises qui sont
connues. Nous préférerions de beaucoup que la disposition
s'applique pour l'avenir plutôt que pour des entreprises qui ont
déjà bâti un achalandage sur leur nom.
M. Lalonde: M. Demers, je voudrais faire une parenthèse.
J'aurais désiré commencer de cette façon. Que vous fassiez
état... Mais peut-être que M. Giarrusso, qui est quand même
à la Bourse depuis un peu plus longtemps que vous, pourrait expliciter
là-dessus. Quel est le statut de la langue française à la
Bourse de Montréal? Avant de répondre, vous pourrez quand
même me laisser, un peu, non pas romancer, mais décrire, d'une
façon peut-être un peu moins rigoureuse, que pour la
majorité des gens, il y a dix ans, par exemple, la Bourse était
ce qu'il y avait de plus bastion du milieu des affaires où la langue
anglaise était implantée d'une façon quasiment
irréductible. Est-ce que cela a changé? Je sais que vous
êtes le deuxième président, je crois, de langue
française depuis... En fait, après M. Michel Bélanger, et
M. Michel Bélanger, c'était en 1972, je crois, qu'il avait
été nommé.
M. Demers: 1973.
M. Lalonde: 1973. Est-ce que la langue française est la
langue de communication à la Bourse? Quel est son statut?
M. Giarrusso: Je vais répondre, d'accord.
Présentement et depuis plusieurs années, le français est
la langue de travail chez nous, à la Bourse. Même avant la venue
du président Michel Bélanger. J'aurais un peu de
difficulté à vous dire quand on a commencé à
envoyer nos communications dans les deux langues, mais ça fait plusieurs
années que nous le faisons. Je retournerais quasiment à une
dizaine d'années. Je pourrais dire sincèrement que ça fait
depuis au moins dix ans que nous communiquons avec nos membres et avec le
public dans les deux langues et, depuis au moins cinq ans, on communique
beaucoup plus en français à l'intérieur de la bourse,
même avec nos employés, qu'en anglais. Je ne sais pas si tu veux
expliciter, Robert...
M. Oemers: Je pourrais même ajouter, pour être plus
clair, plus précis, que tous nos règlements, toutes nos
règles, tous nos communiqués, toutes nos publications, toutes nos
formules sont faites en français, sont envoyées en
français. Bien sûr, nous les envoyons aussi en anglais. Il y a
à cela de bonnes raisons. Nous avons non seulement des membres au
Québec, mais nous en
avons depuis Halifax jusqu'à Vancouver. Nous avons des membres
à New York. Cela exige une correspondance avec ces membres. Cela exige
d'avoir des règlements en anglais, mais je ne connais pas de
règlement ou de publication de la Bourse qui aujourd'hui ne soit pas
faite en français. Elles sont toutes faites en français.
M. Lalonde: Peut-on conclure que la langue française n'est
pas rébarbative au milieu des affaires ou vice-versa? On peut aussi bien
faire des affaires dans le milieu de la finance en français. Au fond,
cela ne demande pas un génie particulier pour faire des affaires dans le
milieu de la finance. Je parle au point de vue linguistique, le génie
d'une langue.
M. Demers: Non. Il ne fait aucun doute qu'on peut faire le
commerce des valeurs mobilières en français au Québec. La
clientèle est française et comme vous le savez, essentiellement,
les agents de change ne sont pas des gestionnaires de fonds d'autrui. Ce sont
des gens qui conseillent. Ce sont des gens qui aident les investisseurs
à gérer leurs propres affaires. Par conséquent, il est
normal et cela se fait que les agents de change au Québec
reflètent de plus en plus leur clientèle. La maison de change qui
a le plus d'employés et de loin au Québec est une maison
majoritairement de langue française et elle est très bien
connue.
Ce qui, par contre, est aussi certain, c'est, étant donné
que la plupart des entreprises qui sont cotées à une Bourse sont
des entreprises nationales et multinationales, de grandes entreprises
publiques, qu'une connaissance de la langue anglaise est aussi fort importante.
Si vous voulez interpréter comme il faut l'ensemble de l'information
disponible sur une entreprise, il est bien important de connaître la
langue anglaise. Quotidiennement, les agents de change communiquent avec New
York, avec Toronto, pour acheter et vendre leurs positions. C'est donc
essentiel pour eux d'être capables, pour réaliser dans le meilleur
intérêt de leur clientèle les ordres qui leur sont
donnés, de faire ces transactions en langue anglaise.
Nous utilisons, à la Bourse de Montréal, les deux langues.
Il ne fait aucun doute, même si je ne suis président que depuis un
an, que la langue principale des communications à l'intérieur de
la Bourse aujourd'hui est le français, ce qui montre que vous avez
parfaitement raison. On peut tout à fait faire fonctionner une Bourse.
On peut tout à fait fonctionner dans le secteur des valeurs
mobilières en utilisant la langue française.
M. Lalonde: Merci, M. Demers. Une dernière question. Vous
vous inquiétez de l'aspect discrétionnaire de l'office et de la
bureaucratie dans l'implantation des programmes, dans l'implantation de toute
cette politique de francisation.
Le ministre vous a répondu en justifiant la division de la
régie en trois organismes différents. Naturellement, à
savoir si cela prend trois organismes pour faire ces trois fonctions, je pense
qu'on pourrait en discuter longtemps. C'est une question d'efficacité.
Il est fort possible que trois organismes, quoi qu'il y ait peut-être des
questions de cohésion... mais il reste qu'à savoir si un
programme de francisation est suffisant...
Cela sera jugé, décidé par des fonctionnaires et je
le sais... Depuis qu'on a créé au fond... parce que le
mécanisme est à peu près le même ou la
mécanique employée par le projet de loi no 1 est à peu
près la même. Elle a été créée de
toutes pièces elle n'existait nulle part ailleurs par la
régie et par les études qui ont été faites depuis
deux ans. Elle a pris corps dans le règlement de francisation.
Ce sont des fonctionnaires qui décideront si telle entreprise qui
demande sept ans, par exemple, pour en arriver au point X désiré
par la loi, exige une période trop longue ou trop courte, si elle doit
faire telle communication en français à partir du mois prochain
ou de l'an prochain, selon les... Il y a des coûts d'impliqués et
je suis totalement d'accord avec vous...
Ma connaissance un peu de la tendance de la fonction publique. A ce
moment-là, les fonctionnaires, en toute honnêteté, ce n'est
pas par malice, c'est de l'interventionnisme... On a une loi, on a de beaux
règlements et le fonctionnaire va vouloir tout faire, c'est normal. Il
faudrait presque constamment le retenir, et c'est de bonne foi. Cela ne vient
pas d'une malhonnêteté ou d'une malice quelconque.
Il y avait, dans la loi 22, un appel au ministre pour tenter de tamiser
un peu cette tendance, non pas dans l'espoir que tous les certificats de
francisation, les émissions ou les suspensions aillent jusqu'au
ministre, parce que cela prendrait un ministre seulement pour cela, mais, quand
même, pour contenir un peu.
Je suis d'accord avec vous que sans appel, que ce soit au ministre ou
à un autre, enfin à quelque chose d'autre, c'est
extrêmement dangereux que l'intervention de la bureaucratie dans tous les
domaines de l'entreprise, dans toutes les activités de l'entreprise,
deviennent très coûteuses. Je pense que le ministre ne vous a pas
répondu sur cet aspect discrétionnaire. Vous mentionnez, par
exemple, les communications verbales. Si jamais un fonctionnaire, à
moins que les règlements en fassent état, décide que les
communications verbales doivent être francisées et qu'on essaie
d'établir un système d'autodiscipline ou d'auto-surveillance pour
surveiller les communications verbales entre les gens dans l'entreprise,
à ce moment-là, cela serait catastrophique.
Je voudrais vous parler, en terminant, de 1983. J'ai trouvé cela
dans la loi et je trouve cela aussi dans le règlement de francisation
des entreprises de la loi 22. A ce moment-là, on avait choisi un
calendrier qui se terminait en 1983 pour toute entreprise de 100
employés et plus, en tenant compte des capacités de la
régie d'intervenir dans une certaine mesure, il faut donner des
conseils pour ce nombre d'entreprises possibles, parce que
c'était seulement, de l'incitation. Naturellement, cela s'adressait
seulement aux entreprises qui voulaient faire affaires avec le gouvernement,
etc. 1983... aller plus vite, cela aurait
été presque impossible pour les quelques milliers
d'entreprises qui étaient visées à ce moment-là.
Or, avec les entreprises de 50 employés et plus, on ajoute, je crois,
d'après les statistiques que la Régie de la langue
française possède, 3000 à 4000 entreprises, et on conserve
la même limite de temps, la même échéance. Alors, je
pense qu'on aura des questions à poser au ministre dans l'étude,
article par article, à savoir: Est-ce que c'est réaliste de faire
cela ou va-t-il falloir créer ce monstre avec des centaines de
conseillers techniques de plus à la régie. Merci, M. le
Président?
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Lotbinière.
M. Biron: Messieurs, je vous remercie, et M. Demers en
particulier, pour votre mémoire. Il m'a impressionné, surtout les
deux dernières phrases de votre mémoire où vous recherchez
exactement ce qu'on recherche. Vous dites: "Nous croyons que le gouvernement
devrait adopter des propositions qui sont faites dans ce mémoire, car
elles permettraient d'obtenir l'appui d'un plus grand nombre de citoyens". Or,
vous cherchez à créer un projet collectif où la grande
majorité de nos concitoyens, nos Québécois, nos
Québécoises, vont être impliqués, vont se
reconnaître. Alors, j'ai été frappé de pouvoir lire
cela dans votre mémoire avec énormément de justesse de
votre part.
Vous nous parlez aussi du bilinguisme individuel. J'ai été
impressionné par votre marché financier en particulier qui ne
fait pas tout simplement des affaires au Québec, mais qui doit
absolument sortir des frontières du Québec. Vous dites
qu'à l'intérieur même de la Bourse, si on veut
véritablement faire des affaires avec d'autres provinces, d'autres pays,
il faut absolument pouvoir parler anglais; l'anglais est essentiel. J'ai lu
cela dans votre mémoire. Vous nous parlez aussi de la qualité de
l'enseignement des deux langues, français et anglais. Autrement, vous
craignez énormément qu'un unilinguisme chez les francophones
fasse des gens qui ne pourront accéder à certains postes,
à la Bourse de Montréal en particulier, ou ailleurs. Vous
craignez aussi la lourdeur des contrôles. Moi aussi, comme mon ami le
député de Marguerite-Bourgeoys, je crains
énormément cette lourdeur des contrôles qu'on veut
appliquer maintenant avec la loi no 1 et ce monstre administratif. Même
si le ministre ne craint pas cette lourdeur des contrôles, cela prouve
peut-être sa naïveté ou son manque d'expérience dans
l'administration gouvernementale, parce que c'est purement impossible de
pouvoir créer tant d'organismes et de surveiller autant d'entreprises
avec à peu près la même chose qu'on a ajourd'hui.
Cette bureaucratie, bien sûr, nous occasionnera des délais,
des coûts, des frustations et je crois que votre mémoire est
juste, sur ce point en particulier.
A la page 6, vous mentionnez quelque chose qui est intéressant.
C'est qu'on peut convertir des machines, des bâtisses dans quelques
années, mais ça prend beaucoup plus que quelques années
pour convertir des hommes. Je crois que c'est votre expérience de
l'administration qui vous dit qu'on peut facilement bâtir des
bâtisses, acheter de la nouvelle machinerie ou changer cette machinerie,
mais, d'après l'expérience des hommes en particulier, ça
prend une ou deux générations pour pouvoir bâtir des
hommes. A la page 8, vous dites aussi quelques mots à propos de
l'utilisation de raisons sociales bilingues pour les contrats ou autrement. Il
n'y a pas beaucoup d'entreprises qui, à l'heure actuelle, au
Québec, emploient des raisons sociales unilingues. La plupart emploient
des raisons sociales bilingues pour faire affaires au Québec ou à
l'extérieur parce que la plupart de ces entreprises font affaires
à l'extérieur du Québec et c'est plus facile, finalement,
d'aller avec les deux langues officielles de notre pays, d'un bout à
l'autre, nos raisons sociales, nos contrats, nos rapports
généraux.
Vous craignez aussi les comités de francisation vis-à-vis
de certaines entreprises où on n'a véritablement pas besoin de
comités de francisation. Au Québec, on a beaucoup d'entreprises
qui fonctionnent en français avec de l'ajustement bilingue pour ce qu'il
faut, pour leurs affaires. Sur cela aussi, je suis d'accord avec vous, on
devrait laisser plus de latitude de ce côté.
Avant de vous poser quelques questions, je sais que le ministre a fait
plusieurs ouvertures depuis le début de cette commission et a fait
beaucoup de voeux pieux. J'aimerais, lorsque le projet de loi no 1 sera
réimprimé, voir ces voeux pieux traduits dans des textes de loi
afin que, comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, M. Demers,
je crois, les entreprises voient exactement, dans les textes, où elles
peuvent aller. Finalement, après ça, on va prendre la
décision. Si le texte n'est pas clair, les entreprises vont attendre que
le texte se clarifie avant de pouvoir prendre une décision.
Finalement, cela coûtera énormément d'investissement
au Québec. J'ai quelques questions à vous poser. Ma
première question concernera tout ce que vous avez répondu tout
à l'heure et aussi le fait qu'on emploie beaucoup plus de
français à la Bourse de Montréal, depuis dix ans en
particulier. Est-ce que vous pensez que le français, avec ou sans la loi
no 1, est en voie de disparition au Québec ou en danger de disparition,
même si on n'avait pas cette loi no 1?
M. Demers: Bah! vous me posez une question qui n'est vraiment pas
du domaine de l'expertise de la Bourse de Montréal. Ce que je peux vous
dire, c'est ce qui se passe dans notre milieu. Le fait que le français
ait fait des progrès considérables au cours des dix
dernières années, cela ne fait aucun doute. La Bourse de
Montréal existe depuis au-delà d'un siècle, elle est,
depuis une dizaine d'années, tel qu'on l'a mentionné, un
organisme qui fonctionne en français, qui envoie à tous ceux qui
en font la demande, tant du public qu'à ses membres, qu'à son
personnel, des avis émis en français; c'est évidemment un
changement qui, dans notre secteur, est considérable.
Je pourrais dire aussi que, pour nos membres qui font affaires avec le
public, je sais qu'il y a eu
un effort considérable qui a été fait depuis
plusieurs années, et c'est dans leur intérêt, tout
simplement parce que nos membres savent pertinemment qu'en tant qu'agents de
change, plus ils ont une grande clientèle, plus c'est important.
Peut-être qu'André Desaulniers, qui dirige une maison de
courtage, ce qui est bien différent d'une bourse, pourrait aussi vous
répondre.
M. Desaulniers (André): Pour une maison de courtage
l'intégration au milieu est importante. Par contre, quant au projet de
loi, ce que nous recommandons est basé sur quelques contraintes qui font
que nous ne vivons pas en vase clos, à cause de la nature même de
notre commerce.
Je suis un exemple extrême, ayant 95% de notre clientèle au
Québec, où peut-être 85% ou 90% de cette clientèle
au Québec est francophone. Je vous parle en volume. En nombre de
clients, c'est plus important que cela encore.
Les hésitations, au projet de loi, portent sur les raisons
sociales. Je peux vous expliquer, par exemple, qu'il est impossible de dire
d'avance, de par la vitesse de nos transactions, par le manque de recul qu'on a
pour exécuter une transaction... une transaction que j'exécute
maintenant, il est très possible et même probable qu'il y a 30
secondes, je ne savais pas qu'elle allait m'arriver.
Vous avez, à ce moment-là, avantage à nous
consentir, au moins aux maisons qui existaient déjà, maintenant
avec une raison sociale, de se servir d'une raison sociale bilingue partout. Il
serait très fastidieux et tout à fait coûteux de commencer
à faire un tri de nos contrats qui sont faits par ordinateurs et qui
parviennent dans une maison canadienne-française comme la mienne, qui
fait surtout affaires au Québec, qui partent quand même par
douzaines, tous les jours, pour Toronto et New York.
S'il faut commencer à avoir un ensemble de papeterie et faire des
transactions séparées des contrats séparés, pour
Toronto, New-York et Montréal, plutôt qu'à Rimouski,
à Toronto ou à Ottawa, on n'en sortira pas. On pense qu'une
raison sociale bilingue, pour les nouveaux et la garde de la raison sociale
pour les anciens qui, en somme, ne totalisent que quatre membres, je pense,
pour qui c'est important, devrait être accordée.
L'autre point qui me semble important comme courtier plutôt que
comme administrateur de bourse parce que je gagne ma vie comme agent de
change, même si mes associés trouvent que je passe pas mal de
temps à la bourse c'est la formation du personnel, quand on parle
de 1983.
Nous avons, par exemple, dans ma maison, seulement 18 employés,
dont quinze sont francophones et trois sont anglophones. Sur ces trois
anglophones, j'en ai deux bilingues. J'en ai un qui est bilingue et j'en ai
deux qui le sont à demi. Cela en fait un.
Il me serait tout à fait impossible de m'acheter quelqu'un en
français, qui sache faire son métier, dans deux de ces trois
messieurs. Si je veux avoir un francophone pour les remplacer, cela me
demandera probablement entre dix et trente ans. C'est l'expérience de
ces messieurs qui sont à peu près depuis vingt ans dans le
métier, qui sont à peu près les meilleurs dans leur
métier, dans leur spécialité qui fait qu'ils sont tout
à fait irremplaçables, à l'heure actuelle.
Remarquez que ces anglophones sont très heureux de recevoir leur
chèque de paie avec de l'argent emprunté par moi dans une banque
canadienne-française, avec un chèque rédigé en
français, tous les vendredis. Ils le prennent avec plaisir. Ils
s'intègrent à notre communauté tranquillement, mais
sûrement.
Mais c'est impossible de penser, moi qui suis si... enfin, pour ma part,
je fonctionne en français. Mais c'est difficile, dans une entreprise de
services, de former rapidement du personnel.
Prenez par exemple, les options qu'on a lancées à
Montréal où nous espérons être un marché,
enfin, aujourd'hui, nous sommes le plus important marché d'options au
Canada et nous avons beau chercher des spécialistes, on peut dire...
Evidemment, c'est une question de jugement, cela peut dépendre d'un
professionnel ou d'un autre, mais la limite des gens compétents dans ce
secteur se situe actuellement, si nous sommes optimistes, à la
demi-douzaine, dont un est francophone, et si nous voulons former des gens qui
sont bons en options, c'est un programme de cinq ou dix ans.
Heureusement, Toronto n'a pas les moyens d'aller plus vite que nous et
nous espérons garder cette avance. Nous dirigeons nos efforts pour la
formation éventuelle de spécialistes ce qui est
déjà commencé, ce qui est déjà fait. Ce ne
sont pas seulement des projets, des gens ont été engagés,
et ont commencé à travailler. Cela se fait dans le milieu
francophone, mais, avant qu'ils ne soient compétents, cela va nous
prendre cinq, dix ou quinze ans.
M. Biron: Une dernière question très brève,
quelles sont les chances de promotion d'un uni-lingue anglais à comparer
à un unilingue français à la Bourse de Montréal ou
dans une de vos entreprises?
M. Deniers: Je ne vois pas comment une personne, aujourd'hui,
à la Bourse de Montréal, pourrait être unilingue anglais ou
unilingue français. Tous nos directeurs de service sont capables de
s'exprimer en anglais et en français. Cela découle au fond de la
nature même d'une opération comme une bourse. Nous avons, comme je
l'ai dit, des membres... J'ai un membre qui est à Halifax, j'en ai un
qui est à Ottawa, j'en ai un qui est à Vancouver, j'en ai cinq ou
six qui sont à New York, j'ai des gens qui sont partout à travers
le Canada. On doit avoir certainement des maisons qui ont des bureaux partout
à travers le Canada et c'est difficile pour notre entreprise. Cela
exige, par conséquent, d'avoir du personnel qui connaît bien les
deux langues et je ne vois pas, chez nous, que ce soit possible de fonctionner
autrement.
Pour ce qui est des agents de change, ce serait probablement possible
je pense que c'est encore aujourd'hui tout à fait possible
d'atteindre un poste de cadre chez un agent de change, en étant
unilingue de langue anglaise, et même en
étant unilingue de langue française, mais avec des limites
dans chaque cas, des limites qui, dans le cas des unilingues de langue
anglaise, progressivement, deviennent de plus en plus évidentes. Ce qui
me frappe, c'est que, dans la génération montante, les gens sont
de plus en plus bilingues. Mais je ne vous cacherai pas qu'il y a à la
Bourse de Montréal un grand nombre de dirigeants d'entreprises qui sont
unilingues de langue anglaise et qui réussissent très bien
à mener leurs affaires, tout simplement parce que nous sommes dans un
domaine de finance au fond qui est international, où les principaux
centres financiers sont New York, Londres, Tokyo, Toronto, où la langue
est essentiellement la langue anglaise. Sur le continent européen, avec
la langue anglaise, vous pouvez vous débrouiller à peu
près n'importe où, quoiqu'il y ait des centres importants de
langue française en Europe. D'ailleurs, la langue première de la
Fédération internationale des Bourses de valeurs est la langue
française, ce qui n'est pas souvent connu.
Alors, je pense que, pour ce qui est de notre industrie, il est clair,
tel que nous l'avons dit dans notre mémoire, que le français est
en voie de devenir essentiel et que l'anglais va demeurer, si l'on veut faire
une carrière dans la finance, une langue qui est aussi essentielle
à connaître.
Le Président (M. Cardinal): J'accepterai une
dernière intervention du parti de l'Opposition officielle. Il vous reste
deux minutes. De toute façon, comme j'ai rendu la directive, à 13
heures, nous ajournerons sine die. M. le député de D'Arcy
Mc-Gee.
M. Goldbloom: Merci, M. le Président. J'aimerais parler
brièvement de la question des raisons sociales. Le ministre a
parlé à plusieurs reprises de l'article 112. J'aimerais, entre
parenthèses, lui donner un petit conseil amical, c'est de ne pas aller
en parler à l'extérieur du parlement aujourd'hui.
Une Voix: ...Le règlement 112.
M. Goldbloom: Le 112, ce n'est pas un numéro à
promener abondamment à l'extérieur du parlement aujourd'hui.
M. Pauette: On est allé leur parler hier et cela a
été très amical. On a même été
applaudis.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous
plaît! Encore une fois, je dois rappeler l'article 140, dernière
ligne. Le règlement 112 et l'article 112, ce sont deux choses
différentes. Nous en sommes à l'article.
M. Goldbloom: Merci, M. le Président. M. De-mers, vous
avez parlé de l'opportunité de conserver aux firmes existantes,
aux organismes exis- tants leur raison sociale actuelle. Il me semble que ce
que vous avez exposé doit avoir une application assez large, parce qu'il
me semble que, quand un propriétaire d'entreprise offre cette entreprise
en vente, il y a très souvent un élément du prix qu'il
demande pour cette entreprise qui est intitulé en anglais "goodwill".
C'est la bonne renommée de l'entreprise qui est connue, et l'entreprise
est connue par son nom, par sa raison sociale. J'aimerais vous demander si,
dans cette recommandation que vous faites, vous étendriez cette
pensée à l'ensemble des raisons sociales existantes au
Québec, en vertu de cette considération que l'on ne doit pas, par
un geste législatif, spolier une entreprise privée, fruit de
l'effort et de l'investissement de citoyens.
Si on l'oblige à un changement et si l'on diminue ainsi le
degré de connaissance de cette entreprise, on en diminue la valeur
actuelle et la valeur à l'occasion de l'offre de vente. Est-ce que je
peux vous demander de commenter cette considération?
M. Demers: Oui, je pense que c'est tout à fait ce que nous
avons recommandé. Nous avons mentionné qu'une raison sociale et
l'achalandage qui s'y attache sont importants pour une entreprise. Cela l'est
dans notre milieu; cela l'est évidemment dans les autres entreprises.
Cela l'est probablement même plus, suivant le caractère des
entreprises, le type de commerce que ces entreprises font. Ce qui nous frappe
aussi dans cette disposition, c'est qu'au fond, la disposition
législative a un effet rétroactif. Elle va affecter des gens qui,
actuellement, ont un actif qui apparaît à leur bilan et dont le
nom fait partie de cet actif. Je pense que, pour les entreprises commerciales,
pour les entreprises industrielles, on ne peut pas négliger l'importance
de la raison sociale. C'est pourquoi la Bourse de Montréal a fait cette
recommandation et elle la ferait pour l'ensemble des autres entreprises au
Québec, bien certainement.
Le Président (M. Cardinal): Merci. Ne quittez pas, comme
on dit à la radio. Le prochain groupe qui viendra après vous sera
la Fédération des groupes ethniques du Québec Inc. Est-ce
que ce groupe est ici? Bon! Alors, vous serez le premier à être
entendu cet après-midi, après les travaux de l'Assemblée
nationale.
Me Robert Demers, M. Giarrusso, M. Desaul-niers, M. Price, M.
Rosenbloom, au nom de la commission, nos remerciements. Puis-je souligner votre
patience? Je soulignerai maintenant votre bon travail dans votre mémoire
et vos réponses.
Merci beaucoup.
Les travaux de cette commission sont ajournés sine die,
c'est-à-dire que nous attendrons la motion du leader parlementaire du
gouvernement pour reprendre nos travaux après 16 heures.
(Fin de la séance à 12 h 58)
Reprise de la séance à 16 h 28
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et
messieurs!
C'est une nouvelle séance. Je fais l'appel des membres de la
commission et je souligne tout de suite que cette séance se poursuivra
ce soir.
M. Alfred (Papineau)...
M. Alfred: Présent.
Le Président (M. Cardinal): ... M. Bertrand (Vanier), M.
Bisaillon (Sainte-Marie), M. Charbonneau (Verchères), M. Chevrette
(Joliette-Montcalm), M.Vaillancourt (Jonquière), M. Ciaccia
(Mont-Royal)...
M. Lalonde: Oui.
Le Président (M. Cardinal): ... M. de Belle-feuille
(Deux-Montagnes), M. Dussault (Châteauguay), M. Godin (Mercier)
remplacé par M. Morin (Sauvé), M. Grenier
(Mégantic-Compton), M. Guay (Taschereau), M. Lalonde
(Marguerite-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget), Mme
Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le Moignan (Gaspé) remplacé par M.
Shaw (Pointe-Claire), M. Paquette (Rosemont), M. Roy (Beauce-Sud), M.
Saint-Germain (Jacques-Cartier), M. Samson (Rouyn-Noranda).
J'invite immédiatement le prochain organisme, la
Fédération des groupes ethniques du Québec Inc.,
mémoire 96. Je vous prierais, messieurs, d'identifier votre organisme,
de vous identifier et, ensuite, on appliquera les règles ordinaires.
Fédération des groupes ethniques du
Québec
M. Baghdjian: C'est la Fédération des groupes
ethniques du Québec. Je m'appelle Kévork Baghdjian,
président de la fédération. A ma droite, j'ai M. Jan
Tesiorowski qui est le vice-président et, à ma gauche, j'ai M.
Nicolas Zsolnay qui est le directeur des relations publiques de la
fédération.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. Nous
commençons à 16 h 30. Vous avez 20 minutes pour présenter
votre mémoire.
M. Baghdjian: Merci, M. le Président.
Honorables membres de la commission parlementaire, la
Fédération des groupes ethniques du Québec regroupe 20
groupes ethniques dont les deux plus grands, la Fédération des
Italo-Canadiens et la Communauté hellénique de l'île de
Montréal, ont déjà présenté leur
mémoire pour ce qui regardait, pour ce qui concernait leurs
communautés respectives. Mais ces deux communautés, grecque et
italienne, étant affiliées a la fédération, le
mémoire que nous avons présenté résume donc en
somme le consensus qui s'est réalisé au sein de notre
fédération.
Je dois dire ici que la Fédération des groupes ethniques
du Québec est le seul organisme hors Québec, peut-être
même à travers tout le Canada, qui soit multi-ethnique,
multicultural, et dont la langue de travail écrite et orale est le
français, parce que nous tenons toutes nos séances en
français, tous nos procès-verbaux sont rédigés en
français et tous nos prorcès-verbaux restent en français
avec tous les rapports que nous dressons toujours en français. C'est
donc au nom de cette fédération que je me dois de remercier la
commission parlementaire de l'accueil qu'elle a bien voulu réserver
à notre mémoire. Je ne voudrais pas vous importuner par la
lecture de notre document. Je me contenterai de vous en présenter un
exposé succinct, après quoi mes collègues et
moi-même nous nous tiendrons à votre disposition pour
répondre à vos questions.
A l'occasion de la publication du livre blanc, la
Fédération des groupes ethniques du Québec avait
déjà pris position en faveur de la francophonie et de la
francophonisation. Nous l'avons déclaré tout haut à qui
voulait l'entendre, dans notre communiqué du 5 avril 1977, que nous
avons joint à notre présent mémoire. D'ailleurs, notre
position n'a pas changé depuis le 19 septembre 1975, date à
laquelle nous avions fait diffuser par Telbec notre premier communiqué
face à la loi 22, un autre document que nous avons joint aussi à
l'appui de notre mémoire. Aujourd'hui encore, nous militons pour la
francophonie et la francophonisation. Nous sommes pour la primauté
incontestable du français au Québec.
Cependant, cela ne nous empêche pas de formuler certaines
critiques et certaines réserves quant aux modalités de cette
francophonisation préconisée par le projet de loi no 1. En
principe, nous sommes contre toute mesure coercitive pour protéger ou
imposer une langue et une culture. Nous sommes, par contre, pour toute mesure
incitative pour encourager des transformations, pour opérer des
réformes linguistiques ou pour édifier des structures nouvelles
dans la collectivité, tant au Québec que partout ailleurs.
Ainsi, tout en nous engageant pour la francophonie dans une province
à 81% francophone, nous ne pouvons pas ne pas souligner que
l'uni-linguisme, s'il était imposé officiellement et
appliqué globalement, serait préjudiciable, même et
surtout, aux francophones du Québec. C'est la raison principale pour
laquelle nous avons suggéré que tout Québécois, au
terme de ses études secondaires, puisse manier aussi aisément le
français que l'anglais, c'est-à-dire qu'il maîtrise aussi
bien la langue officielle que la langue seconde. Article 57.
Pour ce qui est du français, langue de travail, de
l'administration et des tribunaux, nous avons insisté surtout sur
l'insuffisance du délai de transition souvent trop court pour
réaliser cette transformation d'une si grande envergure. Par moments,
nous avons été choqués par l'emploi de certains termes
tels que la majorité et minorité (cf. préambule) qui nous
ont inspiré une appréhension compréhensible tant par
l'esprit que par la lettre de la loi projetée.
Nous y avons décelé une certaine catégorisation des
citoyens et nous avons été alarmés par
l'institutionalisation de la discrimination entre ci-
toyens de diverses origines et de diverses langues. Nous avons
consigné cette appréhension à la page 1 de notre
mémoire.
Par ailleurs, nous avons constaté, au projet de loi no 1, le
manque de la définition du terme "Québécois" et nous avons
suggéré que la définition claire, simple et précise
que le premier ministre René Lévesque en a donné au
colloque des 4 et 5 juin soit adoptée dans ce texte législatif,
pour empêcher toute équivoque et tout abus éventuel dans
l'interprétation future de la loi en question. Cf. notre
préambule, page 2 et l'article 112, page 9.
Nous avons été désagréablement surpris de
constater que le législateur avait omis de prévoir des moyens de
recours aux tribunaux pour en appeler des mesures injustes possibles et des
excès de zèle probables dans l'application de cette loi. Cf. page
4, critiques et amendements de notre mémoire, article 99, page 9 et
articles 120 et 144. Car les organismes créés pour l'application
et la surveillance de la francophonisation, par le projet de loi no 1, sont
dotés d'un pouvoir quasiment absolu de jugement et
d'exécution.
Si des tribunaux de recours compétents ne sont pas
créés en même temps que ces organismes, nous
apréhendons des abus et des injustices, peut-être souvent
involontairement commis par des fonctionnaires, mais toujours
préjudiciables aux citoyens.
La Fédération des groupes ethniques du Québec,
fidèle à sa vocation et selon les dispositions de sa Charte qui
la reconnaît comme le défenseur des intérêts des
communautés ethniques et le porte-parole de celles-ci auprès des
gouvernements fédéral, provincial et municipal, a jugé de
son devoir de recommander et de demander même que dans tous ces
organismes gouvernementaux et paragouvernementaux, des représentants
ethniques soient présents, (articles 69, 121, 151) car il ne serait pas
juste que ces postes soient attribués aux seuls Québécois
francophones, comme le laisse entendre le projet de loi no 1.
Les Québécois francophones ne sont pas les seuls à
constituer le peuple québécois et ils ne peuvent pas et ne
doivent pas prétendre avoir le monopole de défendre et de
promouvoir le français et la francophonie. Nous voulons contribuer de
toutes nos forces, à la francophonisation et à la promotion du
français et de la culture française.
Nous avions affirmé ce désir et ce droit, le 24 avril
dernier, en présence de l'honorable Dr Camille Laurin, dans la salle des
Ukrainiens où, se rendant à notre invitation, M. le ministre
avait bien voulu engager un dialogue constructif avec les masses ethniques.
J'avais dit, ce jour-là: "Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas
rester indifférents et passifs devant un Québec en devenir. Nous
sommes convaincus que rien de positif et de valable ne peut se réaliser
au pays sans le concours des ethnies qu'on avait la mauvaise habitude d'appeler
les autres et qui constituent aujourd'hui les 12% de la population à
l'échelle du Québec et le tiers de la population à
l'échelle du Canada".
J'avais ajouté que nous sommes conscients de nos tâches en
tant que citoyens à part entière et que nous entendons exercer
tous nos droits civiques sans restriction aucune, sans nous dérober
à aucune de nos obligations.
C'est toujours dans cet esprit de civisme que nous exigeons la
présence de ceux qui ne sont ni francophones, ni anglophones aussi,
à l'Office de la langue comme à la Commission de la surveillance
et au Conseil consultatif.
C'est également dans le même ordre d'idées que nous
avons demandé des précisions, que nous considérons
indispensables sur la définition des associations socio-culturelles et
des critères de leur représentativité. Notre position a
été toujours nette et claire.
Les ethnies ne veulent pas s'enfermer dans des tours d'ivoire, pour dire
le mot, dans des ghettos. Elles ne veulent pas non plus vivre en marge de la
société, vivre comme une troisième solitude. Elles
n'acceptent point de traîner leur existence comme des parasites à
la charge de la société, de la collectivité. C'est pour
ces raisons d'ordre humain et des raisons d'ordre social et civique que la
Fédération des groupes ethniques du Québec demande
impérieusement que des représentants ethniques, allophones,
soient aussi présents à tous les paliers des organismes
chargés de l'application et du contrôle de la Charte du
français et, soit dit en passant, même à tous les paliers
de la fonction publique. C'est également pour ces raisons que nous
sommes devant la commission parlementaire pour répondre à toutes
vos questions. Merci de votre attention.
Le Président (M. Dussault): Merci, MM. les témoins.
M. le ministre d'Etat, s'il vous plaît.
M. Laurin: Je remercie la fédération pour
l'exposé qu'elle vient de nous faire et le mémoire qu'elle nous a
présenté, que j'ai lu avec la plus grande attention. J'ai
l'impression que ce mémoire a été écrit sous le
signe de l'ambivalence. D'une part, la Fédération des groupes
ethniques se dit fortement en faveur, non seulement de la francophonie, mais
aussi de la francophonisation, mais, d'autre part, j'ai l'impression qu'elle
voudrait garder le plus possible de l'état actuel du Québec qui
est une bilinguisation marquée dans plusieurs domaines. Ce qui veut
dire, au fond, que je constate, aussi bien dans les rencontres que j'ai avec
les divers groupes ethniques que dans les mémoires qu'ils nous ont
présentés, dans le mémoire que la fédération
nous présente aujourd'hui, une certaine méfiance, pour ne pas
dire une certaine appréhension, non seulement à l'endroit du
projet de loi, mais à l'endroit de l'évolution actuelle,
accélérée du Québec vers la définition de
son statut de peuple et de nation.
A un autre moment, dans son mémoire, la fédération
nous demande de ne pas la tenir responsable pour les facteurs qui sont
responsables de son état d'esprit ou de ses tendances actuelles. J'en
suis. Je sais, en effet, que la plupart des immigrants, lorsqu'ils sont venus
au Québec depuis 40 ou 50 ans, ont eu la certitude d'entrer dans un
Canada bilingue et non pas dans un Québec fran-
çais. Je sais aussi qu'ils n'ont pas tardé à se
rendre compte, quand ils sont arrivés au Québec, que la puissance
économique, qui est tellement importante pour le gagne-pain, appartenait
au groupe anglophone, et que l'anglais était la "lingua del pane",
l'instrument du succès, du prestige social. En conséquence,
beaucoup d'immigrants, pour ne pas dire la plupart, choisissaient, sinon de
s'intégrer ou de s'assimiler à cette minorité anglophone,
du moins d'entrer dans le secteur scolaire anglophone.
La majorité francophone également n'est pas sans reproche
à l'endroit des divers groupes minoritaires, assez souvent
cantonnée dans une attitude de refus, de xénophobie et n'a pas
toujours fait montre de l'hospitalité qui aurait été
désirable, ce qui est, malgré tout, compréhensible, en
raison d'un réflexe de défense en face de ces choix
qu'effectuaient les immigrants et en raison des tensions ou des conflits qu'ils
vivaient eux-mêmes en cherchant à se définir.
Je pense que ceci nous amène au résultat actuel qu'un
grand pas reste à faire pour rapprocher ces diverses communautés.
Si les groupes ethniques ont souvent l'impression que la majorité ne les
comprend pas ou ne les accueille pas comme il se doit, on peut dire aussi que
la majorité francophone a souvent l'impression, également, que
les groupes ethniques ne connaissent pas sa situation, ne connaissent pas
véritablement ses problèmes, en même temps que ses
aspirations et ne sont pas d'accord, également, sur son
évolution, sur les efforts et la volonté aussi qu'elle a de se
définir dans un statut de liberté et d'atteinte d'objectifs qui
sont pour elle essentiels.
Et ceci se retrouve peut-être dans la conception qu'ils se font du
projet de loi parce que malgré les rencontres que nous avons eues, j'ai
souvent l'impression que les minorités ethniques n'ont pas
véritablement lu ou compris le projet de loi tel qu'il est ou du moins
tel qu'il a été inspiré, tel qu'il se retrouve dans le
livre blanc.
J'en prends pour preuve, par exemple, les craintes dont vous faites
état aux pages 3 et 4 que vous avez mentionnées vous-même.
Je crois que les craintes dont vous faites état à la page 3 sont
absolument non fondées.
Il est absolument certain que ce projet de loi n'atteindra
sûrement pas les pauvres, les ouvriers non qualifiés et les
travailleurs moins éduqués, car si vous relisez le chapitre du
livre blanc qui est consacré aux individus, vous verrez que les
périodes de transition nécessaires sont accordées. Vous
verrez que toute la souplesse désirable y est manifestée à
l'endroit, par exemple, des propriétaires d'échoppes ou de petits
commerces qui, bien sûr, devront prendre les moyens pour servir leurs
clients en français, ce qui est un droit absolument fondamental pour le
francophone au Québec, mais qu'ils pourront le faire par personne
interposée par le personnel qu'ils pourront engager, tout en prenant le
temps nécessaire pour apprendre la langue du pays.
