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Version finale

30e législature, 2e session
(14 mars 1974 au 28 décembre 1974)

Le jeudi 13 juin 1974 - Vol. 15 N° 90

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Etude du projet de loi no 22 — Loi sur la langue officielle


Journal des débats

 

Commission permanente de l'éducation,

des affaires culturelles et des communications

Etude du projet de loi 22

Loi sur la langue officielle

Séance du jeudi 13 juin 1974

(Dix heures huit minutes)

M. LAMONTAGNE (président de la commission permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre, messieurs !

Je voudrais d'abord faire part des changements dont on m'a informé. Comme membres de la commission, M. Kennedy (Châteauguay) remplace M. Bérard (Saint-Maurice); M. Tardif (Anjou) remplace M. L'Allier (Deux-Montagnes); M. Ciaccia (Mont-Royal) remplace M. Parent (Prévost); M. Beauregard (Gouin) remplace M. Phaneuf (Vaudreuil-Soulanges).

Ordre du jour et procédure

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Egalement, avant de continuer à entendre l'organisme qui était avec nous hier soir, je voudrais vous faire part des organismes que nous rencontrerons aujourd'hui, en mentionnant tout d'abord que quatre organismes n'avaient pas reçu l'avis de 48 heures requis et n'ont pas renoncé à leur avis de convocation.

Dans ce cas, nous avons préféré, en conformité avec nos règles de pratique de convoquer à nouveau ces organismes. Donc, il y a quatre organismes qui apparaissent sur votre ordre du jour et qui ne viendront pas aujourd'hui, à savoir: Le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec, le Comité Canada, l'Association des directeurs généraux des commissions scolaires protestantes et l'Association des démographes du Québec.

Ces organismes viendront à compter de demain ou à une autre date, justement à cause de l'avis de 48 heures auquel ils n'ont pas renoncé.

M. CHARRON: M. le Président, c'est quoi exactement?

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le Congrès canadien polonais, le Conseil des hommes d'affaires québécois Inc. et le Regroupement étudiant Québec français.

M. CHARRON: Etudiant.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le Regroupement étudiant Québec français.

Pour le bénéfice des membres de la commission, nous allons vous distribuer, dans quelques minutes, l'ordre du jour de demain également pour vous mieux préparer pour les organismes.

Je rappelle aux membres de la commission que c'est l'avis de 48 heures qui n'avait pas été respecté dans ces cas, et les organismes n'ont pas voulu renoncer à l'avis de convocation.

Le député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: Pendant qu'on est à discuter de ces choses, la règle adoptée par la motion présentée par le leader du gouvernement, l'autre jour, qui prolongeait d'une semaine le délai pour le dépôt des mémoires et qui, en même temps, réduisait à 48 heures l'avis, ça veut dire quoi exactement?

Si nous convoquons, par exemple, les groupes pour 10 heures ce matin, jeudi, cela veut dire que les groupes devraient avoir reçu le télégramme avant 10 heures mardi matin, et non pas qu'il soit parti d'ici, qu'il ait été reçu 48 heures avant l'heure de la convocation.

M. CLOUTIER: Voici ce qui s'est passé, M. le Président. C'est que, normalement, le délai est de sept jours. Etant donné les circonstances, le leader a présenté une motion pour le raccourcir à 48 heures. Cette motion a été acceptée à l'Assemblée nationale entre 3 heures et 4 heures mardi. Nos convocations sont parties mardi à 4 heures. Nous sommes exactement à six heures près dans les limites. Or, pour ne pas être trop rigide, étant donné que c'est une période de transition, nous avons pensé que nous pourrions reconvoquer ces organismes à moins que l'Opposition préfère qu'on applique le règlement strictement.

M. CHARRON: Absolument pas!

M. LEGER: Sur ce point, il ne faut pas être intraitable.

M. CHARRON: Vous dites que vous êtes... M. CLOUTIER: Sur le plan des principes.

M. CHARRON: ... à six heures près, mais quand même, je pense que la période de 48 heures devrait être entendue... Comme le groupe ayant reçu la convocation 48 heures avant l'heure où il doit se présenter... Ce qui veut dire que... Non. Je demande une interprétation souple de la motion, c'est-à-dire que la responsabilité porte au cabinet du ministre de l'Education pour que lui, fasse partir son télégramme, je dirais, 72 heures avant, pour que le groupe l'ait 48 heures avant. Qu'est-ce que cela voulait dire? Même avec les six heures de retard, déjà, il n'en restait plus que 42 au moment où le télégramme est parti. Mais avant que le groupe le reçoive, cela veut dire mercredi matin. Cela voulait dire hier matin.

M. HARDY: Je ne suis pas d'accord sur le principe que c'est l'heure de réception. Parce

qu'à ce moment les gens peuvent toujours dire: On n'a pas de contrôle.

M. CHARRON: Rangeons-nous du côté...

M. HARDY: Mais que le télégramme parte d'ici plus tôt.

M. CLOUTIER: D'abord, je voudrais préciser, M. le Président, que ce n'est pas le cabinet du ministre de l'Education qui convoque, c'est le secrétariat des commissions. Il est très important de le savoir, parce que les commissions constituent un organisme de l'Assemblée nationale.

M. CHARRON: II fixe l'ordre de...

M. CLOUTIER: Deuxièmement, je suis entièrement d'accord pour qu'on envoie les télégrammes avant 48 heures, et, en fait, c'est ce que l'on fait maintenant. Les télégrammes sont partis pour pratiquement une partie de la semaine prochaine.

M. CHARRON: Très bien.

M. MORIN: M. le Président, j'aurais deux questions à poser. La première porte sur l'heure d'envoi ou de réception du télégramme. Le ministre des Affaires culturelles n'ignore pas que, lorsqu'un télégramme est remis à destination, l'heure de remise est notée. Il y a donc un moyen de contrôler quand un organisme ou une personne a reçu l'avis. Je crois que c'est l'esprit de la loi de donner deux jours francs. Autrement, une personne pourrait très bien ne pas avoir le temps de se préparer convenablement à comparaître.

D'autre part, puisque la liste est déjà préparée pour les jours qui viennent, est-ce qu'il serait possible à l'Opposition d'avoir une copie des personnes appelées à comparaître pour les prochains six ou sept jours?

M. CLOUTIER: Peut-être pas pour les prochains six ou sept jours parce que la liste n'est pas faite pour une période aussi longue, mais le président a demandé tout à l'heure au secrétariat des commissions de lui apporter les horaires pour les deux ou trois jours disponibles.

M. MORIN: Une dernière question. Lorsqu'une association se trouve dans l'impossibilité de comparaître parce que, pour diverses raisons, ses membres doivent se trouver en d'autres lieux, est-ce que cette association perd son droit de comparution ou tombe-t-elle tout simplement au pied de la liste?

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je vais en profiter pour relire avec vous l'article 6 de nos règles de pratique qui mentionne: "Si lors de l'appel, celles-ci..." — en parlant d'un organisme — "ne se sont pas présentées ou ne sont pas prêtes à procéder, elles perdent leur droit de se faire entendre, à moins que la commission n'en décide autrement".

M. MORIN: C'était le sens de ma question. Est-ce que la commission décidera de chaque cas particulier ou bien ne pouvons-nous pas adopter une position de principe là-dessus et convenir, surtout à cette époque-ci de l'année, alors que les organismes ont souvent de la difficulté à se réunir, qu'un organisme qui ne pourrait se présenter à la date annoncée pourrait tomber au pied de la liste tout simplement, dans l'intérêt d'une exploration complète du problème linguistique?

M. CLOUTIER: II semble bien que le chef de l'Opposition cherche à gagner du temps. Enfin, je ne veux pas faire de commentaires là-dessus.

M. HARDY: Manoeuvre dilatoire. M. MORIN: Non. Pas du tout.

M. CLOUTIER: Mais ce que je veux préciser, c'est qu'il m'apparaît impossible d'adopter une règle générale dans un domaine comme celui-ci. Sinon, nous risquons de nous trouver en présence d'un véritable blocage d'un processus démocratique qui est la commission parlementaire.

En revanche, je pense parfaitement logique d'étudier chaque cas au mérite.

M. MORIN: Est-ce que le ministre pourrait, du moins, nous donner l'assurance morale, puisqu'il ne peut pas nous donner l'assurance juridique, que tous les organismes seront entendus en principe?

M. HARDY: M. le Président...

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Si vous permettez, je voudrais vous donner un exemple que je reçois à l'instant, quitte à donner à nouveau la parole au ministre des Affaires culturelles. Nous venons de recevoir un appel il y a quelques minutes de M. Michel Bouchard, président du Regroupement étudiant Québec français de Bagotville, nous confirmant sa non-présence à la commission parlementaire de ce matin. M. Bouchard ne semble pas tenir particulièrement à être reconvoqué plus tard. Un dépôt de mémoire semblerait suffisant. Ce qui fait que, pour aujourd'hui, de trois, nous sommes à deux maintenant.

M. HARDY: M. le Président, je pense que la suggestion du député de Sauvé n'est pas très logique; elle s'inspire de je ne sais pas trop quel motif. A première vue, elle s'inspire du motif de faire, entendre tout le monde...

M. MORIN : On ne peut rien vous cacher !

M. HARDY: ... ce qui est très bien. Oui, c'est le motif apparent, mais le député...

M. MORIN: Est-ce que vous me prêtez des intentions?

M. CHARRON: Contrairement aux règlements.

M. HARDY: C'est-à-dire que le juriste qui habite le député de Sauvé me rend méfiant, parce que...

M. MORIN: Si vous vous méfiez de tous les juristes, vous n'avez pas fini !

M: HARDY: M. le Président, je n'ai pas dit tous les juristes, j'ai dit le juriste qui habite le député de Sauvé. C'est bien circonscrit.

M. MORIN: Le juriste qui habite le ministre est au-dessus de tout soupçon.

M. HARDY: Peut-être parce qu'il n'a pas eu la malchance de suivre vos cours.

M. MORIN: Je crois qu'il fait de la projection, ce juriste qui habite le ministre des Affaires culturelles.

M. HARDY: M. le Président, trêve de plaisanteries.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je voudrais savoir...

M. HARDY: Ces notaires!

M. CLOUTIER: II est le meilleur président.

M. LEGER: Quand deux juristes s'affrontent, le simple citoyen est méfiant.

M. CLOUTIER: Non, mais c'est un notaire qui vient de parler.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Sur une question de règlement, très brièvement, s'il vous plaît, nous sommes ici pour écouter.

M. HARDY: Tel que l'a dit tantôt le ministre de l'Education, je pense qu'adopter la proposition du député de Sauvé serait totalement contradictoire avec la bonne marche d'une commission parlementaire. Ce serait tout simplement dire d'avance aux gens: Vous savez, venez ou ne venez pas, vous êtes sûrs d'être entendus à un moment donné. Je pense que le principe que nous devons adopter, c'est que si les gens ne se présentent pas au moment où ils ont été convoqués, ils ne seront pas entendus, sauf s'il y a des dispositions particulières, si ces gens peuvent nous démontrer que ce n'est pas par mauvaise volonté, qu'il y a vraiment des circonstances, qui ne sont pas de leur volonté, qui ont fait qu'ils ne se sont pas présentés. La règle générale, ce devrait être que si les groupes ne se présentent pas au moment où ils sont convoqués, on ne les entend pas, sous réserve d'examiner les raisons qu'ils pourraient invoquer pour justifier une nouvelle convocation.

M. MORIN: M. le Président, je ne faisais que demander au ministre une assurance morale. Je n'insiste pas pour que nous ayons une décision juridique. Je voudrais simplement m'assurer que tout le monde aura la chance d'être entendu.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): II y a tout de même l'article 6.

M. LEGER: Sur un point de règlement, je vais être bref, mais je ne peux pas laisser passer, parce que cela va être inscrit au journal des Débats, ce que le ministre des Affaires culturelles a dit. Je pense que si un groupe qui était inscrit ne peut pas venir, il ne faut pas prendre pour règle de dire que, parce qu'il est absent, on refusera de l'entendre à moins que... Je pense que ce n'est pas la solution. On va l'inviter à nouveau, à moins que...

M. HARDY: M. le Président, on va respecter le règlement.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je vais relire avec vous l'article 6 au complet cette fois: A l'ouverture de la séance, — donc c'est à l'ouverture de chaque séance— le président donne lecture de l'ordre du jour — comme je l'ai fait tout à l'heure — il appelle à tour de rôle les personnes convoquées. Si, lors de l'appel celles-ci ne se sont pas présentées, ou ne sont pas prêtes à procéder, elles perdent leur droit de se faire entendre...

M. HARDY: C'est cela.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): ... à moins que la commission n'en décide autrement. Donc, je pense que, à l'ouverture de chaque séance, la proposition de l'honorable député de Lafontaine peut revenir, chaque fois que quelqu'un ou un organisme ne répondra pas à l'appel.

M. LEGER: C'est dans le règlement?

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Dans les règles de pratique. Ce qui veut dire que vous pouvez soulever chaque fois le cas à la commission qui doit décider pour telle personne ou tel organisme en temps et lieu; vous avez ce privilège de le faire toutes les fois. L'honorable député de Beauce-Sud m'avait demandé la parole.

M. ROY: Etant donné le nombre de mémoires que nous avons, il y a une question de règlement, mais il n'y a pas de juriste qui habite

en moi. Je tiens tout de suite à rassurer... Cela paraît et je tiens à vous dire que je n'ai pas de complexe là-dessus.

M. HARDY: Bien sûr et vous n'avez pas de raison d'en avoir.

M. ROY: Bon parfait. Mais je pense qu'il y a une question de grosse logique là-dedans. S'il faut commencer tous les matins par faire un débat de procédure qui pourrait prendre dix, quinze ou vingt minutes, je pense qu'il y a quand même un voeu que la commission pourrait émettre à ce moment-ci, c'est que tous ceux et celles, compte tenu du fait que la commission siège en dehors des règlements — nous avons été obligés de donner un consentement unanime à l'Assemblée nationale pour que les délais soient raccourcis, ce sont des choses que nous avons été obligés de faire—...

M. CLOUTIER: Ce n'est pas en dehors des règlements.

M. ROY: Non. Ce n'est pas en dehors des règlements, mais ce sont des choses qu'il nous a fallu faire pour permettre à la commission de siéger au plus tôt et permettre aux gens de présenter leur mémoire et de venir se faire entendre devant la commission. Pour éviter de reprendre les débats ce matin... Est-ce que le juriste qui habite le député de Terrebonne pourrait me laisser le soin de terminer mon intervention?

M. HARDY: Je ne parle pas, je consulte mon...

M. MORIN: M. le Président...

M. ROY: M. le Président, je n'avais pas terminé. Je voulais dire tout simplement ceci. On pourrait reporter ces gens-là au bas de la liste et, lorsque ce sera le temps, on pourra faire une discussion et on pourra déterminer en analysant tous les cas... Ce que je veux éviter, c'est un débat tous les matins. C'est cela que je veux éviter, c'est la raison pour laquelle je demande qu'on prenne une mesure d'ensemble et qu'on attende vers la fin pour régler la question, mais pour tout le monde.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable chef de l'Opposition officielle.

M. MORIN: M. le Président, puisque c'est le moment, à l'ouverture de la séance, est-ce que je pourrais proposer que les organismes qui avaient été convoqués aujourd'hui et qui n'ont pu se présenter, soient de nouveau convoqués en temps opportun, s'ils ont la volonté de comparaître?

M. CHARRON: J'ajoute, puisque dans le cas précis, le délai de 48 heures n'avait même pas été respecté par...

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Dans ce cas, ce matin, j'avais donné les explications voulues, il y a eu un défaut technique. Je ne pense pas qu'il y ait besoin d'une motion parce que, si je prends un exemple, le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec vient demain matin, immédiatement, il a été reconvoqué parce qu'il y avait eu un défaut technique. Ce n'est pas un refus de se présenter, dans ce cas précis de ce matin. Je pense que la proposition de l'honorable chef de l'Opposition officielle pourrait venir en un autre temps lorsqu'il y a vraiment quelqu'un qui ne se présente pas.

M. MORIN: Dans ce cas, nous pouvons procéder.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je voudrais donner l'ordre du jour pour le bénéfice des membres de la commission. L'honorable député de Saint-Jacques, en premier, Beauce-Sud, Anjou, Saint-Jean, Pointe-Claire, Papineau et Sauvé.

L'honorable député de Saint-Jacques.

Association québécoise des professeurs de français (suite)

M. CHARRON: M. le Président, peut-être pouvons-nous reconvoquer à la table les porte-parole de l'Association québécoise des professeurs de français.

M. le Président, j'avais entamé hier soir, avec les porte-parole de l'association, un survol de l'exercice de leur profession et des difficultés qu'ils rencontrent dans l'exercice de cette profession de même que la difficulté que tout le monde reconnaît et qui se retrouve dans le résultat de leur enseignement, lorsqu'on vérifie la qualité du parler et de l'écrit français au niveau du système collégial. J'ai l'intention, comme je vous l'ai signalé hier soir, de continuer quelques brèves questions là-dessus afin de permettre ensuite au député de Saint-Jean d'intervenir — je crois qu'il avait manifesté l'intention de poser des questions sur ce chapitre en particulier — avant de revenir sur le mémoire à proprement parler.

Hier, vous nous avez parlé des conditions dans lesquelles vous donniez cet enseignement du français, vous avez parlé du rapport maître-élèves comme étant une des causes de difficultés de l'enseignement.

Je veux vous demander si, à votre avis, le nombre d'heures enseignées au niveau secondaire, de secondaire I à secondaire V, par rapport à l'enseignement de la langue seconde, comme, d'une façon absolue, sans aucune comparaison, vous apparaît suffisant dans le cadre actuel des règlements qui régissent l'enseignement?

M. DORION: M. Boivin va vous répondre. M. BOIVIN: Si on faisait le tour d'horizon,

vous vous souvenez, M. Charron, qu'anciennement, lorsqu'on enseignait le français à l'élémentaire, il y avait beaucoup plus d'heures qui étaient allouées à l'enseignement du français, puisque la question d'éducation physique, des arts rythmiques, des arts plastiques, ne se posait même pas, de sorte que les élèves de l'élémentaire avaient peut-être dix, douze ou treize heures de français, ce qui n'est plus le cas maintenant. Déjà, ce n'est pas suffisant d'enseigner quelques heures de français à l'élémentaire. C'est normal que cette situation se manifeste au secondaire, où il reste cinq heures d'enseignement de français par semaine. La même chose pour l'enseignement de l'anglais.

Dans les cinq heures d'enseignement de français, il faut enseigner de la grammaire, de la littérature, de l'explication de textes et tout ce que vous voudrez. Alors, cinq heures, c'est très peu.

M. CHARRON: Les cinq heures dont vous parlez, à quel niveau est-ce actuellement?

M. BOIVIN: Cinq heures, secondaire, I à V. M. CHARRON: Cinq heures...

M. BOIVIN: C'est cinq heures/semaine. On arrive avec des groupes qui souvent sont beaucoup trop nombreux. Il faudrait ajouter que lorsqu'on a implanté les programmes cadres de français en 1969, c'était presque écrit qu'on aurait des groupes de 25. Qu'on aurait un agent de développement pédagogique par commission scolaire régionale. Nous n'avons jamais eu cela. C'est bien beau; on a dit: On va augmenter le nombre de volumes dans les bibliothèques, cela a pris beaucoup de temps. Cela commence à débloquer, mais le matériel audio-visuel fait défaut dans l'enseignement du français. Ce n'est pas tout d'avoir des magnétophones.

M. CHARRON: Je reviens à la situation que vous décriviez hier en prenant vous-même, M. Boivin, l'exemple du recrutement des professeurs de français, qui se fait souvent à la légère ou sans aucune préparation. On dit à quelqu'un: Toi, à partir de maintenant, même si tu quittes pour une branche tout à fait différente de celle où tu étais, tu enseigneras le français. Le ministre, hier, a fait référence aux actions de l'ancien gouvernement, mais le présent gouvernement est quand même là depuis quatre ans. Est-ce que, depuis quatre ans, la même situation prévaut toujours dans l'embauchage de professeurs de français?

M. BOIVIN: De toute façon, je pense qu'il n'y a rien de changé dans les faits. Cela se passe encore tous les ans. Il y a des professeurs qui ne sont absolument pas préparés pour enseigner le français et qui enseignent le français. Mais on ne peut pas dire que cela a changé. Encore dernièrement, on l'a vu. On sait ce qui va se passer l'an prochain. Il y a encore des professeurs qui n'ont pas leurs deux ans d'enseignement, qui ne sont pas permanents et qui sont remerciés, parce que, dans certaines écoles, les élèves ont diminué. A ce moment-là, on fait appel aux enseignants en place pour continuer l'enseignement.

M. CHARRON: Hier, également, on a parlé du plan de développement de l'enseignement des langues auquel s'est référé le ministre comme ayant été la solution qu'il a apportée à ce problème depuis qu'il occupe la place de ministre de l'Education.

Vous avez fait mention, M. Dorion, dans votre exposé, que ce plan sur cinq ans n'a pas fait place à l'enseignement du français comme première mesure à développer, mais qu'on a plutôt fait porter les efforts des deux premières années de ce plan de développement sur l'enseignement de la langue seconde, française dans les écoles anglaises et anglaise dans les écoles françaises.

Qu'est-ce que le plan Cloutier, comme on l'a baptisé, a apporté de concret depuis son existence dans l'enseignement du français, langue maternelle?

M. DORION: A ce stade-ci du plan de développement de l'enseignement des langues, ce que cela a apporté, ce sont de nouveaux conseillers pédagogiques au niveau élémentaire, grâce aux sommes qui étaient prévues dans le plan de développement de l'enseignement des langues. Mais ces conseillers pédagogiques ont augmenté dans une proportion, je ne sais pas trop de combien. Il y a peut-être une trentaine de nouveaux conseillers pédagogiques à l'élémentaire. Mais il reste qu'il y a des problèmes encore plus sérieux qui se posent, par exemple, avec les agents de développement pédagogique. Entre les conseillers pédagogiques et les agents de développement pédagogique, il n'y a pas encore un système qui permette un rapprochement entre les deux groupes de personnes qui devraient oeuvrer au même niveau.

Il y a également multiplication des instruments audio-visuels — il faut bien le remarquer — mais on s'est peut-être un peu moqué de nous en disant que les professeurs de français n'étaient pas assez habiles pour se servir des instruments audio-visuels. C'est un fait qu'il y a certaines techniques à apprendre pour utiliser ces instruments. Bien entendu, ce n'est pas très long à apprendre. Il ne faut pas présumer qu'on n'est pas assez intelligent pour s'en servir, mais il reste qu'ils ne sont pas toujours à notre disposition. Je veux dire qu'ils sont techniquement et théoriquement à notre disposition, parce qu'ils sont dans des locaux qui contiennent ces instruments audio-visuels, mais lorsqu'on veut les avoir, ils sont accaparés par d'autres ou l'appariteur en service n'est pas là.

Ce n'est pas aux professeurs de français, bien sûr, à aller courir à l'autre bout de la régionale

pour aller chercher les instruments. Il y a une certaine période de rodage qui s'effectue actuellement et qui fait qu'on n'a pas encore les résultats escomptés de ces instruments audiovisuels.

M. GAULIN: M. Charron... M. CHARRON: Oui.

M. GAULIN: ... si vous me le permettez, je voudrais dire trois choses du plan de développement de l'enseignement des langues.

Je pense qu'il est essentiel qu'un Etat ait un plan d'enseignement des langues, de développement de l'enseignement des langues.

Cependant, je dois faire les réserves suivantes: En fait, lorsqu'on parle dans ce plan de l'enseignement des langues, on ne parle que du français qu'on appelle langue maternelle, qui n'est pas qualifiée également de langue nationale, et on parle aussi de l'anglais. La première réserve, c'est qu'il y a ici... Je pense qu'on pourrait parler de l'enseignement du français comme langue seconde dans un plan de développement de l'enseignement des langues, la langue seconde pour ceux qui ont une langue maternelle autre que le français, par exemple les gens de langue maternelle anglaise, les gens de langue maternelle italienne, les gens de langue maternelle allemande, etc. Cependant, je trouve qu'ici il y a une confusion entre la langue d'enseignement qui est, en fait, la langue nationale, et l'enseignement des langues. Je pense que ce plan de développement de l'enseignement des langues ne fait pas de place aux langues étrangères parmi lesquelles j'inclus d'ailleurs l'anglais, l'italien, l'allemand, etc.

Troisièmement, je trouve qu'il est inadmissible — je le dis en toute déférence— que l'on demande d'enseigner une autre langue que la langue nationale à l'élémentaire. Et là-dessus, je reprends ce qui a été dit hier: Si le fait d'être obligé, au Québec, d'enseigner l'anglais à l'école élémentaire n'est pas le fait que le français est une langue dominée, je me demande ce que c'est. Il n'y a aucun pays moderne normal du monde qui tolère l'enseignement d'une autre langue que la langue nationale à l'élémentaire. Je voudrais qu'on me cite des exemples, si c'est possible.

M. DEOM: Etes-vous déjà allé en Suède?

M. DORION: II faudrait voir la situation de la Suède.

M. CLOUTIER: En France également. Partout en Alsace, partout en Hollande, dans la plupart des pays du Marché commun.

M. GAULIN: M. le ministre, il faudrait distinguer...

M. CLOUTIER: En Hollande à l'élémentaire, on apprend même l'anglais comme langue seconde.

M. GAULIN: ...les enseignements qui sont faits de façon étendue et institutionnalisée et les enseignements qui sont faits de façon sporadique, suivie. Je pense, par exemple, qu'on peut apprendre l'anglais dans telle école de Paris, à des très jeunes enfants, mais dans une situation socio-économique très différente de la nôtre, et dans un contexte très circonscrit. Ce qui n'est pas notre cas.

