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Version préliminaire

42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)

Cette version du Journal des débats est une version préliminaire : elle peut donc contenir des erreurs. La version définitive du Journal, en texte continu avec table des matières, est publiée dans un délai moyen de 2 ans suivant la date de la séance.

Pour en savoir plus sur le Journal des débats et ses différentes versions

Le jeudi 23 septembre 2021 - Vol. 45 N° 94

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français


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Intervenants par tranches d'heure

  • 11 h

    • Thériault, Lise
  • 11 h 30

    • Thériault, Lise
    • Jolin-Barrette, Simon
    • Skeete, Christopher
    • David, Hélène
    • Birnbaum, David
  • 12 h

    • Birnbaum, David
    • Thériault, Lise
    • Ghazal, Ruba
    • Bérubé, Pascal
    • Jolin-Barrette, Simon
  • 12 h 30

    • Jolin-Barrette, Simon
    • Thériault, Lise
    • Lemieux, Louis
    • Lévesque, Mathieu
    • David, Hélène
    • Birnbaum, David
    • Ghazal, Ruba
    • Bérubé, Pascal
  • 14 h

    • Thériault, Lise
    • Jolin-Barrette, Simon
    • Skeete, Christopher
    • David, Hélène
  • 14 h 30

    • Thériault, Lise
    • David, Hélène
    • Ghazal, Ruba
    • Bérubé, Pascal
  • 15 h

    • Thériault, Lise
    • Jolin-Barrette, Simon
    • Lemieux, Louis
    • David, Hélène
    • Barrette, Gaétan
    • Ghazal, Ruba
  • 15 h 30

    • Ghazal, Ruba
    • Thériault, Lise
    • Bérubé, Pascal
    • Jolin-Barrette, Simon
  • 16 h

    • Jolin-Barrette, Simon
    • Thériault, Lise
    • Lemieux, Louis
    • David, Hélène
    • Birnbaum, David
    • Barrette, Gaétan
    • Ghazal, Ruba
    • Bérubé, Pascal

 

Journal des débats

11 h (version révisée)

(Onze heures vingt-quatre minutes)

La Présidente (Mme Thériault) : À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de la culture et de l'éducation ouverte.

La commission est réunie afin de poursuivre les auditions publiques dans le cadre des consultations particulières sur le projet de loi n° 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire : Oui, Mme la Présidente. Mme IsaBelle (Huntingdon) est remplacée par M. Lévesque (Chapleau); Mme Rizqy (Saint-Laurent) est remplacée par M. Barrette (La Pinière); Mme St-Pierre (Acadie) est remplacée par M. Birnbaum (D'Arcy-McGee); Mme Dorion (Taschereau) est remplacée par Mme Ghazal (Mercier); et Mme Hivon (Joliette) est remplacée par M. Bérubé (Matane-Matapédia).

Auditions (suite)

La Présidente (Mme Thériault) : Parfait. Merci. Donc, ce matin, nous entendrons les témoins suivants : l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec — ils sont avec nous au parlement — ainsi que M. André Binette, qui, lui, sera en visioconférence.

Donc, sans plus tarder, je vais souhaiter la bienvenue aux représentants de l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec. Je vais vous inviter à vous présenter et procéder à votre exposé d'une durée d'environ 10 minutes. Allez-y.

Association des commissions scolaires anglophones du Québec (ACSAQ)

M. Lamoureux (Dan) : O.K. Merci beaucoup. Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, merci d'avoir accepté de nous recevoir sur le projet de loi n° 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français. Je suis Dan Lamoureux, président de l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec, et je suis accompagné de Russell Copeman, notre directeur général.

The member school boards at the Québec English School Boards, QESBA, serve some 100,000 students in roughly 330 elementary, high schools, adult, and vocational centers throughout Québec. We have English schools from Chibougamau, in the North, to Franklin, near the US border in the South, and from Témiscamingue, in the West, to Îles-de-la-Madeleine, in the East.

Our comments on Bill 96 cover two broad themes: those related directly to the education provisions of the bill and those which are more generally of concern to the English-speaking community of Québec, in which school boards play a major role. But, first, some general observations.

M. Copeman (Russell) : Nous avons compris depuis longtemps que l'une de nos grandes responsabilités consiste à préparer nos élèves de manière adéquate pour vivre et travailler au Québec. Les commissions scolaires anglophones du Québec ont été les pionniers de l'enseignement de la langue seconde au Canada. L'immersion en français, très répandue dans nos écoles, fut développée et d'abord introduite dans la commission scolaire South Shore Protestant Regional School Board au milieu des années 1960. Plus de 50 ans plus tard, la majorité de nos élèves sont inscrits dans une forme quelconque de programme intensif de français langue seconde, et plusieurs commissions scolaires comptent des élèves qui réussissent les cours de français langue maternelle au secondaire. Tous ceux qui sont diplômés des écoles secondaires anglophones québécoises sont considérés, par le gouvernement du Québec, d'avoir une <connaissance...

M. Copeman (Russell) : ... dans une forme quelconque de programme intensif de français langue seconde, et plusieurs commissions scolaires comptent des élèves qui réussissent les cours de français langue maternelle au secondaire. Tous ceux qui sont diplômés des écoles secondaires anglophones québécoises sont considérés, par le gouvernement du Québec, d'avoir une >connaissance adéquate du français parlé et écrit.

Le projet de loi n° 96 représente une révision majeure de la Charte de la langue française et du régime linguistique qui en résulte. Si l'intention du gouvernement du Québec était de contribuer au renforcement des valeurs communes des Québécois en actualisant la Charte de la langue française, le projet de loi n° 96 n'a pas réussi à le faire. Des sondages d'opinion démontrent une profonde... division, pardon, de l'appui envers ce projet de loi chez les Québécois d'expression française et anglaise. Nous avons connu de nombreuses années de ce qui est qualifié de paix linguistique au Québec. Le projet de loi n° 96 de même que d'autres mesures législatives récentes ont beaucoup divisé les Québécois et fragilisé cette paix linguistique. Une telle situation ne favorise ni une appréciation mutuelle ni le renforcement des valeurs communes du Québec.

En matière d'admissibilité à l'enseignement en anglais, le projet de loi n° 96 modifie la Charte de la langue française en la durée des autorisations temporaires de recevoir l'enseignement en anglais. Le projet de loi propose que l'autorisation d'admissibilité d'un enfant à charge d'un ressortissant étranger qui séjourne au Québec de façon temporaire est valide pour une période de trois ans et ne peut être renouvelée. Il s'agit là d'un changement majeur. À l'heure actuelle, bien que les autorisations d'admissibilité temporaires soient valides pour trois ans, elles peuvent être renouvelées, à condition que le statut, au Québec, des parents ou de l'étudiant ne change pas.

Le nombre d'élèves qui fréquentent les écoles anglophones en vertu d'une autorisation d'admissibilité temporaire représente un très faible pourcentage des élèves dans les écoles publiques au Québec. L'ACSAQ a demandé à nos neuf commissions scolaires membres le nombre d'élèves inscrits durant la dernière année scolaire en vertu d'une autorisation d'admissibilité temporaire. Le total d'élèves inscrits dans les écoles publiques anglophones en vertu de ces autorisations temporaires au cours de la dernière année scolaire se chiffrait à 4 108. Or, de ce nombre, 926 s'avéraient des exemptions temporaires pour les membres des Forces armées canadiennes et non, par définition, de ressortissants étrangers. Ainsi, le nombre d'étudiants étrangers fréquentant les écoles publiques anglophones l'an dernier était seulement 3 182. Ce chiffre ne représente que 0,33 % des effectifs scolaires au Québec mais donne un peu d'oxygène à notre système scolaire, dont les effectifs scolaires ont été réduits de 60 % depuis 1975.

• (11 h 30) •

Cette nouvelle restriction qui limite la durée des autorisations d'admissibilité temporaires entraînera <certainement...

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11 h 30 (version révisée)

<      M. Copeman (Russell) : ...des effectifs scolaires au Québec, mais donne un peu d'oxygène à notre système scolaire, dont les effectifs scolaires ont été réduits de 60 % depuis 1975.

Cette nouvelle restriction qui limite la durée des autorisations d'admissibilité temporaires entraînera >certainement une diminution des inscriptions dans notre réseau. De plus, elle peut avoir une incidence négative sur la capacité d'attirer les ressortissants étrangers qui peuvent souhaiter que leurs enfants fréquentent une école anglophone pendant leurs séjours temporaires au Québec.

Étant donné le nombre relativement faible d'élèves touchés, étant donné que ces autorisations d'admissibilité temporaires ne confèrent aucun droit acquis de fréquenter une école anglophone de façon permanente, étant donné que les élèves étrangers inscrits dans les écoles anglophones reçoivent un excellent enseignement du français, la proposition du projet de loi n° 96 de limiter à un maximum de trois ans les autorisations d'admissibilité temporaires à l'enseignement en anglais des ressortissants étrangers semble être une solution à la recherche d'un problème. S'il est important pour le Québec d'être compétitif pour attirer des ressortissants étrangers possédant des talents spécifiques vers le Québec, sur une base temporaire, et pour toutes les raisons exposées ci-haut, cette mesure ne doit pas être adoptée.

L'ACSAQ recommande que cette modification soit retirée du projet de loi et qu'elle laisse ouverte la possibilité de renouveler les autorisations d'admissibilité temporaires à l'enseignement en anglais pour la durée complète des séjours temporaires.

La Charte de la langue française établit les exigences en matière de langue de communication de l'administration publique. En ce qui concerne les commissions scolaires, elle établit les circonstances selon lesquelles le français et l'anglais peuvent être utilisés et quand l'anglais peut être utilisé seul, par exemple, dans nos communications d'ordre pédagogique.

Il n'est pas très clair si le projet de loi n° 96 modifie les exigences pour les commissions scolaires en matière de langue de communication avec les personnes morales tels les entreprises, les associations et nos partenaires communautaires. Des précisions à cet égard seraient bienvenues.

Les Québécois sont fiers, à juste titre, de notre Charte des droits et libertés de la personne, qui est progressive, complète, innovatrice. Or, de notre avis et de celui de plusieurs juristes, la suspension de ces droits fondamentaux doit se faire avec prudence et prévoir un champ d'application limité.

Le projet de loi n° 96 incorpore les dispositions de dérogation québécoise et fédérale, dans les chartes des droits et libertés, directement dans la Charte de la langue française et les applique à tous les articles de cette charte. Le recours global et préventif aux dispositions de dérogation mettra tous les articles de la Charte de la langue française à l'abri de contestations judiciaires en vertu des chartes des droits.

La <raison...

M. Copeman (Russell) : ... française et les applique à tous les articles de cette charte. Le recours global et préventif aux dispositions de dérogation mettra tous les articles de la Charte de la langue française à l'abri de contestations judiciaires en vertu des chartes des droits.

La >raison d'invoquer les dispositions de dérogation pour chacune des dispositions du projet de loi n° 96, et... conséquemment, pardon, la totalité de la Charte de la langue française, n'a pas été clairement expliquée. Cette mesure prive tous les Québécois et Québécoises de la protection de nos droits fondamentaux.

L'ACSAQ maintient que les articles 118, 199 et 200 invoquant les dispositions de dérogation dans la charte québécoise des droits et libertés de la personne et de la Charte canadienne des droits et libertés soient retirés du projet de loi.

M. Lamoureux (Dan) : We have presented you... We have presented to you the main thrust of our brief, those more specific to education. However, we have outlined other issues in more detail in our written submission.

The Québec English School Boards Association believes in the need to promote and protect the French language in Québec and indeed throughout Canada. We are the pioneers of French immersion. We ensure the success in French for all our students and prepare them to live and work in Québec with pride. But that protection and promotion of the French language should not be done by setting aside the fundamental rights of Quebeckers or by potentially infringing on our constitutional rights.

Tel que nous avons exposé dans notre mémoire, le projet de loi n° 96 doit être modifié.

Nous serons maintenant heureux de répondre à toutes vos questions ou à vos commentaires. Merci.

La Présidente (Mme Thériault) : Merci beaucoup. Donc, avant de céder la parole au ministre, je veux tout simplement souligner le fait que M. Russ Copeman a été député de Notre-Dame-de-Grâce ici, au parlement, aussi. On reçoit beaucoup de députés ces temps-ci. Donc, je voulais souligner votre présence. C'est un féru de nos règles parlementaires, M. le ministre. La parole est à vous.

M. Jolin-Barrette : Merci, Mme la Présidente. Salutations à M. Lamoureux, M. Copeman. Bienvenue à l'Assemblée nationale. C'est toujours un plaisir de vous voir, M. Copeman, revenir à l'Assemblée nationale.

D'entrée de jeu, je tiens à le dire et à le réitérer, et je l'ai dit au moment du dépôt du projet de loi, il n'y a rien, dans le projet de loi n° 96, qui fait en sorte de porter atteinte aux droits et aux institutions de la communauté anglophone.

So, as I said before, when I tabled that bill, there is nothing, in the Bill 96, that affects the rights of the English-speaking community, here in Québec, or the institutions, and I want to reassure that.

Aussi, j'ai également dit que, dans le projet de loi n° 96, on conférait davantage de droits également à la communauté anglophone, en faisant en sorte que des ayants droit qui allaient à l'école anglophone... anglaise, au primaire et au secondaire, allaient avoir une priorité au cégep afin, justement, de pouvoir poursuivre dans leur langue leurs études supérieures pour faire en sorte qu'ils puissent accéder à leurs propres institutions, aux institutions de la communauté <anglophone...

M. Jolin-Barrette : ... en faisant en sorte que des ayants droit, qui allaient à l'école anglophone, anglaise, au primaire et au secondaire, allaient avoir une priorité au cégep afin justement de pouvoir poursuivre dans leur langue leurs études supérieures pour faire en sorte qu'ils puissent accéder à leurs propres institutions, aux institutions de la communauté >anglophone.

So, as I said before, when I tabled that bill, we give more rights to the English-speaking community to make sure that the members of the English community will be able to study in their own language in... in elementary school, in high school, and also in CEGEP, in their own language. So, that bill doesn't affect anything about the English-speaking community's rights or institutions.

Cela étant dit, Mme la Présidente, je vous remercie pour la présentation de votre mémoire. D'entrée de jeu, je voudrais vous demander : Est-ce que votre organisation reconnaît que le français est en déclin au Québec?

M. Copeman (Russell) : M. le ministre, nous ne sommes pas des démographes ni des sociologues. Et on l'a dit dans le mémoire, qu'on n'embarquerait pas dans une discussion sur le relatif déclin du français. On n'a qu'observé, entre autres, que, par certaines mesures, entre autres, si on prend la langue parlée à la maison plus fréquemment, le Québec n'a jamais été autant français qu'il l'est aujourd'hui. Est-ce qu'il y a des situations sur l'île de Montréal? Est-ce qu'il y a des situations ailleurs? Possiblement, mais ce n'est pas notre domaine d'expertise. Nous sommes ici pour parler des implications du projet de loi n° 96 sur le réseau scolaire.

M. Jolin-Barrette : Donc, je comprends que vous ne niez pas qu'il y a un déclin du français. Parce que, dans la société québécoise, il y a pas mal un consensus à l'effet qu'effectivement... Et les études statistiques démontrent, que ce soit de l'OQLF, que ce soit du Conseil supérieur de la langue française... démontrent qu'il y a un déclin du français, que le français continue à décliner si aucune mesure n'est prise. Alors, je comprends que votre organisation n'est pas une spécialiste des données démographiques, mais est-ce que votre organisation reconnaît ce déclin-là?

M. Copeman (Russell) : M. le ministre, c'est à peu près la même question, et je vous donne à peu près la même réponse. Je pense que M. Churchill a dit : «There are three types of statistics. There are statistics, damned statistics, and lying statistics.» Alors, on peut quasiment tout dire avec des statistiques, là.

Ce n'est pas notre domaine. Notre domaine, c'est de représenter les positions des commissions scolaires sur le projet de loi n° 96. Et là, si vous me permettez, quand vous dites, M. le ministre, et avec respect, qu'il n'y a rien qui affecte les institutions de la communauté anglophone, nous plaidons que la limite sur trois ans des admissibilités temporaires va affecter nos institutions. Ça va diminuer nos inscriptions. Si ce n'est pas... Si ce n'est pas affecter des institutions, je ne sais pas qu'est-ce que c'est.

M. Jolin-Barrette : Est-ce que vous croyez... Parlons-en, de la notion du trois ans. Parce <qu'actuellement...

M. Copeman (Russell) : .... que la limite sur trois ans des admissibilités temporaires va affecter nos institutions. Ça va diminuer nos inscriptions. Si ce n'est pas... Si ce n'est pas affecter des institutions, je ne sais pas qu'est-ce que c'est.

M. Jolin-Barrette : Est-ce que vous croyez... Parlons-en de la notion du trois ans. Parce >qu'actuellement la structure de la Charte de la langue française fait en sorte qu'une personne en situation temporaire qui vient au Québec... Je suis une personne immigrante. Je choisis de venir au Québec de façon temporaire, avec un permis de travail temporaire. Mes enfants peuvent aller à l'école anglaise tout le long de leur parcours scolaire, hein? Ça veut dire que, si les enfants commencent le primaire ici, ils peuvent poursuivre, parce que ça peut être renouvelé tant que la permanentisation de la personne n'est pas effectuée.

• (11 h 40) •

Et, même s'il y a permanentisation, en raison de la Loi constitutionnelle de 1982, en raison de la Charte des droits et libertés, que M. Trudeau père a mis en place, ça fait en sorte que... le parcours authentique fait en sorte que les personnes immigrantes se voient dotées d'un droit pour faire en sorte qu'eux vont conserver le droit d'aller à l'école anglaise, et leurs enfants également, dans le futur, et leurs petits-enfants vont avoir le droit d'aller à l'école anglaise, ce qui est en contravention directe avec l'esprit même de la Charte de la langue française, le fait de dire qu'au Québec on accueille les personnes immigrantes en français dans les institutions francophones.

Donc, je vous pose la question. L'idée, avec la limitation de trois ans, c'est de faire en sorte de permettre... une personne qui vient travailler temporairement au Québec, parce qu'elle va retourner, de, oui, lui permettre d'étudier... que ces enfants, pour une période temporaire, soient trois ans à l'école, mais, si elle renouvelle son permis et qu'elle vient s'établir durablement dans la société québécoise, qu'elle s'intègre dans les institutions francophones, comme c'est l'objectif de la Charte de la langue française. Alors, ma question pour vous : Êtes-vous d'accord qu'au Québec les enfants des personnes immigrantes qui choisissent le Québec s'intègrent en français, comme le prévoit la Charte de la langue française?

M. Copeman (Russell) : M. le ministre, vous avez soulevé une apparence de contradiction entre le renouvellement des permis temporaires et les objectifs de la charte. Si c'est une contradiction, c'est une contradiction qui existe depuis le début de la charte. Ce n'est pas nouveau.

M. Jolin-Barrette : Et donc, s'il y a contradiction, est-ce qu'on doit perpétuer ce trou dans la Charte de la langue française? Est-ce que vous êtes d'accord avec moi, M. Copeman, que les personnes immigrantes qui choisissent de venir immigrer au Québec doivent s'intégrer, peu importe leur provenance dans le monde, là, hein? Toute personne immigrante qui vient s'établir au Québec devrait-elle fréquenter les institutions francophones? Parce qu'elle vient au Québec et que l'objectif de la Charte de la langue française, c'est qu'elle puisse étudier dans les institutions francophones. Et c'est de cette façon-là qu'on a réussi à augmenter le taux de transfert linguistique pour faire en sorte d'assurer la pérennité de la langue française au Québec par le biais de l'immigration.

M. Copeman (Russell) : Mais la situation que vous avez décrite, M. le ministre, concernant la possibilité, pour la personne, d'avoir des droits de fréquenter pour les enfants et petits-enfants, de un, il faudrait que cette personne-là devienne citoyenne canadienne, parce que, sans la citoyenneté <canadienne...

M. Jolin-Barrette : ... immigration.

M. Copeman (Russell) : Mais la situation que vous avez décrite, M. le ministre, concernant la possibilité pour la personne d'avoir des droits de fréquenter pour les enfants et petits enfants, de un, il faudrait que cette personne-là devienne citoyenne canadienne, parce que, sans la citoyenneté >canadienne, cette voie n'est pas ouverte à la personne.

Deuxièmement, nous, on prétend que les écoles anglophones... On dit «anglophones», on ne devrait pas, hein, on s'entend, on devrait dire «les écoles anglaises», là. Mais même nous, on fait cette erreur-là. Mais les écoles anglaises sont parfaitement capables de faire en sorte de préparer les jeunes pour s'intégrer à la société québécoise, pour apprendre le français et pour parler le français.

Si vous me demandez : Est-ce que les immigrants doivent aller dans les écoles françaises?, la réponse, c'est oui. Mais on parle d'une situation temporaire, d'un très petit nombre. Si... Non, mais, si vous dites, M. le ministre, que 3 000 personnes vont perturber, ultimement, ceux qui restent, ceux qui deviennent citoyens, ceux qui choisissent de rester au Québec, si vous me dites que — ça, c'est beaucoup de «si», là — après tout ça, quelques milliers de personnes vont perturber l'équilibre linguistique au Québec, on n'est pas d'accord et on pense que ces gens-là devraient être capables d'avoir ce permis-là renouvelé.

M. Jolin-Barrette : Bien, dans un premier temps, c'est plusieurs milliers de personnes. Et je tiens à réitérer que l'exception pour les diplomates étrangers et pour les militaires canadiens, ça, ça va demeurer et ça va continuer de s'appliquer, le renouvellement.

Mais vous nous dites : Écoutez, on est capables, dans les commissions scolaires anglophones, de franciser les nouveaux arrivants. Bernard Tremblay, le président de la Fédération des cégeps, disait, et je le cite : «J'ai des témoignages de directions générales de cégeps anglophones qui me disent : Le français des anglophones qui ont fréquenté des commissions scolaires anglophones au Québec est épouvantable. Ils ne parlent pas français ou à peu près pas.» Alors, ça, c'est ce que M. Tremblay dit.

Et moi, je m'inscris en faux avec ce que vous dites, parce que ça va à l'encontre de la Charte de la langue française de dire : Les personnes immigrantes pourront fréquenter les écoles anglaises du Québec d'une façon permanente.

Et, je vous réitérerais aussi, parce que, bon, j'ai eu un petit passé au ministère de l'Immigration, il y a beaucoup de personnes en situation temporaire qui deviennent immigrants permanents, et qui obtiennent leur résidence permanente, et qui obtiennent leur citoyenneté. Et c'est même une volonté du gouvernement du Québec de faire en sorte que les gens arrivent dans une situation temporaire pour venir notamment répondre à la pénurie de main-d'oeuvre, viennent contribuer à la société québécoise, mais en s'intégrant en français à la société québécoise. Et c'est ça, le pacte social que nous avons au Québec, de faire en sorte d'assurer la pérennité et la vitalité de la langue française, de faire en sorte que les personnes immigrantes puissent s'intégrer au Québec en français.

M. Copeman (Russell) : Je ne commenterai pas nécessairement le <commentaire de...

M. Jolin-Barrette : ... société québécoise, mais en s'intégrant en français à la société québécoise. Et c'est ça, le pacte social que nous avons au Québec de faire en sorte d'assurer la pérennité et la vitalité de la langue française, de faire en sorte que les personnes immigrantes puissent s'intégrer, au Québec, en français.

M. Copeman (Russell) : Je ne commenterai pas nécessairement le >commentaire de...

M. Jolin-Barrette : M. Tremblay.

M. Copeman (Russell) : ...de M. Tremblay, sauf pour vous dire que le gouvernement du Québec reconnaît que les élèves qui sont diplômés du secondaire V des écoles anglaises au Québec sont réputés d'avoir une connaissance adéquate du français parlé et écrit. La preuve de ça, c'est que ces gens-là sont exemptés des tests linguistiques pour les professionnels.

Alors, si le gouvernement du Québec, depuis 30 ans, plus, reconnaît que les diplômés des écoles anglophones secondaires sont réputés d'avoir une connaissance adéquate du français et de l'anglais, je pense qu'on devrait prendre ça pour acquis. Par ailleurs, M. le ministre, mes trois enfants, tous des gradués des écoles de la commission scolaire English-Montréal, pourraient être ici avec nous et discuteraient avec vous dans un français peut-être pas impeccable, mais sûrement fonctionnel.

M. Jolin-Barrette : Mais ça, c'est très bien, puis je vous en félicite. Mais, fondamentalement, fondamentalement, il y a un enjeu, parce que vous nous dites : Écoutez, ça fait 30 ans que ça fonctionne de même.

M. Copeman (Russell) : Ça fonctionne bien.

M. Jolin-Barrette : Non, non, mais ça fonctionne comme vous voulez que ça fonctionne. Puis vous êtes d'accord avec le statu quo. Moi, ce que je vous dis, c'est qu'il y a un enjeu, puis il y a un enjeu pour faire en sorte que les personnes immigrantes s'intègrent en français. Puis la meilleure façon, et M. Rocher nous l'a dit également, pour le taux de transfert linguistique, c'est de faire en sorte de les amener dans le réseau francophone pour faire en sorte que, d'une façon durable, ils apprennent le français.

Peut-être, avant de céder la parole à mes collègues, j'aurais une question. Parce que la commission scolaire English-Montréal est membre de votre organisation. Ils ont nié, dans une résolution qu'ils ont adoptée, le concept de nation au Québec. Je serais curieux de savoir qu'est-ce que l'association pense de cette position-là qui... Par la suite, on a constaté que la commission scolaire English-Montréal s'est rétractée, mais je pense que c'était un commentaire malheureux de leur part et également déplorable. Alors, je voudrais savoir, votre organisation, qu'est-ce qu'elle en pense.

M. Copeman (Russell) : Bien, je pense que, de l'aveu même du président de la commission scolaire English-Montréal, cette résolution initiale était mal avisée. C'est un constat qu'on partage. Et le conseil des commissaires de la commission scolaire English-Montréal, manifestement, sont venus à conclusion que la résolution était mal avisée, parce qu'ils l'ont résiliée. Alors, pour moi, c'est la fin de l'histoire.

M. Jolin-Barrette : Parfait. Je vous remercie beaucoup pour votre présence à la commission parlementaire. Je sais que mon collègue de Sainte-Rose souhaite vous poser des questions.

La Présidente (Mme Thériault) : Oui. Et, M. le député de Sainte-Rose, il vous reste 3 min 30 s à l'échange.

M. Skeete : Merci beaucoup, Mme la Présidente. <Vous avez...

M. Copeman (Russell) : ... que la résolution était mal avisée, parce qu'ils l'ont résiliée. Alors, pour moi, c'est la fin de l'histoire.

M. Jolin-Barrette : Parfait. Je vous remercie beaucoup pour votre présence à la commission parlementaire. Je sais que mon collègue de Sainte-Rose souhaite vous poser des questions.

La Présidente (Mme Thériault) : Oui. Et M. le député de Sainte-Rose, il vous reste 3 min 30 s à l'échange.

M. Skeete : Merci beaucoup, Mme la Présidente. >Vous avez parlé tantôt que vous n'êtes pas démographes et que vous ne voulez pas vous éparpiller dans des domaines qui ne touchaient pas l'éducation. En regardant votre mémoire, je constate que vous parlez ici d'accès à la justice, modifications constitutionnelles. En quoi le présent projet de loi affecte votre quotidien à l'intérieur de ces juridictions-là — juridique, Constitution, dérogation, etc.?

M. Copeman (Russell) : Alors, M. le député, nous avons quelques préoccupations, et c'est évidemment une question d'interprétation. Quand il y a un amendement constitutionnel à la Constitution du Canada qui indique que le français est la seule langue officielle du Québec, est-ce qu'il n'y a pas possibilité ou une apparence de conflit potentiel avec la section 133 de l'acte constitutionnel de 1982, qui indique, en autres, que le français et l'anglais peuvent être utilisés dans la législature et dans les tribunaux? Alors, on pose la question, M. le député. Et je pense que vous allez constater, dans les jours qui suivent, qu'il y a, effectivement, une différence d'interprétation parfois dans ces choses-là.

En termes d'accès à la justice, la même chose. La disposition de la loi n° 96 qui indique qu'il faut que ce soit le ministre de la Justice et le ministre responsable de la Langue française, en l'occurrence la même personne, pour l'instant, qui doit autoriser si les juges peuvent avoir une connaissance de l'anglais, nous craignons que ça peut restreindre le bassin de juges avec une connaissance suffisante de l'anglais pour entendre des causes, et ça... Je vois le ministre de la Justice qui fait signe que non. Tant mieux. Qu'on nous éclaircisse ça, aucun problème, mais c'est une préoccupation majeure. Et ça, c'est également un droit constitutionnel.

• (11 h 50) •

M. Skeete : Mais vous savez comme moi, certainement, par vos nombreuses années à ce Parlement, que la clause dérogatoire ne touche pas tous les paragraphes de la Constitution. On parle, ici, de 2 et de 7 à 15. Donc, en quoi votre inquiétude sur ces clauses-là pourrait affecter le service rendu aux Québécois d'expression anglaise?

M. Copeman (Russell) : Bien, c'est l'utilisation de la clause dérogatoire pour toutes les dispositions de la loi n° 96 et, par le biais de 96, à toutes les dispositions de la Charte de la langue française.

M. Skeete : Ça vous affecte dans votre mandat, votre mission, à l'éducation.

M. Copeman (Russell) : Bien, si on interprète, M. le député, possiblement, qu'il y a <conflit entre...

M. Copeman (Russell) : ... de la loi 96, et par le biais de 96 à toutes les dispositions de la Charte de la langue française...

M. Skeete : Ça vous affecte dans votre mandat, votre mission à l'éducation?

M. Copeman (Russell) : Bien, si on interprète, M. le député, possiblement qu'il y a >conflit entre des articles du projet de loi n° 96, et si quelqu'un veut tenter de contester ces articles-là en vertu de la charte québécoise ou en vertu de la charte canadienne, ils ne pourront pas le faire à cause de la clause dérogatoire. Et nous, on pense que, dans une société de droit, les citoyens, les organismes devraient avoir la possibilité de contester des lois, comme a fait l'ACSAQ, avec succès, par ailleurs, récemment.

La Présidente (Mme Thériault) : Et ceci met fin à l'échange. Donc, je vais me tourner maintenantdu côté del'opposition officielle. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, la parole est à vous.

Mme David : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, M. Lamoureux. Bonjour, M. Copeman. Rebienvenue à l'Assemblée nationale.

Écoutez, je vais revenir sur ce qui vous préoccupe le plus, c'est-à-dire la question des enfants de ressortissants étrangers. Moi qui pensais avoir l'exemple parfait, je pense que ça reste un exemple intéressant, Kamala Harris, qui est venue passer cinq ans et qui est repartie. Je pensais que c'était ça, l'exemple type. Donc, je vais vous poser un certain nombre de questions, peut-être complémentaires à celles du ministre.

Il y a quatre... Parce que ce n'est pas simple, hein, ça, on navigue dans des choses, là, compliquées. Il y a quatre catégories de personnes qui séjournent temporairement : il y a les ressortissants étrangers — je pense que c'est la seule catégorie visée par, justement, l'article 56 — il y a les citoyens canadiens qui séjournent au Québec pour y étudier ou y travailler, les ressortissants affectés au Québec à titre de représentants d'un pays — alors, ça, c'est vraiment la diplomatie — ou d'un organisme international étranger — là, je ne suis plus trop sûre si c'est l'ONU ou... etc. — et les membres des Forces armées canadiennes.

