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Comité de l'éducation (3)
Séance du 4 février 1969
(Dix heures dix sept minutes)
M. GARDNER (président du comité): A l'ordre! Nous
continuerons d'entendre les intéressés au comité de
l'éducation. On me dit que M. Gérard Turcotte, secrétaire
exécutif de la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal serait prêt à présenter son rapport. Le
représentant de la société est M. André Paquette,
Je crois.
UNE VOIX: C'est ça.
M. André Paquette
M. PAQUETTE: M. le Président, messieurs les membres du
comité, je me présente: André Paquette, secrétaire
de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. J'aimerais
vous présenter certains membres de notre conseil d'administration, qui
sont ici aujourd'hui: M. Dollard Mathieu, notre président; Mme Sirois,
administratrice; Me Laviolette, M. Charest, M. Turcotte et M. Trudeau.
UNE VOIX: M. Trudeau? M. PAQUETTE: M. Trudeau. UNE VOIX: Pierre
Elliott?
M. PAQUETTE: Ce n'est pas le même.
Si vous me permettez, je vais procéder à la lecture du
mémoire.
La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a
l'honneur de vous faire part de ses représentations sur le bill 85 qui,
indubitablement, passionne la population.
Les activités de notre société, ces
dernières années, ont été polarisées par le
problème exact que tente de résoudre ce bill. Qu'on en juge: en
1966 et en 1967, notre société a tenu des journées
d'étude ayant pour thème « L'immigration au Québec
». Avant de poursuivre, je tiendrais à vous apporter la
précision suivante: le groupe que je représente est la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Il y a d'autres
sociétés dans d'autres villes. Il y a même une
fédération des sociétés Saint-Jean-Baptiste, mais
le mémoire qui vous est soumis présentement est celui de
Montréal. Par suite de ces études, nous avons formé une
association de sociétés nationales diverses il y a des
Ukrainiens, des Italiens, il y a d'autres sociétés qui
groupe une trentaine de représentants des diverses commu- nautés.
A l'intérieur même de notre société, nous avons
organisé un comité permanent sur l'immigration. Une soixantaine
de personnes, dont la moitié sont des
Néo-Québécois, se réunissent une fois par mois pour
étudier la situation et pour trouver des solutions.
Nos travaux sur la langue française sont bien connus. En 1965,
notre société a chargé huit de ses membres
d'étudier le problème posé par le statut de la langue
française au Québec. Le rapport soumis fut subséquemment
étudié en comité, soumis aux membres en 1967 et
présenté sous forme de mémoire à l'honorable
premier ministre de cette province, le 18 avril 1967.
Les immigrants
L'enfant de l'immigrant au Québec sera-t-il de langue
française? Nous soumettons que c'est là que réside le
problème posé par le bill 85, et si les événements
de ces derniers mois qui ont provoqué le dépôt de ce bill
ont pu inquiéter, ennuyer, troubler et même choquer, il n'en reste
pas moins qu'ils ont permis de poser très clairement cette question
à laquelle une réponse non moins claire doit être
donnée.
Si le Canada était un de ces pays à population
stabilisée, d'où l'on part peu et ou l'on immigre peu, les
problèmes seraient limités. On a toutefois vu de ces pays
qu'autrefois on nous donnait en exemple, comme la Belgique et la Suisse,
être agités de véritables convulsions; il n'est donc pas
étonnant que nous nous posions des questions.
On immigre beaucoup au Canada, on émigré beaucoup aussi du
pays. Pour le Québec les chiffres sont les suivants: il est entré
de 1901 à 1961, 1,147,660 immigrants, dont 759,211 sont repartis, de
telle sorte que 388,449 de ces personnes se sont établies chez nous. On
sait que, pendant les mêmes années, un nombre au moins égal
de Québécois ont quitté la province pour s'installer aux
Etats-Unis, en Ontario ou dans l'Ouest. Aussi est-il important de se soucier de
l'attitude de ces immigrants à l'égard de la langue
française. Les statistiques révèlent que:49.3%soit
191,573, ne parlent qu'anglais; 14.3%, soit 55,704, ne parlent que
français; 28.4%, soit 110,495, parlent l'une et l'autre langue. Ces
données sont tirées du recensement de 1961.
Si l'on s'en rapporte aux statistiques montréalaises
récentes, et plus particulièrement aux statistiques scolaires, il
semble que le mouvement s'accentue: 74.7% des enfants
néo-québécois fréquentaient en 1962-1963 les
écoles anglophones de la Commission des écoles catholiques de
Montréal, soit 19,291 élèves; ce nombre est monté
à 27,194 en 1966-1967.
La totalité, ou presque, des enfants néo-qué-
bécois, de religion protestante ou non catholique,
fréquentent les écoles anglophones du Greater Montreal Protestant
School Board; les statistiques fédérales révélant
que les immigrants qui s'installent au Québec sont à 50%
catholiques (194,029), il en résulte donc qu'environ 25,000 enfants
néo-québécois de religion non catholique
fréquenteraient des institutions protestantes anglophones.
De ces divers chiffres, il ressort donc qu'une minime proportion
d'environ 12 ou 13% des enfants néo-québécois
fréquentent l'école française.
Nous reproduisons en annexe à ce texte les statistiques
publiées par la Commission des écoles catholiques de
Montréal, pour bien montrer l'évolution de la
fréquentation scolaire des enfants néo-québécois,
ainsi que le pourcentage, par groupe d'origine, de fréquentation de
l'école française.
Aucune analyse plus poussée n'est nécessaire; les chiffres
sont éloquents.
Nous croyons qu'il est très urgent de remédier à
cet état de fait qui met en cause le destin du groupe
franco-québécois.
Le groupe anglophone
Les membres de nos divers comités, qui ont étudié
le problème de l'immigration et celui du statut de la langue
française, ont toujours eu pour souci primordial d'éviter de
tomber dans quelque piège raciste. La communauté francophone du
Québec comporte de nombreux descendants d'origines diverses; Ecossais de
la Gaspésie, Irlandais de la région de Québec, Italiens de
Montréal, voire Allemands, descendants des régiments saxons
installés sur le Richelieu et dont l'un, William Blumhardt, a même
fondé le journal La Presse. Le racisme n'a rien à voir dans notre
attitude qui est même la négation du racisme. Nous voulons que ces
gens qui viennent s'installer parmi nous se joignent à nous qui
constituons la forte majorité de la population de la province.
A l'égard de ceux qui ne font pas partie du groupe francophone du
Québec, notre attitude est la même. Nous ne sommes pas racistes
et, si nous sommes consentants à admettre que puisse se continuer un
certain état de fait, vu certains privilèges acquis
historiquement, nous nous refusons à faire appel à la
généalogie des familles pour déterminer qui pourra se
prévaloir du privilège. Ainsi, nous admettons que puissent
être considérés comme faisant partie du groupe anglophone
tant ceux qui descendent des conquérants de 1760 que ceux qui
jusqu'à ce jour se sont assimilés à eux.
Nous demandons toutefois que des mesures correctives soient
apportées afin que les anglophones ainsi définis puissent non
seulement avoir un « working knowledge of the French language »,
mais possèdent le français d'une façon parfaite, pour que
jamais plus au Québec la majorité de la population ne se fasse
répondre par la minorité possédante qu'elle doit
travailler dans une langue qui n'est pas la sienne.
Les propositions de la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal.
Le système public de la province de Québec, que devront,
sauf exception, fréquenter tous les enfants québécois,
doit être un système français où la langue anglaise
sera enseignée adéquatement à titre de langue seconde,
à compter du secondaire. Dans certaines régions où une
très grande concentration d'élèves de langue maternelle
non officielle par ceci, on entend, par exemple, une concentration
d'Italiens, d'Ukrainiens ou de Polonais fréquenterait ces
écoles, il serait bon que, deux heures par semaine, des cours soient
donnés dans cette langue, tels cours pouvant être de religion ou
de langue à proprement parler.
Par cette mesure, nous croyons qu'il serait fait droit à cette
représentation souvent entendue et bien fondée que l'apport
original des divers groupes ethniques peut constituer un actif pour le
Québec; d'autant plus que pourrait ainsi se trouver corrigé le
sentiment de dépaysement ou ce fossé entre les
générations qui ne peuvent survenir que si la langue
utilisée dans la famille ne reçoit aucune considération
à l'école. Nous croyons que ces cours devraient être
donnés pendant les heures normales de classe, sur une base optionnelle,
et devraient comporter l'allocation de crédits, comme toute autre
matière, et ce, tant au primaire qu'au secondaire.
Pour les anglophones, des classes ou écoles dépendant du
système public général devraient être
organisées en remplacement des systèmes actuels. Le
français et l'anglais devraient être utilisés dans telles
écoles dans la même proportion; certaines matières
étant enseignées en français, d'autres en anglais, mais le
nombre d'heures d'enseignement dispensé en chaque langue devant
être égal. Les examens qui seront appelés à passer
les élèves, devront être passés dans la langue qui
aura servi à l'enseignement. De plus, dans le cas où des options
existeraient on devrait tenir compte de cette règle, il devrait
être prévu que les élèves devront choisir les
matières d'enseignement en conséquence.
Aux fins de mieux expliciter le terme d'anglophone utilisé
antérieurement dans le présent
texte, une définition précise devrait être
insérée dans la lot. Nous suggérons, en conformité
de nos recommandations la définition officielle: « Enfant de
parents anglophones signifie aux fins de la présente loi tout enfant ou
descendant d'une personne qui, au moment de la sanction de la présente
loi, est, d'une part, citoyen canadien, d'autre part est lui-même de
langue maternelle anglaise ou a déjà commencé à
envoyer ses enfants dans une institution d'enseignement où la langue de
l'enseignement est l'anglais. » (D'autres définitions pourraient
être données, cependant nous croyons qu'une définition plus
large irait à l'encontre du bien commun).
La langue maternelle pourrait être définie comme
étant la première langue apprise à la maison.
Nous croyons de la sorte que seront protégés
adéquatement ce qu'on qualifie souvent de « droits acquis ».
Quant à l'avenir, les personnes qui choisiront de venir s'établir
au Québec sauront que l'école publique, ainsi que l'école
privée subventionnée, sont de langue française, la
liberté de choix pouvant dès lors s'exercer au départ du
pays d'origine.
Ce système, croyons-nous, sauvegardera les privilèges des
anglophones établis parmi nous ainsi que ceux des non-anglophones qui se
sont assimilés à ce groupe et les droits réels du groupe
majoritaire franco-québécois.
Le projet du bill 85.
Le projet de loi, tel que présenté, nous semble
inadmissible. 1) D'une part, il ne crée aucune obligation pour ceux qui
s'établissent au Québec d'acquérir une connaissance
réelle du français. Nous comprenons bien que cet objectif puisse
être difficile à réaliser en ce qui concerne les immigrants
adultes, ce n'est pas le cas pour les immigrants enfants ou les enfants
d'immigrants. Telles personnes devraient obligatoirement, non seulement
apprendre le français, mais de plus, être intégrées
au groupe français, ce, par l'école. 2) D'autre part, le bill 85
oblige les commissions scolaires qui, jusqu'à ce jour n'y sont pas
tenues, d'ouvrir des classes, des écoles anglaises pour tous ceux qui le
désirent.
La loi laisserait donc au bon vouloir de chacun l'étude du
français mais créerait aux commissaires d'école
l'obligation de créer des classes anglaises. Nous ne pouvons accepter
cette proposition. Nous comprenons bien que par l'article 22 a, paragraphe h,
on espère par voie de réglementation assurer qu'un enseignement
adéquat de la langue française soit fourni dans les écoles
anglophones. Cependant, l'enseignement de la langue ne nous semble pas devoir
suffire. L'intégration des nouveaux arrivants au groupe francophone doit
être recherchée et le moyen qui nous semble devoir s'imposer est
l'intégration par l'école. Nous répétons ici que
pour les futurs arrivés, la liberté de choix doit s'exercer au
départ de la terre natale.
Conclusion
Les membres de nos divers comités ont tenté, tout au long
de leurs études et recherches, de rendre justice à chacun. Nous
croyons que la proposition soumise à votre honorable comité est
juste et équitable pour tous. Les anglophones et ceux qui se sont
assimilés à eux voient leurs privilèges confirmés,
mime s'ils se voient imposer une obligation qui ne nous semble que raisonnable.
Par ailleurs, la nation canadienne-française du Québec a aussi
droit à ce que justice lui soit rendue. Nous croyons qu'un texte de loi
conforme aux principes énoncés dans le présent
mémoire lui assurerait cette justice.
M. LE PRESIDENT: Merci, M. Paquette, est-ce que vous êtes
prêt à entendre quelques questions?
M. PAQUETTE: Sûrement.
M. LE PRESIDENT: M. le Secrétaire de la province.
M. PAUL: M. Paquette, pourriez-vous nous dire si votre mémoire a
fait l'objet de consultations avec les membres de la Fédération
des Sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec?
M. PAQUETTE: Non.
M. PAUL: Dans votre mémoire, à la page 7, vous parlez d'un
enseignement adéquat de la langue seconde à partir du secondaire.
Pourriez-vous peut-être étayer cette assertion, nous donner de
plus amples explications sur l'application possible de vos recommandations?
M. PAQUETTE: Il est indubitable que l'anglais, tel qu'il est
enseigné ou, en tout cas, de la façon dont je l'ai appris
est pour le moins mal enseigné dans les écoles. Je l'ai
appris pendant dix ans, et quand je suis arrivé, à l'âge de
17 ans, dans l'armée, je me suis présenté à Borden
et je n'étais pas capable de dire trois mots. Je pense donc qu'il y a
des méthodes audio-visuelles qui devraient être utilisées
de façon que ce ne soit pas seulement une
connaissance de l'anglais comme langue morte qui devrait être
acquise par ceux qui fréquentent l'école française, mais
une connaissance réelle.
M. PAUL: Et vous n'émettriez pas d'objection à ce que
l'enseignement de l'anglais se fasse au degré primaire?
M. PAQUETTE: Bien, on demande tout simplement sous le secondaire.
M. PAUL: Mais vous n'émettriez pas d'objection à ce qu'il
y ait des rudiments de...
M. PAQUETTE: Pas du tout.
M. PAUL: ...la langue anglaise de dispensés.
M. PAQUETTE: Beaucoup de nos membres ont des réticences, mais il
n'y en a pas, évidemment à partir du secondaire.
M. PAUL: Bien.
M. LE PRESIDENT: M. Wagner.
M. WAGNER: Me Paquette, dans votre mémoire vous énoncez un
principe, que nous accueillons avec beaucoup de soulagement. A la page
à, vous dites que les membres de vos comités ont toujours eu pour
souci primordial d'éviter de tomber dans quelque piège
raciste.
M. PAQUETTE: C'est exact.
M. WAGNER: Alors, nous vous félicitons de cet
énoncé de principe, mais, un peu plus loin, à la page 10,
vous reprochez au projet de loi le fait de ne créer aucune obligation
pour ceux qui s'établissent au Québec d'acquérir une
connaissance réelle du français. En proposant que la loi
crée une obligation, ne proposez-vous pas en même temps des
mesures coercitives pour obliger un groupement à apprendre une langue?
Et ainsi, ne tombez-vous pas dans le piège que vous voulez justement
éviter?
M. PAQUETTE: Il y a une grande différence. Quand nous parlons du
racisme, il me semble que c'est la discrimination vis-à-vis une personne
à cause de son origine, quelle qu'elle soit. Maintenant, le groupe
génétique ou généalogique selon moi, n'a rien
à voir avec la langue. Je ne pense pas que nous tombions dans le
piège du racisme en requérant que le français soit
obligatoire.
M. WAGNER: Alors, croyez-vous...
M. PAQUETTE: Je pense que nous tomberions dans le piège du
racisme, si nous essayions de classifier les gens selon leurs origines. C'est
là que je vois le piège.
M. WAGNER: Croyez-vous que, dans un domaine aussi délicat que la
langue, vous pouvez prôner des mesures coercitives et une obligation
insérée dans la loi en regard du régime
démocratique dans lequel nous vivons?
M. PAQUETTE: Sûrement. Je n'y vois absolument aucune
objection.
M. WAGNER: Vous ne voyez aucune atteinte à la liberté des
citoyens, dans ce domaine-là?
M. PAQUETTE: Bien, écoutez. Le citoyen doit toujours se plier
à la loi. Et puis, des mesures coercitives, il me semble que cela existe
dans tous les domaines. Circuler à 120 milles à l'heure, ce n'est
pas permis. Alors, une loi qui obligerait une connaissance formelle et
définitive du français ne me semble pas être quelque chose
contre nature. Cela existe dans tous les pays, à ce que je sache,
même en Angleterre, et peut-être surtout là, parce qu'en
Angleterre, il n'y avait pas que l'anglais qui était originairement
parlé, il y a passablement d'autres langues. Je crois que l'anglais y a
été imposé. Je n'ai pas critiqué cela. Je demande
la même chose ici, nous demandons la même chose ici. Nous sommes
prêts à reconnaître les droits acquis de certaines gens,
mais je ne crois pas qu'il soit extraordinaire d'imposer une obligation qui me
semble bien normale.
M. WAGNER: Mais, parmi les droits acquis, n'y a-t-il pas ce choix de
parler la langue?
M. PAQUETTE: Nous sommes prêts à reconnaître que ceux
qui ont le droit ont le choix, mais ceux qui ne sont pas encore ici n'ont pas
de droits acquis, selon nous. Nous reconnaissons à ceux qui ont de
réels droits acquis le droit d'apprendre leur langue, c'est indubitable.
Des écoles sont prévues dans le système que nous
prônons où l'anglais est plus qu'adéquatement
enseigné. Maintenant, pour ceux qui ne sont pas ici, je ne vois pas
comment vous pouvez imaginer qu'ils puissent avoir des droits.
M. GRENIER: Je pense que vous répondez à la question du
député de Verdun à la page 11, quand vous dites que
« la liberté de choix doit s'exercer au départ de la terre
natale. »
M. PAQUETTE: Cest ça, exactement.
M. PEARSON: M. Paquette, pour les Français, vous prônez un
système où il y aura uniquement du français, mais
où l'anglais sera enseigné comme langue seconde à partir
du secondaire.
M. PAQUETTE: Oui.
M. PEARSON: Pour les Anglais, vous prônez une espèce de
bilinguisme à partir de la première année; 50% des cours
en français et 50% des cours en anglais.
M. PAQUETTE: Oui, monsieur.
M. PEARSON: Ce qui veut dire qu'à la sortie du secondaire les
anglophones seront de parfaits bilingues.
M. PAQUETTE: C'est ça.
M. PEARSON: N'avez-vous pas l'impression qu'à ce moment-là
les francophones seront dans un état d'infériorité,
c'est-à-dire qu'ils ne seront pas d'aussi bons bilingues que les
Anglais?
M. PAQUETTE: Je pense que le phénomène suivant se passe.
Les gens de langue française qu'ils le veuillent ou non c'est un
fait sont dans un bain d'anglais dans le Québec. Nous ouvrons
notre appareil de télévision et, quand le canal 2 ne fait pas
notre affaire, nous passons au canal 6. Les enfants regardent les dessins
animés en anglais. Du côté anglais, il semble que le
phénomène ne joue pas de la même façon. Si on voit
les résultats, par ailleurs, on constate que la grande majorité
des Canadiens français sont, jusqu'à un certain point, bilingues,
alors que les anglophones ont beaucoup de difficultés à
l'être. Alors, il faut peut-être créer un bain de
français pour eux.
M. PEARSON: Même si les francophones baignent, comme vous le
mentionnez, dans un bain anglophone, il y a beaucoup de Français
à Montréal dont l'anglais est plutôt un baragouinage.
M. PAQUETTE: Oh! il n'y a pas de doute.
M. PEARSON: Alors, vous donnez aux anglophones la possibilité de
devenir de parfaits bilingues et vous n'accordez pas aux francophones cette
même facilité, puisque l'anglais ne serait enseigné
qu'à partir du secondaire.
M. PAQUETTE: Je tiens pour acquis que ce- lui qui veut apprendre
l'anglais n'a aucune difficulté à l'apprendre. C'est un
état de fait. Quand on traite de ce problème-là, il ne
faut pas seulement le voir théoriquement, il faut le voir en fait
aussi.
L'anglais ne me semble pas un problème du tout. D'accord,
à l'âge de 17 ans, alors que je n'avais pas mis les pieds en
dehors de l'école, je le parlais assez mal, mais, avec les connaissances
que f avais de la langue anglaise, cela a pris trois mois au camp Borden et
c'était convenable.
M. GRENIER: Ce n'est pas long.
M. PEARSON: Je suis d'accord avec vous, mais qu'est-ce qui va se
produire quand deux individus vont se présenter dans une compagnie? Si
l'anglophone est parfait bilingue tandis que l'autre est d'un bilinguisme,
disons, mitigé, on ne regardera pas si son nom est français ou
anglais.
M. PAQUETTE: Oh, écoutez, je pense bien que le bilinguisme n'est
pas un problème pour les Canadiens français.
M. LE PRESIDENT: M. le ministre des Affaires culturelles.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Paquette, à la page 6 de votre
mémoire, vous dites ceci: « Que les anglophones, ainsi
définis, puissent non seulement avoir « a working knowledge of the
French language », mais possèdent le français d'une
façon parfaite pour que jamais plus au Québec la majorité
de la population se fasse répondre par la minorité
possédante qu'elle doit travailler dans une langue qui n'est pas la
sienne. » Quel est votre point de vue sur ce problème de la langue
d'usage dans les industries, dans les commerces, etc.?
M. PAQUETTE: Voici, nous avons...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Quand vous parlez, évidemment, vous
faites une projection dans l'avenir, mais, en ce qui concerne la situation
actuelle, quelles sont les solutions que vous envisagez de façon
pratique?
M. PAQUETTE: Notre comité n'a traité que du bill 85. Ce
que nous avons dit à la page 6 peut être considéré
plutôt comme un obiter dictum. Nous n'avons pas étudié les
moyens d'instaurer le français comme langue d'usage. Nous croyons qu'un
premier pas serait d'assurer à tous, au moins, une bonne
connaissance
du français, mais nos études n'ont pas
dépassé ce stade.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Et à la fin de la page huit de votre
mémoire, vous aviez parlé des droits acquis, vous y dites ceci:
Nous croyons de la sorte que seront protégés adéquatement
ce qu'on qualifie souvent de droits acquis. Quant à l'avenir, les
personnes qui choisiront devenir s'établir au Québec sauront que
l'école publique, ainsi que l'école privée
subventionnée, sont de langue française, la liberté de
choix pouvant dès lors s'exercer au départ du pays d'origine.
Alors, évidemment, cela est une proposition qui concerne aussi
l'avenir, mais elle est appuyée sur un postulat, à savoir que le
système public d'enseignement du Québec sera un système
français et que, partant, l'immigrant, sachant que le système
public est ici un système français, il ferait au départ le
choix de la langue. C'est ainsi que se trouve protégée sa
liberté de choix. Mais il y a d'abord ce postulat. Je ne veux pas dire
que nous ne devions pas établir un enseignement public français
ou non, mais je demande ceci. En ce qui concerne la situation actuelle,
l'école publique, ici, n'est pas strictement française, elle est
bilingue en fait.
M. PAQUETTE: D'accord.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, pour les immigrants qui sont
déjà installés, comment pouvez-vous satisfaire aux
exigences de la liberté de choix, sans procéder autrement que par
des mesures coercitives?
M. PAQUETTE: Voici ce que nous proposons. Nous proposons que les droits
acquis soit confirmés à ceux qui en ont réellement. Une
mesure pour déterminer ceux qui ont des droits, c'est de vérifier
s'ils sont citoyens canadiens. Or, tous ceux qui sont citoyens canadiens auront
le choix.
Maintenant, quant à ceux qui ne sont pas encore citoyens ou qui
ne sont pas encore arrivés au pays, je me demande comment on peut
prétendre qu'ils ont des droits. C'est le point que nous soulevons.
La raison pour laquelle nous avons choisi comme critère la
citoyenneté, c'est pour éviter de dire: Parmi ceux qui sont
d'origine anglaise ou ceux qui sont d'autre origine, ceux qui sont citoyens
canadiens ont des droits, nous les reconnaissons. Mais on dit que ce sont des
droits. De fait, l'école n'est présentement ni française,
ni anglaise, elle est plutôt catholique ou protestante et, selon la
religion, les modalités d'ensei- gnement seront établies en
français ou en anglais. Je ne pense pas que nous puissions
présentement parler d'un système anglais ou français.
La scission est plutôt sur la base religieuse et, à
l'intérieur de l'enseignement catholique, il y a des écoles de
langue anglaise, ce qui n'est pas le cas, par ailleurs, dans le cas du
système protestant.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, M. Paquette, vous dites que les
citoyens canadiens, ceux qui sont actuellement canadiens, ont la liberté
de choix, ont le droit de conserver ce qu'on appelle les droits acquis.
M. PAQUETTE: C'est cela.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, vous basez votre argumentation sur la
citoyenneté.
M. PAQUETTE: Exact.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Et, dans le cas de l'immigrant qui vient ici,
a-t-il le choix d'une citoyenneté, puisqu'il n'y a qu'une
citoyenneté? Il y a la citoyenneté canadienne, et il n'y a pas de
citoyenneté québécoise, que je sache. Alors comment...
M. PAQUETTE: Je suis bien aise de parler des immigrants, parce que c'est
un problème familial que je rencontre. Ma femme n'est pas de langue
française, elle est Européenne. C'est donc avec beaucoup de
sympathie que j'aborde le problème des immigrants.
Les immigrants il ne faut pas trop s'en faire viennent ici
au Québec, ma foi, ce n'est pas tant pour le Québec, ils viennent
en Amérique du Nord, ils s'approchent des Etats-Unis, c'est surtout pour
mettre le pied en terre nord-américaine. Il ne faut pas leur
concéder plus de droits qu'ils ne devraient en avoir. S'ils veulent
aller à l'école anglaise, cela coûte $30 de plus pour aller
jusqu'à Cornwall. C'est l'attitude que nous prenons.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Mais est-ce que c'est vraiment une incitation,
dans les circonstances, lorsqu'ils s'établissent au Québec,
à ce qu'ils s'intègrent à la communauté
française québécoise?
M. PAQUETTE: Une incitation...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ils n'ont pas le choix.
M. PAQUETTE: Ils n'ont pas le choix.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Quand ils arrivent ici, ils sont citoyens
canadiens. A ce titre, ils ont le droit de se prévaloir de ce que les
autres appellent leurs droits acquis. Et si nous ne leur facilitons pas ici un
moyen de s'installer, et si nous leur imposons une langue, est-ce que vous
pensez vraiment qu'ils vont venir ici, puisque vous dites qu'ils viennent ici
pour s'établir en Amérique?
M. PAQUETTE: Comme je vous le dis, à ce moment-là, ils
feront leur choix.
S'ils ne veulent pas aller à l'école française, par
ailleurs l'anglais leur sera convenablement enseigné. Ils pourront
toujours continuer plus loin dans l'Ouest ou rester à l'Est du
Québec. C'est l'attitude que nous prenons. C'est la moindre des choses
que quand ils viennent s'établir chez nous, ils respectent un
état de fait, qu'ils nous respectent nous-mêmes.
Maintenant, les mesures propres à les inciter par sympathie ou
autrement à apprendre le français, sont selon moi absolument
illusoires. Parce que, dans la famille de ma femme, ils étaient de
langue française en Europe, ils avaient le français comme langue
seconde. Arrivés ici, les enfants sont tous à l'école
anglaise. Ecoutez, ils ne viennent pas au Québec, ils viennent en
Amérique du Nord. Ils ne peuvent pas entrer immédiatement aux
Etats-Unis parce qu'il y a des quotas selon les nationalités d'origine.
C'est une salle d'attente pour passer la frontière. Il arrive qu'un
grand nombre reste ici à force d'attendre. Mais si l'on ouvrait la
frontière demain, j'ai l'impression qu'un très grand nombre des
nouveaux arrivés passeraient directement.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Dans ces circonstances-là, il est assez
difficile de les inciter à s'établir au Québec.
M. PAQUETTE: Les inciter à s'établir au Québec? Il
ne me semble pas que ce soit un problème.
Ils quittent pire pour venir ici et, ma foil la rançon qu'ils
auraient à payer, si on peut utiliser ce terme-là, quoique je le
réprouve, ce serait d'apprendre le français. Il me semble que ce
n'est pas si pire que cela. De plus, généralement, ils parlent
assez bien dans une certaine limite.
M. LE PRESIDENT: Me Tetley.
M. TETLEY: Est-ce qu'un nombre d'anglophones auraient le droit
d'éduquer leurs enfants à l'école française,
suivant votre système?
M. PAQUETTE: Sûrement.
M. TETLEY: Ils auraient le droit.
M. PAQUETTE: Sûrement. Ils ont ce privilège d'envoyer leurs
enfants dans une école bilingue. Selon moi, ils seraient les
bienvenus.
M. TETLEY: Une autre... pardon, M. le Président. Vous donnez le
droit aux citoyens de choisir soit la langue française, soit la langue
anglaise comme langue d'éducation. Si, par exemple, un Italien vient ici
et, après cinq ans, il devient citoyen canadien, aurait-il le droit
à ce moment-là de changer le système?
M. PAQUETTE: Non, non. On reconnaît le droit à ceux qui
l'ont déjà et ceux qui deviendront citoyens subséquemment.
Ecoutez! Ils sont citoyens canadiens mais dans le Québec, il seront
soumis à l'école publique, l'école française.
M. TETLEY: Prenez l'exemple de l'enfant qui est né ici d'une
famille italienne. De naissance. ..
M. PAQUETTE: ... il est citoyen canadien.
M. TETLEY: ... il est citoyen canadien, comme vous le savez. Donc, il
aura le droit?
M. PAQUETTE: Cela dépend. Si son père est citoyen
canadien. Ce sont des formalités. Vous posez des cas d'exception.
L'attitude que nous prenons est très tranchée. Ceux qui sont
citoyens canadiens au moment de la promulgation de la loi, eux, ont des droits.
Ceux qui viendront après n'ont pas de droit acquis. Ils ont les droits
qu'on leur reconnaît, qu'on leur accorde.
M. TETLEY: C'est la citoyenneté du père ou de la
mère plutôt que...
M. PAQUETTE: ... que celle de l'enfant. C'est comme cela qu'on le
définit, d'ailleurs.
M. LE PRESIDENT: M. Bousquet.
M. BOUSQUET: D'abord, je dois vous féliciter de ne pas tomber
dans le racisme, de ne pas vouloir catégoriser les gens selon leur
origine. Je sais que votre attitude contraste étrangement avec ce qu'on
voit encore dans les journaux de nos jours, alors que certaines gens veulent
pointer du doigt les soixante-dix professeurs français qui viendront au
Québec. Ces gens di-
sent que les professeurs en question viennent nous en montrer. On
catégorise les gens. Je pense que, de votre côté, vous
devez être félicités de ne pas tomber dans les
pièges du racisme. De ce côté-là, vous avez des
leçons à nous donner.
Je dois vous demander, tout d'abord, ce qui va inciter les immigrants
à venir au Québec, plutôt que d'aller dans une autre partie
de l'Amérique du Nord, si on leur impose ici l'obligation d'apprendre
une autre langue? Alors qu'ils pourraient aller dans une autre partie de
l'Amérique du Nord, apprendre une seule langue et consacrer plus de
temps à l'étude de leur métier?
M. PAQUETTE: Vous semblez trouver que l'étude du français
soit un handicap formidable, eu égard à l'immigration. Il ne me
semble pas.
Ceux qui viennent au Canada, en Amérique du Nord, comme je l'ai
dit tout à l'heure, le font purement et simplement pour améliorer
leur sort. Les Grecs, qui ont un revenu annuel de $300 par année en
Grèce ou ailleurs, se trouvent bien quand ils sont ici où ils
gagnent, disons, $3,000. C'est la différence entre le niveau de vie de
la Grèce et celui de l'Amérique du Nord qui va faire venir les
gens ici.
M. BOUSQUET: Oui, mais s'ils peuvent aller en Ontario,,,
M. PAQUETTE: Oui.
M. BOUSQUET: ... ou en Colombie-Britannique et avoir un niveau de vie
plus élevé qu'au Québec, pourquoi resteraient-ils au
Québec? C'est une question importante, quand même. Ce qu'il s'agit
ici de savoir, de déterminer, c'est si l'on perdrait un nombre
considérable d'immigrants en voulant imposer le français au
Québec.
M. PAQUETTE: Je ne peux absolument pas le dire. Il est probable que cela
ne fasse pas l'affaire de certains, comme cela ne fait pas l'affaire d'un bon
nombre de gens d'être au Canada, de toute façon. Il ne faut pas
s'en faire.
M. BOUSQUET: Oui, oui.
M. PAQUETTE: Il y a dix ans que j'étudie ce problème et je
le connais passablement.
M. BOUSQUET: Beaucoup de gens préfèrent aller aux
Etats-Unis, d'accord.
M. PAQUETTE: Maintenant, il y en a beau- coup qui arrivent au Canada et
vont à Vancouver. C'est leur destination. Ils reviennent au
Québec en assez grand nombre. Il y a des pôles d'attraction pour
certains groupes. Par exemple, Montréal est un pôle d'attraction
certain pour les Hongrois et pour les Italiens. Toronto est en train de le
devenir pour les Italiens. Alors, ils vont où leur famille est
déjà installée. Je pense que le gros facteur, c'est pour
eux de bien gagner leur vie.
Maintenant, il ne faut pas trop s'en faire. L'école
française a été l'école type pour les Italiens
pendant des années. Jusqu'à 1939, les Italiens de Montréal
allaient à l'école française. Ce n'était pas un
problème. Cela ne les a pas empêchés de venir; au
contraire, ils sont venus en nombre de plus en plus grand.
A la Commission des écoles catholiques de Montréal, sous
la poussée du Canon Carter, les écoles pour les Italiens ont
été de plus en plus instaurées comme étant de
langue anglaise. Mais, jusqu'à 1939, c'était des écoles
françaises. Mgr Cimichella, qui était évêque
coadjuteur à Montréal, a fait un rapport spécial
là-dessus. Je pourrai vous le fournir si cela vous intéresse.
Lui-même est allé à l'école française qui
était fréquentée en majorité par des Italiens. Il y
avait six ou sept écoles. On en a fermé un certain nombre.
Pourquoi? Je ne le sais pas.
M. BOUSQUET: Ne serait-ce pas justement parce que les Canadiens
français eux-mêmes, en nombre de plus en plus considérable
à Montréal, s'anglicisent et que les immigrants suivent le
courant?
M. PAQUETTE: Il y a sûrement un phénomène à
arrêter. S'il n'y avait pas de problème, on ne présenterait
pas de rapport.
M. BOUSQUET: D'accord. Je ne condamne d'aucune façon votre
mémoire.
M. PAQUETTE: Non, non, d'accord.
M. BOUSQUET: Je trouve qu'il y a beaucoup d'éléments
positifis dans votre mémoire, mais nous sommes ici pour nous faire un
peu les avocats du diable. Nous voulons aller au fond du problème.
M. PAQUETTE: Je pense bien que la langue française a à se
défendre. Alors, on doit prendre les moyens pour le faire, il me
semble.
M. LE PRESIDENT: M. le ministre des Affaires culturelles.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Paquette, je reviens à une question
que je vous ai posée tout à l'heure au sujet de la
citoyenneté. Vous avez dit que vous reconnaissiez des droits acquis au
citoyen canadien, âl'heure actuelle. Alors, j'ai fait observer tout
à l'heure qu'il n'y avait qu'une citoyenneté ici en vertu du
régime sous lequel nous vivons, la citoyenneté canadienne.
Est-ce que l'immigrant qui vient ici, âpartir du moment où
il accepte d'être immigrant, n'a pas virtuellement les mêmes droits
acquis qu'ont les anglophones qui sont installés ici depuis plus
longtemps?
M. PAQUETTE: Pas, si on ne les lui donne pas.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Non, mais en vertu de la Loi de la
citoyenneté canadienne, est-ce qu'il n'a pas virtuellement les
mêmes droits?
M. PAQUETTE: La loi de la citoyenneté dépend du
gouvernement fédéral, mais la loi de l'éducation
dépend du gouvernement provincial. Il ne s'agit pas du tout d'un
critère de citoyenneté, selon moi. L'école normale pour
tous devant être de langue française; une école de langue
anglaise est donnée par exception à ceux qui y ont droit. Ce
n'est pas un problème de citoyenneté.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est ce que je voulais vous faire
préciser, M. Paquette. Merci bien.
M. LE PRESIDENT: Une dernière question. M. Goldbloom.
M. GOLDBLOOM: Me Paquette, je crois comprendre assez bien le
fonctionnement du régime que vous proposez, à son départ,
mais je comprends moins bien, avec le passage du temps, comment le
système fonctionnerait.
Au départ, vous accordez des droits acquis à ceux qui
détiennent déjà la citoyenneté canadienne. Mais
avec le passage du temps, avec l'arrivée d'un certain nombre
d'immigrants, et surtout avec l'acquisition par ces immigrants de la
citoyenneté canadienne, de quelle façon ferez-vous la distinction
entre ceux qui l'avaient antérieurement et avaient acquis des droits que
vous reconnaissez et ceux qui auraient reçu leur citoyenneté
canadienne par la suite, mais qui n'auraient pas eu ces droits acquis et qui,
selon le système que vous proposez, ne les auraient jamais?
M. PAQUETTE: Il me semble que c'est très simple. Quand un
immigrant est naturalisé, il reçoit un certificat de
naturalisation portant la date de l'émission du certificat. C'est aussi
simple que ça.
M. GOLDBLOOM: Chacun serait donc obligé de toujours porter sa
carte de citoyenneté sur lui?
M. PAQUETTE: Non, ce n'est pas nécessaire.
M. GRENIER: Non.
M. PAQUETTE: D'une façon générale, les immigrants
qui sont citoyens canadiens l'ont toujours sur eux et sont fiers de l'avoir.
Cest une carte qui est grande comme ça et qui les aide
énormément à passer la frontière américaine.
Moi, je présente mon certificat de baptême, mais ma femme doit
présenter son certificat de naturalisation. Tous les immigrants l'ont.
Ce n'est pas un problème et il ne faut pas en créer un avec
cela.
M. GRENIER: Je pense que le député voudrait que nous
disposions pour quelques minutes d'une pause, parce que nous sommes un peu
fatigués.
M. le Président...
M. GOLDBLOOM: M. le Président, je m'excuse, mais je n'ai pas
terminé et je suis assez sérieux ici, même si le
député de Frontenac ne l'est pas.
M. GRENIER: Ah Seigneur! La question me laissait en douter.
M. GOLDBLOOM: Merci de votre gentillesse.
Me Paquette, je voudrais vous poser une dernière question. Est-ce
un régime permanent que vous préconisez ou est-ce qu'avec le
passage du temps, avec le passage d'un certain nombre de
générations, il y aurait enfin des droits qui pourraient
être acquis par ceux qui auraient été ici pendant une
certaine période de temps à définir?
M. PAQUETTE: Je pense que le système devrait être permanent
du fait que nous ne sommes que à millions sur 200 millions. Si nous
n'avions pas à nous défendre continuellement, ce "n'est
pas un reproche, c'est un fait nous n'aurions pas à imposer de
telles règles. Ce n'est pas une question de théorie, c'est une
question de fait.
M. BOUSQUET: Justement, je pense que vous touchez au fond de l'affaire:
c'est une question de légitime défense. Dans les cas de
péril, de légitime défense, un Etat peut avoir le droit de
limiter jusqu'à un certain point les droits individuels, ou les droits
qu'il accorde à ceux qui viennent...
M. PAQUETTE: Les privilèges.
M. BOUSQUET: Ou les privilèges, justement.
M. LE PRESIDENT: Est-ce que le député de Frontenac...
M. GRENIER: Pensez-vous que si nous obligeons les immigrants à
fréquenter l'école française, les autres provinces
seraient assez larges d'esprit pour comprendre que nous voulons les aider en
sauvant le bilinguisme au pays ou si elles voudraient nous imiter en rendant
les autres provinces unilingues?
M. PAQUETTE: J'ai l'impression que, jusqu'à un certain point,
elles sont unilingues. Deuxièmement, il y a un point dans le
mémoire sur lequel aucune question n'a été posée.
Dans les régions où il y a, par exemple, une forte concentration
d'Italiens, nous recommandons que la langue italienne soit enseignée
à l'école. Je ne pense pas que ce soit une mesure qui ne soit pas
je ne veux pas faire de politique ici libérale. Il n'y a
pas une province où ça existe.
M. LE PRESIDENT: M. Pearson.
M. PEARSON: Tantôt, vous avez mentionné que le
Québec est une espèce de place d'attente pour les immigrants qui
veulent aller aux Etats-Unis après coup. Avez-vous des statistiques sur
la quantité de francophones ou d'anglophones qui veulent émigrer
aux Etats-Unis?
M. PAQUETTE: Non. Les chiffres que j'ai donnés concernent les
arrivées et les départs d'immigrants. Il est entré au pays
environ 1,300,000 personnes et il en reste à peu près 400,000. Je
pense que ce sont les chiffres exacts. C'est dans le mémoire. Sur
l'origine des gens, je ne peux vous renseigner.
M. PEARSON: Ce pourquoi je vous pose la question, c'est que je me suis
laissé dire sous toute réserve, je n'ai pas
vérifié qu'au consulat américain de
Montréal, l'an dernier, de 80% à 85% de ceux qui voulaient
émigrer aux Etats-
Unis étaient des francophones de 30 à 35 ans. Ce serait
à vérifier.
