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Version finale

42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)

Le vendredi 30 août 2019 - Vol. 45 N° 27

Mandat d'initiative - Avenir des médias d’information


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Table des matières

Auditions (suite)

Cégep de Jonquière

M. Christian Desîlets

Centre d'études sur les médias (CEM)

École des médias de l'Université du Québec à Montréal

Documents déposés

Mémoires déposés

Autres intervenants

Mme Marie-Claude Nichols, présidente suppléante

M. Samuel Poulin

M. Youri Chassin

M. Louis Lemieux

Mme Isabelle Melançon

Mme Catherine Dorion

M. Sylvain Gaudreault

Mme Catherine Fournier

M. Christopher Skeete

Mme Marwah Rizqy

Mme Jennifer Maccarone

M. Harold LeBel

*          Mme Hélène Roberge, cégep de Jonquière

*          M. Blaise Gagnon, idem

*          M. Éric Arseneault, idem

*          M. Bernard Descôteaux, CEM

*          Mme Colette Brin, idem

*          Mme Suzanne Lortie, École des médias de l'Université du Québec à Montréal

*          M. Jean-Hugues Roy, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Neuf heures trente et une minutes)

La Présidente (Mme Nichols) : Bonjour. Alors, bon matin, bon matin. Bon vendredi matin. Je vous avais invités un vendredi, mais finalement c'est vendredi matin, je m'excuse encore.

Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de la culture et de l'éducation ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils.

La commission est réunie afin de poursuivre les auditions publiques dans le cadre des consultations particulières concernant le mandat d'initiative portant sur l'avenir des médias d'information.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, Mme la Présidente. M. Asselin (Vanier-Les Rivières) sera remplacé par M. Allaire (Maskinongé); Mme Grondin (Argenteuil), par M. Thouin (Rousseau); Mme Labrie (Sherbrooke), par Mme Dorion (Taschereau); et Mme Hivon (Joliette), par M. LeBel (Rimouski).

Auditions (suite)

La Présidente (Mme Nichols) : Très bien, merci. Alors, cet avant-midi, nous entendrons le programme Communication dans les médias du cégep de Jonquière, M. Christian Desîlets, Mme Colette Brin et l'École des médias de l'Université du Québec à Montréal.

Alors, nous sommes prêts à commencer avec le premier groupe. Alors, je souhaite la bienvenue aux représentants du cégep de Jonquière, programme Communication dans les médias. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, puis nous procéderons à la période d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc à vous présenter ainsi que les personnes qui vous accompagnent et à procéder à votre exposé. La parole est à vous.

Cégep de Jonquière

Mme Roberge (Hélène) : Oui. Bonjour à vous. On tenait à vous remercier sincèrement de l'accueil que vous nous avez fait, d'ailleurs, en arrivant ce matin, ça nous fait chaud au coeur. C'est notre première expérience, en passant, mais on est très heureux d'être là.

Alors, moi, c'est Hélène Roberge, directrice adjointe des études, particulièrement pour les programmes en Art et technologie des médias, au cégep de Jonquière.

M. Gagnon (Blaise) : Bonjour, moi, c'est Blaise Gagnon, je suis enseignant et responsable de coordination du département d'ATM, d'Art et technologie des médias.

M. Arseneault (Éric) : Et je m'appelle Éric Arseneault, je suis enseignant au département d'ATM.

Mme Roberge (Hélène) : Alors, je vais débuter. Alors, mon rôle est peut-être un peu davantage de mettre la table, vous mettre assez bien en contexte, là, par rapport aux programmes d'études que nous offrons.

Alors, le cégep de Jonquière, dans le fond, est un des premiers établissements d'enseignement à offrir un programme en journalisme. Alors, on a été autorisés par le ministère en 1968 à offrir le programme, à l'époque, qui s'appelait Techniques journalistiques, mais on le sait, que, par la suite, il y a eu beaucoup de transformations qui se sont opérées, et c'est en 1975 que le programme devient Art et technologie des médias. Et, en 1990, dans le fond, il y a eu deux programmes distincts qui se sont développés, soit Techniques de production et postproduction télévisuelles et Techniques de communication dans les médias, avec trois options, dont une en journalisme — c'est pour cette raison-là aussi, là, qu'on a déposé un mémoire à cet effet-là, pour l'avenir des médias d'information — et un troisième programme aussi s'est greffé à la famille ATM, soit Intégration multimédia. Alors, ça constitue, dans le fond, si on veut, la grande famille ATM, actuellement.

Alors, on a 125 nouveaux élèves, à chaque année, qui entrent au cégep en Techniques de communication dans les médias, et, de ces 125 là, une quarantaine, à chaque année, diplôment, environ 40 pour l'option journalisme. Et, au fil des années, eh bien, vous savez qu'on a tissé beaucoup de liens avec différentes entreprises de par le fait que tous nos programmes se terminent par un stage de minimum cinq semaines, donc ça nous amène à avoir beaucoup de contacts avec les entreprises de par ces stages-là. Nos enseignants sont très, très impliqués par rapport à ça.

C'est sûr que je parle peut-être un petit peu trop vite parce que je veux vraiment maximiser mon temps, je m'en excuse.

Alors, on sait que les cégeps sont des acteurs très importants dans le développement économique et social, particulièrement de nos régions, et c'est dans cet esprit-là aussi qu'on est ici aujourd'hui, parce qu'on se considère importants et on veut, dans le fond, faire partie des solutions. Parce qu'on a bien entendu, là, qu'il va y avoir plusieurs solutions dans cette grande tourmente-là qu'on vit, donc on veut en faire partie et on veut vous offrir, dans le fond, notre connaissance du milieu, de la problématique et de tout ce que ça concerne et notre expertise aussi. On considère qu'on a quand même développé une grande expertise, au fil de ces plus de 50 ans, actuellement. Donc, je vais laisser la parole à mes collègues enseignants. Alors, j'inviterais M. Blaise Gagnon à prendre la parole. Merci beaucoup.

M. Gagnon (Blaise) : Merci, Hélène. On ne reviendra pas sur le fait que plusieurs organisations ont insisté sur l'importance de l'information, particulièrement dans les régions du Québec, vous l'avez entendu beaucoup cette semaine. Puis j'en profite pour vous remercier, la commission. Vous faites un travail extrêmement important pour une saine démocratie dans notre société. On ne reviendra pas non plus sur le GAFA ou le GAFAM, dépendamment comment on souhaite l'appeler, on connaît le monstre. Notre préoccupation, notre inquiétude est de constater la disparition d'autant de médias, dont beaucoup en région, dans de plus petits marchés, des pertes d'emploi de journalistes, de recherchistes, de rédacteurs, qui sont souvent de nos anciens étudiants. S'ils ne perdent pas leur emploi, ils doivent souvent accepter de faire des concessions quant à leur salaire ou à leurs conditions générales de travail. Même les conditions d'embauche de nos jeunes sont beaucoup moins intéressantes aujourd'hui. Les médias dont nous parlons sont les partenaires, dans le sens qu'ils accueillent nos finissants en stage, ce qui vient compléter la formation de notre relève journalistique. Ces entreprises les accueillent, les encadrent, leur donnent des mandats, des responsabilités, ce qui vient enrichir concrètement leur formation.

Nous sommes encore capables de développer des milieux de stage en suivant l'évolution des médias, en adaptant notre programme et notre enseignement. Nos jeunes, par exemple, vont créer des podcasts, des balados, parce qu'aujourd'hui c'est comme ça qu'ils écoutent la radio. Ils vont prendre des photos, faire du graphisme avec créativité et diffuser sur Instagram leurs manchettes ou un bref topo en quelques tuiles et en quelques mots, parce que c'est leur façon de s'informer. Ils vont aussi, avec fierté, partager leurs textes sur Facebook, avec fierté car ils auront déniché ce sujet original, fait de la recherche, préparé un dossier, mené des entrevues, approfondi une enquête. Ils seront gestionnaires de médias sociaux, créateurs ou générateurs de contenus, car les plateformes numériques ont transformé la diffusion, c'est vrai, mais il restera toujours un grand besoin de contenu original et de qualité des informations, informations vérifiées deux fois plutôt qu'une, ce qu'aucun robot ou algorithme ne pourra jamais faire, à mon avis.

La relève journalistique, que nous avons bien l'intention de continuer à former, doit avoir la possibilité de travailler partout, dans les régions du Québec comme ailleurs. Le journal, la radio, la télé ou la plateforme qui les embauche doit pouvoir continuer d'exister et même être capable de leur offrir des conditions de travail plus qu'acceptables. On parle ici, à votre commission, de l'avenir des médias, mais c'est de l'avenir de nos jeunes dont on parle. Alors, j'aimerais maintenant passer à la deuxième piste d'intervention de notre mémoire, qui concerne l'éducation aux médias, mon collègue Éric Arseneault.

• (9 h 40) •

M. Arseneault (Éric) : Bonjour à tous. Oui, parce que, cette semaine, il y a plusieurs solutions, plusieurs pistes, plusieurs moyens qui ont été avancés devant cette commission-là, il y a des constats qui sont en train de se dégager. Ce matin, on veut vous enligner sur une autre piste de solution. Ce n'est pas la recette miracle, elle n'existe pas, cette recette miracle là, mais la piste qu'on vous propose, c'est effectivement l'éducation à l'information, l'éducation aux médias. S'il fallait trouver un aspect positif dans la crise que vit actuellement Groupe Capitales Médias, c'est peut-être d'avoir fait prendre conscience aux gens de l'importance de ces médias-là et en particulier de ces médias en région, de l'importance de ces médias pour la démocratie, pour la vie des communautés et des sociétés. Et ça nous a fait peut-être réaliser que, trop souvent, on a tendance à oublier des trucs qui nous sont acquis.

Le travail journalistique, la cueillette, la validation, le tri, la diffusion de l'information, tout ce travail de coulisses qu'on ne voit pas nécessairement, a un prix, a une valeur. Mais, puisque cette information-là est gratuite, est accessible aujourd'hui, la machine marche, on n'en vient même plus à se poser de questions. Les gens doivent savoir, ou encore se souvenir, si tant est qu'ils l'ont oublié, qu'il y a un coût à produire une information, qu'il y a une valeur à produire une information qui est sérieuse, qui est crédible, qui est indépendante, qui est de qualité, et il nous semble que plus tôt les gens seront conscients de cette valeur-là, plus tôt, à ce moment-là, ils pourront reconnaître la valeur de l'information puis l'importance, également, des médias dans leur société.

Et c'est ici qu'on entre dans notre champ d'expertise, nous autres, au cégep, c'est-à-dire les jeunes. On connaît tous et chacun le pouvoir d'influence qu'ont les jeunes aujourd'hui. Et, dans votre vie personnelle, vous l'avez probablement expérimenté avec vos propres enfants, bien souvent, ce sont eux qui font les tendances en matière d'environnement, ce sont eux qui commencent à changer les choses en matière d'alimentation, de saines habitudes de vie, d'activités sportives et des trucs de ce genre-là. On a toujours conçu ces jeunes-là, pour nous, au cégep, comme étant nos plus beaux ambassadeurs. Ces jeunes-là, ce sont eux sur qui il faut miser, à mon avis, pour renverser la tendance morose actuelle dans le monde des médias et des communications. Il faut miser sur leur potentiel, j'allais dire, de contamination positive à l'égard du reste de la société pour, justement, axer et développer l'importance... conscientiser les gens à l'importance des médias. Et, au cégep de Jonquière, ça fait des années qu'on travaille à ce niveau-là non seulement auprès de nos propres étudiants, mais également auprès des jeunes qu'on accueille chez nous pour des visites dans des ateliers qu'on a préparés pour eux, où ils s'initient au travail journalistique, c'est dans des conférences qu'on prononce un petit peu partout, c'est dans différentes activités qu'on conçoit pour nos plus jeunes. D'autres maisons d'enseignement, incidemment, le font aussi, d'autres organismes le font, et qu'il me suffise de rappeler que la FPJQ a pris une initiative extraordinaire, notamment au sujet des fausses nouvelles, on vous en a abondamment parlé.

À notre avis, il faut multiplier ce genre d'initiatives là, que ce soient des programmes d'éducation pour les jeunes, et qui pourraient, d'ailleurs, en passant, s'adresser au public en général... Est-ce que ça pourrait être un cours d'éducation aux médias? Est-ce que ça peut être une campagne qui serait menée à la grandeur... nationale? Tous les moyens sont sur la table, mais il est important, en tant que maison d'enseignement, que vous sachiez que nous, on est prêts à embarquer dans le bateau. On est là, on est motivés, on est passionnés, on est déterminés. Nous autres, on veut faire partie de la solution, et vous allez trouver chez nous des alliés extraordinaires si vous en avez besoin. Pourquoi? Parce qu'on pense qu'en faisant ça, ça va contribuer à faire de nos jeunes de meilleurs citoyens mieux en mesure de vérifier puis de mesurer l'importance des informations. Et, au-delà de ça, et je pense que ça devient capital, actuellement, c'est de permettre également de créer des habitudes de consommation d'information, de développer l'intérêt des jeunes pour une information crédible, de qualité, peu importe la plateforme sur laquelle ils vont la consulter, et on pense qu'à terme ça va permettre de contaminer le reste de la société.

On est très conscients, ce matin, que ce qu'on vous propose, ça ne réglera pas le problème du jour au lendemain, c'est une solution à moyen et à long terme. Mais, pour que ça porte ses fruits, il faut que ça commence tout de suite. Moi, quand j'ai étudié dans un collège au secondaire, la devise, c'était Spes messis in semine : L'espoir de la moisson est dans la semence. La semence, c'est nos jeunes, et il faut commencer à s'en préoccuper tout de suite, de façon à ce que plus tard on puisse récolter ces fruits-là et qu'on ne soit pas, dans quelques années, encore ensemble ici à discuter de ça. Merci, et puis on accueillera avec bonheur vos questions.

La Présidente (Mme Nichols) : Merci. C'est moi qui vous remercie pour votre exposé. Nous allons maintenant commencer la période d'échange, et je laisse la parole au député de Beauce-Sud, vous avez une période... Non? Oui, Beauce-Sud, pour 15 minutes.

M. Poulin : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Gagnon, M. Arseneault, Mme Roberge, très content de vous retrouver. Combien d'étudiants entrent en ATM et terminent en ATM, qui font le trois ans au complet en journalisme, et qui, bon, j'imagine, par la suite, se placent dans un domaine connexe, là, et qui s'en vont directement dans la profession journalistique?

Mme Roberge (Hélène) : En journalisme ou en Techniques de communication dans les médias?

M. Poulin : Bien, je serais intéressé à savoir les différents volets, mais d'abord en journalisme.

Mme Roberge (Hélène) : O.K. Au global, là, je vous dirais, aux alentours de 400 qui arrivent à chaque année. Donc, si on prend toutes les cohortes ensemble, ça nous fait aux alentours de 700 élèves en Art et technologie des médias. Et qui diplôment... ouf! Ça, c'est une autre bonne question.

M. Gagnon (Blaise) : Bien, en TCM, à peu près une centaine, en publicité, radio, journalisme.

Mme Roberge (Hélène) : 100, 200, 250 à chaque année, peut-être?

M. Gagnon (Blaise) : Oui.

Mme Roberge (Hélène) : Je vous dis un chiffre rapide, là, mais...

M. Poulin : Et, parmi ces étudiants-là, est-ce qu'il y a un fort intérêt à se placer immédiatement dans un emploi dans le domaine des médias ou à poursuivre vers des études universitaires?

Mme Roberge (Hélène) : Alors, on a plusieurs profils. En journalisme, par exemple, on en a quand même un certain nombre qui poursuivent à l'université. Et même les enseignants, je pense, sont tout à fait... même, les encouragent, parce qu'un diplôme universitaire, aussi, en journalisme peut être fort intéressant, peu importe le domaine, M. Saulnier nous en a bien parlé hier. Puis, par exemple en télévision, plusieurs, directement, là, s'en vont sur le marché du travail. Les taux de placement sont particulièrement élevés, on est au-delà de 80 %, même 90 % dans certains secteurs, les besoins étant très grands.

M. Poulin : Et ma dernière question sera : Quelle est votre relation avec le réseau secondaire au Québec? Parce qu'ATM est un programme exclusif qui, comme vous l'avez signifié, depuis la fin des années 60, début des années 70, est au Saguenay—Lac-Saint-Jean, et je sais que ça tient énormément à coeur aux gens du Saguenay—Lac-Saint-Jean, et vous avez entièrement raison, parce que ça attire de nombreux étudiants dans la région et ça devient un peu une porte d'entrée aussi vers de nouvelles personnes qui découvrent votre région. Et Dieu sait que, lorsqu'on rencontre des journalistes aujourd'hui, très souvent, ils ont passé par ATM à Jonquière, alors vous avez raison d'en être fiers. Cependant, est-ce qu'il y a suffisamment, vous pensez, de conseillers en orientation scolaire qui conseillent les étudiants, au Québec, de se tourner vers l'ATM?

M. Gagnon (Blaise) : Je crois que oui, vraiment. Pendant deux mois, avant la date limite des inscriptions dans les cégeps du Québec, on reçoit, à chaque vendredi, des visites, des autobus complets d'écoles secondaires, d'écoles polyvalentes de partout au Québec qui viennent visiter nos installations. On a des activités portes ouvertes avec des parents et des élèves de secondaire V qui viennent visiter nos installations également. Notre équipe de communications et de recrutement fait la tournée de tous les événements, les salons scolaires inimaginables au Québec également.

Et puis, évidemment, comme on a plus de 50 ans, le programme de l'ATM est quand même extrêmement bien connu, souvent, aussi, les jeunes vont avoir le réflexe de se tourner vers leur média local, par exemple, et aller demander au journaliste ou à l'animateur, l'animatrice des conseils ou des suggestions sur le travail dans les médias. Et souvent nos anciens, comme disait Éric, ils sont d'excellents ambassadeurs. Souvent, ils vont parler aux jeunes du programme d'Art et technologie des médias au cégep de Jonquière. Et, bon an, mal an, moi, j'évaluerais à à peu près 75 % de nos étudiants qui sont de l'extérieur de la région du Saguenay—Lac-Saint-Jean. Donc, 25 % sont de la région et le trois quarts viennent de partout, de toutes les régions du Québec. On en accueille même de France et on a quelques...

Mme Roberge (Hélène) : De plus en plus d'étudiants internationaux, évidemment.

M. Gagnon (Blaise) : ...de plus en plus d'étudiants internationaux, oui, absolument.

M. Poulin : ...aussi vos installations. Il y a des investissements importants qui ont été faits par les précédents gouvernements pour ATM, à Jonquière, et c'est assez impressionnant. Vous êtes même en avance sur plusieurs stations de radio au Québec, alors c'est bon signe. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, la parole est au député de Saint-Jérôme.

M. Chassin : Oui, merci. Merci de votre présentation. J'allais vous poser, justement, la question : Quelle est la proportion qui vient de l'extérieur de la région?, mais vous y avez répondu.

Je trouve intéressante votre démarche sur l'éducation aux médias. C'est une réflexion qui est importante, je pense, à avoir. Et puis vous-mêmes faites un travail à cet égard. On vous en félicite. On espère que le récent réinvestissement dans les cégeps vous donnera davantage d'outils. Je crois que ça représente à peu près 1 million au cégep de Jonquière.

J'ai envie quand même de vous poser une question pour faire un peu le lien avec le mandat de la commission sur l'avenir des médias d'information. L'éducation aux médias va donner une idée claire, certainement, de la valeur de l'information ou du travail pour avoir une nouvelle crédible qui soit diffusée. À quel point pensez-vous que ça peut jouer un rôle, par exemple, dans un abonnement ou un geste qui va, finalement, augmenter les revenus des médias d'information, notamment en région?

• (9 h 50) •

M. Arseneault (Éric) : Je serais tenté de vous dire une chose, on a peut-être perdu de vue... et ça vaut dans le domaine des médias, dans le domaine de l'information, dans bien d'autres domaines, je pense qu'on a perdu de vue, aussi, la valeur de cette information-là. Et je pense qu'à partir du moment où on fait réaliser aux gens, et aux jeunes en particulier, que, ce qu'ils consomment, que ce soit de la musique, que ce soit du divertissement, que ce soit du vidéo ou que ce soit de l'information, il y a un coût, nécessairement, associé à ça, et pour préserver ces contenus qu'ils apprécient et qu'ils chérissent, moi, il me semble qu'effectivement ils sont prêts à faire une contribution.

Cette semaine, je feuilletais une étude qui a été publiée l'an dernier par Reuters Institute, qui nous montrait que les gens qui contribuent financièrement, par un abonnement, ou par une donation, ou peu importe, à un média d'information au Canada, ça représente... en tout cas, dans certains pays, ça représente entre 20 % et 30 %. Il y a un bassin, là, important. Et cette étude-là nous montre que ceux et celles qui sont le plus, j'allais dire, aptes ou susceptibles de contribuer financièrement à un contenu, qu'il soit numérique ou autre, ce sont les moins de 45 ans. Alors, je pense qu'à partir du moment où les gens, et les jeunes en particulier, comprennent que ce qu'ils ont entre les mains, ça a un coût, ça a une valeur, un peu comme ils le font maintenant, aujourd'hui, avec les applications, les iTunes et Spotify... Alors, il y a un prix à payer. Quel est-il, ce prix-là? Ça, ça reste à déterminer, mais je pense qu'ils sont capables de comprendre que, s'ils veulent conserver ça, oui, il y a une contribution à faire, dans la mesure où elle est raisonnable puis elle correspond à leurs moyens. Et moi, je suis convaincu qu'ils sont prêts à embarquer là-dedans, peut-être pas demain matin, mais sur un avenir plus ou moins moyen, je pense que oui.

M. Chassin : Puis, si je peux me permettre de construire sur votre argumentation, de réaliser aussi que, derrière, par exemple, la gratuité de certains sites, il y a néanmoins un coût, que ce soit, par exemple, leurs données personnelles ou en publicité, donc de réagir à l'offre qui leur est faite de façon peut-être plus éclairée. J'imagine aussi, puis je le postule, je vous pose un peu la question, mais que, quand on a une certaine éducation aux médias, on se permet d'avoir les bons critères pour distinguer entre une nouvelle versus une opinion, versus une chronique, versus, je ne sais pas, moi, une controverse. Est-ce que c'est ça aussi, l'esprit de votre esprit... bien, en fait, de votre définition de l'éducation aux médias? Vous parliez du programme, là, 30 secondes avant d'y croire.

Mme Roberge (Hélène) : Peut-être une petite suggestion ou petit rêve, dans le fond. Parce que, vous savez, tu sais, il y a eu des grandes campagnes pour la ceinture de sécurité, exemple, en tout cas, moi, dans mon âge à moi, puis c'étaient les enfants, tu sais, qui disaient : Aïe! Maman, attache ta ceinture, tu sais, parce qu'ils avaient été vraiment bien éduqués à ça, même à l'école, là. Nous autres, on parle même du primaire. Bien, moi, je rêve, là, que les enfants, dans pas longtemps, disent : Aïe! Maman, as-tu vérifié ta source? C'est-u une bonne source? C'est-u une vraie nouvelle, ça? Bien, si on réussit ça dans un avenir moyen, on va avoir tellement réglé de choses. Moi, c'est ce que je nous suggère, là, que je nous propose aussi, comme province.

M. Gagnon (Blaise) : Pour rajouter, puisqu'on parle des enfants, j'ai une petite anecdote. Puis, dans mon enseignement, j'aime ça, souvent, partager des tranches de vie, mes étudiants vont rire en entendant ça. J'ai ma plus jeune qui avait huit ans et qui, un jour, me dit, puis ça fait quelques années, ça fait quatre ans, ma plus jeune me dit : Papa, je voudrais qu'on aille magasiner à Plaza St-Hubert. J'ai dit : Mais, Laura, on demeure à Chicoutimi, Plaza St-Hubert, c'est à Montréal. Ça fait qu'elle m'a dit : Oui, mais Vanessa Pilon a parlé d'une boutique avec, vraiment, des beaux vêtements, puis tout ça, sur Instagram, ou sur YouTube, ou peu importe. Et là, bien, je lui ai dit : Oui, mais tu sais que Vanessa Pilon, elle gagne de l'argent pour faire la promotion de ces boutiques-là et tout, tu sais, c'est son travail, ça fait partie de son métier. Elle m'a dit : Elle gagne de l'argent pour parler de la boutique? Ah! bien, on va magasiner à la Place du royaume, d'abord. Tu sais, donc, tu sais, juste ça, ça lui faisait prendre conscience qu'en fait c'est un média. Puis là, bien, on voit que c'est important d'expliquer aux jeunes, de bien leur faire comprendre puis de bien faire la distinction entre un publireportage, un éditorial, un billet, un commentaire, un article de fond, etc. Je vous rejoins là-dessus, M. le député.