Dans les autres chapitres du livre blanc aussi, je pense que vous verrez
que le gouvernement entend faire tous les efforts nécessaires pour
favori- ser l'apprentissage du français dans tous les secteurs de la
population que constituent les groupes ethniques à l'heure actuelle,
aussi bien chez les enfants, par l'accent qu'il veut mettre sur l'enseignement
à l'école ou au niveau de l'éducation des adultes.
Je retrouve aussi une trace de cette méfiance, de cette
appréhension dans la certitude qu'a la Fédération des
groupes ethniques que les fonctionnaires recourront nécessairement
à des mesures injustes ou à des excès dans l'application
de la loi à l'étude.
Peut-être cela est-il dû à l'expérience
passée qu'ont eue plusieurs immigrants dans leur pays d'origine, mais je
pense qu'il y a eu assez d'assurance de donnée à cet effet et je
pense qu'il faut quand même assez respecter les fonctionnaires qui sont
nombreux au Québec comme dans tous les pays pour reconnaître
qu'ils se conformeront à l'esprit aussi bien qu'à la lettre de la
loi. Avant toute considération sur les recommandations
spécifiques que vous faites, il faut parler de ce climat, des conditions
qui l'ont créé et des mesures aussi qu'entend prendre aussi bien
le gouvernement que la majorité francophone pour combler ce
fossé, pour corriger les malentendus, les incompréhensions qui
ont pu exister jusqu'ici entre la majorité francophone et les divers
groupes ethniques.
Je pense que notre gouvernement a déjà donné la
manifestation de cette bonne volonté dans le colloque qu'il a tenu
déjà sur les problèmes de l'immigration.
Il le manifestera à nouveau dans l'autre colloque qu'il a
l'intention de tenir au mois d'octobre et où nous essaierons tous
ensemble de nous pencher sur les problèmes actuels qui s'opposent
à l'édification d'une culture québécoise qui ne
serait pas seulement francophone, mais qui incorporerait aussi les dynamismes
culturels des divers groupes ethniques.
La loi actuelle est conçue dans le même sens. La politique
linguistique actuelle est conçue dans le même sens et tout le
livre blanc en témoigne d'ailleurs. Je pense qu'en vertu de cette
politique, nous sommes prêts à accepter plusieurs des
recommandations que vous nous faites, par exemple quant à la
représentation des divers groupes ethniques soit dans les organismes
administratifs de la régie, soit au conseil consultatif de la langue
française, soit dans les autres conseils consultatifs qui existent ou
qui seront à créer dans nos divers ministères.
Mais il reste cependant que nous voudrions bien que la loi actuelle, que
la politique actuelle, soit comprise et qu'elle soit comprise dans le sens de
l'article 43 de la Charte des droits de l'homme qui incite le gouvernement
à donner aux minorités culturelles tous les moyens dont elles ont
besoin pour favoriser leur épanouissement.
Mais, pour le moment, je pense que nous sommes encore dans une phase de
recherche et une phase de malentendus. J'en vois la preuve, par exemple, dans
les premières pages du mémoire où vous nous demandez
d'accorder plus d'importance au bilinguisme. A première vue, on
peut se demander pourquoi les groupes ethniques, qui disent qu'ils ne
sont pas intégrés, ni assimilés à la
minorité anglophone, veulent-ils attacher autant d'importance au
bilinguisme? On peut se demander ce que cela pourrait leur apporter, aux
groupes ethniques, ce maintien du bilinguisme, sinon par les choix implicites
ou explicites qu'ils ont déjà faits à l'endroit de cette
minorité anglophone qui les domine bien plus qu'ils ne veulent
l'avouer.
De la même façon, ils nous demandent des délais plus
longs pour l'application de la loi. Il nous semble que les délais que
nous accordons sont quand même relativement longs et il importe quand
même de reconnaître que tout gouvernement se doit de faire une
planification, surtout lorsqu'il s'agit d'application de lois aussi importantes
que celle-là. Et je pense que les échéanciers que nous
nous sommes fixés, les planifications que nous avons faites tiennent
compte de la réalité, à condition, bien sûr, que
l'on puisse compter sur la bonne volonté de tous les groupes et de
toutes les personnes qui se disent favorables aux objectifs que nous
poursuivons.
J'en arrive maintenant aux recommandations spécifiques que vous
nous faites. Vous voudriez qu'on ajoute un paragraphe à l'article 52
afin qu'un immigrant ou même un francophone qui irait étudier
durant une seule année dans une province anglaise, voisine, puisse
revenir au Québec et poursuivre ses études en anglais, et non
seulement lui, mais ses frères et soeurs. J'aimerais bien savoir si j'ai
bien compris cette recommandation, mais, si je l'ai bien comprise, elle aboutit
à détourner la loi de son objectif et elle n'est sûrement
pas fidèle à son esprit. Est-ce que vous pourriez commenter cette
recommandation?
M. Baghdjian: M. le ministre, avant de répondre à
l'article 52, je me dois d'abord de vous remercier pour certaines de nos
recommandations que vous avez bien voulu agréer quant à la
représentation des éléments ethniques dans les divers
organismes que le projet de loi no 1 promet de créer. Ensuite, je dois
vous apporter quelques éclaircissements. Premièrement, vous avez
parlé de l'orientation des groupes ethniques vers le secteur anglophone
et vous les avez directement ou peut-être indirectement, enfin ça
n'a pas beaucoup d'importance, accusés de s'être laissés
entraîner vers le courant d'anglophonie. Permettez-moi de vous dire ici
tout haut qu'il y a des milliers et des milliers d'immigrants qui sont venus au
Québec, francophones, c'est-à-dire qu'ils étaient
francophones quand ils sont arrivés au Québec et le Québec
les a rendus anglophones.
C'est une déclaration peut-être bizarre pour certains
d'entre vous.
M. Laurin: J'ai admis cela, M. Baghdjian, qu'il y avait des...
que c'était le résultat d'une situation où les
francophones aussi bien que les anglophones, ou le pouvoir
fédéral, avaient quelque chose à faire, je l'admets.
M. Baghdjian: Donc, c'est une précision im- portante pour
nous. L'enseignement étant basé sur la religion, ceux de ces
immigrants qui n'étaient pas inscrits sur leur pièce
d'identité comme catholiques il y en avait qui étaient
orthodoxes ou protestants ont été refusés par
l'école catholique et, à leur détriment, ils se sont vus
dans l'obligation de s'orienter vers le secteur anglophone d'où nous
essayons maintenant de les ramener au bercail. Donc, premier détail.
Parmi ces immigrants, on peut citer les Roumains, les Hongrois, les
Arméniens, les Slovaques, etc.
Deuxièmement, vous avez dit tout à l'heure
"nécessairement", vous avez employé le mot nécessairement;
dans notre déclaration, nous n'avons pas dit "nécessairement",
nous avons dit par le fait des choses, peut-être par l'évolution
des choses, par la convergence de certaines circonstances, mais ça ne
veut pas dire "nécessairement" que les fonctionnaires seront
accusés de parti pris ou d'abus, etc.
Nous avons dit: contre des abus éventuels. C'est
évidemment humain; tout fonctionnaire est un être humain et tout
être humain est faillible. Il n'est pas quand même infaillible
comme homme. Nous avons simplement suggéré qu'il y ait un
organisme qui puisse contrôler les agissements de ces fonctionnaires et
que ce ne soit pas le ministre, par exemple, comme on l'a proposé ce
matin pendant que nous étions ici dans la salle, parce que...
M. Laurin: Le Barreau avait suggéré la même
chose.
M. Baghdjian: Le Barreau avait suggéré la
même chose. Nous avons voulu qu'il y ait un organisme qui soit
représentatif et qui inspire confiance et qui soit le dernier ressort
des appels possibles et éventuels. Cela ne veut pas dire que nous
accusons les fonctionnaires que vous n'avez même pas encore
désignés; nous ne pouvons pas les taxer ni de parti pris, ni de
partisanerie, ni d'abus de confiance, ni d'excès. C'est une
hypothèse que nous bâtissons contre toute
éventualité. C'est la deuxième explication que je vous
apporte.
Ensuite, vous avez parlé du livre blanc. Nous avions très
hautement apprécié dans le livre blanc les passages qui parlaient
de l'institution de chaires de langues ethniques, de cultures ethniques dans
les universités. On avait parlé de bourses pour encourager les
études ethniques.
On avait parlé de l'enseignement des langues ethniques dans les
écoles. On avait même parlé des écoles
ethniques.
Or, dans le projet de loi no 1, nous ne trouvons aucune...
M. Laurin: On ne peut pas mettre cela dans la loi, M. Baghdjian.
Cela fait partie de la politique des autres ministères qu'ils
appliqueront, en temps opportun.
M. Baghdjian: Alors, ce sera dans les règlements?
M. Laurin: Non, dans les politiques de chacun des
ministères.
M. Baghdjian: Dans les politiques. D'accord.
Ensuite, vous avez soulevé la question de "notre bilinguisme."
Notre bilinguisme, tel que nous l'avons conçu, tel que nous le
concevons, tel que nous voulons que vous compreniez tous, ici présents,
ce n'est pas un bilinguisme qui s'étendrait à tout le territoire.
C'est un bilinguisme qui serait mis en application dans certaines
régions où, par exemple, ce serait nécessaire, pour un
certain temps, de temporiser là où il y a, par exemple, une
majorité forte d'anglophones et où alors, la deuxième
langue, c'est-à-dire le bilinguisme serait bienvenu et serait utile dans
l'intérêt de tout le monde et pour la paix sociale aussi.
Ceci d'ailleurs, dans notre esprit, je tiens à le préciser
aussi, ne serait que provisoire, temporaire, en attendant que le
français puisse s'affirmer et puisse aussi prendre la primauté
que nous voulons qu'il prenne. Nous sommes prêts à lutter à
vos côtés, avec vous, avec tous ceux qui luttent pour la
francophonie et la francophonisation pour que le français devienne la
langue prioritaire et officielle dans le Québec entier.
Voilà notre point de vue explicité comme je voulais
l'expliciter, M. le ministre.
M. Laurin: Je voudrais aussi vous rassurer quant à votre
recommandation 24. Je voudrais vous signaler l'article 135 du projet de loi qui
dit que le commissaire-enquêteur ne doit recevoir aucune plainte qui soit
folichonne ou vexatoire et, en plus, il y a la Loi des enquêtes qui
interdit de recevoir des plaintes anonymes. Je pense qu'il y a là des
garanties, des sauvegardes qui protégeront quelque citoyen que ce soit,
contre l'arbitraire.
J'aimerais aussi, et ce sera ma dernière question, parler de
cette recommandation que vous nous faites, où vous exigez que tout
francophone qui fréquente l'école francophone, doive
posséder, à la fin de ses études secondaires, un
diplôme qui atteste de sa connaissance de l'anglais.
Ceci est absolument impossible à accorder, parce qu'on ne peut
penser que tous les francophones du Québec doivent être bilingues.
Pour beaucoup, pour un bon nombre d'entre eux, en tout cas, la connaissance de
l'anglais, tout en étant utile, ne sera pas nécessaire,
même si elle peut être absolument indispensable pour un certain
nombre de francophones qui, par exemple, voudront faire carrière dans
certains secteurs: commerce, sciences, technologie. On ne peut pas
présumer de cela que la connaissance de l'anglais sera indispensable
pour tous les Québécois francophones.
M. Baghdjian: Je tiens, M. le ministre, à préciser,
là aussi, que c'est un souhait que nous formulons et la raison est bien
simple. Si nous considérons que l'enseignement du français dans
les écoles anglaises va être obligatoire, nous obligeons donc les
anglophones à devenir bilingues automatiquement, de par la force des
lois.
M. Laurin: C'est normal dans un Québec
français.
M. Baghdjian: Excusez-moi, M. le ministre, ce n'est pas la
conclusion à laquelle je veux aboutir. Comme nous ne donnons pas une
deuxième langue aux francophones qui sont dans les écoles
françaises, nous avons peur, nous craignons que, d'ici vingt ans, par
exemple, toute la jeunesse francophone du Québec reste unilingue
à son détriment, tandis que la jeunesse anglophone deviendrait
bilingue. C'est donc en sa faveur. Enfin, nous, francophones, nous serions
défavorisés par ce système. C'est notre conviction et
c'est là-dessus que nous formulons ce souhait. C'est l'unique
raison.
M. Laurin: Mais ce n'est sûrement pas notre conviction,
parce que nous savons que la plupart des francophones qui voudront faire
carrière dans les secteurs dont je parlais tout à l'heure, qui
ont l'ambition de réussir dans ces domaines, voudront acquérir la
connaissance de l'anglais, soit à l'école, soit par tous les
autres moyens à leur disposition et, d'autre part, nous ne le croyons
pas, parce que le gouvernement a aussi, même si l'obtention du
diplôme n'est pas requise, il a quand même dis-je, l'intention de
procurer aux écoles tous les moyens dont elles ont besoin pour procurer
une excellente connaissance de l'anglais.
C'est donc une perspective que je crois très improbable, pour ne
pas dire impossible, dans les années qui viennent.
M. Baghdjian: Nous sommes comblés, M. le ministre. C'est
le souhait que nous avions à formuler et c'est l'unique raison pour
laquelle nous avons mis cette restriction. Nous sommes donc maintenant
éclairés. Je vous remercie de ces explications.
Le Président (M. Dussault): Merci, M. le ministre. Mme le
député de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier
les représentants de la Fédération des groupes ethniques
du Québec d'être venus à la commission parlementaire
présenter le point de vue des différentes associations qu'elle
regroupe. Je pense que c'est une heureuse coïncidence que nous puissions
vous accueillir à l'Assemblée nationale en cette veille de la
Saint-Jean et de la Fête nationale, comme on l'appelle maintenant.
J'espère que c'est un bon présage dans le sens que vous pourrez
vous sentir de plus en plus partie de la communauté francophone et que
vous aurez l'occasion, dans les jours qui suivent, de participer à cette
fête et de vous sentir accueillis à part entière.
Je suis d'accord avec les appréhensions que vous manifestez
vis-à-vis de la définition qu'on a donnée dans la charte
au terme "Québécois". Là-dessus, je dois dire, en toute
justice, que le ministre d'Etat au développement culturel, comme il l'a
d'ailleurs signalé ce matin je crois que peut-être certains
d'entre vous y étaient a l'intention d'apporter des corrections,
mais tel qu'il se présentait, je pense qu'il y a aussi des
francophones
qui ont réagi comme vous et qui comprennent facilement que vous
vous soyez peut-être, à tort ou à raison, cela peut
dépendre de l'interprétation qu'on donne, mais, dans les faits,
sentis exclus de cette communauté québécoise.
D'ailleurs, il est assez surprenant qu'on ait été
obligé de définir ce terme, parce que je pense que les gens qui
sont au Québec, qui vivent au Québec, qui veulent y travailler,
qui veulent participer à la vie du Québec, ce sont tous des
Québécois et, jusqu'à un certain point, cette
définition était superflue; en tout cas, c'est ce que je pense
personnellement.
Quand vous parlez des appréhensions et de la méfiance que
ceci a créées, malheureusement, non seulement parmi les groupes
ethniques, mais même parmi les groupes francophones, je pense que vous
avez raison, parce qu'au-delà de la langue, dans certaines
déclarations, on a fini par identifier, ou, en certaines occasions, on a
identifié ceux qu'on appelait de bons Québécois, de
mauvais Québécois, même s'ils étaient tous
francophones.
Mais enfin, espérons que ce sont des ambiguïtés
passagères et qu'une stabilité plus grande suivra dans les mois,
les années qui viennent, et que ce qui, à ce moment, nous trouble
un peu tous disparaîtra. En tout cas, c'est le souhait que je fais en
cette veille de la Saint-Jean.
Vous avez fait des remarques fort pertinentes et vous proposez des
amendements; même si vous ne les formulez pas, vous proposez des
amendements à certains articles. Je pense que déjà, ce
matin, par exemple aux articles 11, 12 et 13, sur lesquels le Barreau a fait
des remarques pertinentes, vous avez eu des réponses assez
précises du ministre d'Etat au développement culturel qui s'est
dit très sensible, du moins, aux représentations qui
étaient faites. Je pense que ce qui vous troublait dans ces points
particuliers, c'était la question de la constitutionnalité de ces
articles. J'ai l'impression, en tout cas, que le gouvernement va les
étudier un peu plus longuement. Une première question que je
voudrais vous poser, c'est à l'article 2, page 4. Vous dites: Le droit
de tout Québécois d'exiger que communiquent en français
avec lui les diverses entreprises exerçant au Québec, à
notre avis, mettrait en danger l'existence de nombreuses petites entreprises.
Là-dessus, je pense que cette crainte a été
exprimée, particulièrement par d'autres groupes ethniques qui se
sont dit: On a quand même des entreprises familiales. Ils ont
demandé que des corrections soient apportées ou, enfin, certaines
garanties. A b), vous dites: "Privera, à la longue, la population
francophone de certains services compétitifs". Est-ce que vous pourriez
expliciter un petit peu ceci ou nous donner des exemples?
M. Baghdjian: M. Zsolnay, s'il vous plaît.
M. Zsolnay: Notre pensée était que c'est
très facile de suggérer qu'une petite entreprise emploie et donne
du travail à une personne de plus pour servir le public en
français. Des choses comme cela peuvent être dites seulement par
des personnes qui n'ont jamais essayé de travailler elles-mêmes
dans une petite entreprise ou de faire marcher une petite entreprise. A notre
avis, si la période de transition pour les petites entreprises n'est pas
plus étendue, un grand nombre de ces petites entreprises feront faillite
et fermeront leurs portes, simplement parce qu'elles ne seront pas capables de
fonctionner. Si on élimine ces petites entreprises qui sont très
nombreuses parmi les ethnies, un jour, on va aboutir à une situation
où, si une toilette ne fonctionne pas, on ne trouvera personne pour la
réparer, ou bien seulement une entreprise à un coût
exorbitant. Comme cela, la compétition de toutes ces petites entreprises
qui travaillent sans beaucoup de dépense, les entreprises de familles...
Elles sont prêtes à servir d'autres gens, peut-être plus
pauvres, des propriétaires de maisons ou d'autres petites entreprises.
Nous pensons qu'un grand nombre je pourrais gager avec n'importe qui
de ces petites entreprises vont disparaître, si on se..., si on
les force, par exemple. Une petite entreprise, un petit restaurant, un "signe",
pour cela... Nous allons aussi demander une distinction des "signes"
temporaires et des "signes" à destination plus ou moins permanente.
C'est là que nous ne nous sommes peut-être pas bien compris. Nous
préconisons la francisation, nous acceptons la francisation, mais nous
avons une réserve. Nous sommes d'accord si, à partir
d'aujourd'hui, tout change, mais sans rétroactivité. Alors, on
exige que chaque nouveau "signe" soit en français. Chaque nouveau permis
qui sera donné à des personnes... Nous disons la même chose
que le Barreau et la Bourse. Nous ne représentons surtout pas ceux qui
font partie de l'"establishment", parce que ces gens sont
représentés par le patronat, par la Bourse les ethnies,
n'est-ce pas ou bien par les chambres de commerce, par le Board of
Trade.
Nous sommes surtout les porte-parole des petits qui ne sont pas
montés jusqu'à la Bourse ou bien jusqu'au patronat. Pour ces
petits, changer une enseigne qui coûte $500 ou $1000, c'est
peut-être dire qu'il faut renoncer à deux années de
vacances ou quelque chose comme ça. Il y en a beaucoup comme ça.
C'est pour ces gens que nous aimerions parler, parce qu'il y a très peu
de personnes qui parlent eux.
Mme Lavoie-Roux: Je pense que je...
M. Zsolnay: II faut toujours regarder toutes nos suggestions.
Quand nous demandons un certain délai de grâce, n'est-ce pas,
quand nous essayons d'éviter la rétroactivité, nous disons
la même chose que ce que le représentant de la Bourse a dit. Nous
disons la même chose que ce que le Barreau a dit. Quand le Barreau a
demandé les tribunaux, cela a été accepté comme une
proposition à considérer. Quand nous demandons la même
chose, on dit: Les ethnies se méfient des futurs fonctionnaires. C'est
un certain préjugé contre nous qui, malheureusement, existe et je
pourrais vous citer jusqu'à demain matin des exagérations de
petits fonctionnaires.
Dans une petite entreprise, il y a quelques
jours, on a reçu trois avis pour payer une certaine taxe,
à trois différentes adresses: à l'adresse d'il y a trois
ans, à l'adresse d'il y a deux ans et à la présente
adresse. Ou bien on demande à une autre petite entreprise, en 1976, de
payer une taxe de vente de 1972. On l'accuse de ne pas avoir payé
ça après quatre ans. Il a fallu faire la preuve qu'on a
payé ça il y a quatre ans. Des choses comme ça, je
pourrais vous en citer jusqu'à demain matin, parce que je travaille avec
de petites entreprises. C'est de là qu'une certaine méfiance...
On ne dit pas que c'est par mauvaise volonté, mais tous ces services
publics ont augmenté énormément. L'entraînement de
ces gens, ou peut-être le contrôle de ces gens, n'est pas efficace
comme il l'était il y a dix ou vingt ans. Ce sont nos
expériences.
Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie, monsieur, parce que ce
problème que vous signalez a été exprimé aussi en
d'autres termes, mais de la même façon, par la communauté
grecque. Cela me semble être fondé, en ce qui a trait aux petites
entreprises, particulièrement les entreprises familiales.
L'autre question que je voudrais vous poser, c'est: Pouvez-vous me dire
si, dans les écoles anglaises où une partie des groupes ethniques
se trouve ou même un assez grand nombre d'enfants d'immigrants ou de
Néo-Canadiens se trouvent, l'enseignement du français, comme
langue seconde, est tel qu'il permet à vos enfants de quitter ces
écoles avec une connaissance, disons, d'usage de la langue
française?
M. Tesiorowski: La situation est différente aujourd'hui de
celle d'il y a dix ans. Il y a dix ans, dans les écoles anglaises,
l'enseignement du français était nul. Aujourd'hui, dans les
écoles anglaises, ou enseigne très bien le français.
Réellement, la très grande majorité des
élèves quittant l'école secondaire possède une
connaissance suffisante du français. L'enseignement maintenant est bon
dans les écoles françaises.
Si vous abordez ce problème, ici, j'aimerais répondre plus
tard à M. le ministre pour lui expliquer pourquoi nous tenons à
ce bilinguisme. S'il s'agit du niveau scolaire, c'est donc pour donner aux
enfants un plus grand capital de connaissances et de
compétitivité. C'est uniquement dans ce sens. Comme nous l'avons
mentionné ici, tous les trois, à maintes reprises, nous sommes en
faveur de la francisation. Nous nous rendons parfaitement compte que nous
vivons dans la province où la majorité de la population est
francophone. C'est la province française tout court. Mais, en même
temps, nous ne pouvons pas oublier que nous vivons dans le contexte
nord-américain et, à l'heure actuelle, la vie nous impose cette
mobilité. Si nous n'avons pas ce capital, qui s'appelle la langue
seconde, en l'occurence ici, la langue anglaise, ces enfants sont
amputés, ont des barrières, ont des possibilités
d'avancement et de gagner leur vie eux-mêmes. Et même en allant
plus loin, la contribution se limitait.
Surtout si on prend l'enseignement en secteur collégial, comme
vous le savez très bien, une très grande partie des manuels est
en anglais. Donc, si l'élève n'apprend pas suffisamment l'anglais
aux niveaux primaire et secondaire, il est incapable de continuer ses
études au niveau collégial et surtout universitaire.
C'est l'aspect du bilinguisme au niveau scolaire, le capital que nous
voulons donner aux jeunes.
Mme Lavoie-Roux: Quand vous parlez de bilinguisme, vous ne parlez
pas d'un bilinguisme total. Vous parlez vraiment de la connaissance d'usage
d'une deuxième langue. Est-ce dans ce sens qu'il faut
l'interpréter?
M. Tesiorowski: Mais connaissance, une vraie connaissance, et non
pas une connaissance superficielle.
Mme Lavoie-Roux: ... d'usage pour pouvoir s'en servir.
M. Tesiorowski: Pour pouvoir travailler, s'exprimer et comprendre
une langue seconde.
Mme Lavoie-Roux: Sur cette question de la langue seconde, je dois
vous dire qu'elle a été soulevée ici par un grand nombre
d'organismes et non uniquement par des groupes des communautés
ethniques. Je souriais un peu tout à l'heure quand le ministre d'Etat au
développement culturel vous a parlé d'une certaine ambivalence
qu'il percevait dans votre mémoire.
Comme on ne peut pas se poser de questions ici, de part et d'autre, on
n'a jamais eu la chance non plus de se poser des questions directes sur ce
problème de l'enseignement des langues secondes, mais je sens chez lui
une certaine ambivalence aussi à cet égard. Parce que, d'une
part, il commence par vous dire que tous les francophones ne sont pas
obligés d'avoir une connaissance de la langue seconde, mais que d'autre
part, à la fin, il vous assure qu'il va prendre les mesures pour bien
enseigner la langue seconde. Là aussi se retrouve une ambivalence.
L'objectif qu'on doit se fixer et qui est vraiment l'interprétation
qu'il faut donner a toutes les réclamations qui sont faites dans ce
sens, non seulement de la part de vos communautés, mais aussi de la
communauté francophone, est qu'on donne à tous les enfants la
chance de pouvoir acquérir cette connaissance de la langue seconde.
Enfin, s'il y a des gens qui n'en veulent pas, c'est une autre chose, mais je
pense qu'il faut au moins donner aux enfants cette chance et cela ne sera pas
le premier pays qui permettra l'enseignement d'une langue seconde, souvent on
en permet deux, trois.
Pour notre part l'Opposition officielle c'est là un
point sur lequel nous essaierons d'obtenir des précisions. Ce sera dans
la mesure où le gouvernement pourra assurer cet enseignement non
seulement aux groupes ethniques, mais également aux francophones que ce
problème de libre choix, ce problème d'ambivalence
vis-à-vis de la fréquentation de l'école française
ou non, disparaîtra. Et, pour moi, c'est une
responsabilité du gouvernement. Je peux vous dire que nous serons
vigilants là-dessus...
A l'article 69, à la page 8, je voulais simplement vous demander
pourquoi vous déduisez que seulement des Canadiens français
pourraient être nommés il s'agit de l'office
à l'office. J'ai relu l'article et je ne voyais pas comment vous en
arriviez à cette conclusion.
M. Baghdjian: Parce que ce n'est pas explicité dans
l'énoncé de l'article. Alors comme le terme
Québécois aussi n'est pas clairement défini, comme il
faut, nous nous trouvions devant une ambiguïté. Alors, nous avons
voulu simplement une précision pour dire qu'on ne devrait pas entendre
par Québécois seulement les francophones. Il faudrait aussi
entendre tous les Québécois de toute origine, les Canadiens
français, les Canadiens anglais et allophones aussi. C'est pour cette
raison que dans d'autres articles, nous avons été encore plus
formels pour demander une participation directe de la présence de
l'élément ethnique pour divers paliers des organismes à
créer, soit pour la surveillance et le contrôle et soit aussi pour
la Régie de la langue française au Québec.
C'était notre sentiment, une affaire de garantie
supplémentaire.
Mme La voie-Roux: Une autre question. Dans plusieurs articles
vous insistez et, je pense, avec raison, sur cette présence des groupes
ethniques, soit à l'intérieur de l'office, du conseil consultatif
ou enfin... Je sais qu'au moment où le gouvernement a formé son
Conseil consultatif sur l'immigration à l'automne, il a semblé y
avoir une certaine confusion et votre fédération avait fait des
représentations parce qu'elle n'était pas consultée. Les
canaux de communications ont semblé mal fonctionner. Est-ce que vous
avez des suggestions à faire sur la façon dont cette consultation
pourrait se faire pour que des groupes ethniques ne se sentent pas
frustrés. Là, je ne veux pas porter de jugement sur le
bien-fondé des représentations que vous avez faites ou de la
position du gouvernement, mais, strictement au plan pratique, est-ce que vous
avez des suggestions à faire, à savoir comment on pourrait
procéder pour que cette consultation aboutisse à une
véritable représentation des groupes ethniques?
M. Baghdjian: II faudrait peut-être répondre
à la première partie de votre question, quant à la
formation, à la constitution du Conseil consultatif pour l'immigration
au sujet de laquelle, nous avons eu des histoires, des
démêlés avec l'honorable Couture, ministre de l'Immigration
et de la Main-d'Oeuvre du Québec. Nous avons été
très désagréablement surpris quand nous avons appris que
M. Couture avait déjà mis sur pied un conseil consultatif sans
nous pressentir, sans nous consulter. Un mois avant cette conférence de
presse, il avait promis qu'il allait consulter les groupes ethniques pour tout
ce qui regarderait les ethnies, tout ce qui les toucherait, les
intéresserait. Comme nous avons été mis devant un fait
accompli, cela nous a très désagréablement surpris.
C'est le deuxième volet de votre question. Qu'est-ce que vous
voulez, par exemple, qu'on fasse, quelles sont les suggestions que nous
pourrions faire pour être satisfaits, pour ainsi dire? C'est ce que je
déduis de ce que vous venez de dire...
Mme Lavoie-Roux: Pour éviter de...
M. Baghdjian: Oui. Alors, évidemment, nous ne voulons et
nous ne pouvons pas exiger du gouvernement, quel qu'il soit, le gouvernement
d'aujourd'hui ou le gouvernement de demain ou d'après-demain, c'est
toujours le gouvernement, n'est-ce pas? on ne peut pas exiger qu'il puisse
consulter des centaines de groupes ethniques qui existent au Québec pour
trouver une espèce de consensus pour telle ou telle affaire, pour le
règlement, par exemple, d'une question en suspens ou pour la
constitution d'un comité consultatif ou autre. Mais, quand même,
comme le projet de loi no 1 le suggère, on parle d'associations
socioculturelles et on ajoute le mot représentativité. Alors,
nous voulons que ce terme de représentativité soit tiré au
clair, savoir ce qu'on entend par représentativité.
Nous convenons avec M. le ministre d'Etat chargé du
développement culturel que toutes les associations qui se disent
socio-culturelles ne sont pas représentatives en effet, mais le
gouvernement devrait connaître celles qui le sont. Alors, nous entendons
qu'au moins un organisme comme le nôtre, qui regroupe 20
différentes ethnies dans son sein, soit sinon consulté, du moins
représenté dans des affaires de ce genre, pour que nous
puissions, non pas imposer notre volonté, non pas imposer notre
candidat, si candidat il y a, mais simplement que nous puissions faire valoir
nos points de vue et faire des suggestions constructives, qui seraient
conformes aux besoins de nos communautés ethniques que nous connaissons
peut-être bien mieux que quiconque. Et, dans ce sens-là, nous
pourrions peut-être avancer des propositions et des suggestions qui
seraient dans l'intérêt commun et du gouvernement et des
gouvernés. C'est cela que nous souhaitons dans l'ensemble. C'est la
réponse globale que je donne à la question ou aux questions que
vous avez posées, parce que ce sont des questions qui se touchent et qui
se complètent. C'est un peu l'esprit dans lequel nous voudrions
collaborer. Nous avions eu l'occasion et l'opportunité de le dire en
privé à l'honorable Or Laurin quand il avait bien voulu nous
recevoir le 7 janvier 1977 dans son bureau, quand il avait entrepris une
série de consultations, et il avait pris bonne note de ces suggestions.
J'espère bien que ce qui s'est passé à l'Immigration, au
Conseil consultatif, ne se passera pas avec d'autres ministères dans
d'autres conseils.
Mme Lavoie-Roux: Une dernière question. Le
Président (M. Cardinal): Oui, s'il vous plaît!
Mme Lavoie-Roux: Est-ce que vous avez fait des études,
comme fédération, sur la représenta-
tion des groupes ethniques à l'intérieur de la fonction
publique?
M. Baghdjian: Oui.
Mme Lavoie-Roux: Si vous me permettez, je vais terminer. A
l'intérieur des conseils d'administration ou bureaux de direction, peu
importe le titre qu'on veut lui donner, des syndicats, des associations
patronales, des associations professionnelles, des associations de loisir,
est-ce que vous avez fait des études dans tous ces domaines? On peut
dire bien longtemps qu'on est ouvert aux groupes ethniques et vice versa, que
les groupes ethniques veulent participer à la vie
québécoise, mais est-ce qu'il y aurait des formules à
examiner pour que ce rapprochement se fasse et qu'on ne se retrouve pas dans
cinq ans à se reposer les mêmes questions, à exprimer les
mêmes sentiments qu'on exprime aujourd'hui?
Alors, ces données permettraient peut-être d'avoir un point
de départ et dire là où on peut vraiment faire que les
groupes ethniques se sentent membres à part entière, dans toutes
ces associations. Ça pourrait peut-être aider.
M. Baghdjian: C'est un plaisir de répondre à cette
question très intéressante pour nous. Nous avons entrepris des
études dans ce sens-là. Ce ne sont pas des "Gallup", si vous
voulez, ce n'est pas sur la base scientifique, mais par nos propres moyens;
c'est par des moyens du bord que nous avons fait ces recherches et nous avons
abouti au chiffre de 0,4% de la représentativité dans la fonction
publique des éléments ethniques, 0.4%. Pas même 1/2%. Donc,
c'est la première réponse à la question.
Deuxièmement, excusez l'expression, nous en avons assez
soupé des paroles lancées en l'air comme des bulles de savon.
Tout le monde parle des ethnies, tout le monde parle de la collaboration avec
les ethnies, tout le monde envisage une lune de miel avec les ethnies, mais
quand nous apportons des propositions concrètes, quand nous faisons des
projets concrets, personne n'est prêt à nous tendre la main,
personne n'est prêt à nous écouter. Je pourrais vous citer
ici de nombreux exemples, entre autres, l'Office des professions du
Québec. Nous avions présenté, à leur demande, des
noms de candidats ethniques pour qu'ils soient nommés comme
représentants du public dans les diverses corporations. Nous avons eu
à nous débattre pas mal avec cette corporation pour obtenir une
réponse. Vraiment, la lacune, je souligne le mot parce que moi, dans ma
correspondance, j'avais dit, lacune qu'il faudrait combler. Alors, cet office a
reconnu qu'il y avait une lacune et il promettait de combler cette lacune.
J'ai le plaisir de vous dire que je suis peut-être le premier,
peut-être l'unique représentant du public qui a été
nommé tout récemment à la Corporation des chimistes du
Québec, après tant de démêlés, n'est-ce pas,
après une année de lutte.
Nous avons fait d'autres propositions à divers conseils, personne
ne nous a écoutés. Je ne veux pas dévier du sujet, parce
que je suis sûr que le président va me couper la parole, mais je
pourrais même dire que nous avons présenté tout un
programme à la Corporation des Fêtes de la Saint-Jean. Nous avons
échafaudé tout un programme, une série d'activités
dont, d'ailleurs, nous avons mis au courant le ministère d'Etat au
développement culturel qui nous a référés au
ministère des Affaires culturelles. Nous avons ensuite été
obligés de nous adresser à la Corporation des Fêtes de la
Saint-Jean; on n'a même pas accusé réception de nos
démarches, ni de nos propositions. On veut envoyer des circulaires
partout à tous les groupes ethniques et à toute la
société québécoise pour dire que la participation
des groupes ethniques est indispensable à la célébration
de la Fête de Saint-Jean et que si les groupes ethniques n'y participent
pas, il y aura une lacune. C'est beau à dire tout ça, mais je
crois que si nous voulions nous placer dans l'optique de la pratique, ceci se
résumerait à un grand zéro ou à des bulles de
savon, comme je l'ai dit tout à l'heure. Je vois ici que mon
collègue, M. Zsolnay, va ajouter quelque chose, si vous le voulez
bien.
M. Zsolnay: En Ontario, c'est le contraire. Dans la fonction
publique, la participation des ethnies est très élevée et
la coopération dans les divers fonctionnements publics est très
étroite. Ça se développe d'année en
année.
Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie, messieurs, et je veux vous
dire que mon invitation de participer aux Fêtes était quand
même très sincère.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Pointe-Claire.
M. Shaw: Merci, M. Baghdjian, ainsi que votre groupe,
d'être venus ici pour présenter votre mémoire qui, à
mon point de vue, est une excellente présentation qui représente
le point de vue de la plupart des Québécois.
On a besoin de clarifier quelques points qui reviennent toujours
à la commission parlementaire. Premièrement, je voudrais savoir
de votre communauté, des Néo-Canadiens sont ici pour partager
toujours avec la communauté anglaise.
Pouvez-vous m'indiquer quelques raisons? Vous avez dit que le
système catholique vous a forcé à vous partager avec le
système protestant pour votre instruction. Mais est-ce qu'il y a
d'autres raisons pour lesquelles les communautés ethniques partagent le
système anglais?
M. Baghdjian: Oui, M. le député. Je passe la parole
à mon collègue, M. Tesiorowski qui vous répondra sur la
question de l'éducation. C'est lui qui est chargé de ce
point.
M. Tesiorowski (Jan): C'est non seulement l'éducation que
nous devons aborder, c'est l'attitude générale. En se
décidant à immigrer, c'est la réaction naturelle et
presque physiologique qu'on veut s'intégrer aux milieux où on
arrive.
Mais malheureusement, en venant ici, en s'adressant aux groupes
canadiens-français je ne dis pas francophones, parce que je me
considère comme un francophone nous avons trouvé une sorte
de mur de non-acceptation. Cela n'existe pas maintenant, bien entendu. Mais il
y a quelques années, un de mes amis a voulu envoyer ses enfants à
l'école française, c'est un professeur au collège Loyola,
on lui a refusé parce qu'il parlait l'anglais et qu'il devait envoyer
ses enfants à l'école anglaise.
Il y avait le refus. Le refus qui n'existe pas, bien entendu,
maintenant, aux niveaux primaire et secondaire, mais au niveau universitaire,
cela existe encore. Si je parle à ce sujet, je prends, dans le
mémoire un cas concret:
La fille de mon ami a terminé ses études à
Marie-France, avec des notes de 80% et plus. Il a fait une demande d'admission
à la faculté d'architecture à l'Université de
Montréal et, à la fois, à l'Université McGill. Elle
a été refusée carrément à
l'Université de Montréal et elle a été
acceptée à l'Université McGill.
C'est un cas particulier, mais nous avons une quantité de ces
cas. Il y avait une sorte de réserve, une certaine froideur de la part
des Canadiens français. Nous ne savons pas pourquoi, mais cela
existait.
Imaginez les gens venant dans le pays, voulant s'intégrer,
s'approchent de certains groupes et s'ils trouvent une sorte de froideur et que
de l'autre côté, ils sont acceptés, automatiquement, ils
vont là-bas.
Ensuite, s'il s'agit de la Société Saint-Jean-Baptiste. Je
reviens encore à ce sujet. Il y a trois ans, au nom du Congrès
polonais, j'ai envoyé une lettre au président de la
Société Saint-Jean-Baptiste, en demandant qu'il
délègue quelques personnes et nous allons déléguer
de notre part, pour qu'on se rencontre et qu'on se parle, parce qu'il y a un
certain fossé entre nous. Pour combler ce fossé, il faut d'abord
qu'on se parle.
J'ai ici des copies de cette lettre. J'ai envoyé cette lettre le
12 mai 1974. N'ayant pas de réponse jusqu'au 15 août 1974, j'ai
envoyé une copie de cette lettre, avec une autre, en disant: Je n'ai pas
reçu de réponse, alors, je crains fort que la lettre se soit
égarée. Donc, je renouvelle ma démarche. J'attends
toujours la réponse.