M. PAQUETTE: Cela se peut.
Pour l'immigration, il y a un autre problème qui se produit. Je
n'ai pas donné les chiffres complets, mais, à un moment
donné, j'ai fait une étude là-dessus. Le décantage
révélerait que, de fait, depuis 1898, sur les immigrants
entrés au Canada, il n'en resterait qu'environ 15,000 à 20,000
par année, à proprement parler.
Quand je dis que c'est une plaque d'attente, voici ce que je veux dire.
Aux Etats-Unis, il y a des réglementations sur l'origine de ceux qui
peuvent y demander l'entrée. Il y en a qui y entrent directement parce
que le quota n'est pas atteint, mais il y en a qui doivent attendre dix ans. En
attendant dix ans, ils ont des chances de se fixer ici. Je pense qu'il est
très facile pour un Canadien français d'émigrer aux
Etats-Unis. Il n'y a pas de problème.
M. LE PRESIDENT: Alors, merci, Me Pa-quette, de votre rapport.
M. PAQUETTE: Merci bien.
M. LE PRESIDENT: Nous continuons maintenant avec M.
François-Albert Angers, de la Ligue d'Action nationale, à
Montréal. Est-ce qu'il est ici, M. Angers?
M. François-Albert Angers
M. ANGERS: Oui, oui. Alors, M. le Président, Messieurs les
membres du comité, je vous présente aujourd'hui, sur la question
du bill 85, le mémoire de la Ligue d'Action nationale. Je passe
rapidement, tout de suite, sur la première page et demie, qui
établit simplement les antécédents de la ligue, son
rôle et, par conséquent, les raisons pour lesquelles elle se
présente devant vous aujourd'hui.
Je résume rapidement. C'est un organisme qui, depuis 50 ans,
s'est consacré à l'étude des questions nationales,
à l'élaboration d'une pensée politique et
économique nationale. C'est pourquoi, aujourd'hui, le mémoire que
je vous présenterai sera dans la ligne de pensée, la ligne de
travail de l'Action nationale, c'est-à-dire plus une discussion des
principes fondamentaux qui sont en cause dans le problème que vous
étudiez que des solutions concrètes et immédiates pour des
amendements au bill.
Et c'est ainsi que commence la deuxième partie du mémoire.
« En raison même encore une fois du caractère et du
rôle que s'assigne l'Action nationale, nous n'entendons pas ici,
à
propos du bill 85, présenter des propositions
élaborées sur la solution concrète du problème
soulevé. Nous nous contentons d'appuyer, en nous ralliant d'une
façon générale aux points de vue qu'ils vous ont soumis,
des organismes comme l'Association des professeurs de français, la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, le Mouvement pour
l'intégration scolaire, etc. Avec eux, nous estimons que si le
Québec veut s'établir et demeurer vraiment le foyer national des
Canadiens français dans le cadre nord-américain, il faut que le
régime scolaire général y devienne officiellement et en
principe exclusivement français (ce qui n'exclut l'enseignement, avec
l'intensité désirée, d'aucune langue seconde, au besoin
jusqu'à lui accorder un statut privilégié) quitte aussi
à reconnaître ensuite des droits ou privilèges à
titre spécial à certains éléments de la population
pour des raisons valables. Disons que, plus spécifiquement, et à
quelques nuances de détail près, nous faisons nôtre
l'opinion exprimée par la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal sur ces points.
Nous voulons, nous, plus spécialement insister sur deux points
majeurs, deux questions fondamentales, qu'on n'outrepasserait pas
impunément, c'est-à-dire sans mettre gravement en danger l'avenir
français du Québec. Il est donc extrêmement important que,
sur ces deux questions qui se trouvent indissolublement liées en la
présente instance, l'inspiration qui sera donnée à la
législation envisagée soit sans faille, car la moindre fissure de
compromis avalisée par la loi deviendrait un coin qui pourrait conduire
à long terme à l'éclatement et à la ruine de nos
objectifs d'un Québec français. L'un de ces points, le
caractère linguistique officiel du Québec, relève
peut-être plus du bon sens, compte tenu de notre position
nord-américaine, que d'un principe rigoureux; mais l'autre la
question du droit des parents met en cause le fondement de tout
l'édifice national, et relève d'un principe majeur qui doit
être bien compris pour être bien appliqué.
Reconnaître un secteur scolaire anglophone égal en droit au
secteur francophone par une charte légale fondée sur des
principes de justice ou d'équité c'est, à toutes fins
pratiques, consacrer la situation, jusqu'ici ambiguë", d'un Québec
qui consent définitivement au bilinguisme officiel. Or, cela ne s'impose
ni en justice ni en équité et serait incompatible avec une
position qui veut faire du Québec un foyer national
canadien-français. En effet, dans de telles conditions le Québec
ne pourrait guère que par miracle s'établir dans cette
position.
Nous admettons qu'ici la situation est com- plexe, parce qu'en
théorie des circonstances concrètes peuvent effectivement
être telles que la consécration du bilinguisme officiel, avec ce
qu'elle comporte de droits reconnus pour la langue minoritaire, soit sans
conséquence pratique pour la prédominance, même absolue, de
l'autre langue. Par exemple, on imagine que ce serait la situation dans
l'Ontario si on y reconnaissait le bilinguisme officiel, ce dont, d'ailleurs,
on paraît encore loin en raison même de ce que cela heurte dans la
conscience britannique. L'anglais étant la langue de tout le continent
nord-américain, autant que de la très grande majorité des
Ontariens, en même temps que de toutes les institutions politiques,
sociales et économiques qui sont sous contrôle anglophone à
peu près total, la proclamation d'une égalité officielle
du droit des deux langues y serait, en réalité, dépourvue
de toute valeur pratique quant à la mise en danger de la
suprématie de l'anglais. Le principe, étant en quelque sorte
dépourvu de sens, peut alors bien servir sans danger de carte de
compromis dans quelque autre jeu politique. Par exemple, dans le cadre
canadien: forcer le Québec à en faire autant, par ce même
jeu des compromis, pour y assurer, en pratique, la prédominance de
l'anglais.
En effet, il devrait paraître assez évident, à tous
ceux qui ne veulent pas se payer de mots, que la situation serait toute
différente au Québec. Donner à la langue anglaise, par la
reconnaissance directe ou indirecte du bilinguisme officiel, l'arme de principe
du droit à l'égalité, c'est fournir à
l'élément anglophone la grosse artillerie nécessaire
à ses luttes de principe contre toute législation qui
prétendrait établir la priorité du français dans la
vie courante du Québec. C'est lui reconnaître son droit de s'y
opposer au nom de l'égalité, et par suite de la
non-discrimination, c'est établir une légitimité de la
totale liberté de l'anglais qui rendrait injuste toute loi
prétendant régir les règles du jeu concurrentiel et
démocratique dans la situation linguistique.
Or, si le Québec doit être le foyer national
canadien-français, il faut que la langue française y devienne la
langue courante d'usage partout, comme le français en France, l'anglais
en Angleterre ou en Ontario, l'allemand en Allemagne, etc. Il nous semble que
c'est là l'évidence même et il nous semble non moins
évident que cela ne viendra pas, dans le cadre de notre histoire et du
climat anglophone nord-américain, sans une politique linguistique ferme
autant que réaliste de la part du gouvernement du Québec. Donc,
cela ne viendra pas si
un principe de bilinguisme officiel consacre des droits égaux
à l'anglais.
Donc, si au nom de l'art de gouverner, qui est dit l'art du possible, on
ne croit pas devoir ou pouvoir légiférer en faveur de la
priorité du français d'une façon franche, et cela en
raison de facteurs résultant des limites imposées à
l'action par la situation politique, le moins est qu'on laisse la situation
fluide, ouverte, qu'on s'abstienne a fortiori de consacrer un principe
celui du bilinguisme officiel qui tendrait à entraver toute
action future.
La situation dans le Québec ne justifie pas l'acceptation de
cette thèse du bilinguisme officiel que les rapports de la Commission
sur le bilinguisme et le biculturalisme sont maintenant en train de mettre de
l'avant sous prétexte de nous favoriser dans le reste du Canada
où l'anglais ne serait, évidemment, jamais en danger, sauf
peut-être au Nouveau-Brunswick éventuellement, pour asseoir
définitivement les privilèges de l'anglais au Québec afin
d'empêcher le français de s'y installer sans conteste.
Les anglophones dans le Québec prétendent justifier cette
position en arguant qu'ils sont une ethnie culturelle québécoise
ayant elle aussi ses droits à son expansion dans le Québec comme
l'ethnie française dans le Canada. Mais, cette prétention est
aussi astucieuse que fallacieuse, étant donné que les seules
véritables chances de l'ethnie culturelle française sont dans le
Québec, alors que celles de l'ethnie culturelle britannique sont
déjà solidement établies dans tout le reste du Canada.
Ainsi, l'ethnie française ne serait chez elle nulle part, devant
accepter la prédominance anglaise dans le Canada en dehors du
Québec et la concurrence sur une base de chance égale entre les
deux langues, les deux ethnies dans le Québec.
Au moins, cette thèse a-t-elle le mérite de nous ouvrir
les yeux sur ce que signifie le bilinguisme officiel dans le Québec,
où notre désir d'un foyer national exige, au contraire, que les
anglophones acceptent de prendre leur place de groupe minoritaire dans un
territoire destiné à exprimer totalement la francophonie. Il n'y
aura pas de foyer canadien-français au Québec si nous acceptons
qu'il soit le double foyer de deux ethnies parallèles ayant des droits
égaux. N'allons pas fermer les yeux sur cette évidence dont les
conséquences anglicisantes sont fatales dans le cadre historique
où nous vivons.
Le droit des parents, mis de l'avant partout sur ce sujet de la langue
à l'école et ratifié par le bill 85, met en jeu des
questions d'une ampleur encore plus considérable, puisqu'elles
concernent les droits fondamentaux de l'homme et du citoyen face à la
collectivité elle-même. Il de- vient donc extrêmement
fallacieux, spécieux et captieux quand on le fait intervenir à
mauvais escient dans une question propre à soulever toutes les passions
de la liberté humaine.
Le droit des parents, dans toutes les matières qui concernent la
famille, a beau être un droit fondamental qui leur permet, en
particulier, de choisir l'école que fréquenteront leurs enfants,
il ne s'ensuit pas que tout dans la vie de famille ou dans l'école
relève du droit exclusif des parents. Les parents n'ont tout de
même pas droit de vie et de mort sur leurs enfants. On ne leur
reconnaît pas ce droit de mort qu'est l'ignorance, en récusant
leur droit de ne pas envoyer leurs enfants à l'école.
Similairement et tout à fait approprié au débat actuel, on
peut dire que le droit des parents en matière d'éducation ne
comporte pas le droit de vie et de mort sur les biens que la
collectivité elle-même et ses membres en tant que citoyens veulent
faire prévaloir pour établir la vie nationale.
A l'intérieur de ces jeux de droits et de libertés
réciproques, certaines règles ont été reconnues
quioutrepassent toute prétention de restriction: telle, par exemple, la
liberté de conscience qu'on ne peut violer sous prétexte de
danger pour la vie nationale, encore que cette liberté de conscience
n'est absolue qu'intérieurement et ne comporte pas un droit absolu au
prosélytisme qui sera conditionné par les exigences de la vie
collective et par les règles du jeu démocratique.
Qu'en est-il du droit qu'on invoque pour les parents, par le biais du
droit incontestable des parents à l'école de leur choix,
d'imposer à l'autorité d'établir ou de subventionner des
écoles dans la langue de leur choix?
Si l'on veut attaquer le problème par le fond, il faut d'abord se
demander quelle sorte de bien constitue la langue et de qui, par
conséquent, relève le droit de son établissement en vertu
du bien commun. Or, avant d'être l'instrument de culture qu'elle devient
par l'action des intelligences qui la manipulent, la langue est d'abord et
essentiellement un moyen de communication, un instrument de facilité
collective. L'unité de langue est un bien fondamental et
désirable d'une collectivité sur le plan de la vie politique,
sociale et intellectuelle, autant que l'unité de la monnaie est un bien
désirable et fondamental pour le bon fonctionnement de la vie
économique dans une collectivité donnée.
Aussi bien, les problèmes de dualité ou de
multiplicité linguistique ne sont-ils tous que des problèmes
résultant de situation historique de conquêtes, où des
collectivités tribales ou nationales ayant déjà leur
langue unique ont été intégrées par domination dans
des groupes dont la langue était étrangère à la
leur. Les droits lin-
guistiques qui en résultent ne sont nullement de l'ordre du droit
des parents, mais bien du droit d'une collectivité à conserver sa
culture en dépit des conquêtes qui ne sont pas créatrices
de droit, mais seulement de situations de fait. Il nous semble que ces
constatations ne souffrent pas contradiction.
De sorte que nulle part au monde où l'on n'a pas à faire
face à de telles situations, voit-on qu'on songe à invoquer un
tel droit des parents à la langue de leur choix à l'école.
On n'aurait pas, en France, l'idée que la venue d'Italiens dans le sud
et de Polonais dans le nord, obligeât l'Etat français à
accorder aux parents italiens des écoles de langue italienne pour leurs
enfants, ni aux parents polonais, des écoles polonaises. C'est la preuve
en soi que ce droit comme tel est inexistant, car ce qui relève du droit
des parents est forcément valable, revendicable et revendiqué
universellement, comme par exemple le droit des parents à l'école
confessionnelle.
Le fait est que ce droit des parents à imposer à
l'école la langue de leur choix n'a aucun sens. Il n'a aucun sens dans
les collectivités normales, parce que la langue est tellement un bien
collectif dont l'unité est nécessaire que personne ne songerait
à le revendiquer.
Et il n'a aucun sens dans les collectivités anormales
c'est-à-dire dont l'unité linguistique s'est trouvée
compliquée de situations historiques contrariantes parce que son
application vraie conduirait à la plus invraisemblable cacophonie.
Nous demandons donc aux membres de notre Assemblée nationale de
sortir des équivoques de notre situation ambiguë et de se rendre
bien compte de ce qu'ils font. S'il y a un droit des parents à la langue
de leur choix, ce droit est absolu comme tout ce qui relève d'un tel
principe spécifique de droit, c'est-à-dire que les parents
allemands, italiens, polonais, ukrainiens, etc., ont autant droit à
l'école allemande, italienne, polonaise et ukrainienne au Québec
que les parents français ou anglais.
C'est une seconde preuve, par l'absurde cette fois, que tel droit des
parents est inexistant; aussi inexistant, et pour les mêmes raisons sur
des plans différents, qu'est inexistant pour le citoyen le droit de
revendiquer de l'Etat qu'il lui permette de battre sa propre monnaie. Et c'est
parce qu'il est inexistant qu'il n'est nullement injuste de demander à
un immigrant qui arrive dans un pays d'abandonner la langue propre de son pays
et de consentir à parler dorénavant la langue du pays où
il arrive. Remarquez bien qu'il n'en est pas ainsi pour l'école
confessionnelle, si on la reconnaît comme droit des parents; tout
immigrant qui entre dans un pays garde son droit à réclamer
l'école confessionnelle de son choix, et à faire
reconnaître ce droit pour sa religion dès que c'est pratiquement
possible. Quand on ne veut pas qu'une telle situation prévale, il faut
contester le droit des parents, et y substituer comme en certains pays, le
droit de l'Etat d'éduquer les enfants selon ce qu'il estime être
l'intérêt national. On n'en sort pas autrement: le droit des
parents est un droit des parents, et il faut le vivre jusqu'au bout si on
l'accepte.
Or dans le domaine du choix de la langue à l'école, un tel
droit des parents est inacceptable en vertu des grands principes de droit et de
liberté qui régissent le fonctionnement des collectivités.
Il est inacceptable parce qu'il est impraticable; et s'il est impraticable,
c'est que la langue nationale, donc la langue de l'école, est un bien
collectif dont la responsabilité et la garde relèvent de l'Etat,
gardien du bien commun de la nation, non pas des parents qui se montreraient
insoucieux de ce bien commun national.
Ceci étant bien établi, il faut reconnaître
toutefois que l'Etat, lui, peut toujours sans y être obligé
par un principe général qui ne doit pas alors être
invoqué reconnaître des droits à certaines
catégories de parents, comme de citoyens, en vertu de la loi et de
situations historiques ou concrètes données. Il est bien
sûr indéniable que tout en niant le droit des parents ce
qu'il doit faire s'il ne veut pas s'exposer à des revendications de
parents non anglophones et non francophones l'Etat du Québec peut
fort bien accorder, pour d'autres raisons, des droits spéciaux aux
parents anglophones; ou plus généralement, comme il le fait dans
le bill 85, des droits à tous les parents de choisir entre
l'école anglaise et l'école française. C'est alors que la
question du droit des parents se relie à celle de la reconnaissance du
bilinguisme officiel. Car si l'Etat se sent sollicité de consentir
à de tels privilèges et droits spéciaux, ce n'est pas en
fonction de droits prenant racine dans l'individu, mais bien dans des
collectivités réclamant le droit à la survie de leur
culture propre. On est donc ramené à la question
précédente de la nécessité et de
l'opportunité d'accorder le bilinguisme officiel au Québec
à cause de la présence d'une minorité anglophone.
Or en accordant aux parents le libre choix Si l'école entre deux
langues, la française et l'anglaise, on reconnaît forcément
la position d'égalité et d'indifférence de choix absolu
entre les deux langues dans l'Etat du Québec. On consacre le bilinguisme
officiel au Québec, avec toutes les conséquences que nous avons
précédemment indiquées pour la perpétuation de
la
prédominance de l'anglais. D'autant plus qu'ici se pose le
problème des immigrants qui, devant le libre choix, s'aggrégeront
presque forcément toujours au groupe dominant, lequel disposera ainsi de
tous les moyens nécessaires pour perpétuer sa situation en
dépit de toutes les belles déclarations et les faux espoirs que
nous pourrons alors continuer à exprimer.
Il appartient donc à l'Etat du Québec de régler
non plus en vertu du fallacieux argument du droit des parents ou du
complexe d'infériorité des relents de conquête, mais du
seul intérêt de l'avenir du foyer national
canadien-français la question des droits des anglophones au
Québec, en n'oubliant pas que comme ethnie ils ont tout le reste du
Canada pour s'épanouir. En la réglant et pour reconnaître
les situations que nous voulons reconnaître par esprit
d'équité, établissons si l'on veut des situations de
privilèges par voies au besoin de garanties juridiques, mais en ayant
bien soin de ne pas les asseoir sur la reconnaissance de faux droits.
Il n'est pas nécessaire ni de proclamer, fût-ce
indirectement, le bilinguisme officiel au Québec ni d'y consacrer un
droit des parents ou de certains parents pour donner à l'anglais une
place de langue seconde privilégiée. Il n'est qu'à
prescrire les modes administratifs et de fonctionnement de telles
écoles, revisables en tout temps. C'est de toute façon la
position, que l'on continue de tenir envers le français dans les autres
provinces du Canada. Et on sait qu'en septembre dernier, à une
réunion nationale de la Canadian School Trustees' Association, la
proposition des protestants du Québec pour le reconnaissance du droit
des parents à la langue de leur choix, fut unanimement rejetée
par tous les membres de l'association hors du Québec. Le principe qui a
prévalu, c'est que les immigrants doivent être instruits là
ou ils sont, dans la langue de la communauté. Conclusion
La Ligue d'Action nationale souligne donc à l'attention de ce
comité:
Premièrement, le grave danger qui menace la communauté
québécoise, que nous voulons francophone, foyer national d'une
francophonie, si nous nous laissons entraîner à consacrer
directement ou indirectement le bilinguisme officiel au Québec;
Deuxièmement, la possibilité et la nécessité
de concevoir autrement qu'en fonction soit d'un fallacieux et abusif droit des
parents, soit d'une astucieuse prétention de l'ethnie anglophone
québécoise à l'égalité culturelle en tant
que québé- coise, la reconnaissance de certains droits acquis par
la persistance des privilèges dans lesquels s'est établi le
conquérant après 1760 et depuis;
Troisièmement, l'exigence, afin de ne pas créer ou
perpétuer d'équivoques néfastes pour l'avenir francophone
du Québec, de ne pas élargir la reconnaissance de ces droits
acquis au-delà de ceux qui peuvent vraiment en invoquer,
c'est-à-dire la collectivité anglophone historique qui constitue
la descendance des conquérants de 1760;
Quatrièmement, l'urgence d'intégrer progressivement mais
systématiquement à la communauté francophone tous les
immigrants et descendants d'immigrants, au moins tous ceux qui ne sont pas
d'origine britannique;
Cinquièmement, l'urgence non moins pressante d'affirmer les
droits de la communauté québécoise francophone à sa
sauvegarde, en n'autorisant pas l'accès des écoles anglaises ou
bilingues, aux niveaux primaire et secondaire, aux enfants de parents
canadiens-français ou d'ascendance non britannique.
En conséquence, la Ligue d'Action nationale demande au
comité de recommander au gouvernement le retrait du bill 85 et le renvoi
de tous ces problèmes à la commission d'enquête
créée pour les étudier.
M. LE PRESIDENT: Merci, M. Angers. M. le ministre de l'Education aurait
une question à vous poser.
M. CARDINAL: M. le Président, M. Angers, deux questions. Si je
parle de votre texte, qui est très serré et qui conduit aux
conclusions qui sont indiquées à la dernière page de votre
mémoire, je me pose cependant la question suivante: En supposant que
Québec retire le bill 85 et ne pose aucun autre geste dans le domaine
linguistique, qu'arrivera-t-il si c'est le gouvernement fédéral
qui fait le premier pas et qui adopte par législation une politique de
langue. Quelle serait à ce moment-là la position de la Ligue
d'Action nationale devant un problème semblable, logiquement et en
suivant vos conclusions?
M. ANGERS: Remarquez bien d'abord que si le gouvernement
fédéral prend position sur les langues, il ne prendra position
que dans les domaines qui concernent le fédéral. Par
conséquent, cela laissera ouverte ou cela devrait laisser ouverte la
question des écoles pour l'action provinciale.
M. CARDINAL: Est-ce que le rapport Lau-
rendeau-Dunton ne va pas jusqu'au domaine de l'éducation dans ses
conclusions?
M. ANGERS: Oui, enfin, à ce moment-là, on admet que ce
sont des recommandations faites aux provinces.
M. CARDINAL: Est-ce que le projet d'avoir des districts bilingues ne va
pas plus loin que ce qui est fédéral?
M. ANGERS: La question des districts bilingues, je me demande si elle
n'est pas mal comprise, d'après le rapport Laurendeau-Dunton.
Evidemment, nous avons étudié la question des districts bilingues
dans tout le Canada parce que nous avons fait une analyse scientifique de la
situation, mais si j'ai bien compris le rapport, la question des districts
bilingues ne s'applique pas au Québec, puisque, selon l'esprit du
rapport, tout le Québec doit être de bilinguisme officiel, de
même que l'Ontario et le Nouveau-Brunswick. Si je comprends bien le
rapport Laurendeau-Dunton, les districts bilingues sont pour les provinces
où le caractère linguistique bilingue officiel ne sera pas
reconnu. Là où c'est officiellement bilingue, c'est partout dans
le Québec qu'un nombre suffisant de parents de langue anglaise auraient
droit à l'école anglaise et non pas seulement dans les districts
dits bilingues.
M. CARDINAL: Je m'excuse, faisons un pas de plus. Si les droits
linguistiques sont rattachés aux droits de l'homme, comme semble le
laisser entendre le premier ministre du Canada, et que vous avez un jour une
charte des droits de l'homme qui donne justement le choix des langues dans tous
les domaines, nous ne pouvons plus parler de domaine provincial ou de domaine
fédéral.
M. ANGERS: D'après ce que je viens de vous exposer, je ne vois
pas comment une charte des droits de l'homme pourra jamais reconnaître
à des gens le droit d'avoir la langue de leur choix dans un pays
quelconque, parce que c'est invraisemblable et impossible. Tout ce que nous
pouvons reconnaître, c'est qu'un individu qui veut, lui, parler une
langue soit bien libre de la parler dans sa famille. Quant à imposer la
multiplicité des langues dans toutes les écoles de tous les pays,
je crois qu'à première vue, justement, nous nous apercevrons que
cela n'a pas de sens, parce que la langue n'est pas un bien individuel, mais un
bien collectif national. On finira par comprendre, à mon sens, si Pon
aborde ce pro- blème d'une façon réaliste, que ce ne
serait pas applicable.
Comme j'ai essayé de vous le montrer dans mon mémoire,
même si ce droit-là n'existe pas et ne peut pas exister,
parce qu'il ne me parait pas avoir de sens cela n'empêche pas,
évidemment, qu'un Etat particulier puisse le conférer. Alors,
là, ça devient une décision à prendre en fonction
du bien commun de la collectivité et de sa situation historique. C'est
comme ça que je vois le problème.
Pour compléter la réponse que je vous ai faite, je dois
dire que l'Action nationale esttout à fait favorable à ce que le
gouvernement du Québec agisse au plus vite et proclame la langue
française comme seule langue officielle au Québec.
En fait, je l'ai dit dans un des paragraphes: « Si l'art du
possible fait que le gouvernement estime que c'est impossible à l'heure
actuelle, eh bien, il doit en tout cas, ne pas reconnafire implicitement ou
indirectement le principe contraire. Il doit laisser la porte ouverte
jusqu'à ce qu'on estime que le moment est venu de consacrer vraiment le
caractère du Québec comme communauté francophone n'ayant
qu'une langue officielle avec des statuts privilégiés, si on le
veut ensuite, pour d'autres langues ».
M. CARDINAL: Merci, M. Angers.
M. LE PRESIDENT: M. le ministre des Affaires culturelles.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Angers f ai suivi avec beaucoup d'attention
le texte que vous nous avez présenté ce matin; c'est un texte
très sérieux qui porte à réflexion.
Maintenant, je voudrais revenir à la question que vous a
posée mon collègue, M. Cardinal. Vous nous dites, à la fin
de votre mémoire, qu'il serait important que le gouvernement retire le
projet de loi numéro 85 et qu'il réfère toute la question
à la Commission d'étude de la langue.
Justement, ce qui m'inquiète ce sont les initiatives du
gouvernement central en matière linguistique. Vous avez répondu,
tout à l'heure, partiellement à la question en disant que le
gouvernement central promulguerait une loi qui décréterait un
bilinguisme officiel administratif.
Si l'on examine très sérieusement la proposition qui a
été faite à Ottawa, il s'agit beaucoup plus d'une
déclaration sur les droits fondamentaux que d'un projet de loi sur la
consacration du bilinguisme officiel et administratif. Alors, ne pensez-vous
pas qu'il est assez dangereux d'attendre que le gouvernement prenne les de-
vants dans un domaine comme celui-là? D'autre part, vous savez
comme moi, M. Angers, que lorsqu'on a créé la commission
d'enquête Laurendeau-Dunton, cette commission ne devait s'occuper que de
la question du bilinguisme dans les services du gouvernement central. On a
élargi le mandat de la commission, à telle enseigne que les
propositions que nous trouvons dans la partie du rapport qui a
été publiée jusqu'à présent couvrent
très largement tout le domaine de la langue. Il y a des
répercussions directes dans le domaine de l'éducation.
Nous sommes, semble-t-il, dans une situation d'urgence. Comment
concilier ces exigences de la proclamation d'une politique linguistique au
Québec face aux initiatives du gouvernement central?
M. ANGERS: M. le ministre, pour ma part, je suis tout à fait
d'accord sur l'urgence. Je n'ai donc aucune objection, comme je le disais tout
à l'heure, à ce que le gouvernement du Québec fasse une
législation linguistique le plus tôt possible. Mais, cela ne
devrait pas être sous la forme du bill actuel qui est seulement un moyen
indirect, lequel moyen indirect, d'ailleurs, proclame le bilinguisme officiel
et, au fond, se conforme aux idées de la commission Laurendeau-Dunton.
Je ne crois pas que ce soit le moyen approprié.
Si vraiment il y a une situation d'urgence alors, à mon sens, le
gouvernement doit passer outre à toutes les situations politiques
auxquelles je fais allusion dans mon mémoire et doit s'empresser
d'établir d'abord le statut officiel de la langue française d'une
façon claire et nette.
Je crois, d'ailleurs, personnellement je n'ai pas voulu entrer
dans vos plates-bandes politiques qu'une fois que ce sera fait, cela
clarifierait énormément la situation, parce que les gens
accepteraient cette situation et commenceraient à s'y intégrer.
Personnellement, je crois donc que ce serait une bonne chose que le
gouvernement du Québec proclame le statut officiel du français au
Québec, sous réserve de l'article 133, pour autant que nous
sommes dans la constitution, c'est-à-dire des droits très
limités que l'article 133 donne à la langue anglaise, et qu'on le
fasse au plus vite.
Après quoi, évidemment, le statut scolaire
s'établira de lui-même selon les principes que j'ai essayé
de vous exposer. Franchement, je suis bien d'accord, mais je ne crois pas que
le bill 85 pare à cette urgence. Il pare à une autre urgence, qui
est celle des protestations qu'on a fait valoir à partir du moment
où une commission scolaire francophone a eu l'audace d'imposer
l'unilinguisme français dans son territoire, alors qu'il n'y avait eu
aucune réaction dans Québec, quand la commission des
écoles protestantes de Montréal appliquait l'unilinguisme anglais
d'une façon systématique dans son territoire, et que nous
étions obligés de nous battre à mort pour obtenir quelques
écoles françaises pour les protestants de langue
française.
Il y a là, n'est-ce pas, une situation qui montre que le bill 85
est un bill d'urgence pour régler une situation équivoque dans
Québec, beaucoup plus que la situation posée par la loi
fédérale et que la réponse à la loi
fédérale, ce serait, au plus vite, un statut linguistique
officiel de la langue française au Québec. Ce statut à ce
moment-là, évidemment, affirmerait clairement que le gouvernement
du Québec ne reconnaît pas que la loi fédérale,
quelle qu'elle soit, s'appliquera au Québec et qu'elle ne s'appliquera
au Québec que dans les institutions fédérales où le
gouvernement fédéral a juridiction pour imposer lui-même
ses règles.
M. LE PRESIDENT: M. le député de Saint-Hyacinthe.
M. BOUSQUET: Dans votre mémoire, vous dites qu'il appartient
à l'Etat du Québec de régler, en vertu du seul
intérêt de l'avenir du foyer national des Canadiens
français, la question des droits anglophones du Québec. C'est le
principe fondamental, d'après vous. Alors, faut-il ignorer ce qui se
passe dans les autres provinces?
M. ANGERS: Ecoutez, on ne l'ignore pas parce que, dans les autres
provinces, c'est toujours ce qui s'est fait. Par conséquent, elles ont
été logiques et continuent de l'être. La langue, pour
elles, dominante et exclusive, c'est l'anglais. Quand les francophones
demandent des droits, on finit par leur en reconnaître, à titre
spécial, à titre privilégié, en vertu de certaines
pressions et de la reconnaissance finale de certaines situations
historiques.
J'insiste sur le fait que le mémoire que je viens de vous
présenter pose des principes fondamentaux et qu'en ce qui concerne le
mode de procéder pour y arriver, nous n'en avons pas parlé ici.
Je pense qu'à l'Action nationale, nous ne sommes pas parmi ceux qui sont
les plus radicaux et qui voudraient imposer des mesures rigoureuses
immédiatement. Je conçois parfaitement qu'il pourrait y avoir des
périodes intermédiaires dans le processus par rapport aux
immigrants. Mais là, il faudrait que ce soit clair
que ce sont des processus intermédiaires dans un cadre où,
officiellement, la situation est très claire et où ce qu'on
reconnaît temporairement, ce sont des situations de fait, des situations
psychologiques par-dessus lesquelles on ne veut pas passer tout de suite, parce
qu'on croit que ce n'est pas juste de passer tout de suite. Il y a dans cela
une question d'appréciation que nous reconnaissons au plan de la
réalisation politique. Mais nous insistons, pour le moment, qu'à
cette période tournante, cruciale de notre histoire de foyer national
canadien-français, il faut éviter de poser toute loi qui consacre
des principes qui iront contre nos aspirations et notre désir.
M. BOUSQUET: Maintenant, si nous acceptons vos arguments, nous devons
cesser de parler des « droits » des minorités. Nous devons
parler des « privilèges » des minorités. Est-ce que
nous devons bannir de notre langage les mots « les droits des
minorités »?
M. ANGERS: Encore une fois, comme j'ai essayé de le montrer dans
mon mémoire, les droits qui seront reconnus ne sont pas des droits
fondamentaux que nous sommes obligés de reconnaître.
M. BOUSQUET: Est-ce qu'on pourrait dire que ce sont des droits «
relatifs »?
M. ANGERS: Ce sont des droits que nous reconnaîtrons
nous-mêmes. Nous déciderons que ce sont des droits. Si nous
voulons, par exemple dire: Nous reconnaissons qu'à cause de la
conquête, à cause du fait que nous vivons avec eux depuis
longtemps, nous sommes prêts à aller plus loin que l'attitude
stricte du droit qui dit qu'un droit de conquête ne crée aucun
droit et ne consacre que des situations de fait.
Alors nous, nous pouvons dire: Nous sommes prêts à aller
plus loin que cela. Nous sommes prêts à reconnaître à
la communauté britannique anglophone du Québec l'acquisition de
droits par la cohabitation. Mais ils sont sous la juridiction non pas de la
charte des droits de l'homme, qui n'a rien à faire avec cela, ils sont
sous la juridiction de l'Etat du Québec, qui les définira en
pensant à l'intérêt général de la
collectivité, et l'intérêt général de la
collectivité dans Québec, il est francophone.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Angers, j'aurais une autre question
à vous poser. Au paragraphe 2 de la page 4 de votre mémoire, vous
dites ceci: « Les anglophones dans Québec prétendent
justifier cette position en arguant qu'ils sont une ethnie culturelle
québécoise ayant, elle aussi, ses droits à son expansion
dans Québec, comme l'ethnie française dans le Canada. Mais cette
prétention est aussi astucieuse que fallacieuse, étant
donné que les seules véritables chances de l'ethnie culturelle
française sont dans le Québec, alors que celles de l'ethnie
culturelle britannique sont déjà solidement établies dans
tout le reste du Canada. Ainsi l'ethnie française ne serait chez elle
nulle part, devant accepter la prédominance anglaise dans le Canada en
dehors du Québec et la concurrence sur base de chances égales
entre les deux ethnies dans Québec. »
M. Angers, ma question est la suivante: On a parlé très
souvent ici au Québec, depuis toujours, du problème des
minorités. On a tellement insisté qu'on a fini par prendre, si
vous voulez, certaines attitudes en vue de protéger les
minorités, de les aider, ce qui aurait pu nous empêcher de nous
occuper de notre propre affaire dans le Québec. Est-ce que je comprends
bien, en lisant ce paragraphe, que nous pouvons l'interpréter comme une
sorte de jugement sur l'avenir des minorités en dehors du Québec,
les minorités françaises, j'entends?
M. ANGERS: Pas le moins du monde, parce que, justement, le
problème de la reconnaissance d'une ethnie parallèle, ce serait
la reconnaissance de deux sociétés, ainsi que l'a posée le
rapport Laurendeau-Dunton. Or, justement, le problème des
minorités n'est pas de cet ordre-là. On ne voit à
l'horizon, d'aucune façon alors, nous pourrions peut-être
négocier à ce moment-là, ce serait une base de
négociation mais il ne faudrait pas le donner avant d'avoir
négocié, on ne voit nulle part à l'horizon que, dans les
provinces, sauf au Nouveau-Brunswick, où c'est un droit, ce n'est pas
une question de négociation, on ne voit nulle part dans le reste du
Canada que l'on songe à donner aux minorités françaises le
statut d'ethnie culturelle ayant le droit de s'épanouir sur le plan
parallèle avec l'autre ethnie britannique.
C'est assez amusant comme question, parce qu'au colloque qui a eu lieu
la semaine dernière, un Anglais est venu me poser certaines objections
de ce genre-là. A un moment donné, il me disait: Qu'est-ce que
vous faites des anglophones dans le Québec, avec vos idées?
Alors, je lui ai dit: Qu'est-ce que vous faites des minorités
françaises dans l'Ontario, avec vos propres idées? Il m'a dit:
Les idées anciennes, on n'en veut plus, on veut réparer tout
cela. Bon, j'ai dit; « Très bien. Croyez-vous que jamais,
dansl'Ontario, on acceptera qu'il y ait une civilisation française qui
s'épanouisse sur le même pied que la civilisation
britannique? » Alors, il me dit: « C'est impossible ».
Bon, eh bien, alors j'ai dit: « C'est la situation au
Québec» C'est aussi impossible dans le Québec que l'ethnie
britannique soit considérée, sur le plan parallèle, comme
une ethnie culturelle qui a le droit de s'épanouir comme une autre
société. »
Comme je le disais dans le mémoire, il faut que les anglopones du
Québec acceptent le statut des minorités, qui demande
évidemment la reconnaissance de certains droits des minorités en
fonction de situations historiques, et j'ajouterais, à ce
moment-là, franchement, il ne faut pas en avoir peur, en fonction de ce
qu'on sera prêt à accorder à nos propres minorités
dans le reste du Canada.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Angers, compte tenu de ce qui se passe en
Ontario à l'heure actuelle, vous avez pris connaissance du
mémoire que nous avons présenté récemment au
gouvernement de l'Ontario sur la situation des francophones là-bas, et,
compte tenu des dispositions que semble vouloir prendre le gouvernement de
l'Ontario, est-ce que vous ne pensez pas qu'il y a quelque avenir pour les
francophones du côté de l'Ontario, et qu'ils peuvent
espérer en somme mener là une vie culturelle qui fasse qu'ils
soient vraiment les représentants de la civilisation française
dans l'Ontario?
M. ANGERS: Oui, mais enfin, comme groupe minoritaire, dans un ensemble
qui restera toujours très britannique au point de vue de la langue
d'usage courante. C'est inévitable. Alors, c'est cela que nous appelons
une minorité. Ils ont des droits culturels minoritaires, mais ils ne
peuvent pas compter avoir une législation qui soit faite selon leur
propre mentalité, comme nous le voulons dans le Québec. En somme,
ils ne peuvent pas aspirer à la vie nationale complète, et
justement, les anglophones dans le Québec n'ont pas plus de raison de
nous demander une vie nationale complète.
Or, comme je l'ai dit dans la première partie de mon
mémoire, la situation est telle chez nous qu'il y a un état de
légitime défense véritable en ce sens qu'au fond, à
l'heure actuelle, l'ethnie anglaise dans le Québec est
déjà dans une position de société nationale
dominante qui exerce une influence considérable à cause de sa
pression économique et que, justement, nous ne sommes pas en position de
devoir accepter cela, mais de devoir demander que cela soit revisé pour
que, d'abord, la communauté francophone ait sa place et que la
minorité anglophone n'occupe que la place à laquelle elle a
droit.
Je crois que notre mémoire tient compte de ce que vous dites au
paragraphe 3, où nous reconnaissons des droits acquis. Nous sommes
d'avis que l'on peut reconnaître des droits acquis à la
communauté anglophone, celle qui le mérite vraiment, la
communauté britannique, justement en raison de ce fait, en raison de
notre situation dans le Canada, de l'avenir possible des minorités, des
droits que nous réclamons pour les minorités et qui sont
équivalents, mais je pense qu'il ne faut pas aller plus loin que
l'équivalence.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous parlez des droits acquis de la
minorité et vous ajoutez: « celle qui le mérite... »
Qu'est-ce que cela veut dire?
M. ANGERS: ... Qui le mérite, c'est-à-dire à
laquelle on peut vraiment reconnaître un certain droit à cause de
ce fait de conquête, de cette situation historique. Parce que
l'immigrant, lui, quand il est venu ici, il a décidé de choisir
la langue du pays. Au début, quand il est arrivé, il y a eu un
peu d'équivoque mais enfin, si la communauté doit devenir
française, il faudra qu'il devienne français. C'est là que
je dis qu'il y a une période intermédiaire où les
principes étant consacrés, il faudra que l'application soit
intelligente. Mais le fait doit être accepté au départ que
tout immigrant doit s'intégrer à la communauté francophone
et qu'il n'est pas normal que la communauté anglophone au Québec
agrège des immigrants à son groupe, sauf peut-être
nous avons apporté une restriction ceux qui sont de son propre
groupe, le groupe britannique, le reste devant être intégré
systématiquement et progressivement à la communauté
française.
Pour ceux qui arrivent, c'est clair. Cela devrait commencer tout de
suite. Même pour les enfants de ceux qui sont déjà
établis, cela va aussi bien, parce que je ne vois pas, vous savez, le
problème des droits acquis dans ce cas-là. Il n'y a pas tellement
de différence entre un Tchèque qui arrive de
Tchécoslovaquie, qui a toujours parlé tchèque et qui est
obligé de parler français et un immigrant qui est arrivé
ici depuis quelques années, qui a commencé par apprendre
l'anglais et qui, s'apercevant que la communauté se francise, doit
accepter que ses enfants apprennent la langue de la communauté. Il y a
eu équivoque, mais cette équivoque ne crée par de droit.
Ce n'est pas plus un droit que pour l'immigrant qui vient de
l'extérieur, à mon sens. Si on veut le lui reconnaître pour
des raisons pratiques, nous pouvons en discuter, mais fondamentalement, il n'y
a pas là de droit.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Angers, si vous me permettez une
dernière question... A la page 2 de votre mémoire,
troisième paragraphe, vous dites: « Quitte à
reconnaître ensuite des droits ou privilèges à titre
spécial à certains éléments de la population pour
des raisons valables »... Est-ce que vous pourriez expliciter un petit
peu et surtout nous indiquer de quelle façon pratique cela pourrait se
traduire dans les textes de loi ou dans les structures de l'éducation,
par exemple?