Alors, vous, vous mentionnez, dans votre mathématique, d'ailleurs bien expliquée, qu'il y a, donc, 4 108, selon votre analyse, là, votre sondage interne des commissions scolaires, 4 108 des quatre catégories, dont on soustrait une seule catégorie, qui est les militaires. Vous ne soustrayez pas les représentants diplomatiques ou organisme international étranger. Ça a peut-être...

M. Copeman (Russell) : C'est parce qu'on n'avait pas ces chiffres, Mme la députée. C'est tout.

Mme David : O.K. Donc, c'est minimalement, disons, 4 108 moins 926, mais ça pourrait être moins 1 500, disons, plutôt que 926. C'est ça?

M. Copeman (Russell) : Tout à fait.

Mme David : O.K. Donc, c'est le total moins une des trois autres catégories, qui serait exemptée. Il reste, donc, les enfants comme Kamala Harris. Sa mère, à l'époque, dans les années 70... Et elle, elle a diplômé en 1980. Elle a donc, comme on avait dit, là, dans les journaux, quand, évidemment, Joe Biden a été élu, Kamala Harris, Montréal célèbre <l'assermentation de...

Mme David : ... les enfants, comme Kamala Harris, sa mère, à l'époque, dans les années 70... Et elle, elle a diplômé en 1980. Elle a donc... Comme on avait dit, là, dans les journaux quand, évidemment, Joe Biden a été élu, Kamala Harris... Montréal célèbre > l'assermentation de Kamala Harris... Elle a passé cinq ans.

Et là, bon, tout le monde était bien fier, mais c'est parce que sa mère était chercheure, invitée à statut de chercheure, à l'Université McGill. Elle y est restée cinq ans et elle a décidé de repartir avec Maya et Kamala après cinq ans. D'ailleurs, Kamala a même passé un an, si je me souviens bien des articles, là, un an dans un système francophone, puis après ça elle est allée à l'école Royal... Royal quelque chose, là, de Montréal. Alors, elle était dans le secteur public et puis après elle est repartie.

Ça, c'est un exemple à peu près typique d'un ressortissant étranger? Parce que, là où je suis mêlée puis où je pensais comprendre, avec votre mémoire... Vous dites bien que, dès que la mère de Kamala, pour continuer notre exemple, aurait décidé : J'aime tellement être à McGill, belle carrière, j'adore la ville, etc., je demande mon CSQ, certificat de sélection du Québec, Kamala finit son année, admettons qu'on est au mois d'avril, elle finit son année, bien, elle est obligée d'être soumise à la loi 101. Même si le CSQ prend un an, deux ans, trois ans avant d'arriver, dès le jour où elle dépose sa demande, elle est obligée de passer au système francophone parce que, là, elle est considérée comme quelqu'un qui veut rester au Québec.

M. Copeman (Russell) : La pratique veut, Mme la députée, que, dès une personne qui séjourne de façon temporaire au Québec fait application soit pour un certificat de sélection du Québec ou pour statut de réfugié, à la fin de cette année scolaire là, si cette personne a des enfants à charge, ils doivent s'inscrire dans des écoles françaises, doivent.

Alors, la situation dont parle le ministre va venir, possiblement, quand ces personnes-là deviennent citoyennes, quand ils ont des enfants... Et, possiblement, les enfants vont avoir le droit de fréquenter s'ils ont fait la majorité de leur enseignement en anglais au primaire. C'est assez compliqué, là, on s'entend.

Mme David : C'est là qu'intervient la fameuse notion de parcours authentique? Si Kamala... Si sa mère était restée 10 ans au lieu de cinq ans, Kamala aurait pu rester 10 ans, selon la loi 101 actuelle. C'est ça?

M. Copeman (Russell) : Oui, mais, pour que les enfants de Mme Harris aient droit à s'inscrire dans les écoles anglophones, la situation décrite par le ministre, il faudrait que Mme Harris devienne citoyenne canadienne et, deux, qu'elle a passé la majorité de son éducation en anglais au primaire. Là, on est dans beaucoup de «si», Mme la députée, là. On soustrait, on soustrait, <on soustrait...

M. Copeman (Russell) : ... situation décrite par le ministre, il faudrait que Mme Harris devienne citoyenne canadienne et, deux, qu'elle a passé la majorité de son éducation en anglais au primaire. Là, on est dans beaucoup de «si», Mme la députée, là. On soustrait, on soustrait, >on soustrait.

Mme David : Et il reste peut-être quelques dizaines, centaines de...

M. Copeman (Russell) : Je l'ignore. Par ailleurs, on a fait une demande d'accès à l'information au ministère de l'Éducation pour avoir plus de détails sur ces sujets-là, demande qui a été faite le 3 août. Alors, le ministère avait jusqu'à 30 jours au maximum de répondre à cette question en vertu de la loi sur l'accès à l'information, et nous sommes le 23, et il n'y a toujours pas de réponse du ministère. Alors, je ne peux pas vous éclairer plus parce qu'on n'a pas ces détails-là.

Mme David : O.K. Et je comprends que ça, c'est la partie qui vous inquiète le plus dans... ou qui vous affecte le plus. Parce que vous dites : On n'a déjà plus beaucoup d'étudiants, d'élèves, on en perdrait encore plus. Et, si on trouvait les bons chiffres... Ce serait vraiment bien qu'il y ait une réponse de cette demande d'accès à l'information. On pourrait peut-être travailler avec des vrais nombres, des vraies quantités d'étudiants, et peut-être qu'à ce moment-là le ministre montrerait une certaine ouverture à un problème qui ne semble pas si répandu.

M. Copeman (Russell) : Incluant le nombre de personnes qui séjournent temporairement, qui deviennent citoyens, qui...

Mme David : Citoyens, qui demandent le...

M. Copeman (Russell) : Moi, je n'ai pas ces chiffres. J'ai toujours cru que c'est important pour les parlementaires de travailler avec les faits.

Mme David : O.K. Merci. Vous avez raison, mais je veux laisser la parole à mon collègue de D'Arcy-McGee, un comté que vous connaissez, quand même, et pour poser...

M. Copeman (Russell) : Comté voisin.

Mme David : Voilà.

La Présidente (Mme Thériault) : ...député de D'Arcy-McGee, vous avez 4 min 15 s.

M. Birnbaum : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Lamoureux, M. Copeman. Ça m'a fait plaisir d'entendre votre présentation, surtout, d'avoir comblé les fonctions de M. Copeman pour une dizaine d'années moi-même, dont... Tout au long du temps, j'étais très fier de voir les écoles anglaises du Québec comme vecteur de la francisation, et vous en avez parlé un petit peu.

Je me permets de noter aussi notre déception de savoir que nous n'êtes qu'un de quatre groupes issus de la communauté québécoise de langue anglaise qui aurait été convoqué à ces audiences. Il y en avait plusieurs autres qui auraient souhaité avoir l'opportunité.

Je veux revenir à la page 15 de votre mémoire, vous en avez fait référence lors de vos remarques, et je vous cite : «Enfin, il n'est pas très clair si le projet de loi n° 96 modifie les exigences pour les commissions scolaires en matière de langue de communication avec les personnes morales.»

• (12 heures) •

Malgré les petites déclarations du ministre, je crois que c'est une préoccupation que nous aurions entendue souvent et dont a fait écho, lors d'une rencontre que j'ai eue avec Kathy Korakakis, présidente du English Parent's Committee Association... Et je me permets de la citer, parce qu'elle aurait aimé comparer devant ces audiences aussi, et elle note : «Specifically, it is unclear to EPCA whether important documents regarding a child's education are going to be solely made available in French with no option for English even in the English <educational system...

>


 
 

12 h (version révisée)

<15371 M. Birnbaum : ...English Parent's Committee Association, et je me permets de la citer parce qu'elle aurait aimé comparaître devant ces audiences aussi, et elle note : «Specifically, it is unclear to EPCA whether important documents regarding a child's education are going to be solely made available in French, with no option for English even in the English >educational system. We fear that this will create barriers for English only parents to play an active part in their child's education. In turn, this lack of involvement from parents, caused by such an unequal system, will have drastic negative impacts on our students, and this will be particularly exacerbated for those students who have IEPs — des plans individuels de l'éducation — and other vulnerable members of our school communities.»

I wonder if... si je peux vous inviter d'élaborer là-dessus, vos inquiétudes précises en ce qui a trait au projet de loi devant nous.

La Présidente (Mme Thériault) : ...pour le faire.

M. Copeman (Russell) : M. le député, nous ne partageons pas nécessairement exactement la même lecture de Mme Korakakis en ce qui concerne la communication avec les parents ou les étudiants. Parce que l'article 28 de la charte existe toujours sans être modifié, c'est-à-dire que la commission scolaire peut communiquer, pour des raisons pédagogiques, en anglais seulement. Alors, je pense que c'est assez clair. Si ça ne l'est pas, il faudrait que quelqu'un nous le dise. Mais, à notre lecture, c'est assez clair.

La question est plus avec les personnes morales, comme le English Parent's Committee Association, comme nos syndicats, comme d'autres partenaires communautaires qui sont des personnes morales. Est-ce qu'on aura toujours la capacité, selon le projet de loi n° 96, de communiquer avec eux en anglais, que ce soit français et anglais ou anglais seul, à la limite? Et ça, ce n'est pas très clair. Et nous l'avons même examiné avec des avocats puis... Deux avocats, trois opinions, hein? Alors, on a eu trois opinions. On aimerait avoir une opinion pour savoir l'intention du législateur.

La Présidente (Mme Thériault) : ...c'est beau? Il vous reste 40 secondes. C'est beau?

M. Birnbaum : Ah! je n'avais pas compris.

La Présidente (Mme Thériault) : Il vous en reste 30 maintenant.

M. Birnbaum : Je vous invite de parler un petit peu de vos inquiétudes de façon générale. N'y a-t-il pas — ce que j'entends souvent — un sentiment d'appartenance à notre Québec, et à l'avenir de la langue française au Québec, et notre rôle là-dedans, qui n'est pas reflété dans les constats ni les articles de ce projet de loi là?

La Présidente (Mme Thériault) : 10 secondes.

Une voix : ...

La Présidente (Mme Thériault) : Et je vais devoir couper le micro. Les 10 secondes sont passées. Désolée.

Une voix : M. le député...

La Présidente (Mme Thériault) : Non, je ne peux pas vous laisser répondre, désolée. Le temps est passé, malheureusement. Donc, je vais me tourner vers la députée de Mercier pour 2 min 45 s.

Mme Ghazal : Merci. Bonjour, messieurs. Merci pour votre présentation. Je <voudrais vous...

La Présidente (Mme Thériault) : ... couper le micro, les 10 secondes sont passées, désolée.

Une voix : M. le député...

La Présidente (Mme Thériault) : Non, je ne peux pas vous laisser répondre, désolée, le temps est passé, malheureusement. Donc, je vais me tourner vers la députée de Mercier pour 2 min 45 s.

Mme Ghazal : Merci. Bonjour, messieurs. Merci pour votre présentation. Je >voudrais vous poser une question sur la disposition de dérogation. Le ministre veut l'appliquer partout, sur tous les articles. Si, par exemple, il décidait de ne l'appliquer que sur quelques articles uniquement, en expliquant pourquoi, seriez-vous toujours contre?

M. Copeman (Russell) : Je pense, ça dépend du contexte, Mme la députée. Je peux vous citer le... très brièvement, le dernier jugement du juge Blanchard.

Mme Ghazal : J'ai peu de temps, donc je ne sais pas...

M. Copeman (Russell) : Je comprends. «Par définition, dans une société soucieuse de respecter les droits fondamentaux qu'elle accorde à ses membres, l'utilisation de la clause de dérogation devrait se faire de façon parcimonieuse et circonspecte.»

Mme Ghazal : Donc, vous n'êtes pas contre, en principe. Très bien. Merci. J'avais une autre question aussi.

Il y a, aujourd'hui, une jeune leader anglophone, interviewée dans LaPresse, qui disait qu'elle était inquiète que le projet de loi n° 96 nous fasse retourner dans l'antagonisme des deux solitudes, qu'elle a un sentiment, comme beaucoup d'anglophones du Québec, jeunes anglophones du Québec, un sentiment d'appartenance à la culture française du Québec.

Il y a M. Guy Rocher, hier, qui nous disait qu'on avait des préjugés mutuels, les anglophones, les francophones, et qu'il comptait sur les anglophones du Québec pour nous protéger contre le «Québec bashing» dans le reste du Canada, qui ne nous connaissent pas.

J'aimerais savoir comment est-ce que vous voyez votre rôle dans cette responsabilité de nous unir ensemble au Québec aujourd'hui. Comment est-ce que vous voyez ça pour la paix linguistique?

M. Copeman (Russell) : Bon, en 30 secondes, Mme la députée.

Mme Ghazal : Je ne sais pas. Moi, j'aimerais ça en avoir plus, mais...

M. Copeman (Russell) : M. Lamoureux, moi, ses enfants, mes enfants, nous sommes des Québécois à part entière. Nous avons décidé de s'implanter au Québec, de rester au Québec. Mes trois enfants sont au Québec, ce qui est relativement rare dans la communauté anglophone, de trouver la totalité des enfants d'une deuxième génération toujours au Québec. Parce qu'on aime le Québec, parce qu'on veut rester au Québec.

La loi n° 96 ne nous unit pas, comme Québécois et Québécoises. Je ne peux que le constater. Alors, peut-être, je supplie aux parlementaires de prendre ça en considération quand on discute des dispositions individuelles du projet de loi.

Mme Ghazal : Le ministre a une responsabilité, nous avons une responsabilité ici, les membres de la commission, comme parlementaires. Moi, j'avais envie de savoir, autre que de nous dire que vos enfants sont ici, vous, qu'est-ce qui pourrait être fait, qu'est-ce que vous, vous pouvez faire, cet appel des jeunes anglophones du Québec qui disent : On voudrait même avoir plus de français, par exemple, dans nos cours, on aimerait être beaucoup plus bilingues...

La Présidente (Mme Thériault) : Et, malgré l'importance de la question, on a déjà dépassé 10 secondes, donc je dois mettre fin à l'échange. Désolée. M. le député de Matane-Matapédia, <pour votre...

Mme Ghazal : ... qu'est-ce qui pourrait être fait... qu'est-ce que vous, vous pouvez faire, cet appel des jeunes anglophones du Québec qui disent : On voudrait même avoir plus de français, par exemple, dans nos cours, on aimerait être beaucoup plus bilingues...

La Présidente (Mme Thériault) : Et malgré l'importance de la question, on a déjà dépassé 10 secondes, donc je dois mettre fin à l'échange. Désolée.

M. le député de Matane-Matapédia >pour votre temps.

M. Bérubé : Merci. Dans ce pays, l'anglais n'est pas menacé. Le français est menacé. Au Québec, le français est menacé. Vous n'avez pas voulu intervenir sur cette question-là. Manifestement, vous n'avez pas d'opinion là-dessus. Vous représentez vos membres, soit.

Au Parti québécois, on souhaite colmater une brèche, dans la loi 101, qui permet aux enfants de résidents temporaires d'aller à l'école en anglais. Et ce phénomène-là, il a une augmentation significative : 2 010 élèves en 2010, puis maintenant 4 428 en 2019. Nous sommes d'avis qu'il faut s'intégrer dans la langue officielle, dans la langue commune. Si on allait en Allemagne, ce serait en allemand. Si on allait au Brésil, ce serait en portugais. Pourquoi ce serait différent au Québec?

Tout à l'heure, vous nous avez dit : Mais ça nous cause préjudice. Comment? Le financement? L'influence de la communauté anglophone à Montréal et au Québec? J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Copeman (Russell) : Les chiffres dont vous parlez, M. le député, nous ne les avons pas, outre que par le biais du Devoir.

M. Bérubé : Ah! bien, j'ai une autre source que je vais vous fournir.

M. Copeman (Russell) : Bien, magnifique, parce que nous, on a fait une demande d'accès à l'information pour valider ces sources-là, ces informations-là, et on n'a pas obtenu réponse dans les délais normaux. Alors, c'est difficile de commenter, outre le fait... Dans l'article du Devoir, on parle que les séjours temporaires, au total, ont triplé depuis 2010, triplé, et les demandes d'autorisation temporaire à l'enseignement en anglais ont doublé.

M. Bérubé : Mais ce n'est pas ça, ma question. Pourquoi vous voulez qu'ils aillent dans votre réseau au lieu du réseau de la langue commune et la langue officielle au Québec? Vous contestez ça?

M. Copeman (Russell) : Non. On pense que, pour certaines catégories de personnes qui viennent au Québec de façon temporaire... que ce serait utile et intéressant de les permettre d'envoyer leurs enfants à l'école en anglais, comme Dre Gopalan Harris a fait avec Kamala et Maya.

M. Bérubé : Ah! bien là, cessez de prendre cet exemple-là, il y en a bien d'autres. Je veux dire...

M. Copeman (Russell) : Oui. C'est intéressant comme exemple.

M. Bérubé : Tant qu'à ça, vous savez qu'il y aurait une belle unité si tout le monde parlait anglais aussi, mais ça enlèverait quand même pas mal de l'unicité du Québec. Alors, si le Québec est francophone, et c'est la langue officielle, et que l'accueil ne se fait pas automatiquement en français, c'est qu'on fait un autre choix qui n'est pas le mieux.

Mais, quand vous dites que ça cause préjudice, c'est soit le financement soit l'influence de la communauté anglophone. Bien, dans les deux cas, et comme vous ne voulez pas indiquer que le français est menacé, moi, ça me cause problème, et je vais mener cette bataille-là.

Et le ministre, qui se targue d'avoir un projet de loi qui est modéré... Malgré que c'est modéré, vous êtes quand même contre. Imaginez, ça pourrait être bien pire, parce qu'il y a d'autres mesures qui devraient être prises, quant à moi, si on est sérieux pour stopper le déclin du français. Nous, nous le réalisons. Je vous fournirai également des chiffres sur ce déclin, puis peut-être que vous aurez une opinion plus ferme là-dessus, nouvelle.

La Présidente (Mme Thériault) : Et ça met fin à l'échange. Donc, nous allons suspendre quelques instants. Merci d'être venus en <commission...

M. Bérubé : ... mesures qui devraient être prises, quant à moi, si on est sérieux pour stopper le déclin du français. Nous, nous le réalisons. Je vous fournirai également des chiffres sur ce déclin, puis peut-être que vous aurez une opinion plus ferme là-dessus, nouvelle.

La Présidente (Mme Thériault) : Et ça met fin à l'échange. Donc, nous allons suspendre quelques instants. Merci d'être venus en >commission parlementaire.

Nous suspendons nos travaux quelques instants. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 09)

(Reprise à 12 h 12)

La Présidente (Mme Thériault) : Nous reprenons maintenant nos travaux. Donc, nous recevons M. André Binette. M. Binette, vous avez à peu près 10 minutes pour nous présenter votre mémoire et votre point de vue. Par la suite, il y aura des échanges avec le ministre et les représentants des différentes oppositions. La parole est à vous.

M. André Binette

M. Binette (André) : Mme la Présidente, je vous remercie pour l'invitation de cette commission à exprimer un avis sur les aspects constitutionnels du projet de loi n° 96. C'est à la fois un honneur et une responsabilité. Je reformulerai brièvement les principaux éléments de mon mémoire, en ajoutant quelques commentaires.

Dans la première moitié de mon mémoire, j'aborde trois questions distinctes : les règles d'interprétation judiciaire de la Charte de la langue française, les pouvoirs d'inspection de l'Office québécois de la langue française et les droits ancestraux autochtones de nature linguistique.

Sur le premier point, j'estime que la jurisprudence claire et ferme de la Cour suprême du Canada relative à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne permet pas à l'Assemblée nationale de dire aux tribunaux d'accorder la primauté à la version française des lois du Québec. Cette jurisprudence établit une symétrie rigoureuse entre les statuts de l'anglais et du français devant les tribunaux, à l'Assemblée nationale et au Parlement du Canada, ce qui est l'un des éléments principaux de l'entente politique qui est le fondement de la création du Canada. La Cour suprême a constamment préservé avec vigilance les termes de cette entente. L'article 5 du projet de loi est donc inconstitutionnel à mes yeux et devrait être retiré.

Qui plus est, l'article 5 n'est pas nécessaire parce que le projet de loi contient une autre nouvelle règle d'interprétation, qui se trouve à l'article 63 et qui, elle, est valide. Cette seconde règle demande aux tribunaux, de manière identique dans les deux versions officielles, d'interpréter la Charte de la langue française de manière à atteindre ses objectifs de promotion du français. Cette seconde règle est suffisante à mes yeux.

Sur le deuxième point, relatif aux pouvoirs d'inspection, je souligne les limites des clauses dérogatoires. Même si celles-ci sont valides, elles ne peuvent prémunir, à mon avis, les lois du Québec contre les contestations judiciaires, des actes abusifs ou disproportionnés des représentants de l'État en regard des chartes des droits. Les chartes des droits continueront de s'appliquer aux actes administratifs qui découlent des pouvoirs accordés par la Charte de la langue française. Les clauses dérogatoires protègent les lois au nom du principe constitutionnel de la souveraineté parlementaire, qui est un élément central de la Constitution canadienne. La souveraineté parlementaire ne peut pas, à mon avis, immuniser les actes des inspecteurs qui contreviennent aux chartes des droits, parce que ce serait contraire au principe encore plus <fondamental...

M. Binette (André) : ... protègent les lois au nom du principe constitutionnel de la souveraineté parlementaire, qui est un élément central de la Constitution canadienne. La souveraineté parlementaire ne peut pas, à mon avis, immuniser les actes des inspecteurs qui contreviennent aux chartes des droits, parce que ce serait contraire au principe encore plus >fondamental de la primauté du droit. Je suis convaincu que les avocats de la défense au Québec seront du même avis.

En ce qui concerne les droits linguistiques autochtones, je vous renvoie à mon mémoire, en ajoutant ce qui suit. Il y a quelques années, il se trouvait, à l'Assemblée nationale, au moins un député autochtone, et quelques-uns au niveau fédéral. Ce député avait, selon moi, le droit constitutionnel ancestral de s'exprimer dans la langue de sa nation d'origine à l'Assemblée nationale et que ses propos soient traduits aux frais de l'État, de manière qu'ils soient compris par tous les parlementaires. Il en est de même des témoins autochtones devant une commission parlementaire telle que celle-ci. Cela est vrai, même si l'article 133, le règlement de l'Assemblée nationale ou les lois du Québec ne le prévoient pas.

J'ai appris récemment que 35 langues autochtones peuvent être traduites par les interprètes officiels de la Chambre des communes. Si ce n'est pas déjà le cas, j'estime que l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 exige que des mesures semblables soient prises pour les langues des 11 nations autochtones reconnues par l'Assemblée nationale.

La deuxième moitié de mon mémoire porte sur la tentative d'inscrire la nation québécoise et sa langue commune de manière unilatérale dans la Constitution canadienne. J'estime que cette tentative est vouée à l'échec, parce que l'article 159 du projet de loi est inconstitutionnel pour le motif principal suivant : l'article 159 n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui permet à l'Assemblée nationale de modifier la constitution du Québec unilatéralement.

La constitution du Québec existe depuis 1867, mais elle n'est pas codifiée. À titre de comparaison, les constitutions québécoise et britannique ne sont pas du tout codifiées, la Constitution canadienne l'est partiellement, et les constitutions française et américaine le sont entièrement. Les autres provinces peuvent, comme le Québec, codifier leurs constitutions, mais la constitution du Québec est la seule constitution provinciale à être aussi celle d'une nation, ce qui lui donnera un contenu différent, ce qui lui donne déjà, à mon avis, un contenu différent.

L'article 90 de la Loi constitutionnelle de 1867 a la particularité exceptionnelle de faire à la fois partie des constitutions des provinces et du Canada, alors que ces constitutions sont distinctes pour le reste et ne sont pas de même nature juridique, comme on peut le voir clairement dans d'autres fédérations. L'article 159 repose sur le postulat erroné que, puisque l'article 90 recoupe la constitution provinciale, il peut être modifié par l'Assemblée nationale agissant seule au moyen de l'article 45.

C'est l'inverse qui est vrai. Lorsqu'une disposition de la constitution du Québec, à mon avis, fait aussi partie de la Constitution du Canada, elle ne peut être modifiée que par une <procédure de...

M. Binette (André) : ... recoupe la constitution provinciale, il peut être modifié par l'Assemblée nationale agissant seule au moyen de l'article 45. C'est l'inverse qui est vrai. Lorsqu'une disposition de la constitution du Québec, à mon avis, fait aussi partie de la Constitution du Canada, elle ne peut être modifiée que par une >procédure de modification multilatérale, qui est, dans ce cas, la procédure la plus exigeante de l'article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui requiert l'unanimité fédérale-provinciale.

L'article 159 se trompe de constitution. Il manque de réalisme constitutionnel. Les éléments qu'il cherche à ajouter à la Constitution canadienne et que je propose de développer ne peuvent être ajoutés qu'à une constitution nationale du Québec qui serait codifiée. Si l'article 159 est adopté, je prévois qu'il sera immédiatement contesté et que le Procureur général du Québec ne pourra éviter un revers cuisant devant les tribunaux. Je ne peux concevoir que la Cour suprême du Canada voudra reconnaître sa validité, puisqu'il modifie considérablement l'architecture constitutionnelle dont elle est la gardienne.

Les reconnaissances politiques de la nation québécoise par le premier ministre du Canada et la Chambre des communes ne sont nullement déterminantes dans ce débat juridique. Je rappelle que la demi-douzaine de jugements les plus fondamentaux de la Cour suprême depuis 50 ans ont tous, sans exception, été des rebuffades du gouvernement fédéral du moment, y compris, quoi qu'on en dise, le renvoi sur le rapatriement de 1981. C'est doublement vrai en matière autochtone.

• (12 h 20) •

J'ouvre ici une parenthèse. Je laisse ici, dans mon mémoire, la version française de l'article 90 de 1867. Cette version n'existe pas sur le plan juridique, ce qui est contraire à l'article 55 de la Constitution de 1982, qui ordonnait au gouvernement canadien de traduire dans les meilleurs délais la Constitution de 1867 et de donner à la version française une pleine valeur juridique, égale à la version originale anglaise. Au moment où la nation québécoise exerce son droit à l'autodétermination interne pour renforcer la protection du français, il serait justifié, après 40 ans, que le Procureur général du Québec demande à la Cour supérieure un jugement déclaratoire qui constatera ce manquement constitutionnel majeur par le gouvernement du Canada. Le gouvernement du Québec ne ferait la preuve ainsi que de sa cohérence et de son respect pour la primauté du droit. Je referme la parenthèse.

Je conclus en vous exprimant ma lecture fondamentale du droit constitutionnel canadien. Le Canada est un État multinational composé de la nation canadienne, de la nation québécoise et des nations autochtones. La Constitution du Canada est la Constitution de la nation canadienne, qui a été imposée à deux reprises à la nation québécoise, en 1867 et en 1982. Elle a aussi été imposée aux nations autochtones en 1867. La Constitution de 1982 n'a reconnu les droits de celles-ci que de manière partielle et tronquée.

Chaque nation possède un droit inhérent à l'autodétermination. Il a beaucoup été question du droit à l'autodétermination externe dans les deux référendums sur la souveraineté, mais, dans la vie de tous les jours, le droit à l'autodétermination interne est beaucoup <plus concret...

M. Binette (André) : ... les droits de celles-ci que de manière partielle et tronquée.

Chaque nation possède un droit inhérent à l'autodétermination. Il a beaucoup été question du droit à l'autodétermination externe dans les deux référendums sur la souveraineté, mais, dans la vie de tous les jours, le droit à l'autodétermination interne est beaucoup >plus concret. Toutes les lois majeures du Québec, du Code civil à la loi n° 21 et au projet de loi n° 96, sont des expressions du droit à l'autodétermination interne de la nation québécoise. Ce droit à l'autodétermination interne n'a pas été respecté par la nation canadienne en 1867 et en 1982.

Ceux et celles qui veulent garder le Canada uni ont une immense tâche constitutionnelle qui les attend d'urgence, celle de rédiger des constitutions pour chacune des nations qui forment le Canada et de les réconcilier entre elles. S'ils n'acceptent pas cette tâche ou s'ils échouent à la remplir, les tensions constitutionnelles s'accroîtront continuellement, et la question de l'autodétermination externe se posera presque sûrement à nouveau. Pour bien la remplir, il ne faut surtout pas confondre les constitutions de différentes nations. La question de la coexistence des nations au sein d'un même État est universelle. Elle est, avec la crise climatique, qui pourrait d'ailleurs l'aggraver, l'une des plus grandes questions du XXIe siècle. Je vous remercie de votre attention.

La Présidente (Mme Thériault) : Merci, M. Binette, pour votre présentation. Donc, sans plus tarder, nous allons aller avec le bloc d'échange avec le ministre. Vous avez 16 minutes et quelques secondes, M. le ministre.

M. Jolin-Barrette : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Binette. Merci d'être présent et de participer à nos travaux.

Écoutez, moi, je trouve ça très intéressant, vos propos, qui relèvent du droit constitutionnel, et je suis convaincu que mes collègues sont tout aussi passionnés. Avec ce que vous avez dit, je suis en désaccord avec certaines parties, mais, si vous voulez, on va explorer d'une façon plus profonde.

Essentiellement, ce que je retiens, notamment, de votre propos relativement à la Constitution, notamment, la constitution québécoise, vous, ce que vous souhaitez, c'est que le Québec se dote de sa propre constitution. Vous dites, dans le fond : La Constitution canadienne, la Loi constitutionnelle de 1867, la Loi constitutionnelle de 1982, le Québec n'a pas été consulté, donc ça appartient à la nation canadienne, cette Constitution-là, et nous-mêmes, nous devrions nous doter de notre propre constitution ici, au Québec, qui est composée, notamment, bon, de la loi n° 21, de la Charte de la langue française, du projet de loi n° 96, qui va y être ajouté, de la Loi sur l'Assemblée nationale. Est-ce que je comprends bien?

M. Binette (André) : Oui. Je précise que toutes les provinces peuvent faire la même chose, mais que, dans le cas exceptionnel du Québec, nous avons affaire à une nation qui est différente de la nation canadienne. Donc, on parle ici d'une constitution provinciale qui est aussi une constitution nationale.

Cette constitution nationale pourrait reprendre toutes les principales dispositions des principales lois du Québec. Ce n'est pas une opération juridique particulièrement complexe, mais il suffit de faire un arbitrage, je dirais, pour intégrer tout ça. Alors, on parle de la loi n° 99, d'abord, qui a été validée par la Cour d'appel cette année et qui contient une affirmation du droit du peuple québécois à l'autodétermination, et évidemment de toutes les lois dont vous avez parlé, y compris le Code civil, la Loi sur l'Assemblée nationale, la Loi électorale. On pourrait <reprendre...

M. Binette (André) : ... parle de la loi 99 d'abord, qui a été validée par la Cour d'appel cette année et qui contient une affirmation du droit du peuple québécois à l'autodétermination, et évidemment de toutes les lois dont vous avez parlé, y compris le Code civil, la Loi sur l'Assemblée nationale, la Loi électorale, on pourrait >reprendre les principales dispositions.

Je souligne aussi que la constitution du Québec existe déjà, que, selon les tribunaux, par exemple, la Charte des droits et libertés de la personne a déjà une valeur constitutionnelle, ce qui veut dire qu'elle est au-dessus des lois du Québec mais en dessous de la Constitution canadienne, ce qui en fait une catégorie intermédiaire qui serait, justement, celle de la constitution du Québec.

