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Version finale

31e législature, 2e session
(8 mars 1977 au 22 décembre 1977)

Le lundi 20 juin 1977 - Vol. 19 N° 127

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition des mémoires sur le projet de loi no 1 - Charte de la langue française au Québec


Journal des débats

 

Audition des mémoires sur

le projet de loi no 1 :

Charte de la langue française

au Québec

(Quinze heures seize minutes)

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! Constatant qu'il y a quorum, nous allons commencer cette nouvelle séance de la commission élue permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications. Je fais donc "appel des membres de la commission: M. Alfred (Papineau), M. Bertrand (Vanier), M. Bisaillon (Sainte-Marie) — on m'indiquera les remplacements, s'il y a lieu—M. Chevrette (Joliette), M. Ciaccia (Mont-Royal), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Dussault (Châteauguay), M. Godin (Mercier), M. Grenier (Mégantic-Compton), M". Guay (Taschereau), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le Moignan (Gaspé) remplacé par M. Fontaine (Nicolet-Yamaska), M. Paquette (Rosemont), M. Roy (Beauce-Sud), M. Saint-Germain (Jacques-Cartier), M. Samson (Rouyn-Noranda).

M. Guay: M. Charbonneau pour remplacer M. Bisaillon.

Le Président (M. Cardinal): Alors, M. Bisaillon (Sainte-Marie) remplacé par M. Charbonneau (Verchères). Merci.

Je répète l'avis du leader parlementaire du gouvernement donné vendredi, et je cite, au journal des Débats: "Je rappelle que la commission parlementaire de l'éducation va siéger dès 15 heures, lundi, pour continuer à examiner le projet de loi no 1, qu'il en sera de même dans la soirée, de 20 heures à 23 heures. Je rappelle également des choses qui sont déjà en avis au feuilleton. Mardi matin, cette commission siégera à nouveau, toujours relativement au projet de loi no 1."

Par conséquent, nous commençons une séance qui sera suspendue à 18 heures, qui sera ajournée à 23 heures jusqu'à 10 heures demain matin. L'ordre du jour, il n'est pas nécessaire que les gens répondent à l'appel. Les organismes convoqués sont les suivants: Association des manufacturiers canadiens, division du Québec, mémoire 42. Centrale de l'enseignement du Québec, mémoire 24. Université Concordia, mémoire 29. Banque de Montréal, mémoire 56. Les jeunes libéraux de la région de Québec, mémoire 114.

J'invite immédiatement le premier organisme, l'Association des manufacturiers canadiens. Est-ce M. Ethier qui...

M. Brady (Frank): M. le Président, M. Ethier n'est pas présent cet après-midi. Je présenterai mes collègues.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Je vais vous demander, messieurs, d'identifier très précisément votre association et les membres qui la représentent.

Je vous rappelle que vous avez 20 minutes pour exposer votre mémoire ou le résumer et que les membres de la commission ont 70 minutes pour vous poser des questions.

Messieurs.

Association des manufacturiers canadiens

M. Brady (Frank): M. le Président, M. le ministre, madame, messieurs les membres de la commission, on voudrait, en premier lieu, vous remercier de nous avoir donné cette occasion de vous présenter verbalement nos points de vue, nous, l'Association des manufacturiers canadiens, division du Québec. En premier lieu, comme l'a suggéré le président, j'aimerais me présenter et présenter les gens qui font partie de notre délégation.

Je suis Frank Brady, président de l'AMC, l'Association des manufacturiers du Québec, division du Québec, et vice-président et conseiller général de la société Dominion Textile.

A ma droite, M. Pierre Daviault, membre du comité de législation de l'AMC et chef du contentieux de la compagnie CIL à Montréal. A ma gauche, M. Jean Bleau, président du comité des relations industrielles de l'Association des manufacturiers du Québec et directeur du personnel et des relations industrielles de la société Canron. A ma droite, M. Douglas Montgomery, directeur des services de législation de l'Association des manufacturiers.

Notre mémoire est probablement trop long, M. le Président, pour être lu au complet. Je demanderais donc que le texte du mémoire et les annexes qui vont avec soient mis au dossier intégralement, si ça vous plaît, dans votre procédure.

Le Président (M. Cardinal): M. Brady — c'est ça votre nom? — c'est possible. Ce que vous donnerez sera directement enregistré pour le journal des Débats et ce qui ne sera pas reproduit y sera ajouté en annexe. Vous pouvez donc être assuré que votre texte sera publié en entier par l'Assemblée nationale.

M. Brady: Merci, M. le Président.

Donc, au lieu de lire le mémoire au complet, je vais essayer d'en faire une synthèse et ça me fera plaisir après, évidemment, de répondre à vos questions. S'il y a des questions faciles, je vais essayer d'y répondre moi-même. S'il y a des questions plus difficiles, je vais demander aux membres de mon comité d'y répondre.

Sérieusement, l'Association des manufacturiers au Québec représente à peu près 1700 membres dans le secteur manufacturier, et ce dans toutes les régions du Québec. Nous estimons que nous représentons environ 80% des manufacturiers de tous les produits fabriqués au Québec et

surtout, dans le secteur secondaire des manufacturiers.

Dans notre mémoire, nous énonçons deux ou trois principes de base et, ensuite, nous touchons surtout aux modalités, soit techniques, soit d'application du projet de loi no 1 tel que présenté en ce moment.

Le principe de base qu'on énonce dans notre mémoire est contenu d'ailleurs à la page 1 en ces mots: "Le secteur manufacturier québécois reconnaît la nécessité d'accroître l'usage du français pour en faire une réalité vivante en son milieu." C'est un des principes de base auxquels notre mémoire et nos représentations sont liés.

Deuxième principe énoncé aussi dans le mémoire. Les résultats d'un sondage que l'association a fait en 1970 ont nettement démontré que le français était déjà la langue de travail au niveau de la production au Québec. Ces chiffres datent d'environ 1969, mais, dans le temps très court entre l'annonce des séances et cette date-ci, nous n'avons pas pu mettre ces chiffres à jour. Mais nous avons communiqué avec les sections de l'association, à Granby, Trois-Rivières et Sherbrooke, et l'opinion générale est que l'usage du français comme langue de travail est peut-être même plus avancé que les chiffres ne l'indiquent dans le mémoire.

Ceci dit, nous regardons les modalités et l'application de certains articles de la loi qui en soi rendront la tâche d'un manufacturier dans la province de Québec plus difficile à accomplir que dans d'autres domaines et qui auront, je le crois sincèrement, des effets négatifs sur le développement et l'épanouissement du secteur manufacturier du Québec.

Dans notre mémoire, nous avons cité plusieurs de ces articles. Nous avons cité les articles 30, 32, 36, 37,52, 57, 106, 113, 114. Evidemment, dans le temps qui nous est alloué aujourd'hui, je n'aurai pas le temps de faire tout ce tour d'horizon. Je vais essayer d'en discuter trois ou quatre que nous considérons comme primordiaux en ce qui concerne les manufacturiers dans la province de Québec.

Si vous me permettez, je citerai, premièrement, l'article 106 de la loi. On en parle à la page 3 de notre mémoire. Nous avons deux ou trois points qui nous concernent beaucoup en ce qui regarde l'article 106 du bill. Surtout au paragraphe a) pour avoir le droit de recevoir de l'administration les permis, les primes, les subventions, etc. Evidemment, ce ne serait peut-être pas du nouveau. C'est le mot "permis" qui nous cause des ennuis dans ce paragraphe et on constate, en fait, que pour le manufacturier, il y a un nombre énorme de permis de toutes sortes, de conduite de l'entreprise. Si le gouvernement avait le droit de retirer, et ceci sans appel, le permis, ce serait un droit de vie ou de mort sur l'entreprise visée. Ceci est un point primordial chez les manufacturiers.

Au paragraphe b), il y a le fait que, pour avoir encore le certificat de francisation, on pourra enlever le droit contractuel avec les entreprises d'utilité publique. Donc, on pourra encore enlever le droit d'avoir de l'électricité de l'Hydro ou peut-être même, si on considère quelque chose comme Smith Transport, dans le domaine public, ou quasi public, le droit d'avoir un contrat avec ces gens-là. Nous croyons que ce sont des échéances trop sévères. Nous croyons que ce sont des échéances qui vont au-delà du besoin. Dans l'article même, on dit: sous réserve de tout recours pénal, et il y a plusieurs recours dans la loi même. Si je me rappelle bien, à l'article 163, il y a un recours général. Donc, nous croyons que, dans le bill même, il y a amplement de recours sans ajouter ces deux recours additionnels qui sont essentiels, l'enlèvement du permis.

Avec la meilleure volonté du monde, si on enlève un permis à quelqu'un, ça peut créer une situation cahotique, perte d'emploi et perte de l'entreprise. Même chose avec l'enlèvement du permis dans les exemples que j'ai donnés, l'enlèvement du certificat dans le cas où il y a des contrats avec les utilités publiques.

Donc, à cet article, avec l'aspect des doubles pénalités, nous suggérons fortement que les références au permis, dans le premier paragraphe de l'article, soient enlevées et que le paragraphe b) soit amendé pour qu'il n'y ait pas cette double pénalité.

A l'article 114 de la loi, nous trouvons les règlements ou les lignes de conduite sur les comités de francisation, et voici notre point principal sur cet article. Plus l'entreprise est grande, plus elle a de filiales, plus elle a de succursales, plus elle a d'usines, l'aspect pratique d'appliquer le comité de francisation dans un sens unitaire amènerait d'énormes problèmes pratiques. Vous pouvez avoir des exemples, si je lis bien l'article, on prévoit un comité de francisation. Il semble qu'on regarde une situation, un organigramme assez simple, des simples étapes de gérance, des simples étapes d'employés, soit syndiqués ou non syndiqués.

Mais, en pratique, vous avez beaucoup de situations où il y a une grande complexité dans une industrie, une compagnie donnée. Vous avez des situations où vous pouvez avoir une compagnie avec 15 ou 18 usines dans la province. Dans ces 15 ou 18 usines, vous pouvez avoir quatre ou cinq ou même plus de syndicats qui sont accrédités. Vous pouvez avoir, en addition, des employés qui ne sont pas syndiqués. Vous avez un autre groupe d'employés, un autre groupe de problèmes aux sièges sociaux.

Donc, si, de la manière dont c'est rédigé, nous avions simplement un comité qui regarderait une situation aussi complexe, il y en a beaucoup. Je crois qu'en pratique, ce serait extrêmement difficile d'application.

Est-ce qu'il y a une solution à ce problème? Peut-être qu'une solution qui pourrait être offerte serait de regarder les choses en deux paliers. Qu'il y ait un comité de décision, un comité de politique générale au niveau de la gérance. Après tout, la gérance est visée par les pénalités, la gérance assume la responsabilité pour mettre des programmes de francisation en pratique. Peut-être que ce

premier palier devrait être un comité qui déciderait ce que pourrait être la politique de francisation. Il y a toute une gamme de choix, afin de faire cette politique.

Deuxièmement, il pourrait y avoir des comités d'application ou des comités opérationnels à divers niveaux. Souvent, les unités qu'on considère sont très différentes, les problèmes dans les différentes unités sont extrêmement différents et donc, ces comités opérationnels pourraient voir à l'application du programme de francisation en cause. Je crois qu'au point de vue pratique, cela enlèverait beaucoup de situations de conflit et permettrait de tenter de garder notre industrie dans une situation plus ou moins compétitive.

A l'article 113, on parle du programme de francisation en ce qui concerne les sièges sociaux de l'industrie. Ici encore, on tombe encore dans un domaine d'importance primordiale pour l'industrie. On y réfère à la page huit et subséquentes de notre mémoire.

Je crois que la présence de sièges sociaux à Montréal, surtout, est une industrie en elle-même. Dans le mémoire, on mentionne qu'il y a au moins 250 sièges sociaux majeurs à Montréal. Je crois que c'est le problème d'une industrie, par soi-même.

Dans le domaine manufacturier, les ressources humaines constituent vraiment le principal atout d'une entreprise.

S'il n'y a pas une distinction peut-être un peu plus claire que celle qui est énoncée en ce moment à l'article 113, on voit des contraintes au fonctionnement efficace des sièges sociaux des grandes et des moyennes entreprises au Québec. Il y certaines contraintes dans les autres sections de la loi qui entrent en jeu, s'il n'y a pas une distinction faite à l'article 113. Un exemple du genre de contraintes que nous avons en tête, c'est celle que l'on retrouve à l'article 37 où il nous semble qu'on sera obligé de justifier tout emploi qui sera accompli dans une langue autre que la langue officielle.

Je dis cela au point de vue pratique. Quel sera le fardeau de la preuve telle qu'on la voit aujourd'hui dans la loi? Est-ce que ce sera simplement assez de dire: Voici un bonhomme qui transige avec une succursale en Ontario ou une autre aux Etats-Unis ou ailleurs, il a donc besoin de l'anglais? Est-ce qu'on accepte cela comme une preuve ou est-ce qu'on va plus loin et qu'on demande une preuve plus approfondie une preuve quasiment "beyond a reasonable doubt", comme on dirait en anglais? Donc, on voit cela comme une contrainte, au moins à l'article 113 où il y a une référence au statut plus particulier des sièges sociaux et des fonctions qui s'accomplissent à ces sièges sociaux.

On voit aussi des contraintes à l'article 30, évidemment, concernant les professionnels, du fait qu'ils doivent avoir un permis pour accomplir leur profession ou transiger dans leur profession dans la province de Québec. Ici, on fait une distinction concernant les professionnels qui travaillent pour une industrie qui n'a pas directement af- faire au public. Concernant le professionnel, que ce soit un ingénieur, que ce soit un architecte, que ce soit un avocat qui travaille pour une société, s'il n'a pas affaire au public, on fait une distinction. Pour avoir une certaine mobilité de ces gens, on estime qu'il devrait y avoir une extension quelconque vis-à-vis de ces gens qui travaillent à des sièges sociaux.

On voit la même sorte de contrainte, évidemment, à l'article 52 concernant l'éducation. On se dit qu'on n'est pas des experts dans le domaine de l'éducation, mais on voit cela comme une contrainte à la mobilité des gens.

Au siège social d'une grande entreprise, il faut qu'elle aille chercher, recruter ses gens un peu partout. Donc, plus de difficultés à avoir nécessairement la sorte de personnes, tout en faisant notre grand possible pour remplir les tâches ici, mais ce n'est pas toujours possible. On voit cela comme une contrainte sur la mobilité d'avoir à attirer ces gens. S'il n'y a pas une distinction à faire au siège social, nous voyons cela encore comme un problème vraiment pratique qui pourrait survenir. Donc, nous croyons qu'on pourrait peut-être ajouter à l'article 113 quelque chose comme une phrase qui pourrait dire: On doit tenir compte de la situation particulière du siège social d'une entreprise en considérant l'application de toutes les autres prévisions de la présente loi.

M. le Président, je crois que j'ai fait le tour d'horizon des principaux points que nous avons à mettre de l'avant à votre commission aujourd'hui. Il y en a beaucoup d'autres dans le mémoire. Nous sommes prêts à répondre à vos questions, (voir annexe 1)

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Brady. Vous avez pris le temps mis à votre disposition. C'était vraiment bien synchronisé. Je donne la parole au ministre d'Etat au développement culturel.

M. Laurin: Je remercie beaucoup l'Association des manufacturiers canadiens pour le mémoire qu'ils viennent de nous présenter. Je suis heureux de continuer avec eux le dialogue que j'ai déjà eu, il y a un mois et demi, lorsque je suis allé les rencontrer et que je me suis entretenu avec eux près d'une heure et demie dans un échange comportant questions et réponses.

Evidemment, c'est une association extrêmement importante dans le paysage québécois. Il me fait plaisir de le reconnaître. Quand M. Brady nous dit qu'il représente près de 80% des entreprises oeuvrant dans le secteur secondaire au Québec, cette simple affirmation donne sûrement beaucoup de poids à leurs représentations et recommandations. C'est d'ailleurs à leur intention que je disais déjà, en décembre, que les hommes d'affaires constituent pour nous des partenaires essentiels et respectés et que nous prêterions beaucoup d'attention à leurs demandes.

Je suis heureux que l'Association des manufacturiers reconnaisse au départ qu'il y a nécessité d'accroître l'usage du français dans le monde des affaires. C'est là un point de consensus qu'il me

fait plaisir de souligner. J'ai lu avec beaucoup d'attention le mémoire qui est, en effet, plus long que ce que M. Brady nous en a dit ce matin. C'est un mémoire bien préparé, qui a été préparé avec beaucoup de soin et d'habileté aussi, je dois le dire, et qui utilise très bien les pressions que peut faire jouer un organisme de ce genre.

J'aimerais maintenant parler de certaines recommandations que nous fait l'Association des manufacturiers. En ce qui concerne l'article 106, évidemment, il s'écoulera plusieurs mois avant que nous ayons besoin de ce genre de règlements, puisque ce n'est qu'après l'obtention d'un certificat de francisation que l'on pourra en utiliser telle ou telle partie.

Le comité chargé de la préparation de ce règlement est à l'oeuvre, travaille d'arrache-pied depuis déjà quelques mois, car il est très long d'inventorier, un peu comme l'a laissé sous-entendre M. Brady, toute la liste des avantages, primes, concessions, permis, contrats que peuvent négocier entre eux, non seulement le gouvernement, mais tous les organismes de l'administration, les institutions d'enseignement, les services sociaux, les entreprises d'utilité publique, d'une part, et les divers manufacturiers, d'autre part. Il n'est donc pas étonnant que nous ne soyons pas encore en mesure de déposer ce règlement.

Mais je pense que je peux rassurer immédiatement l'Association des manufacturiers en ce qui a trait à leur inquiétude la plus aiguë ou la plus lancinante, celle qui concerne la perte possible du permis d'exploitation. Il n'est sûrement pas dans nos intentions de suspendre ainsi une épée de Damoclès au-dessus de quelque entreprise que ce soit et de lui retirer le droit de vie si elle n'obtient pas un certificat de francisation. C'est donc un des permis que l'on peut considérer comme exclu, dès le départ.

Evidemment, il y en a beaucoup d'autres, et je sais que le comité continue son travail commencé, d'ailleurs, il y a déjà quelques années, même en 1973 ou 1974, et j'espère être en mesure d'annoncer un progrès sous ce rapport dans les plus brefs délais possibles.

Je reconnais la remarque que veut bien nous faire l'Association des manufacturiers, qu'il y a lieu de se poser des questions sur ce genre de sanction quand, déjà, il y a une autre sanction prévue comme recours général à l'article 163 et le souci qu'ils ont, peut-être, d'éviter une double pénalité, une pénalité économique et une pénalité judiciaire. C'est sûrement une réflexion qui est sérieuse et que nous considérerons à son mérite.

En ce qui concerne l'article 114, l'Association des manufacturiers nous souligne, à juste titre, que l'établissement de comités de francisation auxquels participeront, pour un tiers, les salariés, soit non syndiqués, ou syndiqués, peut poser, dans certaines entreprises, des problèmes complexes.

Evidemment, M. Brady parle des cas extrêmes où il s'agirait, par exemple, de très grosses entreprises comportant plusieurs succursales, plusieurs filiales, qui auraient plusieurs syndicats accrédités appartenant à diverses centrales syndicales et aussi des ouvriers non syndiqués. Ce n'est quand même pas la majorité des entreprises. Je pense que les cas où pareille éventualité pourrait se produire ne sont pas la majorité.

J'ajouterai aussi que même si une solution préconisée comporte de nombreux problèmes pratiques, quelque complexes qu'ils soient, ils peuvent toujours être réglés si on y met le temps, le soin, l'intelligence nécessaires. D'autre part, ils ne font pas disparaître la nécessité du principe qui a pu présider à l'énoncé de tel ou tel article ayant trait a ce problème.

J'ai déjà eu l'occasion de m'en expliquer lors de ma première rencontre avec l'Association des manufacturiers. Si le gouvernement a cru bon d'insérer cet article dans la loi, c'est qu'il nous semblait tout à fait normal que les salariés et surtout les ouvriers participent à l'élaboration de la politique linguistique de l'entreprise en raison des informations nombreuses, détaillées, factuelles qu'ils sont peut-être les seuls à pouvoir apporter à l'entreprise. Car même si la gérance connaît son entreprise, il reste qu'elle peut la connaître de haut, en gros, et qu'elle peut ignorer certains problèmes existentiels, quotidiens, qui se situent aux échelons inférieurs de l'entreprise. C'est souvent à ce niveau, d'après beaucoup d'enquêtes qui ont été faites, que certaines injustices, parfois, peuvent exister ou que certains problèmes aussi peuvent exister, qui ne sont pas soumis à l'attention de la direction et dont la solution peut tarder. Par ailleurs, il nous semble que le travailleur est intéressé — surtout au Québec, où la majorité des travailleurs sont francophones — d'une façon vitale à la francisation d'une entreprise dont il sera le premier à retirer les bénéfices puisque ceci aura pour conséquence la francisation, par exemple, des manuels d'instructions et d'exploitation ou la francisation des communications, non seulement horizontales, mais surtout verticales entre les divers paliers de l'entreprise. Il nous a semblé que cette mesure pourrait augmenter l'efficacité en même temps que le caractère réel de l'entreprise de francisation, en ce sens qu'elle collerait véritablement aux réalités et que chacun apporterait, à son niveau, la part d'information, de consultation qui est la sienne.

Peut-être que c'est une façon d'intéresser aussi davantage l'ouvrier à la bonne marche de l'entreprise, l'intéresser davantage à son succès. Par ailleurs, il est bien dit dans l'article qu'il ne s'agit que d'une participation, qu'il ne s'agit pas d'enlever à la direction de l'entreprise son droit de gérance, puisque cette participation des employés ne peut jamais dépasser le tiers de la composition du comité de francisation. Le droit de gérance ne risque donc pas d'en souffrir d'une façon majeure, en tout cas, puisque les travailleurs y seront toujours en minorité.

Je retiens, malgré tout, la suggestion de l'Association des manufacturiers de penser à des comités de francisation à double palier, un qui se situerait au niveau de la gérance et l'autre qui se situerait au niveau des entreprises. Nous l'étudie-

rons et nous serions prêts à avoir des suggestions additionnelles à cet égard de la part de l'Association des manufacturiers. Pour notre part, nous étudierons ces problèmes pratiques et complexes que souligne M. Brady afin d'y apporter la meilleure solution possible, mais sans renoncer au principe qui nous a paru nécessaire, qui nous a paru présider à l'insertion de cet article qui nous paraît nécessaire dans le projet de loi.

En ce qui concerne les sièges sociaux, déjà nous avons fait droit à la principale représentation qui nous avait été faite lors de la période préliminaire de consultation.

Il est possible que le libellé actuel de l'article 113 ne donne pas encore satisfaction complète à l'Association des manufacturiers. D'ailleurs, c'est pour cette raison que le gouvernement a envoyé récemment en Europe une mission, qui vient juste de revenir, d'ailleurs, il y a deux jours, qui devait étudier, dans quelques pays d'Europe, le fonctionnement des sièges sociaux en rapport tout particulièrement avec les langues qui peuvent y être en usage. Ce rapport me sera remis dans les jours qui viennent et j'ai bien l'impression, de par la composition de la mission qui s'est rendue en Europe — il y avait, par exemple, des représentants du patronat dans cette mission — que des recommandations nous seront faites. Je ne sais pas dans quel sens elles iront. Il est possible qu'elles aillent dans le même sens que celles que vous nous faites aujourd'hui.

Mais, à première vue, de par l'expérience accumulée par la régie, il paraît difficile d'être très spécifique dans un article de loi à ce sujet. En effet, l'article de loi énonce un principe et il revient ensuite aux organismes, dans les travaux de négociation qu'ils poursuivent avec l'entreprise, de faire droit à la situation particulière des divers sièges sociaux. Il y a des sièges sociaux nationaux, il y a des sièges sociaux régionaux, comme vous le soulignez d'ailleurs dans votre mémoire. Même entre sièges sociaux nationaux, il n'est guère de sièges sociaux qui se ressemblent tout à fait de l'un à l'autre. Peut-être qu'il est plus facile d'assurer la souplesse qui convient à l'application d'une loi en n'incluant pas trop d'éléments contraignants dans un article de loi. De toute façon, sur ce point, je pense que je peux vous dire que j'étudierai avec attention le rapport de la mission qui me sera remis prochainement ainsi que les articles de votre mémoire qui s'intéressent à ce sujet.

Mais je voudrais quand même ici vous poser une question. Il semble se dégager de votre mémoire que vous êtes presque convaincus que seul l'anglais peut être vraiment la langue d'un siège social au Québec. Je me demande si l'affirmation n'est pas trop générale. Pour ma part, je suis bien convaincu que la langue de communication d'un siège social situé au Québec avec ses filiales situées dans d'autres provinces ou à l'étranger, surtout aux Etats-Unis, ne peut être que l'anglais, mais est-ce que cela veut dire nécessairement que toutes les activités au sein d'un siège social sont tournées vers la face externe? J'imagine qu'il y en a un certain nombre qui sont plutôt orientées vers le côté interne des activités du siège social. Est-ce qu'il est possible d'envisager, à ce niveau des opérations internes du siège social, de faire droit davantage à la langue du pays où se trouve le siège social? Est-ce qu'il va de soi, par exemple, qu'étant donné que les relations externes se font en anglais toutes les communications internes doivent également se faire en anglais? J'aimerais beaucoup avoir, sur ce point, des explications additionnelles.

M. Brady: Parmi les deux ou trois points que vous avez soulevés, M. le ministre, je crois que le point primordial est celui de la souplesse dans les opérations d'un siège social. Je crois que, sur ce point-là, on est d'accord et même l'amendement que nous avons proposé, ce n'est pas pour mettre des règlements détaillés. Je crois que ce serait quasi impossible de couvrir la gamme de situations qui peuvent exister dans les sièges sociaux, soit à Québec, soit à d'autres endroits. Sur l'autre question, à savoir si l'orientation de notre mémoire semble dire qu'il faut que toutes les communications d'un siège social soient en anglais, je ne crois pas qu'il faille exclusivement que les communications d'un siège social soient en anglais.

Je ne crois pas qu'on ait visé ce point-là non plus. Je crois aussi, de la manière dont la loi est rédigée en ce moment, qu'il y a une distinction entre communications qu'on dit internes et communications externes d'un siège social. En pratique, souvent cette distinction n'existe pas. Le commis qui prend des commandes dans une section de mise en marché, souvent, c'est axé sur une orientation du produit. Donc, il sera appelé à transiger avec des gens au Québec, et si c'est une multinationale, à transiger avec des gens ailleurs.

Quand vous parlez de sièges régionaux, dans un siège social, les communications ne sont pas divisées nettement et carrément entre Québec et le reste du Canada ou le reste du monde. Je sens, dans la loi, qu'il y a un peu trop de distinction carrément entre communications internes au siège social vis-à-vis des opérations à Québec à l'encon-tre de ce qui se fait ailleurs. Dans la pratique et peut-être avec l'ampleur des opérations, cette distinction n'existe pas. Ceci dit, il y a beaucoup de choses qui peuvent être faites en français dans les sièges sociaux et il y en a de plus en plus. Les contacts avec les usines, les communications, tout ça peut être fait. On ne peut faire une distinction nette et claire dans beaucoup de domaines. Le même type peut être appelé à travailler, à vendre ou à faire quelque travail que ce soit concernant un produit. C'est un concept plus global.

Cela prend peut-être une orientation et une connaissance de la langue officielle, mais une connaissance assez aigûe et assez approfondie, dans beaucoup de fonctions, de l'anglais.

M. Laurin: A quelques endroits de votre mémoire que j'ai lu, j'ai cru remarquer, ce qui n'est guère étonnant d'ailleurs, que les chefs d'entreprises voudraient bien être les seuls à pouvoir déci-

der de l'endroit, du moment où la connaissance d'une autre langue, en l'occurrence l'anglais, est appropriée. Cependant, nous voyons, d'après les enquêtes qui ont été faites et même quand nous regardons simplement les annonces qui sont faites dans les journaux, les offres d'emploi et les demandes d'emploi, que la plupart du temps, pour n'importe quel emploi, la connaissance d'une autre langue est exigée.

Ici, à la commission, nous avons entendu, par exemple, l'autre jour, une dame Lepage qui nous disait qu'en date du 11 mai, elle avait vu, dans la Presse, que pour 75% des emplois, même pour des métiers manuels, on demandait la connaissance de l'anglais. Ceci nous fait craindre un peu de se fier entièrement à l'entreprise pour décider de la nécessité du bilinguisme, par exemple. C'est à la lumière de ce qui nous a souvent paru être des demandes indues ou excessives que le gouvernement a cru nécessaire de spécifier d'une façon formelle les cas, les emplois, les types d'emploi où une connaissance de l'anglais pouvait s'avérer essentielle, pour telle ou telle personne.

Je me demande s'il n'y a pas ici deux conceptions qui s'opposent ou tentent de se compénétrer. J'aimerais avoir votre expérience à vous là-dessus...

M. Brady: Je crois que, là encore, il y a peut-être des distinctions à faire dans ce domaine.

Je ne fais pas l'analyse des annonces pour des gens qui ont besoin d'une connaissance de l'anglais, mais si vous regardez le petit sondage — cela fait longtemps que le sondage a été fait — on indique, premièrement, au niveau de la production, si je me rappelle bien, que 90% ou plus, cela ne demandait pas une connaissance de l'anglais. Même au niveau de contremaîtres ou surveillants, 75% ne demandaient pas une connaissance de l'anglais.

C'est surtout lorsqu'on se retrouve dans les sièges sociaux; cela devient plus difficile, à ce moment-là, de définir et d'établir nettement et clairement que cette fonction on peut l'exercer en français exclusivement, ou en étant bilingue, ou en anglais. Cela devient extrêmement difficile. Toute chose et possible, cela ne sert à rien de dire qu'on n'est pas capable. Mais, à un moment donné, c'est une question de coût. Est-ce qu'on peut supporter les coûts? Peut-être que je peux sortir de la parenthèse de parler de la langue pour le moment.

Devant d'autres comités, on dit que l'industrie canadienne, l'industrie québécoise, dans le moment, se fait dépasser d'à peu près 20% à 25% dans ses coûts de fonctionnement. Donc, il y aurait moyen d'avoir un système en duplicata. Je crois qu'on ne pourrait pas assumer le coût à ce moment-là. Aux sièges sociaux, cela devient beaucoup plus difficile de vraiment dire: Celui-là... Il y a des cas. Evidemment, il y a des cas où le vendeur qui a une clientèle exclusivement française fonctionne en français. Je crois qu'il y a une grande reconnaissance et qu'elle va accélérer. Mais de là à être capable, un par un, de faire la distinction, c'est difficile.

Je crois que M. Daviault voudrait apporter une intervention.

M. Laurin: Avant que M. Daviault réponde, je voudrais dire, par ma question, que le gouvernement se demande s'il doit laisser carte blanche à l'entreprise dans ce domaine, parce que cette liberté complète, dans le passé, a abouti à une sorte de bilinguisation massive à tous les niveaux, à tous les échelons, en ce qui concerne les offres d'emplois, les demandes d'emplois. C'est précisément ce qui semble difficile à accepter, ce qui est sûrement difficile à accepter par une proposition croissante de francophones au Québec.

Je me rends bien compte que c'est beaucoup plus difficile pour une entreprise d'effectuer ses opérations au Québec qu'en Ontario. En Ontario, ce problème ne se pose pas, évidemment. Dans ce sens-là, c'est sûr qu'une entreprise ontarienne est plus concurrentielle avec une entreprise de la Colombie-Britannique ou du Manitoba que celle du Québec peut l'être avec celle de l'Ontario. Si on tient compte de cette caractéristique, de cette distinction, si on veut la respecter, elle implique des coûts, elle implique des mécanismes difficiles.

Mais, d'un autre côté, je pense qu'au Québec il faut tempérer, harmoniser des objectifs différents qui peuvent, bien sûr, avoir une incidence sur les coûts, mais cela peut s'avérer nécessaire en vertu d'autres impératifs.

M. Daviault (Pierre): Si vous me permettez, M. le ministre, d'ajouter une précision à ce que M. Brady disait, je pense que personne ne peut prétendre qu'une connaissance de l'anglais est nécessaire pour être manoeuvre dans une usine. Si cela a pu exister dans le passé, je pense que cela existe de moins en moins et les chiffres que nous avons présentés tendent à prouver cette chose-là.

Rendu au niveau du contremaître, rendu au niveau du directeur d'usine, le problème se pose de façon plutôt différente. Ces gens-là peuvent probablement fonctionner entièrement en français. Il y a peut-être une question de temps, de délai, qu'il faut considérer pour mettre en application les programmes de francisation, mais c'est sans doute possible, et, dans bien des cas, désirable.

Mais c'est la connaissance de l'anglais à laquelle il faut s'attacher, chez ces gens-là. Si le type veut rester manoeuvre, d'accord, il n'aura jamais besoin d'anglais. Mais si le contremaître veut devenir directeur d'usine, si le directeur d'usine veut devenir directeur d'une division et président de sa compagnie, là, l'anglais est nécessaire.

Qu'on le veuille ou non, c'est une contrainte qui nous est imposée par le fait que nous sommes une petite proportion en Amérique du Nord.

M. Laurin: J'ai étudié aussi votre recommandation en ce qui a trait à l'article 30 qui touche les professionnels. Je me demande si on peut dire qu'il y a un seul professionnel — vous avez pris l'exemple du chimiste — qui n'ait pas à avoir des contacts avec quelqu'un. Même s'il n'a pas de contact avec le grand public, il a quand même des contacts avec ses collègues, avec des techniciens

de laboratoire, avec des travailleurs. A ce moment-là, on peut penser que l'emploi d'une autre langue peut s'avérer utile, pour ne pas dire nécessaire. On ne peut jamais être sûr non plus si un chimiste qui travaille dans un laboratoire n'aura pas un jour à aller dans l'usine pour donner ses instructions à des ouvriers qui peuvent, par exemple, être occupés à mettre en oeuvre le procédé mis au point par le chimiste. Par ailleurs, un chimiste, même dans une entreprise, ne vit pas entièrement dans son entreprise. Quand il a fini son travail, il se retrouve dans une communauté qui a ses caractéristiques sociales, culturelles. Est-ce que ce n'est pas dans son intérêt aussi de s'insérer davantage dans cette communauté, de profiter des apports qu'elle peut lui donner?

C'est un peu pour toutes ces raisons que le gouvernement a modifié l'article 30 dans le sens qu'il l'a fait. Je me demandais si vous aviez des commentaires à faire sur cette approche plus générale que nous avons prise.

M. Brady: Je comprends bien la situation. Si le type veut s'insérer dans la culture où il vit, c'est certainement un avantage pour lui de parler la langue officielle, mais si vous me permettez de faire une distinction, dans le monde industriel, souvent pour aller chercher le spécialiste... Souvent, il va travailler... Evidemment, je ne peux pas dire qu'il n'aura pas un contact avec personne ou qui que ce soit, mais dans sa spécialité, à rencontre de contacts généraux avec le public, qui pourrait être offensé parce que M. Untel ne parle pas le français, dans sa spécialité, souvent c'est nécessaire d'avoir ce bonhomme. Voici un exemple concret. Chez nous, il y a des acheteurs qui ont de l'expérience pour acheter du matériel brut dans le sud des Etats-Unis. La seule place où ces gens prennent leur expérience, apprennent leur métier, c'est là. Le coton, il n'y a pas moyen d'en faire pousser encore ici. Ce bonhomme, avec toute la bonne volonté du monde, c'est extrêmement difficile de lui imposer cette condition. Il y a moyen qu'il fonctionne sans offenser d'autres gens qui sont ses confrères de travail, ses collègues. Avec ces gens, il y a toujours moyen d'avoir un intermédiaire qui va faire une traduction qu'il va transmettre, etc.

Ce sont des situations quasi exceptionnelles. Je crois qu'à votre point de vue, cela ne rendra pas l'épanouissement très large, mais au point de vue de grandes sociétés, de spécialistes dans des disciplines données, c'est vraiment une contrainte.

M. Laurin: Je vous remercie beaucoup de vos réponses.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Merci, M. le Président, M. Brady, je vous remercie, ainsi que l'Association des manufacturiers canadiens, division de Québec, pour le mémoire que vous nous avez soumis. Vous avez eu l'occasion, en réponse à des questions du mi- nistre, de clarifier certains des sujets particuliers soulevés par votre mémoire. Je vais donc m'en tenir plus particulièrement aux autres.

Je souligne tout d'abord le désir qu'on voit, qu'on retrouve dans ce mémoire de votre association de s'associer aux efforts faits par le gouvernement, en particulier dans la grande démarche de la francisation des entreprises au Québec. La courte expérience que j'ai eu à vivre pendant deux ans dans ce domaine m'a convaincu que, sans la collaboration et l'appui du milieu des affaires, toute tentative d'accomplir quelque chose dans ce sens pourrait assez difficilement produire des résultats concluants.

Vous insistez, au début de votre mémoire, sur la coercition et, à la page 2 en particulier, vous vous inquiétez "du fait que le projet de loi recoure à des mesures coercitives plutôt qu'incitatives." Pouvez-vous préciser? D'ailleurs, un peu plus loin, à la page 3, vous dites: "Plusieurs aspects du projet de loi, du moins dans leur forme présente, seraient susceptibles de provoquer des effets contraires." J'aimerais, tout d'abord, que vous expliquiez la coercition versus l'incitation et, deuxièmement, que vous nous disiez quels sont ces aspects du projet de loi — j'aimerais que vous nous aidiez ici, à la commission, on est ici pour cela, et que vous nous donniez des précisions — qui sont susceptibles, d'après vous, de produire des effets contraires. On ne doit pas présumer que ce soit là l'intention du gouvernement. C'est notre rôle ici de l'éclairer.

M. Brady: Je vais vous répondre, M. Lalonde. Je ne veux pas revenir sur du vieux terrain, mais je crois que cela s'enchaîne un peu dans tout. Je crois qu'on a touché à deux ou trois endroits où nous voyons un aspect coercitif plutôt qu'incitatif. Je vous renverrais à toutes les argumentations que nous avons présentées, par exemple, sur l'article 106, la question de permis, la question des contrats. J'ai écouté aussi les commentaires du ministre sur ce point. On ne tentait pas de tenir ces choses comme une épée de Damoclès. Peut-être que, s'il y a des améliorations dans ce domaine, on verra cela sous un aspect moins coercitif. Tel que c'est écrit dans le moment, on en voit un peu les éléments coercitifs à l'encontre des éléments incitatifs.

On voit la même chose à l'article 37 où il semble y avoir un fardeau de la preuve dans notre opinion, à tort ou à raison, il semble un peu difficile de prouver qu'une tâche quelconque ou toute une gamme de tâches ont besoin de l'anglais. Il y a peut-être un point que j'avais oublié dans la première présentation, tout cela se présente dans un aspect où il y a peu d'appels. Il n'y a pas d'appel, à moins que des poursuites ne soient intentées à un moment donné. Il y a une série de décisions qui peuvent être prises pour ce qui est de donner ou de ne pas donner un certificat de francisation. De la manière dont on est orienté dans le moment, il n'y a pas de procédure d'appel. Alors, on voit dans ces domaines des aspects coercitifs.

M. Lalonde: M. Brady, à ce moment, est-ce que vous croyez qu'une incitation suffisante serait efficace pour obtenir les résultats escomptés?

M. Brady: Vous me demandez une opinion; je crois sincèrement que oui. Je crois que les manufacturiers canadiens, la division du Québec en particulier, ont un dossier extrêmement bon, surtout depuis sept ou huit ans, d'après notre sondage, d'après les préoccupations que nous avons eues dans ce domaine afin de franciser davantage les entreprises. D'ailleurs, comme hommes d'affaires pratiques, on ne veut pas résister à l'utilisation de la langue traditionnelle de la place. On veut simplement dire: Ne mettez pas de contrainte additionnelle qui va nous créer des difficultés face à nos concurrents. Cela revient un peu à la page 3 où on parle de la baisse de l'emploi. On veut qu'il y ait de l'expansion, afin qu'il y ait une meilleure situation industrielle au Québec. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

M. Lalonde: Je comprends que vous préféreriez l'incitation et vous la croyez aussi efficace. Est-ce que, depuis 1970, vous avez été à même de mesurer le progrès, s'il y a progrès, qui aurait été fait dans la francisation au moins des membres qui font partie de votre association?

M. Brady: Je n'ai pas de chiffres précis. Je ne pourrais pas vous les offrir, mais il y a eu plusieurs pas qui ont été faits. Par exemple, c'était à l'incitation de l'Association des manufacturiers du Québec que le centre linguistique a été formé, centre linguistique qui comportait les 80 ou 90 plus grosses compagnies au Québec. Le but primordial de ce geste était de savoir comment la francisation pouvait se faire et tout ça en restant dans un bon milieu d'affaires. Il y a eu ces gestes de posés. Il y a eu plusieurs exemples. Les gens sont venus chez nous. A ce moment-là, c'était l'Office de la langue française, avant que ça devienne la régie, ils sont venus faire une étude, dans une de nos succursales à Saint-Jean, en 1973, où on nous a cotés comme opérant à 93% en français. J'ai eu la visite d'une mission de la France, la semaine dernière. On a regardé le schéma, dans cette usine en particulier, on a regardé le schéma de la direction de cette usine et, sur 31 personnes à la direction, dans les cadres, il y avait un anglophone. Je crois que l'effort est là. Avec l'incitation, ça ne diminuerait pas l'effort, M. Lalonde.

M. Lalonde: M. Brady, dans votre mémoire, vous illustrez, je pense, assez bien le danger que représentent les articles 106 et 163, je crois, de produire une double pénalité pour la même faute. Je crois — c'est mon opinion actuellement, quitte à la changer; on pourra faire ça à une étape plus avancée du projet de loi — que c'est à cause du choix, de l'option que le gouvernement a faite d'injecter la coercition dans ce processus, tout en gardant les mesures incitatives qui existaient autrefois, c'est-à-dire qui existent actuellement en vertu de la loi sur la langue officielle.

Alors, on se trouve à avoir une double pénalité. Vous avez mentionné le défaut d'appel. Vous le faites à la page 14. Vous l'avez mentionné, d'ailleurs, dans une de vos réponses. Cela m'amène à vous demander ce que vous pensez — vous n'en faites pas état dans votre mémoire, je pense — de la composition de l'office telle que suggérée par le projet de loi. Je mets en comparaison la composition de la régie actuelle, qui est une direction collégiale avec un droit d'appel en ce qui concerne les programmes de francisation et les certificats de francisation, et la direction proposée par le projet de loi no 1, qui devient une direction unique et sans droit d'appel.

M. Brady: Vous nous l'avez dit, nous n'avons pas partagé le format de l'office comme tel. Nous avons indiqué, à la page 14 de notre mémoire, que dans les situations où on enlèvera ou on tentera d'enlever un permis de francisation, il devra y avoir des avis préalables. Même pour des poursuites, on devra prévoir un avis préalable aux poursuites et accorder aux entreprises une période raisonnable, disons six mois, pour apporter les changements nécessaires avant qu'on puisse invoquer une situation d'infraction. En d'autres mots, qu'on n'arrive pas comme un cheveu sur la soupe. S'il y a quelque chose qui doit être corrigé, qu'on nous donne un avis préalable. Peut-être que ça va se faire, en pratique, mais il n'y a pas d'indication, à ce moment, dans la loi ou dans les règlements, qu'on ne pourrait pas être visé par une poursuite avant qu'on puisse rectifier une situation.

M. Lalonde: Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Dussault): M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Je vous remercie de votre mémoire. Ma première réaction, M. le Président...

M. Grenier: M. le Président...

Le Président (M. Dussault): Oui, M. le député.

M. Grenier: ...vous avez changé votre directive, à savoir que c'étaient deux députés de la même formation avant de passer à l'Union Nationale?

Le Président (M. Dussault): Je m'excuse. Les directives que m'a laissées l'ex-président, si on peut dire, étaient de passer ensuite au député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: M. le Président, je peux laisser parler le député de l'Union Nationale et je prendrai la parole après, si vous me l'accordez.

Le Président (M. Dussault): D'accord. Le député de Nicolet-Yamaska.

M. Fontaine: M. le Président, faisant référence au climat de travail au Québec, l'AMC semble rejeter on ne pas accepter la participation des syndicats au comité de francisation et, plus particulièrement, refuse que la question de la langue puisse devenir l'objet d'une enquête par un commissaire-enquêteur. Pourriez-vous expliciter votre pensée là-dessus?

M. Brady: Oui. Nous voyons deux chemins qui se suivent dans le moment. Je crois que le climat des relations de travail pourrait certainement être amélioré. Il y a des efforts de part et d'autre, d'essayer de faire cette amélioration. Si dans le projet de loi concernant la langue, il y a un mélange des deux, nous croyons que dans la loi et dans les règlements il y a amplement de moyens de faire de la francisation et d'invoquer des pénalités s'il y a lieu. Mais si on transpose les articles 33 à 40 à un commissaire-enquêteur et en vertu du Code du travail, nous croyons qu'à ce moment vous mélangez toute la question de la langue et les relations de travail et nous croyons qu'on pourra créer une situation davantage conflictuelle. Chacun à sa place. Ne mélangeons pas les deux.

M. Fontaine: N'acceptant pas les syndicats aux comités de francisation des entreprises, surtout les grosses entreprises, celles où on retrouve des syndicats, quels sont les mécanismes que vous pourriez prévoir pour assurer que le travailleur puisse véhiculer ses plaintes lorsqu'il ne pourra pas travailler en français?

M. Brady: Je crois que la suggestion que nous avons faites est d'avoir un comité de francisation à deux paliers. Premièrement, il y a une décision à prendre d'appliquer un programme de francisation. Quelle serait la gamme de mesures à prendre? Combien cela pourrait-il coûter, etc?

Ce serait un comité dit décisionnel, on pourrait voir une ou plusieurs unités. La situation que j'ai décrite n'est pas unique. Il y en a beaucoup où il y a plusieurs unités et souvent des syndicats différents. A ce moment, ce comité pourra certainement voir à ce que les normes de francisation soient appliquées, pourra voir toutes les possibilités, toutes les pénalités qui pourraient être appliquées.

Je crois qu'il y en a amplement. Ne confondez pas les deux. C'est la seule suggestion que je vous fais.

M. Fontaine: Vous affirmez également que l'usage du français, surtout dans les industries technologiques, n'est pas toujours possible et cela, quelle que soit la taille de l'entreprise en question. Pourriez-vous nous donner des exemples et nous dire comment il serait possible de faire des exemptions dans la loi pour ce genre d'entreprises?

M. Brady: Peut-être qu'il serait plus exact de dire que la langue anglaise est plus répandue comme une langue technologique, surtout avec les pressions parce qu'on est voisin des Etats-Unis, évidemment, et le reste du Canada. Il y a plus de pressions pour que la langue technologique se développe plus dans l'anglais.

Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas une langue technologique française. Mais, dans des instituts technologiques, si on est appelé à faire de grands travaux immédiats et sans une assez longue échéance, cela les placera dans une situation désavantageuse de coût vis-à-vis de leurs concurrents.

M. Fontaine: Dans le chapitre traitant des sièges sociaux, vous parlez du siège social comme étant très important et aussi très mobile. Y aurait-il, à l'Association des manufacturiers canadiens, un mouvement de déplacement de sièges sociaux, advenant que le gouvernement refuse de modifier sa politique sur les points importants que vous avez soulignés dans votre mémoire?

M. Brady: II y a deux choses qui sont mobiles, il y a le tourisme qui est mobile et peut-être que le capital est mobile aussi. Peut-être moins mobile qu'il a déjà été, mais il y a certainement une mobilité et vraiment, en étant manufacturier, on cherche à travailler dans l'ambiance la plus cordiale possible. Il y a beaucoup de facteurs qui font l'ambiance: il y a la disponibilité des matériaux, il y a la disponibilité de la main-d'oeuvre, il y a les coûts d'une région à l'autre. Je crois qu'il n'y a pas un seul facteur qui fait dire: Celui-là va partir d'ici aujourd'hui et il va s'en aller là. Mais quand vous faites votre liste de facteurs, si, d'après votre liste de facteurs, l'ambiance ici dans la totalité est moins bonne que là, évidemment, il y a une attraction vers l'endroit où l'ambiance est plus attrayante pour le manufacturier en question.

M. Fontaine: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): II vous reste dix minutes pour tout le parti de l'Opposition officielle.

M. Ciaccia: J'essaierai de ne pas tout prendre pour laisser l'occasion à mes collègues de poser des questions.

Le Président (M. Cardinal): D'accord.

M. Ciaccia: M. le Président, MM. les témoins, souvent, quand on apporte des critiques sur plusieurs aspects des différents articles du projet de loi, du côté gouvernemental, le ministre ou d'autres porte-parole du gouvernement disent toujours: C'est normal. Par exemple, beaucoup de mémoires soulignent certains articles, comme vous les avez soulignés, l'article 106, l'article sur les commissaires enquêteurs, l'article 37. Il y a

même eu le Centre de recherches qui les a soulignés beaucoup et le monde des affaires qui semble trouver certaines objections aux mêmes articles. Je ne sais pas si c'est un manque de communication, je ne sais pas si c'est parce que le monde des affaires a de l'expérience dans les affaires et que les représentants du gouvernement sont plutôt du domaine académique, ils ont une différente perception: d'un côté on est académicien plutôt que d'avoir l'expérience que vous devez avoir tous les jours dans les affaires. Par exemple, à l'article 58, quand plusieurs témoins ont soulevé le problème des sièges sociaux et l'accès aux écoles anglaises pour ceux qui étaient transférés, la réponse du gouvernement a été: Oui, nous avons prévu dans l'article 58 que ceux qui étaient ici de passage temporairement pouvaient avoir la permission d'aller aux écoles anglaises. D'après votre expérience, est-ce que vous pouvez essayer d'expliquer si cet article 58... Remarquez que ce n'est pas une question d'essayer de préserver — il y a toujours des interprétations — des privilèges ou de ne pas accepter le français comme la langue de travail, la langue de communication ou de ne pas accepter le fait que nous soyons dans un milieu français. Je crois qu'on l'accepte tous et ceux qui viennent ici, s'ils veulent se prévaloir des avantages du Québec, doivent parler français. Mais du point de vue pratique, est-ce que l'article 58 est acceptable ou est-ce qu'il peut causer certains problèmes pour les compagnies qui ont exactement ces transferts à faire?

M. Brady: Je crois que si je vous ai bien écouté, M. le député, il y a deux situations. Il y a la situation du vrai transfert temporaire. Souvent, il peut y avoir un transfert temporaire. On sait qu'un bonhomme va s'en aller à Montréal, à Toronto, à Calgary ou au Texas, n'importe où pendant une période donnée. Peut-être. A ce moment-là, si on sait que le bonhomme s'en vient ici pendant une période de X années et que la période est la période définie à l'article, évidemment, cela pourrait suffire. Mais l'autre — et je crois qu'on l'a mentionné dans notre mémoire — c'est l'application de l'article 52, où à ce moment-là, surtout au siège social pour avoir la mobilité des gens, pour avoir une gérance bâtie à long terme.

Cela se bâtit sur 20 ou 25 ans et on amène les meilleurs gars d'un peu partout. S'il n'y a pas, à ce moment-là, la possibilité pour un anglophone du reste du Canada de venir ici, d'avoir l'ambiance scolaire, ça va être un ennui pour nous, c'est clair.

M. Ciaccia: Est-ce que vous croyez, d'après les chiffres que vous nous avez cités, que, pour l'industrie — je ne parle pas de la question de la langue d'enseignement ou de l'éducation, mais je parle de votre point de vue, tel qu'il vous affecte — c'était nécessaire d'avoir un projet de loi tel que rédigé devant vous à présent?

M. Brady: Je ne crois pas que c'était nécessaire d'avoir un projet qui va peut-être aussi loin.

Je crois que, dans le contexte actuel, il fallait avoir certaines lignes de conduite, comme on dit en anglais "certain guide-lines", mais je crois que le projet de loi, amendé selon les suggestions que nous avons faites, ira loin pour l'épanouissement du français dans le milieu manufacturier.