M. ANGERS: A mon point de vue, la seule raison valable que je vols pour
le droit est précisément la situation historique des deux
communautés qui ont vécu ensemble, pendant deux cents ans,
à la suite d'un événement historique qui s'est
appelé la conquête.
A ce moment-là, si les anglophones de cette descendance tiennent
à rester anglais, à parler anglais et à garder leurs
droits minoritaires, disons que nous, à la Ligue de l'Action nationale,
nous sommes prêts à les leur reconnaître. C'est ça
que j'appelle un droit valable, un droit qui est fondé sur une longue
histoire commune qui a eu ses hauts et ses bas, etc. Ce n'est pas, à mon
sens, comme je le disais tout à l'heure, un droit fondamental. C'est une
attitude de contrat et d'association que nous ne consentons pas à
accepter, mais que, dans les circonstances, plusieurs groupes nationalistes
sont prêts à accepter.
Comment cela s'intêgrerait-il dans la législation? Eh bien,
c'est par le régime de l'école unique française avec un
secteur si on reconnaît ces droits-là aux
anglophones d'allégeance britannique qui, eux, auraient droit à
leurs écoles, un peu comme ils le veulent. Quant aux autres, ils
seraient tous dans le secteur unique. J'ajoute même, pour faire
comprendre: Quitte même si on devait pour des raisons pratiques maintenir
encore pour quelques années des écoles strictement anglaises pour
certains groupes afin de leur faire passer la transition. Eh bien, ce sont des
questions d'administration et de circonstances. Il faudrait que cela se fasse
à l'intérieur du secteur unique et à titre de classes
privilégiées, temporaires ou spéciales, justement pour
qu'il soit bien clair que c'est un régime temporaire qui tient compte de
certaines situations pendant qu'on procède à
l'évolution.
Mais l'idéal serait que l'on cesse d'avoir des écoles
comme celles-là et que seul le secteur britannique, à mon avis,
tant qu'il veut les conserver, garde des écoles anglaises. A ce
moment-là, il n'y a pas de difficultés, parce que,
précisément, ces gens-là sont faciles à discer-
ner; ce sont tous des gens qui viennent de la Grande-Bretagne, de l'Irlande et
de l'Ecosse. Il n'y a pas de raisons d'en donner à d'autres.
Remarquez bien que le gouvernement fédéral a fait la
même chose dans l'immigration. Il y avait autrefois un principe
d'immigration au Canada, qui voulait que l'immigration ne modifie pas
l'équilibre culturel du Canada. On l'affirmait avec d'autant plus de
force qu'en pratique cela ne fonctionnait pas, parce qu'il n'y avait pas de
Français qui immigraient au Canada. On l'affirmait; cependant, on ne
l'appliquait pas aux Belges. Dans les règles de l'immigration, seuls les
Français de France avaient droit aux avantages d'égalité
avec les Britanniques d'Angleterre, à l'entrée au pays. Tout
autre francophone qui venait d'ailleurs était traité comme un
immigrant complètement étranger.
C'est facile à appliquer, à circonscrire, à
condition que nous donnions des définitions précises et que nous
sachions exactement ce que nous voulons faire. Si nous sortons de cela, en
principe, nous entrons dans l'équivoque de droits difficiles à
définir. Ceux qui viennent vont aussi réclamer des droits en
disant: Puisque ceux qui sont venus avant nous ont déjà eu ces
droits-là, pourquoi nous les refuse-t-on? L'égalité, le
choix et ainsi de suite. Il faut que cela soit clair et net.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Afin de sauvegarder l'héritage culturel
français et la civilisation française du Québec, vous
pensez, M. Angers, que le Québec doit exercer un contrôle sur la
croissance démographique de sa population.
M. ANGERS: Cela dépend de ce que nous entendons par
contrôle. Il y aura certainement une politique démographique.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Evidemment, cela implique que nous attachions
beaucoup d'importance, lorsque nous parlons en terme de croissance
démographique, à la qualité des immigrants et à la
facilité qu'ils peuvent avoir de s'intégrer dans la
communauté francophone.
M. ANGERS: C'est vrai.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ceci, pour les immigrants qui vont venir. Pour
ceux du passé, vous n'admettez pas qu'ils aient des droits acquis?
M. ANGERS: Non.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Exception faite des Britanniques, comme vous
l'avez dit.
M. ANGERS: Des Britanniques.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, à part les Britanniques, vous
n'admettez pas que les Italiens, les Polonais, les Grecs, les Russes, les
Allemands aient des droits acquis, depuis le temps qu'ils se sont
établis ici.
M. ANGERS: Je ne l'admets pas, et je ne crois pas que ce soit dans leur
intérêt, non plus. Après tout, si la communauté doit
devenir vraiment francophone, ils sont tout simplement, à l'heure
actuelle, dans une impasse psychologique temporaire qu'il faut
reconnaître, qu'il faut traiter avec délicatesse, mais avec
fermeté vers l'inclusion dans la francophonie.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je pense, M. Angers, que vous substituez votre
conception de leur intérêt à la conception qu'ils peuvent
en avoir. Ces gens-là ne pensent-ils pas, à l'heure actuelle,
qu'il est de leur intérêt d'appartenir à une autre
communauté culturelle?
M. ANGERS: Non, je ne substitue pas. Je la définis selon
l'entité territoriale et nationale où ils vont vivre, comme on la
conçoit partout ailleurs, voyez-vous? Encore une fois, ici, il y a des
situations équivoques, mais je ne crois pas que dans aucun pays au monde
qui a son unité, on pose un problème comme celui-là.
Si nous vivons dans une communauté française, en fonction
du principe qu'une communauté doit avoir une seule langue pour
communiquer facilement et que c'est la règle générale pour
toutes les nations qui n'ont pas eu de problèmes de conquêtes et
de mélanges historiques, eh bien, c'est leur intérêt qu'il
y ait une seule langue comme c'est leur intérêt qu'il y ait, par
exemple, dans l'ordre économique une seule monnaie dans le territoire
où ils vivent.
Si, à un moment donné, ils ont des problèmes qui
viennent de situations de fait qui leur ont créé des complexes
psychologiques, je ne pense pas que ce soit dans leur intérêt, en
tant que Québécois. Si vous considérez leur
intérêt en tant que voulant s'en aller aux Etats-Unis ou dans le
reste du Canada, cela est autre chose. Comme Québécois, comme
personnes qui veulent vivre dans le Québec, si nous sommes vraiment
décidés à faire du Québec un pays d'expression
française, leur intérêt n'est pas de rester bilingues
bien sûr, comme toute personne, ils peuvent apprendre deux langues
pour leur culture personnelle de ne pas comprendre le français et
de ne pas être français.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): En somme, c'est l'extension normale,
légitime et juridique que vous donnez à la théorie du
« Maître chez nous ».
M. ANGERS: La théorie de...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): La théorie du « Maître chez
nous ».
M. ANGERS: Si vous voulez, bien sûr.
M. LE PRESIDENT: M. Wagner, une question.
M. WAGNER: M. Angers, j'ai écouté attentivement la lecture
de votre mémoire. Même si je ne partage pas du tout votre point de
vue, je le respecte.
En arrivant à la conclusion numéro cinq, je vous avoue que
j'ai sursauté. Vous voulez que la Législature entérine
votre recommandation et refuse à vos concitoyens l'accès des
écoles anglaises bilingues aux niveaux primaire et secondaire. Il me
semble qu'il y a là une atteinte sérieuse à une des
libertés fondamentales de vos concitoyens.
Je voudrais savoir de vous pourquoi d'abord vous refusez à vos
concitoyens de langue française cette liberté?
Deuxièmement, pourquoi vous suggérez une sorte de discrimination
contre ceux d'ascendance non britannique? Pourquoi cette distinction?
M. ANGERS: Bien, pour tout ce que j'ai expliqué depuis
tantôt. Je ne crois pas que ce soit leur liberté, justement. A la
situation difficile où sont les Canadiens français ce n'est pas
de la liberté des Canadiens français de travailler contre
l'intérêt national en anglicisant leurs enfants. Ils ne le
feraient pas dans un pays français.
Remarquez bien que je vais assez loin dans ce domaine-là. C'est
une vieille question qui se discute depuis longtemps. J'ajouterai qu'à
ce moment-là, ils ne sont pas conscients du danger que cela
présente et que ce n'est pas dans l'intérêt
pédagogique de leurs enfants qu'ils le fassent.
Ce vieux débat qui est soulevé, de savoir quand on doit
introduire la langue seconde à l'école est une question, n'est-ce
pas, qui est débattue dans le monde entier et qui est loin d'être
résolue. La thèse qui a toujours été
prévalante, avec quelques exceptions depuis quelques années
à cause de nouveaux moyens de communication et d'enseignement, c'est
qu'on nuit au développement de l'intelligence de l'enfant quand on
introduit l'enseignement d'une langue
seconde au primaire et qu'on lui donne un enseignement rigoureusement
bilingue au secondaire. A l'université, cela a moins d'importance parce
que là l'enfant est formé, l'esprit est formé. A ce
moment-là, je le juge en fonction de mes conceptions et de ces
conceptions pédagogiques à peu près universelles. Ces
parents-là ne comprennent pas l'intérêt de leurs enfants.
Ils peuvent leur faire apprendre l'anglais très bien comme langue
seconde au secondaire, les perfectionner ensuite dans l'anglais par d'autres
moyens. Mais en envoyant leurs enfants à une école anglaise,
alors qu'ils sont d'allégeance de langue française, ils leur
créent des problèmes psychologiques sérieux.
Si nous étions en France, on dirait tant pis! Quelques parents
font cela, mon Dieu! s'ils le veulent! Mais au Québec, cela
présente un grave danger parce que les parents le font pour des raisons
d'intérêt économique. Ils le font parce que l'anglais est
la langue dominante au point de vue québécois.
Comme nous voulons réformer cela aussi, eh bien! en même
temps, il faut faire la réforme sur tous les plans et avertir les
parents de ce danger-là.
M. WAGNER: En somme,...
M. ANGERS: Ce n'est pas une violation...
M. WAGNER: Vous êtes conséquent avec vos
prémisses.
M. ANGERS: Ce n'est pas une violation de la...
M. WAGNER: Vous ne considérez pas que c'est une
liberté...
M. ANGERS: Non.
M. WAGNER: ... pour les parents d'envoyer leurs enfants à une
école de leur choix.
M. ANGERS: Je crois, au contraire, que c'est une obligation pour les
parents...
M. WAGNER: Ah! bon.
M. ANGERS: ... de recevoir leur enseignement dans la langue de la
communauté nationale. Remarquez bien que c'est le principe
universellement appliqué. L'autre règle de liberté vient
de l'équivoque d'une situation particulière qui est la
conquête et la dominance économique anglophone dans le secteur
français du Canada.
Le problème ne se poserait même pas pour les parents, s'il
n'y avait pas cette situation.
Je crois que c'est le rôle de l'Etat, à ce
moment-là, de voir à faire en sorte que les parents ne
travaillent pas contre l'intérêt national. Remarquez bien
vous le savez comme moi qu'ici je l'applique sur le plan de la langue
mais on ne croit pas violer les droits fondamentaux dans un pays comme la
France où on ne reconnaît pratiquement pas le droit des parents,
même à l'école parce qu'on y a substitué un autre
concept. En France, c'est le concept qui a prévalu quand on a fait la
réforme scolaire sous Napoléon, qu'il fallait faire
l'unité de la France et créer une pensée nationale. Alors,
on a imposé un système d'éducation complet, à ce
moment-là, aux parents, au nom de l'intérêt national.
Cela me paraît assez sérieux parce que cela viole la
liberté de conscience à un moment donné. Mais, la langue
est un instrument de communication nationale. C'est un bien collectif dont
l'Etat a le droit et le devoir de protéger l'existence et le
fonctionnement. C'est une question de droit.
M.WAGNER: Merci.
M. LE PRESIDENT: M. Pearson.
M. PEARSON: Ne croyez-vous pas que les immigrés anglophones
s'établissent plutôt dans la région de Montréal et
que les immigrés, autres que les anglophones, qui peuvent
s'établir ailleurs baigneront davantage dans une atmosphère
française? Et qu'en résumé, le danger existe surtout dans
la région de Montréal? Parce que les gens bilingues, on en trouve
de moins en moins en allant vers l'Est. En pratique, malgré toute
législation, les francophonnes de Montréal sont bilingues en
bonne proportion et continueront de l'être.
La législation devrait plutôt insister peut-être
c'est une question que je vous pose sur le véritable
visage français, par exemple la publicité, le travail, la
fonction publique, les rapports de tous ceux qui ont des emplois et qui ont
affaire au public.
M. ANGERS: Je crois que c'est un à-côté seulement,
et que ça ne réussira pas, si la situation fondamentale de
principe n'est pas revisée rapidement. On n'arrivera pas à
combattre l'influence dominante du fait que, pour travailler, à l'heure
actuelle, un Canadien français doit s'imposer l'anglais non pas comme
une richesse culturelle mais comme une nécessité de travail. Ce
n'est pas par des moyens accessoires de vi-
sage français qu'on réglera le problème. Il va
falloir légiférer sagement pour amener ceux qui vivent ici:
capital étranger en particulier. D'ailleurs, décréter
l'usage de la langue française, langue officielle, ce serait un premier
pas. Que voulez-vous? Ceux qui sont ici à l'heure actuelle n'ont pas de
raison de donner un visage français au Québec, puisque le
Québec est bilingue. Pourquoi ne pas choisir, puisqu'à l'heure
actuelle, la situation, sans être définie juridiquement, est de
fait une situation de bilinguisme officiel avec domination de l'anglais?
Alors, ils arrivent ici et ils font comme s'ils étaient dans un
pays aussi anglais que français, ils établissent tout en anglais.
Ils ne font pas cela en France, ils ne font pas cela en Amérique du Sud,
ils ne font pas cela dans les pays où ils arrivent et où ils
savent que le pays est de telle nature linguistique. Alors, c'est cela qui
serait le plus important.
Naturellement, le reste en dérive. La seule situation, ce qui
fait l'équivoque, c'est qu'à l'heure actuelle, pour des raisons
diverses, on n'a pas proclamé l'unilinguisme officiel français,
ce qui n'est pas une obligation pour tout le monde de ne parler que le
français, mais la proclamation légale que tout ce qui est
officiel est français, et, à partir de ce moment-là, il
n'y a pas de climat. Le visage français ne peut pas s'établir.
Alors, il faut cela et l'école suivra. Si la langue française est
la seule langue officielle au Québec, tout ce que je vous dis, c'est que
cela devient tellement normal et nécessaire qu'il ne pourra pas en
être autrement. L'école sera française, sauf si l'on
concède certains droits à certains groupes. On voudra
intégrer les immigrants à la communauté française,
parce que nous sommes dans un pays français et que la langue officielle
est le français.
Alors, encore une fois, tout ce qui se passe à l'heure actuelle
résulte de l'ambigüté de notre situation. Les mesures dont
vous parlez seront bien utiles, bien sûr, mais si en même temps que
l'on fait cela, on consacre le principe du bilinguisme officiel, on consacre le
principe du choix des parents sur une base absolument égale, que
voulez-vous? Ces mesures-là seront complètement inefficaces,
parce que les parents vont aller vers leurs intérêts
économiques, et par conséquent, ils vont continuer à
consacrer le caractère effectivement anglophone du Québec.
M. BOUSQUET: Est-ce qu'à votre connaissance, lorsque l'on a
limité ou aboli l'usage du français en Ontario, au
Nouveau-Brunswick, au Manitoba, la jurisprudence britannique a reconnu le droit
des parents canadiens-français à avoir une éducation dans
la langue de leur choix?
M. ANGERS: Là, vous me posez une question qui n'est pas tout
à fait de mon ressort, elle est du domaine juridique. Je ne me rappelle
pas, je ne crois pas.
M. BOUSQUET: On a beaucoup de respect pour la jurisprudence britannique.
On nous a appris ça! Alors, ce serait intéressant de savoir ce
qu'elle contient à ce sujet.
M. ANGERS: Je ne crois pas que la jurisprudence britannique, en autant
que je sache sous toute réserve, parce que vous me posez une
question bien à brûle-pourpoint je ne crois pas, dis-je,
qu'elle ait jamais obtenu ça. D'abord, il n'y avait rien dans la
constitution qui l'obligeait à le reconnaître. Les questions des
écoles ont toujours été des questions ambiguës de
lutte pour le français, par le biais de la confession-nalité.
Alors, même par le biais de la confessionnalité, on a
été extrêmement rigide dans la jurisprudence britannique,
et il a été très difficile d'établir même des
écoles séparées catholiques, qu'on a laissées
s'établir sous la domination de l'élément irlandais qui
les a anglicisées, etc. Par conséquent, il n'y a pas de
droits.
Je crois, d'ailleurs, qu'il y a une décision, dont j'ai vu le
texte, de la Cour de La Haye qui, dans le cas de la Belgique...
UNE VOIX: Strasbourg.
M. ANGERS: ... Strasbourg, enfin, a rendu jugement qu'il n'est pas
contre les droits d'imposer à l'école la langue du territoire
à un enfant de langue étrangère. Je pense que cela
s'appliquait aux Flamands ou à je ne sais quoi, mais le jugement a
été rendu dans ce sens-là. Vous avez déjà un
jugement international dans ce sens-là, que ce n'est pas affecter les
droits d'un enfant que de lui imposer la langue du territoire où il vit,
même si ce n'est pas sa langue maternelle.
M. LE PRESIDENT: M. Tetley.
M. TETLEY: M. Angers, je voudrais en premier lieu aborder la question
d'un citoyen britannique ou anglais, dont le père serait anglais et la
mère italienne. L'enfant est-il britannique ou ... ?
M. ANGERS: J'imagine que l'on suivra les règles de droit. Il y en
a de prescrites. Dans ce domaine-là, c'est un avocat qu'il faut
consulter. Je crois que la citoyenneté du père fait la loi,
alors, on suit la loi. Je ne crois pas qu'il y ait de...
M. TETLEY: Vous allez prendre la citoyenneté du père?
M. ANGERS: La citoyenneté du père. M. TETLEY: L'origine du
père.
M. ANGERS: L'origine du père. A moins que l'on ne revise les
lois. Jusqu'ici, ç'a toujours été cela.
M. LE PRESIDENT: Alors, merci beaucoup, M. Angers, du rapport que vous
avez présenté au comité. Je crois qu'il n'y a plus de
question. Nous allons maintenant continuer avec un autre rapport, celui du
Mouvement pour l'unilinguisme français au Québec. Le porte-parole
en est M. Gérard Lachance, je crois. Alors, M. La-chance, si vous voulez
vous avancer, s'il vous plaît.
M. BATAILLE: M. Lachance n'a pas pu venir ici aujourd'hui, c'est Mme
Monique Lanctot qui va présenter le mémoire, et je vais
collaborer. Mon nom est Bataille. Nous avons ici M. Dassylva, qui va aussi
répondre aux questions.
M. LE PRESIDENT: Pourriez-vous épeler votre nom, s'il vous
plaît?
M. BATAILLE: Mon nom, Bataille. M. PAUL: C'est très
figuratif.
Mme Monique Lanctot
MME LANCTOT: Messieurs. Le Mouvement pour l'unilinguisme français
au Québec a pris naissance il y a deux ans. Il s'est fusionné en
août 1968 avec le Comité de la langue française. Le
mouvement a présentement 600 membres et dispose de 10,000
adhérents à la déclaration en faveur de l'unilinguisme
français. Le mouvement recrute ses membres dans toutes les classes de la
société et de toutes les régions de l'Amérique du
Nord. Le mouvement a aussi obtenu la coopération de plusieurs organismes
sociaux et culturels de notre société.
Le mouvement s'est limité à être un mouvement
d'éducation et d'animation. Il a accordé son appui au MIS. Il a
dénoncé mais aussi appuyé, selon les circonstances, les
individus et les groupes qui ont pris position sur la langue. Dans les
circonstances présentes, le Mouvement pour l'unilinguisme
français au Québec considère que le bill 85 va à
l'encontre de sa politique de langue et a préparé le
mémoire ci-joint.
Chapitre 1
Situation du Québec en Amérique du
Nord
On ne peut concevoir une politique linguistique sans se placer dans le
contexte québécois. Le Québec est le seul Etat en
Amérique du Nord où la population francophone forme le groupe le
plus nombreux. Il en découle que les Anglais peuvent disposer de 50
Etats américains ainsi que de 9 provinces canadiennes où ils se
sentiront chez eux par la langue alors que nous ne disposons que du
Québec. On peut se demander jusqu'où peut aller
l'impérialisme anglosaxon, 59 Etats ne lui suffisent pas, lui faut-il
encore s'emparer de notre seul Etat?
Lorsque, dans les neuf provinces anglophones du Canada, la
minorité canadienne-française est nettement
défavorisée socialement, économiquement et culturellement,
au Québec, c'est encore un petit groupe d'Anglais non
intégrés au groupe français qui domine. L'attraction
naturelle se fait vers l'anglais, chez l'immigrant et aussi chez le Canadien
français.
A cause du peu d'importance accordé au français dans notre
propre Québec, le français est en voie de
désintégration et, ne l'oublions pas, c'est l'omniprésence
de l'anglais qui en est la cause.
Quand on nous allègue que c'est parce qu'il y a 200 millions
d'Américains que nous devons créer un enseignement anglais, que
l'anglais doit être la langue véhiculaire, on est en
présence d'une aberration mentale et ceux qui en sont atteints sont soit
malhonnêtes, soit atteints de dégénérescence mentale
avancée.
M. LE PRESIDENT: C'est grave. M. PAUL: Des noms, s'il vous
plaît.
MME LANCTOT: C'est justement parce que nous vivons entourés
d'anglophones que nous devons être plus sévères face
à l'invasion de l'anglais dans l'atmosphère où nous
vivons, et prendre des dispositions radicales en ce qui concerne la langue.
Authentiquement Français d'Amérique, nous serions une
société autonome et créatrice qui aurait son apport dans
le concert des cultures. Bilingue ou bilinguisant, le Québec ne sera
qu'une réserve où réside un peuple qui a perdu tout
dynamisme.
Chapitre II
Impérialisme culturel anglais
Les citations suivantes nous prouvent que la politique d'anglicisation
était concertée. « Le meilleur moyen de résoudre
l'opposition des deux groupes français et anglais, c'est de noyer la
population française sous le flot continu d'une immigration
organisée méthodiquement, contrôlée au
départ, accueillie à l'arrivée, assurée d'une
situation privilégiée dans la colonie. » Rapport Durham,
1839. « Vers 1900, c'est Sifton et ses amis qui déclenchent une
vaste campagne en faveur de l'immigration. Leur formule? Immerger
l'élément français dans un milieu anglais de plus en plus
considérable, puis le noyer en ajoutant au mélange de plus en
plus saturé d'Anglais un élément d'origine
étrangère qu'ils s'imaginaient pouvoir assimiler à
brève échéance. » Richard Arès. (Sifton
était alors ministre de l'Intérieur à Ottawa.)
En 1962, la répartition des bureaux d'immigration est
symptomatique. Grande-Bretagne, six bureaux; pays germaniques, douze;
Etats-Unis et Commonwealth, six; France, un; pays latins, deux; Amérique
latine, aucun.
La décision d'établir des bureaux d'immigration est faite
par le gouvernement et n'est pas prise à la légère; c'est
une décision concertée. Nous y voyons une politique nettement
antifrançaise et une attitude négative envers tout ce qui se
rapproche de la langue française, tout ce qui est latin.
Si l'on examine de plus près le taux d'assimilation à
l'anglais et au français, nous trouvons que l'anglais a un taux
cinquante fois plus élevé que le français. Voici quelques
chiffres du recensement de 1961.
Origine de langue: français, 4,250,000; anglais, 567,057. Langue
maternelle: français, 4,269,689; anglais, 697,402. Accroissement;
français, 19,689; anglais, 130,345. Taux d'accroissement;
français, 0.46%; anglais, 23%.
Le pouvoir assimilateur est donc cinquante fois plus élevé
chez les Anglais que chez les Français.
L'anglicisation est déjà très avancée, au
point où un pourcentage infinie de Latins s'intègre au milieu
français et que même les Canadiens français abandonnent
leur langue.
Dans une telle situation, l'ouverture de bureaux d'immigration dans les
pays francophones est nettement insuffisante et même inutile. Elle aurait
été valable il y a cinquante ans peut-être, mais maintenant
que la tendance vers l'anglicisation est si forte, on ne peut tolérer
cette tendance. Le problème est interne.
Il n'est pas étonnant dans les circonstances que les Anglais se
prononcent en faveur du bill 85 qui va permettre de perpétuer cette
tendance. Il n'est pas étonnant non plus que les Anglais appuient
présentement le bilinguisme « from coast to coast ». Il n'y
a plus aucun danger de francisation et puis la motivation économique
n'existe même pas à Vancouver ou à Toronto. Chapitre
III
Le bill 85, c'est l'institutionalisation du racisme anglais au
Québec.
Au Québec, les deux langues sont nettement identifiées
à deux sociétés distinctes: la société
anglaise qui compte et la société française qui
s'identifie à l'ignorance et à l'insignifiance.
Plutôt que de s'intégrer à la société
québécoise, le groupe anglais a préféré se
tenir à l'écart et institutionaliser cette différence
linguistique qui lui permet d'éviter de se contaminer au contact des
Canadiens français du Québec.
Nous citons ici un extrait d'un article de Fernand Ouellette, paru dans
la revue Liberté, nos 31-32, pages 107-108. « a) Notre ascension
collective. « Jusqu'ici, pour un Canadien français, la «
mobilité verticale » a toujours été individuelle.
Elle n'était d'ailleurs possible que par le bilinguisme qui fut une
sorte de lavage de cerveau, une métamorphose de sa mentalité. Car
la mobilité verticale individuelle ne menace jamais les
privilèges de la société majoritaire. Cette nouvelle
élite s'acclimate bien et alors les maîtres peuvent la
transplanter ou la surveiller. Or, aujourd'hui, l'on assiste à une prise
de conscience collective d'une situation de prolétariat non seulement
économique, mais culturel, linguistique. Les Canadiens français
veulent que la mobilité verticale s'étendent à tout le
peuple. Ils n'acceptent plus que leur langue soit un signe
d'infériorité collective. Ceux qui employaient l'expression
« speak white » se considéraient eux-mêmes comme des
colonisateurs et nous obligeaient à nous considérer
nous-mêmes comme des colonisés, comme des nègres blancs.
« Peu à peu, nous avons découvert que la vie
séparait les races plus qu'elle ne les unissait. Les ghettos se forment
par le haut Nous savons maintenant que le véritable problème qui
se pose, c'est celui de notre ascension collective. C'est pourquoi, dès
que l'on parle d'ascension collective, de la volonté de gagner notre
pain dans notre langue, on nous parle de la vocation anglo-saxonne de
l'Amérique du Nord, de la culture de ces grands hommes qui, selon
le témoignage d'Arnold Toynbee, « s'isolent dans toutes les
capitales et les colonies où ils vivent de crainte d'être
contaminés. »
Il y a une citation qui fait suite, au bas de la page: « Les
Anglo-Saxons ont l'art de semer des mythes destructeurs dans l'esprit de ceux
qui leur sont étrangers. Toutefois, entre eux, ils se contentent des
faits. Ainsi, le bilinguisme est un mythe qui ne peut que les servir. Ainsi, on
parle de racisme à propos du chanoine Groulx pour mieux affaiblir la
portée de son message. Cela, c'est du dialogue de loup devant l'agneau,
»
Alors que le MIS préconise une intégration lente et en
douceur des enfants, les Anglais s'y opposent. Ils refusent de
s'intégrer. Ils veulent maintenir leur ghetto par le haut Ils vont
même jusqu'à traiter les Canadiens français de racistes,
lorsque l'intégration est tout le contraire du racisme. Les noirs des
Etats-Unis ont, eux aussi, lutté pour l'intégration scolaire.
Pourquoi se sentent-ils obligés d'accuser? Cest parce qu'ils se sentent
coupables, et leur culpabilité, ils la dirigent vers les vaincus.
Le racisme est la contrepartie objective de la situation objective. En
quelque sorte si le noir est esclave, c'est qu'il a été maudit.
Si l'éducation française engendre l'ignorance, c'est que la
langue française est une langue inférieure. Cette attitude se
retrouve en fait dans toute la pensée anglo-saxonne et puritaine qui
justifie ses crimes à partir de la prédestination. Lors de la
formation des Etats-Unis, elle s'adressait au progrès individuel. Ici,
elle a pris une attitude collective. Le refus des Anglais de s'intégrer
à notre milieu est une attitude nettement raciste; ils veulent maintenir
la différence qui leur permet de mieux se distancer de la masse
française. Il ne leur suffit pas de jouir d'un privilège; les
Anglais veulent légitimer l'injustice de l'oppresseur à
l'égard de l'opprimé.
Par delà ses nuances, le bill 85 d'inspiration anglaise est une
réaction typiquement raciste de ceux qui veulent légitimer
l'injustice et, ainsi, donner bonne conscience aux racistes anglais. Pour
comble d'arrogance, ils veulent faire voter par les députés,
représentants de la masse canadienne-française, la condamnation
de leur propre peuple. Néron au XXe siècle n'aurait certes pas
fait mieux.
Chapitre IV
Que désire le peuple et qu'est-ce qu'il faut faire pour le
peuple?
Veut-on, oui ou non, vivre en français? C'est la question
fondamentale. Deux cents ans de résistance démontrent que nous
voulons demeurer français. Malgré l'occupation britannique,
malgré le voisinage de deux cents millions d'Anglo-saxons, nous avons
quand même réussi à survivre. Ce vouloir vivre collectif
dans une culture commune, cela ne veut pas dire végéter. Si, en
fait, notre peuple veut vivre en français, il veut aussi progresser.
Dans l'état actuel du Québec, il ne peut progresser en
français. Là encore, il va plafonner très vite parce qu'il
est Canadien français. Nous voulons progresser en français selon
nos propres besoins, sans les contraintes continuelles d'une langue
étrangère. Nous voulons nous libérer des contraintes. Nous
voulons que notre société devienne une société
créatrice, une société qui nous permettra de prendre des
initiatives, d'innover dans tous les domaines sans l'imposition quotidienne
d'une langue étrangère.
Dans un milieu de bilinguisme, il n'y a pas de coexistence; il n'y a
qu'une agression continue de la langue du groupe dominant. Cette agression
continue paralyse la langue du groupe dominé qui est
aliéné de son pouvoir créateur. Ainsi, notre peuple,
continuellement menacé par la langue anglaise qui, dans une
atmosphère de bonne entente, s'attaque à notre langue, demeure
sur la défensive, plus préoccupé à se
protéger qu'à créer. C'est de cela qu'il faut
libérer notre peuple afin qu'à l'échelle du monde il
devienne un peuple créateur.
Le bill 85 institutionalisant l'agression ne fera qu'accroître
notre défensive et l'indépendance intellectuelle de notre peuple.
« La domination économique et politique crée une
subordination culturelle et la subordination culturelle vient entretenir la
subordination économique et culturelle. » La citation est d'Albert
Memmi, dans L'Homme dominé.
C'est ça la situation de notre langue et de notre peuple et nous
voulons nous en libérer.
Chapitre V
Option des partis face au français.
Tous les partis quels qu'ils soient préconisent dans leur
programme soit la priorité du français, soit l'unilinguisme
français au Québec. Les trois grands reportages parus
récemment dans la Presse sont là pour en témoigner.
Les partis politiques québécois ont maintes fois
affirmé que le gouvernement du Québec était l'Etat
national des Canadiens français qui ont pour langue nationale le
français.
Il ne suffit plus aux partis de se prononcer en faveur du
français, il faut réaliser ce qu'on
préconise. Il ne faut surtout pas institutionaliser une situation
qui nous mène à la ruine. Le bill 85 est l'institutionalisation
de notre déchéance en tant que peuple français.
Nous aimerions citer ici un passage du rapport de la CECM sur
l'enseignement des langues aux Néo-Québécois. Ce rapport a
été fait en 1962, soit il y a près de sept ans.
Après avoir donné les chiffres de l'anglicisation totale
des Néo-Québécois, le rapport, page 31, continue ainsi:
« C'est devant une telle situation que la CECM, à la demande du
comité catholique du Conseil de l'instruction publique, décidait
en mai 1962 de créer une section néo-canadienne. « Ce fut
une levée de boucliers de la part de l'élément de langue
anglaise: articles et communiqués dans les journaux,
téléphones et télégrammes de protestation à
la CECM, interventions des « Parents Teachers Associations »
auprès des parents néo-canadiens les dissuadant d'accepter ce
nouveau programme, visites à domicile, groupes protestataires chez le
président de la CECM, refus des professeurs du secteur anglais
d'enseigner l'anglais dans les futures classes bilingues, etc. etc. «
Pendant ce temps, toute la presse française gardait un mutisme complet,
les sociétés nationales et patriotiques paraissaient
paralysées et n'osaient pas bouger le petit doigt et l'Etat provincial
était, disons, absent. « Et la CECM, seule, face à la
farouche opposition du groupe anglais, laissa tomber le projet. Ce
n'était pas l'échec de la CECM. C'était la capitulation de
l'Etat français du Québec. »
Sept ans plus tard, allons-nous encore plier devant le racisme
impérialiste d'un groupe d'Anglais? Allons-nous encore capituler devant
le bill 85 qui légitime l'invasion culturelle anglaise au Québec?
Ce serait la capitulation devant les « Parents Teachers Associations
».
Chapitre VI
Les solutions possibles
Nous avons vu que l'invasion de l'anglais est due en grande partie
à l'existence d'un groupe d'Anglais qui à cause de leur puissance
financière et de leurs positions clé dans l'économie
québécoise imposent l'anglais à tout un peuple.
Il y a plusieurs solutions possibles et reconnues dans l'histoire
présente ou passée. 1- L'intégration des groupes
ethniques.
Cela signifie en fait l'unilinguisme français au Québec
avec des modalités d'intégration dans le temps. Sous-jacente
à l'unilinguisme fran- çais, on retrouve la politique du MIS, qui
est une forme édulcorée d'intégration. Cette forme
d'intégration est la plus lente et la moins douloureuse. 2- Faire
disparaître les causes de l'attraction de la langue anglaise au
Québec.
Le rapport de la commission BB paru dernièrement dans la Presse
démontre de façon irréfutable que la connaissance de
l'anglais est une condition première d'avancement et que c'est par la
pression économique et financière que les Anglais du
Québec imposent leur langue aux travailleurs
québécois.
Il suffirait en fait de rétablir l'équilibre en faisant
disparaître la disproportion économique et financière entre
les groupes.
Le problème de la langue française comme langue d'usage au
gouvernement du Québec ne se pose pas, ou presque pas.
En termes clairs, cela veut dire la confiscation pure et simple des
biens des Anglais et leur mise en tutelle. Cela s'est fait dans plusieurs pays
du monde.
Troisième solution possible: Eliminer ceux qui par leur
intolérance imposent l'anglais au Québec.
Au passage précédent, nous nous en sommes pris aux moyens
dont disposent les individus. Un autre moyen serait d'écarter ceux qui
limitent notre progrès.
Cela veut dire soit la mise à pied des Anglais qui, par leur
présence et leur influence, imposent l'anglais dans leur milieu, soit
tout autre moyen. Il va de soi que la mise à pied est sans doute le
moyen le plus doux.
Rappelons-nous que lors de la nationalisation de la Shawinigan Power,
l'Hydro-Québec a eu vite fait de se débarrasser des directeurs
anglais et de « québéciser » les cadres tel que cela
s'est pratiqué dans plusieurs pays du Tiers-Monde.
Conclusion
Le MUFQ, (Mouvement pour l'unilinguisme français au
Québec) comme son nom l'indique, préconise la francisation du
Québec par une politique d'intégration à tous les niveaux.
Le MUFQ considère que la politique du MIS devrait être
étendue à tout le Québec et qu'elle n'est en fait qu'une
petite étape vers la dignité de notre peuple.
Le MUFQ considère que le bill 85 est l'officialisation du racisme
anglais, la ségrégation par le haut préconisée par
des ultraracistes anglais avec des vues impérialistes sur le
Québec.
Le MUFQ s'oppose au bill 85 qui aura pour
effet de creuser le fossé entre les groupes et perpétuera
l'intériorisation du groupe canadien-français.
Le MUFQ considère que l'application du bill 85 provoquera
l'affrontement des groupes, envenimera les relations et débouchera sur
des solutions moins douces. Si les parlementaires ne veillent pas a
l'intérêt national des Canadiens français, le peuple du
Québec sera amené à le prendre directement en main et il
ne se contentera pas de bons voeux. Les solutions, le peuple les prendra
lui-même et il ne se contentera pas de l'unilinguisme.
Nous demandons instamment aux députés de rejeter le bill
85 et d'établir dans les faits et les lois le français comme
seule langue officielle au Québec. Il n'y a rien qui vous empêche
de le faire.
M. LE PRESIDENT: Le ministre de l'Education aimerait poser une question
à Mme Lanctot... oui, monsieur?
M. BATAILLE: J'aurais juste une chose à ajouter. Nous n'avons pas
lu l'annexe. C'est un document à part du mémoire. Nous avons
parlé de 10,000 signatures. C'est cette déclaration-là que
les 10,000 personnes ont signée. Si vous voulez que nous la lisions,
nous pouvons le faire. Mais vous l'avez sous les yeux.
M. LE PRESIDENT: Ce n'est pas nécessaire, je crois. Merci des
précisions.
M. CARDINAL: On pourrait, cependant, la déposer au comité
si elle n'est pas lue.
M. LE PRESIDENT: Certainement. Etant donné qu'elle n'a pas
été lue, pour qu'elle puisse paraître au journal des
Débats, nous pourrons la déposer. (Voir annexe A)
M. CARDINAL: Mme Lanctot, je félicite d'abord votre mouvement
d'avoir su faire dire ces choses par une si jolie voix.
MME LANCTOT: Merci.
M. CARDINAL: Deux questions. Ce que vous préconisez, ce que vous
prônez, dans le fond, est-ce que vous croyez que cela doive être
accordé au peuple du Québec à tout prix? Je donne quelques
détails pour que ma question soit bien comprise.
A la lecture récente de certains journaux, il semblerait que le
simple nationalisme fasse déjà fuir les capitaux, conduise
à l'exode des cadres financiers et industriels et affaiblisse
l'économie du Québec. Une solution comme la vôtre, qui est
beaucoup plus extreme, devrait-elle donc être, dans ce contexte s'il est
exact, je ne dirais pas imposée, mais accordée au peuple du
Québec à tout prix, quel que soit le coût qu'il doive
supporter pour l'obtenir?
M. BATAILLE: Je vais y répondre, monsieur. Si vous faites
référence au rapport de M. Regenstreif et qui a
été peut-être rapporté d'une façon
différente selon les journaux ce qui s'est passé, c'est
qu'on disait que les Canadiens anglais enlevaient leurs capitaux. Mais on a
mentionné aussi qu'ils étaient immédiatement
remplacés par des capitaux américains. Cela est une
réponse. D'autre part, je n'ai pas l'impression qu'au Mexique les
capitaux américains sont gênés de parler mexicain ou
espagnol, selon le cas. Et même au Mexique, ils ont exigé que les
Américains parlent espagnol. On essaie de faire peser sur le peuple
toutes sortes de menaces. On l'a entretenu je ne sais pendant combien de temps
sous diverses formes dans la peur et l'on veut se servir de cette peur de
façon démagogique. Je ne sais pas si cela répond à
votre question, mais...
M. CARDINAL: Je poserai la deuxième question. Vous parlez du
peuple un moment donné. Est-ce que, vraiment, vous croyez que ce que
vous recommandez est ce que désire le peuple du Québec?
M. BATAILLE: Voici. Le peuple du Québec veut rester
français, il veut aussi progresser. Or, on a toujours essayé de
dissocier le français du progrès. On dit: Si vous voulez
progresser, vous ne pourrez pas progresser en française Nous voulons que
le peuple progresse en français. D'une part, il est tiraillé de
deux côtés: progresser et garder sa culture. La langue ne devrait
pas être une limite à son progrès. Le bilinguisme au
Québec est une menace contre la société
québécoise en tant que société créatrice et
avec le développement de l'éducation et nous en savons
quelque chose à tous les niveaux les moyens de communication vont
augmenter et le retard à l'heure actuelle est dû justement
à cause de la présence de l'anglais au Québec, au fait que
les classes au Québec sont conditionnées à l'anglais et
les immigrants qui viennent ici prennent la décision de s'affilier au
groupe qui est majoritaire ou minoritaire selon qu'on parle sociologiquement ou
qu'on parle quantitativement. Et ils s'associent parce qu'ils sautent
par-dessus la classe inférieure qui est la classe
canadienne-française. Si vous aviez lu certains journaux italiens,
on répétait le texte du MacLean, on leur disait:
Voyez-vous, cela ne sert à rien le français parce que de toute
façon, même si vous connaissez le français à niveau
égal, vous ne serez pas plus avantagés.
M. CARDINAL: Est-ce que ma question serait indiscrète si je vous
demandais si vous êtes vous-même un immigrant?
M. BATAILLE: Oui, monsieur, je suis un immigrant.
M. CARDINAL: De quel pays, s'il vous plaît?
M. BATAILLE: Je suis d'origine belge. Et Il y a des problèmes
là aussi.