M. Jolin-Barrette : O.K. Je vais passer sur un autre sujet, M. Binette. Tout à l'heure, vous l'avez abordé rapidement. Une des craintes de certains groupes, c'est l'utilisation des dispositions de dérogation, les dispositions de souveraineté parlementaire. Et tout à l'heure vous avez dit un élément qui est intéressant. M. Copeman vient de passer, pour l'Association des commissions scolaires anglophones. Il dit : Bien, écoutez, le fait d'utiliser les dispositions de souveraineté parlementaire empêche de contester la loi. Alors... Or, vous, vous dites, sur les pouvoirs de l'OQLF : S'il y avait abus de pouvoir, les citoyens pourraient tout de même s'adresser aux tribunaux.

M. Binette (André) : Oui. Il y a une distinction très claire, en droit constitutionnel, entre la validité d'une loi et la validité des actes administratifs qui en découlent. On peut contester, par exemple, une fouille ou une perquisition d'un douanier ou d'un policier sans nécessairement contester le Code criminel ou les dispositions de la loi qui autorisent la fouille. Donc, cette distinction-là va demeurer, même si on utilise une clause dérogatoire. Même s'il n'y a pas encore de la jurisprudence sur la question, je me sens en terrain ferme, en terrain sûr en vous disant cela. Je pense que cette distinction-là est trop bien établie, entre la validité d'une loi et celle des actes administratifs qui en découlent. Alors, on sait que les autorités administratives peuvent parfois aller trop loin, peuvent parfois prendre des moyens abusifs ou disproportionnés, et là je pense qu'on peut rassurer quelque peu la communauté anglophone en lui disant que ces recours-là vont demeurer.

M. Jolin-Barrette : Et ça, ce que vous dites, c'est fort important, parce que, bien souvent, on agite un épouvantail relativement à, justement, cette validité constitutionnelle là, en disant : Bien, le législateur, de façon préventive, utilise les dispositions de souveraineté parlementaire. Mais là vous venez, par votre argumentaire très bien explicité, de dire : Attendez, non, vous pouvez tout de même contester s'il y a un abus de pouvoir aussi. Donc, ça maintient et ça garantit les droits des citoyens.

Sur un autre point, est-ce que le projet de loi n° 96 contrevient aux droits des nations autochtones?

M. Binette (André) : Non. Ce n'est pas une question de validité du projet de loi n° 96, c'est une question d'applicabilité constitutionnelle dans certains cas ou dans certaines... pour certaines personnes ou certaines institutions. C'est une autre... comment dire, un autre raisonnement, une autre distinction qui est bien établie en droit constitutionnel.

Pour ce qui est des droits des nations autochtones, j'ai cité, là, donc, j'ai mentionné des situations concrètes dans mon mémoire. J'en ai ajouté une autre dans mon allocution de tantôt. Je pense que ce qu'il faut retenir, essentiellement, c'est que nous avions deux ou trois éléments <majeurs en droit...

M. Binette (André) : ... Pour ce qui est des droits des nations autochtones, j'ai cité, là... donc, j'ai mentionné des situations concrètes dans mon mémoire, j'en ai ajouté une autre dans mon allocution de tantôt. Je pense que ce qu'il faut retenir essentiellement, c'est que nous avions deux ou trois éléments >majeurs en droit linguistique constitutionnel, l'article 133 et le partage des compétences en matière linguistique, qui a donné, d'une part, la Loi sur les langues officielles du Canada et la loi 101 au Québec. Rien n'est remis en question par les droits ancestraux autochtones sur ce plan, mais il faut faire de la place. Il faut leur faire de la place, à ces droits ancestraux autochtones. Donc, ça veut dire qu'il y a certains droits qui s'ajoutent, qui sont garantis par la Constitution canadienne depuis 1982, des droits ancestraux autochtones que toutes les nations autochtones détiennent au Québec, malgré les différences entre leurs statuts juridiques, qui sont par ailleurs considérables.

Donc, c'est... Et je termine là-dessus en disant : Il faut quand même se rappeler que ce ne sont pas toutes les langues autochtones qui sont des langues vivantes. Alors, il y a une grande inégalité de fait dans la pratique des langues autochtones au Canada et au Québec. Alors, à un extrême, vous avez la langue mohawk, qui est peu parlée, qui est enseignée, mais qu'on veut promouvoir, mais, à l'autre extrême, les Attikameks sont la communauté autochtone au Canada qui parle le plus sa propre langue à l'intérieur de sa communauté. Je pense que 90 % ou plus des Attikameks parlent leur langue. Donc, il y a inégalité de fait, une inégalité sociologique mais une égalité juridique sur le plan des langues autochtones.

M. Jolin-Barrette : O.K. M. Binette, pouvez-vous nous parler de votre expérience avec les communautés autochtones, le droit autochtone? Je pense que c'est un de vos champs de pratique. Pouvez-vous nous parler de votre expérience relativement aux droits autochtones?

M. Binette (André) : En gros, j'ai partagé la moitié de ma carrière entre, je dirais, le service... comme conseiller juridique du gouvernement du Québec et l'autre moitié dans le secteur privé comme conseiller juridique des nations autochtones. J'ai eu des contacts approfondis avec chacune des 11 nations autochtones du Québec, mais j'ai travaillé surtout avec trois d'entre elles : les Innus, sur la Côte-Nord, les Inuits, dans l'Arctique québécois, et les Anishnabe algonquins, dans l'ouest du Québec. J'ai également été brièvement conseiller juridique de l'Assemblée des Premières Nations.

Je précise, évidemment, que je ne suis pas un porte-parole des autochtones et que je ne partage pas nécessairement les vues exprimées par les chefs ou l'Assemblée des Premières Nations. Cependant, mon expérience professionnelle m'a donné un autre regard, une autre perspective, qui est sensible à l'affirmation des droits autochtones et qui cherche à concilier ces droits autochtones avec les compétences du Québec.

M. Jolin-Barrette : Je comprends que vous avez été, notamment, leur conseiller juridique et vous les avez représentés devant les tribunaux.

M. Binette (André) : Exactement, devant les tribunaux dans des dossiers constitutionnels majeurs, soit en droit environnemental autochtone soit en droit... je dirais, en droit qui conteste parfois ou qui... affrontait le Procureur général du Québec devant les tribunaux.

• (12 h 30) •

M. Jolin-Barrette : O.K. Peut-être, avant de céder la parole à mes collègues, j'aurais une question sur les éléments rattachés à la francophonie canadienne, que nous insérons dans le projet de loi. Je veux avoir votre avis, notamment, sur le fait qu'on va permettre aux communautés francophones hors <Québec, incluant les...

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12 h 30 (version révisée)

<       M. Binette (André) : ...Procureur général du Québec, devant les tribunaux.

M. Jolin-Barrette : O.K. Peut-être, avant de céder la parole à mes collègues, j'aurais une question sur les éléments rattachés à la francophonie canadienne que nous insérons dans le projet de loi. Je voudrais avoir votre avis, notamment sur le fait qu'on va permettre aux communautés francophones hors >Québec, incluant les Acadiens, d'avoir la possibilité de venir étudier au même coût que les Québécois au Québec dans les institutions s'il n'y a pas d'institution d'enseignement supérieur qui offre les cours dans leur province d'origine. Qu'est-ce que vous pensez des mesures et du rôle que l'État québécois doit jouer en termes de support pour les communautés francophones et acadiennes du Canada?

M. Binette (André) : Je suis moi-même d'origine franco-ontarienne. J'ai choisi de faire mon cours de droit à l'Université Laval plutôt qu'à l'Université d'Ottawa et de m'intégrer dans la fonction publique du Québec, mais je demeure sensible tant aux réalités autochtones qu'aux réalités, je dirais, des francophones hors Québec. Donc, j'appuie toute mesure du gouvernement du Québec visant à promouvoir l'aide aux communautés francophones hors Québec. Je crois que ces mesures sont parfaitement valides et justifiées.

M. Jolin-Barrette : Peut-être une sous-question par rapport à ça.  Pour les communautés francophones hors Québec, certains disent : Écoutez, si le Québec met de l'avant des mesures comme celles-ci, là, pour permettre aux francophones du Canada et aux Acadiens d'étudier dans leur langue, dans leur programme de leur choix, au Québec... Est-ce que vous pensez que ça a un impact négatif pour les communautés francophones hors Québec et acadiennes, le fait que le Québec, justement, met de l'avant des mesures comme ça pour les francophones hors Québec? Quelle doit être la position du Québec par rapport aux autres gouvernements comme ça pour, justement, appuyer ces communautés francophones et ne pas leur nuire? Parce que, souvent, dans... au cours de l'histoire, les 40, 50 dernières années, peut-être, parfois, que les communautés francophones ont perçu un désintéressement du Québec. Et ce n'est pas le choix que je fais, que le gouvernement du Québec fait. On veut être en support. Alors, pouvez-vous nous renseigner là-dessus?

M. Binette (André) : En tant que juriste, il est bien clair que les provinces n'ont pas une compétence extraterritoriale. Cependant, ça s'applique seulement au pouvoir législatif. Au pouvoir exécutif, le pouvoir peut... Le pouvoir exécutif, lui, peut offrir des programmes qui peuvent s'étendre à l'extérieur du Québec ou même exercer le pouvoir de dépenser, provincial, par exemple, pour la représentation dans les autres provinces ou à l'étranger. Et je...

Ce qu'on peut reprocher au Québec dans certaines provinces, y compris par, peut-être... chez les francophones, c'est qu'il intervient... il tente d'exercer une compétence extraterritoriale. Mais je pense que... Autrefois, on parlait de la nation canadienne-française, que c'est d'un océan à l'autre. Aujourd'hui, on parle d'une nation québécoise qui tend la main à des communautés francophones ou qui leur offre un soutien — mais aux États-Unis aussi — qui ont besoin de cette aide, qui ont besoin de ce soutien culturel. Et je pense que, dans la plupart des cas, cette aide sera la bienvenue. Elle est parfaitement justifiée à mes yeux.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. Binette, pour votre passage en commission parlementaire. Je vais céder la parole au <député de...

M. Binette (André) : ... à des communautés francophones ou qui leur offre un soutien, mais aux États-Unis aussi, qui ont besoin de cette aide, qui ont besoin de ce soutien culturel. Et je pense que dans la plupart des cas cette aide sera la bienvenue, elle est parfaitement justifiée à mes yeux.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. Binette, pour votre passage en commission parlementaire. Je vais céder la parole au >député de Saint-Jean et au député de Chapleau.

La Présidente (Mme Thériault) : Merci. Donc, M. le député de Saint-Jean, vous avez 5 min 40 s.

M. Lemieux : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, M. Binette.

M. Binette (André) : Bonjour.

M. Lemieux : Je suis content que la conversation ait dérivé vers les francophones du reste du Canada, d'abord, parce que je ne suis pas constitutionnaliste, même si j'aime ça — n'importe quel journaliste dans les années 70, 80, 90 était obligé d'aimer ça — je ne suis pas avocat non plus puis je ne suis pas d'accord avec vous. Alors, par rapport à ce que vous énoncez comme opinion sur la validité et l'à-propos d'inclure dans la Constitution, et la force que ça aurait, la dimension québécoise de la langue française, même si je vois où vous voulez aller avec la constitution, éventuellement, québécoise... Et ça aussi, je trouve ça intéressant.

Mais revenons, donc, ou continuons avec la partie hors Québec. Parce que, c'est vrai, il n'y a pas de compétence extraterritoriale. Une province, c'est une province. Mais les Québécois, de par leur nature, parce qu'ils sont la nation francophone au Canada, ont de l'influence, une influence directe puis indéniable. Ils ont aussi une responsabilité. Est-ce qu'on peut, à l'égard des autres francophones du reste du Canada et des Acadiens... Est-ce que ça, ça peut venir aider le Québec à aider les autres francophones, d'un point de vue légal, quand même?

M. Binette (André) : Je suis d'accord avec ça. Je pense que le Québec est libre de se donner cette responsabilité politique, même si elle n'existe pas dans la Constitution canadienne. Rien n'empêche que, sur le plan politique, ça puisse se faire.

Et, deuxièmement, je pense que, dans la plupart des cas, elle sera la bienvenue. Donc, je pense que, même si les définitions des nations ont changé... Comme je le disais tantôt, les nations se définissaient autrefois sur une base ethnique. Donc, c'était la nation canadienne-française, descendante des colons français. Aujourd'hui, les nations, comme la Cour d'appel l'a reconnu au printemps dernier dans l'affaire sur la loi n° 99, se définissent sur une base territoriale, c'est-à-dire tous les habitants d'un territoire, le Québec, quelles que soient leurs origines ethniques ou culturelles. Donc... Mais rien n'empêche que, dans ses agissements avec des membres de la nation canadienne qui sont aussi une... des minorités francophones à l'extérieur du Québec... que le Québec agisse en leur offrant son soutien.

M. Lemieux : Plus que moral, oui. Et mes 15 années au Canada anglais, en particulier en Acadie et dans l'Ouest, me disent que vous avez le doigt sur le bon levier par rapport à l'aide dont ils ont besoin et la responsabilité plus que morale qu'on a.

Il y a... Et là je vais dans l'ensemble, sans essayer de jouer au fin finaud avec la Constitution, mais je vous emmène quand même dans une partie, une nouvelle partie du droit qu'on aura avec la loi n° 96, si tant est qu'elle est adoptée comme elle est <présentée...

M. Lemieux : ... ils ont besoin et la responsabilité plus que morale qu'on a.

Il y a... Et là je vais dans l'ensemble, sans essayer de jouer au fin finaud avec la Constitution, mais je vous emmène quand même dans une partie, une nouvelle partie du droit qu'on aura avec la loi n° 96, si tant est qu'elle est adoptée comme elle est >présentée, où il y a une notion de droits collectifs. Parce qu'on ajoute, dans le préambule de la Charte de la langue française, ce que je vous appelle une notion, là, en termes vulgarisés, sur le droit collectif. Est-ce que ça a des assises, ça? Est-ce que c'est une notion qui est bien développée et qui est intégrée dans le droit ailleurs dans le monde?

M. Binette (André) : Oui, mais pas assez au Canada, et je pense que c'est un travers, un défaut du droit constitutionnel canadien, de la jurisprudence canadienne. Et, si on se reporte à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, par exemple, il y a une pondération beaucoup plus importante entre les droits collectifs et les droits individuels. Ici, on fait... on donne une importance, à mon avis, parfois excessive aux droits individuels, en ne tenant pas compte de la légitimité des droits collectifs, qui sont aussi des droits humains fondamentaux, j'insiste sur ce point.

M. Lemieux : Est-ce qu'il reste le temps pour aller au député de Chapleau, Mme la Présidente?

La Présidente (Mme Thériault) : 1 min 45 s.

M. Lemieux : D'accord. Merci...

La Présidente (Mme Thériault) : M. le député de Chapleau, la parole est à vous.

M. Lévesque (Chapleau) : ...Mme la Présidente. Merci, M. Binette. Merci de votre présentation. Peut-être, rapidement, là, revenir sur les concepts de nation au Canada, dont vous avez fait mention, d'abord, la nation canadienne, la nation québécoise, les nations autochtones. Juste une clarification, dans la nation canadienne, vous incluez, donc, les communautés francophones minoritaires hors Québec. Est-ce que c'est bien ça ou il y a des distinctions à faire pour ces groupes-là, là, dans le cas de la nation canadienne?

M. Binette (André) : Si on ne définit les nations que sur une base territoriale, comme c'est le cas dans la sociologie moderne, dans la science politique moderne et même, de plus en plus, dans le droit constitutionnel moderne, selon la Cour d'appel, il est clair que les francophones hors Québec font partie de la nation canadienne.

Il est clair aussi qu'il y a des membres de la nation canadienne au Québec, parce qu'on peut s'identifier... C'est un choix subjectif en grande partie. Alors, le premier ministre Trudeau peut dire qu'il appartient à la fois à la nation canadienne et à la nation québécoise, mais parfois il a peut-être un conflit d'allégeance qui lui fait privilégier la nation canadienne. Donc, là-dessus, il y a un élément psychologique.

M. Lévesque (Chapleau) : D'accord. Vous avez parlé, donc, des fameux droits collectifs qu'on inscrit à la charte. Associez-vous ça également avec la notion de souveraineté parlementaire? Est-ce qu'il y a un lien à faire avec ces clauses? Est-ce que vous avez vu ce type d'application ailleurs dans le monde également?

M. Binette (André) : Non, parce que le concept de souveraineté parlementaire est propre au régime constitutionnel de type britannique, qui ne privilégie pas, au contraire, la notion de droits collectifs. Donc, faire ce lien-là, à mon avis, le Québec est peut-être le seul endroit au monde où on peut le faire. Ce lien-là est plus... à mon avis, est tout à fait justifié, mais c'est par l'entremise de la clause dérogatoire, par l'entremise de la souveraineté parlementaire que l'Assemblée nationale peut, en toute légitimité, en droit constitutionnel <canadien...

M. Binette (André) : ... faire ce lien-là, à mon avis, le Québec est peut-être le seul endroit au monde où on peut le faire. Ce lien-là est plus... à mon avis, est tout à fait justifié, mais c'est par l'entremise de la clause dérogatoire, par l'entremise de la souveraineté parlementaire que l'Assemblée nationale peut, en toute légitimité, en droit constitutionnel >canadien, rétablir ou affirmer les droits collectifs de la nation québécoise tout en équilibrant...

• (12 h 40) •

La Présidente (Mme Thériault) : Je dois mettre fin...

M. Lévesque (Chapleau) : Merci.

La Présidente (Mme Thériault) : Malheureusement, je dois mettre fin à l'échange. Donc, je vais aller... maintenant aller du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys.

Mme David : Merci beaucoup. Merci, Pr Binette. Écoutez, j'ai beau être une universitaire qui a fait carrière toute ma vie à l'Université de Montréal, ce n'était pas en droit, c'était en psychologie. Alors, je mets tous mes neurones en action pour essayer de bien suivre ce que vous avez dit et travailler avec ces notions constitutionnelles.

Ce que je comprends, parce que je vais essayer de vulgariser parce que ce n'est pas toujours évident, hein, on parle avec des constitutionnalistes, puis ils ne disent malheureusement pas tous la même chose... On voudrait bien que ce que vous dites soit partagé par tout le monde et qu'il y ait un seul discours, mais je comprends bien qu'il n'y a pas un seul discours. À preuve, le ministre se fait dire qu'il erre en mettant l'article 159.

Une fois qu'on a dit ça, je pense que vous êtes assez clair qu'il erre, en disant : Vous vous trompez de constitution. Là, je mets au défi pas mal de monde dans la salle et dans la population pour comprendre de quoi vous parlez, évidemment, «parce qu'il se trompe de constitution». On est un petit peu mêlés. On comprend Constitution canadienne, on comprend qu'il y a l'article 45 qui est là, il y a le supralégislatif, il y a le quasi constitutionnel, il y a la loi ordinaire, toutes des notions avec lesquelles j'essaie de composer moi-même. Mais, une fois qu'on a dit tout ça, vous dites une chose et ce qui me semble être un peu son contraire. Alors, je vais essayer de comprendre, mais vous me pardonnerez mes propres errances.

Alors, vous dites que, l'article 159, là, il faudrait l'enlever. Il faudrait l'enlever. Puis là vous dites comme Benoît Pelletier, vous dites : Il faudrait repartir, commission itinérante, commission parlementaire qui va partout au Québec, qui fait une tournée et qui, là, crée une vraie constitution du Québec. Ce que le ministre ferait, ce n'est pas... ça ne marche pas. Ça ne marche pas.

Malgré tout ce qu'on dit depuis le mois de... le 14 mai... Au Canada, il y a eu une motion du Bloc québécois, tous les partis ont embarqué. Le ministre, Procureur général à l'époque, M. Lametti, a dit : Oui, oui, oui, mes juristes ont dit que c'était tout à fait faisable. Alors là, il y a... J'imagine qu'il y a quelques juristes à Ottawa, quand même, là, qui ont regardé ça, que le procureur en chef du Canada doit avoir son équipe de juristes qui en connaissent un peu aussi dans la Constitution. Alors, eux autres disent : C'est correct.

Autre débat le 22 mai. On ouvre notre presse, on a le ministre... Procureur général du Québec qui dit : Ça va avoir une immense portée constitutionnelle, puis d'autres répondent, comme Benoît Pelletier ou d'autres : Non, non, non, pas tant que ça, c'est une loi ordinaire, c'est quasi constitutionnel, ce <n'est pas...

Mme David : ... C'est correct. Autre débat le 22 mai. On ouvre notre Presse, on a le ministre Procureur général du Québec qui dit : Ça va avoir une immense portée constitutionnelle, puis d'autres répondent, comme Benoît Pelletier ou d'autres : Non, non, non, pas tant que ça. C'est une loi ordinaire, c'est quasi constitutionnel, ce >n'est pas supralégislatif. Là, on part dans tous les adjectifs. Alors là, autres lieux de réflexion, de dissensions et de lectures pour la pauvre profane que je suis.

Puis là vous, vous dites : Non, non, non, ça ne marche pas, ce n'est même pas le bon chemin, il s'est trompé de constitution, mais, page 19, si l'article 159 était valide... Donc, ça, vous réfléchissez, là. J'imagine, vous vous dites : S'il était valide, ça veut dire qu'il aurait été contesté jusqu'en Cour suprême, et puis que finalement on va dire : Ah! le ministre avait raison. Ça, c'est... On sera tous peut-être à la retraite à ce moment-là.

Vous dites : Bien, tant qu'à faire ça, bien, rajoutons des choses. Et c'est là que moi, je suis encore plus mêlée, parce que vous dites : Retirons l'article, mais ajoutons Q.3, Q.4, Q.5. Alors, à la... le fait que la seule langue officielle... «La nation québécoise détient...»

Bon, vous rajouteriez même quelque chose : «Les Québécoises et Québécois forment une nation.»

Vous rajouteriez, au Q.1 : «La nation québécoise détient de manière inhérente le droit à l'autodétermination.»

Puis vous rajoutez ce que... Là, je suis mêlée dans qui propose, là. Le ministre m'aidera. Il y en a un qui est venu, je ne sais plus lequel, qui a dit : L'État québécois est démocratique — ah! non, ça, ce n'était pas dit, j'espère qu'on est démocratique — et laïque. Quelqu'un l'a proposé jusqu'à maintenant...

Une voix : ...

Mme David : Pardon? Bien, Me Rousseau, voilà.

«90Q.4. L'État québécois respecte les droits des personnes, des nations autochtones, de la minorité anglophone et des autres minorités de manière compatible avec les caractéristiques fondamentales du Québec.»

On est loin, il me semble, de la langue française.

«Les lois du Québec s'interprètent de manière à assurer cette compatibilité.» Q.4.

Et Q.5, puis là, vraiment, j'ai été bien étonnée : «La loi sur le drapeau du Québec, adoptée le 21 janvier 1948, fait partie depuis le jour de son adoption de la constitution du Québec.»

Là, vous m'avez tellement perdue dans vos positions que je vous donne l'occasion de peut-être faire un cours de droit très, très, très accéléré pour nous dire : Est-ce qu'on scrape tout ça, finalement, puis on repart avec une tournée du Québec?

Benoît Pelletier dit : Attention, c'est quelque chose, faire ça, ça prend l'unanimité, si possible, de tout le monde. Moi, j'aimerais ça, participer à ça, ce serait passionnant, mais j'ai l'impression qu'on n'est plus du tout dans les objectifs du p.l. n° 96. Je suis désolée, j'ai pris cinq minutes pour essayer moi-même de me démêler puis de pouvoir expliquer ma question. Je vous en donne autant, si vous en avez besoin, pour expliquer votre réponse.

M. Binette (André) : Bien, la question est excellente. Après mes suggestions pour 90Q.1 à 90Q.5, j'ajoute : «Tous ces articles pourraient validement faire partie de la constitution du Québec sans faire partie de la Constitution du Canada.»

En fait, ma position, c'est... Comme je l'ai précisé aujourd'hui, elles ne peuvent faire validement partie que de la constitution du Québec codifiée. Elles ne peuvent pas faire validement partie de la Constitution du Canada. Alors, pour moi, le gouvernement du Québec vient d'ouvrir une porte tellement grande que ça dépasse de loin le cadre de la loi n° 96 sur la <Langue française...

M. Binette (André) : ... du Canada. En fait, ma position, c'est, comme je l'ai précisé aujourd'hui, elles ne peuvent faire validement partie que de la constitution du Québec codifiée, elles ne peuvent pas faire validement partie de la Constitution du Canada. Alors, pour moi, le gouvernement du Québec vient d'ouvrir une porte tellement grande que ça dépasse de loin le cadre de la Loi n° 96 sur la >langue française. On a ouvert une porte constitutionnelle entièrement nouvelle. Il n'est pas étonnant que ça suscite un immense point d'interrogation et que les avis soient très divergents.

Par ailleurs, moi, j'ai passé toute ma carrière, que ce soit au Procureur général du Québec ou chez les nations autochtones, à contester les avis du Procureur général du Canada. Ça ne m'impressionne pas du tout que les juristes fédéraux disent que c'est valide. Comme je l'ai dit dans mon mémoire, la demi-douzaine de jugements constitutionnels fondamentaux, les plus fondamentaux depuis 50 ans ont tous été des rebuffades servies au gouvernement fédéral du moment à la Cour suprême du Canada, donc, y compris dans le renvoi sur le rapatriement de 1981. Donc... Et, en matière autochtone, c'est doublement vrai, là. On parle d'une vingtaine de jugements majeurs. J'ai déjà confronté une avocate autochtone fédérale en lui disant : L'histoire de la jurisprudence autochtone, en droit autochtone, c'est l'histoire des défaites du Procureur général du Canada devant les tribunaux. Elle n'a pu que le confirmer.

Donc, ça ne m'impressionne pas du tout, les prises de position politiques. Les avis juridiques fédéraux ne préjugent en rien du débat judiciaire à venir. Et je pense que les implications ne sont pas encore pleinement comprises, de l'article 90Q, parce qu'on pourrait avoir un article 90A, Alberta, un article 90CB, Colombie-Britannique, un article 90O, Ontario, jusqu'aux 10 provinces. Chaque province pourrait ajouter 20 pages au moins. Il n'y a pas de limite de quantité à la Constitution du Canada. La Constitution du Canada, donc, aurait 200 pages de plus, et ce qui n'était pas du tout envisagé par ses auteurs ni par la Cour suprême jusqu'ici. À mon avis, elle dirait : Holà! ça, c'est modifier l'architecture de l'ensemble de la Constitution, allez donc faire votre propre constitution provinciale à la place.

Mme David : C'est passionnant. Est-ce que je passerais mon examen constitutionnel? Je ne suis pas sûre, mais j'ai compris qu'il y avait beaucoup, beaucoup de divergences d'opinions. Et c'est normal, on est en science... ou on est en sciences juridiques, comme on dit. La médecine peut avoir aussi... Des fois, on a-tu un cancer, on n'a pas de cancer? Oui, un dit, l'autre... l'autre dit non, etc. Mais je comprends que c'est une grande porte qui a été ouverte, cet article QC90... non, 90Q.1 et 90Q.2, et qu'on va avoir des heures de plaisir. Je vous remercie. Je vais passer la parole à mon collègue le député de D'Arcy-McGee.

La Présidente (Mme Thériault) : Et, M. le député, vous avez 2 min 40 s.

M. Birnbaum : Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Binette, pour votre présentation. J'aimerais vous entendre un petit peu plus sur les pouvoirs de perquisition des inspecteurs du gouvernement. Dans un premier temps, je diffère avec vous. Selon mes discussions, cette commission risque d'entendre beaucoup de groupes québécois francophones qui auraient des questionnements là-dessus aussi. Alors, moi, je ne situe pas ce débat <sur le plan...

M. Birnbaum : ... J'aimerais vous entendre un petit peu plus sur les pouvoirs de perquisition des inspecteurs du gouvernement. Dans un premier temps, je diffère avec vous, selon mes discussions, cette commission risque d'entendre beaucoup de groupes québécois francophones qui auraient des questionnements là-dessus aussi. Alors, moi, je ne situe pas ce débat >sur le plan communauté linguistique.

Vous constatez que, de votre lecture, si j'ai bien compris, les articles 111 et 112 n'ont pas besoin d'être à l'abri des défis judiciaires, c'est-à-dire que, pour vous, la clause dérogatoire, ce n'est pas nécessaire pour que ces articles soient valides. Et je ne parle pas de ce que je trouve un petit peu auxiliaire, votre point, que, oui, des poursuites peuvent se faire sur le plan pratique. Je ne parle pas de ça. De votre avis, 111 et 112 — deux choses — sont tout à fait recevables sans avoir recours à la protection de la clause dérogatoire, dans un premier temps.

Deuxième temps, j'aimerais, avec respect, vous faire sortir de votre zone de confort. Est-ce que vous trouvez que ces pouvoirs sont raisonnables et nécessaires?

M. Binette (André) : Je conviendrais d'emblée qu'ils sont importants, qu'ils ne peuvent être maniés qu'avec un grand doigté et un grand discernement. On a vu, par exemple, certaines enquêtes policières provinciales mener à des abus récemment, donc, et ces abus-là peuvent être contestés devant les tribunaux. Donc, je ne dis pas que les pouvoirs importants qui sont accordés à l'office sont inconstitutionnels.

• (12 h 50) •

Je ne dis pas non plus qu'il faut nécessairement une clause dérogatoire pour les valider. Ce que je dis... Et je dis aussi que... Je dis, cependant, que la jurisprudence sur les effets des clauses dérogatoires est encore peu abondante, peu détaillée, parce qu'elle a peu été utilisée au Canada, et qu'entre autres la jurisprudence sur la distinction entre la validité des lois et la validité des inspections n'est pas encore développée. Mais je m'appuie, je dirais, sur des raisonnements juridiques fondamentaux pour arriver à la conclusion que j'ai présentée aujourd'hui.

Ce qui est clair, c'est que la Constitution, que ce soit l'article 33 de la charte canadienne ou l'article, je crois, 52 de la charte québécoise... permet des clauses dérogatoires qui protègent des lois ou des dispositions des lois. Elle ne permet pas des clauses dérogatoires qui vont jusqu'à protéger des actes abusifs.

Il y a déjà eu une clause dérogatoire abusive dans le passé, la clause dérogatoire à la Loi sur les mesures de guerre... dans la Loi sur les mesures de guerre en octobre 1970, qui dérogeait à la Déclaration canadienne des droits de 1960 jusqu'à protéger les droits abusifs, même brutaux de l'autorité policière. Une telle clause dérogatoire serait inconstitutionnelle aujourd'hui, à mon avis.

La Présidente (Mme Thériault) : Merci beaucoup, M. Binette. Donc, sans plus tarder, Mme la députée de Mercier, pour vos 2 min 45 s.

Mme Ghazal : Merci. Merci beaucoup, M. Binette, pour votre présentation. Moi non plus, je ne pense pas que je vais réussir votre examen sur la Constitution, mais ce n'est pas grave. J'ai quand même une question dans le peu de temps que j'ai. Vous dites que les droits ancestraux des autochtones sont garantis par la <Constitution de...

La Présidente (Mme Thériault) : ... M. Binette. Donc, sans plus tarder, Mme la députée de Mercier, pour vos 2 min 45 s.

Mme Ghazal : Merci. Merci beaucoup, M. Binette, pour votre présentation. Moi non plus, je ne pense pas que je vais réussir votre examen sur la Constitution, mais ce n'est pas grave, j'ai quand même une question dans le peu de temps que j'ai. Vous dites que les droits ancestraux des autochtones sont garantis par la >Constitution de 1982, mais est-ce que le projet de loi n° 96 ne serait pas une opportunité pour promouvoir et reconnaître les langues autochtones un peu plus? Et comment est-ce qu'on peut le faire avec le projet de loi n° 96?

