(Douze heures neuf minutes)
La
Présidente (Mme de Santis) :
À l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance
de la Commission de la culture et de
l'éducation ouverte. Je demande à
toutes les personnes dans la salle d'éteindre la sonnerie de leurs appareils
électroniques.
La commission
est réunie afin de poursuivre l'audition des intéressés et l'étude détaillée du projet de loi
d'intérêt privé n° 234, Loi modifiant la Charte de l'Université de
Montréal.
Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des
remplacements?
• (12 h 10) •
La Secrétaire : Non, Mme la
Présidente, il n'y a aucun remplacement.
Auditions (suite)
La Présidente (Mme de Santis) :
Aujourd'hui, nous entendrons M. Guy Rocher et Mme Nathalie Trépanier.
M. Rocher, je vous souhaite la
bienvenue. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre
exposé. Ensuite, nous allons procéder à la période d'échange avec des
membres de la commission. Alors, la parole est à vous.
M.
Guy Rocher
M. Rocher (Guy) : Merci, Mme la
Présidente. Je vous salue. Je salue Mme la ministre de l'Enseignement supérieur
et collègue de l'Université de Montréal, membres de la commission
parlementaire.
Je ne
représente aucune institution. Je ne représente bien sûr pas l'Université de
Montréal. Je ne représente pas non plus
le syndicat des professeurs de l'Université de Montréal, dont je ne suis plus
membre, étant retraité, et donc n'ayant plus le droit de participer au
syndicat des professeurs de l'Université de Montréal.
Ce que je
représente peut-être, et j'ose le dire, c'est 60 années de vie
universitaire québécoise. J'ai commencé ma carrière de professeur en
1952 à l'Université Laval. Je l'ai poursuivie pendant 50 ans à
l'Université de Montréal, de 1960 à 2010, et
je suis professeur émérite depuis 2010, tout en étant encore présent à
l'université, je peux le dire, j'ai encore mon bureau à l'université, je suis encore en contact avec des collègues,
je visite beaucoup nos bibliothèques universitaires. Donc, je suis
encore dans l'université.
Mais il me
semble que je me présente devant vous comme un doyen, non pas comme un doyen
qui va relever du recteur, non, mais
comme un doyen d'âge. J'ai derrière moi 93 ans de vie et 60 ans
d'enseignement universitaire. Et c'est sur
cette base que j'ai voulu me présenter devant vous. Parce que ce que j'observe,
comme sociologue et comme membre de la communauté universitaire, c'est
que le nouveau projet de charte a ouvert une crise institutionnelle que je
trouve très grave. Une crise
institutionnelle qui, je dois le dire, était latente et qui explose à
l'occasion de ce projet de charte. La crise institutionnelle était
présente parce qu'elle a des racines historiques et, je dirais, comme
sociologue, des racines sociologiques aussi.
J'appelle la
situation actuelle une crise institutionnelle parce que, tout d'abord, le
projet de loi actuel a créé un état de
zizanie et de discorde à l'intérieur de la communauté universitaire. Je pense
que vous l'avez vu depuis trois jours avec tous ceux qui se sont présentés devant vous. Nous ne vivons pas dans un
état d'harmonie en ce moment, pas du tout. La charte, la nouvelle charte n'a pas apporté la paix, au contraire. Au
contraire, vous avez vu que les étudiants se présentent contre nous, les professeurs, les chargés de
cours. Les professeurs sont en guerre avec l'administration. Nous sommes
dans une situation de conflit très grave, et je suis venu vous le dire.
Et surtout,
en particulier, je voudrais vous dire que ce que je n'ai jamais vu en
60 ans, c'est l'état de détérioration des relations entre les professeurs et l'administration. C'est peut-être
ce qu'il y a de plus grave en ce moment. Pourquoi? Parce que ce qui me frappe, c'est que les
professeurs en ce moment se manifestent vivement. À ma grande surprise,
les professeurs de droit sont devenus
contestataires. Jusqu'à présent, c'étaient des sociologues. Nous avons perdu le
monopole de la contestation. Vous avez
entendu mes collègues de droit venir devant vous. Ce qui me frappe, c'est que
les institutions extérieures à
l'Université de Montréal, la FQPPU, l'association des professeurs canadiens
sont venus devant vous parce qu'ils voient qu'il y a à l'université un
problème grave concernant les professeurs de l'université.
Troisièmement, vous avez entendu et vous
entendrez de mes collègues qui sont venus individuellement. Vous avez entendu particulièrement notre syndicat
de professeurs se présenter ici, devant vous, et protester avec vive...
vivement contre ce projet.
Je dirais que ce qui est en cause, c'est un
problème fondamental de l'université de l'avenir : Quel sera, dans
l'université de l'avenir, le statut de professeur de carrière? Et c'est le
problème de fond qu'à mon avis le conseil de l'université,
la direction de l'université, a passé sous le tapis en proposant cette charte.
Or, ce qu'on appelle université moderne, de la modernisation, ce qu'on
appelle l'université moderne recherchera, comme dans le reste de la société,
d'ailleurs, l'unité dans la diversité. C'est certain. Nous allons vivre
maintenant dans la diversité.
Je dirais que, jusqu'à présent, les
professeurs de carrière ont fait l'université. Depuis 60 ans, j'ai assisté
à cette évolution, je l'ai vécue, j'y
ai participé. Nous, les professeurs de carrière, nous avons fait l'université.
Et voilà qu'aujourd'hui ce statut de
professeur de carrière pose problème dans l'université. Il est le problème de
fond que vous avez devant vous.
La
profession de professeur de carrière, elle est nouvelle au Québec. Elle a à
peine 50 ou 60 ans. J'ai commencé mes
études à l'Université de Montréal en 1944, à la Faculté de droit. Il n'y avait
à ce moment-là qu'un seul professeur de carrière à la faculté de droit, il s'appelait Maximilien Caron.
Aujourd'hui, Maximilien-Caron est un édifice. À l'époque, c'était un homme, un professeur que j'ai bien
connu. Mais il était le seul professeur de carrière. Je fais partie de la
première ou de la deuxième génération des professeurs de carrière.
Quand
j'ai commencé à enseigner à l'Université Laval, ma mère était très inquiète
parce qu'elle était persuadée que je
ne pouvais pas être payé par l'université. Ce n'était pas une carrière. Elle
pensait qu'enseigner à l'université était du bénévolat. Elle m'a dit : Guy, tu aurais dû enseigner au primaire,
ça, c'est payant, mais pas à l'université. À l'université, on ne vous paie pas, mais non. On ne pouvait pas
imaginer qu'on pouvait faire une profession de carrière dans
l'enseignement dans ces années-là.
J'ai
assisté à la mise en place de la profession de professeur de carrière dans les
universités de langue française du Québec.