M. CARDINAL: Merci.
M. LE PRESIDENT: M. le ministre des Affaires culturelles.
M. TREMBLAY: Je crois que nous venons d'entendre la lecture d'un
mémoire qui est fort intéressant dans sa formulation, fort bien
fait, fort bien écrit, veux-je dire. Il y a dans ce mémoire
à la page 4 une affirmation à savoir qu'au Québec les deux
langues sont nettement identifiées à deux sociétés
distinctes: la société anglaise qui compte, la
société française qui s'identifie à l'ignorance et
à l'insignifiance. L'écriture, le style du mémoire
démontrent le contraire, et surtout le charme et la distinction de la
personne qui nous l'a lu, sont une démonstration du contraire. Enfin, ce
sont là des aspects accessoires. Mais j'ai l'impression, en
écoutant Mlle Lanctot, d'écouter une nouvelle Charlotte Corday,
qui nous propose, en fait, une révolution assez brutale qui partirait de
la spoliation pure et simple des biens que possèdent les anglophones du
Québec. Et l'on ajoute plus loin que si évidemment, on ne
procède pas à corriger cette situation dans le sens qui est
indiqué au chapitre 6, il se produirait évidemment des
affrontements et qu'on déboucherait sur des solutions moins douces.
J'avoue que l'esprit de ce mémoire est assez inquiétant.
Je n'hésite pas à qualifier ce mémoire
d'extrémiste. C'est d'un extrémisme, à mon sens, qui va
à la limite de l'extrémisme.
Naturellement, il ne m'appartient pas de vous dire que vous avez tort ou
raison, mais, en ma qualité de parlementaire, je me permets de vous dire
que ce mémoire est très inquiétant et fait peser si
tant est qu'il représente l'opinion d'une majorité de la
population du Québec une très sérieuse menace sur
la sécurité du Québec.
Est-ce qu'on servira vraiment la langue française et la culture
française en incitant, par des propos comme ceux que nous trouvons dans
ce mémoire, les Québécois à s'entre-déchirer
et à instaurer l'anarchie qui naîtrait nécessairement des
mesures que vous préconisez, notamment celle de la confiscation des
biens anglophones et celle de leur mise à pied, dont on dit que ce
serait la solution la plus douce.
Ce sont les seuls commentaires que je veux faire, M. le
Président, parce que je veux m'inscrire en faux contre une proposition
aussi vigoureusement extrémiste et qui me semble être la
négation absolue de tous les droits, de toutes les valeurs que nous
cherchons à défendre.
M. BATAILLE: Je ne sais pas si c'est une question. Je
préfère faire une mise au point.
M. le Ministre, nous ne préconisons pas ces solutions-là.
Je crois que nous l'avons dit clairement dans la conclusion. Nous disons
simplement que ce sont des moyens qui ont été employés
dans l'histoire.
Si je me le rappelle, il y a encore quelques siècles, des
milliers d'Acadiens ont été déportés. Ce sont des
moyens qui ont été employés dans l'histoire, et ils sont
inscrits dans plusieurs livres. Je pourrais citer le livre de
démographie de M. Alfred Sauvy, qui est une connaissance sur le sujet.
Alors, vous pouvez lire au chapitre concerné que ce sont des moyens qui
ont été employés.
Nous ne préconisons pas ces moyens-là. Nous
préconisons l'unilinguisme. Maintenant, l'unilinguisme est le seul
objectif pour faire du Québec une société
créatrice. Quant aux étapes, ce serait à envisager.
Il est bien évident que, si du jour au lendemain, l'on
décrète l'unilinguisme, l'on ne va pas fusiller toutes les
personnes qui parleront anglais. Cela est évident, qu'ils parlent
chinois ou n'importe quoi, nous n'allons pas les fusiller.
Nous préconisons l'unilinguisme. Quant aux moyens, c'est à
établir dans le temps. Ceux que nous avons cités, ce sont des
moyens. Nous ne faisons pas de menace, mais nous disons qu'il y a un danger que
nous ne voulons pas voir. Nous voulons l'unilinguisme par étapes, mais
nous ne voulons pas que les choses se réalisent. Je crois que tout le
monde se rend compte que les choses s'enveniment et que si nous sommes ici,
aujourd'hui, c'est que les choses se sont envenimées. C'est à
cela que nous voulons répondre, nous ne voulons pas l'anarchie! Nous
voulons prévenir l'anarchie avant qu'il ne soit trop tard.
M. PAUL: M. Bataille.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Excusez-moi, un moment, cher
collègue.
Je comprends très bien que vous nous dites que ce ne sont pas les
solutions que vous préconisez, mais elles apparaissent comme telles,
puisque vous les intitulez « Les solutions possibles ». Alors, vous
serait-il possible de nous dire quels moyens vous envisagez avant qu'on en
vienne à ces solutions absolument brutales?
M. LESAGE: C'est la dernière phrase, je crois, M. Tremblay, de
l'avant-dernier paragraphe de la conclusion?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui.
M. LESAGE: « Les solutions, le peuple les prendra lui-même.
Il ne se contentera pas d'unilinguisme ».
Je pense bien que ce que M. Tremblay voudrait, et moi aussi, c'est que
vous nous explicitiez, que vous nous disiez quelles sont ces solutions,
puisque...
M. BATAILLE: Voici...
M. LESAGE: ... vous les mentionnez comme une branche de
l'alternative.
M. BATAILLE: Voici, M. le chef de l'Opposition, j'allais dire M. le
premier ministre, excusez moi!
M. GRENIER: C'est fini, celai
M. LESAGE: Ce sont des erreurs qui font plaisir...
M. BATAILLE: Il y en a qui me disent que c'est fini à tout
jamais. Alors, je m'excuse de l'interruption!
En général, après qu'une chose est partie, cela va
beaucoup plus vite. Quelque chose démarre, accélère et il
est difficile de l'arrêter. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre que
nous ne savons plus ce qui se passera si une politique claire de la langue
n'est pas prise pour faire de la nation canadienne-française une nation
créatrice. Si c'est laissé un peu dans le désordre, cela
fermentera un peu partout il y aura de la confusion. C'est un peu ce que nous
voulons dire.
M. LESAGE: C'est un peu vague!
M. BATAILLE: Cela s'est fait un peu partout, monsieur.
M. LESAGE: Ce ne sont pas réellement des solutions.
M. BATAILLE: Ce ne sont pas des solutions. Notre solution, c'est
l'unilinguisme français. Il faut voir la situation actuelle, ce qui est
prévisible.
M. LESAGE: Qu'est-ce qui, d'après vous, est
prévisible?
M. BATAILLE: Ce qu'on vient de dire. Il y a des situations
prévisibles, des événements qui peuvent arriver, comme
c'est arrivé un peu partout. Je ne peux pas vous dire que c'est ceci qui
arrivera, mais, dans le cours de l'histoire, certains événements
se produisent et certaines décisions seront prises, un moment
donné. Nous ne pouvons pas prévoir ce qui se passera. Nous
pouvons dire que plusieurs choses peuvent arriver. Il est important, à
l'heure actuelle, de faire du français la seule langue officielle au
Québec. Les choses ne sont pas encore envenimées tout à
fait; elles le sont déjà assez, cependant. Une fois qu'elles
seront beaucoup plus envenimées, ce sera insuffisant même de faire
l'intégration scolaire, parce que les esprits seront
surchauffés.
M. PAUL: M. Bataille, n'avez-vous pas l'impression qu'en
présentant un mémoire comme celui que vous avez
présenté aujourd'hui et que personnellement, moi, je condamne
je respecte l'opinion de mes collègues vous pouvez
contribuer à envenimer davantage le climat qui existe au Québec
actuellement.
M. BATAILLE: Voici, M. le député. Tout peut y contribuer.
On peut accuser tous et chacun de n'importe quoi. Nous ne sommes pas un groupe
encore très important, mais il est nécessaire que certaines
personnes fassent des mises en garde.
M. PAUL: Mais, est-ce que vous avez le mandat, ce matin, de venir mettre
en garde les membres du comité sur une situation peut-être
explosive qui peut exister?
M. BATAILLE: Ecoutez, ce n'est pas en cachant les problèmes qu'on
les réglera!
M. LESAGE: Vous ne pensez pas que cela frise le chantage?
M. BATAILLE: Nous n'avons pas, nous, d'intérêts personnels
à défendre.
M. LESAGE: Vous ne pensez pas que cela frise le chantage, un peu?
M. BOUSQUET: Si nous lisons votre conclusion, il faut dire ceci: «
Le mouvement pour l'unilinguisme français au Québec, tel que son
nom l'indique, préconise la francisation du Québec par une
politique d'intégration à tous les niveaux ». Cela, c'est
votre position?
M. BATAILLE: Oui.
M. BOUSQUET: Maintenant, plus loin, vous dites que la position du MIS,
d'après vous, ne serait qu'une petite étape vers la
dignité de notre peuple. Quelles seraient les autres étapes? Ceci
pour préciser votre point de vue et pour donner une chance au
coureur.
M. BATAILLE: M. le député, nous sommes pour l'unilinguisme
français à tous les niveaux. Le MIS est pous l'intégration
scolaire. Pour lui, cela prendra 10 ou 15 ans, mais cela se fera en douceur,
comme on dit.
Nous sommes pour l'unilinguisme français au travail. Le
français doit devenir la langue indispensable, au travail, dans
l'affichage, enfin, partout! Le MIS prend la question de l'école
seulement. Peut-être, qu'il ira plus loin, parce qu'on ne peut pas se
limiter à l'école. Mais nous, nous prenons tout! Alors, c'est une
première étape.
M. BOUSQUET: Et si cette francisation-là ne se réalisait
pas à un rythme assez accéléré pour votre
mouvement, est-ce que votre mouvement aurait d'autres solutions à
suggérer? Est-ce qu'il a pensé à des solutions
précises autres que celles préconisées dans 2 et 3?
M. BATAILLE: Vous pouvez trouver un tas de variantes. Nous ne proposons
pas 2 et 3. Nous faisons à l'heure actuelle une campagne
d'adhésion à notre déclaration ci-jointe la page
jaune que vous avez c'est la première étape. Evidemment,
nous sommes limités financièrement dans les moyens de
communication. Une fois que nous aurons atteint un certain nombre
d'adhésions ou de signatures, nous viendrons vous voir et vous dire:
Nous représentons 50,000 ou 100,000 signataires. A ce moment-là,
ce sera vous ou d'autres, je ne sais pas, mais nous verrons ce que vous
êtes prêts à faire. De toute façon, vous avez un
comité qui étudie la langue à l'heure actuelle et nous
sommes intéressés à y participer. Quand le temps viendra,
nous envisagerons ce qu'il y a à faire, selon les situations...
M. BOUSQUET: Si vous me permettez un commentaire, je crois bien que le
peuple du Québec accepterait difficilement du moins, dans son
état d'esprit actuel, les solutions 2 et 3.
M. TREMBLAY: M. Bataille, ce que vous avez dit, et ce que vous venez de
dire, l'explication que vous avez donnée, corrige pour une bonne part,
enfin, l'esprit du mémoire que vous avez présenté ce
matin. Je veux bien vous donner une chance et refuser ce que vous appelez les
solutions possibles et dire que, dans votre esprit, peut-être, vous avez
voulu évoquer l'éventualité de certains faits qui
pourraient se produire. Ce ne sont pas des solutions, parce que des solutions,
c'est quelque chose de pratique et ça se traduit en termes
législatifs, en termes de structures, etc. Ce ne sont donc pas des
solutions que vous proposez là. Vous avez tout simplement
évoqué l'éventualité de certains faits qui
pourraient se produire.
M. BATAILLE: Est-ce que je réponds?... Oui, c'est cela, M. le
ministre.
M. LE PRESIDENT: M. Pearson.
M. PEARSON: Vous mentionniez plus tôt c'était
à la dernière page, à l'avant-dernier paragraphe
que c'étaient des suppositions ou des prévisions de ce qui
pourrait se produire dans l'avenir. Par contre, un peu avant, vous mentionniez
comme mesure la confiscation pure et simple des biens des Anglais et leur mise
en tutelle. A ce moment-là, c'est du socialisme pur et simple. Dans les
formules que vous faites signer ici, vous ne mentionnez aucunement ces
choses-là. Alors si les gens qui vont signer ces formules-là se
donnent ensuite la peine de lire le mémoire qui a été
présenté, croyez-vous que vous aurez la même
quantité de personnes?
M. BATAILLE: M. le député, nous avons dit tout à
l'heure que nous sommes pour l'unilinguisme français. Nous avons
parlé des situations qui se sont réalisées ailleurs dans
le monde. Je crois qu'il y a plusieurs pays à peu près
quarante pays qui ne l'ont pas fait intégralement, mais il y en a
qui l'ont fait. Nous allons faire signer pour grouper le plus de personnes
possible pour l'unilinguisme français. Nous ne les faisons pas signer
contre qui que ce soit, nous faisons cela pour le peuple français du
Québec. Le mémoire, comme M. le ministre Jean-Noël Tremblay
l'a dit, évoque des situations qui peuvent mettre en danger la situation
du Québec, mais nous ne préconisons pas ces
situations-là.
Nous sommes pour le français seule langue officielle, comme cela
se fait partout dans le monde.
M. LESAGE: Est-ce que vous avez fait vos études en Belgique, M.
Bataille?
M. BATAILLE: Non, monsieur. M. LESAGE: Ici, au Canada?
M. BATAILLE: Oui, monsieur. Je ne sais pas si je dois répondre
aux questions personnelles, mais...
M. LESAGE: C'est parce que je voulais savoir si vous aviez... Il y a un
problème en Belgique?
M. BATAILLE: Oui.
M. LESAGE: Je voulais savoir si vous l'aviez vécu. Si
vous-même, vous étiez bilingue, si vous parliez flamand.
M. BATAILLE: Je parle un peu flamand, monsieur.
M. LESAGE: Alors...
M. LE PRESIDENT: Nous vous remercions, M. Bataille, ainsi que votre
groupe. Le comité s'ajourne à 14 h 30, moment où nous
entendrons le Mouvement pour l'intégration scolaire. Reprise de la
séance à 14 h 43
M. PROULX (président du comité): La deuxième partie
de la quatrième séance du comité est ouverte. M. Lemieux
du Mouvement pour l'intégration scolaire, vous avez la parole.
M. Raymond Lemieux
M. LEMIEUX: Je vous remercie, M. le Président, et messieurs les
membres du comité. Nous soumettons respectueusement au comité
parlementaire de l'éducation de l'Assemblée nationale du
Québec notre mémoire sur la langue et l'école
publique.
Ce mémoire exprime notre opposition catégorique au bill 85
et propose à son tour la seule vraie solution au problème
linguistique de l'école publique.
Nous profitons de l'occasion, en passant, pour prier ce comité de
prendre connaissance du rapport du comité interministériel sur la
langue qui avait été commandé par le présent
gouvernement. Nous demandons que ce document soit intégré au
journal des Débats du présent comité.
Je veux attirer l'attention du comité sur le fait que le
présent texte a été soumis le dimanche 2 février
dernier, à la salle Versailles à Montréal...
M. LESAGE: M. Lemieux, permettez-moi de vous interrompre, simplement une
question de procédure. Vous priez le comité de prendre
connaissance du rapport du comité interministériel sur la langue
qui avait été commandé par le présent gouvernement.
Est-ce que vous auriez ce rapport en main?
M. LEMIEUX: Je ne l'ai pas en main, M. le chef de l'Opposition,
mais...
M. LESAGE: Nous non plus, et il nous intéresse.
M. LEMIEUX: Je pense que cela intéresserait non seulement les
députés mais également la population du Québec
Disons que j'ai déjà vu un texte qui ressemblait à ce
rapport-là.
M. LESAGE: C'est la première nouvelle que nous en avons. C'est
pour cela qu'espérant que vous ayez le texte, je vous le demande.
M. LEMIEUX: Vous savez de quel rapport je veux parler?
M. LESAGE: Non, pas du tout.
M. CARDINAL: M. le Président, apportons une précision,
M. LE PRESIDENT: De quel rapport est-il question, M. Lemieux?
Pourriez-vous préciser davantage?
M. LEMIEUX: C'était un comité interministériel qui
avait été formé pour étudier la question de la
langue en relation avec l'immigration, l'école publique, etc., dont les
grands journaux ont fait écho, il y a au moins presqu'un an de cela.
Mais c'est un rapport qui, à ma connaissance, n'a pas été
officiellement rendu public par le gouvernement.
M. LE PRESIDENT: Si vous voulez continuer, s'il vous plaît.
M. LESAGE: Un instant. M. LE PRESIDENT: Oui.
M. LESAGE: Je voudrais bien savoir si un tel rapport existe et s'il
s'agit de quelque chose qui est strictement du domaine interministériel
au niveau du cabinet.
M. CARDINAL: M. le Président, à ma connaissance, je
n'étais pas là lorsque le rapport dont vous parlez et auquel, je
pense, vous faites allusion, a été demandé. Je ne connais
pas de rapport de comité interministériel sur les langues dans le
sens employé ici. Je sais qu'un document de travail avait
été commandé par un ministre avant que je sois au
gouvernement, rapport qui a été présenté à
ce ministre. Mais vraiment, je ne connais pas de rapport de Comité
interministériel sur la question des langues.
M. LEMIEUX: Je ne veux pas insister... M. LE PRESIDENT: Continuez, M.
Lemieux.
M. LESAGE: S'il s'agit d'un document privé du cabinet,
évidemment je n'insiste pas, mais s'il s'agit d'un document dont des
personnes ont pris connaissance... M. Lemieux semble en avoir pris connaissance
dans ses grandes lignes.
M. LEMIEUX: J'en ai pris connaissance dans un article du journal La
Presse il y a au moins six mois. Je ne peux pas vous en dire plus long pour
l'instant.
M. BOUSQUET: A quelle date, s'il vous plaît, M. Lemieux?
M. LEMIEUX: Je n'ai pas la date sous la main.
M. BOUSQUET: Est-ce que vous croyez tout ce qui est écrit dans
les journaux?
M. LEMIEUX: Non, loin de là. Cest pour cela que je demanderais au
comité ici présent d'enquêter sur cette question. Je sais
que vos moyens d'enquête sont plus efficaces que les miens.
M. LE PRESIDENT: Continuez, s'il vous plaît.
M. LEMIEUX: Le dimanche 2 février dernier, à la salle
Versailles à Montréal...
M. PAUL: M. le Président, dans le but d'éviter toute
confusion... Il semble que M. Lemieux fasse allusion à des questions qui
ont été posées en Chambre...
M. LEMIEUX: Non.
M. PAUL: ... par des députés au sujet de la production de
certain rapport.
M. LEMIEUX: Je regrette. Je n'ai jamais dit que cela avait
été déposé en Chambre.
M. PAUL: Non, non, non. Je ne dis pas que c'est un rapport
déposé en Chambre. Je dis qu'il est probable que vous fassiez
allusion à certaines questions posées en Chambre par des
députés concernant un tel rapport.
M. LEMIEUX: Cest possible.
M. PAUL: Je crois que dans les circonstances, il ne pourrait être
question de produire un tel rapport parce que ce serait un instrument de
travail pour les membres du cabinet.
M. LEMIEUX: Quant à moi, je n'insiste pas. M. LE PRESIDENT:
Continuez.
M. LEMIEUX: Le dimanche 2 février dernier, à la salle
Versailles à Montréal avait lieu une assemblée
consultative à laquelle avaient été dûment
convoqués tous les membres du MIS. A cette occasion, le texte de ce
mémoire a été soumis, étudié et
adopté par les membres présents, avec les amendements suivants...
Si vous me le permettez, nous arriverons dans le texte à ces
amendements.
Le MIS est un groupement de citoyens mili-
tants qui veulent « assurer l'avenir français du
Québec par l'école française », plus
précisément en intégrant progressivement toutes les
écoles publiques du Québec à tous les niveaux à un
seul système scolaire quant à la langue d'enseignement qui serait
le français, en maintenant l'enseignement de l'anglais comme langue
seconde.
Notre groupe fut fondé à Saint-Léonard le 1er avril
1968 et compte présentement environ 6,000 membres actifs,
répartis surtout dans la région de Montréal, mais
également dans tout le territoire du Québec. Outre la
région de Montréal où nous maintenons un
secrétariat permanent et des structures centrales, nous avons des cadres
régionaux à Hull, Rouyn, Matagami, Québec, Portneuf et
ailleurs.
Face à l'arrogance de la puissante minorité anglaise et
à l'incurie de nos dirigeants, le MIS est un mouvement de base qui
regroupe les citoyens pour mener une action directe, principalement
auprès de l'opinion publique et des commissions scolaires locales qui
ont actuellement le droit et le devoir de décider de cette question.
Conscient qu'il existe plusieurs autres problèmes collectifs
graves au Québec en matière politique, économique et
sociale, le MIS ne prétend pas les régler tous, mais nous croyons
que le problème linguistique est le plus fondamental et nous limitons
strictement notre action à cette question particulière de la
langue à l'école. Le MIS n'est donc pas et ne sera pas un parti
politique électoral. Cette question de la langue et de la culture au
Québec doit se situer bien au-delà des intérêts
partisans, au niveau même de la nation. Le MIS comme tel n'a pas non plus
d'option constitutionnelle. Dans le cadre de la confédération
comme de l'indépendance politique, cette question de la langue demeure
fondamentale. Bref, les membres du MIS viennent de l'Abitibi à la
Gaspésie, du bas jusqu'en haut de l'échelle sociale et de
l'extrême-gauche à l'extrême-droite de l'éventail
politique. Car cette langue française qui est la nôtre est sans
doute le seul point de ralliement et le plus puissant facteur d'unité de
l'immense majorité des Québécois, au-delà de toutes
nos divergences régionales, sociales et politiques. Si notre peuple
constitue une nation, c'est bien notre langue qui la définit et la
distingue, étant son âme même.
Quant à nos moyens d'action, ils sont aussi légitimes que
l'objectif à atteindre et aussi radicaux que les obstacles à
franchir. Ce qui constitue le véritable séparatisme, le plus
odieux fascisme et la violence la plus insidieuse au Québec, c'est bien
cette imposition antidémocratique de l'anglais par une petite
minorité possédante au-dedans, soutenue par une vaste majo-
rité au-dehors, sur l'ensemble de la vie québécoise,
étouffant ainsi au coeur même de chaque Québécois
tout sentiment de dignité et de fierté.
Le Canada n'est pas un pays bilingue. Il ne l'a jamais
été, ni de droit, ni de fait. Le sera-t-il jamais? L'Acte de
l'Amérique du Nord britannique limite le français au Parlement
fédéral, à celui de Québec et à certaines
cours de justice. Lorsque le Manitoba s'est joint à la
confédération, l'immense majorité de la population
était francophone. Aujourd'hui, il n'en est rien, pour les raisons que
chacun sait.
Refoulé de l'ensemble de l'Amérique du Nord jusqu'à
l'Intérieur de la réserve québécoise, le
français ne peut vivre pleinement qu'au Québec, mais à la
condition de lui en fournir le cadre, car, aujourd'hui, c'est au Québec
qu'il est menacé.
En effet, le Québec a toujours été bilingue
à notre détriment, car le bilinguisme du Québec n'a
été rien d'autre que l'obligation pour la majorité
d'apprendre la langue de la minorité. Nous avons la preuve aujourd'hui
que ce bilinguisme ne nous a pas avancés collectivement sur le plan
économique. C'est le Québec bilingue qui a un niveau de vie de
25% inférieur à l'Ontario. C'est le Québec bilingue qui a
toujours détenu le record de chômage au Canada. C'est le
Québécois bilingue qui, à compétence égale,
réussit moins bien que le Québécois unilingue anglais! Si
le Canada prétend se classer au deuxième rang du monde quant
à son niveau de vie, le Québec français se classe
probablement au quinzième rang. Ce n'est donc pas le bilinguisme qui a
réglé nos problèmes économiques. En somme, loin
d'être une supériorité, il n'a été qu'un
asservissement. C'est le serviteur, généralement, qui apprend la
langue de son maître. Sommes-nous donc vraiment « maîtres
chez nous »?
Cette situation québécoise ne fait donc que confirmer ce
que l'histoire des peuples enseigne depuis longtemps. On ne peut maintenir
à long terme, sur un même territoire, deux langues officielles,
soutenues par l'Etat, sur un pied d'égalité, sans que l'une
prenne le dessus sur l'autre. Le bilinguisme officiel des institutions
publiques ne constitue toujours qu'une phase transitoire du transfert
progressif d'une langue dominante à une autre. L'histoire est fluide,
mouvante et non figée, statique. Chaque période de cette histoire
n'est qu'une phase d'une tendance générale. Cette tendance
constante vers l'anglais chez nous est facilement vérifiable, dans la
région métropolitaine surtout, mais également dans tout
l'Outaouais, dans le Nord-Ouest, dans les Cantons de l'Est et dans tous ces
petits centres urbains, répartis à tra-
vers le territoire québécois, qui, bien qu'à
très forte majorité francophone, se caractérisent par la
domination d'une grande industrie unique et anglaise. D'autre part, notre
opposition au bilinguisme officiel de l'Etat n'empêche nullement
l'apprentissage individuel d'une langue seconde dont tous les Etats modernes
reconnaissent l'utilité.
S'il est vrai que le français s'est bien maintenu chez nous dans
le passé et que cette tendance dont je parle ne se dénote que
depuis une vingtaine d'années, elle se développe néanmoins
à un rythme accéléré et elle est due à trois
facteurs nouveaux, qui ne sont pas mauvais en soi, mais qui constituent
néanmoins une menace directe à la culture française,
à moins de mesures correctives urgentes.
Le premier facteur: l'industrialisation et l'urbanisation. Ce
phénomène normal du développement moderne entraîne
une concentration de la population dans les villes et dans les industries
où l'influence anglo-américaine se fait sentir beaucoup plus que
dans les paisibles villages ruraux d'autrefois, entre le champ et le
clocher.
La baisse du taux de natalité. Suite normale du premier facteur,
ce taux est tombé en vingt ans de 30 par mille à 20 par mille, ce
qui est environ le taux moyen de l'Amérique du Nord. La « revanche
des berceaux » est donc terminée et l'accroissement naturel de la
population n'est plus en soi une garantie de survie.
L'immigration. Les immigrants au Québec ne s'intègrent
plus à la majorité francophone et ont un taux de naissance
supérieur aux francophones au Québec.
Si donc nous avons démontré une volonté ferme de
conserver notre langue et notre culture, alors que nous vivions repliés
sur nous-mêmes, pourquoi hésitons-nous aujourd'hui à
opérer les corrections urgentes et efficaces comme d'autres peuples
l'ont fait pour renverser cette nouvelle tendance anglicisante avant qu'elle ne
soit irréversible?
Si le mal est profond, les corrections doivent être à la
source. Il ne suffit plus aujourd'hui de changer l'affichage,
l'étiquetage, les raisons sociales, bref la façade, pour ne nous
donner qu'un « visage » français.
Il ne suffit plus d'exiger d'être servi en français dans
les grands magasins de la deuxième ville française du monde, ni
d'exiger une police d'assurance rédigée en français. Car
les employés qui traitent directement avec le public consommateur ne
constituent qu'une fraction marginale de l'ensemble des travailleurs
québécois. C'est derrière les portes des grandes usines et
des grands secrétariats que le Canadien français doit
s'aliéner continuellement pour gagner sa vie et surtout pour monter dans
l'échelle sociale.
Les puissantes entreprises économiques nous appartiennent de
moins en moins et nous imposent antidémocratiquement la langue de la
minorité. Mais l'Etat québécois et ses institutions, dont
les structures scolaires, nous appartiennent en propre, cet Etat a le droit,
par le jeu démocratique de la majorité, et le devoir, au nom du
bien commun et des intérêts supérieurs de la nation,
d'assurer l'épanouissement et l'évolution de la culture dominante
au Québec, seul endroit en Amérique où l'on puisse encore
vivre intégralement en français, à la condition d'en
prendre les moyens, sans préjudice aux liens nécessaires avec
tous ceux qui nous entourent, ni aux libertés civiles de tous ceux qui
vivent parmi nous. Voici donc le système scolaire public que nous
proposons pour le Québec, ainsi que les avantages d'un tel
système.
Un seul système scolaire public français au
Québec.
Nous recommandons l'intégration progressive de toutes les
écoles financées par les fonds publics à un seul
système scolaire dont la seule langue d'administration et la langue
générale d'enseignement seraient le français à tous
les niveaux et pour tous les élèves.
L'anglais serait enseigné et ici, en amendement, le mot
« obligatoirement » tombe comme langue seconde dès
l'acquisition jugée suffisante du français. De plus, grâce
à la souplesse inhérente au régime actuel de polyvalence,
des cours plus intensifs seraient offerts à tout élève qui
le désire en langue et en littérature anglaises, en histoire des
peuples anglais, etc.
Toute institution privée ne serait subventionnée que dans
la mesure où l'enseignement se donnerait en français.
L'application de ce système serait « progressif »,
année par année, et ne s'adresserait qu'aux enfants n'ayant pas
encore commencé leur scolarité. Tout élève
déjà à l'école poursuivrait donc son cours, tel que
commencé, jusqu'au bout. L'effet de ce changement ne se sentirait donc
dans la vie quotidienne que dans une douzaine d'années, le temps qu'il
faut pour préparer les modifications nécessaires dans le domaine
économique. Car ce n'est pas parce que l'économie est anglaise
qu'il faut encourager l'école publique anglaise. Bien au contraire,
c'est en rendant l'école publique française pour tous qu'on
obligera l'économie à devenir « française ».
Cest par l'école qu'on prépare les changements profonds de la
société. Si,
aujourd'hui, trop de parents doivent gagner leur vie en anglais, nous
devons dès maintenant préparer la vie « française
» de nos enfants. Et la phrase suivante est supprimée.
Notons tout de suite qu'en matière d'éducation, le
Québec est actuellement un Etat aussi souverain que tout autre au monde
et que tout ce que nous proposons est conforme à notre constitution
actuelle.
Voilà donc la situation normale pour des personnes qui vivent sur
le même sol, au sein d'un même Etat, et qui sont soumises au
même pouvoir politique.
Voici ce que donnerait un tel système sur le plan de la
liberté dont on parle tant. Avec l'application d'un tel système,
l'individu resterait libre de choisir entre trois options possibles : 1)
L'Amérique anglaise: Celui qui ne désire vraiment pas vivre dans
une société française serait parfaitement libre de
s'installer ailleurs en Amérique anglaise, s'il n'est pas heureux chez
nous. On ne ferait pas un mur de Berlin autour du Québec. Celui qui veut
vivre en français n'a pas cet embarras de choix. Il n'a que le
Québec; 2) L'école privée: Même au Québec
français, ceux qui rejettent la société majoritaire sont
libres de fréquenter l'école privée dans la langue de leur
choix. Mais ils risquent de s'enfermer eux-mêmes dans un ghetto culturel,
en marge de l'évolution de cette société qui les entoure,
à leur propre détriment; 3) L'école publique polyvalente:
Même à l'intérieur du système public, la
liberté de choix demeure sur le plan individuel, car la polyvalence
permettrait à chaque élève qui le désire d'opter
pour certains cours plus intensifs de la langue de son choix. Le reste de la
phrase est supprimé. Ceci garantirait le droit de maîtriser sa
langue maternelle sans déranger l'ensemble du système.
Egalité: Le principe fondamental des Droits de l'homme,
c'est l'égalité de tous devant la loi et les institutions de
l'Etat. Le double système établit des critères
antidémocratiques et discriminatoires en classant les enfants par
catégories, selon l'origine ethnique, la langue maternelle, la
nationalité, la citoyenneté, etc...
Fraternité
: L'école publique doit permettre
à tous les enfants de participer pleinement à l'évolution
du Québec. C'est à l'école que l'enfant apprend à
vivre en société. Le cloisonnement en deux systèmes
scolaires est une source d'injustices et de conflits, de
ségrégation, de séparatisme et de racisme. En ouvrant nos
écoles aux enfants de toute origine, nous favorisons l'harmonie sociale
au sein d'un même voisinage. L'avenir du Québec est le même
pour tous. L'école qui prépare cet avenir doit être la
même pour tous.
Unité : Un seul système scolaire public, c'est le
plus grand facteur d'unité et de solidarité entre tous les
résidents du Québec pour préparer un avenir commun,
au-delà, encore une fois, des divergences sociales, politiques et
régionales.
Economie et efficacité: Deux systèmes scolaires
parallèles chevauchant un même territoire nécessitent un
dédoublement des services administratifs et pédagogiques,
compliquent le transport, l'achat des manuels, les programmes, les horaires, la
répartition équitable des locaux, de l'équipement, des
taxes, etc. Là-dessus, je me suis dit qu'un travail utile pour un
économiste serait peut-être justement d'étudier ce que cela
coûte au Québec. D'autres ont peut-être étudié
cette question, semble-t-il, puisque la commission Laurendeau-Dunton recommande
de fournir aux provinces l'équivalent de 10% du budget de
l'éducation pour installer deux systèmes basés sur deux
langues. M. Jean-Louis Gagnon dit que cette estimation de 10% est basée
sur ce que cela coûte au Québec. Cela veut dire que depuis cent
ans au Québec nous dépensons des millions pour maintenir ce
double système. Selon M. Jean-Louis Gagnon, le simple fait de maintenir
deux systèmes scolaires coûterait environ $100 millions par
année.
Le maintien de l'enseignement public anglais occasionne également
pour le Québec une perte totale d'autres millions de dollars
dépensés par l'Etat à la faveur de nombreux faux
immigrants, d'immigrants de passage qui se servent du Québec comme d'une
porte d'entrée pour l'Amérique et qui exigent pour leurs enfants
un enseignement anglais pour ensuite s'établir ailleurs. Pendant que le
Québec consent actuellement d'énormes sacrifices en consacrant un
milliard de dollars par année au relèvement du niveau
d'instruction de tous les Québécois, il ne peut plus se payer le
luxe d'instruire l'ensemble des Québécois de passage.
Par conséquent, consacrer par une loi de notre Assemblée
nationale, l'existence parallèle de deux systèmes scolaires
autonomes, c'est pour le Québec se jeter dans la gueule du loup
anglo-américain. Car ce système public anglais absorbe
premièrement tous les véritables Anglais, deuxièmement la
quasi-totalité des immigrants et troisièmement, ce qui est plus
grave, un nombre régulièrement croissant d'authentiques Canadiens
français. Il est donc évident que ce cloisonnement en deux
systèmes
nous défavorise nettement, en encourageant d'une part, par voie
de conséquence, l'imposition injuste de l'anglais dans l'économie
et le travail et, d'autre part, en encourageant l'exode des meilleures
compétences vers l'extérieur. Si le Québec a des
problèmes économiques on ne les règlera pas en
encourageant nos immigrants a ne faire qu'un stage d'études au
Québec, à nos frais, ni en encourageant nos propres citoyens
à s'exiler, par le truchement de l'école anglaise, qui devient
alors non seulement un cheval de Troie pour angliciser le Québec, mais
également un instrument très coûteux de
dépeuplement.
D'autre part, le fait d'assurer l'enseignement du français comme
langue seconde à l'école anglaise ne fera qu'augmenter le nombre
de Québécois dont le français est justement la langue
seconde, mais n'assurera pas une société québécoise
à la culture dominante française.
Les prétendus droits de la langue anglaise que le bill 85 veut
perpétuer au Québec n'ont été acquis que par
l'occupation militaire, la colonisation politique et la domination
économique.
En résumé, nous considérons que ce projet de loi
est nettement contre les intérêts de cette nation dont vous
prétendez constituer l'assemblée et que le gouvernement actuel
n'a strictement aucun mandat pour poser un geste aussi lourd de
conséquence dans un domaine si fondamental. Bien au contraire, le
dernier programme soumis au peuple québécois par le parti
actuellement au pouvoir, et grâce auquel il fut élu, affirmait que
ce parti donnerait au français le statut de langue nationale. Et le
principal parti d'opposition affirmait le statut prioritaire du français
au Québec.
UNE VOIX: On n'était pas tous d'accord. UNE AUTRE VOIX: On a
changé d'idée.
M. LEMIEUX: La création par le présent gouvernement d'une
commission d'enquête sur la langue exige qu'aucun geste ne soit
posé en ce domaine avant de connaître les conclusions de cette
enquête. Au moins ça.
Permettez-nous d'insister sur la valeur primordiale et sur le
caractère nécessairement exclusif de cette culture
française chez nous, entendue au sens large, le mot culture au sens
d'une façon de penser, d'agir et de vivre en société et
dont la langue est à la fois le véhicule et la base fondamentale.
Comment voulez-vous que l'individu donne à la collectivité le
meilleur de lui-même et que cette collectivité le donne au monde
si ce n'est dans sa langue, selon son mode d'expression propre? Comment
voulez-vous que le Québec bâtisse un avenir dynamique et original,
pour lui-même sans être contre les autres, si ce n'est à
partir de ce qu'il a de plus distinctif? Et comment voulez-vous que l'homme
québécois puisse gravir tous les échelons des structures
économiques existantes, si la langue constitue une barrière entre
la base et le sommet?
Pour ceux qui font des comparaisons avec une possibilité
d'étendre le bilinguisme au reste du Canada, il faut éviter les
fausses comparaisons. Un minimum de bilinguisme ailleurs au Canada ne menacera
jamais l'image strictement anglaise du Canada, tandis que l'école
publique anglaise au Québec, c'est la « créolisation
» ou la disparition de notre culture et de notre peuple par voie de
conséquence.
Et pour ceux qui craindraient qu'un petit peuple comme le notre pose un
tel geste, d'autres petits peuples dans le monde sont aux prises avec les
mêmes problèmes linguistiques. Les uns sont en voie d'extinction
culturelle, vivant en marge de la civilisation universelle pour n'avoir su
réagir à temps. Je donne des exemples: Irlandais, Basques et
Gallois. Les autres ont réussi à maintenir et même à
réinstaurer la langue nationale par des moyens réalistes
semblables. Les Flamands, les Finlandais, les Israéliens et d'autres, et
ces langues ont encore bien moins de rayonnement que la notre, la langue
française, langue universelle d'une civilisation humaniste,
parlée par 200 millions de personnes de toute race et religion, langue
officielle en 31 pays sur tous les continents. C'est ainsi qu'une telle
politique, loin de nous replier sur nous-mêmes, nous ouvre au contraire
la voie vers un véritable rayonnement international.
C'est donc en assurant par des moyens réalistes l'avenir de cette
langue au Québec que nous sortirons de la camisole de force du monde
anglophone pour établir des liens avec une civilisation vraiment
universelle.
L'unilinguisme officiel des institutions avec le bilinguisme relatif des
individus, c'est la solution normale, nécessaire et réaliste pour
garantir l'avenir français du Québec dans le respect des droits
de chacun et, sans doute, le seul moyen de coexistence pacifique entre le
peuple français du Québec et les autres peuples de
l'Amérique. Je me permets de vous rappeler en passant qu'en l'an 2000,
l'Amérique comptera 360 millions d'anglophones et 780 millions de
latins.
Merci.
M. LE PRESIDENT: M. Grenier, une question.
M. GRENIER: M. Lemieux, je pense bien que vous devez admettre que les
membres du comité, qui se doivent d'accepter, ici, les mémoires,
de part et d'autre, peuvent faire des parallèles entre les groupements.
Ce matin-du moins, à ma connaissance, vous avez entendu une partie du
mémoire présenté par la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal; vous avez sans doute entendu le
mémoire du MUFQ.
M. LEMIEUX: Excusez-moi. Au deuxième, oui, mais, au premier,
non.
M. GRENIER: Oui, à une partie du premier; j'en ai eu
connaissance.
Vous représentez tout de même 6,000 membres...
M. LEMIEUX: Oui.
M. GRENIER: ... et le MUFQ dit qu'il en représente 10,000.
Comment conciliez-vous...
M. LESAGE: Six cents.
UNE VOIX: Six cents membres et 10,000 signataires.
M. GRENIER: Ce sont plutôt dix mille signataires de la copie que
vous nous avez livrée ici. Vous avez des positions qui sont assez
renversantes entre les trois mouvements.
Vous dites, à la page 10: « Nous recommandons
l'intégration progressive de toutes les écoles financées
par les fonds publics à un seul système scolaire dont la seule
langue d'administration et la langue générale d'enseignement
serait le français, à tous les niveaux et pour tous les
élèves. L'anglais serait enseigné obligatoirement comme
langue seconde, dès l'acquisition jugée suffisante du
français ».
Vous avez dû prendre connaissance de plusieurs autres
mémoires qui ont été présentés. Il y en a eu
d'assez sérieux qui disaient, par exemple, qu'on devrait avoir l'anglais
comme langue seconde au niveau du secondaire. D'après la recommandation
que vous faites ici...
M. LEMIEUX: Oui.
M. GRENIER: ... est-ce que vous croyez qu'au niveau du secondaire le
fait français serait suffisamment acquis pour imposer l'anglais?
M. LEMIEUX: Je ne suis pas un pédagogue. Je n'ai pas voulu fixer
l'année précise où l'enseignement de la langue seconde
doit commencer. Cependant, j'ai une opinion là-dessus et je crois, moi
aussi, que ça ne doit pas commencer avant le cours secondaire.
Alors l'acquisition jugée suffisante du français, dans mon
esprit, serait établie par des pédagogues et par des experts.
Cela ne veut pas dire qu'il suffirait que l'enfant puisse parler en
français, mais qu'il ait vraiment maîtrisé sa langue
maternelle avant de commencer à apprendre la langue seconde.
Je pense qu'il n'y a pas de conflit. Moi aussi, je prétends que
ça ne doit pas commencer avant le secondaire. D'ailleurs, on constate
que, dans la plupart des pays, c'est le cas. L'UNESCO a fait une étude
là-dessus et la plupart des pays commencent l'enseignement d'une langue
seconde au secondaire.
M. GRENIER: J'ai manqué le début de votre intervention. Je
n'ai pas eu le temps d'en prendre connaissance. Les 6,000 membres que vous
représentez ici, sont-ils en général regroupés dans
des associations de professeurs?
M. LEMIEUX: Pas nécessairement. Nous avons un grand nombre de
professeurs. Nous avons des gens, comme je l'ai dit, de tous les milieux.