M. Binette (André) : Bon, j'ai proposé certaines choses, dans mon mémoire et dans mon allocution, qui s'appliqueraient... Les droits ancestraux vont s'appliquer, quoi que dise le projet de loi n° 96. Donc, ils existent indépendamment du projet de loi n° 96. Mais on pourrait préciser dans la loi n° 96 que ces droits ancestraux s'appliquent à l'Assemblée nationale et à la loi 101 un peu davantage et donner quelques exemples particuliers, que j'ai donnés dans mon mémoire, en ce qui concerne, par exemple, les contrats avec les institutions autochtones, les ententes intergouvernementales avec les nations autochtones dans les deux langues, français et autochtone, les droits de témoin à l'Assemblée nationale, etc.

Donc, moi, je... Tout ça va s'appliquer, même si on ne le dit pas dans le projet de loi n° 96, mais ça vaut mieux si on le disait puis ça irait mieux si on le disait. Ce serait plus généreux et plus ouvert.

Mme Ghazal : O.K. Je comprends. Puis vous, vous êtes en faveur d'une constitution interne plutôt qu'une constitution de pays, comme Québec solidaire le propose. Il y a même des fédéralistes qui sont pour une constitution interne. Est-ce que vous ne trouvez pas... Et là c'est peut-être une question politique. Vous ne trouvez pas que ça nuirait à la souveraineté d'avoir une constitution interne du Québec?

M. Binette (André) : Pas du tout. Du point de vue souverainiste, ça peut être un préalable très intéressant.

Pour ce qui est de... Pour un fédéraliste qui veut, lui, changer la Constitution canadienne, ça peut être l'occasion de dire : Bien, nous, on veut abolir la monarchie au Québec. On met ça dans la constitution du Québec et on déclenche une réouverture de la Constitution canadienne par l'obligation de négocier.

Et, pour un fédéraliste que j'appelle plus orthodoxe, qui veut respecter le cadre constitutionnel canadien, c'est quand même un moyen de renforcer l'identité nationale québécois.

Donc, moi, je pense que, dans tous les cas, on est gagnants et qu'on peut aller chercher des consensus étendus au Québec.

Mme Ghazal : O.K. Merci. J'ai peut-être un peu de temps pour l'article 65 du projet de loi n° 96, qui fait en sorte que la charte s'applique aux entreprises fédérales. Ça, ça ne peut pas être contesté par le fédéral. Dès que la loi est votée, les entreprises fédérales au Québec... la charte s'applique.

M. Binette (André) : Bon, l'application des lois provinciales aux entreprises fédérales, c'est un chapitre de la jurisprudence constitutionnelle en soi. Grosso modo, si je vulgarise rapidement, là, les lois générales provinciales s'appliquent aux entreprises fédérales, sauf si elles visent leurs fonctions essentielles. Alors là, en ce moment, jusqu'ici, l'état du droit, c'était que la loi 101, ça touchait aux fonctions essentielles des entreprises fédérales. Cependant, certaines entreprises fédérales, comme Radio-Canada ou TVA, peuvent volontairement appliquer la loi 101. Maintenant, le fédéral peut <modifier...

M. Binette (André) : ... l'état du droit, c'était que la loi 101 ...à plusieurs fonctions essentielles des entreprises fédérales. Cependant, certaines entreprises fédérales comme Radio-Canada ou TVA peuvent volontairement appliquer la loi 101. Maintenant, le fédéral peut >modifier sa position là-dessus.

La Présidente (Mme Thériault) : Et je dois mettre fin à l'échange. Merci. Donc, nous allons aller du côté du député de Matane-Matapédia. La parole est à vous.

M. Bérubé : Bienvenue, M. Binette. Alors, selon vous, on ne sera pas capable d'inscrire que le Québec est une nation, que le français est la seule langue officielle du Québec dans la Constitution canadienne. Ai-je bien compris?

M. Binette (André) : Exact.

M. Bérubé : Merci. Le gouvernement du Québec a choisi de faire une promotion assez débridée de ce qu'il considère comme étant un coup de génie et d'en faire la promotion. C'est une douche froide assez importante que vous envoyez. Nous, ça ne nous impressionnait pas tant que ça. On ne cherche pas vraiment à intégrer la Constitution canadienne, on cherche à en sortir. Mais pouvez-vous nous indiquer pourquoi l'espoir que le ministre fonde en ce geste symbolique, inspiré d'un intervenant qu'on verra cet après-midi, Me Patrick Taillon, pour vous, est voué à l'échec?

M. Binette (André) : Bon, là, il faut se rappeler que l'article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 est la disposition sur laquelle s'appuie le gouvernement actuellement pour introduire l'article 159 dans la Constitution canadienne. Donc, qu'est-ce que dit l'article 45, c'est qu'une province peut modifier sa constitution interne.

Cet article-là ne date pas de 1982, il existe depuis 1949, et à l'époque de ce qu'on a appelé alors le minirapatriement, qui a mis fin à la juridiction des tribunaux britanniques au Canada. Et donc il existe quand même une pratique importante de cette disposition-là depuis 1949. À mon avis... C'est pour ça que j'ai fait référence à la Loi sur le drapeau. Dès le départ, Maurice Duplessis a compris qu'on pouvait utiliser ce nouveau pouvoir pour modifier la constitution interne, et le drapeau en est un exemple à mes yeux.

M. Bérubé : M. Binette, si vous faites cette interprétation, il est possible qu'au gouvernement on l'ait faite aussi. Où résiderait l'intérêt du gouvernement du Québec à proposer une telle chose s'il sait que c'est voué à l'échec?

M. Binette (André) : Bien, moi, je pense que c'est très attrayant à première vue. C'est tellement innovateur que ça éblouit un peu, même les constitutionnalistes, et puis qu'il y a un petit peu de pensée magique là-dedans, en toute franchise et en tout respect.

M. Bérubé : Pas d'autre question, Mme la Présidente. Ça résume assez bien l'opération.

La Présidente (Mme Thériault) : Parfait. Donc, M. Binette, je vous remercie de votre participation à nos travaux.

Et je vais maintenant suspendre les travaux de la commission jusqu'à 14 heures. Merci. Bon appétit, tout le monde.

(Suspension de la séance à 12 h 57)


 
 

14 h (version révisée)

(Reprise à 14 h 02)

La Présidente (Mme Thériault) : À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, la Commission de la culture et de l'éducation reprend ses travaux.

Nous poursuivons les auditions publiques dans le cadre des consultations particulières sur le projet de loi n° 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français.

Cet après-midi, nous entendrons les témoins suivants : M. Patrick Taillon et M. Frédéric Lacroix seront tous les deux présents dans notre salle de commission, et nous terminerons avec M. Pierre Curzi, ancien député de Borduas, qui, lui, sera en visioconférence.

Donc, sans plus tarder, M. Taillon, bienvenue à l'Assemblée nationale. Je vais vous demander de procéder à votre présentation, d'une durée d'approximativement 10 minutes, avant de faire les échanges avec les <parlementaires. …

La Présidente (Mme Thériault) : …Lacroix seront tous les deux présents dans notre salle de commission, et nous terminerons avec M. Curzi, ancien député de Borduas, qui, lui, sera en visioconférence.

Donc, sans plus tarder, M. Taillon, bienvenue à l'Assemblée nationale. Je vais vous demander de procéder à votre présentation d'une durée d'approximativement 10 minutes avant de faire les échanges avec les >parlementaires.

M. Patrick Taillon

M. Taillon (Patrick) : Bonjour. Merci, Mme la Présidente. J'aimerais remercier les membres de la commission pour cette invitation.

Comme professeur de droit constitutionnel, moi, je suis particulièrement interpelé par, évidemment, les aspects constitutionnels du projet de loi. Ils sont nombreux. Le projet de loi n° 96 consacre de nouveaux droits fondamentaux, et surtout il hisse autant que possible au sommet de la hiérarchie, au sommet de notre hiérarchie des normes ce projet de société particulier qui consiste à protéger et vivre en français, notamment par l'octroi d'un statut quasi constitutionnel à la Charte de la langue française, un statut à l'égal de la charte québécoise, par la modification de la charte québécoise à son préambule, une disposition interprétative qui s'ajoute, et surtout un droit de vivre en français qui est consacré parmi la partie de cette charte qui a la plus grande portée, et aussi par la mention explicite, à l'article 9.1, que l'importance accordée au Québec à la protection du français est un motif de justification qui doit être pris en considération par les tribunaux lorsqu'il est question de concilier, pondérer, limiter, encadrer les droits des uns et les droits des autres.

Il y a aussi le recours à la dérogation aux chartes canadienne et québécoise qui participe à cette volonté de hisser ces droits au sommet de la hiérarchie des normes et qui représente un message clair envoyé à l'endroit des tribunaux. Ce n'est pas la négation ou le rejet des droits fondamentaux, bien au contraire. C'est seulement la volonté du Parlement québécois d'avoir en cette matière le dernier mot et d'exercer ce pouvoir, cette capacité reconnue par la Constitution canadienne et par la charte québécoise d'établir l'équilibre approprié entre les différents droits et libertés et les autres objectifs d'intérêt public. Autrement dit, si la théorie du dialogue entre les juges et le législateur a un sens, une théorie que cite abondamment la Cour suprême, bien, l'utilisation de la dérogation, c'est une manière pour les parlementaires de répondre, de répliquer, de dialoguer avec la jurisprudence de la Cour suprême qui s'est élaborée depuis les dernières décennies.

Cela dit, moi, je veux surtout utiliser cette déclaration d'ouverture pour me concentrer sur un aspect précis du projet de loi, trop souvent mal compris, qui est la modification apportée au texte de la Loi constitutionnelle de 1867 et qui est opérée par le biais de la procédure de l'article 45 de 1982. Je veux insister ici sur deux points. Premièrement, pourquoi et comment ce changement est-il possible? Puis, deuxièmement, quel effet que ça va avoir, quelle portée, quelles conséquences juridiques peut-on déceler un peu par rapport à ce changement?

Alors, d'abord, pourquoi ce <changement…

M. Taillon (Patrick) : ...45 de 1982. Je veux insister ici sur deux points. Premièrement, pourquoi et comment ce changement est-il possible? Puis, deuxièmement, quel effet que ça va avoir, quelle portée, quelles conséquences juridiques peut-on déceler un peu par rapport à ce changement?

Alors, d'abord, pourquoi ce >changement est possible? Il faut comprendre que ce changement découle de la spécificité de la Constitution canadienne, de ce qui fait qu'elle est extrêmement différente d'autres constitutions ailleurs dans le monde. Trois constats. On a affaire à une constitution de la fédération qui en comprend plusieurs autres, donc des constitutions entremêlées où il y a la Constitution du grand Canada, une constitution de la fédération, qui comprend plusieurs entités, 10 entités provinciales et une entité fédérale. Or, ces constitutions, elles ne sont pas étanches. Elles sont entremêlées, profondément entremêlées, et elles sont aussi profondément dispersées.

La Cour suprême nous l'a dit à plusieurs reprises. Vous avez ici un extrait de l'arrêt SEFPO, où elle le dit. Dans ce cas, elle parle de la constitution de l'Ontario : «Il n'y a pas de document unique. Elle se trouve dans plusieurs sources, dans une variété de dispositions, dans du droit non écrit.»

La Cour suprême dit la même chose en 1981, mais cette fois de la grande Constitution, celle de toute la fédération. Elle dit aussi «pas de document unique», «profondément dispersée», «profondément entremêlée».

Et donc on se retrouve avec une constitution dispersée, entremêlée. Et, comme le dit la Cour suprême dans l'arrêt Blaikie à propos de certaines questions linguistiques, il y a, dans la Constitution canadienne de la fédération du Canada, qui comprend les 11 entités qui composent la fédération, des dispositions qui sont indivisibles, indissociables, qui font à la fois partie de la constitution du Québec et à la fois partie de la constitution de la fédération dans son ensemble. Et c'est cette caractéristique, le fait que c'est profondément entremêlé plutôt qu'étanche, qui fait en sorte que, lorsque le Québec modifie sa propre constitution, il modifie aussi celle de la fédération, puisque certaines dispositions se trouvent à être dans la Loi constitutionnelle de 1867.

Donc, cette façon de faire, elle n'est pas nouvelle, c'est très important, elle a des racines historiques profondes. Dès 1867 — le témoin précédent a mentionné 1949, mais en vérité c'est 1867 — les Britanniques vont dire : Bien, pour modifier les règles constitutives du Canada et de ses entités, il y a la loi britannique qui opère ces changements, mais, par exception, il y a des sujets pour lesquels vous pouvez agir seuls. Vous avez à l'écran une série d'exemples de sujets pour lesquels on peut exercer ce pouvoir unilatéral. Certains, c'est un pouvoir... Dans certains cas, c'est un pouvoir unilatéral fédéral, dans certains cas, c'est un pouvoir unilatéral provincial.

En vertu de ce pouvoir, cette capacité, le <Québec...

M. Taillon (Patrick) : ...agir seuls. Vous avez à l'écran une série d' exemples de sujets pour lesquels on peut exercer ce pouvoir unilatéral. Certains, c'est un pouvoir... Dans certains cas c'est un pouvoir unilatéral fédéral, dans certains cas c'est un pouvoir unilatéral provincial.

En vertu de ce pouvoir, cette capacité, le >Québec a modifié la composition même de son Parlement en abrogeant — ce n'est pas un petit changement mineur — sa Chambre haute, l'une des composantes de ce Parlement à l'origine de la fédération. Donc, depuis toujours, le constituant britannique a voulu et prévu cette possibilité. Et, même en 1982, on aurait pu oublier ces dispositions, on aurait pu les abroger, mais le constituant de 1982 a, au contraire, pris le temps de réécrire ces articles-là, les déplacer puis les coller bien comme il faut à côté des autres procédures de modification pour montrer qu'elles forment un tout puis qu'elles sont intimement associées les unes aux autres.

• (14 h 10) •

Cette compétence de l'article 45, c'est une compétence profondément hybride. On sait qu'en vertu de cette compétence-là on peut adopter des lois ordinaires — c'est la petite boule de billard verte à l'écran — comme par exemple les lois électorales. On peut aussi adopter des lois quasi constitutionnelles, comme la charte québécoise ou, à Ottawa, la Loi sur les langues officielles. Et on sait qu'on peut aussi modifier certains aspects de la constitution supralégislative, ne seraient-ce que les dispositions de la Constitution de 1867 modifiables en vertu de l'article 45. Donc, on a une compétence profondément hybride et qui côtoie d'autres compétences, celles des articles 38 à 43, où, là, pour ces questions-là, il faut l'accord du reste du Canada, du fédéral, d'un certain nombre de provinces. Donc, 45 permet certaines choses, c'est un carré, un domaine de compétence limité, mais, à l'intérieur de ce domaine de compétence, le Québec peut agir.

Alors, comment on fait pour identifier, lorsque le Québec modifie la loi suprême du Canada, le morceau de la constitution de la fédération qu'il peut modifier? Bien, le texte de la Constitution lui-même et la jurisprudence nous fournissent assez clairement les balises. D'abord, vous voyez à l'écran, l'article 52 de 1982 définit clairement c'est quoi, la constitution suprême du Canada, c'est son... quelles sont ces normes qui sont supralégislatives, et on nous dit : Tous les textes figurant à l'annexe.

À l'annexe, on voit ici clairement que c'est l'ensemble de la Loi constitutionnelle de 1867, comme c'est l'ensemble de la loi constitutionnelle sur le Manitoba ou celle sur l'Alberta, peu importe — je pourrais vous énumérer les exemples pendant longtemps — qui fait partie de ce qui est enchâssé dans la Constitution. On ne dit pas seulement : Certains morceaux du texte de 1867, on dit bien : La totalité de 1867.

Alors, dans le texte de 1867, vous avez ce sous-titre sur les constitutions provinciales, qui est enchâssé, évidemment, via 52, et, même avant 1982, les <normes qui…

M. Taillon (Patrick) : …certains morceaux du texte de 1867, on dit bien : la totalité de 1867. Alors, dans le texte de 1867, vous avez ce sous-titre sur les constitutions provinciales, qui est enchâssé évidemment via 52, et, même avant 1982, les >normes qui composaient les lois suprêmes du Canada, les lois supralégislatives, faisaient aussi l'objet d'une définition à travers l'article 7 du Statut de Westminster ou à travers la loi sur la validité des lois coloniales de 1865. Donc, ce n'est pas nouveau, dans cette approche britannique, de dire : Bien, ce qui s'impose à vous, ce qui est supralégislatif est défini.

La Cour suprême, sous la plume du juge Major, est venue définir comment on fait pour distinguer, lorsque le Parlement du Québec agit comme législateur ordinaire, des situations où le législateur québécois met son chapeau ou sa casquette de pouvoir constituant de la fédération. L'extrait de la Cour suprême est assez clair. On nous dit : «L'article 45 permet de modifier la constitution de la province», donc un objet limité et précis.

La citation se poursuit, hein : «Ce pouvoir doit être lu en corrélation avec le paragraphe 52.» Donc, le mot «constitution», ici, c'est au sens du paragraphe 52, paragraphe 1, de 1982, donc cette constitution au sens de loi supralégislative au-dessus des autres lois.

Et on nous dit : La façon de savoir, lorsque le Parlement d'une province veut agir ainsi, c'est qu'il le fasse avec une intention claire en le disant expressément. Donc, par mention expresse, un Parlement, qu'il soit britannique, fédéral ou provincial, peut, s'il agit à l'intérieur de sa compétence, modifier le morceau qui le concerne de la loi suprême de la fédération.

Cette définition de la Constitution qu'on trouve à l'article 52, qu'on trouvait avant dans d'autres dispositions, elle n'est toutefois pas exhaustive. La jurisprudence dit clairement que d'autres normes font aussi partie de cette constitution suprême. N'empêche que ce sont ces spécificités typiquement canadiennes, c'est-à-dire les constitutions dispersées, entremêlées et définies en partie par une définition qui dit expressément ce qui est enchâssé, qui font en sorte qu'aujourd'hui le projet de loi n° 96 est une façon appropriée de venir réécrire, modifier, ajouter, bonifier le texte de la Constitution de 1867.

Qu'est-ce que ça va changer? Qu'est-ce que ça peut avoir comme portée et comme conséquences? Bien là, il faut nuancer le bilan. Une minute?

La Présidente (Mme Thériault) : 30 secondes.

M. Taillon (Patrick) : 30 secondes. Très bien. Sur le...

M. Jolin-Barrette : Mme la Présidente...

La Présidente (Mme Thériault) : Oui.

M. Jolin-Barrette : Vous pouvez le laisser sur mon temps, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Thériault) : Bon, c'est... On...

M. Taillon (Patrick) : Très bien. Je prends une minute, pas plus, pour dire que la question de savoir qu'est-ce que ça va changer, elle appelle à deux précisions. La première, bien, sur le plan des normes, de la place de ce que l'on adopte dans la hiérarchie des normes, ça va faire partie de la constitution du Québec et de la fédération canadienne, parce qu'il n'y a pas de hiérarchie à l'intérieur de la Constitution. La Cour suprême l'a déjà dit. Et surtout, dans des affaires qui <concernaient les...

M. Taillon (Patrick) : ...la première, bien, sur le plan des normes, de la place de ce que l'on adopte dans la hiérarchie des normes, ça va faire partie de la constitution du Québec et de la fédération canadienne, parce qu'il n'y a pas de hiérarchie à l'intérieur de la Constitution, la Cour suprême l'a déjà dit; et, surtout, dans des affaires qui >concernaient les privilèges parlementaires des Assemblées provinciales, la Cour suprême a clairement dit que ce n'est pas parce que c'est modifiable unilatéralement par les provinces que ce n'est pas pour autant supralégislatif. Ça a le même rang, à l'égal de la Charte canadienne, même si c'est modifiable seulement par les provinces.

Toutefois, sur le plan du contenu, l'instrument qu'est l'article 45 ne permet pas d'introduire tous les changements possibles et imaginables. Donc, sur le plan du sens, du contenu, il y a des limites qui s'imposent, qui encadrent l'action de Québec. Québec ne pourrait pas contredire les autres dispositions de la Constitution de cette façon.

Et surtout, j'insiste là-dessus et je m'arrête, sur le plan du sens, le Parlement québécois peut modifier le texte, mais le Parlement québécois, malheureusement, c'est un des problèmes du fédéralisme canadien, ne contrôle pas le choix des juges qui vont interpréter et qui vont donner suite à cela. Donc, qu'est-ce que les juges vont accorder comme signification au fait que le Québec forme une nation et le fait qu'il a pour langue officielle le français? Ça, c'est un univers de possibilités sur lequel on peut spéculer. Certainement que ça va produire des effets, mais jusqu'où ces effets peuvent être atténués ou, au contraire, valorisés et encouragés par les tribunaux? Merci. Je m'arrête ici.

La Présidente (Mme Thériault) : Merci, Pr Taillon. Le ministre vous a alloué généreusement 3 min 15 s de plus. Donc, M. le ministre, il vous reste 13 min 15 s.

M. Jolin-Barrette : Merci beaucoup. M. le professeur Taillon, merci beaucoup d'être présent aujourd'hui et d'avoir fait cette démonstration pédagogique en 10 minutes pour bien expliquer aux parlementaires de quoi il s'agit au niveau de la modification constitutionnelle.

Une courte question. À la fin de votre intervention, vous avez dit : Il existe une problématique dans le fédéralisme canadien du fait que ce n'est pas le législateur québécois ou le gouvernement québécois qui choisit les juges qui interpréteront les dispositions. Pouvez-vous rapidement expliquer quelle est cette problématique?

M. Taillon (Patrick) : Bien, ce que je veux dire, c'est que, dans une fédération, ça prend un arbitre pour trancher les litiges entre le fédéral et les provinces. Un des problèmes du fédéralisme canadien, c'est que le choix de l'arbitre, il est unilatéralement fait par l'un des partenaires. Et donc ça, c'est un problème que l'accord du lac Meech voulait atténuer, et ça n'a pas été adopté, et ça, ça contribue à faire en sorte que... Évidemment, les juges, individuellement, ils font leur travail au mieux... du mieux qu'ils peuvent. Mais quelle importance ils accorderont à cette autodéfinition du Québec? Ça, on ne peut pas le savoir. Et le fait qu'ils sont sociologiquement choisis par l'un des partenaires de la fédération, ça vient structurellement introduire un certain biais qui joue parfois en défaveur des intérêts du Québec.

D'autres vous diront, par contre, que, même avant que le Québec s'affirme comme nation dans la Constitution, il y a déjà des traces dans la jurisprudence que la Cour suprême reconnaît la spécificité du Québec. C'est certain que de l'affirmer noir sur blanc, comme ça avait été le cas avec les droits ancestraux des peuples autochtones, qui avaient été déjà reconnus au début des <années...

M. Taillon (Patrick) : ...des intérêts du Québec. D'autres vous diront par contre que, même avant que le Québec s'affirme comme nation dans la Constitution, il y a déjà des traces dans la jurisprudence que la Cour suprême reconnaît la spécificité du Québec. C'est certain que de l'affirmer noir sur blanc, comme ça avait été le cas avec les droits ancestraux des peuples autochtones, qui avaient été déjà reconnus au début des >années 70 par la Cour suprême, quand on est venus l'inscrire dans le texte, c'est venu donner un élan, c'est venu encourager les juges à aller plus loin dans cette direction-là. Je pense qu'on est dans une dynamique similaire ici.

M. Jolin-Barrette : Donc, pour vous, le fait d'insérer l'article 159, c'est légal et légitime, et le Parlement québécois est tout à fait en droit de faire ce que nous faisons dans le projet de loi.

M. Taillon (Patrick) : Bien, le citoyen que je suis va vous dire que c'est légitime, puis le professeur de droit va vous dire qu'effectivement c'est une procédure qui est parfaitement conforme à la Constitution, qui a déjà été utilisée. Et la seule nouveauté ici par rapport à ce qu'on a déjà vu dans le passé, c'est une nouveauté un peu esthétique ou légistique, dans le sens où un réflexe... peut-être, les mots sont chargés, mais je vais dire autonomiste ou nationaliste incitait un peu le Québec, par exemple, en 1968, à faire nos affaires séparément, dans un autre texte que celui de 1867. Donc, on a abrogé certaines dispositions de 1867, mais, esthétiquement, dans le passé, on mettait ça ailleurs. Mais l'ailleurs est quand même... Puisque les sources constitutionnelles sont dispersées, l'ailleurs est quand même constitutionnel.

Et là le génie de ce projet de loi, c'est de venir maximiser la visibilité de cette modification constitutionnelle faite par le Québec en la mettant dans un texte qui occupe une... qui a une plus grande visibilité dans la fédération. C'est un peu comme si le fédéralisme canadien, c'était une tour à condos. Ça va de soi que chaque unité peut modifier et rénover l'intérieur de son propre condo, ça va de soi que les balcons sont encadrés par des règles communes. Mais là, d'une certaine façon, avant, on rénovait, mais là, cette fois-ci, on rénove, mais on le met bien visible dans la fenêtre. Il n'y a personne qui pourra lire le texte de 1867 sans savoir que le Québec forme une nation. Et c'est là que le changement du projet de loi n° 96 se démarque de façon très utile et très pertinente de la manière dont on avait fait les choses en 1968, où on avait mis ça dans un texte qui ne bénéficie pas de la même visibilité. Mais, juridiquement, c'est la même chose.

• (14 h 20) •

M. Jolin-Barrette : Dans le projet de loi n° 96, on a introduit la notion de droits collectifs. Qu'est-ce que vous pensez de ça? Et est-ce que ça existe déjà, des droits collectifs?

M. Taillon (Patrick) : Oui. Bien, il faudrait avoir une philosophie ou une idéologie libertarienne pour croire que les droits n'existent que pour les individus qui vivent comme des atomes isolés. Donc, les droits fondamentaux, ils ont... Il y a plusieurs générations de droits fondamentaux. Certains ont des dimensions plus individuelles que d'autres, mais il existe, et c'est reconnu dans les pactes internationaux sur les droits et libertés, des droits qui ont des dimensions plus collectives. Et les droits fondamentaux, ce sont des objectifs que l'on se donne comme société, ce n'est jamais des absolus. C'est des <choses que l'on...

M. Taillon (Patrick) : …ont des dimensions plus individuelles que d'autres, mais il existe, et c'est reconnu dans les pactes internationaux sur les droits et libertés, des droits qui ont des dimensions plus collectives. Et les droits fondamentaux, ce sont des objectifs que l'on se donne comme société, ce n'est jamais des absolus, c'est des >choses que l'on concilie avec toutes sortes d'objectifs d'intérêt public. Donc, qu'on appelle ça des droits collectifs, ou des objectifs constitutionnels, ou des valeurs constitutionnelles communes, ça, c'est un choix de mots qui m'importe peu.

Mais il est clair qu'une constitution, ça établit un équilibre entre toutes sortes de préoccupations. Et le projet de loi n° 96, notamment ses modifications à la charte québécoise, il vient dire qu'au Québec, dans l'équilibre des droits, au sommet de notre hiérarchie des normes, il y a des préoccupations qui sont d'ordre individuel et il y a des préoccupations qui sont d'ordre collectif, et les unes et les autres sont tout aussi importantes et doivent être conciliées les unes avec les autres.

M. Jolin-Barrette : O.K. Je vais vous demander ce que vous pensez des dispositions de souveraineté parlementaire qu'on est venus insérer au sein du projet de loi n° 96.

M. Taillon (Patrick) : Bien, c'est le propre de la tradition juridique britannique d'avoir une foi dans… avoir confiance dans les élus, et le Canada, le Québec, nous sommes un peu les héritiers de cette tradition qui veut que le Parlement est souverain, du moins, à l'intérieur de ses compétences. Et, progressivement, le Canada a choisi, et le Québec aussi, de mettre des garanties au-dessus de la volonté du Parlement, mais ce choix-là, il s'est toujours accompagné d'un compromis, c'est-à-dire de préserver la capacité des parlementaires de répliquer, d'utiliser, si nécessaire, cette capacité de dérogation, cette souveraineté parlementaire qui subsiste.

Alors, moi, je ne crois pas que la dérogation, ce n'est ni… je ne crois pas que c'est mauvais ou que c'est bien, ça dépend ce qu'on en fait. Et, en réalité, il s'agit d'un mécanisme qui permet aux élus de dire : Voici, on veut le dernier mot, on veut établir nous-mêmes l'équilibre entre les droits et les autres objectifs d'intérêt public. Si le législateur, quand il le fait, il établit un équilibre qui est raisonnable, qui est approprié, qui est dans l'intérêt public, tant mieux. Ça veut dire que la dérogation a été bien utilisée. Et, peut-être, même, elle va empêcher que les juges, dans l'exercice de leur pouvoir, tout à fait prévu par la Constitution... Eux aussi, ils pourraient commettre certains abus ou certains déséquilibres. Donc, d'utiliser la dérogation, ça peut être une bonne façon pour les élus de répliquer à une jurisprudence en établissant une solution pertinente. Mais, si, quand est-ce qu'on utilise la dérogation, on utilise ce pouvoir de manière abusive, bien là, le pouvoir devient en soi plus néfaste. Donc, tout est dans la solution qui est établie, ce qu'on fait avec le pouvoir de dérogation.

Moi, en ce qui me concerne, considérant la manière dont les tribunaux ont joué dans la version initiale de la Charte de la langue française, je n'ai pas de problème avec l'idée que le Parlement dise, cette fois... envoie un message très clair aux tribunaux pour dire : Écoutez, il ne s'agit pas d'une loi comme les autres, il s'agit d'une loi qui est au coeur de la spécificité du Québec puis d'un projet de société particulier en Amérique du Nord, nous, on veut mettre cette loi au sommet de la <hiérarchie…

M. Taillon (Patrick) : ...de la Charte de la langue française, je n'ai pas de problème avec l'idée que le Parlement dise cette fois... envoie un message très clair aux tribunaux pour dire : Écoutez, il ne s'agit pas d'une loi comme les autres, il s'agit d'une loi qui est au coeur de la spécificité du Québec puis d'un projet de société particulier en Amérique du Nord. Nous, on veut mettre cette loi au sommet de la >hiérarchie des normes et on vous envoie le message que vous ne touchez pas à ça, vous faites preuve d'une plus grande retenue et vous... et il faut reconnaître au législateur, en cette matière, la plus grande marge de manoeuvre possible.

M. Jolin-Barrette : Est-ce que le recours aux dispositions de souveraineté parlementaire signifie qu'une loi est discriminatoire?

M. Taillon (Patrick) : Comme j'essayais de le dire peut-être maladroitement, ça dépend du contenu de la loi. Là aussi, si la loi est utilisée pour promouvoir des droits, bien, au contraire, c'est une loi qui favorise les droits, là. Et, si, à l'inverse, la loi est utilisée pour les restreindre... Et on voit d'ailleurs, dans cette crise sanitaire, qu'on a souvent adopté des normes, soit des décrets, peut-être bientôt une loi à l'Assemblée nationale sans utiliser la clause dérogatoire pour limiter les droits. Donc, il n'y a pas de lien. On peut utiliser une loi sans dérogation, sans disposition de souveraineté parlementaire, pour reprendre votre expression, qui est tout à fait pertinente. Donc, on peut restreindre les droits sans utiliser la dérogation et on peut légiférer avec dérogation sans restreindre les droits. Tout dépend de ce que le législateur fait lorsqu'il utilise cette souveraineté parlementaire.