M. CLOUTIER: Je n'ai pas parlé d'expérience pilote comme il en existe dans certains lycées parisiens. J'ai parlé de l'Alsace où on apprend l'allemand maintenant comme langue seconde, à cause du Marché commun et de la proximité de l'Allemagne. Et quand on connaît l'histoire de l'Alsace, on réfléchit sérieusement. Cependant, cela se fait à l'école primaire. D'ailleurs, je vous fais remarquer que, dans le plan de développement des langues, l'enseignement de l'anglais à l'élémentaire n'est pas obligatoire. Il peut se faire en première ou en troisième année, suivant le cas, compte tenu des désirs des parents et des circonstances de l'environnement.

M. GAULIN: Si j'ai bien compris, M. le ministre, il n'est pas obligatoire avant la cinquième année. Le plan de développement de l'enseignement des langues rend obligatoire l'enseignement de l'anglais à partir de la cinquième année.

M. CLOUTIER: Oui, et je crois que c'est une excellente chose.

M. GAULIN: Oui, ce qui n'était pas le cas auparavant.

M. CLOUTIER: Absolument! Parce que je suis très heureux de vous entendre souligner l'importance du plan de développement des langues, tant sur le plan de la langue maternelle que sur le plan de l'apprentissage de la langue seconde. Je souligne, parce que certaines personnes semblent en avoir douté au Québec, que l'enseignement de l'anglais est devenu obligatoire en cinquième de l'élémentaire, et peut être organisé — il l'a été effectivement — en première et en troisième.

M. MORIN: Vous avez invoqué le cas de l'Alsace. Est-ce que nous pourrions l'examiner d'un peu plus près? Vous savez que la langue maternelle des Alsaciens est l'allemand. C'est un dialecte allemand.

Il est tout à fait normal qu'ils apprennent la langue allemande à l'école primaire. Leur langue maternelle est proche de l'allemand. C'est celle qu'on parle dans les rues de Strasbourg. J'imagine que le ministre le sait.

M. CLOUTIER: Non. Je connais assez bien Strasbourg, croyez-moi, et la langue maternelle est le français. Il est exact qu'il y a...

M. MORIN: Je pense que les Alsaciens seraient furieux de vous entendre.

M. CLOUTIER: Au contraire. Je crois qu'ils seraient furieux de vous entendre dire que leur langue maternelle est l'allemand. Qu'ils utilisent...

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Nous pourrions peut-être aller siéger à Strasbourg.

M. CHARRON: On a refusé le principe de la commission itinérante.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je voudrais mentionner que le député de Saint-Jacques avait la parole et je voudrais respecter l'ordre parce qu'il est déjà 10 h 40. Le député de Saint-Jacques pourrait terminer sa question.

M. CHARRON: J'ai une dernière question sur l'enseignement à proprement parler du français. Vous affirmez à la page 5 de votre mémoire que l'article 52 de la loi confirmé par l'article 116 annule, à toutes fins pratiques, le règlement no 6 du ministère de l'Education. J'aimerais vous entendre développer cette explication, si vous pouvez.

M. DORION: Je n'ai malheureusement pas le texte du règlement no 6 ici. Je crois que c'est l'article 2 de ce règlement no 6 qui prévoyait l'enseignement du français dans les écoles anglophones à partir de la quatrième année ou quelque chose comme cela, et, par le fait même, il est supprimé.

M. CLOUTIER: Absolument pas. Je m'excuse. Je suis obligé d'apporter cette précision. Je crois que c'est fondamental. Pas du tout. Cet article 52 reprend précisément, mot à mot, la disposition qui a fondé, dans une autre loi, le règlement no 6. Le règlement no 6 n'aurait même pas de substrat juridique si nous n'avions pas mis l'article 52. Cet article a été introduit...

M. CHARRON: ... par le bill 63.

M. CLOUTIER: Une partie, oui. C'est la seule partie qui est conservée parce que c'est une partie précisément qui visait à renforcer l'enseignement du français dans le secteur anglophone et le règlement no 6 est conservé intégralement.

M. DORION: Pas du tout. Il y a un paragraphe d'enlevé. Il y a trois ou quatre lignes qui sont enlevées et qui faisaient allusion aux 40 p.c. des...

M. CLOUTIER: Pas du tout. Je m'excuse.

En fait, il ne s'agissait pas de 40 p.c, mais les taux progressifs d'introduction n'ont jamais été dans la loi. D'ailleurs, cela n'a pas lieu d'être dans la loi. C'est dans le règlement.

M. DORION: C'était un règlement d'ailleurs.

M. CLOUTIER: II est là le règlement. Il est intact. Il n'a pas été touché et il ne le sera pas.

M. DORION: C'est dommage que je n'aie pas le texte parce que je sais qu'il y a des lignes qui ont été enlevées.

M. CLOUTIER: Non. Le règlement n'est pas modifié. Un règlement découle d'une loi et si on utilise le pouvoir réglementaire, c'est parce que certaines dispositions n'ont pas lieu d'être incluses dans la loi. Encore faut-il que la loi en prévoie le principe. Le règlement no 6 vient, comme l'a signalé le député de Saint-Jacques, d'une disposition de la loi 63 et le règlement no 6 serait disparu, lorsque nous avons voulu abroger la loi 63, si nous n'avions pas conservé cette disposition par l'article 52. Le règlement no 6 n'est absolument pas modifié.

M. DORION: J'aimerais avoir le texte de la loi parce que je ne suis pas sûr de ce que vous affirmez.

M. CLOUTIER: Ce n'est pas le texte de la loi, c'est le texte du règlement.

M. DORION: ... de l'arrêté en conseil, du règlement oui.

M. CLOUTIER: Le texte du règlement est celui qui existait, qui existe depuis deux ou trois ans. Il n'a pas changé.

M. DORION: Parce qu'il y a des termes qui sont enlevés. Par exemple, vous lisez: "Les programmes d'étude doivent assurer la connaissance de la langue française parlée et écrite". Alors...

M. CLOUTIER: Je m'explique mal. Je pense que vous ne saisissez pas.

M. DORION: Dans l'article 2 de l'arrêté en conseil no 155 du 13 janvier 1971, apparaissait "qualificatif" au mot "connaissance".

M. HARDY: Ce que vous ne semblez pas comprendre...

M. DORION: Oui.

M. HARDY: ... c'est que la loi 22 ne fait pas disparaître le règlement auquel vous vous référez. Une loi et un règlement sont deux choses distinctes. La loi 22 n'abroge pas le règlement auquel vous vous référez. Vous semblez dire qu'il faudrait que la loi 22 reprenne textuellement le texte du règlement.

Ce n'est pas nécessaire, parce que le règlement, comme le ministre vient de vous l'expliquer, est toujours en vigueur. La loi 22 n'y touche pas. Donc, ce n'est pas nécessaire de reprendre textuellement le règlement.

M. DORION: Evidemment, si la loi est au-dessus du règlement, bien sûr. Mais je veux savoir pourquoi ne pas avoir apporté également l'épithète dans la deuxième ligne du no 52 à propos de la connaissance ici. On ne détermine pas le degré de connaissances de la langue française parlée et écrite.

M. CLOUTIER: Parce que ceci est fait par règlement en général, dans le cadre d'une loi. Il faut conserver une certaine souplesse. C'est la procédure juridique habituelle. Il n'y aurait pas d'objection à ce qu'on envisage d'apporter des éclaircissements si ceci ne vous satisfait pas. Je veux vous faire comprendre que l'esprit de cette loi, son économie, son principe, n'en est pas un de bilinguisme, quoique vous sembliez penser. Nous voulons justement assurer la primauté du français partout. Si cela n'est pas suffisamment clair, nous allons le rendre plus clair. Mais dans le cas particulier, je vous dis que le règlement est conservé intégralement.

M. DORION: Je suis bien heureux de l'entendre, mais je voudrais quand même que vous modifiiez, que vous ajoutiez l'épithète à l'article 52 du projet de loi pour qu'il concorde quand même avec le règlement, parce que cela laisserait, à mon avis, beaucoup moins de latitude pour le passage des élèves francophones à la langue anglaise. C'est bien indiqué. Je n'ai malheureusement pas ici...

M. CLOUTIER: Ecoutez, nous allons certainement, si vous continuez...

M. DORION: Je crois que c'était le mot "suffisante" qui était là.

M. CLOUTIER: Si nous venons à la conclusion qu'effectivement il y a une ambiguïté, nous allons certainement la corriger. Je vous affirme que l'esprit de la loi n'est pas un esprit de bilinguisme, c'est un esprit de primauté au français, compte tenu du fait que l'anglais doit conserver, sur le plan des droits individuels, sa place et certains régimes particuliers dans certaines circonstances.

M. DORION: Oui. Maintenant, on pourrait discuter à nouveau également, M. le ministre, de la phrase que vous venez de prononcer à propos des droits individuels. Il reste quand même que nous soutenons à l'Association québécoise des professeurs de français que les seuls droits individuels qu'avaient les anglophones, leur venaient de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, dans des domaines bien spécifiques.

M. CLOUTIER: L'article 133.

M. DORION: Justement, à notre avis, le bill 22 donne une extension législative et juridique à cet acte et le fait passer dans tous les domaines de l'activité québécoise. Nous nions que les anglophones aient ces droits étendus dans tous les domaines de l'activité. Nous étendons malheureusement les dispositions de l'article 133 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

M. CLOUTIER: Quels droits gardez-vous aux anglophones?

M. DORION: Les anglophones et tous ceux de n'importe quelle langue ici au pays, ont le droit de s'exprimer dans leur langue.

M. CLOUTIER: C'est cela. Alors, les anglophones...

M. DORION: Bien entendu. Cependant, dans un système public d'enseignement, la langue d'enseignement est le français. Il est bien clair que les anglophones, les Italiens, les Ukrainiens, et d'autres qui peuvent avoir des classes à eux pour la langue d'enseignement pour l'instant,...

M. CLOUTIER: Pour l'instant?

M. DORION: ... aient une certaine période, un certain délai de transition pour arriver peu à peu à s'intégrer au système scolaire public et unilingue français au Québec.

M. CLOUTIER: Mais dans votre jugement, vous ne parliez pas seulement du système scolaire. Vous sembliez laisser entendre que nous consacrions des droits aux anglophones, des droits qu'ils n'avaient pas dans le cadre de la loi, dans d'autres secteurs.

M. DORION: Oui, exact.

M. CLOUTIER: Quels sont les droits que vous conserveriez aux anglophones, que vous donneriez aux anglophones?

A lire votre mémoire, j'en conclus qu'il ne reste plus de droits aux anglophones, même s'ils constituent une minorité importante ici au Québec.

M. GAULIN: Là-dessus, je pense que, là où nous divergeons, c'est dans le fait que nous reconnaissons le Québec comme une communauté homogène. Vous avez dit déjà, à quelques reprises, que vous ne considériez pas que le Québec est une communauté homogène.

M. CLOUTIER: Comment peut-elle être homogène s'il y a une minorité anglophone de 20 p.c.?

M. GAULIN: Je pense que, s'il fallait considérer que le Québec n'est pas une communauté homogène, la carte du monde serait immédiatement changée.

M. CLOUTIER: Comment cela?

M. GAULIN: Parce que vous auriez un glissement de territoire extraordinaire. Vous avez des minorités très importantes... Seulement aux Etats-Unis, il y a combien de minorités? On nous a donné hier comme chiffres que, dans 34 Etats, on a anglicisé, par lois ou par règlements, les citoyens allemands. Seulement au Canada, la troisième nation en importance au Canada ou la troisième ethnie, je devrais dire, ce sont les Allemands. Est-ce qu'on reconnaît le droit à l'allemand?

M. CLOUTIER: Avant d'aller trop loin, M. Gaulin, essayons d'analyser votre concept d'une société homogène. Vous dites qu'au Québec il y a une société homogène. Moi, je suis bien obligé de constater qu'il y a, dans ce que vous appelez une société homogène, 20 p.c. d'anglophones dont une partie est d'orogine anglo-saxonne...

M. GAULIN: Je regrette, M. le ministre...

M. CLOUTIER: Non. Je suis bien prêt à accepter vos statistiques.

M. GAULIN: 13 p.c.

M. CLOUTIER: 13 p.c. ou 14 p.c. sont d'origine anglo-saxonne et les autres viennent de différentes nations, mais se sont intégrés, sur le plan linguistique, tout au moins, au groupe anglophone. On est quand même obligé de dire que c'est cela, la société québécoise. Alors, la considérez-vous toujours homogène? Si vous la considérez homogène, vous êtes obligé de mettre de côté complètement ces minorités.

M. MORIN: M. le ministre, je crois que le sens de la question, c'est : Est-ce que les Etats-Unis sont une société homogène à vos yeux?

M. CLOUTIER: Non. Les Etats-Unis n'étaient pas, à l'origine une société homogène, mais il y a eu un concept tout à fait différent qui a présidé à la naissance des Etats-Unis. Je sais que c'est votre technique habituelle et c'est sans doute part de votre formation, mais oublions les Etats-Unis et les comparaisons pour l'instant. Voulez-vous que nous parlions du Québec tel qu'il est?

M. MORIN: M. le ministre, la comparaison éclaire la situation.

M. CLOUTIER: Qu'est-ce que c'est le Québec? Qu'est-ce qu'il y a dans le territoire québécois?

M. MORIN: La comparaison permet de se rendre compte qu'aux Etats-Unis, société dite homogène, il existe encore aujourd'hui des minorités extrêmement importantes dont les droits ne sont pas respectés. Vous le savez comme moi et vous seriez le premier, si vous étiez là-bas, à les défendre, j'en suis sûr.

M. CLOUTIER: Je défendrai toujours les droits de la minorité comme les droits de la majorité. Le problème d'une législation linguistique ici, c'est que, si on veut être équitable, si d'ailleurs on veut avoir une législation applicable, il est absolument essentiel de tenir compte de la majorité comme de la mnorité, parce que, si on ne fait pas cela, on légifère pour la majorité et on écrase la minorité et on légifère pour la minorité et on crée une injustice historique absolument indéfendable. Il n'y a pas d'autre approche que celle que le gouvernement a choisie.

M. MORIN: J'essayais de comprendre l'intervention de nos invités et j'essayais d'éclairer le débat. Quand M. Gaulin parle d'une société homogène, je ne pense pas qu'il entende nier qu'il y ait des anglophones au Québec; je ne pense pas qu'il veuille nier les faits.

M. GAULIN: Pas du tout.

M. HARDY: II faudrait peut-être s'entendre sur les ternies.

M. GAULIN: Je veux tout simplement...

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Excusez, mais je vais être obligé de rappeler tout le monde à l'ordre. J'ai indiqué l'ordre de parole tout à l'heure. Si vous permettez, honorable chef de l'Opposition, vous pourrez revenir un peu plus tard.

M. MORIN: Oui, c'est bien.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je voudrais donner la parole à l'honorable député de Beauce-Sud.

M. ROY: M. le Président, avant de poser une question au Mouvement du Québec français, je voudrais poser une question au ministre lui-même. D'ailleurs, c'est la première question que je lui pose depuis le début de ce débat. Le ministre, dans son projet de loi, nous annonce qu'il veut faire du français la langue officielle et, depuis deux jours, j'ai bien pris soin d'entendre le ministre pour connaître ses intentions. Il ne veut pas déranger quoi que ce soit dans ce qui se passe actuellement au Québec, autrement dit, il veut tout faire pour garder le statu quo. Pendant deux jours, j'ai entendu le ministre rassurer les minorités qu'elles ne perdaient absolument rien. J'aimerais savoir, ce matin, ayant de poser des questions? Où allons-nous

avec cette loi du français, langue officielle? J'ai l'impression, M. le Président, que le ministre veut tout simplement ménager le chou et la chèvre et j'aimerais bien que le ministre nous indique ce matin où nous nous dirigeons.

UNE VOIX: C'est au feuilleton! M. CLOUTIER: M. le Président...

M. ROY: Je pose la question parce que, M. le Président, vous avez établi un ordre de procédure tout à l'heure. C'était le chef de l'Opposition qui posait les premières questions à titre de représentant officiel; en deuxième lieu, je devais poser des questions.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Vous posez des questions à ceux que nous recevons.

M. ROY: Troisièmement, il y a eu un débat et il y a eu des échanges entre le chef de l'Opposition et le ministre...

M. TARDIF: C'était hors du sujet.

M. ROY: C'était hors du sujet, alors il y a une application de règlement différente.

M. TARDIF: Non, le président l'a rappelé.

M. ROY: Le ministre ne peut pas me répondre.

M. CLOUTIER: Je ne peux pas, d'après le règlement.

M. ROY: Vous ne pouvez pas me répondre, cela ne me surprend pas d'ailleurs.

M. HARDY: Vous n'êtes pas honnête!

M. CLOUTIER: Allons, allons, qu'on se calme, qu'on se calme! La seule...

M. HARDY: Vous ne respectez pas la personnalité humaine.

M. CLOUTIER: ... raison d'être de la commission parlementaire est de recevoir des citoyens qui veulent se faire entendre et de tenter de les aider à préciser leur pensée. La tentation est grande, j'y ai cédé moi-même, je le confesse, de glisser vers le débat. Je crois qu'il faut l'éviter; le débat aura lieu en deuxième lecture, il aura lieu en commission plénière. Il y a même un journaliste qui m'a fait dire que je refusais de répondre aux questions et que c'était de l'arrogance. Ce n'est pas de l'arrogance, c'est tout simplement le respect du processus démocratique d'une commission parlementaire.

M. ROY: J'accepte la leçon que vient de nous donner le ministre.

M. HARDY: Avec raison.

M. ROY: Oui, avec raison mais je l'inviterais à nous donner l'exemple en premier lieu.

M. CLOUTIER: C'est bien ce que j'ai l'intention de faire mais je suis faillible et il m'arrive parfois de commettre des erreurs.

M. ROY: Mais vous n'admettez pas que d'autres puissent l'être.

M. CLOUTIER: Je le suis, mais le ton que vous adoptez ne me donne pas l'impression que vous êtes faillible, vous avez l'air...

M. ROY: Vous n'avez pas l'air de tolérer que d'autres puissent l'être. Est-ce que vous pouvez rappeler le député de Terrebonne à l'ordre?

M. HARDY: Cessez de...

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Est-ce que je pourrais inviter l'honorable ministre des Affaires culturelles à se tourner vers moi à l'occasion, à la commission parlementaire?

M. ROY: Ce grand expert de la procédure parlementaire.

M. HARDY: Je voulais lui dire de cesser d'être provocateur.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Mais là, cessez un peu de vous provoquer. L'honorable député de Lafontaine.

M. LEGER: Sur un point de règlement. Moi, je pense que dans une commission parlementaire qui a invité des citoyens à présenter des mémoires et à venir s'exprimer, il y a, je l'ai dit avant-hier, des moments où il y a des questions à poser aux invités qui nous amènent des préoccupations. Le ministre doit nous répondre pour clarifier. Il ne faut pas que les gens qui nous présentent des mémoires s'en retournent en n'ayant pas eu de réponse. Les autres membres de la commission doivent avoir le loisir de dire à M. le ministre: Ecoutez, d'après les réponses ou les questions que nous avons, il nous semble qu'on s'en va vers ça. Est-ce que c'est exact, M. le ministre? Et là, le ministre n'a pas le droit de se décliner.

M. CLOUTIER: J'ai toujours répondu. Le député de Lafontaine n'était pas ici depuis le début. Quand il s'agit d'un point d'éclaircissement, j'ai toujours répondu. D'ailleurs, j'ai répondu à ce groupe; nous venons d'avoir une discussion sur le règlement no 6.

M. LEGER: Dans le même sens que nous, dis-je.

M. CLOUTIER: Mais en revanche, la question du député créditiste ouvre tout le débat, elle s'adresse au principe même de la loi. Il est impossible de répondre à moins d'engager le débat.

M. LEGER: Mais sans faire un débat, c'est une réponse, point.

M. CLOUTIER: Ecoutez, cette réponse, je l'ai donnée constamment depuis le début. Je ne suis pas d'accord avec lui. Je considère que le principe de la loi est clairement indiqué. Ce n'est pas le principe du bilinguisme, c'est le principe de la priorité au français, langue officielle, mais qui tient compte du fait qu'il y a des citoyens qui ont des droits et qui ont participé à l'édification du Québec et que ces droits doivent être protégés sur le plan individuel, même s'il y a renforcement des droits sur le plan collectif. J'ai dit ça à satiété, je le répéterai encore. Mais je ne crois pas qu'il soit sage de rouvrir tout le débat sur les principes à ce stade-ci. En revanche, je répondrai toujours aux éclaircissements que demanderont les citoyens qui viendront témoigner.

M. LEGER: Ainsi que les députés devant les questions des citoyens.

M. CLOUTIER: Dans la mesure où c'est possible, oui.

M ROY: Alors, M. le Président, si on me permet...

M. LEGER: Le député d'Anjou saura la différence entre un débat quand il en verra un en Chambre.

M. TARDIF: Je connais ça, M. le Président...

M. LEGER: II n'a pas encore vu un débat en Chambre.

M. TARDIF: ... je n'ai certainement pas besoin du grand juriste de Lafontaine pour m'apprendre ce qu'est un débat.

M. LEGER: De toute façon, on verra ce qu'est un débat avec le député d'Anjou quand il s'engagera dans un débat directement avec le député de Lafontaine.

M. TARDIF: Je ne me suis jamais gêné pour m'engager dans les débats.

M. LEGER: Vous étiez gêné quand vous n'êtes pas venu à l'ouverture de la polyvalente de votre comté à Anjou.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. TARDIF: J'étais en Abitibi et je représentais le gouvernement.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): A l'ordre, s'il vous plaît! On va profiter — si l'honorable député de Lafontaine peut se tourner vers moi — de quelques secondes pour se rappeler que nous avons des invités et que c'est à eux à poser des questions de chaque côté. En temps et lieu, je pense que vous aurez l'occasion de vous rappeler ce que vous avez à vous dire.

M. LEGER: On se reverra.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de Beauce-Sud.

M. ROY: M. le Président, ma question s'adresse à M. Gaulin. Dans le mémoire que vous venez de nous présenter, concernant le français langue officielle et la légalisation du statu quo — parce que j'en ai la conviction la plus profonde, que c'est la légalisation du statu quo comme tel — vous avez proposé, à la dernière page, à l'article 6, que le système scolaire public soit le français. D'ailleurs, on vient d'avoir des discussions là-dessus et vous avez proposé que tout le système, si j'ai bien compris, soit le français. J'aimerais que vous nous disiez quelles sont les mesures que vous proposez face aux privilèges et aux traditions qui ont été établis et qui ont prévalu au Québec jusqu'à aujourd'hui concernant la minorité anglophone comme telle. La question des immigrants, je pense bien que cela fait partie d'un autre point de votre mémoire, mais c'est la question de la minorité anglophone qui actuellement fréquente des écoles anglaises.

M. GAULIN: Je pense que notre intention est de vouloir tout simplement que les anglophones cessent de vivre en ghetto au Québec. Le véritable ghetto québécois, c'est le ghetto des anglophones et c'est un ghetto dans lequel ils veulent nous assimiler. On n'a jamais besoin de définir la langue d'un ghetto, on sait laquelle elle est. Si le Québec a le besoin de définir sa langue, c'est parce que le Québec est un pays moderne qui est déjà entré depuis 20 ans dans la communauté des nations et dont la langue est menacée.

Je pense que nous voulons également, par cette mesure, protéger la culture et la langue française. Nous avons donné hier notre approche linguistique, nous divergions en cela avec le ministre de l'Education et l'approche du bill 22. Notre approche est la suivante: La relation linguistique au Québec est une relation de langue dominante et de la langue dominée. Et nous disons que la langue dominante est l'anglais, la véritable langue première est l'anglais, puisque c'est la langue du travail. La langue dominée est le français, c'est une langue qui, jusqu'à un certain point, est en voie de créolisa-tion, on a parlé tantôt de jouai. C'est un terme très ambigu cependant. C'est une langue qui est en voie de louisianisation, si on veut des exemples américains.

Je pense que c'est une langue qui est en voie d'abâtardissement qu'il serait déraisonnable d'imposer à nos enfants si on ne la protégeait pas, si on ne voulait pas parler une langue

moderne qui est une grande langue internationale. Je pense qu'il s'agit donc de protéger la langue de l'Etat et de la communauté nationale. Là-dessus, je ne pense pas que la minorité anglophone soit menacée. Elle vit dans un continent qui la supporte socio-économiquement alors que, remarquez, nous n'avons pas d'autre choix que cela. Ou bien nous assimilons, ou bien nous sommes assimilés. Telle est la dialectique qui est la nôtre; ce qui veut dire que, quand je parle de l'assimilation, il faudrait s'entendre. Ou bien les anglophones s'intègrent, ou bien nous sommes des intégrés. C'est comme cela qu'il faudrait le dire. Excusez, j'ai repris ma formulation parce que j'avais remarqué que le ministre des Affaires culturelles avait semblé protester et je veux reprendre...

M. ROY: Comme toujours, il parle en même temps que les autres.

M. GAULIN: Non, ce n'est pas... Je ne voulais pas dire assimiler, mais je pense que le terme "intégrer" rend mieux sa pensée.

M. HARDY: M. le Président, pour ne pas qu'il y ait d'ambiguïté, je ne protestais pas du tout à l'endroit des propos que vous tenez; ce qui ne veut pas dire que je les approuve, mais je ne proteste pas.

M. GAULIN: D'accord! Je pense que l'approche est la suivante et nous n'avons pas d'autre choix que cela. C'est tellement vrai ce que je dis qu'on est actuellement obligé de vendre l'école française au Québec, en disant qu'on va bien y enseigner l'anglais, ce que nous a donné comme déclaration à Cap-Rouge récemment un sous-ministre de l'Education: Venez à l'école française, on vous y enseignera bien l'anglais. D'autre part, les parents, qui envoient leurs enfants à l'école anglaise, ont dit qu'ils ont accepté; les sondages de fin de semaine ont semblé nous faire croire qu'ils avaient accepté, ils s'étaient démis.

Je n'en suis pas du tout certain. Comme je l'ai dit hier, on les met dans un état d'anarchie linguistique. Les parents qui envoient leurs enfants à l'école anglaise, très souvent, nous envoient des sommes d'argent au Mouvement Québec français, par exemple, pour appuyer notre lutte. Ils sont dans un état de distorsion linguistique. Les mêmes parents qui envoient leurs enfants à l'école anglaise s'inquiètent de l'enseignement du français dans les écoles anglaises, qu'est-ce que c'est, si ce n'est pas une situation abracadabrante?