Ce sont ces professeurs de carrière qui ont fait l'université. Et la crise
aujourd'hui, la crise institutionnelle, elle est là, elle est là dans sa racine, dans sa racine que j'appelle historique
et sociologique. Quel doit être maintenant, dans les nouveaux statuts,
le rôle, la fonction de professeur de carrière dans la diversité dans laquelle
nous voulons vivre en même temps?
Ce
que je suis venu vous demander, c'est de proposer à l'Assemblée nationale
qu'elle invite l'université à revoir son
projet. Parce que ce qui me frappe, une chose que je n'ai pas vue très souvent,
c'est l'unité des professeurs derrière le syndicat des professeurs, en
ce moment. Je connais le syndicat des professeurs depuis longtemps, j'ai
participé à sa fondation, j'ai été très
militant dans ce syndicat. Le syndicat des professeurs a souvent été divisé sur
lui-même. Eh bien, en ce moment, il
n'y a pas d'équipe de rechange. L'exécutif qui est là, il a la légitimité des
professeurs, et l'exécutif qui est là en ce moment, je peux vous le
dire, il représente les intérêts des professeurs.
Vous allez me dire
que ce sont des intérêts corporatistes, que nous essayons de sauver notre territoire.
C'est peut-être l'impression que ça veut donner. Il ne faut pas voir ça sous ce
petit angle. Je crois que la situation est bien différente. La vraie situation, c'est celle de l'avenir du statut des
professeurs dans cette nouvelle université de demain. C'est là qu'est le
véritable problème. Ça ne doit pas être vu comme une lutte de territoire. Ça ne
doit pas être vu comme une lutte de pouvoir.
Voilà
ce que je suis venu vous dire et vous demander. Je crois qu'il ne faut pas
que cette nouvelle charte soit faite dans
la rapidité et d'une manière trop rapide. Vous avez vu comment les professeurs
d'université s'opposent à la fois au contenu et à la manière dont cette
charte a été présentée. Vous l'avez vu, vous l'avez entendu. Voilà le très
grave problème, voilà la crise institutionnelle dans laquelle nous vivons en ce
moment. Merci, Mme la Présidente.
La
Présidente (Mme de Santis) : Merci. Merci beaucoup, M. Rocher.
Maintenant, nous procédons à une brève période d'échange avec les
membres de la commission. M. le député de D'Arcy-McGee.
• (12 h 20) •
M. Birnbaum :
Merci, Mme la Présidente. M. Rocher, merci pour votre témoignage. On ne peut
que saluer 60 ans d'une carrière très
digne, et votre dévouement, et votre intérêt, j'ose dire, votre passion pour la vie universitaire.
Et on accueille de bonne foi tous vos commentaires. Vous parlez des accusations de corporatisme. Bon, si on peut
s'entendre qu'on va mettre tout ça à côté, on prend ça à juste titre et en
bonne foi, vos commentaires et vos suggestions.
J'aimerais
bien comprendre le mot «crise latente» et «crise très grave». Ce n'est pas
anodin. Je me permets de dire que je
crois que je me joins aux gens qui risquent de nous écouter en vous demandant
d'expliquer l'ampleur de ces mots-là. De toute évidence, on parle d'un
fleuron, l'université, qui accomplit ses mandats assez ambitieux avec des étudiants d'ici et de partout au monde. On parle
de consultations qui avaient l'air d'être assez étoffées, où
participait 49 % d'une assemblée universitaire, de corps
professoral.
Alors,
je vous invite, dans un premier temps, de nous faire comprendre ce qui était
des lacunes dans un processus assez
élaboré et de toute évidence transparent, qui nous aurait emmenés ici et, dans
un deuxième temps, d'élaborer sur l'ampleur des mots que vous avez
employés, qui suggèrent un état de crise au sein d'une de nos grandes
universités ici, au Québec.
M. Rocher (Guy) : Bien, je pense que, quand les professeurs représentés d'abord par le
syndicat des professeurs ne sont plus
capables d'établir un dialogue avec l'administration, c'est une très grave
situation de crise. Je considère que la situation présente est grave
parce qu'il faudrait maintenant... et c'est, je pense, ce qu'il faut proposer à
l'université, de rétablir, premièrement, le dialogue avec les professeurs à
travers le syndicat des professeurs. C'est, à mon avis, la première chose à
faire.
Deuxièmement,
je pense qu'il faudrait revoir ce projet de charte d'une manière plus
équilibrée avec l'ensemble de ce que
j'appellerais la société universitaire, la communauté universitaire.
L'Université de Montréal, comme les autres universités, est devenue une société très complexe, c'est évident, et
cependant il reste que le noyau central d'une université, c'est encore
le corps professoral.
J'entendais le
recteur hier... avant-hier parler des quatre fonctions des professeurs :
enseignement, recherche, service à la communauté et service à l'administration.
Eh bien, ce sont les professeurs de carrière qui, à travers ces quatre
fonctions, font l'université. Et le sentiment que les professeurs ont en ce
moment, c'est de n'avoir pas été respectés dans la préparation de ce projet.
Et
ce qui m'inquiète pour l'avenir — et moi, à mon âge, je pense que je peux
penser à l'avenir — ce qui
m'inquiète pour l'avenir, c'est que, si
l'Assemblée nationale adopte ce projet de loi, il est évident que vous
n'instaurez pas la paix à l'Université de Montréal, la crise va
continuer, parce que c'est une crise institutionnelle, parce qu'il est évident
que le syndicat des professeurs ne pourra
pas accepter la nouvelle charte, c'est évident. Je pense que vous l'avez,
j'espère, compris, me semble-t-il. Si bien
que nous allons nous retrouver maintenant où? Devant les tribunaux? C'est
épouvantable. Comment l'Université de Montréal pourra-t-elle recruter des
professeurs en leur disant : Bien, vous venez dans une université où votre syndicat est en procès avec la
direction de l'université? Quelle image notre université va-t-elle
donner?
Et je peux vous dire que nous sommes regardés de
loin en ce moment, hein? Parce que ce n'est pas pour rien que la FQPPU est venue devant vous, ce n'est pas
pour rien que l'association canadienne des professeurs d'université est venue devant vous, c'est que nous touchons un
problème fondamental de l'université de demain, le rôle et le statut des
professeurs de carrière, et ça, c'est très
grave, et je pense que c'est le problème fondamental de l'université de
demain. Merci.
M. Birnbaum : Vous parlez de
l'importance primordiale d'un lien sain entre les profs et l'administration. Je
comprends. Il y a, avec respect, d'autres cibles aussi, les étudiants, les
chargés de cours, et, de toute évidence, leur interprétation
de la situation actuelle ne concorde pas tout à fait avec la vôtre. Je vous
rappelle aussi qu'on est devant notre devoir,
comme parlementaires, de bonifier un projet de loi d'une charte. Une charte de
l'université comme des documents clés constitutionnels, et autres, sont
importants. Ils ne règlent pas le comportement et les conflits quotidiens des personnes sur le terrain. Alors, ça, ce n'est pas
notre rôle. Je vous invite de nous conseiller, dans le temps qu'il me
reste, à comprendre s'il y a quelque chose
dans le projet de loi actuel qui vous convient ou vous nous proposez de
repartir à zéro.