Par contre, lorsqu'on légifère avec la dérogation, je pense que ça demande, de la part des parlementaires, justement, une attention particulière, puisque ça limite la capacité du juge d'intervenir, par la suite, pour venir rectifier les choses. Mais, si les parlementaires souhaitent exercer ce pouvoir de dernier mot, qui a toujours existé dans la tradition britannique et qui subsiste à travers cette disposition-là, l'article 33 de la charte canadienne et l'article 52 de la charte québécoise, bien, ça peut être tout à fait pertinent et salutaire. Tout dépend de ce qu'on en fait.

M. Jolin-Barrette : O.K. Quelle est votre opinion des nouveaux droits fondamentaux qu'on vient insérer dans la Charte de la langue française, et le fait également de rendre exécutoires les droits fondamentaux qui étaient déjà prévus à la Charte de la langue française?

M. Taillon (Patrick) : Oui. Bien, je pense que ça participe à ce qui risque d'être la vision des droits fondamentaux de demain. C'est-à-dire que, dans le passé, on associait beaucoup les droits fondamentaux à l'individu. C'était la première génération de droits. On voit qu'au contraire, à mesure où... De toute façon, les droits, ils n'ont pas une définition préexistante, hein? Quand on consacre des droits fondamentaux, ce qu'on consacre, en réalité, c'est une mission que l'on accorde au juge d'agir comme, un peu, gardien de ces droits-là puis de les concilier les uns avec les autres. Et, à mesure où on consacre certains droits fondamentaux, bien, c'est normal, légitime et pertinent d'en ajouter d'autres pour s'assurer que, justement, le résultat global soit équilibré, et, on le voit de plus en plus, certains droits économiques et sociaux, certains droits culturels.

Là, ici, dans une société comme la nôtre, d'accorder un droit fondamental de vivre en français, c'est tout à fait cohérent avec le projet de société puis la spécificité du Québec, et je pense que c'est important, dans cette <dynamique...

M. Taillon (Patrick) : ...et, on le voit de plus en plus, certains droits économiques et sociaux, certains droits culturels. Là, ici, dans une société comme la nôtre, d'accorder un droit fondamental de vivre en français, c'est tout à fait cohérent avec le projet de société puis la spécificité du Québec, et je pense que c'est important, dans cette >dynamique qui existe entre les législateurs et le juge, de venir dire que ces dispositions en matière de langue, c'est d'abord et avant tout la concrétisation d'un droit, et non pas simplement des restrictions, des règles pointues ou des aménagements. Donc, ça permet de donner à la loi un sens particulier et cohérent avec l'ensemble du dispositif constitutionnel.

M. Jolin-Barrette : Je vous remercie grandement. Je sais que j'ai des collègues qui veulent vous poser des questions.

La Présidente (Mme Thériault) : Donc, pour le député de Sainte-Rose, vous avez 2 min 15 s.

M. Skeete : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Pr Taillon, merci beaucoup. J'ai quelques questions en rafale, en espérant avoir le temps de conclure. Il y a des gens dans la société civile qui disent qu'il y a des aspects, dans ce projet de loi là, qui vont enlever des droits, notamment, la communauté d'expression anglaise, qui dit : Ça peut affecter l'accès à la santé ou l'accès à la justice. Vous voyez quoi, vous, dans ces interprétations-là?

M. Taillon (Patrick) : Bien, d'abord, le domaine qui est plus le mien, là, sur le plan des droits qui sont supralégislatifs, les droits qui sont dans la Constitution, il n'y a rien dans ce projet de loi qui vient restreindre les droits historiques de la communauté anglo-québécoise tels qu'ils sont consacrés à l'article 133 de 1867. Et, si c'était le cas, bien, ce serait justement une possibilité pour les tribunaux d'intervenir, parce que le domaine d'application de l'article 45, il est circonscrit. Donc, sur le plan des droits constitutionnels, dire que le Québec forme une nation et qu'il a pour langue officielle le français, ça n'enlève rien par rapport à ce que la Constitution offre comme droits à la communauté historique anglophone.

Après, en ce qui concerne les autres mesures détaillées du projet de loi, moi, je n'ai pas vu, là, d'exemple particulier, mais mon attention s'est surtout tournée vers les droits qui sont garantis dans la Constitution. Dans le pacte de 1867, lorsqu'on a négocié ce compromis qui veut qu'il y aurait... il y aura un législateur majoritairement francophone au Québec, mais, en contrepartie, il y aura des droits historiques protégés pour la minorité anglophone, tels qu'on les voit à l'article 133, le projet de loi n° 96 ne touche pas du tout à ces questions-là.

M. Skeete : Puis en quoi la vision ou la perspective des Québécois d'expression anglaise et de la majorité francophone par rapport au Code civil versus la common law... en quoi ce regard historique vient teinter un peu la vision du droit commun versus le droit individuel?

La Présidente (Mme Thériault) : En 20 secondes.

M. Taillon (Patrick) : Bien, la spécificité du Québec tient à plusieurs piliers. La tradition juridique civiliste en est un, elle modifie notre rapport au texte, elle nous incite à aimer mettre les choses plus clairement. Elle nous a peut-être même empêchés de voir que... la vraie nature de la Constitution canadienne, comme je disais, dispersée, entremêlée, et etc. Mais, oui, ça fait partie des ingrédients qui peuvent expliquer culturellement que l'on... un rapport au droit légèrement différent, en effet.

La Présidente (Mme Thériault) : Merci. Donc, je me tourne maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, pour votre échange de 11 minutes.

• (14 h 30) •

Mme David : Merci, <Mme la...

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14 h 30 (version révisée)

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M. Taillon (Patrick) : ...la Constitution canadienne, comme je disais, dispersée, entremêlée, et, etc. Mais oui, ça fait partie des ingrédients qui peuvent expliquer culturellement que l'on a un rapport au droit légèrement différent, en effet.

La Présidente (Mme Thériault) : Merci. Donc, je me tourne maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, pour votre échange de 11 minutes.

Mme David : Merci, >Mme la Présidente. Merci, Pr Taillon. On se retrouve. Vous étiez venu pour la loi n° 21.

M. Taillon (Patrick) : Entre autres, et aussi pour la loi sur la succession... dévolution au trône, je pense.

Mme David : Oui, mais, disons que, moi, c'est parce que je vous ai connu à la loi n° 21. Et donc on se retrouve. Écoutez, c'est difficile, sans mémoire écrit, parce que je ne suis pas une spécialiste, là, de haut niveau comme vous. On a eu un autre constitutionnaliste ce matin. Ce n'est pas facile, mais je vais prendre la dernière partie puis je vais essayer de remonter le fil de votre intervention en commençant par la fin.

J'ai vraiment bien entendu que vous avez dit : Il faut une attention particulière demandée aux parlementaires quand il y a application de dispositions de dérogation. Si vous-même, vous étiez un parlementaire, là, sans formation constitutionnelle, et tout ça, comme nous, humbles mortels, comment vous appliqueriez cette attention-là? Donnez-nous un cours d'attention sur les dispositions de dérogation.

M. Taillon (Patrick) : Bien, elle n'est pas... Ce n'est pas particulièrement différent de ce que font les tribunaux eux-mêmes lorsqu'ils analysent la conciliation des droits. C'est extrêmement difficile. On le vit dans le dossier des manifestations devant les écoles, où il y a un vrai droit, celui de manifester, qui est en tension avec un autre droit, tout aussi réel, qui est d'aller à l'école sans se faire déranger ou de pratiquer son métier.

Mme David : Dans le p.l. n° 96, particulièrement, là.

M. Taillon (Patrick) : Oui. Oui, bien sûr. Donc, je pense que les principaux critères, c'est d'identifier les droits et les intérêts qui sont en présence, les droits et intérêts des individus, qui peuvent voir dans ces dispositions-là un fardeau, une contrainte, etc., par opposition à ceux qui... les droits des individus et de la collectivité, et de voir dans quelle mesure l'équilibre qui est proposé par le projet de loi est raisonnable. Puis, parmi les indications qui peuvent aider à voir si c'est raisonnable, c'est de se demander — ça, c'est exactement de la façon dont les tribunaux procèdent — est-ce que le législateur pourra atteindre son objectif. Puis l'objectif est ambitieux ici, là, c'est promouvoir la protection du français, freiner son déclin. Est-ce qu'il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de solutions de rechange? Et, parmi ces solutions de rechange, est-ce qu'il y en a qui seraient plus respectueuses des droits et d'autres qui le seraient moins? Et le tribunal va arriver à la conclusion qu'il faut retenir pas la moins pire des solutions, mais parmi les moins pires. Donc, ça, c'est les techniques qui sont employées par les tribunaux. Je ne pense pas que c'est la seule manière de concilier les droits puis d'évaluer. Les parlementaires peuvent s'en inspirer.

Mais moi, je n'ai pas une conception du savoir juridique qui serait un savoir exclusivement réservé à des gens ayant eu une formation. Au contraire, quand il est question de droits fondamentaux, il est question du pacte fondamental qui encadre notre société, et, si on ne peut pas avoir un débat démocratique sur ces droits que l'on veut se reconnaître réciproquement ou si ce débat n'est réservé qu'à des gens qui ont un <savoir...

M. Taillon (Patrick) : ... qui serait un savoir exclusivement réservé à des gens ayant eu une formation.

Au contraire, quand il est question de droits fondamentaux, il est question du pacte fondamental qui encadre notre société. Et, si on ne peut pas avoir un débat démocratique sur ces droits que l'on veut se reconnaître réciproquement ou si ce débat n'est réservé qu'à des gens qui ont un >savoir particulier, bien, moi, je suis plutôt inquiet. Je crois qu'il faut avoir une délibération démocratique, et la meilleure façon, c'est de cumuler les préoccupations. Si on est centrés seulement... Pardon.

Mme David : O.K. Alors, je vous arrête. Je sais qu'il faut interrompre des professeurs de... n'importe quel professeur, mais en droit encore plus. Je vais oser un exemple, O.K., où il faudra porter une attention particulière. Parce que plusieurs constitutionnalistes et juristes de haut niveau m'ont apporté et ont apporté publiquement des inquiétudes.

Les droits d'inspection de l'OQLF, où même votre prédécesseur, le Pr Binette, disait : C'est des droits vraiment très, très, très... beaucoup plus élargis qu'ils le sont dans la charte actuelle, beaucoup de juristes ont dit : Attention, il y a même des arrêts de la Cour suprême, il y a quelque chose qui dit... Par exemple, le droit à la vie privée dans les ordinateurs, ça n'existait pas en 1976, lors de la charte, hein, on s'entend, 1977. Et là, maintenant, il y a eu un certain nombre de jugements là-dessus, en disant : Un ordinateur portable, vous allez repartir avec votre ordinateur, il peut y avoir des rendez-vous chez le médecin, il peut y avoir des choses, vous ne voulez certainement pas qu'un inspecteur de l'OQLF voie. Mais, quand il a le droit de regarder et que c'est permis par la loi, puis il ne fait pas ça pour rien non plus, là, mais il a le droit, clash annoncé, droit à la vie privée, mais il y a dérogation quand même.

Puis là je veux vous entendre là-dessus, parce qu'il y en a qui disent : Peut-être qu'on devrait enlever, pour cet article-là, la disposition de dérogation. Or, ce n'est pas ça qui arrive, là, c'est comme — ce sera une autre de mes questions — tous azimuts pour protéger des droits collectifs de langue. On s'entend, la langue, c'est important. Mais, sur ça en particulier, pourquoi on mettrait une dérogation?

M. Taillon (Patrick) : Bien, c'est un bel exemple, parce que vous montrez qu'il y a plusieurs intérêts en présence. Moi, je pense qu'il faut clairement distinguer la capacité de déroger, d'affirmer cette souveraineté parlementaire. Elle ne vaut que pour la loi. Elle ne vaut pas pour l'administration. Et je pense que, lorsqu'on applique les chartes, il y a une distinction qui est faite entre les lois et les règlements, les règles de droit, puis le comportement de l'État, le comportement du policier ou, dans ce cas-ci, de l'inspecteur.

Et j'ai plutôt tendance à penser que le comportement de l'inspecteur ne peut pas être... Seul le législateur peut déroger. Et donc, pour valider un comportement d'inspecteur, il faudra ou il faudrait le rattacher quand même assez explicitement à son fondement législatif. Puis le comportement de l'inspecteur doit s'exercer dans le respect de la finalité de la loi. Donc, je pense que ça pourrait être une manière d'atténuer la chose.

L'autre manière d'atténuer la chose, et le Parlement est souverain, bien, c'est peut-être d'apporter des précisions à cette disposition. C'est vrai que du moment...

Mme David : ...vous me <proposez...

M. Taillon (Patrick) : ... assez explicitement à son fondement législatif. Puis le comportement de l'inspecteur doit s'exercer dans le respect de la finalité de la loi. Donc, je pense que ça pourrait être une manière d'atténuer la chose.

L'autre manière d'atténuer la chose, et le Parlement est souverain, bien, c'est peut-être d'apporter des précisions à cette disposition. C'est vrai que du moment...

Mme David : ...vous me >proposez déjà un amendement...

M. Taillon (Patrick) : Du moment où le législateur décide de déroger, c'est qu'il décide de lui-même établir l'équilibre des droits.

Mme David : Savez-vous ce que me proposent plusieurs juristes?

M. Taillon (Patrick) : Je vous...

Mme David : Je le dévoile, là, bon, on est là pour discuter, de dire : Ça n'a aucun bon sens qu'il n'y ait pas de mandat, au moins, qu'un juge puisse se prononcer avec un mandat de... l'équivalent d'un mandat de perquisition.

M. Taillon (Patrick) : Oui. Bien, généralement...

Mme David : Parce qu'avec la dérogation ce n'est pas permis.

M. Taillon (Patrick) : Généralement, lorsqu'il est question de vie privée, c'est soit le consentement de l'individu à y renoncer — nos étudiants sont très vites sur le piton pour renoncer à leur vie privée dans différentes applications — et, sinon, l'autre solution, c'est généralement qu'un tiers, le juge, vienne juger la raisonnabilité de la chose. Donc, c'est une suggestion qui est intéressante, en effet.

Mme David : Ah! bien, je suis contente, venant de vous. Alors, je comprends que la dérogation n'est pas nécessairement tous azimuts, tous les articles de la charte, pour tous les articles de la loi, de la loi n° 96, que... On a beau dire que c'est l'ordre collectif versus l'ordre individuel, vous dites bien : Ça prend un équilibre. Mais, si ça prend un équilibre, pourquoi on choisit que l'entièreté du collectif, dans cette loi-là, s'applique? Donc, on applique les dispositions de dérogation au maximum, là. Les articles 2 à je ne sais pas quoi, puis, bon, des deux chartes, là, sont là au complet, pour tous les articles. Pourquoi, alors, on dit que c'est un équilibre entre collectif et individuel? On vient de donner un exemple sur les inspections.

M. Taillon (Patrick) : Donc, le... Est-ce que le Parlement du Québec pourrait procéder de façon plus chirurgicale? Oui. En procédant comme ça, c'est un peu comme si, d'une certaine manière, le but du législateur était de hisser la Charte de la langue française à l'égal du reste de la Constitution, hein, si... Si la charte canadienne dit des choses, puis vous enchâssez dans la Constitution canadienne le contraire, bien, la charte canadienne n'a pas vocation à s'appliquer au reste de la Constitution. La dérogation, ça produit un peu cet effet-là.

Mais effectivement il est important que le législateur s'assure de la raisonnabilité puis de la pertinence de sa loi. Et, s'il veut déroger d'une manière plus chirurgicale, bien, il est tout à fait possible de retirer certaines dispositions du domaine d'application de la dérogation. Au lieu de dire : La dérogation vaut pour tout le projet de loi n° 96, il pourrait valoir pour tout le projet de loi n° 96, sauf l'article numéro machin. C'est tout à fait possible.

Mme David : O.K. Et le ministre écoute, évidemment. Donc, on comprend que ce serait une possibilité puis qu'on pourrait pousser, entre guillemets, cette idée-là d'avoir, pour certains articles qui contreviennent plus manifestement à des dangers de non-respect du droit à la vie privée, tel que mentionné dans des jugements, d'ailleurs, dont un, si je me souviens bien, en 2016, de la <Cour suprême...

Mme David : ... on comprend que ça serait une possibilité puis qu'on pourrait pousser, entre guillemets, cette idée-là, d'avoir pour certains articles qui contreviennent plus manifestement à des dangers de non-respect du droit à la vie privée, tel que mentionné dans des jugements d'ailleurs, dont un, si je me souviens bien en 2016, de la >Cour suprême. Ce n'est pas rien, là. Mais c'est dans le domaine pénal et non pas civil, mais, quand même, la personne a droit que l'inspecteur ne voie pas qu'elle a un rendez-vous chez l'oncologue, par exemple.

• (14 h 40) •

M. Taillon (Patrick) : Oui. Donc, il revient au législateur de choisir quelles dispositions du projet de loi entrent dans le domaine de la dérogation. Donc, c'est un choix législatif d'en étendre ou d'en restreindre la portée.

Mme David : Il y a une autre question qui me... C'est parce que, là, vous employez plein de mots, là, puis le ministre aussi, puis tout ça. La souveraineté parlementaire, là, ça, là, je n'ai pas vu ça bien, bien dans le projet de loi, c'est comme nouveau. Souveraineté parlementaire égale-t-elle disposition de dérogation?

M. Taillon (Patrick) : Bien, en fait, c'est qu'historiquement, au Royaume-Uni, le Parlement est souverain. Il peut tout faire. Il n'y a pas de loi au-dessus du Parlement britannique.

Au Québec, lorsqu'on a adopté la charte québécoise, on a respecté ce modèle-là. On a dit : Il y a des normes au-dessus de la volonté du Parlement québécois, de la charte québécoise, mais, si le Parlement québécois est insatisfait de la manière dont c'est interprété, on a la capacité de modifier cette charte ou d'y déroger expressément.

Le Canada, dans son ensemble, la fédération, en 1982, il a fait un pas de plus pour s'éloigner du modèle de souveraineté parlementaire. Il y avait huit provinces canadiennes, dont le Québec, qui s'opposaient à cela, parce qu'elles étaient conscientes que ça allait opérer un transfert de pouvoir considérable du législateur vers le juge. Et le compromis qui a été fait, compromis qui a rallié sept des huit provinces qui s'opposaient, c'est de maintenir cette souveraineté parlementaire comme un outil disponible, au besoin, à travers cette capacité de dérogation là.

Donc, est-ce qu'il... Est-ce que le Canada est un pays qui pratique la souveraineté parlementaire? Bien, c'est à l'origine de son système, et, par différents choix, ce principe-là s'est effrité, mais il subsiste, notamment à travers l'article 33 de la charte canadienne, comme un instrument qui permet au législateur, lorsqu'il le souhaite, de réaffirmer cette souveraineté parlementaire.

La Présidente (Mme Thériault) : Et je dois maintenant faire une petite intervention pour passer la parole à Mme la députée de Mercier.

Mme Ghazal : Merci, Mme la Présidente. Merci beaucoup pour votre présentation. Évidemment, c'est superintéressant, là, cette idée-là d'ajouter «nation», «langue française commune» dans la Constitution, là, dans notre partie, avec l'article 45, puis vous en faites beaucoup la promotion, puis Québec solidaire, on est pour ça.

Tout à l'heure, il y a un constitutionnaliste avant vous, M. Binette, qui nous a dit qu'on est trop éblouis par cette nouvelle idée, puis peut-être qu'à un moment donné on va se calmer, ce qui n'est pas votre cas.

Mais moi, j'ai une question. Tu sais, à Québec solidaire, on est indépendantistes. Pourquoi ajouter une ligne dans une constitution qu'on n'a pas signée? C'est quoi, la prochaine étape? Est-ce que ça ouvre la porte, après ça, de dire : Bien, on va la signer, puisqu'il y a l'affirmation du fait que le <Québec...

Mme Ghazal : ... moi, j'ai une question. Tu sais, à Québec solidaire, on est indépendantistes. Pourquoi ajouter une ligne dans une constitution qu'on n'a pas signée? C'est quoi, la prochaine étape? Est-ce que ça ouvre la porte après ça de dire : Bien, on va la signer, puisqu'il y a l'affirmation du fait que le >Québec est une nation? Il n'y a pas de danger que, par ce geste, que je veux qualifier de pseudo-affirmation nationale... qu'on donne de la légitimité à la Constitution canadienne?

M. Taillon (Patrick) : Très pertinent. Je dirais, en rafale, d'une part, on modifie 1867. C'est 1982 qu'on n'a pas signé. Bien, je conviens qu'à un moment c'est l'ordre constitutionnel canadien.

Mais, surtout, je pense qu'il faut, à un moment donné, faire le constat que, lorsqu'on procède par un paquet de changements constitutionnels, comme Meech, comme Charlottetown, dans le but de se réconcilier, là, le grand soir du... ce qui ferait en sorte que, là, la Constitution deviendrait acceptable, bien, on est un peu condamné à l'échec, parce que, là, on cumule les obstacles procéduraux, puis ça devient une camisole de force.

À l'inverse, lorsque, par exemple, le gouvernement du Parti québécois, en 1997, il est allé avec une mesure précise, les commissions scolaires, lorsqu'avec le projet de loi n° 96 on y va sur un truc précis, la nation et la langue, bien, on a un peu plus de chances de succès.

C'est sûr qu'on peut ne pas vouloir jouer dans le film de la Constitution canadienne, mais, en attendant peut-être un autre grand soir, ça permet au Québec de défendre ses intérêts par rapport à la fois au fédéral, par rapport aussi à la dynamique constitutionnelle qui se joue devant nos tribunaux, en posant ce qui nous tient à coeur au sommet de la hiérarchie des normes.

Mme Ghazal : Mais... Puis ça, c'est peut-être une question politique, ça ne vient pas un peu conforter les Québécois en disant : Bien, tu sais, comme... On a beaucoup de valeurs refuges. Bien là, on se réfugie là-dedans en attendant, puis ça peut créer ça, en disant : Bien, pourquoi faire la souveraineté puis faire l'indépendance?

M. Taillon (Patrick) : Bien, je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il ne faut pas sous-estimer les effets positifs. Ce n'est pas parce que c'est un bon coup que ça règle tout. Le fédéralisme canadien continue à avoir des problèmes, des dysfonctionnements. Mais moi, je me réjouis que l'on s'attaque, un par un, à ces problèmes et que, en tout cas, du moins, sur ce coup-là, le Québec gagne, alors qu'il a si souvent perdu. Est-ce qu'après c'est suffisant pour dire que tout est parfait? Au contraire.

La Présidente (Mme Thériault) : Je dois malheureusement passer la parole maintenant au député de Matane-Matapédia.

M. Bérubé : Merci, Mme la Présidente. Me Taillon, c'est un plaisir de vous accueillir.

Je pense qu'on peut dire sans se tromper que vous avez certainement été une source d'inspiration pour le ministre, pour son projet de loi. En janvier dernier, dans une entrevue avec Marco Bélair-Cirino, vous nous indiquiez qu'il était possible de modifier la Constitution canadienne et y ajouter des éléments dans l'espace qui appartient au Québec. Et, comme le projet de loi du ministre est arrivé après, j'aime à penser que vous l'avez influencé. Donc, ceux qui trouvent que c'est un bon coup doivent d'abord vous féliciter, vous.

Et, sur la base de... Moi, c'est sur la base de l'applicabilité de la chose qu'on va pouvoir dire si c'est un bon coup. Plusieurs personnes, dont moi, sont plutôt sceptiques quant à ce que ça représente versus les véritables mesures qui devraient être mises en place. Par exemple, moi, je trouve que c'est une diversion sur la vacuité de plusieurs éléments du projet de loi.

Alors, Me Binette, qui est un <peu dans...

M. Bérubé : ... pouvoir dire si c'est un bon coup. Plusieurs personnes, dont moi, sont plutôt sceptiques quant à ce que ça représente versus les véritables mesures qui devraient être mises en place. Par exemple, moi, je trouve que c'est une diversion sur la vacuité de plusieurs éléments du projet de loi.

Alors, Me Binette, qui est un >peu dans le même type d'action que vous, c'est-à-dire que c'est un prof de droit... en fait, c'est un avocat en droit constitutionnel, est beaucoup moins optimiste que vous. Alors, est-ce que, raisonnablement, vous croyez que ça peut se retrouver dans la Constitution canadienne?

M. Taillon (Patrick) : Bien oui, puisque c'est... La Constitution canadienne est un objet entremêlé, dispersé, et donc ça en fait partie. Quelles seront les suites que vont donner les juges à ça? Ça, il faudra voir. Mais, surtout, avec égards pour mon collègue et ami André Binette, il ne faut pas faire l'erreur de définir. Peut-être qu'on aimerait que ce soit comme ça, mais ce n'est pas ça, la réalité. L'objet «constitution québécoise» n'est pas un objet totalement étanche, distinct et séparé de l'objet «constitution de la fédération». C'est entremêlé. On fait partie de la même tour, de la même...

M. Bérubé : Donc, ce n'est pas quelque chose d'acquis, c'est une hypothèse. On n'a aucune garantie, parce qu'on se heurte, encore une fois, aux juges qu'on ne nomme pas. Et c'est ça, accepter le régime canadien. Je ne l'accepte pas. Ça fait assez longtemps qu'on se connaît, vous connaissez mes opinions là-dessus. Je soupçonne les vôtres aussi. Mais je dois vous dire que je demeure sceptique.

Ceci étant dit, vous êtes allé beaucoup plus loin. Si c'était seulement de vous, on ajouterait beaucoup plus d'éléments. Vous avez parlé d'États associés, par exemple, de l'existence de son Parlement. J'imagine que vous avez eu cette discussion-là avec le ministre. Pourquoi, selon vous, il a décidé de ne pas aller plus loin?

La Présidente (Mme Thériault) : En 20 secondes.

M. Taillon (Patrick) : Oui. Moi, j'ai proposé de traduire... d'imposer notre vocabulaire, notre manière de décrire les institutions, tel qu'il ressort de la Révolution tranquille, de cesser de se faire appeler province. On est un État membre de la fédération.

M. Bérubé : Vous avez proposé ça?

M. Taillon (Patrick) : Bien, je l'ai proposé dans mes écrits. C'est publié.

M. Bérubé : Mais ce n'est pas dans le projet de loi.

M. Taillon (Patrick) : Ce n'est pas dans le projet de loi.

M. Bérubé : ...c'est là qu'on l'apprend.

M. Taillon (Patrick) : Je salue le fait que le projet de loi introduit une numérotation précise qui crée un espace pour, peut-être, des changements futurs.

M. Bérubé : J'espère qu'il vous écoutera. Parce que vous l'avez proposé, puis ce n'est pas dans le projet de loi. Nous, on ne considère pas qu'on est une province.

La Présidente (Mme Thériault) : Et je dois mettre fin à cet échange.

M. Bérubé : Merci.

La Présidente (Mme Thériault) : Donc, je vais suspendre les travaux quelques instants pour permettre à l'autre groupe de prendre place. Donc, merci, Pr Taillon, de vous être joint à nos travaux. Nous suspendons.

(Suspension de la séance à 14 h 47)

(Reprise à 14 h 52)

La Présidente (Mme Thériault) : À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, nous allons poursuivre les travaux de la commission. Et nous recevons M. Frédéric Lavoie... Lacroix, pardon.

Donc, M. Lacroix, vous avez une dizaine de minutes pour faire votre exposé — vous pouvez enlever votre masque, évidemment, puisque vous faites l'exposé — et par la suite il y aura des échanges aussi. Donc, sentez-vous libre de ne pas le remettre, puisque vous répondrez aux questions des parlementaires. Donc, la parole est à vous.

M. Frédéric Lacroix

M. Lacroix (Frédéric) : C'est bon. Donc, merci, tout d'abord, aux membres de cette commission sur l'étude du projet de loi n° 96, la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, de me recevoir.

Donc, je m'appelle Frédéric Lacroix. Je suis l'auteur d'un livre intitulé Pourquoi la loi 101 est un échec, publié chez Boréal l'année passée. et je suis aussi l'auteur d'un livre, à sortir le 7 octobre, qui s'intitule Un libre choix? Cégeps anglais et étudiants internationaux : détournement, anglicisation et fraude, édité par le Mouvement Québec français.

Donc, dans mon premier livre, je conclus que, globalement, la loi 101 est un échec, en ce sens qu'elle n'atteint pas et n'a jamais atteint les objectifs que s'étaient fixés ses concepteurs. Donc, l'objectif principal de la charte était d'arrêter l'évolution démographique qui se dessinait pour l'avenir pour le Québec, évolution qui allait conduire à un recul du poids démographique relatif des francophones au Québec.

Pour ce faire, il faudrait hausser les substitutions linguistiques des immigrants allophones vers le français de 25 % à 80 % ou 85 % environ. La commission Gendron écrivait, en 1972, qu'il fallait viser à faire du français la langue commune des Québécois, une langue que tous connaissent, de telle sorte qu'elle puisse servir de moyen de communication entre Québécois de toute langue et de toute origine.

Cette notion de langue commune est extrêmement importante. Donc, je salue le fait que cette notion se trouve maintenant dans le titre même du projet de loi et que l'article 1 du projet de loi n° 96 vienne <modifier...

M. Lacroix (Frédéric) : ... de telle sorte qu'elle puisse servir de moyen de communication entre Québécois de toute langue et de toute origine. Cette notion de langue commune est extrêmement importante. Donc, je salue le fait que cette notion de trouve maintenant dans le titre même du projet de loi et que l'article 1 du projet de loi n° 96 vienne >modifier la charte en ce sens.

L'axe principal du projet de loi n° 96 me semble être l'exemplarité de l'État et me semble être une tentative pour restreindre le bilinguisme systémique de l'État québécois, bilinguisme qui a été réimposé par les tribunaux fédéraux après 1977. Cela me semble être un axe d'intervention incontournable, car le français ne peut être à la fois la langue officielle et une langue sur deux, une langue optionnelle pour l'État québécois même.

Mais débilinguiser l'État québécois ne sera pas, je crois, une mince affaire alors que le bilinguisme est rendu quasi universel chez les francophones, qu'il est profondément entré dans les moeurs et que les jeunes, en particulier, sont de plus en plus intéressés à utiliser l'anglais dans leur vie quotidienne, selon Statistique Canada. Dans ce contexte, comment va-t-on pouvoir restreindre l'offre active de services en anglais? Je crains qu'on se retrouve avec une situation où les services en anglais ne seraient théoriquement pas disponibles pour tous, tout en l'étant en pratique. Cela serait dommageable pour le statut du français.

Aucun livre blanc n'a été déposé préalablement au projet de loi n° 96. Le diagnostic linguistique établi par le gouvernement n'est donc pas du domaine public. Donc, quel est-il? Normalement, les objectifs que vise un projet de loi sont proportionnés aux besoins, mais on ne connaît ni les uns, ni les autres, ni les objectifs visés, ni le constat précis qui motive l'action. En entrevue, M. le ministre Jolin-Barrette a affirmé : Un des objectifs sera d'augmenter le transfert linguistique des immigrants à 90 % vers le français, c'est le plus grand défi que nous ayons. Et je suis parfaitement d'accord là-dessus.

Un objectif subsidiaire devrait être d'arrêter l'anglicisation des jeunes francophones à Montréal. Les projections démolinguistiques effectuées par Statistique Canada nous annoncent que les francophones ne constitueront plus que 69 % de la population du Québec, selon la langue maternelle, et 73,6 %, selon la langue d'usage, la langue parlée à la maison, en 2036. Il s'agit d'une chute de 10 points et de 8 points par rapport à 2011. Donc, ça, c'est en 25 ans seulement. Entre 2006 et 2016, on a aussi mesuré un doublement des jeunes francophones à Montréal.