M. Ciaccia: Vous avez fait référence à l'article 114. Quelquefois, nous avons l'impression — je ne sais pas si c'est parce que c'est rédigé par des gens qui n'ont pas l'expérience que vous avez dans les affaires — qu'il y a une possibilité de créer des conflits. Le ministre a référé à des travailleurs individuels dans les compagnies. C'est pour leur assurer une protection qu'apparemment l'article 114 a été rédigé dans ce sens. Mais je voudrais faire remarquer que, si l'article 172 n'était pas dans le projet de loi, s'il y avait un programme de francisation et qu'il y avait toutes les règles, le droit pour une personne de travailler dans sa langue, je pense que, sans l'article 114, elle pourrait se prévaloir de la Charte des droits de l'homme si une compagnie faisait de la discrimination contre elle.

Alors, l'article 114 n'est pas nécessaire pour protéger l'individu; la Charte des droits de l'homme le fait déjà. Mais, en plaçant l'article 114 dans le projet de loi et avec l'article 172, on vous enlève les recours aux tribunaux. Alors, on crée des situations de conflits possibles. Je crois que vous avez bien fait de souligner au ministre les difficultés qui pourraient arriver avec ce genre d'article.

Une dernière question avant que je ne laisse la parole à mes collègues. Est-ce que vous acceptez le principe que certaines décisions, que j'appele-rais de régie interne, soient prises et contrôlées par les fonctionnaires d'un gouvernement sans recours aux tribunaux? Vous nous avez souligné qu'il y avait beaucoup d'articles de ce genre. Est-ce que vous acceptez ce principe, que ce soit à l'article 36 ou 37 ou à un autre?

M. Brady: Nous avons une grande difficulté à accepter ce principe où, avec toute la bonne volonté du monde, il peut y avoir différentes interprétations. Je peux dire que l'article 37 veut dire quelque chose. Vous pouvez dire que ça veut dire autre chose. A ce moment-là, de la manière dont c'est orienté, peut-être qu'on sera mis dans une situation équivoque. Quand l'interprétation du fonctionnaire sera mise en application, on sera obligé de dire: Peut-être qu'on ne pourra pas se plier à cette décision. Il y aura infraction et ce sera la seule manière d'en arriver à un appel, ce qui n'est pas une manière satisfaisante.

Evidemment, on aimerait bien mieux qu'il y ait au moins un processus d'appel pour ne pas être placé dans une situation d'infraction.

M. Ciaccia: Une question finale, M. le Président. Quelle opinion avez-vous du projet de loi? Est-ce qu'il va encourager les investissements et les sièges sociaux à s'implanter à Montréal, au Québec, ou est-ce que, de la façon dont il est ré-

digé maintenant, il va décourager ces investissements?

M. Brady: Dans la forme où il est rédigé maintenant, certainement que cela aura un effet négatif sur l'investissement.

M. Ciaccia: Merci beaucoup.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mégantic-Compton, avec cinq minutes pour votre parti.

M. Grenier: Vous êtes bien généreux, j'avais calculé qu'il me restait à peine trois minutes. M. le Président, vous m'excuserez si je suis arrivé en retard. J'ai raté la présentation des membres de la commission qui sont là. C'était quasiment un devoir pour moi d'arriver en retard, puisque je n'approuvais pas, vendredi dernier, le fait de faire siéger la commission lundi, ayant d'autres responsabilités dans mon comté.

Je voudrais savoir, M. Brady, dans votre association, au niveau des cadres, vous avez combien de parlant anglais seulement? Vous n'avez pas de chiffres?

M. Brady: Non, je n'ai aucun chiffre là-dessus. Les parlant anglais? Je n'oserais pas dire un chiffre, mais ils seraient dans une proportion minime.

M. Grenier: Minime. De parlant français seulement, au niveau des cadres toujours?

M. Brady: Au niveau des cadres? M. Grenier: Oui.

M. Brady: Au niveau des cadres, dans le sondage qui est annexé au mémoire, au niveau des cadres, on prévoyait que 75% des cadres pouvaient faire leur travail dans la langue française. Ce serait une indication du nombre qu'il peut y avoir.

M. Grenier: Est-ce que vous avez vérifié, dans votre sondage, si ces cadres-là étaient unilingues français ou s'ils peuvent faire une bonne partie de leur travail en anglais, je veux dire qu'ils sont capables de parler en anglais?

M. Brady: Je m'aventure peut-être, mais je dirais que 50% à 60% de ces gens-là ont une capacité bilingue. Ils parlent peut-être mieux le français, mais ils auraient une capacité bilingue.

M. Grenier: Au niveau des cadres également, depuis cette ère de francisation du Québec, qui date peut-être de 1961 ou 1962, sentez-vous qu'il y a une évolution importante?

NI. Brady: Je crois que oui, une évolution très importante.

M. Grenier: De manière incitative seulement? Vous constatez qu'il y a amélioration?

M. Brady: Oui.

M. Grenier: Oui. A l'article 58, avez-vous un grand nombre de gens, probablement au niveau des cadres aussi, qui sont des personnes qui doivent travailler au milieu de votre association et qui sont des gens qui viennent d'autres provinces du Canada, qui sont de passage ici, ou d'autres pays? Avez-vous un grand nombre de ces gens-là?

M. Brady: Je n'ai pas un nombre précis. Ce ne serait pas un grand nombre. Je n'ai pas le chiffre ici. Mais je crois que ce serait...

M. Grenier: Non. Je ne sais pas si je peux vous demander...

M. Daviault: Au niveau des cadres. M. Brady: Au niveau des cadres...

M. Oaviault: Au siège social, le chiffre est beaucoup plus élevé.

M. Grenier: Je n'ai pas entendu.

M. Daviault: Au niveau des cadres, au siège social...

Le Président (M. Cardinal): Veuillez approcher votre micro, s'il vous plaît.

M. Daviault: Au niveau des cadres, le chiffre serait sans doute beaucoup plus élevé.

M. Grenier: Plus élevé au niveau des cadres?

M. Daviault: Oui, sûrement. Pour une compagnie nationale. C'est sûr qu'une compagnie nationale recrute son personnel à travers le pays, et cela représente à peu près les proportions des différentes provinces.

M. Grenier: D'accord. Faites-vous affaires avec des architectes et des ingénieurs?

M. Brady: L'association en général, oui.

M. Grenier: Oui. Etes-vous au courant qu'actuellement des architectes font appel pour travailler au Québec ou que nos architectes font appel pour travailler à l'extérieur du Québec?

M. Brady: Je n'ai pas de précisions sur cette question. Je ne suis pas au courant.

M. Grenier: Non. Il faudra peut-être se tourner vers la Chambre pour demander ces chiffres, parce qu'il me semble que c'est une question qui est importante dans le moment.

Le ministre nous laissait entendre, tout à l'heure, qu'il y aurait de la latitude au niveau de l'article 106. Ce n'est peut-être pas l'occasion de préciser cet article, au sujet du retrait du permis. Est-ce que vous pourriez préciser, pour l'avantage de la commission, ou si vous aimez mieux atten-

dre l'étude article par article, à la deuxième lecture? Attendre? Merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Merci. Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie.

Le Président (M. Cardinal): Non. M. le député de Bourassa avec trois...

Mme Lavoie-Roux: Je vais donner ma place au député de Jacques-Cartier.

Le Président (M. Cardinal): Oui, je m'excuse. M. le député de Jacques-Cartier, il vous reste quatre minutes.

M. Saint-Germain: M. le Président, si vous me permettez, pour revenir au sujet des professionnels qui sont unilingues anglais et qui oeuvrent ou qui oeuvreront au niveau du développement industriel du Québec, je crois qu'il y a là un élément extrêmement important. Vous avez, par exemple, entre autres, mentionné un chimiste. On sait pertinemment qu'au Québec l'industrie chimique est très peu développée, même s'il y a plusieurs distilleries dans l'est de la ville; comparativement à l'Ontario, notre industrie chimique est d'arrière-garde.

S'il y avait un investissement considérable dans l'industrie chimique au Québec, vu que ce n'est pas là une science qui a été des plus populaires avant cette génération parmi les gens de langue française, il me semble évident qu'on soit obligé nécessairement de faire appel aux professionnels chimistes et, en plus, je dirais même qu'on serait probablement obligé de faire appel aux techniciens de laboratoire en chimie qui ne sont pas très nombreux au Québec.

Puisque cette loi veut bien franciser le Québec et qu'il semble y avoir un consensus vers la francisation du Québec, il est là question de bilan. Est-ce que ces professionnels, soit chimistes ou autres, que les industriels du Québec essaient d'engager, souvent à cause d'une nécessité primordiale, sont assez nombreux, à votre avis, pour réellement être un inconvénient à la francisation du Québec? Je suppose bien que 200 ou 300 ingénieurs ou scientifiques unilingues anglais qui arriveraient au Québec dans une atmosphère de francisation, ce ne serait pas un facteur primordial pour atteindre le but qu'on veut bien se fixer. Avez-vous un nombre? Vu qu'il faut nécessairement faire un bilan dans le sens que je viens de le décrire, il aurait été important, à mon avis, que, par l'entremise de vos membres, vous puissiez établir un certain bilan de cette nécessité, de ce besoin de professionnels au niveau du développement industriel du Québec.

M. Brady: Malheureusement, M. le député, je n'ai pas de nombre. Evidemment, ce sont des nombres minimes, dans le sens qu'il y a certainement à la portée, dans la province de Québec, soit de bons chimistes, soit de bons ingénieurs, soit de bons architectes, etc., et on s'en sert dans la mesure du possible. Souvent, dans une industrie quelconque, il y a des gens très spécialisés. Ce sont ces cas. Je crois que faire une exception de ces cas, de ces gens spécialisés qui ont un talent spécial à apporter, cela ne nuirait pas au programme général de l'épanouissement du français. On essaiera peut-être de faire un sondage, s'il y a moyen de mettre au dossier le nombre de professionnels qui sont dans nos entreprises, peut-être qu'il y aura moyen de mettre un nombre au dossier. S'il y a moyen, plus tard, M. le Président, de mettre ce nombre au dossier, peut-on vous le faire parvenir?

Le Président (M. Cardinal): Vous pourriez toujours communiquer avec le secrétariat de la commission. Nous verrons. C'est à la discrétion de la commission.

M. Saint-Germain: Vous vous donniez la peine...

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. le député de Jacques-Cartier, il vous reste une minute.

M. Saint-Germain: Une dernière question. Si vous vous donnez la peine de faire cette enquête, qui, à mon avis, serait extrêmement importante, peut-être pourriez-vous, en même temps, essayer de projeter dans l'avenir le nombre des autres Canadiens qui pourraient venir s'établir au Québec à la demande des industriels, des Canadiens en général? J'ai l'impression que, si on oblige tous les Canadiens qui viennent s'établir au Québec d'avoir à leur disposition des écoles anglaises, il y aurait peut-être là un autre inconvénient assez sérieux pour le développement industriel du Québec. S'il y avait là un handicap sérieux, par ricochet c'est la francophonie, si vous voulez, dans le Nord de l'Amérique, qui en soufrirait à long terme.

Je n'ai pas l'impression actuellement que cette demande est excessive, de Canadiens d'autres provinces qui devront être à l'emploi des employeurs de l'industrie du Québec. Je me demande si ce nombre est assez considérable pour déséquilibrer, si vous voulez, ce processus vers la francisation.

M. Brady: Je n'ai pas encore de chiffres. J'essaierai d'ajouter cela au sondage, s'il est acceptable à la commission au moment où il sera prêt.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Bourassa, trois minutes.

M. Laplante: Merci, M. le Président, je serai assez court. J'ai seulement deux questions. Vous vous inquiétez, pour les sièges sociaux, de la technologie, de l'éducation. Vous dites, à un moment donné, que vous avez peur d'une raréfaction des capitaux, d'une détérioration accrue du chômage. Ma première question: Avez-vous des étu-

des de faites depuis la loi 22, qui vous ferait en dire que les capitaux s'en iraient ou qu'il y aurait un accroissement du chômage?

M. Brady: Non, M. le député, nous n'avons pas d'étude précise sur l'investissement depuis le bill 22 jusqu'à maintenant. Je crois que j'avais mentionné tantôt que si, à un moment donné, on fait le bilan, si on regarde l'investissement de l'avenir et si on cherche où placer son argent pour une usine — là on parle de gros investissements, parce que pour la plupart des industries, l'investissement pour une usine neuve, c'est $75 millions ou $100 millions — s'il y a des contraintes additionnelles, cela va sans dire qu'on cherche l'endroit où il y a moins de contraintes. Ce n'est pas le seul facteur, mais c'est un facteur qui a de l'importance dans notre politique d'investissements.

M. Laplante: Est-ce qu'à ce moment, vous pensiez à une compagnie comme Alcan qui vient d'investir $200 millions? Est-ce que cela entrait dans vos vues aussi?

M. Brady: Je crois que c'est certainement un des facteurs qu'elle a pris en considération.

M. Laplante: Elle a investi quand même. M. Brady: Elle a investi quand même.

M. Laplante: Maintenant, vous vous préoccupez beaucoup aussi de l'article 114, lorsque vous niez un petit peu le droit aux associations de vos industries et aux syndicats à une participation. Vous voudriez aussi que ce soit assorti de responsabilités. En somme, ne croyez-vous pas qu'ils ont déjà une responsabilité en faisant partie de ce groupe pour l'obtention du permis? Ne serait-ce que cela? Parce qu'ils sont fiers de leur usine, qu'ils veulent travailler dedans, ils vont faire une certaine incitation pour obtenir ce permis.

M. Brady: Peut-être qu'il y a une distinction à faire entre ma définition de la responsabilité et celle que vous nous proposez. Celle que vous nous proposez, certainement, c'est une forme de responsabilité, mais la forme de responsabilité que je concevais, ce sont les pénalités, les obligations que la loi impose. Elle les impose aux sociétés, aux compagnies, à ce moment. Elles ne sont imposées aucunement à l'employé ou au syndicat, évidemment. C'est la nature du bill que la responsabilité, si le programme de francisation n'est pas appliqué, s'il y a des infractions quelconques, c'est dirigé là, évidemment. C'est de cette sorte de responsabilité que je parlais.

M. Laplante: Vous douteriez d'une bonne coopération des syndicats pour effacer tout cela? En somme, s'ils font leur travail, avec l'aide du manufacturier, il n'y aura plus de pénalités.

M. Brady: Je crois qu'avec la proposition que nous avons faite, on aura peut-être le meilleur des deux mondes.

Nous avons proposé un comité décisionnel à l'étape de la gérance et, à l'autre palier d'application pour mettre ce programme en jeu — pour une fois qu'on suit les normes du programme — la participation et, par unité, là où les problèmes sont semblables.

M. Laplante: Merci, monsieur.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le député de Bourassa.

Je veux remercier M. Brady et les autres porte-parole de l'Association des manufacturiers canadiens. Je veux aussi souligner que, si j'ai manifesté un peu de sévérité, c'est que, pour une première fois, nous avons fait un débat qui s'est terminé dans le temps qui nous est imparti par la motion, ce qui me réjouit beaucoup pour les autres invités au cours de cette journée et de cette semaine. J'espère que j'aurai toujours cette collaboration et des invités — merci, M. Brady — et des membres de la commission.

M. Brady: Les manufacturiers sont des gens efficaces, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. Brady: Merci de nous avoir entendus.

Le Président (M. Cardinal): J'appelle le prochain organisme, la Centrale de l'enseignement du Québec, mémoire 24. M. Yvon Charbonneau, je pense, est celui qui a communiqué avec la commission.

M. Bertrand: II est encore président?

Le Président (M. Cardinal): Alors, M. Charbonneau, je pense que vous connaissez les règles du jeu pour y avoir assisté. Je vous demanderais, au début, de vous identifier, c'est-à-dire d'abord l'organisme et ses porte-parole et, ensuite, vous aurez 20 minutes pour résumer votre mémoire.

M. Yvon Charbonneau.

Centrale de l'enseignement du Québec

M. Charbonneau (Yvon): M. le Président, madame et messieurs les membres de la commission, la délégation qui m'accompagne à la table est formée, à ma gauche, de Christiane Fradette, membre du bureau national de la CEQ et enseignante dans la région de l'Outaouais; à ma droite, de Jean Roy, membre du bureau national et aussi président du syndicat de la région des Mille-Isles; à ma gauche immédiate, Michel Agnaieff, directeur général de la CEQ et, à ma droite immédiate, Hubert Sacy, conseiller à la centrale. De plus, vous aurez remarqué que, dans la salle, nous accompagnent un certain nombre de représentants de quelques affiliés, particulièrement de la région de Québec.

M. le Président, notre mémoire est pas mal trop long pour que j'en entreprenne une lecture dans le cadre qui nous est accordé. Nous avons

d'ailleurs envoyé, au préalable, une version allégée de notre point de vue. Tout de même, je vais essayer de fournir un condensé, dans ces quelques minutes, des propos que nous tenons dans ce mémoire que nous avons rédigé au mois de mai et au mois de juin, et qui reprend, dans les grandes lignes aussi, certains propos que nous tenions devant cette commission parlementaire édition antérieure, à propos du projet de loi 22, en 1974.

Le Président (M. Cardinal): Ecoutez, M. Char-bonneau, une question technique. Je ne veux pas embarrasser les fonctionnaires du journal des Débats, mais, vu l'importance en volume du mémoire — je ne me prononce jamais sur le fond des mémoires — et le résumé que vous en ferez, vous avez le droit de demander que le mémoire soit reproduit en entier en annexe au journal des Débats.

M. Charbonneau (Yvon): Alors, la demande est faite.

Le Président (M. Cardinal): D'accord! Elle est accordée.

M. Charbonneau (Yvon): Merci. Je croyais que c'était automatique.

Le Président (M. Cardinal): Non, ce n'est pas automatique.

M. Charbonneau (Yvon): Alors, je vous prierais de bien vouloir verser ce mémoire à vos dossiers.

Nous soulignons bien, dans l'introduction, comme organisation syndicale, que l'aliénation du peuple québécois, un peuple de salariés, est d'abord de nature économique. Elle découle de la position que son écrasante majorité occupe dans le processus de production, c'est-à-dire le bas de l'échelle. Alors, le problème linguistique, que nous acceptons de discuter aujourd'hui, n'est tout de même que la répercussion de cet état de choses, de cette infériorité économique sur le plan culturel. Je crois que c'est important de projeter cet éclairage au tout début, surtout qu'il s'agit d'un point de vue fondamental, d'une perspective de base en ce qui concerne une organisation syndicale.

Nous fondons notre position sur un certain nombre de principes généraux qu'on peut résumer de la façon suivante: La langue nationale est, à notre point de vue, d'abord un bien collectif et ne saurait résulter de l'addition de choix individuels ou particuliers.

De plus, nous considérons que la langue est un instrument de cohésion de premier plan pour une communauté, pour une collectivité.

Tout de même, l'existence d'une langue nationale est compatible avec le maintien de langues des minorités et nous croyons qu'il est important d'inscrire cela, d'entrée de jeu, dans la perspective de notre position.

Même préoccupation en ce qui a trait à l'importance d'assurer un enseignement efficace, non seulement de la langue nationale mais de l'anglais et de certaines autres langues étrangères. Il ne faut pas qu'il y ait de malentendu là-dessus. Il faut bien mettre ces choses en relief, dès le départ.

Un autre principe qui nous guide est l'analyse de ce qu'on appelle la minorité dite trop rapidement, à notre avis, anglophone au Québec, minorité que l'on circonscrit dans un pourcentage de quelque 20%. A notre avis, il faut toujours garder à l'esprit la composition de ce bloc de 20% qui n'est pas un bloc monolithique, qui est composé à peu près moitié-moitié de personnes véritablement anglophones, l'autre moitié étant des personnes qui se sont jointes à la minorité anglophone, en cours de route.

Nous soutenons aussi qu'à travers les changements qui se font, tant dans leurs implications pour les travailleurs francophones que les travailleurs anglophones, il faudrait toujours respecter les conditions de travail de ces salariés et implanter les changements d'une manière graduelle.

Globalement, nous soulignons que, malgré quelques réserves, la CEQ appuie d'emblée, avec un enthousiasme certain, le projet de loi no 1. Nous croyons que le livre blanc et cette charte prennent parti clairement pour le peuple québécois et nous croyons, par conséquent, que ces orientations sont foncièrement démocratiques, sont empreintes de dignité et méritent l'appui de toutes les organisations de masse québécoise.

C'est pourquoi nous n'aimerions pas que le gouvernement recule, face à certains types de représentations qui lui sont faites actuellement. Nous touchons presque le but. Ce n'est pas le temps de reculer.

Nous croyons aussi qu'il faut vraiment, de la part du gouvernement, faire cette distinction fondamentale entre le point de vue qui lui provient de certains groupes qui, même très puissants sur le plan financier, sur le plan économique, ne sont guère puissants, numériquement parlant, en temps électoral au Québec.

Nous rappelons toujours à ce gouvernement que ce n'est pas la majorité du grand patronat, ni la majorité de la haute finance qui était là le 15 novembre. Nous croyons, par conséquent, qu'il devrait toujours y avoir cette perspective bien devant nous, et que si cette majorité qui a été constituée en une telle occasion doit non seulement se maintenir mais augmenter, je crois que c'est toujours du côté des organisations représentatives numériquement parlant et non pas financièrement parlant que l'attention du gouvernement devra aller.

Nous appuyons donc ce projet de loi parce que nous le voyons comme une triple nécessité. A titre de Québécois, le français est une condition de vie, de développement et d'épanouissement. A titre de travailleurs francophones, le français est véritablement une condition de travail, et à titre de travailleurs de l'enseignement, au point de vue plus spécifique de notre centrale, le français est l'objet de notre travail quotidien et aussi l'outil de notre travail quotidien.

Nous avons subdivisé notre mémoire en quatre grands chapitres, les trois premiers constituant une grande division en eux-mêmes. Vous aurez remarqué que le quatrième chapitre porte sur l'enseignement des langues et représente la moitié de notre mémoire à toutes fins pratiques.

Alors, le premier chapitre traite du français comme langue officielle. On peut discuter de l'extension à donner à cette expression de langue officielle, des répercussions que l'octroi de statut de langue officielle au français peut avoir. Il y a des définitions plus larges, plus précises, plus restreintes de la notion de langue officielle, mais nous comprenons, à la lecture de cet article de la charte, que dorénavant le français et l'anglais n'auront plus de statuts juridiques équivalents ou quasi équivalents. Nous comprenons que le gouvernement va accorder au seul français le statut de langue officielle, mais qu'il va respecter, avec justice et même une certaine générosité, certains faits relatifs à la minorité anglophone. Nous voulons tout particulièrement insister sur l'importance de maintenir tel quel le premier attendu de la charte qui stipule que l'Assemblée nationale constate que la langue française est depuis toujours la langue du peuple québécois et que c'est elle qui lui permet d'exprimer son identité. Nous croyons que c'est important de laisser ce texte parce qu'il y va de ce qu'on pourrait appeler l'unité linguistique du Québec et de la relation entre une langue et son peuple et ses parlants. Ce n'est pas nécessaire, pour maintenir cette expression, de croire que tous les individus du groupe humain qui s'appelle les Québécois doivent être de langue maternelle française. Ce n'est pas une mesure qui exclut des gens, mais c'est une mesure qui établit bien la relation entre la langue nationale et ceux qui la supportent quotidiennement, ceux qui sont de langue française ici. Que l'on prenne le problème sous son angle historique — et le Mouvement Québec français, dans son mémoire, mouvement dont nous sommes membres, mettra beaucoup d'accent sur cet aspect du profil historique du statut du français au Québec — que ce soit donc au plan historique, que ce soit au plan de la composition sociologique ou ethnique, comme nous le montrons aux pages six à dix de notre mémoire, en quatre ou cinq tableaux, on s'aperçoit qu'il y a une relation évidente, qu'il faut expliciter dans le préambule de cette charte, entre les parlant français du Québec et le peuple québécois, une relation qui va de 80% à 90% selon la manière dont on fait les compilations. Que l'on examine l'origine ethnique, que l'on examine la langue maternelle, la langue d'usage, que l'on fasse la compilation de ceux qui peuvent, de toute manière, s'exprimer en français au Québec, qu'ils soient d'une autre origine ethnique ou d'une autre langue maternelle, on arrive à des pourcentages de l'ordre de 80% à 90%. Nous croyons que c'est un fondement politique en plus d'un fondement historique bien suffisant à soutenir l'affirmation du préambule.

Je vais aller plus rapidement en ce qui concerne le reste du premier chapitre. Nous appuyons l'orientation de la francisation des entreprises et de la langue du travail, nous croyons qu'en ce qui concerne les organismes municipaux et scolaires il devrait y avoir une seule langue au niveau de l'administration. Il n'y a pas à distinguer des commissions scolaires anglaises ou françai- ses. Une commission scolaire c'est une administration et cela devrait fonctionner en français dans ses rapports avec ses contribuables ainsi qu'avec l'administration gouvernementale. Nous croyons que c'est l'unité linguistique du Québec qui en dépend. Nous appuyons aussi les propositions relatives à la francisation du paysage et nous croyons qu'il ne faut pas s'effrayer avec certaines caricatures à propos de Chinatown et autres choses. Nous croyons qu'il y a tout à coup des gens qui deviennent des défenseurs des minorités et qui pourtant ont bâti leur pouvoir en écrasant les majorités. Nous demandons également la francisation du paysage sonore et le contrôle total des communications faciliterait beaucoup cet objectif au gouvernement du Québec. Du côté de la langue des relations de travail, nous sommes d'accord aussi avec les propositions du gouvernement. Nous avons une critique à faire en ce qui a trait au respect des droits et libertés de la personne.

Cette critique a déjà été formulée par certains autres organismes représentatifs. Nous croyons en effet qu'il y aurait lieu de retirer l'article 172 du projet de loi no 1 et de préciser clairement les droits de la personne qui sont modifiés par la charte du français pour éviter certaines allégations de discrimination qui pourrait survenir eu égard à la mise en relation de certains articles de la Charte des droits et libertés de la personne et de la charte du français.

Le chapitre II traite de la langue d'enseignement. Nous énonçons encore là un certain nombre de postulats de base qui guident notre prise de position et nous considérons que la première priorité dans la définition des objectifs linguistiques en éducation serait d'assurer à tous les Québécois une connaissance d'usage de la langue française comme langue de la vie économique et de la vie politique, comme langue des services publics ainsi que comme principale langue d'activité scientifique et de la technique.

Nous profitons de l'occasion pour dire qu'il n'y a pas à s'effrayer du problème qu'auraient certains chimistes anglophones à venir travailler au Québec. Il y aurait d'abord à voir à l'utilisation et à l'emploi des chimistes francophones qui ont été formés par les CEGEP et les universités qui sont plutôt en chômage actuellement, à ce que nous pouvons comprendre.

Nous croyons que les grandes règles devant régir l'organisation du système scolaire doivent d'abord faire une place à cette demande d'unifier le système scolaire québécois, de mettre fin à la division confessionnelle qui recouvre aussi une division sur la base linguistique au Québec. Nous croyons qu'on pourrait s'inspirer des quatre principes que nous mentionnons à la page 22, qui sous-tendent le reste de nos propositions. Le français doit être la langue officielle du système d'enseignement et de l'administration scolaire à tous les niveaux. Le système scolaire doit être unifié, les enfants dont l'un des parents a fait ses études élémentaires dans une école de langue anglaise au Canada ont accès à un enseignement en lan-

gue anglaise à la condition que les deux parents soient d'accord. Mais seuls ces enfants y auraient accès, ce qui exclut les francophones et les immigrants qui sont déjà dans les écoles anglaises. Cet enseignement en langue anglaise se donne dans le cadre d'écoles ou de classes homogènes, selon le nombre et la concentration des intéressés.

Nous croyons que l'école dans une société a un rôle non seulement d'apprentissage de certaines connaissances académiques, mais un rôle culturel et social important et nous proposons la mise en oeuvre du changement que nous demandons sur une période de quelque dix ans, découpée en deux périodes de cinq à six ans, pages 25 à 27 de notre mémoire.

Dans une première période, nous pourrions unifier, au plan administratif, les systèmes actuels et nous pourrions établir les règles de base en ce qui a trait à l'accès de ceux qui ont droit, qui doivent aller à l'école anglaise ou à l'école française, et également prendre certaines mesures contre ceux qui se sont inscrits un peu frauduleusement, grâce à la faiblesse des législations antérieures, au secteur anglais et qui n'ont pas d'affaire là, en particulier les francophones.

De 1983 à 1989, nous suggérons la mise en place d'écoles de quartier qui desserviraient tout le monde, avec une certaine forme d'enseignement en anglais pour ceux qui y ont droit. Nous attirons votre attention sur l'importance de ne pas convertir en droits certains privilèges que se sont taillés certains groupes au fil des années, pages 28, 29 et 30. Nous attirons aussi votre attention sur certaines méthodes qui frôlent le maraudage, le racolage de mauvais aloi et qui ont été utilisées dans certaines commissions scolaires pour finir par inscrire au secteur anglais des élèves qui n'avaient pas d'affaire là, que ce soit en les déclarant protestants alors qu'ils sont catholiques, c'est le cas de Sept-Iles, ou en se livrant à un certain magasinage, comme c'est le cas dans certains secteurs de la ville de Montréal comme Côte-des-Neiges et Outremont, où des gens trafiquent, en quelque sorte, l'inscription des francophones et utilisent certaines manoeuvres pour les retirer des écoles francophones et les inscrire au secteur anglais.

On pourra revenir là-dessus si cela vous intéresse.

Troisième chapitre, l'enseignement des langues n'est pas langue d'enseignement. Nous avons rendu public, il y a quelque temps, un rapport d'un groupe d'étude du Conseil scolaire de l'Ie de Montréal qui montrait qu'en certains milieux on se préparait, il y a quelque temps — Se prépare-t-on encore? C'est à voir; seule une enquête, seul un examen de la part des ministères concernés pourrait le prouver — à trouver des mesures pour contourner les effets bénéfiques éventuels de la loi no 1.

On s'y préparait au niveau du Conseil scolaire de l'île, du moins en se livrant à des études qui réclamaient, de la part du ministère, complète liberté quant au choix des moyens pour enseigner l'anglais aux Français et le français aux Anglais.

Par le biais des moyens qu'on envisage en certains endroits, il serait bien facile de voir que, sous l'étiquette ou sous l'apparence d'une école française, finalement ce serait de l'enseignement en anglais qu'on donnerait à des francophones. A toutes fins pratiques, on aurait réussi à se livrer à un quelconque libre choix, tout en faisant mine de respecter la structure officielle, mais qui serait vidée de son contenu, au niveau de l'école elle-même. C'est le recours aux techniques d'immersion en particulier que je veux souligner à ce moment-ci.

Nous avons aussi, à compter de la page 39, rapporté certaines études qui mettent le degré de succès, de réussite ou d'apprentissage obtenu par la technique de l'immersion en relation avec une technique qui s'apparente plutôt aux classes d'accueil. Comme vous le verrez par les statistiques des pages 40 et 41, il faut vraiment se débarrasser du mythe du grand succès des classes d'immersion ou de la technique de l'immersion.

Les données que nous avons ici concernent l'enseignement du français aux anglophones. Déjà là, on a beaucoup fait état du succès de l'immersion, mais nous voulons au moins en tirer la conclusion qu'il ne faudrait, en aucune manière, accepter des techniques d'immersion pour l'enseignement de l'anglais aux francophones.

La deuxième grande division de notre mémoire — c'est la moitié de notre mémoire — traite de l'enseignement des langues. Nous croyons qu'il ne suffit pas de légiférer au niveau des structures qui organisent l'enseignement pour les francophones et qui donnent certaines possibilités à la véritable minorité anglophone. Il faut aller plus loin et il faut que le gouvernement, dans des étapes qui ne devraient pas tarder, accorde beaucoup d'importance à revaloriser l'enseignement du français aux francophones. Il faudrait que le gouvernement précise ses politiques relatives à l'enseignement de l'anglais aux francophones et ses politiques d'enseignement du français aux anglophones, surtout aux immigrants et aux personnes d'autres origines ethniques. Ce sont là les quatre subdivisions de ce chapitre 4.

Pour ce qui est de l'enseignement du français dans les écoles françaises, nous voulons souligner ici qu'avec l'appui politique que comportera ce projet de loi no 1 nous prévoyons un regain d'enthousiasme non seulement chez les professeurs de français, mais chez l'ensemble du personnel enseignant face au français, au fait français, face à l'identité, face à l'aspect culturel de l'école dans laquelle nous travaillons.

Nous avions réclamé cet appui politique et nous disions, dans les débats antérieurs, que, faute de cet appui politique, il y avait une perte de motivation très déplorable et très compréhensible, par ailleurs.

Le Président (M. Cardinal): II faudrait conclure.

M. Charbonneau (Yvon): Par la suite, nous proposons ici un ensemble de mesures — je ne

fais que survoler les titres de propositions que nous faisons — qui explicitent certains changements que nous demandons à l'appui de l'enseignement du français dans les écoles.

Nous faisons certains commentaires à propos des programmes-cadres qu'on nous a, en quelque sorte, imposés il y a quelques années, sans préoccupation, sans gradation, des programmes-cadres, de toute façon, mal orientés sur le fond.

Nous préconisons ici une revalorisation de la fonction de l'écrit à tous les niveaux dans l'apprentissage du français. Nous faisons écho, je pense, à un certain nombre de critiques qui se sont exprimées, tout en maintenant une certaine place à l'oral. Nous développons certains principes d'une pédagogie de l'enseignement du français oral, page 55 et autres, et nous proposons, comme point de référence, ce qu'on pourrait appeler le français standard, c'est-à-dire ce niveau, ce registre de langue qui fait que nous nous comprenons les uns les autres actuellement, qui respecte les caractéristiques originales, historiques du français tel que parlé au Québec, mais qui nous permet également de communiquer avec les autres parlant français quelque part dans le monde.

Place à la littérature, à la littérature québécoise avec des conditions matérielles et de perfectionnement pour les professeurs de français et pour l'ensemble du personnel enseignant.

Nous dénonçons la place réduite faite à l'enseignement du français à l'horaire, à cause de l'intégration de certaines grilles ou de l'informatique dans l'organisation scolaire.

Chapitre II, l'enseignement du français aux immigrants et aux allophones. Nous mettons en relief le succès obtenu par les classes d'accueil, à Montréal et nous nous inquiétons de voir qu'on fait certaines expériences dites d'insertion directe, à Montréal, expériences, bien sûr, qu'on a évaluées comme pas tellement significatives, page 73, actuellement, mais, tout de même, cela ressemble un peu à une propension vers l'intégration.

Page 75, l'enseignement du français dans les écoles anglaises, nous avons à ce moment-là mis en relief le caractère tout à fait inapproprié de certaines méthodes utilisées. Nous voulons au moins citer celle-ci: Morgan Kenney et Doris Kerr, qui est la deuxième méthode la plus utilisée d'enseignement du français aux anglophones, au Québec. Cette méthode, à notre avis, est insultante pour son contenu culturel et social, en plus de n'être guère éclairante quant à sa portée réelle sur le plan linguistique. On présente ici un peu un portrait-robot du Québécois moyen qui est évidemment obèse, qui est très gourmand, qui préfère se bourrer de gâteau à 16 h 45 plutôt que de manger et qui, dans ses moments libres, se voue au vol, au voyeurisme et à quelques autres occupations aussi évidemment saines.

Evidemment, ce volume est fait en Ontario. Les méthodes d'enseignement du français aux Anglais, qui ont été mises au point par des travailleurs de l'enseignement du Québec, ne sont évidemment pas acceptées par le ministère de l'Edu- cation qui a mis de l'avant surtout deux méthodes: Bonjour Line, de France, que des éducateurs belges ne trouvent même pas appropriée pour eux, parce que trop loin de leur patrimoine, et cette méthode-ci qui frôle le racisme ou, à tout le moins, qui est tout à fait inacceptable sur le plan socioculturel.

Nous avons des créateurs au Québec. Il y a des méthodes bien connues qui ne sont pas approuvées par le ministère de l'Education. On pense que l'achat chez nous, cela pourrait prendre aussi cette forme-là. Nous aussi, nous sommes préoccupés de l'économie.

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, je vais être obligé de vous rappeler... Je vais vous donner les dernières trente secondes pour ne pas...

M. Charbonneau (Yvon): Trente secondes pour mentionner ici qu'il est important de retirer l'enseignement de l'anglais aux francophones du niveau élémentaire et le faire débuter au niveau secondaire seulement.

Je sais que, là-dessus, il y a beaucoup de débats, il y a beaucoup de mythes qui sont entretenus. En 1974, nous avions eu vent d'une enquête qui était menée en Grande-Bretagne. Elle a maintenant son résultat. C'est une enquête faite sur dix ans par la National Foundation for Educational Research in England and Wales. Dans le rapport final, produit en 1974, on souligne ici qu'il n'y a vraiment pas d'intérêt, pas d'utilité, pas d'avantage à faire apprendre le français tôt à de jeunes Britanniques, à de jeunes Anglais. C'est la quantité de temps qu'on met à l'apprentissage d'une deuxième langue qui compte et non pas l'âge initial d'apprentissage. Une enquête sur dix ans de dizaines de milliers d'élèves, je crois que c'est très sérieux.

De plus, d'autres recherches vont dans le même sens, celles qui ont été faites au Québec, Castonguay, Carroll, recherches qui ont été menées aux universités de Harvard et Princeton qui vont toutes dans le même sens, et également une recherche faite à l'Université du Québec à Rimouski qui va également dans le même sens. Nous demandons...(voir annexe 2)

Le Président (M. Cardinal): M. Charbonneau, je m'excuse, je suis obligé de vous interrompre. Il y a deux députés qui m'ont demandé la parole, parce que l'heure est dépassée. M. le député de Verchères.

M. Charbonneau (Jean-Pierre): M. le Président, c'était pour solliciter de votre part la possibilité pour les témoins de poursuivre. Je pense qu'ils achèvent. Je pense que c'est tellement important le mémoire qu'ils ont à nous soumettre...

Le Président (M. Cardinal): Ce n'est possible que si l'on procède de la même façon que l'on a agi dans le passé, que si les partis ministériels ou d'Opposition ou reconnus accordent du temps.

Auparavant, est-ce que, M. le député de Mont-Royal, c'est au même effet?

M. Ciaccia: Non, je demandais s'il restait du temps?

Le Président (M. Cardinal): Non. M. Charbon-neau, est-ce que vous seriez intéressé à continuer quelques minutes si les membres de la commission vous accordaient ce temps pris à même le leur?

M. Charbonneau (Yvon): De toute façon, d'une manière ou d'une autre, je vais trouver le moyen de livrer les trois dernières pages qui restent dans le mémoire.

Le Président (M. Cardinal): Non, je regrette. Vous ne pouvez pas défier la présidence, je regrette.

M. Charbonneau (Yvon): II y aura certainement des questions pertinentes à ce qui restera.

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. Charbonneau, c'est la façon dont vous l'avez dit. Vous remarquerez que je le fais avec un sourire. Il est bien sûr que vous, comme les députés sont assez habiles pour employer le temps qui leur reste à passer le message. Est-ce que M. le député de Verchères, vous avez...

M. Charbonneau (Jean-Pierre): Je pense que, du côté ministériel, on pourrait accorder cinq minutes supplémentaires sur notre temps pour permettre...

Le Président (M. Cardinal): Si M. Charbonneau le désire, à moins qu'il ne souhaite procéder autrement. D'accord? Alors, dans ce cas, je cède la parole à M. le ministre d'Etat.

M. Laurin: Je veux d'abord remercier la Centrale de l'enseignement du Québec pour le mémoire qu'elle vient de nous présenter. Au cours de la fin de semaine, j'ai relu avec attention les 93 pages de votre mémoire. C'est un mémoire abondant, riche, fouillé, documenté, qui fait honneur aux enseignants que vous êtes et qui se prête éminemment à la discipline du commentaire sur la plupart des éléments que vous avez abordés. Je veux d'abord vous remercier pour l'appui enthousiaste que vous accordez au projet de loi. C'est un réconfort pour nous, connaissant le rôle que vous jouez dans la communauté francophone, dans la communauté québécoise.

Je veux d'abord dire que je suis d'accord avec vous que le principal problème de la communauté francophone au Québec, c'est une aliénation de nature économique et que, s'il y a un problème linguistique au Québec, il ne peut s'agir que de la répercussion de cette aliénation sur le plan économique, sur le plan culturel et que la première priorité qui s'impose aux Québécois, c'est de mettre fin d'abord à la cause, c'est-à-dire à l'aliénation de nature économique. Il a paru urgent au gouvernement de légiférer sur le problème de la langue, mais je dois vous répéter, encore une fois, que nous sommes d'accord avec vous que notre principale priorité, c'est de lutter pour faire disparaître les causes de cette aliénation économique et que, même si nous légiférons sur la langue, ceci ne veut pas dire que nous ne nous intéressons pas à l'aliénation économique. C'est elle qui, au cours des trois, quatre, cinq ou six prochaines années, constituera l'essentiel de nos préoccupations, la raison d'être de notre lutte, d'ailleurs, sur le plan politique, sur la remise en question du régime fédéral, mais aussi la raison d'être de toutes les mesures que nous entendons prendre pour reprendre en main, rapatrier, les leviers décisionnels en matière de politique économique. Ce n'est donc que par voie de conséquence, que par voie secondaire que nous légiférons en matière linguistique, en attendant que cette loi ne devienne plus nécessaire, le jour où le Québec aura paratrié ces leviers décisionnels en matière économique.

Il reste que nous sommes aussi d'accord avec vous pour considérer que la langue nationale est un bien collectif et que l'affirmation de cette langue nationale est parfaitement compatible avec le maintien et le respect de langues minoritaires qui devront continuer à se développer au sein du Québec. D'ailleurs, en ce qui concerne les raisons que vous apportez à l'appui de votre thèse que la langue nationale est un bien collectif, il y a longtemps que je n'avais pas trouvé une meilleure justification que celle que vous apportez à la page 3 de votre mémoire.

Je répète avec vous que la langue nationale est la marque distinctive du groupe national par rapport aux nations étrangères et, plus particulièrement, par rapport aux peuples voisins. Elle est la langue historique de la nation. Elle est la langue maternelle ou d'usage de la majorité au sein de la nation. Elle est la langue commune pour les communications interethniques et les relations d'ordre public au sein de la nation. Elle est la langue des institutions politiques propres à la nation, ce qui fait d'elle, en somme, un bien commun national.

Je vous suis reconnaissant, aussi, d'avoir répété ici une vérité qu'on ignore trop souvent, c'est que la minorité anglophone proprement dite est de 10% au Québec, et que lorsqu'on parle de minorité anglophone de 20%, on parle des anglophones d'adoption.

En passant, aussi, je souligne que j'accepte avec reconnaissance vos considérations en ce qui concerne le retrait éventuel de l'article 172. Comme j'ai déjà eu l'occasion de m'en expliquer à plusieurs reprises, l'insertion de cet article n'était, en somme, qu'un rappel de l'importance du sujet. Il est bien évident, surtout maintenant que nous avons en main le rapport de la Commission des droits de la personne, que nous avons les outils pour reprendre la rédaction de cet article, et il est bien probable que vos suggestions nous aideront également à arriver à une meilleure formulation de notre politique en ce qui concerne l'harmonisation

des droits de la personne et les droits économiques, sociaux et culturels, ce que l'on appelle souvent l'harmonisation des droits collectifs et des droits individuels.

Evidemment, comme il se doit, la plupart des pages de votre mémoire sont consacrées à la langue d'enseignement et à l'enseignement des langues. Nous partageons votre objectif, qui est de faire du français la langue de la vie totale du Québec, c'est-à-dire la langue de la vie économique, la langue de la vie politique, aussi bien que la langue de la vie institutionnelle. C'est là l'objectif à long terme que nous nous fixons.

Evidemment, vous y arrivez, vous prétendez y arriver par des mesures qui débordent le cadre de la loi que nous étudions actuellement lorsque, par exemple, vous préconisez l'unification du système scolaire qui devrait s'établir selon diverses étapes dans un laps de temps de dix à douze ans. Ce n'est pas le lieu ici de discuter de cette mesure qui, encore une fois, dépasse la portée du projet de loi, mais nous avons quand même remarqué la notion que vous vous faites de l'école, notion que nous partageons lorsque vous dites que l'école est non seulement un lieu de transmission du savoir, mais également un lieu d'acculturation où on s'approprie une culture. Vous dites que l'école est un lieu, également, où se pratique ou s'affirme la socialisation, où se nouent des relations au nom de l'amitié, de la solidarité et que l'école, en ce sens, joue un rôle important dans cette entreprise de cohésion que ne peut s'empêcher de poursuivre tout pays, toute nation en ce monde.

Vous préconisez, dans le cadre de la loi cette fois, tout en étant d'accord avec le critère qu'a adopté le gouvernement, une sorte de restriction selon laquelle, par exemple, le gouvernement pourrait adopter des mesures en vue de rapatrier les francophones qui n'ont pas d'affaire à s'être inscrits à l'école anglaise, ou rapatrier certains allophones.

Le gouvernement n'a pas résolu de s'avancer dans cette direction, espérant que les francophones reviendront d'eux-mêmes à l'école française, maintenant que les conditions de la vie collective sont changées, espérant que les francophones verront qu'il est dans leur intérêt de revenir à l'école française où ils peuvent se développer dans le sens de leur culture propre, tout en pouvant acquérir cette connaissance de l'anglais que, comme nous, vous estimez nécessaire dans le pays que nous habitons.

J'ai été, évidemment, intéressé par ce que vous nous dites sur le maraudage qui semble s'être effectué dans certaines régions du Québec au profit de l'école anglophone. Je vous poserai, tout à l'heure, quelques questions à ce sujet afin que vous nous précisiez davantage ce que vous pouvez nous apporter à cet égard.

Si je comprends bien, à Sept Iles, c'est au nom de la confessionnalité qu'on a fait s'inscrire des élèves catholiques à l'école anglaise. Je ne sais pas si c'est la même chose dans Côte-des-Neiges, mais je serais intéressé à avoir quelques éclaircissements à ce sujet. Mais cela, c'est le passé.

En ce qui concerne l'avenir, vous nous parlez de l'enseignement des langues et vous attirez aussi notre attention sur un rapport récent du conseil scolaire qui, lui aussi, m'a beaucoup intéressé, en même temps qu'il m'inquiète. Ce rapport voudrait confier justement aux commissions scolaires le choix total des moyens en ce qui concerne les méthodes d'enseignement des langues et, en particulier, l'enseignement de l'anglais dans les écoles françaises. C'est sur ce point que je voudrais surtout vous poser ma première question.

J'ai lu avec énormément d'intérêt ce que vous dites sur la comparaison qu'il y a à faire entre l'efficacité de deux méthodes, la méthode d'immersion, dont on nous a beaucoup parlé ici à la commission et qui a été utilisée par les commissions scolaires anglophones, et la méthode des classes d'accueil qui, semble-t-il, a été utilisée avec beaucoup plus de succès à la Commission scolaire des Mille-Iles.

Si je vous ai bien compris en lisant votre mémoire, il semble qu'avec la méthode d'immersion, surtout totale, c'est surtout la prononciation de l'élève qui s'améliore, mais la connaissance de la structure du langage, surtout du langage écrit reste assez minime et aussi précaire. J'ai été aussi intéressé par le fait que le plus grand nombre des "dropouts" qui ont été dénombrés dans le milieu scolaire anglophone venaient précisément de ces classes d'immersion. J'aimerais que vous nous éclairiez davantage là-dessus. D'autre part, dans des classes d'accueil, en particulier à celle qui en a fait l'expérience davantage, c'est-à-dire la Commission scolaire des Mille-Iles, même si le progrès était minime au début, dans l'année ou dans les deux années qui suivaient, en raison d'un apprentissage intense axé sur les structures de la langue et sur l'apprentissage aussi bien oral qu'écrit de la langue étrangère, les connaissances semblaient rapidement s'étendre et surtout s'approfondir et donner à l'élève une véritable connaissance de la langue étrangère. Je pense que vous avez fait un parallèle entre le travail effectué dans ces classes d'accueil et celui qui a été fait à la CECM pour les immigrants où les mêmes résultats bénéfiques, après un départ chancelant, ont été constatés, ce qui fait que maintenant nous avons près de 5000 de ces immigrants en classe d'accueil à la CECM et que les conditions semblent propices pour augmenter considérablement ce nombre avec des chances de succès dans les années qui viennent. Si je comprends bien aussi, cette méthode vous semble de loin préférable à celle de l'insertion directe, dont vous avez parlé à la fin de votre mémoire, qui consiste à introduire à n'importe quel niveau des étrangers qui ne parlent pas le français, sans aucune capacité d'accueil. En somme, c'est les préparer, selon vous, à un échec certain, ainsi qu'à causer de multiples problèmes d'ordre pédagogique, administratif et autres aux professeurs et aux commissions scolaires.

Evidemment, je ne peux m'empêcher de rapprocher ces résultats de l'expérience anglaise, de la "National Foundation for Educational Re-

search" mais j'aimerais plutôt revenir avec une autre question un peu plus tard sur ce sujet.

Pour le moment, j'aimerais que vous nous éclairiez d'abord sur cette question de maraudage à Sept-lles et à Côte-des-Neiges, et deuxièmement, que vous nous donniez plus de détails sur la comparaison des mérites respectifs des deux méthodes pour l'enseignement d'une langue étrangère, soit la classe d'immersion et la classe d'accueil.

M. Charbonneau (Yvon): Bien sûr, le premier point, d'ailleurs, a déjà fait l'objet d'articles dans les journaux. Notamment, j'ai ici un article du Soleil du 2 février qui dit: Québec veut colmater les failles légales permettant aux élèves francophones de passer au secteur anglo-protestant. L'article est du bureau de Sept-lles du Soleil et c'est là qu'on raconte, effectivement, ce que vous avez vous-même repris, résumé, qu'environ 350 élèves ont réussi, par le biais de leur inscription au secteur protestant, à avoir un enseignement en anglais, alors que, normalement, ils auraient dû être inscrits à l'école catholique qui est là pour les francophones. Ce genre de subtilité a peut-être été utilisé ailleurs aussi. Il faudrait que le ministère mette son appareil d'enquête en marche pour savoir si cela s'est fait dans d'autres régions. Nous croyons que cela s'est peut-être fait ailleurs aussi.

Quant au second cas, nous avons été informés que certaines personnes sollicitaient certains enfants et certains parents de la catégorie des immigrants nouvellement arrivés au Québec, qui se sont inscrits dans certaines écoles catholiques pour francophones. Ils les sollicitaient dans le but de pouvoir les réorienter du côté protestant. Les trucs peuvent varier. On nous a informés qu'il suffisait, par exemple, que l'élève avise son professeur du fait qu'il retourne passer trois semaines dans son pays d'origine. Plus personne n'en entend parler et quand il revient, il change de secteur et il vient donc de quitter le secteur catholique, le secteur français. Certaines sources que nous avons ont elles-mêmes vérifié, de visu, ont rencontré de nouveau les élèves qu'elles avaient elles-mêmes reçus dans les classes françaises quelques mois avant, et elles se sont aperçu que le truc avait été utilisé et que ces mêmes élèves étaient maintenant au secteur protestant. Je peux au moins vous dire que cela a été fait pour des élèves qui avaient fréquenté l'école Saint-Pascal-Baylon, Côte-des-Neiges, Outremont, et certains de ces élèves ont été retrouvés au secteur protestant, moyennant le truc dont je viens de parler. Ils sont restés au secteur anglais protestant.

Alors, je crois que ces pratiques sont assez difficiles à détecter. Il faut presque faire de l'espionnage, ce qui n'est pas, en pratique, notre rôle, même s'il convient de faire un peu de surveillance. Mais de l'espionnage, c'est un peu fort. Je crois qu'on pourrait peut-être confier cela aux 1200 personnes dont on se demande ce qu'elles font sur le territoire du Québec. Cela pourrait les occuper à des choses utiles.

L'autre question est extrêmement importante.

Il s'agit de détruire, de s'en prendre à un certain mythe qui dit que le moyen ou la technique de l'immersion, c'est le moyen de faire apprendre une deuxième langue à quelqu'un, c'est-a-dire l'enseignement d'une deuxième langue par l'enseignement de toutes les matières dans cette deuxième langue. Ainsi, par exemple, l'immersion consiste à organiser l'enseignement de l'anglais aux francophones en enseignant toutes les matières en anglais, pendant deux ans, trois ans, quatre ans. C'est ce qui m'amenait à dire, tout à l'heure, qu'à toutes fins pratiques c'est une école anglaise pour ces francophones pendant le nombre d'années où ils sont en immersion. Cette pratique a aussi été utilisée pour l'enseignement du français aux anglophones.