M. Rocher (Guy) : C'est bien sûr que
ce projet de charte, il a des éléments positifs, c'est certain...
La Présidente (Mme de Santis) : Je
m'excuse. Maintenant, la parole est au député de Lac-Saint-Jean.
M.
Cloutier : Merci, Mme la Présidente. Alors, M. Rocher, je veux vous
dire que c'est un immense honneur de vous
recevoir ici, dans cette commission parlementaire. Vous êtes le père fondateur
de nos cégeps. Vous avez siégé à la commission
Parent. Vous avez contribué à la rédaction de la Charte de la langue française
et vous êtes certainement un des plus
grands intellectuels québécois. Et je trouve ça incroyable et tellement
inspirant qu'avec toute l'expérience que vous avez vous continuez à prendre position et à être actif. Alors, merci de
venir nous donner un peu de sagesse et de hauteur par votre présence à
cette commission parlementaire.
Et, à chaque
fois que j'ai la chance de rencontrer un certain Lucien Bouchard, l'ancien
premier ministre du Québec, il me dit
toujours que le meilleur professeur qu'il a eu, c'est vous. Et alors je ne
pouvais pas passer sous silence aujourd'hui votre feuille de route exceptionnelle et je veux vous dire que le
Québec, je l'espère, en est reconnaissant. Je sais qu'on a eu la chance
de vous remettre de nombreuses distinctions au cours de votre carrière, mais,
quand même, je voulais minimalement le souligner.
Vous nous invitez à la prudence et vous dites
que c'est le statut du professeur qui est le réel enjeu et que l'opposition, qui semble assez consensuelle, des
enseignants, des profs à l'Université de Montréal, pour vous, c'est
suffisant pour qu'on retire le projet de loi
et qu'on reprenne le processus. Est-ce que vous diriez que le projet manque
d'acceptabilité au sein de l'Université de Montréal et que l'opposition
importante des enseignants suffit à ce que le processus prenne plus de temps?
M. Rocher
(Guy) : Oui. Ma réponse,
c'est : Oui, certainement, il y a un problème d'acceptabilité. Il est
toujours difficile de parler pour l'ensemble
des professeurs. Il y a 1 300 professeurs. Je connais bien le corps
professoral. La très grande majorité
des professeurs se tiennent loin de l'administration. Ça, c'est normal. Les
professeurs ne sont pas entrés à l'université pour s'occuper
d'administration. Au contraire, les professeurs considèrent que
l'administration doit être à leur service, et non pas les professeurs au
service de l'université.
Mais ce qui
me frappe, c'est que les professeurs qui militent dans une... Parmi le corps
professoral, il y a toujours eu une
minorité de professeurs qui militent, qui militent pour les intérêts des
professeurs et qui militent aussi pour l'idée de l'université, car les professeurs ont toujours eu comme projet pas
seulement de défendre leurs intérêts, mais de défendre l'institution universitaire, et en ce moment, à
mon sens, le grave problème, c'est que ces professeurs ne sont pas
entendus, et c'est, je pense, très grave.
M.
Cloutier : En quoi le statut de professeur est remis en cause par le
projet de loi actuel? Concrètement, pour vous, en quoi c'est si
fondamental, les propositions qui sont faites?
M. Rocher
(Guy) : Tout d'abord parce qu'il est clair que le
syndicat des professeurs se sent menacé dans son institution même, dans son existence même et dans sa capacité de pouvoir
de négociation. Ça, c'est le point de départ. Et puis vous avez entendu de mes collègues parler de leur rôle à l'assemblée
universitaire. Je peux vous dire que l'assemblée universitaire a l'air toujours bien heureuse, mais j'ai toujours
constaté l'amertume de beaucoup de mes collègues qui ont participé à
l'assemblée universitaire, je peux le dire, beaucoup de frustration...
La
Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup, M. Rocher. Maintenant, la
parole est au député de Chambly.
• (12 h 30) •
M.
Roberge : Merci bien, merci. C'est un honneur de vous avoir avec nous
aujourd'hui. Je vous remercie pour votre contribution à la société
québécoise. Avant de contribuer à ce projet de loi là, je pense que vous avez
mené bien d'autres combats.
Mais je vais y aller très concrètement, parce
que mes secondes sont comptées. Je comprends que vous êtes extrêmement déçu du processus puis de la façon
dont ça s'est fait. Mais, si on en fait fi puis on regarde le projet de
charte tel qu'il est, vous, vous nous dites
que ça ne respecte pas la place des professeurs, vous employez le terme
«professeurs de carrière». Mais
qu'est-ce qu'il faudrait changer concrètement dans ce projet de loi là pour
vous réconcilier, si c'est possible, avec cette charte?
M. Rocher
(Guy) : Le problème, à mes
yeux, c'est que ça ne servirait à rien en ce moment de changer quelque chose.
C'est aussi simple que ça pour moi. Ce que ça veut dire, c'est qu'il faut
revenir sur le processus lui-même. Vous l'avez entendu, ce dont les professeurs se plaignent, ce n'est pas seulement
le contenu du... mais c'est aussi le processus, comment ce projet de charte a été conçu et comment il a été présenté aux
professeurs, et il y a une révolte des professeurs non seulement sur le contenu, mais sur la procédure, et donc il faut revenir là-dessus.
Ce n'est pas en faisant quelques amendements à la charte qu'on réglera le problème. Au
contraire, on ne fera qu'enflammer le problème, à mon avis, avec le projet de charte tel qu'il est. Il faut revenir
sur le processus lui-même, repartir du dialogue entre l'administration, le conseil d'administration, et le corps professoral, et le
syndicat des professeurs, et finalement l'ensemble des composantes de l'université. Sans ça, c'est évident qu'on s'en va vers une crise institutionnelle
qui va se poursuivre. Et qui va aboutir où? Je ne sais pas, mais je suis
très inquiet pour l'avenir.
M.
Roberge : On parle beaucoup
du processus, donc restons-y. La voie qui a été prise par l'administration pour consulter les
professeurs — ils
ont été consultés — ça
a été de passer par l'AU, l'assemblée universitaire. D'après ce que je comprends, vous auriez voulu que ce soit
négocié davantage comme quelque chose de patronal-syndical, en ayant
pour interlocuteur... Quand on veut parler aux profs, selon vous, on ne doit
pas passer par les profs élus par des profs à l'assemblée universitaire, mais
bien par les profs élus par les profs au syndicat. C'est ce que vous auriez
souhaité?