Donc, on peut dire que, démographiquement parlant, le groupe de langue française est en chute libre au Québec. Ce qui nous guette, c'est la mise en minorité des francophones sur de larges pans du territoire québécois, donc, à Montréal, dans la région métropolitaine de Montréal, à Laval, à Gatineau. Cette mise en minorité aura, a déjà d'immenses conséquences politiques.

Donc, est-ce que le projet de loi n° 96 va arriver à déjouer le scénario que nous peint Statistique Canada? La réponse me semble être non, premièrement, parce que la sélection de l'immigration est exclue de son champ d'action. Nous savons que la sélection d'immigrants déjà francisés à l'étranger est le levier qui a permis de hausser les transferts linguistiques vers le français de 20 % à 55 %, donc, en 2016. Pour arriver à 90 %, il faudrait <n'accepter...

M. Lacroix (Frédéric) : ... premièrement, parce que la sélection de l'immigration est exclue de son champ d'action. Nous savons que la sélection d'immigrants déjà francisés à l'étranger est le levier qui a permis de hausser les transferts linguistiques vers le français de 20 % à 55 %, donc, en 2016. Pour arriver à 90 %, il faudrait >n'accepter au Québec que des francotropes ou des gens ayant une excellente maîtrise du français avant l'arrivée, et ce, pour toutes les catégories d'immigrants temporaires ou permanents.

Deuxièmement, parce que le projet de loi n° 96 est d'une timidité excessive concernant la surcomplétude institutionnelle dont jouissent les institutions de langue anglaise au Québec. Le réseau collégial anglophone, au Québec, est dimensionné au double du poids démographique des anglophones, et nos réseaux universitaires, au triple de ce poids. Le projet de loi n° 96 aura très peu d'impact sur les flux monétaires allant soutenir l'expansion d'institutions anglaises au Québec.

Le gouvernement s'apprête même à financer un agrandissement royal de 100 millions de dollars pour Dawson et à faire don du Royal Victoria à McGill, deux projets qui viendront rehausser la surcomplétude institutionnelle des institutions anglophones à Montréal.

Donc, les mesures du projet de loi n° 96, à mon avis, seront mises en échec par ces investissements. Le gouvernement défait avec l'argent ce qu'il tente de faire avec le droit. Je ne comprends pas, en particulier, l'hésitation à imposer les clauses scolaires de la loi 101 au niveau collégial. À mon avis, l'impérieuse nécessité de cette mesure crève les yeux. L'article 88.0.4 imposant une croissance contingentée au réseau collégial anglais est deux fois moins costaud que la mesure proposée par le Parti libéral du Québec, soit le gel des places dans les cégeps anglais.

Et cette mesure ne fera rien pour contrer l'écrémage des meilleurs étudiants, effectué par les cégeps anglais, qui représente l'autre problème majeur affectant le collégial. Avec l'écrémage, le Québec finance le déclassement symbolique du français comme langue d'étude au collégial. L'anglais va rester la langue d'étude de l'élite. Cela est très lourd de sens.

En contingentant les places en anglais, le gouvernement du Québec jette les bases pour une contestation permanente de la clause 88.0.4. Cette politique ne sera pas acceptée socialement, à mon avis.

Une autre solution pour contrer l'écrémage, mais partielle, serait de faire en sorte que le recrutement et la sélection des étudiants admis aux cégeps anglais ne soient pas du ressort des directions des cégeps anglais. L'ensemble des cégeps montréalais, incluant Dawson, devraient être intégrés dans le Service régional d'admission du Montréal métropolitain. Un système panquébécois d'admission au collégial pourrait également être créé. Une sélection aléatoire des postulants au collégial anglais devrait être effectuée pour éliminer l'écrémage appliqué par les directions des cégeps anglais. Et, bien sûr, à mon avis, les étudiants scolarisés en anglais au primaire et au secondaire devraient être priorisés lors de l'admission.

• (15 heures) •

Également, les mesures du p.l. n° 96 devraient cibler les cégeps privés non subventionnés. Ce réseau a connu une croissance exponentielle dans les dernières années et accueille des milliers d'étudiants internationaux qui étudient en anglais au Québec, ce qui contribue <fortement à l'anglicisation...

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15 h (version révisée)

<       M. Lacroix (Frédéric) : ...à mon avis, des étudiants scolarisés en anglais au primaire et au secondaire devraient être priorisés lors de l'admission.

Également, les mesures du p.l. n° 96 devraient cibler les cégeps privés non subventionnés. Ce réseau a connu une croissance exponentielle dans les dernières années et accueille des milliers d'étudiants internationaux qui étudient en anglais au Québec, ce qui contribue >fortement à l'anglicisation de la région de Montréal. Ces étudiants internationaux socialisés en anglais constituent une partie croissante des candidats à l'immigration au Québec. Il est, à mon avis, contreproductif de socialiser les futurs immigrants en anglais au Québec et de tenter de les franciser ensuite en leur offrant des cours de français, même gratuits.

Plus largement, le gouvernement du Québec devrait axer sa politique linguistique sur l'usage du français et non sur sa simple connaissance. Ça, c'est un point crucial, à mon avis.

Donc, à mon avis, le p.l. n° 96 dans sa forme actuelle ne permettra pas de hausser les substitutions linguistiques des allophones à hauteur de 90 % du total, ce qui est pourtant l'objectif qui semble être visé. Donc, il ne va pas déjouer le scénario que nous annonce Statistique Canada pour l'avenir. Le français va continuer à reculer au Québec. Donc, le p.l. n° 96 dans sa forme actuelle pourrait avoir pour effet de rendre plus confortable le chemin de la minorisation, qui est celui qu'emprunte maintenant la majorité francophone au Québec. Merci.

La Présidente (Mme Thériault) : Merci beaucoup, M. Lacroix, pour votre présentation. Donc, sans plus tarder, nous passons au premier bloc d'échange avec le ministre.

M. Jolin-Barrette : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Lacroix. Merci d'être présent parmi nous et de nous présenter votre mémoire sur le projet de loi n° 96.

D'entrée de jeu, je tiens à souligner la qualité de votre travail relativement à votre livre que vous avez écrit l'an passé, Pourquoi la loi 101 est un échec. Bon, sur la question du titre, je ne suis pas tout à fait en accord. Je considère que la loi 101 a amené des avancées significatives par rapport à l'état du français. Mais je dois dire que, dans votre livre, vous réussissez à résumer, notamment avec des tableaux... d'illustrer très bien un portrait de la situation du français au Québec. Et, au-delà du fait que vous émettez certaines réserves, si je peux dire, sur le projet de loi que le gouvernement du Québec a déposé, les conclusions que vous amenez dans le cadre de votre livre font état de la démonstration du déclin du français.

Alors, je crois que votre ouvrage fait oeuvre utile dans le cadre du débat linguistique. Je tiens à vous remercier puis à vous féliciter pour ça. Puis je vais lire avec intérêt votre prochain livre qui va sortir prochainement.

Dans votre intervention tout à l'heure, vous avez parlé du bilinguisme systématique ou institutionnel de l'État québécois. Dans le projet de loi, on amène un volet sur la question de l'exemplarité de l'État. Le gouvernement du Québec a adopté le décret de l'article 1 de la loi n° 104 récemment. Ça faisait 20 ans. Comment expliquez-vous que l'État québécois lui-même n'a pas été exemplaire et que ça a pris le projet de loi n° 96 pour avoir des dispositions sur l'exemplarité de l'État?

M. Lacroix (Frédéric) : <Pourquoi...

M. Jolin-Barrette : Le gouvernement du Québec a adopté le décret, l'article 1 de la loi 104 récemment. Ça faisait 20 ans. Comment expliquez-vous que l'État québécois lui-même n'a pas été exemplaire et que ça a pris le projet de loi n° 96 pour avoir des dispositions sur l'exemplarité de l'État?

M. Lacroix (Frédéric) : >Pourquoi l'État québécois n'a pas été exemplaire? Bien, le bilinguisme a été réintroduit à grande échelle par Robert Bourassa, là, au début des années 90, qui a changé plusieurs articles dans la loi 101, puis après ça il y a eu un désintérêt pour la question. Donc, il y a eu un grignotement par la base, là — ça, c'est mon interprétation de ce qui s'est passé — puis la question n'a pas été prise au sérieux, à mon avis.

Donc, moi, je salue l'intervention sur l'exemplarité de l'État, je pense que c'est absolument nécessaire, mais, à mon avis, ça va être un travail titanesque de rentrer le génie dans la bouteille, dans le contexte où le bilinguisme anglais-français est en train de devenir universel au Québec, puis en particulier dans le contexte où les jeunes veulent de plus en plus pratiquer leur anglais. Ça, c'est Statistique Canada qui nous apprend ça. Donc, les jeunes qui passent par l'anglais intensif au primaire, par exemple, l'immersion anglaise au secondaire, bon, l'univers numérique, qui est très anglicisant, comment on va arriver à les convaincre que, s'ils sont employés de l'État, ils doivent offrir un service en français seulement? Ça va être difficile.

M. Jolin-Barrette : O.K. Hier, on a eu le démographe Patrick Sabourin qui est venu faire une présentation, et certains de mes collègues autour de la table ont tenté de discréditer l'indicateur qu'il considérait comme le plus important, soit la langue parlée à la maison. Qu'est-ce que vous pensez de cet indicateur-là, la langue parlée à la maison? Et est-il important de s'en préoccuper et de l'utiliser comme valeur de référence pour évaluer la situation du déclin du français?

M. Lacroix (Frédéric) : Oui. Bien, donc, il y a un consensus chez les démographes à l'effet que la langue parlée à la maison, la langue d'usage est l'indicateur le plus important pour prédire la vitalité future d'un groupe linguistique. Il faut rappeler que cet indicateur-là, dans le recensement canadien, nous vient de la commission Laurendeau-Dunton des années 60, donc une commission extrêmement importante, le plus important travail intellectuel sur la question jamais fait au Canada, qui a demandé au gouvernement d'insérer une question sur la langue d'usage, donc, ce qui a été fait en 1971. Donc, c'était la conclusion, une des conclusions de cette commission.

Marc Termote, qui est un démographe bien connu, qui a travaillé avec l'OQLF depuis longtemps, a dit… Son opinion, c'est que la langue d'usage, c'est un indicateur incontournable et que… Par exemple, on nous parle souvent de la langue d'usage public, à ne pas confondre avec la langue d'usage ou la langue parlée le plus souvent à la maison. Donc, la langue d'usage public, donc la langue parlée, par exemple, dans les dépanneurs, serait un indicateur sur lequel il faudrait se rabattre. On nous dit souvent ça. On entend ce discours-là. À mon avis, c'est complètement farfelu. Puis M. Termote a dit que se baser sur un indicateur comme la langue d'usage public, c'était renoncer à toute <analyse…

M. Lacroix (Frédéric) : ... la langue parlée, par exemple, dans les dépanneurs, serait un indicateur sur lequel il faudrait se rabattre. On nous dit souvent ça, on entend ce discours-là. À mon avis, c'est complètement farfelu. Puis M. Termote a dit que se baser sur un indicateur comme la langue d'usage public, c'était renoncer à toute >analyse démolinguistique. Donc, c'est son opinion. C'est dans un des articles qu'il a écrits pour l'OQLF en 2008.

Donc, il n'y a pas de doute à avoir qu'il faut avoir cet indicateur parmi la batterie d'indicateurs. Il peut y en avoir d'autres. Cependant, celui-là est crucial.

M. Jolin-Barrette : O.K. Sur la question... Dans votre mémoire, je crois, vous faites référence à l'épisode de Mme France Boucher, à la tête de l'OQLF, et relativement au fait, et je l'ai dit hier, que des études de l'OQLF n'ont pas été rendues publiques pendant des années et que les indicateurs, également, étaient sélectionnés pour avoir un beau portrait de la situation.

Alors, dans le projet de loi, ce qu'on propose, c'est de mettre des dates dans... pour que l'OQLF produise des rapports et avec des rapports intérimaires aux deux ans, à travers les différents rapports qui sont rendus, mais aussi d'avoir un commissaire à la langue française qui va être nommé par l'Assemblée nationale et qui va pouvoir surveiller les données statistiques, les indicateurs qui vont être choisis par l'OQLF, pour que ce soit fait en concertation, justement, pour que, peu importent les gouvernements qui vont passer au Québec... que la population puisse avoir un juste portrait.

Est-ce que vous croyez que ces dispositions-là, par rapport aux institutions qu'on vient créer dans le projet de loi, sont suffisantes par rapport, notamment, à l'indépendance qu'il va y avoir sur la production des rapports, sur l'état de situation de la langue française au Québec?

M. Lacroix (Frédéric) : Oui. Un des problèmes de l'OQLF pendant longtemps, c'était que les nominations étaient politiques. Donc, la personne nommée avait, selon ma compréhension des choses, pour mission implicite de ne pas faire de vagues sur la question linguistique. Puis... Donc, il y a des études, comme une étude... une étude de projection, là, démolinguistique de Marc Termote qui a été camouflée par l'office pendant de nombreux mois. Ça a pris l'intervention des médias pour que les données soient dévoilées. Bien sûr, l'étude n'était pas positive pour l'évolution du français à Montréal. Ça, c'était il y a 15 ans. Donc...

Puis un des problèmes aussi de l'OQLF, c'est que, bon, un rapport quinquennal... Ils pondent un rapport quinquennal, puis ce rapport-là, c'est des centaines de pages, des milliers de chiffres. C'est complètement incompréhensible. Puis souvent il n'y a pas de synthèse.

Puis, à mon avis, ce que ça prend, c'est un suivi. Il ne faut pas changer. Ça prend un suivi linguistique de la situation avec les mêmes paramètres à chaque fois, calculés de la même façon, pour qu'on puisse faire un suivi dans le temps. Ça, c'est très important. Puis ça prend une synthèse qui soit accessible et compréhensible au public. Donc, en écrivant mon livre, j'ai voulu faire cette synthèse, mais c'était le travail, en fait, de l'office. Donc, ça prend une synthèse simple et accessible.

Puis donc, dans mon mémoire, j'ai quelques suggestions pour le commissaire, donc, ce commissaire-là, d'avoir une compétence reconnue sur la <question...

M. Lacroix (Frédéric) : … au public.

Donc, en écrivant mon livre, j'ai voulu faire cette synthèse, mais c'était le travail en fait de l'office. Donc, ça prend une synthèse simple et accessible. Puis donc, dans mon mémoire, j'ai quelques suggestions pour le commissaire, donc, ce commissaire-là, d'avoir une compétence reconnue sur la >question. Donc, ce n'est pas dans le libellé, je crois bien.

Puis, comme disait mon confrère Sabourin hier, une des faiblesses majeures qu'on a, c'est la production de savoir dans ce domaine. Il y a peu de recherche quantitative qui est faite maintenant. Ça, c'est une lacune majeure à mes yeux.

Une autre lacune majeure, c'est que le Québec n'effectue pas de recensement. Je sais que c'est dans la Constitution canadienne, mais, à mon avis, le Québec devrait procéder à quelque chose qui ressemble au recensement sur son territoire afin de collecter ses propres données pour éviter les changements de question ou les changements d'indicateur qui sont faits par Statistique Canada, qui nuisent considérablement au suivi de la situation linguistique.

• (15 h 10) •

M. Jolin-Barrette : O.K. Peut-être une dernière question avant de céder la parole à mes collègues. Vous avez abordé la question des cégeps et vous avez dit : Probablement que cette… la proposition, dans le cadre du projet de loi n° 96, sera mal acceptée par la population. Parce que, notamment, vous dites : Ça va amener un écrémage, et les gens vont vouloir accéder aux cégeps en anglais, et là il va y avoir un bassin restreint de personnes qui vont y accéder. Entre… Vous êtes d'avis qu'on devrait étendre la loi 101 aux cégeps pour les francophones et les allophones. Entre cette possibilité-là, et la possibilité que je propose, et celle de ne rien faire, de laisser les cégeps, donc, c'est les trois possibilités qui existent, là, dans l'univers présentement, est-ce que vous croyez que ce que nous proposons va, sur le plus long terme, avoir un impact sur la fréquentation scolaire des cégeps?

M. Lacroix (Frédéric) : Bien, je pense que ça ne va pas changer la dynamique linguistique à Montréal, si c'est ça, la question. Est-ce que ça va arrêter le déclin du français à Montréal? Est-ce que ça va arrêter l'anglicisation des jeunes francophones à Montréal? À mon avis, non. Ça va freiner l'accélération du déclin du français, si vous me suivez.

Puis je pense que vous devriez y aller pour un gel. O.K., la loi… Faire tomber le libre choix, c'est une impossibilité, je comprends. Donc, ça doit être un gel franc des places et non pas une croissance contingentée, qui est une mesure bancale, à mon avis.

Puis l'autre problème majeur, puis ce qui est peut-être un problème plus important que celui des effectifs, c'est l'écrémage, donc le déclassement symbolique du français. Tout le monde sait, tous les étudiants sur l'île de Montréal savent que, s'ils veulent avoir un avenir prometteur, ils doivent aller à Dawson et John-Abbott, puis après à McGill et Concordia. Donc, le français est déclassé symboliquement, puis ça, c'est très lourd de conséquences.

Donc, à mon avis, vous devriez introduire une clause de sélection aléatoire des postulants, puis que, donc, les directions des cégeps anglais ne <puissent pas…

M. Lacroix (Frédéric) : … avoir un avenir prometteur, ils doivent aller à Dawson et John-Abbott, puis après à McGill et Concordia. Donc, le français est déclassé symboliquement, puis ça, c'est très lourd de conséquences. Donc, à mon avis, vous devriez introduire une clause de sélection aléatoire des postulants, puis que, donc, les directions des cégeps anglais ne >puissent pas sélectionner seulement la crème et l'élite académique.

Donc, s'il y avait un gel puis une sélection aléatoire des postulants, déjà, on rétablirait un peu plus l'équilibre.

M. Jolin-Barrette : Je vous remercie pour votre présence en commission parlementaire.

M. Lacroix (Frédéric) : Merci.

La Présidente (Mme Thériault) : Merci. Donc, je vais céder la parole au député de Saint-Jean, et vous avez un peu moins de 5 min 30 s.

M. Lemieux : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, M. Lacroix. C'est assez phénoménal, quand on est assis de ce côté-ci puis qu'on voit les témoins se succéder, jusqu'à quel point la perspective fait une énorme différence. Je me suis retenu d'essayer de faire un débat de constitution avec un constitutionnaliste, mais j'aurais bien aimé parler plus longtemps, tout à l'heure, avec un avocat qui nous expliquait des choses qui me semblaient très terre à terre.

Quand vous arrivez avec votre livre, le titre, forcément, choque, mais, en même temps, ça me rappelle qu'hier Guy Rocher était… Je ne veux pas rien lui faire dire, là, il l'a dit avec suffisamment d'éloquence, mais, juste pour le répéter... Je lui demandais où on en serait si, après 40 quelques années, il n'y avait pas eu sa charte, la charte du Dr Laurin, mais qu'il a coécrite, disons, et il me disait : Bien, vous savez, il faut qu'on s'ajuste, il faut qu'on s'ajuste avec la mondialisation, avec le temps qui passe, avec tout le reste. Et ça m'a frappé jusqu'à quel point, effectivement, il ne s'est pas passé grand-chose depuis 40 quelques années. Elle peut bien ne pas marcher, elle n'était pas capable de suivre, la loi 101, si je résume seulement le titre de votre livre.

Ce qu'on est en train de faire en ce moment, c'est l'actualiser. Vous allez me dire que ce n'est pas assez, vous l'avez éloquemment expliqué. Mais, à quelque part, ça va dans la même direction, c'est la même volonté : protéger la loi, protéger le français pour l'avenir puis s'ajuster. Expliquez-moi pourquoi on est toujours maladroits dans notre façon d'aborder les leviers qu'on a avec le français, parce qu'à chaque fois ils explosent dans les mains de ceux qui les manipulent.

M. Lacroix (Frédéric) : Bien, c'est sûr que c'est une question très, très sensible. Je vous rappelle que, quand M. Laurin a déposé la charte, il a dit que la charte était le commencement des actions du gouvernement du Québec en faveur du français. Puis ce ne fut pas le cas, ça a été le début et la fin, en même temps, des actions pour le français.

Donc, si on se met dans la perspective du projet de loi actuel, si le projet de loi actuel est le commencement des actions, à ce moment-là, c'est un excellent projet de loi. Si c'est le commencement et la fin, s'il n'est suivi de rien d'autre pendant 40 ans, à ce moment-là, il va arriver ce que Statistique Canada nous prédit. Mais, si c'est le début, c'est un bon premier projet de loi. Donc, j'en appelle d'autres.

Donc, pourquoi on est gênés? Bien, je pense qu'il faut dire les choses telles qu'elles <sont…

M. Lacroix (Frédéric) : pendant 40 ans, à ce moment-là il va arriver ce que Statistique Canada nous prédit, mais si c'est le début, c'est un bon premier projet de loi. Donc, j'en appelle d'autres.

Donc, pourquoi on est gêné? Bien, je pense qu'il faut dire les choses telles qu'elles >sont. Donc, il ne faut pas être gêné de dire les choses telles qu'elles sont.

Puis il faut se fier aussi au meilleur résultat objectif sur la question pour se dégager des impressions subjectives. Moi, ça, c'est quelque chose de très important, je crois. Malheureusement, comme je le disais, bien, la recherche en ce domaine est parcellaire puis souvent insatisfaisante. Donc, ça, c'est une lacune qu'il faut combler, à mon avis.

M. Lemieux : …entendais tout à l'heure expliquer en partie pourquoi on n'avait pas eu plus de chiffres et de rapports de l'OQLF, comme si ça allait de soi. Il y a quelque chose de profondément choquant à vous entendre expliquer... Bon, il y a bien, tu sais...

Mais, au final, on a travaillé là-dessus un peu hier, et le ministre expliquait jusqu'à quel point, malgré le fait que c'est encore Statistique Canada qui pose les questions, donc on vit avec les réponses posées par quelqu'un d'autre, bien, au final, qu'on allait quand même, avec la vision du projet de loi n° 96, essayer d'aller s'assurer d'un meilleur encadrement de la recherche. Ça fait partie de la solution beaucoup plus qu'on le pense. Quand on se réveille après 10 ans, pas de chiffres, à se dire : Mon Dieu! comment ça qu'on est rendus là?, bien, c'est parce qu'on ne l'a pas regardé pendant 10 ans. Alors, la recherche, ce n'est pas le nerf de la guerre, ce n'est pas ça qui va tout changer, mais c'est ce qui nous donne la garantie d'être capables de suivre le changement.

M. Lacroix (Frédéric) : Oui. Moi, il y a beaucoup de questions que je me pose dans ce domaine, auxquelles je n'ai pas la réponse. Donc, il y a beaucoup d'études que je me dis : Ah! ce serait vraiment bien de savoir ça, mais on ne l'a pas. Donc, oui, c'est le nerf de la guerre, à mon avis. Puis il faut que ce soit de la recherche indépendante faite, j'oserais presque dire, de bonne foi.

M. Lemieux : Francisation Québec, en terminant, parce qu'effectivement il y a plusieurs façons de prendre le taureau, et il n'a pas juste une corne, là, Francisation Québec, moi, en tout cas, à sa face même, m'apparaissait un effort concerté et organisé qui a plus de chances de fonctionner.

M. Lacroix (Frédéric) : Oui, je suis d'accord. C'est une bonne mesure. C'est une bonne idée de tout regrouper là. Mais il ne faut pas s'imaginer qu'en faisant ça on va venir agir sur les substitutions linguistiques en faveur du français, parce que ce qui vient agir là-dessus, c'est la sélection de l'immigration.

On sait que la francisation… Si on regarde la francisation qui se fait sur le sol, au Québec, là, donc, les immigrants arrivent, puis on enlève ceux qui sont francisés à l'étranger, la francisation est d'à peu près 38 % en faveur du français seulement, en 2016, à peu près 62 % en faveur de l'anglais. Donc, de tous les allophones, les immigrants... tous les immigrants allophones, leurs enfants, etc., 62 % font des substitutions linguistiques vers le français sur le sol. Donc, le facteur qui permet de rehausser ça, c'est la sélection de francotropes.

M. Lemieux : ...passer au <prochain…

M. Lacroix (Frédéric) : en 2016, à peu près 62 % en faveur de l'anglais. Donc, de tous les allophones, les immigrants, tous les immigrants allophones, leurs enfants, etc., 62 % font des substitutions linguistiques vers le français sur le sol. Donc, le facteur qui permet de rehausser ça, c'est la sélection de francotropes.

M. Lemieux : ...passer au >prochain. Merci beaucoup, M. Lacroix.

La Présidente (Mme Thériault) : Pas de problème. Merci. Donc, sans plus tarder, Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, pour vos 11 minutes.

Mme David : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Lacroix. J'ai passé… Je l'ai dit hier à Guillaume Rousseau, mais je le dis à vous aussi, j'ai passé beaucoup, beaucoup de temps, très annoté, de votre livre. Je l'ai lu trois fois plutôt qu'une, avec quand même un certain nombre de réactions.

Si je peux résumer, il y a un concept qui vous est très, très cher. Je ne sais pas si c'est de vous qu'il vient, le concept de surcomplétude institutionnelle, mais vous avez l'air à y tenir comme à la prunelle de vos yeux. Ce concept-là, vous l'appliquez aux collèges, aux universités, aux institutions de santé, anglophones particulièrement, évidemment, par rapport à francophones, peut-être plus précisément à la grande communauté urbaine de Montréal, je pourrais dire, même, Montréal.

Et je vous cite, à la page 16 de votre mémoire, vous dites : «Si on souhaite réellement redonner de l'oxygène au français comme langue de travail, il faut, de un, réduire sérieusement la surcomplétude institutionnelle des institutions anglophones au Québec.»

Pour avoir lu votre livre, comme je vous dis, attentivement, vous y allez de façon quand même assez radicale. Il faudrait vraiment définancer ce qui est au-delà du poids démographique de la communauté anglophone, et vous appliquez ça, collèges, universités, hôpitaux. Alors, j'aimerais ça vous entendre plus sur l'application de votre surcomplétude institutionnelle.

• (15 h 20) •

M. Lacroix (Frédéric) : Oui. Bien, je réfute l'étiquette de radical, en premier lieu. À mon avis, c'est la situation actuelle qui est radicale. Et le sous-financement chronique des institutions de langue française, ça, on en parle peu. Mais l'envers de la médaille, c'est que le réseau institutionnel de langue française au Québec est en état d'asphyxie chronique, les cégeps, les universités et les hôpitaux. Donc, je pense qu'on peut renverser la perspective.

Puis la compétition institutionnelle, ce n'est pas mon invention. C'est un concept qui a été inventé par Raymond Breton, un sociologue de la University of Toronto, dans ses études doctorales. Puis c'est un concept, comme je l'écris dans le livre, qui a été reconnu en droit canadien lors de la cause Montfort, puis, depuis lors, il a été utilisé à sept reprises, donc, devant les tribunaux, souvent avec succès. Donc, ce n'est pas du tout un concept farfelu ou tiré par les cheveux. Puis ce que ce concept-là exprime, c'est que c'est... l'ampleur du réseau institutionnel a une incidence directe sur la vitalité linguistique d'une communauté.

Donc, ce que je propose dans mon livre, ce n'est pas d'enlever des droits aux anglophones, ce n'est pas de fermer des institutions anglophones, c'est de rétablir un équilibre de financement entre les deux réseaux. <Donc, ce que...

M. Lacroix (Frédéric) : ...a une incidence directe sur la vitalité linguistique d'une communauté. Donc, ce que je propose dans mon livre, ce n'est pas d'enlever des droits aux anglophones, ce n'est pas de fermer des institutions anglophones, c'est de rétablir un équilibre de financement entre les deux réseaux. >Donc, ce que je propose, en fait, c'est qu'il y ait une équité de financement entre les deux groupes linguistiques au Québec. Cette équité, à l'heure actuelle, n'existe pas. Donc, les francophones sont pénalisés.

Mme David : Les financements des réseaux sont équitables, dans le sens où c'est fait par le nombre d'étudiants. Il y a beaucoup moins d'étudiants à McGill qu'il y en a à l'Université de Montréal. Ils ont décidé de limiter leur admission. Donc, ce n'est pas sur la question de l'argent subventionné, de l'argent qui vient du gouvernement dans les institutions, ça va en fonction du nombre d'étudiants.

M. Lacroix (Frédéric) : Non.

Mme David : Alors, si on descend le nombre d'étudiants, par exemple, c'est... je pense, c'est ce que vous voulez faire, dans les cégeps anglophones, qu'est-ce qu'on fait? Guillaume Rousseau proposait de privatiser, c'est-à-dire que les non-ayants droit, comme il qualifiait correctement, là, au sens légal, paieraient des droits, évidemment, majorés, puisqu'ils ne seraient pas subventionnés, le collège, ou l'université, ou les hôpitaux ne seraient pas subventionnés pour ces étudiants-là. Est-ce que vous êtes d'accord avec lui?

M. Lacroix (Frédéric) : Ce que le concept de complétude institutionnelle exprime, c'est qu'il y a un lien entre la vitalité d'une langue, donc les substitutions linguistiques vers cette langue, et l'ampleur du réseau institutionnel. Donc, moi, c'est ce que j'affirme. Ce lien-là, je pense, est indéniable.

Donc, à savoir si on veut faire quelque chose ou on ne veut rien faire, ça, c'est du domaine du politique. Donc, c'est à vous de décider. Puis ça, c'est... Une des iniquités de financement, c'est celle-là.

Mais il y a une autre iniquité de financement, donc, je l'ai démontré, au niveau universitaire, c'est par étudiant. Donc, il y a aussi une iniquité de financement par étudiant Donc, au niveau universitaire, par étudiant équivalent temps plein, par EETP, les universités de langue anglaise, par exemple — je l'ai calculé pour les fonds d'immobilisation — ont 56 % de plus de fonds d'immobilisation par étudiant que les universités de langue française sur l'île de Montréal.

Donc, il y a deux iniquités. Il y a une iniquité au niveau de la complétude institutionnelle puis il y a aussi celle qui frappe l'étudiant même. Donc, j'ai écrit un article là-dessus dans L'Aut'Journal, Québec préfère les universités anglaises. Je vous invite à le lire.

Mme David : J'ai lu aussi. Je pourrais discuter longuement de tout ça, mais je vais passer la parole à mon collègue.

La Présidente (Mme Thériault) : Merci. M. le député de La Pinière, il vous reste 5 min 45 s.

M. Barrette : Merci, Mme la Présidente, M. Lacroix. Vous avez dit une chose qui m'a beaucoup étonné, et la raison pour laquelle ça m'a étonné, bien, ça vient simplement du fait que j'ai deux jeunes adultes qui sont rendus au sortir de l'université : Tous les étudiants au Québec, à Montréal, savent que, si on veut avancer dans la vie — c'est les premiers mots que vous avez dits, là — il faut aller à Dawson ou à John-Abbott. Moi, les deux miens, là, ne m'ont jamais demandé ça. Vous tenez cette donnée-là d'où, que, tout le monde, là, c'est de connaissance commune, pour avancer dans la vie, il faut passer par Dawson ou <John-Abbott?

M. Barrette : ... au sortir de l'université. Tous les étudiants au Québec à Montréal savent que, si on veut avancer dans la vie, c'est les premiers mots que vous avez dits, là, il faut aller à Dawson ou à John-Abbott. Moi, les deux miens, là, ne m'ont jamais demandé ça. Vous tenez cette donnée-là d'où, que tout le monde, là, c'est de connaissance commune, pour avancer dans la vie, il faut passer par Dawson ou >John-Abbott?