N'ayant pas reçu de réponse, j'ai alors adressé une
lettre identique, une copie, au club Richelieu, le 2 octobre 1974. N'ayant pas
de réponse, comme avec la Société Saint-Jean-Baptiste, le
14 novembre, j'envoyais une autre lettre, exactement comme à la
Société Saint-Jlean-Baptiste. Jusqu'à maintenant,
j'attends la réponse.
Si on se rencontre avec une attitude pareille, je pense que vous ne
pourrez pas nous accuser de ne pas entrer dans les milieux
canadiens-français.
M. Shaw: J'ai souvent dit la même chose dans cette Chambre,
savoir que le vouloir des Néo-Canadiens de partager la vie de la
communauté française était là depuis longtemps et
c'était parce qu'il y a eu une certaine forme de mur, comme vous le
décrivez; c'est la raison principale pour la- quelle ceux-ci se sont
rangés du côté de la communauté anglaise.
Deuxièmement je crois que ce point est très
important beaucoup de Néo-Canadiens sont venus de pays dans
lesquels il avaient vécu sous un régime autoritaire. Maintenant,
avec le projet de loi no 1, croyez-vous qu'il y a une sensibilisation de
l'Office de la langue française à votre endroit, comme
prévu dans ce projet de loi?
M. Tesiorowski: Nous n'avons aucune objection à la
francisation, mais nous voulons que nos enfants soient munis de la connaissance
de l'anglais. S'il y avait, dans les écoles françaises, un
enseignement de l'anglais tel que les élèves, en sortant de ces
écoles, puissent manier correctement l'anglais, il n'y aurait chez nous
aucune objection à envoyer les enfants à l'école
française.
M. Shaw: Mais je parle, premièrement, du concept de
l'Office de la langue française. Même avec une politique de la
langue française, y aurait-il une impression, une sensation, parmi vos
concitoyens, que c'est une situation dangereuse et qui peut être
abusive?
M. Tesiorowski: Je vous répondrais autrement. Nous
trouvons que les méthodes coercitives ne donnent pas les
résultats espérés. Je suis ici depuis au-delà qu'un
quart de siècle, mais je suis d'origine polonaise: je viens d'un pays
qui, durant 127 ans, a été occupé par trois pays. La
quatrième génération, c'est-à-dire la
génération de mes parents, parlait le polonais comme moi j'ai
été éduqué en polonais, parce que nous trouvons
qu'il faut avoir la langue non seulement dans la bouche, mais dans les tripes.
Si on a la langue dans les tripes, on n'a pas alors besoin de méthodes
coercitives. Telle est notre attitude.
M. Shaw: Une dernière question. Nous avons entendu souvent
dire que le ministre de l'Education va augmenter les sommes prévues pour
l'enseignement de l'anglais dans le système français. A ce
moment-ci, je n'ai pas encore entendu dire qu'une directive ait
été donnée au système français, mais vous
venez de dire que s'il y a assez d'anglais enseigné dans le
système français, vous êtes prêts à opter pour
le système français.
M. Tesiorowski: A 100%.
M. Shaw: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le
député de Pointe-Claire. M. le député de Papineau,
vous terminez cette audition.
M. Alfred: Je vous remercie de votre mémoire. Je vous
remercie aussi pour ce mémoire écrit dans un français
acceptable que je dirais un français pouvant être compris par tous
les parlants français, un français québécois, ce
qui a montré que vous avez fait l'effort de vous intégrer
à la collectivité québécoise. Je vous remercie
d'autant plus que moi aussi je suis un Québécois qui a
compris
qu'en venant au Québec, il fallait que je m'intègre
à la collectivité québécoise. Je vous assure que
moi, comme Québécois cela fait huit ans j'ai
trouvé le sol québécois clément et, nulle part au
monde j'ai été en France, j'ai été partout
je n'ai trouvé un sol aussi clément et aussi
accueillant.
Je tiens à vous préciser aujourd'hui que, si Jean Alfred,
député de Papineau, a été élu, il a
été élu comme un Québécois. J'ai lu votre
mémoire, et j'y suis sensible, bien sûr, parce que vous êtes
des Québécois, vous êtes venus au Québec. Il y a
certaines choses que j'ai beaucoup de difficulté à accepter.
Pourquoi avez-vous employé primauté incontestable du
français au Québec? Vous savez très bien que nous voulons
faire du Québec un Etat français, un pays français. Cela
sous-entend-il que vous voulez une sorte de bilinguisme caché? Cela
veut-il dire que vous voulez un bilinguisme plus ou moins voilé?
M. Baghdjian: Vous désirez qu'on vous réponde?
M. Alfred: Oui.
M. Baghdjian: Je crois que, jusqu'ici, nous avons eu le courage
de toutes nos opinions, M. le député. Ce n'est pas ici devant
cette commission que nous allons faire de la cachotterie. Nous n'avons pas peur
de nos opinions et nous sommes prêts à crier sur tous les toits ce
que nous pensons, parce que nous sommes conscients de vivre dans un pays
démocratique, sous un régime démocratique où tous
les citoyens sont égaux et tous les citoyens ont les mêmes droits.
Ils peuvent jouir des mêmes privilèges. Par conséquent, si
nous avions des penchants pour un bilinguisme caché, nous n'aurions pas
besoin de le cacher, nous l'aurions dit très ouvertement. Tout à
l'heure, répondant à la question de M. le ministre d'Etat
chargé du développement culturel, j'ai donné des
précisions à ce sujet. Je croyais que ces précisions
étaient déjà suffisantes pour répondre à la
question que vous venez de poser.
M. Alfred: Vous dites encore ici: Vous êtes contre toute
mesure coercitive pour, bien sûr, la francisation du Québec. Or,
si vous avez lu comme il faut l'histoire du Québec, cela fait 217 ans
que nous nous sommes rendu compte que les mesures incitatives ne donnaient pas
grand-chose. Ce sont ces mesures incitatives qui avaient rendu la loi 22
ambiguë. Quand on parle de coercition, cela ne veut pas dire qu'on va
mettre les gens au pilori. C'est la raison pour laquelle je ne partage pas tout
à fait votre opinion j'ai le droit aussi de vous le dire
quand vous nous dites que vous êtes pour des mesures incitatives et non
coercitives, parce que le temps nous a démontré que les mesures
incitatives n'ont pas produit les résultats escomptés.
Vous avez employé deux autres concepts qui, malheureusement...
Personnellement, je ne vois pas la discrimination entre les deux concepts
employés, majorité et minorité. Ce n'est pas notre faute
si, sociologiquement, il y a une majorité de 81% de francophones et 19%
d'anglophones et d'allophones. En quoi pouvez-vous dire que ces deux concepts
sont discriminatoires?
M. Baghdjian: Je réponds à la première
partie de votre question. Vous parlez d'une histoire de 217 ans et vous en
arrivez à conclure que les mesures incitatives que vous avez
employées n'ont rien donné de positif, ce qui veut dire que vous
êtes disposés maintenant à changer de tactique et à
passer à l'attaque, c'est-à-dire à prendre des mesures
coercitives. C'est à cela que nous nous opposerons, parce que comme je
l'ai dit tout à l'heure, nous sommes dans un pays démocratique et
nous entendons exercer tous nos droits, premièrement.
Deuxièmement, si les mesures incitatives, au cours de 217 ans
n'ont rien donné de positif d'après vous, moi, je conteste ce que
vous venez de dire, parce que tout à l'heure, ce matin même, soit
dans le mémoire de la Bourse de Montréal, soit dans le
mémoire du Barreau, il a été question justement de
l'immense progrès réalisé dans la francisation du
Québec. Par conséquent, ces mesures incitatives ne sont pas
restées vaines et elles ont porté fruit.
Troisièmement, si, même à supposer que ces mesures
incitatives étaient restées vaines, cela ne donnerait aucun droit
à aucun gouvernement de prendre des mesures coercitives pour
régler par la force ce qui n'a pas été réglé
par la persuasion. Nous sommes contre la rétroactivité de ces
mesures coercitives, mais nous sommes toujours pour la persuasion et nous
sommes toujours pour la francisation et la francophonisation, que ce soit clair
et bien entendu et nous resterons des partisans de cette théorie.
Pour conclure, je dois dire, M. le député, que vous
prêchez à un converti quand vous parlez de l'adaptation et de
l'intégration. Il y a à peu près un an et demi de cela, un
ministre de l'Immigration du Québec a déclaré dans le
centre communautaire Bois-de-Boulogne, en l'occurrence, M. Bienvenue, ancien
ministre de l'Immigration, en parlant de ma pauvre personne, que j'avais
très bien compris la réalité québécoise, que
j'avais très bien agi dans le contexte québécois et que le
Québec... Je répète ses mots. Je peux vous montrer son
discours, si vous voulez, je peux vous l'envoyer en photocopie, il dit
textuellement: Le Québec est reconnaissant au Dr Baghdjian. Par
conséquent, ce n'est pas d'hier que date ma francophonie et, sans fausse
modestie, M. le député, je porte sur ma boutonnière
l'insigne des palmes académiques. Je suis décoré, à
titre d'officier, dans l'Ordre des palmes académiques pour services
rendus à la culture française par le gouvernement de la
République française. Par conséquent, vous prêchez
à un converti. Nous sommes tout à fait d'accord et sur la
même longueur d'ondes.
M. Alfred: ...
Le Président (M. Cardinal): Très brièvement,
M. le député de Papineau.
M. Alfred: Merci beaucoup.
Il y a un concept aussi que vous avez employé et que je trouve
très intéressant. Vous ne voulez pas que les minorités
s'enferment dans des ghettos. C'était très intéressant,
parce que si on veut, par exemple, s'intégrer à la
collectivité québécoise, il faut qu'on s'éparpille
dans la collectivité québécoise.
Il y a une chose aussi... Par exemple, il y a deux concepts que j'aurais
voulu développer, mais je n'ai pas le temps. C'est le concept
d'intégration et d'assimilation. Mais il faut vous dire aussi que,
malheureusement, si le Québec a connu des difficultés dans
l'intégration des immigrants je vais vous le dire objectivement
c'est que les immigrants venant au Québec ont été
trompés par une publicité fallacieuse du fédéral
qui ne faisait pas la distinction entre le Québec et le Canada, qui ne
disait pas qu'on venait dans un Etat français et, d'une part,
étant donné que l'argent est entre les mains du
fédéral et qu'on avait un petit ministère de l'Immigration
ici, on disposait de peu de revenus pour pouvoir améliorer les COFI,
l'accueil pour les immigrants; vous comprenez très bien qu'on s'est bien
tiré d'affaires avec le peu de moyens qu'on avait. Depuis que nous avons
été élus, nous avons fait mille et une rencontres pour
essayer de réparer ce qui a été négatif dans le
passé, et nous comptons beaucoup sur les immigrants pour édifier
un Québec fort, un Québec vigoureux, un Québec
souverain.
S'il y a eu des erreurs dans le passé, nous allons les corriger
ensemble, dans l'harmonie et dans le dialogue.
Je vous félicite encore une fois de vouloir quand même
travailler à la francisation. Quant au concept de l'apprentissage de la
langue seconde... Nous allons laisser aux linguistes et aux pédagogues
de préciser quand l'enseignement d'une langue seconde sera rentable pour
un francophone ou pour un anglophone.
Le Président (M. Cardinal): Dr Baghdjian, très
brièvement, s'il vous plaît.
M. Baghdjian: Si vous me le permettez, je termine simplement en
répondant à ces deux points que le député a
soulevés et je vous remercie à l'avance de cette
bienveillance.
Premièrement, pour ce qui est de l'adaptation, jusqu'ici le
problème de l'adaptation, non seulement au Québec, mais à
travers tout le Canada, a été très mal posé. Il ne
faut pas confondre adaptation, intégration et assimilation.
Nous sommes tout à fait d'accord pour commencer d'abord par
l'accueil. Ceci doit commencer par l'accueil à l'arrivée de
l'immigrant. Cela doit passer par l'adaptation en deuxième phase. Cela
doit arriver à l'intégration en troisième phase et jamais
l'assimilation, si vous voulez logiquement parler, parce que humainement
parlant, ce n'est pas possible et je crois que dans un pays
démocratique, on ne devrait même pas envisager la
possibilité d'une assimilation.
Donc, tant que ces trois phases n'ont pas été
respectées, il ne peut pas y avoir d'adaptation adéquate que nous
souhaitons vous et moi et je crois tous les bien-pensants.
Deuxièmement, pour ce qui est de l'argent du
fédéral, je vais vous dire que l'adaptation ne se fait pas
seulement par l'argent. Si l'adaptation devait se faire par l'argent, cela
serait simplement une cause perdue que vous viendriez plaider ici parce que ce
qui s'achète par l'argent se vendra aussi par l'argent. Alors, ce sera
au plus offrant. lï y a un an, j'ai mené une bagarre terrible,
c'est-à-dire une polémique et non pas avec des poings. Je suis en
même temps le secrétaire général de l'Association de
la presse ethnique du Québec. Alors, j'ai protesté dans le
journal La Presse. Il y a eu des articles et des commentaires parce que cette
association travaillait en anglais seulement au Québec. C'est moi qui ai
lutté et c'est moi qui ai obtenu gain de cause et maintenant,
l'Association de la presse ethnique du Québec est francophone et
quelquefois bilingue, mais surtout francophone.
Donc, nous sommes dans le même bain permettez moi
l'expression nous sommes sur le même front et quand je dis que
nous sommes pour la francisation, je vous cite des faits palpables et la
réalité pure et simple.
Quant à l'offre de collaboration que vous avez formulée,
vous pouvez compter sur la Fédération des groupes ethniques du
Québec qui se tient à l'entière disposition des
autorités pour collaborer dans la dignité, comme je l'avais
souligné en présence de l'honorable Dr Laurin le 24 avril
dernier, pour un Québec où il ferait bon vivre tous ensemble,
sans distinction aucune et sans discrimination aucune. Merci de votre
attention.
M. Alfred: II y a deux secondes, quand je parlais d'argent, non
pas comme fin, mais comme moyen, parce que les maisons d'accueil, il faut que
cela évolue, il faut faire de l'animation, donc il nous faut des fonds
pour les faire évoluer... Donc, comme le fédéral
l'accaparait, on ne pouvait pas... De toute façon, je vous remercie et
vous êtes un apport positif pour la collectivité
québécoise comme j'en suis un. Je vous remercie encore, parce que
vous vous êtes exprimé dans un français impeccable, ce qui
montre que vous avez été capable de vous intégrer à
la collectivité québécoise. Merci beaucoup.
Le Président (M. Cardinal): Dr Kévork Baghdjian, si
je prononce bien votre nom...
M. Baghdjian: Oui, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): et vos deux collègues,
au nom de la commission, je vous remercie beaucoup. Tout d'abord, je le
répète, comme je l'ai fait pour d'autres, je vous remercie, de
votre patience vous avez attendu avant de comparaître devant nous
de votre mémoire et de vos réponses. Merci.
M. Baghdjian: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): J'invite immédiatement
le groupe suivant, mais auparavant, bien
qu'il ne reste que peu de minutes, je dois souligner que l'organisme
suivant était la Confédération des syndicats nationaux.
J'ai reçu un avis cet après-midi adressé à Me
Jean-Guy Cardinal, vice-président, Assemblée nationale.
"Monsieur, je m'excuse, je vais lire lentement, parce que c'est
manuscrit. Il peut y avoir des difficultés. Suite au retard
accusé dans l'audition des mémoires devant la commission
parlementaire portant sur le projet de loi 1, nous nous voyons actuellement
dans l'impossibilité de demeurer pour la séance de ce soir,
compte tenu d'engagements antérieurs. Nous vous prions de n'y voir
aucune mauvaise foi, étant donné que nous étions à
la disposition de la commission depuis 10 heures hier matin. Nous vous prions
de nous reconvoquer le plus rapidement qu'il vous sera possible de le faire,
car nous tenons à faire connaître notre position. Veuillez
agréer l'expression de nos sentiments les meilleurs.
Vice-présidente de la CSN, Francine Lalande." Ceci dit, c'est une note
pour M. le ministre.
J'invite la Provincial Association of Protestant Teachers,
représentée par M. Donald R. Peacock, s'il est encore ici. M.
Peacock, bonsoir. M. Peacock, pour ne pas vous faire perdre de temps, il ne
reste même pas deux minutes, je dois suspendre la séance. Est-ce
que vous êtes d'accord pour revenir avec nous à 20 heures?
M. Peacock (Donald): Oui, certainement.
Le Président (M. Cardinal): Vous êtes
déjà, présent, votre tour est donc assuré. Avant de
terminer, madame, messieurs les membres de la commission, je ne veux pas faire
de suspense, j'espère que nous pourrons fonctionner. La décision
que j'ai promis de rendre hier, je la rendrai, et non seulement j'invite les
représentants du PART, mais aussi l'Association québécoise
des professeurs de français. Donc, les mémoires 176 et 150 seront
entendus, et les travaux de cette commission sont suspendus jusqu'à 20
heures ce soir.
(Suspension de la séance à 17 h 59)
Reprise de la séance à 20 h 9
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et
messieurs!
Je constate qu'il y a quorum et je commence immédiatement cette
nouvelle audition. C'est une suite de la séance de cet
après-midi. Je m'excuse, M. Peacock. Comme je l'ai promis, je vais
rendre ma décision sur une motion qui a été
présentée hier soir. Cela prendra peu de temps et vous serez le
premier entendu après. Je n'ai pas le choix, j'ai fait une promesse et
je m'en tiens à cette promesse.
A l'ordre, s'il vous plaît!
Mme Lavoie-Roux: J'ai au moins vingt minutes!
Décision du président Motion
jugée irrecevable
Le Président (M. Cardinal): II a été
proposé que M. le ministre de l'Education, député de
Sauvé, soit convoqué à la barre des témoins devant
la commission. L'article 63 de la Loi de la Législature, qu'a
invoqué M. le député de Laval, ne concerne que
l'Assemblée nationale, d'après moi, et non les commissions, quant
à l'assignation et à la contrainte. D'ailleurs, lors d'un
débat assez bref, hier soir, M. le député de Laval et moi
avons fait des échanges sur cette analogie entre une cour de droit
commun et l'Assemblée nationale et une commission.
L'article 153 du règlement stipule tout simplement la
procédure à suivre lorsqu'un témoin a été
requis de se présenter devant une commission et qu'il refuse de le
faire. A ma connaissance, il n'y a pas encore de refus, puisque non seulement
la motion n'est pas adoptée, mais n'a pas encore été
jugée ni recevable ni irrecevable.
Je m'excuse, mais j'invoque tout ce qu'on a invoqué. L'article 91
de la Loi de la Législature stipule tout simplement aussi que toute
commission siégeant dans l'exercice de ses fonctions peut interroger les
témoins sous serment, sur toute matière relative à
l'affaire dont elle est saisie.
Ces deux articles ne nous éclairent cependant pas sur la question
de la recevabilité de la motion qui est devant nous. Le sens de ces
articles se résume aux points suivants:
Premièrement, une commission peut certainement interroger des
témoins.
Deuxièmement, elle peut leur faire prêter serment.
Troisièmement, elle dispose de certains recours dans le cas de
témoins récalcitrants.
Il n'y a rien, dans tout cela, qui nous indique quand et pourquoi une
commission peut convoquer des témoins.
Toutefois, il y a une précision importante que livre l'article 91
de la Loi de la Législature sur les critères qui doivent
présider à la convocation des témoins. Ces critères
sont les suivants: "II faut que la commission siège dans l'exercice de
ses fonctions." J'espère que c'est ce que
nous faisons. "La commission ne peut interroger les témoins que
sur la matière relative à l'affaire dont elle est saisie." Tout
cela nous ramène à la question du mandat de la commission, en
vertu de l'ordre qu'elle a reçu de l'Assemblée nationale. Ce
mandat spécial a déjà été défini par
l'avis qui a été publié dans la Gazette officielle du
Québec le 4 mai 1977 que j'ai lu le premier jour de la première
séance de cette commission, et que je répète et qui se lit
comme suit: "Avis public est, par les présentes, donné que le
projet de loi no 1, intitulé Charte de la langue française du
Québec, a été déféré, après la
première lecture, pour étude à la commission parlementaire
de l'éducation, des affaires culturelles et des communications. Les
personnes ou groupes qui désirent se faire entendre devant cette
commission ont un délai de trente jours à compter de la date de
la présente publication pour déposer au secrétariat des
commissions cent exemplaires de leur mémoire."
Lorsqu'on donne un tel avis dans la Gazette officielle s'applique une
procédure que j'ai rappelée souvent et qui est clairement et
précisément définie par l'article 118a de notre
règlement et qui remplace les anciennes règles de pratique.
J'attire l'attention en particulier sur le troisième paragraphe
de cet article qui dit que le secrétaire convoque les personnes qui ont
déposé des mémoires. J'attire également l'attention
sur le paragraphe 5 qui stipule que le président appelle à tour
de rôle les personnes convoquées par le secrétaire; ce que
j'ai fait à chacune des séances de cette commission.
Il ressort de l'économie générale de cet article
118a, qu'après la première lecture, le mandat de la commission
est d'entendre les témoins qui, volontairement j'insiste sur ce
mot ont accepté de se prévaloir de l'invitation qui leur a
été faite par l'avis publié dans la Gazette
officielle.
Il s'agit donc d'un mandat spécifique pour entendre les personnes
convoquées selon les règles strictes édictées par
l'article 118-A. La commission est liée par ce mandat et par les limites
imposées par l'article 118-A. Il n'y a que l'Assemblée
elle-même qui pourrait modifier, voire élargir son mandat et
mettre de côté l'une ou l'autre des règles strictes
édictées par l'article 118-A. Dans tout ce contexte, une motion
pour obliger une personne à comparaître, qu'elle soit
député ou non c'est mon premier point n'est pas en
principe recevable, même si certaines ont été
reçues, à la suite d'un consentement de cette commission,
à cause des restrictions du mandat et de l'article 118-A qui impose un
cadre sévère, à moins je le répète
du consentement ou du vote de la commission.
Je n'ai pas besoin de répéter qu'en rendant la
décision que je vais rendre dans quelques instants, dans ces
circonstances très précises, et j'en fais un cas particulier, je
suis très conscient des conséquences d'une telle décision.
Je ne mets pas de côté la justesse des opinions de tous les
auteurs sur le droit de convoquer des témoins. Je n'écarte pas
les articles 63 et 91 de la Loi de la Législature, ni l'article 153 du
règlement. Je souli- gne, en passant, que les anciens articles 56
à 62 de la Loi de la Législature ont été
abrogés, mais ils ne se prêtent pas au cas spécifique sur
lequel j'ai à rendre une décision.
Je suis porté à croire, pour le moment, qu'une demande
comme celle formulée, comme celle dans son libellé, qui est sur
la table de cette commission, devrait venir de l'Assemblée nationale de
sa propre initiative en vertu de l'article 63 de la Loi de la
Législature ou d'une demande de notre commission. A ce moment-là,
c'est une demande de la commission à la suite d'un consentement ou d'un
vote, par le biais d'un rapport spécial, c'est l'article 161 du
règlement. Si, après avoir entendu les témoins
convoqués, en conformité avec l'article 118-A, alinéa 6,
la commission se jugeait suffisamment informée...
De toute façon, j'ajoute ceci: A la Chambre des communes
parce que l'on a invoqué le droit britannique où l'on suit
la coutume anglaise suivante: Un député je le souligne, en
vertu de ce qu'a invoqué hier soir M. le député de
Marguerite-Bourgeoys un député, je suis presque
gêné de le souligner, n'est pas une personne comme une autre
devant l'Assemblée ou devant une commission, et la coutume anglaise veut
que l'on demande au président d'inviter...
Mme Lavoie-Roux: Je m'en doutais.
Le Président (M. Cardinal): ... le député
à comparaître devant la commission et s'il refuse l'invitation du
président, rapport doit être fait à l'Assemblée qui
le décide. Donc, malgré le texte de cette motion, je pourrais
dès ce moment rendre ma décision, mais je veux quand même
ajouter ceci pour l'information de tous et pour que tout soit clair: On a
invoqué le droit britannique. Je soumets à cette commission le
volume "Procedure in the Canadian House of Commons", de W.F. Dawson, page 204,
qui dit ceci: "A Member of the House is invited to appear, he is not summoned."
C'est le point principal.
La motion peut paraître recevable en vertu de tel ou tel argument
qui a permis hier soir d'accepter deux motions.
Cependant, elle me paraît, elle peut paraître inadmissible
en vertu de l'article 118-A qui parle la convocation des témoins de
façon très précise.
Cependant, la commission est maîtresse de ses travaux. Je pourrais
me prévaloir de l'article 33, deuxième alinéa,
dernière phrase pour ceux qui aiment les précisions
et inviter la commission à se prononcer elle-même sur la
recevabilité par un vote. Je ne le ferai pas. Nous tomberions encore une
fois dans la procédurite.
Je n'aime pas invoquer ce fait, mais il y a un précédent
qui s'applique exactement au député de Sauvé, qui a
déjà été convoqué devant une commission.
M. Laurin: Son voyage!
Le Président (M. Cardinal): C'est cela. Il faut se
souvenir alors qu'il s'agit d'un fait très précis et, encore une
fois, je veux rendre cette décision sur une situation
précise.
J'inviterais, comme président, M. le député de
Sauvé, ministre de l'Education et vice-premier ministre, à
s'asseoir avec ses collègues et je ferai ici une analogie. On sait que,
devant une cour de droit commun, un avocat ne comparaît jamais à
la barre. Il est toujours, selon un usage immémorial, invité par
le juge à se présenter en dehors de cette barre. Nous savons,
avec l'analogie qu'a présentée le député de Laval
hier soir, par rapport aux cours de droit commun, que notre collègue, le
député de Sauvé, ne devrait pas, en vertu du même
raisonnement, être invité de l'autre côté de cette
table, mais être invité par le président, avec nous,
à cette table.
Il faut se souvenir d'ailleurs qu'à cette occasion, lorsqu'on a
invité le député de Sauvé, dans l'Opposition, le
président l'a invité à traverser la table des
témoins et à s'asseoir avec ses collègues, avec ses
pairs.
Je pourrais ajouter d'autres commentaires. Je pourrais inviter le
proposeur de la motion à faire des modifications. Tel n'est pas mon
rôle. Ma décision est donc la suivante: Telle que libellée,
la motion est irrecevable, mais je suis cependant disposé, comme
président, à inviter le ministre de l'Education,
député de Sauvé, à venir siéger avec nous
à cette table.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Oui, Mme le
député de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Si je n'ai pas le droit de parole, je vais
attendre.
Le Président (M. Cardinal): Non, c'est cela. Je reprends
le débat où il en était. J'avais invité The
Provincial Association of Protestant Teachers, mémoire 176, à se
présenter devant nous. Vous êtes là. Est-ce que d'autres
vous accompagnent, M. Peacock?
M. Peacock (Donald): Non.
Le Président (M. Cardinal): Vous êtes seul, M.
Peacock?
M. Peacock: Oui, seul.
Le Président (M. Cardinal): M. Peacock, je vous souhaite
la bienvenue et je vous demande d'identifier votre groupe et vous-même et
vous aurez ensuite 20 minutes pour présenter votre mémoire. Un
instant! Mme le député de L'Acadie, sur une question de
règlement, je présume.
Mme Lavoie-Roux: Une question de règlement.
Le Président (M. Cardinal): N'invoquez ni l'article 54 ni
l'article 32. Mme le député de L'Acadie, s'il vous
plaît.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, je vous remercie de
votre décision. Je voudrais quand même vous demander, selon ce que
vous avez exprimé, s'il vous serait possible d'inviter le
député de Sauvé à venir se joindre à nous
à un moment que vous jugerez opportun.
Le Président (M. Cardinal): Ce n'est pas une question de
règlement; vous me demandez une directive, et je vais répondre
immédiatement. Après tout ce que j'ai dit, je m'excuse pour le
temps employé, mais je pense que la question était suffisamment
importante pour le faire. Je suis disposé personnellement, comme
serviteur de cette commission, à inviter personnellement M. le
député de Sauvé, le ministre de l'Education, à se
joindre à nous à la première occasion possible.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. M. le
Président, j'aurais une motion à faire.
Le Président (M. Cardinal): Je vous écoute.
Mme Lavoie-Roux: Elle sera très courte. Pardon?
M. Charbonneau: On ne présage de rien. On a vu cela
hier.
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre!
Mme Lavoie-Roux: II y avait ici, avant le dîner, trois
groupes. J'ignore s'ils sont encore ici, mais, si tel est le cas, M. le
Président, sans vouloir créer de précédent, et si
je pensais que ceci pouvait être invoqué dans le futur, je ne
ferais pas cette motion.
Compte tenu du fait que ces trois groupes sont ici depuis au moins deux
jours, j'aimerais proposer que chaque parti envisage la possibilité de
diminuer ou de restreindre le temps qui lui est alloué pour ses
questions. A tout hasard, je vous suggère, pas tout à fait
à tout hasard, mais avec un certain calcul, que le temps du parti
ministériel pour ses questions soit réduit de 30 minutes à
20 minutes, celui de l'Opposition officielle, de 20 minutes à 13 minutes
et celui de l'Union Nationale, de 10 minutes à 7 minutes, ce qui ferait
un total, avec les 20 minutes allouées à la personne pour faire
sa présentation, de 60 minutes. C'est uniquement dans le but, compte
tenu que c'est une journée importante et que ces gens ont attendu depuis
longtemps...
Je voudrais que ceci soit très clair: Je n'ai pas consulté
mes collègues qui n'étaient pas là; c'est vraiment, comme
dirait quelqu'un, une initiative locale, un PIL.
M. Charbonneau: Du fédéral ou du...
Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous
plaît!
Mme Lavoie-Roux: C'est la proposition que je voulais faire, M. le
Président.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Bourassa, sur la recevabilité de la motion ou quoi?
M. Laplante: On ne jouera pas avec les termes de
procédurite. J'aurais peur que le député de L'Acadie
n'aille chercher d'autres personnes pour parler 20 minutes sur la même
motion.
Le Président (M. Cardinal): Ne prêtez pas
d'intention.
M. Laplante: J'aurais peur. Personnellement, je refuserais cet
accord pour la simple raison qu'on avait du travail à faire hier soir.
On a été ici jusqu'à 11 heures. Ils sont venus en force
pour parler chacun leur tour. Sept ou huit n'étaient même pas
membres de cette commission. Aujourd'hui on essaierait, par un moyen
détourné, de nous faire porter l'odieux, parce que d'autres
groupes se trouvent encore ici dans cette salle, tandis qu'hier soir, ces trois
mêmes groupes attendaient pour se faire entendre et ils n'ont pas pu se
faire entendre.
Hier, c'était hier; aujourd'hui, le député de
L'Acadie est seul du groupe de l'Opposition officielle. Personnellement, je ne
pourrais donner mon consentement sur une telle motion.
Le Président (M. Cardinal): D'accord, M. le
député de Bourassa. Je veux faire rapidement et je ne demanderai
pas la permission, l'intention ou l'idée de la commission sur la
recevabilité.
Tout de suite, je dis que cette motion est rece-vable. Elle est autant
recevable que la motion du député de Taschereau, que l'amendement
du député de Marguerite-Bourgeoys et le sous-amendement du
député de Beauce-Sud.
Nous avons le droit, dans une autre séance, de modifier une
motion déjà adoptée. Je comprends, Mme le
député de L'Acadie, que cette motion n'est que temporaire dans
son effet.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, absolument...
Le Président (M. Cardinal): Un instant. Mme le
député de L'Acadie; ensuite, M. le député de
Rosemont.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, je ne veux vraiment pas
créer ici quelque retard que ce soit. S'il y a une seule objection de
qui que ce soit, c'était simplement s'il y avait encore ici les trois
groupes d'hier... C'était pour leur donner une chance et je ne veux
vraiment pas provoquer de discussion. Je peux même retirer la proposition
si cela doit créer le moindre inconvénient.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Rosemont.
M. Paquette: Ce que je voulais dire, M. le Président,
c'est dans le même sens. On ne peut pas préjuger que les
mémoires devraient prendre moins de temps ce soir que les autres fois.
Les mémoires sont tout aussi importants que ceux qu'on a
écoutés au début de la semaine.
Mme Lavoie-Roux: Oui.
M. Paquette: Comme vous n'êtes pas nombreux du
côté de l'Opposition, probablement que cela va prendre moins de
temps; on pourra se discipliner nous aussi et, si on peut faire cela plus vite,
on pourra entendre plus de gens.
C'est pour cela que je m'oppose à la motion. Je ne voudrais pas
qu'a priori, on présume qu'on n'aura pas de questions a poser sur les
mémoires qui nous sont présentés ce soir.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. Mme le
député de L'Acadie, personnellement, j'ai accepté votre
motion. Je me rends compte qu'il n'y a pas de consentement unanime. Je pourrais
la mettre en délibération et aux voix, mais nous perdrions la
soirée.
Mme Lavoie-Roux: Absolument.
Le Président (M. Cardinal): Dans ce cas-là, je vous
suggère de la retirer.
Mme Lavoie-Roux: Je retire ma motion, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Merci. M. Peacock.
M. Dussault: M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Châteauguay.
M. Dussault: Est-ce qu'il est possible de vous demander quels
sont les groupes qui sont présents ici ce soir?
Le Président (M. Cardinal): Je n'ai pas besoin de faire
l'appel, M. le député de Châteauguay, parce que nous sommes
à la suite d'une séance qui a commencé après les
affaires courantes, cet après-midi. Je ne voudrais brimer les droits
d'aucun.
Cependant, je puis, à la suite de votre question, vous dire que
ceux qui sont invités sont les suivants, et je vais en donner la liste:
Le PAPT, mémoire 176; l'Association québécoise des
professeurs de français, mémoire 150; la Banque Royale du Canada,
mémoire 91; et la Fédération des principaux du
Québec, mémoire 145.
Je ne ferai pas l'appel puisque nous ne sommes pas au début d'une
séance et je ne veux pas que le règlement s'applique pour
empêcher quelque invité de se présenter et, de cette
façon, perdre leur droit de se faire entendre.
M. le député de Vanier. D'accord? Est-ce que je peux
donner la parole à M. Peacock?
Provincial Association of Protestant Teachers
M. Peacock (Donald): Est-ce que je dois parler maintenant, M. le
Président?
Le Président (M. Cardinal): Oui, monsieur.
M. Peacock: Parce que je croyais que j'allais mourir de coitus
interruptus, si vous aviez continué comme cela.
Le Président (M. Cardinal): Non. A l'ordre, s'il vous
plaît! Si vous le permettez, je vous prierais d'identifier votre
groupe.
M. Peacock: Don Peacock, je suis président de la
Provincial Association of Protestant Teachers, l'Association provinciale des
enseignants protestants du Québec.
J'allais vous dire tout à l'heure, M. le Président, qu'il
n'y a que deux groupes qui restent pour ce soir, pour votre information.
Le Président (M. Cardinal): C'est possible. Mais je
regrette, quand je les appellerai, on verra.
M. Peacock: Tout d'abord, permettez-moi de vous décrire
l'association que j'ai l'honneur de représenter.
L'Association provinciale des enseignants protestants du Québec
(PAPT) est un organisme encore plus vieux que la Confédération,
qui représente environ 6700 enseignants à l'emploi des
commissions scolaires protestantes du Québec.
Nous avons des membres à Shawville, à Gaspé,
à Schefferville et à Hemmingford, mais la grande majorité
de nos membres se trouve dans la région métropolitaine, ce qui
reflète la concentration des Québécois anglophones
à Montréal et ses environs. A peu près 3500 enseignants de
la PAPT travaillent dans l'île de Montréal et 1600 autres dans les
banlieues autour de l'île. Au cours des dix dernières
années, le nombre de membres francophones est monté en
flèche à cause de la demande faite par notre communauté
pour des cours d'immersion et, depuis quelque temps, un nombre important de ces
enseignants sont d'origine québécoise. Les diverses origines
raciales, ethniques et nationales de nos membres, autant que leur religion, si
religion il y a, reflètent la nature hétérogène de
cette communauté que l'on appelle souvent les anglo-protestants.
Le conseil provincial de la PAPT qui se compose des
délégués de nos dix syndicats affiliés a
endossé la déclaration sur l'éducation émanant du
Positive Action Committee et, en même temps, a réaffirmé
notre propre politique sur la langue, après avoir entrepris une
consultation, à Montréal, auprès de nos membres sous forme
de questionnaire à chacun d'entre eux et, après avoir tenu des
réunions générales ou des réunions locales de
délégués ailleurs, selon la décision de chaque
syndicat.
Nous avons endossé la déclaration du Positive Action
Committee parce que nous l'avons trouvée modérée, sans
excès de langue ou d'hostilité dans son attitude. Le point majeur
que nous voulons souligner, c'est que nous partageons le désir de ce
gouvernement de redresser l'équilibre du pouvoir entre les deux langues
principales au Canada, parce que nous avons, depuis longtemps, reconnu que la
domination économique de la part des
Québécois anglophones est la raison fondamentale des
griefs légitimes de la majorité linguistique.
En somme, nous croyons qu'une législation fondamentale dans ce
domaine s'est fait attendre et ce, depuis des décades.
Le succès de cette loi qui a pour but d'assurer le respect de la
langue française pour ceux qui la parlent dans le domaine des affaires
de l'industrie dépend largement de la collaboration et de la
volonté de la communauté des affaires, autant que de la
fermeté et du réalisme de ceux qui devront l'appliquer.
Espérons que nous n'aurons pas à vivre un système
répandu de tolérance, ce qui réduirait la loi à une
farce ou, de l'autre côté, une croissance rapide de petits
fonctionnaires et de paperasse, ce qui écraserait les entreprises de
taille moyenne et réduirait leurs profits à un niveau critique.
Néanmoins, nous sommes bien conscients du fait que les grosses
corporations peuvent facilement prendre les mesures nécessaires pour
assurer non seulement que les travailleurs francophones puissent travailler en
français, mais aussi que l'accès à tous les niveaux
administratifs soit ouvert aux travailleurs francophones qualifiés.
Nous sommes d'avis que la combinaison d'un manque d'accès
à un système d'éducation pour les travailleurs
francophones et d'un concordat, inavoué mais traditionnel entre les
gouvernements antérieurs et le monde des affaires du Québec a
été grandement responsable du déséquilibre anormal
entre le pouvoir économique des Québécois anglophones et
francophones.
Nous avons bien accueilli la révolution tranquille et ses
réformes éducatives et nous croyons que la création d'un
système d'éducation secondaire et postsecondaire accessible non
seulement à une élite, mais à tous les
Québécois francophones, quel que soit leur niveau
économique et social, de même que les dispositions de la charte
conçues pour atteindre les objectifs du chapitre II corrigeront, dans le
plus bref délai, cet ancien déséquilibre et rendront le
français la langue majoritaire reconnue et respectée au
Québec.
Vous avez sans doute remarqué que nous parlons ici de la langue
majoritaire. Nous prétendons que l'anglais doit être reconnu comme
étant la langue minoritaire la plus utile et la plus importante au
Québec et que ceux qui parlent la langue anglaise ne doivent plus
être considérés, en bloc, comme les ennemis de la
majorité.