Il faut donc clarifier la situation linguistique québécoise et nous pensons la clarifier en disant qu'il y aura unilinguisme de l'Etat, ce qui n'est pas l'unilinguisme des personnes, ce qui n'empêche aucun anglophone de parler sa langue dans la rue ou dans les magasins, mais qu'il devra communiquer avec l'Etat en français, parce que la mesure est telle, que c'est la seule mesure qui nous est possible pour protéger la langue. Si nous ne le faisons pas, c'est un aberrant esprit de tolérance. Le fait de vouloir protéger la minorité en désintégrant la majorité, cela nous apparaît être une forme de suicide et je pense que par le bill 22, le gouvernement du Québec va consacrer ce que André Langevin appelle le génocide culturel du Québec.

M. ROY: Comme mesure intermédiaire, de façon à pouvoir transposer ou intégrer la minorité anglophone, selon les recommandations de votre mémoire au système scolaire français, quelles sont les mesures que vous avez prévues, quelles sont vos suggestions à ce sujet? Parce qu'on doit envisager une mesure intermédiaire.

M. DORION: Cela ne relève pas de notre association, je crois, de prévoir les modalités de cette transformation. Je crois que les experts du ministère de l'Education sont plus à même que nous de trouver les modalités qui, dans un délai relativement court, puissent permettre l'intégration des anglophones au système public français.

M. ROY: En somme, vous êtes d'accord avec le principe que cela doit se faire par étapes selon un calendrier déterminé?

M. DORION: Bien sûr.

M. GAULIN: M. Roy, une des raisons pour lesquelles nous n'avons rien prévu, c'est que, très récemment — je le ferai remarquer aux gens du gouvernement ou de l'Assemblée nationale — il y a eu un glissement là-dessus. Un certain nombre d'associations au Québec, de mouvements au Québec ne reconnaissent plus le droit aux anglophones ou le privilège aux anglophones de garder leur système d'enseignement, parce qu'ils se sont dit finalement: A vouloir être raisonnables, on nous entraîne dans la déraison.

Je pense que nous ne voulons quand même être ni racistes, ni fanatiques là-dessus et qu'il faudra prévoir des étapes. Personnellement, je pense qu'on pourrait même aller jusqu'à donner l'école élémentaire aux Italiens et l'école élémentaire aux anglophones, mais que, dès le secondaire, il y a un système d'enseignement unique.

M. ROY: A la proposition no 10, vous dites: "Que l'Office de la langue française continue à jouer son rôle — donc, vous ne croyez pas à la question de la régie, comme vous l'avez bien indiqué dans votre mémoire — exerce plus de pouvoirs et relève de l'Assemblée nationale." Est-ce que vous iriez jusqu'à proposer que la nomination des membres de l'office se fasse par l'Assemblée nationale et non par le gouvernement?

M. DORION: Nous n'avons discuté aucune modalité par rapport à cela; nous n'avons pris

qu'une position de principe par rapport à l'Office de la langue française. Nous appuyons encore l'Office de la langue française, mais nous n'entrerons pas non plus dans les modalités.

M. ROY: Sur la question du principe de la nomination, parce que...

M. DORION: Oui.

M. ROY: ... au niveau de l'Assemblée nationale, il y a quand même des organismes. Il y a le poste du Vérificateur général dont la nomination comme telle relève de l'Assemblée nationale du Québec, nous avons aussi le cas du Protecteur du citoyen. Comme leur nomination relève de l'Assemblée nationale, évidemment, ils ont des comptes à rendre à l'Assemblée nationale. C'est normal.

M. DORION: C'est un aspect que nous avons discuté.

M. ROY: On ne peut pas les convoquer à l'heure actuelle, parce qu'il y a eu des omissions dans les lois au moment... Disons que cela pourrait dans la nouvelle loi, être prévu de façon que ces gens soient dans l'obligation de comparaître au moins annuellement devant l'Assemblée nationale du Québec pour rendre compte de leur mandat et pour faire part de leurs observations et de leurs recommandations.

Est-ce que ce principe de nomination par l'Assemblée nationale vous semble raisonnable?

M. DORION: II nous a semblé raisonnable, mais nous ne l'avons pas écrit dans notre mémoire, parce que nous ne voulions pas entrer dans les modalités. Mais lors de la discussion, c'est ce que veut dire, en somme, notre proposition. "... relève directement de l'Assemblée nationale..." voudrait dire également que les responsables de l'Office de la langue française seraient nommés par l'Assemblée nationale et seraient obligés de se référer à elle pour déposer leur rapport annuel et ainsi de suite, via un ministre peut-être qui serait chargé directement de contrôler l'office.

M. ROY: Vous savez qu'il y a une différence entre une personne qui est engagée par le gouvernement, nommée par le gouvernement, dont la nomination relève du gouvernement comme tel ou dont la nomination relève de l'Assemblée nationale comme telle.

A la page 4 — je reviens sur une autre question, M. le Président; je n'aime pas abuser de mon temps de parole — à la fin du deuxième paragraphe, vous indiquez clairement et vous l'avez souligné: "Nous nous opposons vivement au fait que le gouvernement du Québec accorde des subventions pour la francisation des entreprises anglophones à même nos deniers." Est-ce que vous avez quelque chose à suggérer comme méthode qui pourrait être utilisée par le gouver- nement de façon à accélérer le processus de francisation des entreprises anglophones sans qu'il soit nécessaire de leur donner des subventions? C'est un principe sur lequel je suis entièrement d'accord avec vous. Je trouve cela tout simplement odieux de taxer les francophones pour permettre aux entreprises anglophones qui emploient des francophones de pouvoir leur donner des services dans leur langue, taxer le petit pour donner des bénéfices à ces gens.

Est-ce qu'il y a d'autres mesures que vous avez prévues ou d'autres moyens sous forme d'incitation ou sous forme de quelque réglementation que ce soit, qui pourraient être présentés par le gouvernement?

M. DORION: Au sein du Mouvement du Québec français dont nous faisons partie, nous nous sommes entendus que la CSN et le FTQ vous présenteraient des modalités d'application pour le domaine de la francisation.

M. ROY: Vous avez eu un consensus avec les autres qui...

M. DORION: C'est cela.

M. ROY: II y aura d'autres mémoires qui viendront à ce sujet.

M. DORION: II est certain que nous déplorons le caractère incitatif de la loi. Avec l'incitation nous n'irons jamais loin. Nous voudrions que ce soit beaucoup plus coercitif.

M. ROY: Dernière question: Est-ce que, selon vous, le projet de loi 22 — je pose la question uniquement au niveau du français langue officielle — contient suffisamment de garanties pour que nous puissions espérer un redressement, si minime soit-il, de la situation qui prévaut actuellement au Québec?

M. DORION: Si l'on regarde l'article 1, cela va.

M. ROY: Mais les autres articles, selon vous, défont ce qu'il y a dans l'article 1. Autrement dit...

M. DORION: La plupart des articles sont assortis. Nous n'avons pas ici le détail, mais nous avons un certain nombre d'articles sur lesquels nous sommes d'accord. Il y en a peut-être, je crois qu'il y en a huit ou neuf. Je les ai indiqués ici: 1, 6, 10, 12, 25 et 28; nous sommes pleinement d'accord sur ces articles. Mais c'est l'ensemble du contexte, bien entendu, qui empêche, que nous adoptions, que nous nous prononcions en faveur du projet de loi 22. C'est impossible, parce qu'à chaque fois qu'il y a un article qui nous donne un beau bonbon, on nous le retire tout de suite, n'est-ce pas, pour mettre un peu de vinaigre dessus.

M. ROY: En somme, il y a certains autres articles du projet de loi que vous avez mentionnés dans votre mémoire qui réduisent la portée de l'article 1.

M. DORION: Considérablement.

M. GAULIN: Je pense que le bill 22, c'est le médecin qui nous arrive, mais il nous apporte du poison.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député d'Anjou.

M. TARDIF: M. le Président, avant de poser les deux questions que j'ai en tête, j'aimerais faire de très brefs commentaires quant à des affirmations de M. Gaulin hier soir. A un moment — je cite de mémoire; si ce n'est pas exact, vous me reprendrez, M. Gaulin — vous avez dit: L'Etat a créé l'anarchie en 1969 par l'adoption de la loi 63. Ce n'est peut-être pas mot à mot, mais je pense que j'ai assez bien...

M. GAULIN: Cela répond très bien à ma pensée, monsieur.

M. TARDIF: D'accord! Je pense que cette affirmation n'est pas tout à fait exacte, et dans une bonne partie de la population, on a l'impression que la loi 63 a créé un état de fait, alors que la loi 63 était un constat juridique d'une situation qui avait existé pendant 100 ans. Auparavant le libre choix existait, mais on l'a inscrit tout simplement dans la loi 63 en 1969, et à un point tel que, si on abrogeait tout simplement la loi 63, on reviendrait à la situation qui existait avant 1969, et qui accordait le libre choix.

Mon deuxième commentaire est le suivant, et encore là je vous cite de mémoire. Ce ne sera peut-être pas mot à mot, mais si l'idée générale n'y est pas, j'espère que vous ne m'en voudrez pas. Vous avez dit à un moment: L'unilinguis-me est la seule mesure de justice sociale.

M. GAULIN: C'est exact aussi.

M. TARDIF: Bon, je vous remercie. Nous avons eu l'occasion, nous, depuis une couple de jours, de recevoir des mémoires de groupes qui ne pensent pas exactement comme vous. Pour eux, le bilinguisme était plutôt la seule mesure de justice et de paix sociales. A ce moment, on en arrive avec des groupes qui croient fermement à un bilinguisme intégral ou qui croient fermement à un unilinguisme intégral, selon la solution ou celle des deux solutions que nous choisirons. Je pense qu'il sera difficile d'avoir une justice et une paix sociales puisqu'il y aura un groupe, que ce soit 20 p.c. ou 80 p.c, qui va se sentir lésé par la solution qu'il considérera radicale, que nous aurons choisie.

Quoiqu'il en soit, la première de mes questions est la suivante: Vous êtes contre le bilinguisme. Moi aussi, je suis contre le bilinguisme intégral, et je pense que le projet de loi accorde une priorité non négligeable au français en accordant toutefois des droits qui sont à mon avis justifiés, à la minorité de langue anglaise. Dans vos propositions, à un moment, vous dites — c'est votre proposition no 1 —: Que le gouvernement du Québec proclame le français seule langue officielle sur son territoire. Proposition no 6: Que le système scolaire public soit le français. Proposition no 8: Que les immigrants soient tenus de s'intégrer au système scolaire de la majorité, quelle que soit leur origine.

Si je fais référence au sondage qui a été publié dans le Devoir samedi dernier et dans lequel nous avons découvert que 15.5 p.c. des gens seulement acceptaient que le français soit la seule langue officielle au Québec; si nous prenons note également que 78.5 p.c. des gens étaient en faveur du libre choix de la langue d'enseignement, à ce moment, ne pensez-vous pas que vous êtes en rupture de ban avec la majorité de la société? Ne pensez-vous pas plutôt que vous représentez l'opinion d'une minorité — et je ne peux m'empêcher de faire remarquer qu'en fait, vous groupez 1,000 professeurs de français sur 30,000 — minorité qui a certainement droit à son opinion, mais qui est complètement en rupture de ban avec ce que la population pense et espère? J'espère que vous ne viendrez pas nous dire que la majorité de la population est conditionnée, ce qui est un terme peut-être poli, pour dire qu'elle n'est pas trop trop intelligente ou qu'elle se laisse raconter des histoires. J'aimerais que vous répondiez à cette première question et j'en aurai une deuxième sur la qualité de l'enseignement du français.

M. GAULIN: Je vais vous répondre, si possible. Je voudrais rappeler ce que j'ai dit hier et je pense que, lorsque vous dites que l'Etat a reconnu juridiquement une situation de fait par le bill 63, je dis toujours que l'Etat justement a créé un état de violence linguistique.

M. TARDIF: Cela n'existait pas auparavant, d'après les faits?

M. GAULIN: Cela existait. Je pense que nous n'avons le choix ni entre le bill 63, ni entre le statu quo ante, mais qu'il faut justement décréter l'unilinguisme français. Si, comme vous le dites, pour créer la paix sociale, vous avez le choix entre 80 p.c. et 20 p.c, il me semble que votre choix est très clair. C'est 80 p.c. que vous devez choisir.

M. TARDIF: Je suis sans doute d'accord avec vous là-dessus, mais on ne doit pas choisir une solution où on va mettre complètement de côté les droits de la minorité de 20 p.c. parce qu'à ce moment, non seulement votre loi sera-t-elle inapplicable, mais il y a peut-être des gens — et vous avez parlé de violence — qui eux,

étant opposés à vous, vont penser à la même idée que vous avez soulevée lorsque vous avez parlé de violence hier.

M. GAULIN: Si vraiment tout ce qu'on a dit pendant cent ans, à savoir que les Anglais avaient du fair play, ils sont une minorité, qu'ils acceptent d'être reconnus comme tels et de jouer la minorité au Québec. C'est aussi simple que cela. S'ils veulent vraiment nous déclarer la guerre, nous leur ferons la guerre. Je parle d'une guerre démocratique.

M. TARDIF: Est-ce que vous auriez à ce moment la justice et la paix sociales auxquelles vous aspirez?

M. GAULIN: J'espère que nous les aurons. Je crois que les anglophones vont se rallier. Si j'étais anglophone, je ferais exactement comme eux. Je revendiquerais ce que j'appelle des droits et je me battrais au "boutte", mais je ne suis pas anglophone, je suis francophone. Je me battrais moi aussi comme ils font et ils ont raison de le faire. Ils négocient ce qui ne devrait pas être négociable et ils essaient de négocier. Ils sont intelligents, les Anglais, comme dit Séguin. Sans cela, ils n'auraient pas été nos maîtres. Il faut leur reconnaître ce qu'ils ont.

Je ferais exactement comme eux, mais le jour où le gouvernement du Québec va trancher la question, je pense que les anglophones vont se ranger. Pour répondre à votre question, puisque vous m'avez posé la question à savoir si nous avions une caution morale — le "front" de M. Marchand— je pense ceci. Vous dites: Ne me dites surtout pas que la population est conditionnée. Je pense que la population est dans une conditionnement. Si elle n'est pas conditionnée, si vous me permettez l'expression, elle est dans un conditionnement.

M. TARDIF: C'est une subtilité.

M. GAULIN: Cela n'est pas une subtilité. C'est cet état de violence linguistique dans laquelle la population est. Je vous disais tantôt que des parents francophones qui envoient leurs enfants à l'école anglophone s'inquiètent de la qualité du français, qu'on est obligé de vendre l'école française en disant qu'on va bien y enseigner l'anglais; ce sont des conditionnements qui font qu'au fond la langue de travail ici et la vie socio-économique nous imposent l'anglais et c'est cela qu'il faut changer.

Je ne vous dis pas que le fait de proclamer le français langue officielle et seule langue officielle du Québec changera la situation. Je ne vous dis pas cela. D'ailleurs, si cela ne change rien, pourquoi ne le faites-vous pas et pourquoi nous chicanons-nous? Pourquoi avez-vous peur de le faire?

Je vous dis qu'il faut affirmer la volonté politique du gouvernement du Québec et le Québec qui va manifester sa volonté politique va prendre les moyens pour confirmer dans les faits cette volonté politique. Au fond, on n'est pas des victimes de l'histoire, les êtes humains, on fait l'histoire et je pense qu'on peut faire un Québec français. Notre position est dynamique. Est-ce qu'on représente la population du Québec? Je pense que c'est à la population du Québec de le dire. Cela n'est pas à moi de vous dire cela.

Je vous dis, en toute déférence aussi, que la question linguistique est une question capable de renverser des gouvernements. Elle a déjà renversé le gouvernement de l'Union Nationale et détruit même l'Union Nationale. Je pense que la question linguistique au Québec, si elle est prise à la légère... les sondages nous révèlent un état bien précis d'une situation donnée. On a vu comment les sondages à propos du Watergate aux Etats-Unis avaient fait évoluer la population, ou les sondages ont montré que la population évoluait quant à la confiance qu'elle faisait à Nixon ou pas. Je pense donc que la population du Québec tient fondamentalement à sa langue.

M. TARDIF: Nous y tenons. Je peux vous le dire, vous ne me connaissez pas personnellement, mais cela fait dix ans que je suis dans le Parti libéral et que je défends la langue française. Ceux qui sont à côté de moi pourront vous le dire, depuis dix ans, j'en parle et j'ai été achalant avec cela. Je peux vous le dire. Vous le demanderez aux autres.

Je pense qu'il y a aussi une chose dont on doit tenir compte, c'est qu'il y a une minorité qui existe ici. Ces gens veulent rester ici et veulent pouvoir continuer à être Québécois. Je suis d'accord avec vous qu'ils ont des torts et qu'ils en ont beaucoup et qu'ils devraient pouvoir faire un effort pour s'exprimer en français et vivre peut-être un peu plus en français, mais je pense que, d'un autre côté, on ne rendra certainement pas service, ni aux Canadiens français, ni aux Québécois en général, si on emploie des mesures aussi radicales que celles que vous suggérez.

Vous avez cité hier des expressions latines. Inconsciemment la population, en répondant à ce sondage, s'est inspiré de l'adage latin qui dit "In medio stat virtus". J'ai l'impression que, de cette façon-ci, c'est peut-être la seule façon de réussir à trouver une paix et une justice sociale. Quoi qu'il en soit, je comprends...

M. GAULIN: Est-ce que vous pourriez traduire la phrase in medio stat virtus? Je voudrais savoir comment vous traduisez "virtus"?

M. TARDIF: En fait, "virtus" est un mot latin qui veut dire "vertu".

M. GAULIN: Qui veut dire "force".

M. TARDIF: Non, qui veut dire "vertu".

M. GAULIN: Qui veut dire "force".

M. TARDIF: Non. Virtus, virtutis, féminin, cela veut dire vertu. En fait, c'est juste milieu.

M. GAULIN: Ecoutez, j'ai fait des études latines.

M. TARDIF: Moi aussi.

M. HARDY: Quand saint Thomas d'Aquin l'employait, cela voulait dire vertu.

M. TARDIF: Oui, cela voulait dire la vertu. M. GAULIN: On va aller voir...

M. TARDIF: De toute façon, je pense que nous ne parlerons pas latin et que nos positions sont irréconciliables, mais je voudrais...

M. ROY: Je voudrais ajouter... M. TARDIF: Surtout en latin.

M. MORIN: Est-ce qu'on peut régler ce conflit linguistique en disant que l'origine étymologique est effectivement "force", puisque cela dérive de vir, qui signifie homme, mais que par la suite, cela a été employé dans toute sorte de sens dérivés, dont celui de vertu, par exemple.

M. HARDY: Vous avez tous les deux raison.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Nous prendrons les dispositions nécessaires pour avoir les dictionnaires.

M. TARDIF: Nous espérons que les traductrices n'auront pas trop d'ennui.

M. MORIN: Je tiens à vous indiquer qu'effectivement le député d'Anjou se bat pour la langue depuis déjà un certain temps. C'est ce qu'on appelle un velléitaire.

M. DORION: Je voudrais ajouter un commentaire à ce que M. le député a dit. La distinction qui est fondamentale, à mon avis, entre justice et équité, c'est que M. le ministre de l'Education tout à l'heure a parlé d'un traitement équitable, et par là même, n'est-ce pas, il allait à l'encontre de ce qu'il avait dit hier selon quoi le bill 22 n'instituait pas le bilinguisme, parce que pour instituer le bilinguisme, il reconnaissait deux groupes égaux. Or, équité vient aussi du latin, "aequitas" qui veut dire égalité. Nous ne pouvons pas accorder aux anglophones les mêmes droits que ceux que les francophones ont ici. Ce n'est pas possible. Nous ne le pouvons pas donc, on pourrait même aller jusqu'au bout et dire que nous ne pouvons pas les traiter avec équité, mais avec justice, selon les droits qu'on leur a déjà reconnus selon la loi. Nous ne pourrons jamais les traiter avec équité. C'est tout à fait diffé- rent. Si vous voulez les traiter avec équité, vous instituez le bilinguisme.

M. HARDY: Vous êtes un professeur de français et vous donnez au mot "équité", le seul sens d'égalité. C'est le seul sens que le mot "équité" a?

M. DORION: Non.

M. HARDY: Et vous êtes un professeur de français?

M. DORION: C'est donc lucide. Ce n'est pas le seul, M. Hardy.

M. HARDY: Vous savez très bien que le mot "équité" a également un sens, dans le sens de justice. Vous savez très bien cela?

M. DORION: Oui. Mais au sens strict du... M. HARDY: Au sens étymologique... M. DORION: Non.

M. HARDY: J'espère que vous ne vous en tenez pas à la racine des mots.

M. DORION: En effet, monsieur, il y a une évolution sémantique qui se fait. Vous devez le savoir, ce n'est pas nécessaire d'être furieux pour cela, mais c'est un fait, n'est-ce pas, que strictement parlant, si vous voulez parler de droit, les anglophones n'ont que quelques droits. Nous ne pourrons pas les traiter de la même façon que nous traiterons les francophones ici. Ce n'est pas possible.

M. CLOUTIER: Quels droits reconnaissez-vous aux anglophones?

M. DORION: Nous nous sommes déjà exprimés là-dessus, n'est-ce pas? Nous reconnaissons aux anglophones et à tous ceux qui sont d'autres langues, le droit de s'exprimer individuellement dans leur langue et de communiquer entre eux dans leur langue.

M. CLOUTIER: C'est le seul droit, n'est-ce pas M. Gaulin?

M. DORION: Les droits juridiques également qu'ils ont devant les tribunaux, selon l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de s'exprimer en anglais...

M. CLOUTIER: C'est 133, cela. Donc, vous maintenez 133.

M. DORION: Ce n'est pas...

M. CLOUTIER: Nous, nous le maintenons et nous avons choisi de le maintenir. Nous le maintenons volontairement, mais je crois qu'il y a une contradiction.

M. DORION: II existe actuellement, mais il faudra sans doute aussi passer à la modification de cet article.

M. CLOUTIER: A ce moment-là, vous cessez de reconnaître le droit de s'exprimer dans leur langue devant les tribunaux.

M. DORION: Oui.

M. GAULIN: II y a un certain nombre dans le Québec français qui a déjà demandé...

M. CLOUTIER: Nous sommes donc bien d'accord. Le seul droit que vous reconnaissez à la minorité anglophone ici au Québec, c'est de pouvoir parler anglais entre eux.

M. MORIN: M. le ministre, je regrette. Sur l'article 133, je ne voudrais pas que vous induisiez nos invités en erreur. L'article 133 porte aussi sur les jugements des tribunaux. Je ne pense pas que nos invités veuillent dire qu'ils ont l'intention d'empêcher un témoin anglophone de parler sa langue devant les tribunaux. Cela est un droit individuel. Je ne pense pas que ce soit cela qu'ils aient dans l'esprit.

M. GAULIN: Non.

M. MORIN: Est-ce que...

M. CLOUTIER: Par conséquent, vous maintenez cet aspect de 133.

M. MORIN: Faisons la distinction, messieurs, pour bien nous comprendre, pour que, par la suite, on ne puisse pas vous mettre sur le nez des choses que vous n'avez pas dites. Quand vous parlez de l'article 133, est-ce que vous parlez de la faculté d'un témoin de se faire entendre, dans sa langue, comme témoin, ou si vous parlez de la langue des jugements, des lois, des plaidoyers écrits, etc.?

M. GAULIN: Un témoin peut se faire entendre dans sa langue, qu'il parle l'anglais ou l'italien.

M. MORIN: Vous voyez, M. le ministre, cela est déjà beaucoup plus clair.

M. CLOUTIER: Oui. Je suis très heureux de cette précision.

M. GAULIN: Nous ne sommes pas des...

M. CLOUTIER: C'est bien ce que je disais, tout ce qu'on conserve à la minorité anglophone — je ne porte pas de jugement de valeur, je me contente d'essayer de les aider à préciser leur pensée — c'est la possibilité de parler leur langue et vous l'assimilez d'ailleurs à toute autre langue, l'italien, l'ukrainien...

M. MORIN: Vous les aidez en forme de traquenard, M. le ministre.

M. CLOUTIER: Ecoutez, il fallait vous entendre hier.

M. MORIN: Parce qu'il y a une différence entre la langue privée et le fait d'avoir le droit individuel de se faire entendre dans sa propre langue devant les tribunaux. Il y a une légère nuance.

M. CHARRON: D'ailleurs, M. le Président, sur cette question des droits des anglophones, le ministre le sait très bien, lui aussi qui a en main le rapport Gendron qui a étudié longuement la question, avec l'argent des contribuables et qui a servi à donner au ministre un aperçu. Effectivement, de l'avis de la commission Gendron, ce que nous appelons couramment dans nos expressions "le droit de la minorité à ses écoles", c'est une extrapolation que nous faisons; car il n'y a aucun droit écrit dans le sens le plus juridique du mot, aux écoles à cette minorité. Moi-même, j'emploie à l'occasion, lorsque je discute avec des groupes anglophones qui ont complètement mal compris le projet de loi. A mon avis, cette question du droit à leurs écoles qui leur est reconnu pour ceux qui sont de langue maternelle anglaise ou ceux qui sont déjà inscrits dans le système, mais je suis parfaitement conscient en disant cela, en employant le mot "droit". Je veux simplement parler d'une concession à ce que l'histoire et le développement socio-économique du Québec a donné. Mais il n'est pas question de droit fondamental. Aucune minorité dans le monde n'a un droit juridique à des écoles.