M. Lacroix (Frédéric) : Bien, c'est ce que beaucoup d'étudiants m'ont dit. Évidemment, il n'y a pas d'étude là-dessus. Il y a une étude, à vrai dire, qui sont les statistiques d'admission de Dawson, qui a été publiée par Le Journal de Montréal. Dawson reçoit 11 500 demandes d'admission par année et accepte seulement 30 % des étudiants. Donc, l'écrémage effectué par Dawson est phénoménal. 11 500, c'est une grande proportion des étudiants au collégial à Montréal. Donc, mon affirmation, je pense, n'est pas complètement farfelue.

M. Barrette : Je ne vous dis pas qu'elle est farfelue, je vous dis qu'elle n'est pas fondée, tout simplement. Ce n'est pas la même chose. Elle n'est pas fondée sur des analyses rigoureuses.

M. Lacroix (Frédéric) : J'aimerais justement qu'on les fasse.

M. Barrette : Bon, très bien. Maintenant, vous dites également... Attendez juste un petit instant. Vous dites une chose qui m'étonne beaucoup : L'écrémage se fait seulement du côté anglais. De votre côté, là, il n'y a pas d'écrémage du côté francophone.

M. Lacroix (Frédéric) : Non, parce que, si on regarde la cote R des étudiants admis, si vous consultez le graphique dans mon livre, c'est très clair, là, il y a un sucroît, dans les cotes R élevées, qui est très significatif du côté anglophone.

M. Barrette : Mais là ça devient une question de ratio. Il y a plus d'établissements francophones. Et les établissements francophones, par définition, sélectionnent eux aussi. Sélectionnant, il y a un écrémage, là. Parce qu'évidemment que c'est une question de numérateur et de dénominateur, là. Vous avez plus de cégeps francophones au Québec que d'anglophones, ça dilue le nombre d'étudiants. Et, à mon sens, c'est inexact de dire que les cégeps francophones n'écrèment pas. Je ne vous dis pas que les cégeps francophones sont égaux, je dis qu'il en existe du côté francophone aussi.

M. Lacroix (Frédéric) : C'est une question de proportion.

M. Barrette : Bien oui, c'est ce que je dis.

M. Lacroix (Frédéric) : Donc, les cégeps... Bien, évidemment que les cégeps admettent des étudiants ou non, mais la sélection effectuée par les cégeps anglais est beaucoup plus importante. Ça, c'est démontré hors de tout doute.

M. Barrette : Vous nous dites, si je comprends bien, votre choix politique, si vous aviez le pouvoir de le faire, sur l'argument de la surcomplétude des institutions anglophones — je vais prendre mon domaine, en santé — vous, votre approche est une approche proportionnelle. Vous êtes dans une approche de règle de trois. Essentiellement, vous considérez qu'il y a trop d'argents qui vont dans les institutions dites anglophones. Parce qu'ils sont moins nombreux, ils devraient en avoir moins. Donc, vous prônez un définancement de ces institutions-là.

M. Lacroix (Frédéric) : Encore là, ce n'est pas mon approche, c'est quelque chose qui est bien établi. Puis, encore là, la solution doit être politique. Moi, je n'ai pas de solution, là-dessus, à vous offrir. Il y a une multitude d'avenues possibles pour assurer une équité de financement. Donc, c'est à vous.

M. Barrette : Bon. Comment pouvez-vous affirmer qu'il y a une surcomplétude, particulièrement dans le réseau de la santé, alors que, dans mon <expérience, je ne...

M. Lacroix (Frédéric) : ... il y a une multitude d'avenues possibles pour assurer une équité de financement, donc c'est à vous.

M. Barrette : Bon. Comment pouvez-vous affirmer qu'il y a une surcomplétude, particulièrement dans le réseau de la santé, alors que, dans mon >mon expérience, je ne connais pas d'institution qui, dans leur financement public, par gestes posés en termes de santé, il y a un financement différencié entre les anglophones et les francophones?

M. Lacroix (Frédéric) : La question, c'est... La distinction qu'il faut faire dans les services de santé, c'est celle entre la langue de travail et celle de la langue des services.

M. Barrette : Je m'excuse de vous interrompre. Vous avez abordé la question sous l'angle du financement. Moi, je veux bien aller sur la langue d'usage, et ainsi de suite, on va s'entendre là-dessus. Même, je vous le dis tout de suite à l'avance. Mais, sur le financement, d'où sortez-vous la donnée selon laquelle il y a plus d'argent pour un service donné dans hôpital anglophone que dans un hôpital francophone dans la région de Montréal?

M. Lacroix (Frédéric) : Je n'ai pas dit ça. Je n'ai jamais dit ça. Je n'ai jamais dit qu'il y avait plus d'argent dans un hôpital anglophone. Le financement se fait à l'acte, là, on le sait. J'ai dit que la dimension du réseau de langue anglaise dépasse de loin la taille de la démographie de la communauté de langue anglaise. Ce n'est pas du tout la même chose.

Puis, par institution anglophone, ce que j'entends par là, c'est la langue de travail, donc, pas la langue de service. On pourrait très bien avoir un réseau de la santé au Québec où la langue du travail soit le français mur à mur puis qui offre des services en anglais. Donc, ça, il n'y aurait aucun problème avec ça. La communauté anglophone aurait des services de santé dans sa langue. Ça, c'est une possibilité.

M. Barrette : Peut-être que je vous ai mal compris, mais vous avez fait le parallèle aussi, à un moment donné, en termes de financement par étudiant. Bon, reprochez-moi de faire un parallèle avec par unité de soins. Je ne vois pas ça, moi. Je ne vois pas...

M. Lacroix (Frédéric) : Je n'ai jamais dit qu'il y avait une différence de financement par unité de soins pour la santé. J'ai dit : Pour les universités, il y en a une, et c'est démontré.

M. Barrette : Et elle vient d'où, d'après vous? Est-ce qu'elle vient de la portion publique ou elle vient de la philanthropie?

M. Lacroix (Frédéric) : Elle vient de la portion publique en partie, en partie. Oui, il y a un déséquilibre dans le financement public assuré par le gouvernement du Québec. Il y a un déséquilibre, aussi, massif de la part du fédéral, mais ça, c'est une autre question. Il y a un déséquilibre dans les fonds du gouvernement du Québec même.

M. Barrette : Sur la base de la proportionnalité. Votre argument, c'est la proportionnalité.

M. Lacroix (Frédéric) : Non, non. Vous m'avez mal suivi. C'est sur la base par étudiant.

M. Barrette : Mme la Présidente, je pense que j'ai fini, hein?

La Présidente (Mme Thériault) : Oui, vous venez de terminer le temps. Donc, sans plus tarder, je me tourne vers la députée de Mercier pour vos 2 min 45 s.

Mme Ghazal : Merci, merci. Finalement, j'ai eu le temps de vous poser une question. Tout à l'heure, je n'étais pas certaine. Mais je vais devoir quitter tout de suite après.

Écoutez, dans votre mémoire, vous n'en parlez pas vraiment, mais, dans votre livre, que j'ai, bon, aussi lu et étudié, vous dites, à la page 76, qu'«il faut une réduction durable de l'immigration afin de ralentir le recul du français». Quand vous dites «immigration», est-ce que vous parlez de tous les types d'immigration? Parce qu'on sait, il y a une volonté du gouvernement à augmenter l'immigration des travailleurs étrangers temporaires, qui, peut-être éventuellement, pourraient vouloir rester ici. Donc, de quelle immigration vous parlez? Toute l'immigration?

• (15 h 30) •

M. Lacroix (Frédéric) : Là, la question de l'immigration, c'est un sujet complexe qui se <prête mal à une réponse...

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15 h 30 (version révisée)

<17933 Mme Ghazal : …tous les types d'immigration? Parce qu'on sait, il y a une volonté du gouvernement à augmenter l'immigration des travailleurs étrangers temporaires, qui peut-être éventuellement pourraient vouloir rester ici. Donc, de quelle immigration vous parlez? Toute l'immigration?

M. Lacroix (Frédéric) : Là, la question de l'immigration, c'est un sujet complexe qui se >prête mal à une réponse simple. Donc, ce qu'on sait, c'est que... À cause de l'ampleur des substitutions linguistiques qui sont faites vers l'anglais, à mon avis, le niveau actuel d'immigration est excessif. Donc, on n'arrive pas à intégrer ces immigrants-là. Donc, la question pourrait être, bon : Si on acceptait seulement des immigrants francotropes, est-ce que la question des seuils serait aussi importante? À mon avis, non. Si les immigrants étaient largement francisés ou francotropes, l'acuité de la question des seuils se poserait de… la question se poserait de façon moins aiguë.

Quant au type d'immigration, oui, je pense que la question de l'immigration temporaire est très, très importante, puis elle n'est pas… elle ne semble pas être sur l'écran radar quand on parle de l'immigration. Donc, ce qu'il faut considérer, c'est l'immigration temporaire et permanente à la fois, parce que les deux ont un impact sur la vitalité du français. Puis on sait que les flux d'immigrants temporaires au Québec sont en augmentation exponentielle.

Mme Ghazal : Énorme, oui.

M. Lacroix (Frédéric) : Donc… C'est ça, donc, en particulier dans les universités de langue anglaise, bon, mais pas seulement. Donc, cette immigration-là a un impact.

Mme Ghazal : Donc, vous ne faites pas beaucoup confiance à notre système d'intégration, au Québec, des immigrants au français.

M. Lacroix (Frédéric) : Bien, on sait que l'intégration sur le sol se fait à plus de 60 % en anglais. Donc, si on accepte des gens qui ne sont pas francisés d'avance, on sait qu'à 60 % et plus ils vont faire des transferts linguistiques vers l'anglais dans l'avenir.

Mme Ghazal : On ne peut pas faire un effort pour changer une fois qu'ils sont ici mais... Comme j'ai peu de temps, pour les étudiants internationaux, dans l'article, aujourd'hui, du Devoir, vous disiez que la solution serait que… d'exiger que les candidats à la résidence permanente aient suivi un programme d'études en français. Donc, un étudiant international qui fait ses études en anglais, qui veut, après ça, rester ici, faire la résidence permanente, là, il va falloir qu'il continue ou qu'il fasse un autre programme en français. J'essaie juste de comprendre votre solution.

M. Lacroix (Frédéric) : Bien, lors de la réforme du Programme de l'expérience québécoise, donc, il y a eu une levée de boucliers. On se rappelle en particulier du cégep de Matane, qui s'est opposé à la réforme parce qu'il a beaucoup d'étudiants internationaux. Puis moi, j'ai trouvé ça malheureux que le projet… cette réforme-là ne fasse pas la distinction entre les étudiants qui sont scolarisés en anglais ou en français, parce qu'à ce moment-là... Ceux qui sont au cégep de Matane, à mon avis, c'est une bonne chose.

La Présidente (Mme Thériault) : …mettre fin, malheureusement. Donc, M. le député de Matane-Matapédia, nous parlions de votre belle région. La parole est à vous.

M. Bérubé : Mme la Présidente, notre invité me fournit une tribune exceptionnelle pour dire que c'est une bonne chose de fréquenter le cégep de Matane et que ce cégep a bien fait de mener la bataille qui a amené au recul qu'on connaît, pour des raisons évidentes. Donc, la capacité d'intégrer en <français dans…

La Présidente (Mme Thériault) : ... M. le député de Matane-Matapédia, nous parlions de votre belle région, la parole est à vous.

M. Bérubé : Mme la Présidente, notre invité me fournit une tribune exceptionnelle pour dire que c'est une bonne chose de fréquenter le cégep de Matane et que ce cégep a bien fait de mener la bataille qui a amené au recul qu'on connaît pour des raisons évidentes. Donc, la capacité d'intégrer en >français dans la région de Matane, c'est fantastique, et je vous dirais que c'est un succès que je salue, celui de l'intégration de ces étudiants internationaux.

Ceci étant dit, vous avez parlé de l'exemplarité de l'État ou le ministre en a parlé tout à l'heure. Puis j'ajouterais la donnée de cohérence de l'État. Vous avez évoqué que le gouvernement ne peut pas poser des gestes qui vont à l'encontre de ses volontés en matière de langue.

Alors, je vous offre cette tribune pour expliquer, au ministre surtout, parce que moi, je suis convaincu, pourquoi les annonces successives quant à Dawson et Royal Victoria vont à l'encontre de tout ce que le gouvernement veut faire en matière de langue et en quoi ça contribue à faire de l'anglais la langue de prestige, la langue de référence en plein coeur de Montréal. Je vous offre tout le temps qu'il me reste pour vous exprimer à ce sujet.

La Présidente (Mme Thériault) : ...

M. Lacroix (Frédéric) : Oui. Donc, l'essayiste Marc Chevrier a qualifié le français, au Québec, de langue infantile, puis, à mon avis, c'est un terme très exact, parce que les clauses scolaires de la loi 101 s'appliquent seulement au primaire, au secondaire et cessent au collégial. Donc, on considère qu'à partir du collégial il y a un libre marché bilinguistique que l'État doit financer sans limites. Donc, au cégep et à l'université, l'État québécois est intégralement bilingue. Il finance les études à 100 %, selon les volontés de l'étudiant. Cette politique-là est, à mon avis, en contradiction totale avec la volonté de faire du français la langue commune et la langue officielle.

Si... Moi, j'aimerais ça parler de Dawson très longtemps. J'ai beaucoup de choses à dire sur ce sujet-là. Dawson, c'est le plus gros cégep au Québec. Il est cinq fois plus gros que la moyenne des cégeps. Puis moi, je ne comprends pas qu'on finance une expansion. C'est vraiment une expansion, un agrandissement, et non une simple mise à niveau, parce que c'est un nouveau bâtiment de six étages qui va accueillir des nouveaux programmes. Donc, quand on nous parle de mise à niveau, c'est faux.

Quant à donner le Royal Victoria à McGill, bien, il faut comprendre que McGill University, l'institution royale pour l'avancement du savoir et l'hôpital, ce n'est pas la même entité. L'hôpital, c'est du domaine public. McGill, c'est une corporation privée. Donc, ce qui se passe, c'est que le gouvernement transfère un bien public à une corporation privée, puis, à mon avis, c'est quelque chose qui ne se fait pas, qui ne doit pas se faire.

Donc, on joue souvent sur les mots en parlant du Royal Vic, en disant : Bien, c'est déjà à McGill. Non, ce n'est pas déjà à McGill.

La Présidente (Mme Thériault) : Je dois mettre fin à l'échange. Donc, je vous remercie, M. Lacroix, d'avoir accepté de venir nous rencontrer cet après-midi.

Donc, je vais suspendre quelques instants pour laisser l'autre groupe de se préparer et de venir nous <rejoindre. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 36)

La Présidente (Mme Thériault) : ... pour laisser l'autre groupe de se préparer et de venir nous >rejoindre. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 36)

(Reprise à 15 h 39)

La Présidente (Mme Thériault) : Donc, nous reprenons les travaux de la Commission de la culture et des... de la culture, des communications et de l'éducation. Bienvenue à M. Curzi, aux travaux de la commission, en tant qu'ex-député de Borduas. C'est un plaisir de vous revoir. Et, sans plus tarder, vous savez comment ça fonctionne, vous avez 10 minutes pour nous faire votre exposé, et il y aura des échanges, après, avec les députés. La parole est à vous.

M. Pierre Curzi

M. Curzi (Pierre) : Merci, Mme la Présidente. D'abord, je veux saluer M. le ministre, vous-même, M. le ministre et les députés qui sont présents à cette commission-là. Ma présentation va être relativement courte, je pense.

• (15 h 40) •

Il y a... En 2010, j'étais député à l'Assemblée nationale et du Parti québécois, député de Borduas, et j'avais le dossier de la langue. À cette époque-là, c'est, donc... je vous parle du printemps 2010, j'ai publié une première étude qui s'appelait Le grand Montréal s'anglicise, une esquisse de la situation du français au Québec. Ensuite, à l'hiver 2011, j'ai publié une autre étude qui s'appelait L'application de la Charte de la langue française au collégial : un prolongement nécessaire. Ça vous indique déjà où je vais aller. Puis enfin j'ai une autre étude qui s'intitulait L'effet anglicisant du déséquilibre du financement des universités.

En 2012, j'étais député indépendant et, avec Éric Bouchard et avec les juristes de l'Assemblée nationale, j'ai déposé un projet de loi, le projet de loi n° 593, qui était, à toutes fins pratiques, une réécriture complète de la loi 101. Évidemment, comme député indépendant, ce projet de loi là a été immédiatement tabletté et il s'est perdu quelque part dans les oubliettes. Je vous dis tout ça non pas par vantardise ou par orgueil, mais je le dis parce que c'était il y a 10 ans. Et, depuis 10 ans, honnêtement, il n'y a pas eu de geste structurant pour contrer ce qu'on avait déjà décrit à l'époque, il y a 10 ans, comme une situation alarmante, une situation inquiétante, c'est-à-dire l'anglicisation du Grand Montréal, et on aurait pu ajouter de la région de l'Outaouais et des régions frontières du Québec.

Or, je dis tout ça parce que je veux me féliciter et féliciter le ministre. Quand j'ai vu le projet de loi n° 96 apparaître, j'étais heureux. Et je le remercie et je veux remercier son équipe et l'ensemble des gens qui ont travaillé sur ce projet de loi <n° 96 là...

M. Curzi (Pierre) : et des régions frontière du Québec.

Or, je dis tout ça parce que je veux me féliciter et féliciter le ministre. Quand j'ai vu le projet de loi n° 96 apparaître, j'étais heureux. Et je le remercie et je veux remercier son équipe et l'ensemble des gens qui ont travaillé sur ce projet de loi >n° 96 là, parce qu'il contient un grand nombre de mesures extrêmement importantes et structurantes.

Vous l'avez sous les yeux, je ne veux pas en faire tout un retour exhaustif, mais, quand même, le fait d'inscrire la nation et la langue commune à l'intérieur de la Constitution, ce n'est pas banal. Rendre les droits fondamentaux exécutoires, et certains nouveaux droits, comme le droit à l'apprentissage du français, et d'autres droits, c'est extrêmement important. Créer un ministère, créer un poste de commissaire, créer Francisation Québec, voilà autant de créations qui peuvent aider grandement la situation du français. Remettre en place le critère de la prédominance du français, voilà qui n'est pas banal. Et j'y reviendrai parce que je voudrais préciser, en mon sens, où devrait aller cette prédominance-là, jusqu'où elle devrait aller.

L'exemplarité de l'État, voilà un phénomène extrêmement important, parce que, s'il y a une chose sur laquelle un gouvernement peut agir, c'est sur son propre comportement. Et ce n'est pas le seul atout, c'est le fait... que le comportement du gouvernement soit exemplaire va aussi, en quelque sorte, soulever ou enlever une charge sur les personnes qui sont toujours en… qui doivent appliquer la loi. Et je parle aux soldats de la fonction publique qui, eux, vont être en contact avec les personnes à qui elles devront expliquer, par exemple, que ça doit se passer en français. Donc, c'est très important.

Une certaine stabilisation de la fréquentation des cégeps anglophones, bien, ça, je vais y revenir très immédiatement, et la justice et la législation en français.

Donc, un ensemble de mesures, un projet de loi qui m'apparaît cohérent, qui m'apparaît intelligent, qui m'apparaît tenir compte des différents aspects de la loi 101, une oeuvre majeure après avoir adopté la Charte de la langue française. C'est peut-être le moment.

Et je dis que, si cette… ce projet de loi là, dès son adoption, était mis en oeuvre immédiatement, s'il était mis en oeuvre avec une extrême rigueur, s'il était mis en oeuvre avec beaucoup de vigueur, s'il entraînait le nombre de personnes nécessaires pour l'adopter puis le mettre en oeuvre et s'il avait l'ensemble des budgets qui sont nécessaires pour le faire, nous aurions progressé, nous aurions progressé d'une façon importante, nous aurions commencé à contrer le phénomène de l'anglicisation, particulièrement dans le Grand Montréal.

Mais, et là c'est, évidemment, le sens de mon intervention, je crois que ce ne sera pas suffisant. Je crois clairement que ce ne sera pas suffisant. Ce projet de loi là, il manque <quelques…

M. Curzi (Pierre) : ... à contrer le phénomène de l'anglicisation, particulièrement dans le Grand Montréal.

Mais, et là c'est évidemment le sens de mon intervention, je crois que ce ne sera pas suffisant. Je crois clairement que ce ne sera pas suffisant. Ce projet de loi là, il manque >quelques gestes extrêmement structurants pour le rendre vraiment efficace, et qu'on soit vraiment dans une dynamique où on va essayer de renverser une tendance extrêmement inquiétante. Et ça, je pense que tout le monde est prêt à le reconnaître. On l'a vu, ces derniers mois, on a vu, tout d'un coup, une espèce de réveil de conscience sur ce qui est en train de se passer.

Quelles sont ces mesures plus structurantes qui devraient être adoptées? La première, la plus évidente, et je lisais M. Guy Rocher, qui en a parlé, c'est, évidemment, que, lorsqu'on a fait un parcours au primaire et au secondaire en français, on doit aller au cégep en français. Le fait d'imposer, et je dis bien imposer, la fréquentation du cégep français aux gens qui ont un parcours d'études en français va avoir des effets extrêmement structurants, non seulement sur la fréquentation des cégeps, évidemment, mais aussi sur la fréquentation des universités et, par le fait même, sur le financement des universités, qui est actuellement grandement favorable au système universitaire anglais, alors qu'il devrait être, en fait, beaucoup plus favorable au système universitaire français.

Cette fréquentation-là du cégep en français est, à mon sens, un incontournable, et cette commission devrait vraiment s'attarder à en faire un objet absolument nécessaire du projet de loi. Je sais que ce n'est pas une mesure populaire, et on va se buter à de très nombreux préjugés, mais, il n'empêche, elle m'apparaît, quant à moi, absolument fondamentale.

Maintenant, quelles sont les autres mesures? On parle... Il y a actuellement, dans l'exemplarité de l'État puis dans la langue du commerce... Évidemment, tantôt, j'ai oublié de dire, vouloir franciser les entreprises de 25 à 50, ça tombait sous le sens, et en fait le projet de loi le recommande.

L'exemplarité de l'État pourrait être, à mon sens, plus significative, et je m'explique. Quand je lis le projet de loi, on parle de l'accès au marché public comme étant une exigence de cette loi. Autrement dit... Et là je trouvais que «marché public», c'était une notion qui m'échappait un peu. J'ai demandé des précisions. On m'a dit : Ça s'applique aux entreprises qui ont 25 employés et plus, donc les grandes entreprises, et celles qu'on veut franciser.

Là, je ne suis pas entré dans l'article par article, je ne sais pas s'il y a des articles que je ne connais pas, mais il me semble qu'on devrait étendre cet article-là, cette notion-là de marché public à l'ensemble des dollars qui sont dépensés par l'ensemble des ministères, par l'ensemble des organismes qui dépendent des ministères et par, aussi, les sociétés d'État. Et je pense à Hydro-Québec, je pense à la SAQ, je pense à la SQDC, l'ensemble des sociétés d'État, lorsqu'elles <dépensent...

M. Curzi (Pierre) : ... des dollars qui sont dépensés par l'ensemble des ministères, par l'ensemble des organismes qui dépendent des ministères et par aussi les sociétés d'État. Et je pense à Hydro-Québec, je pense à la SAQ, je pense à la SQDC, l'ensemble des sociétés d'État, lorsqu'elles >dépensent, ne devraient le faire, parce qu'il s'agit d'argent public, qu'envers des entreprises, des organismes, j'irais quasiment jusqu'à... pas des individus, mais jusqu'à des petites entreprises, des contrats... toute dépense devrait être liée à un processus de francisation de ceux qui vont bénéficier de cet argent public. Je ne sais pas comment cela s'exprimerait concrètement dans le projet de loi, mais ça me semble être un incontournable.

Une autre mesure qui me semble devoir être encore renforcée, c'est l'affichage en français. Là, on rétablit enfin le critère de la nette prédominance du français, mais il y a un aspect où on n'ose pas... qu'on n'ose pas trop toucher, ce sont les marques de commerce. On sait que, dans les marques de commerce, on doit maintenant y adjoindre une expression française qui définit le genre de commerce. Moi, je pense qu'il faut aller jusqu'à un affichage quasiment unilingue français, c'est-à-dire qu'on respecte la marque de commerce, parce qu'on peut difficilement faire autrement dans notre contexte, mais on adjoint une définition ou un contenu nettement prédominant de la langue française, même à la langue de commerce.

• (15 h 50) •

Je sais que c'est une exigence forte et que plusieurs entreprises ont commencé à se conformer à ce qui a été décidé, voté en 2016, mais je crois qu'on doit faire un pas de plus pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur le visage français. C'est à cette condition-là qu'on va pouvoir commencer à envoyer un message vraiment général qu'au Québec et à Montréal ça se passe en français, et sortir de cette espèce d'ambiguïté qui fait que, quand on arrive à l'aéroport, quand on est à Montréal, on ne sait plus trop... en fait, on sait très bien que c'est un endroit bilingue. Et moi, je pense que le bilinguisme, dans le cas d'une langue commune, est un danger extrêmement inquiétant.

Bon, la dernière mesure, là, qui me vient, peut-être qu'il y en aurait d'autres, mais, disons, la dernière mesure qui me vient, c'est cette espèce de, ah! laxisme sur le fait que les municipalités, quand il y a moins de 50 % d'anglophones, devraient renoncer au bilinguisme et carrément adopter le français comme la langue de leurs communications.

Maintenant, ça, ce sont les mesures qui, à mon sens, doivent impérativement être renforcées dans le projet de loi. Ce n'est pas simple. Et je sais que le projet de loi, il est menacé par différents pièges, puis j'ai tenté d'essayer de voir un peu quels étaient les pièges d'un projet de loi, s'il n'est pas appliqué, s'il n'est pas structuré encore plus fermement et s'il n'est pas <appliqué...

M. Curzi (Pierre) : ... je sais que le projet de loi, il est menacé par différents pièges. Puis j'ai tenté d'essayer de voir un peu quels étaient les pièges d'un projet de loi, s'il n'est pas appliqué, s'il n'est pas structuré encore plus fermement et s'il n'est pas >appliqué avec toute la vigueur nécessaire, et j'en vois plusieurs.

Quand on crée un ministère, quand on crée un poste de commissaire, quand on crée Francisation Québec, on est menacé par la fonction publique, on est menacé par l'enlisement bureaucratique dans lesquels les organismes peuvent tomber.

On est menacé aussi par un changement, changement de ministre, changement de parti au pouvoir. Donc, on peut revenir sur certaines décisions. Comment éviter ces pièges-là? C'est important.

La Présidente (Mme Thériault) : M. Curzi, je vais devoir presque vous interrompre, parce que vous avez déjà pris deux minutes de plus que le ministre vous a offertes gracieusement. Donc, je pense que vous allez pouvoir continuer dans vos idées lors de vos échanges avec le ministre et les parlementaires.

M. Curzi (Pierre) : Oui. Je m'excuse d'avoir pris deux minutes.

La Présidente (Mme Thériault) : Il n'y a pas de problème.

M. Curzi (Pierre) : Je veux juste finir. Il y avait une phrase de Falardeau avec laquelle je voulais terminer, mais que vous connaissez sûrement, qui dit : On va toujours trop loin pour ceux qui ne vont nulle part. Moi, je pense que, dans ceci, il faut aller un peu trop loin, et je le dis en tant qu'être modéré et citoyen qui n'est pas du tout extrémiste.

La Présidente (Mme Thériault) : M. le ministre, la parole est à vous.

M. Jolin-Barrette : Merci, Mme la Présidente. M. Curzi, bonjour. C'est un plaisir de vous accueillir en commission parlementaire, et je tiens à vous saluer. Vous êtes mon prédécesseur, mon ancien député également, puis là maintenant, bien, on n'habite pas loin l'un de l'autre dans la même circonscription. Alors, c'est toujours un plaisir de vous revoir.

Écoutez, pour la question des marques de commerce, il y a un enjeu de partage des compétences. Donc, la marque de commerce relève du fédéral en termes d'affichage. Alors, nous, notre compétence vise, au Québec, à pouvoir encadrer. Donc, c'est ce qu'on a fait dans le projet de loi n° 96 avec la nette prédominance, notamment en lien avec les marques de commerce. Donc, il y a un enjeu constitutionnel sur cet élément-là.

Hier, on a reçu, M. Curzi... on a reçu M. Sabourin, le démographe, et il nous disait : On a constaté, à partir du début des années 90, un déclin du français. Ensuite, il nous a dit : À partir du début des années 2000, on a constaté une accélération du déclin du français.

Alors, vous, à l'époque, 2008, 2009, 2010, 2011, vous publiez vos études, donc, Le grand Montréal s'anglicise et, par la suite, L'application de la Charte de la langue française du collégial :un prolongement nécessaire, des études qui étaient fouillées, que vous avez faites avec les propres ressources que vous aviez à l'époque dans l'opposition, de bonnes études. Qu'est-ce qui explique, à l'époque, que vous étiez comme un seul chevalier à tirer la sonnette d'alarme sur le déclin du français et que les partis successifs qui ont été au pouvoir n'ont pas donné suite, notamment, à vos propositions?

M. Curzi (Pierre) : D'abord, préciser que, quand j'ai fait ces études-là, je les ai faites à partir de la toute petite équipe et des maigres ressources que j'avais comme <député...

M. Jolin-Barrette : ... sonnette d'alarme sur le déclin du français et que les partis successifs qui ont été au pouvoir n'ont pas donné suite, notamment à vos propositions?

M. Curzi (Pierre) : D'abord, préciser que, quand j'ai fait ces études-là, je les ai faites à partir de la toute petite équipe et des maigres ressources que j'avais comme >député. Ce ne sont donc pas des études qui ont été financées et appuyées d'une façon vigoureuse par le Parti québécois, dont je faisais partie.

Les raisons pour lesquelles, je crois... qu'on n'a pas donné suite, c'est essentiellement parce que le sujet, à l'époque, n'était pas très intéressant, et je crois qu'il n'était pas intéressant au niveau électoral. C'est essentiellement parce qu'il y a beaucoup de résistance à toucher à la langue française. Ce n'était pas payant au niveau électoral.

Et aussi il y a des raisons... Par exemple, prenons la grande région de Montréal. On sait que ça a toujours été représenté, puis on connaît, là, le contexte, par, souvent, les libéraux, dans des comtés qui étaient acquis aux libéraux, et, souvent, cette élection-là, dans ces comtés-là, était le fait d'une majorité d'anglophones dans un comté. Je pense que la règle, c'était : Quand il y a plus que tant de pour cent d'anglophones dans un comté, inévitablement, ce comté-là devient un comté libéral. Donc, il n'y avait pas d'intérêt, à Montréal, électoral. Ce n'était pas une bataille à gagner.

Dans d'autres régions du Québec, le phénomène, quand on parle de la langue, il est beaucoup moins sensible. Et là on se bute à toutes sortes de préjugés, dont le principal, c'est qu'on ne peut pas vivre et réussir au Québec si on ne connaît pas la langue anglaise, ce avec quoi je suis partiellement d'accord. C'est-à-dire que je pense qu'individuellement la connaissance de l'anglais et du français sont des incontournables en Amérique du Nord dans notre... Mais je crois qu'il faut absolument qu'on puisse vivre, travailler, créer une famille, bref, vivre complètement dans notre langue. C'est... Et le préjugé de croire que, sans une connaissance, donc, acquise dans les cégeps anglophones, par exemple, ou à l'université... nous privera des meilleurs emplois, je pense qu'on est dans les préjugés complètement. Il y a ces phénomènes-là.

S'ajoute à cela que probablement que... les effets, par exemple, d'une certaine immigration, qui était plus francophone à l'époque, qui est devenue de moins en moins francophone.