M. Rocher
(Guy) : Bien, c'est évident,
à mon avis, qu'étant donné le rôle des professeurs de
carrière il fallait établir un dialogue avec les représentants de ces
professeurs de carrière, c'est-à-dire avec le syndicat des professeurs, premièrement. Et, deuxièmement, je pense que vous avez entendu les professeurs
membres de l'assemblée universitaire
exprimer leur frustration — hier,
c'était très clair — leur
frustration de la manière dont le projet leur a été présenté...
La Présidente (Mme de Santis) :
Merci, M. Rocher. Maintenant, la parole est au député de Gouin.
M.
Nadeau-Dubois : Bonjour, M. Rocher. Je ne me confondrai pas en éloges
parce que j'ai seulement deux minutes, et c'en prendrait pas mal plus
que ça pour dire tout le bien que je pense de vous. Mais je vais vous poser des
questions rapides.
En 60 ans de carrière universitaire,
avez-vous vu souvent ce genre de crise institutionnelle à l'Université de
Montréal?
M. Rocher
(Guy) : Non, je n'ai jamais
vu une telle crise. À mon avis, des 60 ans que j'ai vécus à l'Université
du Québec, des universités du Québec, bien
sûr, j'ai vu des conflits, j'ai vu
des conflits entre les professeurs et l'administration, bien sûr,
il y en a eu, mais une crise de cette ampleur, de cette
profondeur, de cette gravité, non. C'est la première fois que je vois mon université aussi divisée sur
elle-même, c'est la première fois que je vois mes collègues aussi amers, c'est la
première fois que je vois mon syndicat des professeurs aussi combatif. Non, je n'ai jamais
vu une telle crise, et c'est pour cela que j'ai voulu venir vous le
dire.
Ma seule
mission dans ce qu'il me reste de vie universitaire, c'est de venir vous dire : Nous vivons une
grave crise institutionnelle qui ne peut pas être réglée par quelques
amendements à cette charte. Non, il faut revenir au processus lui-même.
Il faut revenir à la manière dont cette charte a été pensée et présentée à la
communauté universitaire. Autrement, il est évident que, si l'Assemblée
nationale vote ce projet de loi, vous n'apportez pas la paix à l'Université de Montréal.
M. Nadeau-Dubois : Quelles
seraient les conséquences, selon vous, de l'adoption de cette charte?
La Présidente (Mme de Santis) :
Merci beaucoup, M. Rocher, pour votre contribution à nos travaux. Alors,
j'invite immédiatement Mme Nathalie Trépanier à prendre place.
Bienvenue,
Mme Trépanier. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour
votre exposé. Et par la suite nous
allons procéder à la période d'échange avec les membres de la commission.
Alors, maintenant, la parole est à vous.
Mme Nathalie Trépanier
Mme Trépanier (Nathalie) :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour, messieurs mesdames. Je suis ici à titre de
professeure d'université, bien sûr, en mon nom personnel. Mais je vais
commencer d'abord par mon parcours.
J'ai été
étudiante à l'Université de Montréal depuis 1988. J'ai fait mon baccalauréat. J'ai
poursuivi, j'ai fait ma maîtrise.
J'ai continué, j'ai fait un doctorat. Donc, j'ai vécu la vie universitaire UdeM mur à mur, si je peux m'exprimer ainsi. Et j'ai aussi été
assistante et professionnelle de recherche. Donc, j'ai compris ce que c'était
d'apprendre à faire de
la recherche, à être formée à l'université par des profs différents dans mon
domaine. J'ai été chargée de cours pendant 10 ans. Et un jour un
poste s'est ouvert, et j'ai postulé en me disant : C'est différent être
chargée de cours et être professeur
d'université. Je n'étais pas trop sûre de la différence, parce que je me
disais : Il y a de l'enseignement, mais je voyais que mes profs faisaient de la recherche, de la formation et que
cette formation dépassait le cadre que je vivais comme chargée de cours ou comme professionnelle de
recherche aussi. Je n'étais plus une exécutante, j'étais un maître
d'oeuvre. Et c'est de ça que je vais vous
parler aujourd'hui, en quoi cette charte va venir changer, pas mes conditions
de travail, mais la carrière que j'ai choisie, la profession que j'ai
choisie.
Je suis
membre de l'assemblée universitaire. Je suis membre du comité de l'ordre du
jour de cette assemblée. Je suis membre
du comité du statut du corps professoral, comme tous les profs s'investissent
dans l'institution. Parce qu'on a quatre volets dans notre tâche, et, ces quatre volets, je veux vous les
expliquer, et en quoi la charte, telle qu'elle est présentée
actuellement, pose un problème, en ce qui me concerne, et je pense que je ne
suis pas la seule professeure à penser qu'il y a peut-être un problème à ce
niveau-là.
Pour la première fois de ma vie, je vous dirais,
en assemblée universitaire... On a parlé du processus depuis quelques jours. Moi, c'était la première fois de
ma vie qu'en assemblée je ne me sentais pas respectée. Habituellement,
je suis capable d'exprimer mes idées ou de
poser des questions, et là je n'avais plus le goût de poser de questions, je
n'avais plus le goût de m'exprimer parce que je ne me sentais pas respectée.
Oui, il y a eu des ajustements par la suite, mais, quant à moi, c'était trop
peu, trop tard.
L'autre chose
qui s'est passée dans le processus, c'est l'histoire du fait que, comment dire,
le projet a été présenté, le projet
de modification de charte a été présenté pour faire en sorte de nous
dire : Bien, voici, maintenant, vous devez adopter, vous devez... on peut regarder ensemble quelques
virgules, et tout ça, mais, dans les faits, on n'avait plus notre mot à
dire sur le développement de tout ça. Donc,
les mécanismes tels que M. Trudel les a présentés, beaucoup mieux que je
le ferais de toute façon... il y a des mécanismes qui existent pour ça,
et ils n'ont pas été utilisés pour être présentés en assemblée universitaire.
Ça, c'est
dans un premier temps. Donc, l'article 23 me dérange énormément dans le
projet actuel par le fait qu'on vide l'AU de ses pouvoirs,
littéralement. L'AU devient consultative, à toutes fins pratiques, puisque la
commission des études et le conseil de
l'université pourra décider d'outrepasser, finalement, les suggestions ou les
commentaires des professeurs ou les principes émis par les professeurs à
l'université.
• (12 h 40) •
Ça, c'est la
partie générale. Maintenant, bon, ce qui en découle, c'est... Je vous
disais : Je veux vous parler de la tâche, comment ça peut affecter ma tâche de professeure d'université. Je
vais essayer d'être le plus concrète possible. Vous avez compris que, quand on est prof à l'université
comme professeur de carrière, là, comme on dit bien, c'est qu'il y a quatre volets. Donc, la partie institution, je
vous ai dit, on fait partie de différents comités. On peut s'investir de
différentes façons. Il y a des gens qui
choisissent plus une carrière administrative à certains moments de leur
carrière mais qui vont redevenir
chercheurs et enseignants, et tout ça, par la suite, disons. Ça fait partie,
donc, de notre profil de carrière, mais on en reste le maître d'oeuvre.