M. Chassin : J'ai envie de vous poser une toute dernière question, sans vous mettre nécessairement dans l'eau chaude, mais vous avez parlé de fermetures de médias, notamment régionaux. Dans plusieurs médias, ils sont encore vivants mais ils ont moins de journalistes à leur emploi. Souvent, les journalistes sont obligés de couvrir des territoires assez vastes, etc. Est-ce que ça aussi, c'est quelque chose qui, pour vous, bien, évidemment, doit être préoccupant, mais est une tendance lourde que vous observez, par exemple, avec vos finissants, quand on vient les chercher, qu'on leur demande d'avoir, finalement, une grande polyvalence et de travailler sur des territoires et des sujets très vastes?

M. Arseneault (Éric) : J'aurais tendance à vous dire que, déjà, en partant de chez nous, ils sont sensibilisés aux types de conditions de travail qui seront les leurs sur le marché du travail. Moi, j'insiste beaucoup avec mes étudiants en journalisme sur la nécessité d'être multitâche, donc d'être capable de faire toute une série de choses. Elle est terminée l'époque où, à la radio, par exemple, les gens, tout ce qu'ils faisaient, c'était un reportage radio. Maintenant ils font de la télé, maintenant ils font du Web, maintenant ils font plein de trucs. Et c'est important également... et on les sensibilise à ça, au principe aussi de ce qu'on appelle le multiplateforme. Aujourd'hui, leur produit, leur contenu, ce qu'ils vont produire ne sera pas destiné à un seul média, mais va être destiné à toute une série de plateformes qui gravitent autour de leur média. Alors, je vous dirais que, lorsqu'ils débarquent dans leur milieu de stage ou encore dans leur milieu d'emploi plus tard, ils ont déjà une bonne idée, je pense, de ce qui les attend. En tout cas, on essaie du mieux possible de les préparer à cette réalité-là qui est incontournable aujourd'hui.

M. Gagnon (Blaise) : Mais c'est un fait que, dans les petits marchés, par exemple, particulièrement... soit dans les journaux, hebdos ou dans les radios, dans des marchés, par exemple, comme Gaspé, Havre-Saint-Pierre, Fermont, souvent le service des nouvelles, c'est un journaliste. Donc, évidemment, il va faire un quart de travail normal, il va préenregistrer certains de ses bulletins de nouvelles, mais... donc, forcément, il ne peut pas être partout. Donc, ça, ça fait partie de ce que je mentionnais tantôt, les conditions de travail. Ce n'est pas des conditions de travail idéales pour un journaliste, ça ne lui donne pas beaucoup de temps pour fouiller son dossier, vérifier sa nouvelle et puis se déplacer d'un bout à l'autre d'un territoire, souvent... On connaît le Québec, un journaliste à Havre-Saint-Pierre qui va couvrir, par exemple, toute la Minganie ou un journaliste à Gaspé qui va couvrir tout le sud de la péninsule gaspésienne, c'est vraiment un grand, grand territoire.

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, je cède la parole au député de Saint-Jean pour 2 min 35 s.

M. Lemieux : Merci, Mme la Présidente. Mme Roberge, M. Arseneault, M. Gagnon, le fier bleuet d'adoption que je suis vous salue et le presque étudiant d'ATM que j'ai presque été vous remercie de ce que vous avez fait depuis que je n'y suis pas allé, bon.

Pour l'éducation au sujet des médias, on en a beaucoup parlé, mais je veux juste rajouter que moi, j'ai toujours pensé que les «fake news», c'était un danger qui est en train de nous montrer jusqu'à quel point il vient doper le cynisme ambiant, parce que... Dans le fond, moi, mon problème avec ça, c'est le cynisme, c'est le résultat. Le «fake news», à la limite, puis on le voit tous les jours avec le président Trump, ça peut être drôle, là, mais il y a un cynisme ambiant qui est dopé en ce moment. La démarche que vous voulez faire, non seulement je la salue, mais je ne suis pas sûr que notre ministre de l'Éducation va trouver de la place dans les horaires, en ce moment, mais ne serait-ce que ce qu'on fait ici, à cause d'une crise, malheureusement, c'est déjà un début, mais, vous avez raison, il faut continuer de travailler là-dessus.

Vous venez de parler du multidisciplinaire. C'est fondamental pour les nouveaux journalistes et les nouveaux travailleurs de toute l'industrie des médias. Comment vous vous êtes adaptés, vous? Comment ça s'est fait? Étiez-vous en avant de la vague, ou, pour toutes sortes de bonnes et de mauvaises raisons, y compris les budgets, vous étiez en arrière de la vague du genre : Bien, l'industrie a fait ça, il faudrait qu'on fasse ça, nous autres aussi, ou avez-vous réussi à être un petit peu en avant? Puis j'ai vu, moi aussi, les derniers studios. Depuis sept ans, je pense que vous êtes en avant, là, mais pour les besoins de la discussion.

M. Gagnon (Blaise) : En fait, je vous répondrais qu'on est toujours connectés avec le milieu. J'ai parlé, tout à l'heure, des milieux de stage, nos enseignants se déplacent. Moi, je me déplace, en supervision de stage. J'ai un étudiant, une étudiante qui est en stage à Rimouski, à Sept-Îles, je vais aller sur place rencontrer, oui, bien sûr, l'étudiant, j'ai des communications avec lui presque à tous les jours, lui ou elle, et puis ensuite je me rends sur place et là je rencontre la direction, je rencontre le journaliste, les animateurs, les animatrices qui sont dans cette station de radio là. Donc, on est tout le temps connectés sur le milieu, bien conscients de l'évolution des technologies, par exemple, ou de la façon de diffuser l'information, de l'utilisation des médias sociaux, etc. Donc, on l'intègre au fur et à mesure dans notre enseignement. Par exemple, l'année passée, on s'est fait donner, les enseignants avec notre groupe d'étudiants, une formation de deux jours sur le podcast, sur le balado. Alors, on a vu l'ensemble des techniques pour créer, concevoir un balado, on a expérimenté et on a créé chacun un balado, et ensuite, bien, cette année, dans mon cours qui est commencé, là, depuis deux semaines, les étudiants vont créer un balado à leur tour. Donc, on est vraiment, je pense, tout le temps assez ajustés avec le marché, avec la technologie. Souvent, on enseigne deux, trois logiciels de traitement sonore, puis, dans une radio, ils vont en utiliser juste un, mais ils en connaissent déjà deux, trois.

La Présidente (Mme Nichols) : Je vous remercie. Nous poursuivons la période d'échange avec Mme la députée de Verdun.

• (10 heures) •

Mme Melançon : Bonjour à vous trois, très heureuse de vous retrouver à cette commission, puis vous faites très bien ça. C'est votre première, et ça se passe très, très bien, je tiens à le mentionner.

Je vais continuer à faire du pouce, parce que, contrairement à ce que vient de dire le député de Saint-Jean, là, je ne pourrai pas être d'accord. On est en pleine réflexion, actuellement, sur les programmes collégiaux, et j'espère qu'on va trouver un petit peu de place dans le cursus pour parler, justement, de tout ce qui s'appelle, là, «fake news», parce qu'il faut... on l'a vu, là, les très jolies capsules, là, 30 secondes avant d'y croire, il faut continuer à pousser, il faut être en éducation auprès de nos jeunes pour leur démontrer... puis je dis les jeunes, mais aussi les moins jeunes, disons-le, hein, je pense qu'il va y avoir de la place dans tout ça.

Rapidement, on discute énormément, et ça fait cinq jours, là, où on est en discussion, je pense qu'il y a unanimité sur le fait qu'on doit taxer les géants du Web, je pense que ça s'est très bien dégagé. Est-ce que vous êtes d'avis qu'on doive attendre après 2020, qu'on doive attendre l'OCDE ou est-ce qu'on devrait agir immédiatement?

Mme Roberge (Hélène) : Ça nous apparaît évident qu'il faut agir tout de suite, puis ça, c'est clair.

J'avais un petit exemple aussi au niveau de l'éducation, parce que ça m'a fait penser à d'autre chose tantôt, mais, quand... On est comme assez prêts, au niveau de la technique, et tout ça. Je pense que nos enseignements sont très ajustés, comme vient de le dire Blaise, mais aussi, au niveau de l'éducation des plus jeunes, on a déjà commencé. Nos enseignants vont faire des conférences dans des classes. Ils sont toujours là, ils sont toujours présents, ils disent toujours oui. Puis on a même accueilli, l'an passé, un partenariat avec une école primaire. Les élèves ont développé un petit cursus journalisme. Bien, ils sont venus en ATM produire une émission, on les a enregistrés, on les a mentorés. Si vous aviez vu les étincelles de ces jeunes-là du primaire, c'était extraordinaire. Puis nos jeunes... c'est extrêmement valorisant d'être le mentor d'un plus jeune puis de montrer toutes les connaissances que tu viens d'acquérir. Alors, c'est des expériences comme ça aussi. Ce n'est pas nécessaire de mettre ça toujours dans le cursus, mais des fois il y a déjà de la place. On a des offres comme ça assez régulièrement, je vous dirais, puis de plus en plus. Ça nous interpelle, puis on trouve qu'on a un rôle, aussi, à jouer par rapport à ça.

Mme Melançon : Bien, merci, Mme Roberge. Puis moi, je peux aussi témoigner, comme l'ont fait d'autres collègues, j'ai vu, je suis allée chez vous, dans une autre vie, qui n'est pas si lointaine. Je me rappelle, j'étais même accompagnée du député de Jonquière, qui était avec nous, à l'époque. On était allés voir, puis c'est vrai, vous êtes vraiment, en tout cas, en avance sur bien des stations de radio, disons-le, mais on voyait que, technologiquement parlant, vous étiez formidables.

Je reviens sur l'idée de la taxation. Ce matin, j'ai présenté un tableau comme celui-ci, où on exprime qu'il y a près de 120 millions de dollars minimum qu'on peut aller chercher et pour la culture et pour les communications. Et il ne faut pas être à la remorque du gouvernement fédéral pour agir. On peut agir, on doit agir, et il y a urgence là, et ça, c'est de l'argent qui dort, actuellement, qui pourrait être investi pour nos médias.

Cela étant dit, vous parliez, tout à l'heure, que vous aviez 125 nouveaux élèves à chaque année, une quarantaine de finissants...

Mme Roberge (Hélène) : ...de finissants, oui, oui.

Mme Melançon : Voilà. Et moi, je veux savoir... Le métier a changé énormément, là. Depuis 1968, là, vous avez dû vous adapter à plein de transformations. On a entendu des journalistes indépendants dire : Bien, parfois, là, ça peut être 50 $ pour un texte de 500 mots. C'est difficile, actuellement. Le taux de placement, chez vous, il est de combien? Parce que je pense que c'est un haut taux de placement, mais je veux aussi savoir est-ce que ce sont dans de bons emplois.

Mme Roberge (Hélène) : Je laisserais répondre Blaise, oui.

M. Gagnon (Blaise) : Bien, effectivement, le taux de placement est excellent. On regardait les chiffres de la dernière cohorte en journalisme, plus de 80 % des étudiants on trouvé un emploi, souvent même après... en terminant leur stage. C'est souvent le tremplin pour leur premier emploi, dans le média où ils ont fait leur stage.

Par contre, effectivement, je l'ai mentionné tantôt, les conditions de travail ne sont pas toujours... elles n'ont pas beaucoup évolué, effectivement. On a entendu d'autres présentations hier après-midi, entre autres, il en était question, et les piges, par exemple, ce n'est vraiment pas très payant. Les conditions de travail n'ont pas évolué, pas autant que nous, on peut suivre la technologie ou les tendances, par exemple. Ça, c'est clair et net, que les conditions ne sont pas très, très bonnes, et c'est ce qui explique peut-être qu'il y a quand même un fort roulement dans les médias et ce qui explique un peu aussi ce haut taux de placement. Parce qu'il y a comme un paradoxe, là, on parle de crise dans les médias et, en même temps, on se rend compte que 80 % de nos étudiants trouvent un emploi dans les médias. Ça explique... Je pense que le fait qu'il y ait un fort roulement... parce que des jeunes se découragent, des jeunes retournent aux études, des jeunes trouvent un emploi en communications mais pas nécessairement dans un média. Ça, on a beaucoup d'étudiants, de finissants qui se retrouvent en communications, qui... dans l'événementiel, dans des... Je suis convaincu qu'il y a beaucoup de vos attachés de presse et d'attachés politiques qui sont d'anciens d'ATM. Je suis convaincu, convaincu.

Mme Melançon : D'ailleurs, on a entendu des gens venir nous dire : Jamais les journalistes n'ont été aussi bien formés qu'ils le sont actuellement. On a plusieurs, plusieurs témoins, là, qui sont venus nous dire ça. Vous, est-ce que ça vous inquiète, de voir que le gouvernement pourrait mettre en place des programmes? Et est-ce que vous voyez une corrélation négative avec l'indépendance des journalistes et une aide étatique?

M. Arseneault (Éric) : Je peux me risquer à vous proposer une réponse sur ce terrain-là, encore que la réponse sera peut-être davantage personnelle qu'au nom de mon institution, mais moi, sincèrement, je reste... Puisque nos journalistes sont effectivement bien formés, puisque, dès le départ, ils sont sensibilisés aux règles d'éthique et aux règles déontologiques dans une entreprise de presse, ils savent nécessairement qu'il y aura des contraintes autour d'eux. Mais je suis convaincu, moi, qu'à partir du moment où ils sont sensibilisés à cette question-là, le fait que des fonds pourraient venir... ou une contribution financière pourrait venir de l'État, ils sont capables de faire la part des choses, ils sont capables de faire la différence. Et, on voit, il y a certains de nos médias d'information qui, effectivement, profitent de financement étatique, et ça ne fait pas des artisans, des journalistes qui travaillent pour eux de moins bons journalistes, au contraire. Moi, j'ai l'impression qu'ils savent où tracer la ligne, ils savent qu'ils vivent dans un environnement où il y a des pressions qui viennent de partout. Ça vaut pour les contributions gouvernementales, mais, pour avoir travaillé pendant des années dans le secteur privé, je peux vous dire une chose, quelquefois aussi on était très sensibles puis des fois même très sensibilisés aux pressions qui venaient des annonceurs, donc des gens qui contribuaient par la publicité. Mais on était aussi, là, capables de s'adapter puis capables de tracer la ligne, puis il y a des lignes qu'on ne peut pas franchir. Dans un certain sens, moi, je ne serais pas inquiet outre mesure par rapport à ça.

Mme Melançon : Je voudrais vous entendre au sujet de la mode, je vais dire ça ainsi, là, qui va sur les chroniqueurs, actuellement. Parce que, M. Arseneault, vous êtes professeur de journalisme...

M. Arseneault (Éric) : Et chroniqueur.

Mme Melançon : ...et chroniqueur, je veux vous entendre sur ce sujet-là. C'est quoi, la ligne? Même pour nous, là, comme élus, parce que ça fait quelques jours, là, où entend parler de ça... J'aimerais vous entendre sur le sujet. C'est quoi, la ligne, pour vous, entre un chroniqueur... Est-ce qu'un chroniqueur est un journaliste? Je vais y aller comme ça.

M. Arseneault (Éric) : Certains le sont, certains ne le sont pas. Parce que, dans un certain sens, la limite entre les deux, c'est que le journaliste strictement journaliste, c'est celui qui traite les faits. Le chroniqueur, c'est celui qui, à partir des faits, va proposer une contextualisation, va proposer une opinion, va proposer une façon de voir les choses, une façon d'interpréter les événements. Et le journalisme d'opinion est reconnu comme étant une forme de journalisme, à partir du moment où ce travail-là est fait de la bonne façon, c'est-à-dire que l'argumentaire qui est développé par le journaliste s'appuie sur des faits qui sont rigoureux, qui sont prouvables. À partir de ce moment-là, je pense que les chroniqueurs ont tout à fait leur place à l'égard... à l'intérieur, donc, de ce truc-là. Le problème, c'est qu'il y a certains de ces chroniqueurs qui, à un certain moment donné, ont pris des libertés, des latitudes avec cette vérification des faits puis sur le fait d'appuyer ou de baser leurs chroniques sur des faits qui sont rigoureux. Là, ça ne devient plus de la chronique, là, là ça devient de l'opinion pure et simple.

M. Gagnon (Blaise) : De l'opinion personnelle.

La Présidente (Mme Nichols) : En 30 secondes.

Mme Melançon : Et hier on a entendu Mme Payette. Vous étiez là, dans la salle, lorsque Mme Payette est venue nous rencontrer. Vous, sur définir un statut de journaliste professionnel au Québec, vous en pensez quoi?

M. Arseneault (Éric) : Si vous avez deux heures après la commission, ça va me faire plaisir d'en jaser avec vous.

Mme Melançon : Aïe! Savez-vous quoi? On prendra un café, parce que, oui, je suis très intéressée sur le sujet.

M. Arseneault (Éric) : C'est un débat qui a cours, et je suis conscient, puis vous l'êtes aussi, il n'y a pas d'unanimité au sein de la profession.

Mme Melançon : Clairement pas.

M. Arseneault (Éric) : Il y a même un clivage générationnel, comme Mme Payette le faisait ressortir hier, par rapport à tout ça. On a tous et chacun notre idée là-dessus, mais des fois on aurait le goût qu'il se fasse un petit peu de ménage là-dedans.

Mme Melançon : Merci.

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, merci. La parole est à la députée de Taschereau pour 2 min 30 s.

Mme Dorion : Merci. Bonjour. Merci d'être là. Je suis curieuse de savoir comment... C'est superintéressant, ce que vous dites sur les chroniqueurs, le journalisme... comment on appelle ça, de la chronique journalistique? Quel mot vous avez donné?

M. Arseneault (Éric) : Journalisme d'opinion, oui.

Mme Dorion : Journalisme d'opinion. Il y en a du très bon qui se fait dans le tas et il y en a qui se dit journalisme d'opinion qui n'est pas... comme vous le dites, qui est sorti de ce qu'était la définition du journalisme d'opinion et qui, finalement... c'est juste une opinion personnelle mais qui a une grosse tribune, souvent dans des médias reconnus comme tels qui font aussi de l'information à côté, ou dans des radios, ou dans toutes sortes de... Ce genre de chronique, ce genre d'opinion a explosé en nombre et en proportion, dans les dernières années, avec la fuite des revenus parce que ça rapportait. On est pris dans une espèce de situation où on en a besoin parce que c'est ce qui attire les gens vers notre média, mais c'est un danger parce que ce n'est pas basé sur des faits, c'est... bon. Comment vous parlez de ça aux jeunes, aux futurs journalistes ou gens de com? Comment vous leur parlez de ça?

• (10 h 10) •

M. Gagnon (Blaise) : Éric, tu veux y aller?

M. Arseneault (Éric) : Bien, avec plaisir. Dans la mesure où... Moi, je dis toujours à mes étudiants : Si un jour vous voulez donner dans le journalisme d'opinion, il faut d'abord que vous ayez été journaliste factuel. Et, à mon sens, la transition se fait, pour certains, naturellement, pour d'autres, qui choisissent de demeurer dans le secteur du journalisme factuel, c'est bien parfait comme ça. Mais la tentation qu'ont les jeunes aujourd'hui, d'autant plus avec les plateformes qui sont à leur disposition, c'est qu'ils ont désormais des outils et des moyens de pouvoir exprimer leurs opinions de façon, j'allais dire, très débridée, sans aucune forme de recherche, ce qui n'existait pas auparavant. La tentation est peut-être, aujourd'hui, encore plus grande de passer cette étape-là du factuel puis de la vérification pour aller directement à l'opinion. Moi, je pense qu'il y a un équilibre à trouver, peut-être, par rapport à tout ça. Et, s'il est vrai que, pour certains médias, les chroniques d'opinion, que les chroniqueurs on tété une sorte de vaches à lait ou une façon pour eux, effectivement, de continuer à maintenir un contenu qui permet également d'avoir du factuel... Tu sais, on est dans un balancier. Quelquefois, on balance un peu trop d'un bord, puis trop de l'autre, puis tout est dans l'équilibre.

Mme Dorion : Il me reste 15 secondes. Est-ce que vous pensez qu'il devrait y avoir une forme d'autorégulation ou de normes décidées par les journalistes eux-mêmes, de tous types, pour déterminer, faire la différence entre du journalisme d'opinion et de l'opinion pure et simple?

La Présidente (Mme Nichols) : En quelques secondes, s'il vous plaît.

M. Arseneault (Éric) : Ces normes-là existent déjà. Le Conseil de presse a déjà des règles par rapport à ça. Le truc, c'est qu'il faut les appliquer.

La Présidente (Mme Nichols) : Merci. Alors, pour poursuivre la période d'échange, j'ai besoin d'un consentement pour donner la parole au député de Jonquière.

Des voix : ...

La Présidente (Mme Nichols) : Aïe! Avec enthousiasme, consentement, M. le député de Jonquière.

M. Gaudreault : Merci, merci. Vous me permettrez de dévoiler mon conflit d'intérêts, Mme la Présidente, et de saluer des collègues estimés du cégep de Jonquière et du département d'Art et technologie des médias, dont je fais toujours partie, étant en congé sans solde et libération pour charge publique. Alors, merci de votre brillante présentation, et je sais à quel point vous êtes professionnels dans votre approche. D'ailleurs, il y a des anciens d'ATM ici, dans la salle, et ça démontre que plusieurs se rendent à différents paliers de couverture journalistique.

Vous parlez d'éducation aux médias et vous avez mis le doigt, également, sur l'importance de préserver l'exclusivité d'ATM au cégep de Jonquière, comme d'autres programmes exclusifs dans les régions, d'ailleurs. Depuis plusieurs années, sous divers gouvernements, que ce soit le gouvernement du Parti libéral ou le gouvernement du Parti québécois, présentement, avec le gouvernement actuel, il y a un projet d'école nationale des communications, et on attend toujours l'autorisation pour obtenir le statut d'école nationale. Moi, j'aimerais savoir, de votre part, qu'est-ce que ça va amener de plus, quelle sera la plus-value d'un statut d'école nationale, notamment dans cette optique d'éducation aux médias et de préservation également d'une exclusivité importante en région.

Mme Roberge (Hélène) : Bien, certaines choses, quand même, plusieurs choses. Je commencerais peut-être avec la possibilité de développer puis de consolider aussi des partenariats que nous avons déjà, tu sais, autant des partenariats dans nos régions, nationaux, même internationaux, parce qu'on est toujours en train de se développer, d'essayer de se démarquer puis de travailler avec d'autres institutions aussi, qui fait qu'on est encore plus forts.

Il y a aussi la recherche, tout le secteur de la recherche, qu'on souhaite développer parce qu'on considère qu'on a une très bonne expertise par rapport à ça, mais les moyens ne nous permettent pas nécessairement de développer ce volet-là. Ça nous prendrait soit des professeurs-chercheurs ou des professionnels aussi, chose qui est difficile, actuellement, là, dans la façon dont on est organisés présentement.

Il y a aussi de préserver, dans le fond, l'exclusivité. Vous l'avez mentionné, mais il y a beaucoup de programmes, aussi, qui se développent un peu au Québec, un peu partout, mais ce n'est pas ATM, là, donc on veut préserver notre place, préserver notre expertise, puis on pense que le fait d'avoir un statut particulier pourrait nous permettre de préserver tout ça, et de continuer à se développer, puis d'avoir les moyens, surtout, de le faire. Est-ce qu'il y a d'autres choses? Non, je pense que ça fait pas mal le tour, mais...

M. Gagnon (Blaise) : Bien, est-ce que je peux ajouter quelque chose?

M. Gaudreault : Oui.

La Présidente (Mme Nichols) : Très, très rapidement.