Le respect de la majorité doit être assuré et, une
fois ceci fait, cette majorité doit se débarasser de tout
complexe minoritaire et démontrer un respect réciproque aux
minorités linguistiques et culturelles. A cet égard, nous
étions très contents d'entendre les paroles du ministre de
l'Education, M. Morin, que nous citons: "II y a longtemps que je songe à
faire en sorte que l'école publique offre, notamment dans le secteur
francophone, un enseignement facultatif de leur langue d'origine aux enfants
néo-québécois. Pour avoir beaucoup fréquenté
les groupes dits ethniques lorsque j'étais chef de l'Opposition, je suis
persuadé qu'une telle mesure ne pourrait que favoriser leur
intégration harmonieuse au sein de la société
québécoise. Or,
dans mon esprit, intégration ne signifie point assimilation. "A
l'élémentaire, cela pourrait, par exemple, se traduire par un
enseignement de la langue et de l'histoire du pays d'origine. Au secondaire,
cela pourrait prendre la forme de divers cours facultatifs portant sur la
littérature, la civilisation ou la géographie." "Dès cette
année, en consultation avec les intéressés, commissions
scolaires et groupes néoquébécois, le ministère de
l'Education explorera donc attentivement les possibilités de bâtir
de tels programmes, de sorte que l'on peut prévoir que sera lancé
en 1978-1979 un projet pilote dans quelques écoles ou dans quelques
commissions scolaires."
Nous voulons simplement ajouter que l'implantation de tels cours
imposerait un fardeau additionnel à notre système scolaire et
devrait être précédée par la création de
cours linguistiques intensifs pour ces enseignants qui devront les dispenser,
de même que par une étude sérieuse des problèmes
d'organisation impliqués. Cette dernière décennie a vu un
changement majeur dans les attitudes de la communauté que nous
desservons, ce qui a produit une augmentation dans la quantité et une
amélioration dans la qualité de l'enseignement du français
et ce, en grande partie, sans l'appui positif ni la reconnaissance de la part
du ministre de l'Education. Par exemple, il est extrêmement difficile
d'enseigner efficacement une langue seconde dans des classes de plus de quinze
élèves; pourtant, la plupart de nos professeurs de
français font face à des classes de vingt ou trente
élèves.
L'établissement d'un programme de type immersion dans nos
écoles élémentaires produit l'effet de deux écoles
dans le même bâtiment, ce qui ajoute au nombre du personnel
enseignant requis et crée des classes combinées. Bien que tous
nos professeurs de français, aujourd'hui, parlent français, le
fait demeure qu'il n'y en a pas suffisamment parmi eux qui ont reçu une
information théorique et pratique de l'enseignement du français
langue seconde.
Etant donné tout cela, les résultats que nous avons
obtenus dans notre programme de type immersion ont été vraiment
encourageants. Notre population est vraiment convaincue de la valeur de tels
programmes: en 1970-1971, seulement 3,35% des enfants de l'inscription
élémentaire régulière au Bureau protestant du grand
Montréal (PSBGM) suivaient des cours d'immersion. Le chiffre pour
l'année courante est 14%. 5,6% des enfants à
l'élémentaire au PSBGM sont des francophones qui suivent des
cours en français langue première. Ces chiffres ont comme
résultat un accroissement dramatique du nombre d'enseignants
francophones, 20,3% au PSBGM. Les chiffres pour l'ouest de Montréal
(Lakeshore), pour Châteauguay et pous la rive sud sont similaires.
Tout ceci démontre un changement volontaire significatif dans les
attitudes de nos communautés. Nous n'avons évidemment pas inclus
dans nos chiffres les enfants anglophones envoyés par leurs parents dans
les écoles françaises catholi- ques. Nous sommes persuadés
que ce changement a beaucoup contribué à rendre nos écoles
plus attrayantes pour les immigrants et nous avons besoin d'un appui beaucoup
plus considérable de la part du ministère de l'Education si nous
voulons rehausser le niveau de notre enseignement du français.
Nous aimerions alors souligner qu'un gouvernement si
obsédé par la langue se doit de dépenser beaucoup plus
d'argent pour la linguistique. Il nous faut, conséquemment, rappeler
respectueusement au ministre de l'Education actuel que l'article 57 du projet
de loi no 1 ne garantit rien en lui-même.
Vos enseignants se sont adaptés à la nouvelle situation au
Québec et ont fait de leur mieux pour amoindrir la différence
entre une école anglaise et une école française. Nous
avons pleinement le droit de nous attendre que cet effort volontaire soit
reconnu et encouragé de façon positive dans l'avenir.
De surcroît, nous exigeons que ceux parmi nous, à cause
d'une diminution de la population ou de changements majeurs dans le programme
d'études, trouveront que leurs qualifications particulières ne
seront plus requises, aient droit au recyclage gratuit à la
priorité d'affectation. La plupart d'entre nous voulons continuer
d'enseigner, mais s'il arrivait que cela s'avère impossible, vous ne
pouvez pas vous débarasser de nous comme si nous n'étions qu'une
machine désuète.
Vos enseignants ont perdu leur bataille pour ce qu'ils croient
être leurs "droits acquis" dans le domaine de la classification
salariale. Nous ne voulons pas perdre nos "droits acquis" en ce qui concerne la
langue. Nous reconnaissons que tous droits individuels et collectifs doivent
être circonscrits par les droits d'autrui. Nous reconnaissons
également que l'usage de la langue anglaise au Québec a trop
souvent été au détriment des Québécois
francophones. En autant que ce projet de loi corrigera cet abus, nous vous
disons a nouveau que nous l'accueillons avec plaisir.
Cependant, il y a des cas où l'emploi d'une langue autre que le
français ne nuirait pas aux intérêts des
Québécois francophones. Nous vous suggérons que les
communications orales et écrites, destinées à une
clientèle dont la langue normale est autre que le français,
doivent avoir le droit de continuer. Par exemple, les programmes radiophoniques
en italien, en grec, en judaïque ou en ukrainien, ne représentent
nullement une menace à la langue française. Si l'on
prétend que la proportion de telles communications non françaises
au Québec est trop élevée, la solution à ce
problème se trouve ailleurs que dans ce projet de loi.
Nous vous proposons également que ces agences de l'administration
civile qui desservent une clientèle non francophone doivent jouir de la
liberté de communication entre elles, dans la langue de leur
clientèle. Egalement, les communications en anglais entre les corps
professionnels, les syndicats et les agences municipales ou éducatives
desservant une clientèle non francophone doivent aussi continuer et de
tels organismes doivent
avoir le droit de communiquer avec leurs membres en anglais ou dans la
langue de leurs membres.
L'Office de la langue française doit obligatoirement fournir,
sans frais, les versions officielles les versions françaises
officielles des contrats et autres instruments similaires
rédigés entre les organismes à qui l'usage de l'anglais
est permis.
Finalement, nous voulons nous adresser à l'épineuse
question de la liberté de choix. Pour ceux d'entre vous dont la
réaction immédiate est la "loi 63, retour en arrière",
nous sommes aussi bien de nous taire. Pour les autres qui, comme nous, croient
que les changements majeurs dans l'équilibre du pouvoir linguistique se
font attendre longtemps, nous aimerions suggérer respectueusement
qu'empêcher l'accès aux écoles anglaises à tous les
futurs immigrants représente une sorte de discrimination chronologique
et, plus important encore, cela ne doit plus s'avérer
nécessaire.
Le Québec a su développer un système public
d'éducation qui donne, en effet, quatre choix aux parents:
Français, anglais, catholique, protestant. Ceci est un modèle
pour toutes les autres provinces du Canada et nous en sommes très fiers.
Il y en a plusieurs parmi nous qui préféreraient que les
barrières confessionnelles soient enlevées de la vie de nos
enfants, mais nous ne pouvons que trop souligner notre conviction que ces
barrières sont de nature protectrice et que l'on ne peut pas
réduire les tensions et les méfiances intercommunautaires en
forçant les divers groupes à vivre ensemble dans les
écoles.
C'est notre prétention que la liberté de choix ne
constitue pas en elle-même un danger à la langue française
dans la région de Montréal. Ce danger provient plutôt du
phénomène assez récent par lequel la vaste majorité
des immigrants choisissent la langue anglaise. Si nos immigrants italiens et
grecs avaient opté pour les écoles françaises, personne
n'aurait disputé leur droit de choisir entre les deux langues.
Nous prétendons, de plus, que les immigrants choisissent la
langue anglaise parce que leurs enfants sont leur seul patrimoine et qu'ils
croient que l'anglais est la clé du succès pour eux.
La francisation du monde des affaires changera cette perception,
à un point tel que les restrictions contenues dans l'article 52 seront
non seulement punitives, mais superflues. Si ce gouvernement a vraiment
l'intention de changer les données économiques qui amènent
les immigrants à choisir l'anglais, comment alors peut-il justifier les
dispositions de l'article 52, à part de se baser sur la
prétention fort douteuse que de telles mesures font un certain bien au
psychisme collectif des Québécois francophones?
J'aimerais bien, en ce moment, vous donner quelques statistiques. Ce
n'est pas pour lancer une guerre de statistiques. Ce ne sont pas les miennes,
mais il faut se baser sur quelque chose de solide et j'ai eu la permission de
l'Université McGill de citer quelques statistiques.
Sur la question des immigrants, durant le premier trimestre de 1971,
53,93% des immigrants arrivés au Québec parlaient anglais. Ils ne
parlaient pas seulement l'anglais, mais ils parlaient l'anglais, il y avait des
bilingues dans ce groupe; 28,3% parlaient français et 32,08% ne
parlaient ni l'un ni l'autre. C'est en 1971.
En 1977, durant le premier trimestre? Ceux qui parlaient anglais,
41,87%; ceux qui parlaient français, 44,09%; ceux qui ne parlaient ni
l'un ni l'autre, 25,8%. Je ne suis pas un spécialiste en statistiques,
mais, pour moi, cela démontre que le problème a beaucoup
diminué depuis 1971. Ajoutez à cela que l'émigration, la
perte absolue, en termes absolus, causée par l'émigration dans
d'autres provinces représente une perte quatre fois plus grande pour les
anglophones que pour les francophones et vous allez voir que le grand
géant anglais qui allait tout manger à Montréal n'existe
pas.
L'autre statistique que j'aimerais bien vous citer est sur l'effet de la
diminution de la population à cause d'autres effets, surtout la baisse
de la natalité. McGill calcule que, sans le bill 1, dans l'année
scolaire 1986-1987, la population scolaire anglophone, non pas seulement
protestante, mais anglophone scolaire serait à 74% de ce qu'elle
est cette année, et la population francophone dans les écoles
françaises serait de 79%. Avec le bill 1, sans compter ce qui ne peut
être calculé, l'effet de l'immigration encore plus massive, on
calcule que le chiffre pour les écoles anglaises dans la même
année serait à 46% et pour les écoles françaises
à 86,7%.
Je ne peux pas affirmer que ces chiffres sont bons, mais ce sont les
seuls chiffres que j'ai et je trouve qu'ils sont assez intéressants.
Notre association est opposée à toute forme de
discrimination entre les gens, basée sur leur origine nationale, ce qui
explique notre apui de toujours à la liberté totale de choix.
Nous n'avons aucune envie de prêter des motifs ignobles à ce
gouvernement et nous aimerions croire que cette charte n'est pas antianglaise,
mais profrançaise. Néanmoins, nous devons demander au ministre,
le Dr Laurin, sur quelle base logique autre que la revanche il justifie le
refus d'entrée aux écoles anglaises aux enfants de parents venant
du reste du Canada ou d'autres pays anglophones.
S'il veut décourager l'immigration des anglophones, qu'il le dise
honnêtement. Et si ceci est vraiment son but, pourquoi n'encourage-t-il
pas plutôt l'immigration en provenance des pays francophones? Qu'il nous
soit permis de dire à ce gouvernement hautement éduqué,
bilingue et sophistiqué qu'il est grandement temps qu'au Québec
les législateurs commencent à faire confiance à la masse
des travailleurs et qu'ils arrêtent de les traiter de façon trop
protectrice et paternaliste.
Un miracle s'est produit au Québec. Je parle comme athée.
Un miracle s'est produit au Québec et personne parmi l'élite
québécoise ne semble s'en être aperçu. Les gens
ordinaires du Québec ont quitté leur village, leur paroisse et
leur sécurité traditionnelle pour venir s'établir dans les
villes industrielles, équipés d'une formation tout à fait
inadéquate. Ils ont travaillé en anglais ou en français et
ils ont survécu. Aujourd'hui, ils parlent toujours le français et
en vertu du fait que leur élite a
cru bon de créer un système public d'éducation
adéquat, leurs enfants le parlent mieux, autant dans les relations
sociales que dans le domaine technique.
De tels miracles sont rares et doivent nous aider à retrouver
notre confiance envers le peuple. Un miracle moindre repose sur la
compréhension croissante de la part des Québécois
anglophones qui sont une minorité qu'il y a eu trop d'injustices par le
passé et que nous devons tous apprendre à vivre ensemble en nous
servant du français comme langue commune. Aucun de ces miracles ne sera
significatif, à moins que ce gouvernement ne possède la vision et
le courage de baser ses politiques sur ces miracles et ainsi réduire les
tensions raciales et nous aider tous à créer un modus vivendi
nouveau et exaltant.
Wolfe et Montcalm sont morts. Qu'ils reposent en paix, afin que nous
puissions vivre en paix et en fraternité. Et, peut-être je
n'ose pas dire davantage les Ontariens finiront-ils par comprendre que
notre cher Québec est le seul modèle pour un Canada qui devient
de plus en plus multiculturel. Comme ce gouvernement, nous aussi
espérons que, finalement, les adversaires deviendront des partenaires
lorsque la majorité sera vraiment "maître chez nous". Merci.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je
cède maintenant la parole à M. le ministre.
M. Laurin: Je veux d'abord remercier le Provincial Association of
Protestant Teachers pour son mémoire et surtout en cette veille de la
Saint-Jean, saluer son président orphelin qui est avec nous ce soir pour
lui souhaiter une bonne fête de la Saint-Jean, en tant que
Québécois à un autre Québécois, et le saluer
aussi à un autre titre, puisque nous partageons avec lui, sur plusieurs
points, la même philosophie sociale et politique. Je crois d'ailleurs que
ce mémoire en témoigne et il me fait plaisir de souligner
à quel point le président du PAPT semble beaucoup mieux
connaître que d'autres groupes anglophones qui sont venus ici
l'évolution récente du Québec dans tous les domaines.
C'est sûrement une base de dialogue très intéressante et
sur laquelle on pourra sûrement bâtir dans l'avenir.
Par exemple, M. Peacodk reconnaît avec nous que la domination
économique de la part des Québécois anglophones est la
raison fondamentale des griefs légitimes de la majorité
linguistique. Je suis heureux aussi de voir qu'il accepte de façon
particulièrement favorable les objectifs du projet de loi en ce qui
concerne le domaine de la francisation des entreprises. Il est parfaitement
d'accord avec nous pour souligner que les grosses entreprises, en particulier,
peuvent facilement prendre les mesures nécessaires pour assurer, non
seulement que les travailleurs francophones puissent travailler en
français, mais aussi que l'accès à tous les niveaux
administratifs soit possible aux travailleurs francophones les plus
qualifiés.
Par la suite, en page 3, j'aimerais cependant poser une question
à M. Peacodk. Quand il dit que la combinaison d'un manque d'accès
à un sys- tème d'éducation pour les travailleurs
francophones et d'un concordat inavoué, mais traditionnel entre les
gouvernements antérieurs et le monde des affaires du Québec a
été grandement responsable du déséquilibre anormal
entre le pouvoir économique des Québécois anglophones et
francophones, à quoi plus précisément fait-il allusion? Je
serais intéressé à avoir des illustrations ou des exemples
à l'appui de cette affirmation.
M. Peacock: Je suis venu ici il y a vingt ans. Quand je suis
arrivé ici, j'ai trouvé tout de suite que, dans l'opinion du
public, les écoles protestantes valaient mieux que les écoles
catholiques. On ne trouvait pas que c'était vrai, dans le temps. On
avait très peur du système secondaire pour les francophones.
C'est ce à quoi je fais allusion.
Le Québec a toujours été souverain en
éducation. Qu'est-ce que vos anciens rois-nègres, si je me
permets l'expression qui vient de quelqu'un d'autre, ont fait avec ce pouvoir?
Ils ont créé un système de collèges classiques pour
l'élite, les gens riches ou quelques-uns qu'ils ont choisis, ils ont eu
une formation politique et légale plutôt que de les former pour
entrer dans le monde des affaires. Il y avait même peut-être chez
mes camarades que vous connaissez, dans ce temps-là, une certaine
répugnance pour le monde des affaires. Cela n'était pas leur
affaire, c'était aux Anglais.
Je crois que l'Eglise a contribué un peu à cette
idée; je ne peux pas faire des affirmations statistiques sur ça,
mais j'ai eu l'impression que les gouvernements d'il y a un siècle n'ont
pas vraiment donné à la population francophone, à la
population, aux gens ordinaires, l'occasion de choisir eux-mêmes s'ils
voulaient entrer dans le monde des affaires, au Parlement de Québec ou
rester camionneurs.
Depuis dix ans, ils leur ont donné ce choix et cela a
changé énormément le système, mais peut-être
souffrez-vous toujours un peu de ce complexe de paternalisme, parce que vous
devez protéger votre peuple. Il n'a pas besoin de protection, ces
jours-ci. Il a ses écoles et son génie naturel. Je ne peux pas
affirmer qu'il y a eu une concordance entre les anciens gouvernements, parce
que c'était inavoué, mais j'ai eu nettement l'impression qu'ils
parlaient noir à Chicoutimi et blanc à Montréal.
Si vous n'êtes pas d'accord, je ne peux pas vous le prouver.
M. Laurin: Comme beaucoup d'autres groupes, vous soulignez que
les anglophones du Québec se sont éveillés avec de plus en
plus de vigueur à la nécessité de l'apprentissage de la
langue française pour leurs élèves. Vous citez
évidemment à l'appui de cette affirmation, de cette prise de
conscience les classes d'immersion qui ont actuellement une grande faveur dans
le milieu anglophone. Mais M. Fox, hier, en réponse à des
questions, nous a dit que les classes d'immersion, même si elles
étaient pour lui un instrument valable en milieu anglophone,
l'étaient peut-être beaucoup moins en milieu francophone en raison
de différences d'environnement.
J'aimerais avoir votre avis là-dessus.
M. Peacock: Je n'apprécie pas beaucoup que le
président Charbonneau, par exemple, parle des deux situations en
même temps, parce que, moi, je me suis abstenu de faire des commentaires
sur la politique de la CEQ dans le système français, parce que si
je suppose, si j'ai l'idée que le français est une langue
rétrograde et que l'anglais est une langue dominante, avec une langue
dominante, il n'y a aucun danger pour les enfants qui parlent cette langue
d'entrer en immersion très tôt. Pour les français, je n'ose
pas leur dire la même chose, parce qu'il faut bien qu'ici ils apprennent
l'anglais d'une façon ou d'une autre. Je ne propose pas que, dans les
écoles françaises du Québec, on entre dans un
système d'immersion tout de suite. Peut-être que les parents
veulent ça, mais il y a peut-être des dangers, parce qu'il faut
d'abord, si je comprends bien la pédagogie qu'il y a derrière
ça, que l'enfant soit sécure dans sa propre langue avant de
commencer à apprendre une autre langue. Etant donné que je ne
peux pas affirmer que tous les enfants francophones sont sécures dans
leur propre langue, je ne propose pas que le système français
adopte le même système, mais ça ne veut pas dire que notre
système ne marche pas. Je sais que ça marche.
Je sais très bien que, souvent, les statistiques émanant
du Protestant School Board sont un peu "self-serving". Je ne sais pas comment
cela se dit en français. Il n'y a pas vraiment de bonnes statistiques;
surtout que les professeurs Lambert et Tucker, qui ne sont pas des
pédagogues, oublient toujours, dans leur analyse du succès de
leur programme sur la rive sud, l'interaction humaine entre le professeur et
les enfants.
En tout cas, j'ai deux enfants qui sont passés par le
système d'immersion et qui parlent français. Ils ne parlent pas
beaucoup, parce qu'ils n'ont pas beaucoup d'occasions, parce qu'il y a
très peu de gens à qui ils peuvent parler. Mais ils en sont
capables. Pourquoi cela? C'est parce qu'un enfant est bien capable d'apprendre
n'importe quoi avant l'âge de neuf ans. Ensuite, paraît-il, ce
n'est pas facile d'apprendre une autre langue, cela diminue.
Je connais d'autres enfants qui sont sécures dans leur propre
langue et qui sont maintenant potentiellement bilingues.
M. Laurin: J'accueille, par ailleurs, avec un
préjugé très favorable, le souhait que vous formulez en
page 6; vous souhaitez fortement que la diminution de population scolaire, dans
les écoles anglophones, qui arrivera, de toute façon, avec
n'importe quelle loi, en vertu de la baisse de la fécondité de
nos familles, n'aboutisse pas à cette situation déplorable
où un grand nombre d'enseignants anglophones perdraient leur emploi, et
vous demandez assez logiquement au gouvernement qu'il adopte des mesures, si
jamais cela se produisait, qui permettraient par exemple le recyclage gratuit
des enseignants anglophones et une priorité d'affectation.
Serait-il possible que ce recyclage prépare des enseignants
anglophones, par exemple, a venir enseigner l'anglais, mais dans les
écoles françaises? Si je suis bien informé, on me dit que
c'est très difficile, actuellement, pour les écoles
françaises, de recruter du personnel enseignant anglophone pour
l'enseignement de l'anglais dans les écoles françaises.
Est-ce que vous avez une opinion là-dessus ou des suggestions
à nous faire, aussi bien pour le présent que pour l'avenir?
M. Peacock: Non, je n'ai pas de statistiques, M. le ministre. Il
y a quand même des professeurs d'anglais dans le système
catholique français. Je ne peux pas affirmer s'ils sont bons ou non. On
ne veut pas les remplacer. La même chose va pour eux. Il ne faut pas les
mettre à la porte, parce que vous les trouvez moins adéquats
qu'un anglophone. Non, on ne veut pas les remplacer, surtout que si les
statistiques de McGill sont vraies, d'ici dix ans, il y aura seulement 2400
enseignants dans la PART. Vous parlez d'à peu près 4000
personnes. Même si la CEQ était convertie demain à un
programme massif d'enseignement de l'anglais langue seconde, je vois mal
qu'elle aurait besoin de 4000 personnes, surtout que beaucoup de ces
gens-là ne sont pas des spécialistes de l'anglais du tout. C'est
encore un point majeur que je veux faire valoir. Il y a amélioration
nette dans notre système, parce que nos professeurs parlent
français aujourd'hui, nos profs de français. Mais ce n'est pas
tout cela. Un professeur de gymnastique ou de géographie qui parle
français n'est pas vraiment à cause de cela doué pour
enseigner le français langue seconde. Le seul fait que je sois
anglophone, cela ne me donne pas automatiquement une qualification pour
enseigner l'anglais langue seconde, dans une école française.
M. Laurin: Alors, à quelle mesure pensez-vous, d'une
façon plus précise, quand vous mentionnez ces deux
éventualités: recyclage gratuit et priorité
d'affectation?
M. Peacock: Je crois qu'il devrait y avoir une grande
collaboration avec le ministère dans ce domaine du service public. A
l'heure actuelle, dans notre contrat, nous avons la sécurité
d'emploi qui représente finalement une espèce de congé
payé pour les gens. Ce n'est pas cela qu'on cherche.
Je demande au gouvernement de mettre en oeuvre un programme afin que les
universités nous offrent gratuitement des programmes de recyclage pour
qu'on choisisse une carrière nouvelle, une autre discipline ou
même sortir de l'enseignement.
Il appartient au ministre des Affaires sociales et au ministre de
l'Education de coopérer ensemble, de nous offrir de tels programmes et
d'exercer certaines pressions sur les universités afin qu'elles
prévoient des choses de ce genre.
M. Laurin: En tout cas, en ce qui me concerne, c'est une demande
qui me paraît tout à fait légitime et qu'il me fera plaisir
de transmettre à mes collègues.
J'aimerais aussi évidemment vous poser des questions sur le libre
choix que vous semblez fa-
voriser, même si aucun parti politique au Québec,
officiellement, n'encourage, ne favorise maintenant le libre choix.
M. Peacock: Le ministre le favorise, à ce qu'on m'a dit.
Cela m'encourage énormément.
M. Laurin: Vous me posez d'ailleurs une question directe en page
9 de votre mémoire. Vous me demandez si c'est par vengeance que nous
entendons restreindre aux anglophones qui ont reçu leur instruction
primaire au Québec le droit à l'école anglaise. Non, ce
n'est pas du tout par vengeance. En fait, c'est pour des motifs que vous
évoquez vous-même dans votre mémoire, à la page 8,
quand vous parlez du phénomène que vous dites assez
récent, mais qui dure quand même depuis un bon nombre
d'années par lequel la vaste majorité des immigrants choisissent
de s'intégrer au secteur scolaire anglophone. A cela, s'ajoute le fait
que les statistiques nous révèlent de plus en plus que les
effectifs scolaires anglophones, dans les écoles de Montréal en
particulier, sont surtout alimentés par des enfants qui viennent des
autres provinces du Canada, par rapport à ceux qui viennent de
l'étranger, alors qu'il y a 25 ou 30 ans, c'était le
phénomène inverse.
Il y a donc des données démographiques assez
sérieuses qu'il faut considérer en l'occurrence, en plus du poids
économique que vous avez mentionné, évidemment, au
début de votre mémoire. C'est donc plutôt pour ces raisons
dont les unes sont démographiques, les autres sont
politico-économiques que le gouvernement a pensé à
restreindre ainsi l'accès à l'école anglaise.
Vous dites au début de la page 9 que cette situation changera
rapidement, maintenant que le gouvernement a pris la décision ferme,
délibérée de franciser, dans les délais les plus
rapides possible, le monde des affaires, en vue de faire du français la
langue rentable, la langue utile, la langue indispensable même au point
de vue économique. Il est bien évident que, d'ici quelques
années, cette perception du changement sera plus vive, aussi bien chez
les francophones que chez les allophones, mais nous ne nous faisons quand
même pas trop d'illusions à cet égard. Je pense que ce
n'est pas pas pour demain que le prima économique passera des mains de
la minorité anglophone à la majorité francophone.
On peut étaler cette lente reprise de possession sur des
décades, je crois. Ce n'est donc pas pour l'avenir immédiat. Il
nous paraît qu'il y aura loin de la coupe aux lèvres. Même
si je vous donne raison dans la perspective que vous évoquez, je ne vois
ce résultat possible qu'à long terme, mais il faut quand
même penser au moyen terme et au court terme aussi. C'est en pesant ces
diverses variables, ces diverses perspectives que le gouvernement a pris cette
décision qu'il est cependant prêt à reconsidérer,
comme je l'ai d'ailleurs déjà dit à quelques reprises,
surtout maintenant, au fur et à mesure que nous approchons du
débat de deuxième lecture. Mais il reste que, pour toutes ces
raisons, d'une part, nous rejetons le libre choix, bien sûr, et, pour le
moment, nous avons pensé que cette solution restrictive était
justifiée ou justifiable, en raison des circonstances.
A l'appui de votre thèse, vous évoquez également
deux miracles qui se seraient produits. Le premier serait un miracle
francophone qui a vu un grand nombre de citoyens partir des campagnes et
arriver dans les villes pour travailler dans les usines. Vous dites que ces
travailleurs francophones sont arrivés maintenant. Je serais
porté à dire: Ils sont arrivés, mais dans quel
état? Vous dites vous-même, d'ailleurs, qu'ils ont
travaillé en anglais ou en franglais. Les conséquences de ce fait
d'avoir travaillé en franglais durant si longtemps sont perçues
comme une menace sérieuse à la qualité de la langue et
même à la culture de ce groupe. Si des mesures énergiques
ne sont pas prises précisément au niveau de la francisation des
entreprises, on peut entretenir des craintes, non pas quant au maintien de la
langue française au Québec, mais quant au maintien d'une langue
qui se respecte et d'une culture qui reste dynamique. D'ailleurs, c'est
peut-être parce que vous en étiez vaguement conscient que vous
avez employé ce verbe "survécu" au lieu du verbe "rayonner" qui
aurait pu vous venir au bout de la plume.
Vous parlez aussi de l'autre miracle qui est moindre, mais que vous
appelez quand même miracle, qui se serait produit du côté de
la minorité anglophone. Vous dites constater une compréhension
croissante de la part des Québécois anglophones à
l'endroit des francophones, et compréhension croissante aussi de leur
part qu'ils sont une minorité. Je pense avec vous qu'il y a , en effet,
une évolution en ce sens. Cependant, si j'en crois la plupart des
mémoires que les groupes anglophones ont envoyés à cette
commission, je pense que le miracle n'est pas encore très vif. Il est
peut-être en gestation. Pour moi, il ne s'est pas encore produit,
à moins qu'il n'y ait des événements ou des constatations
valides et valables que vous ayez faites et qui ne transparaissent pas à
travers les opinions officielles des groupes qui sont venus à cette
commission.
Donc, sans nier le fait de cette évolution que je constate et que
vous êtes peut-être mieux à même que moi de constater,
je n'en tirerais peut-être pas des conclusions aussi optimistes que vous
à l'heure actuelle, en tout cas, pas assez optimistes au point de
justifier à nos yeux un brusque changement de parcours. Je voulais vous
soumettre ces considérations et vous demander quels commentaires elles
pouvaient évoquer chez vous.
M. Peacock: Si je peux me servir d'un mot de M. Bienvenue, ce
n'est qu'un "feeling" de ma part. Vous devez constater quand même que la
plupart des mémoires ont été déposés par des
membres de l'establishment. Evidemment, comme je l'ai déjà dit,
je suis plutôt athée. Je ne crois pas aux miracles de
l'establishment; c'est assez rare. Il y a un peuple là-bas. Vous savez,
nous avons tous la tendance à parler des anglophones, des francophones,
des Grecs, des Ukrainiens, comme si tout le mon-
de était pareil. Il y a au Québec une espèce
d'establishment de l'Ontario orientale qui est très arrogante, qui me
répugne et qui répugne à la plupart de nos enseignants.
Chez les gens ordinaires des classes moyennes, des classes ouvrières, il
y a un changement. L'establishment ne change que quand vous le forcez à
changer. C'est peut-être une affaire de génération, comme
vous avez dit. Peut-être que ce sont les jeunes qui vont changer. Il y a
des gens qui sont trop vieux pour changer. En tout cas, il y a une nouvelle
génération qui est très ouverte à l'idée de
profiter de cette culture populaire française, qui veut apprendre le
français, qui veut entrer dans une société où leurs
droits seront respectés. Ils veulent parler anglais, mais ils veulent
parler français aux Français et accepter que le français
soit la langue normale de communication. Cela existe chez les jeunes qui ne
sont pas encore touchés par l'arrogance qui vient avec le
succès.
M. Laurin: Bon! De toute façon, il y a quand même,
en dépit de ces nuances que nous venons d'évoquer de part et
d'autre, une conviction et un souhait que je partage avec vous et qu'il me fait
particulièrement plaisir d'évoquer en cette vigile de la
Saint-Jean, c'est celui et celle que les adversaires présumés
deviennent de plus en plus des partenaires pour le reste du chemin qu'il reste
à parcourir et pour la maison que nous devons édifier
ensemble.
Je vous remercie.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Mme le député de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier
le président de l'Association provinciale des enseignants protestants
d'être venu devant la commission présenter son point de vue.
Je voudrais passer immédiatement à des questions. Vous
mettez en garde le ministre de l'Education vis-à-vis de la mise sur pied
d'enseignement d'autres langues ou de programmes en d'autres langues que
l'anglais ou le français. Je voudrais que vous me disiez... J'avais
l'impression qu'à la commission scolaire où vous enseignez
je ne sais pas si vous enseignez à la commission scolaire du
Bureau métropolitain des écoles protestantes, on avait certaines
expériences de ce type avec la communauté grecque en particulier.
Est-ce que je me trompe ou si c'est le cas? Quel est le succès de cette
expérience?
M. Peacock: J'ai l'impression que la plupart de nos jeunes Grecs
fréquentent les classes de grec fournies par l'Eglise ou par la
société panhel-lénique, la Fédération
hellénique de Montréal. Quant à moi, c'est une mauvaise
chose que l'école publique ne fournisse pas à ces enfants le
moyen de s'identifier. Ce devrait être intégré dans les
cours. C'est pourquoi j'approuve ce que propose le ministre Morin. Mais nous
avons trop vécu, dans le passé, des expériences où
le ministère de l'Education sortait une bonne idée et
l'implantait à l'envers. Il décidait que ça devait se
passer avant de créer les ressources nécessaires. On ne peut pas
tout faire dans une école sans les ressources. C'est tout ce que je veux
dire. A l'heure actuelle, je ne suis pas au courant s'il y a maintenant des
classes en grec fournies par la commission scolaire protestante de
Montréal. Si c'est vrai, c'est une bonne chose, mais, en principe, la
plupart de nos Grecs fréquentent les classes privées pour garder
leur grec.
Mme Lavoie-Roux: Alors, vous n'êtes pas au courant si,
à l'intérieur du PSBGM, il y a des programmes particuliers, je ne
veux pas dire que c'est du grec à 80% ou 75% du temps, mais je pensais
qu'on avait fait un effort pour tenter de servir certains groupes culturels
dans leur langue et leur transmettre certains éléments de leur
culture, comme on avait fait avec les groupes noirs, également. Vous
n'êtes pas au courant de cette question?
M. Peacock: Je ne crois pas qu'ils aient fait ça, et si
vous avez fait mention des Noirs, tout ce qu'ils ont fait, ils ont mis un
coordinateur qui devait faire enquête sur les problèmes des Noirs.
On a mené une bataille auprès de la commission, il y a cinq, six
ans, pour obtenir ce qu'on appelle "Black Studies", mais ça n'a jamais
été implanté jusqu'à l'an dernier. Mais c'est un
cours d'intérêt très minime, quoi, dans l'école
secondaire. On ne fait pas assez pour recevoir nos enfants, parce que le
phénomène qui se produit, c'est, par exemple, un jeune Grec qui
arrive dans nos écoles, s'il est intelligent et veut apprendre, plus il
apprend, plus il se trouve isolé et écarté de ses parents.
C'est une tragédie. Le comité anglophone a beaucoup plus
d'expérience d'assimiler, d'intégrer les non-anglophones dans
leur système, mais ils l'ont fait par une espèce de "melting pot"
froid. Vous devez profiter de leur exemple, si vous voulez maintenant recevoir
les non-francophones dans votre système, ne faites pas le même...
D'après moi, ce qu'on a fait était anti-humain dans le
passé. On a demandé à ces jeunes Grecs et à ces
jeunes Noirs, jeunes Italiens, n'importe qui, de se transformer en une
espèce de "Canadian".
Alors, en perdant ses chères traditions, sa civilisation... Je ne
crois pas que le Protestant School Board of Greater Montreal puisse
déclarer maintenant qu'il accepte, qu'il a assez de respect pour la
langue d'origine des enfants qu'il reçoit. Ce n'est pas vrai.
Mme Lavoie-Roux: Je ne voudrais pas créer une fausse
impression. Ces gens ne sont pas venus nous dire cela, mais j'avais fortement
l'impression que de tels programmes existaient. Il se peut que je me trompe,
c'est pourquoi je vous posais la question et je réalise que vous
n'êtes pas au PSBGM.
Du côté, par exemple, des classes des enfants grecs, il y
avait des matières qui, justement, tentaient de rejoindre la culture de
ces enfants. Je pense que vous n'êtes pas au courant de cela.
M. Peacock: Ces classes sont organisées par la
communauté panhellénique pour les Grecs et par le "Board of Black
Studies" pour les noirs.
Mme Lavoie-Roux: D'accord. Vous nous avez dit tout à
l'heure qu'il y avait à peu près 20% des enseignants qui,
maintenant, étaient des francophones, tant au PSBGM, je crois, ou dans
la région de Montréal que sur la rive sud ou du côté
de Châteauguay. Ces francophones sont-ils des Canadiens français
ou sont-ils d'origine européenne? Parce que, pendant une assez longue
période, à cause de la fameuse question de la
confessionna-lité, je pense qu'au PSBGM je m'excuse de me
référer au PSBGM; ils étaient mes voisins et c'est ceux
que je connais davantage les enseignants venaient davantage de l'Europe
que...
M. Peacock: La plupart de nos professeurs de français
étaient des anglophones.
Mme Lavoie-Roux: Oui.
M. Peacock: II y a dix ans, avec la libération de
l'Algérie et du Maroc et beaucoup de remous au Moyen-Orient, il y a
beaucoup de Juifs francophones qui sont venus dans notre système. A ce
moment, la commission scolaire protestante a ouvert des écoles de
français, langue première. La plupart de leurs professeurs
étaient d'origine marocaine, ils étaient des Juifs sefardim... et
quelques Français et Belges, d'autres personnes qui étaient des
protestants, des non-catholiques.
Depuis trois ou quatre ans, je m'aperçois ce qui me
gêne souvent que nous avons beaucoup de membres du parti
gouvernemental dans nos écoles. Je blague, évidemment. Je suis
très content de les voir, mais il y a de plus en plus de Canadiens
français, surtout dans les écoles élémentaires, les
professeurs de français à l'élémentaire... Je ne
peux pas vous donner de chiffres.
Mme Lavoie-Roux: Mais la tendance est dans ce sens.
M. Peacock: De plus en plus. La deuxième vague de
francophone qui entrent dans le système protestant sont des francophones
du Québec.
Mme Lavoie-Roux: Dans votre mémoire, vous faites allusion
au problème de communication entre les syndicats et les professionnels,
les enseignants, l'administration, etc. Vous demandez que cette communication
puisse se faire en anglais si la commission scolaire est anglaise je
pense que ce n'est pas exactement formulé de cette façon.
Je voudrais vous demander... Dans votre syndicat, vous avez quand
même 20% de professeurs qui sont francophones. Vos communications avec
ces professeurs se font-elles en français et en anglais?
M. Peacock: Je ne représente pas un syndicat.
Jusqu'à cette année, j'ai été président du
syndicat de Montréal. Dans mon syndicat à Montréal, on
envoyait un bulletin hebdomadaire qui était en français et en
anglais. Je n'ose pas dire que toutes les communications étaient en
français, mais on voyait un bulletin d'information concret, avec un
noyau en français.
J'ai fait des efforts pour que notre publication, notre papier, soit un
peu plus francophone. Peut-être doit-on faire notre mea culpa à
cet égard. On n'a pas assez fait dans le passé, mais les
communications de base ont toujours été en français. Il y
avait une communication de base, mais il y a beaucoup d'autres choses qu'on
envoyait en anglais. Ils ont été gentils, ils n'ont pas
demandé de le faire.
A la PAPT, notre communication hebdomadaire est bilingue et le Sentinel,
qui est notre journal, qui paraît à tous les mois, de plus en
plus, il y a du français dans cette publication.
On n'a pas fait assez d'efforts. D'accord. Mais, quand même, on
leur parle en français, on leur donne le droit de parole dans les
réunions générales en français, je réponds
toujours en français, mais franchement, Mme Lavoie-Roux, le
problème dans la pratique, c'est que la plupart de nos dirigeants dans
le PAPT ne parlent pas français. Alors, comme cela, il est un peu
difficile de fournir un service à nos syndiqués en
français, si les chefs ne parlent pas français. Cela change,
peut-être trop lentement, mais cela change.