Les statistiques ou les données que nous avons rapidement mentionnées tout à l'heure, à propos de la Commission scolaire des Mille-Iles, sont tirées d'une comparaison entre les moyennes obtenues par un groupe qui est en immersion en relation avec la moyenne obtenue par un groupe d'élèves, un groupe contrôle qui a plutôt reçu son enseignement par le biais de ce qu'on pourrait appeller une classe d'accueil, c'est-à-dire une période assez restreinte de temps où on enseigne vraiment la deuxième langue, explicitement.

Nous avons noté, en ce qui a trait à la compréhension de la langue seconde, en quatre mois, déjà, la moyenne du groupe dit classe d'accueil, le groupe Mille-Iles, page 40, a dépassé, doublé à toutes fins pratiques la moyenne obtenue par le groupe immersion. En ce qui a trait à l'expression en langue seconde en quatre mois, vous voyez également que le pourcentage est beaucoup plus important, la moyenne obtenue est beaucoup plus importante pour ce qui est de groupe dit de classe d'accueil.

Nous retenons de cette étude comparative que le moyen de l'immersion est un moyen qui n'apporte pas d'avantages au point de vue de l'apprentissage d'une deuxième langue qu'on veut enseigner à tel groupe d'élèves, non seulement n'apporte pas d'avantages mais est moins efficace que l'utilisation d'un moyen du type classe d'accueil où, en dix ou douze mois, on apprend de manière poussée une deuxième langue à un groupe. A quoi bon étaler sur plusieurs années l'apprentissage ou l'enseignement d'une deuxième langue pour arriver à des résultats moindres que ce qu'on peut obtenir en une période restreinte de temps et à un âge un peu plus élevé pour l'enfant? Non seulement il n'y a pas d'utilité, mais nous soutenons en d'autres parties de notre mémoire, au chapitre de l'enseignement des langues, qu'il y a certains effets négatifs, nous parlons surtout du point de vue des francophones, certains effets négatifs, certaines conséquences déplorables à exposer trop tôt, trop précocement le jeune francophone à l'apprentissage d'une deuxième langue, la langue anglaise, dans le contexte québécois que nous connaissons actuellement.

Il n'y a pas d'avantages prouvés, il y a possiblement des désavantages. Cela nous suffit pour réclamer, non seulement qu'on n'utilise pas le

moyen d'immersion à l'adresse des jeunes francophones à qui on veut apprendre une deuxième langue, non seulement cela, mais que l'on fasse démarrer l'enseignement d'une langue seconde, de l'anglais par exemple, aux jeunes francophones à compter du secondaire, mais qu'on le fasse sérieusement. En cinq ans de secondaire, à raison d'un certain nombre de périodes d'enseignement par semaine, nous pensons qu'il y a une possibilité pour le jeune québécois francophone de se tirer d'affaire convenablement en anglais en cinq ans.

C'est pourquoi il ne faudrait pas encombrer l'élémentaire de cela.

M. Laurin: Est-ce que l'expérience de Mille-Iles vous semble aller dans le même sens que l'expérience de la CECM avec ses classes d'accueil?

M. Charbonneau (Yvon): Tout à fait, je crois que ce sont là deux expériences.

Pour l'autre partie de notre mémoire, nous avons bien mis en lumière, je crois, le succès souligné de la méthode des classes d'accueil à Montréal qui, elle, a été utilisée à l'adresse, non pas d'anglophones, mais de personnes d'origines ethniques les plus diverses qui arrivent à Montréal et qui, en quelques années, a réussi à acheminer vers le secteur français de 80% à 90% des usagers. Dans les 10% ou 20% qui échappent, il y a plusieurs raisons. Ce ne sont pas seulement des gens qui vont vers le secteur anglais, mais des gens qui retournent, des gens qui s'en vont en Ontario, des gens qui s'en vont aux Etats-Unis. On ne peut pas contrôler tout cela.

C'est un grand succès. Cette méthode de classes d'accueil, cela se passe en dix ou douze mois. Nous croyons que c'est bien préférable d'utiliser ce moyen plutôt que l'insertion directe qui est une forme d'immersion. On prend, par exemple, les gens qui sont à Montréal, les Portugais ou les Italiens, et on les distribuerait, ici et là, dans des classes complètement francophones. Il y a deux ou trois Italiens, un Chinois, un Portugais, cinq ou six personnes, ici et là, dans des groupes de 25 ou 30, et on déciderait de leur enseigner le français, par le biais de toutes les matières en français. Le jeune Portugais qui est là, il doit apprendre non seulement le français, mais il doit apprendre également l'histoire en français, la chimie, les mathématiques, etc. Nous croyons que cela est vraiment préjudiciable à ces élèves, en plus de créer des problèmes importants au point de vue de l'organisation de l'enseignement, pour l'enseignant et pour les autres étudiants.

La méthode d'insertion directe, à notre avis, est à bannir, puisque nous avons une autre méthode qui, elle, est un succès, qui pourrait vraiment être institutionnalisée. On pourrait peut-être trouver d'autres modalités, peut-être répartir davantage sur le territoire métropolitain les classes d'accueil. On peut penser à l'instaurer aussi davantage dans d'autres régions, il y a peut-être des modalités à raffiner, mais nous croyons que ce moyen a déjà fait ses preuves.

M. Laurin: Est-ce qu'il est à votre connaissance que M. Wallace Lambert, qui est l'initiateur des classes d'immersion, a commenté des expériences de Mille-Iles, ou de la commission scolaire, pour répondre un peu à ce que pourrait constituer de contraire à ses propres thèses ces expériences en cours?

M. Charbonneau (Yvon): A ma connaissance, non, mais il l'a peut-être fait dans des revues auxquelles je n'ai pas eu accès. Pour le moment, je sais que lui-même a essayé de donner beaucoup de relief à la méthode d'immersion, à partir d'expériences faites dans la région de Montréal. Mais je crois qu'il le fait dans une perspective désincarnée finalement. Il s'agit d'apprendre une langue à du monde et il ne se soucie pas du cadre politique, du cadre socio-politique, du cadre socio-culturel où cela s'inscrit. En tout cas, ce n'est pas d'après les études que j'ai vues, les articles qu'il a publiés. Il s'agit de bilinguiser des gens, un peu comme si c'était une opération en soi, alors que, d'après nous, l'enseignement doit s'inscrire dans le cadre d'une société donnée.

M. Laurin: Est-ce qu'il vous apparaît que des parents unilingues anglophones ou très peu bilingues peuvent véritablement apprécier les progrès qu'ont pu faire leurs enfants dans des classes d'immersion, en ce qui concerne l'apprentissage du français?

M. Charbonneau (Yvon): Cela contribue certainement au mythe du succès des classes d'immersion. Le fait que les parents de ces élèves savent peu ou pas le français, le fait d'entendre leurs enfants faire un genre de phrase en français, même si c'est un langage très très simple, même si c'est bourré de fautes ou d'imperfections ou d'incorrections, déjà, pour le parent qui est anglophone ou à peu près et qui entend ainsi son enfant s'exprimer dans une langue qui lui est étrangère, il est bien content de voir que son enfant a fait des progrès, a appris lui, ce qu'il lui a été impossible d'apprendre.

Je crois que le sentiment de fierté parentale ici est plus fort que la connaissance ou la vérification de la correction linguistique des apprentissages de l'enfant. Si c'est compréhensible sur le plan humain, je pense que cela ne doit pas être un point de référence pour l'organisation de l'enseignement des langues.

M. Laurin: J'ai été très intéressé aussi par le résumé que vous faites de l'expérience menée par la National Foundation for Educational Research en Grande-Bretagne. Si je vous comprends bien, c'est une expérience qui a porté sur 18 000 enfants où on a comparé les résultats de l'apprentissage du français chez des élèves de huit ans et des élèves de onze ans et où on a constaté que les progrès effectués par les élèves de onze ans étaient sans comparaison aucune avec ceux qu'on avait constatés chez les élèves de huit ans.

Je me rappelle aussi qu'en lisant votre mémoire j'ai été frappé par le fait que ceux qui

avaient commencé cet apprentissage à huit ans se trouvaient défavorisés lorsqu'ils arrivaient au secondaire pour l'apprentissage de quelque langue étrangère que ce soit, car ils se trouvaient démotivés en raison de la perception, de la conscience qu'ils avaient de leur échec. Ceci, souvent, pouvait les rebuter et même les empêcher de vouloir étudier quelque langue étrangère que ce soit. Est-ce à peu près le résultat de l'étude?

M. Charbonneau (Yvon): Oui, dans les grandes lignes, vos énoncés se retrouvent aux conclusions de cette étude. En conclusion, les auteurs de cette recherche de dix années estiment qu'il est préférable... Là, nous sommes en Grande-Bretagne, en Angleterre et il s'agit de l'enseignement du français à de jeunes Britanniques. Lin-guistiquement, cela peut ressembler à des situations qu'on vit ici, mais on aura compris qu'au plan culturel, au plan politique, les données ne sont pas les mêmes du tout. Tout de même, pour eux, il est préférable de ne pas étendre davantage l'enseignement du français dans les écoles élémentaires d'Angleterre et du pays de Galles. Ils ne doivent pas avoir peur d'être assimilés par le français. Ce n'est pas un problème comme le nôtre qui se situe au niveau des interprétations politiques, ici, du phénomène de rencontre des deux cultures ou des deux langues. Tout simplement au point de vue technique, au point de vue scientifique de l'apprentissage d'une langue, il n'y a pas de profits, disent-ils. Ce n'est pas la peine de s'ingénier à répandre l'enseignement du français ou d'une deuxième langue en Grande-Bretagne, en Angleterre; il suffira de bien l'enseigner à compter de tel âge. Ils soulignent le poids psychologique, l'espèce de fardeau psychologique que comporte l'enseignement d'une deuxième langue. Si ce fardeau est subi trop tôt dans la vie d'un jeune élève, dans la vie d'un écolier, cela a des répercussions lorsqu'il est au secondaire et que c'est le temps pour lui d'apprendre une deuxième ou une troisième langue, comme c'est fréquemment le cas en Europe.

Il y a donc des relations à plus long terme que l'aspect technique seulement. Ils mettent tout cela en relief ici et ils soulignent que des élèves, qui ont été obligés d'apprendre, très tôt dans leur vie, une deuxième langue par le biais de l'école, en arrivent à développer un sentiment d'hostilité envers cette langue un peu plus tard, alors que, si on avait attendu un certain âge de maturité, on aurait pu leur enseigner cette deuxième langue et ils l'auraient acceptée, ils l'auraient même souhaitée.

Il y a des phénomènes psychologiques qui jouent derrière ces données qu'il ne faut pas minimiser.

D'autres recherches ont été faites dans le même sens. On a cité ici, par exemple, un article d'un observateur de la scène de l'éducation, en France. Eux non plus, en France, ils ne désirent pas généraliser l'enseignement d'une deuxième langue au niveau élémentaire. Il y a eu des essais de faits ici et là. Ils disent qu'ils n'ont qu'à constater qu'au secondaire 84% des jeunes Français ap- prennent l'anglais comme deuxième langue. Alors, ce n'est pas la peine de l'enseigner au niveau élémentaire. On ne gagne rien. Ce sont des pays qui, l'un et l'autre, ne subissent pas de dangers, ne sont pas en situation de menace par rapport à la langue du voisin, et pourtant, ils raisonnent comme cela. Je crois que, dans le Québec, si on transpose ces précautions que ces pays bien assis culturellement, socialement, prennent, on doit bien se dire que nous avons été gravement irresponsables au niveau du gouvernement du Québec, éditions antérieures, de lancer des politiques abracadabrantes d'enseignement des langues, appuyées par des millions, des politiques sans aucune expérimentation, sans aucune précaution. Cela mérite d'être dit ici, puisqu'on l'a tellement dit en dehors de cette salle.

M. Laurin: C'est donc principalement sur ces études scientifiques sérieuses que vous vous appuyez pour demander au gouvernement de n'introduire l'enseignement de l'anglais dans les écoles françaises qu'à partir du niveau secondaire. On a souvent dit que la CEQ était opposée à l'enseignement de l'anglais, qu'il y avait une barrière idéologique qui les empêchait de vouloir enseigner l'anglais d'une façon efficace. Est-ce que je pourrais vous demander si tel est le cas, d'une part? Deuxièmement, si l'enseignement de l'anglais n'était introduit qu'au secondaire, est-ce que la Centrale de l'enseignement du Québec serait prête à faire tous les efforts nécessaires pour procurer à nos élèves francophones le meilleur enseignement qui soit de l'anglais, et comment?

M. Charbonneau (Yvon): Alors, c'est le temps, en répondant à votre question, de souligner que la CEQ considère comme un atout important la connaissance courante d'une deuxième langue pour les jeunes Québécois francophones et, bien sûr, que nous reconnaissons à l'anglais le statut, en quelque sorte, de première deuxième langue, si je peux m'exprimer ainsi devant vous. C'est naturel, c'est normal que la deuxième langue qui est enseignée à de jeunes Québécois soit l'anglais, et que ce soit enseigné avec le plus grand soin, avec compétence, avec les moyens matériels et pédagogiques appropriés, à compter du niveau secondaire et sur une période de cinq ans.

Nous croyons qu'en cinq ans, en raison de périodes que le gouvernement déterminera par semaine, si c'est enseigné avec motivation et si c'est appris avec une certaine motivation, non pas comme un os qu'on vous enfonce dans la gorge, mais si c'est appris comme quelque chose de naturel, comme une ouverture à ce qui se passe dans d'autres pays, à une langue qui a beaucoup de prestige et beaucoup d'utilité au plan international et dans d'autres pays très importants et très voisins, donc, si c'est appris dans une perspective d'ouverture, nous croyons qu'à ce moment-là l'enseignement de l'anglais sera accepté, valorisé, mais sera placé dans un cadre qui est normal et non pas exagéré, non pas mythifié. Nous pensons aussi — nous en profitons pour l'ajouter — qu'on

devrait offrir, on devrait rendre disponible l'enseignement de certaines autres langues au niveau secondaire, par exemple l'espagnol et l'italien, parce qu'au Québec, il y a beaucoup de gens venant d'Italie et que l'espagnol est une langue qui est parlée dans des pays qui sont dans les Amériques. Nous croyons que cela devrait être un service disponible dans les écoles au niveau secondaire. Mais l'enseignement de l'anglais doit être assuré avec grande compétence au niveau secondaire.

Le Président (M. Cardinal): M. Charbonneau, est-ce que je puis vous interrompre? Je voudrais vous demander si vous et les autres porte-parole pouvez revenir après la suspension, c'est-à-dire à 20 heures, ici, ce soir? Il reste à ce débat 32 minutes.

M. Charbonneau (Yvon): Si c'était possible de le faire tout de suite, nous pourrions...

Le Président (M. Cardinal): Je ne veux pas rendre de directives sur le règlement, mais... Oui, M. le député de Mégantic-Compton.

M. Grenier: D'abord, j'ai cru que le président de la CEQ avait réussi à nous passer ses deux dernières pages vers la fin, mais, à moins de ça, le parti ministériel...

Le Président (M. Cardinal): Actuellement, il reste deux minutes au parti ministériel, 20 minutes au parti de l'Opposition officielle et dix minutes au parti de l'Union Nationale.

M. Grenier: Bon! J'allais vous faire remarquer que le parti ministériel avait dépassé son temps de huit minutes, d'après mon compte. Depuis que M. Bellemare est parti, je suis obligé de tenir le temps. J'ai remarqué qu'il avait dépassé son temps de huit minutes. Je suis bien prêt, mais si on dépasse de huit minutes, ça nous retarde pour passer le Parti libéral, qui a 20 minutes, et nous, qui avons 10 minutes. Cela nous...

Le Président (M. Cardinal): D'accord, M. le député de Mégantic-Compton...

M. Grenier: Je suis capable...

Le Président (M. Cardinal): ...si vous tenez le temps si rigoureusement, il est possible qu'il y ait eu des dépassements, ce n'est pas la première fois, pour tous les partis, et d'une façon aussi équitable...

M. Grenier: Ce n'est pas un reproche que je fais, remarquez bien; c'est simplement pour vous le signaler.

Le Président (M. Cardinal): Non, je le prends en assez bonne part, mais je vais être obligé, messieurs nos invités, de suspendre jusqu'à 20 heures.

M. Paquette: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Rosemont.

M. Paquette: ...tout le monde est d'accord. On pourrait peut-être terminer l'audition du mémoire, quitte à reprendre à 20 h 30...

M. Ciaccia: On a fini l'audition...

Le Président (M. Cardinal): L'audition du mémoire est terminée. Il reste simplement...

M. Paquette: Non, mais les questions, je veux dire...

Le Président (M. Cardinal): Actuellement, il ne reste que deux minutes au parti ministériel. Je vais devoir me retourner vers les partis de l'Opposition pour leur demander leur opinion.

M. Ciaccia: Nous préférerions revenir à 20 heures. Nous avons d'autres engagements que nous avons pris pour 18 heures.

Le Président (M. Cardinal): Je vais indiquer le règlement. En vertu de l'article 31, je n'ai pas d'autre choix que de suspendre les travaux jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 19 h 59)

Reprise de la séance à 20 h 6

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et messieurs! Est-ce que je pourrais demander à chacun de regagner son fauteuil? La Centrale de renseignement du Québec, à la troisième période avec 32 minutes de jeu. La parole est à Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: C'est moi qui ai la rondelle. Je veux remercier le président de la CEQ et les membres de la CEQ qui sont venus à la commission présenter leur point de vue sur le projet de loi no 1. Je dois dire que je n'ai pas été trop surprise du contenu. Je pense qu'il se situe dans la ligne de l'unilinguisme français que la CEQ et le Mouvement du Québec français mettent de l'avant depuis plusieurs années. Je pense, d'ailleurs, que c'est aussi, pour qui sait lire, l'objectif du livre blanc à plus ou moins long terme. C'est peut-être, d'ailleurs, ce qui explique le silence d'organismes qu'à tort ou à raison certains appellent ultranationalistes qui n'ont pas encore ouvert la bouche pour dire qu'avec ce critère retenu pour l'admission à l'école anglaise des milliers d'enfants francophones et leurs descendants sont devenus membres de la communauté anglophone. Dans un reportage paru dans La Presse de décembre 1973, Mme Lysiane Gagnon estimait à plus de 25 000 enfants le nombre d'élèves francophones dans les écoles anglaises en 1971/72. Par contre, ce critère ferme l'accès aux écoles anglaises aux véritables membres de la communauté anglophone qui, de-

puis plus d'une dizaine d'années, ont envoyé leurs enfants à l'école française.

Je n'ai pas de statistiques pour d'autres écoles, je sais qu'un assez grand nombre d'anglophones ont envoyé leurs enfants faire leurs études en français dans les écoles privées, mais je vais vous donner des chiffres parus dans un sondage de la Commission des écoles catholiques de Montréal en 1976, où on voit qu'il y a 44% des parents d'origine ethnique anglaise de la CECM qui envoient leurs enfants dans les écoles françaises. Alors, les descendants de ces derniers n'auront plus accès à l'école anglaise. Je dois dire que, déjà avec la loi 22, cette tendance croissante des anglophones ou des gens de langue maternelle anglaise à envoyer leurs enfants à l'école française commençait à diminuer, mais je pense qu'avec la loi no 1 ils seront complètement découragés.

Même si le gouvernement prévoyait, comme il l'a laissé entendre, je ne peux voir autre chose qu'une sorte de dossier généalogique pour conserver à ces enfants le droit à l'école anglaise pour leurs descendants.

Enfin, ceci dit, je voudrais immédiatement passer à quelques questions. La première, j'aimerais que le président de la CEQ ou un de ses collègues nous explique ce qu'il veut dire quand, en page 2, il considère que ceux qui apportent des objections au projet de loi no 1 ont des réactions de racistes frustrés de voir que des privilèges intolérables leur étaient enlevés. Egalement, il semble leur associer les associations patronales et il les qualifie d'une minorité aux abois regroupant au total moins de personnes qu'un syndicat moyen de la CEQ et qui a toujours manifesté un mépris certain pour la majorité des travailleurs québécois.

Je voudrais que le président justifie les termes qu'il emploie ici. Il a peut-être identifié certains groupes, mais je pense qu'il y a aussi, parmi eux, un grand nombre de francophones et des Québécois à plein titre — si on veut se référer à la définition que le livre blanc leur donne et que vous leur avez donnée vous-même tout à l'heure — qui ont des objections assez sérieuses au projet de loi no 1 tel qu'il est présenté, tel qu'il a été déposé.

Le Président (M. Cardinal): M. Charbonneau.

M. Charbonneau (Yvon): Vous vous êtes référée à quel texte? Au condensé ou au texte...

Mme Lavoie-Roux: Au condensé, celui que j'avais en fin de semaine, à la page 2.

M. Charbonneau (Yvon): Nous croyons, en effet, que des réactions comme celles de la PACT, en particulier, sont inadmissibles, compte tenu de la manière dont cette organisation s'est constituée — je dirais syndicalement, mais ça déborde de notre sujet — linguistiquement parlant. Je crois en effet que ces gens, moins que tous autres, moins que la PACT, par exemple, devraient, s'ils acceptaient le fait d'un Québec qui devient français, mentalement, même s'ils ont des restrictions sur les modalités ou les étapes y menant, s'ils ac- ceptaient de faire corps avec le Québec, de se sentir des Québécois, ils n'auraient pas des réactions comme ils ont actuellement: aller jusqu'à percevoir des cotisations syndicales spéciales pour combattre les politiques du gouvernement.

Je crois que ces choses-là sont réellement des pratiques inadmissibles que plusieurs de leurs membres leur reprochent actuellement. Je me demande bien ce qui aurait été dit si la CEQ s'était aventurée à percevoir $10 par membre ou une demi-journée de salaire pour combattre le gouvernement Bourassa il y a quelque temps.

Je crois que des réactions de ce genre sont vraiment inadmissibles...

M. Ciaccia: Vous n'avez pas besoin de cela, vous l'avez fait quand même.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, M. le député de Mont-Royal!

M. Charbonneau (Yvon): Si on l'a fait sans fonds, M. Ciaccia, c'est parce que la cause que nous mettions de l'avant était très valable. On n'avait pas besoin de fonds.

M. Ciaccia: Vous les aviez tout de même.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre. Ecoutez! Nous avons réussi, depuis le début de cette séance, à conserver le calme. Je sais bien qu'il y a des lignes de pensée politique mais l'émotivité, quand même, doit se contenir. Pendant qu'un député ou un témoin parle, je demanderais aux autres de se taire.

Mme Lavoie-Roux: Ce que je dois comprendre, M. le Président, vous incluez ceux qui ont des restrictions à l'égard de la loi no 1, vous ne les avez pas traités de racistes, vous avez dit qu'ils avaient des réactions de racistes, la PACT et les associations patronales. Les autres qui, eux aussi, ont des objections au projet de loi, vous les incluez là-dedans, selon ce que je crois comprendre de votre réponse?

M. Charbonneau (Yvon): Bien non! C'est qu'on prend les cas excessifs. Quand on a des propos durs, c'est qu'ils s'adressent aux gens qui ont les propos les plus durs contre le projet de loi no 1 ou qui ont une base mal assurée d'argumentation.

Quand on parle du secteur anglo-catholique, vous le connaissez peut-être encore mieux que moi, vous l'avez vu de plus près, je crois que ces gens-là se sont constitué un empire scolaire et politique, on l'a vu encore tout récemment, à même des gens qui sont venus grossir le secteur anglophone par le biais de dérogations aux principes sains qui auraient dû guider la structure scolaire depuis des années. Je crois que ces gens-là, plus que tous les autres, devraient faire attention à la hauteur du panache, quand ils font des attaques sur la question linguistique.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, j'aimerais vous demander, vous les qualifiez de réactions racistes. Je n'ai pas suivi les écrits qu'ils ont peut-être publiés, je l'ignore. Mais vous qui êtes président d'un syndicat, est-ce que vous croyez que c'est peut-être davantage la sécurité de leurs membres qu'ils défendent que des réactions racistes qu'ils ont?

M. Charbonneau (Yvon): Je crois que le nombre total d'enseignants sur l'île de Montréal où, pour la CECM, le nombre total des enseignants membres de la PACT, de la PAPT et de la CEQ trouveraient fort bien à s'employer utilement dans l'enseignement au Québec, même dans le cadre des mesures que nous proposons ici.

Le total des enseignants a du travail à faire, parce qu'il y a un total d'élèves à desservir. Il y a beaucoup de francophones, de toute manière, qui ont été amenés à travailler dans le cadre de l'enseignement dit anglo-catholique, de même que dans l'enseignement anglo-protestant et, d'autre part, avec les mesures que nous mettons de l'avant pour l'enseignement de l'anglais aux francophones à compter du secondaire, sur cinq ans, on aura remarqué que c'est finalement la même quantité de travail qui est demandée que sur quatre ans au secondaire, plus un peu à l'élémentaire.

Globalement parlant, il n'y a pas de menaces à l'emploi pour le nombre total d'enseignants. Il suffirait d'aménager des mesures de transition qui permettraient de respecter les gens qui sont dans le système, mais de l'orienter graduellement dans le sens des intérêts de la majorité. C'est pourquoi nous préconisons un plan sur douze ans.

Ce n'est pas un plan pour septembre 1977, qui doit être alors totalement réalisé. Nous avons eu, je crois, cette approche de gradation dans le temps de l'implantation des changements. Je crois que cela devrait être pris en considération. Dans ce domaine, les changements ne peuvent pas s'accompagner d'ordres, mais, pour se faire dans l'ordre, ils doivent s'étaler dans le temps.

Mme Lavoie-Roux: L'autre question que je voudrais vous poser, c'est qu'à la page 14 de votre résumé, vous parlez justement de cette deuxième étape qui s'étend de 1983 à 1989 et vous dites: "Au préscolaire, à l'élémentaire et au secondaire, mise en place "d'écoles de quartiers" desservant tous les étudiants québécois, sous réserve d'assurer l'enseignement en anglais d'un certain nombre de connaissances de base à ceux qui ont accès à l'école anglaise" et, deuxième point, "intégration graduelle des établissements de niveau postsecondaire, collèges et universités"... J'ai cru comprendre que, finalement, ces collèges et universités de langue anglaise deviendraient des collèges et universités de langue française.

Mes questions sont les suivantes: Est-ce que vous croyez que, au plan de l'histoire du moins, la communauté anglophone a joué un rôle dans l'édification de la société québécoise et qu'elle peut continuer d'en jouer un? Evidemment, je le sais bien, je pense que c'est la Société Saint-

Jean-Baptiste ou le Mouvement national populaire qui est venu nous dire qu'on n'avait pas à s'énerver et qu'il n'y aurait pas d'extinction de la communauté anglophone au Québec. Je suis d'accord sur cela. C'est fort probable qu'il restera toujours des anglophones au Québec, mais ce que je veux savoir c'est à quel rôle on veut réduire leur communauté.

D'abord, est-ce qu'on reconnaît l'existence d'une communauté culturelle? Quel rôle lui voyez-vous jouer dans l'avenir? En effet, on peut rester avec des gens qui parlent l'anglais au Québec, mais, finalement, avec une communauté, dont les institutions qui la soutiennent auront disparu. Vous reconnaissez que, pour la communauté française, c'est extrêmement important; c'est l'école qui sert quand même de soutien au développement, à la conservation et à l'épanouissement de la culture. Je ne sais pas si vous auriez quelques commentaires à me faire là-dessus.

M. Charbonneau (Yvon): Oui, d'abord, votre question nous réfère à ce passage de notre mémoire où nous essayons de projeter ce que serait la deuxième étape du plan. Cette deuxième étape n'a de sens que si la première est acceptée. Je veux bien accepter de discuter de la deuxième étape, de 1983 à 1989, mais je ne voudrais pas l'extraire de son contexte non plus. De toute façon, allons-y! La question est devant nous. Nous développons ici le concept de ce que nous appelons l'école de quartier, faute de trouver une meilleure expression. On y verra avec le temps. Ce concept est très précieux du point de vue d'un peuple et d'une nation qui s'affirme, à savoir que l'école sera un creuset social. L'école sera le lieu où se battent en brèche les tendances naturelles de certains groupes culturels à se distinguer les uns des autres et à se réfugier dans des ghettos ou dans des districts différents. En somme, c'est la mentalité assez souvent constatée non seulement au Québec, mais un peu partout que des groupes ethniques s'en tiennent à une vie repliée.

Alors, l'école, à notre avis, dès l'élémentaire — et cela doit continuer au secondaire — doit offrir des services qui soient attirants pour tous, qui ne propagent pas l'idée de la distinction. Moi, je suis un anglophone, donc j'ai droit à ceci. L'autre, c'est un francophone, lui aussi a des réactions anti. Il y a des écoles pour les immigrants. Finalement, cela fait des petits îlots, cela ne fait pas un tissu social qui est basé sur des relations de fraternité et des relations humaines de solidarité et d'amitié. Alors, nous autres, on dit, à la page 27 — on le développe beaucoup — que le rôle social et culturel de l'école doit être un instrument de cohésion. C'est là que doit s'apprendre la tolérance et l'amitié entre les gens de quelque origine ethnique qu'ils soient.

Alors, l'école de quartier ainsi définie devrait assurer un enseignement en français, un enseignement en anglais à ceux qui y ont droit, un enseignement non confessionnel pour ceux à qui cela plaît ou avec connotation religieuse de telle ou telle nature pour ceux qui en veulent aussi;

donc, une école véritablement polyvalente et universelle. A notre avis, cela doit aussi être le cas des CEGEP.

Notre interprétation de cette strate d'enseignement, de ce niveau d'enseignement qui s'appelle le collégial, actuellement, c'est un secondaire prolongé. Dans la plupart des pays du monde, le système scolaire est organisé en trois paliers: universitaire, secondaire et élémentaire. Alors, le secondaire ici, au Québec, parce que cela arrive comme ça, a été scindé en deux réseaux d'établissements. A notre avis, il n'y a pas lieu de faire de distinction. Si la minorité anglophone veut se donner des collèges, il y a moyen, par le biais des établissements privés d'enseignement, d'y arriver. Au niveau universitaire, nous pensons que les universités, financées par les fonds publics, devraient être des universités dont la langue est le français. Il peut y avoir des aménagements là-dedans pour fournir un enseignement en langue appropriée à certains groupes ou sous-groupes de notre collectivité. Nous croyons que les fonds publics, autrement dit, devraient être orientés pour soutenir un système scolaire français du bas jusqu'au sommet de la pyramide.

Mme Lavoie-Roux: Je pense que dans les étapes que vous prévoyez, c'est, à plus long terme, disons jusqu'en 1989, l'abolition des institutions anglaises d'enseignement supérieur. Pour ce qui est de l'élémentaire et du secondaire, vous reconnaissez qu'au moins on devrait donner un certain nombre de connaissances de base. Ce n'est même pas l'école anglaise totale, c'est l'école anglaise où on donnera un certain nombre de connaissances de base aux anglophones.

M. Charbonneau (Yvon): Dans la deuxième étape, vous aurez remarqué qu'il n'y aura ni écoles anglaises, ni pas anglaises. C'est une école, et les anglophones qui ont accès, d'après nos principes de base, à l'enseignement en anglais sont dans l'école avec les autres, mais dans leurs classes à eux ou dans les cours qui sont organisés pour eux, et l'enseignement se donne en anglais.

Mme Lavoie-Roux: Mais même dans ces classes, il y aura seulement un certain nombre de connaissances qui leur sera donné en anglais.

M. Charbonneau (Yvon): Cela pourrait certainement être une bonne manière. Etant donné qu'il s'agit surtout du niveau secondaire, on ne voit pas d'objection à leur servir un peu de ce qu'on peut appeler l'immersion, mais au niveau secondaire.

Mme Lavoie-Roux: D'accord. Est-ce que ça va?

Le Président (M. Cardinal): Cela va. Il vous reste encore un bon huit minutes.

Mme Lavoie-Roux: Bon!

Le Président (M. Cardinal): C'est-à-dire au parti.

Mme Lavoie-Roux: Je voudrais maintenant parler de la langue seconde. On dirait vraiment que le ministre d'Etat au développement culturel ou les auteurs du livre blanc et la CEQ s'étaient donné rendez-vous là-dessus. Je ne citerai que le haut de la page 28. "cela étant posé"... On parlait de l'importance d'apprendre une autre langue que le français. Mais le paragraphe du haut: "Cela étant posé, on ne niera pas pourtant, car c'est une autre donnée incontestable que parler anglais est une nécessité pour certains Québécois francophones, à deux conditions principales, que cela ne soit pas imposé trop tôt au détriment d'une formation de base culturelle et technique qui doit demeurer, en n'importe quel pays, la préoccupation d'un humanisme fondamental".

Et je pense que ceci...

M. Charbonneau (Yvon): M. le Président... Mme Lavoie-Roux: Oui.

M. Charbonneau (Yvon): ... pourrait-on avoir la page?

Mme Lavoie-Roux: Page 28 du... Ce n'est pas le vôtre. C'est un texte du livre blanc du ministre.

M. Charbonneau (Yvon): Ah oui! Merci.

Mme Lavoie-Roux: Alors, pour ce qui a trait à cette langue seconde, il y aurait seulement quelques questions que je voudrais vous poser. D'abord, quelques remarques. J'ai trouvé, tout à l'heure, lorsque vous avez parlé des classes d'immersion dans le secteur anglophone, que vous les avez peut-être jugées un peu sévèrement en disant qu'évidemment les parents se sentaient flattés, étant donné qu'ils ne connaissaient que très peu la langue française, de voir leurs enfants parler français. J'aimerais vous demander si vous êtes déjà allé observer une de ces classes, pendant une journée complète, par exemple, où il ne se dit pas un seul mot d'anglais entre le professeur et les élèves et où des enfants de 4e et de 5e années fonctionnent totalement en français et d'une façon très autonome.

C'était plutôt une remarque sur les classes d'immersion et je voulais vous poser une question sur l'étude de la Grande-Bretagne. Je pense que l'étude de la Grande-Bretagne est devenue le credo de tous ceux qui sont contre l'enseignement d'une langue seconde au début de l'élémentaire. Je voudrais vous référer, par exemple, à ce que disait le coordonnateur de l'enseignement des langues secondes à la Commission des écoles catholiques de Montréal, en 1974. Il disait que, du point de vue pédagogique et linguistique, on peut affirmer, avec l'ensemble des spécialistes qu'il est nettement avantageux de commencer l'enseignement de la langue seconde dès les premiers degrés de l'élémentaire.

Là-dessus, je voudrais vous citer l'expérience, et elle est comme celle des Mille-Iles, très réduite aussi du point de vue de l'échantillon. Je vous

concède cela au départ. On a fait une expérience avec 27 élèves de 2e année à qui on a donné des classes d'anglais en 2e année. On s'est aperçu qu'après 50 heures d'anglais ces enfants obtenaient une performance égale à des enfants plus vieux qui avaient eu au moins deux fois autant d'heures d'enseignement en anglais. Plus que cela, une étude des tests de rendement donnés en 2e année nous indique que ces élèves obtiennent 6,18% en français et 6,61% en mathématiques alors qu'ils avaient obtenu 5,43% en fonctionnement intellectuel et que le rendement de l'école dans laquelle ils se trouvaient est également inférieur à celui des élèves de cette classe où on a introduit l'enseignement de l'anglais en 2e année. Je ne veux pas dire que c'est une preuve scientifique incontestable. Je pense que vous tirez des conclusions, des classes d'accueil des Mille-Iles, qui me semblent une formule intéressante que je ne connaissais pas, mais je pense aussi qu'avant de rejeter du revers de la main l'enseignement de l'anglais dans les premières années de l'élémentaire, il faudrait peut-être aller plus loin dans nos recherches et nos expérimentations. La question précise que je voudrais vous poser est la suivante. Vous avez sans doute entendu dire que les groupes ethniques qui se sont présentés ici, qui représentaient peut-être les deux groupes ethniques les plus considérables de Montréal, la communauté italienne et la communauté grecque, qui, on le sait, constituent un grand nombre des étudiants du PSBGM, ont beaucoup insisté, et en ont fait une condition de leur intégration à l'école française, sur cette nécessité que la langue anglaise leur soit enseignée dans les premiers degrés de l'école française. Je pense que, si on regarde d'autres communautés qui ont des écoles privées, la communauté arménienne, les juifs français, etc., ils ont aussi l'enseignement de la langue seconde dans les premiers degrés de l'école. Alors, si on veut quand même faciliter cette intégration de toutes ces personnes qui montrent de la résistance à venir à l'école française, ne croyez-vous pas qu'on pourrait peut-être réviser certaines positions qui semblent très arrêtées chez les membres de la CEQ, ou enfin chez l'exécutif de la CEQ?

M. Charbonneau (Yvon): Je crois que pour ce qui est de l'aspect de votre question qui suggère d'aller plus loin dans des recherches, nous sommes d'accord. Nous l'avons dit ici à la commission parlementaire sur le projet de loi 22 en 1974. Nous avons dit au gouvernement — nous commentions alors le plan de développement de l'enseignement des langues du ministre Cloutier — que c'était une improvisation irresponsable que de permettre aux commissions scolaires d'organiser l'enseignement de l'anglais, langue seconde, à compter de la première année, s'il y avait une demande, à compter de la troisième année, de laisser aller l'organisation de l'enseignement d'une deuxième langue dans l'anarchie, finalement, et au libre gré des demandes locales. Mais quelles sortes de demandes, quel conditionnement y a-t-il derrière ces demandes? Je crois qu'il y a place à des recherches. Nous en souhaitons, nous en demandons. Nous demandons que cesse l'improvisation. Prétendre que l'enseignement de l'anglais ou d'une deuxième langue à tel âge c'est bon, il y a des études de toutes natures là-dessus. Nous avons, je crois, résumé ici des études qui ont été faites dans un autre contexte, mais qui ont au moins cette qualité d'être rigoureusement scientifiques et de se poser dans des termes socio-politiques différents. Donc, c'est l'aspect scientifique de cette étude que nous pouvons vraiment mettre en relief. Du simple point de vue scientifique de l'apprentissage d'une deuxième langue, ces gens disent, dans l'étude anglaise: II n'y a pas de profit évident. Y a-t-il un dommage? C'est une autre question.

Certainement qu'il n'y a pas un dommage pour toutes les catégories d'élèves de la même manière. Cela dépend des milieux sociaux, et si on veut transposer cela ici dans la société du Québec, on a encore tout un travail à faire. Il y a l'étude des professeurs de Rimouski que j'ai mentionnée aussi, que nous avons citée en 1974, qui est quand même une étude québécoise, qui porte sur une observation assez systématique de la réalité et qui dit: II n'y a pas de profit. Y a-t-il des dommages? C'est à voir. Mais quand il n'y a pas de profit à faire quelque chose, cela nous suffit à réclamer les mesures que nous mettons de l'avant. Quand il n'y a pas de profit évident et quand il y a possiblement un dommage, c'est déjà une bonne base d'inquiétude avant de permettre des choses comme celles-là au niveau de l'organisation scolaire.

Quand vous me parlez des groupes d'immigrants qui réclament ceci ou cela, je crois qu'il y a même des parents francophones qui le font, énormément. Si vous émettez un sondage comme ça — c'est déjà arrivé dans certaines commissions scolaires — vous avez des pourcentages surprenants de gens qui disent: Oui, on veut l'anglais pour nos enfants et le plus tôt possible. Mais qu'est-ce qu'il y a derrière cette demande chez eux et chez les immigrants? Il y a cette crainte de perdre des emplois rémunérateurs, de ne pas gravir une certaine échelle sur le plan social et économique. C'est ça qui est sous le oui, je veux de l'anglais pour mes enfants. Les Québécois francophones qui demandent ça, quand ce sont des travailleurs des milieux ouvriers, qu'est-ce qu'ils veulent? C'est que leurs enfants n'aient pas de problèmes, comme ils ont pu en avoir. Ils veulent que leurs enfants ne perdent pas d'emplois, comme eux en ont vu passer au bout de leur nez toute leur vie. Ils veulent une certaine promotion socio-économique pour leurs enfants.

Je crois qu'il y a une mission d'éducation, de redressement des images à faire de la part du gouvernement. Il doit dire aux Québécois: Vous aurez droit d'accéder à tous les échelons de la société, sur le plan économique, culturel, au plein développement de vous-mêmes, à votre plein épanouissement, en français. A ce moment-là, on cessera de requérir le bilinguisme comme si on était promu parce qu'on est bilingue. Je crois que c'est l'envers du bon sens; on voit ça simplement dans

des pays colonisés, être promu parce qu'on est bilingue.

Il faut donc replacer les images d'ensemble et cela, c'est une mission fondamentale d'éducation de la part du gouvernement et de la part aussi de l'ensemble des formations politiques. Quand les immigrants arrivent ici, les groupes ethniques, ils sont conditionnés par qui, ces groupes ethniques? Par les media anglophones actuellement. Cette espèce d'hystérie qu'il y a sur les ondes et dans la presse anglophone de nous montrer comme des gros méchants, des gens qui veulent violer les droits des autres, qui sont irrespectueux. Je crois que ce conditionnement amène des demandes comme ils vous en font. Si ces gens étaient rassurés qu'ils vont pouvoir se développer en utilisant le français, ils cesseraient de vous demander ça d'urgence.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, je voudrais simplement vous faire remarquer qu'il n'y a aucun doute que la promotion économique est un facteur qui motive les gens à réclamer l'enseignement de la langue anglaise. Mais si on avait le temps de faire une autre recherche, ce serait peut-être intéressant de voir que les professionnels francophones, par exemple, qui occupent des postes de direction ou des hauts postes s'assurent que leurs enfants aient la connaissance de l'anglais. Si on faisait une étude, je pense qu'on arriverait à des conclusions extrêmement positives.

Une dernière question, sur la question économique. Vous dites en préambule, et je suis d'accord avec vous, que la question de la langue est vraiment reliée à l'aliénation économique des francophones.

Je voulais vous demander quelle importance la CEQ accorde à l'éducation économique des étudiants. Parce qu'il ne faut pas leurrer les gens en se disant qu'une fois que chacun pourra être promu à tous les échelons de l'entreprise dans la langue française, ce qui est excellent et ce à quoi on doit viser, après ça, il n'y aura plus de problèmes économiques. Comme le disait le ministre: Si on a l'indépendance, on contrôlera nos leviers économiques, etc. Je pense aussi qu'il faut réaliser qu'on a une éducation économique à donner à nos jeunes. J'aimerais savoir dans quelle mesure c'est une de vos préoccupations et quelle orientation donneriez-vous à cette éducation économique.

M. Charbonneau (Yvon): Cela me fait extrêmement plaisir de répondre à cette question, étant donné que nous avons abordé la question au sommet de La Malbaie, il y a quelque temps. Nous avons justement développé, à l'intérieur du document de 100 pages que nous avions préparé pour les circonstances et pour l'avenir, une vaste proposition concernant l'éducation économique.

J'aimerais, M. le Président, que les pages 69, 70, 71 et 72 de notre mémoire qui portent ce titre soient versées également avec nos notes, en réponse à la question de Mme Lavoie-Roux.(voir annexe 2)

Le Président (M. Cardinal): ... il faudrait que vous en donniez un exemplaire, parce que la commission n'était pas au sommet économique.

M. Charbonneau (Yvon): D'accord. J'enverrai des exemplaires, mais déjà tous les députés ont reçu ce mémoire et il a été déposé officiellement au sommet.

Le Président (M. Cardinal): Je regrette, personnellement, je ne l'ai point reçu. C'est peut-être parce que...

M. Charbonneau (Yvon): Mais je voudrais dire que nous avons une proposition très substantielle d'éducation économique, et je peux bien la développer, si le temps nous le permet.

Le Président (M. Cardinal): Si vous le permettez, je vais être obligé d'invoquer le règlement, parce que l'article 140, alinéa 1, dernière ligne, défend qu'on entre dans un autre sujet, même s'il y a une question qui nous y incite. Je vous demanderais de me remettre un exemplaire du document, en indiquant les pages que vous voulez apporter au dossier et je m'en chargerai. Je demande au député de Verchères si c'est une question de règlement.

M. Charbonneau (Verchères): En fait, M. le Président, je pense que vous avez fait la remarque que je voulais faire. Je n'ai pas d'objection et je ne pense pas que les ministériels auraient objection à ce qu'on parle de l'importance de l'éducation économique. On en est d'emblée. Si on veut passer de longues minutes sur cet aspect, je pense qu'il y a des mémoires qui concernent le sujet particulier et qu'il serait peut-être préférable d'utiliser le temps pour la question qui nous concerne.

Le Président (M. Cardinal): Je vous rejoins entièrement. Si vous me le permettez, M. le député de Verchères, je vais terminer ici. La question, je l'ai indiqué, incitait le témoin à répondre dans ce sens. Il promet de remettre le document, qui sera une réponse par écrit, plutôt que d'engager le débat à l'heure où nous en sommes.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mégantic-Compton.

M. Grenier: Merci, M. le Président. Je veux d'abord, au nom de notre parti, féliciter la Centrale de l'enseignement du Québec pour ce mémoire qu'elle nous a présenté aujourd'hui, avec le résumé qui nous permet d'avoir une vue d'ensemble rapide. C'est un reflet assez exact de ce qu'ils ont dans leur mémoire, qui est plus volumineux. On se rend compte que ce mémoire est présenté par des gens de l'enseignement, à première vue, puisqu'il est clair dans sa présentation et assez facile à comprendre, avec ses recommandations qui suivent. Je veux vous en remercier.

Immédiatement, je voudrais poser une question bien technique et je la pose au président. C'est peut-être une directive...

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse. Depuis tantôt, on parle de président. Je voudrais savoir si on s'adresse au président de la CEQ ou au président de la commission.

M. Grenier: Je me suis retourné. C'est à la commission que je m'adresse.

Le Président (M. Cardinal): D'accord.

M. Grenier: J'aimerais avoir une directive. Le député de Rouyn-Noranda m'a permis, en son absence, d'utiliser son temps, si c'était là une permission de la commission.

Le Président (M. Cardinal): Non. Je regrette. C'est la troisième fois ce soir qu'on me demande d'accorder le temps d'un député absent. Comme il n'y a que deux députés absents et que cela fait trois fois qu'on me fait la demande, il est bien sûr que la réponse est non.

M. Charbonneau (Verchères): Le député de Rouyn-Noranda n'aurait qu'à passer officiellement à l'Union Nationale.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît. Le député de Mégantic-Compton, vous avez encore dix minutes.

M. Grenier: Avec l'autorisation de la commission, peut-être qu'il aurait été d'accord. Je n'ai pas demandé l'autorisation de la commission.

M. le Président, question technique au président ou à un de ses aides. Je n'ai pas saisi le nom des deux messieurs qui vous accompagnent, à votre gauche et à votre droite. Si vous vouliez me les répéter?

M. Charbonneau (Yvon): Oui, à ma droite, M. Sacy, il est employé-conseil à la Centrale.

M. Grenier: D'accord.

M. Charbonneau (Yvon): Et à gauche, M. Agnaieff.

M. Grenier: Est-ce que je pourrais savoir si ces messieurs sont d'origine canadienne?

M. Charbonneau (Yvon): Ce sont deux Canadiens. Celui qui est à ma droite est d'origine libanaise. C'est d'ailleurs lui qui m'a expliqué qu'au Liban les universités autres que libanaises étaient financées à même les fonds privés, tandis que l'université libanaise, en arabe, était à même les fonds d'Etat.

A ma gauche, Michel Agnaieff, est originaire d'Egypte, mais il est Canadien.

M. Grenier: II est Canadien, il a eu son visa d'Ottawa, son permis d'Ottawa. Non, ce n'est pas pour être méchant, c'est simplement pour une information.

M. le Président de la CEQ, vous m'excuserez, l'autre président, j'aimerais que vous me donniez... Pardon?

Le Président (M. Cardinal): Continuez. M. le député de Mégantic-Compton.

M. Grenier: Oui. Vous signalez, à la page 9 de votre mémoire, que c'est à nouer des relations d'amitié, de fraternité, de solidarité entre les personnes; c'est de favoriser l'échange de vues dans le respect de l'autonomie et des idées de chaque groupe ou personne. C'était là bien sûr le point de vue d'une organisation syndicale.

J'aimerais que vous preniez la page 2 de votre résumé de mémoire également où on dit:

Quant aux adversaires du projet de loi no 1, la CEQ considère qu'ils ont des réactions de racisme, frustrés de voir que des privilèges intolérables leur étaient enlevés. J'aimerais que vous me disiez comment vous pouvez concilier ces deux opinions dans un même mémoire.

M. Charbonneau (Yvon): On le concilie assez bien, l'une est à la page 2 et l'autre est à la page 27.

M. Grenier: J'ai cru voir cela. J'ai cru saisir cela. J'ai saisi cela, M. le Président.

M. Charbonneau: A la page 27, nous projetons une image de la société et de l'école dans la société québécoise que nous voulons bâtir à partir de ces propositions, tandis qu'aujourd'hui nous nous inscrivons dans le contexte actuel et nous sommes obligés de dire des choses dures, parce que c'est cela qui se passe, mais nous voulons bâtir l'image qui est projetée à la page 27. La conciliation se fait entre les duretés qu'il faut se dire à présent et la société de solidarité qu'on veut se bâtir d'ici dix, douze ans, moyennant la réalisation de nos propositions. C'est très simple à saisir mais plus difficile à réaliser, je l'admets.

M. Grenier: C'est-à-dire qu'on retient quand même ce qu'on doit retenir sur cela.

Une Voix:... à la page 27...

M. Grenier: Non, c'est parce que ces questions sont importantes pour moi, comme la première que j'ai posée tout à l'heure, M. le député de Taschereau, je vais vous dire que cet après-midi j'ai entendu aussi de la bouche du président que quand on a des postes à confier à des chimistes, par exemple, on n'est pas obligé de prendre des immigrants, on doit prendre des chômeurs sur place, des Canadiens français. Je voulais alors lui poser la question.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mégantic-Compton, je m'excuse...

M. Guay: Je ne vois pas ce que la chimie a à voir avec cela.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! Deux brèves remarques. Quand vous parlez du président, qualifiez-le, parce qu'au journal des Débats, quand on dira que le président a dit telle chose, cela deviendra fort amphibologique, ambigu, et bon!

M. Grenier: Je tenterai de spécifier, M. le Président.

Mme Lavoie-Roux: ... responsabilité.

M. Ciaccia: Avez-vous honte de l'autre président, M. le Président de la commission?

M. Grenier: J'ai passablement confondu.

Le Président (M. Cardinal): Deuxièmement, je voudrais que vous vous adressiez soit au président de la commission, soit au président de la CEQ et non pas à vos collègues à cette table.

M. Grenier: II ne faudrait pas à l'avenir éviter d'inviter des présidents.

Cet après-midi, vous avez parlé de l'enseignement d'une langue seconde, au cours secondaire. C'est un sujet qui m'a fortement intéressé, puisque j'ai enseigné, pendant de nombreuses années à ce niveau. J'ai été membre de votre centrale pendant plusieurs années. J'ai une opinion sur l'enseignement de la langue seconde, mais je dois vous dire qu'elle peut facilement être modifiée, comme j'ai eu l'occasion de vous en dire un mot déjà. J'aimerais que vous me fassiez part des mémoires qui vous ont semblé convaincants pour l'enseignement de la langue seconde au secondaire. J'aimerais également savoir si vous avez en main des documents qui n'ont peut-être pas réussi à vous convaincre mais que vous trouvez quand même positifs pour l'enseignement de la langue seconde au niveau du primaire.

M. Charbonneau (Yvon): Je crois qu'il faut se référer aux mêmes études, les études que nous citons, celles de la NFER ou les études citées plus loin du groupe de l'Université du Québec à Rimouski qui traitent de l'enseignement d'une langue seconde, notamment de l'anglais aux francophones, autant à partir de l'examen de la réalité à l'élémentaire qu'au secondaire.

Nous nous appuyons globalement sur ces études pour en arriver aux conclusions que nous déduisons qui, en réalité, ne sont que la reproduction de ces études qui ont été faites en 1974. Je crois que c'est une étude très substantielle de près de 300 pages qui a été faite par des gens qui sont payés par l'Etat finalement, en milieu universitaire, et qui ont scruté le problème. On peut critiquer certains aspects de leur échantillon ou leur méthode de travail, mais encore faut-il en prendre connaissance. Il y a des recherches qui ont été faites, fort substantielles, ici et ailleurs, qui traitent de la question d'une façon globale.