M. GRENIER: Est-ce qu'en général c'est groupé par
des professeurs associés ou si...
M. LEMIEUX: Non, non, c'est complètement autonome. Sur le plan
officiel, nous n'avons aucune affiliation avec un groupe. Nous avons des
professeurs comme membres, mais à titre individuel, non pas en tant que
professeurs.
M. GRENIER: Maintenant, est-ce que la majorité de vos membres,
peu importe l'association, sont recrutés parmi les professeurs
québécois ou parmi le peuple tout simplement?
M. LEMIEUX: Non, non, nous avons un certain nombre de membres qui sont
des professeurs, mais ce n'est pas un mouvement de professeurs. Moi, je ne suis
pas un professeur.
M. GRENIER: Ce n'est pas en majorité des professeurs?
M. LEMIEUX: Loin de là, loin de là. M. GRENIER: Merci.
M. LESAGE: M. Lemieux, comme vous le savez, le parti que je dirige, dans
son programme politique, prêche depuis assez longtemps que le
français doit être la langue de travail au Québec.
A la page Il de votre mémoire, vous aviez une phrase qui a
été biffée. Je n'ai pas voulu vous prendre par surprise;
je vous ai rappelé notre programme pour vous demander quelles
étaient les considérations qui avaient amené vos membres
à demander que cette phrase soit biffée.
M. LEMIEUX: A demander que la phrase soit biffée.
M. LESAGE: Ce qui ne ma fait pas de peine, vous me comprenez.
M. LEMIEUX: Non. Je pense que cela devrait vous faire plaisir.
M. LESAGE: Oui, mais, quand même, j'aimerais savoir quelle a
été la discussion, si vous croyez pouvoir le dire.
M. LEMIEUX: Je vais vous le dire. Ceux qui avaient rédigé
le mémoire considéraient qu'il ne fallait pas bousculer les
choses, qu'il ne fallait pas tout renverser et qu'il fallait y aller, comme
quelqu'un le disait tantôt, doucement. Ceux qui gagnent leur vie en
anglais aujourd'hui, tant pis pour eux; pensons à leurs enfants et
à la génération qui s'en vient, puis essayons de les
préparer par l'école à gagner leur vie en français.
Or, je constate ceci: à l'assemblée consultative que nous avons
eue cela a été, je dois le dire, une
révélation pour moi et pour ceux qui nous prennent pour des
extrémistes nos propres membres du MIS, bien que le MIS soit un
mouvement très jeune, veulent aller plus loin que les dirigeants du MIS.
Vous le constatez par les amendements; c'est tout simplement cela; ils sont
plus pressés.
M. LESAGE: Connaissant vos idées, M. Lemieux, je voyais
difficilement que vous croyiez que ce serait une bousculade épouvantable
d'adopter, en principe, quitte à le faire graduellement dans les faits,
le français comme langue de travail au Québec, ce qui n'est pas
nouveau, puisque c'était dans notre programme rendu public en 1966,
n'est-ce pas?
M. GRENIER: Maîtres chez nous, cela n'y était pas.
M. LESAGE : Un instant, je parle de la lan- gue. Rien n'empêche
que cela a eu cet effet à l'Hydro-Québec.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): On a enrichi des millionnaires.
M. LE PRESIDENT: Messieurs, à l'ordre!
M. LESAGE: Disons, cependant, M. Tremblay...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): On emprunte maintenant l'argent que vous leur
avez donné.
M. LE PRESIDENT: Messieurs, s'il vous plaît.
UNE VOIX: Revenons au problème du MIS.
M. LESAGE: Non, cela a été emprunté aux Etats-Unis.
Bien, ce n'est peut-être pas le problème du MIS; c'est le
problème que le MIS nous expose.
M. LE PRESIDENT: C'est le problème du Québec.
M. LESAGE: Au sujet des écoles privées, M. Lemieux, vous
avez, à la page 12, une déclaration qui parle de toutes les
écoles privées, et françaises, et anglaises. Vous dites,
en effet: « Même au Québec français ceux qui
rejettent la société majoritaire sont libres de fréquenter
l'école privée dans la langue de leur choix, mais ils risquent
ainsi de s'enfermer eux-mêmes dans un ghetto culturel. »
Croyez-vous, pour un instant, par exemple, que les élèves du
séminaire de Québec risquent de s'enfermer dans un ghetto
culturel?
M. LEMIEUX: Je regrette, je parle de l'école privée dans
l'optique de tout le mémoire. Dans mon esprit, il me semble que c'est
clair que je parle d'une école privée anglaise.
M. LESAGE: Je vous demande pardon. Vous dites: « Même au
Québec français, ceux qui rejettent la société
majoritaire sont libres de fréquenter l'école privée dans
la langue de leur choix ». Cest cela qui a amené ma question.
M. LEMIEUX: Oui, ceci n'exclut pas l'école privés
française.
M. LESAGE: Vous parlez des écoles privées
françaises.
M. LEMIEUX: Quand je parle d'un ghetto
culturel, il me semble évident que je parle de ceux qui ne
voudraient pas s'intégrer à l'école publique
française et voudraient créer des écoles privées
anglaises. C'est tout simplement cela.
M. LESAGE: Oui, mais je pense qu'il faudrait écrire de nouveau
votre paragraphe. Vous dites, n'est-ce pas, M. Lemieux: Quelle que soit la
langue de l'école privée, on risque de s'enfermer dans un ghetto
culturel. C'est la logique de ce que vous dites.
M. LEMIEUX: Alors, si vous me permettez, M. Lesage, ces trois
paragraphes-là ont pour but de démontrer que, même avec le
système scolaire public français que nous préconisons,
l'individu conserve une liberté de choix quant à la langue
d'enseignement. Cela est général. Cela me paraît clair.
Donc, quand on parle de l'école privée dans l'optique de la
langue d'enseignement, on parle de ceux qui voudraient créer des
écoles privées dans la langue de leur choix, mais autre que le
français.
M. LESAGE: M. Lemieux, si c'est cela que vous voulez dire, je comprends
votre argument, mais ce n'est pas ce qui est écrit.
M. LE PRESIDENT: M. Bousquet, s'il vous plaît.
M. BOUSQUET: Voici. Vous affirmez, à la page Il, que tout ce que
vous proposez est conforme à notre constitution actuelle.
Avez-vous demandé l'opinion de juristes là-dessus, ou
est-ce que c'est tout simplement à la lecture de la constitution que
vous en êtes venu à cette conclusion?
M. LEMÎEUX: Non, tout ce que j'en sais, c'est ceci. Nous avons,
oui, consulté des conseillers juridiques. D'autres pourront
peut-être vous dire le contraire. Je sais qu'il y a eu
l'été dernier, dans le cas de Saint-Léonard, un jugement
qui a maintenu la position de la Commission scolaire de Saint-Léonard.
Je ne suis pas prêt à aller plus loin que ça.
M. BOUSQUET: A la page 16, vous dites que le système public
anglais absorbe un nombre régulièrement croissant d'authentiques
Canadiens français. Qu'est-ce qui peut bien les pousser à se
laisser absorber par ce système?
M. LEMIEUX: Ah mais,...
M. BOUSQUET: Comment se fait-il que, dans une famille, certains vont
aller à l'école française, vont s'associer au groupe
français et d'autres au groupe anglais? Est-ce qu'il peut y avoir des
raisons à ces attitudes différentes?
M. LEMIEUX: La raison fondamentale sur le plan individuel, c'est que le
Canadien français, comme l'immigrant qui arrive ici, constate que
l'ensemble de la vie économique du Québec se fait en anglais. Je
comprends le Canadien français qui, à titre individuel,
décide d'envoyer ses enfants à l'école anglaise. Je le
comprends et je ne lui jette pas la pierre. Au contraire, c'est la seule
solution qui, pour son cas personnel, est logique. Nous, nous ne sommes pas
logiques de vouloir maintenir l'école française au Québec,
dans le contexte actuel.
M. PAUL: Si je comprends bien...
M. LEMIEUX: Dans le contexte actuel, il a, lui, plus raison que
nous.
M. BOUSQUET: Mais, en fait, quelle serait la motivation?
M. LEMIEUX: C'est la motivation économique.
M. BOUSQUET: Economique.
M. PAUL: A ce moment-là, M. Lemieux, je crois que ça
impliquerait l'abstention de la part de l'Etat de subventionner les
collèges privés.
M. LEMIEUX: Tout notre mémoire ne s'applique qu'à la
question de la langue, strictement. Il n'a aucun rapport avec des
problèmes d'ordre religieux ou de tout autre ordre.
Quand je parle d'écoles privées, et d'ailleurs, nous
disons que l'école privée ne serait subventionnée que dans
la mesure où l'enseignement se donne en français, si la
moitié des cours se donnait en français, l'Etat subventionnerait
50% du cours etc., mais toujours sur le plan de la langue.
Je n'ai rien à dire dans les autres domaines, en ce qui concerne
les écoles privées, confessionnelles ou autres.
M. LE PRESIDENT: M. Pearson.
M. PEARSON: D'après vous, vous pourriez aborder la question des
subventions selon la proportion du nombre de cours qui se donneraient en
anglais.
M. LEMIEUX: Oui.
M. PEARSON: Parce que, si on se rapporte à nos institutions
privées, en vertu du bill 56, je crois, on subventionne à
80%...
M. CARDINAL: ... ce qui fait 60% à 80%, selon nos
critères.
M. PEARSON: De 60% à 80%. Alors, pour le secteur public, du
côté de la langue, ce serait subventionné à
zéro, sauf la proportion des cours de français donnés.
M. LEMIEUX: Oui, dans le contexte d'une loi générale, qui
dirait que l'enseignement officiel public au Québec se donne en
français. Si vous êtes dans ce contexte-là, à partir
de ce moment-là, et sans déranger les autres clauses de la loi,
l'institution privée ne serait reconnue par l'Etat que dans la mesure
où l'enseignement, à l'institution privée, se donne en
français également.
Je ne parle pas du contexte actuel, mais, dans le contexte d'une loi
comme celle-là...
M. LESAGE: M. Lemieux, vous êtes au courant, comme je le suis,
comme tout le monde l'est, du débat actuel autour des recommandations de
la commission Laurendeau-Gagnon-Dunton sur le biculturalisme et le
bilinguisme.
Je ne sais si vous avez entendu hier le premier ministre du Canada faire
ses commentaires sur ce qui s'est dit à la suite de ou pendant la
réunion des premiers ministres et d'autres ministres ainsi que de hauts
fonctionnaires des trois provinces des Prairies.
Le premier ministre du Canada semblait, hier, inquiet de l'attitude
prise lors de cette réunion concernant les trois provinces des Prairies.
Ne croyez-vous pas que tout ce que nous allons faire ici, dans le sens que vous
suggérez, est de nature ou serait de nature à empêcher que
nous, les Canadiens français, nous remportions le succès en
faisant reconnaître les écoles françaises comme des
écoles publiques dans les autres provinces, suivant certaines
conditions. Nous n'avons pas besoin, je pense bien, ni vous ni moi, d'entrer
dans le détail.
M. LEMIEUX: D'accord.
M. LESAGE: Est-ce que cela veut dire que vous croyez que ces
minorités de langue française des autres provinces sont perdues
d'avance, qu'elles doivent être abandonnées à leur sort,
qu'elles sont déjà anglicisées, qu'il n'y a plus rien
à faire?
M. LEMIEUX: Voici ce que je crois là-dessus.
D'abord, je me permets de rappeler que M. Trudeau a dit lui-même,
et très franchement, qu'il voyait cela d'un mauvais oeil parce que cela
pourrait déranger les gens du Québec Cela veut donc dire que,
dans son esprit, il ne préconise pas le bilinguisme à travers le
Canada pour satisfaire aux exigences des Canadiens français de ces
provinces...
M. LESAGE : Ah non, M. Lemieux, un instant, vous exprimez des
opinions...
M. LEMIEUX: ... mais pour calmer le Québec.
M. LESAGE: Un instant, vous faites un procès d'intention à
M. Trudeau, et je ne crois pas que vous devriez le faire. Tenez-vous en
à ses déclarations, et les procès d'intention, vous les
ferez devant lui s'il vous plaît. Il n'est pas ici.
M. LEMIEUX: Mais je lis quand même ce qu'il dit dans les
journaux.
M. LESAGE : Ce sont des intentions que vous lui prêtez.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je regrette mais je
crois que M. Lesage, ayant posé une question à M. Lemieux...
M. LEMIEUX: Et j'aimerais répondre...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Lemieux peut fort bien donner une
réponse...
M. LESAGE: Oui, mais je demande qu'il n'y ait pas de procès
d'intention!
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Lemieux peut interpréter une
déclaration qui est publique. Il n'est pas plus intéressé
que qui que ce soit pas plus que vous, M. Lesage à
défendre M. Trudeau. Alors, s'il donne une interprétation
honnête des propos...
M. LESAGE: Je crois, M. Tremblay, que le moins que nous puissions exiger
ici, c'est que les absents soient traités avec un certain degré
de justice.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Nous en prenons acte pour les prochaines
élections, M. Lesage...
M. CARDINAL: Il nous faudra attendre longtemps avant qu'il soit
présent!
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... et pour la magistrature et les
ambassades.
M. LEMIEUX: De toute façon, j'aimerais répondre au fond de
la question.
M. LESAGE: Oui, au fond de la question.
M. LEMIEUX: La question du bilinguisme a travers le Canada, c'est
cela?
M. LESAGE: Oui, c'est cela.
M. LEMIEUX: Je crois ceci. Les Canadiens français des autres
provinces, et les Canadiens français du Québec, je crois qu'ils
sont foncièrement d'accord au moins sur un point: c'est que ni les uns,
ni les autres ne veulent plus du bilinguisme.
On a nettement l'impression, et cela c'est confirmé... L'autre
jour, une enquête avait été effectuée par le
Montreal Star qui y consacrait une page complète. Un journaliste en
voyage en Saskatchewan et ailleurs dit ceci alors là, je
n'interprète pas, je cite à peu près ses paroles
qu'on a l'impression que le gouvernement fédéral veut imposer un
bilinguisme à des gens qui n'en veulent pas. Elle parle des Canadiens
français des autres provinces et elle donne des chiffres pour dire que
même dans les écoles où il y a un début de
bilinguisme dans l'ouest, il y a un plus grand nombre d'Anglo-Canadiens qui y
envoient leurs enfant que de Canadiens français.
Je prétends que le Canadien français dans les autres
provinces se rend compte lui-même que le bilinguisme n'est pas à
son avantage et lui, tend vers l'unilinguisme anglais. Il est trop tard...
Voyez-vous, nous ne pouvons pas refaire l'histoire, je crois.
Il y aurait eu un moment où le Canada aurait pu être
bilingue « from coast to coast ». Mais je pense que nous ne pouvons
pas refaire l'histoire, et je ne fais de reproches à personne. Je
constate que le Canada, est anglais et on ne peut pas refaire cela. Même
avec un minimum de bilinguisme, le Canada demeurera anglais. La culture
fondamentale du Canada sera anglaise. La vie sera vécue en anglais
à travers le Canada. On devra gagner sa vie en anglais en Ontario. Cela,
nous n'y pouvons rien.
Or, je dis; On ne peut pas se servir de ce moyen qui, d'après
moi, est un moyen de chantage pour dire aux Québécois: Eh bien,
vous allez être obligés de continuer votre bilinguisme! Remarquez
que le Québec a toujours été bilingue. Alors le
problème du bilinguisme, justement, c'est l'inverse. Le bilinguisme a
plutôt causé un tort énorme aux Québécois. Il
s'agit de corriger notre situation. Mais le bilinguisme étendu au reste
du Canada, je crois que cela aurait pour seul effet d'encourager les
Canadiens français du Québec à aller, justement,
s'étendre à travers le Canada en croyant qu'ils puissent vivre en
français là-bas. A long terme, cela deviendrait une espèce
de diaspora, une dispersion de tous les Canadiens français du
Québec à travers le territoire, à travers 3,000 milles de
territoire, et peut-être que dans 2,000 ans, on essayera de
reconquérir notre pays natal par les armes comme Israël l'a
fait.
M. LESAGE: Oui mais, M. Lemieux, vous comprenez que vous
détruisez les espoirs de groupes de Canadiens français...
M. LEMIEUX: J'essaie d'être réaliste.
M. LESAGE: ... particulièrement autour de Winnipeg, autour
d'Edmonton. Je ne sais pas si vous les connaissez. Je les connais, je pourrais
mettre des noms de gens...
M. LEMIEUX: Oui.
M. LESAGE: ... que vous sacrifiez, que vous semblez être
disposé à sacrifier totalement...
M. LEMIEUX: Non.
M. LESAGE: ... à laisser angliciser...
M. LEMIEUX: Oui, mais...
M» LESAGE: ... en n'acceptant pas, en ne maintenant pas au
Québec les principes qui nous justifient de réclamer pour ces
minorités françaises le même traitement que celui que,
à tort, prétendez-vous, nous avons donné à la
minorité anglaise.
M. LEMIEUX: Ecoutez, nous avons un problème linguistique au
Québec, le Québécois de langue française a de la
difficulté à gagner sa vie en français au Québec et
à survivre à long terme comme peuple au Québec. Comment
voulez-vous, à partir de ce moment-là, prétendre
qu'ailleurs au Canada on va pouvoir le faire? On ne peut même pas le
faire au Québec. Après cela, on va essayer de le faire
ailleurs?
M. LESAGE: M. Lemieux...
M. LEMIEUX: A force de le faire ailleurs, on ne pourra pas le faire
ici.
M. LESAGE: M. Lemieux...
M. LEMIEUX: Un dernier point...
M. LESAGE: M. Lemieux, je ne suis absolument pas d'accord sur ce que
vous venez de dire, qu'il n'y a pas lieu de croire que nous puissions gagner
notre vie vous vous servez d'un terme très simple, mais
évidemment vous simplifiez beaucoup trop les choses qu'il n'y a
pas moyen de progresser globalement comme Canadien français dans la
croissance de l'économie québécoise. Je ne suis pas
d'accord. Je crois, au contraire, que la participation des Canadiens de langue
française à l'économie, au progrès
québécois, a commencé et continuera d'être de plus
en plus importante. Je suis certain que, tenant compte du fait que nous vivons
dans un contexte nord-américain...
M. LEMIEUX: ... toujours toujours...
M. LESAGE: ... que nous fassions n'importe quoi, nous continuerons de
vivre dans un contexte nord-américain, et il y a des choses qui se
feront en anglais comme il y en a qui se font en allemand, qui se font en
italien à Montréal...
M. LEMIEUX: Absolument.
M. LESAGE: Je crois donc que, de plus en plus, la participation
financière des Canadiens français à l'entreprise et
à la gestion des entreprises sera de plus en plus importante,
premièrement en remplaçant graduellement par l'épargne
ce que nous n'avons jamais fait autant que possible des
investissements étrangers, et, deuxièmement, par l'exploitation
rationnelle de nos ressources humaines de plus en plus aptes à occuper
des postes de gestion. Et je vois la possibilité qu'au Québec la
langue de travail, normale, acceptée, soit le français... Et, il
me semble que c'est de ce côté-là que nous devons voir
l'avenir des nôtres.
M. LEMIEUX: Oui.
M. LESAGE: Mais, pour cela, il n'est pas nécessaire de brimer les
droits des autres aux dépens des droits des nôtres ailleurs.
M. LEMIEUX: Alors, voici. Moi je n'ai jamais vu d'une part un Etat qui
affirme sa culture nationale, nuire par ce fait-là à ses
minorités qui demeurent à l'extérieur de cet
Etat-là. Je crois que ce serait un phénomène unique au
monde. Je crois que, dans la mesure où un Etat national affirme sa
culture nationale chez lui, il renforce. Il encourage les minorités de
cette nation-là qui vivent à l'extérieur.
M. LESAGE: Oui, mais... M. LEMIEUX: En général.
M. LESAGE: Mais c'est avec des concessions que l'on protège ces
minorités.
M. LEMIEUX: Oui.
M. LESAGE: Par exemple...
M. LEMIEUX: Mais pour le deuxième point...
M. LESAGE: Par exemple vis-à-vis de nos propres
minorités.
M. LEMIEUX: Oui, mais nous avons donné l'exemple depuis cent ans,
nous avons joué le jeu à plein, et nous avons été
les seuls à le jouer. Alors, est-ce qu'au bout de cent ans, on dit: on
va l'essayer encore cent ans? Voyez-vous, vous me parlez de l'accession des
Canadiens français aux postes de commande. En principe, je suis
d'accord. Mais le temps que cela prendra si jamais cela arrive je
prétends, moi, qu'au moment où nous aurons repris dans une bonne
mesure les postes de commande, les centres de décision de notre
économie, eh bien, nous ne parlerons plus de culture française au
Québec.
M. LESAGE: Non. Je ne sais pas. Il y a quand même des facteurs
extrêmement importants et vous avez toutes ces interventions de l'Etat,
d'abord dans la gestion nous n'avons pas besoin de parler de
1'Hydro-Québec, de SOQUEM, de Sidbec, etc. et nous savons ce qui
s'est produit en très peu de temps au point de vue de la participation
des Canadiens français dans ces domaines. Vous avez, de plus en plus, du
capital canadien-français dans l'entreprise privée qu'il y aurait
certainement moyen, dans bon nombre de cas, d'empêcher de se vendre au
capital américain vous savez que c'est un problème
et vous avez, en outre, tout le monde de la coopération...
M. LEMIEUX: Oui.
M. LESAGE: ... qui constitue un facteur de plus en plus valable et
important dans l'économie du Québec.
M. LEMIEUX: Moi, je pourrais parler de l'économie très
longtemps, car cela m'intéresse beaucoup. Seulement, je vous dis que les
chiffres démontrent que, d'année en année, les Canadiens
français perdent pied de plus en plus dans le do-
maine économique. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise?
Nous reculons, nous n'avançons pas.
M. LESAGE: Je ne suis pas d'accord. Si vous regardez les chiffres
et je ne vous donne qu'un exemple, celui du monde de la coopération
vous verrez que les progrès sont spectaculaires. Or, nous pouvons
nous attendre qu'ils continuent de l'être. Dans le monde de...
M. LEMIEUX: Dans le domaine des communications...
M. LESAGE: Dans le monde de la coopération, évidemment, ce
sont des Canadiens de langue française qui ont les postes de
commande.
M. LEMIEUX: Enfin.
M. LE PRESIDENT: M. le ministre de l'Education, s'il vous
plaît.
M. CARDINAL: M. Lemieux, d'abord, je suis ici pour vous entendre; je
n'essaierai pas de vous convaincre. Disons que votre rapport est
rédigé d'une façon pondérée en
général. Il y a, cependant, ici et là, quelques phrases
qui m'ont frappé. Elles ne sont pas pertinentes, et je me demande
pourquoi elles se retrouvent dans ce mémoire qui, d'autre part, est
sérieux. Ainsi, quand vous dites: « Cette nation dont vous
prétendez constituer l'assemblée », je me demande qui est
élu en dehors de cette assemblée pour représenter cette
nation. Enfin, c'est une question en passant. Je ne vous demande pas de
répondre a cette question.
Ma question est la suivante; Il m'apparaît dans ce mémoire
qu'il y a entre deux de ses parties une espèce de paradoxe. D'une part,
vous indiquez que la situation présente, de par les incitations de la
vie économique, pousse les Canadiens français à devenir
bilingues ou à s'angliciser. D'autre part, vous dites que ce n'est pas
par l'économie que l'on changera ceci; c'est par l'éducation et
sur une période d'environ douze ans, si je me rappelle bien; c'est
écrit dans le mémoire. Nous aurons une nouvelle équipe et
une nouvelle génération qui imposera le français sur le
plan de l'économie. Est-ce qu'il n'y a pas ici une contradiction
apparente? En d'autres mots, est-ce que vous croyez vraiment que, même si
le système d'éducation était unilingue, les gens en
dehors du système d'éducation, par d'autres moyens qui
s'établiraient vu le contexte et vu la vie économique ne
continueraient pas tout simplement à jouer le même jeu?
Comme Me Paquette nous le soulignait ce matin, il n'a pas appris
l'anglais à l'école, mais à Borden. Je puis donner
publiquement un autre témoignage. Je n'ai jamais, pu parler l'anglais
avant de passer par l'armée. Là, on m'a dit: « You must
speak English! », et je l'ai appris, rapidement d'ailleurs, parce qu'il
faut se débrouiller quand on est pris dans le milieu. Par
conséquent, le simple fait de rendre l'école unilingue en
conservant la vie économique telle qu'elle est aurait vraiment un effet
de francisation sur une période de douze ans ou quelle que soit cette
période.
M. LEMIEUX: Ma réponse à cela, c'est ceci. Dans une
société, il y a toutes sortes de forces en présence. Il y
a une lutte sur tous les plans. Puisque nous possédons très peu
sur le plan économique, nous pouvons agir très peu dans ce
domaine, actuellement. Puisque l'économie ne nous appartient pas, nous
n'avons pas les leviers de commande pour agir directement et efficacement dans
le domaine économique actuellement Je constate un fait. Je ne dis pas
que c'est bien. Je ne dis pas qu'il ne faudrait pas corriger cela, d'accord? Je
constate.
D'autre part, le domaine de l'éducation est un domaine qui nous
appartient en propre et que la population du Québec, au moins en
principe, peut contrôler directement par le jeu démocratique de la
majorité. Voilà un domaine où nous pouvons agir
directement. S'il y a des forces en présence dans la
société, le domaine de l'Etat, des institutions publiques et du
système scolaire peut, peut-être, arriver à
équilibrer la force du domaine économique qui est en grande
partie, au moins, gérée par une minorité au
Québec.
D'autre part, si on veut amener de grands changements dans la
société, il me semble que c'est à l'école qu'il
faut commencer; ce n'est pas dans la vie de tous les jours. Alors que les
bureaux de direction des grosses sociétés sont installés
ici au Québec et que leur siège social est au Québec;
alors que la majorité des membres de ces bureaux de direction ne
s'expriment même pas en français et alors que le nombre de
finissants des universités anglaises augmente d'année en
année, je ne vois pas du tout comment, même en augmentant le
nombre de finissants de nos grandes écoles, on pourra reprendre le
dessus.
Vous avez une tendance croissante vers l'anglais dans tous les domaines.
Je dis que c'est à l'école, que c'est à la source qu'il
faut corriger la situation. Et le jour où, en somme je serai
brutal il n'y aura plus de finissants qui sortiront des
universités anglaises du Québec pour se diriger vers les postes
de commande, le jour où tous les finissants du Québec qui
sortiront
de l'université auront reçu une formation française
pour accéder aux postes de commande dans l'industrie et dans la finance,
à ce moment-là nous pourrons penser transformer la langue, et
cela est très profond. On parle de la langue de travail. Je ne sais pas
si dans votre esprit vous avez à l'idée simplement le niveau
inférieur, les gars qui travaillent à la chaîne, mais moi
je vois cela du bas jusqu'en haut.
M. LESAGE: Moi aussi, M. Lemieux.
M. LEMIEUX: C'est un changement très profond, parce que cela
touche, vous savez, toutes les communications internes des compagnies et
jusqu'au bureau de direction. Cela suppose un changement de mentalité et
de conception qui sont basées actuellement sur une langue et une culture
qui ne sont pas les nôtres. Ce n'est donc qu'après une
génération, en passant par l'école et par une formation
française que nous pourrons y arriver.
M. CARDINAL: Croyez-vous, M. Lemieux, que même si l'école
était unilingue, encore une fois, les gens que nous appellerons de
langue anglaise cesseraient de parler anglais et parleraient français
s'ils devenaient administrateurs, cadres, directeurs?
M. LEMIEUX: A ce moment-là, c'est une question de degrés.
Vous allez me dire: Nous allons imposer un certain enseignement du
français à l'école anglaise. Je dis; Ce n'est pas
suffisant. Il faudrait que tout le monde au Québec fréquente
l'école française. C'est une question de degrés. Il est
évident que la transition d'une culture à l'autre ne se fait pas
du jour au lendemain, mais d'une génération à l'autre.
Oui, j'y crois. Je crois que cela est possible. Je crois que c'est le cas de la
majorité des gens qui viennent d'autres pays, d'autres cultures, dans un
pays donné. Ils finissent par s'intégrer à la
société et je ne vois pas pourquoi il en serait autrement pour la
minorité que nous avons chez nous. Mais avec le temps...
M. LE PRESIDENT: M. le ministre des Affaires culturelles.
M. TREM3LAY (Chicoutimi): M. Lemieux, à la page 17 de votre
mémoire, vous faites une affirmation au sujet de laquelle je voudrais
avoir quelques explications. Vous dites, au deuxième paragraphe: «
Les prétendus droits de la langue anglaise que le bill 85 veut
perpétuer au Québec n'ont été acquis que par
l'occupation militaire, la colonisation politique et la domina- tion
économique ». Compte tenu des faits de l'histoire vous avez
dit que nous ne referons pas l'histoire est-ce que ces droits qui, selon
vous, auraient été acquis par l'occupation militaire, la
colonisation politique et la domination économique ne sont quand
même pas des droits?
M. LEMIEUX: Je crois que si nous voulions qualifier cela d'une
étiquette, nous appellerions cela « le droit de conquête
». Et pour ceux qui veulent admettre le droit de conquête,
c'est-à-dire que par conquête militaire on puisse faire sa loi, si
vous voulez, dans un territoire donné, pour ceux qui admettent cela, je
dis que, si ce droit de conquête existe, alors le droit de
reconquête existe pour le peuple québécois. Voyez-vous nous
n'en finissons plus parce qu'à ce moment-la, la population du
Québec, en très grande forte majorité francophone, a le
droit de reconquérir justement son territoire sur le plan de la langue,
et si l'occupation militaire anglaise a fait l'occupation linguistique du
Québec, nous pouvons réoccuper le Québec
linguistiquement.
C'est tout ce que...
M. BOUSQUET: Pour quel pourcentage de la population
québécoise de langue française croyez-vous parler? En ce
sens, quel pourcentage de la population... Je m'excuse... Quel pourcentage de
la population partage les idées de votre mémoire, d'après
vous, actuellement?
M. LEMIEUX: Je ne risquerais pas un chiffre cet aprês-midi.
M. BOUSQUET: Seriez-vous d'accord pour proposer un
référendum sur la question à savoir ce que pensent les
Canadiens de langue française?
M. LEMIEUX: Absolument. Non seulement cela, mais je suis
profondément convaincu que si vous regardiez un peu en arrière,
vous verriez l'accélération des événements qui se
déroulent au Québec aujourd'hui. Comme quelqu'un l'a dit ce
matin, et je l'ai bien compris, les événements se bousculent. Si
le gouvernement du Québec ne prend pas de mesures pour régler ces
problèmes-là rapidement et de façon radicale, eh bien, les
choses iront encore plus loin.
D'une façon plus précise, si un parti politique quelconque
voulait déclencher des élections générales dans
quelques mois à venir, avec une campagne électorale axée
justement sur ce thème, mon opinion, c'est que je garantis la victoire
à ce parti-là. Comprenez-moi, ce n'est pas le MIS qui va...
Non.
M. BOUSQUET: Je ne parle pas d'élections.
M. LEMIEUX: Vous me demandez une appréciation de ce que la
population pense de cette idée-là.
M. BOUSQUET: Je ne parle pas d'élections. Je suis persuadé
que, si la population porte un jugement général sur la politique
d'un parti, elle va voter pour l'Union Nationale. Je parle tout simplement d'un
référendum sur une question bien précise. Est-ce que les
ouvriers, les cultivateurs, les hommes d'affaires canadiens-français,
aujourd'hui, veulent l'école unilingue française?
M. LEMIEUX: J'en suis profondément convaincu, parce que la
population a des aspirations très profondes de pouvoir vivre en
français partout intégralement au Québec et, de là,
il n'y a qu'un pas. Je vous donne un exemple de cela.
A un certain moment, le gouvernement du Québec a proposé,
par exemple, de nationaliser les compagnies d'électricité.
Pouvez-vous me dire, avant que cela soit lancé, combien de gens au
Québec étaient pour ou contre cela? C'était à peu
près indifférent. Lorsqu'on se lance dans une campagne de
publicité, on s'aperçoit que ces initiatives correspondent
à des aspirations très profondes qui ne sont peut-être pas
explicitées par la population dans un temps donné, mais qui le
seraient au moment de ce que vous proposez, un référendum ou une
élection.
M. BOUSQUET: Y a-t-il eu un référendum sur la
nationalisation de l'électricité?
M. LEMIEUX: Non, ce n'est pas un référendum qui a eu
lieu.
M. BOUSQUET: Cela a été une élection, et, à
ce moment-là, à cause du « lavage de cerveaux » qu'il
y avait eu durant les deux années d'administration
libérale...
M. LEMIEUX: Pour vous répondre directement, je suis convaincu
qu'avec un référendum cette thèse-là serait
approuvée par la population, à condition, bien sûr, que la
publicité puisse se faire auparavant et que les gens aient eu le temps
de considérer le problème.
M. LESAGE: M. Lemieux, sur cette question de la nationalisation de
l'électricité, tout de même, vous semblez...
M. BOUSQUET: Hors d'ordre.
M. LESAGE: Non, un instant, vous semblez dire...
M. LEMIEUX: C'est un exemple.
M. LESAGE : Non, non, c'est à côté de la question,
mais vous semblez dire que les gens n'étaient pas sensibilisés
à la question, alors que cette question avait été
discutée avec beaucoup de passion depuis 1935, depuis les jours du
docteur Hamel.
M. LEMIEUX: C'est vrai.
M. LESAGE: Alors, en 1962, cela faisait quand même vingt-sept
ans.
M. LEMIEUX: C'est vrai.
M. BOUSQUET: C'est surtout depuis le lac à l'Epaule.
M. LESAGE: Il faut rétablir les faits. Maintenant, je ne crois
pas, contrairement à ce que M. Bousquet a laissé entendre
je ne dis pas qu'il l'a dit que l'on puisse, où que ce soit dans
le monde, être justifié de disposer des droits des
minorités par un référendum. Si on approuvait ce principe,
je pense que ce serait le meilleur moyen, dans quelque pays que ce soit, sur
quelque question que ce soit, de faire appel aux passions pour brimer les
droits des minorités. J'aime beaucoup mieux ce que vous avez dit,
à savoir que l'on doit porter des jugements sur la politique
générale d'un gouvernement.
J'ai un souvenir trop aigu du référendum de 1942...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Plébiscite.
M. LESAGE: ... du plébiscite, alors que je m'étais battu
contre mon parti pour le « Non ». Je sais qu'on ne dispose pas de
questions aussi graves, qui touchent au fondement même des droits
humains, par une majorité lors d'un référendum, parce que,
là, on risque de brimer les droits et les aspirations des gens.
M. BOUSQUET: D'accord. Disons que, si nous acceptions votre
théorie, nous ne pourrions pas, par un référendum,
disposer des droits ou des prétendus droits d'un groupe ethnique
donné.
M. LESAGE: Je vous ai parlé des minorités.
M. BOUSQUET: Oui, oui. Je dis un groupe ethnique...
M. LESAGE: On ne massacre pas une minorité à coups de
référendums.
M. BOUSQUET: Ne peut-on pas...
M. LESAGE: Le gouvernement est élu. C'est à lui de prendre
ses responsabilités et il sera jugé sur sa politique.
M. BOUSQUET: Peut-on le faire avec les canons et les
baïonnettes?
M. LESAGE s Evidemment, M. Hitler...
M. BOUSQUET: Je sais qu'un référendum est très
dangereux,
M. LESAGE: ... avait cru cela. La Russie vis-à-vis de la
Tchécoslovaquie, le croit encore.
M. BOUSQUET: Non, pas Hitler. Enfin, on en a des exemples tous les
jours, de ce qui se passe dans le monde. Le monde n'a pas changé depuis
cent et deux cents ans, on se sert encore de l'épée. Est-ce que
le référendum est plus dangereux que l'épée?
M. LESAGE: Mon cher ami, je condamne les deux.
M. BOUSQUET: D'accord.
M. LE PRESIDENT: On va revenir au problème linguistique.
M. LEMIEUX: M. le Président, me permettez-vous une remarque
justement sur cette question de référendum?
M. LE PRESIDENT: Allez, allez.
M. LEMIEUX: C'est sur l'affirmation de M. le chef de l'Opposition
à l'effet qu'on ne permet pas, disons en bonne société,
à une majorité d'opprimer une minorité comme ça. Je
ne crois pas me tromper en affirmant ceci: que selon le droit international et
des principes reconnus par les Nations Unies je fais un parallèle
dans les pays en voie d'indépendance politique, lorsque l'on
tient un référendum sur cette question-là, on exclut, pour
voter à ce référendum, la minorité occupante dans
ce pays. Je pense que l'exemple est très bien choisi. C'est exactement
le contraire de ce que vous dites.
M. LESAGE: Disons que je ne suis pas d'accord.
M. LEMIEUX: On exclut la minorité occupante lorsqu'il s'agit
d'une décision de laquelle dépendra l'avenir de la nation en
cause.
M. LESAGE: Je ne considère pas qu'il y a une minorité
occupante au Québec.
M. LEMIEUX: Moi, si.
M. LESAGE: Vous, vous le considérez ainsi, c'est de vos affaires.
Je respecte votre opinion, M. Lemieux, comprenez-moi bien...
M. LEMIEUX: Linguistiquement.
M. LESAGE: ,. mais je ne puis pas la partager.
M. LE PRESIDENT: M. Lemieux, si nous appliquions vos recommandations,
serait-ce à dire qu'au mois de septembre, l'an prochain, toutes les
classes à partir de la première année seraient toutes en
français? Est-ce votre projet?
M. LEMIEUX: Exact.
M. LE PRESIDENT: Vous ne pensez pas que cela peut créer des
problèmes majeurs?
M. PAUL: A tous les degrés?
M. LEMIEUX: Problèmes techniques, pratiques?
M. LE PRESIDENT: Pratiques: de manuels, de professeurs, de classes?
M. LEMIEUX: Non, pour ce qui est des professeurs, j'y ai songé.
Je sais que, d'une part dans les écoles anglaises publiques, il y a un
grand nombre de professeurs non qualifiés parce que la population de
langue anglaise souffre d'un manque chronique de professeurs. Il y a
également un grand nombre de professeurs canadiens-français dans
les écoles anglaises au Québec. Il y en a également un bon
nombre qui seraient rendus à l'âge de la retraite et il y en a
d'autres qui pourraient être déplacés pour enseigner
l'anglais comme langue seconde à l'école française. Donc,
ce sont des problèmes techniques qui pourraient être
réglés, je crois, assez facilement.
M. LESAGE: Que va-t-il arriver dans certaines écoles de
Beaconsfield, de Westmount?
M. LEMIEUX: Aujourd'hui dans ces écoles-là, permettez-moi
de vous dire que j'étais...
M. LESAGE: A Notre-Dame-de-Grâce?
M. LEMIEUX: ... J'étais justement à Beaconsfield l'autre
soir et c'est d'un chic et du dernier snobisme pour les
Anglo-Québécois que de vouloir envoyer leurs enfants à
l'école française.
M. LESAGE: Oui, ils les envoient là pour un an ou deux.
M. LEMIEUX: C'est un bon début.
M. LESAGE: C'est très différent de ce que vous proposez,
M. Lemieux, je pense. Il faut tout de même être sérieux, et
si vous dites qu'à partir du mois de septembre il n'y aura plus de
première année en anglais au Québec, eh bien dans dix ans
ce sera les dix premières années alors,
M. LEMIEUX : Je regrette, mais il me semble que Beaconsfield et tout
l'ouest de l'Ile de Montréal font encore partie du territoire
québécois.
M. LESAGE: Oui, d'accord.
M. LEMIEUX: Je ne vois pas pourquoi on ferait des cas d'exception. On
n'est pas pour refaire la Confédération au sein du
Québec.
M. LESAGE: Alors, si vous voulez, ici à Québec même,
prenons la ville de Québec, Sillery, Sainte-Foy, Cap-Rouge,
Charlesbourg, enfin le Québec qu'on appelle le Québec
métropolitain, qu'on ne détermine pas toujours au point de vue
géographique de la même façon, mais je pense que le concept
est à peu près le même.
Croyez-vous qu'il serait juste d'exiger ou de décréter
qu'à l'école Saint-Patrice, par exemple, à l'avenir les
cours seraient français, première année, deuxième
année dans deux ans, troisième année dans trois ans?
M. LEMIEUX: Bien, c'est...
M. LESAGE: Et pourtant Dieu sait que les gens de langue anglaise
à Québec là je vous parle de Québec que je
connais peut-être un peu mieux parce que j'y ai vécu depuis tant
d'années je n'en connais pas qui ne se débrouillent pas en
français, et ils sont, ici à Québec en
général je connais très peu d'exceptions
intégrés à la vie canadienne-française.
M. LEMIEUX: Cela, je le reconnais et je dis que c'est une raison de plus
pour qu'ils n'aient plus besoin d'une école dans une autre langue que la
langue française.
M. LESAGE: Oui, mais c'est la leur.
M. LEMIEUX: Cela me paraît évident, c'est une raison de
plus.
M. LESAGE: Oui, mais c'est la leur. M. LEMIEUX: Bien, c'est la
leur...
M. LESAGE: Si j'allais demeurer à Ottawa, par exemple, à
Toronto, il me semble que, vivant au Canada, je considérerais que ce
n'est que justice élémentaire que mes enfants puissent
fréquenter des écoles publiques où l'enseignement se donne
dans leur langue maternelle, je ne dis pas qu'ils le feraient, mais qu'ils en
aient le droit.
M. LEMIEUX: Vous dites: « C'est la leur ». Eh bien! qu'ils
la financent, M. Lesage. C'est ce que tout...