Il n'y a personne qui nous impose quoi que ce soit, et ça, c'est la beauté de
l'université.
Bon, dans la
partie institution, mon implication, donc, devient consultative, à toutes fins
pratiques, et disons que je ne sens
pas que j'aurai une voix à porter. C'est-à-dire que, comme en département ou en
faculté, si on décide de prendre position
et d'aller porter une parole, finalement, ou une idée à notre rectorat,
éventuellement, on ne pourra pas le faire. On ne pourra pas le faire
parce que la façon dont le libellé est fait, de cette charte, ça fait en sorte
que les recteurs sont dépendants de l'administration, ils sont tributaires,
donc ils dépendent directement de l'administration, et on ne peut plus
directement consulter nos doyens ou nos directions de département pour nous
porter, pour nous représenter.
Il y a un
lien inextricable enseignement-recherche et ce qu'on appelle, nous, le
rayonnement. Le rayonnement, c'est la
diffusion des connaissances, je dirais, d'une façon comestible, quand on veut
transmettre les connaissances au grand public,
hein, le transfert des connaissances, mais quand on veut aussi diffuser sur le
plan scientifique. Quand on a une possibilité qu'au niveau administratif
il y ait des décisions qui se prennent, ça va impacter ce qu'on fait au niveau
de l'enseignement et de la recherche. Pourquoi?
Parce que les cours que je donne, ils dépendent de la recherche que je
fais. Si je peux être meilleure avec les années, c'est parce que je fais des
recherches dans mon domaine puis que je vais aider
à orienter même les programmes d'études qui se font dans ce domaine-là. Et ça,
c'est les profs qui le portent. Et, quand
on accompagne les chargés de cours dans les formations qu'on présente et qu'on
fait, c'est justement pour faire en sorte
qu'il y ait une unité dans ce qu'on propose en termes de distinction, je
dirais, dans nos domaines professionnels.
J'étais aux portes ouvertes, petit exemple,
cette année. Ça faisait longtemps que je n'avais pas fait les portes ouvertes.
J'accueille des futurs étudiants. Et, en fait, les questions, c'était :
Pourquoi je viendrais chez vous plutôt qu'ailleurs?
Bien, ça, quand on n'est pas prof de carrière, on ne peut pas répondre à ça.
Puis ce n'est pas pour être méchant puis ce n'est pas pour être
concurrent, c'est juste parce qu'on a une spécificité qu'on a travaillée en
équipe et qu'on peut porter.
Maintenant, le lien enseignement-recherche et
rayonnement, là je vais essayer de faire ça le plus simplement possible, je vous parlais de porter... Quand on
développe des programmes d'études, on le fait d'abord entre nous, entre collègues. Ça ne peut pas venir d'une idée
sociale : Ah! ça serait intéressant si on travaillait sur tel ou tel
domaine, et tout ça. On peut avoir
des échanges avec l'extérieur, c'est sûr. Mais ça ne peut pas venir de
quelqu'un qui n'est pas dans le domaine.
On peut faire des bonnes consultations à l'interne, on peut travailler avec les
gens, mais il faut que ça soit porté par la base. Et c'est ce bout-là, moi, qui me dérange le plus. M. Rocher a
parlé abondamment, hein, du statut de professeur d'université, et, moi, ce qui me questionne amplement dans toute cette
démarche-là, c'est qu'est-ce qu'on veut comme professeurs d'université au Québec? Est-ce qu'on veut des exécutants ou
on veut des gens qui sont capables de penser, d'articuler les choses, mais également d'exprimer clairement, au niveau
de la recherche, les enjeux et les... pas que les enjeux, mais les idées, les travaux, l'expression
même de leurs travaux? C'est à eux de décider, les chercheurs, quand c'est le temps, sur quoi c'est le temps de diffuser
et auprès de qui. Alors, si on est commandés par le haut, on ne pourra
pas le faire. En tout cas moi, je le vois comme ça.
Je ne le sais
pas si... Je n'ai probablement pas pris les 10 minutes, mais, moi, c'était
l'ensemble de mon message que je voulais
essayer de passer ici, comme quoi tout ça était intrinsèquement lié et que tout
ça a une portée... En tout cas, pour moi, dans ma carrière, c'est clair
que ce n'est pas la carrière que j'ai choisie au départ si on applique la
charte qui est proposée ici. Voilà. Merci.
La
Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup, Mme Trépanier.
Maintenant, on procède à une brève période d'échange avec les membres de
la commission. M. le député de LaFontaine.
M. Tanguay : Oui. Merci
beaucoup, Mme la Présidente. Bienvenue, Mme Trépanier. Merci
beaucoup de venir participer à
nos travaux.
J'en suis.
Puis je ne veux pas alourdir le débat par des références, mais l'article 23
qui est proposé par l'article... donc
l'article 23 de la charte, qui est amendé par l'article 14,
donc 23 de la charte de l'Université
de Montréal, qui se lit comme suit : «La commission
des études assure la coordination de l'enseignement», et là on viserait, par le projet de loi : «et son arrimage avec
la recherche». Donc, sur cet aspect-là... Puis après ça on ira sur l'aspect...
plus tard, dans un second temps, sur le fait
que l'on a enlevé «sous réserve des pouvoirs de l'assemblée universitaire»,
mais, juste sur ce premier aliéna là, y voyez-vous... Donc, le fait
d'ajouter «et son arrimage avec la recherche», lorsque l'on ajoute ça à «la coordination de l'enseignement»... dévolue...
pouvoirs à la commission des études, là-dessus, est-ce que vous avez un
élément sur lequel vous ne seriez pas d'accord ou vous pensez que c'est une
bonne chose?
Mme
Trépanier (Nathalie) : Bien,
moi, c'est ce que j'essaie d'expliquer, c'est que je pense
qu'il y a un problème à ce niveau-là,
parce que l'idée... D'abord, l'enseignement et la recherche sont
intrinsèquement liés, je l'ai dit, mais parce que, juste en amont de ça,
on n'est pas obligés de tenir compte des avis de l'assemblée universitaire, ça
fait en sorte que la commission des études peut, à toutes fins pratiques, faire
ce qu'elle veut, pour utiliser un langage simple, c'est comme ça que je le comprends.
M. Tanguay :
Et en quoi ce serait mieux que ce soit l'assemblée universitaire versus la
commission des études?