Il nous semble que, quand il n'y a pas d'utilité établie à faire quelque chose en milieu scolaire, il faut s'en abstenir et il faut étudier la question avant de la propager ou avant de l'encourager à même les fonds publics. Cet argument simple nous suffit actuellement à mettre en garde le gouvernement contre les politiques du passé et à réviser des choses et à les regarder substantiellement avant de se lancer à nouveau dans ces ornières financées à grand prix dans le passé, au détriment sans doute d'autres priorités en éducation.

Quand on rencontre le ministre de l'Education, il nous dit: Avec $40 millions, j'aurais fait des merveilles si cela ne m'avait pas été enlevé à la dernière minute, mais il y a eu $100 millions d'investis sous la rubrique du plan de développement de l'enseignement des langues, pourquoi? Pour acheter des magnétophones à chaque enseignant de français? Pour ouvrir des laboratoires de langue un peu partout dans les écoles, des laboratoires qui ne fonctionnent pas maintenant parce qu'on coupe des ressources, au niveau technique et au niveau professionnel? Si c'est pour aboutir à cela, l'anarchie, la "gadgetisation" de l'enseignement, nous autres on dit qu'on n'est pas d'accord et on dit que les maigres millions que les gouvernements ont à investir en éducation devraient être canalisés vers des priorités réelles au niveau élémentaire telles que le développement de l'éducation physique, l'enseignement des arts et des priorités de base, l'enseignement de la langue française, c'est quand même une priorité, cela aussi.

Avant de se tracasser pour des priorités dont l'utilité n'est pas établie, on devrait d'abord investir vers l'éducation de base de la personne au niveau élémentaire.

M. Grenier: Merci. J'ai noté également, à la page 10 de votre résumé, cette différence entre votre centrale et le projet de loi que nous avons devant nous. L'article 3 dit "que les enfants dont l'un des parents a fait ses études élémentaires dans une école de langue anglaise au Canada aient eu accès à un enseignement de la langue anglaise, à la condition que les deux parents soient d'accord". J'aimerais connaître, parce qu'il y a d'autres mémoires qui nous ont été présentés, ce qui vous a poussés à en venir à cette conclusion?

M. Charbonneau (Yvon): Nous, étant donné que nous sommes une organisation syndicale et non pas une organisation politique ou un mouvement nationaliste, ayant une option explicite indépendantiste, nous connaissons, en gros, l'orientation individuelle de nos membres mais n'avons pas de mandat quant à un nouveau cadre constitutionnel. Nous avons voulu ici faire une proposition qui soit rapidement acceptable dans le cadre constitutionnel actuel, parce que nous n'avons pas de mandat d'aller dans le sens d'une option constitutionnelle changée, modifiée. Il y a des débats en cours dans notre organisation. Nous avons reconnu l'importance pour le mouvement

syndical, y compris notre centrale, de faire le débat de la question nationale, mais dans les mois ou les années qui viennent. Alors, nous avons voulu avoir une proposition qui soit rapidement acceptable et qui ne nie pas la mobilité interprovinciale ou qui ne handicape en aucune manière la venue au Québec d'anglophones qui refuseraient, par ailleurs, de venir s'ils pensaient que leurs enfants seraient privés de l'enseignement en anglais. Nous n'avons pas voulu nous mêler de cet ordre de débat pour le moment, compte tenu du cadre constitutionnel et compte tenu des mandats que nous avons, ce qui ne veut pas dire qu'avec le temps, on ne pourra pas arriver à préciser nos positions, par ailleurs. Je voudrais faire remarquer que notre position quand même est globale. Nous avons peut-être une position plus souple ou plus large que le gouvernement sur ce point, mais par ailleurs, pour ceux qui vivent au Québec actuellement, nous avons des exigences assez précises. Pour les francophones qui ont inscrit leurs enfants à l'école anglaise, nous demandons que, dès septembre, ces enfants soient réinscrits au secteur français. Nous demandons également que des mesures soient prises à l'égard des enfants d'immigrants qui seraient actuellement en voie de s'angliciser et que des mesures d'accueil et de transition leur permettant de réintégrer le secteur français soient prises dès septembre. Alors, c'est à prendre dans un ensemble. Nous sommes peut-être plus souples sous un angle. D'un autre côté, nous pensons qu'il y a des mesures d'urgence à prendre, compte tenu de la population qui est ici.

M. Grenier: Je comprends bien que vous recommandez quand même, dans votre texte actuellement, que les enfants d'autres provinces de milieu anglophone puissent s'intégrer à l'école anglophone du Québec.

M. Charbonneau (Yvon): Oui. Vous lisez un paragraphe, mais je vous répète que ce n'est pas à prendre par morceau. Nous avons voulu avoir une conception derrière cela.

M. Grenier: D'accord.

M. Charbonneau (Yvon): Si vous prenez ce morceau, si vous tirez argument de cette proposition, nous vous suggérons que pour ne pas déformer la pensée de la CEQ, vous ne négligiez pas les autres paragraphes aussi; sinon, ce serait une utilisation d'un extrait hors contexte.

M. Grenier: D'accord. Quand vous avez dit que les anciens gouvernements, les gouvernements d'ancienne édition avaient fait une tentative de législation dans l'enseignement, qu'est-ce que c'est exactement?

M. Charbonneau (Yvon): Vous vous référez à...

M. Grenier: Cet après-midi à des questions posées par le ministre ou en faisant l'abrégé de votre mémoire, vous avez parlé de gouvernements d'ancienne édition qui avaient tenté de légiférer dans le secteur de l'enseignement.

M. Charbonneau (Yvon): Ce serait le temps d'utiliser "attentat" au lieu de "tentative".

M. Grenier: Je ne sais pas. J'ai siégé sous un ancien gouvernement qui était dirigé par le député d'Anjou, Pierre-Marc Johnson, puis par le député de Vanier, qui est Jean-François Bertrand. Je n'ai pas l'impression que c'était un gouvernement d'attentat. Ce n'est pas mon impression.

M. Charbonneau (Yvon): Non. Je crois qu'il était dirigé par les pères de ces députés, et non pas par ces députés. Il faut être précis dans la question.

M. Grenier: Je vous demande une réponse sur la question de cet après-midi.

M. Charbonneau (Yvon): Oui...

M. Grenier: Je veux savoir ce que vous entendez par tentative de législation dans l'enseignement.

M. Charbonneau (Yvon): J'appelle cela des tentatives. La loi 63 et la loi 22, la 22 essayant de recoudre les déchirures de la 63, maladroitement, je crois qu'avec les débats qui sont devant nous à propos du projet de loi no 1, on s'aperçoit que c'étaient des tentatives de législation.

D'accord, il y a du monde qui a levé le bras, qui a dit: On est pour ça. Mais l'autre bras était sensiblement tordu dans le dos pour que celui-là se lève. Je crois qu'actuellement on est en train de reprendre le débat de fond en comble. Il y en a ici qui sont décidés, semble-t-il, à trancher cette question dans le sens des intérêts de la majorité. Si nous disons que le projet de loi no 1 est foncièrement démocratique, c'est parce qu'il veut d'abord asseoir les droits de la majorité. On ne pense pas que ce soit antidémocratique que de concevoir une loi dans ce sens-là, quand on voit que la majorité, de façon évidente et statistique, est entre 80% et 88% à cet égard et qu'elle est respectueuse aussi d'un statut à accorder, de fait, à des minorités. Je crois que c'est une loi qui est foncièrement orientée dans un sens progressiste qui plaît à une organisation syndicale représentative des travailleurs de l'enseignement.

M. Grenier: Je vous remercie. Je ne veux pas abuser de l'allocation de temps que le président m'a faite. J'espère avoir posé quelques questions qui vous ont permis de passer vos trois dernières pages.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le député de Mégantic-Compton.

M. Charbonneau (Yvon): Je vous remercie comme ex-membre.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de

Mégantic-Compton, comme vous avez vous-même avoué — c'est au journal des Débats — que je vous ai accordé deux minutes de plus cet après-midi et que je vous en ai accordé deux autres ce soir, cela remplace peut-être les huit minutes qui avaient été accordées au parti ministériel. Sur ce, je cède la parole à M. le député de Mont-Royal à qui il reste deux minutes.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président de la commission.

M. le Président de la commission et M. le Président de la CEQ, les remarques... Je n'aurai le temps que de poser une question. Si le président de la commission me le permet, je voudrais faire un petit préambule avant de poser cette question, comme a l'Assemblée nationale.

Le Président (M. Cardinal): Même règle qu'à l'Assemblée nationale, pourvu qu'il soit pertinent, bref et conduise à la question.

M. Ciaccia: Merci! J'ai eu l'impression, à la suite de votre présentation sur le projet de loi no 1 et même de la réponse et de la réaction du ministre d'Etat au développement culturel, que vous étiez contre deux choses: contre le racisme et contre les Anglais. Je trouve un peu bizarre votre conception de la démocratie, quand vous dites que le gouvernement devrait vous écouter, vous, parce que vous avez voté pour eux, mais qu'il ne devrait pas écouter le mémoire qui a été présenté avant vous, parce que ce ne sont pas eux qui ont élu le Parti québécois. Ma perception de la démocratie était toujours que, quand un gouvernement était élu, il était élu pour tout le peuple et devait écouter tout le monde. S'il y avait des points valables qui étaient apportés par des groupes minoritaires ou d'autres groupes qui n'étaient pas d'accord avec eux, ils devaient être écoutés quand même. Je crois bien qu'il y en a beaucoup qui vont trouver difficile à accepter que vous parliez pour tous les francophones. Plusieurs francophones sont venus ici et se sont prononcés contre le bill 1, contre certains de ses aspects. On ne parle pas contre le but du projet de loi, la promotion et le fait de parler le français, d'en faire la langue de communication et de travail. Ce n'est pas ça. On parle contre les modalités et les atteintes à la liberté, spécifiquement à l'article 172.

J'entends le président de la commission qui fait des remous dans...

Le Président (M. Cardinal): Je calcule les secondes.

M. Ciaccia: Vous calculez les secondes. Oui, mon collègue me rappelle ici qu'il n'y a que 40% des Québécois qui ont voté pour le Parti québécois. Cela, c'est son point à lui, ce n'est pas le mien.

M. Guay: C'est son problème.

M. Ciaccia: Mais c'est la vérité.

Quelqu'un a porté à l'attention du ministre d'Etat au développement culturel que, si le projet de loi était adopté tel quel, sans modification — on ne parle pas ici de la langue de travail, de la langue de communication et d'enseignement — il pourrait coûter au Québec 23 000 emplois. Je ne sais pas comment ils ont calculé ça, mais c'est le point qu'ils ont souligné au ministre et, apparemment, la réponse du ministre... Il peut me corriger, parce que j'ai lu ça dans les journaux. Cela se peut que les journaux se trompent.

M. Laurin: Je vous corrige immédiatement. Ce n'est pas ça que j'ai dit.

M. Ciaccia: Bon! D'après le ministre, il était prêt à accepter cette perte d'emplois afin d'arriver aux buts sociaux du projet de loi.

M. Laurin:... journal.

Le Présidant (M. Cardinal): A l'ordre!

M. Ciaccia: Je voudrais poser la question, peut-être pas à vous, mais au président de la CEQ. Si c'était le cas, et plusieurs compagnies, plusieurs représentants de l'industrie... Vous soulevez la question économique, mais vos raisons qui font que vous êtes en faveur du projet de loi no 1 sont des raisons économiques. C'est pour vos membres. La même chose pour PACT. C'est pour des raisons économiques. La question de la culture, parfois, il ne faut pas se leurrer. Il ne faut pas avoir d'illusion. On utilise la culture pour nos propres fins. Alors, vous aussi, c'est pour des raisons économiques.

Si le projet de loi, tel que rédigé, coûte 23 000 emplois, pensez-vous qu'il devrait être adopté tel quel quand même, même si cela va causer des difficultés économiques?

M. Charbonneau (Yvon): Je crois qu'il y a beaucoup de choses dans votre question, y compris dans son préambule et que je ne voudrais surtout pas laisser passer. Vous avez réussi à placer une formule, à savoir que la CEQ serait contre le racisme et contre les Anglais. C'est une bonne formule, mais il est un peu tard, il y a beaucoup de journalistes qui sont partis, mais tout de même, elle va peut-être passer.

Je vous ferai remarquer que c'est foncièrement malheureux que quelqu'un essaie d'implanter cette impression à partir du mémoire que nous avons développé ici. Je vous référerais, en particulier, aux pages 44, 45 et de nombreux autres extraits ici qui montrent la place et le respect que nous sommes prêts à reconnaître...

M. Ciaccia: Je me suis référé non seulement au mémoire mais à vos remarques et à vos représentations et aux réponses du ministre.

M. Charbonneau (Yvon): Les réponses du ministre, ce n'est pas... Je vous ferai remarquer que c'est foncièrement malheureux que vous déduisiez ceci de notre mémoire et je vous inviterais à le lire. Je comprends que vous ne l'ayez reçu que ven-

dredi passé, mais peut-être pourriez-vous prendre le temps de le lire comme il le faut...

M. Ciaccia: Je l'ai lu.

M. Charbonneau (Yvon): ... et vous apercevoir que nous accordons une place extrêmement importante... Nous reconnaissons le statut des anglophones au Québec et la place de l'anglais dans l'enseignement. Tout ce qu'il y a, c'est que nous recommandons certains moyens pour arriver à cet enseignement de l'anglais qui ne sont pas ceux utilisés actuellement.

Là-dessus, je ne voudrais absolument pas laisser passer l'ombre d'une telle affirmation qui est contre les principes fondamentaux de notre organisation syndicale. D'ailleurs, c'est largement développé à partir du passage de la page 27 que j'ai cité in extenso, tout à l'heure.

M. Ciaccia: Vous enlevez les institutions des anglophones, par exemple.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Mont-Royal, je vous en prie. M. le Président de la CEQ et non pas de la commission vient d'employer, sans le savoir, l'article 96. C'était son droit strict.

M. Charbonneau (Yvon): 96?

Le Président (M. Cardinal): C'est un article qui permet à quelqu'un qui a fait un discours de corriger l'interprétation qu'on en fait.

M. Charbonneau (Yvon): Cela sera d'appris. Je voudrais mentionner que nous nous opposons à ce genre de terrorisme qui est propagé par certaines personnes qui ont beaucoup de pouvoir économique actuellement, au Québec, et qui disent, à tort et à travers, et sans aucune donnée précise: II y a 33 000 emplois par ci, il y a ci, il y a ça, il y a les sièges sociaux...

Je crois que ceci fait partie d'une campagne d'opinion publique qui est très puissante actuellement et qui impressionne des gens. Elles ont essayé cela parfois avant les élections et comme cela n'a pas réussi, elles l'essaient après. Je crois que c'est ce qu'il faut vraiment mettre en lumière, et nous avons une proposition pour répondre à cela, M. le député...

M. Ciaccia: Ceux qui ont présenté le mémoire avant vous, vous les accusez de terrorisme? Vous les avez vus? C'étaient des terroristes?

M. Charbonneau (Yvon): II y a des terroristes avec un silencieux.

M. Ciaccia: Vous, vous êtes pacifique. Le Président (M. Cardinal): A l'ordre!

M. Ciaccia: Vous ne vous êtes jamais engagé dans de telles procédures terroristes.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Ciaccia: Vous n'avez jamais dit: Je veux briser le système? Vous n'avez jamais dit cela, vous?

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mont-Royal...

M. Ciaccia: Oui, mais si on va s'engager...

Le Président (M. Cardinal): ... à l'ordre, s'il vous plaît! A l'ordre! Je rappelle et le député de Mont-Royal et le président de la CEQ à l'ordre, s'il vous plaît! Je prierais M. Charbonneau, brièvement, de terminer sa réponse au député de Mont-Royal.

M. Charbonneau (Yvon): En réponse au député de Mont-Royal, sur la question de l'économie, je voudrais souligner que nous sommes tout à fait préoccupés du développement économique du Québec, mais un développement économique orienté à servir les intérêts de ceux qui sont ici, et nous croyons que le développement économique du Québec actuellement dessert les intérêts de la population du Québec.

Nous avons largement montré, dans un mémoire dont les données n'ont été réfutées par personne, à l'occasion du sommet — et je voudrais demander au président de la commission de bien vouloir inclure dans notre déposition d'aujourd'hui les extraits de notre mémoire qui demandent un plan de développement économique et social du Québec pour les intérêts des Québécois.

A ce moment-là, les 33 000 emplois, cela ne ferait plus peur à personne si l'économie au Québec était planifiée, développée dans le sens des intérêts de la majorité ici. Tout le monde trouverait à s'employer et utilement et on pourrait mieux résister à ces manoeuvres de chantage que certains ne manquent pas de multiplier actuellement. C'est en développant l'économie, mais l'économie pour les Québécois et pour la majorité et non pas en laissant dilapider nos ressources naturelles par des monopoles et par n'importe quelle multinationale qui entre ici à bar ouvert et qui laisse les Québécois autour du trou une fois qu'ils ont exploité le terrain de la mine. Cela a trop duré et à ce moment-là on aura de quoi répondre à tous ceux qui nous menacent de déménager les sièges sociaux ailleurs, li y aura un développement économique qui aura son centre au Québec et non pas qui préconise une économie ouverte à la dilapidation de nos richesses naturelles et des travailleurs qui sont ici. C'est cela la vrai réponse à toutes ces mesures qu'on nous met dans les oreilles actuellement à travers les media et malheureusement à travers certains députés.

Le Président (M. Cardinal): M. le président Charbonneau, je vous prierais, comme je l'ai indi-

que tantôt, de me remettre une copie de ce mémoire.

M. Ciaccia: Une question de règlement, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Article 96. Le président de la CEQ m'a...

Le Président (M. Cardinal): Oui. C'est à votre tour.

M. Ciaccia: C'est à mon tour. Il m'a imputé des motifs, que certaines gens placent certains mots à travers les députés. Je voudrais rappeler au président de la commission et au président de la CEQ que ce n'est pas le cas, que nous avons le droit ici, comme parlementaires, et spécialement comme parlementaires dans l'Opposition officielle, de faire ressortir et poser des questions pour que le gouvernement et que les témoins qui présentent des mémoires élaborent leur position et fassent ressortir complètement devant le public les données du projet de loi et leurs positions. Alors, je n'accepte pas que ce soit à travers les paroles de certains députés que l'on fasse ressortir certaines déclarations. Nous avons le droit de poser ces questions, c'est notre droit et je n'accepte pas de telles accusations, M. le Président de la commission.

Le Président (M. Cardinal): Le député de Rosemont.

M. Paquette: Sur la question de règlement, je pense que le député de Mont-Royal n'avait pas à utiliser l'article 96, parce que, de la façon que j'ai compris le président de la CEQ, il a tout simplement noté la coïncidence de la campagne que font les milieux économiques et les propos du député de Mont-Royal.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Rosemont, à l'ordre, s'il vous plaît! Non, M. le député de Mont-Royal. Je ne veux pas que sur l'intervention de M. le député de Rosemont vous souleviez une question de règlement. M. Charbon-neau avait le droit de vous répondre, vous aviez le droit de le corriger en vertu de l'article 96. Je pense que l'incident est clos. Je donne la parole au député de Châteauguay, avec deux minutes.

M. Dussault: Merci, M. le Président. Je tiens d'abord, au nom de tous les députés du parti ministériel, à vous remercier, vous de la CEQ, d'être venus témoigner devant la commission. Je vous remercie particulièrement pour quelque chose de nouveau que vous nous avez apporté, à savoir la deuxième partie de votre mémoire qui parle spécifiquement d'une politique d'apprentissage des langues. Je pense que ce document pourra être d'une très grande utilité pour le ministre de l'Education dans les prochains mois. Je pense que cela valait la peine d'être remarqué. Je partage aussi votre prudence quant à l'enseignement d'une langue autre que la sienne en bas âge. J'ai vécu dramatiquement, dans ma municipalité, une expérience d'une commission scolaire qui, à partir d'une seule question, sans explication, a généralisé l'enseignement de l'anglais en première, deuxième et troisième année sous prétexte que les parents le voulaient d'une façon majoritaire, à partir, comme je le disais, d'une seule question, sans encadrement et surtout sans en faire véritablement un projet pilote. Cela me paraissait dramatique à ce moment-là et, à partir des propos que vous avez apportés, le drame me paraît encore plus grand. Vous avez parlé, dans votre mémoire, de français standard. Vous rejetez la notion de français international que vous associez d'ailleurs à un petit groupe d'annonceurs, comme vous dites. Vous rejetez le français qu'on dit de Paris pour vous en tenir à une notion de français standard. Est-ce que vous pourriez davantage expliciter cette notion?

M. Charbonneau (Yvon): Oui, c'est en effet un élément important de notre mémoire que d'essayer de cerner le type de français, le niveau ou la sorte de langue française à laquelle on devrait se référer comme norme au niveau de l'enseignement. Nous avons un développement qui méritera, je crois, d'être étudié encore davantage de notre part, mais d'être pris en considération aussi par ceux qui prolongeront le travail de cette loi.

Une fois que la loi sera adoptée, quelle qu'elle soit, il faudra encore mettre en oeuvre beaucoup de règlements ou de politiques au niveau de l'enseignement du français.

Nous essayons ici d'apporter un certain nombre de distinctions qui, je crois, n'ont pas été faites souvent jusqu'à maintenant, d'abord entre les niveaux ou les variétés de la langue française à même lesquels il faut se bâtir une politique.

Je reprends ceci en me référant tout particulièrement à la page 48 et à la page 49. Tout d'abord, nous avons été coupables de parler français, historiquement parlant, mais aussi beaucoup se sentent coupables de mal parler le français. Qu'est-ce que c'est que ce terrain, ce substrat à partir duquel il faut construire une politique d'enseignement des langues? Nous nous sommes arrêtés à cela et je crois que c est en mettant de l'avant une conception scientifique des variations linguistiques, en nous accoutumant à ce genre de distinctions qu'on pourra s'établir une politique de l'enseignement du français qui prenne en compte, mais qui ne nie pas l'acquis ou ce qu'est la langue des Québécois.

Nous en arrivons à émettre certains paramètres, certains critères, tant sur le plan géographique que sur le plan social, qui peuvent nous amener à cerner ce qu'on pourrait considérer un modèle de référence quant à quel français enseigner. Si nous nous éloignons de la notion de français international, elle a peut-être rendu certains services, mais, à l'examen, nous croyons qu'elle tend à désincarner l'approche d'une langue.

Si on dit aux jeunes que dans une école...

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, vous allez être obligé de conclure; j'ai accordé beaucoup de latitude, de flexibilité à tout le monde et vraiment, il faudrait que vous puissiez terminer.

A l'ordre, quand même! Je n'ai pas le choix.

M. Charbonneau (Yvon): Allons-y en raccourci, mais je crois qu'il faudra bien prendre connaissance de ces 44 pages de notre mémoire. C'est la moitié, nous y avons accordé beaucoup de soin. Il y a tellement de gens qui disent que la CEQ fait de la politique, se mêle de ce qui ne la regarde pas, pour une fois, n'est-ce pas, où de l'avis de ses critiques, nous accordons la moitié de notre mémoire à des questions pédagogiques, je crois qu'on pourrait peut-être s'expliquer davantage, à une autre occasion sans doute.

M. Ciaccia: C'est l'autre moitié qui nous achale un peu.

Le Président (M. Cardinal): Si vous me permettez, M. Charbonneau. Il ne s'agit pas du tout de juger de la qualité du mémoire. C'est qu'en fait nous avons pris un temps important à cause du sérieux du mémoire, de son volume et que je dois continuer ce que j'ai fait depuis le début et vous demander de conclure brièvement.

M. Charbonneau (Yvon): En concluant, disons que le concept auquel on en arrive ici, comme sous l'appellation "français standard", c'est de permettre à tous les jeunes Québécois, sans se renier, sans se sentir coupables de parler un français avec une coloration particulière, lorsque besoin en est, d'accéder à un niveau, à un registre de français qui leur permette de communiquer tous ensemble clairement, dans le respect de leur culture, intégralement, et, en même temps, de communiquer sur le plan international avec d'autres groupes membres de la francophonie. "Français standard", c'est un point de référence qui comprend ce double volet.

En concluant, M. le Président, je dois tout de même ne pas laisser passer quelques allusions aux contours incertains qui ont pu être faites à propos de ceux qui m'accompagnent à gauche et à droite. Je crois qu'ils sont deux parfaits exemples d'immigrants qui ont choisi de s'intégrer à la majorité francophone et de la servir à titre de travailleurs de l'enseignement, et parmi eux. Je crois que c'est un hommage qu'on peut leur rendre et, derrière eux, atteindre tous ceux qui ont accepté, provenant d'autres origines ethniques, d'autres cieux, de se joindre à la majorité francophone. Je crois que nous pouvons travailler en très grande harmonie et en très grande solidarité et amitié, de quelque origine ethnique que nous soyons, pourvu que des mécanismes respectueux de la majorité soient toujours mis en place.

M. Grenier: M. le Président, sur une question de règlement...

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Mégantic-Compton.

M. Grenier: ... M. le Président a fait allusion à une intervention que j'ai faite tout à l'heure. Soyez sûrs que, personnellement, moi aussi je félicite ces gens qui sont ici. Ce n'est pas dans ce but que c'était fait, c'était par suite d'une déclaration faite cet après-midi, à savoir que, quand on avait besoin d'un chimiste, on n'était pas obligé d'aller le chercher à l'extérieur du Québec, on pouvait le prendre parmi nos chômeurs.

C'est uniquement cela. Je pense qu'il faut se féliciter d'avoir des hommes comme cela de chaque côté du président de la CEQ.

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Jacques-Cartier.

M. Saint-Germain: Je croyais qu'il restait quelques secondes pour le Parti libéral.

Le Président (M. Cardinal): Non, je regrette. A l'ordre, s'il vous plaît! Vos deux autres collègues savent que le temps a été totalement épuisé.

M. Ciaccia: S'il avait eu cinq secondes, voulez-vous savoir quelle question il aurait posée?

Le Président (M. Cardinal): Non. A l'ordre, s'il vous plaît! Je voudrais, avant que les gens ne quittent, au nom de tous les membres de la commission, remercier M. Charbonneau et les porte-parole qui l'accompagnaient de la Centrale de l'enseignement du Québec. Je les remercie particulièrement d'être demeurés avec nous en ce début de soirée. J'invite immédiatement le prochain organisme, l'Université Concordia.

Est-ce que M. Michael Sheldon est ici? Si vous voulez vous asseoir, s'il vous plaît, identifier votre organisme et les personnes qui vous accompagnent.

M. Sheldon (Michael): M. le Président, je suis Michael Sheldon, mais je ne suis pas le chef de la délégation; c'est le recteur, M. John O'Brien, qui est ici, qui va parler pour l'université.

Le Président (M. Cardinal): Bonsoir, M. O'Brien. Vous avez la parole. Vous connaissez les règles du jeu, vous avez 20 minutes. Mais, auparavant, je demanderais que l'autre porte-parole soit identifié. Vous avez une personne avec vous?

M. O'Brien (John): Oui, M. le Président. Je vous présente M. David Allnutt, directeur de l'information de l'Université Concordia.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Tous savent que l'Université Concordia est à Montréal. M. le recteur, je vous donne la parole; vous avez 20 minutes pour exposer votre mémoire.

Université Concordia

M. O'Brien: Je vous remercie, M. le Président. Je voudrais vous lire notre mémoire, mais, avant de commencer, je voudrais vous dire que, même si le nom de l'Université Concordia ne date que de

trois ans, l'organisme que je représente a ses antécédents au dernier siècle.

Il y a d'abord eu l'Université Sir George Williams, avec laquelle, il y a trois ans, Loyola s'est fusionné pour former l'Université Concordia. C'est une université de Montréal qui compte parmi ses étudiants à peu près 25 000 personnes étudiant à temps complet et à temps partiel. C'est donc en tant qu'établissement universitaire qui existe depuis assez longtemps au Québec, sous une forme ou sous une autre, qu'on voudrait vous présenter notre mémoire ce soir. Puisque le mémoire n'a que sept pages, je crois que ce qui serait le plus facile, ce serait de vous le lire et, évidemment, d'en discuter par la suite.

Donc, je commence à lire. L'Université Concordia soumet le présent mémoire à la commission parlementaire parce qu'elle estime que c'est sa responsabilité en tant qu'un des principaux établissements d'enseignement supérieur du Québec. Les prises de position exprimées ici découlent, premièrement, du souci des droits et libertés de la personne que se fait naturellement une université dans un pays démocratique et, deuxièmement, de notre compréhension des éléments essentiels et des besoins connexes de la société québécoise en plein épanouissement.

Nous tenons à ajouter que nous voyons essentiellement les institutions et les collectivités comme les personnes qui les composent, encore que des personnes ayant des aspirations et des antécédents différents; nous serions bouleversés de voir sacrifier des personnes à des idées, toutes nobles qu'elles soient.

Nous comptons bien que la prédominance du caractère français du Québec s'affirmera de plus en plus. Cela doit signifier que le français sera utilisé davantage, en particulier dans le commerce et l'industrie, et qu'il est nécessaire que les Québécois qui ne le parlent pas actuellement, en acquièrent une bonne connaissance s'ils veulent participer pleinement à la vie de la collectivité.

Mais il faut permettre au temps de faire son oeuvre, comme cela se passe présentement; la francisation instantanée, sur commande, peut saper les fondations de notre société et de notre économie.

Dans ce contexte, que le Québec soit officiellement bilingue ou unilingue ne nous paraît pas être la question clef.

En fait, de nombreux Québécois, entourés comme ils le sont de Nord-Américains de langue anglaise, auront besoin d'utiliser l'anglais à diverses fins sociales, culturelles et commerciales, et ils voudront le faire. Aussi, c'est dans l'intérêt du Québec qu'il y reste une minorité viable et prospère dont la langue principale est l'anglais.

Le 17 novembre, j'ai prononcé une allocution, lors de la collation des grades à notre université soeur, McGill. Voici certains passages de ce discours: "Bref, les anglophones du Québec se rapprochent, de nos jours, beaucoup plus qu'auparavant, des autres groupes minoritaires des sociétés occidentales, ou du moins davantage qu'ils ne l'ont toujours pensé... Cependant, je pense que nous y gagnerions en assumant pleinement notre rôle et en admettant que les groupes minoritaires, en plus de prospérer, sauvegardent leurs intérêts vitaux et contribuent au bien-être général de la société dans son ensemble quand ils savent intelligemment tirer parti de leur situation... J'aimerais ajouter un mot sur l'attitude de la majorité francophone à notre égard. On est en droit d'attendre d'une majorité qu'elle fasse preuve de tolérance et d'ouverture d'esprit envers les minorités qui vivent en son sein."

Que sont ces minorités? Elles ont la diversité d'origine et de caractéristiques sociales et économiques commune aux collectivités nord-américaines. Ce qui lie ensemble les divers éléments constituant environ 20% de la population du Québec et plus de 35% de la population de Montréal, c'est l'usage de l'anglais comme principale langue d'enseignement et de communication. Le gouvernement peut soit accepter ce fait, en considérant les droits de la minorité comme complémentaires à la prédominance du français ou opter pour le refus et la pénalisation.

Nous ne nous en prenons pas à la logique de l'histoire; nous soutenons que les mesures législatives se rapportant à cette question doivent tenir justement compte des besoins de tous les Québécois.

Nous ne croyons pas qu'il est nécessaire, pour affirmer le caractère français du Québec, d'avoir recours à certains des procédés proposés dans le projet de loi no 1. Une solide tradition de pragmatisme et de compromis constitue l'un des fondements de notre pays — et même de notre continent — démocratique et généralement prospère. Elle comprend l'idée que le bon sens et l'intérêt personnel éclairé puissent être beaucoup plus productifs que les règlements rigides et nous espérons que l'on agira dans cet esprit.

Nous exprimons maintenant nos idées sur certains aspects particuliers du projet de loi no 1 en nous fondant sur ce que nous considérons comme les besoins raisonnables des personnes, hommes et femmes, qui vivent aujourd'hui au Québec. Nous ne défendons pas les institutions comme telles, qu'il s'agisse des systèmes d'enseignements ou des sièges sociaux, à moins qu'ils ne contribuent directement ou indirectement au bien-être des personnes formant la collectivité.

Nous laissons à d'autres mieux qualifiés le soin de discuter de la légalité de restreindre l'usage de l'anglais dans la législature et les cours de justice. Cependant, nous protestons contre l'injustice de telles mesures et de la proposition d'amender la Charte des droits et libertés de la personne et de la subordonner ainsi à la loi. Faire fi des droits acquis d'un million de citoyens c'est, semble-t-il, faire preuve d'un étrange manque d'à-propos dans des mesures législatives proposées par un gouvernement au Canada cette année.

Se rattache à cela notre inquiétude face à la déclaration contenue dans le préambule du projet de loi: "...la langue française est, depuis toujours, la langue du peuple québécois". Tout comme, croyons-nous, la majorité des Québécois de toutes langues se considèrent toujours eux-mêmes

comme des Canadiens, ainsi la plupart des membres de la minorité, personnes parlant de nombreuses langues, se considèrent toujours eux-mêmes comme des Québécois. Le ministre responsable du projet de loi a parlé dans les termes suivants de l'article 112, lors d'une interview parue dans le Jour: "Non, un Québécois n'est pas seulement un francophone. C'est toute personne qui réside au Québec et sait assez de français pour fonctionner". Que la participation appropriée à la vie québécoise exige au moins une connaissance d'usage du français constitue un fait supplémentaire et accepté, mais la définition d'un Québécois ne devrait nullement se fonder sur la langue.

Nous soutenons que le Québec attirera le mieux les investissements dont il a besoin en faisant un usage équilibré et approprié des deux langues officielles du Canada, à vrai dire de toutes les qualités linguistiques de ses citoyens. Les mesures découlant du projet de loi devront accroître les capacités de la population d'obtenir des emplois intéressants et lucratifs et, par conséquent, d'augmenter les ressources de la province et de renforcer ainsi l'économie. Il est nécessaire d'éliminer les éléments qui empêchent d'atteindre ce but particulier des mesures législatives proposées.

L'information publique: L'objectif de la publicité, tout comme des avis et des panneaux de signalisation routière, est de communiquer des renseignements, dans certains cas des renseignements essentiels. Nous plaidons fortement pour le droit qu'ont les membres de la minorité, quelle que soit leur langue, de renseigner les autres membres dans cette langue sur les biens et services sous toute forme de publicité, à condition que ces renseignements — sauf dans les media unilingues — soient accompagnés d'un texte français auquel on accorde au moins une égale importance. De même, nous sommes d'avis que les versions anglaises des panneaux de signalisation routière devraient être acceptables quand le message ne peut pas être transmis convenablement par des symboles internationaux. L'interdiction de l'anglais à l'article 24 semble contredire son acceptation à l'article 16 et à l'article 22 selon lesquels l'anglais peut être utilisé pour des raisons de sécurité publique.

La langue des affaires. C'est un fait que les entreprises se francisent de plus en plus au Québec et une sage législation linguistique accélérera ce mouvement. Nous nous opposons aux aspects du projet de loi no 1 qui sont, ou peuvent s'avérer, inutilement autoritaires dans les circonstances présentes, en donnant à une idée plus d'importance qu'aux considérations humaines.

Selon l'article 37, un employeur doit justifier à l'Office de la langue française l'exigence de la connaissance d'une langue autre que le français pour occuper un emploi particulier et des règlements seront établis à cet effet. Nous considérons qu'il n'est pas nécessaire, et même que cela va à rencontre du but visé, que ces règlements imposent aux employeurs de prouver chaque fois que l'accomplissement des tâches exige la connaissance d'une autre langue.

En ce qui concerne le programme de francisation, nous pouvons accepter une politique qui limite, en temps et lieu, après un avis appropiré, l'octroi de contrats aux entreprises qui ont satisfait aux exigences du programme.

Nous trouvons inacceptable, toutefois, de déclarer que des permis seront refusés aux entreprises qui ne s'y seront pas conformées. Essentiellement, cela permet au gouvernement d'exercer un droit de vie et de mort sur une entreprise comme résultat d'une exigence qui n'est pas rattachée à l'objectif du permis. Cela met en danger la qualité essentielle des relations entre un gouvernement démocratique et la population.

En général, il est, selon nous, odieux de tenter de faire utiliser le français au moyen de la pénalisation, et la création de la commission de surveillance entraîne de sérieuses réserves de notre part. Ce n'est pas le moyen de gagner le respect durable de la langue française. Nous réitérons que l'intérêt personnel éclairé a des chances de s'avérer beaucoup plus fructueux.

La définition que le ministre donne d'un Québécois, à laquelle nous avons fait allusion précédemment, indique que l'utilisation accrue de la langue française est le seul objectif du programme de francisation et qu'elle déterminera les exigences s'y rattachant. Nous avons bon espoir que cela demeurera l'esprit dans lequel les règlements seront établis et les décisions administratives seront prises.

La langue de l'enseignement. La déclaration que le conseil d'administration de l'université a faite le 20 avril contenait la position suivante, que nous réaffirmons maintenant: "Le gouvernement vise assez naturellement à mettre un terme à l'assimilation des nouveaux immigrants à la communauté anglophone. Nous croyons qu'une politique insistant sur le fait que les nouveaux arrivants dont la langue première n'est pas l'anglais envoient leurs enfants dans des écoles françaises aidera à atteindre l'objectif du gouvernement. Toutefois, un groupe déjà établi au Québec est assujetti à la même règle. Les enfants des familles non anglaises qui n'ont pas de frères ni de soeurs dans le secteur d'enseignement anglais se voient refuser le choix du secteur d'enseignement. Cela nous apparaît comme une discrimination inutile contre un nombre toujours moins grand de jeunes Québécois, et nous recommandons fortement que ce projet n'ait pas force de loi".

A moins que nous soyons totalement dans l'erreur, le présent gouvernement reconnaît qu'une collectivité anglophone viable devrait exister au Québec et que cette collectivité a droit à un secteur d'enseignement complet. Nous croyons qu'il est sain et nécessaire pour cette collectivité de pouvoir accueillir d'autres personnes qui parlent l'anglais, qu'elles viennent du Canada ou d'un autre pays. Il peut bien arriver que ces personnes ne choisissent pas le secteur d'enseignement anglophone pour leurs enfants, mais elles devraient avoir cette possibilité. Cette ouverture d'esprit, bien déterminée et contrôlée, n'aura probablement pas d'effet sur l'équilibre entre la majo-

rite et la minorité dans la province et ne mettra pas du tout en danger la prédominance de la langue française au Québec.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):

Merci beaucoup, M. O'Brien. M. le ministre.

M. Laurin: M. le Président, je voudrais d'abord remercier bien sincèrement M. le recteur O'Brien pour le mémoire qu'il vient de nous présenter au nom de son université.

D'entrée de jeux, je voudrais lui dire à quel point je suis d'accord avec lui pour lui dire que nous serions, nous aussi, bouleversés de voir sacrifier des personnes à des idées, toutes nobles qu'elles soient, ainsi qu'il le dit dans son premier paragraphe.

Je ne sais pas si les idées auxquelles il pense sont les mêmes que les nôtres. Je ne sais pas si les personnes qu'il entend défendre sont les mêmes que les nôtres.

Ceci indique peut-être la faiblesse de pareils arguments que l'on pourrait se renvoyer indéfiniment, dans ce sens que, derrière toute idée, il y a toujours des personnes auxquelles on pense, il y a toujours un quotidien, du concret auquel nous pensons. Je veux lui dire que, si nous avons une idée qu'il peut ne pas partager, c'est que nous pensons que cette idée peut, précisément, aider à améliorer le sort de certaines personnes qui ont peut-être eu à souffrir, dans le passé, de certaines conditions qui ont nui à leur développement.

Je voudrais lui dire aussi que nous ne songeons pas du tout à "une francisation instantanée et sur commande qui pourrait saper les fondations de notre société et de notre économie". C'est la raison pour laquelle nous avons établi des objectifs assez tointains et que même, particulièrement en ce qui concerne les programmes de francisation — nous nous en sommes expliqués clairement — l'atteinte de ces objectifs peut prendre, dans certains cas, une dizaine, une quinzaine ou même une vingtaine d'années. Il ne s'agit donc pas d'une francisation instantanée, mais d'un processus graduel qui tiendra compte des contraintes qu'il nous faut respecter.

Je suis aussi bien d'accord avec lui lorsqu'il affirme "qu'on est en droit d'attendre d'une majorité qu'elle fasse preuve de tolérance et d'ouverture d'esprit envers les minorités qui vivent en son sein". Je pense que, sur ce point, la majorité francophone au Québec peut donner l'exemple à toutes les majorités anglophones des autres provinces. On l'a assez dit: Depuis des années on l'a fait et, même avec la loi 1, je pense que le Québec pourra continuer de donner l'exemple à toutes les autres provinces du Canada.

Cela sera encore la seule province, en particulier, où l'on pourra voir le maintien d'un système d'enseignement complet de la maternelle à l'université, y compris, pour une minorité anglophone de 20%, le maintien de trois grandes universités dont M. O'Brien s'enorgueillit d'être l'un des recteurs, l'un des présidents. Je suis donc tout à fait d'accord avec lui là-dessus. Nous n'entendons pas, non plus, nous en prendre aux droits de la minorité, c'est-à-dire opter à leur égard pour le refus et la pénalisation, comme semble le craindre Mgr le recteur. Au contraire — nous nous sommes expliqués souventefois à ce sujet — notre attitude se veut respectueuse, se veut ouverte à l'endroit des minorités. Même nous entendons, comme je l'ai souvent dit, offrir à ces minorités tous les moyens et les instruments dont elles ont besoin non seulement pour se maintenir en existence, mais pour se développer de la façon la plus dynamique qui soit.

Non, la loi à laquelle nous pensons s'inscrit dans cette tradition dont parle M. O'Brien qui est une tradition de pragmatisme et de compromis. C'est la raison pour laquelle plusieurs groupes qui sont venus témoigner ici à cette commission trouvent que le gouvernement ne va pas assez loin et auraient souhaité qu'il aille plus loin. Le gouvernement, au contraire, au nom du réalisme politique, au nom du pragmatisme, au nom d'un sain esprit de compromis, leur a répondu qu'il préférait s'en tenir à la solution nuancée, modérée qu'il a adoptée.

Nous ne voulons donc pas, comme peut le craindre M. le recteur O'Brien, "faire fi des droits acquis d'un million de citoyens". Tout ce que nous voulons peut-être, c'est demander à ce million de citoyens de reconsidérer leurs habitudes, certaines habitudes, de rajuster certaines coutumes pour faire droit à des éléments nouveaux comme, par exemple, l'acquisition de la langue de la majorité pour certains actes de la vie publique, tout en conservant, bien sûr, son réseau institutionnel, scolaire, social, culturel. Il nous semble que ce n'est pas "faire fi des droits acquis d'un million de citoyens" que de leur demander, par ce simple réajustement et ces nouvelles habitudes, de faire droit à l'évolution du peuple québécois et, en particulier, de sa majorité francophone, tout en conservant, évidemment, l'essentiel de son réseau, de ses conditions de vie qui lui ont permis de mener ici au Québec le genre de vie dynamique qu'il a mené.

Quant aux articles particuliers qui semblent inspirer des inquiétudes à l'Université Concordia, je me suis arrêté particulièrement à celui qui touche la signalisation routière. Vous semblez craindre que, si nous nous en tenons à l'article tel que présentement libellé, cela pourrait mettre en danger la sécurité publique. Je vous avoue que cela peut me sembler assez difficile à accepter parce que, si je l'acceptais, je comprendrais difficilement que tant de Québécois francophones ou de Belges ou de Suisses francophones ou de Français n'aient pas plus d'accident quand ils vont aux Etats-Unis ou dans les provinces anglophones où les panneaux de signalisation sont uniquement en anglais. Même si le point semble mineur, il me semble quand même que ceci peut nous montrer qu'il faut proportionner l'argument à l'élément en cause. Il ne faut pas que l'argument dépasse l'élément considéré. Encore une fois, nous ne voulons pas donner plus d'importance aux idées qu'aux considérations humaines. Nous avons essayé, nous essaierons encore, à l'aide des sugges-

tions qui nous seront faites, d'en tenir compte le plus possible.

Mais je voudrais vous dire en terminant que si, dans la nouvelle loi, nous utilisons, pour la première fois en ce domaine, la pénalisation, nous ne voudrions pas que vous considériez véritablement cette innovation comme odieuse. Si nous l'avons fait, c'est précisément parce qu'il nous semblait important, dans un domaine où il y a beaucoup à faire, d'utiliser la même méthode que le législateur utilise dans tous les domaines sur lesquels il légifère, c'est-à-dire prévoir des sanctions qui, au demeurant, ne sont pas catastrophiques et que certains même nous ont blâmés de vouloir trop légères.

Au fond, le processus législatif, dans n'importe quelle démocratie, prévoit toujours une certaine pénalisation puisque c'est peut-être une des caractéristiques essentielles de la loi, en ce sens que le législateur n'intervient que lorsque l'évolution ou les pressions de certains groupes l'ont incité à légiférer au nom du bien commun ou au nom de l'intérêt public, et la sanction prend place, un peu comme en éducation, comme un des éléments naturels nécessaires du processus, sans que l'on doive nécessairement qualifier cet élément d'odieux, mais simplement le qualifier comme étant un élément naturel qui s'inscrit dans les conduites humaines.

En terminant, je voudrais, encore une fois, remercier M. le recteur O'Brien pour son mémoire, lui dire que nous serons sensibles à l'esprit dont ce mémoire témoigne, et que c'est dans un esprit d'ouverture que nous tenterons de rédiger d'une façon finale le projet de loi afin de poursuivre le même objectif qui est le sien, c'est-à-dire le rapprochement de nos deux collectivités qui cohabitent, bien sûr, mais qui devraient peut-être se connaître davantage dans la poursuite d'intérêts qui nous tiennent à coeur à tous. Merci.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M.

O'Brien.

M. O'Brien: Si je le pouvais, M. le Président, je voudrais remercier M. le ministre de ses commentaires. Je voudrais faire un commentaire assez général. Je crois que la chose principale que l'université voudrait présenter devant la commission parlementaire, c'est un peu ceci. La question d'une loi sur la langue est assez naturelle dans les circonstances qui existent. Ce n'est pas contre l'idée d'une telle loi, dans les circonstances, au Québec, que nous voulons protester. Par contre, nous pensons que l'approche qui est prise dans une telle loi est assez importante. Les changements qui ont eu lieu au Québec depuis dix ans sont assez importants.

M. le ministre a demandé si la communauté anglophone change ses préoccupations ou son mode de pensée pour accepter certains changements. C'est un processus qui a commencé il y a quelque temps et qui est maintenant pas mal avancé. Dans ces circonstances, il faut être prudent dans le type de loi à adopter puisque je crois qu'on a déjà au Québec la possibilité de créer un type de société qui peut répondre pleinement aux préoccupations des francophones, que la langue française soit protégée et qu'il y ait un épanouissement de la culture francophone au Québec. On pourrait, en même temps, garder la culture anglophone qui existe aussi depuis bien des années ici au Québec et ceci, sans créer trop de danger pour le français.

Evidemment, on doit se rendre compte des problèmes d'une langue qui se trouve dans un coin de l'Amérique du Nord. C'est un fait et depuis des années, au Québec, on y a pensé, on a pris des mesures. Mais on ne devrait pas laisser de côté des changements importants, soit que la communauté anglophone a déjà beaucoup fait dans la direction que suggère M. le ministre.

Alors, le problème qui existe à ce moment-ci, c'est de trouver une loi qui peut en même temps sauvegarder les intérêts des francophones, des Québécois de langue française et en même temps sauvegarder les intérêts des personnes anglophones qui habitent aussi le Québec et ceci depuis bien longtemps dans certains cas.

Pour ma part, je crois que c'est bien possible de trouver ces moyens et que ces résultats peuvent se produire sans certaines des mesures qui sont prônées dans le projet de loi actuellement. Dans ces circonstances, je crois que certains amendements, tels que suggérés, seraient utiles, pas uniquement dans l'intérêt des personnes d'expression anglaise mais aussi dans l'intérêt du Québec de façon générale, y compris les francophones.

C'est dans cette approche que l'université a présenté ce mémoire.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):

Merci, M. O'Brien. M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Premièrement, je voudrais remercier M. O'Brien et l'Université Concordia pour le mémoire qu'ils nous ont présenté. Je crois même que le ministre est d'accord; c'est un mémoire très modéré, très positif et qui contient peut-être une philosophie différente de celle du gouvernement et de celle du projet de loi no 1.

Si je comprends bien, vous croyez, votre mémoire est basé sur ce fait, qu'il y a deux collectivités principales au Québec — corrigez-moi si je me trompe — et qu'il faut prendre autant en considération le fait qu'il y a une collectivité anglophone qui a existé depuis des siècles, 200 ans, et aussi la collectivité francophone. Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas réaliser que la majorité est francophone, et de plus en plus, et même l'objectif principal du projet de loi no 1 est que le français, non seulement soit protégé, mais que tous les francophones aient le droit de travailler, de communiquer et de vivre dans leur propre langue, ce qui est naturel.

Mais, vous dites qu'il y a aussi un million de personnes au Québec qui font partie, que ce soit à 14%, à 20%, d'une autre collectivité. Est-ce que c'est un peu la base de votre mémoire?

M. O'Brien: On pourrait dire qu'on y ajoute un complément.

M. Ciaccia: Oui.

M. O'Brien: Le complément, c'est qu'on voudrait regarder ce type de question surtout du point de vue des personnes. Qu'il y ait deux collectivités, très bien, si on veut s'exprimer ainsi, c'est une vérité. Mais en même temps, il y a six millions de personnes et on voudrait regarder les droits et les intérêts des personnes. Ceci étant dit, on arrive à ce que le million de personnes qui sont surtout d'expression anglaise ont aussi leurs droits et leurs intérêts. Ces personnes devront trouver une place au Québec comme citoyens, devront se trouver chez eux, au Québec, tout comme les Québécois d'expression française.

Quand on regarde la situation de ce point de vue, du point de vue philosophique, si on veut s'exprimer ainsi, on voit une nécessité, quand on essaie d'évaluer des projets de loi, de penser aux résultats de cette loi sur toutes ces personnes, et d'essayer de trouver un juste milieu qui peut servir les intérêts de toutes les personnes. Parfois c'est facile, parfois c'est difficile.

Mais ce qui existe dans la situation actuelle au Québec, étant donné le fait que les personnes d'expression anglaise ont bien pris connaissance des changements qui se sont produits et que voudrait produire le gouvernement, c'est que, dans ces circonstances, il est possible de trouver des solutions qui soient moins coercitives que dans d'autres circonstances. Il faudrait en tenir compte.

M. Ciaccia: Le ministre a souligné un aspect de votre mémoire, dans lequel vous dites que vous ne voulez pas de francisation instantanée, et le ministre semblait dire que lui non plus ne visait pas la francisation instantanée du Québec au niveau des anglophones.

Je voudrais porter à votre attention quelques articles, ou un article du projet de loi — peut-être que c'est l'intention du ministre d'amender cet article, je ne le sais pas, vu ses déclarations disant qu'il ne veut pas faire une francisation instantanée — l'article 23 qui va obliger tous les organismes municipaux ou scolaires, même dont les administrés sont en majorité de langue anglaise — cela pourrait être toutes les municipalités où il y a beaucoup d'anglophones, ou les commissions scolaires comme la PSBGM — de faire tout leur travail en français avant l'année 1983.

Ma réaction à moi, je ne sais pas si vous avez la même, c'est que, après 200 ans que ces personnes, ces communautés, ces institutions font leur travail en anglais, je n'enlève pas la possibilité qu'elles soient bilingues et qu'elles fournissent des services en français pour ceux qui sont de langue française. Mais généralement, on s'attend qu'en 1983 tous ces organismes vont faire tout leur travail, leurs communications, etc., en français.

D'après moi, cela semble aller à l'encontre des déclarations du ministre qui dit que ce ne sera pas instantané. Est-ce que vous croyez qu'exiger cela dans cinq ou six ans serait quelque chose de trop vite ou est-ce que vous prévoyez une période plus étendue ou bien même est-ce que vous préconisez peut-être que, s'il y a une institution ou un organisme à majorité de langue anglaise, ils pourraient continuer à rédiger leurs procès-verbaux, leurs communications en anglais, quitte à donner aussi les services en français pour les gens de langue française? Est-ce que je pourrais avoir vos commentaires sur cela?

M. O'Brien: Oui, il me semble que le type d'organisme dont on parle se trouvera dans la nécessité d'employer le français pour beaucoup de fins, pour des fins externes évidemment, pour des échanges avec l'administration, avec le gouvernement, le ministère de l'Education etc., pour traiter de plus avec des commerces extérieurs et le reste. Dans ce sens, il y aura une francisation de ses activités.