M. LESAGE: C'est justement ce sur quoi nous avons fait porter nos
critiques vis-à-vis l'Ontario, vis-à-vis le
Nouveau-Brunswick.
M. LEMIEUX: Cest étrange, cela, parce que moi, je n'ai jamais
contesté la liberté des parents de choisir la langue
d'enseignement de leurs enfants. Mais je dis que l'Etat a le droit de
décider, lui, quelles écoles il subventionnera.
M. LESAGE: Bon, très bien.
M. LEMIEUX: Et j'apporte comme appui à ça les
décisions... enfin, c'est comme ça dans le monde, que voulez-vous
que je vous dise? La cour internationale des droits de l'homme,
ça vous a déjà été signalé qui
siège à Strasbourg, a réglé la question
linguistique de la Belgique exactement dans ce sens-là.
M. LESAGE: C'est la cour européenne qui a décidé
que vous aviez...
M. LEMIEUX: Non, elle a dit que les droits étaient
sauvegardés, puisqu'ils ont le droit de créer des écoles
privées.
M. LESAGE: Oui d'accord, mais simplement les situations ne sont pas les
mêmes partout. Il faut faire bien attention de... Vous savez qu'un avocat
apprend très jeune à savoir qu'un
jugement dans un cas donné est le plus souvent un cas
d'espèce.
M. LEMIEUX: De toute façon, je pense qu'il y a beaucoup de
parallèles entre la situation du peuple québécois et celle
du peuple flamand.
M. LESAGE: Quand vous arrivez devant un tribunal avec une cause qui
ressemble à celle sur laquelle vous vous appuyez, on vous dira plus
souvent qu'autrement que c'est un obiter dictum. Mais, M. Lemieux,
qu'arrive-t-il aux Acadiens et qu'arrive-t-il aux 600,000 Canadiens de langue
française qui sont en Ontario, qui continuent de parler français
et dont une bonne partie vit dans le nord ou le long des frontières du
Québec?
M. LEMIEUX: Je n'ai pas toute la réponse, mais j'en ai une
partie. Je pensa que ce serait un excellent domaine où votre nouveau
ministère de l'Immigration pourrait mettre l'accent sur le rapatriement
des Canadiens français à l'intérieur du Québec.
M. LESAGE: Là, franchement, vous disposez de la liberté
des gens d'une façon assez cavalière.
M. BOUSQUET: Je me demande s'ils veulent s'en venir ici. J'ai
vécu plusieurs années en Ontario et je me demande vraiment s'ils
seraient intéressés à venir vivre au Québec. Je me
le demande très sérieusement.
M. LEMIEUX: C'est possible qu'ils veuillent rester là-bas. Je
vous assure que moi-même, si je m'en allais, avec ma famille, vivre
à Toronto, je ne me battrais pas pour avoir une école
française à Toronto.
M. LESAGE: Bien, vous auriez tort. M. LEMIEUX: Je le regrette. M.
GOLDBLOOM: M. Lemieux...
M. LEMIEUX: De toute façon, j'ajoute ceci. Ce n'est que depuis
que le Québec affirme le fait français au sein du Québec
que nos minorités à l'extérieur reprennent vie. Alors, je
ne vois pas leur position, je ne vois pas comment l'un peut nuire à
l'autre.
M. LE PRESIDENT: Merci, M. Lemieux. M. LEMIEUX: Merci.
M. LE PRESIDENT: Me Groulx, s'il vous plaît, de la
Fédération des sociétés Saint-Jean-Baptiste du
Québec.
M. Groulx, vous avez la parole.
Me Yvon Groulx
M. GROULX: M. le Président, MM. les membres du comité de
l'éducation. D'abord, afin de ne pas vous faire perdre de temps, je vais
vous signaler ceci. Nous avons un mémoire qui est assez long. Cependant,
je lirai quelques feuilles qui résument les vingt premières pages
et je vous donnerai ensuite lecture au complet des quelque quinze pages qui
restent.
Cependant, je demanderais, si vous voulez bien me le permettre, que le
texte que je ne lirai pas ainsi que le mémoire qui a déjà
été présenté au premier ministre du Québec,
le 18 avril 1967, par la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal, en collaboration avec la Fédération des
sociétés Saint-Jean-Baptiste, soient déposés en
annexe au procès-verbal. Est-ce que c'est possible? Le texte complet et
ce mémoire-là.
M. LE PRESIDENT: Accepté? M. PAUL: Accepté. M. LESAGE:
Accepté.
M. LE PRESIDENT: Accepté à l'unanimité. (Voir
Annexe B)
M. GROULX: Merci, M. le Président et messieurs les membres du
comité. Tout le texte ainsi que le mémoire.
M. LE PRESIDENT: Est-ce que vous avez vos pages bleues? C'est
ça.
M. GROULX: Ce que je veux dire, c'est que tout soit
déposé, même ce que je ne lirai pas en d'autres termes.
Bon, merci.
M. le Président, Messieurs les membres du comité de
l'éducation, la Fédération des Sociétés
Saint-Jean-Baptiste du Québec, incorporée en 1948, groupe
dix-huit sociétés diocésaines ou régionales dont
l'ensemble des cotisants se chiffre à 225,000. C'est un mouvement
nationaliste qui se décrit comme la Société nationale des
Canadiens français du Québec.
L'objet de ce mémoire est de présenter le point de vue de
l'ensemble des sociétés Saint-Jean-Baptiste affiliées
à la fédération concernant le problème de la langue
d'enseignement au Québec, problème soulevé par la
présentation à l'Assemblée nationale du bill 85.
Lorsque, dans ce document, nous traitons du statut de la langue et de
l'intégration des immigrants, nous le faisons en regard de la langue
d'enseignement à l'école publique et du projet de loi soumis au
comité de l'éducation.
Il nous apparaît indispensable, pour comprendre la situation que
veut corriger le bill 85, d'analyser sommairement la marche des
événements et de considérer les faits avant d'exprimer
notre opinion sur les principes qu'il contient et de formuler nos
recommandations.
Quant aux autres aspects et à l'ensemble de la question
linguistique, la fédération se propose d'en traiter devant la
commission d'enquête sur le statut de langue française au
Québec. Elle y présentera un mémoire plus
élaboré et plus vaste dans son objet.
Notre mouvement se réjouit de ce que le gouvernement ait
créé cette commission d'enquête dont les travaux devraient
permettre une étude lucide de la situation actuelle et des
possibilités d'avenir du français au Québec.
La marche des événements. Voici le
résumé.
La fédération démontre, dans la première
partie de ce mémoire, que le cas de Saint-Léonard a
été provoqué, premièrement, par l'absence,
jusqu'à tout récemment, de politique québécoise
dans le domaine de l'immigration et, deuxièmement, par l'absence,
jusqu'à ce jour, de politique linguistique globale qui définisse
clairement les droits de la langue française au Québec.
Depuis l'adoption d'une loi britannique l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique en 1867, par le parlement
impérial de Westminster, la situation juridique de la langue
française n'a jamais été précisée ni
modifiée par une loi québécoise.
Le cas de Saint-Léonard, à l'analyse, révèle
qu'il s'agit d'abord et avant tout d'une offensive de certains
éléments de la population pseudoanglophone de cette
municipalité scolaire pour obtenir une école unilingue anglaise
et refuser l'intégration au milieu francophone en rejetant
l'école française décidée par les commissaires qui,
à l'automne 1967, avaient pris soin d'indiquer, sans équivoque
possible, que cette école diffuserait un enseignement adéquat en
langue anglaise. Cette résolution des commissaires, à
l'époque, avait été adoptée à
l'unanimité.
L'état des faits. Dans une deuxième section du
mémoire, la fédération s'attache à l'analyse des
faits qui caractérisent la vie collective des
Québécois.
La répartition démographique. Elle constate d'abord que le
Québec, d'après les chiffres du recensement de 1961, compte une
population totale de à,259,211 citoyens dont 81.18% de langue maternelle
française, 13.26% de langue maternelle anglaise et à.56% d'autres
langues maternelles. Nous n'avons pas de chiffres officiels plus récents
en ce qui concerne la langue des citoyens.
La pression anglophone et l'environnement nord-américain.
Même s'ils sont en majorité numérique au Québec, les
Canadiens français sont en minorité sur l'ensemble du continent
nord-américain de langue et de culture anglaises.
Masse énorme de plus de 200 millions d'individus sur laquelle
s'appuient les anglophones du Québec pour s'alimenter en ressources
économiques, scientifiques et humaines.
Ce fait fausse l'équilibre des forces en présence et
interdit, en définitive, qu'il y ait vraiment égalité de
chances pour les individus comme pour les collectivités. Grâce
à cet appui massif du milieu nord-américain par l'implantation au
Québec des institutions financières et économiques, par
l'envahissement culturel aussi, grâce également au laisser-faire
et à la résignation de la population francophone du
Québec, la minorité anglophone a imposé sa langue comme
langue de travail, langue de promotion sociale, condition essentielle de
promotion économique et instrument de domination du milieu
québécois.
Cette situation défavorise la majorité francophone et
privilégie la minorité anglophone en lui facilitant, sous tous
les rapports, l'accession à la gouverne de l'activité
économique et financière car, au Québec à
l'inverse du bon sens et de la justice la langue de la minorité
est à la fois indispensable et suffisante pour y gagner sa vie et
s'enrichir, même pour un unilingue anglais, tandis que le
Québécois, unilingue français, trouve grand peine à
y gagner sa vie.
Québec subit, dans le monde du travail et de l'économique,
le régime de la priorité de la langue anglaise qui érige
une barrière infranchissable pour ceux qui ne maîtrisent pas cette
langue, par sa prépondérance absolue, particulièrement
dans la région de Montréal et des principales villes du
Québec.
Il en résulte qu'il n'y a pas et qu'il ne peut y avoir
d'égalité de chances dans les circonstances actuelles tant pour
les collectivités que pour les individus. Il ne peut y avoir
égalité de chances que si l'Etat intervient, s'il met fin
à sa politique de laisser-faire et de libéralisme en
matière de culture, de langue et d'éducation, s'il applique une
politique intelligente qui appuie le vouloir-vivre des
Franco-Québécois et contrebalance, par son action vigilante et
son prestige, l'immense contrainte du milieu unificateur et anglicisant de
l'Amérique du Nord.
Quand des rapports engendrent une inégalité
aussi disproportionnée entre deux collectivités et
empêchent toute égalité de chances entre citoyens de langue
et de culture différentes, on ne peut qu'appliquer le principe de
Lacordaire: « Dans la concurrence entre le faible et le fort, c'est la
liberté qui opprime et c'est la loi qui affranchit. » Au
Québec, en matière de langue et d'éducation, c'est le
laisser-faire et le libéralisme culturel qui engendrent l'injustice et
l'iniquité, tandis que la loi peut ordonner les rapports entre les
collectivités linguistiques, rétablir l'équilibre et
finalement libérer le groupe francophone de l'oppression causée
par l'immense disproportion en nombre et en puissance financière
avec la collectivité nord-américaine qui sert d'appui
à la minorité anglo-québécoise.
Il en résulte que le groupe francophone est en perte de vitesse,
car la prépondérance absolue de la langue anglaise et sa
nécessité vitale pour l'immense majorité des travailleurs,
des hommes d'affaires, des industriels et des commerçants incitent
nécessairement les Néo-Québécois à
s'intégrer au groupe anglophone, d'autant plus que cette
intégration leur ouvre toute grande la porte sur l'Amérique du
Nord.
En somme, comme je l'ai dit parfois, demander aux immigrants de
s'intégrer au groupe français c'est leur donner la clef du
Québec, alors que leur demander de s'intégrer au groupe
anglophone, c'est leur donner le passe-partout de l'Amérique du
Nord.
Les statistiques fédérales nous indiquent que le groupe
francophone, en 1961, réussissait tout juste à maintenir le
minimum nécessaire à sa survie, soit 100.6%. En 1969, depuis que
le Québec connaît le phénomène de la
dénatalité, alors que 90% des immigrants s'intègrent au
milieu anglophone, la collectivité franco-québécoise a
été en danger de minorisation démographique,
résultat final du processus de minorisation psychologique, qu'elle
connaît déjà depuis longtemps.
Les statistiques publiées dans le mémoire indiquent que le
système d'enseignement au Québec et la liberté
laissée aux parents de choisir entre l'école française ou
l'école anglaise, facilitent l'assimilation
accélérée des Néo-Québécois au groupe
anglophone et occasionnent le fait que la collectivité
franco-québécoise soit en perte de vitesse.
Dans le secteur de l'éducation, le Québec a
appliqué une politique inspirée par des sentiments
généreux, un libéralisme culturel et un laisser-faire qui
souvent était contraire au simple bon sens et à la logique. A
titre d'exemples, citons le fait que neuf étudiants
néo-québécois sur dix dans la région de
Montréal fréquentent l'école anglaise.
La Protestant School Board of Greater Montreal a mis sur pied, à
l'automne 1967, un programme en vue de favoriser et d'accélérer
l'anglicisation des Néo-Québécois. La section anglaise de
la Commission des écoles catholiques de Montréal compte à
peine le quart de ses étudiants qui soient vraiment anglophones,
c'est-à-dire d'origine britannique ou de langue maternelle anglaise.
Situation inadmissible dans un Etat normal.
Je suis même informé qu'en septembre 1968, la Commission
des écoles catholiques de Montréal aura ouvert 75 nouvelles
classes dont 65 de langue anglaise et 10 seulement de langue
française.
Le taux a atteint depuis longtemps la cote d'alarme. Il n'est plus
permis aux autorités de continuer une politique de laisser-faire, de
libéralisme culturel qui dégénère aussi rapidement
en une forme subtile de ségrégation et d'oppression
exercée par le milieu anglophone nord-américain. Les statistiques
prouvent hors de tout doute que le fallacieux principe du libre choix de la
langue d'enseignement pour tous les Québécois conduit à la
minorisation graduelle de la collectivité francophone et au renversement
des rapports démographiques dans un avenir plus ou moins
rapproché.
Je vous reporte maintenant à la page 21 du mémoire: Les
faits qu'il faut corriger.
Il découle de l'absence de politique québécoise
pour sélectionner et accueillir les immigrants, de l'absence de
politique linguistique, de l'application inconditionnelle du principe du libre
choix de la langue d'enseignement et de la pratique du laisser-faire et du
libéralisme culturel, des conséquences graves qui mettent en
cause l'avenir même du Québec en tant qu'Etat français.
Nous le résumons en cinq points: a)l'unilinguisme anglais se
perpétue au Québec. Il y a encore 600,000 unilingues anglais au
Québec. b) l'anglicisation massive et accélérée des
Néo-Québécois. c) l'imposition de la langue anglaise
à la majorité francophone dans le monde du travail, des affaires,
du commerce, de la finance et de l'industrie comme condition essentielle et
effective de promotion sociale et économique et comme instrument de
domination économique. d) le système scolaire actuel qui fabrique
des unilingues anglais dans une collectivité en majorité
francophone.
En contrepartie, on peut se demander s'il y a encore à
toutes fins pratiques de véritables institutions scolaires
secondaires et collégiales vraiment de langue et d'esprit
français
par suite de la répartition égale des heures
d'enseignement des langues du français et de l'anglais au
secondaire du moins et de l'introduction abusive de la langue anglaise
ou de manuels traduits. e) la baisse constante et tragique du pourcentage des
francophones dans le Québec qui conduit inexorablement, sous la pression
des facteurs économiques et politiques nord-américains, à
la minorisation psychologique des Canadiens français et,
éventuellement, à leur minorisation démographique.
Quels remèdes faut-il appliquer?
Tous les programmes des partis politiques en 1966 indiquaient clairement
qu'il est devenu important de légiférer pour régler cette
question à la fois grave et complexe. On y mentionne que le
français doit être une langue prioritaire au Québec, ou
langue nationale ou seule langue officielle. Il n'est pas de parti politique
qui ait osé nier l'importance du problème si l'on
considère la place prépondérante qu'ils y ont
accordée dans leur manifeste électoral.
Cependant, il n'est pas suffisant de présenter un programme
à l'électorat, encore faut-il que ces propositions se
concrétisent dans une ou des législations.
L'objectif qu'il faut atteindre pour normaliser la situation des
rapports entre Québécois est celui-là même que
définissait l'ex-premier ministre du Québec, Me Daniel Johnson,
dans sa dernière conférence de presse: « Faire en sorte que
le Québec soit aussi français que l'Ontario est anglais ».
Rien de plus normal. Rien de plus logique aussi, sans quoi le Québec est
voué inévitablement à perdre son identité, sa
personnalité propre comme foyer principal et pivot du Canada
français.
Le premier ministre expliquait ainsi aux millions d'auditeurs qui
l'écoutaient « qu'en faisant du français la langue d'usage
de l'Etat québécois, le gouvernement du Québec pratiquera
la même politique en matière linguistique que le gouvernement de
l'Ontario qui a dessein de respecter les droits de sa minorité
linguistique. La langue d'usage de l'Ontario sera et demeurera l'anglais comme
le français le sera au Québec. « Ainsi, ajoutait-il, nous
allons voir à ce que tous les anglophones et tous les non-francophones
du Québec, aient une chance d'apprendre le « prevallling language
», comme on dit en Ontario, et le « prevailing language » en
Ontario, on sait ce que c'est. »
Il va sans dire que la politique linguistique au niveau scolaire doit
être appuyée, pour être efficace, par une politique globale
qui fasse du français la langue d'usage quotidien dans la vie collective
des Québécois et la langue de travail dans le monde du commerce
de l'industrie, de l'administration, des affaires et des services.
Il importe qu'une législation globale assure à la langue
française le rang et le prestige de langue nationale au Québec
et, par le fait même, établisse les droits de la
majorité.
Dans l'ordre actuel des choses, il est illogique que l'Assemblée
nationale adopte d'abord une législation d'exception (le bill 85) sans
avoir au préalable défini la politique linguistique de l'Etat du
Québec tant dans le domaine des langues officielles que dans le domaine
du travail et de l'éducation.
Il n'est pas possible l'expérience le démontre
d'atteindre cet objectif normal pour un peuple qui se respecte et qui
entend prendre les moyens de vivre et de s'épanouir, sans avoir recours
à des lois linguistiques. Il n'est pas possible non plus qu'une
législation linguistique puisse atteindre son but et être vraiment
efficace si elle n'est pas contraignante.
Aucune politique linguistique n'a de chance de succès si elle ne
contient pas un élément de coercition qui donne au
législateur le moyen de faire respecter sa loi et impose aux citoyens,
en plus de l'obligation morale inhérente à toute loi, une
obligation formelle qu'ils ne peuvent impunément mépriser.
Le législateur le sait bien puisqu'il introduit dans le bill 85
un élément de coercition en confiant au ministre le pouvoir de
mettre en oeuvre les recommandations du comité linguistique du Conseil
supérieur de l'éducation et en imposant aux commissaires des
écoles publiques l'obligation légale «de prendre les
mesures nécessaires pour... » et je cite dans le
mémoire, ici, je vous fais grâce de la citation. Vous connaissez
bien le bill 85, sûrement, actuellement . La loi proposée
est à ce point contraignante qu'elle permet à un seul individu de
porter plainte auprès du ministre de l'Education dont la décision
est sans appel. Il en est de même d'ailleurs de l'obligation, dans le
bill 85, pour les écoles anglophones de diffuser un enseignement de la
langue française. C'est là une autre contrainte acceptée
par la loi.
Si le législateur québécois insère plusieurs
éléments de coercition dans le bill 85, c'est qu'il ne peut
ignorer pas plus d'ailleurs que le législateur d'aucun autre pays
l'importance de l'obligation légale faite aux citoyens de se
conformer à une directive en matière de langue.
Cette forme de coercition ne brime nullement les droits fondamentaux de
l'homme québécois, pas plus que les lois linguistiques de
Belgique organisant la coexistance des unilinguismes flamand et wallon
n'attentaient aux droits de l'hom-
me belge selon le jugement de la Cour européenne des droits de
l'homme. Pas plus que les lois linguistiques de la Suisse ne briment les droits
de la personne humaine tout en contraignant le citoyen à adopter la
langue du canton où il réside.
La liberté du choix de la langue d'enseignement que l'on veut
introduire dans le bill 85 n'existe d'ailleurs nulle part dans le monde
anglophone, que ce soit au Royaume-Uni, en Australie, en
Nouvelle-Zélande, ou dans tout autre pays de langue anglaise. Même
dans l'Ile Maurice dont la population est d'origine française et
francophone en grande partie du moins le système d'écoles
publiques était anglophone au moins jusqu'à tout
récemment, jusqu'à l'indépendance. Actuellement, je ne
sais pas quel est le régime.
Même en Ontario, en Colombie ou en Nouvelle-Ecosse ou n'importe
où au Canada anglais, il n'y a pas de libre choix de la langue
d'enseignement. Récemment, les porte-parole du monde de
l'éducation au Canada anglais n'ont-ils pas indiqué
eux-mêmes qu'il était dérisoire de prétendre au
libre choix de la langue d'enseignement de la part des immigrants? Lors du
congrès de la Canadian School Trustees' Association, les commissaires
ont rejeté une résolution demandant pour les immigrants le droit
de choisir la langue d'éducation de leurs enfants. Le français ou
l'anglais, d'ailleurs, c'est de cela qu'il était question.
Même aux Etats-Unis, pays des libertés personnelles, pays
où la langue et la culture anglaises jouissent au départ d'une
supériorité écrasante et d'une avance insurmontable, cette
forme de liberté n'existe pas. L'Etat ne reconnaît pas aux parents
le privilège de choisir la langue d'enseignement pour leurs enfants qui
fréquentent les institutions subventionnées par l'Etat. Qui
oserait prétendre qu'à cet égard les législations
scolaires américaines briment la liberté des individus et
méprisent leurs aspirations culturelles légitimes?
Depuis dix ans, les résolutions réitérées
des congrès généraux de la Fédération des
sociétés Saint-Jean-Baptiste, de ses sociétés
affiliées et les attitudes publiques constantes de nos dirigeants
appuyés sans équivoque par l'ensemble de nos membres ainsi que
les recommandations de nos deux mémoires à la commission Parent
et au comité parlementaire de la constitution, réclament avec
insistance que le Québec définisse une politique linguistique
dans le secteur de l'éducation, politique qui permette d'atteindre trois
objectifs majeurs; a) Assurer que tout le système d'enseignement public
soit de langue française tout en fai- sant en sorte que les citoyens
anglophones puissent fréquenter soit des écoles publiques de
langue française, soit des écoles publiques de langue anglaise
tenues toutefois de dispenser un bon enseignement du français et tenues
d'utiliser la langue française comme langue d'enseignement pour une
bonne partie de ses cours, afin que les anglophones qui fréquentent ces
institutions acquièrent ainsi une bonne connaissance de la langue de la
majorité pour vivre normalement dans un Etat francophone; il est
évident d'ailleurs que l'école publique française
diffusera un enseignement adéquat dans la langue anglaise à
partir du niveau secondaire. b) Prendre les dispositions requises pour que les
immigrants soient intégrés au milieu
franco-québécois et que leurs enfants fréquentent
l'école publique française et, finalement. c) Organiser
l'enseignement de la langue anglaise comme langue seconde afin que sa
connaissance soit réellement un apport à la culture des
Québécois et un instrument additionnel de rayonnement, et non
plus une condition essentielle pour gagner sa vie au Québec.
Nous reconnaissons que, devant la gravité de la situation et
à la lumière des exemples cités dans ce mémoire, il
serait logique de conclure à l'établissement d'un seul
système d'enseignement public pour tous les Québécois, ce
système unique devant être de langue française.
Un secteur important des membres les plus dynamiques de nos
sociétés partagent cette opinion et ils apportent, à
l'appui, des arguments fort valables. Nous ne sommes pas sûrs d'ailleurs
que cette solution ne doive pas s'imposer en définitive pour accorder
aux francophones des chances au moins égales à celles dont
jouissent présentement les anglophones afin d'accéder aux postes
de commande et au plus haut niveau de direction dans la vie économique,
de permettre en somme aux Franco-Québécois de se comporter en
majorité chez eux et d'intégrer les nouveaux venus comme le fait
toute majorité normale dans le monde.
Si nous suggérons un régime d'exception pour les
anglophones, à titre d'essai et peut-être même
d'étape seulement, c'est uniquement en raison du contexte canadien et
nord-américain qui dresse, aux yeux d'une forte partie de la population
québécoise, un obstacle psychologique insurmontable; c'est en
raison aussi des mesures récentes prises à l'extérieur du
Québec qui rendent moins écrasante la situation minoritaire de
nos compatriotes canadiens-français.
Ce régime d'exception toutefois ne devra pas constituer la
reconnaissance de quelque droit linguistique que ce soit en faveur de la
minorité tant et aussi longtemps que ce droit ne s'exer-
cera pas dans des conditions de concurrence libre et égale des
forces en présence, ce qui ne pourrait se réaliser
qu'après l'adoption d'une législation formelle et efficace
faisant du français la langue nationale, la seule langue officielle et
la langue de travail au Québec.
Cette école pour les anglophones devra, à brève
échéance faire la preuve qu'elle peut dispenser à ceux qui
la fréquentent une connaissance adéquate de la langue
française, écrite et orale, afin que ses diplômés
s'intègrent naturellement au Québec français et n'imposent
pas leur langue à la majorité francophone tout comme les
Franco-Ontariens s'intègrent à l'Ontario sans imposer la langue
française à la majorité anglophone. A cette fin, cette
école devra modifier radicalement son esprit et son programme afin de
prouver qu'elle est capable de réussir ce qu'elle n'a pas fait
jusqu'à maintenant: cesser de former des unilingues anglais comme l'ont
été et le sont encore la majorité de ses
diplômés.
Le bill 85 corrige-t-il la situation?
En regard de la situation que nous avons décrite, basée
sur les faits et les données statistiques, il faut se demander si le
projet de loi modifiant la loi du ministère de l'Education, la loi du
Conseil supérieur de l'éducation et la loi de l'Instruction
publique est susceptible d'y apporter un correctif efficace et valable.
Après étude attentive des articles du bill 85, l'analyse
de leur portée légale et juridique, nous en sommes venus à
la conclusion que le projet de loi ne corrige pas la situation. Au contraire,
il l'aggrave singulièrement. a) Le bill 85 crée du droit nouveau
en consacrant dans un texte juridique un privilège de la minorité
de langue anglaise qui, à la faveur des droits garantis à la
minorité protestante dans l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, a bâti un réseau complet d'institutions
d'enseignement de langue anglaise. b) Il transforme désormais en droit
un privilège, jusqu'ici accordé par la coutume et la
tolérance, des citoyens anglophones de posséder des institutions
scolaires de langue anglaise même dans le secteur des écoles
publiques catholiques. c) Ce qui est plus grave encore, il étend la
reconnaissance de ce droit nouveau à tous les citoyens
québécois, sans distinction aucune, d'origine et de culture:
qu'ils soient nés au Québec ou qu'ils soient immigrants,
même sans être naturalisés Canadiens, il leur accorde la
liberté de choisir la langue d'enseignement pour leurs enfants,
d'obliger les commissaires des écoles publiques à satisfaire
leurs exigences et la possibilité d'avoir recours au ministre de
l'Education pour obtenir satisfaction si la commission scolaire s'y refuse. d)
Il permet même à tout groupe de parents francophones qui le
désirent, pourvu que leurs enfants soient aptes à le faire, la
possibilité de choisir la langue anglaise comme langue d'enseignement et
d'obliger les commissaires à se conformer à telle exigence pour
le moins aberrante. e) Du fait du conditionnement socio-économique du
milieu nord-américain en général et du milieu canadien en
particulier; du fait qu'il n'y ait pas et qu'il ne peut y avoir, dans les
circonstances actuelles, de véritable égalité de chances
entre le travailleur, l'homme d'affaires, l'industriel, le commerçant,
l'administrateur de langue française et celui de langue anglaise, le
bill 85 constitue, malgré la bonne volonté du législateur,
une incitation à choisir l'école publique anglaise,
défrayée par le produit des taxes des citoyens dont la
majorité est de langue et de culture françaises. f) En
conséquence même si ce n'est pas l'intention du
législateur le bill 85 ouvre toute grande aux immigrants la porte
sur le Canada anglais et sur l'Amérique anglophone et la referme presque
inévitablement sur le milieu social canadien-français. Il
contribue à accentuer le processus de minorisation de la
collectivité québécoise et le processus de
détérioration de la langue et de la culture françaises au
Québec, en accordant le droit abusif aux parents du libre choix de la
langue d'enseignement pour leurs enfants tant aux anciens qu'aux nouveaux
citoyens du Québec et en obligeant les commissaires d'écoles
à se conformer à la volonté ainsi exprimée par les
parents ou par ceux qui en tiennent lieu. g) Le bill 85, par la
consécration de la liberté de choix, alors que la langue anglaise
exerce un tel attrait grâce à sa situation
privilégiée, équivaudrait à une démission du
législateur devant la situation qu'il faut corriger, situation
néfaste pour la majorité franco-québécoise.
Tout au plus, le bill 85 contribuera-t-il à augmenter le nombre
des Québécois dont la langue seconde sera la langue
française, en obligeant les écoles du secteur anglais à
diffuser un enseignement de façon à assurer une connaissance
d'usage de la langue française.
Les immigrants et le bill 85.
Même si le projet de loi, par ailleurs, accorde la
responsabilité au ministre de l'Education, de concert avec le ministre
de l'Immigration, de prendre les dispositions nécessaires pour que les
personnes qui s'établissent au
Québec puissent acquérir, dès leur arrivée,
une connaissance d'usage de la langue française et faire instruire leurs
enfants dans des écoles reconnues par le ministère comme
étant de langue française, cet article n'a qu'une portée
incitative et n'est, en aucune façon, contraignant.
Rien n'oblige les immigrants à opter pour le système
d'écoles publiques françaises. Au contraire, il leur suffira
d'exiger des écoles uni-lingues anglaises pour que les commissions
scolaires soient tenues de se conformer à leur désir,
conformément aux dispositions a), b) et c) du dixième article du
bill 85. Force nous est de reconnaître que le projet de loi est d'une
grande faiblesse au sujet de l'intégration des immigrants, bien qu'il
manifeste une bonne intention de la part du législateur.
Sans un article qui contraigne les immigrants à fréquenter
les écoles publiques françaises, confessionnelles ou autres,
comment les ministres concernés pourront-ils convaincre les immigrants
qu'il est de leur intérêt de s'intégrer à la
collectivité francophone, quand l'on connaît l'immense pression
socio-économique exercée par le milieu nord-américain qui
a jusqu'ici favorisé l'intégration de près de 90% des
Néo-Québécois au groupe anglophone?
Comme l'affirmait récemment sur les ondes de Radio-Canada, M.
Procek de l'université de Montréal, un des responsables des cours
d'accueil aux immigrants tchèques venus au Québec, à la
suite des événements tragiques en leur pays, les nouveaux venus
savaient déjà, par leurs parents ou amis tchèques
établis au Québec depuis longtemps, que la puissance
financière et économique est entre les mains des Anglo-Saxons et
qu'il était nécessaire et préférable dans leur
propre intérêt d'apprendre la langue anglaise et de
s'intégrer au milieu anglophone. M. Procek affirmait qu'un nombre
relativement peu élevé de ses compatriotes tchèques
choisissaient l'intégration au groupe francophone et qu'il était
lui-même une exception, ayant décidé de faire
carrière en langue française. D'ailleurs les statistiques qui ont
été publiées par les journaux à la suite de
l'immigration intense des tchèques au Canada, sont
révélatrices à ce sujet.
Dès lors, il est facile d'en déduire que ce n'est pas
simplement par une politique incitative et d'accueil cordial que l'on pourra
contrer l'effet corrosif qui résulte d'une situation qui a trop
longtemps pourri.
Pour être efficace, une politique d'accueil devra s'appuyer non
seulement sur le ministère de l'Immigration, mais aussi sur une
politique linguistique globale qui transformera le milieu
québécois et une politique de l'éducation qui fasse de la
langue française la langue obligatoire d'enseignement pour tous les
citoyens, sauf pour les Québécois d'origine britannique ou de
langue maternelle anglaise pour lesquels est prévu un régime
d'exception que j'ai décrit tout à l'heure.
On ne peut que conclure: le bill 85 ne corrige pas efficacement et
fondamentalement la situation, puisque le législateur se contente
d'exiger que les anglophones apprennent le français et d'inciter les
immigrants à apprendre eux aussi la langue française, tout en
laissant le libre choix, à tous les citoyens, entre l'école
française ou l'école anglaise. Le bill 85 maintient, confirme et,
par certains aspects, consolide des éléments qui sont à
l'origine de la situation actuelle.
Pour ces raisons, la Fédération des sociétés
Saint-Jean-Baptiste du Québec recommande au comité de
l'éducation de retirer le bill 85.
La Fédération soumet au comité de
l'éducation sept propositions pour définir une politique des
langues d'enseignement au Québec, afin de remplacer le bill 85 et
d'atteindre les objectifs décrits dans les pages
précédentes. 1. Que les enfants de tout immigrant qui choisit de
s'établir au Québec, doivent fréquenter l'école
publique française. 2. Que la connaissance du français
écrit et parlé soit essentielle à tout étudiant
québécois pour obtenir tout diplôme officiel de l'Etat du
Québec, dans toutes les institutions d'enseignement. 3. Que le
comité de l'éducation et l'Assemblée nationale refusent
en droit et en pratique le libre choix de la langue
d'enseignement et, en conséquence, que l'école publique pour tous
les Québécois soit obligatoirement l'école
française, sauf pour les anglophones c'est-à-dire les
citoyens d'origine britannique ou dont la langue maternelle est l'anglais
qui pourront fréquenter des écoles anglaises dispensant un
bon enseignement du français et une partie substantielle de ces cours en
langue française. 4. Qu'il soit interdit à toute institution
publique de langue anglaise de recevoir des élèves qui ne soient
pas anglophones, c'est-à-dire d'origine britannique, ou dont les parents
sont de langue maternelle anglaise. à. Que les commissions scolaires
dont les institutions enfreignent ces normes linguistiques soient
privées des octrois et subventions prévus par la loi. 6.
Qu'aucune institution privée qui ne se conformerait pas à ces
normes linguistiques
puisse bénéficier d'octrois ou des subventions à
même les fonds publics. 7. Que les écoles anglaises pour les
anglophones seulement ne constituent pas un secteur distinct dans l'ensemble du
système d'enseignement au Québec.
En vous soumettant ces propositions pour une législation sur les
langues d'enseignement au Québec, la Fédération des
sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec ne fait
qu'appliquer les résolutions et les voeux de ses congrès annuels
depuis dix ans, dont nous incluons une partie en annexe à ce
mémoire. Elle ne fait que renouveler les recommandations qu'elle faisait
à la commission d'enquête sur l'enseignement et reprises devant le
comité parlementaire de la constitution.
Et voici ces quelques propositions.
S'il se trouve encore dans la province des personnes qui y sont
nées, qui y ont toujours vécu et qui sont encore incapables de
comprendre et de prononcer un seul mot de français, cela est
inadmissible. Si, dans les autres provinces on peut, de par le régime
scolaire, obliger l'étudiant à apprendre l'anglais sans profit
culturel, pourquoi, dans la province de Québec hésiterions-nous
à faire profiter tous les habitants des avantages de la culture
française?
Ceci dit, nous croyons que les personnes vivant au Québec et dont
la langue maternelle est l'anglais devraient pouvoir parler le français
avec une correction correspondant au niveau de leurs études. C'est dire
que l'étude du français devrait être obligatoire à
tous les niveaux, dans les écoles de langue anglaise, les exigences
devenant de plus en plus sévères selon les degrés
d'études.
Pour les autres, c'est-à-dire pour les personnes dont la langue
maternelle n'est pas l'anglais, elles devraient être tenues de
fréquenter les classes françaises, tout en reconnaissant aux
Néo-Canadiens le droit de conserver leur langue maternelle.
Ces textes que je vous lis datent de 1962, de la commission Parent.
En d'autres termes, comme l'a décrit la société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal, en 1962, dans son mémoire
également à la commission Parent, « que l'école
publique de la province de Québec soit l'école française
et que les écoles destinées aux enfants dont la langue maternelle
est l'anglais soient des écoles bilingues d'un type analogue, mais en
sens inverse, aux écoles bilingues organisées pour les Canadiens
français dans l'Ontario. »
Une législation régissant les langues d'enseignement,
basée sur les propositions que nous vous soumettons, permettrait au
Québec d'atteindre l'objectif de tout peuple normal qui se respecte, qui
entend prendre les moyens d'assurer la vitalité et la diffusion de sa
culture car, comme le rappelle le rapport Tremblay: « Une culture n'a de
chance de vivre que si elle s'exprime, s'épanouit et se donne
».
Pour le Québec, cet objectif ne peut être autre que celui
décrit par Me Daniel Johnson lors de sa dernière
conférence de presse, considérée comme son testament
politique: Il faut que le Québec soit aussi français que
l'Ontario est anglais.
Je vous remercie, M. le Président.
M. LE PRESIDENT: M. le ministre Cardinal.
M. CARDINAL: Me Groulx, dans votre avant-propos, vous mentionnez que la
Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste du
Québec groupent dix-huit sociétés diocésaines ou
régionales dont l'ensemble des cotisants se chiffre par 225,000 membres.
Dans la liste des groupes et associations qui viennent devant ce comité,
nous avons cinq groupes qui portent le nom de la Société
Saint-Jean-Baptiste, soit de Montréal ou d'Alma, etc. Lorsque vous vous
exprimez au nom de la Fédération, est-ce que vous vous exprimez
au nom de toutes ces dix-huit associations ou de la majorité d'entre
elles, ou au nom des membres, ou de la majorité des membres? Voici ce
que je veux dire: Comment se fait-il que la fédération s'exprime
et que certaines sociétés s'expriment aussi? Comme nous n'avons
pas encore vu tous les mémoires, ma question n'a pas pour but de vous
embarasser. Il me semble y avoir, à première vue, peut-être
un dédoublement, ou peut-être parfois des nuances sinon des
différences de propositions.
M. GROULX: D'abord, premièrement, il ne s'agit pas d'un
dédoublement, il s'agit d'un appui. Deuxièmement, il y a parfois
certaines nuances que des sociétés peuvent apporter, comme par
exemple, nous avons apporté dans notre texte, nous de la
fédération, peut être fidèles à l'ensemble
des sociétés. Dans l'expression britannique ou de langue
maternelle anglaise, certaines associations vont insister sur «
britannique », d'autres vont insister sur « langue maternelle
anglaise ». Alors, à mon avis, ce sont des nuances qui ne sont pas
l'objet principal du débat. Mais je peux vous dire que, sur le fond, sur
les grandes lignes de notre mémoire, sur les conclusions, nous
représentons l'opinion de toutes les sociétés
Saint-Jean-Baptiste, et je puis dire de l'ensemble des membres parce que, comme
je vous l'ai rapporté, nous nous référons
à des résolutions de nos congrès de plusieurs
années en arrière, depuis même 1961 au moins, et les
membres qui ne seraient pas d'accord, auraient eu le temps depuis de manifester
leur dissidence.
M. CARDINAL: D'accord. Me Groulx, une deuxième question: Dans vos
sept propositions vous en avez une qui nous intrigue davantage peut-être
à cause de sa rédaction. C'est la proposition 4 qui se lit comme
suit: « Qu'il soit interdit à toute institution publique de langue
anglaise de recevoir des élèves qui ne soient pas anglophones.
» C'est une façon de présenter cette question parce qu'elle
pourrait se comprendre de deux ou trois angles différents. On pourrait
dire: « Qu'il soit interdit à toute personne qui n'est pas
britannique ou anglophone, au sens où vous le décrivez dans votre
mémoire, de se présenter dans une école anglaise ».
Là l'interdiction porte plutôt sur l'école. Est-il
possible, dans un système proposé, celui que vous proposez,
d'avoir une prohibition semblable?
Si nous prenons les autres propositions, la première proposition
établit une obligation, alors que le bill 85 établissait,
malgré les critiques qui ont été faites à l'article
1, une incitation aux immigrants de fréquenter l'école publique
française.
La proposition 2 ressemble étrangement à ce que nous
retrouvons d'ailleurs dans le bill 85 où on exige une connaissance
d'usage du français de tout étudiant, etc., pour avoir le
diplôme d'études secondaires ou collégiales.
La proposition 3, disons-le, vous est particulière, malgré
que nous en ayons des variétés dans d'autres mémoires.
La proposition à, on la retrouve dans le bill 85, sauf qu'il y a
des moyens de contraindre les commissions scolaires qui ne suivraient pas la
législation proposée.
M. GROULX: Mais, ici, elle est plus large!
M. CARDINAL: D'accord, elle est plus large. Mais enfin ce que je veux
dire, c'est qu'en général vos propositions sont des propositions
qui ne sont pas d'une nature, je dirais, extrémiste, en ce sens qu'elles
n'interdisent pas ou ne semblent pas brimer, ne semblent pas défendre,
ne semblent pas interdire quelque chose, tandis qu'en 4, vous avez justement
une interdiction. Ma question est celle-ci: Est-ce que vous croyez que,
justement, il est possible à un Etat, dans le système que vous
préconisez, d'avoir une interdiction semblable au niveau de
l'administration scolaire même?
M. GROULX: C'est sûrement possible. Et, d'ailleurs, je vais vous
répondre par un exemple concret et présent.