Mme Lavoie-Roux: M. Peacock, ce n'est pas un blâme que je
veux vous lancer, au contraire. C'est simplement pour savoir quelle adaptation
tente-on pour s'adapter à cette transformation de l'appartenance
linguistique des professeurs à l'intérieur du PAPT. Je peux vous
assurer que j'appuie les revendications ou les représentations que l'on
fait quant à la langue de communication dans une commission scolaire
majoritairement anglophone pour qu'elle puisse continuer, à ses
différents niveaux d'administration, d'être l'anglais. Je pense
que dans les deux sens il faut tenter de respecter l'appartenance linguistique
des individus à l'intérieur des institutions scolaires qui
assurent la culture et la communauté anglophone.
Le ministre d'Etat au développement culturel tout à
l'heure a fait allusion à votre demande pour que les professeurs soient
recyclés, qu'ils aient droit au recyclage gratuit et à la
priorité d'affectation. La question précise que je voudrais vous
poser, c'est: Est-ce que dans votre convention collective il y a sans
doute une garantie de sécurité d'emploi mais, est-ce qu'il
n'y a pas aussi des dispositions qui prévoient du recyclage?
M. Peacock: Non, pas vraiment. On est toujours disponible
à une réaffectation, oui. Mais il faut qu'on mette un peu
d'argent dans cette affaire. Il faut qu'on crée des cours
spéciaux destinés à ces gens-là. Il n'y a pas assez
de fonds. Dans notre sécurité d'emploi, il n'y a pas de fonds
pour des cours de recyclage.
Mme Lavoie-Roux: Est-ce que c'est une disposition qui pourrait
être mise à l'intérieur des conventions collectives?
M. Peacock: Cela dépend du ministre de l'Education et de
la partie patronale en principe, mais espérons qu'il va se rendre compte
que d'ici cinq ans il y aura ce problème des deux côtés,
d'ailleurs.
Mme Lavoie-Roux: Ce serait peut-être plus facile de le
prévoir là qu'à l'intérieur de dispositions
introduites dans la charte. Ce serait probablement à l'intérieur
des conventions collectives. Cette demande est tout à fait
justifiée.
Vous faites allusion à la page 9 à l'esprit revanchard.
Vous parlez de revanche, en fait, et vous vous posez la question. Le ministre,
évidemment, a dit qu'il ne s'agissait pas de cela et je n'ai aucune
raison de mettre en doute ce qu'il dit ni ses intentions. Il reste que
j'aimerais vous référer à un article qui a paru
aujourd'hui dans le Devoir et qui est intitulé: "Le retour de la
pensée mesquine". C'est l'opinion d'une personne, mais je pense que
c'est quand même un sentiment éprouvé par plusieurs. Il est
intéressant de le lire, uniquement, en tout cas, comme objet de
réflexion, sans porter de jugement à l'égard de qui que ce
soit. Je pense que c'est quelqu'un qui fondamentalement semble éprouver
beaucoup de respect pour la Charte et le projet de loi no 1, mais qui met quand
même les individus en garde contre ces sentiments un peu mesquins qui
peuvent entourer tout ce débat du projet de loi no 1.
Je vous conseille de le dire. Il est assez intéressant à
cet égard. J'ai été contente d'entendre le ministre d'Etat
au développement culturel reconnaître qu'il y avait une certaine
évolution dans la communauté anglophone, une évolution
réelle quant aux aspirations de la communauté francophone. Je
pense que c'est peut-être la première fois que je l'entends ici,
à cette commission, reconnaître ce fait, même s'il pense que
c'est assez minime, mais enfin, au moins, il a un début de
reconnaissance. Cela m'étonne toujours pourtant de le voir, avec les
antécédents professionnels qu'il a, ne pas réaliser que
plusieurs groupes qui viennent ici viennent quand même motivés par
des craintes qui peuvent être fondées et le sont certainement
quand on voit les restrictions qui sont imposées quant à la
langue d'enseignement vis-à-vis des membres réels de la
communauté anglophone.
Je pense que ces appréhensions sont fondées. Je pense
qu'il y a aussi un sentiment chez la communauté anglophone qui est
relié d'une part à la peur du changement, mais aussi relié
au fait qu'on ne sait pas quelle sera l'étape suivante. Parce qu'il y a
quand même ici des gens, et le ministre s'en est toujours
dissocié, je dois le dire bien honnêtement, il y a quand
même ici plusieurs groupes qui sont venus demander, dans des
délais peut-être différents les uns des autres, l'abolition
par exemple du secteur anglophone ou du système d'éducation
anglais.
Je pense qu'il faut à ce moment-là comprendre que, quand
ces gens viennent ici, ils semblent être vraiment sur la défensive
et ne traduisent malheureusement pas cette évolution que, pour ma part,
j'ai sentie. Vous avez essayé aussi de l'indiquer, mais là
où je différerais un peu d'opinion avec vous, c'est quand vous
dites: "II n'y a que chez le peuple qu'on sent cette évolution, on ne la
sent pas chez l'establishment."
Moi, la différence que je ferais, c'est qu'il y a une
évolution chez le peuple, comme vous dites, il y en a également
chez une partie de l'establishment, mais je pense que c'est peut-être
plus une question de générations qu'une opposition entre
l'establishment et le peuple. Je pense qu'il y a quand même chez les
anglophones un grand nombre de professionnels, d'hommes d'affaires, mais plus
jeunes, pour qui c'est beaucoup plus facile de s'adapter aux changements qui se
produisent au Québec.
Pour ma part, je pense qu'il y en a plusieurs qui viennent ici nier
cette évolution, mais, dans les faits, elle existe. Je pense que ceux
qui la nient totalement veulent peut-être se fermer les yeux. C'est tout
ce que j'ai à dire et je vous remercie encore une fois d'être
venu, M. Peacock.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Lotbinière.
M. Biron: M. Peacock, je veux vous remercier d'avoir
présenté le mémoire de l'Association provinciale des
enseignants protestants du Québec. J'ai vu avec énormément
de plaisir que déjà plusieurs mémoires aujourd'hui nous
parlent d'un projet collectif ou de vivre ensemble et, à la fin de votre
mémoire, vous nous mentionnez que le Québec devrait être un
modèle de société pour le Canada, vous mentionnez aussi
que nous devrions tous apprendre à vivre ensemble. J'apprécie
énormément ce que vous dites à la fin de votre
mémoire, car, avec ce projet de charte linguistique, nous sommes
véritablement à la recherche d'un projet collectif, d'un
consensus commun où, peu importe la langue que l'on parle au
Québec, on pourra apprendre à vivre ensemble.
Je remarque aussi votre crainte de la bureaucratie gouvernementale.
Plusieurs fois, c'est revenu dans les mémoires au cours de cette
commission parlementaire. Je remarque cette différence, ce manque de
pouvoir économique pour les francophones du Québec. Vous dites
que le système d'éducation du passé a fait en sorte que
les gouvernements passés, ne prenant pas leurs responsabilités du
côté de l'enseignement de l'économie aux francophones,
c'est finalement les anglophones qui ont le pouvoir économique entre les
mains.
C'est exactement ce que je pense personnellement. Vous mentionnez aussi
que vous vous êtes aperçu vous-même que dans le
système francophone, au cours des dernières années, les
quinze dernières années, en tout cas, à mon point de vue,
on a réussi à enseigner un peu plus de ce pouvoir
économique, comment apprendre l'économie, pour nos francophones.
On ne peut certainement pas blâmer les anglophones de cela, mais on peut
blâmer les gouvernements passés qui n'ont pas pris leurs
responsabilités pour enseigner aux francophones les secrets de
l'économie.
Vous mentionnez aussi cette volonté, de votre part, à la
page 6 de votre mémoire, de l'enseignement des deux langues d'une
façon parfaite, soit rehausser le niveau de l'enseignement du
français dans les écoles anglaises. Cela rejoint exactement notre
programme à nous, en tout cas, et en même temps que de l'autre
côté de la médaille, enseigner l'anglais d'une façon
parfaite dans les écoles
françaises. Je crois que c'est aussi important pour les
francophones de pouvoir maîtriser ces deux langues que pour les
anglophones.
J'ai une question à vous poser maintenant. La page 4 de votre
mémoire m'a frappé. Le ministre en a dit un mot tout à
l'heure lorsque j'ai demandé quelle est la raison qui justifie le
ministre Laurin de refuser l'entrée aux écoles anglaises, aux
enfants de parents venant du reste du Canada ou d'autres pays anglophones.
Je remarque qu'un peu plus avant dans votre mémoire, vous nous
parlez de libre choix et un peu plus à la fin de votre mémoire,
en tout cas, au moins, vous vous posez une interrogation, vous dites: Au moins,
c'est cela qui aurait dû être. Est-ce que vous pouvez expliciter
davantage, parce que je vois que vous avez changé d'opinion en
écrivant votre mémoire lentement.
M. Peacock: Je n'ai pas de mandat de marchander sur cette
question. Mais quand même il saute aux yeux que de refuser l'accès
aux Anglais d'Ontario à nos écoles, d'Angleterre s'il y en a, il
y en a très peu qui viennent aujourd'hui, c'est un peu extraordinaire.
Moi, j'ai l'impression que ces gens ne viendront pas à l'école
française. Ils ne viendront pas au Québec s'ils n'ont pas une
école anglaise.
Si je prétends jouer à l'équivoque en posant la
question, non. J'ai essayé de convaincre le ministre de la crainte
exprimée souvent par les membres du parti gouvernemental, que
Montréal sera perdu aux Anglais d'ici quelques années n'est pas
vraie, n'est pas justifiée par les statistiques qui démontrent
que de plus en plus, des immigrants parlent français. Ceux qui viennent
le plus, il y a plus d'immigrants cette année qui parlent
français que ceux qui parlent anglais. C'est un changement net depuis
six ans.
Il y a deux parties à notre point de vue. D'abord, les Anglais
doivent évidemment aller dans les écoles anglaises et tout le
monde, je dis qu'on ne peut pas faire une distinction entre un Italien et un
anglophone. Si la chose était vraiment si anormale que tous les
immigrants continuaient à entrer dans nos écoles, en ce moment,
des mesures coercitives seraient justifiées pour sauver la langue
française. Mais on n'est pas persuadé, on essaie de persuader le
ministre que ce n'est pas vrai.
On trouve que les immigrants s'adaptent beaucoup plus facilement que les
Anglais de vieille couche. Ces gens-là, s'ils croyaient que leurs
enfants pouvaient réussir en français, ils choisiraient beaucoup
plus facilement l'école française. Je crois que c'est une
expérience qu'il vaut la peine d'essayer, pour ne pas ôter le
libre choix à tout le monde, parce que si vous commencez à faire
une distinction entre les gens, vous commencez à faire de la
discrimination.
Laissez au bon sens des immigrants et on créerait au
préalable des conditions où ils seront incités à
entrer dans le système français qui est le système
majoritaire. Autant de ce système économique, c'est
préjudice en faveur de l'anglais comme langue du travail. Presque une
partie de la charte vise à faire exactement cela. Je crois qu'elle va
réussir assez vite. J'ai vu l'expérience en Algérie ou
ailleurs, où les corporations américaines parlent arabe
maintenant.
Non, je n'ai pas changé d'avis. On est pour le libre choix, mais
on essaie de démontrer que la panique n'est pas justifiée quand
on considère les immigrants.
M. Biron: Quelle est votre réaction à la suite de
la publication par le gouvernement canadien, de sa philosophie sur la langue,
en nous disant: La liberté de choix, le libre choix, c'est fondamental,
dans le genre de société dans laquelle nous vivons. Mais d'une
façon temporaire, pour une période de x temps, un gouvernement,
pour des raisons particulières, peut suspendre l'application de ce libre
choix. Quelle est votre réaction là-dessus?
M. Peacock: Je peux peut-être vous parler en anglais: White
man speaks with forked tongue. Vous avez compris? Qu'est-ce qu'on veut dire par
là?
Je trouve cela extraordinaire, puisque vous avez fait mention du
gouvernement fédéral, que, cette année, il a fait une
intervention au Manitoba pour dire que la loi de 1893 était contre la
constitution. Si la loi était contre la constitution, elle l'a
été en 1893. Je n'attache pas beaucoup d'importance à
l'appui du gouvernement fédéral, il joue sur les mots. Si c'est
la question fondamentale, c'est une question fondamentale. On ne peut faire des
exceptions à un principe fondamental. Je trouve cela ignoble de la part
du gouvernement fédéral.
M. Biron: Je vous posais la question, parce que le gouvernement
fédéral a rejoint votre philosophie mot à mot,
textuellement, mais on dit: D'une façon temporaire; une province peut
suspendre l'application de ce droit. C'est pour cela que je vous demande votre
réaction là-dessus.
M. Peacock: Monsieur, c'est tellement mélangé
c'est encore une expression anglaise "you cannot be partially
pregnant" ou peut-être l'expression française, il faut qu'une
porte soit ouverte ou fermée.
M. Biron: A la page 3 de votre mémoire, vous nous dites
que l'anglais doit être reconnu comme étant la langue minoritaire
la plus utile, la plus importante au Québec et vous parlez de la langue
majoritaire. Voulez-vous expliciter cela davantage, ce que vous entendez par
langue minoritaire et langue majoritaire? Comment voulez-vous voir
reconnaître cela légalement dans un texte de loi?
M. Peacock: Je n'ai pas posé de question légale, je
ne veux pas jouer sur ces termes légaux. Je voulais dire qu'il y a des
gens, dans le Parti québécois, à l'heure actuelle, qui
parlent comme si l'anglais doit disparaître, la langue elle-même,
c'est la seule solution au problème. J'essaie de vous indiquer que cela
est irréaliste. Ce n'est pas l'anglais, comme langue, qui tue le
français, c'est
le déséquilibre économique, et ceux qui
prônent cette solution radicale ont tort. C'est cela que je voulais
indiquer.
L'anglais est ici, les Anglais sont ici. Ce ne sont pas des ennemis.
Quelques-uns ont mal agi dans le passé, d'accord, mais oublions notre
chère histoire sur cette affaire-là. A partir d'aujourd'hui, on
pourrait peut-être recommencer un système basé sur le
respect mutuel, parce que la charte doit faire de bonnes choses, elle va
corriger ce déséquilibre et ce n'est pas l'anglais comme tel qui
doit disparaître. Il y a des gens du parti gouvernemental qui parlent
comme si l'anglais était une espèce de maladie contagieuse. J'ai
essayé d'indiquer que, quand même, c'est une langue valable,
très valable, très importante. Je ne me vante pas, c'est un fait
historique, on ne peut pas le faire disparaître.
M. Biron: Voici ma dernière question. A la page 5 de votre
mémoire, vous dites: Maintenant, tous nos professeurs de
français, aujourd'hui, parlent le français. Cela sous-entend-il
qu'il y a quelques années, les professeurs de français ne
parlaient pas français, comme dans nos écoles françaises,
nous avons des professeurs d'anglais qui ne parlent pas l'anglais? Quelle est
votre réaction à cela?
M. Peacock: Quand je suis arrivé ici, je ne comprenais pas
qu'on essaie d'enseigner aux enfants, à l'élémentaire
c'est obligatoire le français en se servant
d'institutrices valables qui étaient unilingues. Comme cela, on
apprenait une espèce de français perroquet, parce que le
professeur devait apprendre par coeur la phrase à répéter
et ensuite l'enfant répétait cela à sa façon. C'est
ignoble, cela. Il y a vingt ans, c'était comme cela; même il y a
dix ans, c'était un peu comme cela. J'ai réalisé un peu
que je disais cela, mais, en pleine connaissance de cause, c'est cela que je
voulais dire.
Maintenant, il y a une différence quantum, nos profs parlent
français. Mais je voulais ajouter à cela que ce n'est pas la
seule chose. Il ne faut pas seulement avoir quelqu'un qui parle
français. Ces camionneurs parlent français, mais je ne les
embaucherais pas comme professeurs de français. Ce sont des gens
gentils, mais ils n'ont jamais compris le problème d'apprentissage d'une
langue seconde. Il faut plus que cela et il y a très peu de cours
linguistiques disponibles pour ces gens et le ministre de l'Education doit s'en
occuper.
M. Biron: Vous seriez prêt à faire une suggestion au
ministre de l'Education concernant les professeurs d'anglais dans les
écoles françaises, au moins, pour qu'ils puissent parler
anglais?
M. Peacock: Non, ce n'est pas mon affaire. M. Biron:
Merci, M. Peacock.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Merci, M. le député de Lotbinière. Une
dernière intervention, le député de Rosemont.
M. Paquette: Merci, M. le Président. Le président
de la Provincial Association of Protestant Teachers nous a dit, en
présentant son organisme, qu'il était plus vieux que la
confédération. Je dirai qu'il est certainement peut-être
plus valable aussi, parce que je me réfère principalement aux
luttes des enseignants francophones auxquelles vous avez participé, aux
luttes de travailleurs aussi, et je vois, dans le contenu de votre
mémoire...
M. Peacock: Ce n'était pas une lutte des professeurs
francophones, c'était une lutte des professeurs tout court.
M. Paquette: Oui, je suis d'accord avec vous.
Je pense que dans votre mémoire, on sent cette
préoccupation et cette perception des choses que nous partageons en
bonne partie, c'est-à-dire qu'il y a dans les différentes
communautés ethniques, bien sûr, des travailleurs, il y a des
hommes d'affaires, il y a des gens de toutes professions. Je pense que vous
allez être d'accord avec cela: Vous dites dans votre mémoire: II y
a une minorité qui détient les leviers économiques au
Québec. Cette minorité est largement anglophone. Est-ce que vous
êtes d'accord avec cela? Je pense bien comprendre votre thèse en
disant: C'est par la reconquête économique des affaires
québécoises par les Québécois ne distinguons
pas l'origine des Québécois que nous allons régler
ce problème de la dévalorisation du français et que nous
allons éviter des mesures restrictives dans le domaine de la langue
d'enseignement.
Vous avez donné des chiffres concernant l'immigration je
pense que ces chiffres sont confirmés qui nous montrent qu'il y a
eu quand même une évolution, que plus d'immigrants arrivent au
Québec et parlent français. Donc, on peut s'attendre à ce
que si on laissait le libre choix, il y aurait plus de gens qui s'inscriraient
à l'école française. Par contre, il y a d'autres chiffres,
qui ne sont pas des sondages, mais un recensement à partir du nombre
d'élèves, qui nous montrent qu'en cinq ans, de 1970 à
1975, la proportion des élèves dans les écoles
françaises à Montréal a diminué de 63% à
59%. A cause du phénomène de dénatalité, la
clientèle des écoles françaises a diminué de 25%
à Montréal, alors qu'elle a diminué de 7% ou 8% dans les
écoles anglaises. Donc, il y a véritablement un problème.
Je partage votre opinion que si on pouvait, comme dans tous les pays normaux,
laisser le libre choix... Par exemple, en Ontario, malgré les
facilités réduites, un Italien, qui arrive et qui veut inscrire
ses enfants à l'école française, peut le faire. Les
Ontariens savent très bien qu'il ne le fera pas et qu'il va inscrire ses
enfants dans les écoles anglaises, ce qui n'est pas le cas au
Québec. Je pense que vous allez être d'accord avec moi
là-dessus.
M. Peacock: Je disais qu'à cause de cette
anormalité et Dieu sait qu'il y a quelque chose d'anormal,
quelque chose qui cloche ici, au Québec les immigrants
choisissent l'école anglaise. Vous allez faire disparaître cette
anormalité avec votre charte, nous l'espérons.
M. Paquette: Je pense que vous êtes d'accord avec nous
qu'avant que la charte puisse avoir des effets sur le plan de la langue du
travail, il faut compter au moins dix ans. C'est inévitable.
Déjà les mesures qui sont prévues dans la charte nous
permettent d'être sûr que dans toutes les entreprises, il y aura
des programmes de francisation en 1983. Cela ne veut pas dire que ces
programmes de francisation seront terminés, loin de là. Alors,
entre temps, est-ce que vous ne jugez pas nécessaire de redresser la
situation au niveau de l'intégration des immigrants à
l'école française? Je ne vous demande pas de nous suivre aussi
loin que nous allons dans la loi no 1, mais au moins cette restriction de
l'accès à l'école anglaise... Parce que si nous ne
restreignons pas l'accès aux écoles anglaises, nous allons nous
retrouver dans quelques années au même moment où nous
travaillerons à franciser les entreprises, des jeunes vont sortir des
écoles et seront intégrés à la communauté
anglophone. Ce sont deux mouvements en sens contraire.
M. Peacock: Si c'était le cas, je serais d'accord avec
vous, mais j'essaie de vous démontrer que c'est moins le cas que par le
passé. Les immigrants s'adaptent beaucoup plus facilement. Je propose la
solution d'inciter l'immigration des francophones ici plutôt que de
diminuer l'immigration des anglophones. Les chiffres de McGill
démontrent en quelque sorte que cette menace que vous voyez d'être
noyé par une vague d'anglicisants est moins vraie que vous ne le croyez.
C'est tellement primordial de retirer ce libre choix qui est une gloire du
Québec. Vous savez, moi aussi, je me sens un peu mal à l'aise en
Ontario, à cause de l'attitude envers la langue française. Je
suis beaucoup plus Québécois, bien que je ne sois ici que depuis
vingt ans. Si on veut résoudre le problème du Canada, on va le
résoudre au Québec. Le Québec a une bonne tradition du
libre choix qui a causé un problème terrible, il y a dix ans,
mais ce problème que je vous propose, est moindre maintenant.
M. Paquette: En tout cas, je pense qu'on diffère d'opinion
sur l'évaluation de la situation, en fait, parce que, sur la
philosophie, moi, personnellement, j'ai déjà dit, à
plusieurs reprises, que j'espérais que, dans quelques dizaines
d'années, nous pourrions ne plus avoir besoin d'une loi comme la loi 1,
particulièrement dans le domaine de l'enseignement, parce que la
société sera devenue française. Ce sera normal d'envoyer
ses enfants à l'école française. Mais tout ça
dépend aussi, en large mesure, vous en conviendrez, d'une
reconquête de l'économie par les Québécois et, pour
faire cette reconquête, ça nous prend les instruments, et ces
instruments, ce sont des pouvoirs politiques, et nous ne les avons pas; nous
devons attendre le référendum qui va nous permettre de nous les
donner, ces pouvoirs politiques. Je ne vous ferai pas un discours sur
l'indépendance. Je vais vous poser une dernière question...
Mme Lavoie-Roux: On va invoquer quel règlement, M. le
Président?
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Dernière question, M. le député de Rosemont, et
très brièvement.
M. Paquette: C'est au sujet de l'article 23. Vous nous dites:
Dans les cas où la langue anglaise ne nuit pas à la langue
française je pense que c'est à la page 7 de votre
mémoire pourquoi ne pas laisser l'usage de l'anglais? Vous parlez
d'émissions, de programmes radiophoniques dans les langues des
différentes communautés ethniques et, évidemment, aussi en
anglais. Vous parlez des agences d'administration civiles qui desservent une
clientèle non francophone. Je pense qu'on est d'accord avec tout
ça, la communication en anglais dans les corps professionnels. Je pense
que la pratique que vous avez mentionnée au PAPT est permise par la loi
1. On demande tout simplement qu'il y ait communication en français, et
si un organisme veut communiquer dans une autre langue, il peut très
bien le faire, et des communications bilingues dans les organismes où il
y a prédominance de gens qui parlent anglais sont tout à fait
possibles.
Maintenant, là où je vous suis moins, c'est lors de
l'allusion que vous faites aux municipalités et aux cpmmissions
scolaires, et je pense que ceci nous amènerait à modifier
l'article 23 du projet de loi. Est-ce que vous ne trouvez pas embêtant,
au. Québec, que, dans des institutions qui desservent des anglophones,
je le reconnais, des hôpitaux, des municipalités, des commissions
scolaires, il y ait beaucoup de travailleurs qui soient francophones? Je n'ai
pas de chiffres en main, à savoir combien il y en a. Ce sont
généralement des gens qui n'ont pas pu poursuivre leurs
études très longtemps, qui ne sont pas nécessairement
parfaitement bilingues. Vous ne trouvez pas normal que ces gens puissent
travailler en français?
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M.
Peacock, très rapidement. Il ne reste qu'une minute et nous
voulons absolument entendre le dernier groupe et donner la chance aux
porte-parole de se faire entendre.
M. Peacock: Je trouve normal qu'un ouvrier, même s'il
travaille pour un organisme anglais, ait le droit de parler français,
mais j'aurai un cauchemar si nos commissaires sont forcés de se parler
en français. Ils parlent très mal; d'ailleurs, ce n'est pas
vraiment bon pour la langue française que les commissaires du Protestant
School Board se parlent en français.
M. Paquette: En terminant, je vous remercie d'avoir
répondu à mes questions. Je pense qu'on est d'accord sur beaucoup
de points, et j'aimerais vous dire que, pour moi aussi, Wolfe et Montcalm sont
morts depuis longtemps.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Merci beaucoup, M. Peacock. Merci à votre association.
M. Peacock: Bonne fête!
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Merci aussi de votre patience, et bonne fête, comme à tous
les Québécois!
Maintenant, j'inviterais l'Association québécoise des
professeurs de français et M. André Gaulin et ceux qui
l'accompagnent à se présenter à la table, s'il vous
plaît.
Je vous demanderais de bien vouloir nous présenter ceux qui vous
accompagnent et vous-même, s'il vous plaît, de même que votre
association.
Association québécoise des professeurs
de français
M. Borduas (Maurice): Permettez-moi d'abord d'excuser M.
André Gaulin, qui devait présenter le mémoire, mais qui a
dû nous quitter la semaine dernière pour aller en France
représenter officiellement l'Association québécoise des
professeurs de français, pour la préparation du congrès de
la fédération internationale qui doit se tenir à Bruxelles
l'an prochain. L'association, l'AQPF, je vais me permettre d'abréger, je
pense, est responsable de l'un des trois thèmes. M. Gilles Dorion, de
notre association, et M. André Gaulin sont coresponsa-bles de
l'organisation d'un des thèmes du congrès de Bruxelles.
Je peux me présenter en toute humilité le premier,'c'est
Maurice Borduas, président national de l'AQPF, et j'ai avec moi, pour
m'accompagner, trois des rédacteurs du mémoire, soit, à ma
droite immédiate, M. Emise Bessette, président-fondateur de
l'AQPF, et M. Christian Vandendorpe, qui est le directeur de la revue
Québec Français, l'organe officiel de l'AQPF, et, à
l'extrême droite ça n'a rien à voir avec les
positions, sauf celle qu'il occupe actuellement M. Jean-Louis
Laverdière, président ex-officio.
M. Laverdière: Ex-président.
M. Borduas: Alors, ce sont mes collègues et
moi-même, M. le Président, madame et messieurs de la commission.
Nous sommes très heureux de vous retrouver. Depuis hier matin, nos
troupes se sont décimées et malgré l'état de
siège, nous avons quand même réussi à
pénétrer dans l'enceinte ce soir.
Maintenant que le calme est revenu, nous sommes très heureux de
pouvoir vous présenter, en toute quiétude, le mémoire que
nous avons demandé à une équipe de bénévoles
de l'AQPF de préparer à votre intention.
Si vous le permettez, nous allons commencer. Vous serez privés du
feu de la Saint-Jean. Nous vous avions réservé un feu d'artifice
dans les préliminaires de notre mémoire.
Alors, je commence par les préliminaires et non pas par le
résumé qui précède.
En déposant aujourd'hui devant cette commission parlementaire,
nous mettons le point d'orgue à dix années de défense et
d'illustration de la langue française. Enfin, la langue est maintenant
reconnue par le gouvernement comme une priorité collective, le plus
délicat et précieux investissement du capital humain
québécois. Enfin le gouvernement du Québec a fait son lit
et ce n'est pas la voie ambiguë de la loi 22-: il a choisi de faire
du français la seule langue nationale des Québécois.
Il le fait avec clarté, modération et
générosité même pour la minorité anglophone
dont la langue avait pris un pouvoir d'attraction assimilateur des groupes
allophones. Enfin, le gouvernement du Québec met fin à l'anarchie
linguistique instaurée politiquement avec la loi 63 et maintenue
jusqu'à ce jour. Le gouvernement a opté pour la solution
politique la moins radicale qui puisse être efficace, à savoir
l'unilinguisme français au Québec.
Bien sûr, il se trouvera des gens pour crier à la
vengeance, à l'intolérance, voire au racisme. Et pourtant, se
venge-t-il l'homme qui arrête la gangrène de son propre corps?
Est-il intolérant le peuple qui met fin à des mesures
discriminatoires dans lesquelles l'ont plongé une situation coloniale?
"Si c'est cela faire montre de racisme, tous les peuples en sont coupables qui
exigent qu'on parle chez eux leur propre langue." Ainsi pensait André
Langevin dans son texte de 1964 intitulé Une langue humiliée. Et
il ajoutait: "Je vois mal qu'on puisse considérer comme du fanatisme le
refus de se suicider."
Il importait donc que le gouvernement de tous les
Québécois joue du scalpel dans le cancer linguistique du
Québec. Nous remercions ceux qui expriment aussi clairement la
volonté politique d'un peuple à parler français, à
vivre en français, à continuer de s'affirmer, dans sa vie
américaine tricentenaire, comme un peuple français sur un
territoire nommé en français. Quoi que diront les
détracteurs de cette loi, il fallait mettre un terme à la route
suicidaire du bilinguisme et redonner au français son mordant
intérieur, son paysage physique, ses raisons sociales, autant dire son
corps et son âme.
Voilà un peuple qui n'a jamais abdiqué et qui n'a pas
l'intention de désemparer devant les prophètes de malheur, devant
des accusateurs désavoués dans leurs intérêts
rapaces vêtus de raisons nobles, devant les tenants de la
résignation morbide qui ne serait qu'un amour ambigu de la mort
larvée.
Voilà un peuple qui aspire à se remettre au monde,
à renaître sans ses difformations historiques, à sortir du
long vertige de l'occupation et du délire séculaire qui a
engendré la pauvreté et la complainte. Qu'on nous reconnaisse en
tant que peuple le droit à la normalité et qu'on nous
concède la dignité d'être nous-mêmes, de le dire et
de le partager. Loin de se fermer au monde en arrière d'un mur,
fût-il de Chine ou de Berlin, ce peuple qui s'affirme français
s'ouvre vraiment à la communauté des peuples en brisant avec la
peur rentrée, la mort polie, l'aliénation originale. Le
poète Miron l'avait affirmé dès 1964: "Je suis jeune et je
suis vieux tout à la fois (...) Je n'ai pas l'air étrange, je
suis étranger (...) J'ai la connaissance infime et séculaire de
n'appartenir à rien. Je suis suspendu dans le coup de foudre permanent
d'un arrêt de mon temps historique (...) je ne res-
sens plus qu'un temps biologjque, dans ma pensée et dans mes
veines.
Les autres, je les perçois comme un agrégat. Et c'est
ainsi depuis des générations que je me désintègre
en ombelles soufflées dans la vacuité de mon esprit(...) C'est
précisément et singulièrement ici que naît le
malaise, qu'effleure le sentiment d'avoir perdu la mémoire(...) Les
mots, méconnaissables, qui flottent à la dérive. Soudain,
je veux crier. Parfois je veux prendre à la gorge le premier venu pour
lui faire avouer que je suis. Délivrez-moi du crépuscule de ma
tête(...) Je suis malade d'un cauchemar héréditaire. Je ne
me reconnais pas de passé récent. Mon nom est "Amnésique
Miron".
L'on ne s'étonnera sans doute pas d'entendre des professeurs de
français citer largement un poète national connu
internationalement, cela dût-il nous mériter encore
l'épithète du député qui nous appelait des
"pelleteux de nuages" comme ce premier ministre qui parlait jadis de l'Office
de la langue française comme de la "bébelle à Laporte". Le
texte du poète traduit le collectif, comme le suicide d'Hubert Aquin
trahissait le nôtre, celui que nous tolérions à la petite
semaine, car Aquin a fait dire à son héros de Prochain
épisode qu'il était du Québec le "reflet
désordonné de son incarnation suicidaire". Gaston Miron traduit
très bien aussi l'état de désintégration d'une
langue supplantée quand il parle des mots méconnaissables. Ce qui
faisait dire à un autre écrivain, Pierre Baillargeon, qu'il avait
tout le dictionnaire sur le bout de la langue. Les professeurs de
français en savent quelque chose.
Une langue ne pousse pas sans culture, pourrait-on dire. Il lui faut un
sol, un environnement, un peuple, une civilisation: ce qu'a fort bien
illustré le livre blanc. Aussi les professeurs de français se
sentent-ils aujourd'hui mieux compris par ce gouvernement. Dans ses Insolences,
le frère Untel demandait en 1960 ce que pouvait faire un professeur
quand il commençait d'avoir tort contre un milieu et un mode de vie
dès quatre heures de l'après-midi, l'heure de fermeture des
classes d'avant la révolution tranquille. Les professeurs de
français de l'AQPF étaient allés plus loin en publiant en
1970 leur Livre noir sous-titré "De l'impossibilité (presque
totale) d'enseigner le français au Québec". Ce qui leur avait
valu la mise au ban dans beaucoup de milieux. Aussi, saluons-nous avec grande
joie l'envers de notre livre noir, le livre blanc ou la possibilité
retrouvée d'enseigner le français au Québec.
Qu'il nous soit quand même encore permis d'indiquer au
départ que notre association qui s'occupe de pédagogie a toujours
établi un préalable à toute mesure pédagogique de
l'enseignement du français au Québec. Ce préalable c'est
le règlement politique de la question du français. Nous estimons
que la présente loi va faire davantage pour l'enseignement du
français au Québec que des constantes injections à fonds
perdus de quelques millions de dollars pour renflouer qui serait restée
politiquement une langue avariée. Beaucoup de nos étudiants
considéraient la langue française comme une langue inutile, ils
vi- vaient souvent dans un milieu d'hommes publics que n'inquiétaient ni
la langue, ni l'orthographe, ni le langage, ni la culture. Est-ce que les
professeurs de français auraient dû porter à eux seuls et
contre la société l'utilité, la promotion et la
qualité d'une langue? Ceci mis en image donne la société
où le patron parle et travaille en anglais, où il n'écrit
pas heureusement pour lui et pour nous peut-être mais
où il s'inquiète que sa petite secrétaire bilingue ne
connaisse correctement l'orthographe d'une langue diffamée et
condamnée. Pour sauver la face. Et les professeurs étaient ainsi
les boucs émissaires d'une démission collective que les opposants
à cette loi prêchent à leur insu.
Nous ne pouvions pas enseigner le français sans poser un jugement
politique. Nous ne pouvions politiser un débat qui l'était de par
sa nature même. Tout comme nous sommes conscients aujourd'hui que le
débat politique actuel emprunte souvent les voies obscures de l'appel
à la tolérance, aux droits de l'homme, voire au chantage
économique pour mieux cacher la domination anarchique d'une
minorité et la réalité légitime d'un peuple qui
veut être lui-même, qui en prend les moyens en toute assurance et
pondération de son jugement.
Nous l'avions noté fermement en 1974 en déposant devant la
commission parlementaire sur la loi 22. L'anarchie avait été
instaurée politiquement au Québec en 1969 avec la loi 63 qui
donnait en pâture aux individus et aux familles un bien collectif
inaliénable, fondement même de l'existence d'un peuple, comme a
dit Gaston Miron. Nous avons souvent noté aussi, comme professeurs de
français, que notre volonté d'affirmer le Québec
français se butait à notre historique situation coloniale. Une
manifestation évidente de ce colonialisme est la difficulté de
parler de la langue de ce pays sans tomber dans la nécessité
d'apprendre l'anglais au Québec. Nous aimerions bien que l'on
départage les questions à discuter. Que l'on doive constamment
dire "et l'anglais" quand nous affirmons notre volonté de parler cette
langue internationale et moderne qu'est notre français maternel
démontre assez notre situation de prostration coloniale, surtout que
l'anglais que l'on veut nous faire apprendre n'a rien à voir avec cette
grande langue et culture de Shakespeare. C'est souvent l'anglais multinational
des hommes consumés, une langue cassée, soumise, offerte,
dégradée et totalement déracinée, une langue
tampon, pour ainsi dire, SOS.
A cet égard, nous voudrions profiter de cette charte du
français pour inviter tous les Québécois à
réfléchir sur la situation linguistique de Montréal tout
particulièrement. Nous voudrions frapper l'imagination de tous, surtout
de ceux qui ont presque repris récemment, sortie des vieux tiroirs du
temps de Saint-Léonard, la thèse éculée d'un
Québec binational et biethnique. Montréal reste dans le monde la
deuxième ville française par sa population. Il y a plus de
parlants français à Montréal qu'à Marseille.
Or, et c'est là le scandale et la démesure
intolérable, plus de 500 000 personnes n'y parlent que
l'anglais, la langue de la domination économique du
Québec. C'est donc dire qu'à Montréal l'anglais est la
langue d'attirance. Combien d'immigrants sont des bilingues anglais-chinois,
anglais-italien ou anglais-grec.
Cette situation finit par nous éblouir. Beaucoup de nos hommes
publics sont alors portés à faire des affirmations gratuites,
telles que le Québec compte 20% d'anglophones, Montréal est une
ville bilingue, etc. Dès lors, que se passe-t-il, sinon une
réduction historique. En accordant, par exemple, 20% de la population
aux anglophones, on leur a concédé 7% d'allophones, dont
près de 6% parlent toujours leur langue. Nous parlons encore d'un
Montréal bilingue, oui, unilingue anglais à l'ouest et
français bilinguisé, massacré, à l'est.
Et ensuite des gens se scandalisent du jouai qu'un numéro
récent des Nouvelles Littéraires définissait comme
"à la fois code de résistance et maladie du français...
pour les riches, procédé littéraire, pour les pauvres, cri
du coeur". Qui ne voit pas ici la nécessité linguistique et
politique de proclamer alors, et Montréal en est l'enjeu premier
le Québec comme un territoire unilingue français, sans
quoi le bilinguisme ne serait, comme Montréal l'illustre si clairement,
qu'une étape de notre assimilation au bloc anglophone minoritaire et
tyrannique. Qui n'a donc pas compris, parmi nous, le sort des francophones de
Louisiane, de Nouvelle-Angleterre et de plusieurs groupes du Canada qui n'ont
d'avenir que dans la mesure où ils pourront trouver appui sur notre
territoire unilingue.
Est-il besoin de le rappeler d'ailleurs, le Québec a toujours
été depuis l'Acte de Québec un territoire français
et les habitants de ce territoire auraient tous dû savoir la langue de
notre peuple et communiquer dans la langue commune. Si les anglophones de
Montréal se considèrent comme Québécois, il serait
peut-être temps qu'ils se mettent à la langue d'usage qu'un
demi-million de Montréalais ignorent toujours.
Les anglophones ne peuvent à la fois être pour nous et
contre nous. Il serait temps qu'ils comprennent qu'ils sont ici une
minorité, il ne leur suffit pas de venir dire en langue anglaise qu'ils
sont en faveur de l'épanouissement du français.
Le gouvernement a raison de vouloir renverser le désordre
linguistique à Montréal et partout au Québec: l'anglais,
langue de nécessité et, à entendre certains, langue de
salut collectif, doit redevenir pour le peuple québécois option
d'une culture possible. Le français, lui, dépossédé
de notre vie économique et politique, doit redevenir pour tous ceux qui
vivent sur le territoire du Québec une langue de toute la vie publique,
politique, économique et nationale. Faute de quoi, notre travail de
professeurs de français deviendra un métier de Sisyphe.