M. Gagnon (Blaise) : On a plein d'idées de projets. On parle des ateliers d'éducation aux médias. On veut développer un volet journalisme des Premières Nations, c'est très demandé chez les Premières Nations. Donc, ça, à partir du budget d'opération régulier, je pense que c'est difficile de pousser ce genre de développement là. Mais, comme c'est demandé par les Premières Nations, nous, on veut vraiment être là en formation pour eux.

La Présidente (Mme Nichols) : Merci. Alors, je suis désolée, le temps est restreint. La parole est à la députée de Marie-Victorin.

Mme Fournier : Merci beaucoup. À mon tour de souligner l'excellent travail que vous faites. C'est vraiment un plaisir de visiter et même de prendre part à des entrevues avec vos étudiants, tout ça, donc chapeau!

J'ai deux petites questions pour vous. D'abord, vous nous avez bien dit, vous préparez les étudiants que vous avez au cégep aux difficultés qu'ils vont rencontrer sur le marché du travail. Mais est-ce que vous sentez, depuis quelques années, une augmentation des craintes, peut-être, chez les étudiants, quant à leur avenir professionnel? Ma deuxième question, peut-être plus rapidement : On a parlé d'éducation aux médias, est-ce que, dans ce contexte-là, vous seriez favorable à l'instauration d'un cours d'éducation à la citoyenneté au primaire, au secondaire, qui comprendrait une partie d'éducation aux médias?

M. Arseneault (Éric) : Je vais me permettre de répondre à votre deuxième question tout de suite en vous disant oui. Et, à la première question, oui, effectivement, nos étudiants sont craintifs. Ils voient, ils entendent parler de la crise que vit le secteur de l'information et, inévitablement, ils se posent des questions : Est-ce que c'est un domaine dans lequel je vais pouvoir, effectivement, avoir un emploi? Et moi, j'ai toujours deux réponses à leur faire. Première des choses, comme on a déjà, je pense, souligné, on n'a jamais eu autant besoin de journalistes que maintenant, et on a encore davantage besoin de vous, surtout que vous autres, les jeunes, vous allez peut-être trouver des solutions que nous autres, les têtes grises comme moi, on n'a pas encore réussi à trouver pour adapter le modèle. Et, deuxième des choses, on se rend compte que, si certains secteurs médiatiques sont effectivement touchés de plein fouet par la crise, on le voit avec la presse écrite, d'autres secteurs de l'information sont par contre en plein développement, en plein bourgeonnement. Il y a des producteurs de contenu qu'on voit apparaître un petit peu partout. Le Web offre des possibilités extraordinaires. On est encore dans une phase de transformation et de mutation. Et moi, je dis aux jeunes : Suivez votre coeur. Vous avez la passion, vous voulez servir votre communauté, votre collectivité? Allez-y.

Des voix : ...

M. Arseneault (Éric) : Ah! je suis sûr que oui.

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, merci. Le temps étant écoulé, je vous remercie pour votre contribution aux travaux de la commission.

Et nous allons suspendre, le temps que notre prochain intervenant puisse s'installer. Merci.

(Suspension de la séance à 10 h 17)

(Reprise à 10 h 20)

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, je souhaite la bienvenue à M. Christian Desîlets, notre prochain représentant. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, puis nous procéderons à la période d'échange. Alors, je vous invite à vous présenter ainsi que débuter votre exposé.

M. Christian Desîlets

M. Desîlets (Christian) : Bien, bonjour. Merci de me recevoir. Mon nom est Christian Desîlets, je suis professeur de publicité à l'Université Laval et je m'intéresse particulièrement à l'impact du numérique sur les pratiques médiatiques.

Je m'adresse à vous aujourd'hui en tant qu'expert de la communication marketing. On vous a exposé en long et en large, toute la semaine, l'impact qu'a eu le numérique sur les médias d'information. On a entendu dire et répéter que le nouveau modèle d'affaires dans le monde numérique n'existe pas encore, qu'on le cherche et que, si ça existait, on le saurait. C'est inexact. Vous avez reçu, cette semaine, des représentants de quelques médias qui ont développé des modèles bien adaptés.

Au coeur des modèles réussis, il y a habituellement trois grands principes que les médias disparus ou en voie de disparition n'ont pas acceptés, ou pas adoptés à fond, ou pris du retard à appliquer. Un, c'est la vision du client qui doit être au centre de toutes les préoccupations. Les médias qui peinent à survivre ont de la difficulté parce qu'ils ont mis, au coeur de leur modèle d'affaires, leur vision personnelle de ce qu'est une information de qualité, et tant pis pour ceux qui ne sont pas d'accord avec eux. Il y aurait beaucoup à dire sur les conséquences néfastes de cette approche, mais les chiffres parlent par eux-mêmes.

Tout au long de vos travaux de cette semaine, j'ai abondamment entendu l'opinion que les représentants des médias se font de la qualité et de l'importance, très réelle d'ailleurs, de leur travail. Je n'ai pas entendu l'opinion du public. Ça doit aller plus loin que les chiffres de circulation et le niveau de confiance. Dans le cas des journaux, il est peut-être plus important encore de savoir non seulement combien de titres sont lus chaque jour et dans quelles catégories et de savoir combien de gens ne lisent que les titres et pas les articles, mais il faut aussi, pour être au niveau des pratiques les plus avancées, être capable de dresser le profil d'usage et d'intérêt de chaque personne. Ça va plus loin que la segmentation.

Les autres médias ont des préoccupations similaires. Demandez aux artisans de la radio s'ils sont satisfaits de la méthodologie des sondages qui déterminent leurs parts d'écoute et leurs parts de maché. Alors, je pense que, dans le domaine de la mesure de la consommation réelle des médias d'information, nombreux sont les médias d'information qui accepteraient de l'aide pour développer nos connaissances et nos outils.

Deuxième principe, c'est la donnée qui est désormais la ressource la plus précieuse des organisations. C'est sur le terrain des données que toutes les grandes batailles se jouent et se perdent. La capacité de collecter, de traiter, de valoriser un nombre toujours plus grand de données est ce qui permet d'accroître son intelligence d'affaires et de proposer des contenus toujours mieux ciblés, donc plus pertinents et plus satisfaisants pour son auditoire.

Trois, pour réussir dans le monde numérique, il ne suffit pas de bricoler l'ancien modèle de gouvernance, il faut le changer complètement ou carrément partir, créer une nouvelle organisation. Alors, pour réussir, il faut des organisations déstructurées, plus souples, plus réactives, plus agiles, plus innovantes, qui favorisent l'expérimentation et la collaboration et qui aident le personnel à acquérir de nouvelles compétences et qui les récompensent en conséquence.

L'Internet n'est pas un univers fait pour les vases clos, il est fait pour la collaboration, pour l'insertion des acteurs dans des modes de travail et de décision beaucoup plus ouverts et pour la mise en commun des ressources. D'autre part, le concept, là, de virage numérique est trompeur, il conduit à penser qu'une fois ce virage réalisé les efforts d'adaptation sont terminés. Ceux qui vous ont dit ici avoir déjà accompli et réussi leur virage numérique n'ont pas bien compris dans quel monde ils vivent et ils s'imaginent qu'une fois le premier virage négocié ils peuvent se mettre sur le pilote automatique ou, pire, se stationner au milieu de l'autoroute. La réalité va les frapper plus rapidement qu'ils ne le pensent, et non seulement on doit s'attendre à ce qu'une récession pointe son nez, mais on doit s'attendre aussi à ce que l'évolution des technologies de l'information continue à se faire et à s'accélérer. Dans mon mémoire, je vous ai donné un aperçu de ce que sera l'écosystème médiatique d'ici 10 ans si la tendance se maintient. Eh bien, les sites Web et les médias sociaux ne seront plus dominants, ça va être autre chose.

Alors, j'ai brossé jusqu'ici un portrait de l'univers des médias d'information en fonction des problèmes de l'ancien monde à s'adapter au nouveau. Mais, sans être professeur de journalisme, je travaille au sein d'un département de l'Université Laval qui me permet de côtoyer des professeurs et surtout de jeunes étudiants en journalisme, qui sont passionnés et qui ont le feu dans les yeux. Pour eux comme pour mes étudiants et mes collègues en publicité mais aussi comme pour bien d'autres professionnels en exercice, l'avenir n'est pas nécessairement sombre, il est même enthousiasmant pour plusieurs d'entre eux.

Alors, si le gouvernement en vient à la conclusion qu'il peut et doit aider tous les médias d'information, ceux qui veulent réussir leur transformation numérique mais aussi ceux qui l'ont réussie jusqu'ici, je pense qu'il devrait ajouter à son bouquet de mesures la création et le financement d'une structure de concertation et d'innovation. Le gouvernement du Québec ne serait pas le premier à créer des politiques de soutien à l'innovation ciblant spécifiquement les médias d'information.

En complément à mon mémoire, je peux déposer à la commission, si elle le souhaite, un tableau portant sur les politiques d'innovation industrielle de 16 pays européens et qui permet de constater que sept d'entre eux ont adopté de telles politiques ciblant spécifiquement les médias d'information : l'Autriche, le Danemark, la Finlande, la France, l'Italie, les Pays-Bas et la Suisse. L'étude n'est pas exhaustive. On pourrait rajouter le Royaume-Uni, par exemple. J'ajoute que les Pays-Bas ont créé une structure semblable financée à hauteur de 5 millions d'euros par année. J'ai signalé aussi, dans mon mémoire, l'existence de toutes sortes d'initiatives à travers le monde qu'une structure comme celle que je propose pourrait étudier et aider à mettre en oeuvre ici. Je citerai le cas d'une régie publicitaire commune, qui a été évoquée devant vous et à propos de laquelle on vous a parlé des avantages que ça pourrait procurer. Mais on a déjà l'exemple, en Grande-Bretagne, de journaux concurrents — le Sun, le Times, le Daily Telegraph, le Guardian — qui se sont déjà regroupés pour se doter d'une régie publicitaire commune. J'ai cité, dans mon mémoire, bien d'autres exemples d'initiatives qui mériteraient réflexion, comme une plateforme d'accès à l'ensemble des médias d'information québécois avec une formule d'abonnement. Ce n'est pas irréaliste. Apple New donne déjà l'accès complet au Wall Street Journal, au Los Angeles Timeset à plus de 200 magazines pour 9,99 $ par mois.

À propos de l'idée de l'aide que Radio-Canada ou Télé-Québec pourrait jouer afin d'aider la relève et de couvrir l'information régionale là où il en manque, je vous citerai l'initiative de la BBC, en Grande-Bretagne, qui, en concertation avec 100 médias locaux et avec un budget de 8 millions par année, paie 135 journalistes en région pour produire de la nouvelle hyperlocale, incluant la couverture des assemblées municipales. En 2018, 54 000 nouvelles ont été ainsi produites et partagées par la BBC avec tous ses partenaires externes. Ensemble, ils ont même créé un service partagé de données d'enquête. Ce service, qui dessert actuellement l'Angleterre, l'Écosse et le pays de Galles, va s'étendre, l'année prochaine, à l'Irlande. Les services publics de nouvelles de la Nouvelle-Zélande, de la Suède, du Canada, du Japon et de la Norvège s'intéressent déjà à ce type d'initiative et sont en contact avec la BBC.

Comme toutes les organisations engagées de gré ou de force dans la transformation numérique, les médias d'information sont et seront, pour survivre, de plus en plus appelés à être en phase permanente d'expérimentation, ne serait-ce que pour arriver à rejoindre leur public, dont les habitudes de consultation des nouvelles évoluent en fonction de l'évolution des TI. Or, ça exige d'investir des sommes importantes en recherche et développement et d'avoir accès à un ensemble d'expertises pour arriver à identifier et mettre en place les solutions adaptées qui seront viables et rentables. Les variables sont nombreuses. Comment évaluer le potentiel des innovations en fonction de facteurs clés comme le temps épargné, la productivité, les coûts de développement ou d'acquisition, les coûts d'entretien des nouveaux systèmes, les projections de leur rentabilisation, la formation continue pour le personnel, et ainsi de suite? La liste est longue. C'est pourquoi les coûts d'entrée dans l'innovation sont si prohibitifs, sauf pour les très grands réseaux. On peut comprendre que cette voie effraie même les organisations qui en auraient les moyens. Il est pourtant indispensable de s'y engager.

• (10 h 30) •

En terminant, la transformation numérique est déjà un défi d'importance pour les entreprises nationales et les multinationales, dont la clientèle et les revenus sont à l'échelle des grands marchés où ils évoluent. Pour que le Québec réussisse à tirer son épingle du jeu et maintienne une information de qualité, diverse, neutre et indépendante sans dépendre des grands distributeurs d'information qui se livrent une guerre féroce entre eux, il faut commencer à jouer en équipe. Il faut mettre en commun nos ressources, de même il faut que les intérêts corporatifs soient guidés par la compréhension des comportements, besoins et contraintes des citoyens. Il faut créer des équipes multidisciplinaires et mixtes, composées de chercheurs et de gens du milieu de l'information et de la recherche universitaire, qui se mettront à la recherche de solutions réalistes, adaptées aux besoins et demandes des différents types de médias d'information ainsi qu'aux réalités nationales et locales. Par son financement, et je termine, le gouvernement du Québec peut jouer un rôle structurant. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, c'est nous qui vous remercions pour votre exposé. Nous allons débuter la période d'échange, et je cède la parole au député de Sainte-Rose. Non?

M. Skeete : Non, c'était le collègue de Beauce-Sud qui est en premier.

La Présidente (Mme Nichols) : Moi, j'allais dans la façon que vous levez la main, mais le député de Beauce-Sud, s'il veut parler en premier, je n'ai aucun problème.

M. Poulin : Merci beaucoup, M. Desîlets. Merci pour votre mémoire. Merci de nous amener ailleurs, dans le cadre de cette commission, concernant les revenus publicitaires et les outils qu'on peut mettre en place.

Vous avez parlé d'une plateforme commune où on pourrait consommer tous les journaux québécois. Je pense entre autres à Press Reader, qui existe aussi, qui est situé du côté de Vancouver, dont certains journaux québécois sont déjà dessus, mais c'est autour d'une quarantaine de dollars par mois. Est-ce que vous sentiriez un appétit, de la part des patrons de presse ou même des agences publicitaires, d'avoir cette plateforme-là?

M. Desîlets (Christian) : D'abord, il faut vérifier l'appétit du consommateur. Je vois qu'il y a beaucoup d'exils, hein, au Québec, là. Il y a des exilés du Lac-Saint-Jean à Montréal, par exemple, est-ce qu'ils seraient intéressés à continuer à avoir des nouvelles de leur région d'origine? On peut spontanément dire oui, mais, un, ça se vérifie, première des choses. Deuxièmement, bon, il faut s'attendre à une baisse des revenus publicitaires encore, là, ce n'est pas fini, là. Mais il va encore y en avoir, des revenus publicitaires, et on sous-estime beaucoup d'arguments utiles pour vendre de la publicité dans les médias d'information.

L'un des grands problèmes qui agitent l'industrie de la publicité en ce moment, c'est la fraude aux placements électroniques. On estime que la fraude peut aller jusqu'à 20 % et 50 %. Et, il y a un an, la multinationale Procter & Gamble a complètement arrêté sa publicité dans tous les médias numériques, en sommant ces agences de régler ce problème faramineux. Pensez-y, 20 % à 50 % de leur argent publicitaire qui est jeté à l'eau à cause de la fraude. Alors, cette fraude, l'industrie n'en parlera pas, là. Je veux dire, l'industrie s'y préparait depuis de nombreuses années, il y a des solutions à ce type de fraude, mais ça demande d'adopter des bonnes pratiques en placement média, et c'est coûteux, c'est long et ce n'est pas tout le monde qui est prêt à le faire. Mais donc ça, c'est un gros scandale qui agite l'industrie de la publicité.

Qu'est-ce que les médias d'information ont à offrir d'intéressant? D'abord, ils vont offrir l'accès plus facile à l'ensemble des médias, par exemple. Mais aussi une régie semblable devrait encourager les médias à améliorer leurs données sur leur lectorat, les habitudes de consommation, puis c'est ce qui intéresse les publicitaires. On n'est plus à l'ère de la segmentation, là. Ce qui nous intéresse, c'est savoir ce que vous, vous et vous lisez, ne lisez pas, quand, où, pourquoi, en plus de toutes les données sociodémographiques habituelles, pour arriver à vous faire des offres les plus précises et pertinentes possible.

Un autre problème qu'on a, dans l'industrie publicitaire, qui agite beaucoup les annonceurs en ce moment, c'est le danger que les annonces soient placées automatiquement dans des pages de contenus scandaleux et alors subir, après ça, un boycott de la part de la population alors qu'ils ne savaient même pas que leur publicité allait se loger là-dessus. Les médias d'information sont capables d'offrir du placement dans du contenu sécuritaire, ça vaut de l'or en ce moment. Alors, il y a beaucoup d'arguments à mettre en place pour faire valoir la publicité, l'intérêt de la publicité dans les médias d'information mais aussi de l'aide à donner aux médias d'information pour être en mesure de faire valoir la qualité de cette offre. C'est la qualité de l'offre des médias d'information, la qualité du public qui va attirer les annonceurs.

M. Poulin : Merci beaucoup. Merci.

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, c'est le moment de céder la parole au député de Sainte-Rose.

M. Skeete : Merci beaucoup, Mme la Présidente. C'est drôle que... d'emblée, vous avez parlé de quelque chose qui m'a vraiment saisi, puis le mot qui m'est venu en tête, c'était un peu «déconnectés», c'est que les... comme si les gestionnaires de presse s'étaient un peu bornés dans un modèle qui ne suffit plus puis ils n'écoutent pas vraiment ce que les clients, ce que les lecteurs, ce que les... Est-ce que j'ai bien saisi un peu ce que vous vouliez dire?

M. Desîlets (Christian) : Bien, effectivement, c'est ce que je dis, c'est... surtout aujourd'hui, là. Moi, je viens d'une école de... enfin, de l'école de la communication marketing, là, tout doit être pensé en fonction du client. Si vous bâtissez votre modèle d'affaires en vous disant : Je vais faire l'information de la meilleure qualité possible en fonction de ce que vous déterminez qui est de l'information de qualité, vous supposez que cet idéal type là va être partagé par tout le monde, mais, si vous demandez aux gens : Qu'est-ce qu'une information de qualité?, puis, si vous demandez aux gens : Êtes-vous satisfaits de la qualité de l'information que vous avez dans les médias que vous avez?, vous n'aurez peut-être pas la même réponse. Alors, si vous voulez survivre dans le monde aujourd'hui, il faut toujours placer... il faut se... c'est un exercice excessivement difficile, là, c'est placer la perspective du client, d'abord et avant tout, avant la vôtre. Parce que le monde est plein de produits de très bonne qualité. Sur le plan objectif, là, il y a des produits de qualité très supérieure qui ne se vendent pas, et les entreprises font faillite parce que la perception de la qualité n'est pas la même, du point de vue du consommateur.

M. Skeete : Comble de l'ironie, je soumets à mes collègues... Aujourd'hui, dans Le Devoir, section Entrevues, on fait une entrevue avec le renommé M. Mintzberg, et je le cite : «Il ne comprend pas pourquoi tant de dirigeants d'entreprises soient [...] "déconnectés" de leurs clients, de leurs employés et de la nature profonde de leur organisation et qu'à l'inverse, ceux qui ont le talent de tisser [les] liens avec le terrain...» Alors, je pense — puis ça, c'est dans Le Devoir d'aujourd'hui, collègues — que vous mettez exactement la table à la bonne place pour aussi comprendre pourquoi les clients délaissent nos médias et qu'est-ce qu'on peut faire aussi pour les ramener. Merci beaucoup, j'apprécie.

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, la parole est au député de Saint-Jérôme, qui sera suivi de Saint-Jean.

M. Chassin : Oui. Je vais continuer, M. Desîlets, avec ce que mon collègue de Sainte-Rose a amorcé déjà. Vous parlez de trois principes de modèles d'affaires, j'ai trouvé ça très intéressant. Et en même temps je demeure convaincu que ces principes-là englobent différents modèles d'affaires et qu'il n'y en a pas qu'un seul qui fonctionne à tous coups. Alors, vous avez effectivement critiqué le réflexe de dire : On n'a peut-être pas encore trouvé le bon modèle d'affaires, parce qu'il y a au moins des principes qu'on peut reconnaître. En même temps, j'ai envie de vous poser la question plus précise, parce que c'est un peu ce qui faisait l'objet des discussions ici, à la commission : S'il y a une aide publique, est-ce que cette aide publique doit être conditionnelle à l'adoption d'un modèle d'affaires pérein, par exemple? Et, si c'est le cas, est-ce que ça signifierait que l'État devrait, selon vous, imposer un certain modèle d'affaires?

M. Desîlets (Christian) : La réponse est non, on ne peut pas imposer un modèle d'affaires. Chaque média doit trouver son propre modèle parce qu'il vit dans un écosystème qui est le sien, avec une concurrence ou une absence de concurrence. Donc, il n'y a pas un modèle, chacun doit trouver son modèle. Mais, comme je vous dis, là — vous avez très bien résumé — il y a des principes qu'il faut respecter, et, quand on ne retrouve pas ces principes-là, on peut déjà annoncer que ça va être un échec. Je veux dire, la transformation numérique, là... Si vous entrez dans une organisation puis vous allez... vous vous posez la question : Est-ce qu'ils ont été capables de se transformer, là, faire cette transformation numérique?, la première chose à regarder, là, c'est l'organigramme puis la structure de gouvernance. Juste là, vous êtes capable de dire «oh! échec» ou «ça va marcher», point à la ligne, c'est tout. Si la structure de gouvernance, elle est archaïque, vous perdez votre temps, tu sais. Il faut commencer par la tête, hein? On dit souvent : Le poisson pourrit par la tête, là, et c'est à la tête qu'il faut commencer.

M. Chassin : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, M. le député de Saint-Jean.

• (10 h 40) •

M. Lemieux : Merci beaucoup, Mme la Présidente. J'avais exactement la même question que mon camarade de Saint-Jérôme, mais lui, c'est un économiste, moi, je suis un journaliste. Alors, c'est la même question, mais au lieu de vous demander si ça devrait être conditionnel... on parle d'une aide éventuelle... si ça devrait être conditionnel au modèle d'affaires, moi, c'est conditionnel, entre guillemets — le mot «condition» est un peu sévère, là — à ce qu'on a... à ce sur quoi on s'est buté dans nos conversations hier, le statut de journaliste, et je vais l'éliminer de la conversation pour parler — et c'est vous qui le faites aussi dans votre mémoire — des entreprises de presse, un peu comme le gouvernement fédéral a fait. Même si on n'a pas encore le fin mot de l'histoire, le gouvernement fédéral va donner des crédits d'impôt, et il y a eu un comité qui, pendant huit mois, a essayé de trouver le secret de la Caramilk, essentiellement, là, c'est-à-dire, à qui on peut, devrait, faudrait donner.

Vous, dans votre mémoire, vous dites : «...quel type d'information est suffisamment d'intérêt public pour mériter l'aide publique et comment faire pour éviter que l'aide ne soit détournée au profit de secteurs qui n'en ont pas besoin...» Et vous allez plus loin, vous dites : «...doit-on aider la presse sportive, d'opinion, d'arts et spectacles; devrait-on se limiter à subventionner l'embauche de journalistes...» Bref, vous ne répondez pas à la question, mais vous la posez, on devine votre réponse. Expliquez-moi un petit peu cette réponse-là. Parce qu'effectivement le statut de journaliste, c'est la quadrature du cercle, là. L'industrie... En tout cas, les journalistes n'y sont pas arrivés, puis ça fait 40 ans, à ma connaissance, qu'ils en parlent. Mais il va peut-être falloir que nous, comme le fédéral, on arrive à un carrefour, là.

M. Desîlets (Christian) : Oui. Bien, non, c'est un exercice d'humilité, c'est-à-dire que j'ai précisé, au début de mon mémoire, toutes les réponses auxquelles je ne répondrai pas, hein? Toutes les questions auxquelles je ne répondrai pas, je les ai faites, et pour bien, aussi, faire entendre que je comprends la difficulté des réflexions que vous devez mener et puis la difficulté de livrer les réponses que vous livrerez, là. C'est excessivement difficile. Donc, c'est des questions... j'ai dit ça, ce ne sont pas des questions de mes compétences, mais je suis conscient de ces enjeux-là.