Il y a actuellement une commission scolaire, celle de Jacques-Cartier,
qui refuse à l'école anglaise les enfants qui ne connaissent pas
l'anglais en entrant à l'école, dont la langue maternelle n'est
pas l'anglais. Assez curieusement, l'autre jour à la suite de la
présentation d'un mémoire ici, j'écoutais à
Montréal, la télévision de langue anglaise afin de
connaître la réaction de ces messieurs avec qui j'ai quand
même assez souvent à dialoguer. J'ai alors entendu le
président de l'Association des parents catholiques du diocèse de
Montréal, M. Smith, je pense, qui a d'ailleurs été
à l'origine de l'Association des parents de Saint-Léonard, citer
le cas de Jacques-Cartier et dire que sans nécessairement appuyer cette
attitude, il considérait que c'était peut-être un genre de
compromis dont on pouvait discuter. Puisqu'une commission scolaire le fait,
puisque l'un des dirigeants du groupe anglophone trouve, sans
nécessairement approuver cette attitude, que c'est quand même une
attitude qui est discutable et qui peut être considérée, je
pense bien qu'il n'y a pas d'objection à ce qu'on puisse le proposer
dans un mémoire.
Maintenant, qu'on fasse l'inverse. Qu'aucun enfant ne puisse
fréquenter une institution de langue anglaise s'il n'est pas de langue
anglaise. Remarquez que c'est un autre...
M. CARDINAL: ... ce qui était proposé par un autre groupe.
C'est que vous arrivez, par cette interdiction au niveau de l'administration
scolaire, à interdire aux parents de langue française d'envoyer
leurs enfants dans des écoles de langue anglaise.
M. GROULX: C'est ce que nous proposons, nous aussi, d'ailleurs.
M. CARDINAL: C'est clair comme ça. M. GROULX: Ah! c'est
très clair.
M. LESAGE: Qu'est-ce qui arrive, M. Groulx, par exemple, dans des cas
d'exception comme celui des consuls des pays Scandinaves à
Montréal qui voudraient envoyer leurs enfants à l'école
anglaise?
M. GROULX: Je vous répondrai tout simplement, M. Lesage, que
notre projet n'est pas fait pour les cas d'exception du genre.
M. LESAGE: Non, mais alors, qu'est-ce que
vous en faites si vous avez une prohibition qui est absolue?
M. GROULX: Dans ce cas-là, nous aurons la même situation
que tous les pays du monde. Ecoutez, je pense bien qu'au Caire, on trouve le
moyen...
M. LESAGE: Mais il n'y a pas de système d'enseignement public
dans deux langues. Tandis que s'il y a des systèmes d'enseignement
public dans les deux langues, comment pouvez-vous refuser le choix aux fils ou
aux filles des consuls?
M. CARDINAL: M. le chef de l'Opposition, justement pour compléter
votre question, voici ce que veut dire M. Groulx. Je pense que la question de
M. Lesage est dans le même sens. Si on prend un mémoire qui nous
dit que c'est un système unilingue français ou un système
unilingue anglais, il y a une logique dans ces systèmes-là qui
fait que telles conclusions en découlent.
M. LESAGE: C'est ça.
M. CARDINAL: Mais à partir du moment où on parle d'un
système comme celui que vous préconisez, qui est un
système hybride, disons, si vous me le permettez, sans aucune ironie,
que si vous amenez une interdiction semblable, ce n'est pas tout à fait
la même chose. C'est pourquoi je me demande et je me posais
tantôt précisément la question en tentant d'être
clair . Si dans le système que vous préconisez, cette
interdiction est absolue et s'applique en particulier aux enfants des
francophones.
M. GROULX: Disons que l'interdiction, c'est pour tous ceux qui ne sont
pas de langue maternelle anglaise ou qui ne sont pas des britanniques de langue
anglaise. Maintenant quant aux consuls, remarquez que là, c'est une
question d'arrangement diplomatique. A mon avis, ce n'est pas le fond du
problème. Ce n'est pas ça qui va régler le cas
scolaire.
M. LESAGE: Votre interdiction est tellement absolue qu'elle peut nous
amener à des choses assez cocasses.
M. GROULX: Je crois que ce sont des cas marginaux qui ne
dérangent en rien le système. Maintenant quant au système
hybride, il est évident que nous sommes aussi dans une situation
hybride. Je vous l'ai dit. Pourquoi proposons- nous ce régime
d'exception? C'est à cause du contexte canadien.
M. CARDINAL: Les voyages forment la jeunesse, comme dirait l'Opposition.
Il est assez singulier de constater que le lycée français de
Londres est un lycée français bilingue où l'enseignement
se donne en anglais et en français tandis que le lycée
américain de Paris est un lycée anglais où l'enseignement
se donne en anglais. Ce sont des cas marginaux, d'accord.
M. GROULX: Ce sont des cas marginaux. Je ne parle pas...
M. CARDINAL: Ce sont des institutions privées qui ne sont pas
financées... Mais disons que je dis ceci pas tellement à
l'occasion de votre mémoire, mais à l'occasion de ceux qui ont
été présentés aujourd'hui.
Lorsqu'on nous cite le Mexique ou autre, etc., il y aurait tellement de
nuances à apporter dans ces exemples-là, mais si nous parlons
d'opposition simple, je ne connais pas d'exemple qui, en quelque endroit,
puisse correspondre à ceci, que ce soit dans les autres provinces du
Canada ou dans certains des Etats-Unis d'Amérique. Ce n'est pas que je
veuille juger la proposition, c'est que je me demande comment elle se place
dans le contexte du mémoire de la Fédération des
sociétés Saint-Jean-Baptiste.
M. GROULX: C'est-à-dire qu'en Belgique, vous avez la même
situation, mais en sens inverse. Ce sont les enfants des parents flamands, par
exemple, qui ne peuvent pas fréquenter une école francophone.
M. CARDINAL: C'est présenté sous forme d'obligation?
M. GROULX: A cause de la territorialité, ou en dehors de
Bruxelles, à Bruxelles, à cause de l'origine.
M. LE PRESIDENT: M. Wagner.
M. WAGNER: Sur la même question posée par M. Cardinal et
par M. Lesage, si vous voulez est-ce que, sur le plan strictement humain et
intellectuel, vous ne reconnaissez pas des avantages réels à
quelqu'un qui aurait eu une solide formation en français au niveau
primaire et secondaire, et qui suivrait des cours dans une université de
langue anglaise? Est-ce que vous ne croyez pas qu'il y ait des avan-
tages à obtenir et que cela ne diminue en rien la personne qui
suit les cours? Bien au contraire, cela peut ouvrir des horizons et le rendre
un meilleur citoyen.
M. GROULX: Nous le disons exactement dans notre mémoire. La
maîtrise d'une deuxième langue est un enrichissement, pourvu que
ce ne soit pas une obligation pour gagner sa vie. C'est un asservissement,
lorsque cela devient une obligation pour gagner sa vie.
M. WAGNER: Mais, c'est sur votre recommandation numéro quatre.
S'il est interdit, d'une façon générale, à un
étudiant d'entrer dans les universités de langue anglaise,
à ce moment-là, comment en arrivera-t-il à obtenir ces
avantages?
M. GROULX: Je tiens à dire que cela ne fait pas partie de notre
mémoire, ce que vous posez, parce que nous parlons des commissions
scolaires et du bill 85, qui ne touche pas à d'autres institutions que
les institutions publiques, c'est-à-dire qui dépendent des
commissions scolaires.
M. WAGNER: Ah bon! Quand vous dites qu'il soit interdit à toute
institution publique de langue anglaise, il faudrait exclure les
universités. C'est cela?
M. GROULX: C'est-à-dire que c'est en marge du bill 85, donc, dans
le système public qui est concerné par le projet de loi dont nous
discutons. D'ailleurs, c'est pour cela qu'au numéro cinq, par exemple,
nous disons que les commissions scolaires soient privées des
subventions, nous ne parlons pas des universités.
M. BOUSQUET: Mais, dans le cas des universités, vous n'avez pas
d'opinion précise?
M. GROULX: Voici. Je peux répondre ce que j'ai dit tout à
l'heure à M. Wagner, mais avec, par exemple, la nuance suivante. Il est
évident que tant et aussi longtemps que nous aurons deux
universités et demie ou et trois quarts de langue anglaise à
Montréal, contre une université de langue française, la
situation est absolument inadmissible.
M. CARDINAL: Pour revenir à nouveau aux commissions scolaires et
essayer de comprendre et de voir jusqu'où nous pouvons aller, supposons
que vous ayez une école, parce que vous avez un système
unifié des commissions scolaires, une administration scolaire dans votre
sys- tème qui soit de langue anglaise, et que des parents
français veuillent y envoyer leurs enfants en payant des frais de
scolarité, vu que ceci ne serait pas subventionné par l'Etat,
est-ce que la prohibition sera telle que ceci aussi sera défendu?
M. GROULX: D'abord, premièrement, au paragraphe sept, nous nous
opposons à ce que les écoles anglaises soient dans un secteur
distinct. Deuxièmement, si les parents y envoient leurs enfants, ils
devront payer et la commission scolaire n'aura pas droit aux subventions pour
ces enfants-là.
M. CARDINAL: A ce moment-là, l'enfant pourra y aller, en
payant?
M. GROULX: En payant.
M. CARDINAL: Vous donnerez la réponse au consul.
M. GROULX: Bien écoutez, nous avons dit également, au
paragraphe six, qu'aucune institution privée ne puisse
bénéficier des subventions. Evidemment, nous ne lui
défendons pas d'exister, puisque nous en parlons.
M. LE PRESIDENT: Deux questions sur vos première et
septième recommandations, que tous les enfants de tout immigrant... En
1967, il est entré au Québec 45,717 immigrants et sur ces 45,000,
10,000 à peu près étaient d'origine britannique ou de
possessions, de colonies britanniques, s'il en reste encore. Alors, ces
gens-là, est-ce que vous les obligeriez à aller à
l'école française?
M. GROULX: Oui, je dois vous dire que l'attitude de la majorité
des membres de la société Saint-Jean-Baptiste, lors des
débats à ce sujet-là, a été très
nette. Cest qu'à partir de l'adoption de la loi, les nouveaux venus au
Québec devront aller à l'école française.
M. LE PRESIDENT: Et la dernière recommandation: que les
écoles anglaises ne jouissent pas d'un secteur distinct. Cela veut dire
qu'à Montréal, vous suggérez qu'il n'y ait qu'une
commission scolaire?
M. GROULX: Non, pas nécessairement. Cela veut dire que nous nous
opposons à la division du système scolaire suivant la langue,
parce que ce serait déplorable.
M. PROULX: Il faudrait en venir à la
confes-sionnalité.
M. GROULX: Pas nécessairement. M. PROULX: Alors, quoi?
M. GROULX: A un système français, comme en Ontario. Vous
avez un exemple très clair en Ontario. Vous avez les écoles
publiques c'est le secteur principal et les écoles
confessionnelles qui sont séparées. Ni l'un, ni l'autre n'est un
secteur français ou anglais comme tel. Les écoles publiques,
jusqu'à récemment, étaient uniquement anglaises.
Maintenant, il y a des écoles bilingues, remarquez bien, pas des
écoles françaises. Il ne faut pas se faire d'illusions.
Il y a des écoles bilingues dans le secteur public, comme il y en
a dans le secteur séparé. Mais, ni l'un, ni l'autre n'est un
secteur français ou un secteur anglais. C'est un secteur anglais,
purement et simplement, à toutes fins pratiques.
Je veux dire qu'il y a des écoles dans ces secteurs qui sont
bilingues.
M. PROULX: C'est donc dire que, dans ma ville, par exemple, la ville de
Saint-Jean, où nous avons une commission scolaire catholique et une
autre protestante, il n'y en aurait plus qu'une: la commission scolaire de
Saint-Jean, qui s'occuperait de l'enseignement.
M. GROULX: Je n'ai pas d'objection à ce qu'il y ait deux
commissions scolaires, mais ce sera en tant que protestante qu'elle sera
distincte.
M. PROULX: Alors, quel est le sens de votre septième
recommandation? Voulez-vous me l'expliquer?
M. GROULX: Cela veut dire simplement qu'il n'y aura pas de division des
secteurs de l'enseignement suivant la langue.
M. PROULX: Cela serait divisé...
M. GROULX: Selon la confessionnalité ou autrement.
M. PROULX: Alors, confessionnalité.
M. GROULX: Nous ne nous prononçons pas là-dessus ici. Nous
nous opposons simplement à la division suivant la langue. En d'autres
termes, si vous me permettez une remarque là-dessus, c'est que, depuis
sept ou huit ans, on a fait beaucoup état des conséquences du
système confessionnel sur l'anglicisation des Québécois ou
des Néo-Québécois. Or, nous constatons par les chiffres
que les trois quarts des Néo-Québé- cois vont en
réalité dans les écoles catholiques. Ils s'anglicisent
dans nos écoles catholiques. Ce n'est donc pas le système
confessionnel qui les anglicise. Marginalement, oui.
J'entendais Jean-Marc Léger, à la radio, qui disait:
Environ 2%. C'est possible, remarquez. Ce serait déplorable, cependant,
s'il fallait que nous ayons une division suivant la langue. Nous n'aurions
aucun moyen de contrôle.
M. PROULX: Si vous ne voulez pas de secteurs distincts, il y aura,
à Montréal, une commission scolaire de Montréal qui
s'occupera de l'enseignement, avec un service pour les anglophones et un
service pour les francophones.
M. GROULX: Il n'y aura même pas de service pour les
anglophones.
M. PROULX: La commission scolaire de Montréal...
M. GROULX: En d'autres termes...
M. PROULX: Ce n'est pas clair dans mon esprit.
M. GROULX: ... à la Commission des écoles catholiques de
Montréal, vous avez actuellement une seule commission scolaire qui a des
écoles anglaises. En disant des écoles anglaises, il ne faudrait
pas que ce soit seulement des écoles unilingues anglaises comme on en a
actuellement. Ce système serait étendu à toutes les
commissions scolaires quel que soit leur statut. Maintenant, notre propos n'est
pas de discuter ici de la division scolaire, sauf pour dire que nous ne voulons
pas, en raison du projet de loi, que les écoles anglaises forment un
secteur distinct. Ce serait comme en Ontario.
M. BOUSQUET: Justement, pour résumer votre mémoire,
pourrait-on dire que vous accepteriez, comme modèle, le système
ontarien inversé?
M. GROULX: Pas nécessairement comme modèle, comme
exemple.
M. BOUSQUET: Bien, mutatis mutandis, vous accepteriez le système
ontarien inversé.
M. GROULX: C'est toujours ce que nous disons. Nous disons qu'il devrait
y avoir des écoles bilingues comme les écoles pour les Canadiens
français de l'Ontario, mais en sens inverse. D'ailleurs, je ne sache pas
une seule province au Canada qui ait un secteur français dis-
tinct, même quand elle accorde quelques droits ou enfin quelques
classes françaises.
M. BOUSQUET: Deuxièmement, est-ce que vous ne pensez pas que le
nombre de nouveaux immigrants résidant au Québec diminuerait
considérablement dans une situation comme celle-là, étant
donné que, dans votre mémoire, vous dites que les immigrants
considèrent, lorsqu'ils viennent au Québec, qu'ils viennent en
somme en Amérique du Nord, et voient le Québec comme une porte de
l'Amérique duNord? Est-ce que le nombre d'immigrants venant au
Québec ne diminuerait pas considérablement? Je pose cette
question objectivement.
M. GROULX: Il n'y a aucune crainte à ce sujet-là pour la
raison suivante: les immigrants viendront s'il y a de la place pour eux et s'il
y a du travail pour eux. S'il n'y a pas de travail pour eux, même si nous
conservons un régime bilingue, les immigrants seront un fardeau pour
nous. Je vais vous donner un exemple à ce sujet-là. En Belgique,
les immigrants vont en Flandre. La Belgique est un pays qui attire des
immigrants qui vont en Flandre. Ils vont donc parler flamand, parce que c'est
l'unilinguisme flamand. Pourtant le flamand n'est pas, je pense, la langue la
plus attrayante actuellement pour quelqu'un qui vient soit de l'Italie, soit de
l'Espagne.
M. BOUSQUET: En somme, le facteur serait la prospérité
économique?
M. GROULX: Evidemment.
M. BOUSQUET: C'est cela, le facteur. L'immigrant venant au Canada
pourrait penser qu'en se dirigeant vers Toronto il apprendra l'anglais plus
rapidement et ainsi il pourra plus rapidement gagner sa vie en Amérique
du Nord.
M. GROULX: J'irais même plus loin. Nous ne nous appauvrirons pas
en acceptant des immigrants qui plus tard iront enrichir les autres parce que
nous en ferons des Québécois.
M. LESAGE: M. Groulx, il y aune des résolutions, je crois, qui
avait été adoptée lors d'un de vos congrès annuels
c'est à la page 35 du document que vous avez lu et elle
porte le no 129.
M. GROULX: C'est-à-dire que c'est dans notre mémoire
adressé à la commission Parent.
M. LESAGE: Oui, no 129.
M. GROULX: C'est un texte de notre mémoire à la commission
Parent.
M. LESAGE: Si vous me permettez, peut-être que devant la
commission Parent on vous a demandé des explications, mais comme je n'y
étais pas évidemment, vous me permettrez sans doute de vous
demander...
M. GROULX: Cest qu'il ne s'agit pas de résolutions de
congrès annuels. C'est simplement cette précision...
M. LESAGE: Très bien, oui...de m'expliquer ce que veut dire
exactement la deuxième phrase: « Si dans les autres provinces on
peut de par le régime scolaire obliger l'étudiant à
apprendre l'anglais sans profit culturel, pourquoi dans la province de
Québec hésiterions-nous à faire profiter tous les
habitants des avantages de la culture française »?
J'admets fort bien la deuxième partie de votre phrase. Vous
connaissez mes opinions, vous savez que je crois que tout le monde au
Québec devrait avoir une connaissance du français,
bénéficier de la culture française, mais vous semblez
mettre en doute que le fait d'apprendre l'anglais vous soit une ouverture sur
une autre culture. ..
M. GROULX: D'abord, premièrement...
M. LESAGE: ... ce que je ne saurais accepter, parce que lorsque j'ai
appris l'anglais j'ai appris la littérature anglaise et j'ai eu
l'impression que je me cultivais.
M. GROULX: Premièrement, M. Lesage, je dois d'abord
préciser qu'il s'agit d'une référence que nous apportons
ici simplement pour démontrer que nos prises de position sont
constantes.
M. LESAGE; Oui, mais...
M. GROULX: D'abord ce n'est pas une des conclusions de notre
mémoire.
M. LESAGE: Non, je comprends bien. Disons que c'est obscur et que je
vous demande de m'éclairer.
M. GROULX: Peut-être. Si vous me permettez, pour cette
deuxième partie de la phrase, je pense bien que tout ce qu'on voulait
dire à l'époque, c'est ceci: c'est que dans les autres provinces
du Canada, les Canadiens français doivent apprendre l'anglais non pas
d'abord par profit
culturel mais par nécessité, comme malheureusement ici
aussi au Québec nous devons le faire encore.
M. LESAGE: Je vous nommerais des gens qui sont de vos amis, qui sont de
mes amis d'Edmonton et de Winnipeg, qui ne seraient absolument pas d'accord
avec ce que vous venez d'affirmer.
M. GROULX: Avec ce que je viens de dire ou avec ce qui est écrit
ici?
M. LESAGE: Avec les deux. Avec ce que vous venez de dire à
l'effet qu'on apprend l'anglais simplement parce que c'est utilitaire de le
faire.
M. GROULX: Je n'ai pas dit simplement mais d'abord. D'abord, parce que
c'est nécessaire.
M. LESAGE: Oui.
M. GROULX: Parce qu'ils vivent dans un milieu anglais. Il ne faut tout
de même pas rêver.
M. LESAGE: Je pense à certains juges...
M. GROULX: C'est ce qu'on m'a dit au cours de l'été
dernier.
M. LESAGE: ... des hommes éminents de Saint-Boniface, de
Winnipeg, d'Edmonton qui s'inscriraient en faux contre cette affirmation...
M. GROULX: Bien, je serais prêt à discuter avec eux du
problème, remarquez.
M. LESAGE: ... et pourtant des grands défenseurs de la langue
française.
M. LE PRESIDENT: M. Groulx, je vous remercie beaucoup de votre
mémoire, un très bon mémoire.
Y a-t-il d'autres personnes dans la salle qui veulent témoigner?
A part M. Gagné, y a-t-il d'autres personnes ou d'autres groupes qui
veulent témoigner? C'est fini.
Alors la séance, le comité...
M. LESAGE: Un instant, tous les autres qui avaient été
convoqués pour aujourd'hui, M. le Président?
M. LE PRESIDENT: Le comité ajourne sa séance au 20
février, à dix heures.
(Fin de la séance: 17 heures)
ANNEXE A
COMITE POUR L'UNILINGUISME AU QUEBEC
1258, avenue Ducharme Montréal (8)
DECLARATION « Nous, soussignés, demandons au
gouvernement du Québec la reconnaissance immédiate du
français comme unique langue officielle et légale au
Québec. » « Nous affirmons, sur la foi des autorités
reconnues, linguistes et sociologues, que cette mesure est la seule capable de
mettre un frein à l'assimilation constante et à la mise en
minorité graduelle de la population francophone; qu'elle seule peut
assurer la constitution d'une norme linguistique véritable,
nécessaire à la vie de toute langue; qu'elle seule peut rendre
à la population la fierté de parler français; qu'elle
seule peut engendrer, dans la masse parlante, les motivations
économiques et psychologiques qui lui permettront de reprendre le chemin
perdu; qu'elle seule peut faire du Québec une collectivité
linguistique normale, semblable à celles de neuf autres provinces au
Canada. » « Nous affirmons que tout délai dans l'application
de cette mesure constitue une atteinte grave aux droits linguistiques
élémentaires de la population francophone et qu'il peut
compromettre définitivement l'existence du fait français en
Amérique ». « Nous affirmons que la situation culturelle du
Québec est plus critique qu'elle ne l'a jamais été par le
passé; que, à notre époque d'intense développement
industriel et d'intense développement des moyens de communication, les
conditions qui, pendant deux siècles, ont permis la survie de la langue
française au Québec sont entièrement
dépassées et inopérantes; qu'un seul choix est
désormais possible: la vie du français ou sa disparition. Il ne
peut être question, en aucune façon, de préserver
intégralement les privilèges de l'anglais qui, par l'oppression
objective qu'ils exercent, ont rendu et rendent chaque jour plus incertain
l'avenir de la vie française au Québec . » « Nous
affirmons que l'instauration de l'unilinguisme est la seule mesure digne d'un
gouvernement qui prétend représenter les droits de la population
francophone du Québec, et que tout atermoiement est un acte coupable
dont les conséquences seront incalculables. »
J'ai pris connaissance de la déclaration ci-haut et lui donne mon
entière approbation.
Signature .........................
Adresse ........................
Téléphone ......................
Profession ......................
ANNEXE B
LA FEDERATION DES SOCIETES SAINT-JEAN-BAPTISTE DU
QUEBEC
Mémoire au Comité de
l'éducation
de l'Assemblée Nationale
LE BILL 85
compromet l'avenir du français au Québec
et
l'avenir du Québec français 4 février 1969
Mémoire au Comité de
l'éducation
LE BILL 85 ET LA LANGUE FRANÇAISE AU QUEBEC
AVANT-PROPOS
Monsieur le président,
Messieurs les membres du Comité de l'éducation,
La Fédération des Sociétés
Saint-Jean-Baptiste du Québec, incorporée en 1948, groupe
dix-huit Sociétés diocésaines ou régionales dont
l'ensemble des cotisants se chiffre à 225,000. C'est un mouvement
nationaliste qui se décrit comme la SOCIETE NATIONALE des Canadiens
français du Québec.
Son but est d'unir les Québécois de langue et de culture
françaises dans les rangs d'un vaste mouvement afin de travailler
à défendre et à promouvoir leurs intérêts
nationaux. La Fédération travaille sans relâche à
assurer le complet épanouissement de la nation dans tous les domaines:
social, économique, culturel et politique. Me Daniel Johnson, en mai
1967, qualifiait la Fédération de « porte-parole valable de
la Nation canadienne-française ».
La Fédération croit que l'Etat du Québec est et
doit être, dans le plein sens du mot, l'expression politique des
Canadiens français. Aussi, sans jamais s'engager dans des luttes
électorales, elle n'en a pas moins recours à l'action politique
pour réclamer des gouvernants québécois une politique
pro-canadienne-française qui favorise le développement harmonieux
de la nation, sa libération économique, la protection et la
diffusion de sa culture française.
En étroite collaboration avec les dix-huit Sociétés
Saint-Jean-Baptiste diocésaines ou régionales qu'elle regroupe en
un mouvement de plus en plus unifié l'ensemble recouvre presque
tout le territoire québécois la Fédération
entreprend et dirige des campagnes d'opinion publique afin: a) de renseigner
ses 225,000 cotisants et la population tout entière des données
très complexes du problème national canadien-français et
québécois; b) de diffuser les principes dans les domaines
politiques, sociaux et économiques qu'elle juge essentiels pour
assurer le complet épanouissement de la nation; c) de susciter une
action collective positive et efficace au service du bien
commun.
OBJET DE CE MEMOIRE:
L'objet de notre mémoire est de présenter le point de vue
de l'ensemble des Sociétés Saint-Jean-Baptiste affiliées
à la Fédération concernant le problème de la langue
d'enseignement au Québec, problème soulevé par la
présentation à l'Assemblée nationale du Bill 85.
Nos recommandations expriment des attitudes prises par les dirigeants et
les membres du mouvement soit dans les congrès officiels, dans des
journées d'étude, soit lors de consultation organisée par
la Fédération auprès de chacune des
Sociétés.
Lorsque, dans ce document, nous traitons du statut de la langue et de
l'intégration des immigrants, nous le faisons en regard de la langue
d'enseignement à l'école publique et du projet de loi soumis au
Comité de l'éducation.
Il nous apparaît indispensable pour comprendre la situation que
veut corriger le Bill 85 d'analyser sommairement la marche des
événements et de considérer les faits avant d'exprimer
notre opinion sur les principes qu'il contient et de formuler nos
recommandations au Comité de l'éducation.
COMMISSION D'ENQUETE
Quant aux autres aspects et à l'ensemble de la question
linguistique, la Fédération se propose d'en traiter devant la
Commission d'enquête sur le statut de la langue française au
Québec. Elle y présentera un mémoire plus
élaboré et plus vaste dans son objet.
Notre mouvement se réjouit de ce que le Gouvernement ait
créé cette commission d'enquête dont les travaux devraient
permettre une étude lucide et objective de la situation actuelle et des
possibilités d'avenir du français au Québec. à
MARCHE DES EVENEMENTS
1- ABSENCE D'UNE POLITIQUE QUEBECOISE D'IMMIGRATION:
Il faut d'abord noter que le Québec a toujours souffert d'une
absence de politique d'immigration qui lui aurait permis d'exercer ses pouvoirs
constitutionnels en ce domaine de la plus grande importance pour le
développement harmonieux d'une société qui a le souci
d'orienter sa vie collective, sociale et politique et de suppléer
à ses déficiences dans les domaines économiques.
Or, l'absence chronique de politique québécoise
d'immigration a laissé le champ libre au gouvernement d'Ottawa qui a
réglementé ce secteur à sa guise assumant la
réalisation exclusive des programmes dont il était l'instigateur.
Les normes établies en fonction des besoins de la
fédération canadienne ne correspondaient pas
nécessairement aux besoins en main-d'oeuvre de la population
québécoise et elles ne tenaient pas compte non plus de la
situation démographique et sociologique propre au Québec.
Monsieur Daniel Johnson, s'adressant le 31 mars 1968 à la colonie
du Moyen-Orient (Montréal) déclarait: « L'arrivée
je dirais presque massive d'immigrants au Québec a
suscité, comme vous le savez, un certain nombre de problèmes au
cours des deux dernières décennies. Je dois admettre que le
Québec n'était pas tout à fait prêt pour accueillir
convenablement tant de nouveaux citoyens. Mais je vous avouerai que, sur le
plan administratif, de sérieuses lacunes sont à l'origine de
situations dont nous avons tous souffert; vous, en traversant des
périodes d'insécurité qui ont dû, par moment,
être assez pénibles; nous, en risquant de perdre à jamais
la confiance que vous aviez en nous en venant vous établir ici. Ainsi,
à l'avenir, il favorisera la venue au Québec d'immigrants dont la
formation ou l'expérience est de nature à combler ses besoins.
Dans certains secteurs, il y a pénurie d'hommes compétents; dans
d'autres, le marché du travail est sursaturé. Nous
procéderons à une enquête auprès des employeurs pour
connaître leurs besoins afin de les aider à les satisfaire... De
toute façon, nous ne voulons pas que se prolonge au Québec, en ce
qui a trait à l'immigration, une situation qui a trop longtemps
duré et qui a été nettement préjudiciable au milieu
québécois tout entier... »
La création, il y a quelques années, d'une direction
générale de l'immigration, transformée récemment en
Ministère de l'immigration, contribuera certainement à corriger
les déficiences de la situation antérieure à condition que
les autorités québécoises agissent avec déligence
et assument efficacement leurs responsabilités depuis la
sélection des candidats jusqu'à leur intégration au milieu
québécois. Aucune phase de cette importante procédure ne
doit échapper au nouveau ministère car l'expérience du
passé témoigne éloquemment des conséquences graves
qui peuvent résulter de la négligence et de l'absence en ce
domaine. (1)
Le cas type du conflit scolaire de Saint-Léonard de Port Maurice,
en banlieue de Montréal, n'est pas autre chose que la résultante
directe de cette absence de politique clairvoyante en matière
d'immigration.
2- ABSENCE D'UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE GLOBALE:
L'un des aspects fondamentaux de la situation actuelle du Québec
réside dans l'absence de politique linguistique globale.
Depuis nombre d'années les mouvements patriotiques et culturels,
avec l'appui fréquent des mouvements ouvriers et sociaux, demandent au
Gouvernement de l'Etat du Québec de promulguer une politique qui fasse
du français la langue prioritaire, ou la langue nationale ou la langue
d'usage ou la seule langue officielle de l'Etat, selon les différentes
opinions émises en ces derniers temps. L'ampleur du mouvement en faveur
d'une politique linguistique était tel que tous les partis politiques
québécois ont inscrit à leur programme électoral de
1966 une mention à ce sujet.
a) programme de l'Union Nationale (page Il)
« DONNER AU FRANÇAIS LE STATUT D'UNE LANGUE
NATIONALE:
L'Union Nationale reconnaît l'existence des deux
langues officielles.
Toutefois, au Québec, il s'agit de mettre en valeur un
héritage culturel dans des conditions particulièrement
difficiles.
Il faut donc conférer au français, langue de la
majorité de la population, le rang et le prestige d'une véritable
langue nationale ».
Pour bien comprendre la véritable portée de cette
citation, il faut tenir compte de l'ensemble du chapitre du programme de
l'Union Nationale, intitulé: « LA NATION ET L'ETAT »,
où il est écrit aux pages 8 et 9: « L'évolution du
droit international, telle que consignée dans la charte des
Nations-Unies, reconnaît d'ailleurs à chaque nation, petite ou
grande, un titre inaliénable à l'auto-détermination,
c'est-à-dire à la maîtrise de son propre destin... Ce qui
implique qu'elle possède ou qu'elle se donne les instruments
nécessaires à son épanouissement, soit:
Un Etat national qu'elle puisse mettre d'abord à son
service comme principe organisateur de sa vie collective.
(1) On consultera avec profit l'ouvrage de M. Rosaire Morin,
édité par l'Action Nationale: L'IMMIGRATION AU CANADA. Il
démontre comment le jeu de l'immigration a perturbé la vie
collective du Québec en accentuant les « différences
» entre le milieu mixte montréalais où 82,6% des
immigrants s'établissent par rapport à la population
canadienne-française du Québec. Dans le Montréal
métropolitain, 9 étudiants néo-québécois sur
10 choisissent l'école anglaise. « Dans les îles de
Montréal et de Jésus, les Britanniques ont réalisé
81,2% de leur assimilation au Québec. »
Un territoire national qui soit son principal foyer et qu'elle
puisse aménager en fonction de ses besoins propres.
Une langue nationale qui ait la primauté sur toutes les
autres comme langue de la majorité.
b) programme du Parti libéral Québécois (page
13) « LE QUEBEC FRANÇAIS:
Pour conserver au Québec son caractère français,
des mesures seront prises qui garantiront la vitalité de la langue en
même temps qu'elles permettront à la majorité de la
population de vivre en français où que ce soit sur le territoire
québécois.
Des mesures seront prises qui assureront au Québec un visage
français et à la langue française la place prioritaire qui
lui revient dans l'administration et les services publics, dans les relations
industrielles, le commerce et, de façon générale, dans
tous les secteurs de l'activité humaine.
Donc, sans porter atteinte aux droits indéniables de la
minorité anglophone, LA LANGUE FRANÇAISE DEVIENDRA AU QUEBEC LA
PRINCIPALE LANGUE DE TRAVAIL ET DE COMMUNICATION. »
Il faut considérer l'ensemble des propositions faites par les
leaders du parti, notamment de l'important discours (1) de M. Jean Lesage au
début de la lutte électorale de 1966, définissant la
politique linguistique des libéraux. « Nous sommes entrés
dans une nouvelle période, celle de l'affirmation nationale. Nous avons
d'abord réussi à exister, ensuite à grandir. Nous devons
maintenant nous épanouir comme peuple. C'est là notre
intérêt et notre devoir... Une des façons d'atteindre cet
objectif est d'asurer au français la place qui lui revient au
Québec... Sur le plan culturel, sur celui de notre personnalité
propre, nous devons prendre les moyens pour que la langue française, la
langue de la majorité, devienne la principale langue de travail et de
communication... Cela est normal. Si nous voulons vivre dignement, cela est
nécessaire. Si nous voulons vivre pleinement, cela est essentiel.
Expliquant la politique linguistique, le parti libéral se propose
« d'agir sur la qualité de notre français, sur son
utilisation et sur le visage français du Québec. » Dans la
conclusion de son exposé, M. Jean Lesage affirme: « Nous
construisons un Québec fier de sa culture et de sa langue, sûr de
lui, confiant dans son avenir. « Nous construisons un Québec plus
humain, plus prospère, et plus efficace. » « Comme je l'ai
dit, en faisant du français la langue prioritaire, la principale langue
de travail et de communication au Québec, nous rendons cet objectif plus
facilement réalisable. »
c) programmes du R.N. et du R.à.N.:
Les membres du Comité de l'éducation savent sans doute que
les programmes du Ralliement national et du Rassemblement pour
l'Indépendance nationale, qui ont participé à la lutte
électorale de 1966, proposaient que la langue française soit la
seule langue officielle de l'Etat du Québec.
(1) Mai 1966 Saint-Georges-de-Beauce
d) aucune loi n'a consolidé la position du
français:
Malgré les intentions formulées dans les discours
officiels et les programmes électoraux, malgré quelques
réalisations parcellaires notamment la création d'un
Ministère des Affaires culturelles, d'un Office de la langue
française et d'une loi réglementant l'étiquetage des
produits alimentaires il n'y a pas eu et il n'y a pas encore de
législation proposée à l'Assemblée nationale pour
clarifier et améliorer le statut du français au Québec,
pour consolider la position de la langue française et lui servir de
point d'appui dans l'élaboration de la société
québécoise du présent et de l'avenir.
Depuis l'adoption d'une loi britannique l'Acte de
l'Amérique du nord britannique en 1867 par le Parlement
impérial de Westminster, la situation juridique de la langue
française n'a jamais été précisée ni
modifiée par une loi québécoise.
Le conflit de Saint-Léonard est aussi la résultante
directe de cette absence de politique linguistique qui fasse du français
la langue d'usage, la langue nationale et la langue officielle de l'Etat du
Québec.
3- SUITE A DIVERSES ETUDES:
Si les partis politiques québécois ont introduit une
mention concernant le statut de la langue française dans leur programme
respectif, c'est à la suite de nombreuses études faites par les
commissions d'enquête gouvernementales, les corps intermédiaires
et les associations politiques.
Depuis fort longtemps, les sociétés nationales
s'intéressent à l'avenir de la langue française au
Québec. Depuis fort longtemps elles réclament une action
énergique de l'Etat québécois pour assurer la survie de ce
bien national. Elles ont présenté à ce sujet des
mémoires à la commission d'enquête sur les problèmes
constitutionnels qui a produit le rapport Tremblay ainsi qu'à la
commission d'enquête sur les problèmes de l'enseignement qui a
produit le rapport Parent.
Elles ont organisé des sessions d'étude, mené des
enquêtes dans différents secteurs et, en même temps qu'elles
réclamaient l'action de l'Etat, elles ont conduit plus d'une campagne
pour l'amélioration de la langue parlée et la refrancisation du
Québec, notamment dans les secteurs de l'affichage, des noms des
institutions financières et commerciales et de la toponymie.
Elles ont vite constaté que l'action individuelle ou de groupe ne
peut donner de résultats tant soit peu valables, si l'Etat n'assume pas
sa responsabilité particulière à l'égard de la
langue, ne définit pas clairement et courageusement sa politique
linguistique et, finalement, n'y met pas le poids d'une législation
appropriée.
C'est aussi la constatation des membres de la commission d'enquête
sur l'enseignement au Québec, au chapitre de la langue maternelle:
« D'énormes forces économiques, scolaires, politiques et
linguistiques font pression, depuis près de deux cents ans, sur le
groupe canadien-français et sa langue... (1) Le Gouvernement du
Québec tout entier doit, tout en veillant à ne pas isoler le
Québec en un ghetto, adopter des mesures très fermes pour
protéger le français non seulement dans les écoles et
universités, mais dans toute la vie publique. C'est
particulièrement urgent à Montréal... L'administration
provinciale et les services publics, la vie industrielle et commerciale,
l'affichage doivent témoigner de ce respect de la langue de la
majorité; il y a là une question de justice et d'honneur. »
(2)
(1) Volume 3, page 39: « Le français, langue majoritaire au
Québec »
(2) Volume 3, page 44: « Motivation socio-économique
»
Puis les commissaires affirment: « Aucun écolier ne prendra
le français au sérieux à l'école si, à
Montréal particulièrement, les ouvriers, administrateurs et
hommes d'affaires sont obligés de parler anglais dans leur travail
quotidien ou pour obtenir une promotion. » (1)
Ces réflexions confirment ce que déjà, en 1954,
affirmait le rapport Tremblay. (2) « Or, la langue maternelle et les
traditions nationales ne peuvent être transmises d'une
génération à l'autre avec leur pleine valeur culturelle
intrinsèque et avec leur pleine efficacité comme
régénératrices de la culture que si, dans le milieu
où elles se pratiquent, elles sont de nécessité
courante. »
En dépit de ces constatations qui datent de plusieurs
années, on sait que la situation n'a guère changé et que
l'ensemble des milieux socio-économiques de la région de
Montréal particulièrement - qui comprend plus de 50% de la
population du Québec - et d'autres villes importantes continue
d'afficher plus ou moins ouvertement son mépris pour la langue et la
culture de la vaste majorité des citoyens. Les analyses d'un prochain
chapitre du rapport d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (3)
démontrent de façon non équivoque que les résultats
de cette attitude constante et intransigeante signifient pour les
Québécois de langue française une discrimination au
chapitre des salaires et revenus, dans tous les secteurs de la vie
économique, tant pour les ouvriers que pour les professionnels, une
relative impossibilité d'accéder aux postes de commande et de
parvenir au plus haut niveau de l'administration des entreprises.
En 1968, la Fédération des Sociétés
Saint-Jean-Baptiste du Québec, en étroite collaboration avec la
SSJB de Montréal et les Sociétés affiliées,
intervenait de nouveau auprès des autorités
québécoises et présentait au Premier Ministre d'alors un
mémoire sur le statut de la langue française. Son intervention
faisait suite aux nombreuses résolutions adoptées dans les
congrès nationaux ou régionaux et expédiées chaque
année aux différents ministères du Gouvernement
québécois qui doivent exercer une action directe et prestigieuse
pour améliorer la situation de la langue française au
Québec. Ce mémoire reprenait et résumait l'ensemble des
recommandations faites jusqu'à ce jour par notre mouvement et
suggérait une action concrète, immédiate et efficace.
Mais l'on constate aujourd'hui que, avant de définir une
politique linguistique globale qui consacrerait le statut du français au
Québec et lui assurerait le prestige qui lui est normalement dû en
sa qualité de langue nationale, le Gouvernement a déposé
un projet de loi pour accorder un droit nouveau aux citoyens
québécois: celui de choisir la langue d'enseignement pour leurs
enfants. A ce sujet, nous présentons nos opinions et nos recommandations
dans une troisième section de ce mémoire.
4- LE CAS DE SAINT-LEONARD:
La réaction gouvernementale a été provoquée
par la situation scolaire de Saint-Léonard de Port-Maurice, en banlieue
de Montréal. Mais qu'en est-il au juste de cette situation? Devant la
constatation de l'échec du système bilingue d'enseignement en
vigueur dans cette municipalité scolaire, les commissaires ont
décidé à l'unanimité, le 20 novembre 1967, de
reconvertir graduellement les classes dites bilingues en classes
françaises à l'intérieur desquelles on diffuserait
cependant un enseignement de la langue anglaise dès la première
année. Les commissaires ont confié à un comité le
soin d'étudier l'applica-
(1) Volume 3, page 44: « Motivation socio-économique
»
(2) Rapport de la commission d'enquête sur les problèmes
constitutionnels, volume II, page 17: « La province de Québec et
le cas canadien-français. »
(3) Analyses publiées dans LA PRESSE, en octobre 1968 sous la
signature de Mlle Ly-siane Gagnon.
tion de cette résolution qui affectait une population dont 53,1%
était d'origine canadienne-française, 27,6% d'origine italienne
et 19,3% d'autres origines (Polonais, Ukrainiens etc.) y compris une
minorité de moins de à% d'origine britannique.