Par contre, si ce sont des organismes qui servent surtout, pour diverses raisons, pour l'administration des anglophones, que ce soit de petites villes anglophones ou que ce soit des commissions scolaires anglophones, par la force des circonstances, ce sera normal que la plupart des employés soient des anglophones. Que ces gens doivent faire toutes leurs affaires en français, c'est un peu anormal. Si c'était nécessaire pour la protection du français au Québec, on devrait peut-être le demander comme une nécessité. Ce serait malheureux, mais ce serait comme cela.

Dans les circonstances, je ne crois pas que ce type de mesure va toucher la question du sort du français au Québec. C'est peut-être un exemple où la force d'une idée a été appliquée sans penser aux personnes qui seront, de fait, assujetties à l'application de l'idée.

M. Ciaccia: Comme vous le disiez dans votre mémoire, vous ne voulez pas "sacrifier des personnes à des idées, toutes nobles qu'elles soient." Le ministre était d'accord avec vous.

Un autre aspect, c'est que dans le mémoire qui a été présenté avant le vôtre par la CEQ, je remarque, à la page 14 de leur sommaire, qu'ils voient la disparition du secteur anglophone et une intégration graduelle des établissements de niveau postsecondaire, collèges et universités. Je remarque que le ministre vous a dit qu'il ne voyait pas une francisation instantanée. Je veux bien le croire, mais je remarque aussi que le ministre n'a pas contredit la CEQ quand elle a présenté ce mémoire.

M. Laurin: Question de privilège, M. le Président. J'ai dit que le gouvernement n'était pas du tout d'accord sur cette proposition, qu'elle dépassait la portée du projet de loi.

M. Ciaccia: Ah! très bien. "I stand corrected." Je suis heureux de savoir que le ministre n'est pas...

Quel effet, alors, voyez-vous sur Concordia? Sur votre institution, quel effet le projet de loi no 1 pourrait-il avoir?

M. O'Brien: C'est une question qui nous intéresse beaucoup. Nous n'avons pas de réponse précise, évidemment, puisque l'histoire va nous dire, à l'avenir, ce qui va se passer de ce point de vue.

M. Ciaccia: Mais je remarque que vous n'êtes pas tellement intéressés à l'effet sur l'institution. Vous étiez plutôt intéressés à l'effet sur les individus et aux effets que cela pourrait avoir sur la société quant aux mesures coercitives et aux mesures qui touchent à l'aspect des droits personnels, telles que l'article 172.

M. O'Brien: Oui, c'est le point de vue qu'on a pris pour les fins de ce mémoire. Evidemment, nous nous intéressons aussi à l'avenir de l'université. Je suis bien content, évidemment, d'entendre les mots que M. le ministre vient de prononcer.

Le projet de loi no 1 va toucher, d'une façon ou d'une autre, l'université. C'est évident. On ne peut pas produire de changements importants dans la société sans que les universités, entre autres, en soient touchées. Au niveau des détails, pour septembre prochain, une question se pose sur les inscriptions. Jusqu'à ce moment, les demandes d'admission sont semblables à ce qui a existé par le passé, mais il faut ajouter que, de nos jours, et ceci depuis un certain nombre d'années, le nombre des demandes d'admission ne dit pas toute l'histoire. Ce qui arrive au mois de septembre, c'est toujours le moment de la vérité devant ces affaires. Il y a tant de bouleversements qui touchent le niveau universitaire, et ceci, partout au Canada, partout dans le monde, par exemple, que nous trouvons très difficile, de savoir d'une année à l'autre ce qui va se passer.

Je crois, pour ma part, que le rôle de l'université va continuer. Ce sera, en partie, comme université anglophone. Etant donné l'existence d'une communauté anglophone, ce rôle va continuer. En même temps, nous sommes aussi une université québécoise. La planification universitaire au Québec, depuis dix ans, a procédé dans une optique de planification générale pour un rôle pour des universités. L'Université Concordia y trouve son rôle parmi les autres. Cela va changer d'année en année, dans l'avenir, sans doute. Je suis convaincu que l'université va continuer à remplir son rôle.

M. Ciaccia: Merci. Je vais laisser la parole à mes collègues.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Le député de Mégantic-Compton.

M. Grenier: Merci, M. le Président. M. le recteur, je voudrais, au nom de notre parti, l'Union Nationale, vous remercier pour la présentation de votre mémoire. Point n'est besoin de vous dire que nous sommes témoins ici de plusieurs exposés depuis le début. Je dois vous dire que votre mémoire me semble un des rares qui nous arrive, extrêmement pondéré et qui se colle à l'actuel Québec, à la réalité québécoise. C'est probablement ce qui fait que, des deux côtés de la table, vous voyez des gens fort intéressés, puisqu'on voit que ce mémoire, même s'il n'est pas très volumineux, a été pensé et amène ici des opinions qui sont celles que partagent pas mal de monde au Québec.

Il y a, bien sûr, des questions sur lesquelles on peut s'interroger. Je peux vous dire que j'ai été un peu étonné de lire, à la première page de votre texte, que, pour vous, cela vous laisse un peu indifférent que le Québec soit bilingue. Vous êtes revenu, un peu plus tard, à une question posée par le député de Mont-Royal, que vous voyez quand même des difficultés au niveau de commissions scolaires qui pourraient être presque unilingues, ou conseils municipaux. J'ai des problèmes comme cela dans mon comté de Mégantic-Compton. Je m'interroge, à savoir que si on n'a pas deux langues officielles, par exemple, comment pourrait-on régler ces petites taquineries qui peuvent nous arriver au niveau de l'administration. Remarquez bien, personnellement, qu'un parti politique défende une option ou l'autre, un programme de parti — on dit souvent "coulé dans le ciment", mais pour vous, on va dire que ce n'est pas coulé dans le marbre — cela peut être modifié. Je suis content de le lire dans votre mémoire, parce que pour moi, un mémoire d'université, comme vous le dites ici, qui est un des principaux établissements d'enseignement supérieur au Québec et fort réputé dans le milieu anglophone, cela m'impressionne. Je sais qu'il est plus important que le mémoire d'un individu qui viendrait devant nous. Quand vous dites ici que vous n'êtes pas nécessairement attaché à deux langues officielles, j'aimerais savoir sur quoi vous vous êtes basé pour dire que ce n'est pas absolument nécessaire.

M. O'Brien: On n'a pas dit qu'on était indifférent devant cette question. On a dit plutôt — et ceci, dans le contexte actuel, évidemment — qu'on n'est pas convaincu que ce soit là la question clé de l'affaire. On commence par accepter que, par la force de la logique, le français soit beaucoup utilisé au Québec pour rester à ce niveau assez général et non technique d'expression.

Alors, voilà une vérité de base. Mais, en deuxième lieu, on a suggéré que la place de la minorité anglophone est aussi assez importante. Voici des positions de base. On y ajoute, comme vous, de regarder la situation du point de vue des personnes.

Ceci étant dit, la chose principale, ce n'est pas cette expression technique "langue officielle". Si la langue officielle est le français, mais si, en même temps, on décrit un rôle pour l'anglais et pour la communauté anglophone qui respecte ses intérêts et ses besoins, alors qu'on peut dire que le Québec est bilingue ou que le Québec est uni-lingue, mais protège en même temps le rôle de l'anglais et de l'anglophone, alors, on peut se tirer d'affaire. C'est peut-être une approche pragmatique, qui cherche à voir ce qui va se passer sous la loi et pas tellement ce qui existe dans le premier article.

M. Grenier: Je m'excuse d'avoir l'air d'aller

rapidement, mais je sais que le président va me rappeler à l'ordre si je dépasse mon temps. Je voudrais aller un peu plus vite, parce que j'ai plusieurs questions à vous poser.

Si je vous ai posé cette question, c'est que j'ai été témoin récemment de municipalités qui devaient faire affaires avec le gouvernement uniquement en français et je les ai vues, à ce moment-là, forcées d'engager un traducteur pour leurs réunions de conseil, qu'elles devaient payer $8000 par année pour continuer de faire affaires avec le gouvernement. Je me demandais comment on pouvait s'en sortir avec une seule langue officielle si on ne permettait pas à ces minorités de pouvoir avoir réception au gouvernement dans leur langue. De toute façon, vous m'avez donné une partie de la réponse que je cherchais. Je vous remercie.

Pensez-vous qu'une loi est nécessaire pour corriger actuellement cette montée de francisation qui se fait au Québec depuis les années soixante-deux, soixante-trois ou soixante et un, si vous voulez? Est-ce que vous pensez que des mesures incitatives auraient été suffisantes?

M. O'Brien: Des lois sur la langue existent déjà au Québec depuis une certaine période. Dans ce sens, on ne devrait pas penser que c'est la première arrivée d'une Charte de la langue française. Dans ce contexte, il y a peut-être avantage à voir l'expérience qui existe déjà et corriger certains problèmes qui pourraient exister. Les événements qui se produisent chaque septembre à la rentrée scolaire ne sont certainement pas très acceptables. Si on pouvait trouver des solutions acceptables pour les parties en cause, il y aurait des avantages à légiférer. Avec l'expérience et avec l'acceptation accrue des réalités du Québec d'aujourd'hui, il serait peut-être possible de le faire, mais, en même temps, on ne devrait pas dépasser la mesure qui est nécessaire. On a maintenant l'avantage de plusieurs années d'efforts et, de ce point de vue, je suggère que ce n'est pas le moment d'ajouter des pressions dans une situation qui évolue dans une direction assez satisfaisante pour l'avenir du français. Il n'y a pas d'avantage à essayer de faire dans 18 mois ce qui pourrait être fait peut-être dans 30 mois et dans des circonstances bien plus acceptables pour tout le monde.

M. Grenier: Merci, M. le recteur. Vous avez également un pourcentage de francophones qui vont à l'Université Concordia. Est-ce que vous pourriez me dire de quel ordre ces étudiants francophones sont à votre université et qu'est-ce qu'ils vont chercher chez vous?

M. O'Brien: Nous n'avons pas de statistiques très fiables à ce sujet, puisque définir un étudiant francophone pour fins de recensement n'est pas facile. Nous avons l'habitude de dire que c'est 15%. Je vous donne ce chiffre sans quand même le garantir au niveau très détaillé.

M. Grenier: D'accord.

M. O'Brien: Ce qu'ils vont chercher chez nous, c'est bien varié. D'abord, nous sommes une université de centre-ville qui a des cours du soir qui, avant la création de l'Université du Québec à Montréal, était peut-être la seule qui offrait des cours du soir qui étaient disponibles, étant donné que l'Université de Montréal était un peu loin pour le travailleur qui quittait son emploi à 5 heures ou 5 h 30 le soir. Alors, il y a une certaine habitude qui existe et qui va peut-être diminuer avec le temps pendant que l'Université du Québec à Montréal développe ses programmes.

En deuxième lieu, étant donné que la planification universitaire au Québec a donné à chaque université certains programmes qui ne sont pas toujours dédoublés partout, on trouve un nombre limité de programmes qui sont peut-être peu disponibles ailleurs.

En troisième lieu, ce qui existe toujours dans le monde universitaire, c'est que certaines universités sont connues pour certains programmes, peut-être à tort dans certains cas, mais c'est une chose qui est connue et la clientèle suit ces réputations.

Alors, ce sera pour diverses raisons qu'on reçoit des étudiants francophones.

M. Grenier: Si le président me permet...

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):

Oui, une dernière question, M. le député de Mégantic-Compton.

M. Grenier: Puis-je la poser à deux volets?

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Du moment que les volets seront petits et courts.

M. Grenier: Des petits volets. Non. Je n'en aurai qu'une. Cela va faire mieux, M. le député? Je n'en aurai qu'une pour ne pas dépasser le temps.

Vous dites à la page 4 de votre mémoire que "la définition d'un Québécois ne devrait nullement se fonder sur la langue." Nullement ou peut-être uniquement devrait-on dire... ne devrait pas se fonder uniquement sur la langue. Quel est à votre point de vue la définition d'un véritable Québécois?

M. O'Brien: Dans le sens d'un projet de loi de ce genre, je crois que c'est la résidence, la citoyenneté. C'est cette approche qui est la seule approche utile. Je n'ai pas de définition légale à vous offrir. Je ne suis pas expert, mais je crois que c'est important que chaque personne qui habite le Québec, qui, à ce moment-ci, est citoyen canadien, soit pleinement un Québécois. Dans ces circonstances, on ne peut pas, évidemment, baser une définition du Québécois sur la langue.

M. Grenier: Merci beaucoup, M. le recteur.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Le député de Jacques-Cartier.

M. Saint-Germain: M. le Président, j'aimerais tout de même mentionner que la lecture de ce mémoire est pour moi un repos parce qu'il m'a été facile de constater depuis le début de nos travaux que les mémoires qui nous sont présentés par le monde de l'éducation au Québec sont, habituellement, aux deux extrêmes. Les francophones défendent leur point de vue comme si la minorité au Québec n'avait pas bougé depuis les 20 dernières années et trop d'anglophones voudraient revoir la province de Québec comme elle était il y a 20 ans. Depuis 20 ans, il y a eu au Québec plus qu'une évolution. Je crois qu'on peut dire que c'est même une petite révolution en ce sens que, dans bien des pays, les changements profonds qui ont caractérisé révolution de cette province ont été bien des fois le résultat de perturbations sociales extrêmement graves, ce que nous n'avons pas eu, malgré nos épreuves, à subir ici au Québec.

Ceci dit, je crois que votre mémoire est un résultat — je l'interprète comme tel — de l'évolution qui a caractérisé les membres du groupe de la minorité à laquelle vous appartenez. Ce mémoire, à mon avis, pourrait être signé par bien des groupes francophones et serait facilement acceptable par la grande majorité des Québécois.

M. Guay: Est-ce que cela inclut le Parti libéral?

M. Saint-Germain: Cela inclut tous les gens, quand je parle des Québécois. Malheureusement, les partis politiques, de nos jours, ne correspondent jamais à la volonté de la majorité, bien qu'on comprenne très bien que, d'après nos institutions, celui qui a la majorité doit nécessairement dominer.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! En vertu de l'article 140, revenons au sujet, s'il vous plaît.

M. Saint-Germain: Je crois, M. le Président, que je suis bien dans le sujet.

M. Ciaccia: C'est dans le sujet.

M. Saint-Germain: Je crois que je suis exactement dans le sujet. J'ai dit d'ailleurs qu'il serait acceptable à la majorité des Québécois, indépendamment de leur option politique... Malheureusement, et je le dis sans malice, je suis toujours un peu mal à l'aise d'entendre le ministre défendre son point de vue en revenant toujours sur le passé. Je sais pertinemment qu'il a constaté, lui aussi, l'évolution de nos minorités au Québec et je serais désireux de l'entendre décrire la manière dont il voit cette évolution, car je crois que cela nous aiderait énormément à comprendre la philosophie qui sous-tend le bill qu'il a déposé.

Je ne dirai pas la même chose des mémoires qui nous sont remis par le monde de l'industrie, par exemple. J'ai remarqué que, dans le monde de l'industrie, on voit les choses, les faits, en partant de l'actualité et qu'en observant et en analysant les faits et la situation des deux groupes qui existent au Québec aujourd'hui, on essaie de bâtir une politique valable qui colle à la réalité du Québec de nos jours. Ceci dit, M. le Président, j'aimerais dire à nos invités que ce sont les modifications que le ministre apportera à son bill qui nous indiqueront si on a tenu compte de votre mémoire et de vos opinions. Dans le préambule, on dit: "L'Assemblée nationale constate que la langue française est, depuis toujours, la langue du peuple québécois et que c'est elle qui lui permet d'exprimer son identité". Surtout lorsqu'on dit "La langue du peuple québécois", je sais pertinemment que pour les minorités du Québec, et je parle ici surtout de la minorité de langue anglaise, ceci est inacceptable, parce qu'on semble oublier qu'elle existe ici depuis nombre d'années. On pourrait dire à la rigueur que le chapitre premier qui parle de la langue officielle du Québec est peut-être une suite à ce premier paragraphe. Le chapitre premier, en nous parlant de la langue officielle du Québec, ne mentionne rien, non plus, au sujet de la langue anglaise qui pourtant existe de fait au Québec. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus. Accepteriez-vous que le chapitre premier s'intitule simplement comme ceci: La langue officielle du Québec?

Je dis surtout ceci, parce qu'il y a des choses, comme les numéros de ces différentes lois que nous avons eues sur la langue, ces numéros sont connus de tous les Québécois, même si tous les Québécois, loin de là, n'ont pas lu toutes les lois. Mais ce sont des emblèmes, elles sont devenues des emblèmes, à un moment donné. Le titre d'une loi comme celle-ci: "La langue officielle du Québec", je pense bien que c'est un emblème pour les gens qui ne l'ont pas lue ou pour la masse des gens. C'est un drapeau vivant, un drapeau parlé.

J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus et si, au chapitre premier, vous croyez qu'on pourrait ajouter quelque chose qui mentionnerait au moins l'existence de la langue anglaise au Québec?

M. O'Brien: A ce moment-ci, je crois que la combinaison du préambule et du premier article crée un certain problème pour les anglophones, puisque la combinaison semble indiquer que la place de la langue anglaise est bien en marge. Exactement quoi, c'est un peu difficile à savoir. Il faut chercher dans tous les articles pour voir exactement ce qui va se passer. On peut y prêter diverses interprétations. Je crois que c'est surtout la combinaison du préambule et de l'article 1; s'il était clair que les anglophones étaient acceptés, que l'usage de la langue anglaise était accepté au Québec, aurait sa place au Québec, il serait beaucoup plus facile d'accepter l'usage du mot qui crée des emblèmes, si vous voulez. Je crois que c'est dommage qu'il faille créer ce type d'emblème.

Ce serait peut-être plutôt aux membres de l'Assemblée nationale de porter un jugement là-dessus, si c'est tellement important d'afficher que le français est la langue officielle du Québec. Je vous suggère que, si l'article 1 n'existait pas, tout le reste de la loi serait là et ceci dirait ce qu'il dit,

le rôle du français et de l'anglais ne serait pas grandement changé dans ces circonstances. Quand on crée des emblèmes pour certaines fins, c'est bien difficile d'éviter de créer des emblèmes contre cerrtaines autres. C'est un peu ça la raison d'être de notre situation. Dans ce sens, je crois que c'est dommage qu'on procède au type d'énoncé qu'on trouve; la chose qui est importante, c'est que le français soit utilisé, protégé, développé et que la culture française trouve sa place au Québec.

La vérité ne se trouve pas dans une déclaration de langue officielle. Elle se trouve dans l'usage, l'utilisation dans la vie quotidienne. Si on pouvait éviter de créer ce type d'affichage, je crois que ce serait sain pour toute société et pour tout gouvernement.

M. Saint-Germain: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, je voudrais faire simplement quelques commentaires sur deux points en particulier qui ont été soulevés par nos invités. Le premier, en ce qui concerne l'article 21, que le français est la langue de communication à l'intérieur des services et organismes de l'administration.

Je suis tout à fait d'accord sur ce que vous avez dit, que c'est là une mesure inutilement tra-cassière et qui engendre bien plus de résistance de la part de la communauté anglophone qu'elle ne peut engendrer de collaboration. Je vois mal, par exemple, qu'un principal d'école soit obligé de communiquer en français, même si on lui donne cinq ans, avec l'administration scolaire.

Par contre, je pense qu'il est normal pour l'administration scolaire, la grande administration scolaire, de communiquer avec le gouvernement du Québec en français. Mais en ce qui concerne l'administration interne, je pense que, même s'il y a un délai de prévu, cela me semble tout à fait tra-cassier. Dans le sens du respect des personnes, même si, dans les mots, on dit vouloir les respecter, dans les faits, j'ai de forts doutes.

Le deuxième point que vous avez soulevé et qui concerne la collectivité anglophone, je pense également que là-dessus je suis d'accord avec vous qu'une communauté doit recevoir des apports, comme elle subit également des pertes. Si le gouvernement a laissé de côté le fameux concept de contingentement, parce que je pense qu'on en a finalement saisi l'odieux, on arrive quand même aux mêmes objectifs, parce qu'on fait de cette communauté une communauté hermétique. Les gens sont comptés, au moment où la loi passe — et si elle passe telle qu'elle — et elle n'a plus droit à des apports de l'extérieur. Je pense que ce contrôle qu'on veut exercer est la même chose que le contingentement. Si on veut empêcher la rupture d'équilibre entre les deux communautés, je pense que c'est par le truchement de l'immigration et non pas par cette approche fermée et hermétique d'une communauté que l'on reconnaît dans les faits, et avec de grands termes et de beaux mots dans le livre blanc. C'est tout ce que j'avais à dire.

Le Président (M. Cardinal): Avez-vous quelque chose à ajouter?

M. O'Brien: Je suis d'accord.

Le Président (M. Cardinal): Merci. M. le député de Papineau.

M. Alfred: M. le Président, je remercie M. le recteur de son mémoire. Je l'ai lu avec intérêt. Si je respecte votre opinion, permettez-moi de vous dire aussi que je ne la partage pas.

Cela fait 200 ans que nous attendons que le temps fasse son oeuvre. Le temps ne l'a pas fait. Cela fait 110 ans que nous attendons que le temps fasse son oeuvre de plus en plus, le temps ne l'a pas fait. Donc, lorsque vous affirmez qu'il faut permettre au temps de faire son oeuvre, permettez-moi de vous dire que je ne suis pas d'accord avec vous, parce que l'histoire nous a démontré que le temps n'a pas fait son oeuvre.

Ensuite, je relève, à la page 2, que vous dites que le Québec soit bilingue, cela vous laisse indifférent. Or, à la page 4, vous recommandez plus ou moins une sorte de bilinguisme officiel, institutionnalisé, quand vous dites: Nous soutenons que le Québec attirera le mieux les investissements dont il a besoin, en faisant un usage équilibré et approprié des deux langues officielles du Canada.

Donc, entre nous deux, vous préconisez plus ou moins une sorte de bilinguisme institutionnel.

Quand vous dites aussi qu'il faudrait faire une place à un immigrant provenant d'un pays anglophone, permettez-moi de vous dire que nous ferons de la discrimination, parce que, pour ma part, un immigrant, qu'il provienne de la Hongrie, des Etats-Unis ou de l'Angleterre, doit être traité sur le même pied.

Ceci étant dit, je vous remercie quand même d'être venu nous faire part de vos commentaires, de votre rapport, mais permettez-moi encore de vous dire que ce que vous venez de dire ici ne me convainc pas. Merci.

Le Président (M. Cardinal): M. le recteur, MM. les représentants de l'Université de Concordia, nous vous remercions au nom de la commission de la présentation de votre mémoire et de votre patience à répondre aux questions.

J'appelle les témoins suivants, les porte-parole de la Banque de Montréal, mémoire 54.

A l'ordre, s'il vous plaît! Est-ce que M. Charles de Jocas... M. de Jocas, si vous voulez vous approcher. Je vous demanderais de présenter votre organisme, pour autant que c'est nécessaire, et surtout vous-même et les personnes qui vous accompagnent.

Banque de Montréal

M. de Jocas (Charles): M. le Président, M. Fred McNeil, qui est à ma droite, est président du

conseil d'administration et chef de la direction de la Banque de Montréal. C'est lui qui dirigera la commission.

Le Président (M. Cardinal): D'accord, est-ce que c'est le président du conseil d'administration qui présentera les autres membres?

M. McNeil (Fred): Mr Chairman, I suffer from a significant handicap at this meeting. I was born and brought up in Western Canada, spent most of my life there and I have no knowledge of french. I have a proposal which will facilitate your meeting nevertheless, if I may be permitted to make one or two remarks in french, and I would like to be a participant in questions that may come later, concerning our head office.

Le Président (M. Cardinal): It is all right.

M. McNeil: The brief is really directed to three principal areas, one our Quebec division, the second, our head office. Those are two completely different types of problems in the perspective of this bill and, then, we have some information about what we think is a significant progress that has been made on this general matter without legislation of any form, which we think might be of interest to you and might surprise you... We are not saying this in a bold way, we are just saying it about some facts on the record.

Le Président (M. Cardinal): Would you please use your microphone.

M. McNeil: Closer?

Le Président (M. Cardinal): Please.

M. McNeil: I might propose, Mr Chairman, if I may introduce some more details Mr de Jocas. He is an executive vice-president of our bank. He is in charge, amongst other areas, of our Quebec division. He knows it. So he is quite able to explain his brief. If you can take it as read and make it a part of the record, I would like him to do a very brief summary of the pertinent points.

Le Président (M. Cardinal): Accordé.

M. McNeil: The gentleman on my right is Mr Côté... There is another gentleman who just joined the table, the vice-president of personnel, Mr Chadwick.

Le Président (M. Cardinal): Merci. M. de Jocas.

M. de Jocas: M. le Président de la commission — parce que j'ai un président à mes côtés, moi aussi — M. le ministre, madame, MM. les députés, la Banque de Montréal est née au Québec il y a 160 ans et sa croissance soutenue à l'échelle nationale et internationale la place maintenant parmi les plus grandes banques du monde avec quelque 27 000 employés répartis dans 1250 succursales ou agences.

En excluant le siège social de la banque à Montréal, 4250 employés travaillent au Québec dans 215 succursales et le siège de la division du Québec. De ce nombre, les francophones occupent maintenant à peu près 90% des postes et ce, à la suite de mesures délibérées visant à répandre et à encourager l'usage du français, lesquelles ont pris naissance longtemps avant l'avènement de la loi 22.

Les communications orales et écrites à l'intérieur du bureau de la division, de même qu'avec ce dernier et avec notre réseau de succursales au Québec sont en très grande partie en français. Nous voulons continuer dans cette voie. Pour illustrer de façon plus précise nos efforts de francisation, je mentionnerai notre recrutement de diplômés, soit universitaires ou de CEGEP. Ainsi, l'année dernière, sur 80 recrues, 69 étaient de langue française et toutes celles placées dans nos succursales du Québec devaient avoir la connaissance du français. Autre exemple, toute la documentation requise à l'informatisation des opérations bancaires des succursales, quelque 3000 pages jusqu'à maintenant, a été publiée simultanément en français et en anglais.

Il est toutefois essentiel que la division du Québec possède une connaissance solide de l'anglais pour servir notre clientèle qui le demande et pour effectuer efficacement nos nombreuses communications à l'extérieur de la division. En ce qui a trait au siège social de la banque, c'est une tout autre chose, comme l'a déjà sougligné M. McNeil. Dans le domaine bancaire, la langue utilisée tant au Canada qu'avec l'étranger, c'est l'anglais. Ce fait est indéniable. Tous les jours, de tous les points du globe, des milliers de documents bancaires et commerciaux parviennent au siège social. La très grande majorité est en anglais. Les négociations et les multiples transactions souvent très complexes sont ordinairement en langue anglaise. Il est donc essentiel que la banque puisse recruter pour son siège social du personnel qui parle une langue autre que le français et qui répond à ses besoins de fonctionnement. Or, la suppression du libre choix de la langue d'enseignement prévue dans le projet de loi no 1 nous privera et, de fait, a déjà commencé à nous priver des services de personnes compétentes venant de l'extérieur.

Au niveau du siège social, la mobilité du personnel est un facteur essentiel tant pour y attirer des spécialistes de toutes sortes, qu'on ne trouve pas au Québec ou, du moins, qu'on ne trouve pas en nombre suffisant, que pour permettre aux employés d'ailleurs d'obtenir une expérience particulière dans leur évolution de carrière. La domaine bancaire est très concurrentiel et il est absolument nécessaire qu'une banque d'envergure nationale et internationale comme la Banque de Montréal ne soit pas mise dans une situation de désavantage dans ses opérations comparativement aux autres banques dont le siège social est à l'extérieur du Québec.

C'est en raison de ce contexte que nous recommandons au gouvernement d'accorder le libre choix de la langue d'enseignement aux enfants

dont les parents sont mutés au siège social, indépendamment de leur séjour qui est souvent imprécis. Nous nous inquiétons aussi du règlement qui ne permettrait pas d'émettre un certificat d'études secondaires aux élèves qui n'auraient pas une connaissance suffisante du français, alors qu'ils sont nouvellement arrivés au Québec.

Nous croyons qu'il serait à l'avantage de tous que les membres d'ordres professionnels puissent communiquer avec leur association en anglais et que le droit de pratiquer ne soit pas refusé aux professionnels avec une connaissance insuffisante du français et qui ne serviraient pas directement le public.

Nous nous inquiétons également du retrait, par le projet de loi no 1, de quelques-uns des droits reconnus par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

Nous regrettons toute mesure qui restreint un bon apprentissage de la langue anglaise et qui risque d'entraver l'avancement de francophones au sein d'une grande entreprise nationale et internationale.

Nous craignons une réglementation extraparlementaire complexe et les pouvoirs discrétionnaires étendus accordés à des fonctionnaires prévus dans le projet de loi, et nous croyons préférable de déterminer les règlements par voie législative à l'Assemblée nationale.

Quant au comité de francisation, nous croyons fortement que la responsabilité de sa composition doit relever exclusivement de la direction de l'entreprise.

La loi fédérale sur les banques autorise la Banque de Montréal à se servir de son nom en anglais ou en français, et nous ne croyons pas valable que ce droit lui soit retiré au Québec. De plus, l'obligation de n'utiliser que le français dans les enseignes et affiches nous empêchera de rejoindre une partie de notre clientèle et les visiteurs, et nous suggérons l'assouplissement de cette restriction.

Notre mémoire, que nous avons voulu garder le plus bref possible, vous aura quand même fourni plus de précisions que ce court résumé de nos principales préoccupations à l'endroit du projet de loi no 1.

Nous avons voulu apporter une contribution positive aux discussions, car nous croyons que nous visons tous le même objectif général de faire du français la langue principale du Québec pour le mieux-être de toute la population.

Nous craignons toutefois que certaines dispositions du projet de loi ne retardent le progrès significatif et progressif de francisation accompli depuis plusieurs années dans un climat de confiance et d'encouragement.

M. McNeil, à titre de président du conseil d'administration et chef de la direction de la Banque de Montréal, résumera cette présentation.(voir annexe 3)

M. McNeil (Fred): Thank you, Charles. In the broadest terms, gentlemen, we recognize the objectives of the French-speaking people to establish the primacy of French in Quebec. We would like to urgently draw your attention to the extremely difficult problem represented by a head office of a national and international company. We have some concerns which, I hope, Charles mentioned. I would like to reiterate that we started here, we have been here for 160 years. We would like to assist in the solution of whatever problems are envisaged by that bill. I wish I were more convinced that the bill will serve the objectives that are being enunciated forward. Thank you very much.

Le Président (M. Dussault): Je vous remercie de votre exposé. Maintenant, M. le ministre.

M. Laurin: Je remercie beaucoup la Banque de Montréal pour le mémoire qu'elle vient de nous présenter. Je vois qu'au départ la Banque de Montréal dit appuyer le gouvernement dans les efforts qu'il fait pour assurer la primauté du français au Québec, ce dont, vous vous en doutez bien, je me félicite et je me réjouis.

Toutefois, la Banque de Montréal fait immédiatement plusieurs réserves, des réserves profondes, des réserves nombreuses aussi qui portent sur 21 articles du projet de loi.

Le nombre et la profondeur de ces oppositions me font me demander quelles sont véritablement les intentions de la Banque de Montréal et jusqu'à quel point elle est d'accord avec le gouvernement pour assurer la primauté du français au Québec.

Je voudrais, comme première question, vous demander, M. le président de la banque, si votre siège social est encore complètement à Montréal ou s'il y a certaines parties du siège social de la Banque de Montréal qui ont essaimé dans d'autres lieux.

M. de Jocas: Je crois que la réponse à cette question devrait venir du chef de la direction de la banque. Alors...

M. Laurin: I want to know if all the activities, elements of your head-quarters are still in Montreal or if there are some elements and, if so, to what degree, to what extent do we find those elements in other provinces and when.

M. Mc Neil: I do not know if an answer could be given in terms of black and white because it so often depends on the interpretation of what a head office is. We have many head offices with subordinate functions in the field that they have had for many many years, for example premises, subunits of the personal function and so forth, but premises is probably the one that is directly run from the head office accross the country which give the billings. Another characteristic one is the systems activity, computer systems which are integrated for the bank as a whole. Yet, we have a subordinate computer center.

We presently define a head office, and I think there is really an error in that brief for the purpose of this discussion, in particular, as those people who either direct the bank world wide or

significant sections of it for their support's functions of typical accounting... Then, there are some other activities like a key computer center, regional computer center which is more difficult to define. It serves in part, division is in part an operational function, in part it supplies information to the head office.

If it is helpful to the general purpose of your question, the size of the head office as I defined is about 2000 or 3600 if you include certain other support functions, has about doubled in the last five years residents in Montreal. Is that helpful or just confusing?

M. Laurin: For example, in Toronto, how many people do you have in functions connected with the head office operations? Because I went to Toronto recently and I have seen your huge tall new building and I wonder how many people work there.

M. Mc Neil: I am pleased that you noticed that tall building, Sir. We are very proud of it. How many head office people are there? Again, I think we will have to define... I do not know if I got a ready answer for it. Let me say this: There are more than they were, under the former concept.

Throughout the world, we have been decentralizing for a decade and pushing it as far as we developed capable people. We now have, for example, subordinate units in London, Singapour. London handles Europe, Middle East and Africa. Singapour with a vice-president handles the Far East. In United States, we just have that year decentralized in New York. Now, we have always had geographic divisions in Canada, but we have been pushing out authority and responsibility to the field. It is a kind of a long preamble to the statement. For example, until a year ago, we used to have a corporate credit department that has virtually disappeared as a segment into these various areas. So there has been a significant movement, including Toronto. Of course Toronto is a major market, so it gets more on this share. Now, there are other kinds of situations. Two or three years ago, we started a charge card. It was my decision, I was in a former position and I wanted it right under my nose. But when it was substantially launched, we concluded we should put it where geography and major market fit it and the management of that function, which is a kind of a separate business, which was formerly in head office, is now in Toronto. Another function, which has been segregated is marketing. We have tried for many years, without success, to translate marketing and it did not work. So we concluded that for the marketing function as serving the domestic system, English should be in Toronto, and Mr de Jocas who runs the Quebec division and the Maritimes, should be responsible for marketing function for those areas, because it is not a translatable function. That is the kind of thing.

M. Laurin: For example, is it possible for you to tell us if three quarters or one half, or one quarter of your head office operations are now managed from Toronto or Montreal?

M. McNeil: It would not be anything like that. Head office function is... You know, my difficulty, truly, is what we are talking about. Accounting, no. Personnel, no. Premises, no. Systems, no. All here. Marketing, except for the division between the two. International marketing, here. Inspection, here. Here, I mean Montreal. All the significant functions are still here. Controllers, legal, legislation and government activities, purchasing.

M. Laurin: Now, you start your brief with the sweeping statement that the language of a head office cannot be other than English, which I meant to be not only predominently but exclusively English. Is that your opinion?

M. McNeil: Our head office? M. Laurin: Yes.

M. McNeil: Substantially yes. I will give you some examples this as to why, Sir. And by the way, significant progress, has been made in this respect. I do not know whether you mentioned it Charles, but during these past five years, our head office, Montreal, strenghth doubled and the proportion of Francophones in that group has increased from 40% to 50%.

So, the objectives, I think, you are pursuing have been deserved at least on our part in a five year term. But yes, substantially, the language of work in our bank, a multinational bank whose head-office is a world head-quarter, must be in English. For example, we get about 4000 messages telexes per day; 90% of them are in English, they came from all the world. Although we are presently about to 50% Francophones, pardon me. I should not say Francophones, bilingual, most of them are Francophones, we are continually bringing people from all the world who do not speak french. Now, our operations here represent about 15% of our total assets, it depends how you define that, they can be plus or minus.

Substantially, in the rest of the world, in Canada and overseas, we have to deal day by day in english. We have to deal internally substantially in english. This does not mean, I repeat, this does not mean that our informal discussion or friendly conversation does not go on in french, but substantially, yes, the head-office of a multinational bank located in Canada has to operate in english.

M. Laurin: Would this mean that other banks where the language for head-office operations is predominantly french do not deserve the title of a bank.

M. McNeil: No, if you are speaking of french banks in Canada.

M. Laurin: No, I am speaking of Banque Canadienne Nationale, Banque Provinciale.

M. McNeil: Yes.

M. Laurin: Does that mean that they do not deserve really the title of a bank?

M. McNeil: No, of course not. They are good friends of ours, by the way, most of them. They are predominantly Québec banks, they have some branches outside which they operate in english and communicate too in english. Compared to a bank of our size, they are quite modest in the international field, although they are going there too.

M. Laurin: Je vais toucher un autre sujet, je ne sais pas si M. McNeil voudra répondre aussi. En rapport avec les professionnels, vous dites que, déjà, il y a eu un exode de personnes compétentes venant de l'extérieur. Est-ce que vous pourriez me signaler l'ampleur du phénomène et les raisons de ce phénomène, puisque la loi n'est pas encore adoptée?

M. De Jocas: M. le ministre, c'est beaucoup plus une situation d'inquiétude. Nous avons eu certaines difficultés à recruter des compétences qui venaient de l'extérieur du Québec, qui possédaient des talents que nous recherchions, qui ont préféré ne pas venir, invoquant la raison que la situation linguistique, surtout pour l'éducation de leurs enfants, les inquiétait.

Nous avons aussi, récemment, voulu muter de nos employés, qui sont dans notre département de mécanographie, de Toronto à Montréal, et plusieurs ont catégoriquement refusé de venir.

C'est ce qui précède. Je concède que la loi n'est pas encore en vigueur, mais c'est l'inquiétude qu'elle présente. C'est ce que nous voulons dire quand nous disons que cela a déjà eu des effets sur notre habileté à attirer des gens au siège social. Je répète que nous faisons une distinction très importante entre ce que nous appelons siège social et nos opérations de la division du Québec, qui comprend notre réseau de succursales.

M. Laurin: Jusqu'à quel point vous est-il difficile de trouver du personnel compétent francophone au Québec pour ce genre de poste? Si cela vous est difficile, pourriez-vous nous donner les raisons?

M. de Jocas: On ne parle pas de nombre, on parle de spécialité. Le domaine bancaire est devenu de plus en plus complexe, surtout avec l'avènement d'une technologie assez avancée, que ce soit dans le domaine mécanographique ou que ce soit dans le domaine des transactions internationales. Il y a quand même certains talents qui se sont développés ailleurs, pas ailleurs qu'au Québec, mais ailleurs qu'au Canada et nous recrutons de par le monde. Nous essayons, en concurrence avec d'autres grandes banques, d'attirer certains talents. C'est à ce niveau que nous avons rencontré des objections. Cela ne veut pas dire qu'on n'a pas réussi à en trouver quand même. Mais cela nous présente une contrainte qui nous inquiète, si le bill 1 devait être promulgué tel que le projet l'indique.

M. Laurin: Est-ce que les banques francophones éprouvent la même difficulté que vous à recruter ce personnel compétent?

M. de Jocas: Je ne pourrais vous dire ce qui se passe chez les autres banques, sauf qu'il est possible, vu l'ampleur comparative de nos opérations, qu'elles ne recherchent pas les mêmes spécialistes. Je pourrais quand même ajouter que, récemment, en conversation avec un cadre senior d'une des banques françaises, on admettait avoir eu à perdre les services d'un employé spécialiste anglophone qui est devenu inquiet de la situation, et qu'ils ont perdu, à grand regret.

M. Laurin: En ce qui concerne l'article 57, vous ne voudriez pas qu'il s applique aux nouveaux arrivants qui auraient à terminer leurs études dans une langue dont ils n'auraient pas une connaissance préalable suffisante. Je voudrais tenter de vous rassurer ici en vous disant que nous avons l'intention, pour ces nouveaux arrivants qui seraient dans cette situation, d' instituer pour eux des classes d'accueil qui leur permettraient de faire le pont entre leur formation antérieure et le nouveau milieu, la nouvelle formation dont ils pourraient bénéficier ici. Ces classes d'accueil dont on parle de plus en plus ont prouvé leur efficacité et je pense qu'elles pourraient peut-être nous permettre de résoudre une partie du problème dont vous parlez.

En ce qui concerne l'article 27 aussi, vous voudriez que la nouvelle loi permette aux associations professionnelles de communiquer en anglais avec leurs membres anglophones. Il est possible ici que cet article n'ait pas été compris comme il se doit, parce que, dans notre esprit à nous, en tout cas — si ce n'est pas assez clair, on le précisera — cet article permet aux associations professionnelles de communiquer en anglais avec leurs membres. Bien sûr, elles sont obligées aussi de communiquer en français, ce que certaines ne faisaient pas jusqu'ici, mais elles auront quand même le droit de communiquer en anglais avec leurs membres.

J'en arrive à vos autres recommandations... Non ce n'est pas un amendement, mais, s'il est nécessaire de préciser pour que tout soit très clair pour tout le monde, nous prendrons une formulation qui soit comprise par n'importe quelle personne.

M. Ciaccia: Oui. parce que, M. le ministre, maintenant l'article dit clairement qu'elles doivent communiquer en français.

M. Laurin: Nous reparlerons de cela le moment venu.

Le Président (M. Cardinal): Je ne pense pas que le ministre soit prêt à proposer un amendement ce soir.

M. Laurin: Non.

M. Ciaccia: Non, mais je voulais savoir si je lisais le même article que le ministre.

M. Guay: M. le Président, j'invoque le règlement.

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Taschereau.

Mme Lavoie-Roux: Quel règlement? M. Ciaccia: Lequel? Quel numéro?

M. Guay: Cela fait plusieurs fois ce soir que le député de Mont-Royal contrevient à l'article 92 qui dit bien que, pour parler, un député doit demander la parole. J'aimerais bien, M. le Président, que vous le rappeliez à l'ordre de façon qu'on ne soit pas dérangé par le député de Mont-Royal.

Le Président (M. Cardinal): D'accord, il y a plus que cela, c'est qu'on ne parle pas pendant qu'un autre député parle. Je donne à nouveau la parole...

M. Ciaccia: Oui, merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Je ne donne pas à nouveau la parole à personne. A l'heure qu'il est, je m'excuse, je dois m'adresser à la commission. Il sera, dans environ trente secondes, 23 heures. Nos travaux doivent normalement se terminer à 23 heures.

Alors, je demande l'avis de la commission. Oui, M. le député de Mégantic-Compton?

M. Grenier: Je demanderais d'ajourner la séance à demain, si c'est possible à ces gens de nous revenir demain matin, pour la bonne raison que le député de Lotbinière, M. Biron, aurait aimé interroger la commission, et que cela lui était impossible d'être ici aujourd'hui, pour les raisons qu'on a évoquées lors de la fermeture de la Chambre vendredi.

Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez, avant que je ne pose cette question à nos témoins, j'indiquerai que, présentement, il reste douze minutes au parti ministériel, vingt minutes à l'Opposition officielle, dix minutes au parti de l'Union Nationale, sans compter que si d'autres personnes se joignaient à nous, à une séance subséquente, il faudrait ajouter dix minutes, c'est-à-dire que nous avons encore possiblement de 42 à 52 minutes de questions. Je demande donc aux porte-parole de la Banque de Montréal s'ils désirent revenir avec nous demain.

M. de Jocas: M. le Président, c'est avec plaisir que nous reviendrons. J'ai quand même une réserve importante à ajouter. M. McNeil doit présider demain à Halifax une réunion du conseil d'administration de la banque, donc il ne pourra pas être présent.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Si vous êtes d'accord pour revenir, je vais ajourner dans quelques secondes, et vous serez les premiers à être entendus demain, à 10 heures.

M. de Jocas: M. le Président, si vous me permettez, je crois qu'il serait quand même important, s'il y avait quelques membres de la commission qui voulaient poser une question plus spécifique, parce que M. McNeil représente quand même l'autorité suprême d'une banque nationale et internationale... Cette dimension, je crois qu'il est très important qu'elle soit reconnue, que cette banque a ses quartiers généraux à Montréal. Simplement, s'il y avait certains points de vue, certaines questions précises qu'on voudrait lui adresser, il faudrait que ce soit fait ce soir, si vous...

Le Président (M. Cardinal): D'accord, M. de Jocas. Vous me placez dans l'embarras. Oui, M. le député de Mégantic-Compton, à moins que vous ne vouliez m'aider?

M. Grenier: Pour vous sortir de votre embarras, est-ce qu'on pourrait demander aux gens, à nos invités, pas nos témoins, parce qu'il me semble que le terme est mal choisi...

Mme Lavoie-Roux:...

M. Grenier: Oui, aux invités.

Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez, j'emploie tantôt l'un, tantôt l'autre. On ne l'a pas encore défini dans notre règlement.

M. Grenier: Vous êtes un homme de jugement, M. le Président. Vous avez déjà été tantôt dans un parti, tantôt dans un autre. Cela me fait plaisir.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mégantic-Compton, je vous en prie!

Mme Lavoie-Roux: Question de règlement.

M. Grenier: Farce à part, si vous permettez...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mégantic-Compton, si vous voulez m'aider, aidez-moi.

M. Grenier:... on peut se permettre de rigoler, il est 23 heures. Si nos témoins et nos invités pouvaient revenir demain, peut-être qu'il y aurait une autre heure dans la journée où ils pourraient être présents quand le président aura fini sa rencontre dans les Maritimes.

M. de Jocas: II va à Halifax.

M. Grenier: Ce ne sera pas possible demain?

Le Président (M. Cardinal): D'ailleurs, M. le député de Mégantic-Compton, ce serait difficile. Je vais donner tantôt l'ordre du jour de demain et, comme vous le savez, il n'est pas possible pour le président de fixer de rendez-vous. Ecoutez! Si j'ai un accord unanime de la commission et qu'il y aurait des questions qui s'adresseraient directement à celui qui doit nous quitter — je n'ose pas le qualifier — je demande à la commission de me le dire et je pourrai accepter. Sinon, j'inviterais les porte-parole de la Banque de Montréal à se présenter devant nous demain matin, à la première heure.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Oui, Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: ...j'imagine que les autres personnes qui accompagnent M. McNeil — moi, j'avais des questions à poser sur la formation du conseil d'administration — sont capables de répondre à toutes ces questions.

M. de Jocas: Certainement.

Le Président (M. Cardinal): Dans ce cas-là, si vous le permettez, je vais résoudre rapidement la question. Je remercie immédiatement M. McNeil et lui souhaite un bon voyage. Je vais inviter ses autres collègues à être ici —à l'ordre, s'il vous plaît — avec nous demain. Avant d'ajourner, je voudrais rappeler que, demain, les organismes convoqués sont les suivants: Conseil du patronat, mémoire 7; Fédération des travailleurs du Québec, mémoire 128; Bell Canada, mémoire 65; Conseil des hommes d'affaires québécois, mémoire 4; Protestant School Board of Greater Montreal, mémoire 23.

Je rappelle, de plus, qu'en vertu d'un avis donné à l'Assemblée nationale par le leader parlementaire la commission permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications siégera demain, le mardi 21 juin, dès 10 heures du matin jusqu'à 13 heures, au salon rouge.

Ceci étant dit, les travaux de cette commission...

Mme Lavoie-Roux: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Oui, Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, je ne sais pas si c'est dans l'ordre, mais je me demande si le ministre d'Etat au développement culturel pourrait transmettre une invitation au ministre de l'Education d'être ici, compte tenu que le PSBGM vient demain. J'ai regretté qu'il ne soit pas ici pour entendre la CEQ. Cela aurait été fort intéressant qu'il puisse échanger sur la question de la langue seconde avec eux.

M. Alfred: II a déjà lu le mémoire.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! A l'ordre!

M. Laurin: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): M. le ministre d'Etat.

M. Laurin: ...le ministre de l'Education est actuellement à Toronto pour des affaires d'Etat et il y sera demain également.

Mme Lavoie-Roux: Ah!

Le Président (M. Cardinal): Alors, ceci étant dit, les travaux de cette commission sont ajournés à demain, 10 heures.

(Fin de la séance à 23 h 4)

ANNEXE I

THE CANADIAN MANUFACTURERS' ASSOCIATION L'ASSOCIATION DES MANUFACTURIERS CANADIENS

1080 Côté du Beaver Hall, Suite 904, Montréal, Que. H2Z1S8 le 3 juin 1977

Docteur Camille Laurin

Ministre d'Etat au développement culturel

Conseil exécutif

Hôtel du gouvernement

Québec, Que.

Monsieur le ministre,

Selon l'intention signifiée il y a quelques semaines, nous joignons à la présente le mémoire de la Division du Québec de notre organisme relatif au projet de loi no 1 — La Charte de la langue française.

Nous attendons impatiemment l'occasion de vous préciser davantage nos observations et recommandations dès qu'on nous aura convoqués à une audience.

Veuillez agréer, monsieur le ministre, l'expression de ma haute considération.

Le président de la Division du Québec

F. P. Brady pièce jointe 106th Annual General Meeting, Montreal, Quebec — June 5 and 6, 1977 106e Assemblée générale annuelle, Montréal, Québec — les 5 et 6 juin, 1977 le 3 juin 1977

Mémoire soumis à la

Commission parlementaire permanente

de l'éducation, des affaires culturelles et des communications

sur le projet de loi No 1

"Charte de la langue française au Québec"

par la Division du Québec

de l'Association des manufacturiers canadiens

I — INTRODUCTION

Les commentaires du présent mémoire représentent la position de la Division du Québec de l'AMC, qui compte 1700 membres dans toutes les régions du Québec.

Le secteur manufacturier québécois reconnaît la nécessité d'accroître l'usage du français pour en faire une réalité vivante en son milieu.

Il importe de rappeler que les résultats d'un sondage mené par l'AMC en 1970, à la demande de la Commission Gendron, ont nettement démontré que le français était déjà la langue de travail au niveau de la production au Québec. On trouvera en annexe copie du rapport de cette recherche. La brièveté du délai accordé pour la production d'un mémoire n'a pas permis la mise à jour des chiffres de ce rapport

par une nouvelle enquête. Mais l'expérience des membres de l'AMC depuis 1970 est à l'effet que la francisation des entreprises s'est améliorée substantiellement depuis cette date.

Les manufacturiers du Québec, par le truchement des comités divisionnaires de l'AMC, ont donc sérieusement étudié les dispositions du projet de loi no 1, établissant la Charte de la langue française au Québec. Ils regrettent toutefois que la réglementation qui doit compléter la loi n'ait pas été disponible au moment de cette étude. L'étude simultanée des règlements aurait assurément facilité la compréhension de certains points du projet de loi. C'est donc par diverses spéculations qu'ils ont dû suppléer à cette lacune.

Il —COMMENTAIRES SUR LE PROJET

A - D'ordre général

1 - L'objectif de la charte proposée

L'AMC se déclare en accord avec l'objectif général de la législation proposée, à savoir assurer la qualité et le rayonnement de la langue française au Québec. L'AMC espère sincèrement que l'Assemblée nationale poursuivra cet objectif "dans un climat de justice et d'ouverture à l'égard des minorités qui participent au développement du Québec", ainsi qu'en donne l'assurance le préambule du projet de loi, et qu'elle prendra en sérieuse considération les conséquences possibles de certaines de ses dispositions sur l'économie de la province.

2- Les modalités

Les manufacturiers du Québec s'inquiètent du fait que le projet de loi recoure à des mesures coercitives plutôt qu'incitatives, par exemple les mécanismes d'implantation et de contrôle des programmes de francisation. Certaines des modalités d'implantation qu'il propose empiètent parfois indûment sur les droits de certains Québécois, par exemple en matière d'éducation.

En abordant l'étude de ce projet de loi, l'AMC a cru de son devoir de considérer les implantations du texte proposé sur certains objectifs poursuivis par l'Association: création de nouvelles entreprises, expansion des entreprises existantes, création de nouveaux emplois, accroissement de la prospérité, compétitivité de l'entreprise québécoise. A ces égards, plusieurs aspects du projet de loi, du moins dans leur forme présente, seraient susceptibles de provoquer des effets contraires, i.e. la raréfaction des capitaux de placement, une détérioration accrue de la situation du chômage. D'où la volonté ferme de l'AMC de proposer des changements qui se veulent constructifs.

B - D'ordre particulier

1 - La question des permis

En vertu des dispositions du paragraphe "a" de l'article 106, le gouvernement détiendrait un droit de vie ou de mort sur une entreprise. Toute entreprise qui ne se mériterait pas un certificat de francisation pourrait se voir retirer sa "licence" ou son permis d'opérer, sans possibilité d'appel.