Cependant, de l'ensemble de ces enjeux que j'ai soulevés, là, j'ai retenu un certain nombre de principes que j'ai essayé d'appliquer dans ma réponse, c'est-à-dire qu'au fond je me disais : Si je veux être utile à la réflexion — après ça, évidemment, vous faites ce que vous en voulez — il faut que j'arrive avec... je ne suis pas arrivé avec 12 solutions, je n'ai pas fait une proposition, pour contribuer à la solution, qui respectait, je pense, les enjeux d'équité, de neutralité. Quand je parle d'une structure de concertation et de recherche, là, c'est donc une structure dans laquelle les parties prenantes sont présentes, là : les gens de l'université, des gens du gouvernement puis des gens de l'industrie, même des représentants des journalistes, bons, qui vont s'assurer que ce qui va être fait va être utile, pertinent, équitable. Ensuite de ça, il y a des critères d'objectivité de ces types de structure qui font en sorte qu'on va vérifier la validité scientifique de ce qui va être proposé puis qu'on va arriver avec des solutions rapidement et qui sont réalistes. Mais, non, l'ensemble des questions que j'ai posées, voyez ça plutôt que... venant de ma part, je vous titillais, je vous disais : Oh que je suis content de ne pas être dans vos souliers.

M. Lemieux : Laissez-moi tout de même m'y prendre autrement pour essayer d'arriver là où j'ai besoin de vous entendre. D'abord, je suis un peu... pas un peu, je suis beaucoup d'accord avec vous qu'on est condamnés au «R&D» permanent, à quelque part, là. Ça va trop vite, on s'est fait dépasser par les Airbnb puis les Uber. Vous allez me dire que ça n'a rien à voir, mais ça a tout à voir, quand on y pense, parce que les médias sociaux, c'est un peu ça. Donc, ça, c'est... on est condamnés à ça. Il faut vivre avec puis il faut s'organiser pour être capables de suivre, bon.

En passant, vous avez dit quelque chose, tout à l'heure, au sujet des médias, puis j'avais pris une... ah oui. Il y a un illustre inconnu, un grand journaliste, cependant, qui a dit qu'on avait les médias qu'on mérite. Je voudrais savoir, en passant, si vous êtes d'accord avec ça.

Mais, pour en revenir au «R&D», on s'est fait dire qu'on avait une couple de générations qui étaient probablement la capacité qu'on avait de garder notre modèle parce qu'il allait nous péter dans les mains, pour le dire comme ça, parce que les générations qui s'en viennent, ils ne veulent rien savoir de ce qu'on avait à leur offrir. Vous le voyez comment, ce tsunami-là, vous? Vous avez dit tout à l'heure : Ça ne peut plus durer, il faut absolument qu'on se regroupe. Et, vous allez voir, ma question fait le tour. Parce qu'hier Radio-Canada parlait de collaborer, et j'ai été très fier d'entendre Radio-Canada dire : Il est fini, le temps où on travaillait les uns contre les autres, en compétition, il faut qu'on travaille ensemble si on veut survivre contre les autres. Mais il y en a un, Armageddon, là, il y a en un, tsunami qui nous attend, là.

M. Desîlets (Christian) : Oui, oui, on a les médias qu'on mérite, dans la mesure où, si, ces médias, on les laisse disparaître puis qu'on n'a pas fait de pressions pour les maintenir, bien, vivez avec, là. Je comprends que la population doit aussi avoir son mot à dire.

Le tsunami, bien, ce que je vous ai expliqué, c'est que, là, on est frappés par la vague Internet, là, qui a commencé... qui a pris 30 ans, là, à monter puis à faire les dégâts qu'on connaît, là, 30 ans, là. Puis ce n'est pas nouveau, là, les médias d'information ont toujours évolué à la vitesse des technologies de l'information. Je veux dire, l'imprimerie est arrivée, donc la presse, après ça la radio, après ça la télé, puis après ça les médias numériques, puis à chaque fois la transition est plus courte. Alors, la dernière transition, elle a mis 30 ans, puis, malgré tout, il y a des médias qui ont disparu parce qu'ils n'ont pas vu la vague venir. Là, ce qui s'en vient, on parle d'un tsunami parce que ça va prendre 10 ans, là. Les nouveaux systèmes qui se mettent en place, là, dans 10 ans, ils vont être vraiment à un niveau suffisamment... de performance, là, pour dominer le marché, là, 10 ans. Alors, si on n'a pas été capables de s'adapter en 30 ans, imaginez les 10 ans qui s'en viennent. L'avenir n'est pas écrit, là, mais, si vous regardez les dizaines de milliards de dollars qui sont mis dans ces systèmes chaque année, ceux qui les développent puis qui ont les moyens de les développer y croient, là, alors il faut s'attendre à ce que, dans 10 ans, là, c'est un autre univers, là, de ces... La publicité sur les médias sociaux, là, ça n'excitera plus personne, là, dans 10 ans, ce n'est plus les médias sociaux qui vont dominer.

La Présidente (Mme Nichols) : En une minute.

M. Lemieux : Il me reste moins d'une minute... Oui, je le veux, votre tableau, en passant. Vous avez dit que... Moi, je le veux, en tout cas.

M. Desîlets (Christian) : D'accord.

M. Lemieux : Ça va-tu marcher, la BBC, avec son hyperlocal? Parce qu'essentiellement, sans le nommer, sans même le savoir, en toute humilité, là, hier, quand on s'est fait... puis, depuis le début de la semaine, quand on parlait de Télé-Québec, plateforme, na, na, là, bien, c'est quelque chose comme ça, moi, que je pressentais... pas qu'il faut faire, mais qui était une avenue. Là, vous me dites que ça existe puis que ça marche.

M. Desîlets (Christian) : Oui, oui, regardez, l'innovation, là... le Québec peut être une terre d'innovation. On se vante toujours d'être très créatifs, là, mais on peut être très créatifs, y compris dans le domaine des médias, si on veut le faire. Si on comprend minimalement, là, dans quel univers on est, là, c'est quoi, l'univers des médias numériques, là, rapidement, là, les solutions inventées par les autres, là, on va les avoir, nous autres aussi, puis on va en inventer des nouvelles. Alors, je ne suis pas surpris que vous y ayez pensé. Puis, moi aussi, quand j'ai écrit mon mémoire, des fois j'avais des idées, puis je vérifiais, puis... ah! ça a déjà été pensé. Donc, oui, on peut imiter les autres mais on peut se faire imiter, si on veut, aussi.

La Présidente (Mme Nichols) : Merci. Je pense qu'il y a un intérêt, là, par l'ensemble des députés... par votre tableau, que nous pourrions mettre en annexe à votre mémoire si vous le faites parvenir à la secrétaire de la commission, donc il sera accessible pour tout le monde.

Nous poursuivons la période d'échange avec Mme la députée de Verdun.

Mme Melançon : Bonjour, M. Desîlets. Merci beaucoup de votre présence aujourd'hui. Et il est vrai que vous nous faites réfléchir. On est ailleurs, là, avec vous aujourd'hui, puis c'était nécessaire.

Moi, je veux vous réentendre sur la fraude. Je sais qu'il y a eu beaucoup, beaucoup d'articles, hein, qui ont été écrits sur la fraude, et on parle... jusqu'à 7 milliards de dollars en fraude, là, en tout cas, dans différents articles que j'ai pu regarder. Les agences de pub ne le disent pas aux clients, ça.

M. Desîlets (Christian) : Bien, on ne se tire pas dans le pied. C'est connu, c'est su, et l'IAB a déjà, depuis plusieurs années, mis en place un protocole des meilleures pratiques, des mesures à prendre pour limiter le risque de fraude, mais c'est quand même complexe. Donc, il faut savoir aussi que les enchères, maintenant, sont automatisées.

Mme Melançon : Je veux juste vous arrêter. L'IAB, c'est quoi, pour le commun des mortels?

M. Desîlets (Christian) : Interactive Advertising Bureau. C'est une organisation internationale — il y en a un ici, au Canada — puis qui étudie l'industrie de la publicité numérique et fait des recommandations. Alors, ça, je peux vous dire, à titre de professeur, là, j'ai vu, deux ans avant que ça sorte publiquement, des rapports de l'IAB expliquant à quel point la fraude était importante et ce qu'il faudrait mettre en place. Mais ça n'a jamais été révélé publiquement, là, il a fallu que le scandale sorte pour que, là, on dise : Oui, mais on prend des mesures ou il y a des moyens. Donc, bon, la fraude est énorme, là. Maintenant, il n'y a pas que les agences, c'est-à-dire que, par sa nature même, le placement numérique, là, ça devrait être pris en charge par les organisations. Le gouvernement devrait faire son propre placement numérique. Du placement numérique, ça demande... il faut que ça soit des gens qui s'en occupent constamment, tous les jours. Nos agences ne font pas ça.

Alors, il y a beaucoup, maintenant, d'entreprises, des assureurs, par exemple, compagnies d'assurance, qui font leurs propres placements en médias puis ils sont, eux aussi, victimes de cette fraude-là. Donc, il n'y a pas que les agences. C'est la nature même de la bête numérique de favoriser des fraudes massives. C'est ça, le numérique. Vous vous intéressez à la fraude, vous le savez, les GAFAM, c'est les champions internationaux de l'évasion fiscale. Ils ont de l'argent, mais c'est incroyable, puis ils ne paient pas beaucoup d'impôt. Alors, ils savent comment jouer avec ça, et les fraudeurs, c'est la même chose.

C'est très difficile à empêcher, mais il y a des pratiques qui existent. Puis, encore une fois, bien, les médias d'information peuvent offrir un environnement sécuritaire. Alors, je vous le redis, là, si vous regardez les débats qui agitent en ce moment l'industrie de la publicité, là, l'environnement sécuritaire est une préoccupation majeure — puis, quand je dis «l'industrie publicitaire», j'inclus, bien sûr, les annonceurs — ils ont peur. Donc, vous avez des avantages à faire valoir, puis une industrie qui se réunirait puis qui développerait un meilleur système de collecte, de traitement de données pourrait faire beaucoup.

• (10 h 50) •

Mme Melançon : L'unité mixte de recherche dont vous parlez va servir, bien sûr, à nous projeter dans le temps, parce que, vous l'avez dit, là... puis là je vais paraphraser, là, mais vous dites : On n'a pas encore fini de digérer Internet, là, il y a pour plein de gens, là, que c'est encore une bibite, on ne sait pas par où la prendre. Dites-moi comment vous voyez cette unité-là.

M. Desîlets (Christian) : Bien, il ne faut pas avoir peur, là, des gros mots. Unité mixte de recherche, comme je dis, c'est une structure de partenariat entre l'université, qui fournit l'accès à ses chercheurs de tous les domaines, le gouvernement — je pense que le gouvernement a sa part à jouer, notamment en financement, mais, à titre de partenaire financier, il aurait sa place au sein d'une unité mixte de recherche — et puis des représentants de l'industrie, puis on pourrait inclure aussi des représentants du public. Puis vous faites des conseils d'administration, des nominations, vous êtes habitués à ce type de processus. Donc, vous avez un conseil d'administration, si vous voulez, avec ces représentants-là qui vont veiller à ce que viennent à cette unité mixte de recherche des propositions, des demandes de recherche, de formation. Ils peuvent aussi proposer des projets d'innovation. Tous ces projets-là sont validés par un comité scientifique sur lequel siègent des scientifiques qui vont vérifier si le projet est utile, pertinent. Ensuite, on peut soit créer des équipes de recherche, soit lancer des appels d'offres pour faire ces recherches-là.

Unité mixte de recherche, là, ça se rend jusqu'à ce qu'on appelle la preuve de concept, c'est-à-dire que, si on dit, par exemple : On veut une plateforme, on veut une régie, puis, bon, pouvez-nous dire si c'est faisable?, puis que la réponse est oui, puis après ça : Quel devrait être le devis?, on peut aller jusqu'au devis avec la certitude que, si on fait ce devis-là, ça va marcher. Mais, après ça, la réalisation, ça relève d'autres personnes, vous comprenez? Et ça a un rôle, aussi, structurant. Pourquoi? Alors, voulez-vous un scoop? Il y a une équipe de recherche en journalisme qui est en train de se mettre sur place, et qui a convaincu un professeur de l'Université Laval en intelligence artificielle de s'intéresser à l'usage qu'on pourrait faire de l'intelligence artificielle dans les salles de nouvelles, et il a l'intention de mettre là-dessus tous ses étudiants en intelligence artificielle. Je ne sais pas si vous réalisez, là, mais les gens en intelligence artificielle, là, il n'en pleut pas, on n'en a pas assez, puis ils se font arracher. Puis là vous avez un professeur puis ses étudiants qui disent : Oui, nous, on a une conscience sociale, ça nous intéresse, ça, de voir comment on peut aider le monde du journalisme à intégrer et exploiter l'intelligence artificielle. Bon, bien, qu'est-ce qui va arriver là? Il faut, après ça, qu'ils demandent des subventions. Bien, je vous le dis, là, à part les «fake news», là, la désinformation, le journalisme, là, ne fait absolument pas partie des priorités des grands instituts de recherche. FRQSC, CRSH, ce n'est pas leur priorité. Mais, avec une unité mixte de recherche, si un chercheur ou une équipe de recherche avec des experts et un bon projet se présente puis dit : Nous, là, on a un projet, là, pour l'intelligence artificielle et les salles de nouvelles, comment on peut exploiter ça?, et qui serait capable de dire : On a des partenaires, des partenaires de l'industrie puis des partenaires financiers qui se sont déjà investis dans le projet, là leur chance d'obtenir du financement, là, vient d'être multipliée, là. Alors, ça aussi, ça a un effet structurant, donc, être capable d'aller chercher de l'argent, aussi, ailleurs. Le défi qu'ils vont avoir, là, c'est d'arriver à faire de la recherche, à produire des résultats, pas dans 10 ans, puis, pour ça, ça prend des fonds. Alors, c'est ça dont il est... ça fait partie des choses qui pourraient être faites par une...

Mme Melançon : J'ai deux petites questions rapides, puis après ça je veux laisser la parole à mes collègues.

La Présidente (Mme Nichols) : En 2 min 45 s.

Mme Melançon : O.K. Une unité comme celui-là, est-ce qu'à votre connaissance il y en a d'autres ailleurs dans le monde?

M. Desîlets (Christian) : Pas à ma connaissance, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y en a pas. Les unités mixtes de recherche, il y en a beaucoup en France, là. Il faudra vérifier, mais je peux vous dire que... je vous l'ai dit, d'ailleurs, aux Pays-Bas, là, ils ont créé une structure semblable, ils ont 5 millions d'euros par année, et le mandat est pour cinq ans. Habituellement, c'est ça, une unité mixte de... vous faites ça pour cinq ans, puis après ça on analyse : Est-ce que ça vaut la peine? Est-ce que ça a donné les résultats? On continue ou on arrête? Donc, l'unité est obligée d'être performante.

La Présidente (Mme Nichols) : Mme la députée de Saint-Laurent.

Mme Rizqy : Non, c'est à la députée de Westmount—Saint-Louis.

La Présidente (Mme Nichols) : Ah! de Westmount—Saint-Louis.

Mme Maccarone : Merci beaucoup. Fort intéressant. C'est parce que, c'est sûr, on voit maintenant les nouvelles comme une marchandise, hein? Alors, moi, j'aurais des inquiétudes, comme consommateur, consommatrice. Est-ce que ça va nous prendre des règlements, des lois pour éviter qu'on ait de la publicité qu'on ne veut pas voir? Parce que, là, ça va être mondial, hein? On a Facebook, qui ont maintenant leur propre devise, ils ont libre... «they're going to conquer the world», ils vont être le prochain «superpower», c'est vraiment devenu une commodité, de la marchandise. Puis on sait que, dans le monde de publicité, ils paient pour mettre des «backlinks», je ne sais pas comment le dire en français, mais, exemple, tous les casinos, ils peuvent mettre de la publicité derrière le site Web pour s'assurer que, quand je vais y aller, je vais faire des clics. S'il faut vraiment virer vers le numérique, qu'est-ce qu'on doit faire pour protéger les consommateurs qui veulent aller consommer les nouvelles mais de s'assurer que ce ne serait pas de la poubelle puis ils ne vont pas être vraiment comme consommés par tout ça? Est-ce que ça nous prend des règlements, avec votre formule, avec le virage pour le futur?

M. Desîlets (Christian) : D'abord, d'une part, les régies publicitaires, ça fait partie des critères qu'on peut mettre automatiquement, là : oui à tel contenu, non à tel contenu, ça peut se contrôler. Mais ce que je veux surtout vous dire, c'est que, là, vous parlez beaucoup... on parle de maintenant et de ce qu'on connaît, la publicité, là, mais, dans 10 ans, là, les budgets marketing qui vont à la publicité vont avoir énormément diminué. Ce n'est plus comme ça qu'on va communiquer avec les gens, là, plus par de la publicité, là. Je veux dire, concrètement, de quoi on parle? Des Siri, des Alexa, tu sais, vous avez ces versions-là bêta — qui sont pas mal bêtas, d'ailleurs, là — mais ce n'est pas l'objectif. L'objectif, là, de ces grandes compagnies-là, c'est que vous ayez tous chez vous des objets connectés puis que vous ayez ces assistants personnels vocaux dotés d'intelligence. Là, ça sert juste à raconter des blagues puis avoir la météo, là, puis c'est plus ou moins efficace. Ce n'est pas grave, dans 10 ans, l'objectif, c'est que ces outils-là, là, soient votre serviteur personnel et qu'ils vous donnent accès à toute l'information dont vous avez besoin sans même que vous y pensiez. Fini les publicités, là, ce n'est plus comme ça que ça va fonctionner. Il va y en avoir, de la publicité, je m'excuse, mais la majorité des budgets, là, en marketing va aller, pour les entreprises, à se doter d'ordinateurs capables de parler à votre ordinateur, négocier avec pour dire : Chère madame, vous... Là, votre ordinateur va dire : Je cherche à renouveler les assurances automobile de mon maître, qu'est-ce que vous avez à m'offrir? L'ordinateur a déjà tous les paramètres nécessaires puis, après ça, va négocier avec les compagnies d'assurance, ordinateur à ordinateur. Ça fait que les ordinateurs, là, ce n'est plus l'image de marque qui va les impressionner, là, c'est les offres, c'est ça qui va se passer.

La Présidente (Mme Nichols) : Merci. Nous poursuivons avec Mme la députée de Taschereau.

Mme Dorion : Merci. Vous êtes vraiment intéressant. Vous êtes comme vraiment... c'est comme si... on sent que, pour vous, ce qui s'en vient dans l'avenir est déjà bien présent dans votre tête. Puis je me demande, en vous écoutant, si on n'aurait pas dû avoir plus d'intervenants qui auraient pu nous parler de ce point de vue là, parce qu'on sent qu'on est dans un moment historique où il ne faut pas perdre ce qui était là mais qu'en même temps on est dépassés par le temps, et la technologie, et tout ça, qui va, comme c'est arrivé dans les 10 dernières années, arriver de plus en plus vite. Puis on le voit, que c'est exponentiel. C'est un peu épeurant, parce qu'on est vraiment des novices complets en la matière, puis c'est même fou de se dire : Bien, il va falloir prendre des... bien, en tout cas, le gouvernement va prendre des décisions sans avoir toute cette expertise-là, donc j'aime votre idée de mettre des acteurs du milieu avec des gens qui connaissent bien ça. Est-ce qu'il faudrait inclure des sociologues, ou des philosophes, ou des gens qui vont être capables de dire : Bon, bien, il y a une posture éthique à respecter dans ce qu'on va décider de mettre de l'avant avec cette nouvelle technologie-là ou avec l'appui de l'État? Est-ce que, selon vous, ça serait important, fondamental? Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Desîlets (Christian) : Oui, c'est d'ailleurs déjà le cas. Les gens qui s'intéressent un peu à l'intelligence artificielle prennent peur, d'habitude, puis se disent : Ça y est, on va se faire manipuler et tout. Mais je peux vous dire, si vous allez rencontrer les spécialistes de l'intelligence artificielle à l'Université Laval, vous allez vous apercevoir qu'ils ont une conscience éthique pas mal plus grande que vous ne pouvez l'imaginer. Ils travaillent déjà avec des éthiciens, des sociologues, puis c'est des questions qui les intéressent. Ils placent leurs étudiants, après, notamment, chez Google, chez Apple, et puis ils s'aperçoivent que leurs étudiants ont encore ce souci éthique là puis le portent à l'intérieur de ces organisations-là. Alors, oui, effectivement, c'est absolument indispensable, là, et puis donc... C'est pour ça, d'ailleurs, qu'on appelle ça une unité mixte de recherche, c'est qu'on va aller chercher de l'expertise partout où elle est, dans la mesure où on estime que c'est pertinent, puis ça fait partie des grandes questions qui agitent le domaine de l'intelligence artificielle maintenant.

Mme Dorion : Puis ce dont vous parlez impliquerait... ce que vous proposez impliquerait un chantier beaucoup plus large que juste de sauver Capitales Médias et les quelques autres qui risquent d'avoir des problèmes dans les prochaines années. C'est beaucoup plus profond. Ce serait un...

M. Desîlets (Christian) : ...autre chose, là.

Mme Dorion : C'est vraiment autre chose.

M. Desîlets (Christian) : Ça contribue à ça, c'est une partie de la solution, mais, d'après moi, c'est absolument indispensable, c'est-à-dire que... Évitez surtout d'avoir une discussion du type : Il faut sauver le Titanic et il faut convaincre les gens qui ont débarqué de rembarquer à bord. Ce n'est peut-être pas la meilleure perspective. En tout cas, ce n'est pas la plus enthousiasmante. Il faut aussi se projeter vers le futur, puis, comme vous le dites, là, ça va tellement vite, là, que, si on ne se met pas tous ensemble, là, on ne sera pas capables de suivre la parade, là.

Mme Dorion : Donc, focaliser sur juste : Il faut mettre plus de publicité dans nos médias traditionnels, c'est à peu près stérile, à long terme. C'est une bonne idée, en passant, mais...

La Présidente (Mme Nichols) : Rapidement.

• (11 heures) •

M. Desîlets (Christian) : Bien, c'est nécessaire, mais sachant que ça va diminuer, les revenus publicitaires, de toute manière, puis, si on n'est pas capables de permettre à nos médias d'information de se développer dans cet univers numérique comme il faut que ça se développe, il va arriver ce qui est arrivé partout ailleurs, c'est-à-dire d'avoir encore plus de concentration, puis là on va se retrouver avec deux réseaux, il va y avoir Radio-Canada puis Québecor, bon. Puis on peut se dire : C'est formidable, il va quand même y avoir de l'équilibre, il va y avoir les deux, pas de problème. Bon, un...

La Présidente (Mme Nichols) : Je suis désolée de devoir intervenir, je dois passer la parole à un prochain intervenant, mais c'est très intéressant. Je cède la parole au député de Rimouski.

M. LeBel : Merci. J'ai parlé souvent ici qu'il était important que l'ensemble du Québec sache ce qui se passe dans les régions du Québec. Puis souvent on a des images folkloriques des régions, puis il se passe tellement de choses, puis on dit que Télé-Québec a un rôle à jouer. Un peu comme disait le député de Saint-Jean, le modèle de la BBC, il y a peut-être quelque chose à faire là. J'aimerais ça que vous m'en parliez un peu. Quelle sorte d'allure ça pourrait prendre? Première question.

La deuxième. Vous dites que la collaboration entre les médias, c'est important, il faut passer par là. Est-ce que vous pensez qu'au Québec c'est possible? Je vais vous dire, on fait juste participer à des scrums, en arrière, puis on le voit déjà, la compétition entre les médias, on le voit dans les questions qu'ils nous posent. Puis, la commission ici, ça a poussé fort, on le voit dans les nouvelles, ils se relancent. Est-ce que c'est possible, au Québec, dans un petit marché? Puis comment qu'on fait pour aller chercher la collaboration entre les médias?

M. Desîlets (Christian) : O.K. Je vais d'abord répondre à la deuxième, vous me rappellerez peut-être la première, là, mais... ah oui, ça va. Réponse à votre deuxième question, le modèle que je propose stimule la compétition sur le plan du contenu puis des reportages. La collaboration n'est pas là-dessus, là. Ils vont pouvoir continuer à être de féroces compétiteurs, se lever le matin et se haïr, se réveiller la nuit puis s'insulter. Ils feront tout ce qu'ils voudront. S'ils ont envie de se haïr, ça n'a pas d'importance, ce n'est pas là-dessus que ça va intervenir. Ça va aider à mettre en place les structures qui vont leur permettre, après ça, de compétitionner sur le contenu. Alors, la compétition, il en faut, c'est important.