Mme
Trépanier (Nathalie) : C'est
que la collégialité, ça fait en sorte de pouvoir faire en sorte d'échanger
avec, justement, les gens qui décident. L'idée de la collégialité
de l'AU, c'est ça, l'assemblée universitaire, c'est de pouvoir échanger. Oui, il y a des frustrations, il peut y avoir toutes sortes
de choses, ça, c'est autre chose, mais on peut porter les dossiers, c'est-à-dire qu'on peut développer des choses à la base, au niveau
départemental, au niveau facultaire, et ça, ça peut permettre d'échanger puis de même faire
reculer, à la limite, une décision potentielle de la commission
des études.
Un autre exemple
que je pourrais vous donner, c'est au
niveau de l'évaluation.
La commission des études, pour toutes sortes de raisons
qui ne sont pas claires à mes yeux, s'est approprié la dimension d'évaluation.
L'évaluation, ça fait partie des critères de
promotion, chez nous — critère
de promotion, donc, pour passer de professeur adjoint agrégé à titulaire — et l'évaluation, depuis qu'elle est sous l'égide, si vous voulez,
de la commission des études, ça pose certains problèmes
importants, tellement qu'on n'arrive plus à avoir d'étudiants qui
évaluent leurs profs de façon quantitative assez intéressante. Donc, il y a des problèmes. Puis il y a pourtant des
choses qui se sont faites en amont avec des professeurs, avec des
étudiants, tout ça, mais, quand ça a été supporté par la commission des études,
ça a soulevé un ensemble de problèmes qui ne sont pas résolus à ce moment-ci,
et c'est pour ça que je dis qu'il y a des choses à faire en amont.
M. Tanguay : Et est-ce que la
collégialité qui serait perdue, selon cette approche... selon vous, est-ce
qu'elle découle du fait qu'à l'assemblée
universitaire il y a à l'heure actuelle 49 % de professeurs, elle est
constituée de 49 % de professeurs,
et qu'à la commission des études non seulement il y aurait des professeurs à
9 %, mais il y aurait des chargés de cours, des étudiants, des diplômés qui auraient une participation plus
active? Est-ce que vous voyez, donc, la diminution du nombre de professeurs ou du poids des professeurs
vers une commission des études nouvelle, qui donnerait une voix, oui,
aux professeurs, mais aux chargés de cours, étudiants et diplômés... est-ce que
c'est là que vous voyez une perte de collégialité?
Mme Trépanier (Nathalie) : Non, moi,
c'est plus sur le fait... Il y a une partie sur la gouvernance que je ne commenterai pas, dans le sens : je ne suis
pas experte en gouvernance puis je ne vais pas me réclamer experte aussi.
La chose, pour moi, qui est claire, ce n'est
pas le fait qu'on met plus d'étudiants, et tout ça, ce n'est pas ça, c'est plus
le fait que l'assemblée universitaire
perd son pouvoir, c'est-à-dire qu'elle peut faire en sorte, au moment où il n'y
a pas de changement à sa charte...
Actuellement, elle peut faire en sorte, l'assemblée universitaire, de moduler
certaines décisions ou, en tout cas, de
faire en sorte de dire : Faites attention, ne faites pas ça, on vous
recommande de ne pas faire ça, à la commission des études ou au conseil de l'université. Et il va y
avoir une écoute et des échanges à ce sujet, ce qui ne sera pas possible
dans le cas où... C'est beau de pouvoir
parler, mais, si ça n'a pas d'impact, dans le cas où on enlève les pouvoirs de
l'AU... bien, la commission des
études, elle peut écouter ou ne pas écouter puis elle va faire ce qu'elle veut,
à toutes fins pratiques.
M. Tanguay :
Autrement dit, c'est comme si on enlevait... je ne veux pas prendre un terme
trop juridique, mais une cour d'appel de la commission des études sous
réserve... à l'heure actuelle, la charte prévoit que c'est sous réserve, autrement dit, la commission
des études fait approuver les règlements nécessaires pour l'organisation
pédagogique sous réserve des pouvoirs
de l'assemblée universitaire. Autrement dit, ce que vous nous dites, c'est
qu'on va perdre une sorte de cour d'appel de l'assemblée universitaire
qui pourrait réviser les décisions, à l'heure actuelle, de la commission des
études. Est-ce que je vous comprends bien?
Mme
Trépanier (Nathalie) : Bien,
écoutez, je ne suis pas juriste, là, je ne veux pas me mélanger dans les
termes...
M. Tanguay : C'est juste
l'expression de dire qu'elle peut modifier.
Mme Trépanier (Nathalie) : ...mais
c'est dans le sens... On parlait de la fonction...
M. Tanguay : Tricamérale.
Mme Trépanier (Nathalie) : Oui,
c'est ça. Je voulais dire «tridimensionnelle», là, mais voilà, donc les trois composantes clés. Et l'AU en est une à cause de
ça, c'est cette espèce d'équilibre qu'elle permet, l'AU, aussi, c'est ça
que ça permet, c'est pour ça que c'est là.
Est-ce que ça devrait changer ou pas? Je n'en sais rien, on ne s'est pas posé
la question, à l'université, comme
telle, on s'est fait dire : Voici ce qu'il faut faire à partir de
maintenant, et c'est vers ça qu'on s'en va avec une nouvelle loi. Ce n'est pas comme ça qu'on travaille, à
l'université, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise? Peut-être que, dans d'autres situations, oui, dans
d'autres institutions, peut-être, mais à l'université ce n'est pas comme
ça qu'on travaille. On n'est pas en
entreprise privée, on n'est pas dans un cégep non plus, c'est un autre type de
formation institutionnelle. Puis je ne dis pas ça de façon péjorative, j'ai un
bac en éducation au départ, je suis une enseignante aussi, donc je respecte les
institutions.
La Présidente (Mme de Santis) :
...une minute.
Mme Trépanier (Nathalie) : Bon,
voilà, je ne veux pas...
M. Tanguay :
Et est-ce que vous avez été mise au courant... ou vous êtes-vous intéressée aux
travaux — j'y
vais de mémoire — du
CEPTI, le comité qui avait été mis en place par 11... qui était constitué de
11 personnes et présidé par M. Samir
Saul, 11 personnes dont des profs et des chargés de cours, des étudiants?
Vous êtes-vous intéressée à la réflexion qui les a menés à déposer deux
rapports?
• (12 h 50) •
Mme
Trépanier (Nathalie) : Oui.
En fait, ce qui s'est passé, c'est que le CEPTI avait été une espèce de
comité... là, ça remonte à loin, là, il
faudrait que je révise les procès-verbaux, ce que je n'ai pas fait, mais, de mémoire,
ce que je me souviens, c'est que le
CEPTI avait eu une espèce de mandat d'étudier les transformations
institutionnelles. On ne parlait pas de
changement à la charte, tellement que, le 5 décembre, à la dernière
assemblée — le
5 décembre 2016, pour être précise, parce que ça, j'ai regardé les p.-v., il n'était pas question de changer
quoi que ce soit à la charte de l'université. Ça, c'était la dernière assemblée annuelle. Et, en fait, tout
s'est passé dans l'intermédiaire, là, comme ma collègue Mme Laplante l'a
expliqué, dans l'intermédiaire du temps des fêtes, ça s'est passé...