Il y a d'ailleurs dans l'article 106 beaucoup plus que le "permis d'opérer": il y a, en vertu de l'expression "règlement du gouvernement", une extension possible du concept aux plaques d'immatriculation des camions, aux domaines des licences de taxe de vente, des permis de construction, etc. dont rémission ou le renouvellement deviendrait assujetti à la possession d'un certificat de francisation.

L'implantation d'une politique linguistique ne devrait pas se réaliser au sacrifice d'une liberté aussi fondamentale que celle de pouvoir exploiter une entreprise. Il ne s'agit pas ici de sémantique, mais bien d'une liberté essentielle sous un régime de libre entreprise. Le problème est différent lorsqu'il s'agit de subventions, d'avantages, de concessions ou de contrats avec l'Administration publique. L'AMC est donc d'avis que le mot "permis" doit être rayé du paragraphe "à" de l'article 106, car il existe d'autres mesures dans le projet de loi pour inciter les entreprises à obtenir et conserver leur certificat de francisation.

Quant au paragraphe "b" de l'article 106, celui-ci nous apparaît comme un exemple patent de mesure très coercitive, susceptible de créer des situations cahotiques dans l'entreprise. Selon l'AMC, il est essentiel que toute entreprise qui possède un permis d'opérer ait aussi le droit de se prévaloir des services des entreprises d'utilité publique (électricité, téléphone, etc.) ou para-publiques (commissions scolaires, municipalités, etc.)

Deux entreprises privées, opérant sous un régime de "libre entreprise", pourraient se voir empêchées de conclure des ententes contractuelles entre elles, i.e. quant au transport des produits. Il ne semblé pas y avoir de relation entre l'exploitation elle-même d'une entreprise ou le droit de conclure des ententes privées, et les contingences que le projet de loi suggère. Selon l'AMC, le paragraphe "b" de l'article 106 doit donc être éliminé.

2- Les professionnels dans l'industrie

L'article 30 du projet prévoit qu'un ordre professionnel ne pourra délivrer de permis d'exercer au Québec qu'à des personnes ayant de la langue officielle une connaissance appropriée à l'exercice de leur profession. D'autre part (art. 32), les personnes autorisées à exercer leur profession en vertu des lois d'une autre province ou d'un autre pays pourront recevoir un permis temporaire, valable pour une période d'un an, lequel ne sera renouvelable que deux fois et "sous réserve que l'intérêt public le justifie".

Ces dispositions semblent viser les professionnels qui offrent leurs services au public qui, lui, en vertu de la loi, a droit à des services professionnels prodigués dans la langue française s'il le désire. La situation est différente, toutefois, pour le professionnel qui ne doit pratiquer qu'au "service d'un seul employeur", i.e. un chimiste dans un laboratoire industriel de recherche, ou un ingénieur oeuvrant au sein d'une équipe de conception de projets. L'AMC est d'avis que ceux-ci devraient être exemptés de telles dispositions applicables à la "pratique publique", et que l'exemption devrait être prévue dans la charte.

3- Le rôle des syndicats

La consultation poursuivie auprès de ses membres au cours des récentes semaines permet à l'AMC de mettre en doute le bien-fondé de l'article 114. Plusieurs membres se sont objectés fortement à cet article du projet de loi qui crée une situation pour le moins incongrue en ce sens qu'elle confère au syndicat un droit de participation à la gestion d'une entreprise, sans que ce droit ne soit assorti de responsabilités. L'Association craint que cet article, de même que les deux autres qui le suivent, risquent d'ajouter une dimension "conflictuelle" à ce problème pourtant déjà si controversé d'une politique linguistique.

Vu le climat des relations de travail au Québec, nos membres s'inquiètent du fait que toute question litigieuse relative à la langue de travail puisse devenir l'objet d'une enquête par un commissaire-enquêteur ou d'une négociation en vertu d'une procédure de règlement des griefs, puisque le Chapitre VI en entier "est réputé faire partie intégrante de toute convention collective". De plus, les membres du Comité des relations de travail de l'AMC rejettent le principe du recours, dans l'article 36 du projet, aux articles 14 à 19 du Code du Travail. Depuis des années, l'Association réclame une révision en profondeur de ces articles du Code du Travail qui confèrent des pouvoirs quasi-judiciaires à des personnes qui n'ont pas nécessairement une formation juridique. On laisse habituellement aux parties intéressées le soin de négocier entre elles le contenu de leur contrat.

Outre la question de principe, il y a l'aspect pratique. La participation syndicale imposée par l'article 114 n'est pas réalisable en raison des nombreuses difficultés d'application auxquelles elle donnerait lieu: le taux de syndicalisation au Québec se situe à l'heure présente entre 25 et 30 pour cent tout au plus; dans le cas d'une entreprise qui exploite plusieurs usines dont les nombreuses unités syndicales appartiennent à des centrales différentes, cette proposition engendrerait de nombreux conflits de juridiction sans compter qu'elle risque d'entrer en conflit avec certaines conventions collectives en vigueur; de plus, le mode de représentation proposé est inadéquat pour les employés et les cadres non syndiqués; enfin, le projet de loi laisse prévoir que la représentation des employés sur ces comités bipartites pourrait être confiée à des personnes autres que des employés de l'entreprise, une situation que nous considérons inacceptable.

D'ailleurs, l'expérience de l'Association quant à la francisation des entreprises est à l'effet que le "comité de francisation", au niveau de l'entreprise, s'établit généralement au niveau de la direction qui peut s'engager dans un processus décisionnel, et qui peut voter les sommes nécessaires à l'implantation des politiques jugées nécessaires ou désirables. Qu'il y ait un ou d'autres comités, au niveau des usines, impliquant la présence d'employés pour fins de consultation, c'est peut-être possible dans certains cas, mais ce doit être sur une base volontaire.

Pour toutes ces raisons, l'article 114 doit être révisé.

4- La langue de la technologie

L'article 4 de la Charte proposée prévoit que les travailleurs ont le droit fondamental d'exercer leurs activités en français, quelles que soient la nature, la forme et la taille de l'entreprise. Ceci n'est pas toujours possible en dépit de la meilleure volonté du monde.

Il faut reconnaître un fait. La langue commune de la technologie est la langue anglaise. Il faudra des années d'application sérieuse pour créer une langue parallèle d'expression française, qu'il sera d'ailleurs très difficile de tenir complètement à jour, vu l'évolution constante de la technologie. Il faudra aussi que cette langue soit connue des travailleurs eux-mêmes.

Un membre de l'Association a soumis l'exemple suivant. Son entreprise d'avionnerie — nous sommes ici au niveau de l'usine, et non du siège social — fabrique des pièces pour une société japonaise qui, elle, les incorpore dans un mécanisme qu'elle livre en Hollande. Les dessins d'ingénierie qu'on lui fournit ne sont pas annotés en français.

Voici le dilemne de cet employeur. Les délais de livraison ne permettent pas que l'on procède à une traduction en français des indications qui apparaissent sur les plans: tout retard résultant de cette traduction pourrait compromettre l'obtention du contrat de sous-traitance. En second lieu, il s'agit vraisemblablement de nouveaux mécanismes à l'endroit desquels une terminologie française reconnue n'a pas encore été développée. De plus, les frais d'une telle traduction risqueraient de rendre cette entreprise non-compétitive sur le marché international des appels d'offres.

Il va de soi que les employés de cette entreprises, exécutant les travaux qui découlent de tels dessins, doivent posséder une connaissance d'usage de la terminologie technique anglaise. Refuser de le reconnaître risque d'aggraver la situation du chômage. Enfin, l'exemple illustré ci-dessus risque de se retrouver ici et là dans d'autres industries à haute technologie.

Dans sa forme actuelle, l'article 4 de la charte proposée n'est donc pas toujours réalisable.

5 - Les sièges sociaux et régionaux

Le siège social d'une entreprise manufacturière constitue le centre d'où proviennent les décisions vitales engageant la totalité de la firme et, partant, il s'avère un important générateur d'activité économique. Sans vouloir s'engager dans le débat stérile de "l'exode des sièges sociaux" qui a fait la manchette ces dernières semaines, il convient quand même de reconnaître que, tout en étant très important, le siège social d'une entreprise est aussi très mobile.

Dans un article de la livraison de février 1972 de la revue "Commerce", monsieur Lucien Saulnier exposait un point de vue intéressant sur l'importance des sièges sociaux, dans les termes suivants: "Le public, souvent, ne se rend pas suffisamment compte de l'importance de la présence de nombreux sièges sociaux dans la métropole. Montréal compte déjà 250 sièges sociaux d'entreprises d'envergure nationale, interprovinciale et internationale. Il y en a évidemment beaucoup plus dont l'activité s'étend guère en dehors du Québec." "La présence des sièges sociaux constitue à Montréal une industrie en soi et toute l'activité de ce secteur agit sur les exportations québécoises. Quoiqu'aucune étude officielle n'ait encore établi l'importance des sièges sociaux dans la métropole, des relevés réalistes montrent que 50 000 personnes gagnent leur vie dans les sièges sociaux et que le gagne-pain de 100 000 autres est indirectement relié à leur présence."

Le recrutement des cadres supérieurs de la direction et des services techniques ainsi que des professionnels qui forment un siège social se fait nécessairement, en plus du Québec, dans les autres parties du Canada et à l'étranger. Afin d'assurer au Québec le recrutement continu de ces personnes hautement qualifiées ainsi que leur rétention, il faut leur rendre accessibles dans les deux langues une éducation de toute première qualité, des services de santé et des facilités culturelles à l'avenant. Cette nécessité vaut particulièrement pour la région de Montréal où l'on trouve de nombreux sièges sociaux et qui est reconnue comme un centre international d'affaires. Nous reviendrons aux besoins de ces cadres supérieurs un peu plus loin, en traitant brièvement des problèmes de l'éducation.

Bien que l'entreprise privée a déjà démontré qu'elle a une conscience aiguë de ses responsabilités en favorisant l'usage du français comme langue de travail au Québec, on doit admettre qu'un siège social doit pouvoir choisir la ou les langues de travail les plus appropriées à ses besoins corporatifs. Et n'oublions pas que la plus grande richesse d'un siège social, comme de toute entreprise, est constituée de ses ressources humaines.

Le recrutement d'experts sur le marché international implique l'entente que les cadres choisis pourront, tant du point de vue du développement de leur propre carrière que du point de vue des besoins de la corporation, être appelés à travailler dans tout pays ou toute province où l'entreprise exerce ses activités.

Il est bien sûr que s'il s'avérait impraticable, à cause d'une politique de francisation, pour les entreprises de recruter à l'extérieur les cadres dont elles ont besoin, ou pour ces cadres d'accepter un contrat social limitatif en raison de nouvelles conditions sociales et éducationnelles au Québec, les corporations devraient s'attaquer à ce nouveau problème. Le Québec ne peut se permettre de perdre un trop grand nombre de sièges sociaux sans compromettre sérieusement son économie.

Le départ d'un seul siège social signifie une perte d'emplois pour tous les Québécois qui y oeuvraient et qui ne seraient pas disposés à suivre leur employeur à l'extérieur du Québec, dont une augmentation immédiate du chômage au Québec. De plus, il élimine d'une façon définitive un nombre imposant de perspectives d'emploi à un niveau intéressant que le projet de loi, paradoxalement, visait pourtant à multiplier à l'intention des Québécois, en vue d'une plus grande participation au développement économique de la province. Ces postes disparaissent tout simplement, pour ne rien dire des retombées négatives du départ d'un siège social sur toute l'économie du Québec: augmentation du chômage, diminution des recettes fiscales directes et indirectes, émigration d'experts, publicité adverse non propice à l'implantation de nouvelles entreprises en provenance de l'extérieur.

Quant aux bureaux régionaux et succursales d'entreprises dont le siège social est situé hors du Québec, il est essentiel que la rédaction des documents internes puissent se faire dans la langue qui

correspond aux besoins de l'entreprise et que la langue des communications avec le siège social, où qu'il soit situé, corresponde à leur choix mutuel, motivé par la nature de leurs transactions et communications.

L'objectif à garder en mémoire ici est d'assurer la compétitivité des entreprises et des corporations. Un programme de francisation ne peut être identique dans le cas d'une entreprise qui n'opère qu'au Québec, où par surcroît se confine sa clientèle, et une autre qui opère à l'échelle nationale ou internationale. Les contraintes particulières de chaque établissement doivent entrer en ligne de compte. La loi se doit d'être très souple à cet égard.

6- Besoins en matière d'éducation a ) Egalité des chances

L'Association note avec joie qu'aucun certificat de fin d'études secondaires ne sera délivré à l'élève qui n'a du français, parlé et écrit, la connaissance exigée par les programmes du ministère de l'Education (art. 57). Cette disposition assure que, dans une génération, la moitié du problème des communications entre les deux plus importants groupes ethniques de la province sera réglée. Les jeunes anglophones sortiront bilingues des écoles publiques.

Mais il ne faudrait pas négliger la formation des jeunes francophones à l'endroit desquels le présent projet de loi, dans sa forme actuelle, n'assure pas l'enseignement d'une langue seconde. Il faudrait que la loi leur donne cette assurance, compte tenu de la situation géographique du Québec en Amérique du Nord, sans quoi ils risquent de se retrouver plus tard désavantagés sur le marché du travail.

A l'heure présente, nous constatons que plusieurs provinces déploient depuis peu des efforts notables en vue de développer des programmes d'éducation en français sur leur territoire. Ceci ne peut que servir les meilleurs intérêts des Québécois de langue française qui seraient appelés à compléter des stages de formation à l'extérieur du Québec pour leur propre avancement, en autant qu'ils possèdent au départ une connaissance suffisante de la langue seconde pour participer à la vie sociale de leur milieu provisoire. A cette fin, le Québec pourrait peut-être élargir ses propres programmes.

b ) La mobilité des cadres

II a été établi plus haut que les cadres supérieurs des sièges sociaux et régionaux sont recrutés d'un peu partout, en plus du Québec. Dans le cas de l'entreprise d'envergure nationale ou internationale, il s'agit dans bien des cas de non-francophones. La mobilité de ces personnes est essentielle, autant pour l'avancement de leur propre carrière que pour le progrès de l'entreprise.

L'article 58 du projet de loi permettra sans doute d'accommoder les stagiaires anglophones qui, à l'intérieur d'un programme de développement de carrière, pourraient être appelés à oeuvrer "pour un temps limité" au sein du siège social de leur entreprise au Québec, pour fins de formation, en autant que la période d'exemption correspondra à la durée du stage, durée qui pourra varier selon les cas et parfois excéder deux ou trois ans.

Mais il y a une autre situation concernant le cadre et le siège social ou régional, qui se produit encore plus souvent. Une nomination au siège social peut fort bien être le point culminant de la carrière d'un cadre. Il né s'agit plus d'une période "limitée". S'il s'agit d'un anglophone dont les enfants sont encore aux études, il serait regrettable qu'une entreprise québécoise puisse être privée des services de ce cadre uniquement parce que les conditions restrictives de l'article 52, prévoyant la possibilité de procurer aux enfants une instruction en langue anglaise, ne sauraient être satisfaites. Si le Québec a effectivement le droit de se priver des services d'experts dont il a par ailleurs besoin pour son progrès économique, l'exercice de ce droit ne semble pas devoir servir les meilleurs intérêts de la province.

7- Coercition et approche punitive

L'AMC regrette énormément que le projet de loi adopte une approche punitive à l'endroit des établissements industriels qui éprouveraient des difficultés dans l'application de la loi proposée. Certains articles, i.e. l'article 36, prévoient même des pénalités doubles.

Les manufacturiers s'inquiètent de la procédure prévue pour les enquêtes relativement à la Commission de surveillance (art. 120 à 144 incl.). Les enquêtes sont confiées à des commissaires-enquêteurs qui font rapport au président de la Commission. Celui-ci est nommé par le gouvernement. Les décisions de la Commission de surveillance sont sans appel.

L'AMC estime que cette procédure est abusive. Les pouvoirs du législateur se trouvent ainsi délégués à l'administration. On devrait prévoir un avis préalable aux poursuites et accorder aux entreprises une période raisonnable, disons six mois, pour apporter les changements nécessaires, avant que l'on ne puisse invoquer une situation d'infraction. Les divergences d'opinion devraient être débattues devant les cours civiles. Il serait essentiel, de toute façon, que l'on prévoie des droits d'appel, devant les cours civiles, aussi bien sur les questions de faits que de droit.

Le grand principe à retenir ici est le suivant: afin d'assurer que la délégation de pouvoir ne puisse donner lieu à des décisions finales arbitraires, il est essentiel que toute décision au niveau du pouvoir exécutif puisse être assujettie à une procédure d'appel au pouvoir judiciaire.

Ill-CONCLUSION

L'Association laisse à d'autres groupes le soin d'aborder divers aspects du projet de loi dont les implications ne concernent pas directement le secteur manufacturier, d'une façon particulière.

Les membres de la délégation de l'AMC se placent à l'entière disposition du législateur pour toute question se rapportant à leur mémoire et qui commanderait des explications additionnelles.

(Annexe)

RÉSULTATS DU SONDAGE

MENÉ PAR LA DIVISION DU QUÉBEC

DE L'ASSOCIATION DES MANUFACTURIERS CANADIENS

A LA DEMANDE DE

LA COMMISSION D'ENQUETE SUR LA SITUATION DE LA LANGUE FRANÇAISE ET SUR LES DROITS LINGUISTIQUES AU QUÉBEC

Avant-propos

Le 14 novembre 1969, notre bureau a adressé aux 1580 membres que compte l'AMC au Québec un questionnaire demandant des renseignements sur l'usage du français dans leurs usines.

Afin que les résultats de ce sondage soient le plus utile possible pour fins de comparaison, nous avons classifié les réponses reçues en trois catégories, selon la situation géographique des répondants.

LA PROVINCE DE QUÉBEC: 520 usines embauchant 144,435 employés de production et contremaîtres;

LE MONTRÉAL MÉTROPOLITAIN: 283 usines embauchant 89,039 employés de production et contremaîtres;

LE RESTE DE LA PROVINCE: 237 usines embauchant 55,396 employés de production et contremaîtres.

Les subdivisions du présent document constituent la compilation des réponses telles qu'applicables d'une part aux ouvriers de production et d'autre part aux contremaîtres et aux surveillants.

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ANNEXE II — A —

INTRODUCTION

La question linguistique revêt une extrême gravité, mais elle est loin d'être la seule à se poser à la collectivité québécoise. L'aliénation du peuple québécois, un peuple de salariés à la recherche d'une patrie, est d'abord de nature économique, elle découle de la position que son écrasante majorité occupe dans le processus de production: le bas de l'échelle. Le problème linguistique n'est que la répercussion de cet état des choses sur le plan culturel.

Le Québec ne réussira à régler de façon définitive son problème qu'au moment où il aura la volonté et le courage politique de procéder à la repossession des leviers de contrôle de son économie, à la réappropriation de son patrimoine de richesses naturelles et à la réorientation de son économie dans le sens de la satisfaction des besoins collectifs. Ce sera l'entreprise d'un peuple en voie d'émancipation économique, sociale et nationale.

Un objectif de transformation globale ne contredit pas la nécessité de tenter de régler des éléments du problème linguistique et ce, à toutes les occasions possibles.

La position de la C.E.Q. s'inspire des principes suivants:

La langue nationale est un bien collectif, elle ne saurait être la simple résultante de choix individuels.

La langue nationale est un instrument de cohésion. Cela explique la logique de notre position sur la langue d'enseignement.

L'existence d'une langue nationale forte est compatible avec le maintien de langues minoritaires.

La situation géographique du Québec, la volonté d'entretenir des liens d'égal à égal avec d'autres Etats du monde, nous imposent d'assurer un enseignement efficace de l'anglais et des autres langues étrangères.

La minorité, dite anglophone, ne constitue pas un bloc monolithique: cette expression regroupe actuellement à 50% des personnes d'origines ethniques autres qu'anglaises. Au plan économique, ce qui sépare un travailleur salarié anglophone d'un travailleur salarié francophone est bien moindre que ce qui les unit.

Le respect du bien des élèves actuellement inscrits dans les écoles anglaises par l'aménagement de structures efficaces d'accueil pour les immigrants à réintégrer à l'école française, et le respect des droits de la véritable minorité anglophone à recevor l'enseignement dans sa langue.

Aussi, la C.E.Q. considère que le projet de loi numéro 1 est tout empreint de dignité et il est clair que, malgré certaines réserves qui n'entraînent nullement notre opposition à la Charte, la Centrale de l'enseignement du Québec se range sans hésitation dans le camp de la majorité, dans celui des défenseurs de la Charte du français au Québec.

Le Livre blanc et la Charte sont deux documents qui prennent parti clairement pour le peuple québécois. Ce sont des projets foncièrement démocratiques, empreints de dignité et qui méritent l'appui de la C.E.Q. et de toutes les organisations de masse québécoises. . Dès le départ, la C.E.Q. met en garde le Gouvernement du Québec contre tout recul. Les Québécois ne pardonneraient jamais au Gouvernement de céder d'un pouce alors qu'ils se sentent à présent si près du but en ce domaine. Nous mettons surtout en garde le Gouvernement contre la tentation de compter indistinctement le nombre des mémoires approuvant ou désapprouvant la Charte en Commission parlementaire. Des associations telles le Montreal Board of Trade, le Conseil du Patronat, l'Association des Manufacturiers, et autres groupes de même acabit devraient être considérées pour ce qu'elles sont: une minorité exploitante défendant ses propres intérêts qui a toujours manifesté un mépris certain pour la majorité, le peuple québécois.

La C.E.Q. appuie donc vigoureusement le projet de loi numéro 1.

Ce projet de loi, nous le ressentons comme une triple nécessité: à titre de Québécois: le français est une condition de vie, de développement et d'épanouissement; à titre de travailleurs francophones: le français est véritablement une condition de travail; à titre de travailleurs de l'enseignement: le français est l'objet et l'outil de notre travail quotidien.

CHAPITRE PREMIER LA LANGUE OFFICIELLE

La Centrale de l'enseignement du Québec réclame depuis déjà plusieurs années une législation linguistique faisant du français la seule langue officielle du Québec et la langue réelle du travail, des affaires et de l'administration. Nous voulons bien admettre que l'anglais puisse être utilisé comme langue d'enseignement pour l'enseignement dispensé aux véritables anglophones, mais nous n'avons jamais admis, et nous n'admettrons jamais, que le français et l'anglais aient comme langues d'enseignement un statut juridique équivalent ou quasi-équivalent. C'est dans cet esprit que nous avons combattu la loi 63 et la loi 22 qu'on aurait dû intituler "Loi définissant les statuts respectifs des deux langues officielles et reconnaissant au français une certaine priorité protocolaire".

La Charte du français, quant à elle, fait réellement du français la langue officielle du Québec. Nous y voyons le socle de la loi numéro 1: l'octroi du statut de langue officielle au français a des répercussions fondamentales.

Au sens large, le français devient une langue dont le statut est proclamé ou explicitement reconnu par une autorité compétente. En ce sens-là, une langue est officielle dès qu'elle est explicitement reconnue par législation comme langue nationale, comme langue commune, ou encore dès que la loi lui reconnaît nommément une fonction, des attributions ou des droits non reconnus aux langues qui ne sont pas nommées par la loi. Dans un sens plus restreint, la langue officielle c'est la langue de la législation, de l'administration publique, des tribunaux, des délibérations officielles, des contrats et de tous autres documents ayant ou pouvant avoir des effets juridiques: c'est la langue dans laquelle doit être rédigé tout texte officiel susceptible d'être invoqué pour une question de droit.

En ce sens, il est clair que le Gouvernement accorde au seul français le statut de langue officielle tout comme il est clair qu'il a traité la minorité anglophone avec un sens du respect et de la justice qui voisinent la générosité. Sans doute, ces égards seront-ils considérés par d'aucuns comme étant un pied dans la porte, un signal indiquant qu'il y aurait lieu de tenter d'élargir les brèches pour que l'anglais récupère des "droits" qu'il n'a pas et qu'il n'a d'ailleurs jamais eus, comme le souligne si bien le mémoire du Mouvement Québec-Français.

De la langue du peuple québécois

II nous faut, d'entrée de jeu, relever la critique trop facile que d'aucuns formulent à l'égard du premier attendu de la Charte qui stipule: "l'Assemblée nationale constate que la langue française est depuis toujours la langue du peuple québécois et que c'est elle qui lui permet d'exprimer son identité".

C'est cette affirmation que nous soutenons lorsque nous parlons d'unité linguistique du Québec. Mais cette unité linguistique, relative et variable, n'implique pas nécessairement que tous les membres du groupe humain concerné sans exception aient une seule et même langue maternelle. Il faut en effet établir une nette distinction entre la langue nationale et les langues maternelles. Celles-ci sont le bien propre des individus et des familles qui les parlent, tandis que la langue nationale est la marque distinctive du groupe national par rapport aux nations étrangères et, plus particulièrement, par rapport aux peuples voisins; elle est la langue historique de la nation, la langue maternelle ou d'usage de la majorité au sein de la nation, la langue commune pour les communications inter-ethniques et les relations d'ordre public au sein de la nation et la langue des institutions politiques propres a la nation; elle constitue le bien commun national.

Ce qui fait le peuple québécois et la nation québécoise, et fonde par conséquent son droit à une politique linguistique autonome, ce n'est pas une mythique homogénéité ethnique totale ou quasi absolue. C'est bien plutôt, en accord avec les lois objectives du développement des sociétés, l'ensemble d'éléments suivants: son territoire défini et relativement unifié; la composition particulière et originale de sa population aux plans ethnique et linguistique notamment; ses coutumes particulières notamment au plan juridique, en tant que société distincte; ses institutions particulières (politiques, coopératives, syndicales, etc.); sa continuité historique, remontant aux origines de la Nouvelle-France dont l'axe Québec-Trois-Rivières-Montréal constituait l'épine dorsale, assumée sous les noms de Province de Québec (de 1774 à 1791), de Bas-Canada (de 1791 à 1840), de Canada-Est (de 1840 à 1867) et, à nouveau, de Province de Québec (depuis 1867); les caractéristiques propres de son économie et les aspects originaux de sa vie économique; la conscience de son unité, de sa spécificité et de sa continuité historique; son aspiration constante à l'autonomie politique, sous une forme ou sous une autre; la constance du fait français comme aspect dominant du caractère propre de sa vie collective

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et, en particulier, le fait d'avoir conservé comme langue maternelle et d'usage de la très forte majorité de sa population la langue de ses origines historiques, distincte de celle des peuples ou nations avoisinants.

Or, aucune grande nation au monde ne peut prétendre avoir réalisé l'unification linguistique totale de sa population quant à la langue maternelle et à la langue d'usage au foyer. Ce qui est visé cependant dans toute nation qui évolue normalement, c'est que tous ses ressortissants puissent s'exprimer et communiquer entre eux dans une même langue, la langue commune, qui sera reconnue comme langue de la vie économique, de la vie politique et comme langue d'usage de toutes les institutions de caractère public.

Donc, l'existence d'une langue nationale unique n'exclut pas la possibilité de langues maternelles multiples. Cette réalité est même inévitable dans un monde où les communications sont de plus en plus faciles et, en particulier, dans un pays comme le nôtre, très vaste et susceptible de recevoir une immigration nombreuse. Il faut donc concilier les droits de la langue nationale en tant que langue nationale avec les droits légitimes des individus à utiliser dans la vie privée la langue de leur choix et à retransmettre, s'ils le désirent, leur langue maternelle à leurs propres enfants.

Si les individus en tant qu'individus doivent avoir des droits égaux devant les institutions politiques et devant la loi, s'ils doivent garder le droit strict de conserver et de transmettre dans leur milieu familial la langue de leur choix; si les groupes ethniques, en tant que groupes ethniques, doivent garder le droit de survivre et de développer leurs caractéristiques propres, il serait cependant illusoire de compter sur une quelconque égalité de statut entre deux ou plusieurs langues sur un même territoire. Dans une aire géographique donnée, il y a toujours une langue dominante: cela est inévitable. Et nous n'ignorons pas qu'il y a une loi objective du développement des sociétés qui fait qu'une population d'un même territoire tend à plus ou moins long terme à l'unification linguistique. C'est la loi de la formation des nationalités et des nations.

Dans une société normale, la langue prédominante est la langue dans laquelle se réalise l'unité de la nation, c'est généralement la langue maternelle de la majorité de la population. Dans une société dominée, la langue de la société dominante tend à supplanter la langue de la majorité locale dans un grand nombre de secteurs de la vie collective. Dans une société en voie de se libérer, la lutte de libération se traduit généralement aussi par une lutte pour faire reconnaître le statut de lang'ue dominante à la langue de la majorité.

Avant de dégager les principaux traits du problème linguistique au Québec, nous allons nous remémorer quelques chiffres concernant la composition de la population québécoise. Le recensement de 1971 nous fournit des informations sur l'origine ethnique, sur la langue maternelle, sur la langue d'usage à la maison et sur l'aptitude à s'exprimer en français ou en anglais.

Du point de vue de l'origine ethnique, la population québécoise se répartit comme suit:

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Or, quelle que soit la façon de définir la minorité de langue anglaise, celle-ci apparaît toujours comme la minorité économiquement dominante que ce soit du point de vue de l'échelle des revenus, du point de vue des possibilités de promotion économique ou du point de vue de la place occupée dans les rapports de production.

Des organismes municipaux et scolaires

Nous avons constaté que certains groupes reprochent à l'article 23 de la Charte l'obligation qu'il impose aux organismes municipaux et scolaires "anglais" de se conformer aux dispositions de la Charte et aux règlements y afférant. Nous trouvons, quant à nous, que le délai de six ans est fort généreux, mais nous voulons surtout relever l'argument souvent servi à rencontre de la volonté du Gouvernement de "franciser les administrations scolaires et municipales anglophones", à l'effet que ce serait une atteinte à des "droits acquis".

Cette prétention est fallacieuse. Il n'existe pas au Québec de municipalités anglaises, pas plus qu'il n'existe des commissions scolaires anglaises. Il n'existe au Québec que des municipalités dont une partie plus ou moins importante des administrés est de langue maternelle anglaise tout comme il n'existe que des commissions scolaires qui dispensent une partie plus ou moins importante de leur enseignement en anglais.

Le système scolaire du Québec est divisé en commissions scolaires catholiques et protestantes. Il n'y est nullement question de langue et encore moins de droits acquis à l'anglais. Légiférer dans un autre sens que celui de l'article 23 constituerait la reconnaissance officielle de certains privilèges que d'aucuns se sont attribués et qui sont, quant à nous, totalement inacceptables.

"Le français est la langue officielle du Québec", dit l'article premier de la loi. Si cet article ne doit pas devenir une priorité protocolaire, il est absolument impérieux que toutes les administrations scolaires et municipales s'y conforment sans la moindre restriction. C'est l'unité linguistique du Québec qui en dépend.

De la francisation des entreprises et de la langue de travail

On exagère à peine en disant qu'au Québec l'anglais est la langue des "boss" et le français, la langue des travailleurs. Tout au plus cette affirmation aurait-elle besoin d'être nuancée selon la taille de certaines entreprises et selon les secteurs d'activités. On ne peut pas parler d'une grande bourgeoisie francophone, encore moins nationale. Une telle classe ou même fraction de classe susceptible de représenter une force sociale différenciée n'existe pas. Tout au plus existe-t-il des "éléments" dont les intérêts ne sont pas suffisamment particuliers pour être situés dans une catégorie à parti Paul Desmarais n'a comme particularité que d'être francophone, mais il est tout aussi impossible de l'identifier à la majorité francophone qu'à une mythique grande bourgeoisie francophone. La firme Bombardier dépend des marchés américains et canadiens. Le français n'occupe une place prépondérante à la direction que dans l'administration publique, dans les entreprises nationalisées, dans les coopératives ainsi que dans les petites entreprises d'envergure régionale.

Une étude réalisée pour la Commission Laurendeau-Dunton révélait que, aussi incroyable que cela puisse paraître, les anglophones unilingues ont de meilleures chances de promotion économique au Québec que les bilingues. La même étude révélait aussi que les Québécois étant classés selon leur origine ethnique, les groupes d'origine française, italienne et amérindienne avaient les plus bas revenus par tête (avec respectivement $3,200., $3,000. et $2,000.), alors que les Britanniques se classaient en tête du peloton avec un revenu moyen par tête de $5,000. (en 1961). Des études publiées en 1977 ont démontré que les francophones se classent à présent au dernier rang, après les Italiens.

Pour beaucoup de travailleurs qui veulent que le français soit leur langue de travail, cette lutte apparaît comme un combat de l'homme contre l'argent.

La question linguistique doit donc être replacée dans le contexte global de la domination au Québec, domination à la fois économique et politique. Il serait faux et déplorablement vain de poser le problème linguistique comme un problème en soi, comme si deux langues pouvaient être antagonistes par nature. C'est toute la question nationale avec ses dimensions économique et politique qui doit être posée. Autrement, tous les débats entourant, par exemple, les avantages et les inconvénients du bilinguisme scolaire précoce, deviennent de faux débats, des prétextes à un affrontement qui aura toujours sa source dans la situation de domination.

C'est pourquoi, nous demandons au Gouvernement de maintenir, sans le moindre compromis, sans la moindre concession, l'article 106 relatif aux programmes et certificats de francisation des entreprises. Malgré les scénarios apocalyptiques que ne manquent pas d'évoquer les associations patronales et les grandes sociétés, il nous semblera toujours inacceptable que Kodak parle français en France, espagnol en Espagne, allemand en Allemagne et anglais au Québec.

De même, insistons-nous pour que le Gouvernement ne cède pas devant les pressions qui s'exercent sur lui pour amender les articles relatifs à la langue du travail (articles 33 à 40) et en particulier l'article 36 relatif à la non-discrimination dans l'embauche et la promotion.

De la francisation du paysage

Enfin, nous voulons souligner que l'opposition faite à l'article 46 du projet de loi nous apparaît aberrante. Certains adversaires de la Charte se complaisent à mettre en évidence le "ridicule" qu'entraînerait la francisation de l'affichage dans "Chinatown" à Montréal.

Nous avons là un exemple flagrant de mauvaise foi. Ce que les détracteurs de la Charte ne soulignent évidemment pas, c'est qu'il est encore plus ridicule de parler de la "seconde ville française au monde" lorsqu'on se promène à l'ouest de la rue St-Laurent à Montréal...

En réalité, ce n'est pas le chinois de "Chinatown" (où incidemment la langue seconde et souvent première est l'anglais) qui menace la culture francophone du Québec, c'est l'anglais. Avant d'être la deuxième ville française au monde, rappelons-le, Montréal est surtout la première ville anglaise du Québec.

A la C.E.Q., nous serions disposés à permettre aux Chinois d'afficher leurs annonces en chinois et en français dans le Quartier chinois de Montréal. Mais ces "défenseurs" improvisés de la survie culturelle de la communauté chinoise de Montréal s'empresseraient alors de mettre en évidence le fait que le Québec "veut se venger de la défaite des plaines d'Abraham et qu'il accorde au chinois des droits qu'il refuse à l'anglais"!

La réalité nous force à dire clairement que le Québec français doit se donner les moyens de se consolider. Ce n'est pas parce que les antibiotiques sont néfastes lorsqu'on est en bonne santé qu'ils ne doivent pas être prescrits lorsqu'on souffre d'infection et à plus forte raison, comme à plus forte dose, lorsqu'il y a risque d'infection généralisée.

Nous sommes donc heureux de voir reconnu, par cette Charte, le français au Québec comme langue de culture. En proposant de donner un visage français au Québec, d'en redorer le paysage, le gouvernement québécois engage toute la population dans une vaste opération de décolonisation de l'intérieur.

Participer à cette entreprise collective et nationale, c'est aussi espérer que le gouvernement contrôle ce que l'on pourrait appeler le "paysage sonore" du Québec. On ne saurait nier l'importance des communications dans l'épanouissement culturel d'un peuple. Cet élément de plus en plus important dans notre environnement exerce une force d'attraction qui peut avoir des effets dévastateurs ou bénéfiques sur l'enseignement de la langue maternelle.

Pour ces raisons, la C.E.Q. est convaincue que le gouvernement québécois doit avoir le contrôle total sur ses communications et souhaite le règlement prochain d'un contentieux qui n'a duré que trop longtemps.

De la langue des relations du travail

Notre position sur la question de la langue des relations industrielles a été exprimée au Gouvernement dans le mémoire que nous lui avons soumis avec la CSN, le 28 février dernier. Rappelons simplement que nous demandions:

QUE toutes les décisions du Tribunal du travail — et des tribunaux en général, ajoutons-nous, — doivent être rendues en français, de même que les procédures officielles faites devant le Tribunal.

QUE pour être valide, une convention collective doit être écrite en français. Nous nous réjouissons des dispositions incluses à ce sujet dans la Charte de la langue française. Cela mettrait notamment fin à des situations intolérables que la C.E.Q. avait clairement dénoncées dans une lettre ouverte adressée à l'ancien premier ministre du Québec à la suite de jugements rendus en anglais alors que toutes les parties aux procès étaient francophones.

Des droits et libertés de la personne

La seule critique visant à atténuer la portée du projet de loi numéro 1 que nous retenons est celle relative à l'article 172.

Le ministre de la justice, monsieur Marc-André Bédard, déclarait le 10 mai 1977: "Une fois cet amendement (l'article 172 dans sa forme actuelle) fait, il est bien évident qu'aucune disposition de la Charte du français ne peut constituer une discrimination au sens de la Charte des droits et libertés de la personne."

L'affirmation du ministre Bédard est claire; elle est appuyée sur l'article 10 de la Charte des droits et libertés qui stipule ce qui suit: "Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l'état civil, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale ou la condition sociale.

Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit."

Dans le contexte juridique où la Charte de la langue française ne serait pas soustraite à l'application de la Charte des droits et libertés de la personne, que se passerait-il?

Il nous semble qu'on pourrait invoquer contre l'obligation de fréquenter l'école française l'article 43 de la Charte des droits et libertés de la personne: "Les personnes appartenant à des minorités ethniques ont le droit de maintenir et de faire progresser leur propre vie culturelle avec les autres membres de leur groupe." Un néo-québécois d'origine australienne pourrait s'appuyer sur l'article 10 et se prétendre victime de discrimination en regard du droit énoncé à l'article 43. On peut envisager qu'ainsi certaines dispositions de la Charte deviennent inopérantes sous des aspects fondamentaux.

Par contre, dans les articles 9 à 38, deux autres articles énoncent des droits reliés à la langue; ce sont les articles 28 et 36 qui ont une importance réelle pour les droits de la personne que nous voulons voir respecter.

Article 28: "Toute personne arrêtée ou détenue a droit d'être promptement informée, dans une langue qu'elle comprend, des motifs de son arrestation ou de sa détention."

Article 36: "Tout accusé a droit d'être assisté gratuitement d'un interprète s'il ne comprend pas la langue employée à l'audience."

Sans l'article 172 de la Charte de la langue française, évidemment leur application est assurée.

Avec l'article 172, les recours à ce sujet peuvent devenir problématiques et les résultats de contestation de ces articles sont incertains.

Nous croyons donc que ceux qui ont considéré que l'article 172 était une erreur ont eu raison. Il faudrait que la législation proposée par le Gouvernement soit beaucoup plus précise sur l'articulation entre les droits et obligations relatifs à la langue et les droits de la personne; c'est volontairement que nous évitons la distinction entre les droits collectifs et les droits individuels.

Nous demandons au Gouvernement de retirer l'article 172 du projet de loi numéro 1, ET DE PRÉCISER CLAIREMENT LES DROITS DE LA PERSONNE QUI SONT MODIFIÉS PAR LA CHARTE DU FRANÇAIS pour éviter certains abus tels ceux mentionnés ci-dessus.

CHAPITRE II LA LANGUE D'ENSEIGNEMENT

La position que nous allons défendre concernant les politiques linguistiques en éducation repose sur un certain nombre de postulats de base:

Le Québec, pris globalement, est dans sa nature profonde un pays français, fondé il y a plus de trois siècles et demi par le peuple des "habitants" de la Nouvelle-France, lequel peuple s'y est perpétué de façon continue jusqu'à nos jours; au Québec même, le français, langue nationale des Québécois, langue maternelle de 80% d'entre eux et de 86% de la population native du pays, est dominé, humilié et menacé dans son existence par une langue usurpatrice qui se trouve être à la fois la langue de la petite minorité dominante anglo-québécoise, la langue du grand Canada auquel le conquérant britannique a annexé le Québec et la langue de l'impérialisme américain de plus en plus envahissant; il arrive donc qu'au Québec, c'est la langue de la majorité qui a besoin d'une protection spéciale; tous les citoyens du Québec, quelles que soient leurs origines ethniques et leur langue maternelle, doivent être traités avec justice, comme des citoyens égaux en droits et protégés contre la discrimination; il peut s'avérer avantageux pour l'ensemble de la société québécoise que les groupes ayant comme langue maternelle une langue autre que le français puissent, s'ils le désirent, maintenir et enrichir la connaissance de cette langue; il est nécessaire toutefois que tous les Québécois, par delà leurs différences ethniques, puissent communiquer entre eux et avec les institutions nationales dans une langue commune, la langue nationale; la connaissance des langues étrangères et notamment de l'anglais sera toujours utile aux Québécois; l'apprentissage précoce des langues étrangères ne saurait être une panacée; pratiqué sans discernement et sur une base généralisée, il est susceptible de comporter des inconvénients graves aux plans pédagogique et socio-culturel; les communautés esquimaude et amérindienne ont droit à une reconnaissance spéciale en tant qu'héritières des premiers occupants du territoire et continuateurs de sociétés pré-existantes à l'actuelle société québécoise; leurs langues maternelles doivent jouir d'une protection spéciale et d'un statut officiel sur les territoires qu'elles occupent.

La première priorité dans la définition des objectifs linguistiques en éducation sera donc d'assurer à tous les Québécois une connaissance d'usage de la langue française comme langue de la vie économique et de la vie politique, comme langue des services publics ainsi que comme principale langue de l'activité scientifique et de la technique.

Au niveau des structures administratives, même si nous admettons que la Charte n'a pas à disposer de cette question, nous croyons que la carte scolaire du Québec doit être refaite dans l'optique de confier à une même administration scolaire la juridiction sur les écoles élémentaires et secondaires d'un même territoire, et d'abolir les divisions administratives fondées sur la confession religieuse et la langue, le français devenant la langue officielle et la langue de travail de toutes les administrations scolaires.

Pour ce qui est des populations nordiques, nous croyons qu'elles doivent être traitées de façon distincte. Une politique éducative originale et autonome devrait être élaborée par les autochtones du Nord québécois en fonction de leur culture propre et pour répondre à leurs besoins particuliers. Le gouvernement du Québec devrait accorder une aide technique aux autochtones dans l'élaboration et la mise en place de cette politique éducative autonome.

II appartient donc aux Esquimaux et aux Cris du Nord québécois de déterminer eux-mêmes les statuts respectifs de leur langue maternelle et du français dans les écoles.

Dans les territoires amérindiens du sud, il y aurait lieu sans doute de reconnaître aussi une large autonomie éducative, mais étant donné l'importance des contacts quotidiens à maintenir avec l'ensemble de la communauté québécoise, étant donné aussi les contacts à favoriser entre Amérindiens de langues maternelles différentes, il apparaît évident que la place du français devra y être beaucoup plus importante que dans les écoles du Grand Nord québécois. D'ailleurs, plusieurs tribus amérindiennes ont déjà adopté le français comme langue d'usage (les Montagnais, par exemple) voire même comme langue maternelle (les Hurons et les Abénakis, par exemple).

Deux questions se posent toutefois:

Est-ce que l'imposition du français comme langue seconde aux autochtones ne contribuerait pas à les isoler des autres autochtones d'Amérique du Nord avec lesquels ils ont des solidarités historiques?

Est-ce qu'une telle imposition ne les empêcherait pas de se développer en les coupant d'un réseau de relations qui leur est nécessaire au Canada et sur le plan international?

La réponse doit être donnée par les Amérindiens et les Inuit eux-mêmes puisque nous reconnaissons leur droit à l'autodétermination.

Quant à la majorité francophone, elle doit se libérer de la domination économique et psychologique de l'anglais et ramener cette langue à son statut de langue seconde (très importante sans doute) parmi d'autres langues étrangères.

Les quatre règles du jeu

Dans le but de rendre applicables les principes énoncés ci-dessus, la Centrale de l'enseignement du Québec soumet au gouvernement un train de mesures concrètes, pratiques et visant les objectifs fondamentaux de l'intégration éducative mais aussi culturelle des non-anglophones à la majorité francophone du Québec et le redressement normal à imposer aux francophones assimilés ou en voie d'assimilation.

Les mesures que nous élaborons ci-dessous doivent se concevoir comme s'étalant sur une période de dix (10) à douze (12) ans et aboutissant à la mise en place graduelle d'un véritable système scolaire public francophone et intégré, laissant place aux niveaux élémentaires et secondaire à des classes de langue anglaise, et conduisant à compter du collège et de l'université à des réseaux ou établissements exclusivement de langue française.

Compte tenu de cet objectif général et global, il nous semble important de déterminer quatre règles de base. Alors que les deux premières clarifient le statut du français et la question des structures, les deux autres établissent de façon pratique le critère permettant l'accès à l'enseignement en anglais et la forme que prendra cet enseignement. 1. Le français doit être la langue officielle du système d'enseignement et de l'administration scolaire à tous les niveaux. 2. Le système scolaire doit être unifié, de façon que disparaissent les divisions des structures administratives, tant confessionnelles que linguistiques. 3. Les enfants dont l'un des parents a fait ses études élémentaires dans une école de langue anglaise au Canada ont accès à un enseignement en langue anglaise, à la condition que les deux parents soient d'accord. Mais seuls ces enfants y auraient accès, ce qui exclut les francophones et immigrants qui sont déjà dans des écoles anglaises. 4. Cet enseignement en langue anglaise se donne dans le cadre d'écoles ou de classes homogènes, selon le nombre et la concentration des intéressés.

Les deux premières règles indiquent sans ambiguïté aucune qu'il ne doit plus y avoir deux ou plusieurs systèmes scolaires au Québec, ni même de secteur ou de réseau réservé à l'enseignement en langue anglaise. L'adoption de ces règles mettrait fin à toute forme de ghetto ou de parallélisme, que ce soit à des fins linguistiques ou confessionnelles.

La troisième règle propose un critère pratique pour déterminer ceux qui auront accès (nous ne parlons pas de "droit", mais d'état de fait) à l'enseignement en anglais. Depuis 1969, c'est là que se situe la pierre d'achoppement et nous savons tous les écueils qui ont caractérisé les diverses formules mises de l'avant.

La loi 63 (1969) avait établi la règle du "libre choix des parents", ce qui était absolument intolérable; le gouvernement U.N. de l'époque a sombré peu après.

La loi 22 a plutôt retenu le critère de "la connaissance suffisante" de l'anglais comme condition d'accès à ce secteur. Encore fallait-il mesurer cette connaissance! C'est ce que le gouvernement et les commissions scolaires ont voulu faire par l'imposition des tests, avec les résultats, les pirouettes et les contestations que l'on sait. De plus, ce critère constitue une incitation à l'ouverture de classes clandestines de langue anglaise pour les immigrants.

D'autres formules ont aussi été avancées, tel le contingentement de la croissance du secteur anglais: mais on se heurte vite à des difficultés pratiques considérables quand vient le temps d'établir les quota désirables.

En février dernier, le Conseil scolaire de l'Ile de Montréal proposait de "remplacer le critère purement pédagogique de la connaissance suffisante de la langue d'enseignement par celui de l'appartenance à la communauté anglophone" et de "confier l'application du critère à un organisme administratif indépendant des pouvoirs politiques, particulièrement des commissions scolaires, et composé de membres choisis pour leur sens exceptionnellement développé de la justice comme le sont généralement les titulaires des postes de protecteur du citoyen".

Pour sa part, le Conseil supérieur de l'Education a proposé dernièrement que les enfants de langue maternelle anglaise puissent recevoir l'enseignement en anglais si leurs parents le désirent; le C.S.E. propose ensuite de confier l'application de ce critère "non pas aux instances responsables de l'inscription scolaire, mais à une autre instance, comme celles dont relève le registre de l'état civil (ministère de la justice) ou le registre de la population (ministère des affaires sociales)".

Ces deux propositions illustrent une fois de plus les nombreuses sources d'appréhension et possibilités d'interprétation et d'arbitraire qui guettent ces diverses formules, puisque l'on sent le besoin de prévoir un mécanisme spécial, s'ajoutant aux rouages déjà connus.

Nous reconnaissons d'emblée le mérite du critère "langue maternelle anglaise", ainsi que nous l'avons affirmé dans le cadre de la position du M.Q.F., mais nous croyons que la règle 3 ci-dessus a l'avantage pratique d'être directement applicable (sans recours à des tiers) et de se rapprocher du critère de la langue maternelle ou langue d'usage. Cette règle écarte aussi le recours au recensement et aux déclarations solennelles, jugés peu dignes de confiance dans le contexte scolaire et politique actuel.

Il est à noter que cette règle 3 est formulée dans sa version la plus souple; d'aucuns pourraient chercher à la rendre plus sévère en exigeant que la scolarité des deux parents soit en anglais, ou encore en ne considérant que la scolarité faite en anglais au Québec, pour un ou les deux parents. Nous estimons qu'il faut d'abord viser à un critère sûr, objectif, mesurable et simple, et qu'il est préférable d'être plus souple au départ, mais d'être clair pour toujours.

La quatrième règle ne dispose pas de façon absolue du problème "des classes ou des écoles homogènes", parce que nous croyons que le problème se pose de façon différente selon que dans un milieu donné les francophones sont ou non majoritaires (indice de concentration) et selon les nombres à desservir. Il faudrait des données démographiques plus précises, lesquelles devront tenir compte des nouvelles structures scolaires unifiées.

Une stratégie de changement

Une fois les règles de base établies et assimilées, il faut prévoir la réalisation dans le temps de ces mesures, ce qui implique une stratégie de changement et des mesures de transition.

Le plan que nous proposons se découpe en deux périodes de 5 à 6 ans, soit à peu près le cheminement que suivrait l'élève qui entre à l'école en septembre 1977 et qui entrera au CEGEP dans environ 11 ou 12 ans. Aux yeux des plus impatients, un plan de 10 ans peut paraître indûment étiré; c'est vrai que 10 ans de temps perdu, comme les années que nous avons traversées depuis le bill 85, la loi 63, la loi 22, c'est long. Mais nous croyons que 10 ans pour réaliser le plan proposé constituent une période de temps réaliste, compte tenu des changements politiques, socio-économiques, pédagogiques, administratifs et psychologiques nécessaires; c'est pourquoi nous demandons que les propositions suivantes commencent à être réalisées à compter de l'année scolaire 1977-1978. De 1977 à 1982

Le cadre général: l'unification administrative des systèmes actuels, catholique et protestant 1. Au niveau pré-scolaire et élémentaire, l'école française pour tous sauf ceux qui ont accès à l'enseignement en langue anglaise. 2. La connaissance usuelle du français devient une condition de certification de fin d'études secondaires, pour les élèves ayant accès à l'enseignement en anglais. 3. A tous les niveaux sont organisées des classes d'accueil pour les élèves de langue maternelle autre que le français en vue d'assurer leur intégration à l'école francophone. 4. Quant à ceux qui sont actuellement dans les écoles anglaises et qui ne sont pas de véritables anglophones, on peut distinguer deux situations: les francophones et allophones possédant une connaissance d'usage du français sont réintégrés dans les écoles françaises à compter de septembre 1977; les allophones et non véritables anglophones ne possédant aucune connaissance d'usage du français sont réintégrés graduellement par le biais des classes d'accueil.

De 1983 à 1989

Le cadre général: l'intégration linguistique des établissements et réseaux existants 1. Au pré-scolaire, à l'élémentaire et au secondaire, mise en place "d'écoles de quartier", desser- vant tous les étudiants québécois, sous réserve d'assurer l'enseignement en anglais d'un certain nombre de connaissances de base à ceux qui ont accès à l'école anglaise.

2. Intégration graduelle des établissements de niveau post-secondaire (collèges et universités): rendue possible puisque tous les jeunes québécois de cet âge pourront de mieux en mieux communiquer en français.