M. CLOUTIER: Pour une fois, je suis d'accord avec le député de Saint-Jacques. Il est exact que la commission Gendron, d'après l'avis de certains juristes reconnus, a conclu que la notion de droits acquis était pour le moins discutable; mais en même temps, la commission Gendron disait qu'il serait inacceptable que l'on aille à l'encontre des traditions d'équité et de justice qui ont toujours prévalues au Québec dans le traitement des minorités. Il y a quand même là une nuance qu'il faut ajouter. Je rappelle au député de Saint-Jacques qu'il était d'accord hier pour confirmer, dans le texte de la loi, ce qu'il a appelé tout à l'heure une concession, mais ce qu'on pourrait dire un état de fait qui permet aux anglophones un secteur d'enseignement anglophone.

M. CHARRON: Si je le fais, c'est simplement parce que j'ai la conviction qu'il s'agit de ne pas briser le développement normal d'une société, mais ce n'est pas du tout par respect pour des droits acquis, parce que je ne considère pas qu'il s'agit là d'un droit acquis.

M. CLOUTIER: Je suis entièrement d'accord

là-dessus. De ce point de vue, le député de Saint-Jacques et peut-être même le PQ, bien que je ne sache plus jusqu'à quel point on puisse interpréter l'opinion d'un député comme l'opinion de son parti, de part et d'autre d'ailleurs, va en contradiction...

M. MORIN: Voilà qui est bien dit.

M. TARDIF: Même dans le Parti libéral.

M. CLOUTIER: Dans tous les partis, y compris le parti créditiste.

Cela va en contradiction flagrante, messieurs, avec ce que vous semblez souhaiter, c'est-à-dire la disparition du secteur anglophone, je me contente de le souligner.

M. CHARRON: Mais je crois, pour terminer sur cet aspect, ce que M. Dorion vient de décrire en réponse à votre question bien précise: quels sont les droits des anglophones? Il a parfaitement décrit le mot "droit" effectivement, les droits de la minorité anglophone. Même l'école n'est pas un droit acquis.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je voudrais souligner qu'il est onze heures trente actuellement. Il reste trois ou quatre députés qui ont demandé la parole, s'il vous plaît, rapidement, de part et d'autre. Le député d'Anjou.

M. TARDIF: Ensuite, c'est le député de Saint-Jean et ensuite, il n'y en a plus.

M. LEGER: Ensuite, c'est...

M. TARDIF: Ma deuxième question porte sur la motivation que les professeurs de français ont d'enseigner la langue française. J'ai eu l'occasion de faire plusieurs régions du Québec, d'autres députés ont eu l'occasion également de visiter plusieurs régions et souvent, on rencontre la critique suivante de la part des parents: les professeurs de français semblent plus ou moins motivés à enseigner le français ou qu'il n'est pas enseigné d'une façon adéquate. On rencontre des gens qui sortent de l'école, qui ont 16 ans, 17 ans, 18 ans et qui, à mon avis du moins, n'ont pas une connaissance, surtout écrite, du français qui est adéquate. Même, j'ai retrouvé ça dans votre texte puisqu'en bas de la page 5, vous avez employé un anglicisme, le mot "patronage", alors qu'il aurait fallu employer le mot "favoritisme" à mon avis.

M. DORION: Vous remarquerez qu'il est entre guillemets, monsieur.

M. GAULIN: II est dans le dictionnaire ou le glossaire des canadianismes de bon aloi de l'Office de la langue française.

M. TARDIF: Mais je pense que le terme exact français qui aurait dû...

M. DORION: N'oubliez pas, monsieur, qu'il est permis d'employer un anglicisme dans un texte français pour autant qu'on le mette entre guillemets.

M. TARDIF: Je pense que les professeurs de français, qui doivent tout de même donner l'exemple, n'auraient même pas dû employer un anglicisme.

M. DORION: Nous voulions être compris de tout le monde.

M. TARDIF: "Favoritisme" nous aurait permis de comprendre, vous pouvez être certain. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas tellement ça qui est l'objet de ma question. Ce que je veux...

M. GAULIN : Est-ce que vous le pratiquez?

M. TARDIF: Le député de Saint-Jacques connaît probablement ce mot, lui. Pas peut-être parce qu'il l'a appris...

M. HARDY: II inspire le patronage.

M. TARDIF: Ma question est la suivante, si le projet de loi est adopté tel quel ou avec des modifications mineures, il va de soi que ça n'atteindra pas les buts fondamentaux que vous visez. Est-ce que vous pensez qu'il va y avoir une modification dans la motivation que les professeurs de français ont d'enseigner le français actuellement?

M. GAULIN: Je pense que le climat sera détérioré davantage tout simplement. Quant à savoir que nous faisons des fautes, eh bien, mon Dieu, oui! Oui, nous en faisons beaucoup. Ecoutez, Maritain, qui était un Français et qui allait de temps en temps en Angleterre disait: Je suis allé un mois en Angleterre, j'en perds mon français. Nous vivons, nous, en continent anglophone depuis deux siècles. Ecoutez, que nous fassions des fautes de français, alors que le français est une langue humiliée, une langue en décrépitude, qu'est-ce que vous voulez? Nous en faisons et nous demandons justement à l'Etat de supporter cette langue pour que nous en fassions moins. Le frère Untel, que je vous ai cité hier, disait qu'il fallait abattre à bout portant —il n'y allait pas par trente chemins, lui — tout député, tout ministre, tout curé, tout homme public qui parle mal sa langue; il en abattrait beaucoup. Le Québec serait un abattoir.

M. TARDIF: II faudrait sans doute faire de même avec les professeurs de français.

M. GAULIN: Bien sûr. Mais c'est pour vous dire que nous parlons tous mal en tant qu'hommes ayant des fonctions publiques. Moi, professeur de français et vous, député. Il faut le reconnaître et c'est justement là que nous

reconnaissons que la langue est malade au Québec. Que nous ayons des symptômes de la maladie, c'est tout à fait évident.

M. TARDIF: Mais je ne pense pas que, avec les solutions que vous suggérez, nous allons arriver aux fins que vous espérez nous voir atteindre. Vous vivez, je pense, à Québec, si je ne me trompe pas, dans la ville de Québec, à moins que ce soit votre confrère.

M. GAULIN: Je vis à Québec et je vais deux fois par semaine à Montréal. Assez pour savoir ce que je dis.

M. BOIVIN: J'aimerais enchaîner, si vous me permettez, M. Tardif, sur la question que vous avez posée. Est-ce que je pourrais ajouter un petit mot? Il ne faudrait quand même pas tout mettre la faute sur les professeurs de français, si le français est détérioré, si les élèves font des fautes.

M. TARDIF: Non, mais je pense que vous avez un rôle important tout de même, parce que c'est vous qui l'enseignez à ceux qui vont sortir des écoles.

M. BOIVIN: Si vous avez 42 élèves dans votre groupe, qui ne sont pas motivés, et que vous vivez dans un état de diglossie, c'est assez difficile de l'enseigner, de motiver et de se motiver.

M. TARDIF: Mon cher monsieur, vous savez, j'ai une dizaine d'années de plus que ceux qui sortent de l'école actuellement, du niveau secondaire, ou une douzaine d'années et je pense que ceux qui sont sortis du collège, au cours de ma génération, connaissaient un peu mieux le français que ceux qui sortent actuellement.

On le voit avec nos secrétaires. Celles qui sortent bien souvent à 17, 18 ou 19 ans, à mon avis, connaissent leur français beaucoup moins que celles qui ont 23 ou 24 ans ou un peu plus. Le milieu...

M. BOIVIN: II y a eu détérioration?

M. TARDIF: C'est une détérioration qui est peut-être causée... Je ne le sais pas, je vous pose la question. C'est vous qui représentez l'Association québécoise des professeurs de français; vous pouvez répondre à cette question-là, je ne suis pas professeur. Mais vous êtes peut-être responsables, en partie, de cet état de fait, parce qu'il y a dix ans, il y avait 18 p.c. ou 19 p.c. d'anglophones ici, au Québec. Le pourcentage n'a pas changé de façon radicale. La télévision existait, il y a dix ans, la radio, les journaux anglophones existaient. Alors, je me demande si ce n'est pas chez vous que réside une partie du problème. Je vous dis cela parce que j'ai tout de même eu l'occasion, et les autres députés qui sont ici également, de visiter plusieurs régions et les parents nous le disent. Il y en a un certain nombre qui envoient leurs enfants dans le secteur privé parce qu'ils sont insatisfaits de l'enseignement de la langue française qui est donné.

M. DORION: A cet égard, nous avons répondu assez largement hier. D'abord, il est très facile de lancer la pierre aux professeurs de français. C'est une chose qu'on nous fait régulièrement, comme si cela nous motivait davantage à un meilleur enseignement. Enfin, c'est peut-être un mauvais procédé. Il est un fait que le programme-cadre de français, tel que nous l'avons exposé hier, a jusqu'ici privilégié l'enseignement oral du français et la langue écrite en a subi un fameux coup. La situation ne s'est pas encore redressée, nous l'avons expliqué hier aussi parce que les programmes de formation des maîtres de français ne sont pas encore en vigueur pour la langue maternelle. Jusqu'ici, nous avons beaucoup de professeurs, effectivement, qui ne sont pas formés pour enseigner la langue française ou toute langue. Et aussi longtemps que cette situation ne sera pas réglée, et ce n'est pas à nous nécessairement de la régler, nous attendons toujours les directives du ministère de l'Education, nous travaillons d'ailleurs en collaboration constante avec le ministère de l'Education, nous étudions ses textes, nous étudions, à de nombreux comités, des textes que le ministère de l'Education nous propose, mais jusqu'ici, il est certain que la situation est encore stagnante et que cela ne va pas en s'améliorant. Cela n'ira certainement pas en s'améliorant avec le bill 22.

UNE VOIX: Cela, c'est une opinion.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de Saint-Jean.

M. VEILLEUX: J'aimerais reprendre, quand même, les propos du début de la discussion de la présentation de votre mémoire lorsque vous avez discuté de la motivation des étudiants et des enseignants. Vous avez donné certaines raisons, je crois, qui étaient extrêmement valables, du fait que l'enseignement du français comme langue maternelle dans le secteur francophone laissait à désirer depuis un certain temps. Et j'ajouterais, aux propos que vous avez tenus hier, lorsque vous avez parlé des méthodes d'enseignement, des vendeurs de méthode d'enseignement du français, notamment dans le secteur élémentaire, au début, il y a quelques années. Les commissaires d'écoles changeaient de méthode, suivant le vendeur de méthode qui se présentait, et, nécessairement, les enseignants et les enseignantes du secteur élémentaire n'ont pas eu la préparation valable. On les envoyait suivre des cours pendant trois semaines, un mois, l'été; on appliquait une méthode et, l'été suivant, c'étaient d'autres cours sur d'autres

méthodes, avec une deuxième méthode l'année suivante et une troisième, si possible.

Je pense que c'est extrêmement important. Je me souviens aussi qu'au début de ma carrière d'enseignant, lorsque arrivait la correction des examens, on tenait compte du français dans toutes les matières. Aujourd'hui, on a laissé de côté complètement la valeur du français dans les matières autres que le français.

Vous avez des professeurs de mathématiques, de géographie, d'histoire qui se foutent éperdument du français. Si on veut améliorer le français, je dis qu'il faut absolument que, non seulement les enseignants de la matière qu'on appelle le français, mais les enseignants de toutes les matières prennent conscience collectivement qu'il est essentiel d'améliorer ce français dans leur matière respective.

Pour moi, c'est extrêmement important. Quand je voyais des professeurs de mathématiques ou de géographie — cela ne fait pas très longtemps que j'ai laissé l'école — écrire censément du français au tableau et incapables d'écrire deux mots sans faire une faute, je trouvais cela pitoyable.

M. DORION: Vous avez...

M. VEILLEUX: Ce n'est pas seulement à cause des professeurs de français, mais c'est une consigne, c'est collectivement que les enseignants doivent prendre conscience de ce malaise et essayer de l'améliorer.

M. DORION: Vous avez tout à fait raison sous cet angle. Nous faisons également partie de plusieurs groupements, dont le conseil pédagogique interdisciplinaire de la Centrale de l'enseignement du Québec. Il y a 19 associations regroupées dans le CPI, le conseil pédagogique interdisciplinaire. Nous avons déjà mené, depuis deux ans, une action incitative — c'est la seule que nous pouvons faire auprès des autres associations — pour faire en sorte que les professeurs des autres matières soient très exigeants sur la qualité de la langue employée par leurs élèves.

Le prochain congrès de la Centrale de l'enseignement du Québec, qui se tient à Rivière-du-Loup à la fin du mois de juin, je crois, du 28 juin au 3 juillet, mettra cette question à l'étude dans un atelier. Nous allons débattre la question pour faire en sorte que toutes les associations prennent conscience de ce problème. Nous devons être appuyés par les autres enseignants des matières enseignées en français. C'est absolument sûr.

M. VEILLEUX: II est entendu que les étudiants ne peuvent être motivés lorsqu'ils entrent dans une classe où on donne un cours de français et savent fort bien qu'immédiatement après qu'ils sont sortis de leur cours de français le reste des enseignants se foutent éperdument du français. C'est ce que je voulais dire.

Il y a aussi un autre facteur, je crois, qui est extrêmement important dans l'enseignement du français. Cela touche le professeur de français comme tel. C'est qu'il y a peut-être trop de la part, je ne dis pas de l'ensemble des enseignants, mais de plusieurs professeurs de français, un abus de texte "joualisants". On prend n'importe quoi, parfois une musique, sous prétexte que la musique peut intéresser peu à peu les étudiants au français. On va prendre un chanteur de second ordre, pour autant que la musique est un peu enlevante, pour essayer d'attirer les étudiants au français, et à ce moment-là, on se sert d'un texte réellement déplorable et qui ne correspond pas du tout au français, tel que le mentionnait M. Gaulin, qui devrait exister au Québec.

M. DORION: Nous déplorons aussi cette attitude de plusieurs enseignants, mais, à l'intérieur de notre association, nous regroupons — cela va sans dire et c'est inévitable — aussi ce qu'on appelle des "joualisants". Il faut persuader également ces professeurs de français d'utiliser le plus possible des textes en français dit universel, de la meilleure qualité possible, mais il est certain que nous ne devons pas empêcher non plus l'étude de certains textes de "jouai" pour les idées qu'ils peuvent véhiculer. Mais il est certain qu'il manque un certain nombre de précautions indispensables dans l'utilisation de ces textes.

M. VEILLEUX: M. le Président, je termine en disant ceci : Je trouve cela curieux — je ne dis pas que cela s'applique nécessairement à l'Association québécoise des professeurs de français — mais il y a des députés à cette table, par exemple, qui voudraient voir apparaître un système unique français. Je me souviens, il y a un an et demi ou deux ans, lorsque nous discutions de la loi 27, qu'on n'aurait voulu pour aucune considération implanter un réseau d'écoles neutres au Québec sous prétexte que des gens le demandaient; on voulait conserver les réseaux protestant et catholique. Je trouve un peu incohérente leur position à cette table. Ces individus voulaient conserver ce caractère aux écoles catholiques et protestantes, mais quand arrive le temps de discuter de la langue, ces mêmes gens — et le député est parti — voudraient voir s'instaurer un régime unique, c'est-à-dire un régime français.

Je termine en posant une dernière question. Vous avez dit tout à l'heure — c'est l'impression du moins qui se dégage d'une discussion que vous avez tenue ou des propos que vous avez tenus devant la commission parlementaire — que le jour où on décrétera au Québec l'unilinguisme français, cela fera qu'on ne vivra plus dans un environnement anglais. Est-ce que je vous ai bien compris quand vous avez dit cela? Vous donniez l'exemple de l'auteur français qui est allé en Angleterre un mois et qui disait: Je perds mon français quand je suis dans un

milieu... Est-ce que, d'après vous, le fait de décréter l'unilinguisme français dans une loi fera que, demain matin, on ne vivra plus avec cette contrainte...

M. GAULIN: Je pense que...

M. VEILLEUX: ... qu'on rencontre chaque jour, soit dans le domaine des affaires ou dans la rue, immédiatement lorsqu'on sort des limites territoriales de la province de Québec. On ne vivra plus dans cet environnement anglais. Est-ce que je vous ai bien compris quand vous avez dit cela?

M. GAULIN: Je veux nuancer ma pensée ainsi. Je pense que nous serons appelés à vivre dans un territoire qui, s'étant affirmé français, son gouvernement va faire en sorte qu'il le devienne. Il sera aussi normal, non plus de vivre dans un environnement où trois langues dominent, je le rappelle, l'espagnol, l'anglais et le français, mais nous vivrons dans un territoire qui sera français. Nous pouvons vivre dans un territoire où nous parlons français, où nous vivons français, tout en étant très près des Etats-Unis, exactement comme le type qui vit dans l'ouest de la France et se trouve accoté sur l'Allemagne, mais il vit quand même en français tout en étant à proximité d'un autre territoire où on parle allemand.

M. VEILLEUX: Vous admettrez avec moi que, depuis quelque temps, la France rencontre quand même elle-même des difficultés quant à la conservation du français tel qu'elle voudrait le conserver à l'intérieur des limites. Je me souviens d'avoir lu, lors de la mort du président français, Georges Pompidou, certains de ses discours où il faisait mention de ce danger que vivent présentement à l'heure actuelle les Français de France en regard du français.

Il va sans dire que j'ai la très nette impression... C'est mon opinion. Vous m'avez donné la vôtre. Je vous dis que le fait de décréter l'unilinguisme ne fera pas que, demain matin, notre environnement ne sera plus ce qu'il est.

M. GAULIN: Mais vous avez raison. Paris...

M. VEILLEUX: Pour que cet environnement change, et quelles que soient les lois qu'on sera appelé à voter ici — je tiens à le dire — c'est une prise de conscience individuelle de chaque personne qui s'exprime, à l'heure actuelle, en français, une prise de conscience de ces gens qui fera que le français s'améliorera et qu'on le parlera de plus en plus.

M. GAULIN: Mais, M. le député...

M. VEILLEUX: Je trouve curieux, en terminant, que vous vous opposiez quelque peu, ou plutôt que vous ayez certaines réticences à l'enseignement d'une langue seconde, disant que...

M. TARDIF: A l'élémentaire.

M. VEILLEUX: Oui. En disant que quel- qu'un qui apprend une deuxième langue, même dès son bas âge, est voué à perdre sa langue maternelle. J'ai plusieurs exemples, dans la tête, de gens qui — je ne sais pas s'ils ont appris l'anglais, par exemple, à l'école maternelle — sont de parfaits bilingues. Je trouve curieux que la majorité des ténors de l'unilinguisme français au Québec sont des gens du même souffle qui possèdent très bien la langue seconde, qu'il s'agisse de mentionner le chef du Parti québécois, le leader parlementaire du Parti québécois, le chef de l'Opposition, la majorité des députés du Parti québécois et tous les leaders du Parti québécois. Je trouve paradoxal cette prise de position de ces gens qui maîtrisent très bien les deux langues, mais qui voudraient voir le reste de la population s'encarcaner dans une seule langue.

M. GAULIN: Je ne crois pas que...

M. MORIN: Un point de privilège. Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris le député de Saint-Jean.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Appelez cela règlement...

M. MORIN: Un point de privilège. Je crois que le député de Saint-Jean...

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Appelez cela règlement pour le bénéfice du journal des Débats.

M. MORIN: Bien! J'invoque le règlement. Je crois que le député de Saint-Jean nous a prêté des intentions et nous a fait dire des choses que nous n'avons jamais dites ni même pensées. Je ne voudrais pas que ces messieurs nos invités se laissent impressionner par ces bonnes vieilles tactiques parlementaires.

M. GAULIN: M. le Président, puisqu'il semble qu'on...

M. VEILLEUX: Je voudrais répondre au député, un peu...

M. GAULIN: Oui.

M. VEILLEUX: Je n'ai pas prêté d'intention au député de Sauvé. J'ai tout simplement dit qu'il était un parfait bilingue.

M. HARDY: II a constaté une situation.

M. VEILLEUX: J'ai constaté une situation.

M. MORIN: Cela est tout à fait conciliable avec un Québec français, ne vous en déplaise!

M. GAULIN: Je voudrais faire deux remarques à propos de ce que M. le député Veilleux nous a dit. Je suis d'accord avec lui pour dire qu'il faut que les individus supportent la langue, mais je pense que les individus ne peuvent pas supporter la langue si l'Etat ne la supporte pas. Quand M. Veilleux donnait comme exemple des professeurs qui n'étaient pas professeurs de français et qui, jusqu'à un certain point, ne tenaient plus compte maintenant de l'orthogra-

phe et des choses comme cela, je pense que c'est encore là un signe de la décrépitude de la langue française au Québec. C'est une chose qui n'a pas d'importance, la langue française au Québec, puisque l'anglais... Je vais terminer, si vous me le permettez.

M. VEILLEUX: Vous vous souvenez lorsque le ministère de l'Education, vers 1969, a implanté les nouvelles méthodes ou a voulu inciter les gens aux nouvelles méthodes tant à l'élémentaire qu'au secondaire. A ce moment, lorsque arrivait le temps de corriger les examens de fin d'année du ministère, on disait: Ne vous préoccupez plus du français dans les matières autres que le français. Cela a été joliment important. Je trouve qu'une décision du ministère, à ce moment, pour revaloriser le français...

M. BOIVIN: Est-ce qu'on a déjà dit cela?

M. VEILLEUX: Je me souviens quand je corrigeais les examens à Honoré-Mercier, on nous avait dit: Dans la correction des examens, ne tenez plus compte ... Par exemple, en biologie...

M. BOIVIN: Pour les autres matières, ce n'est pas compliqué, c'est vrai ou faux...

M. VEILLEUX: C'est cela.

M. BOIVIN: ... dans certaines matières.

M. VEILLEUX: Faux avec un "t"...

M. BOIVIN: On ne peut pas corriger le français.

M. VEILLEUX: ... et vrai avec un "x".

M. GAULIN: Quoi qu'il en soit, je pense qu'un professeur de mathématiques... Il y a des étudiants qui ne sont pas bons en mathématiques pour une raison très simple: ils ne savent pas lire. Il y a des étudiants qui ne sont pas bons en chimie pour une raison très simple: ils ne savent pas lire.

M. HARDY: M. le Président, j'invoque le règlement.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le ministre des Affaires culturelles.

M. HARDY: Je pense que nous sommes à plus de deux heures de séance avec ce groupe et qu'il faudrait peut-être songer à entendre d'autres groupes qui sont présents ici.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je suis prisonnier des questions et des avis de questions que vous m'avez vous-mêmes...

M. HARDY: Oui, mais je pense que nous devrions également être prisonniers d'une cer- taine équité envers tous ceux qui se présentent à la commission et je ne pense pas que l'on doive accorder une importance démesurée à un groupe en regard des autres groupes qui veulent se faire entendre.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): J'avais demandé, au tout début, tout en indiquant à ceux qui m'avaient demandé le droit de parole, d'essayer d'être le plus bref possible. Je vais appeler ceux que j'ai encore sur ma liste: le député de Pointe-Claire, le député de Lafontaine et le député de Sauvé.

M. CLOUTIER: A moins qu'ils ne renoncent à leur droit de parole étant donné que nous avons vraiment dépassé les délais. Nous entendrons de très...

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Est-ce que le député de Saint-Jean a terminé?

M. VEILLEUX: Oui.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député de Pointe-Claire. Excusez-moi. Je pense que vous étiez en train de terminer de...

M. SEGUIN: Mes questions habituelles. Je serai simple. Vous avez déclaré hier que vous représentiez ou que vous aviez 1,000 membres. Voulez-vous me dire ou dire à la commission, afin que cela soit consigné au journal des Débats, de quelle façon vous avez préparé votre mémoire, très brièvement, c'est-à-dire combien de jours, combien d'heures avez-vous passées à sa préparation? Qui y a contribué? Est-ce que les membres de votre association ont été consultés et de quelle façon avez-vous obtenu votre mandat pour venir ici, devant la commission, parler en leur nom?

M. DORION: D'abord, nous regroupons 1,000 professeurs de français, comme nous avons dit, sur une possibilité d'au-delà de 30,000 au Québec, compte tenu que 20,000 professeurs sont de l'élémentaire et enseignent diverses matières. Pour cette raison, ces professeurs ne désirent pas, évidemment, adhérer à quatre ou cinq associations. Ce qui veut dire que nous représentons, comme je l'ai dit hier, une proportion même légèrement plus forte que l'Association française des enseignants français, toutes proportions gardées, bien entendu.

Quant à la deuxième partie de votre question qui concerne la fabrication du mémoire, nous nous sommes déjà prononcés sur plusieurs aspects depuis 1967, depuis que nous existons, sur différents problèmes de la langue française. Depuis l'annonce de la commission parlementaire, nous nous sommes réunis en conseil d'administration provincial ou national et nous avons discuté une journée entière du projet de loi et un sous-comité a été formé pour rédiger le mémoire. Il a mis environ deux semaines et, par la suite, cela a été soumis aux cinq sections que

compte l'association, c'est-à-dire le Saguenay-Lac-Saint-Jean, Québec, Montréal, Trois-Rivières et Hull. Après cette consultation, les modifications au mémoire nous sont parvenues et l'équipe de rédaction a tenu compte de toutes ces modifications et vous l'avez ici dans sa version finale.

M. SEGUIN: Je vous remercie, M. Dorion. Vous avez semblé ou quelqu'un a dit tout à l'heure — je ne sais pas si cela était intentionnel ou non — qu'il y avait eu consultation ou qu'un autre groupe, les syndicats, par exemple, viendrait ici devant la commission.

M. DORION: Oui. Nous faisons partie du Mouvement Québec français. Nous sommes membres fondateurs du Mouvement Québec français en tant qu'association et les deux représentants de notre association au Mouvement Québec français sont M. Gaulin et moi-même en tant que président. Nous avons aussi siégé avec eux à plusieurs reprises, de même qu'avec les groupements qui forment le Mouvement Québec français, entre autres, le MNQ, le Mouvement national des Québécois.

M. SEGUIN: Il serait juste de dire, dans ce cas, que votre mémoire a été préparé en consultation avec certains autres groupes...

M. DORION: Non. Il y aura deux mémoires de présentés.

M. SEGUIN: Oui. Mais il y a eu consultation de votre part.

M. DORION: C'est-à-dire que nous avons dit que nous nous attacherions à deux aspects précis devant le MQF. Nous avons dit que nous nous attacherions au principe même du projet de loi 22 et à la langue d'enseignement.