La Présidente (Mme de Santis) :
Merci beaucoup. Maintenant, la parole est au député de Lac-Saint-Jean.
M.
Cloutier : Merci, Mme la Présidente. Est-ce que vous jugez qu'il y a
une crise institutionnelle à l'Université de Montréal? Est-ce que vous
allez jusque-là?
Mme
Trépanier (Nathalie) : Crise
institutionnelle, c'est un grand mot, mais il y a quelque chose qui ne va
pas, en tout cas. Je ne sais pas si c'est une crise institutionnelle, je ne
sais pas, ce n'est pas mon domaine d'expertise...
M. Cloutier : Vous n'êtes pas à même
de...
Mme Trépanier (Nathalie) : ...mais
il y a quelque chose qui va mal avec les professeurs, dans le sens où on essaie... on dirige... Moi, comment je le vis,
comme prof, là, j'ai l'impression qu'on essaie d'opposer les professeurs
aux chargés de cours, aux étudiants, aux diplômés, nommez-les tous, là, et je
comprends mal ça. Moi, je suis quelqu'un qui travaille en collaboration tout le
temps avec tout le monde, puis là, tout d'un coup, on n'a plus de voix, comme professeurs, puis on se fait dire qu'on veut...
Moi, j'entends toutes sortes de choses, comme quoi on est des enfants
gâtés, on veut des privilèges. Ce n'est pas
ça du tout. On veut juste faire notre travail correctement, et on dirait que ce
travail-là n'est pas reconnu, et
c'est beaucoup ça qui me dérange. Et ça déborde l'Université de Montréal, et ce
qui se passe à l'Université de Montréal va avoir des répercussions
certainement sur les autres universités au Québec. Ça, j'en suis convaincue.
M. Cloutier : Mais sentez-vous qu'il
y a un consensus? Est-ce que votre point de vue représente ce que vous entendez
autour de vous de vos collègues enseignants?
Mme
Trépanier (Nathalie) : De
mes collègues dans mon département, je peux vous l'affirmer sans aucun
doute. Peut-être pas l'unanimité, il y a peut-être
certains collègues qui ne sont pas d'accord, mais je peux vous dire que la majorité des collègues avec qui
j'ai eu des échanges à ce sujet sont tout
à fait derrière ma prise de position, et c'est pour ça que je suis là
aujourd'hui, d'ailleurs, sinon je ne l'aurais peut-être pas fait.
M. Cloutier : Mais vous êtes là à
titre individuel. Est-ce que je me trompe?
Mme
Trépanier (Nathalie) : Je
suis là à titre individuel, je ne suis pas là comme représentante syndicale, je
ne suis pas là... Je suis vraiment là de mon propre chef, avec le bagage que
j'ai, simplement.
M.
Cloutier : Puis votre principale opposition, ce serait laquelle, ou le
principal élément irritant, c'est quoi? C'est le processus de
consultation? Ou ce sont les pouvoirs qui sont revus à l'assemblée
universitaire?
Mme Trépanier (Nathalie) : Bien, en
fait, c'est... Dès le départ, comme je l'ai expliqué à plusieurs reprises, comme c'est le conseil qui a présenté la charte à
l'assemblée universitaire... Le processus aurait dû être inversé. C'est
ça, l'assemblée universitaire, c'est de...
C'est l'assemblée universitaire qui, par ses différentes instances, a les
comités qu'il faut pour en arriver à
une proposition. Et les consultations peuvent se faire au travers des
différents départements et facultés pour voir où sont les problèmes, où sont les besoins pour faire ces
changements-là. Et là on peut étudier ça sur le plan juridique avant de faire une proposition, pour que le
conseil puisse s'ajuster par la suite et là proposer une charte différente,
disons.
M. Cloutier : Est-ce que vraiment le
problème, c'est l'origine de la proposition? Parce que... Oui?
Mme Trépanier (Nathalie) : Oui. Au
départ, oui. Ça, c'est clair.
M. Cloutier : Mais est-ce que ce
n'est pas le pouvoir du... Il me semble que c'est au conseil que revient cette
initiative de présenter les amendements, là.
Mme Trépanier (Nathalie) : Pas dans
la charte avant le projet de loi. Dans la charte avant le projet de loi, il y a les trois composantes, et l'AU doit, par ses
instances... Il y a une responsabilité d'être membre de l'AU aussi. Ça
permet justement d'utiliser les comités qui existent pour ça, par exemple le
comité du statut du corps professoral et d'autres comités, au besoin d'en former d'autres aussi, mais pour faire en sorte
d'en arriver avec un projet qui est porteur et qui représente la
communauté, et là il y a échange avec l'administration.
M. Cloutier : Êtes-vous en train de
dire que le processus...
La Présidente (Mme de Santis) : Une
minute.
M. Cloutier : ...utilisé est
contraire aux statuts actuels, que ce n'était pas au conseil de...
Mme
Trépanier (Nathalie) : Bien,
pourquoi pensez-vous qu'on a été 26 signataires et 26 personnes à se
retirer de l'assemblée universitaire comme professeurs? Ce n'était pas pour
faire ce qu'on peut appeler en français un show de boucane, excusez l'expression, ce n'était pas pour ça. L'idée, c'était
de faire comprendre qu'on sentait qu'on n'était pas écoutés puis que ce n'est pas comme ça que les
choses doivent se faire, et, quand on le disait, on se faisait à peu près
rire de nous. Alors, pour moi, c'est
inacceptable, ce n'est pas comme ça que ça marche. Il y a des règles qui sont
là, elles n'ont pas été respectées, pour ma part.
M. Cloutier : Mais vous étiez là à
quel titre à ce moment-là? Vous étiez membre de l'assemblée...
Mme Trépanier (Nathalie) : Je suis
membre de l'assemblée universitaire.
M. Cloutier : Membre élue de
l'assemblée universitaire?
Mme Trépanier (Nathalie) : Oui,
membre élue, oui, tout à fait, pardon. Oui.
M. Cloutier : Très bien. Je vous
remercie.
La Présidente (Mme de Santis) :
Merci beaucoup. La parole, maintenant, est au député de Chambly.
M. Roberge : Merci bien. Vous portez
plusieurs chapeaux, vous avez plusieurs, plusieurs groupes dans l'université. Certains sont venus ici. Vous êtes
étudiante diplômée. On a eu les associations étudiantes, associations de
diplômés. Vous étiez assistante de recherche, chargée de cours, prof. Là, je
viens de comprendre que vous étiez sur l'assemblée
universitaire mais faites partie de ceux et celles qui se sont retirés. Est-ce
que vous êtes aussi ou étiez aussi membre du syndicat ou de l'exécutif
du syndicat?