Puis, ensuite de ça, bien, le modèle de la BBC, bon, d'abord, une structure comme je propose étudierait ce genre de solution là, informerait l'Assemblée nationale de ces innovations-là puis savoir ce que ça donne. Parce que, bon, il y a beaucoup d'initiatives en ce moment, mais souvent c'est trop tôt pour avoir des résultats. Si on s'intéresse à ça puis on leur parle, on dit : Hi! ça existe depuis un an ou deux ans, il faut laisser le temps, donc, il y a un peu de temps qui passe. Mais le modèle de la BBC me semble tout à fait intéressant. Il s'agit de dire au gouvernement, via, mettons, Radio-Canada ou Télé-Québec : Vous allez payer des jeunes journalistes en région pour faire de l'enquête, couvrir les assemblées municipales. C'est ça qu'ils font, au Royaume-Uni, ils le font. Alors, je sais qu'on peut dire : C'est irréaliste, mais ils le font. Alors, souvent, on pense que ce n'est pas possible, alors, oui, ça l'est, possible. Alors, ils les financent, ils les paient, ils ont créé ensemble une structure où ils partagent les données. Alors, si je fais un reportage, j'envoie ça là-dessus. Alors, un exemple qui est arrivé, c'est que, dans une région, il y a un journaliste qui est allé dans une résidence pour gens âgés puis s'est aperçu que, bon, on leur avait coupé des vivres, des subventions. Il a fait un reportage là-dessus, il a mis ça dans cette base de données là. Un journaliste d'une autre région a vu ça, il a dit : Tiens, je vais vérifier si c'est la même chose chez nous; il l'a fait : Oui. Puis après ça ils se sont mis partout, dans toutes les régions, à faire ça puis ils se sont aperçus, scandale national, que le gouvernement est en train de couper dans les services de soins de santé aux gens âgés, puis il ne le disait pas; scandale, c'est devenu une nouvelle nationale. Alors, oui, ça fonctionne.

La Présidente (Mme Nichols) : Je vous remercie. Je dois céder la parole à Mme la députée de Marie-Victorin.

Mme Fournier : Merci beaucoup. C'est vraiment fascinant de vous entendre. Je pense qu'il faut vraiment considérer votre vision, parce que, si on considère seulement la situation actuelle, bien, on va manquer tout ce qui s'en vient, parce que, le changement, vous l'avez bien dit, c'est exponentiel, ce qui s'en vient dans les prochaines années.

J'ai deux questions. D'abord, sur la structure de concertation, d'innovation, vous avez fait référence à d'autres pays qui ont déjà pris cette voie-là, notamment les Pays-Bas, qui investissent 5 millions d'euros par année. Considérant les investissements qui sont faits par les géants du numérique en intelligence artificielle, qui sont des centaines de millions, voire des milliards de dollars, est-ce que vous croyez que c'est suffisant? Est-ce qu'il ne faut pas un apport beaucoup plus grand au niveau financier? Puis est-ce qu'on peut déjà sentir une amélioration, par exemple, aux Pays-Bas, auxquels vous faites référence?

Deuxième question. La régie publicitaire, vous avez dit que ça pourrait prendre la forme, donc, d'une possible formule d'abonnement à tous les médias, un peu sur le modèle d'Apple News, possiblement des données d'habitudes de consultation. Est-ce qu'il y a d'autres éléments aussi qui pourraient être mis en commun par l'ensemble des médias?

M. Desîlets (Christian) : J'imagine que oui. Et je n'ai pas vraiment le temps, je pense, pour répondre à ça, mais une unité mixte de recherche peut faire de la recherche semblable. L'équivalent, là, de ce que je vous propose, aux Pays-Bas, là, ils font ça, ils publient des rapports, ils les partagent — vous pouvez les consulter, d'ailleurs — et ils collaborent avec d'autres pays. Ils servent à ça. Ils informent le gouvernement, ils font des études pour leur dire : Vous avez adopté telle politique pour aider les médias d'information, on fait une étude : Voilà, qu'est-ce que ça donne, ça marche, ça ne marche pas, quel résultat est-ce que ça donne. Donc, ça se nourrit mutuellement.

Mais il ne faut pas... L'innovation, là, on ne peut prédire tout ce qu'on va avoir comme idées, ce qui va fonctionner, ce qui ne fonctionnera pas, mais eux, ils dont déjà prêts à nous aider, ils sont prêts à nous dire : Voilà, sur la base de notre expérience, là, voici ce qui marche puis ce qui ne marche pas, parce qu'ils se sont un peu cassé la figure au début, là. Ils ont financé un certain nombre de projets, puis ça n'a pas fonctionné, puis après ça, tranquillement, ils ont commencé à comprendre : O.K., qu'est-ce qui fonctionne, qu'est-ce qui ne fonctionne pas, qu'est-ce qui est porteur, qu'est-ce qui ne l'est pas.

Donc, même des collaborations avec les autres... Puis, oui, on peut le faire au Québec. D'abord, on a la chance d'être un petit marché francophone dans une mer anglophone, ce qui fait qu'on est peut-être moins intéressants pour les grands géants, là. Puis on est capables de tirer notre épingle du jeu, on l'a toujours fait, là. Donc, je suis parfaitement confiant puis je suis optimiste.

La Présidente (Mme Nichols) : Merci, M. Desîlets, pour votre contribution aux travaux de la commission.

Je vais suspendre quelques instants, le temps que le prochain intervenant puisse s'installer. Merci.

(Suspension de la séance à 11 h 06)

(Reprise à 11 h 08)

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, nous poursuivons nos travaux. Je souhaite la bienvenue aux représentants, Mme Brin, M. Descôteaux. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, puis nous procéderons à la période d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc, bien que je l'aie fait un peu préalablement, à vous présenter ainsi que la personne qui vous accompagne, et la parole est à vous.

Centre d'études sur les médias (CEM)

M. Descôteaux (Bernard) : Oui, bonjour. Bernard Descôteaux, je suis le président du conseil du Centre d'études sur les médias.

Mme Brin (Colette) : Bonjour. Colette Brin, professeure au Département d'information et de communication à l'Université Laval et directrice du Centre d'études sur les médias.

M. Descôteaux (Bernard) : Merci. Mmes et MM. les députés membres de la commission, merci de nous accueillir à votre table ce matin.

Créé en 1992, le Centre d'études sur les médias est à la fois un lieu de recherche et un agent de concertation entre les entreprises de communications et les milieux gouvernementaux et universitaires.

Nous avons réalisé, cette année, deux études, que nous vous avons soumises ces dernières semaines. Elles sont également disponibles sur notre site Web. L'une s'intitule Les médias québécois  État des lieux et l'autre, L'information locale et régionale au Québec : Portrait du territoire 2011‑2018 et perspectives citoyennes. Ces deux documents présentent un rare portrait de l'état des médias québécois, tant au plan national que régional, et sont indispensables pour comprendre la nature de la crise actuelle et en mesurer les effets.

Pour vous parler, dans un premier temps, de la situation actuelle, je vais passer la parole à Mme Brin. Je vous reviendrai par la suite.

• (11 h 10) •

Mme Brin (Colette) : La situation du Groupe Capitales Médias expose au grand jour la fragilité actuelle de notre écosystème médiatique, particulièrement à l'extérieur de Montréal. Pourtant, elle ne devrait pas nous surprendre. La crise de la presse écrite ne date pas d'hier, comme vous le savez. Les revenus publicitaires ont chuté de 42 % pour les hebdos, 53 % pour les quotidiens et 63 % pour les magazines entre 2012 et 2017. La télévision a aussi vu ses recettes publicitaires baisser de 13 %. Pendant ce temps, la publicité numérique hors média a explosé, et la tendance, bien sûr, s'est poursuivie depuis.

Notre étude sur l'information régionale montre qu'on est passés de 200 journaux hebdomadaires ou bihebdomadaires à 132 entre 2011 et 2018, soit une perte de 34 %. 68 d'entre eux ont fermé leurs portes au Québec en sept ans. Des postes de journaliste ont été abolis, le volume d'information a diminué. Certaines régions ont été plus durement frappées que d'autres, et des communautés locales sont devenues ou en voie de devenir des déserts informationnels. La perte de diversité des voix a des conséquences bien réelles sur l'écosystème médiatique et, plus globalement, sur le dynamisme social, économique et politique d'une ville ou d'une région.

Nous avons rencontré des groupes de citoyens à Rimouski, Sherbrooke et Brossard. Les différences dans l'évolution de l'offre et la consommation médiatique dans ces trois villes nous laissent croire qu'il ne peut pas y avoir de solution mur à mur pour l'ensemble du Québec. Le recensement de Statistique Canada révèle une baisse du nombre de journalistes au Québec de l'ordre de 10 % entre 2005 et 2015. La capitale nationale a perdu 33 % de ses effectifs journalistiques, Gatineau, 30 %. Hors des régions métropolitaines de recensement, le nombre de journalistes a baissé de 20 %, et ça ne va pas en s'améliorant.

Les fermetures des dernières années et les difficultés du Groupe Capitales Médias risquent d'assombrir davantage ce portrait. Elles illustrent aussi parfaitement le cercle vicieux dans lequel les médias sont entraînés. D'une part, les dépenses publicitaires migrent vers les grandes plateformes numériques, mais aussi, depuis 20 ans, la plupart des médias nous ont habitués à consommer leur contenu gratuitement, de sorte qu'il est maintenant très difficile de convaincre les consommateurs de contribuer financièrement à l'information en ligne.

Depuis plusieurs années, le Centre d'études sur les médias analyse l'évolution de la consommation de l'information et les attitudes des citoyens à l'égard des médias. En ce qui concerne la confiance, nos médias font bonne figure comparativement à ceux des autres marchés étudiés. Mais ici comme ailleurs, les jeunes s'orientent de plus en plus vers les plateformes numériques, en particulier les médias sociaux. Chez les plus vieux, la télévision demeure la principale source de nouvelles. Ces éléments doivent tous y être pris en compte, dans la mise en oeuvre de solutions.

Notre écosystème médiatique, tous le reconnaissent, est dans un état critique. Comme à bien d'autres, il nous apparaît qu'il ne retrouvera pas, sans un soutien public, les conditions d'équilibre que le marché lui avait assurées par le passé. Une intervention de l'État nous semble donc nécessaire pour assurer aux Québécois l'accès à des sources d'information de qualité. Les médias québécois ont besoin d'outils qui leur permettront de se restructurer, de se repenser et de s'adapter aux conditions actuelles et futures du marché.

N'oublions pas que l'information est un bien public, comme la santé, l'éducation et la culture. Le droit du public à l'information exige qu'elle soit accessible à tous les citoyens. Ce que fait l'État dans le domaine de la culture, il doit le faire aussi pour l'information et de la même façon, c'est-à-dire par des programmes accessibles tant aux médias traditionnels qu'aux nouveaux joueurs, et reposant sur des critères transparents et équitables. D'ailleurs, les entreprises culturelles et médiatiques se heurtent pour une bonne part aux mêmes problèmes de financement et de découvrabilité dans l'environnement numérique. Comme pour les créateurs et diffuseurs culturels, ce soutien de l'État doit laisser aux journalistes et à leurs médias toute la liberté et tout l'espace de création dont ils ont besoin pour s'acquitter en toute indépendance de leur mandat.

M. Descôteaux vous parlera maintenant des formes que pourrait prendre le programme de soutien du gouvernement québécois.

M. Descôteaux (Bernard) : Alors, la question est un peu «que faire?», comme disait Lénine à une autre époque dans un autre contexte. Mais, dans un moment critique, je pense que la première chose à faire, ce serait de regarder ce qui se fait ailleurs. Dans l'étude L'état des lieux, Daniel Giroux a réalisé un inventaire des mesures adoptées par 24 États comparables au Québec. La voie privilégiée par 19 d'entre eux est de nature fiscale, notamment par l'exonération partielle ou totale des taxes aux consommateurs à l'achat d'exemplaires ou d'abonnements à des médias d'information. Certains font plus. En Italie, par exemple, on accordera aussi un crédit d'impôt pour les achats d'espaces publicitaires et on soutiendra les publications appartenant à des coopératives de journalistes, à des fondations et à des OSBL. D'autres accorderont aussi un soutien financier à des projets innovants. Par exemple, ce qu'on a cité tout à l'heure, le témoin précédent, ce qui se fait en Grande-Bretagne avec la BBC, c'est intéressant. En Norvège et en Suède, on aura une préoccupation particulière pour l'information de proximité en soutenant d'abord les journaux locaux et régionaux.

Exonérer les publications écrites et numériques de la taxe de vente s'impose, tout comme libérer les journaux de la taxe verte sur le recyclage. La fiscalité sera aussi un outil utile pour inciter les citoyens à investir dans des entreprises médiatiques actuelles qui cherchent à se recapitaliser ou dans de nouvelles initiatives. Ce serait un outil essentiel à la réussite des projets de coopérative qui se préparent à reprendre des médias en difficulté. Ces mesures iraient tout à fait dans le sens de l'appel lancé par le premier ministre François Legault aux citoyens à appuyer leurs médias. Au-delà d'un soutien de l'État, les médias ont besoin d'un soutien du public, c'est-à-dire de la communauté qu'ils servent. Les médias lui appartiennent, à ce public, tout autant qu'à leurs actionnaires.

Ce que je viens d'évoquer sont des mesures indirectes. Elles ont l'avantage, je crois, de créer un environnement favorable qui sera utile à long terme. Quant aux mesures directes, nous constatons que le gouvernement canadien a privilégié le recours à des crédits d'impôt remboursables sur la masse salariale. Cela nous apparaît la bonne approche pour soutenir les salles de rédaction et la création de postes de journaliste. Nous croyons que cette mesure doit être réservée aux médias qui se consacrent à l'information générale et civique. Ce qui est en cause ici est la création de contenu. C'est là le coeur de métier du journalisme et de la mission des médias. La diminution des effectifs, vous le savez, a pour conséquence directe d'affecter la quantité et la qualité de l'information. Là où on a coupé des postes, on va à l'essentiel et à l'urgent. Les articles de fond et les enquêtes sont bien sûr évacués.

Le soutien de l'État ne devrait pas se limiter, croyons-nous, aux médias existants. Il devra aussi faciliter l'émergence de nouveaux médias, écrits comme numériques, en leur accordant une aide au démarrage. Une telle aide au démarrage de nouveaux médias permettrait à de jeunes pousses d'explorer de nouvelles pratiques d'information, ce qui est essentiel, et d'enrichir la diversité des sources d'information. Au-delà des mesures directes d'aide, l'État doit faire en sorte aussi que l'environnement d'affaires dans lequel évoluent les médias soit équitable. À cet égard, nos institutions publiques, gouvernementales comme municipales et autres — on peut penser à la santé, à l'éducation — doivent réserver une nette majorité de leurs dépenses publicitaires aux médias québécois et en priorité à ceux qui se consacrent à l'information.

Nous appuyons l'idée de taxer les GAFA. Le gouvernement québécois devrait aussi s'engager dans le mouvement initié par des pays européens pour que les grandes plateformes numériques soient soumises aux droits d'auteur et pour la reconnaissance d'un droit voisin.

Une dernière remarque. Nous concevons que le programme de soutien à venir sera là pour le long terme, compte tenu de ce que l'on sait de la situation de nos médias. Il aura besoin d'un financement stable d'un fonds des médias alimenté notamment par les taxes et les contributions venant des GAFA. Le contexte économique et technologique évoluant — et il évoluera rapidement — il faudra pouvoir revoir ce programme périodiquement pour l'adapter et évaluer ses résultats. On peut espérer qu'il aura des effets positifs à moyen terme. Un travail de veille, cependant, s'imposera, que, pour notre part, au Centre d'études sur les médias, nous entendons réaliser et continuer nos travaux que nous avons déjà entrepris ces dernières années. Merci. Nous sommes maintenant prêts à échanger avec vous.

La Présidente (Mme Nichols) : Merci de votre exposé. Et nous allons débuter cette période d'échange avec le député de Saint-Jean.

• (11 h 20) •

M. Lemieux : Merci, Mme la Présidente. Mme Brin, M. Descôteaux, Bernard, c'est bon de vous voir et de vous entendre, M. B. Descôteaux. Je dois dire que je m'ennuie de vous lire aussi assidûment et régulièrement qu'avant. J'espère que vous continuez d'écrire quand même.

On va avoir d'autres questions sur le reste de l'ensemble de l'oeuvre, mais vous allez dans le vif du sujet, puisqu'il y a une urgence, maintenant, qui dépasse largement ce qu'on avait, même si c'était prévisible, dites-vous, Mme Brin, au moment où vous avez signé votre mémoire, il y a de cela plusieurs semaines déjà, la crise du Groupe Capitales Médias, évidemment. Donc, il y a des recommandations, dans ce que vous nous dites ce matin, qui vont au-delà de ce qu'il y avait dans le rapport ou, en tout cas, qui sont plus précis que ce qu'il y avait dans votre mémoire. Mais vous m'avez coûté cher de surligneurs parce que, quand je suis arrivé à la page 14, le cas particulier des régions, là j'ai jauni presque toutes les pages. Et je voulais vous entendre là-dessus, sans enlever à Groupe Capitales Médias puis à l'urgence de Capitales Médias, mais, à quelque part, en lisant votre mémoire, je comprenais et je voyais presque une pyramide inversée. On a beaucoup parlé, au début de la semaine, de montréalisation des ondes — c'est à l'écrit aussi, là, mais l'expression consacrée, c'est la montréalisation des ondes — mais on ne se méfie peut-être pas assez du fait que, même si on avait encore des grands médias qui marchaient bien, si on est dans des zones désertiques d'information dans le reste du Québec, et c'est ce que je devine de ce que vous écrivez, en gros, et c'est ce que j'en retiens, bien, la pyramide est inversée, puis ça va s'écrouler, cette affaire-là. On a beau avoir des grands médias, si on n'a pas de médias d'information locaux et régionaux, ça ne marchera jamais. Il faut retourner à la base, entre guillemets.

Mme Brin (Colette) : C'est un problème qui prédate, bien sûr, le numérique et qui prédate la crise de Groupe Capitales Médias. Ce qu'on voit, en tout cas, dans l'étude qu'on a faite qui... en fait, peut-être un point de départ, là, parce qu'il y aurait encore beaucoup à faire, on a constaté à quel point la présence d'un quotidien régional, d'un quotidien dans une ville est en quelque sorte le poumon, hein, en fait, qui nourrit aussi les autres médias et qui nourrit l'écosystème d'information d'une ville et parfois même de la région environnante. Donc, la disparition de ces journaux-là est critique pas seulement pour Groupe Capitales Médias, mais aussi pour les autres médias et pour la communauté.

Et, bien sûr, comme vous le soulignez, il y a beaucoup, beaucoup de régions et de communautés locales qui ne disposent pas d'un quotidien ou qui sont très, très peu couvertes par les quotidiens. Je pense, par exemple, au quotidien Le Soleil, dont les ressources pour couvrir l'Est du Québec ont beaucoup fondu ces denières années, il n'y a à peu près plus rien pour couvrir l'Est du Québec. Donc, cette réalité-là existe, et c'est là-dessus qu'on a voulu attirer l'attention dans cette étude-là, c'est justement les particularités des régions et aussi la diversité des situations d'une région à l'autre. Certaines ont été très durement touchées par la réduction de services. La Montérégie est un cas particulier, là, qui est une région, si on veut, périphérique à Montréal, donc les gens s'informent beaucoup, beaucoup dans les médias montréalais mais qui ne sont pas nécessairement en mesure de couvrir l'actualité dans chacune des villes de cette région. Donc, il y a beaucoup de cas de figure, je pense qu'on pourrait conclure avec ça.

M. Lemieux : Je me suis vanté d'avoir jauni beaucoup votre mémoire, mais je n'ai pas jauni ce que vous venez de nous donner et que vous avez lu. Alors, je ne retrouve pas le libellé exact de ce que vous nous dites quand vous dites : Non seulement vous devez intervenir, l'État doit intervenir, mais vous nous donnez les paramètres aussi de qui devrait ou pourrait recevoir cette aide-là, ce qui m'amène... puis vous parlez de médias civiques, je pense, d'information civique. Et c'est intéressant, parce que Le miroir brisé, le très, très grand rapport sur les médias au Canada, qui a été traduit en français dans une bonne mesure, parlait d'information civique et d'intérêt public. On ne s'entend pas sur ce que c'est, un journaliste professionnel, on ne s'entendra probablement pas, tout le monde, sur ce que c'est que l'information qui devrait bénéficier de l'aide gouvernementale, mais expliquez-moi ce que vous entendez, vous, parce que vous avez repris, même si je ne le vois pas, «civique» dans vos affaires.

Mme Brin (Colette) : Oui, par souci de transparence, j'ai collaboré à la production de ce rapport-là, qui s'appelle Le miroir éclaté, en particulier à la traduction, enfin, que j'ai révisée, je n'ai pas fait moi-même la traduction. Mais, si on veut, l'indicateur pour ça, il n'y a pas de jugement, si on veut, sur la déontologie ou sur la... mais c'est vraiment le compte rendu factuel et régulier des institutions publiques en particulier, donc l'hôtel de ville, bien entendu, les palais de justice et les gouvernements, évidemment, provinciaux et nationaux. Donc, la présence de cette couverture-là, elle a été analysée aussi par le Forum des politiques publiques dans une autre étude, et on montre qu'il y a eu un déclin quand même significatif dans un très grand nombre de médias régionaux, là, du volume de couverture. Donc, c'est quelque chose qui peut être mesuré assez objectivement.

On a beaucoup parlé aussi de la présence de l'opinion versus l'information factuelle. Donc, je pense que ce qu'on veut soutenir, c'est vraiment la capacité des médias à faire ce travail-là de couverture régulière. Ce n'est peut-être pas ce qui est le plus vendeur, là, sur le plan marketing, pour reprendre l'intervention de tout à l'heure, mais c'est un rôle essentiel des médias de le faire en toute indépendance aussi. Ce n'est pas la même chose que simplement mettre une caméra dans un conseil municipal et filmer les discussions, ça prend des gens qui sont là pour poser des questions, pour faire des comptes rendus, pour faire une démarche, aussi, d'enquête autonome.

M. Lemieux : J'ai des camarades qui ont demandé la parole, et je vais leur céder, mais, pendant qu'on a encore le temps puis qu'on n'est pas pressés par le chronomètre, j'aimerais vous entendre, M. Descôteaux. Avez-vous encore confiance?

M. Descôteaux (Bernard) : Absolument. Le défaut de toute personne humaine, je pense, c'est toujours de regarder en avant quand on approche du précipice et non pas quand... bien avant. Aujourd'hui, on est assez proches du précipice, si on peut dire, et je pense que la réaction est saine, celle qu'on voit actuellement, qu'il y a des choses qui vont changer. On a parlé, tout à l'heure, avec le témoin précédent, de la concurrence, de la mise en commun de ressources dans un certain nombre de domaines. Vous savez, la concurrence, c'est un vieux, vieux réflexe qui nous habite et qui... on ne veut pas laisser le morceau. Mais je pense qu'aujourd'hui, justement, la situation exige qu'il y ait des choses qui changent et que les... et elles vont changer, notamment, entre autres parce qu'il y a une nouvelle génération de journalistes qui sont à l'oeuvre, plus jeunes, qui comprennent mieux les besoins du monde d'aujourd'hui, des gestionnaires aussi qui sont plus jeunes, qui sont prêts à relever des défis. Cependant, c'est toujours, pour un gestionnaire, une question de savoir comment doser les décisions qui vont être prises. Est-ce que votre public va vous suivre? Alors, il faut évoluer aussi en même temps que son public, le précéder un peu, mais pas au point de faire en sorte qu'on le précède tellement qu'il décroche. Alors, c'est toujours une question d'équilibre, mais le sentiment d'urgence actuel va faire que les choses vont vraiment changer.

M. Lemieux : Merci, M. Descôteaux. Je vais céder la parole.

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, je cède la parole au député de Saint-Jérôme.