M. SEGUIN: Je vous remercie, M. Dorion.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député de Lafontaine.

M. LEGER: M. le Président, il y a deux points particuliers que je voudrais souligner. Tantôt, M. Gaulin parlait de ghetto anglophone. Je veux vous demander ceci au départ: Quand on regarde — je vis à Montréal, et dans Montréal, quand on s'en va dans l'ouest, à l'ouest du Saint-Laurent jusqu'à l'extrémité de l'île — une minorité anglophone à l'intérieur d'un Québec qui n'est pas encore un Québec français, une minorité anglophone qui réussit à voir la grande majorité de ses ressortissants qui viennent au monde avec une langue maternelle anglaise, qui sont éduqués en anglais, qui travaillent en anglais, qui ont des loisirs en anglais, qui vont même au moment de leur mort mourir encore en anglais, sans avoir été capable de dire un seul mot de français, pensez-vous que, dans cette situation, il y a réellement une homogénéité au Québec? Pensez-vous que l'Etat français proposé par le bill 22 peut réellement corriger cette situation où il est possible pour une minorité de passer toutes les étapes normales de sa vie uniquement en anglais en côtoyant même des francophones et d'être incapable de parler français? Est-ce que vous pensez que le bill 22 peut corriger cette situation?

M. GAULIN: Pour répondre très brièvement à M. le député Léger, je réponds non. Nous avons dit hier que le bill 22 faisait de la langue française une langue de traduction. Avec tout ce qui est dans le bill 22, les anglophones vont continuer de fonctionner en anglais comme ils l'ont toujours fait.

M. LEGER: Un peu plus loin vous avez dit que la motivation était nécessaire et que si l'anglophone veut apprendre le français, il faut qu'il soit motivé à le faire. Autrement dit, entre autres, vous avez parlé d'une vie socio-économique française qui permettrait à l'anglophone de dire: Pour moi, c'est important le français. Si les anglophones parlaient français, si c'était possible pour eux de parler français, il n'y aurait pas deux solitudes, il pourrait y avoir une homogénéité à ce moment. Donc, il faut nécessairement un redressement total de la situation du français à tous les niveaux pour permettre, justement, cette intégration des deux solitudes au Québec actuellement. Est-ce que vous êtes d'accord là-dessus?

M. GAULIN: Oui, c'est cela. Il faut affirmer qu'on a le pouvoir politique et ensuite le prendre.

M. LEGER: D'accord. Une autre question provient du fameux sondage. Quand on parle d'unilinguisme, je pense que les citoyens québécois, soit à cause du contexte dans lequel ils vivent, soit à cause de leur préparation psychologique, sociale, soit à cause de l'information qui leur manque peut-être, sont complètement mêlés au point de vue des termes: unilinguisme d'un Etat et bilinguisme d'un Etat. Je prends pour exemple le président du Parti présidentiel qui a fait une déclaration après le sondage. On lui a posé la question : Est-ce que vous êtes pour un Etat bilingue? Alors, M. Dupuis disait à ce moment: Oui, je suis d'accord que le plus de citoyens soient bilingues. Imaginez-vous, si un président d'un parti comme celui-là ne fait pas de différence entre un Etat bilingue et des individus bilingues, comment dans un sondage des citoyens qui sont dans une situation concrète de tous les jours, dans une limitation géographique de leur vie quotidienne, ou qui ont des aspirations limitées, sont-ils capables de déterminer s'ils sont pour ou contre l'unilinguis-me quand, pour eux, l'unilinguisme veut souvent dire que les gens ne parleront qu'une langue? Puisque M. Dupuis disait lui-même:

l'Etat bilingue, c'est que tout le monde parle deux langues.

Est-ce que vous ne pensez pas que le sondage peut être faussé par le fait que les mots ne signifient pas la même chose pour tous les gens et que l'unilinguisme collectif n'est pas en opposition avec un bilinguisme des individus?

M. GAULIN: Bien sûr. Non seulement le bilinguisme des individus, mais le fait de parler plusieurs langues, le trilinguisme ou le quadrilin-guisme. Ce que vous dites est tellement vrai qu'il y a même un éditorialiste d'un important journal qui disait, lorsqu'on a demandé l'unilinguisme d'Etat au Québec, l'unilinguisme collectif ou Punilinguisme officiel: Ces gens sont des gens qui ne sont pas réalistes. Comment ma secrétaire va-t-elle communiquer avec les Etats-Unis? Il confondait donc — c'était pourtant un éditorialiste de renom— Punilinguisme officiel et la possibilité des individus de parler un tas de langues. Nous pensons justement que c'est dans les pays unilingues qu'il y a des gens qui parlent le plus de langues.

M. LEGER: Donc, Punilinguisme dans un Etat n'empêche pas la majorité des individus d'être bilingues selon leur choix, leurs affinités, leurs goûts culturels, etc.

M. le Président, l'autre question que je voulais poser: Pourquoi, d'après vous, est-il important d'apprendre l'anglais dans le contexte actuel, l'anglais, langue de l'économie et du travail, aspiration d'une personne qui veut gagner sa vie? Autrement dit, comment voulez-vous que les personnes, à qui on pose des questions sur l'utilité de l'anglais, soient capables de réaliser que l'anglais peut ne pas être aussi essentiel si, pour eux, dans le contexte actuel, la langue de travail est l'anglais? Comment pensez-vous qu'eux pouvaient répondre réellement que l'anglais n'était pas absolument essentiel? Quand vous envoyez un enfant francophone, ayant le libre choix, à l'école anglaise, est-ce que vous voyez par là non seulement l'apprentissage d'une langue anglaise, mais, comme le disaient des groupes anglophones... La langue est le véhicule d'une culture et le francophone qui va inscrire son enfant à une école anglaise obtient tout à coup, par cette immersion, une culture anglaise. A la sortie de l'école anglaise, non seulement il parlera très bien anglais, mais il sera porté, par le fait qu'il aura été continuellement côtoyé par des anglophones, à prendre leurs habitudes, entre autres celle, peut-être, de lire dorénavant le Star ou la Gazette et d'oublier de lire les journaux francophones. Les journaux anglophones continuent à charrier la culture anglaise. Par la suite, on voit des réactions et je vais vous en citer une. Un député que je nommerai pas, un député anglophone, qui ne lit que le Star et la Gazette, pour avoir les nouvelles quotidiennes, et qui hier nous disait: Depuis que j'écoute...

M. TARDIF: ... le Jour.

M. LEGER: ... les mouvements français qui viennent parler, je commence à comprendre le problème des francophones. Il ne pouvait pas le voir parce qu'il ne se reflétait pas, le problème francophone, à l'intérieur de la presse anglophone. La même chose dans le domaine du travail ou dans le domaine de l'argent qu'on va investir. Le Canadien français qui va sortir d'une école anglaise va, par la suite, adopter les attitudes, les habitudes de ses amis qu'il aura eus sur le plan humain, qui sont anglophones, qui vont investir dans les milieux, les banques anglophones ou dans les trusts anglophones parce que, pour lui, c'est normal. Il devient, à ce moment-là, complètement vidé. Est-ce que...

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député de Jacques-Cartier, une question de règlement.

M. SAINT-GERMAIN: Une question de règlement, certainement. Cela fait deux heures que nous avons, ce matin, cette association devant nous et voilà qu'au lieu de coopérer, M. le député fait un débat sans poser de question.

M. LEGER: M. le Président, un débat, c'est rare quand on le fait tout seul.

M. SAINT-GERMAIN: II faut penser qu'en prolongeant les débats on prive certaines associations de venir nous donner leur opinion.

UNE VOIX: C'est vrai.

M. MORIN: M. le Président, je regrette, sur le même point. Ce n'est pas nous qui avons occupé tout le temps ce matin, je le ferai remarquer en toute amitié au député. Ce sont les députés gouvernementaux qui ont profité le plus des deux heures de débat que nous avons eues ce matin. Aussi est-il normal que l'Opposition ait sa juste part.

M. HARDY: M. le Président, sur la question de règlement. Il a été bien entendu, et d'ailleurs c'est le règlement qui le dit, que l'objectif des séances de la commission parlementaire était de recevoir l'opinion des personnes qui se présentent.

Actuellement, le député de Lafontaine...

M. LEGER: C'est ce que le député de Saint-Jean et le député d'Anjou faisaient tantôt.

M. HARDY: M. le Président, le député de Lafontaine est peut-être frustré parce qu'il a été remplacé, on ne l'a pas considéré assez bon pour rester à la commission.

M. LEGER: M. le Président, question de règlement.

M. HARDY: Laissez-moi finir la mienne...

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): ... le député de Lafontaine...

M. LEGER: Oui, M. le Président, je pense que ce n'est pas la première fois que des députés sont échangés à des commissions parlementaires. Je pense que le fait qu'un député qui est à une commission laisse sa place au chef de l'Opposition démontre l'importance que nous donnons à cette commission parlementaire pour que le chef de l'Opposition soit présent, et si vous avez remarqué, sauf quelques rares cas, je n'étais pas absent. Donc, c'est tout simplement pour donner l'importance voulue en mettant le chef de l'Opposition à une commission où il n'est pas lui-même présent.

M. HARDY: M. le Président, malgré votre partialité à l'endroit des gens de la gauche, est-ce que vous allez me permettre de terminer ma question de règlement?

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Question de règlement, c'est que votre déclaration de tout à l'heure invitait à une déclaration que j'appellerais règlement-privilège.

M. HARDY: J'en conviens, M. le Président. Mais le règlement est bien explicite. Vous en avez fait lecture au début de nos séances. Lorsqu'une commission parlementaire siège avant la deuxième lecture, ce n'est pas pour faire le débat de deuxième lecture et ce n'est pas non plus pour étudier la loi article par article. C'est d'abord pour écouter, entendre les personnes qui veulent se présenter devant la commission, et les interventions des députés doivent se limiter à ce moment-là, à formuler des questions à l'endroit de ceux qui ont déposé des mémoires. Ce que le député de Lafontaine fait actuellement, et c'était l'explication que je donnais à sa façon d'agir, c'est que, probablement pour atténuer sa frustration, il avait décidé de faire un grand discours, une grande déclaration de principe. Il pourra très bien faire son discours ou sa déclaration de principe au moment de la deuxième lecture, il pourra reprendre ses discours autant qu'il le voudra, lorsque nous étudierons la loi, article par article. Mais la façon de procéder du député de Lafontaine, actuellement, empêche les membres de la commission d'entendre davantage les personnes qui sont à la barre et les autres groupes qui veulent se faire entendre aujourd'hui. Je vous demande tout simplement, M. le Président, avec la bonhomie, avec l'esprit d'impartialité, avec une petite tendance vers la gauche que vous avez, de faire respecter le règlement.

M. LEGER: M. le Président, le préambule que j'avais donné fait peut-être mal au député de Terrebonne, mais c'était dans le but d'arriver à la question suivante...

M. HARDY: Ah bon!

M. LEGER: A ce moment-là, le député de

Terrebonne comprendra pourquoi j'ai fait ce préambule pour situer précisément la question. C'est que, devant cet état que je viens de mentionner, la situation du citoyen québécois manquant de toutes les étapes que j'ai mentionnées dans le contexte qu'il vit exactement...

M. SAINT-GERMAIN: On sait ça.

M. LEGER: D'abord, je dois faire remarquer au député de Jacques-Cartier que c'est la première fois que j'interviens sur des questions de gens qui sont présents depuis le début. Si vous voulez, soyez quand même assez ouverts, nous n'avons pas à être plus pressés que cela, puisqu'il n'y a que deux mémoires à entendre aujourd'hui. Je pense bien qu'il faut avoir un peu d'ouverture d'esprit, de bonhomie, je vois cela sur le visage du député de Terrebonne actuellement, et continuer dans ce style. Ma question était la suivante: Devant toute la situation que je viens de mentionner, est-ce que vous concevez que, pour le libre choix, la liberté individuelle a une limite devant la liberté de la collectivité québécoise à la suite de tout ce que je viens de mentionner?

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): A l'ordre, s'il vous plaît! Moi, je n'entends plus rien.

M. LEGER: Ils ont bien entendu, ils se préparent à répondre.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Pour les instants à venir, je demanderais la collaboration des membres de la commission pour permettre de continuer, non pas dans le silence complet mais pour qu'on comprenne bien.

M. LEGER: Question, oui?

M. GAULIN: Je crois que la limite de la liberté individuelle, c'est la liberté collective. On ne peut pas sacrifier la liberté collective à la liberté individuelle. La langue est un bien collectif, surtout dans le contexte socio-économique qui est le nôtre, ce qui est d'ailleurs le cas de la plupart des pays normaux. On ne peut pas sacrifier ce principe. C'est le cas de la plupart des pays normaux.

On ne sacrifie jamais le droit collectif au droit individuel... Je pense que, comme vous l'avez dit, il faut absolument changer au Québec le pouvoir d'attraction de la langue anglaise pour le donner à la langue française. Si on s'en tient aux études du professeur Charles Caston-guay, le Canada français, dans la mesure où on le définit comme étant un territoire où le français a encore une force d'attraction, on est réduit à un axe qui passe par Trois-Rivières, Québec et Chicoutimi. C'est aussi petit que cela, le Canada français. Je pense qu'il faut absolument redonner au Québec le territoire qui lui a été reconnu et j'espère que le gouvernement du Québec va souligner cela,

comme on souligne la prise de la Bastille, il y a deux cents ans, par l'Acte de Québec 22 juin 1774, où on reconnaît le Québec comme un territoire français.

M. LEGER: Je termine, M. le Président, par l'affirmation suivante. Je pense que, dans le débat linguistique qui existe depuis quand même plusieurs années au Québec, de plus en plus les Québécois s'éveillent aux problèmes collectifs du fait qu'ils étaient trop souvent confinés à des problèmes individuels et que, tout à coup, la collectivité étant en danger, le débat devient de plus en plus passionné et que l'agressivité qu'il peut y avoir des deux côtés, autant du côté francophone que du côté anglophone, provient surtout d'une insécurité. Une personne est agressive quand elle se sent insécure". Quand on aura un Québec français et que la nation québécoise française, comme la nation québécoise anglophone, aura cette sécurité, autrement dit, que le Québec sera pour les francophones, sera français...

M. SAINT-GERMAIN: Question!

M. LEGER: ... et que les anglophones auront droit à ce que leur confère actuellement l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, à ce moment-là, les francophones, comme les anglophones, seront beaucoup plus tolérants, parce que, justement, ils n'auront plus cette insécurité qui les rend peut-être agressifs à juste titre.

M. GAULIN: II faut définir le jeu politique, c'est cela.

M. SAINT-GERMAIN: M. le Président, qu'est-ce que c'est, la question?

M. LEGER: Si vous n'avez pas compris, vous n'êtes pas... C'est un dialogue de sourds.

M. SAINT-GERMAIN: Je n'ai pas compris.

M. LEGER: D'ailleurs, le dialogue de sourds, on le voit depuis deux jours.

M. SAINT-GERMAIN: Un dialogue de sourds, c'est vrai. On n'est pas intéressé ici à savoir vos opinions.

M. LEGER: Pardon?

M. SAINT-GERMAIN: On n'est pas intéressé...

M. LEGER: Moi, je suis intéressé à savoir ce que vous dites.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Messieurs, à l'ordre, s'il vous plaît!

M. SAINT-GERMAIN: L'opinion du député, nous la connaissons.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): A l'ordre, s'il vous plaît !

M. SAINT-GERMAIN: Nous sommes ici pour écouter les opinions des invités.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Est-ce que vous avez posé une question, effectivement?

M. LEGER: Certainement, et il m'a répondu. C'était tellement bien formulé qu'il m'a répondu oui.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de Sauvé.

M. MORIN: M. le Président, j'avais l'intention d'interroger à mon tour nos invités, mais, étant donné l'heure tardive, je vais m'en abstenir en remerciant ces messieurs de l'Association québécoise des professeurs de français de s'être prêtés si volontiers à ce long examen oral.

Je voudrais cependant signaler que l'Opposition n'est pas responsable du retard accumulé jusqu'ici. Seulement deux de nos députés ont parlé, ont posé des questions à ces messieurs de l'Association québécoise des professeurs de français. On ne saurait nous imputer le retard dans la procédure.

Je voulais simplement signaler ce fait pour qu'on ne vienne pas nous dire par la suite qu'il convient de limiter le droit de parole de l'Opposition. Ce sont bien les députés libéraux que, ce matin — je pense que tout le monde l'admettra — ont mobilisé, non sans intérêt d'ailleurs, presque tout le temps disponible. Je vous remercie, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je remercie beaucoup l'Association québécoise des professeurs de français pour hier soir et aujourd'hui. Je pense que vous avez, à ce jour du moins, le record de participation à notre commission parlementaire. Merci.

M. DORION: Nous remercions la commission parlementaire de nous avoir écouté avec autant d'attention et nous voudrions demeurer très optimistes quant aux modifications profondes que subira le projet de loi 22. Merci.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Avant de suspendre les travaux, je voudrais à mon tour rappeler que, comme président de cette commission, il ne m'appartient qu'un rôle, soit celui de faire respecter les règlements par les membres de la commission, sous réserve de certaines ententes pouvant intervenir à l'occasion de nos audiences.

Maintenant, si nous prenons comme exemple le cas de ce matin, l'audition a duré trois heures. Nos règlements prévoient une heure. Il ne m'appartient pas de faire durer une commission trois heures, quatre heures ou cinq heures.

Mais j'inviterais tous les partis politiques, d'ici demain matin à se réunir à nouveau et à indiquer au président, à moi-même ou à ceux qui pourront me remplacer, quel arrangement vous prenez pour le nombre d'heures allouées à une association ou à une autre. Parce que, lorsqu'on lit les règlements, on peut évidemment continuer, mais, de là à tripler même le temps d'une audition, je pense que cela mérite un consensus de la part des représentants aux commissions.

Le député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: M. le Président, sur cette invitation que vous faites aux partis à se réunir, voulez-vous dire que chaque parti doit se réunir pour voir de quelle façon il entend procéder à la commission parlementaire?

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je dirais les leaders parlementaires avec le représentant du Parti créditiste.

M. CHARRON: Oui, mais, M. le Président, ceci a déjà eu lieu hier et jusqu'à ce moment, nous avons amplement respecté l'engagement que nous avions pris hier à la table, c'est-à-dire que j'ai affirmé au ministre de l'Education et au leader parlementaire du gouvernement — mon collègue de Beauce-Sud était également témoin — comment nous entendions procéder.

Je vous ai dit, M. le Président, que, si vous nous assuriez, comme Opposition, qu'immédiatement après les questions que le ministre poserait, ce serait à moi ou à un des députés de l'Opposition de s'adresser ensuite au témoin, nous procéderions de la même façon que le ministre pour, par la suite, inviter tous les collègues.

Je vous ai affirmé, à ce moment-là, que nous nous gardions une seconde intervention à la fin, lorsque tous les collègues libéraux seraient intervenus et c'est exactement de cette façon, selon l'engagement pris hier midi, que nous avons procédé depuis ce temps.

Mon collègue de Lafontaine qui est intervenu, le deuxième de l'Opposition sur cette question — et vous remarquerez que le chef de l'Opposition a retiré sa demande d'intervention — n'a pu le faire qu'à midi. Pour ma part, j'ai pris, hier, de 10 h 45 à 11 h et, ce matin, de 10 h 25 à 10 h 35. J'ai parlé pendant 25 minutes. Mon collègue de Lafontaine a parlé probablement pendant 10 à 15 minutes. Tout le reste du temps a été occupé par la majorité ministérielle.

Je crois, M. le Président, que votre invitation est fondée, mais il ne faut pas vous en reprendre à nous, parce que l'engagement d'hier a été, de notre part, intégralement respecté. J'aimerais que votre invitation soit faite, à l'intérieur de chacun des partis, pour qu'on se réunisse en caucus chacun de notre côté et, surtout du côté ministériel, qu'on s'entende pour savoir comment on va procéder.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Si vous me le permettez, est-ce que nous pourrions avoir immédiatement l'avis du caucus du Parti créditiste?

M. ROY: Oui, et, en même temps, vous allez avoir l'avis du caucus au complet.

UNE VOIX: Il est seul.

M. ROY: Je suggère justement qu'il y ait un caucus du côté ministériel, parce que les ententes que nous avons prises hier, nous les avons respectées. En ce qui me concerne, je les ai plus que rigoureusement respectées. Or, c'est du côté ministériel que nous est venu tout ce temps, tout ce débat. Je pense que, pour nous, c'est du temps complètement perdu que de nous réunir à nouveau pour discuter de cette question.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): C'est dans l'esprit des règlements. Vous comprenez ma position. Je suis bien obligé d'avoir toujours les règlements devant moi, c'est ma tâche, mais je suis un peu mal pris.

M. CHARRON: Je comprends, M. le Président, que vous êtes dans une position délicte pour inviter le caucus ministériel à se réunir.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): J'invite ceux qui veulent bien comprendre.

M. TETLEY: Adopté.

M. CHARRON: L'occasion est tentante pour certains députés ministériels de sortir de l'ombre, mais je ne crois pas que cela doit se faire au détriment des travaux normaux de la commission. Pour notre part, nous respectons encore, jusqu'à nouvel ordre, jusqu'à ce qu'une nouvelle proposition soit faite, l'engagement que nous avons pris hier.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Nous entendrons, à compter de 4 heures, le Congrès canadien polonais.

La commission suspend ses travaux jusqu'à 4 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 15)

Reprise de la séance à 16 h 29

M. LAMONTAGNE (président de la commission permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre, messieurs! Si vous voulez prendre vos sièges, s'il vous plaît.

Congrès canadien polonais

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): J'inviterais maintenant les représentants du Congrès canadien polonais à venir en avant. Est-ce qu'il y a un représentant du Congrès canadien polonais ici dans la salle?

J'ai en main un télégramme, daté du 13 juin, adressé à M. Pouliot, secrétaire des commissions, indiquant: "Nous n'avons pas reçu la convocation. Prière de nous fixer notre date. Congrès canadien des polonais."

Vous me permettrez peut-être de m'interroger comment il se fait qu'ils envoient un télégramme pour nous dire qu'ils n'ont pas reçu la convocation?

M. MORIN: Ils veulent peut-être dire qu'ils n'ont pas reçu à temps le télégramme de convocation.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Oui, mais...

M. CLOUTIER: II a été expédié à temps, d'après ce que me dit...

M. MORIN: Cela me ramène au point que je soulevais ce matin. Il est évident que quelquefois les télégrammes ne se rendent pas, pour diverses raisons, et comme il est possible d'avoir un certificat quant à l'heure de réception ou de livraison sur le télégramme même lorsqu'on en fait la demande, je proposerais que les associations qui nous apprennent...

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Est-ce que vous me permettez de vous interrompre un instant? Pendant ce temps, je demanderais au secrétaire des commissions de faire en sorte que les représentants du Conseil des hommes d'affaires québécois, qui sont ici... Ah! Vous êtes ici. Parfait.

Le chef de l'Opposition, pour compléter son intervention.

M. MORIN: Je voulais simplement demander que nous tenions compte du moment où le télégramme est reçu par les associations dans la détermination des délais. C'est tout ce que je voulais souligner. J'ai déjà fait mention de ce point ce matin et je crois que les événements de cet après-midi confirment que la manière de procéder que j'ai suggérée est la seule qui soit valable.

Je crois que M. le ministre veut la parole.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le ministre de l'Education.

M. CLOUTIER : Je suis certainement sur la même longueur d'onde que le chef de l'Opposition, parce que, comme lui, j'ai le souci d'avoir devant la commission parlementaire les gens qui veulent déposer des mémoires et les discuter. Cependant, j'éprouve certains doutes sur l'efficacité de la façon de procéder qu'il suggère. Je crois que la difficulté vient surtout du fait que le délai de 48 heures vient seulement d'être instauré. Elle disparaîtra du fait que nous allons, même si le délai de 48 heures est un minimum, convoquer tout le monde au moins quatre ou cinq jours à l'avance. Je ne pense pas qu'on puisse se baser — ce n'est pas la pratique dans les autres commissions d'ailleurs — sur la réception du télégramme. Le secrétariat des commissions ne peut que convoquer dans les limites du règlement et espérer que les organismes se débrouilleront pour venir. On m'informe que certains organismes téléphonent parfois pour dire: Nous ne pouvons pas y aller à telle date, cela ne nous arrange pas, un tel est absent, je travaille, ce ne sont pas mes heures de bureau. C'est une réponse qui a été reçue récemment. Je ne vois absolument pas comment, dans ces conditions, nous pourrons procéder.

M. MORIN: M. le Président, il serait peut-être utile — je me permets d'en faire une suggestion — que le secrétariat des commissions entre en contact avec tous les organismes dès maintenant pour voir lesquels sont disponibles dans un avenir rapproché et lesquels préfèrent attendre quelque temps avant de comparaître. Si cette enquête est faite auprès des divers organismes qui sont inscrits — ils ne sont pas des milliers, ils sont quoi, 180! — on ne me fera pas croire qu'il est impossible de rejoindre 180 organismes, si on s'en donne la peine. Cela peut se faire en quelques jours au maximum pour tenter d'établir, déjà, peut-être non seulement, comme le ministre le suggérait ce matin, une semaine d'avance, mais peut-être deux ou trois semaines d'avance, les comparutions devant cette commission. Je crois que ce serait la façon normale de procéder. J'en profite, M. le Président, puisque nous sommes sur des questions préliminaires, pour demander au ministre s'il aurait l'obligeance de nous donner la liste complète de tous ceux qui se sont enregistrés, tous ceux qui ont donné avis qu'ils désirent être entendus devant la commission.

M. CLOUTIER: M. le Président, je ne peux pas partager l'opinion du chef de l'Opposition, parce que j'ai été informé par le secrétaire des commissions qui, soit dit en passant, ne dépend pas de moi directement, n'est pas sous mon autorité, que, sur le plan pratique, il est extrêmement difficile de communiquer avec certains organismes. On a essayé ce matin de

faire une vérification auprès d'un organisme. Les numéros de téléphone n'étaient pas exacts. Il y a beaucoup de ces groupes qui ne sont pas — je ne veux pas discuter leur représentativité — toujours faciles à toucher.