Pourrions-nous rappeler aux membres de cette commission que
déjà, dans les années soixante, le rapport Parent
indiquait comme point d'appui à la réforme de l'enseignement du
français, la motivation socio-économique redonnée aux
étudiants du Québec. Et pour cela, le même rapport, dans
son deuxième tome, demandait au gouvernement d'adopter des mesures
très fermes pour protéger le français, notant l'urgence de
le faire alors il y a plus de dix ans à Montréal.
C'était pour les rédacteurs du rapport une question de justice et
d'honneur. Et la commission ajoutait: "Aucun écolier ne prendra le
français au sérieux à l'école si, à
Montréal particulièrement, les ouvriers, administrateurs et
hommes d'affaires sont obligés de parler anglais dans leur travail
quotidien ou pour obtenir une promotion. Dans le Québec, une excellente
connaissance du français devrait être tout aussi nécessaire
pour réussir dans les affaires."
Comme la période de temps, M. le Président, qui nous est
répartie est relativement brève et que nous n'aurons pas le temps
de lire en entier le mémoire que nous avions préparé
à votre intention, nous vous demandons la permission de le
déposer, en ajoutant , si vous le permettez, deux très
légères corrections à la page 11. Ce sont des corrections
du typographe, n'est-ce pas, non pas de l'auteur.
A la page 11, troisième ligne, nous aimerions remplacer le mot
"privilège" par "tolérance" c'est-à-dire les individus
doivent faire la preuve qu'ils appartiennent vraiment à ce groupe pour
se prévaloir de cette tolérance. Au lieu de privilège.
Et, quatre lignes plus loin, soit à la septième ligne de
la même page, le critère de l'école des parents, et le
texte se lirait comme ceci: "L'article 52 de cette loi introduit un
critère nouveau, d'administration relativement aisée, sans doute,
mais artificiel et dangereux, à notre avis, le critère de
l'école des parents.
Le Président (M. Cardinal): M. Borduas, ceci vous est
accordé immédiatement. Votre mémoire sera mis en annexe au
journal des Débats.
M. Borduas: Maintenant, est-ce qu'il me reste encore un peu de
temps pour donner le résumé des autres parties?
Le Président (M. Cardinal): II vous reste trois
minutes.
M. Borduas: C'est juste le temps qu'il me faut, M. le
Président. Pour les trois autres parties du mémoire, je ne lirai
peut-être pas la conclusion, si je n'en ai pas le temps; elle est quand
même magnifique.
Nous prenons, en bas de la page 1 du résumé, ce qui est
l'essentiel de ce que nous recommandons à la commission. Dans la partie
1, qui parle de la langue d'enseignement, l'AQPF recommande l'école
française pour tous. Elle ne consent d'exemption qu'à la
minorité anglophone et à elle seule, ayant résidence au
Québec, au moment de la promulgation de la loi.
L'AQPF recommande aussi de revenir aux critères de la langue
maternelle pour déterminer l'appartenance aux groupes anglophones. Il
s'agit non de mesurer une connaissance suffisante, c'étaient les fameux
tests, mais d'identifier la lan-
gue maternelle, ce qui peut se faire simplement au moment de
l'inscription par le personnel régulier de l'école. Pour les cas
complexes, on peut ajouter le facteur que retient la loi: l'école
fréquentée par un parent au Québec.
Quant aux faits invoqués pour ne pas empêcher les enfants
d'une même famille de fréquenter l'école anglaise sous
prétexte de ne pas la diviser, cela paraît sans aucun
fondement.
Enfin, l'Etat québécois devra éviter toute
discrimination à l'endroit des immigrants de quelque provenance qu'ils
soient. Les immigrants devront donc tous aller à l'école
française, peu importe leur langue ou leur culture.
Résumé de la partie 2. J'abrège. L'AQPF recommande
que la définition de la norme de la langue française au
Québec tienne compte de notre milieu. Eviter de tomber dans un curisme
étroit, dans une langue imposée de l'extérieur. Il ne faut
pas que soit proposé aux Québécois un modèle
perçu comme étranger. Il y a un français correct d'ici et
qui devrait être proposé en modèle dans les écoles
du Québec.
Evitons donc un modèle étroit et une pédagogie
uniquement axée sur la correction. L'AQPF demande aussi que le
perfectionnement des enseignants, par l'intermédiaire du PPMF devienne
permanent, qu'il soit ouvert à tous les enseignants sans exception avec
un temps de libération accru. L'AQPF demande instamment qu'aucun
enseignement d'une langue seconde ne soit fait au cours primaire. Il faudrait
de plus que l'enseignement des langues secondes soit diversifié et de
bonne qualité.
L'AQPF demande encore une politique du livre qui soit claire. Le livre
n'est-il pas l'un des supports les plus importants de la langue écrite?
L'Etat québécois doit encore voir à ce que soit
assurée la diffusion du livre partout au Québec.
Enfin, que la littérature du Québec soit encouragée
par un effort financier considérable pour aider les écrivains,
les éditeurs et les libraires. En dernier lieu, l'AQPF tient à
attirer l'attention tout particulièrement sur la production du manuel
scolaire québécois qui devrait être rédigé en
français.
Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Gaulin.
M. Borduas: Je m'excuse, M. le Président, mais, pour les
fins de la discussions, je me suis présenté comme Maurice
Borduas. C'est un nom qui n'est peut-être pas connu dans certains
milieux, mais c'est celui que je porte et que je préfère.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. le ministre
d'Etat au développement culturel.
M. Laurin: Je veux d'abord vous remercier pour la musique de
votre texte qui s'est imposée à mon oreille avec beaucoup plus de
force que la fanfare extérieure. Je crois d'ailleurs que ce très
beau texte que vous venez de nous lire et qui est un hymne à la
dignité, à l'espoir, à la nouvelle dignité, au
nouvel espoir des francophones au Québec convient
particulièrement en cette vigile de la Saint-Jean.
Je vous remercie aussi pour cette justification littéraire et
souvent poétique que vous apportez à l'appui du projet de loi du
gouvernement. Contrairement au gouvernement précédent, nous ne
méconnaissons pas, nous ne sous-estimons pas l'appui que peuvent
apporter les poètes aux politiques gouvernementales, car les
poètes sont ceux de notre société qui expriment, la
plupart du temps, les vérités les plus profondes sur la structure
et l'avenir d'un peuple.
Vous avez dit que le gouvernement vous avait compris. Je peux vous dire
aussi que le gouvernement vous a compris. Il se reconnaît en vous de la
même façon que vous vous reconnaissez en lui et il me fait plaisir
de souligner, en ce 23 juin, qu'il est plaisant pour un pouvoir politique de
sentir qu'il fait corps à ce point avec sa communauté
littéraire, avec la communauté des professeurs de
français, qu'il fait corps en somme avec l'âme et le coeur d'un
peuple que vous exprimez et que vous enseignez aussi aux
générations montantes.
C'est pour nous un facteur de joie, car il nous donne un très vif
sentiment d'appartenance, en même temps qu'une réassurance quant
à la justesse de nos politiques, puisqu'elles se situent au coeur du
courant collectif.
C'est donc la raison pour laquelle nous considérons avec beaucoup
de sérieux les arguments que vous apportez à l'appui du projet de
loi et de la politique linguistique du présent gouvernement. Evidemment,
votre mémoire déborde de beaucoup le contenu du projet de loi.
Vous nous faites des recommandations, par exemple, en ce qui concerne le
langage, la langue que vous enseignez. Vous nous prévenez de ne pas
devenir les esclaves de la norme.
Vous ne voudriez pas que le gouvernement et l'Office de la langue
française imposent ici un français qui ne serait pas d'ici, mais
s'attache au contraire à imposer, si on peut imposer une langue, ou du
moins, en favoriser l'usage d'un langage qui est accordé à nos
propres réalités, à la fois réaliste, souple et
accueillant pour nos particularités, mais un français en
même temps qui serait correct, un français qui nous ferait les
héritiers de la famille linguistique à laquelle nous appartenons
et qui nous permettrait la communication facile et intégrale avec toutes
les autres communautés francophones au monde. Je pense que c'est
là un objectif et une règle que nous partageons. Vous vous
inquiétez aussi de la formation des maîtres. Vous voudriez que le
PPMF persiste. Je suis bien d'accord avec vous. Vous nous mettez en garde
contre une fonctionnarisation, une bureaucratisation trop grande de ces
programmes. Vous voudriez que la contribution des professeurs de
français y soient majeure, qu'une coordination s'établisse entre
les professeurs eux-mêmes, les universités qui sont
chargées de la responsabilité effective des programmes, les
conseillers pédagogiques dont vous voudriez voir multiplier le nombre
dans toutes les commissions scolaires, et finalement, le gouvernement. Je pense
que c'est là un idéal de concertation qui va de soi. Il me fera
plaisir de transmettre et d'appuyer votre recommandation auprès du
ministre de l'Education.
Une autre des recommandations que vous faites, m'apparaît
également très importante, c'est la recommandation que vous
faites, soit au ministre de l'Education ou aussi au ministre des Affaires
culturelles, de pratiquer une politique énergique de diffusion du livre,
afin que les écrits de nos poètes, de nos essayistes, de nos
romanciers, de nos dramaturges, dans lesquels nous nous reconnaissons, encore
une fois, soient diffusés le plus largement possible dans tous les coins
du Québec afin que nos générations montantes les
connaissent, s'en pénètrent, en comprennant le message et
apprennent, s'il est possible de s'exprimer ainsi, leur appartenance. Je pense
que cela s'impose, que cela a été trop oublié dans le
passé. Je peux vous dire que votre recommandation est déjà
la nôtre, puisqu'elle apparaîtra dans le prochain livre blanc sur
la politique culturelle que le gouvernement est en train de préparer
actuellement.
M. Borduas: Si vous me permettez, à ce moment, nous savons
que le ministre de l'Education et vous-même, travaillez en étroite
collaboration sur de nombreux documents. C'est peut-être la raison qui
nous fait mettre dans notre mémoire des aspects qui s'adressaient
peut-être et à votre ministère et au ministère de
l'Education, mais en sachant que la commission était l'endroit
idéal pour exprimer nos vues.
M. Laurin: Je fais aussi un sort à une autre de vos
recommandations qui nous encourage à multiplier, ou plutôt,
à encourager la production de manuels scolaires, et
particulièrement, de manuels pédagogiques français. Vous
demandez au gouvernement de mettre à la disposition d'équipes que
les professeurs eux-mêmes pourraient former, l'aide technique dont le
gouvernement peut disposer, également les subventions
appropriées, afin que le nombre de manuels scolaires pédagogiques
se multiplie, surtout face à la prolifération de manuels aussi
bien scolaires que pédagogiques de langue anglaise qui
pénètrent si facilement à travers nos frontières,
malgré tous les filtres que certains essaient de leur opposer. Je pense
que si nous voulons vraiment franciser le Québec, aussi bien au niveau
de l'entreprise qu'au niveau de l'école, aussi bien pour le
présent que pour l'avenir, il importe, en effet, d'adopter une politique
énergique et vigoureuse en ce domaine. Je pense qu'elle est
souhaitée, non seulement par votre association, mais par la Centrale de
l'enseignement du Québec et par beaucoup d'autres voix autorisées
de notre milieu.
Cette politique faisait déjà partie de nos
énoncés du quatrième chapitre du livre blanc, mais votre
plaidoyer de ce soir n'y fait qu'apporter des arguments encore plus
étoffés et plus valables et nous encourager davantage dans cette
voie.
En ce qui concerne le projet de loi en particulier, j'ai retenu surtout
deux recommandations. Vous nous recommandez de persister dans notre
volonté de franciser le paysage, la physionomie du Québec, et
particulièrement le paysage et la physionomie de Montréal. Vous
ne voulez pas qu'une partie de Montréal reste unilingue anglaise et que
l'autre partie de Montréal reste ce qu'elle est malheureusement trop
souvent, une demi-ville ou une demi-agglomération bilingue.
Je pense que là aussi, et vous êtes probablement un des
rares organismes à nous le souligner, vous nous apportez des arguments
à l'appui de notre thèse et qui peuvent compter pour beaucoup
dans la volonté que nous pouvons avoir de mener cette francisation
à bon terme.
J'en viens maintenant à votre recommandation sur la langue
d'enseignement. Je suis d'accord avec vous pour souligner l'importance de
l'enseignement de l'anglais, incidemment. Comme la CEQ, vous nous recommandez
que cet enseignement ne débute qu'à partir du secondaire. Vous
nous apportez d'autres raisons que celles que la CEQ nous avait
apportées. Comme vous savez, ce n'est pas la politique actuelle du
ministère. Je transmettrai au ministre de l'Education votre position
là-dessus et il y pensera lorsque viendra le moment de
reconsidérer la politique qui est actuellement à l'étude
en ce domaine.
Vous nous demandez d'abandonner le critère que nous avons choisi
de l'accès aux études primaires en anglais pour les parents, pour
un retour au critère de la langue maternelle, ou, du moins, c'est ce que
j'ai compris.
Vous nous dites aussi que si nous devions retenir le critère qui
est actuellement dans le projet de loi, il ne devrait servir que de
critère d'appoint. Remarquez que c'est avec cette idée que nous
étions partis. C'est celle-là que nous voulions appliquer. Mais
c'est à la suite d'études longues, laborieuses, que nous avons
cru qu'il nous fallait abandonner ce critère, parce qu'il nous
paraissait conduire d'une façon inévitable aux tests
linguistiques, que nous avions dénoncés, d'ailleurs, autant que
beaucoup d'autres groupes.
Vous nous dites de revenir quand même, d'examiner à nouveau
ce critère de la langue maternelle. Vous nous dites que la
vérification en est très simple, par exemple, par une
déclaration ou en écoutant l'enfant parler, ou en demandant
à un suppléant, durant deux ou trois jours, de demeurer dans une
classe et d'entendre parler les enfants.
J'aimerais bien pouvoir vous suivre en ce domaine et penser que la
vérification puisse être aussi simple. Mais je vous avoue que vous
ne m'avez pas encore convaincu, car ce que nous recherchons, c'est un
critère dont la vérification serait objective et uniforme, et qui
ne laisserait aucune place ou, du moins, la moins grande place possible
à la discrétion et à l'arbitraire. Je sais que cette
recommandation que vous nous faites a été reprise par le Conseil
supérieur de l'éducation, du moins pour certaines de ses parties.
Il va plus loin que vous, évidemment, dans d'autres domaines, mais, pour
l'essentiel, c'est la suggestion qu'il nous fait.
D'autres groupes aussi nous la font, et à la suite de ces
recommandations, évidemment, nous allons faire un nouvel examen pour
voir s'il n'y aurait pas moyen de revenir à ce critère, mais,
en-
core une fois, nos doutes persistent quant à la
possibilité de vérifier d'une façon objective et uniforme
l'application de ce critère.
C'est la principale remarque que j'avais à vous faire
là-dessus, mais peut-être auriez-vous quelque chose à
ajouter à ce que vous avez déjà dit dans le mémoire
à ce sujet.
M. Bessette: Si vous permettez, je vais essayer d'ajouter
quelques considérations. Bien sûr, nous aussi, nous sommes assez
conscients du fait que ce n'est pas nécessairement très facile,
même de faire une simple constatation de la langue maternelle d'un
enfant.
Je serai plus précis. Ce n'est pas toujours très facile.
Ce n'est pas toujours facile, mais, ce qui nous retient, ce sont les
inconvénients de l'abandon de ce critère de la langue maternelle.
Je pense que nous nous expliquons assez clairement là-dessus dans le
mémoire. Abandonner ce critère, c'est renoncer à un
certain moment, au niveau de la mise en application d'une politique telle que
celle définie par les objectifs généraux du projet de loi,
c'est renoncer, je pense, à l'esprit à partir duquel le projet de
loi a surgi.
Devant ce que l'on considère être impossible, identifier la
langue maternelle de l'enfant, on se replie, comme vous venez de le dire sur un
critère objectif, quasi automatique. Quasi, je dis... Bon.
Nous sommes très conscients de l'utilité pratique du
critère de l'école de l'un des parents, mais, encore une fois, de
cette manière, nous ne pouvons absolument pas suivre le principe qui
nous puisque nous sommes là, évidemment, pour illustrer
nos positions et des positions qui sont définies depuis près de
dix ans a toujours guidés, c'est-à-dire que ce pays est
français; dans ce pays, donc, l'école française est le
droit de tous, mais aussi le devoir de tous. Il ne pourra y avoir
d'école anglaise qu'en termes de tolérance, de dérogation
et uniquement pour un groupe bien distinct, bien définissable, qui a des
racines historiques, des racines culturelles, un territoire national. C'est ce
que nous appelons le groupe culturel anglo-québécois.
Si on ne revient pas au principe de la langue maternelle, on est
obligé d'abandonner cette optique qui nous paraît être celle
du projet de loi comme celle du livre blanc. C'est ce que nous trouvons
gênant.
Bien sûr, peut-être que, pour rester fidèle à
cette optique, il faudra, je vais dire, "s'embarrasser" de moyens moins faciles
d'application, mais il nous semble encore que l'enjeu en vaut la peine, et
l'enjeu est une cohérence qui apparaissait très bien dans le
livre blanc et qui apparaît aussi dans le projet de loi no 1, sauf,
peut-être, lorsque, justement, on abandonne le critère de la
langue maternelle de l'enfant pour celui de l'école des parents.
Je donne un seul exemple.
Il nous apparaît désagréable c'est le moins
que je dirai que si le projet reste exactement ce qu'il est, des parents
francophones aient le droit, obtiennent une tolérance d'envoyer leurs
enfants dans les écoles anglaises, et les enfants de leurs enfants
jusqu'à la fin du monde, tandis que d'autres parents francophones,
simplement parce que j'allais dire n'ont pas eul'habileté
ils ont eu la conscience de rester fidèles à la francité
de ce pays, ces parents francophones, eux, ne peuvent absolument pas user de la
même tolérance, de la même dérogation. C'est pourquoi
nous parlons de discrimination assez criante entre francophones, puisque ce
pays est avant tout francophone, cette loi est avant tout faite pour eux, les
francophones, et nous allons, en appliquant strictement le critère
je ne tiens pas ici le critère de la langue de l'école des
parents, mais en reconnaissant le droit à l'école anglaise
à tous ceux qui y sont déjà engagés
autrement dit, en abandonnant là aussi, sur ce point-là aussi, le
critère de la langue maternelle et de l'appartenance culturelle, nous
allons récompenser des gens dont nous ne pouvons franchement pas louer
la conduite depuis que la loi 63 et la loi 22 leur ont ouvert les portes qui ne
devaient pas s'ouvrir. Voilà à peu près l'essentiel de nos
considérations, et nous trouvons cela plutôt grave.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Mme le député de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier
les membres de l'Association des professeurs de français du
Québec d'être venus présenter leur mémoire qui,
comme vous le disiez si bien, est un feu d'artifice en cette veille de la
Saint-Jean. C'est presque la nuit de la Saint-Jean, dans une demi-heure ou
peu.
J'ai des réactions, pour utiliser un terme du ministre, assez
ambivalentes vis-à-vis de votre mémoire. Vous vous en doutez.
Quand je lis votre résumé, je me dis: cela va bien. Quand je
prends le mémoire lui-même, je suis peut-être un peu plus
partagée dans mes sentiments. Même si, avec beaucoup
d'humilité, j'essaie de communier au style très poétique
de Miron, je dois dire que je peux difficilement m'associer à son
pessimisme vis-à-vis de son identité. C'est le message que j'ai
reçu de cette partie que vous avez rapportée dans votre
mémoire.
Je vous dirai également que je vous trouve très
sévères, pour ne pas dire même très durs,
vis-à-vis de la communauté anglophone. Ainsi, quand vous dites
vous y faites allusion en page 7, quand vous parlez d'une
minorité ou d'un bloc anglophone minoritaire et tyrannique en
page 8: "II est temps qu'ils se mettent à la langue d'usage qu'un
demi-million de Montréalais ignorent toujours", je l'ai signalé
tout à l'heure, je pense que ce n'est peut-être pas tenir compte
de la réalité. Mais enfin ces choses dites, je voudrais quand
même vous conseiller la même pièce de réflexion que
j'ai suggérée au témoin qui vous a
précédé. Comme je le disais, elle vaut ce qu'elle vaut,
mais je pense que cela vaut la peine de la lire et d'y
réfléchir.
A la page 4, vous dites, au bas de la page, en parlant de l'enseignement
du français au Québec,
"ce préalable, c'est le règlement politique de la question
du français". Pour moi, ça me semble une constatation un peu trop
absolue, parce que je me disais: Heureusement que vous-même, que vos
collègues et que tous ceux qui vous ont précédés
depuis 1760 n'ont pas attendu que ce préalable ou ce règlement
politique de la question du français soit fait dans les termes où
vous souhaitez qu'il se fasse, parce que je crains fort que plus personne ne
parlerait ou n'écrirait le français au Québec.
Vous dites également, à la page 5, "nos étudiants
considéraient la langue française comme une langue inutile, ils
vivaient souvent dans un milieu d'hommes publics que n'inquiétait ni la
langue, ni l'orthographe, ni le langage, ni la culture". Je voudrais bien
croire que ce soit là la raison principale du
désintéressement de certains de nos étudiants à
l'égard de l'étude du français ou d'une façon
générale, peut-être ce que certains considèrent une
certaine détérioration de la qualité du français,
mais encore là, je pense qu'il y a beaucoup de jugements subjectifs.
Mais il reste que si ce que vous appelez, à la page 8, la motivation
socio-économique qui sera redonnée aux étudiants du
Québec peut accomplir ce qui, à mon point de vue, serait un
miracle de les remotiver pour que l'apprentissage de la langue française
se fasse dans la sérénité, d'une façon qui serait
la plus prometteuse possible pour l'avenir du français au Québec
et que ceci, la loi 1 nous l'apporte, je suis totalement d'accord.
Mais je pense qu'il y a beaucoup d'autres facteurs qui interviennent
dans cette motivation des étudiants.
Votre première recommandation concerne le critère
d'admission à l'école anglaise et je dois vous dire qu'on
s'entend presque, sauf dans l'extension qu'on veut donner au critère que
l'on a retenu, vous soutenez que le critère retenu par la loi 1 est
artificiel et dangereux. J'ai dit qu'il était mécanique et
opportuniste, qu'il était une solution facile qui semblait, en tout cas
à première vue, facilement applicable. Je pense que ce n'est pas
un fondement très solide, parce qu'à mon point de vue, la seule
justification pour avoir des écoles anglaises au Québec, c'est
qu'il y a une minorité anglophone à qui on reconnaît,
historiquement, une contribution à la province et dans ce sens, on parle
de droits historiques, et non pas de droits juridiques.
Justement, parce que ce critère un peu artificiel semble,
à première vue, résoudre un tas de problèmes, je
pense qu'on fait fi, dans l'application, d'un principe plus fondamental, qui
est quand même, d'une part, la reconnaissance d'une autre
collectivité que vous reconnaissez vous-même et qui, d'autre part,
ouvre la porte, je pense, à beaucoup de discrimination. Je me suis fait
un peu d'une façon indirecte reprocher d'avoir dit que
c'était un critère qui était discriminatoire, mais je n'ai
pas encore changé d'idée.
Là où je ne suis pas d'accord avec vous,
c'est-à-dire où je suis encore d'accord avec vous, c'est quand
vous dites que lorsqu'on accorde aux frères et soeurs la permission
je n'ai pas le texte mais je pense que vous dites aussi que c'est
un principe sans fondement quelque part, je suis d'accord avec vous
là-dessus. La seule raison pour laquelle je souscris à cette
pratique ou à cette ouverture, c'est vraiment pour des raisons humaines
ou humanitaires que d'autres jugeront peut-être des raisons de
sensiblerie. C'est la seule raison. Mais, au plan des principes, cela ne repose
pas sur un fondement, parce que c'est aussi discriminatoire à
l'égard des autres qui sont ici depuis plus longtemps, qui ne sont pas
allés à l'école, ou même des frères qui ne
sont pas passés par l'école anglaise alors que toute la jeune
génération la fréquentera. Je pense que vous l'avez
examiné d'assez près.
Vous m'apportez un appui considérable, en venant défendre
ce point de vue que j'aurai peut-être à défendre dans les
mois, pas les mois, j'espère, dans les semaines qui suivent.
M. Guay: C'est à cette heure-ci que ça sort. Mme
Lavoie-Roux: J'en ai jamais fait mystère.
Le Président (M. Cardinal): Encore trois minutes et
demie.
Mme Lavoie-Roux: Trois minutes et demie? J'ai commencé
à moins vingt. Je ne protesterai pas, c'est la veille de la
Saint-Jean.
Votre deuxième recommandation... Je ne m'entendrai pas
là-dessus, mais je pense qu'il est vraiment temps, vous l'apportez, la
CEQ l'a apportée, d'essayer de définir... vous, vous parlez de
normes du français, la CEQ a parlé de français standard,
et de cette nécessité de ne pas se culpabiliser vis-à-vis
la langue que l'on parle et qui peut être différente à
certains égards de ce qu'on appelle le français international,
etc., mais c'est quand même un débat de fond qu'il va falloir
avoir un jour. Il y a les tenants d'une école et de l'autre. Je pense
que ce n'est ni l'un ni l'autre. Je pense qu'il doit y avoir
là-dessus je vous laisse le soin de le trouver des formules ou
des moyens termes qui vont rendre justice aux uns et aux autres, selon les
besoins de chacun et le milieu dans lequel chacun évolue.
Je trouve cela intéressant et je pense que cela sera certainement
une responsabilité que vous aurez de développer cela.
Je vous disais tout à l'heure que vous étiez
sévère.
Là on va m'accuser d'être un peu partisane, mais il reste
que vous admettrez quand même que le programme de perfectionnement des
maîtres de français, de même que l'ajout au service
pédagogique des commissions scolaires ou des écoles d'animateurs
de pédagogie en français sont quand même des initiatives
qui ont été prises par le gouvernement précédent et
qui, je pense, indique le souci que d'autres gouvernements ont eu aussi,
peut-être grâce aux pressions que vous avez mises sur eux et que
d'autres ont mises sur eux, mais quand même, ils ont répondu, dans
une certaine
mesure et, je pense que ce que le présent gouvernement continue
de mettre de l'avant, c'est le prolongement de ce qui est déjà en
place et j'imagine qu'avec le temps ce sera modifié selon les besoins,
cela est normal dans une évolution.
De toute façon, je vous remercie encore une fois et je pense que
vos recommandations sont intéressantes en regard aussi de la politique
du livre que j'ai eu l'occasion de discuter à l'étude des
crédits du ministère des Affaires culturelles. J'y ajouterais une
autre préoccupation dont j'ai parlé au début des
crédits du ministère de l'Education, c'est la question d'examen
de nos bibliothèques scolaires, CEGEP, etc., qui, je pense, auraient
probablement besoin de renouveau et de mise à jour constante et
appropriée aux besoins des étudiants. Je vous remercie
beaucoup.
Le Président (M. Cardinal): Mme le député de
L'Acadie, c'est moi qui vous remercie. J'avertis immédiatement les
membres de la commission que j'ajournerai à 23 heures sine die.
Or, M. le député de Verchères.
M. Charbonneau: Merci, M. le Président. Je voudrais, avant
de débuter, remercier le député de L'Acadie qui, par la
brièveté de sa présentation me permet de faire quelques
remarques, parce que je pense qu'effectivement elle avait commencé
à 22 h 50...
Mme Lavoie-Roux: Cela me fait plaisir, M. le député
de Verchères.
M. Charbonneau: Merci. En fait, je ne voudrais pas
répéter ce que le ministre et Mme le député ont
indiqué, mais il y a une chose sur laquelle je voudrais m'attarder.
C'est à la page 8 et à d'autres endroits dans le mémoire.
Vous indiquez, à un moment donné, la phrase suivante ou du moins
un bout de phrase, parce que cela commence un peu avant "...le Québec a
toujours été depuis l'Acte de Québec un territoire
français et les habitants de ce territoire auraient dû tous savoir
la langue de notre peuple et communiquer dans la langue commune". La remarque
que je voulais faire, c'est qu'en lisant cette phrase ou ce bout de phrase,
j'ai l'impression que cela témoigne d'une partie de
l'ambiguïté qui réside actuellement dans le préambule
de la loi. A ce sujet-là, j'aimerais peut-être préciser
certains concepts qui, je pense, sont fondamentaux dans une discussion comme
celle sur...
Une Voix: ...
M. Charbonneau: Oui, je pense. Vous savez, à 10 h
55...
De toute façon, je pense que ces concepts sont importants, parce
qu'ils sont à la base même d'une bonne partie de l'argumentation
qu'on peut faire et de la légimité, éventuellement, de la
présentation d'une telle loi. Il y a deux notions fondamentales
lorsqu'on discute d'une Charte de la langue française au Québec,
ce sont des concepts de nation et de peuple.
Me référant à l'étude du professeur, Jacques
Brassard, de l'Université de Montréal, je trouve ici, par
exemple, que la notion de nation a deux définitions et que la notion de
peuple a également deux définitions. Pour certains, la notion de
nation trouve son origine dans un sens historique et sociologique et indique,
en fait, une communauté humaine le plus souvent installée sur un
même territoire et qui, du fait d'une certaine unité historique,
linguistique, religieuse ou même économique, est animée
d'un vouloir vivre commun. Il y a une autre définition du terme
"nation"; cette seconde définition dérive du droit positif
vraisemblablement sous l'influence de la pensée anglo-saxonne et qui
désigne la nation comme étant une organisation politique qui peut
coïncider ou non avec cette communauté.
Un peu plus loin, dans l'étude du professeur Brossard, on trouve
également une définition du terme "peuple" qui indique que le mot
"peuple" apparaît indiquer que les facultés juridiques ainsi
prévues pourront être exercées collectivement par un groupe
quelconque de ressortissants étatiques. En fait, ce qu'il semble dire,
c'est que la notion de peuple regroupe finalement une notion étatique
oui finalement, des gens qui habitent sur un même territoire. Il
préfère utiliser le terme "nation" dans son sens premier, qui a
un sens sociologique et historique. C'est dans ce sens que nous avons voulu
également utiliser le terme "peuple" dans le préambule de la loi.
A un moment donné également, dans l'étude du professeur
Brossard, on peut trouver une analyse de ce qu'est la notion de peuple
québécois et de nation québécoise. On y dit,
à un moment donné: Un nombre considérable de Canadiens
français au Québec se conçoivent de plus en plus à
la fois comme une société distincte, comme une nation originale.
C'est dans ce sens que beaucoup de Québécois considèrent
que la nation québécoise, finalement, c'est, pour eux, les
Canadiens français du Québec ou les francophones du
Québec.
Le problème, c'est que tant que certaines ambiguïtés
politiques ou certaines structures politiques n'auront pas été
précisées, je pense qu'il serait important dans ce genre de
discussion que l'on a actuellement autour de la nation, du peuple
québécois, de son avenir collectif et de la
légitimité, à ce moment de l'histoire du Québec,
d'adopter une telle loi, de bien utiliser les termes, parce qu'il y a eu
plusieurs mémoires, plusieurs groupes qui sont venus devant nous qui
ont, effectivement, noté cette ambiguïté ou, du moins, ont
semblé ne pas comprendre la façon dont on utilisait le mot
"Québécois" et le terme "peuple québécois".
M. Vandendorpe: Oui, je crois que vous faites allusion au
mémoire de M. Gaston Laurion.
M. Charbonneau: Pardon?
M. Vandendorpe: Je crois que vous faites allusion au
mémoire de M. Gaston Laurion...
M. Charbonneau: En fait...
M. Vandendorpe: ... qui est d'ailleurs l'ancien
président...
M. Charbonneau: ... plusieurs mémoires, surtout de groupes
ethniques ou de groupes anglophones nous reprochaient cette
ambiguïté. Nous, on dit que s'il existe une nation
québécoise dérivée de la nation
canadienne-française et qui regroupe des Québécois
francophones, on considère qu'il est légitime, parce que cette
nation canadienne-française ou franco-québécoise est
à 85% regroupée au Québec, que le peuple
québécois soit imprégné des caractéristiques
nationales de cette nation.
M. Vandendorpe: Oui, on en est bien conscient à l'AQPF et,
pour répondre à l'intervention de Mme le député de
L'Acadie de tout à l'heure, il est certain que les gouvernements
précédents ont entrepris, depuis déjà quand
même plusieurs années et sur les recommandations de l'AQPF, un
train de mesures visant à améliorer la qualité de
l'enseignement du français au Québec. Ces trains de mesures sont
notamment l'opération de précision des programmes, qui est
actuellement en cours, et le perfectionnement des maîtres.
Maintenant, il y a un élément qui apparaît dans le
mémoire de la CEQ et auquel il faudrait que le ministre de l'Education
accorde une assez grande attention, c'est la question de la tâche des
enseignants de français. Nous ne l'avons pas développé
dans notre mémoire, parce que cela a plutôt des implications
syndicales, mais, en prenant connaissance du chapitre rédigé par
la CEQ sur cette question, nous ne pouvons que marquer, devant la commission,
notre parfait accord avec la CEQ sur cette question-là. Il faudrait
alléger la tâche des enseignants de français pour leur
permettre de travailler davantage à la correction de l'écrit.
Si on veut que les élèves apprennent à
écrire à l'école, il faut qu'on les fasse écrire.
Je crois que tout le monde reconnaîtra la banalité ou
l'évidence de ce propos. Si on les fait écrire, il faut laisser
à l'enseignant le temps de corriger les épreuves, et si vous
étiez dans une classe, à l'élémentaire, au
secondaire et, particulièrement au collégial, vous
hésiteriez sans doute beaucoup avant de demander à vos
élèves de vous rédiger un texte de une, deux, trois ou dix
pages. Quand on a 120 étudiants au niveau collégial ou 300,
ça devient vraiment une tâche absolument intolérable.
Il y a un autre aspect qu'il faudrait ajouter et que l'on ne peut
absolument pas minimiser, c'est l'aspect du règlement politique de la
question du français au Québec. Mme le député de
L'Acadie nous trouve pessimistes quand on affirme qu'en 1968, en 1970, nous
pouvions parler de l'impossibilité presque totale d'enseigner le
français au Québec.
Ce n'est pas un excès de langage. Qu'elle nous croit bien. Ce
n'était pas un excès de langage.
Vous avez appris à parler et à écrire le
français à une autre époque. En 1970, il était
pratiquement impossible d'enseigner le français au Québec, et
particulièrement à Montréal, et je crois que la position
qui est amorcée par ce gouvernement de donner au français sa
véritable place au Québec est un préalable
extrêmement important et fondamental pour faciliter et permettre la
tâche des enseignants du français.
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse. Vous avez
l'horloge derrière vous, évidemment. Il est 23 heures. Je suis
obligé de demander le consentement pour continuer.
Une Voix: Quelques minutes, M. le Président.
Le Président (M. Cardinal): Je demande le
consentement.
Mme Lavoie-Roux: Ce serait le temps de prendre ma revanche!
M. Paquette: Faites attention. On voulait abolir l'Opposition,
sauf vous.
Le Président (M. Cardinal): Très
sérieusement. Il est 23 heures passé. Je dois avoir un
consentement unanime.
Mme Lavoie-Roux: Je voudrais que ces messieurs terminent leurs
interventions, mais qu'il n'y en ait pas d'autres du côté
ministériel. D'accord?
Le Président (M. Cardinal): Ce n'est pas un
consentement.
Mme Lavoie-Roux: Non?
Le Président (M. Cardinal): Non.
Mme Lavoie-Roux: D'accord...
Le Président (M. Cardinal): Ce que je désirerais,
je vais vous le dire précisément. Si on me dit qu'on consent pour
cinq minutes ou pour sept minutes ou pour dix minutes, je vais l'accepter.
Mme Lavoie-Roux: Alors, dix minutes. M. Bisaillon: M. le
Président... Mme Lavoie-Roux: Cinq minutes.
Le Président (M. Cardinal): Un instant. Oui, M. le
député de Sainte-Marie.
M. Bisaillon: Sur cette question, j'ai remarqué
tantôt que M. Laverdière, je crois, avait levé la main pour
ajouter quelque chose. A ce moment, je consentirais, mais, si c'est pour
permettre d'autres interventions, d'autres questions de la part des membres de
la commission parlementaire, je ne donne pas mon consentement.
J'accorderai du temps pour permettre à M. Laverdière
de...
Mme Lavoie-Roux: Alors, disons dix minutes.
Le Président (M. Cardinal): II est 23 h 1. Puis-je avoir
un consentement pour continuer jusqu'à 23 h 10, quelles que soient les
modalités de l'emploi du temps?
Mme Lavoie-Roux: Dix minutes?
Le Président (M. Cardinal): C'est neuf minutes. D'accord?
Vous pouvez continuer. A 23 h 10, je devrai me lever et tout sera
terminé.
M. Laverdière: On n'a pas daigné vous interrompre
tantôt, Mme Lavoie-Roux. Maintenant, j'aimerais intervenir en termes
d'expériences très pratiques que j'ai de l'enseignement pour
avoir enseigné depuis sept ans au secondaire et vous expliquer ce qu'on
entend par préalable politique quand on voit notre tâche
d'enseignant du français.
L'école, par définition, n'est pas un milieu fermé
et les étudiants, je fais cette liaison-là avec la citation qu'on
donnait du Frère Untel, les étudiants au sortir d'une classe ou
de l'école, sont dans un milieu, lequel milieu, qu'on le veuille ou
qu'on ne le veuille pas à l'heure actuelle, au niveau du monde de la
publicité, au niveau des communications, laisse place
énormément à l'an-glicisation, peut-être pas en
termes d'apprentissage de la langue anglaise, mais en termes de modèles
qui leur sont présentés et qui sont souvent des structures
anglaises, parce qu'au Québec il n'y a pas de législation
à l'heure actuelle, précise sur cela. Qu'on pense en termes
d'affichage publicitaire, par exemple, où on n'a qu'à se promener
sur le boulevard Sainte-Anne ou à Montréal... On n'a qu'à
aller à Montréal pour voir comment la situation est
dégradée.
Ce n'est pas sans raison qu'on a signalé qu'en termes de prise de
position politique l'île de Montréal représentait pour nous
un problème majeur et c'est là que la situation linguistique au
Québec se jouait, parce que l'école, il faut le voir, n'est pas
un milieu fermé et que les étudiants au sortir ont à
travailler avec la réalité pédagogique qu'est le milieu
social dans lequel ils vivent, qu'est le milieu familial dans lequel ils
vivent. C'est dans ce sens-là qu'au Québec... Ce n'est pas
nouveau qu'on puisse le dire en tant qu'association. Depuis dix ans, de par le
livre noir qu'on a publié en 1970, on l'affirmait. On n'a pas
été écouté à bon droit, on a
été mis au ban et c'est un fait. Malgré tout, on n'a pas
démissionné, les professeurs de français ont
continué, par leur association, à animer les professeurs de
français pour que le plus possible il y ait un enseignement de
qualité qui se donne en français au Québec.
Mais, on a toujours maintenu cette question-là, ce
fondament-là de préalable politique parce que le milieu ambiant
est défavorable à un enseignement réel et efficace du
français au Québec. En plus, parlons à l'intérieur
des classes et c'est lié à la politique, le français,
depuis quelques années est devenu une matière parmi tant
d'autres. Même au niveau CEGEP, par exemple, depuis quelques
années on cherche même à négocier des cours de
français, donc à les enlever d'un programme normal qu'un
étudiant doit suivre pour les remplacer par certains cours qu'on dit
plus utilitaires.