M. Chassin : Merci. C'est intéressant de vous entendre optimiste ou, à tout le moins, de dire que, tant qu'à recevoir cet électrochoc, au moins, ayons les yeux grands ouverts.

Dans l'ensemble de ce que vous avez fait comme travail, je voudrais d'abord vous remercier, au Centre d'études des médias, pour avoir dressé un portrait de situation qui va nous être certainement très utile dans le cadre de nos travaux. Même là où je diverge peut-être dans l'analyse des conclusions que vous tirez, à tout le moins ça provoque, ça fait réfléchir. Et aujourd'hui, ce matin, j'ai vu une idée que je n'avais peut-être pas vue auparavant, exprimée de votre part, qui est une aide au démarrage pour les nouveaux médias. Alors, je voudrais voir avec vous... Il y a eu plusieurs interventions de nouveaux médias ou de nouveaux types de médias, je pense, par exemple, au West Island Blog ou encore à Urbania, deux modèles tout à fait différents qui... Puis là on ne leur a pas posé la question, peut-être ont-ils profité d'incubateurs d'entreprise ou de services-conseils, parce qu'il y a quand même différents organismes d'aide au démarrage et à la croissance des entreprises qui existent... Est-ce que vous envisageriez quelque chose de particulier, pour ce qui est des nouveaux médias, comme intervention dans une aide publique éventuelle?

• (11 h 30) •

Mme Brin (Colette) : En fait, c'est une idée qui nous est venue progressivement, je dirais, surtout à la fin de la rédaction de notre rapport sur l'information régionale, là, qu'on a publié hier, et aussi dans les discussions qui ont entouré l'annonce des mesures fédérales. Donc, c'est quelque chose qui avait été critiqué, hein, que c'était un programme qui semblait s'adresser en priorité aux médias existants, aux médias très établis et qui étouffait un peu l'environnement pour les nouvelles entreprises, les nouvelles initiatives. Nous, on a toujours été sensibles à cette question-là. La difficulté, bien sûr, quand on crée des programmes de subvention, c'est qu'il faut presque avoir des employés à temps plein pour faire les demandes de subvention, et les entreprises établies ont peut-être un peu plus l'habitude de ce genre de programme là, ou les plus grandes entreprises, que des petites entreprises, justement, en démarrage, des gens qui ne sont pas nécessairement des spécialistes de la chose.

Donc, je pense que ça doit surtout être un programme très souple. Je pense qu'il doit aussi être attentif aux besoins dans les marchés les moins bien desservis. Donc, ça fait partie aussi de l'initiative fédérale de soutenir le développement de médias, y compris des médias traditionnels, des radios, hein, pas seulement des médias écrits ou numériques, donc de soutenir l'émergence de choses qui sont... Et l'innovation, ce n'est pas seulement de la technologie, ça peut être aussi des nouvelles façons de raconter, des nouvelles façons de chercher l'information ou des sujets dont on ne parle peut-être pas assez. Donc, ce n'est pas très précis, là, on n'a pas un programme déjà élaboré, mais c'est quelques pistes. Je ne sais pas si tu veux ajouter quelque chose.

M. Descôteaux (Bernard) : L'idée, c'est d'avoir des gens, des jeunes particulièrement, qui vont pousser dans le dos les plus vieux, tout simplement, parce qu'on pratique notre métier de journalistes d'une façon traditionnelle encore, généralement, il y a des formules qui doivent changer, des façons de faire, et il faut expérimenter. Vous parliez d'incubation, dans le fond, c'est un peu le sens de... Oui, le rôle de programmes d'incubation... d'incubateurs peuvent être vraiment utiles. Puis il y a des besoins aussi... Il faut reconnaître qu'on ne sait pas ce qui sera dans cinq ans. Est-ce que tous les médias qu'on connaît aujourd'hui seront encore là? On regarde la crise Capitales Médias, bon, ça nous inquiète beaucoup de voir qu'est-ce qui pourrait arriver. Alors, il y aura des besoins qui... un vacuum à des endroits qui va survenir, et il faudra aider ceux qui voudront remplir ce vacuum.

M. Chassin : Bien, permettez-moi peut-être de conclure par un commentaire. Je pense que ce qui est intéressant, c'est qu'effectivement il y a un vrai danger, dans une intervention gouvernementale, un soutien public, de prendre l'état des lieux et de le considérer comme une situation statique, alors qu'avec un encouragement à l'innovation par le soutien à de nouvelles pousses, en quelque sorte, il y a un certain élément dynamique, surtout que M. Desîlets, juste avant vous, nous disait : Dans 10 ans, ce ne seront peut-être plus les médias sociaux, là, qui domineront, et il y a, dans le fond, 10 ou 15 ans, la crise des médias, elle existait mais elle avait une forme différente, c'était une autre phase, en quelque sorte. Donc, on peut présumer que, dans l'avenir, il y aura d'autres risques ou d'autres circonstances. Je trouve que c'est une piste, à tout le moins, de réflexion qu'on devrait conserver en tête. Merci.

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, je cède la parole au député de Saint-Jean.

M. Lemieux : Merci beaucoup. Juste avant d'oublier, vous souvenez-vous, M. Descôteaux, qui a dit ça, qu'on a les médias qu'on mérite? Ça ne me revenait pas tout à l'heure. Êtes-vous d'accord?

M. Descôteaux (Bernard) : Bien, oui, je pense que les lecteurs, les consommateurs paient pour ce qu'ils aiment. Alors donc, c'est eux qui choisissent de voir ce qui va exister comme médias d'information.

M. Lemieux : Et, en terminant... C'était juste quelque chose qui me trottait dans la tête depuis tantôt, «les médias qu'on mérite», je voulais juste vérifier avec vous. Mais, en terminant, je voudrais vous entendre sur le droit du public à l'information. C'est dans la charte, l'article 44, bon, ça, ça va, mais, même s'il n'était pas dans la charte, c'est un droit inné ou presque, en tout cas, dans une société moderne, démocratique, avec une presse libre. On est-u rendus à se demander si... Je veux dire, j'écrivais une publication, aujourd'hui, puis je me disais : Je devrais-tu dire «protéger, défendre, garantir le droit»? On est rendus où avec notre droit du public à l'information? Il est rendu où, notre droit?

La Présidente (Mme Nichols) : En moins d'une minute, s'il vous plaît.

Mme Brin (Colette) : Je pense qu'on pourrait en faire quelques heures, de débat là-dessus. La difficulté... parce qu'on est inondés d'information, en fait, on en a beaucoup, beaucoup, on s'interroge sur la qualité puis on s'intéresse, je le sais, sur les moyens qu'on a, comme citoyens, de s'informer dans cet univers d'abondance et d'incertitude sur beaucoup d'information. Donc, c'est plutôt comment assurer ce droit-là plutôt que est-ce qu'on est d'accord que c'est un droit important ou pas.

La Présidente (Mme Nichols) : Merci. Alors, nous poursuivons la période d'échange avec Mme la députée de Verdun.

Mme Melançon : Bonjour à vous deux. Bienvenue à l'Assemblée nationale. Ce matin, dans ce que vous présentez, et c'est ce que je disais un peu plus tôt, je pense qu'on voit se dégager, actuellement, un large consensus quant à l'inéquité, actuellement, que vivent les médias face aux géants du Web. Et mes collègues d'en face... Oui, je vais vous déposer le tableau, que je veux remontrer, actuellement. On a décidé, depuis le 1er janvier dernier, là... parce que l'ancien gouvernement avait fait la bataille pour Netflix, on a actuellement 62 millions de dollars qui vont entrer, d'ici la fin de l'année, dans les coffres de l'État. Nous sommes d'avis qu'on peut appliquer, nous, la TPS sur Netflix parce que le gouvernement fédéral a décidé de ne pas aller chercher les cinq points de TPS qu'il pourrait faire sur Netflix, et, bien entendu, d'imposer les géants du Web. Là, on a fait le calcul uniquement pour Facebook, puis on parle d'autour de 20 millions. Donc, si on fait un total de tout ça, c'est près de 120 millions de dollars, actuellement, dont on pourrait jouir pour les médias et la culture, là. Il faudra regarder, dans un large sens, comment faire, parce qu'au final ce que sont ces géants-là, c'est que c'est le conduit qui amène le contenu, et là c'est un problème avec le contenu que nous vivons, actuellement, donc je tenais à en parler. Je ne pense pas qu'il faille attendre après 2020 pour bouger, parce que je ne pense pas qu'on doive attendre après l'OCDE, là. Il y avait un slogan d'une formation politique qui était Maintenant, ce serait le fun que ce soit maintenant.

Alors, sur ce, je voulais... je m'excuse, j'ai fait une longue parenthèse, mais je vous amène directement là où je voulais aller. Ce que je comprenais, c'est que, pour vous, ça prend l'aide publique à long terme, c'est ce que vous écrivez. Est-ce qu'on doit mesurer au fil du temps? Je voudrais vous entendre là-dessus.

M. Descôteaux (Bernard) : Bien sûr. Je pense que le problème ne se réglera pas en deux ans, cinq ans ou 10 ans, il y aura des problèmes qui vont subsister. Alors, on croit que, quand on évoque le long terme, une aide sur le long terme, c'est qu'elle puisse être disponible sur un long terme, mais en espérant qu'il y ait des choses qui puissent se solutionner, trouver des solutions à des problèmes plus immédiats. On a vu les gens de La Presse prétendre qu'ils avaient besoin d'une aide pour cinq ans. Tant mieux si, au bout de cinq ans, leur modèle aura trouvé sa rentabilité, on verra si ce sera le cas. Mais, s'ils ont trouvé la rentabilité, qu'ils n'ont plus besoin d'aide et si les quotidiens régionaux, les hebdomadaires régionaux ont encore des besoins, il faudra continuer. Je ne pense pas que tout va se régler dans un seul temps.

Il y a des situations qui sont différentes d'un endroit à l'autre. On parle de la presse locale et régionale. Il y a la presse locale, à Montréal, dans des quartiers, mais il y a la presse locale dans les régions éloignées. C'est plus difficile de survivre, sûrement, dans des régions éloignées, où le niveau de revenus moyen est beaucoup plus bas qu'à Montréal ou à Québec. Alors, il y a toutes sortes de considérations à prendre, et il faut éviter, je pense, une application trop rigide d'un programme de soutien.

Mme Melançon : Donc, c'est exactement là où j'allais. Puis vous en avez vu, là, des politiques publiques être écrites tout au long de votre carrière, M. Descôteaux, vous nous appelez à assurer une souplesse dans un programme qui va pouvoir, justement, mieux vieillir et assurer, justement, les transformations, parce que, je l'ai dit à quelques reprises dans cette commission, souvent le législatif a une certaine lenteur, alors que tout ce qui se produit en parallèle va tellement rapidement. Alors, si on veut pouvoir pallier aux problèmes futurs, il faut se laisser pas mal de souplesse.

M. Descôteaux (Bernard) : Bien, on a vu la lenteur... parlant de lenteur, ce qui est arrivé ou ce qui arrive avec le programme d'aide fédéral, si on calcule le temps écoulé depuis que ça a été annoncé dans un énoncé économique et sa mise en oeuvre, et qui demeure peut-être incertaine, c'est vraiment dommage. Alors, on espère que ce que pourra faire le gouvernement du Québec sera plus rapide.

Mme Brin (Colette) : L'avantage qu'on a, si je peux me permettre, sur le contexte fédéral, c'est qu'il semble y avoir... en tout cas, d'après ce que j'entends ici depuis lundi et, je pense, même avant, il y a un consensus, donc il n'y a pas de débat partisan — et ça, je vous en félicite, là — sur le bien-fondé de venir en aide aux médias ou pas, alors qu'à Ottawa c'est très différent. Donc, j'ai confiance que, même après... de futurs gouvernements, qui ne seront peut-être pas toujours de la même couleur, vont maintenir cette aide-là.

• (11 h 40) •

Mme Melançon : Il faut juste s'assurer qu'une commission parlementaire, bien qu'elle ne gère pas le gouvernement, puisse être entendue par le gouvernement. Malheureusement, j'étais un peu attristée d'entendre le premier ministre cette semaine.

Je veux vous revenir sur la loi d'accès à l'information, parce que vous en faites aussi mention à l'intérieur de votre mémoire. On a reçu Marie-Ève Martel, ici, qui nous disait qu'ils vivaient des problèmes dans les régions, là. Parfois, ils se font interdire même l'accès à des conseils municipaux. Mais vous revenez plus précisément sur la loi d'accès à l'information, on voit... et ce, sous tous les gouvernements, là, je le dis, mais dernièrement on a eu l'exemple, avec la loi d'accès à l'information, où c'est un communiqué de presse qui est arrivé, où on voyait que l'information était hachurée pour être sûr... mais c'était un communiqué de presse. Donc, il y a souvent des problèmes. Pouvez-vous me parler de problèmes avec la loi d'accès à l'information?

M. Descôteaux (Bernard) : Bien, écoutez, ça fait des années que le milieu des médias, les journalistes, la FPJQ et d'autres réclament une modernisation de la loi sur l'accès à l'information. Notre loi est désuète, et les gouvernements tardent à la moderniser, à faire les changements radicaux qui devraient s'imposer. Ce que vivent les journalistes, actuellement, comparativement au moment où la loi a été adoptée... Par exemple, un journaliste faisait une demande, elle était refusée, il pouvait plaider lui-même pour que sa requête soit finalement acceptée. Aujourd'hui, il faut prendre un avocat, c'est des délais qui n'en finissent plus. Je regrette de le dire devant vous, mais tous les partis, une fois qu'ils sont au gouvernement, ont un réflexe protecteur exagéré. Vous étiez au gouvernement il n'y a pas longtemps, et je me souviens de propos tenus par la ministre responsable qui n'étaient pas très élogieux par rapport au respect de la loi et au principe même. Alors, ce qu'il faut souhaiter, c'est vraiment un changement d'attitude et que la loi soit radicalement transformée et modernisée.

Mme Melançon : Et, concernant les craintes de certains à savoir, s'il y a une aide étatique, s'il va y avoir toujours une indépendance de la part des journalistes, qu'est-ce que vous en pensez?

M. Descôteaux (Bernard) : Bien, écoutez, l'indépendance des journalistes, c'est une question d'attitude, d'abord. C'est ce qui est important, c'est ce qui fait, dans notre métier de journaliste... c'est d'abord de s'affirmer comme étant là pour protéger le public, travailler pour le public. Notre patron, c'est le public. Alors, je pense qu'un programme d'aide du gouvernement, s'il est bien normé, ne devrait pas mettre en cause l'indépendance des médias. C'est important. Mais l'indépendance... les attaques à l'indépendance peuvent venir de toutes parts. Très souvent, c'est plus insidieux que... et ça vient souvent du monde publicitaire, les entreprises qui vont faire des... et des gens très bien intentionnés parfois mais qui ont des exigences... On met de l'argent dans votre journal, dans une campagne de publicité de 10 000 $, 50 000 $, mais on vous laisse entendre qu'on voudrait être bien traité par ailleurs, qu'il y ait des articles favorables, etc., pour les éditeurs, dans un contexte de difficultés économiques, c'est des fois très difficile de refuser. Comme disait une de mes collègues, éditrice d'un magazine, la relation entre la publicité et le contenu, c'est un peu comme danser un tango, mais il faut danser loin, loin.

Mme Melançon : M. Descôteaux, en terminant...

La Présidente (Mme Nichols) : En quelques secondes, oui.

Mme Melançon : ...en terminant, vous parlez de la publicité gouvernementale qui doit être dédiée dans les médias québécois. Avez-vous une idée de pourcentage? Parce qu'il y a quatre mois, j'ai déposé une motion à l'Assemblée nationale, donc ça fait 120 jours... Je ne l'avais pas dit encore, alors ça me fait plaisir de le rappeler. Est-ce que vous avez une idée du pourcentage qui devrait aller directement dans les médias québécois?

La Présidente (Mme Nichols) : En quelques secondes, s'il vous plaît.

M. Descôteaux (Bernard) : Le plus possible. On n'est pas outillés pour mesurer vraiment. Mais c'est sûr que ce que j'entendais tantôt me faisait vraiment plaisir, de voir que... inviter le gouvernement à faire les mêmes placements publicitaires, c'est une façon de corriger les travers des agences de publicité, qui souvent font des placements publicitaires sans absolument connaître les médias dans lesquels ils vont placer. Et, imaginez, ça ne va pas trop mal à Montréal, mais imaginez-vous quand ils vont parler des hebdomadaires des régions et des municipalités, alors, placer une publicité dans Le Reflet du lac Saint-Jean ou celui... L'Oeil régional de Saint-Hilaire, pour eux, ça n'a aucune importance. Tous ces médias, très souvent, sont laissés sur le carreau.

La Présidente (Mme Nichols) : Je vous remercie. Je cède la parole à Mme la députée de Taschereau.

Mme Dorion : Merci. Une question pour les chercheurs que vous êtes. On parle beaucoup... un peu, là — je prends du recul — de la surcharge informationnelle. Il y en a qui ont amené des nouveaux mots au Québec, on parle d'infobésité, de surinformation, et tout ça. Les gens reçoivent tellement d'information partout que leur incapacité à la traiter les rend malades, finalement, c'est un vrai enjeu de société, et on a vu arriver ça avec Internet, avec la course aux clics. Il y a des psychologues qui travaillent avec les grandes entreprises numériques pour qu'on clique, finalement. Est-ce que l'État devrait avoir, selon vous, un souci, dans son aide, dans l'aide qu'il va vouloir apporter, à ne pas dire : Bon, bien, il faut absolument que nos médias soient dans cette course aux clics là pour rajouter à l'infobésité, et, au contraire, dire : Développons des plateformes fiables, rigoureuses ainsi qu'une culture, à côté, qui va dire : Bien, ça, c'est fiable, ça, tu peux y aller quand tu veux? On ne va pas t'attirer comme un poisson, mais... oui, voilà. Vous comprenez ma question?

Mme Brin (Colette) : Oui, oui, oui. C'est un enjeu auquel on est très sensibles. Je le disais dans ma présentation, on travaille beaucoup sur les pratiques de consommation et les questions qui concernent le public de l'information, en particulier. On a produit, l'année dernière, un ouvrage sur les fausses nouvelles, donc sur la question de la désinformation mais aussi la surcharge d'information. Tout ça va un peu ensemble. C'est des questions qui nous préoccupent. On a parlé aussi, plus tôt ce matin, de l'éducation aux médias. Ça fait partie des solutions, si on veut, au problème que vous évoquez. Comme moi, en tant que professeure aussi, pas seulement chercheure, mais qui enseigne à des futurs journalistes, je pense qu'on est tous dans cette logique-là d'essayer de trouver des moyens de rendre une information qui est plus, comment dire... qui est libérée de tout ce bruit et de toute cette incohérence, cette incertitude, toutes les rumeurs et toutes les faussetés qu'on voit propagées. Donc, de pouvoir dire : Oui, il y a des endroits où vous pouvez... On parlait d'environnement sécuritaire, tout à l'heure, ou d'environnement au moins où on peut se reposer un peu l'esprit puis essayer de comprendre, il y a de plus en plus de journalisme qui se pratique qui est du journalisme d'explication, du «slow news», qui essaie de... Donc, ça, ça fait partie, je pense, des choses qu'on doit soutenir. Je ne sais pas si ça fera partie de ce programme-ci spécifiquement. Moi, c'est certainement le genre de chose que je prône dans mon enseignement et dans ma pratique.

La Présidente (Mme Nichols) : Je vous remercie. Je cède maintenant la parole au député de Rimouski.

M. LeBel : Oui, merci. Bonjour. J'ai aimé votre définition par rapport au désert médiatique puis le fait de ne pas aller dans le mur-à-mur. Je vais donner un exemple. Moi, à Rimouski, à la dernière campagne électorale, j'ai fait cinq ou six conférences de presse, j'avais des médias dans chaque conférence de presse. J'ai rendu publics mes engagements, Les 12 travaux d'Harold, ça a roulé partout. Le monde savait de quoi je m'engageais. J'ai fait une dizaine de débats, la moitié ont été couverts. Ça fait que je n'étais pas dépendant de la campagne nationale, je réussissais à avoir ma propre campagne.

Mes collègues dans le 450 n'ont pas cette chance-là. Ma collègue de Marie-Victorin, je parlais du collègue de Saint-Jean, Terrebonne, eux autres, ils sont enterrés par les médias nationaux. Ils ne réussissent pas à imposer le... En fait, ils n'ont pas le choix de passer par des Facebook ou des affaires du genre parce que, sinon, ils ne se font pas connaître. Ça fait que comment on fait? Parce que, souvent, quand on parle de déserts médiatiques, on parle des régions périphériques, mais, dans le 450, il y a quelque chose à regarder, là. On ne peut pas... C'est la démocratie aussi qui est mise en compte, là. On ne parle que des... c'est juste les médias nationaux qui sont là. Qu'est-ce qu'on fait? Qu'est-ce qu'on pourrait faire?

Mme Brin (Colette) : Tu es un résident du 450, tu peux parler.

M. Descôteaux (Bernard) : Je suis un résident du 450. Dans l'annexe qu'on a jointe à notre mémoire, on a un tableau de la répartition des journalistes par région, et, en le regardant, j'ai été frappé et étonné de voir que, dans la ville où j'habite, à Laval, il y a six médias, et c'est là qu'il y a eu la plus grande... la plus forte baisse, dans la région de Montréal, du nombre de journalistes. C'est enterré par le fait... de l'ensemble... pour l'ensemble de la région métropolitaine de recensement... C'est sûr qu'il y a une petite augmentation du nombre de journalistes, de quatre ou cinq, mais, dans la réalité, c'est encore à Montréal, ville où il y a eu une forte augmentation. Alors, à Laval, à Longueuil, à Brossard, en Montérégie, on est enterrés par l'ensemble de l'information, et la vie de quartier, la vie locale, on n'y a pas accès.

Et on regarde... Pour moi, ça a été... J'ai suivi tout particulièrement, avant même d'habiter à Laval, le scandale qu'on a eu avec le maire Vaillancourt. Pourquoi ça a pris tant d'années avant qu'on puisse en parler publiquement? C'est peut-être parce que... le manque de journalistes, mais aussi parce que les regards s'étaient tournés ailleurs, ils étaient tournés sur Montréal et non pas sur ce que faisait le maire Vaillancourt avec son administration. Alors, c'est ça qui est vraiment, je pense, un rôle important de l'information locale et régionale qu'il faut valoriser davantage.

La Présidente (Mme Nichols) : Merci. La parole est maintenant à la députée de Marie-Victorin.

• (11 h 50) •

Mme Fournier : Merci beaucoup. Très intéressant. Je vais vous donner l'occasion de poursuivre là-dessus, parce que, franchement, c'est une réalité qu'on observe, qu'on vit, en tout cas, dans la région périphérique de Montréal. Moi, je suis députée à Longueuil, et, personnellement, chez nous, on n'en fait pas, de conférence de presse au niveau local, parce qu'il n'y a pas de journalistes qui viendraient, de toute façon, parce qu'ils sont si peu nombreux qu'ils sont beaucoup trop occupés pour se présenter à des événements comme ça. Donc, on fonctionne par communiqués de presse, puis, même encore, ce n'est pas certain que ce sera repris dans les médias locaux. Comment est-ce qu'on fait dans cette situation-là? Vous avez dit : Il faut valoriser l'information locale. Mais, concrètement, ça peut passer par quoi? Est-ce que c'est par l'éducation? Nous, on a des médias quand même très créatifs, à Longueuil, qui font un travail extraordinaire, qui misent beaucoup sur le développement du sentiment d'appartenance, aussi, à la communauté. Est-ce que vous croyez que c'est des voies à explorer? Comment vous le voyez, de façon concrète?

Mme Brin (Colette) : Bien, c'est ça, il y a... bon, c'est une région que je connais peut-être un peu moins, mais, d'après ce qu'on a fait sur le terrain, d'après ma connaissance de cette région-là, il y a quand même une forte présence de médias communautaires. Il y a une présence aussi de... il y a des nouveaux groupes de propriétaires qui se sont formés avec la vente des hebdos de Transcontinental, donc ces gens-là auront peut-être des projets de consolidation, de développement de leur offre d'information. Mais je pense que ça peut être une région où le soutien peut être ciblé aussi pour les aider dans ces efforts-là, évidemment avec toute la distance qui s'impose. Et c'est clair que c'est une région où les besoins... On a constaté aussi que l'offre conditionne la demande, hein? Dans la ville de Brossard, où on est allés, les gens ne manifestaient pas une grande insatisfaction ou un grand besoin pour avoir plus d'information régionale ou locale parce qu'ils sont habitués à consommer les médias de Montréal et même... bien, Brossard, c'est plutôt les médias de Longueuil aussi, mais donc il y a un travail à faire aussi, évidemment, pour cultiver cette demande.