Il y a des groupes sociaux, des groupes culturels qui veulent s'exprimer et qui n'ont peut-être pas toujours de sièges sociaux importants. Alors, je ne crois pas que le secrétaire des commissions puisse procéder de cette façon et je ne vois pas d'ailleurs pourquoi il ne ferait pas comme à toutes les commissions. Le gouvernement est tout à fait disposé à écouter les gens qui veulent s'exprimer, le gouvernement, par le règlement, y est tenu également et les règles du jeu sont bel et bien définies. Alors, ceux qui ne peuvent pas s'y plier, malheureusement, je ne vois pas comment ils pourront être entendus. Cependant, leur mémoire a été reçu et nous pourrons en tenir compte.

M. MORIN : M. le Président, je ne voudrais pas que, par des actes inconsidérés ou en appliquant trop à la lettre le règlement, nous en arrivions à frustrer de leurs droits un certain nombre de citoyens, que ce soit du côté de la minorité anglophone ou du côté de la majorité francophone ou encore des personnes qui regroupent les Néo-Québécois. Je ne voudrais pas qu'on aboutisse à cela parce que, par la suite, on ferait des reproches à cette commission et ce serait navrant de voir que la procédure même de la commission devienne un objet de débat politique. Je crois que la commission doit non seulement être équitable dans sa façon de procéder, mais doit donner l'impression de l'être. Cela doit être évident que nous nous comportons équitablement.

Alors, je ne puis que répéter ma suggestion au ministre et, naturellement, il en fera ce qu'il voudra. Bien qu'il n'ait pas autorité directe sur le secrétaire de la commission, je suis tout à fait persuadé que, si le ministre demande à la commission de procéder d'une certaine façon, les responsables feront de leur mieux pour lui rendre le service qu'il demande.

M. CLOUTIER: Le secrétaire de la commission m'informe que ce n'est pas réalisable, mais cependant qu'il est tout à fait disposé à essayer de communiquer avec certains organismes, en plus d'envoyer des télégrammes, de manière à s'assurer que l'on puisse apporter le maximum de souplesse.

M. MORIN: Eh bien, M. le ministre, je crois que cette réponse est tout à fait satisfaisante. Nous ne demandons pas l'impossible. Nous demandons que les fonctionnaires de la commission s'arrangent pour essayer de prévoir peut-être quelques jours, peut-être même une semaine, deux semaines à l'avance. Cela étant dit, je vous réitère ma demande, M. le ministre, pour la liste complète de tous ceux qui ont donné avis qu'ils désiraient être entendus.

M. TETLEY: Bon. Continuez.

M. MORIN: Est-ce que je pourrais avoir une réponse à ma question, M. le Président?

M. CLOUTIER: Oui. Voulez-vous me prêter encore votre règlement?

M. le Président, notre règlement prévoit en effet qu'après l'expiration de là date, il est possible de dresser cette liste et de l'accompagner de mémoires. Je vais cependant vérifier avec les autres commissions, avec le secrétariat des commissions. J'ai déjà fait ma demande, mais je n'ai pas eu de réponse pour savoir quelle est la pratique à cet égard. Je voudrais procéder de la même façon que l'on procède pour les autres commissions. Je n'ai aucune objection de principe.

M. MORIN: J'ai cru voir cette liste, elle existe, elle est complète. Je ne vois vraiment pas pourquoi l'Opposition ne l'aurait pas entre les mains.

M. CLOUTIER: L'Opposition l'aura entre les mains, le secrétaire des commissions m'informe qu'elle n'est pas encore complète.

M. MORIN: Et quand pourrons-nous l'obtenir, M. le ministre?

M. CLOUTIER: Vous me permettrez de vérifier et je vous répondrai le plus rapidement possible.

M. MORIN: C'est-à-dire, si possible, demain matin?

M. CLOUTIER: Très certainement demain matin, je ne vois pas pourquoi il faudrait attendre.

M. MORIN: Merci, M. le ministre.

Conseil des hommes d'affaires québécois

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): J'invite maintenant le Conseil des hommes d'affaires québécois incorporé. Pour le bénéfice des membres de la commission et du journal des Débats, auriez-vous l'amabilité de vous identifier au début de votre intervention?

M. BELANGER: M. le Président, je m'appelle André-J. Bélanger; je suis président du Conseil des hommes d'affaires québécois Inc. et je suis accompagné de M. André Charbonneau, membre de l'exécutif.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Vous pouvez procéder.

M. BELANGER: M. le Président, avec votre permission, je voudrais d'abord commencer par

une courte présentation de l'organisme afin de prévenir immédiatement certaines questions qui pourraient venir par la suite concernant la représentativité. L'organisme que nous représentons, le Conseil des hommes d'affaires québécois, est de fondation toute récente, son congrès de fondation ayant eu lieu effectivement les 17, 18 et 19 mai derniers, soit il y a moins d'un mois, bien qu'il fût en période d'organisation depuis environ un an. Au moment de ce récent congrès de fondation, nous comptions environ 300 membres, soit des hommes d'affaires répartis dans toutes les régions du Québec et impliqués, pour la majorité, dans de petites et de moyennes entreprises.

Depuis le congrès, nous avons reçu et obtenu un certain nombre de nouvelles adhésions dont nous n'avons pas les chiffres, mais disons que nous dépassons quelque peu les 300 membres.

Nous ne prétendons donc pas représenter la population du Québec, ni représenter l'ensemble des hommes d'affaires du Québec. Nous prétendons représenter environ 300 hommes d'affaires impliqués dans la petite et la moyenne entreprises, répartis à travers le Québec et qui, quant à leurs occupations, représentent à peu près l'image de l'entreprise québécoise francophone, c'est-à-dire davantage impliqués dans les services, dans les professions, dans les petits commerces et peu impliqués dans la grande entreprise qui, d'ailleurs, nous échappe comme Québécois.

Enfin, je tiens à souligner qu'étant donné que ce nombre, qui représente malgré tout un échantillonnage assez fidèle de la population québécoise quant au milieu des affaires... Ce que nous voulons débattre ici, ce n'est pas représenter, comme je l'ai dit, la question ou l'opinion de la population québécoise, c'est une question de principe et je pense que la question de la représentativité doit jouer en second lieu.

Le mémoire que nous vous avons soumis constitue l'établissement des principes qui nous guideront par la suite dans la discussion du projet de loi comme tel, du projet de loi 22. C'est d'abord notre position de principe que nous avons voulu établir dans ce mémoire. Jamais un gouvernement n'adopte un projet de loi sans d'abord prendre une position de principe et c'est ce que nous avons voulu faire.

Dans un premier temps, nous avons dénoncé le mythe du bilinguisme. La commission BB elle-même, la commission Laurendeau-Dunton, dans son introduction générale, aux pages 17 et suivantes, reconnaissait qu'il est impossible de parler d'un bilinguisme des individus et qu'on ne peut parler que d'un bilinguisme des institutions. Tout bilinguisme des individus, partout où on a tenté de l'appliquer, a toujours mené à l'assimilation d'un groupe par l'autre. Un groupe finissant toujours par prendre le dessus sur l'autre.

Au Québec, parce qu'on a voulu, depuis déjà de nombreuses années et de trop nombreuses années, réaliser ce présumé bilinguisme des individus, notre culture en a été gravement atteinte, parce que notre langue, qui en est un élément essentiel, est une langue qui n'est pas souvent utilisée dans plusieurs secteurs, qu'on parle des secteurs techniques ou mécaniques.

C'est la commission BB elle-même encore qui le reconnaissait à la page 15 de son introduction générale. D'ailleurs, l'histoire elle-même, dans les pays où on a tenté d'imposer un bilinguisme chez les individus, nous est témoin qu'on en est toujours arrivé à une assimilation d'un groupe par l'autre.

Un phénomène semblable de bilinguisme des individus est à peu près totalement inexistant, sauf dans trois ou quatre cantons suisses sur vingt-cinq. C'est à peu près le seul exemple qu'on puisse posséder dans le monde.

Nous avons également constaté qu'il existe au Québec un phénomène de dépendance économique et politique chez les Québécois francophones, phénomène qui se concrétise et qui s'est toujours concrétisé à deux niveaux. D'abord, par un gouvernement fédéral qui, depuis 1867, a continuellement tenté de centraliser les décisions importantes et les secteurs importants de notre vie et, ensuite, par la présence de plus en plus envahissante des compagnies multinationales anglophones et étrangères chez nous. Ces deux niveaux, notamment les compagnies étrangères et les compagnies multinationales, exercent leurs pressions au sein d'organismes présumément patronaux, présumément locaux, présumément québécois.

On comprendra facilement que les positions qu'ils défendent sont les positions qui servent leurs intérêts et non pas ceux de la collectivité québécoise.

Je veux maintenant, ici, immédiatement souligner qu'il existe une lacune dans ce projet de loi que nous étudierons tantôt, deux grandes absences, soit l'immigration et les communications. Ces deux secteurs sont totalement absents de ce projet de loi. Ils sont, à notre point de vue, des secteurs importants d'une politique de la langue qui veut être globale. Nous y reviendrons d'ailleurs.

Enfin, nous avons posé le principe, après avoir constaté cette dépendance, cet état d'infériorité dans lequel se sentent de nombreux Québécois, ce complexe de colonisés qui existe chez nous, qu'il n'y avait, à notre point de vue, qu'un seul moyen réel, efficace et global pour susciter ce réveil et assurer cette survivance de notre nation. C'est la reconnaissance du droit à l'autodétermination du Québec.

Toutes les conditions pour former une société ou une nation sont réunies.

Encore une fois, la commission BB le reconnaissait aux pages 13 et suivantes, et spécialement au paragraphe 44 de son introduction, quand elle définissait ce qu'était une société d'après elle. Etant donné qu'il n'est pas question ici de faire valoir ce point de vue et qu'on discute d'un projet de loi, nous croyons, en conséquence, fondamental de mettre au moins un cran d'arrêt à ce mouvement assimilateur, et c'est pourquoi nous croyons qu'une législation

vigoureuse s'impose sur la question de la langue dans les plus brefs délais.

Nous avons enfin, dans notre mémoire, en conclusion, énuméré brièvement quels seraient, à notre point de vue, le point de vue, le point de vue de l'homme d'affaires, dans le domaine des entreprises en particulier, les éléments, les effets bénéfiques d'une législation qui décréterait vraiment — ce que ne fait pas à notre point de vue le bill 22 — le français, seule langue officielle au Québec. Ceci favoriserait inévitablement l'accession de Québécois —et Québé-coi, j'entends le définir ici — comme citoyens francophones du Québec. Je ne parle pas d'ethnies ou d'origines ethniques, mais je parle de citoyens qui parlent français, soit la langue de la majorité. Ceci permettrait l'accession plus facile des Québécois à des postes de cadre dans des entreprises locales ou étrangères. Ceci permettrait aussi de faciliter l'acquisition d'entreprises par des Québécois, et enfin la prise de décisions dans le sens des intérêts collectifs des Québécois, puisque la gestion, à ce moment, appartiendrait vraiment aux Québécois.

Dans le projet de loi, partant de ces principes que nous établissons dans notre mémoire, nous avons étudié les 55 premiers articles, qui sont les articles de fond, les articles de base. Le reste nous semble de la cuisine. Une fois qu'on a discuté et décidé de ces problèmes de fond, on peut facilement s'entendre sur le reste. Ce qui nous semble fondamental, ce sont ces 55 premiers articles. Et compte tenu de la position que nous venons d'exprimer, que nous demandons qu'un projet de loi soit adopté ou qu'une loi soit adoptée décrétant le français seule langue officielle au Québec, c'est-à-dire seule langue d'enseignement, seule langue de travail et seule langue de communication, nous arrivons à la nécessité d'amender ou de rejeter purement et simplement 25 des 55 articles étudiés.

Et ce faisant, il nous semble que ce texte devient à ce moment inconsistant, truffé de répétitions et incomplet. Il nous paraît impossible d'en faire un texte de loi qui puisse se tenir.

En conséquence, nous réclamons le retrait pur et simple de ce projet de loi qui aura, cette fois, comme véritable fondement de décréter le français comme seule langue officielle au Québec, c'est-à-dire — et je le répète — seule langue d'enseignement, seule langue de travail et seule langue de communication.

Avant de passer à l'étude de ces articles en question, j'aimerais maintenant vous les énumérer. Plus précisément, il y en a 27 à retirer ou à amender, soit les articles 1, 2, 8, 9, 11, 13, 14, 15, 16, 17, 20, 24, 26, 28, 29, 31, 39, 41, 45, 48, 49, 52, 53 et 54.

Je donne maintenant la parole à M. Charbon-neau.

M. ROY: Excusez-moi. Est-ce que cela serait trop vous demander de nous redonner les articles? J'ai essayé de vous suivre, mais je vous ai perdu en cours de route.

M. BELANGER: Je peux vous les redonner avec plaisir. Vous voulez les noter immédiatement? Les articles 1, 2, 8, 9, 11, 13, 14, 15, 16, 17, 20, 24, 26, 28, 29, 31, 39, 41, 45, 48, 49, 52, 53 et 54.

M. ROY: Merci.

M. BELANGER: Avant de donner la parole à M. Charbonneau, j'aimerais rappeler la conclusion de notre mémoire. Il est impossible, à notre point de vue, dans l'état constitutionnel actuel des choses d'adopter une loi qui puisse, globalement, résoudre le problème, premièrement, parce que l'article 133 nous limite et, deuxièmement, parce que d'autres secteurs clés sur lesquels nous devrions légiférer nous limitent également.

J'ai parlé tantôt de l'immigration et j'ai parlé également des communications qui sont un élément clé, à notre point de vue, d'une politique de la langue.

Nous allons maintenant passer aux recommandations. Ces recommandations — je le répète — ne devraient pas constituer, à notre point de vue, même si cela nous était permis de le faire, un projet de loi comme tel ou, en tout cas, cela n'irait pas assez loin, parce que et à cause des limites constitutionnelles qui nous sont imposées et parce que ce projet de loi serait à ce moment inconsistant et incomplet. Les amendements que nous vous proposons sont faits dans le but de donner une idée de ce que devrait être une véritable loi sur la langue au Québec.

M. CHARBONNEAU: II s'agit tout simplement de reprendre ces divers articles en essayant d'être très bref. Premièrement, nous suggérons le retrait de l'article 1 ou l'amendement de l'article 1 pour le modifier de la façon suivante: "Le français est la langue officielle du Québec, c'est-à-dire: a) la langue de l'administration; b) la langue des entreprises d'utilité publique et des professions; c) la langue de travail; d) la langue des affaires; e) la langue d'enseignement."

Nous suggérons de biffer l'article 2. Nous suggérons de biffer l'article 8. Nous suggérons de biffer l'article 9. Nous suggérons de biffer l'article 11. Nous suggérons de biffer l'article 13 pour le remplacer par le suivant: "Le français et l'anglais sont les langues de communication interne des organismes municipaux dont les administrés sont, en majorité, de langue anglaise, de même pour les organismes scolaires pour la durée de la période de cinq ans avant que le secteur d'enseignement public anglophone ne soit aboli." Nous suggérons de biffer le deuxième paragraphe de l'article 14 et de l'amender à compter du mot "appropriée" de la façon suivante: "Nul ne peut être admis ou promu à une fonction administrative dans l'administration publique s'il n'a de la langue officielle une connaissance appropriée à l'emploi qu'il postule" en ajoutant: "selon les normes définies par

la Commission de la fonction publique du Québec." Article 15, nous suggérons de le modifier par l'addition de "En assemblée délibérante dans l'administration publique, les interventions dans les débats officiels doivent être faites en langue française."

Article 16, nous suggérons de le remplacer par: "Le ministre de la Justice doit faire en sorte que les jugements prononcés par les tribunaux soient rédigés en français." Article 17, nous suggérons de biffer toute la partie de l'article qui suit, les mots "langue officielle'', pour se lire comme suit: "Les contrats conclus au Québec par l'administration publique ainsi que les sous-contrats qui s'y rattachent doivent être rédigés dans la langue officielle." Article 20, nous suggérons d'en biffer le deuxième paragraphe. L'article 24, nous suggérons d'en biffer le deuxième paragraphe. L'article 26, nous suggérons de le remplacer par le suivant: "Si, au cours d'une assemblée régulièrement convoquée, les salariés d'une association accréditée en décident ainsi, à la majorité des voix, les conventions et écrits visés à l'article 25 pourront être rédigés en français et en anglais, et les négociations et les séances de conciliation pourront se faire dans ces deux langues au choix.

Toutefois, les conventions collectives, qui doivent être déposées en vertu de l'article 60 du code du travail, seront rédigées en français." A l'article 28, nous suggérons de remplacer le début du premier paragraphe comme suit: "Après une période de transition maximale de cinq ans, les griefs formulés par les salariés devront être rédigés en français". Le deuxième paragraphe se lisant comme il est inscrit. Nous suggérons de rayer l'article 29 pour le remplacer par le suivant: "Si, au cours d'une assemblée régulièrement convoquée, les salariés d'une association accréditée en décident ainsi, à la majorité des voix, la langue française et la langue anglaise doivent être utilisées dans les matières visées au deuxième alinéa de l'article 28. Toutefois, les décisions arbitrales rendues doivent être déposées en français". Nous suggérons de rayer, proscrire et bannir l'article 31 et c'est seulement en le lisant qu'on comprend pour quelle raison. Point n'est besoin d'insister.

Peut-être que je pourrais lire l'article 31 pour le bénéfice de ceux qui n'ont pas le texte de loi. Il s'agit du versement de subventions à des entreprises pour favoriser l'utilisation de notre langue. "Le ministre peut accorder des subventions aux entreprises qui adoptent et appliquent un programme de francisation conformément aux articles 35 et 47". Donc, pour nous, c'est un article à bannir. Il s'agit pour le peuple québécois d'une attitude qui frise pour nous la bassesse.

Nous suggérons que l'article 36 se lise maintenant comme suit: "La personnalité juridique ne peut être conférée, à moins que la raison sociale adoptée ne soit en langue française". Le deuxième paragraphe, tel qu'inscrit dans le texte de loi, nous paraît conforme. Nous suggérons de rayer l'article 38. Nous suggérons de rayer l'article 39 pour le remplacer par l'article suivant: "Les contrats d'adhésion, les contrats où figurent les clauses types imprimées ainsi que les bons de commande, les factures et les reçus imprimés doivent être rédigés en français". Nous suggérons que l'article 41 soit modifié ainsi: "les contrats auxquels adhèrent les consommateurs doivent être rédigés en français". Nous suggérons que l'article 45 soit remplacé par le suivant: "Les propriétaires de panneaux-réclame ou d'enseignes lumineuses installés avant la promulgation de cette loi disposent, à compter de cette date — donc de la promulgation de la loi — d'un délai de trois ans pour se conformer à l'article 43.

Les entreprises, qui font commerce de louer des espaces publicitaires — et cette section n 'est pas prévue en aucune manière dans la loi — sur panneaux-réclame, ne peuvent bénéficier de ce délai pour ces dits espaces loués." Donc, toute réclame, après la promulgation de la loi, se ferait sur des panneaux-réclame loués, en français.

Nous suggérons que l'article 48 soit modifié de la façon suivante: "L'enseignement public se donne en français au Québec. Sur une période de cinq ans, le français deviendra la seule langue d'enseignement du secteur public. Le ministre de l'Education pourra permettre à des organismes privés l'enseignement en anglais, pour une période ne dépassant pas de dix ans les cinq années prévues au début de ce paragraphe. Après cette période de quinze ans, aucune subvention ne pourra plus être accordée pour l'enseignement de l'anglais dans ces institutions privées. La commission scolaire du Nouveau-Québec peut cependant dispenser l'enseignement en langue française et en leur langue aux Indiens et aux Inuit."

Nous suggérons de rayer les articles 49, 50 et 51 qui, par la modification de l'article 48, deviennent inutiles.

Nous suggérons de modifier l'article 53 pour qu'il se lise maintenant ainsi: "Les avis, dont une loi prescrit la publication en français et en anglais, devront être publiés uniquement en français à l'avenir."

Nous suggérons de rayer l'article 54.

Enfin, nous tenons à souligner que le bill 22 laisse sans législation aucune tout l'aspect des moyens de communication qui sont, on le sait, dans un pays comme celui-ci, extrêmement importants. On sait l'importance de l'entrée de la télévision américaine par câblodiffusion au Québec, on sait quel facteur d'anglicisation ce peut être. Nous croyons aussi qu'il y a lieu qu'un bill sur la langue tienne compte d'un partage équitable de l'utilisation des ondes entre les anglophones et les francophones au Québec.

Une autre lacune grave, d'après nous, de ce bill 22, c'est que cette loi ne prévoit pas comment elle pourra s'appliquer aux bureaux des ministères fédéraux au Québec, aux compa-

gnies d'Etat fédérales, aux entreprises incorporées au fédéral — et l'on sait combien de multinationales sont incorporées à Ottawa — aux chemins de fer, à Air Canada, aux banques à charte, aux ports nationaux, et cette liste pourrait s'allonger longuement.

Nous croyons qu'une association d'hommes d'affaires telle que la nôtre doit souligner devant cette assemblée des facteurs tels que ceux qu'il faut reconnaître pour bien étudier le problème de la langue. Cela nous paraît être la situation dominée du peuple québécois, dominée, non seulement sur le plan de la langue. C'est défini depuis longtemps, une relation de domination, c'est toujours une relation d'exploitation socio-économique. Et pour nous ici au Québec, nous croyons que cette exploitation économique se fait toujours à deux niveaux et par deux cultures qui sont bien près d'être apparentées, tout d'abord, par les interventions, les mainmises du fédéral qui, chaque année, drainent des millions des fonds publics du Québec qui, par le biais des programmes conjoints, engagent des budgets du gouvernement provincial, le privant en partie de son autonomie dans ces secteurs.

Nous croyons que ce jeu de domination économique se fait aussi par le biais de l'extraordinaire outil d'efficacité que sont les multinationales. Nous croyons qu'une société comme la nôtre doit se protéger, nous croyons que le gouvernement fédéral, par ses tentatives d'entrer dans des champs réservés au gouvernement du Québec, tente de transformer la socio-culture du Québec. Nous croyons que les multinationales — par le biais d'organismes financés qui sont des organismes parfois d'expression francophones, mais qui traduisent les idées, les visions sociales d'organismes anglophones — imposent leurs vues au Québec.

Nous croyons — et c'est fondamental dans toute relation de dominants à dominés ou, si l'on préfère, pour ne pas avoir peur des mots, dans toute situation de colonisateurs à colonisés que nous sommes — que le phénomène le plus extraordinaire est toujours celui de la participation du colonisé à sa propre colonisation. C'est facile d'observer ici au Québec combien sont nombreux les Québécois qui, victimes d'une espèce d'admiration dangereuse pour le milieu anglophone, souffrent de mimétisme, deviennent de véritables porteurs de germes d'anglici-sation, et même, contribuent à répandre une culture qui n'est pas la nôtre, des gens qui vivent au sein d'entreprises anglophones très souvent, qui s'appellent John au lieu de s'appeler Jean, qui parlent en anglais à des comités, même entre francophones et ici, nous pourrions citer plusieurs exemples, qu'il suffise d'observer les opérations de Bell Canada à Montréal, dans les différents comités.

Nous croyons que tous ces facteurs obligent le gouvernement du Québec, s'il veut se faire l'outil de notre protection, à adopter une loi qui, nous l'aurions souhaité, aurait été jusqu'à la décision d'accorder sa souveraineté au Québec, mais puisqu'il s'agit d'un travail au niveau de la souveraineté culturelle, nous pensons que le gouvernement doit, à tout le moins, voter un projet de loi qui soit efficace, qui reconnaisse les vrais problèmes et qui fasse du français la langue du Québec.

M. BELANGER: M. le Président, c'est notre exposé.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le ministre de l'Education.

M. ROY: Avant le ministre de l'Education, j'ai juste une question à poser. Est-ce que vous pourriez nous donner une copie des amendements que vous avez proposés? Est-ce que vous disposez d'un document?

M. BELANGER: Malheureusement, à cause des délais très courts — nous avons été convoqués à 24 heures d'avis — nous n'avons pu préparer une copie qui puisse être présentable de ces amendements, mais nous pourrons, si vous le désirez, vous en faire parvenir une copie.

M. ROY: Est-ce qu'il y a un service de photocopie?

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): De toute façon, c'est enregistré au journal des Débats et tous les membres de la commission pourront en prendre connaissance dans deux heures.

M. CHARBONNEAU: Pour les besoins de M. Roy, s'il le désire, je pourrais lui obtenir une photocopie que je lui remettrai à la fin de cette assemblée.

M. ROY: D'accord.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le ministre de l'Education.

M. CLOUTIER: M. le Président, je veux remercier le Conseil des hommes d'affaires québécois Inc. de sa présentation. Je ne peux pas accuser cette organisation d'avoir manqué de sincérité. Je crois qu'elle s'est exprimée clairement. Je la remercie également d'avoir établi sa représentativité, à savoir que c'est un groupe qui existe depuis un mois à peu près et qui compte à peu près 300 membres. J'aurai deux courtes questions, de manière à laisser aux autres membres de la commission l'occasion de s'exprimer.

La première question est en rapport avec surtout les affirmations des pages 5 et 6 du mémoire, qui semblent lier la solution du problème linguistique à la souveraineté du Québec Je formule maintenant ma question. Est-ce que, dans cette perspective, on peut considérer le Conseil des hommes d'affaires québécois comme un groupe indépendantiste?

M. BELANGER: A cette question, nous serons également très francs et très sincères, M. le Président. Un des premiers objectifs de notre charte et le principe premier établi dans nos statuts qui ont été adoptés au récent congrès dit à peu près ceci: Le Conseil des hommes d'affaires québécois est composé d'hommes d'affaires québécois qui croient que la souveraineté politique du Québec est essentielle à la survivance, à l'épanouissement et à l'évolution de leurs entreprises.