Certains leaders du milieu, insatisfaits de la décision de la
Commission scolaire, ont décidé de former l'association des
parents anglophones de Saint-Léonard et de réclamer, dès
l'assemblée de fondation, une école unilingue anglaise pour la
rentrée des élèves en septembre 1968 et
l'établissement graduel d'écoles unilingues anglaises au fur et
à mesure que s'accroît la population dite anglophone.
A l'origine donc du conflit scolaire de Saint-Léonard, nous
assistons à une offensive d'un groupe soi-disant anglophone pour obtenir
des écoles unilingues anglaises et à un refus catégorique
et formel, concrétisé dans les faits en septembre dernier, de
l'école française offrant même un enseignement
adéquat de la langue anglaise.
Ce n'est que plus tard que les parents canadiens-français ont
réagi et formé un mouvement pour l'intégration scolaire
des immigrants de la ville de Saint-Léonard.
Le différend devait être soumis à l'opinion publique
de cette banlieue qui a eu l'occasion de manifester démocratiquement,
lors d'un référendum, son appui au principe de
l'intégration scolaire. 76% des votants se sont prononcés en
faveur du principe de la langue française comme langue d'enseignement
tout en insistant pour que la priorité du français s'accompagne
d'un enseignement adéquat de la langue anglaise comme langue
seconde.
Le cas de Saint-Léonard n'est que la manifestation publique d'une
situation qui ne cesse de pourrir dans la région du Montréal
métropolitain, résultant de deux absences chroniques que nous
avons soulignées précédemment: absence de politique
d'immigration et, à plus forte raison, d'intégration des
Néo-Québécois ainsi que l'absence de politique
linguistique qui fasse de la langue française la véritable langue
nationale des Québécois.
II L'ETAT DES FAITS
1- LA REPARTITION DEMOGRAPHIQUE AU QUEBEC:
Au Québec, vit une population dont l'immense majorité des
citoyens est de langue et de culture françaises. Le recensement de 1961,
le dernier dont les chiffres complets soient disponibles, établit que
sur une population totale de à,259,211 citoyens, 81,18% soit 4,269,689
sont de langue maternelle française en regard de 697,402 citoyens de
langue maternelle anglaise et de 292,120 citoyens d'une autre langue
maternelle.
2- LA PRESSION ANGLOPHONE ET L'ENVIRONNEMENT NORD-AMERICAIN:
Si les Canadiens français sont en majorité au
Québec, ils sont cependant entourés de plus deux cents millions
d'anglophones sur le continent nord-américain. Cette masse
énorme, d'une puissance économique et financière sans
rivalité dans le monde moderne, à la pointe du
développement scientifique et technologique, influence quotidiennement
la vie collective des Québécois par son envahissement culturel
ses manuels scolaires, ses journaux, ses revues, ses films, ses disques,
ses postes de radio et de télévision et, surtout et
principalement, par les puissantes industries et institutions
financières qu'elle a implantées chez nous. C'est le fait de
notre situation géographique et le prix de notre inféodation
à l'économie nord-américaine. Cet immense
déséquilibre démographique, culturel et économique,
aggravé par le contexte politique du Canada à tra-
dition britannique et à majorité anglo-saxonne, exerce une
influence déterminante sur le destin du Québec et nous commande
sans cesse d'être vigilants et lucides devant les dangers qu'il comporte
pour le développement et l'épanouissement du peuple
francoquébécois.
La pression constante du milieu nord-américain fausse, au
Québec, le jeu normal des relations entre la majorité de langue
française et la minorité de langue anglaise. Les
Anglo-québécois entretiennent des contacts quotidiens avec cet
immense bloc anglo-canadien et américain, auprès duquel ils
s'alimentent en ressources humaines et dans lequel ils se fondent naturellement
et sans effort, s'y mouvant à l'aise dès qu'ils franchissent la
frontière du Québec.
On sait par ailleurs que, dans le monde moderne, les facteurs
économiques exercent une influence prépondérante et
souvent décisive dans la vie collective des peuples et conditionnent
leur vitalité culturelle. Appuyée par une bourgeoisie puissante
qui contrôle l'économie québécoise dans une
très forte proportion et exploite ses richesses naturelles, la
minorité anglo-saxonne a imposé sa langue avec ses
méthodes administratives et ses techniques d'affaires. Or, la domination
linguistique dans les affaires, l'industrie, la finance et le commerce au
Québec, l'action anglicisante des agences fédérales, le
mirage de la prospérité américaine, le libéralisme
culturel du Québec en matière d'éducation et sa
prodigalité en faveur des institutions d'enseignement de langue
anglaise, ont puissamment contribué à affaiblir le groupe
francophone et à accélérer l'anglicisation du
Québec, particulièrement de la région de Montréal.
Les statistiques fédérales nous fournissent là-dessus des
indications fort révélatrices comme nous le verrons plus
loin.
Cette situation favorise, au détriment de la majorité
francophone, l'accession des anglophones aux plus hauts postes dans tous les
secteurs de l'activité économique et financière,
même lorsqu'ils sont unilingues car, à l'inverse du bon sens et de
la justice, l'anglais, langue de la minorité, est à la fois
indispensable et suffisant pour vivre dans presque tous les coins du
Québec, il est surtout indispensable et suffisant pour y gagner sa vie
et s'enrichir. La langue anglaise est, au Québec, à l'heure
actuelle, un élément essentiel de promotion sociale et un
instrument efficace de domination économique; elle érige une
barrière infranchissable qui bloque l'avancement économique et
social de tous ceux qui ne la maîtrisent pas; elle protège la
situation privilégiée des unilingues anglais. Dans sa vie
quotidienne, le Québec subit le régime de la priorité de
l'anglais, qui domine le milieu du travail et s'exprime par la
prépondérance absolue, dans la région de Montréal,
du nombre des Universités et des postes de radio et de
télévision et des journaux. L'anglais est une langue rentable
partout au Québec. Par contre, l'unilingue français y trouve
grand peine à y gagner sa vie.
Il en résulte qu'il n'y a pas et qu'il ne peut y avoir
d'égalité de chances dans les circonstances actuelles tant pour
les collectivités que pour les individus. Il ne peut y avoir
égalité de chances que si l'Etat intervient, s'il met fin
à sa politique de laisser-faire et de libéralisme en
matière de culture, de langue et d'éducation, s'il applique une
politique intelligente qui appuie le vouloir-vivre des
Franco-Québécois et contrebalance par son action vigilante et son
prestige, l'immense contrainte du milieu unificateur et anglicisant du nord
Amérique.
Quand des rapports engendrent une inégalité aussi
disproportionnée entre deux collectivités et empêchent
toute égalité de chances entre citoyens de langue et de culture
différentes, on ne peut qu'appliquer le principe de Lacordaire: «
dans la concurrence entre le faible et le fort, c'est la liberté qui
opprime et c'est la loi qui affranchit. » Au Québec, en
matière de langue et d'éducation, c'est le laisser-faire et le
libéralisme culturel qui engendrent l'injustice et l'iniquité,
tandis que la loi peut ordonner les rapports entre les collectivités
linguistiques, rétablir l'équilibre et, finalement,
libérer le groupe francophone de l'oppression causée par
l'immense disproportion en nombre et en puissance financière
avec la collectivité nord-américaine qui sert d'appui
à la minorité anglo-québécoise.
3- LE GROUPE FRANCOPHONE EST EN PERTE DE VITESSE:
Par suite de la disproportion des forces en présence, il n'y a
rien d'étonnant à ce que les personnes qui s'établissent
chez nous, ici même au Québec, optent plus volontiers pour le
groupe anglophone que pour le groupe francophone. De nombreux facteurs
influencent ce comportement. L'un des plus évidents réside dans
le fait que les immigrants considèrent lorsqu'ils viennent au
Québec ou ailleurs au Canada comme une arrivée en
Amérique du Nord et souvent même comme une première
étape nécessaire pour entrer aux Etats-Unis avec un certificat de
citoyenneté canadienne. En l'occurence, ces personnes s'Intègrent
à la minorité anglophone par intérêt et pour
faciliter leur préparation à la vie américaine. Mais ce
n'est pas la seule raison. Il y en a bien d'autres, notamment et
particulièrement, le fait que l'économie québécoise
est vassale de l'économie américaine et anglo-canadienne et que
la langue de travail et de promotion économique, au Québec
même, est l'anglais. Là encore, l'intérêt commande
naturellement aux immigrants de s'assimiler au groupe anglophone.
Ce phénomène met en péril l'avenir du
français au Québec et l'avenir même du Québec.
Déjà, en 1961, si on analyse les statistiques
fédérales, on est bien forcé de constater que le groupe
francophone est en perte de vitesse. Me Yves Gabias l'a affirmé devant
l'Assemblée Nationale en présentant la loi établissant le
Ministère de l'immigration. Il déclarait: « Le pourcentage
des francophones baisse considérablement à l'intérieur du
Québec et à travers le Canada, diminuant d'autant l'importance de
notre groupe et les chances de notre groupe d'obtenir un statut de
véritable égalité à travers le Canada. »
Le ministre avait raison de s'inquiéter de cette situation et les
statistiques de 1961 le prouvent. Le Père Richard Arès, s.j.,
dans une étude sur l'évolution démographique et les
rapports entre francophones et anglophones, (à) décrivait la
situation en ces termes: « La communauté de langue
française accusait un déficit de 417,195 par rapport à la
communauté d'origine française, c'est-à-dire que cette
dernière, au lieu d'être française à 100% ne
l'était qu'à 92,5% et ne conservait même pas ses propres
effectifs. Pour vous faire saisir la vraie portée de cette
première donnée, j'en ajoute deux autres, également
fournies par le Bureau fédéral de la statistique: depuis trente
ans, ce degré de vitalité de la communauté d'origine
française va sans cesse diminuant: de 96,7% qu'il était en 1931.
Il est passé, dix ans plus tard, à 95,7%, puis, en 1951, à
94,4% et il n'est plus aujourd'hui que de 92,à%. Par contraste,
et c'est là ma seconde donnée que je voulais signaler - la
communauté de langue maternelle anglaise au Canada affichait, en 1961,
un surplus de 2,664,865, par rapport à la communauté d'origine
britannique, c'est-à-dire que cette dernière était
anglaise non seulement à 100% mais à 133,3%, sa puissance
assimilatrice s'élevant à 33,3% et sa vitalité à
40,8% degrés de plus que celle de la communauté d'origine
française. »
Et au Québec, qu'en est-il? Le Père Arès l'indique:
« Situation renversante et bouleversante: c'est la minorité au
Québec qui possède la plus grande puissance assimilatrice, une
minorité de 10% assimile plus et davantage qu'une majorité de
80%! Comment ne pas se dire que la minorité britannique reçoit au
Québec un traitement extrêmement généreux,
puisqu'elle y est vivante à 123%, alors que la majorité
française réussit à peine à dépasser le
minimum nécessaire à sa propre conservation?... soit un
degré de vitalité de 100,7%. »
(1) JUSTICE ET EQUITE POUR LA COMMUNAUTE CANADIENNE-FRANÇAISE
Editions Bellarmln, 30 mars 1963, pages 9 et 10.
Dans « L'IMMIGRATION AU CANADA », édition de l'Action
Nationale, page 75, M. Rosaire Morin arrive à la même conclusion
en citant les chiffres qui concernent le Québec: « La comparaison
de la langue maternelle avec l'origine ethnique dénote encore cette
puissance d'assimilation des Britanniques. » « D'origine
britannique, ils sont en 1961, 567,057. Cependant 697,402 citoyens se
déclarent de langue maternelle anglaise. C'est un gain net de 130,345
habitants. La population d'origine française se chiffre à
4,241,354 âmes et 4,269,689 ont déclaré la langue
française leur langue maternelle. C'est un gain de 27,335 citoyens. La
puissance d'assimilation est de 22,9% contre 0,6% en faveur des Canadiens
anglais ». « En toute chose, il faut considérer la fin.
» Quelle est la situation dans la région de Montréal?
Un rapide coup d'oeil sur les statistiques concernant la région
métropolitaine de Montréal selon les données
fédérales nous convainc rapidement que la situation est
grave. Voici un tableau analytique de la population
néo-québécoise de la zone métropolitaine selon son
origine ethnique, la langue maternelle et la langue officielle,
déclarées lors du recensement de 1961.
TABLEAU Référer à la version PDF page 500
4- LE SYSTEME D'ENSEIGNEMENT:
L'une des causes majeures qui facilitent l'assimilation
accélérée des Néo-Québécois au groupe
anglophone et occasionnent que la collectivité québécoise
de langue française soit en perte de vitesse, réside dans le
système d'enseignement actuellement en vigueur. Voyons ce qui en
est.
Traditionnellement, le système d'enseignement au Québec
est confessionnel.
a) le secteur catholique:
Les catholiques ont organisé à la fois des écoles
françaises et des écoles anglaises et ces dernières ont
même bénéficié d'un traitement de faveur. Cette
libéralité à l'égard de la minorité
linguistique de langue anglaise a conduit à des injustices pour le
groupe majoritaire. Le cas de Saint-Léonard illustre jusqu'où
peut conduire une politique inspirée par des sentiments
généreux, non par le bon sens et la logique.
Me Daniel Johnson, dans une déclaration à la presse, le
mercredi 12 juin 1968, soulignait que la « situation qui sévit
à Saint-Léonard polarise un problème sérieux qui a
une dimension québécoise », il a dénoncé
l'attitude de la C.E.C.M. et d'autres organismes qui n'ont pas fourni aux
immigrants l'occasion ni la possibilité de s'intégrer au milieu
francophone. « Tout ce qui n'était pas catholique, ajoute le
Premier Ministre, était automatiquement rejeté vers les
écoles où la langue d'instruction est l'anglais. » Et il
rappelle que: « Les Canadiens français ont toujours admis pour les
catholiques de langue anglaise, quelle que soit leur origine ethnique, des
écoles financées de la même façon que les
écoles francophones, alors que, du côté protestant, on a
pris beaucoup de temps à admettre quelques écoles
françaises. »
On ne saurait mieux résumer la situation qui constitue une grave
injustice pour l'ensemble de la population québécoise.
Il suffit de se référer aux statistiques de
fréquentation scolaire publiées par la Commission des
écoles catholiques de Montréal (C.E.C.M.), pour se rendre compte
de la gravité de la situation.
TABLEAU Référer à la version PDF page 501
TABLEAU Référer à la version PDF page 502
Québec, malgré les requêtes
répétées des francophones sous sa juridiction et les
pressions des milieux patriotiques et nationalistes, poussant même son
action et son arrogance jusqu'à mettre sur pied, à l'automne
1967, un programme en vue de favoriser et accélérer
l'anglicisation des Néo-Québécois.
c) conséquences;
Nous ne traiterons pas ici du rôle néfaste des
universités anglophones qui ont constamment refusé de
s'intégrer au Québec tout en poursuivant sans relâche
l'anglicisation des Néo-Québécois et souvent même
des Québécois de langue française. Monsieur Laurier
Lapierre, directeur des études sur le Canada français à
l'université McGill, qualifiait récemment le système
traditionnel d'éducation des anglophones basé sur une «
existence de ghetto », ajoutant: « Nos institutions ont
lamentablement échoué. Prenez le cas de McGill, l'institution
existe depuis longtemps; pourtant il n'a découvert le Canada
français que lorsqu'on a commencé à déposer des
bombes ». (à)
Si l'on ajoute, aux chiffres de la C.E.C.M., les statistiques de
fréquentation scolaire du secteur protestant et autres institutions
anglaises, on atteint facilement un taux d'angli-cisation de 90% des
Néo-Québécois. C'est d'ailleurs ce qu'affirmait M.
René Gauthier, directeur général de l'immigration au
secrétariat de l'Etat du Québec, devant les congressistes de
l'Association des éducateurs de langue française (A.C.E.L.F.) en
août dernier: « L'analyse du recensement de 1961, les diverses
enquêtes et les statistiques scolaires indiquent que 90% des immigrants
s'intègrent à la communauté anglophone du Québec,
soit qu'ils soient déjà de langue anglaise, soit qu'ils optent
pour celle-ci. » Cette situation, ajoute-t-il, vient « consacrer en
quelque sorte le caractère proprement anormal de la
société québécoise. » Le taux a atteint
depuis longtemps la cote d'alarme. Il n'est plus permis aux
autorités de continuer une politique de laisser-faire, de
libéralisme culturel qui dégénère aussi rapidement
en une forme subtile de ségrégation et d'oppression
exercée par le milieu anglophone nord-américain. Les statistiques
prouvent hors de tout doute que le fallacieux principe du libre choix de la
langue d'enseignement pour tous les Québécois conduit à la
minorisation graduelle de la collectivité francophone et au renversement
des rapports démographiques dans un avenir plus ou moins
rapproché.
5 LES FAITS QU'IL FAUT CORRIGER:
Il découle, de l'asbence de politique québécoise
pour sélectionner et accueillir les immigrants, de l'absence de
politique linguistique, de l'application inconditionnelle du principe du libre
choix de la langue d'enseignement et de la pratique du laisser-faire et du
libéralisme culturel, des conséquences graves qui mettent en
cause l'avenir même du Québec en tant qu'Etat français.
Nous le résumons en cinq points: a) l'unilinguisme anglais qui se
perpétue au Québec. Selon le recensement de 1961, 608,645
citoyens ne parlent que l'anglais, dont 510,071 dans la région de
Montréal, (18,17% de la population régionale); 29,471 dans la
région de l'Outaouais, (13,98% de la population); 21,586 dans l'Estrie,
(9,30% de la population). b) l'anglicisation massive et
accélérée des Néo-Québécois
particulièrement dans la région métropolitaine de
Montréal comme on peut le constater par l'étude des
statistiques.
(1) Article de M. Joseph McSween, de la P.C. dans Le Devoir, 9 janvier
1968, page 14: « Pour une révolution de la pensée chez les
Québécois anglophones ».
c) l'imposition de la langue anglaise à la majorité
francophone, dans le monde du travail, des affaires, du commerce, de la finance
et de l'industrie comme condition essentielle et effective de promotion sociale
et économique et comme instrument de domination économique. d) le
système scolaire actuel qui fabrique des unilingues anglais dans une
collectivité à majorité francophone et, du fait de cet
unilinguisme, force les Franco-québécois à bien
posséder la langue de la minorité pour des raisons strictement
utilitaires.
En contrepartie, on peut se demander s'il y a encore à
toutes fins pratiques de véritables institutions scolaires
secondaires et collégiales vraiment de langue et d'esprit
français par suite de la répartition égale des heures
d'enseignement des langues et de l'introduction abusive de la langue anglaise
ou de manuels traduits. e) la baisse constante et tragique du pourcentage des
francophones dans le Québec qui conduit inexorablement, sous la pression
des facteurs économiques et politiques nord-américains, à
la minorisation psychologique des Canadiens français et,
éventuellement, à leur minorisation démographique.
III
RECHERCHE DE SOLUTIONS
QUELS REMEDES FAUT-IL APPLIQUER?
Tous les programmes politiques indiquent clairement qu'il est devenu
important de légiférer pour régler cette question à
la fois grave et complexe. Qu'on y mentionne que le français doit
être langue prioritaire au Québec, ou langue nationale ou seule
langue officielle, il n'est pas de parti politique qui ait osé nier
l'importance du problème si l'on considère la place
prépondérante qu'ils y ont accordé dans leur manifeste
électoral.
Cependant, il n'est pas suffisant de présenter un programme
à l'électorat, encore faut-il que ces propositions se
concrétisent dans une ou des législations.
1- OBJECTIF; QUE LE QUEBEC SOIT AUSSI
FRANÇAIS...
L'objectif qu'il faut atteindre pour normaliser la situation des
rapports entre Québécois est celui-là même que
définissait l'ex-premier ministre du Québec, Me Daniel Johnson,
dans sa dernière conférence de presse: « faire en sorte
que le Québec soit aussi français que l'Ontario est anglais
». Rien de plus normal. Rien de plus logique aussi sans quoi le
Québec est voué inévitablement à perdre son
identité, sa personnalité propre comme foyer principal et pivot
du Canada français.
Le premier Ministre expliquait aux millions d'auditeurs qui
l'écoutaient que: « En faisant du français la langue
d'usage de l'Etat québécois, le gouvernement du Québec
pratiquera la même politique en matière linguistique que le
gouvernement de l'Ontario qui a dessein de respecter les droits de sa
minorité linguistique. La langue d'usage dans l'Ontario sera l'anglais
comme le français le sera au Québec »... ... « Ainsi,
nous allons voir à ce que tous les anglophones, tous les
non-francophones du Québec, aient une chance d'apprendre le «
Prevailing Language », comme on dit en Ontario, et le « Prevailing
Language » en Ontario, on sait ce que c'est. »
2- UNE POLITIQUE GLOBALE DU FRANÇAIS, LANGUE
NATIONALE:
Il va sans dire que la politique linguistique au niveau scolaire doit
être appuyée, pour
être efficace, par une politique globale qui fasse du
français la langue d'usage quotidien dans la vie collective des
Québécois et la langue de travail dans le monde du commerce, de
l'industrie, de l'administration, des affaires et des services.
Il importe qu'une législation globale assure à la langue
française le rang et le prestige de langue nationale au Québec
et, par le fait même, établisse les droits de la
majorité.
Dans l'ordre des choses actuelles, il est illogique que
l'Assemblée nationale adopte d'abord une législation d'exception
(le Bill 85) sans avoir au préalable défini la politique
linguistique de l'Etat du Québec tant dans le domaine des langues
officielles que dans le domaine du travail et de l'éducation.
3- DES LOIS CONTRAIGNANTES;
Il n'est pas possible l'expérience le démontre
d'atteindre cet objectif normal pour un peuple qui se respecte et qui
entend prendre les moyens de vivre et de s'épanouir, sans avoir recours
à des lois linguistiques. Il n'est pas possible non plus qu'une
législation linguistique puisse atteindre son but et être vraiment
efficace si elle n'est pas contraignante.
Aucune politique linguistique n'a de chance de succès si elle ne
contient pas un élément de coercition qui donne au
législateur le moyen de faire respecter sa loi et impose aux citoyens,
en plus de l'obligation morale inhérente à toute loi, une
obligation formelle qu'ils ne peuvent impunément mépriser.
Le législateur le sait bien puisqu'il introduit dans le Bill 85
un élément de coercition en confiant au Ministre le pouvoir de
mettre en oeuvre les recommandations du comité linguistique du Conseil
supérieur de l'éducation et en imposant aux commissaires des
écoles publiques l'obligation légale « de prendre les
mesures nécessaires pour que les cours d'études au niveau de la
première à celui de la onzième année
inclusivement... soient dispensés à tous les enfants
domiciliés dans le territoire soumis à leur juridiction s'ils
sont jugés aptes à suivre ces cours et si leurs parents ou ceux
qui en tiennent lieu sont désireux de les y inscrire. » La loi
proposée est à ce point contraignante qu'elle permet à un
seul individu de porter plainte auprès du Ministre de l'Education qui
« peut l'approuver (la décision de la commission scolaire), la
modifier ou l'annuler quatre-vingt-dix jours après avoir demandé
l'avis du comité linguistique du Conseil supérieur de
l'éducation ou plus tôt, s'il a déjà reçu cet
avis. La décision du ministre doit être transmise sans
délai à l'intéressé et elle est homologuée
par la Cour provinciale à la demande du ministre ou de
l'intéressé. » (I)
En conséquence la décision du ministre est donc sans
appel, a force de loi et équivaut à un jugement de la cour.
Si le législateur québécois insère un
élément de coercition dans le Bill 85, c'est qu'il ne peut
ignorer pas plus d'ailleurs que le législateur d'aucun autre pays
l'importance de l'obligation légale faite aux citoyens de se
conformer à une directive en matière de langue.
Cette forme de coercition ne brime nullement les droits fondamentaux de
l'homme québécois, pas plus que les lois linguistiques de
Belgique organisant la coexistence des unilinguismes Flamand et Wallon
n'attentaient aux droits de l'homme belge selon le jugement de la Cour
européenne des droits de l'homme. Pas plus que les lois linguistiques de
la Suisse ne briment les droits de la personne humaine tout en contraignant le
citoyen à adopter la langue du canton où il réside.
(1) Il en est de même de l'obligation, dans le Bill 85, pour les
écoles anglophones de diffuser un enseignement de la langue
française. C'est là une autre contrainte acceptée par le
législateur.
La liberté du choix de la langue d'enseignement que l'on veut
introduire dans le Bill 85 n'existe d'ailleurs nulle part dans le monde
anglophone, que ce soit au Royaume-Uni, en Australie, en
Nouvelle-Zélande, ou dans tout autre pays de langue anglaise (à).
Même en Ontario, en Colombie ou en Nouvelle-Ecosse ou n'importe où
au Canada anglais. Récemment, les porte-parole du monde de
l'éducation au Canada anglais n'ont-ils pas indiqué
eux-mêmes qu'il était dérisoire de prétendre au
libre choix de la langue d'enseignement de la part des immigrants? Lors du
Congrès de la Canadian School Trustees' Association (2), les
commissaires ont rejeté une résolution demandant pour les
immigrants le droit de choisir la langue d'éducation de leurs
enfants.
Même aux Etats-Unis, pays des libertés personnelles, pays
où la langue et la culture anglaises jouissent au départ d'une
supériorité écrasante et d'une avance insurmontable, cette
forme de liberté n'existe pas. L'Etat ne reconnaît pas aux parents
le privilège de choisir la langue d'enseignement pour leurs enfants qui
fréquentent les institutions subventionnées par l'Etat. Qui
oserait prétendre qu'à cet égard les législations
scolaires américaines briment la liberté des individus et
méprisent leurs aspirations culturelles légitimes?
4- UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE EN EDUC ATION:
Depuis dix ans, les résolutions réitérées
des Congrès généraux de la Fédération des
Sociétés affiliées et les attitudes publiques constantes
de nos dirigeants appuyés sans équivoque par l'ensemble de nos
membres ainsi que les recommandations de nos deux mémoires à la
Commission Parent et au Comité parlementaire de la constitution,
réclament avec insistance que le Québec définisse une
politique linguistique dans le secteur de l'éducation, politique qui
permette d'atteindre trois objectifs majeurs: a) assurer que tout
système d'enseignement public soit de langue française tout en
faisant en sorte que les citoyens anglophones puissent fréquenter soit
des écoles publiques de langue française, soit des écoles
publiques de langue anglaise (3) tenues toutefois de dispenser un bon
enseignement du français et tenues d'utiliser la langue française
comme langue d'enseignement pour une bonne partie de ces cours afin que les
anglophones qui fréquentent ces institutions acquièrent ainsi une
bonne connaissance de la langue de la majorité pour vivre normalement
dans un Etat francophone; b) prendre les dispositions requises pour que les
immigrants soient intégrés au milieu
franco-québécois et que leurs enfants fréquentent
l'école publique française et, finalement c) organiser
l'enseignement de la langue anglaise comme langue seconde afin que sa
connaissance soit réellement un apport à la culture des
Québécois et un instrument additionnel de rayonnement, non plus
une condition essentielle pour gagner sa vie au Québec.
Nous reconnaissons que, devant la gravité de la situation et
à la lumière des exemples cités dans ce mémoire, il
serait logique de conclure à l'établissement d'un seul
système d'enseignement public pour tous les Québécois, ce
système unique devant être de langue française.
Un secteur important des membres les plus dynamiques de nos
Sociétés partagent cette opinion et ils apportent, à
l'appui, des arguments fort valables. Nous ne sommes pas sûrs
(1) Dans l'Ile Maurice dont la population est d'origine
française le système d'écoles publiques
était anglophone au moins jusqu'à tout récemment alors que
le Parlement de Londres a accordé son indépendance à cette
colonie.
(2) Montréal-Matin, 25 septembre 1968: Selon le Canadien School
Trustees' Association, les immigrants n'ont pas à choisir la langue
d'enseignement de leurs enfants.
(3) Il est évident que l'école publique française
diffusera un enseignement adéquat de la langue anglaise à partir
du niveau secondaire.
d'ailleurs que cette solution ne doive pas s'imposer en
définitive pour accorder aux francophones des chances au moins
égales à celles dont jouissent présentement les
anglophones afin d'accéder aux postes de commande et au plus haut niveau
de direction dans la vie économique, de permettre en somme aux
Franco-Québécois de se comporter en majorité chez eux et
d'intégrer les nouveaux venus comme le fait toute majorité
normale dans le monde.
Si nous suggérons un régime d'exception pour les
anglophones, à titre d'essai et peut-être même
d'étape seulement, c'est uniquement en raison du complexe canadien et
nord-américain qui dresse, aux yeux d'une forte partie de la population
québécoise, un obstacle psychologique insurmontable; c'est en
raison aussi des mesures récentes prises à l'extérieur du
Québec qui rendent moins écrasante la situation minoritaire de
nos compatriotes canadiens-français.
Ce régime d'exception toutefois ne devra pas constituer la
reconnaissance de quelque droit linguistique que ce soit en faveur de la
minorité tant et aussi longtemps que ce droit ne s'exercera pas dans des
conditions de concurrence libre et égale des forces en présence,
ce qui ne pourrait se réaliser qu'après l'adoption d'une
législation formelle et efficace faisant du français la langue
nationale, la seule langue officielle et la langue de travail au
Québec.
Cette école pour les anglophones devra, à brève
échéance, faire la preuve qu'elle peut dispenser à ceux
qui la fréquentent une connaissance adéquate de la langue
française, écrite et orale, afin que ces diplômés
s'intègrent naturellement au Québec français et n'imposent
pas leur langue à la majorité francophone tout comme les
Franco-Ontariens s'intègrent à l'Ontario sans imposer la langue
française à la majorité anglophone. A cette fin, cette
école devra modifier radicalement son esprit et son programme afin de
prouver qu'elle est capable de réussir ce qu'elle n'apas fait
jusqu'à maintenant: cesser de former des unilingues anglais comme l'ont
été et le sont encore la majorité de ses
diplômés.
LE BILL 85 CORRIGE-T-IL LA SITUATION?
En regard de la situation que nous avons décrite, basée
sur les faits et les données statistiques, il faut se demander si le
projet de « loi modifiant la loi du ministère de
l'éducation, la loi du Conseil supérieur de l'éducation et
la loi de l'instruction publique » est susceptible d'y apporter un
correctif efficace et valable?
Après étude attentive des articles du Bill 85, l'analyse
de leur portée légale et juridique, nous en sommes venus à
la conclusion que le projet de loi ne corrige pas la situation. Au contraire,
il l'aggrave singulièrement. a) Le Bill 85 crée du droit nouveau
en consacrant dans un texte juridique un privilège de la minorité
de langue anglaise qui, à la faveur des droits garantis à la
minorité protestante dans l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, a bâti un réseau complet d'institutions
d'enseignement de langue anglaise; b) Il transforme désormais en droit
un privilège, jusqu'ici accordé par la coutume et la
tolérance, des citoyens anglophones de posséder des institutions
scolaires de langue anglaise même dans le secteur des écoles
publiques catholiques; c) Ce qui est plus grave encore, il étend la
reconnaissance de ce droit nouveau à tous les citoyens
québécois, sans distinction aucune, d'origine ou de culture:
qu'ils soient nés au Québec ou qu'ils soient immigrants,
même sans être naturalisés Canadiens, il leur accorde la
liberté de choisir la langue d'enseignement pour leurs enfants,
d'obliger les commissaires des écoles publiques à satisfaire
leurs exigences et la possibilité d'avoir recours au Ministre de
l'éducation pour obtenir satisfaction si la commission scolaire s'y
refuse;
d) Il permet même à tout groupe de parents francophones qui
le désirent, pourvu que leurs enfants soient aptes à le faire, la
possibilité de choisir la langue anglaise comme langue d'enseignement et
d'obliger les commissaires à se conformer à telle exigence pour
le moins aberrante; e) Du fait du conditionnement socio-économique du
milieu nord-américain en général et du milieu canadien en
particulier; du fait qu'il n'y ait pas et qu'il ne peut y avoir dans les
circonstances actuelles de véritable égalité de chances
entre le travailleur, l'homme d'affaires, l'industriel, le commerçant,
l'administrateur de langue française et celui de langue anglaise; le
Bill 85 constitue malgré la bonne volonté du
législateur une incitation à choisir l'école
publique anglaise défrayée par le produit des taxes des citoyens
dont la majorité est de langue et de culture françaises; f) En
conséquence même si ce n'est pas l'intention du
Législateur le Bill 85 ouvre aux immigrants toute grande la porte
sur le Canada anglais et sur l'Amérique anglophone et la referme presque
inévitablement sur le milieu social canadien-français; il
contribue à accentuer le processus de minorisation de la
collectivité québécoise et le processus de
détérioration de la langue et de la culture françaises au
Québec en accordant le droit abusif aux parents du libre choix de la
langue d'enseignement pour leurs enfants, tant aux anciens qu'aux nouveaux
citoyens du Québec, et en obligeant les commissaires d'écoles
à se conformer à la volonté ainsi exprimée par les
parents ou ceux qui en tiennent lieu; g) Le Bill 85, par la consécration
de la liberté de choix, alors que la langue anglaise exerce un tel
attrait grâce à sa situation privilégiée,
équivaut à une démission du législateur devant la
situation qu'il faut corriger, situation néfaste pour la majorité
franco-québécoise.
Tout au plus, le Bill 85 contribuera-t-il à augmenter le nombre
de Québécois dont la langue seconde sera la langue
française en obligeant les écoles du secteur anglais à
diffuser un enseignement « de façon a assurer une connaissance
d'usage de la langue française ».
Les immigrants et le Bill 85:
Même si le projet de loi, par ailleurs, accorde la
responsabilité au « Ministre de l'éducation, de concert
avec le Ministre de l'immigration, de prendre les dispositions
nécessaires pour que les personnes qui s'établissent au
Québec puissent acquérir, dès leur arrivée, une
connaissance d'usage de la langue française et faire instruire leurs
enfants dans des écoles reconnues par le ministère comme
étant de langue française, » cet article n'a qu'une
portée incitative et n'est, en aucune façon, contraignante.
Rien n'oblige les immigrants à opter pour le système
d'écoles publiques françaises. Au contraire, il leur suffira
d'exiger des écoles unilingues anglaises pour que les commissions
scolaires soient tenues de se conformer à leur désir,
conformément aux dispositions a) b) et c) du dixième article du
Bill 85. Force nous est de reconnaître que le projet de loi est d'une
grande faiblesse au sujet de l'intégration des immigrants bien qu'il
manifeste une bonne intention de la part du législateur.
Sans un article qui contraigne les immigrants à fréquenter
les écoles publiques françaises, confessionnelles ou autres,
comment les ministres concernés pourront-ils convaincre les immigrants
qu'il est de leur intérêt de s'intégrer à la
collectivité francophone quand l'on connaît l'immense pression
socio-économique exercée par le milieu nord-américain qui
a jusqu'ici favorisé l'intégration de près de 90% des
Néo-Québécois au groupe anglophone? Comme l'affirmait
récemment sur les ondes de Radio-Canada M. Procek de l'Université
de Montréal, un des responsables des cours d'accueil aux immigrants
tchèques venus au Québec à la suite des
événements tragiques en leur pays, les nouveaux venus savaient
déjà par leurs parents ou amis tchèques établis au
Québec depuis longtemps que la puissance financière et
économique est entre les mains des Anglo-saxons et qu'il était
nécessaire et
préférable dans leur propre intérêt
d'apprendre la langue anglaise et de s'intégrer au milieu anglophone.
(à)
Dès lors, il est facile d'en déduire que ce n'est pas
simplement par une politique incitative et d'accueil cordial que l'on pourra
contrer l'effet corrosif qui résulte d'une situation qui a trop
longtemps pourri. Pour être efficace, une politique d'accueil devra non
seulement s'appuyer sur le ministère de l'immigration mais aussi sur une
politique linguistique globale qui transformera le milieu
québécois et une politique de l'éducation qui fasse de la
langue française la langue obligatoire d'enseignement pour tous les
citoyens sauf pour les Québécois d'origine britannique ou de
langue maternelle anglaise.
Rejet du Bill 85:
On ne peut que conclure: le Bill 85 ne corrige pas efficacement et
fondamentalement la situation puisque le législateur se contente
d'exiger que les anglophones apprennent le français et d'inciter les
immigrants à apprendre eux aussi la langue française tout en
laissant le libre choix, à tous les citoyens, entre l'école
française ou l'école anglaise. Le Bill 85 maintient, confirme et,
par certains aspects, consolide des éléments qui sont à
l'origine de la situation actuelle.
Pour ces raisons, la Fédération des Sociétés
Saint-Jean-Baptiste du Québec recommande au Comité de
l'éducation de retirer le « Bill 85 ».
(1) Emission « PRESENT » deuxième édition
nationale, le mardi 7 janvier 1969. M. Procek affirmait qu'un nombre
relativement pas élevé de ses compatriotes tchèques
choisissaient l'intégration au groupe francophone et qu'il était
lui-même une exception ayant décidé de faire
carrière en langue française.
PROPOSITIONS
La Fédération des Sociétés
Saint-Jean-Baptiste du Québec soumet au Comité de
l'éducation sept propositions pour définir une politique des
langues d'enseignement au Québec, afin de remplacer le Bill 85 et
d'atteindre les objectifs décrits dans les pages
précédentes. 1- Que les enfants de tout immigrant, qui choisit de
s'établir au Québec, doivent fréquenter l'école
publique française; 2- Que la connaissance du français
écrit et parlé soit essentielle à tout étudiant
québécois pour obtenir tout diplôme officiel de l'Etat du
Québec, dans toutes les intitutions d'enseignement; 3- Que le
Comité de l'éducation et l'Assemblée nationale refusent
en droit et en pratique le libre choix de la langue
d'enseignement et, en conséquence, que l'école publique pour tous
les Québécois soit obligatoirement l'école
française, sauf pour les Anglophones c'est-à-dire les
citoyens d'origine britannique ou dont la langue maternelle est l'anglais
qui pourront fréquenter des écoles anglaises dispensant un
bon enseignement du français et une partie substantielle de ses cours en
langue française; 4- Qu'il soit interdit à toute institution
publique de langue anglaise de recevoir des élèves qui ne soient
pas anglophones, c'est-à-dire d'origine britannique ou dont les parents
sont de langue maternelle anglaise; à- Que les commissions scolaires
dont les institutions enfreignent ces normes linguistiques soient
privées des octrois et subventions prévus par la loi; 6-
Qu'aucune institution privée, qui ne se conformerait pas à ces
normes linguistiques, puisse bénéficier d'octrois ou des
subventions à même les fonds publics; 7- Que les écoles
anglaises pour les anglophones seulement ne constituent pas un secteur distinct
dans l'ensemble du système d'enseignement au Québec.
CONCLUSION
En vous soumettant ces propositions pour une législation sur les
langues d'enseignement au Québec, la Fédération des
Sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec ne fait
qu'appliquer les résolutions et les voeux de ses congrès annuels
depuis dix ans, dont nous incluons une partie en annexe à ce
mémoire, elle ne fait que renouveler les recommandations qu'elle faisait
à la Commission d'enquête sur l'enseignement (1) et reprises
devant le Comité parlementaire de la constitution (2). 129- S'il se
trouve encore dans la province des personnes qui y sont nées, qui y ont
toujours vécu, et qui sont encore incapables de comprendre et prononcer
un seul mot de français, cela est inadmissible. Si dans les autres
provinces on peut, de par le régime scolaire, obliger l'étudiant
à apprendre l'anglais sans profit culturel, pourquoi dans la province de
Québec hésiterions-nous à faire profiter tous les
habitants des avantages de la culture française? 130- Ceci dit, nous
croyons que les personnes vivant au Québec et dont la langue maternelle
est l'anglais devraient pouvoir parler le français avec une correction
correspondant au niveau de leurs études. C'est dire que l'étude
du français devrait être obligatoire à tous les niveaux,
dans les écoles de langue anglaise, les exigences devenant de plus en
plus sévères selon les degrés d'études. 131- Pour
les autres, c'est-à-dire pour les personnes dont la langue maternelle
n'est pas l'anglais, elles devraient être tenues de fréquenter les
classes françaises, tout en reconnaissant aux Néo-Canadiens le
droit de conserver leurs langues maternelles.
En d'autres termes, comme l'a décrit la Société de
Montréal en 1962, « que l'école publique de la Province de
Québec soit l'école française et que les écoles
destinées aux enfants dont la langue maternelle est l'anglais soient des
écoles bilingues d'un type analogue, mais en sens inverse, aux
écoles bilingues organisées pour les Canadiens français
dans l'Ontario. » (3)
Une législation régissant les langues d'enseignement,
basée sur les propositions que nous vous soumettons, permettrait au
Québec d'atteindre l'objectif de tout peuple normal qui se respecte, qui
entend prendre les moyens d'assurer la vitalité et la diffusion de sa
culture car, comme le rappelle le rapport Tremblay (4) « une culture
n'a de chance de vivre que si elle s'exprime, s'épanouit et se donne
».
Pour le Québec, cet objectif ne peut être autre que celui
décrit par Me Daniel Johnson lors de sa dernière
conférence de presse, considérée comme son testament
politique: « Il faut que le Québec soit aussi français que
l'Ontario est anglais ».
LA FEDERATION DES SOCIETES SAINT-JEAN-BAPTISTE DU
QUEBEC
Québec, 4 février 1969
(1) Recommandations 129, 130 et 131 dans le mémoire de la
Fédération intitulé LES STRUCTURES DE L'ENSEIGNEMENT
présenté à la Commission Parent.
(2) Nous incluons, en annexe, des extraits du Mémoire de la
fédération au Comité parlementaire de la constitution.
(3) Mémoire de la SSJB de Montréal à la Commission
Parent, en 1962, page 80, paragraphe XX
(4) Rapport Tremblay, vol. Il, page 60.