C'est un problème politique, pédagogique, c'est aussi un
problème politique. Les étudiants vivent ce problème. Au
secondaire, ils en sont conscients, on lutte continuellement pour affirmer que
le français doit être une situation normale d'enseignement, comme
on lutte aussi face aux professeurs qui enseignent d'autres matières qui
sont au niveau secondaire maintenant très spécialisées,
malheureusement, pour qu'il y ait un enseignement de qualité qui se
donne dans ces matières.
C'est dans ce sens que le préalable politique et
pédagogique est important; nous faire nier ça, nous faire oublier
ça, pour nous, ça deviendrait une situation complètement
suicidaire. Je vous dis que mon intervention vient en termes
d'expérience d'enseignant et je ne suis pas le seul, on le multiplie
à 1000, 2000 ou 3000 exemplaires, ce témoignage que je vous donne
ce soir. Aussi, en termes de perfectionnement, je termine par ça, c'est
vrai qu'il y a eu des conseillers pédagogiques, le nombre de conseillers
pédagogiques a augmenté. Rappelez-vous que, dans le
mémoire de l'AQPF, lors de la première négociation
collective, mémoire qu'elle déposait au Conseil supérieur
de l'éducation en 1972, on demandait au moins un conseiller
pédagogique par grande régionale au Québec.
A l'époque, il y avait, madame, 12 conseillers
pédagogiques; en 1974, six ans après le lancement du
programme-cadre il y avait 12 conseillers, on les appelait les commis
voyageurs, les conseillers pédagogiques. On a voulu régler cette
situation ou annoncer au gouvernement qu'il fallait agir, pour que ces
conseillers soient réellement des animateurs de français dans le
milieu, chose que, malheureusement, ils n'ont jamais été. Ils
n'ont été bien souvent que des administrateurs
délégués, qui n'animaient absolument pas l'enseignement du
français. C'est par une association comme la nôtre, avec des
faibles moyens, qu'on a réussi, à l'intérieur de colloques
ou de congrès qui réunissaient 650, parfois 700 professeurs de
français, à s'interroger, par exemple, sur les apprentissages,
l'enseignement de l'oral, l'enseignement de l'écrit, l'enseignement de
la littérature.
Mais il n'y a rien de réglé à l'heure actuelle,
malgré les petits efforts qui ont été faits par le
passé.
Le Président (M. Cardinal): M. le député de
Bourassa. Il ne reste que deux minutes, trente secondes.
M. Laplante: Juste trente secondes et cela s'adresse, pour une
fois, la veille de la Saint-Jean Baptiste. Il s'agit de félicitations.
Je voudrais profiter d'une dernière intervention pour féliciter
le député de L'Acadie. Je reconnais en elle une fois de plus son
endurance au travail, car toute seule présente sur les huit membres de
l'Opposition, vous avez su très bien employer votre temps.
Mme Lavoie-Roux: Ce qui compte, c'est la qualité, M. le
député de Bourassa.
Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. le
député de Taschereau.
M. Guay: M. le Président, je m'en voudrais de ne pas
terminer cette soirée par une motion, qui se li rait ainsi et qui serait
adoptée sans débat: "Qu'au moment où nous sommes sur le
point d'ajourner nos travaux pour célébrer le 24 juin, cette
commission qui a pour but d'entendre les Québécois s'exprimer sur
le projet de Charte de la langue française, souhaite au Québec
une fête nationale placée sous le signe de la joie, de la
fierté, de la dignité et de la confiance dans l'avenir".
Le Président (M. Cardinal): A deux minutes de la fin, je
n'ai pas besoin de relire la motion pour prendre du temps. Je pense que j'ai un
consentement unanime. La motion est adoptée.
M. le député de Vanier, vous avez deux minutes.
M. Bertrand: M. le Président, très
brièvement. Est-ce que, même si ce n'est pas inscrit dans notre
livre de règlement, la présidence nous donnerait la permission,
en cette vigile de la Saint-Jean-Baptiste, d'embrasser l'Opposition?
Mme Lavoie-Roux: Cela commence à être dangereux. M.
le Président, je voulais vous dire que tout à l'heure ce
n'était pas un précédent, la motion.
Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse. Le
président étant tout à fait neutre, i I se permettra de le
faire.
Sur ce, si vous permettez, le délai est expiré. Messieurs,
je vous remercie de votre collaboration, au nom de toute la commission. Vous
avez été patients, comme nous le sommes d'ailleurs. En cette
vigile de ia Saint-Jean, je déclare, à 23 h 10, que les travaux
de cette commission sont ajournés sine die.
(Fin de la séance à 23 h 10)
ANNEXE 1
BARREAU DU QUÉBEC
MÉMOIRE
ALA
COMMISSION PARLEMENTAIRE DE L'ÉDUCATION, DES
AFFAIRES CULTURELLES ET DES COMMUNICATIONS
SUR
LA CHARTE DE LA LANGUE FRANÇAISE AU
QUÉBEC (Projet de Loi No 1)
Juin 1977
I INTRODUCTION
Le Barreau du Québec tient tout d'abord à souligner son
accord de principe aux objectifs généraux visés par la
Charte de la langue française au Québec.
Nous interprétons le but visé par la loi comme
étant celui d'assurer que tout citoyen du Québec puisse vivre en
français, dans toute la plénitude du mot vivre, qu'il s'agisse de
son travail, de ses communications ou de ses loisirs.
D'autre part, le Barreau du Québec n'entend pas traiter dans le
présent mémoire de la portée et des effets des
dispositions du projet de loi numéro 1 concernant la langue de
l'administration, la langue de l'enseignement ou la langue des services ou
entreprises, mais se limitera à étudier les dispositions
relatives à la langue de la justice ainsi qu'à celles
susceptibles d'affecter les droits et libertés des personnes.
Il
RECOMMANDATIONS DU BARREAU Peuple
québécois
Nous croyons essentiel que le législateur précise la
définition du mot "québécois" partout où il se
retrouve dans la loi. Tel que le projet est rédigé, en effet, il
semble y avoir contradiction dans le sens à donner au mot
"québécois" selon les endroits où il se retrouve. C'est
ainsi, par exemple, qu'il est évident que le mot
"québécois", dans le préambule du projet de loi, ainsi
qu'à l'article 6, s'applique à la
totalité des citoyens du Québec, quelle que soit leur
origine linguistique. D'autre part, il nous paraît également
évident qu'à l'article 112 b), dans le contexte particulier de
cet article, le mot "québécois" ne réfère alors
qu'aux francophones.
Nous suggérons donc au législateur de préciser,
partout dans la loi, le sens à donner au mot "québécois"
au moyen de qualificatifs partout où cela peut s'avérer
nécessaire comme, tel que mentionné, à l'article 112
b).
La langue de la justice
Nous n'avons pas l'intention d'entrer dans le débat
constitutionnel concernant les articles 11, 12 et 13 en regard de l'article 133
de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Nous sommes conscients
qu'il existe deux thèses à ce sujet. Nous soulignons, cependant,
que, dans notre opinion, les modifications que nous suggérons auraient
certainement pour effet d'enlever tout doute quant à la
constitution-nalité desdits articles.
Article 11 "Les personnes morales s'adressent dans la langue
officielle aux tribunaux et aux organismes exerçant des fonctions
judiciaires ou quasi-judiciaires; elles plaident devant eux dans la langue
officielle, à moins que toutes les parties à l'instance ne
consentent à plaider en langue anglaise".
Le Barreau du Québec recommande la suppression totale de cet
article 11 avec lequel nous sommes en désaccord complet. Plusieurs
raisons motivent notre recommandation à ce sujet.
Disons tout d'abord que les personnes morales, nécessairement,
s'adressent toujours aux tribunaux et plaident toujours devant eux par
l'intermédiaire d'avocats, sauf évidemment devant la Cour des
petites créances. L'avocat, par définition, au Québec,
devra toujours être bilingue, à tout le moins au niveau de la
compréhension des textes et de la langue de l'interlocuteur, puisque
nous vivons dans un système de droit mixte qui tient ses origines
à la fois du droit français et du Common Law. La
compréhension des textes de loi, de la doctrine et de la jurisprudence,
au Québec, exigera donc toujours le bilinguisme à un degré
suffisamment élevé.
Ceci étant dit, nous devons également considérer
que les personnes morales, de plus en plus en vertu des nouvelles lois, sont
formées d'un seul individu qui peut être soit francophone, soit
anglophone. La définition de personne morale, en effet, s'applique tant
aux corporations publiques qu'aux corporations privées et mêmes
individuelles. A ce titre, la personne morale, qui a une entité
juridique propre, peut fort bien être, dans les faits, un individu de
langue anglaise. Au départ, nous disons donc que si l'individu ou le
citoyen de langue anglaise peut conserver le droit d'utiliser sa langue devant
les tribunaux, ne devrait-il pas en être de même de la corporation
qu'il constitue?
Mais, ce qui nous paraît le plus important est que le droit est
une science ou un art extrêmement précis dont l'application,
cependant, est extrêmement nuancée et nécessite dans ses
énoncés, une maîtrise absolue de la langue dans laquelle il
est énoncé. Il est évidemment beaucoup plus facile
d'exprimer les nuances et les subtilités dans la langue même de
l'individu qui s'exprime que dans une langue seconde, quel que soit son
degré de bilinguisme.
Si le bilinguisme des avocats par la voie desquels les personnes morales
doivent plaider et s'adresser aux tribunaux, est tel qu'il permet à
chacun de comprendre les allégués et arguments de l'autre partie,
quelle que soit la langue utilisée par celle-ci, il n'en est pas
nécessairement de même lorsqu'il s'agit d'exprimer sa propre
pensée.
Le rôle essentiel de l'avocat étant d'être le
porte-parole de son client et de représenter les intérêts
de celui-ci, le Barreau croit que l'avocat devrait conserver le droit
d'utiliser la langue au moyen de laquelle il pourra le mieux représenter
les intérêts de ce client. La partie adverse, quelle qu'elle soit,
n'en subirait aucun préjudice puisqu'elle-même est
représentée par un avocat suffisamment bilingue pour comprendre
les allégués et arguments de son adversaire.
Nous reconnaissons, d'autre part, que le législateur a
ajouté à cet article 11 une modification qui n'existait pas dans
le Livreblanc. Cette modification, cependant, nous paraît illusoire en
pratique. En effet, tel que l'article 11 est actuellement rédigé,
les plaidoiries en anglais ne pourraient avoir lieu qu'en autant que toutes les
parties à l'instance consentent à plaider en langue anglaise.
L'une ou l'autre des parties serait alors susceptible de subir un
préjudice; soit que le consentement ne soit pas donné et que les
deux soient obligés de plaider en français, soit qu'un
consentement soit donné et que l'avocat de langue française doive
alors plaider en anglais.
Enfin, une dernière remarque s'impose au sujet de cet article.
Nous n'en voyons en effet nullement l'utilité ni la
nécessité en regard des objectifs généraux
visés par le projet de loi numéro 1, compte tenu de la situation
actuelle. Le bilinguisme nécessaire des avocats existe à un
degré suffisant pour qu'aucune des parties ne soit
pénalisée par le fait que l'une plaide en langue anglaise pendant
que l'autre plaide en langue française et vice-versa. Si toutes les
parties, d'une part, sont représentées par des avocats de langue
anglaise, nous en concluons que cet article n'a aucune nécessité
puisque, tel que rédigé, il ne vise pas à interdire
l'usage de la langue anglaise au niveau des plaidoiries, même lorsqu'il
s'agit de personnes morales.
Dans les circonstances, le Barreau du Québec recommande la
suppression pure et simple de l'article 11 ; ce qui peut se faire sans affecter
en aucune façon les buts visés par la loi.
Article 12 "Tout intéressé a droit que soient
rédigées en français les citations, sommations, mises en
demeure et assignations décernées par les tribunaux et les
organismes exerçant des fonctions judiciaires ou quasi-judiciaires ou
expédiées par les avocats exerçant devant eux".
Le Barreau du Québec accepte le principe de l'article 12, tel que
rédigé.
Nous croyons, en effet, que si le français est la langue
officielle, il est certainement normal que tout citoyen québécois
puisse exiger que les procédures qui lui sont signifiées soient
rédigées en français.
L'application de ce principe, cependant, nous pose des points
d'interrogation. Il n'interdit pas, en effet, la rédaction de telles
procédures en anglais. En d'autres mots, il n'impose pas une obligation
de rédiger les procédures en français mais confère
un droit à celui qui les reçoit, ce avec quoi nous sommes
d'accord. par qui ce droit pourra-t-il être exercé?
L'article 12 parle de "tout intéressé" sans définir
cependant "l'intéressé". Nous croyons que cette expression
devrait être clarifiée et remplacée par les mots "toute
partie qui les reçoit", comment s'exercera ce droit?
Le projet de loi est en effet silencieux à ce sujet. Doit-on
prévoir que le Code de procédure civile soit modifié pour
déterminer la nature du geste ou de la procédure que cet
"intéressé" devra ou pourra poser pour manifester son intention
d'exiger que les procédures qu'il reçoit soient
rédigées en français? Est-ce que ce sera par courrier ou
par procédure? La méthode la plus rapide serait évidemment
la conversation téléphonique mais elle serait susceptible
d'entraîner des difficultés de preuve éventuellement.
Quels seront les effets de l'exercice de ce droit?
S'il était normal de prévoir que les délais sont
suspendus pour répondre à ces procédures jusqu'à ce
que des procédures rédigées en français aient
été adressées ou signifiées à la personne
"intéressée", nous devrions nous objecter cependant à ce
que le défaut d'adresser ou de signifier des procédures
rédigées en français entraîne la nullité de
toute procédure. Dans un tel cas, en effet, des droits pourraient
être irrémédiablement perdus pour le client pour cause de
prescription ou autrement, sans que ce client en soit lui-même
responsable. Il peut arriver, en effet, que des procédures doivent
être rédigées à la dernière minute pour
préserver des droits, et exiger une précision absolue dans les
termes, de sorte qu'un avocat de langue anglaise, faute de temps ou pour toute
autre cause pourrait rédiger ses procédures de dernière
minute en anglais. Son client, qu'il soit un individu de langue anglaise ou de
langue française, ou une corporation, ne devrait pas en être
pénalisé.
Ce sont les quelques mises en garde que nous désirions faire au
sujet de l'article 12. Article 13 "Les jugements rendus au Québec
par les tribunaux et les organismes exerçant des fonctions judiciaires
ou quasi-judiciaires doivent être rédigés en
français ou être accompagnés d'une version française
dûment authentifiée. Seule la version française du jugement
est officielle".
Nous sommes heureux de constater que le législateur a
clarifié cette disposition de sorte qu'il est maintenant clair que le
jugement peut être rédigé en langue anglaise. Nous sommes
d'accord, dans un tel cas, avec l'exigence qu'il soit accompagné d'une
version française dûment authentifiée.
Nous ne pouvons pas être d'accord, cependant, avec la
précision à l'effet que seule la version française du
jugement soit officielle. D'une part l'article 13 ne dit pas qui doit
authentifier la version française. D'autre part, si le juge qui a rendu
le jugement doit le faire, comment peut-il être convaincu que la
traduction est exacte, comment peut-il la corriger si, au départ, il
considérait que sa maîtrise de la langue française
était insuffisante pour lui permettre de rendre son jugement directement
en français?
Enfin, nous sommes tous suffisamment au courant des erreurs
inévitables dans les traductions, par notre expérience
personnelle en quelque domaine que ce soit, pour pouvoir conclure qu'il peut
arriver, à l'occasion, que les versions françaises ne
coïncident pas avec la version originale. Les droits des parties
pourraient alors en être affectés, dans un sens ou dans
l'autre.
Nous suggérons que l'article 13 précise plutôt que:
"Les deux versions du jugement sont officielles et, en cas de divergence, la
version originale prévaut, quelle que soit la langue de cette
version".
Article 35, paragraphe 1 "Lors de l'arbitrage d'un grief ou d'un
différend relatif à la négociation, au renouvellement ou
à la révision d'une convention collective, la sentence arbitrale
doit être rédigée en français ou être
accompagnée d'une version française dûment
authentifiée. Seule la version française de la sentence est
officielle".
L'article 35 du projet de loi devrait également être
modifié pour concorder avec les suggestions qui précèdent
relativement à l'article 13. Une sentence arbitrale, comme tout autre
jugement rendu au Québec, devrait être rédigée en
français ou être accompagnée d'une version française
dûment authentifiée. Dans le cas d'ambiguité quant à
l'interprétation de la sentence, la version originale devrait
primer.
Dispositions générales
Trois articles de portée générale dans des domaines
qui ont toujours préoccupé le Barreau du Québec retiennent
également notre attention dans ce projet de loi.
Article 65, 1er paragraphe "Les projets de règlement du
gouvernement et de l'Office de la langue française relatifs à la
présente loi ne peuvent être adoptés que moyennant un
préavis de soixante jours publié dans la Gazette officielle du
Québec et en reproduisant le texte."
Nous ne pouvons que féliciter le législateur qui impose au
gouvernement et à l'Office de la langue française l'obligation de
prépublier dans la Gazette officielle du Québec tout projet de
règlement relatif à la présente loi. Cette
prépublication permettra en effet aux intéressés de faire
connaître leur point de vue avant l'adoption d'un règlement
définitif. Le Barreau du Québec demande, depuis des
années, qu'une telle règle soit généralisée
à tout projet de règlement et nous sommes heureux de constater
que cette recommandation est suivie ici.
Vu l'importance de cette législation fondamentale, ces projets de
règlement devraient également être soumis à
l'étude de la commission parlementaire.
Article 111,1er paragraphe "L'Office peut exiger de toute
entreprise de moins de cinquante salariés qu'elle procède
à l'élaboration et à l'implantation d'un programme de
francisation".
Si nous n'avons aucune objection à rencontre du principe de cet
article, nous ne pouvons que nous inquiéter des pouvoirs
discrétionnaires qu'il semble laisser à l'Office. Tel que
rédigé, cet article pourrait ouvrir la porte à des
décisions arbitraires et nous paraît extrêmement
dangereux.
Nous recommandons donc au législateur d'incorporer dans l'article
111 le pouvoir de règlementation prévu par l'article 109 de
façon à ce que les critères permettant à l'Office
d'exiger l'élaboration et l'implantation d'un programme de francisation
d'une entreprise de moins de cinquante salariés, de même que les
conditions d'une telle décision de l'Office, soient prévus par
règlement du gouvernement.
Article 172
Nous avons objections aux dispositions de l'article 172 qui ont pour
effet de modifier l'article 52 de la Charte des droits et libertés de la
personne.
En effet, nous devons réitérer ici, les objections que
nous avions faites en 1975 à la restriction qui paraissait
déjà dans l'article 52 et qui prévoyait déjà
que la Charte pourrait, à l'occasion, ne pas s'appliquer à
l'encontre d'une loi postérieure. Si la Charte des droits et
libertés de la personne doit avoir une signification réelle, nous
ne pouvons concevoir qu'on puisse en suspendre l'application. La Charte
consacre et reconnaît des droits fondamentaux. Il nous semble que ces
droits, s'ils sont effectivement des droits fondamentaux, devraient être
nécessairement respectés dans toute loi postérieure.
Nous avons déjà signifié notre approbation aux
objectifs généraux visés par le présent projet de
loi. Il se peut que certaines dispositions de la Charte des droits et
libertés de la personne contredisent ces objectifs. Nous
suggérerions alors que la Charte des droits et libertés de la
personne soit modifiée, si nécessaire, pour la faire concorder
avec le but recherché dans la loi numéro 1.
Appel
Enfin, compte tenu de tous les pouvoirs conférés par la
présente loi, entre autres à l'Office, le Barreau recommande la
création d'un tribunal d'appel, composé de juges et qui serait
investi d'un pouvoir de révision et de cassation. Ce droit d'appel nous
semble essentiel à la protection des citoyens, vu les nombreuses
décisions lourdes de conséquences qui peuvent être rendues
sur un plan administratif en vertu de plusieurs dispositions du projet de
loi.
III CONCLUSION
Tout en réitérant à nouveau son approbation de
principe aux objectifs visés par le projet de loi numéro 1, le
Barreau du Québec présente au gouvernement les recommandations
suivantes: définir et qualifier dans la loi le sens du mot
"québécois" partout où il s'y retrouve; supprimer purement
et simplement l'article 11 ou le modifier de façon à ce que les
personnes morales puissent s'adresser aux tribunaux,et plaider devant eux, dans
l'une ou l'autre langue, selon leur faculté, par la voie de leur
procureur; si l'article 12 devait être modifié pour remplacer le
mot "intéressé" par les mots "partie à qui elles sont
signifiées", en suspendre l'application jusqu'à ce que les
dispositions législatives appropriées aient également
été adoptées pour prévoir la façon dont
cette partie peut exercer son droit et les effets des procédures
retenues à cette fin; modifier l'article 13 afin que, tant la version
originale anglaise que la version française soient
considérées comme officielles et qu'en cas de conflit entre les
deux versions, la version originale prévale; faire la concordance
à l'article 35 avec la recommandation qui précède quant
à l'article 13; prévoir, à l'article 111, que les pouvoirs
qui sont conférés à l'Office s'exerceront en vertu de
critères et de conditions déterminés par règlement
du gouvernement; abroger l'article 172 du projet de loi numéro 1 et
modifier, le cas échéant, entre autres, les dispositions de la
Charte des droits et libertés de la personne pour qu'elle concorde avec
les objectifs visés par la présente Charte.
LE BARREAU DU QUÉBEC Juin 1977.
A N N EX E 2
FÉDÉRATION DES GROUPES ETHNIQUES DU
QUÉBEC, INC.
MÉMOIRE
PRÉSENTÉ A LA COMMISSION
PARLEMENTAIRE
CHARGÉE D'ÉTUDIER LE PROJET DE LOI NO. I
INTITULÉ:
CHARTE DE LA LANGUE FRANÇAISE AU
QUÉBEC.
JUIN 1977 PRÉAMBULE
Toutes les lois, par leur nature, se composent de deux
éléments: a) l'intention du législateur, b) l'expression
de cette intention sous forme écrite et ordonnée.
Le premier élément est forcément d'une importance
supérieure, car il formule le cadre et l'esprit de la loi, alors que le
deuxième élément joue seulement un rôle
méthodique et technique.
Dans cette optique, nous acceptons, en principe, le but visé par
le Projet de Loi no. I, qui veut protéger la langue française
dans la Province de Québec, mais nous ne pouvons pas admettre toutes les
méthodes préconisées dont certaines portent atteinte aux
bases de démocratie, de liberté et d'égalité de
tous les citoyens devant la loi.
Nos objections touchent trois domaines principaux: 1.- les points qui se
rapportent au troisième alinéa du Préambule; 2.- les
articles 11, 60 et 61 du Projet de Loi en question; 3.- le côté
procédural et moral ainsi que celui de la légalité.
Point 1.- Le troisième alinéa du Préambule stipule:
"L'assemblée Nationale entend poursuivre cet objectif dans un climat de
justice et d'ouverture à l'égard des minorités qui
participent au développement du Québec."
Or, le fait de désigner les citoyens en "majorité" et en
"minorités" est discriminatoire dans sa conception même, car il
est contraire au principe fondamental de l'égalité des citoyens.
Il n'y a pas et il ne peut pas y avoir des catégories de citoyens dans
un pays démocratique et civilisé.
A ce propos, nous demandons qu'un article soit ajouté à ce
Projet de Loi pour définir le terme de "Québécois" qui est
utilisé à maintes reprises dans ce texte législatif.
Nous considérons qu'à défaut d'une
définition claire et précise de ce terme, certaines dispositions
de la loi en question risqueraient d'être mal
interprétées.
D'ores et déjà cette lacune a créé une
atmosphère de méfiance, d'appréhension et, parfois,
d'animosité chez certains citoyens concernés par la loi. Et ce
n'est pas sans raison que certains se montrent réticents.
Pour dissiper toute confusion possible et pour éviter tout abus
éventuel, nous recommandons l'adoption de la définition de
"Québécois" que l'honorable René Lévesque, notre
Premier Ministre, formulait récemment dans son discours au Colloque
"Québec - Immigration - Communautés Ethniques" des 4 - 5 juin
1977 et qui se lit comme suit: "Les Québécois sont tous ceux et
toutes celles qui vivent au Québec, qui y gagnent leur vie, qui ont ou
qui sont en instance d' obtenir le droit de vote". Cf. Le Devoir du 6 juin
1977.
Point 2.- Les articles 11, 60 et 61 du Projet de Loi no. 1 sont en
contradiction avec les articles 46 et 133 de l'A.A.N.B., loi qui revêt un
caractère constitutionnel donc prioritaire.
Nous considérons que tous les gouvernants ainsi que tous les
gouvernés sont obligés de s'y conformer sans aucune
exception.
Point 3.- Nous contestons l'article 172 qui se lit comme suit:
"L'article 52 de la Charte des droits et libertés de la personne (1975,
chapitre 6) est modifié par l'addition à la fin, après le
mot "Charte", des mots "ou à moins qu'il ne s'agisse de la Charte de la
langue française au Québec (1977, chapitre... insérer ici
le numéro du chapitre du projet de loi no. 1).
Nous espérons que l'Assemblée Nationale jugera les
priorités législatives selon leur importance morale et non selon
des opportunités politiques.
Ces trois réserves préliminaires susmentionnées
concernant l'intention du législateur risqueraient, si on n'en tenait
pas compte, de provoquer l'inacceptabilité de nombreux articles du
Projet de Loi no. 1.
Critiques et amendements
Aux fins pratiques, nous aimerions souligner quelques principes qui ont
motivé nos commentaires et nos suggestions d'amendements. a)La Charte de
la langue française serait beaucoup plus juste et beaucoup plus humaine
si ses articles restrictifs étaient mis en application progressivement
et dans des délais plus étendus qu'envisagés dans le texte
actuel. Les dates finales pour compléter le processus de la francisation
devraient coincïder avec les dates où les personnes de la langue
maternelle non française sortiraient de l'école prémunies
d'une connaissance satisfaisante de la langue officielle du Québec.
Un immigrant non-francophone de 40 ou 50 ans a encore 15 ou 25 ans de
travail devant lui. Si son employeur devait compléter le programme de
francisation dans un délai de 3 à 6 ans, cet immigrant serait
probablement voué à un désastre pendant les
dernières 10 à 20 années de son existence productive au
Québec.
Il est certain que ceux qui seront le plus durement frappés
seront les pauvres, les ouvriers non-qualifiés et les travailleurs moins
éduqués.
Nous soulignons que ces personnes, futures victimes du changement
précipité, n'ont aucune responsabilité pour une situation
sociale qu'ils ont trouvée en arrivant au Québec situation
qui fut créée et tolérée par de nombreuses
générations qui se sont succédé.
L'impatience et la précipitation qui veulent changer en 3 ou 6
ans non seulement les données linguistiques mais aussi les structures
sociales deux fois séculaires, ne nous semblent ni prudentes ni
justifiables. b) Nous croyons que le principe du bilinguisme devrait jouer un
rôle plus important que celui prévu par le présent texte.
Il devrait concerner plus de personnes, englober plus d'institutions surtout
pendant les périodes transitoires plus raisonnables. c) Nous demandons
que le droit de recours soit plus explicitement reconnu par le Projet de Loi
no. 1, qui ne laisse entrevoir que de faibles possibilités d'un appel
bien sporadique.
Il s'agit, dans notre esprit, d'un recours aux tribunaux
compétents pour en appeler des mesures injustes ou des excès dans
l'application de la loi à l'étude.
Nous passons maintenant à la partie critique de notre
mémoire pour signaler les lacunes que nous avons pu relever dans le
texte en première lecture et proposer des amendements à certains
articles.
Art. 2.- Le droit de "...tout Québécois d'exiger que
communiquent en français avec lui... les diverses entreprises
exerçant au Québec", à notre avis, a- mettra en danger
l'existence de nombreuses petites entreprises; b- privera, à la longue,
la population francophone de certains services compétitifs.
Nous proposons que les petites entreprises soient exemptés de ces
restrictions pour une période de transition d'une dizaine
d'années.
Art. 5.- "Les consommateurs... ont le droit d'être... servis en
français." Nous formulons les mêmes réserves que pour
l'article 2.
Art. 7.- Nous demandons une période de transition plus
étendue que celle prévue dans le Projet de Loi no. 1.
Articles 11, 12, 13.- La remarque formulée à l'article 7
est valable aussi pour ces trois articles. Articles 15, 17, 18.- Nous
recommandons que le bilinguisme soit appliqué dans toutes les
régions dont la population est majoritairement anglophone.
Articles 21, 22.- Nous formulons les mêmes remarques qu'aux
articles 15, 17, 18. Art. 23.- Nous souhaitons une période de transition
plus étendue. Art. 24.- "Seul le français peut être
utilisé dans la signalisation routière."
Nous ne comprenons pas quels seraient les avantages qu'on pourrait
escompter de cette restriction.
Un nationalisme muret conscient n'a pas besoin de ces mesures
coercitives pour poursuivre et s'épanouir.
A notre avis, les signalisations routières devrainet être
bilingues sur les routes internationales et interprovinciales. Il devrait en
être de même dans les districts bilingues habités par un
nombre considérable d'Anglophones.
Pour toutes ces raisons, nous recommandons l'élimination de cet
article.
Articles 25 et 27.- L'intention de ces articles n'est pas clairement
reflété par le texte qui nous paraît équivoque. Si
l'intention est que "les services... et les ordres professionnels doivent
offrir leurs services au public dans la langue officielle" et qu'ils doivent
communiquer avec leurs membres ainsi qu'avec le public en français, sans
vouloir exclure l'utilisation d'autres langues nous sommes d'accord. Mais si
l'intention du législateur est d'exiger uniquement le français
comme langue de communication, avec l'exclusion de toute autre langue, nous
considérons cette stipulation comme une mesure coercitive et nous la
contestons.
Nous recommandons le principe du bilinguisme dans ce secteur aussi.
Art. 32. Nous sommes d'avis que le système des permis
professionnels temporaires "d'au plus d'un an" ne donnent pas les
résultats escomptés. Bien rares sont les personnes qui soient
capables d'apprendre le français dans un délai d'un an; le
problème du renouvellement des permis plonge dans l'incertitude tout
candidat et ce harcellement crée une atmosphère
d'anxiété et de crispation difficile à supporter.
Nous recommandons l'émission de permis temporaires de 3 à
5 ans, selon les besoins et les qualifications du candidat. On devrait obliger
les candidats à passer des examens annuels, successifs et progressifs,
sous peine de perdre le permis. On épargnerait ainsi aux candidats les
troubles de l'anxiété et de l'incertitude, ce qui faciliterait,
par voie de conséquence, leur adaptation et leur intégration dans
la société québécoise.
Art. 37. Nous proposons la suppression pure et simple de cet
article.
Nous n'avons jamais connu de législation similaire dans aucun
pays démocratique. Un tel article donnerait lieu à des chicanes
sans fin et mettrait les entreprises à la merci de la bureaucratie
souvent incompétente ou capricieuse.
Art. 41. Nous acceptons cet article pour les communications
écrites seulement. Nous demandons, en conséquence, que les mots
"ou parlée" soient supprimés. Art. 43. Cet article est
probablement sans précédent dans les annales de la
législation mondiale.
Les gens qui désirent acheter des jouets "anglais" auront un item
de plus sur leurs listes d'achat en allant aux Etats-Unis.
Nous recommandons l'élimination de cet article.
Articles 44 et 45. Nous formulons les mêmes réserves
que pour les articles 25 et 27. Nous nous demandons s'il faut
interpréter le texte comme "... en français" ou uniquement en
français?
Si le législateur entend appliquer uniquement le français,
nous demandons que les petites entreprises soient exemptées de cette
restriction et qu'une période de transition plus étendue soit
reconnue aux autres.
Art. 46. Nous proposons que les messages, signes, panneaux,
enseignes etc. soient répartis en deux catégories distinctes
suivant leur caractère permanent ou provisoire.
Pour les messages temporaires ou provisoires, nous considérons
que dans une métropole touristique et commerciale comme Montréal
ainsi que dans d'autres villes québécoises importantes, l'usage
de l'anglais est indispensable tout en reconnaissant au français sa
prépondérance.
Pour ce qui est des enseignes, panneaux etc. à titre permanent,
nous croyons qu'il faudrait prolonger le délai de transition
au-delà des limites prévues par le Projet de loi no. 1 pour les
grandes entreprises. Il faudrait aussi reconnaître que ces changements
représentent un investissement considérable pour les petites et
moyennes entreprises et que celles-ci n'ont souvent pas les moyens de faire
face à ces obligations en un si court laps de temps.
Nous recommandons enfin sur ce chapitre que l'usage du français
soit obligatoire pour tous genres de publicité.
Art. 48. Nous souhaitons une période de transition plus
étendue pour: a- les personnes morales à but non lucratif, b- les
petites entreprises.
Art. 52. Nous proposons les amendements suivants: a- "les enfants
dont le père ou la mère a reçu, au Canada, l'enseignement
primaire en anglais." b- que le mot "cadet" soit supprimé. c- qu'on
ajoute: "les enfants, résidant avec leurs parents au Canada, qui ont
complété au moins une année scolaire en anglais; les
mêmes droits s'étendent à leurs frères et
soeurs."
Art. 57. Nous proposons de remplacer "du français" par "de
la langue seconde" et l'article se lirait comme suit: "Aucun certificat de fin
d'études secondaires ne peut être délivré à
l'élève qui n'a de la langue seconde, parlée et
écrite, la connaissance exigée par les programmes du
ministère de l'éducation."
Art. 59. Nous recommandons que les Amérindiens et les
Inuits, à leur demande, puissent recevoir l'enseignement en anglais.
Art. 60. Nous demandons que la Charte des droits et
libertés de la personne (1975, loi no. 50) fasse exception aux
dispositions de cet article.
Art. 61. Nous demandons la suppression de cet article. Dans le cas
contraire, nous recommandons que le bilinguisme soit appliqué dans
toutes les régions dont la population est majoritairement
anglophone.
Art. 63. Nous recommandons d'ajouter à cet article "et
interprovinciaux" et nous le lirions comme suit: "Rien n'empêche l'emploi
d'une langue en dérogation avec la présente loi lorsque les
usages internationaux et interprovinciaux le demandent."
Art. 69. Nous proposons de corriger cet article comme suit: "Les
membres du personnel de l'Office sont nommés d'après des
critères qui assurent la représentation dans cet Office de toutes
les couches sociales du Québec et non pas seulement des Canadiens
français. Ces membres sont rémunérés suivant la loi
de la fonction publique (1965, 1ère session, chapitre 14). Art.
75. Nous demandons un mécanisme d'appel pour les items g et h de
cet article. Les litiges éventuels devraient être tranchés
par les tribunaux compétents et non pas par les fonctionnaires de
l'office.
Art. 95. Nous recommandons une période de transition plus
étendue surtout pour les petites entreprises. Le délai de dix ans
(1983) accordé par le Projet de Loi no. 1 est vraiment insuffisant.
Art. 99.- Nous demandons que soit reconnu un droit d'appel à ceux
qui tomberaient sous le coup de cet article pour éviter des abus de
pouvoir éventuels et des mesures arbitraires. Art. 112.- Nous acceptons
cet article sous réserve que l'item b soit explicité plus
clairement et que le terme "Québécois" soit défini suivant
l'interprétation qu'en a donnée le Premier Ministre M.
René Lévesque au Colloque" Québec Immigration
Communautés Ethniques" des 4-5 juin 1977 et qui se lit comme
suit: "Les Québécois sont tous ceux et toutes celles qui vivent
au Québec, qui y gagnent leur vie, qui ont ou qui sont en instance
d'obtenir le droit de vote." Cf. Le Devoir du 6 juin 1977.
Articles 120 à 144.- Nous appréhendons des abus de pouvoir
dans la mise en application des dispositions stipulées dans ces
articles.
Pour cette raison nous demandons un additif comme suit: a- Les
accusations non fondées seront considérées comme une
infraction à la loi et seront pénalisées. Les
calomniateurs c'est-à-dire les auteurs de fausses accusations seront
traduits devant les tribunaux.
b- les accusations anonymes seront refusées et ne seront pas
prises en considération. c- l'article 121 devrait être
complété et lu comme suit: "Une Commission de surveillance de la
langue française est instituée. La Commission de surveillance est
dirigée par un président et est formée de
commissaires-enquêteurs, d'inspecteurs et de tous autres fonctionnaires
et employés jugés nécessaires, qui seront recrutés
dans toutes les couches de la société québécoise
sans distinction d'origines ethniques ni de religions."
Art. 151.- Cet article réglemente la composition du Conseil
consultatif de la langue française et prévoit la nomination d'un
président, d'un vice-président et des membres qui seront choisis
parmi les candidats présentés par des associations
socio-culturelles, des syndicats, les groupes patronaux et les milieux
universitaires. Nous remarquons quand même que l'item b de cet article
reste ambigu quand il parle de la nomination de "deux personnes choisies parmi
celles qui sont recommandées par les associations socio-culturelles
représentatives."
Nous demandons que soient définies les qualifications des
"associations socio-culturelles" et que les critères de la
"représentativité" de ces associations soient
précisés.
Quoiqu'il en soit, nous demandons que des représentants ethniques
soient présents à ce Conseil Consultatif de la langue
française.
Art. 163.- Nous formulons les mêmes réserves que nous avons
mentionnées aux articles 120 à 144.
Articles 166, 167, 168.- Nous demandons une période de transition
plus étendue. Le délai accordé par le Projet de Loi no. 1
est insuffisant.
Art. 172.- Nous recommandons la suppression de cet article qui met en
doute les intentions du gouvernement, car la priorité que le Projet de
Loi no. 1 cherche à accorder à la Charte de la langue
française sur la Charte des droits et libertés de la personne
crée un climat de méfiance latente et d'inquiétude peu
propice à la compréhension et à la collaboration dont nous
avons tant besoin au Québec.
Le maintien de cet article ne présage rien de positif et il
apportera de nouveaux éléments de malaise au tas des tensions
inutiles qui nous minent et que nous avons le devoir impérieux
d'éviter au Québec.
Fédération des groupes ethniques du Québec Inc.,
Montréal, juin 1977.
(ANNEXE)
LA FÉDÉRATION DES GROUPES ETHNIQUES FACE
A LA LOI 22
Devant l'ampleur que connaît la campagne menée autour de la
Loi 22 et, inquiète de l'exploitation que certains cherchent à en
faire par des moyens pour le moins inhabituels, la Fédération des
Groupes Ethniques du Québec se sent dans l'obligation d'apporter
quelques précisions: 1.- En tant que citoyens, nous nous soumettons
loyalement à la Loi 22, qui a été votée par
l'Assemblée Nationale du Québec. 2.- Nous lançons un appel
pressant à tous les Groupes Ethniques et à toutes les
Minorités concernées de garder leur sang-froid et de veiller avec
vigilance à ne pas glisser dans la voie de l'illégalité et
de la désobéissance. 3.- Quant au problème de
brûlante actualité la Loi 22, qui nous préoccupe tous au
plus haut degré, nous formulons certaines réserves relatives aux
modalités de son application. 4.- Nous trouvons l'unilinguisme
préjudiciable tant pour la majorité francophone que pour la
minorité anglophone. 5.- Nous déplorons les
événements regrettables survenus à Saint-Léonard et
qui pourraient se reproduire ailleurs. 6.- Nous souhaitons que le Ministre de
l'Education et les Autorités compétentes prennent, dans les
meilleurs délais, les mesures nécessaires pour résoudre
équitablement et humainement ce litige. 7.- Nous demandons, dans
l'intérêt du progrès économique et culturel de toute
la population du Québec, que l'enseignement du français dans les
écoles anglaises puisse assurer aux élèves, à la
fin de leurs études, une bonne connaissance de la langue
française écrite et parlée.