M. CLOUTIER: M. le Président, je pense que c'est clair.

Voici ma deuxième question. J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt l'exercice intellectuel auquel vous nous avez conviés à propos des amendements au projet de loi 22. Je constate — et j'aimerais que vous me précisiez si mon impression est bonne, si ma constatation est bonne ou ne l'est pas — que vous semblez avoir éliminé du projet de loi tout ce qui protège la minorité, ici, au Québec, compte tenu du fait que vous avez ménagé des étapes en ce qui concerne les corporations scolaires et municipales et également en ce qui concerne le secteur d'enseignement. Est-ce que cette constatation est exacte?

M. CHARBONNEAU: En partie, oui, M. le ministre. Vous avez peut-être mal suivi l'exposé en ce qui concerne l'article 48. Nous croyons qu'au Québec l'enseignement doit se donner en français et nous prévoyons une certaine étape d'acclimatation à ce nouveau phénomène d'un peuple qui décide de prendre ses responsabilités, mais nous croyons aussi que le projet de loi actuel, avec l'ensemble de ces mesures plus ou moins précises, de copies de textes, de copies de textes français et de copies françaises de textes anglais, devient, dans les circonstances, inutile.

Nous pensons que la loi, tel que nous en suggérons l'amendement, n'empêche pas l'utilisation de copies de textes français, mais je crois qu'à répéter continuellement qu'il faut copier des textes français en anglais ou des textes anglais en français, on reconnaît plutôt un statut bilingue au Québec. Je crois aussi qu'on donne un statut à la langue anglaise que nous ne souhaitons pas.

M. BELANGER: Si vous permettez, M. le Président, j'aimerais quand même compléter cette réponse sur la question de fond ou de droit. A notre point de vue, il n'existe pas de droits acquis au Québec pour quelque minorité que ce soit. Il existe au Québec un peuple fortement majoritaire, le peuple québécois francophone, qui réunit toutes les conditions de définition de l'expression "nation", qui occupe un territoire, qui parle une langue, qui a une culture. Les seuls, ce qu'on appelle aujourd'hui les droits acquis de la minorité anglaise, sont des droits qui découlent directement de la conquête. Ce sont des droits sur lesquels nous ne nous sommes jamais démocratiquement pro- noncés. C'est une situation de fait qui nous a été imposée dans un acte qu'on appelle l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, et qui a été, plus particulièrement, imposé à l'article 133. À notre point de vue, il n'existe pas de droits acquis. Les droits nationaux, le droit à la survivance, le droit à l'épanouissement briment ces présumés droits qu'on appelle historiques ou droits acquis, qui de fait, découlent d'une conquête. Il est temps que le Québec sorte de ce complexe de conquis et de colonisé. C'est la position que nous adoptons et que nous avons explicitée d'ailleurs dans notre mémoire. C'est la raison pour laquelle nous croyons que le français doit être la seule langue d'enseignement tant dans le secteur public que dans le secteur privé subventionné. En d'autres termes, même le secteur privé anglophone ne doit pas et ne devrait pas être subventionné par le gouvernement, comme c'est le fait de presque tous les pays du monde.

M. CLOUTIER: Est-ce que vous avez terminé? Je n'ai pas d'autres questions.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: M. le Président, j'ai également très peu de questions, parce que je crois que, de tous les mémoires que la commission a entendus depuis le début, celui-ci est le plus clair et le plus concis en même temps. Il donne l'occasion aux membres de la commission d'aller chercher beaucoup moins de précisions que nous sommes obligés de le faire à certains autres ambigus.

Je voudrais quand même commencer les quelques questions que j'ai à vous poser en vous exprimant, au nom de l'Opposition, la surprise heureuse, en fin de compte, que vous constituez après le mémoire du statu quo présenté par la Chambre de commerce du Québec hier soir. Je me réjouis également, et je ne pourrais pas faire autrement, de la position fondamentale que vous avez prise quant à l'avenir du Québec et à la conception que vous avez des Québécois. Je me réjouis particulièrement de voir la progression... Vous êtes, à mon avis, un des symboles de ce que j'ai eu l'occasion de souligner en Chambre dès après la dernière élection générale, lors du débat d'ouverture, de cette progression fantastique que la cause de l'indépendance, que le mouvement indépendantiste ont connue au cours des dix dernières années. Il y a dix ans effectivement, il aurait été impensable qu'un conseil d'hommes d'affaires québécois, inscrit dans la vie économique du Québec, arrive devant l'Assemblée nationale des Québécois et s'affirme non seulement comme indépendantiste, mais affirme, comme vous l'avez dit, que les entreprises que vous dirigez ont besoin de la souveraineté pour connaître leur plein épanouissement et fournir le plein rendement, lesquels vous espérez le plus vite possible.

Je crois que cette initiative qu'ont eue des hommes d'affaires québécois — je n'étais pas au courant, d'ailleurs, c'est très récent, donc cela peut excuser mon ignorance — mais cette initiative que certains hommes d'affaires québécois ont eue de se regrouper sur ce principe, sans abandonner les principes fondamentaux de l'activité économique auxquels vous vous conviez, mérite, je pense, notre appréciation la plus sincère.

Evidemment, vous devez encore subir à certaines occasions — cela prouve qu'il reste encore du chemin à faire au mouvement indépendantiste — les sobriquets et les allusions assez désagréables qu'on doit porter à votre cause. J'entendais tout à l'heure le député de Jacques-Cartier souligner au ministre de l'Education que vous étiez probablement des hommes d'affaires sans succès. J'aimerais voir si, effectivement, dans la réalité des faits...

M. SAINT-GERMAIN: Je n'ai pas d'objection.

M. CHARRON: Je vous inviterais peut-être même à commenter cette affirmation...

M. CHARBONNEAU: Certainement, M. le député.

M. CHARRON: ... à nous faire encore une fois, non pas le tableau de la représentativité, mais, en fin de compte, un aperçu de vos activités. Ensuite, si vous me le permettez, laissez-moi vous poser les deux seules questions que j'ai et vous y répondrez par la suite.

Les amendements que vous nous avez suggérés, je peux vous assurer que l'Opposition en tiendra plus que bonne note — pour employer le langage sibyllin de notre ministre de l'Education — mais, par la suite, vous avez fait référence à une modification que vous voulez avoir à l'article 45, à propos des propriétaires des panneaux-réclame, mais, c'est peut-être un oubli que je vous signale, vous n'oubliez pas que l'article 45 fait directement référence à l'article 43, que vous n'avez pas mentionné comme modifiable ou amendable, à votre avis. Si j'ai bien compris le sens de l'amendement que vous voulez apporter à l'article 45, je crois que vous n'êtes pas d'accord sur l'article 43. Je le lis, même s'il est assez désagréable d'étaler encore des choses comme cela au Québec, mais "... l'affichage public doit se faire en français, ou à la fois en français et dans une autre langue, sauf dans la mesure prévue par les règlements. Le présent article s'applique également aux annonces publicitaires écrites, notamment aux panneaux-réclame et aux enseignes lumineuses."

J'imagine, comprenant le sens de votre amendement apporté à l'article 45, que vous n'appréciez guère qu'à l'article 43 on généralise le bilinguisme dans l'affichage public et qu'on le légalise en quelque sorte d'une manière aussi élégamment tournée que le fait l'article 43.

Peut-être devons-nous inscrire un nouvel amendement dans ceux que vous nous avez suggérés à l'article 43.

Finalement, j'aimerais apporter une remarque sur un commentaire de M. Charbonneau, je crois, quant à l'oubli dans le projet de loi de tout le domaine des communications. Je ne peux qu'appuyer encore une fois cette position. Je signalais lors de l'étude des crédits du ministère des Affaires culturelles au député de Terrebonne, qui occupe cette charge de diriger le ministère des Affaires culturelles, que, dans une vingtaine d'années, lorsque nos descendants liront le compte rendu des activités politiques de ces années et qu'on verra qu'un peuple se gargarisait de souveraineté culturelle, qu'un gouvernement annonçait à grand renfort de tambours et de trompettes qu'il allait faire la souveraineté culturelle et qu'en même temps, dans cette deuxième moitié du XXe siècle, tout l'appareillage, tout le domaine des communications, des télécommunications, des ondes, des câbles, tout cela lui échappait totalement, les gens penseront, à ce moment, qu'on avait une très petite conception de la culture.

Vous avez parfaitement raison de signaler que la souveraineté culturelle en 1974 —on ne parle plus de 1910 — ne peut plus se restreindre aux musées et aux bibliothèques. Elle doit d'abord et avant tout s'étendre au domaine des communications.

Si ceux-là nous échappent en 1980 ou en 1981 — et puisse le ministre des Communications m'entendre — c'est une bonne partie de notre avenir collectif qui nous échappe, mais vous auriez pu signaler avec encore plus de force, je crois, que...

M. DEOM: M. le Président, une question de règlement.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député de Laporte sur une question de règlement.

M. DEOM: Est-ce que nous sommes encore au préambule de la question ou est-ce que la question s'en vient?

M. CHARRON: Chaque fois que des interventions dérangent les ministériels, il y a un appel au règlement.

M. DEOM: Non, mais...

M. CHARRON: Je me plie au règlement et je formule une question. Est-ce que vous seriez d'accord avec moi pour dire que le domaine des communications est un domaine essentiel que nous avons à reprendre et qu'une loi, comme la loi 22, devant couvrir toute l'activité linguistique d'un peuple, et qui, dans le cadre constitutionnel actuel, doit se résigner à laisser échapper cette activité, est une loi qui porte à faux? Voilà les quelques questions que j'avais à vous poser.

M. CHARBONNEAU: Alors, M. le député, pour répondre à ce que je pense être votre première question sur notre capacité de payer le voyage pour se rendre ici à Québec. Nous le faisons difficilement à raison de l'inflation qui était soulignée tout à l'heure en autre lieu, mais nous y réussissons. D'autre part, les 300 hommes d'affaires que nous représentons et qui deviennent plus nombreux à chaque semaine, vivent au niveau de la petite et de la moyenne entreprise. Quand on pense que dans le secteur industriel, plus de 80 p.c. du contrôle nous échappe, il est bien évident que des hommes d'affaires, qui sont prêts à cautionner l'idée de la souveraineté du Québec, ne sont pas au sein de grandes entreprises.

Définissons ce qu'on entend par petites et moyennes entreprises. Il s'agit d'abord et avant tout d'un style de gestion, plutôt que d'un chiffre d'affaire. Donc, la comparaison doit se faire sur le plan d'un style de gestion. Un style de gestion qui est apparenté, très souvent, à une structure familiale. Donc, nous représentons des petites et moyennes entreprises, mais en bonne santé, je pense, puisque ces gens ont le courage de soutenir une idée comme celle de l'indépendance, malgré le fait que, bien souvent, on ne le leur pardonne pas. A ce moment-ci, je pense aux tentatives de leur faire des difficultés, moins dans une ville comme Montréal que dans des villes comme Sept-Iles, comme Sorel... surprise. Donc, ces hommes ont quand même construit des entreprises suffisamment importantes pour leur permettre d'avoir ce courage.

D'autre part, quant à votre question sur l'article 43, nous avons souligné au départ qu'il s'agissait d'une étude très rapide du texte de loi. Nous avons été obligés de le faire cette nuit, parce que les délais de convocation imposés dans les circonstances, nous ne nous en plaignons pas, mais nous ont forcés à travailler rapidement. Nous n'y avions lu que la possibilité d'utiliser une langue seconde quelconque qui puisse aussi bien être le grec ou l'italien en certaines circonstances. Peut-être vaudrait-il mieux, en effet, à cause de la situation actuelle au Québec, biffer cet article pour, en fait, biffer de cet article tout ce qui s'appelle l'aspect de traduction ou l'expression anglophone de quelque chose qui aurait été écrit d'abord en français, j'espère. Je pense que M. Bélanger va vous y répondre en ce qui concerne les communications.

M. BELANGER: Quant à la question sur les communications, nous l'avons effectivement affirmée tantôt, cela nous semble un secteur clé qui, s'il n'est pas inclus dans une politique globale de la langue, laisse une loi boiteuse. C'est une des raisons pour lesquelles nous croyons que seule la souveraineté nous permettra, non seulement de reconquérir notre fierté perdue comme peuple, et tellement répandue dans une grande partie de notre population, mais également de reprendre en main, sans qu'il n'y ait à l'avenir de conflit constitutionnel, des outils qui nous échappent actuellement. C'est le cas pour les communications et c'est le cas dans de nombreux autres domaines. C'est la raison sur laquelle notre option est basée.

M. CHARRON: Merci.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député de Beauce-Sud.

M. ROY: J'aurais trois courtes questions, M. le Président, suite au mémoire qui nous a été présenté, mémoire très clair, par l'Association des hommes d'affaires. Cela concerne l'article 14. Vous avez dit: Nul ne peut être admis ou promu dans une fonction administrative dans l'administration publique, s'il n'a de la langue officielle une connaissance appropriée à l'emploi qu'il postule.

Alors, vous avez dit tout à l'heure, dans les remarques que vous avez ajoutées, que les normes devraient être établies par la Fonction publique, alors qu'ailleurs et partout, on a semblé vouloir se référer aux normes qui pourraient être établies par l'Office de la langue française ou la régie comme telle. Est-ce que vous pourriez me dire pourquoi vous optez plutôt pour la Fonction publique que pour l'Office de la langue française?

M. CHARBONNEAU: L'Office de la langue française, pour nous, c'est encore une mesure incitative, une existence liée à une mesure incitative qui ne nous apparaît pas très efficace. Ce sont des fonctionnaires dont il est question, ils vont devoir subir des tests en vertu de la Loi de la fonction publique et, à ce moment-là, nous croyons que les normes devraient être établies par cette Fonction publique. Il est possible que l'organisme que s'appelle l'Office de la langue française pourrait aider, mais, pour nous, nous pensons qu'il s'agit d'une étape administrative simplement.

M. ROY: Admettez-vous qu'il devrait quand même y avoir un organisme central, un organisme pleinement responsable puisqu'on a dit, dans d'autres circonstances, que les commissaires de l'Office de la langue française devraient être sous la responsabilité de l'Assemblée nationale plutôt que sous la responsabilité gouvernementale? On sait très bien que la Fonction publique a quand même un titulaire. Il y a un ministre responsable et le ministre est responsable au cabinet, responsable devant la Chambre, mais responsable au cabinet. C'est la raison pour laquelle je demandais si vous ne penseriez pas que la Fonction publique pourrait agir dans ce sens à la suite de directives qui pourraient être émise par l'Office de la langue française.

M. BELANGER: Probablement, M. le député. Pour nous, ce n'est pas une question fondamentale...

M. ROY: Bon.

M. BELANGER: ... c'est une question, c'est une autre solution que nous suggérons, qui nous semble donner de meilleures garanties. D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle nous n'avons pas voulu, étant donné que nous n'avons pas touché à toute la section qui suit les articles, aux titres qui suivent les articles 55 et suivants... Il est possible que ce soit une formule, mais, pour nous, ce n'est pas la question fondamentale que nous venons discuter. C'est une question de technicité, de technique sur laquelle nous n'avons pas l'intention de faire une bataille rangée.

M. ROY: Donc, vous admettez être discutables.

M. BELANGER: Oui.

M. ROY: Ma deuxième question concerne l'article 40, parce que vous avez été très catégorique au niveau de cet article. Il dit que l'étiquetage des produits doit se faire en français. Si j'ai bien compris, vous avez ajouté: "Doit se faire en français." Cest tout. Alors, est-ce que cela implique également tout le secteur manufacturier, dans le cas de produits qui prennent la direction d'autres provinces ou vers les Maritimes ou dans l'exportation vers les Etats-Unis?

M. CHARBONNEAU: Concernant l'article 40, nous n'y avons pas fait de modification, c'est-à-dire que l'article 40 tel que libellé dans le projet de loi prévoit que des règlements viendront régir l'application des décisions de fond qui auront été prises. Alors, nous réservons nos commentaires lors de l'émission de l'édition des règlements.

M. ROY: Mais vous ne faites pas un principe de cet article à l'effet que cela doit être en français exclusivement?

M. CHARBONNEAU: C'est bien évident que pour nous, dans un pays français, on doit parler, correspondre, faire de la publicité en français. Il y a assurément une période qui doit être prévue pour ajuster ces choses et que les règlements vont sans doute déterminer.

M. ROY: La petite réserve que j'avais là-dessus, c'est qu'il ne faudrait pas oublier que nous avons quand même une quantité d'entreprises au Québec qui font de l'exportation, qui vont sur le marché du commerce international.

M. BELANGER: Là-dessus, je pense que la réglementation ne doit pas s'appliquer à l'exportation. C'est évident que des compagnies, dans quelque pays que ce soit, qui exportent des produits, ne font pas nécessairement un étiquetage dans la langue d'origine du pays qui fabrique le produit. Lorsqu'il s'agit de produits à exporter, je pense que le gouvernement n'a pas à légiférer. Ce qu'on veut toucher, ce sont les produits vendus au Québec, importés au Québec et fabriqués au Québec.

M. ROY: Ma dernière question. Vous avez signalé tout à l'heure que la loi ne contenait aucune disposition concernant l'immigration. Vous avez entièrement raison puisqu'il y a une loi de l'immigration qui apparaît au feuilleton de l'Assemblée nationale et n'a pas encore été déposée. Comme il est fort possible que nous ne puissions pas avoir le privilège d'entendre de nouveau les associations devant la commission parlementaire, j'aimerais que vous nous fassiez part de vos recommandations, de vos suggestions ou de vos positions en ce qui a trait au domaine de l'immigration.

M. BELANGER: Là-dessus, vous nous annoncez qu'il y aura probablement un projet de loi, on annonce déjà un projet de loi...

M. ROY: Oui, il est annoncé.

M. BELANGER: ... sur l'immigration. Compte tenu des récentes déclarations de certaines personnalités fédérales, il est très possible qu'on s'engage une fois de plus dans un débat constitutionnel du genre de celui qu'on a connu et qu'on connaît encore sur la question des communications, par câble ou autrement. A ce moment-là, nous en revenons toujours à la même et seule solution logique, la souveraineté ou l'autodétermination. C'est-à-dire le pouvoir de rapatrier lorsque nécessaire les droits ou les domaines de législation qui nous semblent vitaux. Il ne s'agit pas pour nous de claquer les portes; toute cette question a souvent été débattue, il s'agit d'une reconnaissance de notre droit à l'autodétermination. Si, demain matin, pour la survivance ou pour l'épanouissement de notre culture et de notre peuple, il s'avère nécessaire que le Québec légifère dans un domaine, qu'on lui reconnaisse le droit de se l'approprier, c'est tout ce que nous demandons et, à ce moment-là, le problème est facilement résolu.

M. ROY: En somme, vous déclarez que l'immigration devrait être contrôlée par le Québec.

M. BELANGER: C'est évident. M. ROY: Merci.

M. CHARBONNEAU: A ceci, M. Roy, je peux ajouter que la loi telle que nous en proposons la modification donne quand même des garanties bien supérieures à ce que le bill 22 peut offrir en ce qui concerne l'intégration des immigrants à la culture francophone québécoise. Par le biais d'une structure d'enseignement

public française, je pense qu'on assure la caution, la garantie d'une intégration des groupes extérieurs à la culture québécoise.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de Laporte.

M. DEOM: Merci, M. le Président, Vous nous avez mentionné que votre groupe était composé de 300 hommes d'affaires, alors je déduis que ce sont des individus que vous regroupez et non des entreprises.

M. BELANGER: Effectivement, nous ne représentons pas de corporations ou de compagnies. Ce que nous représentons, ce sont des individus, c'est l'idée des individus, la pensée des individus, nous ne voulons pas devenir un organisme, un genre de conseil du patronat subventionné par dix ou onze grosses entreprises multinationales et qui, de fait, parce qu'elles subventionnent 80 p.c. dans le budget d'un organisme semblable, peuvent éventuellement avoir un poids disproportionné qui peut amener qu'on puisse douter de la représentativité d'un organisme semblable.

Là-dessus, j'ajouterai que notre position de ce jour a été adoptée au congrès des 17, 18 et 19 mai unanimement par tous les participants.

M. DEOM: Je ne voudrais pas que vous preniez mes questions pour une mise' en doute de la représentativité. Je veux juste savoir exactement ce que vous faites. Vous êtes 300 membres. J'imagine quand même qu'il y a une relation entre les industriels que vous représentez et leurs entreprises. Est-ce que vous n'avez jamais étudié les secteurs que vous représentez et quelle sorte de marché ils desservent? Sont-ce surtout des marchés régionaux, des marchés nationaux ou internationaux?

M. CHARBONNEAU: Comme M. Bélanger l'a souligné tout à l'heure, en effet, nous avons effectué un certain sondage pour mieux connaf-tre les membres lors de notre congrès de fondation. Comme il Pa indiqué, confirmant en ceci des études antérieures dans le domaine de la fixation des entreprises québécoises, dans quel secteur les entreprises québécoises évoluent au Québec, les petites et les moyennes entreprises appartenant à des francophones, nos membres, comme nous l'avons dit, sont des cadres, des propriétaires, des marchands, des professionnels reliés au monde des affaires au niveau de la petite et de la moyenne entreprise.

Cela veut donc dire, des gens plus spécialement engagés au niveau des services qu'au niveau de la fabrication.

Quoiqu'il y ait une assez bonne représentation de petites entreprises de fabrication, par exemple, des entreprieses qui peuvent faire des chiffres d'affaires de $10 millions ou $12 millions, qui sont quand même de petites entreprises par le biais de la structure de direction qui est une structure familiale.

M. DEOM: Dans ces entreprises qui font $12 millions, est-ce que vous avez étudié les marchés de ces gens-là, quand ils communiquent avec leur marché, à l'extérieur du Québec?

M. CHARBONNEAU: Les communications à l'extérieur, si on vient sur ce plan, pour tous les pays du monde, et cela se vérifie au niveau du Marché commun, se font dans les langues des pays qui communiquent entre eux. Donc, si on veut venir sur ce sujet, nous suggérons, nous pensons qu'il n'est pas besoin de prévoir à l'intérieur d'un bill comme celui-ci une chose aussi naturelle que des négociations s'engageant entre deux entreprises, quelles qu'elles soient, ou entre des organismes représentant des entreprises, s'effectueront dans la langue de ces deux entreprises, normalement. Si c'était le sujet qu'on voulait étudier, c'est notre réponse.

M. BELANGER: D'ailleurs, pour ne prendre qu'un exemple, le Japon est une des grandes nations exportatrices actuellement, et le japonais, que je sache, n'est parlé qu'au Japon, et cela n'empêche pas les entreprises japonaises de prospérer et d'exporter. L'homme d'affaires s'ajuste, l'entreprise s'ajuste lorsqu'elle doit faire du commerce extérieur et je pense que ce n'est nulle part dans le monde un problème, même dans les pays qui parlent une langue restreinte à ce territoire donné: les pays Scandinaves, le Japon ou l'Allemagne. Je pense que ce n'est pas un problème. D'ailleurs, on est déjà tellement bilingue au Québec, je ne vois pas quel problème on aurait même en décrétant l'unilinguisme français pour communiquer avec les autres.

M. DEOM: A la page 3 de votre mémoire, vous parlez du mimétisme de nos Québécois qui tentent de ressembler à leurs patrons aglopho-nes ou américains. J'apprécie et je vous félicite pour la position très claire, comme le ministre l'a fait, que vous avez prise, mais n'avez-vous pas l'impression que vous insultez un peu les hommes d'affaires québécois quand vous leur dites que tout ce qu'ils essaient de faire, c'est de ressembler à des patrons anglophones et américains? Et ma deuxième question, c'est: Est-ce que vous êtes familiers avec les études de la commission Laurendeau-Dunton sur les styles de leadership en milieu francophone et en milieu anglophone études qui ont prouvé d'une façon très claire que même dans des entreprises anglophones au Québec, le style de leadership des gestionnaires francophones est entièrement différent?

M. CHARBONNEAU: La première partie de votre question ou la première question, est-ce que vous pourriez me la répéter, s'il vous plaît?

M. DEOM: Je vous ai demandé si vous n'aviez pas l'impression qu'en disant que les Canadiens français, les gestionnaires canadiens-français, tout ce qu'ils essaient de faire, c'est

d'imiter des patrons anglophones et américains. Si vous n'insinuez pas...

M. CHARBONNEAU: C'est sur l'aspect du mot "mimétisme", je pense, que vous intervenez?

M. DEOM: Vous l'avez là et vous l'avez à plusieurs endroits.

M. CHARBONNEAU: C'est évident. C'est une caractéristique. H s'agit d'un modèle qui est classique, qui a été établi il y a de nombreuses années par un dénommé Albert Memmi, qui étudie une société en essayant de voir les socio-rapports et en essayant de voir les rapports économiques et en essayant de déterminer la nature des relations et quel groupe est situé dans une position de domination par rapport à un autre.

Ce modèle, simple en réalité, se vérifie dans toute société qui a été soumise à des choses comme une conquête, comme le Québec l'a été. Normalement, à partir du moment qu'une exploitation socio-économique s'établit vis-à-vis d'un peuple, il existe rapidement une espèce d'admiration normale pour le colonisateur qui fait que le colonisé cherche à lui ressembler. C'est ce qu'on appelle du mimétisme au niveau des entreprises.

Ce n'est pas dans le texte dit d'une façon à attaquer des Québécois, mais simplement à les faire réfléchir, à leur faire comprendre qu'à partir du moment où tu essaies de t'assimiler à un groupe autre que celui dont tu fais partie en tant que membre d'une nation, à partir de ce moment tu trahis certaines choses fondamentales chez toi-même. Ce qui est le plus surprenant, des études qui ont été faites dans ce domaine, M. le député, c'est que partout au monde où l'application de ce modèle s'est vérifié, on a toujours remarqué cette tendance au mimétisme du colonisé vis-à-vis du colonisateur jusqu'au temps où il se rende compte — et c'est le réveil qu'on essaie de sonner — que jamais un colonisateur ne voudra l'assimiler, parce que, à ce moment, on détruit la relation d'exploitation qui existait au départ. Albert Memmi 1955 édition l'Etincelle.