Mme Trépanier (Nathalie) : Non. J'ai été membre de l'exécutif syndical
pendant sept ou huit années, là, je ne peux
pas... Mais c'est dans le passé. Là, ça fait peut-être trois ans, là, je ne
veux pas dire de bêtises, là, ça fait quelques années que je ne suis pas dans l'exécutif
syndical. Je suis actuellement déléguée substitut, donc comme d'autres
collègues peuvent être délégués syndicaux. Alors, je ne suis pas dans
l'exécutif, non.
M.
Roberge : Par rapport au procédé, vous dites : Ça aurait dû être l'assemblée universitaire qui
aurait dû proposer quelque chose. Nul doute qu'en tout cas ça aurait peut-être
plus rassemblé les gens autour de la démarche, parce qu'on voit bien que ça a
été divisif. Mais certains s'impatientaient, notamment les associations étudiantes
sont venues nous dire : Écoutez, là, c'est parce que ça fait longtemps
qu'on le dit, puis, par rapport à la discipline, ça n'avançait pas. Est-ce que vous partagez ça? Je ne parle
pas de... Je comprends que vous n'êtes pas d'accord avec la solution, mais est-ce
que vous reconnaissez qu'il y avait un problème? En tout cas, les étudiants le
crient haut et fort, il y avait un problème avec la discipline puis il fallait forcer le jeu parce qu'au fil des années ça ne changeait pas. Est-ce que vous êtes d'accord
avec ça?
Mme Trépanier (Nathalie) : Bien, je ne veux pas prendre trop position parce
que je ne suis pas très à l'aise avec tout
ce qui touche la discipline. De ce que j'ai compris, c'est qu'il y a quand même
eu une proposition, parce qu'il y avait eu, en 2015, un jugement de la Cour supérieure, hein, parce que
l'université avait changé des éléments qui touchaient la discipline. Et,
comme ça touchait des dimensions qui touchaient... qui relevaient de certaines
conditions de travail, il y a eu donc un jugement de la Cour supérieure qui
avait été fait, on disait que l'université ne pouvait pas modifier les composantes du comité de discipline sans
travailler en négociation avec les différents groupes, dont le syndicat des
profs. Et il y avait eu, à ce moment-là, une
proposition claire qui a été faite conjointement, suite aux négociations, avec
le vice-rectorat et la première
vice-présidente de l'époque, qui était Mme Kempeneers, donc, M. Charest qui
était vice-recteur, je pense, aux affaires académiques, quelque chose
comme ça, puis Mme Kempeneers, ils ont fait une proposition en assemblée universitaire, qui a été donc votée, où
il y avait des comités de discipline impliquant professeurs, bon... pour
les chargés de cours, pour les professeurs, pour les étudiants.
Maintenant,
pourquoi... Est-ce qu'il y a un problème? Bon, pour la dimension pourquoi il y
a des professeurs, par exemple, sur
le comité des professeurs, c'est tout simplement pour pouvoir apporter un
regard critique, disons, dans une cause
de plagiat, par exemple. Pour voir de quoi il en relève, là, il faut appartenir
un peu au domaine, il faut comprendre comment les choses fonctionnent.
Ça, c'était comme une dimension.
Maintenant,
pour la dimension harcèlement sexuel ou inconduite sexuelle, j'ai compris qu'il
y avait des choses, bon, qui avaient à être révisées.
La
Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup, Mme Trépanier.
Maintenant, la parole est au député de Gouin.
M.
Nadeau-Dubois : Bonjour, madame, merci de votre contribution. J'ai une
première question pour vous. Vous avez
parlé du rapport entre l'enseignement et la recherche, vous avez dit que la
charte venait bouleverser la manière dont les choses se font
actuellement. Pouvez-vous nous dire concrètement qu'est-ce qui va changer dans
le rapport entre l'enseignement et la recherche si la charte est adoptée?
Mme Trépanier
(Nathalie) : Il faut que je fasse ça en deux minutes?
M.
Nadeau-Dubois : Moins, idéalement.
Mme Trépanier (Nathalie) : O.K. Ce qui va changer entre l'enseignement et la
recherche, c'est que, si on décide, sans
que j'aie mon mot à dire, de ce qui est important à faire comme recherche, ça
va définitivement teinter ce que je vais pouvoir enseigner ou pas. Parce
que nécessairement on touche des phénomènes sociaux, on touche des
sensibilités, peu importe le domaine dans
lequel on se trouve. Et, comme on n'a pas nécessairement une portée du bas vers
le haut, bien, si ça se décide... Par
exemple, la composition du... Il y avait les compositions... On parlait de
philanthropie hier. Si, au niveau de la philanthropie, dans les conseils
d'administration, on accepte que quelqu'un puisse éventuellement avoir un mot à dire sur les orientations privilégiées,
ça va orienter les recherches et donc teinter l'enseignement. Et, dans
ce sens-là, la diffusion de la recherche, et le transfert des connaissances, va
être touchée également.
Donc, un exemple
concret, ça peut être ça. Si on a un philanthrope qui travaille en éducation
des enfants en difficulté et qui dit :
Bien, moi, je ne finance que ce type de difficultés, bien, l'argent va aller
définitivement là, et ça veut dire
qu'on va cautionner les programmes qui vont être là-dessus ou la recherche qui
va se faire uniquement dans un volet spécifique, qui peut nuire à
d'autres collègues qui ont des idées aussi, mais qui ne sont peut-être pas
aussi porteuses socialement à ce moment-ci, mais, dans 20 ans, qui
pourraient l'être. C'est ça que ça peut faire.
M.
Nadeau-Dubois : Et, par rapport à la commission des études, est-ce
que... Parce que, là, vous parlez davantage du conseil, mais, pour ce qui est de la commission des études, est-ce
que c'est le fait de donner à la commission des études le pouvoir
d'arrimage?
La Présidente (Mme
de Santis) : Je m'excuse...
M.
Nadeau-Dubois : Est-ce que ça détermine le contenu de la recherche?
Mme Trépanier
(Nathalie) : Oui, bien, c'était le comité des études, en fait, je me
suis trompée de...
La
Présidente (Mme de Santis) : Ça va, ça va. Merci beaucoup, Mme
Trépanier, d'avoir contribué à nos travaux. Merci à tous et toutes qui
ont collaboré avec nous aujourd'hui.
Compte tenu
de l'heure, la commission ajourne ses travaux sine die. Compte tenu de la
journée, je souhaite à tous et toutes joyeux Noël, bonne et heureuse
année, «happy holidays», joyeuses fêtes! À l'année prochaine. Merci.
(Fin de la séance à 13 heures)