Le rôle social et culturel de l'école

C'est par l'école qu'une nation préserve et transmet son patrimoine et assure sa cohésion. C'est en ce sens que l'école est un instrument collectif qui constitue la pierre d'assise d'une nation; d'où l'importance absolue et indiscutable que la langue nationale, premier élément du patrimoine national, soit la langue d'enseignement du système scolaire.

Tous les citoyens québécois doivent non seulement savoir le français, mais ils doivent être préparés à vivre à l'aise dans un pays où le français sera la langue principale sinon unique des structures économiques, politiques, sociales de la vie quotidienne. L'école a un rôle de premier plan à jouer pour préparer chaque enfant à vivre à l'aise dans ces structures et dans cette culture. A cette fin, l'école ne saurait apprendre seulement le français aux allophones et anglophones; ces derniers doivent apprendre des connaissances de base en langue française de manière à favoriser une meilleure intégration des non-francophones à la vie courante du Québec de l'avenir. L'école a en somme un rôle d'acculturation des non-francophones qui dépasse, tout en la complétant, la dimension linguistique. De plus, on peut dire que l'école a une fonction sociale essentielle — et vraiment fondamentale du point de vue d'une organisation syndicale— c'est de nouer des relations d'amitié, de fraternité, de solidarité entre des personnes; c'est de favoriser l'échange de vues, dans le respect de l'autonomie et des idées de chaque groupe ou personne. L'école constitue un creuset social de premier ordre, à partir duquel peut se résorber la distance sociale et culturelle qui caractérise "les deux solitudes" actuelles au Québec.

Contre la conversion de privilèges en droits

Une fois établies les règles du jeu en matière de langue d'enseignement, le pouvoir politique devra procéder avec diligence, mais dans le respect des droits des travailleurs concernés, aux changements structurels et administratifs requis.

Notre politique quant à l'accès à l'enseignement en anglais que nous qualifions de beaucoup plus rigide pour les Québécois et d'un peu plus généreuse pour les Canadiens des autres provinces, tant que le Québec fera partie de la Confédération, doit être prise dans son ensemble. C'est une politique globale que nous refusons de fractionner.

La C.E.Q. propose une politique globale s'appliquant intégralement pas plus, mais surtout pas moins, et au grand jamais tout à fait autre chose.

Nous insistons également sur la nécessité de ramener à l'école française tous ceux qui ne répondent pas au critère d'admissibilité à l'enseignement en anglais. Il ne s'agit pas là de "coercition rétroactive"; il s'agit simplement de refuser la transmission de "droits" reconnus de facto à un moment donné.

Ainsi, nous trouvons anormal et inadmissible que le petit Joseph Tremblay ou Luigi Alberto qui a passé quelque temps dans une école anglaise en vertu des loi iniques (63 et 22) adoptées par les précédents gouvernements puisse rester à l'école anglaise, voir tous ses frères et soeurs fréquenter cette école, et de plus voir tous ses descendants ainsi que ceux de ses frères et soeurs avoir accès à l'enseignement en anglais.

C'est trop. Si le gouvernement ne tient en aucune façon à agir "rétroactivement" — c'est son droit et c'est le nôtre de ne pas être d'accord — à tout le moins considérons-nous qu'il devrait être hors de question que le droit à l'enseignement en anglais se transmette aux descendants de ceux qui ont fréquenté l'école anglaise en vertu de la "reconnaissance de fait" que leur a accordée le gouvernement mais à laquelle ils n'auraient pas eu droit autrement.

Quant à nous, nous rejetons catégoriquement le principe de "l'unité des familles" à l'école anglaise. Ce critère est malsain car il s'appuie sur des principes valables mais il en tire les mauvaises conclusions.

Nous sommes en faveur de l'unification des familles, certes, mais les familles doivent être unifiées à l'école française et en français.

Outre les réserves que nous formulons quant à la question de l'accès à l'enseignement en langue anglaise, nous constatons que le choix du critère de la langue d'éducation élémentaire des parents pour déterminer l'accès à l'enseignement en anglais est conforme à notre position tout comme nous constatons avec satisfaction que le Gouvernement a retenu l'obligation que les deux parents soient d'accord pour qu'un enfant ait accès à l'enseignement en anglais, tel que le prévoit l'article 52 du projet de loi.

Par ailleurs, nous voulons également insister sur la nécessité d'unifier dans les plus brefs délais les réseaux d'enseignement catholique et protestant en un seul réseau unifié et francophone mais dispensant l'enseignement en anglais aux seuls vrais anglophones.

Cette demande est urgente et elle s'impose notamment à cause de la situation de maraudage permanent qu'effectuent les commissions scolaires protestantes contre les commissions scolaires ca-

tholiques, maraudage qui n'a d'autres fins que l'assimilation des francophones. Nous citerons deux exemples confirmant nos propos.

Le premier est de notoriété publique: à Sept-lles, 350 étudiants ont contourné la loi 22 en devenant "protestants" ou en s'inscrivant sous une "autre confessionnalité" pour fréquenter les écoles protestantes anglaises. Ces "subtilités" ont fait perdre des centaines d'étudiants aux commissions catholiques au profit des commissions scolaires protestantes. Le cas de Sept-lles est connu, il a été publicisé par les média et on en parlait encore en février dernier. Combien de dizaines de cas semblables existent-ils un peu partout au Québec?

Le second est moins connu. Il est pourtant très grave et il nous semble inadmissible que le Gouvernement ne le sache pas ou s'il le sait qu'il n'ait pas agi avec fermeté.

Nous affirmons qu'un "trafic d'immigrants" est actuellement en cours à une très vaste échelle et la "traite des enfants" a pris une ampleur toute particulière sur l'Ile de Montréal.

La méthode de "raccolage" a été testée dans le secteur Côte-des-Neiges — Outremont sur l'Ile de Montréal. Elle consiste à siphonner des écoles franco-catholiques les jeunes immigrants pour les verser au secteur protestant. Pour ce faire on demande à l'élève d'aviser son professeur du fait "qu'il retourne passer trois semaines dans son pays d'origine". Et l'on n'en entend plus parler.

C'est en réalité dans les commissions scolaires protestantes que se retrouvent ces élèves qui ne sont pas rentrés dans leur pays et que leurs professeurs ont découvert dans des conditions dignes des films d'espionnage.

De telles pratiques sont inacceptables et la C.E.Q. se croit justifiée de demander une enquête publique sur les agissements de ces commissions scolaires.

CHAPITRE III

ENSEIGNEMENT DES LANGUES N'EST PAS LANGUE D'ENSEIGNEMENT

Si la Centrale de l'enseignement du Québec a décidé de consacrer un chapitre entier de son mémoire sur la Charte du français au Québec à la confusion que d'aucuns tentent de faire délibérément entre deux questions fort distinctes, langue d'enseignement et enseignement des langues, c'est que la situation actuelle a atteint un niveau alarmant sans précédent.

La paranoïa collective qui s'est emparée de diverses commissions scolaires tant catholiques que protestantes, où des irresponsables tentent d'assimiler les Québécois sous prétexte d'enseigner adéquatement la langue seconde doit être catégoriquement dénoncée; la C.E.Q. veut mettre en garde le Gouvernement contre toute action en ce sens qui provoquera, nous le prédisons, des réactions violentes. Expliquons-nous.

A la fin de mai, le Consiglio Italo-Canadese soulignait publiquement que certains des membres de la communauté italienne qu'il représente n'auraient pas d'objection à fréquenter l'école française à condition qu'il y soit dispensé un bon enseignement de l'anglais.

Sur ce terrain, la C.E.Q. tient à jouer cartes sur table: au Québec, la langue officielle c'est le français. L'anglais est une langue seconde et il doit être enseigné comme tel à l'école française. Nous refusons de comparer l'enseignement du français dans les écoles anglaises à celui de l'anglais dans les écoles françaises: accepter de jouer ce jeu équivaudrait à placer les deux langues sur un pied d'égalité, ce qui est totalement inacceptable.

Des manoeuvres inadmissibles

Or, au mois de mars dernier, un Comité du Conseil scolaire de l'Ile de Montréal recevait un rapport de prétendus experts intitulé "L'enseignement des langues secondes". Ce rapport qui serait resté secret, n'eut été de la C.E.Q. qui l'a rendu public au début de juin, proposait des "solutions" qui relèvent bien plus d'une improvisation dangereuse que de l'enseignement des langues secondes.

Ce comité demandait notamment que les commissions scolaires soient libres d'utiliser les méthodes et les moyens qu'elles veulent pour enseigner l'anglais et que l'Etat québécois n'ait surtout pas un mot à dire sur cette question. En un mot, il proposait le retour au libre choix du bill 63.

Il donnait à titre d'exemples à suivre les réalisations de certaines commissions scolaires pour enseigner l'anglais aux francophones ou le français aux anglophones, notamment "l'immersion totale", "l'immersion partielle", "l'enseignement intensif" (a.m. en français, p.m. en anglais) et autres formules tout aussi discutables.

A la C.E.Q., c'est clair, toutes les manoeuvres, toutes les supercheries qui, sous prétexte d'enseigner adéquatement l'anglais, transforment les écoles françaises en écoles anglaises, constituent des actes pédagogiquement néfastes et du point de vue national, des trahisons. Le rapport du Conseil scolaire ne daigne même pas mentionner l'expérience des classes d'accueil, pas plus que l'expérience

d'accueil et d'enseignement intensif de la langue seconde à la fin de l'élémentaire et au début du secondaire entreprise à la Commission scolaire des Milles-Iles et dont nous parlerons plus loin. D'autant plus qu'une recherche sérieuse d'une commission scolaire de la région de Montréal a démontré que 68% des étudiants qui fréquentent les classes anglaises d'enfance inadaptée et les classes anglaises du professionnel court sont des francophones qui ont choisi d'étudier à l'école anglaise en vertu des bills 63 et 22.

Il est grand temps de débâtir le mythe relatif à la méthode d'enseignement dite "d'immersion" pratiquée sur près de 22 000 élèves dans les écoles protestantes et anglo-catholiques, système qui, transposé dans le secteur francophone, permettrait aux Québécois francophones d'apprendre l'anglais en recevant tout leur enseignement ou la majeure partie (60 à 80%) de cet enseignement en anglais.

Quand nous parlons de retour de fait au libre choix de la langue d'enseignement, nous n'exagérons nullement. Avec le système — auquel les autorités du ministère de l'Education semblent avoir donné leur accord notamment à la Commission scolaire Baldwin-Cartier où il porte le nom de "cours intensifs"— il suffit que les parents décident que leur enfant étudie l'anglais par la méthode dite d'immersion pour que celui-ci se retrouve l'année suivante dans une école sans doute française mais où la quasi-totalité de l'enseignement est dispensé en anglais.

Nous avons parlé ci-dessus d'un certain nombre de rapports que nous reprenons à présent dans leurs grandes lignes. 1. Le rapport au Conseil scolaire de l'Ile de Montréal

Dans ce document de soixante-deux (62) pages, daté de mars 1977, un Comité de travail du Comité métropolitain des directeurs généraux suggérait très fortement à toutes les commissions scolaires de l'Ile de Montréal une politique d'anarchie institutionalisée pour l'enseignement de l'anglais dans les écoles françaises.

Ce que nous appelons anarchie institutionalisée, c'est la liberté totale et absolue pour toutes les commissions scolaires d'utiliser la méthode qu'elles veulent pourvu qu'en fin de compte les étudiants fréquentant les écoles françaises finissent par parler l'anglais. Par la méthode qu'elles veulent — et a n'importe quel prix, ajoutons-nous.

Notons, avant de présenter ces diverses méthodes, que pour les auteurs du document: "Les francophones sont eux-mêmes des nord-américains et en ce sens, leur culture (...) participe à la CULTURE ANGLO-AMÉRICAINE". (1)

Ainsi donc, la culture française québécoise participerait à la culture anglo-américaine (ils n'ont pas écrit nord-américaine).

Inutile de préciser très longuement que la Centrale de l'enseignement du Québec s'inscrit totalement en faux contre une telle prétention qui ne peut être l'oeuvre que de personnes qui sont bien loin de la réalité québécoise. Que nous soyons nord-américains, certes. Mais affirmer que la culture québécoise est partie de la culture anglo-américaine, c'est s'avouer assimilateur dans le sens le plus abject du terme. On ne nous reconnaît même plus le droit d'être des franco-américains.

Par ailleurs, les auteurs du rapport rappellent et adoptent la théorie farfelue soutenue à l'époque par le ministre Cloutier, à savoir que "les Québécois anglophones jouissent d'un avantage naturel indéniable", et ils poursuivent "l'Etat doit mettre à la disposition des citoyens non anglophones les moyens nécessaires pour égaliser les chances. Agir autrement, c'est vouloir que la division linguistique du marché du travail perdure".

Cette théorie — selon laquelle il faut absolument que "tous les francophones parlent l'anglais sinon les anglophones qui deviennent bilingues vont avoir l'avantage sur nous" — n'est nullement scientifique, au contraire.

Voilà des années que l'on assiste à l'un des lavages de cerveaux collectifs les plus orchestrés qui soient. Il va falloir qu'à un moment donné les choses soient dites clairement, et qu'à la suite de la C.E.Q., le Gouvernement du Québec prenne à sa charge une campagne d'information systématique à la population pour détruire à tout jamais ce genre de mythes savamment entretenus.

La réalité que nous disons et que nous crions bien fort aujourd'hui, c'est que bilingue ou pas le Québécois francophone n'a nullement accès à de meilleurs revenus. Au Québec en 1977 le bilinguisme n'est payant pour personne ni pour les anglophones et encore moins pour les francophones.

Cette affirmation n'est pas de nous, elle provient de trois sources distinctes à la suite des études les plus récentes: l'Université de Montréal, l'Université de l'Etat de New-York et le Conseil économique du Canada. Ces trois études constatent que les francophones même bilingues gagnent moins que les anglophones unilingues et que le bilinguisme n'est même pas rentable pour les anglophones.

L'analyse du Conseil économique du Canada que le député libéral d'Outremont ne contestera sûrement pas puisqu'il y a collaboré, montre que les Québécois francophones sont à l'avant-dernier rang dans l'échelle des revenus parmi la dizaine de groupes ethniques analysés.

(1) Les soulignés sont de nous.

Celle de l'Université de Montréal souligne que "le travailleur francophone est toujours le plus défavorisé quelle que soit son occupation, et même s'il devient bilingue, il ne parvient pas à rejoindre l'anglophone unilingue ou bilingue".

Celle réalisée par Calvin V. Weltman, directeur du Département de sociologie de l'Université de l'Etat de New-York, arrive aux mêmes résultats.

Il n'y a donc aucun lien de cause à effet entre le bilinguisme et l'échelle des revenus. Ce sont des choses qu'il va falloir dire à la population du Québec, elle qui s'imagine encore trop aisément que le bilinguisme est la solution à tous ses maux...!

Ceci étant dit, nous revenons aux "solutions-miracles" des prétendus experts du Conseil scolaire de l'Ile de Montréal pour "bilinguiser les Québécois".

Pour permettre aux commissions scolaires de mettre sur pied des organisations qui tiennent compte "des besoins et des goûts variés d'une clientèle diversifiée" (libre choix déguisé), pour mettre "les écoles, les maîtres, les directions et les parents eux-mêmes en saine concurrence les unes avec les autres" (sic), la panoplie de moyens pour enseigner l'anglais est la suivante:

Immersion totale pour les francophones "L'élève demeure inscrit à la commission scolaire francophone" (pour contourner le projet de loi no. 1). Il est inscrit dans une classe anglaise pour un, deux ou trois ans au maximum puis il réintègre les classes francophones de sa commission scolaire".

Le tout à compter du 2e cycle de l'élémentaire.

Immersion partielle "Toujours à compter du 2e cycle de l'élémentaire, le francophone s'inscrit dans une classe d'immersion anglaise, dans une école française ou anglaise".

Et toujours pour contourner la Charte du français on précise que "cet élève demeure sous le contrôle de la section française de sa commission".

Enseignement intensif "L'enseignement de l'anglais à l'horaire est complété par l'enseignement d'une ou de plusieurs disciplines en langue anglaise". A compter du 2e cycle de l'élémentaire on préconise "la classe bilingue: a.m. en français, p.m. en anglais".

Ce rapport ne mentionne cependant pas les classes d'accueil "qu'il faut réévaluer", se contente-t-on d'admettre, ni les expériences tentées à la Commission scolaire des Mille-Iles. Le Conseil scolaire de l'Ile a beau se défendre en disant que le rapport dont nous parlons a été "mis sur la glace" pour un certain temps, il n'en reste pas moins qu'il décrit la situation existante et que le président du C.S.I.M. a réitéré son attachement à la formule de l'immersion! 2. Le rapport de la Commission scolaire des Mille-Iles

Le rapport rendu public en février dernier par la Commission scolaire des Mille-Iles (1) était lourd de conséquences pour nos pédagogues de pointe et défenseurs absolus de la méthode d'immersion dite "méthode Wallace Lambert" du nom du professeur de l'Université McGill qui a évalué le système utilisé au PSBGM, au Lakeshore et dans la plupart des commissions scolaires protestantes pour l'enseignement du français langue seconde, méthode soit dit en passant, que de plus en plus de commissions scolaires, telle Baldwin-Cartier, tentent d'imiter pour enseigner l'anglais aux francophones comme nous l'avons vu plus tôt.

Le rapport de la Commission scolaire des Mille-Iles démontrait — à partir d'un échantillon réduit, certes, mais pas plus réduit que celui de Wallace Lambert — que la comparaison scientifique des résultats de deux groupes d'enfants, l'un étudiant la langue seconde à partir du système d'immersion de type Lambert, l'autre à partir de la méthode utilisée pour les immigrants dans les classes d'accueil, était sans l'ombre d'un doute à l'avantage du seoond groupe tant au plan de la compréhension qu'en ce qui concerne l'expression et la lecture. Il est également apparu que les enfants du second groupe utilisaient un appareil syntaxique mieux structuré qui leur a permis de réussir des phrases simples dont le sens et la forme appartiennent au français, alors que les élèves des classes d'immersion de type Lambert n'en maîtrisaient pas encore les mécanismes élémentaires. A titre d'exemple, nous livrons un certain nombre de résultats chiffrés:

(1) Use Billy et al, 28 octobre 1976, C.S.M.I.

Référer à la version PDF page CLF-462

Les chiffres sont à ce point éloquents à ce sujet que tout commentaire est superflu.

Quant au test de performance verbale des enfants en juin 1976, il montrait les résultats suivants:

Pour le "groupe Immersion": 15 élèves/19 avaient des notes inférieures à 60% dont 11 élèves inférieurs à 50% et 2 au-delà de 90%.

Pour le groupe Mille-Iles: 9 élèves/15 ont obtenu des notes supérieures à 90% dont 7 à 100% et 2 élèves seulement à moins de 60%.

Par ailleurs, le second groupe (type accueil) était beaucoup plus spontané et dégagé que le premier (type Lambert).

Une conclusion de cette étude nous apparaît fondamentale: ce n'est pas l'apprentissage des matières scolaires dans une langue seconde qui permet nécessairement d'acquérir la maîtrise de cette langue mais plutôt un apprentissage systématique adapté à l'enfant dans un laps de temps relativement court.

La situation de l'enseignement de l'anglais au Québec pose de manière concrète le problème du conflit entre langue et culture. Nous avons souligné les torts que peut causer l'immersion totale ou partielle et nous appuyons cette affirmation par les propos de John Downing de l'Université de Victoria (C.B.). Celui-ci a, en effet, indiqué:

"La compréhension intellectuelle des rapports logiques entre la langue parlée et la langue écrite risque de ne jamais s'accroître chez l'enfant si sa capacité d'organiser des données contradictoires est mise en péril par un des trois conflits possibles dont le premier est un conflit entre L1 et L2 (première langue et langue seconde): par exemple, la L1 de l'enfant est l'allemand mais le professeur enseigne dans une autre langue, L2, le français".

Le projet de loi no, 1 ne prévoit aucune mesure de contrôle de la langue d'enseignement. Nous avons démontré qu'en certaines commissions scolaires des écoles françaises n'ont de français que le nom et que nous sommes de fait ramenés au libre choix du bill 63.

Nous demandons donc au Gouvernement d'établir clairement dans la Charte du français un article lui permettant de contrôler avec grande précision la langue d'enseignement des élèves et lui permettant de faire en sorte que les écoles françaises demeurent des écoles françaises.

CHAPITRE IV

L'ENSEIGNEMENT DES LANGUES

Eclairage général

L'enseignement des langues étrangères (c'est-à-dire de toute langue, autre que la langue nationale, qui n'est pas la langue maternelle des élèves) devrait d'une façon générale ne débuter qu'au niveau secondaire. Etant donné l'importance mondiale de l'anglais et notre environnement nord-américain, une place importante sera donnée à l'anglais comme langue seconde enseignée dans les écoles françaises du Québec. Cependant, il faut cesser de considérer l'anglais comme la langue seconde obligatoire de tous les Québécois. Il faut introduire une certaine diversification dans les options de langues étrangères offertes aux élèves (étant entendu que l'anglais doit être offert partout). D'autres grandes langues doivent permettre aux Québécois de s'ouvrir sur le monde.

Il est peut-être bon de rappeler que l'Acte final de la conférence d'Helsinki contient des recommandations qui vont dans le sens de ce que nous préconisons ici et auxquelles le Canada, des Etats-Unis, la France et tous les autres participants ont adhéré. En voici quelques extraits: "...stimuler (...) la diversification du choix des langues enseignées aux différents niveaux, en prenant dûment en considération les langues moins répandues ou moins étudiées, et en particulier: favoriser l'extension de l'étude des langues étrangères dans les différentes catégories d'établissement d'enseignement secondaire ainsi que de plus larges possibilités de choix entre un nombre accru de langues européennes; favoriser, dans l'enseignement supérieur, un plus large choix des langues offertes aux étudiants en langues et pour les autres étudiants de plus larges possibilités d'étudier diverses langues étrangères; faciliter aussi, là où cela est désirable, l'organisation de cours de langues et civilisations, si besoin est sur la base d'arrangements particuliers, donnés par des lecteurs étrangers, provenant notamment de pays européens dont la langue est moins répandue ou moins étudiée...

Chez nous, surtout pour les francophones le bilinguisme individuel semble ne pouvoir signifier que l'aptitude à parler le français et l'anglais. Ailleurs dans le monde et ailleurs au Canada, il n'en est pas ainsi. Il faut cesser de penser que ce sont les "Canadiens" qui ont tort de ne pas réserver l'exclusivité du français dans l'apprentissage des langues étrangères. A nous de diversifier également nos orientations à mesure que nous sentons le besoin de nous donner des fenêtres sur le monde.

Qu'il y ait un grand nombre d'individus bilingues au sein d'une population est un enrichissement pour toute la collectivité, à condition que tous les individus bilingues puissent se reconnaître et communiquer dans une langue commune. Mais ce bilinguisme sera d'autant plus riche et profitable qu'il sera diversifié, c'est-à-dire que la deuxième langue de chacun ne sera pas la même pour tous.

Aussi, nous considérons que la connaissance des langues étrangères et notamment de l'anglais sera toujours utile aux Québécois. Il faut cependant que l'anglais perde chez nous ce privilège exorbitant d'être une langue indispensable pour la vie économique interne du Québec.

De plus, l'apprentissage précocedes langues étrangères ne saurait être une panacée; pratiqué sans discernement et sur une base généralisée pour une population dont la langue a un caractère récessif à l'échelle du continent nord-américain, il est susceptible de comporter des inconvénients graves aux plans pédagogique et socio-culturel.

En conséquence, la C.E.Q. a déjà demandé, lors du bill 22, la suppression de l'enseignement de l'anglais à l'élémentaire, parce qu'il est inutile et possiblement nuisible; en retour, nous demandons que l'anglais s'enseigne de la façon la plus compétente possible au secondaire, à côté d'un certain nombre d'autres langues étrangères rendues disponibles.

Par ailleurs, nous sommes entièrement d'accord avec ceux qui souhaitent un enseignement des langues étrangères qui soit de la plus haute qualité. A cette fin, nous sommes prêts à élaborer des moyens qui permettront d'atteindre cet objectif, notamment en ce qui a trait:

à la formation des enseignants aux méthodes pédagogiques les plus appropriées en fonction des divers milieux socio-économiques à la structuration des programmes qui permettront un apprentissage actif des langues étrangères.

C'est donc dans cet éclairage que nous aborderons l'enseignement des langues, sous les quatre angles suivants:

L'enseignement de la langue officielle dans les écoles françaises. L'enseignement de la langue officielle dans les écoles anglaises. L'enseignement de la langue officielle aux immigrants et allophones. L'enseignement de l'anglais dans les écoles françaises.

1. L'enseignement du français dans les écoles françaises Le cadre socio-politique de l'enseignement du français au Québec

La C.E.Q. trouve que la Charte constitue le fondement politique préalable à toute réorganisation de l'enseignement du français au Québec. La Charte s'appuie sur la conscience civique des Québécois et fournit aujourd'hui à ceux-ci l'occasion de reconnaître et de prendre leurs responsabilités face à la langue du Québec. Nous sommes heureux de voir reconnu, par cette Charte, le français au Québec comme langue de culture. En proposant de donner un visage français au Québec, d'en redorer le paysage, le gouvernement québécois engage toute la population dans une vaste opération de décolonisation de l'intérieur.

Avec la mise en application de la Charte, le Québec pourra enfin devenir un pôle important de la francophonie et ce, au même titre que les autres nations d'expression française au monde. C'est tout le contraire d'un repliement sur soi dans un esprit de ghetto. Par l'affirmation enfin posée sans équivoque de son identité, le Québec s'ouvre à une communication réelle avec le monde extérieur.

La question du français au Québec — son mode d'existence et de manifestation — doit être abordée de façon à délivrer les Québécois d'un certain complexe de culpabilité qui s'est développé historiquement. Coupables de parler français d'abord, bien des Québécois ont été amenés ensuite à se sentir coupables de mal parler français. Il est temps, croyons-nous de nous débarrasser de cette attitude malsaine en acceptant une conception scientifique des variations linguistiques.

L'école d'une part et la société québécoise dans son ensemble, d'autre part, doivent être sensibilisées au fait, bien connu en linguistique, que les langues sont normalement sujettes à variations selon des paramètres divers dont les plus importants pour les effets pratiques sont la dimension géograhique et la dimension sociale. Du premier point de vue, il faut reconnaître que toute langue qui s'étend sur un domaine géographique vaste tend normalement à présenter des variétés différentes selon les pays et selon les continents. Il n'est donc pas étonnant que les habitants du Québec parlent une variété particulière de français. Ce qui est anormal et profondément irréaliste, c'est de vouloir amener massivement les Québécois à se conformer dans leurs habitudes linguistiques à un modèle de référence qui leur est étranger. Bien au contraire, une politique de francisation du Québec devrait avoir pour but non seulement d'amener les Québécois à trouver normal qu'ils puissent s'exprimer en français dans leurs communications vitales, mais aussi qu'ils puissent s'exprimer sans complexe dans LEUR français. Pour que la francisation soit vraiment profonde et massive, il faut que le français soit perçu comme la langue propre et non comme la langue DE L'AUTRE.

La fonction primordiale de la langue est sans doute de permettre la communication entre les hommes. Mais la langue assume aussi une fonction d'identité et dans les moments cruciaux de la vie d'un individu ou d'un peuple, cette fonction d'identification peut occuper une place prépondérante. La notion de français international, quand elle est associée à un petit groupe d'annonceurs de Radio-Canada ou quand elle sert d'euphémisme pour désigner le français de Paris, est loin de contribuer à cette identification fondamentale et nécessaire entre un peuple et sa langue. Faute de pouvoir se reconnaître dans un modèle proposé, l'on court le risque de voir rejetés et le modèle et la langue elle-même. En revanche, la notion plus récente et plus large de français standard nous paraît éminemment productive et dynamique en ceci qu'elle permet à tous les locuteurs d'actualiser une certaine idée qu'ils se font du français commun. Le français standard pourrait se définir comme le language parlé dans tout le Québec et compris par les francophones du monde entier.

Du point de vue de la dimension sociale, il faut reconnaître que dans toute société complexe la langue apparaît non pas comme un système unique et homogène mais plutôt comme un ensemble de variétés déterminées par l'appartenance des individus à diverses classes sociales et par la participation à différentes situations de communication. L'existence d'une variété "populaire" de la langue est donc un fait aussi normal et aussi répandu que l'existence d'une variété dite "cultivée". Il n'y a pas lieu de faire un drame de l'existence d'une langue populaire au Québec, pas plus qu'il n'y a lieu de faire une apologie ni de vouloir l'élever au rang de modèle pour l'ensemble des situations de communication.

L'enseignement du français dans le cadre de l'école

Au Québec, comme ailleurs, l'école demeure l'un des milieux privilégiés de l'acquisition du savoir, des connaissances générales et spécialisées. Ici, cette institution a été, depuis les années 60, l'objet de réformes qui, il faut le dire, ont surtout servi les intérêts des "maîtres du béton" et des "profiteurs" de la gadgétisation". Au-delà de l'acquis incontestable que représente l'accessibilité généralisée aux institutions d'enseignement, la vraie réforme reste à faire. Elle peut débuter aujourd'hui par la reconnaissance officielle de l'école comme milieu prioritaire d'épanouissement de la réalité québécoise et d'affirmation de notre identité culturelle et permettre également une véritable démocratisation.

Même s'il semble élémentaire de le dire, il faut se rendre à l'évidence que ce n'est pas seulement à des professeurs de français que revient la tâche d'enseigner le français à l'école, mais bien à tous les enseignants. Il faut que le français cesse d'être enseigné comme s'il s'agissait seulement d'une discipline de plus à apprendre, à côté de la chimie, de l'anglais, des mathématiques ou de l'histoire. Le français s'apprend à travers toutes les disciplines.

Si l'école québécoise poursuit comme objectif de mettre de l'avant une éducation vraiment nationale, il serait opportun d'exiger une connaissance de la langue intimement liée à l'histoire et à la géographie nationales de même qu'à la connaissance et à la promotion de la littérature du peuple québécois et de l'éducation économique. C'est ainsi que, par exemple, l'on pourrait développer l'idée d'un tronc commun de formation générale et nationale à mettre sur pied au premier cycle du secondaire.

L'enseignement du français en classe: Un changement est nécessaire

II y a lieu d'intervenir vigoureusement pour obtenir les moyens d'améliorer l'enseignement du français. Cependant, il faudra savoir amorcer ce changement et intervenir de manière à ne pas favoriser à moyen terme les forces de la réaction.

Il faut reconnaître que le MEQ a manqué dans le passé des compétences sociologiques nécessaires pour prévoir et évaluer l'impact que pouvaient avoir sur l'école des politiques de changement trop peu respectueuses des personnes visées par ces changements: enseignants, parents et élèves.

Tout changement radical imposé à une catégorie de personnes constitue une forme de violence exercée sur ces personnes. Cela est particulièrement vrai pour les travailleurs de l'enseignement. Le métier d'enseignant a ceci de particulier qu'il met profondément en jeu la personnalité même de l'enseignant: on ne peut agir sur la pratique pédagogique sans agir du même coup sur la personne.

La C.E.Q. considère qu'il faut assurer aux enseignants non seulement les conditions matérielles mais aussi les conditions psychologiques nécessaires à l'épanouissement au travail. Cela suppose premièrement que les changements jugés indispensables ne seront plus imposés par la force et, de plus, qu'il seront accompagnés dès le départ de toutes les mesures de soutien adéquates.

Un exemple à ne pas suivre

Sans vouloir faire ici le procès des programmes-cadres, il nous paraît important de relever les deux principales critiques auxquelles ils ont donné prise.

Tout d'abord ces programmes, tels qu'ils ont été véhiculés, ont encouragé des prises de position passionnées qui revenaient trop souvent à condamner, voire à rejeter de la profession, les enseignants qui n'adhéraient pas à "l'esprit du programme-cadre". Or, vouloir agir directement, avec la contrainte de l'emploi, sur les motivations individuelles constitue pour nous une forme de violence psychologique qui dépasse de loin la simple propagande et qui est inacceptable de la part d'un employeur, fut-il l'employeur-Etat.

En second lieu, il faut reconnaître que si les programmes-cadres ont permis quelques réussites remarquables, ils ont le plus souvent eu pour conséquence de remplacer les "programmes-catalogues" du MEQ par des "programmes-catalogues" régionaux; ou bien à l'opposé nous avons abouti à une absence totale de programme. Il faut être bien naïf pour voir là un progrès. Pire, en raison de quelques excès d'interprétation, fort marginaux mais habilement dramatisés par la presse, les programmes-cadres ont contribué à ancrer dans l'opinion publique que "les enseignants faisaient de tout sauf du français". En fin de compte, c'est l'école publique et ses enseignants qui ont fait les frais de l'opération programmes-cadres.

Pour de nouveaux programmes

Nous savons tous qu'un coup de barre est nécessaire. Il est temps d'offrir aux enseignants de français, à l'élémentaire et au secondaire, un vrai programme national précisant les contenus minima spécifiques à la classe de français. Ces programmes pourraient être accompagnés d'indications méthodologiques, présentées comme facultatives et qui amèneraient l'enseignant à saisir le bien-fondé des objectifs qui lui sont suggérés et la façon de les atteindre.

Les nouveaux programmes devraient revaloriser la fonction de l'écrit à tous les niveaux. Parce qu'il est un des moyens les plus perfectionnés que l'homme ait inventés pour objectiver sa pensée et en

contrôler constamment la rigueur et la qualité d'élaboration, la maîtrise de l'écrit reste un puissant facteur de formation personnelle et ne devrait pas être réservée à quelques privilégiés. L'apprentissage de l'écrit, de par ses difficultés et la complexité des opérations qu'il met en jeu, devrait s'étaler sur toute la durée de la scolarité. Les exercices de grammaire et d'orthographe, s'ils peuvent avoir des effets positifs sur certains aspects limités de l'apprentissage de l'écrit, ne sauraient remplacer les activités d'écriture proprement dite. C'est en écrivant souvent et en discutant de ce qu'il a écrit avec ses enseignants et ses camarades que le jeune Québécois intégrera l'écrit comme outil de communication et support de la pensée.

Toutefois, le professeur de français ne réussira pas à valoriser l'écrit, surtout au secondaire, s'il n'est pas appuyé par l'ensemble de ses collègues. La plupart des disciplines devraient être l'occasion pour l'élève de formuler par écrit ses démarches intellectuelles: rapports de laboratoire, formulation d'hypothèses, de lois, d'observations, etc..

Une telle revalorisation de l'écrit n'implique pas pour autant l'élimination de l'oral.

L'oral est d'abord le moyen pour l'enfant d'entrer en communication avec ses camarades: il est donc un puissant facteur de socialisation, particulièrement en maternelle et dans les débuts de l'élémentaire. C'est aussi par la parole que l'enfant entre en contact avec son professeur et prend connaissance de l'organisation de la vie scolaire.

Pour ces raisons, l'enseignant de l'élémentaire n'a pas d'autre choix que d'accueillir le langage de l'enfant, tel quel. Rejeter ce langage ou vouloir le corriger sans cesse, ce qui revient au même, équivaut en fait à rejeter l'enfant lui-même.

En revanche, l'expérience linguistique de l'enfant, dûment valorisée, constitue le roc solide sur lequel doit s'édifier tout le répertoire linguistique nouveau que l'école a pour tâche d'enseigner. Toute autre démarche semble vouée à l'échec. Condamner le langage de l'enfant en le qualifiant d'incorrect, voire d'abâtardi, et exiger systématiquement un autre comportement linguistique déclaré "correct" ou "pur" risque de bloquer toute capacité d'expression de l'enfant et de prolonger ce sentiment tenace de culpabilité collective. L'enfant normal aime parler et s'exprimer, mais à coup d'interdits et de sanctions l'école risquerait de le rendre muet.

En opposition à une pédagogie de la correction, axée exclusivement sur le "ne dites pas, mais dites", nous croyons plutôt à une pédagogie de l'oral qui intégrerait les postulats suivants: 1. L'enfant qui arrive à l'école sait déjà parler. Assez, en tout cas, pour communiquer dans le circuit restreint que constituent sa famille et ses camarades. Le rôle de l'école sera d'amener progressivement l'enfant à utiliser des circuits de communication de plus en plus larges au fur et à mesure qu'il avance en âge et qu'il s'intègre à la vie collective. 2. L'enfant ne sera apte à passer à un circuit de communication plus large qu'après avoir pu en intérioriser le modèle, souvent inconsciemment, pendant une certaine période de contact avec lui. Le genre de langage parlé à la télévision, particulièrement dans les émissions pour enfants joue un rôle de première importance. 3. De par l'environnement multidialectal auquel il est soumis (de Symphorien à Bobino par exemple), l'enfant acquiert très jeune un sens aigu des variations linguistiques liées à la situation de communication ou au jeu de rôles dans lequel il se trouve placé. 4. L'enfant oppose assez peu de résistance à des interventions sur le plan lexical, davantage aux interventions d'ordre morpho-syntaxique et beaucoup plus à celles d'ordre phonétique.

Nous croyons qu'il faudrait tenir compte de ces postulats dans l'élaboration des objectifs et dans la didactique proposée pour l'enseignement du français à l'élémentaire. Au secondaire, la pertinence même d'un enseignement systématique de l'oral nous semble devoir être repensée en profondeur.

Quel français enseigner?

On a vu qu'il fallait considérer l'apprentissage de la langue comme un élargissement progressif du répertoire verbal de l'enfant. Cet élargissement sera fonction du développement réel des enfants et de l'évolution de leurs rapports sociaux et ne pourra pas aller à l'encontre des autres tendances en jeu, notamment le besoin constant d'identification et d'appartenance. Ne pas respecter ce jeu subtil entre le but visé et le vécu actuel risque de conduire à un enseignement linguistique schizophrène ou l'élève est partagé entre une norme fictive, faite de règle de grammaire et d'exigence de prononciation "radioca-nadienne", alors que le modèle fourni par ses concitoyens — y compris son professeur — ne correspond pas à cet idéal qu'on exige de lui. A ce propos, il ne faudrait plus retomber dans l'erreur du programme-cadre qui demandait explicitement aux enseignants de corriger la prononciation du jeune Québécois pour qu'elle se confonde avec celle d'un annonceur bien côté pour son français dit international.

La langue formelle enseignée à l'école sera celle qui permettra à un nombre de plus en plus grand de Québécois d'assumer un rôle actif dans les échanges culturels, administratifs, commerciaux, aussi bien au niveau national qu'international, sans complexe et avec leur identité propre. La notion de français standard, évoquée ci-dessus, peut ici jouer un rôle particulièrement dynamique.

Le Québec est appelé à devenir une grande nation qui peut contribuer au développement international par un apport riche et original. L'école se doit de préparer les jeunes Québécois pour ces nouvelles tâches, notamment en perfectionnant leur capacité d'expression et de communication. Ceci implique que les Québécois puissent s'exprimer partout en français, dans le français du Québec, à son niveau d'efficacité le plus élevé.

Et la littérature?

L'enseignement du français devra aussi faire une place à la littérature. Très tôt, dès la maternelle et les débuts de l'élémentaire, l'enfant réagit au conte, à la poésie et aux aspects ludiques du langage. Cette fonction du langage, même si elle est souvent vue comme marginale, constitue une des dimensions nécessaires de l'enseignement de la langue et ne devrait jamais être sacrifiée à d'autres activités apparemment plus rentables.

L'enfant qui a pu entrer en contact avec l'oeuvre littéraire devrait aussi être mis en situation de produire des textes de création. L'enseignement de la littérature ne devrait pas retomber dans les erreurs de l'histoire littéraire ni être ravalé à une simple étude de thèmes comme le suggérait le programme-cadre. Apprendre à lire ou à écrire, ce n'est pas apprendre le thème des sports ou de l'amitié!

Il faudra également faire une place réelle à la littérature québécoise. La littérature est un moyen privilégié d'entrer en contact avec un univers particulier. Pour cette raison, il faudrait prendre conscience du rôle que peut jouer la littérature québécoise dans la prise de possession de son temps et de son espace, réel et imaginaire, qui débouche nécessairement sur le monde.

Les conditions matérielles

Actuellement, le fouillis le plus intégral règne au plan des manuels. Des ouvrages désuets sont réédités, sous une couverture nouvelle ou découpée en "tranches". De plus, l'interdit qui pèse en certains endroits sur le manuel (décrit comme un instrument honteux) ou l'absence de matériel adapté oblige bien souvent les enseignants à élaborer complètement leur matériel didactique à grand renfort de polycopie. La C.E.Q. suggère au MEQ la mise sur pied de coopératives de création pédagogique, ce qui permettrait à des groupes d'enseignants de publier et d'acheter à bas prix les instruments didactiques adéquats.

Aux niveaux secondaire et collégial, il serait temps d'intervenir dans le problème de la photocopie des oeuvres littéraires. Il serait peut-être plus légitime de faire vivre nos auteurs et nos créateurs plutôt que les multinationales de la photocopie.

Il faudrait également se préoccuper de faire entrer davantage le livre québécois dans les bibliothèques scolaires. Les contraintes imposées à l'expansion du livre sont d'autant moins acceptables que des sommes fabuleuses ont été englouties dans la "gadgétisation" de l'enseignement du français. Avec le plan Cloutier, on a monté précipitamment et à grands frais des dizaines d'ateliers de français dont beaucoup ont d'ailleurs fermé leurs portes moins d'un an après leur installation. Ces faits sont d'autant plus scandaleux que beaucoup d'écoles élémentaires n'ont même pas de bibliothèque. La C.E.Q. dénonce cette politique systématique d'aventurisme pédagogique qui relève plus du gaspillage des ressources et des énergies humaines que d'une saine gestion.

Mais le problème du libre n'est pas seulement un problème scolaire. Nous pensons que le gouvernement devrait élaborer, dans les plus brefs délais, une politique d'édition et de diffusion afin de rendre le livre réellement accessible à tous les Québécois à travers tout le Québec.

Enfin, les enseignants sont en droit d'exiger que les examens de fin d'année imposés par le MEQ soient cohérents avec les programmes en vigueur. Plus globalement, la C.E.Q. juge inacceptable que les tests de langue servent à des fins de classement des étudiants. L'évaluation doit essentiellement viser à améliorer la qualité de l'enseignement par le dépistage plutôt que de servir à des opérations de sélection.

Pour une politique d'utilisation des ressources humaines

Depuis septembre 1975, les enseignants de français à l'élémentaire et au secondaire ont la possibilité de s'inscrire à un programme de perfectionnement des maîtres en français (P.P.M.F.). Ces programmes, jusqu'à nouvel ordre, sont offerts par les universités de Montréal, Laval, Sherbrooke et les constituantes de l'Université du Québec.

La C.E.Q. est très sensible au fait que la qualité de l'enseignement du français repose en partie sur les enseignants. Le perfectionnement constitue un apport formel important dans l'accomplissement de cette tâche. C'est pourquoi la C.E.Q. s'est déjà opposée à l'implantation du programme P.P.M.F. dans des conditions qui ne pouvaient qu'affaiblir la qualité du perfectionnement souhaité et par voie de conséquence la qualité de l'enseignement du français. Elle a formulé à l'endroit du ministère de l'Education et des universités certaines demandes minimales. La plupart ont été satisfaites. Dans la logique de cette démarche et de son profond désir de voir ses membres avoir accès à un perfectionnement de qualité, la C.E.Q. propose certains aménagements à l'actuel P.P.M.F.

La C.E.Q. réitère son désir de voir s'accentuer le perfectionnement dans le milieu. De plus, elle désire, parallèlement au perfectionnement d'un groupe d'enseignants, que la qualité de l'enseignement des maîtres non inscrits au P.P.M.F. puisse se développer.

C'est pourquoi elle demande que des enseignants soient libérés aux fins d'encadrement du P.P.M.F. et aux fins d'assurer des liens privilégiés entre l'université et les enseignants afin que les conseillers pédagogiques puissent remplir pleinement leur rôle de soutien pédagogique à l'enseignement.

La C.E.Q. rappelle également ses demandes à l'effet que tous les enseignants désireux de se perfectionner dans le cadre du P.P.M.F. puissent le faire, qu'en conséquence le contingentement soit aboli, que le P.P.M.F. soit rendu permanent et que nos membres puissent obtenir des conditions de dégagement identiques à celles du programme d'enseignement des langues secondes. A cette fin, la C.E.Q. souhaite que le ministère de l'Education s'assure que tous les moyens soient pris pour que ce dégagement soit réalisé.

Durant la période de dégagement, la C.E.Q. considère que le meilleur moyen d'assurer la qualité de l'enseignement du français est de le confier à des enseignants réguliers au lieu de suppléants. On pourrait par ailleurs explorer certaines formules d'utilisation des ressources mises en disponibilité selon le régime de sécurité d'emploi.

Il est également très important que les contenus de programmes de perfectionnement soient de qualité et que les formules pédagogiques utilisées par les universités soient réellement adaptées aux besoins des enseignants. Qu'à ces fins, le ministère de l'Education procède à une évaluation du contenu des programmes P.P.M.F. en regard des objectifs définis et en regard des besoins perçus concrètement par les enseignants. Face aux universités, l'expérience nous a démontré que toutes les mesures de précaution doivent être prises. En conséquence, afin d'assurer la qualité du P.P.M.F., il faudrait que tous les moyens soient pris pour que les subventions qui leur sont versées soient isolées de la subvention de base et affectées entièrement au P.P.M.F. et qu'une limite (maximum 15%) soit imposée quant à la part exigée pour l'administration universitaire.

En ce qui concerne la recherche appliquée, nous suggérons la création d'un poste d'enseignant-recherchiste qui serait réservé à des enseignants réguliers libérés à demi-temps pour effectuer des recherches précises. Nous croyons qu'un minimum de 50% du budget de la recherche doit être affecté spécifiquement aux enseignants-recherchistes. Le solde des sommes devra servir à de la recherche appliquée faite par des enseignants universitaires et devant servir spécifiquement au perfectionnement des maîtres de français. Nous nous opposons à ce que les fonds du P.P.M.F. servent à la recherche fondamentale. En conséquence, nous voulons que les recherches dans le cadre du P.P.M.F. soient soumises à une évaluation sérieuse et les dépenses à un contrôle sévère par le MEQ.

En complément à ces objectifs dont elle désire la réalisation, la C.E.Q. demande que le ministère de l'Education octroie la certification aux enseignants qui ne détiennent pas déjà une qualification légale pour l'enseignement du français et qui auront terminé le programme P.P.M.F. La C.E.Q. est persuadée que le MEQ recevra favorablement cette demande puisqu'il a reconnu aux fins de la qualification légale les programmes de certificat d'enseignement des langues secondes. Le MEQ devra également prendre les moyens pour que les universités récalcitrantes (DEUOQ et Laval) intègrent le certificat P.P.M.F. aux programmes réguliers, et ce, dans des conditions satisfaisantes. En corollaire aux certificats du P.P.M.F., la C.E.Q. considère que les enseignants qualifiés devraient avoir accès à une maîtrise en enseignement du français à temps partiel et sans thèse.

Nous considérons que ces propositions, qui sont dictées par l'expérience, constituent un tout qui permettra le développement qualitatif du français par le biais des éléments les plus importants, les maîtres de français. Ces derniers sont conscients du rôle capital qui leur est confié et ils désirent ardemment le développement qualitatif de la langue nationale.

La tâche

Nous ne pouvons éviter de conclure cette partie du mémoire sans attirer l'attention du gouvernement sur une question qui trop souvent est exclusivement discutée dans le cadre étroit de la négociation. Il s'agit de la tâche des enseignants de français.

L'intégration de la grille institutionnelle, à cause entre autres des contraintes de l'informatique, a amené une réduction du temps d'enseignement alloué au français (donc, un certain nivellement du temps d'enseignement de chacune des matières et même temps à l'anglais qu'au français) et une multiplication des groupes et des rythmes pour l'enseignant. Cette politique, d'allure très technocratique, n'a certes pas été appliquée avec beaucoup de discernement. En conséquence, elle a entraîné dans plusieurs milieux une perte d'intérêt pour l'identité nationale et culturelle pourtant vitale à tout peuple. Plus particulièrement, dans l'enseignement du français, cette politique s'est souvent concrétisée par une réduction du contenu des cours. Il semble que bien des enseignants aient trop souvent sacrifié l'apprentissage de la langue écrite pour ne pas avoir à affronter des tâches de correction devenues inhumaines en raison de l'augmentation du nombre d'élèves par enseignant. La situation est particulièrement pénible dans les polyvalentes et dans les CEGEP.

Cette situation qui a provoquée des critiques trop peu nuancées et fort pubiicisées sur la situation de l'enseignement du français au Québec a développé des frustrations indiscutables chez les ensei-

gnants de français de tous les niveaux d'enseignement. Pire, par un effet d'entraînement bien compréhensible, la question de l'enseignement du français est devenue une sorte de monstre du Loch Ness avec lequel journalistes et éditorialistes peu imaginatifs cherchent à se faire un nom eux aussi ou à augmenter le tirage de leur publication.

Advenant une amélioration significative de la tâche de l'enseignant de français et la mise en application des recommandations énoncées, la C.E.Q. est persuadée que l'enseignement du français pourrait en quelques années devenir l'un des piliers dynamiques de notre système scolaire.

2. L'enseignement du français aux immigrants et allophones

Nous avons parlé, dans le chapitre consacré à la langue d'enseignement, de "mesures d'accueil" permettant aux écoles françaises de recevoir des élèves qui ne possédaient pas la connaissance suffisante du français pour suivre les cours dans la langue officielle. Nous avons également souligné ce qui nous apparaît clairement comme un échec: le système "d'immersion".

Pour la C.E.Q., il est toutefois clair que les classes d'accueil mises sur pied notamment à la CE.CM. pour recevoir les jeunes immigrants constituent une expérience particulièrement heureuse, compte tenu de ceux auxquels elle est destinée.

Il y a peu d'expériences aussi bouleversantes que de devoir se déraciner et quitter son pays pour se fixer en terre étrangère.

Il est difficile de traduire en paroles les impressions que ressentent ces immigrants. Il est encore plus difficile que de décrire ce sentiment de vide que l'on éprouve en arrivant dans un pays où l'on ne connaît personne et enfin combien il est pénible de ne pas comprendre ce que l'on dit autour de soi. L'immigrant n'est pas en mesure de réaliser tout seul son intégration. La tâche qui nous incombe à l'école est de l'aider à s'adapter à notre vie et à se sentir vraiment chez lui au Québec.

Le nouveau venu, tout comme ses enseignants, doit faire un effort d'adaptation; le premier s'adaptant à des conditions de vie nouvelles, l'enseignant à des idées qui peuvent lui sembler étranges ou différentes.

L'acquisition de la langue est donc le premier pas à entreprendre afin de permettre une communication plus facile et une intégration harmonieuse.

L'adulte est appelé à apprendre la langue car il est conscient de cette nécessité. Il pose ce geste, convaincu que c'est la condition "sine qua non" qui l'aidera à participer à la vie collective de son pays d'adoption. Quant à l'enfant, il en va autrement. La motivation n'est plus la même. L'enfant est normalement doué d'une curiosité insatiable, il faut donc encourager l'expression de cette curiosité en lui donnant le besoin de communiquer.

La continuité du succès des classes d'accueil dépend de la collaboration collective. En outre, l'aide et l'éducation que l'école apporte à chacun de ces enfants se répercutent sur son milieu familial. L'enfant devient ainsi le lien entre sa famille et le milieu québécois; ceci permet aux parents de s'ouvrir à de nouveaux contacts humains et facilitera leur propre intégration.

En retour, le Québec, avec des individus harmonieusement intégrés à sa culture, gagnera à sa cause un apport considérable.

Comme leur nom l'indique, les classes d'accueil ont été conçues pour recevoir, pour accueillir.

La CE.CM. accueille dans ces classes les jeunes immigrants d'âge scolaire qui ne parlent pas le français.

La clientèle est variée et hétérogène. Ces étudiants viennent d'une trentaine de pays d'Europe, du Moyen-Orient, d'Afrique, d'Amérique Latine et même d'Asie.

Voulant intégrer cette clientèle au secteur français, la CECM. a ouvert les classes d'accueil en 1968, en collaboration avec le ministère de l'Immigration du Québec. Les débuts furent difficiles. Le nombre d'étudiants était réduit. Une fois préparés, ils intégraient en partie le secteur anglais.

Depuis 1968, le nombre d'étudiants a augmenté sans cesse. Il y a à présent 1634 élèves dans ces classes, de la pré-maternelle au secondaire. D'ici deux ans, le nombre pourrait bien s'élever à 5000 étudiants par année.