Mme Fournier : ...pourrait viser spécifiquement la région du 450.

Mme Brin (Colette) : Entre autres, oui.

La Présidente (Mme Nichols) : Je vous remercie, Mme Brin, merci, M. Descôteaux, de votre apport à cette commission. C'était vraiment très bénéfique pour nous tous.

Et nous allons suspendre, le temps de laisser s'installer le prochain groupe. Merci.

(Suspension de la séance à 11 h 53)

(Reprise à 11 h 55)

La Présidente (Mme Nichols) : ...dernier groupe de la journée et de la semaine. Je souhaite la bienvenue aux représentants de l'École des médias de l'Université du Québec à Montréal. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, puis nous procéderons à la période d'échange avec les membres de la commission.

D'emblée, je vais avoir besoin d'un consentement avec les membres de la commission pour aller un petit peu au-delà de l'heure prévue.

Des voix : ...

La Présidente (Mme Nichols) : Merci pour votre consentement. Alors, je vous invite donc à vous présenter ainsi que les personnes qui vous accompagnent et à procéder à votre exposé. La parole est à vous.

École des médias de l'Université du Québec à Montréal

Mme Lortie (Suzanne) : Tout d'abord, merci de nous avoir invités chacun de notre côté, merci de nous entendre ensemble. On a tous les deux été invités par la Commission de la culture et de l'éducation à déposer, donc, un mémoire dans le cadre du mandat, mais on a choisi délibérément, nous deux, de présenter un mémoire commun afin de combiner nos expertises respectives.

Je m'appelle Suzanne Lortie, je suis professeure à l'École des médias de l'UQAM et responsable du programme de stratégies.

M. Roy (Jean-Hugues) : Pour ma part, je m'appelle Jean-Hugues Roy, responsable du programme de journalisme à la même École des médias de l'UQAM.

Mme Lortie (Suzanne) : Alors, nous sommes les derniers. Vous avez entendu beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses. Notre intervention se veut essentiellement prospective ici aujourd'hui. Au-delà de la crise financière actuelle et des mesures urgentes qui doivent... et qui seront prises, nous en avons confiance, nous sommes intéressés, pour le contexte québécois, à ce que nous croyons non seulement possible, mais politiquement souhaitable. L'idée, c'est qu'on espère vous transmettre une partie de notre vocabulaire et de nos arguments pour que vous soyez capables de communiquer à vos électeurs et à vos collègues les mesures à prendre et le passage à faire. C'est un passage dans un environnement médiatique qui est toujours plus social et de plus en plus social. Ce que ça signifie, c'est que la forme des interventions politiques développées et conçues pour les environnements des médias du XXe siècle auront besoin de réformes pour être effectives et efficaces dans ceux du XXIe — voilà — notamment en ce qui concerne, dans un premier temps, la lutte effective contre les défaillances potentielles du marché dans la production d'un bien public que permet le journalisme professionnel, indépendant et de qualité, et l'arrivée de nouveaux joueurs d'ici, les jeunes journalistes et les jeunes médias, dans un deuxième temps, la garantie d'un marché de médias efficace et concurrentiel, et, dans un troisième temps, l'assurance que les citoyens développent une connaissance des médias et de l'information suffisante pour naviguer efficacement, et dans leur propre intérêt, dans l'environnement médiatique.

Comme l'a si bien exprimé Philippe Lamarre cette semaine, il faut combattre l'offre par l'offre. Plus spécifiquement et sans répéter tout ce qui a été dit depuis lundi, nos réflexions ont porté, bien évidemment, sur le soutien du journalisme par des mesures fiscales. Nous privilégions plus les mesures fiscales indirectes à long terme, la valorisation des données échangées — le point crucial de notre mémoire, en fait — tant pour les producteurs de données que pour les organisations qui transforment ces données, qui sont redevables envers leurs producteurs, et une série de pistes de réflexion, tout en respectant un Internet libre, qui vont susciter une lecture critique de la structure de l'information journalistique, de son partage, de sa portée et de son rayonnement, ainsi qu'une réflexion sur l'impact de l'augmentation du volume de data sur les infrastructures, sur le développement durable des infrastructures technologiques et culturelles au Québec.

Le développement du data, ça a un prix que nous allons devoir soutenir collectivement et assumer collectivement. D'entrée de jeu, nous, ce qu'on dit, c'est que le journalisme québécois sous toutes ses formes est un produit culturel. L'information participe à la création identitaire, au même titre que la littérature, le théâtre, la musique, etc. La présentation de Marie Collin, de Télé-Québec, cette semaine, a été claire, précise, concise et juste.

Nous nous permettons de plus de citer Alexis Martin, qui lui-même citait Georges Bataille, la semaine dernière, à Plus on est de fous, plus on lit, à Radio-Canada : «La culture, c'est peut-être ce rêve dérangeant de ceux qui "ne veulent plus vivre avec des yeux crevés"...» Voilà. Dans un monde où le data est roi, la publicité, c'est un produit transformé à partir du data, et c'est pour ça que nous mettons les données au coeur de nos recommandations et la valorisation des données au coeur de nos recommandations.

• (12 heures) •

Nous proposons aussi, comme tous ceux qui ont témoigné cette semaine, de nous questionner sur la transformation des conditions de travail des journalistes et des éditeurs, sur les modèles de production de sens et de confiance, sur des pistes qui remettent en perspective les utopies technologiques et technocentristes, des pistes qui invitent à réfléchir à la façon dont les lecteurs, les téléspectateurs, bref, les citoyens contribuent et à ce qu'ils retirent de ces modèles, paradoxalement, en perpétuelle continuité. Ce n'est plus uniquement le data de l'information qui compte seul, c'est le data du public, des citoyens, des auditeurs, des lecteurs adultes et enfants. Ce sont nos quêtes, nos recherches, nos questionnements, nos conversations, nos affects, notre confiance, notre affiliation, nos affinités qui sont monétisées et qui créent du data parce qu'ils créent du data, justement. En plus, au-delà de la finesse des modèles de ciblage publicitaire, dont Facebook et Google sont devenus les experts, et des moteurs de recommandations — et on espère un jour être capables de changer l'acronyme GAFA pour quelque chose d'autre — ce sont nos conversations qui sont en train de changer par leurs interventions et par leur curation.

Culture et information québécoises sont dans le même bateau au coeur de la tempête provoquée par les géants du Web. Culture et communications font déjà partie du même ministère et, à notre avis, doivent être considérées ensemble dans la réflexion amorcée par la commission. Cette posture permet aussi à l'Assemblée nationale de réaffirmer que l'information fait partie intégrante de ses compétences, ce qui lui permet d'agir, vu l'immobilisme actuel du gouvernement fédéral.

Nous avons abordé le contexte réglementaire. On ne reviendra pas là-dessus parce qu'en ce moment il y a une grande partie de ça qui est à Ottawa. On a aussi abordé, dans notre mémoire, un contexte économique, dont Jean-Hugues va vous faire part, et un contexte sociotechnologique.

Notre réflexion nous a amenés à un point crucial, c'est que la mutation constante des formes des médias et de la distribution/diffusion doit nous faire prendre en compte que les points éventuels d'aide aux médias deviendront très rapidement désuets si on ne définit pas ce qu'est un distributeur, si on ne comprend pas, si vous ne comprenez pas vous-mêmes, dans vos coms, le paradoxe qui existe entre travailler une niche et «scaler» un modèle ou si on est sur la défensive — excusez-moi le jargon. Nous invitons donc le gouvernement à penser en termes politiques et non en termes de solutions représentant sur la technologie donnée, sur un modèle technologique particulier pour en arriver à augmenter les revenus dédiés à ce que nous, on voudrait être une super-SODEC ou un fonds des médias du Québec.

Nous avons donc... Je laisse la parole à Jean-Hugues.

M. Roy (Jean-Hugues) : Trois minutes, très rapidement. Suzanne a éloquemment résumé notre mémoire. Tout ce que je pourrais ajouter, justement, c'était de regarder le contexte économique des médias. J'étais surtout curieux de voir... bien, surtout, ce qui est important pour moi de faire, c'est de démontrer que les médias, ils en ont fait un, effort pour s'adapter. Ils l'ont pris, le virage numérique dans les 10 dernières années. Ils ont réduit leurs dépenses de différentes façons, hein? M. Péladeau est venu dire comment il s'y est pris, lui, devant vous cette semaine. Les gens de La Presse ont fait aussi un effort en éliminant la dépense de l'imprimerie. Donc, ça, ils l'ont fait. D'autre part, ils ont fait plusieurs efforts pour aller augmenter leurs revenus : ils organisent des événements, ils ont de plus en plus recours à leur public à travers les abonnements. Et certaines de ces façons d'aller chercher d'autres revenus, à mon sens, sont une bien plus grande menace à l'indépendance des médias. Je pense à la publicité native, le recours au contenu commandité, ça, c'est... voilà, ça, ça menace carrément l'indépendance, d'où, donc, l'importance, l'intérêt de bénéficier d'une aide du public. Le consensus est que ça prenne la forme de crédits d'impôt, mais toutes ces mesures-là, à notre sens, ça va être autant de petits diachylons tant et aussi longtemps qu'on n'ira pas chercher l'argent là où il se trouve. Les gens, les Québécoises, les Québécois, hein, ont soif d'information. Où est-ce qu'ils vont chercher cette information-là? En achetant des appareils comme celui-ci, en s'abonnant à Internet, en installant... en payant pour des forfaits de données sur leur téléphone cellulaire. Ça coûte une fortune. Alors, tout le monde s'entend pour taxer les GAFA, mais il y a un autre grand absent, je pense, dans la commission, ce sont les fournisseurs d'accès à Internet, qui pourraient être mis, eux aussi, à contribution, je pense à Rogers, Bell, Vidéotron et d'autres. On va arrêter là pour... Et les recommandations, mon Dieu, très rapidement...

Mme Lortie (Suzanne) : La première recommandation qu'on fait, en fait, ça va dans le sens de ce qui a été fait par Urbania, c'est-à-dire la création d'une super-SODEC, O.K.? Ça a l'avantage, en fait, d'avoir déjà un cadre réglementaire, une expertise et des gens qui travaillent là qui sont capables d'amener une expertise historique en culture, donc crédits d'impôt, et compagnie, etc., soutien aux médias.

À la recommandation n° 3, ce qu'on veut souligner, c'est qu'il faut que le Québec, dans sa conception de sa politique sur l'approche aux GAFA, se rapproche de l'Europe, fondamentalement, donc les données, à un moment donné, soient considérées comme étant une matière première.

M. Roy (Jean-Hugues) : Oui, un autre intervenant aujourd'hui, M. Desîlets, l'a bien dit, là, toutes mesures qui ne tiendront pas compte de la valeur des données dans le monde d'aujourd'hui, elles risquent d'être vaines. Alors, nous, c'est central dans notre recommandation 4 et 6, on vous dit : Le législateur a le pouvoir d'obliger les entreprises... toute entreprise qui collecte des données sur les Québécoises et sur les Québécois et qui fait de l'argent avec ça, bien, vous avez le devoir d'aller voir il y a quoi, comme données, qu'est-ce qui circule comme informations sur ces plateformes-là. En ayant accès aux données, vous allez pouvoir le savoir et vous allez pouvoir mesurer aussi la valeur de ces données-là et aller imposer, donc, les revenus qui sont faits avec.

La Présidente (Mme Nichols) : Je vous remercie de votre exposé. Nous allons maintenant commencer la période d'échange. Vous pourrez poursuivre, évidemment, à nous donner de l'information avec le député de Beauce-Sud.

M. Poulin : Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Lortie, M. Roy, pour votre excellent travail puis pour vos recherches. Merci de nous amener également sur le terrain des données, qui est de l'or de nos jours, bien évidemment, pour plusieurs grandes entreprises mais également pour les médias. On souhaite avoir de l'information, c'est de savoir les gens se situent où, qu'est-ce qu'ils font, et ça nous oriente parfois vers des placements publicitaires.

Il n'en demeure pas moins que vous avez une grande expertise également au niveau des jeunes, comme École des médias. Vous faites une proposition fort intéressante, la 12, vous dites : «Que le gouvernement québécois mette sur pied un programme d'allocation directe aux jeunes destiné à stimuler la consommation et l'expérience de produits culturels et d'information de proximité.» On a déjà fait le choix, au Québec, il y a quelques années, d'abolir la TVQ sur certains biens culturels québécois, qui est un incitatif, justement, visant à inciter les gens à consommer des biens culturels. Et je veux vous entendre là-dessus, avec vos recherches. Oui, on peut, par exemple, encourager les jeunes à se tourner vers de l'information québécoise, à se tourner vers des biens culturels québécois, faut-il encore qu'ils puissent... que ce soit accessible et que ça les intéresse aussi. Et, dans tout le virage numérique, on en a parlé tout à l'heure, on en reparle aujourd'hui, on parlait... quelques minutes, où on disait : Bon, il y a des gens qui ont l'impression d'avoir fait le virage numérique, puis tout est réglé, merci, bonsoir, c'est fait, alors que ce n'est pas ça. Souvent, une fois qu'on l'a fait, il faut recommencer à penser à ce qui s'en vient, on l'a bien indiqué tout à l'heure. Alors, moi, je me dis, oui, peut-être, inciter les jeunes à consommer, mais est-ce qu'ils vont y rester, est-ce qu'ils vont aimer? Et, selon vous, est-ce que notre plateforme... nos plateformes médiatiques sont suffisamment attirantes pour la jeunesse?

Mme Lortie (Suzanne) : Oh mon Dieu! Je pense que la question est très vaste puis je pense qu'il y a plusieurs plateformes pour la jeunesse. Je pense qu'il faut d'abord et avant tout se rendre compte que les cycles sont très, très courts. Je vous conseille, en fait, de ne pas cligner des yeux quand vos enfants grandissent, parce qu'ils sont volatils.

M. Poulin : Ça va vite.

Mme Lortie (Suzanne) : Ça va très, très, très vite.

L'autre chose, je pense qu'ils sont attachés à des expériences, à des produits et pas nécessairement à des plateformes, et donc ils vont se promener d'une plateforme à l'autre. Et, bien souvent, la plateforme n'est pas nécessairement non plus le meilleur endroit, en fait, en termes de découvrabilité.

Une chose que je voudrais souligner, qui a été relevée dans le rapport du Centre d'études des médias, qui nous ont précédés, c'est l'importance de la communication pair à pair. Et on oublie à quel point, donc, les conversations se passent, entre les gens, à l'extérieur des plateformes et en messagerie privée, de plus en plus en messagerie privée, surtout chez les jeunes. TikTok s'en vient, et là... Et c'est pour ça, d'ailleurs, que, nous, le dénominateur commun de nos systèmes de financement qu'on veut faire, c'est qu'on veut revenir au degré zéro, en fait, de ce qui se passe avec le numérique, c'est-à-dire l'unité zéro... où est la valeur, c'est la donnée. La recommandation pair à pair va faire en sorte que les jeunes vont sauter d'une plateforme à l'autre, ils sont à la recherche d'un produit et d'une expérience. Impossible de qualifier la qualité des productions mur à mur au Québec, c'est impossible, mais ce qui est certain, c'est qu'on a des productions extraordinaires qui se font, extraordinaires. Le cas de Télé-Québec est flagrant, mais on espère aussi que le réinvestissement à Radio-Canada, par exemple, en production jeunesse va faire en sorte qu'on va arriver avec des nouvelles émissions, des nouvelles découvertes. Et il y en a d'autres qui se font ailleurs. Je veux souligner aussi l'importance de l'audio et du balado. On oublie qu'il y a énormément de développement qui se fait du côté de la production culturelle audio.

M. Poulin : Je vous remercie. Je cède la parole à un de mes collègues.

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, j'avais le député de Sainte-Rose qui a demandé la parole, suivi de Saint-Jérôme et de Saint-Jean.

• (12 h 10) •

M. Skeete : Merci beaucoup de me dire l'ordre à venir, je l'apprécie, Mme la Présidente. Je me permets de vous saluer, merci beaucoup.

En fait, j'ai immédiatement saisi votre dénominateur zéro. Je comprends comment que les compagnies informatiques ont commodifié la donnée. Je vois très bien que c'est vraiment là que la valeur, elle est. Mais comment un gouvernement pourrait s'attarder... C'est quoi, la... Comment vous voyez la taxation de la donnée ou de donner un prix à cette donnée-là? C'est-u la TVQ? Quand les abonnés se joignent, mettons, est-ce qu'on va ajouter une taxe aux citoyens pour avoir des cellulaires ou accès à l'Internet? Comment vous voyez ça?

Mme Lortie (Suzanne) : C'est un peu un mélange de tout ça. Ce qu'on fait, nous autres, à l'École des médias, c'est qu'on surveille, effectivement, beaucoup ce qui se passe du côté de l'Europe parce que, eux, leur démarche de quantification de la valeur de ces échanges-là est plus avancée et commencée déjà depuis un certain temps. Puis ça a d'ailleurs fait sauter un peu M. Trump, quoique, cette semaine, ils en sont arrivés à une entente, en fait, sur une mesure temporaire de taxation. Le fameux 3 % sur le chiffre d'affaires est une mesure temporaire en attendant la fin de négociations ou l'aboutissement de négociations globales avec les pays membres de l'Union européenne, globalement. Les données ont un prix, puisque Facebook les vend.

M. Skeete : Oui, mais...

M. Roy (Jean-Hugues) : Mais, plus précisément, vous vous demandez... D'abord, il y a plusieurs choses à faire. Il faut les imposer, première étape, mais ensuite, si vous vous donnez le pouvoir d'obliger ces entreprises-là à vous montrer qu'est-ce qu'elles ont comme données, qu'est-ce qu'elles possèdent et quels sont les algorithmes qui les utilisent, bien là, vous allez être plus en mesure de voir les quantités de données et, voilà, d'aller imposer des redevances là-dessus en fonction de la valeur de ces données-là. C'est très difficile à faire maintenant, parce qu'on n'en a aucune idée, mais donnez-vous le pouvoir d'aller chercher cette information-là.

M. Skeete : Donc, vous dites : Taxer l'algorithme...

M. Roy (Jean-Hugues) : Pas l'algorithme.

M. Skeete : ...ou taxer le consommateur...

M. Roy (Jean-Hugues) : Non.

M. Skeete : On est où, là? C'est ça que j'essaie de comprendre, vite, vite.

Mme Lortie (Suzanne) : Alors, le consommateur, en ce moment, est lui-même producteur de la donnée, il devrait en rester le propriétaire, première des choses. Ça veut dire que tous les consommateurs au Québec devraient être capables de récupérer leurs données et devraient être en mesure d'exiger qu'elles soient interopérables, c'est-à-dire de les transporter et les amener ailleurs. Cette valeur-là, par définition, appartient à celui qui les a produits. En Angleterre, par exemple, il y a maintenant des lois — aux États-Unis aussi — qui permettent aux gens de récupérer leurs données, et certaines plateformes s'y conforment. Facebook semblait, dans certains pays, être en passe de montrer une certaine forme d'ouverture.

Ce qui se passe en ce moment, économiquement... de façon un peu abstraite, j'en conviens, mais ce qui se passe en ce moment, c'est que ces données-là, qui sont des intrants pour une plateforme ou pour une organisation, sont transformées en pubs, mais sont aussi... pas juste transformées en pubs, mais sont aussi transformées en services qui sont vendus à des relationnistes, à des influenceurs, à des gens qui font de la com en particulier, et ce n'est pas que de l'affichage publicitaire. Mais essentiellement tout le modèle de revenus de ces plateformes-là est basé sur la transformation de données d'un intrant. Ça fait que le moyen qu'on a en ce moment, c'est de regarder le chiffre d'affaires puis dire : Bon, bien, avec ces données-là, vous êtes capables de produire un chiffre d'affaires... et non pas des bénéfices, mais un chiffre d'affaires x sur un territoire x, et c'est donc ça qui est en train de se passer en ce moment.

M. Skeete : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Nichols) : La parole est au député de Saint-Jérôme.

M. Chassin : Merci. Continuons dans cette voie sur les données. Vous comprendrez que j'y vois, moi, une piste très interventionniste, là, j'en ai un peu des frissons. Comme dystopie, il n'y a pas grand-chose qui me fait plus peur qu'un gouvernement qui a un droit de regard. Peut-être mieux le définir, parce que... puis je suis sûr que vous réalisez, il y a une partie de la valeur des données et de l'analyse de ces données-là qui dépend de l'exclusivité que, par exemple, une entreprise détient sur ces données-là. Elle a une analyse fine parce qu'elle a de nombreux recoupements qu'elle peut faire, elle peut avoir une typologie, caractériser des comportements. Et donc de permettre à l'État d'avoir un droit de regard, ce serait limité à la taxation, pour vous, ou... Parce que vous parlez, à un moment donné, de divulguer ça, par exemple, pour des... de façon dénomalisée, bien sûr, mais pour des travaux de recherche. Dans un cas comme ça, ça veut dire que ce n'est plus exclusif, il y a un type d'expropriation, là, des collecteurs de données. Comment vous voyez, disons, le danger d'aller aussi loin?

M. Roy (Jean-Hugues) : Je ne vois pas de danger. Tu sais, votre rôle, c'est quoi? C'est de préserver l'intérêt public, c'est aussi d'assurer une redistribution de la richesse. Alors, ce qu'on voit, l'essentiel pourquoi on vous propose ça comme recommandation, c'est pour faire en sorte que la richesse qui est créée, en ce moment, grâce aux données et qui est concentrée dans les mains d'un très petit nombre de joueurs, bien, que vous vous donniez les moyens la mesurer et ensuite d'aller en tirer des bénéfices, en tirer des bénéfices pour financer l'ensemble des services publics, pas simplement la culture et l'information, mais l'ensemble des services publics. Puis je pense que ça, ça va être à l'avantage de ces entreprises-là, parce que nos données, les données qu'on leur permet d'accumuler, de monétiser, elles ont une valeur dans la mesure où on est des citoyens informés... des citoyens en santé, des citoyens éduqués, donc des citoyens qui bénéficions des services publics. En gros, c'est ce qu'on dit. Je ne vois pas de dystopie là.

Mme Lortie (Suzanne) : En fait, excusez-moi, là, je vais me permettre de rajouter à ça. Je ne sais pas si vous avez visionné The Great Hack sur Netflix, donc, cette oeuvre qui a été pilotée par cette journaliste pigiste, c'est... l'utilisation de données dans une dynamique très sociométrique et prédictive de comportements pourrait, à la limite, selon la loi britannique, être considérée comme étant de l'information stratégique. Ça dépasse... je rejoins tout à fait Pierre Trudel là-dessus, qui est professeur à l'Université de Montréal, c'est une question de gouvernance et de gouvernalité, en fait, par les... Il va falloir, à un moment donné, qu'on accepte, nous, que ces univers-là sont des continents qui ont leur propre gouvernance... gouvernalité et leur propre dynamique de fonctionnement et qu'ils ne peuvent pas continuer à fonctionner à côté, au-dessus ou en dessous des lois nationales.

M. Chassin : Évidemment, on pourrait en discuter longtemps. Je vous inviterai à prendre un café ou une bière, puis on continuera la discussion. Mais je voudrais peut-être...

Mme Lortie (Suzanne) : ...avec monsieur... oui, on peut... tout à fait.

M. Chassin : Mais j'aimerais quand même juste vite attirer l'attention sur une autre suggestion. Vous parlez, par exemple, d'ouvrir des critères à la SODEC, et ça, je trouve ça porteur. Pourquoi penser à la SODEC?