Il y a même un chapitre qui traite: "Est-ce que les Canadiens français sont des colonisés"? Je vous en suggère la lecture, c'est très rapide et très instructif.

M. DEOM: Je vais vous suggérer une autre lecture, parce que, dans ce domaine, vous savez probablement — je ne sais pas si vous avez lu le roman de Vercors qui s'appelle "You shall know them", où on prouve de façon très claire que dans le domaine des études socio-économico-politiques on peut soulever autant de thèses que l'on veut.

Je vous suggérerais peut-être de lire Véber qui lui a sorti une autre thèse qui est antérieure de beaucoup et qui a été vérifiée justement, parce que vous n'avez pas répondu à ma deuxième question, par les études de la Commission Gendron. Pour votre information, Véber a prouvé de façon très claire que le style de leadership était relié à des valeurs qui sont transmises par l'éthique catholique ou protestante. Cette thèse a été réévaluée récemment dans le cadre des études de la Commission Lauren-deau-Dunton et a été vérifiée en milieu canadien et francophone.

M. CHARBONNEAU: Oui, disons que si on veut...

M. DEOM: Je vous suggère la même lecture.

M. CHARBONNEAU: ... traiter des styles de leaderships, premièrement, je vous ferai remarquer que Vercors est, à ma connaissance, un Français et qu'il faisait partie à ce moment-là, au moment où a écrit ces sujets...

M. DEOM: Oui, mais il a écrit un volume en anglais, par exemple. Cela a vraiment été écrit en anglais.

M. CHARBONNEAU: Un instant. Je n'en doute pas, mais je vous ferai remarquer qu'il faisait justement partie d'un peuple qui était plutôt du bord du colonisateur que de celui du colonisé, premièrement. D'autre part, vous faites appel à l'éthique protestante qui a défini certains styles de leadership aux Etats-Unis, styles de leadership qu'on a tenté d'exporter des Etats-Unis, par l'entremise de leurs multinationales, avec de nombreux échecs, comme on le sait.

Ici, au Québec, il se fait des études québécoises par des Québécois sur les styles de leadership au sein des entreprises québécoises. On trouve des résultats surprenants, qui indiquent que la relation de colonisé à colonisateur implique des rapports qui créent des genres d'entreprises où les complexes des dirigeants sont continués au sein des entreprises, ce qui fait que ces entreprises se développent beaucoup moins rapidement et produisent que le Québec, en partie, ne participe qu'à 20 p.c. du secteur industriel.

D'autre part, dans ce sens, il est de nos idées que le gouvernement du Québec peut agir, même avant qu'on en soit rendu à l'étape de la souveraineté, très fortement dans ce secteur pour favoriser, premièrement, en utilisant les matières premières, les ressources naturelles comme des facteurs de négociation, pour que les entreprises multinationales développent davantage d'entreprises de transformation sur le sol québécois. On sait qu'il y a toujours des retombées économiques à ce moment et création de nouvelles petites entreprises. On pense aussi que le gouvernement du Québec, plutôt que participer à la subvention d'entreprises multinationales qui viennent s'établir ici comme, par exemple, dans le cas de l'ITT, devrait

davantage subventionner des entreprises québécoises de nature coopérative ou financer, favoriser le développement d'actions concertées au sein de petites entreprises, de façon que naissent des structures de production capables de concurrencer les multinationales.

Nous tenons — si on nous le permet — à féliciter quand même le gouvernement. Souhaitons que ce qui se produit à Cabano n'est que le début d'une suite de réalisations dans ce domaine. Nous tenons à féliciter le gouvernement pour ce qui semble s'être produit d'après les renseignements que nous avons eus ensuite dans le cas de Cabano.

M. DEOM: Vous avez fait un long plaidoyer contre les entreprises multinationales. A un moment, dans votre texte, vous dites que les entreprises multinationales contrôlent de plus en plus notre économie et refusent de reconnaître au français le statut de langue de travail.

J'ai trois questions là-dessus. D'abord, est-ce que vos chiffres sont à jour concernant le contrôle des entreprises multinationales sur l'économie, parce que le rapport Gray et d'autres rapports plus récents semblent démontrer le contraire?

Deuxièmement, est-ce que vous êtes familier avec les politiques linguistiques des entreprises multinationales?

M. CHARBONNEAU: Telex?

M. DEOM: Troisièmement, comment définissez-vous une langue de travail?

M. CHARBONNEAU: A la première question, en ce qui concerne les statistiques, vous savez qu'il y en a beaucoup. Je vous renvoie aux statistiques qui ont été publiées ces temps récents. Elles semblent toutes être d'accord à fixer que la structure industrielle québécoise n'est contrôlée qu'à une variable de 14 p.c. à 20 p.c. par les francophones au Québec, par des entreprises québécoises au Québec.

C'est sur ces chiffres qui sont, en réalité, aléatoires dans le sens que ce soit 22 p.c. ou 14 p.c, je pense que l'état d'infériorité dans lequel nous nous retrouvons est suffisant pour que l'on s'interroge sérieusement. D'autre part, concernant les politiques de francisation des multinationales, on me confirmait, justement récemment, que l'Office de la langue française qui existe actuellement — il serait changé, si j'ai bien compris, par le bill 22, en régie de la langue — qui essaie de produire des résultats dans ce domaine, établit son efficacité ou l'efficacité de ses tentatives dans ce domaine, selon un certain critère quant à l'augmentation de la participation en français dans la gestion de certaines entreprises, mais que fondamentalement — et cela nous a été confirmé récemment par un journaliste du Toronto Star qui avait fait une étude sur ce sujet — dans la plupart des grandes entreprises, au moment où il s'agit de prendre des décisions fondamentales, elles sont prises en anglais par des Anglais, qu'ils soient Américains ou d'autres parties de l'Amérique.

M. DEOM: Si vous me permettez. J'ai l'impression que vous n'êtes pas très familier avec les comportements linguistiques des entreprises multinationales parce qu'à un certain moment, vous avez parlé de Bell Canada dans le même sens. D'une part, je vous référerais à une étude de la commission Gendron qui a porté sur les comportements linguistiques des entreprises multinationales et, d'autre part, pour votre information, vous devriez savoir que Bell Canada a été la première société en 1964 à décider par un vote de son conseil d'administration que la langue de travail, dans la région de l'Est, qui est le Québec, serait le français.

Alors, pour passer à une autre question...

M. CHARBONNEAU: Si vous voulez, je vais compléter, vous relancer sur le sujet. La première chose, c'est qu'à Bell Canada où on a passé une telle mesure en 1964, dont je ne suis pas au courant, quand on fait des assemblées, ce qu'on appelle des meetings à l'intérieur de l'entreprise, même quand ce sont des francophones qui font ces assemblées, ces dernières se tiennent en anglais. Je pourrais en faire la preuve devant cette commission, si on me permettait de le faire parce que j'ai des témoignages à cet effet.

Et d'autre part, il est évident qu'il y a des études qui se sont faites quant à l'utilisation du français à l'intérieur de l'entreprise. Il y en a même une qui a été faite par un député du Québec, M. Déom et une dame Hurtubise, dont les conclusions générales vont beaucoup moins loin que le bill 22.

Je cite: "Nous croyons que la solution au conflit linguistique actuel réside dans l'établissement du français comme langue officielle du Québec sur le plan politique et juridique, tout en laissant aux entreprises le soin d'établir des exigences linguistiques réalistes — ce n'est pas très défini — qui tiennent compte des contraintes imposées par les marchés." Encore des voeux pieux!

M. DEOM: Mais c'est cela que vous avez dit tantôt vous-même.

M. CHARBONNEAU: Je m'excuse, monsieur. Ce n'est pas ce que j'ai dit. Votre bill 22 va beaucoup plus loin que ceci et je pense que les amendements que nous avons suggérés au bill 22 vont beaucoup plus loin.

M. DEOM: Ils vont beaucoup plus loin, dans quel sens?

M. CHARBONNEAU: Beaucoup plus loin dans le sens de l'utilisation de la langue française à l'intérieur de ces entreprises pour en faire une langue de communication interne, beaucoup plus loin dans l'utilisation du français dans toutes les entreprises au niveau des relations patronales-ouvrières, beaucoup plus loin du

côté de la publicité, beaucoup plus loin du côté de l'affichage, beaucoup plus loin du côté des raisons sociales. Bien évidemment, si ces entreprises vont s'incorporer à Ottawa, votre loi ne prévoit pas de quelle façon cela va se produire. Est-ce qu'elles réussiront à échapper au bill 22? C'est une question que j'adresse à M. le ministre de l'Education, s'il peut nous répondre. Je ne sais pas si j'ai le droit moi aussi de formuler des questions.

M. MORIN : Le ministre n'aime pas être mis dans une situation comme celle-là.

M. CLOUTIER: M. le Président, contrairement aux troupes qu'il essaie de contrôler, le chef de l'Opposition s'est comporté comme un gentilhomme, un véritable homme politique. Je ne voudrais pas qu'il vienne ternir ce qu'il a réussi jusqu'ici.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Est-ce que vous avez terminé vos questions?

M. DEOM: Non, à moins que le temps ne soit fini, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Parce que, comme il est presque 6 heures, il y a quelques questions...

M. DEOM: Juste une dernière, si vous permettez...

M. MORIN: On peut continuer après 6 heures.

M. DEOM: Juste une remarque. Je pense que vous n'avez pas lu toute l'étude que j'ai faite pour la commission Gendron. Je vous suggère de la lire au complet, pas seulement la conclusion. D'ailleurs la conclusion...

M. CHARBONNEAU: Les conclusions sont assez souvent l'élément essentiel...

M. DEOM: Les conclusions sont incorporées, à mon avis, dans le bill 22. J'en viens à vos effets bénéfiques de l'unilinguisme français au Québec. C'est un point que j'ai soulevé hier soir avec la Chambre de commerce. Quand vous dites: Dans les faits, l'accession par des Québécois à de nombreux postes de cadre et de gérant, jusqu'ici fermés, en serait d'autant plus facilitée. Pour ma part, je considère que vous prostituez la langue française et la culture française quand vous l'utilisez comme moyen de reprendre le pouvoir économique.

Or, je pense — là-dessus j'aimerais vous entendre — que le gouvernement du Québec possède d'autres instruments qui lui permettront d'équilibrer le pouvoir économique au sein de la société québécoise et ce n'est pas en utilisant une chose aussi importante et aussi noble que la langue qu'on doit reprendre le pouvoir économique.

M. BELANGER: A cette question, si nous demandons et si nous croyons qu'il doit exister une loi vigoureuse, courageuse, décrétant le français véritable langue officielle, c'est d'abord pour mettre un cran d'arrêt au mouvement assimilateur et ensuite pour permettre à de nombreux Québécois de pouvoir enfin relever la tête, ce qu'ils ne font pas actuellement dans les entreprises dans lesquelles ils sont impliqués. Dans les cadres d'entreprises, chez ceux qui gagnent de $10,000 à $15,000 par année, la proportion de francophones est d'un pour trois; chez ceux qui gagnent de $15,000 à $20,000, elle est d'un pour quatre, et chez les plus de $22,000, elle est d'un pour six. Sans qu'il soit besoin, dans un texte de loi, de dire que les cadres d'entreprises devront être francophones, les amendements que nous proposons vont contraindre les cadres à traiter avec leurs employés en français, vont contraindre les cadres à traiter avec le gouvernement en français, vont contraindre les cadres à traiter avec les autres entreprises québécoises en français.

Nous croyons donc qu'inévitablement il y aura une francisation des cadres d'entreprises, inévitablement, puisqu'on a également besoin, plus l'on monte dans l'échelle de direction, de personnes qui parleront les deux langues. Or, comme, de fait, les Québécois sont ceux qui sont les plus bilingues, on devra inévitablement faire appel à des Québécois qui pourront parler en français dans les cas que je viens d'énumérer et qui pourront parler en anglais dans les autres cas où cela s'avérera nécessaire, soit dans les relations extérieures ou ailleurs. Nous croyons qu'il n'est pas nécessaire, à ce moment-là, d'imposer des systèmes de subventions, d'imposer obligatoirement l'engagement de cadres d'entreprises francophones qui pourraient réussir quelques tests préparés par quelque organisme, ce qui nous fait entrer à ce moment-là dans tout un système arbitraire, souvent discriminatoire. Nous croyons que, si la langue française est décrétée vraiment la langue officielle au Québec, inévitablement, sans mesure coercitive, par le simple fait des choses, comme c'est le cas dans la majorité des pays du monde, les entreprises n'auront d'autre choix que de se franciser et trouveront normal de se franciser.

M. DEOM: Si je vous comprends bien, je vais essayer...

M. BELANGER: Si vous me permettez d'ajouter à la réponse de mon collègue...

M. DEOM: ... de synthétiser sa position.

M. BELANGER: C'est ça, synthétiser en quelques mots. Ce qui me surprend toujours le plus, c'est que nous, en tant que peuple dominé, on éprouve toujours la largesse, qui frise la magnanimité, de vouloir protéger les autres. Vous savez, la domination, c'est une relation socio-économique, on l'a dit, la langue fait partie d'une société, on l'a dit et l'écono-

mie, ça fait partie d'une société, on l'a dit. Je pense qu'il s'agit d'une relation globale, comme mon collègue le disait, qui se vérifie dans la généralité des pays du monde. D'autre part, je pense que...

M. DEOM: Sauf la Suisse, la Belgique, la Tchécoslovaquie.

M. CHARBONNEAU: Je pense qu'en Suisse, en Belgique et en Tchécoslovaquie, on favorise la nomination de cadres du pays à l'intérieur des entreprises et les multinationales américaines doivent travailler dans ce domaine. On fait la même chose en France et on fait la même chose au Mexique.

M. BELANGER: Ce que nous demandons, c'est exactement ce qui existe dans les pays que vous venez de mentionner.

M. DEOM: Non.

M. BELANGER: II n'existe pas de bilinguisme des individus. Il existe de l'unilinguisme dans les régions. Lorsque, dans une région, est concentrée une majorité d'une langue quelconque, c'est l'unilinguisme à tous les niveaux et c'est cette langue qui est parlée à tous les niveaux et qui est enseignée. Le pays est bilingue dans ses institutions. Nous n'avons aucune objection à ce que le statu quo soit maintenu, dans le système fédéral tant et aussi longtemps que nous y resterons, au niveau des institutions fédérales et du gouvernement fédéral. C'est le vrai sens du bilinguisme qui veut dire que tout citoyen, d'un océan à l'autre, tant que le système fédéral persistera, peut s'adresser au gouvernement central ou à l'un de ces organismes dans l'une des deux langues. C'est dans ce sens que doit être compris un vrai bilinguisme qui ne crée aucune discrimination.

M. DEOM: Si je vous comprends bien, pour vous, la langue c'est un moyen de reprendre le pouvoir économique et ça semble assez clair dans votre paragraphe. A ce moment, j'ai une dernière question, est-ce que vous pensez que l'unilinguisme va changer ce que vous avez appelé ce mimétisme des gestionnaires francophones?

M. CHARBONNEAU: II est évident que, comme première solution, nous favorisons la souveraineté du Québec qui, elle, pourra permettre d'établir un outil véritablement efficace au niveau du gouvernement du Québec pour garantir des rapports économiques québécois, garantir un plan de développement économique québécois, garantir l'utilisation des ressources économiques québécoises en fonction du développement selon un plan québécois. Et dans ce sens, nous pensons que cela répond aux besoins du Québec.

Cependant, puisque dans l'étape dans laquel- le on vit, le gouvernement ne semble pas prêt à arriver à cette solution globale, nous disons à tout le moins: Etablissons le français comme langue au Québec, véritablement. Selon l'article premier que le bill 22 contient et selon les têtes de chapitre qui suivent, on peut lire véritablement, si on ne se dédit pas à l'intérieur des articles, que le français est la langue officielle au Québec, c'est-à-dire la langue de l'administration, la langue des entreprises d'utilité publique et des professions, la langue de travail, la langue des affaires, la langue de l'enseignement.

Et je pense qu'il est clair que cette solution intermédiaire est nécessaire et qu'on doit l'appliquer en totalité et non pas se dédire au niveau des articles secondaires qui suivent.

M. BELANGER: En d'autres termes...

M. DEOM: Vous ne répondez pas à ma question, mais en tout cas, M. le Président, je pense que je vais terminer là.

M. BELANGER: Si vous permettez, M. le Président, en d'autres termes, nous...

M. DEOM: Je vous remercie.

M. BELANGER: ... disons simplement ceci. C'est un minimum qui va permettre déjà à des centaines et des milliers de Québécois de pouvoir relever la tête. Lorsqu'ils ne peuvent pas parler anglais, dans un milieu quelconque, ils ne se considéreront pas comme des êtres inférieurs, mais désormais, ils pourront relever la tête et exiger qu'on parle français dans le milieu dans lequel ils évolueront.

M. DEOM: Pendant la période électorale, je n'ai pas rencontré de Canadiens français qui baissaient la tête.

M. BELANGER: Moi, j'en ai rencontré.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable député de Pointe-Claire.

M. SEGUIN: M. le Président, j'ai suffisamment d'informations pour me permettre d'évaluer la représentativité du mémoire présenté, donc, je passe mon droit de parole.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): L'honorable chef de l'Opposition officielle.

M. MORIN: M. le Président, je n'ai que deux courtes questions à poser, compte tenu de l'heure tartive.

Vous avez soulevé, messieurs, dans votre mémoire, plutôt, dans la présentation orale de votre mémoire, un point qui me paraît important.

Dans l'hypothèse où elle serait adoptée, est-ce que la législation québécoise, est-ce que le projet de loi s'appliquerait aux organismes

publics et parapublics fédéraux installés au Québec? Je songe naturellement aux ports nationaux, à la Société nationale des chemins de fer, à Air Canada. Ces organismes font affaires au Québec ou encore administrent des secteurs importants de l'activité publique. Question connexe. La législation proposée s'appliquerait-elle aux entreprises enregistrées à Ottawa et, point que vous n'avez pas soulevé, aux entreprises déclarées comme étant d'intérêt national par le Parlement d'Ottawa? Ce sont des questions d'ordre constitutionnel, fort importantes et ce n'est peut-être pas à vous que j'aurais à poser la question, c'est plutôt au ministre.

M. CLOUTIER: Je vais répondre, si on me la pose.

M. MORIN: Volontiers.

M. CLOUTIER: Mais, en revanche, je vais vous en poser une après.

M. MORIN: Oui, volontiers.

M. CLOUTIER: Cela va? Donnant donnant. Nous légiférons à l'intérieur de nos capacités législatives. Par conséquent nous ne légiférons pas pour les organismes fédéraux. Ceci n'exclut absolument pas qu'une négociation pourra avoir lieu dans certains secteurs. En fait, il y a déjà une négociation — et le député de Saint-Jacques peut ricaner — qui se fait dans le domaine de l'immigration et une négociation qui se fait dans le domaine des communications. Mais le projet de loi 22 porte, bien sûr, lorsqu'on définit l'administration publique, dans le secteur de compétence provinciale.

D'ailleurs, il suffit de se rapporter aux annexes qui donnent toutes les définitions concernant les différents organismes touchés. Est-ce que je peux poser ma question maintenant?

M. MORIN: J'allais constater que ces messieurs ont donc soulevé un point important qui marque des limites très précises et très cruciales au projet de loi qui est devant nous.

M. CLOUTIER: Bien sûr.

M. MORIN: Ni la société Air Canada, ni les chemins de fer, ni les ports nationaux, ni d'autres organismes publics ou parapublics fédéraux qui oeuvrent au Québec.

M. CLOUTIER: Cependant...

M. MORIN: Vous savez qu'il y a de très nombreuses entreprises d'intérêt national ou déclarées telles par le Parlement fédéral. Je songe non seulement à la compagnie Bell qui est le cas typique, mais, par exemple...

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): A l'ordre, s'il vous plaît !

Tantôt, vous avez oublié tous les deux de me demander...

M. CLOUTIER: La permission.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): ... la permission de parler. Je voudrais vous rappeler de poser les deux questions à nos invités et de ne pas engendrer de débat.

M. MORIN: Oui, mais le ministre m'en a poser une.

M. CLOUTIER: Moi, j'ai un crédit.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Gardez-le pour une prochaine fois.

M. CLOUTIER: Non, je ne peux pas le garder parce que c'est très pertinent. Vous avez remarqué que j'ai peu parlé, je me suis contenté d'établir...

M. MORIN: Est-ce que nous pourrions, M. le ministre, nous mettre d'accord pour demander ensemble à M. le Président de bien vouloir nous laisser nous poser des questions l'un à l'autre.

M. CLOUTIER: Je ne sais pas si notre règlement... J'ai une seule question très simple.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): On va s'arranger pour partir...

M. MORIN: Mais je n'avais pas fini de vous souligner...

M. CLOUTIER: A ce moment-là, c'est un débat.

M. MORIN: Non, c'est une phrase. Non seulement la société Bell, mais des entreprises québécoises de plus en plus nombreuses sont déclarées comme étant d'intérêt national par le Parlement d'Ottawa. Notamment encore, il y a quelques années à peine, les meuneries. Ce sont des entreprises où votre projet de loi ne s'appliquera pas, et vous serez étonné, si vous faites le recensement de toutes ces entreprises, à quel point sa portée va être limitée. Maintenant, j'accueille votre question.

M. CLOUTIER: Bon, alors je peux rassurer le chef de l'Opposition. Nous avons fait tous ces recensements, et lorsque le débat aura lieu, nous pourrons défendre le projet de loi, article par article. Ma question est très simple.

M.MORIN: Oui.

M. CLOUTIER: Vous avez remarqué que je

n'ai pas parlé beaucoup. Je me suis contenté d'établir la représentativité du groupe. Le fait que ce groupe liait toute politique linguistique valable à l'indépendance du Québec...

M. MORIN: Ah non! Je crois que ce n'est pas ce que j'ai compris. Ils ont dit qu'en attendant l'indépendance qu'ils considèrent comme étant une solution plus générale et plus globale aux problèmes, ils suggéraient, néanmoins, d'adopter des mesures beaucoup plus strictes en faveur du français et un certain nombre d'amendements. C'est bien cela que vous avez fait, messieurs?

M. BELANGER: C'est cela.

M. CLOUTIER: Ma question est la suivante : Est-ce qu'on pourrait considérer les amendements qu'a proposés le Conseil des hommes d'affaires québécois, comme le contre-projet du PQ?

M. MORIN: Pas du tout! Mais ces messieurs parlent au nom de leur propre organisme. Nous allons considérer avec beaucoup d'attention comme il le fera lui-même, sûrement, toutes les propositions qui nous ont été faites.

M. CLOUTIER: Bon! Mais est-ce qu'on pourrait dire qu'un contre-projet péquiste ressemblerait aux prises de position du Conseil des hommes d'affaires québécois?

M. MORIN: Le ministre n'a pas coutume de révéler ses projets ou ses avant-projets avant l'heure fatidique. De même, nous nous réservons ce privilège, M. le Président. Quand nous aurons un projet, nous le déposerons.

M. CLOUTIER: Je voulais simplement établir le radicalisme des positions du PQ.

M. CHARRON: Vous voudriez qu'on ait notre Chambre de commerce, à nous aussi.

M. MORIN: Autre question...

M. CLOUTIER: Vous l'avez, mais elle est beaucoup moins représentative.

M. MORIN: Oui, mais elle est de plus en plus représentative.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Ceci étant dit...

M. CLOUTIER: Cela va. Trêve de gentillesses.

M. MORIN: Trêve de "représentativités", parce qu'on pourrait soulever ces questions à propos de nombreux organismes qui comparaissent devant nous. Il y en a un certain nombre qui sont déjà alignés pour comparaf- tre, à propos desquels nous pourrions nous poser ce genre de questions.

Autre problème que j'aimerais commenter. Vous avez, dans votre mémoire, indiqué notamment à la page 7, que l'article 133 du British North America Act, pour l'appeler par son nom, constitue un obstacle pour le gouvernement dans la mesure où celui-ci voudrait faire du français la seule langue officielle du Québec, devra "réclamer" l'abrogation de cette loi britannique, et, à mon avis, cela n'est pas nécessaire.

Le gouvernement québécois, agissant de son propre chef, de l'avis des constitutionnalistes qui ont été consultés par la commission Gen-dron — tous sauf un, en tout cas — étaient d'avis que le gouvernement québécois peut modifier l'article 133 sans aller demander la permission du pouvoir fédéral, ni même celui du Parlement de Westminster.

Je voudrais attirer votre attention sur le fait que, si l'article 133 se trouve en quelque sorte incorporé dans le projet de loi 22, c'est à la suite d'un choix délibéré du gouvernement. Le ministre lui-même, d'ailleurs, acquiesce de la tête. Peut-être voudrez-vous faire des commentaires là-dessus, messieurs? Il ne faudrait pas croire que le gouvernement québécois est impuissant à agir. C'est qu'il se veut impuissant. Ce n'est pas la même chose.

M. CLOUTIER: C'est qu'il fait une option différente de la vôtre !

M. BELANGER: M. le chef de l'Opposition, si nous avons, dans notre conclusion, demandé que le gouvernement — l'expression employée est de réclamer l'abrogation — c'est que, étant donné qu'il y a au moins un constitutionnaliste qui a affirmé que le gouvernement du Québec n'avait pas le pouvoir de le faire, nous avons préféré prendre la formule la plus certaine, c'est-à-dire réclamer l'abrogation. Nous ne voulons pas poser au constitutionnaliste. Il est effectivement très probable et possible, puisque c'est d'ailleurs l'opinion de la majorité, que le gouvernement du Québec, le Parlement du Québec, l'Assemblée nationale ait effectivement le pouvoir d'amender elle-même la partie de cet article qui concerne le Québec. Et là-dessus, étant donné qu'il peut y avoir contestation, c'est la raison pour laquelle nous avons employé l'expression "réclamer" plutôt que "abroger elle-même".

M. MORIN: Je suis tout à fait satisfait de ces explications, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Au nom des membres de la commission, je désire remercier votre groupe et ajourner la commission à demain matin, 11 heures.

(Fin de la séance à 18 h 16)

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