La fuite de la clientèle vers le secteur anglais a été graduellement corrigée. La Charte du français devrait garantir leur intégration au secteur français. Ceci veut dire qu'à partir de 1977, la C.E.CM. devrait être en mesure d'intégrer environ 5000 étudiants par année dans les classes régulières. C'est un chiffre alléchant. Ces nouveaux éléments devraient compenser, en partie, la baisse de la clientèle dans les écoles françaises de la C.E.CM.

L'organisation de ces classes d'accueil

Les classes d'accueil fonctionnent d'une façon tout à fait unique. Les enfants sont classés selon leur âge: pré-maternelle, maternelle; niveau A (élèves de 6, 7, 8 ans); niveau B (élèves de 9, 10, 11 ans); niveau C (élèves de 12 et 13 ans); niveau D (élèves de 14-17 ans).

Etant donné que l'âge est le premier critère de classement, on trouve dans chaque classe des enfants de plusieurs nationalités et de différents niveaux de scolarité. Par exemple, dans une classe de D

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on peut trouver un élève de langue espagnole, âgé de 15 ans et ayant réussi la 9e année dans son pays d'origine. A côté de lui, on peut avoir (et on l'a fréquemment) un élève d'une autre origine linguistique, âgé de 17 ans et n'ayant qu'une 4e année. Ayant au départ classé les élèves selon leur âge, on les classe ensuite selon leur connaissance du français. Ainsi chaque niveau (A, B, C, D) se divise en trois degrés: 0, 1, 2.

Prenons, à titre d'exemple, la clientèle du niveau D (étudiants de 14-17 ans). Il y aura des classes de DO, D1 et D2. Une classe de DO (débutants) est composée d'étudiants de différentes nationalités âgés de 14 à 17 ans et n'ayant au départ aucune ou très peu de connaissance du français. Une classe du niveau intermédiaire (D1) a les mêmes caractéristiques. Cependant les étudiants ont déjà acquis une bonne connaissance du français. Ils peuvent tenir une conversation avec un francophone et devraient être en mesure d'écrire une lettre à leur petite amie québécoise. Bien entendu, il y aurait plusieurs fautes... Au niveau D2 (finissants) les étudiants se préparent à intégrer le secteur régulier.

Le programme de ces classes se compose essentiellement de français oral et écrit. Comme complément, on y aborde aussi d'autres disciplines jugées importantes pour l'intégration de l'élève. Il y a des cours de mathématiques modernes, d'histoire et de géographie du Québec et du Canada, d'intégration à la vie québécoise, d'éducation physique et d'arts plastiques.

La discipline de base est cependant le français. Un élève nouvellement arrivé au Québec et n'ayant aucune ou très peu de connaissance du français est classé en A0, BO, CO, DO selon son âge. A ce degré, il acquiert les connaissances de base. Il assimile une partie du programme de la méthode audiovisuelle employée à son niveau.

Quand il finit le programme du degré 0, il passe en A1, B1, C1 ou D1, selon son âge. Il étudie une autre tranche du programme. Il passera ensuite au niveau A2, B2, C2 ou D2. A ce degré, l'élève finit le programme et se prépare à intégrer les classes régulières. Il sera dirigé ensuite à l'école régulière de son quartier.

Il faut considérer également que cette clientèle n'est pas "stable". Les étudiants entrent et sortent au cours de l'année et pendant leur stage dans les classes d'accueil, qui est d'environ 10-12 mois, ils changent de classe au furet à mesure qu'ils franchissent les différentes étapes du programme.

Les classes d'accueil: Un succès certain

Pour évaluer l'impact de ces classes d'accueil, nous référons à un rapport de la direction générale de la CE.CM. de mai 1976 qui soulignait ce qui suit:

Référer à la version PDF page CLF-471

2. Destination des élèves qui ont terminé leur stage

A l'ouverture des classes d'accueil moins de 30% des élèves s'acheminaient,ensuite vers le réseau des écoles françaises.

Le pourcentage des jeunes immigrants des classes d'accueil qui se sont dirigés vers les classes régulières françaises est passé de 62.6% qu'il était à l'issue de l'année scolaire 1973-1974 à 82.9% en 1975-1976.

En effet, du 1er septembre 1975 au 31 mars 1976, 1003 jeunes immigrants (82.9% de nos 1210 élèves) ont intégré les classes régulières françaises de leur quartier.

Parmi les élèves qui ont quitté les classes d'accueil au cours de la même période, 1.7% soit 20 élèves se sont dirigés vers les écoles anglaises. Quant à nos 51 élèves anglophones, ils ont tous intégré le secteur régulier francophone.

Soulignons aussi que 11.6% soit 140 élèves ont quitté le Québec pour se diriger vers une autre destination inconnue.

Pour la C.E.Q., les classes d'accueil constituent donc une expérience plus que concluante: II s'agit d'un succès certain. Il paraît confirmé que ces mesures sont celles de l'avenir et que c'est par ce type d'enseignement que doivent s'intégrer à l'école française tous ceux qui ne possèdent pas une connaissance suffisante du français, quelle que soit leur origine ethnique ou linguistique.

Pourtant, malgré ce succès évident, la région I de la C.E.C.M., sans doute inspirée par la "méthode dite d'immersion", a décidé d'implanter le système dit "d'insertion directe", c'est-à-dire l'intégration aux écoles françaises d'enfants n'ayant pas la connaissance suffisante du français et ne venant pas des classes d'accueil, sans autre forme de préparation.

A la suite de cette expérience, une recherche de 3 mois faite par la CECM (1) permettait de dégager les conclusions suivantes: les écoles n'ont pas encore découvert la formule magique pour l'intégration sociale et pédagogique directe d'un immigrant non francophone dans une classe régulière française, les écoles ne sont pas prêtes à intégrer directement dans des classes régulières des élèves qui n'ont aucune connaissance de la langue française, l'intégration des jeunes immigrants tout le long de l'année dans les classes régulières pose des problèmes d'ordre pédagogique et administratif, l'opinion des écoles est que l'insertion directe d'un jeune immigrant dans une classe régulière n'est pas une formule à généraliser, le milieu scolaire, dans une première étape, désire que les classes d'accueil soient "régionalisées" et groupées en petit nombre (2 ou 3 classes) au sein d'une même école située le plus près possible du domicile des immigrants.

Nous faisons nôtres les conclusions de ce rapport qualifié "d'excellent, impartial et objectif" par le directeur de l'accueil et de l'information aux immigrants de la C.E.C.M. et nous réitérons notre opposition à toutes les mesures qui visent à intégrer les étudiants dans des classes où l'enseignement se donne dans une langue qu'ils ne possèdent pas. Ce n'est pas par le biais de la langue d'enseignement que l'on peut résoudre le problème de l'enseignement des langues, ni dans le cas des immigrants pour leur enseigner le français, ni dans le cas des francophones pour leur enseigner l'anglais.

Les classes d'accueil sont un atout indéniable: il faut les maintenir, les développer et en faire le moyen d'intégration par excellence à l'école française.

3. L'enseignement du français dans les écoles anglaises

Les administrations scolaires protestantes et aussi catholiques mettent beaucoup d'accent sur l'enseignement du français dans les écoles anglaises. La communauté anglophone se fait un point d'honneur de souligner les succès des étudiants qui fréquentent les écoles anglaises et qui deviennent, dit-on, de parfaits petits bilingues en moins de deux. Ces mythes qui font pâlir d'envie certains francophones sont pourtant loin de la réalité.

Nous ne reviendrons pas sur le jugement porté au chapitre précédent sur le système des classes dites d'immersion. Les résultats de ces méthodes montrent que les étudiants après cinq, six ou sept ans d'immersion continuent à "penser en anglais", parlent dans un grand nombre de cas un "petit-nègre" bien particulier, ont beaucoup de difficulté à faire des phrases complètes. En outre très souvent, ne connaissant pas eux-mêmes le français, les parents de ces élèves sont convaincus que leurs enfants s'expriment fort bien dans la langue officielle alors qu'en réalité il n'en est rien.

Nous voulons aussi souligner le fait jamais admis par écrit mais communément admis en privé que 60% des étudiants, d'une commission scolaire bien connue, qui abandonnent prématurément leurs études (drop-out) au niveau secondaire sont issus des classes d'immersion.

Mais notre propos est plutôt d'expliquer en public de quelle façon l'enseignement du français dans les écoles anglaises protestantes et catholiques nous paraît discutable, voire même scandalisant du simple point de vue de la majorité francophone.

Soulignons pour commencer qu'une mission gouvernementale belge qui était venue, le mois dernier, étudier les méthodes d'enseignement des langues secondes au Québec, avait constaté qu'une des méthodes d'enseignement du français en usage au Québec (Bonjour Line, Didier France) n'avait même pas été acceptée en Belgique parce que n'étant pas adaptée à la réalité belge... (sans commentaires additionnels de notre part) mais c'est surtout sur l'inadaptation totale de la seconde méthode en importance pour l'enseignement du français dans les écoles anglaises que nous nous attarderons dans ce chapitre: aussi tenons-nous à dénoncer avec la dernière énergie la vision des Québécois francophones qui est inculquée aux anglophones par la méthode d'enseignement du français la plus largement répandue: "Ici on parle français" de Morgan Kenney et Doris Kerr.

(1) C.E.C.M., BAII, par Claude Maheu.

Cette méthode, publié par Prentice Hall of Canada Ltd de Scarborough, Ontario, laisse à désirer sous plusieurs aspects: sous prétexte d'amuser ou d'intéresser les élèves, on y présente, ne serait-ce qu'à un seul niveau, les Québécois francophones comme des personnages un peu grotesques: on met l'accent sur le vol, la tromperie, le mensonge, la colère (un nombre incroyable de personnes sont "fâchées"); on met en évidence un obèse, un voyeur. Le contexte est négatif.

On peut se demander quelles conséquences psychologiques peut avoir une telle démarche si on songe aux renforcements, aux répétitions et aux réutilisations qu'entraîne l'apprentissage de la langue seconde. On peut se demander aussi quelle répercussion pourrait avoir un tel matériel sur le jugement moral de l'enfant, sans oublier l'identification au milieu francophone.

C'est cela l'expression du français dans les écoles anglaises. C'est cela l'effort exceptionnel fait par le milieu de l'éducation anglophone pour apprendre le français aux jeunes anglophones!!!

C'est humiliant et ça ne saurait perdurer. C'est pourquoi la Centrale de l'enseignement du Québec demande au Gouvernement une enquête urgente sur les manuels utilisés dans les écoles anglaises, le retrait immédiat des manuels racistes de tous les établissements scolaires et une fois de plus la nationalisation de l'édition du manuel scolaire pour permettre un contrôle rigoureux de contenus d'enseignement qui sont abjects pour tout le peuple québécois. Il existe d'ailleurs des méthodes faites par des Québécois telles "Comment dire" de Billy et "Le français international" de Calvé, Rondeau et Vinay, mais — il faut le souligner — elles ne sont acceptées que dans d'autres provinces du Canada, puisque le ministère de l'Education du Québec refuse de les agréer privilégiant ainsi dans les faits les méthodes ontariennes et françaises. La politique d'achat chez nous ne serait-elle pas applicable dans le domaine scolaire?

Puisque les moyens ne nous manquent pas, il nous semble opportun de réitérer notre position à l'effet que l'apprentissage de la langue nationale doit continuer à débuter dès la première année pour les élèves recevant leur enseignement en langue anglaise. Est-il nécessaire de rappeler que dans le contexte nord-américain le jeune anglophone n'en sera pas pour autant menacé ni dans sa culture ni dans sa langue?

4. L'enseignement de l'anglais dans les écoles françaises

Comme nous l'avons déjà mentionné, la C.E.Q. est en faveur de l'enseignement de l'anglais et d'autres langues étrangères dans les écoles françaises. Cet enseignement doit être d'une excellente qualité et ne doit pas débuter avant le secondaire.

Mais, nous l'avons dit et nous le répétons, nous nous opposons avec la dernière énergie à la transformation des écoles françaises en écoles anglaises sous prétexte d'y enseigner l'anglais.

Une leçon à retenir: L'enquête de la NFER

Ceux qui rêvent de voir tous les petits francophones québécois apprendre l'anglais dès l'âge de six ans feraient bien de réfléchir sur les conclusions de l'une des enquêtes les plus sérieuses jamais faites sur le problème de l'apprentissage précoce d'une langue seconde et dont les résultats ont été publiés en Grande-Bretagne il y a deux ans et demi.

Au terme d'une expérience-pilote extrêmement rigoureuse menée auprès de 18,000 élèves répartis dans 125 écoles primaires — une expérience qui, c'est un gage de sérieux, s'est échelonnée sur 10 ans — la National Foundation for Educational Research in England and Wales publiait en décembre 1974 son rapport final. Les principales conclusions, pour nuancées qu'elles soient, sont claires et nettes: 1. Il n'y a pas d"'âge idéal" pour entreprendre l'étude d'une langue seconde. Les groupes d'élèves anglais à qui la NFER a fait commencer l'apprentissage du français à huit ans ne le maîtrisaient pas mieux, au terme de l'expérience, que ceux qui avaient commencé les cours à 11 ans. "Il n'apparaît pas évident, écrivent les auteurs du rapport, que les enfants plus jeunes seraient plus aptes que leurs aînés à apprendre une langue seconde. Si l'on doit tirer une conclusion, c'est plutôt le contraire qui serait vrai. C'est la quantité de temps consacrée à l'apprentissage d'une langue seconde qui est le principal facteur de réussite, non pas l'âge auquel débute cette période d'apprentissage". 2. L'expérience a indiqué qu'au moment où ceux qui ont commencé l'apprentissage d'une langue seconde à huit ans arrivent au secondaire, environ la moitié d'entre eux ont l'impression d'"en avoir assez" du français, qu'ils en arrivent à développer un sentiment d'échec et qu'ils font même preuve d'hostilité envers le fait d'avoir à suivre d'autres cours de français. 3. Le rapport de la NFER — de même que les observations des directeurs d'école qui ont suivi l'expérience de près — montrent que les enfants qui apprennent une langue seconde au niveau élémentaire peuvent arriver à la parler assez couramment, mais que leurs résultats dans la lecture et l'écriture de cette langue sont "désappointants". 4. Autre conclusion qui comporte bien des enseignements pour le Québec: en Angleterre, les élèves des petites écoles rurales ont mieux réussi en français que ceux des grosses écoles urbai-

nes; plus encore, les premiers groupes continuaient de mieux réussir par la suite, deux ans après être entrés au secondaire. Cela prouve que l'apprentissage d'une langue seconde requiert la formation de petits groupes, plus d'attention de la part de l'enseignant, un meilleur climat, etc.. 5. Si l'introduction précoce du français dans les programmes des 125 écoles élémentaires d'Angle- terre soumises à l'expérience de la NFER n'a pas exercé d'"influence significative" sur l'ensemble du rendement scolaire des enfants, la chose a toutefois présenté des "effets négatifs" pour ce qui est de l'enseignement des langues étrangères au niveau secondaire: d'une part, le français s'en est trouvé indûment privilégié par rapport à d'autres langues (allemand, espagnol, etc.); d'autre part, un nombre accru d'élèves arrivaient au secondaire avec encore plus de préjugés à l'égard des langues étrangères, convaincus que "ce n'était pas pour eux" — vraisemblablement parce qu'ils avaient été traumatisés à un degré ou un autre par une expérience trop précoce et insatisfaisante.

En conclusion, les auteurs de cette recherche de dix années estiment qu'il est préférable de ne pas étendre davantage l'enseignement du français dans les écoles élémentaires d'Angleterre et du pays de Galles.

L'expérience-pilote de la NFER, qui est un organisme semi-public fonctionnant en étroite collaboration avec le ministère de l'Education britannique, avait pour but de déterminer s'il était "pédagogi-quement souhaitable" de généraliser l'apprentissage d'une langue seconde (le français en l'occurrence) à l'élémentaire. Les 18,000 élèves soumis à l'expérience durant dix ans ont été divisés en plusieurs groupes — dont ceux qui commençaient le français à huit ans, ceux qui le commençaient à onze ans, etc... et ont été suivis pour une bonne partie d'entre eux jusqu'à l'âge de 16 ans.

Dix ans de recherche, un énorme échantillon représentant diverses couches sociales, quelles précautions et quel admirable sérieux de la part de responsables scolaires anglais. Que dire par contre de l'inconséquence de nos autorités scolaires à nous, au Québec, qui se sont lancées sans la moindre étude, sans le moindre projet-pilote, dans l'aventure risquée de l'enseignement précoce de l'anglais, pour des raisons ouvertement politiques et pour céder aux pressions de groupes de parents mal informés!

A l'heure où le ministère de l'Education accepte, depuis quatre ans déjà, que l'anglais soit enseigné dans les écoles françaises du Québec dès la 1ère année si un certain nombre de parents le réclament et au moment où les commissions scolaires du Québec songent à s'engager à leur tour dans cette aventure, le rapport de la NFER devrait au moins en faire réfléchir quelques-uns.

D'autant plus, d'ailleurs, que l'Angleterre ne connait pas ce problème très québécois d'une langue maternelle fragile, constamment menacée; il nous semble que l'état de la langue française au Québec aurait dû inciter le ministère de l'Education à encore plus de prudence que les responsables scolaires des "vieux pays".

D'autres recherches vont dans le même sens

Par ailleurs, les conclusions de la NFER sont corroborées par plusieurs autres études, notamment celle de J.B. Carroll, chercheur en psycho-pédagogie aux universités Harvard et Princeton, qui estimait lui aussi que c'est uniquement dans l'apprentissage de la prononciation et non en grammaire ni en vocabulaire que le jeune enfant devance l'adulte ou l'adolescent; le chercheur trouve "simpliste" le préjugé populaire voulant que quelqu'un qui "prononce mieux" maîtrise mieux une langue donnée. Carroll insistait lui aussi sur le fait que c'est le temps consacré à une langue et non l'âge auquel débute l'apprentissage qui est important.

La réalité est que nous vivons, au Québec, dans un contexte où la langue dominante n'est pas celle de la majorité. Quand dans un pays unilingue on propose l'apprentissage d'une langue seconde, on suppose déjà que le contexte socio-économique, linguistique, familial et culturel est d'abord unilingue, ce qui n'est pas le cas pour le Québec.

Aucune politique des langues ne doit ignorer cette mise en garde fondamentale, au risque de favoriser l'assimilation de la langue française déjà très avancée dans les régions de Montréal et Hull (là où sont concentrés les 2/5 de la population francophone du Québec). Nous vivons, au Québec, une situation de diglossie qui rend déjà très pénible l'enseignement du français à des élèves à qui on apprend très tôt que "English is money". Ce n'est pas avec l'achat de milliers de magnétophones qu'on leur donnera le goût de vivre en français puisque tout l'environnement constitue une constante menace d'acculturation. En conséquence, le simple bon sens — c'est humiliant d'avoir à le rappeler — ne nous dicte-t-il pas qu'il faut d'abord assurer la maîtrise par tous de la langue nationale avant d'introduire à l'élémentaire l'enseignement d'une langue étrangère? A l'appui de cette thèse, voyons ce qu'en dit le professeur Charles Castonguay qui reprend à son compte les avis de spécialistes aussi réputés que les professeurs Stem et Carrol: "II peut y avoir d'autres retombées négatives du fait de l'enseignement hâtif d'une langue seconde, à part celle bien connue de l'interférence linguistique et conceptuelle avec la langue maternelle et, par ricochet, avec les autres matières scolaires. La plus redoutable pour le Québec en ce moment serait une évolution vers le bilinguisme social, dernière étape

avant l'assimilation linguistique: Jusqu'à quel point le bilinguisme social est-il possible?... Qu'arrive-t-il lorsqu'une communauté, comme telle, dispose de deux systèmes différents de communication? Un examen tout récent et très fouillé de l'expérience linguistique canadienne depuis la Confédération jusqu'en 1972 confirme la loi empirique que deux langues de force inégale ne peuvent coexister en contact intime et que la plus faible des deux doit inévitablement disparaître.

A ceux qui nous accuseraient de voir les choses en noir, nous citerons encore le "Rapport de l'enseignement de l'anglais à l'élémentaire" préparé par Denis Tremblay, Jean-Paul Martinez et Yvon Bouchard de l'Université du Québec à Rimouski. Cette étude fort complète en arrivait, en 1974, aux conclusions suivantes que nous faisons nôtres:

L'enseignement de l'anglais ne doit commencer qu'au début du niveau secondaire sous réserve d'un dépistage démontrant que l'élève a acquis et maîtrisé sa langue maternelle. Une recherche de grande envergure où seraient impliquées toutes les disciplines oeuvrant dans le domaine de l'éducation doit être instituée afin de vérifier si les conditions d'apprentissage d'une langue seconde sont les mêmes ou si elles diffèrent dans un contexte bilingue ou unilingue.

Tant qu'une recherche scientifique ne sera pas élaborée, l'enseignement de l'anglais ne doit se faire qu'à partir du secondaire de la même façon que cela se fait dans les pays unilingues où règne une très grande prudence.

Par ailleurs, les chercheurs soulignent très clairement que la langue française dans le contexte bilingue où elle se trouve ne vivra guère plus d'un demi-siècle encore. Nonobstant les raisons socio-linguistiques, la langue française ne sera plus qu'une langue qu'on ne parle qu'après cinq heures le soir et cette langue est déjà une langue morte. La langue française est menacée dans ses structures les plus profondes et c'est là un danger réel, d'où notre insistance sur l'enseignement du français. Avant d'entreprendre l'apprentissage d'une langue seconde, il importe avant tout d'assurer la maîtrise de la langue maternelle.

L'apprentissage de l'anglais doit débuter au niveau secondaire car la langue maternelle comme instrument de pensée n'est pas seulement une acquisition de phonèmes entendus et imités sur un modèle idéal, mais elle est aussi un système de structures mentales très complexes devant être acquis (dans des conditions idéales) avant d'entreprendre l'apprentissage des structures d'une deuxième langue.

A l'appui de cette revendication essentielle, nous citons enfin un article de Jacques Cellard, du Monde de l'Education (avril 1977), qui traitant de "l'anglicisation de la jeunesse française" souligne fort à propos: "L'apprentissage d'une langue étrangère n'a (...) de justification qu'après celle de la langue nationale, et pour autant que les ressources de celle-ci sont déjà correctement maîtrisées. A plus forte raison si l'on considère que l'une de ces langues étrangères, l'anglais, est devenu un élément obligé de l'enseignement et que le véritable apprentissage ne commence qu'avec une seconde langue étrangère, la concurrence entre les deux enseignements (du français et des langues) pourrait un jour devenir telle qu'elle ne ferait plus que des perdants".

Une question politique et pédagogique

Comme nous l'avons maintes fois souligné dans ce mémoire, nous n'avons aucunement comme objectif de confiner les Québécois francophones à un ghetto hostile à toute ouverture aux cultures étrangères et la géographie même nous interdit de devenir une enclave fermée aux relations socio-économiques avec le continent nord-américain, mais nous nous opposons à ce que l'enseignement des langues étrangères se fasse au détriment de notre vie collective dans ce qu'elle a de plus précieux: son intégrité linguistique, son identité culturelle, voire sa propre survie.

Et nous nous trouvons parfaitement justifiés, tant au plan scientifique que pédagogique et socio-politique, de réclamer la suppression immédiate de l'enseignement de l'anglais à l'école élémentaire, parce que c'est en pratique inutile et possiblement nuisible.

En revanche, nous demandons d'excellentes conditions pour l'enseignement de l'anglais, langue seconde, tout le long du secondaire, à côté d'un certain nombre d'autres langues étrangères, telles l'espagnol, l'italien, l'allemand, qui seraient disponibles.

S'il est vrai de dire que l'enseignement est une fonction politique, il est assurément vrai d'affirmer que l'enseignement des langues au Québec est devenu une tâche ingrate et explosive. Cet enseignement est d'une portée stratégique évidente. A preuve, tout le soin manifesté par le ministre Cloutier à accoucher en avril 1973 d'un ambitieux "plan de développement de l'enseignement des langues" de $100 millions en cinq ans. A preuve, les nombreux arrêtés en conseil précédant ou accompagnant ce plan, lesquels sont venus insidieusement préparer les structures et les mentalités à la bilinguisation progressive des francophones.

Nous ne nions pas l'engouement qu'ont certains parents ou responsables scolaires pour l'enseignement précoce de l'anglais. Les marchands de bilinguisme font florès et l'utopie se vend bien. Or,

le bilinguisme n'est pas une valeur en soi et il ne devrait pas être question de le présenter comme une panacée. Au niveau individuel, il est avantageux à certaines conditions, il est parfois nécessaire et très souvent utile. Mais pour l'ensemble d'un peuple, c'est un état anormal et pathologique. Il est source d'infériorité. Etape transitoire dans le passage d'un unilinguisme à un autre, il est une des caractéristiques les plus évidentes d'un peuple en train de perdre sa culture et son identité.

Lorsque deux peuples vivent côte à côte, que l'un d'eux est unilingue et l'autre bilingue, c'est le peuple unilingue qui assimile et qui domine. C'est le peuple unilingue qui a les moyens d'imposer sa langue comme langue normale de toutes les relations entre ces deux peuples. C'est le peuple unilingue qui crée, pendant que l'autre copie et traduit.

Extrémisme, racisme, ignorance du contexte nord-américain et des impératifs économiques, voilà en résumé les arguments que certains nous servent à chaque fois que nous tenons de pareils propos. C'est avec d'aussi fallacieux arguments que ces mêmes gens font fi des avis des spécialistes les plus autorisés en cette matière que nous venons d'invoquer.

Conclusion

Notre conclusion sera brève.

Le projet de loi no. 1 est un projet digne du Québec et nous l'appuyons vigoureusement en mettant le gouvernement en garde contre tout recul.

Mais la Charte du français au Québec ne suffit pas, elle doit être accompagnée ou suivie: d'une relance vigoureuse de l'enseignement du français de la mise en place des commissions scolaires unifiées de la mise au ban des méthodes et volumes racistes qui méprisent la majorité francophone de la suppression immédiate de l'enseignement de l'anglais à l'élémentaire de l'interdiction des classes dites d'immersion dans les écoles françaises.

La libération linguistique n'est pas suffisante en soi, toutes les libérations se tiennent mais celle-ci peut nous donner le goût de la dignité, de la liberté, au fond, le goût de nous-mêmes.

Résumé du mémoire

Un principe: 22 mesures

La C.E.Q. appuie vigoureusement la charte du français au Québec

La langue officielle 1. Il ne fait pas l'ombre d'un doute que le français est la langue du peuple québécois. L'attendu qui souligne que l'Assemblée nationale reconnaît ce fait ne doit pas être amendé. 2. L'article 23 relatif à la langue des administrations scolaires et municipales doit être maintenu. 3. Les articles 33 à 40 qui traitent de la langue du travail et de la francisation des entreprises ne doivent pas être atténués. L'article 106 doit être maintenu. 4. La francisation du paysage et celle du "paysage sonore" du Québec sont une absolue nécessité. 5. Les dispositions de la Charte sur la langue des relations du travail sont satisfaisantes. 6. L'article 172 doit être remplacé par un nouvel article qui précise clairement les droits de la personne qui sont modifiés par la Charte du français.

La langue d'enseignement 7. Le français doit être la langue officielle du système d'enseignement et de l'administration scolaire à tous les niveaux. 8. Les Amérindiens et les Inuit doivent s'autodéterminer et avoir accès à l'enseignement dans leur langue. Il faudra leur donner les moyens d'apprendre adéquatement le français si tel était leur désir. 9. Le système scolaire doit être unifié de façon à ce que disparaissent les divisions administratives tant professionnelles que linguistiques. 10. Seuls les enfants dont l'un des parents a fait ses études élémentaires en anglais au Canada doivent avoir accès à un enseignement en langue anglaise, du moins tant que le système constitutionnel actuel sera maintenu. Mais tous ceux qui ne répondent pas à ce critère doivent être immédiatement réintégrés ou intégrés au secteur français.

11. Une enquête doit être menée sur le "maraudage" effectué par les commissions scolaires protestantes au détriment des commissions scolaires catholiques.

Ne pas confondre "langue d'enseignement" et "enseignement des langues" 12. Il ne faut pas confondre "langue d'enseignement" et "enseignement des langues". Le gouvernement doit établir dans la Charte des dispositions lui permettant de contrôler efficacement la langue d'enseignement réelle des étudiants. Les classes "d'immersion" doivent être interdites dans le secteur français.

L'enseignement des langues 13. La connaissance de la langue française est intimement liée à l'histoire et à la géographie nationale de même qu'à la connaissance et à la promotion de la littérature du peuple québécois et à l'éducation économique. 14. Il y a lieu d'intervenir vigoureusement pour obtenir les moyens d'améliorer l'enseignement du français. 15. Les programmes de français doivent revaloriser la fonction de l'écrit. 16. L'enseignement de l'oral doit viser à atteindre le niveau de "français standard", de français qui permet aux Québécois d'assumer un rôle actif dans les échanges culturels, administratifs, commerciaux aussi bien au niveau national qu'international, sans complexe et avec leur identité propre. 17. Il faudra faire une place réelle à la littérature québécoise dans l'enseignement du français. 18. Il faut donner aux enseignants les moyens d'assurer un enseignement du français de qualité: au triple plan des ressources humaines, du perfectionnement et de la tâche. Il faut créer des coopératives de création pédagogique. 19. Le gouvernement doit instaurer une enquête sur les manuels utilisés dans les écoles anglaises pour enseigner le français. Cette enquête doit aboutir à la disparition de tous les manuels racistes qui s'y trouvent et instaurer une politique "d'achat chez nous" des méthodes en usage dans les institutions d'enseignement. Il faut aussi nationaliser l'édition du manuel scolaire pour qu'il y ait un contrôle réel des contenus qu'ils véhiculent. L'enseignement de la langue nationale doit débuter dès la première année dans les classes anglaises. 20. Les classes d'accueil sont un succès certain. Il faut les maintenir et en faire le moyen privilégié d'intégration à l'école française de tous ceux qui ne possèdent pas une connaissance suffisante du français. 21. L'enseignement de l'anglais comme langue seconde ne doit débuter qu'au niveau secondaire. C'est cependant un enseignement de qualité de l'anglais que nous voulons pour les Québécois. 22. L'anglais ne doit plus être la seule langue seconde à laquelle les Québécois peuvent avoir accès. Il existe d'autres langues très importantes parmi lesquelles les jeunes devraient pouvoir choisir celle qu'ils voudront apprendre.

6.1.6 Pour l'implantation d'un programme d'éducation économique

Dans le passé, l'éducation économique au Québec a été laissée pour compte; et il semble bien que la situation pouvait s'observer ailleurs puisque la Commission internationale de planification de l'Education de l'Unesco pouvait écrire en 1972:"Dans l'école, et par tous les moyens extra-scolaires, l'éducation économique doit devenir l'un des'eléments essentiels de la conscience et de la culture des masses".

Ces dernières années, les conflits de relations de travail se sont multipliés. Se sont multipliées également, et comme par hasard, les interventions du monde des affaires en faveur d'une éducation économique structurée dispensée à l'école. Une certaine conception de l'éducation économique est véhiculée aussi par les media ou certains ministères; voyons de quoi il retourne... "On devrait se hâter de voir à ce que le système scolaire du Québec prépare les étudiants à leur futur rôle de citoyens. Ce qui est urgent, selon nous, c'est de commencer immédiatement à inculquer aux étudiants du secondaire un minimum de notions élémentaires, concernant les réalités économiques de notre société". (Mémoire de l'Association des Manufacturiers — 1er août 1972) "Si, par exemple, on ne réussit pas à faire comprendre à la population des notions comme celles de l'inflation, de la productivité, des prix, des profits, du capital, du travail, de l'imposition et des divers mécanismes de l'Etat et de la société, on n'arrivera jamais à faire accepter certaines responsabilités, certaines politiques, certaines conséquences de gestes posés ou d'exigences imposées". (André Raynauld, Revue Commerce, février 1975) "C'est également lorsque l'homme d'affaires, le chef d'entreprise, le cadre moyen ou supérieur auront quelques notions d'économique qu'ils pourront prendre des décisions plus rationnelles, concernant l'avenir de leur entreprise, le développement de nouveaux marchés, les investissements nouveaux, l'exportation, la formation de leurs employés ou la nécessité de leur propre formation". (Roger Char-bonneau, Le Soleil, 21 février 1973)

"Si l'enseignement demeure désincarné et ne rejoint pas les réalités de la vie et les problèmes qui confrontent ses citoyens, si l'école ne permet pas à l'étudiant de faire une transition souple entre l'école et le monde du travail, si l'école ne réussit pas à produire des travailleurs compétents et en mesure de répondre aux besoins de l'entreprise, alors on est en droit de se poser des questions sur la rentabilité des investissements faits pour un système d'éducation où on ne retrouve pas d'éducation économique pour tous, car c'est l'éducation économique et les activités qu'elle suscite qui permettent à l'école de se rapprocher des réalités concrètes de la vie de tous les jours et des problèmes qui confrontent chacun de nous". (André Bruneau, ministère de l'Industrie et du Commerce)

Ces différentes conceptions sont à tout le moins une traduction très libre de celle de la Commission internationale de planification de l'Education de l'Unesco qui fait de l'éducation économique un des éléments essentiels de la conscience et de la culture des masses. Somme toute, si on s'en tenait aux volontés exprimées par le monde des affaires, nous n'aurions qu'à structurer un peu mieux les notions déjà données par l'école via la catéchèse, le français, les maths, et particulièrement du cours d'initiation à la vie économique — 412, en option au secondaire IV — dont les principales orientations se résument ainsi: recherche d'un équilibre entre la production et la consommation description des mécanismes et rouages du système en place la place du crédit et de l'épargne comme facteurs de progrès et de développement économique les finances publiques vues à l'aune de la capacité de payer des contribuables (air connu)

Globalement parlant, il est facile de voir que cette approche est fondamentalement tronquée et biaisée, en ce qu'elle relègue dans l'ombre le travail et les travailleurs comme facteurs économiques, pour mettre en relief à peu près exclusivement le capital, ses agents, ses institutions, ses mécanismes d'accumulation, de circulation et de placement.

Comme si la vie économique ne commençait qu'une fois le travail accompli, le profit fait! Comme si la constitution du capital, la plus-value et son accumulation ne provenaient pas de l'exploitation de la force de travail! Comme si s'éduquer à la vie économique, c'était s'en tenir à faire sa comptabilité, payer ses dettes, acheter des bons d'épargne, ouvrir un compte d'épargne et consommer sans se faire trop rouler...

Une éducation économique tronquée

Pas de place pour le travail; peu de place pour le travailleur, que le langage officiel-ministériel appelle "un producteur" en le rangeant dans la même catégorie que l'entreprise et les gouvernements, a peine une mention au passage du syndicalisme et de la coopération, deux institutions de défense et de promotion de leurs besoins et intérêts que se sont données les travailleurs.

Nulle part il n'est question des intérêts que représentent les grandes institutions financières, des liens qu'elles ont entre elles et avec des institutions étrangères, du réseau qu'elles forment, de la manière dont les décisions y sont prises, du nombre de personnes qui prennent des décisions économiques en relation avec ceux qui en subissent les conséquences.

Les monopoles, les multinationales, le chômage, les maladies industrielles, les accidents de travail, les fermetures d'usines, l'endettement, la pollution de notre environnement, le gaspillage de nos ressources naturelles, l'inflation: ça n'existe donc que dans notre imagination?

Les futurs travailleurs, les futurs chômeurs, les futurs consommateurs sont ainsi coupés de leurs intérêts propres: on ne parle pas d'eux, ni de leurs problèmes, ni de leurs organisations collectives, ni de leurs besoins sociaux.

A notre avis, un tel programme traduit les intérêts précis du capital et de ses agents; il renforce l'idéologie de la minorité de possédants, la bourgeoisie, qui, pour se perpétuer et se renouveler, s'efforce d'imposer à l'ensemble de la population sa vision du monde comme étant celle de toute la société.

En plus de ce programme dit d'initiation à la vie économique, qu'on devrait plutôt appeler "de conditionnement au capitalisme", si on regarde de plus près, on s'aperçoit que presque toutes les matières servent à un moment ou l'autre à valoriser le système économique qui nous domine, et ce, tant au plan de la vie quotidienne des travailleurs qu'au plan du fonctionnement général du système capitaliste. D'une manière générale nous avons constaté que la présentation du travail dans les manuels était absolument dépassée et qu'elle nous renvoie à une phrase pré-industrielle de l'économie capitaliste ne reflétant même pas la réalité actuelle de la division du travail, c'est-à-dire la chaîne de production, la machine, la parcellisation des tâches.

Bref, les programmes et manuels scolaires contiennent de nombreux éléments "d'initiation à la vie économique" qui tendent à imposer les idées et les valeurs du système, qui tendent à faire croire que le capitalisme est le meilleur système qui soit.

Ce que devrait être un programme d'éducation économique

II est difficile de dire ce que devrait être l'éducation économique, sans se référer à ce que devrait être le rôle social de l'école en général, tout comme il est difficile d'imaginer transformer l'école sans transformer la société.

Malgré cette réserve, on peut au moins mentionner certaines grandes orientations que toute initiation à la vie économique au niveau secondaire devrait poursuivre.

Le centre de la vie économique, c'est l'homme

Démontrer que le centre de la vie économique c'est l'homme, son travail, ses besoins physiques, ses aspirations au plan des rapports sociaux qu'il veut établir avec ses semblables: rapports d'égalité, rapports d'exploitation...

Un point de vue historique du développement de la production

Tracer l'histoire du développement de la production, intégré à celui de l'humanité, en insistant sur les différents systèmes de production imaginés par les hommes et en démontrant comment chacun d'entre eux a été transitoire, comment il a donné naissance à d'autres ou s'est fait supplanter. Le tout afin de démontrer clairement que le système capitaliste implanté ici n'est pas éternel et qu'il devra nécessairement laisser à son tour sa place; l'essentiel cependant, demeurant: une économie est en place pour produire des biens sociaux. Ainsi l'éducation économique ne sera plus une occasion de domestication du monde, mais plutôt celle du développement de l'esprit critique et celle d'une préparation à l'adoption de formules de production plus humaines qui valorisent davantage le travail et le travailleur.

Familiariser les étudiants avec le système actuel, ses réalisations, ses contradictions, ses institutions, les principales opérations qu'il suppose chez tout citoyen, les problèmes qui le confrontent, etc.

En particulier, mettre l'accent sur l'existence de la pauvreté au milieu de la richesse, les crises créées par le capitalisme: inflation, déflation, la création de chômeurs, le maintien de rapports exploiteurs-exploités, l'absence de planification nationale de l'économie. Insérer la description de l'économie actuelle dans la perspective de son évolution historique, c'est-à-dire: illustrer comment les capitaux étrangers (français, britanniques, puis américains) ont façonné la structure industrielle et modelé la vie économique selon leurs intérêts.

Mettre en évidence les liens et rapports entre l'oligarchie financière et l'appareil d'Etat, notamment l'influence sur la politique fiscale, les politiques de régulation économique (politique monétaire, commerce extérieur, contrôle ou réglementation des salaires), etc.. Mettre en contraste le crédo de la libre entreprise et de la libre concurrence avec le contrôle économique exercé par les entreprises géantes, les holdings et trusts (étrangers ou nationaux).

Décrire les processus de prise de décision des multinationales et démontrer les intérêts que servent ces décisions, ainsi que les conséquences sur les conditions de vie et de travail des travailleurs.

Expliquer le pillage de nos ressources naturelles et la pollution de notre environnement en fonction des intérêts servis.

Décrire et dénoncer la publicité/conditionnement, la promotion artificielle de produits inutiles et nocifs.

Mettre en relief l'importance économique du travail non-rémunéré et la situation d'infériorité économique de la plupart des travailleurs et des travailleuses au foyer et à l'extérieur.

Instruire les étudiants des conditions et réactions des travailleurs:

Décrire les problèmes des travailleurs, leur vie réelle, les conditions dans lesquelles ils produisent, les maladies ou dangers qui les menacent, etc..

Faire connaître aux étudiants les luttes ouvrières et les analyser comme facteur de progrès historique; qu'il s'agisse de luttes syndicales, d'organisations coopératives, etc. Initier les étudiants à la mise en place d'organisations collectives de défense de leurs intérêts, ce qui les éduquerait à une vie démocratique bien concrète, associations, syndicats, coopératives, etc.

Instruire les étudiants de certains autres modèles économiques et politiques ou la satisfaction des besoins sociaux et collectifs a priorité sur les profits à réaliser et sur l'importance des fixatifs à cheveux et des allume-cigarettes "disposable after use"...

Le programme d'éducation économique doit relever du MEQ

L'immixtion du ministère de l'Industrie et du Commerce est tout à fait indésirable en éducation, et même sur le plan économique.

Nous savons que tous les ministères servent les mêmes intérêts généraux, mais le MIC nous paraît être le correspondant le plus direct des milieux d'affaires et nous nous opposons rigoureusement à ce qu'il prenne quelque initiative que ce soit en éducation.

A plus forte raison, écartons-nous carrément les milieux d'affaires de l'élaboration et de l'implantation d'un programme d'éducation économique; nous ne tenons pas à ce que ce dernier ne serve qu'à légitimer leur statut de classe dominante et qu'à domestiquer davantage la majorité pour qu'ils puissent conserver ce statut encore plus longtemps. "Le monde des affaires, explique Madame Lise Payette, ministre québécois des consommateurs, coopératives et institutions financières dans le Soleil du 27 avril '77, ce sont des gens sans appartenance. Moi, a-t-elle continué, j'ai l'impression qu'à un moment donné, il y a une catégorie de gens qui finit par appartenir à un seul peuple qui est celui de la finance. Ça n'a pas de coeur, ça n'a pas de drapeau, ça n'a pas de nationalisme, ça n'a pas d'identtfé. C'est un monde international qui a les mêmes règles du jeu partout et qui s'exclut, qui s'extirpe de la majorité des gens et qui finit par faire un monde à part."

L'école n'est jamais neutre

Est-il encore nécessaire de rappeler que l'école n'est jamais neutre; l'école officielle, celle des programmes-cadres et des manuels qui sont mis entre nos mains, ne l'est pas davantage.

L'école actuelle défend de toutes ses forces le statu quo économique et politique; elle endort l'étudiant face aux vrais problèmes; elle lui cache le recours à l'action collective; elle l'enferme dans un espace borné au sud par la publicité, à l'ouest par le crédit, au nord par l'inflation et à l'est par le chômage.

Nous sommes pour l'implantation d'un programme d'éducation économique qui soit autre qu'une serre-chaude du système établi.

ANNEXE III

Le 2 juin 1977

MÉMOIRE PORTANT SUR LE PROJET DE LOI No 1 CHARTE DE LA LANGUE FRANÇAISE AU QUÉBEC

Présenté par la Banque de Montréal à une commission parlementaire de l'Assemblée nationale du Québec

De simple établissement qu'elle était en 1817, la Banque de Montréal s'est transformée en une institution financière d'importance majeure tant au pays qu'à l'étranger. C'est à ce titre et par suite de l'appel à la discussion du Projet de loi no 1 lancé par le gouvernement que la Banque, consciente de ses obligations, présente ce mémoire.

La Banque de Montréal désire souligner l'appui qu'elle accorde à l'objectif de faire du français la langue principale du Québec. Elle constate en outre le rôle de plus en plus important que jouent les Québécois de langue française dans plusieurs domaines. Le rayonnement de la culture et de la langue françaises constitue une grande richesse pour le Canada et pour l'ensemble de l'Amérique du Nord. Aussi faut-il reconnaître les progrès importants réalisés depuis quelques années dans les milieux d'affaires pour encourager l'usage du français.

La Banque de Montréal

La Banque de Montréal, l'une des plus importantes banques au monde, compte environ 27 000 employés qui exercent leur activité entre autres dans 1 250 succursales et agences au Canada et à l'étranger ainsi que dans les divers services du Siège social à Montréal. De ce nombre, 26 000 employés sont en service dans divers bureaux, dont 1 240 succursales, répartis sur tout le territoire canadien.

Le Québec pour sa part compte un nombre considérable d'employés, soit 7 500, en poste dans 215 succursales et autres bureaux dont le Siège social.

Siège social

L'état-major de la Banque compte plus de 1 250 employés et au-delà de 2 000 personnes occupent des fonctions spécialisées dans les opérations bancaires reliées au Siège social. Les employés qui le désirent sont renseignés en français sur toutes les questions ayant trait au recrutement, aux conditions de travail et aux salaires et avantages sociaux.

L'activité bancaire au Québec

Depuis plus d'un siècle et demi, la Banque de Montréal offre aux particuliers et aux entreprises québécoises de toute taille une gamme toujours plus vaste de services bancaires. Le Québec représente une part importante du marché de la Banque; aussi elle s'efforce sans cesse de répondre à leurs besoins.

Le Siège de la Division du Québec compte un personnel de 200 employés. La connaissance du français est essentielle dans 90 pour cent des postes. Depuis dix ans, le nombre de postes occupés par des francophones a augmenté de l'ordre de 60 à 90 pour cent pour l'ensemble de la Division. Les clients sont servis en français ou en anglais à leur gré.

Les communications écrites et orales à l'intérieur de la Division et entre la Division et les 215 succursales de la province se font en très grande partie en français. Tous les formulaires destinés aux clients et presque toutes les méthodes et directives à l'intention des succursales sont émis en français. Le français est également de plus en plus utilisé dans les rapports avec les employés, les clients et les actionnaires. Le mouvement de francisation que nous venons de décrire s'est amorcé bien avant la publication du Projet de loi 22. Il s'inscrit dans le cadre d'une politique bien définie. Nous avons l'intention de continuer dans cette voie, même si la loi ne nous y obligeait pas.

Les employés de la Division du Québec utilisent le français dans l'exécution de la plupart de leurs tâches. Cependant, certains d'entre eux doivent également travailler en anglais, en raison du nombre considérable de clients — particuliers et entreprises d'envergure nationale et internationale — qui demandent à être servis en anglais. En outre, certaines succursales du Québec comptent parmi leurs employés des personnes ayant une connaissance de plusieurs autres langues, ce qui permet de servir les clients dans leur langue. Enfin, les employés qui travaillent en français au Québec voient souvent d'un bon oeil l'occasion de travailler en anglais dans la mesure où il leur est ainsi possible de compléter leur plan de carrière auprès des autres secteurs de la Banque — Siège social, bureaux et succursales des autres provinces et à l'étranger — où le français n'est pas de rigueur.

Référer à la version PDF page CLF-482

Car il est un fait indéniable: la langue utilisée dans le domaine bancaire tant au Canada qu'avec l'étranger est l'anglais. Or, l'essor que connaît la Banque à l'extérieur du Québec et du Canada confirme la nécessité pour le Siège social d'utiliser l'anglais dans la gestion de ses opérations hors du Québec.

La Banque estime avoir contribué d'une manière appréciable à l'amélioration de la situation du français dans ses opérations et dans ses relations avec les employés francophones du Québec. Un exposé plus détaillé de ses réalisations figure en annexe.

La politique linguistique de la Banque est définie dans une directive du manuel des Normes et Méthodes et tout employé peut la consulter au besoin.

Référer à la version PDF page CLF-483

Référer à la version PDF page CLF-484

Référer à la version PDF page CLF-485

Conclusion

La Banque de Montréal appuie l'objectif de faire du français la langue principale du Québec. En fait, cet objectif est à plusieurs égards déjà atteint et, avec ou sans loi, le mouvement de francisation se poursuivra. La Banque espère y voir des progrès de plus en plus marqués en ce sens, pourvu que les moyens s'avèrent constructifs, équitables et réalistes et ne portent pas préjudice inutilement.

La Banque de Montréal souhaite que tous les citoyens du Québec atteignent leur épanouissement culturel par un meilleur niveau de vie et une économie saine et prospère. La meilleure façon d'y parvenir, c'est bien de créer une atmosphère de compréhension et d'acceptation mutuelles où le respect des libertés individuelles est assuré.

En sa qualité d'établissement bancaire de premier plan, la Banque de Montréal est disposée à faire sa part — et plus — pour la relance et le développement de l'économie du Québec au profit des Québécois.

(Annexe)

Exposé sommaire de la progression du français à la Banque de Montreal au Québec

Division du Québec

La Division du Québec de la Banque de Montréal comprend 215 succursales réparties sur l'ensemble du territoire québécois, et un siège divisionnaire regroupant 200 employés à Montréal. Ce siège occupe des locaux distincts de ceux du Siège social. Les succursales relèvent de directeurs régionaux en poste à Québec et à Montréal.

Il y a longtemps que le français est utilisé dans les rapports avec les clients de la Banque. Le client se fait servir dans la langue de son choix, c'est-à-dire en français ou en anglais dans toute succursale au Québec, et toutes les formules ainsi que les contrats sont disponibles dans les deux langues.

Suite à l'établissement de programmes linguistiques bien définis, l'usage du français dans les divers aspects des relations de la Banque avec ses employés a connu une expansion marquée. Le matériel publicitaire servant au recrutement et les formules de demande d'emploi sont rédigés en français et en anglais. Les entrevues relatives à l'embauche se déroulent dans l'une ou l'autre de ces langues au choix du candidat. C'est en 1966 que la Banque commençait le recrutement auprès des institutions d'enseignement au Canada. L'an dernier au Québec nous avons visité seize CEGEP et sept universités de langue française, ainsi que quatre universités de langue anglaise. Ces visites ont conduit à l'embauche de 80 nouveaux employés dont 69 étaient de langue française; nous avons exigé de la part de toutes les nouvelles recrues destinées à occuper des postes au Québec la connaissance du français.

Aujourd'hui, le nouvel employé a l'avantage de pouvoir suivre, en français ou en anglais, tous les cours de formation portant sur les méthodes d'exploitation utilisées en succursales, les fonctions reliées à la caisse et les techniques de gestion.

Les titres des postes ainsi que les définitions de tâches des postes hors cadres sont formulés en français et en anglais. Nous sommes en train de compléter en français la définition des tâches des cadres.

Tous les renseignements touchant les avantages sociaux de la Banque — régimes d'assurance-santé, congés, régimes de retraite et autres — sont disponibles en français et en anglais. Les entrevues effectuées dans le cadre du programme d'évaluation du rendement et les sondages faits auprès des employés se déroulent dans les deux langues.

En outre, les employés ont la possibilité de parfaire leurs connaissances en suivant des cours de langue française ou anglaise dispensés dans des établissements approuvés par la Banque. Les frais engagés par l'employé sont remboursés intégralement par la Banque à condition toutefois que l'employé ait réussi les cours en question.

Le français est utilisé dans environ 85 pour cent des communications entre la Division du Québec et ses succursales. Les lettres circulaires sont publiées simultanément dans les deux langues et les manuels d'opérations bancaires sont presque tous disponibles en français aussi bien qu'en anglais. A titre d'exemple, toute la documentation reliée à l'information des opérations bancaires de nos succursales canadiennes a été publiée dans les deux langues. Il s'agit d'environ 3 000 pages d'instructions, de méthodes d'exploitation, de manuels d'organisation et de cours de formation connexes. Les caissières reçoivent leur formation sur place au terminal soit en français, soit en anglais, au choix de l'employée.

Siège social

Les documents de travail précités à l'usage du personnel de la Division du Québec sont également mis à la disposition des nouvelles recrues et des employés du Siège social.

La revue des employés, Concordia, est publiée en français et en anglais.

Les normes et méthodes d'application générale à la Banque, que nous appelons Directives, comprennent plus de 5 500 pages en plus de la documentation informatique précitée. Plus de la moitié

de ces Directives est déjà publiée en français et la rédaction française continue. Les premières Directives à paraître en français furent celles qui avaient une grande incidence sur la connaissance que doivent avoir les employés de leurs fonctions et de leurs droits et responsabilités.

Les circulaires du Siège social diffusent des instructions courantes et des renseignements importants. Elles sont publiées simultanément en français et en anglais.

Avancement chez les cadres francophones dans la Banque

La Banque ne cesse d'accroître ses efforts dans le but de favoriser de façon systématique la promotion à tous les niveaux hiérarchiques de cadres francophones à l'avenir prometteur. Des postes de haute direction à l'extérieur du Québec sont offerts à des cadres de langue maternelle française qui possèdent de grandes aptitudes afin de compléter leur plan de carrière. A la Division du Québec en particulier les francophones ont accédé dans une proportion croissante aux postes de cadres supérieurs. En effet, plus de 80 pour cent des 950 postes cadres sont occupés par des employés de langue maternelle française.

Document(s) associé(s) à la séance