Mme Lortie (Suzanne) : Parce que la SODEC a une... est habilitée. D'abord, elle existe, de un. De deux, elle comprend l'expertise et le fonctionnement en mode projets. Nous, on veut insister, en fait, sur un financement indirect en mode projets, donc sous forme de crédits d'impôt remboursables, parce que, de toute façon, les entreprises culturelles, si on les considère comme ça, et médiatiques sont une succession de projets, et parce que ça permet un ajustement à géométrie variable des projets, et ça permet une compréhension fine des métiers de l'information, qui incluent la programmation, le design. Philippe Lamarre l'a dit aussi, chez Urbania, «the medium is the message». Donc, ce ne sont pas que des journalistes à l'écrit, mais ce sont des journalistes à la recherche, et d'ailleurs, par exemple, l'équipe du Gardian fonctionne comme ça.

L'autre chose, c'est qu'il y a des produits d'appel dans tous les médias et il y a des produits à valeur ajoutée. Nous, ce qu'on voudrait, ce seraient des programmes de financement qui s'adressent aux produits à valeur ajoutée en information et en médias, et la SODEC a cette expertise-là des formats et des types de contenu.

La Présidente (Mme Nichols) : La parole est au député de Saint-Jean pour 2 min 40 s.

M. Lemieux : En fait, deux minutes, parce que je veux laisser 40 secondes à mon camarade de Beauce-Sud.

La Présidente (Mme Nichols) : Quelle gentillesse.

M. Lemieux : Oui. Non, mais c'est circonstanciel, c'est que c'est nos derniers mots.

On ne peut pas remettre le génie dans la bouteille, malheureusement, mais on aurait envie des fois, et, moi, c'est l'envie que j'ai eue en lisant vos 13 recommandations. Je suis trop pragmatique pour rêver beaucoup, mais ça me rappelait les jours où on se disait : On pourrait-u réinventer un Facebook à nous autres puis contrôler au lieu de demander à quelqu'un qui le contrôle de le déconstruire? Bien, bref, c'est... vaste programme.

Je disais, tout à l'heure, à M. Descôteaux que j'avais envie qu'il me dise — et il vous reste une minute pour me répondre — il en est où, notre droit du public à l'information. J'avais oublié ce que j'avais écrit dans ma publication, je ne me souvenais pas si c'était «préserver le droit du public à l'information», «protéger» ou «garantir». Je vous vends le punch, j'ai écrit «garantir». Mais vous, vous écririez quoi et vous en pensez quoi, de notre droit du public à l'information aujourd'hui?

M. Roy (Jean-Hugues) : Bon, mais je veux revenir, M. Lemieux, sur ce que vous disiez, «le génie est sorti de la bouteille». Ce n'est pas ça qu'on dit du... on ne demande pas que vous le remettiez à l'intérieur. L'autre analogie, c'est «la pâte dentifrice est sortie du tube». On ne ne dit pas ça, mais pas du tout, au contraire. Mais ce qu'on dit, c'est que, dans le dentifrice, là, il y a de la culture, il y a de l'information et que c'est à vous d'aller chercher... tu sais, ça fait partie des ingrédients, donc ces ingrédients-là, ça se paie, et on vous demande d'aller chercher cet argent-là.

Pour ce qui est du droit du public à l'information, bien, je pense, si... plus les médias vont être affaiblis, moins il va y avoir de journalistes qui vont pouvoir gagner leur vie au Québec, moins la liberté d'information va être forte au Québec.

M. Lemieux : Et est-ce qu'elle a besoin d'être protégée en ce moment ou... protégée?

M. Roy (Jean-Hugues) : Elle a besoin d'être soutenue, oui.

• (12 h 20) •

M. Lemieux : Je ne dis pas qu'on ne peut pas le remettre dans la bouteille, on aurait envie de le remettre dans la bouteille par bons moments.

M. Roy (Jean-Hugues) : Ça, je... oui.

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, il reste définitivement 40 secondes pour le député de Beauce-Sud.

M. Poulin : Merci, Mme la Présidente. Vous nous excuserez, puisque vous êtes les derniers témoins, c'est notre dernier temps, à la partie ministérielle, dans le cadre de cette commission parlementaire. On tient à vous remercier, remercier l'ensemble des gens qui sont venus témoigner ici. On a eu une semaine assez exceptionnelle, avec des gens provenant de différents horizons, avec différents intérêts.

Je veux saluer, bien évidemment, les collègues de la partie ministérielle, Sainte-Rose, Maskinongé, Richelieu, Rousseau, Saint-Jérôme et Saint-Jean, saluer la députée de Verdun, la députée de Saint-Laurent et ses tableaux, la députée de Westmount également...

Une voix : ...

M. Poulin : ...Westmount—Saint-Louis, bien évidemment. La députée de Taschereau vient de venir me voir parce qu'elle devait quitter pour une activité, on la salue, bien évidemment, M. le député de Rimouski, Mme la députée de Marie-Victorin. On débute la rédaction de ce rapport, et je suis convaincu qu'on aura des échanges, encore une fois, très intéressants. Merci.

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, nous poursuivons tout de même la période d'échange, après ces remerciements, avec Mme la députée de Verdun.

Mme Melançon : Très intéressant, l'idée de la super-SODEC. J'ai été huit ans à la SODEC, donc je peux en parler en long et en large. Et j'imagine que ce dont vous parliez tout à l'heure, c'est qu'il y a un département complet, là, je tiens à le mentionner, qui s'occupe des crédits d'impôt. Donc, c'est Sophie Labesse et toute son équipe, là, justement, qui, aux crédits d'impôt, sont des experts, sont capables... l'infrastructure est déjà là. Je salue cette idée-là, je trouve ça très, très bien, d'autant plus que, lorsqu'on a entendu Philippe Lamarre, d'Urbania, cette semaine, j'ai aussi dit : C'est vrai, parce qu'en fin de compte c'est de notre culture, c'est de notre identité qu'il est question. Quand on parle de notre information, c'est qui on est, c'est chez nous, c'est ce qui se passe dans nos régions, dans nos métropoles, dans notre capitale. Bref, il faut que ce soit vu dans un tout, et, là-dessus, je suis tout à fait d'accord avec vous.

Je vais aller un peu plus loin, parce que... et malheureusement la députée de Taschereau ne pourra pas abonder dans ce sens-là, mais... je ne veux pas lui mettre des paroles non plus dans la bouche, mais actuellement nous, on a décrié quand même qu'il y avait deux absents majeurs, des gens qui ont quand même pignon sur rue ici, au Québec, et je vais les nommer, c'est Facebook et Google, qui ne sont pas là, actuellement, qu'on aurait quand même souhaité entendre. Est-ce que vous croyez... puis là je vais faire sourire mes collègues en face, mais, quand on parle, justement, de pouvoir taxer, je vous ai lus, vous êtes d'accord avec cette taxation-là auprès des géants, là, puis il faut le faire rapidement, c'est que j'ai compris aussi.

M. Roy (Jean-Hugues) : ...imposition, là, oui, absolument.

Mme Lortie (Suzanne) : En fait, c'est une taxation, Jean-Hugues. C'est correct, on est habitués à s'obstiner entre nous.

Des voix : Ha, ha, ha!

Mme Melançon : Mais je vous entends qu'il ne faut pas attendre après l'OCDE, là, on peut aller immédiatement.

Mme Lortie (Suzanne) : Non, on peut aller immédiatement, et par des mesures temporaires, par des mesures de transition, tout à fait. C'est ce qui se passe en France en ce moment. Ce qui se passe en France, c'est une mesure de transition.

Mme Melançon : Et je veux juste rappeler aux gens qui suivent nos travaux, actuellement, qui sont à la maison, que c'est de 120 millions de dollars dont il est question, actuellement, si on inclut, bien sûr, le Netflix, qu'on entre, actuellement, là, qui a la taxation depuis le 1er janvier dernier, bien sûr, les cinq points de TPS que le fédéral a décidé de laisser sur la table. Puis là c'est un minimum, parce qu'on a juste fait les chiffres pour Facebook, on n'est pas allés vers Google. Là-dessus, je voudrais vous entendre.

Mme Lortie (Suzanne) : Google...

M. Roy (Jean-Hugues) : ...

Mme Lortie (Suzanne) : Excuse-moi.

M. Roy (Jean-Hugues) : ...c'est très difficile, très difficile. Facebook nous permet, dans ses rapports annuels, de calculer la part de ses revenus qui proviennent du Canada. Impossible de faire ça avec Google, avec Twitter, j'ai regardé, avec d'autres entreprises, très, très difficile.

Mme Melançon : Alors comment est-ce qu'on peut y arriver?

M. Roy (Jean-Hugues) : En leur demandant... en les forçant à vous ouvrir leurs portes, leurs données. Sans dévoiler des secrets industriels, bien sûr, sans... tu sais, en protégeant les données personnelles aussi. On a déjà des lois pour protéger ces renseignements personnels, alors il y a moyen de le faire...

Mme Melançon : On a quand même une agence de revenu, au Québec.

Mme Lortie (Suzanne) : ...oui, tout à fait, et qui collabore avec la SODEC, et, je rajouterais aussi, en se rapprochant de ce que les Européens font. Il faut, à un moment donné, aussi considérer qu'on a des alliés commerciaux en Europe. Je pense qu'il faut vraiment y réfléchir très sérieusement.

Mme Melançon : Dans quelques instants, je vais laisser la parole à la députée de Saint-Laurent, mais, très rapidement, je pense que, tout au long de la semaine, s'est dégagée une chose : on veut parler plus d'équité, et actuellement il y a inéquité. C'est clair pour vous?

Mme Lortie (Suzanne) : Tout à fait.

Mme Melançon : Merci.

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, je cède la parole à la députée de Saint-Laurent.

Mme Rizqy : Merci beaucoup. Je n'irai pas dans les chiffres, ça a déjà été traité, vous savez où est-ce qu'on loge sur ce dossier. Vous avez mentionné, tantôt, The Hack. Et, pour ceux qui ne...

Mme Lortie (Suzanne) : Excusez-moi, je n'ai pas compris.

Mme Rizqy : Est-ce que vous avez, tantôt, mentionné le reportage The Hack?

Mme Lortie (Suzanne) : Oui.

Mme Rizqy : Parfait. Vous avez aussi parlé d'algorithmes. Je me permets qu'on retourne sur ce dossier, juste pour le vulgariser davantage, pour ceux qui nous écoutent puis qui ne comprennent pas c'est quoi, un algorithme, et c'est quoi, The Hack. Alors, en ce moment, on a Facebook qui décide par eux autres mêmes, en Californie, comment que l'information, le contenu sur leur plateforme va être traité, ce que vous allez voir, ce que vous ne verrez pas. Et on a appris, dans ce reportage, qu'en Grande-Bretagne, sur l'élection du Brexit, il y a eu de la manipulation des citoyens. Certains groupes, on a identifié et qu'on a ciblés, qu'on a été capable d'amener à voter pour sortir de l'Union européenne en leur faisant voir massivement le même contenu, souvent de façon répétée, pour les manipuler dans les urnes. Et par la suite on explique que la même chose a été faite lors des élections américaines présidentielles de 2016.

Aujourd'hui, il me semble que ça devrait être un enjeu national, de sécurité nationale, et que nous devons immédiatement demander à Facebook de venir s'asseoir devant nous pour venir s'expliquer, parce qu'on a des élections fédérales, certes, mais on a aussi des élections, au Québec, qu'on devra toujours protéger.

M. Roy (Jean-Hugues) : Absolument, tout à fait d'accord avec vous, avec votre constat, puis c'est un problème majeur pour les chercheurs en communications, en journalisme. Autrefois, c'était possible de savoir quelle était l'information qui parvenait au public. Il suffisait de mesurer ce qui a été publié dans les journaux, ce qui était diffusé à la radio, à la télé, même dans le Web, qui repose sur des normes ouvertes, c'était possible de le faire. Maintenant que les citoyens s'informent majoritairement sur des plateformes comme Facebook mais de plus en plus également sur des applications de messagerie, WhatsApp, Suzanne mentionnait TikTok, alors...

Mme Lortie (Suzanne) : WeChat.

M. Roy (Jean-Hugues) : ...WeChat, en Afrique et en Chine, d'où l'intérêt, donc, de forcer, encore une fois — ça, c'est notre recommandation n° 5 — d'obliger ces entreprises à ouvrir un pan de leurs API, leurs applications de programmation, à la recherche, aux gens comme nous, comme les gens du Centre d'études des médias, pour savoir qu'est-ce qui se passe, quelle est l'information qui arrive aux Québécois. On n'en a aucune idée en ce moment, et ça mène aux dérives que vous avez mentionnées.

Mme Rizqy : Parlons de la recherche. Lorsqu'il y a eu, au fédéral, un petit peu ce que nous, on fait ici, on a entendu, par la suite, les groupes comme Facebook et Google dire : Bien non, c'est correct, en Ontario, on s'investit dans la recherche universitaire. Je suis professeure en congé sans solde pour charge publique, et, dans mon université, c'était très clair qu'on n'était pas à la remorque de l'industrie privée et encore moins étrangère. J'aimerais vous entendre. Nous, au Québec, si on a, justement, des entreprises telles que Facebook et Google qui vous offrent leur aide précieuse pour venir faire de la recherche à l'intérieur des murs universitaires, vous en pensez quoi?

M. Roy (Jean-Hugues) : J'ai déjà demandé de l'aide de Facebook pour participer à un projet de recherche, justement, en 2014. Ils ont refusé de collaborer parce que je... La question que je posais, c'était, justement : Quelle est l'information qui parvient aux Québécois à travers Facebook?

Aux États-Unis, en ce moment, Facebook collabore avec un groupe de chercheurs dans le cadre du conseil des sciences sociales. Facebook avait promis un accès à certaines données à un groupe de 80 quelques chercheurs. Eh bien, ce groupe de chercheurs là est obligé d'aller sur la place publique parce que Facebook ne collabore pas comme il l'avait promis. Donc, on ne peut pas leur faire confiance sur du gré à gré comme ça, d'où l'intérêt, d'où l'importance que ça soit mis dans des législations, l'obligation de ces entreprises-là de nous... de vous laisser voir, aux législateurs mais au public, quelles sont les données qu'elle possède sur nous.

Mme Lortie (Suzanne) : Oui, et, excusez-moi, je complète la réponse de Jean-Hugues, parce que ce ne sont pas, évidemment, tous les joueurs qui sont dans cette situation-là. À la Faculté de communication, à l'UQAM, Ubisoft a ouvert ses données à une chaire... pour une chaire stratégique pour les études en jeux vidéo, ses données en temps réel.

Mme Rizqy : Oui, Ubisoft, qui est bien installé ici, au Québec.

M. Roy (Jean-Hugues) : Il y a de bons joueurs.

Mme Lortie (Suzanne) : Il y a de bons joueurs, donc c'est possible.

Mme Rizqy : Parfait. Juste rapidement, Google News, vous en pensez quoi?

M. Roy (Jean-Hugues) : Ouf!

Des voix : Ha, ha, ha!

Mme Rizqy : Je pense que vous avez répondu.

M. Roy (Jean-Hugues) : Qui va là-dessus? Google News, qui va là-dessus? Qui s'informe comme ça? Je ne suis pas sûr que ça fonctionne bien. Je n'ai pas vraiment de...

Mme Lortie (Suzanne) : Ce qu'on en sait, en fait — moi, je ne suis pas une utilisatrice non plus — c'est qu'il y a eu des conversations assez tendues dans certains pays, en fait, sur la question du droit voisin, et ça a fini... Google News s'est retiré du pays en question, la plupart du temps, parce que c'est un échange. C'est «crois ou meurs» un petit peu.

Mme Rizqy : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, la parole est à la députée de Verdun.

 (12 h 30)

Mme Melançon : Alors, un peu comme l'a fait le député de Beauce-Sud, d'abord, merci à vous, merci de vous être déplacés. Merci à tous ceux et celles que nous avons entendus durant cette semaine et à ceux qu'on a lus, parce qu'on a aussi reçu d'autres mémoires, et il faut le mentionner.

Je voudrais, bien sûr, saluer les députés — messieurs — de la banquette gouvernementale, donc députés de Saint-Jean, Beauce-Sud, Sainte-Rose, Rousseau, Richelieu, Maskinongé, Saint-Jérôme, merci à vous de votre présence. Merci à mes très chères collègues de Saint-Laurent et de Westmount—Saint-Louis, merci de votre présence. Merci à la députée de Taschereau, au député de Rimouski, à la députée de Marie-Victorin. Je pense qu'on a été capables d'amener un éclairage.

Ce que je souhaite tout simplement mentionner, c'est qu'il y en a, des solutions, on en a entendu. On ne doit pas être à la solde, je tiens à le dire, du gouvernement à Ottawa. On peut prendre le taureau par les cornes. C'est à nous que reviennent les décisions de la commission pour la suite des choses. Et, très honnêtement, j'étais heureuse d'entendre tout ce qu'on a entendu, mais maintenant le vrai travail commence, avec ce qu'on devra écrire, de la commission, et j'espère que vos voix, messieurs, seront entendues au sein de votre gouvernement. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Nichols) : Merci. La parole est maintenant au député de Rimouski.

M. LeBel : Merci. Je ne sais pas si je parle de... si je remercie tout le monde, je n'aurais plus de temps à poser ma question.

Des voix : Ha, ha, ha!

M. LeBel : Je veux juste dire quelque chose, par exemple, on est une commission non partisane, il faut se le rappeler. 95 % des mémoires ont dit qu'il fallait faire des pressions sur le gouvernement fédéral, vous le dites aussi. M. Saulnier disait hier que le gouvernement doit avoir un rôle de leader, notre premier ministre doit avoir un rôle de leader là-dedans. On n'est pas à la solde du fédéral, mais on a un maudit problème avec le fédéral, parce qu'il faut aller chercher ces outils-là. Moi, ce que je dis : L'ensemble des parlementaires, on doit être unanimes là-dedans. On doit être avec le premier ministre du Québec pour assumer ce leadership-là comme Assemblée nationale. C'est l'avenir de notre culture, de notre patrimoine qui en dépend, ça fait qu'on va travailler ensemble.

Ma question maintenant. Dans votre mémoire, vous ne parlez pas trop de la partie régionale, de la pénétration régionale. Pour moi, il y a un bout important là-dedans. Si on veut... On parle de la culture québécoise, il faut connaître ce qui se passe dans nos régions, il faut donner la voix à nos régions. Je vous permettrais de nous en parler un petit peu pour terminer.

M. Roy (Jean-Hugues) : On ne parle pas de Montréal non plus. Pour nous, c'est tout ensemble, tout ensemble.

M. LeBel : ...particulière pour les régions, il faut le dire.

M. Roy (Jean-Hugues) : Oui, c'est clair, c'est clair. Alors, je pense qu'en ayant accès aux données, justement, que ces plateformes-là possèdent, on va savoir plus précisément qu'est-ce qui se passe, quelle est l'information, encore une fois, qui parvient aux citoyens du Bas-Saint-Laurent. Ce n'est pas mentionné, mais les mesures qu'on propose pourraient aider, donc, à soutenir l'information en région.

Mme Lortie (Suzanne) : Et l'autre chose dont il faut parler, effectivement, c'est l'impact sur les infrastructures. C'est qu'en ce moment il n'y a pas juste des déserts de contenu, mais il y a des déserts d'accès parce que le signal ne se rend pas, et parce que ce n'est pas la même vitesse partout, puis parce que le déploiement final est prévu pour 2030. Ça pose un problème.

M. LeBel : Je comprends.

Mme Lortie (Suzanne) : 2030, c'est long longtemps. Puis, comme disait un des intervenants ce matin, ça se peut que les médias sociaux n'existent plus, en 2030, sous la forme sous laquelle ils existent. C'est pour ça que tout ça, ça fait partie de la révision législative qui se fait à Ottawa sur les quatre lois principales, en fait, qui encadrent le milieu des médias et de la... les grappes industrielles, les milieux, les objets culturels et médiatiques et la création médiatique et culturelle.

Maintenant, il faut aussi se méfier des investissements technologiques qui sont faits par des entreprises qui ne sont pas redevables et qui ne sont pas... — je vous vois hocher de la tête — qui est aussi un problème de... une perte de contrôle sur nos infrastructures en voulant précipiter le déploiement serait, à mon avis, tout aussi dommageable. Il faut qu'on reste propriétaires du déploiement de nos infrastructures, c'est clair. C'est le fédéral, ça aussi.

M. LeBel : Merci.

La Présidente (Mme Nichols) : Merci. Alors, la parole est à la députée de Marie-Victorin.

Mme Fournier : Merci beaucoup. Merci à tout le monde, aux collègues et aux intervenants, aux différents contributeurs. Vous venez de le dire, ça aussi, c'est fédéral. Mais là, en ce moment, en plus, on a le contexte idéal, il y a des élections, au niveau canadien, qui vont se dérouler dans les prochaines semaines, alors j'espère qu'on saura utiliser cette période, disons, stratégique pour faire valoir les demandes du Québec.

Ceci étant dit, vous nous parlez des données, comme quoi c'est essentiel que les géants du numérique puissent nous donner accès à l'information qu'ils détiennent sur les Québécois pour qu'on soit en mesure de mieux les comprendre. Est-ce que, par données, vous incluez également, là, comme vous le faites à la recommandation 6 et 7, les algorithmes, donc la façon dont l'information nous parvient? Et, si c'est le cas, est-ce que vous êtes favorables à ce qu'il y ait une totale transparence? Est-ce que c'est possible, dans un contexte de secret d'affaires derrière lequel les entreprises pourraient être, évidemment, tentées de se cacher?

Mme Lortie (Suzanne) : Je vais répondre à la première partie de la question. En ce moment, on met en place des politiques de diversité à l'écran, diversité derrière l'écran en produits culturels et médiatiques. Il faut minimalement qu'on soit capables d'assurer que la programmation algorithmique, qui est autant une lecture grammaticale de l'information et du média, etc... C'est la même chose que faire du montage, c'est la même chose que de la direction photo, c'est un métier, ça fait partie de l'information.

Comment on fait pour vérifier s'il n'y a pas des biais, des biais de genre, des biais... peu importe le biais? Comment on fait pour vérifier ça? Comment on fait pour s'assurer qu'il n'y a pas, justement, un pan de nos médias et de notre production culturelle qui est soustrait aux avancées qu'on pourrait faire en termes de diversité et d'équité? Ce n'est qu'un exemple.

M. Roy (Jean-Hugues) : Cette recommandation-là, elle est directement issue d'un rapport, d'un livre blanc que le gouvernement britannique a rendu public un peu plus tôt cette année, l'Online Harms White Paper, donc «harms» dans le sens de préjudices, de dommages que ces plateformes-là, oui, peuvent causer et... Bien oui, ils ont... les parlementaires en Grande-Bretagne réfléchissent à... parce que les plateformes ont fait la démonstration qu'elles n'étaient pas capables de s'autoréglementer. Donc, on les a laissées aller pendant plusieurs années, là, pendant une dizaine d'années, et, bien, voilà, ils demandent donc un accès aussi, donc, aux algorithmes pour savoir quels sont leurs effets sur la société.

La Présidente (Mme Nichols) : Alors, Mme Lortie, M. Roy, nous vous remercions pour votre contribution aux travaux de la commission.

Documents déposés

J'en profite, avant de suspendre les travaux, pour déposer deux tableaux. Donc, je vais déposer le tableau de la députée... deux tableaux pertinents — j'entends rire — deux tableaux très pertinents : le tableau de la députée de Saint-Laurent et celui de la députée de Verdun, dont les députés ont reçu des copies.

Mémoires déposés

Et je vais aussi, avant de terminer, déposer les 27 mémoires des personnes et organismes auprès desquels la commission a sollicité un avis mais qui n'ont pas été entendus au cours des auditions. Donc, je présume que vous en avez déjà pris connaissance.

Il y avait une question avant d'ajourner les travaux. M. le député de Rimouski, oui.

M. LeBel : Je veux juste m'assurer que... on a deux endroits à aller visiter encore, on n'a pas fini, deux régions, et j'aimerais juste m'assurer qu'on puisse travailler ensemble pour trouver des dates qui vont faire l'affaire de tout le monde, que ça ne soit pas dans trop longtemps.

La Présidente (Mme Nichols) : Oui. J'ai pris bonne note de votre question de directive d'hier, et nous vous reviendrons très rapidement. J'ai fait le suivi avec Mme la secrétaire de la commission.

Alors, voilà. Donc, je vous remercie pour votre participation à nos travaux, et la commission ajourne ses travaux jusqu'au mardi 3 septembre 2019, à 9 h 30, où elle poursuivra un autre mandat. Merci.

(Fin de la séance à 12 h 38)

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