Parallèlement, nous demandons qu'un élève de
l'école française, à la fin de ses études, puisse
avoir une bonne connaissance de l'anglais, langue seconde, parlé et
écrit.
Ces mesures résoudraient, sans doute, ces problèmes
épineux qui déchirent, depuis quelque temps, les diverses
Communautés du Québec. Alors, les Québécois de
toutes les souches, de toutes les origines ethniques, de toutes les traditions
culturelles, continueraient de bâtir ensemble, dans la paix et la
compréhension, un Québec où il ferait bon de vivre.
La Secrétaire Le Président.
Mme Janine Barbot. Dr. Kévork Baghdjian.
Montréal, le 19 septembre 1975
Fédération des groupes ethniques du
Québec, Inc.
Federation of ethnie groups of Quebec, Inc.
(F E G E Q)
siège social: 203 Ouest. Boulevard Saint-Joseph
Montréal. QUE. H2T 2P9
Tel: 270-3042
Adresse postale:
Casier postal 543. Station Snowdon Montréal. Que. H3X 3T7
Montréal, Le
Communiqué de presse au sujet du Livre Blanc 1.- Nous
sommes pour la Francophonie et la francophonisation, ce qui nous incite
davantage à prendre position dans ce débat autour du Livre Blanc,
qui anime non seulement le Québec mais aussi tout le Canada.
Nous sommes étonnés de constater que ce Livre Blanc, dans
son ensemble, est conçu comme si le Québec ne faisait plus partie
de la Confédération Canadienne: toutes les dispositions
annoncées dans ce document qui se veut une charte, ne tiennent aucun
compte de l'interdépendance constitutionnelle et administrative du
Québec vis à vis du Gouvernement Central et des autres Provinces
comme si le Référendum avait déjà consacré
la séparation. "Le Québec ne sera plus considéré
comme une partie administrative du Canada, "déclarait l'honorable Dr
Camille Laurin. 2.- Nous tenons à préciser que le facteur
économique a contribué à l'intégration des
immigrants dans le secteur anglophone, mais il est faux d'affirmer gratuitement
que l'économie ait constitué ou constitue l'unique mobile qui ait
poussé ces immigrants vers les Canadiens Anglais. Cette façon de
considérer les immigrants comme des marchandises négociables
blesse profondément ceux-ci dans leur dignité. 3.- Nous nous
interrogeons sur les mobiles qui ont poussé le Gouvernement à
recourir aux moyens coercitifs dans un domaine purement linguistique. Ce n'est
pas par des mesures punitives qu'on devrait encourager les Citoyens à
s'intégrer dans une société ou dans une autre. 4.- Nous
relevons que le Livre Blanc cherche à régler de vieux comptes
historiques et politiques par le biais linguistique et culturel. C'est,
peut-être, pour cette raison qu'il confond, par moments, culture et
langue, la première étant dynamique et la seconde statique. Cette
optique pourrait déboucher sur des restrictions que nous
appréhendons dans un proche avenir. 5.- Nous ne voudrions pas que la
Charte stipule des dispositions rétroactives et prive une certaine
catégorie de citoyens des droits qu'on reconnaît aux autres. Tous
les immigrants reçus et, à plus forte raison, les citoyens
d'origine ethnique, qui se trouveront au Pays à la proclamation de la
future Charte, devraient jouir pleinement de la liberté de choisir leur
école. Le contraire serait de la discrimination. 6.- Nous sommes pour
l'usage du français dans les relations du travail, mais nous nous
inquiétons des retombées économiques de cette
transformation. Nous appréhendons la fuite des capitaux et le transfert
des sièges sociaux, qui ont déjà commencé. 7.- Nous
ne serions pas contre l'usage du français dans la Fonction publique si
la Loi pouvait ménager certaines Municipalités quasiment
non-francophones, mais nous considérons comme un acte
anti-constitutionnel le fait de supprimer l'emploi de l'anglais devant les
Tribunaux et à l'Assemblée Nationale.
8.- Nous considérons que les restrictions d'unilinguisme
imposées à l'affichage et à la publicité
gêneraient la promotion de l'industrie touristique et
hôtelière et qu'une propagande unilingue dans ce domaine causerait
de sérieux préjudices à ce secteur de
l'économie.
Nous nous demandons, par ailleurs, en quoi la francisation de certaines
localités, de certaines rues... pourrait faciliter ou aider la
Francophonie. 9.- En principe, les Canadiens d'adoption accepteraient
volontiers d'envoyer leurs enfants à l'école française si,
au terme de leurs études secondaires, leurs enfants arrivaient à
maîtriser aussi bien le français que l'anglais-deux langues
internationales dont la possession est impérative dans le monde
d'aujourd'hui.
C'était la position de la Fédération des Groupes
Ethniques du Québec que nous avions adoptée le 19 septembre 1975
face à la Loi 22 et nous la maintenons. Mais le Livre Blanc proclame
tout haut: "II ne sera plus question d'un Québec bilingue."
Cf Livre Blanc page 37. 10.- Nous nous réjouissons de l'ouverture
que fait le Livre Blanc aux Minorités ethniques. Nous retenons avec un
intérêt compréhensible que la Charte est contre
l'assimilation à vapeur" des immigrants. 11.- Il nous est
agréable de lire dans le Livre Blanc qu'"on doit déplorer le peu
de soutien offert jusqu'à maintenant par le Gouvernement
Québécois aux efforts de nos compatriotes de différentes
origines pour conserver leur langue et leur culture d'origine" et d'apprendre
que "les efforts privés et communautaires entrepris au sein de ces
groupes pour la préservation de leurs valeurs culturelles
mériteraient un meilleur encouragement de la part de l'Etat
québécois, car c'est l'ensemble de la société qui
pourrait en bénéficier." (Livre Blanc page 27)
Nous attendrons que ces écrits se traduisent en actes. 12.- Nous
applaudissons au désir du Gouvernement qui favoriserait la participation
des Québécois de diverses origines à la Fonction Publique
du Québec (Livre Blanc page 65) et nous souhaitons que ce désir
ne reste pas un voeu pieux. 13.- Nous sommes pleinement d'accord que le
Ministère de l'Immigration informe à l'étranger les
immigrants éventuels de la Réalité
québécoise et de toutes les particularités
inhérentes au Québec afin d'éviter des surprises
désagréables aux immigrants et des difficultés inutiles au
Gouvernement d'accueil. 14.- Nous sommes entièrement d'accord pour une
concertation que prévoit le Livre Blanc. Nous avons toujours
préconisé la politique de la main tendue. Nous restons ouverts
à tout dialogue positif et constructif. Nous espérons et
souhaitons que cette concertation nationale se fasse dans une ambiance de
sincérité, dans un climat de détente, dans la
dignité.
Dr Kévork Baghdjian, président de la
Fédération des Groupes Ethniques du Québec, Inc.
Montréal, le 5 Avril 1977 -30-
Source; Dr K. Baghdjian Tél. 270-3042 et 739-0314
AN NEXE 3
Mémoire
de l'Association québécoise des
professeurs de français
à la Commission parlementaire sur le projet de
loi no 1
Charte de la langue française au
Québec
Juin 1977 PRÉLIMINAIRES
En déposant aujourd'hui devant cette commission parlementaire,
nous mettons le point d'orgue à dix années de défense et
d'illustration de la langue française. Enfin, la langue est maintenant
reconnue par le gouvernement comme une propriété collective, le
plus délicat et précieux investissement du capital humain
québécois. Enfin, le gouvernement du Québec a fait son lit
et ce n'est pas la voie ambiguë de la loi 22 :il a choisi de
faire du français la seule langue nationale des Québécois.
Il le fait avec clarté, modération et
générosité même pour la minorité anglophone
dont la langue avait pris un pouvoir
d'attraction assimilateur des groupes allophones. Enfin, le gouvernement
du Québec met fin à l'anarchie linguistique instaurée
politiquement avec la loi 63 et maintenue jusqu'à ce jour. Le
gouvernement a opté pour la solution politique la moins radicale qui
puisse être à savoir l'unilinguisme français au
Québec.
Bien sûr, il se trouvera des gens pour crier à la
vengeance, à l'intolérance voire au racisme. Et pourtant se
venge-t-il l'homme qui arrête la gangrène de son propre corps?
Est-il intolérant le peuple qui met fin à des mesures
discriminatoires dans lesquelles l'ont plongé une situation coloniale?
"Si c'est cela faire montre de racisme, tous les peuples en sont coupables qui
exigent qu'on parle chez eux leur propre langue". Ainsi pensait André
Langevin dans son texte de 1964 intitulé "Une langue humiliée".
Et il ajoutait: "Je vois mal qu'on puisse considérer comme du fanatisme
le refus de se suicider".
Il importait donc que le gouvernement de tous les
Québécois joue du scalpel dans le cancer linguistique du
Québec. Nous remercions ceux qui expriment aussi clairement la
volonté politique d'un peuple à parler français, à
vivre en français, à continuer de s'affirmer, dans sa vie
américaine tricentenaire, comme un peuple français sur un
territoire nommé en français. Quoi que diront les
détracteurs de cette loi, il fallait mettre un terme à la route
suicidaire du bilinguisme et redonner au français son mordant
intérieur, son paysage physique, ses raisons sociales autant dire et son
corps et son âme. Voilà un peuple qui n'a jamais abdiqué et
qui n'a pas l'intention de désemparer devant les prophètes de
malheurs, devant des accusateurs désavoués dans leurs
intérêts rapaces vêtus de raisons nobles, devant les tenants
de la résignation morbide qui ne serait qu'un amour ambigu de la mort
larvée. Voilà un peuple qui aspire à se remettre au monde,
à renaître sans ses difformations historiques, à sortir du
long vertige de l'occupation et du délire séculaire qui a
engendré la pauvreté et la complainte. Qu'on nous reconnaisse en
tant que peuple, le droit à la normalité et qu'on nous
concède la dignité d'être nous-mêmes, de le dire et
de le partager. Loin de se fermer au monde en arrière d'un mur,
fût-il de Chine ou de Berlin, ce peuple qui s'affirme français
s'ouvre vraiment à la communauté des peuples en brisant avec la
peur rentrée, la mort polie, l'aliénation originale. Le
poète Miron l'avait affirmé dès 1964: "Je suis jeune et je
suis vieux tout à-la fois (...) Je n'ai pas l'air étrange, je
suis étranger (...) J'ai la connaissance infime et séculaire de
n'appartenir à rien. Je suis suspendu dans le coup de foudre permanent
d'un arrêt de mon temps historique (...) Je ne ressens plus qu'un temps
biologique, dans ma pensée et dans mes veines. Les autres, je les
perçois comme un agrégat. Et c'est ainsi depuis des
générations que je me désintègre en ombelles
soufflées dans la vacuité de mon esprit (...) C'est
précisément et singulièrement ici que naît le
malaise, qu'effleure le sentiment d'avoir perdu la mémoire (...) Les
mots, méconnaissables, qui flottent à la dérive. Soudain,
je veux crier. Parfois je veux prendre à la gorge le premier venu pour
lui faire avouer que je suis. Délivrez-moi du crépuscule de ma
tête (...) Je suis malade d'un cauchemar héréditaire. Je ne
me reconnais pas de passé récent. Mon nom est "Amnésique
Miron"."
L'on ne s'étonnera sans doute pas d'entendre des professeurs de
français citer largement un poète national connu
internationalement, cela dût-il nous mériter encore
l'épithète du député qui nous appelait des
"pelleteux de nuage" comme ce premier ministre qui parlait jadis de l'Office de
la langue française comme de la "bébelle à Laporte". Le
texte du poète traduit le collectif, comme le suicide d'Hubert Aquin
trahissait le nôtre, celui que nous tolérions à la petite
semaine, car Aquin a fait dire à son héros de Prochain
épisode qu'il était du Québec le "reflet
désordonné et son incarnation suicidaire". Gaston Miron traduit
très bien aussi l'état de désintégration d'une
langue supplantée quand il parle des mots méconnaissables. Ce qui
faisait dire à un autre écrivain, Pierre Baillargeon, qu'il avait
tout le dictionnaire sur le bout de la langue. Les professeurs de
français en savent quelque chose.
Une langue ne pousse pas sans culture, pourrait-on dire. Il lui faut un
sol, un environnement, un peuple, une civilisation: ce qu'a fort bien
illustré le livre blanc. Aussi les professeurs de français se
sentent-ils aujourd'hui mieux compris par ce gouvernement. Dans ses Insolences,
le frère Untel demandait en 1960 ce que pouvait faire un professeur
quand il commençait d'avoir tort contre un milieu et un monde de vie
dès quatre heures de l'après-midi, l'heure de fermeture des
classes d'avant la révolution tranquille. Les professeurs de
français de l'AQPF étaient allés plus loin en publiant en
1970 leur livre noir sous-titré "De l'impossibilité (presque
totale) d'enseigner le français au Québec". Ce qui leur avait
valu la mise au ban dans beaucoup de milieux. Aussi, saluons-nous avec grande
joie l'envers de notre livre noir, le Livre blanc ou la possibilité
retrouvée d'enseigner le français au Québec. Nous ferons,
plus loin, de nombreux commentaires là-dessus.
Qu'il nous soit quand même encore permis d'indiquer au
départ que notre Association qui s'occupe de pédagogie a toujours
établi un préalable à toute mesure pédagogique de
l'enseignement du français au Québec. CE PRÉALABLE, C'EST
LE RÈGLEMENT POLfTIQUE DE LA QUESTION DU FRANÇAIS. Nous estimons
que la présente loi va faire davantage pour l'enseignement du
français au Québec que des constantes injections à fond
perdu de quelques millions de dollars pour renflouer une langue qui serait
restée politiquement une langue avariée. Beaucoup de nos
étudiants considéraient la langue française comme une
langue inutile, ils vivaient souvent dans un milieu d'hommes publics que
n'inquiétaient ni la langue, ni l'orthographe, ni le langage, ni la
culture. Est-ce que les professeurs de français auraient dû porter
à eux seuls et contre la société l'utilité, la
promotion et la qualité d'une langue? Ceci mis en image donne la
société où le patron parle et travaille en anglais,
où il n'écrit pas heureusement pour lui et pour nous
peut-être mais où il s'inquiète que sa petite
secrétaire bilingue ne connaisse correctement l'orthographe d'une langue
diffamée et condamnée. Pour sauver la face. Et les professeurs
étaient ainsi les boucs émissaires d'une démission
collective qui les opposants à cette loi prêchent à leur
insu.
Nous ne pouvions pas enseigner le français sans poser un jugement
politique. Nous ne pouvions politiser un débat qui l'était de par
sa nature même. Tout comme nous sommes conscients aujourd'hui que le
débat politique actuel emprunte souvent les voies obscures de l'appel
à la tolérance, aux droits de l'homme, voire au chantage
économique pour mieux cacher la domination anarchique d'une
minorité et la réalité légitime d'un peuple qui
veut être lui-même, qui en prend les moyens en toute assurance et
pondération de son jugement. Nous l'avions noté fermement en 1974
en déposant devant la commission parlementaire sur la loi 22: l'anarchie
avait été instaurée politiquement au Québec en 1969
avec la loi 63 qui donnait en pâture aux individus et aux familles un
bien collectif inaliénable, "fondement même de l'existence d'un
peuple" comme a dit Gaston Miron.
Nous avons souvent noté aussi, comme professeurs de
français, que notre volonté d'affirmer le Québec
français se butait à notre historique situation coloniale. Une
manifestation évidente de ce colonialisme est la difficulté de
parler de la langue de ce pays sans tomber dans la nécessité
d'apprendre l'anglais au Québec. Nous aimerions bien que l'on
départage les questions à discuter. Que l'on doive constamment
dire "et l'anglais"! quand nous affirmons notre volonté de parler cette
langue internationale et moderne qu'est notre français maternel
démontre assez notre situation de prostration coloniale surtout que
l'anglais que l'on veut nous faire apprendre n'a rien à voir avec cette
grande langue et culture de Shakespeare. C'est souvent l'anglais multinational
des hommes consumés, une langue cassée, soumise, offerte,
dégradée et totalement déracinée, une langue tampon
et S.O.S.
A cet égard, nous voudrions profiter de cette Charte du
français pour inviter tous les Québécois à
réfléchir sur la situation linguistique de Montréal tout
particulièrement. Nous voudrions frapper l'imagination de tous, surtout
de ceux qui ont presque repris récemment, sortie des vieux titoirs du
temps de St-Léonard, la thèse éculée d'un
Québec bi-national et bi-ethnique. Montréal reste, dans le monde,
la deuxième ville française par sa population. Il y a plus de
parlants français à Montréal qu'à Marseille. Or, et
c'est là le scandale et la démesure intolérable, plus de
cinq cent mille personnes n'y parlent que l'anglais, la langue de la domination
économique du Québec. C'est donc dire qu'à Montréal
l'anglais est la langue d'attirance: combien d'immigrants sont des bilingues
anglais-chinois, anglais-italien, anglais-grec?
Cette situation a fini par nous éblouir. Beaucoup de nos hommes
publics sont alors portés à faire des affirmations gratuites
telles que: le Québec compte 20% d'anglophones, Montréal est une
ville bilingue... etc. Dès lors, que se passe-t-il sinon une
réduction historique. En accordant par exemple 20% de la population aux
anglophones, on leur a concédé 7% d'allophones dont près
de 6% parlent toujours leur langue. Nous parlons encore d'un Montréal
bilingue: oui unilingue anglais à l'ouest et français
bilinguisé et massacré à l'est. Et ensuite des gens se
scandalisent du jouai qu'un numéro récent des Nouvelles
littéraires définissait comme "à la fois code de
résistance et maladie du français (...) pour les riches,
procédé littéraire, pour les pauvres, cri du coeur". Qui
ne voit pas ici la nécessité linguistique et politique de
proclamer alors et Montréal en est l'enjeu premier le
Québec comme un territoire unilingue français sans quoi le
bilinguisme ne serait, comme Montréal l'illustre si clairement, qu'une
étape de notre assimilation au bloc anglophone minoritaire et
tyrannique? Qui n'a donc pas compris parmi nous le sort des francophones de
Louisiane, de Nouvelle-Angleterre et de plusieurs groupes du Canada qui n'ont
d'avenir que dans la mesure où ils pourront trouver appui sur notre
territoire unilingue? Est-il besoin de le rappeler d'ailleurs, le Québec
a toujours été depuis l'Acte de Québec un territoire
français et les habitants de ce territoire auraient tous dû savoir
la langue de notre peuple et communiquer dans la langue commune. Si les
anglophones de Montréal se considèrent comme
Québécois, il serait peut-être temps qu'ils se mettent
à la langue d'usage qu'un demi million de Montréalais ignorent
toujours. Les anglophones ne peuvent à la fois être pour nous et
contre nous. Il serait temps qu'ils comprennent qu'ils sont ici une
minorité: il ne leur suffit pas de venir dire en langue anglaise qu'ils
sont en faveur de l'épanouissement du français.
Le gouvernement a raison de vouloir renverser le désordre
linguistique à Montréal et partout au Québec: l'anglais
langue de nécessité et à entendre certains, langue
de salut collectif doit redevenir pour le peuple québécois
option d'une culture possible. Le français, lui,
dépossédé de notre vie économique et politique,
doit redevenir pour tous ceux qui vivent sur le territoire du Québec une
langue de toute la vie publique, politique, économique et nationale.
Faute de quoi, notre travail de professeurs de français deviendra un
métier de Sisyphe. Pourrions-nous rappeler aux membres de cette
commission que déjà, dans les années soixante, le Rapport
Parent indiquait comme point d'appui à la réforme de
l'enseignement du français, la motivation socio-économique
redonnée aux étudiants du Québec. Et pour cela, le
même Rapport dans son deuxième tome demandait au Gouvernement
d'adopter "des mesures très fermes pour protéger le
français" notant l'urgence de le faire alors il y a plus de dix
ans à Montréal. C'était pour les rédacteurs
du Rapport "une question de justice et d'honneur". Et la Commission ajoutait:
"Aucun écolier ne prendra le français au sérieux à
l'école si, à Montréal particulièrement, les
ouvriers administrateurs, et hommes d'affaires sont obligés de parler
anglais dans leur travail quotidien ou pour obtenir une promotion. Dans le
Québec, une excellente connaissance du français devrait
être tout aussi nécessaire pour réussir dans les
affaires".
1. La langue de l'enseignement
L'objet essentiel de cette loi, c'est de reconnaître et
d'établir clairement que le Québec est un pays et un Etat
français et qu'il doit devenir sur tout son territoire un milieu de vie
français. Il découle que dans un Etat ainsi défini et
compte tenu des difficultés qui guetteront toujours la langue
française, l'école française est le droit et le devoir de
tous les citoyens.
Seules les raisons très sérieuses, historiquement
fondées, comme la préservation d'une culture minoritaire,
longuement enracinée dans le territoire national, peuvent justifier
quelque groupe de citoyens bien identifié et circonscrit par ces raisons
de déroger à la règle commune. Autrement, le principe
même de la loi est dangereusement affaibli et les idées aussi
tenaces qu'inacceptables d'un Québec bilingue et du libre choix de la
langue d'enseignement refont surface. Or, dans les faits, seule la
minorité anglophone du Québec peut fournir des raisons
sérieuses d'être exemptée de l'école
française. Les raisons invoquées par d'autres groupes, comme les
avantages purement pécuniaires, la mobilité continentale de la
main-d'oeuvre ou les lacunes de l'école française sont
dépourvues de tout fondement solide face aux objectifs poursuivis par
cette loi.
La position de l'AQPF a été et est encore de ne
concéder leurs propres écoles qu'aux véritables
anglo-québécois ayant résidence au Québec au moment
de la promulgation de la loi. Plus précisément, parce qu'elle est
fondée sur des considérations culturelles et historiques, cette
concession est d'abord faite au groupe anglophone. Les individus doivent faire
la preuve qu'ils appartiennent vraiment à ce groupe pour se
prévaloir de cette tolérance.
Ici se pose le problème des critères d'appartenance
à la minorité anglaise. L'article 52 de cette loi introduit un
critère nouveau, d'administration relativement aisée, sans doute,
mais artificiel et dangereux, à notre avis, le critère de
l'école des parents. Ce critère est mal fondé en droit,
incohérent par rapport aux objectifs premiers de la loi, d'une
libéralité dérogatoire excessive et il sera source de
discriminations injustifiables surtout entre membres de la majorité
francophone. Jusqu'ici, et pour des raisons qu'on peut qualifier de naturelles,
les droits linguistiques se sont fondés sur la langue maternelle, la
communauté culturelle, l'homogénéité du territoire.
Ces fondements se réfèrent à une appartenance ou
culturelle ou politique.
Dans la ligne de ce que nous disions plus haut, il est clair que le
critère de l'école des parents ne prouve pas en soit
l'appartenance d'un écolier au groupe culturel anglais et ne permet pas
d'inférer un droit à la dérogation. Pour être
logique, il faut rétablir le critère de la langue maternelle de
l'enfant. Il faut préférer à la commodité
immédiate et superficielle du critère de l'école des
parents, la solidité et la cohérence à long terme du
critère de la langue maternelle de l'enfant. Pour être logique, il
faut aussi lier le maintien du privilège de dérogation à
l'appartenance effective au groupe culturel anglophone de tout enfant qu'on
voudra inscrire à l'avenir à l'école anglaise. Et ne pas
le lier, par exemple, au fait que ses parents francophones ont
fréquenté autrefois l'école anglaise, tout en maintenant
le français comme langue maternelle dans leur foyer; on doit dire de
même des enfants dont la langue maternelle serait, par exemple, le grec
ou l'italien, même si leurs parents ont fréquenté
l'école anglaise.
Donc, de façon très générale, le
critère de la langue maternelle de l'enfant doit toujours être
prépondérant. Dans les cas douteux seulement, le critère
de l'école des parents pourrait intervenir par commodité
administrative et de façon subordonnée. Pourtant, c'est le
contraire qui arrive dans certains cas considérés par l'article
52. Non seulement on crée un fondement nouveau et artificiel, mais on le
suppose même pour le substituer carrément au fondement naturel de
la langue maternelle. Prenons, par exemple, le cas des enfants francophones et
allophones actuellement inscrits à l'école anglaise que leurs
parents n'ont même pas fréquentée; prenons surtout le cas
des frères et soeurs cadets de ces enfants. Sur ce dernier point,
l'article 52 est beaucoup trop large et incohérent, une fois de plus.
L'argument de l'unité des familles, s'il est valable en soi, est
invoqué par les tenants de l'école anglaise de façon
spécieuse qui ne résiste pas à l'analyse. Dans une famille
où la langue maternelle des enfants n'est pas l'anglais, ce n'est pas
l'anglais qui établit l'unité de la famille. Dans
l'impossibilité pratique et politique de donner des écoles de
toutes les langues parlées dans ce pays, l'école française
ne nuira sûrement pas plus à l'unité des familles que
l'école anglaise.
Quant à ceux qui, traumatisés par les tests de l'affreuse
loi 22, objecteraient qu'il est trop difficile d'identifier la langue
maternelle des enfants, nous répondons qu'il y a toute la
différence entre mesurer une connaissance suffisante et identifier la
langue maternelle de quelqu'un. Dans ce dernier cas, on n'a pas besoin de
tests; il s'agit d'une simple constatation qui peut se faire au moment de
l'inscription des élèves en leur adressant la parole et en les
écoutant parler. Le personnel des écoles y suffira bien. Et si un
contrôle s'avérait nécessaire, rien n'empêche, par
exemple, que des suppléants agréés par le MEQ enseignent
un jour ou deux dans les classes de commençants des écoles
anglaises. La présence de suppléants n'a rien d'insolite ni
d'intimidant; elle est fréquente pour bien d'autres causes.
Les futurs immigrants
Pour tous les futurs immigrants, ce doit être l'école
française. Ainsi seulement, on évitera toute discrimination entre
immigrants de toute provenance; ainsi seulement, l'Etat québécois
pourra éviter toute discrimination dans le choix d'immigrants
éventuels, sans craindre un déséquilibre linguistique,
culturel et politique à plus ou moins long terme. La loi soumet
justement les immigrants des provinces canadiennes à cette règle
générale. En effet, ces derniers, s'ils ont le plus souvent
l'anglais comme langue, n'appartiennent pas pour autant à la
communauté culturelle anglo-québécoise qui se
définit, non seulement par la langue anglaise, mais par un enracinement
dans le territoire québécois. Il ne faut pas confondre
communauté linguistique et communauté culturelle, même si
la première est un élément important de la seconde.
2. L'enseignement des langues 2.1. La Norme
En tant que professeurs de français, nous sommes tout
particulièrement concernés par la définition que le
gouvernement donnera de la norme.
D'abord, il faudrait éviter, au nom de la francisation du
Québec, de sombrer dans un purisme étroit et d'entreprendre une
vaste opération de normalisation linguistique axée sur un
modèle parisien.
En même temps que le Québec prend les moyens de s'assurer
la pleine maîtrise de ses institutions, il est temps, croyons-nous, de
reconnaître et d'assumer notre situation linguistique. Celle-ci
présente sa spécificité qui est liée à
l'histoire et à la géographie. Tout comme le français
parlé à Bruxelles ou à Genève. Il n'y a pas lieu de
s'en culpabiliser collectivement, comme on a trop longtemps eu tendance
à le faire, ni de multiplier les tribunes des censeurs. Il serait
profondément irréaliste de prétendre amener la population
québécoise à adopter comme langue orale courante un
modèle verbal perçu comme étranger.
Il ne faudrait pas croire pour autant que nous souhaitons ériger
en modèle une variété linguistique que certains censeurs
ont eu la malencontreuse idée de désigner sous le terme de
"jouai". Nous pensons que ce fut malencontreux parce qu'en nommant ainsi la
langue populaire parlée dans certains milieux du Québec, ces
personnes ont accrédité l'idée que le jouai constituait
une langue fondamentalement différente et autonome alors qu'il n'est que
l'une des variations particulières que peut prendre le français
parlé ici.
Par ailleurs, il existe aussi un français correct d'ici et c'est
ce français qui devrait être proposé en modèle dans
les écoles du Québec. Si une norme est indispensable au bon
fonctionnement du langage dans une société, il faut aussi que
cette norme, pour qu'elle joue vraiment son rôle, soit réaliste et
accessible à l'ensemble des individus désireux de la
maîtriser. En outre, il faut être conscient qu'il n'existe pas de
description exhaustive rigoureuse de la norme et qu'il n'est sans doute pas
souhaitable de s'atteler à un tel travail. Tout individu placé en
situation de communication exigeant l'utilisation d'une forme prestigieuse de
langage s'exprime en fonction de l'image qu'il se fait du "beau
français", image qui est la résultante de ses expériences
sociales et des modèles linguistiques qu'il a pu intérioriser.
Pour cette raison il faut absolument éviter de donner des exemples
précis d'une personne maîtrisant le français standard et
dont le modèle verbal serait à imiter. Plus un modèle est
étroit et rigoureusement défini, plus il limite le jeu de la
dynamique individuelle; plus, aussi, il risque de devenir un facteur de
sélection et d'exclusion avant d'être finalement rejeté
lui-même par la collectivité.
Précisons enfin que, pour nous, la reconnaissance d'une norme
implique pas automatiquement une pédagogie de la correction. Nous ne
pensons pas que l'enfant a un mauvais langage que l'école devrait
extirper à tout prix pour le remplacer par la langue correcte. Les
processus qui entrent en jeu dans l'acquisition d'une langue, et en particulier
de la langue maternelle, sont beaucoup trop complexes pour pouvoir se
réduire à un schéma de la correction, du genre "ne dites
pas, mais dites". Il faut laisser aux enseignants de français, au niveau
de leur Association professionnelle et en liaison avec les universités,
le soin d'élaborer une pédagogie de la langue qui, tout en
étant respectueuse de l'enfant, amènera celui-ci, au terme de sa
scolarité, à maîtriser le meilleur français possible
dans toutes les situations qui l'exigent. 2.2. Le perfectionnement des
enseignants
Toute considération sur la norme ou sur la façon
d'enseigner le français est finalement subordonnée à la
qualité de la formation des enseignants. En raison de l'expansion rapide
des réseaux d'enseignement et de la réforme scolaire, beaucoup
d'enseignants en exercice se sentent souvent démunis devant les
problèmes soulevés par l'enseignement du français. Depuis
septembre 1975, ces enseignants, tant à l'élémentaire
qu'au secondaire, ont la possibilité de s'inscrire à un programme
de perfectionnement (PPMF). Ce programme lancé un peu à la
hâte pour calmer l'émoi suscité par les articles de
Lysianne Gagnon est actuellement offert par les universités de
Montréal, Laval, Sherbrooke et les constituantes de l'Université
du Québec. Parfaitement d'accord avec le principe d'un perfectionnement
dans le milieu, l'AQPF demande que ce programme devienne permanent et qu'il
soit progressivement ouvert à tous les enseignants de
français.
Une augmentation du temps de libération des enseignants est
évidemment souhaitable. En accordant 30 jours de dégagement
annuel au lieu de 15 comme c'est le cas actuellement, le PPMF
deviendrait plus attrayant et permettrait un perfectionnement plus
approfondi car l'enseignant aurait le temps de faire le lien entre les
nouvelles connaissances acquises et sa pratique quotidienne.
L'AQPF insiste également pour que les formules
pédagogiques utilisées par les universités soient
réellement adaptées aux besoins des enseignants des divers
milieux. Compte tenu des difficultés qu'entraîne l'administration
d'un programme répondant à ces exigences, nous demandons au
Ministre de l'Education de mettre sur pied, en collaboration avec la CEQ,
l'AQPF et les quatre universités impliquées, un comité
mixte qui se prononcera en dernière instance sur la validité des
orientations adoptées par les différents programmes et qui
établira les équivalences entre les activités offertes par
les quatre universités. Une telle formule nous paraît susceptible
d'éviter à l'avenir des décisions odieuses et arbitraires
prises par quelques fonctionnaires coupés de la
réalité.
Par ailleurs, il est souhaitable que les conseillers pédagogiques
en français continuent d'être associés de très
près au perfectionnement des enseignants. Mieux vaut travailler en
profondeur avec des petits groupes d'enseignants répartis dans plusieurs
écoles que de faire un travail superficiel auprès de tous. Le
PPMF et les projets de recherche appliquée constituent sans doute le
meilleur moyen d'amener enseignants et conseillers à travailler en
étroite collaboration tout en utilisant au maximum les ressources des
universités. Pour ces raisons, le poste de conseiller pédagogique
en français devrait être déclaré permanent et
étendu au plus grand nombre possible de Commissions scolaires.
Enfin, nous pensons que les enseignants engagés dans le PPMF
seraient les mieux placés pour encadrer les stagiaires en cours de
formation, particulièrement au secondaire. Cette formule, si elle
était systématisée, présenterait l'avantage
d'assurer une plus grande continuité dans l'enseignement dispensé
aux élèves dont le professeur est engagé dans le
perfectionnement. 2.3. L'enseignement des langues secondes et
étrangères 2.3.1. Nous répétons ce que nous avons
dit à propos des lois 63 et 22: aucun enseignement d'une langue seconde
ne devrait être dispensé au cours primaire, c'est-à-dire
avant que les élèves n'aient acquis une connaissance et une
maîtrise suffisantes de leur langue maternelle. De multiples
enquêtes et rapports ont établi les dangers réels que
courraient les élèves qui subiraient un tel apprentissage: la
confusion de la pensée de l'enfant, de ses structures linguistiques, de
son vocabulaire, par conséquent de son expression. Tant que
l'unanimité ne sera pas faite à cet égard, l'Etatdoit interdire ce genre d'enseignement au niveau primaire. 2.3.2. Nous
répétons aussi que l'Etat doit diversifier l'enseignement des
langues secondes. Si les contingences géographiques nous imposent de
penser d'abord à la langue anglaise, rien n'oblige tous les
étudiants du niveau secondaire à faire l'apprentissage de cette
langue. S'il devrait y avoir une liberté de choix, c'est là
qu'elle devrait se trouver!
Inutile d'ajouter qu'autant nous souhaitons pour la langue
française un enseignement de la plus haute qualité
dispensé par les maîtres les plus qualifiés, autant nous
désirons que l'enseignement des langues secondes ou
étrangères soit le plus parfait possible. Il est aberrant que
l'enseignement des langues secondes/étrangères occupe tant
dé temps et ait souvent donné de piètres résultats
au Québec. 3. Une politique du livre 3-' Comme le livre est l'un
des supports les plus importants de la langue écrite, les professeurs de
français estiment qu'il est urgent que l'Etat québécois
définisse une politique claire, cohérente et efficace concernant
la diffusion du livre de langue française (belge, français,
suisse, québécois, etc.) partout au Québec. Non seulement
la quantité devrait y trouver son compte, mais aussi la qualité.
Le Ministère des Affaires culturelles a décelé de
nombreuses "poches" en ce qui touche à la diffusion des imprimés,
à cause de l'inexistence de librairies et de dépôts de
périodiques et a promis d'instituer un vaste programme visant à
éliminer ces poches culturelles. Nous nous en réjouissons. Mais
encore faut-il que l'Etat consente un effort financier considérable pour
aider les écrivains, les éditeurs et les libraires. En
particulier, l'Etat doit viser au développement de la production
littéraire québécoise et faire en sorte que la
littérature d'ici soit abondamment et largement diffusée. Ce
n'est pas tout de montrer un visage français en francisant l'affichage
commercial, de permettre à l'ouvrier québécois de
travailler en français, il faut que toute la population puisse
accéder facilement aux oeuvres littéraires de nos
écrivains, et que T'interne" communique avec l'externe", que la
pensée complète l'action. 3-2 Un point qui retient
particulièrement notre attention à cet égard, c'est la
production de manuels scolaires rédigés en français, de
quelque discipline que ce soit, et tout spécialement de manuels
pédagogiques (grammaires, guides, documents, dictionnaires, instruments
de travail divers) touchant à l'enseignement du français. Les
principaux concepteurs de ces manuels devraient
être les professeurs de français. Le Ministère de
l'Education, dont c'est la responsabilité, devra établir un
programme vigoureux et dynamique pour encourager et promouvoi r par la
formation d'équipes spécialisées, une aide technique
appropriée et des subventions généreuses la
production des meilleurs instruments pédagogiques qui aideront les
professeurs de français et les étudiants dans l'enseignement et
l'apprentissage du français. Une fois produits, ces manuels devraient
recevoir l'agrément du Ministère et être diffusés
dans l'ensemble des Commissions scolaires. Il est certain que les étapes
administratives conduisant à l'agrément de ces manuels
pédagogiques concernant l'enseignement du français devront
être coordonnées de telle sorte que l'accélération
des procédures en facilité l'accès.
4. Modifications suggérées
Préambule: L'Assemblée nationale constate que le
français est depuis toujours, de droit et de fait, la langue du peuple
québécois, etc..
L'Assemblée nationale reconnaît que le territoire du
Québec a toujours été de droit un territoire
français;
Article 46: Les règlements de l'Office devront veiller
soigneusement à conserver alors même qu'il considérera les
exceptions, le visage français des agglomérations
québécoises et de Montréal en particulier. Par exemple,
s'il est opportun de conserver le caractère exotique du Quartier chinois
de Montréal, il est impérieux de remplacer son aspect
anglo-chinois par un aspect exclusivement franco-chinois, etc.,
Article 151: Ajouter f) Deux personnes choisies parmi celles qui sont
recommandées par les groupes représentatifs des professeurs de
français.
Article 172: Vu que les dispositions de la loi no 1 ne constituent
aucune discrimination basée sur la langue, au sens de l'article 52 de la
Charte des droits et libertés de la personne, cet article n'est
peut-être pas nécessaire. Si le gouvernement en jugeait autrement,
il vaudrait mieux, semble-t-il, modifier la Charte et libertés dans le
sens voulu, plutôt que d'en exempter la Charte de la langue
française, afin de conserver à la première toute sa
généralité.
Conclusion
Nous ne saurions trop appuyer ce Gouvernement et tous les hommes
politiques qui appuieront la loi numéro un jusqu'à son adoption.
Cette loi va briser enfin le "né pour un petit pain" dans sa traduction
économique, celle qui cède au fatalisme historique, au trac des
plats de lentilles et demande "Que pouvons-nous contre deux cent vingt millions
d'anglophones"? Tout contre deux cent vingt millions d'anglophones, nous
voulons être en terre d'Amérique ce peuple qui vit sa vie et sa
culture française, sur ce territoire qui est encore l'Europe et
déjà l'Amérique, non pas ce pays ghetto
dénoncé, mais le feu et lieu affirmé des échanges
culturels. Non, nous ne céderons pas au chantage car nous savons, nous,
que nous ne serons vraiment au monde qu'en étant d'abord à
nous-mêmes. Et ce n'est pas par "partisanerie" politique que nous nous
reconnaissons aujourd'hui dans le Gouvernement qui nous donne la loi
numéro un. C'est que, ce faisant, ce Gouvernement s'est reconnu en nous.
Nous lui demandons en déposant dans la langue de nos pères de ne
pas céder à la peur car comme dit le poète Jacques Brault:
"Voici qu'un peuple apprend à se mettre debout
Debout et tourné vers la magie du pôle debout entre trois
océans
Debout face aux chacals de l'histoire face aux pygmées de la
peur
Un peuple aux genoux cagneux aux mains noueuses tant il a rampé
dans la honte
Un peuple ivre de vents et de femmes s'essaie à sa
nouveauté".