Bref, il y avait plusieurs facteurs objectifs qui faisaient qu'on ne percevait pas encore à quel point la situation allait rapidement se dégrader. Donc, il y avait une question de perception, une question politique puis une question, encore importante, de préjugés.

À cette époque, il faut se souvenir que plusieurs des personnes qui sont d'accord maintenant avec le fait que le cégep doit être fréquenté par les allophones et les francophones s'y opposaient. Ils trouvaient que c'était une mesure radicale. Pourtant, ça m'apparaissait, moi, à cette époque-là, une mesure absolument essentielle, parce qu'elle a un effet constructeur ou destructeur, selon qu'on l'applique ou pas. Voilà, c'est un peu ma <réponse...

M. Curzi (Pierre) : ... les allophones et les francophones s'y opposaient. Ils trouvaient que c'était une mesure radicale. Pourtant, ça m'apparaissait, moi, à cette époque-là, une mesure absolument essentielle, parce qu'elle a un effet constructeur ou destructeur, selon qu'on l'applique ou pas.

Voilà, c'est un peu ma >réponse.

M. Jolin-Barrette : Trouvez-vous qu'on a un certain enjeu, sociétalement... Vous venez de le dire, là, individuellement, c'est positif de parler plusieurs langues, de parler français, anglais, espagnol, mandarin, portugais. Mais parfois, lorsqu'on entend dire, pour des plus jeunes : Si tu veux réussir, si tu veux avoir une carrière, il faut que tu aies étudié dans une autre langue que le français, il faut que tu puisses travailler dans une autre langue que le français, pour l'émancipation de la nation et même comme individu, ce n'est pas problématique, ça, ce message-là qui est véhiculé, de dire : Si tu veux réussir dans la vie, il faut que tu parles anglais? Comme nation, comme société, là, on ne devrait pas se dire : Du berceau à la tombe, on devrait pouvoir vivre en français sur le territoire québécois et réussir notre vie en français?

M. Curzi (Pierre) : Oui, je suis totalement d'accord avec vous, c'est clair qu'on devrait, mais, pour que cela puisse se passer, il faut vraiment qu'il y ait une volonté très claire d'avoir une langue commune qui soit le français. Pourquoi avoir une langue commune? Parce que, si, dans tous les secteurs de l'activité humaine, le travail, principalement, mais aussi la culture, les loisirs, les voyages... si on a une langue commune et que cette langue commune là est bien installée, ce réflexe-là de penser qu'on ne pourra pas vivre sans connaître une autre langue va tranquillement s'effacer. Et chez les jeunes, actuellement, et c'est une menace majeure, il y a le fait que l'on ne peut pas vivre en français uniquement.

Le résultat de ça, actuellement, on peut le voir, c'est qu'il va y avoir une dégradation des deux langues. On voit déjà que la langue française n'est peut-être pas maîtrisée comme elle devrait l'être, même après un parcours en français dans notre système d'éducation. Et, pour ces gens-là qui, rapidement, choisissent d'aller vers une autre langue, dans ce cas-ci, d'aller vers l'anglais, leur connaissance de l'anglais demeurera aussi approximative, de telle sorte qu'on risque... Si on n'a pas une langue commune très forte et très bien établie, on risque d'avoir une méconnaissance à la fois du français et de l'anglais.

• (16 heures) •

J'ajoute à cela, probablement, le critère le plus important, c'est que la langue, au Québec, situation très spécifique sur ce territoire très précis de l'Amérique, la langue est porteuse de la culture, et, quand on adopte une autre langue que le français, on adopte ipso facto aussi une autre culture. Déjà qu'on ne peut pas ignorer la culture d'expression anglaise... Et c'est très bien, mais, quand on commence à utiliser l'anglais comme moyen d'étude, inévitablement, cette connaissance-là, cette pratique-là va nous amener à <adopter une autre...

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16 h (version révisée)

<       M. Curzi (Pierre) : ...aussi une autre culture. Déjà qu'on ne peut pas ignorer la culture d'expression anglaise, et c'est très bien, mais, quand on commence à utiliser l'anglais comme moyen d'étude, inévitablement, cette connaissance-là, cette pratique-là va nous amener à >adopter une autre culture, risque de nous inciter à travailler à la fois dans les deux langues ou aussi en anglais, et, au final, elle risque d'entraîner une absence de cohésion sociale, parce qu'utiliser communément, dans l'ensemble, une autre langue que la nôtre, fréquenter une autre culture que celle qui nous définit, en particulier avec cette langue-là majoritairement, risque d'amener une sorte de dégradation de nos valeurs communes.

Et on commence à le voir, on commence à voir l'importation, par exemple, de certains courants, qui sont surtout des courants américains, on commence à les voir importés. Là-dedans, il y a du bon et du moins bon. Je ne suis pas fermé à ce qui nous vient des États-Unis, mais on sait très bien que, tout à coup, face à nos valeurs, il y a une confrontation, et, à mon sens, cette confrontation-là est une menace à l'ensemble de nos valeurs communes.

On le voit avec, par exemple... Faisons... (panne de son) ...avec la pandémie. La pandémie était une situation d'urgence, et tout le monde a adopté des contraintes, a accepté de se contraindre, et plusieurs contraintes étaient très exigeantes. Tout le monde l'a fait parce qu'on s'est dit : Le bien collectif, la santé collective doit primer sur mes préférences individuelles.

Moi, je crois qu'actuellement, au niveau de la langue, dans la grande région de Montréal, on est dans une situation pandémique. Si on n'agit pas avec beaucoup de fermeté, et, même, ça peut sembler brutal pour certains, ça va être perçu comme ça, si on ne le fait pas, on risque de laisser ce virus-là se répandre. Et c'est un virus qui n'est pas... Ce n'est pas moral, mon appréciation du virus, c'est juste l'évolution normale des langues. Une langue minoritaire dans un contexte majoritairement autre va toujours devoir utiliser des moyens beaucoup plus forts, pas seulement pour se protéger, mais surtout pour fleurir, pour être porteuse de la culture et porteuse des valeurs intrinsèques à cette nation-là.

M. Jolin-Barrette : Une dernière question, courte question, puis je veux céder la parole à mes collègues. Je prends la balle au bond. Vous venez de parler beaucoup de culture, de langue. Il y a d'autres intervenants avant vous qui ont fait le même parallèle, l'importance de lier les deux. Je vous poserais la question. Un des défis de l'État québécois, de la nation québécoise, c'est de bien intégrer les personnes qui font le choix du Québec, les personnes immigrantes, en français au Québec. Et là on a eu des discussions hier à l'effet... des effets délétères du multiculturalisme canadien, donc le modèle d'intégration canadien. Croyez-vous que l'État québécois doit définir son propre modèle d'intégration, par rapport au multiculturalisme canadien, pour avoir un effet structurant sur l'intégration en <français...

M. Jolin-Barrette : ... des effets délétères du multiculturalisme canadien, donc le modèle d'intégration canadien. Croyez-vous que l'État québécois doit définir son propre modèle d'intégration par rapport au multiculturalisme canadien pour avoir un effet structurant sur l'intégration en >français, et à la culture québécoise, et aux valeurs communes, comme vous l'énoncez?

M. Curzi (Pierre) : Oui. Bien, évidemment, je le crois. J'ai toujours été un pourfendeur de cette notion de multiculturalisme canadien, parce que je crois que ça nous a profondément desservis.

Je voyais aussi les prétentions de l'UMQ, je pense, qui disait : Oh! comment allons-nous nous adresser en français six mois après que quelqu'un soit arrivé d'un pays où on ne connaît pas du tout le français? Mais, en même temps, on regarde cette notion-là puis on se dit : Mais, si on ne leur parle pas français après six mois, dans quelle langue allons-nous leur parler? Est-ce qu'on va leur parler dans les quelques mots d'anglais qu'ils connaissent?

Notre modèle d'intégration nous appartient complètement. Et il faut se méfier de plusieurs dérives qu'on peut voir. On en voit, par exemple, avec toute l'admission des étudiants étrangers. Dieu sait qu'on est d'accord pour qu'il y ait des étudiants étrangers, mais Dieu sait aussi qu'on voit très bien qu'il y a une très forte concentration de ces étudiants-là qui vont vers le système anglais, où ils acquièrent, des fois, la résidence, et ça leur permet d'introduire, par ce biais-là, des gens qui vont s'intégrer à la minorité anglophone. Donc, il y a plusieurs petits phénomènes dont...

Il faut absolument que Francisation Québec... Maintenant, comment allons-nous réussir? Là, le projet de loi va vers la francisation des petites entreprises. On sait que c'est souvent là que les premiers emplois des gens qui arrivent se trouvent. Donc, c'est déjà un gain. Il faut maintenir ce gain-là.

Mais les autres visages, c'est comment permettre de ne pas, en quelque sorte, aller d'aucune façon à l'encontre des droits fondamentaux d'une minorité anglophone au Québec, ça, je respecte ça complètement, mais comment désamorcer pour nous-mêmes le fait que le bilinguisme comme langue commune est une aberration. Ça n'a jamais marché dans aucun pays et ça ne marchera jamais.

Il y a une volonté des Québécois qui doit être mobilisée, elle doit être aussi forte, et on doit avoir le même souci de la santé collective culturelle et des valeurs québécoises, et ça passe inévitablement par une langue commune.

Je me suis un peu répété, là. Je n'ai peut-être pas répondu exactement à votre question. Mes excuses.

M. Jolin-Barrette : C'est parfait. Je vous remercie pour votre présence en commission.

La Présidente (Mme Thériault) : Bien, merci. Il reste à peine une minute. Donc, M. le député, à peine une minute, oui. Donc, M. le député de Saint-Jean, question, réponse.

M. Lemieux : Je vais prendre moins d'une minute, Mme la Présidente, pour saluer M. Curzi, d'abord, lui dire qu'il semble dangereusement en forme, et c'est une très bonne chose.

Il y a quelqu'un, sûrement, j'en connais un, au bout de la salle, là, qui va vous parler de cégeps. Avec le ministre, vous avez parlé d'affichage. Ce qui me <surprend, c'est...

La Présidente (Mme Thériault) : une minute, oui. Donc, M. le député de Saint-Jean, question-réponse.

M. Lemieux : Je vais prendre moins d'une minute, Mme la Présidente, pour saluer M. Curzi d'abord, lui dire qu'il semble dangereusement en forme, et c'est une très bonne chose. Il y a quelqu'un, sûrement… J'en connais un au bout de la salle, là, qui va vous parler de cégeps. Avec le ministre, vous avez parlé d'affichage. Ce qui me >surprend, c'est jusqu'à quel… pas «surprend», mais ce qui me réjouit, c'est jusqu'à quel point il y a beaucoup de points positifs auxquels vous vous ralliez avec toute votre passion. Et effectivement il y en a beaucoup, là. Je veux dire, il y en a même que vous n'avez pas abordés, vous n'avez pas eu le temps, mais la partie sur le droit au travail en français, et tout ça. Mais ça fait partie d'un tout, puis c'est en vous écoutant que je me rends compte jusqu'à quel point on a un sapré bon projet de loi. Merci beaucoup, M. Curzi, et je vous souhaite…

Je l'ai remarqué, vous avez écouté d'autres témoins avant vous. Il y en a encore pour deux semaines. J'espère que vous serez des nôtres.

M. Curzi (Pierre) : Avec plaisir.

La Présidente (Mme Thériault) : Donc, maintenant, je vais aller du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, pour vos 11 minutes.

Mme David : Merci beaucoup. Bonjour, M. Curzi, contente de vous entendre, et, comme dit le député de Saint-Jean, avec toute votre verve et votre passion. Alors, c'est formidable de se taper des commissions parlementaires à distance comme ça. Bien, bravo! Merci beaucoup.

Moi, j'étais curieuse, justement… D'abord, vous dites que vous avez vous-même fait tout un projet de loi. Dieu sait qu'on sait ce que c'est, dans l'opposition, on l'a tous été, ici, à tour de rôle. Alors, faire un projet de loi comme ça, j'imagine que ça a quand même été une tâche assez considérable.

Et, quand vous comparez le produit actuel avec ce que vous avez… ce qui est sur la table, ce qui est proposé avec ce que vous, vous aviez proposé, qu'est-ce qui… quelles sont les différences majeures, ou quelles sont les avancées, ou peut-être les reculs aussi, par rapport à ça?

M. Curzi (Pierre) : Bien, je n'y ai pas vu beaucoup de reculs. Puis je trouve qu'entre le projet de loi n° 593 que j'avais concocté avec Éric Bouchard puis avec les juristes de l'Assemblée nationale à titre de député indépendant, je vous le ferai remarquer — j'avais beaucoup de temps, les députés indépendants ont beaucoup de temps — à titre de député indépendant... Je trouve… Je retrouve le même esprit qu'il y avait quand on a fait ce travail-là, qui est un travail complexe, ardu, parce qu'on soupèse. Et, dans ce cas-ci, là, il s'agissait d'écrire les articles en langage juridique, donc c'était exigeant. Je retrouve le même esprit dans le projet de loi n° 96.

Et une des qualités de ce projet de loi, c'est que je le trouve bien articulé. Visiblement, on a bien réfléchi à quelle serait l'application de plusieurs mesures les unes avec les autres. Il y a de la conjonction là-dedans, il y a une intelligence de ce qu'un projet de loi peut et doit faire. Alors, je retrouve…

Ce qu'il y avait de plus dans le projet de loi n° 593, c'est que je n'avais aucune contrainte de la part d'un caucus. Je n'en étais plus. Donc, je n'étais pas restreint. Je n'avais pas de contrainte non plus au sujet d'un jugement moral sur ce que je recommandais, et ça menait à des recommandations plus <fortes…

M. Curzi (Pierre) : ... de plus dans le projet de loi 593, c'est que je n'avais aucune contrainte de la part d'un caucus, je n'en étais plus, donc je n'étais pas restreint. Je n'avais pas de contrainte non plus au sujet d'un jugement moral sur ce que je recommandais, et ça menait à des recommandations plus >fortes.

• (16 h 10) •

Disons, comme le cégep français, c'était dans le document. L'affichage, bon, je pense qu'on n'allait pas jusqu'à l'affichage unilingue, mais il y avait... On donnait, par exemple... Je vous donne un exemple qu'il y avait. On donnait à l'OQLF... Là, dans ce cas-ci, on redéfinit les pouvoirs de l'OQLF. Nous, dans le projet de loi qu'on avait, on donnait même un pouvoir d'amende. On disait : L'OQLF va pouvoir donner une amende, faire son rôle, qu'on lui a toujours reproché, de police de la langue. Oui, police de la langue, mais avec la possibilité de donner une contravention. Donc, autrement dit, essayer de tuer ces délais, là, qui sont de porter une cause devant le DPCP puis attendre des mois.

En même temps, je vous dis ça en sachant pertinemment qu'on n'est pas, comment dire, fascistes, là. Moi, je ne suis pas un fasciste de la langue, je ne suis pas un ayatollah, je comprends les réticences. Mais je me dis, en même temps : Une loi, elle a pour but de nous encadrer et, comme je le disais tantôt, d'éviter que ce soient les soldats, le monsieur, ou le commis, ou la personne qui doit répondre à quelqu'un directement ou au téléphone, par écrit... et qui, lui, doit porter la responsabilité d'appliquer la loi. Je pense qu'une loi doit être suffisamment forte pour que qui que ce soit se sente encadré.

On ne demande pas, par exemple, aux infirmières de discuter quand elles nous donnent le vaccin, elles nous donnent le vaccin. La consigne est claire. Et moi, je pense qu'actuellement, au niveau de la langue, on a vachement besoin d'une deuxième dose.

Mme David : Ou d'une troisième.

M. Curzi (Pierre) : Ou d'une troisième.

Mme David : Merci. Je vais passer la parole à mon collègue de D'Arcy-McGee et après de...

La Présidente (Mme Thériault) : Et il reste sept minutes au bloc de l'opposition officielle.

M. Birnbaum : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Curzi. C'est drôle, dans une vie antérieure, j'ai eu à répondre à vos questions en commission parlementaire. Je crois que c'était le projet de loi n° 14.

M. Curzi (Pierre) : Oui.

M. Birnbaum : En tout cas, un plaisir de vous retrouver.

Ça m'intrigue. Il y a deux cibles dont on parle, et j'aimerais les qualifier avec vous. Dans un premier temps... Et Frédéric Lacroix, qui vous précédait, était du même avis. Il parlait presque d'une menace du fait qu'il y a une croissance d'étudiants de l'ordre international qui viennent au Québec et, davantage, qu'il y en a plusieurs qui décident de rester chez nous.

Deux choses. Premièrement, moi, j'aurais cru qu'on se réjouirait d'un tel phénomène. Dans un deuxième temps, je me demande si c'est votre expérience. Je ne suis pas dans les données, mais, de mon expérience, tellement souvent, quand je rencontre un de ces étudiants, étudiantes internationaux, ça me touche de voir comment ils sont en amour avec notre langue commune, comment ils se <donnent...

M. Birnbaum : ... si c'est votre expérience. Je ne suis pas dans les données, mais de mon expérience, tellement souvent, quand je rencontre un de ces étudiants, étudiantes internationaux, ça me touche de voir comment ils sont en amour avec notre langue commune, comment ils se >donnent le devoir de s'immerser et d'apprendre la langue française. Alors, pour mon premier... J'aimerais savoir si, en quelque part, vous voyez comme un atout au lieu d'un obstacle ces étudiants internationaux.

Deuxième chose, quand je parle de cibles, on parle beaucoup, évidemment, des établissements d'enseignement supérieur, surtout, attachés à la communauté québécoise d'expression anglaise. Est-ce que vous écartez la capacité de ces établissements d'être vecteurs de la francisation?

Une deuxième fois, je me permets une anecdote qui m'a touché, qui a touché beaucoup de Québécois lors de cette terrible tragédie à Dawson, la tuerie à Dawson, où il y avait des élèves avec des noms comme Papadopoulos, Hernandez, des gens issus de partout, qui faisaient des témoignages touchants en français, plusieurs, plusieurs.

Donc, ma question : Est-ce qu'à la fois ces étudiants internationaux, à la fois ces établissements issus de la communauté québécoise de langue anglaise peuvent être des vecteurs positifs de francisation ici, au Québec?

M. Curzi (Pierre) : Pour répondre à votre première question, moi, je suis aussi heureux que vous l'êtes quand je vois des étudiants internationaux venir au Québec et y faire leurs études. J'ai... Au contraire, on sait qu'au Québec on a besoin d'avoir à la fois des gens qui vont travailler, mais aussi on a besoin des intelligences, on a besoin du savoir. Alors, je n'ai aucun préjugé. Le seul problème, c'est qu'ils s'intègrent à une communauté minoritaire, ici, pour le moment, anglophone. Et, à Montréal, ils ont un effet, et ce n'est pas un reproche, mais ils ont un effet anglicisant extrêmement important. Au centre-ville, quand vous allez autour de McGill, Concordia, vous vivez dans un milieu où, franchement, là, c'est un bilinguisme de plus en plus anglais.

Bon, est-ce que les... Je connais beaucoup, comme vous, des gens qui ont suivi le parcours d'études, par exemple, à McGill, plusieurs de mes amis, et ce sont des gens qui possèdent très bien le français et qui travaillent en français, chez qui... (panne de son) ...en tout cas, le passage par le système universitaire de qualité anglophone n'a pas, en quelque sorte, changé leur nature. Mais je ne crois pas que le système scolaire anglophone soit en mesure de franciser vraiment, non pas parce qu'il n'en a pas la capacité. On a vu beaucoup d'efforts faits du côté du système d'études anglophone. Beaucoup de gens ont bien appris le <français...

M. Curzi (Pierre) : ... changé leur nature. Mais je ne crois pas que le système scolaire anglophone soit en mesure de franciser vraiment. Non pas parce qu'il n'en a pas la capacité, on a vu beaucoup d'efforts faits du côté du système d'études anglophone, beaucoup de gens ont bien appris le >français à l'intérieur de ce système-là. Ce n'est donc pas uniquement leur système.

Il y a deux facteurs qui jouent. Le premier, c'est que, s'il n'y a pas un environnement extrêmement... s'il n'y a pas une langue commune qui fait que le français est inévitable dans tous les gestes de tous les jours et qu'il n'est pas dominant, je crois que, quelle que soit l'influence du cégep, ce soit insuffisant. Donc, c'est ça, ma réponse. Bien, voilà. Je vous ai senti un peu distrait...

La Présidente (Mme Thériault) : Et, pour le temps qu'il reste, 2 min 15 s, c'est le député de La Pinière qui va échanger avec vous.

M. Barrette : Bonjour, M. Curzi. Je pense que vous ne serez pas surpris de mon commentaire. Quand on a un projet de loi d'une telle envergure et potentiellement d'un aussi grand impact, on recherche l'adhésion du maximum de personnes possible, puisqu'il est impossible d'avoir tout le monde, là, mais on recherche le maximum de personnes possible.

Dans des échanges que ma collègue de Marguerite-Bourgeoys a eus avec le Pr Taillon cet après-midi, je ne sais pas si vous avez eu la chance de suivre tout l'après-midi, on a abordé la question des clauses dérogatoires et la possibilité de nuancer, ou de baliser, ou d'encadrer la clause dérogatoire. Alors, ici, on a un projet de loi qui met de l'avant des clauses dérogatoires qualifiées de préventives, mais qui sont mur à mur.

Alors, dans l'esprit de ce que je viens de dire, là, en introduction, ne trouvez-vous pas que, s'il y avait, je dis bien «s'il y avait», à y avoir des clauses dérogatoires, elles devraient être nuancées ou encadrées — choisissez le mot qui vous conviendrait — dans le cadre de ce projet de loi là?

La Présidente (Mme Thériault) : Et vous avez un peu plus d'une minute pour répondre à la question.

M. Curzi (Pierre) : Oui. Je serai bref. S'il n'y avait pas eu la mise en pièces de la loi 101 par la Cour suprême au fil des ans, de telle sorte qu'il ne restait qu'un pauvre squelette inopérant, je pourrais être d'accord avec vous. Malheureusement, je crois qu'on doit se prémunir complètement, par des clauses dérogatoires qui sont essentielles, préventivement, parce que la contestation risque d'être très forte.

L'autre argument sur lequel je veux revenir, c'est celui de l'équilibre. Bien sûr que la tentation est grande de dire : On va adopter un projet de loi qui va susciter l'adhésion du plus grand nombre. Dans ce cas-ci, je crois que ce serait une démission gouvernementale. Pour un gouvernement qui est majoritaire, qui a une volonté nationaliste et qui a une volonté légitime que la langue commune s'exerce sur ce territoire-là et pour cette nation, je pense qu'il faut avoir le courage d'aller vers des mesures qui ne seront peut-être pas les plus <populaires...

M. Curzi (Pierre) : ... un gouvernement qui est majoritaire, qui a une volonté nationaliste et qui a une volonté légitime que la langue commune s'exerce sur ce territoire-là et pour cette nation, je pense qu'il faut avoir le courage d'aller vers des mesures qui ne seront peut-être pas les plus >populaires, qui vont certainement être attaquées, être contestées, mais je crois, et en toute honnêteté, là, et avec tout le respect que j'ai pour la démocratie et pour la vie des gens, je crois que c'est nécessaire.

La Présidente (Mme Thériault) : Et je dois mettre fin à l'échange. Donc, sans plus tarder, nous allons du côté de la députée de Mercier.

Mme Ghazal : Merci. Merci beaucoup, M. Curzi, pour votre présentation si passionnée. Vous, évidemment, vous êtes un artiste. Donc, vous êtes amoureux de la culture. Vous avez été président de l'Union des artistes. Et, quand on aime quelque chose, on a envie de le partager. Et donc on parle de langue française, vous l'avez dit, on ne peut pas la séparer de la culture québécoise. Et moi, j'ai envie de savoir comment est-ce qu'on peut transmettre la culture, pas juste l'apprentissage du français mais la culture québécoise aux jeunes immigrants et aux moins jeunes.

J'ai visité une école, mon ancienne école secondaire, à Laval, qui, aujourd'hui, contrairement à l'époque où je l'ai visitée, est constituée, je ne sais pas, à 97 % de jeunes issus de l'immigration. J'étais dans une classe d'accueil, puis une des jeunes, d'origine afghane, ça fait deux ans qu'elle est en classe d'accueil, donc son français était franchement bon, et elle me disait : Mais, madame, je ne suis jamais en contact avec des Québécois, comment voulez-vous qu'on apprenne le français? Je ne parle jamais le français, à part en classe. On est gênés, quand on sort avec mes amis, qui ne sont pas des francophones, qui ne sont pas des Québécois — parce qu'elle ne se considère pas encore Québécoise — on est gêné de parler français.

Puis moi, je me dis : Qu'est-ce qu'on doit faire pour pas seulement leur apprendre le français, mais la culture? Je ne sais pas, est-ce qu'il y a des artistes qui peuvent venir dans les écoles pour leur faire aimer le théâtre québécois, le cinéma, etc.? J'ai envie de vous entendre là-dessus, plus... pas comme ancien député mais comme acteur, artiste, ancien président de l'Union des artistes.

• (16 h 20) •

M. Curzi (Pierre) : Oui. Bien, vous touchez à quelque chose d'extrêmement sensible, parce que c'est complexe. Arriver à rejoindre des gens qui viennent de multiples pays, de multiples cultures et essayer de leur faire aimer une culture, alors qu'on n'est plus là, comment on fait? Il y a eu... La première chose, puis on commence à le voir, il y a de plus en plus, maintenant... On le voit à la télévision, il y a de plus en plus de gens de diverses origines qui commencent à incarner des personnages importants. Qu'ils se voient, d'abord, qu'ils puissent se voir.

On sait, par ailleurs, que les pratiques ont changé. Il y a beaucoup de jeunes, maintenant, qui regardent moins la télévision, qui regardent leurs réseaux sociaux et qui vont consommer. Et, quand ils consomment sur les réseaux sociaux, sur Internet, là, le modèle qu'on pourrait leur proposer, d'identification, il n'est plus là... ou il est là, mais il s'exprime dans une autre langue. Ils vont fréquenter, je ne sais pas, le rap, mais ils vont le faire en anglais parce que la majorité des rappeurs... Il y a des rappeurs québécois qui rappent en français, et il faut qu'ils se déploient. Donc, c'est un travail lent, mais la condition de base...

Il y a... Vous touchez à d'autres <problèmes...

M. Curzi (Pierre) : ... il est là, mais il s'exprime dans une autre langue. Ils vont fréquenter, je ne sais pas, le rap, mais ils vont le faire en anglais parce que la majorité des rappeurs... il y a des rappeurs québécois qui rappent en français et il faut qu'ils se déploient. Donc, c'est un travail lent. Mais la condition de base...

Il y a... vous touchez à d'autres >problèmes aussi, le fait qu'on ait déserté l'île de Montréal, les... Moi, je vis dans une banlieue, et c'est à 99 % blanc francophone et même blanc rasé. Je le déplore. J'aimerais... Je m'emporte. Mais c'est certain qu'il y a un problème sociologique.

Mais moi, je pense qu'une des conditions, c'est, justement, de rétablir une langue commune puis après, bien, tranquillement, de permettre que chacun puisse s'identifier, tel qu'il est, à des modèles qu'on leur proposera.

Mme Ghazal : Ça prend du temps. Merci.

La Présidente (Mme Thériault) : Et je dois mettre fin à cet échange. Donc, sans plus tarder, M. le député de Matane-Matapédia, pour le dernier bloc de notre après-midi.

M. Bérubé : Merci. Je veux saluer mon ancien collègue, que je retrouve avec plaisir, lui dire qu'il est toujours aussi cohérent et que les travaux qu'il a menés dans le passé ont certainement influencé notre formation politique. Et j'aurais bien aimé, moi, et j'en fais l'aveu public, qu'il reste avec nous. Et peut-être que c'est lui, le ministre responsable de la Langue, qui aurait présenté ce projet de loi dans un gouvernement, celui de Mme Marois. Mais c'est mon souhait. On ne peut pas refaire l'histoire, mais j'aurais aimé ça.

Ceci étant dit, en mai dernier, un texte du Journal de Montréal, qui s'appelle Réforme de la loi 101 : une occasion ratée, selon Pierre Curzi, l'essentiel du reproche que l'ancien député de Borduas porte à l'égard du gouvernement, c'est sur la loi 101 au cégep, de ne pas faire preuve de cohérence, de ne pas faire preuve de la nécessaire audace. On dit la même chose. Ce n'est pas... Ça ne doit pas être consensuel, ça doit être nécessaire. Le défi est là. Oui, ça va faire du bruit. Guy Rocher nous a dit la même chose hier.

Alors, ce n'est toujours bien pas une idée extrémiste. Le premier ministre m'a dit ça, moi, en Chambre : C'est extrémiste de promouvoir que la loi 101 s'applique aux cégeps. Alors, pourquoi c'est si nécessaire? Et je vous laisse la tribune, cher Pierre.

M. Curzi (Pierre) : Bien, écoute... Bonjour, M. le député. Parce que... Je pense que c'est nécessaire parce que c'est l'effet constructeur. Admettons que tous ceux qui suivent un parcours au primaire et au secondaire en français soient obligés d'aller au cégep en français. Ça veut dire qu'ils vont devoir mieux connaître leur langue, puisque plus ça va aller, plus ils vont avoir besoin de cette connaissance-là pour réussir dans leurs études. Ça, c'est une première chose.

Ça va avoir un effet sur la fréquentation, le nombre de personnes qui vont aller à l'université en français. Le nombre de personnes qui fréquentent le système universitaire francophone est une des conditions de financement de ces universités-là. Donc, on commencerait à rétablir une sorte d'équilibre entre le financement des universités francophones et le financement des universités anglophones.

Une voix : ...

M. Curzi (Pierre) : Oui. Pardon?

M. Bérubé : Ce n'est pas une idée extrémiste.

M. Curzi (Pierre) : Alors là, je <reviens à...

M. Curzi (Pierre) : ... Donc, on commencerait à rétablir une sorte d'équilibre entre le financement des universités francophones et le financement des universités anglophones. Oui. Pardon?

M. Bérubé : Ce n'est pas une idée extrémiste.

M. Curzi (Pierre) : Alors, là, je >reviens à ce point-là. Moi qui suis... Je considère que je suis un citoyen modéré et j'ai un total respect de la démocratie. Et, si l'ensemble des Québécois décidaient du jour au lendemain qu'ils vont abandonner la langue française parce qu'ils veulent vivre en anglais, si c'était une décision totalement démocratique, je l'entérinerais. Le Québec ne disparaîtrait pas pour autant. Mais on sait pertinemment qu'il y a quelque chose de précieux, de particulier, de spécifique dans ce territoire-là puis aussi dans d'autres provinces du Canada, dans les communautés francophones. Il y a là une richesse qu'on qualifie et que j'ai longtemps défendue comme étant l'effet de la diversité, une diversité de langues...

La Présidente (Mme Thériault) : Et, M. Curzi...

M. Curzi (Pierre) : ...une diversité de cultures, une diversité de valeurs. Voilà ce qui enrichit une société...

La Présidente (Mme Thériault) : Et je dois mettre fin aux échanges sur ces paroles...

M. Bérubé : Merci, Pierre.

La Présidente (Mme Thériault) : ...ayant déjà dépassé le temps. Donc, M. Curzi, merci pour votre passage en commission parlementaire.

Et, sans plus tarder, j'ajourne les travaux jusqu'au mardi 28 septembre 2021, à 9 h 45. Bonne fin de semaine, tout le monde, et bon retour à Montréal.

(Fin de la séance à 16 h 26)


 
 

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